DE LA

aIiHaïï»9!llMi»ii^miîl

ET DES

Canadiens-Français aux Etats-Unis

FKRDINAXD GAGXOX tn 1871

-B

HISTOIRE

de la

Presse Franco-Américaine

Comprenant l'historique de l'émigration des Canadiens -français aux Etats-Unis, leur développement, et leurs progrès.

Cet ouvrage contient aussi un historique des journaux publiés depuis 1838 jusqu'à nos jours, les biographies des journalistes, défunts et vivants, et un supplément sur les journaux publiés par des Français à New-York, en Louisiane et ^dlleurs.

Par

ALEXANDRE BELISLE Avec une préface par J.û. LeBOUTILUER

Worcester, Mass. Ateliers Typographiques de

'L'OPINION PUBLIQUE"

1911

PREFACE

E livre que M. Alexandre Belisle présente au public sera

C aussi intéressant pour les Canadiens-français du Cana-

da que pour ceux des Etats-Unis. Il est un témoignage vivant des efforts qui ont été faits depuis plus de qua- rante ans pour le maintien et la propagation de la langue française, parmi les émigrés canadiens aux Etats-Unis, dans le champ du journalisme. L'histoire du journalisme canadien aux Etats-Unis se rattache par certains côtés à celle du journalisme de la province de Québec. En effet, plusieurs écrivains marquants, après avoir fait leurs premières armes aux Etats-Unis, sont retournés au Canada continuer dans la même carrière ou se livrer à un autre genre d'occupation plus rémuné- rateur. Je ne vois guère qu'un seul cas un ancien journaliste canadien des Etats-Unis se soit réellement enrichi en continuant la carrière au Canada, c'est celui d'Honoré Beaugrand.

Il n'y a pas de doute que l'histoire présente sera toute une révélation pour un bon nombre, surtout pour nos frères du Canada. On ne se faisait pas d'idée assurément du nombre de journaux de langue française de tout genre qui ont surgi et sont morts en terre américaine. Et, encore, je suis bien certain que M. Belisle, malgré la masse de notes qu'il a accumulées depuis plus de trente ans, et malgré la connaissance qu'il possède de son sujet, a avoir omis involontairement certaines feuilles dont il reste à peine un souvenir dans l'entourage elles ont vécu leur courte exis- tence. Mais telle qu'elle est, la liste affecte déjà une importance insoupçonnée de ceux qui ne sont pas, dans ses détails, au courant du mouvement canadien-français aux Etats-Unis depuis cinquante ans.

La presse canadienne-française des Etats-Unis a grandi en raison des progrès réalisés par notre élément en ce pays. La formation des sociétés, des paroisses, des journaux, a marché pour ainsi dire de pair. Un groupe de Canadiens-français dans un centre était-il assez fort numériquement, on ne tardait pas à se compter, à se réunir en assemblée le soir après la journée de travail, et on jetait les bases d'une société de secours mutuel, d'une paroisse, d'un journal. En maintes circonstances la société fraternelle fut

Préface

le noyau qui constitua la paroisse naissante et qui, grâce à sa persévérante initiative, en assura la permanence, et le journal de l'endroit était l'agent au moyen duquel les progrès de la paroisse recevaient une publicité qui était un encouragement pour les inté- ressés et une invitation aux parents et amis restés au Canada de venir grossir les rangs des émigrés aux Etats-Unis. A de bien rares exceptions, notre presse des Etats-Unis, à la période de son enfance, a été un auxiliaire puissant pour l'établissement d'un système paroissial séparé, malgré toutes les misères et tous les obstacles suscités en bien des cas par un épiscopat auquel la langue française répugnait souverainement.

Mais je parle d'une situation qui existait il y a trente ou quarante ans. Notre presse a fait du chemin depuis ce temps. Elle est aujourd'hui rendue à l'âge viril, et j'estime même qu'elle (!St rendue à l'apogée de ses progrès, si l'on peut en juger par la condition générale actuelle des nôtres aux Etats-Unis. Non pas que je veuille dire qu'elle n'est pas susceptible d'amélioration, bien loin de là, car elle a bien du chemin encore à parcourir pour atteindre le niveau des grands journaux de Québec et de Montréal. Mais elle a un terrible ennemi contre lequel elle doit lutter sans cesse pour maintenir ses positions au prix d'efforts incroyables et de sacrifices sans fin, et cet ennemi c'est l'indifférence ou l'apathie d'un trop grand nombre de nos compatriotes à l'égard du journal de langue française local. En certains cas cette indifférence est voulue, dans d'autres elle est le résultat de l'état d'âme, de la mentalité des personnes qui, en perdant le caractère de la race avec la perte de l'usage habituel de la langue française, nagent à pleins bords dans les eaux dissolvantes de l'assimilation, par conséquent ne regardent jamais le journal français.

Combien y en a-t-il aujourd'hui, parmi la jeune génération, qui connaissent les noms des pionniers de notre journalisme: l'abbé Zéphirin Druon, Ferdinand Gagnon, Frédéric Houde, Antoine Moussette, juge Lebœuf , Honoré Beaugrand, Dr Martel, etc. ? Ces hommes ont planté les jalons qui ont servi de guides à ceux qui sont venus ensuite continuer l'œuvre commencée et l'ont assise sur des bases apparemment solides. La plupart d'entre eux sont maintenant disparus de la scène de ce monde, mais leur œuvre sub- siste dans ces vaillantes feuilles décrites au chapitre des journaux existants, surtout les journaux quotidiens.

Mais une question se présente ici naturellement : Est-ce une œuvre durable, est-ce une œuvre permanente? La presse française de la Nouvelle-Angleterre, avec ses vingt-cinq journaux quotidiens, hebdomadaires ou autrement, est-elle destinée à disparaître comme celle de la Louisiane à une ou deux exceptions près? On ne sait pas, sans doute, ce que l'avenir réserve, pas plus à l'égard des journaux que d'autre chose. Mais une chose est certaine, c'est que la permanence de nos journaux français en Nouvelle-Angleterre

Préface

dépendra nécessairement de celle du parler français parmi les nôtres. Et sur cette question de langue, pour assurer la perma- nence du français, il importe nécessairement qu'il y ait constam- ment du progrès et de l'amélioration dans l'instruction et l'éduca- tion. C'est le plus sûr moyen de prévenir un mouvement de recul dans les forces vives de la nationalité. Donc notre presse de langue française des Etats-Unis se perpétuera à condition que se perpétue assez fortement l'usage du français, qui est le caractère distinctif de la race. ]\Iais ce caractère distinctif va-t-il se perpétuer généra- lement dans les générations futures de notre peuple franco- américain ?

* # *

Les opinions sont partagées sur la question de la survivance du français aux Etats-Unis. Et ces opinions sont diamétralement opposées. Cela naturellement n'aura aucune intluence sur les destinées futures de notre langue en ce pays. Sans doute il y a de l'exagération dans les expressions d'opinion qui ont été formu- lées, soit dans un sens ou dans l'autre. Ainsi, ceux qui ont préten- du, en ces derniers temps, que la langue française ne serait plus parlée dans vingt-cinq ans en Nouvelle-Angleterre, prennent évi- demment leurs désirs pour une réalité. Ceux qui parlent ainsi sont des gens, ecclésiastiques ou laïques, qui détestent le français et sont dans l'Eglise ce qu'on appelle des assimilateurs. D'un autre côté il y a les enthousiastes chez les nôtres qui ont une foi inébranlable clans les hautes destinées réservées à la nationalité et à la langue française dans l'Est et l'Ouest des Etats-Unis. Ceux-là ne voient que les progrès réellement remarquables que notre race a fait sur ce sol d'Amérique, et ils affectent d'ignorer les lamenta- bles défections qui s'opèrent parmi les nôtres, et sont plus ou moins accentuées, selon les milieux elles se produisent. Il importe, croyons-nous, d'envisager cette ciuestion à la lumière des faits du passé et de la situation présente.

Ceux qui croient quand même à la survivance du français en Amérique s'appuient principalement, pour étayer leur croyance, sur le fait historique que les 60,000 Canadiens qui, eu 1759, pas- saient sous la domination anglaise, se sont multipliés aujourd'hui au chiffre de plus de trois millions au Canada et aux Etats-Unis. Dans l'idée du vainqueur, ce peuple ne devait pas tarder à s'assi- miler aux nouveaux venus, à perdre sa langue et ses traditions françaises. Mais le vainqueur s'est trouvé désarmé devant la résis- tance opiniâtre de nos vaillants pères. Sous l'égide de son admira- ble clergé, qui était resté avec eux pour les guider et les soutenir dans les grandes luttes qui allaient s'ouvrir, à force de courage et de persévérance ils réduisirent à néant les tentatives de l'oligar- chie pour les absorber et les faire disparaître comme race distincte. Mais ce phénomène étonnant s'est produit d'abord dans un pays la population française a toujours surpassé de beaucoup la

Préface

population anglaise. L'extension de la race canadienne-française était encore facilitée par sa merveilleuse fécondité naturelle, tandis que les Anglais émigrés s'établissaient peu nombreux dans la province de Québec et peuplaient l'Ontario et les provinces maritimes. Dans ces conditions, et avec l'aide des concessions arrachées à la tyrannie anglaise par les luttes d'intrépides patrio- tes, comme la reconnaissance otïicielle de la langue et des lois françaises, la survivance du caractère ethnique de notre peuple était relativement facile. Et la confédération des provinces est venue mettre le sceau à la parfaite autonomie du peuple canadien- français de la province de Québec.

Voici, suppose-t-on, que nous sommes plus d'un million de Cana- diens-français ou de descendants de Canadiens-français aux Etats- Unis. En ce pays nous avons la liberté politique de parler notre langue et de la transmettre à nos enfants au moyen de nos écoles paroissiales, qui sont reconnues par la loi. Les pouvoirs publics ne mettent aucune entrave à l'expansion et l'influence françaises. On serait alors tenté de croire que la langue française dût gagner constamment du terrain en raison de l'accroissement naturel de nos populations, sinon par l'émigration qui ne se fait plus sur un aussi haut pied qu'autrefois. Mais il y a un aspect d'une impor- tance capitale à considérer dans la situation de cette branche du peuple canadien-français transplantée aux Etats-Unis, c'est le milieu, c'est l'air ambiant, c'est l'entourage. Dans la province de Québec, le berceau et le centre de la nationalité française en Amérique, notre race pouvait se développer librement sans avoir à coudoyer des éléments étrangers supérieurs en nombre. Dans la Nouvelle-Angleterre ou l'Ouest des Etats-Unis, de nos jours, les émigrés canadiens ou leurs descendants vivent littéralement au milieu d'une population de langue anglaise douée d'une puissance merveilleuse d'assimilation. On ne peut donc pas s'étonner si parfois le caractère français s'altère, si cette caractéristique par excellence de la race, la langue, reçoit en certains cas une atteinte fatale par l'emploi de la langue anglaise comme langue d'habitude. Il serait donc téméraire de conclure à la survivance de la langue française aux Etats-Unis par les faits du passé. Dans les condi- tions que je viens d'indiquer, cette survivance est-elle possible? Elle est sans doute possible et même probable pour un certain nombre d'années, même pendant encore plusieurs générations. Mais l'usage de la langue française est-il destiné à se perpétuer indéfiniment, comme langue d'habitude et familiale, parmi les nôtres des Etats-Unis? C'est le secret de l'avenir. Il est toujours permis d'espérer, mais cela n'empêche que l'on ne doive éprouver des craintes sérieuses si l'on considère les lois générales de l'évo- lution des peuples.

* * *

Dans cette question de la survivance du français aux Etats-Unis

Préface

on peut se demander quelle est la situation présente. Notre popu- lation a-t-elle conservé, dans son intégrité, son caractère français et ses traditions françaises? Oui, en certains endroits, mais pas partout. C'est bien pénible à constater, mais on ne peut s'empê- cher de reconnaître que la nationalité a fait et fait encore constam- ment des pertes lamentables. Je ne m'exprime ici que du point de vue national, et c'est une autre question que de savoir si la perte de la langue française entraîne généralement ou souvent la perte de la foi catholique, ou tout au moins le relâchement ou la négligence des devoirs religieux.

Dans les centres les nôtres forment une population compacte, le caractère français se maintient mieux. Etant moins confondus avec la population de langue anglaise, ils ont moins l'occasion de se servir de cette dernière et leur langue d'habitude est le français. Il y a toute apparence que dans ces centres la langue dominante parmi les nôtres sera le français pendant encore plusieurs géné- rations.

Mais il n'en sera pas de même dans d'autres villes ou villages les Canadiens ou leurs descendants sont disséminés parmi la popu- lation de langue anglaise. Il est inutile de se faire illusion là- dessus; on ne peut fermer les yeux à l'évidence des faits, au spectacle de ce que nous constatons tous les jours. En maints endroits de la Nouvelle-Angleterre les nôtres forment des colonies permanentes depuis trente ou quarante ans, la langue usuelle d'un grand nombre de ceux-ci n'est pas le français. On rencontre cette perdition surtout chez la troisième génération. Les premiers émigrés canadiens après la guerre civile ont fait souche. Leurs enfants, nés au pays, par conséquent citoyens américains de naissance, ont produit une troisième génération d'une mentalité tout à fait différente de la première. Parfois la mentalité, modifiée à la deuxième génération, est complètement transformée à la troisième. Dans ces cas, l'enfant, le jeune homme, la jeune fille ne parlent que l'anglais; ils ne parlent pas le français pour une bonne raison, c'est parce qu'ils ne sont pas capables; ils ne l'ont pas appris dans la famille, leurs parents, quoique pouvant parler fançais, ne le faisaient que lorsqu'ils y étaient obligés, les ayant élevés comme cela dans l'ignorance de la langue française.

Le portrait de la génération que je viens de peindre, qui est la jeunesse d'aujourd'hui, n'est heureusement encore que l'exception. Mais il suffit que cette exception soit possible, qu'elle existe au sein d'une communauté franco-américaine, en pleine organisation paroissiale, qu'elle se propage lentement mais sûrement, pour que l'on conçoive de graves inquiétudes sur l'avenir de la langue française, du moins dans les localités ce pénible état de choses existe.

Préface

Il n'y a donc pas à se faire d'illusions, pour une foule de nos jeunes gens et de nos jeunes filles, s'ils peuvent encore s'exprimer en fran- çais, la langue de leurs parents est pour eux une langue étrangère. La jeune génération présente, dans les localités que je viens d'indi- quer, peut être divisée en trois classes sous le rapport de la langue. 11 y a ceux qui peuvent s'exprimer indifféremment dans les deux langues; il y a ceux qui savent le français pour l'avoir appris dans la famille ou peut-être à l'école dans leur enfance, mais qui ne s'en servent que lorsqu'ils y sont obligés; enfin il y a ceux qui ne le savent pas du tout. Même dans la première catégorie, la tendance à préférer l'anglais au français dans la conversation entre personnes de nationalité française est générale, ce qui est un indice de décadence siire et d'assimilation avancée à la généra- tion suivante. La deuxième classe est à moitié assimilée. Supposez maintenant un jeune homme et une jeune fille de cette classe qui se marient comme cela arrive souvent. Ces jeunes mariés ne se parlent qu'anglais; leurs amours se sont faites en anglais, naturel- lement ils ne sont pas pour changer leurs habitudes à cet égard dans leur vie conjugale; leur progéniture est donc fatalement vouée à l'assimilation. Pas besoin alors de s'étonner que nos prêtres soient obligés de catéchiser des enfants dans la langue anglaise, pour les préparer à la première communion. Inutile de s'étendre sur la troisième catégorie; ici le cas est désespéré, l'assimilation est complète. Ce jeune homme, cette jeune fille ayant perdu la langue française, n'ont rien pour les distinguer de la masse de la nation américaine, essentiellement matérialiste et rationaliste ils sont tout simplement assimilés, fondus dans le grand-tout américain. S'ils forment encore partie de la paroisse française, c'est par la force de l'habitude et par tradition, pour suivre l'exemple de leurs parents. Quand ce dernier lien sera rompu, on ira à l'église irlandaise on se trouvera mieux à sa place, si toutefois le chemin de l'église n'est pas totalement oublié.

jMais, allez-vous dire peut-être, comment une pareille situation est-elle possible dans un centre pourvu d'organisations paroissiales canadiennes-françaises, d'écoles paroissiales françaises, nos églises sont desservies par des prêtres de notre race et de notre langue? Je n'ai pas l'intention d'indiquer ici la cause de cette apos- tasie nationale; qu'il me suffise de constater le fait réel, brutal. Ceux qui ont perdu leur caractère français avec la perte de la langue française, évidemment ne sont pas les plus à blâmer de ce résultat; il y a un vice d'éducation dont ils ne peuvent être tenus responsables; ils sont des produits de l'éducation qu'ils ont reçue et du milieu ils ont été élevés. Jusqu'à un certain point ils ne sont donc pas responsables du fait qu'ils sont purement des Américains. Ce sont des inconscients. Ils ne se figurent pas le rôle des nationalités et la fierté de race. Ne parlant qu'anglais, ils ne craignent pas de passer pour des "foreigners. " Ils sont

Préface

satisfaits de leur lot et ils croient de bonne foi que, vivant dans un pays anglais, ils n'ont pas besoin de savoir une autre langue que la langue nationale et officielle du pays. On comprend que pour ceux-là les nobles et saintes traditions de la race française sont de médiocre importance.

Mais ceux qui préfèrent l'anglais au français, dans le commerce journalier de la vie ou leurs relations intimes, quand ils pour- raient parfaitement se servir de la langue française, ne sont pas aussi excusables. Voici un fait typique qui peint bien l'esprit général dans certaines paroisses soi-disant franco-américaines. Quand vous êtes dans l'église, assistant à la messe le dimanche, vous avez bien l'impression d'être dans une église canadienne- française en entendant le pasteur faire les annonces et le sermon en français. Si ce n'est pas une paroisse mixte, comme générale- ment dans les grands centres, vous n'entendez que du français, et alors vous pouvez vous croire transporté momentanément au berceau de la race française en Amérique, ce beau Canada, colonisé et arrosé des sueurs et du sang de nos ancêtres. Mais au sortir de l'église, pour peu que vous ayez développé le sentiment patrioti- que, la fierté de race, vous êtes douloureusement impressionné en entendant parler anglais partout autour de vous. Les quelques accents français que vous entendez sont prononcés par les person- nes âgées que le snobisme américain n'a pu convertir. Ces jeunes gens, ces jeunes filles, ces époux qui conversent entre eux en anglais, ces enfants qui s'interpellent dans le plus pur accent yankee, paraissent agir ainsi de façon toute naturelle. 11 n'y a pas à le nier, l'anglais leur est plus familier et ils sont portés naturel- lement à s'en servir. Je ne crois pas qu'il y ait en général un mépris réel du français. C'est une conséquence fatale de l'éduca- tion reçue et du milieu oii l'on vit. C'est une pente générale et irrésistible l'on glisse et au bas de laquelle la nationalité trou- vera son tombeau, si une réaction ne s'opère pas. ^lais cette réaction, en certains endroits, paraît fort problématique.

L'expérience de tous les jours démontre qu'une fois que la perte de la langue est un fait accompli, cette perte généralement est permanente pour cette génération-ci, à plus forte raison pour les descendants. Cependant il y a eu des exceptions. Des hommes intelligents qui, dans leur enfance n'avaient pas eu l'avantage d'avoir une éducation française et n'ayant eu que très peu l'occa- sion de parler français, se sont mis d'eux-mêmes à l'étude de la langue française, s 'efforçant de la pratiquer et de se montrer véri- tablement patriote. Mais ce sont des gens de cœur et de carac- tère qui avaient compris tout ce qu'il y avait de noble dans la race dont ils étaient issus et qui ne voulaient pas être simplement des Américains. Mais comme je viens de le dire, ce sont des cas qui se produisent rarement. Tout de même, ils sont une faible compen- sation pour les déplorables défections permanentes qui s'accom-

Préface

plissent par ailleurs. Un homme comme celui-là n'aura pas honte de parler français ; il ne rougira pas de son nom français, quand tant d'autres pousseront la lâcheté ou la stupidité jusqu'à le transfor- mer en un nom anglais quelconque ou en altérer l'orthographe de façon à le faire ressembler à un nom anglais.

Je pourrais en dire encore plus long à ce sujet. Je pourrais, par exemple, citer le cas de ces conseils de notre grande société nationale, l'Union Saint- Jean-Baptiste d'Amérique, à qui on doit permettre de conduire leurs délibérations en anglais. Et pourquoi cela? Parce que la majorité des membres ne parlent pas et ne comprennent pas le français. On a estimé, sans doute avec raison, qu'il valait encore mieux leur faire cette concession plutôt que de laisser ces jeunes gens s'enrôler dans les sociétés anglaises ou neutres. En accueillant ces assimilés dans son sein, l'Union fait peut-être un accroc dans ses principes relatifs à la langue, mais on ne peut pas nier qu'un certain bien peut en résulter pour la nationalité. Ainsi, par l'influence qui peut se dégager au contact de camarades ayant conservé le caractère français, il est possible que, dans certains cas, le sentiment national, l'instinct de la race se réveillent et que des efforts soient faits pour remonter le courant de l'assimilation.

Donc, s'il y a un si grand nombre de nos gens qui ne parlent plus le français ou pour qui le français est une langue étrangère, il s'en suit nécessairement qu'ils ne lisent pas le français. Ils sont même légion ceux qui pourraient s'adonner à la lecture française s'ils le voulaient, mais qui préfèrent le journal anglais. Combien y en a-t-il de nos familles qui font bon accueil au journal anglais et dédaignent de recevoir le journal français local? Sans doute il y en a qui ne reçoivent pas le journal français parce qu'ils ne seraient pas capables de le lire ou de le comprendre ; pour ceux-là une feuille française est absolument étrangère ; les questions de langue, de nationalité, de droits du français à l'église et à l'école, tout cela est bien loin de leurs préoccupations. Pour eux, le pro- blème de la langue est tout résolu: ils n'en reconnaissent qu'une, la langue officielle du pays, ils n'ont que faire d'en savoir une autre.

Nos journaux, pour subsister, doivent donc compter sur la classe nombreuse de ceux de nos compatriotes qui sont en état de lire le français, et, il faut l'avouer, ce soutien n'est pas ce qu'il devrait être. Mettez avec cela la concurrence des journaux du Canada et vous aurez une idée des efforts incessants que leurs éditeurs doivent faire pour se maintenir à flot. Il leur faut recourir à toute sorte de stratagèmes pour augmenter ou maintenir leur circulation. Ils ont besoin d'un chiffre raisonnable de circulation, non seulement pour retirer des abonnements des revenus nécessaires, mais aussi pour leur permettre d'obtenir un montant d'annonces suffisant à

Préface

un tarif assez rémunérateur. Une fois que la circulation d'un journal est bâtie, il ne faut pas croire qu'elle va se soutenir d'elle- même. Le travail de sollicitation doit continuer sans arrêt, sans relâchement. L'éditeur d'un journal, qui se contente de collecter ce qui est et n'a pas un système raisonné et méthodique de sollicitation, est sérieusement exposé à voir sa circulation non pas seulement rester stationnaire, mais le plus souvent diminuer. 11 y a toujours et constamment un certain nombre d'abonnés qui, pour une raison ou pour une autre, abandonnent le journal. Il faut alors que ceux qui échappent soient remplacés par des nouveaux. Un journal est un peu comme une société fraternelle. Pour que celle-ci se maintienne et rencontre ses obligations, il lui faut néces- sairement combler les vides qui se font dans ses rangs par la mort en recevant de nouveaux membres, et c'est par ce moyen qu'un sang nouveau lui est constamment infusé, lui donnant ainsi un élément de permanence. Il en est de même d'un journal. De même qu'une société doit faire constamment de la propagande pour enrôler de nouveaux membres, de même un journal doit faire sans relâche des démarches pour avoir des nouveaux abonnés.

Dans les localités il y a une tendance vers la négligence ou l'abandon de la langue française, ce travail de sollicitation devient encore plus impérieux, afin de retarder le plus possible le jour fatal il faudra fermer boutique.

* * #

Cette disparition éventuelle de notre presse franco-américaine est dans le domaine des choses possibles. Mais il faut s'entendre; nos journaux, s'ils doivent disparaître, ne disparaîtront pas tous ensemble; cette échéance dépendra naturellement du'plus ou moins grand usage de la langue française. Il est évident que si les condi- tions que j'ai exposées précédemment étaient générales dans tous nos centres franco-américains, il faudrait désespérer de l'avenir de la langue française aux Etats-Unis. Heureusement il est loin d'en être ainsi. Les groupes canadiens-français qui montrent une ten- dance générale et marquée vers la perdition de la langue française ne sont encore que l'exception. Dans l'Est, ils sont confinés à un territoire que je n'ai pas besoin de désigner. Ceux qui sont à même de connaître l'état réel des choses, ceux surtout des nôtres qui ont conservé le caractère français et qui vivent au milieu de ces foyers d'assimilation savent parfaitement à quoi s'en tenir. Ici, en général, l'assimilation n'a pas été imposée par l'épiscopat ou le clergé irlandais. Phénomène étrange si vous le voulez, mais qui est bien réel, cette assimilation s'accomplit en pleine organisa- tion paroissiale canadienne-française, dans des paroisses ayant comme desservants des prêtres de notre race, avec des écoles primaires le français est supposé être enseigné sur le même pied que l'anglais.

Préface

Mais reportons nos regards sur un autre théâtre, dans ces centres canadiens-français de la Nouvelle-Angleterre qui sont l'espoir de la nationalité en ce pays. le contraste est frappant pour celui qui part d'un centre américanisé et qui tombe brusque- ment au milieu de cette effloresceuce de vie essentiellement cana- dienne-française. Dans ces centres tout concourt à la manifesta- tion du caractère français dans son intégrité: l'usage général de la langue française dans la famille, sur la rue, dans les magasins, à l'atelier; la splendeur et la richesse des églises; les maisons d'éducation la culture française reçoit son plein épanouisse- ment ; les sociétés religieuses et civiles si nombreuses oii règne un feu ardent de patriotisme. Dans ces centres, comme Fall-River. New-Bedford. Woonsocket, Lowell, Manchester, pour ne mention- ner que les plus importants, le français n'est pas près de disparaî- tre. Au contraire, il semble qu'avec l'accroissement naturel prodi- gieux des nôtres dans ces centres, la langue française prend de plus en plus de l'extension.

Or, si la langue française se maintient sans défections appré- ciables dans ces centres, si de plus elle prend de l'extension avec l'augmentation de la population, si en un mot le français demeure la langue maternelle, il s'en suit nécessairement que cette condi- tion devra influer sur l'existence ou la permanence de la presse de langue française. La survivance de notre presse dépend de la survivance de la langue française. Dans le tableau que j'ai tracé précédemment, il semble que le journal de langue française doive fatalement suivre le courant qui pousse vers l'anglicisation et sombrer, tôt ou tard, dans l'abîme creusé par l'assimilation. Dans celui-ci on voit une consolation de ces lamentables défections, et il n'est pas possible de songer que nos journaux parvenus au degré actuel de prospérité au prix de tant de labeurs et de sacrifices, puissent un jour disparaître. Dans tous les cas, si cette disparition devait se produire, par suite d'une décadence du français, cette éventualité paraît si éloignée que vraisemblablement avant son échéance un grand nombre de générations devront s'écouler.

Avant de clore cette préface, pour me conformer à un désir exprimé par l'auteur, je me vois ici contraint de donner quelques explications personnelles, qui sont toutefois de nature à n'intéres- ser que médiocrement le public lecteur. M. Belisle se fait scrupule de laisser le public sous l'impression qu'il a seul préparé et mené à fin le présent ouvrage. Il veut que le lecteur soit informé que j'ai collaboré à la rédaction de ce livre. Je n'y vois pas d'objec- tions. ]\rais cela ne m'empêche pas de déclarer ici que sans la masse de notes et de souvenirs que possédait M. Belisle, un pareil travail n'aurait pas été possible. Le faible mérite que l'on pourrait m 'attribuer est peu de chose comparé aux matériaux qu'il a fournis

Préface

pour édifier ce monument. Mon expérience personnelle dans le journalisme ne couvre qu'un cadre restreint, tandis que celle de M. Alexandre Belisle embrasse une carrière de plus de trente ans dans l'administration et la partie financière des journaux. Et ses renseignements remontent encore bien au-delà par le contact qu'il eut dans sa jeunesse avec les pionniers de notre presse française, tant dans l'Ouest que dans l'Est des Etats-Unis, aujourd'hui pour la plupart disparus, ayant particulièrement collaboré à l'œuvre du plus célèbre d'entre tous, Ferdinand Gagnon.

J. G. LeBOUTILLIER. WoRCESTER, Mass., juillet 1911.

AVANT-PROPOS

ALGRE le titre que l'auteur a cru devoir donner à ce

livre, il désire tout d'abord prévenir le lecteur qu'il

n'a pas eu la prétention d'écrire une histoire complète

du journalisme canadien aux Etats-Unis. Ce serait

une tâche au-dessus de ses forces, mais il croit tout de

même pouvoir affirmer que ce livre qu'il ose présenter

au public constitue un exposé assez fidèle des débuts, de l'enfance

et des progrès de la presse canadienne-française des Etats-Unis

depuis plus de quarante ans jusqu'à nos jours.

Le travail que nous nous sommes imposé ne pouvait se faire nécessairement sans beaucoup de labeur, de recherches et de démarches. Heureusement, il nous a été relativement facile de l'entreprendre et le mener à bien grâce aux nombreuses notes que nous possédions déjà, à de vieux documents et extraits de journaux, et aussi beaucoup à nos souvenirs personnels. Nous aurons aussi occasion, dans le cours de cet ouvrage, de citer large- ment des extraits de journaux, dont la plupart sont aujourd'hui depuis longtemps déjà disparus, mais qui jettent une vive lumière sur le sujet traité.

Si l'on pouvait juger du degré de culture littéraire d'un peuple par ses journaux, on devrait convenir que les Canadiens des Etats- Unis se sont montrés un peuple des plus intellectuels, car ils ont été légion les journaux de langue française qui ont germé et poussé en sol américain pendant une période de vingt-cinq ou trente ans et sont morts d'inanition après une carrière plus ou moins longue et plus ou moins accidentée. Si la moitié seulement ou même le quart de ces feuilles existaient encore aujourd'hui, supposant qu'elles eussent atteint le développement de nos quelques journaux quotidiens actuels, nous, les Franco-américains, comme nous disons aujourd'hui, pourrions nous vanter avec raison du nombre de nos journaux, sinon de leur éclat.

Parmi ces journaux, les uns ont eu une brillante carrière et ont creusé un sillon profond dans le champ littéraire et intellectuel ; ils avaient des abonnés et ont eu du retentissement dans tous les centres canadiens importants de la Nouvelle- Angleterre. Le souffle patriotique dont ils étaient animés, sous la plume, ardente de brillants écrivains, enflammaient les émigrés qui se disaient encore dans la terre d'exil et auxquels un journal de leur langue rappelait le pays natal. Les autres, et c'est le jjIus grand nombre, n'eurent qu'une existence éphémère, mais ils eurent tout de même le mérite de manifester le sentiment patriotique et d'inspirer aux nôtres la volonté et le courage de s'affirmer comme race distincte dans un milieu si différent par les usages et la manière de vivre.

Avant-propos

C'est aux fins de préserver de l'oubli, pour les générations pré- sente et future, que nous avons entrepris de réunir en un volume tous les éléments qu'il nous a été possible de rassembler relative- ment à notre presse canadienne-française des Etats-Unis. Si notre race venait jamais à disparaître comme élément ethnique en ce pays— ce qui. Dieu merci, paraît encore improbable,— si l'assimila- tion venait à décimer nos rangs au point de constituer un réel danger pour notre existence nationale, ce livre sera du moins un monument qui attestera des héroïques efforts faits par d'intrépides soldats de la plume et de la pensée pour perpétuer le culte de la langue, de la religion et des coutumes ancestrales en ce pays de langue anglaise officiellement, mais toutes les langues et toutes les nationalités peuvent se développer en toute liberté.

Nous nous étendrons plus particulièrement sur les journaux qui ont fait une plus grande marque dans la carrière et qui ont exercé une influence plus considérable sur les destinées du peuple cana- dien-français des Etats-Unis, comme le "Public Canadien," (1867) de New-York, le "Protecteur Canadien," (1868) et son successeur "l'Avenir National," (1871) de St-Albans, (Vermont), le "Foyer Canadien," (1873) de Worcester et St-Albans, qui fut en quelque sorte le précurseur du fameux "Travailleur" de Ferdinand Gagnon. Nous parlerons longuement de ces journaux et de quel- ques autres qui ont imprimé aux idées françaises aux Etats-Unis un mouvement dont leurs successeurs dans la carrière n'ont eu qu'à s'emparer pour le diriger dans la voie ouverte aujourd'hui. Les hommes qui ont été les pionniers du journalisme canadien aux Etats-Unis, sont pour la plupart depuis longtemps disparus de la scène de ce monde, comme l'abbé Zéphirin Druon, J.-B.-A. Paradis, Antoine Moussette, ancien gouverneur de la prison de Hull, P. Q. ; Frédéric Houde, le Dr L.-J. Martel, et le plus illustre d'entre tous, Ferdinand Gagnon qui, à une époque notre peuple était en voie de formation sur cette terre des Etats-Unis, fut l'in- carnation la plus parfaite de nos aspirations et de nos tendances vers nos destinées futures.

On remarciuera dans cette longue nomenclature que différents journaux portèrent le même nom. C'est ainsi qu'il y eut plusieurs "Avenir National," dont le dernier en date existe encore à Man- chester, N. H., plusieurs "Protecteur Canadien," et d'autres encore.

Après avoir passé en revue les différentes étapes de la presse canadienne-française des Etats-Unis, après l'avoir vue à l'œuvre se développant peu à peu, en dépit de maints obstacles, de déboi- res et d'espérances déçues, nous exposerons la situation qu'elle occupe présentement en cette année 1911. L'on pourra alors assez exactement se rendre compte du progrès accompli depuis quarante ans.

HISTOIRE

de la

Presse Franco- Américaine

^m

*

CHAPITRE PREMIER Les causes générales de l'émigration

A PRESSE canadienne aux Etats-Unis est nécessairement une conséquence de l'émigration canadienne-française en ce pays, principalement de la province de Québec. L'éta- blissement et le fonctionnement graduel d'une presse de langue française, en ce pays de langue anglaise, ont marché de front avec l'émigration du Canada. Il ne sera donc pas hors de propos de rechercher ici les causes les plus probables de cette émi- gration qui, pendant quelques années après la guerre civile surtout, avait amené en ce pays des centaines de mille de Canadiens-français. Naturellement il serait impossible d'assigner des causes uniformes pour tous les cas; elles varient pour ainsi dire à l'infini suivant les circonstances, les lieux et la situation des individus. Mais il est quelques causes générales que nous essaierons d'exposer brièvement. Il faut d'abord remarquer que l'exode des Canadiens du Bas- Canada aux Etats-Unis a commencé bien avant l'époque de la guerre civile, et il faut même remonter aux premières années du igème siècle pour trouver les premiers mouvements de cette émigration qui devait par la suite aller constamment en s'accentuant. Dans les premiers temps les immigrants canadiens s'établirent principalement dans le Vermont, Etat limitrophe de la frontière canadienne. Aussi avant l'inauguration de l'ère des chemins de fer il n'était guère facile pour les expatriés de se rendre à une longue distance dans le Sud. C'est ainsi qu'en 1838 il y avait déjà assez de Canadiens à Burlington pour que Ludger Duvernay, le fondateur de la première société Saint- Jean-Baptiste à Montréal, y fondât un journal qui s'appelait le Patriote.

Les causes générales de Vémigration 3

C'est après que les chemins de fer eurent pris une extension géné- rale que les habitants des campagnes du Bas-Canada avec leurs familles commencèrent à s'expatrier en masse. Ils s'en allaient vers la terre d'exil, disaient ceux qui restaient et qui blâmaient cet exode.

Pendant les quatre années que dura la guerre, de 1861 à 1865, l'agriculture et l'industrie subirent naturellement une grande dépres- sion, mais au retour de la paix, la nation s'était résolument mise à l'oeuvre, comme conséquence de la réconciliation, pour réparer les ruines et les désastres des années précédentes; le mouvement indus- triel prit un essor jusque-là inconnu. A la faveur d'une politique nationale de protection, les anciennes industries prirent un regain de vigueur et de nouvelles surgirent de toutes parts en peu de temps dans toute l'étendue du pays alors ouvert à l'occupation, surtout dans les Etats de la Nouvelle-Angleterre. Dans cette dernière partie du pays, de nouvelles usines, filatures de coton, fabriques de lainages, cordonneries, etc., s'élevèrent dans tous les centres manufacturiers, exigeant un énorme surcroît d'employés. Parallèlement à cette activité dans les industries, la construction de nouvelles lignes de chemins de fer et l'extension ou des embranchements aux anciennes donnaient de l'ouvrage à des armées de travailleurs. Bref, une ère de prospérité inouïe s'était levée dans le New-York et les Etats de la Nouvelle-Angleterre, car si le travail était abondant les salaires étaient aussi très élevés.

C'était aussi l'époque des inventions mécaniques appliquées à l'industrie et du perfectionnement des machines dans les fabriques, permettant ainsi au manufacturier de produire un article plus promp- tement et à meilleur marché, malgré les hauts salaires payés. Cette activité industrielle devait infailliblement avoir son contre-coup au Canada, le règne de la prospérité n'était pas précisément établi, mais au contraire tout semblait languir. Ceux qui avaient des parents ou des amis aux Etats en recevaient des lettres qui dépei- gnaient à leur façon la prospérité américaine sous les plus brillantes couleurs. Ces nouvelles étaient transmises aux voisins et colportées avec force détails amplifiés d'un bout de la paroisse à l'autre jus- qu'aux "concessions" les plus éloignées.

Une industrie particulière, qui était extrêmement répandue et rap- portait de beaux bénéfices à l'ouvrier, était celle de la briqueterie. Il y avait partout une demande soutenue pour la brique, en raison du

4 Histoire de la Presse Franco- Américaine

grand nombre de constructions, surtout les usines et les fabriques. Les jeunes gens des campagnes de la province partaient le printemps pour travailler à la brique dans les villes et villages de la Nouvelle- Angleterre, en sus de la pension qui leur était fournie, ils gagnaient de forts salaires. A l'automne la plupart de ces jeunes gens, après s'être habillés de neuf et à la mode chez le tailleur ou le marchand de confections, et avoir acheté une belle grosse montre d'argent avec une chaîne à l'avenant, retournaient les poches pleines d'argent dans leur paroisse, ils faisaient l'admiration générale. Il n'en fallait pas plus pour engager une foule d'autres à suivre cet exemple, et le printemps suivant des familles entières prenaient le chemin des Etats. Voilà donc expliquée l'une des causes de l'émigration. Mais il y en a d'autres.

En peu d'années des centaines de mille Canadiens-français avaient traversé la frontière pour s'établir temporairement ou d'une manière permanente sur le sol de l'Oncle Sam. Mais ceux qui s'en retournè- rent au pays natal, après un séjour plus ou moins prolongé et avoir amassé le pécule qu'ils désiraient avoir, n'étaient que l'exception. La masse resta, se multiplia, et entra dans le mouvement américain, tout en conservant pleinement son caractère distinctif.

Les politiciens du temps, au Canada, auxquels on demandait l'établissement d'une politique pour améliorer les conditions de vie, au lieu d'agir se contentaient de dire, avec ceux qui avaient intérêt au maintien des vieilles routines, que nombre de ceux qui émigraient étaient des paresseux, des aventuriers, des ivrognes, des gens que le goût du luxe avait ruinés, ou quittaient leurs terres par simple caprice ou pour l'amour du déplacement. En réalité, dans bien des cas, les fîls de cultivateurs et même des familles entières traversaient la fron- tière pour un centre manufacturier ou l'autre de la Nouvelle-Angle- terre parce que l'agriculture et la colonisation n'étaient pas assez en- couragées par les gouvernants du jour. L'agriculteur et le colon, dans la province de Québec de tout temps ont eu à lutter contre les conséquences d'une politique mesquine. A cet égard la situation laisse encore à désirer aujourd'hui.

Combien de familles seraient restées au pays natal, au lieu de venir se livrer à un travail déprimant dans nos usines et fabriques de la Nouvelle-Angleterre, si une politique sage les eût encouragées à coloniser les vastes domaines de la Couronne. Mais le gouvernement

Les causes générales de Vémigration 5

d'alors, de même que ceux qui ont suivi du reste, croyaient ne pas pouvoir gouverner sans le marchand de bois ou la fameuse réserve des limites. Des millions d'acres de terre étaient ainsi soustraits à la colonisation et détournés de leurs fins naturelles sous prétexte de faire un revenu à la province ! Et si un colon, plus courageux que d'autres, tentait de s'établir sur un lot du gouvernement, souvent par le fait du marchand de bois qui venait le piller à la faveur d'une loi inique, découragé il finissait par tout abandonner et prenait la route de l'exil, le chemin des Etats-Unis. Combien y en a-t-il de ces colons, qui, déçus dans leurs espérances, victimes d'une criante injustice, sont venus peupler nos centres industriels de la Nouvelle-Angleterre et, par leur travail, contribuer à la prospérité du pays qui les accueillait, tandis que c'est le pays natal qui aurait profité de cette contribution s'ils n'avaient pas été en quelque sorte forcés de s'expatrier par l'in- curie et la mesquinerie des gouvernants.

En ce qui concerne la question de fournir de l'ouvrage aux ouvriers désœuvrés des villes et villages, les politiciens des deux partis bleu et rouge gaspillaient un temps précieux en luttes stériles autour de la protection et du libre-échange, tandis qu'il aurait fallu agir promptement et de la façon la plus propre à faire entrer le pays dans une voie de progrès et faire ainsi échec, si possible, au grand mouve- ment d'émigration qui dépeuplait les campagnes de la province de Québec au profit de l'Oncle Sam.

Ceux qui ont vécu depuis quarante ans ou plus aux Etats-Unis, qui ont été mêlés au mouvement d'organisation de nos phalanges nationales, dans le domaine religieux comme dans le champ de la politique et de la mutualité, qui ont été pendant de longues années à même de visiter les centres manufacturiers oiï les nôtres demeurent et d'entendre donner les raisons diverses qui avaient porté ceux-ci à déserter la terre natale, savent que les causes de l'émigration que nous venons de citer sont vraies, sauf pour ce qui regarde les pares- seux et les ivrognes. Les paresseux vivraient mal ici s'ils ne travail- laient pas, à l'exception toutefois de quelques rares phénomènes qui vivent du travail de leurs enfants. Quant aux ivrognes, il se peut qu'il en soit venu du Canada; la chose est même très probable. Dans tous les cas, le fléau de l'ivrognerie, s'il existait au Canada il y a trente, quarante ou cinquante ans, ou à l'époque l'émigration battait son plein, il a continué encore à y exercer ses ravages jusqu'à

6

Histoire de la Presse Franco-Américaine

nos jours. Nous n'en voulons pour preuve que la grande campagne de tempérance qui s'est faite en ces dernières années. Evidemment cette campagne devait être motivée par une telle recrudescence de l'alcoolisme qu'elle constituait véritablement un danger national.

Nous devons louer hautement ceux qui prennent l'initiative d'un tel mouvement, mais le fait qu'il existe est une marque certaine que les Canadiens des Etats-Unis ne détiennent pas précisément le mono- pole de l'ivrognerie. Nos amis du Canada ont aussi à combattre cette plaie sociale, et nous devons reconnaître qu'ils le font avec un zèle et un dévouement dignes de tous les éloges.

i

CHAPITKE DEUXIEME Les causes particulières de l'émigration

OUS avons dit que les Canadiens avaient été attirés en grand nombre aux Etats-Unis par les rapports des parents et des amis déjà rendus et par la grande demande de main-d'œuvre en raison de l'abondance de travail. Il y avait alors une raison sérieuse d'émigrer, et la chose après tout semble toute naturelle, étant données les conditions économiques existant alors au Canada. Mais cette période de prospérité ne dura qu'un temps. Après les années d'abondance, dont nous avons parlé dans le chapitre précédent, vinrent les années de dépression, de réduc- tion de salaires, de chômage. Des troubles ouvriers, des grèves éclatèrent simultanément ou à tour de rôle dans les centres de l'indus- trie, surtout du coton. Ceux d'entre nous qui ont eu connaissance des luttes entre le capital et le travail qui se sont livrées, la plupart du temps au désavantage des ouvriers, savent ce qu'elles ont coûté de déceptions, de misères et de larmes pour un grand nombre de familles canadiennes émigrées qui ne pouvaient plus retourner au pays natal. Celles qui avaient eu la prudence de garder leurs terres au Canada, pendant ces temps difficiles s'en retournaient; mais la masse était contrainte de rester et attendre des jours meilleurs.

L'histoire industrielle de la Nouvelle-Angleterre depuis un demi- siècle est une longue suite de prospérité et de revers alternativement. Mais les revers n'étaient pas de nature à neutraliser sensiblement l'effet causé antérieurement par la prospérité dans les esprits des habitants des bords du Saint-Laurent. Une fois le mouvement d'émi- gration imprimé, il ne s'arrêta plus; il a bien pu se ralentir périodi- quement, mais au retour d'une nouvelle ère de prospérité il reprenait

8^ Histoire de la Presse Franco- Américaine

de plus belle, et c'est à pleins chars, comme on disait, que les gens du Canada arrivaient dans les villes de la Nouvelle-Angleterre.

Nous avons vu dans le chapitre précédent quelques-unes des causes principales de l'émigration. Ce sont, à proprement parler, les causes générales, mais il en existait d'autres qui tenaient à des circonstances ou des conditions particulières. Dans ces cas, ceux qui étaient pris du mal des Etats-Unis partaient volontairement et de gaieté de cœur pour travailler dans les usines ou fabriques américaines, lors- qu'ils n'avaient aucune raison de ce faire, après s'être défaits d'un bien qui les faisait vivre peut-être médiocrement, mais assurément d'une manière heureuse. Le système routinier des cultivateurs était une de ces causes; le désir de gagner de l'argent en était une autre.

Il faut aussi tenir responsable dans une grande mesure, du départ d'un grand nombre de familles canadiennes, les 'agents canadiens des compagnies manufacturières américaines. Ces embaucheurs salariés parcouraient les campagnes des districts de Montréal et de Québec, et jusque dans le bas du fleuve, et par des promesses alléchantes, jetaient le trouble dans l'esprit de ces paisibles enfants du sol qui vivaient, sinon dans le luxe, au moins dans une modeste aisance ou dans le contentement.

Quelle triste besogne était celle de ces embaucheurs ; que de cruel- les déceptions ont éprouvées des milliers de ceux qui se sont laissé prendre à ces belles promesses et ont succombé à la tentation. Com- bien de fois nous en avons vu pleurer de ces pauvres exilés qui regret- taient le pays natal, ils vivaient modestement, mais sans gêne, de ces pères et de ces mères de famille qui voyaient leurs jeunes enfants, accoutumés au grand air du bon Dieu, s'étioler dans les manufactures. Il y en avait partout, depuis le Maine jusqu'au Connecticut et le New-York, l'auteur voyageait pour le Travailleur il y a plus de trente ans.

Ces pauvres gens n'avaient pas été, comme tant d'autres, dans la nécessité de s'expatrier. Après avoir vendu, souvent à vil prix, tout leur avoir pour payer les frais de transport et d'installation sur la terre étrangère, ces familles se trouvaient généralement plus pauvres qu'auparavant, et le pain de l'exil leur paraissait d'autant plus amer qu'ils avaient connu de meilleurs jours sur la terre qu'ils avaient eu la folie d'abandonner. Ces gens finissaient, cependant, avec le

Les causes particulières de Vémigration

»

temps, par s'acclimater, les enfants grandissant et apportant leur concours au soutien commun. La paroisse canadienne, implantée sur la terre étrangère dans les endroits privilégiés cette bénédiction existait, rappelait celle du pays natal, contribuait aussi puissamment à concilier les nouveaux arrivés avec les nouvelles conditions de vie. De sorte que bien souvent ces familles, qui songeaient à retourner au pays dès qu'un pécule suffisant serait amassé, perdaient tout esprit de retour. D'ailleurs, les enfants ayant grandi dans l'atmosphère de la ville, il leur répugnait de retourner sur les terres du Canada pour se faire agriculteurs, profession pour laquelle ils n'avaient aucune aptitu- de après leur contact avec la vie industrielle.

m

m

CHAPITRE TROISIEME Le mouvement de l'émigration

L serait difficile de préciser l'époque commença réguliè- rement le mouvement d'émigration de la province de Québec aux Etats-Unis. Cependant on peut retracer ce mouvement migratoire en remontant vers l'année 1820.^ Mais, naturellement, à cette époque le nombre d'émigrants était fort restreint. Aussi un certain nombre de ceux qui étaient venus s'en retournaient, après un temps plus ou moins long, dans leur patrie. L'éloignement des parents, des amis, de l'église parois- siale amenait vite la nostalgie. Malgré les inconvénients que rencon- trait le voyageur, à cette époque les moyens de transport primitifs étaient encore en honneur, il préférait passer des semaines en dili- gence et retourner chez lui, au village natal, à l'ombre du clocher paroissial. Le Canadien, de tout temps, a toujours aimé faire la jasette le dimanche à la porte de l'église avant ou après l'office, avec les amis ou les connaissances. Il y a quatre-vingt-dix ans il n'y avait nulle part aux Etats-Unis de groupes canadiens comme il s'en est formé plus tard. Le Canadien émigré se trouvait dépaysé, sans boussole.

Les troubles de 1837-38 furent cause qu'un nombre considérable de familles traversèrent la frontière et se fixèrent dans le nord du Vermont et de l'Etat de New-York. Ces familles, dans les années suivantes, furent suivies d'un courant assez régulier de Canadiens qui se dirigèrent plus au sud. Les chemins de fer naissants facili- tèrent, chaque printemps, l'exode de centaines de jeunes gens qui

1. Un de mes grands-oncles, Charles Benoit, vint demeurer à Worcester, Massachusetts, en 1820.

Le mouvement de Vémigration 11

venaient ici passer l'été aux travaux des champs, des manufactures et des briqueteries. Chaque automne la plupart de ces jeunes gens réintégraient leurs foyers pour passer la saison des fêtes et le reste de l'hiver sous le toit paternel.

La présence de ces jeunes gens dans les vieilles paroisses cana- diennes, après plusieurs mois d'absence, portant des habits de drap fin sortant des manufactures, faisait un contraste frappant à côté des autres fîls du sol vêtus d'étoffe du pays tissée par la mère de famille sur le traditionnel métier que toute maison d'habitant possédait. Ce spectacle n'excitait pas peu l'envie des autres gars, et le désir de venir aux Etats pour se procurer de beaux habits et gagner de l'argent devenait chez quelques-uns irrésistible. Le nombre des voyageurs augmenta graduellement jusqu'au début de la guerre de Sécession, en 1861.

Dans les Etats de l'Ouest, notamment l'Illinois, il y avait déjà des groupes considérables, plus particulièrement dans le comté de Kankakee, le trop fameux apostat Chiniquy s'était réfugié. Il était bien connu qu'il existait des groupes canadiens déjà nombreux dans la ville de Chicago et à Bourbonnais, dans l'Illinois, Saint-Paul, Prairie-du-Chien et Faribault, dans le Minnesota, Détroit au Michigan. D'ailleurs, les noms de la plupart de ces villes indiquaient assez qu'elles eurent pour pionniers des voyageurs canadiens-français. On sait notamment que les premiers hommes blancs qui se fixèrent sur l'em- placement où s'éleva plus tard Chicago, la reine de l'Ouest, sur les bords du lac Michigan, furent des Canadiens-français, trois frères du nom de Beaubien.

En 1861, la guerre éclata entre le Nord et le Sud. Un grand nombre de jeunes gens s'enrôlèrent sous les drapeaux de l'Union pour combattre les sudistes. L'appel aux armes lancé par Abraham Lincoln, le Grand Emancipateur, fît un drainage considérable d'ou- vriers dans les manufactures de la Nouvelle-Angleterre. La guerre n'empêchait pas les industries de fonctionner, et il fallait remplacer les partants. C'est alors que les patrons songèrent à embaucher des ouvriers et ouvrières dans la province de Québec au moyen d'agents, comme nous l'avons vu ci-dessus. C'est réellement de cette époque que date le commencement de la dépopulation des belles campagnes de la province de Québec au bénéfice de la Nouvelle- Angleterre.

12 Histoire de la Presse Franco- Américaine

Les divers groupements de centaines de familles canadiennes- françaises, qu'il y avait déjà dans les villes industrielles des Etats de l'Est à l'époque de la guerre, se trouvaient dans un état déplora- ble. Leur situation était pénible dans ces centres manufacturiers, ignorant la langue du pays, privés des secours de la religion, n'ayant point de sociétés ni d'églises, ni de journaux, restant isolés, sans hommes de profession ou d'hommes instruits pouvant leur imprimer une direction ou un mouvement. Telle était la situation générale, sauf modifications pour certains endroits dans le Vermont et le nord de l'Etat du New-York.

La guerre étant terminée en 1865, il en résulta, comme nous l'avons vu précédem.ment, une activité industrielle jusqu'alors incon- nue, qui augmenta le flot de l'immigration à de telles proportions que les hommes de la classe instruite, les négociants, les hommes des professions libérales suivirent le courant avec l'héroïque phalange de ces admirables prêtres, qui furent les fondateurs et les pionniers de notre clergé national, et se fixèrent dans les centres les plus populeux. Avec cette classe dirigeante pour guide commença au sein des groupes l'organisation de nos sociétés dans la Nouvelle-Angleterre. Cepen- dant, quelques sociétés patriotiques ou mutuelles existaient déjà sur quelques points des Etats-Unis. C'est ainsi qu'à New-York la première société Saint-Jean-Baptiste aux Etats-Unis avait été fondée par Gabriel Franchère, en 1850. Dès 1848, nos compatriotes établis à Détroit s'étaient groupés dans la société de bienfaisance Lafayette. Vingt ans après, en 1868, une société Saint-Jean-Baptiste y surgis- sait. L'Union Canadienne de Saint-Paul, Minnesota, date de 1867. Oswego, New- York, avait sa société Saint-Jean-Baptiste en 1860; celle de Biddeford, Maine, voyait le jour en 1867.

La société Saint-Jean-Baptiste de Meriden, Connecticut, date de 1865; celles de Springfield et Pittsfield, Massachusetts, de 1864, et jusqu'à une date aussi reculée que 1859 l'on constate qu'à Burlington, dans le Vermont, en cette année-là, avait été fondée une société Saint-Joseph.

Cette nomenclature de nos premières sociétés nationales aux Etats-Unis démontre à l'évidence que dès l'époque de la guerre Civile le mouvement de l'émigration canadienne avait déjà pris une exten- sion considérable. Une marque aussi de l'accroissement que prenaient les nôtres sur le sol de la république américaine, c'est que dès avant

NEUVIEME

NE

L/ONVENTION PaNADIEN

BIDDEFORD 1873

!

r 1 "MrTK-RENDU DES sfcANCF.S

I HE l.'lNION CANADIENNE-FRANÇAISE DE SECOIRS

MUTUELS DES ÉTATS-UNIS.

2" fuNSTITUilON CKNKRAI.E DKS SOCIÉTÉS.

3" RÉSOLUTIONS.

4" LISTE DES SOCIÉTÉS

M'MIROTFFS FAR OKliRF D'ADMISSION.

5" RÉSUMÉ.

NEW- YORK

Imprimé bous la direction de inescicn C. M.irs..ETTK. F. Boucher et Oeobok Bat . Délégué?.

«eplcmbre 1873

^

Fondés f.m 1848.

1899-1900.

OFFICIERS

DE LA

BlenfaisaiiGSialayeite,

DETROIT.

Prfsidenl-JEAN B GRAVIER. Vice.Pi>M«deni-CHAS. .M. RoU,--SEAU. Sec. Arctffriste-EDOUARD RACICOT.. Sec. Cor. l'in.-EDOU AR D E. LHARTIER. Trésorier— JOSEPH BELANGER. Co«i.Ord.— LOUIS O. nONAMV, .\ss. Com. Ord.-FRAXCOIS .\. BERMUR.

SAMUEL RIOU.X. CHARLES J GREGOIRE OJilMALDI. E.MILE IMHOFF.

CONSTITUTION ET REGLEMENTS

sociÉTi OES csiiiiDiœ-peiiiçiiis

DI

Springfield et des Places Environnantes. La dite société a été fondée le 3 Janvier 1864

Et les Règlements en ont élé revisés le 1er Juin 1867.

J ~-

MONTREAL

IMPRIMERIE DU JOURNAL "LEPAYS,' No, !i, Rue Stp. Tlu-ièse.

CONSTITUTION ET REGLEMENTS

DE LA

Société de Bieflfaisaoce

DE

ST. JEA.3Sr B-A-FTISOTE,

De Worcester et des Environs.

Kniégistré le lime jour de Février, 1868. Fondée a Worcester lier Janvier 1868

l'union FAIT I.A FORCE.

WORCESTER

^ M IWPUrMElUE Mr. TïLEK ET SEAOBAVE. ..

jll " ^1868. ^ ^J!|

Le mouvement de Fémigration

13

la guerre Civile des journaux rédigés en notre langue avaient existé parmi certains groupes canadiens, comme à Burlington, dans le Vermont, et Détroit, dans le Michigan, Chicago et Kankakee, dans rillinois, Watertown, dans le New- York.

tS

CHAPITRE QUATRIEME "Laissez partir la canaille"

ORSQUE Georges-Etienne Cartier prononça ses fameuses paroles : "Laissez-les partir, c'est la canaille qui s'en va," la clairvoyance faisait défaut en cette circonstance à l'il- lustre homme d'Etat canadien, et il ne se doutait pas assurément de l'extension prodigieuse et de l'importance que devait prendre ce rameau du peuple canadien-français implanté sur le sol des Etats-Unis; il ne prévoyait pas, il ne pouvait prévoir que ces groupes disséminés ici et dans la grande république, loin d'être dévorés par le minotaure yankee, comme on le croyait alors au Canada, resserreraient leurs rangs, se fortifieraient par la fécondité naturelle de la race et par l'arrivée incessante de nouveaux venus. Bien d'autres esprits d'élite, au reste, étaient tombés dans la même erreur.

Au temps Cartier prononça (1867) les paroles que nous venons de citer, il n'y avait encore à peu près rien pour indiquer le rôle considérable que devait jouer notre élément en ce pays. Les hommes d'Etat canadiens ne voulaient pas s'avouer que le mouvement d'émi- gration était des plus sérieux; c'est pourquoi ils tâchaient de se persuader que c'était l'élément le moins désirable qui s'en allait. Les propos attribués à Cartier furent tenus, croyons-nous, à l'époque oii Médéric Lanctôt faisait de la propagande dans l'Est et l'Ouest des Etats-Unis en faveur de l'indépendance du Canada. Si Cartier eût vécu pour être témoin des événements qui se sont accomplis. plus tard, il serait bien revenu de ses préventions; il n'au- rait pu faire autrement que de reconnaître que, dans son ensemble, le peuple canadien-français des Etats-Unis constitue l'un des meilleurs éléments qui composent cette république, et il aurait admis ce fait à

''Laissez partir la canaille" 15

l'instar de tant d'écrivains, de philosophes et d'hommes publics américains qui ont fait l'éloge des qualités de notre race aux Etats- Unis.i

Au temps de Cartier la presse canadienne des Etats-Unis avait déjà fait ses premiers pas, mais sa marche était chancelante, et elle n'était considérée tout au plus que comme une tentative destinée tôt ou tard à échouer. Ces modestes feuilles ne faisaient guère de bruit en dehors du cercle restreint de leur territoire, et elles étaient peu connues au pays natal. Mais elles eurent l'incontestable mérite d'avoir été les pionniers dans le champ de notre journalisme et d'avoir battu le sentier pour ceux qui sont venus ensuite et ont jeté un si vif éclat dans l'arène, désormais notre langue s'imposait irrésis- tiblement, dans le domaine religieux et éducationnel.

"Laissez-les partir, c'est la canaille qui s'en va." On voit aujour- d'hui ce qu'a produit cette canaille. Elle s'est organisée partout des émigrés se sont trouvés réunis; elle a élevé à la gloire de Dieu des temples majestueux dans toutes les parties de la Nouvelle-Angle- terre et jusque dans l'extrême ouest ; elle a conquis une place enviable dans les sphères sociales, politiques et religieuses; il en a surgi une quantité d'hommes marquants dans la politique, les industries, le commerce et les professions libérales; et de nos jours il est sorti de nos rangs un évêque,^ un gouverneur d'Etat,^ un juge de la Cour Supérieure dans le Massachusetts ,4 qui peuvent se réclamer du plus pur sang canadien-français.

1. On peut consulter à ce sujet le livre de M. Rameau de Saint-Père "Les Canadiens aux Etats-Unis," de même que celui de Claudio Jannet "La race française dans l'Améririue du Nord." Lesley (1SS3), dans son "Man's origin and destiny," dit que "c'est un excellent travailleur qui nous vient du Bas-Canada. Il est sobre, il est honnête; mais son travail n'est pas calculé. Après nous avoir enrichis, il s'en retourne pauvre en son pays, quand toutefois il peut s'en retourner."

2. Mgr Georges- Albert Guertin, évêque de Manchester, New-Hampshire, consacré le 19 mars 1907.

3. M. Aram-J. Pothier, élu une première fois gouverneur du Rhode-Island en novembre 1908, et 'réélu en novembre 1909, 1910 et 1911.

4. M. Hugo-A. Dubuque, de Fall-River, Massachusetts, nommé Juge en septembre 1911,

.A*

m

CHAPITKE CINQUIEME

L'insurrection de 1837-38 an Canada Le premier jonrnal canadien-français aux Etats-Unis

-^S^U premier journal français au premier journal canadien fOui aux Etats-Unis il s'écoula un long intervalle. Il ne paraît pas y avoir eu d'autre tentative de publication d'un jour- nal français, depuis le Courrier de Boston, (1789) avant l'apparition du Courrier des Etats-Unis à New- York, qui vit le jour samedi le premier mars 1828 et fut publié sans interruption jusqu'à nos jours.

Le premier journal canadien-français aux Etats-Unis fut le Patriote, publié à Burlington, dans le Vermont.

La fondation de la Société des Fils de la Liberté à Montréal en septembre 1837 fut suivie de l'insurrection contre l'oligarchie anglai- se. Les batailles de St-Denis, St-Charles, St-Eustache, etc., suivirent, puis ce fut la débandade, le sauve-qui-peut, l'exil aux Bermudes et en Australie, l'emprisonnement et la mort sur l'échafaud de ceux qui furent pris avant d'avoir pu traverser la frontière américaine.

Louis-Joseph Papineau, Denis-Benjamin Viger, Georges-Etienne Cartier, Ludger Duvernay et beaucoup d'autres, chefs de l'insurrec- tion, se réfugièrent dans le nord du Vermont et du New-York.

C'est à Burlington que Ludger Duvernay fondait en 1838, aussitôt après sa fuite, le premier journal canadien aux Etats-Unis et qui s'appelait le Patriote. C'était une feuille in-quarto et qui était, comme son nom l'indique, l'organe des patriotes. Duvernay, dans son journal, s'appliquait surtout à créer un mouvement ayant pour but l'indépendance du Canada et l'établissement d'une république canadienne. Les Canadiens-français luttaient depuis longtemps pour

Alexandre Grandpré

Antoine Moussette

LHnsurrection de 1837-38 au Canada 17

les droits qui leur étaient garantis par les traités, mais que les gouver- neurs et les fonctionnaires refusaient de leur accorder. Le peuple, exaspéré, ne voulait rien moins que se débarrasser pour toujours du joug britannique. Mais toute cette agitation, fomentée sur le sol de l'Oncle Sam, puisque l'oligarchie avait eu complètement le dessus au Canada, n'eut qu'un résultat négatif, et le Patriote de Duvemay ne vécut qu'une couple de mois.

Le Foyex Canadien de Worcester, Massachusetts, publié par Ferdinand Gagnon et Frédéric Houde, reproduisait une poésie qui avait été publiée autrefois dans le Patriote, et dont l'auteur n'était autre que Georges-Etienne Cartier, d'après ce qu'affirmait Louis Fréchette dans une lettre à l'auteur. Cette poésie porte le titre suivant: "Souvenirs de 1837 et 38, contés par un patriote canadien réfugié à Burlington." En voici les strophes:

Dans le brillant de la jeunesse tout n'est qu'espoir, allégresse. Je vis captif en proie à la tristesse, Et tout tremblant je vois l'avenir Venir.

De longtemps ma douce patrie Pleurait sous les fers, asservie ; Et, désireux de la voir affranchie, Du combat j'attendais l'instant Gaiement.

Mais advint l'heure d'espérance Oxx j'entrevois la délivrance; Eh ! mon pays, en surcroît de souffrance, Mais contraria très vaillants Enfants.

Et moi, victime infortunée De cette fatale journée. Le léopard sous sa griffe irritée, Sans pitié me tient mains et pieds Liés.

18 Histoire de la Presse Franco- Américaine

La reverrai-je, cette amie Naguère qui charmait ma vie? Souvent en moi son image chérie Fait soupirer dans sa douleur Mon cœur.

Adieu! ma natale contrée Qu'à jamais je vois enchaînée; Fasse le Ciel qu'une autre destinée T'accorde un fortuné retour Un jour.

Ce n'est assurément pas à cause de sa valeur littéraire que nous insérons ici ces strophes. Il est certain que Cartier, devenu plus tard l'idole des Anglais, s'est infiniment plus illustré comme homme d'Etat que comme poète. Mais nous avons cru qu'il était à propos de les reproduire ici, vu qu'elles expriment l'état d'âme et les senti- ments du jeune Cartier et probablement de plusieurs autres patriotes du temps qui s'étaient exilés pour échapper à la vengeance des bureaucrates.

Le journalisme canadien aux Etats-Unis peut donc à juste titre réclamer Ludger Duvernay, une gloire nationale du Canada français, comme son père et premier fondateur, malgré l'existence plus qu'éphé- mère qu'eut ce chétif premier-né de notre presse. C'est pourquoi nous estimons qu'une notice biographique et un bref aperçu des œuvres patriotiques du fondateur de la première société Saint-Jean- Baptiste en Amérique seront ici à leur place.

M. LUDGER DUVERNAY

Ludger Duvernay naquit à Verchères le 22 janvier 1799. Après avoir reçu l'instruction qu'on donnait alors dans les écoles élémen- taires des campagnes, il vint à Montréal en juin 1813, il débuta dans la vie, à l'âge de 14 ans, comme apprenti typographe, dans l'éta- blissement de Charles B. Pasteur, qui publiait alors le Spectateur. Quatre ans plus tard, en juin 1817, il commençait la publication d'un journal sous le titre de La Gazette des Trois-Rivières, qui subsista jusqu'en 1822. Il publia en 1823, dans la même ville, le Constitu- tionnel, qui dura deux années.

LHnsurrection de 1837-38 au Canada 19

Le 14 février 1825 il épousait Mlle Marie-Reine Harnois, fille du capitaine Augustin Harnois de la Rivière-du-Loup. En 1826, il fonda à Trois-Rivières le journal L'Argus et en 1827 il vint se fixer à Montréal, il s'associa avec l'honorable Auguste-Norbert Morin pour fonder la Minerve. On sait que ce journal eut une longue existence et qu'il fut pendant longtemps le principal organe du parti conservateur et de Sir John A. McDonald dans la province de Québec. Il disparut peu après l'arrivée de Sir Wilfrid Laurier au pouvoir en 1896. Depuis la fondation de la Minerve jusqu'à sa mort, le nom de Ludger Duvernay a toujours figuré au premier rang dans les grandes luttes politiques du Canada.

En 1832, M. Duvernay fut arrêté, par ordre du conseil législatif, pour avoir publié dans la Minerve un article qui représentait le conseil législatif comme une "grande nuisance" dont il fallait débar- rasser le pays. Messieurs les conseillers décidèrent, par une résolu- tion, que c'était un libelle diffamatoire contre la haute chambre de la législature, et ordonnèrent en même temps l'arrestation de M. Duvernay et celle de M. Victor Tracey, éditeur du Vindicator, qui avait publié un article dans le même sens. Ils furent tous deux traduits à la barre du conseil et jugés par leurs accusateurs. C'était un abus de pouvoir manifeste, une violation flagrante du système constitutionnel britannique qui prescrit que tout accusé doit être jugé par ses pairs, c'est-à-dire par un jury. Le pouvoir exécutif se substi- tuait ainsi illégalement au pouvoir judiciaire. Mais en ces temps troublés, qui eurent comme couronnement tragique la sanglante et malheureuse insurrection de 1837-38, on n'y regardait pas de si près. Les bureaucrates semblaient avoir pris à tâche d'établir le règne de l'illégalité, de l'injustice et de l'arbitraire, au détriment des patriotes canadiens-français.

Duvernay et Tracey furent donc emprisonnés, et ils restèrent dans la prison de Québec pendant toute la durée de la session qui se tenait alors. Ce fut le signal d'un mouvement général d'indignation, dans la presse et dans le pays, contre la conduite du conseil, et de sympa- thie pour MM. Duvernay et Tracey. Des manifestations populaires eurent lieu à Québec et Montréal en leur honneur dès qu'ils furent libérés, et des médailles d'or leur furent offertes par les citoyens patriotes de ces deux villes, comme témoignage de sympathie dans les souffrances qu'ils avaient endurées pour la cause populaire.

20 Histoire de la Presse Franco- Américaine

Mais l'acte qui perpétuera, sans doute, mieux que tout autre, le souvenir de Ludger Duvernay dans la mémoire de ses compatriotes, c'est la fondation de la société nationale des Canadiens-français, la société Saint-Jean-Baptiste. C'est lui qui, le premier, avait conçu l'idée de grouper les Canadiens-français de Montréal en une associa- tion nationale pour la défense de leurs droits politiques et la résis- tance contre l'oppression. Du grain de sénevé semé à Montréal par Duvernay sortit par la suite une pépinière de sociétés analogues dans les principales villes de la province de Québec, et avec l'émigration aux Etats-Unis la plupart des groupements à l'étranger ne tardèrent pas à s'organiser en sociétés Saint-Jean-Baptiste pour perpétuer parmi eux les coutumes du pays natal.

C'est en 1834 que la fête du 24 juin, la Saint-Jean-Baptiste, fut célébrée pour la première fois à Montréal comme fête nationale.

L'attribution de la feuille d'érable comme emblème national est aussi l'œuvre de Duvernay. Cet emblème, qui a été adopté partout, dans le Haut comme dans le Bas-Canada, immortalisera son souvenir.

En 1836, M. Duvernay fut soumis à une nouvelle épreuve et emprisonné une troisième fois. L'année suivante, en mai 1837, M. Duvernay fut élu par acclamation député au parlement, et au mois de novembre de cette même année, avec d'autres patriotes, il fut forcé de s'expatrier, comme nous l'avons vu ci-dessus. Son nom était sur la liste des proscrits pour cause politique. Il se réfugia avec sa famille aux Etats-Unis, et avec son départ la publication de la Minerve fut suspendue.

Enfin, l'Union du Haut et du Bas-Canada ayant été décrétée par le gouvernement anglais, et le principe du gouvernement responsa- ble ayant été finalement reconnu, la paix fut rétablie, et les proscrits politiques purent revenir en sûreté dans leur patrie. M. Duvernay revint à Montréal en 1842, et reprit la publication de la Minerve, au mois de septembre de cette année-là, pour la défense des idées libérales-réformistes.

Ludger Duvernay s'est toujours associé de tout cœur aux œuvres utiles, méritoires et charitables. On peut dire qu'il était véritable- ment patriote, ami de l'humanité et de toutes les institutions qui ont pour but d'élever l'intelligence des hommes, de soulager les misères humaines et de "rendre le peuple meilleur." Le fondateur du premier journal canadien-français aux Etats-Unis mourut le 28 novembre 1852.

m

CHAPITRE SIXIEME Médéric Lanctôt et l'indépendance du Canada

EDERIC Lanctôt, politicien du Canada, qui avait com- battu Georges-Etienne Cartier, était venu aux Etats-Unis et avait organisé dans certains endroits de l'Ouest des sociétés pour travailler à la cause de l'indépendance du Canada par des moyens pacifiques. Il se rendit ensuite dans la Nouvelle-Angleterre et organisa, en 1868, à Manchester, New- Hampshire, une société dont les officiers étaient Godfroi Messier, le Dr L.-A. Tremblay, Henri Gazaille, Cyrille Lebrun, Antoine Dutrisac et plusieurs autres,

A Lowell, Massachusetts, la société fondée dans le même but avait comme officiers J.-L. Loiselle, L.-T. Montferrand, H. Paignon, E. Fecteau, Maurice Racicot, Victor Ayotte, Charles Bélanger et Alfred Courchesne.

L'élément indispensable de succès de toute cause est la presse. M. Lanctôt estima donc avec raison qu'il lui fallait un organe, et au printemps de 1869 il fondait à Burlington L'Idée Nouvelle. Le nom était caractéristique de la cause que le journal devait exposer et défen- dre. L'indépendance du Canada était en réalité une idée nouvelle pour les Canadiens émigrés aux Etats-Unis. Le but du promoteur était de créer un sentiment en faveur de l'indépendance du Canada, et au moyen de son journal il comptait parvenir à cette fin. Mais ce n'est pas tout de fonder un journal, il faut que ce journal soit viable. Il est évident que l'organe de l'indépendance du Canada ne l'était pas, car il n'en parut que deux ou trois numéros à Burlington. M. T.-H.-N. Lambert, qui en était l'éditeur, crut que la ville de Worcester offrait plus de garanties de succès pour cette entreprise et il s'y rendit pour en faire l'essai. L'Idée Nouvelle parut deux fois à Worcester, et

22

Histoire de la Presse Franco- Américaine

ce fut tout. Il publia, aussi à Worcester, un numéro d'une feuille qui avait pour titre L'Impartial. L'idée de l'indépendance du Canada ne pouvait évidemment soulever un grand intérêt parmi les Canadiens de la Nouvelle-Angleterre, si on pouvait en juger par le sort de son organe.

Ayant vu ses espérances trompées dans l'Est, M. Lanctôt se dirigea de nouveau vers l'Ouest. A Détroit, Michigan, sa société de l'Indé- pendance était entre bonnes mains. Les officiers en étaient MM. Ed.- N. Lacroix, le juge H,-W. Deare, Charles Longtin, Charles-M. Rous- seau, F.-X. Dumais, Gustave Vandame et autres.

Au mois de novembre 1869, M. Lanctôt fit paraître L'Impartial. C'était un très beau journal bien rédigé et bien imprimé, en français et en anglais ; chaque colonne de matière était accompagnée de la traduction dans la colonne suivante. Cette publication était trop dispendieuse pour qu'elle eût la moindre chance de succès. Aussi il n'en parut que cinq ou six numéros.

a

i

*

^V#

CHAPITEE SEPTIEME Labeurs, espérances déçues et argent perdu

LLES sont légion les feuilles françaises qui sont nées et ont vécu plus ou moins longtemps, tant dans les Etats de l'Ouest que ceux de l'Est, avant de disparaître pour jamais dans le gouffre de l'oubli. Notre rôle nous fait un devoir de les exhumer des cendres elles sont ensevelies avec les noms de ceux qui en étaient les éditeurs ou rédacteurs. On ne peut se faire une idée de ce que cette presse canadienne des Etats-Unis, depuis sa naissance il y a plus de cinquante ans jusqu'à nos jours, a coûté de labeurs, d'espérances déçues et d'argent perdu. Les déboires qu'elle a suscités sont bien plus nombreux que les succès temporaires du petit nombre qui réussit à doubler sans encombre ce qu'on pourrait appeler le Cap des Tempêtes. Bien rares furent les journaux qui eurent seulement assez de revenus pour payer leurs dépenses.

Plusieurs de ces journaux étaient dirigés par des hommes qui voulaient se rendre utiles à leurs compatriotes, tout en trouvant un moyen honorable de gagner leur vie. Quelques-uns voyaient, comme à travers un prisme, la fortune leur sourire en publiant une gazette ; d'autres recherchaient dans la noble carrière du journalisme la renom- mée, la gloire, tandis que d'autres, véritables chevaliers d'industrie, sans vergogne et prêts à tout faire pour arriver à leur but, se lançaient dans la carrière pour exploiter leurs compatriotes et les politiciens de l'un et l'autre des deux grands partis politiques. Un certain nombre de ces publications ont vécu plusieurs années; elles représen- taient une idée et elles répondaient à un besoin réel dans le milieu elles contribuaient puissamment à maintenir le sentiment national. Ces feuilles, publiées ou rédigées par des patriotes éprouvés, étaient des organes dévoués aux intérêts, à l'avancement de nos populations.

24 Histoire de la Presse Franco-Américaine

des journaux généralement bien faits pour le temps, et dont les prin- cipes étaient au-dessus de tout reproche. Le sentiment patriotique ou national allait généralement de pair avec le sentiment religieux. Cependant ce bel idéal n'empêchait pas que parfois de violentes polé- miques surgissaient entre confrères, au cours desquelles la charité chrétienne recevait de sérieux accrocs. Mais dans la plupart des cas l'on pouvait peut-être en attribuer la cause au tempérament vif de la race plutôt qu'à un désir de chicane. Tels étaient le Courrier de rUlinois, le Travailleur, le Canadien de Saint-Paul, Minnesota, le Protecteur Canadien de Burlington, Vermont, L'Abeille de Lowell, Massachusetts, le National de Plattsburg, New-York, et Lowell, Massachusetts, et d'autres encore qui ont disparu pour tou- jours après avoir vécu plus ou moins longtemps. La disparition de ces bons journaux a été dans le temps une perte réelle pour les nôtres. Cependant d'autres feuilles sont venues, les unes après les autres dans la suite, remplacer les journaux disparus. Elles se sont, pour la plupart, affermies sur des bases solides, et un certain nombre, suivant le courant naturel du progrès, sont devenues quotidiennes et consti- tuent aujourd'hui une presse franco-américaine bien organisée et surtout bien inspirée.

Quels sont les journaux franco-américains qui payent des dividen- des à leurs propriétaires? Quels sont les propriétaires de journaux qui se payent un salaire plus élevé que celui de leurs principaux employés? Montrez-nous un propriétaire de journal qui ne gagnerait pas au moins vingt-cinq pour cent, de plus dans une autre branche d'affaires en y mettant la même énergie et déployant une même activité? Dites- nous combien d'argent ont laissé ceux qui ont été les pionniers dans le journalisme français des Etats-Unis: l'abbé Druon, de Burlington; Alexandre Grandpré, de Kankakee; J.-B.-A. Paradis, de Saint-Paul; Ferdinand Gagnon, le Dr L.-J. Martel et tant d'autres?

Non, la presse franco-américaine ne fait pas d'argent et celui qui, aujourd'hui, encore plus que dans le passé, veut publier un journal sans avoir fait son apprentissage, commet un acte aussi insensé que celui qui, sans savoir nager, plongerait au milieu du Saint-Laurent avec l'espoir d'atteindre le rivage. Depuis le jour oii, en 1838, Ludger Duvemay et Cartier plus tard l'illustre Sir Georges-Etienne Cartier, fondateur de la Confédération canadienne publièrent pendant deux mois le Patriote à Burlington, Vermont, jusqu'à notre époque, il

Labeurs, espérances déçues et argent perdu 25

n'y a pas eu assez de profits réalisés par tous les journaux franco- américains ensemble pour payer dix pour cent un dixième des dettes laissées ou de l'argent englouti par ceux qui sont tombés sur le bord du chemin.

Les premières tentatives faites pour publier des journaux en français aux Etats-Unis, pour les Canadiens-français, datent de plus de trois quarts de siècle. La période qui semble avoir été la plus fructueuse pour la fondation de journaux français aux Etats-Unis a été de 1873 à 1876. Dans moins de quatre ans on a" vu surgir pas moins de vingt journaux, tant dans l'Ouest que dans l'Est des Etats- Unis. L'émigration canadienne battait son plein. La grande fête Saint- Jean-Baptiste de Montréal, en 1874, avait puissamment contri- bué à accélérer le mouvement d'émigration vers les Etats-Unis, et parmi ceux qui nous arrivaient il s'en trouvait quelques-uns qui étaient passés au sud de la ligne quarante-cinquième tout disposés à se sacrifier pour sauver la nationalité. Le meilleur et le plus sûr moyen de sauver la nationalité des dangers qui la menaçaient dans le milieu anglais la Providence et les hasards de la vie l'avaient jetée, c'était de fonder des journaux. Le comble de l'ambition pour un certain nombre était d'attacher son nom à la fondation d'un journal. Voir son nom imprimé en tête d'une gazette comme éditeur- propriétaire ou rédacteur, c'est beau ; mais l'expérience prouve que c'est peu profitable. Mais, bah! quand on a du patriotisme à vendre, quand le gousset est vide, on tape fort sur la grosse caisse du patrio- tisme et les moutons viennent humblement se faire tondre pour encou- rager l'œuvre. On a englouti l'argent des généreux souscripteurs; on a reçu des abonnements pour un an; le journal a marché tant bien que mal pendant quelques mois ou quelques semaines. Généralement c'est quand l'imprimeur demande son payement que la chute se produit. Mais n'importe, on a fait sa petite part dans l'œuvre pour le maintien des nobles traditions de la race sur le sol étranger.

Nous allons nous efforcer d'exhumer des ténèbres de l'oubli les feuilles canadiennes-françaises des Etats-Unis qu'il nous a été possible de relever, d'après notre connaissance personnelle et les notes diverses publiées dans les journaux. Certes, on ne peut se faire une idée de ce que la presse canadienne-française des Etats-Unis représente de labeurs, d'espérances déçues et d'argent perdu.

26 Histoire de la Presse Franco- Américaine

C'est pourquoi nous devons dissuader ceux qui n'ont que peu d'ex- périence, et décourager ceux qui n'en ont pas, de se lancer dans une carrière qui offre si peu de garanties de succès. Il y aura toujours des incompétents qui seront prêts à se lancer dans le journalisme sans y rien connaître, qui, dans leur fertile imagination, voient déjà leur renommée s'étendre partout dans la Nouvelle-Angleterre, au Canada et même en France, des rêveurs qui croiraient, à l'instar de Arthur-E. Valois, décrocher là-bas une croix de chevalier de la Légion d'honneur.

Et les dollars. . . Ce n'est pas à dédaigner. Ceux qui ont un peu de capital et qui, dans un moment d'enthousiasme, sont tentés de fournir les fonds nécessaires pour une telle entreprise, devraient lire le présent ouvrage. Quand on aura vu "le champ du journalisme jonché de cadavres," on réfléchira, le bailleur de fonds surtout y regardera deux fois et se demandera si le promoteur est bien qualifié par l'expérience ou l'entraînement. En disant cela nous n'avons nullement l'intention d'humilier ceux qui ont été les victimes et qui vivent encore. Dans plusieurs cas ce sont de nos amis et des hommes qui cherchaient moins la gloire personnelle qu'ils pouvaient en retirer, que l'accom- plissement du désir d'être utiles à leurs compatriotes.

Nous allons montrer ce vaste champ des journaux morts, nécropole d'un nouveau genre qui atteste du moins de l'activité intellectuelle des émigrés canadiens-français aux Etats-Unis.

Inventaire Chronologique

Des journaux et revues publiés en langue française aux Etats-Unis pour les Canadiens-français émigrés, de 1838 jusqu'à 1911, et qui n'existent plus aujourd'hui. Il y en a eu beaucoup plus de 200.

1817 La "Détroit Gazette," fondée en juin à Détroit, Miehigan; publia une

colonne française pendant quatre mois. 1825 La "Gazette Française," fondée par un Américain nommé M. E. Eeed; ne

parut que quatre fois. 1838 "Le Patriote," fondé à Burlington, Vermont, par Ludger Duvernay. Petite

feuille in-quarto; vécut environ deux mois. 1843 "L'Ami de la Jeunesse," Détroit, Miehigan, fondé par Edouard-N.

Lacroix, avec M. A. Gérardin, bailleur de fonds; vécut quatre mois. 1850 "Le Citoyen," Détroit, Miehigan, fondé en mai par E.-N. Lacroix; la

publication eu fut sus^jendue au bout de six mois. M. Charles-J. Dessin en

reprit la publication après quelques semaines avec M. U. Adam comme

rédacteur. Au mois de juin 18.51 la feuille disparut définitivement. 1857 "Le Courrier de l'IUinois," parut le 2 janvier. Fondé par Alexandre

Grandpré avec Claude Petit. La publication en fut suspendue en 1864;

il reparut en 1875, rédigé par J.-B.-A. Paradis et publié à Chicago. Le

journal disparut définitivement en 1903, lors d 'une fusion de plusieurs

feuilles publiées dans l'Ouest. 1860 "L'Union" a été publié par un docteur Dorion à Ogdensburg^ New-York,

pendant quelques mois. Ce même docteur Dorion, avant 1860, avait

publié une autre feuille à Keeseville ou Plattsburg, N.-Y. 1864 "Le Phare des Lacs," fondé à Watertown, New- York, par Alexandre

Grandpré et Claude Petit; de 1868 à 1876 M. Petit continua seul la pu- blication du journal. 1867 "La Sentinelle," fondée à Chicago, par M. Couillard de L'Epinay; vécut

quelques semaines seulement. 1867 "Le Public Canadien," fondé à New-York en décembre par une compagnie

d'actionnaires avec J.-B.-A. Paradis, rédacteur. Vécut dix mois. 1868 Le "Protecteur Canadien," fondé à- St-Albans, Vermont, par Antoine

Moussette et l'abbé Zéphirin Druon. Vécut jusqu'au mois de septembre

1871, incendié. 1868 Le "Courrier de l'Ouest," fondé à Kankakee, par Alexandre et Michel

Grandpré, J.-B.-A. Paradis, rédacteur; disparut en 1875 alors qu'il était

publié à Chicago.

28 Histoire de la Presse Franco- Américaine

1868 "L'Amérique," Chicago, Illinois, fondé par Louis Fréchette, Théophile

Guéroult et Samuel-E. Pinta, imprimeur; vécut jusqu'à l'automne de

1870. 1868 "L'Observateur," Chicago, Illinois, fondé par Louis Fréchette et Barclay;

Vécut quelques mois seulement. 1869 "L'Idée Nouvelle," fondé à Burlington, Vermont, par Médéric Lanctôt;

parut deux fois en cette ville, puis un ou deux numéros en furent publiés

à Worcester. 1869 "L'Impartial," fondé à Worcester par Médéric Lanctôt, fut, après le pre- mier numéro, transporté à Détroit, Michigan, il ne vécut que cinq

semaines. Cette feuille était publiée moitié anglaise et française, 1869 "Le Charivari," fondé à Champlain, N.Y., par T. -H. Sarony Lambert;

huit pages, publié en français et en anglais; ne vécut que quelques

semaines. 1869 "La Voix du Peuple," fondé à Manchester, New-IIampshire, au mois de

mars, par le docteur A.-L. Tremblay, avec Ferdinand Gagnon comme

rédacteur; vécut six mois. 1869 "L'Etendard National," fondé le 10 novembre, à Worcester, Mass., par

une compagnie d'actionnaires; Ferdinand Gagnon, rédacteur; fut vendu

à Georges-E. Desbarats, éditeur de "L'Opinion Publique," de Montréal,

en novembre 1870, et disparut dans l'automne de 1874. "L'Opinion

Publique," de Montréal, vécut jusqu'en 1884. 1870 Le "Citoyen Américain," Syracuse, New-York, fondé au mois d'août par

le docteur J.-N. Cadieux; vécut quelques mois. 1870 "L'Emigré Canadien," fondé le 1er mai à Biddeford, Maine, par Léon

Bossue dit Lyonnais; il en parut six numéros. Ce fut le premier journal

du Maine. 1871 "L'Avenir National," fondé à St-Albans, Vermont, par Antoine Mous-

sette et Frédéric Iloude, au mois d'octobre. Vendu en 1872 à un syndicat

et transporté à Troy, N.-Y. Disparut en 1876. 1872 "L'Etoile de L'Est," Southbridge, Mass. L'unique numéro parut le 1er

août. C. Desmarais, éditeur. 1873 "The Cataract," Cohoes, N.-Y., publiait pendant quelque temps une partie

de ses colonnes en français, sous la direction de Arthur-E. Valois. 1873 "L'Echo du Canada," Fall Eiver, Mass., fondé en juillet par le docteur

Alfred Mignault et Honoré Beaugrand; cessa de paraître au commence- ment de l'année 1875. 1873 "La Guêpe," Woonsocket, E.-L, fondé en juillet, par C. Desmarais; vécut

quelques mois seulement. 1873 "Le Courrier du Ehode-Island, " Woonsocket, R.-L, parut au mois d'août

et vécut un an. MM. Gagnon et Houde, propriétaires à Worcester. 1873 "Le Foyer Canadien," fondé par Gagnon et Houde, au mois de mars, fut

publié à Worcester jusqu'au mois de septembre 1874, puis transporté à

St-Albans, Vermont, il cessa de paraître durant l'année 1875.

Inventaire chronologique 29

1873 "Le Cosmorama," fondé à New-York par le professeur Georges Batchellor.

Eevue mensuelle, une page anglaise, trois pages françaises; il en parut

six numéros à partir du 3 mai jusqu'au mois d'avril 1874. 1874— "L'Etoile du Nord," fondé à St-Paul, Minnesota, par J.-B.-A. Paradis

et Z. Desmoines, au mois de mai; cessa de paraître au mois de novembre

1876. 1874 "Le Drapeau Canadien," fondé à Lawrence, Mass., au mois de juillet,-

par le docteur Victor Mignault; ne vécut pas longtemps. 1874 "Le Bulletin et Charivari," Fall Eiver, Mass., moitié anglais et français;

parut au mois de décembre, Fiske et Monroe, propriétaires, H.-E. Benoit,

rédacteur; ne vécut que quelques semaines. 1874 "Le Courrier," Holyoke, Mass., fondé au mois d'octobre, par le docteur

M. -M. Métivier, disparut après quatre mois d'existence. 1874 "Le Travailleur," Worcester, Mass., fondé le 16 octobre, par Ferdinand

Gagnon, passa aux mains de Charles Lalime, en janvier 1887, puis à

Benjamin Lenthier en 1892, et cessa de paraître le 31 décembre 1892. 1874 "L'Echo du Canada," Lowell, Mass., J.-H, Guillet, directeur; vécut environ

une année. 1875 "Le Protecteur Canadien," Fall Eiver, Mass., fondé par C.-H. Chagnon,

parut en novembre, rédigé en collaboration. Le docteur Alfred Mignault,

secrétaire de la rédaction; cessa de paraître au mois de mars 1881. 1875 "L'Ouvrier Canadien," Fall Eiver, Mass., fondé au mois de mars par

H.-E. Benoit; ne vécut que quelques mois. 1875 "Le Courrier Canadien," Woonsocket, E.-L, parut en septembre, Labelle

et Daigneault, propriétaires; disparut définitivement après les élections

générales de 1892. 1875 "Le Franc Pionnier," Lake Linden, Michigan, fondé au mois de juin,

par Charles Thibeault; vécut quatre ou cinq mois. 1875 "Le Réveil," Woonsocket, E.-L, parut au mois d'avril, Buies et Daigneault,

propriétaires; vécut jusqu'à l'approche de Noël^ 1876. 1875 "La Lanterne MagiçLue," illustré, Worcester, Mass., fondé au mois de

juillet par le docteur J.-N.-O. Provencher; parut quatre ou cinq mois. 1875 "Le Journal des Dames," Cohoes, N. Y., fondé au mois de septembre, par

Mlle Virginie Authier; vécut six mois. 1875 "La République," Boston et Fall Eiver, Mass., Honoré Beaugrand, pro- priétaire; vécut jusqu'au mois de février, 1878. 1875 "La République," Lowell, Mass., J.-H. Guillet, directeur. Etait une

édition du même journal publié à Fall Eiver; vécut à peu près deux ans. 1876 "Le Paresseux," organe des Tourlourous, société d'hommes d'affaires du

Massachusetts qui campèrent sur une île du lac Quinsigamond, Worcester,

durant les étés de 1876-77-78. 1876 "Le Franco-Canadien," St-Paul, Minnesota, feuille mensuelle, F.-C. Carroll,

éditeur, J.-B.-A. Paradis, rédacteur; parut pendant six mois. 1876 "La Patrie Nouvelle," Cohoes, N.-Y., fondé en février par J.-M, Authier,

devint, en juillet 1885, "La Patrie"; vécut jusqu'en 1891.

30 Histoire de la Presse Franco- Américaine

1876 "Le Courrier," Détroit, Michigau, fondé le 12 octobre par Alfred Beaudin

et L.-C Dumout, Achille Fournier, rédacteur; vécut quatre mois. 1876 '*Le National," St-Paul, Minnesota, le docteur Eoy et Ed. -A. Paradis

éditeurs, parut au mois de décembre et vécut six mois. 1877 "Le Journal de Cohoes," Cohoes, N.-Y., parut en janvier, fondé par

Artliur-E. Valois, avocat, et P. -A. Lucas; vécut près d'un an. 1877 "Le Canadien," St-Paul, Minnesota, fondé le 15 août par Désiré-A. Mi- chaud; vécut jusqu'en 1903. 1878 "Le Messager," Muskegon, Michigan, fondé par J.-L. Harquel, était une

édition du "Courrier," de Bay City, Michigan. 1878 "L'Ami du Peuple," Springfield, Mass., fondé au mois de juillet, édition

du "Travailleur," de Worcester. 1878 "L'EmigTé Canadien," Manchester^ N.-H., fondé le 18 août, par Pager

Frères; disjDarut après quelques mois. 1878 "Le Courrier," Bay City, Michigan; vécut pendant près de trois ans. 1879 "Le Bien Public," Worcester, Mass., fondé en janvier par Charles Gigault,

vécut deux ans. 1879 "La Sentinelle," Lowell^ Mass., fondé par Georges Lemay, vécut jusqu'au

mois de janvier 1880. 1880 "L'Echo des Canadiens," Manchester, N.-H., fondé le 2 juillet par J.-E.

Michelin, Fitzpatriek et Cie., Léandre Boudreau, rédacteur; vécut jusqu'au

14 mai 1884. 1880 "Le Courrier," Worcester, Mass., fondé le 6 février, par Victor et Louis-A.

Bélanger; vécut jusque vers 1892. 1880 "L'Abeille," Lowell, Mass., fondé au commencement de l'année, par MM.

Gaudet, Guillet, Carufel et Dupré, devint le premier journal quotidien cana- dien-français aux Etats-Unis; redevint hebdomadaire et disparut à la fin

de 1884. 1880 "L'Artisan Canadien," Lowell, Mass., feuille protestante qui ne vécut que

quelques mois. 1880 "Le Drapeau National," Glens Palis, N.-Y., fondé au mois de mai, par

J.-O.-D. de Bondy et Benjamin Lenthier, publiait une page en anglais; cessa

de paraître après une année d'existence. 1880 "Le Cri d'Alarme," Biddeford, Me., journal probablement protestant,

parut au mois d 'octobre et vécut peu de temps. 1881 "L'Union Nationale," Manchester, N.-H., vécut quelques semaines. 1881 "L'Ami du Peuple," Manchester, N.-H., fondé en avril par Victor Bélan- ger et Auguste Béehard. C'était une édition du "Courrier, " de Worcester,

qui disparut en 1883. 1881 "Le Progrès," Holyoke, Mass., P.-U. Vaillant, rédacteur, Félix A. Belisle,

administrateur; vécut jusqu'en 1884. C'était une édition de "La Patrie,"

de Cohoes, N.-Y. 1881 "Le Courrier National," Lawrence, Mass., fondé en décembre par J.-E.

Marier; vécut peu de temps.

Inventaire chronologique 31

1881 "L'Ami du Peuple," Springfield, Mass., était une édition du "Travail- leur, ' ' de Worcester. H. -P. Grisé en était l 'administrateur.

1881 "Le Guide du Peuple," Glens Falls, N.-Y., fondé au mois de décembre par J.-O.-D. de Bondy et Benjamin Lenthierj vécut près de dix-huit mois.

1882 "Le Râteau," Manchester, N.-H., fondé par Pierre-Camille Chatel; vécut quatre mois.

1882 "Le Patriote," Bay City, Michigan, fondé au mois de novembre, par H. -A. Pacaud; vécut jusqu'en 1904, malgré que la publication en fut suspendue plusieurs fois.

1882 "Les Petites Affiches," New-York, fondé par Louis Tesson; hebdoma- daire; seize pages; vécut près de quatre années.

1882 "Le Castor," Fall Kiver, Mass., fondé en novembre, par Henri Boisseau; vécut jusqu 'au mois de mars 1885.

1882 "Le Citoyen," Lawrence, Mass., fondé au mois d'avril, par J.-E. Marier; vécut six mois.

1883 "Le Souvenir," Bay City, Michigan, à la fin d'avril; vécut deux mois; Célestin Boucher, éditeur.

1883 "Le National," Plattsburg, N.-Y., Benjamin Lenthier et Léon Bossue dit Lyonnais, éditeurs; parut le 7 juin, transporté à Lowell, Mass., au com- mencement de 1890 il devint quotidien et après être redevenu hebdo- madaire, disparut durant l'année 1894.

1883 "L'Echo des Etats-Unis," Détroit, Michigan, parut au mois d'avril et vécut six semaines. Louis-C. Dumont, éditeur.

1883 "L'Ami des Familles," Pawtucket, E.-L, journal mensuel, parut au mois d 'avril et vécut peu de temps.

1883 "Le Courrier de Woonsocket" était une édition du "Courrier de Worces- ter," publié par Victor Bélanger et Frères.

1884 "La Trompette Evangélique," fondé à Chicago, par un prêtre défroqué nommé Séguin; vécut un an.

1884 "Le Courrier du New-Hampshire, " fondé le 15 juillet par Pierre-Camille Chatel, à Manchester, fut successivement publié par Joseph Lebrun, Jean et Ulric Bergeron, William A. Grenier, puis une compagnie de publication qui le fit disparaître en 1890.

1884 "Le Républicain," Boston, Mass., parut au mois de mars et fut publié pendant une année par le Eév Narcisse Cyr, prédicant protestant.

1884 "Le Citoyen Américain," Minneapolis, Minnesota, fondé par le docteur J.-N. Cadieux, ne vécut que quelques mois.

1884 "La Justice," Manchester, N.-H., fondé au mois de juin, par M.-G. de Tonnancour; disparut après quelques semaines.

1884 "Le Défenseur," Holyoke, Mass., Eoy Frères, éditeurs, Arthur Charland, rédacteur, parut en septembre et vécut jusqu'en 1894.

1884 "Le Protecteur Canadien," Great Falls (maintenant Somersworth,) N.-H., fondé le 1er octobre, par le docteur L.- L. Auger; vécut seize mois.

1884 "Le Canadien des Etats-Unis," New-York, fondé le 1er mai, par Léon Bossue dit Lyonnais, l 'abbé F. Tétreau, Dr. L.-P. Fontaine, Etienne Lebel,

32 Histoire de la Presse Franco-Américaine

Joseph-F. Dalbec, Charles-D. Lamarche et J.-E. La violette; disparut au

mois d'avril 1885. 1884 "Le Canadien," Spencer, Mass., fondé au mois d'avril par Adolphe

Martin; vécut deux ans. 1884: "Le Courrier," Boston, Mass., fondé le 12 juillet, par Achille Larue;

vécut environ une année. 1884 "Le Journal du Commerce," Lowell, Mass., parut au mois d'avril,

Eudore Evanturel, éditeur; vécut un an. 1884 "Le Guide du Peuple," Spencer, Mass, parut au mois de janvier et vécut

jusqu'en 18S7. Docteur Marc Fontaine, éditeur. 1884 "Le Progrès," Minneapolis, Minnesota, fondé av. mois de mai, par une

compagnie d'actionnaires; vécut jusqu'au mois d'octobre 1887. J.-B.-A.

Paradis en était le rédacteur. 1885 "Le Cercle Français," revue mensuelle, publiée par le Collège de Saint-

Viateur, Bourbonnais, Illinois, à partir de 1885; vécut quelques années. 1885 "Le Bulletin du Dimanche," Fall River, Mass., fondé au mois d'août par

Narcisse Cyr, devenu prédicant protestant; dura quelques semaines seule- ment. 1885 "Le Courrier de Lewiston," Lewiston, Maine, parut au mois de janvier

et exista jusqu'au mois de mars de la même année; Emile-H. Tardivel,

rédacteur-propriétaire. 1886 "Le Citoyen," Fall River, Mass., fondé au mois d'octobre, par Pierre-U.

Vaillant; cessa de paraître au mois de décembre. 1886 "La Petite République," Manchester, N.-H., fondé par William-A, Grenier;

vécut près d'un an. 1886 "Le Ralliement," Northampton^ Mass., parut vers le premier avril et

vécut jusqu'au mois de décembre; P. C. Chatel, éditeur. 1886 "Le Foyer Canadien," Manchester, N.-H., journal humoristique; vécut

moins d'un an. 1886 "La Gazette," Lowell, Mass., fondé au printemps par Jean Tourigny;

vécut jusqu'au premier janvier 1887. 1886 "Le Citoyen Américain," Boston, Mass., pas de détails. 1886 "Le National," Manchester, N.-H.^ était une édition du "National," de

Lowell, 1891-94. Benjamin Lenthier, éditeur. 1886 "L'Avenir National," Chicago, Illinois, parut au mois de mars, publié

par J.-B.-L. Lemoine; vécut deux mois. 1887 "Le Semeur," anti-catholique, a paru au mois de décembre; nous ignorons

il était publié. 1887 "Le Figaro Illustré," Chicago, Illinois, parut en janvier^ mais ne vécut

que quelques semaines. 1887 "Le Farceur," Lowell, Mass., publié par E. Courchesne; ne vécut que

quelques mois. 1887 "La Feuille d'Erable," fondé à New-York^ par Léon Bossue dit Lyonnais,

le 1er janvier; vécut quatre années.

Inventaire chronologique 33

1887 "L'Ami du Peuple," New Bedford, Mass., était une édition du "Protec- teur Canadien," de Fall Eiver. 1888 "Le Franco-Américain," New-York, fondé par Louis Tesson, vécut un an. 1888 "L'Ouest Français," Bay City, Mich., fondé par Charles Guérin et

Télespbore St-Pierre au mois de juin; vécut jusqu'au mois de mai 1889. 1888 "Le Journal de Bourbonnais," Bourbonnais, Illinois, fondé au mois de

décembre; n'a pas vécu. 1888 "Le Franco-Américain," Fall River, Mass., fondé au mois de mai par les

Révérends Benoit, Aubin et Cie, (protestants) ; eut une courte vie. 1888 "Le Bien Public," Lowell, Mass., fondé au mois d'avril, par L.-P.

Breault et Edouard Vincelette; vécut trois semaines. 1888 "Le Soleil," Lowell, Mass., fondé au mois d'octobre; vécut pendant la

campagne électorale de cet automne-là. 1888 "Le Nouvelliste," Marlboro, Mass., parut le 7 juin et mourut au mois

de janvier suivant. M. Duberger, rédacteur-propriétaire. 1888 "La Sentinelle," Marquette, Michigan, fondé au mois de juillet; vécut

environ treize mois. J.-L. Harquel, avocat, rédacteur-propriétaire. 1889 "Le Combat," fondé en janvier d'abord à Plattsburg, N.-Y., par Benja- min Lenthier, fut cédé au docteur Elzéar Paquin, de Chicago, qui le publia

pendant un peu plus de deux ans. 1889 "L'Avenir Canadien," Manchester, N.-H., fondé au mois de mai, par

Ephrem E. Dufresne; vécut deux ans. 1889 "Le Guide du Peuple," Burlington, Vermont, était une édition du

"National" de Plattsburg, N.-Y.; parut une année. 1889 "La Tribune," Marinette, Wisconsin, fondé au mois d'août; vécut un

an. J.-L. Harquel, rédacteur-propriétaire. 1889 "La Tribune," Détroit, Michigan; vécut peu de temps à partir du mois

d'avril. 1889 "Le Progrès," Lawrence, Mass., fondé au mois de septembre, par MM.

Lepine et Cie, passa en 1898 aux mains du docteur R.-Janson Lapalme, qui

le publia jusqu'en 1908. >

1889 "L'Union Franco-Américaine," Lake Linden, Michigan, fondé en septem- bre, par une compagnie à fonds social. Télesphore St-Pierre, rédacteur.

Vécut près de deux ans. 1889 "L'Union," Lowell, Mass., fondé au mois de mars par une compagnie.

Ed. Vincelette, rédacteur. Vécut jusqu'au mois d'avril 1890. 1889 "Le Guide du Peuple," Glen Palis, N.-Y., parut au mois de décembre.

C'était une édition du "National" de Plattsburg, N.-Y., qui vécut une

couple d'années. 1890 "Le Réveil," Manchester, N. H., parut vers le mois de septembre et

disparut après la campagne électorale de cet automne-là. Louis Comeau,

éditeur. 1890 "Le Courrier de Haverhill," Haverhill, Mass., parut au mois d'avril et

vécut près de deux ans. C'était une édition de "L'Etoile," de Lowell^

Mass.

34 Histoire de la Presse Franco- Américaine

1890 "Le Journal du Dimanche," Lowell, Mass., fondé par Edouard Vince-

lette; vécut près de trois aus. 1890 "L'Indépendance," Lowell, Mass., parut vers le 1er avril, publié pendant

six mois par Bonifaee-C. Gagnon. 1890 "Le Courrier," Ogdensburg, N.-Y., parut au printemps et vécut peu de

temps. 1890 "La Jeunesse," Manchester^ N.-H., disparut au mois de juillet, après six

semaines d 'existence. 1890 "Les Veillées Canadiennes," Minneapolis, Minnesota, fondé par Frank-L.

Perkins; eut une courte vie. 1890 "Le Coq," Cohoes, New-York, fondé à la fin de l'année par Charles-R.

Daoust; vécut quelques mois. 1890 "Le Devoir," Muskegon, Michigan, parut au mois de mai et vécut six

mois; Elie Vézina, propriétaire. 1890 "Le Bourdon," Fall River, Mass., journal humoristique, fondé au mois

d'avrilj par H. Boisseau; vécut trois ou quatre mois. 1890 "Le New- York Canada," New-York, parut le 28 juin, W.-H. Pambrun,

éditeur. Georges Lemay, rédacteur. Le dernier numéro porte la date

du 21 février 1891. 1890 "Le Courrier," Duluth, Minnesota, parut le 9 juillet et vécut quelques

mois. Jacques Bureau, éditeur. 1890 "Le Progrès," Spencer, Mass., parut au mois de septembre. C.-O. Caron,

administrateur; était une édition du "National," de Lowell, Mass. 1891 "Le Journal," unique numéro de la Société Médico-Chirurgicale Cana- dienne de la Nouvelle-Angleterre, docteur E. Sirois, secrétaire de la rédac- tion, Ovila Bourbonnière, éditeur, Lowell, Mass. 1891 "Le Canada," Salem, Mass., édition de "l'Etoile," de Lowell. J.-C.

Tourangeau, administrateur local; vécut environ trois ans. 1891 "L'Espérance," Central Falls, R.-I., fondé au mois de mars, par J.-M.

Authier; vécut jusqu'en 1899. 1891 "La Vie," Chicago, Illinois, fondé par le docteur Elzéar Paquin; n'a

vécu que six mois. 1892 "Le Foyer Canadien," Woonsocket, R.-L, fut publié par Benjamin Len-

thier durant la campagne électorale. 1892 "Le Républicain," Worcester, Mass., fondé durant l'été par Pierre-U.

Vaillant et Laurie; vécut six ou huit mois. 1892 "L'Annexionniste," Holyoke, Mass., publié pendant quelques mois au

commencement de l 'année par Godfroi de Tonnancour. 1892 "Le Philanthrope," Providence, R.-L, fondé au mois de juillet; vécut

quelques semaines. L.-J. Bachand-Vertefeuille, éditeur. 1892 "Le Canado-Américain, Holyoke, Mass., était une édition du "National,"

de Lowell; publié durant la campagne présidentielle par B. Lenthier. 1892 "La Voix du Lac," Duluth, Minnesota, fondé le 15 mars; fusionné avec

"L'Oeil," de Minneapolis, en novembre 1892.

Inventaire chronologique 35

1892 "Le Ealliement," Cohoes, New-York, était une édition du "National,"

de Lowell, Mass. Cessa de paraître après la campagne présidentielle. 1892 "L'Oeil," Minneapolis, Minnesota, fondé par T.-F.-X. Beaudet et fu- sionné avec "La Voix du Lac" en novembre 1892. 1892 "Le Guide du Peuple," Haverhill, Mass., édition du "National," de Lowell,

n 'a vécu que durant la campagne présidentielle. 1892 "Le Progrès," (quotidien), Manchester, N.-H., fondé par une compagnie

d'actionnaires, rédigé par Louis Comeau; vécut un an. 1892 "Le Courrier du Cormectlcut, " était imprimé au "National," de Lowell,

durant la campagne électorale de 1892. 1892 "L'Enfant Terrible," Providence, E.-L, parut le 1er février; il a

cesser d 'exister de suite. 1892 "L'Amérique Française," New- York, fondé le 1er septembre, par Napo- léon Thompson; vécut jusqu'au 2.3 mars 1893. 1892 "Le Protecteur Canadien," Fall Eiver, Mass., fondé par Henri Boisseau;

devint quotidien en 1894 et cessa de paraître au commencement de

l'année 1895. 1893 "L'Union Continentale," journal-revue illustré, Boston, Mass., fondé par

J.-B. Eouillard; vécut peu de temps. 1893 "L'Indépendance," Biddeford, Maine, fondé par Urbain-J. Ledoux et ne

parut que quelques semaines. 1893 "L'Observateur," Biddeford, Maine, fondé par J.-S. Bourdon et Alfred

Bonueau, en novembre; vécut jusqu'au mois de mai 1896. 1893 "Le Causeur," journal humoristique, Manchester, N.-H., fondé par M.

Montminy; vécut moins d'un an. 1893 "Le Merrimack," Manchester, N.-H., parut quelque six mois. 1893 "Le Bulletin," Manchester, N.-H., fondé par Louis Comeau et J.-E.

Lapointe; naît et meurt la même année. 1894 "Le Bulletin Officiel," Chicago, Hlinois, journal illustré mensuel, fondé

le 15 novembre; parut quatre ou cinq fois. L.-J. Bachand-Vertefeuille,

éditeur. 1894 "L'Echo," Lynn, Mass., fondé par un nommé De Vicq; parut pendant

cinq mois. 1894 "Le Courrier du Massachusetts," Salem, Mass., De Vicq, éditeur; vécut

neuf mois. 1894 "Le Foyer Canadien," Fall Eiver, Mass., fondé par Adélard-E. Lafond;

vécut quelques mois. 1895 "L'Aigle," Salem, Mass., fondé au mois d'août, par J.-B. Eouillard; vécut

environ quinze mois. 1895 "Le Figaro Illustré," Biddeford, Maine, parut le 1er décembre, numéro

unique; Urbain-J. Ledoux, éditeur. 1895 "Le Eéveil," Worcester, Mass., fondé par Louis-Joseph Latour; vécut

près de deux ans. Eené de Chalut, rédacteur. 1895 "La Presse," Holyoke, Mass., fondé par Louis Tesson et Joseph Carignan; vécut près de sept années.

36 Histoire de la Presse Franco- Américaine

1895 "L'Etoile," Manchester, N.-H., paraissant trois fois la semaine; vécut

quelques mois. 1895 "Le Souvenir," Manchester, N.-H., journal humoristique; vécut quelques

mois, l'ublié par J.-V. Gélinas. 1895 "L'Ouvrier Catholique," Biddeford, Maine, Philippe Masson, rédacteur;

Primeau et Haswell, éditeurs; disparut en janvier 1896, ayant vécu près

d'un an. 1895 "Le Courrier," Lawrence, Mass., publié pendant quelques mois, par J.-B.

Eouillard. 1896 "Le Tricolore," Lynn, Mass., fondé par J.-B. Eouillard, au printemps;

était un journal quotidien anglais et français; il n'en parut qu'un

numéro. 1896 "L'Amérique," quotidien, Biddeford, Maine, J.-B. Eouillard, éditeur;

vécut un peu plus de deux mois. 1896 "La Eépublique," Lewiston, Maine, J.-B. Eouillard, éditeur; parut le 28

décembre et vécut quelques mois. 1897 "La Sentinelle," Waterville, Maine, fondé par le docteur Avila-0. Boulay;

vécut environ une année. 1897 *"Le Connecticut, " Waterbury, Conn., fondé par Louis Tesson; vécut

pendant cinq ans. 1898 *"Le Courrier," Somersworth, N.-H., fondé par Louis Tesson; vécut

jusqu'en 1903. 1898 *"Le Globe," Fitchburg, Mass., fondé par Louis Tesson; vécut jusqu'en

1902. 1898 *"Le Canado-Amérlcain," Norwieh, Conn., fondé par Louis Tesson; vécut

jusqu'en 1902. 1899 "Le Visiteur Paroissial," Lynn, Mass., publié pendant huit ans sous

la direction du Eév. J.-B. Parent, curé de l'église Saint- Jean-Baptiste. 1899 "Le Dimanche," Fall Eiver, Mass., fondé par John Durand; vécut deux

ans. 1899 "Le Bulletin," Fall Eiver, Mass., fondé par L.-J. Gagnon et O'Eeilly;

vécut trois ans. 1899 "La Cloche du Dimanche," Woonsocket, E.-L, parut au mois de septem- bre, fondé par G. Vekeman; vécut trois mois. 1900 "La Voix du Peuple," Minneapolis, Minnesota, parut jusqu'au mois de

juillet 1903. 1900 "Le Journal,' (quotidien) Fall Eiver, Mass., fondé par Edmond Côté;

vécut près d'un an jusqu'au printemps de 1901. J.-L.-K. Laflamme en était

le rédacteur. 1901 "L'Ami du Poyer," Manchester, N.-H., fondé par F.-M. Boire; vécut

seize mois. 1901 "Le Râteau," Northampton, Mass., fondé par P.-C. Chatel; disparut en

1903.

NOTE (*) Ces quatre feuilles étaient toutes imprimées à Holyoke, Mass., dans les ateliers de "La Presse."

Inventaire chronologique 37

1901 "Le Coq," Worcester, Mass., foudé le 4 juillet par J.-Arthur Roy et Fils;

vécut quelques mois. 1901 "Le Petit Journal," fondé à Providence, R.-I., en 1901 ou 1902, 1902 "Le Courrier du Connecticut, " Hartford, Conn., édition de "l'Echo du

Congrès de Springfield." Vécut environ deux mois. 1902 "La Revue," Lowell, Mass., fondée par J.-E. Lambert; exista un peu

plus de trois ans. 1902 "Le Journal du Madawaska, " Van Buren, Maine, fondé vers la fin d'oc- tobre, par le docteur Avila-O. Boulay, rédacteur, et L.-V. Thibodeau,

administrateur; vécut jusqu'au printemps de 1906. 1902 "L'Echo du Congrès," Springfield, Mass., parut au mois d'avril, le docteur

G.-T. Lamarche, rédacteur; Charles-T. Roy, N.-L. Biron et J.-A. Gagné,

éditeurs; disparut après quatre mois d'existence. 1902 "L'Amérique Française," New-York, fondé par B. Lassonde, le premier

décembre; vécut neuf mois. 1902 "L'Eclaireur," Fall River, Mass., hebdomadaire; devint bientôt quotidien

et vécut peu de temps. Louis-J. Gagnon, éditeur. 1903 "Le Canadien," Taunton^ Mass., fondé en septembre, cessa de paraître

au mois de février 1904. 1903 "L'Américain," Springfield, Mass., 16 pages, illustré, parut au mois de

juin et vécut six mois. J.-L.-J. Dupuy, docteur G. -T. Lamarche, J.-H.

Bordeau, éditeurs. 1903 "Le Petit Journal," Chicago, Illinois, quotidien. Parut le 22 juin et

vécut trois ou quatre semaines. L.-J. Bachand-Vertefeuille, éditeur. 1903 "L'Ouvrier," Southbridge, Mass., fondé au mois de juillet, par J.-B.

Belisle; vécut quelques semaines. 1904 "Le Journal," Holyoké, Mass., fondé au mois de février, par P.-E.

Mayrand; vécut quelques semaines. 1904 "La Revue Littéraire," Holyoke, Mass., fondé au mois d'avril par une

compagnie, avec M. Tremblay comme rédacteur; vécut quelques mois. 1905 "Le Citoyen," Pawtucket, R.-L, fondé au mois de juillet, par Thomas-A.

Jette; vécut six semaines. 1906 "Le Courrier du Maine," Lewiston, Maine, parut le 24 juillet, publié

par H. -F. Roy et Cie, était l'organe des Pères Dominicains; le dernier

numéro parut le 13 décembre de la même année. 1906 "La Revue Rose," Manchester, N.-H., hebdomadaire, fondé le 2 novembre.

n en parut six numéros. Léo Richard, éditeur. 1906 "Le Progrès," Woonsocket, R.-L, fondé par L. -Eugène Jalbert; vécut

une couple d'années. 1906 "L'Echo de la Presse," Manchester, N.-H., fondé par Richard LeRevers;

vécut près d 'un an. 1906 "La Justice," Central Falls, R.-L, fondé au mois de mars, par Arthur

Laberge et J.-E. Brochu; disparut au commencement de 1910. 1906 "Le Canadien-Français," New-York, fondé au mois de juillet, par Léon

Bossue dit Lyonnais; disparut après quelques numéros.

38 Histoire de la Presse Franco- Américaine

1907 "Cœurs Français," Manchester, N.-H., fondé par Joseph Dumais, au

mois de novembre; était une revue mensuelle; vécut moins d'une année. 1907 "Le Canadien- Américain, " Worcester, Mass., quotidien; parut le 14 avril

et vécut deux semaines. J. Télesphore Lord, éditeur. 1907 "Mon Journal," Worcester, Mass., parut le 30 novembre; Charles R. Daoust, éditeur; il en parut un second numéro en date du 7 décembre sous le titre "Le Journal." 1907 "Le New England," Manchester, N.-H., fondé par Joseph de Champlain

le 23 octobre; vécut trois mois. 1907 "Le Franco- Américain, " Lowell, Mass., parut au mois de janvier et

vécut peu de temps. Léo Eichard, éditeur. 1908 "La Nation," Manchester, N.-H., parut au mois' de janvier et disparut au

mois de septembre suivant. Joseph de Champlain, éditeur. 1908 "Le Foyer Canadien," Manchester, N.-H., parut au mois de février et

vécut cinq ou six mois. J.-V. Gélinas, éditeur. 1908 "Le Citoyen," Northampton, Mass., parut au mois d'avril et disparut

peu de temps après. 1908 "La Liberté," Willimantic, Conn., hebdomadaire, 16 pages, fondé le 1er

avril par J.-L.-J. Dupuy; vécut jusqu'au 4 juin suivant. 1908 "La Vedette," Ilolyoke, Mass., humoristique et politique, parut trois ou

quatre fois. M. Chagnon éditeur. 1908 "Le Réveil," (journal quotidien), Manchester, N.-H., fondé par la New England Investment Co., Joseph de Champlain, président, au mois de septembre et vécut environ deux ans. 1909 "La Revue des Familles," Manchester, N.-H., Léo Eichard, éditeur;

vécut quelques semaines. 1909 "La Revue Minière, Manchester, N.-H., fondé par Léo Eichard et Théo-

time Boudreau; vécut près de deux ans. 1909 "La Correspondance," Fall Eiver, Mass., parut le 24 octobre et vécut

quelques semaines. Alain Chaput, éditeur. 1909 "La Voix de La Vallée," Arctic, R.-L, fondé au mois de décembre, par

L.-G. Daniel Legault; vécut un peu plus d'une année. 1909 "La B'iette," Lowell, Mass., feuille humoristique, publié par Alfred

Gervais, à partir du 25 février jusqu'à l'été de 1910. 1910 "La Liberté," Fall Eiver, Mass., fondé le 12 mai par J.-L.-J. Dupuy;

vécut jusqu'au 11 janvier 1911. 1910 "Le Patriote," Lowell, Mass., fondé le 4 janvier, décédé le 15 du même

mois. 1910 "La Vérité," Lowell, Mass., journal quotidien, parut durant l'été et vécut

quelques mois. Alfred Gervais en était l'éditeur. 1911 "La P'tite Gazette," quotidien chic, Manchester, N.-H., organe du Bazar de la paroisse St- Augustin; parut sept fois en novembre et décembre. Rédigé en collaboration.

CHAPITRE HUITIEME La presse française au Micliigan

'EST à Détroit, une ville qui fut d'abord et pendant long- temps une ville toute canadienne-française, que fleurit la presse de langue française au Michigan. Mais quand les journaux de notre langue surgirent l'un après l'autre, une transformation s'était accomplie dans la physionomie de la ville et le caractère des habitants, après l'invasion des Yankees, qui étaient venus en grand nombre s'ajouter à l'élément canadien- français.

M. Télesphore Saint-Pierre, dans son histoire "Les Canadiens du Michigan," raconte cette période de transition et de décadence dans les termes suivants:

"L'indifférence affichée par les Canadiens pour les choses de la politique, laquelle devait être fatale à leur influence dans les affaires publiques, correspondait malheureusement à une décadence quasi- générale des vieilles familles canadiennes.

"Les premiers Américains qui vinrent s'établir à Détroit ont conservé le meilleur souvenir de la large hospitalité des anciens Canadiens, de leurs bals et de leurs fêtes, la gaieté débordait. Malheureusement ces pauvres gens se ruinaient en se faisant aimer et admirer. Il ne faut pas les juger trop sévèrement. Ils ont surtout souffert d'un défaut d'éducation, et parmi eux il se trouva des hommes pour prévoir le mal sans pouvoir l'enrayer.

"Le Détroit Gazette, fondé en 1817, publia pendant quelque temps une colonne en français. Un des collaborateurs de cette feuille, qui signa "Vieux Philippe," adressait à ses compatriotes l'appel suivant: "Français du Michigan, vous devriez commencer immédiatement à donner une éducation à vos enfants. Dans peu de

40 Histoire de la Presse Franco-Américaine

temps il y aura dans ce territoire autant de Yankees que de Français, et si vous ne faites pas instruire vos enfants, tous les emplois seront donnés aux Yankees."

" 'Vieux Philippe' avait raison, et depuis de longues années les Franco-américains n'ont rien obtenu dans les affaires publiques de Détroit.

"La Gazette, au bout de quatre mois, ne comptant que vingt- cinq abonnés, discontinua la colonne française.

"En 1825, M. E. Reed, un Américain, entreprit la publication de la Gazette Française. Il ne parut que quatre numéros de ce journal.

"L'idée d'établir un journal français fut reprise en 1843 par M. Edouard-N. Lacroix, homme de talent, qui venait de Montréal. Le nouveau journal prit le nom L'Ami de la Jeunesse, qui fut publié pendant quatre mois.

"En mai 1850, M. Lacroix fonda encore un autre journal, le Citoyen, qui vécut six mois."

La publication en fut reprise quelque temps après sa suspension, par M. Charles J. Dossin qui, faute d'encouragement, fut forcé, lui aussi, d'abandonner l'entreprise durant l'été de 1851.

M. Lacroix était un homme énergique, écrivain populaire au style abondant et nerveux. A 60 ans il écrivit une esquisse de la ville de Détroit qui créa une profonde sensation, parce qu'elle contenait des faits oubliés et des erreurs dans lesquelles certains historiens sem- blaient se complaire. Cette esquisse fut publiée dans L'Opinion Publique, de Montréal, en 1872. "J'ai vaincu ici les ennemis de notre nationalité, ceux qui avaient travesti l'histoire et jeté de la boue aux mânes de nos ancêtres; justice est en partie faite," écrivait M. Lacroix.

La ville de Détroit était autrefois toute française. Fondée en 1701 par Lamothe-Cadillac, la cession du Canada la fît passer sous la domination anglaise, et après la guerre de 181 2 elle devint ville améri- caine par la cession du territoire aux Etats-Unis. Malgré ces change- ments, elle conserva jusqu'au milieu du siècle dernier le caractère de son origine et la langue française.

Dans un de ses articles les mieux pensés, M. Lacroix déplorait dans les termes suivants l'insouciance et les défauts de ses com- patriotes :

La presse française au Michigan 41

"C'est avec regret que je le dis, l'idiome de nos pères s'est affaibli parmi les enfants du sol au point qu'on semble avoir honte de le parler. Le résultat a été que l'indifférence, mêlée avec un peu de jalousie contre les gens de leur propre sang, leur a fait céder le pas à l'étranger et leur a fait perdre cette prépondérance qu'ils auraient toujours conserver sur tous ceux qui les environnent. Du moment qu'ils cessèrent de parler leur langue maternelle, ils perdirent leur point de ralliement, d'union et d'association. En laissant ainsi s'affai- blir leur influence première, ils virent chaque jour leur nationalité tomber en lambeaux. Près de succomiber sous le poids de leur indif- férence, quelques amis de la nationalité voyant l'abîme qu'ils creu- saient sous leurs pieds, font depuis quelques années un effort suprême afin de les placer dans la position que l'apathie leur a fait perdre ; c'est pour cela qu'on fonde des sociétés de bienfaisance, de littérature, d'histoire et de secours mutuel. C'est le seul moyen qui reste pour sauver ici du naufrage les descendants de la noble France."

M. EDOUARD-N. LACROIX

M. Edouard-N. Lacroix naquit à Montréal le 15 septembre 1812. Après l'insurrection de 1837 il quitta le Canada et alla s'établir à Détroit où, dès son arrivée, il se fît remarquer par son patriotisme éclairé. Il aida à la fondation des sociétés canadiennes et fut souvent délégué aux conventions de l'Union des Sociétés. En 1871, à la septième convention nationale tenue à Worcester, Massachusetts, M. Ferdinand Gagnon, accompagné de M. Charles Moussette, de New- York, et du juge Joseph LeBœuf, de Troy, lui présenta, au nom des Canadiens émigrés, une canne à pommeau d'or en reconnaissance des services qu'il avait rendus à ses compatriotes des Etats-Unis. Dans la tournée que Médéric Lanctôt fît aux Etats-Unis pour faire de la propagande en faveur de l'indépendance du Canada, M. Lacroix, avec le poète Louis Fréchette, qui demeurait alors à Chicago, fut un de ses principaux appuis. M. Lacroix mourut vers 1885 après une longue carrière consacrée au service de la cause nationale.

il

H

CHAPITRE NEUVIEME

Le "Public Canadien" et J.-B.-A. Paradis- journaux du New- York

-Les autres

ES articles patriotiques de M. Edouard-N. Lacroix, à Détroit, avaient réveillé le sentiment national non seule- ment parmi les Canadiens de l'Ouest, mais l'écho s'en était répercuté jusque sur les bords de l'Atlantique. Des cœurs généreux allaient mettre à exécution dans l'Est l'œuvre inaugurée par M. Lacroix dans l'Etat du Michigan.

Le premier journal qui battit la marche, à partir de 1867, dans l'Est, et qui préluda à tant d'autres entrés par la suite dans la carrière, fut le Public Canadien à New-York. Mais avant de faire l'histori- que de ce journal, il convient de jeter un coup d'œil sur la situation des Canadiens émigrés à l'époque de la fondation du Public Cana- dien et les quelques années précédentes.

En 1860, la population canadienne dans les Etats de l'Est n'était pas assez considérable pour que l'on pût entreprendre la fondation de paroisses distinctes. Cependant le nombre de ceux qui abandon- naient les terres fertiles et l'air vivifiant des campagnes du Bas- Canada pour venir s'enfermer dans les manufactures de la Nouvelle- Angleterre augmentait chaque année.

La guerre de Sécession commença en 1861. Des milliers d'ou- vriers de fabriques, d'agriculteurs et autres quittèrent leurs occupa- tions pour s'enrôler dans les rangs des soldats du Nord. L'augmen- tation marquée dans les salaires des ouvriers de toute sorte, occasion- née par ce déplacement qui avait rendu la main-d'œuvre d'une extrême rareté, fut un appât des plus alléchants pour engager les Canadiens à émigrer aux Etats-Unis, malgré la guerre civile qui battait alors son plein, mais dont n'avaient pas trop à souffrir les Etats de la Nouvelle-

J.-O.-D. de Bond}

Georges Lemay

Le ^^Public Canadien^' et J.-B.-A. Paradis 43

Angleterre. Le mouvement de l'émigration en reçut un nouvel élan. Celle-ci prit de telles proportions que le clergé et la presse du Canada s'alarmèrent et tentèrent, mais en vain, de l'enrayer. Les trains des chemins de fer étaient souvent bondés de Canadiens-français qui venaient offrir leurs bras pour remplacer ceux qui avaient pris les armes.

Lorsque la paix fut conclue en 1865, nos compatriotes avaient déjà supplanté des milliers d'ouvriers d'autres nationalités dans la Nouvelle-Angleterre et l'Etat de New-York. Le temps était arrivé de songer à leur avenir. Les prêtres canadiens étaient alors à peu près inconnus, malgré que les groupes canadiens fussent dès lors nombreux ici et là. De fait, à la conclusion de la guerre civile il n'existait que deux paroisses canadiennes dans toute la Nouvelle- Angleterre, et elles étaient toutes deux dans le Vermont. Ces deux premières paroisses de notre élément aux Etats-Unis étaient, l'une à Burlington, fondée en 1850 par M. l'abbé Joseph Quévillon, mort il y a quelques années à Pittsfîeld, Massachusetts, et l'autre à Swanton, établie en 1856 par M. l'abbé J. Cam, un missionnaire français.

La première convention canadienne aux Etats-Unis eut lieu à New- York en 1865, si l'on peut donner ce nom à une simple réunion convoquée par Georges Batchellor, Charles Moussette, le Dr Lepro- hon et le colonel François Boucher, tous de New-York. Un petit nombre d'invités avaient répondu à l'appel. A cette première réunion on avisa aux moyens à prendre pour aider à la fondation de sociétés et l'organisation de paroisses canadiennes. La discussion de ces importants projets, si nécessaires pour le maintien de la langue et des traditions françaises, mit en évidence le fait qu'un moyen puissant pour arriver aux fins désirées était un journal français, qui serait en quelque sorte le point de ralliement des Canadiens dans cette partie des Etats-Unis.

LE PUBLIC CANADIEN

Le premier journal canadien-français publié à New- York, Le Public Canadien, fut fondé dans l'automne de 1867, et son premier numéro parut dans le mois de novembre. C'était un journal hebdo- madaire de seize pages et du même format que l'édition hebdoma- daire actuelle du Courrier des Etats-Unis. Ses fondateurs furent MM. J.-B.-A. Paradis, plus tard rédacteur-propriétaire du Progrès,

44 Histoire de la Presse Franco- Américaine

de Minneapolis, Minnesota, qui en fut le rédacteur en chef; Joseph Duval, Benjamin Aubry, Louis Renaud, Adam Lymburner, Charles Liard, Antoine Rodier fils, et quelques autres dont les noms nous échappent. Ce journal était publié sous la raison sociale de Duval, Aubry & Cie. L'idée de publier à New-York un journal canadien- français prit naissance dans les réunions d'une société canadienne qui avait été fondée en cette ville quelques mois auparavant, dans le but de propager parmi nos compatriotes des idées d'indépendance nationa- le. Cette société fut appelée "L'Ordre des Dix," parce que ses fonda- teurs étaient au nombre de dix. Cette société devait avoir des rami- fications dans tous les centres canadiens aux Etats-Unis et au Canada. La section de New-York (section mère) s'appela la section du "Castor," et celle de Brooklyn "l'Erable." L'Ordre des Dix convoqua plusieurs fois les Canadiens de New-York et des environs à des réunions publiques la parole éloquente de M. Paradis eut assez de succès pendant un certain temps, mais bientôt l'apathie reprit le dessus et les réunions de L'Ordre des Dix furent abandonnées. Après une existence souvent interrompue d'environ un an, Le Public Canadien mourut d'inanition, malgré tous les efforts et les sacrifices financiers de ses fondateurs qui perdirent dans cette entreprise plusieurs milliers de dollars.

Cette feuille fut surtout et avant tout un organe canadien-français, La note nationaliste était tellement accentuée dans ses colonnes que les Etats-Unis étaient rangés avec les pays étrangers dans la chroni- que des événements du jour qui y était faite chaque semaine. C'était aller trop loin sans doute, mais il faut remarquer que c'était l'année de l'établissement du nouveau régime de la Confédération canadienne, et les affaires du Canada passionnaient alors particulièrem.ent les esprits. En même temps il se faisait une propagande annexionniste très active à New-York. C'était aussi le temps il fallait réagir énergiquement pour enrayer la manie anglophile qui se donnait alors libre carrière parmi les nôtres dans la métropole. Encore quelques années de libre cours à cette mentalité, et c'en était fait de nous

NOTE DE L'EDITEUR. M. Liéon Bossue dit Lyonnais, de New-Tork. dit que cette feuille fut fondée en 1866. M. Paradis croyait se rappeler que la fondation du journal datait de 1865. Nous avons en main des articles du "Public Canadien" publiés au mois de mai 1868. M. Antoine Moussette, de Hull, province de Québec, avait promis à la convention tenue à Troy, N.-T., en 1867, que. avant la procbaine convention (186S). les Canadiens- français émigrés auraient un journal. Si le "Public Canadien" eût existé cette promesse n'avait pas lieu d'être faite.

Institut; Canadien Français.

tfUTTJEL.

LITTERAIRE, PÛLITIOn^, ET MUTUEL.

"LTKÎON FAIT

Lik s:i11e dudlc instiiut est ouverte aux merabres tous les soirs, pour la lecture de jouruaux et l'école du sdir, gratis pour les membres.

Il y auiii une assemblée générale de tous les membres actifs, tous les premiers mercredis de chaque mois; tous les uicuiUrcs ï»QQt tenus d'y assister Sous pciuc d'amende.

jrouus i> K ciL.A.»^ei::

Lcclui-e Française, Uindi soir. 7 heurts. Ecriture et Calcul. Mertndi soir. 7 heuns. Lecture .Vu-Uiise et dialogue, Jeudi soir. 7 heures. Rend uns- uiAi» tous a l'heure. N. B. AininDs-MOUs les uns les autres, Dieu oous le commande. Proti ;;jeoDS-nou^ les uns k-s autie«, la charité Ubus y oblige. Aidonn-uou'i tous dans le be:>t>ia.

Njf rongrissoMS tJiuais de noire lanjrueetdeootre religion, lîespectons-nous tous eo frères. Respectons nos profes- seurs, notre salle ej^os lois. '^ Sii!,.c, ^fi^-iC.'.

PUKLICCANADIEX.

New-York, Jeudi 14 mai i868

Les sociétés can»dieaQe8 aux Etats-Unis.

Nombre de sociétés canadieooc^ ont déjà é fondées dans ce pays. Be..uooup d'entre el. les n'ont en qtt'une eiLsteuce épbémère ; mais il en reste encore pinsieurs et il s'en fonc'e de nouvelles tous les ans. C'est ce qiii prouv: l'eiislence d'un besoin qu».«a3 aocieiés seules peuvent remplir. Elles finiront par s'implsi- ter fermement parmi nous, il n'y a pas à eo douter.

Cependant comment se fait-il q'i« sur toute» l«» tentatives qui ae font dans oe seoa, il j en a <i peu qui réussissent ? Cela lieut à une cm- se tièa^pparenlc on ne se porte pas direo:o- ment à remplir le batiaia docnlTiAst la popu. Jilioii canadienne nux Eiais-tToia! bef-'o

liCs société* canadiennes «m

PUBLIC CANADIEN , B.ai..iJni,.

«I AT I ï j* àtk ' Ai\I>éit L)"09 nuïn*^''o précédent, noua aoDonoios*

WeW--YOrK. Jeudi 18 Juin ioDQV^l^Scié.é St. JeaG-Bapusie de cette vUle li'Uiniine. jj avait pria aur- elle de s'adresser aux autrçe as- |8j(iatou3 cauadienDCS aux Ktjta-Uuis, aân I d éCiblir entre les unes et tes autres une t^oioo 1 aussi étroite que possible. Tjus ceux qui, sur 'I U J ffèrcnts p.iiots de ce pays, porte ut in érêt ^ BU uiouTeuiOut de rappr<^icLemcDt qui s'opère '' depuis quelques années parmi nos couipatrlo- Uea émigrés, devaient attendre le ré^imtat de 1 celle démarcbc avee une cenaine anxiété. Au- « jourd'liui, nous somoieii heureux de poaToir| ; que l'union projet(5e sera trè-probabie '

L-e yt. i_^uTent et iS"

A bor<l du ateamer Atonlréai

Pu QuHee ce bril at«itUi u tuilet Je mt-dilai». ailenci Un eujel de pb»JoS' Celle 9o4ae offrait L'image de la

.phie.-

De «e ■t«ar«t><Mtt, p«Mi flottant, ■^'admirsls k «arohe rapide. Et pcut-^tre daoB cetiostaut Jl rassit un réciT perfide. A\asi, me difait-Je, Icj-bal ta du boa a«ati«r il ^évrQ L,'hommt ri«nt se h««rtav bôUuI Aux rédfrdelavto.

KiM m^^ir-*""^' iaint LaawBt qti! qi^U ixl ptittt » 0a,soaro« CumbittA U eat devenu grand £t profond dana ea longue courte! Son oode ne remonte point Vera le lieu dont elle est partie. AHe présente sur ce point L'image de U vi«x

Ses 0'>ta rMHtaiblent .\ ooa jour* Réglés par le son infleTible. Rien n'en peut arrêter le cours Tvaiôi bruyant, tantôt paisible. Après IVr^ge uq temps eerein Des vagues '-alr-e la furie. TeUjSfSt'' parmi le gfioru humain. T. image de U rie.

1#, air 8en borda ven

oy.„U

Da Tastf fleuve chse

l'onde ,

Z.à.4»«9 d«3 çouifrea

effrayant

Entre dea ruchera elle

gronde.

Pe mAina, parmi roaii

t lioa.»!.

Ou 9ur une plage Aeur

1»,

Dana lei pl^isi/^a ou d

>as le de<i

S'êcouBJ notre vi

it effectuée dans peu de tempa. Quorque \on ' té^onses att«udTia9 ne soient pas encore touies arrivées, celles qui ont éé reçues sont telle- ment favorables au projet proposé qu il eit P'^rniia de croire que las autres seront dans le luëme £en<i U se peut que dea circonstances Inoûotrôlable^ empêchent, pendant quelque temp». qpe un deux soc étés de participer ac- t vemeot u. cette oeuvre patriotique S'il en eit BIT] si, tes autres assocationj oommeuceronl quand méma à mettre à exécution le projet ."ur lequel elks viennent de b'cntendre II fie- ra facile, pif la suite, d'jgrondir ce cercle na- tional d mesure qu'il se présentera des 8oe>Ë- tés qui voudront en faire partie! Au reste, nou^ ne faisons (^'exprimer une supposition D'après Ica apparences aoiuelles, le mouve. oient fera oDiversel parmi les* Canadiens dans ce pays. Nuu^ a^ona eu occasion de coonoitTe les dispofiilioas d un bon nombre de nos corn* patriotes Buf ce point, untdaus l'Etat de New- Vork que daus les Etats avoisinant^, et oouà' n'bésiions pas à dire que-tous délirent donner au publio du Canada comme k celui de ce paya, eette-preuve éclatante d'intelligence et de pa- inorisme. Les Canadiens de l'Ouest nourris-i sent l£S baémcs sentiments, nous n'en doutonsl

A^ Saint - Lauf 'jnt air a«U dea a

(paa. C'est un sujet qui lient de p bôcur de l'émigré can .dien. On peut en .. A^,.. .....:.. „_

xiraits que r*'

Le '^ Public Canadien^' et J.-B.-A. Paradis 45

comme élément distinct à New-York; l'assimilation s'opérait sûre- ment.

Il y avait déjà plusieurs années que les premières familles cana- diennes avaient émigré à New-York, la première société St-Jean- Baptiste aux Etats-Unis avait été fondée dès 1850. Ces familles étaient sur la pente qui conduit au gouffre de l'assimilation. Les tra- ditions canadiennes, la langue française, les noms de famille, tout cela était jeté à la défroque par beaucoup de braves Canadiens qui se croyaient tenus à cette métamorphose par suite du fait de leur émigration.!

L'apparition du Public Canadien venait donc au moment propice. Il ne faut pas trop reprocher à ce journal d'avoir fait un nationa- lisme outré ; ses motifs étaient des plus louables. C'était pour corri- ger ces écarts que le Public Canadien donna quelque peu dans l'excès contraire ; il est permis de croire, même aujourd'hui, que c'était ce qu'il y avait alors de mieux à faire pour le moment pour a:rriver au but désiré: la sauvegarde de notre langue et de nos tradi- tions. Ce qui est certain, c'est qu'on vit germer à New-York à cette époque le magnifique mouvement d'organisation qui s'est propagé et développé partout depuis dans l'Etat de New-York et la Nouvelle- Angleterre.

Le réveil fut si général, les appels au sentiment national lancés par le Public Canadien firent tellement impression, même au dehors, qu'un nouveau journal parut sur la scène. Ce fut le Protecteur Canadien, fondé en mai 1868, à St-Albans, dans le Vermont, par M. l'abbé Zéphirin Druon, grand-vicaire du diocèse de Burlington, et M. Antoine Moussette. M. l'abbé Druon écrivit à M. Paradis pour lui proposer de fusionner les deux journaux, mais ce dernier avait décidé de retourner à Kankakee, Illinois, d'oti il était venu quelques années auparavant, et il cessa la publication du Public Canadien en octobre 1868. Ce journal avait eu une courte existence, mais il avait fait un bien immense aux Canadiens émigrés. En préconisant l'organisation de sociétés nationales et en recommandant l'union et la solidarité entre elles, sur le terrain de la nationalité et de la langue, M, Paradis

1. Cette étrange manie a existé de tout temps chez un certain nombre des nôtres, soit par ignorance, soit par faiblesse intellectuelle. Nous en voyons encore aujourd'hui qui, croyant faussement être plus Américains, changent leur nom, jettent la langue française au rancart et se donnent des allures de fankees.

46 Histoire de la Presse Franco- Américaine

avait recommandé la première fédération des sociétés canadiennes- françaises.

"Nombre de sociétés," écrivait M. Paradis, "ont déjà été fondées en ce pays. Beaucoup d'entre elles n'ont eu qu'une existence éphé- mère, mais il en reste encore plusieurs et il s'en fonde de nouvelles tous les ans. C'est ce qui prouve l'existence d'un besoin que ces sociétés seules peuvent combler. Toutes ces sociétés de secours mutuel ne sont que des organisations essentiellement locales. Pour- quoi ne s'unissent-elles pas? C'est tout ce qui leur reste à faire. Elles feraient par une œuvre éminemment patriotique, et en même temps elles y gagneraient au point de vue de leur intérêt particulier. Au- jourd'hui elles se développent lentement et se maintiennent avec difficulté. Pourquoi? Parce que leurs séances n'offrent presque jamais rien de nouveau, ne sont pas assez animées. . ."

La société St-Jean-Baptiste de Nev»7-York, agissant sur cette sug- gestion, durant l'été de 1868 invita les autres sociétés à se prononcer sur cette question. Les sociétés Saint-Jean-Baptiste de Springfield, Massachusetts, et de Biddeford, Maine, et l'Association Canadienne- Française, donnèrent de suite leur adhésion, et le 7 octobre la quatriè- me convention canadienne-française, tenue à Springfield, organisa l'Union des Sociétés de Secours Mutuel des Etats-Unis, dont les ramifications couvrirent toute la Nouvelle-Angleterre et s'étendirent dans tous les Etats de l'Ouest il existait des sociétés canadiennes.

M. Ferdinand Gagnon rendait, en 1883, l'hommage suivant: "M. Paradis est le doyen du journalisme canadien aux Etats-Unis; la religion n'est pas la base de ses écrits, mais il n'a jamais rien fait contre ses principes et il est franchement Canadien. Il est le princi- pal auteur du projet d'union des sociétés canadiennes, union qui prospéra tant qu'elle ne fut pas discréditée par quelques intrigants de New-York."

M. J.-B.-A. PARADIS

M. Paradis est à Lacadie, comté de Saint-Jean, province de Québec. Ses parents émigrèrent en 1854 et allèrent se fixer à Sainte- Anne, comté de Kankakee, Illinois, l'endroit même se trouvait alors la colonie du prêtre apostat Chiniquy, de triste mémoire. Le jeune Paradis se dirigea ensuite vers les Etats de l'Est pour chercher une situation comme professeur de français dans une maison d'édu-

Le '^Public Canadien'' et J.-B.-A. Paradis 47

cation et en même temps poursuivre ses études. C'est ainsi qu'il se fixa à New-York. En 1868 il retournait dans l'Ouest, et en 1874 il fondait à Saint-Paul, Minnesota, L'Etoile du Nord (qui est la devise même de l'Etat.) Ce journal fut publié jusqu'en 1876. En 1877 une compagnie d'actionnaires fondait aussi à Saint-Paul le Progrès, dont la rédaction fut confiée à M. Paradis, mais qu'il abandonna en 1878 pour prendre la rédaction du Canadien, dont le premier numéro avait paru à Saint-Paul le 15 août 1877, et qui était la propriété de M. Désiré-H. Michaud. Il rédigea cette feuille jusqu'en 1883.

Comme tous les hommes de mérite, M. Paradis avait ses ennemis qui mettaient tout en œuvre pour l'évincer du journalisme, carrière il brillait par ses talents et la supériorité de ses écrits.^

LE COSMORAMA

Le second journal à New-York, Le Cosmorama, fut publié par le Prof. Georges Batchellor en 1873. L'objet de M. Batchellor en publiant ce journal était l'unification de la race française en Amérique. Ce journal de quatre pages, dont une en langue anglaise, était publié, mensuellement d'abord, pour tâter le terrain, l'intention du propriétaire étant d'en faire bientôt un journal hebdomadaire illustré. La mission que s'imposait M. Batchellor était belle et méritait un encouragement empressé et libéral, qui ne lui aurait pas manqué, s'il y put sacrifier plus de temps, mais il comprit bien vite que ce travail, ajouté à celui que lui imposaient ses classes, était trop lourd à son âge et qu'il lui faudrait sacrifier ou son école ou son journal. Il y pensa sérieusement et sacrifia le journal, qui, après tout, pouvait bien n'être qu'une mauvaise spéculation. Notons en passant, et c'est l'occasion de le dire, que l'introduction de l'enseignement du français dans nos écoles publiques à New-York est l'oeuvre de M. le Prof. Batchellor, mort il y a déjà quelques années, décoré des palmes académiques. Le premier numéro du Cosmorama porte la date du 3 mai 1873 ; le numéro deux, celle du 7 juin 1873; le numéro trois, le 5 juillet 1873;

1. M. Paradis a demeuré à Saint-Paul jusqu'à sa mort survenue le 12 août 1906. Ce vétéran de notre journalisme était un homme d'une belle stature avec une figure distinguée, comme on peut en juger par sa vignette d'après une photographie prise il y a plusieurs années. C'était un élégant orateur, maniant également bien l'anglais et le français. S'il fût demeuré dans l'Est, il eût occupé ici, comme là-bas, une des premières places et rendu d'importants services à notre population. M. Paradis est mort âgé de 62 ans.

48 Histoire de la Presse Franco- Américaine

le numéro quatre parut le 4 octobre 1873; le numéro cinq, en novem- bre 1873, et le numéro six, le dernier, en avril 1874.

LE CANADIEN DES ETATS-UNIS

Le troisième journal, Le Canadien des Etats-Unis, a paru le ler mai 1884, C'était un journal grand format à huit colonnes et qui portait en exergue: ''Conserver sa religion et sa langue dans les pays oîi Dieu nous envoie" Il était publié en communauté par une société d'actionnaires canadiens-français, et dirigé par un comité composé de MM. l'abbé F. Tétreau, Dr L.-P, Fontaine, Etienne LeBel, Jos.-F. Dalbec, Charles-D. Lamarche et J.-E. Laviolette. C'é- tait un beau journal qui aurait vécu probablement si l'ambition, l'orgueil et la jalousie n'étaient venus s'associer à l'œuvre. Le Cana- dien des Etats-Unis était rédigé en collaboration et M. Crouet fut le premier secrétaire de la rédaction. A son départ pour la France, il fut remplacé par M. Alfred Coite, un écrivain de beaucoup de mérite. M. Léon Bossue dit Lyonnais avait charge de la partie matérielle du journal qu'il abandonna avant sa chute. Le dernier numéro a paru en avril 1885.

LA FEUILLE D'ERABLE

Le quatrième journal, La Feuille d'Erable, fut fondé à la suite d'une visite que firent à New- York, en janvier 1887, les clubs de raquettes réunis de la province de Québec. Son premier numéro régulier porte la date ler janvier 1887, mais à vrai dire le numéro prospectus fut lancé le ler juin 1886. Cette feuille avait pour but d'annoncer l'arrivée des raquetteurs et de préparer les belles fêtes qui en furent le couronnement. Un second numéro fut publié le 22 octobre 1886. La colonie canadienne y prit goût et décida M. Léon Bossue dit Lyonnais, qui avait pris une part plus qu'active dans la réception des raquetteurs, à continuer la publication de cette feuille. La Feuille, d'Erable avait huit pages, quatre en langue française et quatre en langue anglaise, publiée une fois par mois pendant la pre- mière année et une fois la semaine, en français seulement, pendant les quatre autres années qui marquèrent le terme de son existence. Voici comment La Feuille. d'Erable s'est ofîerte à ses compatriotes.

Le "Public Canadien'' et J.-B.-A. Paradis 49

AU LECTEUR

Encouragé par le succès qui a couronné notre première tentative, et pour obéir au vœu généralement exprimé par nos compatriotes d'en voir se continuer périodiquement au moins la publication, nous offrons aujourd'hui, l'occasion étant propice, une nouvelle Feuille. d'Erable, aussi fraîche que la première et embellie de toutes les couleurs prismatiques dont la nature revêt à cette époque de l'année, son homonyme des forêts canadiennes.

Puisse-t-elle servir à cimenter davantage l'union de tous nos compatriotes et ramener la paix et la tranquillité au foyer national.

Nous ne désirons, en l'offrant, qu'une chose : qu'elle serve de talis- man contre nos préjugés, et pour que le souffle des haines mesquines qui nous divisent et nous rendent parfois ennemi de nous-même ne puisse l'atteindre, nous la consacrons toute entière à la Patrie.

M. Geo.-M. Fairchild a beaucoup aidé M. Bossue dit Lyonnais, la première année, pour la partie anglaise. La partie française a été jusqu'à la fin rédigée par M. Bossue dit Lyonnais qui a attiré beau- coup l'attention par la virulence et l'à-propos de ses articles.

LE NEW-YORK CANADA

Le premier numéro du New-York Canada a paru le 28 juin 1890. Il a cessé de paraître le 21 février 1891. Messieurs W.-H. Pambrun et Georges Lemay en étaient les propriétaires. M. Georges Lemay avait la plume facile, et faisait en fondant ce journal, ses débuts dans le journalisme militant. M. Pambrun s'occupait de la partie financière. Le New-York Canada avait été créé ostensible- ment pour défendre les intérêts canadiens de New-York, mais dans le but réel de détruire l'influence de La Feuille. d'Erable, qui, en dépit de tout, lui a survécu. Il en est paru en tout 34 numéros.

L'AMERIQUE FRANÇAISE

L'Amérique, Française a été fondée le ler septembre 1892 par M. Napoléon Thompson, qui m'écrit: "Fondé comme tant d'autres pour embêter le public, il en fît autant pour mon compte, puisque j'en ai cessé la publication qui me donnait un surcroît de travail impro-

50 Histoire de la Presse Franco- Américaine

ductif ou à peu près." L'Amérique, Française était un journal grand format à seize pages et illustré. M. Napoléon Thompson en avait fait un journal sérieux et qui a été généralement bien accueilli par ses confrères de la presse américaine. Son dernier numéro a paru le 23 mars 1893.

Le Citoyen Américain, fondé à Syracuse, New- York, au mois d'août 1870 par le Dr J.-N. Cadieux, ne vécut que quelques mois.

Le Journal des Dames, fondé en septembre 1875 par Mlle Virginie Authier, fut la seule tentative faite par une femme pour publier une feuille spécialement pour le beau sexe. Le succès ne couronna pas ses efforts et le journal vécut moins de six mois. Ce journal était publié à Cohoes, New-York, Mlle Authier demeurait alors.

Le Journal de Cohoes parut en janvier 1877; il était publié par Arthur-E. Valois, avocat, et P.-A. Lucas, ci-devant imprimeur à L'Avenir National. Le journal vécut environ une année.

Le Coq, publié à Cohoes en 1890-91 par Charles-R. Daoust, était, comme son nom l'indique, une feuille humoristique.

Le Charivari, de Champlain, New- York, était un journal humoris- tique de huit pages, publié en anglais et en français, en 1869, par T.-H.- Sarony Lambert. Sa vie fut de courte durée.

Le Drapeau National. (Voir chapitre Benjamin Lenthier et ses journaux.)

Le Guide du Peuple. (Voir chapitre Benjamin Lenthier et ses journaux.)

Le Canadien Français, fondé en juillet 1906 à New-York par M. Léon Bossue dit Lyonnais, était publié à huit pages et fort bien fait. Il n'en est paru que quelques numéros.

L'Amérique Française était un journal à huit pages, grand format, dont le premier numéro parut le premier décembre 1902, publié par M. E. Lassonde. Après neuf mois d'existence, cette feuille hebdoma- daire, publiée plus particulièrement pour la population française de la ville de New-York, cessa de paraître.

Le National. (Paraît en chapitre particulier.)

Vers 1860, un certain docteur Dorion publiait à Ogdensburg, New- York, un journal sous le titre L'Union.

Ce même docteur avait auparavant publié un autre journal dont on ignore le nom, à Plattsburg ou Keeseville, New-York.

Le ^^Public Canadien^' et J.-B.-A. Paradis 51

Le Courrier de Ogdensburg, New-York, était une feuille publiée en 1890 sur laquelle nous n'avons pas de détails.

Le Ralliement, Cohoes, était une édition du National de Lowell, qui parut durant l'année 1892.

Le Combat, Plattsburg, fondé en janvier 1889 par Benjamin Len- thier, rédigé par le Dr Elzéar Paquin, fut cédé à ce dernier au com- mencement de 1890 et transporté à Chicago.

La Patrie, de Cohoes, N.-Y., fondée par J.-M. Authier, en février 1876, vécut jusqu'en 1891. Ce journal, lors de sa disparition, était entre les mains de M. l'abbé L.-M. Dugas, curé de la paroisse Saint- Joseph. Charles-R. Daoust, qui avait fait faux bond à son patron Benjamin Lenthier pendant le déménagement du National de Platts- burg à Lowell, avait piqué une pointe vers Cohoes où, pendant quel- que temps en 1890, il se trouva éditeur-propriétaire de la Patrie, avec M. le curé Dugas comme bailleur de fonds. Mais M. Daoust ne tarda pas à quitter la Patrie. Le curé de Saint-Joseph en continua néan- moins la publication avec M. J.-D. Montmarquet comme administra- teur et rédacteur. M. Montmarquet avait été le principal fondateur du Messager de Lewiston avec le Dr J.-L. Martel, et il avait de l'expé- rience dans le journalisme. Malgré cela, M. l'abbé Dugas devait fournir encore de l'argent pour les dépenses du journal. Tout patriote qu'il pouvait être, on comprend qu'il finit par se fatiguer de ces sacri- fices, et le journal tomba définitivement, au printemps de 1891.

La Patrie de Cohoes, dans les derniers mois de son existence, était imprimée au premier étage d'une maison en bois à deux étages située sur l'allée en arrière de l'église St-Joseph. Le journal avait un matériel bien rudimentaire, juste ce qui est nécessaire pour impri- mer une petite feuille hebdomadaire, sur une petite presse ancien type que l'on faisait mouvoir avec le pied.^

1. Mgr L.-M. Dugas, curé de la paroisse Saint-Joseph de Cohoes, N.-T., depuis 1879, est encore aujourd'hui au même poste. En 1893, Rome lui conférait la dignité de protono- taire apostolique. Il est l'un des plus anciens et des plus éminents prêtres canadiens des Etats-Unis.

^w

^rt\-/

CHAPITKE DIXIEME

Les deux frères Grandpré et Claude Petit

PART le petit mouvement de 1850 à 1851, à Détroit, le pre- mier essai pour fonder un journal dans l'Ouest se fit en 1856, quand un jeune homme, dont le métier était celui d'imprimeur, arrivait à Kankakee, Illinois, et y fondait le Courrier de Vlllinois. Le premier numéro de ce journal parut le 2 janvier 1857, Le jeune homme était Alexandre Grandpré, âgé seulement de 21 ans, qui avait pris comme rédacteur de son journal M, Claude Petit, Français de naissance. Cette feuille était rédigée avec talent, mais elle était passablement incolore au point de vue canadien; la note patriotique, si nécessaire alors, n'y était pas aussi accentuée qu'elle aurait l'être. Le Courrier fut publié pen- dant plus de cinq ans à Kankakee, puis transporté à Chicago, il devint journal bi-hebdomadaire et cessa de paraître en 1863, après être revenu à Kankakee,

En 1864, Alexandre Grandpré et son frère Michel fondaient à Watertown,! New-York, le Phare des Lacs qu'ils vendirent plus tard à M. Claude Petit, leur rédacteur associé. Celui-ci en continua la publication pendant une dizaine d'années, jusqu'en 1876. C'était un journal fort bien fait. M. Petit, mûri par l'âge et l'expérience, écrivait avec un style élégant et facile et était un homme d'excellents princi- pes. C'est, croyons-nous, le seul journal français qui ait été publié à Watertown.

En 1868, MM. Grandpré et J.-B.-A. Paradis fondaient à Kankakee, Illinois, le Courrier de l'Ouest. Ce journal reprit le nom de Courrier

1. La feuille était datée de Watertown et Buffalo.

Les deux frères Grandpré et Claude Petit 53

de r Illinois vers 1875. En 1903 il passait aux mains de Louis-J. Bachand-Vertefeuille, qui le publie encore aujourd'hui, toujours comme journal hebdomadaire, sous le nom de Courrier Franco- Américain. Il paraît comme journal de Chicago, mais il est imprimé à L'Indépendant de Fall-River. Le Courrier Franco-Américain est le résultat de la fusion de cinq journaux de l'Ouest, le Canadien de Saint-Paul, la Voix du Peuple de Minneapolis, le Courrier Canadien de Chicago, le Courrier de l'Ouest de Kankakee, et le Courrier de Kankakee, et subséquemment de Chicago.

Ce journal eut une carrière mouvementée, changeant de nom et de lieu de publication, cessant de paraître pendant des années entières. Parmi ses rédacteurs nous nous rappelons M. Demers, en 1868, M. J.-O. McMahon, autrefois de Worcester, 1872-75, M. le Dr Thyfault qui mourut à Bourbonnais en 1882.

M. A. GRANDPRE

Alexandre Grandpré est à St-Cuthbert, province de Québec, le 25 février 1835, fils de Joseph Grandpré et d'Angèle Dacier. Il apprit le métier d'imprimeur au Petit Journal et à L'Echo des Campagnes à Berthier. En 1856 il émigra à Kankakee et toute sa vie a été con- sacrée au journalisme. En mai 1860 il épousa, à Watertown, New- York, Mlle Célina Dugal, qui mourut en 1896. Alexandre Grandpré était un excellent citoyen, bon catholique et sincèrement attaché à sa famille. Il est mort un an avant sa femme, à l'âge de 65 ans, à Chicago, après une vie bien remplie au service de ses compatriotes. Deux fils et une fille lui ont survécu à Chicago.

M. M. GRANDPRE

Michel Grandpré, frère du précédent, était aussi à St-Cuthbert en décembre 1839. Il fît ses études à l'Académie de Berthier et émigra avec son frère. Il est demeuré célibataire. Il a toujours employé ses moments de loisirs à l'étude de la musique, composant des opérettes et donnant beaucoup de son temps à diriger l'exécution de pièces dramatiques à Kankakee. Il vit actuellement à Chicago.

i

î

^.

CHAPITRE ONZIEME Louis-Honoré Frécliette à Chicago

OUT le monde connaît le nom de Louis-Honoré Fréchette, le poète lauréat. Il a passé plusieurs années de sa jeunesse à Chicago, il a fait du journalisme. Il est du nombre de ces brillants patriotes qui ont jeté un vif éclat sur le nom canadien aux Etats-Unis, et c'est avec un orgueil légitime que le journalisme canadien des Etats-Unis le réclame comme l'un de ses vétérans les plus illustres.

En 1865, la population canadienne augmentait rapidement à Chica- go; elle se trouvait sans journal français dans l'Etat de l'Illinois depuis la disparition du Courrier de l'Illinois à Kankakee en 1863. M. Couil- lard de l'Epinay, jeune avocat de Montréal, tenta de combler cette lacune en fondant la Sentinelle, en 1867. Cette feuille, comme la plupart des journaux à existence éphémère, mourut tranquillement d'inanition, après quelques semaines d'existence.

Louis Fréchette (Louis-Honoré, comme il s'appelait en ce temps- là), qui était à Lévis, avait quitté Québec à la suite de déboires et de désillusions qu'il avait éprouvées dans la politique. 1 Son tempé- rament de poète avait été aigri par le contact avec les roueries des politiciens et, désabusé, mécontent, voulant fuir ce qu'il estimait une patrie ingrate, il prit le chemin de l'exil, et dans l'hiver de 1866 il se fixait à Chicago. Le jeune poète, qui avait déjà à son actif un premier volume de poésies intitulé "Mes Loisirs," continua sur la terre étran-

1. M. Fréchette racontait, au mois de février 1903, à l'auteur, l'incident suivant. En 1866, Médéric Lanctôt, de Montréal, donna à un certain Col. Suderland, un espion fénien, une lettre d'introduction à Fréchette, le priant de lui faire visiter Québec. Ce dernier. Ignorant à qui il avait affaire, conduisit son visiteur partout, lui faisant visiter même la citadelle. Quand Fréchette s'aperçut qu'il avait eu affaire à un espion il confia son secret à une couple d'amis qui lui conseillèrent de quitter le pays au plus tôt. Il s'expatria et se fixa à Chicago.

Louis-Honoré Fréchette à Chicago 55

gère à cultiver les muses, et ce fut dans cette ville qu'il écrivit sa terri- ble philippique en vers, "La Voix d'Un Exilé," il flagellait avec une violence d'expressions inouïe ses adversaires politiques qu'il tenait responsables de son départ.

Mais à Chicago M. Fréchette s'occupa aussi de journalisme. Il était arrivé à un temps le journalisme canadien-français subissait une éclipse totale. Alternant entre les vers et la prose, Fréchette écrivait dans un journal qui avait fait son apparition peu de temps après son arrivée: c'était L'Observateur, publié par Barclay & Fré- chette. L'Observateur ne vécut pas longtemps. C'était tout de même une fort jolie feuille, rédigée agréablement par le brillant poète. Ce journal n'avait qu'un défaut, à l'instar de son confrère de New- York, le Public Canadien, publié à peu près dans le même temps. C'était un journal canadien.... du Canada; les questions américaines n'y occupaient que peu de place et celles relatives à notre mouvement d'organisation en ce pays encore moins.

Pendant l'été de 1868, MM. Théophile Guéroult, Fréchette et Samuel-E. Pinta fondèrent une autre feuille qu'ils décorèrent du titre prétentieux de L'Amérique, un beau journal, et bien fait, qui parut à l'ouverture de la campagne présidentielle entre Grant et Colfax, can- didats républicains, et Seymour et Blair, candidats démocrates. Le résultat de la lutte ne faisait pas de doute. Grant avait subjugué le Sud; il était à l'apogée de sa gloire, tandis que le parti démocrate, représenté par Seymour, était tout à fait démoralisé. La voie était donc toute tracée, l'orientation était toute indiquée: le nouveau journal était naturellement républicain. M. Fréchette lui-même pre- nait une part active à la campagne électorale en faisant des discours, tout en rédigeant son journal, et y écrivait des articles politiques avec beaucoup de talent.

En 1870, M. Fréchette voulut faire un voyage au Canada, tout en conservant ses droits dans la propriété du journal.

La politique malsaine se glisse un peu partout; il se trouve tou- jours des gens qui sont prêts à tout sacrifier pour un petit honneur ou une situation politique quelconque. Or, c'est précisément ce qui est arrivé dans ce cas-ci. M. Lafontaine, un Suisse, fut appelé à la rédaction de L'Amérique. Si l'on peut le juger d'après ses écrits, il n'aurait reculé devant aucune bassesse pour en tirer un profit quel- conque. Ce jugement est sévère, mais il est justifié par les faits.

56 Histoire de la Presse Franco- Américaine

Les Allemands étaient, dès cette époque, très nombreux dans l'Ouest. La convention républicaine de l'Illinois, tenue à Springfield, avait eu la faiblesse, à l'instigation des Allemands, d'adopter une réso- lution de sympathie pour l'Allemagne dans sa lutte avec la France. Il n'y avait aucune raison de prendre ainsi fait et cause ouvertement pour une nation à laquelle les Etats-Unis n'étaient redevables d'aucun bienfait, tandis que les motifs de reconnaissance et de sympathie pour la France étaient si grands. C'était une indignité de faire ainsi servir un grand parti politique, dans le simple but de capter des votes, pour lancer l'insulte à la France qui, moins d'un siècle auparavant, avait tant fait pour l'indépendance des Etats-Unis. Les Français et les Canadiens ne comptaient pas beaucoup en politique à cette époque, pas plus dans l'Ouest que dans l'Est; ils étaient une quantité négli- geable; il faisait bon de flagorner les Allemands.

Mais revenons à notre rédacteur. Lafontaine voulait être du côté du plus fort pour obtenir un emploi public. Il publia des articles il faisait l'éloge des Allemands et injuriait les Français. Ceux-ci, de même que les Canadiens, étaient indignés à la lecture de ces écrits. L'effet fut désastreux, comme on peut le penser, pour la circulation, le journal étant complètement discrédité auprès de ses lecteurs, dont les sympathies étaient naturellement acquises à la France,

M. Fréchette, sur les entrefaites, revint à Chicago, et l'on peut s'imaginer s'il était furieux de ce qui venait d'arriver. Notre poète, comme on le sait, a toujours eu, dès sa tendre jeunesse, un culte inal- térable pour la France, et à cette heure d'épreuves de notre ancienne mère-patrie, son amour pour cette nation chevaleresque était intensi- fié par les malheurs dont elle était accablée. Ce sentiment était, au reste, partagé par toutes les populations de race française du Canada et des Etats-Unis. Après un coup comme celui-là, le journal L'Amérique n'était plus viable, et il ne restait d'autre alternative que d'en discontinuer la publication. C'est ce que Fréchette fît au prin- temps de 1871, puis il s'en retourna de nouveau au Canada il demeura définitivement et fournit la brillante carrière que nous savons, jusqu'à sa mort survenue en 1908, à Montréal.

LOUIS-HONORE FRECHETTE

M. Fréchette est à Lévis le 16 novembre 1839. Il fit ses études à Nicolet et son droit à l'Université Laval, fit de la politique et du

Louis-Honoré Fréchette à Chicago 57

journalisme au Canada, vivant de cette vie de bohème qui est parti- culière aux poètes et aux artistes. En 1864 il arriva à cette profes- sion d'avocat, si séduisante pour le talent et l'ambition, mais si déce- vante pour ceux qui, sans vocation spéciale, s'y jettent par désespoir de cause.

Avocat, journaliste et poète, Fréchette réunissait en sa personne, par un heureux privilège, tous les titres possibles à la célébrité. Il partit en 1866 pour Chicago il se lança dans le journalisme, et fut secrétaire-correspondant du département des terres du chemin de fer Illinois Central, en remplacement de feu Thomas Dickens, frère de Charles Dickens, le célèbre romancier anglais. En 1871 on le retrouve à Québec pratiquant le droit, faisant des vers et recevant plus tard des encouragements flatteurs de Lamartine et Victor Hugo.

Ses vers ont été publiés en plusieurs volumes. "Mes Loisirs" fut le premier, "Les Fleurs Boréales" et "Les Oiseaux de Neige" ont été couronnés par l'Académie Française.

Il a aussi publié la "Légende d'un Peuple," recueil de poèmes portant sur les faits héroïques de notre histoire.

M. Fréchette mourut au mois de mai igo8, à Montréal.

Louis Fréchette est l'une des figures illustres de notre histoire nationale, et l'un de nos littérateurs qui ont jeté le plus d'éclat sur les lettres canadiennes. Le journalisme canadien des Etats-Unis s'ho- nore de le réclamer comme l'un de ses vétérans, alors qu'il était dans le prisme de sa jeunesse et de son beau talent littéraire.

^ ^

Quelques détails sur le mouvement canadien à Chicago au temps du séjour de Fréchette seront ici à propos. La population canadienne, qui, en 1865, comptait environ 7,000 âmes, était déjà montée, en 1871, à environ 20,000. Comme on voit, dès que la guerre fut terminée, à l'instar des Etats de l'Est, un fort mouvement d'immigration cana- dienne s'était porté vers la grande métropole de l'Ouest. On sait comment, cette année-là, un immense territoire de la ville fut ravagé par le feu qui brûla pendant quatre jours 17,500 bâtisses. Un grand nombre de nos compatriotes furent alors durement éprouvés par l'élément destructeur. A peu d'exceptions près, tous les Canadiens étaient des artisans. Il n'y avait encore à cette époque qu'un seul marchand, M. Alexandre Pagnuelo. Les Canadiens de Chicago

58 Histoire de la Presse Franco- Américaine

avaient, de temps à autre, reçu la visite de M. l'abbé Augustin LfCbel, qui était curé à Bourbonnais; puis M. l'abbé Montaubrick devint le curé permanent jusqu'en 1864, quand il fut remplacé par M. l'abbé J. Côté, qui fonda une paroisse canadienne et construisit une église dans la rue Halsted, près de la rue Harrison.

M. L'ABBE JACQUES COTE

M. l'abbé Côté vit le jour à Saint-Romuald, comté de Lévis, le 5 avril 1829. Il fît ses études classiques et théologiques au Séminaire de Québec, et fut ordonné prêtre le 6 juin 1856 par Mgr Charles-F, Baillargeon, archevêque de Québec. Il fut vicaire à Saint-Germain de Rimouski, puis à la Rivière-du-Loup, desservant en même temps la paroisse de Saint-Antoine et la mission de Détour du Lac Témis- couata. En 1859 Mgr Baillargeon l'envoya desservir les Canadiens disséminés un peu partout dans le diocèse de Chicago, il resta pendant trente-sept années, dont vingt ans à Chicago même, comme curé des Canadiens, de 1864 à 1884, il a laissé les souvenirs de son dévouement inlassable et de son zèle apostolique. En 1896, la maladie et le poids des années se faisant sentir, il retourna au Canada pour passer ses dernières années à l'Hospice Saint-Joseph de la Délivrance, à Lévis, il mourut le premier jour de mars 191 1, âgé de 82 ans.

$ H^ $

Le 4 mars 1905, paraissait dans L'Opinion Publique de Worcester un article l'auteur faisait à grands traits l'historique du séjour de Fréchette à Chicago. A ce sujet, M. Fréchette, en date du 11 mars, adressait à L'Opinion Publique la lettre suivante:

"J'ai lu avec intérêt l'article si sympathique que vous me consacrez dans votre journal du 4 courant, et ce serait de l'ingratitude de ma part si je ne vous remerciais de la bienveillance avec laquelle vous me rappelez l'époque je faisais partie, comme vous, de la grande famille des Canadiens expatriés.

"Vous me permettrez cependant, dans l'intérêt de la vérité, de rectifier quelques légères inexactitudes qui se sont glissées dans votre ajticle.

"D'abord, il n'y a jamais eu bisbille entre moi et mon excellent ami Théophile Guéroult au sujet de L'Observateur, et cela pour la

Louis-Honoré Fréchette à Chicago 59

bonne raison qu'il n'eut jamais rien à faire avec la publication de ce journal, qui était exclusivement ma propriété et celle du nommé Barclay. Il est vrai que ce dernier s'imaginait probablement être le seul propriétaire, ou n'avait pas grande foi dans l'avenir de notre entreprise, car un beau matin il n'apparut pas à nos bureaux et son éclipse dure encore.

"L'Observateur avait vécu.

"L'Amérique, qui lui succéda, eut une fin plus retentissante. C'est à la fondation de cette dernière feuille que M. Guéroult prit une part active, avec Pinta comme imprimeur, et moi comme rédacteur.

"Ce journal, comme vous dites, appuyait le parti républicain. Or, en 1870, pendant que j'étais en promenade au Canada, Guéroult tomba gravement malade et confia la direction du journal à un professeur suisse du nom de Lafontaine.

"C'était justement au moment éclatait la guerre franco-prus- sienne. Quand ces résolutions dont vous parlez furent votées par la convention de Springfield, Illinois, Lafontaine trouva le moyen de persuader à l'organisation républicaine de Chicago qu'il pouvait, à l'aide de L'Amérique, contrôler la population française de notre région pourvu . . .

"Bref, Guéroult était mourant; j'étais en voyage; la trahison s'ac- complit. Et quand je reçus la dépêche qui me rappelait sur les lieux, il était trop tard pour réagir. Notre journal, jusque-là prospère, était irrémédiablement perdu.

"Je me permets ces rectifications, en justice principalement pour la mémoire de mon ami Guéroult, qui fut toute sa vie un fervent patriote et un brave homme sous tous les rapports.

"Je suis heureux de vous remercier aussi pour vos bonnes paroles à l'adresse de mon noble ami, M. l'abbé L.-J. Côté, l'ancien curé canadien de Chicago. Vous ne sauriez trop faire l'éloge de cette généreuse nature, de cette belle âme, et de ce cœur d'apôtre. Tous ceux qui l'ont connu et qui lui survivront diront de lui: 'Il a passé en faisant le bien.'

"Ici une autre rectification : l'abbé Côté n'est pas à Saint-Joseph de Lévis, mais à Saint-Romuald, dans le même comté.

"J'ajouterai, enfin, que Pierre Cauwet n'a jamais habité Chicago. Il rédigeait, dès 1862, le Courrier de San Francisco, d'où son talent poétique faisait du bruit même en France. Au début de la guerre de

60

Histoire de la Presse Franco-Américaine

1870, à la nouvelle des premiers revers de l'armée française, il s'embar- qua à la Nouvelle-Orléans pour accourir au secours de sa patrie, et jamais plus on n'en entendit parler.

"Je termine en vous priant d'agréer, avec mes remerciements réité- rés, l'expression de mes très sincères cordialités. Louis Fréchette."

„.>^'i!;.

CHAPITEE DOUZIEME

L'abbé Zéphirin Druon, Antoine Moussette et le "Protecteur Canadien"

UELQUES mois avant la disparition du Public Canadien à New-York, apparaissait à Burlington, Vermont, le Pro- tecteur Canadien. A Troy, New-York, la troisième con- vention canadienne-française avait chargé M. Antoine Moussette, marchand à St-Albans, Vermont, du soin d'organiser la prochaine convention qui aurait lieu à Springfield, Massachusetts, l'année suivante. M. Moussette, en acceptant cette charge, avait promis que, avant la convocation de la quatrième con- vention, les Canadiens-français de la Nouvelle-Angleterre auraient un journal dévoué à leurs intérêts. De retour chez lui, il fît des instances auprès de M. l'abbé Zéphirin Druon, alors vicaire général du diocèse de Burlington, et curé de la paroisse mixte de St-Albans, pour le seconder dans la fondation d'un journal. M. Druon savait bien qu'une pareille entreprise entraînerait beaucoup de sacrifices pécuniaires et de travail, mais dans son patriotisme éclairé, il y vit un puissant moyen d'avancer les intérêts religieux et nationaux des Canadiens expatriés. Il ne recula pas devant la tâche et il donna généreusement son concours à M. Moussette. Le lo mai 1868 le premier numéro du Protecteur Canadien paraissait. Les propriétaires étaient MM. Moussette et Druon, C'était une feuille hebdomadaire à quatre pages de sept colonnes, d'une belle apparence typographique. Ce fut réellement la première tentative heureuse de journalisme français dans la Nouvelle-Angleterre, et c'est un fait remarquable que le pre- mier journal canadien qui fut fondé dans la Nouvelle-Angleterre d'une façon durable eut un prêtre pour directeur et rédacteur. Le Protec- teur Canadien fît honneur à son nom et dès le début il fut l'habile et

62 Histoire de la Presse Franco- Américaine

véritable protecteur des Canadiens émigrés dans les Etats de l'Est, publiant chaque semaine des détails importants sur les groupes de Canadiens dispersés un peu partout et leur triste situation religieuse. C'était vers cette époque que Mgr de Goësbriand, le premier évêque de Burlington, et Mgr Williams, évêque de Boston, faisaient des instances auprès des évêques du Canada pour leur envoyer des prêtres dont la présence était si grandement désirée parmi les groupes d'ex- patriés qui ne comprenaient pas la langue du pays.

Nous entrons ici dans l'époque les premiers missionnaires du Canada commencèrent à venir en nombre dans les différents centres des Etats de l'Est pour y établir l'organisation paroissiale. On sait comment ils ont réussi, malgré les misères et les entraves de toutes sortes qui leur ont été le plus souvent suscitées dans l'accomplisse- ment de leur tâche héroïque. Ils furent les vétérans du sacerdoce canadien aux Etats-Unis, dont quelques-uns survivent encore aujour- d'hui. Ils furent, pour la plupart, des bâtisseurs d'églises, d'édifices religieux et de charité, etc. M. Druon trouvait ample matière à exercer son talent d'écrivain dans les articles qu'il écrivait en faveur de la desserte des nôtres aux Etats-Unis par des prêtres de leur race et langue.

Dans son discours de bienvenue aux délégués de la quatrième convention, le 7 octobre 1868, à Springfield, M. Moussette recomman- dait l'organisation d'une maison de missionnaires pour pourvoir aux besoins spirituels des nôtres aux Etats-Unis. Mgr de Goësbriand, trouvant que les choses allaient trop lentement à son gré, se rendit à Québec, puis à Montréal. Dans cette dernière ville il adressa la parole à la salle académique, dans les premiers jours du mois de mai 1869, pour exposer le but de la société des missionnaires. Mgr Bourget se montra on ne peut plus disposé pour seconder les vues de Mgr de Goësbriand, voyant en cela un puissant motif d'agir pour le bien des âmes et de la religion, et de suite il lui donna un prêtre qui, par la suite, accomplit de grandes choses de ce côté-ci de la ligne 45e: ce fut M. l'abbé L.-G. Gagnier qui, après une longue carrière sacerdotale dépensée au service de ses compatriotes émigrés, mourut à Springfield, Massachusetts, en 1908. Les abbés Pelletier, Lavoie, Verdier, Gen- dreau, Boissonneault et autres, répondirent à l'appel de Mgr de Goës- briand et l'invitation de Mgr Bourget et vinrent desservir les groupes canadiens de la Nouvelle-Angleterre, dont la situation était des plus

Uahhé Druon et M. Moussette 63

pénible, étant contraints d'entendre la parole de Dieu dans une langue qui leur était étrangère, et l'exercice de leurs devoirs religieux étant aussi sérieusement entravé par suite de l'absence de prêtres de leur langue.

Une situation aussi déplorable ne pouvait longtemps subsister sans un danger grave pour le salut des âmes et la survivance de la nationalité. La première phalange d'apôtres qui vinrent ainsi trouver leurs frères exilés sur la terre étrangère trouvèrent ample matière à l'exercice de leur zèle et, de leur côté, firent connaître les besoins impérieux qui réclamaient la présence d'autres ouvriers pour la vigne du Seigneur. Tous ces faits et événements étaient relatés par l'abbé Druon dans son journal le Protecteur Canadien^ et les échos s'en répercutaient dans la presse du Canada qui reproduisait les articles du vaillant journal. Un certain abbé Victor écrivait ce qui suit dans le Pionnier de Sherbrooke en mai 1869:

"Cependant, il faut bien avouer dans l'état religieux des Canadiens, un défaut d'entraînement, peut-être une tendance à l'assoupissement, dûs au manque d'organisation régulière. Il fallait un réveil énergique, il fallait qu'un souffle puissant vint disperser les cendres et ranimer le feu qu'elles couvaient. Une grande voix s'est fait entendre. Le Protecteur Canadien, en évoquant le souvenir de la patrie, en rappe- lant les autels et le clocher du village natal toujours cher au cœur canadien, le mouvement religieux prit consistance et s'affirme toujours davantage.

"L'œuvre des missions canadiennes est à s'organiser avec les souhaits sympathiques et la coopération active de l'épiscopat des Etats-Unis et du Canada."

L'élan était donné. M. l'abbé J.-F. Audet, de Saint-Hyacinthe, avait fondé une paroisse canadienne (St-François-Xavier) à Winooski, dans le Vermont, au printemps de 1868, et désormais les émigrés canadiens auraient, pour pourvoir à leurs besoins religieux, des prêtres de leur nationalité.

Veut-on avoir une idée du mouvement d'émigration à cette épo- que? Durant la dernière semaine du mois d'avril i86g, les trains venant du Canada, passant par St-Albans, transportèrent 2300 émigrés Canadiens. Les Américains allaient au Canada engager des employés, et le 3 mai un train en amenait environ 600 "dans des wagons fermés à clef afin d'éviter toute confusion et rendre toute désertion impossi-

64 Histoire de la Presse Franco-Américaine

ble." Si l'on considère qu'il y avait aussi les lignes de chemins de fer passant par Portland, Maine, et celles de l'Etat de New-York, on comprendra plus facilement les proportions gigantesques que prenait le dépeuplement des campagnes de la province de Québec.

Le Protecteur Canadien recrutait ses abonnés partout. M. Mous- sette s'occupait du côté financier de l'entreprise. Le journal se répan- dit jusque dans les Etats les plus reculés de l'Ouest M. Moussette voyageait. Au printemps de 1869 M. Moussette vendit sa part du journal à M. Druon, qui en continua seul la publication, prenant un peu plus tard Frédéric Houde comme rédacteur.

Après un peu plus de trois ans d'existence, le Protecteur Canadien cessa de paraître, à la suite d'un malheur qui fut le signal de sa dispa- rition. Au commencement de septembre 187 1, l'édifice était publié le Protecteur Canadien fut incendié. C'était pendant qu'avait lieu à Worcester, Massachusetts, la septième convention canadienne, et à laquelle assistaient M. Moussette et M. Houde. M. Druon était sous l'impression que M. Moussette s'était définitivement retiré du journa- lisme, et, à son insu, il vendit ses listes d'abonnés à Georges-E. Desbarats qui publiait à Montréal L'Opinion Publique, un journal hebdomadaire illustré, avec une édition spéciale (L'Etendard Na- tional, Ferdinand Gagnon, rédacteur) pour les Etats-Unis.

M. Moussette chercha à racheter de M. Desbarats ces listes d'abon- nés et le titre du journal, mais ses tentatives échouèrent, et quelque temps après il fondait avec M. Houde L'Avenir National.

M. A. MOUSSETTE

M. Antoine Moussette naquit à Saint-Césaire en 1833. Il se fixa à St-Albans, il se livra au commerce et y fonda la société St-Jean- Baptiste. Il prit une part active à tous les mouvements pour l'amé- lioration sociale et religieuse de ses compatriotes. Il prit part à toutes les conventions et il sacrifia largement une bonne partie d'un commer- ce lucratif pour aider la cause nationale par la publication de ses deux journaux successifs. Il retourna au Canada quelques années plus tard avec la réputation méritée d'avoir été utile à ses compatriotes des Etats-Unis. Il fut pendant de longues années gouverneur de la prison de Hull, province de Québec.

Uahhé Druon et M. Moussette 65

Les Canadiens qui s'occupaient il y a quarante ans du mouvement d'organisation des émigrés, ont longtemps gardé un bon souvenir de celui qui, pendant la période la plus critique pour l'existence nationale des nôtres aux Etats-Unis, a sacrifié un brillant avenir, peut-être même la fortune, pour travailler à l'intérêt de ses compatriotes émigrés. M. Moussette avait été l'âme du mouvement qui organisa "L'Union des Sociétés Canadiennes des Etats-Unis."^

* * *

Nous avons nommé Frédéric Houde. Il a laissé une marque pro- fonde dans le journalisme des Etats-Unis, il a séjourné pendant cinq ans. Il en sera encore question plus longuement dans des chapi- tres subséquents.

Avant de clore ce chapitre, nous allons donner quelques détails sur la facture du Protecteur Canadien, et sur certains événements qu'il a enregistrés. C'était une feuille de quatre pages de sept colon- nes, paraissant le jeudi. Au-dessous du titre du journal était la devise: "Aime Dieu et va ton chemin." Et au milieu de la feuille, entre les tableaux des tarifs des abonnements et des annonces, cette autre avec l'image d'un castor: "Souvenir de Mon Pays."

Le numéro du ler juillet 1869 donne un compte rendu de la fête de St- Jean-Baptiste à St-Albans et Burlington, Vermont, ainsi qu'une correspondance de Biddeford, Maine, sur la célébration de la fête nationale dans cette ville. Il n'y est pas question de la grande célé- bration qu'il y eut cette année-là à Worcester, Massachusetts. Dans les nouvelles religieuses il est dit que "le diocèse de Boston comprend tout l'Etat du Massachusetts avec une population catholique de 350,000 âmes." "L'automne dernier," continue le journal, "il y avait 128 églises et 8 autres en voie de construction, 36 chapelles ou stations, 88 séminaristes, 13 écoles paroissiales fréquentées par 6000 élèves, 5 asiles contenant 550 orphelins et orphelines, et 23 académies ou institutions religieuses pour les jeunes gens des deux sexes." Quel chemin parcouru depuis 1869! Le diocèse de Boston d'alors com- prend aujourd'hui, outre le siège métropolitain, 6 sièges suffragants.

Ce même numéro du ler juillet contient une correspondance de Southbridge signée Alexandre Lataille, rendant compte d'un recense-

1. Cette première fédération des sociétés nationales aux Etats-Unis comptait, en 1873, quarante-trois sociétés, tant dans les Etats de l'Est que dans ceux de l'Ouest. Elle cessa d'exister en 1881.

66 Histoire de la Presse Franco- Américaine

ment que celui-ci avait fait. "Je vous envoie aujourd'hui," dit-il, "le recensement de Southbridge, dont je suis l'un des plus anciens citoy- ens, bien que je ne sois âgé que de 23 ans. Quand mon père, Joseph Lataille, est arrivé ici je n'avais que dix-huit mois, et il n'y avait que trois familles canadiennes; maintenant on en compte 360, avec une population de plus de 2000 âmes, et je pense que le nombre va encore augmenter."

Le correspondant apprend aussi qu'il n'y avait pas alors de société de bienfaisance à Southbridge, mais que quatorze d'entre eux appar- tenaient à la société St-Jean-Baptiste de Worcester; qu'il y avait 392 jeunes gens dont 14 étaient employés dans les magasins, qu'un prêtre français, M. l'abbé Baret, y était résident, de même qu'un médecin canadien, le Dr Joseph Fontaine.

LE REV. ZEPHIRIN DRUON.

Le Rév. Zéphirin Druon était un prêtre français venu d'Europe avec Mgr Rappe, plus tard évêque de Cleveland, Ohio, et celui qui fut plus tard Mgr de Goësbriand, évêque de Burlington, Vermont. Mgr Rappe a été inhumé à St-Albans, près de son vieil ami. Au lendemain de la mort du Rév. M. Druon, survenue à St-Albans le 27 janvier 1891, le St. Albans Messenger lui consacrait la notice suivante que nous traduisons:

Le Rév. Zéphirin Druon peut être considéré comme le prêtre pion- nier du diocèse du Vermont, car il a vu 38 années de service en cet Etat, dont 25 ans au moins passés à la cure de l'église Ste-Marie. Avant d'entreprendre ses labeurs ici, le Père Druon avait été à Rutland et Montpelier, venant directement de cette dernière place ici. Il fut l'un des deux vicaires généraux de ce diocèse et, depuis le Troisième Concile de Baltimore, en 1888, il était curé inamovible et il était l'un des conseillers de l'évêque de Goësbriand. Le Père Druon vint en ce diocèse peu après l'arrivée ici de l'évêque. Il avait conti- nuellement exercé le ministère ici jusqu'au ler janvier 1889, alors qu'il partit pour l'Europe dans le but de récupérer sa santé, et il fut absent dix-huit mois.

Le défunt était âgé de 62 ans et il laisse sa mère, âgée de 89 ans, une sœur et deux neveux tous demeurant en France. Le Père Druon avait été un infatigable travailleur et durant son ministère en cet Etat il a bâti 14 églises, y compris la vieille église Saint-Pierre à Rutland, et celles de Brattleboro, Montpelier et Northfîeld, et plusieurs autres endroits. Il a aussi complété la construction de

Uabhé Druon et M, Moussette

67

1 eghse Ste-Mane en ce village. Depuis son retour d'Europe sa santé a graduellement décliné et bien qu'il ne voulût pas admettre, jusqu'à quelques jours avant sa mort, que son état était précaire, ses amis, il y a plusieurs semaines, notèrent un déclin rapide dans sa vitalité Mgr de Goësbriand était ici lundi et le Père Coffey est arrivé de Rutland lundi soir. Plusieurs autres membres du clergé étaient ici et avaient été avec leur vénérable collègue durant la journée, mais le Père Coffey était le seul pasteur présent lorsque le Père Druon rendit le dernier soupir.

il

m

CHAPITKE TEETZIEME Les débuts de Ferdinand Gagnon

ERDINAND Gagnon, alors jeune homme de dix-neuf ans, demeurait à Concord, New-Hampshire, avec ses parents. Il avait subi l'influence de Lanctôt et du Dr J.-N. Cadieux, de Syracuse, New- York, son lieutenant dans le mouve- ment de l'indépendance. Le jeune Gagnon faisait des discours en faveur de l'indépendance du Canada, et en même temps il fit la campagne présidentielle de 1868 en faveur du général Grant. Partout il adressa la parole on reconnut qu'il avait des talents et que déjà il était un orateur qui promettait.

Peu après la campagne présidentielle, M. Gagnon se transporta à Manchester, New-Hampshire. Durant l'hiver de 1869, le jeune Ferdinand se lia d'amitié avec le Dr A.-L. Tremblay, et sous la raison sociale de A.-L. Tremblay & Cie, tous deux fondèrent à Manchester la Voix du Peuple, dont le numéro prospectus parut le ler mars. Sa devise, "Attendre et Espérer," indiquait que le nouveau journal était attaché aux idées et aux œuvres de M. Lanctôt. Celui-ci était imprimé par Charles-F. Livingston. La Voix du Peuple ne vécut que six ou sept mois.

Le Dr Tremblay fonda à Manchester la société Saint-Jean-Bap- tiste, et se créa une clientèle lucrative. Le mouvement d'émigration à la nouvelle province du Manitoba, dont M. Charles Lalime devint l'agent dans la Nouvelle-Angleterre, l'entraîna dans son courant vers ces régions encore presque sauvages. Il en revint en 1877 et mourut à Manchester au mois de mai 1879. Ses restes furent inhumés à Saint-Jacques le Mineur, Québec.

Après la discontinuation de la Voix du Peuple, M. Gagnon vint à Worcester, Massachusetts. M. l'abbé J. B. Primeau, le premier

Les déduis de Ferdinand Gagnon 69

curé des Canadiens de Worcester, venait d'arriver et avait fondé la paroisse Notre-Dame, au mois de septembre 1869. C'était la qua- trième paroisse exclusivement canadienne établie dans le Massachu- setts.i La population canadienne était alors de moins de 2000 âmes, mais les Canadiens étaient déjà nombreux dans les différents villages autour de Worcester, dans un rayon de vingt milles. M. Gagnon vit de suite que le champ était propice pour un journal français, et il fonda une société de publication dont les officiers étaient les suivants : P.-L. Paquette, L.-P, Lamoureux, Antoine Lamoureux, père, L,-A. Létourneau, Ed. Charette, Ed. Lafaille, F,-X. Brazeau, G. -A. Demers. Les autres actionnaires étaient Antoine Moussette, de St-Albans, Vt. ; J.-B. Gagnon et Emery Lapierre, de Concord, N. H. ; Séraphin Laças- se, de Manchester, N.-H. ; F. X. Marchessault, de Spencer, Mass. ; M. l'abbé J.-B. Primeau, Joseph Marchessault, N. Marchessault, Joseph Désautels, Z. Lamotte, Léon Robert, Adrien-D. Girardin, M. Proulx, Cyrille Paquette, Louis-T. Tougas, Cléophas Laliberté, Henri Nault, Jean-B. Tougas, Joseph Forest, Moïse Beaudet, P. Brière, tous de Worcester.

Le premier numéro de L'Etendard National, tel était le nom du nouveau journal, parut le 3 novembre i86g. Sous de tels auspices, on avait raison de croire que son avenir était assuré. Il y avait à cette époque, à Montréal, M. Georges-E. Desbarats qui, avec L.-O. David et J.-A. Mousseau, avait fondé un magnifique journal illustré L'Opi- nion Publique, qui eut dans le temps une vogue méritée. C'était une publication essentiellement littéraire à laquelle contribuaient les hom- mes les plus fameux de notre littérature nationale: Oscar Dunn, Arthur Buies, Gérin-Lajoie, A. Achintre, Louis Fréchette, Pamphile Lemay, Joseph Marmette, etc., alors dans le prisme de leur jeunesse. Or, ce M. Desbarats, qui possédait une grande fortune, était aussi doué de beaucoup d'énergie et d'initiative, et par-dessus tout il était homme d'affaires; il voulait répandre son journal aux Etats-Unis. A cette fin il se mit en relations avec M. Gagnon, et le 7 novembre 1870, c'est-à-dire un an après sa fondation, L'Etendard National paraissait à Montréal comme édition de L'Opinion Publique pour les Etats- Unis. M. Gagnon en était le principal rédacteur.

1. Pittsfield et Southbridge avec des curés français, et Holyoke avec un curé canadien, existaient depuis quelques mois.

70

Histoire de la Presse Franco- Américaine

A part L'Opinion Publique, M. Desbarats publiait aussi à Mont- réal un journal illustré anglais, le Canadian Illustrated News, jour- naux hebdomadaires, et il fondait à New- York le Daily Graphie, le premier journal quotidien illustré publié aux Etats-Unis.

L'Etendard National eut une grande circulation aux Etats-Unis. C'était un journal d'une très belle apparence typographique. La rédac- tion faite par MM. David, Mousseau et Ferdinand Gagnon était de premier ordre. Au commencement de l'année 1873, M. Gagnon cessa ses relations avec MM. Desbarats & Cie pour s'associer avec Frédéric Houde et fonder le Foyer Canadien, tout en continuant à collaborer à L'Etendard National.

lot

i

m

m

CHAPITEE QUATOKZIEME La carrière et les œuvres de Ferdinand Gagnon

U lendemain de la mort de Ferdinand Gagnon, survenue le jeudi 15 avril 1886, il parut à Worcester, un volume sur la vie et les œuvres du défunt.^ Ce volume contient une &^^^W^% notice biographique du défunt écrite par Benjamin Suite, l'auteur et historien canadien bien connu, l'oraison funèbre prononcée en l'église Notre-Dame des Canadiens de Worcester par le chanoine J.-R. Ouellette, supérieur du Séminaire de St-Hyacinthe, les conférences et principaux discours faits par le défunt au cours de sa carrière. Ce fait démontre bien comme était populaire celui que l'on considérait désormais comme le véritable créateur sur des bases solides du journalisme canadien des Etats-Unis. Avant lui, il n'y avait eu, pour ainsi dire, que des tentatives plus ou moins réussies, parmi lesquelles il faut mettre le Protecteur Canadien au premier rang. C'était encore l'époque des tâtonnements. Mais avec l'époque du Travailleur les incertitudes, les indécisions cessent, les idées se précisent et prennent corps ; le journalisme représente un principe qui va sans cesse en s'affirmant, et ce principe s'identifie dans la personnalité de Ferdinand Gagnon. Cet homme fît de grandes choses dans sa carrière relativement courte. Il n'avait que dix-huit ans lorsqu'il vint aux Etats-Unis, il ne tarda pas à se livrer à l'œuvre capitale de sa vie, la conservation du sentiment national parmi ses compatriotes émigrés, au moyen du journal, jusqu'à ce que, après une carrière de dix-sept ans toute remplie de labeurs et de dévouement, une mort prématurée vint l'enlever dans toute la virilité de son âge et la maturité de son talent.

1. "Ferdinand Gagnon, sa Vie et ses Oeuvres.' Ole., imprimeurs, 195 rue Front, 1886.

Worcester, Mass. C. F. Lawrence &

72 Histoire de la Presse Franco-Américaine

Benjamin Suite était un ami intime de Ferdinand Gagnon. Après la mort de celui-ci il écrivit une biographie que nous ne saurions faire mieux ici que de reproduire en partie.

le 8 juin 1849 à St-Hyacinthe, au milieu d'une population le pur sentiment canadien-français régnait alors comme aujourd'hui dans toute sa plénitude, M. Gagnon n'eut qu'à ouvrir son cœur aux nobles inspirations du patriotisme qui se faisaient sentir partout autour de lui. Il étudia au Séminaire de sa ville natale et, dit un de ses biographes, "Il s'y fît remarquer par ses talents transcendants et son assiduité au travail. Doué d'un caractère jovial et aimable, il ne se connaissait point d'ennemis parmi ses confrères de collège."

Le moment vint il lui fallut en appeler à son courage et à son industrie pour vivre.

En 1868, les Canadiens se dirigeaient par masses vers les Etats- Unis. Cette année-là M. Gagnon alla d'abord demeurer à Concord, dans le New-Hampshire. En arrivant, il y fît connaissance avec les sommités politiques. En ce moment il pensait que nos compatriotes se dégoûteraient du séjour de la république américaine et que cet exode aurait une fîn prompte et décisive. Ne soupçonnant pas ce que personne, en efïet, n'avait su prévoir, il ne considérait la situation qu'à un point de vue momentané. Il est même probable qu'il parla et écrivit alors sans penser qu'un jour les Canadiens pèseraient dans la balance des Etats de l'Est.

Mais il ne tarda pas à s'apercevoir que l'émigration était d'une manière permanente attachée au sol de la république. Dès lors ses idées s'orientèrent vers le meilleur parti que les Canadiens émigrés pourraient tirer de la situation sous le triple rapport religieux, national et politique. Il entrevit le grand rôle que notre élément pouvait jouer dans les Etats de la Nouvelle- Angleterre. Mais il est probable que la possibilité d'un gouverneur d'Etat de notre race et des grandes sociétés fédératives qui existent aujourd'hui ne lui apparaissait qu'à travers le prisme d'un beau rêve. Et cependant ce rêve est une réalité aujourd'hui.

Lorsqu'il partit pour Manchester, en 1869, il s'apercevait que l'é- migration canadienne était sérieuse, qu'elle s'attachait au sol. C'était, au reste, l'époque le mouvement de la formation des paroisses com- mençait à prendre corps dans les principaux centres. Pendant ce temps-là on continuait à croire au Canada que nos gens reviendraient

Carrière et oeuvres de Ferdinand Gagnon 73

du jour au lendemain. Vaine illusion! L'organisation paroissiale et scolaire aidant, les forces canadiennes devaient prendre d'années en années une énorme expansion. M. Gagnon vit cela, il creusa le pro- blème et se convainquit que le Canada français allait recommencer de ce côté-ci de la frontière. Avec le Dr Tremblay, il fonda la Voix du Peuple, dans laquelle il commença de parler comme un écrivain qui pense, mais qui néanmoins n'a pas encore adopté un programme défini.

C'est en arrivant à Worcester qu'il épousa, le i6 octobre 1869, Mlle Malvina Lalime. Il avait à peine vingt ans. En cela, comme sur plusieurs autres points, il donnait un bon exemple à ses jeunes com- patriotes en se mariant à un âge aussi tendre. Car les mariages préco- ces font les grandes familles, et les grandes familles font qu'une race se multiplie vite et conquiert plus facilement sa place au milieu des autres races qui l'entourent dans un pays comme celui-ci. De cette union naquirent dix enfants, dont sept étaient vivants à la mort du chef de la famille, au mois d'avril 1886, après seize ans et demi de mariage.

C'était une tâche bien difficile, il y a quarante ans, de faire prospé- rer des journaux canadiens-français aux Etats-Unis. Dans ce temps- là, en dépit de tous les départs qui se faisaient incessamment, le cri au Canada à l'adresse des émigrés était: "Revenez au plus vite! Vous n'avez que faire dans les autres pays!" Mais M. Gagnon vit plus clair que ceux qui croyaient encore à la possibilité de ramener nos gens au Canada et se refusaient obstinément de se rendre à l'évidence des faits. Il était sur les lieux; il savait que les Canadiens émigrés étaient pour la plupart fixés d'une manière permanente sur le sol de la république. Son but se dessina distinctement. Il choisit Worcester, la ville centre du Massachusetts, comme le théâtre de son activité. Aussi bien, la colonie canadienne y était déjà nombreuse, le senti- ment national s'y était admirablement conservé et y était dans la plénitude de son développement. Il en avait eu une preuve quelques mois auparavant lorsqu'il était venu assister à la fête St- Jean-Baptiste. C'est le 3 novembre 1869 que parut le premier numéro de L'Etendard National. Ce fut un événement, venant à un aussi court intervalle de la Voix du Peuple. Cela dénotait une détermination bien arrêtée et un courage peu ordinaire. Un seul autre journal existait alors, le Protecteur Canadien, à St-Albans, Vt. Le journalisme canadien- français prenait décidément racine dans la Nouvelle-Angleterre.

74 Histoire de la Presse Franco-Américaine

Une année s'écoula, toute remplie par le travail, et l'espoir du succès. Mais n'était-il pas téméraire d'espérer la réussite d'une entre- prise permanente? Les Canadiens-français comprendraient-ils l'utilité d'avoir un organe absolument dévoué à leurs intérêts? L'épreuve réussit néanmoins. La presse de Montréal fut la première à le recon- naître, et salua cette sœur cadette qui se faisait entendre à l'étranger. "L'imprimerie devenant une ressource aux mains de nos compatriotes émigrés, dit M. Benjamin Suite, nous commençâmes à croire qu'il en résulterait des conséquences avantageuses. M. Gagnon devint, à nos yeux, comme un journaliste de la province de Québec. Il parlait et on l'écoutait. Worcester était maintenant le centre d'une idée neuve, forte, séduisante, un peu téméraire même, croyons-nous."

Vers ce temps, comme nous l'avons vu plus haut, un autre Cana- dien surgit avec les qualités du patriote et du journaliste. Il se nommait Frédéric Houde. M. Gagnon et lui s'entendirent; niais avant que de contracter une union plus étroite, ils combattirent sépa- rément pour la même cause. Le 8 novembre 1870, la propriété de L'Etendard National passa à L'Opinion Publique de Montréal, il était imprimé comme édition spéciale pour les Etats-Unis. Les gravu- res, le format plus large, un luxe d'impression bien entendu se combi- naient avec les articles de M. Gagnon pour donner aux Canadiens émigrés une tribune imposante, digne d'attirer l'attention.

Visant toujours à de plus grands résultats, M. Gagnon lançait, le 18 mars 1873, en société avec M. Houde, le Foyer Canadien, qui se personnifia plutôt dans M. Houde ; aussi ce dernier en devint-il l'unique propriétaire, après dix-huit mois d'existence.

Mais il y avait place désormais pour deux journaux. Le 16 octobre 1874 M. Gagnon fondait le Travailleur, qui fut publié hebdomadaire- ment jusqu'en octobre 1879, alors qu'il parut deux fois la semaine.

Le Travailleur fut l'œuvre capitale de Ferdinand Gagnon. Ce journal fut l'objet de ses préoccupations constantes depuis le jour oii il en avait jeté les bases jusqu'à son lit de mort. Pendant les douze années que le Travailleur fut sous la direction de son fondateur, ce journal fut incontestablement le principal organe des Canadiens des Etats-Unis, celui qui commandait la plus haute autorité et s'imposait davantage à l'attention du public de tous les journaux français qui parurent durant cette période.

Carrière et oeuvres de Ferdinand Gagnon 75

Dès son début dans la carrière qu'il avait embrassée, Ferdinand Gagnon avait attiré sur lui l'attention, non seulement ici, mais aussi au Canada la presse le signalait tout particulièrement. Il se passait quelque chose ''au-delà des lignes," comme on disait au Canada en parlant des Etats-Unis. Un vent nouveau y soufflait. C'était tout uniment la voix du bon sens qui parlait d'organiser les groupes émigrés, au lieu de chercher à leur faire reprendre le chemin du pays natal. Ceci paraissait dépasser les conceptions de nos frères du Canada. La tentative semblait folie. Etablir un nouveau Canada, alors que l'ancien se maintenait à peine ! Mais M. Gagnon parla, écrivit, orga- nisa— et il fallut se rendre à l'évidence.

Ferdinand Gagnon était journaliste par vocation; c'était son rôle, son élément; son tempérament, ses heureuses qualités le prédispo- saient à ce genre de carrière, il pouvait rendre de si éminents servi- ces à ses compatriotes, comme effectivement il les a rendus surabon- damment. Sa première impulsion fut pour le barreau, il était de taille à briller au premier rang dans son pays natal, mais une sorte d'instinct le poussa à traverser la ligne 45me il sentait qu'il y avait quelque chose à organiser dans le sens de l'expansion de la race française.

Il fallait un courage peu ordinaire pour entreprendre la lutte pour la vie dans une carrière qui offrait si peu de chance au point de vue de l'avancement financier, et dans un temps tout était encore à créer dans le domaine paroissial et scolaire, ce qui réclamait toutes les contributions que pouvaient donner nos compatriotes. Mais M. Gagnon fut tenace ; il avait un but, il s'était tracé une ligne de conduite pour l'atteindre, il ne dévia pas de la route de l'honneur et des senti- ments élevés, et il put maintenir et faire progresser son œuvre pour le plus grand bien de ses compatriotes émigrés, tout en lui donnant les moyens de soutenir honorablement sa famille. Mais il eut surtout le mérite immense d'avoir été le précurseur par excellence dans le journalisme canadien des Etats-Unis et d'avoir indiqué la voie à ceux qui l'ont suivi dans la carrière. Car Ferdinand Gagnon fut véritable- ment le modèle du journaliste sincère et patriote. La Providence, qui veille à tout, l'avait sans doute suscité dans un temps la présen- ce d'un tel homme parmi les émigrés canadiens était d'une si impé- rieuse nécessité pour diriger l'œuvre d'organisation nationale dans la patrie nouvelle. A cet égard, M. Benjamin Suite, dit ce qui suit:

76 Histoire de la Presse Franco-Américaine

Il était, de sa nature, organisateur. Homme d'affaires, si vous voulez, mais avant tout, organisateur. Les éléments d'un ordre de choses lui venaient pour ainsi dire dans la main, il les façonnait et leur communiquait son esprit de direction. A chacune de ses visites dans un centre canadien, il laissait les germes de quelque association utile. A l'instar de Titus, il ne perdait jamais sa journée.

C'était un travailleur intrépide qui se reposait en changeant de sujet. Je l'ai vu écrire au milieu de nos conversations, ne perdant pas un mot de ce qui se disait autour de lui et donnant la réplique à haute voix, tout en conduisant sa plume.

Comme il savait causer! Cent fois j'ai regretté de ne pas voir les talents de ce genre plus répandus dans nos cercles. Nous qui sommes si Français pourtant, comment se fait-il que nous négligions tant la conversation mesurée, suivie, intelligente, instructive et toute d'initia- tive? M. Gagnon n'avait qu'à prendre la parole pour être écouté. Il ne parlait pas, il causait. On en demandait encore, toujours, après qu'il s'était tu. Les Canadiennes ont le don de la parole; je voudrais qu'elles prissent leur rôle du côté de l'agrément et que tous nos com- patriotes fussent obligés de leur parler selon la manière de M. Gagnon.

Lorsque la fête de la Saint-Jean-Baptiste fut célébrée avec un éclat inusité, à Montréal, en 1874, M. Gagnon s'y rendit et donna une confé- rence qui fut la plus admirée de tous les morceaux oratoires dont nous avions été prodigues en cette rencontre. Il arrivait porteur d'une réputation déjà retentissante ; il repartit après avoir dépassé l'attente de ses plus fervents amis et soulevé un enthousiasme extraordinaire. La promptitude de sa pensée, l'enchaînement de ses discours, le geste savant et simple de l'érudit, la prestance de l'homme, la voix admira- blement sympathique, tout cet ensemble avait créé une profonde sen- sation dans notre monde. Il reparut à la Saint-Jean-Baptiste de Québec, en 1880, et remporta le même succès. Nous nous disions: "Les Canadiens des Etats-Unis ont une tête!" Et en 1884, à la réunion des anciens élèves du collège de Saint-Hyacinthe, il brilla de nouveau au premier rang. Que de fois, dans les conventions de nos compa- triotes aux Etats-Unis, n'a-t-il pas fait entendre sa parole vivante et instructive! Ce qu'il disait si bien avec sa plume, il savait l'exprimer dignement par le langage parlé. Je l'ai suivi quelque peu dans ces occasions, et j'ai cru m'apercevoir qu'il possédait la rare faculté de préparer, tout en parlant à l'auditoire, la phrase qui allait suivre. Aussi était-il toujours correct et très français dans son débit.

Le 15 avril 1886, après une maladie de sept mois, soufferte avec un courage admirable et tout à fait chrétien, M. Gagnon mourut, sans agonie, conservant jusqu'à la minute suprême ses facultés mentales. Il n'avait pas trente-sept ans! Mais dans cette courte carrière, toute

Carrière et oeuvres de Ferdinand Gagnon 77

consacrée au bien-être de ses compatriotes, il avait proclamé les prin- cipes d'une idée, qui fut le but suprême de sa vie la préservation de la langue française et du culte catholique parmi les nôtres au milieu des autres éléments sur le sol de la république. Et ce qu'il avait fait pour atteindre ce but était assez pour remplir une vie deux fois cette durée. Lui, mort, l'idée qu'il avait tant préconisée survécut et ceux qui vinrent après lui dans la carrière du journalisme n'eurent qu'à s'inspirer de son patriotisme ardent et de son esprit éclairé pour continuer l'oeuvre nationale dont Ferdinand Gagnon avait de façon si énergique jeté les bases.

Depuis qu'on le savait frappé par une maladie implacable, les autres journaux des Etats-Unis, et ceux du Canada, donnaient souvent de ses nouvelles et témoignaient en même temps leur admiration pour ses qualités, et les sympathies générales des Canadiens envers sa famille. Aussi, sa mort causa-t-elle partout une sorte de deuil national.

M. Benjamin Suite terminait son esquisse biographique par le touchant hommage suivant à la mémoire de l'illustre défunt:

Ce que l'on dira de lui plus tard ne diminuera en rien l'admiration qu'il inspire à présent. Durant sa courte vie, il a eu le temps de fondre sa propre statue au complet. Et d'ailleurs, n'a-t-il pas fait école? Voyez ces écrivains qui rédigent aujourd'hui des journaux dans vingt endroits des Etats-Unis est-ce qu'ils ne semblent pas tous les fils de Ferdinand Gagnon? Je les lis. Je retrouve en eux ses idées pour la plupart, son patriotisme, ses talents car il y a beaucoup de mérite dans cette presse nouvelle et n'est-ce pas un triomphe surprenant dont nous devons être glorieux? Qui eut pensé à ces choses, il y a quinze ans? M. Gagnon a labouré un vaste champ qui produit déjà de riches et abondantes récoltes.

Rendons hommage à sa mémoire. Ses jours si bien remplis nous ont été consacrés. Que la jeunesse mette son ambition à le suivre. Nous n'avons pas de plus beau modèle d'homme public. Il est difficile aussi de rencontrer un citoyen dont la vie privée soit, comme la sienne, exempte de reproche. Sa bonne humeur même est digne d'être men- tionnée. Tout se réunit pour que le respect individuel, l'amitié, la reconnaissance nationale lui élèvent dans nos cœurs le monument du souvenir. Une belle place dans l'histoire, telle est la récompense des âmes d'élite!

78 Histoire de la Presse Franco- Américaine

A ce témoignage il convient ici d'ajouter l'article ému, tout d'effu- sion, très juste dans ses vues, que M. Godfroy de Tonnancour,i alors rédacteur du Travailleur, publiait dans ce journal au lendemain du décès de M. Gagnon. En voici les principaux passages:

"Un immense nuage de deuil vient de s'étendre sur nos populations canadiennes des Etats-Unis. La catastrophe que nous redoutions depuis si longtemps, le malheur que nous priions Dieu de conjurer, la calamité nationale qui nous menaçait sont enfin arrivés : M. Ferdinand Gagnon est mort.-

"M. Gagnon meurt à 36 ans comme Raphaël et Mozart. Lui aussi il était artiste, mais artiste de la pensée. Il taillait ses pensées dans le granit du devoir et du dévouement, et modelait ses œuvres sur les œuvres du Christ.

"M. Gagnon était un causeur aimable, instruit, spirituel et délicat; il charmait ceux qui avaient le bonheur de l'approcher. Il aimait l'honneur et la vérité,

"Comme orateur, peu de Canadiens aux Etats-Unis et même au Canada ont pu l'égaler. Possesseur d'une voix forte et sympathique, qui allait droit au cœur; doué d'une éloquence entraînante et persua- sive, M. Gagnon a remporté plusieurs succès oratoires remarqua- bles

"Comme écrivain, sa réputation n'est pas à faire. Il a écrit des articles qui ont eu du retentissement jusqu'en France. Son style était concis, vigoureux, alerte, toujours clair et énergique. Chacun de ses articles contient des leçons de haute philosophie, données sans prétention, que chacun de nous peut méditer avec profit. . .

"Dormez en paix, apôtre dévoué qui, par la parole et par la plume, avez contribué si largement à doter nos centres canadiens de maisons d'éducation notre jeunesse puise maintenant une instruction catho- lique et française. Dormez en paix, soldat du Christ qui avez vaillam- ment combattu pour le triomphe des idées et des principes catholiques. Un million et demi de Canadiens-français pleurent en ce jour votre mort et vous tressent une couronne des fleurs immortelles du sou- venir."

Les funérailles de Ferdinand Gagnon eurent lieu le 18 avril en l'église Notre-Dame des Canadiens, à Worcester, et donnèrent lieu à une imposante manifestation funèbre, à laquelle assista une foule extraordinaire de compatriotes de la ville et venus de toutes les parties de la Nouvelle-Angleterre pour rendre un dernier hommage à la mémoire de l'homme de bien qui venait de disparaître. M. le

1. M. de Tonnancour est aujourd'hui rédacteur de "L'Indépendant" de Fall-River.

2. Au physique, M. Gagnon était de cinq pieds, neuf pouces de haut; un an avant sa mort il pesait trois cent quarante livres.

Carrière et oeuvres de Ferdinand Gagnon 79

chanoine J.-R. Ouellette prononça dans cette circonstance une oraison funèbre qui fut une magnifique pièce d'éloquence, bien digne de celui pour qui l'Eglise en ce jour implorait miséricorde, prenant pour texte ces paroles des Ecritures: ''J'ai combattu le bon combat; j'ai con- servé la foi." (2 Tim. C. 4V. 7).

Nous allons maintenant faire une simple mention des principales œuvres littéraires de Ferdinand Gagnon, telles qu'elles sont publiées dans le volume cité plus haut: "Napoléon 1er à Ste-Hélène," discours prononcé en 1866, devant l'Union Catholique, dans les salles de l'Ins- titut Canadien, à St-Hyacinthe, P. Q.; discours patriotique prononcé à Worcester le 24 juin 1871 ; discours sur la Naturalisation et le Rapatriement, prononcé à Worcester en septembre 1871; "Le Tra- vail," conférence donnée à Lowell en 1873; "Restons Canadiens," discours patriotique, prononcé le 15 juin 1876; "La Saint-Jean-Bap- tiste," discours patriotique prononcé le 24 juin 1879 à Worcester; "Restons Français," discours prononcé à Cohoes, N.-Y., le 22 juin 1882; "La Charité," conférence donnée à Lowell en 1883; discours patriotique prononcé à Worcester le 25 juin 1883 ; "A l'Aima Mater," discours prononcé à la réunion des anciens élèves du Séminaire de Saint-Hyacinthe en 1884; "Eloge sur la vie et les œuvres de M. l'abbé Hyacinthe Martial," prononcé devant les membres de la Société St- Jean-Baptiste et les paroissiens de Saint-Joseph, à Grosvenordale, Connecticut, le 6 mai 1883; "Réponse à l'adresse qui accompagnait une presse à imprimer, donnée par les Canadiens des Etats-Unis et du Canada," le 16 octobre 1883; "Secours Mutuel," conférence donnée à Burlington, Vermont, en août 1884 ; "La Bénédiction d'une Statue" ; "Plaidoyer Patriotique," en faveur des Canadiens de la Nouvelle-An- gleterre et de l'Etat de New-York, à l'audience-enquête tenue à Boston le 25 octobre 188 1 ; "Montcalm et Lafayette," fragment d'un discours prononcé devant l'Association Montcalm et la Garde Lafayette, à Worcester.

Un peu plus d'un mois avant sa mort, le 12 mars, Ferdinand Gagnon écrivait dans le Travailleur un article intitulé "Nos Adieux," que l'on ne peut lire sans éprouver une profonde émotion, car c'est le cri suprême du patriote chrétien qui voit la mort approcher, envisage avec une résignation toute chrétienne la situation et met sa dernière espérance terrestre dans la survivance du Travailleur. Mais quelques années plus tard le Travailleur disparaissait dans la tourmente qui

80 Histoire de la Presse Franco-Américaine

emportait les nombreux journaux de Benjamin Lenthier, comme nous le verrons ci-après.

Voici les "Adieux'' de Ferdinand Gagnon:

NOS ADIEUX (Le Travailleur, 12 mars 1886)

Un changement subit dans notre maladie nous met aux portes du tombeau, et notre sort paraît maintenant inévitable. Avant de quitter ce lieu d'exil et de misère, nous devons jeter un regard en arrière, afin de nous rendre compte des humbles efforts que nous avons faits pour le triomphe des idées saines et de la cause canadienne.

Si nous avons pu faire quelque chose pour nos compatriotes, nous en avons été amplement récompensé. Nous devons donc remercier nos lecteurs, pour le bienveillant encouragement qu'ils nous ont accor- dé depuis la fondation de notre journal. Notre oeuvre a été appréciée par nos compatriotes éclairés ; et le vieux Travailleur, suivant toujours la ligne droite, a rencontré partout des amis fidèles et des sympathies ardentes.

Notre disparition n'affectera en rien la marche du journal. Le vieux Travailleur aura toujours pour devise: "Fais ce que Dois," et la rédaction suivra la ligne de conduite que nous nous sommes tracée il y a quinze ans. Il sera toujours le champion des intérêts catholi- ques et canadiens, enseignant avec modération les grands principes qui doivent servir de base à notre élément national, aux Etats-Unis.

Nous espérons que nos bienveillants lecteurs continueront à patronner le vieux Travailleur, qui se montrera digne de leur estime. En continuant à favoriser notre journal de leur encouragement, nos lecteurs feront droit à la prière d'un mourant, qui leur recommande la veuve et les orphelins qu'il quittera bientôt.

Encore une fois, merci à tous nos lecteurs et aux amis du journal, pour ce qu'ils nous ont fait de bien. Qu'ils soient heureux; qu'ils jouissent d'une bonne santé ; que la fortune leur soit favorable ; qu'ils soient bénis de Dieu.

Nous demandons pardon à ceux que nous aurions pu offenser, comme nous pardonnons à nos ennemis ce qu'ils ont pu nous faire de mal. Que tous vivent en paix, dans le bonheur et le contentement.

Adieu ! Adieu ! Adieu

m

i

m

CHAPITKE QUINZIEME La "Voix du Peuple"

ANS un chapitre précédent, nous avons signalé les débuts de Ferdinand Gagnon dans le journalisme avec La Voix du Peuple à Manchester, New-Hampshire, dans l'hiver de 1869. Il s'était associé avec le Dr A.-L. Tremblay. L'a- bonnement coûtait $2.25 pour un an. C'était un prix assez élevé pour un journal hebdomadaire à petit format. Il se vendait 5 centins au numéro. C'était une feuille de quatre pages à six colonnes. Au-dessous du titre du journal étaient ces mots: "Journal du peuple canadien aux Etats-Unis." Puis, dans un carré, au milieu de la largeur de la feuille, il y avait, en grosses lettres, la devise: "Attendre et Espérer." Les noms de A.-L. Tremblay & Cie., paraissaient comme éditeurs-propriétaires. Ce fut le premier journal publié à Manchester. On constate par le numéro du ler juillet de La Voix du Peuple, que dès l'année 1869 la fête nationale des Canadiens-français, le 24 juin, était célébrée avec éclat dans les principaux centres canadiens des Etats-Unis. Pas moins de cinq colonnes entières du journal sont consacrées au récit de la fête qu'il y eut à Worcester, à l'occasion de la St-Jean-Baptiste cette année-là. En ce temps-là le souvenir du pays natal était fortement ancré dans les cœurs de tous ; l'air ambiant du pays n'avait pas encore émoussé le sentiment patriotique et battu en brèche la langue et les aspirations françaises, comme cela s'est produit par la suite. Il est douteux si une pareille manifestation pourrait se renouveler aujourd'hui; en tout cas, la mentalité d'un grand nombre des participants serait bien différente de ce qu'elle était dans toute la colonie canadienne de Worcester il y a quarante ans.

82 Histoire de la Presse Franco-Américaine

Ce numéro de La Voix du Peuple donne aussi des comptes rendus de la fête nationale à St-Albans, Vermont, Lowell, Massachusetts, Watertown, New-York, et Burlington, Vermont. Mais la palme revient incontestablement à Worcester par l'éclat donné à la fête et le nombre des participants. Ils sont peu nombreux ceux d'entre nous qui se rappellent aujourd'hui la Saint-Jean-Baptiste de 1869 à Wor- cester. Mais supposant qu'il existe encore à Worcester ou dans d'au- tres villes de la Nouvelle-Angleterre des contemporains et témoins oculaires de cette célébration, la reproduction de ce récit sera sans doute pour eux du plus haut intérêt et leur rappellera le temps héroï- que de leur jeunesse le patriotisme des Canadiens, en leur pays d'adoption, s'aiïirmait avec tant d'enthousiasme. Les autres, qui sont la masse, qui ne dédaigneront pas de lire ce modeste livre, évocation d'un passé difficile mais glorieux, trouveront sans doute aussi plaisir à voir défiler devant leurs yeux la vision d'un passé de quarante ans.

Ferdinand Gagnon était présent à la fête, dans cette ville il devait venir se fixer définitivement quelques mois plus tard; il est l'auteur du compte rendu qu'il publia, à son retour à Manchester, dans le numéro du ler juillet de son journal. Nous le reproduisons intégra- lement, sans en omettre les titres et sous-titres. C'est un document d'une haute valeur historique qu'il est éminemment utile de soustraire à l'oubli:

LA ST-JEAN-BAPTISTE A WORCESTER, MASS.

Grande Ovation Nationale. Magnifique Procession. 2000 Personnes Présentes. Enthousiastes Vivats, Etc., Etc. La Société de Springfield présente. La Société St-Hyacinthe de Worcester prend part à la fête. Personnages distingués, Rendez-vous de la presse canadienne et américaine. Discours patriotiques. Suc- cès éclatant. L'union fait la force. Liberté, Egalité, Fraternité. Le peuple, le peuple, et encore le peuple ! John Bull avale des pilules. Cantates de reconnaissance au Canada. La religion, la patrie, et l'honneur.

La société de Worcester, Mass., peut à bon droit se reposer sur les lauriers qu'elle a obtenus par le succès immense de la célébration de notre fête nationale chômée sous son patronage. L'énergie, le dé- vouement, le patriotisme, les sacrifices des membres du comité d'or- ganisation de cette fête, et des membres de la société St-Jean-Baptiste en général, n'ont pas été en vain. Ils ont porté leurs fruits.

La ^'Voix du Peuple'^ 83

La démonstration nationale organisée par nos compatriotes de Worcester, Mass., est peut-être le plus beau bouquet de gloire, de pa- triotisme, d'amour national, et de reconnaissance offert par des exilés à leur mère patrie.

Pour nous qui avons été un des heureux spectateurs de ce grand jubilé patriotique, nous en sommes revenu le coeur plein de joie, l'âme pleine d'espérance dans l'avenir, et avec la conviction de plus en plus ferme, de plus en plus inébranlable, que la race canadienne-française ne saurait mourir. Les expressions de reconnaissance qui jaillissent encore aujourd'hui de notre cœur à la pensée, au souvenir de ce beau jour envers nos compatriotes de V/orcester pour la gracieuse et cor- diale réception qu'ils nous ont faite en cette circonstance; ces senti- ments de reconnaissance, disons-nous, ne sauraient mieux se traduire qu'en donnant à nos lecteurs un rapport détaillé de la célébration de la fête St-Jean-Baptiste à Worcester, Mass.

Dès huit heures du matin les gares du chemin de fer étaient rem- plies de Canadiens étrangers qui venaient prendre part à la grande démonstration du jour.

Il y avait des délégations de Springfîeld, Chicopee Falls, Spencer, Holyoke, Indian Orchard, Southville, Manchester, N.-H,, Lowell, Nashua, Grafton, Groton Junction, Fitchburg, Clinton, Southbridge, Oakdale, Fiskdale, North Brookfîeld, Marlboro, South Lancaster, etc., etc.

La belle société St-Jean-Baptiste de Springfîeld, Mass., conduite par A.-D. Lapierre, Ecr., président de la convention nationale de 1869, et Auguste Roy, avait bien voulu se rendre en corps, bannière en tête, pour prendre part à la fête.

La société St-Hyacinthe, de Worcester, sous la direction de son zélé président, M. Moïse Allen, prit aussi rang dans la procession, précédée de sa belle bannière.

LES INVITES

On remarquait parmi les invités, les messieurs suivants: A.-D. Lapierre, président convention, 1869, Moïse Allen, président société St-Hyacinthe de Worcester, MM. Roy, Collin et Nadeau de Spring- fîeld, J.-L. Loiselle, fondateur du bel Institut Canadien de Lowell, Drs N. Jacques et R. Tanguay de St-Hyacinthe, P.-Q., T.-H.-N. Lam- bert de L'Idée Nouvelle, Ferd. Gagnon, rédacteur de la La Voix du Peuple, Dr Fontaine, V. Lamoureux et A. Lataille de Southbridge, A. -T. Lamoureux et Ls. Mailhiot de West Boylston, X. Messier de Grafton, C. Paquette de Famumsville, A. Roy de Marlboro, Ls. Goy- ette et A. Peltier de Chicopee Falls.

Parmi les dames, on remarquait Mesdames Lapierre, Roy, Nadeau de Springfîeld, Mesdames Paquette, Marchessault, Lamarine, L'Etour- neau, de Worcester.

84 Histoire de la Presse Franco- Américaine

LA PROCESSION

A huit heures et demie, la société St-Jean-Baptiste, escortée par la National Cornet Band, et la société St-Hyacinthe, alla recevoir les invités de Springfield.

De la station du chemin de fer, la procession se rendit à l'église Ste-Anne le service divin fut célébré par le Rév. Père Power. L'Eglise était admirablement bien décorée. Un magnifique pain béni attirait tous les regards. Ce pain bénit est le don généreux des dames de Worcester. La décoration de l'Eglise et les insignes des officiers sont l'ouvrage des bonnes soeurs de Charité de la ville, qui n'ont rien épargné, de leur côté, pour rendre la cérémonie imposante. Honneur et reconnaissance à ces bonnes sœurs.

Le chant de la messe fut donné par M. Dupré, de Saint-Ours, P. Q., assisté de MM. Dupré et Laprise de Worcester. Les cantiques et le chant grégorien exécutés si admirablement par ces messieurs, rap- pelaient aux Canadiens l'église, l'orgue et les chantres de leur village natal. Aussi plusieurs nous disaient, tout émus: "C'est comme au Canada."

Après la messe, le sermon fut donné par le Rd. Père Barrette de Southbridge. Il prit pour titre : Nisi Dominus aediûcaverit domum, in vanum laboraverunt qui aedificant eam. Il fut éloquent. Il com- para la société St-Jean-Baptiste de Worcester à une locomotive. Les gouttes d'eau réunies et sous l'influence du calorique deviennent va- peur; il en est de même des sociétés St-Jean-Baptiste. Elles pros- pèrent, mais si elles ne sont pas appuyées sur la religion, elles tom- beront. Il faut que les membres soient des hommes et des chrétiens. Explication de ces deux mots. Revenant ensuite à l'Ecriture, il com- para les premiers Canadiens émigrés aux Captifs de Babylone. Super Eumina Babylonis illic sedimus et flevimus cum recordare- mur Sion. Les Canadiens n'étaient pas respectés ; on les mépri- sait il y a 15 ans, on leur disait: chantez donc vos airs nationaux. Ils répondaient: Quomodo cantabimus in terra aliéna.

Il s'est rencontré de braves cœurs qui se sont alors écrié: Adhaereat lingua faucibus meis si oblitus fuero Jérusalem. Que ma langue s'attache à mon palais, si je viens à t'oublier, Canada. Et les sociétés St-Jean-Baptiste furent fondées.

Ce sermon fit une vive impression sur les auditeurs. Le Père Barrette est Français d'origine.

En sortant de l'église, la grande procession se forma sous l'habile direction de M. P.-L. Paquette, commissaire-ordonnateur-en-chef, as- sisté de MM. Léon Robert et F.-X. Lamarine, ainsi que MM. Ed.

NOTE. M. et Mme Elie Dupré, aujourd'hui de Brockton, Mass.

M. Charles Hupré, de St-Ours, est depuis quarante ans maître-chantre à Lapr^irie, Canarlo

La ^'Voix du Peuple'^ 85

Charrette, T.-A. Lamoureux, Jos. Granger, Julien Dupuis, Frs. AUaire père.

Après avoir salué les bonnes sœurs de charité par un air de bande, la procession se mit en marche et défila par les principales rues de la ville.

Rien de plus imposant pour les étrangers que cette grande réunion d'enfants d'un peuple malheureux. Rien de plus émouvant pour le Canadien-français que de voir cette foule de compatriotes au nombre de 800, suivant sur la terre d'exil, les drapeaux français et américains à l'ombre de la bannière de St-Jean-Baptiste.

La bande de musique faisait entendre les plus beaux airs de son répertoire pendant la marche.

On salua Son Honneur le maire de Worcester, en passant.

Voici l'ordre de la procession:

Le Commissaire-Ordonnateur-en-Chef, M. P.-L. Paquette; les dra- peaux français et américains ; une escouade de police ; la National Cornet Band; le Président et le Vice-président de la société St-Jean- Baptiste de Worcester; les Présidents des sociétés St-Jean-Baptiste de Springfield, et St-Hyacinthe de Worcester; les invités et les mem- bres de la Presse ; la bannière ; les membres de la société St-Jean-Bap- tiste de Worcester; un commissaire-ordonnateur; les membres de la société St-Jean-Baptiste de Springfield, bannière en tête ; un commis- saire-ordonnateur ; les membres de la société St-Hyacinthe de Wor- cester, bannière en tête; le peuple.

Les bannières des diverses sociétés attiraient tous les regards. Celle de la société St-Jean-Baptiste de Worcester est un chef-d'œuvre de genre. L'exécution en a été confiée à une communauté religieuse de Montréal. Elle a huit pieds sur cinq, en soie bleue et rouge ; sur un côté est le portrait de l'illustre Jacques-Cartier, avec ces mots en lettres d'or: Liberté, Egalité, Fraternité. Société St-Jean-Baptiste de Worcester; sur l'autre côté est un portrait de l'enfant St-Jean-Baptiste avec ces mots en lettres d'or: Union St-Jean-Baptiste de Worcester, Mass. Les franges d'or, le gonfalon richement décoré et surmonté d'un aigle en font une des plus belles sinon la plus belle bannière du Massachusetts. Les drapeaux français et américain appartenant à cette société sont magnifiques de richesse et de goût. Ils ont été faits par les sœurs de Charité de Worcester. Ces trois morceaux de parade ont coûté $600 à la belle société de Worcester.

La bannière de la société St-Hyacinthe attirait aussi l'attention. On y voit la Vierge immaculée sur un fond de satin blanc avec l'ins- cription: Société St-Hyacinthe. Cette bannière qui a coûté $50, est un don du Rd. Z. Druon du Protecteur Canadien en récompense de 70 abonnements envoyés à son journal par cette société.

La bannière de la société St-Jean-Baptiste de Springfield, que nous avions déjà admiré lors de la grande convention de 1868, faisait aussi l'admiration des spectateurs. On y voit l'enfant St-Jean-Baptiste avec

86 Histoire de la Presse Franco-Américaine

ces mots : L'Union fait la force, Société St- Jean-Baptiste de Spring- £eld, Mass.

LE DINER

La procession se rendit au Mechanics Hall, sur la rue Main. Un dîner avait été préparé pour la circonstance.

Les invités furent reçus avec la plus exquise politesse par MM. A. Lamoureux père, C. Laliberté, J. Fortin, D. Lajoie, A. Dion, J.-B. Tougas, E. Beaudet, O. Guertin, membres du comité de réception.

Les mets les plus savoureux ornaient les tables.

Les dames canadiennes de Worcester avaient bien voulu honorer le dîner de leur présence. Plusieurs firent les honneurs du banquet; entr'autres. Mesdames Normand, Frederick, Grenon, Létourneau, Dlles Héroux, Allaire, LeBlanc, Bean, Tougas.

Dans le cours de l'après-midi, il y eut de la musique et des danses canadiennes.

LA SOIEEE

La soirée de ce beau jour à jamais mémorable pour les Canadiens, spectateurs de la fête, fut consacrée aux discours et à la musique. M. Jos. Marchesseault, le Président de la société St-Jean-Baptiste de Worcester, ouvrit la soirée par un joli discours de circonstance il fit voir les progrès de la société, encouragea les Canadiens de Wor- cester à se ranger sous la même bannière. Il fut applaudi. Il intro- duisit à l'assemblée, le Rd. P. Barrette, de Southbridge, qui fut on ne peut plus éloquent.

A.-D. Lapierre, Ecr., de Springfield, et M. Moïse Allen, de Worces- ter, adressèrent la parole à l'auditoire qui témoigna de son approba- tion par les plus chaleureux applaudissements.

J.-L. Loiselle, Ecr., de Lowell, Mass., fut ensuite appelé à la parole. Il fit voir les progrès de la nation française dans la civilisation, les sciences.

Les Canadiens des Etats-Unis sont les descendants de ce peuple. Qu'ils marchent la tête haute dans cette République : leurs ancêtres ont participé à son Indépendance. M. Loiselle est un compatriote énergique qui s'est dévoué à la cause canadienne. Il fut reçu comme tel par les amis de Worcester. Ses paroles furent reçues par des applaudissements nombreux et prolongés.

Le Dr Fontaine de Southbridge, fit des remerciements à la Société et des compliments pour la belle organisation de la fête,

Ferdinand Gagnon, rédacteur de La Voix du Peuple, le suivit à la tribune. Il exposa les raisons de l'émigration canadienne en ce pays. Le régime colonial en est la cause.

En récompense de services à Albion, le Canadien a été victime de sa fidélité à un pavillon teint du sang français.

La "Voix du Peuple" 87

St-Denis fut la récompense de Chateauguay.

De Lorimier, Chenier, Cardinal, massacrés pas les Anglais, furent la récompense des services rendus par de Salaberry. Vivement ap- plaudi.

Les Drs. Jacques et Tanguay adressèrent aussi la parole et furent applaudis avec enthousiasme. Un Américain, M. Jaques, adressa aussi la parole en français. Il félicita les Canadiens du succès de leur fête. Il désire l'Indépendance, l'annexion du Canada.

T.-H.-N. Lambert, Ecr., de L'Idée Nouvelle, fît avaler des pilules à John Bull. Il parla de certains journaux tories du Canada qui aiment à jeter la boue ils se vautrent, à la face de leurs compatriotes exilés. M. Lambert fut éloquent et vivement applaudi.

M. le président, Jos. Marchesseault, remercia alors les invités et les membres de la presse de s'être rendus à l'invitation de la Société St-Jean-Baptiste.

Cette belle journée se termina par le chant et la musique. La nouvelle bande canadienne de Worcester exécuta des airs nationaux avec l'expérience de vieux musiciens. Sous l'habile direction de M. T.-H.-A. Baribeau, cette bande fait des progrès rapides.

Mesdames G. Létourneau et Tisdel, Mmes Dupré, Darche et Rolland, charmèrent les spectateurs par leur chant harmonieux. Des vivats enthousiastes furent donnés pour les invités, les dames, et la Société St-Jean-Baptiste de Worcester.

Vers minuit les spectateurs se dispersèrent le cœur rempli de joie et d'émotion.

Honneur aux Canadiens de Worcester, honneur à la Société St- Jean-Baptiste de Worcester, qui n'a rien épargné pour célébrer cette fête nationale avec tout l'éclat possible. Pour nous, nous avons mille remerciements à faire pour la gracieuse réception que nous avons eue.

Nous sommes sincèrement reconnaissant envers nos amis, P.-L. Paquette, Jos. Marchesseault, T.-H.-N. Lambert, Ecr., et MM. F.-X. Lamarine, L.-T. Tougas, Vice-Président, Société St-Jean-Baptiste de Worcester, A.-T. Lamoureux, A.-B. Leblanc, Sec-Cor., Ed. Charrette, Directeur, L.-A. L'Etourneau, Sec. des finances, C. Paquette, de Farnumsville, Léon Robert, C. Laliberté, Ed. Dion, pour les politesses qu'ils nous ont prodiguées. Nous en conserverons toujours le sou- venir.

Compatriotes de Worcester, en avant! Vous vous êtes montrés dignes de votre race. Soyez toujours des braves et vous aurez mérité de ceux qui vous survivront.

Conservez pour devise :

Liberté, Egalité, Fraternité, ajoutez-y: L'Union fait la force, La Religion, la Patrie et l'Honneur.

CHAPITRE SEIZIEME

Frédéric Houde, Ferdinand Gagnon et le "Foyer Canadien"

lU mois de mars 1873, M. Frédéric Houde, qui avait quitté la rédaction de L'Avenir National de St-Albans, Vt., fon- dait à Worcester le Foyer Canadien en société avec M. ^^^1^^^ Ferdinand Gagnon. Le Foyer Canadien était un joli petit journal in-quarto, à huit pages, habilement rédigé par M. Houde.

La profession de journaliste, dans ce temps-là, comme depuis, du reste, n'était pas des plus lucratives. M. Houde, pour employer ses loisirs profitablement, travaillait en même temps pour la State Mutual Life Assurance Co., et M. Gagnon, qui était déjà père de famille, était associé avec son beau-frère, M. Alfred G. Lalime, dans la con- fection d'insignes, drapeaux et bannières pour les sociétés. Plusieurs sociétés canadiennes devaient leur fondation à ces trois patriotes, dont l'activité et les talents étaient employés au développement et au bien-être de leurs compatriotes.

Après une année d'existence, le Foyer Canadien doubla son for- mat. C'était dans le temps l'on organisait activement la grande célébration de la St-Jean-Baptiste, qui devait avoir lieu le 24 juin de cette année, 1874. Pour la première fois la vitalité de notre race aux Etats-Unis et notre attachement à la langue et aux coutumes du pays natal allaient s'affirmer d'une manière éclatante et pour plusieurs de- vaient être une révélation étonnante. Les préparatifs de cette fête étaient relatés dans le Foyer Canadien, qui donnait ainsi une large publicité au grand événement.

Le comité général d'organisation avait choisi pour collègues aux Etats-Unis ceux de nos compatriotes qui semblaient être les plus en

Michel Grandpré

Samuel-E. Pinta

Houde, Gagnon et le ^'Foyer Canadien" 89

évidence et plus en contact avec les groupes canadiens. Ce choix tomba sur quatre hommes de Worcester, parce que cette ville, par sa situation géographique, était le point central de la Nouvelle-Angle- terre. Les quatre membres du comité pour les Etats-Unis furent M. l'abbé Primeau et MM. Gagnon, A.-G. Lalime et Houde.

Le choix de M. l'abbé Primeau était des plus heureux, car c'était un patriote dans toute la force du terme. Le premier curé canadien de Worcester était aussi un orateur de premier ordre et il en avait donné la preuve au magistral discours qu'il prononça au banquet en réponse à la santé des "émigrés," comme nous le verrons par la suite dans un chapitre spécial consacré à la grande fête St- Jean-Baptiste de 1874, dans laquelle les Canadiens des Etats-Unis ont figuré de si éclatante façon. Dans la chaire comme à la tribune, M. Primeau faisait une profonde impression sur son auditoire. Jamais il n'était embarrassé. Quoique pris à l'improviste, il était toujours capable de se tirer d'affaire. Les personnes qui l'entouraient lui fournissaient des inspirations qu'il développait avec un rare bonheur. On a parlé longtemps du sermon qu'il prononça à Holyoke, le 29 mai 1875, lors des funérailles des soixante-quatorze victimes qui avaient perdu la vie dans l'incendie de l'église du Précieux-Sang, le jeudi soir, 27 mai. Il n'avait pas été prévenu d'avance. Il fut prié pendant le service funèbre même de faire le sermon de circonstance. Un quart d'heure plus tard il montait en chaire et prenait pour texte : "Une voix se fît entendre dans Rama, avec des pleurs et des gémissements. C'était Rachel pleurant ses fils et ne voulant pas se consoler parce qu'ils ne sont plus." Jamais on aurait cru que, sans préparation, un homme eût pu parler avec autant d'âme et d'une manière aussi pathétique.

En 1873, M. Frédéric Houde avait été chargé d'organiser la con- vention nationale qui devait avoir lieu l'année suivante. Or, comme toutes les sociétés nationales des Etats-Unis avaient été invitées à envoyer des délégués à la grande célébration de Montréal, il crut qu'il n'y avait rien de mieux à faire que de faire coïncider la convention. Cette décision lui causa beaucoup de désagréments et suscita une opposition acharnée en certains quartiers. Mais la convention eut lieu tout de même à Montréal, coïncidant avec la grande fête de St- Jean-Baptiste, et elle rassembla plus de 150 délégués de nos sociétés et groupes des Etats-Unis, parmi lesquels il y avait la plupart des hommes les plus marquants de notre race fixés aux Etats-Unis. Dans

90 Histoire de la Presse Franco-Américaine

le nombre on relevait entr'autres : MM. Frédéric Houde et Ferdinand Gagnon, de Worcester; Antoine Moussette, de St-Albans, Vt.,; Edouard-N. Lacroix, Détroit, Michigan; le juge Joseph LeBœuf, Cohoes, N.-Y. ; J.-D. Montmarquet, Keeseville, N.-Y.; le major Ed- mond Mallet, Washington ; A.-D. Lapierre, Springfield, Mass. ; Ho- noré Beaugrand, Fall River; l'abbé J.-E. Michaud, Lawrence; Théo- phile Guéroult, Chicago; Alphonse Paré et H.-I. Lord, de Biddeford, Maine. M. Houde, qui tenait à faire connaître publiquement à leurs frères du Canada la véritable situation des Canadiens des Etats-Unis et leurs revendications et protestations contre les préjugés qui avaient cours sur leur compte, proposa l'ordre du jour suivant qui fut adopté avec enthousiasme:

"Considérant que les écrits mal inspirés d'une certaine presse du Canada ont été propres à préjuger l'opinion publique de notre pays natal contre nous;

"Considérant qu'un certain nombre de Canadiens, aujourd'hui aux Etats-Unis, n'ont quitté leurs pays natal que contraints par des cir- constances adverses, et, lui étant aussi profondément attachés de cœur qu'auparavant, désirent retourner y vivre;

"Et, considérant que nous ses fils émigrés, aimons le Canada, ber- ceau de notre nationalité en Amérique, autant qu'il nous semble pos- sible d'aimer sa patrie, et, de plus, souhaitant sincèrement qu'il soit un pays prospère, heureux, et que notre élément national et religieux s'y maintienne compact et fort;

Résolu, 1°. que nous protestons hautement contre toutes les accu- sations injustes portées contre les émigrés canadiens, et que nous affirmons ici, une fois de plus, notre amour de notre foi, de notre langue et de notre patrie;

Résolu, 2°. que c'est l'humble opinion de cette convention, repré- sentant les Canadiens des Etats-Unis, que le gouvernement de Qué- bec, plutôt que d'attirer à si grands frais une immigration étrangère, devrait employer cet argent à rapatrier ceux des émigrés canadiens qui seraient disposés et contents d'aller se fixer au Canada, si on leur donnait des avantages préférables ou du moins égaux à ceux qu'ils trouvent aux Etats-Unis."

Après l'adoption de ces résolutions, les représentants du Canada français furent invités à prendre part aux délibérations de la conven- tion. Parmi ces derniers qui adressèrent la parole il y eut le Rév.

Houde, Gagnon et le "Foyer Canadien" 91

Père Z. Laçasse, missionnaire au Nord-Ouest; M. P.-A. Landry, du Nouveau-Brunswick ; MM. L.-O. David, Joseph Tassé, Hector Fabre, F.-G. Marchand, Oscar Dunn, Gustave Drolet, L.-O. Loranger, C.-J. Coursol, L.-C. Bélanger, etc. Tous ces noms sont ceux de patriotes éprouvés qui, pour la plupart, ont fourni une brillante carrière et sont généralement bien connus. Quelques-uns sont disparus de la scène de ce monde, mais d'autres vivent encore et, défiant le poids des ans, sont toujours dans la vie active, comme M. le sénateur L.-O. David, greffier de la ville de Montréal, et le Père Lacombe, l'infatigable missionnaire oblat, L.-C. Bélanger, avocat, de Sherbrooke, et le séna- teur P.-A. Landry.

La fête et la convention eurent des succès complets et laissèrent

chez ceux qui y prirent part des souvenirs inoubliables et le flot

de l'émigration redoubla et, dans les années suivantes, déborda et couvrit de ses masses de nouveaux arrivés les villes et villages indus- triels de la Nouvelle-Angleterre.

FREDERIC HOUDE

Frédéric Houde était le 23 septembre 1847 à Louiseville, P.-Q. Après un brillant cours d'études au séminaire de Nicolet il passa aux Etats-Unis. Dès son arrivée à St-Albans, Vermont, il entra à la rédaction du Protecteur Canadien, et plus tard à L'Avenir National. Durant l'hiver de 1873, il s'associa avec Ferdinand Gagnon et tous deux fondèrent le Foyer Canadien à Worcester, qu'ils publièrent jus- qu'au mois d'août 1874, époque à laquelle M. Houde retourna à St- Albans avec le Foyer, dont il était devenu seul propriétaire.

Durant les cinq années qu'il passa parmi ses compatriotes des Etats-Unis, Frédéric Houde prit une part active dans nos sociétés, nos fêtes et nos conventions. C'était un écrivain vigoureux, un polémiste redoutable, mais franc et honnête. Il retourna au Canada en 1875. Il entra à la rédaction du Nouveau Monde de Montréal, et, en 1879, il en devint le directeur et seul propriétaire. Le Nouveau Monde devint le principal journal français du Canada, grâce à l'éner- gie et l'esprit d'entreprise de son propriétaire. Le journalisme avait été le but et l'ambition de toute sa vie. Il avait donné les prémices de son beau talent à ses frères des Etats-Unis. Avec M. l'abbé Druon, MM. Moussette et Ferdinand Gagnon il a jeté la semence du journalisme qui a fructifié et donné les beaux résultats que nous

92

Histoire de la Presse Franco- Américaine

voyons aujourd'hui. Le journalisme canadien des Etats-Unis s'ho- nore d'avoir eu pour le guider à ses débuts un homme de la valeur de Frédéric Houde, un homme qui s'est également illustré dans son pays natal et qu'une mort prématurée a enlevé à un âge il n'avait fait que commencé à donner la mesure de ses hautes capacités.

En 1878 M. Houde avait été élu député à la Chambre des Com- munes pour le comté de Maskinongé. Là, comme ailleurs, il fut un travailleur infatigable et son nom était synonyme d'honnêteté, loyauté et indépendance ; il excitait l'admiration de ses partisans et le respect de ses adversaires. Pendant deux ans il siégea à la Chambre, malgré une maladie qui devait sûrement le conduire au tombeau. Le 15 novembre 1884, à peine âgé de 37 ans, il expirait dans sa paroisse natale, emportant dans la tombe la réputation d'un homme de bien et le respect et l'estime de tous ceux avec qui il était venu en contact des deux côtés de la frontière.

Il sera encore question de Frédéric Houde lorsque nous parlerons de L'Avenir National qui succéda au Protecteur Canadien à St- Albans en 1871.

1

m

CHAPITRE DIX-SEPTIEME Ferdinand Gagnon, agent de rapatriement

E patriotisme de Ferdinand Gagnon était sincère et absolu- ment désintéressé. Nous n'en voulons pour preuve que les efforts qu'il faisait pour faciliter le retour au pays natal de ceux de nos compatriotes qui avaient été déçus dans leurs espérances, trouvaient amer le pain de l'exil ou désiraient, en dépit des obstacles à surmonter, tenter un établissement sur les terres de colonisation du gouvernement de la province. M. Gagnon ne décriait pas son pays natal, qu'il aimait toujours d'un amour inal- térable; dans son journal il ne vantait pas outre mesure la vie aux Etats-Unis. Sur ce sujet il savait garder un juste milieu et se tenir dans les bornes de la vérité et du bon sens. En sus de sa profession de journaliste il a exercé pendant un certain temps, les fonctions officielles d'agent de rapatriement pour le gouvernement de la province de Québec. Et nous devons ici reconnaître qu'il s'est acquitté de ces fonctions consciencieusement et avec un désir véritable d'être utile à ses compatriotes.

Le travail de M. Gagnon en faveur du rapatriement s'est fait en 1875 et 1876. On peut constater le résultat de son travail par les co- pies de sa correspondance avec l'honorable Pierre Garneau, alors ministre de l'Agriculture et des Travaux Publics, son député, M. Siméon Lesage, M. J.-A. Chicoine, agent de colonisation à Sherbrooke, et autres.

C'est au mois de mars 1875, que M. Gagnon reçut sa commis- sion et ses instructions de l'Hon. Garneau. Dans une lettre datée le 30 mars 1875, M. Gagnon accuse réception des instructions concer- nant son agence de rapatriement. "Ayant à cœur, écrit-il, le succès du mouvement, je n'épargnerai ni temps ni trouble pour remplir la

94 Histoire de la Presse Franco-Américaine

mission patriotique que vous m'avez confiée." Il informe le ministre qu'il a envoyé l'avis officiel de sa nomination aux journaux avec prière de publier pendant deux semaines. Ces journaux étaient: le Foyer Canadien de St-Albans, le Travailleur de Worcester, L'Avenir National de Troy, L'Echo du Canada de Fall-River, le Jean-Baptiste de Northampton, le Courrier Canadien de Fall-River, L'Etoile du Nord de Saint-Paul, Minnesota, le Courrier de l'IUinois de Kankakee.

Le 31 mars M. Gagnon se m.et immédiatement en relations avec M. J.-A. Chicoine, agent de colonisation à Sherbrooke et se trouvant alors à St-Hyacinthe. Les colons que Ferdinand Gagnon devait re- cruter aux Etats-Unis avaient à s'adresser à l'agence de Sherbrooke, centre des Cantons de l'Est. En effet c'est vers ces parages que les colons des Etats-Unis devaient être dirigés. "Mon cher ami, écrit- il à M. Chicoine, je suis à l'œuvre depuis samedi dernier. J'ai déjà reçu la visite d'une foule de gens avides de renseignements. Ce qu'il faut tout d'abord c'est que nous nous entendions tous deux. Toi, qui as l'habitude de la chose, propose-moi un système de fonctionne- ment, afin que mes colons puissent être reconnus auprès de toi... Ce qu'il faut avant tout, pour envoyer des colons, c'est une maison telle que proposée par toi et l'abbé Michaud. Mon cher ami, tu comprends qu'il faut que je sois au courant de toutes tes opérations, afin que je puisse renseigner les Canadiens d'ici sur les progrès qui se font là- bas. Une lettre contenant des avis et des détails me sera très utile. Je compte sur toi pour une réponse immédiate."

Le même jour que Ferdinand Gagnon écrivait la lettre qui précède il envoyait aussi à M. E. Moreau, secrétaire du département de l'Agriculture et des Travaux Publics à Québec, une lettre qui montre bien comme M. Gagnon avait pris à cœur son nouveau rôle d'agent de rapatriement.

"J'ai reçu, écrit-il, les quelques copies de la loi que vous m'avez envoyées, ainsi que les quatre ou cinq volumes qui accompagnaient. J'ai déjà distribué les copies françaises et il ne me reste plus que quelques copies anglaises de l'acte. Un plus grand nombre de bro- chures sur l'émigration et les Européens seraient nécessaires, et il faudrait quelques mille copies de la loi. La carte détaillée des Can- tons de l'Est et celle du Canada sont aussi désirables. Le plus tôt vous pourrez m'expédier ces documents le mieux ce sera. J'aimerais aussi à distribuer quelques centaines de copies de la brochure de M.

Gagnon, agent de rapatriement 95

Chicoine sur les Cantons de l'Est. M. Chicoine m'a dit qu'il y en avait près de mille encore qui appartenaient au département. Cette brochure produirait de bons résultats."

Le 6 avril, M. Gagnon écrit à M. S.-W. Cummings, agent général des passagers à St-Albans, Vt., pour le chemin de fer Vermont Central, et à M. N.-P. Lovering, agent général des billets à Lyndon- ville, Vt., pour le chemin de fer Passumpsic, leur demandant de faire une proposition pour le transport des futurs colons vers les Cantons de l'Est, à partir de Worcester, Boston, Nashua et Concord.

Dès le jour M. Gagnon reçut sa commission d'agent de rapatrie- ment, il s'employa activement au recrutement de futurs colons. Nous pouvons en juger par la volumineuse correspondance qu'il tint alors et dont des copies authentiques conservées nous ont servi de guide pour la rédaction du présent chapitre. Parmi les nombreuses lettres qu'écrivit alors Ferdinand Gagnon, nous en relevons quelques-unes adressées à des confrères en journalisme qui avaient sollicité l'au- torisation de M. Gagnon d'agir comme sous-agent. C'est ainsi qu'à la date du 8 avril il écrivait à M. H.-R. Benoit, rédacteur-propriétaire de L'Ouvrier Canadien de Fall-River:

"Monsieur et confrère : En réponse à votre lettre du 30 mars, j'ai l'honneur de vous informer que ce n'est pas l'intention du gouverne- ment de nommer pour le présent des sous-agents de rapatriement. Sitôt qu'il sera question de faire telles nominations, je serai heureux de faire valoir vos qualifications à cet emploi. Veuillez agréer mes remerciements pour vos félicitations sur ma nomination et dans votre lettre et dans votre journal. Succès à votre bonne et utile publi- cation,"

Le clergé, ou du moins quelques-uns des rares prêtres canadiens de la Nouvelle-Angleterre, étaient en faveur du rapatriement dès cette année 1875. Nous en voyons la preuve par la lettre suivante qu'écrivait Ferdinand Gagnon, à la date du 8 avril, au Rév P. J.-B. Bédard, curé de la paroisse Notre-Dame de Lourdes, de Fall-River:

"Monsieur le curé: Je suis fort sensible à vos congratulations pour lesquelles je vous offre mes sincères remerciements. L'influence du clergé ayant été pour beaucoup dans ma nomination et connais- sant le dévouement du prêtre canadien pour son pays, vous pouvez croire que je compte beaucoup sur le patriotisme de nos missionnaires pour opérer le rapatriement."

96 Histoire de la Presse Franco-Américaine

M. Bédard est ce prêtre patriote, fondateur de la paroisse Notre- Dame de Fall-River, qui a subi tant d'avanies et qui fut abreuvé de tant d'outrages dans l'accomplissement de ses devoirs de prêtre-mis- sionnaire, parce qu'il combattait pour les droits religieux de ses com- patriotes, et qui mourut prématurément en 1886, tué par le chagrin et les angoisses auxquelles il fut assujetti dans les dernières années de sa vie de la part de ses ennemis et adversaires. Un tel prêtre devait nécessairement être en faveur du rapatriement.

Ferdinand Gagnon, une fois nanti de sa commission d'agent de rapatriement pour la province de Québec, n'a rien de plus pressé que de recourir à la publicité des journaux canadiens du pays. A la date du 9 avril, il écrit une lettre à peu près identique à Frédéric Houde, du Foyer Canadien de Burlington, à Honoré Beaugrand, de L'Echo du Canada de Fall-River, et à H.-R. Benoit, de L'Ouvrier Canadien, aussi de Fall-River. Dans cette lettre, M. Gagnon de- mande à ses confrères de relire l'article sur le rapatriement publié dans le Travailleur du ler avril, de s'en inspirer et faire un article de 100 lignes ou environ et envoyer le compte pour cette publication.

Il leur annonçait aussi l'envoi de quelques brochures pour leur usage et celui de leurs amis. Enfin il leur suggérait de faire une ré- ponse à l'article "mal inspiré" du Jean-Baptiste. Il semblerait que le Jean-Baptiste, qui avait été fondé l'année précédente à Northamp- ton, avait commencé à combattre le mouvement de rapatriement.

Mais il n'y avait certes pas de raisons pour mettre des entraves à ce mouvement, car il était conduit avec méthode et honnêteté. L'a- gent de la province en ce pays avait pris pour règle de ne recommander pour la colonisation que ceux qui pouvaient justifier d'un certain avoir, afin de faire face aux premiers frais d'établissement. Les futurs co- lons qui désiraient se rapatrier par son intermédiaire recevaient de lui un certificat qu'à leur arrivée à Sherbrooke ils devaient présenter à M. J.-A. Chicoine. C'était alors l'affaire de celui-ci de les diriger sur les terres nouvelles des Cantons de l'Est ouvertes à la colonisa- tion. M. Gagnon a laissé dans ses archives la copie d'une volumi- neuse correspondance relative à son agence, parmi laquelle nous rele- vons de nombreuses lettres adressées à M. Chicoine, recommandant spécialement tel ou tel colon. D'un autre côté, il n'encourageait pas indistinctement tout le monde à retourner au Canada. S'il voyait que c'était pour les uns une entreprise hasardeuse, il les avertissait

Gagnon, agent de rapatriement 97

et il ne délivrait généralement de certificat donnant droit à la protec- tion gouvernementale qu'à ceux qui pouvaient partir avec un certain capital. A cet égard nous avons la copie de la lettre en date du i6 avril, qu'il adressait à M. B. Corbeil, de Fisherville, N.-H., qui nous donne une bonne idée de son système et que nous transcrivons ici:

"Votre lettre du 14 est reçue. Arrivé ici le 14 je n'ai pas encore eu le temps de signer votre certificat. Je vous l'envoie ce matin avec cette lettre. Après avoir pris des informations sur votre compte on m'a dit que vous n'aviez pas de capital suffisant pour vous risquer dans la forêt. Vous jouissez d'un bon caractère et vous avez du coeur et du courage. Très bien, mais avec cela il faut quelques avances. Je ne vous engage pas à vous rapatrier pour le présent, mais comme vous dites que vous êtes bien décidé je vous envoie votre lettre de rapatriement. Ainsi, qu'il soit bien compris que vous vous aventurez de vous-même et sans sollicitation de ma part. Espérant que votre courage et votre bonne volonté vous feront triompher des obstacles, et vous souhaitant succès et prospérité, je me souscris, etc.."

Nous constatons aussi par cette correspondance que dès le mois d'avril, une foule de Canadiens de différentes localités, notamment plusieurs de Lewiston, dans le Maine, s'étaient dirigés sur Sher- brooke porteurs d'une lettre de recommandation de M. Gagnon pour M. Chicoine, avec l'intention de se rapatrier. Ces lettres différaient peu dans les termes et exprimaient toutes la même idée. En voici une prise au hasard:

"Cher ami : Encore un rapatrié. M. Louis Plouffe, de Indian Orchard, Mass., désire se fixer dans nos cantons. Je te le recom- mande. Donne-lui tous les renseignements désirables. Ce monsieur possède un petit capital et paraît bien décidé à défricher. Ton obt. Ferdinand Gagnon, agent de rapatriement."

A la date du 28 avril, dans une lettre à l'Hon. Pierre Garneau, commissaire de l'Agriculture et des Travaux Publics, il rend compte de ses opérations:

"Monsieur le ministre:^ Suivant les instructions reçues, je vous transmets en double le compte de mes dépenses depuis le 15 mars 1875 au ler mai 1875, et en même temps les comptes à payer aux journalis- tes pour services et publications d'annonces.

96 Histoire de la Presse Franco- Américaine

"Une lettre d'un de mes confrères et des extraits de journaux que je vous envoie vous feront connaître que j'ai à lutter et à lutter en- core.

"Comme M. Houde l'exprime dans sa lettre, nos journaux en se mettant dans l'arène, s'exposent à l'impopularité et par conséquent à des pertes.

"Comme depuis ma nomination le Foyer Canadien, le Travailleur et L'Ouvrier Canadien de Fall-River sont les seuls qui aient tenu fermement à la cause, j'ai cru qu'il était bon de les encourager.

"Ce que j'ai demandé pour louer des salles publiques, je l'ai donné aux journaux.

"J'obtiens les salles par l'entremise de mes amis personnels ou des sociétés St-Jean-Baptiste.

"J'ai visité Concord et Fisherville, N.-H., Lewiston et Biddeford, Maine. Dans ces différents endroits j'ai rencontré plus de deux cents chefs de famille prêts à aller s'établir sur les terres de la Couronne, le plus grand nombre n'ont pas les moyens pour pouvoir réussir, de sorte que je n'ai envoyé des certificats qu'à ceux qui m'ont été dési- gnés par le curé et les principaux citoyens comme bons, honnêtes, laborieux et possédant des économies.

"Un grand nombre vont à Sherbrooke pour informations et visi- ter et choisir leurs lots. Je ne doute pas du succès.

"Nous rencontrons des obstacles et une opposition montée d'avance et aussi habile qu'antipatriotique. Les coups pleuvent sur ma tête drus et forts. Le gouvernement en a aussi sa part, mais avec de l'or- ganisation, de l'entente, le succès sera éclatant. Je puis assurer dès maintenant que si le gouvernement fait construire une grande mai- son pour loger les colons à leur arrivée et fait ébaucher trois cents lots et bâtir sur chacun une petite maison, ces trois cents lots seront occupés avant novembre prochain.

"J'ai écrit à diverses compagnies de chemins de fer pour avoir leurs prix de passage réduits. Voici ce que j'ai obtenu déjà:

"Une compagnie transportera nos colons de Boston, Worcester, Nashua, Concord et ports intermédiaires jusqu'à Sherbrooke pour $7.50. Elle charge à présent $9.50. J'attends les réponses des deux autres compagnies pour décider, après vous avoir soumis leur ré- ponse.

Gagnon, agent de rapatriement 99

"J'ai répondu à huit cents demandes d'informations depuis le 22 mars. Les gens avaient d'étranges idées sur les offres du gouverne- ment.

"Pour les comptes à payer veuillez m'expédier le montant et j'ob- tiendrai moi-même les reçus de mes confrères que je vous transmettrai aussitôt après leur réception.

"Veuillez, s'il vous plaît, me faire écrire si mes travaux, pas et dé- marches reçoivent votre entière approbation et si je dois continuer comme j'ai commencé..."

Il semblerait que la propagande faite par Ferdinand Gagnon en faveur de la cause du rapatriement eût causé une polémique assez vive entre les deux journaux de Fall-River, L'Echo du Canada et L'Ouvrier Canadien. Le premier était le journal d'Honoré Beau- grand et l'autre appartenait à M. Benoit. Le 29 avril Ferdinand Gagnon écrivit à M. Beaugrand:

"En réponse à votre communication du 19 que j'ai reçue, je vous informe que je n'ai jamais intimé à M. Benoit de lutter avec L'Echo, que je n'ai jamais eu l'idée de m'immiscer dans les rivalités de mes confrères et que je n'ai jamais écrit à M. Benoit que je le soutien- drais dans sa lutte contre vous. J'ai souhaité succès à L'Ouvrier Canadien en tant que journal catholique et me semblant animé d'un bon esprit, voilà tout. Vous êtes autorisé à nier, pour moi, tous les -avancés de ceux qui publieront que j'ai écrit à M. Benoit les choses dont vous m'informez."

A la date du 6 mai Ferdinand Gagnon faisait à M. S. Lesage, assis- tant-commissaire de l'Agriculture, un rapport de ses opérations. Il constate que l'affaire marche. "J'ai donné, dit-il, des certificats à plus de soixante personnes dans le mois d'avril. Je n'ose pas encore presser bien fort les grands ressorts de la machine, car M. Chicoine ne me paraît pas encore prêt à recevoir ceux que je pourrais envoyer. J'ai obtenu pour les colons des billets à prix réduits, et je suis à com- pléter les arrangements à cet effet." Dans cette lettre l'auteur se plaint qu'il n'a reçu aucune nouvelle de M. Chicoine depuis vingt jours.

Le lendemain, 7 mai, il annonce à M. Lesage qu'il vient de rece- voir une lettre de M. Chicoine, lettre qu'il appelle décourageante. M. Chicoine l'invitait à retarder le mouvement jusqu'au 15 mai à cause de l'état affreux des chemins. Il envoie à ce fonctionnaire deux numé-

100 Histoire de la Presse Franco-Américaine

ros du Jean-Baptiste, feuille antipatriotique qui jase contre le rapa- triement.

Le 28 mai M. Gagnon écrit au ministre, M. Pierre Garneau: "Monsieur le commissaire, je vous envoie sous ce pli l'état de mes dépenses pour le mois de mai. J'ai peu voyagé, vu que M. Chicoine m'avait écrit d'enrayer le mouvement pour quinze jours ou trois semaines. Au commencement de juin j'aimerais à visiter moi-même les Cantons afin de pouvoir faire un rapport plus circonstancié et plus autorisé dans les assemblées publiques. J'agrandis mon journal cette semaine, afin de pouvoir écrire plus au long sur le rapatriement. J'ai reçu le montant de mon traitement pour jusqu'au ler juin 1875, ainsi que le montant de mes dépenses jusqu'au ler mai 1875." La lettre se termine par une demande d'autorisation d'aller à Sherbrooke et les Cantons.

Dans une lettre à M. Chicoine en date du 7 juin, M. Gagnon dit qu'il espère aller fêter la St-Jean-Baptiste avec son ami dans les Cantons et pour aviser ensemble. Car, dit-il, "ça va mal." Des co- lons sont revenus découragés. Le rapatriement serait facile, mais, dit- il, "vous n'êtes pas organisés, vous n'allez pas assez vite." Ca n'empêche pas tout de même qu'après cette date et jusque dans le mois de juillet il délivra plusieurs lettres de recommandation à des futurs colons. Il y en avait de plusieurs points de la Nouvelle- Angleterre et jusque du Minnesota.

Est-il allé à Sherbrooke, comme il le désirait, pour conférer avec M. Chicoine? Nous devons le croire par une lettre qu'il écrivit à M. Lesage à la date du 18 août, oii il dit qu'il arrive de son voyage et qu'il a passé quatre jours dans les Cantons.

Ferdinand Gagnon a fait de la besogne comme agent de rapatrie- ment pendant ces mois du printemps et de l'été 1875. Si l'on avait écouté ses suggestions relativement à l'aide qu'il importait de don- ner aux colons pour leur faciliter les débuts d'établissement, il est probable que ses efforts auraient été couronnés de plus de succès. Avant de clore ce chapitre, nous allons reproduire le rapport qu'à la date du ler juillet il transmettait à l'Hon Pierre Garneau, commis- saire de l'Agriculture. Ce rapport est d'un intérêt historique peu

Gagnon, agent de rapatriement 101

ordinaire, et c'est pourquoi nous croyons devoir le reproduire in extenso :

A L'HON P. GARNEAU

Commissaire de l'Agriculture

et des Travaux Publics,

Québec, P. Q.

Je vous soumets mon rapport sur la mission patriotique que vous m'avez fait l'honneur de me confier.

Le rapatriement était invoqué depuis quelques années par nos compatriotes émigrés et s'imposait au patriotisme des représentants de notre élément national au Parlement de Québec.

La grande célébration du 24 juin 1874 à Montréal, près de 10,000 Canadiens des Etats-Unis s'étaient rendus, a donné le branle à un mouvement de rapatriement.

Ce n'est pas exagérer en fixant à 2000 le nombre d'industriels et de cultivateurs canadiens émigrés qui se sont rapatriés depuis le 24 juin 1874.

Ces gens pour la plupart possédaient déjà des propriétés dans la Province qu'ils sont allés faire valoir.

Le Canadien des Etats-Unis est attaché à la Province de Québec. A part quelques centaines d'individus qui ne rêvent qu'américanisme, qui ne jurent que par liberté, égalité et fraternité, qui, en un mot, n'ont plus de canadien que le nom, s'ils ne l'ont pas traduit en anglais, gens sans principes et sans influence, tous nos compatriotes des Etats-Unis entretiennent l'espoir de retourner un jour dans leur pays.

Aussi ont-ils salué avec bonheur la passation de l'acte de rapatrie- ment dont vous êtes le patriotique promoteur.

Ils auraient désiré plus, mais ils sont néanmoins satisfaits de ce qu'on leur offre.

Les nombreuses pétitions qui vous ont été transmises par M. Fred. Houde du Foyer Canadien vous ont fait connaître que les Canadiens des Etats-Unis approuvaient l'acte du rapatriement et en étaient tout heureux.

Suivant votre désir, j'ai visité la plupart des principaux centres de population canadienne afin de connaître l'opinion de nos compa- triotes émigrés sur la loi du rapatriement et de donner des explications claires et détaillées sur le sujet.

102 Histoire de la Presse Franco- Américaine

J'ai constaté qu'un grand nombre de personnes avaient mal com- pris le sens de la loi, ayant ajouté foi à deux ou trois journaux qui auraient amplifié ou diminué la portée des avantages offerts.

J'ai donné les explications nécessaires et distribué des brochures, surtout celle intitulée "La Colonisation dans les Cantons de l'Est," qui est appréciée par tous ceux qui l'ont lue.

En général les Canadiens émigrés sont favorables au rapatrie- ment.

Ceux qui, par raison d'intérêts personnels, s'opposent à la mesure, approuvent cependant la manière avec laquelle le gouvernement a commencé le rapatriement.

Les missionnaires canadiens, tout en ne favorisant pas ouverte- ment le rapatriement, approuvent nos démarches jusqu'à ce jour. Seuls deux ou trois prêtres se sont prononcés contre ce mouvement patriotique.

J'ai cencontré partout beaucoup d'empressement à connaître les offres de votre gouvernement.

D'après ce que j'ai vu et entendu, il se prépare un fort courant de rapatriement pour le commencement de la saison d'automne s'il y a des lots ébauchés et des maisons disponibles.

Le printemps tardif, les lots non ébauchés, la maison de récep- tion non construite, l'incertitude des renseignements jusqu'au mois d'avril dernier ont été la cause que plusieurs, désireux de se rapatrier ce printemps, ont retardé à l'automne prochain.

Du 15 mars 1875, époque de ma nomination à la charge, jusqu'au 30 juin 1875, j'ai octroyé cent onze certificats ou recommandations pour être admis dans la colonie.

J'ai choisi autant que possible des sujets sobres, honnêtes, labo- rieux, économes et possédant déjà un certain capital.

Plusieurs d'entre eux ne se sont pas encore rendus, mais visite- ront la colonie d'ici à octobre prochain.

J'ai répondu à plus de 800 lettres demandant des renseignements et donné des explications à mon bureau à plus de 200 personnes ve- nues des villes et villages du Massachusetts, du Rhode-Island et du Connecticut, pour me rencontrer.

J'ai visité les villes de Concord, Fisherville, Nashua et Dover, dans le New-Hampshire ; Biddeford, Lewiston, Saco, dans le Maine; Fitchburg, North Adams, Pittsfield, dans le Massachusetts; Woon-

Gagnon, agent de rapatriement 103

socket, dans le Rhode-Island, et une dizaine d'autres villages la population canadienne est moins dense que dans les centres sus- mentionnés.

J'ai obtenu des renseignements précis sur d'autres centres impor- tants que je n'ai pu visiter, renseignements qui me permettent de baser sûrement mes appréciations.

M'étant mis en communication avec les compagnies de chemins de fer conduisant à Sherbrooke, afin d'obtenir un prix de passage ré- duit pour nos colons, les compagnies du Passumpsic et du Boston, Barre et Gardner m'ont envoyé la même soumission: $7.00 pour les adultes, de presque tous les points de la Nouvelle-Angleterre, et $3.50 pour les enfants au-dessus de 7 ans. Le prix régulier est de $9.50 à $10.00.

J'ai demandé à la compagnie du Passumpsic de s'entendre avec la ligne rivale et avant dix jours le contrat avec les deux lignes sera en opération pour l'avantage des colons.

Tel est, Monsieur le Commissaire, le résumé de mes opérations de- puis trois mois.

Je ne mentionne qu'en passant les services que le journal le Travailleur a rendu à la cause, secondé par son confrère le Foyer Canadien, qui a été un des premiers à favoriser le mouvement, à l'encourager. Pendant que d'autres journaux, pour fins politiques ou d'intérêts personnels, battaient en brèche le mouvement, le Travail- leur n'a pas cessé de l'encourager, de publier des renseignements utiles et qui ont décidé plus d'un colon à aller tenter fortune dans nos Cantons.

Je ne dois pas non plus oublier les services rendus à la colonisa- tion par les deux journaux français de Sherbrooke, le Pionnier et le Progrès.

Les lettres pleines de poésie et de patriotisme de M. P.-U. Vail- lant, fondateur de Vaillantbourg, ses services précieux, l'activité, le dévouement et le désintéressement de l'excellent agent de colonisa- tion, M. J.-A. Chicoine, le parrain de La Patrie, ont contribué con- sidérablement à nos premiers succès.

L'intérêt que votre département porte à ce coin de terre qui a nom La Patrie, a aussi encouragé plus d'un colon et a eu ici un bon effet.

La visite de Monseigneur de Sherbrooke et celle de votre actif assistant, S. Lesage, Ecr., au sein de la colonie, visites dont j'ai publié

104 Histoire de la Presse Franco-Américaine

les détails dans le Travailleur, ont eu ici un excellent effet et contri- bueront beaucoup à inspirer pleine confiance à ceux qui ont l'intention de se rapatrier.

Après avoir rendu compte de mes travaux, permettez, Monsieur le Commissaire, que je vous soumette quelques suggestions qui, à mon point de vue, mises à l'application, favoriseraient beaucoup le succès du rapatriement.

Comme je sais que, contrairement à l'opinion de certains jour- naux et hommes politiques, le gouvernement est sincère dans sa ten- tative de rapatriement et que Monsieur le Commissaire met tout en œuvre pour le faire réussir, et de plus comme les circonstances tout exceptionnelles se trouve dans le moment l'industrie des Etats- Unis, imposent la question à la mûre réflexion de nos compatriotes émigrés, je me permets de vous faire ces quelques réflexions.

Le temps est éminemment favorable pour opérer le rapatriement. L'ouvrage manque en beaucoup d'endroits et il y a du travail les salaires sont réduits.

Le découragement s'en suit, avec les réflexions sages et considé- rées.

Pendant la prospérité, on ne pensait guère à la santé, à l'éducation des enfants, enfermés dans les manufactures; ils rapportaient beau- coup au père de famille, mais arrivant le chômage, les réductions de salaire, et les dépenses pour l'entretien de la famille étant les mêmes, on se prend à considérer à sang-froid, à esprit et à sentiments reposés, qu'il vaut mieux se créer une demeure paternelle et établir ses enfants autour de soi ; profitons de cet état des esprits.

Pour opérer le rapatriement avec succès il faudrait d'abord un octroi plus considérable pour cette fin. Il est à espérer que la nou- velle assemblée législative, voyant le succès de nos débuts, votera une somme considérable en faveur du mouvement.

Les Etats de la Nouvelle-Angleterre et de New-York renfermant une population de 350,000 Canadiens-français, l'agent de rapatriement aurait besoin, pour pouvoir mener à bonne fin cette entreprise, des services d'un sous-agent qui serait sous ses ordres immédiats, afin d'organiser des colonies et les diriger jusqu'à un point donné.

De ceux qui ont visité les Cantons, plusieurs sont revenus et don- nent pour raison de leur non fixation la cherté des provisions de bouche.

Gagnon, agent de rapatriement 105

Ne serait-il pas possible d'avoir, au sein de la colonie, un comptoir sous le contrôle de l'agent résident, les provisions seraient four- nies sinon au prix coûtant, au moins à prix réduits?

Comme plusieurs colons s'enfoncent dans la forêt sans fortune aucune et qu'ils n'ont pas les moyens de se procurer les animaux né- cessaires pour le défrichement, ne serait-il pas possible que le gouver- nement eût au sein de la colonie quelques animaux et des instruments aratoires à la disponibilité des colons pauvres?

Ne serait-il pas possible que le gouvernement établit ou fît établir au sein des Cantons une potasserie et une perlasserie les colons puissent vendre les cendres provenant du défrichement?

Je crois que ces différentes suggestions mises en pratique produi- raient de bons résultats.

Le gouvernement, ce père du peuple, tout en cherchant à attirer des colons à l'aise sur ses terres, ne doit pas laisser de côté les Cana- diens pauvres, mais honnêtes, sobres et laborieux. C'est un service à rendre à cette classe nombreuse de nos nationaux que de les rapa- trier.

L'automne et l'hiver qui nous arrivent menacent la misère pour un grand nombre de nos compatriotes, les émigrés. Le gouvernement de Québec ne fera-t-il rien pour eux?

Nous avons appris à compter sur le patriotisme de ce gouverne- ment, nous attendons de lui des actes de dévouement et de vous, Mon- sieur le Commissaire, votre haute influence auprès de vos collègues pour mener à bonne fin le mouvement patriotique que vous avez si bien inauguré.

Le tout respectueusement soumis, {Signé) FERD. GAGNON,

Agent de rapatriement. Worcester, Mass., ler juillet 1875.

Cette lettre est surtout remarquable par le fait qu'elle montre combien Ferdinand Gagnon avait pris à cœur son rôle d'agent de rapatriement. Ses efforts ont été couronnés d'un certain succès si on peut en juger par une lettre qu'il écrivait à M. Lesage le 18 août, lettre dans laquelle il rendait compte d'un voyage d'inspection qu'il avait fait dans les Cantons nouvellement ouverts à la colonisation

106 Histoire de la Presse Franco- Américaine

par le gouvernement. Il annonce que cent colons ont déjà profité des avantages offerts, dont 45 ou 50 des Etats-Unis.

Au cours de ce mois de juillet nous voyons par les copies des lettres de recommandation que M. Gagnon écrivait à son ami M. Chi- coine que plusieurs ont être rapatriés. Vers les premiers jours d'août Ferdinand Gagnon allait visiter les établissements des nou- veaux cantons de colonisation il avait dirigé déjà un bon nom- bre de ses compatriotes des Etats-Unis. De retour à Worcester, il rendait compte de son voyage à M. Siméon Lesage par la lettre suivante :

Worcester, Mass., 18 août 1875. S. Lesage, Ecr.,

Assistant Commissaire de l'Agriculture, Québec. Cher Monsieur,

Je suis arrivé de mon voyage samedi matin. J'ai passé quatre jours dans les Cantons, trois jours à La Patrie, Cheshom et le Petit Canada. J'ai pu me convaincre que la colonisation de Ditton, de Ches- hom et de Imberton est un fait acquis. J'ai vu ce qu'un bon gou- vernement peut faire en appliquant sagement les fonds publics à une cause aussi patriotique que la colonisation.

Cent colons ont déjà profité des avantages offerts, dont 45 à 50 des Etats-Unis. Ces braves gens paraissent heureux de leur position. Ceux des Etats-Unis sont particulièrement satisfaits.

J'ai vu les défrichements des onze premiers colons, j'ai admiré l'ouvrage de ces braves pionniers. L'activité règne dans la colonie. La maison de réception est presque achevée. Les chemins se trans- forment, la forêt recule, l'homme prend possession de son héritage. M. Chicoine se multiplie, il voit à tout et fait dominer l'idée religieuse et nationale avec les rudes travaux de ses colons.

L'important c'est que cet excellent noyau de colonie se conserve. L'hiver qui approche pourrait peut-être décourager quelques-uns d'entre eux, mais le gouvernement, M. le commissaire et son digne assistant verront à ce que nos premiers succès ne deviennent pas un insuccès. Il faut de l'ouvrage à ces gens-là pendant cet hiver; ils l'auront sans aucun doute. Je vais me remettre à la roue avec une ardeur nouvelle ; j'ai la preuve que nos compatriotes ne pourront qu'a- méliorer leur position en se rapatriant.

Gagnon, agent de rapatriement

107

Pour commencer je vais rapatrier mon père et quelques autres parents. Tout va bien. Je suis satisfait de tout ce que j'ai vu. Merci pour m'avoir autorisé de voir d'aussi admirables choses.

Avec considération,

Votre Obt. FERDINAND GAGNON,

Agent de rapatriement.

Ferdinand Gagnon dirigeait ses colons dans les Cantons de l'Est, en les recommandant à M. Chicoine, l'agent du gouvernement à Lra Patrie. Ces Cantons de l'Est avaient été originairement établis par des Anglais, dont le but était de fonder une région de langue anglaise et protestante en pleine province de Québec et faire échec à l'extension de l'élément français et catholique. Voilà pourquoi il se fait, supposons-nous, qu'il y avait des noms de places anglais qui ont subsisté jusqu'aujourd'hui. L'on sait ce qui est arrivé. Les Anglais, qui devaient demeurer dans cette région, se sont vus envahis par les colons canadiens-français, avec l'encouragement des agents du gouvernement de la province, et aujourd'hui des cantons portant des noms anglais sont presque entièrement canadiens-français. Les colons rapatriés des Etats-Unis ont contribué leur faible part au progrès des Cantons de l'Est, et Ferdinand Gagnon n'estimait pas l'oeuvre du rapatriement moins grande que celle d'inculquer l'esprit civique américain au plus grand nombre qui avaient adopté ce pays comme leur patrie d'adoption.

I0>

m

CHAPITRE DIX-HUITIEME

"L'Avenir National" de St-Albans et Troy, et le juge LeBœiif

EORGES-E. Desbarats, de Montréal, était entreprenant à la façon des organisateurs des grands trusts américains. Il voulait faire de son Opinion Publique de Montréal le seul Tournai qui put fournir la nourriture intellectuelle aux Canadiens émigrés. Cet esprit s'est manifesté bien des an- nées plus tard quand la Presse et à sa suite la Patrie ont fait de si grands efforts pour étendre leur circulation dans les centres de popula- tion canadienne-française des Etats-Unis. Non content d'avoir acheté L'Etendard National de Worcester, en 1870, il voulut remplacer le Protecteur Canadien de St-Albans, quand l'établissement de ce jour- nal fut incendié en septembre 1871. M. l'abbé Zéphirin Druon avait déjà fait de grands sacrifices pécuniaires pour le maintien de son journal, et il était peu disposé à en faire de nouveau pour en reprendre la publication après cet incendie. Il vendit donc le titre du journal et les listes d'abonnés à M. Desbarats, qui s'était rendu à St-Albans dans le but de faire cette acquisition. Frédéric Houde, qui était à la rédaction, se trouvait à la suite de ce désastre contraint de se voir ainsi sans situation dans la carrière qu'il avait embrassée et dans la- quelle il s'est illustré plus tard.

M. Moussette aurait voulu racheter le titre du Protecteur Cana- dien, mais M. Desbarats l'avait devancé. Il se rendit alors à Montréal, acheta un matériel d'imprimerie neuf et revint à St-Albans fonder avec M. Houde L'Avenir National, au mois d'octobre 187 1. Cette feuille était habilement rédigée; elle s'occupait des intérêts des Canadiens émigrés et des affaires politiques du Canada, pour lesquelles M.

Rémi Trembla

Joseph LeBœuf

^^U Avenir NationaV et le juge LeBoeuf 109

Houde avait un penchant marqué. M. Moussette s'occupait de l'ad- ministration.

Après deux années d'existence, grâce à l'initiative et l'énergie qu'il déployait, le journal de M. Moussette avait plus de 3,500 abon- nés tant dans l'Est que dans l'Ouest. M. Emery Perrin, depuis lors et récemment mis à sa retraite comme traducteur à la Chambre des Communes à Ottawa, succéda à M. Houde à la rédaction de L'Avenir National durant l'été de 1872. M. Perrin a faire erreur en écrivant dans le Spectateur de Hull, en 1901, qu'il avait remplacé M. Houde en 1871, car au mois de juillet de la même année (le 13,) L'Etoile de l'Est, publié à Southbridge, Mass., reproduisait un extrait d'article de M. Houde, rédacteur de L'Avenir National.

La compétition active que se faisaient alors les quelques journaux des Etats-Unis avec ceux du Canada rendait la carrière du journalisme peu rémunératrice. M. Moussette, lassé de faire des sacrifices, vendit en 1873 son journal à une société de publication organisée à Troy, N.-Y. M. le curé Brown et MM. Jules Pelletier, L. Demers, A.-F. Rouleau et Médard Venne en étaient les principaux actionnaires, à part M. Moussette, qui s'était réservé assez de parts comme garantie de la balance d'argent qui lui revenait.

M. Arthur-E. Valois, jeune avocat de Montréal, demeurait à Co- hoes, N.-Y. The Cataract, journal anglais de Cohoes, avait entrepris de publier des colonnes françaises et M. Valois avait été chargé de cette rédaction. Ses aptitudes le désignaient d'avance comme ré- dacteur de L'Avenir National qui maintenant allait être publié à Troy; il accepta la position. Troy, comme l'on sait, touche presque à Cohoes. Malgré ses talents, le jeune Valois n'était évidemment pas l'homme qu'il fallait pour rédiger un journal dont la clientèle se re- crutait parmi une population croyante et imbue de principes religieux, car ses écrits laissaient parfois beaucoup à désirer au point de vue de la religion. C'était à un tel point que M. l'abbé J.-B.-H.-V. Milette, alors comme encore aujourd'hui, curé à Nashua, N.-H., qui passait pour avoir prêté son appui aux nouveaux propriétaires, dût intervenir et protester publiquement contre les "doctrines malheureuses propa- gées et défendues par la rédaction." M. le curé Brown avait aussi cessé tous rapports avec cette feuille, qui était évidemment tombée dans le discrédit.

110 Histoire de la Presse Franco- Américaine

Mais L'Avenir National n'était pas au bout de ses tribulations. A cause de la mauvaise direction qui lui avait été imprimée la liste des abonnés était tombée à looo à peine quand M. Moussette reprit pos- session du journal qu'il vendit le même jour à M. le juge Joseph Le- Boeuf. Après une interruption de six semaines dans sa publication, L'Avenir National parut de nouveau vers le ler juillet 1874. Au mois de juin 1875, M. L.-G.-G. LeBœuf, frère du juge, a acheté la feuille qui eut M. Misaël Authier, en ces dernières années consul des Etats- Unis à St-Hyacinthe, puis à la Guadeloupe, comme co-rédacteur. Après avoir végété pendant encore un an, L'Avenir National mourut en 1876. Des mauvais plaisants disaient dans le temps que le jour- nal était mort d'une indigestion de "bœuf."

Le juge LeBœuf fut pendant un temps un homme célèbre dans l'Etat de New-York et toute la Nouvelle-Angleterre. C'était une per- sonnalité typique dont l'existence aventureuse était bien connue. Ce n'est pas en attachant son nom à L'Avenir National que le juge LeBœuf s'illustra. Mais tout de même le peu de temps qu'il consacra au journalisme nous justifie d'esquisser à grands traits la carrière d'un homme qu'on pourrait appeler un grand Canadien parmi les nôtres des Etats-Unis.

JOSEPH LEBŒUF.

Joseph LeBœuf est à St-Hyacinthe, province de Québec, en 1838. Ses parents émigrèrent aux Etats-Unis en 1847, alors qu'il n'avait que neuf ans. En 1865 le jeune LeBœuf fut admis à la pratique du droit. Doué d'une grande somme d'énergie et parlant également bien le français et l'anglais, il exerça la profession d'avocat à Cohoes, oii il se créa une clientèle payante. Il se lança bientôt dans la poli- tique et fut assez heureux pour se faire élire juge des sessions de la paix par une majorité de 600 voix, aux élections de l'automne de 1869. Il siégeait à la cour pour les affaires civiles seulement. Son terme d'ofïice était de quatre ans. En 1872 la législature de l'Etat porta le traitement annuel du titulaire de cette charge à $1,325, plus les hono- raires.

Le juge LeBœuf était alors d'un caractère rangé, économe, pru- dent et il s'intéressait à l'avenir et au progrès des Canadiens aux Etats-Unis. Il prêcha par l'exemple aussi bien que par la parole. Il acheta de grands terrains à Cohoes en 1872, donnant ainsi à ses com-

^^U Avenir National" et le juge LeBoeuf 111

patriotes un exemple pratique de placement de ses épargnes et d'at- tachement au sol de la patrie d'adoption. Les fêtes canadiennes, non seulement dans l'Etat de New-York, mais aussi dans la Nouvelle- Angleterre, n'étaient pas complètes sans la présence du juge LeBœuf, qui était un orateur agréable et savait plaire à son auditoire. Les succès qu'il remporta ainsi dans les conventions nationales, ses pé- riodes déclamatoires étaient tant prisées, eurent un effet fâcheux sur son caractère. Les louanges et l'adulation furent la pierre d'achoppe- ment contre laquelle il s'est heurté ; il négligea sa clientèle pour courir à la popularité. Il s'adonna alors à une vie errante qui ne pouvait nécessairement pas lui rapporter le profit qu'il aurait réalisé s'il fut resté d'une manière stable dans le joli petit centre de Cohoes, la colonie canadienne avait commencé à occuper une position impor- tante. A côté des défauts de vanité, il possédait de précieuses qua- lités qui le mettaient en évidence parmi ses compatriotes par son pa- triotisme ardent et parmi les Américains à cause de sa connaissance parfaite de la langue anglaise et de ses aptitudes pour les choses de la politique. Il fut président du comité exécutif de la convention de Troy, en 1867, et jusqu'en 1879 il fut délégué à presque toutes nos conventions nationales. Il demeura à Holyoke pendant quelques an- nées, et dans l'automne de 1879, après la convention de Worcester, il avait fait ses adieux, il partit pour Chicago.

La gloire, la renommée n'avaient pas enrichi Joseph LeBœuf, au contraire. Il avait résolu d'aller tenter fortune sur un autre champ d'action vers ce Ouest lointain, cette terre promise qui avait déjà at- tiré tant des nôtres. Dans le dernier discours avant son départ, qu'il prononça à cette convention de Worcester, présidée par Hugo-A. Dubuque, il eut des accents qui produisirent une profonde impression sur son auditoire. A la veille de se mettre en route pour un voyage qui l'affligeait, malgré sa détermination, il fit un discours d'adieu dans lequel il passa en revue le passé et les progrès accomplis par nos com- patriotes en ce pays. Vers la fin la voix lui manqua, l'émotion le suf- foqua et il se retira avec des larmes dans les yeux.

M. Ferdinand Gagnon proposa alors une résolution de remercie- ments à l'adresse de M. LeBœuf pour les services signalés qu'il avait rendus à sa race et exprimant aussi les bons souhaits de la convention, laquelle fut adoptée à l'unanimité au milieu des applaudissements.

112 Histoire de la Presse Franco- Américaine

Après quelques années passées dans l'Ouest, le juge LeBœuf revint dans l'Est, se fixant à Manchester, N.-H., sa femme le précéda dans la tombe au commencement de l'année 1902. M. Leboeuf mourut en 1909.

loi

CHAPITKE DIX-NEUVIEME

La grande fête Saint-Jean-Baptiste de 1874

ES anciens d'aujourd'hui se rappellent la grande fête St- Jean-Baptiste de 1874 à Montréal. Les jeunes de ce temps qui y prirent part ou en furent témoins et qui vivent en- core aujourd'hui, n'ont jamais oublié la splendeur de cette manifestation patriotique. Celle-ci fut remarquable par la part brillante qu'y prit l'élément canadien des Etats-Unis. Une men- tion spéciale de ces grandes assises nationales, et internationales, pour ainsi dire, trouve son à-propos dans cette histoire, par le fait que la presse française d'outre-frontière leur avait donné une large publi- cité et avait secondé de toutes ses forces les efforts de la presse du pays natal et les organisateurs pour faire de cette manifestation le plus grand et le plus imposant ralliement des forces et de l'idée fran- çaises dans l'Amérique du Nord, qu'il y ait jamais eu alors. Jamais le Canada français n'avait vu pareille fête, pareil témoignage de fra- ternité de tout un peuple affirmant hautement son attachement in- vincible à sa langue et à sa religion. Il est douteux s'il y a jamais eu depuis au Canada une aussi grandiose manifestation nationale, bien que six ans plus tard, en 1880, une autre grande fête de la St- Jean-Baptiste ait réuni à Québec des milliers de compatriotes du Canada et des Etats-Unis.

La St-Jean-Baptiste de 1874 à Montréal fut une occasion pour des milliers de Canadiens de toutes les parties des Etats-Unis d'aller revoir le pays natal après une absence plus ou moins longue. Les taux de passage réduits des chemins de fer avaient facilité les con- ditions de voyage. Aussi pendant les quelques jours qui ont pré- cédé la fête, des trains spéciaux de chemins de fer arrivaient bondés de voyageurs à Montréal. Le Massachusetts seul envoya pas moins

114 Histoire de la Presse Franco-Américaine

de treize sociétés pratiquement au complet, sans compter de nombreu- ses délégations. Elles étaient accompagnées par onze corps de mu- sique. Jamais à Montréal on ne s'était attendu à une si grande af- fluence de visiteurs compatriotes des Etats-Unis. C'était pour plu- sieurs toute une révélation sur l'importance numérique de nos frères émigrés. C'était comme si le Canada français eût étendu ses fron- tières. Les hôtels, les maisons de pension étaient remplis et beaucoup de visiteurs furent obligés de se chercher un gîte dans les maisons privées.

Jusqu'ici il avait existé au Canada bien des préjugés et des anti- pathies à l'égard des Canadiens qui avaient déserté le sol natal. L'en- train qu'ils mettaient à revenir momentanément revoir la patrie en ces jours de fête prouvait surabondamment que chez eux le senti- ment national était toujours vivace.

M. l'abbé J.-B. Primeau, le premier curé canadien de Worcester, appelé au banquet à répondre à la santé "Les Emigrés," fit un magis- tral discours qu'il termina par ces belles paroles: "Si j'avais un con- seil à vous donner. Canadiens du Canada et des Etats-Unis, je vous dirais: Vous valez beaucoup mieux les uns et les autres que vous ne croyez. Avant de nous séparer signons le véritable traité de la Sainte- Alliance avec le sceau de la religion, et malheur au Canadien qui bri- sera ce traité, qui violera cette alliance,"

Nous avons parlé précédemment de la convention canadienne des Etats-Unis qui eut alors lieu à Montréal. Elle réunit plus de 150 dé- légués de sociétés et groupes de Canadiens-français des Etats-Unis.

Comme nous l'avons dit, un des plus clairs résultats de la fête fut l'augmentation du flot de l'émigration. Après la fête à Montréal un grand nombre de visiteurs s'étaient répandus dans les campagnes du district de Montréal et St-Hyacinthe, de celui de Trois-Rivières et jusque dans la région de Québec pour voir les parents et les amis. Le Canadien aime généralement à faire parade de ce qu'il possède et quelquefois se vanter et jeter de la poudre aux yeux de ceux qui semblent prendre plaisir et intérêt au récit de ses prouesses vraies ou imaginaires. Des milliers de Canadiens des Etats-Unis avaient écrit aux parents du Canada qu'ils allaient à Montréal assister à la fête. De nombreux cultivateurs, surtout les jeunes gens, voulurent eux aussi voir cette grande fête. Les fanfares aux cuivres étincelants, les riches bannières, les drapeaux et les magnifiques régalias de nos sociétés

I

La grande fête 8t- Jean-Baptiste de 1874 H^

produisirent un effet magique sur les campagnards qui n'étaient pas habitués à voir tout ce clinquant. Ajoutez à cela le passage d'une quinzaine de jours à la campagne, chez les parents et les amis. Les jeunes gens des Etats-Unis vêtus de beaux habits, portant une mon- tre en argent avec chaîne en or et breloque, cette vue était assez pour éblouir l'esprit de leurs jeunes camarades du pays, qui prenaient ce faste pour le résultat des sommes énormes d'argent qu'on devait ga- gner aux Etats-Unis. Parmi les visiteurs, ceux qui gagnaient $2.50 par jour disaient généralement en racontant leur bonne fortune à leurs amis, qu'il gagnaient de $2.50 à $3.00, ayant bien soin d'appuyer sur le chiffre trois.

Combien de déceptions ont résulté d'avoir pris ce clinquant pour de l'or, ces beaux vêtements comme indication certaine de la for- tune.

L'automne suivant l'émigration, reprise de plus belle, battait son plein et au printemps de 1875 c'était la désertion en masse des cam- pagnes, une évacuation en miniature de la province de Québec. Le gouvernement de la province, qui s'était alarmé de cet exode phéno- ménal, avait pris des mesures pour tâcher d'enrayer ce mouvement désastreux et qui aux yeux d'un certain nombre constituait une véri- table calamité nationale. Parmi ces mesures au mois de mars 1875 il nomma Ferdinand Gagnon agent de rapatriement.

Vers le temps de la grande St-Jean-Baptiste à Montréal en 1874, la presse canadienne des Etats-Unis comprenait les journaux sui- vants : le Foyer Canadien, que Frédéric Houde transporta de Worces- ter à St-Albans, au mois d'octobre; L'Avenir National, Joseph Le- Bœuf, propriétaire, Troy, N.-Y. ; L'Echo du Canada, Honoré Beau- grand, propriétaire, Fall-River, Mass., avec une édition pour Lowell, dont J.-H. Guillet était directeur; le Courrier de Holyoke, Dr M. -M. Métivier, propriétaire; L'Avenir Canadien, Fall-River, H.-R. Benoit, propriétaire; L'Etoile du Nord, Saint-Paul, Minnesota, J.-B.-A. Pa- radis et A. Desmeules, propriétaires; le Courrier de l'Illinois, Kan- kakee, Alexandre Grandpré, propriétaire; le Drapeau Canadien, Lawrence, Dr Migneault, propriétaire, soit 10 journaux.

Mk

m

CHAPITRE VINGTIEME Les journaux de l'Ouest

'OUEST des Etats-Unis fut une terre féconde pour les journaux. Seulement pour la plupart on peut leur appli- quer ces vers du poëte en parlant de la mort d'une jeune fille:

"Et rose, elle a vécu ce que vivent les roses, L'espace d'un matin."

La terre de l'Ouest fut féconde en journaux, c'est-à-dire qu'il en est une quantité, mais ils ont réalisé ce passage de la chanson: "car dans tout berceau il germe une tombe."

Au début de cet ouvrage nous avons assez longuement parlé des journaux de l'Ouest. Nous n'avons pas tout dit cependant.^ D'ail- leurs, il ne nous serait pas possible de tout dire, attendu que par les notes que nous avons recueillies nous n'avons pas la prétention de présenter un travail complet. Cependant, nous n'avons pas épuisé le sujet et, au risque de faire quelques répétitions, voici d'autres notes sur les journaux de l'Ouest.

Le Souvenir de Bay City, Michigan, parut au mois d'avril 1883. Ce journal était publié par M. C. Boucher.

L'Ouest Français parut au mois de juin 1888 et vécut jusqu'au mois de mai 1889. Télesphore Saint-Pierre et Charles Guérin en étaient les éditeurs-propriétaires.

Le National, Saint-Paul, Minn., fondé en décembre 1876, après la disparition de L'Etoile du Nord par le Dr Roy et Edmond-A. Paradis. Ce dernier en était le rédacteur. La feuille vécut six mois.

1. Chapitres 8, 10, 11.

T.-"F.-X. Beaudet

Z. Desnieules

A. -H. Desmeules

aa^E«<f%i.

Dr J.-F. Landrj

Dr Elzêar Paquln

Les journaux de V Ouest 117

La Sentinelle, Marquette, Mich., parut en juillet 1888, publié par J.-L. Harquel, avocat, mais fort peu journaliste, vécut un peu plus d'un an. La Tribune, Marinette, Wisconsin, était une édition du même journal.

Le Messager, Muskegon, Mich., était publié par l'avocat Harquel, publiait en même temps le Courrier de Bay City, Mich. Ces deux journaux, fondés en 1878, vécurent près de trois ans.

Le Patriote, Bay City, Mich., fondé en novembre 1882 par le Dr Maucatel et H.-A. Pacaud, ce dernier rédacteur. Le Patriote de Bay City fut l'un des journaux de l'Ouest qui eut une des plus longues existences, car il vécut jusqu'à l'année 1891, une période de neuf années, alors que la publication en fut suspendue. Un peu plus tard, le Patriote renaît de ses cendres, avec Adolphe Beaudin comme rédac- teur. Il tomba définitivement en 1904.

La Voix du Lac, tel était le nom poétique donné à une feuille publiée à Duluth, Minn., par le Dr J.-F. Landry et M. Cléophas Tremblay, fondée le 15 mars 1892. En novembre de la même année, la feuille fut absorbée par L'Œil, de Minneapolis, journal publié par M. T.-F.-X. Beaudet.

Voilà un nom curieux, n'est-ce pas, pour un journal: L'Œil. Im- possible de trouver un nom plus concis. Quelle était l'idée du fonda- teur en choisissant le nom du rayon visuel de l'humanité? Voulait-il suggérer qu'il entendait voir partout, découvrir les secrets les plus intimes, les qualités, les défauts des uns et des autres? Toujours est-il que le titre L'Œil devait faire un curieux effet en tête de la première page d'un journal. Vers la fin de 1895, L'Œil ferma définitivement sa paupière.!

Après un petit nom en voici un grand, L'Echo des Etats-Unis, mais encore plus remarquable par l'idée prétentieuse qu'il comporte. Quand un journal s'appelle L'Echo des Etats-Unis, il semble, n'est-ce pas, qu'il doive avoir une certaine célébrité. En eut-il une plus grande vogue pour cela? C'est peu probable, car il eut le sort commun. Fondé à Détroit en avril 1883 par Louis-C. Dumont et Achille Four- nier, il ne vécut que six semaines.

L'Ouest eut son journal quotidien, juste assez pour dire qu'il y a eu un journal quotidien. C'est le Petit Journal, publié à Chicago

1. M. Beaudet est aujourd'hui agent d'immigration à Blaine, Washington.

118 Histoire de la Presse Franco-Américaine

par L.-J. Bachand-Vertefeuille, en 1903; il dura trois ou quatre semaines.

La Trompette Evangélique, publiée à Chicago par le prêtre apos- tat Séguin, parut un an, de juillet 1884 à juillet 1885.

Le Cercle Français était une revue mensuelle publiée par le collège des Pères de Saint-Viateur à Bourbonnais, 111., en 1885.

Le Devoir, Muskegon, Mich,, fondé par Elie Vézina, parut au mois de mai 1890 et vécut six mois.

Le Courrier, Duluth, Minn., vit le jour le 9 juillet 1890. C'était une feuille bi-hebdomadaire qui vécut quelques mois et qui était rédi- gée par Jacques Bureau, précédemment avocat à Winnipeg. Après la chute du journal, M. Bureau s'en retourna dans l'Ouest canadien; il était solliciteur général dans le cabinet Laurier en 191 1.

On a dit que la vie est un combat. On ne serait pas porté à croire que cette pensée philosophique puisse avoir une relation avec le journalisme canadien des Etats-Unis. C'est pourtant vrai. Seule- ment, dans ce cas-ci, la vie et le combat ne se sont pas trouvés asso- ciés. Ce sont deux journaux de ce nom dont l'un remplaça l'autre. Le Combat, de Chicago, en effet, était une édition du Combat de Plattsburg, N.-Y. Le Dr Elzéar Faquin finit par publier cette feuille au No 441, rue Center, à Chicago, et elle vécut près de trois ans, du mois de janvier 1889, jusqu'à la fin de 1891. Cela faisait deux "com- bats." Mais oii est la vie? Voici: la Vie (Chicago) succéda au Combat, mais cette vie était si peu viable qu'elle exhala son dernier soupir au bout de quelques mois.

Le Journal de Bourbonnais, à Bourbonnais, 111., fondé en décem- bre 1888, ne vécut que peu de temps.

Le Citoyen Américain, Minneapolis, Minn., fondé en 1884 par le Dr J.-N. Cadieux, ci-devant de Syracuse, N.-Y., ne vécut que quelques mois.

Le plus important de tous les journaux qui ont existé dans le Nord-Ouest des Etats-Unis a été le Canadien, de Saint-Paul, dont le premier numéro parut le 15 août 1877. Le fondateur en fut Désiré-H. Michaud. Le journal, à l'encontre de la moyenne des autres journaux, marcha de succès en succès jusqu'en 1883. En cette année-là il fut vendu à une compagnie ou syndicat pour servir des intérêts politiques. C'est ce qui montre tout de même qu'à cette époque nos compatriotes de l'Ouest comptaient déjà pour un élément d'une certaine impor-

Les journaux de V Ouest 119

tance dans le jeu de la politique. Jusqu'alors M. Michaud avait eu constamment la main à la rédaction, quoique M. J.-B.-A. Paradis en fût le rédacteur attitré. Après la campagne, le Canadien passa suc- cessivement aux mains de M. Martin comme rédacteur, à la fin de 1883, puis E.-R. Dufresne, J.-N. Ledoux, Th. Levasseur, Geo.-C. Lam- bert, natif de Belgique; T.-F.-X. Beaudet, Finalement, il finit par choir dans les mains de L.-J. Bachand-Vertefeuille, qui cédant aux instances des propriétaires du Courrier de L'Ouest, de Chicago, le fit disparaître en le fusionnant, son tour arrivé, avec le Courrier Franco- Américain, de Chicago, en 1903.

Le Canadien qui avait alors vingt-cinq années d'existence, avait été un journal fort bien fait, et qui avait rendu de grands services à l'élément franco-américain dans les Etats du Nord-Ouest.

A propos des Canadiens de St-Paul, faisons une petite digression. L'auteur, dans une série d'articles publiés dans L'Opinion Publique de Worcester en 1907, sur la presse franco-américaine, était venu à parler du Canadien de Saint-Paul. M. J.-G. de Baroncelli, éditeur de la Guêpe, de la Nouvelle-Orléans, contestait les assertions de l'auteur dans l'article suivant qu'il publia le 4 juin 1907 dans son journal:

"Lorsqu'on désire faire un historique quelconque, il s'agit tout d'a- bord de ne pas trop s'écarter de la vérité. Or, M. Belisle, tout au moins en ce qui concerne le Canadien de Saint-Paul, et le Courrier de Chicago, dénature à plaisir, qui sait peut-être sans le savoir, des faits malheureusement trop vrais. M. Bachand-Vertefeuille n'a jamais fait disparaître le Canadien en le fusionnant avec le Courrier de Chicago. Le Courrier de L'Ouest, dont les gens à la conscience élastique se sont définitivement emparés en 1902, n'a jamais appartenu à M. Ba- chand-Vertefeuille et encore moins à M. Bénard, dont le nom n'a pas été mentionné et pour cause.

"Si M. Belisle veut à ce sujet de plus amples renseignements, nous les lui fournirons avec le plus grand plaisir."

A cela nous avons répondu dans L'Opinion Publique comme suit:

"J'ai toujours puisé mes informations aux sources les mieux ren- seignées, et dans l'automne de 1904, à Saint-Paul, Minn., je visitai J.-B.-A. Paradis et Désiré-H. Michaud, de même que Bachand-Verte- feuille à Chicago qui m'ont donné les renseignements que j'ai publiés sans toutefois entrer dans tous les petits détails qui d'ailleurs ont peu d'importance pour le public. La plupart de nos journaux ont eu leurs

120 Histoire de la Presse Franco-Américaine

déboires, des rivalités de clocher, des vicissitudes de toutes sortes qu'il serait ennuyeux et même dangereux de publier à cause de justes et légitimes récriminations qu'une telle publication entraînerait. Que M. de Baroncelli ait eu maille à partir avec M, Bachand-Vertefeuille ou autre, cela intéresse fort peu le public."

L'Avenir National, de Chicago, parut au mois de mars 1886, pu- blié par J.-B.-L. Lemoine, qui après un an le céda à J. -Ernest Cyr. Au bout de quelques mois cet Avenir National de l'Ouest disparut.

L'Etoile du Nord, de Saint-Paul, fit son apparition en mai 1874, après la belle convention de l'Union des Sociétés, tenue à Biddeford, dans le Maine, en 1873. J.-B.-A. Paradis et M. Zéphirin Demeules en étaient respectivement le rédacteur et l'administrateur. L'Etoile du Nord disparut en décembre 1876.

La Voix du Peuple, de Minneapolis, Minn., était une édition du Canadien de Saint-Paul, qui parut en 1900, et en 1903 M. Bachand- Vertefeuille, après l'avoir mis à mort, prétendit l'avoir ressuscité dans son Franco-Américain.

Le Bulletin Officiel parut à Chicago en novembre 1894 et ne vécut que quelques semaines. C'était une publication in-quarto à trente- deux pages, qui prétendait être l'organe officiel des sociétés franco- américaines des Etats-Unis. Elle était imprimée sur papier de luxe et de beaucoup trop dispendieuse pour être maintenue.

Nous terminerons ce chapitre des journaux de l'Ouest par une esquisse de L'Echo de L'Ouest et de son fondateur, avec son fils qui en continue encore aujourd'hui la publication. C'est le seul journal de l'Ouest qui ait survécu et existant aujourd'hui avec le Franco-Améri- cain.

En 1883 la population de langue française de Minneapolis, dans le Minnesota, était déjà considérable, et parmi les émigrés du Canada il s'en trouvait qui avaient déjà acquis une modeste aisance. Parmi ceux-ci était M. Zéphirin Demeules. Au mois d'avril 1883, M. De- meules, avec quelques amis, fondait L'Echo de L'Ouest. Jean Gosse- lin, ci-devant de Chicoutimi, en était le rédacteur. Comme tous les journaux, celui-ci passa par bien des vicissitudes, mais M. Demeules sut diriger sa barque au milieu des écueils sans désemparer. Un autre rédacteur de L'Echo de L'Ouest fut Achille Carrier, qui retourna à Québec en 1890 et fut élu à l'assemblée législative de Québec. Achille Carrier fut peu après nommé magistrat stipendiaire pour le district

Les journaux de VOuest 121

de Terrebonne, position qu'il occupe encore aujourd'hui. Georges Lemay, qui mourut vers 1905 à New- York, avait aussi rédigé L'Echo de L'Ouest pendant quelque temps. Après Georges Lemay, F.-R. Leroux en fut le rédacteur pendant plus de dix années.

Si L'Echo de L'Ouest a pu survivre à toutes les tempêtes qui l'ont assailli, son progrès néanmoins n'a pas été au point de lui permettre de devenir quotidien, et il est resté hebdomadaire. C'est déjà beau qu'il ait survécu. L'éditeur-propriétaire en est aujourd'hui M. A.-H, Demeules, fils du précédent. Le rédacteur est M. Georges Fortin, avocat.

ZEPHIRIN DEMEULES.

Zephirin Demeules naquit à Saint-Philippe de Laprairie, le 22 juillet 1837, fils de François Demeules, juge de la cour de district, et de Madeleine Giguère. Il fit ses études au collège de Sainte-Thérèse, puis au collège de Montréal, en même temps que L.-O. David et Adolphe Ouimet. En 1855 il émigra aux Etats-Unis, à peine âgé de 18 ans, et il se fixa à Saint-Paul, dans l'Etat du Minnesota.

Il entra, dès son arrivée à Saint-Paul, au service du capitaine Robert qui faisait alors un commerce considérable avec les Indiens. En 1857 il vint comme son représentant s'établir à Osseo. il épousa Mlle Marguerite Labrèche, Huit enfants naquirent de ce mariage, dont six survivent. Les survivants sont : Mme J.-C. Marquis, Mme F.-R. Leroux, Mme F.-P. Prescott, Mlle Marie-Louise Demeules, Augustin-H. Demeules et Georges-F. Demeules.

En 1859 il alla à New-Ulm et ce ne fut pour ainsi dire que par miracle qu'il échappa au massacre des blancs, qui eut lieu à cet endroit par les féroces Indiens. Ce fut dans ces terribles pérégrinations qu'il fit la connaissance du Père Robert qui, son autel portatif sur le dos, s'en allait de camp en camp prêchant la parole divine. Ce fut le même Père Robert qui administra M. Demeules sur son lit de mort.

M. Demeules fut élu deux fois consécutivement par une immense majorité à la chambre des députés du Minnesota, pour le 29e district législatif. Il y fit son devoir, les archives le prouvent.

En 1871, désirant un champ d'action plus vaste, il vint à Minnea- polis il établit un magasin d'épiceries. La fortune lui sourit alors. Minneapolis croissait et de village devenait ville.

122 Histoire de la Presse Franco-Américaine

M. Demeules avait foi dans la grandeur future de la "ville aux farines" et il se lança dans le commerce de terrains. Il réussit dès le début et il réalisa une fortune de 100,000 dollars. En 1883 il fonda L'Echo de L'Ouest qu'il conserva jusqu'à sa mort et qu'il légua à son fîls, A.-H. Demeules.

Pour ce patriote, fils de patriote de 1837, pour ce catholique, pour ce véritable Canadien-français que fut toujours M. Demeules, le jour- nal qu'il avait fondé fut l'objet d'une sorte de culte.

M. Demeules avait épousé en secondes noces une veuve, née Julie Hanlot. dont il eut six enfants, aujourd'hui tous vivants: Augustin-H. Demeules. le propriétaire actuel de L'Echo de L'Ouest, Léon, Alcide, Alfred, Clovis et Yvonne. M. Demeules décéda le 21 janvier 1898, dans la 6ie année de son âge.

AUGUSTIN-H. DEMEULES

M. Augustin-H. Demeules, l'un des fils du précédent et proprié- taire actuel de L'Echo de L'Ouest, naquit le 27 décembre 1877 à Osseo, Minnesota. Il étudia dans les écoles publiques de Minneapolis et au collège commercial de Terrebonne, P.-Q. En 1891, il entra comme apprenti typographe au journal de son père, L'Echo de L'Ouest. Il a toujours travaillé comme typographe au journal de son père jusqu'à la mort de ce dernier en 1898, alors qu'il en devint le pro- priétaire. Plus tard Mlle M.-E. Lenoir, sa belle-sœur, s'associa avec lui pour les affaires du journal.

Nous devons à l'obligeance de M. J.-A. Michel, de Lake Linden, Mich., les renseignements supplémentaires suivants sur les journaux de Lake Linden. Cette ville du Michigan, qui compte une assez forte colonie canadienne-française, fut aussi autrefois le théâtre d'en- treprises journalistiques. M. Michel nous écrivait en 1904 qu'il n'existe pas de record des journaux de Lake Linden et que tout ce qu'il peut dire des deux journaux qui ont existé il le puise dans sa mémoire. Le premier journal qui parut à Lake Linden s'appelait le Franc-Pionnier et vit le jour en 1875. C'était une petite feuille heb- domadaire qui ne vécut que quatre ou cinq mois. Son propriétaire était un jevme homme de Montréal, qui cumulait en même temps les fonctions de rédacteur et typographe. Son nom était Charles Thi- beault. Etait-ce le même Charles Thibeault qui a fait subséquemment tant de bruit dans la politique de la province de Québec?

Les journaux de l'Ouest 123

Le premier numéro de L'Union Franco- Américaine parut au mois de septembre 1889. Télesphore Saint-Pierre, l'auteur des Canadiens du Michigan, en a été le premier rédacteur, mais il abandonna bien- tôt le journal pour se livrer exclusivement à son grand travail, l'his- toire des Canadiens du Michigan. Au bout de onze mois il fut rem- placé par J.-E. Rochon, qui avait quitté le Patriote de Bay City. Ce journal dura environ deux ans. Mais, comme le dit M. Michel, le manque d'encouragement, comme toute entreprise de ce genre, lui a fait défaut. Ce journal était la propriété d'une compagnie au capital- actions de $10,000. Mais on ne dit pas si tout ce montant avait été souscrit. Le président de la compagnie était M. Joseph Grégoire, et l'administrateur en était M. Pierre Primeau, qui alla par la suite rési- der à Marquette. Ce journal, durant sa courte existence, a rendu de réels services à nos compatriotes de Lake Linden, mais il a suivre la loi commune, et quand les sacrifices de ses promoteurs furent ren- dus à bout, il trépassa avec les illusions de ceux qui avaient espéré un certain temps n'avoir pas fait un vain appel au patriotisme de leurs compatriotes.

Le Figaro Illustré, fondé à Chicago en janvier 1887, ne vécut que quelques semaines.

Le Progrès, de Minneapolis, Minnesota, fondé par une compagnie d'actionnaires en mai 1884 avec J.-B.-A. Paradis comme rédacteur, fut incendié au mois d'octobre 1887 et disparut pour toujours.

Les Veillées Canadiennes, fondé en janvier 1890, à Minneapolis, par Frank-L. Perkins, ne vécut que quelques semaines.

Le Franco-Canadien, St-Paul, Minnesota, parut vers le 15 août 1876. J.-B.-A. Paradis et F.-C. Carroll, éditeurs. Cinq ou six numé- ros seulement furent publiés.

Pour terminer ce chapitre des journaux de l'Ouest, nous reprodui- sons une lettre que M. Bachand-Vertefeuille écrivait à l'auteur à la date du 21 septembre 1903. Dans cette lettre M. Bachand-Vertefeuille donne de curieux détails sur son expérience personnelle dans le jour- nalisme, et vu qu'elle jette une nouvelle lumière sur les journaux de l'Ouest, nous avons cru devoir en faire part à nos lecteurs.

Lettre de M. Louis-A. Bachand-Vertefeuille à M. Alexandre BeHsle :

124 Histoire de la Presse Franco-Américaine

Chicago, le 21 septembre, 1903. Mon Cher M. Belisle:

L'Opinion Publique, comme beaucoup d'autres journaux d'ailleurs, ne sont pas toujours exacts dans l'annonce de leurs nouvelles.

Le Canadien n'est pas mort comme il a été dit ; de même pour la Voix du Peuple. Une fille se marie, elle perd son nom, mais de au décès il y a loin.

Je suis arrivé à la direction du Canadien, St-Paul, par accident. J'étais allé à St-Paul pour chercher du travail comme typographe. C'était en juin 1897. Au mois de septembre, avant-dernière semaine, le propriétaire d'alors, Théo.-F.-X. Beaudet, était découragé et abat- tu, il n'avait pas la persévérance pour voir au succès de l'oeuvre et le Canadien allait mourir. J'étais arrivé à St-Paul avec $50 à $60 dans ma poche; je les avais ou prêtées ou dépensées en travaillant pour Beaudet, je n'avais pas $5 en partie, mais je lui conseillai d'attendre une semaine encore et j'écrivis à mes parents ; ils se trouvaient dans la gêne, mais m'envoyèrent $10, et c'est sur ce capital que le Canadien vint en ma possession. Beaudet avait eu une idée géniale. Il avait envoyé une lettre circulaire à tous les abonnés arriérés leur disant: envoyez-moi $1.00 et je vous tiens quitte du passé et vous envoie le journal jusqu'au ler janvier 1898. C'est-à-dire que toute la crème était prise et que le lait était passablement écrémé. J'allai trouver mon imprimeur, je lui expliquai la situation, il me donna crédit au ler janvier, au renouvellement des abonnements. Octobre 1897 me rapporta $14.75 d'abonnements et quelques annonces. Novembre 1897, $20.60; décembre $40.30; janvier $36.75; février $33.10; mars $103.15.

Je travaillai comme un nègre, de 6h. a. m. à iih.30 p. m. et souvent toute la nuit. Il y eut des semaines ne pouvant payer mes em- ployés je dûs faire rédaction, composition, etc., seul. J'ai fait ce tra- vail (une fois) trois semaines consécutives.

En 1900, octobre, pour satisfaire mes amis démocrates de Minnea- polis, je fondai la Voix du Peuple, que j'ai maintenu jusqu'à juin 1903.

En janvier 1898, M. Demeules, propriétaire de L'Echo de L'Ouest, mourut. J'essayai dans le temps à mettre les deux journaux ensemble, même système sous lequel je fondai la Voix du Peuple. Un avocat de malheur, Geo.-E. Fortin, journaliste amateur, fit manquer l'affaire. Il était chargé des intérêts Demeules, et voulut accepter, à condition

Les journaux de V Ouest 125

que le Canadien laisserait St-Paul et viendrait s'établir à Minnea- polis. L'Echo n'a jamais été qu'une feuille à 800 à 900 exemplaires. Moi j'avais 1600 abonnés payants. Le Canadien était l'aîné, St-Paul la capitale, je ne voulus pas de ces conditions et de 1898 à 1902, ce fut le spectacle de deux journaux vivant avec juste assez de sel pour assaisonner un bien pauvre déjeuner. La fusion dans le temps nous aurait épargné $30 par semaine. St-Paul, c'est-à-dire les chefs cana- diens, n'ont jamais aidé le journal sous mon administration. J'ai regretté, plus tard, m'être fié à l'aide que je m'attendais d'eux. Ils me trouvaient trop Canadien et pas assez souple pour eux. Trop franc pour laisser l'anglification s'accomplir au profit de quelques petits politiciens. Canadiens de nom seulement. Un politicien canadien, po- sition de $3500 à $4000 par année, en 6 ans a contribué $20 pour le support du journal.

En 1902, j'étais ruiné, pas mon argent, mais ma santé (et à 30 ans seulement). J'allais abandonner, quoique mon journal, le Cana- dien, était à proprement parler un des meilleurs hebdomadaires cana- diens-français aux Etats-Unis. Chicago, dans le temps, ne connais- sait pas ma situation, le Courrier de L'Ouest perdait de $1000 à $1200 par année. Je leur fis une proposition d'imprimer, même sys- tème que j'avais à la Voix du Peuple; on me fit venir et on m'offrit la direction du Courrier de L'Ouest, mais on ne voulut pas entendre parler d'imprimer à St-Paul. Je voulais qu'on me cédât ce journal. On refusa; je dûs me résigner à imprimer mes trois journaux à Chica- go, dirigeant mes trois journaux de mon bureau à Chicago. J'étais employé sans salaire au Courrier de L'Ouest et propriétaire des jour- naux à St-Paul et Minneapolis. Je travaillai ferme pendant six mois, et je montrai un surplus dans les comptes au lieu d'une perte, mais c'était un effort suprême. J'étais à demi-mort, ruiné de santé, en arrivant ici. Depuis janvier je ne suis pas moi-même. A la fin de l'année je donnai ma résignation. On ne l'accepta pas, mais on me donna le journal. Si ce don eût été fait en 1902 il y aurait eu une différence énorme. Aujourd'hui je ne sais pas quel sera le résultat.

J'ai fait une consolidation de tous mes journaux en un seul; mon idée est de faire un même journal, avec une page spéciale pour St- Paul et une autre pour Minneapolis, avec l'idée d'étendre ce système à d'autres endroits comme St-Louis, Bay City et Détroit, mais je n'ai pas l'énergie, le courage et l'assiduité au travail que j'avais il y a six

126 Histoire de la Presse Franco-Américaine

et sept ans passés et parfois l'envie me prend de laisser le journa- lisme pour aller travailler à la journée, dans la rue, si c'est néces- saire. Il y aurait plus de profit pour moi, moins d'ennui et plus de satisfaction. Depuis 1897 j^ "'^i P^s retiré $7.00 par semaine pour mon usage personnel.

Je vais faire un dernier effort; si j'ai le courage de passer à travers de nouvelles épreuves, j'arriverai peut-être au succès. Aurais-je la force de le faire? Je suis garçon à 31, j'ai soif de la vie de famille, le revenu du journal ne me permet pas de penser au mariage.

Nous verrons!

Vous m'avez demandé des renseignements, je vous en donne, pre- nez ce qu'il vous plaira. Ce sont des faits.

J.-B.-A. Paradis, de St-Paul, est le plus ancien de nos journalistes de l'Ouest et le meilleur.

Mes journaux qui sont disparus étaient:

1892 Le Philanthrope, Providence, R.-I.

1896 Le Bulletin Officiel, Chicago, 111.

1903 Le Petit Journal, Chicago, 111.

Votre serviteur, LOUIS-J. BACHAND-VERTEFEUILLE.

lût

m

CHAPITRE VINGT-UNIEME Les journaux du Massachusetts et du Connecticut

N pourra dire que le Massachusetts a été la terre clas- sique des journaux. Il n'a pas été le premier à voir l'éclo- sion des journaux canadiens aux Etats-Unis ; cet honneur appartient aux régions de l'Ouest, ensuite au Vermont et au New-Hampshire. Mais une fois l'essor donné le mou- vement des journaux s'est propagé avec une vigueur qui n'a été égalée dans aucun autre Etat.

Le Jean-Baptiste est le plus ancien journal existant. Il est aujour- d'hui publié à Pawtucket, R.-I., depuis 1889, mais il fut fondé dans le Massachusetts, à Northampton, en 1875, par Pierre-Camille Chatel. J.-A, Daigneau en fut le premier rédacteur. Le Jean-Baptiste eut une carrière mouvementée. A M. Daigneau succédèrent comme rédac- teur, en 1876 et 1877, Paul de la Neuville et J.-B. Frédéric. A la fin de l'année 1880, M. Chatel vendit son journal à J.-G. Samson. M. Chatel écrivait en faisant ses adieux, que la carrière du journalisme qu'il abandonnait après peu d'années avec les honneurs, comportait beaucoup de fatigue et de déboires. "J'ai la consolation, en quittant le champ de bataille, la gloire de laisser après moi un journal bien établi, florissant et très répandu. Je cède la place à un jeune homme plein d'énergie et dont les talents littéraires seront plus en rapport avec le travail sérieux de la rédaction." M. Samson, le nouveau pro- priétaire, était un homme qui avait fait des études classiques appro- fondies et de principes religieux qu'aucune considération ne saurait fléchir. Au mois de mai 1882, M. Samson céda le journal à une société composée de Adolphe Ménard, Dr L.-B. Niquette et autres. Il resta encore quelques mois à la rédaction, puis il dit adieu au monde pour entrer dans un grand séminaire. Il fut ordonné prêtre à la cathédrale

128 Histoire de la Presse Franco- Américaine

de Grand Rapids, dans le Michigan, le 19 mars 1886. Il est mainte- nant curé doyen de la paroisse Saint-Jean-Baptiste de Muskegon, Michigan.

M. Lucien Cariseau devint rédacteur du Jean-Baptiste en janvier 1883, occupa cette position pendant quelques mois, puis devint vice- consul de France à Boston.

Le Jean-Baptiste fut acheté au mois de juin suivant par Ferdinand Gagnon, de Worcester, et il fut publié comme édition hebdomadaire du Travailleur, sous la raison sociale de Ménard, Belisle & Cie. Adol- phe Ménard était l'administrateur à Northampton, tandis qu'Alexan- dre Belisle était l'administrateur du Travailleur. En même temps que le Travailleur, le Jean-Baptiste passa aux mains de Charles Lalime, en janvier 1887. Ferdinand Gagnon était décédé dans l'été précédent.

Les journaux furent peu nombreux à Springfîeld. Le premier qui y surgit fut L'Ami du Peuple. C'était une édition du Travailleur de Worcester. Il fut fondé en 1881 par le Dr H.-P. Grisé, aujourd'hui médecin à West Gardner. Le journal vécut trois ans.

L'Américain avait été fondé en juin 1903 par J.-Henri Bordeaux, J.-L.-J. Dupuy et le Dr G.-T. Lamarche. C'était une publication hebdo- madaire à seize pages et illustrée. Elle disparut au bout de sept mois environ.

L'Echo du Congrès, fondé au mois d'avril 1902, était ainsi dénom- mé en mémoire de la célèbre convention nationale des Franco-améri- cains des Etats-Unis, qui eut lieu au mois de septembre 1901, et qu'on a appelé le Congrès de Springfîeld. L'Echo du Congrès était la propriété de Charles-T. Roy, Dr G.-T. Lamarche, J.-A. Gagné et Nap.-L. Biron. Un M. Bourret, de Woonsocket, était le chef d'ate- lier. MM. Biron et Lamarche se retirèrent bientôt de la société. Enfin, au mois d'août, après quatre mois d'existence, le journal dis- parut.

Le Citoyen Franco-Américain est une feuille hebdomadaire pu- bliée encore aujourd'hui par le collège protestant de Springfîeld. Il en est question au chapitre des journaux existants. Disons en passant que peu des nôtres fréquentent ce collège, et la raison en est évidente: la plupart de ses élèves se recrutent parmi les jeunes Américains qui désirent apprendre le français. M. L,-E. Rivard, aujourd'hui résidant à Haydenville, Mass., fut pendant quelque temps le rédacteur du Citoyen Franco-Américain. M. Rivard est une figure bien connue

Charles Gigault

L.-J. Bachand-Vertefeuille

*

Journaux du Massachusetts et du Connecticut 129

parmi les protestants français du Canada et des Etats-Unis, et bien qu'il offre peu d'intérêt au plus grand nombre de nos compatriotes, nous donnons ici une esquisse à grands traits de sa carrière.

Laurent-Edouard Rivard naquit le ler août 1832 dans le village de Saint-Paulin, qui formait alors partie de la paroisse de Saint-Léon, P. Q. A l'âge de 16 ans il vint aux Etats-Unis, demeurant quelque temps à Rutland, Vt. De retour au Canada il se fixa à la Pointe-aux- Trembles en 1854, il fut instituteur pendant 14 ans.

En 1862, M. Rivard publia les Chants Evangéliques, le premier livre d'hymnes protestants français. Il avait composé lui-même plu- sieurs de ces hymnes. Ce livre en est rendu à sa 12e édition. Il fonda à Montréal en 1866 le premier journal protestant français en Améri- que, l'Aurore, aujourd'hui encore l'organe reconnu des protestants français en Amérique. De l'année 1880 à 1890 il publia plusieurs manuels français sous le nom de plume "Un Vieil Instituteur."

En 189 1 M. Rivard vint encore une fois aux Etats-Unis, cette fois pour prendre la position de rédacteur du Citoyen Franco-Américain, un journal publié par ce qui était alors le collège français-américain, maintenant le Collège International, à Springfield. En même temps il était instructeur de français au collège.

En 1894, après avoir servi comme missionnaire parmi les Canadiens de Ware, il fut reçu ministre et nommé pasteur de l'église congréga- tionnelle française de ce village. Il continua comme pasteur à Ware jusqu'en 1899, alors qu'il déménagea à Three Rivers. En 1905, M. Rivard alla à Haydenville, il réside depuis lors sur la propriété dite Old Mother Warren Homestead, dans Mountain Street. M. Rivard appartient encore aujourd'hui à la secte dite Congregational Church.

Au mois de février 191 1, M. Rivard était, à Montréal, l'objet d'une fête de la part des membres de l'Alliance Evangélique Française, qui lui présentèrent une adresse accompagnée d'une bourse bien remplie, comme témoignage de reconnaissance pour les travaux accomplis du- rant sa longue carrière "en faveur des Canadiens-français," L'adresse chantait les louanges de cette espèce de grand-prêtre du protestan- tisme français en Amérique et concluait en exprimant le plaisir et la joie des assistants à honorer M. Rivard "comme l'un des fruits les plus dignes du protestantisme français en Amérique." Malgré ses 78 ans passés, on dit que M. Rivard jouit encore d'une santé robuste.

10

130 Histoire de la Presse Franco- Américaine

Le premier journal qui a existé à Holyoke fut le Courrier de Holyoke, fondé au mois d'octobre 1874, par le Dr M.-M. Métivier, qui était de l'école Beaugrand sous le rapport des principes religieux. M. Gilbert Potvin, citoyen en vue et à l'aise, fut victime avec sa fem- me d'un article diffamatoire paru dans le journal du Dr Métivier. M. et Mme Potvin intentèrent une action en dommages contre l'éditeur du journal, le Dr Métivier. L'affaire fut réglée hors de cour. M. et Mme Potvin se contentèrent d'une rétractation faite par l'auteur du libelle dans le journal qui l'avait publié. Le Courrier cessa de pa- raître après quatre mois d'existence.

Le Progrès de Holyoke, fondé en mars 1881, était une édition de la Patrie Nouvelle de Cohoes, N.-Y., le journal de J.-Misaël Authier. Félix-A. Belisle, de Worcester, en était l'administrateur, et durant sa deuxième année, P.-U. Vaillant en était le rédacteur local. Le Progrès disparut en 1884.

Au Progrès succéda le Défenseur, fondé en septembre 1884, par Charles-T. Roy et Frères, imprimeurs de Holyoke. MM. Roy ont imprimé aussi pendant quelques mois deux ou trois journaux anglais pour le compte d'éditeurs américains. Le Défenseur était à ses dé- buts un journal à quatre pages, rédigé par feu Arthur Charland, plus tard avocat à Saint- Jean, P.-Q. Mais ensuite le format fut agrandi à huit pages, et même dix pages au printemps de 1887. Godfroy de Tonnancour en fut le rédacteur un certain temps, et en 1894 le jour- nal disparut.

L'Américaniste, publié à Holyoke par M. G. de Tonnancour, pa- rut pendant quelques mois au commencement de l'année 1892. C'était une petite feuille hebdomadaire à quatre pages.

Le Canado- Américain était une édition pour Holyoke du National de Lowell et a paru durant l'année 1892. C'était l'un des nombreux journaux politiques de Benjamin Lenthier.

La Presse de Holyoke fut fondée en 1895. C'était au début une feuille hebdomadaire à quatre pages, publiée par Louis Tesson et Joseph Carignan. Plus tard la Presse devint bi-hebdomadaire et à six pages. Elle cessa de paraître en 1902, après sept ans d'existence. En février 1904 le Journal faisait son apparition à Holyoke. C'é- tait une feuille à quatre pages publiée par P.-Eudore Mayrand ; elle ne vécut que quelques semaines.

1

Journaux du Massachusetts et du Connecticut 131

La Revue Littéraire de Holyoke, fondée en avril 1905, apparte- nait à une compagnie et un M. Tremblay en était le rédacteur. La Revue soutint une lutte pour son existence contre la Justice, qui était aussi un nouveau journal, mais au bout de quelques mois elle dût abandonner la partie, laissant le champ libre à la Justice, qui pa- raît encore aujourd'hui.

Le Ralliement de Northampton avait commencé à paraître vers le ler avril 1886. Il était la propriété de P.-C. Chatel, J.-Ernest Cyr en était le directeur, mais peu de temps après il était rédigé par Gabriel Marchand,! fils de l'Hon F.-G. Marchand, qui fut plus tard premier ministre de la province de Québec. A la fin de la même année le Ralliement cessa de paraître.

Northampton vit encore d'autres journaux qui eurent une exis- tence éphémère, comme le Citoyen, fondé en avril 1908, et le Râteau. Ce dernier avait été fondé par Pierre-Camille Chatel, en souvenir du journal du même nom qu'il avait publié à Manchester, N.-H., en 1884. Le Râteau disparut avec la mort de M. Chatel en 1903.

Le Canadien de Taunton, fondé en septembre 1903, journal politi- que et humoristique, cessa de paraître en février 1904.

Un numéro seulement de L'Etoile de L'Est fut publié, à South- bridge, au mois d'août 1872, par M. Clément Desmarais.

L'Ouvrier, fondé à Southbridge en juillet 1903 par J.-Bte Belisle, était une feuille purement locale, sans rédaction et qui était distribuée gratuitement. Il en parut trois ou quatre numéros.

Le Canadien de Spencer, fondé au mois d'avril 1884, fut publié par son fondateur, Adolphe Martin, qui le céda au bout de dix mois au Dr Marc Fontaine. Deux ans après il disparaissait et le Dr Fontaine fondait sur ses ruines le Guide du Peuple. Le peuple évidemment était médiocrement disposé à se laisser guider par le journal, tout patriote fût-il, car la feuille disparut à son tour en 1887.

Le Progrès de Spencer fut fondé en septembre 1890 par C.-O. Caron, qui en était l'administrateur. Le journal était imprimé au National de Lowell.

Le Nouvelliste de Marlboro, vit le jour le 7 juin 1888. L'éditeur était un M. Duberger qui ne trouvait pas de bénéfices suffisants dans sa publication pour le faire vivre. Dans son journal, M. Duberger

1. M. Gabriel Marchand est décédé subitement à Saint-Jean, P. P., dans l'automne de 1910. Il était député et éditeur du "Canada-Français."

132 Histoire de la Presse Franco-Américaine

mangeait du prêtre, ou plutôt il en faisait manger au journal qui en eut une indigestion à laquelle il ne tarda pas de succomber. C'était en janvier 1889, après une existence de sept mois.

L'Estafette de Marlboro, fondée le 14 octobre 1895, est une petite feuille purement locale et a survécu jusqu'à présent. M. Albéric-L. Beauchamp, son fondateur et propriétaire, est à Saint-Lin en 1845. Il fut apprenti typographe à la Minerve de Montréal et il vint aux Etats-Unis en 1860. Il demeura d'abord à Lowell et Salem, oii il prit une part active dans les cercles dramatiques et musicaux. Il a souvent rempli des rôles importants dans les soirées dramatiques, ses talents d'acteur étaient appréciés. Doué d'un bel organe, son chant a souvent été admiré et applaudi par de nombreux auditoires.

L'Indépendant de Fall-River, publie une édition quotidienne. Le Journal à New-Bedford. Dans la même ville L'Echo de la Presse fut fondé en 1904 par J.-B. Archambault, agent de la Presse de Mont- réal. C'était au début un journal hebdomadaire, puis semi-quotidien que M. Archambault servait à ses abonnés de la Presse. Enfin il le mit quotidien et le publia tout à fait indépendamment de la Presse en l'intitulant simplement L'Echo et en formant une compagnie au capi- tal de $50,000 en juin igio. Le président de la compagnie est Edmond Pothier et J.-B. Archambault en est le gérant.

Le Républicain, fondé en mars 1884 à Boston, ne vécut que quel- ques mois. Narcisse Cyr en était le rédacteur-propriétaire.

La République, publiée à Boston par Honoré Beaugrand en sep- tembre 1875. En 1877 M. Beaugrand publiait sous le même titre une feuille à Fall-River, qui vécut jusqu'au mois de février 1878.

En juillet i88g, M. Achille Larue, ancien député à l'assemblée législative de Québec pour le comté de Bellechasse, fondait le Courrier de Boston. Emile-H. Tardivel en fut le rédacteur pendant un certain temps. Le Courrier vécut près d'une année.

Plusieurs journaux se sont succédés à Haverhill. Ainsi le Cour- rier était une édition de L'Etoile de Lowell, qui parut pendant quel- ques années à partir du mois d'avril 1890. Le Guide du Peuple était une édition du National de Lowell et n'a existé que durant l'année 1892.

Salem vit également éclore et mourir un certain nombre de jour- naux. Le Canada était une édition de L'Etoile de Lowell qui parut de 1891 à 1894. L'administrateur du journal était J.-C. Tourangeau,

Journaux du Massachusetts et du Connecticut 133

un négociant de Salem. Le Courrier du Massachusett sans s était publié à Salem par M, de Vicq, un Belge, qui s'était associé avec J.-C. Tourangeau. La feuille parut environ neuf mois en 1894.

Lynn eut sa petite part de journaux. En 1894, en même temps que le Courrier du Massachusett à Salem, M. de Vicq publia L'Echo de Lynn, qui disparut après cinq ou six mois d'existence. Le Trico- lore parut à Lynn en 1896. L'éditeur en était J.-B. Rouillard, qui avait conçu l'idée de publier un journal quotidien en français et en anglais. C'était au printemps de 1896. Le premier et unique numéro une fois imprimé, M. Rouillard le soir en carrosse en faisait la dis- tribution gratuitement, accompagné d'une fanfare et à la lueur de feux de Bengale. Le nouveau-né dans le monde journalistique faisait son apparition avec fracas. A peine cependant, la tombe s'ouvrit sous ses pas, car ce Tricolore d'un nouveau genre ne claqua qu'une seule fois à la brise.

En 1893 M. Rouillard avait publié L'Union Continentale à Boston. C'était un journal-revue mensuel, illustré, très bien fait. Il n'en parut que trois ou quatre numéros. Au printemps de 1895 il publiait L'Aigle à Salem et le Courrier à Lawrence, journaux hebdomadaires qui ne parurent que peu de temps.

Pour revenir aux journaux de Lynn, mentionnons le Courrier de Lynn, fondé en novembre 1910, par J.-E. Perrier et qui paraît aujour- d'hui comme journal hebdomadaire. Enfin il y a le Visiteur Parois- sial, petite feuille religieuse périodique, publiée sous les auspices de la paroisse Saint-Jean-Baptiste de Lynn, dont M. l'abbé J.-B. Parent est le bon et dévoué curé.

L'Ami du Peuple, New-Bedford, Mass., était une édition du Protecteur Canadien de Fall-River.

Le premier journal qui exista à Lawrence fut le Drapeau Cana- dien, fondé par le Dr Victor Migneault au mois de juillet 1874. Il y eut ensuite le Citoyen, fondé en avril 1882 par J.-E. Marier, qui dis- parut après six mois d'existence. Pendant plusieurs années il exista à Lawrence deux journaux, l'un le Progrès, hebdomadaire, et l'autre le Courrier National, tour à tour publié une et deux fois par semaine. Le Progrès était la propriété du Dr R. Janson-Lapalme, qui imprimait son journal dans son atelier à lui. Le Progrès parut pour la première fois au mois de septembre 1889 et a paru sans interruption jusque dans l'année 1907, alors que le Dr Janson-Lapalme abandonna sa pu-

134 Histoire de la Presse Franco- Américaine

blication. Le Progrès faisait une part large aux choses du Canada, et sa tendance générale était en faveur de la colonisation au pays natal et du rapatriement. Il fut l'un des rares journaux qui se donnèrent pour mission d'encourager la vie rurale sur les terres de la province de Québec de préférence aux filatures et usines américaines.

Comme l'on voit, les journaux et journalistes furent nombreux en cet Etat, Il faut remarquer aussi que le Massachusetts est l'Etat de la Nouvelle-Angleterre qui contient la plus forte population franco- américaine. Pour clore ce chapitre nous mentionnerons les quelques journaux qui ont été publiés dans l'Etat limitrophe, le Connecticut, vu que leur histoire n'est pas assez considérable pour leur affecter un chapitre spécial. Au reste la plupart de ces journaux étaient imprimés dans les ateliers d'autres journaux dans le Massachusetts.

Le Courrier du Connecticut était l'un des nombreux journaux politiques de Benjamin Lenthier, qui ne vécut, comme la plupart des autres, que durant la fameuse campagne électorale de 1892. Le Canada- Américain, fondé en 1898, journal à quatre pages, par Louis Tesson, vécut jusqu'en 1902. C'était une édition de la Presse de Holyoke, Le Connecticut de Waterbury parut de 1897 ^ 1902. C'é- tait aussi une édition de la Presse de Holyoke publiée par Louis Tesson. Un autre Courrier du Connecticut parut encore à Hartford, fondé en 1901 par Charles-T. Roy. Il disparut durant l'été de 1902. C'était une édition de L'Echo du Congrès de Springfield, La Liberté de Willimantic était un journal illustré à seize pages, publié par J.-L.- J. Dupuy, de Fall-River, et Joseph Grenon, de Meriden. Le premier numéro parut le 23 avril 1908 et le dernier le 4 juin de la même année.

m

H

CHAPITRE VIXGT-DEUXIEME

Les journaux de Worcester

ES deux premiers journaux de Worcester furent L'Impar- tial et L'Idée Nouvelle. Médéric Lanctôt s'était porté candidat à Montréal pour le parlement fédéral dans l'au- tomne de 1868 contre sir Georges-Etienne Cartier et il avait été défait. Au printemps de 1869, ayant publié deux numéros de L'Impartial à Burlington, dans l'Etat du Vermont, il se rendit à Worcester il publia un numéro de L'Impartial et deux de L'Idée Nouvelle. Le but de ces deux journaux était d'amener l'in- dépendance du Canada. M, T.-H. Sarony Lambert en était l'adminis- trateur et propriétaire. On peut se demander ici quelle influence pouvait avoir une petite feuille publiée en français aux Etats-Unis pour la cause de l'indépendance du Canada.

La Confédération venait d'être établie et c'était sans doute une idée bien présomptueuse, sinon une folie, de penser dans ce temps-là à la possibilité de l'indépendance du Canada.

Ferdinand Gagnon vint se fixer à Worcester au mois d'octobre 1869, quelques semaines après l'arrivée de M. l'abbé J.-B. Primeau, qui venait y fonder la première paroisse canadienne, la paroisse Notre-Dame. M. Gagnon avait 20 ans. Il organisa une compagnie d'actionnaires com^posée de Pierre-Ludger Paquette, Louis-P. La- moureux, Antoine Lamoureux, L.-A. Létourneau, Ed. Charette, Ed. Lafaille, F.-X. Brazeau, G.-A. Demers, tous de Worcester; Antoine Moussette, de St-Albans, Vt. ; J.-Bte Gagnon et Emery Lapierre, de Concord, N.-H. ; Séraphin Laçasse, de Manchester, N.-H. ; F.-X. Marchesseault, de Spencer; M. l'abbé Primeau, Joseph Marchesseault, A. Marchesseault, Joseph Désautels, Z. Laflotte, Léon Robert, Adrien Girardin, Magloire Proulx, Cyrille Paquette, Louis-C. Tougas, J.-B.

136 Histoire de la Presse Franco-Américaine

Tougas, Cléophas Laliberté, Henri Nault, Joseph Forest, Moïse Beau- dette et P. Bruyère, tous de Worcester.

Le premier numéro de L'Etendard National parut le 3 novembre 1869. Le 7 novembre 1870, L'Etendard National se fusionnait avec L'Opinion Publique, magnifique publication hebdomadaire illustrée, publiée à Montréal par Geo.-E. Desbarats, et rédigée en collaboration par un grand nombre de la brillante pléiade littéraire du temps, entre autres L.-O. David, A. Achintre, J.-A. Mousseau, Oscar Dunn, Joseph Marmette, La publication de L'Etendard fut continuée jusqu'en

1875.

Le Foyer Canadien, feuille in-quarto, huit pages, parut le 18 mars 1873. Ferdinand Gagnon et Frédéric Houde en étaient les rédacteurs- propriétaires. Durant l'été de 1874, M. Gagnon vendit ses intérêts dans le journal à son associé qui transporta le journal à St-Albans, Vt., et le fusionna avec le Nouveau Monde de Montréal, en juin 1875. Le Foyer Canadien était une feuille fort bien faite, admirablement rédigée par ces deux hommes de mérite comme journalistes.

Le Travailleur, le journal qui fit la plus grande somme de bien à nos populations durant la période d'organisation de nos forces aux Etats-Unis, fit son apparition le 16 octobre 1874. M, Gagnon s'en- toura d'un nombre considérable de collaborateurs, parmi lesquels il comptait Benjamin Suite, 1 Aram-J. Pothier,^ l'abbé Hyacinthe Mar- tial, le Dr L.-J. Martel,^ J.-D. Montmarquet, le Dr J.-N.-O. Pro- vencher.

Au mois d'octobre 1879,, sous l'administration de l'auteur de ce livre, le Travailleur devenait bi-hebdomadaire et son tirage fut doublé en moins de deux ans.

M. Gagnon mourut au mois d'avril 1886. Les dépenses occasion- nées par sa longue maladie laissèrent sa succession avec plus de $3,200 de dettes. Les revenus du journal étaient de plus de $4000 par année. Cependant, la succession fut déclarée insolvable en décembre de la même année, deux mois après que nous eussions démissionné après avoir payé un quart des dettes de la succession.

En janvier 1887, le journal passa aux mains de M. Charles Lalime, beau-frère de feu M. Gagnon, qui le céda, en 1892, à M. Josiah Quincy,

1. Célèbre publiciste et historien, fonctionnaire du gouvernement à Ottawa.

2. Aujourd'hui gouverneur du Rhode Island.

3. Le fondateur du "Messager," de Lewiston, Me., décédé dans cette ville le 27 février 1899.

Les journaux de Worcester 137

de Boston, qui en donna la direction à M. Benjamin Lenthier. Entre les mains de ce dernier, avec tous les autres journaux subsidiaires du National, il vécut jusqu'à la dernière journée de l'année. Le Travail- leur, le journal patriote qui avait eu une si belle vogue naguère, était disparu pour toujours.

Les rédacteurs du Travailleur, après la mort de M. Gagnon jusqu'à son achat par M. Lenthier, furent MM. Godfroy de Tonnancour,i Ambroise Choquette,^ Emile-H. Tardivel^ et Edouard Vincelette.

La Lanterne Magique, journal humoristique, fit son apparition en juillet 1875. Le Dr J.-N.-O. Provencher pratiquait la médecine sans toutefois aimer sa profession. Il était excellent peintre, et plusieurs des anciennes et plus belles bannières de nos sociétés canadiennes étaient son ouvrage. Il faisait son journal tout seul, sans l'aide d'au- cun autre, si ce n'est pour l'impression. Il rédigeait, composait, dessi- nait les caricatures et les gravait sur bois. Cette feuille était très bien faite, mais elle ne vécut que quelques mois. Lors de sa dispari- tion, M. Gagnon publiait le fait en disant que la Lanterne Magique était née cent cinquante ans trop vite.

Dans le mois d'octobre 1878, M. Honoré Mercier, qui fut plus tard premier ministre de la province de Québec, était venu à Worcester faire une conférence. M. Charles Gigault, excellent jeune homme, chimiste de son état, instruit, et en vue parmi la population, ayant été désigné pour présenter le conférencier à l'auditoire, s'acquitta de sa tâche d'une manière convenable, mais il voulut ajouter quelques mots en dehors du sujet qu'il avait préparé, et se trouvant embarrassé, il balbutia quelques paroles inintelligibles pour terminer. M. Gagnon, qui était taquin, écrivit dans le Travailleur, sur un ton de plaisan- terie, que M. Gigault avait présenté le conférencier avec tout le "tact" qu'on lui connaît. Gigault, piqué au vif, jura qu'il se vengerait. La vengeance de Gigault se traduisit par la fondation d'un nouveau jour- nal pour faire concurrence au Travailleur. Le 10 janvier 1879 parais- sait le premier numéro du Bien Public, qui était publié trois fois la semaine. Dans l'automne de 1880, malgré qu'il eut absorbé le Pro- tecteur Canadien de Fall-River, comme un tonique pour lui aider à survivre, vers le mois de janvier 1881, le Bien Public disparaissait

1. Aujourd'hui rédacteur de "L'Indépendant," de Fall-River.

2. Juge à Central Falls, R.-I.

3. M. Tardivel est retiré du journalisme depuis nombre d'années et il exerce main- tenant la profession a'avocat à Boston.

138 Histoire de la Presse Franco-Américaine

après avoir englouti $1700 à son propriétaire. M. Gigault publiait sa feuille tout en faisant son travail à la pharmacie du Dr Napoléon Jacques. Encore, si ça n'avait été que cela ; mais il s'ensuivit de plus une carrière ruinée, une santé toute délabrée, puis, après quelques mois, la tombe. Pauvre Gigault, sur le train en route pour le Canada il allait mourir, il disait à l'auteur de ce livre qui faisait le voyage avec lui: "Comme on est bête de vouloir faire ce qu'on ne connaît pas." Combien en a-t-on vu fonder de journaux pour satisfaire des antipa- thies, des jalousies et des haines! Presque tous nos grands centres en ont été témoins : Lowell, Manchester, Fall-River, Woonsocket, Holyoke, etc.

Dans le journalisme canadien des Etats-Unis il y a eu des hommes de toutes sortes, des excentriques, des ignorants, des prétentieux. Plusieurs hommes instruits et de talent ont été mêlés à cette carrière ingrate.

C'est ainsi que l'éditeur du Courrier de Worcester, M. Victor Bélanger, qui vit le jour "pour la première fois" au Canada, comme il le disait dans l'une de ses harangues, fît du journalisme pendant près de dix ans. C'était un bon typographe, malgré son excentricité, et il avait des qualités. Il avait le tour de saigner les chefs du parti répu- blicain. C'était sa première et sa plus utile qualité.

Le 6 février 1880, Victor Bélanger, ci-devant typographe au Bien Public, sortait le premier numéro du Courrier de Worcester. En même temps il publiait une édition du Courrier pour Woonsocket, et en 1883 une autre pour Taunton. Le Courrier, par la suite, devint semi-quotidien, et en 1892 il passa aux mains de Benjamin Lenthier qui le fît disparaître quelques mois plus tard. Les deux ou trois premières années du Courrier, M. François Odier, un Français, en fut le rédacteur. Comime l'on voit, pendant un certain temps il y avait, il y a une trentaine d'années, trois journaux de langue fran- çaise publiés à Worcester.

M. Bélanger, qui avait un génie inventif, fît breveter plusieurs in- ventions dont une lui apporta une grande fortune, avec les revenus de laquelle il vit dans l'opulence à Paris, et il exploite de riches mines au Mexique.

Le Républicain, fondé en 1892 par M. P.-U. Vaillant et un Belge nommé Laurie, vécut pendant quelques mois seulement. M. Vail- lant rédigeait et M. Laurie était l'administrateur.

Les journaux de Worcester 139

Louis-J. Latour fondait le Réveil en 1895 et publiait cette feuille près de deux ans. M. René de Chalut en était le rédacteur.

Avec la disparition du Travailleur, dont le dernier numéro parut le 31 décembre 1892, Worcester restait sans journal français. Il n'é- tait pas possible que la colonie canadienne de Worcester restât ainsi longtemps privé d'un organe français. Il était d'absolue nécessité que l'œuvre commencée par Ferdinand Gagnon, Frédéric Houde, et continuée par d'autres dût être reprise, si l'on voulait conserver notre influence acquise au prix de tant d'efforts et de travail. Cela demandait assurément une certaine dose de courage et de persévé- rance, car tout était à créer: achat de matériel, installation, clientèle d'abonnements et d'annonces. Les frères Belisle, dont j'étais du nombre, tentèrent l'entreprise avec un capital bien restreint mais suffisant tout de même pour des débuts modestes. Les fondateurs de L'Opinion Publique furent, par ordre d'âge, Alexandre, Félix-A., Eugène-L., Georges-E., et Charles-Edmond Belisle. Le premier numéro parut le 27 janvier 1893. Il était publié deux fois par semai- ne. M. P.-U. Vaillant en a été le premier rédacteur. Les autres ré- dacteurs de L'Opinion Publique jusqu'à nos jours furent successive- ment Rémi Tremblay,! Thomas Côté,^ Sylva Clapin,^ J.-Arthur Fa- vreau,"* Télesphore Saint-Pierre, Bruno Wilson, Charles-R. Daoust, et enfin J.-G. LeBoutillier qui remplaçait M. Daoust le ler mai 1907.

Il sera question de L'Opinion Publique d'une manière plus détail- lée plus loin au chapitre des journaux vivants.

Le Coq, journal humoristique; le premier numéro parut le 4 juillet 1901, publié par J.-Arthur Roy & Fils, hebdomadaire, à Wor- cester. Vécut quelques mois.

Un dernier journal a vu le jour à Worcester après la fondation de L'Opinion Publique, mais il n'était pas viable. C'est le Canadien- Américain, journal quotidien qui avait la prétention de combler une lacune en paraissant le matin. Le premier numéro de ce journal quo- tidien parut le 14 avril 1907. M. J.-T. Lord en était l'éditeur, et le bailleur de fonds était son beau-père, M. Godfroy Fournier,'' un des

1. Aujourd'hui fonctionnaire du gouvernement à Ottawa.

2. Le même Thomas Côté, qui fut plusieurs années à la rédaction de la "Presse" de Montréal, politicien influent et commissaire du Canada à l'exposition de Bruxelles en 1910.

3. Aussi fonctionnaire civil à Ottawa, frère de M. l'abbé Clapin, ancien recteur du Collège Canadien à Rome.

4. Assistant inspecteur des succursales des postes de Boston.

5. M. Godfroy Fournier est décédé à Worcester le 10 décembre 1910.

140 Histoire de la Presse Franco- Américaine

Canadiens les plus riches de Worcester. M. David Lavigne^ en était le rédacteur.

Le Canadien-Américain s'intitulait le seul quotidien français du matin dans la Nouvelle-Angleterre, et à ce titre les promoteurs de la nouvelle entreprise fondaient les espérances les plus optimistes pour l'avenir. Cependant la réalité n'a pas répondu à ses espérances. Dès le début, le Canadien- Américain se heurta à des difficultés insur- montables, dont la question financière n'était pas la moindre. Aussi, il faut bien le dire, la tentative de fonder un deuxième quotidien à Worcester, celui qui existait déjà était amplement suffisant pour les besoins de notre population, paraissait quelque peu bizarre et hasardeuse. D'un autre côté il faut remarquer que la fondation d'un journal demande de la part des promoteurs des aptitudes toutes spé- ciales, à part un capital suffisant pour faire face aux premiers frais d'exploitation en attendant que les recettes entrent dans la caisse.

Quinze numéros seulement du Canadien- Américain furent publiés. Cependant le dernier numéro parut après une suspension de deux ou trois jours. Enfin, par un suprême effort un dernier numéro parut, comm.e pour être en quelque sorte un chant du cygne. En effet, on pourrait peut-être appeler un chant du cygne d'un nouveau genre l'article que contenait ce dernier numéro. Dans cet article on tansait d'importance les envieux qui voyaient déjà la fin du Canadien- Américain et on proclamait avec emphase que le journal n'était pas mort, qu'il avait bonne envie de vivre, qu'il allait confondre ceux qui le croyaient mort et qu'il vivrait en dépit de tous les obstacles, ou quelque chose comme cela. C'était dans les premiers jours de mai, alors que tout dans la nature renaît à la vie après le long assoupisse- ment de l'hiver, que le Canadien- Américain sombra dans l'abîme, écrasé par un poids trop lourd à porter pour ses faibles épaules. Cette tentative coûta près de $2,500.

Au mois de décembre 1907, M. Charles-R. Daoust publia deux petites feuilles dont l'une portait le titre Mon Journal et la seconde Le Journal; il n'en parut qu'un numéro de chaque.

1. M. Lavigne fut choisi quelques mois plus tard comme rédacteur de la "Tribune" de Woonsocket. pour succéder à M. J.-L.-K. Lafiamme. qui s'en était allé à "L'Action Sociale," nouveau journal fondé à Québec en décembre 1907.

il

m

CHAPITRE VINGT-TROISIEME Les journaux de Fall-River^

ES débuts du journalisme canadien à Fall River sont associés avec le nom de Honoré Beaugrand, qui, plus tard, retourna à Montréal, y fonda la Patrie et fut maire de la ville. Beaugrand, en société avec le Dr Alfred Migneault, lança le premier journal français de Fall- River, L'Echo du Canada, en juillet 1873. Dès lors l'on vit nos com- patriotes s'occuper plus activement de la naturalisation et de l'orga- nisation de sociétés nationales. La colonie canadienne de Fall-River devenait déjà nombreuse et il fallait se réunir pour se connaître, se compter et se concerter pour l'action. Le journal était certainement le plus puissant m.oyen d'accélérer et de fortifier le mouvement du patriotisme dans les rangs.

Après le départ de M. Beaugrand, au printemps de 1875, pour Saint-Louis, Missouri, il devait fonder un autre journal, M. Charles de Gagné devint rédacteur et administrateur de L'Echo du Canada. En juin 1875 le journal passait aux mains de MM. L.-G.-A. Archam- bault et H.-R. Benoit. Au mois de septemibre M. Benoit devenait propriétaire du journal, puis le fusionnait avec son Ouvrier Cana- dien, qui venait de paraître, en 1875. Quelques mois après la fusion, les deux disparaissaient pour toujours. L'Echo du Canada avait des éditions à Boston et Lowell, Pendant un certain temps M. Beau- grand s'était associé avec un Américain nommé Richards. Le jour- nal publiait des vignettes.

Au mois de décembre 1874 un nouveau journal faisait son appari- tion à Fall-River. C'était une feuille moitié française et moitié an-

1. Nous devons prévenir les lecteurs que dans la rédaction de ce chapitre, nous avons puisé certains renseignements dans le "Guide Français" de Fall-River pour 1909-10, L.-J. Gagnon et Cie, imprimeurs, rue South Main, 402, Fall-River.

142 Histoire de la Presse Franco-Américaine

glaise. Son nom était Bulletin et Charivari. Les éditeurs étaient MM. Fiske et Monroe. M. H.-R. Benoit rédigeait la partie française. Ce journal ne répondait guère aux aspirations patriotiques de nos compatriotes, et il n'eut qu'une courte existence. Aussi il est bien possible que sa mort eût été hâtée par une poursuite en diffamation de caractère au montant de $5,000 que lui intenta M. Beaugrand.

Au mois de novembre 1875 un quatrième journal hebdomadaire succédait à L'Echo du Canada et Ouvrier Canadien. Le nouveau journal, Le Protecteur Canadien, était rédigé en collaboration, avec le Dr Alfred Migneault comme secrétaire de la rédaction. Le 10 mai 1876, les ateliers du Protecteur Canadien furent détruits par un incendie. Mais le journal ne tarda pas à se relever de ses cendres; un nouveau matériel fut acheté et la publication fut reprise peu de temps après, puis vendu à Charles Gigault, éditeur du Bien Public de Worcester, en janvier 1881. Deux mois plus tard il cessait d'exis- ter.

De tous les journaux de Fall-River, à part L'Indépendant, c'est le Protecteur Canadien qui vécut le plus longtemps. En effet, il dura près de sept ans. En 1892 nous trouvons un autre Protecteur sous la direction de M. H. Boisseau qui, cette année-là, le cédait à M. Adélard-E. Lafond. C'était dans le temps Benjamin Lenthier, du fameux National de Lowell, parcourait les villes de la Nouvelle- Angleterre, fondant des succursales politiques du National et ache- tant les jounaux qu'il pouvait. A son passage à Fall-River, Lenthier s'entendit parfaitement avec Lafond, qui lui céda temporairement le Protecteur, lequel devait être et fut effectivement imprimé aux ate- liers du National. Lafond envoyait la chronique de Fall-River au bureau du journal à Lowell avec ses annonces, et le reste des colon- nes était rempli avec la matière du National, comme au reste pour les autres journaux subsidiaires. Le Protecteur Canadien était alors bi-hebdomadaire.

Adélard Lafond était un jeune homme dans la vingtaine, plein d'ardeur et d'ambition et frayant avec les politiciens du jour. Il avait un talent d'organisation hors ligne, mais c'était un pauvre adminis- trateur. Il en a donné une preuve manifeste durant la dernière année de l'existence de son journal.

Au mois de mars 1894 le National faisait faillite et la plupart des journaux Lenthier sombraient dans la catastrophe. Le Protecteur

Victor Bélanger

E. Lassonde

Les journaux de Fall-River 143

resta debout cependant, Lafond en ayant repris la propriété des mains de Benjamin Lenthier tout en pratiquant une saisie-arrêt avant juge- ment sur le mobilier de la rédaction et administration du National. Nanti de ces articles, entre autres trois magnifiques pupitres, Lafond s'en retourna à Fall-River où, dans les semaines suivantes, il surveilla l'installation de son nouvel atelier au bas de la rue Bedford, près du bureau de poste. Avant son départ de Lowell avec les dépouilles du National, il avait eu le soin d'engager les typographes du National, ou du moins une partie d'entre eux, de même qu'une partie du per- sonnel de la rédaction. Vers la fin d'avril les futurs employés de Lafond prenaient le train à Lowell pour Fall-River, ovi ils furent reçus dans la soirée à la gare par ce dernier et installés provisoirement à un hôtel.

Le premier numéro du Protecteur quotidien parut dans la pre- mière semaine de mai. Lafond avait un bon bailleur de fonds en la personne de son beau-père, le Dr C.-H. Chagnon, le plus ancien médecin canadien de Fall-River et le premier praticien qui fût venu s'y établir. Les ateliers de composition et les bureaux d'administra- tion et de rédaction étaient situés au troisième étage d'un immeuble de la rue Bedford. Pour commencer le journal était imprimé sur la grosse presse de l'établissement Hathaway, Bourbonnière et Cie, qui occupait l'étage au-dessus. Au bout de quelque temps, M. La- fond, voulant être complètement dans ses meubles, s'embarqua un bon jour pour New-York et y fit l'achat d'une presse de seconde main. Lafond se connaissait en presse à peu près comme un cordonnier s'y connaît en tissage. Aussi les marchands de bric-à-brac de New- York avaient-ils beau jeu pour lui fournir une vieille machine détra- quée. V

Quoiqu'il en soit, la presse du Protecteur, une fois installée de peine et misère, marcha déplorablement. S'il n'y avait eu encore que la presse qui fît défaut, il y avait toujours un remède en recourant aux bons ofBces de MM. Hathaway et Bourbonnière. Mais l'époque ne tarda pas à arriver où, le capital investi par le beau-père se trou- vant épuisé, les employés virent le payement de leur salaire en très grande partie suspendu et naturellement ils crièrent famine.

Le Protecteur était donc installé comme journal quotidien en compétition avec L'Indépendant, qui d'hebdomadaire était devenu quotidien dans l'automne précédent (1893.)

144 Histoire de la Presse Franco-Américaine

C'était une feuille à quatre pages de sept colonnes, composée à la main par quatre ou cinq typographes. Les machines à composer, dont l'invention était toute récente, étaient alors un objet de luxe en usage seulement dans les grands journaux américains. Le per- sonnel de la rédaction comprenait: MM. François-Olivar Asselin,. J.-G. LeBoutillier et Charles de Gagné. C'est le même Asselin qui fut plus tard secrétaire d'un ministre du cabinet à Québec, fondateur du Nationaliste de Montréal, l'un des plus redoutables jouteurs de la presse du Canada et peut-être la plume la plus acerbe, la plus sar- castique et la plus implacable qui ait jamais passé dans la presse canadienne-française. Asselin faisait donc alors ses première armes dans le journalisme. Il avait à peine vingt ans. Il demeurait avec sa mère restée veuve peu de temps auparavant avec plusieurs enfants dont il était l'aîné. La famille était venue de Rimouski à Fall-River. Malgré sa jeunesse, Asselin s'était déjà fait une réputation de bril- lant écrivain. Son esprit vif et pétillant, sa verve caustique, pendant son court début au Protecteur comme journaliste militant, dénotaient que ce jeune homme imberbe, à peine sorti de l'adolescence, ferait da bruit dans le monde, comme du reste il en a fait.

Les affaires allèrent assez bien pendant les mois d'été, tant que les employés (mes hommes, comme les appelait Lafond), étaient ré- gulièrement et intégralement payés. Mais au retour de l'automne les choses changèrent d'aspect, dès que le capital investi par le Dr Chagnon fut épuisé. Cependant le journal continua à marcher clopin-clopant. Lafond avait un talent tout particulier pour ama- douer "ses hommes" et leur faire prendre patience en attendant des jours meilleurs, qui hélas ! ne devaient jamais venir. Ils avaient tou- jours la ressource de se serrer le ventre, comme ce pauvre Beaudet, de St-Paul, Minn. Les hommes, le samedi, recevaient une pitance sous forme d'une petite fraction de leur salaire, juste assez pour les empêcher de crever de faim, la balance s'accumulant l'une sur les autres au débit de l'éditeur-propriétaire. Une couple de mois peut- être avant la chute définitive du journal, aux environs du ler janvier, Lafond avait réuni ses hommes un soir dans le bureau de rédaction, et il leur tint un discours qui dura bien une heure. Tout ce verbiage était aux fins de gagner un peu de temps en persuadant aux rédac- teurs et typographes de patienter et de continuer à travailler à des salaires de famine ou pour rien du tout, en attendant l'exécution d'un

Les journaux de Fall-River 145

plan, dont les détails ne pouvaient pas être dévoilés, mais qui devait faire la fortune du journal et rembourser les hommes de tous leurs arrérages. Tout cela était agrémenté de force "rafraîchissements." Asselin, qui était sobre, donnait parfois sarcastiquement la réplique au patron, mais celui-ci avait toujours le mot pour répondre aux objections les plus serrées. Lafond gagna que ses hommes travail- lassent à ces dures conditions. Une pareille situation plaisait médio- crement à Asselin qui n'attendit pas la catastrophe finale pour donner sa démission. On sait qu'il en a donné d'autres par la suite, parti- culièrement lorsqu'il sortit de la Patrie en faisant claquer les portes. Charles-R. Daoust, qui avait passé cet hiver-là à Fall-River, guettant une position quelconque dans le journalisme, sauta à pieds joints dans les souliers d'Asselin, malgré les maigres émoluments attachés à la position et qui encore n'étaient payés que par bribes.

Enfin un beau matin, dans les premiers jours de mars, les hommes furent reçus à la boutique avec l'annonce que le journal avait été vendu au Dr Chagnon avec toutes ses dettes. Le fait était que la posi- tion étant devenue intenable, le gendre avait cédé au beau-père, à charge de payer les dettes y compris les arrérages de salaire des employés, le titre et le matériel du journal. C'était une bonne aubaine pour ces derniers à qui Lafond paya, avec l'argent du Dr Chagnon, tous leurs arrérages. Le deuxième Protecteur Canadien de Fall- River était disparu à tout jamais. Les employés, dont plusieurs avaient connu les derniers mauvais jours du National, se dispersèrent courant après une vie meilleure. Asselin suivit Lafond à Woonsocket, celui-ci fonda la Tribune, ce même printemps de 1895. LeBou- tillier resta à Fall-River. En juillet de la même année un agent- voyageur de la Presse de Montréal le trouvait au service d'une com- pagnie d'assurance industrielle sur la vie et le nommait agent et cor- respondant de ce journal pour la ville de Fall-River. C'était dans le temps la Presse faisait toute une propagande organisée pour s'éta- blir d'une manière permanente dans les centres canadiens de la Nouvelle- Angleterre.

Adélard Lafond n'était pas homme à se décourager pour si peu. Il avait perdu un journal, il en fondait un autre ailleurs. Il choisit Woonsocket comme le théâtre de ses nouvelles entreprises journalis- tiques. Il s'attacha encore les services d'Asselin comme rédacteur,

11

146 Histoire de la Presse Franco- Américaine

et tous deux partirent pour Woonsocket la Tribune ne tarda pas à paraître.

M. Honoré Beaugrand, l'un des fondateurs de L'Echo du Cana- da, étant revenu de l'Ouest dans l'automne de 1875, fonda en septem- bre le cinquième journal français de Fall-River qu'il appela la République. Avec le Protecteur Canadien, qui existait déjà depuis deux ans, cela faisait deux journaux à Fall-River. M. Narcisse Cyr fut le rédacteur de ce nouvel hebdomadaire, qui disparut en février 1878. Le premier Protecteur Canadien en recueillit la succession. Narcisse Cyr avait le titre de rédacteur, mais cela ne veut pas dire que Beaugrand n'écrivait pas, car on sait qu'il était une fine plume. Seulement il se faisait assister. Narcisse Cyr devint plus tard pré- dicant protestant parmi nos compatriotes apostasies. A l'école de Beaugrand, qui se distinguait dès lors par son radicalisme avancé, il ne pouvait certainement pas s'inspirer de bons sentiments envers la religion catholique, bien au contraire. C'est dans la République de Fall-River que Beaugrand publia en feuilleton son roman de mœurs ouvrières "Jeanne la Fileuse."

En 1882, un sixième journal. Le Castor, naissait dans Fall-River, publié par Henri Boisseau & Cie, avec A.-E. Thivierge comme rédac- teur. Les affaires allaient bien dès les premiers mois, puisque le journal fut successivement agrandi. L'année suivante, M. P.-U. Vaillant devenait le rédacteur en chef et co-propriétaire avec M. Bois- seau. C'était à l'époque des fameux troubles de la paroisse de Notre- Dame de Lourdes, après la mort du grand patriote que fut le curé P.-J.-B. Bédard, le fondateur de la paroisse. Le Castor relatait alors chaque semaine les péripéties de la lutte qui s'était engagée entre les paroissiens et l'évêque Hendricken, de Providence, qui avait nommé un curé irlandais comme successeur de M. Bédard, et que les parois- siens avaient jeté dehors dès le premier dimanche qu'il mit le pied dans l'église. Ce fut une lutte homérique et dont les anciens de Fall- River qui y ont participé activement ou en ont été les spectateurs, gardent toujours un souvenir vivace. L'évêque ferma l'église et elle ne fut rouverte qu'un an après, les Canadiens de Fall-River ayant eu gain de cause à Rome qui ordonna à Mgr Hendricken de rouvrir l'é- glise et d'y installer un curé canadien. Ce fut une victoire mémora- ble que M. Vaillant proclama avec enthousiasme dans les colonnes du Castor. Cette victoire, en effet, donna un coup formidable aux

Les journaux de Fall-River 147

prétentions de certaines autorités épiscopales à vouloir contraindre nos compatriotes à s'américaniser de langue, sous le fallacieux pré- texte de rendre plus facile l'exercise du culte.

Au mois d'avril 1885 le Castor passa aux mains de MM. Antoine Houde & Cie. Ils changèrent le nom du journal pour l'appeler L'In- dépendant, dont le premier numéro parut le 27 mars 1885.

Le septième journal de Fall-River ne pouvait manquer d'envisager l'avenir avec calme et sans crainte, car un septième est généralement un privilégié de la fortune, s'il faut en croire un axiome fort en vogue parmi nos populations. Toujours est-il que ce septième journal a vécu jusqu'à ce jour et, comme le dit si bien le Guide Français de Fall-River de 1909-10, loin de perdre de sa vigueur en vieillissant, il semble, au contraire, marcher de plus en plus alertement dans la voie du succès.

Aussi, à l'époque L'Indépendant faisait son apparition, le journalisme canadien de Fall-River commençait à sortir des langes de l'enfance. Le terrain était bien préparé pour les succès de l'avenir. Quand nous disons succès, nous appliquons ce mot particulièrement à L'Indépendant. Car les autres qui ont surgi ensuite n'ont guère eu de succès, puisqu'ils sont à peu près tous disparus à tour de rôle.

Le premier rédacteur de L'Indépendant fut M. Vaillant. La même année cependant, il se retirait pour faire place à M. Rémi Tremblay qui avait été ci-devant traducteur à la Chambre des Com- munes à Ottawa. Cette même année-là, en 1885, M. Tremblay, avec quelques-uns des principaux Canadiens de Fall-River, fondait la Ligue des Patriotes.!

En 1889, M. Onézime Thibault achetait L'Indépendant. Sous sa direction, et avec un rédacteur tel que M. Tremblay, le journal devint un organe de tout premier ordre, représentant dignement la colonie canadienne de Fall-River qui prenait de plus en plus une extension considérable, grâce aux flots d'émigrants qui arrivaient, comme l'on disait alors, pleins chars."

Le temps cependant arrivait nos journaux des grands centres, de feuilles périodiques devaient passer au rang des journaux quoti- diens. Des journaux existants en 1893, L'Indépendant fut le troisiè- me à devenir quotidien. Le premier numéro comme tel paraissait le

1. Le dimanche, Jour de Noël 1910, le 25e anniversaire de la fondation fut célébrée en grande pompe. M. Rémi Tremblay, venu exprès d'Ottawa, était présent â, la fête.

148 Histoire de la Presse Franco-Américaine

13 octobre 1893. Les deux autres quotidiens étaient le National et L'Etoile, à Lowell.

En juillet 1894, M. Tremblay ayant donné sa démission, prit la rédaction de L'Opinion Publique. M. Godfroi de Tonnancour lui succéda. Il avait rédigé ci-devant L'Espérance, de Central Falls, publié par J.-Misaël Authier.

En 1902 il y eut un remaniement dans l'administration de L'Indé- pendant en ce sens que M. Thibault intéressa à son oeuvre plusieurs des principaux Canadiens de la ville qui s'organisèrent en une compa- gnie à fonds social. Parmi ceux-ci on comptait M. Hugo-A. Dubu- que et feu M. Pierre-F, Péloquin. M. Thibault conserva la direction générale du journal, et il est encore aujourd'hui à la fois le trésorier et le gérant de la compagnie de L'Indépendant.

Le principal fondateur de L'Indépendant fut Antoine Houde, frère de Frédéric Houde, décédé à Montréal au mois de mars 1907. L'Indépendant, le 20 mars, annonçait la nouvelle dans les termes suivants :

Une dépêche de Montréal annonce ce qui suit:

"Un citoyen bien connu à Montréal et dans le comté de Maskinon- gé, M, Antoine Houde, est décédé à sa résidence No 318^, rue Notre- Dame, à Ste-Cunégonde.

"M. Houde était le frère de feu Frédéric Houde, rédacteur au Nouveau Monde et député de Maskinongé.

"Le défunt brigua lui-même les suffrages dans ce comté. M. Houde naquit et vécut durant longtemps à Louiseville il exerça la profession d'agent d'assurances. Il y a quelques années, il vint se fixer à Montréal il continua sa vie active de représentant des com- pagnies d'assurances. L'an dernier, il acquérait un hôtel à Ste-Cuné- gonde. Le défunt était âgé de 63 ans."

M. Houde dont il est fait mention dans ce qui précède, a passé plusieurs années à Fall-River et ce fut lui qui en 1885 fondait L'In- dépendant en compagnie de l'avocat Edward-E. Higginson de cette ville.

Le premier numéro de L'Indépendant fut imprimé sur le Market Square dans l'édifice se trouve maintenant l'hôtel Crosson. Plus tard M. Houde transporta l'atelier dans l'édifice se trouve actuelle- ment le marché Whitehead. Quelques années après, il vendit ses intérêts dans le journal et il retourna au Canada.

M. Houde, pendant qu'il demeurait ici avait pris une part active à différents mouvements concernant l'amélioration des conditions de nos compatriotes.

Les journaux de Fall-River 149

Un huitième journal parut à Fall-River en 1885, le Bulletin du Dimanche, mais il ne dura que quelques semaines. Il fut fondé par M. Narcisse Cyr, ancien rédacteur de la République, qui était disparue en 1878 après environ un an d'existence.

En octobre 1886 M. P.-U. Vaillant, qui avait été rédacteur du Castor et de L'Indépendant, fondait le Citoyen, un hebdomadaire, et le neuvième journal français de Fall-River. Il dura jusqu'en dé- cembre 1888.

Le Franco-Américain fut fondé en mai 1888 par Benoit, Aubin et Cie. Ce n'était pas le H.-R. Benoit de l'ancien Ouvrier Canadien. MM. Benoit et Aubin étaient protestants et leur feuille s'était donné pour mission d'évangéliser les Canadiens de Fall-River. Mais sa carrière fut bien courte. Cette feuille était peu lue et ses opinions religieuses devaient incontestablement lui aliéner la population.

Au mois d'avril 1890 M. Henri Boisseau fonda le Bourdon, un journal humoristique. Le Bourdon vécut juste la durée de l'insecte dont il portait le nom, c'est-à-dire une saison.

M. L.-J. Gagnon, un ancien typographe au National de Lowell et à L'Indépendant, avait ouvert un atelier d'imprimerie pour les ou- vrages de ville au village Flint, en société avec M. O'Reilly, un vrai Canadien-français malgré son nom anglais. En 1899 MM. Gagnon et O'Reilly fondaient le Bulletin, une petite feuille de famille, parais- sant une fois la semaine. Au bout de trois ans le Bulletin disparut, les propriétaires désirant se consacrer exclusivement à leurs travaux d'impression.

En 1899 parut le Dimanche, un journal du dimanche, comme son nom l'indique. Publié par M. John Durand, après deux ans il dis- parut.

En 1900 un troisième quotidien vit le jour à Fall-River; il s'appe- lait le Journal. La nouvelle feuille était la propriété de M. Edmond Côté, alors marchand de meubles et agent général pour la compagnie des machines à coudre Wheeler & Wilson. M. Côté était un homme fort actif et très entreprenant et il était très heureux dans ses affaires, mais ses succès dans le journalisme furent maigres. Quand il fonda le Journal il préparait sa candidature à la mairie. Dans ce temps un groupe de Canadiens de Fall-River, estimant que leur nombre et leur influence leur donnaient droit de prétendre à l'élection d'un maire de leur nationalité, encouragèrent M. Edmond Côté à se porter candidat

150 Histoire de la Presse Finança- Américaine

pour la nomination dans le parti républicain. Les électeurs canadiens de ce parti auraient bien voté en masse pour le choix de M. Côté aux caucus, mais le clan de langue anglaise, qui était de beaucoup le plus considérable, ne l'entendit pas de cette façon. Un autre candi- dat était désigné pour le choix en la personne du maire sortant de charge. Tout de même M. Côté continua à mener sa campagne au moyen du Journal et autrement pendant l'été et l'automne de igoo, dût-il adopter l'étiquette d'indépendant si les démocrates n'en vou- laient pas. Mais les démocrates n'en voulurent pas. Quoiqu'il en soit, peu de temps avant les caucus, M. Côté annonça qu'il se retirait définitivement de l'arène.

C'était un homme tenace que M. Edmond Côté. Certains Cana- diens marquants de la ville l'avisaient de ne pas persister dans ses ambitions, d'attendre un moment plus propice, de préparer ses bat- teries en attendant, qu'il s'attirerait ainsi beaucoup de sympathie pour une autre année ; mais il ne s'effaça que lorsqu'il eût acquis la con- viction que sa cause était désespérée, et alors il était trop tard pour se ménager des sympathies pour l'avenir.

Pour revenir au Journal, au point de vue financier la publication de cette feuille fut un désastre. M. Côté, probablement fatigué de débourser chaque semaine une somme considérable pour combler le déficit, au printemps de igoi décida de discontinuer la publication du Journal, après environ un an d'existence. Durant ce temps il avait occupé deux locaux ; il avait ses presses et son propre matériel. Le rédacteur était M. J.-L.-K. Laflam.me que M. Côté avait relancé à L'Indépendant il était "city editor." Après la chute du Journal, M. Laflamme s'en alla à la Tribune de Woonsocket, il remplaça M. G. Vekeman, un vétéran du journalisme et un écrivain fécond et distingué dont le nom de plume était Jean des Erables.

En 1902 M. L.-J. Gagnon fit une autre tentative dans le champ du journalisme avec un nouvel hebdomadaire qu'il appela L'Eclaireur. Au bout de deux ans il fut transformé en journal quotidien. Il faut croire que la marge des profits n'était pas encourageante, puisque peu de temps après L'Eclaireur cessait de paraître.

Dans l'automne de cette même année 1902 M. Charles de Gagné fondait le Petit Courrier, de retour à Fall-River après un assez long séjour au Canada. Le Petit Courrier, comme son nom l'indique, est une petite feuille du genre badin et plutôt humoristique, versant

Les journaux de Fall-River 151

cependant à l'occasion dans le genre sérieux lorsque des questions importantes se présentent intéressant particulièrement la nationalité. Car M. de Gagné, qui est aujourd'hui le plus ancien journaliste mili- tant du jour, est un patriote éprouvé, qui s'est trouvé mêlé activement dans tous les mouvements nationaux qui ont agité la population cana- dienne de Fall-River depuis plus de trente ans. Le Petit Courrier paraît encore et il est imprimé aux ateliers typographiques de M. L.-J. Gagnon.

Enfin, pour clore la nomenclature des journaux de Fall-River, le dernier né, si on peut l'appeler proprement un journal, est la Liberté,^ un petit hebdomadaire à huit pages de quatre colonnes, fondé vers le mois de mars igio, par J.-L.-J. Dupuy, un ancien journaliste qui a déjà été attaché à la rédaction de plusieurs journaux. La Liberté n'est pas précisément ce qu'on peut appeler un journal à nouvelles. C'est plutôt une feuille d'annonces agrémentée d'illustrations et dont la principale raison d'être paraît être de mousser les affaires d'une certaine société mutuelle appelée le Secours Ouvrier ou de son vrai nom The Workman's Aid Policy, faisant opération dans le Massa- chusetts et fondée en 1883 et dont le représentant à Fall-River est le propriétaire même de la feuille, le Prof. J.-L.-J. Dupuy. La Liberté contient aussi généralement des articles sur des sujets variés touchant la cause nationale et religieuse de nos populations, et c'est ce qui lui vaut de n'être pas absolument ignoré comme journal digne de ce nom. Cette feuille compte encore au nombre des journaux existants.!

La Correspondance, une feuille du dimanche, parut pendant quel- ques semaines à partir du 24 octobre 1909; elle était publiée par M. Alain Chaput, ci-devant reporter à L'Indépendant et L'Opinion Publique.

Le Foyer Canadien, fondé en 1894, après la chute de son Protec- teur Canadien, par Adélard-E. Lafond, vécut peu de temps.

1. La "Liberté" paraissait encore lorsque ce chapitre a été écrit, mais aujourd'hui nous avons lieu de croire qu'elle est disparue.

J

m

CHAPITRE VINGT-QUATRIEME

Les journaux de Lowell et la New England Investment Company

OWELL fut aussi un foyer ardent du journalisme. Les débuts naturellement aussi en furent des plus humbles. Le nom d'Honoré Beaugrand est encore attaché à la fon- dation du premier journal canadien de Lowell. L'Echo du Canada, hebdomadaire, était une édition du journal de ce nom publié à Fall-River par' M. Beaugrand, et M. J.-H. Guillet en était le directeur local. M. Guillet est aujourd'hui l'un des rares survivants de cette époque lointaine notre presse canadienne des Etats-Unis commençait péniblement son existence, l'un des derniers survivants de la jeunesse d'alors remplie d'ardeur et de patriotisme qui se dévouait pour la sauvegarde de la nationalité au moyen du journal. L'Echo du Canada, fondé en juillet 1874, vécut aussi longtemps que son ho- monyme de Fall-River, c'est-à-dire environ une année.

La République était aussi une édition pour Lowell du journal du même nom publié à Fall-River en 1875 et 1876. M. Guillet en était aussi le rédacteur.

La Sentinelle, fondée en 1879 par feu Georges Lambert, cessa d'exister en janvier 1880, après une année de vie. Jean-Baptiste Hur- tubise acheta le matériel de ce journal et fonda L'Abeille, en société avec M. L.-E. Carufel.

L'Abeille eut la distinction d'avoir été le premier journal quoti- dien des Etats-Unis. Mais son règne comme tel ne fut pas long. La tentative échoua au bout d'environ huit mois. M. Hurtubise et ses associés ne tardèrent pas à s'apercevoir que nos populations en 1881 et 1882 n'étaient pas encore mûres pour une feuille quotidienne. Notre élément n'avait pas encore acquis une importance numérique

Les journaux de Lowell 153

et sociale suffisante pour qu'un quotidien pût trouver les ressources nécessaires pour son existence.

L'Abeille fut d'abord rédigée par L.-E. Carufel. Quelques se- maines après sa fondation la feuille passait aux mains d'une com- pagnie par actions dont les officiers et directeurs étaient: Cléophas Gaudette, président; J.-H. Guillet, secrétaire et trésorier; J.-B. Hur- tubise, gérant. MM. Misaël Dupré et L.-E. Carufel étaient aussi directeurs. A l'automne de 1882 L'Abeille cessa d'être quotidienne et devint bi-hebdomadaire. Elle disparut définitivement en 1884. Lucien Carissan était alors à la rédaction avec Carufel.

Le Journal du Commerce fut fondé au printemps de 1884 par Charles Chagnon, ci-devant du Protecteur de Fall-River, et Eudore Evanturel. Le journal, qui était hebdomadaire, vécut une année. MM. Evanturel et Edouard Vincelette en étaient les rédacteurs. Eu- dore Evanturel était et est encore un poète d'un certain mérite qui a publié un grand nombre de poésies dans les journaux et revues littéraires.

M. Vincelette était un pianiste de talent qui venait d'arriver de Québec à peu près dans le même temps que M. Evanturel. Tout en faisant du journalisme M. Vincelette était organiste à l'église Saint- Joseph. Vincelette demeura longtemps à Lowell, mais Evanturel, à qui l'exil volontaire souriait médiocrement, retourna bientôt à Qué- bec. Ce n'est qu'environ après vingt ans de séjour à Lowell que M. Vincelette s'en alla résider à Montréal avec sa famille.

La Gazette de Lowell vit le jour au printemps de 1886. Publiée par Jean Tourigny, cette feuille n'eut qu'une existence éphémère et disparut à la fin de cette même année, après dix mois d'existence.

Mais généralement, dans nos centres de la Nouvelle-Angleterre, la disparition d'un journal ne portait pas beaucoup à conséquence. Un journal mort, il en naissait un autre. Parfois même, pendant un certain temps, il y avait deux journaux dans la même ville qui se faisaient compétition, avant que l'un des deux soit forcé de laisser le champ libre à l'autre. A Lowell, comme ailleurs, la même histoire se répétait. Plusieurs journaux ont vu le jour dans le but de faire la lutte à ceux qui existaient déjà ou encore pour assouvir une anti- pathie ou une haine contre un ennemi supposé.

L'Etoile, aujourd'hui l'un de nos quotidiens français, fut fondé le 21 mars 1886 par le Cercle Canadien. Des membres de cette associa-

154 Histoire de la Presse Franco-Américaine

tion composaient le bureau de direction du journal; c'étaient MM. A.-A. Parthenais, Henri-J. Lanthier et Weilbrener. En 1889 le Cercle Canadien vendait le journal à Lépine et Cie. Cette société était composée à l'origine de MM. Aimé Gauthier, Henri-J. Lanthier, Clovis Bélanger et Maxime Lépine. Louis-P. Turcotte en était l'agent d'annonces. MM. Gauthier et Lanthier se retirèrent successivement de la société au bout de quelques années, et M. Dupont fut adjoint comme associé à MM. Lépine et Bélanger. Pendant un grand nombre d'années par la suite L'Etoile connut d'assez beaux jours, malgré que ce journal fût souvent en butte aux mesquineries et à la malveil- lance de certains de nos compatriotes. C'est ce dont se plaignait L'Etoile dans son numéro du 23 février igio. "Dans le temps du Cercle Canadien, disait-elle, dans le temps de Lépine et Cie, comme maintenant, il s'est toujours trouvé des personnes charitables pour colporter de maison en maison la nouvelle que L'Etoile était à la veille de cesser sa publication et de nouveaux journaux étaient fon- dés dans le but de travailler à sa destruction."

Toujours est-il qu'à la fin L'Etoile a bel et bien disparu un certain temps durant l'été de igio. L'extrait ci-dessus fait voir qu'au mois de février igio L'Etoile n'était plus la propriété de la société Lépine et Cie, et ce changement de propriétaires devait précéder une catas- trophe à brève échéance. Quand Benjamin Lenthier vint de Platts- burg à Lowell avec son National pour s'y implanter en 1890, cela pouvait fort bien passer comme un défi au journal déjà existant. Le National devenait quotidien le 17 mars 1891. De ce côté il avait l'avantage sur L'Etoile. Ce ne fut que deux ans après, le 20 mars 1893, que L'Etoile devint journal quotidien. L'année suivante le National devait disparaître emporté dans une retentissante faillite et L'Etoile avait désormais le champ libre.

L'Etoile eut successivement comme rédacteurs, MM. Desacq, J.-E. Marier, Alfred Bonneau, Edouard Vincelette, H. Bélanger, Charles-R. Daoust, Bruno Wilson, Jean-Louis Richard, Arthur Smith et Arthur Beaucage. Ce dernier était chargé de la rédaction depuis quelques mois à peine lorsque survint le désastre du printemps 1910 causé par la mise en liquidation judiciairement de la New England Investment Co., à qui, par ricochet, le journal appartenait depuis le mois d'avril 1909.

Les journaux de Lotvell 155

La New England était une compagnie par actions fondée à Man- chester, N.-H., en 1906 par M. Joseph de Champlain, un homme qui rêvait de grandes choses pour sa race aux Etats-Unis et avait une ambition démesurée. A cela il ajoutait un aplomb imperturbable dans les assemblées publiques, une faconde intarissable et une audace qui ne se démentait jamais. De Champlain louait des salles publiques il convoquait des assemblées le soir, tout le monde étant admis gratis. Il faisait alors un discours devant une salle comble, exposant ses théo- ries sur la concentration des capitaux en une vaste organisation indus- trielle, commerciale et financière qui devait englober tout l'élément franco-américain de la Nouvelle-Angleterre et en faire une puissance à l'instar des grands trusts américains. Les théories de de Cham- plain étaient magnifiques et étaient bien faites pour en imposer aux esprits simples et peu au courant de l'ordre réel des choses. Le père de la New England avait aussi un talent oratoire unique. Ce n'est pas que son langage fût très élégant ou châtié, mais sa verve était intarissable ; il sautait d'un sujet à un autre avec une souplesse éton- nante; il avait le talent de mêler une foule de choses, tout cela pré- senté avec de grands éclats de voix, des gestes à la Danton, des mou- vements de tête inspirés, des phrases sonores et ronflantes, souvent incohérentes ; mais n'importe, il se trouvait toujours des crédules, éblouis par une telle éloquence, qui se laissaient convaincre et dé- liaient les cordons de leur bourse. Les dames et les demoiselles for- maient une bonne partie de ces auditoires. Cela explique en partie comment il se fait qu'un si grand nombre de personnes du beau sexe se sont trouvées à la fin les victimes de la faillite de la New England qui avait engouffré leurs économies péniblement amassées au prix d'un long travail.

De Champlain avait commencé par établir une industrie de la glace à Manchester. Il était secondé dans ses assemblées et ses entrepri- ses par de fidèles lieutenants tout aussi disposés à travailler pour la gloire du nom canadien-français aux Etats-Unis. Mais il ne devait pas limiter ses opérations à la ville de Manchester. Il résolut de fonder un organe, un journal à lui pour répandre plus efficacement l'évangile de la concentration des capitaux parmi nos populations canadiennes de la Nouvelle-Angleterre. De cette idée géniale naquit le Réveil à Manchester, fondé avec l'argent des actionnaires de la New England. Au mois d'avril 1909, la soi-disante compagnie du

156 Histoire de la Presse Franco-Américaine

Réveil acheta L'Etoile. Cela faisait un deuxième organe quotidien pour la fameuse corporation dont le chef, encouragé par ses satel- lites, rêvait à son endroit les plus hautes destinées. Dès lors M. de Champlain avait la haute main sur deux journaux quotidiens. Il réorganisa complètement L'Etoile, qui parut sous un format agrandi, journal à huit pages de sept colonnes au lieu de six; il acheta du ma- tériel neuf, une grosse presse nouvelle, déménagea dans des quartiers mieux situés et plus vastes ; en un mot il fit tout cela avec l'argent des actionnaires de cette pauvre New England qui n'allait pas tarder de succomber à la tâche.

Les propriétaires de L'Etoile, MM. Lépine, Bélanger et Dupont, furent parfaitement désintéressés, après les dettes et hypothèques payées, de sorte que le journal se trouvait libéré de toute obligation, sauf celle qu'il avait contractée vis-à-vis la New England, et ce n'en était pas une petite, car pour les vendeurs comme pour les acheteurs il eut cent fois mieux valu que L'Etoile restât comme elle était au- paravant. Mais encore ici c'est la même vieille histoire qui se répé- tait : l'ambition mal dirigée et le désir effréné de s'enrichir sans travail honnête conduisent souvent à une lin lamentable. Après la vente de L'Etoile, son ancien principal propriétaire. M, Maxime Lépine, se mit au service du sieur de Champlain comme l'un des organisateurs généraux de la compagnie, parcourant les villes de la Nouvelle-An- gleterre, tenant des assemblées publiques avec le grand chef et pré- sident, M. de Champlain, et autres personnages fonctionnaires à un titre quelconque de la corporation. C'était le travail public pour am.ener l'eau au moulin, c'est-à-dire soutirer les économies des gens crédules et naïfs des gogos, comme on avait pris l'habitude de les désigner. Le travail privé était fait par une nuée d'agents établis dans chaque centre, petit ou grand, de la Nouvelle- Angleterre, dont la besogne consistait à vendre des parts de la New England, dont le nombre était illimité. Ces parts avaient une valeur fictive qui montait graduellement comme pour démontrer que la solidité de la compagnie montait en proportion. Mais cela importait peu; l'essen- tiel c'était de recevoir de l'argent, dont une partie, comme libérale commission, restait dans le gousset de l'agent et le surplus était en- voyé au siège de la compagnie à Manchester.

Maxime Lépine passa ainsi l'été de 1909 à pérorer sur les estrades en compagnie de son chef, réfutant les attaques dont la New England

Les journaux de Lowell 157

était alors l'objet de la part de certains journaux et autres et promet- tant la richesse à ceux qui mettraient leur argent dans les caisses de la New England. Pendant ce temps-là L'Etoile publiait des articles flamboyants, chantant la gloire de M. de Champlain et les hautes des- tinées réservées à la New England, et les rapports des assemblées tenues ici et dans les villes de la Nouvelle-Angleterre pour servir d'amorce aux économies de nos populations, La rédaction de ces articles et de ces rapports était typique. Dans les premiers, la New England était représentée comme la panacée qui devait régénérer la race canadienne-française aux Etats-Unis et la mettre sur un pied d'égalité avec le grand monde de l'industrie et de la finance améri- caines. La New England devait être le noyau des grandes entre- prises que, grâce à la concentration des capitaux, le grand homme, l'homme de génie qu'était Joseph de Champlain, devait créer, comme des chemins de fer, des banques, etc. Il n'était pas jusqu'à la ques- tion religieuse que le président de la New England ne se faisait fort de régler en ce qui concernait la nomination des évêques et des curés dans les diocèses ou paroisses canadiens-français. Les rapports des assemblées étaient écrits dans un style choisi pour la circonstance: enthousiasme délirant, une salle comble, une véritable ovation aux orateurs, des tonnerres d'applaudissements, etc. Tels étaient les termes familiers de ces rapports qui ne différaient guère les uns des autres. Tout cela était répété dans le Réveil de Manchester, car il faut remarquer qu'une partie du Réveil était faite avec la matière de L'Etoile, à Lowell même. Le rédacteur des deux journaux dans le temps était Arthur Smith, qui se faisait surtout remarquer par la violence de son langage quand il se mettait en frais de répondre aux journaux et à ceux qu'il appelait les détracteurs de la New England.

Les événements subséquents montrèrent pleinement que les dé- tracteurs de la New England avaient eu raison de conseiller la pru- dence.

Après avoir servi pendant quelques mois comme organisateur général de la compagnie, ou quelque chose comme cela, Maxime Lépine rentrait à L'Etoile en qualité de gérant, et Arthur Smith, qui cumulait les fonctions de gérant avec celles de rédacteur en chef, sortit définitivement du journal.^

1. Depuis que ceci a été écrit, M. Artliur Smith est retourné à "L'Etoile," après la vente de ce journal à MM. Biron et Ctiaput.

158 Histoire de la Presse Franco-Américaine

Désormais le sort de L'Etoile était lié à celui de la New England. L'Etoile appartenant à la compagnie du Réveil et celle-ci apparte- nant à la New England, ces deux journaux pour combler leurs déficits avaient naturellement la ressource de tirer sur les fonds de la New England provenant de la vente des parts. Cela marcha ainsi pendant quelque temps, tant que la compagnie de M. de Champlain ne fut pas inquiétée. Mais la catastrophe prévue depuis longtemps par les gens observateurs ne devait pas tarder à se produire, et au printemps de igio le branle-bas général était donné.

Il n'entre pas dans le cadre de cette histoire de relater en détail les troubles de la New England Investment Company. Ce que nous venons d'en dire est à seule fin de montrer les causes du désastre qui fondit sur L'Etoile au printemps de igio. Une demande à la cour de mettre la New England sous séquestre judiciaire fut accordée. Plus de ventes de parts, les beaux jours, les jours d'abondance étaient pas- sés, l'argent allait commencer à faire défaut. L'Etoile ne pouvait indéfiniment être publiée à perte. La première chose que firent les gardiens judiciaires de la New England fut de se débarrasser de tout ce qui était une source de perte. La vente de L'Etoile fut donc décidée, avec tout son matériel. En attendant, la publication en fut suspendue. Quelques semaines plus tard la vente était effectuée aux enchères publiques. Les acquéreurs furent MM. L.-N. Biron et Paul Chaput, le premier éditeur de L'Impartial de Nashua, et l'autre édi- teur du Courrier de Salem. Après quelques jours de suspension, L'Etoile ressortit sous un format réduit, mais le journal était à jamais perdu pour ses anciens propriétaires. Cet épisode de notre jour- nalisme fait voir une fois de plus la justesse du dicton: "Qui trop em- brasse mal étreint." M. Lépine avait cru qu'en cédant son journal à la New England il assurait à celui-ci une brillante existence, hélas! c'était le premier pas vers la dégringolade.

Avant de clore l'histoire de L'Etoile il n'est pas sans intérêt de remarquer que si le président de la New England n'a pas acheté d'au- tres journaux que L'Etoile et le Courrier de Lawrence, ce n'est pas de sa faute. Des ouvertures furent faites à tous les autres journaux quotidiens, mais il y a lieu de croire que les prix demandés étaient un peu forts pour les capacités de la New England; aussi leur situation financière probablement leur permettait de se montrer plus indépen- dants que L'Etoile.

Les journaux de Lowell 159

L'histoire de L'Etoile nous a amené un peu loin. Il faut mainte- nant que nous retournions en arrière pour reprendre la suite, par ordre chronologique, des journaux de Lowell.

En 1887 M. S. Courchesne publiait un journal humoristique inti- tulé le Farceur, qui ne vécut que quelques mois.

L'un des journaux qui vécut le moins longtemps est le Bien Public, dont le premier numéro parut le 17 avril 1888. Cette entre- prise avait été lancée par M. Louis-P. Breault, un typographe, avec l'aide d'Edouard Vincelette comme rédacteur. Trois numéros seule- ment furent publiés. D'autres feuilles eurent encore une existence plus courte ; il y en a qui n'eurent qu'un seul et unique numéro.

Après la disparition du Bien Public si on peut employer ce terme pour un journal qui n'a sorti que trois numéros surgit à côté de L'Etoile, en mars 1889, un autre journal appelé L'Union. Le journal devint bi-hebdomadaire avec une édition du dimanche ayant pour titre le Journal du Dimanche. Edouard Vincelette en était le rédacteur. MM, Moreau et Duverger l'achetèrent en septembre 1889 et le publièrent pendant quelques mois, après quoi le journal disparut en 1890 avec l'arrivée de Benjamin Lenthier et de son National qu'il avait transporté de Plattsburg, N.-Y. Comme de tous les journaux disparus le National est celui qui a fait le plus de bruit et, avec le Travailleur, a occupé la place la plus considérable dans l'esprit de nos compatriotes, nous en avons fait le sujet de deux chapitres spé- ciaux qui suivent celui-ci. Le règne de Benjamin Lenthier dans le journalisme fut relativement court à Lowell de 1890 à 1894 mais il fut retentissant, comme nous le verrons plus bas. Son nom était fameux, non seulement à Lowell, mais dans toutes les parties de la Nouvelle-Angleterre et dans l'Etat de New-York. Il eut d'humbles débuts à Lowell, mais il sut se servir habilement de la politique pour arriver à ses fins.

Ardent démocrate, son journal et plus tard ses journaux furent des organes essentiellement démocratiques. Il était arrivé à Lowell du- rant l'administration Harrison. Dans tout le pays alors les dé- mocrates commençaient à se préparer pour prendre la revanche de la défaite de leur parti en 1888. M. Cleveland devait être élu prési- dent pour la deuxième fois en 1892. D'ici toutes les forces démo- cratiques devaient être sur pied pour assurer le retour du candidat du parti à la Maison Blanche. C'était une véritable mine que M. Len-

160 Histoire de la Presse Franco-Américaine

thier ne manqua pas d'exploiter. La campagne électorale terminée avec l'élection de M. Cleveland, les subsides démocratiques prirent fin et dès lors le National ne pouvait compter que sur ses seules res- sources pour son existence. Après les jours d'abondance vinrent les jours de disette. Les pauvres employés en connurent quelque chose lorsque, le samedi arrivé, ils ne recevaient qu'une maigre pitance, juste assez pour les empêcher de crever de faim. La catastrophe finale se produisit au printemps de 1894.

La disparition du National laissait encore une fois le champ libre à L'Etoile.

Au mois de mars 1890, à peu près dans le temps le National s'implantait à Lowell, paraissait L'Indépendance, fondée par Boni- face-C. Gagnon. Ce journal disparut au bout de six mois.

Le Soleil a paru en 1888 pour éclairer les électeurs pendant la campagne électorale de cette année-là.

En 1902, J.-E. Lambert fondait la Revue. Cette feuille a existé trois ou quatre ans.

Lowell aussi eut sa feuille protestante avec L'Artisan Canadien, qui vit le jour en 1880 et n'a paru que quelques mois.

Dans cette histoire des journaux de Lowell, nous voulons faire une mention spéciale d'un homme qui a occupé une place considérable dans le journalisme canadien des Etats et qui aujourd'hui est descendu dans la tombe. Nous voulons parler de M. Aimé Gauthier.

M. AIME GAUTHIER

M. Aimé Gauthier fut le fondateur de L'Etoile et le fondateur du club Jolliet de Manchester, N.-H., et du Cercle Canadien de Lowell.

M. Gauthier était un vétéran de notre journalisme. Ses plus longs états de service ont été à L'Etoile. Il était vers 1850 à Boucher- ville, P.-Q. Après avoir fait ses études au collège Saint-Laurent, il se lança dans le commerce à Montréal. Plus tard il émigra aux Etats-Unis, se fixant à Manchester, N.-H. Il y fonda le club Jolliet, qui existe encore aujourd'hui et est une des organisations sociales les plus prospères de la Nouvelle-Angleterre. Cette organisation pos- sède un magnifique immeuble construit récemment.

En 1880 M. Gauthier quitta Manchester pour aller s'établir à Lowell, oii il fut employé dans des magasins de vêtements confection- nés. Là encore il exerça son talent de fondateur et organisateur en

Télesphore St-Pierr

Dr M. -M. Métivier

Les journaux de Lowell 161

fondant le Cercle Canadien. Cette organisation sociale fut très populaire dans le temps, mais elle n'eut pas le sort du club Jolliet, car au bout de quelques années le Cercle Canadien était dissous.

En 1886, l'année de la fondation de L'Etoile, le Cercle Canadien existait encore. Avec l'aide des membres de cette association il fonda le journal L'Etoile, qui fut vendu en 1889 à Lépine et Cie, com- me nous l'avons vu plus haut. Durant dix ans M. Gauthier adminis- tra L'Etoile. En 1899 il se retira de la compagnie et s'occupa un peu de commerce, puis il travailla de nouveau pour les journaux français.

En 1904, 1905 et 1906 il fut rédacteur et agent de publicité du Courrier de Salem. Plus tard il représenta le Citoyen de Haver- hill, petite feuille hebdomadaire publiée par J.-Léo Richard, qui ne vécut pas longtemps. Il était au service de ce dernier journal lors- qu'il reçut le choc paral5rtique qui devait le conduire au tombeau.

M. Aimé Gauthier était bien connu dans la Nouvelle-Angleterre, ayant visité presque tous les centres canadiens durant les campagnes électorales, prononçant des discours dans l'intérêt du parti républi- cain. M. Gauthier est décédé à Lowell le 8 avril 1910, à l'âge de 60 ans.

Un journal qui fit du bruit à Lowell pendant la courte période qu'il parut, est la B'iette. C'était une publication hebdomadaire hu- moristique d'un volume assez considérable qui eut de la vogue à cause de son ton badin, de ses saillies et surtout à cause de ses sarcasmes et caricatures à l'adresse de la New England, une compagnie par actions dont il a été question dans le passage de ce chapitre relatif à L'Etoile.

Le premier numéro de la B'iette parut le 25 février 1909. L'édi- teur en était Alfred Gervais, qui avait été ci-devant au service de L'Etoile. M. Gervais avait pris à tâche de dénoncer la fourberie à l'aide du sarcasme et de l'ironie et il faut lui rendre cette justice qu'il a admirablement réussi. C'était dans le temps les innom- brables agents de la New England faisaient une sollicitation effrénée auprès des gens naïfs ou imprudents pour qu'ils vidassent leurs bour- ses dans les goussets des agents, après quoi une partie de cet argent était plongé dans le gouffre de la New England. C'était l'âge d'or de cette compagnie qui promettait la fortune à brève échéance pour

12

162

Histoire de la Presse Franco- Américaine

ses actionnaires, mais ne produisit que du vent, pour nous servir de l'expression familière à la Blette.

Quand L'Etoile fut vendue à MM. Biron et Chaput, la publica- tion du journal fut suspendue pendant quelque temps. La Blette ayant accompli sa mission, cessa de paraître après une existence de près de dix-huit mois. M. Gervais remplaça la Blette par un jour- nal quotidien appelé la Vérité.

La Vérité parut pendant l'été de igio. Peu après son apparition cependant, L'Etoile ressuscita, de sorte que pendant quelques mois il se trouva à y avoir deux quotidiens à Lowell. Finalement un beau jour de l'automne igio, la Vérité disparut.

10-

#

CHAPITRE VINGT-CINQUIEME Benjamin Lenthier et ses journaux

B

(^^Ç-^

N autre homme qui a imprimé profondément sa marque dans le journalisme canadien-français des Etats-Unis est M. Benjamin Lenthier. Voici un nom qui pendant un temps, fît grand bruit dans nos principaux centres de la Nouvelle-Angleterre. M. Lenthier n'était pas seulement un éditeur de journaux; il était de plus un politicien professionnel et actif. Quand il arriva sur la scène à Lowell, il y avait déjà quelques années que Ferdinand Gagnon était disparu, mais son journal lui avait sur- vécu. Ce dernier avait réussi à maintenir son Travailleur sans l'aide financière de la politique. Mais Benjamin Lenthier n'avait pas de ces scrupules.

M. Lenthier s'était donc promis de faire de son journal ou de ses journaux des organes politiques, si l'occasion s'en présentait. Mais il fallait faire surgir cette occasion. Elle se présenta enfin en la personne de M. Josiah Quincy, un chef démocrate du temps dans le Massachusetts, et chargé d'organiser la deuxième élection de Grover Cleveland à la présidence en 1892. Benjamin Lenthier, au cours de cette fameuse campagne présidentielle de 1892, se lança dans la mêlée pour le compte du parti démocrate, au moyen de ses journaux qui avaient pour mission de répandre les doctrines et principes démocra- tiques parmi les Canadiens naturalisés citoyens américains. Il payait même de sa personne en faisant des harangues devant des assemblées politiques d'électeurs de langue française.

Pendant quelques mois les eaux du Pactole coulèrent dans la caisse du National et servaient en même temps à alimenter les mul- tiples feuilles subsidiaires qui sortaient du bureau-chef pour se dé-

164 Histoire de la Presse Franco-Américaine

verser aux quatre vents de la Nouvelle- Angleterre et jusque dans l'Etat de New-York.

C'était l'âge d'or du journalisme canadien aux Etats-Unis au point de vue des ressources financières. Le bailleur de fonds faisait les choses royalement, et c'est aussi royalement que M. Lenthier em- ployait les largesses du donateur. On aura une idée des grandes dé- penses auxquelles avait à faire face M. Lenthier quand nous aurons dit que dans l'été de 1892 il possédait pas moins de dix-sept journaux. Ce qui avait fait dire à un mauvais plaisant du temps, propos qui avait atteint une certaine popularité, que c'était "la bête aux dix-sept têtes." L'épisode de Benjamin Lenthier et de ses journaux est un curieux chapitre. Mais n'anticipons pas davantage sur les événements. Nous allons exposer dans les quelques pages qui vont suivre la carrière de M. Lenthier dans le journalisme en le prenant à son début.i

En mai 1880 il fondait à Glens Falls, N.-Y., une feuille hebdoma- daire qu'il baptisa du nom de Drapeau National. Après avoir vécu un an et demi, le Drapeau National changea de nom et devint le Guide du Peuple. M. le professeur J.-O.-D. de Bondy, associé de M. Lenthier, rédigea avec talent ces modestes organes de la population canadienne pendant les trois années de leur existence successive. M. Lenthier ne fut pas longtemps à constater que si le terrain, tou- jours fécond partout l'on rencontre des Canadiens patriotes, était aussi fertile qu'il l'avait jugé, le champ il avait jeté à pleines mains la semence de l'éducation était maintenant tout occupé et qu'il était trop restreint pour y continuer avec avantage l'œuvre en- treprise.

Ce fut alors qu'il songea à se transporter plus près de la frontière canadienne, dans le vieux comté de Clinton les nôtres, au nombre de plus de 26,000, étaient la majorité de la population. Plattsburg, chef-lieu du comté, jolie petite ville que baignent les eaux limpides du beau lac Champlain, semblait être en effet un centre approprié pour établir sur des bases plus solides et plus larges un organe sérieux de notre nationalité.

C'est le 7 juin 1883 que le National faisait à Plattsburg sa pre-

1. Les notes qui vont suivre sur la carrière de M. Lenthier à Glens Falls, Plattsburg et Lowell sont en grande partie empruntées au numéro souvenir du "National" portant la date du 7 juin 1893, publié à l'occasion du 10e anniversaire de la fondation de ce Journal. Ce numéro débute par un article signé de Charles-R. Daoust, le rédacteur d'alors, sur l'histoire du "National" et des entreprises journalistiques de son propriétaire.

Benjamin Lenthier et ses journaux 165

mière apparition. Assez modeste à son début, il n'affichait aucune prétention exorbitante. Il faisait un appel au patriotisme éclairé des différents groupes canadiens disséminés sur les deux rives du lac Champlain, dans les Etats du Vermont et de New- York, s'engageant de son côté à défendre vaillamment la grande cause nationale et à travailler avec ardeur au développement matériel et moral de ce fort contingent que l'émigration avait conduit à l'ombre du drapeau étoile.

Le premier qui assista M. Lenthier à la rédaction du National fut M. Léon Bossue dit Lyonnais, qui par la suite s'établit dans la ville de New-York. M. Lyonnais cumulait en même temps les fonc- tions de typographe, métier qu'il avait déjà exercé. Il put ainsi ren- dre d'excellents services dans le temps tout était à organiser et le propriétaire devait faire des achats considérables de matériel.

Le National était à peine installé dans son nouveau logis que son rédacteur, Charles-R. Daoust, quelques mois après son arrivée, re- tournait au Canada. Il fut remplacé à la rédaction par M. Louis- Alphonse Lesieur Desaulniers, jeune avocat de Trois-Rivières, qui à de belles capacités d'écrivain joignait un talent réel pour la musique. Pendant près de deux années il consacra les nombreux loisirs que lui laissait sa position d'organiste de l'église Saint-Pierre à des études sérieuses dont les lecteurs du journal étaient les premiers à profiter.

"Dès les premiers jours de l'établissement du National à Platts- burg, M. Lenthier avait acheté une grosse presse à cylindre qui devait faire des merveilles, et Dieu sait si elle en fît! Mais aussi quels soins on en prenait! Pour ne pas l'user trop rapidement on lui avait épar- gné la brutalité de ces pouvoirs-moteurs ordinaires, tels que l'eau, la vapeur ou l'électricité, pouvoir sans âme qui vous massacre une presse plus que de raison. Pendant près de deux années qu'elle servit à imprimer régulièrement le National, toutes les semaines, elle ne fonctionna que par le "jackass-power," m^oyen des plus primitifs et variable à volonté. Cependant ce pouvoir-là devint bientôt si rare et si coûteux qu'il fut décidé qu'il vaudrait mieux se débarrasser de la bonne vieille presse devenue désormais un meuble aussi encombrant qu'inutile. Aussi, à partir du mois de mars 1885 jusqu'au mois de juin 1889, le National fut imprimé sur les presses du Morning Telegram, un journal républicain qui, pour une somme raisonnable, aida à répan- dre parmi la population canadienne les saines doctrines de la démo- cratie."

166 Histoire de la Presse Franco-Américaine

C'est ici la place de parler d'un homme qui contribua puissamment au succès du National par la propagande qu'il fit en faveur de ce jour- nal, M. Joseph-F. Pinard, de Claremont, N.-H. Nous ne savons par quel hasard M. Lenthier et M. Pinard, demeurant à une aussi longue distance l'un de l'autre, vinrent à se rencontrer. Avec son flair habi- tuel le propriétaire du National reconnut en M. Pinard des qualités qui en feraient un agent d'abonnements de premier ordre, et de son côté, celui-ci dut voir dans l'entreprise du National une œuvre de patriotisme qui méritait le dévouement d'un patriote comme il l'était lui-même.

Il n'y avait que quelques mois que M. Pinard travaillait pour le National quand l'augmentation constante et régulière de la liste des abonnés décida M. Lenthier à déménager de nouveau pour être plus près des ateliers du Telegram, le journal était imprimé. A la veille de ce déménagement, M. Desaulniers quittait la rédaction du National pour aller s'établir à Lewiston, Maine, il devait entrer à la rédaction du Messager. Il partit de Plattsburg le 26 avril 1886. Environ un an après ses amis apprirent, avec une profonde émotion, sa fin tragique. Par une erreur de pharmacien, M. Desaulniers prit à la place de vin une dose de poison et succomba en peu d'instants, malgré toutes les ressources de l'art médical. Sa jeune épouse, qui allait être mère, avait aussi bu quelques gouttes de la drogue fatale et mourut quelques minutes après lui. A la suite d'une opération césarienne l'enfant survécut quelques heures et put être baptisé avant de mourir. Ainsi furent emportés en quelques heures le père, la mère et l'enfant, et deux jeunes orphelins furent laissés seuls à la suite de cette navrante tragédie.

Ce que nous venons de raconter au sujet de la fin lamentable de M. Desaulniers et de son épouse se passait le ler avril 1887.

Dans l'intervalle, les ateliers du National avaient été transportés au troisième étage de l'édifice Weed & Moore, rue Clinton. L'admi- nistration et la rédaction avaient été installées au rez-de-chaussée. M. Ambroise Choquette, de Montréal, avait remplacé M. Desaulniers à la rédaction. Il y resta près d'un an. Au commencement de l'année 1887, M. Choquette quitta son poste pour aller s'établir à Worcester, Massachusetts.

Pendant près de six mois, M. Lenthier se trouvait seul à faire la rédaction et à voir à l'administration du journal, et il songea alors à

Benjamin Lent Mer et ses journaux 167

aller relancer son ancien rédacteur, le jeune Daoust, qui travaillait à la Patrie de Montréal depuis plus d'un an. M. Daoust nous apprend que la circulation du National ayant considérablement augmenté, le salaire de son rédacteur avait par ricochet subi une hausse remarqua- ble. Il se laissa donc séduire et retourna à ses premières amours. Il n'y resta pas encore longtemps cette fois. Une dépêche lui ayant appris la maladie grave de sa mère à Montréal, il retourna au pays natal.

M. Lenthier étant alors absent dans l'Ouest, il s'était rendu pour préparer un nouveau champ d'action pour le journal, M. Daoust sut se trouver un excellent remplaçant en M. Léon Famelart, un jeune Français qu'il avait connu dans la métropole canadienne. M. Famelart entra au National au mois de novembre 1887. Son passage fut signalé par un nouveau courant de popularité qui porta le journal au premier rang. Mais au printemps suivant M. Famelart, profitant d'une vacance dans les bureaux de la Presse, s'en retourna à Montréal.

Un homme dont on peut dire qu'il passa comme un brillant météo- re dans le firmament de l'intelligence est M. Georges Lemay, alors établi à New-York et qui avait collaboré au National depuis plusieurs mois sous le nom de plume de Edmond Dantès. Il remplaça à la rédaction M. Famelart, vers le milieu de mai 1888. Il rédigea le National pendant neuf mois, et le journal acquit alors une réputation méritée par les articles vigoureux et au style châtié qu'y écrivait M. Lemay. Georges Lemay avait fait des études classiques au petit séminaire de Québec. Après un cours des plus brillants, il demeura quelques années à Québec, puis il alla s'établir à New-York.^

Georges Lemay quitta le National au mois de février 1889 pour retourner à New- York, après avoir rédigé le New-York-Canada pendant les quelques mois que ce journal a vécu, il réussit à obtenir une belle position dans un des départements municipaux. Comme son ancien patron, Benjamin Lenthier, il était démocrate en politique. Dans l'été de 1892, durant la campagne qui précéda la deuxième élec- tion de Cleveland à la présidence, il avait fait de la propagande politi- que en faveur de celui-ci.

1. Avant son départ de Québec, M. Lemay avait épousé l'une des trois filles de feu le docteur Hubert Larue, professeur à l'université Laval et homme de lettres distingué. A ses talents littéraires M. Lemay joignait un goût remarquable pour la musique, et il était surtout flûtiste très distingué. Comme tel il était une précieuse acquisition pour les orchestres. Il y a déjà bien des années que cette belle intelligence a été fauchée préma- turément par la mort dans la grande métropole américaine.

168 Histoire de la Presse Franco-Américaine

"Pendant près d'un an, écrivait encore M, Daoust en 1893, du mois de juin 1889 au mois de mai i8go, tout alla pour le mieux dans le meilleur des mondes possible. Jamais avant ni depuis cette époque l'établissement du National n'a réuni famille plus heureuse. On vivait en commun. Tout le personnel du journal, rédacteur, chef d'atelier, typographes, demeurait chez M. Lenthier dont la famille occupait les deux étages au-dessus des ateliers. La vie y était réglée comme dans une communauté.

"Mais un nouvel événement devait bientôt nous arracher à notre vie paisible et régulière que nous étions venus à considérer comme le nec-plus-ultra des jouissances terrestres que peut procurer un tra- vail consciencieux et régulier. Depuis longtemps M. Lenthier cares- sait un rêve dont il se plaisait souvent à entretenir ses intimes: fon- der dans un grand centre canadien de la Nouvelle-Angleterre un journal quotidien.

"Enfin il touchait à la réalité. Des amis de Lowell, de bons démo- crates et de véritables patriotes demandèrent, vers le commencement de 1890, à M. Lenthier de transporter ses ateliers dans ce grand centre manufacturier de l'Est nos compatriotes étaient établis en très grand nombre. Les conditions offertes étaient vraiment allé- chantes, et bien que ce nouveau déménagement dût coûter beaucoup à M. Lenthier, il accepta. Dès que le grand changement eût été décidé, les préparatifs du départ commencèrent. La publication du journal dût être suspendue pendant un mois."

Comme on le voit par ce qui précède, les premières années du National, la période de sept ans qui s'écoula à Plattsburg, furent passablement accidentées. Mais le nom de Benjamin Lenthier com- mençait à devenir célèbre parmi les groupes canadiens de l'Est, et il arrivait à Lowell, armes et bagages personnel et matériel précédé d'une réputation bien méritée d'homme progressif et entreprenant.

il

CHAPITRE VINGT-SIXIEME Le "National" à Lowell

ANS le déménagement de Plattsburg à Lowell un accident fâcheux était survenu : on avait perdu le rédacteur en chemin. Ceux qui ont souvent déménagé savent par expé- rience qu'il est rare qu'on entre dans de nouveaux quar- tiers sans avoir brisé ou perdu quelque chose. Mais dans ce cas-ci la perte du rédacteur n'était peut-être pas une grande perte, en ce sens qu'elle n'était pas irréparable. Un journal peut perdre un rédacteur et en trouver un autre ; c'est ce qui arriva effective- ment pour le National. C'était la troisième fois que M. Daoust, qui avait décidément des goûts nomades, faussait compagnie à son patron. En arrivant à Lowell M. Lenthier trouva un autre rédacteur tout prêt en la personne de M. Edouard Vincelette, qui avait rédigé L'Union quelque temps auparavant. M. Vincelette était en même temps orga- niste à l'église Saint-Joseph.

Ce fut ici, le 17 mars 1891, le jour de la Saint-Patrice, que parut le premier numéro du National quotidien. Le rêve favori de son pro- priétaire était enfin devenu une réalité. C'était le premier journal canadien des Etats-Unis à devenir quotidien à l'exception de L'Abeille, de Lowell, qui fut quotidien pendant quelques huit mois en 1882 et il fut le seul quotidien jusqu'au printemps de 1893, alors que L'Etoile devint à son tour journal quotidien. L'Indépendant, de Fall-River, fut le troisième quotidien, en automne 1893.

Au mois de mars 1892 M. Vincelette rentra à la rédaction. Deux rédacteurs n'étaient pas de trop pour mener la campagne électorale qui allait bientôt commencer. C'était le temps oii les subsides démo- cratiques allaient affluer à la caisse dans les intérêts de Grover Cleve-

170 Histoire de la Presse Franco- Américaine

land, candidat à la présidence. Après l'élection de Cleveland, M. Vincelette sortit de nouveau de la rédaction.

En 1892, le National avait trois grosses presses à cylindre, une Campbell, une Scott et une Cranston; six presses à jobs, trois cou- teaux à papier et un matériel d'imprimerie aussi complet que possi- ble. Il ne lui manquait que des machines à composer, mais à cet égard il était dans le même cas que tous les autres journaux, les machines linotypes n'ayant pas encore fait leur apparition à cette époque. Pas un autre journal français dans toute la Nouvelle-Angle- terre pouvait se vanter d'approcher quelque peu du National pour l'outillage et l'installation. Au reste, en dehors de Boston il y avait peu d'ateliers aussi bien montés dans cette partie-ci du pays.

Pendant un certain temps en cette année 1892, à l'époque de la grande campagne présidentielle de cette année-là, M. Lenthier a eu pas moins de seize journaux: le National de Lowell et le National de Manchester, quotidiens; le Travailleur de Worcester, semi-quoti- dien; le Protecteur Canadien de Fall-River; le Canado- Américain de Holyoke et le Foyer Canadien de Woonsocket, bi-hebdomadaires ; le Courrier de Worcester, le Progrès de Nashua, le Guide du Peuple de Haverhill, le Drapeau National de Lowell, L'Avenir Canadien de Manchester, le Jean-Baptiste de Pawtucket, le Jean-Baptiste de Northampton, le Ralliement de Cohoes, et le Courrier du Con- necticut, hebdomadaires.

M, Lenthier avait acheté L'Indépendance de Lowell, le Bourdon de Fall-River, L'Avenir Canadien de Manchester, le Courrier et le Travailleur de Worcester; il a fondé les autres.

Après l'élection de Cleveland le plus grand nombre de ces jour- naux ont disparu pour être absorbés dans le Drapeau National, qui était l'édition hebdomadaire du National. En dehors des deux National quotidiens et du Drapeau National, M. Lenthier ne con- serva que le Jean-Baptiste de Pawtucket.

Pendant les trois années de son existence comme journal quoti- dien, le National était le journal canadien des Etats-Unis le plus populaire et le plus répandu. D'autres journaux avant lui avaient eu dans leur temps un grand retentissement parmi nos compatriotes, comme ceux de Frédéric Houde, l'abbé Druon et Ferdinand Gagnon, mais le National avait atteint un degré d'importance auquel pas un autre journal n'était encore parvenu.

Le '^NationaV à Lowell 171

Le Drapeau National était l'édition hebdomadaire du National. Après que tous les journaux électoraux eurent disparu, une partie de leur clientèle de souscripteurs fut transportée au Drapeau National, ce qui en avait augmenté notablement la liste d'abonnés qu'il avait déjà, grâce à la propagande effective de son agent, M. Pinard.

Dans l'été de 1892 M. Lenthier, nanti des subsides démocratiques passant par les mains de Josiah Quincy, visita les centres que nous avons énumérés et il ouvrit des bureaux en installant dans chacun un agent du journal qu'il y fondait. Cet agent devait envoyer une fois la semaine les nouvelles de sa localité et s'efforcer de prendre ou faire prendre des abonnements, de même que des annonces. Le journal arrivait par express à l'adresse de l'agent qui l'adressait et le mettait à la poste. Outre les nouvelles de la localité il était fait avec la matière du National, y compris les articles démocratiques qui étaient des charges à fond contre l'administration républicaine de M. Harrison et le soutien des idées représentées par Grover Cleveland. Ces articles, écrits par les rédacteurs du National, MM. Vincelette et Daoust, étaient parfois caractéristiques et avaient les allures tout à fait combatives d'un journal essentiellement politique. Ces deux rédacteurs avaient instruction de frapper dru et ferme sur les républi- cains, et ils accomplissaient leur tâche en conscience.

La propagande démocratique de M. Lenthier s'était exercée jus- que dans le haut de l'Etat de New-York, à Cohoes, il avait établi le Ralliement et il avait trouvé un agent tout prêt en la personne de M. J.-G. LeBoutillier, aujourd'hui rédacteur en chef à L'Avenir National de Manchester, N.-H. Le patron tenait à donner une cer- taine importance aux agents de ses journaux subsidiaires, qui étaient tous naturellement imprimés à l'établissement du National à Lowell, en leur donnant pompeusement au bas du titre du journal, la qualité de rédacteur et gérant. Après la campagne électorale, M. LeBou- tillier prit le Ralliement à son compte, et il fut publié encore environ trois mois, après quoi il fut remplacé par le Drapeau National.

Selon les apparences, le National marchait alors dans la voie de la prospérité, mais c'était dès lors une prospérité superficielle, le National marchait plutôt dans une voie qui allait aboutir à un dé- sastre, et la chute prochaine devait être d'autant plus retentissante que l'établissement qui en était l'objet avait occupé une position émi- nente dans le monde des affaires et de la politique.

172 Histoire de la Presse Franco- Américaine

Au mois de juillet de cette même année (1893,) M. LeBoutillier quittait Cohoes pour Lowell il entra à la rédaction du National. M. Vincelette venait d'en sortir encore une fois, et M. L.-P.-P. Cardin, ci-devant député de Richelieu à l'assemblée législative de Québec, qui y occupait une position depuis l'année précédente, s'en retournait au Canada. M. Cardin avait perdu temporairement son siège dans la tourmente qui avait balayé le gouvernement du grand patriote, Honoré Mercier.

Dans les derniers mois de son existence, le propriétaire du National était presque constamment absent. Au commencement de l'automne 1893 il avait fait avec sa femme et sa fîlle un long voyage dans l'Ouest, visitant l'exposition universelle de Chicago. Le gérant de l'établissement était M. Michel-E. Lussier, qui par la suite s'as- socia avec M. J.-E. Bernier dans la fondation et la publication de L'Avenir National de Manchester, N.-H. Plus tard il devint le pre- mier secrétaire de l'Association Canado-Américaine, fondée en 1896, poste qu'il occupa environ huit ans. M. Lussier visita alors l'île de Cuba et fît une tentative de colonisation dans la Caroline du Sud, Mgr J.-A, Prévost, curé de Notre-Dame de Lourdes de Fall- River, avait établi une colonie de familles canadiennes-françaises de Fall-River, de New-Bedford et d'autres villes de la Nouvelle-Angle- terre. Au bout de deux ou trois ans l'ancien gérant de M. Lenthier revenait vers le nord et on apprit ensuite qu'il était rendu à Chicago. ^

La position étant devenue intenable, M. Lenthier fît cession de ses biens au bénéfîce de ses créanciers, et M, Charles-T. Roy fut chargé par ceux-ci de continuer la publication du National comme journal hebdomadaire, après en avoir reçu les secours fînanciers pour payer les arrérages de salaires des employés. M. Roy était l'agent d'annonces de M. Lenthier. Cet événement se produisit au mois de mars 1894.

Le National hebdomadaire n'eut pas une grande vogue, et cela se conçoit. Les événements que nous venons de raconter avaient sé- rieusement atteint son prestige. Son propriétaire s'en était allé de- meurer à Boston, où, grâce à ses relations politiques, il fut casé par la suite dans un des départements municipaux. Dans l'intervalle il avait été nommé consul à Sherbrooke, poste qu'il occupa peu de

1. Dans l'été de 1911, Mme Lussier, qui demeure à Manchester, elle est revenue depuis quelques années avec ses enfants, reçut une lettre l'informant de la mort probable de son mari quelque part dans le Sud, mais ce rapport ne fut jamais confirmé.

Le ationaV à Lotvell

173

temps. De violentes animosités à l'œuvre contre l'ancien proprié- taire du National furent cause que le sénat des Etats-Unis refusa de confirmer sa nomination.

Au bout de quelques mois le National, devenu la propriété de Charles-T. Roy, disparut définitivement, ce qui laissait désormais le champ libre à L'Etoile qui était quotidien depuis le 20 mars 1893, bien que ce journal n'eût pas un concurrent précisément formidable dans le National transformé en feuille hebdomadaire.

CHAPITRE VINGT-SEPTIEME Les journaux du Maine

'HISTOIRE des journaux du Maine offre aussi un chapitre intéressant. Cet Etat, confiné à la province de Québec et aux provinces maritimes, a reçu lui aussi sa bonne part de l'émigration canadienne et acadienne. Plusieurs jour- naux y virent le jour, principalement à Lewiston et Bidde- ford. Il n'en est resté que trois, le Messager, la Justice et le Petit Courrier.

Le Messager fut fondé au mois de mars 1880 par J.-D, Mont- marquet, qui était venu de Keeseville, N.-Y., et le Dr L.-J. Martel.^ M. Montmarquet avait été collaborateur du Travailleur en même temps que l'agent, de 1878 à 1880. Au printemps de 1884 le Messager passa aux mains d'une société composée de MM, Eusèbe Provost, Dr Martel, J.-N. L'Heureux, Dr Z. Vannier, Dr L.-E.-N. Matte et F.-X. Belleau, avocat. Le journal devint alors bi-hebdomadaire et était rédigé par MM. Martel, Vannier et Belleau. Au mois de septembre suivant, M. Emile-H. Tardivel devint le rédacteur attitré du Messa- ger en même temps qu'il en était co-propriétaire avec le Dr Martel, position qu'il occupa jusqu'au mois d'août 1886. Il fut suivi de M. L.-A.-L. Désaulniers, aujourd'hui décédé. Le propriétaire actuel est M. J.-B. Couture.

A la date du 9 octobre 1897, L'Indépendant, de Fall-River, répon- dant à un article du Messager de la veille, publiait un article intitulé "Entendons-nous bien," qui est un curieux exemple de courtoisie entre journaux. Mais par la suite ces deux journaux n'ont pas tou-

1. Il y a plusieurs années que M. Montmarquet et le Dr Martel ne sont plus de ce inonde.

Les journaux du Maine 175

jours fait assaut de courtoisie. Nous croyons intéressant de citer ici l'article de L'Indépendant qui cite lui-même le Messager.

Le Messager, de Lewiston, Maine, qui a changé de physionomie depuis que M, F.-X. Belleau est revenu de Trois-Rivères, où, comme on le sait, il a passé quatre années en qualité de consul américain, nous arrive avec un long article sur L'Indépendant, le Massachu- setts et le nationalisme.

Citons la première partie de cet article vraiment trop flatteur pour nous:

"Il est incontestable que L'Indépendant, de Fall-River, est un des journaux de langue française les mieux faits en Amérique.

"Et pourquoi n'y aurait-il pas de bons journaux français dans le pays du confrère? N'y a-t-il pas dans le Massachusetts tous les avantages possibles au succès de telles entreprises? Les communi- cations sont des plus faciles ; les villes et les grands centres abon- dent, se touchent presque ; de grandes industries, un commerce con- sidérable, une immense population française, que faut-il de plus pour faire un bon journal? Vous avez les annonceurs, vous avez la cir- culation, etc. Tous ces avantages donnent aux propriétaires de jour- naux comme L'Indépendant les moyens d'avoir à leur emploi des hommes compétents, des hommes d'expérience, des hommes de l'art. Ces derniers, étant bien rémunérés pour leur travail, donnent en retour aux patrons et au public un journal bien fait et qui mérite l'encouragement de tout homme ayant à cœur l'avenir de la langue française en Amérique.

"Tel est le journal du confrère que nous lisons toujours avec le plus grand intérêt. Cette feuille est devenue quotidienne depuis quelques années, c'est la meilleure preuve du progrès des nôtres dans cet Etat.

"Le Massachusetts est, sans contredit, un des plus beaux Etats de l'Union, et il nous fait plaisir d'y voir les nôtres en si grand nombre.

"Toujours et de tout temps, le Massachusetts a joué un grand rôle dans la République. C'est l'Etat des Adams, des Webster, des Choate, des Sumner, des Phillips, des Winthrop, etc. Cet Etat, ce pays charmant et admirable à tous les points de vue, un jour le coin de terrain que nous habitons en faisait partie.

"Les distances, dans ce tem.ps-là, étant considérables, il fut con- venu entre tous les habitants de ce grand territoire qu'il y allait de l'intérêt général de le diviser, d'en faire deux Etats.

"Le premier gardait son nom: Commonwealth oi Massachusetts; les habitants du pays ainsi divorcés de la mère-patrie, se souvenant probablement que le pays dont ils devenaient les maîtres absolus avait été parcouru en tous sens par les successeurs de Cartier, choisirent pour nom du nouvel Etat celui d'une ancienne province de France,

176 Histoire de la Presse Franco-Américaine

et ils donnèrent ainsi à la République "l'Etat de Maine," que nous avons adopté, nous Canadiens-français, au nombre de soixante-quinze à quatre-vingt mille."

Quant au nationalisme, le Messager se défend d'en avoir jamais été l'apôtre. Nous prenons note de cette déclaration, tout en faisant remarquer au confrère que nos observations, sous ce rapport, ne le concernaient nullement.

Il est notoire que dans le Maine certains candidats d'origine fran- co-canadienne ont, plusieurs années durant, fait leurs élections au nom du nationalisme. Ces hommes étaient sans doute animés d'excel- lentes intentions ; mais le Temps a prouvé qu'ils avaient fait fausse route. Voilà, en substance, tout ce que nous avons dit des Canadiens du Maine.

Nous sommes heureux de la transformation que vient de subir le Messager. De paralysé qu'il semblait être depuis quelque temps, ce journal a retrouvé une verdeur et une vivacité d'esprit qui rappel- lent les plus belles années de sa carrière déjà longue.

Nous terminerons ces quelques remarques en encourageant notre confrère de Lewiston à continuer sa lutte contre le nationalisme, et à réparer les erreurs du passé comme nous nous appliquons à le faire dans le Massachusetts.

* * *

Encore ici la liste des morts est assez longue. Autant que possible nous la donnerons par ordre chronologique.

En la même année que le Messager, au mois de novembre 1880, le Cri d'Alarme vit le jour à Biddeford. La feuille était publiée par James Smith, mais elle ne vécut pas longtemps. Ce nom suggestif n'était peut-être pas une conséquence du hasard. On sait comme nos compatriotes du Maine ont eu à souffrir depuis une trentaine d'années pour les droits de leur langue en ce qui concerne les pa- roisses et les écoles. Dans sa courte existence le premier journal canadien de Biddeford a plus d'une fois faire entendre le cri d'alarme.

Nous voyons ensuite que dans le mois de janvier 1885 apparais- sait à Lewiston le Courrier de Lewiston, fondé et rédigé par Emile- H. Tardivel. Son existence fut des plus éphémères, quelques se- maines seulement.

M. Urbain-J. Ledoux, une figure bien connue parmi nos compa- triotes des Etats-Unis, qui fut dix ans dans le service consulaire, commença sa carrière dans le journalisme à Biddeford. En 1893, avec le concours de deux jeunes typographes de Québec, MM. Mont-

Les journaux du Maine 177

miny et Ranger, il lança à Biddeford L'Indépendance, journal hebdo- madaire. "J'étais alors étudiant en droit, écrit M. Ledoux à l'auteur de ce livre. A peine sorti du collège, je n'avais comme principale ressource que le fameux "Prince-Albert" à la suisse du séminariste franco-canadien. Celui-ci "désuissé," nous voilà lancés sur les sables mouvants de la pénurité et de l'enthousiasme de l'adolescence. Notre journal eut l'expérience et le sort des pionniers. Après quelques nu- méros, il creva de faim, quoique tendrement dorloté. Il nous laissa un peu d'expérience... et beaucoup de sables mouvants!"

A L'Indépendance succéda L'Observateur, en novembre 1893, fondé par J.-S. Bourdon et Alfred Bonneau, qui venait de Lowell. Tout en continuant ses études de droit, M. Ledoux collabora à ce journal et en fut pendant un certain temps le directeur. Cette feuille disparut en mai 1896.

M. Ledoux fît un dernier efîort qui n'aboutit, hélas! qu'à un seul et unique numéro. Après beaucoup de peine et de travail, le ler dé- cembre 1895, sortit le Figaro. Ce n'était pas un journal comme le célèbre Figaro de Paris; c'était un magazine de 16 pages in-quarto, humoristique, littéraire et social, genre Life et format Puck, avec profusion de gravures. Cet effort épuisa complètement les finances de M. Ledoux, qui prit alors la gérance de l'annonce et de la circula- tion du Samedi de Montréal, aux Etats-Unis.

La Sentinelle, journal hebdomadaire, parut en 1897 à Waterville, publié par le Dr Avila-O. Boulay; vécut environ une année.

Le Journal de Madawaska, publié à Van Buren, parut à la fin d'octobre 1902, la propriété d'une compagnie. Le Dr Avila-O. Bou- lay en était le rédacteur et Lévite-V. Thibaudeau l'administrateur. En septembre 1905 le Dr Boulay acheta l'établissement et après y avoir englouti une somme de $2,000, la feuille disparut au printemps de 1906.

Le Courrier du Maine fut fondé à Lewiston au mois de juillet 1906, le premier numéro paraissant le 24 juillet. C'était peu de temps après le fameux "incident de Fall-River," qui avait passionné une partie de la presse canadienne de la Nouvelle-Angleterre. C'était un journal hebdomadaire qui passait pour être inspiré par les Pères Dominicains, qui ont la desserte de la paroisse Saint-Pierre de Lewis- ton. Pendant sa courte existence il eut à soutenir une polémique avec le Messager à propos d'affaires religieuses. M. H.-F. Roy en était

13

178 Histoire de la Presse Franco- Américaine

l'administrateur. L'incident de Fall-River avait été soulevé par L'Opinion Publique de Worcester, à la suite de la dédicace de l'église Ste-Anne de Fall-River, l'on prétendait qu'une trop large part avait été faite à l'anglais dans les discours prononcés au banquet qui suivait la cérémonie religieuse. Le Très Rév. Père Grolleau était alors le curé de la paroisse et il eut à subir le gros des attaques des journaux, au premier rang L'Opinion Publique et la Tribune de Woonsocket. Le premier journal était alors rédigé par Bruno Wil- son et l'autre par J.-L.-K. Laflamme. L'Indépendant était à peu près le seul, à part le Courrier du Maine, à défendre le Père Grol- leau. Malheureusement cette polémique dépassa les bornes de la dignité et dégénéra, de la part de la Tribune et de L'Indépendant surtout, en invectives et personnalités. Le temps, qui efface tout, calma bientôt les esprits et ce qu'on a appelé l'incident de Fall-River resta chez les gens réfléchis à l'état de regrettable souvenir.

Le Courrier du Maine ne vécut pas six mois. Le dernier numéro paraissait le 13 décembre 1906.

La Justice de Biddeford fut fondée en mai 1896 par Alfred Bon- neau. Celui-ci est encore le directeur-propriétaire de cette feuille.

Parmi les journaux disparus du Maine on peut mentionner encore:

L'Ouvrier Canadien, à Biddeford, fondé en 1895 par Primeau et Haswell et rédigé par Philippe Masson et qui disparut en janvier 1896 après une année d'existence.

La République, à Lewiston, en décembre^ fondée par J.-B. Rouil- lard et qui vécut quelques mois.

LE DR L.-J. MARTEL.

Le 28 février 1899 L'Opinion Publique, à la réception de la nou- velle de la mort du Dr L.-J. Martel, publiait l'article suivant:

La dépêche qui nous arrive ce matin de Lewiston, Maine, nous an- nonce une nouvelle des plus douloureuses et qui va plonger dans l'af- fliction tous les cœurs canadiens, par toute la Nouvelle-Angleterre. Notre distingué compatriote, le docteur L.-J. Martel, est décédé hier soir, après une semaine à peine de maladie, et dans toute la force et la maturité de son âge, car il ne venait que d'atteindre ses quarante- huit ans. Il a succombé à une attaque aiguë d'érisypèle, dont il s'était senti saisi pour la première fois il y a une semaine, mais ce ne fut toutefois que dans la journée d'hier que les médecins, qui étaient accourus à son chevet et qui lui donnaient leurs soins les plus éner-

Les journaux', du Maine 179

giques, décidèrent que son état était désespéré et que la mort n'était plus qu'une question de quelques heures. En effet, le malade entra en agonie à 4 heures, et peu après il expirait au milieu de pénibles convulsions qui témoignaient de l'intensité des souffrances qu'il avait endurer dans ses derniers instants.

Le docteur Martel était à Saint-Hyacinthe, P.-Q., en 1851, et après un cours brillant au séminaire de cette même ville, il entrait au collège de médecine Victoria, à Montréal, d'où il sortait, en 1873, avec la mention de "haute distinction." Muni de son diplôme de médecin il décidait, peu après, de venir se fixer aux Etats-Unis, et il optait pour Lewiston, Me., qu'il n'a jamais quitté depuis, et commençait alors à se diriger un courant considérable de Canadiens-français.

Depuis 1874, pas un événement important ne s'est produit dans les annales de nos compatriotes émigrés, sans que le docteur Martel, qui bientôt s'était acquis une immense popularité, n'y prît une part des plus actives, et cela à tel point qu'on a déjà pu dire de lui qu'il fut pour nous tous, et tout particulièrement dans la région qu'il habi- tait, un second Ferdinand Gagnon, ne le cédant aucunement à celui-ci ni en désintéressement, ni en largesse de cœur, ni en dévouement profond à nos intérêts.

Dès 1874 il fondait l'Institut Jacques-Cartier, de Lewiston, asso- ciation comptant environ 700 membres, mais sa participation aux affaires publiques ne date cependant que de quelques années plus tard, en 1881, année il fut délégué par ses compatriotes de Lewis- ton pour les représenter à la première convention canadienne d'Etat tenue à Waterville. L'année suivante, en 1882, il était choisi à l'una- nimité pour présider les séances du congrès canadien du Maine et du New-Hampshire, qui s'est réuni à Lewiston.

A partir de ce moment, la renommée et la popularité du docteur Martel devaient sans cesse grandir et lui attirer non seulement l'es- time et l'admiration de ses compatriotes proprement dits, mais aussi de la population de langue étrangère avec laquelle il était le plus immédiatement en contact, et au soutien de laquelle il vivait et exer- çait sa profession. C'est ainsi qu'il fut tour à tour le médecin officiel de la ville de Lewiston durant trois ans, de 1883 à 1886, membre de la législature de l'Etat du Maine en 1889; vice-président, puis prési- dent de la première grande convention des Canadiens émigrés aux Etats-Unis, convention qui s'est réunie à Rutland, Vt., en 1886; pré- sident de l'Alliance Nationale Franco-Américaine, puis délégué au congrès catholique qui s'est tenu, en i8gi, à Baltimore, congrès auquel, on se rappelle, assistait aussi M. Mercier, en qualité de représentant de la province de Québec.

Mentionnons encore que c'est au docteur Martel que nous devons la fondation du premier journal canadien publié aux Etats-Unis (l'au- teur de cet article a voulu probablement dire : le premier journal canadien publié dans le Maine), le Messager, de Lewiston, mainte-

180 Histoire de la Presse Franco-Américaine

nant dans sa dix-neuvième année, et pour lequel le défunt n'a ménagé ni son temps, ni son argent, ni ses efforts.

Cédant à de nombreuses sollicitations, le docteur Martel s'est aussi présenté, à deux reprises successives, en 1893 et en 1894, pour briguer les suffrages de ses concitoyens en qualité de maire de la ville de Lewiston. Il échoua dans ces deux tentatives, grâce surtout à l'hos- tilité sournoise de l'élément irlandais, incapable de se faire à l'idée qu'un maire d'origine et de langue française pût jamais avoir la direc- tion des affaires de la ville. Mais ces deux élections n'en furent pas moins chaudement contestées, celle de 1894 surtout, le nombre de votes inscrits a été le plus considérable dont on avait jusqu'alors eu le souvenir à Lewiston.

Depuis 1894 le docteur Martel s'était tenu dans une obscurité relative, se contentant surtout de faire le bien autour de lui, aidant à la fondation d'œuvres de charité, et ne marchandant pas ses services aux pauvres pour lesquels il a toujours fait preuve d'un dévouement inaltérable. Ce fut lui, surtout, qui contribua le plus à l'établissement de l'hôpital des sœurs grises à Lewiston, et ces bonnes religieuses ont maintenant perdu avec lui l'un de leurs collaborateurs les plus pié- cieux.

Notre distingué compatriote et ami avait épousé, en 1875, Mlle Alphonsine Germain, appartenant à l'une des premières familles de Saint-Hyacinthe, et il laisse aussi derrière lui deux enfants, un fils et une fille.

H: ^ ^

Le premier mai 1870 L'Emigré Canadien faisait son apparition à Biddeford, publié par Léon Bossue dit Lyonnais; il en parut en tout six numéros. Ce fut le premier journal français publié dans le Maine. La Revue, Augusta, fondé en 191 1; hebdomadaire.

La Revue, Waterville, fondé en 1911; hebdomadaire.

Tous deux imprimés au Courrier de Lewiston.

F.-R. LeR

J.-B.-L. Lemoine

m

i

m

CHAPITKE VINGT-HUITIEME Les journaux de Manchester et du New-Hampsliire

A ville de Manchester, dans le New-Hampshire, fut aussi une terre fertile en journaux. Le premier journal qui surgit fut La Voix du Peuple, fondé par Ferdinand Gagnon et le Dr A.-L. Tremblay, le 25 février i86g. La Voix du Peuple, journal hebdomadaire très bien fait, cessait de paraître vers le 15 septembre de la même année, au départ de M. Gagnon pour Worcester, il se fixa. A ce sujet, nous ren- voyons le lecteur au chapitre spécial consacré à Ferdinand Gagnon comme journaliste.

Un long intervalle s'écoula ensuite entre La Voix du Peuple et le deuxième journal canadien qui vit le jour à Manchester onze ans plus tard. En 1869, et pendant encore des années, les Canadiens étaient peu nombreux à Manchester. L'entreprise de La Voix du Peuple était loin d'être payante; la première paroisse canadienne, celle de Saint-Augustin, ne faisait que de commencer. Mais à partir de 1880 surtout, les émigrés arrivèrent en grand nombre dans la Ville Reine du New-Hampshire. Concord est la capitale de cet Etat, mais Manchester en est la métropole. C'est dans cette jolie ville, si agréa- blement située sur la rivière Merrimack, que le gros des Canadiens se dirigeant vers le New-Hampshire se fixa. La grande compagnie de coton Amoskeag, qui bâtissait presque chaque année une nouvelle filature, offrait de l'emploi à des milliers d'employés, sans compter l'industrie de la chaussure qui annonçait devoir être un facteur im- portant dans le progrès industriel de la ville.

Donc, le 2 juillet 1880 vit la fondation de L'Echo des Canadiens par J.-E. Michelin. C.-L. Fitzpatrick & Cie en étaient les imprimeurs. Quelques mois plus tard, Léandre Boudreau, qui en était le rédac-

182 Histoire de la Presse Franco-Américaine

teur, en devint le propriétaire. M. Godfroy de Tonnancour en fut aussi quelque temps le rédacteur. L'Echo des Canadiens parut près de quatre ans ; c'était une feuille bi-hebdomadaire. Le dernier numé- ro était daté du 14 mai 1884.

LEANDRE BOUDREAU.

M. Léandre Boudreau était à St-Alexandre, P. Q., en 1835. Après avoir fait ses études au séminaire de Saint-Hyacinthe, il passa aux Etats-Unis en 1870, se fixant d'abord à Danielson, Conn., puis il alla à Worcester, il se fit agent d'assurance. D'un génie inventif, il fit breveter quelques inventions qui ne firent que l'aider à vivre. En 1875, nous le trouvons à Manchester, il devint rédacteur à L'Echo des Canadiens en 1880. M. Boudreau avait de belles qualités, c'était un catholique fervent, et dans les assemblées c'était un orateur agréable. Il est décédé à Manchester le 10 septembre 1901, à l'âge de 66 ans.

L'Union Nationale, publiée en même temps que L'Echo des Canadiens ne vécut que quelques semaines durant l'année 1881.

Le Râteau, publié dans les derniers temps de L'Echo des Cana- diens par Pierre-Camille Chatel, en 1884, disparut après quatre mois d'existence, pendant lesquels il trouva moyen de faire des misères à L'Echo. Au reste, la misère des deux ne dura pas longtemps, attendu que leur trépas se produisit à un court intervalle.

Au Râteau succéda, la même année, le Courrier du New-Hamp- shîre, fondé par P.-C. Chatel. Environ quinze mois après le Courrier fut vendu à Joseph Lebrun qui, vers le ler juin 1886, le cédait à d'autres. Ceux-ci, en juillet 1887, le transportaient à leur tour à MM. Jean et Ulric Bergeron. Au mois de septembre 1889, le journal passait aux mains d'une compagnie d'actionnaires. Plus tard encore, en i8go, il était sous le contrôle d'un syndicat, qui en cessa la publi- cation vers le ler octobre 1890. Un homme qui occupa par la suite une place considérable dans le journalisme au Canada, rédigea le Courrier d'octobre 1887 jusqu'à janvier 1888. C'est W.-A. Grenier, qui fut célèbre surtout comme agent de publicité. Il est mort le ler janvier 1905 à l'Hôpital Général de Montréal. Les journaux, dans le temps, en annonçant sa mort, disaient que c'était un vétéran du journalisme, ayant fondé plusieurs journaux, tant dans la Nou- velle-Angleterre qu'au Canada, entre autres la Libre Parole de célè-

Les journaux de Manchester 183

bre mémoire. M. Grenier était considéré comme une autorité en ma- tière de publicité. Il a dirigé tour à tour la publicité de la Presse, de la Patrie et du Journal. Il a même, pendant un temps, publié un journal intitulé la Publicité.

La Justice, fondée vers le ler juillet 1884, par Godfroy de Tonnan- cour, eut une courte existence.

La Petite République, fondée en 1886, parut pendant près d'un an. M. W.-A. Grenier en était le rédacteur-propriétaire.

Le Foyer, journal humoristique, contemporain de la Petite Repu- blique, eut le même sort que cette dernière feuille et disparut l'année suivante, en 1887.

L'Avenir Canadien, fondé le 11 septembre 1888 par Ephrem-R. Dufresne, ancien journaliste de l'Ouest, disparut en 1891 pour être remplacé par le National de Benjamin Lenthier, édition de Man- chester.

Le National, qui était imprimé à Lowell, avait J.-E. Bernier comme représentant à Manchester. Au mois de mars 1894 le National de Manchester fut entraîné dans la catastrophe du National de Lowell. M. Bernier fonda alors L'Avenir National, publié d'abord trois fois la semaine, et devenu quotidien en igoi. M. Bernier rédigea lui- même son journal les premières années, mais lorsqu'il le mit quotidien, il prit à son service les frères Léo et Jean-Louis Richard. M. Wil- frid-J. Lessard faisait déjà le service des nouvelles de la ville. Au mois de septembre 1901, M. J.-G. LeBoutillier venait de Fall-River prendre la rédaction de L'Avenir National qu'il garda jusqu'en avril 1907, alors qu'il démissionna pour prendre la rédaction de L'Opinion Publique à Worcester. M. LeBoutillier revint à son ancien poste à L'Avenir National le ler août 191 1. L'assistant-rédacteur actuel est M. Wilfrid-J. Lessard. Pendant l'absence de M. LeBoutillier à L'Opinion Publique, MM. Stanislas Doucet et Charles-R. Daoust passèrent successivement à la rédaction de L'Avenir National, mais le véritable chargé de la rédaction était M. Lessard.

Le Réveil parut vers le ler septembre 1890 et vécut seulement pendant la campagne électorale de cet automne-là. Louis Comeau en était le rédacteur-propriétaire.

Le Progrès, journal quotidien, fut fondé par un groupe de citoyens de Manchester, en 1892. Il cessa de paraître l'année suivante. Il était rédigé par Louis Comeau.

184 Histoire de la Presse Franco- Américaine

Le Causeur, journal humoristique, fondé en 1893 par L. Mont- miny, mourut la même année.

Le Merrimack, journal hebdomadaire, fondé en 1893, disparut six mois après sa fondation.

Un troisième journal, le Bulletin, vit le jour en cette même année 1893 et n'en vit pas la fin. Il était publié par Louis Comeau et J.-E. Lapointe. Ainsi, voilà trois feuilles qui naissaient et mouraient dans la même année à Manchester, et cela pendant que le National quoti- dien paraissait encore.

L'Etoile fît son apparition en 1895. Ce journal paraissait trois fois la semaine. Il disparut après quelques mois d'existence.

Le Souvenir, un autre journal humoristique, fondé en 1895, dispa- rut la même année.

L'Ami du Foyer, fondé en 1901 par M. F.-M. Boire, pharmacien, qui décédait deux ou trois ans après, vécut seize mois environ. C'é- tait un journal hebdomadaire bien fait et ayant des prétentions litté- raires. Le rédacteur en était un tout jeune homme, M. Omer Chaput. M. Boire, fatigué enfin de voir chaque semaine son journal se solder par un important déficit, en discontinua la publication. Après sa disparition, M. Chaput alla à Québec, il entra à la rédaction du Soleil. Quelques années après, soit en 1909, il était choisi pour être le rédacteur de la Tribune, nouveau journal quotidien publié à Sher- brooke, P. Q. Quelques mois après, cependant, il dut abandonner cette position, à la suite des retentissantes révélations qui furent faites au sujet de la loge de francs-maçons l'Emancipation de Montréal, et dont son nom fut publié comme l'un des membres.

Le Canado- Américain, l'organe officiel de l'Association Canado- Américaine, dont le siège social est à Manchester, paraît une fois par semaine. Imprimé aux ateliers de L'Avenir National, depuis sa fon- dation en 1901, il est envoyé aux 14,000 membres et plus de la société dont il est l'organe. M. L,-A. Robert en est le rédacteur.

L'Echo de la Presse, fondé par M. Richard Lerevers, en 1906, vécut pendant près d'un an.

La Revue Rose, un journal hebdomadaire, fut fondée quelques semaines avant les élections de 1906 par M. Léo Richard. Le nom était bien caractéristique, car la Revue Rose était imprimée sur papier rose à l'atelier que Léo Richard s'était montée. Cependant il faut croire que l'entreprise coûtait plus cher qu'elle ne rapportait, attendu

Les journaux de Manchester 185

que la Revue Rose eut bientôt le sort de la belle fleur dont elle em- pruntait le nom.

Autrement dit, la publication de la Revue Rose fut suspendue définitivement au bout de quelques semaines.

Cœurs Français était une revue mensuelle publiée par M. Joseph Dumais, professeur d'élocution. C'était une publication littéraire dont le but était d'inspirer le goût de la littérature à nos populations fran- co-américaines. Son éditeur publiait à chaque numéro des critiques du langage populaire ou ayant cours dans notre classe ouvrière ou illettrée. Il se moquait spirituellement de l'affreux jargon qu'il avait relevé dans ses rapports avec ses compatriotes des Etats-Unis et dont il prétendait donner un échantillon. Quelques-uns trouvaient que M. Dumais allait trop loin, qu'il exagérait, qu'il représentait notre classe ouvrière comme étant composée de parfaits ignorants parlant un lan- gage constamment mêlé de mots anglais francisés, etc. Dans tous les cas, la campagne de M. Dumais dans sa revue Cœurs Français pour l'épuration du langage ne dura pas longtemps, car celle-ci cessa de paraître après environ un an d'existence. Le premier numéro avait paru au mois de novembre 1907.

Le séjour de M. Dumais aux Etats-Unis, croyons-nous, fut d'en- viron trois ans, dont un intervalle de quelques mois est occupé par un séjour à Paris. Son occupation était de former des clubs les membres, moyennant une cotisation, avaient accès aux conférences d'élocution du professeur. Celui-ci avait son domicile régulier à Manchester, mais de il voyageait de temps à autre dans d'autres centres canadiens de la Nouvelle-Angleterre. La revue Cœurs Fran- çais, était née de l'idée préconisée par le professeur Dumais, laquelle il cherchait ainsi à populariser d'une manière plus effective. Hélas! malgré sa grande activité et son courage à toute épreuve, M. Dumais finit par subir la loi commune, comme tant d'autres de ses devanciers bien que dans le champ différent du journal proprement dit: il dût un jour s'avouer vaincu, et Cœurs Français passa de vie à trépas.

Au mois d'octobre 1907 parut le New England, organe de la New England Investment Company, cette compagnie industrielle lancée et dirigée par Joseph de Champlain dont il a été question au chapitre des journaux de Lowell. C'était une petite feuille hebdomadaire, imprimée à l'établissement de Léo Richard, qui fut remplacée quel- ques mois plus tard par la Nation. En septembre de la même année,

186 Histoire de la Presse Franco-Américaine

la Nation disparut pour faire place au Réveil, journal quotidien fondé encore par Joseph de Champlain pour être l'organe officiel de la compagnie New England.

La fondation et l'existence du Réveil de Manchester marquent une phase intéressante et curieuse dans l'histoire de nos journaux franco-américains. Pendant sa courte existence près de deux ans il s'est fait l'écho des projets, grands comme le monde, de Joseph de Champlain pour la régénération de la race canadienne-française aux Etats-Unis et lui donner le rôle qui lui appartenait dans l'industrie, la finance, les afifaires en général. Les ambitions du président de la New England ne se limitaient pas à procurer la gloire de la race; il avait des visées encore plus hautes, il voulait créer ou provoquer un vaste mouvement, englobant toutes les sociétés nationales, qui à cette fin fourniraient à sa compagnie des contributions, pour faire commander par le Saint-Siège aux évêques de mettre des curés de langue française dans les paroisses exclusivement ou en partie de langue française. Comme on peut bien le penser, les sociétés ne furent pas empressées de fournir des fonds à la New England pour mener une campagne en faveur d'un clergé national, et le projet tomba à l'eau, comme hélas ! tous les autres vastes projets de M. de Cham- plain devaient plus tard s'envoler comme du vent et aboutir à la ca- tastrophe retentissante que nous avons vue au chapitre de Lowell.

Le Réveil avait comme rédacteur Arthur Smith, que M. de Cham- plain avait enlevé à L'Etoile de Lowell, peu de temps avant qu'il eût fait l'achat de ce dernier journal.

M. de Champlain avait organisé une compagnie pour la publica- tion du Réveil. M. Médéric Guilbault, avocat, en était le président. Cependant le principal actionnaire était la compagnie New England elle-même, qui avait fourni la plus grande partie des fonds pour l'a- chat et l'installation du matériel. Dans l'idée du fondateur le Réveil devait être le premier pas dans la voie d'une espèce de trust des journaux. Tous les journaux étant sous le même contrôle, la pro- pagande en faveur de la concentration des capitaux franco-américains se faisait plus facilement et selon un mot d'ordre commun. M. de Champlain absorba L'Etoile et le Courrier National, un hebdoma- daire de Lawrence, alors imprimé à L'Etoile. Le trust des journaux en resta là.

Les journaux de Manchester 187

Le Réveil n'était pas viable ; aussi sa disparition fut-elle défini- tive. Pendant la vie du Réveil il se trouvait à y avoir deux quotidiens à Manchester, pendant qu'un seul pouvait faire bien juste pour se maintenir. L'Avenir National dut donc soutenir la concurrence du Réveil et il s'en tira à son honneur, vu qu'il faisait un journal beau- coup plus présentable, mieux fait et plus intéressant. Il est à remar- quer cependant que les grandes améliorations que M. Bernier a faites à son journal ont coïncidé avec l'apparition du Réveil. C'était bien le meilleur moyen de conserver la faveur du public et par suite la clientèle des annonceurs, dont le Réveil n'a jamais paru bien favo- risé.

Le Foyer Canadien était une revue mensuelle dont le premier numéro parut en février 1908. L'éditeur en était M. Gélinas, un typo- graphe qui avait travaillé à L'Avenir National et ailleurs, mais qui avait subséquemment ouvert une imprimerie et une librairie. Le Foyer Canadien était une belle publication de 16 pages remplie de matières choisies et fort intéressantes. Encore ici l'éditeur dût trouver que sa publication devait lui valoir plus de dépenses que de bénéfices, puisqu'elle disparut au bout de cinq ou six mois.

On compte aussi comme feuilles éphémères qui ont paru en ces derniers temps à Manchester, la Revue des Familles et la Revue Minière, publiées par Léo Richard et Théotime Boudreau. Le titre de cette dernière était caractéristique de son but, lequel était de pro- mouvoir une affaire de mine d'or. Après le grand fiasco de la New England, tant des nôtres ont étourdiment engouffré sans retour le fruit de leurs économies péniblement amassées, il semblerait qu'il devait être difficile d'intéresser nos compatriotes à une autre affaire comportant des souscriptions de parts. Quoiqu'il en soit, la justice, toujours curieuse, a fini par fourrer le nez dans cette affaire sous forme des autorités du département des postes pour usage illégal des malles des Etats-Unis en vue de frauder le public. C'est, au reste, le même sort qui avait été fait quelque temps auparavant à M. de Champlain qui, un beau matin, arrivant de Montréal, était arrêté à la gare par la police fédérale et, faute de caution, logé provisoirement à la prison, il passa deux jours comme un vulgaire criminel, lui qui s'était donné pour mission de régénérer la race canadienne-fran- çaise aux Etats-Unis au moyen de la concentration des capitaux. C'était la fin de bien des rêves, bien des illusions pour un grand nom-

188 Histoire de la Presse Franco-Américaine

bre. Tant il est vrai de dire que l'acquisition de la richesse ou même d'une aisance honnête ne peut s'accomplir que par un travail soutenu et non par de prétendus fal?uleux dividendes qui ne sont qu'un appas pour prendre les gogos.

L'affaire de mine dont la Revue Minière était l'organe, avait nom la Oxford Gold Mining Company. On a jamais pu savoir si c'était une mine réelle ou imaginaire. Tout ce que l'on sait c'est qu'elle était située à Houghton, dans le Maine. Toujours est-il qu'elle n'a jamais rien rapporté à ses nombreux actionnaires, au contraire. L'em- placement de la mine pouvait être là, mais il paraissait n'y avoir au- cune installation pour l'exploitation. A ce propos L'Avenir National du 20 mars igii publiait la nouvelle suivante:

"Mardi de la semaine prochaine, en cour de circuit des Etats- Unis, s'ouvrira le procès de MM. John-A. Delisle, de New-Bedford, président de la Oxford Gold Mining Co., de Houghton, Me.; Théo- time Boudreau, de Manchester, ex-trésorier, et Léo Richard, de Man- chester, ex-secrétaire et ex-directeur de la compagnie, accusés tous trois d'avoir fraudé le public au moyen de la poste.

"Le juge Aldrich présidera probablem.ent et le gouvernement sera représenté par le juge Hoitt, de Nashua, N.-H., procureur du district. Les prévenus seront défendus par Mtre J.-A. Broderick, Mtres Bum- ham, Brown, Jones et Warren et Mtres Branch et Branch.

"Ce procès sera attendu avec un grand intérêt par les nombreux actionnaires de la Oxford Gold Mining Co. Les trois accusés sont actuellement sous caution.

"Plusieurs citoyens de Manchester ont été sommés de se rendre à Concord comme témoins dans cette affaire. M. Fred-S. Johnson, deputy United States Marshall, était à Manchester ces jours derniers dans le but de faire les sommations. Le Dr J.-E.-E. Roy, un action- naire, a reçu l'ordre d'être à Concord le 28 courant, à 11 heures de l'avant-midi.

"M. Henri Dupuis, un agent de la compagnie ; M. Victor Bourque, qui a travaillé à la mine de Houghton, Me.; M. Raphaël Bessette, qui a également été employé à la "mine d'or"; M. Joseph Caron, de Manchester Ouest, et plusieurs autres ont été assignés comme té- moins.

"Un seul acte d'accusation a été rédigé contre les trois accusés, mais on ne sait pas encore si les procès auront lieu séparément ou si les trois promoteurs de la compagnie devront plaider en même temps."

Effectivement le 28 mars les trois prévenus comparaissaient de- vant le juge Aldrich et étaient condamnés, Léo Richard à $200

Les journaux de Manchester 189

d'amende, John-A. Delisle à $i,ooo d'amende et Théotime Boudreau à $2,000 et 6 mois de prison.

Manchester vit encore la fondation d'autres journaux sur lesquels nous n'avons pas de données suffisantes pour en parler avec connais- sance de cause. Nous ne ferons seulement que mentionner L'Emigré Canadien, fondé en avril 1878 par Georges Page et Frère ; L'Ami du Peuple, fondé en avril 1881 par Victor Bélanger, qui l'imprimait au Courrier de Worcester et avait Auguste Béchard comme rédacteur local (ce journal dura une couple d'années) ; la Jeunesse, fondée vers le ler juin 1890, dont il ne parut que six numéros.

Pour revenir au Réveil, au commencement de mai 1910, les jour- naux publiaient la nouvelle suivante de Manchester:

Il est probable qu'une compagnie subsidiaire de la New England Investment Company aura bientôt cessé d'exister. C'est la "Le Réveil Publishing Co.," de Providence, R.-I., qui publie trois jour- naux, l'un à Manchester, le Réveil, un autre à Lawrence, Mass., le Courrier et le troisième à Lowell, L'Etoile.

* * *

En dehors de Manchester il n'y eut presque pas de journaux canadiens dans le New-Hampshire. A part Nashua, nous ne voyons guère que Somersworth, M. Louis Tesson fonda le Courrier en 1898, qui vécut jusqu'en 1903. M. Tesson l'imprimait à l'atelier de la Presse à Holyoke. Au sujet de la carrière de ce journaliste, nous renvoyons le lecteur au chapitre des biographies.

A Great Falls (maintenant Somersworth,) le docteur Louis-Le- maître Auger, le premier octobre 1884, fondait le Protecteur Cana- dien. Ce journal, après avoir englouti plusieurs centaines de dollars de son propriétaire, cessa de paraître après seize mois d'existence. Le docteur Auger fit cadeau de sa liste d'abonnés au docteur Martel du Messager de Lewiston, Maine,

C'est dans l'été ou l'automne de 1906 que Joseph de Champlain arriva, inconnu, à Manchester. Il était bien connu cependant à Fall- River et dans le Rhode-Island. Il venait à Manchester pour y lancer sa grande entreprise de la New England Company, l'œuvre capitale de sa vie. Les autres petites affaires qu'il avait faites auparavant n'étaient qu'un jeu d'enfant à côté de celle-là. Estimant avec raison qu'il devait se faire appuyer par un homme d'affaires connu et res- ponsable, s'il voulait réussir, il parvint à intéresser M. J.-E. Bernier

190 Histoire de la Presse Franco-Américaine

à ses plans. Au bout de quelques mois M. Bernier, voyant les véri- tables tendances de son associé, eut quelque soupçon que cela sen- tait l'exploitation de la crédulité publique et il s'en sépara. De Champlain n'en continua qu'avec plus d'activité à la diffusion de son plan de concentration, que nous avons expliqué.

Joseph de Champlain ne fut pas seulement capitaliste, financier et promoteur, le Napoléon de la finance, comme quelques-uns de ses adulateurs l'appelaient parfois prétentieusement, mais par le fait qu'il a fondé un journal et qu'il en a acheté deux qui existaient déjà, son nom a sa place marquée dans cette histoire. (Voir sa biographie au chapitre "Silhouettes de Journalistes.")

Comme conclusion de ce chapitre des journaux de Manchester, nous croyons devoir reproduire, à titre documentaire, les lignes sui- vantes que publiait L'Avenir National à la fin d'octobre igog. On remarquera qu'il y a quelques variantes dans les noms et les dates avec ce que nous avons écrit ci-dessus. On y constatera que M. Fitz- patrick, qui était considéré comme l'un des nôtres, a joué un rôle assez important dans notre journalisme. Voici la nouvelle publiée à son sujet par L'Avenir National et reproduite par L'Opinion Pu- blique du 26 octobre igog:

Après avoir dirigé une imprimerie à Manchester pendant trente- trois ans et avoir occupé le même local au No 22 rue Concord, pen- dant trente-deux ans, M. Charles-L. Fitzpatrick, dentiste et impri- meur, résidant au No 300 rue Lowell, vient de se retirer des affaires. Il a vendu son atelier à MM. Léo Richard et Théotime Boudreau, qui y publieront la Revue Minière, l'organe de la Oxford Gold Mining Company, de Houghton, Maine.

M. Fitzpatrick était certainement le plus ancien imprimeur de Manchester. De toutes les maisons commerciales qui existaient à Manchester lorsqu'il s'est lancé dans les affaires, bien peu existent aujourd'hui. Celles qui ont conservé l'ancien nom ont changé d'ad- ministration deux ou trois fois.

Il s'est publié plus de journaux dans l'imprimerie Fitzpatrick que dans n'importe quelle autre de la ville ou même de l'Etat. La plu- part ont disparaître après avoir lutté plus ou moins longtemps pour l'existence.

Arrivé à Manchester en 1868, M. Fitzpatrick ouvrit un bureau de dentiste en cette ville l'année suivante; en 1876 il ouvrit sa pre- mière imprimerie dans l'édifice Smith. Il en occupa le premier étage du côté nord, à l'endroit se trouve actuellement l'entrée du Park Théâtre. C'est que fut publié pendant sept mois le journal anglais

Les journaux de Manchester 191

intitulé The Pioneer. En 1878, M. Fitzpatrick s'installait au No 22 rue Concord, il demeura pendant près de 32 ans.

Le premier journal français imprimé aux ateliers Fitzpatrick fut L'Echo des Canadiens, qui parut pour la première fois le 2 juillet 1880. Il fut publié par MM. J.-E. Michelin, C.-L. Fitzpatrick et Léandre Boudreau. Plus tard, M. Michelin vendit sa part d'intérêt et les deux autres associés publièrent le journal jusqu'au 2g décembre 1883.

MM. Fitzpatrick et Peter-J. Flood publièrent ensuite un journal hebdomadaire intitulé The Guardian. C'était en 1884. Le journal disparut après huit ou neuf mois d'existence.

La même année, le Courrier du New-Hampshire fut lancé par M. Pierre-C. Chatel et le journal ayant cessé de paraître après avoir changé de propriétaire, M. Fitzpatrick en acheta l'atelier et publia la Justice dont M. Godfroi de Tonnancour, le rédacteur actuel de L'Indépendant de Fall-River, fut directeur. Les premières gelées d'automne emportèrent la Justice.

Pendant trois ans, M, Fitzpatrick publia le New Hampshire Catholic, dont M. C.-A. O'Connor était propriétaire.

En 1892, M. Charles Fitzpatrick fonda le Réveil, qui cessa de paraître à la fin de la campagne électorale.

M. Fitzpatrick imprima également le Bulletin, VEmerald et la Revue Rose.

^ ^ H:

Feu Pierre-Camille Chatel a exercé son métier de typographe et de fondateur de journaux dans plusieurs villes. Il a fondé, entre autres, à Northampton en 1875, le Jean-Baptiste, qui existe encore aujourd'hui comme étant le plus ancien de nos journaux existants et est publié par M. Brazeau à Pawtucket. Il s'est particulièrement distingué à Manchester avec son Râteau et son Courrier du New- Hampshire. M. Chatel avait une prédilection pour le Râteau qu'il avait publié en 1884 à Manchester et qu'il ressuscita à Northampton en 1901. Il existait encore lorsque son propriétaire décéda en dé- cembre 1903.

Au lendemain de la mort de Pierre-Camille Chatel L'Opinion Publique, le 22 décembre 1903, publiait ce qui suit:

P.-C. CHATEL.

La mort vient de coucher dans la tombe un pionnier du jour- nalisme franco-américain en la personne de M. Pierre-Camille Chatel. Depuis longtemps, ce bon serviteur souffrait de la maladie qui l'a terrassé, à Northampton, Mass., depuis trois ans, il attendait en chrétien résigné^ le dénouement fatal.

192 Histoire de la Presse Franco-Américaine

à Saint-Hyacinthe en 1836, M. Lhatel se rendait, dès l'âge de 21 ans, à Amherst, pour débuter dans le métier de typographe. Il fut chef d'atelier durant cinq ans, au journal Amherst Record. Plus tard, il prit la charge de la Hampshire Gazette, à Northampton. Dans cette dernière place, M. Chatel fonda le Jean-Baptiste, pour le céder ensuite à des particuliers de Worcester, afin de fonder, à Manchester, le journal humoristique bien connu, le Râteau, que le Courrier du New-Hampshire remplaça. De retour à Northampton, il fonda le Ralliement, mais quelque temps après il cessa sa publication, afin d'al- ler travailler sous M. Beaugrand à la Patrie, alors que ce dernier rédi- geait le Canadian News. Il resta quelque temps à la Patrie, puis finalement à l'imprimerie Perrault il demeura très longtemps. Le défunt travaillait aux ateliers de M. A.-P. Pigeon, lorsqu'il quitta la ville pour retourner à Northampton, il y a trois ans. Dans cette dernière ville, M. Chatel avait charge du département des ouvrages de ville, au Herald.

Feu M. Chatel avait épousé en 1852, Mlle Marie Guertin, de Saint- Hyacinthe, de qui il eut trois enfants. Une de ses filles est mariée à M. Octave Larose, de la Montréal Printing Co.

Le défunt fut tour à tour président de l'Union Typographique Jacques-Cartier, No 145, et secrétaire-correspondant du Conseil Cen- tral des Métiers et du Travail. Il fut à différentes reprises délégué aux conventions tenues à Winnipeg et dans Ontario.

La P'tite Gazette a paru tous les jours, du mardi 28 novembre au mardi 5 décembre 191 1 inclusivement, comme organe officiel d'un bazar qui se tenait en même temps dans la Salle Ste-Cécile, paroisse Saint-Augustin, Manchester. C'était une petite feuille de quatre co- lonnes à quatre pages, qui eut une grande vogue. M. le curé J.-A. Chevalier, le curé vétéran de la paroisse Saint-Augustin, la plus ancienne paroisse canadienne de Manchester, qu'il a lui-même fondée, il y a plus de quarante ans, avait entrepris de faire un grand bazar, au profit des œuvres paroissiales, dans ce splendide édifice paroissial de construction toute récente. Ce bazar eut un beau succès, de même que son organe, la P'tite Gazette. Ce petit journal, publié à un tirage de plusieurs centaines d'exemplaires chaque jour du bazar, était im- primé à L'Avenir National sur du papier de couleur qui changeait de nuance tous les jours. Il rapportait les différents faits et gestes du bazar, donnant aussi comme lecture variée des mots pour rire, des anecdotes et des articles propres à intéresser le public au soutien des œuvres paroissiales. Les rédacteurs en étaient J.-G. LeBoutillier et Wilfrid-J. Lessard, de L'Avenir National.

..p^SS'S^,

J.-Adélard Caion

Charles-C. Gauvin

#

CHAPITRE VINGT-NEUVIEME Les journaux du Rhode-Island

E premier journal de langue française dans le Rhode-Island parut en 1873 à Woonsocket et s'appelait L'Etoile. Le premier numéro fut en même temps le dernier. Mais ce premier échec ne découragea pas son éditeur, M. C. Des- marais, qui, quelques jours plus tard, au mois de juillet, sortait la Guêpe, qui ne vécut que quelques mois.

Au mois d'août 1873, Ferdinand Gagnon et Frédéric Houde com- mencèrent à Woonsocket la publication du Courrier du Rhode-Island, qui était une édition du Foyer Canadien de Worcester, feuille in-quarto à huit pages. La publication en fut discontinuée durant l'été de 1874.

Le Courrier Canadien, Woonsocket, R.-I., fut fondé en septembre 1875 par Godfroi Labelle» ci-devant chef d'atelier au Patriot, journal anglais, avec J.-A. Daigneault comme associé et rédacteur. Au mois d'avril 1876 le Dr Gédéon Archambeault en devint le rédacteur, mais le Courrier cessa de paraître à la fin de juin de la même année. A cette occasion Ferdinand Gagnon écrivait les lignes suivantes:

"Nous regrettons la disparition du Courrier, car depuis que le Dr Archambeault en avait la rédaction, ce journal était devenu ins- tructif, patriote et religieux. C'est le sort des hommes de bon sens de n'être pas compris parmi nous. On se passionne pour des feuilles aussi rachitiques qu'insignifiantes et on refusera son patronage aux bons journaux. La conséquence, c'est que notre presse canadienne est loin d'être ce qu'elle devrait être."

Le Dr Archambeault s'associa avec M. Gagnon en septembre 1876 et cette société dura trois ans. La publication du Courrier fut re- prise comme édition du Travailleur jusqu'à la fin de l'année 1892

14

194 Histoire de la Presse Franco- Américaine

alors qu'avec le Travailleur et les autres journaux tombés sous le contrôle de Benjamin Lenthier, il cessa d'exister.

J.-A. DAIGNAULT.

Joseph- A. Daignault était à Saint-Pie, comté de Bagot, le 4 novembre 1844. tl fit ses études au collège de Terrebonne, puis il étudia le droit en même temps que Ferdinand Gagnon dans l'étude de l'avocat Raphaël Fontaine (qui fut plus tard juge,) à Saint-Hya- cinthe. Il obtint le grade de bachelier en droit, travailla pendant dix-huit mois pour le Grand Tronc, puis vint aux Etats-Unis. Il collabora d'abord au Courrier de Holyoke, s'occupa d'assurance sur la vie pour le compte de M, Charles Lalime, de Worcester. En mars 1875, avec P.-C. Chatel, il fondait le Jean-Baptiste à Northampton. Mais il préférait le Rhode-Island et il se fixa à Woonsocket où, com- me nous venons de le voir, il fondait en septembre de la même année le Courrier Canadien. La maladie le minait lentement, et après deux ans de souffrances, persistant à travailler pendant presque tout le temps, il mourait de tuberculose à Woonsocket le 9 décembre 1876, âgé de 32 ans. M. Daignault était un homme actif, laborieux et ayant de solides principes religieux. Il avait de réelles aptitudes pour le journalisme, et il rendit de bons services à notre population pendant sa courte carrière.

En avril 1875, M, Daignault avait fondé un autre journal, le Réveil, en société avec un nommé Buies. M. Nicolas Gaulin, un citoyen à l'aise, avait fourni les fonds nécessaires. Le Réveil cessa de paraître avec la mort de M. Daignault au mois de décembre 1876. En janvier suivant Ferdinand Gagnon achetait le matériel du Réveil. C'est au Réveil que M. Charles-C. Gauvin commença son appren- tissage dans la carrière du journalisme. Il devint plus tard adminis- trateur de la Tribune et député à la législature du Rhode-Island.

Le 24 avril 1903, au lendemain de la mort du Dr Archambeault, j'écrivais l'article suivant dans L'Opinion Publique:

Le Dr Archambeault a été si étroitement lié à nos intérêts comme Canadiens émigrés que sa mort sera vivement regrettée par tous ceux qui ont été mêlés à notre organisation et ont contribué de quelque manière à notre développement.

Ferdinand Gagnon, Frédéric Houde, le Dr J.-L. Martel, le Dr Archambeault sont les quatre grandes figures laïques disparues parmi nos populations dans la Nouvelle-Angleterre. Houde n'a vécu au

Les journaux du Rliode-I slancl 195

milieu de nous que de 1870 à 1874, mais ses écrits et sa voix éloquente ont contribué beaucoup à secouer l'apathie dans laquelle nous étions et à nous faire réaliser l'importance de notre nombre.

Le Dr Archambeault n'a pas été aussi en évidence que M. Gagnon et le Dr Martel, mais il a passé en faisant beaucoup plus de bien qu'on serait porté à le croire si l'on regarde d'un œil scrutateur les trente années qu'il a été au milieu de nous. Woonsocket comptait alors quelque trois cents familles canadiennes qui n'avaient cependant pas de paroisse séparée ; la société Saint-Jean-Baptiste venait d'être fon- dée. Le Dr Archambeault, à peine âgé de 24 ans, s'y fixa en 1872. Peu de temps après, un nommé Clément Desmarais, qui avait été commis-épicier à Southbridge et y avait publié L'Etoile, qui fîla après deux ou trois numéros, alla s'établir à Woonsocket, il pu- blia la Guêpe, qui n'eut qu'une existence éphémère. Le journalisme n'était pas son métier, il se fît épicier à Montréal, il mourut en

1875.

En 1873 M. Gagnon publiait à Woonsocket une édition du Tra- vailleur sous le titre Courrier du Rhode-Island, et M. Godfroi La- belle, imprimeur au Patriot, fondait le Courrier Canadien, aussi à Woonsocket. La "sympathie naturelle" qui existe entre les gens d'un même commerce se manifestait dans ces feuilles, et les lecteurs avaient sous les yeux des articles qui étaient loin d'élever leur niveau moral et de développer leur intelligence. Pour améliorer la situa- tion et probablement dans le but de donner l'exemple de la concorde et de la fraternité, M. Nicolas Gaulin, marchand (aïeul de son hon- neur l'ex-maire Alphonse Gaulin,) fondait au commencement de 1875, avec feu J.-A. Daignault, le Réveil, qui devait sonner l'heure de la paix en prêchant l'exemple à ses confrères en brouille. M. Daignault était un condisciple de collège de M. Gagnon.

C'est ici que le Dr Archambeault met la main à la plume en pre- nant la rédaction du Courrier Canadien. D'un caractère froid, le ton modéré de ses articles produisit graduellement son effet. Woon- socket avait trois journaux français, c'était un peu fort. M. Gagnon cessa la publication du Courrier du Rhode-Island et laissa le champ libre à ses deux autres confrères. Quelques mois plus tard (sep- tembre 1876,) le Dr Archambeault ayant acheté le journal de M. La- belle, s'associa M, Ferdinand Gagnon et tous deux en continuèrent la publication pendant plusieurs années comme édition du Travail- leur.

Les épithètes injurieuses, les vulgarités, en uri mot "l'engueulage" auxquels les lecteurs étaient habitués firent place à la modération, au bon sens et à une fraternité au moins apparente. Les lecteurs intel- ligents, (ils ne le sont pas tous,) fatigués du brouhaha d'autrefois, sont contents des progrès accomplis et respirent à l'aise en consta- tant que l'harmonie est rétablie parmi ceux qui par leur intelligence, sont les chefs de nos groupes. Le Dr Archambeault avait contribué

196 Histoire de la Presse Franco- Américaine

plus que sa part à cet heureux changement. Ses écrits, marqués d'un cachet qui lui était particulier, dénotaient chez lui toujours l'homme sérieux et avaient trait presque tous à des sujets d'éduca- tion, au développement intellectuel de nos populations. Il a écrit souvent sur l'économie, l'honnêteté, etc. Son ton était toujours mo- déré et sa logique convaincante; c'était un homme d'un caractère froid, mais loyal, d'une énergie persévérante et de convictions bien trempées; généreux, mais donnant sans ostentation pour les œuvres religieuses, nationales et de charité. Le dernier acte de sa vie fut de laisser quarante mille dollars pour fonder un refuge pour les vieil- lards. Cet acte montre avec quelle sollicitude il a pensé à ceux qui sont dans le dénuement; il a voulu sauver la vieillesse de la misère et des affreuses tortures physiques et morales qui forment générale- ment son cortège. Cet argent, il l'avait gagné parmi les pauvres, il le leur remet; c'est le premier Canadien émigré qui fait un don aussi généreux.

Cet argent a été laissé entre les mains du Rév. Charles Dauray, curé du Précieux Sang, qui depuis son arrivée à Woonosocket, en novembre 1875, a été appuyé dans ses œuvres paroissiales par le défunt, comme il lui avait promis dans les quelques paroles de bien- venue qu'il lui adressait alors comme président de l'Institut Canadien.

Moi, qui ai connu le Dr Archambeault intimement, je considère comme un devoir et un honneur de déposer sur sa 'tombe ce tribut de reconnaissance pour tout ce qu'il a fait en faveur de notre élément dans le centre de la Nouvelle-Angleterre.

DR GEDEON ARCHAMBEAULT.

Le Dr Gédéon Archambeault était à Saint-Paul l'Ermite le 21 janvier 1847. Il fît son cours classique au collège de l'Assomption et son cours médical à l'université Victoria. Il fut admis à la prati- que de la médecine en 1870. Le 29 août 1870, à Montréal, il épousa Mlle Virginie Primeau. Immédiatement après son mariage il alla s'établir à Woonsocket. En 1873 il colaborait au Foyer Canadien de Worcester, et ses articles étaient reproduits dans l'édition de Woon- socket. Pour montrer combien il était populaire parmi ses compa- triotes, en novembre 1876 il était l'objet d'une démonstration à un bazar, M. le curé Dauray lui présenta un riche encrier avec une plume en or, symbolisant ainsi l'estime que l'on faisait de ses écrits patriotiques. En novembre 1877 il jouait Don Vasco de Gomez avec des amateurs distingués, comme Joseph Boucher, Timothé Tétreault et autres.

Les journaux du Rhode-Island 197

Appelé en 1884 à faire le discours de circonstance, au nom de ses compatriotes des Etats-Unis, aux fêtes du cinquantenaire de la socié- té Saint-Jean-Baptiste à Montréal, il parla de façon magistrale et avec tant d'éloquence qu'on le surnomma le Chapleau des Etats-Unis. M. l'abbé Charles Dauray, curé canadien de Woonsocket,i était aussi présent à la fête et avait été l'orateur au nom du clergé canadien des Etats-Unis. L'abbé Dauray et le Dr Archambeault étaient en com- pagnie d'hommes comme le juge A.-B. Routhier, Fréchette, Chapleau, le juge T,-J.-J. Loranger, Pascal Poirier, Charles Thibault, Honoré Beaugrand, Joseph Tassé, Ferdinand Gagnon, etc. En 1876, le Dr Archambeault était devenu propriétaire du Courrier Canadien et s'était associé à Ferdinand Gagnon pour la publication de ce journal. Il est décédé le 23 avril 1903, laissant une femme sans enfant. Le Dr Gédéon Archambeault, qui avait précédé à Woonsocket l'arrivée de M, Dauray d'une couple d'années, me disait il y a vingt-cinq ans: "Je fais mon argent chez les Canadiens de Woonsocket, mais je leur en laisserai." Il a tenu parole.

Le Courrier de Woonsocket était une édition du Courrier de Worcester, publié par Bélanger Frères (Victor et Louis-A,), qui parut en mai 1883, et vécut quelques années en concurrence avec le Courrier Canadien.

L'Ami des Familles, fondé à Pawtucket en avril 1883, était une revue mensuelle et ne vécut pas longtemps.

Le Foyer Canadien était une édition du National de Lowell et publié, comme tant d'autres ailleurs, durant l'année 1892, par Benja- min Lenthier.

Un journal qui a joué un rôle considérable dans le Rhode Island est L'Espérance, de Central Falls, qui fut fondé par J.-M. Authier en mars 1891. Pendant quelques années, M. Authier publia une édi- tion de L'Espérance pour Woonsocket. M, de Tonnancour en fut quelque temps le rédacteur. En 1898 le journal passa aux mains de M. Ambroise Choquet, maintenant juge à Central Falls. L'Espé- rance était un beau journal, attrayant, bien fait et d'un patriotisme de bon aloi, et lorsqu'il disparut, peu de temps après son acquisition par M. Choquet, c'était une perte réelle pour nos compatriotes de Central Falls, Pawtucket et les environs.

1. M. l'abbé Charles Dauray est encore à la tête de la paroisse du Précieux-Sang', fondée en 1872. Avec M. le curé Chevalier, de Manchester, et Mgr Milette, de Nashua, il est un des vétérans de notre clergé national encore sur la brèche.

198 Histoire de la Presse Franco- Américaine

Il parut seulement deux numéros du Philanthrope à Providence, en juillet 1892. C'était une espèce de revue littéraire à 32 pages, imprimée sur papier de luxe, illustrée et trop dispendieuse pour pou- voir vivre. Son éditeur était L.-J. Bachand-Vertefeuille.

En 1895 il n'y avait plus un seul journal français à Woonsocket. Au printemps de cette année-là, Adélard-E. Lafond y faisait son apparition, venant de Fall-River, après le désastre de son Protecteur Canadien. Lafond, dans l'espace de moins d'un an, avait englouti plusieurs mille piastres dans son journal. Mais il n'était pas homme à se décourager pour si peu. Avec ce qu'il avait pu sauver du nau- frage il avait résolu de recommencer à nouveau la vie active du jour- nalisme. Il avait une foi inébranlable en son étoile: les obstacles ne le rebutaient pas, ils étaient plutôt pour lui un stimulant et il affron- tait la lutte avec une belle audace et une désinvolture qui en impo- saient véritablement. Il n'y avait jamais eu dans le journalisme un homme comme Lafond pour avoir le talent de convaincre de l'excel- lence d'une affaire. A cet égard il avait donné toute la mesure de son talent à Fall-River, mais le terrain était épuisé. C'est dans ces conditions que M. Lafond débarquait, un beau matin de 1895, dans la ville de Woonsocket qui, dans son estimation, était un champ magnifique pour l'exploitation d'un journal français, attendu que tous ceux qui avaient été publiés auparavant étaient disparus et que Woon- socket passait pour l'un des meilleurs centres canadiens de la Nou- velle-Angleterre. Il ne se trompait pas : Woonsocket était alors un magnifique champ pour y lancer un nouveau journal. Lafond vou- lait rien moins qu'un journal quotidien; il estimait avec raison que puisque Fall-River et Lowell faisaient vivre déjà des feuilles quoti- diennes, il n'y avait pas de raison pourquoi Woonsocket, la ville canadienne par excellence de la Nouvelle-Angleterre, la ville Pothier commençait déjà à faire entrevoir ce qu'il pouvait être dans l'avenir, n'en ferait pas autant.

Ayant réussi à intéresser quelques-uns de nos principaux com- patriotes en affaires à son entreprise, avec cet accent de persuasion qui lui était habituel, Lafond fonda la Tribune, dont le premier numé- ro parut le 7 avril. C'était tout un événement. La Tribune a la distinction d'avoir été le premier journal quotidien dès sa fondation. Dès que le journal fut prêt à fonctionner, Olivar Asselin vint de Fall- River prêter main forte à son patron du Protecteur, et il fut le

Les journaux du Rhode-Islancl 199

premier rédacteur de la Tribune. Au bout d'un an ou deux, le pro- priétaire de la Tribune succomba sous le poids de trop lourdes obliga- tions, et le journal qu'il avait fondé lui échappa. Ce ne fut qu'un changement de contrôle ; les créanciers formèrent une compagnie qui continua la publication de la Tribune jusqu'à nos jours. Le règne d'Asselin à la Tribune ne fut pas long non plus. En 1898, lorsque éclata la guerre entre les Etats-Unis et l'Espagne, il déposa la plume pour prendre le fusil de fantassin et s'enrôler comme volontaire dans l'expédition de Cuba. L'histoire n'a pas encore enregistré les hauts faits d'armes qu'a pu accomplir Asselin au cours de cette expédition militaire. Je ne sais pas s'il s'est réellement battu contre les Espa- gnols, mais si l'on peut en juger par les coups formidables qu'il a portés par la suite à ses adversaires dans son Nationaliste, sans compter son fameux coup de poing sur le nez du ministre Alexandre Taschereau dans le couloir de l'assemblée législative à Québec, l'ar- deur belliqueuse ne devait pas lui faire défaut. Badinage à part, la carrière des armes n'était pas dans les goûts d'Asselin. C'était plutôt pour lui alors un pis-aller. La paix rétablie et on sait qu'elle ne tarda pas Asselin gagna le Canada. Sa carrière est généralement connue. Après une période passée comme secrétaire privé d'un minis- tre du cabinet à Québec, muni de tous les secrets du gouvernement, il s'en va à Montréal il fonde le Nationaliste, dans lequel il bataille tellement qu'un bon jour il finit par mordre la poussière sous les coups des actions en dommage pour libelle. Cela n'empêche que ses idées firent du chemin, et l'on peut dire qu'Olivar Asselin fut le véritable fondateur du parti nationaliste.

Pour revenir à la Tribune, Asselin eut comme successeur à la rédaction M. G. Vekeman, un Belge, qui signait ses articles du nom de plume Jean des Erables. M. Vekeman était un homme déjà âgé, qui avait eu une longue carrière dans le journalisme en Belgique. Il a aussi écrit dans plusieurs journaux de la province de Québec. Les articles de Jean des Erables étaient toujours instructifs et inté- ressants ; marqués au coin de la plus pure doctrine du catholicisme ils étaient de nature à entretenir chez les nôtres l'attachement à notre religion et à leur inspirer la répugnance pour les erreurs du siècle. Il y a plusieurs années que les journaux ne reproduisent plus les articles originaux et si bien rédigés de Jean des Erables. Il dort,

200 Histoire de la Presse Franco- Américaine

comme tant d'autres de nos vétérans journalistes, son dernier sommeil dans le champ des morts.

Après la chute du Journal de Fall-River, au printemps de 1901, J.-L.-K. Laflamme, qui en était le rédacteur, alla prendre la rédaction de la Tribune. Il conserva cette position jusqu'au mois de juillet 1907, alors qu'il alla se fixer à Québec, il fut l'un des rédacteurs à L'Action Sociale durant la première année de l'existence de ce jour- nal, dont le premier numéro parut en décembre 1907. Pendant les six années que Laflamme passa à Woonsocket, la Tribune connut des périodes d'agitation. Laflamme était un redoutable polémiste (comme il l'est encore du reste) et, à la manière des journalistes de France, il signait ses articles, contre l'habitude alors et encore au- jourd'hui généralement admise dans notre journalisme franco-améri- cain. Il n'écrivait pas tous les jours; il n'écrivait pas même très souvent, mais lorsqu'il écrivait on en avait connaissance. Sa spécia- lité était la lutte contre les tentatives assimilatrices au moyen de l'école, des sociétés, et le reste. Il faisait une guerre implacable aux sociétés neutres afin d'empêcher nos compatriotes d'y entrer ; pendant un temps il s'était particulièrement acharné à l'Ordre Indépendant des Forestiers. Ses luttes dans le domaine national et religieux sont demeurées célèbres. A propos du fameux incident de Fall-River, en 1906, il avait soutenu une polémique homérique avec M. de Ton- nancour de L'Indépendant. Ces deux adversaires étaient dignes l'un de l'autre, attendu qu'ils maniaient la plume avec un talent peu ordi- naire. Drumont et Rochefort aux prises ne se seraient pas portés de plus rudes coups. Les troubles religieux dans le Maine, au temps de l'épiscopat de Mgr O'Connell, aujourd'hui archevêque de Boston, fournirent à Laflamme le sujet d'énergiques et même violents articles, il développait avec une logique implacable le droit de nos compa- triotes au libre exercice de leur langue à l'église et à l'école.

A M. Laflamme succéda M. David-E. Lavigne, avocat, de Worces- ter. Sous M. Lavigne, la Tribune connut des jours plus sereins pen- dant les trois ans qu'il passa à la rédaction. A la suite de la fameuse convention de l'Union Saint-Jean-Baptiste à Manchester en septem- bre 1910, la compagnie de la Tribune ayant subi des modifications, il donna sa démission, et le 15 novembre suivant, M. J.-Adélard Caron, ex-secrétaire suprême de l'Union Saint-Jean-Baptiste, entrait à la Tribune comme rédacteur en chef.

Les journaux du Rhode-Island 201

L'Union Saint-Jean-Baptiste d'Amérique publie un organe officiel qui a toujours été imprimé aux ateliers de la Tribune depuis sa fonda- tion au mois de janvier 1902. L'Union tel est son nom était men- suelle jusqu'au printemps de 1908, alors que le journal fut converti en feuille hebdomadaire. Dès ce moment L'Union, sous la direction de M. J.-Adélard Caron, le secrétaire général de la société, assuma un caractère nettement combatif. L'Union était alors un bon journal de famille, d'une lecture saine, intéressante et instructive. Mais peu à peu, de combatif qu'il était, il devint agressif et froissa bien des susceptibilités au point qu'il encourut la censure parfois même des meilleurs amis de l'Union Saint-Jean-Baptiste. Le comble fut mis à la mesure lorsque son directeur s'ingéra dans le domaine politique et attaqua le gouverneur Pothier pour certains actes commis dans l'exercice de son pouvoir exécutif. Ajouté au mécontentement géné- ral soulevé par l'attitude étrange de L'Union arriva, en septembre 1910 la fameuse convention de Manchester, dont les suites eurent un si grand retentissement dans nos journaux. Avant la fin de l'année, la société était mise sous la tutelle judiciaire et le journal L'Union redevint mensuel. M. Caron, ayant démissionné comme secrétaire général, perdait par le fait même le contrôle du journal de la société, et il était remplacé par M. Phydime-J. Hémond.^

D'autres journaux ont encore surgi plus récemment dans le Rhode- Island, mais n'ont eu qu'une existence éphémère. La Justice, de Central Falls, fondée en mars 1906, par MM. Arthur Laberge et Joseph-E. Brochu, fut vendue en 1909 à M. Léo Maynard qui la publia jusqu'au commencement de 1910.

Le Citoyen, de Pawtucket, fondé en 1905 par Thomas-A. Jette, parut pendant six semaines seulement. Enfin, dans l'hiver de 1909- 10, il sortit quelques numéros de la Voix de la Vallée, de Arctic Centre, publiée par M. L.-G.-David Legault.

La Cloche du Dimanche, Woonsocket, fondée au mois de septem- bre 1899 par G. Vekeman; disparut au bout de trois mois.

La Vérité, Central Falls, fondée au mois de juillet 191 1, par Alfred Gervais, ci-devant de Lowell. Vendue dans l'automne à F.-X. Léoni- das Ratté, maire de Central Falls.

1. A la suite de la convention spéciale de l'Union Saint-Jean-Baptiste, au mois de décembre 1911, M. Caron, qui avait eu le courage peu ordinaire, sachant qu'il risquait sa position, de déclarer la vérité publiquement, fut Invité par M. Philippe Boucher, le prin- cipal actionnaire de la "Tribune," à se retirer de la rédaction.

202

Histoire de la Presse Franco-Américaine

Le Foyer Lîttér&ire (revue) fondé à Providence au mois d'août, 191 1, par Louis-A. Bazinet.

Le Pétard, journal humoristique, fondé au mois de novembre pav Alfred Gervais.

Au mois de mars 1912 apparaîtra un nouveau journal, le De- voir, qui sera publié le dimanche à Woonsocket, R.-I., par le "Syn- dicat de la Bonne Presse." Cette feuille sera rédigée en collabora- tion et M. J.-Adélard Caron occupera sans doute le poste de secré- taire de la rédaction. Le tirage sera d'au moins cinq mille exem- plaires. L'abonnement est fixé à un dollar par année. Si le pro- gramme élaboré est suivi, cette feuille marquera une ère nouvelle dans le journalisme franco-américain. Le Devoir sera un journal essentiellement catholique et publiera toutes les nouvelles tendant à montrer les progrès de notre élément dans les affaires religieuses, politiques, industrielles, financières, etc.

m

CHAPITKE TRENTIEME Les journaux existants

E tous les journaux canadiens qui ont vu le jour aux Etats- Unis, comme on l'a vu, le plus grand nombre ont disparu ; quelques-uns des disparus ont été remplacés par d'autres, de sorte que malgré les désastres accumulés, notre jour- nalisme a non seulement survécu, mais il s'est constam- ment amélioré dans sa marche ascendante. Il existe donc aujourd'hui une presse stable franco-américaine qui, en général, fait des affaires satisfaisantes et est un crédit pour le nom canadien-français aux Etats-Unis. Notre presse quotidienne surtout possède tous les élé- ments nécessaires pour qu'elle s'impose à l'attention et au patro- nage de nos populations,

A part les hebdomadaires, bi-hebdomadaires et semi-quotidiens existants, nous avons présentement sept journaux quotidiens dans l'Est. Sous le rapport du journalisme, l'Ouest est bien plus arriéré que l'Est. Comme dans cette section-ci du pays nos compatriotes ont augmenter en nombre et leurs journaux auraient se res- sentir d'un progrès proportionnel, mais c'est le contraire qui est ar- rivé; il n'y a pas un seul quotidien français dans l'Ouest et les heb- domadaires sont bien clairsemés. Cela dépend sans doute en grande partie de ce qu'un grand nombre de nos compatriotes ont perdu la langue française. Nous disons donc qu'il y a sept journaux quotidiens français dans les Etats de la Nouvelle-Angleterre. C'est presque autant que dans toute la province de Québec, il n'existe guère de quotidiens que dans les villes de Montréal et Québec. ^

Le plus ancien quotidien existant est L'Etoile de Lowell, fondé le 21 mai 1886, hebdomadaire, devint quotidien le 20 mars 1893. L'Indé-

1. Sherbrooke a un journal quotidien, la "Tribune," depuis 1910.

204 Histoire de la Presse Franco- Américaine

pendant de Fall-River le suit de près, étant devenu quotidien le 13 octobre 1893. L'Opinion Publique de Worcester devint journal quo- tidien le 27 avril 1898. L'Avenir National de Manchester est quoti- dien depuis le mois de janvier 1908. La Tribune de Woonsocket fut quotidien dès sa fondation en 1895.

New-Bedford a présentement la distinction d'être la seule ville à posséder deux quotidiens : L'Echo et le Journal.

L'Echo et le Journal sont les derniers nés de notre presse quoti- dienne. Le premier était d'abord hebdomadaire et s'appelait L'Echo de la Presse. C'était une feuille à quatre pages et, comme son nom l'indiquait, c'était en quelque sorte un supplément de la Presse de Montréal que publiait M. J.-B. Archambeault, agent du journal mont- réalais, M. Archambeault, qui avait été nommé en 1898 agent de la Presse à New-Bedford, quelques années plus tard monta un atelier d'imprimerie. A l'origine L'Echo de la Presse ne contenait que les nouvelles locales, des reproductions et des annonces. Ses abonnés étaient censés recevoir les nouvelles générales ou étrangères par la Presse. Les affaires de M. Archambeault prospérèrent à tel point qu'il ne tarda pas à mettre son journal quotidien. Finalement, dans l'hiver de 1909-10 le journal s'appela tout simplement L'Echo, ce qui faisait supposer qu'il n'avait plus aucune relation avec la Presse de Montréal. Son propriétaire engagea un personnel régulier de rédac- tion, et L'Echo est aujourd'hui un beau grand quotidien à six pages et paraît marcher heureusement dans la voie du progrès. M. Amédée Laçasse en est le rédacteur actuel.

Le Journal fut fondé en 1910 par la compagnie de publication de L'Indépendant de Fall-River, aidée de quelques hommes d'affaires de New-Bedford qui prirent des parts dans la compagnie du Journal. Ce dernier possède ateliers et bureaux à New-Bedford, mais son im- pression se fait à Fall-River aux ateliers de L'Indépendant, avec les mêmes nouvelles générales que L'Indépendant et les nouvelles de Fall-River, ainsi que les articles de rédaction. De son côté, L'Indé- pendant se sert des nouvelles locales du Journal ainsi que des articles de rédaction. Les deux journaux ont ainsi une apparence absolument identique, sauf le titre. Avant l'apparition du Journal, des pages spéciales de L'Indépendant, qui avait un bureau à New-Bedford, étaient consacrées aux nouvelles et aux annonces de New-Bedford. Le Journal est à huit pages de sept colonnes comme L'Indépendant.

Les journaux existants 205

Nos journaux non-quotidiens sont actuellement au nombre de plus de 20. Le plus ancien est le Jean-Baptiste, bi-hebdomadaire, J.-B.-S. Brazeau, propriétaire, de Pawtucket, R.-I., et il est aussi le plus vieux de tous les journaux existants. En dépit d'une existence passable- ment mouvementée il a survécu quand d'autres plus jeunes que lui ont mordu successivement la poussière. Le Jean-Baptiste n'a pas toujours été à Pawtucket, il a voyagé; de plus il a changé de maîtres. Ses ambitions cependant n'ont jamais visé plus haut qu'il pouvait atteindre. C'est ce qui explique peut-être en partie le secret de sa durée.

Le Jean-Baptiste fut fondé à Northampton, Mass., vers le ler mars 1875, par Pierre-Camille Chatel, un typoghaphe. J.-A. Daigneault en était le rédacteur. Paul de la Neuville et J.-B. Frédéric furent aussi attachés à sa rédaction. A la fin de l'année, Chatel vendit son journal à J.-G. Samson, qui plus tard prit la soutane et fut admis à la prêtrise le ig mars 1886 à Grand Rapids, Michigan. En se retirant du jour- nalisme, M. Chatel écrivait: "Cette carrière fournit, à côté des hon- neurs, beaucoup de fatigue et de déboires." M, Samson, en mai 1882, céda le Jean-Baptiste à une compagnie, dont M. Adolphe Ménard était l'âme dirigeante et Lucien Carissan en était le rédacteur. En juin 1883 il devenait la propriété de Ménard, Belisle (Alexandre) et Cie. Le journal était imprimé à Worcester aux ateliers du Travail- leur, et il était en quelque sorte une édition de ce dernier journal.

En 1891 le Jean-Baptiste était vendu à Charles-T. Roy, qui lui- même, peu après, le céda à Benjamin Lenthier.

De 1892 à 1894 le Jean-Baptiste fît partie des nombreux journaux de Benjamin Lenthier, dont la plupart eurent une existence éphémère, mais il fut le seul qui survécut, grâce à l'initiative de M. Brazeau, son propriétaire actuel.

Le plus ancien journal existant après le Jean-Baptiste est le Messager de Lewiston, Maine. Le Messager fut fondé par le Dr L.-J. Martel, assisté de M. J.-D. Montmarquet, le 23 mars 1880. Ce fut le premier journal français publié dans le Maine. En 1884 M. Montmarquet se retira et les associés du Dr Martel étaient Eusèbe Provost, J.-N, L'Heureux, Dr Z. Vannier. Il devint bi-hebdomadaire et était rédigé en collaboration. Le docteur L.-E.-N. Matte et F.-X. Belleau y collaboraient.

206 Histoire de la Presse Franco- Américaine

M. Emile-H. Tardivel en fut rédacteur à partir de l'automne de 1884 jusqu'en 1886. En 1887 M. L.-A,-L. Desaulniers, qui en était rédacteur, fut empoisonné avec sa femme, par l'erreur d'un commis- pharmacien.

Le Dr Martel, décédé à Lewiston, le 28 février 1899, était un grand patriote qui fut appelé à juste titre un second Ferdinand Gagnon. Après sa mort le Messager passa aux mains de M. J.-B. Couture, qui en est actuellement encore le propriétaire. Le Messager, qui paraît trois fois par semaine, est installé dans un bel édifice en brique qui appartient à son propriétaire. Son caractère plutôt litté- raire en rend la lecture agréable et intéressante. Pendant que Mgr O'Connell, maintenant cardinal-archevêque de Boston, occupait le siège épiscopal de Portland, le Messager combattit les projets atten- tatoires de l'évêque contre les droits de la langue française, et cela parfois avec une extrême violence. Sous l'évêque actuel, Mgr Walsh,. nommé en 1907, le ton du Messager est devenu plus modéré, mais il n'a pas abdiqué sa fermeté et il continue toujours la lutte pour les droits de la langue française à l'église et à l'école, car il faut bien l'avouer, les actes de Mgr Walsh ont parfois exaspéré nos compa- triotes du Maine. Encore aujourd'hui il semble que la paix religieuse est encore loin d'être rétablie dans le diocèse de Portland. Tant que par les savantes machinations du haut clergé irlandais, Rome sera tenue dans l'ignorance de la véritable condition des Canadiens-fran- çais des Etats-Unis, et que les diocèses les nôtres sont en majorité ou forment une notable partie de la population sera occupé par des évêques francophobes, il semble bien que le rétablissement complet de la paix soit ajourné indéfînitivement.

Afin de suivre l'ordre des dates, il convient de laisser un instant les journaux de l'Est pour nommer ceux de l'Ouest, dont il n'y a que deux. L'Echo de L'Ouest, de Minneapolis, Minnesota, journal heb- domadaire à quatre pages de sept colonnes, existe depuis 1883 et il est publié aujourd'hui par A.-H. Demeules.

L'Echo de L'Ouest fut d'abord publié par une compagnie dont Zéphirin Demeules était l'âme, avec Jean Gosselin comme rédacteur. Il fut rédigé ensuite successivement par Achille Carrier, Georges Lemay, F.-R. LeRoux. Le fîls de feu Z. Demeules, Augustin-H. Demeules, en continua la publication jusqu'à ce jour, avec Georges Fortin comme rédacteur.

Les journaux existants 207

Un autre journal existant de l'Ouest est le Courrier Franco- Américain de Chicago, publié par Louis- J, Bachand-Vertefeuille. Ce journal fait remonter sa fondation en 1856. Mais en réalité il n'est pas si vieux que cela, tant s'en faut. Son propriétaire, M. Ba- chand-Vertefeuille, arrive à donner un âge aussi vénérable à son journal par une opération que bien d'autres auraient pu faire. Le Courrier Franco- Américain prétend avoir absorbé le Courrier de V Il- linois, de Kankakee, 111., fondé en 1856, le Canadien de Saint-Paul Minn., fondé en 1877, le Courrier de L'Ouest de Chicago, fondé en 1895, et la Voix du Peuple de Minneapolis, Minn., fondé en igoo. Il serait donc téméraire de considérer le Franco- Américain comme le plus ancien de nos journaux. Sa fondation est donc de date relative- ment récente, puisqu'elle est postérieure à 1900. L'amalgamation de ces feuilles a eu lieu en 1903. Au reste il a perdu quelque peu de la physionomie locale qu'avaient ses prédécesseurs, attendu qu'il est imprimé à L'Indépendant de Fall-River, avec en majeure partie la matière de L'Indépendant.

Revenons dans l'Est pour y trouver d'abord L'Impartial de Nashua, N.-H., qui fut fondé par L.-A. Biron en 1898. L'Impartial est un journal semi-quotidien à quatre pages, parfois six, selon la quantité des annonces. Il a au rapporter d'assez bons revenus à son propriétaire, M. Biron, puisqu'en 1910 celui-ci achetait L'Etoile de Lowell. Avec L'Avenir National de Manchester, et L'Impartial, nous avons toute la presse française du New-Hampshire. Les autres journaux existants sont la Justice de Biddeford, Me., fondée en 1896 par Alfred Bonneau, qui en est encore le directeur, hebdomadaire; L'Estafette de Marlboro, Mass.,, fondé en 1898, A.-L. Beauchamp, éditeur-propriétaire, journal hebdomadaire; le Courrier de Lynn et le Courrier de Lawrence sont des éditions hebdomadaires du Courrier de Salem, Mass.; ce dernier, fondé en 1902 et publié aujourd'hui par une compagnie, hebdomadaire; le Citoyen de Haverhill, petite feuille hebdomadaire, imprimée depuis 1906 à l'imprimerie Lambert de Lowell; le National de Lawrence, Mass., journal hebdomadaire fondé en mars 191 1 par J.-E. Lafer- rière, rédacteur-propriétaire; enfin les organes de nos quatre grandes sociétés fédératives: L'Union, pour l'Union St- Jean-Baptiste d'Amé- rique, le Canado-Américain, pour l'Association Canado-Américaine,

208 Histoire de la Presse Franco- Américaine

le Forestier, pour l'ordre des Forestiers Franco-Américains, et L'Assomption, pour la société acadienne l'Assomption.

Le Patriote de Lawrence, fondé au mois d'octobre 191 1, par M. Duchaine.

Il y a encore le Citoyen Franco- Américain, publié à Springfield, Mass., sous les auspices du Collège International, une institution protestante ; c'est dire que c'est une feuille protestante, la seule du genre, croyons-nous, dans le nord des Etats-Unis, Le Collège Inter- national s'appelait autrefois le Collège Franco-Américain. Le Citoyen Franco-Américain est l'organe des protestants français de la Nou- velle-Angleterre. C'est un journal hebdomadaire dont la fondation remonte au moins à l'année 1891, puisque cette année-là nous voyons que M. L.-E. Rivard, qui fut plus tard reçu ministre, en était le rédacteur.

De tous les journaux du jour les plus importants sont incontes- tablement les journaux quotidiens. Ce sont aussi en général cexix qui ont la plus grande circulation. Ils sont publiés dans les grands centres de population canadienne-française. Sur les sept il y en a cinq dans le Massachusetts et un chacun dans le Rhode-Island et le New-Hampshire. A l'heure actuelle ces journaux paraissent tous faire des affaires assez prospères pour permettre à leurs propriétaires de les maintenir, en dépit de la concurrence incessante des journaux du Canada d'un côté, et de l'autre et c'est probablement l'obstacle le plus sérieux qu'il y a à surmonter l'apathie et l'indifférence de nos gens à l'égard du journal local français.

MM. Biron et Chaput, les propriétaires de L'Etoile de Lowell. sont des gens pratiques qui ont déjà une longue expérience dans la publication des journaux et qui savent ce qu'il faut pour attirer et conserver la clientèle des lecteurs ou abonnés. Nous avons vu que M. Biron publie en même temps L'Impartial à Nashua et M. Chaput le Courrier à Salem. Sous sa nouvelle administration L'Etoile est restée journal républicain en politique.

Le deuxième quotidien en date est L'Indépendant de Fall-River, Ce journal est publié dans le plus grand centre canadien-français de la Nouvelle-Angleterre. Aussi porte-t-il en quelque sorte la marque du milieu il circule. Non seulement Fall-River contient la plus forte population d'origine canadienne-française de toutes les villes de la Nouvelle-Angleterre ou de l'Etat de New-York, mais c'est aussi

Les journaux existants 209

l'un des endroits de l'Union le caractère français et la langue française se sont le mieux conservés. Aussi un journal français digne de l'importance de la localité doit-il nécessairement y vivre dans des conditions conformes aux exigences du jour. C'est ce qu'accomplit pleinement L'Indépendant, tant par son habile administration aux mains de M. Onézime Thibault que par sa rédaction vigoureuse, de- puis plus de 17 ans confiée à M. Godfroi de Tonnancour, surnommé à juste titre le doyen des rédacteurs.

Le 27 mars 1910, L'Indépendant avait 25 ans révolus d'existence, et pour commémorer dignement ce remarquable événement il pu- bliait ce jour-là un numéro spécial, appelé numéro anniversaire et industriel, en trois fascicules de huit pages chacune, en tout vingt- quatre pages. Ce numéro, orné de splendides illustrations, repré- sentant les principaux édifices religieux et les établissements manufac- turiers et industriels les plus en vue de la ville de Fall-River, avec des notes historiques, représentait un effort qui était tout à l'honneur de la presse franco-américaine.

Dans tout le cours de son existence, L'Indépendant en politique, a professé les doctrines républicaines. Plus que cela, en toutes cir- constances il s'est affirmé comme journal de parti. Notre presse franco-américaine n'a peut-être jamais compté un journal plus dévoué pour son parti politique que L'Indépendant.

Dans les questions nationales et religieuses il a revendiqué les droits des nôtres, et lorsque ceux-ci étaient menacés il en a pris la défense. Il est arrivé cependant, comme dans le cas de ce qu'on a appelé l'incident de Fall-River en 1906, qu'il ne s'est pas toujours trouvé d'accord avec ses confrères de la presse ailleurs dans l'applica- tion des principes et la manière d'interpréter ce qui constitue un atten- tat à nos droits en matière de langue. Quoiqu'il en soit, c'est un fait significatif qu'au mois de septembre de cette même année, 1906, le nom de L'Indépendant fraternisait avec ceux de la Tribune et de L'Opinion Publique au bas des fameuses résolutions du Congrès des Journalistes. Cela signifiait que malgré les violentes polémiques auxquelles ces journaux s'étaient livrés, au fond ils partageaient, dans les lignes générales, les mêmes principes, le même patriotisme, la même mentalité. Le plus souvent les polémiques de ce genre pro- viennent d'un malentendu ou d'un entêtement.

15

210 Histoire de la Presse Franco- Américaine

L'Opinion Publique de Worcester a continué les traditions de Ferdinand Gagnon, dont la mémoire est encore vivace parmi les Cana- diens-français de la vieille génération de cette ville, vingt-cinq ans après la disparition de ce grand patriote. Si Ferdinand Gagnon reve- nait sur la terre il serait agréablement surpris des progrès dans la presse qu'a réalisés notre élément dans l'établissement de L'Opinion Publique, le successeur immédiat de son Travailleur.

L'Opinion Publique fut fondée le 27 janvier 1893 comme journal bi-hebdomadaire. Ses bureaux et ateliers étaient dans l'ancien local occupé par le Travailleur, 311 rue Main, Les membres fondateurs de la compagnie Belisle, pour la publication de L'Opinion Publique étaient les six frères Belisle: Alexandre, Félix-A.,i Charles-Edmond, Eugène-L., Georges-E. et Hector-L. Alexandre avait été adminis- trateur du Travailleur pendant près de huit ans; Félix avait été agent et assistant-rédacteur au Travailleur pendant cinq ans ; Charles- Edmond avait été typographe chez Martin-B, Brown & Co., à New- York. C'est encore la même compagnie qui publie aujourd'hui L'Opinion Publique. A partir du 27 avril 1898 L'Opinion Publique devint journal quotidien. C'était, par ordre de dates, le quatrième journal quotidien. En même temps les bureaux et ateliers étaient déménagés à l'édifice Houghton, 112 rue Front. Dès lors le journal fît de sensibles progrès et il devint un organe important dans le centre du Massachusetts, dont l'influence rayonna non seulement dans les localités environnant Worcester, mais aussi jusque dans les Etats voisins, le Connecticut et le New-Hampshire.

En politique L'Opinion Publique est un journal républicain, mais il n'est pas partisan à outrance. Cependant L'Opinion Publique n'a pas toujours été républicaine. Au mois de septembre 1899, le jour- nal subit une évolution. De démocrate il devint républicain.

Le journal n'avait pas endossé la plateforme de Chicago et n'avait pas appuyé Bryan ou l'argent libre en 1896. Alexandre Belisle Jr. et Eugène-L. Belisle, deux des actionnaires de L'Opinion Publique, ont été proéminents dans la politique démocratique à Worcester pen- dant un grand nombre d'années, et tous deux ont servi dans le con- seil de ville comme démocrates.

La composition du personnel d'administration de L'Opinion Pu- blique a subi des modifications depuis 1899. Eugène-L. Belisle, au

1. M. Félix-A. Belisle, avocat, est décédé à Worcester le 15 avril 1905.

Eugène-L. Belisle

Bruno Wilson

Les journaux existants 211

mois de mars 1906, était nommé consul américain à Limoges, France, il exerce encore les mêmes fonctions. Son départ suscita néces- sairement des changements dans l'administration. Charles-Edmond Belisle, l'un des actionnaires, qui était le chef d'ateliers, remplaça son frère Eugène à l'administration. Il prit en main la gérance du ser- vice d'impressions générales et M. W.-Lévi Bousquet, qui était agent d'annonces, devint le gérant du journal.

Des six frères Belisle qui fondaient L'Opinion Publique en 1893, cinq survivent, M. Félix étant décédé depuis plusieurs années. Ces cinq forment encore la compagnie de L'Opinion Publique, dont l'au- teur de ce livre est le président. Mais pratiquement, seul Charles- Edmond Belisle consacre tout son temps à la direction de son vaste établissement, les autres étant engagés activement dans leurs occu- pations respectives : Alexandre, banquier, courtier et agent d'assu- rance contre le feu; Eugène-L., dans le service consulaire des Etats- Unis; Georges-E., avocat pratiquant à Worcester, et Hector-L., prin- cipal de l'école John-R. Rollins à Lawrence, Mass.

A part sa rédaction ordinaire, L'Opinion Publique a eu, au cours de son existence, un grand nombre de collaborateurs dont les écrits intéressants et remarquables ont contribué à rehausser le prestige du journal. Chez un certain nombre la mort leur a arraché pour tou- jours la plume et notre souvenir ému va particulièrement au Dr C.-J. Leclaire, de Danielson, Connecticut, qui fut un vrai patriote et qui a tant souffert à la vue des injustices, dans les questions de langue, dont sa race était la victime dans le milieu il demeurait. Parmi les principaux collaborateurs récents sont le comte J.-B. de Taillac, de Colebrooke, Conn. ; Louis Tesson, de Boston; le Dr J. Landry, de Putnam, Conn., qui a écrit de spirituelles chroniques sous le pseu- donime de Jean Cayen; Blanche- Yvonne, qui a aussi écrit des chro- niques remarquables, de Providence, R.-I., etc.

Le troisième journal quotidien par l'âge est la Tribune de Woon- socket, Rhode-Island, fondé en 1895. Il a la distinction d'être le seul de nos journaux qui fut quotidien dès ses débuts. Son fondateur, Adélard-E. Lafond, y trouva le champ libre et le terrain tout pré- paré pour un nouveau journal dans ce centre important les Cana- diens augmentaient si rapidement en nombre et en influence. Les progrès de la Tribune furent remarquables. Vers 1905 la compagnie de la Tribune fît l'acquisition d'une grande presse rapide Duplex.

212 Histoire de la Presse Franco-Américaine

L'augmentation constante de sa circulation et de son chiffre d'affaires nécessitait cette importante amélioration. La Tribune, comme L'Indépendant, est publiée dans un milieu qui a bien conservé jus- qu'aujourd'hui le caractère canadien-français, Woonsocket est une ville les Franco-américains forment la majorité de la population, la seule probablement dans le pays oii il en est ainsi, et on y compte présentement cinq paroisses françaises. La population franco-amé- ricaine de Fall-River est bien plus élevée que celle de Woonsocket, mais le total des autres éléments la surpasse de beaucoup, bien qu'a- vec ses six grandes paroisses elle constitue le plus fort élément du district.

Il est donc tout naturel que Woonsocket ait la physionomie aussi française que celle de Québec. Dans ces conditions un journal fran- çais ne saurait faire autrement que prospérer, s'il est conduit sage- ment et d'après les méthodes d'affaires.

D'autres causes ont ajouté à la prospérité de la Tribune et cer- taines circonstances lui ont été singulièrement favorables. Ainsi, depuis sa fondation, la Tribune a toujours eu le champ libre à Woon- socket, aucun concurrent sérieux ne s'y étant jamais présenté, comme à Fall-River et Manchester.

Quant à sa rédaction, elle a changé de mains plusieurs fois et le ton de la rédaction a varié selon les hommes divers qui ont succes- sivement occupé le fauteuil éditorial. Présentement, sous la direc- tion de M. J.-Adélard Caron, l'ancien secrétaire général de l'Union Saint-Jean-Baptiste d'Amérique, la Tribune a toutes les allures d'un journal nettement et essentiellement catholique. Nous ne pouvons pas dire que les autres journaux soient moins catholiques que la Tribune, mais il semble que l'esprit qui prédomine à sa rédaction soit particu- lièrement empreint de religion et de morale, et certes on ne peut lui reprocher cet esprit. Celui qui se dit carrément journaliste catho- lique ne doit pas se laisser influencer par le respect humain, par les fausses maximes du monde. S'il a la faculté de donner libre cours à l'expression de ses idées, il ne peut se soustraire au devoir qui lui incombe de proclamer haut et ferme sa foi catholique et les obliga- tions que comporte le titre de catholique. Et M. Caron semble réaliser pleinement l'importance de son rôle de journaliste catholique.^

1. Ceci a été écrit au printemps de 1911, alors que M. Caron était encore rédacteur de la "Tribune."

Les journaux existants 213

Dans les choses de la politique la Tribune penche du côté répu- blicain. Elle ne semble pas cependant être un organe de parti à la façon de L'Indépendant, mais tout en favorisant généralement la politique républicaine elle fait volontiers abstraction de considéra- tions purement politiques quand il s'agit de l'avancement de notre élément.

Présentement les officiers de la compagnie de publication de la Tribune sont: MM. Philippe Boucher, président; Alphonse Gaulin, sr., trésorier; J.-H. Boucher, M.D., secrétaire; Arthur-C. Milot et N.-J. Larochelle, directeurs; Hon. N. Decelles et Elphège Daignault, auditeurs des comptes; J.-B.-N. Savard, administrateur.

Le Progrès de Woonsocket a été fondé en 1896 par le Dr J.-H. Boucher, qui en 1901, le cédait à la Tribune, qui le publie actuelle- ment comme édition hebdomadaire.

L'Avenir National de Manchester a fait de notables progrès en ces dernières années. C'est aujourd'hui un beau journal, bien fait et rivalisant très avantageusement avec ses confrères de la presse quo- tidienne. La dernière grande amélioration que son propriétaire, M. J.-E. Bernier, lui fît subir, eut lieu au cours de l'année 1908 au temps de la fondation du Réveil de M. Joseph de Champlain. M. Bernier fit alors l'acquisition d'une presse rapide qui remplaça la machine vieux modèle et il augmenta le format du journal à six ou huit pages. Dans ces conditions L'Avenir National était parfaitement en état de soutenir avantageusement la concurrence du Réveil. De fait, comme médium d'information et à tous autres points de vue L'Avenir Na- tional était bien supérieur au Réveil et il devait nécessairement obte- nir plus de crédit dans le public.

L'Avenir National s'occupe beaucoup des affaires d'Etat et muni- cipales. A Manchester les nôtres exercent une grande influence dans la politique et dans la distribution des offices publics ils ne sauraient être ignorés. Il est donc important que leur organe consacre une attention spéciale aux affaires publiques qui concernent plus directe- ment les citoyens de langue française. A cet égard L'Avenir Na- tional joue un rôle des plus bienfaisants.

L'Avenir National est peut-être aussi celui de tous nos journaux quotidiens qui a publié le plus souvent des numéros spéciaux volu- mineux. Son dernier effort en ce sens a été fait le ler août 191 1, alors qu'il sortit un numéro industriel de quatre fascicules de huit

214 Histoire de la Presse Franco- Américaine

pages chacun soit 32 pages illustré. Ce numéro, préparé sous la direction de M. Wilfrid-J. Lessard, contenait un historique très com- plet des paroisses et institutions religieuses canadiennes-françaises de Manchester. Mais le but principal de ce numéro extraordinaire était de donner l'histoire des établissements industriels de la ville, surtout la grande corporation Amoskeag. Les annonces étaient exclusive- ment pour les établissements industriels.

Un homme, jeune encore, qui a heureusement secondé M. Ber- nier depuis 1902 pour faire un succès de la partie financière du jour- nal, est son agent de publicité, M. Ernest-A. Bournival. Elu en 1910 au conseil municipal, notre compatriote eut l'honneur d'être choisi par ses collègues comme président de la chambre des conseillers.

Dans la politique générale L'Avenir National a toujours gardé une attitude indépendante, favorisant un parti ou l'autre suivant les circonstances.

La Justice de Holyoke, sous la direction de son propriétaire- rédacteur, M. Joseph-M. Lussier, paraît voguer en pleine prospérité. C'est un beau journal hebdomadaire, bien fait, contenant générale- ment dix pages, ayant une bonne clientèle d'annonceurs. Chaque semaine il sort avec un article de son directeur, que celui-ci signe de son nom, ainsi que des notes courtes M. Lussier donne libre cours à son esprit frondeur. La Justice fut fondée dans l'automne de 1904 pour les élections municipales, mais la compagnie qui fut incorporée plus tard n'a été constituée qu'au commencement de 1905. Au début elle portait une page anglaise, dont le rédacteur était John-J. White, actuellement maire de Holyoke. Le rédacteur français était alors le Dr H.-E. Chaput. Elle continua ainsi jusqu'en janvier 1908, alors que l'avocat O.-O. Lamontagne en acquit le contrôle et en devint l'unique rédacteur. La page anglaise disparut en même temps. C'est le ler avril 1909 que M. Lussier succéda aux intérêts de M. Lamon- tagne et il en est encore aujourd'hui l'unique propriétaire-rédacteur. Avant M. Lussier, la Justice n'avait pas de pied à terre et elle était imprimée ailleurs. Le ler juillet 1909 M. Lussier établit des bureaux et ateliers bien munis pour le journal et pour impressions générales.

L'Indépendant de Fitchburg a été fondé le ler octobre 1908 par Messieurs L.-H. Bourguignon, à Montréal le 10 février 1857, et A.-B. Trudeau, à Manchester.

m

n

CHAPITRE TRENTE-UNIEME

Silhouettes de journalistes

ANS les pages précédentes nous avons parlé d'un grand nombre de journalistes en donnant certains détails au su- jet de leur naissance et de leurs états de service. Mais ici nous nous proposons de donner la biographie plus com- plète de quelques-uns de ces personnages et des autres éditeurs et rédacteurs, anciens et actuels.

M. J.-B. ARCHAMBEAULT

M. J.-B. Archambeault, le fondateur de L'Echo de New-Bedford, est à St-Antoine de Chambly en 1867. Il était très jeune encore lorsqu'il émigra aux Etats-Unis avec sa famille qui s'établit d'abord à Nashua, N-H. Quatre années durant il fréquenta les écoles de cette dernière ville. Ses parents l'envoyèrent ensuite au collège de Saint- Hyacinthe il étudia pendant quatre ans. Revenu à Nashua en 1876 il consacra une année à l'étude de l'anglais. Il obtint ensuite une position dans un grand magasin de nouveautés de l'endroit.

Grâce à son talent et à son économie il put quatre ans plus tard ouvrir lui-même un magasin à Manchester, N-H. En i8g8 il venait se fixer à New-Bedford comme agent de la Presse de Montréal, qu'il représente encore aujourd'hui. Il s'occupe également d'assurance, étant l'associé de M. R.-E. Knapp, l'un des principaux agents de la ville.

La plupart de nos sociétés de secours mutuels le comptent au nombre de leurs membres.

M. Archambeault fut un temps député à la législature du New- Hampshire,

Les journaux existants 217

1902 Le "Courrier," Salem, Mass., hebdomadaire, publié par une compagnie dont Paul-N. Chaput est à la tête.

1902 "L'Union," Woonsocket, E.-I., mensuel, organe de l'Union Saint-Jean- Baptiste d'Amérique. Ph.-J. Ilémond, rédacteur.

1903 Le "Courrier Franco- Américain, " Chicago, 111., hebdomadaire, est le résul- tat de la fusion de cinq journaux de l'Ouest: Le "Courrier de l 'Illi- nois," le "Canadien" de St-Paul, Minnesota, le "Courrier de l'Ouest," Chicago, "La Voix du Peuple," Minneapolis, Minnesota, le "Courrier Canadien," Chicago. Louis Bachand-Vertefeuille, éditeur-propriétaire.

1904 La "Justice," Holyoke, Mass., fondé par une compagnie durant l'automne. Dr H.-E. Chaput, rédacteur. En avril 1909 devint la propriété de Joseph- M. Lussier, qui en est aussi le rédacteur.

1906 Le "Citoyen," Haverhill, Mass., hebdomadaire, imprimé par l'imprimerie J.-E. Lambert, de Lowell.

1908 "L'Indépendant," Fitchburg, Mass., hebdomadaire, fondé par J.-B. Tru- deau, maintenant publié par J.-E. Venue et Cie. Succédé en 1911 par "Le Progrès," J.-E. Paris et Cie. propriétaires, Alain Chaput rédacteur.

1910 Le "Courrier," Lynn, Mass., hebdomadaire, publié par Paul-N. Chaput, comme édition du "Courrier," de Salem.

1910 Le "Moniteur Français," Détroit, Michigan, hebdomadaire.

1910 Le "Journal," New-Bedford, Mass., quotidien, fondé par "L'Indépendant," de Fall-River, avec quelques hommes d'affaires de New-Bedford: est une édition de "L'Indépendant."

1910 Le "Bulletin Paroissial," Lowell, Mass., fondé en octobre par les paroisses St-Joseph et St -Jean-Baptiste, sous la direction des RR. PP. Oblats.

1910 Le "Bulletin Paroissial," Lawrence, Mass., parut au printemps; publié par les RR. PP. Maristes.

1911 La "Vérité," Central Falls, R.-L, hebdomadaire, fondé le 11 juillet par Alfred Gervais, aujourd'hui la propriété du maire F.-X. Léonidas Ratté.

1911 Le "Foyer Littéraire," Providence, R.-L, revue mensuelle, parut au mois d'août. Louis-A. Bazinet, éditeur.

1911 Le "Bulletin Paroissial," Pawtucket, R.-L, revue mensuelle, parut en juin, publié par le Rév. Alphonse Graton, curé de la paroisse St-Jean- Baptiste.

1911 Le "National," Lawrence, Mass., fondé en mars par J.-E. Laferrière.

1911 La "Revue," Augusta, Me., hebdomadaire, parut en janvier. J.-E. Cro- teau, éditeur.

1911 La "Revue," Waterville, Me., hebdomadaire, parut au mois d'avril. Al- fred Langlois, éditeur.

1911 "L'Heure Agréable," Attleboro, Mass., revue mensuelle littéraire et musicale, parut en octobre. Henri-J. Simard, éditeur.

1911 Le "Pétard," Central Falls, R.-L, fondé au mois de novembre par Alfred Gervais.

1911 Le "Patriote," Lawrence, Mass., hebdomadaire, fondé au mois de sep- tembre, par Duchaine et Martel.

216 Histoire de la Presse Franco- Américaine

LISTE DES JOURNAUX ET REVUES EXISTANTS.

1875 Le "JeaB-Baptiste," Pawtucket, E.-I., fondé le 1er mars à Northampton, Mass., par P.-C. Chatel et J.-A. Daigneault, fut publié à Worcester à partir de 1883, vers 1889 transporté à Pawtucket. M. J.-B.-S. Brazeau, rédacteur-propriétaire actuel.

1880 Le "Messager," Lewiston, Me., fondé le 23 mars 1880 par J.-D. Mont- marquet et le Dr L.-J. Martel. Paraît trois fois la semaine. J.-B. Couture, éditeur-propriétaire.

1883 "L'Echo de L'Ouest," Minneapolis, Minn., hebdomadaire, fondé au mois d'avril, par Zéphirin Demeules, avec Jean Gosselin, rédacteur. Mainte- nant publié par A. -H. Demeules, avec Georges Portin, rédacteur.

1885 "L'Indépendant," Fall-Eiver, Mass., parut le 27 mars, hebdomadaire, fondé par Antoine Houde, devint quotidien le 13 octobre 1893. Onésime Thibault, principal propriétaire et administrateur. Godfroi de Tonnan- cour, rédacteur.

1886 "L'Etoile," Lowell, Mass., fondé le 21 mars, hebdomadaire, devint quo- tidien le 20 mars 1893. L.-A. Biron et Paul-N. Chaput, propriétaires. Arthur Smith, rédacteur.

1891 Le "Citoyen Franco-Américain," fondé et publié par le Collège Inter- national (protestant) à Springfield, Mass.

1893 "L'Opinion Publique," Worcester, Mass., bihebdomadaire, fondé le 27 janvier; devint quotidien le 27 avril 1898. Belisle Frères, propriétaires. W.-LéA'i Bousquet, administrateur.

1894 "L'Avenir National," Manchester, N:-H., fondé au commencement de 1894, trois fois la semaine; devint quotidien en janvier 1901. J.-E. Bernier, édi- teur-propriétaire, J.-G. LeBoutillier, rédacteur. Ernest-A. Bournival, admi- nistrateur du département de la publicité.

1895 La "Tribune," Woonsochet, E.-L, quotidien, fondé le 7 avril. Adélard-E. Lafond, fondateur. Maintenant publié par une compagnie d'actionnaires. Philippe Boucher, président; J.-B.-A. Savard, administrateur.

1896 La "Justice," Biddeford, Maine, fondé au mois de mai, par Alfred Bon- neau, qui en est encore rédacteur-propriétaire.

1896 Le "Progrès," Woonsocket, K.-L, hebdomadaire, fondé par le Dr J.-Hormî- das Boucher; vendu à "La Tribune," qui le publie chaque semaine.

1898 "L'Estafette," Marlboro, Mass., fondé le 14 octobre par L. Albérique Beauchamp, qui le publie chaque semaine.

1898 "L'Impartial," Nashua, N.-H., semi-quotidien, fondé en 1898 par L.-A. Biron, qui en est encore l'éditeur-propriétaire.

1899 ^Le "Courrier," Lawrence, Mass., hebdomadaire, fondé au mois de novembre. Maintenant édition du "Courrier de Salem." Paul-N. Chaput, éditeur- propriétaire.

1901 "L'Echo," New-Bedford, Mass., fondé par J.-B. Archambault, semi- quotidien, deAànt quotidien en 1910.

1901 Le "Canado- Américain," Manchester, N.-H., hebdomadaire, organe de l'Association Canado-Américaine. L.-A. Eobert, rédacteur.

Les journaux existants 215

M. L.-H. Bourguignon était chargé, alors, de la rédaction, de la traduction et de l'impression du journal. M. A.-B. Trudeau était solliciteur d'annonces.

Au départ de M. Trudeau, c'est-à-dire vers le 2 février 191 1, le journal passa aux mains de MM. J.-E. Venne, Paris et Roy. Ce der- nier est agent général pour la circulation, et le rédacteur est M. Léo Charlie, natif de France.

Le Courrier National de Lawrence, n'a jamais eu d'imprimerie à lui. La compagnie qui l'avait fondé le faisait imprimer sous contrat à l'atelier de L'Avenir National de Manchester, N.-H. Quand M. Roberge en fit l'acquisition il continua à le faire imprimer à L'Avenir National, mais quelque temps avant qu'il le vendit à M. Monette il en confia l'impression à L'Impartial de Nashua, N.-H. M. Monette ayant revendu à la compagnie du Réveil, comme dit ci-dessus, le Courrier fut imprimé à L'Etoile de Lowell.

Le Courrier National, (maintenant le Courrier de Law- rence,") fut fondé à Lawrence au mois de novembre 1899, par un groupe d'hommes d'affaires, soit feu Amédée Cloutier, Rosario Du- brûle, Siméon Viger, A.-D.-V. Bourget et Dr T. Tétreau, celui-ci plus tard fut remplacé par Albert Demers. Le journal eut pour rédacteurs à tour de rôle, MM. Paul Gravel, Bourget, J.-L.-J. Du- puy et A.-E. Roberge. Au mois de septembre 1903, M. A.-E. Ro- berge en devint le propriétaire. Le journal, qui était alors publié bi-hebdomadaire, devint hebdomadaire. M. Roberge resta son pro- priétaire et rédacteur jusqu'au premier janvier 1907, alors que M. l'avocat Joseph Monette en fît l'acquisition et changea le nom de Courrier National en celui de Courrier de Lawrence. En 1908, le journal fut vendu par M. Monette à la "Réveil Publishing Com.pany," opérée par la New England Investment Company. Lors de la débâcle de cette compagnie en décembre 1910, le journal passa aux mains de la Cie de Publication du Courrier de Salem, par l'entremise de M. Paul-N. Chaput, de Salem. Pendant plusieurs mois ensuite la publi- cation du Courrier fut suspendue, mais la compagnie de M. Chaput à Salem en reprit la publication, comme édition pour Lawrence du Courrier de Salem, au mois de mars 191 1. Présentement, le Cour- rier de Lawrence est publié par cette compagnie, et M. J.-C. Martin en est le rédacteur, assisté de M. J.-W. Green.

Silhouettes de journalistes 219

OLIVAR ASSELIN

Olivar Asselin s'est dépeint lui-même de la façon assez amusante qui suit:

dans le comté de Charlevoix, Province de Québec, aux envi- rons de 1875. N'étudia pas au collège de Rimouski, de 1886 à 1891, et sortit de cette maison avec un très léger frottement de lettres, après le baccalauréat de rhétorique. Emigré aux Etats-Unis avec ses pa- rents au printemps de 1892, travailla pendant dix-huit mois dans de vraies usines, puis fît cinq ou six années de travaux forcés dans des galères appelées' le Protecteur Canadien, le National, le Jean-Bap- tiste, la Tribune, avec, comme intermède, trois mois de reportage à la Croix de Montréal travail d'autant plus facile que la Croix ne publiait pas d'informations et que le reporter ne connaissait rien du reportage. Servit dans la guerre hispano-américaine. Fut ensuite reporter au Star de Woonsocket, journal mort depuis. Retourna en 1900 au Canada, il a été tour à tour journaliste anglais et français, secrétaire particulier de ministre, fondateur de parti, chef de fronde, pugiliste, prisonnier du Roi et homme d'affaires. A des amis sincères et dévoués. Aussi la plus belle collection d'ennemis qu'homme vivant puisse désirer. Est actuellement premier vice-président de la grande Association Saint-Jean-Baptiste de Montréal. Travaille, en cette qualité, au rapprochement des différents groupes français d'Amérique. Est marié et père de quatre garçons. On lui prête l'intention de ren- trer un jour ou l'autre dans la politique. Ce devra être comme so- cialiste, les affaires l'ayant convaincu que toute l'organisation sociale, en Amérique, repose sur le vol organisé.

LE DOCTEUR LOUIS-LEMAITRE AUGER

Médecin de Worcester, Mass., est à Louiseville, comté de Mas- kinongé, province de Québec, Canada, du mariage du docteur Charles- L. Auger, avec Mlle Ada Bourret, de Montréal. Son grand-père, Désiré-L. Auger, était marchand de Louiseville, qui portait alors le nom de Rivière-du-Loup "En Haut."

M. Auger fît son cours classique au Séminaire de Nicolet et ses études médicales à l'Université Victoria, il reçut ses diplômes de docteur en médecine en 1880.

Il alla s'établir à Great Falls, (maintenant Somersworth,) New- Hampshire, Etats-Unis, il a pratiqué pendant huit années. Il a

220 Histoire de la Presse Franco- Américaine

été le médecin officiel de la ville pendant deux ans. C'est en 1884, octobre le premier, qu'il fonda Le Protecteur dans l'intérêt de ses compatriotes de cette partie du New-Hampshire journal qui a vécu jusqu'à la fin de septembre l'année suivante, le docteur, vu sa clientèle, ne pouvait s'occuper plus longtemps de la rédaction.

Le docteur a toujours été un des zélés promoteurs des intérêts canadiens-français aux Etats-Unis. Il fut le premier vice-président de la grande convention tenue à Nashua en 1886, et à cette occasion il fut l'un des délégués choisis pour aller inviter le président Cleveland à assister à cette importante réunion. Dans la suite ce fut à M. le docteur Auger qu'échut l'honneur de présider la première grande convention des Canadiens-français du New-Hampshire.

En 1888, M. le docteur Auger se rendit en Europe il passa deux ans et demi à se perfectionner dans l'étude de son art principale- ment à Paris et à Berlin, et depuis son retour il s'est fixé à Worcester.

Il est membre correspondant de la Société Obstétricale et Gyné- cologique de Paris, membre de la Société Médicale du Massachusetts, président honoraire du Club Républicain Franco-Américain du Massa- chusetts, et il est actuellement président de l'Alliance Française, groupe de Worcester.

MISAEL-J. AUTHIER

Misaël-J. Authier est encore l'un de ces anciens journalistes qui ont eu une carrière marquante. Comme la plupart de ses contem- porains ou collègues dans la profession, il exerça son activité en plu- sieurs endroits. Il y a bien des années cependant qu'il a abandonné le journalisme.

Le sujet de cette exquisse naquit à Saint-Charles, près Montréal, en Tannée 1844. En 1867 il était admis à la pratique du notariat. En 1871 il émigrait aux Etats-Unis. En 1874 il était assistant rédacteur â L'Avenir National de St-Albans, et en 1876 il fondait, à Cohoes, N-Y., la Patrie Nouvelle, et à Central Falls, R.-I., en 1891, L'Es- pérance. Il a pris part à tous les mouvements tendant à promouvoir la cause importante de la naturalisation.

M. Authier s'était fait le champion de la naturalisation, et il était convaincu avec raison que le succès des nôtres en ce pays, au point de vue pratique, dépendait en grande partie de la naturalisation; c'est ce qu'il s'est efforcé de faire comprendre à ses compatriotes, par la

Silhouettes de journalistes 221

plume et dans les assemblées. En 1882 il organisa la grande mani- festation du 22 juin à Cohoes, pour protester contre les accusations portées dans un rapport des agents de C.-D, Wright contre les Cana- diens de la Nouvelle-Angleterre. Cette manifestation eut un grand succès. Il s'est activement occupé des luttes politiques depuis 1876 jusqu'en 1898. Cette année-là il fut nommé agent commercial à Saint- Hyacinthe. En 1907 nommé consul des Etats-Unis à Saint-Hya- cinthe, puis en 1908 consul à la Guadeloupe, Indes Occidentales. Il abandonna cette position en mai 1909 à cause du mauvais état de sa santé. Aujourd'hui il coule des jours paisibles dans son ermitage de la montagne de Saint-Hilaire.

M. EPHREM BARTHELEMY

M. Ephrem Barthélémy est à Buffières, commune et canton de Belmont, Aveyron, France, le 16 avril 1883, de parents à l'aise, pro- fondément chrétiens et jouissant de l'estime générale de leurs con- citoyens. M. Barthélémy resta orphelin de père et de mère à l'âge de sept ans.

La Providence, qui prend soin avec une attention jalouse, même de la plus infime de ses créatures, n'abandonna pas les deux pauvres petits orphelins (il avait une petite sœur.) Ils trouvèrent une seconde mère auprès d'une tante très bonne et très dévouée.

Dès l'âge de 12 ans, après avoir fréquenté les écoles communales, Ephrem fut mis au collège St-Gabriel, tout près de Cette, Hérault, jolie ville sise sur les bords enchanteurs de la Méditerranée. Il y demeura jusqu'à l'âge de 15 ans. Ensuite, on l'envoya au collège de la rue Fontgiève, à Clermont-Ferrand, Puy-de-Dôme. Après un stage de deux ans en cette ville, il alla, durant deux autres années, dans un troisième collège, celui de Clavières, non loin de Laval, Sarthe, o\x il termina son cours.

Les espérances de ses tuteurs ne furent point déçues. Ephrem, enfant, adolescent et jeune homme, sut acquérir, en effet, par un tra- vail appliqué et sérieux, à maintes reprises, chose remarquable, ses professeurs durent modérer son ardeur à l'étude des connaissances élevées et s'approprier un caractère fortement trempé, des vues larges et un jugement sûr qui font certainement honneur à ses maîtres. On retrouve en lui la droiture, la franchise et la simplicité des enfants de l'Aveyron; l'ardeur, la fougue et l'enthousiasme des Méridionnaux ;

222 Histoire de la Presse Franco-Américaine

la ténacité des Auvergnats et des Bretons ; le pratique des Normands, la réflexion calme, froide et sensée des gens du nord, comme aussi la joyeuseté alerte et spirituelle des Parisiens et des Français en général.

Ayant coudoyé pendant ses longues années d'études, des jeunes gens, des personnes et des professeurs représentant ces divers carac- tères, il en a pris, peu à peu, les points les plus saillants, chose qui est d'un grand secours pour un écrivain, appelé sans cesse à écrire sur les sujets les plus disparates.

Vers la fin de 1900, M. Ephrem Barthélémy séjourna quelques jours en Angleterre ; puis, il émigra en Amérique, par attrait et rai- son, et aussi, un peu par esprit d'aventure. Le professorat sous la bannière duquel il s'était déjà enrégimenté en France, l'attira et le conserva durant quelques années. C'est par ce moyen surtout, qu'il apprit vite à connaître les Canadiens-français et la gloire de leur histoire. Il s'éprit de leurs qualités, de leurs aspirations nationales et s'enrôla dans leurs rangs afin de ne plus faire qu'un avec eux. Bien- tôt, le Canada, il était débarqué, lui devint presqu'aussi cher que sa propre patrie, si bien, qu'aujourd'hui, on peut dire que le seul mot de Canada fait battre son cœur à l'égal de celui des Canadiens- français eux-mêmes.

Toutefois, le professorat n'offrit pas une vie assez active à M. Barthélémy. Aussi lui fît-il ses adieux au début de 1906. A cette époque, il fît un voyage de quelques mois en France et revint ensuite en Amérique, décidé à s'y implanter pour toujours. Cette fois-ci il s'abrita sous les plis du drapeau de l'Oncle Sam.

Au bout d'une année de travail pénible, soutenu avec courage, M. Barthélémy voyait enfin son heure arrivée. Pour lui comme pour certains autres, tous les bonheurs lui arrivaient à la fois. Plusieurs positions d'avenir lui étaient, en effet, simultanément offertes. Il opta pour celle de rédacteur du Courrier de Salem, et entra en fonctions le 5 mars 1908.

Depuis, il s'est toujours lié de plus en plus étroitement avec le Courrier et a été l'un des puissants facteurs qui ont contribué à l'im- mense progrès que ce journal a fait en ces quatre dernières années.

M. Barthélémy s'est activement occupé de la politique locale et nationale. Les questions franco-américaines l'ont plus particulière- ment passionné, au point qu'un grand nombre de personnes se sont méprises très souvent sur sa nationalité. Ses articles publiés dans le

Silhouettes de journalistes 223

Courrier, sont suivis avec intérêt, d'autant plus, que son style alerte, précis, clair, concis, agréable et vigoureux, sait donner une réalité poignante aux questions abordées, et même un regain d'actualité et de renouveau, à maints sujets vieillis depuis fort longtemps.

Au cours de l'hiver 1910-11, il donnait à Salem quatorze confé- rences sur l'histoire du Canada, et s'attirait nombre de félicitations, tant pour le succès remporté l'assistance moyenne à ces conférences était de 400 personnes que pour le tact, l'intelligence et le talent avec lesquels il faisait ressortir les beautés et les leçons des sujets traités.

En ces derniers mois, il a été investi du titre et des fonctions d'as- sistant-gérant du Courrier. De plus il assume la responsabilité de rédacteur en chef des trois Courrier de Salem, Lynn et Lawrence.

M. Ephrem Barthélémy est membre de l'Union Saint-Jean-Bap- tiste d'Amérique et du Club Républicain Franco-Américain du Massa- chusetts.

Le 18 août 1909 M. Ephrem Barthélémy épousait une charmante jeune fîlle canadienne de Lawrence, Mass., en la personne de Mlle Rose-Anna Ouellette.

GEORGES BATCHELLOR

M. Batchellor était à Québec, en 1823. Au Séminaire de cette ville il fît un brillant cours d'étude. Quelques années plus tard il devint professeur de français dans les écoles supérieures de la ville de New- York. L'augmentation de la population dans la métropole américaine et la multiplication de ses écoles nécessita le choix d'un chef de l'enseignement français. M. Batchellor était d'avance désigné pour cette haute position qu'il remplit jusqu'à sa mort, vers 1892 ou 1894. C'était un homme qui savait se faire et conserver des amis, malgré son caractère tranchant,

J.-E. BERNIER.

Celui qui eut la carrière la plus longue et la plus heureuse dans le journalisme à Manchester, qui par son travail et son esprit métho- dique sut vaincre toutes les difficultés et faire aujourd'hui de son Avenir National un journal de tout premier ordre, est M. J.-E. Ber- nier. Le propriétaire de L'Avenir National naquit au Cap Saint- Ignace, comté de Montmagny, le 24 mai 1866. La date de sa nais-

224 Histoire de la Presse Franco- Américaine

sance coïncidait ainsi avec celle de la reine Victoria, et on se rap- pellera que ce jour était célébré au Canada comme fête de la reine jusqu'à la mort de cette dernière en 1902. En 1878 il entrait au Collège Ste-Anne de la Pocatière, d'où il sortit en 1886, après son cours classique, pour étudier le droit à l'université Laval de Québec. Après son cours de droit il partit pour les Etats-Unis en 1889. Au printemps de i8go il arrivait à Manchester, il fut employé par Ephrem-R. Dufresne, à L'Avenir Canadien. Il agit ensuite pen- dant quelques années comme agent de Benjamin Lenthier pour l'édition de Manchester du National. Enfin, en 1894, à la chute du National et à la suite de la faillite de Benjamin Lenthier, il fonda L'Avenir National, qu'il a dirigé depuis jusqu' à ce jour.

T.-F.-X. BEAUDET.

Théodore-François-Xavier Beaudet naquit à Lotbinière, P. Q., le 8 décembre 1858, fîls de Victor Beaudet, cultivateur. De 13 à 14 ans il fréquenta l'école de M. Bédard à Lotbinière, puis il étudia près de deux ans au collège des Trois-Rivières. Il fut une année au noviciat des RR. PP. de Ste-Croix, Côte des Neiges, près Montréal. Il entra ensuite au collège St-Laurent il passa aussi un an. Il partit le 4 mai 1878 de Ste-Famille de Lotbinière pour Houghton, Michigan, était un oncle. Après avoir passé quelque temps chez son oncle à Houghton, il partit pour Minneapolis, Etat du Minnesota, il arriva le 10 janvier 1879, s'y fixant de façon permanente. Le 17 juin 1880 il épousait Joséphine Beaudet, née au Minnesota, fille de Joseph Beau- det et Maxime Plaisance.

Théodore Beaudet travailla comme t5^ographe au Canadien de Saint-Paul en 1880-81. Désiré Michaud en était le propriétaire; J.-B.-A. Paradis, rédacteur, et Alfred Constantin, prote. Il fut associé à J.-B.-A. Paradis et autres dans le Progrès, publié à Minneapolis. Dans le même temps il écrivit un certain nombre d'articles dans le Canadien et L'Echo de L'Ouest, qui firent plus ou moins de bruit. Dans les campagnes électorales il a publié plusieurs feuilles d'un ou deux numéros. Il fut probablement le premier, au Minnesota, qui publia une feuille illustrée de photo-gravures (faites sur bois) de tous les candidats d'un parti.

Ayant fait l'acquisition d'un bon matériel d'imprimerie, avec pres- se, etc., il commença la publication de L'Œil. La Voix du Lac de

Silhouettes de journalistes 225

Duluth, lui tomba sous la main par l'entremise de ses amis, le Dr Landry et Cléophas Tremblay, et il fusionna les deux feuilles en un journal qui parut jusqu'en 1893. En 1896 M. Beaudet prenait posses- sion du Canadien de Saint-Paul, qui avait passé dans bien des mains depuis sa fondation. Il y avait eu entente avec un certain parti poli- tique. Il avança les fonds nécessaires, sûr qu'il était d'être rembour- sé en espèces sonnantes, du moins en une position lucrative. Mais il fut désappointé; ses espérances furent déçues. Il revendit alors le Canadien et son matériel, le tout valant environ $1500, à L.-J. Ba- chand-Vertefeuille, pour deux cents dollars seulement, et encore avec paiements à terme. Ce fut la fin de sa carrière comme journaliste.

Dans l'hiver de 1900-1901, Théodore Beaudet fut atteint de la fièvre de l'or. Il alla au Klondike, d'où il revint en novembre 1901 à Minneapolis, complètement guéri de la fièvre de l'or, mais ne rappor- tant pas un sou et la santé délabrée. Le 2 juillet 1904 il fut nommé surintendant d'immigration pour le gouvernement des Etats-Unis à Vancouver, Colombie Anglaise. Subséquemment il transporta ses bureaux à Blaine, Etat de Washington, il occupe encore la même position présentement. Il a toujours gardé néanmoins sa qualité de citoyen du Minnesota.

JEAN BERGERON.

M. Jean Bergeron naquit à Saint-Grégoire des Trois-Rivières, P. Q., le 21 novembre 1844. Son éducation fut des plus rudimentaires, car à 10 ans il avait fini d'aller à l'école, et à 18 ans, deux ans après son arrivée aux Etats-Unis, il avait à peu près oublié le peu de fran- çais qu'il avait appris au Canada. Il voyait, comme bien d'autres alors dans son cas, qu'en venant aux Etats-Unis il fallait déposer la langue française et cultiver exclusivement l'anglais.

Cependant M. Bergeron ne fut pas de ce dernier nombre. L'ata- visme peut-être aidant, des souvenirs d'enfance surgissant sans doute à son esprit, alors que se trouvant, à l'âge de 33 ans, dans une loca- lité où il y avait beaucoup de Français, il fut charmé de la beauté de la langue française, qu'il avait presque totalement oubliée. Depuis ce temps il n'a jamais manqué de pratiquer le français et il a tou- jours fait son possible pour encourager les Canadiens à conserver la langue française. M. Bergeron acheta le Courrier du New-Hamp- shire, de Manchester, N.-H., en juillet 1887 de M. Beauregard. Peu

16

226 Histoire de la Presse Franco- Américaine

après il revendait le journal à Charles Fitzpatrick, qui ne tarda pas à l'enterrer.

VICTOR BELANGER.

Le nom de Victor Bélanger est légendaire dans notre journalisme, mais il est le héros d'une légende vécue. Plus heureux que la plupart de ses collègues dans la carrière, le journalisme a été pour lui le marchepied qui le conduisit aux honneurs et à la fortune. Nous l'avons mentionné au chapitre des journaux de Worcester. Voici d'autres notes intéressantes sur son compte:

Victor Bélanger, à Ste-Rosalie, comté de Bagot, district de St- Hyacinthe, P. Q., le 5 octobre 1856, fils de Charles Bélanger et d'An- gélique Renault-Blanchard, les deux morts à Cookshire, comté de Compton, district de St-François, la famille s'établit en 1867, sur une grande ferme, aujourd'hui exploitée par le plus jeune de ses frères, Antoine. A reçu son instruction à l'école paroissiale et à l'an- cien collège commercial de Sherbrooke. Il fit son début comme typo- graphe aux ateliers du Pionnier de Sherbrooke, fondé le 13 octobre 1866, par son frère, L.-C, Bélanger, C. R., avocat, et feu H.-C. Ca- bana, avocat. En 1874, M. Bélanger, s'étant séparé de M. Cabana, fonda le Progrès, publié à Sherbrooke jusqu'en 1878, conjointement avec le Sherbrooke News, feuille anglaise, et M. Victor Bélanger, ainsi que son frère, L.-A. Bélanger, furent employés dans cet établisse- ment jusqu'à son départ pour les Etats-Unis, alors qu'il alla s'établir à Worcester, Mass., où. il fonda le Courrier de Worcester en février 1880.

Plus tard il fit connaissance de M. Josiah Quincy, ancien maire de Boston et assistant-secrétaire d'Etat sous le président Cleveland. M. Quincy s'intéressa à lui lorsqu'il débuta comme inventeur et lui four- nit les moyens de se lancer dans cette carrière. Il remporta ses pre- miers succès lors de son invention merveilleuse d'un anneau rotatoire à l'usage des filatures de coton, pour lequel il obtint des brevets pour les Etats-Unis, le Canada et les principaux pays d'Europe. Il s'est depuis occupé d'afîaires qui l'ont plusieurs fois appelé en Europe, il a séjourné par intervalles durant ces dernières années et sa famille demeure encore à Paris. Il a fait l'acquisition d'une grande ferme à Sea View, à trente milles de Boston, qu'il conduit lui-même, sans négliger ses intérêts comme inventeur. Il a deux filles de son

Silhouettes de journalistes 227

premier mariage, l'une mariée et la plus jeune encore chez lui. De son mariage avec Mlle Mary Brady, son épouse actuelle, il a aussi deux filles, qui sont actuellement avec leur mère, en France, elles sont aux études.

J.-B.-S. BRAZEAU.

Jean-Baptiste-Samuel Brazeau, éditeur-propriétaire du Jean-Bap- tiste de Pawtucket, le plus ancien des journaux existants, est à Rigaud, P. Q., en 1854. Il a fait ses études au collège Bourget de Rigaud et en 1880 il partait pour les Etats-Unis, se fixant d'abord à Providence, Peu après il se transporta à Pawtucket oh il fit l'acqui- sition du Jean-Baptiste en 1892 ci-devant publié à Northampton, Mass,, il avait été fondé en 1875, M. Brazeau a continué jusqu'à ce jour la publication du Jean-Baptiste avec un succès remarquable et un dévouement patriotique qui lui a valu l'appréciation de ses com- patriotes.

M, Brazeau est l'un de nos compatriotes marquants du Rhode- Island, de cet Etat tant des nôtres se sont illustrés à différents degrés. Comme homme politique, il a fait honneur à notre race, et à plusieurs reprises il a reçu de ses concitoyens électeurs plusieurs positions honorifiques, entre autres le mandat de député à la législa- ture. C'est dire combien il jouit de l'estime et de la considération de ses concitoyens.

M. Brazeau est président de l'Association Saint-Jean-Baptiste de Central Falls, conseil No 18, depuis de nombreuses années; il a été président organisateur de quatre grandes démonstrations nationales dans Pawtucket et Central Falls, et pendant trois ans il a été député à la législature du Rhode Island pour la ville de Pawtucket, Il est aussi trésorier de la Burnside Tent No, 9, Knights of the Maccabees of the ^A(orld, et il est aussi premier commandant d'Etat pour cette grande société depuis treize ans. Il est le père de Mlle Marie-Thérèse Brazeau, la célèbre pianiste canadienne-française, qui a obtenu de si grands succès artistiques à Paris et dans les grandes villes des Etats- Unis, et aussi de Mlle Henriette-Cécile Brazeau, professeur de fran- çais et d'allemand au High School de Pawtucket, qui a reçu un diplôme supérieur à Paris, signé du ministre de l'Instruction Publique et du comité des jurés de l'Université de Paris.

228 Histoire de la Presse Franco- Américaine

ALFRED BONNEAU

Alfred Bonneau, journaliste, éditeur de La Justice, de Biddeford, Maine, naquit à Saint-Jean, P. Q., le 14 octobre 1862, Après avoir fréquenté l'Académie des frères de cette ville, il entrait, en 1874, au Séminaire de Sainte-Thérèse pour y commencer ses études classiques qu'il termina en 1881 au Séminaire de Saint-Hyacinthe. Après avoir été tour à tour étudiant en droit et comptable à la Banque de Saint- Jean, il servit comme greffier-adjoint des comités au Parlement de Québec, pendant les trois premières sessions du cabinet Mercier, en 1887-88-89. A cette dernière date, avril 1889, il arrivait à Lowell, il demeura comme rédacteur à L'Etoile jusqu'en 1893, date de son arrivée à Biddeford, où, après avoir rédigé L'Observateur, il fonda, en mai 1896, La Justice, dont il est le propriétaire-rédacteur actuellement.

En 1898, M. Bonneau fut élu membre de la commission scolaire à Biddeford pour jusqu'en mars 1901. En mars 1901, il fut choisi comme greffier de l'assistance publique (clerk of overseers of the poor) pour cette année-là, et fut réélu en 1902. M. Bonneau est membre de la Société Saint-Jean-Baptiste, l'un des fondateurs des Artisans à Biddeford, et du Conseil Chagnon No 120 de l'Union St-Jean-Baptiste d'Amérique, et un des principaux membres fonda- teurs de la Société Historique Franco-Américaine dont il est actuelle- ment l'un des conseillers.

M. Bonneau, en politique, a toujours été républicain et a fait plusieurs campagnes présidentielles avec grand succès, dans toute la Nouvelle-Angleterre, dans l'intérêt de son parti. Depuis le 9 octobre 1901, M, Bonneau agit comme agent du Grand Tronc dans Biddeford.

W.-LEVI BOUSQUET.

W.-Levi Bousquet est à Marlboro, Massachusetts, le 10 octobre 1869. A l'âge de cinq ans il vint avec ses parents résider à Worcester, il fréquenta les écoles publiques. A quatorze ans il était apprenti imprimeur, et il travailla pendant douze ans à ce métier. Mais M. Bousquet était un homme trop actif et trop remuant pour rester indé- finiment dans une position sédentaire. Il y avait quelques années que L'Opinion Publique était publié à Worcester et il fallait un homme actif, intelligent et habile pour seconder les MM. Belisle, propriétaires du journal. Cet homme fut M. Bousquet. En 1896 il entrait à l'admi-

J.-B.-S. Bi

Paul-X. Chaput

Silhouettes de journalistes 229

nistration de L'Opinion Publique, qui, sous son impulsion, ne tarda pas à entrer dans le chemin qui mène au succès, de sorte qu'aujour- d'hui L'Opinion Publique est au premier rang comme organe des Canadiens-français des Etats-Unis.

M. Bousquet a occupé plusieurs postes de confiance et d'honneur. En 1900 et 1901 il fut élu échevin, et ses collègues de la chambre des échevins le choisissaient comme leur président. Il fut commissaire des licences en 1910 et 191 1. Il est aujourd'hui président du Conseil Franchère de l'Union Saint-Jean-Baptiste d'Amérique, président de la société Papineau et l'un des membres du bureau réorganisé de la New England Investment Company.

HONORE BEAUGRAND.

Honoré Beaugrand est à Lanoraie, P. Q., le 24 mars 1849. Il fit ses études au collège de Joliette, d'où il sortit en 1865. Il fit du service militaire pendant deux ans au Mexique, il rencontra Faucher de Saint-Maurice. Il voyagea ensuite pendant deux années en Europe, puis il fit du journalisme en Louisiane, dans la Nouvelle- Angleterre, puis en 1878 il revint à Montréal, où, en 1879, il fonda la Patrie. Il est décédé le 7 octobre 1906.

PHILIPPE BOUCHER

Philippe Boucher est à St-Barthélemy, P. Q., le 29 mai 1859. Il fréquenta l'école de son village jusqu'à l'âge de quatorze ans, alors qu'il émigra aux Etats-Unis avec sa famille. Pendant cinq ans M. Boucher travailla dans les filatures de coton à Woonsocket; en 1878 il s'engagea commis dans une épicerie, et deux ans plus tard il ouvrait un commerce à son compte. Son aptitude aux affaires, son ardeur au travail et sa conduite exemplaire avaient attiré l'attention des marchands de gros et la confiance du public; l'entreprise du jeune homme, il n'avait alors que vingt-un ans, fut couronnée de succès.

En 1881 M. Boucher contractait mariage, à l'église du Précieux- Sang de Woonsocket, avec Mlle Dorimème Ménard, fille de M. Louis Ménard, de Contrecœur, P. Q. Douze enfants sont nés de cette union, dont quatre filles seulement survivent.

En 1890 M. Boucher fut élu conseiller de la ville de Woonsocket, il fut réélu en 1891 et en 1892 ; en 1893 il fut élu échevin, réélu en 1894 il fut choisi président, le premier Franco-américain qui occupa

230 Histoire de la Presse Franco- Américaine

ce poste d'honneur et de confiance dans Woonsocket. En 1895, la ville l'envoyait siéger à la législature de l'Etat et le réélisait en 1896 et en 1897,

En 1898 il fut nommé membre de la commission de "Charité et de Réforme" pour l'Etat; c'était le premier catholique nommé sur cette commission qui a charge des écoles de réforme, des prisons et des asiles de l'Etat; M. Boucher fut nommé pour un second terme à ce poste en 1904, et dire les services de toutes sortes qu'il a rendus aux siens dans cette position serait chose trop longue à énumérer.

M. Boucher s'est toujours occupé de l'organisation de ses compa- triotes; en 1899 il prenait une part active au mouvement de fédé- ration des sociétés franco-américaines, et il fut l'un des plus sérieux promoteurs de l'Union St-Jean-Baptiste d'Amérique. En 1900 il fut élu le premier trésorier de cette société, et il fut réélu à chaque congrès depuis l'organisation de cette société qui compte actuelle- ment 25,000 membres.

En 1897 M. Boucher organisa un syndicat qui acheta La Tribune, un journl quotidien, qui depuis quelques années surtout, a fait des luttes sublimes en faveur de l'organisation des nôtres sur une base pratique. M, Boucher est président du syndicat de La Tribune depuis son organisation.

Les nombreuses charges publiques qu'occupa M. Boucher ne l'em- pêchèrent pas de soigner ses affaires personnelles; il compte parmi les principaux propriétaires de biens-fonds de Woonsocket. Son juge- ment en matières de finance est hautement apprécié par les hommes d'affaires.

En 1902 il fut nommé directeur de la banque nationale "Producers" et de la caisse d'épargne "Producers Savings," positions qu'il occupe encore actuellement.

JACQUES BUREAU.

à Trois-Rivières, le 9 juillet 1860, fils de Napoléon Bureau et de Sophie Gingras. Fit ses études au collège de Nicolet et son droit à l'université Laval. Après avoir pratiqué le droit à Winnipeg, Mani- toba, pendant quelques années il se fixa à Duluth, Minnesota, où, le 9 juillet 1890, il faisait paraître le premier numéro du Courrier de Duluth, journal bi-hebdomadaire qu'il publia pendant quelques mois. Après la mort de son père, M. Bureau retourna dans sa ville natale

Silhouettes de journalistes 231

il fut élu député au parlement fédéral en 1900, comme représentant des Trois-Rivières et St-Maurice. Le 14 février 1907 il devenait mem- bre du cabinet Laurier, étant nommé solliciteur général.

L.-J. BACHAND-VERTEFEUILLE.

Louis-J. Bachand dit Vertefeuille, fîls de Louis Bachand fîls, dit Vertefeuille, et de Delphine Langevin, à Ste-Prudentienne de Rox- ton Pond, Que., le 9 février 1872.

Suivit les classes de l'école paroissiale et fît son cours chez les Pères Ste-Croix, à Farnham. Emigra aux Etats-Unis en 1877 ; cours commercial anglais au collège Bryant and Stratton, à Providence, R.-L

Fonda le Philanthrope, revue littéraire et de sociétés, en 1892.

Le Philanthrope avait été fondé à Providence, R.-L, avec l'idée maîtresse de travailler à promouvoir les intérêts de nos organisations de langue française aux Etats-Unis. Toute la carrière de M. Bachand- Vertefeuille tourne autour de cette idée principale: développer nos œuvres, nos institutions et les rendre meilleures, plus actives, mieux constituées. Sans expérience comme imprimeur, il monta un atelier typographique de première classe se fondit tout son avoir. Dé- goûté, en 1893, il partit pour l'Ouest et se fixa à Chicago. En 1895 on le retrouve à la tête d'une nouvelle revue: le Bulletin Officiel, qu'il intitula l'organe officiel des sociétés de langue française en Amé- rique. N'ayant pas de capitaux, il entra comme typographe dans un atelier de langue anglaise, pour pouvoir imprimer sa revue. En 1896, ayant abandonné la publication du Bulletin Officiel, il fut rédacteur suppléant au Courrier de L'Ouest après la démission de M. Philippe Masson. Six mois plus tard, à l'arrivée du nouveau rédacteur-gérant, il s'en fut à St-Paul, Minn., il se fit l'associé de M. Théo-F.-X. Beaudet, alors propriétaire du Canadien et en octobre 1896, en deve- nait propriétaire-gérant. En 1900 il fonda la Voix du Peuple à Min- neapolis, qu'il publia conjointement avec le Canadien.

En 1902, appelé à Chicago pour prendre la direction du Courrier de L'Ouest, il discontinua la publication de la Voix du Peuple à Min- neapolis et continua la publication du Canadien à St-Paul, laissant la rédaction de ce journal au regretté J.-B.-A. Paradis, et le Courrier de L'Ouest à Chicago. En 1903, il achète le Courrier de L'Ouest,

232 Histoire de la Presse Franco- Américaine

fusionna ses deux journaux en un seul sous le Courrier-Canadien qu'il renomma en 1904, du titre actuel: le Courrier Franco-Américain.

En 1903, à Chicago, il fondait l'Institut Franco-Américain, qui en lui-même est tout un programme d'activité patriotique et nationale. Il a mis à constituer cette œuvre toute son énergie, tout son savoir faire, et une grande part de son temps et de ses économies. On peut dire que le journalisme franco-américain ne rémunéra guère ceux qui s'en occupent. Il continue l'oeuvre du journal français à Chicago, uniquement pour travailler au succès de cette société.

En 1910, le 28 juin, il épousait Mlle Laura Leroy-Andy, fille de M. Jean-F.-X. Leroy-Andy, née à Québec, venue toute jeune à Chicago et le type le plus parfait d'une Canadienne-française aux Etats- Unis.

L.-E. CARUFEL.

Louis-Edouard de Carufel, actuellement résidant à Montréal, et autrefois de Lowell, Massachusetts, est à St-Joseph de Maskinon- gé, P. Q., en 1855; fit un cours d'études au collège de Nicolet, d'où il sortit pour étudier le droit à Trois-Rivières. En 1880, il abandonna son droit pour venir à Lowell, Mass., il fonda, avec MM. Guillet, Hurtubise, Gaudet et autres L'Abeille, journal qui, d'hebdomadaire devint quotidien. Retourné au Canada, en 1885, il prit part à la rédac- tion de La Minerve, alors dirigée par feu M. Joseph Tassé, M. P. Lors de l'inauguration du chemin de fer Pacifique Canadien, en 1886, il entra au service de cette compagnie il occupa le poste d'agent de colonisation plus de douze ans, pendant lesquels il rédigea en collaboration, avec M. Armstrong, Le Colonisateur Canadien, organe des intérêts de la colonisation dans l'Ouest du Canada et le Nord d'Ontario. Passé à l'emploi du gouvernement de la province de Québec, en 1895, en qualité d'agent de colonisation, à Montréal, il y est encore présentement. Entre temps, M. de Carufel remplit la charge de secrétaire de la Société Générale de Colonisation et de rapatriement de la Province de Québec, fondée il y a déjà plusieurs années, sous le haut patronage du Lieutenant-Gouverneur de la pro- vince de Québec et de celui de l'Archevêque de Montréal, pour pro- mouvoir, comme son nom l'indique, "le mouvement de la colonisation et celui du retour dans leur patrie des Canadiens émigrés aux Etats- Unis."

Silhouettes de journalistes 233

ALAIN CHAPUT.

à Valleyfield, P. Q. en novembre 187g, fils de Oswald Chaput et de Annie Franchère. Cours classique au Collège de l'Assomption d'où il est sorti en i8g8 pour débuter dans le journalisme à L'Indépendant de Fall-River. Stage d'un an et demi au Journal de Montréal, *'city editor" pendant six ans à L'Opinion Publique de Worcester, Mass., rédacteur-gérant du Progrès de Fitchburg, Mass., depuis le mois de décembre 191 1. Auteur du guide de naturalisation Etes-vous Natu- ralisé?, fondateur du Club Calumet de Fall-River.

Le Progrès a succédé à L'Indépendant dans le cours de l'année 1911.

J.-A.-Z. CHENETTE.

J.-A.-Z. Chenette est à Lanoraie, P. Q., le ler septembre 1871 et a fait ses études chez les Clercs de St-Viateur. A la fin de l'année 1893 il devint assistant-rédacteur du National de Lowell. Quand la Tribune de Woonsocket fut fondée en avril 1895 il en fut le reporter, puis le rédacteur pendant quelques mois. Il fut ensuite agent et cor- respondant de la Presse de Montréal à Woonsocket, puis il devint se- crétaire de la rédaction du Réveil de Worcester. Quand le Progrès fut fondé à Woonsocket à l'automne de 1896, il en fut le reporter et quand ce journal fut vendu à la Tribune il passa à cette dernière. Il abandonna le reportage à la Tribune vers la fin de l'année 1901. Il n'a pas été dans le journalisme depuis lors, mais en différents temps et sous différents noms de plume, il a publié des articles dans L'Union et autres journaux de la Nouvelle-Angleterre. Il s'occupe actuelle- ment d'assurance. Il s'est marié à Worcester en 1897 avec Mlle Amanda Pruneau et il est le père de quatre enfants.

J.-ADELARD CARON.

à Saint-Henri de Lévis le 24 juillet 1863. Il fit ses études classiques au collège Ste-Anne La Pocatière, et fit ses premières armes dans le journalisme en écrivant dans le Journal de l'Agricul- ture et L'Electeur. En 1894 il arrivait à Fall-River et entrait au ser- vice de L'Indépendant, dont Rémi Tremblay était alors le rédacteur. Peu après il était ^ chef de bureau pour L'Echo du Soir, édition de L'Indépendant, publiée sous ce nom à New-Bedford, et dont J.-C.

234 Histoire de la Presse Franco- Américaine

Patenaude était fermier de circulation. Il fut l'un de ceux qui éta- blirent les bases de la grande société de secours mutuel l'Union Saint-Jean-Baptiste d'Amérique, qui est aujourd'hui le plus grand ordre fraternel de langue française des Etats-Unis. Dès le début il fut le secrétaire général de l'Union, depuis igoo jusqu'au 15 novembre 1910, date à laquelle il donna sa démission pour accepter le poste de rédacteur en chef à la Tribune de Woonsocket. M. Caron est père de neuf enfants.

;AMBROISE CHOQUET.

Ambroise Choquet naquit à Varennes au mois de septembre 1840. Il fît ses études au collège Saint-Laurent et son droit à l'université McGill, étant admis à la pratique du droit le 14 novembre 1866, en même temps que sir Wilfrid Laurier. Après 16 ans de pratique à Montréal, en 1883 il partait pour Rochester, N.-Y., oii il resta trois ans. Il collabora à L'Ordre et la Presse de Lanctôt et autres. Il demeura un an à Plattsburg, il fut rédacteur du National de Ben- jamin Lenthier (1886-87.) Il vint ensuite à Worcester comme rem- plaçant de Godfroi de Tonnancour au Travailleur, jusqu'au mois d'octobre 1888. Il se fixa définitivement à Central Falls en 1890, il fut fait juge de la Probate Court en 1894, fonctions qu'il exerça jusqu'en 1900. Il a épousé en 1867 Christine Lenoir, sœur de feu l'abbé Hugues Lenoir de Saint-Sulpice. Il en eut huit enfants, dont cinq sont vivants. Il est maintenant juge de la cour de district à Central Falls, R.-I.

M. LE JUGE HUGO-A. DUBUQUE.

M. Hugo-A. Dubuque, de Fall-River, est l'un de nos compatriotes les mieux connus et les plus éminents des Etats-Unis. Sa réputation s'étend bien au-delà de Fall-River et de l'Etat du Massachusetts. Le journalisme le réclame à bon droit comme l'un de ses membres les plus brillants, non pas qu'il ait été régulièrement attaché à la rédac- tion de journaux, mais il a écrit de nombreux articles, il a soutenu des thèses mémorables pour la revendication des droits des nôtres en ce pays dans les journaux du temps.

M. H.- A. Dubuque est à St-Hugues, P. Q., le 3 novembre 1854. Il fit ses études au Séminaire de St-Hyacinthe. En 1870, il arrivait aux Etats-Unis.

Silhouettes de journalistes 235

Il habita Troy, N.-Y., il fut employé en qualité de commis dans un magasin de chaussures. Quelques mois après il arrivait à Fall- River et travaillait d'abord dans une épicerie, ensuite dans une phar- macie.

En 1874 il se livra à l'étude du droit et suivit ses cours à l'univer- sité de Boston, qui lui conféra le degré de bachelier en loi (L. L. B.) le 8 juin 1877. En novembre de la même année, il fut admis au bar- reau devant la cour suprême. Il entra en société avec son précep»- teur, sous la raison sociale de Coffey et Dubuque. En 1879, il fut nommé président de la deuxième convention du Massachusetts, à la demande de feu Ferdinand Gagnon. Il fut chargé, à titre de prési- dent du comité exécutif, de préparer la troisième convention qui eut lieu à Fall-River, en 1881. Le 25 octobre de la même année, il fut chargé de conduire une enquête devant le colonel Wright.

Depuis 1878 jusqu'à la fondation du Castor en 1882, il collabora à la rédaction du Travailleur.

Il publia une brochure intitulée : Les Canadiens-Français de Fall- River (notes historiques,) pour le bénéfice de la veuve de Chevalier de Lorimier. Le père du sujet de cette biographie. Moïse Dubuque, était un patriote de 1837. La même année, 1883, lorsque F.-K. Foster calomniait notre race, à Washington, M. Dubuque écrivit aux princi- paux dignitaires de Washington, etc., pour répondre aux avancés de Foster.

Plus tard, il fît paraître sur la question de clergé national, plu- sieurs articles dans le Travailleur, le Canadien des Etats-Unis (alors publié à New-York,) et L'Indépendant.

En 1887, il a été nommé vice-président de l'association des mem- bres de la presse franco-américaine. Il a fait partie de la rédaction du Castor et de L'Indépendant, dont il devint un des propriétaires, du- rant plusieurs années après leur fondation.

En 1884, lors du décès de M. l'abbé Bédard, qui avait été curé de Notre-Dame de Lourdes durant dix ans, M. l'abbé Nobert, ayant dé- cliné la charge de cette paroisse, elle fut confiée à M. l'abbé McGee, un prêtre irlandais. M. l'abbé Brisco avait été nommé, en 1878, curé de Ste-Anne, la première paroisse française de Fall-River, qui avait été fondée en 1869.

M. l'abbé McGee, bien que parlant le français, trahissait son ori- gine exotique dans son accent; souvent même, ses expressions prê-

236 Histoire de la Presse Franco- Américaine

taient au ridicule, même dans la chaire. C'est pourquoi nos compa- triotes de Notre-Dame de Lourdes firent des démarches auprès de S. G. Mgr Hendricken, évêque de Providence, R.-I,, (Fall-River dépen- dant alors de ce diocèse,) afin d'obtenir un curé capable de représen- ter dignement une paroisse entièrement française.

En ce temps-là l'épiscopat irlandais de la Nouvelle-Angleterre s'obstinait à croire à la disparition prochaine de nos compatriotes comme groupe distinct, et il caressait l'espoir de voir bientôt la langue française éliminée pour toujours de leur milieu. Il donnait pour pré- texte que la diversité des langues nuisait à la bonne administration, et au prestige de l'Eglise, aux Etats-Unis.

Pour toute réponse à sa demande, la délégation de la paroisse Notre-Dame de Lourdes reçut les paroles suivantes de S. G. Mgr Hendricken: "Pourquoi voulez-vous un prêtre franco-américain? Dans dix ans, tout le monde parlera l'anglais dans vos églises." On lui fit remarquer que l'Eglise n'avait pas été instituée pour trancher les questions philologiques et ethnographiques; que le miracle des lan- gues avait été fait pour les desservants et non pas pour les desservis ; que le français était pour les nôtres une sauvegarde de la foi, et in- dispensable dans le moment, pour le salut des âmes. L'évêque ne vou- lut rien comprendre. La cause fut alors portée à Rome. On sait que finalem.ent, en 1885, nos compatriotes obtinrent ce qu'ils demandaient.

Ce fut M. Dubuque qui prépara tous les documents, plaidoyers, dispositions, etc., de cette cause célèbre. Il fut aussi le principal ora- teur des réunions populaires qui se tenaient dans la paroisse Notre- Dame, une, deux ou trois fois par semaine. Ces réunions avaient lieu à la salle St- Jean-Baptiste,

C'est ainsi que pendant deux ans, M. Dubuque réussit à empêcher plus de 5000 Franco-américains de fréquenter leur église irlandaise. "Allez aux autres églises catholiques, disait-il, mais pas à celle-là."

Il y avait un conseil de cinq syndics, pour diriger le mouvement, et il se réunissait au bureau de M. Dubuque. Celui-ci fut aussi chargé de la correspondance des syndics avec leur délégué à Rome, M. Nar- cisse R. Martineau, et leur canoniste engagé pour la circonstance.

Ce fut une des périodes les plus difficiles de notre histoire. Si la résistance patriotique de cette époque n'avait pas réussi, nos paroisses nationales et partant l'usage de la langue française auraient probable- ment disparu à courte échéance. Ce fut donc le sujet de la présente

Silhouettes de journalistes 237

biographie qui joua le rôle important dans la revendication de nos droits paroissiaux. Il fit une campagne de presse dans le Castor et L'Indépendant de Fall-River.

Plus tard on le voit voler à la défense de nos écoles et de nos so- ciétés de langue française.

L'enquête devant M. Carroll-D. Wright, chef du Bureau des Sta- tistiques du Travail, à Boston, Mass., citée plus haut, était plutôt une protestation contre les assertions contenues dans le rapport officiel de ce bureau, lesquelles déclaraient que les Canadiens-Français étaient les Chinois de l'Est. Les ouvriers de langue anglaise, dans les fa- briques, redoutaient la concurrence de nos compatriotes, à cause de leur assiduité au travail, de leur sobriété, de leurs habitudes d'écono- mie et de leur abstention du mouvement favorisant les syndicats ou- vriers. La différence de langue y était pour une bonne part, dans cette attitude menaçante des autorités. M. Dubuque et ceux qui com- parurent devant M. Wright n'eurent guère de difficulté à démontrer la fausseté des assertions du rapport en question. Ils établirent irré- futablement que nos compatriotes plaçaient leurs économies dans les caisses d'épargnes, achetaient des immeubles et devenaient citoyens quand il leur était possible. C'est ce qui fit dire plus tard à M. Wright et au sénateur Hoar que nos compatriotes avaient sauvé d'une ruine complète les industries de la Nouvelle-Angleterre.

En 1888, M. Dubuque fut élu député à la législature du Massachu- setts. Il entra dans ses fonctions de député en janvier 1889. C'est alors que la grave question des écoles paroissiales vint sur le tapis.

Nos compatriotes avaient des écoles le français était enseigné de pair avec l'anglais. Un projet de loi fut présenté aux fins de mettre sous le contrôle des autorités scolaires des municipalités, nos écoles paroissiales qui ne recevaient aucune subvention de l'Etat. On pré- tendait que nos écoles paroissiales de Haverhill et d'ailleurs en- seignaient trop de français, etc. La question fit le sujet d'une enquête mémorable devant le comité de l'éducation.

L'archevêque Williams, de Boston, était représenté par l'avocat Chs.-A. Donnelly, de Boston, tandis que les adversaires des écoles catholiques, à la tête desquels se trouvait le Dr A.-A. Miner, ministre universaliste très en vue à Boston, avaient pour avocat John-D. Long, ancien gouverneur de l'Etat. M. Dubuque voulant se réserver le droit de parler en chambre, suivant le règlement officiel, ne se présenta point

238 Histoire de la Presse Franco- Américaine

comme avocat devant le comité, mais comme simple assistant de M. Donnelly. Aussi il fut appelé comme témoin et fut questionné pen- dant une journée entière. Cependant le comité fît un rapport favo- rable au projet de loi qui devait proscrire les écoles catholiques et françaises ou du moins en paralyser l'existence. Car le comité con- cluait à contrôler l'examen des instituteurs et la direction des études.

En chambre, M. Dubuque fît un discours aux fins de faire amender le projet de telle sorte que les écoles confessionnelles ne fussent te- nues que d'enseigner les mêmes matières que les écoles publiques. Il demanda aux législateurs de reconnaître la liberté d'enseignement dans la ville même de Boston, qui avait proclamé la liberté politique et consacré le principe que personne ne devait être gouverné sans son consentement. Bref, son discours lui valut les félicitations de ses col- lègues, et il remporta la victoire sur les fanatiques qui voulaient dé- truire nos écoles. L'archevêque de Boston, par l'intermédiaire de son chancelier, lui adressa des remerciements et des félicitations.

En 1897 et 1898, M. Dubuque fut encore député à Boston. En 1889, 1897 et 1898, il fît aussi partie du comité judiciaire, le plus im- portant de la chambre, et il prit une part active aux débats. D'après les témoignages du gouverneur Bâtes, alors président de la chambre, et de M. Clark, secrétaire du club "Home Market," de Boston, et plusieurs fois député, M. Dubuque était au nombre des chefs de la députation.

En 1897, alors qu'il était député, M. Dubuque fut invité, par le président de la chambre, M. John-C. Bâtes, à souhaiter la bienvenue aux délégués de l'Union Postale Universelle, qui était composée des représentants de tous les pays en relations postales avec les Etats- Unis, c'est-à-dire de tous les pays du monde civilisé. C'était à l'occa- sion d'une visite de ces délégués au Palais Législatif (State House) de Boston. M. Dubuque improvisa alors en français, la langue offi- cielle de l'Union Postale, une allocution qui fut chaleureusement ac- cueillie par les délégués de cette union. C'est après cette séance, que le représentant de la France lui donna une cordiale poignée de main, en disant: "Je vous félicite et vous remercie, monsieur. Je n'ai pas entendu si bien parler le français, depuis que j'ai quitté Paris." Alors les députés, collègues de M. Dubuque, vinrent à leur tour le remercier et lui dire combien ils avaient été fîers de voir l'un des leurs parler une langue comprise des envoyés de tous les peuples de la terre.

Silhouettes de journalistes 239

En 1897, M, Dubuque rédigea en anglais la partie historique de l'ouvrage intitulée : Art Work of Fall River or Fall River Illustrated. Il écrivit aussi les notes franco-américaines, dans l'histoire du comté de Bristol qui comprend la ville de Fall-River.

En 1900, M. Dubuque fut élu, par le conseil municipal, au poste de procureur de la cité de Fall-River. Depuis onze ans il agit comme avocat dans toutes les causes qui concernent la cité ou ses fonction- naires; il représente la cité devant les commissions de l'Etat ou du corps législatif, etc.

En 1905, le gouverneur Douglas nomma M. Dubuque membre de la commission que l'Etat avait chargée d'élever un monument à Che- valier de St-Sauveur, le premier soldat français tué à Boston dans la guerre de l'Indépendance.

En 1907, le gouverneur Guild le nomma délégué de l'Etat au con- grès international, tenu à Columbus, Ohio, et chargé d'étudier la ques- tion de l'impôt, au point de vue économique. La même année, le gou- vernement français le nommait Officier d'Instruction Publique, après avoir été décoré des palmes académiques quelques années antérieures, par la République Française.

Un jour le Dr Omer LaRue et M. Dubuque, lors d'un congrès franco-américain, et des délégués du Canada, hommes éminents dans le journalisme et la littérature, causaient tous ensemble. L'un d'eux dit à l'autre: "Ils n'ont pas besoin des hommes du Canada, les Cana- diens des Etats-Unis, quand ils ont des hommes de la valeur de ces deux-là." Un jour le Dr L.-J, Martel, de Lewiston, Maine, un autre orateur populaire, disait de lui: "On devrait le conserver pour les grandes circonstances."

Il publia une monographie historique, en 1907, intitulée Fall River Indian Réservation, qui contenait des documents inédits sur la colo- nie indienne, les us et coutumes des indigènes des environs de Fall- River. Ce qui fît dire au sénateur Henry Cabot Lodge, un historien lui-même, que M. Dubuque lui avait fait connaître une page inconnue de l'histoire du Massachusetts.

On sait que M. Dubuque est l'un des fondateurs et anciens prési- dents de la société Historique Franco-Américaine et qu'il lui a lu un travail adressé à St-Jean de Crévecœur, l'auteur de Letters of an American F armer, un ancien soldat de Montcalm et plus tard un ha- bitant des Etats-Unis.

240 Histoire de la Presse Franco- Américaine

Le 4 juillet 1907, il fit à Champlain, N,-Y., le discours de circons- tance pour l'inauguration de la statue de Samuel de Champlain. La collection de ses discours et conférences serait intéressante et instruc- tive.

En i8go, il a publié un article dans la plus importante revue de droit des Etats-Unis, intitulé: "The Duty of Judges as Constitutional Advisers" (vol. 20 American Law Review, 369.) Ce travail est cité par tous les auteurs écrivant sur le droit constitutionnel américain.

A cela il convient d'ajouter que le père de M. Dubuque, Moïse Dubuque, était autrefois l'un des explorateurs et pionniers du grand Ouest, et son grand-oncle a fondé la ville de Dubuque, dans l'Iowa.

Le premier août 191 1, le gouverneur du Massachusetts, Eugene-N. Foss, a nommé M. Dubuque juge de la cour supérieure de l'Etat; c'est la plus haute position civique à laquelle un citoyen franco-américain soit arrivé dans cet Etat,

J.-OVIDE-DOUAIRE DE BONDY.

Voilà un de nos vétérans journalistes qui porte gaillardement le poids des années et semble devoir prolonger encore d'un grand nom- bre d'années la carrière musicale qui fut le but principal de sa vie. Le nom de M. de Bondy, associé à celui de Benjamin Lenthier, s'attache aux premiers efforts qui ont été faits pour établir une presse cana- dienne aux Etats-Unis. Il y a trente ans et plus ce n'était pas une petite affaire de fonder et surtout maintenir un journal. M. de Bondy tenta l'expérience pendant qu'il était encore à l'âge l'homme n'est pas encore soustrait aux illusions de la jeunesse. Mais sa carrière dans le journalisme ne fut que transitoire, et il y a bien des années qu'il a abandonné cette carrière alors généralement si ingrate et si peu rémunérative. M. de Bondy était alors, comme il l'est encore au- jourd'hui du reste, un ardent patriote, et je suis sûr que, malgré ses déboires, il n'a jamais regretté un instant les années qu'il a consa- crées pour l'intérêt de ses compatriotes. C'est pourquoi il mérite une place d'honneur dans cette galerie. L'ancien compagnon d'armes de M. Lenthier, comme l'on sait, est un musicien qui a fait sa marque. Sa spécialité est l'orgue. Comme organiste de l'église Saint-Jean- Baptiste de Lynn, il fut l'un des premiers aux Etats-Unis à introduire le chant de Solesmes dans son intégrité conformément au Moto Pro-

Silhouettes de journalistes 241

prio de Pie X sur la musique sacrée. En cela il a été admirablement secondé par son curé et ami, M. l'abbé J.-B. Parent.

J. -Ovide-Douaire de Bondy naquit à Lavaltrie, province de Québec, le 4 juillet 1850, fils de Monsieur et Madame Agapit Douaire de Bon- dy. Son père était médecin et mourut à Sorel vers 1894. Sa mère était une musicienne de haute réputation dans ce temps, et le sujet de cette biographie commença ses études musicales sur les genoux de sa mère, qui était organiste de la paroisse. Il entra au collège de l'Assomption à l'âge de 10 ans, il fit ses études. Durant une partie de ce temps, il se rendait à Saint-Sulpice, sur le fleuve St-Laurent, on l'avait engagé comme organiste de la paroisse, malgré son jeune âge. De fait, il fut le premier organiste de la paroisse de St-Sulpice, qui avait alors Messire Birtz pour curé.

Au collège, le jeune de Bondy faisait toujours les frais de la mu- sique à toutes les représentations et distributions de prix. Sorti du collège, il passa ses examens à l'Université McGill il fut admis à l'étude de la médecine. Préférant se trouver plus en rapport avec les Canadiens-français, il entra au Collège de Médecine Victoria à Mont- réal, où il continua ses cours. Il se maria, étant encore étudiant en médecine, tenant maison à Montréal, il était aussi organiste de l'église Ste-Brigitte.

En 1872, il partit pour les Etats-Unis il pratiqua comme méde- cin pendant quelques mois seulement. Son goût prononcé pour la musique le portait vers la profession de musicien plutôt que de demeu- rer sous le drapeau d'Esculape. Il demeura près d'une année à Holyoke, Mass., quand la population de cette ville n'était que de 9,000 âmes. Il fut organiste dans l'église canadienne qui, après son départ, devint la proie des flammes, et un grand nombre de nos compatriotes per- dirent la vie. Une de ses élèves, la jeune Ida Meunier, qui l'avait remplacé comme organiste, perdit la vie en cette déplorable occasion.

Il se rendit alors à Albany, N.-Y., où, rencontrant un prêtre de sa connaissance, il lui conseilla de s'établir à Glens Falls, N.-Y., il se rendit en 1873 comme organiste de l'église Ste-Marie. C'est qu'il rencontra Monsieur Benjamin Lenthier et qu'il établit, en 1880, le Drapeau National, journal français hebdomadaire, qui fut aussi publié, pendant quelques mois, comme journal bi-hebdomadaire, en français et en anglais. Ce journal qui était démocrate, au point qu'on appela alors de Bondy "The French Brick Pomeroy" à Glens Falls, fit une

17

242 Histoire de la Presse Franco-Américaine

campagne acerbe durant l'élection présidentielle de Hancock et Gar- field. Les contemporains de cette époque se rappellent le résultat de cette élection qui fut la cause immédiate de la disparition du Drapeau National.

Ce dernier journal fut bientôt remplacé par le Guide du Peuple, bi-hebdomadaire, publié aussi par J.-O.-D. de Bondy et Benjamin Len- thier. Mais comme cette vie de journaliste de ce temps-là lui faisait négliger naturellement la profession de son choix, il laissa cette car- rière pour retourner à ses chers moutons, la musique. Mais sa santé avait été minée par le travail et surtout les sacrifices de toutes sortes. Il laisse donc Glens Falls en 1888 pour voyager comme directeur de musique d'une compagnie de concert. Durant ce temps les membres de sa famille, consistant en son épouse et trois fils (ces derniers de- demeurent aujourd'hui à New-York,) se rendirent à Boston, ils éta- blirent domicile dans la partie de Boston appelée Somerville.

Il cessa de voyager au mois de mai 1895 et s'établit à Lynn, Mass., il est, depuis ce temps, l'organiste du révérend J.-B. Parent, ayant son studio en ville ainsi que son établissement de pianos, enseignant le piano et le chant grégorien dans plusieurs églises.

M. de Bondy a toujours été étroitement identifié avec toutes les sociétés qui ont pour but l'avancement des Franco-américains. De- puis 38 ans, il a assisté à un grand nombre de conventions, de réunions nationales, dans différentes parties du pays. Il fut le secrétaire de plu- sieurs de ces conventions. Aujourd'hui encore, en dehors de sa mu- sique, J.-O.-D. de Bondy prend une part active dans plusieurs organi- sations de langue française, notamment: la Société Historique Fran- co-Américaine de la Nouvelle-Angleterre, l'Alliance Française, la so- ciété St-Jean-Baptiste de Lynn, l'Union St-Jean-Baptiste d'Amérique, les Forestiers Franco-Américains.

Il est peu connu, peut-être, que depuis cinq ans, il est traducteur pour une revue mensuelle qui a un département en langue française.

ALEXANDRE BELISLE

Naquit à Sainte- Victoire, P. Q., le 4 septembre 1856, fils de feu Alexandre Belisle et feu Marie Dorval. Il est le fils aîné d'une nom- breuse famille. Ses parents s'étaient mariés à Millbury, Mass., le 10 juillet 1853.

ALEXANDRE BELISLE

Silhouettes de journalistes 243

Peu de temps après leur mariage, M, et Mme Belisle étaient allés demeurer au Canada, à la suite d'une longue maladie du chef de la famille. Le 31 décembre 1862 les époux arrivaient à Worcester, ils se fixaient définitivement avec leurs enfants, Alexandre fils fréquenta pendant quelque temps les écoles publiques. A l'âge de 22 ans il entra à l'administration du Travailleur de Ferdinand Gagnon et y demeura huit ans, jusqu'après la mort de son fondateur. Il fut le premier citoyen d'origine canadienne-française élu au conseil de ville, il siégea quatre années à partir de 1888. Après la dispari- tion du Travailleur il s'associa avec ses frères pour fonder L'Opinion Publique, au mois de janvier 1893, à Worcester, Il est directeur de deux banques coopératives et premier vice-président de la banque d'épargnes Bay State de Worcester. Il a été plusieurs années l'un des directeurs, et en 1910, président de la Bibliothèque Publique de Wor- cester, la plus importante de la Nouvelle-Angleterre après celle de Boston. Il a épousé, à l'âge de 21 ans, Mlle Albini Boulay, née à Saint-Pie, P. Q., et ils eurent huit enfants, dont trois sont vivants. M. Belisle est depuis près de vingt-cinq ans courtier en immeubles et agent d'assurance contre le feu.

FELIX-A. BELISLE.

Naquit à Saint-Marcel le 22 octobre 1857. Commença son ins- truction dans les écoles publiques de Worcester et les continua dans un collège commercial de la même ville. ï^n 1879 il entra à la Patrie Nouvelle de Cohoes, N.-Y., puis au Travailleur de Worcester, qu'il quitta au mois de septembre 1885 pour se livrer à l'étude du droit. Il fut admis au barreau du Massachusetts en 1887. Il fonda à Worces- ter, avec le colonel E, B, Glasgow, un groupe de l'Alliance Française, dont il était président à la date de sa mort, le 13 avril 1905, Il était marié, mais sans enfants.

EUGENE-L. BELISLE.

Naquit à Saint-Marcel, P. Q., le 10 mars 1859. Il reçut sa pre- mière instruction dans les écoles publiques de Worcester. Il fit le commerce d'épiceries pendant plusieurs années. Puis il devint admi- nistrateur de L'Opinion Publique. Sa santé s'étant altérée, il passa dix mois en Europe en 1905. Au mois d'avril 1906, sur la recomman-

244 Histoire de la Presse Franco- Américaine

dation des sénateurs Lodge et Crâne du Massachusetts, le président Roosevelt le nomma consul américain à Limoges, France, position qu'il occupe encore aujourd'hui. Dans l'hiver de 1908-09 il fit une vi- site aux Etats-Unis, A l'occasion de son passage à New-York, les importateurs de porcelaines de cette ville, comme témoignage de gra- titude pour les services qu'il leur avait rendus, lui donnèrent un ban- quet. M. Belisle est demeuré célibataire.

J.-B. COUTURE.

Naquit à Saint-Joseph de Lévis, P. Q. le 15 mars 1866. Il vint à Lewiston, Maine, en 1887, entrant de suite comme typographe au Messager. Il devint propriétaire de ce journal en août 1891. Il est aujourd'hui propriétaire d'un édifice en brique sur la rue Lisbon, au numéro 225, il demeure et sont installés les ateliers du Messa- ger.

PAUL-N. CHAPUT.

Paul-N. Chaput de Salem, Mass., est le 25 septembre 1862, à St-Damase, Comté de Bagot. Il émigra aux Etats-Unis en 1876. Il commença sa carrière la même année au moulin de coton Naumkeag à 26c de salaire par jour. Durant six mois de l'année il était obligé d'aller à l'école une demi-journée chaque jour. Il travailla aussi à une manufacture de bas, à Ipswich, durant quelque temps et trouva le moyen d'économiser $175.00 avec un petit salaire de 80c par jour. En 1885 il ouvrit un magasin d'épiceries et viandes sur la rue Con- gress. Il le vendit en igo8. En 1895, il fonda un magasin de ferron- neries au No 16, rue Congress. Il le revendit en 1908. En 1896 il fondait encore un magasin de chaussures sur la rue Harbor. Il le vendit en 1906. En 1905 il fonda le "Naumkeag Cash Grocery," coin des rues Harbor et Congress. Il se défit de ce magasin en 1908. En 1906 il entra dans le commerce d'immeubles et d'assurances contre le feu, les accidents, etc., commerce qu'il exploite maintenant avec le plus grand succès. Il est un de ceux qui font le plus d'affaires dans cette branche.

Il est membre fondateur, trésorier et gérant de la compagnie de publication du Courrier de Salem, qui, sans contredit, est un des journaux les plus prospères de la Nouvelle-Angleterre. Il est tréso- rier des compagnies de publication du Courrier de Lynn et du Courrier de Lawrence. Un des propriétaires et président de la com-

Silhouettes de journalistes 245

pagnie de publication L'Etoile de Lowell. Un des principaux action- naires et directeur de la compagnie C. H. Petit, marchands de hardes à Lawrence, autrefois Benoit et Petit. Directeur de la Savory Ex- press Co., administrateur des biens de la corporation du Cercle Veuil- lot, Association Catholique de la Jeunesse Franco-Américaine, direc- teur de la Salem Savings Bank. Il est républicain en politique.

M. Chaput fut élu au conseil de ville en 1894 et échevin durant cinq années consécutives de 1903 à 1907.

JOSEPH DE CHAMPLAIN.

Joseph de Champlain naquit à Sainte-Luce, comté de Rimouski, en 1870. En 1884, à l'âge de 14 ans, il suivait sa famille aux Etats- Unis, s'établissant à Fall-River. le jeune Joseph travailla pen- dant quatre ans dans une manufacture de coton. Il entra au bout de ce temps à la manufacture de chapeaux Marshall, il demeura dix ans. Il avait peu d'instruction, mais c'était un garçon intelli- gent; il parvint au grade de contremaître au salaire de $25 par se- maine. Le peu qu'il sait, en français et en anglais, il l'a appris privé- ment et en fréquentant l'école du soir. A l'âge de 28 ans Joseph de Champlain abandonna le travail industriel pour les affaires d'immeu- bles; il se fit courtier en immeubles; ses opérations portaient prin- cipalement dans le quartier de la ville appelé le Village Globe, il avait son domicile, et la construction se faisait alors sur une haute échelle. Il devint lui-même un important propriétaire. Après un certain temps les affaires de biens-fonds ne suffirent plus à son ambition, il voulait élargir son horizon et étendre le champ de ses opérations au-delà des limites de Fall-River. Il conçut alors le pro- jet de se lancer dans les affaires de mines dans le New-Hampshire. Il organisa la Granité State Mining Company, qui devint par la suite la Mt. Gardner Mining Company de Fall-River. Il organisa aussi la United Investment Company de Providence, et enfin la fameuse New England Investment Company de Manchester, dont le Réveil, qu'il avait fondé à Manchester, N.-H., était l'organe avec L'Etoile de Lowell.

GODFROY DE TONNANCOUR.i

Le sujet de cette silhouette est le plus ancien journaliste militant du jour dans notre presse canadienne des Etats-Unis. C'est pourquoi

1. Cette bioiîraphie est empruntée en partie du "Guide Français de Fall-River," L.-J. Gagnon et Cie, éditeurs, 1908.

246 Histoire de la Presse Franco-Américaine

on l'a appelé parfois le "doyen." Ce titre, au reste, lui convient à bon droit, tant par son âge que par ses longs états de service dans la presse.

M. Godfroy de Tonnancour, rédacteur en chef de L'Indépendant de Fall-River, naquit à Saint-François du Lac, P. Q., en l'année 1863. Il fît ses études au Canada et aux Etats-Unis et, dès sa sortie du col- lège il se voua entièrement à la carrière du journalisme qu'il a tou- jours exercé depuis presque sans interruption. C'est à Manchester, N.-H., qu'il fît ses débuts comme rédacteur à L'Echo à l'âge de dix- huit ans seulement. Plus tard nous le trouvons à la rédaction du Travailleur de Worcester. Il rédigeait ce journal pendant la maladie de Ferdinand Gagnon, son propriétaire, et il continua à en être le rédacteur pendant quelque temps, le journal étant publié par la veuve de M. Gagnon et M. Charles Lalime.

Arrivé à Worcester durant le printemps de 1886, l'année suivante il en repartait pour aller résider à Holyoke, il fut successivement rédacteur du Défenseur et de L'Annexionniste. Ce fut à son passage en cette ville qu'il soutint cette longue polémique au sujet de l'an- nexion contre feu Joseph Tassé, alors rédacteur de la Minerve de Montréal et auteur des Canadiens de l'Ouest. De 1891 à 1892 il est rédacteur de L'Espérance, à Central Falls, R.-I. journal publié par J.-M. Authier, et en 1893 il est associé à la rédaction du Daily News, à Pawtucket, R.-I.

Comme l'on sait, les débuts de M. de Tonnancour dans le jour- nalisme furent passablement instables. C'est que dans ce temps-là les journaux qui existaient n'avaient pas pour la plupart un brevet de longue vie et, un journal tombé, il fallait bien que celui qui vou- lait persister quand même dans cette carrière ingrate, cherchât un autre champ pour continuer les bons combats en faveur de la na- tionalité. Mais l'heure allait sonner M. de Tonnancour allait enfin fixer sa tente d'une manière permanente. Dans l'automne de 1894 1^ position de rédacteur de L'Indépendant devenait vacante par le départ de M. Rémi Tremblay, et cette position enviable échut à M. de Ton- nancour, qui en était digne tant par ses talents d'écrivain que par une expérience acquise par plusieurs années déjà de service dans le journalisme militant. Il y avait environ un an que L'Indépendant était devenu quotidien et son importance comme organe, au point de vue politique et social, en avait reçu une forte impulsion. A l'école de

Silhouettes de journalistes 247

de Ferdinand Gagnon M. de Tonnancour s'était assimilé un patrio- tisme éclairé et quant à ce qui concerne les questions politiques, reli- gieuses et nationales il était imbu des idées du maître disparu. Avec cela, écrivain élégant, excellant dans l'art d'une argumentation ser- rée, sachant manier parfois à l'occasion le sarcasme et l'ironie avec un rare bonheur, le rédacteur de L'Indépendant répondit pleinement aux espérances qu'on avait fondées sur lui.

Pendant deux ans, de 1903 à 1905, M. de Tonnancour occupa la position de secrétaire de la commission des incendies, à laquelle il avait été nommé par le maire Grimes. A cause de son dévouement à la cause franco-américaine, le ministre de l'instruction publique de France lui conférait en 1901 le titre d'Officier d'Académie. Ceux qui connaissent la plume finement taillée et toujours alerte de M. de Tonnancour savent que ce titre était bien mérité. M. de Tonnancour occupe une place distinguée dans le journalisme français en Améri- que, à cause de la lucidité de ses pensées et la limpidité de son style, jointes à une profonde connaissance de notre situation nationale, le tout agrémenté des dons précieux d'un caractère doux et conciliant, mais ferme et courageux tout à la fois.

Républicain convaincu, M. de Tonnancour n'a jamais perdu l'oc- casion de prêcher à nos compatriotes loyauté et fidélité aux principes politiques qui, seuls dans son opinion, produiront chez nous des pro- grès rapides et nous permettront d'atteindre, parmi les autres races, à une position digne de notre force numérique et de nos qualités na- tionales.

Dans la fameuse affaire de Danielson, en 1895, comme il s'agissait de la conservation de notre langue, il a élevé la voix avec une respec- tueuse mais virile fermeté, et les ennemis de notre cause nationale ont bon gré mal gré battre en retraite. Il n'était pas le seul com- battant, mais il était certainement un des plus braves et vaillants gé- néraux dans cette revendication enthousiaste des droits de notre langue à l'Eglise.

M. de Tonnancour est l'un des principaux membres du Club Répu- blicain Franco-Américain du Massachusetts.

CHARLES DE GAGNE.

M. Charles de Gagné est l'une des figures les mieux connues à Fall-River o\x il demeure depuis près de quarante ans, sauf quelques

248 Histoire de la Presse Franco- Américaine

courts séjours en d'autres villes de la Nouvelle-Angleterre et au Ca- nada. M. de Gagné est essentiellement un homme de Fall-River, l'un des plus anciens citoyens de cette ville, encore alerte aujourd'hui, et il fut pour ainsi dire l'un des pionniers de la colonie canadienne- française de Fall-River. Du moins, lorsqu'il y arriva tout jeune en 1872, nos compatriotes y étaient encore clairsemés et la paroisse Ste- Anne n'existait que depuis trois ans.

M. de Gagné est aux Eboulements, dans le comté de Charlevoix, et pendant qu'il était encore enfant ses parents traversèrent le fleuve pour s'établir à Rimouski. Il fît ses études classiques au nou- veau séminaire de Rimouski, qui avait été ouvert en 1862. Il suivit le premier cours donné dans cette maison d'éducation et il eut l'hon- neur d'en être l'un des plus brillants élèves.

En sortant du collège il voulut étudier le droit, mais des revers de fortune qu'éprouva sa famille y mirent obstacle. Il se vit alors obligé de se livrer à un travail quelconque afin de gagner sa vie et aider ses parents qui lui avaient donné l'instruction.

C'est alors qu'il résolut de venir aux Etats-Unis. Une fois cette décision prise son exécution n'était pas difficile; il n'avait qu'à suivre le courant migratoire. En ce temps-là nos gens partaient des pa- roisses du bas de Québec en longues caravanes pour les Etats-Unis et un très grand nombre se dirigeaient sur Fall-River, l'industrie du coton exerçait une si grande attraction sur les nôtres. Le jeune de Gagné mettait le pied pour la première fois à Fall-River en 1872. Il a été pendant de longues années comptable ou commis dans des établissements de commerce de plusieurs genres, principalement dans la grande maison J.-E, Amiot, ferronnerie et peinture. Dans cet éta- blissement M. de Gagné fut pendant nombre d'années le commis de confiance. Sa résidence à Fall-River cependant n'a pas toujours été permanente, il paraissait quelque peu avoir des goûts nomades, mais il ne tardait pas à revenir à son lieu de prédilection. C'est ainsi qu'il fut un certain temps employé à la compagnie de chemin de fer Ver- mont Central dans ses bureaux à Worcester.

Pendant sa longue carrière à Fall-River, M. de Gagné a participé à la fondation et le fonctionnement d'une foule de sociétés de diffé- rentes sortes. En 1875, avec le concours de quelques amis, il fonda la Société des Commis-Marchands; en 1881 le club dramatique ap- pelé Club Fréchette; en 1882 le Cercle de Salaberry, une institution

Silhouettes de journalistes 249

littéraire et dramatique, et en 1890 le Cercle Lamartine qui s'occupait exclusivement de jouer des pièces dramatiques, A plusieurs reprises il a été président ou directeur théâtral de ces organisations. Il pos- sédait un talent d'acteur remarquable. Il fut aussi au nombre de ceux qui fondèrent le Cercle Montcalm en 1877, la Société des Jeunes Gens de Fall-River en 1879 et le Club Politique Franco- Américain en 1887. Ces sociétés sont pour la plupart disparues aujourd'hui, d'autres ayant surgi à leur place, mais durant leur existence elles ont puissamment contribué au maintien du caractère national et des traditions de notre race.

M. de Gagné a été président de la Ligue des Patriotes, la plus im- portante société fraternelle de Fall-River, fondée en 1885 par M. Rémi Tremblay, de 1894 à 1897 et de 1902 à 1903.

Malgré toute cette activité M. de Gagné trouvait encore le tour de s'occuper de littérature. Il écrivait souvent des articles pour les jour- naux de Fall-River ou du Canada. Ses écrits ne manquaient pas de verve et son style était parfois caustique et mordant. Il était aussi un orateur agréable et il maniait la parole avec facilité. Un de ses meilleurs discours fut celui qu'il prononça au parc public en 1878, lors de la première grande célébration de notre fête nationale à Fall-River, devant un auditoire de plusieurs milliers de personnes.

Comme journaliste proprement dit, ce n'est que depuis l'année 1900 qu'il a fait sa marque. Cette année-là, il fut administrateur du Journal, une feuille quotidienne qui ne vécut pas un an. Après la chute de ce journal il fonda le Petit Courrier, une petite feuille heb- domadaire littéraire et humoristique qui eut et a encore beaucoup de vogue à Fall-River. Au printemps de 1894, aux débuts du Protecteur Canadien de A.-E. Lafond comme journal quotidien, il a fait pen- dant quelques semaines l'office de reporter pour ce journal.

Le Petit Courrier que publie M. de Gagné depuis 1901, sauf quel- ques mois de suspension en 1907-08 pendant une période de chômage des filatures, est un journal humoristique. Le style en est léger, par- fois ironique et railleur, et il ne manque jamais d'amuser et faire rire ses lecteurs, mais d'un autre côté, on y trouve souvent des articles sérieux, littéraires ou politiques qui peuvent intéresser, instruire et être utiles à beaucoup de monde.

250 Histoire de la Presse Franco- Américaine

PROFESSEUR J.-L.-J. DUPUY.

C'est le titre sous lequel est désigné M. J.-L.-J. Dupuy parce qu'a- vant d'être journaliste il fut professeur dans des maisons d'éducation au Canada. Ce qui suit à son sujet est pris textuellement dans le Guide Français de Fall-River de 19 lo.

Après vingt ans de service actif dans notre presse américaine- française, le Prof. J.-L.-J. Dupuy est aujourd'hui le doyen des jour- nalistes français qui sont nés aux Etats-Unis.

Il naquit à East Douglas, Mass., le 23 mai 1860, de François Du- puy et de Marguerite Bourbonnière, et fut baptisé à l'église St-Paul de Blackstone, Mass., par M. le curé J.-S. Sheridan.

A peine âgé de g ans il perdait son père et sa mère à Ste-Hélène de Bagot, P. Q., et était confié aux soins de son oncle, M. l'abbé J.-B. Dupuy, alors curé de St-Sébastien d'Iberville, et aujourd'hui en repos au Précieux-Sang, à St-Hyacinthe. M. l'abbé J.-P. Dupuy, un autre de ses oncles, qui fut successivement curé de Notre-Dame de Bonse- cours du Richelieu, de St-Grégoire-le-Grand et de Farnham, il mourut en 1900, le prit ensuite sous sa protection et lui fît faire des études commerciales, classiques et théologiques.

Il fît son cours classique partie au Petit Séminaire de Monnoir, partie au Séminaire de St-Hyacinthe, puis il étudia la théologie au Grand Séminaire de Montréal.

En i8go il commençait sa vie de journaliste à la Patrie de Cohoes, N.-Y. Il fut ensuite employé à divers journaux. En 1891 et 1892 il était collaborateur de L'Espérance de Central Falls, avec bureau à Woonsocket, R.-L, et en 1893 rédacteur du Progrès à Manchester, N.-H. Il fut ensuite collaborateur de L'Indépendant de Fall-River, avec bureau à New-Bedford, Mass., en 1893 et 1894. Puis il passait quelques mois en repos à la Nouvelle-Orléans, en Louisiane, chez des parents. En 1895 il était reporter à la Presse de Montréal, puis pre- nait quelques mois de repos à Sherbrooke, P. Q., chez des parents. En 1896 il était encore collaborateur à L'Espérance de Central Falls, puis reporter et rédacteur de la Tribune à Woonsocket, R.-I. Après avoir été rédacteur du Jean-Baptiste à Pawtucket, R.-I., en 1897 et 1898, il était collaborateur à L'Etoile à Lowell, puis rédacteur du Courrier National à Lawrence, Mass., en 1900.

En 1900 et 1901 il fut successivement rédacteur du Connecticut à Waterbury, et du Canado- Américain à Norwich, dans le Connecti-

Silhouettes de journalistes 251

eut, ainsi que collaborateur de la Presse à Holyoke, de L'Echo du Congrès à Springfield, du Springûeld Union, du Hartford Times et du Courrier du Connecticut à Hardford, Conn. En 1903 il fondait L'Américain à Springfield, Mass., un hebdomadaire illustré et de 16 pages, puis il en vendait ses intérêts à son associé. De 1904 à 1907 il fut collaborateur de plusieurs journaux canadiens-français. En 1908 il fondait à Willimantic, Conn., la Liberté, un hebdomadaire illustré et de 16 pages, mais il dut bientôt en discontinuer la publication, à cause de la crise commerciale et industrielle qui persistait à battre son plein dans notre république.

Il faut ajouter à cet extrait du Guide Français de Fall-River, dont le professeur Dupuy lui-même fut le compilateur, que dans cette ville, dans le courant de l'année 1910 jusqu'au commencement de l'année 191 1, le professeur publia une petite feuille hebdomadaire inti- tulée également la Liberté, comme celle du Connecticut, mais beau- coup moins volumineuse.

JOSEPH-ARTHUR FAVREAU.

le 17 mai 1873 à Spencer, Mass. Peu après ses parents allèrent résider à Willimantic, Conn., il fréquenta l'école paroissiale, après quoi il étudia au Petit Séminaire de Ste-Marie de Monnoir à Marie- ville, P. Q. Il exerça pendant huit ans la profession de journaliste au service de L'Opinion Publique de Worcester, d'abord comme as- sistant rédacteur de 1894 à 1899, puis rédacteur en chef de 1899 à 1902. En cette dernière année il abandonna le journalisme pour en- trer dans le service civil, après avoir subi de brillants examens. Il fut nommé immédiatement inspecteur des succursales des postes à Boston, charge qu'il remplit depuis 1902.

M. Favreau est membre ou officier d'un grand nombre d'organisa- tions pour lesquelles son activité bien connue est un fort élément de progrès et de succès. Il a pris une part active dans tous les mouve- ments nationaux chez les nôtres depuis une quinzaine d'années. Son œuvre capitale dans ce domaine est d'avoir été l'organisateur et le secrétaire du Congrès Général des Canadiens-Français de la Nouvelle- Angleterre et de l'Etat de New-York, qui eut lieu à Springfield, Mass., en 1901 et qui réunit plus de 800 délégués. C'est ce qu'on a appelé le Congrès de Springfield, et ce fut le plus grand effort dans ce genre qui ait jamais été tenté par notre race aux Etats-Unis. Il fut vice-pré-

252 Histoire de la Presse Franco- Américaine

sident du comité républicain de la ville de Worcester en 1902; assis- tant secrétaire de la Société Historique Franco-Américaine, de 1899, année de la fondation de la société, jusqu'en 1905, et secrétaire depuis 1905. Il est l'auteur de La Grande Semaine, qui est une compilation des événements et des principaux discours lors des fêtes du Tricen- tenaire de la découverte du Lac Champlain (imprimerie de la Com- pagnie Belisle, Worcester, Mass., 1909) ; collaborateur à la Catholic Fortnightiy Review (Bridgeton, Missouri) ; Bulletin de la Société Historique Franco-Américaine (Boston, Mass.) ; Bulletin du Parler Français (Québec, Canada.) Il a aussi contribué à la Catholic Encyclopedia (Robert Appleton & Co., New-York,) volume VI, un article sur les catholiques français aux Etats-Unis. Membre de la Société Historique Franco-Américaine, Société du Parler Français au Canada, l'Union Saint-Jean-Baptiste d'Amérique, Association des Maîtres de Poste de la Nouvelle-Angleterre, Boston City Club, et Club Républicain Franco-Américain du Massachusetts.

CHARLES GIGAULT

M. Charles Gigault est le 18 mars 1846 à St-Mathias, comté de Rouville. Il a passé sa jeunesse à St-Césaire, fît ses études au collège de St-Hyacinthe. Plus tard il étudia la pharmacie chez le docteur St-Jacques; fut reçu pharmacien à Montréal puis demeura plusieurs années à la pharmacie St-Jacques. Plus tard il ouvrit une pharmacie à St-Césaire sous le nom de Gigault et Denis. De il partit pour Nashua, N.-H., et y demeura trois ans. En 1873 il vint à Worcester il fut pharmacien, puis il fonda le journal Le Bien Public; en même temps il fît cette fameuse préparation: "Le Confort des En- fants," qui est encore en vente. Un surcroit d'études et de travail lui ravit la santé. Il tomba malade. En 1883 il revint au Canada se mettre sous les soins de son vieil ami et patron, le Dr St-Jacques, mais il était trop tard. Une débilité générale le fît succomber et le treize décembre 1883 à l'hôtel Dieu de St-Hyacinthe, il fut appelé à comparaître devant le Juge Suprême. Il eut la consolation de mou- rir au milieu de sa famille.

CHARLES GUERIN.

Il a écrit lui-même ce qui suit:

Sorti du Séminaire de Québec en 1886, bachelier-ès-lettres, et

Silhouettes de journalistes 253

conséquemment ignorant comme une carpe, sans ressources néces- saires pour faire un cours ou un tour d'université, ayant usé tous mes pantalons à l'édifice voisin, je résolus d'en faire un aux Etats-Unis, histoire de me déniaiser.

J'avais un frère curé quelque part au Michigan, qui, ne sachant quoi faire de moi, me dit: "Tu vas faire un journaliste. Si tu es intelli- gent, tu réussiras; si tu ne l'es pas, eh bien, fais-toi maçon." Et il me mit à la tête d'un journal qui s'appelait L'Ouest Français. Heu- reusement, j'avais St-Pierre. Celui-ci me confia un article de tête pour mes débuts. Le misérable! Et vous corrigerez votre épreuve, ajouta-t-il. Corriger une épreuve? me dis-je. Qu'est-ce que c'est que ça? Et l'affaire mise en "galley," on m'apporta l'épreuve. J'étais tellement ému de me lire imprimé que je trouvai mes phrases su- blimes— Pas une faute. C'était beau ! Mais St-Pierre, naturellement froid, y trouva des nids de barbarismes, de fautes grossières. Je con- nus, ce jour-là, ce qu'était une épreuve, et je m'efforçai de m'amender. Resté seul à la tête du journal, sans expérience, sans argent, sans ami, je bûchai pendant onze mois et je finis par m'engloutir.

Quelques mois avant la fondation de ce journal, j'avais travaillé à la rédaction du Patriote de Bay City, le propriétaire me payait en compliments.

Je repartais quelques mois plus tard pour Lake Linden, Mich,, St-Pierre venait de fonder L'Union Franco-Américaine. Je restais seul directeur de cette feuille peu de mois plus tard, m'efforçant de faire aimer notre belle langue française, fustigeant avec indignation la "jeunesse" canadienne qui croyait faire acte de distinction en par- lant ou essayant de parler une langue qui n'était pas la sienne.

C'est lors de mon passage à Lake Linden que je connus le dévoue- ment des braves patriotes de l'Ouest. Joseph Grégoire, Joseph Croze, Pierre Primeau, le Rév. P. C. Ménard, aujourd'hui curé à Escanaba, m'offrirent le journal, m'abandonnant toutes les actions qu'ils avaient dans la compagnie dont ils étaient les directeurs. Mais il aurait fallu un peu de capital, et je n'en avais pas. J'acceptai de fonder, à St- Thomas de Montmagny, en 1891, la Sentinelle pour le compte de M. Choquette. Un an plus tard je me rendais à Fall-River, Mass., j'entrai à L'Indépendant; mais on me rappela à Montréal pour faire du journalisme à La Minerve je passai une couple d'années, pour entrer à la Presse. C'est à ce journal que je crois avoir dans la me-

254 Histoire de la Presse Franco-Américaine

sure de mes humbles talents, rendu peut-être le plus de service à mes amis franco-américains, grâce à la page de l'édition spéciale que nous publions pour nos abonnés des Etats-Unis. Une douzaine d'années plus tard, à la demande de quelques bons Acadiens, je fondais à New- castle, N.-B., la Justice. Je fus en but aux critiques acerbes de quel- ques curés irlandais qui me firent la guerre sous prétexte que j'écri- vais des articles séditieux, réclamant à coups de plume des curés aca- diens dans des paroisses exclusivement acadiennes et des évêques de langue française dans certains diocèses les quatre-cinquièmes des catholiques étaient et sont encore Acadiens.

Enfin je revins à la Presse. Aujourd'hui et depuis un an, au Canada.

CHARLES-C. GAUVIN.

Charles-Camille Gauvin, journaliste, fils de Charles-Henri Gau- vin et de Julie Bélanger, naquit à Ste-Rosalie le 29 septembre 1862. Il passa une année au collège de St-Césaire (1872-1873) et une année à l'Académie Girouard de St-Hyacinthe (1873-1874.) Dans l'au- tomne de 1874 M. Gauvin suivit sa famille à Woonsocket, R.-I. A peine âgé de 13 ans, il fut obligé de commencer à travailler dans une fabrique de coton et un an plus tard, en mai 1876, il devenait appren- ti-imprimeur dans l'atelier du Réveil, journal bi-hebdomadaire alors publié à Woonsocket, R.-I., par feu Nicolas Gaulin, avec feu M. Jo- seph-A. Daigneault, rédacteur.

Ce journal tomba après huit mois d'existence, et M. Gauvin fut successivement employé de manufactures et de magasins. En 1879, quand le Courrier de Woonsocket fut fondé par les frères Bélanger de Worcester, M. Gauvin entra à l'emploi de ce journal comme typo- graphe. Il passa quelques mois à Central Falls, coopérant avec M. Authier à la fondation du journal L'Espérance.

En janvier 1897, M. Gauvin devint gérant de la Tribune, journal français de Woonsocket, qui, sous sa direction, est devenu l'un des principaux journaux quotidiens de la Nouvelle-Angleterre. M. Gau- vin n'a jamais craint de défendre la cause franco-américaine avec sa plume et sa voix. Plusieurs de ses articles ont eu l'honneur de la re- production dans la presse américaine. En politique M. Gauvin était républicain et ses concitoyens l'ont élu pendant trois ans au conseil municipal de Woonsocket, 1894-95-96.

Silhouettes de journalistes 255

En 1902 il brigua les suffrages de ses concitoyens et il fut élu cette fois comme représentant à la législature de l'Etat du Rhode-Island, puis successivement réélu en 1903 et 1904. En 1905 il fut nommé par le gouverneur Utter membre de la commission pour la revision de la loi électorale de l'Etat du Rhode-Island.

Pendant une vingtaine d'années M. Gauvin a aussi pris une part active dans les sociétés canadiennes de sa ville. Il est membre-fon- dateur du Cercle National Dramatique de Woonsocket et de la So- ciété Historique Franco-Américaine de la Nouvelle-Angleterre.

En septembre 1901 M. Gauvin fut nommé Officier d'Académie par le gouvernement français.

Depuis 1901 M. Gauvin s'occupe d'assurance sur la vie et en mai 1906 il alla résider à Montréal il coopéra pour beaucoup à l'expan- sion de La Sauvegarde compagnie d'assurance canadienne-fran- çaise.

Marié à Nathalie-M. Lapierre en 1889, il est père de sept enfants vivants, quatre garçons et trois filles.

DR G.-T. LAMARCHE

Le Dr G.-T. Lamarche, qui publia le numéro-souvenir du Congrès de Springfield, en 1902, est à Saint-Vincent de Paul, P. Q., le 17 octobre 1863. Il fit ses études classiques au collège de Joliette. Reçu médecin en 1887, dix ans après, en 1897, il venait se fixer à Springfield, Massachusetts. Il est ancien président de l'Institut Médical de l'an- cienne école de médecine Victoria de Montréal.

BENJAMIN LENTHIER

Benjamin Lenthier est à Beauhamois, P. Q., le 12 février, 1846, du mariage de Benjamin Lenthier et de Félicité Faubert. Il fit ses études au collège de Beauharnois, P. Q. Il émigra aux Etats-Unis en 1867. Il vint s'établir à Glens Falls, N.-Y., il épousa Julie-A. Beaudette, fille de David et Marguerite Beaudette, le 17 avril 1870. De ce mariage, naquirent neuf enfants, dont un seul, Armand, est vivant. Il s'engagea dans le commerce de bois et fit de grandes entre- prises, dans lesquelles il employa, pendant quatorze ans, de 25 à 300 hommes continuellement à la coupe du bois.

256 Histoire de la Presse Franco- Américaine

Il entra dans le journalisme en 1879 et fonda, en société avec le Prof. J.-O.-D. de Bondy, alors de Glens Falls, N.-Y., le Drapeau National.

En 1883, il transporta les ateliers du Drapeau National à Platts- burgh, N.-Y., il en continua la publication comme journal hebdo- madaire. Ici il commença la publication du National comme journal bi-hebdomadaire.

En 1890 il déménagea les ateliers du National à Lowell.

En 1892, il publiait une quinzaine de journaux français dans la plupart des centres canadiens de la Nouvelle-Angleterre deux quo- tidiens et les autres, hebdomadaires et bi-hebdomadaires.

En 1893 le président Cleveland le nommait consul américain à Sherbrooke, P. Q.

A son retour du Canada, il accepta une position à l'agence des pensions du gouvernement des Etats-Unis, à Boston. Il eut aussi la direction, comme premier comptable, dans un des départements municipaux de la ville de Boston.

M. Lenthier s'est beaucoup occupé des conventions nationales des Canadiens-français des Etats-Unis. Il a assisté à presque toutes ces conventions nationales depuis 1874.

En 1875, il fut président de la convention générale des Canadiens- français des Etats-Unis, qui eut lieu à Glens Falls, N.-Y.

Comme président du comité exécutif, il fut chargé d'organiser la convention des Canadiens de l'Etat de New-York, tenue à Platts- burg, N.-Y., en 1883.

En politique, il a toujours été démocrate.

MAXIME LEPINE.

à l'Assomption, P. Q., le 8 juillet 186 1. Lorsqu'il avait 9 ans sa famille déménagea à Joliette. Il fît son cours commercial chez les Clercs de Saint-Viateur, et il fit son apprentisage de typographe à la Gazette de Joliette. En 1878 il prenait le chemin des Etats-Unis, se fixant d'abord à Worcester. Il se rendit plus tard à Lowell, où, en 1882, il travailla pour L'Abeille, feuille qui ne dura pas longtemps, mais qui a la distinction d'avoir été le premier quotidien canadien- français des Etats-Unis. En 1889 il forma une compagnie sous la raison sociale de Lépine et Cie pour la publication de L'Etoile et im- pressions de toutes sortes, en société avec Aimé Gauthier, Clovis Bé-

Silhouettes de journalistes 257

langer et Henry- J. Lanthier. En 1899 Frédéric Dupont acheta la part de M. Gauthier. En 1909 L'Etoile, avec son matériel, était ven- du à la compagnie de publication du Réveil, journal fondé spéciale- ment pour être l'organe de la New England Investment Co., une compagnie de placements canadienne-française qui eut dans le temps un grand retentissement. M. Lépine est membre de presque toutes les associations nationales de langue française à Lowell, notamment les Artisans Canadiens-Français, il a joué un rôle considérable.

DR. R.-G. JANSON-LAPALME.

Une des figures les plus marquantes parmi les Franco-américains de Lawrence, Mass., est celle du docteur Janson-LaPalme, qui a pris une part active à tous les mouvements qui se sont accomplis pour l'avancement de ses compatriotes. le 24 septembre 1852 à l'As- somption, il fit ses études classiques au collège de l'Assomption.

Il entra ensuite à l'Université Laval pour y étudier la médecine et fut gradué avec honneur en 1881.

Un an plus tard il s'établit à Westbrook, Me., puis au bout de 18 mois à Brunswick, Me. C'est en 1884 qu'il se fixa définitivement à Lawrence. Les soins d'une nombreuse clientèle absorbent une forte partie de son temps et attestent la confiance qu'inspire son habileté comme médecin.

Quoique peu mêlé à la politique active depuis qu'il demeure ici, le Dr Janson-LaPalme travaille de toutes ses forces et contribue de tous ses talents à augmenter l'influence des Canadiens à Lawrence. Cela ne l'empêche pas de s'intéresser à tout ce qui, de près ou de loin, touche à la patrie canadienne. Il y a quelques années une compagnie organisée par le Dr Janson-LaPalme dans le but de promouvoir la colonisation parmi les Canadiens de Lawrence, a obtenu un succès retentissant. Par malheur le gouvernement ne s'occupait pas alors comme aujourd'hui de cette œuvre capitale, et les magnifiques débuts de la campagne n'ont pas eu les suites qu'on pouvait en attendre.

Nature sympathique, cœur charitable sous un dehors un peu rude, notre compatriote s'est conquis le respect et l'estime de ses conci- toyens. Sa demeure sur la rue Haverhill est la scène de nombreuses fêtes intimes présidées avec infiniment de tact par Madame Janson- Lapalme et sa fille.

18

258 Histoire de la Presse Franco-Américaine

En 1898 le docteur Janson-Lapalme envahissait un champ nou- veau, celui du journalisme. Une imprimerie outillée au complet, No. 455 rue Common, fut depuis lors la place de publication du journal hebdomadaire le Progrès, qui appartenait autrefois à MM. Lépine et Cie, de Lowell, Mass. Dans ce journal, le premier de langue fran- çaise imprimé dans le comté d'Essex, le rédacteur-propriétaire s'est montré un digne défenseur de ses nationaux.

Pour cause de maladie, la publication du Progrès a disconti- nuer en 1908.

WILFRID-J. LESSARD.

Wilfrid-J. Lessard, rédacteur politique à L'Avenir National, est à Stanfold, P. Q., le 12 octobre 1882. Il a fait ses études à l'Aca- démie St- Augustin de Manchester, sa famille s'est fixée en 1889.

En 1898, il entrait à L'Avenir National, alors publié trois fois par semaine, en qualité de reporter. Depuis, il a toujours été attaché à la rédaction du même journal.

Ses articles exposant la situation politique des Franco-Américains à Manchester et dans le New-Hampshire ont eu un retentissement considérable au cours des récentes campagnes électorales.

M. Lessard a épousé, au mois d'août 1907, Mlle Adélia Turcotte, fille de M. E.-V. Turcotte, entrepreneur de pompes funèbres et mar- chand de charbon, l'un des hommes d'afïaires canadiens les plus con- sidérables de Manchester. L'année suivante M. et Mme Turcotte décédaient à un court intervalle.

M. Lessard est un studieux qui, depuis plusieurs années, trouve le moyen chaque jour de se dérober quelque temps aux travaux ardus du journalisme, pour étudier le droit. Il doit se présenter sous peu pour son admission au barreau du New-Hampshire. Mais on dit que sa qualité d'avocat pratiquant n'empêchera pas M. Lessard de con- server son poste à L'Avenir National, ses services sont si bien appréciés.

M. FRANCIS-ROBERT LEROUX.

M. Francis-Robert LeRoux naquit en Bretagne en 1858. A 18 ans, après de brillants examens, il entra à l'école militaire d'application de cavalerie (West Point en Amérique,) d'où il sortit deux ans plus tard dans les premiers numéros. Pendant près de deux ans, il fut attaché

Silhouettes de journalistes 259

au grand Etat-Major général, section de topographie, position qu'il quitta, sur sa demande, pour aller en Afrique, prendre part à la guerre de Tunisie. Il fit aussi partie, comme commandant en second, d'une colonne d'exploration dans l'extrême-Sud. Les maladies si communes dans le désert du Sahara l'obligèrent à renoncer à la carrière militaire et, en 1884, il vint aux Etats-Unis.

Ayant perdu une petite fortune dans la fameuse faillite de "Grant and Ward," il alla à Boston, comme professeur de français dans les écoles Berlitz, de à Washington, D. C, oiî il donna la première conférence qui ait jamais été donnée en français, dans la capitale des Etats-Unis. En 1885 il partit pour Minneapolis, Minn., il réside depuis plus de 25 ans. En 1886, il prit la rédaction de L'Echo de L'Ouest et la conserva pendant plus de dix ans. Comme journaliste il lutta énergiquement pour la conservation de la langue française dont l'existence était alors menacée dans le Nord-Ouest par une par- tie du haut clergé, américanisateur à outrance. Non moins énergique- ment, il s'opposa à la transformation des écoles paroissiales en écoles publiques. Dans les deux cas il obtint gain de cause. Ses articles sur ce double sujet firent sensation et furent reproduits par toute la presse canadienne-française du Canada et des Etats-Unis.

Républicain en politique, il prit part, comme orateur de langue française, à toutes les luttes électorales depuis 1886 et contribua, dans une large mesure, à faire connaître aux deux grands partis politiques, la force numérique du vote canadien-français dans le Minnesota. En 1886 il ne fît que six discours politiques; en i8g6 il en fît 48 devant autant de centres canadiens-français jusqu'alors inconnus. En igo8, il fut choisi par le comité national républicain de New-York comme orateur de langue française de tout le Nord-Ouest. Il est l'auteur de "Verbes irréguliers en quatre leçons," "Grammaire préparatoire pour les Collèges de l'Est," "Synonymes qui ne le sont pas," etc.

Pour le théâtre il a écrit, en français, "A Bon Chat, Bon Rat" et "Quiproquo," deux comédies en un acte qui furent jouées il y a quel- ques mois au théâtre français de Chicago; en anglais, "Father and Son," drame en 4 actes; "From Wall to Scepter," drame biblique en cinq actes; "Yolande de Femas," tragédie en 4 actes, et "Paying a Debt," comédie en un acte. M. LeRoux collabora en français à un des grands journaux de Paris et en anglais aux journaux et revues les plus importants du Nord-Ouest.

260 Histoire de la Presse Franco-Américaine

CHARLES LALIME.

M. Charles Lalime, de Boston, beau-frère de feu Ferdinand Ga- gnon, est un contemporain de celui-ci. Quelques mois après la mort de M. Gagnon, savoir en janvier 1887, le Travailleur passa aux mains de M. Charles Lalime qui l'administra pendant cinq ans, jusqu'en 1892, alors qu'il le vendit à Benjamin Lenthier. M. Lalime a tou- jours soutenu qu'il n'a pas vendu le Travailleur à Lenthier, mais à Josiah Quincy, le célèbre politicien démocrate. Quincy, comme nous l'avons vu, était le bailleur de fonds de Lenthier. Supposant que la vente du Travailleur ait été faite à Quincy, il n'en est pas moins vrai que Lenthier en était pratiquement le propriétaire, car pendant les quelques mois qu'il l'a possédé il l'imprimait à son établissement de Lowell, en percevait les revenus et en soldait les dépenses et lui don- na finalement le coup de mort quelque temps après la deuxième élec- tion de Cleveland à la présidence dans l'automne de 1892.

M. Charles Lalime est à Saint-Hyacinthe en 1844. Il fit son cours classique au séminaire de sa ville natale, et il étudia le droit cinq ans au bureau de MM. Bourgeois et Bachand à Saint-Hyacinthe. Il fut admis à la pratique du droit à Montréal en i858. Il exerça la profession d'avocat six mois à Saint-Hyacinthe, et ensuite à Percé, dans le comté de Gaspé, il demeura jusqu'au mois de janvier 1872. Au m.ois de mars il rendit visite chez ses frères à Worcester, et il s'y fixa. Il fut d'abord agent d'assurance pour la compagnie Union Mu- tual. En cette qualité il avait charge du département français comme agent général pour la Nouvelle-Angleterre. Il conserva cette position jusqu'en 1880. Avant cela, en 1874, dans le temps de la grande célébra- tion de la St- Je an-Baptiste à Montréal, il avait été nommé agent des voyageurs pour le chemin de fer Vermont Central, position qu'il occu- pa jusqu'en 1892, quand le Vermont Central passa sous le contrôle du Grand Tronc. De 1872 à 1874 M. Lalime fut aussi agent pour la vente des billets pour le chemin de fer Boston, Barre & Gardner. En 1875 il fut aussi nommé par le gouvernement du Canada, agent d'immigra- tion pour diriger des colons vers le Manitoba. Deux ou trois fois par année il conduisait des colons de la Nouvelle-Angleterre au Manitoba. En janvier 1887 il fit l'acquisition du Travailleur de la veuve de Ferdi- nand Gagnon et en fut l'éditeur-propriétaire jusqu'à ce qu'il le céda en 1892 à Benjamin Lenthier par l'intermédiaire de Josiah Quincy. Il quitta Worcester en 1899 et il se fixa à Boston il réside encore.

I.<^on Bossue dit LyonnE

J-A. Daigneault

F.-X. Belleau

Dr R.-G. Janson-LaPalme

Silhouettes de journalistes 261

M. Charles Lalime avait deux frères, Alfred et Eugène. Le pre- mier est décédé le douze avril 1909 à Worcester et le dernier mourut jeune, victime d'un accident, s'étant noyé dans le lac Cham- plain en 1882. Il avait aussi trois sœurs dont l'une fut l'épouse de feu Ferdinand Gagnon. M. Lalime a un garçon marié et quatre filles, aussi toutes mariées.

LEON BOSSUE DIT LYONNAIS.

Léon Bossue dit Lyonnais, le sujet de cette courte esquisse bio- graphique, est à Québec, Canada, le 12 septembre 1851. En 1865, à l'âge de 14 ans, il publia dans sa ville natale, son premier journal: le Littérateur Canadien. Ce minuscule journal, format 2x3 pouces, imprimé en caractères "Brillant," avait sa page d'annonces, etc., tout comme le grand journal. Il n'en fut publié qu'un seul numéro. C'é- tait une curiosité typographique qui lui a valu de chaudes félicitations de tous les points du pays et de l'étranger et ce qui a peut-être dé- terminé sa carrière.

En 1870, il publia à Biddeford, dans l'Etat du Maine, L'Emigré Canadien, le premier journal canadien-français, croyons-nous, publié dans cet Etat. Le premier numéro parut le ler mai 1870. Hebdoma- daire, il en est paru six numéros.

En 1871, il essaya de fonder à Boston, Mass., un journal organe des théâtres en langue anglaise; un numéro spécimen fut le seul qui parut.

En 1875, il publia, à St-Roch de Québec, le Journal de St-Roch, puis l'année suivante le Figaro, journal satirique.

Il entra ensuite à la rédaction de L'Evénement de Québec, puis à celle du Budget, d'où il sortit en 1880 pour aller fonder à Glens Falls, Etat de New-York, pour le compte de Messieurs de Bondy et Len- thier, le Drapeau National. Un an plus tard l'établissement fut trans- porté à Plattsburg, même Etat.

En 1883, il quitta l'administration et la rédaction de ce journal. Le premier mai 1884 il prit charge de la partie matérielle du Canadien des Etats-Unis, un journal que les Canadiens essayèrent de fonder à New-York et qui a vécu un an à peu près.

En 1887, le ler janvier, il fonda à New- York, à la suite d'une visite faite dans la métropole par les clubs de raquettes des différentes par- ties de la province, la Feuille d'Erable, publiée d'abord une fois par

262 Histoire de la Presse Franco- Américaine

mois en langue française et anglaise; puis une fois par semaine en langue française seulement. Ce journal a vécu cinq ans.

Le ler décembre 1898, il publia à West New Brighton, Staten Island, N.-Y., le Richmond Argus, un journal dévoué aux intérêts du parti républicain dans le comté de Richmond. Ce journal cessa de paraître le ler décembre 1903.

En février 1905, il publia à titre d'essai, le Canadien-Français. Ceux qui l'avaient encouragé dans cette entreprise, lâchèrent au der- nier moment et le journal n'eut que son numéro prospectus.

Le ler juillet 1906, il lança le Vétéran Fireman qui cessa de pa- raître le ler février 1908.

En outre de tous ces journaux, M. Bossue dit Lyonnais a été longtemps correspondant agrégé de L'Europe Artiste de Paris, et a correspondu à une foule de journaux canadiens et français du pays et de l'étranger.

M. Bossue dit Lyonnais est typographe de son état et a été beau- coup mêlé aux travaux des Canadiens aux Etats-Unis, il est pres- que universellement connu et par ses écrits, ses conférences et ses discours.

ADELARD-E. LAFOND.

Adélard-E. Lafond, dont il a été assez longuement question au chapitre des journaux de Fall-River, est à Saint-Georges d'Henry- ville, P. Q., le 3 août 1870. Il fît ses études au collège Ste-Marie de Monnoir jusqu'en rhétorique inclusivement. Il fît sa philosophie chez les Jésuites à Montréal et commença à étudier le droit au bureau de Roy et Roy, qu'il abandonna aussitôt pour prendre le chemin des Etats-Unis. A l'âge de 21 ans, avec toute l'ardeur et l'ambition de la prime jeunesse, il arrivait à Fall-River, bien décidé à se faire un che- min dans la vie. C'était au mois de novembre 1891. Benjamin Len- thier, ayant alors besoin d'un agent pour le représenter à Fall-River pour le Protecteur Canadien, alors imprimé à son établissement du National à Lov^^ell, il saisit cette occasion pour se lancer dans la car- rière du journalisme.

Au printemps de 1894, à la chute du National, il continua à publier le Protecteur Canadien à son compte, l'imprimant à Fall-River peu de temps après, comme journal quotidien, après avoir acheté un ma- tériel et engagé un personnel de rédaction et d'atelier, en partie com- posé d'anciens employés du National. Au printemps de l'année sui-

Silhouettes de journalistes , 263

vante, le Protecteur Canadien tomba à son tour et, après avoir été sonder le terrain à Woonsocket où, dans le temps, il n'y avait pas de journal, il résolut de tenter une deuxième fois une entreprise hérissée de tant de difficultés la fondation d'un journal. Réussissant à vain- cre tous les obstacles, il fonda la Tribune, dont le premier numéro parut le 5 avril 1895. C'est le seul journal existant aujourd'hui ayant la distinction d'avoir été quotidien depuis le premier numéro.

Un beau matin du mois de septembre 1896, soit exactement le 12, M. Lafond, comme il le dit lui-même, se réveilla ''ex-propriétaire et fondateur de la Tribune." C'est-à-dire que M. Lafond avait eu le même sort que son ancien patron, Benjamin Lenthier. Un syndicat de capitalistes canadiens continua la publication de la Tribune.

Après la perte de son journal, M. Lafond voyagea de place en place, se livrant à diverses industries, notamment les assurances sur la vie, au Canada et aux Etats-Unis. Vers 1904 ou 1905, nous le trouvons pendant quelque temps à Manchester, N.-H. Aujourd'hui son domicile est à Montréal.

Un an après son arrivée à Fall-River, M. Lafond épousait Mlle Ma- rie-Louise Chagnon, fille du Dr J.-B. Chagnon, l'un des médecins les plus célèbres de Fall-River et le premier médecin canadien qui s'éta- blit en cette ville, et de cette union sont nés deux enfants.

J.-L.-K. LAFLAMME.

J.-Léon-Kemner Lafîamme, aujourd'hui directeur de la Revue Franco-Américaine de Québec, est à Ste-Marguerite, comté de Dorchester, le 29 août 1872. Il fit ses études classiques au Petit Sé- minaire de Québec qu'il termina en 1894 et d'où il sortit avec le degré de bachelier ès-arts de l'Université Laval. Il alla alors rejoindre sa famille établie à Lewiston, Me., et y demeurant encore présentement.

C'est ici, à Lewiston, que M. Lafîamme fit ses premières armes dans le journalisme. En 1895 il était rédacteur du Messager de cette ville, puis, à la fin de l'année suivante, M. J.-B, Rouillard étant arrivé à Lewiston pour y fonder la République, il en fut le rédacteur du- rant toute l'existence éphémère de ce journal. C'était le premier et l'unique journal quotidien qu'il y ait jamais eu dans le Maine. Le premier numéro de la République parut le 29 décembre 1896.

Après la chute de la République M. Laflamme déménagea à Fall- River, il entra dans le courant de l'année 1897, à la rédaction de

264 Histoire de la Presse Franco-Américaine

L'Indépendant comme chef du service des nouvelles. Au bout de trois ans, en igoo, M. Edmond Côté ayant fondé le Journal, une feuille quotidienne, afin d'avoir un organe dévoué aux intérêts de sa candidature à la mairie, M. Laflamme, dont le talent d'écrivain était bien connu, était tout désigné pour en être le rédacteur. Le premier numéro du Journal sortit le 30 juin 1900 et dura jusqu'en janvier igoi.

Le Journal étant tombé, M. Laflamme ne resta pas longtemps in- actif et il lui fut offert le poste de rédacteur en chef de la Tribune de Woonsocket, R.-I. C'est à ce journal qu'il donna libre carrière à l'ex- pression de ses idées. Pour les questions religieuses et nationales il avait carte blanche et il en profitait largement. Ce n'est pas qu'il écrivait souvent. Ses articles étaient même parfois assez espacés, mais quand il écrivait on le savait, car s'étant arrogé le droit de faire du journalisme personnel, il signait invariablement tous ses articles. La spécialité de Laflamme dans la Tribune était la défense des droits de la langue française à l'église et à l'école, la campagne en faveur de nos sociétés nationales et la guerre aux sociétés neutres et parfois aux sociétés prétendues catholiques de langue anglaise comme les Knights of Colum^bus. Sur ces questions il n'était généralement pas contredit par ses confrères de la presse franco-américaine. Il y eut une circonstance mémorable cependant il soutint une violente polémique avec le rédacteur de L'Indépendant, c'est ce qu'on a ap- pelé en 1906 "l'incident de Fall-River," qui surgit à propos de la dé- dicace de l'église Ste-Anne de Fall-River, et figuraient au premier plan Mgr Stang, alors évêque de Fall-River, et le Rév. P. Grolleau, qui était aussi alors le curé de la paroisse Ste-Anne. C'est L'Opinion Publique de Worcester, alors rédigé par Bruno Wilson, qui avait mis le feu à la poudre en dénonçant, dans un violent article, un prétendu attentat aux droits de la langue française. Laflamme, s'emparant de cet incident, tira à boulets rouges sur le rédacteur de L'Indépendant, son ancien collègue et chef de file, et celui-ci, comme bien on pense, n'était pas homme à se laisser abîmer sans riposter sur le mêm.e ton. Ce fut pendant quelque temps une lutte homérique qui a fait époque dans les annales de la presse franco-américaine. Puis tout rentra dans l'ordre quand les esprits se furent apaisés.

En juillet 1907, M. Laflamme quittait la rédaction de la Tribune pour aller demeurer à Québec, le poste de rédacteur en chef du

Silhouettes de journalistes 265

nouveau journal L'Action Sociale, qui devait paraître au mois de dé- cembre suivant, lui avait été offert. L'Action Sociale est le grand journal catholique, organe de l'Action Sociale Catholique, institution fondée par Mgr L.-N. Bégin, archevêque de Québec. Avant son départ ses amis de Woonsocket lui offrirent une bourse bien garnie, comme témoignage d'estime et d'amitié.

Pendant qu'il était encore rédacteur de L'Action Sociale, M. La- flamme, avec le concours de M. J.-A. Lefebvre, fonda le ler avril 1908 la Revue Franco-Américaine, dont il est actuellement le directeur. Dans l'automne de 1909 il abandonna L'Action Sociale pour se con- sacrer exclusivement, en fait de journalisme, à sa revue. La mission spéciale de la Revue Franco-Américaine est la défense des intérêts généraux des catholiques canadiens-français d'Amérique. C'est une publication illustrée de tout premier ordre d'environ 100 pages, vi- goureuse, indépendante, souvent agressive, qui prend vaillamment sa place parmi les meilleurs périodiques du Canada et des Etats- Unis.

M. Laflamme est essentiellement un journaliste franco-américain. Passionnément dévoué à l'œuvre nationale, il a donné au mouvement franco-américain une impulsion puissante. Il a pris une part active au Congrès de Springfield, il prononça un discours très pratique sur l'éducation technique, discours qui attira des éloges chaleureux des deux côtés de la frontière.

Il a fait une spécialité des questions de mutualité et a livré des luttes mémorables en faveur de nos sociétés nationales. Il s'est mon- tré le partisan irréductible de la concentration des forces nationales dans toutes les sphères: sociétés, écoles paroissiales, clergé national, etc.

Il a soutenu des polémiques demeurées célèbres sur les questions d'organisation nationale: sociétés neutres, évêchés de Portland et de Manchester, etc.

Il a été un des plus dévoués et des plus fermes soutiens de l'Union Saint-Jean-Baptiste d'Amérique dans laquelle il voyait une arme puis- sante d'action sociale et patriotique pour les Franco- Américains.

Ses articles sur les sociétés et les droits de la langue française ont contribué dans une large mesure au mouvement de sécession qui a abouti à la fondation de l'Ordre des Forestiers Franco-Américains.

M. Laflamme fut le fondateur et premier président de l'Associa-

266 Histoire de la Presse Franco- Américaine

tion des Journalistes Franco-Américains de la Nouvelle-Angleterre.

En mars 1905, il alla en mission auprès du Délégué Apostolique à Washington, avec le Rév. F.-X. Chagnon de Champlain, N.-Y., et le Rév. E.-C. Laramée de Redford, N.-Y.

Il fut le premier secrétaire de la Société Franco-Américaine du Denier de St-Pierre.

Il a collaboré à la Revue Canadienne de Montréal pendant deux ans (1900-1901) dans une série d'articles sur "Les Canadiens des Etats-Unis."

Il a préparé avec MM. Favreau et Lavigne une étude historique, French Catholics in the United States, pour la Catholic Encyclopedia.

Comme on peut bien penser, un adversaire aussi irréductible des sociétés neutres ne doit être affilié à aucune d'elles. M. Laflamme est membre de trois sociétés de secours mutuel canadiennes-françaises: l'Union Saint-Jean-Baptiste d'Amérique, l'Association Canado-Amé- ricaine et l'Alliance Nationale. Les deux premières sont des sociétés des Etats-Unis et l'autre est une société du Canada.

J.-G. LEBOUTILLIER.

Jean-Georges LeBoutillier naquit à Percé, comté de Gaspé, le 22 septembre 1859, du mariage de Georges LeBoutillier, percepteur des douanes de sa majesté et arpenteur provincial, et de dame Joséphine Tremblay. Il est le petit-fils de feu l'Honorable John LeBoutillier, natif de l'île de Jersey, longtemps député au parlement du Bas-Cana- da pour le comté de Gaspé et conseiller législatif à la Confédération en 1867. Entré au Petit Séminaire de Québec en 1871, il y fît son cours classique, après quoi il étudia le droit à l'Université Laval de Québec. Admis à l'étude du droit à l'âge de 18 ans, il sortait de l'u- niversité quatre ans plus tard avec le titre de bachelier en droit. Il était admis au barreau de la province de Québec le 12 juillet 1882 à Trois-Rivières. Il pratiqua la profession d'avocat pendant huit ans sur la côte de Gaspé et aux Iles de la Madeleine. Le 2 octobre 1888, en l'église Saint-Roch de Québec, il épousait demoiselle Marie-Renée Lemieux, fîlle de Pierre Lemieux, pilote, et de dame Hermine Ménard.

Dès avant sa venue aux Etats-Unis, M. LeBoutillier écrivait dans les journaux. A part quelques poésies, notamment dans la Revue Canadienne, il écrivit dans la Justice de Québec, alors organe du parti national, une série de "Chroniques Gaspésiennes." Au cours de ces

Silhouettes de journalistes 267

chroniques il avait fait l'histoire des naufrages les plus célèbres qui avaient eu lieu dans les eaux du golfe Saint-Laurent depuis cinquante ans. Il a fait le récit de sombres drames de la mer dont le souvenir s'était transmis par la tradition parmi la rude population de pêcheurs canadiens et acadiens.

Au mois d'octobre 1890, M. LeBoutillier passait aux Etats-Unis, se fixant à Cohoes, N.-Y., il habita près de trois ans. La Patrie, le journal fondé par J.-M. Authier, paraissait encore et était la pro- priété de M. l'abbé L.-M. Dugas, curé de la paroisse Saint-Joseph. J.-D, Montmarquet administrateur. Les premiers mois de son séjour à Cohoes il collabora à la Patrie, après quoi le journal tomba défini- tivement au printemps de 1891. A Cohoes il s'occupa d'affaires lé- gales et d'assurances sur la vie. Dans l'été de 1892 M. Benjamin Lenthier le nommait son agent pour le journal qu'il était venu fonder à Cohoes, le Ralliement, à l'instar de plusieurs autres journaux du- rant cette fameuse campagne politique qui se termina par l'élection de M. Cleveland. Les choses étaient faites royalement. M. Lenthier avait loué et meublé un bureau dans la principale rue de la ville. Pen- dant cette campagne électorale M. LeBoutillier avait organisé un club démocratique, composé de quelques-uns des principaux citoyens canadiens de Cohoes.

Après l'élection de novembre 1892, la plupart des journaux polo- tiques de Benjamin Lenthier disparurent, mais M. LeBoutillier con- tinua le Ralliement encore quelques mois à son compte, ayant une clientèle d'annonceurs à Cohoes et à Troy.

Au mois de juillet 1893 M. Lenthier l'invitait à venir à Lowell comme assistant rédacteur au National. Son séjour dans cette ville ne fut pas long. A son arrivée le National était déjà moribond, cir- constance qu'il ignorait entièrement avant son départ de Cohoes. Au mois de mars 1894, après la chute du National, il fut engagé par Adélard-E. Lafond, de Fall-River, comme co-rédacteur au Protecteur Canadien, avec Olivar Asselin, journal qui tomba au printemps de 1895.

Au mois de juillet 1895 il était nommé agent de la Presse de Mont- réal pour la ville de Fall-River. Il agissait en même temps comme correspondant de ce journal. Dans l'hiver de 1897-98 de sérieux trou- bles ouvriers éclatèrent simultanément dans différents centres manu- facturiers de coton de la Nouvelle-Angleterre, mais plus particulière-

268 Histoire de la Presse Franco-Américaine

ment à Fall-River, New-Bedford et à Biddeford dans le Maine. Dans ces trois villes pratiquement toutes les filatures de coton étaient fer- mées en raison de la grève. Les circonstances étaient graves. La Presse chargea son correspondant de Fall-River de donner un compte rendu aussi exact que possible de la situation, sans préjugés et d'une façon indépendante, afin de rendre justice également aux deux parties en conflit. Fall-River avait connu déjà de mémorables conflits ou- vriers; le plus grand nombre avaient été désastreux pour les patrons comme pour les employés, mais principalement pour ces derniers.

Quand les troubles furent terminés, M. LeBoutillier avait aussi terminé sa série d'articles sur l'histoire du mouvement ouvrier dans la région de Fall-River. Et à propos d'une contradiction sur un fait relatif à la reprise du travail de la part de L'Indépendant, la Presse s'exprimait ainsi: "Jusqu'à la réouverture des filatures de New-Bed- ford, lundi le ii du courant, notre correspondant spécial de Fall-River, M. J.-G. LeBoutillier, que L'Indépendant doit connaître, a donné sur la grève de la Nouvelle-Angleterre, la plus impartiale et la plus com- plète revue statistique et critique qui pouvait être faite. Jamais le mouvement ouvrier de cette région n'a été mieux étudié, jamais la cause ouvrière n'a été mieux plaidée."

A la date du ii mars 1898 la Presse publiait l'appréciation sui- vante des écrits de M. LeBoutillier durant les troubles:

"Avec la grève, qui finit virtuellement aujourd'hui, dans la Nou- velle-Angleterre, nous publions la dernière étude de notre correspon- dant de Fall-River, sur le mouvement ouvrier, parmi cette population, dont nos compatriotes forment la grande partie.

"Ces études suivies, depuis le 25 janvier dernier, soit depuis le commencement de la grève, dont la proclamation efîective a eu lieu, le 17 de ce mois, forment l'historique complet des phases par les- quelles l'industrie textile du nord a passé, chez nos voisins.

"La leçon, qui ressort de ces malheureux troubles, c'est que, dans l'antagonisme du travail et du capital, le capital organisé est prati- quement invincible, et que jusqu'à ce que les conditions soient chan- gées par la législation ou par une plus puissante et plus parfaite or- ganisation du travail, celui-ci sortira toujours de ces conflits, amoin- dri, dans son pouvoir et dans ses moyens.

"Malgré tout, malgré cette nouvelle défaite, les ouvriers de la Nouvelle-Angleterre ont tiré de l'épreuve des enseignements d'une

Silhouettes de journalistes 269

bien grande utilité pour l'avenir; le principal, c'est que plus que jamais, à l'organisation des patrons, ils doivent opposer l'organisation du travail, une organisation efficace, consciente et non seulement sou- tenue par les fonds volontaires, mais par une universelle entente et l'exercice concerté du suffrage.

"En toute justice, nous devons reconnaître que notre correspon- dant, M. J.-G. LeBoutillier, a fourni à l'histoire des grèves de la Nouvelle-Angleterre, des données d'une précieuse valeur, par l'ex- posé raisonné des causes, et par ses observations aussi judicieuses que modérées et impartiales."

M. LeBoutillier continua à représenter la Presse à Fall-River avec succès jusqu'en l'année igoo. A la suite d'intrigues habilement ourdies et exécutées de longue main, grâce à une complicité com- plaisante, il se vit un bon jour dépossédé de sa position d'agent de la Presse. C'est l'un de ces incidents de la vie intime d'un homme qui n'ont aucune portée générale, mais causent momentanément une blessure d'autant plus cuisante qu'elle est imméritée et qu'elle pro- vient d'intrigants qui ne se font aucun scrupule d'arriver à leurs des- seins en commettant une injustice. A la fin du mois d'août igoi, il quittait Fall-River pour prendre la rédaction de L'Avenir National à Manchester, N. H., après avoir vendu une maison qu'il avait ache- tée deux ans auparavant.

L'entrée de M. LeBoutillier à L'Avenir National coïncidait pres- que avec le célèbre Congrès de Springfîeld. Il écrivit sur le pro- gramme du congrès un long article qui fut reproduit par plusieurs journaux, entre autres la Patrie de Montréal, qui l'accompagna d'il- lustrations. Pendant son passage à L'Avenir National M. LeBou- tillier donna une attention soutenue aux questions religieuses et na- tionales et il s'efforça de les traiter avec prudence et modération, mais aussi avec fermeté et vigueur, ayant soin d'éviter les violences inutiles et les appels aux passions ou aux préjugés. Il a aussi beau- coup écrit sur les questions de mutualité. Pendant deux ans, de 1905 à 1907, il écrivait chaque semaine un article sur la mutualité dans le Canado- Américain, organe de l'Association Canado-Amé- ricaine, lequel article paraissait aussi dans L'Avenir National. Na- turellement le thème qu'il a développé comportait une grande exten- sion et il ne perdit pas occasion de détourner les nôtres des sociétés neutres. Il fît une campagne ardente contre les Forestiers d'Ame-

270 Histoire de la Presse Franco- Américaine

rique, quand cette société décréta l'abolition de l'usage du français dans les cours de langue française. C'est à la suite de ses articles sur le sujet que le mouvement de sécession fut exécuté à Manches- ter.

A la fin d'avril 1907, M, LeBoutillier donna sa démission pour aller prendre la position de rédacteur en chef de L'Opinion Publique à Worcester. Au cours de ces quatre années de service au journal de la compagnie Belisle, il publia de temps à autre des articles qui eurent du retentissement, comme la défense des droits du français dans les écoles soutenues par les nôtres, les affaires de la New England Investment Co., les troubles de l'Union Saint-Jean-Baptiste, etc. En différentes circonstances des appréciations favorables se sont ma- nifestées de la part d'amis du journal au sujet de son attitude. C'est ainsi que M. Charles Lalime, de Boston, écrivait récemment, au cours d'une lettre à l'auteur de ce livre: "Je reçois plusieurs journaux... De tous, votre journal est mon favori: la rédaction en est soignée et votre attitude sur nos questions nationales est sans reproches."

M. et Mme LeBoutillier ont eu neuf enfants, dont huit sont vivants, tous nés aux Etats-Unis, sauf l'aînée, Mlle Corinne, qui vint au monde sur les Iles de la Madeleine. 1

DR JEAN-F. LANDRY.

Le Dr J.-F. Landry est un autre de ces patriotes de l'Ouest qui ont tenu haut et ferme le drapeau de la nationalité au milieu des élé- ments hétérogènes disséminés dans les vastes étendues des plaines de l'Ouest. Aussi faut-il dire qu'il est issu de cette forte et généreuse race acadienne de la Baie des Chaleurs qui a produit de si remar- quables sujets pour l'Eglise et l'Etat. Il est à Carleton, comté de Bonaventure, sur les bords enchanteurs de cette magnifique Baie des Chaleurs, le 31 janvier 1856. Il fit ses études classiques au Séminaire de Québec de 1868 à 1876. A la fin de son cours classique il remporta le Prix du Prince de Galles et la Médaille Dufferin. A sa sortie du séminaire il étudia la médecine à l'Université Laval de Québec, de 1876 à 1880, sortant de l'université avec le degré de docteur en méde- cine. Il pratiqua d'abord au Manitoba jusqu'en 1882, alors qu'il tra-

1. Quelque temps avant l'impression de ce livre, M. LeBoutillier sortait de la rédac- tion de "L'Opinion Publique" pour retourner à son ancien poste à "L'Avenir National" de Manchester, N.-H.

Silhouettes de journalistes 271

versa la frontière pour aller s'établir à Crookton, Minnesota, il se maria le 15 mai 1883. Depuis ce temps il a exercé sa profession en différentes parties de l'Etat du Minnesota.

Le Dr Landry a passé les années de 1889 à 1897 à Duluth, Du- rant ce temps il fut l'un des fondateurs du Courrier de Duluth en 1890 et de la Voix du Lac en 1892. Ce journal fut ensuite vendu à T.-F.-X. Beaudet, du Canadien de Saint-Paul. Finalement, la Voix du Lac eut le sort commun et finit par disparaître. 1 II alla ensuite s'établir à Osseo en 1898 et à Minneapolis en 1903, qu'il habite en- core présentement. Depuis qu'il est à Minneapolis, le Dr Landry s'est occupé du traitement des maladies chroniques et de dermatolo- gie. Il est présentement encore dans la pratique active comme spé- cialiste, et sa pratique s'étend aux différentes villes de l'Etat qu'il visite régulièrement.

J.-B.-L. LEMOINE.

Parmi ceux de nos compatriotes qui se sont le plus illustrés dans l'Ouest, est Jean-Baptiste-Laurent Lemoine, que notre journalisme réclame aussi comme l'un des siens. Il naquit à Montréal le 19 jan- vier 182 1, du mariage de sieur Joseph Lemoine et dame Julie-Victoire Franchère. Dès son jeune âge il montra un grand penchant vers l'é- tude, et ses parents le mirent au séminaire de Saint-Hyacinthe, oii il eut comme camarades plusieurs hommes qui furent éminents par la suite, entre autres l'illustre évêque Taché du Manitoba. Il était aussi le cousin de sir Georges-Etienne Cartier.

A peine âgé de 17 ans le goût des voyages s'empara de lui, vou- lant voir du pays. Peut-être aussi était-il poussé vers ces idées par la situation politique de cette époque tourmentée du Bas-Canada. Toujours est-il qu'en 1838 il s'embarqua sur un balenier dans lequel il passa près de trois ans. Il retourna au Canada son esprit voya- geur le reprit en 1842. Il se rendit à Milwaukee, il entra au service du célèbre Solomon Juneau, fondateur de cette ville du Wisconsin, aujourd'hui l'une des grandes cités de l'Union américaine. Il par- courut subséquemment une grande partie du Wisconsin, après quoi, avant que l'année fut écoulée, il se rendit à Chicago, qui était alors qu'une ville naissante. Plus tard il alla habiter Ste-Anne, dans le

1. M. Beaudet fut alors nommé agent d'immigration du g-ouvernement américain & Vancouver, Coiombie Anglaise, poste qu'il occupe encore actuellement.

272 Histoire de la Presse Franco-Américaine

même Etat de l'Illinois, avec sa première femme, Herminie Des- champs, qu'il avait épousée au Canada. A Ste-Anne il ouvrit un ma- gasin général ; il y fut le premier maître de poste. Il était aussi com- missaire du gouvernement et il fut élu "supervisor" et juge de paix plusieurs années. En 1862 il perdit sa femme, lui laissant quatre filles.

En 1864 M. Lemoine convola en secondes noces avec Lucie Lusi- gnan, veuve du Dr Graham Marr, qui ne lui donna qu'un fîls, Alfred- John. Il demeurait alors à Kankakee, 111., il pratiquait la loi et fut aussi juge de paix pendant plusieurs années. En 1873 il alla s'é- tablir définitivement à Chicago et il fonda son journal, L'Union Franco-Américaine. Il employa toute son énergie pour le succès de ce journal et il montra dans ses articles un jugement sûr et de grands talents, ne se laissant jamais abattre par le découragement. Plus tard il dirigea le Catholic Home, dans les colonnes duquel il déploya ses grandes qualités de catholique convaincu.

M. Lemoine prit une part des plus actives dans l'organisation de l'ordre des Forestiers Catholiques. Il fut élu le premier grand vice- chef ranger de la Haute Cour. A lui seul il établit plus de cinquante cours, et c'était avec une légitime fierté qu'il portait la médaille d'or d'honneur dont l'ordre l'avait décoré. En politique il était démocrate ardent, et jusqu'à la fin de ses jours il ne manqua jamais de voter pour les candidats de son parti. Il mourut, dans les sentiments chré- tiens qui ont caractérisé sa longue carrière, le 19 février 191 1, à l'âge avancée de 90 ans et un mois chez son fils unique, Alfred-J. Lemoine, à Waupun, Wisconsin.

J.-TELESPHORE LORD.

en 1877 à Yamachiche, fils de Louis-Adolphe Lord, notaire, agent des terres de la Couronne à Trois-Rivières, et de dame Anaïs Jalbert. M. Lord fit ses études à l'académie de son village natal et au séminaire des Trois-Rivières, puis suivit un cours privé à Montréal. En 1900 il se rendit à Woonsocket dans le Rhode-Island, puis il se fixa à Nashua, New-Hampshire ; en 1903 il alla demeurer à Worcester oii il épousa en 1904 Mlle Joséphine Fournier et en 1907, au mois d'a- vril, il fondait en cette dernière ville un journal quotidien du matin, le seul qui ait existé dans la Nouvelle-Angleterre. Le Canadien-

Silhouettes de journalistes 273

Américain, tel était le nom de cette feuille, disparut après la publica- tion de son quinzière numéro. M. Lord est père de deux enfants.

JOSEPH LUSSIER.

M. Joseph Lussier, propriétaire et rédacteur de la Justice de Holyoke, est à Saint-Mathias, comté de Rouville, en 1872. Il fît son cours classique au Petit Séminaire de Ste-Marie de Monnoir. Il étudia le droit, fut reçu avocat et a pratiqué à Montréal avec D.-R. Murphy et F.-X. Roy, sous la raison sociale de Murphy, Lussier et Roy, pendant six ans.

Etant passé aux Etats-Unis en 1902 pour se reposer, il prit un grand intérêt à ce pays et aux nôtres, qui forment un élément si im- portant de la population. Il résolut donc de se fixer à Holyoke oii il se trouvait. Le journalisme l'attirait, y voyant un moyen de se rendre utile à notre élément en ce pays. C'est avec cette idée qu'il fît, en avril 1909, l'acquisition de la Justice, qui existait depuis 1904.

DR C.-J. LECLAIRE.

Le Dr C.-J. Leclaire de Danielson, Connecticut, fut un ardent patriote, qui eut des démêlés retentissants avec son évêque, feu Mgr Tierney du diocèse de Hartford, sur la question da langue. Il ne fît pas de legs en argent, mais avant de mourir, encore dans toute la force de l'âge, il laissa sur la terre une épouse et huit enfants. Le premier avril 1909, jour de sa mort, L'Opinion Publique de Worcester publiait à l'adresse du défunt un article ému, dont voici des extraits:

Le docteur Charles-J. Leclaire était âgé à peine de 46 ans, ayant vu le jour le 6 mai 1863 à Saint-Louis de Gonzague, comté de Beau- hamois, fîls aîné issu du mariage de feu le docteur C.-J. Leclaire et de Marie Berthelot. Du côté de sa mère il était allié aux familles Beaudry, Berthelot et Desjardins de Montréal. Il fît ses études clas- siques au petit séminaire de Sainte-Thérèse de Blainville, après quoi il étudia la médecine à l'école de médecine Victoria de Montréal, d'où il sortit avec le diplôme de médecin en 1887.

L'année suivante le jeune médecin venait se fîxer à Danielson qu'il a toujours habité depuis et il ne tarda pas à se faire une clien- tèle abondante. En 1890 il épousa Mlle Emma Bédard, de Helena,, Montana.

19

274 Histoire de la Presse Franco-Américaine

Dans une brochure publiée il y a dix ans aux ateliers de L'Opi- nion Publique sur les Congrès Nationaux du Connecticut, nous trou- vons ce paragraphe à l'adresse du Dr Leclaire :

"Les difficultés qu'éprouvent nos compatriotes de Danielson à faire enseigner le français dans les écoles soutenues de leurs deniers et à obtenir un curé de leur nationalité, ont fourni au Dr Leclaire l'occa- sion de faire valoir les qualités dont il est doué, et qui le rendent bien apte à remplir le rôle difficile que ses compagnons de bataille lui ont confié."

Le défunt était réellement un champion des droits de sa race aux Etats-Unis ; dans ses luttes contre son Ordinaire sur la question natio- nale il a pu dépasser les justes bornes de la modération et de la dé- férence, mais cela était plutôt une conséquence de son tempérament qui le portait à embrasser avec ardeur toutes les causes nobles et justes, et dans son estime nulle cause n'était plus digne que celle qui avait pour objet la reconnaissance du principe des droits des natio- nalités à leur langue dans l'Eglise. Sur cette question le Dr Leclaire ne transigeait jamais et on l'a toujours trouvé irréductible.

Il ne recherchait cependant pas pour lui-même les honneurs po- litiques, car il ne fut que commissaire des écoles, mais son activité s'exerçait surtout à aider ses compatriotes dans toute la mesure de ses capacités et de son influence. A cet égard c'était un cœur large- ment ouvert, ne marchandant jamais ses peines et toujours prêt à payer de sa personne chaque fois que son concours était désiré quelque part.

Il avait particulièrement des principes rigides sur la question des sociétés: il était un pilier de nos sociétés nationales, particulièrement de l'Union Saint-Jean-Baptiste d'Amérique dont il était un des mem- bres les plus marquants. C'est dire qu'il combattait à outrance, cha- que fois que l'occasion s'en présentait, pour induire nos compatriotes à se tenir éloignés des sociétés neutres de langue anglaise, il voyait pour eux un danger pour la langue et la religion. Il formait aussi partie des sociétés nationales de Williamsville, Danielson et Wauregan. Il était l'un des membres les plus en vue du Comité Permanent, nommé au Congrès de Springfield, dont il était le secré- taire.

Avant de mourir le Dr Leclaire a fait don à la bibliothèque de l'Union Saint- Jean-Baptiste des manuscrits et imprimés qui renfer-

Silhouettes de journalistes 275

ment l'historique complet des troubles de Danielson et de North Brookfield, les plaidoyers de M. l'abbé Proulx et de Mgr Racine, les rapports de toutes les conventions du Connecticut, auxquelles il s'est trouvé mêlé, et quantité d'autres travaux historiques.

Enfin le Dr Leclaire s'est distingué par ses contributions à nos jour- naux franco-américains. Nos lecteurs se rappelleront sans doute ces écrits signés "Jean-Louis" qui paraissaient de temps à autre dans ce journal jusqu'à il y a quelques mois, et qui étaient d'une lecture si agréable et si originale. Pendant bien des années il a ainsi collaboré à L'Opinion Publique, à L'Indépendant et à la Tribune.

Dr OMER LARUE.

Médecin et chirurgien, est à Saint-Denis, P. Q., le 14 mars 1849. Il entra, en 1860, au collège de Saint-Hyacinthe et y fit un cour brillant. Il étudia ensuite la médecine à l'Université Victoria, à Montréal, d'où il sortit en 1872 avec le titre de docteur en médecine, et vint s'établir à Putnam, Connecticut, il a toujours résidé depuis, moins six mois qu'il a passés à Worcester, Massachusetts, en 1875. En 1878 il épousa Mlle Hermine David, fille du docteur Samuel David, de Saint-Ours, qui est décédée en janvier 1898, laissant sept enfants pour la pleurer. M. le docteur Larue est un habile médecin, sa nombreuse clientèle en fait foi ; mais il est aussi écrivain et orateur distingué. Il a longtemps collaboré au Travailleur de Worcester, dont le regretté fondateur, Ferdinand Gagnon, le tenait en haute esti- me. Le docteur Larue a été pendant plusieurs années président de la Société St- Jean-Baptiste de Putnam; il a aussi rempli la charge de trésorier de la Société Historique Franco-Américaine pendant plu- sieurs années. Grâce à ses efforts et à son dévouement, les Canadiens du Connecticut ont eu leur premier congrès en 1885, et l'œuvre était désormais assurée. C'est lui qu'on chargea à la grande convention tenue à Rutland, en 1886, de faire l'éloge de Ferdinand Gagnon, le grand patriote que la mort venait de nous enlever. Il s'acquitta de sa tâche avec talent et son discours a vivement ému alors son nom- breux auditoire. Plusieurs fois président des conventions d'Etat, vice-président de la convention de Nashua, New-Hampshire, délégué par la convention d'Etat à la convention de Chicago, il a été choisi encore comme premier vice-président et il y a remplacé le président

276 Histoire de la Presse Franco- Américaine

dans les séances les plus orageuses de cette convention. Il fut premier "selectman" de la commune de Putnam, en 1887, et secrétaire du con- seil des "selectmen" en 1888 et 1889. Comme orateur il a fait plu- sieurs campagnes présidentielles en faveur du parti démocrate, notam- ment en 1884, 1888, 1892 et 1900.

LOUIS-J. GAGNON.

M. Gagnon est à Chicoutimi, P. Q.,le 26 juillet 1870. Après avoir étudié au collège de Sherbrooke, Canada, jusqu'à l'âge de quinze ans, il apprit le métier de typographe, puis vint aux Etats-Unis il ouvrit une imprimerie à Fall-River, en 1898. En 1899, il fonda Le Bulletin, et plus tard, en 1902, il publia pendant quelque temps L'Eclaireur, feuille quotidienne. En 1909, M. Gagnon publiait un fort volume. Le Guide de Fall-River dans lequel est retracée toute l'histoire de la colonie franco-américaine.

AMEDEE LAÇASSE

M. Amédée Laçasse est à St-Anselme, comté de Dorchester, P. Q., le 21 décembre 1880. Après quelques années à l'école parois- siale, il entra au Séminaire de Québec il termina ses études clas- siques, en 1902, et obtint son diplôme de bachelier ès-lettres.

Il étudia la médecine pendant quelque temps à l'Université Laval de Québec et fît un an d'internat à l'hôpital Général Ste-Marie de Lewiston, Me. C'est aussi qu'il fît ses premières armes dans le journalisme, en collaborant au Messager. Depuis, il se livre exclu- sivement au journalisme; il collabora à L'Avenir National de Man- chester, N.-H., et à plusieurs journaux du Canada.

Il était à Woonsocket, R.-L, attaché depuis quelques mois à la ré- daction du Guide Franco- Américain du Rhode-Island, lorsque, le 25 septembre 1910, il accepta la position de rédacteur à L'Echo de New- Bedford

Le 19 septembre 191 1, M. Laçasse unissait sa destinée à celle d'une vaillante et charmante canadienne, mademoiselle Angéline Ri- chard, fîlle de M. le docteur A.-E. Richard, de New-Bedford.

Nous ne saurions mieux terminer cette biographie, qu'en citant de Charles Dupil quelques lignes d'un article, adressé à la Vérité de Québec, intitulé: "Un Journaliste Catholique," et qui fait honneur

Silhouettes de journalistes 277

à la fois à M. Laçasse et au journal L'Echo de New-Bedford, dont il est le rédacteur.

"...J'ai suivi, pour ma part, avec un immense intérêt la carrière de ce jeune homme de talent, de ce travailleur si sincèrement dévoué à son œuvre d'apostolat par la plume et la conférence.

"A Woonsocket, il était dans le Cercle Tardivel, parmi les jeunes un des mieux renseignés et des plus avertis pour traiter des sujets de la franc-maçonnerie et des sociétés neutres, un des promoteurs de l'enseignement du français, un des orateurs les mieux écoutés lorsqu'il parlait des aspirations de notre race. Il a fait du journal L'Echo de- puis un an une vraie école de sain enseignement patriotique et moral. Il a donné de magnifiques articles sur la paroisse et les sociétés qui lui ont valu l'honneur de la citation dans les grands journaux du pays. De l'avis de tous, sa page de rédaction quotidienne dans L'Echo ne déparerait aucun journal français bien rédigé."

URBAIN-J. LEDOUX.

M. Urbain-J. Ledoux brilla bien plus dans le service consulaire des Etats-Unis que dans le journalisme. C'est un fait remarquable que plusieurs de nos compatriotes de marque des Etats-Unis ont fait leur début dans la vie active en passant par le creuset du journalisme. On peut toujours dire que pour quelques-uns la qualité de rédacteur de journal est un acheminement vers une position plus lucrative. M. Ledoux est un de ceux-là. Ce n'est cependant pas une règle générale, c'est plutôt l'exception. Combien y en a-t-il eu depuis 40 ans de ces jeunes gens, pleins d'ardeur pour la défense de la nationalité, qui ont vu leurs illusions s'évanouir devant la réalité de la vie et pour qui le journalisme n'a pas été le marchepied pour escalader une position plus enviable. Tout de même nous ne voulons pas soutenir que M. Le- doux doit à son passage dans le journalisme le fait de son avancement. Nous désirons simplement constater une coïncidence.

Lorsque M. Ledoux fut nommé consul à Bordeaux, au mois de juin 1903, la Presse de Montréal publia, dans son numéro du 30 juin, en annonçant la nouvelle, la biographie avec le portrait de M. Ledoux. Celui-ci était alors à Montréal, et c'est lui-même qui fournit alors au représentant du journal les renseignements que nous reproduisons ci-après. M, Ledoux venait d'être nommé consul à Bordeaux.

278 Histoire de la Presse Franco- Américaine

Nous avons rencontré ce matin, dit le représentant de la Presse, M. Ledoux, qui nous a dit qu'il venait en effet d'être transféré de Trois-Rivières oii il est depuis six ans, à la grande ville de Bor- deaux.

La nouvelle de cette promotion sera accueillie avec un vif plaisir par la légion d'amis que possède M, Ledoux tant au Canada qu'aux Etats-Unis. Nous pouvons dire que pour une fois le mérite a été re- connu et récompensé. M. Ledoux est un "self-made man," qui de- puis ses premières années a travaillé consciencieusement et avec une énergie infatigable pour se frayer un chemin. Intelligent, actif et entreprenant, il a toujours marché de l'avant, et combattu les bons combats. Sa carrière, maintenant si brillante, devrait stimuler notre jeunesse et lui montrer ce que peuvent produire le travail et le talent. Nous croyons intéresser nos lecteurs en leur traçant une esquisse rapide du chemin fait jusqu'ici par M. Ledoux. Et disons d'abord qu'il n'est âgé que de 29 ans et que ses émoluments à son nouveau poste seront de $5,000 par année.

M. Ledoux est à Ste-Hélène, comté de Bagot, le 13 août 1874, de parents canadiens-français émigrés aux Etats-Unis depuis la guerre de Sécession, mais que la nostalgie avait ramenés au pays natal en 1872.

La famille de notre sujet retourna aux Etats-Unis alors qu'il n'é- tait âgé que d'un an. Il reçut sa première instruction aux écoles pa- roissiales et publiques de Biddeford, Maine. Il termina son éduca- tion au collège de Marieville, P. Q., et à celui de Van Buren, Maine. Ce ne fut pas sans peine ni sans effort que le jeune Ledoux put acqué- rir l'instruction qui devait lui permettre d'atteindre à la position qu'il occupe aujourd'hui.

De bonne heure il fut forcé d'entreprendre la lutte pour l'exis- tence, car ses parents n'étaient pas fortunés. A l'âge de 17 ans il se lança dans le journalisme, entrant à L'Indépendance, premier journal français publié à Biddeford, Maine; il resta deux ans. A 19 ans, nous le trouvons rédacteur de L'Observateur. Il fut ensuite éditeur du Figaro Illustré, revue mensuelle. M. Ledoux était alors dans ses vingt ans. Délaissant cette revue, il devint attaché au Samedi de Montréal, puis à la Tribune de Woonsocket, R.-I. A 21 ans, il bri- gua les suffrages pour le conseil municipal de Biddeford. Pendant deux ans il fut secrétaire de comités républicains. Entre temps, il fondait L'Alliance Canadienne-Française.

A vingt ans, il avait fait deux campagnes électorales et une cam- pagne présidentielle.

Le 27 juillet 1897, M. Ledoux, alors âgé de 22 ans, était nommé consul des Etats-Unis à Trois-Rivières. Il se trouvait le plus jeune titulaire dans le service consulaire. M. Ledoux déploya dans sa

Silhouettes de journalistes 279

nouvelle position les brillantes qualités et l'activité dont il avait fait preuve jusque-là.

Le consulat de Trois-Rivières prit rapidement, grâce à lui, une grande importance. Les importations et les exportations doublèrent, et les affaires prirent un très vif essor. Le gouvernement récompen- sait les services de M. Ledoux en le nommant, le 30 juin 1902, consul de première classe avec augmentation de salaire. L'impor- tance du consulat s'affirmait de nouveau en mai 1903, lorsque le dé- partement de Washington établit une agence considérable à Grand'- Mère, et augmentait le personnel. Il serait trop long d'énumérer ici tout ce que Trois-Rivières doit à l'activité de M. Ledoux.

Citons entr'autres choses: la bibliothèque Laviolette, établie en- tièrement à ses frais; la fondation du Jardin Laviolette, du Patinoir Laviolette, dont il est le président depuis trois ans. Il obtint de M. Carnegie l'offre de $10,000 pour l'établissement d'une bibliothèque publique à Trois-Rivières. Il a organisé la plupart des clubs sportifs et sociaux de la localité et est l'un de leurs membres les plus enthou- siastes.

Il s'intéressa aux Soirées de Famille et leur fît, en 1901, les frais d'une tournée dans la Nouvelle-Angleterre. Il fît de grands efforts pour doter Montréal d'un Conservatoire et d'une comédie Française.

Mutualiste convaincu, il est membre du bureau exécutif de l'Al- liance Nationale et président du Congrès Fraternel des sociétés cana- diennes-françaises tenues à Woonsocket, l'an dernier.

Ajoutons que M. Ledoux est membre de la plupart de nos so- ciétés canadiennes-françaises, tant au Canada que des Etats-Unis.

M. Ledoux a épousé, il y a quelques années, Mlle Painchaud, fille de feu M. P.-L. Painchaud, directeur de la fanfare du Premier Régi- ment du Maine.

J.-E. MARIER.

Joseph-Edouard Marier, à Ottawa, le 20 août 1854 du mariage de Pierre Marier et de Thersile Robillard. Il a fréquenté les écoles communes jusqu'en 1865. Entré chez les Frères de la Doctrine Chré- tienne jusqu'en 1869. Correcteur d'épreuves au Canada, branche de la Minerve à Ottawa. Début dans le journalisme au même jour- nal en 1870. Fondateur du Club des Débats à l'Institut Canadien, Ottawa, en 1873. Prit part active en politique, élection du Dr St- Jean et avènement du gouvernement McKenzie. Président de la sec- tion française des jeunes libéraux. Conservateur en 1878. Prit part active aux élections générales de la même année. Emigré aux Etats- Unis en octobre 1880. Arrivé à Boston, puis s'établit définitivement à Lawrence, Mass. Fonda le premier Club de Naturalisation en 1881

280 Histoire de la Presse Franco- Américaine

à Lawrence. Correspondant du Daily Eagle de Lawrence. Fonda le Citoyen, hebdomadaire, en avril 1882. Circonstances financières, abandonna au bout de six mois.

Il fut délégué, représentant Lawrence, Mass., à l'audience-enquête de Carroll-D. Wright, dénonçant les Canadiens-français comme Chi- nois de l'Est. Employé municipal à Lawrence, Mass., de 1884 à 1886. Durant cette période attaché à l'étude de John-C. Sanborn, comme étudiant en droit dans ses moments de loisirs. En 1885, organisa des assemblées d'indignation avec l'aide du Dr Henri Desjardins, ocu- liste de Boston, maintenant de Montréal, protestant contre la con- damnation de Louis Riel par le gouvernement canadien. Envoya une requête signée par au-delà de 3000 signatures de Canados-américains au secrétaire d'Etat Bayard, par l'entremise du Major Mallet, deman- dant au gouvernement des Etats-Unis d'intervenir, mais Riel, bien qu'ayant demeuré dans le Montana, n'avait pas été naturalisé citoyen américain. Fut le premier rédacteur de L'Etoile de Lowell, Mass., en 1886. En 1888, nommé inspecteur de douane pour le port de Bos- ton jusqu'en 1891. En 1892 fut organisateur pour le comité central démocratique du Massachusetts. Organisa 45 clubs parmi les Cana- dos-américains qui, avec leur coopération, contribua à élire l'Hon. Wm.-E. Russell, gouverneur, ainsi que cinq représentants démocrates au Congrès. Durant la même année il fut gérant du Travailleur de Worcester et du Canado- Américain de Holyoke. En 1893 il alla de- meurer à Haverhill, Mass. Etablit un bureau de placements et d'im- meubles. Nommé juge de paix et notaire public par le gouverneur Russell. La grève de 1894 à Haverhill le força de fermer son bu- reau et il alla demeurer à Manchester, N.-H., il collabora à L'Avenir National. En 1896 il publia le Merrimack, conjointement avec M. Joseph Boivin, maintenant avocat à Manchester. Prit part à la cam- pagne présidentielle en faveur de Wm. Jennings Bryan dans le New- Hampshire et fit des assemblées dans le Maine avec Benjamin-F. Sewall, candidat à la vice-présidence. Discontinua la publication et entra à la rédaction du Manchester Union. Revint à Ottawa en jan- vier 1897. Collabora à la rédaction du Temps et du Free Press d'Ot- tawa. En 1904, entra au département de la traduction à la Chambre des Communes. En juin 1907, entra au service de la Commission du Transcontinental. Maintenant au service du Canada de Montréal, comme éditeur de l'hebdomadaire et chef de la circulation.

Silhouettes de journalistes 281

LE DR M.-M. METIVIER.

Un homme, mort en 1892, qui fit un certain bruit de son vivant et pendant quelque temps joua un rôle dans le journalisme, est le Dr M.-M. Métivier, de Holyoke. C'était une figure originale et il eut une existence tourmentée et accidentée.

Moïse-M. Métivier naquit à Saint-Charles, P. Q., en 1834. A l'âge de trois ans il alla, avec ses parents, demeurer à Marieville, et de à Plattsburg, N.-Y. Il reçut une partie de son éducation dans les écoles publiques de cette dernière ville, et à 18 ans il était admis à une école médicale de New-York. Après avoir obtenu un diplôme de cette ins- titution, il alla suivre les cours de l'université Laval de Québec. Il pratiqua la médecine à Saint-Jean, P. Q., et le 19 juin 1873 il arrivait à Holyoke. Il fut l'un des pionniers canadiens de cette florissante ville, et l'un de ses citoyens les plus distingués. Depuis cette époque il résida constamment à Holyoke, si l'on excepte une année passée à Montréal pour cause de maladie, et quelques mois d'absence en Eu- rope.

Pendant de longues années le Dr Métivier fut un catholique pra- tiquant. De malheureuses circonstances l'ont fait déchoir et finale- ment il se sépara de l'Eglise, mourant ainsi sans être rentré dans son sein. Il était un partisan et admirateur du système d'écoles publiques qu'il préférait aux écoles paroissiales. On comprend qu'avec de pa- reils sentiments les membres du clergé ont cru devoir mettre leurs compatriotes en garde contre celui qui les formulait. Sur cette ques- tion la lutte devint aiguë entre feu le curé Dufresne et le Dr Mé- tivier.

Pendant la fièvre de l'or, le Dr Métivier voyagea en Californie. Il fonda en 1879 le premier journal français de Holyoke. Il était membre de plusieurs sociétés médicales, littéraires et scientifiques américaines et canadiennes. Il a écrit plusieurs articles dans la Patrie de Mont- réal et il comptait de chauds amis parmi nos écrivains canadiens les plus éminents. Le Dr Métivier avait aussi étudié quelque temps dans les hôpitaux de Paris. A Holyoke il fut membre du bureau des écoles de 1881 à 1884, président du comité républicain de la ville et il rem- plit d'autres postes publics de confiance.

Malgré ses erreurs, le Dr Métivier a accompli de nombreuses actions méritoires et il était très charitable, méritant le titre de "mé- decin des pauvres." Membre de la société Saint-Jean-Baptiste et au-

282 Histoire de la Presse Franco-Américaine

très sociétés canadiennes, il se montra toujours patriote, excepté du moins en ce qui concerne ses idées étranges sur les écoles catholiques. En 1886, à la convention de Rutland, il appuya par un joli discours la résolution transmise au cardinal Taschereau, à l'occasion de son élévation au cardinalat.

En 1891, il était invité à donner une conférence devant l'Asso- ciation Américaine pour l'Avancement de la Science, ce qui lui mérita d'être reçu membre honoraire de cette grande société.

Il travailla jour et nuit à la préparation de cette conférence qui fut hautement appréciée, et qui le méritait sous tous les rapports. A son retour de Washington, il sentit que la réaction allait l'emporter. Une maladie de cinq mois le retint au lit. Après quelques semaines de convalescence, il eut une rechute, et le 15 juillet 1892, à huit heures du soir, comme il se disposait à lire son journal, il perdit l'usage de ses sens. Deux heures plus tard il expirait en présence de sa famille et de quelques amis.

J.-E. MONETTE.

M. Joseph Monette est l'un des avocats canadiens les mieux con- nus de la Nouvelle-Angleterre. Il est le 11 décembre 1869 à Saint- Martin, comté de Laval, fîls de Joseph Monette et de dame Loïse Paré. Il fît ses études classiques au collège de Ste-Thérèse et son droit à l'université Harvard. Il pratique la profession d'avocat à Lawrence depuis 1897. Dans les fêtes patriotiques ou nationales il est souvent appelé à adresser la parole, et dans ces circonstances ses discours sont généralement fort remarqués. Il a été président de la Société Historique Franco-Américaine et du Club Républicain Fran- co-Américain du Massachusetts.

CHARLES MOUSSETTE.

M. Moussette est en 1823 à St-Mathias, comté de Rouville. Il vint aux Etats-Unis en 1848. Il était architecte et ébéniste, demeurant à Brooklyn, N. Y., il avait acheté, vers 1870, un terrain de $18,000 pour y construire une église canadienne. M. Moussette était un franc patriote ayant contribué à la fondation de L'Union de Secours Mutuel dont il fut le président Dans le comté de Monroe, Pennsyl- vanie, il existe un village portant le nom de Canadensis, fondé par M. Moussette, vers 1872.

Silhouettes de journalistes 283

J.-E. PARIS.

M. J.-E, Paris est à St-Jean Deschaillons, P. Q., Canada, le i6 mars en l'année 1874. Fils de Uldéric Paris.

Sorti du collège de Trois-Rivières en 1889.

Venu aux Etats-Unis la même année.

Entra en affaires dans les modes en 1895, dans la ville de Man- chester, N.-H., il demeura jusqu'en 1900.

En l'année 1901, il entra dans la même ligne de commerce à Law- rence.

En 1907 il se fixa à Fitchburg, Mass., il forma la Cie J.-E. Pa- ris, détailleurs d'articles confectionnés pour dames.

Devenu propriétaire du journal le Progrès en janvier 1910.

Fait partie du Board of Trade de Fitchburg, Mass.

J.-E. Paris est le président et le trésorier de la maison Paris, qui est la plus importante de ce genre dans le centre de la ville de Fitch- burg. Le premier étage est occupé pour habits, manteaux et four- rures; l'étage supérieur aux chapeaux et garnitures.

SAMUEL-E. PINTA.

Le nom de Samuel-E. Pinta est attaché à deux journaux qui furent publiés il y a 40 ans et plus à Chicago. M. Pinta avait pour spécialité d'éditer des livres. Il arriva à Chicago en 1858, venant de la Nouvelle-Orléans, porteur d'une carte de l'union typographique No. 17 de la Nouvelle-Orléans et fut transféré dans l'union No. 16 de Chi- cago. Après avoir travaillé deux mois à l'atelier de William-H. Rand, il entra au département des ouvrages de ville du journal Press and Tribune. En ce temps-là, ce n'était pas comme aujourd'hui. Ce même atelier pouvait employer des membres de l'union et des non- unionistes, tous les ateliers de "jobs" étaient ce que l'on appelle "open." Il faut remarquer qu'en cette année 1858 l'Union Nationale Typographique n'avait que six ans d'existence, et plusieurs alors dou- taient de la possibilité de sa permanence.

En 1860 M. Pinta quitta l'établissement de la Tribune pour travail- ler chez son ami William Pigott, qui venait d'ouvrir un atelier d'im- primerie, dans lequel était aussi imprimé le Railroad Gazette. Dans l'atelier de Pigott en 1861, M. Pinta commença la publication du deux- ième journal français publié à Chicago, auquel Henry-R. Boss fait

284 Histoire de la Presse Franco-Américaine

allusion dans ses réminiscences. Le premier journal en langue fran- çaise à Chicago avait paru en 1857. Voici comment M. Pinta raconte lui-même Ihistoire des publications françaises à Chicago:

"En 1857 i}^ 2 janvier,) un Français nommé Claude Petit, avec A. Grandpré, un imprimeur canadien-français, commença en cette ville la publication d'un journal hebdomadaire sous le nom de Le Courrier de L'IUinois. Ils publièrent leur journal pendant deux ans environ quand, dissolvant la société, Petit s'en alla dans l'Est et Grandpré transporta le journal à Kankakee, les Canadiens-français étaient établis en grand nombre. Il y continua sa publication jusqu'à plu- sieurs années après le feu de Chicago, alors qu'il revint en cette ville.

"Il y a quelque huit ans (vers 1903) Grandpré, qui est maintenant parmi les morts, vendait son journal à une compagnie qui changea son nom en Courrier de L'Ouest et plus tard encore en celui de Courrier Franco- Américain.

"En 1861 Sameul-E. Pinta publia dans l'atelier Pigott un journal hebdomadaire français, L'Observateur de Chicago. Il était bien ré- digé et d'un haut caractère littéraire, l'éditeur et rédacteur étant assisté par un éminent écrivain, M. Ravin d'Elpéun, alors vice-consul de France à Chicago. La guerre civile qui venait d'éclater, la rareté de compositeurs français, le manque de fonds et l'augmentation d'occu- pations plus lucratives obligèrent à la suspension de sa publication après huit ou neuf mois de travail ardu. C'est avec une grande diffi- culté que, dès le début, les lettres accentuées, si essentielles à l'impres- sion correcte de la langue française, pouvaient être obtenues à Chi- cago.

"*En 1868-69, Samuel-E. Pinta et Th. Guéroult publièrent en cette ville un journal habdomadaire sous le titre L'Amérique. Ils le pu- blièrent pendant une année. Il avait quelques bien bons écrivains comme collaborateurs, parmi lesquels Mme Jenny-P. d'Henccourt, qui demeurait alors à Chicago ; Louis-Honoré Fréchette, le poète ca- nadien; le professeur Marc de la Fontaine. La guerre franco-prus- sienne fut un coup de mort pour le journal. Les rédacteurs, dont le journal était républicain, avaient approuvé les vues exprimées par Thiers et Favre sur l'inopportunité de cette guerre et en opposition à Napoléon ; ils s'attirèrent conséquemment l'antagonisme des Fran- çais de Chicago, avec le consul en tête."

M. Pinta est mort à Chicago le 11 janvier igii.

LE DR ELZEAR PAQUIN.

Le Dr Elzéar Paquin, pendant son séjour dans l'Ouest, a joué un rôle considérable dans le journalisme. En 1893 il publiait à Chicago

Silhouettes de journalistes 285

une brochure illustrée de go pages sur la "Colonie Canadienne-Fran- çaise de Chicago." Ce volume contient les biographies des hommes marquants de cette colonie, y compris celle de l'auteur, écrite par le Rév. T. Ouimet. Je reproduis ici cette biographie.

Dans l'Ouest, nos nationaux quoiqu'en aussi grand nombre que dans l'Est, n'étaient pas connus, personne ne parlait d'eux.

Au Canada, on était sous l'impression que les Canadiens-français émigrés dans le Michigan, le Wisconsin, l'Illinois et les autres Etats de l'Ouest, ne formaient pas de groupes importants, se trouvant trop disséminés partout.

Mais la Providence a fait surgir un autre champion de la natio- nalité canadienne-française aux Etats-Unis. Les lecteurs de cette brochure comprennent déjà que le héros maintenant en question est notre brave ami, M. le Dr Elzéar Paquin.

Le 19 février 1889, ce célèbre compatriote fondait à Chicago, son journal appelé le Combat et, dans l'Ouest, tout le monde sait que cet organe français a noblement porté son nom. Le Dr Elzéar Paquin a rempli une véritable mission dans les immenses contrées occidentales des Etats-Unis. Son journal, ses voyages, ses conférences et ses nom- breuses recherches sur le progrès des nôtres, dans l'Ouest, consti- tuent ce qu'on pourrait appeler un véritable apostolat national. Par- tout, nos compatriotes l'ont vu à l'œuvre, s'imposant des sacrifices et canadiens-français de l'Ouest. Dans ses périgrinations nationales, il a organisé un bon nombre de sociétés Saint-Jean-Baptiste. Le but principal de son œuvre a été de jeter de la lumière sur le nombre et les progrès de nos compatriotes établis partout dans l'Ouest, de les aider à s'organiser en sociétés et en paroisses nationales, à l'exemple des Allemands et des Irlandais, et de les mettre à même de profiter des avantages d'un journal exclusivement dévoué à leur cause.

Dans ses efforts patriotiques pour le bien de nos nationaux, il a été compris et aidé par des compatriotes d'intelligence et de cœur. Mais la masse de nos Canadiens-français émigrés, manquant de lu- mière, ou plutôt n'étant pas en état d'apprécier la valeur d'un journal français et catholique, s'est montrée trop indifférente. Voilà pourquoi le Combat n'a vécu qu'une couple d'années, son vaillant fondateur ne pouvant le soutenir davantage, faute de moyens pécuniaires.

Quelques mois après, à Marquette, Mich., le Dr Paquin fît renaître de ses cendres, le Combat sous le nom de la Vie. Ce nouvel organe ne put se maintenir que six mois.

Croyant qu'il avait combattu assez les bons combats de la cause nationale et religieuse dans l'Ouest, le Dr Paquin renonça au jour- nalisme et vint reprendre, l'automne dernier^ à Chicago, l'exercice de sa profession.

286 Histoire de la Presse Franco-Américaine

à Saint-Raphaël, Ile Bizard, le 23 décembre 1850, cet immortel défenseur des éléments constitutifs de notre nationalité fît une partie de son cours classique au collège de Saint-Thérèse et au collège des Jésuites à Montréal, et le termina sous la direction du savant et illus- tre abbé Alphonse Villeneuve en 1873, Il entra ensuite au séminaire de Montréal et fut gradué en 1878.

Pendant sa cléricature il écrivit de nombreux articles, dans le Franc-Parleur de Montréal, sur diverses questions ayant rapport à l'hygiène et à la politique. De plus, des écrits publiés dans le Foyer Domestique d'Ottawa nous donnent des preuves que le Dr Paquin est doué d'un esprit vraiment philosophique. Ces travaux étaient in- titulés: Etudes de l'Homme.

Pour pratiquer la médecine, il s'établit d'abord à Montréal, où. il passa cinq ans. Pendant ses moments de loisir, il composa un ou- vrage intitulé : Le Livre des Mères. La première édition de ce livre s'est écoulée rapidement. Il publia aussi plusieurs autres brochures sur les questions politico-religieuses agitées alors en Canada.

En 1883 il vint s'établir à Chicago. Quelque temps après il publia un livre intitulé: Instructions Pratiques sur l'Hygiène et les Mala- dies des Enfants.

A part les ouvrages mentionnés ci-haut, le Dr Paquin a publié une brochure intitulée: La Cité du Mal contre la Cité du Bien et une autre: La Conscience Catholique Outragée.

En 1896 le Dr Paquin vint s'établir à Fall-River, il pratiqua quelque temps la médecine dans le grand quartier canadien appelé Village Flint. L'année suivante, en 1897, il retournait à Montréal, il demeure encore présentement.

F.-X.-LEONIDAS RATTE.

Naquit le 4 août 1873 à Ottawa. Fit ses études primaires chez les Frères de la Doctrine Chrétienne et son cours supérieur à l'univer- sité d'Ottawa. Il fut élève du collège de pharmacie de Toronto et gradué de l'Etat du Rhode-Island. Il fut élu pour la première fois député à l'assemblée législative du Rhode-Island aux élections de 1902 et il fut réélu successivement en 1903, 1904, 1906 et 1907. Il fut élu maire de Central Falls, R.-I., en 1910 et réélu en 191 1. Le 22 oc- tobre 191 1, il devint propriétaire de la Vérité, journal hebdomadaire qui avait été fondé dans l'été par Alfred Gervais, pour Central Falls et Pawtucket.

Silhouettes de journalistes 287

JOSEPH-ARTHUR ROY.

à Bourbonnais, Illinois, le 20 avril 1857. Ses parents, étant revenus au Canada, il entra en apprentissage à l'atelier du Franco- Canadien à Saint- Jean en 1870, Dans l'automne de 187g il venait se fixer à Worcester, Mass. Durant l'été de 1886 il prit part à un concours en typographie, ouvert aux Etats-Unis et au Canada, et il remporta un des prix pour l'habileté, le goût et le fini de son travail. En 1886 il publiait la première livraison du Worcester Canadien, un almanach des adresses de la population de langue française de Worcester, et contenant aussi les statistiques et notes historiques sur cette population et ses progrès à Worcester. Chaque année il en a publié une nouvelle édition pendant vingt ans.

M. Roy avait aussi publié en 1903, pendant quelques mois, le Coq, journal hebdomadaire. M. Roy est mort en 1907.

H.-F. ROY.

à Danville, P. Q., en 1867. Etudia la musique sous le fameux Labelle et il vint aux Etats-Unis, étant tout jeune, il y a plus de 42 ans. Il fit ses études élémentaires en anglais et il est fixé à Lewiston, Me., depuis 25 ans. Il y exerce la profession de musicien. Marié et père de famille. Après la disparition du Courrier du Maine il a pu- blié le Petit Journal comme feuille du dimanche.

ALBERT-E. ROBERGE.

M. Albert-E. Roberge, ex-éditeur-propriétaire du Courrier Na- tional de Lawrence, a vu le jour à St-Hyacinthe, Que., le 23 dé- cembre 1878. M. Roberge arriva à Lawrence en septembre 1900, pour prendre charge du Courrier à titre de rédacteur et gérant. Trois ans plus tard, en septembre 1903, M. Roberge fit l'acquisition du journal tout en continuant à être son rédacteur. Au premier janvier 1907, M. Roberge vendit le journal à M. l'avocat Joseph Monette, abandonnant le journalisme pour s'associer à son père, M. L.-A. Roberge, entrepreneur de chemin de fer au Canada. En 1906, M. Roberge fut aussi le correspondant général de la chronique améri- caine de la Presse de Montréal, pour les Etats de la Nouvelle-Angle- terre. Après trois ans d'absence, au Canada, M. Roberge revint à Lawrence et accepta la position d'agent spécial du gouvernement

288 Histoire de la Presse Franco-Américaine

américain pour le recensement des manufactures, position qu'il occupa jusqu'au mois de juin 1910, alors qu'il devint l'assistant de M. Joseph- A. Légaré, secrétaire privé du congressman Butler Ames, de Lowell. Depuis le mois de novembre 1910 il a repris sa position de correspon- dant de la Presse de Montréal, pour le district de la vallée Merrimack, comprenant les villes de Lawrence, Lowell, Haverhill, Amesbury, Newburyport, Greenville et Nashua, N.-H.

Pendant que le Courrier était sa propriété, M. Roberge avait un précieux collaborateur en la personne de son frère, M. l'abbé L.-A. Roberge qui a écrit des articles fort remarqués sur les questions reli- gieuses et nationales.

L.-A. ROBERT.

Louis-Adolphe Robert est à Ste-Elizabeth, comté de Joliette, P. Q., le 26 août 1886, du mariage de Elzéar Robert et de Joséphine Lafrenière. A fait ses études élémentaires aux écoles de sa paroisse natale et ses études classiques au Séminaire de Joliette. Vint aux Etats-Unis au mois de juillet 1907 et se consacra exclusivement au journalisme. Entra au service de la Tribune, quotidien de Woon- socket, R.-I., en qualité d'agent et de correspondant pour la vallée de la Pawtucket. Devint attaché à la rédaction de ce journal au mois de mars 1908. Enfin le ler septembre 1908, l'Association Cana- do-Américaine de Manchester, N,-H., lui confiait la rédaction de son journal officiel, le Canada- Américain, position qu'il a toujours occu- pée depuis. Est secrétaire général de l'Association catholique de la Jeunesse franco-américaine depuis le mois d'août 1908. A épousé le 16 août 1909, Mademoiselle Azélie Asselin de Woonsocket, R.-I.

J.-B. ROUILLARD.

Un ancien journaliste, aujourd'hui descendu dans la tombe, qui eut une carrière mouvementée mais brillante, est Jean-Baptiste Rouillard. Il avait été soldat, publiciste et journaliste. Victime, comme tant d'autres, de la politique, il vint en 1893 s'établir avec sa famille aux Etats-Unis il séjourna dans différentes villes de la Nouvelle-Angle- terre, terminant enfin sa carrière à Fall-River le 27 octobre 1908, à l'âge de 65 ans. Mais en 1893 il n'était pas un nouveau venu aux Etats-Unis.

Silhouettes de journalistes 289

En 1893 M. Rouillard publiait L'Union Continentale à Boston, Mass, journal-revue mensuel, dont il ne parut que trois ou quatre nu- méros. Vers 1895 il publiait L'Aigle, journal hebdomadaire, à Salem, Mass, en même temps aussi une édition pour Lawrence, le Courrier. En 1896 il était à Biddeford, Me., il publia L'Amérique, un journal quotidien, mais qui ne dura pas longtemps, car à la fin de la même an- née il se transportait à Lewiston, où, le 27 décembre, il fondait la République.

A peine âgé de 20 ans, M. Rouillard s'enrôlait dans l'armée amé- ricaine, le 24 juillet 1862, à Swanton, dans le Vermont. L'armée amé- ricaine ne connut pas de plus valeureux soldat et il servit sous les drapeaux jusqu'à la fin de la guerre au commencement de l'année 1865. Il faisait partie du régiment de Brattleboro, Vt., Cie F, loe régiment d'infanterie. Il fut blessé le 19 octobre 1864; promu caporal le 5 mai 1864 et brigadier le 19 octobre 1864, le jour même il fut blessé. Il fut licencié le 3 juin 1865.

A l'occasion de la mort de M. Rouillard, nous reproduisons en partie ce que L'Indépendant publiait au sujet du défunt:

La disparition d'un homme aussi remarquable que J.-B. Rouillard ne pouvait pas passer inaperçue et les journaux en firent générale- ment une mention plus que banale; plusieurs firent des éloges méri- tés de l'homme qui avait été si bon patriote et si fort dans l'adversité et on ne lira pas sans intérêt l'article ému que lui consacrait la Revue Franco-Américaine de Québec, qui venait d'être fondée par le gen- dre du défunt, J.-L.-K. Laflamme: Voici cet article:

Le 27 octobre dernier est décédé à Fall-River, un citoyen de marque qui connut des jours heureux au pays natal et qui y fournit sous le régime Mercier une carrière plutôt brillante. Nous voulons parler de M, J.-B. Rouillard, ancien inspecteur-général des mines dans la province de Québec. Malgré les dispositions spéciales qu'il montra pour l'industrie minière, il était assurément un journaliste de race. Les journaux qu'il dirigea entre autres, le Sud, publié à Sorel attirèrent l'attention du pays et contriburèrent à caractériser leur époque.

Mais pour avoir voulu concentrer toute son énergie à la politique de son temps il tomba, avec nombre d'autres victimes de la politique qui furent emportées dans la tourmente qui précipita M. Mercier du pouvoir. Il endura tout avec un courage stoïque, gardant jusque dans l'infortune une chevaleresque fidélité à la mémoire de ceux-là mêmes qui l'avaient le plus compromis. Et il a emporté dans sa tombe des secrets dont il eut à souffrir injustement mais qu'il porta allègrement

20

290 Histoire de la Presse Franco- Américaine

au compte de l'ingratitude des partis. Il accepta sans murmurer son rôle d'écrasé.

Plusieurs années passées dans son intimité nous ont permis d'étu- dier de près les côtés les plus intéressants de sa belle âme. Son pa- triotime, ardent et ambitieux, lui faisait rêver de splendides destinées pour sa race. C'est de que lui vint l'idée de cette union continen- tale qui, avec l'annexion du Canada aux Etats-Unis, devait aboutir à consolider l'influence latine sur le continent. Il caressa longtemps le projet d'un grand journal français qui serait publié à Washington et se ferait le propagateur de cette idée. Il fît, le 17 mars 1893, à Montréal, sur l'annexion, une conférence dont la hardiesse ne fut pas sans créer un certain émoi dans les cercles officieux et sans inspirer des craintes à ses amis. Il y prêcha carrément l'annexion et fit applau- dir les tirades libératrices de Patrick Henry.

Cette conférence contient des pages touchantaes. Nous citerons la suivante, l'auteur, ancien soldat de la guerre civile américaine, après avoir rappelé la mort pathétique de quelques volontaires cana- diens-français à la bataille de Winchester (ig septembre 1864,) s'écriait:

"Ah! les amères réflexions que je fis sur la tombe de ce dernier compatriote, et si, au moins, pensai-je, nous offrions notre vie pour la liberté de notre chère Province à nous, la peine en serait moins cruelle et la récompense plus glorieuse !

"Est-ce alors que germa dans mon esprit la première idée d'éman- cipation de mon pays? Je ne saurais l'affirmer, mais ce que je crois du plus profond de mon âme, c'est que la race qui a fourni les mil- liers d'homm.es qui sont allés combattre pour l'Union Américaine et l'abo lition de l'esclavage des noirs fera plus, fera mieux lorsqu'il s'agi- ra d'établir l'Union Américaine, lorsqu'il faudra aider à l'émancipation des descendants français de cette nation qui, seule entre toutes celles de l'Europe, envoya ses fils offrir leur fortune et leur vie pour la se- courir, alors même que les autres envoyaient leurs mercenaires pour massacrer les plus braves des fils de l'Amérique, pour dévaster leur sol et brûler leurs villes."

M. Rouillard terminait sa conférence en proposant un drapeau pour ce qu'il appelait déjà le futur Etat de Québec : "L'image du clocher de notre Eglise surmonté d'une croix rayonnante supportant le coq gau- lois, sur un fond aux trois couleurs, emblème de Liberté, Egalité, Fra- ternité."

Et ce patriote qui devançait si fièrement les idées de son époque, ce rêveur ambitieux, qui était peut-être un prophète, vient de s'éteindre paisiblement dans une ville de cette libre république pour laquelle il avait versé son sang. Il vient de s'endormir dans une paix profonde, loin du pays qu'il voulait grand et libre, oublié des amis qui luttèrent à ses côtés ou profitèrent de son dévouement, n'ayant pour suprême consolation, à part la foi qui sauve, que la conscience du devoir ac-

Silhouettes de journalistes 291

compli et l'affection d'enfants dévoués. De toute sa vie publique un seul souvenir devait l'accompagner jusqu'au bout, et ce souvenir était représenté par six vieillards, portant la livrée de la grande armée et tenant dans leurs mains tremblantes le drapeau qu'ils aimèrent et défendirent ensemble.

J.-B.-A. SAVARD.

à Québec le 8 août 1855; fît ses études chez les Frères et au Séminaire de Québec; il étudia aussi à l'école normale Laval. En 1884 il fut dans le commerce de nouveautés aux Etats-Unis, d'abord à Bos- ton, puis il fut pendant cinq ans à Woonsocket acheteur pour la mai- son Harris & Mowry, puis chez McCarthy, il demeura 17 ans. Il est depuis cinq ans gérant de la Tribune de Woonsocket. En 1900 il fît un voyage en Europe. Il a été aussi directeur du Cercle Drama- tique National de Woonsocket. En 1909 il était élu député à la légis- lature du Rhode-Island.

JOSEPH-ARTHUR SMITH.

à Sainte-Monique, près de Nicolet, P. Q., en 1871. Fils du docteur W. Smith et de dame Zénobie Lavallée, de Nicolet. Après un cours d'études, a émigré à Lowell, il est entré à L'Etoile, rem- plaçant M. Alfred Bonneau à la rédaction. Neuf ans plus tard, il s'en allait fonder un journal à Nicolet, qu'il déménageait à Montréal deux ans plus tard. A vendu une couple d'années plus tard son ma- tériel, et est entré comme actionnaire dans la compagnie de publica- tion du Nationaliste. A participé à la fondation de ce journal. Est revenu aux Etats-Unis en 1905, pour reprendre ses fonctions de rédac- teur en chef à L'Etoile. Fut dans la suite gérant général de la Ré- veil Publishing Company; il achetait le Courrier de Lawrence, et L'Etoile de Lowell, pour le compte de cette compagnie. Six mois plus tard, il cédait la gérance à M. Maxime Lépine, son ancien patron, pour rester rédacteur en chef. Est encore rédacteur en chef de L'Etoile, sous la nouvelle administration. Est marié et père de fa- mille.

L'ABBE JEAN-GUERIN SANSON.

M. l'abbé Jean-Guérin Sanson est le 26 juin 1851 à Saint- AUoustre, Department du Morbihan, France. Etudia à Locminé, à

292 Histoire de la Presse Franco- Américaine

Ploermel et à Vannes. Partit pour les Missions de la Louisiane en 1872 ; dut quitter ce pays ensoleillé à cause d'une grave maladie d'yeux. Retourna en France en 1873. Vint au Canada en 1874. Donna des leçons de français au Village-Richelieu et à Chambly pendant quel- ques mois, puis fut entraîné par un ami à entrer dans le commerce de bois à Wotton, dans les Cantons de l'Est, il demeura quatre ou cinq ans. En 1880 ou environ, le mauvais état de sa santé lui fît pren- dre la décision de chercher un climat moins rigoureux. Il vint à Northampton, Mass., il devint le rédacteur du Jean-Baptiste. En- trant entièrement dans les idées et les vues canadiennes, nos combats furent ses combats, nos luttes les siennes. Il travailla à l'organisa- tion et à la fondation d'une paroisse française à Northampton sans toutefois y réussir entièrement. Vers 1882, il reprit ses études théo- logiques au Grand Séminaire de Montréal. L'évêque de Grand Rapids, Michigan, y étant venu chercher des ouvriers pour son nouveau et vaste diocèse, son orientation était trouvée. Ordonné prêtre à Grand Rapids, le 19 mars 1886, par Mgr Richter, il fut le même jour nommé vicaire à la Cathédrale, il resta deux ans. Envoyé à West Bay City, en 1888, comme vicaire de Sainte-Marie, il devint l'année sui- vante curé de cette grande paroisse de plus de vingt-cinq milles de long. Il travailla alors au démembrement de cette trop grande pa- roisse avec l'assistance de celui qui devait devenir une vingtaine d'an- nées plus tard Mgr l'Evêque Schrembs et aussi quelques autres prêtres dont quelques-uns canadiens, comme les Pères Langlois et Lefebvre. La paroisse de Saint-Michel de Pinconning fut fondée, puis celle de Sainte-Anne de Linwood, la mission du Sacré-Cœur de Kawkawlin. Enfin les Canadiens de West Bay City furent séparés des fidèles de langue anglaise et formèrent la belle paroisse de Notre- Dame de la Visitation. En 1905, eut lieu le transfert du Père Sanson à Saint-Jean-Baptiste de Muskegon. Quelques années plus tard il fut nommé Curé-Doyen et membre du Conseil épiscopal.

TELESPHORE ST-PIERRE.

à Lavaltrie, P. Q., en 1869. Immigre, alors tout jeune, à Wind- sor, Ont. Entre au service de MM. Rousseau et Fils, à Détroit, Mich., puis à une imprimerie anglo-américaine il se perfectionne dans l'art de la typographie. Entre ses heures de travail, d'étude mécani- que des presses, de l'agencement artistique des "caractères," St-

I^éandre Bouclreau

Louis-Edouard de Caïufel

Silhouettes de journalistes 293

Pierre commence l'étude de l'histoire du Canada français à la biblio- thèque de Détroit, la plus considérable peut-être que nous ayons en Amérique, au point de vue franco-américain. Il y passe ses soirées, ses samedis après-midi.

En 1885, il n'avait que seize ans, la révolte le mouvement na- tional des métis du Nord-Ouest enflamme son imagination. Il ac- cepte une position de rédacteur au Progrès de Windsor, Ont., pour faire la guerre à ceux qui, Canadiens-français conservateurs et con- servateurs anglo-canadiens, trouvaient naturelle la condamnation à mort d'un patriote un peu exalté peut-être, mais qui avait le grand défaut d'aimer trop les siens, Louis Riel.

En juin 1888, St-Pierre fonde, à Bay City, Michigan, en société avec M. Charles Guérin, le journal L'Ouest Français. Une couple de mois plus tard il abandonne le journal pour faire, dans le Michigan, la campagne démocratique en faveur des candidats de M. Grover Cleveland. La campagne finie, il revint à Détroit.

Je me rappelle que dans L'Ouest Français, comme dans son jour- nal de Lake Linden, St-Pierre n'avait qu'une idée fixe, dira-t-on, mais belle quand même: réveiller l'idée française, la fierté de la race, en rappelant notre origine, les luttes héroïques des ancêtres pour la con- servation de notre langue, de nos moeurs et de notre foi. C'était presqu'une manie chez lui.

Donc M. St-Pierre fonde L'Union Franco-Américaine à Lake Linden, Mich. Il appuie par ses écrits et sa parole il est très puissant orateur le mouvement de concentration des forces canadiennes-fran- çaises du Michigan, A cet effet, il publia une série de fascicules il vante le courage, l'abnégation, le dévouement des directeurs de nos sociétés qu'il cite comme exemple aux apathiques, aux lâches.

Entre temps, il publiait L'Histoire des Canadiens du Michigan et celle des Français qui ont découvert, colonisé et civilisé la haute et basse péninsule du Michigan. Cet ouvrage a fait le sujet de com- mentaires flatteurs de la part de Benjamin Suite.

St-Pierre a tour à tour été rédacteur à la Minerve, au Canadien, à la Presse, à The Gazette, The Herald. Il s'est particulièrement fait remarquer à ces deux derniers journaux. A Montréal il a publié nombre d'articles dans les revues anglaises et françaises.

Il a été rédacteur à L'Indépendant de Fall-River, à L'Opinion Publique de Worcester, au Free Press de Winnipeg.

294 Histoire de la Presse Franco- Américaine

LOUIS TESSON.

M. Louis Tesson est le 6 mai 1853, à Saintes (Charente Infé- rieure,) France.

Après de bonnes études classiques, comme on les faisait en ce temps-là, il partit pour l'Amérique il a toujours vécu jusqu'à ce jour, à part quelques voyages en France pour faire son service mili- taire et revoir sa famille. Il demeura d'abord en Louisiane, de 1873 à 1882, moins deux ans environ passés en France, et c'est qu'il com- mença à réaliser un rêve fait sur les bancs de l'école en collaborant à la Sentinelle de Thibodaux et en rédigeant la partie française du Progrès de Terrebonne et du Courrier de Houma. Il devint l'un des premiers membres correspondants de V Athénée Louisianais, orga- nisé par le Dr Alfred Mercier, L'année 1882 le trouve à New- York, il resta environ 7 ans, occupé à publier les Petites Affiches, puis le Franco-Américain, qui, avant de mourir, passa ses abonnés au Nouveau Monde Illustré, fondé par M. Renaud.

Un peu découragé par cet insuccès, M. Tesson se tourna vers l'enseignement du français, la ressource de beaucoup de ses compa- triotes en Amérique. L'école Berlitz de New-York lui offrit une situa- tion dans une de ses succursales à St-John, Nouveau-Brunswick, qui devint plus tard l'école Ingres et Coutellier. Pendant huit ans, M. Tesson voyagea d'un poste à un autre, à Bath, Maine, à Charlotte- town, Ile du Prince Edouard, à Toronto et à Montréal. C'est pen- dant cette période d'enseignement, qui lui laissait beaucoup de loi- sirs, surtout l'été, qu'il collabora à divers journaux, le plus souvent sous son nom de plume. "Louis Desaintes."

Au Messager de Lewiston, Maine, il donna nombre d'articles et deux romans de mœurs: "Le Sang Noir" et "Une Idylle Acadienne." Le Monde Illustré de Montréal, a publié de lui de petites poésies et un roman de longue haleine, "Un amour sous les frimas." C'est qu'il publia de février 1893 à mars 1894, ^^ Maître Français, mensuel, contenant un petit roman acadien "Céleste" et le commencement d'une méthode nouvelle pour enseigner le français. La Patrie lui doit quelques bons articles; il travailla même à la Presse en qualité de chroniqueur et de correcteur, et il y a écrit des chroniques fort ori- ginales, qui n'ont pas duré longtemps, car M. Tesson avait le mal du pays des Etats-Unis. La fin de l'année 1895 le trouve à Holyoke, oii avec M. Joseph Carignan, il établit la Presse de Holyoke. Le jour-

Silhouettes de journalistes 295

nal paraissait à peine depuis quelques mois, lorsque le père de M. Ca- rignan mourut à Lachine, Canada. M. Joseph Carignan régla avec M, Tesson et retourna au pays natal. Toutefois, son frère, M. Wil- liam Carignan, bien connu à Holyoke, autorisa M. Tesson à se servir de son nom, et la Presse de Holyoke continua sa publication sous la raison sociale "Tesson et Carignan."

M. Tesson se mit au travail avec une ardeur peu commune, ne mé- nageant ni son temps ni son argent; mais il s'aperçut bientôt que le terre-à-terre du journal hebdomadaire ou bi-hebdomadaire franco- américain, qui compte surtout pour vivre sur les annonces et les nou- velles locales, n'était pas fait pour la réalisation de ses rêves de jeu- nesse. Aussi, chose curieuse, cette période de 7 ans il possédait lui-même un journal franco-américain est celle il a le moins écrit. Absorbé par des détails d'administration et d'affaires, il n'avait plus le temps de se livrer à la littérature. Par la création de quatre éditions en dehors de Holyoke, à Waterbury, Conn,, à Norwich, Conn., à Fitchburg, Mass. et à Somersworth, N.-H., il essaya de multiplier les sources de revenu des annonces sous une même rédaction et une même administration. Cette combinaison n'eut qu'un succès passager. Il est probable que l'ère des machines à composer, qui activa la transfor- mation des journaux franco-américains, hebdomadaires en quotidiens, lui fut fatale. Il fallait suivre le mouvement ou végéter, sinon succom- ber. M. Tesson le comprit bien. Ne voulant pas se lancer seul dans une entreprise si difficile, il s'associa en 1902 avec M. Joseph Belle- mare, et bientôt se formait la société par actions, dûment incorporée, "La Presse Publishing Co." Cette mesure ne servit à rien. Moins d'un an après, la Presse suspendait sa publication, en 1903.

Après un séjour d'un peu plus d'un an chez M. A.-L. Beauchamp, éditeur de L'Estafette de Marlboro, Mass., M. Louis Tesson entra comme professeur de français au "New England Collège of Lan- guages," de Boston, Mass., et devint l'un des directeurs de cette cor- poration. Dans l'exercice quotidien de l'enseignement de notre langue aux Américains, son esprit naturellement critique ne tarda pas à en constater les difficultés et à chercher un remède à celles-ci. De des études très nombreuses, très originales. Une partie seulement a paru en brochure et dans Le Français Fonétique, qu'il dirige depuis plus de deux ans, sans compter un grand nombre d'articles publiés d'abord par L'Opinion Publique de Worcester, Mass., et maintenant

296 Histoire de la Presse Franco-Américaine

par la plupart des journaux français d'Amérique pour faire connaître la "ligue internationale de l'enseignement oral des langues vivantes dans les écoles primaires" qu'il a fondée avec le concours de quelques compatriotes, professeurs, artistes, industriels et commerçants. Le but de cette ligue, dont le siège est à Washington, D. C. (président, Prof. C.-G. Rivot, The Cumberland,) est de rallier dans le monde en- tier tous ceux qui s'intéressent, pour une raison ou pour une autre, au progrès de l'enseignement oral des langues vivantes et de combiner leurs efforts pour le réaliser au plus tôt.

M. Tesson a trouvé enfin l'œuvre d'utilité sociale, que son instinct de penseur et d'écrivain lui faisait rêver et chercher depuis longtemps. C'est une révolution complète dans l'enseignement élémentaire des langues vivantes qu'il prêche. Il y a bien des obstacles à vaincre, mais sa victoire n'en sera que plus grande. Aussi met-il dans son en- treprise toute son énergie et une grande persévérance, soutenues par l'espoir d'un succès prochain comme couronnement d'une vie consa- crée tout entière à la propagation du français et au progrès des mé- thodes d'enseignement des langues vivantes.

REMI TREMBLAY.

à Saint-Barnabe, comté de Saint-Hyacinthe, le 2 avril 1847. Fréquenta l'école du village de Sainte-Victoire, comté de Richelieu, jusqu'à l'âge de 12 ans. Suivit alors ses parents aux Etats-Unis à Woonsocket, R.-I., jusqu'à l'automne de 1861. En octobre, 1863, à l'âge de 16 ans, il partait de Contrecœur, oii il était employé comme commis, pour aller s'engager dans l'armée américaine. Il servit dans l'armée régulière jusqu'à la fin de la guerre de la Sécession. Il fit toute la campagne de l'armée du Potomac en 1864; prisonnier de guerre, il subit durant six mois la faim et les horreurs de la prison Libby. De retour au Canada, il est entré à l'école militaire de Mont- réal oii il obtenait son brevet en février 1866; au printemps de la même année il s'engageait dans les Chasseurs Canadiens et faisait la campagne contre les Féniens en qualité de sergent. Dix ans plus tard, il était nommé capitaine au ssième bataillon. Il a commandé pendant deux ans la compagnie canadienne de ce bataillon.

En 1867 il revenait à Woonsocket il épousait, en 1868, Julie Lémery, fille d'Augustin Lémery. De ce mariage sont nés trois gar- çons: Emile, à Stoke, en décembre 1873 et décédé à Ottawa en

Silhouettes de journalistes 297

mai 1901 ; Eugène, ténor d'opéra, mieux connu sous le nom de Valère Rémy, à Sherbrooke en mars 1876 et mort il y a quelques années, et Jules, à Montréal en juin 187g, maintenant journaliste à Mont- réal.

Après avoir travaillé plusieurs années comme commis dans divers magasins à Woonsocket, M. Tremblay alla s'établir dans les Cantons de l'Est il se livra au commerce, à l'enseignement, à la culture, et en 1877, il quittait Sherbrooke pour aller se livrer exclusivement au journalisme. Dès 1868, il avait commencé à écrire en qualité de cor- respondant régulier, d'abord dans le Protecteur Canadien alors publié à St-Albans, Vt., par Antoine Moussette et rédigé par l'abbé Druon, puis dans le Pionnier de Sherbrooke. Plus tard, il avait été tempo- rairement employé à la rédaction du Progrès de L'Est. Autodidacte infatigable, n'ayant reçu comme base d'étude qu'une excellente ins- truction élémentaire, il a constamment travaillé à accroître le cercle de ses connaissances et il emploie encore à étudier tous les loisirs que lui laissent ses fonctions de traducteur. Il a étudié le latin avec le curé de Stoke, aujourd'hui curé de Sherbrooke. Il a appris sans pro- fesseur et suffisamment pour les traduire avec facilité le Portugais, l'Espagnol, l'Italien, l'Allemand et l'Espéranto. Il étudie maintenant l'hébreu et ne désespère pas d'apprendre un jour le sanskrit.

En 1877, après quelques mois passés à la rédaction de la Minerve il avait temporairement remplacé Hector Berthelot, il allait à Saint- Lin, ressusciter le journal Les Laurentides que J.-Israël Tarte avait laissé tomber pour entrer au Canadien de Québec. Quelques mois après, il prenait la rédaction de la Gazette de Joliette, puis, au prin- temps de 1878, il revenait à la Minerve. Un an après il devenait ré- dacteur en chef du Courrier de Montréal, journal indépendant fondé par Denis Duvernay. A l'automne de 1880, il abandonnait ce jour- nal pour cause de divergence politique entre le propriétaire et lui. L'hiver suivant, il allait à Ottawa travailler pour le Col. A. Audet, alors entrepreneur de la traduction des Débats, A la session de 1881, on le retrouve à la Tribune des Journalistes de l'Assemblée Législa- tive de Québec, il fait la correspondance pour la Minerve et le Nouveau-Monde tout en rédigeant le Canard dans lequel il trouva moyen de publier chaque semaine une chanson d'actualité de sa pro- pre composition. Georges Duhamel, plus tard Ministre dans le gou- vernement de Québec, l'avait remplacé à la rédaction du Courrier de

298 Histoire de la Presse Franco-Américaine

Montréal; il remplaça ce dernier un an après. Dans l'intervalle, il avait été nommé traducteur surnuméraire à Ottawa et durant chaque session il cumulait cette charge avec celle de rédacteur du Courrier de Montréal qu'il représenta à la Tribune des Journalistes aux ses- sions de 1882 et 1883. En 1884, il était nommé traducteur des Dé- bats, charge qu'il occupa jusqu'en 1888, alors que, pour des raisons politiques, il fut destitué en même temps qu'Ernest Tremblay et A.-E. Poirier, aujourd'hui Recorder de Montréal. Le Courrier de Montréal ayant cessé de paraître en 1883, il entra à la Presse en 1884. En 1885, on lui écrivit de Fall-River pour lui offrir la rédaction de L'Indé- pendant qui venait de paraître comme journal hebdomadaire. Il ac- cepta et rédigea cette feuille jusqu'à l'ouverture de la session de 1886. En 1888 il devenait rédacteur en chef de la Justice de Québec. A l'automne de 1889, il traversa en France, visita l'Exposition Univer- selle de Paris et fît le tour de l'Italie. A son retour, on lui offrit la rédaction de la Patrie. Il la rédigea jusqu'au printemps de 1890, alors qu'un différend politique le força à se séparer amicalement de M. H. Beaugrand. Il fonda alors à Montréal un journal quotidien nommé L'Indépendant. Il en avait affermé la circulation et se croyait bien sûr du succès. Mais quelqu'un avait probablement intérêt à faire disparaître le journal et le fermier de la circulation préféra se laisser confisquer sa garantie plutôt que de remplir les conditions de son contrat. En 1892 il redevint rédacteur en chef de la Patrie, position qu'il abandonna à l'automne de 1893 pour venir à Fall-River fonder, en société avec M. O. Thibault, L'Indépendant quotidien. En 1894, il vendait sa part à son associé et venait prendre la rédaction de L'Opinion Publique de Worcester. Sa femme étant décédée ici au printemps de 1896, M. Tremblay partit bientôt après pour Ottawa l'attendait sa position actuelle de traducteur à la Chambre des Com- munes. Il s'est remarié le 31 août 1897 à Mlle Alida Charlebois, d'Ot- tawa, fîlle de feu Hyacinthe Charlebois, en son vivant notaire et re- gistrateur du comté de Vaudreuil.

En 1883, M. Tremblay, réunissant toutes les rimes qu'il avait écrites jusqu'alors, publiait un premier volume de vers, Caprices Poli- tiques. En 1884, il publiait un roman intitulé Un Revenant. En 1888, nouveau volume de poésie intitulé Coups d'Aile et Coups de Bec. En 1893, son troisième volume en vers, intitulé Boutades et Rêveries, paraissait à Fall-River. Il a écrit et publié depuis dans

Silhouettes de journalistes 299

divers journaux assez de nouvelles pièces de vers pour former un fort volume. Il ne reste plus en librairie un seul volume des quatre ouvrages que nous venons de nommer et Un Revenant a été tiré à deux éditions. Du reste ces ouvrages ont été aussi bien accueillis par la presse que par le public.

La Ligue des Patriotes, la belle et grande société nationale de Fall- River, est l'oeuvre de M. Rémi Tremblay. La Ligue des Patriotes, fondée par M. Tremblay à la fin de décembre 1885, célébrait avec éclat, le lendemain de Noël 1910, le 25e anniversaire de sa fondation. M. Tremblay, qui était venu spécialement d'Ottawa, était l'un des hôtes d'honneur à cette belle fête, ainsi que son plus ardent coopéra- teur, Mtre Hugo-A. Dubuque.

DR A.-L. TREMBLAY.

Le Dr A.-L. Tremblay est le 11 mars 1846 à Saint-Edouard de Napierville, du mariage de Julien Tremblay et de Adélaïde Poutre. Il fît ses études à l'école Normale de Montréal. Il fut reçu médecin à Albany, N,-Y., le 24 décembre 1867. De il se rendit à Manchester, N.-H., nous le trouvons en i86g associé avec Ferdinand Gagnon pour la publication de la Voix du Peuple. Il exerça la professoin de médecin à Manchester jusqu'à sa mort qui arriva le 12 mai 1879; il n'avait que 33 ans. Il eut une carrière brillante et précoce, car il n'avait pas encore 22 ans lorsqu'il fut reçu médecin. Il fut inhumé dans sa paroisse natale, à Saint-Edouard.

EMILE-H. TARDIVEL.

à Québec le 16 mai 1859, il fît ses études au Petit Séminaire de sa ville natale d'où il sortit avec le titre de bachelier es arts. Il commença sa carrière de journaliste au Courrier de Boston en 1884. Il passa de au Messager de Lewiston, Maine, dont il devint, deux ans après, le propriétaire avec feu le docteur Martel. Dans l'automne de 1887, le comité exécutif de la Convention de Nashua le choisit com- me son délégué auprès de nos compatriotes des Etats de l'Ouest, Son voyage dura six mois. A son retour, il devint secrétaire général de la mémorable convention de 1888, Ses travaux terminés, il entra au Travailleur de Worcester, Mass,, dont il fut le rédacteur en chef jusqu'au mois d'août 1892.

300 Histoire de la Presse Franco-Américaine

Immédiatement après les élections présidentielles de 1892, il alla s'établir à Manchester, N.-H., il fut admis à la pratique du droit en 1894. L'année suivante il fut choisi comme député à la législature de l'Etat. Enfin, en 1901, cédant aux instances de ses amis, il alla se fixer à Berlin, N.-H., il fut élu, six mois après, à la charge importante d'avocat de la cité.

En 1889, M. Tardivel épousa Mlle L.-G. Kavanaugh, de Lewiston, Me., et de ce mariage naquirent deux enfants.

Après un séjour de quelques années à Berlin, N.-H., M. Tardivel retourna à Boston, il pratique actuellement le droit attaché à l'un des bureaux d'avocats réputés de la métropole.

ONESIME THIBAULT.

M. Thibault est à Lévis, province de Québec, le 23 avril 1862. Il fît ses études au collège de Montmagny et à celui de Ste-Anne de la Pocatière. A peine âgé de dix-neuf ans, il émigrait à Fall-River, Mass., il ne tarda pas à faire valoir ses talents. Il entra, en 1884, à l'emploi du Castor, feuille hebdomadaire, qui devint l'année suivante L'Indépendant. Huit ans après son arrivée à Fall-River (en 1889), il était le principal propriétaire de cet important journal, M. Thibault est un travailleur ambitieux, énergique, persévérant et habile. Ajou- tons à ces qualités la franchise et la politesse qui le distingue et nous avons tous les secrets de ses succès.

PIERRE-U. VAILLANT.

M. Pierre-U. Vaillant fut le pionnier du journalisme professionnel à Fall-River. Quelques notes biographiques à son sujet intéresseront sans doute nos lecteurs.

Pierre-U. Vaillant naquit le 14 octobre 1830 à l'Achigan, main- tenant l'Epiphanie, comté de l'Assomption, P. Q., Canada.

Il fît une partie de ses études au collège de l'Assomption. Il fut instituteur pendant sept ans à Ste-Hélène de Bagot, dont il fut aussi le maître de poste et l'un des premiers colons.

Il devint successivement rédacteur du Courrier de St-Hyacinthe, professeur de langue française pendant deux ans à l'Académie de Swanton Falls, dans le Vermont, et au collège de Bourbonnais, dans rillinois, avant l'administration des frères de St-Viateur. Pendant

Charles de Gagné

Joseph-E. Marier

Silhouettes de journalistes 301

trois ans il travailla comme charpentier à la construction des manu- factures à Fall-River.

Il fut l'un des premiers correspondants du Protecteur Canadien et L'Etendard National.

Il assista à la naissance de L'Echo du Canada, journal fondé en cette ville par M. H. Beaugrand, et dont il fut l'un des principaux cor- respondants.

Il partit de cette ville en 1873 pour aller fonder une colonie cana- dienne-française dans Chesham, l'un des Cantons de l'Est de la pro- vince de Québec, qui fut subséquemment nommée Vaillantbourg et dont il fut le premier maître de poste et le premier juge de paix.

En 1881 il vint à Holyoke, Mass., et en société avec M. J.-M. Au- thier, alors de Cohoes, N.-Y., publia le Progrès.

En 1883 il devint co-propriétaire du Castor, fondé à Fall-River par M. H.-A. Dubuque, avocat de cette ville. Deux ans plus tard il vendit ses intérêts à la société de publication de L'Indépendant, actuellement le grand journal quotidien de Fall-River.

En 1885 il publia les Notes Biographiques sur M. l'abbé P.-J.-B. Bédard, brochure de 50 pages qui possède, entre autres mérites, celui d'avoir rendu justice à la mémoire d'un patriote distingué, et d'avoir été écrit, typographie et même broché par un seul homme (lui-même,) à ses débuts dans ces deux arts si difficiles.^

En 1886 il fonda dans le village Flint Fall-River,) le Citoyen, petit journal hebdomadaire, dont il fut le rédacteur et le propriétaire. Dans le cours de la même année il eut l'honneur d'être nommé juge de paix du comté de Bristol.

M. Vaillant fut un des présidents du Club de Naturalisation du Village Flint, qui avait été fondé en décembre 1882, quelque temps après la dissolution de la société St-Jean-Baptiste de la paroisse Ste- Anne, à laquelle M. l'abbé Briscoe avait refusé l'usage du sous-sol de

1. Cette biographie du grand patriote et vénéré M. Bédard a été reproduite entière- ment, sous la rubrique "Vieux articles et vieux ouvrages," dans les numéros de décembre 1908 et janvier et février 1909 de la "Revue Franco-Américaine" de Montréal. C'est un ouvrage palpitant d'intérêt et qui étale dans toute leur crudité et brutalité les misères auxquelles étaient parfois en butte alors les malheureux prêtres canadiens de la part de l'évêque ou de leurs confrères irlandais dans le sacerdoce. Le pauvre M. Bédard est mort le dimanche, 24 août 1SS4, dans toute la force de l'âge (il n'avait pas 40 ans.) abreuvé d'amertumes, véritablement martyr de son dévouement à sa race. En lisant cela on ne peut s'empêcher de bondir d'indignation de voir la méchanceté avec laquelle on a traité un si bon prêtre et si porté pour les œuvres de Dieu et le bien des âmes. S'il revenait sur la terre, le bon curé Bédard serait sans doute émerveillé de voir à quel progrès est parvenue la paroisse Notre-Dame de Lourdes qu'il a fondée et possède aujour- d'hui l'un des temples les plus vastes et les plus riches de la Nouvelle-Angleterre.

302 Histoire de la Presse Franco-Américaine

l'église pour ses assemblées. Il s'intéressa également à toutes nos œuvres nationales.

Ecrivain distingué et patriote infatigable, il fut le modèle du Canadien-français. Il avait fondé à Worcester Le Républicain, qui vécut quelques mois.

J.-E. VENNE.

M. J.-E. Venue, propriétaire de L'Indépendant de Fitchburg, est à St-Jacques de l'Achigan, P.-Q., en 1857. H suivit les cours donnés à l'école de son village natal et plus tard fréquenta le collège de Joliette. En 1877 il vint aux Etats-Unis et prit de l'emploi à Springfîeld, Mass., en qualité de commis en marchandises nouveautés. De là, il alla à Manchester, N.-H., en 1880, continua quelques années à travailler comme commis et en 1887 entra dans les affaires à son compte. Trois ans après, il quittait Manchester pour venir s'établir dans la même ligne, à Lowell, il demeura une dizaine d'années. Ensuite il vint à Leominster qu'il habite depuis 1898. Là, il s'occupa du commerce en gros et prit une part très active dans les mouvements nationaux, politiques et religieux de la Nouvelle-Angleterre.

ELIE VEZINA.

Elie Vézina naquit le 14 avril 1869 à l'Epiphanie, P. Q., Canada.

Son père, un illettré, mais un admirateur des grands orateurs de la province de Québec, s'imposa de bien lourds sacrifices pour lui pro- curer une éducation classique au Collège de l'Assomption. La mort de sa mère vint soudainement interrompre ses études, et à l'âge de 16 ans, sans expérience de la vie, n'ayant entrevu d'autres horizons que les bornes de son village natal et les murs de son collège, il se dirigeait à pied par un froid sibérien vers la cité de Montréal, il espérait atteindre l'idéal de bonheur que sa jeune imagination avait rêvé. Il n'y trouva que déceptions, isolement, dégoût. Les luttes de ses pre- mières années contre la faim, l'indifférence, les épreuves de toutes sortes, contribuèrent à former son caractère résolu et combattif qui en ont fait un des Franco-américains les plus en vue des Etats de l'Ouest.

En 1889 il était comptable aux bureaux de MM. Amédée Geoffrion et Dominique Monet, alors à leurs débuts au Barreau de Montréal. Au mois de février 1890, il quittait sa patrie pour aller se fixer à

Silhouettes de journalistes 303

Muskegon, Michigan, il fonda un journal hebdomadaire, le Devoir, qu'il rédigeait en collaboration avec M. J.-Edouard Rochon, décédé à Fall-River il y a quelques années. En 1891, il arrivait à Chicago et y continua sa profession de journaliste à la rédaction du Courrier de r Illinois. En 1895, il accepta une position du juge Orrin N. Carter, aujourd'hui juge en chef de la cour suprême de l'Illinois, dans les bu- reaux des Commissaires d'Election. Après les élections générales de 1896, le Comité Central Républicain l'installa au bureau d'Enregistre- ment du comté de Cook, position qu'il occupa jusqu'au mois de juin 1911.

Durant ses 20 années de labeurs à Chicago, il s'occupa activement de politique ; il organisa, au milieu de grandes difficultés, le Club Républicain Français du comté de Cook, et contribua puissamment à créer chez les nôtres l'intérêt des affaires publiques. Il fut de toutes les organisations patriotiques, sociales et religieuses, et se dévoua surtout à l'oeuvre admirable de l'Union St-Jean-Baptiste d'Amérique qu'il introduisit dans l'Illinois, le Michigan et l'Indiana.

Au Congrès spécial de Providence, le 13 décembre 191 1,- il fut élu secrétaire général de cette grande société nationale, et depuis son élection, il demeure à Woonsocket, R.-I. C'est un tribun puissant que les masses aiment à entendre et à suivre.

Il est marié et père de trois fîls qui font sa joie et son orgueil.

BRUNO WILSON.

Bruno Wilson est à l'Isle Bizard, comté Jacques-Cartier, P. Q., le g décembre 1868, de Antoine Stanislas Wilson et de Odile Brayer dit Saint-Pierre. Son grand-père, John Wilson, avait vu le jour à Lis- bonne, Portugal, mais descendait d'une famille du pays de Galles, Angleterre ; il émigra au Canada au commencement du siècle dernier. Son grand-père maternel, Joseph Brayer dit Saint-Pierre, fut un des patriotes de "37" qui firent le coup de feu à Saint-Benoit, et à Saint- Eustache, sous les ordres de Chénier.

Après avoir fait de fortes études classiques au Petit Séminaire de Sainte-Thérèse de Blainville, Bruno Wilson étudia le droit sous son oncle, maître Henri-Césaire Saint-Pierre, vétéran de la guerre de séces- sion aux Etats-Unis, aujourd'hui juge de la Cour Supérieure et de la Cour du Banc du Roi à Montréal, puis la médecine à l'Université

304 Histoire de la Presse Franco- Américaine

Laval. Il collaborait déjà à quelques journaux et revues quand, en 1893, il embrassa définitivement la carrière du journalisme actif.

Il débuta à la Minerve, alors sous la direction de l'honorable Jo- seph Tassé et, subséquemment, de l'honorable Joseph Royal, ancien gouverneur du Nord-Ouest. En 1894, il prenait la direction du service des nouvelles du journal le Monde, qui fut fusionné à la Presse l'an- née suivante. Pendant la campagne électorale de 1896, il passa à la Presse en qualité d'assistant de M. Blumhart, rédacteur en chef. M. Laurier ayant porté le parti libéral au pouvoir, la Patrie de M. Honoré Beaugrand devint l'organe ofBciel du nouveau ministère, avec l'ho- norable J. Israël Tarte comme directeur. C'est alors que Bruno Wil- son fut chargé d'organiser et de diriger à ce journal le service d'in- formations et de correspondance sur les bases qu'il occupe encore au- jourd'hui. ,

Cinq ans après, M. Wilson quitte la Patrie pour continuer des fonctions analogues au Journal, devenu publication du soir, mais il est frappé d'une grave maladie qui fit craindre pour ses jours. Au bout de trois mois il réapparaît à la Patrie. Cependant il en sort une se- conde fois pour accepter le fauteuil éditorial à L'Etoile de Lowell, Mass., poste qu'il occupa jusqu'à la fin de décembre 1902, alors qu'il succéda à M. Télesphore Saint-Pierre, comme rédacteur en chef à L'Opinion Publique de Worcester, Mass. A la fin d'août 1906, il quittait l'arène du journalisme actif et retournait au Canada, pen- dant une période de repos de plus de trois ans, nécessité par l'état précaire de sa santé, il se livra à des études sur des spécialités agri- coles. De temps en temps on retrouve de ses articles dans la presse canadienne et dans la presse franco-américaine sur le fléau de la dé- sertion des campagnes, les bienfaits du retour à la terre, la noblesse et l'indépendance de la profession d'agriculteur.

M, Wilson a été appelé au commencement de janvier 191 1 au secrétariat de "L'Union Expérimentale des Agriculteurs de Québec," importante société patronnée par le gouvernement, dont les membres se recrutent parmi les hommes les plus distingués du clergé et du monde scientifique agricole de la province de Québec, et dont le siège principal est à l'Institut Agricole d'Oka, au monastère de la Trappe.

Comme l'on voit, M. Bruno Wilson a de beaux états de services dans le journalisme. A Lowell, et à Worcester surtout, il a passé les dernières années de sa carrière de journaliste, il a laissé les meil-

Silhouettes de journalistes 305

leurs souvenirs et il a conquis de chaudes amitiés que le temps et l'es- pace n'ont pas altérées. Son passage à L'Opinion Publique fut une belle période pour ce journal, car nul mieux que lui savait agencer la facture d'un journal de manière à fournir le maximum d'intérêt pour le lecteur et captiver l'attention de celui-ci. Sa retraite de la carrière fut réellement une perte pour le journalisme, mais il se rend encore utile à ses compatriotes au poste important que le gouvernement de Québec lui a assigné dans l'intérêt de la belle cause de l'agriculture.

L'HONRABLE F.-X. BELLEAU.

L'honorable M. Belleau est, dans toute la force du terme, un "self- made man." L'espèce n'en est sans doute pas rare, aux Etats-Unis. au Canada, il n'avait que dix-huit ans, lorsqu'il vint se fixer à Lewiston, Maine. C'était en 1877. Déjà quelques milliers de nos compatriotes s'étaient établis dans cette ville; et tout semblait an- noncer que l'avenir verrait croître leur nombre et leur influence. Là- bas, dans son pays d'origine, M. Belleau n'avait reçu que l'instruction commerciale ordinaire. Dès son arrivée, il se mit quand même à l'é- tude du droit, voulant ainsi réaliser les aspirations qui l'avaient tou- jours porté vers des études supérieures.

Depuis 1881, date de son admission, M. Belleau s'est peu à peu conquis une réputation de plaideur habile et de sérieux avocat consul- tant. Dès 1885, il fut élu procureur de Lewiston.

Depuis 25 ans il a pris part à toutes les luttes politiques et munici- pales que les divers groupes se sont livrées. D'ailleurs, si le combat était dans ses goûts et lui permettait de déployer ses qualités de "de- bater" et d'orateur populaire, il lui fournissait également l'occasion de rendre à sa nationalité plus de services qu'il ne l'aurait fait en se con- fiant dans ses livres de loi et en ne sortant pas du Barreau. Nous croy- ons même qu'en voulant jouer un rôle extérieur, il a moins eu en vue de satisfaire à ses aptitudes, de cultiver ses intérêts personnels, que d'être plus généralement utile à ses compatriotes. Battu aux élections de 1886 et de 1890 pour la Législature de l'Etat, M. Belleau fut élu à la Législature de 1893 et de 1899. A chacune de ces sessions parlemen- taires, M. Beleau prit une part très active et se fit remarquer par son sens pratique des affaires, par sa lucidité d'esprit dans la discussion, par un talent de parole qui vise beaucoup plus à l'idée qu'à l'expres- sion, et dont la conviction ardente semble faite pour prendre d'assaut un auditoire.

21

30G Histoire de la Presse Franco-Américaine

En 1893, peu après sa première session à la Législature, M. Belleau recevait du président Cleveland une marque de haute confiance. Il était nommé consul américain aux Trois-Rivières, P. Q. M. Belleau s'acquitta de ses fonctions à la satisfaction générale, et ne sut se créer que des amis. Lors de l'élection du président McKinley, M. Belleau donna sa démission de consul et s'en revint à Lewiston reprendre l'ex- ercice de sa profession. La politique le réclama encore. Il se jeta dans la mêlée. Son parti et ses amis politiques qui n'avaient subi que des défaites depuis son départ pour le Canada reprirent le pouvoir à l'Hô- tel-de-Ville et moins d'une année après son retour, M. Belleau fut de nouveau élu à la Législature de l'Etat et fait greffier de sa ville adoptive.

C'est par son entremise comme député à la Législature de l'Etat, en 1893, que l'Hôpital des Sœurs Grises reçut sa première subvention. C'est encore ce compatriote qui a fait augmenter cette subvention en 1899 de trois mille à six mille dollars. "Le Healy Asylum" n'a pas été oublié par M. Belleau. A cette même session de la Législature, cette institution recevait aussi la jolie subvention de $3,000. En tout $9,000 pour nos institutions de Lewiston. Et, encore à la dernière sestîion de la Législature de 1901, lorsqu'il s'est agi de demander à l'Etat des subventions plus impqrtantes, et pour l'orphelinat et pour le nouvel hôpital canadien de Lewiston, M. Belleau mit au service des requérants son expérience des choses parlementaires, sa connaissance des hommes et ne contribua pas peu au succès de la de- mande. Cette chambre vota la jolie somme de $26,000 pour nos insti- tutions.

M. Belleau s'est marié en 1883, à Mlle Blanche Martel, de Saint- Hyacinthe, Canada, sœur du regretté docteur L.-J. Martel. Il est le père de sept enfants.

DR. MARC FONTAINE. Le docteur Fontaine est le 22 janvier 1849 à St-Hugues, pa- roisse qui a donné naissance à feu le Dr Félix-D. Fontaine de Wor- cester, le juge Raphaël Fontaine de St-Hyacinthe et le juge Hugo-A. Dubuque de Fall-River. Le collège de Nicolet est son Aima Mater. Il y fit son cours classique pour entrer ensuite à l'Université Victoria qui lui conféra le titre de docteur en médecine au mois de mars 1871. Six mois plus tard il émigrait et se fixait le 7 octobre à Spencer, Mass., oià il ne tarda pas à se faire une place enviable. Il fut l'un

Silhouettes de journalistes 307

des fondateurs de la société St- Jean-Baptiste en 1874. Dans les af- faires municipales il s'est identifié pour éliminer certains abus dont ses compatriotes souffraient. Il fut évaluateur pour les impôts, membre de la commission des indigents et président de la commission d'hy- giène. Depuis quelques années le docteur Fontaine ne pratique pas sa profession. Il vit dans une modeste aisance avec le fruit de son travail passé.

J.-H. GUILLET.

Joseph-Henri Guillet est à Marieville, comté de Rouville, P. Q., en janvier 1853. Ses ancêtres, Pierre Guillet et Jeanne de Saint-Pair, de la Saintonge en France, étaient établis au Cap-de-la-Madeleine au Canada, en 1649.

M. Guillet fît ses premières études au Petit Séminaire de Mon- noir et quitta les bancs du collège pour aller s'enrôler dans le régi- ment des zouaves pontificaux; il était sous les murs de Rome lors de la prise de cette ville par les troupes de Victor-Emmanuel le 20 sep- tem.bre 1870. Il revint au Canada en novembre de la même année et en 1871 il alla tenter fortune à Fall-River, Massachusetts, il demeura jusqu'en 1874. Cette même année il revint à Lowell prendre charge de L'Echo du Canada, journal publié par Honoré Beaugrand.

En 1881 nous voyons M. Guillet prendre l'initiative du mouvement pour protester contre les déclarations du chef du bureau des statisti- ques du travail de l'Etat du Massachusetts dans son onzième rap- port à la législature accusant les Canadiens-français de la Nouvelle- Angleterre d'être les Chinois de l'Est, et des envahisseurs industriels. M. Guillet convoqua ses compatriotes en assemblée, des résolutions énergiques furent adoptées dénonçant ce rapport comme faux et in- jurieux. Bientôt ce mouvement se propagea dans toutes les principales villes de la Nouvelle-Angleterre. Des requêtes accompagnant ces résolutions furent adressées à la législature du Massachusetts. Une audience d'enquête eut lieu donnant un résultat satisfaisant aux inté- ressés.

Au mois d'octobre 1881, M, Guillet fut élu président de la troisième convention des Canadiens-français du Massachusetts et du Rhode- Island, tenue à Fall-River, Mass.

En 1884 M. Guillet fonda la société d'imprimerie canadienne-fran- çaise qui publia L'Abeille, le premier journal quotidien canadien-fran- çais publié aux Etats-Unis.

308 Histoire de la Presse Franco-Américaine

En 1888 M. Guillet recevait de notre Saint-Père le Pape Léon XIII la distinction honorifique le créant chevalier-commandeur de l'ancien Ordre de Saint-Sylvestre.

En 1889 il prit une part considérable dans l'opposition au projet de loi du comité de cent de Boston, qui avait pour but de faire dis- paraître les écoles paroissiales.

En 1895 il fut choisi président du comité de citoyens de Lowell, organisé pour l'érection d'un monument à la mémoire du Rév. Père A.-M. Garin, O. M. I. Ce monument, que l'on voit près de l'église St-Jean-Baptiste de Lowell, est l'œuvre de notre sculpteur national Philippe Hébert.

M. Guillet est l'un des fondateurs et le premier président de la Société Historique Franco-Américaine. Il est officier d'académie, chef suprême de la grande société nationale des Forestiers Franco-Améri- cains, directeur de la Chambre de Commerce, président du comité de l'Alliance Française à Lowell; il a été le président de la société St- Jean-Baptiste pendant plusieurs termes et le délégué de ses compa- triotes aux diverses conventions nationales.

M. Guillet prend toujours un intérêt très vif à tous les mouvements qui ont pour but l'avancement des Franco-Américains.

Il exerce la profession d'avocat à Lowell depuis grand nombre d'années et par son travail et sa fidélité il s'est acquis une réputation bien méritée.

PHYDIME-J. HEMOND.

à St-Ferdinand d'Halifax, comté de Mégantic, P. Q., le 25 juillet 1875. Fit ses études au Séminaire de Québec. En 1900, au Journal de Fall-River, sous la direction de M. Laflamme. Sept ans à la Tribune de Woonsocket. Trois ans secrétaire de la rédaction à L'Union Fut membre fondateur du Cercle Dauray et du Cercle Tardivel, puis trésorier général de l'A. C. J. F.-A. Secrétaire intéri- maire de l'Union St-Jean-Baptiste d'Amérique sous la tutelle du com- missaire Chafee. Candidat au secrétariat de l'Union St-Jean-Baptiste au Congrès de Providence.

Depuis sa défaite qu'il a acceptée en philosophe, il s'est remis à propager les bons livres français. Sans fortune, il porte sa librairie dans une sacoche, ce qui ne l'a pas empêché depuis quatre ans de répandre plus de soixante mille volumes, entr'autres les ouvrages du

Silhouettes de journalistes 309

Père Louis Lalande, de Mgr Stang, du Cardinal Gibbons, des poètes Pamphile Lemay, Poisson, l'Histoire du Canada de Ferland, etc.

Sa nouvelle profession, peu lucrative, mais bien faite pour exercer son zèle, lui a permis de s'occuper activement et de façon pratique, de l'œuvre des cercles Lacordaire anti-alcooliques. Il vient d'être élu secrétaire du Cercle Lacordaire No 4 de Woonsocket, qui a le privi- lège de posséder les salles les plus luxueuses de la ville et qui se com- pose déjà de trois cents membres, en grande majorité des convertis du Père Jacquemet, Dominicain de Fall-River, l'apôtre renommé de la tempérance.

M. Hémond a épousé Mlle Selfrède Fontaine, de Central Falls, R.-I., le 14 juillet 1902, et se réjouit d'être le père de six enfants. Il est d'avis que plus les familles sont nombreuses, plus elles sont heureuses.

EMERY PERRIN.

à Sainte-Scholastique, dans la province de Québec, le 12 dé- cembre 1843.

Fit son cours d'études au Petit Séminaire de Sainte-Thérèse de Blainville.

Suivit un cours d'instruction militaire à Québec en 1865.

Entreprit l'étude du droit, et, pendant sa cléricature, contribua à la fondation de L'Echo des Deux-Montagnes, auquel il collabora, avec feu Charles Marcil, avocat, et quelques autres hommes de talent.

Admis au Barreau de Montréal en 1867, il jeta la robe aux orties en février 1868 pour s'engager dans le premier contingent de zouaves pontificaux envoyé au secours de Pie IX. A Rome, après 6 mois de service dans le rang, il occupa, pendant le reste de son engagement, la charge de bibliothécaire du régiment.

Revenu au pays en 1870, il pratiqua sa profession à Montréal, en société avec feu Ed. Carmel, jusqu'au moment où, en 1872, il alla à St-Albans, Vermont, sur les instances de M. Antoine Moussette, pro- priétaire de L'Avenir National, occuper le fauteuil éditorial de ce jour- nal, laissé vacant par la retraite de feu Frédéric Houde.

Après que L'Avenir eût passé aux mains d'un syndicat de Troy, N.-Y., notre sujet rentra au Canada et fonda, à Hull, P. Q., avec son frère Télesphore Perrin, une florissante maison de commerce que deux incendies successifs des scieries Gilmour, joints à la crise générale de cette funeste époque, finirent par abattre. A Hull il collabora au

310

Histoire de la Presse Franco-Américaine

Canada Central, fondé dans le but de brider les débordantes ambitions du bouillant mais talentueux Médéric Lanctôt. Fut nommé com- missaire d'écoles, par le lieutenant-gouverneur, et élu à la charge d'é- chevin pour l'un des quartiers de la Cité de Hull, mais refusa d'accep- ter cette charge.

Nommé traducteur français à la Chambre des Communes en 1879, il conserva cet emploi durant 32 ans, et fut honorablement mis à la retraite, à sa propre demande, en 191 1.

i

«

CHAPITKE TRENTE-DEUXIEME Le Révérend Gabriel Richard

U mois de septembre 1909, le Pîlot de Boston, journal offi- ciel de l'archidiocèse de Boston, disait que le premier journal catholique aux Etats-Unis avait été publié par un ^^^1^^ prêtre français, il y avait 80 ans, le Rév. Gabriel Richard. Ce journal s'appelait The Essay of Michigan. Ce n'é- tait pas tout à fait exact. L'Opinion Publique de Worcester signala cette note du Pilot sans faire de rectification, laquelle fut reproduite par plusieurs journaux français de la Nouvelle-Angleterre. Je n'au- rais pas mentionné dans ce livre le nom du Rév. Gabriel Richard sans cette note du Pilot, mais j'estime que la vérité historique a des droits que l'on ne doit pas violer. Nous devons donner à chacun ce qui lui appartient. Le premier journal français publié aux Etats-Unis était le Courrier de Boston, qui vit le jour en 1789, comme nous l'avons vu dans un chapitre précédent. Il pouvait à bon droit aussi passer pour journal catholique.

Le nom du Rév. Gabriel Richard mérite une mention spéciale dans l'histoire des Etats-Unis à titre de missionnaire, auteur et homme politique, mais non à titre de journaliste. C'est aux fins de détruire l'impression erronée qu'aurait pu créer la note du Pilot et des journaux canadiens de la Nouvelle-Angleterre que j'ai cru devoir rectifier les faits. En même temps j'ai cru l'occasion bonne de dessi- ner une figure très intéressante et tout à l'honneur de la race fran- çaise en Amérique. Si M. Richard ne fut pas journaliste, il fut auteur de livres religieux; il fut le premier Français à publier des livres en langue française. Mais avant de faire l'esquisse de M. Richard, ré- glons de suite la question du journal The Essay of Michigan dont on a attribué à tort la fondation à Messire Gabriel Richard. J'ai

312 Histoire de la Presse Franco- Américaine

trouvé il y a quelques années dans les archives de la société Histo- rique du Michigan à Détroit, que cette feuille à quatre pages de ioxi6 pouces, parue à Détroit en 1909, rédigée en langue anglaise avec une colonne et demie en français, avait été publiée par Jacques Miller. Une caractéristique peu banale de ce journal c'est qu'il n'en parut qu'un seul numéro. J'ai relevé dans les archives la note suivante: "On avait attribué la fondation de ce journal au Père Richard, mais il n'a eu rien à faire avec cette publication."

Le Rév. Gabriel Richard, Sulpicien, naquit à Saintes, France, le 15 octobre 1764. Il fît ses études à Angers et fut ordonné prêtre à Issy, près Paris, et devint Sulpicien en 1791. Passé aux Etats-Unis à la veille de la Terreur, l'évêque Carroll de Baltimore, le premier évêque catholique des Etats-Unis, envoya l'abbé Richard dans les mis- sions de l'Ile-à-Kaskaskia dès sa première année de prêtrise. Après six ans il fut transféré au vicariat de Sainte-Anne à Détroit. Cette ville était alors le siège du gouvernement dans cette région de l'Ouest, pos- sédée en premier lieu par les Français, puis les Anglais et enfin les Américains. Détroit contenait à cette époque vers l'année 1800 envi- ron 2,000 âmes. Messire Fréchette, le dernier prêtre sous la juridiction de Québec, avait été rappelé en 1796 et remplacé par Messire Michel Levadoux, prêtre de Saint-Sulpice, qui arriva à Détroit en juin 1798. Plus tard il alla à la Baie Géorgienne et au Sault Ste-Marie il pas- sa quatre années (1801-5.) Il remplit les fonctions de grand-vicaire en remplacement de M. Levadoux, qui était passé en France. Revenu à Détroit il y fonda une école en 1804, et l'année suivante au mois de juin tous les édifices de la mission furent incendiés, église, école et presbytère, ainsi que plusieurs autres maisons de particuliers. En 1807 il était invité à prêcher tous les dimanches aux protestants par le gouverneur et autres personnages officiels, ce qu'il fît sans toute- fois prêcher la contreverse. Tous ces détails ont l'air à s'écarter de notre sujet, mais ils s'y rattachent en réalité, attendu que Messire Richard avait participé aux travaux apostoliques accomplis par les deux éminents prêtres que nous venons de nommer.

Nous avons dit que le Rév. Gabriel Richard fut le premier éditeur de livres français aux Etats-Unis. En 1808 il se rendit à Baltimore dans le but, comme il le disait, de "quêter" pour ses œuvres. On lui fit cadeau d'une presse et de caractères d'imprimerie. Avec ce ma- tériel il confia l'impression des ouvrages suivants à divers imprimeurs:

Le révérend Gabriel Richard 313

L'Ame Pénitente, 1809, 300 pages, Jacques Miller, imprimeur; La Journée du Chrétien, 181 1, 350 pages, A. Coxshawe, imprimeur; Les Ornements de la Mémoire, 1812, 130 pages, A Coxshawe, impri- îî?r"''.^^'l?' "' ^van^y/es (français et anglais,) 1812, 396 pages, Théophile Mettez, imprimeur; Petit Catéchisme Historique, 1812 300 pages, Théophile Mettez, imprimeur; Le Journal des Enfants 1812, 196 pages, Théophile Mettez, imprimeur.

Messire Richard fut le premier éditeur dans l'Ouest des Etats- Ums. La presse et les caractères restèrent sous le toit du presby- tère de Détroit longtemps après sa mort. En 1808 il avait écoles, aca- démie pour filles, séminaire pour garçons contenant des appareils pour 1 étude de la chimie et de l'astronomie. En 1812 il importa le premier orgue de France pour le Nord-Ouest. Durant la guerre de 1812 11 fut fait prisonnier par les Anglais et détenu pendant quelque temps sur le territoire canadien. Il devint par la suite vicaire gé- néral pour le Kentucky, l'Indiana et le Michigan. En 1824 il fit un voyage autour des Grands Lacs et marqua d'une croix l'endroit reposaient les restes du Père Marquette à Michilimakinac

En 1823 Messire Gabriel Richard avait été élu au Congrès des Etats-Unis. Il fut probablement le seul prêtre catholique qui ait jamais siégé au Congrès, il servit un terme. Il mourut en 1832 des suites des fatigues qu'il s'était imposées pendant l'épidémie de choiera. Ses restes reposent à Détroit sous l'église Ste-Anne son portrait est peint sur un des vitraux. A l'hôtel de ville de Dé- troit, sur la façade, sont les statues du Père Marquette, Gabriel Richard, Robert de la Salle et A. de Lamothe-Cadillac

il

CHAPITRE TRENTE-TROISIEME Les Journalistes en Association

E 25 septembre 1906, sur l'invitation de M. J.-L.-K. Laflam- me, alors rédacteur de la Tribune, de Woonsocket, R.-I., un certain nombre de rédacteurs et propriétaires de jour- naux se réunirent à Woonsocket, aux fins de s'organiser en association et adopter un programme commun pour la défense des intérêts nationaux des nôtres. Il y eut deux réunions au Monument House, lieu du rendez-vous, la première le soir du 25 sep- tembre, et une autre le lendemain dans la matinée. Dans la première, furent discutées les matières qui devaient faire l'objet d'un program- me, et dans la seconde on formula des résolutions signées par les journalistes présents et ceux qui avaient envoyé leur adhésion.

C'était, pour l'époque, une tentative qui paraissait nouvelle. Il n'en était rien cependant. Si nous remontons à dix-neuf ans en arrière à compter de 1906, nous trouvons que les 16 et 17 novembre 1887 il y eut à Worcester un congrès de la presse franco-américaine. L'idée générale qui présidait à ce congrès était essentiellement la même qu'à celui de Woonsocket en 1906. Voici les noms des journalistes qui assistèrent à cette réunion avec ceux des journaux qu'ils représen- taient: Dr L.-J. Martel, Emile-H. Tardivel et Régis Provost, du Messager, de Lewiston, Me. ; J.-C. et H. Roy, et Godfroy de Tonnan- cour, du Défenseur, de Holyoke, Mass.; J.-M. Authier, de la Patrie, de Cohoes, N.-Y. ; Jean Bergeron, du Courrier du New-Hampshire, de Manchester, N.-H. ; P.-U. Vaillant, du Citoyen, de Fall-River, Mass.; J.-F. Pinard, du National, de Plattsburg, N.-Y.; François Odier, du Courrier de Worcester, Mass.; H.-A. Dubuque et Alexan- dre Belisle de L'Indépendant, de Fall-River, Mass. Le Travailleur était représenté par une longue liste d'hommes qui le servaient à

Les journalistes en association 315

divers titres. Son illustre fondateur, Ferdinand Gagnon, était mort l'année précédente, mais son esprit y présidait encore. Dirigé par M. Lalime, son beau-frère, ce journal tenait incontestablement la tête parmi les journaux alors existants. A cette convention de journa- listes à Worcester, le Travailleur était représenté par Charles Lalime, Ambroise Choquet, rédacteur, feu Arsène Girardin, administrateur, Adolphe Bouvier, Alfred-G. Lalime, le Dr J.-H. Maynard-Bellerose et L.-P. Lucier, de Nashua. Ces trois derniers sont aussi morts depuis.

Les réunions des journalistes eurent lieu sous la présidence du regretté Dr L.-J. Martel, avec P.-U. Vaillant secrétaire. On forma une organisation qu'on appela l'Association des membres de la presse canadienne-française des Etats-Unis, dont devaient faire par- tie les rédacteurs et propriétaires de journaux présents et ceux qui par la suite s'y rallieraient. L'association était divisée en deux caté- gories: 1°. les éditeurs-propriétaires, et 2°, les rédacteurs. Le bureau de direction était composé d'un président, un vice-président, un secré- taire, un trésorier et trois syndics. Ces derniers étaient choisis parmi les propriétaires et à eux était dévolue la décision des questions finan- cières. Les journalistes de ce temps quand je dis "de ce temps" je ne veux pas dire qu'ils sont tous disparus, car plusieurs d'entre eux vivent encore les journalistes de ce temps, dis-je, devaient être ri- gides à l'égard des principes, car, comme sanction de l'exécution des règlements adoptés ils avaient décrété le paiement d'une amende de $100 par celui qui ne s'y conformerait pas.

Les officiers permanents élus furent: J.-M. Authier, président; Hugo-A. Dubuque, vice-président; P.-U. Vaillant, trésorier; Godfroi de Tonnancour, secrétaire.

Dans les résolutions adoptées il était dit que "Nous devons tous être unis sur les questions nationales, et traiter plus souvent des su- jets touchant à la politique américaine ; devons nous efïorcer d'assurer le succès de la démonstration nationale qui aura lieu à Nashua, N.-H., l'an prochain" (la grande convention nationale de 1888.)

Si l'on remonte encore plus haut, on trouve qu'en 1875 il y eut une première réunion de journalistes encore à Worcester chez Ferdi- nand Gagnon. S'y étaient donné rendez-vous. Honoré Beaugrand, Frédéric Houde, H.-R. Benoit, de Fall-River, J.-M. Authier, de Cohoes, Joseph LeBoeuf, de Troy, et P.-C. Chatel, de Holyoke.

316 Histoire de la Presse Franco- Américaine

Mais revenons à la convention des journalistes de 1906. Elle a fait époque dans les annales de notre journalisme. Le retentisse- ment qu'elle eut alors vaut qu'elle soit consignée spécialement dans cette histoire du mouvement journalistique français aux Etats-Unis. Il y avait peu de temps que le fameux incident de Fall-River s'était produit, cet incident qui avait donné lieu à une polémique si véhé- mente entre certains journaux. Les esprits étaient à peine refroidis. M. Laflamme, qui avait rompu plusieurs lances avec M. de Tonnan- cour à propos de cet incident, pour prévenir le retour de divisions aussi pénibles dans notre journalisme, résolut de convoquer les jour- nalistes en congrès et il invita tous les journaux à s'y faire représenter. Plusieurs journaux n'avaient pas de représentants à la réunion, mais à la dernière heure ils firent parvenir leur adhésion à tout ce que le congrès jugerait bon d'adopter. C'est ainsi que l'on vit le nom de G. de Tonnancour, de L'Indépendant, quoiqu'il ne fût pas présent, figurer au bas des résolutions adoptées en compagnie de celui de J.-L.-K. Laflamme. Ces deux ardents adversaires de la veille se trou- vaient ainsi à enterrer la hache de guerre. Le hasard ménage ainsi de curieux retours. Pendant un temps on se chamaille, on se dit de gros mots et on finit par se rencontrer sur un terrain commun l'on est surpris de se trouver mutuellement d'accord sur les principes généraux.

Ce congrès de journalistes coïncidait avec la convention biennale de l'Union Saint- Jean-Baptiste d'Amérique, qui avait lieu cette année- à Woonsocket. A leur première réunion les journalistes, après une discussion qui se prolongea à une heure avancée de la nuit, consti- tuèrent un comité qui devait préparer des résolutions et en faire rapport à la séance du lendemain. Ce comité était composé de MM. Laflamme, Couture, Bonneau, Brochu et LeBoutillier. Le lende- main, 26 septembre, les journalistes avaient une deuxième et dernière séance à laquelle ils mirent la dernière main à l'organisation de la nouvelle association et adoptèrent le projet de résolutions que le co- mité avait hâtivement préparées, sauf quelques légères modifications. Ces résolutions constituaient tout un programme touchant aux ques- tions vitales qui intéressent notre nationalité. Aussi furent-elles endossées avec enthousiasme par la convention de l'Union Saint- Jean-Baptiste. Cette année-là M. Adélard Archambault était maire de Woonsocket. A leur deuxième séance les journalistes eurent le

Les journalistes en association 317

plaisir et l'honneur de recevoir sa visite. Comme l'on peut bien pen- ser, il fut reçu avec enthousiasme. Il fut résolu de fonder une asso- ciation de journalistes franco-américains, et le bureau de direction suivant fut choisi pour le prochain semestre: président, J.-L,-K. La- fîamme ; secrétaire, J.-E. Brochu ; trésorier, Dr Janson-Lapalme.

Tous les journaux quotidiens publièrent le même jour les résolu- tions des journalistes, qui furent reproduites par les journaux non quotidiens et la plupart des journaux du Canada. Elles eurent du retentissement surtout en raison de l'article relatif au clergé national. C'était une question brûlante qui était susceptible de soulever des critiques et des blâmes en certains milieux ecclésiastiques. Nous croyons que notre rôle d'historien nous justifierait de relater ici la protestation qui fut faite alors et qui partit de haut lieu, mais comme nous tenons à ne dire quoi que ce soit pouvant réveiller d'anciennes animosités, nous avons cru qu'il était mieux de ne reproduire que les résolutions. En effet, nous n'avons pas à nous prononcer sur la ques- tion de savoir si les journalistes, en formulant leurs vœux à l'égard du clergé national, empiétaient ou non sur un terrain exclusivement du domaine de l'autorité épiscopale. Voici le texte des résolutions:

Résolutions adoptées par l'Association des journalistes

franco-américains à Woonsocket, R.-I., le

26 septembre 1906.

Les journalistes franco-américains de la Nouvelle-Angleterre, ré- unis en convention à Woonsocket, R.-I., les 25 et 26 septembre 1906, désireux de suivre un programme d'action qui leur soit commun à tous pour la défense des questions d'intérêt vital pour l'élément fran- co-américain, adoptent les résolutions suivantes comme résumant les points essentiels dont ils ne doivent pas s'écarter dans la défense de la cause nationale:

NATURALISATION ET LANGUE FRANÇAISE.

Ils protestent de leur loyauté envers la constitution de la Répu- blique américaine et engagent tous ceux qui ne l'ont pas encore fait à devenir citoyens américains ; ils apprécient, à toute sa valeur, la liberté qui leur est garantie par la constitution et croient, avec le président Roosevelt, "que les différents groupes ethniques qui composent la

318 Histoire de la Presse Franco-Américaine

nation ne doivent avoir qu'un sujet de rivalité, celui de savoir lequel fera le plus et le mieux pour la gloire et la prospérité du pays"; ils reconnaissent que la langue anglaise est la langue officielle du pays, mais ils affirment leur droit de conserver leur langue maternelle tout en apprenant l'autre, la connaissance des deux langues étant plutôt une marque de supériorité qu'un acte hostile à la République.

CLERGE NATIONAL.

Ils protestent de leur dévouement et de leur respect envers les autorités religieuses légitimes des différents diocèses de la Nouvelle- Angleterre, mais ils constatent avec le plus vif regret la permanence de certains griefs dont leurs compatriotes souffrent depuis trop long- temps; ils attirent l'attention du Chef de l'Eglise sur cet état de choses qui est une menace pour la foi catholique aux Etats-Unis et une cause de pertes pour les âmes; ils protestent avec énergie contre toutes les tentatives de faire disparaître chez leurs compatriotes franco-américains l'usage de la langue française et de détruire par dans leurs familles les traditions ancestrales; et se prévalant de cette coutume de l'Eglise qui accorde aux nationalités un clergé de leur race, ils demandent respectueusement, dans l'intérêt de la foi et de la justice, et chaque fois que l'occasion se présentera de faire droit à cette demande: i°. des évêques d'origine canadienne-française ou franco-américaine dans chacun des diocèses les Franco-américains constituent la majorité de la population catholique; 2°. des curés d'origine canadienne-française dans toutes les paroisses composées exclusivement de catholiques franco-américains et dans toutes celles les Franco-américains sont en majorité; 3°. des desservants par- lant leur langue dans toutes les paroisses contenant des familles fran- co-américaines. Et afin d'assurer d'une façon plus générale le règne de la justice égale pour tous, ils supplient ardemment le Père des fidèles d'instituer le plus tôt possible une enquête sur la condition des affaires religieuses et tout spécialement sur la situation injuste qui est faite aux catholiques franco-américains dans les diocèses de la Nouvelle-Angleterre,

ECOLES PAROISSIALES.

Conformément au décret du Concile de Baltimore et à l'enseigne- ment des papes, ils recommandent la fondation d'écoles paroissiales

Les journalistes en association 319

pour les catholiques et se font un devoir de féliciter chaleureusement le clergé franco-américain et les populations de nos paroisses pour les sacrifices considérables qu'ils n'ont pas cessé de faire en faveur d'une œuvre aussi importante ; ils réclament pour les écoles parois- siales franco-américaines le droit de l'enseignement de la langue fran- çaise au moins sur un pied d'égalité avec la langue anglaise; ils de- mandent que les écoles paroissiales soient laissées sous le contrôle des curés. Partout il y a des inspecteurs diocésains, ils les prient d'accorder aux matières françaises l'attention qui est donnée aux ma- tières anglaises; ils recommandent, pour les enfants franco-améri- cains, l'enseignement en français de toutes les matières religieuses.

SOCIETES NATIONALES.

La société de secours mutuel fournissant aux différents groupes ethniques leur principal moyen d'organisation, les journalistes franco- américains recommandent à leurs compatriotes de s'enrôler de préfé- rence dans leurs associations nationales fédératives, dont l'Union Saint-Jean-Baptiste d'Amérique, l'Association Canado-Américaine et l'ordre des Forestiers Franco-Américains sont les types les plus par- faits, tout en engageant ces trois associations à étudier les moyens d'opérer entre elles une fédération de leurs forces; ils insistent sur la nécessité pour les Franco-Américains de s'enrôler de préférence dans leurs propres sociétés franco-américaines; ils condamnent l'en- rôlement de leurs compatriotes dans les sociétés de langue anglaise, neutres ou autres, et font de ce principe d'action un des articles essen- tiels de leur programme.

DENIER DE SAINT-PIERRE.

Journalistes catholiques et fils dévoués de l'Eglise, ils recomman- dent à toutes nos sociétés nationales, à toutes nos associations pa- roissiales, aux membres du clergé franco-américain, à tous les catho- liques de notre race, d'accorder le plus ferme et le plus généreux appui à l'œuvre sainte entreprise par la Société Franco-Américaine du Denier de Saint-Pierre, afin de seconder dans toute la mesure de leurs forces les efforts accomplis par Son Excellence le Délégué Apos- tolique en faveur de la caisse pontificale et pour répondre à l'appel du Souverain-Pontife.

320 Histoire de la Presse Franco-Américaine

NOS JOURNAUX.

L'attention des Franco-américains est tout particulièrement atti- rée sur les résolutions qui ont été adoptées par nombre de conven- tions nationales et d'Etat concernant la presse franco-américaine; les membres de cette convention de journalistes, tout en exprimant leur reconnaissance pour l'encouragement reçu dans le passé, sollicitent respectueusement, tant des membres du clergé que des laïques et tout spécialement des trois sociétés fédératives ci-haut mentionnées leur généreux patronage en souscrivant personnellement aux journaux franco-américains et en encourageant nos compatriotes à faire de même.

J.-B. Couture, le Messager, de Lewiston, Me.

Dr R.-G. Janson-Lapalme, le Progrès, de Lawrence, Mass.

G. de Tonnancour, L'Indépendant, de Fall-River, Mass.

J.-B.-S. Brazeau, le Jean-Baptiste, de Pawtucket, R.-I.

Maxime Lépine, L'Etoile, de Lowell, Mass.

C. -Edmond Belisle, L'Opinion Publique, de Worcester, Mass.

J.-L.-K. Laflamme, la Tribune, de Woonsocket, R.-I.

A.-E Roberge, le Courrier National, de Lawrence, Mass.

J.-G. LeBoutillier, L'Avenir National et le Canado- Américain, de Manchester, N.-H., délégué par J.-E. Bernier.

Alfred Bonneau, la Justice, de Biddeford, Me.

L.-Eugène Jalbert, le Progrès, de Woonsocket, R.-I.

Aimé Gauthier, le Courrier, de Salem, Mass.

A.-L. Beauchamp, L'Estafette, de Marlboro, Mass.

Arthur Laberge et Joseph-E. Brochu, la Justice, de Central Falls, R.-I.

Il

il

CHAPITEE TKENTE-QUATEIEME L'incident des "Chinois de l'Est"

N 1881 les journaux canadiens de la Nouvelle-Angleterre eurent à s'occuper d'une affaire retentissante qui souleva l'indignation et la colère des Canadiens émigrés. C'était un rapport officiel de M. Carroll-D. Wright,^ commissaire des statistiques du travail à Boston, les Canadiens émi- grés étaient qualifiés de "Chinois des Etats de l'Est." Cet incident constitue une intéressante page d'histoire franco-américaine. Les journaux du temps, particulièrement le Travailleur de Worcester, donnèrent une grande publicité à l'affaire, et c'est pourquoi j'ai cru que cet épisode avait sa place dans une histoire comme celle-ci. La mort de M. Wright, survenue à Worcester au mois de février 190g, évoqua ces souvenirs déjà lointains, et le rédacteur de L'Opinion Publique publia dans la Revue Franco- Américaine de Québec, livrai- son d'avril suivant, une étude historique sur l'incident des "Chinois

1. Carroll-Davidson "VS^right naquit à Dunbarton. N.-H., le 25 juillet 1840, fils du Rév. Nathan-R. Wright et de Eliza Clarke. Il commença à étudier le droit en 1S60, mais deux ans plus tard il abandonnait ses études légales pour s'enrôler comme soldat dans le 14e Régiment des Volontaires du New-Hampshire. Montant de grade en grade, il devint bientôt le colonel de son régiment. Après la guerre de Sécession l'état délabré de sa santé l'empêcha de se livrer à la pratique du droit avant 1867. Cette année-là il vint s'établir à Boston. Il fut sénateur du Massachusetts durant les sessions de 1S72 et 1873, puis il devint chef du Bureau des Statistiques du Travail du Massachusetts, position qu'il occupa jusqu'à 1888. En 1880 il était nommé surveillant du recensement fédéral pour le Massa- chusetts. En 188.5 le président Cleveland l'appelait à Washington pour lui confier la charge de Commissaire du Travail, position qu'il occupa pendant vingt ans.

M. Wright était aussi à la tête du bureau qui compléta le onzième recensement. Comme secrétaire de la commission qui régla la grève du charbon anthracite, il y a quelques années, ses décisions ont été beaucoup critiquées par le travail. Depuis 1904, M. Wright était président du Clark Collège, de Worcester, Mass. Il avait été aussi chargé du cours sur les statistiques et l'économie politique à l'Université Catholique d'Amérique, à Washington, au Columbian Collège et à l'Université Harvard, et il est l'auteur de plusieurs ouvrages qui font autorité sur les mêmes sujets. Quatre collèges lui avaient conféré le degré de LL. D. Il avait été honoré de décorations par plusieurs gouvernements étrangers, notam- ment la Légion d'Honneur de France. Il est mort à Worcester le 20 février 1909, dans la 68e année de son âge, après une carrière toute de travail et de dévouement consacrée à son Etat et à son pays, et généralement regretté par tous ceux qui étaient venus en contact avec lui.

22

322 Histoire de la Presse Franco- Américaine

de l'Est." Voici cet article avec les annotations qui l'accompagnent: La mort récente de M. Carroll-D. Wright, président du Clarke Collège de Worcester, remet en mémoire un incident qui fit grand tapage dans toute la Nouvelle-Angleterre il y a plus d'un quart de siècle. Une génération est déjà passée depuis cette période, mais il reste encore des contemporains de cette période troublée qui ont alors pris part activement à la grande agitation soulevée parmi les Cana- diens de la Nouvelle-Angleterre ou en ont eu connaissance. Nous vou- lons parler du fameux rapport officiel de M. Carroll-D. Wright, alors commissaire des statistiques du travail à Boston, sur les heures uni- formes de travail.

Au cours de ce rapport, qui fut publié en 1881 et contenait une masse d'informations et chiffres recueillis parmi les patrons et les employés, les Canadiens-français émigrés sont appelés les Chinois des Etats de l'Est. La nouvelle d'une aussi étonnante comparaison faite dans un document officiel ne tarda pas à se répandre parmi les centres de la Nouvelle-Angleterre et de l'Etat de New-York les nôtres étaient en nombre. On peut mieux s'imaginer que dépeindre le mouvement d'indignation et de colère qui s'empara de tous les esprits dans les rangs déjà fort nombreux des émigrés canadiens- français. Mais n'anticipons pas et faisons d'abord la genèse du rap- port qui eut le don de soulever une pareille tempête de protestations. Le rapport en question était une partie du douzième rapport an- nuel du Bureau des Statistiques du Travail du Massachusetts et forme une brochure, format ordinaire, de plus de 150 pages. C'était un tra- vail considérable qui demandait une grande somme d'attention et d'ap- plication. Aussi les intérêts en jeu étaient d'une importance capitale, comme on pourra en juger par la résolution de la législature du Massa- chusetts, approuvée le 17 mars 1880, relativement à un système uni- forme des lois en certains Etats, régularisant les heures de travail. Voici la traduction du texte de cette résolution:

"Résolu, Que le Bureau des Statistiques du Travail est par le présent chargé de recueillir des renseignements et obtenir des té- moignages des patrons et employés dans les Etats du Maine, New- Hampshire, Massachusetts, Rhode-Island, Connecticut et New-York, relativement à un système uniforme de lois pour réglementer les heures de travail dans les Etats mentionnés, et de présenter les résul-

Emery Perrin

P.-r. Vaillant

L'incident des ''Chinois de l'Est'' 323

tats de ses investigations à la législature dans son prochain rapport annuel."

L'objet de cette résolution (Chap. 29, Résolutions de 1880) était de fournir au public des renseignements assez précis pour que la ques- tion de l'établissement d'un système uniforme de lois dans les Etats de l'Est et les principaux Etats de l'industrie textile, régularisant les heures de travail, pût être discutée d'une manière scientifique ; et, à cette fin, le Bureau des Statistiques avait recueilli tous les faits qui pouvaient être obtenus, portant d'un côté et de l'autre, de la manière la plus complète possible par les moyens à sa disposition.

Pour bien se rendre compte du motif principal de cette enquête ordonnée par la législature du Massachusetts en 1880, il convient d'exposer succinctement en quel état se trouvait la question du travail à cette époque dans les Etats de l'Est. Il y a vingt-cinq ou trente ans la condition ouvrière était bien différente de ce qu'elle est au- jourd'hui. Le travail n'était pas aussi organisé, les syndicats ouvriers n'avaient pas la puissance qu'ils ont de nos jours et les heures de tra- vail étaient plus longues. Aussi c'était une lutte et un antagonisme presque perpétuels entre le capital et le travail, ces deux grands le- viers de la civilisation et du progrès qui devraient être plutôt tou- jours dans les relations de la plus complète harmonie.

Cette époque était fertile en conflits ouvriers et en grèves désas- treuses, d'où sortaient rarement les travaillants avec avantage. Les législateurs du Massachusetts avaient résolu d'essayer de porter re- mède à la déplorable condition ouvrière qui régnait non seulement en cet Etat, mais aussi dans toute la Nouvelle-Angleterre, et pour arriver à ce but ils avaient demandé le concours des Etats voisins.

En 1880 le Massachusetts était dans une position désavantageuse vis-à-vis des autres Etats de l'Est quant à la durée du travail. La se- maine de travail était de 60 heures, soit une moyenne de dix heures par jour. Les syndicats ouvriers demandaient une réduction (sub- séquemment la loi de 8 heures fut votée), mais les manufacturiers s'y opposaient énergiquement en raison même de la position désavanta- geuse dont nous venons de parler et qui résultait de la moyenne de 66 heures de travail par semaine en vigueur dans les autres Etats. Les manufacturiers avaient demandé que l'on fît des efforts pour in- duire les autres Etats à diminuer cette moyenne de 66 heures avant de songer à diminuer les 60 heures de cet Etat. Ils alléguaient, pro-

324 Histoire de la Presse Franco- Américaine

bablement avec raison, qu'ils luttaient déjà depuis longtemps avec des armes inégales contre la concurrence des industries similaires des autres Etats de l'Est, notamment de l'industrie textile.^

C'est alors que, conformément à un ordre législatif, le Bureau des Statistiques du Travail du Massachusetts, dont M, Carroll-D. Wright était le chef, procéda à l'enquête dont nous avons plus haut exposé l'objet. Le Bureau mit plusieurs agents en campagne. Chacun d'eux avait deux séries de questions auxquelles les patrons et les employés respectivement devaient répondre.

Dans ses conclusions, M. Wright dit qu'il est évident que le Massa- chusetts, avec dix heures de travail par jour, produit autant par homme ou par métier ou par broche, si l'on considère les qualités égales, que les autres Etats avec onze heures et plus, et que les salaires sont aussi élevés ici, sinon plus, que dans les Etats les fabriques fonctionnent plus longtemps. Il n'y a pas de raison, déclare M. Wright, pour que les filatures dans le New-York, le Connecticut, le Rhode-Island, le New-Hampshire et le Maine ne fonctionnent pas sur la base de dix heures conformément au système qui prévaut dans le Massachusetts avec de bons résultats.

Nous voici maintenant à l'endroit psychologique du rapport, celui sont employés les malheureux termes "Chinois de l'Est" pour dé- signer les Canadiens-français. Le rapport dit que l'enquête serait incomplète SANS DONNER LES EXPERIENCES DES AGENTS EMPLOYES, EN AUTANT QU'IL S'AGIT DES TEMOIGNAGES QU'ILS ONT RECUEILLIS. Le compilateur a soin de prévenir que ses agents ont recueilli beaucoup d'informations incidentes et qu'à bien des points de vue elles forment le côté le plus important de leur travail. Il était naturel, dit-il, que d'abondants matériaux impor- tants fussent recueillis par des hommes observateurs au moyen des conversations qu'ils avaient avec les manufacturiers et les ouvriers, lorsque tous, sans restrictions aucunes, parlaient à cœur ouvert. Voilà comment il se fait que les termes "Chinois de l'Est" se trouvaient intercalés dans le rapport. Ils se sont tout simplement trouvés dans l'appréciation d'un agent que le rapport contient avec beaucoup d'au- tres détails. Nous traduisons ci-après la partie du rapport qui est consacrée particulièrement aux Canadiens-français.

1. La moyenne des heures de travail dans les autres Etats est maintenant de 60 heures par semaine. L'Etat de New-York fut, croyons-nous, le premier à réduire ses heures de travail à 60 heures, pendant que le Massachusetts tombait à 58 heures.

Uincident des ^^ Chinois de VEsf 325

Il n'avait été trouvé que trois objections sérieuses contre l'adop- tion de dix heures dans les Etats en dehors du Massachusetts. La première provenait des petites fabriques. Leurs propriétaires s'é- criaient avec un ensemble parfait: "La journée de dix heures serait notre ruine." La seconde objection pouvait se traduire par les trois mots, Whisky, Tabac, Désœuvrement. En d'autres termes, les manu- facturiers ne voulaient donner aucune recréation à leurs employés sous le prétexte qu'ils emploieraient ce temps à boire, fumer et fainéanter. Une curieuse raison, dira-t-on aujourd'hui, mais il paraît qu'elle avait un certain poids dans l'esprit d'un grand nombre de manufacturiers.

"La troisième objection, dit le rapport, aux dix heures est la pré- sence des Canadiens-français. Partout oii ils apparaissent, leur pré- sence est donnée comme une raison pour que les heures de travail ne doivent pas être réduites à dix. Il ne faut pas aller loin pour en chercher la cause.

"A quelques exceptions près, les Canadiens-français sont les Chi- nois des Etats de l'Est. Ils n'ont aucune considération pour nos insti- tutions civiles, politiques ou d'éducation. Ils ne viennent pas pour s'établir parmi nous, pour faire acte de citoyens avec nous, et ainsi devenir partie de nous-mêmes; mais leur but est simplement de sé- journer quelques années comme étrangers, n'ayant des rapports avec nous que sur un seul point, celui du travail, et lorsqu'ils ont gagné assez d'argent chez nous pour satisfaire leurs fins, de s'en retourner à la place d'où ils sont venus et y placer leurs gains. Ils sont une horde d'envahisseurs industriels, non un courant de migrateurs stables. Le vote, avec tout ce que le mot implique, ils ne s'en occupent nulle- ment. Rarement l'un d'entre eux se fait naturaliser. Ils n'enverront pas leurs enfants à l'école s'ils peuvent s'en dispenser, mais ils s'ef- forcent de les entasser dans les fabriques à l'âge le plus tendre pos- sible. Pour cela, ils trompent au sujet de l'âge de leurs enfants avec une impudente effronterie. Ils trompent aussi au sujet de leur fré- quentation de l'école, déclarant qu'ils ont été à l'école le temps légal, quand ils savent que ce n'est pas le cas et n'ont pas l'intention de les y envoyer. Et lorsque à la fin ils sont poussés au pied du mur par les officiers scolaires et qu'il n'y a pas d'autre issue, ils ramassent les quelques effets qu'ils ont et s'en vont à quelque autre endroit ils ne sont pas connus, et ils espèrent, par une répétition des mêmes

326 Histoire de la Presse Franco- Américaine

tactiques frauduleuses, échapper entièrement aux écoles, et tenir leurs enfants à l'ouvrage assidûment dans les fabriques."

Voilà assurément un jugement fort sévère et d'une exagération outrageante, et nous croyons bien qu'un officier public y penserait deux fois aujourd'hui avant de l'insérer dans un document officiel. L'agent qui avait obtenu ces renseignements au cours de ses conver- sations n'a parler qu'avec des gens prévenus contre les Canadiens et nourrissant des préjugés contre notre race; cela est de toute évi- dence. Il pourrait se faire qu'en certains cas des familles canadiennes fussent dans la situation et la mentalité décrite par l'agent, mais celui- ci faisait grandement erreur en concluant du particulier au général. Et cela ne le justifiait aucunement de comparer les Canadiens-fran- çais aux Chinois. C'était un outrage qui fut vivement ressenti et eut un immense retentissement dans la Nouvelle-Angleterre partout il y avait un groupe de Canadiens-français.

Le bon trait, mais le seul, que reconnaissait aux Canadiens l'agent de M. Wright en ajoutant qu'ils sont d'infatigables travailleurs et do- ciles^ ne tempéra en rien la légitime colère et l'indignation qui sou- levèrent toute une race se sentant déjà assez forte, dans le milieu oii elle était fixée, pour revendiquer hautement son honneur outragé et sa fierté blessée, par le fait d'employés publics salariés, aux yeux des autres nationalités. Mais immédiatement après, le rapport continuait en représentant les Canadiens comme des gens venant ici à la curée, ne demandant qu'à travailler, peu importe le nombre d'heures de travail, vivant de la manière la plus sordide afin de dépenser le moins possible pour leur subsistance et apporter hors du pays ce qu'ils pouvaient ainsi épargner. Voilà, disait le rapport, le but des Canadiens-français dans nos districts manufacturiers.

On ne peut nier que de tout temps, depuis que les Canadiens ont commencé à émigrer aux Etats-Unis, un certain nombre d'entre eux s'en sont retournés avec leurs familles sur leurs terres de la Province de Québec avec l'argent ramassé ici. Mais cela a toujours été l'ex- ception. Un grand nombre partaient du Canada avec l'idée de revenir, mais une fois acclimatés et accoutumés aux nouvelles conditions de vie, sous l'influence bienfaisante surtout, en certains cas, de la paroisse comme celle qu'ils avaient laissée, ils perdaient l'esprit de retour et bâtissaient la grande famille franco-américaine dont nous constatons aujourd'hui la merveilleuse expansion. Cela c'est de l'histoire, et

Uincident des '^Chinois de l'Est" 327

l'histoire dira aussi que malgré toutes les injustices et les avanies qui ont assailli le peuple canadien-français et catholique des Etats-Unis dans l'ordre religieux comme dans le domaine civil, peut-être plus dans le premier que dans le dernier, ce peuple n'a pas failli à sa mis- sion et à la fin confondait ses ennemis et ses oppresseurs par une fidé- lité et un attachement inébranlables à ses coutumes et à sa langue, la plus sûre gardienne de sa foi religieuse.^

Nous avons dit que la colère et l'indignation soulevèrent tout le peuple canadien-français de la Nouvelle-Angleterre. On tint natu- rellement responsable de l'outrage l'homme qui se donnait comme l'auteur du rapport, M. Carroll-D. Wright. Les principaux Canadiens dans les différentes villes se concertèrent pour se rendre en même temps et se rencontrer à un jour désigné à Boston.

M. Wright ayant été avisé de la visite prochaine des délégués, comprenant des membres du clergé, des hommes de profession, des journalistes et autres, M. Ferdinand Gagnon, rédacteur du Travail- leur de Worcester, recevait du chef du Bureau des Statistiques du Travail, au mois d'octobre 1881, la lettre suivante:

"Je ne chercherai aucunement à faire la preuve qui m'a été sou- mise l'automne dernier. Mes agents ont eu raison de me faire con- naître tout ce qu'ils avaient appris, et ils n'étaient pas préjugés. Mais il est possible que les personnes qui ont donné leur témoignage aient été elles-mêmes préjugées. Si l'état de chose dont on se plaint n'existe pas, j'en serais très heureux. Rappelez-vous que le rapport de ce Bureau ne se rapportait qu'aux Etats le système de dix heures de travail ne prévaut pas, et les faits dont on se plaint n'ont aucune relation avec le Massachusetts."

Cette lettre, publiée dans les journaux du temps, faisait bien voir que le commissaire Wright était bien disposé à l'égard des Canadiens, qu'il ne demandait pas mieux qu'on lui démontrât la fausseté des accu- sations qui avaient été portées contre toute leur race. En effet, les agents n'avaient pas inventé ; ils ont rapporté fidèlement ce que leur avaient déclaré des personnes qui détestaient les Canadiens et qu'ils croyaient dignes de foi. Cette antipathie non déguisée ne résultait pas seulement de la différence de langue et de nationalité; les Cana- diens étaient aussi parfois l'objet de la réprobation de leurs com-

3. Depuis la publication du rapport de M. Wright en 1881, on estime que la popula- tion franco-américaine de la Nouvelle- Angleterre a triplé.

328 Histoire de la Presse Franco- Américaine

pagnons de travail de langue anglaise par le fait qu'ils étaient, au gré des derniers, trop réfractaires à l'union. Les membres de langue an- glaise des syndicats ouvriers rendaient les Canadiens responsables de leurs échecs, lorsque la lutte était engagée contre les patrons pour l'obtention de gages plus élevés ou de meilleures conditions dans le travail. Il est donc plausible qu'ils aient profité de l'occasion du pas- sage des agents de M. Wright pour dire tous les griefs qu'ils croyaient avoir contre eux.

Peu de jours après la réception de la lettre de M. Wright par M. Gagnon, une foule de délégués de tous les centres importants de la Nouvelle-Angleterre et de l'Etat de New-York se rencontraient au Tremont House à Boston. C'était le 24 octobre. Le lendemain, 25, les délégués, auxquels le commissaire Wright avait accordé une au- dience, à l'Hôtel du Gouvernement, faisaient leurs protestations et rétablissaient les faits si outrageusement travestis pour satisfaire des haines et des préventions absolument injustifiables.

Nous ne pouvons citer les noms de tous ceux qui se sont alors présentés devant le commissaire. Nous en mentionnerons cependant quelques-uns qui, en ce temps-là, formaient partie de cette phalange d'élite, tant ecclésiastiques que laïques, si remarquable par le pa- triotisme et le dévouement. Il y avait l'abbé J.-B.-H.-V. Milette, curé de la paroisse Saint-Louis de Gonzague, de Nashua, N.-H. ; J.-D. Montmarquet, de Lewiston, Me. ; J.-Misaël Authier, de Cohoes, N.-Y. ; Ferdinand Gagnon, de Worcester, Mass.; H.-A. Dubuque, de Fall- River, Mass.; l'abbé P.-J.-B. Bédard, curé de la paroisse Notre-Dame de Lourdes, de Fall-River, Mass. ; Léandre Boudreau et F.-C. Miville, de Manchester, N.-H.; Joseph Bouvier et O.-T. Paradis, de Woon- socket, R.-L

Après l'audience, le commissaire Wright félicita chaleureusement les Canadiens d'avoir eu le courage et l'esprit public de défendre leurs droits lésés, et il leur donna l'assurance que son prochain rapport rendrait justice pleine et entière aux protestations des délégués. Ce rapport donnait effectivement satisfaction complète et devait avoir pour effet de dissiper la mauvaise impression qui avait pu avoir été créée par le rapport précédent.

Le commissaire Wright ne nourrissait certainement pss de pré- ventions contre les Canadiens jusqu'au point d'être injuste à leur égard. Il aurait peut-être agi avec plus de sagesse s'il avait élagué

Uincident des "Chinois de VEsf' 329

de son rapport les expressions blessantes à l'adresse de notre élément. Mais nous devons lui rendre cette justice que lorsqu'on lui eût fait la lumière sur notre compte, il s'est empressé de se rendre à l'évidence et de reconnaître franchement que ses agents avaient été trompés.

Plus tard M. Wright, dont les vastes connaissances et la grande expérience dans les statistiques lui avaient attiré une réputation nationale, accepta la position de commissaire du travail que lui offrait le gouvernement de Washington. Au mois de juin 1889 un journal franco-américain^ de la Nouvelle-Angleterre recevait la visite d'une femme à l'emploi du Bureau des Statistiques de Washington pour le recensement des Etats-Unis. La mission de cette femme, expressé- ment envoyée par M. Wright, était de parcourir les centres franco- américains afin d'étudier la situation sociale, économique et religieuse de notre élément et faire rapport. Elle fait les plus grands éloges de nos compatriotes ; elle déclare que nous occupons une position plus enviable que n'importe quelle classe d'immigrants et que nous avons progressé plus rapidement que les autres éléments de la population. Quant à la loyauté des citoyens de langue française envers la répu- blique, cette dame dit que les Etats-Unis n'ont pas de citoyens adop- tifs plus loyaux que nos compatriotes. Elle est allée dans les familles ; elle y a constaté une politesse et une déférence exquises. Voilà la substance du rapport qu'elle fît à son chef et qui est consigné dans les archives du Bureau de recensement. Sur l'initiative de M. Wright, les qualités de notre race étaient mises en vive lumière, et compor- taient dès lors une reconnaissance nationale.

Le 5 mars 1907, M. Alexandre Belisle, de Worcester, faisait de- vant la Société des Antiquaires de Worcester (Worcester Society of Antiquity) une conférence sur "Les Canadiens-français dans le déve- loppement des Etats-Unis."^ Cette conférence fut imprimée et mise en pamphlet, dont l'auteur envoya un exemplaire à M. Wright, qui exerçait les fonctions de président du Clark Collège de Worcester de- puis 1904. M. Wright accusa réception de ce pamphlet par la lettre suivante à M. Alexandre Belisle que nous traduisons:

"Cher M. Belisle. Je vous remercie beaucoup de votre très inté-

5. "L'Indépendant" de Fall-River.

6. Cette conférence de M. Alexandie Belisle est un travail d'un très grand mérite. Faite en anglais, devant un auditoire de langue anglaise, elle attira à l'auteur de chaudes félicitations. Cette étude constitue un document historique de la plus haute importance et elle est une source précieuse pour ceux qui veulent se renseigner parfaitement sur les débuts et la marche progressive de notre élément en ce pays.

330 Histoire de la Presse Franco- Américaine

ressant et précieux travail sur les Canadiens-français dans le dé- veloppement des Etats-Unis que vous avez eu la si bonne idée de m'envoyer.

"J'ai trouvé dans mes études que pas une nationalité ne s'est déve- loppée si rapidement et d'une manière si satisfaisante, en venant en ce pays, que l'ont fait les Canadiens-français, et je suis convaincu qu'ils ont eu beaucoup à faire dans le développement du pays.

"A vous très sincèrement, "(Signé) : CARROLL-D. WRIGHT."

Nous avons cru qu'il était utile de remettre en lumière des faits qui ont fait grand bruit, il y a près de trente ans, dans les centres canadiens de l'Est, à l'occasion de la mort de l'homme distingué qui y a figuré au premier plan. Comme on vient de le voir, on ne pouvait pas appeler M. Wright l'ennemi de notre race. Quoiqu'il en soit, cet incident dans le temps eut pour effet de montrer à la face du pays que les émigrés canadiens-français étaient dès lors bien résolus à ne pas s'en laisser imposer par ceux qui les considéraient comme des intrus.

Lorsque M. Wright fut mis en demeure de rétracter les alléga- tions injurieuses faites contre les nôtres, lorsqu'on lui en eût démontré la fausseté et la malice, il s'empressa de le faire loyalement, comme un homme d'honneur et occupant une position responsable envers le public. Plus tard, comme nous l'avons indiqué, au cours de sa carrière publique au service du pays et comme président du Clarke Collège de Worcester, il donna des preuves absolument concluantes de l'estime et de la considération qu'il éprouvait pour l'élément franco-américain. Dans les lignes qui précèdent nous croyons l'avoir suffisamment dé- montré. Et c'est l'hommage que nous portons à la mémoire d'un homme qui fut vraiment un bon citoyen, un serviteur dévoué de l'Etat et du pays, un esprit imbu des principes de justice et une intel- ligence d'élite.

J.-G. LeBOUTILLIER. Worcester, Mass., 6 mars 1909.

illle C'amille Lessard

Mme Alexandre Belisle

il

CHAPITEE TRENTE-CINQUIEME Les femmes journalistes

ARMI les publications canadiennes-françaises des Etats- Unis il en est une qui sortait de l'allure ordinaire. C'était une feuille spécialement consacrée aux femmes; elle était publiée et rédigée par Mlle Virginie Authier à Cohoes, N.-Y. ; son nom était le Journal des Dames. Mlle Authier était d'une famille de journalistes et typoghaphes. Elle avait trois frères qui ont travaillé dans les journaux, dont l'aîné, Misaël, publia par la suite la Patrie Nouvelle à Cohoes, N.-Y., et plus tard L'Espé- rance de Central Falls, R.-I., puis entra dans le service consulaire des Etats-Unis.

MLLE VIRGINIE AUTHIER.

Mlle Virginie Authier, sœur de J.-M. Authier, fondateur de la Patrie de Cohoes et de L'Espérance de Central Falls, fut pendant quelque temps aux Etats-Unis à peu près ce que devait être plus tard au Canada Mlle Barry, femme de lettres qui publia le Journal de Françoise. Mlle Authier naquit à Saint-Hilaire le 31 août 1849 du mariage de Louis-G. Authier et de dame H. Guertin. Elle étudia au couvent des Saints Noms de Jésus et Marie à Saint-Hilaire, elle se distingua par son talent, son amour de l'étude et son penchant pour la littérature.

En 1872 Mlle Authier suivit sa famille aux Etats-Unis. Celle-ci demeura d'abord à Worcester, dans le Massachusetts, oià elle prit une part active aux œuvres paroissiales alors naissantes. Les membres de la famille Authier étaient toujours à l'avant-garde quand il s'agissait de donner un concours aux soirées dramatiques, musicales ou autres

332 Histoire de la Presse Franco- Américaine

au bénéfice de la première paroisse canadienne de Worcester qui ve- nait d'être fondée par M. l'abbé Primeau.

Au mois d'octobre 1874 la famille Authier quittait Worcester pour aller demeurer à Cohoes, dans l'Etat de New-York. C'est dans cette ville que Mlle Authier conçut le projet de publier un journal spéciale- ment consacré aux intérêts de la femme. Le Journal des Dames, pu- blication hebdomadaire, parut en septembre 1875 et vécut un peu moins de six mois. Le défaut d'encouragement obligea sans doute Mlle Authier à discontinuer sa généreuse entreprise.

En 1880 Mlle Authier épousait l'avocat Eugène Desrosiers à Co- hoes. Elle est décédée à Cohoes en 1899.

MLLE YVONNE LEMAITRE.

Mlle Yvonne Lemaître est une femme de lettres qui a écrit dans les langues française et anglaise. En ces dernières années cependant elle n'a guère écrit qu'en anglais au service d'un journal de Lowell, mais comme elle a débuté dans le journalisme à L'Etoile de Lowell et que par la suite elle a beaucoup écrit dans un autre journal français de Lowell, maintenant décédé, le Franco-Américain, elle doit avoir une place dans cette galerie biographique.

Mlle Yvonne Lemaître est née à Pierreville, province de Québec. Venue aux Etats-Unis à l'âge de dix ans, elle n'a fréquenté que l'école publique. C'est dire que sa première instruction fut exclusivement anglaise. Mlle Lemaître prétend qu'elle écrit médiocrement le fran- çais. A la lecture de ses chroniques cependant on ne dirait pas qu'elle n'a eu aucune formation scolaire en français. Elle a eu le talent et le rare mérite de s'instruire elle-même dans notre langue. Elle est par- venue ainsi à écrire correctement et maîtriser les difficultés de notre langue par une lecture soutenue des meilleurs auteurs français. Elle débuta donc à L'Etoile en 1902 par des chroniques qui furent beau- coup remarquées et reproduites par les autres journaux. En 1904 elle entra à la rédaction du Courier-Citizen de Lowell. Dès l'année sui- vante, en 1905, elle fit un voyage en Europe, visitant Paris, elle séjourna quelque temps, passant en Allemagne et en Hollande. En même temps elle envoyait des récits de son voyage au Courier- Citizen. En 1908 elle fit un autre séjour en Angleterre et en Ecosse pendant lequel elle écrivit dans le même journal ses notes de voyage. Au retour de ce voyage elle se remit à écrire en français des chro- niques dans le Franco-Américain, journal alors existant à Lowell.

Les femmes journalistes 333

Mlle Lemaître, après sept ans au service du Courier-Citizen, don- na sa démission pour accepter une position toute d'honneur et de confiance, dans le champ des lettres anglaises. Elle est partie au mois de mai 191 1 pour aller se fixer à Paris en qualité de correspondante de certains grands journaux américains à tendances littéraires, entre autres le Boston Transcript.

A l'occasion de son départ pour la Ville-Lumière, Mlle Lemaître fut l'objet d'appréciations flatteuses de la part des journaux. Le Sunday Telegram de Lowell publia la courte phrase suivante, qui en dit long dans sa concision : "Dans le départ de Yvonne Lemaître pour un champ de labeurs étranger, le journalisme de Lowell perd sa lu- mière la plus brillante."

Dans le Courier-Citizen, M. Marden, le rédacteur en chef, écrivit ce qui suit:

"Les lecteurs du Courier-Citizen, pas moins que le personnel de ce journal lui-même, auront raison de regretter le retrait de Mlle Yvonne Lemaître du corps d'écrivains du journal. Mlle Lemaître, qui se propose de résider désormais à Paris, a été une collaboratrice régulière dans ces colonnes pendant plusieurs années, premièrement en charge des nouvelles franco-américaines, mais fournissant en sus de nombreux articles d'une nature spéciale se rapportant à la littéra- ture française et des sujets artistiques dans une veine particulière- ment heureuse et captivante. C'est un plaisir d'attester de l'apprécia- tion par les rédacteurs de cette œuvre admirable une appréciation qui a été pleinement partagée, j'en suis sûr, par tous les lecteurs du Courier-Citizen."

Enfin, disons pour terminer cette courte esquisse, que Mlle Le- maître est la cousine-germaine de Charles Gill, de Montréal^ le poète canadien bien connu.

BLANCHE-YVONNE (Mme Leroux.)

Mme Leroux, de Providence, mieux connue dans le monde litté- raire sous le nom de plume de Blanche-Yvonne, est une femme de lettres d'un très grand mérite, comme on peut en juger par les chro- niques qu'elle a publiées et qu'elle publie encore présentement dans L'Opinion Publique. Elle est née à Saint-Urbain, comté de Cha- teauguay, P. Q., en 1876, mais elle a passé la plus grande partie de

334 Histoire de la Presse Franco- Américaine

sa vie à Saint-Lambert, qu'elle quitta en 1898 pour aller demeurer à Providence, R,-I.

Son père s'appelait le Dr L.-A.-H. Héroux et il a pratiqué en Louisiane et au Canada dans les comtés de Jacques-Cartier et de Champlain. Du côté de son père la famille est originaire de Yama- chiche. Son grand-père, feu le notaire Héroux, est à cet endroit, mais il exerça sa profession dans le comté de Laprairie; et son bi- saïeul, le colonel Héroux, écrivit l'histoire de Yamachiche il entre beaucoup d'histoire de Trois-Rivières. Sa mère est du comté de Chambly; elle s'appelait Léda Bétournay. Sa famille est une des plus anciennes de ce comté, et les murs de la maison elle naquit ont deux cents ans d'existence. Tous ses ascendants paternels y virent le jour.

La mère de Blanche-Yvonne fut son premier professeur et c'est à elle qu'elle doit son goût pour les lettres et l'histoire. A 12 ans elle fut mise en pension au couvent de Villa-Maria à Montréal. Elle en sortit à 14 ans et demi.

La carrière de Blanche-Yvonne comme chroniqueuse ne date que de 1905. Ce fut une année particulièrement douloureuse pour elle et un très cher ami lui suggéra de distraire sa pensée en deuil par des travaux de plume. Cet ami avait reconnu chez elle de rares qua- lités de style et il la pressa si fort qu'elle se rendit à sa suggestion. Certes cet ami fut bien inspiré de diriger ainsi vers l'art d'écrire une jeune femme qui était si bien douée des qualités qui font les bons écrivains, c'est-à-dire l'originalité dans la pensée, un style abondant et alerte et le talent de plaire. Elle a collaboré tout d'abord au Jean- Baptiste. C'est qu'elle fit ses premières armes. Puis elle passa au Courrier de Montmagny. Elle a aussi écrit dans le Journal de Françoise, une publication féminine bien connue dans le temps, pu- bliée à Montréal et qui maintenant n'existe plus. Elle écrivit aussi dans le Réveil de Manchester, N.-H., dans L'Indépendant de Fall- River, le Touriste de la Rivière-du-Loup, etc. Aujourd'hui elle est collaboratrice régulière de L'Opinion Publique.

La réputation littéraire de Blanche- Yvonne lui valut son élection au Rhode Island Short Story Club, organisation féminine et féministe ne sont admises que des personnes qui ont fait un gagne-pain de leur plume. Elle est aussi membre correspondant de la société des

Les femmes journalistes 335

Mussettistes de Paris, dont M. Magne, doyen de la Comédie Fran- çaise, est le président.

MLLE CAMILLE LESSARD.

Mlle Camille Lessard, attachée à la rédaction du Messager de Lewiston, Maine, et qui écrit dans ce journal des chroniques sous la signature de Liane, est née à Ste-Julie de Mégantic, P. Q., le ler août 1883, fille de Pierre Lessard et dame Marie Portier. Elle est l'aînée d'une famille de sept enfants. Elle reçut son instruction à l'é- cole modèle de son village et à 16 ans elle décrocha un brevet élémen- taire. Elle se livra à l'enseignement durant trois ans. Au printemps de 1904 elle émigra aux Etats-Unis avec sa famille, qui se fixa à Lewiston, Maine. Elle travailla pendant quatre ans aux filatures.

Un jour Mlle Lessard, ayant lu dans le Messager un certain article humoristique, elle riposta, et un peu plus tard le propriétaire de ce journal, M. Joseph-B. Couture, ayant découvert l'auteur de la riposte, lui demanda de bien vouloir continuer à exercer sa verve et son talent d'écrivain pour le bénéfice de ses lecteurs. Elle écrivit deux petits contes ou nouvelles pour ce journal. Celles-ci lui valurent de chaudes félicitations.

Les débuts de Mlle Lessard dans la carrière des lettres furent la- borieux et pénibles. Elle avait à faire face aux exigences de la vie tout en se livrant au charme qu'elle éprouvait à écrire. Elle s'en explique dans une lettre à l'auteur de ce livre, dont voici un extrait:

"L'encouragement donné à ma première composition m'ayant don- né de la hardiesse je me mis à l'ouvrage et le soir de retour de la manufacture je passai des heures à écrire, rayer ou ajouter ce qui me semblait le plus convenable. Oh! la tâche fut rude et, quand je me relis aujourd'hui, que de fautes je trouve dans ces essais! Personne pour me diriger, trop pauvre pour poursuivre mes études ou faire l'acquisi- tion de volumes qui m'auraient aidée, j'étais livrée à suivre mon ima- gination ou l'inspiration de ma petite cervelle. Et bien souvent mes faibles ailes se sont fermées et ma pauvre plume est allée se briser sur ma table, mais, malgré tout, des encouragements ici et me sti- mulant, je continuai à écrire, sans aucune rémunération pour le seul plaisir d'écrire. J'aime tant ça! Que de fois, cependant, on m'a re- proché et on me reproche encore la tristesse qui encercle presque tou- jours ma plume ! On en conclut que quelques grandes épreuves se sont

336 Histoire de la Presse Franco- Américaine

abattues sur mon front. Des épreuves? Non, grâce à Dieu, mais les luttes de la vie, souvent bien âpres, laissent parfois dans l'âme des impressions qui ne s'effacent jamais."

Il y avait deux ans que Mlle Lessard écrivait ainsi régulièrement une chronique chaque semaine dans le Messager, quand M. Couture lui offrit une place à la rédaction. Il y a trois ans qu'elle occupe cette position. Comme les chroniques du lundi de Françoise et de Made- leine, elle a aussi ses chroniques du mercredi, et on peut dire que c'est un peu grâce à elle si le Messager est le seul journal canadien des Etats-Unis qui publie chaque semaine, à l'instar des grands quo- tidiens du Canada, une page entièrement féminine : le "Chez Nous."

Au mois de janvier 1910 Mlle Lessard avait pris part à une discus- sion publique en faveur du suffrage des femmes. Cela ne voulait pas dire cependant qu'elle fût une "suffragette." Mais on lui avait confié cette thèse à développer comme joute littéraire et elle s'en acquitta avec beaucoup de succès.

Liane écrit dans un style tout à fait agréable et sa phrase est géné- ralement élégante. Sa présence à la rédaction du Messager donne beaucoup de valeur à ce journal.

Mme ALEXANDRE BELISLE.

Mme Alexandre Belisle, de Worcester, est une femme dont l'esprit cultivé et les heureuses dispositions sont bien connues d'un cercle intime d'amis, Mme Belisle n'a jamais visé à se faire une renommée, au contraire, ses goûts la portent naturellement à la vie intérieure, à l'existence calme du foyer, trouvant plus de contentement dans une vie paisible et retirée, occupée des choses de l'esprit, que dans le bruit et la vanité de la vie mondaine. Elle naquit à Saint-Pie, comté de Bagot, en 1854, fille de Narcisse Boulay et Hedwidge Laviolette. Elle fit ses études à Fraserville et chez les Ursulines de Québec. En 1875 elle était organiste à l'église Notre-Dame des Canadiens de Worcester. Pendant quelques années elle fit, sous le nom de plume "Marguerite," la chronique hebdomadaire et la critique musicale dans L'Opinion Publique. Elle était de cette famille de musiciennes, les sept soeurs Boulay, qui étaient bien connues depuis Montréal jusque dans le bas du fleuve il y a une quarantaine d'années. Elle n'a pas été seulement une femme lettrée et artistique, mais elle fut une épouse accomplie, une mère vraiment digne de ce nom qui éleva une nom-

Les femmes journalistes 337

breuse famille et eut à plusieurs reprises le cœur brisé par la perte d'un enfant. Mais aussi, en femme chrétienne, elle a toujours sup- porté courageusement les épreuves que Dieu lui envoyait, s'inclinant, avec la foi vive qui caractérise les mères canadiennes-françaises, de- vant les desseins de la Providence.

MME ANNA-M. DUVAL-THIBAULT.

Mme Anna-M. Duval-Thibault, épouse de M Onésime Thibault, gérant général de la compagnie de L'Indépendant de Fall-River, na- quit à Montréal le 15 juillet 1862. Ses parents se fixèrent à Troy, N.- Y., lorsqu'elle n'avait que trois ans. Elle fréquenta les écoles parois- siales, puis les écoles publiques et l'école normale. Dès sa jeunesse elle s'intéressa à la lecture des classiques français et L'Indépendant publia plusieurs de ses productions littéraires, tant en vers qu'en prose. Elle devint l'épouse de M. Onézime Thibault, propriétaire de L'Indépendant, le 10 septembre 1888. De cette union sont nés huit enfants, dont cinq survivent. Elle est l'auteur de Les Deux Testa- ments, paru d'abord comme feuilleton dans L'Indépendant et cet ouvrage fut ensuite publié en brochure en 1889. En 1892 elle publia les Fleurs du Printemps, volume de poésies de deux cents cinquante pages. Mme Duval-Thibault est une femme de lettres distinguée au style élégant et à l'imagination vive.

23

CHAPITKE TRENTE-SIXIEME

Souvenirs et anecdotes

OU S ce titre nous allons réunir certains faits se rattachant au sujet général qui fait la matière de ce livre tels que les notes éparses dans nos cartons nous les offriront ou au fur et à mesure qu'ils se présenteront à notre mémoire. On voudra bien nous excuser s'il n'y a pas beaucoup de suite dans ces souvenirs. Au reste il nous semble que cette rubrique seule est suffisante pour indiquer qu'il ne saurait en être autrement. Ils sont rares les journalistes canadiens des Etats-Unis qui ont fait fortune, et les quelques privilégiés qui ont vu la fortune leur sourire ont obtenu leur succès en dehors de leur qualité de journaliste aux Etats-Unis. Honoré Beaugrand s'est enrichi après avoir abandonné le champ de ses premières armes aux Etats-Unis, avec la Patrie qu'il avait fondée à Montréal, et Victor Bélanger mène encore aujourd'hui la vie en douceur dans la capitale de la France avec le fruit de ses inventions. En général cependant les journalistes, qui ont tenté de se faire un revenu suffisant pour vivre, sont rarement parvenus à leur dessein depuis quarante ans et plus.

D'autres journalistes comme T.-F.-X. Beaudet, après avoir peiné dans cette carrière pendant un certain temps, ont fini par devenir fonctionnaires du gouvernement. M. Beaudet, inspecteur du bureau d'immigration du gouvernement américain à Vancouver, C.-A., nous écrivait en 1905 : "Quant à ce que j'ai pu faire comme journaliste pour le bien et la cause des nôtres c'est très peu de chose. La preuve en est que si dans l'autre monde je ne suis pas récompensé pour les quel- ques années employées dans cette carrière j'aurai des zéros, là, comme sur la terre. Pauvres diables de journalistes canadiens-français! Une vie toute de dévouements, qui ne rapporte que des déboires, qui at-

Souvenirs et anecdotes 339

tache à sa tâche le zèle illusionniste, bien que souvent il soit obligé de se serrer le ventre pour ne pas entendre crier la faim et, par ce truc, plus noble qu'utile ou apprécié, il parvient à mettre sous presse au jour un dernier numéro. Pauvres journalistes canadiens-français des Etats de l'Ouest! (Ce sont eux surtout que je connais.) Il est vaste le cimetière de nos journaux canadiens-français. C'est une heu- reuse idée que vous avez eue, M. Belisle, que de vouloir marquer la fosse et écrire l'épitaphe de chacun d'eux. Merci pour les Trépassés qui ont trouvé en vous un ami."

Ce tableau si bien dépeint par M. Beaudet n'est pas surchargé. Ils ne sont pas peu nombreux en effet les pauvres journalistes dont le ventre criait famine et qui n'ont eu pour récompense que la gloire ou la satisfaction de s'être sacrifié pour la nationalité.

Ferdinand Gagnon était parvenu à rendre payant son journal le Travailleur. Mais il n'en avait pas toujours été ainsi. Les débuts du Travailleur furent plutôt modestes. Avant le Travailleur il avait publié le Foyer Canadien à Worcester, lequel avait été précédé de L'Etendard National, son premier journal à Worcester, dont le pre- mier numéro sortit le 3 novembre i86g.

Dans l'enfance de notre presse canadienne des Etats-Unis il fal- lait ménager sur toutes choses si l'on voulait joindre les deux bouts. M. Gagnon, au commencement de sa carrière n'engageait pas même de charretier pour transporter son journal à la poste. Il portait lui- même son tirage au bureau de poste dans une "poche" sur son dos. Qu'on ne se récrie pas, il était de taille à porter un bon poids pour peu que son tirage fût considérable M. Gagnon était un colosse pe- sant alors plus de 200 livres.

* * *

Ferdinand Gagnon était un patriote éprouvé; il tenait haut et ferme le drapeau de la nationalité. Cependant, chose singulière, à sa mort il n'appartenait à aucune société dite nationale, bien qu'alors la société Saint-Jean-Baptiste de Worcester fût une société florissante. Il avait néanmoins appartenu quelque temps à la société Saint-Jean- Baptiste de Concord, N.-H., durant son séjour dans cette ville, alors qu'il n'avait pas vingt ans, vers 1868.

340 Histoire de la Presse Franco- Américaine

Un brave homme typographe, feu M. Godfroi Labelle, publiait à Woonsocket, le Réveil (1875) en société avec feu J.-A. Daigneau. Au cours d'une polémique, M. Labelle s'était aventuré de dire son petit mot. Or ce Labelle était affligé d'un goitre, Gagnon répliqua avec cet esprit mêlé de malice qui lui était particulier: "Jusqu'au prote qui fait "la belle," se renfle la gorge et chante comme un ros- signol."

^ $ $

Feu P.-C. Chatel, dans son journal, le Jean-Baptiste, qu'il publiait à Northampton dès l'année 1875, cette année-là combattait le rapatrie- ment que préconisait Ferdinand Gagnon dans le Travailleur. Pour que Gagnon en agît de cette façon, il n'y avait rien d'étonnant, car il était agent de rapatriement pour le gouvernement de Québec, Or celui-ci dirigeait des Canadiens de la Nouvelle-Angleterre sur les terres de colonisation des Cantons de l'Est, notamment dans le canton de La Patrie. En juillet 1877, dans un article contre le rapatriement, Chatel avait intercalé le couplet suivant, qui violait outrageusement les règles de la prosodie, mais avait du moins le mérite de rendre clairement la pensée de l'auteur:

Partant pour "La Patrie," Un plein char de colons, Pour faire de l'abattie Dans ce vaste Canton Ils ont mangé des croûtes, Ne faut pas en douter, Et regrettant sans doute Les jobs qu'ils ont quittés. Et regrettant sans doute Les jobs qu'ils ont quittés.

Le 2 août suivant, le Canadien de Québec lui tomba dessus à bras raccourcis.

H: $ H:

H. Beaugrand avait fondé L'Echo du Canada à Fall-River, puis la Petite République, qui fut suivie de la République, publiée au No 33 rue Bromfield, Boston. Les polémiques étaient toujours à l'ordre du jour dans notre presse.

Souvenirs et anecdotes 341

Gagnon traitait Beaugrand de franc-maçon et de juif errant et sa République de cerf-volant et il écrivit "Le Juif Errant et sa progéni- ture n'ont pas été créés et mis au monde pour aimer Dieu, le servir et acquérir la vie éternelle. Le juif errant, à l'en croire, a une mission, c'est d'être une espèce de fléau un "rot-gut" qui emporte la guêle, (style cerf-volant,) autrement dit un mors de bride." 17 janvier 1878.

* * *

Au reste les prises de bec entre Beaugrand et Gagnon étaient choses fort ordinaires et avaient commencé bien avant l'incident que je vous viens de mentionner. Dès 1875 les polémiques étaient vives entre ces deux journalistes. En cette année-là l'une de ces polémiques faillit avoir un dénouement tragique. C'est-à-dire que si Gagnon eût relevé le gant lancé par Beaugrand, il y aurait eu probablement du sang de répandu, car celui-ci avait défié le premier dans un com- bat singulier en champ clos. Gagnon refusa de risquer sa vie, esti- mant qu'il devait vivre pour combattre par la plume pour les bons principes et que d'ailleurs sa famille avait besoin de lui. Cet incident plutôt burlesque est rappelé dans un article paru dans L'Opinion Publique le ler avril 191 1, à propos d'un cartel du rédacteur de L'Abeille à celui de la Guêpe de la Nouvelle-Orléans. Voici:

L'incident de la Nouvelle-Orléans M. Armand Capdevielle, ré- dacteur de L'Abeille, envoyait un cartel à M. J.-G. de Baroncelli, ces jours derniers, rappelle un incident semblable survenu en décembre

1875.

Honoré Beaugrand publiait alors, à Fall-River, la République; Ferdinand Gagnon publiait le Travailleur à Worcester. J.-A. Dai- gneau, à Woonsocket, avait le Courrier du Rhode-Island, tandis que Pierre-Camille Chatel était à Northampton, Mass., le rédacteur du Jean-Baptiste.

C'est de l'histoire ancienne dont il est question ici, des choses ignorées ou complètement oubliées.

A cette époque les quelques journaux français publiés dans la Nouvelle-Angleterre, cherchaient leurs abonnés dans tous les centres, même très éloignés du lieu de leur publication, afin d'avoir un tirage suffisant pour en payer les frais et un maigre revenu pour vivre. M. Gagnon était l'homme en vue ; il avait été membre du comité d'orga- nisation de la grande fête de Montréal en 1874 et il était agent de rapa- triement pour la province de Québec. Tous ces journalistes étaient jeunes, pleins d'enthousiasme, d'ardeur et d'ambition; leur caractère était à peine formé, leur sang français était souvent en ébullition; aussi ils étaient souvent aux prises pour avoir la suprématie.

342 Histoire de la Presse Franco-Américaine

Gagnon, âgé de 26 ans, était considéré comme un ultramontain ; Beaugrand était libre-penseur et se vantait d'être franc-maçon.

Durant l'automne de 1875, la tempête battait son plein. Gagnon faisait face à la fusillade qui chaque semaine lui arrivait des trois confrères, aussi ne les ménageait-il pas, La coupe était remplie à l'approche de Noël et en répondant à Beaugrand qui le traitait d'hy- pocrite, Gagnon faisait le portrait de l'hypocrite à peu près comme suit: "M. Beaugrand fait de la religion dans son journal et avec ses amis il se vante d'être franc-maçon; il méprise les choses saintes et ne fait pas baptiser ses enfants, tout en feignant d'avoir des principes devant ses compatriotes qu'il exploite. Nous avons fini avec lui: qu'il continue avec sa truelle de franc-maçon à nous jeter de la boue, nous n'aurons rien à lui dire"

Le numéro suivant de la République contenait un article dans lequel Beaugrand provoquait Gagnon en disant: "Dieu vous a fait infirme. La nature vous a fait cadeau d'un physique qui pourrait au besoin servir de cible pour l'exercice de tir d'un régiment d'infan- terie à 1000 mètres. (M. Gagnon pesait alors près de 275 livres.) A son apparition sur les rues de Worcester, les enfants s'écrasent, les grand'mères saisissent leurs chapelets et les commères jubilent: c'est Croquemitaine Gagnon." Puis il terminait cet article accompagné d'une lettre personnelle. "S'il vous prenait par hasard envie d'assu- mer le rôle d'homme de coeur, ne serait-ce que pour un seul jour, je serais alors heureux, très heureux d'avoir de vos nouvelles"

Gagnon n'était pas de ceux qui refusent la lutte pour les principes, mais il se croyait plus utile avec la plume qu'avec une épée. Voici sa réponse :

"Arrêtez là, spadassin, nous avons trop de coeur, de courage, nous ne sommes pas assez lâche pour exposer notre vie sous les coups de votre lame de Tolède. Nous sommes nécessaires à notre famille (il avait trois enfants,) nous avons des enfants, M. Beaugrand, et ils sont baptisés, ces enfants ont besoin de nous. Nous ne vous ferons jamais l'honneur de descendre en champ clos avec vous. Nous nous respec- tons trop pour cela." L'incident fut clos.

Deux ans plus tard, Beaugrand quittait les Etats-Unis pour aller demeurer à Montréal, peu de temps après il fondait la Patrie. Tous ces personnages sont disparus.

Daigneau, qui avait eu quelque chose à faire dans le fameux "Duel à Poudre" de St-Hyacinthe, quelques années auparavant, mourut en décembre 1876, Gagnon en 1886, Chatel en 1903 et Beaugrand il y a une dizaine d'années, à Montréal.

Voici une autre anecdote au sujet de M. Gagnon:

Cet homme si justement estimé et dont la mémoire est encore si

Maxime Lépine

J.-B. Couture

Souvenirs et anecdotes 343

pieusement conservée parmi les survivants de son temps, nous disait un jour qu'il avait été clerc dans le bureau de feu Honoré Mercier, plus tard premier ministre de la province de Québec dans le temps oii ce dernier était un chaud conservateur. Le jeune Gagnon faisait des discours en faveur du parti libéral et Mercier lui faisait souvent des reproches pour l'empêcher de se mêler ces canailles de libé- raux." Quelques années plus tard, comme l'on sait, Mercier était dans le parti de ses anciens adversaires, et Gagnon, vivant aux Etats- Unis, était un conservateur à tous crins.

^ V

C'était lors de la seizième et dernière convention de l'Union des Sociétés, qui eut lieu à la fîn de l'été 1881. La presse canadienne du temps était représentée par J.-E. Chagnon du Courrier de Mont- réal, B. Samson du Quotidien de Lévis, L.-E. Carufel de L'Abeille de Lowell. Victor Bélanger, du Courrier de Worcester, Alexandre Belisle fîls, du Travailleur de Worcester, Adolphe Ménard et Léon Rheims du Jean-Baptiste de Northampton, Léandre Boudreau, de L'Echo des Canadiens de Manchester. Le Dr Victor Mignault ou- vrit la convention et le Rév. M.-O. Boucher fît la prière d'ouverture. Le premier jour tout alla bien, il y avait même un certain enthou- siasme qui augurait bien. Le soir la société Saint-Jean-Baptiste, avec fanfare en tête, escortait les délégués à l'hôtel de ville, eut lieu une bien jolie soirée: des chants canadiens par un bon club de Mon- tagnards, des discours, puis de la danse. L'Hon. M. Mousseau, qui fut premier ministre de la province de Québec et plus tard juge, avait été invité et s'était fait remplacé par M. Chagnon de Montréal, qui fît un joli discours, de même que M. L.-E. Carufel, de Lowell. Victor Bélanger, qui publiait le Courrier à Worcester, était un type qui trou- vait moyen de se faufîler dans toutes les conventions et il avait la ma- nie de vouloir faire des discours à tout prix, qu'il fût appelé ou non.

Quoiqu'il en soit, à cette convention à Lawrence en 1881, Bélanger voulait absolument faire un discours, selon sa louable habitude, mais le comité en avait décidé autrement. Il avait probablement eu vent de cet ostracisme, c'est pourquoi quand ils jugèrent que le moment propice était arrivé, des amis qui avaient apparemment reçu le mot d'ordre, dispersés dans la salle, appelèrent à grands cris le nom de Victor Bélanger. Mais le Dr Mignault, qui était le président de la convention, annonça qu'il n'y aurait plus de discours. L'orchestre

344 Histoire de la Presse Franco-Américaine

des frères Marin prit sa place sur l'estrade et les jeunes gens se dé- gourdirent à qui mieux mieux. Quand vint le temps de l'intermède à minuit, le propriétaire du Courrier de Worcester escalada les de- grés de l'estrade et commença son discours en disant que d'après la décision du président de la soirée, il avait cru comprendre qu'il fal- lait être "immaculé pour porter la parole devant cette honorable as- semblée." Puis continuant, il prononça une de ces harangues dont lui seul était capable. Après avoir fait passer ses auditeurs par le Canada et les "vieux pays," revenant en Amérique, il termina une pé- roraison enflammée en proclamant avec emphase que sous le drapeau étoile nous aurions tous le "bonheur de l'éternité." Les journalistes présents n'eurent pas, dans le temps, la complaisance de reproduire ce discours; j'en reproduis ici ces quelques mots, car ils méritent de passer à la postérité en raison de leur originalité.

Ces assises nationales de Lawrence en 1881 marquèrent la fin de l'Union des Sociétés et l'ère de ses conventions générales était passé.

C'est égal, les excentricités de Victor Bélanger ne l'ont pas empê- ché d'acquérir la fortune, au moyen de laquelle il vit maintenant dans la capitale de la France comme un bourgeois bien rente, tandis que ceux de ses anciens collègues de cette convention de Lawrence de 1881 qui ont survécu jusqu'à ce jour ont eu à continuer la lutte pour les nécessités de l'existence.

* * *

Pour que des journaux français puissent s'implanter aux Etats- Unis, il a fallu que l'influence française s'y exerçât de quelque façon. Avant l'émigration en masse des Canadiens, à différentes époques depuis le commencement du siècle des familles canadiennes ou des voyageurs, des aventuriers avaient traversé la frontière et s'étaient répandus dans toutes les parties de l'immense république et jusque dans le "Far West" (l'extrême ouest) et les Etats du Sud. On trouve même au dix-huitième siècle des traces d'établissement par les Cana- diens dans les colonies anglaises. C'est ainsi que d'après Benjamin Suite, les Canadiens fondaient dans la Pennsylvanie des établisse- ments permanents dès 1 720-1 735. Les descendants de ces premiers émigrés canadiens se sont fondus depuis longtemps dans l'élément américain. Plusieurs familles de huguenots français s'établirent aus- si au cours du dix-huitième siècle, dans la Nouvelle-Angleterre, no- tamment à Boston, Oxford et Worcester, qui n'était alors qu'un bourg.

Souvenirs et anecdotes 345

Les descendants de ces huguenots également ont été américanisés rapidement. Ces éléments ont donc peu contribué à la propagation de l'influence française aux Etats-Unis,

* * *

L'influence française dans les Etats de la Nouvelle-Angleterre commença à se faire sentir sérieusement dès avant la guerre civile par suite de l'émigration des Canadiens de la province de Québec, qui traversaient la frontière et se répandaient surtout dans le Massachu- setts, où les industries offraient un meilleur champ pour leur acti- vité. La plupart des familles de cette première génération virent la fondation de nos premiers journaux canadiens des Etats-Unis. Wor- cester particulièrement, était déjà un centre important pour l'époque dès l'année 1852. Les quarante familles canadiennes qui y étaient alors fixées achetaient un terrain et posaient les fondations de l'an- cienne église Ste-Anne. Cette même année-là les quelques Cana- diens de Worcester fondaient une société Saint-Jean-Baptiste. Si l'on remonte encore à bien des années avant, on trouve qu'en 1823 il y avait à Worcester trois familles canadiennes-françaises. En l'an- née 1853 le père de l'auteur venait d'arriver à Worcester. Parti de Saint-Marcel, P. Q., en 1848 à l'âge de 18 ans, pour les Etats-Unis, il se fixa d'abord à Westfield, puis à Millbury et finalement vint s'éta- blir à Worcester oii plus de cinquante ans après il décédait le samedi 14 mars 1903. Il fut marié à Millbury par le Rév. Z. Lévesque, le premier missionnaire canadien qui a desservi les Canadiens dans le centre de la Nouvelle-Angleterre, avec Mlle Marie Dorval. Mme Belisle était née à St-Ours, P. Q., le 8 mars 1832. Ses parents, Louis Dorval et Marie Benoit, quittèrent le Canada en 1834 et vinrent à Millbury, Mass., non loin de Worcester, puis Hamlet, dans le Rhode- Island, un faubourg de la ville de Woonsocket. La population cana- dienne était alors très restreinte et elle était disséminée en petits groupes sur un vaste espace dans cette partie de la Nouvelle-Angle- terre. Le Rév M. Lévesque, le premier missionnaire de cette région, dès 1849 avait sa résidence à Millbury et de il desservait à tour de rôle les Canadiens à Worcester, Spencer, Southbridge et Woonsocket. C'est le 10 juillet 1853 qu'il bénissait à Millbury le mariage de M. et Mme Belisle. En ce temps-là les mariages de Canadiens étaient clair- semés, et parfois il arrivait que les futurs conjoints ne pouvaient trou-

346 Histoire de la Presse Franco-Américaine

ver un prêtre canadien pour les unir. Du mariage de M. et Mme Alexandre Belisle naquirent quinze enfants, dont sept survivent aujourd'hui,

* * *

L'Opinion Publique du vendredi, lo septembre 1909, publiait sous notre signature, l'article suivant:

1869 10 septembre 1909.

REMINISCENCES

Un Canadien errant. Banni de ses foyers, Parcourait en pleurant Des pays étrangers.

Quelle transformation étonnante, prodigieuse même, s'est produite dans ces quarante années. Les Canadiens émigrés d'alors gardent aujourd'hui encore dans leur cœur un bien tendre amour pour le sol natal, mais ils sont devenus des Américains de langue et de mentalité française. C'est Georges-Etienne Cartier, je crois, qui, parlant des Canadiens qui traversaient la frontière, avait dit: "Laissez-les partir; c'est la canaille qui s'en va." Malheureuses paroles!

C'est précisément cette canaille, à Worcester, chez qui le révérend Jean-Baptiste Primeau arrivait le vendredi 10 septembre 1869. Il existait alors deux journaux: le Protecteur Canadien, de St. Albans, Vermont, et la Voix du Peuple à Manchester, New-Hampshire. Il y avait alors le Rév. A.-B. Dufresne, récemment arrivé à Holyke, Massachusetts, et une couple de prêtres français ou belges qui desser- vaient des groupes canadiens dans le Massachusetts.

La population canadienne de Worcester, en septembre 1869, était de 312 familles, 1743 âmes. Elle compte aujourd'hui plus de dix-huit mille âmes desservies dans quatre belles paroisses par neuf prêtres. Chacune de nos paroisses possède son école paroissiale, outre beau- coup de sociétés religieuses.

Dans la Nouvelle-Angleterre, notre population s'est accrue avec une rapidité presque incroyable. Nous avons près de vingt villes et villages dans lesquels la population de nationalité canadienne-fran- çaise est plus nombreuse que dans aucune ville de la province de Québec, Montréal et Québec exceptés.

Souvenirs et anecdotes 347

Nous sommes chez nous. Nous avons fait nos preuves. Nos oeuvres religieuses, nos succès dans la politique, le commerce, l'indus- trie et les arts sont palpables. Nous n'avons rien à envier à notre ancienne patrie ; comme elle, nous voulons marcher de l'avant en con- servant le dépôt sacré de notre foi et en travaillant pour les progrès de la langue française.

Quarante années de luttes et de sacrifices doivent nous mériter la confiance, l'estime et la sympathie fraternelle de nos frères du Canada.

H* ^ ^

Les journaux ont beaucoup parlé des menées assimilatrices d'un certain nombre de membres de l'épiscopat irlandais de la Nouvelle- Angleterre. A cet égard notamment, les défunts évêques Hendricken, de Providence, et Tierney, de Hartford, ont été beaucoup critiqués, et il faut avouer aussi que ces évêques avaient tout fait pour proscrire la langue française dans leurs diocèses. D'un autre côté, s'il y a eu des évêques assimilateurs, il y en a eu d'autres qui ont envisagé la question des langues avec une largeur de vue et un sens de la justice qui sont la caractéristique du véritable apôtre. Il suffit d'en citer quelques-uns de mémoire.

Au mois de juillet 1883, Mgr Wadsham, évêque de Ogdensburg, N.-Y., écrivait aux Canadiens de Champlain, leur conseillant de faire des sacrifices pour leur école française. Mgr O'Reilly, de Springfield, à la bénédiction d'un couvent canadien-français à Holyoke, au mois d'octobre 1883, disait que le seul moyen pour les Canadiens de conser- ver leur foi était de rester attachés à leurs coutumes et de conserver leur langue maternelle. Mgr Harkins, évêque de Providence, en diffé- rentes circonstances, a fait à peu près les mêmes déclarations, et les actes de Mgr Beaven, l'évêque actuel de Springfield, dénotent aussi chez lui un désir de tenir compte, autant que possible, des sentiments de ses ouailles canadiennes-françaises en ce qui concerne l'usage du français à l'église et à l'école. Mgr Seghers, un évêque américain, faisant une conférence à Montréal, avait des paroles d'éloges pour NN. SS. Blanchet et Provencher et les abbés Demers et Cazeau qui, avec lui, avaient parcouru les côtes du Pacifique jusqu'à l'Alaska.

^ $ ^

En ces derniers temps, le gouverneur Pothier du Rhode-Island a été l'objet des critiques, aussi injustes qu'inopportunes, de la part de certains de ses compatriotes, peu nombreux heureusement, parce

348 Histoire de la Presse Franco-Américaine

qu'il n'appartenait à aucune société nationale. Les gens qui parlaient ainsi le faisaient évidemment sans réflexions ; ils ne se rendaient pas compte que M. Pothier n'est pas un homme ordinaire, que sa qualité d'homme public, depuis même les jours de sa jeunesse, lui comman- daient d'observer une conduite toute spéciale. S'il n'est membre d'aucune de nos sociétés nationales, il ne fait partie non plus d'aucune autre société ou club mixte, neutre, irlandais, ou ce que vous vou- drez. On ne peut donc raisonnablement l'accuser de dédaigner nos sociétés nationales. Au contraire, chaque fois que l'occasion s'en est présentée, M. Pothier a tenu à montrer que toutes ses sympathies étaient acquises à nos sociétés qui, dans son estimation, sont un puissant moyen de conservation du caractère national dans nos rangs. Ces critiques dirigées contre un homme qui nous fait tant d'hon- neur aux Etats-Unis, contre un patriote qui a donné tant de marques de son attachement à sa race, nous font rappeler que cet autre grand patriote, feu Ferdinand Gagnon, n'appartenait, lui non plus, à aucune société nationale. Il est vrai que de son temps il n'y avait pas de grandes associations fédératives comme celles qui existent aujour- d'hui; tout de même il y avait des sociétés locales, au moyen des- quelles les nôtres sentaient le besoin de se grouper ensemble. Il y a quarante ans chaque centre canadien un peu important avait sa société Saint-Jean-Baptiste, sur le modèle des associations Saint- Jean-Baptiste du Canada. Comment se fait-il alors qu'un homme comme Ferdinand Gagnon, si ardent à prêcher le patriotisme et le groupement de nos forces, se soit abstenu d'en faire partie? Gagnon n'était pas un homme public dans le sens que l'est Pothier. Sa publi- cité ne sortait guère du cadre de la nationalité canadienne-française et il n'était pas un homme politique. On aurait pu croire par consé- quent qu'il aurait au moins faire partie d'une société de la ville il demeurait. Tout de même, dans le temps personne ne s'est avisé de faire le reproche de manque de patriotisme à M. Gagnon à cause de son abstention.

^ ^ $

Feu J.-B.-A. Paradis était un vrai journaliste de profession. Comme il aimait notre belle langue française. Que de sacrifices inutiles il a fait. T.-F.-X. Beaudet a écrit autrefois, dans le Courrier Franco- Américain de Chicago, une sorte de panégyrique à sa mémoire.

Souvenirs et anecdotes 349

T.-F.-X. Beaudet, que je viens de mentionner, m'écrivait récem- ment de Blaine, Etat de Washington :

"Savez-vous qu'il y a encore un patriote de 37-38, qui y a pris une part active et dont le frère a subi, sur l'échafaud, la peine du crime horrible d'avoir tout sacrifié pour la liberté de son pays, des siens, de la race française au Canada? Savez-vous, dis-je, qu'il en existe en- core un, plein de vie à ses 94 ans, à la mémoire alerte, dont l'œil noir pétille en entendant le nom: Anglais. Je l'ai découvert presque par accident. C'est Georges de Lorimier, un des frères du chevalier de Lorimier. Il a plusieurs enfants et habite près de Bellingham, comté Whatcom, Wash."

* * *

Il y a vingt-cinq ou trente ans, comme on a pu le voir, la fondation d'un journal français dans la Nouvelle-Angleterre était un événe- ment qui se présentait assez fréquemment. Les confrères existants faisaient alors de bons souhaits au nouvel arrivant dans l'arène et l'accueillaient cordialement dans la confraternité. Parfois un rédac- teur, en veine d'esprit, se permettait alors un innocent badinage. C'est ainsi que P.-C. Chatel disait dans le Jean-Baptiste (1875,) lors de la fondation du Journal des Dames de Cohoes, par Mlle Virginie Authier: "Courage, Virginie! Succès au confrère, ou plutôt à la con- frérie."

Il aurait surgi des journaux tous les jours sur le sol de la Nouvelle- Angleterre que Ferdinand Gagnon leur aurait toujours souhaité la même cordiale bienvenue.

Ferdinand Gagnon, dans le Travailleur, souhaitait la bienvenue au Courrier de Worcester, fondé par Victor Bélanger en février 1880. "Le Travailleur et le Bien Public existent à Worcester. Le Courrier de Worcester vient de paraître, et dame rumeur dit qu'il sera fondé deux autres journaux prochainement à Worcester. Soyez tous les bienvenus."

^ ^ $

Voici un échantillon d'une oraison funèbre à l'occasion de la mort d'un journal. Nous le trouvons dans le journal humoristique la B'iette de Lowell, lui-même décédé peu de mois après. L'événement est plus rapproché de notre époque. C'était imprimé dans une des

350 Histoire de la Presse Franco- Américaine

pages du journal un peu à la façon d'une carte funéraire et entouré d'une bordure noire, à peu près comme suit:

IN MEMORIAM CI-GIT

Enseveli dans ses langes

Trois poils sur le coco

Défuntisé faute de vent

LE PATRIOTE

à Lowell

LE 4 JANVIER, 1910

Avec deux airs (R)

Et enterré aux frais d'ia ville

LE 15 JANVIER, 1910

Sans façon.

Passants, n'espérez pas de graines.

Il n'en a pas eu assez pour lui-même.

R. L P.

N. B. N'oubliez pas mes parrains dans vos prières, ils

en ont plus besoin que moi.

^ $ H:

Dans les premiers temps de l'émigration canadienne aux Etats- Unis, bon nombre de nos compatriotes, d'ailleurs très instruits, n'é- taient pas cependant très ferrés sur l'anglais. Certains traducteurs d'annonces ou de nouvelles se voyaient parfois embarrassés pour ex- primer en français dans les colonnes du journal le mot propre ou le fait divers relevé dans un journal anglais. On a vu de cette façon d'amusantes coquilles. On a raconté la suivante qui parut en 1873. C'était une traduction d'un confrère qui ne possédait pas encore suffi- samment son anglais: L'imprimerie d'indiennes de Manchester "Manchester Print Works" avait donné congé à 500 employés pour quelque temps. Voici la traduction de la nouvelle rédigée en anglais qu'il en avait faite : "A Manchester, N.-H., les imprimeries seront fer- mées jusqu'au ler décembre, et environ 500 typographes se trouveront sans emploi." Vous imaginez-vous une petite ville comme Manchester à cette époque donnant d'un coup congé à 500 typographes ! Se re- présente-t-on la somme de travail mise en disponibilité par le chômage de 500 typographes! Quelle chance pour la Voix du Peuple si ce premier journal de Ferdinand Gagnon eût encore existé!

Souvenirs et anecdotes 351

C'est ainsi que "dust pans" (porte-poussière) avait été traduit en "pantalons à poussière."

* :;: *

C'est le Messager de Lewiston, croyons-nous, qui, lors de la disparition du Courrier du Maine, organe des Pères Dominicains à Lewiston, qui existait depuis cinq mois environ, reproduisait du der- nier numéro de ce journal ce qui suit: "Le Courrier du Maine paraît aujourd'hui pour la dernière fois. Tous savent les raisons pour les- quelles ce journal a été fondé et le bien qu'il a accompli. Inutile d'en donner des détails. Il suffira de comparer l'état déplorable dans lequel était notre paroisse avec l'esprit d'accord et l'union qui régnent au- jourd'hui. Nous avons rétabli la paix. Notre mission étant accomplie, nous nous retirons le front haut et glorieux de notre œuvre." Et le Messager ajoutait: "Le malheureux est satisfait de son oeuvre! Il meurt dans l'impénitence finale.

"Que la terre lui soit légère!"

* * *

LE REVEIL

L'Avenir National, de Manchester, faisait en ces termes ses adieux au journal le Réveil, dont le dernier numéro parut le lo août igio:

Le Réveil est mort hier soir, étranglé par ses nouveaux proprié- taires qui n'aimaient point sa mine et qui n'ont pas tardé à s'aperce- voir de la faiblesse de sa constitution. Quoique âgé de moins de deux ans, ce journal, conçu dans la vengeance et engendré dans l'ini- quité, a coûté au-delà de $25,000 à son père, Joseph de Champlain, et à sa mère, la New England Investment Company. S'il était passé en faisant le bien, sa mort inspirerait des regrets; mais son agonie a été obsédée par les sanglots des victimes qu'il a contribué à séparer de leurs épargnes.

"Que la terre lui soit légère!"

Les désastres de la New England sont encore pour un bon nombre un souvenir cuisant. $679,000 y ont été engloutis.

SUPPLEMENT

24

lof

LE PREMIER JOURNAL FRANÇAIS AUX ETATS-UNIS

E premier-né de la presse française aux Etats-Unis est le Courrier de Boston, qui vit le jour à Boston en 178g, l'an- née même qui marqua le début de la Révolution française, en cette même ville ovi, dès 1704, M. John Campbell, di- recteur de la poste, avait fondé le premier journal publié sur ce continent, The News-Letter.

Bien que la collection complète du Courrier de Boston se trouve encore très bien conservée à la Bibliothèque publique de Boston, on ignore qui en fut l'éditeur ou le rédacteur. On a beau parcourir les vingt-six numéros en entier, le nom de l'éditeur ou du rédacteur ne se rencontre nulle part. Mais ce qui ressort clairement de la lecture de ces pages jaunies par le temps, c'est que celui qui y a laissé une partie de lui-même était un Français, rempli d'un amour ardent pour la République naissante et d'une sincère affection pour sa mère- patrie.

On ne pourrait pas convenablement appeler le Courrier de Boston le pionnier de notre presse aux Etats-Unis, puisque c'était une entre- prise essentiellement française. Dans ce temps, à Boston et les alen- tours, la population de langue française était composée de Français ou descendants de Français, parmi lesquels il y avait de nombreuses fa- milles de huguenots. Aujourd'hui les descendants de ces familles ont perdu la langue de leurs pères et leur caractère national et se sont fondus dans le creuset américain.

Le Courrier de Boston était un journal à dimensions minuscules, in-quarto de huit pages, à deux colonnes et avec le sous-titre que voici: "Affiches, annonces et avis," et au-dessous la devise : "l'Utilité des Deux-Mondes." Il se publiait une fois la semaine, le jeudi. Le pre- mier numéro parut le 23 avril 178g. Le dernier porte la date du 15 octobre. Le premier-né de la presse française en Amérique n'eut donc qu'une existence éphémère, à peine six mois.

356 Histoire de la Presse Franco- Américaine

Dans sa conférence du 12 mars 1903 devant la Société Historique Franco-Américaine, il a si bien analysé cette publication, publiée quelques jours plus tard dans L'Opinion Publique, M. J.-A. Favreau cite plusieurs extraits du Courrier de Boston.

"L'année 178g, dit M. Favreau, fut assez féconde en événements importants pour donner un attrait singulier à un journal de cette épo- que, même si les informations d'Europe y sont vieilles de deux mois au moins, et si celles du pays remontent à huit jours. D'ailleurs cela importe peu quand on les lit en 1903!

"Dès son premier numéro, le Courrier de Boston s'occupe des dé- bats de la première session du Congrès américain, dont la première séance venait' d'avoir lieu le 6 avril. Elections du président et du pre- mier vice-président (George Washington et John Adams,) discours d'inauguration de Washington, ses messages spéciaux au Congrès, actes créant les départements de l'Exécutif, débats les plus importants, tout est rapporté avec une exactitude scrupuleuse. C'est le 29 sep- tembre que finit la session. Ce jour-là, Washington envoya au Con- grès, avec un message approuvant le projet des représentants de pren- dre congé pour trois mois, une communication que l'éditeur du Cour- rier de Boston dut trouver fort de son goût."

Cette communication était une expression de sympathie à "Sa Ma- jesté Très Chrétienne" et à la nation française pour la mort du fils aîné du roi Louis XVI, le Dauphin. Ironie des choses, avant la fin de cette même année 1789 les premiers événements de cette Révolution, qui allait bientôt dévorer l'autre dauphin, le roi, la reine et tant d'au- tres victimes innocentes, s'étaient déjà produits.

Les derniers numéros du Courrier de Boston sont remplis de la prise de la Bastille et de détails sur l'agitation qui allait toujours gran- dissante en France. Mais toujours le rédacteur du Courrier de Boston n'avait que des paroles d'éloges pour le "bon monarque."

Détail curieux, quand l'éditeur du Courrier veut attirer spéciale- ment l'attention des lecteurs dans des avis, ceux-ci sont rédigés en français et en anglais. C'est de cette façon qu'il se présente devant le public dans son premier numéro. Dans le neuvième numéro il fait appel pour l'encouragement. Il faut croire que cet appel n'eut pas le succès qu'en attendait l'auteur, et que les abonnés continuaient à être négligeants dans le payement de leur souscription, puisqu'au quinziè-

[ ]

COURIER DE BOSTON,

AFFICHES, ANNONCES, et AVIS.

U Utilité des deux Mo?ides,

Frite, 5 Pence.}

Du JEUDI, 2 Juillet, 1789.

[No. II.

AVIS

/f MM. les Agioteurs et autres Spéculateurs Jur les Fonds-Publics.

La fureur du jeu*, dit-on, eft depuis qutlquc temps portée au plus haut degré ; elle a gagné toutes les clafles de citoyens. On acheté, on vend des aftions, on multiplie les combiiiaifons ; on vend des dividendes qu'on n'a point ; on parie en un mot, & les paris font foutent confidérablcs. Les heureux à ce jeu affichent un grand luxe, les autres fe cachent ; l'état des pre- mier» frappe, on ignore la dctrefTe des autres, & cha- cun fe met à jouer. Cette manie infeéle tous le» rangs, la contagion eil univerfellc, & c'ell un grand mal.

Le jeu entraîne la difDpaiion, & la diflipation en- traîne le jeu ; la difTipation fert à dépenfer en jouif- fances le gain, & le jeu alimente la dilUpation.

Un joueur ne connoit & n'aime que lui, & plus fou- vent même il ne s'aime pas; comment aimeroit-il les autres ? Aufli n'e(l-il pour lui ni parens, ni amis, ni cpoufe ni enfans. Quand il gagne, les derniers lui font à charge, parce qu'il» ftmblent lui reprocher fesjouif- fances ; quand il perd, ik lui deviennent odieux, parce que leur ruine eft fon ouvrage.

Dans une vie tranquille, avec des goûtt réglés, oo mène une vie irréprochable, on a des moeurs : dans une vie agitée, avec des goûts immodérés, on n'a ni repos ni moeurs.

On donne la préférence au jeu fur tout, fur les arts, les fciences, le commerce, l'agriculture, on ne s'occupe

* Jt» défgnt Ki/ftcultaion,jeunr/p{nlateur.

que de chiffres, que de combiner les moyens de s'enri- chir aux dépens de» autres & de la fociétc.

Ce jeu c(l une vraie guerre faite à la fociété, à tous les hommes ; le jeu ifole donc les hommes.

L'ame d'un joueur eft perpétuellement livrée à de» inquiétudes dévorantes ; une ame inquiète eft rare- ment honnête & douce.

On diCSpe vite, parce qu'on a gagné vite ; on joue fouvent, parce qu'on diflipe toujours.

Les pertes jointes à ladiffipaiion entraînent la ruine, & l'on devient fripon.

Enfin le jeu, en favorifant le crédit, facilite au» ad- miniftrateurs les moyens d'avoir de l'argent ; il faro- rife donc les paffions des adminillrateurs, car la faci- lité d'avoir, engage à dépenfer ; cette facilité eft donc un moyen de corruption.

Le jeu en finance eft funefte à la fociété, au Gon- vernemcnt, aux mœurs privées, il eft funefte même pour les joueurs.

On nt m'accufera pas fans Joute d'avoir diminue les griefs qu'on élève contre le jeu dans les fonds pub- lics, d'avoir altéré les couleurs noire» fous Icfquelle» on peint fcs eficts.

Répondons par des faits, par l'expérience & par le railonnement.

Si ce jeu détruifoit les mœurs publiques & privées, il n'en devroit plus exifter aucune trace en Angleterre 5c en Hollande, deux contrées ce jeu exifte depuis long-temps, il exifte prefqiie fans entraves, il eft porté à un fingulier degré de perfcftion, tous le» citoyens enfin prennent part ; la corruption devroit être portée à un plu* haut point q'ie dans les Etat» qui o'oat point admis ce jeu ou dans Icfquels il a tou-

Jean Bergeron

Solomon Mazurette

Supplément 357

me numéro, soit le 30 juillet, il revient à la charge dans un avis rédigé dans les deux langues.

Hélas! l'encouragement tant espéré ne vint pas. Les annonces brillaient toujours par leur absence. Dans les six mois de son exis- tence, le Courrier de Boston n'a publié qu'une seule annonce, de deux lignes, il s'agissait d'une chambre garnie à louer. Enfin au vingt- sixième numéro, en date du 15 octobre 1789, l'éditeur annonce qu'il est forcé de suspendre sa publication.

Six mois ne sont pas une existence bien longue pour un journal, mais dans les circonstances on peut dire que le Courrier de Boston avait la vie dure, et l'on peut même s'étonner qu'il ait pu vivre six mois absolument sans annonces. De nos jours ce ne serait pas même concevable qu'un journal pût vivre trois mois sans annonces, à moins qu'il eût à sa disposition un capital à dépenser en pure perte. Et à la fin du i8e siècle à Boston les seuls abonnés d'un journal français devaient être une piètre ressource. C'est pourquoi nous estimons que le fait par l'éditeur du Courrier de Boston d'avoir fait durer son journal pendant six mois constituait un véritable tour de force, s'il n'était pas favorisé de la fortune. Il est vrai cependant que dans ce temps-là, la composition et l'impression d'un journal ne coûtaient pas autant qu'aujourd'hui, et les salaires des typographes n'étaient que l'ombre de ceux qui existent de nos jours. Tout de même le Cour- rier de Boston est une preuve que, même il y a 120 ans, le patrio- tisme et le courage aidant, l'homme peut accomplir des merveilles.

NOTE Nous avons puisé la plus grande partie des matières de ce chapitre dans le remarquable travail de M. J.-A. Favreau et lu par l'auteur devant la Société Historique Franco-Américaine le 12 mars 1903.

NOTE Nous avons trouvé dans le Journal (Diary) de William Bentley, publié en 1907, que le "Courrier de Boston" était publié par Paul-Joseph Guérard de Nancrède, qui enseignait le français à l'Université Harvard.

* * *

Les journaux français de New-York, de la Louisiane, de la

Californie et autres

Comme on l'a vu par ce qui précède, l'oeuvre de la presse cana- dienne-française en ce pays a été considérable. Mais aussi il y a la presse française proprement dite, c'est-à-dire les journaux dirigés et rédigés par des Français de France ou des créoles de la Louisiane.

358 Histoire de la Presse Franco-Américaine

Il faut distinguer entre ces deux presses; l'esprit et les tendances générales ne sont pas les mêmes. Notre but principal était de faire une histoire de la presse canadienne-française des Etats-Unis, mais nous avons cru que ce travail recevrait un surcroît d'intérêt si nous y ajoutions un supplément relatif à l'historique de la presse française. Celle-ci se donnait pour mission de rappeler aux Français expatriés le souvenir de la patrie éloignée, la noble France, et les journaux canadiens-français entretenaient dans le cœur de leurs lecteurs le culte et l'amour du pays natal, le Canada. Cependant la similitude de langue est un lien puissant qui unit les deux presses dans une même confraternité lorsqu'il s'agit de ce verbe français qui est commun aux descendants des Français en Amérique comme à ceux qui tirent directement leur origine de la vieille France.

La Louisiane, comme nous le verrons ci-après, entra résolument dans le mouvement et les journaux qui virent le jour sur les bords enchanteurs du Meschacébé devinrent nombreux.

LE COURRIER DES ETATS-UNIS.

Le principal journal français en Amérique, et celui qui, après L'Abeille, eut la plus longue existence ininterrompue, est le Courrier des Etats-Unis de New-York, fondé en 1828. Il est aujourd'hui le plus ancien journal existant en langue française dans l'Amérique du Nord, après L'Abeille de la Nouvelle-Orléans. A l'occasion de Noël 1909, le Courrier des Etats-Unis publiait un supplément historique sur les débuts et les progrès du journal. La première page de ce sup- plément était une reproduction exacte de la première page entière du premier numéro paru le ler mars 1828. Puis il faisait l'historique ex- trêmement intéressant suivant:

UN COUP D'ŒIL EN ARRIERE

Notes rétrospectives sur le Courrier des Etats-Unis

En présentant aujourd'hui au public notre grand supplément de Noël, la direction du Courrier des Etats-Unis a voulu marquer par une nouvelle date cette année 1909 qui a été si fertile en changements pour notre journal. Cette année a été en effet l'ère des grandes réfor- mes pour le Courrier, et notre intention en publiant ce supplément a été d'offrir à nos abonnés, à nos lecteurs et à tous ceux qui nous sont restés fidèles un souvenir qui fera sans aucun doute date dans l'histoire de l'organe des populations de langue française aux Etats- Unis.

Supplément 359

Voilà quatre-vingt-deux ans révolus depuis le jour le Courrier des Etats-Unis fit sa première apparition à New- York, quatre-vingt- deux ans de dévouement, d'inébranlable attachement de la part de ceux qui se sont succédé à la direction de notre journal; quatre-vingt- deux ans d'efforts, de luttes et de labeur incessant. Et après les in- comparables génies du journalisme qui ont tour à tour signé cette feuille, après les Gaillardet, les Lassalle, les Meunier, les Sampers, c'est à nous, les jeunes, les nouveaux venus, qu'il incombe de faire l'histoire de cette entreprise.

Dans la vie laborieuse et inflexiblement régulière du journalisme, la marche du temps produit une sorte d'illusion optique dont on ne saurait se rendre compte à moins de l'avoir éprouvée. La préoccupa- tion incessante de l'événement du jour, la tâche constamment renais- sante de relier le présent à l'avenir aussi bien qu'au passé, ce labeur si divers dans sa monotonie que chaque heure apporte et qui semble finir avec elle, mais pour renaître l'heure d'après, tout cela fait à la longue perdre de vue l'intervalle qui sépare telle date de telle autre. Le temps glisse en quelque sorte sur la pensée, tandis qu'elle voyage ainsi d'époque en époque, tout en demeurant asservie au moment actuel. C'est là, assurément, un contresens tout au moins en appa- rence ; il semblerait que ce fut le contraire qui dût arriver ; que les hommes chargés d'enregistrer les éphémérides de l'histoire humaine dussent avoir plus que personne le sentiment exact de chaque inter- valle franchi.

Rien n'est plus vrai néanmoins. Il faut le retour périodique de certains jours immuables pour arracher à cette espèce de mirage l'es- prit absorbé dans sa tâche quotidienne.

Quatre vingt-deux ans!

S'imaginera-t-on jamais ce que ces longues années ont représenté de travail pour ceux qui ont accepté la lourde tâche de créer, de conti- nuer et de faire prospérer un journal français dans le Nouveau-Monde? Lorsqu'il entreprit, en 1828, cette tâche, le fondateur du Courrier des Etats-Unis, M. Hoskin, ne se doutait pas que l'œuvre dont il posait la première pierre était appelée à survivre à tous ses contemporains; que le journal qu'il fondait allait devenir centenaire; que le petit Courrier des Etats-Unis, paraissant sur huit pages une fois par se- maine, allait devenir, trois quarts de siècle plus tard, un grand jour- nal quotidien prenant place au premier rang des publications de son temps. Les déboires, les désillusions et les découragements furent nombreux au début; Hoskin abandonna la tentative au bout de neuf mois. Mais l'oeuvre était fondée; l'organe des populations de langue française avait reçu, en naissant, et indépendamment de la volonté de son fondateur, un brevet de longévité.

Quoiqu'il en soit, rendons grâce à William Hoskin; à lui revient l'idée première et l'honneur d'avoir le premier compris la nécessité

360 Histoire de la Presse Franco- Américaine

d'un journal français en Amérique. Les hommes qui l'ont suivi, ceux dont nous pleurons aujourd'hui encore la perte, ont agrandi, perpétué son œuvre.

Et c'est à ce petit groupe d'hommes que nous voulons adresser au- jourd'hui un tendre et reconnaissant hommage. L'oeuvre qu'ils ont commencé, nous voulons la poursuivre ; telle qu'elle a été conçue par eux, telle nous voulons la poursuivre, en nous efforçant d'être dignes de l'héritage qu'ils nous ont laissé. Le but qu'ils s'étaient proposé d'atteindre nous le poursuivons avec eux.

En se donnant corps et âme à l'entreprise, en sacrifiant les meil- leures années de leurs vies, hélas ! trop courtes, à la prospérité du Courrier des Etats-Unis, ils ne poursuivaient pas seulement le but de donner aux Français d'Amérique un ami de tous les jours, constant et fidèle un ami qui défendrait leurs intérêts et qui leur parlerait de la patrie. Ils voulaient aussi faire connaître à l'Amérique la France, notre France, notre merveilleux pays que Grotius appelait, il y a trois siècles déjà, "le plus beau royaume après celui du ciel" et que Shakes- peare saluait prophétiquem.ent, dès la même époque, comme "le véri- table soldat de Dieu."

Ce double but auquel ils ont consacré de longues et de si labo- rieuses années ils l'ont atteint.

LE PREMIER NUMERO

Le premier numéro du Courrier fut publié le ler mars 1828, dans le format qu'il a conservé jusqu'à l'année 1851. Il débuta comme simple feuille hebdomadaire, paraissant le samedi par huit pages, dans lesquelles la littérature et les variétés occupaient infiniment plus de place que la politique. Il n'était alors question ni de steamers à roues ni de steamers à hélice. A peine même l'ère des grands paque- bots commençait-elle, et les communications avec l'Europe étaient soumises à toutes les vicissitudes de la navigation. Aussi voit-on, à la composition de certains numéros, dans quelle disette se sont parfois trouvés les rédacteurs.

A proprement parler, le Courrier n'avait, à cette époque, ni les allures ni l'ambition d'un journal proprement dit. C'était, plutôt que tout autre chose, une sorte de prise de possession d'état au nom de notre langue: le journalisme français prenait date et marquait sa place pour l'avenir dans les rangs de la presse américaine.

Ces conditions premières de périodicité ne subirent aucune modifi- cation jusqu'en 182g. A cette époque, on commença à faire aux abon- nés la galanterie d'une feuille supplémentaire de quatre pages .publiée le mercredi, en dehors et en sus des huit pages régulières du samedi.

Ce fut la seule transformation matérielle que subit le journal jus- qu'au moment M. Frédéric Gaillardet en devint acquéreur, en 1838; mais ses vicissitudes éditoriales avaient été plus nombreuses. Avant d'arriver entre les mains qui devaient lui ouvrir un avenir nouveau, il

Supplément 361

avait passé par celles de quatre propriétaires différents, avec les alter- natives diverses de bonne fortune et de moments critiques.

M. Frédéric Gaillardet le prit dans une condition tellement pré- caire que, aux yeux de beaucoup de personnes, son entreprise de le relever passa pour une témérité. Il débuta par une sorte de coup d'Etat qui accumula encore autour de lui de nouveaux pronostics né- fastes: il dédoubla la feuille du samedi et se mit à publier trois nu- méros par semaine. Bien que rien ne fût changé aux conditions d'a- bonnement, ce changement détermina un certain nombre de retraites dans la liste des souscripteurs et ébranla un moment sa situation. Mais son énergie et son talent eurent bientôt regagné le terrain perdu et bien au-delà. Favorisé par l'établissement de la ligne Cunard qui vint donner aux nouvelles d'Europe un intérêt pour ainsi dire régulier, le Courrier prit un essor que ses fondateurs ne lui avaient probable- ment jamais prévu. La publication, presque exclusivement littéraire jusque là, acquit rapidement une valeur et une influence, et au bout de neuf ans. M. Gaillardet se retirait avec une fortune gagnée rapide- ment, mais non sans un âpre labeur, sous lequel avait succombé sa santé.

DEPART DE M. GAILLAEDET

M. Gaillardet se retira au début de l'année 1848, passant les fonc- tions de directeur en même temps que celles de rédacteur en chef à M. Paul Arpin. M. Gaillardet quitta les Etats-Unis mais il n'aban- donna pas le Courrier; pendant dix années encore il continua à en- voyer de Paris ses correspondances uniques peut-être dans les an- nales du journalisme américain et dont nous publions plus loin quel- ques extraits.

Pendant l'administration de M. Arpin, le Courrier poursuivit sa marche en avant. Pour en donner une idée, voici un extrait de l'article que le nouvel administrateur publiait dans le numéro du 30 août 1848:

"C'est le 10 avril que nous avons pour la première fois signé le Courrier des Etats-Unis; et cette date seule indiquait le redoublement d'activité que nous voulions imprimer au journal, car elle devançait le jour de publication régulière. Nous n'avons jamais manqué de mon- trer le même empressement, toutes les fois que les arrivages d'Europe l'ont exigé. Mais cela ne nous a pas suffi, et des numéros supplémen- taires, publiés avec une grande rapidité et quelquefois coup sur coup, sont venus prouver à nos abonnés que notre unique préoccupation est de leur donner les nouvelles le plus promptement possible en même temps que sous leur forme la plus complète et la plus développée. A diverses reprises, le Courrier a paru deux fois dans un même jour: ainsi le jeudi, 20 avril, le numéro régulier venait d'être expédié, lors- que le paquebot "Duchesse-d'Orléans" entra dans le port. Il n'appor-

362 Histoire de la Presse Franco- Américaine

tait que l'historique de trois jours, mais cet historique n'était pas sans importance : une nouvelle feuille paraît dans l'après-midi.

"Le 12 juillet, le journal avait été publié à son heure ordinaire; dans l'après-midi, le télégraphe nous transmet un premier récit des journées de juin; nous passons la nuit à traduire la dépêche, en la com- plétant au moyen des journaux anglais qui nous parviennent par ex- press, et de grand matin, le Courrier donne des nouvelles plus com- plètes déjà que celles de ses confrères américains, A peine avons-nous achevé, qne nos journaux de France et nos correspondances nous sont transmis par la poste, nous nous remettons à l'œuvre, et dans l'après- midi, un journal entièrement nouveau présente tous les détails des funèbres journées. En moins de trente heures, le Courrier avait paru trois fois !"

C'est sous la direction de M. Paul Arpin que le Courrier des Etats-Unis devint un journal quotidien, paraissant tous les jours, sauf le dimanche, au lieu de paraître trois fois par semaine. Cette réforme eut lieu au début de l'année 1851.

Deux ans plus tard, M. Paul Arpin quitta à son tour la direction du journal qui passa à M. Charles Lassalle. Pendant la direction de ce dernier l'entreprise ne cessa de prospérer. M. E. Masseras, qui avait monté à cette époque le Phare de New-York, le seul concur- rent sérieux que le Courrier ait jamais eu, abandonna même la ten- tative et décida de s'allier avec M. Lassalle quand il devint le rédacteur en chef.

UNE INSTITUTION

A cette époque, le Courrier des Etats-Unis était devenu une insti- tution pour ainsi dire inébranlable, marchant constamment dans la voie du progrès. Il avait fallu de longues années pour l'établir sur des bases solides, mais il n'allait être confié plus tard qu'à des hommes de valeur dont le seul but allait être de poursuivre et agrandir l'œuvre si bien commencée. Dans sa marche en avant, le Courrier n'allait plus, grâce à ces hommes, rencontrer aucun obstacle.

Un vieil adage français assure qu'il est impossible de contenter tout le monde. Le Courrier des Etats-Unis a plu à un grand nombre de personnes, d'autres n'ont pas été aussi satisfaites et ont exprimé leur mécontentement en fondant des feuilles rivales. L'histoire a prouvé que ces tentatives ne répondaient pas à un besoin puisqu'elles furent toutes infructueuses. Le Courrier seul a survécu; il a donc su plaire à la majorité. Pendant le demi-siècle qui a suivi, il a assisté impassi- blement aux efforts de ceux qui ont tenté de lutter contre lui; il a vu s'éteindre successivement toutes les tentatives de concurrence et il a toujours tendu la main aux confrères malheureux, se rappelant que s'ils avaient tenté un moment une lutte pour ainsi dire désespérée, ils étaient avant tout Français.

Supplément 3G3

Charles Lassalle poursuivit donc avec succès l'œuvre de ses devan- ciers. En juillet 1870 il s'associa avec M. Léon Meunier, et en fé- vrier 1877 M. Henry-P. Sampers fut choisi comme administrateur. Sous la direction de ces trois hommes, le Courrier des Etats-Unis progressa constamment et connut bientôt ses plus beaux succès. Quel- ques années plus tard Charles Lassalle se retira et MM. Meunier et Sampers devinrent seuls propriétaires. M. Meunier se retira bientôt à son tour et M. Henry-P. Sampers entreprit alors seul la direction du journal, qu'il devait amener par la suite à une époque de prospérité telle que le Courrier n'en avait jamais encore connue, et qu'il ne devait abandonner qu'à sa mort. Plus actif encore que tous ses prédéces- seurs, Henry-P. Sampers travailla sans trêve au succès de l'entreprise, lui sacrifiant tout son temps et toute son intelligence. C'est lui qui nous inculqua les principes que nous nous efforçons de suivre aujour- d'hui.

CHARLES LASSALLE.

Sous la direction de Charles Lassalle, le Courrier des Etats-Unis connut une époque de prospérité exceptionnelle; les nouveaux abon- nés affluèrent, attirés par les perfectionnements apportés dans l'entre- prise par le nouveau directeur. La rédaction, un peu négligée pen- dant les années précédentes, fut sensiblement améliorée, et le Courrier reconquit les titres littéraires qu'il avait possédés jadis et qui avaient été un peu abandonnés depuis le départ de M. Gaillardet.

M. Lassalle avait acheté le Courrier des Etats-Uins à un moment l'entreprise, sans toutefois menacer de péricliter, se trouvait dans une situation des plus précaires; lorsqu'il céda ses droits à ses succes- seurs, il en obtint un prix très élevé, car le journal était devenu, au point de vue commercial, une affaire de très bon rapport.

M. Lassalle s'était consacré corps et âme au Courrier; il eut la consolation, en le quittant, de savoir qu'il le laissait entre de bonnes mains.

LEON MEUNIER.

Léon Meunier, le rédacteur en chef du Courrier des Etats-Unis depuis 1870 jusqu'à la fin de l'année 1882. Venu en Amérique en 1855, il s'occupait tout d'abord d'affaires commerciales, mais l'éduca- tion supérieure qu'il avait reçue le guida vers une carrière dans la- quelle il pourrait mettre à profi.t ses capacités intellectuelles. Il entra au Courrier des Etats-Unis en 1863, et son esprit d'initiative, son talent d'écrivain lui valurent bientôt d'être nommé rédacteur en chef. M. Meunier s'entoura d'hommes de valeur qui l'aidèrent dans sa tâche et avec leur collaboration il réussit à donner au Courrier une nouvelle vitalité. M. Meunier quitta la direction du Courrier en 1882 pour retourner en France, mais il n'abandonna pas tout à fait le journal auquel il avait consacré les meilleures années de sa vie. Pendant de

364 Histoire de la Presse Franco-Américaine

longues années encore, il continua à envoyer de Paris des correspon- dances et des dépêches qui furent le principal attrait du journal.

H.-P. SAMPERS.

L'histoire du Courrier des Etats-Unis ne pourrait s'écrire sans une biographie très complète de M. Henry-P. Sampers, de notre directeur qui hier encore était parmi nous et dont nous pleurons tous la perte. Mais aucune biographie écrite par nous ne pourrait égaler l'article que publia notre rédacteur en chef, M. F. de Tranaltes, dans le Courrier du 2 mai igo8. M. de Tranaltes occupa pendant vingt-six années au côté de M. H.-P. Sampers, le poste de rédacteur en chef qu'il occupe encore aujourd'hui; il fut sa main droite, son conseil et son aide le plus précieux dans tous ses efforts. Laissons-lui donc la plume :

H.-P. SAMPEES.

Nous avons aujourd'hui, une triste tâche à remplir: celle d'annon- cer la mort du principal propriétaire du Courrier des Etats-Unis, Henry-P. Sampers, qui a succombé aux suites d'une dangereuse opéra- tion.

Bien qu'il fut dans sa soixante-dixième année il était le 5 janvier 1839 M. Sampers ne paraissait pas son âge; on pouvait croire qu'il avait encore de longues années à vivre, lorsqu'on le voyait tou- jours actif, toujours assidu au travail. Il n'y a pas quinze jours qu'il donnait encore son attention aux affaires du journal. Aussi, sa mort a-t-elle surpris tous ses amis ; mais il est des affections organiques qui ne pardonnent pas et devant lesquelles les plus habiles praticiens restent impuissants.

C'est, on le comprend, avec une douloureuse émotion que le per- sonnel du journal a appris la mort de l'homme en qui se personnifiait, en quelque sorte, depuis de longues années, le Courrier des Etats- Unis. Il y a quarante-sept ans, en effet, que M. Sampers faisait ses débuts dans l'administration du journal; il y a trente ans qu'il en était un des propriétaires.

Il faut l'avoir connu personnellement, il faut l'avoir vu à l'œuvre pour se rendre compte de son infatigable activité, de son amour du travail, du soin minutieux qu'il apportait à l'exécution de la tâche quotidienne qu'impose l'administration d'un journal. Il ne s'inté- ressait en réalité, qu'à une seule chose, et cette chose était le Cour- rier des Etats-Unis, son unique préoccupation de tous les jours et de tous les instants était de rendre le journal indispensable à tous les Français, d'en faire l'organe par excellence de la pensée française en Amérique.

Celui qui écrit ces lignes a pu apprécier, depuis 1882, combien était vif, combien était sincère, l'intérêt que prenait M. Sampers aux affaires françaises, avec quelle satisfaction il enregistrait les succès de la

fliiii le» Lasalle

H -P SamiH'i s

Régis (ie Trobriand

Léon Meunier

Supplément 3G5

France, partout le drapeau était engagé, avec quelle joie il voyait grandir le prestige du nom français dans les deux mondes.

Sa grande assiduité au travail l'empêchait de se mêler personnelle- ment de la direction des intérêts français en Amérique; mais il était toujours prêt à les servir en leur ouvrant les colonnes du journal. Faut-il rappeler les souscriptions publiques dont le Courrier prit l'ini- tiative, quand il y eut lieu de secourir les victimes de la guerre de 1870-71, puis les inondés du Midi, les victimes du choléra à Marseille, les pêcheurs de Terre-Neuve? Grâce à la grande publicité du Cour rier, non seulement dans l'Amérique centrale et dans l'Amérique du sud, chacune de ces souscriptions fut des plus productives, comme chacun sait.

Quand on habite les Etats-Unis, il est impossible de ne pas donner une attention suivie aux affaires du pays. M. Sampers désirait que le Courrier renseignât les lecteurs de langue française aussi fidèlement que possible sur les questions américaines; il souhaitait aussi que ces questions fussent toujours traitées dans un esprit amical et bien- veillant pour le pays qui nous donne l'hospitalité. Le Courrier, disait-il volontiers, doit être en quelque sorte le trait d'union entre les Français et les Américains ; il doit rapprocher davantage encore ceux qu'unissent des sympathies séculaires et les plus beaux souvenirs historiques, en faisant mieux connaître la France aux Américains et l'Amérique aux Français.

Les Français ne participent pas d'ordinaire d'une façon très active aux affaires politiques des Etats-Unis, mais ils appartiennent pour la plupart, quand ils sont naturalisés, au parti démocrate. Peut- être n'a-t-on pas oublié qu'à l'appel du Courrier, ils contribuèrent, pour leur petite part, à l'élection du président Cleveland, en 1884 et en 1892. M. Sampers considérait avec raison ces deux campagnes élec- torales comme fort honorables pour son journal; elles l'étaient aussi pour lui-même.

Tel fut l'homme, tel fut l'ami que nous venons de perdre. Tou- jours simple et modeste, s'il pouvait lire les lignes qui précèdent, ils nous dirait sans doute de moins parler de sa personne et davantage de son oeuvre. Mais l'une et l'autre sont inséparables. Le nom de Henry-P. Sampers restera dans l'histoire du journalisme franco-amé- ricain comme celui de l'homme qui a le plus fait pour assurer au Courrier la place qu'il occupe aujourd'hui dans la presse des Etats- Unis.

REGIS DE TROBRIAND.

Il nous serait impossible de faire entrer dans le cadre de cet article les noms de tous les écrivains de talent qui contribuèrent à faire du Courrier des Etats-Unis le journal de premier ordre qu'il fut toujours.

366 Histoire de la Presse Franco- Américaine

Entre tous ces noms, nous devons toutefois en citer un qui se dé- tache, au milieu de tous les autres, dans un relief saisissant.

Nous avons nommé Régis de Trobriand, qui fut un des principaux collaborateurs de Gaillardet. Dès 1847, nous trouvons dans le Cour- rier de spirituelles chroniques dramatiques et musicales signées R.-T. Puis, l'auteur de ces articles rentre en France, et ce n'est qu'en 1854 qu'il reprend sa collaboration au journal. Ses "Feuilletons du Lundi," qui étaient lus avec autant d'intérêt par le public américain que par le public français, parurent régulièrement depuis décembre 1854 jusqu'au milieu de 1861.

Notons en passant que plusieurs de ces chroniques en 1855 rendent compte des représentations de Rachel à New-York, et n'ou- blions pas de mentionner que, lors de sa dernière apparition devant le public new-yorkais, la grande tragédienne récita une ode "Rachel à l'Amérique," œuvre de Régis de Trobriand, que traduisit plus tard en anglais l'écrivain américain Bayard Taylor.

Quelques années s'écoulent, et la carrière littéraire de Trobriand est brusquement interrompue.

La guerre civile américaine venait d'éclater. Le rédacteur du Courrier des Etats-Unis allait déposer la plume pour prendre l'épée.

Les officiers des Gardes Lafayette (55e régiment de la garde na- tionale de Nev/-York,) à la veille d'offrir leurs services au gouverne- ment de Washington, devaient élire leur colonel : le choix se porta sur Régis de Trobriand. Cette élection eut lieu le 21 juillet 1861, le jour même de la défaite de l'armée du Nord à Bull Run.

On sait que la guerre civile américaine dura quatre ans. Envoyé avec son régiment à l'armée du Potomac, Trobriand fît toutes les campagnes successives de Virginie sous les ordres des généraux MacClellan, Burnside, Hooker, Meade et Grant. Il se signala par sa bravoure et son sang-froid, notamment à la sanglante bataille de Fair Oaks. En 1864, il était nommé brigadier-général et l'année sui- vante major-général de volontaires. C'est assez dire combien ses services étaient appréciés.

Après la guerre, tous les volontaires, officiers et soldats, furent licenciés, comme on sait. Le général Grant, qui se connaissait en hommes, fît nommer Trobriand colonel dans l'armée régulière, et l'année suivante, brigadier-général par brevet.

Pendant près de quatorze ans, l'ancien journaliste devenu officier général servit les Etats-Unis avec le même zèle, la même intelligence et la même fidélité qu'il avait montrés aux heures sombres de la guerre de Sécession. Et quand il prit sa retraite en mars 1879, il emportait l'estime de ses chefs et l'affection de ses subordonnés.

Régis de Trobriand, qui est mort en 1897, à l'âge de 81 ans, ap- partenait à une ancienne famille noble de Bretagne. Il a laissé deux filles, Mme Charles-A. Post et la comtesse de Rodellec.

I

Supplément 3(i7

Voici la notice par laquelle la direction annonçait le mercredi II juin 1847 l'apparition du premier Courrier quotidien:

Le numéro qui a paru hier mardi, 10 juin, a été tout à la fois le numéro régulier de l'édition publiée trois fois par semaine, et le pre- mier de l'édition quotidienne. Le Courrier des Etats-Unis paraîtra donc désormais tous les jours, tantôt avec une feuille simple, tantôt avec une feuille double, suivant les exigences des nouvelles et des annonces.

L'édition quotidienne du Courrier des Etats-Unis renfermera toutes les dépêches télégraphiques importantes publiées par les jour- naux américains, ainsi que les nouvelles de ville de quelque valeur.

Le Courrier eut des confrères malheureux au cours de sa longue existence. L'Indicateur eut une courte carrière, le Messager Franco- Américain a vécu près de vingt-cinq années. Une note qui parut à la première page du Courrier des Etats-Unis du samedi 7 mars 1840, offre aux souscripteurs de L'Indicateur qui ont payé d'avance de leur servir le Courrier gratuitement jusqu'à échéance. Plus tard, M. Henry-P. Sampers eut la même attitude généreuse vis-à-vis du Messager Franco-Américain. Voici la note du Courrier du 7 mars 1840:

Un journal français qui s'était élevé à côté du Courrier des Etats-Unis en novembre dernier, L'Indicateur, vient de cesser de paraître. La bienveillance dont les populations françaises de l'Amé- rique ont entouré le Courrier des Etats-Unis dans ces derniers temps, et son succès qui dépasse toutes les espérances ont été fatales à l'exis- tence de notre confrère. Désirant réparer, à son égard, les torts de notre bonne fortune et pratiquer envers un compatriote les devoirs d'une fraternité que notre succès même nous rendait plus sacrés, nous nous sommes chargés de remplir les engagements de L'Indicateur et nous avons promis de servir, sans aucune rétribution, ceux de ses souscripteurs qui ont payé d'avance le prix de leur abonnement entre ses mains.

Mais les temps ne sont plus les mêmes. Tout puissant que soit le Courrier il faut croire qu'il y a aujourd'hui place à une concurrence honnête dans le domaine du journalisme français à New-York, car vers la fin de l'année 1909 il surgissait un nouveau journal quotidien appelé le Progrès. C'est un journal excessivement bien fait et qui certes peut soutenir avantageusement la comparaison avec le Cour- rier. Le Progrès a cessé de paraître après six mois d'existence.

Une chose qui distingue les journaux français de New-York des journaux canadiens-français du Canada et des Etats-Unis est le prix de leur abonnement. Le Courrier des Etats-Unis, édition quoti-

368 Histoire de la Presse Franco- Américaine

dienne, coûte $12,60 par année, et le Progrès $8.00. Le prix général des journaux quotidiens canadiens-français du Canada et des Etats- Unis est de $3. Le prix de l'édition hebdomadaire du Courrier est aussi élevé en proportion, $5.20 par année. Son édition du dimanche seule coûte $2.50 par année. On conviendra sans difficulté que de semblables prix pour des journaux ne les mettent pas précisément à la portée des masses populaires.

L'AMERIQUE FRANÇAISE

L'Amérique Française était un journal hebdomadaire publié dans la ville de New-York, pour la population française, par M.-E. Las- sonde, un Canadien de Montréal. Le premier numéro parut le ler décembre 1902. C'était un beau journal de grand format à huit pages. M. Lassonde n'avait pas de rédacteur attaché au journal, mais il payait des écrivains pour collaborer, parmi lesquels étaient quelques Français de New- York. Parmi les collaborateurs en dehors de New- York il y avait M. Marc Sauvai de Montréal, aussi un Français, long- temps attaché à la rédaction de la Presse, principalement comme cor- respondant parlementaire sous le nom de plume "Pascal." M. Sauvai a écrit dans L'Amérique Française une série d'articles contre les grandes compagnies d'assurances-vie de New-York. Un des fils de M. Rémi Tremblay écrivit quelques articles sur l'annexion. Après une longue maladie Mme Lassonde décéda. La santé de l'éditeur s'étant altérée, celui-ci discontinua la publication de son journal, après dix mois d'existence, pour retourner à Montréal.

M. Lassonde était au Canada. Il vint aux Etats-Unis oii il fut agent général pour introduire la Presse de Montréal en 1886-87. En 1890 il était agent pour le Petit Journal de Paris. M. Lassonde a aussi été agent de publicité pour le Monde, le Soir, le Herald, jour- naux de Montréal, et aussi VEvening Citizen d'Ottawa. Après avoir publié L'Amérique Française à New- York pendant dix mois à partir de décembre 1902, il retourna à Montréal il exploite maintenant une imprimerie industrielle dans la rue Notre-Dame.

L'ABEILLE DE LA NOUVELLE-ORLEANS

La Louisiane fut une terre extrêmement fertile pour les journaux. Le plus grand nombre de ceux qui y ont vu le jour sont aujourd'hui disparus, mais il en est un, entre tous, qui est resté debout et qui a survécu à toutes les tempêtes qui ont emporté ses confrères nés avant

Supplément 3G9

et depuis sa fondation, c'est L'Abeille de la Nouvelle-Orléans. Le ler septembre 1907, L'Abeille célébrait le quatre- vingtième anniver- saire de sa fondation. Ce journal a donc aujourd'hui 84 ans d'exis- tence. Il est de six mois plus vieux que le Courrier des Etats-Unis. Le premier numéro de L'Abeille sortit le ler septembre 1827 et le premier numéro du Courrier des Etats-Unis le ler mars 1828. L'Abeille eut une existence mouvementée. Elle a vu bien des évé- nements politiques, elle a enregistré dans ses colonnes bien des faits retentissants, y compris cette terrible guerre civile qui avait pour but d'affranchir les esclaves du pays de la Louisiane et qui bouleversa si profondément celui-ci. Aujourd'hui, sous l'habile direction de M. Armand Capdevielle, qui en est l'administrateur depuis 1885, L'Abeille est un organe quotidien des populations de langue française de la Louisiane.

L'histoire de L'Abeille est un récit des plus captivants. Elle a été consignée dans les colonnes de ce journal, numéro du dimanche ler septembre 1907, à l'occasion du 8oe anniversaire de sa naissance. Comme dans le cas du Courrier des Etats-Unis nous avons cru que nous ne pouvions faire mieux que de reproduire les parties saillantes de ce récit. Nous y verrons incidemment une histoire à grands traits des autres journaux ou du moins quelques-uns d'eutre eux, qui ont existé sur la terre louisianaise.

FONDATION DE L'ABEILLE PAR FRANÇOIS DELAUP

La Presse Orléanaise avant 1827

L'Abeille de la Nouvelle-Orléans a été fondée le ler septembre 1827 par M. François Delaup, natif de St-Domingue qui était venu à la Nouvelle-Orléans en 1809 et qui y avait appris le métier d'impri- meur-t5^ographe. Quand M. Delaup cessa d'être le propriétaire de L'Abeille il resta attaché au journal comme prote jusqu'à sa mort.

Il se publiait à la Nouvelle-Orléans deux journaux ayant une par- tie française: le Courrier de la Louisiane, fondé en 1808 par MM. Thierry et Dacquenay et qui, à la mort de M. Thierry, survenue en 1815, était passé dans les mains de M. J.-C. de St-Romes qui en con- serva la propriété jusque vers 1841 ; et L'Argus, fondé par M. Manuel Cruzat et rédigé par M. René de Perdreauville.

Ces journaux étaient les seuls publiés en français à la Nouvelle- Orléans en 1827. En voici quelques autres ayant existé précédem- ment et que les souvenirs de M. Delaup lui permettaient de mention- ner:

25

370 Histoire de la Presse Franco-Américaine

Le Moniteur, fondé sous le régime français, rédigé par M. de Fon- taine, vieux légitimiste ayant conservé les traditions et le costume du i8e siècle. Il appelait dans son journal l'empereur Napoléon ler, monsieur de Buonaparte. Le Moniteur cessa de paraître, après quel- ques années d'existence, vers l'époque M. Nicolas Girod fut nom- mé maire.

Le Télégraphe, fondé vers 1806, rédigé par M. Claudin de Belur- gey ; avec parties anglaise et française ; défendait la noblesse et l'an- cien ordre de choses en France ; la partie anglaise avait pour rédac- teur un écrivain de talent, M. Nugent. Le journal cessa de paraître en 1811.

Vers 1813, L'Ami des Lois, anglais et français, fut fondé par M. M.-J. ^Leclerc et L. Provosty; c'était un journal mordant et agressif. Plus tard parut le Louisianais, anglais et français, rédigé par M. René de Perdreauville qui passa ensuite à L'Argus, puis à L'Abeille. La seule feuille publiée exclusivement en anglais était le Orléans Gazette qui avait parmi ses rédacteurs P.-K. Wagner dont nous par- lons plus loin et Christian Roselius, qui devint plus tard un des membres les plus éminents du barreau, fît son apprentissage de typo- graphe.

CREATION DE "L'ABEILLE"

Telle était la composition de la presse Orléanaise lorsque M. De- laup fît paraître L'Abeille.

La nouvelle feuille avait une apparence modeste; son format était de 22 pouces sur 18, elle ne se publiait que trois fois par semaine et exclusivement en français. Elle s'imprimait rue St-Pierre No 94, entre les rues Royale et Bourbon, c'est-à-dire au cœur du "Carré de la Ville" qui était alors le centre des affaires. Bien que la langue française fût encore la langue la plus parlée à la Nouvelle-Orléans et dans toute la Louisiane au-dessous de la rivière Rouge, l'anglais com- mençait cependant à acquérir de l'importance et, moins de trois mois après la fondation de L'Abeille, M. Delaup considéra nécessaire d'a- jouter à sa feuille une partie anglaise, bien restreinte d'abord, mais qui s'accrut très vite ; et peu de temps après l'édition hebdomadaire fai- sait place à une édition quotidienne et quinze jours après le format était agrandi et porté à 22 pouces sur 20.

On était alors sous l'administration de John Quincy Adams.

Le parti de l'administration n'avait pas de nom spécial et s'appe- lait le parti Adamiste. On sait qu'il constitua plus tard le parti whig. L'Abeille s'était déclarée indépendante, mais elle soutenait, néanmoins, l'administration.

En septembre 1829, l'importance que donnait aux nouvelles du Mexique la guerre qui avait éclaté entre ce pays et l'Espagne, et la présence d'un grand nombre de réfugiés espagnols à la Nouvelle-

Supplément 371

Orléans, engagèrent le propriétaire de L'Abeille à ajouter une partie espagnole au journal qui se publia alors sous le triple titre: L'Abeille, The Bee et La Abeja

Le 3 novembre 1829, les bureaux et les ateliers du journal furent transférés rue de Chartres, No 117, entre St-Louis et Conti.

Le 22 mars 1830, M. Delaup céda un intérêt dans la propriété du journal à MM. Jérôme Bayon et Duclère. Le 19 avril 1830 les bu- reaux et ateliers furent transférés au coin des rues de Chartres et St- Louis, vis-à-vis de l'ancienne Bourse. Un peu plus tard, ils furent transférés rue de Chartres entre Conti et Bonville (et dans lequel ils se trouvent encore actuellement, de sorte que, depuis 1830 L'Abeille n'a pas quitté la rue de Chartres.)

Le 27 juillet 1830, le journal devint la propriété de J. Bayon, De- laup et Cie, et en septembre, le format en fut agrandi, et la partie es- pagnole supprimée par suite du départ des réfugiés espagnols. Le format de L'Abeille, à cette époque, était celui du Democrat actuel, mais avec quatre pages seulement.

"L'ABEILLE," DEMOCRATE, JEROME BAYON

Le 4 mai 1831, par suite de nouveaux arrangements, le journal fut acquis par M. Jérôme Bayon qui en resta seul propriétaire.

Le format s'agrandit encore en 1831 et la belle apparence typo- graphique, l'augmentation des annonces indiquèrent que L'Abeille entrait dans une voie de prospérité.

Le 17 juillet 1832 L'Abeille, de neutre et indépendante en poli- tique, devint ouvertement démocrate et elle arbora la candidature d'Andrew Jackson pour la présidence. Elle combattit les Whigs et leur chef Henry Clay et le parti des désunionistes, à la tête desquels était John C. Calhoun.

De 1833 à 1836, L'Abeille est le journal officiel de la ville et de l'Etat et est en pleine prospérité. En 1836 L'Abeille inscrit en tête de ses colonnes le nom de Martin Van Buren, candidat démocrate à la présidence. En 1837, nous remarquons un agrandissement con- sidérable de format nécessité par l'abondance des annonces. Dans le numéro du 3 janvier de cette année, le propriétaire, M. Jérôme Bayon, remercia ses amis et le public du patronnage libéral qui lui avait été accordé.

"L'ABEILLE," WHIG— BULLITT, BULLEN ET MAGNE M. Jérôme Bayon céda la propriété de son journal à MM. Alex- andre Bullitt et J. Magne, dont les noms paraissent en tête des co- lonnes le 7 janvier 183g.

Les nouveaux propriétaires sont tous whigs et font de L'Abeille un journal whig qui appuie immédiatement la candidature de Henry Clay pour la présidence. Tandis que M. Bullen prend charge de l'administration, ses deux associés se mettent à la tête de la rédaction, M. Bullitt à la partie anglaise, M. Magne à la partie française.

372 Histoire de la Presse Franco- Américaine

Grâce aux efforts de ces deux habiles écrivains et à l'influence qu'exerce L'Abeille sur l'ancienne population louisianaise, le parti whig ne tarda pas à l'emporter en Louisiane, car la transformation du plus important journal de l'Etat a démoralisé les démocrates.

Le II juillet 183g, M. Bullen cède son intérêt à M, G.-F. Weisse qui devient l'associé de MM. Bullitt et Magne et qui prend charge de l'administration.

MAGNE ET WEISSE

Après l'élection présidentielle de 1844, M. Bullitt, découragé par la défaite de Henry Clay et désespérant de voir le parti whig se rele- ver, prend la résolution de se retirer du journalisme militant, et, après six années de luttes à L'Abeille, dans lesquelles il a fait preuve d'un talent remarquable de polémiste, il adresse dans le numéro du 11 novembre 1844, ses adieux aux lecteurs de ce journal et il passe au Picayune, journal neutre. L'Abeille reste aux mains de MM. Magne et Weisse et M. Bullitt est remplacé à la rédaction par le Dr Samuel Harby, déjà collaborateur du journal.

G.-F. WEISSE

Le 27 décembre 1850, M. J. Magne, qui, depuis plusieurs années, résidait alternativement à Paris et à la Nouvelle-Orléans et qui avait cessé de prendre une part active à la rédaction, il avait été remplacé d'abord par M. Paul Arpin, puis par M. Numa Dufour, se décida à se retirer définitivement du journal pour se livrer exclusivement à sa profession d'avocat, carrière qu'il parcourut avec succès et honneur jusqu'en 1866, époque à laquelle il retourna vivre en France, laissant au barreau de la Nouvelle-Orléans la réputation d'un jurisconsulte aussi instruit que consciencieux.

G.-F. WEISSE ET CIE

Le ler janvier 1853, M. Weisse annonça à ses lecteurs qu'il a vendu les trois-quarts de L'Abeille à ses collaborateurs, Dr Samuel Harby, rédacteur de la partie anglaise, Numa Dufour, rédacteur de la partie française, et Etienne Duverger, administrateur. La raison sociale est alors G.-F. Weisse et Cie.

A l'époque M. Bullitt s'était retiré de L'Abeille, le journal, par suite des défaites successives du parti whig, était en pleine décadence. Privé du patronnage politique, il était menacé de disparaître, quand ses propriétaires comprirent qu'il fallait porter leur attention vers les affaires et chercher dans les annonces de commerce une res- source nouvelle et durable. M. Etienne Duverger qui était entré au journal comme administrateur se dévoua à la tâche de relever la fortune ébranlée de L'Abeille et il y réussit complètement.

Les dettes du journal furent payées et son existence fut assise sur des bases que rien n'a pu depuis détruire, ni les vicissitudes de la

f

Supplément 373

guerre, ni les cruelles épreuves de l'occupation militaire, ni les crises commerciales et financières.

Depuis, les affaires de L'Abeille ont été conduites avec une pru- dence qui a permis au journal de rester debout, quand tous les autres journaux de la ville ou disparaissaient ou devaient changer de nom. Le ler mai 1861, M. Etienne Duverger vendait sa part dans le jour- nal à M. Félix Limet qui était déjà le rédacteur de la partie française depuis le mois d'avril 1860. Le 11 juin 1862, le Dr Samuel Harby succombait à une attaque d'apoplexie foudroyante.

Son intérêt dans le journal était acquis par ses trois co-associés le 8 novembre 1865.

DUFOUR ET LIMET

En octobre 1866, M. G.-F. Weisse qui était rétiré en France depuis plusieurs années, vendait son intérêt à ses deux associés, et à partir de cette époque L'Abeille eut pour propriétaires MM. Dufour et Limet.

Après la disparition du parti whig L'Abeille avait cessé d'être organe de parti.

A l'élection présidentielle de 1860, tout en exprimant des sympa- thies pour les candidats unionistes Bell et Everett, elle eût voulu voir le parti démocrate donner ses suffrages à Douglas.

Elle combattit les idées de sécession et prédit la triste fin que devait avoir la guerre entre le Nord et le Sud; mais une fois la sé- cession décidée, elle soutint la cause du Sud aussi longtemps qu'elle eût la liberté de le faire.

Depuis la fin de la guerre, elle a lutté contre le régime oppresseur que les lois de reconstruction avaient imposé à la Louisiane et à tout le Sud, et elle s'est ralliée au parti démocrate, comme le seul parti national qui put aider à l'affranchissement de cette section.

Gardant néanmoins son indépendance et son franc parler, elle s'est fait le champion des réformes et a dénoncé les abus de quelque part qu'ils vinssent.

Le rôle qu'elle a joué dans la presse louisianaise depuis 1865 est connu des lecteurs de ce journal et il ne nous appartient pas de l'ap- précier ici.

Suppression de la partie anglaise de L'Abeille. Dans les quel- ques années de prospérité temporaire qui suivirent la réouverture des relations entre la Nouvelle-Orléans et les Etats du Sud et de l'Ouest, la presse américaine de la Nouvelle-Orléans avait pris un développement tel que la partie anglaise de L'Abeille ne pouvait plus lutter avec les journaux publiés exclusivement en anglais, sous le rap- port de la variété et de l'étendue des nouvelles.

Le moment était venu les propriétaires du journal devaient re- noncer à fournir à leurs clients deux journaux pour un seul. Ils optè- rent naturellement pour la partie française.

374 Histoire de la Presse Franco- Américaine

Le Courrier de la Louisiane, L'Orléanais et toutes les feuilles publiées en français à diverses époques avaient disparu, et L'Abeille restait le seul journal quotidien publié en français en Louisiane. Elle devait d'ailleurs rester fidèle à son origine. Ce fut donc la partie an- glaise qui fut sacrifiée et depuis le ler juillet 1872, L'Abeille a été publiée exclusivement en langue française.

LA PRESSE FRANÇAISE DE LA NOUVELLE-ORLEANS

Nous venons de dire que L'Abeille était restée le seul journal quotidien de la Nouvelle-Orléans et nous pouvons ajouter de la Louisiane, qui se publiât en français. Des deux journaux ayant une partie française qui existaient en 1827, il n'en restait aucun. L'Argus avait disparu peu de temps après. Le Courrier de la Louisiane avait vécu jusqu'en 1858, près de 30 ans, puis après une suspension de 18 m^ois, il avait été réorganisé par MM. Slidell et Laserre, avec Emile Hiriait pour directeur, et avait finalement cessé de paraître après l'élection de Lincoln en novembre 1860.

Un grand nombre d'autres feuilles françaises avaient paru depuis 1827 et vécurent quelques années, elles n'avaient eu qu'une existence éphémère. Nous nommerons les principales :

Vers 1829, parut exclusivement en français le Journal du Com- merce, rédigé par M. Benjamin Buisson, ancien élève de l'école poly- technique, 1814-15, et qui eut trois années d'existence.

Le Louisianais, grand journal anglais et français, fut fondé par M. Jérôme Bayon, en 1839, après la vente de L'Abeille, mais il ne vécut qu'une année, M. Bayon étant devenu propriétaire du Courrier de la Louisiane à la mort de M. St-Romes.

L'Orléanais, publié en anglais et en français, fut fondé vers 1842 et parut jusqu'en 1857.

Le Franco- Américain, établi par M. René Masson qui alla plus tard fonder le Trait d'Union à Mexico, parut rue de Chartres pen- dant une année au plus, en 1848.

Le premier février 1857 parut L'Union, journal exclusivement français, fondé par actions et qui paraissait assis sur des bases solides, mais il n'eut que neuf mois d'existence, bien que la rédaction en eût été confiée à des écrivains de talent, E. Dumez, le rédacteur pendant des années du Meschacébé, Léon Laugrin et E. Lamulonnière.

Peu de temps après la disparition de L'Orléanais, parut un jour- nal français et anglais The Times (Le Temps,) rédigé par M. Bren- nan en anglais et en français par M. Paul Villars, l'ancien rédacteur de la partie française de L'Orléanais ; il ne vécut que quelques mois.

Pendant la guerre de sécession parurent le Courrier Français, L'Estafette, et sous l'administration du gouverneur Wells L'Etoile du Sud (Southern Star,) rédigée, la partie anglaise par M. E. Jewell et la partie française par M. L.-Placide Canonge.

Supplément 375

Il serait trop long de mentionner toutes les feuilles hebdomadaires françaises qui furent fondées dans la même période. Une seule sur- vécut, le Propagateur Catholique, fondé par l'abbé Perché, plus tard archevêque vénéré de la Nouvelle-Orléans. Nous citerons seulement parmi les autres la Renaissance Louisianaise, publication assez im- portante qui a vécu plusieurs années, rédigée par M. Emile Lefrac, L'Epoque, rédigée par M. L. -Placide Canonge, qui fusionna avec L'Avenir.

M, P. Marchand a fait plus tard paraître une feuille hebdomadaire, la Chronique, rédigée avec verve et esprit par M. J. Noblom.

Nous ne devons pas oublier de parler d'une autre publication qui ne paraît que tous les deux mois, mais qui a une haute importance pour la vulgarisation de la langue française en Louisiane, nous avons nommé les "Comptes rendus de l'Athénée Louisianais."

LES REDACTEURS DE "L'ABEILLE"

Le premier rédacteur de la partie française de L'Abeille fut le baron René de Perdreauville, appartenant à la vieille noblesse fran- çaise, légitimiste, ancien page de Marie-Antoinette, qui avait émigré pendant la Terreur et qui avait été plus tard gouverneur des pages de Napoléon ler. C'était une bonne plume, il rédigea L'Abeille de 1827 à 1828.

De 1828 à 1829 il fut remplacé par Martin Maillefert, ancien offi- cier de cavalerie de l'armée française, qui avait collaboré au Consti- tutionnel et qui était auteur de quelques ouvrages dramatiques. M. Maillefert avait été expulsé de France pour cause politique. Il put rentrer, après la révolution de juillet 1830, et fut nommé consul à Barcelone.

Vers 1830, L'Abeille eut pour rédacteur un Créole louisianais, M. Thomas Théard, père du juge Paul-Emile Théard; il fut à une époque contrôleur de la ville.

La rédaction de la partie française passa ensuite dans diverses mains. Ce fut d'abord M. Louis Caboche, professeur français, qui abandonna plus tard l'enseignement et le journalisme, pour devenir l'initiateur de la doctrine homoepathique en Louisiane.

M. Charles Bayon, Créole, frère de M. Jérôme Bayon, rédigea L'Abeille pendant quelque temps et eût pour successeur M. Granet, professeur français.

En 1839 M. Magne, devenu l'un des propriétaires du journal, prit charge de la rédaction et y apporta la connaissance des affaires, l'instruction et le zèle consciencieux qui le distinguèrent ensuite com- me avocat.

De 1845 à 1848, L'Abeille eut pour rédacteur M. Paul Arpin, Français, écrivain brillant.

De 1848 à 1860 M. Numa Dufour, Créole louisianais, l'un des pro- priétaires du journal, rédigea la partie française, sauf pendant une

376 Histoire de la Presse Franco- Américaine

période de huit ou neuf mois, pendant laquelle il fut remplacé par M. Xavier Eyma, Créole français des Antilles, connu par ses romans et par sa collaboration à la presse française, notamment au Moniteur de la Flotte et au Figaro.

En avril 1860, M. Numa Dufour prit charge de l'administration et fut remplacé à la rédaction par M. Félix Limet, Français, ancien avocat à Paris et à Rouen. M. Limet avait précédemm.ent collaboré à L'Union et au Courrier de la Louisiane. Pendant les absences que fit M. Limet dans cette période de 17 ans, il fut remplacé par M. Paul Villars, ancien rédacteur de L'Orléans et au Courrier de la Loui- siane, qui devint ensuite l'un des collaborateurs de L'Abeille. M. Villars était un vétéran de la presse, car il fit ses premières armes au National de Paris, sous Armand Carrel, août 1830.

Le premier rédacteur anglais de L'Abeille en 1827 a été M. J. Brown, de Boston, bon écrivain. Parmi ceux qui lui ont succédé à la rédaction, citons le professeur Alexander Dimitry, dont tout le monde a connu la vaste érudition et les connaissances linguistiques, MM. John Wood et Léonard et M.-P.-K. Wagner, ce dernier journaliste extrêmement remarquable par sa vigueur, qui, après avoir quitté L'Abeille rédigea pendant plusieurs années le Courrier de la Loui- siane. C'était un démocrate ardent et un champion à outrance d'An- drew Jackson. Il est mort il y a bien des années.

Lorsque M. Alexander Bullitt remplaça M. Wagner à la rédac- tion, après la vente du journal par M. Jérôme Bayon, L'Abeille changea immédiatement de drapeau et M. Bullitt ne tarda pas à se mesurer avec son prédécesseur qui était entré au Courrier.

Les adversaires se valaient par le talent et la vigueur de plume, et une polémique ardente s'engagea entr'eux et se termina par un duel à la carabine, dans lequel Wagner échappa de près à la mort, car la balle de Bullitt troua son pantalon à la hanche.

A la sortie de Bullitt de L'Abeille, en 1844, il fut remplacé par le Dr Samuel Harby, qui resta rédacteur de la partie anglaise du jour- nal jusqu'à sa mort, en juin 1862. Le Dr Harby était un écrivain brillant, et l'un des journalistes du Sud dont la forme littéraire a été le plus remarquée.

Les rédacteurs qui se sont succédés de 1862 à 1872 ont été M. Ernest Lagarde, professeur au collège d'Emmettsburg, Maryland; M. D.-C. Jenkins, l'un des écrivains les plus profonds de la presse orléa- naise, ancien rédacteur du Delta, qui rédigea plus tard le Crescent et le Picayune, et qui était rédacteur en chef du Galveston News, le colonel Slevly, plume facile et brillante ; il était correspondant du New-York Times à Paris, M. D.-G. Duncan, écrivain de talent et en dernier lieu, M. H.-W. Halsey, l'un des meilleurs journalistes de la Louisiane, qui a été secrétaire du maire Wiltz.

Justice a toujours été rendue au talent des rédacteurs de la partie anglaise de L'Abeille, mais le cadre forcément restreint de cette partie

Supplément 377

du journal ne permettait pas de lui donner assez de développement pour répondre aux besoins de l'époque et la New Orléans Bee dut s'effacer devant l'extension prise par L'Abeille, qui allait occuper les quatre pages du format.

En 1882, M. Félix Limet, qui, après un labeur opiniâtre, avait suf- fisamment amassé pour que ses vieux ans fussent à l'abri du besoin, vendit son intérêt dans L'Abeille à MM. Oscar Donnet et Edgar Dufour, beau-frère et fils de M. Numa Dufour.

M. Donnet prit la rédaction du journal et s'adjoignit M. Charles Bléton, un Créole louisianais. Peu de temps après, M. L,-Placide Canonge entrait à L'Abeille en qualité de traducteur de dépêches.

En 1885, M. Edgar Dufour mourut et L'Abeille demeura la pro- priété de MM, Dufour et Donnet, jusqu'en 1893, année mourut M. Donnet. Une société d'actionnaires se créa pour continuer la publi- cation du journal, société dont M. Numa Dufour fut le président et M. Armand Capdevielle le secrétaire. Peu de temps après, un vent de mort souffla sur le bureau du journal: à la rédaction et à l'admi- nistration, la grande faucheuse fit son œuvre: MM. Paul Villars, Charles Bléton, Placide Canonge, descendirent dans la tombe à quel- ques mois d'intervalle, et enfin, M. Numa Dufour, en août 1894, alla les rejoindre dans le mystérieux Au-delà.

M. Limet était à Paris y goûtant les douceurs d'une existence tranquille, jouissant d'un repos mérité; et ce n'est qu'en 1896 qu'il se laissa atteindre par le mal qui devait le tuer. Le conseil d'Adminis- tration du journal se réunit au lendemain de la mort de M. Dufour et appela M. Armand Capdevielle à la présidence de la société, non ce- pendant sans avoir à insister auprès de ce dernier qui préférait être second à Rome que premier dans un village.

M. Capdevielle dut reconstituer son personnel à la rédaction et à l'administration, et c'est son plus ancien collaborateur qu'il plaça à la tête de la rédaction, un écrivain de talent attaché à L'Abeille de- puis des années et dont la carrière de journaliste comptait parmi les plus brillantes du pays, M. Henri Dubois.

Jusqu'en 1903, et octogénaire, M. Dubois tint la plume ; il ne la déposa que pour mourir. Jamais, croyons-nous, L'Abeille n'eut un serviteur plus fidèle, plus précieux, car c'était le journaliste pouvant avec une certaine autorité traiter au pied levé toutes les questions, ses connaissances étant universelles.

M. Eugène Daverdin, qui était entré à L'Abeille comme traduc- teur de dépêches en 1894, après avoir été rédacteur du Franco- Louisianais, feuille hebdomadaire que publiait le club de la Démo- cratie Française et qui vécut bien des années, M. Daverdin, disons- nous, succéda à M. Dubois à la rédaction.

Comme on le voit, L'Abeille a joué, et joue encore, un grand rôle dans le journalisme français de la Louisiane. Seul, ou à peu

378 Histoire de la Presse Franco- Américaine

près, ce journal a survécu à une quantité d'autres journaux, dont nous donnons ci-dessous un tableau.

Deux autres publications françaises existent aujourd'hui à la Nou- velle-Orléans, la Guêpe et L'Ami des Noirs.

La Guêpe, journal hebdomadaire de quatre pages, fut fondé le II octobre 1902 par J.-G. de Baroncelli, qui en est encore aujourd'hui le rédacteur-propriétaire. M. de Baroncelli soutient une lutte admi- rable pour l'établissement de l'enseignement du français dans les écoles publiques de la ville de la Nouvelle-Orléans.

L'AMI DES NOIRS

L'Ami des Noirs est une revue paraissant tous les deux mois à la Nouvelle-Orléans, 919 rue Cambronne, comme organe de la société Saint-Joseph du Sacré-Cœur, pour subvenir aux besoins des missions noires du Sud. Le directeur en est le Révérend Pacifique Roy, père joséphite. Le premier numéro est sorti au mois de mars 1911 et le deuxième au mois de mai. Cette revue a été fondée et elle est rédigée par des Canadiens-français; elle a un caractère tout à fait historique.

"Notre but en fondant L'Ami des Noirs, dit le Rév. Pacifique Roy dans son article-prospectus, est de faire connaître la situation exacte de la race nègre dans les Etats du Sud et particulièrement dans la Louisiane ; de mettre devant le public les efforts des missionnaires joséphites."

Les deux premiers numéros de cette revue sont excessivement in- téressants. Ceux qui s'y abonnent,^ en sus d'une lecture des plus cap- tivantes, reçoivent des avantages spirituels par le fait qu'ils deviennent membres de la Société Saint-Joseph du Sacré-Cœur.

C'est une bien belle œuvre que celle à laquelle se dévouent les pères joséphites de la Louisiane et elle fait appel particulièrement aux Canadiens-français du Canada et des Etats-Unis par le fait qu'elle est conduite par de nos compatriotes. On remarquera que la langue de la plupart des nègres de la Louisiane est le français. Voilà pourquoi une publication de ce genre en français pourra faire tant de bien parmi la population noire, outre les ressources qu'elle pourra fournir aux missionnaires qui se livrent à une œuvre apostolique aussi méri- toire.

1. Prix de l'abonnement, 50 cents par année.

Alain Chaput

Armand Capdevielle

Supplément 379

J. G. DE BARONCELLI.

Est en 1857 à Avignon, département de Vaucluse (France,) sa famille, d'origine florentine, réside depuis la fin du 14e siècle. II fit ses études chez les Jésuites, il gradua. En 1879 il vint s'éta- blir à la Nouvelle-Orléans. Il a été et est encore correspondant de plusieurs journaux littéraires. Il est actuellement collaborateur de L'Officiel des Théâtres de Paris; il est l'auteur de plusieurs livres, entre autres une histoire sommaire de la Louisiane, publié en 1908. En 1902 il était à Chicago, propriétaire du Courrier de l'Ouest. De- puis 1902 il est éditeur-propriétaire du journal français hebdomadaire la Guêpe de la Nouvelle-Orléans.

ARMAND CAPDEVIELLE.

M. Armand Capdevielle, directeur de L'Abeille de la Nouvelle-Or- léans, le plus ancien ancien journal français des Etats-Unis (fondé en 1827,) a été fondroyé par une attaque d'apoplexie, aux bureaux mêmes du journal, le dimanche, 28 janvier 1912.

M. Capdevielle est mort presque au sortir d'une messe, à laquelle il venait d'assister. C'était un excellent chrétien, un homme au cœur d'or, éminemment charitable.

M. Armand Capdevielle était le type accompli du gentilhomme créole. Il était à la Nouvelle-Orléans en 1852, de Augustin Cap- devielle et de Virginie Beltraud. Après ses études classiques, faites au collège des Jésuites, il entra au barreau, mais ce ne fut que très peu de temps. Il se lança dans le journalisme et fut d'abord rédac- teur au Picayune, de la Nouvelle-Orléans ; mais bientôt son amour ardent de la langue française le poussa vers L'Abeille de cette ville, il remplaça M. Numa Dufour, comme directeur-gérant, poste qu'il occupa vaillamment jusqu'à sa mort. Pendant vingt-cinq ans, il tra- vailla, au milieu de maintes difficultés, à la tête de son journal, à faire aimer la Louisiane.

En 1879, il avait épousé Mlle Joséphine Gallier, fille de l'un des plus célèbres architectes de la Nouvelle-Orléans. Mme Capdevielle est morte il y a deux ans. Deux fils lui survivent, MM. Marion-J. et Gallier-J. Capdevielle. Il était le frère de M. Paul Capdevielle, ancien maire de la Nouvelle-Orléans et aujourd'hui auditeur de l'Etat de la Louisiane. Le gouvernement français l'avait créé chevalier de la Légion d'honneur il y a quelques années.

1*

TABLEAU DES JOUKNAUX

De la Louisiane, de New-York, etc., publiés par des Français, Belges, etc.

Ce qui suit est une liste des journaux qui ont paru en Louisiane et ailleurs avec le nom de la localité, le nom du journal, celui de l'éditeur et l'année de la fondation. Les lettres F et A indiquent que le journal avait une partie française et une partie anglaise. M. J.-G. de Baroncelli, rédacteur-propriétaire de la Guêpe de la Nouvelle- Orléans, dans ses notes historiques sur la Louisiane, volume publié en 1909, ne mentionne pas quelques-uns de ces journaux; ceux qu'il mentionne sont indiqués par la lettre B.

LISTE DES JOURNAUX QUI ONT ETE PUBLIES A LA NOUVELLE-ORLEANS

NOTE Liste publiée par M. J.-G. de Baroncelli dans "Une Colonie Française" en Louisiane, 19 09.

1794 "Le Moniteur de la Louisiane," M. de Fontaine, rédacteur; disparut en

1814. 1806 "Le Télégraphe," M. Claudin de Beligney, rédacteur, disparut en 1811. 1809 "L'Ami des Lois," fondé par MM. J. Leclerc et Provosty, rédigé par Michel

de Armas et J.-B. Maurin; en 1824 passa entre les mains de Manuel

Crozat. 1809 "Le Louisianais, " rédigé par Kené de Perdreauville, passa ensuite en

1820 à "L'Argus," puis à "L'Abeille." 1827 "L'Abeille," qui existe encore. 1808 "Le Courrier de la Louisiane," MM. Thiery et Daquenay; passa à M.

J.-C. de St-Romes; disparut en 1841. 1813 "La Lanterne Magique." 1814 "Le Journal du Commerce." 1817 "La Guêpe," fondée par M. Bonneval. 1828 ' 'Le Passe-Temps. ' ' 1829 "Le Journal du Commerce," fondé et rédigé par B. Buisson; vécut trois

ans.

Tableau des journaux 381

1834 "Le Renard," "Le Corsaire," "Le Patriote," "L'Entracte."

1835 "Le Franc Parleur," "L'Indépendant," "L'Ane."

1837 "Le Vrai Républicain," "L'Ecureuil," "La Créole."

1840— "L'Omnibus."

1 842 " L ' Orléanais. ' '

De 1841 à 1846 "Le Figaro," "Le Tintamare," "Le Charivari," "Le Grelot."

1847 "Le Cétace," "Le Journal de Tout le Monde," Placide Canonge, qui fonda la même année "La Lorgnette."

1848 "Le Démocrate," rédigé par M. Supervielle et A. Garaud.

1849 "La Violette," revue mensuelle musicale, fondé par E. Duverger; un an d'existence.

1857 "L'Eventail," hebdomadaire rédigé par L. Siret; deux ans d'existence

1858 "La Renaissance Louisianaise," successivement rédigé par MM. La Mu- lonière et H. Vignaud. Journal du dimanche dont Emile Lafrance était rédacteur-propriétaire vers 1870.

1861 "Le Courrier Français" et "L'Estafette."

1865— "La Tribune."

1866 jusqu'à 1911 "Le Diamant," "Le Patriote," rédigé par Fernand Ar- mand; "Le Franco-Louisianais, " organe du Club de la Démocratie Fran- çaise, fondé en 1880; "L'Orléanais," "Le Trait d'Union," "L'Obser- vateur Louisianais, " rédigé par le Eév. Père Eougé; "Le Réveil," MM. F.-C. Philippe jr. et L. Haulard, propriétaires, fondé en 1897.

LISTE PREPAREE PAR L'AUTEUR

1865 à 1900 "L'Epoque," journal du dimanche, Placide Canonge, rédacteur, G. Marchand, propriétaire; "Le Carillon," journal du dimanche, publié entre 1870 et 1875 par N.-P. Durel; "Le Petit Journal," quotidien, fondé en 1879 par Charles Bleton; "La Démocratie Française," fondé en 1880 par le Club Démocrate; "Country Visiter," commercial, anglais et français, fondé en 1879 par A. Meynier; "L'Opinion," fondé en 1886, Louis Ar- nauld, rédacteur.

1810 "Le Propagateur Catholique," M. de Baroncelli dit que cette publication n'eut que quelques années d'existence. Les directoires de George-P. Eowell de New-York, qui sont conservés par N.-W. Ayer et Fils, de Phila- delphie, disent que "Le Propagateur Catholique" en 1869 était publié par A. Lutton, qu'il avait été fondé en 1810. D'un autre côté, "Le Travail- leur" de Worcester, à la date du 30 mai 1877, annonçait que "Le Propaga- teur Catholique," qui était une publication hebdomadaire, avait commencé son soixante-dixième volume le 12 mai de cette même année. Il est possible que cette publication succéda à une autre feuille et que par ce moyen elle datait son existence de 1810. Le Vol. XI de l 'encyclopédie-catholique dit que le Eév. P. Perché avait fondé ce journal en 1844. "Le Propaga- teur" a cessé de paraître vers 1890, alors que F. L. Laf argue en était le rédacteur.

"La Guêpe," fondé le 17 octobre 1902, par J.-G. de Baroncelli; existe encore.

382 Histoire de la Presse Franco- Américaine

LISTE DES JOURNAUX PUBLIES EN LOUISIANE EN DEHORS DE LA NOUVELE-ORLEANS A PARTIR DE 1845

B "Le Messager," 1845, paroisse St-Jacques; rédacteurs, Moroy et Lagardère.

B "Le St-Michel," Couvent, paroisse St-Jacques; rédacteur, H. Rémy.

B "L'Autochtone," rédacteur, Alfred Eoman.

1865 B "Le Louisianais, rédacteur, J. Gentil, publié à Gentilly en 1865.

1880 B "Le Foyer Créole," A. -F., Couvent, F.-C. Décharry.

B "La Gazette," J.-U. Gourdain, rédacteur, couvent, paroisse St-Jacques.

B "La Ruche Louisianaise, " paroisse St-Jean-Baptiste.

B "La Voix du Peuple," paroisse St-Jean-Baptiste.

B "Le Meschacébé," fondé en 1852 par D'Artlys, à Edgar.

B "La Jeune Amérique," 1857, paroisse St-Jean-Baptiste.

1882 B "L'Avant Coureur," Bonnet Carré, supprimé à la guerre de Sécession,

puis exista jusqu'après 1875, par Dumey et Bellow. 185i B "Le Vigilant" et "Le Drapeau de L'Assomption," fondé par D'Artlys

et Supervielle, Donaldsonville, paroisse Ascension.

1856 B "Le Méridional," Vermillon ville.

18il B "L'Ami des Planteurs," Donaldsonville.

1850 B "Le Pionnier," paroisse Assomption, Napoléonville.

1869 "Le Journal," Pointe Coupée.

1857 B "L'Organe Central," Avoyelles. 1847 B "Le Pélican," Avoyelles.

1861 B "La Sentinelle," F., puis F. -A., Thibodeau, F. Saucan et T. Grisamore, rédacteurs.

1880 B "L'Etoile," Nouvelle Ibérie, A.-M. Escudier. Maintenant "Star," tout anglais.

1888 "La Vallée du Thêche," Breaux Bridge, plus tard tout anglais.

1838 B "La Gazette," Bâton Eouge.

1888 B "L'Intrim," F. et A., Edouard et Mme F.-B. Décharry; couvent, pa- roisse St-Jacques.

1869 B "L'Echo," Lac Charles.

1852 "Le Courrier," F., puis F.-A. Opelousas, J.-H. Sandez.

1868 "Le Journal," F. et A. Opelousas, Janies-A. Jackson.

1868 "St-Landry Progrès," F. et A. Opelousas, E. Bestley et CE. Durand.

1864 "La Sentinelle," A. -F., H.-E. Dupré, Lafourche. Maintenant tout anglais.

1864 "Le Rappel Louisianais," A. -F., A.-L. Roman, Couvent, paroisse St- Jacques.

1865 "Lafayette Advertiser," A. -F., Vermillonville, W.-B. Bailey.

1872 "Cotton Bail," A. -F., Vermillonville, J.-G. Gilmore.

1850 "Courrier of the Thêche," A. -F., St-Martinville, G.-A. Fournet et T. Bien- venue.

1872 "L'Echo," A. -F., St-Martinville, J.-F. Penne.

1873 "La Senitnelle des Attakapas," A.-F., Breaux Bridge, A. Doré.

1898 "L'Evangéline," A.-F., St-Martinville, Charles Creig.

1878 "Le Journal," Nouvelle Ibérie, A. Doré.

Tableau des journaux 383

1870 "Louisiana Sugar Bowl," A. -F., Nouvelle Ibérie. Maintenant tout an- glais. 1876 "Le Courrier," A. -F., Houma, André-F. Chaufrau et F. Bazet. 1877 "Le Progrès," A.-F., Terrebonne, A. Jolet Jr. 1878 "Advocate," A.-F., Terrebonne. 1884 "Le Réveil," A.-F., St-Martinville, Charles Creig. 1888 "Union," A.-F., Breaux Bridge, H.-A. Vander Cruyssen. 1902 "Le Kaplan Times," A.-F., Neville, M. L. Andrews. 1880 "Review," A.-F., Marksville, A.-F. Gremillon. 1865 "Iberville South," A.-F,, Plaquemine.

LISTE DES JOURNAUX FRANÇAIS QUI ONT ETE PUBLIES A NEW-YORK, DANS LA CALIFORNIE ET AILLEURS

NEW-YORK

1859 "Le Messager Franco-Américain," quotidien, fondé par L. Cortambert

et H. de Mareil; disparut vers 1885. 1868 "Le Nouveau Monde," fondé par H. -P. Sampers. 18.68 "Le Bulletin," hebdomadaire, fondé par Ed. Eatisbonne; vécut huit à

dix ans. 1876 "L'Echo des Deux Mondes," fondé par Alfred-M. Cotte, hebdomadaire;

vécut plusieurs années. 1876 "Le Courrier Suisse," vécut moins de cinq ans.

1882 "La Croix Fédérale," suisse, hebdomadaire; vécut près de trois ans. 1882 "La Cuisine," revue mensuelle, mi-français mi-anglais; exista trois ou

quatre ans. 1882 "Le Franco-Américain" et "Les Petites Affiches," fondés par Louis

Tesson,, disparurent après sept ou huit ans. 1888 "Le Petit Figaro," fondé par A. -M. de Chatelard; disparut au bout de

six ans. 1890— "L'Avenir."

1890 "La Revue Française," mensuelle. L. Boise, éditeur. 1892— "Le Citoyen."

1898 "Le Gaulois," Charles Easkin, éditeur. 1907 "Le Boulevardier, " hebdomadaire, eut une courte vie. 1909 "Le Progrès," quotidien, fondé au mois de décembre.

LA CALIFORNIE

SAN FRANCISCO 1852 "Le Franco-Californien," devint quotidien en 1886, étant publié en 1907,

par A. Chagneau. 1852 "Le Courrier," E. Marque et E. Derbec. 1864 "Le National," quotidien.

1879 "Le Petit Journal," quotidien, Georges Francefort, rédacteur. 1887 "Le Petit Californien," semi-quotidien, E. Marque, rédacteur; disparut

vers 1900.

384 Histoire de la Presse Franco-Américaine

1894 "Le Relèvement," semi-mensuel, E.-J. Dupuy, rédacteur.

1897 "L'Impartial Californien," hebdomadaire, Léo Badgathy, rédacteur.

LOS ANGELES

1879 "L'Union Nouvelle," quotidien, P. Ganée, éditeur.

1884 "Le Progrès," vécut une dizaine d'années.

1888 "Le Gaulois,"" vécut deux ou trois ans.

1896 "Le Français," par Trebaol et Briseno; vécut cinq ou six ans.

1886 et 1892 "Le Fidèle Messager," "Le Journal des Pichets," par Thos.-A.

Dorion.

DIVERS "L'Echo des Deux Mondes," Chicago, Auguste Babige. "Le Français," Boston, fondé en 1880, par Jules Levy. "L'Avenir Suisse," 1884, Philadelphie, Pe. "Foreign Electric," 1884, Philadelphie, Pe.

"Le Germinal," 1899, anarchiste, semi-mensuel, Patterson, New-Jersey. "Daylight," A. -F., fondé en 1885, par E. Marshall, à Concordia, Kansas. "Les Récréations Philologiques," revue mensuelle, fondée par L. Sauveur en

1880 à Eandolph, Vermont. "Le Patriote," fondé à St-Louis, Missouri, par L. Saguenat et E. Boudinet en

1878. "La Cloche du Dimanche," 1903, voir le E.-I. Journal, de Vekeman. "Le Journal des Boulangers," anglais-français-allemand, fondé en 1885 à Cleve-

land, Ohio. "Le Journal Catholique," St-Louis, Missouri, fondé en 1875. "L'Avenir," 1881, protestant, Wayne, Penn., exista jusqu'en 1902.

$ H: ^

L'UNION DES TRAVAILLEURS

L'Union des Travailleurs, organe d'émancipation ouvrière, est aussi l'organe des socialistes français des Etats-Unis. Il est publié tous les jeudis à Charleroi, en Pennsylvanie, C'est un journal à huit pages dont le rédacteur est Louis Goaziou. Il représente le socialisme le plus avancé; il incarne, de ce côté-ci de l'Atlantique, la lutte à outrance contre le capitalisme, et en fait d'extrémité dans les idées il peut donner des points aux pires publications du genre en Europe. Ce journal existe depuis dix ans et, comme on peut bien le penser, au cours de cette première décade de son existence, dans les questions de relations entre les patrons et les travailleurs qu'il a eu l'occasion de traiter, il s'est souvent écarté des célèbres et lumineuses encycliques de Léon XIII sur la question sociale. Il s'est aussi parfois montré hostile à l'Eglise catholique, ses ministres et ses institutions. C'est

Tableau des journaux o85

dire qu'avec de pareils principes L'Union des Travailleurs n'est pas un journal qui peut être reçu par des catholiques.

On aura d'ailleurs une meilleure idée des principes et des ten- dances de L'Union des Travailleurs par la biographie de son rédac- teur, publiée dans ce journal, à la date du 9 juin 1910, et que nous re- produisons ci-après:

Le rédacteur de L'Union des Travailleurs est à Scrignac, Fi- nistère, le 22 mars 1864. Ses parents étaient des ouvriers sabotiers. Il vint aux Etats-Unis au mois de mars 1881, et commença immédiate- ment à travailler dans les mines de charbon, à Houtzdale, Pa. Au mois de mai 1885, il alla travailler à McDonald. Au mois de mai 1886, il retourna à Houtzdale, oii il resta jusqu'au mois de mai 1888, partant alors à Hastings oii il resta jusqu'au mois de novembre 1895 quand il vint à Charleroi, il donna d'abord des leçons d'anglais et publia ensuite la Tribune Libre.

En i8g8, il fut élu membre du bureau exécutif de l'Union des Mi- neurs du district de Pittsburg. Au commencement de l'année suivante il fut nommé organisateur national par John Mitchel. En 1901, dé- goûté de la corruption qui prédominait dans l'administration de l'Union des Mineurs du district de Pittsburg, il donna sa démission de membre du bureau exécutif (après avoir été réélu par un vote la moitié plus élevé que celui des autres membres) ainsi que d'orga- nisateur national et commença la publication de L'Union des Tra- vailleurs.

Voici les principaux incidents de sa carrière de mineur: En 1882, il participa à sa première grève, à Houtzdale. Elle dura une couple de mois. Ne comprenait alors rien au mouvement ouvrier. En 1884, grève de deux mois. En 1886, à McDonald, commença à s'intéresser aux unions de métier, servit d'interprète à une réunion et perdit son travail, retourna à Houtzdale et resta 3 mois sans travail. Devint ici membre des Chevaliers du Travail et commença à participer aux conventions des mineurs. A Hastings, grève d'un mois en 1889; trois mois et demi en 1894; deux mois en 1895. A la suite de cette grève il ne put trouver de l'emploi dans la région, et déménagea à Charleroi. A Hastings, il occupa le poste de checkweighman, de 1891 jusqu'au commencement de 1895. Il participa à toutes les conven- tions de mineurs du Centre de 1886 à 1895. Etait délégué à la Convention nationale de Columbus en 1894, quand fut décidée la pre- mière grève générale des mineurs et quelques mois plus tard à Cleve- land, quand Pat McBryde et quelques autres s'arrangèrent pour la terminer au profit des patrons de l'Ohio, dont il devint ensuite le se- crétaire.

Fut président de l'Association des mineurs de Hastings, Patton, Barnesbors, Spangler et Carroltown. Cette association fut la seule

26

386 Histoire de la Presse Franco- Américaine

qui survécut dans le Centre à la perte de la grève de 1894. En 1902, il participa pour la dernière fois comme délégué aux conventions de mineurs, à Pittsburg et à Indianapolis.

En 1900, il était devenu membre du parti socialiste et quand, l'an- née suivante il établit L'Union des Travailleurs, il en fit un organe socialiste. Depuis cette époque il a fait de nombreuses tournées de conférences aux Etats-Unis et même au Canada, parlant en anglais et en français, et ces tournées furent toujours entreprises dans l'intérêt du journal, soit pour augmenter la liste des abonnés, soit pour con- tribuer le salaire reçu en payement des dettes du journal. On ne saurait mieux se faire une idée des sacrifices faits, pour maintenir dans ce pays ce petit journal socialiste, que par l'incident suivant qui n'est pas le seul de ce genre. Durant la première année de l'organisa- tion de la Société de Publication, le rédacteur qui donnait pourtant une bonne partie de son temps au journal ne recevait aucun salaire. Au commencement du printemps 1905, la situation financière du jour- nal et du rédacteur était devenue intenable. Ce dernier aurait pu laisser tomber le journal et accepter une position lucrative. Mais il voulait par dessus tout sauver le journal. Il avait devant lui deux propositions, l'une du parti socialiste, offrant $3 par jour, frais d'hôtel et de voyage payés, pour une tournée de propagande aux Etats-Unis, l'autre de l'Union Internationale des Ouvriers Brasseurs, pour une tournée d'organisation au Canada, à $8 par jour et frais de chemn de fer payés.

Cette dernière proposition fut acceptée, et au bout de deux mois la vie du journal était de nouveau assurée pour quelque temps. Durant son absence de Charleroi, un jeune apprenti qui avait travaillé quel- que temps à raison de $4 par semaine, avait été renvoyé. Et à son retour il fut dit au rédacteur que s'il pouvait se passer d'un apprenti on lui donnerait les $4 par semaine. Et le salaire de $8 par jour fut abandonné pour celui de $4 par semaine. Ce n'est que par une suite de faits de ce genre qu'il a été possible de maintenir pendant neuf ans, dans ce pays, un journal socialiste de langue française. Aussi quand le rédacteur de ce journal demande aux camarades de donner un coup de main, sa conscience est tranquille, car pour chaque sou contribué par les autres il a toujours contribué lui-même des dollars, soit en travail, soit en argent.

Au commencement de 1885, alors qu'il résidait à McDonald, le rédacteur de ce journal devint membre d'une section de l'Internatio- nale, établie à Sturgeon. C'est alors qu'il commença à s'intéresser à la question sociale. Le Révolté de Paris fut le premier journal français qui lui tomba entre les mains aux Etats-Unis, et dès lors le jeune mineur qui comme tant d'autres émigrés descendait rapide- ment la pente d'une vie d'abrutissement, com.m.ença à réagir contre

Tableau des journaux 387

les mauvaises habitudes et s'enthousiasma peu à peu pour les belles idées d'émancipation qu'il trouvait dans les brochures et journaux anarchistes.

Et quelques années plus tard il publia Le Réveil des Mineurs, puis L'Ami des Ouvriers et enfin la Tribune Libre, qui furent des or- ganes anarchistes. Mais son anarchisme ne fut jamais bien différent de son socialisme d'aujourd'hui si ce n'est sur la question de partici- pation au mouvement politique. Il fut toujours opposé au vol et à l'assassinat qu'ils fussent pratiqués par des capitalistes ou des anar- chistes, et fut continuellement critiqué par les partisans de la vio- lence bête.

Quand plus tard, dans L'Union des Travailleurs, il se déclara en faveur de la participation au mouvement politique, il fut dénoncé et insulté de toutes façons par les anarchistes, surtout par les journaux italiens. Ceux qui furent les plus violents dans leur langage sont aujourd'hui dans le camp républicain défendant le régime capitaliste.

Son activité dans le mouvement socialiste et son existence à main- tenir le droit de tenir des réunions publiques dans les rues lui valurent quelques démêlés avec la police.

Pour établir le droit de réunion à Monongahela il dut passer quel- ques heures en prison, mais il gagna la bataille contre les policiers de cette ville et depuis aucun orateur n'y a été tracassé.

Depuis un peu plus d'un an, le camarade Goaziou n'a plus donné de conférences publiques. Quand il revint du Kansas au commence- ment de igog, le docteur lui fit comprendre qu'il devait cesser ce dur travail s'il tenait encore à vivre un peu. Il commence seulement à revenir à la santé malgré les longues heures de travail de bureau et espère continuer longtemps encore le travail d'éducation et d'organi- sation de la classe ouvrière en vue de son émancipation.

C'est dans ce but que L'Union des Travailleurs a été fondée et durant sa dixième année comme par le passé elle fera son possible pour hâter le jour il y aura un peu plus de bien-être et de bonheur pour tous, hâter le jour l'âpre lutte pour l'existence n'engendrera plus les haines, discordes et jalousies qui rendent la vie si misérable pour tous.

Et si par nos humbles efforts nous arrivons à contribuer le moin- drement à l'éclosion d'une ère meilleure nous nous serons largement récompensés.

En attendant nous avons toujours satisfaction du devoir accompli.

Ce récit serait incomplet si nous n'ajoutions quelques lignes à la mémoire de celle qui n'est plus, Clémence Goaziou, et ne faisions men- tion de H. Goaziou et de madame Goaziou. L'Union des Travail- leurs leur doit son existence autant qu'au rédacteur. Pendant que celui-ci voyageait, à eux trois, ils composaient, imprimaient et expé- diaient le journal. Sans leur concours le journal n'aurait jamais pu survivre aux difficultés des premières années. Aujourd'hui, H. Goa-

388 Histoire de la Presse Franco-Américaine

ziou a charge de l'imprimerie du journal et c'est lui qui fait les impri- més divers qu'on nous commande et pour l'exécution desquels nous recevons toujours des félicitations.

Bien entendu, en reproduisant ici cet écrit, ce n'est qu'à titre de curiosité ou de renseignement, et nous n'avons nullement l'intention de susciter de l'admiration pour le "camarade" Louis Goaziou, dont le journal, tout en prêchant les doctrines socialistes, tape tant qu'il peut sur ce qu'il appelle le parti clérical, c'est-à-dire les catholiques, les curés et les évêques.

LE "BOURDON"

Il y eut un autre journal socialiste français à Jeannette, Pennsyl- vanie, fondé et rédigé par M. Albert Delwarte, un Belge. Cet organe socialiste n'eut qu'une courte existence, malgré les sacrifices de nom- breux camarades socialistes résidant alors à Jeannette. Il s'appelait le Bourdon. Frappé par la maladie, le vieux camarade Delwarte n'est plus à même de participer à la lutte, mais il est toujours de cœur avec ses camarades. Il demeure à Braddock, chez son fîls.

"L'ECHO DES DEUX MONDES"

Il se publie à Chicago depuis une dizaine d'années une revue mensuelle intitulée L'Echo des Deux Mondes. Cette revue est publiée par une compagnie composée de Français, avec M. Auguste Babize comme directeur.

APPENDICE

m

#%

î^otre développement, nos progrès dans l'éducation, la

musique, les industries, le commerce

et la politique

La rédaction du présent ouvrage étant terminée, nous avons cru qu'il serait à propos d'insérer à la fin, sous forme d'appendice, un chapitre général sur les oeuvres accomplies par notre élément aux Etats-Unis. Il va être question ici des progrès réalisés par les nôtres en ce pays, dans les domaines de la politique, de l'industrie et de la finance, des arts, de l'instruction et de la littérature. Nous esquisserons aussi à grands traits le rôle joué par les Canadiens-français dans la guerre Civile.

Dans la politique nous avons passablement fait notre marque. Nous avons vu dans le corps de cet ouvrage que l'abbé Richard, un homme de notre race et langue, avait siégé comme représentant au Congrès des Etats-Unis. Dans la politique locale, dès 1868 les Ca- nadiens émigrés commençaient à s'affirmer ici et là. Louis Fréchette à Chicago, le Dr J.-N. Cadieux à Utica, N.-Y., Ferdinand Gagnon dans le New-Hampshire, s'immisçaient dans la campagne présiden- tielle. Le premier conseiller de ville dans la Nouvelle-Angleterre fut S.-P. Marin à Lowell en 1874. Dans la même année était aussi élu le premier député à la législature dans la Nouvelle-Angleterre. C'était Charles Fontaine, de Winooski, Vermont, marchand.

Jusque dans les parties les plus reculées se voyaient déjà des grou- pes des nôtres, dont quelques-uns prenaient part aux affaires pu- bliques. En 1878 et 1879, E.-N. Ouimette était maire d'Olympia, Washington, maintenant la capitale de l'Etat, et organisa une com- pagnie qui fit construire le chemin de fer d'Olympia à Tenino pour raccorder avec le Northern Pacific.

Le Dr Alfred-N. Marion, qui demeurait à Baltimore, Maryland, fut choisi en 1878 comme agent des sauvages, prenant la place du

392 Histoire de la Presse Franco- Américaine

major Edmond Mallet, qui avait été promu à une position plus impor- tante dans le service civil à Washington.

Ils sont nombreux les nôtres qui occupèrent et occupent encore des positions politiques sous la dépendance du gouvernement fédé- ral. Le gouverneur actuel du Rhode-Island, Aram-J. Pothier, fut commissaire du Rhode-Island aux deux expositions universelles de Paris de 1889 et de 1900. Le Dr S. -A. Daudelin, de Worcester, fut com- missaire des Etats-Unis à l'exposition maritime de Bordeaux, France. Dans le service consulaire des Etats-Unis, les Canadiens-français ont fait aussi une marque enviable. Des consuls de notre race ont représenté les Etats-Unis un peu partout en Europe, aux Indes occidentales, dans l'Amérique du Sud, au Canada. Sans parler des Etats de l'Est, par- tout dans les Etats de l'Ouest, le Michigan, le Wisconsin, le Minne- sota, l'Illinois, etc., les nôtres ont occupé des positions politiques, cel- les de juges, maires, régistrateurs, etc.

A la suite des élections d'Etat dans certains Etats de l'Union, entre autres le Massachusetts et le Rhode-Island, le 16 novembre 191 1, L'Opinion Publique publiait les réminiscences suivantes:

REFLEXIONS. Trente années de progrès politiques.

Les élections de la semaine dernière nous ont ouvert les yeux sur les possibilités de l'avenir.

Il y a une trentaine d'années, M. Pierre-S. Côté était élu prési- dent du conseil du village de Baltic, Conn. C'était tout un événement; il était maire canadien dans un village important.

Dès 1868, dans la campagne présidentielle entre Grant et Colfax, Seymour et Blain, Louis Fréchette faisait la lutte dans l'Illinois, le Dr J,-N. Cadieux dans le New-York et dans la Nouvelle-Angleterre, Ferdinand Gagnon, tout jeune encore, occupait les hustings dans le New-Hampshire,

Le nombre des électeurs canadiens était alors bien limité et nous ne comptions dans la balance que pour aider, mettre l'épaule à la roue, afin d'assurer le succès des candidats anglo-saxons.

En 1882, les Canadiens de Lewiston, Me., tenaient dans la poli- tique la balance du pouvoir entre les démocrates et les républicains; sous l'habile direction de feu le Dr L.-J. Martel, ils obtenaient plus que leur part du patronage.

Amédée Laçasse

J.-E. Paris

Appendice 303

Woonsocket comptait en 1880 aux élections municipales cinquante- trois votants canadiens, qui tenaient aussi presque la balance du pou- voir. C'est à cette élection que feu Joseph Bouvier était élu premier conseiller de ville canadien en cette ville. Le conseil voulant prouver son amour (et protéger ses intérêts pour l'avenir) choisissait feu Ni- colas Gaulin, membre de la commission d'hygiène, John Fontaine, Wm.-E, Gaulin et E. Robert, constables (sans paye,) Félix Beau- dreau, officier de la police régulière.

A cette occasion, feu le Dr Gédéon Archambeault disait qu'il était temps de songer à l'avenir et que nos jeunes gens devaient se préparer pour prendre des places plus élevées dans la politique ; il suggérait en même temps, M. A.-J. Pothier comme représentant à la législature de l'Etat, "jeune homme possédant toutes les qualifica- tions pour représenter ses compatriotes."

Le scrutin du sept novembre est une preuve que nous avons mar- ché à pas de géants. Le gouverneur Pothier est réélu pour la qua- trième fois, il est le seul gouverneur qui ait eu cet honneur depuis 46 ans. M. Raphaël-P. Daigneault est élu maire de Woonsocket, M. F. Ratté, réélu maire de Central Falls, le Dr E.-V. Mathieu de cette même ville est sénateur d'Etat, tandis qu'il y aura huit représentants canadiens à la législature, sans compter les échevins, les conseillers, etc., un peu partout.

Il y a vingt-un ans, en i8go, nous avions dans toutes les législa- tures de la Nouvelle-Angleterre, dix-sept ou dix-huit représentants.

La ville de Holyoke, qui en 1883, avait près de 250 électeurs de notre race, prenait sa place au soleil politique et depuis plus de quinze années, M. Pierre Bonvouloir a été le choix des deux partis politiques annuellement et il remplit encore à la satisfaction de tous les fonc- tions de trésorier de la cité.

Jeunes gens, nés ou élevés aux Etats-Unis, suivez les conseils du Dr Archambeault, préparez-vous pour les luttes de l'avenir, afin que notre élément prenne la place qu'il doit occuper dans les conseils de la Nation,

H: H: H:

Dans le domaine de l'industrie et de la finance, plusieurs des nôtres se sont distingués avantageusement. Voici quelques noms:

Dupaul, Young et Cie, société dont les membres sont tous des Canadiens, possède la plus importante manufacture de lunettes des

394 Histoire de la Presse Franco-Américaine

Etats-Unis, à Southbridge, Massachusetts, après la American Optical Company. Etienne Girard, depuis plus de quarante ans, fabrique de la coutellerie à Southbridge,

Un nommé Plante fut un important manufacturier de chaussures. Il est maintenant retiré des affaires après avoir amassé une fortune de plusieurs millions.

Léon Dion, de Wilkesbarre, Pennsylvanie, est l'inventeur et le fabricant d'un appareil qui, tôt ou tard, sera adopté pour éclairer sous l'eau le passage des navires à l'entrée des ports en temps de brume.

Joseph Lacroix, de Fall-River, Massachusetts, est l'inventeur et manufacturier de la navette à double ressort. Il a organisé une com- pagnie qui exploite son invention à New-Bedford.

Mais l'industriel et financier le plus marquant parmi les Franco- américains et celui des nôtres dont le nom est le plus fameux dans la nation, est Aram-J. Pothier, depuis 1908 gouverneur du Rhode-Island. M. Pothier n'est pas seulement un politicien habile et avisé, il est aussi un industriel et homme d'affaires qui a prospéré avec un rare bonheur. Il a contribué à l'organisation de sept compagnies, dont il est le trésorier de cinq. Ces compagnies fonctionnent à un capital total de près de $4,000,000 et emploient environ 2500 personnes. Les compagnies fondées par M. Pothier, toutes à Woonsocket, sont les suivantes :

Lafayette Worsted Co, ; Dussurmont Worsted Co. ; Guerin Spin- ning Co. ; Alsace Worsted Co. ; Montrose Woolen Co. ; Rosemont Dyeing Co. ; French Worsted Co.

Woonsocket possède encore plusieurs autres établissements in- dustriels administrés par des Canadiens-français, des Français ou des Belges. Mentionnons la London Spring Co., fondée par Alphonse Gaulin, Joseph Bouvier et autres, donnant de l'ouvrage à 250 em- ployés ; la Union Handkerchief Co. ; directeurs, Jos. Roy, Philippe Boucher et Joseph Poirier ; nombre d'employés, 75 ; la J. Haie Bob- bin Co., fondée par Arthur Milot; la Paragon Worsted Co., orga- nisée à Woonsocket, mais transportée par la suite à Providence en 1908. Le capital de cette dernière compagnie est de $700,000. Les directeurs en sont: Jos.-C. Mailloux, Fred-K. Dulude, Arthur Milot, Arthur Decelles, Pierre-L. Fleurant, Joseph-L. Fleurant. Nombre d'employés, 230.

Appendice 305

Dans le domaine des arts, quelques-uns des noms les plus fameux du Canada français, branche de la musique, ont brillé aussi d'un grand éclat aux Etats-Unis. Les trois plus célèbres furent Mme Albani (Emma Lajeunesse,) la grande cantatrice, et les pianistes Calixa Lavallée et Solomon Mazurette.

Mme Albani, comme on sait, est depuis plusieurs années retirée de la scène et demeure à Londres avec son mari, M. Gye. Les triom- phes de sa jeunesse sont loin déjà, comme l'est sa jeunesse elle- même.

Il y a quelques années la grande cantatrice faisait une tournée d'adieu au Canada . A cette occasion les journaux reproduisaient un article de M. Paul de Cazes et publié dans le Monde de Paris en 1877. La grande diva obtenait à cette époque, au Théâtre des Ita- liens à Paris, des succès qui dans la suite ne firent que s'accentuer. Voici quelques passages de cet article relatif à l'enfance de la canta- trice et à son séjour aux Etats-Unis, au début de sa carrière artis- tique:

"Quoi qu'on ait pu dire, Mlle Albani (Emma Lajeunesse) n'est pas née à Montréal, miais bien, en 1848, à quelques vingt kilomètres de cette ville, à Chambly, charmant petit village auprès duquel on visite encore les ruines d'un vieux fort qui fut un des derniers re- tranchements de la domination française au Canada. Ce n'est que vers l'âge de cinq ans qu'elle suivit ses parents à Montréal, sa mère mourut quelques mois après, laissant trois orphelins, un petit garçon et deux petites filles.

"Notre héroïne était l'aînée de cette petite famille, dont elle de- vint plus tard le soutien. Son frère est aujourd'hui un pieux ecclé- siastique, et sa sœur, qui ne la quitte jamais, est devenue une pianiste distinguée. Son père, professeur de musique et musicien de quelque valeur, semble avoir pressenti l'avenir brillant qui était réservé à la petite Emma. Il fut le premier maître de l'enfant, qui, à l'âge de dix ans, se faisait déjà remarquer par l'ampleur et la pureté remarquable de sa voix et la facilité avec laquelle elle déchiffrait et exécutait à première vue sur la harpe ou le piano, les partitions des grands maî- tres des écoles italienne, française et allemande. Si l' Albani n'était pas la cantatrice célèbre que tout Paris acclame aujourd'hui, elle se- rait comptée probablement parmi les pianistes les plus éminentes de notre époque.

396 Histoire de la Presse Franco- Américaine

"A quinze ans, alors qu'elle était encore élève au pensionnat du Sacré-Cœur, à Montréal, Mlle Lajeunesse manifesta un jour à son père la détermination bien arrêtée d'entrer dans la vie religieuse. Mais elle revint plus tard sur cette décision, grâce aux conseils de la supé- rieure de la communauté, qui finit par la persuader que telle n'était pas sa vocation. Maintenant encore, au milieu de ce monde hété- roclite dans lequel elle vit depuis plusieurs années déjà, l'Albani n'a rien perdu de la piété fervente qui l'animait dans son jeune âge, ni de la modeste simplicité qui fait peut-être le. plus grand charme de la sympathique artiste.

"Vers 1864, la famille Lajeunesse quittait Montréal et allait s'éta- blir à Albany, capitale de l'Etat de New-York. Le père d'Emma pensait, avec raison, que tout en trouvant dans cette ville un champ plus vaste pour l'exercice de sa propre profession, il lui serait plus aisé aussi de donner un développement artistique à la future "diva." Mgr Conroy, évêque de cette ville, se constitua bientôt le protecteur de la jeune cantatrice, qui fit partie des chœurs de la cathédrale. Les juvéniles accents de cette voix fraîche et mélodieuse attiraient dans l'enceinte de l'église métropolitaine une foule qui devenait chaque di- manche plus compacte. Tout le monde, catholiques et protestants, voulait entendre les harmonieux accords de celle que l'on n'appelait plus que la "petite fauvette canadienne."

"L'évêque d' Albany comprit bientôt qu'il ne devait pas accaparer une pareille me:rveille musicale au profit exclusif de son église, et fut des premiers à conseiller à M. Lajeunesse d'accompagner sa fille en Europe, '.seulement elle trouverait des maîtres dignes de déve- lopper ses étonnantes aptitudes musicales. Conduire la jeune artiste en France, en Italie, partout elle pourrait puiser aux sources mêmes de l'art, était pour le vieux musicien l'espoir le plus chèrement ca- ressé, le rêve d<; tous ses instants, depuis le jour les premiers va- gissements musicaux de l'enfant lui avaient révélé tout ce qu'une di- rection savante devait produire un jour dans une nature aussi mer- veilleusement douée. Il réunit ses minces économies au produit d'un concert organisé dans le but de défrayer les dépenses du voyage, et le cœur rempli d'espérance, le père et la fille voguèrent bientôt vers la terre promise des beaux-arts."

Appendice 397

Calixa Lavallée naquit à Verchères en 1842, le 28 décembre. Son père, Augustin Lavallée, mort il y a une dizaine d'années à un âge très avancé, était armurier mais surtout luthier de profession et ex- cellent musicien. Les violons qui sortaient de sa main étaient très prisés par les artistes.

Au début de la guerre Civile le jeune Lavallée s'engagea dans l'armée du Nord et fut blessé à la bataille de Antietam. Revenu à Montréal, la guerre étant terminée, son tempérament aventurier ne tarda pas à le ramener aux Etats-Unis qu'il parcourut en tout sens. Il vit la Californie, la Louisiane, le Mexique et les Indes occidentales. Puis il vint à New- York, il composa un opéra Lou Lou qui devait être joué au Grand Opéra, alors sous la direction du fameux James Fiske, jr., quand celui-ci fut assassiné par Ed. Stokes.

Le nom de Calixa Lavallée avait une réputation mondiale. Après la guerre il était allé se perfectionner comme pianiste à Paris. Il était l'idole des sociétés musicales américaines, et il fut longtemps pré- sident de l'Association Musicale des Etats-Unis.

Le père de Calixa Lavallée était un excellent musicien, dit M. Gustave Comte dans un article sur Calixa Lavallée, paru dans le Passe-Temps de Montréal le 24 juillet 1909, et c'est dans cette fan- fare que le tout jeune Calixa, alors âgé de trois ans seulement, fit ses débuts comme instrumentiste. Il jouait les cymbales et comme il avait les jambes trop courtes, il était obligé de courir pour suivre les musiciens en marche, ce qui amusait fort la population.

Le chœur de Notre-Dame, de Montréal, était de passage à Saint- Hyacinthe et il devait chanter une messe en musique. Feu M. Bar- barin, le directeur musical, se tournant du côté de l'évêque, dit, lors- que le moment de la messe fut venu :

donc est votre organiste? Je ne le vois pas!

Ici, répondit l'évêque, en désignant le petit Lavallée.

Peuh! fit M. Barbarin, c'est ça! Mais il ne pourra pas nous accompagner.

—Essayez-le toujours et vous verrez.

Et le jeune Lavallée passa brillamment à travers tout ce qu'on lui soumit; il lut à vue et joua en artiste. Si bien qu'après la messe, M. Barbarin, émerveillé, s'écria en frappant sur l'épaule du bambin:

Très bien, mon garçon. Continue et tu deviendras l'un des plus grands musiciens de ton époque.

398 Histoire de la Presse Franco-Américaine

Avouons que cette prophétie s'est passablement réalisée, puisqu'au- jourd'hui toute la nation est fière de son glorieux enfant disparu.

Mais Lavallée aimait aussi l'héroïsme et les aventures, et tout jeune il s'enrôla dans l'armée du Potomac, et il fit le coup de feu sous le commandement du général Sherman. Il fut blessé sous les dra- peaux et son héroïsme lui valut le grade de lieutenant.

La guerre finie, Lavallée revint à la musique. Il alla à Paris, où, pendant trois ans il étudia avec Marmontel, du Conservatoire de Pa- ris, puis il revint vers son pays natal il enseigna pendant quel- ques années à Montréal et à Québec.

C'est pendant ce séjour à Montréal qu'il monta avec succès les opéras "La Dame Blanche" et "Jeanne d'Arc," avec des amateurs de grand mérite, dont la regrettée Mme Jehin-Prume, Mme John-A. Duquette, sa sœur; M. Tancrède Trudel, etc.

En 187g, il repartit pour les Etats-Unis, d'où il ne revint plus. Il fit de l'enseignement à Boston et prit part à nombre de concerts dans toutes les principales villes américaines. C'est malheureux à dire, mais il trouva plus d'encouragement et de succès dans la république voisine que dans son propre pays; à tel point qu'on lui offrit la posi- tion admirable de directeur de la Symphonie de Boston. Il dut re- fuser ce superbe honneur pour cause de santé.

C'est pendant son séjour aux Etats-Unis qu'il fut choisi comme dé- légué de ce pays au grand congrès musical de Londres et c'est au cours de ce congrès qu'il composa une marche américaine qui lui va- lut le premier rang parmi tous ses concurrents des pays étrangers.

Il fut alors banquette par le lord-maire de Londres, et tous les principaux compositeurs du monde entier prirent part à cette triom- phale cérémonie. Il revint à Boston il se livra à la composition.

Malheureusement, la mort le frappa vers 1890, alors que le com- positeur, dans toute la force et la maturité de son talent, n'avait pas eu le temps de terminer plusieurs œuvres manuscrites de longue ha- leine, dont quelques opéras. Telles quelles, ces œuvres ont leur mé- rite et nul doute qu'elles seront d'un grand intérêt pour les cher- cheurs de demain et nos futurs musicographes désireux d'écrire notre histoire musicale.

Calixa Lavallée ne laisse qu'un seul fils, qui est établi aux Etats- Unis.

Appendice 309

Nous avons de nos jours des musiciens de grand mérite, dont la réputation n'est pas bornée par les limites de l'Etat qu'ils habitent. Nous avons des organistes très capables dans quelques-unes de nos églises canadiennes des Etats-Unis. En ce qui concerne le chant, nous avons aussi des célébrités. Ernestine Gauthier, de Springfield, Mass., est une cantatrice maintenant en Europe. Paul Dufault, de New- York, est un ténor universellement connu et admiré. Mlle Eugénie Tessier, la cantatrice aveugle d'Albany, N.-Y., a eu une grande célé- brité.

^ ^ ^

Dans le domaine des arts on peut aussi inclure les œuvres accom- plies dans les publications illustrées. Sous ce rapport M. Georges-E. Desbarats, de Montréal, s'est particulièrement distingué. C'est lui qui était l'éditeur des deux fameuses publications hebdomadaires il- lustrées, L'Opinion Publique et le Canadian lUustrated News. Il fonda à New-York une compagnie pour la publication du Daily Graphie, le premier journal quotidien illustré publié dans le monde entier. Il exploita une invention de son associé, M. Leggo, au moyen de laquelle il faisait des gravures peu dispendieuses appelées "leggo- types," et c'est aussi par ce procédé qu'il illustrait L'Opinion Publique et le Canadian lUustrated News. Le premier numéro du Daily Graphie parut le 4 mars 1873. La compagnie de publication compre- nait quelques-uns des principaux financiers de la métropole américaine.

Hs

Un autre artiste-pianiste d'un prodigieux génie fut Salomon Mazu- rette, à Montréal en 1849, il fît ses études chez les Jésuites. Il étudia la musique sous Paul Letondal pendant huit années, puis il alla se perfectionner à Paris sous les professeurs Jacques Hertz et Edouard Baptiste, ce dernier alors organiste à l'église de St-Eustache. Revenu en Amérique, il demeura quelque temps à Chicago jusqu'au grand incendie en 1871, alors qu'il s'établit à Détroit.

Durant l'exposition universelle de Philadelphie en 1876, pour cé- lébrer le centenaire de l'Indépendance des Etats-Unis, M. Mazurette prit part au grand concours des pianistes et remporta la médaille d'or, éclipsant tous les autres concurrents.

Pendant plusieurs années, le nom de Mazurette était célèbre au Canada et aux Etats-Unis, il a toujours gardé son domicile jus- qu'à sa mort, survenue en pleine maturité de son génie et de son âge,

400 Histoire de la Presse Franco-Américaine

à Détroit. Il a composé des morceaux pour piano qui eurent une vogue méritée, aussi une opérette pour jeunes filles intitulée "Le Soir d'un Beau Jour."

^ ^ ^

Georges-E. Pellissier, à peine âgé de trente-deux ans, surintendant de la Goldschmidt Thermit Company, de New-York, est un homme de science dont la réputation s'étend dans toute l'Amérique du Nord. Le 8 janvier 1912, il faisait devant trois sociétés de savants à l'Institut Polytechnique de Worcester, une conférence et des expériences qui étaient toute une révélation pour ses auditeurs.

* * *

Un grand nombre de nos nationaux aux Etats-Unis se sont distin- gués dans les œuvres patriotiques et philanthropiques. Il nous se- rait difficile de les nommer tous. Nous mentionnerons cependant quelques-uns qui sont aujourd'hui disparus de la scène de ce monde, après une vie bien remplie au service de leurs compatriotes.

Le Dr Joseph Hils, de Woonsocket, mort en février igo6, par son testament léguait $75,000 au curé Dauray, de la paroisse du Précieux- Sang, pour des œuvres religieuses et $11,000 pour autres œuvres et de charité.

Mgr Brochu, curé à Southbridge, mort il y a quelques années, laissait $40,000 aux Sœurs Grises de Worcester, et $10,000 au collège français des Assomptionistes, aussi à Worcester.

Le Dr Gédéon Archambeault, de Woonsocket, à Saint-Paul l'Ermite, comté de l'Assomption, le 21 janvier 1847 et décédé le 8 avril 1903, avait laissé une fortune de $55,000 à $60,000. Il n'avait pas d'enfants. Après avoir pourvu à un revenu suffisant pour sa veu- ve, il confia au curé de la paroisse du Précieux-Sang une somme de $40,000 pour la fondation d'un refuge pour les vieillards.

^ ^

Dès le commencement de l'émigration, avant la formation des paroisses, nos populations sentaient le besoin de s'instruire. On or- ganisait des écoles du soir les nôtres acquéraient une connaissance superficielle de la langue anglaise et se mettaient ainsi en état de se faire naturaliser. En 1868 Chicopee, dans le Massachusetts, avait son école du soir sous la direction de M, Horace Héroux, venu de Saint-Philippe, P. Q. Vers le même temps à Lowell, M. H. Paignon,

Appendice 401

un Français, avait la direction d'une école du soir. Il y en avait une aussi à Worcester, dont le directeur était M. Trefflé Monast. Les clubs dramatiques, les sociétés littéraires s'organisaient partout, et les soirées dramatiques furent un puissant moyen de la conservation de la langue française dans sa pureté.

n* H* H*

Nous avons aussi fourni notre bonne part d'hommes dans le champ de l'éducation, et les œuvres accomplies sous ce rapport sont innom- brables, si l'on prend en considération les écoles paroissiales, dues à l'initiative privée, et dont les élèves, en certains endroits, comme dans la ville de Manchester, New-Hampshire, surpassent en nombre ceux des écoles publiques.

Voici, entre autres, quelques noms de ceux de nos compatriotes qui ont occupé de hautes positions dans l'enseignement:

Albert Barnaud, fîls du feu Dr Elie Barnaud, de Brockton, est su- rintendant de l'école normale à Mindanao, aux Philippines.

Arthur-Rémi Racine, de Worcester, est professeur dans une haute maison d'éducation à la Nouvelle-Orléans.

Carl-A. Ducharme, de Fitchburg, Massachusetts, jeune homme de 24 ans, a été récemment élu président du collège Columbian à Owensboro, Kentucky. C'est probablement le plus jeune président d'un collège aux Etats-Unis.

Hector Belisle, originaire de Worcester, a été pendant plusieurs années professeur de français au High School de Lawrence et main- tenant principal de l'école John-R. Rollins, de cette même ville.

Louis Tesson, professeur de français au Boston Collège of Foreign Languages, est fondateur de la "Ligue Internationale de l'Enseigne- ment Oral des Langues Vivantes dans les Ecoles Primaires." Il y a deux ans qu'il travaille à établir cette ligue sur des bases solides et durables. Sa ligue américaine, composée de quelques-uns des pro- fesseurs français les mieux connus dans les principales villes du pays, comme le professeur Rivot de Washington, constituée depuis quelque temps, vient d'envoyer une circulaire aux professeurs des Etats-Unis pour les inviter à entrer dans ses rangs.

M. Louis Tesson, dont l'adresse est 116 Chestnut Avenue, Jamaica Plain, Mass., terminait ainsi un article publié le 7 décembre igio dans L'Estafette de Marlboro, l'organe de l'enseignement oral ou de la phonétique: "Quand la ligue internationale sera constituée par la

27

402 Histoire de la Presse Franco- Américaine

formation de ligues dans tous les pays du monde, ma tâche sera ter- minée et il ne me restera plus qu'à faire procéder à l'élection d'un bu- reau qui dirigera les travaux de cette vaste association."

Joseph Perreault, en 1879, était surintendant de l'instruction pu- blique dans l'Idaho, alors encore territoire.

Un homme de notre sang et langue, bien qu'il portât un nom an- glais, Georges Batchellor, arrivé à New- York en 1848, vers l'année 1860 réorganisa l'enseignement du français dans les écoles supé- rieures de la ville de New-York. Pendant trente années il dirigea cet enseignement. Ils sont nombreux les hommes qu'il a formés et qui, depuis le Maine jusqu'au golfe du Mexique, occupent des chaires dans les hautes maisons d'éducation.

Le collège de Bourbonnais, qui eut une origine canadienne-fran- çaise, possède une charte universitaire depuis 1874.

Le collège des Assomptionistes de Worcester a été fondé par des pères de l'Assomption, venus de France, en 1903. C'est une mai- son d'enseignement classique de tout premier ordre et ferait honneur à n'importe quelle ville des Etats-Unis. La base de l'enseignement est le français, mais une juste part est donnée à l'anglais, dont l'en- seignement est confié à des professeurs laïques de cette langue. Le but principal poursuivi par les Pères de l'Assomption est de former des prêtres de langue française spécialement pour la desserte à venir des paroisses de langue française des Etats-Unis. Les élèves, qui se destinent à l'état ecclésiastique et qui veulent faire leurs études dans une institution française, ne sont plus obligés d'aller au Canada. Ils peuvent, s'ils le préfèrent, acquérir une instruction classique solide et complète chez les Pères Assomptionistes de Worcester.

M. Alfred Parrott, natif de Worcester, a été pendant quelques années professeur de français et d'allemand à l'université du Missouri ; il est depuis plusieurs années professeur de français dans une des écoles supérieures de la ville de New-York.

* * *

Plusieurs des nôtres ont aussi fait leur marque dans la littérature aux Etats-Unis. Les plus célèbres sont incontestablement feu Ed- mond de Nevers et le Rév. Père Beaudé, O. P. Ce dernier est connu en littérature sous le nom de Henri d'Arles. Les livres qu'il a publiés portent comme nom d'auteur Henri d'Arles. De Nevers et Henri d'Arles sont des auteurs dans le sens propre du mot. Ils ont tous

Collège de l'Assomption à W orces^ter, Mass., sous la direction des Pères Augustiniens

de l'Assomption.

^

B

KHBl^^S

g^

SH

K"-. -■■ . ^^^^^^"^^^^f^lÉÊÊiÊi^ÊÊÊÊiÊÊIÊÈÊÊÊÊÊÊÊÊ

fBKKÊÊÊÊÊÊÊ^^^^^M

^^^H

^^^P^B

H

Hupitai .Ste-Anne, Fall-River, Mass.. sous la direction des Révérendes Sœurs Dominicaines

venues de Tours, France.

Appendice 403

deux édité des ouvrages qui sont en librairie en France comme en Amérique. Edmond de Nevers fut enlevé prématurément aux lettres françaises d'Amérique. S'il eût vécu il aurait probablement produit d'autres œuvres littéraires

Edmond de Nevers est décédé chez son père à Central Falls, R.-I., le 15 avril 1906. Le lendemain L'Indépendant de Fall-River rendait hommage à la mémoire du brillant écrivain dans les termes suivants:

M. Edmond de Nevers, l'éminent publiciste, est mort hier soir à Central Falls, Rhode-Island, à l'âge de 43 ans.

Il a succombé à une maladie qui le minait depuis quelques an- nées.

Avec M. de Nevers disparaît une des gloires de la littérature fran- çaise en Amérique, qu'il a enrichie d'ouvrages de grande valeur.

Le défunt avait fait ses classes au collège de Nicolet, Québec, dont il fut un des plus brillants élèves.

Il aimait passionnément les lettres, et les auteurs grecs et latins eurent pour lui, dès sa jeunesse, un attrait irrésistible. C'est ce qui lui valut une connaissance profonde de l'antiquité, un goût de lettre sûr et délicat, une conception nette et précise des problèmes histori- ques et philologiques.

M. de Nevers s'était fait inscrire, jeune encore, au barreau de Trois-Rivières. Mais il ne pratiqua jamais le droit.

Il n'avait pas encore 25 ans lorsqu'il traversa l'Atlantique pour aller parachever son éducation en Europe.

Pendant trois ans il suivit les cours des institutions savantes de Paris et de Berlin. Il se perfectionna dans l'étude du français et apprit à parler l'allemand comme un sujet instruit du kaiser.

M. de Nevers accepta ensuite une position importante dans les bureaux de l'Agence Havas, à Paris. Les exigences de ses occupa- tions journalières l'engagèrent à poursuivre son étude des langues, et à sa rentrée en Amérique il savait, outre le grec, le latin, le fran- çais et l'anglais, qu'il avait appris au collège, l'allemand, l'italien, le portugais, l'espagnol et les langues Scandinaves,

Il a traduit avec un rare bonheur, disent les polyglottes distingués, un des ouvrages les plus renommés d'Henrik Ibsen.

M. de Nevers disparaît à la fleur de l'âge, au moment l'expé- rience et l'étude lui auraient permis de donner la mesure de son talent et de faire bénéficier le public de ses grandes connaissances. Mais

404 Histoire de la Presse Franco- Américaine

il ne meurt pas tout entier. Il laisse en effet à la postérité des œuvres dignes de l'estime de tout bibliophile sérieux. Nous voulons parler de L'Avenir du Peuple Canadien-Français et de L'Ame Américaine.

Ce dernier ouvrage, en deux volumes, a eu beaucoup de retentisse- ment en Europe et en Amérique. M. Ferdinand Brunetière, membre de l'Académie française, lui consacra même dans la Revue des Deux Mondes une étude des plus élogieuses de 40 et quelques pages.

M. de Nevers laisse en outre un ouvrage inachevé et des confé- rences— faites à Paris, à Montréal et à Québec se manifestent sa vaste érudition, son esprit de fîn observateur et son inébranlable fidélité au sang qui coulait dans ses veines.

Dans l'intimité, M. de Nevers était un causeur charmant et on ne peut plus intéressant. Versé dans toutes les littératures européennes, il citait de mémoire les chefs-d'œuvre poétiques de divers pays Es- pagne, Italie, Allemagne, etc., dans le texte original.

Et puis, il avait pour la musique des aptitudes réelles qui s'étaient développées au Conservatoire de Paris, et il jouait le violon avec une rare virtuosité.

A ses brillantes qualités de l'esprit il joignait d'admirables qua- lités du cœur. Généreux à l'excès, il avait toujours un bon mot pour ses amis, et il était heureux quand il pouvait faire du bien à quelqu'un.

Le mêm.e jour, la Tribune de Woonsocket publiait aussi un article, dont voici quelques extraits:

Il naquit à La Baie du Febvre, P. Q., le 12 février 1863 et était le fils de M. Abraham de Nevers, qui habite aujourd'hui à Central Falls.

Après ses études classiques au collège de Nicolet, il habita Trois- Rivières, il fut reçu avocat en 1883.

C'est alors qu'il entreprit un long voyage dans l'intérêt de ses études littéraires. Il visita successivement l'Allemagne, l'Autriche, l'Italie, l'Angleterre, l'Espagne, puis la France.

En 1900 il fut nommé historiographe de la province de Québec, en remplacement d'Arthur Buies, décédé.

Il y a trois ans, la maladie le força d'abandonner tout travail et il vint à Central Falls demeurer parmi les siens, élisant domicile chez son père, M. Abraham de Nevers, rue Broad.

C'est qu'il s'est éteint, à 5 heures hier soir, muni de tous les secours de la religion, et entouré de sa famille.

Appendice 405

Il laisse pour déplorer sa perte, son père et sa mère, M. et Mme Abraham de Nevers, sept frères, MM. Edouard, Ernest, Ulric, Wil- frid, Arthur, Arsène et Lorenzo de Nevers; quatre sœurs, Mme Jo- seph Arpin du Wisconsin, et Mlles Alice, Fleurette et Evangéline de Nevers.

M. Lorenzo de Nevers, artiste-peintre, est actuellement en Eu- rope.

Nous devons encore à de Nevers une splendide traduction des Etudes sur les Etats-Unis, de Matthew Arnold.

Un roman de mœurs politiques canadiennes, Chaumard, était sur le métier lorsque la maladie est venue arracher la plume des mains de l'infatigable écrivain.

H: H: ^

Henri d'Arles est un nom bien connu dans les lettres canadiennes. C'est le nom d'auteur du Rév. Père Beaudé, de l'ordre des Domini- cains. En ces dernières années il vivait en dehors de sa communauté. On sait que les Dominicains ont des maisons à Fall-River et à Lewis- ton. Sa dernière résidence aux Etats-Unis a été à Manchester, N.-H., chapelain à la Villa Augustina, une ferme-hospice aux environs de la ville appartenant aux religieuses de Jésus-Marie, dont la maison-mère pour l'Amérique est à Sillery, près Québec. Il en est parti au début de cette année, 1912, pour Victoriaville, P. Q., passer quelque temps chez sa vieille mère, avant son départ définitif pour l'Italie. La ru- meur disait alors qu'il avait le dessein de quitter l'ordre dominicain et entrer dans un ordre de moines contemplatif.

Henri d'Arles a fait une marque profonde dans la litté^-ature. Il a publié plusieurs ouvrages qu'il a écrits aux Etats-Unis. Son volume le plus récent Essais et Conférences l'ont rendu justement célèbre. Sa dernière production Esquisses Orientales a été publiée dans le courant de l'été 191 1 dans L'Avenir National et ensuite il en a été fait un petit tirage d'une brochurette d'un nombre limité d'exemplaires non destinés à la librairie. Ces esquisses, qui sont des impressions de voyage en Terre-Sainte, donnent pleinement la mesure du genre de l'écrivain, qui se distingue par l'ampleur des idées, la richesse de l'ex- pression, le coloris des tableaux et ce je ne sais quoi de mystique et de rêveur qui se dégage d'un style harmonieux et parfois étrange. Ses idées, généralement, sont empreintes d'un sentiment profondément

406 Histoire de la Presse Franco-Américaine

religieux. On sent cependant que l'âme d'ascète de l'auteur n'est pas insensible aux douces impressions et à l'amour du beau sous toutes ses formes.

* * *

Mais ceux dont nous venons de parler ne sont pas les seuls de notre nationalité qui ont fait leur marque dans la littérature française aux Etats-Unis. Vers 1875 Honoré Beaugrand publiait un roman de mœurs ouvrières, Jeanne la Fileuse, à Fall-River. Télesphore Saint-Pierre, il y a une vingtaine d'années, a écrit une histoire des Canadiens du Michigan. De nos jours il y a deux poètes canadiens- français des Etats. Le Dr Boucher, de Brockton, Mass., a publié en 1909 un volume de poésies. Vers le même temps le Dr Girouard, un médecin du Maine, publiait aussi un volume de poésies. Un autre livre remarquable est La Grande Semaine, par J.-Arthur Favreau, de Boston, secrétaire de la Société Historique Franco-Américaine. Ce livre de luxe, publié en 1909 avec illustrations, est un récit complet des fêtes du troisième centenaire de la découverte du lac Champlain, qui eurent lieu en juillet de cette année-là à Plattsburg, N.-Y., et Burling- ton, Vt.

Madame Onésime Thibault, de Fall-River, a publié en 1889 Les Deux Testaments, puis en 1892 Les Fleurs du Printemps, volume de poésies de deux cents cinquante pages.

Nous venons de nommer la Société Historique Franco-Américaine. Comme son nom l'indique, c'est une société dans le genre des diverses sociétés historiques américaines, avec cette différence qu'elle est composée uniquement de membres de nationalité canadienne-fran- çaise et ayant pour objet les recherches et l'étude de sujets relatifs aux faits historiques dans lesquels les nôtres furent mêlés dans la formation et la marche de la république américaine. Deux fois par année des conférences sont données, au siège social de la société à Boston, par des membres ou des étrangers éminents des Etats-Unis ou du Canada.

* * *

DR J.-ARMAND BEDARD.

Un homme qui a attaché son nom à la Société Historique Franco- Américaine est le Dr Jos.-Armand Bédard de Lynn. Doué d'une belle intelligence, d'un esprit supérieur, de talents littéraires remarquables,

J. -Arthur Smith

Dr S.-A. Daudelin

Appendice 407

orateur qu'on aime toujours à entendre dans les réunions intimes ou publiques, Armand Bédard est l'un de ces hommes d'élite qui font honneur à une race et à un pays. Il est à Québec, fils de T.-P. Bédard, auteur des luttes parlementaires que les nôtres ont soutenues de 1790 à 1840, auteur de plusieurs monographies historiques, et archiviste de la province pendant plusieurs années. Il fit ses études classiques au séminaire de Québec et ses études médicales à l'Univer- sité Laval de la même ville. Il tenait peut-être autant ses goûts et talents littéraires de sa mère que de son père. Son grand-père mater- nel était un notaire de campagne de l'ancien régime, poète à ses heures et très fin lettré, et sa mère avait hérité de ce talent. Il a fait en France des travaux sur Shakespeare, qui lui ont valu l'attention des clubs Shakespeare et de quelques sociétés littéraires. Mais ce que notre ami estime avoir fait de mieux peut-être, et ce dont il se montre le plus fier, c'est d'avoir fait connaître notre Société Historique. Il l'a représentée devant la Société Historique de l'Etat de New-York ; il a insisté pour qu'on invitât des Américains de marque à ses séances. Enfin, il faut reconnaître que depuis qu'il en est le président, la So- ciété Historique Franco-Américaine, par son initiative éclairée, est parvenue à un point elle est pratiquement reconnue par les sociétés historiques du pays, qui lui font l'honneur de la compter des leurs.

DOCTEUR ALPHONSE-S. DAUDELIN.

à Sutton, Comté de Brome, P. Q., Canada, le 13 février 1870. Fils de M. Casimir Daudelin et de Flavie Thibault. Sa famille s'éta- blit à Montréal en l'année 1879. Fréquenta l'Académie Olier de Mont- réal pendant six ans. Fit ensuite un cours commercial au "Montréal Business Collège" il fut diplômé. Fit ses études classiques au col- lège de l'Assomption, puis devint élève d'un maître français, M. Le Blond de Brumath, directeur de l'école des hautes études à Mont- réal, sous la direction duquel il compléta ses études de philosophie. Fit ses études médicales à l'Université Laval de Montréal qui lui con- féra les degrés de B. M.-M, D.-C. M., en avril 1895 et lui décerna la note : "Summa cum Laude." Il fut externe à l'hôpital Notre-Dame, et à l'Hôtel-Dieu de Montréal. Il exerça sa profession durant deux an- nées à Fort Kent, Maine, et vint en 1898 s'installer à Worcester il pratiqua son art pendant neuf années. Il fut médecin examinateur des écoles et membre du comité de ville républicain de Worcester.

408 Histoire de la Presse Franco- Américaine

Nommé Haut Commissaire des Etats-Unis à l'Exposition Maritime Universelle de Bordeaux, France, le lo avril 1907, il occupa cette posi- tion durant six mois. Sa mission diplomatique terminée, il fut créé chevalier de l'Ordre National de la Légion d'Honneur par le gouverne- ment français. Il se décida alors à abandonner l'exercice de la mé- decine générale pour se limiter à l'étude des maladies des yeux, des oreilles, du nez et de la gorge. Dans ce but il fut pendant quatre an- nées officiellement attaché aux hôpitaux de Paris, Amiens, Vienne, Heidelberg, Friebourg, Munich, Berlin et Londres, à titre de Médecin- Assistant ou de Chef de Clinique ; il fut le premier médecin américain admis à ce poste. De retour en Amérique il passa quelques mois à visiter les hôpitaux, et revint à Worcester il ouvrit un cabinet de consultation comme médecin spécialiste.

CARL-A. DUCHARME.

De nos jours nombreux sont les jeunes gens qui, après de fortes études et un travail assidu, ont monté rapidement au succès. Nous en avons un exemple, entre beaucoup d'autres, dans le cas de Cari Augustin Ducharme, à Fitchburg, Mass., le 4 mai 1887, fîls de M. et Mme François-Xavier Ducharme. Il reçut son instruction pri- maire et sa première formation des Sœurs de la Présentation. En 1903 il entrait au High School de Fitchburg et il en sortit en 1907 après y avoir gradué. Tout en suivant les cours du High School il était employé l'après-midi dans un établissement de commerce. Dans cette institution il organisa le club Newman, une société d'étudiants catholiques, qui a beaucoup contribué à affirmer le jeune talent catho- lique dans la ville de Fitchburg. Il entra au collège Holy Cross, à Worcester, en 1907. Il en sortit en 191 1 avec le degré de B. A. Du- rant la vacance les deux premières années de ses études au Holy Cross, il travaillait dans les restaurants d'été. Il a employé ses deux dernières vacances à écrire pour le journal le Sentinel de Fitchburg et à la musique. Au mois de septembre 191 1 il était nommé profes- seur de latin et de grec au collège Columbian à Owensboro, Kentucky, et peu après il en était élu le président. Voilà certes un exemple remarquable. A l'âge de 24 ans être élu président d'un collège amé- ricain, voilà certes un fait rare et qui montre bien qu'il fallait être doué d'un beau talent et d'heureuses dispositions pour s'élever aussi vite.

Appendice 409

ALPHONSE GAULIN FILS.

à Woonocket, R.-I., le 24 mai 1874. Fit ses études au Séminaire de St-Charles Borromée à Sherbrooke, province de Québec, et au col- lège des Jésuites à Montréal, d'oià il est gradué en 1893, La même année il commençait son cours de droit à l'université Harvard; étant gradué en 1896, il pratiqua le droit dans sa ville natale. En 1900 le gouvernement français lui conférait le titre d'Officier d'Académie. Pendant cinq années il fut coroner du district de Woonsocket et en 1903 il devenait maire et fut réélu à deux élections subséquentes. Le président Roosevelt le nomma consul des Etats-Unis au Havre, France, au mois de septembre 1905, charge qu'il remplit jusqu'au mois d'août 1909 alors qu'il fut promu à la charge de consul américain à Marseille, France, charge qu'il occupe maintenant. M. Gaulin a été secrétaire de la Société Historique Franco-Américaine depuis la date de la fondation en 1899, jusqu'à son départ pour la France. En 1905 il épousait Mlle Marguerite Steele à Montréal.

LE MAJOR MALLET, DE WASHINGTON.

Cette biographie a été écrite pour le Travailleur en 1880.

Le major Mallet descend de Pierre Mallet de St-Coulon, diocèse de Dol, en Bretagne, l'un des premiers colons français qui soient venus à Montréal.

Le major Mallet est le fils de Narcisse Mallet, de Grand St-Esprit, et d'Angèle Chagnon dit Raymond, de l'Assomption. Il est le 17 novembre 1842, dans la cité de Montréal, et on l'appela Joseph- Narcisse au baptême. Cependant on lui donna toujours le nom de Edmond, et il adopta définitivement ce nom à sa confirmation.

M. Mallet fréquenta l'école des frères de la doctrine chrétienne à Montréal, pendant une couple de mois, alors que son père alla s'éta- blir à Oswego avec sa famille en 1849.

Peu après son arrivée à Oswego, M. Mallet fut placé dans une école catholique qui fut bientôt fermée. Ses parents l'envoyèrent ensuite aux écoles publiques pendant sept ou huit ans. Il étudiait le droit en 1861 lors de la déclaration de la guerre de sécession. Dès son en- fance, il faisait partie d'une compagnie de carabiniers, d'abord comme tambour, ensuite comme sergent. Ses goûts militaires le dirigèrent vers l'armée. Il devint officier de recrutement et il enrôla plusieurs de ses voisins. On lui avait promis une commission de sous-lieute-

410 Histoire de la Presse Franco- Américaine

nant, mais une intrigue l'en priva. Plutôt que d'abandonner ses com- pagnons qu'il avait enrôlés, il s'engagea lui-même comme simple soldat. Il fut immédiatement fait sergent, et ensuite parvint au grade de sous-lieutenant après la première bataille à laquelle son régiment assista pendant la campagne de la Péninsule, en Virginie, sous le général McClellan.

Son régiment était le 8ime des volontaires de New-York, recrutés dans le comté d'Oswego. Il servit dans la compagnie B pendant une année, et fut ensuite nommé adjudant de son régiment.

Pendant ses trois années et demie de service dans l'armée, il assista à vingt-deux batailles et escarmouches. Il occupa successivement les grades suivants: Adjudant de son régiment, aide-de-camp de brigade, chef d'état-major d'une division (composée de trois brigades de cinq régiments chacune,) et "provost-marshall ;" pendant la cam- pagne péninsulaire en Virginie sous McClellan, dans la Caroline du Nord, dans la Caroline du Sud, dans l'armée du James, dans l'armée du Potomac, sous le commandement du général Grant. Il fut cons- tamment en devoir pendant trois ans, n'approchant jamais de l'hôpi- tal, ce refuge à la fois des lâches et des malheureux. S'il avait été plus âgé de cinq ans et plus grand de cinq pouces, il aurait fini ses campagnes avec le grade de général au lieu de celui de major, re- marque faite par son colonel.

A la bataille de Cold Harbor, en Virginie, les i, 2 et 3 juin 1864, le Sime fut placé au premier rang. Pendant la première journée, M. Mallet eut son cheval tué sous lui, et le troisième jour, pendant une charge à la baïonnette contre les fortifications de l'ennemi, il fut sé- vèrement blessé par une balle qui lui traversa les intestins. Le ma- tin du trois juin, l'effectif de son régiment fut réduit à 21 officiers et 391 soldats; il ne revint que 3 officiers et vingt-huit soldats de la charge à la baïonnette. Dans cet engagement, l'armée du général Grant perdit 19,500 hommes tués ou blessés. Des centaines de jeunes Canadiens du Sime régiment d'Oswego, des gôme et 98me régiments de Malone, Whitehall, Champlain, et autres localités dans la région du lac Champlain furent tués dans cette bataille meurtrière.

M. Mallet avait perdu connaissance lorsqu'on le releva pour le transporter dans l'hôpital sur le champ on réunissait ceux qui étaient trop blessés pour être placés dans des ambulances. le froid de la mort était le seul compagnon des blessés. Grâce à l'intervention

Appendice 411

d'un des généraux, qui connaissait personnellement le major Mallet, et grâce au secours d'un de ses compatriotes moins sérieusement blessé que lui, il fut placé dans une ambulance, malgré les protesta- tions des chirurgiens, et transporté sur un steamer sur la rivière Pamunkey, à une distance de 34 milles. Après quatre ou cinq jours il arriva à l'un des hôpitaux militaires de Washington.

En même temps son décès avait été publié dans les journaux d'Os- wego il jouissait de l'estime générale. Ce n'est que dix jours plus tard qu'un prêtre irlandais le trouva assez bien pour envoyer un télé- gramme à ses parents les informant il était. La nouvelle de sa mort avait produit une vive impression à Oswego, principalement par- mi les fidèles de l'église Ste-Marie M. Mallet avait servi à l'autel pendant plusieurs années.

Après la bataille à laquelle il fut blessé, le président des Etats-Unis le promut aux grades de capitaine et de major le même jour pour avoir fait preuve d'un grand courage pendant la bataille "distin- guished gallantry in battle."

M. Mallet fut blessé à travers les intestins; la balle entra par le nombril et sortit par l'épine dorsale. Pendant sept semaines ses vivres passèrent par sa blessure. Ses membres furent paralysés pendant la même période. Le récit de sa maladie est publié au long avec des illustrations dans l'Histoire médicale de la Guerre.

A la fin de la guerre, M. Mallet entra à l'Université de Phila- delphie et ensuite au Columbian Collège de Washington, il obtint le degré de bachelier en droit, mais, ayant épuisé ses ressources, il fut obligé d'accepter une position de commis dans le département du trésor.

C'est vers cette époque que M. Mallet visita le Canada pour la première fois. Il parlait si peu le français alors que c'est à peine s'il pouvait converser avec ses parents qu'il visita. Il n'avait pas seule- ment oublié sa langue, mais aussi les traditions de sa race, à tel point que la conversation catholique de ses amis lui fit une fâcheuse impres- sion. C'était le résultat de l'éducation qu'il avait puisée dans des milieux puritains.

Peu après, un journal canadien publié à St-Albans, Vermont, par le Rév. Z. Druon, vicaire-général, lui tomba entre les mains. Les articles de ce journal lui plurent, et il s'y abonna. Cette feuille le convertit. Maintenant tout ce qui est canadien est pour lui le "nec

412 Histoire de la Presse Franco- Américaine

plus ultra" de tout ce qui est bon. Il prend part à tous les mouve- ments qui ont pour but le bien et la gloire du nom canadien, il est l'ami du clergé catholique, des livres catholiques, des écoles et de la presse canadiennes. Il reconnaît maintenant que c'est grâce aux prières de sa pieuse mère et de ses amis catholiques s'il a miraculeusement échappé à la mort sur le champ de bataille et s'il a été guéri de sa blessure. L'abbé Druon est presque un saint patron pour lui. Il est l'un des membres de la Société de St-Vincent de Paul, et un des offi- ciers de l'Union Nationale des jeunes gens catholiques des Etats- Unis. Comme un acte de réparation de sa chute des traditions de sa nationalité, et pour fournir une sauvegarde à la génération canadienne qui grandit aux Etats-Unis, et qui n'a pas eu l'avantage de connaître la gloire et la grandeur du nom canadien, M. Mallet est à écrire un essai sur les découvreurs, explorateurs, guerriers et colons français aux Etats-Unis.

En 1874, le major Mallet assista à la fête nationale des Canadiens- français à Montréal.

En 1876, sa santé étant devenue chancelante, il se décida à se ren- dre sur les côtes du Pacifique. Dans ce but il accepta la position d'a- gent spécial des sauvages pour le district de Pudget Sound, qui lui fut offerte par le président Grant, avec l'intention de se fixer ulté- rieurement à l'extrémité du nord-ouest et de s'y livrer à la pratique du droit. L'humidité du climat à Tulalip fut contraire à sa santé, il fut obligé de passer deux mois dans l'hôpital de Portland, Orégon. Deux ans après, il laissa la contrée des sauvages, au grand regret des missionnaires, des soeurs et des sauvages, et revint à Washington il entra de nouveau au départment du trésor.

Plus tard il devint chef de bureau dans le département des terres, position qu'il occupa jusqu'à sa mort, survenue le 12 avril 1907. La précieuse bibliothèque qu'il possédait, comprenant tout ce qui a été publié sur la race française sur le continent américain, a été achetée par l'Union St- Jean-Baptiste d'Amérique.

L'HON. ARAM-J. POTHIER.

L'homme de notre race qui a atteint aux Etats-Unis le plus haut faîte des honneurs est l'Hon. Aram-J. Pothier, gouverneur du Rhode- Island. Homme d'Etat, aux larges conceptions, homme d'affaires d'une intelligence et d'une intégrité consommées, orateur puissant et agréable, notre éminent compatriote s'est fait une magnifique réputa-

Appendice 413

tion qui s'étend bien au-delà des frontières de l'Etat qu'il gouverne si dignement et jusqu'en France. On se rappelle l'enthousiasme et l'explosion de joie qui se manifestèrent chez toute la race canadienne- française du Canada et des Etats-Unis à la nouvelle de la première élection de Pothier comme gouverneur d'un Etat de la république américaine. Mais avant de parvenir à de si grands honneurs, notre illustre compatriote a gravir nécessairement les degrés de l'échelle qui y conduisaient.! Dans sa jeunesse, M. Pothier a fait du journa- lisme en ce sens qu'il a collaboré à plusieurs journaux du temps, notamment le Foyer Canadien et le Travailleur de Worcester. Par la suite, on comprend que M. Pothier fut tellement absorbé par les soins que requéraient ses grandes affaires qu'il ne lui resta guère de loisirs pour écrire dans les journaux. C'est à ce titre d'ancien journa- liste que nous avons cru et tout le monde en conviendra que le gouverneur Pothier avait sa place toute marquée dans cette galerie biographique.

Le gouverneur Aram-J. Pothier naquit à Yamachiche, P. Q., en 1854. Son père s'appelait Jules Pothier. Il fît ses études classiques au collège de Nicolet. Il vint à Woonsocket, R.-I., en 1870, à l'âge de 16 ans. Peu après, il entrait à l'emploi de la banque d'épargnes dite Woonsocket Institution for Savings, dont il est aujourd'hui le vice- président. Elu membre de la commission des écoles, 1885-87 et 1889, et représentant pour Woonsocket à l'Assemblée Générale, 1887-88; nommé par le gouverneur Taft commissaire du Rhode-Island à l'Ex- position de Paris en 1889, et de nouveau en 1900 par le gouverneur Dyer; élu vérificateur des comptes de la ville (City Auditor) en 1889; maire en 1894-95, refusant de se porter candidat pour un troisième terme; lieutenant-gouverneur en 1897. Enfin, le 3 novembre 1908 il était élu gouverneur du Rhode-Island par une grande majorité, et réélu aux élections de 1909, 1910, 191 1. En 1909 il eut une majorité de plus de 12,000 sur son adversaire démocrate, la plus forte que jamais gouverneur du Rhode-Island ait reçue. Il fut toujours un fervent adepte du parti républicain, sous l'égide duquel il édifia avec

1. Le dimanche, 7 mai 1911, à une fête paroissiale à Warren, R.-I., à laquelle le gouverneur Pothier était l'hôte d'honneur et fit, selon son habitude en semblable circons- tance, un magnifique discours tout empreint de patriotisme et de beaux sentiments religieux. M. le curé Elphège Caron, de l'église Saint-Jean-Baptiste, fit l'heureuse allusion suivante à la pensée qui est dans la pensée de tout le monde: "Heureux est le peuple qui a à sa tête un homme de la trempe do M. Pothier! A son passage ici formons des vœux sincères pour qu'il arrive plus haut, au Sénat. C'est mon vœu personnel, c'est celui que je vous demande d'avoir pour lui."

414 Histoire de la Presse Franco- Américaine

un si rare bonheur sa fortune politique. C'est le seul gouverneur qui, depuis quarante-six ans, a été élu successivement quatre fois.

Mais le gouverneur ne se rendit pas seulement célèbre dans la finan- ce et la politique, il a aussi accompli des œuvres remarquables dans la haute industrie. Il a puissamment contribué à amener de nombreu- ses industries à Woonsocket, de telle sorte que cette ville florissante, à la physionomie si canadienne-française, est aujourd'hui l'un des centres pour la filature des fins lainages selon les méthodes françaises et belges. Dans le domaine de l'industrie, le gouverneur Pothier occu- pe une position prééminente. Il est trésorier de la Guerin Spinning Co., la Alsace Worsted Co., la Montrose Woolen Co., la Rosemont Dyeing Co. et la French Worsted Co. ; il est aussi trésorier de la société antituberculose de Woonsocket. Au mois d'avril 1902 le gouverneur Pothier a épousé Mlle Françoise de Charmigny, native de France.

Le gouverneur Pothier n'a pas besoin d'une longue esquisse bio- graphique pour qu'on le fasse connaître. C'est l'un de ces hommes privilégiés qui s'imposent forcément à l'attention générale et dont le nom et les œuvres ont une vaste célébrité. Un titre particulier qui doit le faire chérir et acclamer par toute notre race, c'est qu'en toute circonstance, quand l'occasion se présente, il sait proclamer fièrement sa foi catholique et ses sentiments canadiens-français. Quelle leçon à ceux des nôtres qui rougissent de leur origine! Qu'ils sont petits à côté de cet homme vraiment grand et au caractère si bien trempé! Malgré les nombreuses et absorbantes occupations que lui imposent ses hautes fonctions, M. Pothier trouve encore le tour de temps à autre d'honorer de sa présence une fête patriotique, nationale ou reli- gieuse, au milieu d'une communauté canadienne-française quelconque de la Nouvelle-Angleterre, et il prononce alors de ces harangues toutes vibrantes de patriotisme et de nobles sentiments dont il a le secret et qui ont rendu sa personnalité si justement célèbre comme le type de l'homme d'Etat qui sait allier ses sentiments nationaux et religieux avec ses hautes responsabilités officielles.

* * *

Les Canadiens-français ont joué un rôle très important dans la guerre Civile américaine. Pas moins de 40,000 des nôtres y ont pris une part active. Ce chiffre constitue déjà un bon corps d'armée. Les soldats volontaires canadiens étaient cependant disséminés dans les

J.-L.-J. Dupuy

Charles Guérin

Appendice 415

différentes divisions de l'armée du Nord, car la plupart s'étaient rangés sous les drapeaux de l'Union.

Le major Edmond Mallet organisa à Oswego, N.-Y., une compa- gnie de jeunes Canadiens-français qui fît la campagne. Le Dr J.-N. Cadieux, qui arrivait d'Europe, fut chirurgien militaire depuis 1862 jusqu'à la fin de la guerre. Il fut attaché au camp de Reno, dans la Caroline du Nord, puis à Alexandria, Virginie. Le Dr Alfred-N. Marion était aussi chirurgien dans l'armée du Nord. Georges Tru- deau était secrétaire du général Whittaker. Il avait servi précédem- ment dans le 22e régiment de cavalerie de l'Etat de New-York. Le jeune Rémi Tremblay, qui devait plus tard jouer un rôle actif dans le journalisme, aujourd'hui encore traducteur français au parlement d'Ottawa, fait prisonnier par les confédérés, connut les ennuis de la captivité.

Le major Mallet disait que les soldats canadiens dans l'armée de la Potomac étaient physiquement supérieurs aux hommes de toute autre nationalité. "Jamais, dit-il, la misère, les terribles marches forcées, à travers la péninsule, n'ont assombri leur caractère joyeux ou épuisé leur robuste constitution. Tandis que les autres tombaient par douzaines sur la route, les Canadiens cheminaient gaiement, trom- pant la longueur de la marche par des plaisanteries et des chants."

Encore aujourd'hui il n'est pas de centre canadien important de la Nouvelle-Angleterre il n'y a pas quelques vétérans canadiens qui émargent, comme tous les autres vétérans de ce conflit sanglant, au budget des pensions fédérales. D'année en année cependant leur nombre diminue, et avant peu d'années il ne restera que de rares sur- vivants des combattants dans la guerre atroce que fut la guerre de Sécession.

Un bon nombre des nôtres prirent aussi du service dans l'armée américaine lors de la guerre hispano-américaine en 1898. Celui qui a été le plus en évidence fut Georges Charrette, de Lowell, qui s'est signalé par une action d'éclat avec le lieutenant Hobson, en conduisant le vieux navire "Merrimack" à l'entrée du port de Santiago, à Cuba, pour le couler au nez des Espagnols et les "embouteiller" ainsi dans le port, comme on disait alors.

^ ^ ^

Plusieurs de nos compatriotes ont fait leur marque dans le dé- veloppement du pays, tout en s'acquérant de la renommée et de la

416 Histoire de la Presse Franco- Américaine

fortune. Il y a entre autres, !es inventeurs qui ont fait bénéficier le pays de diverses innovations dans la science mécanique. Paschal La- plante, le 30 septembre 1879, faisait breveter une machine au moyen de laquelle il séparait l'or du quartz et le dégageait sans l'emploi de l'eau. Cette machine se vendait dans la Californie et ailleurs à raison de $10,000. Victor Bélanger, dont il a été question dans ce livre, alors à Boston, a fait breveter un appareil pour une certaine machine dans les filatures de laine qui fut vendue pour $2,500,000.

Louis Goddu, à St-Césaire vers 1838. Venu dans le Massachu- setts, il inventa une machine à coudre pour les chaussures qui lui rap- porta une grande fortune.

Dans le commerce les nôtres ont aussi brassé des millions en ce pays. Dès 1873 les principales maisons canadiennes de Saint-Paul, Minnesota, faisaient des affaires pour près de $4,000,000 annuelle- ment. A Opelousas, Louisiane, Louis Desmarais avait l'établisse- ment commercial le plus considérable de cette localité. La maison Galarneau et Cie, de Saint-Louis, était l'une des plus achalandées de la ville. J.-L. Chalifoux, mort dans l'automne de 191 1, avait établi depuis plus de vingt ans le plus grand commerce de vêtements d'hommes à Lowell. Il possédait aussi un établissement similaire à Birmingham, dans l'Alabama. A sa mort il était trois fois million- naire. Il était probablement le Canadien-français le plus riche des Etats-Unis. Il n'y a peut-être pas une seule ville importante de la Nouvelle-Angleterre quelques-uns des nôtres n'occupent pas une place enviable dans le haut commerce. Enfin nous avons fourni de nombreux représentants dans toutes les branches de l'activité hu- maine: architectes, banquiers, surintendants de manufactures, manu- facturiers, ingénieurs civils, avocats, médecins, etc.

Les Canadiens-français ont essaimé partout dans le vaste territoire des Etats-Unis. En voici quelques exemples: Il y a quelques se- maines on publiait la biographie du dernier survivant d'un groupe de cinquante Canadiens qui s'étaient fixés à Butte, Montana, dès 1865. A Cleveland, Ohio, il existait en 1873 une société St-Jean-Bap- tiste, dont Joseph Larivière était président, et vers le même temps il y avait aussi à Manlins, Illinois, nom inconnu parmi les nôtres, une société Saint- Jean-Baptiste, dont le président était Alfred Deslau-

J.-G. de Baroncelli

Léonidas F.-X. Ratté

Appendice 417

riers. On faisait une jolie célébration de la Saint-Jean-Baptiste, en 1885, à Missoula, Montana.

Nos compatriotes sont allés se fixer jusque dans l'extrême sud du pays, dans la Louisiane. Nous pouvons citer entre autres, Edouard Paradis et Joseph Lafaille, qui s'établirent dans la Louisiane en 1860. A 27 milles de la Nouvelle-Orléans existe maintenant le village de Paradis, sur la ligne du chemin de fer Southern Pacific.

Charles Moussette, architecte avantageusement connu à New- York, avait pris une part active dans le mouvement des conventions de 1865 à 1875. Il fonda dans le comté de Monroe le village de Ca- nadensis. Lors de sa fondation, en 1874, tout le groupe réuni par Charles Moussette était canadien-français.

Non seulement on trouve des Canadiens-français en Louisiane, Texas, Floride, Californie, dans les Carolines, mais il en est qui ont franchi le golfe du Mexique et sont établis dans les Antilles et jusque dans l'Amérique du Sud. On en voit un exemple typique en la personne de Pierre-Paul Demers, ancien consul américain à Costa Rica, mainte- nant propriétaire au Brésil. Il s'est livré à l'exploitation de terrains qui lui furent cédés par le gouvernement du Brésil et qui lui ont rapporté une fortune considérable.

:H H: ^

Joseph Tassé, dans son livre Les Canadiens de L'Ouest, a parlé principalement des trappeurs et voyageurs qui furent les pionniers dans l'immense Nord-Ouest du Canada. L'Ouest américain a eu aussi ses trappeurs et aventuriers canadiens-français, dont le nom de Jean- Louis Légaré est pour ainsi dire légendaire.

Jean-Louis Légaré naquit le 25 octobre 1841, fils de François- Xavier Légaré et de Julie Melançon, à Saint-Jacques de l'Achigan. En octobre 1865 il passa aux Etats-Unis, s'arrêtant d'abord à Troy, N.-Y. En novembre 1866 on le voit à Saint-Paul, Minnesota, puis à Pembina et au Dakota, chassant le buffle et faisant connaissance avec les chefs sauvages. En 1876 il allait à Washington avec les chefs "La Petite Coquille," "Le Petit Bœuf" et autres pour négocier un traité et réclamer les droits de ces tribus. Il était aidé en cela par le Rév. P. Brouillet, le major Edmond Mallet, de Washington, le gé- néral Ewing et le sénateur Bogy du Missouri. Les sauvages l'appe- laient "Youtowanitcha."

28

418 Histoire de la Presse Franco-Américaine

Le 25 juin 1876, sur la rivière Little Big Horn, dans les Buttes Noires, le fameux et intrépide général Geo.-A. Custer fut massacré avec toute son armée par les indiens Sioux, dont le vaillant chef était Sitting Bull. Ce dernier savait fort bien que le gouvernement des Etats-Unis ferait l'impossible pour l'arrêter. Il traversa la frontière et se réfugia avec près de 4,000 personnes dans le Nord-Ouest cana- dien. C'est qu'il rencontra Légaré de nouveau.

En 1880 le général Nelson-A. Miles, avec 6,000 hommes de trou- pes, fit des démarches infructueuses pour faire réintégrer le territoire des Etats-Unis par ces indiens. Légaré traversait souvent la fron- tière pour s'approvisionner aux magasins du fort Buford, qui était à 150 milles et sous le commandement du major Brotherton. Celui-ci chargea Légaré de faire en sorte que les indiens, qui étaient sur le sol canadien depuis cinq ans, revinssent faire leur soumission. Légaré leur proposa de retourner dans leurs réserves, leur faisant promesse d'une amnistie complète. Les sauvages lui répondirent: "On te croit, mais on ne peut pas prendre la parole des Américains." Légaré ré- ussit au printemps de 1881 à amener avec lui dix-sept indiens au fort Buford. Il ramena de nouveau les envoyés des sauvages, et par la suite il réussit à opérer la reddition de toute la troupe, à l'exception des chefs Sitting Bull, Le Chien Long, La Lune Noire, Le Bœuf Noir, Le Chien Blanc et deux ou trois autres. Il lui fallut exercer beaucoup de diplomatie. Vers le mois de juillet il se mit en marche avec quarante charrettes et une centaine de chevaux montés par les hommes les moins capables de supporter la marche. Il envoya une délégation avertir le major Brotherton de ne pas montrer ses soldats à son arrivée pour éviter des troubles. Le 20 juillet cette pittoresque procession, qui devait en quelque sorte marquer la fin des troubles indiens, arrivait au fort. Tous les indiens livrèrent leurs fusils et leurs chevaux. Sitting Bull demanda jusqu'au lendemain pour livrer les siens. En présentant son fusil il dit à son jeune fils de 12 ans, avec de l'émotion dans la voix: "Donne ton fusil, c'est la dernière fois que tu portes un fusil."

Puis Sitting Bull fit un discours dans lequel il proclama en termes élogieux la conduite de Légaré à son égard.

Sitting Bull prit encore les armes contre le gouvernement en 1890 et fut tué le 15 décembre de cette année par la police montée, près du fort Yates, dans le Dakota Nord.

Appendice 419

Le major Brotherton demanda à Légaré de présenter son compte pour la nourriture de ces centaines de sauvages et qu'il le ferait hono- rer par le gouvernement. Le compte s'élevait à $13,412. Légaré fit plusieurs voyages à Washington pour toucher ce qui lui était légi- timement dû, mais il s'en revenait toujours bredouille. Enfin en 1906, après un délai de vingt-cinq ans, le Congrès votait $8000 pour l'in- demniser et ses avocats en prenaient $3000. C'était peu généreux de la part du gouvernement pour des services aussi signalés que ceux que Légaré avait rendus. Le gouvernement d'Ottawa fut plus généreux en lui payant de suite $2000 pour avoir débarrassé le Nord- Ouest canadien de cette dangereuse tribu,

Légaré vit encore à Willow Bunch, dans la Saskatchewan. Le 25 octobre dernier (191 1) il atteignait sa 70e année. Il est toujours vi- goureux et bien portant.

n* V H*

VILLAGE FONDE PAR DES CANADIENS-FRANÇAIS EN

LOUISIANE.

En 1860 Edouard Paradis habitait un petit village appelé Boutte, à environ vingt-quatre milles de la Nouvelle-Orléans. Joseph La- faille, parti de Marlboro, Mass., se fixa au même endroit et se lia d'amitié avec M. Paradis. Dès 1861 M. Lafaille fut contraint d'en- trer dans la milice des Sudistes qu'il quitta après quelques semaines pour aller au Texas, puis au Mexique. Quand en 1862 les troupes fédérales, sous le commandement du général Benjamin-F. Butler de Lowell, Mass., prirent possession de la Nouvelle-Orléans, M. Lafaille revint et s'enrôla dans l'armée fédérale, portant le mousquet jusqu'à l'issue de la guerre en 1865.

Subséquemment les deux anciens amis se retrouvèrent et ache- tèrent, au nom de M. Paradis, deux mille huit cents acres de terrain près de Boutte.

M. Paradis épousa en 1875 dame Louise-Elizabeth Soulagnet, une créole née en Louisiane. M. Lafaille se rendit à Worcester, Mass., où, en 1873, le 15 septembre, il convolait avec dame Rosalie Dorval, née à Saint-Ours, P. Q. Ensuite M. Lafaille retourna à Boutte, en Louisiane. Mais un débordement du Mississippi le força de partir de nouveau et il alla se fixer à l'autre extrémité du pays, tout à fait dans le Nord-Ouest, à Butte, Montana, pour se remettre des pertes

420 Histoire de la Presse Franco- Américaine

subies par l'inondation. Madame Lafaille mourut le 24 janvier 1901, à Butte. M. Paradis, qui n'avait pas d'enfants, était resté en Louisiane il décéda en 1902.

C'est alors que M. Lafaille retourna à Boutte pour reprendre l'ex- ploitation de ses terres et celles de son ami défunt. Il se mit résolu- ment à l'œuvre, obtint l'établissement d'un bureau de poste auquel il donna le nom de son ancien ami, "Paradis," et le chemin de fer South- ern Pacific y établit une station. Il y a maintenant une banque, un hôtel, et des canaux ont été creusés qui communiquent avec le bayou des Allemands.

M. Lafaille est à Lacadie, P. Q., au mois d'avril 1842 et convola en secondes noces avec la veuve de son défunt ami, M. Paradis. Ce dernier était à Saint-Mathieu, P. Q., vers 1835, et depuis 1860 avait toujours demeuré en Louisiane.

* * *

LES CATHOLIQUES FRANÇAIS AUX ETATS-UNIS.

Sous ce titre la Catholic Encyclopedia de New-York, en 1909 i(Vcl. VI,) publiait un travail avec statistiques sur les Canadiens- français des Etats-Unis et leurs descendants, faisant voir le début de l'émigration et le développement progressif de notre élément en ce pays. Cet article, réimprimé en pamphlet séparé, est signé de trois anciens journalistes, J.-L.-K. Laflamme, David Lavigne et J.-Arthur Favreau.

Au début de leur article les auteurs citent Mgr Louis de Goës- briand, premier évêque de Burlington, qui, dans une lettre datée du II mai 1869 et qui parut dans le Protecteur Canadien de St-Albans, faisait la déclaration suivante : "Je suis convaincu, d'après des ren- seignements positifs, que lorsque nous disons qu'il y a 500,000 Ca- nadiens-français aux Etats-Unis, les chiffres sont bien au-dessous de la vérité."

Les auteurs de l'article ignorent les sources le défunt prélat a pris ses renseignements, mais c'est un fait, disent-ils, qu'aujourd'hui le diocèse de Burlington a une population catholique de 76,000 âmes, dont 50,000 au moins sont de naissance ou d'origine canadienne-fran- çaise. C'est aussi un fait que l'élément canadien-français a augmen- té, naturellement et par immigration, à un tel point qu'il compte maintenant près de 1,200,000 âmes aux Etats-Unis, qu'il a fait sentir

Appendice 421

son influence dans les Etats de l'Est, dans toutes les conditions de la vie, et que de plus, au point de vue du nombre, c'est l'élément pré- dominant dans plusieurs diocèses et une partie importante de la po- pulation en plusieurs autres. Cependant, excepté dans leurs journaux ou quelques livres peu connus, il a été dit bien peu de choses de la part prise par ces immigrants dans la vie civile et religieuse de leur nouveau pays. Mais en ces derniers temps ils se sont appliqués à faire la revue de leur histoire, réunir des statistiques de leur nombre et si- gnaler leurs œuvres et le progrès qu'ils ont fait en cinquante ans. La tâche est encore loin d'être complète, mais il en a été fait assez pour démontrer le progrès des Canadiens-français et leur attachement à leur Eglise et leur pays d'adoption.

On lit ensuite dans cet article d'intéressants détails sur les débuts et le développement de l'émigration canadienne-française, ainsi que de ses causes. Il y est dit que l'émigration des Canadiens-français aux Etats-Unis commença avant la guerre de l'Indépendance Améri- caine (1775-83.) Des Canadiens-français avaient alors émigré à la Nouvelle-Angleterre, et nous les trouvons en grand nombre dans les armées de Washington. Après la guerre le Congrès américain, en re- connaissance de leurs services et pour empêcher qu'ils soient poursui- vis au Canada sous l'accusation de haute trahison, leur donna des terres sur les bords du lac Champlain l'on trouve encore de leurs descendants. Cette concession de terres, situées dans l'Etat de New- York, est connue depuis longtemps sous le nom de "The Refugees Tract." En 1837, après l'insurrection dans la province de Québec, une nouvelle immigration dans les Etats de l'Est eut lieu, dans l'Etat du Vermont plus particulièrement, les "patriotes," vaincus dans la bataille, se réfugièrent avec leurs familles. Mais le grand courant d'immigration du Canada français aux Etats-Unis se fît après la guerre Civile, Malgré qu'alors il n'eussent qu'un bien petit nombre de pa- roisses organisées, les Canadiens-français étaient ici en nombre suffi- sant durant la guerre pour fournir 40,000 soldats à l'Union.^

Après avoir parlé des causes de l'immigration, qui ne diffèrent pas essentiellement de celles que nous avons énumérées au commence- ment de ce livre, faisant en même temps des citations du Rév. Père

1. L'auteur de ces lignes semble insinuer que les 40.000 des nôtres qui ont combattu dans la guerre Civile étaient tous des hommes déjà expatriés aux Etats-Unis. Mais en réalité un grand nombre sont venus de la province de Québec expressément pour s'en- rôler.

422 Histoire de la Presse Franco- Américaine

Hamon, les auteurs de l'article en viennent au tableau réel du déve- loppement de notre race aux Etats-Unis les statistiques. Afin de présenter une idée strictement exacte de l'importance de l'élément franco-américain, tant au point de vue numérique que catholique, ils ont puisé aux sources suivantes d'information pour leur article: Le Douzième Recensement des Etats-Unis (1900) ; les énuméra- tions locales faites dans la Nouvelle-Angleterre depuis 1900 et jusqu'à l'année 1908; et le Catholic Directory des Etats-Unis.

Le tableau qui suit, compilé d'après la première de ces trois sour- ces, montre, en premier lieu, le nombre des Américains français nés au Canada et, deuxièmement, cette première classe combinée avec ceux dont au moins un parent est au Canada.^

DISTRIBUTION DES AMERICAINS-FRANÇAIS.

Américains-Français

Américains- Français

de naissance étrangère.

de parenté étrangère.

Maine

30,908

57,682

New-Hampshire

44,420

73.359

Vermont

14,924

40,097

Massachusetts

134,416

244,586

Rhode Island

31.533

55.771

Connecticut

19.174

36,867

New-York

27,199

69,236

New-Jersey

1,118

2,140

Pennsylvanie

1,468

3.603

4. 1^ ^; 'c^iy^t-i

1 otaux pour la uivision - de l'Atlantique nord

305,160

583.341

Delaware

41.

77

Maryland

87

178

District de la Colombie

97

236

Virginie

104

194

Virginie Occidentale

36

165

Caroline du Nord

36

69

Caroline du Sud

31

56

Géorgie

80

203

Floride

88

200

Totaux pour la division -

de l'Atlantique sud

636

1.378

1. Le tableau est basé sur le recensement de 1900. Celui de 1910 donnerait sans doute une bien plus forte population d'origine canadienne-française.

Appendice

423

Ohio

Indiana

Illinois

Michigan

Wisconsin

Minnesota

Missouri

lowa

Dakota Nord

Dakota Sud

Nébraska

Kansas

Totaux pour la division du nord central Kentucky Tennessee Alabama Mississipi Texas Louisiane Territoire indien Oklahoma Arkansas

Totaux pour la division du sud central Montana Wyoming Colorado

Nouveau Mexique Arizona Utah Nevada Idaho

Washington Oregon Californie

Totaux pour la division de l'ouest

Américains- Français de naissance étrangère.

2,903

948

9,129

32,483

10,091

12,063

1,059

1,519

3,162

1,138 1,039 1,485

77,019

136

119

89

75 400

253

48

179

161

1,460

3,516

150

960

84

153 128 222

395 1,899

874 2,410

10,791

Américains-Français de parenté étrangère.

7,034

3,242

24,477

75,584

27,981

32,406

3,536

5,613 6,512

3,516 3,003

5,547

198,451

397 312 211 141 1,004 759 173 702 411

4,110 4,110

385

2,300

270

264

505

486

846

3,862

2,169

5,392

22,204

424 Histoire de la Presse Franco- Américaine

Les chiffres donnés pour la Louisiane ne comprennent pas na- turellement tous les autres habitants d'extraction française; ceux qui se rapportent à la Californie ne comprennent pas la population con- sidérable d'immigrants de France établis en cet Etat, plus particu- lièrement dans la ville de San Francisco. Il y avait aussi 115 per- sonnes de parenté canadienne-française en Alaska et 4 à Hawaï, outre 502 personnes de la même parenté dans le service militaire et naval des Etats-Unis, qui sont à l'étranger et ne sont pas créditées à un Etat ou Territoire. Ajoutant ces petits chiffres aux totaux pour les cinq divisions données dans la dernière colonne du tableau, nous avons le grand total de 810,105 personnes de parenté canadienne-fran- çaise vivant sous le drapeau des Etats-Unis. Mais ces chiffres ne re- présentent que la première et la seconde génération, c'est-à-dire les immigrants originaux encore vivants et leur descendants immédiats. A ce sujet le directeur du recensement dit: "Un petit nombre des per- sonnes rapportées comme de naissance étrangère sont elles-mêmes de parenté native, de sorte que, à un très petit degré, le nombre de per- sonnes de naissance étrangère rapporté à chaque recensement n'est pas inclus dans son entier dans le nombre de personnes rapportées comme de parenté étrangère. Les chiffres sont suffisamment compa- rables cependant pour montrer le gros volume de population qui doit être ajouté à l'élément de naissance étrangère lui-même afin d'établir, même d'une manière approximative, le nombre de personnes d'ex- traction étrangère à toutes les périodes de recensement considérées. De plus, c'est le meilleur chiffre qui puisse être donné comme expri- mant l'élément de notre population qui est d'extraction étrangère, vu que le recensement ne va pas au-delà des parents immédiats de cha- que personne énumérée, et il est impraticable, au moins dans les con- ditions présentes, de tenter de déterminer l'origine d'une personne au- delà d'une simple génération."

Il est évident qu'un recensement qui ne va pas plus loin que les an- cêtres immédiats de chaque personne énumérée ne peut donner une idée exacte du nombre réel de ceux qui peuvent encore être classifîés comme Américains-français, même dans le cas le père et la mère pourraient avoir vu le jour aux Etats-Unis. Et si l'on prend en con- sidération que des Canadiens-français furent les premiers colons dans le nord de l'Etat de New-York et dans l'Etat du Maine et que dès 1830 ils s'étaient établis en nombre dans le Vermont; que des Canadiens-

Appendice 425

français furent les pionniers des Etats de l'Ouest, ils ont fondé ou participé à leur fondation de grandes villes comme Chicago, Saint- Louis, Saint-Paul, Dubuque, Milwaukee et Détroit, il n'est pas diffi- cile de comprendre qu'en certaines parties du pays au moins trois générations d' Américains-français ont été enregistrées par le recense- ment de 1900 comme étant nées au pays de parents eux-mêmes nés au pays. On peut estimer le nombre d'Américains-français ignorés com- me tels par le recensement national en considérant les énumérations locales prises dans les Etats de la Nouvelle-Angleterre, avec les ré- sultats suivants:

Maine 9i>567

New-Hampshire 84,011

Vermont 58,217

Massachusetts 366,87g

Rhode-Island 76,775

Connecticut 46,083

Total 723*532

Ces chiffres, comparés avec le total (508,362) de ceux donnés dans le recensement de 1900 pour les mêmes six Etats, montrent un ex- cédent de rénumération locale sur le recensement national de 215,170 personnes, ou plus de 42.3 pour cent pour la Nouvelle-Angleterre seu- lement. Cet excédent, expliqué en partie par le fait que le recense- ment de 1900 était limité à deux générations seulement, peut être aussi attribué au courant continuel d'immigration et dans une grande mesure à la grande natalité, qui est encore maintenue parmi les Amé- ricains-français, ayant été scientifiquement établi que les Canadiens- français au moins en Canada doublent leur nombre par l'accroisse- ment naturel tous les vingt-six ans. Prenant en considération l'ac- croissement (423 pour cent) montré par les énumérations dans la Nouvelle-Angleterre sur les chiffres donnés par le recensement na- tional, et aussi le fait que les chiffres cités ci-dessus ne comprennent pas les Français de France (rapportés comme étant au nombre de 265,441, par le recensement de 1900) et les Belges de langue française, dispersés dans d'autres Etats que ceux de la Nouvelle-Angleterre, nous pouvons conclure que les Américains français aux Etats-Unis aujour- d'hui forment un nombre de plus d'un million et demi, dont 1,200,000

426 Histoire de la Presse Franco- Américaine

peuvent être classifiés comme d'extraction canadienne-française. Com- me cette immigration canadienne-française était presque exclusive- ment une immigration de catholiques, cela nous porte à nous enquérir des dispositions qui ont été prises pour eux dans les différents dio- cèses.

Les Canadiens-français avaient laissé derrière eux au Canada une organisation catholique parfaite, avec des paroisses florissantes dans toutes les parties de la province, avec des sièges épiscopaux dans Québec, Ontario et l'Ouest une organisation comprenant aujourd'hui plusieurs provinces ecclésiastiques avec des archevêques, évêques, un nombreux clergé, séculier et régulier, de même que des institutions d'éducation et de charité du plus haut ordre. On ne devait pas s'at- tendre que les immigrants trouveraient dans leur nouveau pays l'or- ganisation religieuse qu'ils avaient en Canada. Néanmoins il fallait pourvoir à leurs besoins religieux, et ce devint un sérieux problème pour la hiérarchie, particulièrement celle de la Nouvelle-Angleterre, de trouver comment ces nouveaux venus devaient être traités spiri- tuellement. La question de langue s'est dressée dans le chemin dès le début. Les Canadiens-français, bien que désireux de devenir de fer- vents Américains, ne connaissaient pas la langue anglaise, et même lorsqu'ils l'avaient apprise, ils gardaient cependant un fort attache- ment pour leur langue maternelle. Ce problème a fort embarrassé les évêques de la Nouvelle- Angleterre, et cela est démontré par le temps pris pour sa solution et par le fait qu'en certains cas ils étaient peu portés, et souvent incapables de trancher la situation de la seule façon convenable donner à ces gens des prêtres de leur langue et nationalité. Même aujourd'hui ce problème n'est pas suffisamment résolu. On craignait au début, et on craint aujourd'hui en certains quartiers, qu'accorder aux immigrants canadiens-français des prêtres de leur langue et nationalité serait les encourager à former une sorte d'Etat dans l'Etat, causant ainsi un grand tort à la nation dans son ensemble. Le temps a démontré la futilité de cet argument. Le pa- triotisme de l'élément américain-français est incontestable. Il pos- sède les solides qualités civiques désirables et nécessaires pour pro- mouvoir les meilleurs intérêts de la république. En réalité l'immigra- tion canadienne-française n'a pas créé de nouvel Etat dans l'Etat; et les Américains-français ont volontiers appris la langue anglaise, tout

Appendice 427

en restant aussi étroitement attaché que jamais à leur langue mater- nelle, dans laquelle ils voient la meilleure sauvegarde de leur foi.

Le progrès accompli pour Dieu et le pays au moyen de l'organi- sation de paroisses américaines-françaises par toute la Nouvelle- Angleterre est la preuve concluante de leur excellence à tous les points de vue. Cela prouve, en même temps, qu'il peut être accompli encore du progrès, religieux et patriotique, en poursuivant la même tactique. D'abord il fut nécessaire d'appeler des prêtres de la pro- vince de Québec. Cette conduite, inaugurée dans le diocèse de Bur- lington en 1850, par le regretté évêque de Goësbriand, a été une béné- diction partout on l'a adoptée. Ces premiers missionnaires cana- diens-français, dont plusieurs vivent encore, connaissaient leurs gens, comprenaient leurs caractère et coutumes, avaient la même mentalité que leur troupeau, et ils ont réussi facilement dans l'organisation de florissantes paroisses entièrement dévouées à l'Eglise. Dès i8go le Père Hamon note que ces nouveaux venus possédaient déjà 120 églises et chapelles, desservies par des prêtres canadiens, et 50 grandes écoles, donnant l'instruction à plus de 30,000 enfants. Rappelons quelques dates qui marquent le début de cette nouvelle impulsion donnée à l'Eglise catholique aux Etats-Unis.

La première paroisse américaine-française aux Etats-Unis, après la fondation de Détroit, Michigan, a été celle de St- Joseph, à Burling- ton, Vermont, fondée le 28 avril 1850, avec l'abbé Joseph Quévillon comme premier curé. Dans le même Etat, la paroisse de la Nativité de la Sainte-Vierge, à Swanton, fut organisée en 1856, et celle de St- François-Xavier à Winooski en 1868, Dans le diocèse de Springfield, Massachusetts, la paroisse de Notre-Dame du Bon-Conseil, à Pitts- fîeld, fut organisée en 1867. En tout, 22 paroisses furent organisées par des Américains-français de cette date à 1890, outre 15 paroisses de population mixte les catholiques français étaient associés avec leurs frères de langue anglaise. Dans le diocèse de Providence, R.-L, la paroisse de St-Jacques à Manville, fut organisée en 1872, celle du Précieux-Sang, à Woonsocket, en 1873, et celle de St-Charles, à Pro- vidence, en 1878. Dans le diocèse de Hartford, Conn., la paroisse de St-Laurent, à Meriden, fut organisée en 1880, et cinq autres paroisses entre 1880 et 1889. Dans le diocèse de Boston, la paroisse de St- Joseph, à Lowell, fut organisée en 1869, et celle de Ste-Anne, à Law- rence, en 1873. Dans le diocèse de Portland, Maine, la paroisse de

428 Histoire de la Presse Franco-Américaine

St-François de Sales, à Waterville, fut organisée en 1869, celle de St- Pierre à Lewiston, en 1871, celle de St-Joseph à Biddeford, en 1872, et celle de St-Augustin, à Augusta, en 1888. Dans le diocèse de Manchester, New-Hampshire, les paroisses de St-Augustin, à Man- chester et St-Louis, à Nashua, furent organisées en 1872. De sem- blables résultats furent accomplis dans les diocèses de Ogdensburg, Albany et Syracuse, et dans les Etats de l'Ouest.

Le tableau qui suit montre l'organisation religieuse actuelle des catholiques américains-français dans la Nouvelle-Angleterre, leur clergé, paroisses, etc.

L'ORGANISATION RELIGIEUSE DANS LA NOUVELLE- ANGLETERRE.

Diocèse.

Boston

Paroisses. 20

Missions. 2

Trêtres Séculiers.

33

Prêtres Réguliers.

31

Hartford

13

7

14

16

Springfield

38

5

59

14

Burlington

39

31

48

II

Portland

30

40

40

16

Manchester

25

15

38

17

Providence

21

. .

42

8

Fall-River

16

I

28

17

Totaux 202 loi 302 130

Pour compléter ces chifîres pour les Etats-Unis, cela nécessiterait une étude de tous les diocèses, vu qu'il y a des Américains-français dans chaque Etat et territoire de l'Union. Cependant quelques sta- tistiques des prêtres d'extraction française dans les principaux dio- cèses aideront à donner une idée plus précise de l'organisation comme ensemble: Baltimore en a 21 ; Chicago, 62; Albany, 19; St-Paul, 14; San Francisco, 3 ; New-York, 25 ; Orégon, 5 ; Philadelphie, 3 ; Du- buque, 7 ; Milwaukee, 9 ; Nouvelle-Orléans, 96 ; Syracuse, 5 ; et Og- densburg, 63.

NOTE: A l'époque de la fondation des premières paroisses canadiennes du New- Hampshire le diocèse de Manchester n'existait pas. Il fut subséquemment, en 1SS4, dé- taché du diocèse de Portland. La formation du diocèse de Fall-River est de date relative- ment récente, en 1902, ayant été détaché du diocèse de Providence. Les auteurs de l'article pour l'Encyclopédie ont omis plusieurs autres des plus anciennes paroisses canadiennes de la Nouvelle-Angleterre, comme la paroisse Ste-Anne de Fall-River, fondée en 1S69, et celle de Notre-Dame de Lourdes de la même ville, organisée en 1874.

Appendice 429

Des prêtres distingués dont les noms sont associés avec l'oeuvre déjà décrite, ceux qui suivent sont déjà allés recevoir leur récom- pense : Norbert Blanchet, premier évêque et premier archevêque de Oregon City ; J.-B. Lamy, archevêque de Santa-Fé, Nouveau-Mexique ; Monsignor Magloire Blanchet, protonotaire apostolique, de Walla Walla, Washington; l'abbé P.-M. Mignault de Chambly, Québec, qui dans les 1850 était vicaire général du diocèse de Boston, avec la mis- sion spéciale de voir aux besoins spirituels de ses compatriotes aux Etats-Unis; l'abbé Joseph Quévillon, de Burlington, Vermont; Mon- signor Brochu, de Southbridge; l'abbé J.-B. Primeau, de Worcester; l'abbé L.-G. Gagnier, de Springfield, et l'abbé J.-B. Bédard, de Fall- River, Massachusetts; l'abbé J.-Roch Magnan, de Muskegon, Micfii- gan. Il faut aussi mentionner Mgr l'évêque Michaud, décédé récem- ment, dont le père était un Acadien-français et qui avait été pendant un grand nombre d'années à la tête du diocèse de Burlington, se mon- trant un digne successeur de l'évêque de Goësbriand. Parmi les vi- vants il y en a un grand nombre d'autres qui ont été de vrais pionniers de la Foi et à qui est un grand crédit pour avoir si bien organisé une nouvelle et loyale branche de fidèles de l'Eglise aux Etats-Unis. Récemment un de leur nombre a été élevé au siège de Manchester, New-Hampshire, dans la personne de Mgr Georges-Albert Guertin, consacré le 19 mars 1907.

Les ordres religieux d'hommes et de femmes ont été de dignes coopérateurs avec les prêtres dans l'érection des paroisses. A eux a été confiée l'éducation des enfants et le soin des malades et des or- phelins. Cette mission a été particulièreemnt bien remplie dans les paroisses américaines-françaises, le couvent des sœurs et l'école des frères sont les compléments nécessaires de l'Eglise elle-même. L'une ne va pas sans l'autre, et règle générale l'école est bâtie avant l'église et sert aussi d'église. Le nombre de membres dans les diffé- rentes communautés de femmes est donné dans le tableau qui suit:

RELIGIEUSES DANS LA NOUVELLE-ANGLETERRE.

Diocèse.

Boston

Total dans 1 s Communautés.

1567

Dans les Commu- nantés Françaises.

200

Burlington Fall-River

268

115 254

Hartford

III5

219

430 Histoire de la Presse Franco-Américaine

Diocèse.

Manchester

Total dans les Communautés.

435

Dans les Commu- nautés Françaises.

300

Portland

482

355

Providence

551

222

Springfield

792

320

Totaux 5532 1985

Ces 1985 femmes sont distribuées en 30 ordres différents, portant les noms suivants: Congrégation de Notre-Dame de Montréal, Filles de Marie (France,) Sœurs de Ste-Croix de Montréal, Soeurs de la Pro- vidence de Montréal, Sœurs de la Présentation de Marie de Saint- Hyacinthe, Sœurs de Ste-Anne de Lachine, Sœurs Grises de Montréal, Sœurs de la Merci, Sœurs Grises d'Ottawa, Sœurs de l'Assomption, Sœurs du Bon Pasteur de Québec, Sœurs Dominicaines, Sœurs Fran- ciscaines Missionnaires de Marie, Sœurs Grises de Saint-Hyacinthe, Sœurs de Jésus-Marie de Sillery, Ursulines des Trois-Rivières, Con- grégation Notre-Dame (Villa-Maria,) Sœurs de la Sainte Union des Sacrés-Cœurs, Sœurs du Saint-Esprit, Sœurs du Saint-Rosaire, Filles de la Sagesse, Petites Sœurs des Pauvres, Sœurs de St-Joseph (Le Puy,) Sœurs du Sacré-Cœur, Sœurs de St-Joseph (Chambéry,) Sœurs Servantes du Cœur Immaculé de Marie, les Fidèles Compagnes de Jésus, Sœurs du Bon Pasteur (Angers,) Petites Sœurs Franciscaines de Marie (Malbaie,) Dames de Sion.

Les plus importants de ces ordres sont: les Sœurs de Ste-Croix, avec 18 couvents et 149 religieuses; Sœurs Grises, avec 17 couvents et 268 religieuses; Sœurs de la Présentation de Marie, avec 16 couvents et 193 religieuses; Sœurs de Jésus-Marie, avec 19 couvents et 171 religieuses.

Il y a quelques communautés de frères: Frères de la Charité de St-Vincent de Paul, 27 religieux; Frères Maristes d'Iberville; Frères de St-Gabriel, 7; Frères des Ecoles Chrétiennes, 7; Frères du Sacré- Cœur, 31 ce qui fait un total de 119 religieux. En outre de ces ordres entièrement consacrés à l'éducation, au clergé régulier a été confiée la charge d'un certain nombre de paroisses qui sont aujourd'hui parmi les plus nombreuses et les plus florissantes. Par exemple, l'ordre de St-Dominique a deux paroisses, Ste-Anne, à Fall-River, Massa- chusetts, et St-Pierre, à Lewiston, Maine. Les Oblats sont établis à Lowell, Mass., et Plattsburg, N.-Y.; les Pères de la Salette, dans

Appendice 431

le Connecticut et le Massachusetts; les Pères du Sacré-Cœur, dans le Rhode-Island et le Massachusetts; les Pères Maristes dans le Massachusetts.

Les Américains-français ont 133 écoles paroissiales, dans lesquelles 54,983 enfants reçoivent l'éducation chrétienne.

ECOLES PAROISSIALES DANS LA NOUVELLE- ANGLETERRE.

Boston

76

15

48,192

7.263

Burlington

21

17

5.951

4,009

Fall-River

21

14

9.300

6,171

Hartford

69

10

30,275

3,508

Manchester

36

19

12,800

8,833

Portland

23

13

9,138

6,073

Providence

26

14

16,000

7.414

Springfîeld

55

31

22,780

11,712

Totaux 327 133 154.436 54.983

A cela il faut ajouter le collège classique établi par les Pères de l'Assomption de France, à Worcester, Massachusetts, en 1904, et 14 petites académies, collèges commerciaux et pensionnats dans lesquels il y a environ 1000 élèves des deux sexes. En parlant de l'éducation supérieure, il est bon de remarquer qu'environ 3500 enfants améri- cains-français vont annuellement aux collèges commerciaux et classi- ques dans les différentes villes du Canada. Les ordres religieux fran- çais, femmes et hommes, ont aussi charge de 2618 orphelins dans la Nouvelle-Angleterre. Des religieuses françaises ont charge de 1865 malades et personnes âgées, femmes déchues et filles employées.

Les auteurs de l'article que nous sommes à analyser donnent en- suite la liste des journaux canadiens-français des Etats-Unis existants, disant qu'en cinquante ans ils (les Canadiens-français,) ont édifié une presse qui n'est pas surpassée, au point de vue catholique, par celle de tout autre groupe d'immigrants aux Etats-Unis. Ils donnent en- suite un aperçu des fameuses résolutions de l'Association des jour- nalistes Franco-américains de la Nouvelle-Angleterre. Ils nomment les premiers journaux de langue française qui ont paru dans le nord des Etats-Unis: le Courrier de Boston en 1789, publié et rédigé par un Français, Paul-Joseph Guérard de Nancrède, libraire à Boston et

432 Histoire de la Presse Franco- Américaine

professeur de français à l'université Harvard de 1787 à 1800; la Gazette Française à Détroit en 1825; le Patriote à St-Albans, Ver- mont, en 1838. Depuis ce temps plus de 200 journaux publiés en lan- gue française ont paru et disparu.

La question des sociétés occupe aussi une large place dans ce travail. La première institution française du genre fut la Société de Jacques-Cartier, fondée à St-Albans, Vermont, en 1848, tandis que la Société St-Jean-Baptiste de New-York, organisée en 1850, existe encore. En 1868 les Canadiens émigrés avaient déjà 17 sociétés de bienfaisance, et depuis ils en ont organisé plus de 400, dont environ 142 sont encore en existence. De plus ils ont établi des fédérations, qui ont plus de quatre cents conseils ou cours, avec des milliers de membres. A ces organisations sont dues, dans une grande mesure, l'existence et la prospérité de la plupart des paroisses.

C'est en 1900 que, pour répondre à un besoin urgent d'une organi- sation centrale, embrassant tous les groupes de la race française aux Etats-Unis, l'Union St-Jean-Baptiste d'Amérique fut organisée avec quartiers-généraux à Woonsocket, R.-L, au moyen de la fédération d'un nombre considérable de sociétés locales. En huit ans cette so- ciété a enrôlé plus de 19,500 membres. (L'Union compte aujourd'hui janvier 1912 environ 24,000 membres.) L'Association Canado-Amé- ricaine de Manchester, N.-H., établie en 1896, avait en 1909 plus de 11,000 membres. (Elle en a aujourd'hui plus de 14,000,) et ses fins religieuses et patriotiques sont absolument les mêmes que celles de sa sœur cadette l'Union. En 1906, une nouvelle société, l'Ordre des Forestiers Franco-Américains, fut formée par la sécession de quel- ques milliers de membres des Forestiers d'Amérique, et en 1909 il y avait 40 cours. La société des Artisans Canadiens-Français, bien qu'une société du Canada, a un grand nombre de succursales aux Etats-Unis. La Société l'Assomption est une société composée d'Aca- diens des Etats-Unis et des provinces maritimes, ayant son siège à Fitchburg, Mass.

Ces sociétés sont toutes catholiques, et en 1905 l'Union St-Jean- Baptiste d'Amérique et l'Association Canado-Américaine fondèrent la Société Franco-Américaine du Denier de Saint-Pierre.

La Société Historique Franco-Américaine, incorporée sous les lois de l'Etat du Massachusetts, fut organisée à Boston en 1899, "dans le but d'encourager l'étude attentive et systématique de l'histoire des

Appendice 433

Etats-Unis et particulièrement de faire ressortir sous son véritable aspect la part exacte prise par la race française dans l'évolution et la formation du peuple américain."

Une autre organisation qui semble destinée à jouer un rôle im- portant, au moins parmi les Américains-français de demain, est l'As- sociation Catholique de la Jeunesse Franco- Américaine, dont le pre- mier cercle fut fondé à Baltimore le 4 janvier 1908 et était composé de vingt-deux étudiants américains-français.

En outre de l'œuvre admirable qu'ils ont accomplie au moyen de leurs paroisses, presse et sociétés, et afin de rendre leurs efforts plus effectifs, les Américains-français ont tenu à différents temps des con- ventions convoquées pour diverses fins. La première de ces réunions, destinée à promouvoir les intérêts des sociétés de secours mutuel alors existantes, eut lieu à New-York en 1865. Subséquemment de sem- blables conventions eurent lieu annuellement, l'année 1877 exceptée, jusqu'en 1881, comme suit: 1866, New-York; 1867, Troy, N.-Y. ; 1868, Springfield, Mass.; 1869, Détroit; 1870, St-Albans, Vermont; 1871, Worcester, Mass.; 1872, Chicago, 111.; 1873, Biddeford, Maine.; 1874, New-York; 1875, Glens Falls, N.-Y.; 1876, Holyoke, Mass.; 1878, Troy, N.-Y.; 1879, Boston, Mass.; 1880, Northampton, Mass.; 1881, Lawrence, Mass. Depuis 1880 il y a eu six conventions générales d' Américains-français, auxquelles tous les groupes de cet élément, de même que leurs sociétés, étaient invités à envoyer des délégués. Ces assises nationales eurent lieu comme suit: 1880, Springfield, Mass.; 1882, Cohoes, N.-Y.; 1884, Troy, N.-Y.; 1886, Rutland, Vermont; 1888, Nashua, N.-H. ; 1893, Chicago. En octobre 1901 des délégués (au nombre de 742) des différents groupes et sociétés d' Américains-fran- çais dans la Nouvelle-Angleterre et l'Etat de New- York, se réunirent en un "Congrès" à Springfield, Mass. Les quatre grands sujets de délibérations étaient la naturalisation, les sociétés de bienfaisance, l'éducation et la situation religieuse. Ce congrès, incontestablement la réunion d' Américains-français qui eut jusqu'alors le plus grand succès, nomma une commission permanente composée du président du Congrès et de deux délégués de chaque Etat représenté, l'autorisant

NOTE: Le fondateur de l'Association Catholique de la Jeunesse Franco- Américaine est l'abbé Denis Lamy, alors étudiant en théologie au Séminaire St-Mary de Baltimore et aujourd'hui secrétaire à l'archevêché de St-Boniface, Manltoba, après une série d'articles dans "L'Opinion Publique" sur le sujet.

434 Histoire de la Presse Franco-Américaine

de prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre à effet les réso- lutions du Congrès et lui donnant le pouvoir de convoquer un autre Congrès, local ou général, à sa discrétion.

Après avoir énuméré à grands traits les succès des nôtres en poli- tique, l'article de l'encyclopédie conclut en citant les paroles du sé- nateur des Etats-Unis Henry-Cabot Lodge, du Massachusetts, par- lant sur "l'Immigration" devant le Boston City Club le 20 mars 1908:

"Plus tard qu'aucun de ceux-ci (les mouvements d'immigration) s'est faite l'immigration des Canadiens-français, mais qui a assumé de grandes proportions et est devenue un élément de notre population fort et des plus précieux. Mais les Français du Canada ne tombent pas précisément dans le sujet que nous considérons, parce qu'on peut difficilement les classer comme immigrants dans le sens accepté. Ils représentent l'un des plus vieux établissements sur ce continent. Ils ont été, dans le sens large. Américains pendant des générations, et leur venue aux Etats-Unis est simplement un mouvement d'Améri- cains de l'autre côté d'une ligne imaginaire, d'une partie de l'Améri- que à une autre."

* * *

La population canadienne, en 1872, dans les villes qui suivent était approximativement :

Fall-River, Mass. 5700 Nashua, N.-H. 2500

Manchester, N. H. 4200 Webster, Mass. 2300

Lowell, Mass. 3700 Danielson, Conn. 2200

Worcester, Mass. 3200 Putnam, Conn. 2100

Baltic, Conn. 3200 Lawrence, Mass. 1800

Southbridge, Mass. 3000 Holyoke, Mass. 400

On aura une idée de l'accroissement de cette population depuis 40 ans si l'on considère que Fall-River a aujourd'hui une population d'origine canadienne-française de plus de 40,000 et Manchester plus de 28,000. Pour Fall-River, le chiffre de 5700 a doublé sept fois de- puis 1872. Si la même progression continuait, dans 40 ans d'ici Fall- River aurait une population d'origine canadienne-française de 280,000, et celle de Manchester serait de 190,000.

LE PPOTECTEUR CANADIEN.

AIME DIEU ET VA TOK/ CHEMIN-.-

LA VOIX DU PEUPLE.

JOURNAL DU PEUPLE CAKADIEN, AUX J:TATS - LTNIS.

A B 0 N N E E B T s .

i- L. TEEKBLAT t Ci»., ProprielaiiM-Editeun.

ESPERER..

ANNONCES. Icy- Pour Ie« (mnou:*s. uous lumpl&o, pm- po-.

^°i-ï No. 17. ,u^,Jw»i^ fa^f^^a^ iUNC'HESTER, N. H.Jl JUILLET, 1869.

LA VOIX DU PEUPLE.:

!:.r': '/'/'"'''l;:":„::

y;;:"',;:

:,::":

.u'i'.'ii.'re' 1 Sïlv,.,.,,

oiu-l luclit, ,1 r,-,,,

celle ijiKl,.. „.„ i

niilii- ^ngr..inii. IN, Xki SIkoi.' '

"',,:,;'::"■:,:'

LES PIEDS-NOIHS,

-:;

ruclion publi- MiH Par con- opn» (l'uovrir

OaCESTER. MASS. MARDI. 7 AVRIL IB91

LE TRAVAILLEUR

JOURNAL CANADIEN - FRANÇAIS

'FAIS CE QUE DOIS'

CHWLES ULJBE, Prrortelilit.

reRU. fiAË^OI, F0.\U1TKEI

EHILE H. TtBDIVfL cl CHHRLE8 R. DJOUST. FW.n

LEÏKAVAIUECK.

z^Âchetez vos Tapis ! JEMPORIDM 4-iAnRAm de paqdes, ware, f^-^^at-t- oo

i Achetez vos Meubles ! pf of MION Rjjj^jHflai^jUÉiûHî^^

j?f-

URiceFniitaisceoAiiéflqiieH

. IJ^tirt, Eer.; de ««*■ „™J ^

LE TRAVAILLEUR

';-3'IS'ï'r=t^Vi ,-^^sS'" r".FAIÏSDIVKRS.

Ilhunr* CïH™l»"';^|j,^i,,„",^uB,„,«f6tW,

SOUTENONS NOTRE PRESSE

"RENDRE LE PEUPLE MEILLEUR."

LE COURRIER FRANCO-AMERICAIN

UOK UKC Scnc VI. Ko. M. CBIUCO. KANIUIEE. ST-FAUL ET MUINEAPOUS, VEtOinEOI. 13 HÀKS 1908. le tismtni «

M ipiOilII EN

"LE BELA-TT, CTEST LE "VI^-AJU

HOLYOKE, MASS., JEl"DI, 17 DECKMIIKK, 1S74.

COCRRIEK D-BOLYOkB

l<^„,,ou_„__^r^

PAULtr VBGINIE. ; , , ''

i^^^^^fs&^ï^^£i

'}:"^'^X'EËt^'v^S

~Cïi^i— ' '

J.>ULL.\ UHCUJUtD UUTU..

Siiiiis:

Le Protecteur Canadien.

JOURNAL CATHOLIQUE.

LA RÉPUBLIQUE

JOURNAL HEBDOMADAIRE.

Vol 1 NuH..ro XVI.

H. BEAUCRAND

R*d«t.ur.Editeur.

Le rumère. 0 Cenlt.

BOSTOlSr, l,;d:ASS., SA.1vIEIDT. 15 JA.I3"VIEE,, lS7e.

IDIIWIgTUTnM. i CHRONIQUE.

,.u »-.,-.; ..=»,<„..,. .

; Le Réveillon. , .,i<(«rcUt^» f.(.pi«.o«<.»« il«.U ..uS»

-1.» lt.,l>iibll(|n<->»| ^^,.«.U"r..tfw"'«i«fl«

!..>..».. «,Ub... ..<......

t'. <«l>u>i« po)»blmi».>li . ,i-.1,..il Vi»f.o.«q.-.r.AB|l«Wrelr.o*

'ïiS? IT! ' " "w" --'»^ *""'"' '""""

ïS^rsi'fïSH

po» w Iw»* ; >l k< luuita d( tl»i«

j'rZ^zi^î^à 'd^'. Àr«.

mitr dlBUBth^ * ClrfO». Qtfon ,1" .- -- - 'M- "

....... ...w..,^^ jfcA*d^.«

1 t^nhntqiic da Hini (>«ut rfftlM ■!>

lUTirt. jlMqu'iW «Cubitn. ftf MB-

|g|;S:]ii supPLfMOii ji "il ji£puiiiqu£-:,'

""i: T""""' i"*-^- _

-!.-«.,„„.„«. l«.,4,»P.„.

*'S(^^^'' " î^"!^"»

''i^V'liJ '.i^Tp^,» Tm/dU...

..lîk'V " ".T- 1™""" ! ,"■" ' "■"'» * " ««►l-Liaut ... B_. .

nian oit jwmi Hï!^.^" t^ "«CI;

-ùrd'^'i^-'^'iCr^ '

elZ'A^lT^t^^-

'n*M«liM>ki*<iii.ilH Upon.

™.';"*ï:i^,'™;-'c:î' "~ ""~"~""~*''^^" ~j— '-i-i--!^'."

S»™-'""

-^-*^

«.*'-

-dMoPM. du ™u- «-— ^

JEAN-BAPTISTE

Le Jean-Baptiste

La Langue et les Traditions de nos Pères.

JEAN-BAPTISTE,

( -lOnilfJAL HKIfDOMADAIRK. ]

. DRAZCAU. A(1mtnliitrat«ar

BOSTON STOREr-batisse du"Merchants' Exchange

jji|,E ,iriN'-m?TisTE,LT.'^r

F'^û^-WTTJCKLET. :R, X.

-i- Grande Vente Exirardinaire -*•' la Cra[ide!Vente commencera

JEUDI, LE 10 JANVIER 1893 !

DANS TOUS LES DEPARTEMENTS.

MANTEAUX ETOFFES A ROBES. FLANELLES.

Couvertes, etc., a moitié prix.

Venez profiter des Grandes Occasions

Des Commis Canadiens pour bien voua servir:

DAVID HARLF.Y & Co.

Lf: jEtN-DiT'nsrn.tinr

JiSjDiL^

LE CANADIEN

JOUUiAL POLITIQUE XT trrrgntntR

SAINT-PAUL, MINNESOTA, 'Vendredi, le tg Juin, 1903.

18T1=10O3.

7n'«r. ["ne Ccnferenct Patriotique duR.P, Lalaude, S. J.

Le 24 juin a Menomeoee, Mich.

Grande Démonstration Nationale a l'Occasion de la Célébration de la Fête St-Jean-Baptiste.

Canadiennes-Françaises de la Haute Penioanle dm^ Michigao, du Wisconsin, dn Uinnesoui cl de rlUiaeia, ''

Convention des

ABONNEMENTS

'vol. IV. NO. 410.

L'ABEILLKs

, JOURNAL BKatBIlour A n A rp¥-

LOWELL, SIASSACHCSETTi* VF.NnRKDI 15 FEVIilKR 1884.

Z CENTS LF. NO.

UHOIICE! DIVEBSII.

a?0]Il<ITErWEDECS£?lDI IKT e d i la £t .

Cbroaiqut ^ociilt.

leciitcs^iiïclUs. ;|ictiii(ttoiio[miifi' PROFITEZ DE LA

Grande Vente au Rabais

5rg§HipDlESBX CUlTflit CE

or

JOURNAL DE FAMILLE.

ToltVaiL 1 aN. » WORCESTER. MASa. 18 MAIiS 1B7S. S CeBtilu.-No. 1

LE FOVEK CA.\ADI£.\| Eiuy ei R«froil«ono»«. ^îjK^r~%rwTj^i'.rÇ| LE BUNWEISDOUESIKJCI. IJ''J^;iîSto.".'!u™™™t''"'?S'-°"

Puvlm de Pie IX

niNDi

>ANTr^

LES NOCES D'ARGENT DE "L'INDEPENDANT"

NUMERO SOUVENlR-18851911

QUESTION RELIGIEUSE DANS U RÈPÛBUQUE AMERICAINE

LE PETIT COURRIER

LE CITOYEN

75 Ci'&PAB ANNELl

f«aFBal«HeftAtoB»A«tve«

( ^fitEd f

9. U. VAILLMIT, ll0<U«taifr-Pr»pri«

~/53r^^S

te Gj^ôàsR

NOTESDELAREDAGTIIHI.

p.À^=3x:3a^

\^

Ee Corresponaant

LA PRESSE

■^£"-1

>».<. •..t—

^fi

[:^rr:,.

?ss

^iïï5'œr^-|

h B. SiBlaiii fi Coiany J

DICKIKSON

fc'Ei

^gr D'ÂctioD^e Grâces pg

3; Avis Spécial

O lE CITOYEN [=1

l-AMËSICAm

ORGANE DE5 AMERICAINS- FRANÇAIS

JOUBMAk MSaoOMAOAtRE.

r

Il SUR LmoiTS LlE c

SWLmoire IjE COSY NICKEll Bris, dn Noiu.

'^...:^,..^'^

1 v»i. /. 1 i^*ii^-

1 , 1 TtirutiM.

"5.T.,".;"

1 ''^°- '*■ 1

-ïâws'KÎ: x.".^^

Bris« des Noils.

'

SPRINCFIELD

c-.wlZ".':^-

IV^'

•g^ Ma Justice j^ ^^ LEcoimiMmŒsm

DEMONSTRATION AU PME lAlANOE

r_r :' UtjB ;i\êjo«

i

rBUtLLETONI -- -

iMFinîyoirrr--

LE COURRIER

DE LAWR£MCC

ff,; --wf- - ""Wft L'OPERA, L-. l8 0CTCBRE"rZ_-Lyr-7.,'"j;i,"j-»ir'

/ftantD-ltaieriains ftiSoBS-Noiis '«»«r«*W^™'.«wi.M.i»''''^î~i-'^lz"^-j=I:: :

fzîijilge (Bttîde At Çwipk

(tl?ffte Jl PltilB I ^pjjil!?' i=-£^'.^£.=T:SJ:"|:

1888,

Magasin Blexi, I •— _

lillElIfa Wéritéllïi] L'OUVRIERv

IIOT(S_lOUU5 ^ (J^U LKHfJ |uyl«It M lllil II SIS lu» ICTE HHUllSIl! «lEjK.jtl

(iJMUVMitWO^Ml'

I C«llL SOUTHBKIUUE. MASS.. JCl'UI LE 7 lOUT 1903. léUOSm

UN VOL

l^-MP^

M. James Dodd facteur est vic.-l ')^^J^-%4fi§ time de hardis filous. 'il ii^-.^''\_'

LL PROGRES

V „.;...'1J1" r j n Ll '-■ Coinptant Ou A Crédit

feCourrJttdf ^pn

Edw du Prone

OÎJ DIT

. « Mail. «RTHUI! tllERTIN.

LE PETIT JOURNAL

DrOo l_av

L'ESTAFETTE

i»^i.'i"i;^*«'c^

L'ECHO

GRAVE ACCIDENT

■;":;. LE DESASTRE DE LA

TOULON, f RANGE NOTBES DU MAINE

i: ETOILE

LOUYIRIM DE U "" '^'^'^ « " '^ «""^ .u« w km u BATAILLE POLiïlQUt AU

SAISON DE U CHASSE •''■"'*^ « «i>m n.«. . u..m UNAD* BAT SOU flIW

I-^(. >bL» ftle U-*^

\^^ L'INDEPENDANT ^

.i^iï4M;i

Apres Un« Splendide Saison d'Affaires

Nous ivoru décide d'«> venir a dei reduc- tioiu eii'^^e» cl fi-

NouvELLES Formes Pour Le Printemps

=SL| LE FRANCO-AMERICAIN f^:

JOLIîSM DE TMMUS.

LA LIBERTE

CHANSON I

lui mtsn i Les MaBOcuvrcs de Pinc Ump

(Xnadi^^Mmericain:

MADAME BOLMAN DEOARE QU'ELLE AURAIT TUE WHITE-^^.

La Mer€ il.\t:\yn Tliaw Consent a SuWr an takrview. ' -Déclare Qu'elle Wroe T- ""* "

BRAVtSCASADI[NS

I ellni(lgi>!l hM Ht «d ItiMi ' womtiiw iB mn M! ii| 1 5*

iw5

Le Bonhomme Coq-en-l'Air, sa femme et son p'tit gas

Accompagne par la Belle B'iette

Commencent » •"-^»- ' «ni --■>« p

LE REVEIL

= DissotunoN

EEILE JOURNALISE]

fît R[CU[ IR

»'« V Cnil gît I) ttwt niait de ItllMigiit tt len ■•- 1 '"II»! iniaSBiinlf »"•'*'••■•"

UOPINION JPUBLIQUE^^

LES ELECflO,\s" 'usodn ECHOS [JE UNÊImPOSANTE ^ AUVERMONT w/deno soutobridge, cER&MONIE HIER

iDtftefrtofe

fvmtÉk fMâ BANQUET DUBUQUE, Stira de Wlist

LE œURRIER

"!.'!' l"'!.!.^!!!

a^T . u.>r. .-,...,

Bon Marché^

Tremblay Cash Markels

?!£;■;"■"■'■

NOTES LOCALES

^"iolîj

û^^fe.

Young et Bélanger.

** . MO I «V

Xe

S'oçcr littéraire

REVUE MENSUELLE

Publié -et imprimé par Louis- -A. Basinet. 35 CranaoaSl.. Ptovidjnce. R. 1.

pr;x

." Quels

r. Formidables

AOUT 1911

Sommairç :

L'Auberge , -• - GuD Je Maupqiiçnl

Le5 Deux Lion. (Fable) . . - ^ Flcian

NOTES EDITORIALES : - La Naturalisation. L'Imrai-

gtation. L'A

Construite des Qi I Notre Revue.

Corrigeons Notre tangue ; La Vie- Futu;c I La Battue aux IVlacreuses I L'Epouse- (Poésie) Un 'Diamant Comme Appât - . I, Le Repentir d'un' Père (leuiUeton)

Port. - La Ville. Devi Encoutagcons nos Jo

Blanchc-Yuonnc

Victor Hugo '

Emile Pouoilhn

Jula Bo/J

Lucien &oni.t

i^^'2f2S^'2fî^-:^^^^':^î^

%:-r|MS L'IMPARTIAL Tf^™^

s f? V'I '«•«"'«"'s Garantis! J.-^.-t:

SYSTEME BESSE

ii^vg^

L'Avenir National

lE MflCfiSINLA FEUILLE D'ERABLE

OEDICflCt D[ l'ECLISE ST. flUCUSTIN RESTAUREE

dandiosa immm piesid» par Sa Grandtu Mer Dïlini.

AmosHeag National BonH

""T;'„';i.:iï::,'X ™f .1. 1

«... ,

pi-^...

>—.'"•

^: COURRIER DU NEW-HAMPSHIRE

ATEC UÏE PIASTRE CHEZ JOSEPH QUIHIN.

Le New England

Le yrai Patnon

La Revue Rose

fropos J'.fssimilaliom

EJtOSS d—i-K..-

^amt h Scrutin

i LA NATION ^

Des Prêtres Canadiens '>ïl:î22i»

lUnwi Sl l.-Btg- dAmenquc

Le Canadô-Afsericain

^ DANS lASSOCUTJOH

I SOUIM UO>r<mk-r . E?<TTi PKKIS lUD«MJfRM(

r# SUPPLEMENT M

^^^ 0" Balletlii Pjrolsslil Frjnco-lBsrlcalii de Lmell, Mass. \^J

^

SEilMON DU DEFUNT PERE GAMPEAU, 0, M, l„ LORS DE L'OUVERTURE DE L'ORPHEUNAT

L'UNION

FbU L'ABBE F X. CHAGNON

I

Ce forestier

Ca Justice ht UïbM^ïh,

LE MESSAGER

mmi HtBroiAMiRE

E.S.PA0LiC0.,LEWISTON,ME.

Le Courrier du Maine

NOTRE PROGRAMME ,„,.',';.""-j;"'";

/y/. UNIU^. JUSTICE tt."MJ«.i" "*** '""*

-JL GRANDIRA"

LA REVCE

.V WARREN

LA VOIX DE LA VALLEE

Le Journal du Madawaska.

■PRO DEO ET PATRIA.-

KEdMtnroiQKf. ^L4 U WKM jUmlntnmrw. LfVTTE V nneoOLU.

Itiw isl U Silsoo Des Doses

jjtt(nit»mt>»t"tmftmntt»iim«tf!»rtiti''ri>t

f BONNE et HEUREUSE ANNEE ! ]

TilUllllllluiltUtlllluiùlllIilliiUiulilllllIllitUlluWluilliulllliiiiiiiiiUlilUUilMtUiilR

D[ CURAI IONS

lEXAflEN

LA REVUE

F. POULIN ' 4 MM > III.H

[iniE nom t

E::

"AofoilB Steam Uondry"

LA JUSTICE

AU PUBLIC

11110 PUB ^[miML

LE PETIT JOURNAL

gc d'ouviicc gc U'oon.suchcl

Pharmacie Dussauit I mniEssuTcl The Great Department Store

IfS CHEVAUERS J. C. D'A

La Siluaiion Po!iliqu« au Canada '

LA PATRIE,

LA TRIBUNE!!^

UTIREmiCOHNECTICUÎ-y-l"--

FORESTItflS D'AMERIOUf --.:":;.- - lE ROÏ«L tRCDNUM

t.imtm'mmmnm^'ii

ruiiM M u Cm iiiiuMt. ^2i"rr'J!l'j '^''-riXT*'"*'

r?:-- -- ■'•■-■ ' "

' -" '- '^ïS^tiî^^'">:_ M=^

=;

""'"^■"'^•^Mpiîfis

LE NATIONAL. W^

\Ull NV VO\T PLUS

'%( itapsmi ^

lional

Journal Politique dSMMERCi al" et Littéraire

iiv« •aii.c\ '

,.-i

i>rrrsxE:zi.o x>xi.osE>E!07t7S.

LE CANADIEN-FRANÇAIS

m MTWm DE MRIllON. îisr

LA FEUILLE D'ERABLE.

R,evTJ.e IîelDcionaa,c3.a,ir©.

JE SUIS LE SANTA CLAUS DES DESHERITES DE LA FORTUNE.

il

£« çpÇifanierope.

Cp

ri,'-

■d,^ S«„^^

Loi™ PB.

iiikn

W ll<Kh.rn>.idc

-!irl!T'

T 1 U

"

«"

f*» Car<«

i'!i.

E MENSUELLEMENT.

ù^.v,r

tIi

!rL^»f.«''^''*^^''

".-

-^ -//«,«*.',

"• f" t—

imntr.

" Amertume " Ce r int le djctionnnire. " ■. d<fpl.iisir et afflicti n pas pour r ijoiitcr d"ntilrc^*.i{>

profonde '

T>niie v)Ci<J(V .1 pour but. le d<?veroppe- mcni social : donc pour y arriver il faut qiir ch;ique membre avnnt de donner »on vote a cette c'Icction. »on bien pénétré d'u- ne conviction profonde que celui pour qui il va donner son vote, est un homme en tout compétent pour bien remplirsachar^c et nmntcur dti progrès et de l'a\'nncemcnt soci.i). En ce temp« d'élection, on ne doit pa* voter pour des parents ou de« amis oppo- «:-5 .-lu but de M société, mai» bien pUuùi pour un étranger, membre de la société, si cet étranger rencontre ce but. Aucune con- sî<lcrntion personnelle doit guider le votcur dan» son vote, il doit le donner d'une ma- nitre franche et Jo>ale. sins s'occuper du qu'en rfira-t-on On doit même voter pour son ennemi personnel, si cet ennemi a dé* rempli avec zèle et à la satisfaction gé- nérale, la charge qui lui encombait dans la société, ou. si n'étant qu'un de se^ membres il a les dispositions requises pour occuper cette charge. LTiarmonîc. la paix et la con- corde pAfmi les membres sont d'une abso- lucnécessi''' 'Vs la jalousie, la haine

etl'cnvif : fcte> hideuses. ' c

jEebo ôe rdbcjBit.

^::z:-

^r^^^_£±^^i#Jrs-:ii Jj^y^i^r;.

-^^^:m^-^m^^à^' '^-"

Le Combat

fir et *igiti tjj' ta ««mttM

ct. EUEAf. ?t;'ja

■.sr-

m lUHE HimKn

LA i&iviE. m

JOURNAL HEBDOÏADAIIIC.

L'OiBT Yiu.!.w. tï;.~'

Le Petit Journal de Chicago

KosIranindtncsillIOHSti;

ïe Convvict h \®M^t

LE la » sAiKT-uiuffl TH'TTnrrjr.]' ufoinsni si l(

EDITION RECULIKUL.

CEO. C LAMBERT.

t

X'Hini ^cô Hloivô

Oitio( it u

Smu Su» Josqik

du Sja«CoOT

nos Dtai Mou po«. S.k..im

iti SduwBi Nwts iJuSol

T

R.., PACinOUE ROÏ. DirMeur

Sommaire

ri,.l, n l.,i„,„. r..c J..„Tb,ie !■„ T,|- Voir-

IBI.JW It Soit

(•..iiuiiit IVIi-Hlrc r™.....i.l !• I't(«...'. .1» Troi. E>.-a..~ Soir.

Volume I, No 1 P.WVTIXKET. R I

BULLETIN

PAROISSIAL

de Saint=Jean-Baptiste

BUIitEJIN lÀROlSSIAIi

L'ETEIUABII NtTIDNAl

f

^=

='^é

,^tV^Vlt AGPé4^^

- J'AMUSE EN INSTRUISANT -

n

Y

OCTOBRE 1911

I.E NUMERO 5 C'TS.

k

u

^&^=

Publié une fois par mois par

I J SIMARD. 24 nue west. ATTLEBORO. MASC

k

=.£^

J

rïï'»D ^ ^ t?i B P-E R A iV r> >. !™--

■-Si*ç~^^-«KJ'

A- D. ROSS,.",'iSS?'

,>. «»; ..i«. PAWTUCKn. R l

Vï&adM, Toltùll«9 et Provinoo*

LES JOÛ^'ORAS!!

r^ [oïl t Lumbei CiL

^l2i?^'-

¥'^brii!c^c la loiHJcIle-iUrlras.

INE CWINCE lOTlLI.

ïslêR^ -l^^^ffl

L'Amérique Tfançaise

-■ey^,; Ain ANWMtuB , ;

'—' - Hotn ti Iniiu (lirtiaïenlii M kl rniàtiu MtW M ~ <y tnnw Fiiioii

;.|S^

SAMEDI. X<B 1 HJULS. 1638

PROSPBOTTTB.

LE MONITEUR FRANÇAIS

REW'E POLmOlT

! Nos Français de Détroit ir -^—■•^ i£.TTz.

n

- O"

3e=H..

LA GUEPE*

ROGRES

IKiTMi .r;._-=;:^

:ctuKuiiHi £: «unniim i

r:DEPECHES=~-i=T

COIRRERDESMTSIMS r

.flofiMiFWi " ""--.AlBERTI"

Table des Matières

PREFACE Considérations sur la situation passée et actuelle des Canadiens-français aux Etats-Unis.

2 CHAPITRE I Les causes générales de l'émigration La guerre civile, 1861-65 La mesquine politique à Québec.

7 CHAPITRE II Les causes particulières de l'émigration Le système routinier des cultivateurs.

10 CHAPITRE III Le mouvement de l'émigration, de 1820 à l'insurrection de 1837-38 Les chemins de fer facilitent l'émigration.

14 CHAPITRE IV "Laissez partir la canaille" Cartier et Lanctôt.

16 CHAPITRE V L'insurrection de 1837-38 au Canada La' fondation du "Patriote" par Duvernay.

21 CHAPITRE VI Médéric Lanctôt et l'indépendance du Canada.

23 CHAPITRE VII Labeurs, espérances déçues et argent perdu

dans le journalisme. 27 Inventaire chronologique des journaux, etc.

39 CHAPITRE VIII La presse française au Michigan Déca- dence de l'influence française.

42 CHAPITRE IX Le "Public Canadien" et J.-B.-A. Paradis Les autres journaux du Nev\^-York La situation des Ca- nadiens-français émigrés en 186.0.

52 CHAPITRE X Les deux frères Grandpré et Claude Petit dans l 'Illinois et le New-York.

54 CHAPITRE XI Louis Fréchette à Chicago La politique et la guerre franco-prussienne Le mouvement canadien à Chicago.

61 CHAPITRE XII L'abbé Zéphirin Druon, Antoine Moussette et le "Protecteur Canadien" La situation religieuse des émigrés canadiens-français L'arrivée des premiers mis- sionnaires— Proportions gigantesques de l'émigration Statistiques religieuses, etc.

68 CHAPITRE XIII Les débuts de Ferdinand Gagnon ''L'E- tendard National" L'abbé Primeau, curé de Worcester, Massachusetts.

71 CHAPITRE XIV La carrière et les œuvres de Ferdinand Gagnon.

81 CHAPITRE XV ''La Voix du Peuple" Les fêtes de la St- Jean-Baptiste.

88 CHAPITRE XVI Frédéric Ploude, Ferdinand Gagnon et le "Foyer Canadien" L'organisation de la grande fête St- Jean-Baptiste de Montréal La catastrophe de l'église ca- nadienne à Ilolyoke Soixante-quatorze morts.

93 CHAPITRE XVII Ferdinand Gagnon et le rapatriement des Canadiens Correspondances officielles, détails, etc.

108 CHAPITRE XVIII "L'Avenir National," de St-Albans et Troy Le juge LeBœuf .

113 CHAPITRE XIX La grande fête St-Jean-Baptiste de 1874 Dix mille Canadiens émigrés y prennent part Désertion en masse des campagnes de la province de Québec.

116 CHAPITRE XX Les journaux de l'Ouest.

127 CHAPITRE XXI Les journaux du Massachusetts et du Connecticut Un journaliste qui se fait prêtre.

135 CHAPITRE XXII Les journaux de Worcester.

141 CHAPITRE XXIII Les journaux de Fall-River Beaugrand Le Rév. P. J.-B. Bédard Les troubles de la paroisse Notre-Dame portés à Rome.

152 CHAPITRE XXIV Les journaux de Lowell "L'Abeille," notre premier quotidien aux Etats-Unis La New England Investment Co.

163 CHAPITRE XXV Benjamin Lenthier et ses journaux dans l 'Etat de New- York Mort tragique de L.-A.-L. Desaul- niers MM. de Bondy, Lemay et Famelart.

169 CHAPITRE XXVI M. Lenthier à Lowell, Massachusetts Les subsides politiques.

174 CHAPITRE XXVII Les journaux du Maine L'incident de Fall-River Le Dr L.- J. Martel.

181 CHAPITRE XXVIII Les journaux de Manchester et du New- Hampshire Les compagnies qui exploitent le public.

193 CHAPITRE XXIX Les journaux du Rhode-Island Le Dr Gédéon Archambault, le Chapleau des Etats-Unis Asselin, Laflamme, Caron, directeur de "L'Union."

203 CHAPITRE XXX Les journaux existants Sept quotidiens et vingt-quatre autres.

218 CHAPITRE XXXI Silhouettes de journalistes —Détails inté- ressants sur ceux qui ont conduit la barque nationale jus- qu'à ce jour et ont battu la marche dans la voie du progrès.

311 CHAPITRE XXXII Le Rév. Gabriel Richard, le seul prêtre qui a siégé comme représentant au Congrès des Etats-Unis.

314 CHAPITRE XXXIII Les journalistes en association Beau- grand, Houde, LeBœuf, etc., à Worcester en 1875 Réu- nion de 1887 à Worcester Congrès de 1906 à Woonsocket Résolutions importantes.

321 CHAPITRE XXXIV L 'incident des ' ' Chinois de l 'Est. ' '

331 CHAPITRE XXXV Les femmes journalistes.

338 CHAPITRE XXXVI Souvenirs et anecdotes Beaugrand, Gagnon, Cartel Capdeveille de Baroncelli.

SUPPLEMENT

355 Le premier journal français aux Etats-Unis. 357 Les journaux français de New-York, de la Louisiane, de la Californie, et autres Tableau de ces journaux.

APPENDICE

391 Notre développement, nos progrès dans l'éducation, la musique, les industries, le commerce et la politique.

419 Village fondé par des Canadiens-français en Louisiane.

420 Les catholiques français aux Etats-Unis.

ERRATA

AVANT-PROPOS Deuxième page, 29ème ligne: M. Antoine Mous- sette est classé parmi les morts. Quoiqu'il ait près de 80 ans, M. Moussette est encore vivant à HuU, Québec.

PAGE 29 5ème ligne, lire "Desmeules," au lieu de Desmomes.

PAGE 128 4ème ligne, lire "Carrisan," au lieu de Carisseau.

Biographies et Portraits

L 'Albani D 'Arles, Henri Archambault, Dr Gédéon Archarabault, J.-B. Asselin, Olivar Auger, Dr L.-L. Authier, J.-N. Authier, Virginie Bachand-Vertefeuille,

L.-J. Barthélémy, Ephrem Batchellor, Georges Beaudette, T.-F.-X. Beauehamp, Albérique-L. Beaugraud, Honoré, Bédard, Dr J.-Armand Bélanger, Victor Belisle, Alexandre Belisle, Félix-A. Belisle, Eugène-L. Belisle, Mme Alexandre Belleau, E.-X. Bergeron, Jean Bernier, J.-E. *Biron, L.-A.

Blanche-Yvonne (Leroux) 333 Bonneau, Alfred Boucher, Philippe Boudreau, Léandre Bousquet, W.-Lévi Brazeau, J.-B.-S. Bureau, Jacques Capdevielle, Armand Caron, J.-Adélard Carufel, L.-E. Chaput, Alain Chaput, Paul-N. Chatel, Pierre-Camille Chenette, J.-A.-Z. Choquet, Ambroise Côté, Eév. Jacques Couture, J.-B. Daigneault, Joseph-A. Daudelin, Dr S.-A. De Baroncelli, J.-G. De Bondy, J.-O.-D. De Champlain, Joseph De Gagné, Charles Desmeules, Aug.-H.

Biog

Port.

395

330

405

196

108

218

219

142

219

160

220

322

331

379

231

128

221

357

223

322

224

110

132

414

229

108

406

406

226

142

242

242

243

210

243

210

336

330

305

260

225

357

223

180

333

330

228

228

229

192

182

292

228

210

227

228

230

392

379

379

233

192

232

292

233

379

244

228

191

322

233

128

234

58

357

244

342

194

260

407

406

379

417

240

42

245

247

300

122

116

* Nous n'avons pu vaincre la modestie de M. Biron et par suite nous sommes incapable de publier son portrait et sa biographie.

Biog.

Fontaine, Dr Marc 306

Fréchette, Louis 56

Gagnon, Ferdinand 72

Gagnon, L.-J. 276

Gaulin fils, Alphonse 409

Gauthier, Aimé 160

Gauvin, Charles-C. 254

Gigault, Charles 252

Grandpré, Alexandre 53

Grandpré, Michel 53

Guérin, Charles 252

Guillet, Joseph-H. 307

Goaziou, Louis 385

Ilémond, P.-J. 308

Houde, Frédéric 91

Laçasse, Amédée 276

Lacroix, Ed.-N. 41

Lafaille, Joseph 419

Laflamme, J.-L.-K. 263

Lafond, Ad.-E. 262

Lalime, Charles 260

Lamarche, Dr G.-T. 255

Landry, Dr J.-F. 270 Lapalme, Janson, Dr

E.-G. 257

Larue, Dr Omer 275

Laselle, Charles 363

Lassonde, E. 368

Lavallée, Calixa 397

Leclaire, Dr C.-J. 273

LeBœuf, Joseph 110

LeBoutillier, J.-G. 266

Ledoux, Urî)ain-J. 277

Légaré, Jean-Louis 417

Lemaître, Yvonne 332

Lemay, Georges 167

Lemoine, J.-B.-L. 271

Lenthier, Benjamin 255

Lepine, Maxime 256

LeRoux, F.-R. 258

Lessard, Mlle Camille 335

Lessard, Wilfrid-J. 258

Lord, J.-Télesphore 272

Lussier, Joseph 273 Lyonnais, Léon Bossue, dit 261

Malet, Edmond 409

Marier, J.-E. 279

Martel, Dr Louis- J. 178

Mazurette, Solomon 399

Métivier, Dr Moïse-M. 281

Meunier, Léon 363

Monette, Joseph-E. 282

Moussette, Antoine 64

Port.

128

88

Frontis.

357

392

192

128

16

88 414

42

392 16 417 192 160 260 142 116

260 42 364 142 342 342 108 180 406 417 379 42 180 128 342 180 330

392 228 260 414 300 108 357 160 364 406 16

Desmeules, Zéphirin De Nevers, Edmond De Tonnancour, Godfroi De Trobriand, Régis Druon, Rév. Zéphirin Dubuque, Hugo-A. Ducharme, Carl-A. Dupuy, J.-L.J. Duveruay, Ludger Favreau, J.-Arthur Moussette, Charles Paquin, Dr Elzéar Paradis, J.-B.-A. Paradis, Edouard Paris, J.-E. Perrin, Emery Pinta, Samuel-E. Pothier, Aram-J. Ratté, F.-X.-Léonidas Rivard, L.-E.

Blog.

Port.

Blog.

Port.

121

116

Roberge, A.-E.

287

142

403

Robert, L.-A.

288

180

245

300

Rouillard, J.-B.

288

365

364

Roy, J.-Arthur

287

379

66

16

Roy, H.-F.

287

234

300

Sampers, H.-P.

364

364

408

342

Sanson, Rév. J.-G.

291

292

250

414

Savard, J.-B.-A.

291

192

18

16

St-Pierre, Télesphore

292

160

251

210

Smith, J.-Arthur

291

406

282

414

Tardivel, Emile-H.

299

292

284

116

Tesson, Louis

294

228

46

42

Tremblay, Dr A.-L.

299

88

419

417

Tremblay, Rémi

296

108

283

392

Thibault, Mme Anna

337

330

309

322

Thibault, Onésime

300

300

283

88

Vaillant, Pierre-U.

300

322

412

292

Venne, J.-E.

302

286

417

Vézina, Elie

302

160

129

Wilson, Bruno

303

210

o

0 •H

cd o

•H

I

O O

Q) W (O (D ^1 Ph

eu oj

^ rH a CD

Q) (0

^ «H O

<D ca

rH -H

w M

•rH H (1>

PQ

University of Toronto Library

DO NOT

REMOVE

THE

CARD

FROM

THIS

POCKET

Mf^^-

'éH