RS Le Digitized by the Internet Archive in 2009 with funding from University of Ottawa http://www.archive.org/details/histoiredesscieO0cand HISTOIRE #5 DES ne = L SCIENCES ET DES SAVANTS nr DEPUIS DEUX SIÈCLES “ à UTP DR NE ac 1 td Et L LE Tous les articles du présent volume sont 8. H C2194h HISTOIRE DES SCIENCES ET DES SAVANTS DEPUIS DEUX SIÈCLES D'AUTRES ÉTUDES SUR DES SUJETS SCIENTIFIQUES EX PARTICULIER SUR LA SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE ALPHONSE DE CANDOLLE Membre correspondant de l’Académie des Sciences de Paris, Membre étranger des Sociétés royale et linnéenne de Londres, des Académies de Turin, Munich, Saint-Pétersbourg, Stockholm, Copenhagen, ete., de l’Académie américaine, etc. GENEVE, BALE, LYON H. GEORG, LIBRAIRE-ÉDITEUR 1873 Tous droits réservés. Aer GENÈVE. — IMPRIMERIE RAMBOZ ET SCHUCHAROT. Pages Radeon + LL. PR SEL È _ Il. Histoire des sciences et des savants, depuis deux sie- | cles d’après l’opinion des principales académies ou HAE SI SDIOR QUES ML. nr PL sus 21 Section I. Introduction, méthode suivie, définitions 21 Mn BR DOSC ALES TASSE 30 $ 1. Opinion de l’Académie des sciences de Paris 30. $ 2. Opinion de la Société royale de Londres”: = 77% o1 S 3. Opinion de l’Académie royale de Berlin... GI 7 Section III. Analyse des faits et recherche des causes qui “200 favorisent ou entravent le développement des sciences. 70 Proportion des mathématiciens et des naturalistes. 70 à 1e $ 2. Application croissante des savants chacun à une SMÉREES 0 BA Cr LR 3 0 $ 3. De quelles parties de la société sortent les hommes qui font le plus avancer les sciences AR sl S 4. Causes diverses pouvant influer sur le nombre, la direction et le succès des hommes qui font faire des progrès aux sciences 92 £ Pme DÉnÉTANX. 1: 21 Le. 92 B. Étude spéciale de l'hérédité CPAS L' 95 €. Influence de l’éducation, de l'instruction et des moyens matériels nécessaires dans les sciences VE TABLE. D. Influence de la religion : E. Influence des traditions de famille F. Influence de l’opinion G. Influence des institutions et du gouvernement H. Influence de la grandeur du pays T. “Influence du langage... 2344600 K. Influence de la situation géographique, du elimat et.de:la race. 42 viter net NU NERRES S 5. Répartition par nationalités des savants qui ont le plus fait avancer les sciences 1... A. Exposé des faits et comparaison générale des pays. B. Examen des divers pays au point de vue des causes de leur influence dans les sciences $ 6. Origine des causes qui influent sur le développement des sciences et durée de ces causes S 7. Région géographique des sciences VS. APR ; $S 8. Dela vanité nationale et desillustrations scientifiques. Section IV. Sur la marche des sciences morales et politiques comparée à celle des sciences mathématiques et naturelles. Section V. Conclusions relatives à l’hérédité et aux races. III. L'esprit d’observation et l’enseignement dans les écoles IV. Avantage pour les sciences d’une langue dominante et laquelle des langues modernes sera dominante au XX": siècle V. Sur la part d’influence de l’hérédité, la variabilité et la sélection dans le développement de l’espèce hu- maine et avenir de cette espèce ADS Section I. Hérédité et diversités d’une génération à l’autre SePHOnUIL. Sélection |: HU AE ER RER TR | S 1. Des différentes catégories de sélection dans l’espèce humaine 286. in ft tin dns : en à din dtéatint attente matt) mise héhé de gl TABLE. $ 2. La sélection en ce qui concerne les sociétés soit na- : La sélection en ce qui concerne les classes 345 ) $ 4. La sélection en ce qui concerne les individus _____ 355 Le NO SON CUETUVE LT NS TR RSR ER B. Chez les barbares et die Dog Era ROÉ : SD CACheztles peuples (civilisés "1" __ 364 Section III. Les retours fréquents des hommes civilisés vers la barbarie sont-ils des faits d’atavisme et d’instinet ? __. 400 Section IV. De l’avenir probable de l’espèce humaine ___. 411 VI. D’une alternance forcée dans l’intensité des maladies et dans la valeur des préservatifs tels que la vacci- 4 LIL LIL LR IN ENRRERRRRER ee a LÉ VII. Sur les différents sens du mot nature et par consé- quent des mots naturel, surnaturel, etc. ___ 132 VIII. La statistique et le libre arbitre... 457 IX. Transformations du mouvement chez les êtres orga- NU Buelu “uUmLiugex. NN - 445 Table analytique RL ne ah er rénedhet L hat . 467 se, ie rar | JP AGA nor LL INTRODUCTION Après avoir publié pendant quarante ans plusieurs monographies et quelques ouvrages spéciaux, dont le ca- ractère principal a toujours été l’unité, je me hasarde à donner maintenant un volume de mélanges. La diversité des articles ne sera cependant pas si complète qu'on ne s’aperçoive d’une idée qui m'a préoccupé, et à laquelle je suis revenu fréquemment, par des voies différentes. Cette idée est de scruter l'importance du nouveau principe de la sélection, introduit par M. Darwin. Pour l’apprécier convenablement, il faut voir d’abord s’il y a des dissem- blances, d’une nature héréditaire, entre générations suc- cessives. Je n’ai donc rien négligé de ce qui concerne la question toujours fondamentale de l’hérédité. Elle est abordée çà et là dans le premier article, relatif à l’histoire des sciences ou plutôt des savants depuis deux siècles, et plus loin elle est traitée d’une manière spéciale dans un article sur l'espèce humaine. Je suis revenu encore à la sélection pour en montrer une application dans les lois qui régissent | es épidémies. F. INTRODUCTION. Les articles dont se compose le volume actuel sont tous inédits. Ils ont quelque ressemblance apparente avec des articles de revue, mais pour le fond, ils diffèrent assez sensiblement. Je n'ai pas voulu m’écarter de la méthode scientifique de donner sur chaque question d’abord les faits, ensuite les raisonnements, enfin les conclusions. sans dissimuler au lecteur ce qui paraît obscur ou incer- tain. Le grand public n'aime pas cette méthode. Il veut qu'on débute d'une manière hardie, en posant certains faits ou certains principes comme démontrés, et qu'après on l'intéresse par le développement des détails ou des conséquences. Dans un journal, comme dans un cours, il n'est pas permis de douter : un savant doit savoir. Ce- pendant la vraie science consiste à marcher prudemment du connu à l'inconnu et des choses certaines aux choses douteuses. Disposé par habitude à suivre cette méthode, j'aurais de la peine à m'en éloigner. Le trait caractéristique de la science depuis le milieu du XIX®: siècle est une recherche attentive de l’enchaîne- ment des faits. Sans doute on a toujours proclamé le prin- cipe : Îl n'y a point d'effet sans cause. Mais, autrelois, on ne cherchait pas assez les causes immédiates, c’est-à- dire prochaines. On attribuait volontiers un phénomène à quelque cause éloignée, sans donner les preuves qui doivent résulter de la connexité des faits. M. Grove a par- faitement démontré dans son discours d'ouverture de l'Association britannique en 1866, cette tendance mo- derne de chercher la continuité dans les phénomènes. La revue qu'il a faite de toutes les sciences physiques et na- turelles sous ce point de vue, est extrêmement frappante. J’ajouteraiseulement, pour la compléter, qu'il s’agit d’une disposition générale des esprits à notre époque, puisque la même méthode s’est introduite à peu près simultané- INTRODUCTION. 3 ment dans les sciences morales et sociales. Évidemment, en histoire, en droit, en linguistique, en théologie, on cherche beaucoup plus les causes, et on les cherche beau- coup mieux qu'on ne le faisait précédemment. De là, dans toutes les branches des connaissances, la découverte d’'é- volutions qu'on était loin de soupconner. Elles expliquent une infinité de choses qui paraissaient inexplicables. Grâce aux réflexions qui accompagnent nécessairement ce genre de considérations, l’homme commence à comprendre sa véritable position au milieu de la continuité indéfinie des phénomènes dans le temps et dans l’espace. La géologie a beaucoup contribué à nous faire apprécier l’immensité des temps, l'astronomie l’immensité de l’espace. Il reste encore aux naturalistes de mieux comprendre comment infiniment petit est une réalité comme linfiniment grand. Aucun astronome ne suppose un instant que les phénomènes puissent être limités à ce qu'il voit avec son meilleur télescope, mais plusieurs naturalistes armés de microscopes perfectionnés s'expriment encore comme s'ils voyaient le commencement de quelque chose. Ils sont peut-être les seuls savants chez lesquels l’idée de l’évolu- üon à l'infini et de la continuité à l'infini, n’ait pas pé- nétré d’une manière complète. La notion, toujours présente, de la connexité des phé- nomènes dans un temps et un espace infinis, modifie né- cessairement certaines appréciations ou certaines métho- des de raisonnement qui existaient autrefois dans les sciences. Par exemple, on croyait avoir établi une chose im- portante en montrant la stabilité de plusieurs formes spé- cifiques depuis trois ou quatre mille ans. Mais combien est courte cette période, si l’on réfléchit à la durée seu- lement de l’époque actuelle en Europe, et à plus forte % INTRODUCTION. raison si l’on essaie d'apprécier une ou deux des époques géologiques antérieures ! Chaque phénomène est d’ail- leurs le résultat de plusieurs causes. La matière inorgani- que est poussée ou modifiée continuellement par la pesanteur, la température et, en général, par tous les mou- vements déjà imprimés. Les êtres organisés sont soumis à des influences qui paraissent encore plus variées et va- riables. La stabilité, c’est-à-dire l’équilibre entre toutes les causes de changement, est donc une conception de notre esprit, plutôt qu'un fait qui se réalise fréquemment dans la série des phénomènes. Tout état stationnaire n’est, d’après une immense probabilité, qu’une apparence. Si l'on observait mieux ou plus longtemps, on distingue- rait quelque changement. C’est aux partisans d’un état stationnaire quelconque d'en fournir la preuve, car, à priori, les probabilités sont toujours en faveur d’un état variable. La même appréciation des probabilités fait considérer les êtres organisés comme liés entre eux par un immense enchaînement de formes qui se déroulent et se modifient. Le principe, déjà ancien, omne ovum ex ovo, n’est peut- être pas d’une vérité absolue, car on ne peut pas démon- trer que la matière inorganique ne se change pas quel- quefois en matière organisée. Néanmoins ce principe à pour lui une probabilité extrême, attendu que jamais on n'a vu, d'une manière certaine, un être organisé avoir été produit autrement que par un être organisé. Je ne sais si les mathématiciens trouveraient les conditions assez précises pour pouvoir les soumettre au calcul, mais il suffit d'essayer de les réunir pour comprendre comment ils concluraient. Assurément, depuis l’époque des anciens Égyptiens et des anciens Chinois, les hom- mes ont toujours semé du blé pour avoir du blé: ils ont INTRODUCTION. b) toujours vu les végétaux produits par des végétaux et les animaux produits par des animaux. Chaque individu à fait ce genre d'observation plusieurs milliers de fois dans sa vie. Supposez une population moyenne de 300 mil- lions d'hommes depuis 4000 ans, chaque génération étant de la durée de 30 ans, il y aurait eu près de 40 milliards d'hommes qui ont remarqué, peut-être mille fois chacun, que les êtres organisés se produisent par évolu- tion d'eux-mêmes, sans que jamais un seul individu ait pu voir, d'une manière incontestable, un autre mode quelconque de formation. La probabilité, dans ce sens, paraît done infinie, sans qu'il soit nécessaire d'invoquer un calcul tout à fait mathématique. Assurément aucune découverte n’est impossible à moins qu'on n'ait démon- tré qu'elle l’est. On découvrira peut-être des formes orga- nisées complétement stationnaires, ou des transformations de matière inorganique en matière organisée. Cependant la première de ces découvertes est très-improbable, d’a- près ce qu'on connaît jusqu'à présent, et la seconde l'est bien plus encore. Si nous résumons l’état actuel des connaissances dans ces questions, nous remarquons trois faits qui sont à la base de tout : 1° On n’a pas encore vu un être organisé produit au- trement que par un être organisé antérieur : 20 Les êtres organisés ont eu des formes différentes dans la série immense des temps, et ces formes ont été d'autant moins dissemblables que les temps et les lieux étaient plus rapprochés : 3° Malgré la ressemblance ordinaire des êtres organi- sés avec ceux qui les ont produits, l'identité est rarement complète, et il y a souvent des diversités faciles à consta- ter. 6 INTRODUCTION. De là cette opinion de la transformation des êtres or- ganisés qui domine aujourd’hui dans la science. Elle est imposée, quand on sort du cercle étroit de quelques mil- liers d’années dans lequel on s’enfermait précédemment. Les discussions ne roulent plus aujourd'hui que sur les circonstances et les causes de la transformation. Quel- ques naturalistes croient à des changements brusques et rares, d’autres à des changements lents et assez fréquents: d’autres enfin sont disposés à admettre ces deux modes, qui ne sont pas incompatibles. On à vu, dans une science analogue, la géologie, les plutoniens et les neptuniens avoir finalement tous raison, et ensuite les partisans des causes lentes et actuelles, et ceux des causes brusques et éloignées, avoir également raison. Il en sera peut-être de même en histoire naturelle. Déjà, dans l’observation jour- nalière de la succession des individus d’une même lignée, on à pu constater des diversités légères appelées variétés, races, et des diversités énormes appelées monstruosités. Les premières se produisent lentement dans la culture et la domestication, ou paraissent se produire plus lente- ment encore dans le cours naturel des choses: les se- condes arrivent brusquement. Quant aux causes, externes ou internes, qui produisent les changements, les natura- listes ne pouvaient guère se contenter de dire et de répéter sans cesse: Nous les ignorons. Tous ceux qui ont un esprit inquisitif ont essayé de lever le voile, et quelquefois ils y sont parvenus, en constatant des influences physiques ou physiologiques dont l'effet a été de modifier les formes SUCCESSIVES. La vraie difficulté n’est pas de voir des changements de formes dans les individus d’une même espèce, m1 même de constater de temps en temps les causes de ces changements, c’est de comprendre dans quels cas et com- INTRODUCTION. 7 ment les formes nouvellement produites peuvent se main- tenir de génération en génération. En 1855, c’est-à-dire quatre ans avant le premier ou- vrage de M. Darwin, lorsque j'examinai cette question dans ma Géographie botanique raïsonnée *, je me trou- vai conduit à admettre des formes spécifiques ou quasi- spécifiques dérivées d’autres formes, et cela dans deux cas : 4° lorsque les individus d’une même espèce se sont trouvés séparés les uns des autres, par exemple dans des iles ou sur des terres fort éloignées, et n'ont pas pu, par conséquent, se féconder avec la promiscuité ordinaire : 2 lorsque plusieurs races d’une même espèce, dans un même pays, ont perdu les intermédiaires qui les reliaient, d’où il a pu résulter une sorte d'isolement analogue au précédent, les formes extrêmes étant peut-être trop di- verses pour se féconder entre elles. La fécondation, qui ramène ordinairement les formes divergentes à une moyenne, et l’atavisme, qui ramêne aussi, quoique moins sûrement, les formes successives aux formes antérieures, me paraissaient rendre impossible la durée des dériva- tions, excepté dans ces deux cas. En d’autres termes, l'isolement me semblait plus nécessaire que le temps pour consolider des formes nouvelles. Or l'isolement n'a pas existé pour la grande majorité des espèces, puisqu'elles sont groupées presque toutes ensemble dans les mêmes régions. Ainsi des centaines d’Erica, de Pelargonium, etc... sont accumulés au Cap, des centaines d’'Astragalus dans VAsie occidentale, des centaines de Stylidium, d'Eucalyp- tus, etc., à la Nouvelle-Hollande et de même pour une multitude d’autres genres. Comment toutes les formes voisines qui ont végété sur la même terre, pendant des 1 Pages 1087 à 1098. rame a 8 INTRODUCTION. milliers d'années, sous les mêmes conditions, auraient- elles pu, sans changer de pays, se séparer les unes des autres, puisque leur pollen passait des formes ordinaires aux formes légèrement exceptionnelles quand celles-ci se formaient ? Je voyais là une objection des plus graves pour ce qui concerne l'immense majorité des espèces, et elle m'aurait paru plus grave encore, si j'avais connu le fait si curieux découvert par M. Darwin quelques années plus tard, que la fécondation est souvent plus facile entre les formes un peu éloignées d’une même espèce, qu'entre celles qui sont tout à fait semblables. Aujourd'hui encore, quand je pèse ces arguments, je les trouve d’un poids considérable. Même en supposant des moyens d'isolement plus actifs que Je ne pensais, par exemple, en admettant les transports lointains de graines plus nombreux qu'ils ne sont en réalité, et les naturali- sations de formes nouvelles dans un pays plus fréquentes qu’elles ne l'ont été depuis deux siècles, la masse des es- pèces ne parait pas se trouver ou avoir pu se trouver dans les conditions d'isolement nécessaires pour la per- sistance de formes dérivées. Je remarque cependant, avec plaisir, qu'on à fait des progrès, depuis 1855, dans le sens de constater des for- mes divergentes plus nombreuses qu’on ne croyait et des formes très-exposées à l'isolement quand elles se trou- vent dans certaines conditions, par exemple, sur la limite d’une espèce ou dans une oasis au delà de cette limite. Je suis arrivé moi-même à des faits de cette nature en étu- diant l'espèce dans le genre chêne ‘. Depuis lors, d’au- 1 Étude sur l’espèce à l’occasion d’une révision des Cupulifères, dans la Bibliothèque universelle (Archives des Sciences naturelles, octobre 1862), reproduite dans Annales des Sc. nat., vol. 18, tra- duite en espagnol dans Revista de los progresos de las Ciencias, vol. 14. INTRODUCTION. 9 tres séries d'observations, qui commencent à devenir nom- breuses, font apercevoir des multiplications de formes nouvelles assez fréquentes sous un même climat, et des causes d'isolement physiologique pour des plantes qui vi- vent très-rapprochées. Ainsi la production facile de for- mes, par des causes encore inconnues, se remarque, en Europe, dans nos genres Rubus, Rosa, Capsella, Salix et autres. On trouvera probablement des faits semblables dans d’autres régions, pour d’autres formes. Et quant à l'isolement physiologique de plantes de la même espèce. s’il n’est encore démontré que dans les cas de dimor- phisme observés par M. Darwin et autres savants natu- ralistes, on peut du moins soupçonner qu'il existe dans d’autres cas. Toutes les fois que, dans une même espèce. certains pieds ont un pollen plus précoce, ou quelque cir- constance de nature à attirer davantage les insectes, ou quelque position des fleurs plus favorable au transport du pollen par le vent, ou quelque condition pouvant éloigner les animaux nuisibles, ces individus particuliers se trou- vent de fait isolés des autres en ce qui concerne la repro- duction. Leur descendance alors ne peut plus être rame- née à la moyenne antérieure que par l'accident peu fréquent de l’atavisme, ou par la vicissitude des causes physiques annuelles. Il s’est ouvert pour ce genre de phé- nomènes, depuis quelques années, une immense carrière à exploiter. Les Hildebrand, les Delpino et plusieurs autres observateurs pleins de zèle, marchant sur les traces de Darwin, font chaque jour des découvertes d'un très- grand intérêt. Les conséquences en seront peut-être ex- trêmement importantes pour expliquer les dérivations de formes et surtout la durée des formes nouvelles, en dépit du rapprochement géographique et de l'atavisme. De grandes clartés peuvent jallir ainsi sur cette question qui 10 INTRODUCTION. paraissait extrêmement obscure il y a quelques années, ou plutôt qui devait être résolue alors, d'après ce qu’on connaissait, dans un sens opposé à la dérivation pour l'immense majorité des espèces du règne végétal. La théorie de l'évolution, soit dérivation, était déjà prouvée par la géologie et par la formation même des êtres organisés issus constamment d’autres êtres organi- sés, et les difficultés ne résidaient plus que dans la ma- nière selon laquelle le phénomène avait pu se passer, lors- que M. Darwin eut l’idée de la sélection, à laquelle pen- sait de son côté simultanément M. Wallace. Évidemment, pour vivre et se propager, un être doit pouvoir surmon- ter tous les obstacles qui sont en lui ou autour de lui, et dans chaque groupe d'individus ceux qui résistent le mieux aux difficultés et qui jouissent de l’organisation la mieux adaptée aux circonstances doivent prospérer, mul- plier, se répandre plus que les autres. La sélection n’est ni une théorie ni une hypothèse, c’est l'expression d’un fait nécessaire. Personne ne peut en nier l’existence. Au- tant vaudrait nier que des pierres bien arrondies roulent au bas d’une montagne plus facilement que des pierres plates. Ce dont il est permis de douter, c’est l'étendue du rôle que plusieurs naturalistes attribuent à la sélection. En effet, pour qu'elle agisse, il faut la réumion de deux conditions : 1° qu’une forme nouvelle ait échappé aux influences extérieures pendant quelques années, à l’ata- visme et à la fécondation par les formes anciennes, au point d’être devenue héréditairement distincte ; 2° qu'elle offre des avantages relatifs, qui la rendent mieux adaptée aux circonstances environnantes, sans être cependant plus mal organisée sous d’autres rapports essentiels, comme la reproduction, par exemple. M. Darwin à un esprit trop philosophique pour n’a- ose : INTRODUCTION. 11 voir pas apprécié la gravité et la fréquence des causes qui empêchent la sélection d'opérer, ou qui limitent ses effets. Il insiste souvent,sur la durée des mêmes formes, consé- quence de la durée des conditions, et sur la présence de formes végétales où animales peu compliquées, consé- quence de ce que les formes qui sont inférieures, à notre point de vue, sont quelquefois les mieux adaptées aux circonstances concomitantes. Ce sont plutôt les disciples de Darwin qui exagèrent la sélection. C’est surtout aussi le public, dont les idées sont encore confuses, au point de ne pas distinguer la théorie de la dérivation des formes, du fait nécessaire de la sélection de ces formes une fois qu'elles sont produites. La question du jour, en histoire naturelle, n’est pas de savoir s’il y a une sélection, ni même si les formes ont dérivé les unes des autres, mais de comprendre comment, dans quelles proportions et par quelles causes les dérivations héréditaires ont eu lieu, et aussi de quelle manière une sélection, toujours inévitable, les a réduites. Pour bien comprendre l’espace dans lequel se démèe- nent aujourd’hui les discussions, il faut lire attentivement les ouvrages de M. Oswald Heer, l’un des antagonistes les plus sérieux de M. Darwin et de son école. Ce savant admet des refontes soit transformations des espèces, qui auraient eu lieu dans certains moments, à l'intervalle de longues périodes de durée des formes". Ainsi M. Heer admet une dérivation des formes. Il ne mie certainement pas que, pour pouvoir continuer, une forme nouvelle doit offrir certaines conditions qui lui permettent de vi- ! Heer, Le monde primitif de la Suisse, traduction française, 1 vol. in-8, Genève 1872, p. 760 à 770 et ailleurs. Deux savants zurichois établis en Allemagne, MM. Kælliker et Nägeli, ont sou- tenu des opinions analogues. 12 INTRODUCTION. vre, de se propager et de résister à ses ennemis de toute espèce. En dehors des moments de grandes transforma- tions, il croit qu'il a pu s’opérer aussi des modifications de formes dont on ne peut pas encore apprécier l'impor- tance. Néanmoins ce sont peut-être, dit-il, des cas de for- mes transportées d’un pays à un autre, qui paraissent nouvelles sans l'être véritablement. Sur les conditions de la transformation principale des types à certains mo- ments, M. Heer estime que nous sommes encore dans une obscurité complète ‘. Les darwinistes croient à des transformations habituellement lentes et successives, quel- quefois peut-être plus rapides et plus nombreuses, par des causes qu'ils disent connaître en partie, mais qui ne paraissent pas encore suffisantes aux plus avancés d’en- tre eux pour tout expliquer *. Quant à moi, j'ai sou- tenu, d’après la géographie botanique, avant les publi- cations de M. Darwin : 1° Que la naissance des espèces a été probablement successive * : 2° que l'hypothèse d’une plus grande variabilité des formes à certaines époques géologiques n’est pas du tout probable, qu’elle est même contraire à des faits constatés ‘; 3° que, malgré les causes de stabilité ordinaire des formes, il s’est produit une certaine quantité de formes dérivées qui doivent exister surtout dans les iles”. On peut juger d’après cela de l'intérêt avec lequel j'ai suivi les observations et les théories de M. Darwin, et l’on comprendra pourquoi je me suis attaché volontiers à étudier l’hérédité, la diver- } Page 768. ? Voir Buchner, Conférences sur la théorie darwinienne, traduc- tion française, p. 109. % Géographie botanique raisonnée, p. 1111. # Page 1098. ? Pages 1093 à 1098. INTRODUCTION. 15 sité dans l’hérédité et la sélection. Je l'ai fait avec un vif désir de voir les idées nouvelles appuyer mes anciennes opinions, mais aussi avec l'impartialité et la prudence qu'il faut savoir conserver à tout prix dans les recher- ches scientifiques. Je traiterai ces questions, dans le volume actuel, en prenant l’espèce humaine pour exemple. Ce n'est pas qu'elle m'attire d’une manière irrésistible. Au contraire, plus je me suis occupé des sciences sociales, autrefois dans mes études de droit, ensuite au milieu des révolutions, plus il m'est arrivé de préférer la botanique. Mais l'homme est plus connu dans sa marche au travers des siècles que toute autre espèce, et nous avons sur lui des détails qui embrassent déjà quelques milliers d'années. Il jouit de facultés intellectuelles très-étendues. Il se croit très-sus- ceptible de changements, qu'il appelle volontiers des pro- orès. Ce sont des motifs pour penser que les modifications doivent avoir été nombreuses chez lui, et que la sélection aurait joué dans son histoire un rôle très-important. Le résultat de mes recherches prouve plutôt le contraire, les changements ayant été de peu de durée et souvent con- trariés les uns par les autres; mais cela seul n’est pas dépourvu d'intérêt. Au surplus, l'époque antéhistorique a été probablement la plus longue, surtout en Asie et en Afrique, de sorte qu'il ne faudrait pas tirer des conclu- sions absolues de la faiblesse des modifications observées dans l’espèce humaine depuis trois ou quatre mille ans. Les discussions qui m'ont beaucoup oceupé en 1855, sur l’origine géographique, les migrations et l'ancienneté des espèces du règne végétal, celles bien plus étendues et plus brillantes de M. Darwin sur l'origine physiologique des formes animales et végétales et sur leur fixation par sélection, me paraissent avoir exercé une bonne influence 14 INTRODUCTION. sur toutes les parties de l'histoire naturelle. Ce n’est pas seulement à cause des recherches qu'elles ont fait faire et des explications qu'elles ont permis de donner de choses jusqu'alors inexplicables. C'est aussi et surtout à cause de l'avantage même des discussions pour intéresser le pu- blic à une science et diriger de son côté des jeunes gens capables. Les hommes spéciaux ne comprennent pas assez ce genre d'influence indirecte. Toutes les fois qu’une science en est réduite aux appli- cations de méthodes connues et à la recherche de faits de détail, elle excite bien peu d'intérêt. Que serait l’astro- nomie si elle se composait uniquement d'observations de passages, la chimie si elle se composait encore unique- ment d'analyses de corps inorganiques, la zoologie ou la botanique si elles ne comprenaient que des descriptions de formes ou d'organes ? Les esprits novateurs s’éloigne- raient de pareïlles sciences, et elles deviendraient de pures routines. Îl faut des théories, des hypothèses, des discus- sions sur des points généraux, pour attirer et faire faire de nouvelles recherches. Cela est vrai dans les sciences naturelles plus encore que dans les autres, parce qu'elles succombent, en apparence, sous le poids des faits de dé- tail, et que les occasions de raisonner n’y sont pas assez nombreuses. À la fin du siècle dernier, la botanique et la zoologie ne vivaient que sur des descriptions et sur des méthodes en quelque sorte mécaniques: elles paraissaient comme engourdies ou atrophiées. La discussion à la suite de laquelle triompha la méthode naturelle sur celle de Linné, fut extrêmement opportune. Vint plus tard la con- testation moins précise, mais curieuse, sur l’unité de com- position, les types, la symétrie des organes. Elle fixa Pat- tention de plusieurs hommes éclairés et obligea les INTRODUCTION. 15 naturalistes à réfléchir. Depuis lors, ce n’est pas la des- cription d'une infinité d'espèces, ni la concentration sur des détails observés au microscope, qui auraient pu agrandir les idées et amener la jeunesse studieuse dans le champ de l'histoire naturelle. L'excitation est venue sur- tout de M. Darwin. En montrant à tous les yeux les con- séquences de modifications des formes combinées avec l'hérédité, en insistant sur les effets nécessaires de la lutte entre les êtres organisés, et en habituant à considérer des temps prolongés comme le faisaient déjà les astronomes et les géologues, il a imprimé à l’histoire naturelle une secousse telle qu'on n’en avait pas encore vu une sem- blable. Linné avait renouvelé autrefois la science, grâce à son système de nomenclature, qui était une chose très- heureuse, mais de forme, Darwin l'a renouvelée par un examen du fond. Il a eu le bonheur de lancer son idée de la sélection au moment où la géologie, la géographie botanique et l'anatomie avaient comme imposé la théorie d’une évolution des êtres dans une série incalculable d'années. On croyait à cette évolution, sans comprendre comment elle avait pu s’opérer. La sélection est venue fournir une explication, du moins pour la fixation des changements une fois ceux-ci opérés. Il reste beaucoup à chercher sur les causes qui ont amené et qui amènent des formes modifiées, et sur celles qui permettent à ces formes nouvelles de se maintenir par sélection, mais sur ces questions délicates, M. Darwin a aussi fait avancer la science. Pour preuve, il suffit de rap- peler non-seulement ses observations sur la dichogamie de quelques végétaux, mais surtout celles sur la forma- tion des races d'animaux dans la domestication. Certaines assertions de l'illustre auteur peuvent être exagérées, cer- taines hypothèses n'auraient pas été émises par un 16 INTRODUCTION. homme plus prudent ou plus timide, — €’est possible, — mais 1l à fait des découvertes positives, et il a imprimé à toutes les branches de l'histoire naturelle en quelque sorte une commotion électrique. Ses adversaires eux-mêmes la ressentent, et l'indifférence ordinaire du publie en ma- tière scientifique a été surmontée. Jamais, dans la plu- part des pays, l'histoire naturelle n’avait obtenu autant de faveur. On s’en aperçoit par le rôle qu’elle joue dans les réu- nions scientifiques, par les articles qui la concernent dans les journaux et d’une manière plus importante encore, par l'attention que veulent bien lui accorder des hommes éminents, littérateurs ou philosophes. Je citerai M. Ed- gar Quinet. Assurément ses deux remarquables volumes intitulés la Création, témoignent d’une étude extrêmement approfondie des ouvrages modernes de géologie et d’his- toire naturelle. Sa puissante imagination ouvre des voies dans lesquelles personne ne pensait à s'engager. Les na- turalistes doivent être flattés d’un pareil appui, et la par- üe nombreuse du publie pour laquelle un beau style est un attrait nécessaire, se voit initiée aux problèmes les plus élevés de la science. De tous côtés nous apercevons une impulsion vers des recherches sur l'origine et le dé- veloppement des êtres organisés. Si maintenant nous nous demandons dans quelles sciences il y a le plus de progrès à faire pour approcher de la solution des questions, je n’hésiterai pas à dire : c’est dans la géologie et la paléontologie. Malgré les admirables résultats obtenus depuis quelques années par l'étude des couches terrestres et de leurs fossiles, il y a tout une ca- tégorie de phénomènes sur laquelle on ne possède encore que des renseignements indirects, fondés sur l’analogie et sur des probabilités. Je veux parler dela véritable origme sun INTRODUCTION. 47 des formes, indépendamment des changements de place qui les font paraître nouvelles quand elles ne sont que nouvellement introduites dans une localité. La géographie botanique et zoologique constate des transports, nombreux depuis quelques milliers d'années, d'espèces qui ont ajouté une à une des formes déjà anciennes à celles des flores ou faunes préexistantes. La notion, aujourd’hui fondée, de changements de climat et de configuration géographi- que dans l'hémisphère boréal, avant les premiers docu- ments historiques et après l’époque dite tertiaire, nous montre qu’il s’est opéré aussi des migrations en masse de flores et de faunes. Elles ont été déterminées forcément par l'invasion réitérée de grands glaciers descendus des montagnes et des régions septentrionales de l'Europe et de l'Amérique sur les plaines environnantes, invasion qui a eu ses phases, qui a duré plusieurs milliers d'années et qui démontre, pour cette époque, un abaissement de tem- pérature et une augmentation de la quantité d’eau sous forme liquide ou solide, relativement à ce qui existait au- paravant et existe aujourd'hui. M. Oswald Heer, continuant les déductions de MM. Hooker fils et Asa Gray sur les espèces arctico-américai- nes, à fort bien expliqué les migrations qui ont dû arriver en Europe. Les espèces actuellement reléguées sur nos Alpes et dans la région arctique ne pouvaient pas S'y trouver à l’époque tertiaire, quand la température de l'Eu- rope centrale était celle de- Madère et du midi des Etats- Unis à l’époque actuelle, et que les Alpes n'avaient pas atteint toute leur élévation. Ces espèces devaient donc résider dans la région polaire, et l'extension des glaces et d’un climat froid et humide les ont fait descendre dans les plaines de l'Europe moyenne, en chassant devant elles 9 2 RES 18 INTRODUCTION. d’autres espèces qui exigent de la chaleur. Plus tard, lors- que les conditions actuelles des climats se sont établies, les espèces polaires se sont réfugiées à la suite des glaces sur nos montagnes et dans la région arctique, tandis que d’autres espèces, asiatiques ou des confins de la mer Méditerranée, envahissaient les plaines de l'Europe. A l'époque tertiaire moyenne (miocène) nos espèces aretico- alpines, ou les formes dont elles proviennent, devaient se trouver bien près du pôle, car les fossiles observés au Spitzherg ont constaté des forêts de sapin ordinaire (Pi- nus Abres L.) et de Taxodium distichum, qui vivent encore en Europe et au midi des Etats-Unis, et aussi des peupliers, chênes, noyers, etc, fort analogues aux es- pèces actuelles de nos régions tempérées. Ces formes des Pinus Abies et Taxodium distichum, ete., pouvaient avoir pris naissance au Spitzherg, grâce à des dérivations de formes analogues : elles pouvaient aussi être arrivées de régions encore plus boréales à une époque précédente, et ceci paraît probable, puisque la température avait été plus élevée au Spitzhberg avant l’époque miocène dont nous parlons. La géologie n’a pas encore de documents qui permettent de remonter à la véritable origine géographi- que des espèces arctico-alpines, ni des espèces des flo- res et faunes qui sont aujourd'hui dans les îles Madère et Canaries, dans le midi des États-Unis et au Japon, puisqu'on ne connait pas les fossiles de la région tout à fait polaire. D'ailleurs les espèces anciennement po- laires avaient résidé peut-être ailleurs auparavant, s’il a existé d’autres périodes glaciales. On peut faire les mêmes réflexions sur chaque flore ou faune ei sur cha- que époque géologique, excepté peut-être sur les époques les plus anciennes dans lesquelles la chaleur terrestre et INTRODUCTION. 19 la diffusion considérable des vapeurs, avec une atmos- phère chargée de gaz acide carbonique, maintenaient probablement des conditions uniformes et des flores ou faunes assez semblables dans toute l'étendue du globe. Encore même, à l’une de ces époques anciennes, celle dite carbonifère, dont la durée à été immense, les espèces de reptiles ou de fougères ont-elles pu vivre successi- vement, non simultanément, à de grandes distances. Elles ont pu passer, au moyen de transports isolés ou de migrations en masse, d’une terre à une autre, et 1l n'est pas impossible que telle espèce actuelle d’une des îles de la mer du Sud, par exemple, soit la descendance iden- tique ou modifiée des espèces de la houille d'Europe ou d'Amérique. # | Les flores et faunes de la région équatoriale doivent avoir été moins troublées que les autres par des change- ments de chmat et par les migrations qui en résultent, mais elles ne comprennent qu'une partie des êtres orga- nisés. La plupart des espèces végétales ou animales, y compris, pour le dire en passant, l'espèce humaine, ont dû cheminer de place en place, isolément ou par groupes, lentement ou rapidement, avec des pertes successives, des mélanges et des modifications de formes dont la date peut rarement être précisée dans l’état actuel des connaissances. Îl faudra bien des années et même des siècles de recherches géologiques, hors de nos pays civi- lisés, pour qu'on parvienne à comprendre la série des phénomènes, et à prouver dans quelle région et à quelle époque certaines espèces ont été modifiées. On ne con- naît aujourd'hui que l’arrivée de telle ou telle forme dans tel ou tel pays, surtout en Europe et dans le nord de l'Amérique. Quelles surprises ne réservent pas à nos 20 INTRODUCTION. successeurs les explorations futures de l’Asie, de l'Afrique et de l'Amérique méridionale, sans parler des terrains aujourd’hui submergés dans lesquels se cachent proba- blement les origines de plusieurs des formes qui existent ou qui ont existé | IT HISTOIRE DES SCIENCES ET DES SAVANTS DEPUIS DEUX SIÈCLES D'après l'opinion des principales Académies ou Sociétés scientifiques. SECTION I Introduction, méthode proposée, définitions. Les ouvrages sur l’histoire des sciences sont nombreux et quelques-uns très-recommandables. Malheureusement ils se rapportent le plus souvent à l’une des sciences ou des catégories de sciences en particulier, ou bien à quelque savant, ou encore aux savants d’un certain pays, d’une certaine école. On a rarement envisagé l’ensemble des sciences, si ce n’est à un point de vue tout à fait gé- néral, en parlant des progrès de la civilisation. D'ailleurs, si l’on suppose un livre bien fait sur toutes les sciences, naturelles, physiques et mathématiques, on aura toujours une certaine crainte que l’auteur n'ait été trop favorable aux sciences quil connaissait le mieux et aux savants de son école ou de son pays. Le même homme ne peut guère apprécier d’une manière complète et impartiale des ou- vrages écrits dans plusieurs langues, sur des sciences ex- 22 HISTOIRE DES SCIENCES. trêmement différentes. S'il entre dans les détails, on a de la peine à le suivre et à résumer. S'il reste dans les géné- ralités, on trouve qu’elles n’apprennent rien. Essaie-t-on soi-même de pénétrer dans le labyrinthe des faits et des théories scientifiques, on est arrêté très-vite par deux ob- stacles. L’un est l’immensité du sujet, l’autre le sentiment qu'il ne faut pas substituer sa propre opinion à celle du publie scientifique, ni surtout à l'opinion des hommes spéciaux de chaque science, qui détermine presque tou- jours l'opinion générale des savants. Dans le but d'éviter ces difficultés, je me propose d’es- sayer une méthode qui n’a pas encore été employée. Au lieu de consulter les auteurs et de mêler à leurs Ju- sements mes propres opinions, dont la valeur est nulle, excepté dans une seule science, je chercherai ce que les: principaux corps savants de l’Europe ont pensé des hom- mes qui se sont distingués depuis deux siècles. Ce n’est pas difficile, vu l’organisation même des sociétés savantes et des académies. Elles nomment toutes des associés ou correspondants étrangers. C'est-à-dire que, d'année en année, elles cherchent, parmi les savants de tous les pays et dans toutes les branches, les hommes dont les publica- tions ont le plus influé sur le progrès scientifique. Le nom- bre des titulaires de chaque catégorie est ordinairement limité, d’où il résulte une succession de comparaisons d'autant plus sérieuses qu'il y a moins de places à pour- voir. Les électeurs sont tous des savants d’un mérite re- connu. Ils sont obligés de suivre des formalités régulières de présentation, discussion et serutin, qui sont des ga- ranties, et leur impartialité doit être d'autant plus ad- mise qu'il s’agit dans ce cas de savants étrangers, avec lesquels ils n’ont guère d'intérêts à démêler, et qu'ils ju- sent nécessairement d’après leurs écrits. | HISTOIRE DES SCIENCES. 23 Sans doute on remarque des hommes d’un vrai mérite qui ne figurent pas sur les listes de membres étrangers de telle ou telle Académie, à cause de quelque négligence, ou parce qu'ils sont morts avant qu’on ait pu apprécier suf- fisamment leurs découvertes, mais ce sont des exceptions. Elles tombent tantôt sur les savants d’une catégorie ou d’un pays, tantôt sur d’autres. Lorsqu'il s’agit des corps scientifiques principaux de l'Europe, il est impossible de croire que leurs choix ne donnent qu'une moyenne des médiocrités contemporaines. Probablement s'ils ne ren- dent pas hommage à tous les hommes les plus distingués d’une époque, ils en signalent un très-grand nombre, et la moyenne des élus doit être décidément supérieure à celle des autres savants. Je citerai quelques sociétés ou académies importantes. La Société royale de Londres nomme cinquante mem- bres étrangers, pris dans toutes les sciences, hors des trois royaumes britanniques. Pourquoi serait-elle plus favora- ble à des Italiens qu'à des Français, à des Allemands qu'à des Suédois ? Elle n'a aucun motif pour ne pas les envi- sager tous de la même manière. On pourrait craindre qu’elle n’eût été quelquefois plus favorable aux mathéma- ticiens qu'aux naturalistes ou vice versà, mais le Conseil de la Société joue un grand rôle dans les élections et il est composé de savants de toutes les catégories. En fait les choix ont été tels qu'aucune branche des sciences ne pa- raît avoir été négligée. L'Académie des sciences de Paris, depuis deux siècles, a toujours conféré le titre d’associé étranger à huit savants non français. Cette limitation au chiffre de huit, pour l’ensemble de toutes les sciences, est tellement rigoureuse que des hommes véritablement illustres ont seuls pu être nommés. Il en est resté d’autres en dehors, du même mé- \ 2% HISTOIRE DES SCIENCES. rite, et il en reste surtout aujourd’hui, parce que le nom- bre des savants a beaucoup augmenté, mais la répartition des huit dans les diverses branches des sciences et les di- vers pays a dû se faire sans idée préconçue, en raison des travaux de chaque candidat au moment de chaque élec- tion. J'en donnerai plus loin la preuve pour ce qui con- cerne la division dans les catégories des sciences, mathé- matiques ou naturelles. Indépendamment des associés, l’Académie nomme des Correspondants, qui peuvent être choisis parmi les nationaux ou les étrangers. Ils étaient autrefois en nombre illimité ; dans le siècle actuel ils sont en raison d’un certain nombre pour chaque science. Le chiffre total des étrangers a été généralement de 40 à 70. Rien n'autorise à penser que l’Académie aurait penché injustement et systématiquement, à aucune époque, vers les savants de tel ou tel pays. S'il y a eu quelquefois des faveurs ou des préventions, elles n’ont pu influer que mo- mentanément et tantôt dans un sens, tantôt dans un au- tre. Le mérite scientifique se fait jour sans acception de nationalités. Au plus fort de la guerre du premier empire, la France décerna un grand prix au chimiste anglais Davy, et la Société royale de Londres ne cessa pas de s’adjoin- dre des savants français à titre de membres étrangers. Les conséquences à déduire d’un ensemble d'élections ne peuvent guère être contestées, surtout quand elles don- nent des résultats semblables. Si les deux principaux corps savants de France et d'Angleterre se sont trouvés, à une même époque, avoir nommé, je suppose, plus d'Itahens que d’Allemands, il faut croire qu'à cette époque il y avait des hommes de science plus nombreux et plus distingués en Italie qu'en Allemagne. Si, plus tard, les proportions sont devenues inverses, sur les listes des deux corps en même temps, il faudra bien admettre que la science avait HISTOIRE DES SCIENCES. 25 baissé en Italie et grandi en Allemagne. Si les savants de quelques petits pays sont nombreux sur les deux listes, anglaise et française, à telle ou telle époque, ce n'est pas par hasard ni qu'on se fût concerté. Si des pays trés-peuplés n'ont aucun représentant sur les listes ou n’en ont qu'un petit nombre, les conclusions à déduire sont tout aussi évidentes. Jamais on ne s’est entendu en- tre Paris et Londres pour favoriser ou pour exclure, donc des proportions fort analogues de savants de divers pays, telles qu'on les trouvera sur. les tableaux donnés plus loin, sont vraiment intéressantes. L'Académie royale de Berlin mérite la même attention, du moins dans le siècle actuel. Jadis elle était composée en grande partie d'étrangers, qui ne représentaient pas assez l'opinion allemande et qui pouvaient incliner trop fortement vers les illustrations de leurs propres pays. On verra cependant que les nominations ne différaient pas beaucoup de celles de Londres et de Paris. En général, ces trois grands corps scientifiques ont fait de bons choix, qui se justifient par leur similitude, quand on les rappro- che les uns des autres. Personne, ce me semble, n'aurait qualité pour substituer sa propre opinion à celle de so- ciétés aussi bien composées, procédant selon certaines formes, avec le sentiment de l'importance de leurs nomi- nations. Je parle, comme on voit, des principales sociétés ou académies, dont il y a peut-être cinq ou six, car dans les associations moins importantes on n'attache pas la même valeur aux élections et quelquefois un ou deux membres très-distingués exercent une telle influence qu'ils font nommer presque uniquement leurs amis. Les objec- tions qu’on peut faire aux choix par les principales com- pagnies n'ont de valeur qu'en ce qui concerne tel ou tel individu nommé ou exclu. Elles n’ont pas d'importance, 26 HISTOIRE DES SCIENCES. lorsqu'il s'agit de la succession et de l’ensemble. D'al- leurs quelques-unes des objections tirées d'exemples indi- viduels peuvent être tournées dans un sens favorable à la méthode proposée. Par exemple, un savant fait de grandes découvertes en peu d'années et meurt avant qu'une des principales aca- démies ait eu l’occasion ou la volonté de le nommer. Le fait est regrettable, mais, en général, les savants qui im- fluent le plus sur le progrès des sciences sont ceux qui vi- vent longtemps et qui publient pendant une longue série d'années. D'ailleurs les décès prématurés arrivent tantôt dans un pays, tantôt dans un autre, et dans toutes les catégories de sciences, par conséquent les nombres moyens de titulaires considérés par pays et par science ne peu- vent pas en être sensiblement altérés. Autre objection: les nominations ne laissent pas d'être déterminées ou influencées par des causes qui ne sont pas uniquement scientifiques. Ceci est un fait réel, J'en con- viens, mais il atteint les individus plus que les groupes d'individus. Examinons d’ailleurs de plus près les causes de sympathie où d’antipathie qui peuvent influer. Elles ne sont pas toujours aussi étrangères aux progrès de la science qu'on le suppose. Aïnsi, une académie aurait cer- tainement tort de fermer les yeux sur le mérite d’un savant par suite d'opinions politiques ou religieuses et à vrai dire cela s’est vu rarement, mais il y a d’autres considérations personnelles qui ne sont pas aussi regrettables. Le progrès des sciences exige que les savants aient entre eux des rap- ports convenables, et les sociétés ou académies peuvent exercer sur ce point une sorte de police avantageuse. Si les plagiaires, les écrivains de mauvaise foi, les querelleurs qui se plaisent aux chicanes et aux injures, si les hommes qui profitent d'une bonne position pour nuire à d’autres HISTOIRE DES SCIENCES. 27 savants, en particulier aux Jeunes gens qui débutent, si ces hommes, dis-je, sont mal vus dans les corps scientifiques, il ne faut pas s’en plaindre pour la science. Le contraire éloignerait de la culture scientifique des hommes plus nombreux et plus importants, ou rendrait les rapports tellement désagréables que la science en souffrirait. [nver- sément, si les corps scientifiques accueillent avec un peu trop de facilité des savants d’un aimable caractère, qui plaisent à la jeunesse, qui secondent volontiers leurs collè- gues, qui montrent dans les discussions un esprit de jus- tice et emploient des formes polies, je dirai même ceux qui profitent d’une bonne position de fortune pour faire des dépenses au profit de la science ou pour voyager et porter des idées nouvelles d’un pays à un autre, je ne vois pas que ce soit fort à regretter. Toutes ces considérations personnelles accessoires, les unes nuisibles, les autres favo- rables, entrent pour quelque chose dans l'influence posi- tive et utile qu'’exerce un savant. A ce point de vue en- core les listes de nominations correspondent à une réalité scientifique, et d’ailleurs ce genre d'influence, assez rare quanl il s’agit de nominations d'étrangers, porte tantôt sur une Catégorie, tantôt sur une autre, sans modifier notablement les moyennes. Les nominations académiques de membres étrangers ressemblent beaucoup aux récompenses qui sont accor- dées à la suite des expositions universelles, et en général aux prix décernés à la suite de concours. Cette comparai- son cependant fait ressortir les choix académiques. Dans un corps savant, on apprécie les candidats, non pas uni- quement d’après ce qu'ils exposent ou d’après le résultat d’une épreuve, mais d’après l’ensemble de leurs travaux pendant plusieurs années. La réunion des hommes qui comparent et décident est permanente: par conséquent 28 HISTOIRE DES SCIENCES. elle est plus responsable qu’un jury. L’amour-propre de chacun de ses membres est bien plus engagé à ne voter que pour des hommes d’un vrai mérite. Enfin, dans une expo- sition ou un concours, les jurys ont à comparer des com- patriotes avec des étrangers, tandis que dans les nomina- tions sur lesquelles je désire m’appuyer, les académiciens comparent uniquement des étrangers. | D’après tous ces motifs les nominations par les principales sociétés ou académies me paraissent un document pré- cieux, qu'on a eu tort de ne pas employer jusqu’à présent dans l’histoire des sciences. Elles désignent nominative- ment les hommes qui ont le plus influé, soit par leur génie, soit par des travaux nombreux et utiles pendant de longues séries d'années. Le détail des faits montrera si je m'abuse ou si la méthode est vraiment digne d'attention. . Cette méthode à incontestablement un avantage. Elle limite les recherches à des hommes quiont contribué spé- cialement et notablement à l'avancement des sciences. Il n'existe pas de mot pour les désigner. C’est bizarre, mais vrai, et Je suis obligé de signaler cette lacune pour m'’excuser de périphrases qu'il me faudra souvent employer. Le terme ordinaire de savant, est trop vaste. Il n’exprime pas ce que j'entends. Les hommes qui font des recherches, en vue d'idées nouvelles et de découvertes, ne constituent qu’une petite parte des savants, c’est-à-dire des gens qui savent. Il y a sans doute des hommes instruits qui ont fait aussi des découvertes, mais en revanche beaucoup d’hom- mes très-savants n’ont laissé aucune trace dans la science, et quelques hommes devenus célèbres par une découverte ou par des idées originales, n'étaient pas extrêmement savants, même en ce qui concernait leur science. Autre chose est chercher, inventer, ou apprendre et savoir. A vrai dire il y aun peu d’antagonisme entre ces deux occu- let. % HISTOIRE DES SCIENCES. 29 pations de l'esprit. Les individus fort avides d'apprendre et d'emmagasiner dans leur tête sont ordinairement peu no- vateurs, et ceux qui se lancent volontiers dans l'inconnu négligent souvent les travaux de leurs devanciers. Un excellent professeur doit savoir beaucoup; il peut ne rien découvrir. Un savant qui a fait des travaux originaux peut échouer dans un examen. Le public confond tout cela et nos langues en donnent généralement la preuve. Ainsi l'allemand possède le mot Gelehrte, dont le sens est iden- tique avec celui de savant. La langue anglaise est plus pau- vre encore, puisque l'expression learned ayant été jugée incommode comme substantif, les auteurs se sont servis quelquefois du mot français savant, introduit tel quel en anglais : « à great savant. » Il faudrait avoir un mot pour ceux qui cherchent, qui découvrent, qui inventent, ou plutôt d’une manière générale qui font faire des progres, car un livre d’érudition est quelquefois très-utile à la science. A défaut de terme spécial je serai obligé d'employer des périphrases, et si, pour abréger, je me sers du mot sa- vant sans addition, je prie le lecteur de compléter, puis- que toutes mes recherches ontété dirigées sur le nom- bre et l'histoire des savants progressistes et non des per- sonnes qui savent. 30 HISTOIRE DES SCIENCES. SECTION IT Exposé des faits. $ 1. Opinion de l'Académie des sciences de Paris sur les savants étrangers à la France, de 1666 à 1870. Le règlement qui a constitué huit Associés étrangers, pour toutes les sciences et tous les pays, est de l’année 1699. D'après l’article 5, il devait y avoir douze associés français et il pouvait y avoir en outre huit associés non français. L’habitude s'établit aussitôt d’avoir huit associés tous étangers. De nos jours encore, d’après le règlement de 1809, les associés sont au nombre de huit et nécessai- rement étrangers. On trouve la liste de ces savants illustres, avec la date de leur élection, dans l'Histoire de l’Académie royale des sciences, par Fontenelle, en particulier au volume 2 (1733), p. 345 de l'édition in-4°: dans les Tables des mémoires de l'Académie des sciences, par Godin et Demour, jusqu’en 1760 (in-%°), et les Nouvelles tables, par l'abbé Rozier, de 1666 à 1770, in-#4°, 4 vol. Paris 1775. Pour la suite il faut consulter la Connaissance des temps, V Almanach royal et enfin les Annuaires de l'Institut, petits volumes in-12, qui se publient de nos jours chaque année. C’est au moyen de ces divers documents * que j’ai dressé le tableau com- ! Un de mes amis avait eu la bonté, il y a bien des années, de consulter, à Paris, sur ma demande, certains volumes de l’ A/ma- nach royal et de la Connaissance des temps, qui sont très-difficiles à rencontrer. Il avait examiné aussi au secrétariat de l’Institut les registres des premières années de l’ancienne Académie, et avait HISTOIRE DES SCIENCES. 31 plet des associés étrangers, tableau qu’on ne trouve nulle part et sur lequel il y a cependant des observations curieu- ses à faire. Avant le règlement de 1699 l’Académie, qui remonte à 1666, avait admis quelques étrangers célèbres à titre de membres, par exemple Huyghens, Cassini, Leibnitz, et ceux d’entre eux qui vivaient en 1699 furent classés parmi les Associés étrangers du nouveau règlement. Huyghens, qui était mort en 1695, a été en quelque sorte un étranger associé, plutôt qu'un Associé étranger. Je n'ai pas voulu retrancher du tableau un savant aussi illustre, qui aurait été certainement maintenu parmi les huit s’ils’était trouvé vivant en 1699. Le plus ancien des Cassini, Jean Domi- nique, n'est pas non plus qualifié d’associé étranger, parce qu'il était devenu membre résidant à Paris en 1699. Je l'ai conservé au tableau à cause de sa naissance hors de France et de son admission dans l’Académie avant l’or- ganisation de 1699. Enfin un savant français, Moivre (ou Demoivre), après avoir été membre ordinaire de l’Acadé- mie, s'était vu forcé de quitter la France, par suite de la révocation de l’Édit de Nantes, et l'Académie l'avait classé, par exception, parmi ses associés étrangers. Il mourut quelques mois après. Je n'ai pas cru devoir le comprendre dans la catégorie des étrangers. Le tableau complet se compose, pour le laps de 205 ans ‘ 2 constaté qu’ils renferment peu de chose sur les élections. Les ou- vrages publiés par les secrétaires, dans le XVIII»: siècle, sont plus complets, parce qu'ils reposent, en partie, sur des souvenirs alors très-vivants. ? L’interruption de l’Académie pendant la révolution, de 1790 à 1802, n’a pas eu d’importance sous ie rapport des associés étran- gers. On reprit, en 1502, ceux qui existaient, et on fit immédiate- ment quatre élections pour combler les vides. Ce fut à peu près comme si l’Académie avait siégé dans les années précédentes, car, 32 HISTOIRE DES SCIENCES. d’un total de 95 noms. Il m’a paru convenable de retran- cher trois personnages d’un rang élevé (un prince et deux grands seigneurs), qui n'ont rien publié et qui avaient évidemment été nommés à titre de protecteurs des sciences dans leurs pays respectifs. Restent 92 noms de savants du premier ordre. Je donnerai sur eux quelques renseigne- ments biographiques, d’où l’on peut tirer des consé- quences assez intéressantes !. L'Académie des sciences ne tarda pas à reconnaître que huit nominations ne suffisaient pas pour rattacher à elle les savants de divers pays, qui méritaient son estime et pouvaient lui rendre des services. Elle institua des Cor- respondants. Ceux-ci, pendant tout le XVIIe siècle, ont été en nombre illimité, français ou autres. Dans la réor- ganisation de l’an XI (1802) ils furent affectés à chaque section, C'est-à-dire à chaque science, avec un nombre limité pour chacune. Dans l’origine, les correspondants étaient ceux de tel ou tel membre, avec la sanction de l'Académie. Jean-Dominique Cassini, à lui seul, en avait treize. D’après ce que j'ai vu de ces titulaires, dont je pos- dans tous les temps, il est arrivé qu’on n’a pas pourvu immédiate- ment aux places vacantes. 1 Pour ces détails, j’ai consulté les Éloges, publiés par les secré- taires perpétuels de l’Académie ; une collection de dix-neuf volumes d’éloges divers qui se trouve dans ma bibliothèque, et les grandes collections intitulées : Biographie universelle ; Conversations-Lexi- con; Encyclopédie des gens du monde; Esch et Grüber, Allgem. Encyclopedie, in-4°, publiée jusqu’à la lettre P; Vapereau, Diction- maire des contemporains; Desobry et Bachelet, Dictionnaire ; Bouil- let, Dictionnaire universel, etc.; Mortimer, Pocket dictionnary, ed. 2, London 1789; et surtout Hæœfer, Nouvelle biographie, publiée par Didot, en 46 volumes in-8°, ouvrage que j’ai toujours trouvé exact et particulièrement recommandable. Quelquefois j’ai recouru aux biographies spéciales que les auteurs de cette dernière collection ont eu le soin d’indiquer. HISTOIRE DES SCIENCES. 33 sède des listes spéciales pour 1750 et 1789, on ne peut pas dire que leurs noms permettent, à eux seuls, d’appré- cier la répartition des savants hors de la France. On nom- mait souvent alors des consuls établis dans des pays loin- tains, sans doute dans l'espoir d'obtenir par eux des informations utiles. Le nombre des correspondants non français était variable, de 30 à 40 environ. Les plus dis- tingués sont souvent devenus associés. Quelques-uns ne sont plus connus dans la science. Ceslistes demandent donc à être contrôlées par d’autres, pour qu'on puisse en déduire des conséquences historiques. Le système actuel d’élec- tion des correspondants, par science et en nombre fixe, a donné des titulaires en général mieux choisis. Les 55 à 65 correspondants non français de notre époque, réunis aux huit associés étrangers, représentent mieux que dans le siècle précédent le personnel scientifique des divers pays hors de France. Sans doute, et 1l faut souvent le répéter, il y a beaucoup de savants d’un vrai mérite, qui n’entrent pas dans une liste en nombre limité, mais le fait de la limitation, avec élection entre plusieurs candidats choisis préalablement par des hommes spéciaux, rend la liste bonne en elle-même. On comprend d’ailleurs que les omissions ne tombent pas plus sur un pays que sur un autre. Les côtés faibles du système actuel de nomination des correspondants sont: 1° la fixation, assez arbitraire, du nombre attribué à chaque science ; et 2° la proportion ar- bitraire aussi, mais peu variable, du nombre des français et des étrangers parmi les correspondants d’une section. Il y a d'excellents motifs pour choisir les étrangers et les nationaux dans un esprit un peu différent, mais il serait difficile d'expliquer pourquoi la section d'astronomie à 16 correspondants, dont il y a dans ce moment 12 étrangers, a 2 34 HISTOIRE DES SCIENCES. tandis que la section de minéralogie et géologie en a huit, dont 6 étrangers, et la section d'économie rurale dix, dont un seul étranger. Comme il est d'usage de remplacer un étranger par un étranger et un français par un français, les astronomes étrangers se trouvent avoir deux fois plus de probabilité d'être élus que les géologues et douze fois plus que les agronomes *. Ces différences du reste ne font rien au point de vue, par exemple, de la distribution par pays. Quel que soit le nombre des correspondants étran- gers pour l'astronomie, si l'Académie nomme plus d’astro- nomes d’un pays que d’un autre, il y à probablement dans le premier plus d’astronomes distingués que dans le second. Les élections étant faites au fur et à mesure des vacan- ces, ce sont les travaux antérieurs à chaque date d'élection et quelquelois des travaux anciens, qui déterminent les choix. Cela doit être vrai surtout des associés étrangers, dont il n'y à que huit pour toutes les sciences et tous les pays, excepté la France. La même observation est d’au- tant plus fondée pour chaque science que les correspon- dants non français sont peu nombreux relativement aux savants étrangers qui cultivent cette science. Ainsi l’Aca- démie n’a que trois correspondants non français pour la section de mécanique, d’où il résulte qu'on doit nommer dans ce cas surtout des hommes âgés, connus par d’an- ciens et importants travaux. La liste des titulaires d’une certaine année représente donc des hommes qui ont mar- 1 Les différences de nombre entre les correspondants pour di- verses sciences sont difficiles à expliquer. Dans le règlement con- stitutif on a admis une égalité complète de nombre pour toutes les sciences quant aux membres ordinaires de l’Académie. Chaque section à six membres. Le même principe n’a pas été appliqué aux correspondants, je ne sais pourquoi. ba HISTOIRE DES SCIENCES. 39 qué dans les dix, quinze ou vingt ans qui ont précédé, et le tableau final de 1869 ne peut guère contenir les noms des savants qui se font connaitre actuellement. Ils pour- ront être nommés plus tard, s'ils continuent à publier. Comme je l’ai dit ci-dessus, 1l m'a paru convenable de retrancher trois noms d’associés étrangers, pour avoir une liste composée uniquement de savants qui aient fait des découvertes et publié sur les sciences. Je n’ai pu dé- couvrir aucun mémoire scientifique du lord Pembroke, élu en 1710, du duc d’Escalone ‘, élu en 1715, et du prince de Lœwenstein- Wertheim, élu en 1766, Le tome IT de l'Histoire de l’Académie, où sont énumérés les travaux de chaque Associé étranger jusqu'en 1733, n'indique rien pour les deux premiers, et les divers dictionnaires se taisent complétement sur le dernier. La table géné- rale des mémoires de l’Académie de Berlin, publiée en 1871 (Verzeich. der Abhandl. 1 vol. in-8°), ne men- tionne aucun article sous son nom. Ces trois personnages présidaient des sociétés, encourageaient la culture des sciences et avaient sans doute du mérite indépendamment de leur naissance, mais on ne peut pas les compter parmi les savants proprement dits, surtout parmi les savants illustres. Après avoir défalqué leurs noms il est resté au tableau 92 savants, tous célèbres, dont 52 avant la fin du siècle dernier et 40 dans le siècle actuel. ? D’après une information de M. Colmeiro, professeur à Madrid, il y a eu successivement quatre ducs d’Escalone présidents de l’A- cadémie royale espagnole pour la langue castillane. Celui que l’A- cadémie des Sciences de Paris s’était associé doit être le duc d’Es- calone, qui a été ambassadeur d’Espagne en France. 36 HISTOIRE DES SCIENCES. TTA /E DES HUIT ASSOCIÉS ÉTRANGERS DE L’ACADÉMIE DES SCIE Date de l'élection. Noms. Science. Lieu de naissance. 1666 |Huyghens, Physicien La Haye 1669 |Gassini (J. Dominique), Astronome Perinatro (Nice) | 1672 |Rœmer (Olaus de), Astronome Aarhus (Danemark) . 1675 Leibniz’, Philos. math. | Leipzig 1682 |De Tchirnhausen, Mathém. Kissingwald (usace)} 1685 |Guglielmini, Math. Médecin] Bologne 1699 lHartsæker, Physicien Gouda 3 » Newton (Sir Isaac), Physicien Woolstrop (Angleternt » Bernouilli (Jacques), Mathém. Bâle » Bernouilli (Jean), Id. Id. » Viviani (Vincent), Id. Florence 1703 |Poli (Martin), Chimiste. Lucques 1705 |Bianchini, Astronome Vérone 1708 |Sloane (Sir Hans), Méd. bot. Killileagh (fr1.) 1715 |Marsigli, Naturaliste Bologne 1725 |De Crousaz (Jean Pierre), |Philos. Math. | Lausanne 1726 |Manfredi, Astronome Bologne 1727 |Ruysch, Anatomiste La Have | 1729 |Halley, Astronome Haggerston (Anglete 1730 |Boerrhaave, Méd. Natur. Woorhout 1731 |Morgagni, Anatomiste Forli 1753 |Wolphius (Christ. Wolff), [Philosophe Breslau 1739 |Poleni, Physic. archit.| Venise 1740 |Cervi, Médecin Parme 1743 |Folkes (prés. S. R. de L.), |Antiq. chimist.| Londres 1748 |Bernouilli (Daniel, fils de Jean), Mathémat. Groningen » Bradley, Astronome Sherburn (Angleterre Bb À U HISTOIRE DES SCIENCES. 01 TABL. I S NOMMÉS DEPUIS LA FONDATION EN 1666 JUSQU'EN 1870 Nationalité 2, Hollande Italie Danemark Allemagne Allemagne Italie Hollande Id. Angleterre Italie Suisse Italie Hollande Angleterre Hollande Italie Allemagne Italie Id. Angleterre Suisse Angleterre Culte 2. VV VNNTOTTTAOTOTANNTTTTA TTAT Profession ou position sociale du père. Diplomate, ministre d'Etat. Noble. Sans fortune. Professeur de morale. Noble. De la classe moyenne. Pasteur. Petit proprietaire Gentleman. Bourgeois de Bâle, membre du G* Conseil. Id Noble. Position aisée. Noble. Collecteur de taxes “. Noble. Officier. Notaire. Magistrat. Fabricant de savon. Pasteur. Propriétaire. Brasseur. Noble. Gentleman. Mathématicien. Gentleman. 38 1762 1764 1772 SUITE DU TABLEAU I. Noms. Van Swieten, Hales, Haller (Albert de), Macclesfield (Lord), Euler (Léonard), Jablonowski (Prince), Linné, Douglas (Comte Morton), De la Grange, Franklin, Margraff, Tronchin, Pringle (Sir John), Hunter, Bergmann, Bernouïlli (Jean I), Wargentin, Bonnet (Charles), Euler (fils, J. A.) Priestley, Camper, Banks (Sir Joseph), Black (Jos.), Herschel (William), De Saussure (Hor. Ben.), Maskelyne, Rumford (Thompson C* de), Pallas. Cavendish (Lord Henri), Volta, Klaproth, De Humdoldt (Alex.), Jenner, Werner, Watt (James), Scarpa, Piazzi, Davy (Sir Humphrey), Gauss, Berzelius, Wollaston, De Candolle (A.P.), Science. Médecin Physiol. phys. Anatom. etc. Astronome Mathém. Astronome Naturaliste Astronome Géomètre Physicien Chimiste Médecin Médecin Anatomiste Chimiste Mathém. Astronome Philos. natur. Mathem. Chimiste Anatomiste Naturaliste Chimiste Astronome Physic. géolog. Astronome Physicien Voyag. natur. Physicien Chimiste Voyag. physie. Médecin Minér. géolog. Mécanicien Anatomiste Astronome Chimiste Mathémat. Chimiste Id. Botaniste Lieu de naissance. Leyde à Beckboune (Angleter! Berne { Bâle 4 Pologne x Rœæshult (Suède) 4 Turin b Boston je Berlin ; Genève Stichelhouse (Écossl Kilbridge (Ecosse) Katherinenberg Bâle Û Stockholm k Genève h St, Petersbourg . Fieldhead (Angletei Leyde Londres i Bordeaux £ Hanovre : Genève Londres } Woburn (Massach.) M Berlin ù Nice u Come A Wernigerode N Berlin 2 Berkeley (Angleterr Waran (Silésie) À Greenock (Ecossc) M Motta (Frioul) Ponte (Valteline) Penzance (Angleterre) Brunswick Westerlüsa Londres Genève HER Fr Dr si: -Unis in ;, Genève lres a, Berlin, Paris Nationalité. Hollande Angleterre Suisse Angleterre Suisse Pologne Suède Angleterre Italie Etats-Unis Allemagne Suisse Angleterre Id. Suède Suisse Suëècke Suisse Russie Angleterre Hollande Angleterre Id. Allemagne Suisse Angleterre Etats-Unis Allemagne Angleterre Italie Allemagne Id. Angleterre Allemagne Angleterre Italie Id. Angleterre Allemagne Suède Angleterre Suisse Culte. oo En nn een D OS mo So D ED ET T7 SUITE DU TABLEAU I. » Profession ou position sociale du père. Rentier. Noble (baronet). Avocat et littérateur. Noble. Pasteur. Noble. Pasteur. Noble (Pair d’Ecosse). Noble. Teinturier. Pharmacien. Banquier. Noble. Petit propriétaire. Employé de l’adm. des domaines. Mathématicien. Pasteur. Magistrat. Mathémat. illustre. Apprêteur de draps. Ministre prot. et rentier. Proprietaire rentier. Négociant écossais, établi à Bordeaux. Prof. de musique. Proprietaire agronome. De fortune moyenne. Proprietaire agriculteur. Prof. de chirurgie. Noble (Pair d'Angleterre). Noble. De la classe moyenne. Noble. Pasteur. Inspecteur des forges. Ingenieur entrepreneur. Négociant. Proprietaire. Doreur, sculpt. sur bois. Sans fortune. Pasteur. Id. (Magistrat. 39 40 SUITE DU TABLEAU I. Date de l'élection. Noms. Science. Lieu de naissance. 1827 [Young (Thomas), Médec. physic.| Milverton (Angleterre 1829 |Olbers, Mathém. Arbergen 1830 Dalton, Physicien Eaglesfield (Angleterr » Blumenbach, ZLoologiste Gotha | 1832 |Brown (Robert), Botaniste Ecosse 1840 |De Buch, Géologue Stolpe » Bessel, Astronome Minden 1842 |Œrsted (J. Christ.) Physicien Rudkjæbing 1844 |Faraday, Chimiste Newington près Londi 1816 |Jacobi, Astronome Potsdam | 1849 |Brewster (Sir David), Physicien Sedburgh (Ecosse) 1851 [Tiedemann, Anatomisle Cassel 1852 |Mitscherlich, Minéralog. Neurade | 1854 |Lejeune-Dirichlet, Mathém. Düren (Prusse rhénanÿ 1855 |Herschel (fils, Sir John), |Astronome Slow près Windsor 1859 Owen, Zoologiste Lancaster (Angleterreh 1860 |Plana, Astronome Voghera 1 Ehrenberg, Naturaliste Delitsch (Saxe) 1861 |Liebig, Chimiste Darmstadt 1864 |Wæbhler, Id. Eschersheim » De la Rive (Auguste), Physicien Genève 1868 |Murchison (Sir Roderick I.),|Géologue Taradale (Ecosse) Kummer, Mathém. 1 Ont été considérés comme d’un même pays: 1° les Écossais, Anglais et Irlandais; 2° les Italiens de tous les États d'Italie; 30 les Allemands de l’ancienne confédération; 4° les Suisses des divers cantons et des pays autrefois alliés à la Suisse, comme Ge- nève et Neuchâtel. Cependant la Valteline, autrefois suisse, à été | 1870 * considérée comme italienne. 2? La lettre P. signifie protestant, la lettre C. catholique. 8 La véritable orthographe du nom n’est pas Leibnitz, maïs Leiïb- niz, d’après l’indication donnée dans la Nouvelle biograplue, par Hæfer, au mot Leibniz. 4 Sloaneétait d’une famille écossaise établie depuis peu en Irlande. 5 En 1869, 1870 et 1871, il n’y a pas eu de nominations. En 1872, l’Académie à nommé M. Agassiz, naturaliste suisse (fils d’un pasteur du canton de Vaud), et M. Airy, astronome anglais. Ils ne sont pas sur le tableau, parce que mes documents ont été arrêtés, pour toutes les Académies, à l’année 1869. Peut-être faut-il regretter que l'Académie n'ait pas SUITE DU TABLEAU I. 41 1 de domicile Nationalité. | Culte. Profession ou position sociale du père. es Angleterre! P. [Négociant (de la Soc. des amis soit Quakers). en Allemagne] P. (Pasteur. ester Angleterre! P. ([Négociant (de la Soc. des amis soit Qualkers). gen Allemagne! P. |Pasteur. es Angleterre, P. Id. L Allemagne! P. Noble. gen Id. Conseiller de justice. hagen Danemark! P. Pharmacien. es Angleterre! P. [Maréchal ferrant. ‘sberg Allemagne Négociant. )ourg Angleterre, P. [Directeur d’une école. fort Allemagne Philosophe. Id. P. (Pasteur. Id. es Angleterre! P. |Astronome illustre. Id. Fi Italie C. Noble. Allemagne! P. Employé municipal. (] Id. P. ([Droguiste. gen Id. P. |Sans fortune. e Suisse P. Docteur, professeur et Magistrat. es Angleterre! P. |Gentleman. Allemagne! P. |Médecin. augmenté de temps en temps le nombre de ses Associés étrangers. Le chiffre de huit, fixé à l’époque de Newton, n'est plus suffisant, le personnel des hommes de science ayant quadruplé ou quintuplé, si ce n’est décuplé, et les sciences s'étant beaucoup ramifiées. Aujourd'hui quinze ou vingt associés étrangers représenteraient à peu près les huit du commencement du XVII siècle. On peut en juger par les listes de présentation, quand il y a une élec- tion d’associé. Elles contiennent quelquefois des noms 42 HISTOIRE DES SCIENCES. tellement égaux et tellement illustres que l'Académie fe- rait une bonne nomination même en tirant au sort. Par ce motif, il sera convenable d'attribuer de l’impor- tance aux listes de correspondauts. Elles complètent un peu l’énumération des savants que l’Académie a voulu distinguer, mais elles sont si étendues et il est si difficile de les obtenir pour les époques un peu anciennes, que je me suis borné aux listes des années 1750, 1789, 1829 et 1869, c'est-à-dire à 39 ou 40 ans d'intervalle pendant deux siècles ‘. J’intercalerai dans la liste des correspon- dants de chacune des quatre années les associés étrangers qui existaient alors, afin de montrer l’ensemble des sa- vants plus où moins illustres que l’Académie avait hono- rés de ses suffrages. Dans le tableau des associés étrangers et dans celui des correspondants et associés qui va suivre, l’indication des nationalités n’est pas tirée des documents officiels, car 1ls indiquent seulement les résidences. J'ai été obligé de faire de nombreuses recherches pour l’établir et1l s’est présenté plusieurs difficultés. Dans les cas douteux, je n'ai pas cru convenable de partir uniquement de la nationalité pohti- que des individus, laquelle dépend un peu trop des lois de chaque pays. J'ai été obligé de tenir compte quelquefois du lieu de naissance, de l'origine du père et même du pays dans lequel un savant a été élevé ou a vécu, car 1l s’agit ici de nationalitésréelles et intellectuelles, plutôt que politiques et légales. Cavendish, fils d’un membre de la Chambre des pairs d'Angleterre, était né à Nice, mais 1l a été élevé et a 1 J'avais d’abord pensé aux années 1750, 1790, 1830, 1870; mais on voit que je serais tombé sur trois époques de révolutions ou de guerres. Les années 1789, 1829 et 1869 ont l’avantage de ter- miner des époques de tranquillité, pendant lesquelles rien n’a pu altérer les relations entre les savants de divers pays. HISTOIRE DES SCIENCES. 43 vécu en Angleterre: je l'ai considéré comme Anglais. Black, fils d’un négociant de famille écossaise, établi à Bordeaux. était né à Bordeaux, mais il a été élevé et a vécu à Édim- bourg : je l'ai aussi compté comme Anglais. Van Swieten, né en Hollande, d'un père hollandais, s'était fixé à Vienne : je l’ai considéré comme Hollandais. De même Herschel père, né en Allemagne, établi en Angleterre, est compté comme Allemand : tandis que Herschel fils, né en Angleterre, où il a toujours vécu, est compté comme An- glais. En suivant les mêmes principes, je me suis cepen- dant trouvé dans l'embarras pour fixer la vraie nationa- lité scientifique de La Grange et Euler fils. Le premier est né à Turin, d’une famille d’origine française, alliée à celle de Descartes !. Son père déjà était né en Italie. Ainsi de La Grange était plus Italien que Herschel fils n’était An- glais. Il avait été élevé à Turin et y enseignait les mathé- matiques, lorsqu'il fut appelé à Berlin pour devenir mem- bre de l’Académie des sciences. Plus tard il vint résider à Paris. D’après l’ensemble de ces faits, et en partant des mêmes points de vue que ci-dessus, je n’ai pas considéré de La Grange comme Français, mais plutôt comme Italien. Dans le fait, s'il avait été Français, l’Académie n'aurait pas pu le nommer associé étranger. Albert Euler est né à Saint-Pétersbourg, où son père, l'illustre Léonard Euler, de Bâle, était professeur. 1 à véeu en Russie, en Allemagne et en France. Après beau- coup d’hésitation, je l'ai classé comme Russe, à cause des deux faits de sa naissance et de son éducation en Russie. 1 Quelques ouvrages mentionnent de La Grange comme petit-fils de Descartes. C’est une erreur. J’ai suivi la notice très-exacte que M. Maurice, ami de La Grange, a insérée dans la Biographie uni- verselle. HISTOIRE DES SCIENCES. Æ = TABLEAU ŒI ACADÉMIE DES SCIENCES DE PARIS LISTE DES ASSOCIES ÉTRANGERS ET DES CORRESPONDANTS NON FRANÇAIS A QUATRE ÉPOQUES DIFFÉRENTES, CLASSÉS PAR NATIONALITÉS N.B. Les noms marqués d’une * sont ceux des huit Associés étrangers. Associés et Correspondants de 1750 NOMS ET NATIONALITÉ. RÉSIDENCE !. SCIENCE *. Allemagne * Wolff Marburg Philosophie. Breyn Dantzig Botaniste Kœnig (Sam.) La Haye Mathématicien. Gunz Leipzig Médecin, anatom. Rose (M.) Wittenberg Physic. astronome. Angleterre * Sloane Londres Médecin,botaniste. * Bradley Greenwich Astronome. * Folkes Londres Antiquaire, chim. Cheselden Id. Chirurgien. Mortimer . Id. Médec. (secr. soc. roy.) Gordon Ecosse Physicien. Espagne Jacobé Séville Médecin, anatom. Ulloa Madrid Chimiste. | Alvarès de Vera * [Santa Fé de Bogota George (Juan) Madrid Mathématicien. Hollande * Van Swieten Vienne Médecin. Musschenbræk Leyde Physicien. mis SUITE DU TABLEAU II. 45 | NOMS ET NATIONALITÉ. | | Italie Morgagni *Poleni Bianchi (le Père) Garo (le Père) Zanotü Torre (le Père de la) Boscowich | Suède | Pilanderhielm Linné Klingenstierna | De Geer Wargentin Suisse * Bernouilli (Daniel) Garcin ° Chezeaux Jallabert Trembley (Abrah.) Bonnet (Charles) (Total 35 noms.) Padoue Id. Turin Id. Bologne Naples Rome Stockholm Upsal Id. Stockholm Upsal Bâle Neuchâtel Lausanne Genève Londres Genève RÉSIDENCE. SCIENCE. | Anatomiste. Physic. architecte. Anatomiste. Physicien. Astronome. | Physicien. Mathématicien. Chimiste. INaturaliste. Astronome. Physicien. INaturaliste. Id. Associés et Correspondants de 1789 Allemagne Forster Wallot Schæffer Angleterre | Priestley [ Banks * Black Blagden Simmons Pigott Belgique Halle Oppenheim Ratisbonne Londres Id. Edimbourg Londres Id. York Chevalier (chanoine)| Bruxelles Danemark Bugge Espagne Ulloa Tofino Copenhagen Cadix Id. INaturaliste. { IMathématicien. |Naturaliste. 'Astronome. Mathématicien. Voyageur natural. Astronome. Botaniste. Chimiste. Naturaliste. Chimiste. Id. 9 Astronome. Astronome. Chimiste. Astronome. 46 | SUITE DU TABLEAU II. NOMS ET NATIONALITÉ. RÉSIDENCE. Valera Cadix Ortega Madrid | États-Unis * Franklin Boston Hollande | Van Maer La Haye | Van Swinden Amsterdam Van Marum Haarlem * Camper Frise | Hongrie | Hell Vienne Italie * De la Grange Turin, Berlin, Paris Malvezzi (Comte) |Bologne Troia Naples Volta Pavie Spallanzani Id. Lorgna (A.-M.) Vérone Pologne Poczobut Wilna Jackniewitz Cracovie Portugal Magalhaens (Magellan) Londres Russie * Euler, fils St-Pétersbourg Suède Ferner Stockholm Melander Upsal Thunberg Id. Suisse * Bonnet (Ch.) Genève Le Sage (George) Id. De Luc (J.-André) Id. De Saussure (H.-B.)| Id. Mallet Id. (Total 39 noms.) SCIENCE. 9 Botaniste. Physicien. ? Physicien. Id. Anatomiste. Astronome. Mathématicien. Id. Naturaliste ? Physicien. Naturaliste. Mathématicien. Astronome. Id. Physicien. Mathématicien. Physicien. Astronome. Botaniste. Naturaliste. Physicien. Id Physicien, géolog. Astronome. Associés et Correspondants de 1829 | Allemagne "De Humboldt Berlin * Gauss Gôttingen *Olbers Bremen Voyag' physicien. Mathématicien. Id. SUITE DU TABLEAU II. NOMS ET NATIONALITÉ. Pfaff De Wiebeking Harding Burg Bessel RÉSIDENCE. Halle Munich Gôttingen Vienne Kænigsberg Lindenau (Baron de)|Gotha Bœhnenberger Encke Seebeck Stromeyer De Moll De Buch Mitscherlich Kunth De Martius Link Schwerz Blumenbach Sæmmering Tiedemann Rudolphi Hufeland Angleterre Davy * Young (Thomas) Ivory Pond Brisbane Kater Brinkley Scoresby Leslie Brewster Barlow Dalton Hatchett Faraday Conybeare Brown (Robert) Smith Bracy-Clark Everard Home Gilbert Blane Stuttgard Berlin Id. Güttingen Munich Berlin Id. Id. Munich Berlin Hobhenheim Güttingen Munich Landshut Berlin Id. Greenwich Ecosse Londres Dublin Londres Edimbourg Id. Woolwich Id. Londres SCIENCE. Mathématicien. Mécanicien. Astronome. Physicien. Id. Chimiste. Minéralogiste. Géologue. Minéralogiste. Botaniste. Id. Id. Agriculteur. Zoologiste. Anatomiste. Id Ï d. Médecin. Chimiste. Médecin, physic. Mathématicien. Astronome. Id. Id. Id. Voyageur. Physicien. Id. Id. Chimiste. Id. Id. Minéralogiste. Botaniste. Id. Agriculteur. Anatomiste. Médecin. 48 SUITE DU TABLEAU II. NOMS ET NATIONALITÉ. RÉSIDENCE. SCIENCE. | Belgique Lallemand Bruxelles Géomètre. Van Mons Id. Chimiste. Danemark OErsted Copenhague Physicien. Calisen Id. Médecin. États-Unis Warden New-York Géographe. Hollande | De Krayenhoff Amsterdam Géographe. Van Marum Haarlem Physicien. Hongrie De Zach Gênes Astronome. Italie * Scarpa Pavie Anatomiste. Paoli Pise Mathématicien. Plana Turin IQ. De Fossombroni Florence Mécanicien. Oriani Milan Astronome. Buniva [Turin Agriculteur. Fodera Naples Médecin. Russie L De Krusenstern St-Pétersbourg |Géographe. Suède * Berzélius Stockholm Chimiste. Svanberg Id. Astronome. Arfwedson Id. Chimiste. Suisse * De Candolle (A.-P.) Genève Botaniste. De Saussure (Th.) Id. Chimiste. De Châteauvieux Id. Agriculteur. Maunoir Id. Chirurgien. Huber (père) Id. Zoologiste. * (Total 69 noms.) Associés et Correspondants de 1869° A 1 CE A OR 27 I EI Allemagne | Ehrenberg Berlin Naturaliste. * Liebig Munich Chimiste. * Wôbler Gôüttingen Id. * Kummer Berlin Mathématicien. Neumann Kænigsberg Id SUITE DU TABLEAU II. NOMS ET NATIONALITÉ. Weierstrass Kronecker Clausius Hansen Argelander Peters Magnus Weber (W.) Mayer (Jules R. de) Kirchhoff Bunsen Hofmann (Aug.-W.) Helmholtz Rose (G.) Haidinger Naumann (Carl-Fr.) De Mohl (Hugo) Braun (Alex.) Hofmeister | Pringsheim _ Carus : Purkinje De Siebold(C.-T.-E.) } Wirchow Angleterre | Sylvester : Moseley : Fairbairn ” Herschel fils (Sir John) | Airy | Hin (John-Russell) : Adams (J.-C.) Cayley (Arthur) Mac Lear Richards (cap. 6.-H.) Livingstone Forbes (J.-David) | Wheatstone Graham | Frankland (Ed.) |: Sedgwick | Lvell (Sir Ch.) * Murchison (Sir R.) : Hooker (Jos. D.) "Owen Londres Édimbourg Londres Id. [d. Cambridge Londres Id. Kew Londres RÉSIDENCE. | SCIENCE. Berlin Mathématicien. Id. Id. [Wurtzburg Mécanicien. Gotha Astronome. Bonn Id. Altona Id. Berlin Physicien. Güttingen Id. Heïlbronn Id. Heidelberg Id. Heidelberg Chimiste. Londres Id. Berlin Id. Berlin Minéralogiste. Vienne Géologue. Leipzig Minéralogiste. Berlin Botaniste. Id. Id. Heidelberg [d. Berlin Id. Dresde Anat. zoologiste. | Breslau Id. Munich Id. Berlin Médecin. Woolwich Mathématicien. Londres Mécanicien. Manchester Id. Londres Astronome. Greenwich Id. Londres Id. Cambridge Id. Londres Id. Cap de Brre Espér*| Id. Géographe voyag. [d. | Phyvsicien. Id. Chimiste. Id. | Géologue. | Id. Id. Botaniste. Zoologiste. 4 0 SUITE DU TABLEAU Il. = ET NATIONALITÉ. RÉSIDENCE. SCIENCE. | Belgique | Plateau Gand Physicien. Omalius d'Halloy Halloy Géologue. Van Beneden Louvain Zoologiste. Italie | Santini Padoue Astronome. Secchi (le Père) Rome Id. Cornalia Milan Agronome. Norwége | |: Hansteen Christiania Physicien. Russie | | Tchébycheff St-Pétersbourg | Mathématicien. Struve (0. W.) Pulkowa Astronome. Demidotf St-Pétersbourg |Voy' géographe. Wrangell(Amiralde)| fd. ne Ed Lütke (Amiral) Id. Id. Tchibatcheff(P'e de), Id. Id. Baer (de) Id. Anatom. z0olog'. Suisse * De la Rive Genève Physicien. Plantamour Id. Astronome. Marignac Id. Chimiste. De Candolle (Alph.)|. Id. Botaniste. Agassiz Etats-Unis ZLoologiste. Pictet (Fr. J.) Genève Id. (Total 69 noms.) 1 La résidence est donnée d’après les documents de l’Académie. 2 L’indication de la science n’est pas dans les documents de l’A- cadémie au XVIII" siècle. Depuis 1802 elle résulte de la distinc- tion par sections. 3 Alvarès de Vera, lieutenant-colonel, assesseur du vice-roi de Grenade, surintendant de la Monnaie, correspondant attaché à M. de la Condamine. D’après ses emplois, il était probablement né en Espagne, mais je ne puis l’affirmer. 4 Boscowich était né à Raguse, république indépendante, ensuite soumise à Venise. Il était ecclésiastique catholique et à vécu surtout à Rome. J'ai cru pouvoir le considérer comme Italien. 5 La liste copiée sur la Connaissance des temps porte Gersin, à Neuchâtel. J’ai pensé qu’il s'agissait de Garcin (Laurent), natura- liste qui a vécu à Genève, Neuchâtel et Vevey. 6 L'Annuaire de l’Institut en 1869 indique un nombre inusité de vacances parmi les correspondants. J’ai complété la liste en prenant dans les Comptes rendus de l’Académie des sciences les nominations faites dans la seconde moitié de 1869 et dans les premiers mois de 1870. Le total se trouve ainsi de 69, comme en 1829. Le HISTOIRE DES SCIENCES. 51 $ 2. Opinion de la Société royale de Londres sur les savants étrangers à la Grande-Bretagne, à quatre époques successives de 17 50 à 1869. La Société royale de Londres, fondée en 1662, a dès l'origine admis des étrangers, mais leurs noms étaient mêlés avec ceux des autres membres, et cet état de choses a continué pendant longtemps. Vers le milieu du XVIIe siècle, le nombre des étrangers étäit considérable et illi- mité. En 1750, d’après une liste qui a été dressée avec beaucoup de soins, sur ma demande, au moyen des an- ciens registres ‘, il y avait 150 membres étrangers, qui se composaient : 1° de littérateurs célèbres, comme Voltaire et Montesquieu ; 2° de savants, comme Euler, dela Condamine, Nicolas Bernouilli, Charles Bonnet, Buffon, Haller, du Hamel, Morgagni, Réaumur, Wolf, etc.; 3° d’une infinité d’hommes aujourd'hui inconnus, qui sans doute n’avaient pas d’autres titres que celui d’amis de la science et des sociétés savantes. On ne peut tirer aucune conséquence d’un assemblage de noms aussi hétérogènes. J'ai été obligé d'en exclure tous les individus qui n’ont pas écrit sur un sujet scientifique. Plus tard, la Société fit dresser des listes séparées de ses membres étrangers, et enfin elle limita le maximum de leur nombre à cinquante, sans qu'on ait pu m'indiquer précisément dans quelles années ces deux chan- gements ont été effectués. En 1789, la liste des membres étrangers était encore de 96 noms d'une nature très-variée : c’est probablementdanslesiècle actuel que l'usage s’estétabli de ne pas dépasser 50, et de nommer uniquement des sa- vants connus par des ouvrages publiés. Depuis plusieurs ? Je dois ce travail à l’obligeance de feu le D' Roget, ancien se- crétaire de la Société royale. Les documents modernes sont tirés des publications de la Société. 52 HISTOIRE DES SCIENCES. années que la Société a établi le maximum de 50, elle n’a pas eu l'habitude de tenir ce chiffre complet. Elle se ré- serve plutôt délire quelques étrangers (/oreign members) quand le nombre s’en trouve réduit à #4 ou 45 environ, ce qui à l'avantage de procurer des choix plus réfléchis, représentant mieux les diverses branches des sciences. La liste pour 1789 à été dressée sur une liste impri- mée, de 96 noms, où j'ai retranché, comme sur la liste ma- nuscrite de 1750, quelques princes ou grands seigneurs qui n'ont rien publié, un Anglais établi à Bruxelles (Mann), plusieurs membres de l’Académie des inscriptions et belles-lettres de Paris, comme Raynal, Hayne (Christ. Fréd.) de Gœttingen, érudit célèbre, enfin plusieurs noms absolument inconnus. J’ai conservé naturellement tous ceux qui étaient désignés comme membres des Académies des sciences de Paris, de Berlin, Bruxelles, Stockholm, etc. Après ces épurations il est resté 72 et 65 noms de savants connus, pour les listes des années 1750 et 1789. La question de nationalité était quelquefois difficile à résoudre. Berthollet a été classé comme Français, quoique la Sa- voie, où il est né, ne fût pas encore française en 1789. George Cuvier était né en 1769 dans la principauté alle- mande de Montbéliard et avait fait ses études à Stuttgardt. J'ai cru devoir le considérer comme Français à cause de la réunion définitive de Montbéliard à la France depuis la Révolution et de sa résidence prolongée à Paris. M. Milne Edwards, né à Bruges, d’un père anglais, ayant été reçu docteur à Paris, où il s’est fixé définitivement, j'ai pensé devoir le compter comme Français. Ceci est un peu con- traire à l’opinion admise plus haut de considérer Her- schel père comme Allemand. Il y a pourtant cette différence que l’illustre astronome était arrivé d'Allemagne en An- e à LA HISTOIRE DES SCIENCES. 53 gleterre moins jeune que M. Milne Edwards en France. Il était né et avait été élevé d’abord dans son pays d’origine, tandis que M. Edwards est né et a été élevé hors d’An- oleterre. J'ai suivi du reste l'opinion de la Société royale de Londres, qui a considéré M. Edwards comme étran- ger, en le nommant un de ses foreign members. Le Sage a été attribué à Genève, parce que son père, né Français, était fixé dans cette ville et que lui-même était né et avait vécu à Genève. En 18929, le nombre maximum des membres étran- gers était déjà fixé à 90. La liste imprimée contient 49 personnes, desquelles il m'a fallu retrancher Bowdich, voyageur en Afrique, à Madère, etc., qui était Anglais de naissance. ABLE AU ."ITTE LISTE DES MEMBRES ÉTRANGERS DE LA SOCIÈTÉ ROYALE DE LONDRES A QUATRE ÉPOQUES, CLASSÉS PAR NATIONALITÉS | Société royale de Londres en 1750 NOMS ET NATIONALITÉ. RÉSIDENCE !. SCIENCE !. Allemagne Breynius (Jos.-Phil.) |Dantzick Naturaliste. Dehn (D° von) Médecin. | Gersten (Christ.-Lud.) Astronome. | Klein (Jac.-Théod.) Naturaliste. | Heister (Laurent) Helmstadt Id. | Lieberkuhn (J.-Nath.) Analomiste. | Liebknecht (J.-Georg.) Mathématicien. | Müller (Ger.-Fréd.) Voyag' géographe. Trew (Christ.-Jac.) Nurenberg Botaniste. Weidler (Joh.-Frid.) Astronome. Wolfius (Christ.) Marburg Philosophe. 54 | ER RL SE CE MDP LE PDP D LV I Om SUITE DU TABLEAU III. NOMS ET NATIONALITÉ. Espagne Belidor (Bern.) Ulloa (Ant.) France RÉSIDENCE. Catalogne D’Alembert (Le Rond) [Paris Bon de S'-Hilaire (Xav. de) Montpellier Buffon (de) Hellot (Jean) Cassini (Jacq.) Castel (Louis) Duhamel du Monceau Le Cat (Claude-Nic.) La Chapelle (Abbé de) Clairaut (Alexis) De la Condamine Le Dran (H.-F.) Godin (Lud.) Garengeot (Ren.-Jac.) Geoffroy (Claud.-Jos.) Jacquier (François) Grand-Jean de Fouchy De L'Isle (Jos.-Nic.) De Gua (Jos.-Paul) De Jussieu (Ant.) De Jussieu (Bernard) De la Grive Lieutaud (Joh.) De Mairan (J.-4. Dustour) De Maupertuis (P.-L.) Le Monnier (Guill.) Le Monnier (P.-Ch.) Paris Id. Id. Paris Id. Rome Paris Id. Id. Id. Trianon Secondat deMontesquieu| Bordeaux Morand (Salvator) Nollet (Jac.-Ant.) Petit (J.-Louis) Pitot De Réaumur (René-Ant.) Le Seur (Thom.) Hollande Baster (J.) De Lvonet (P.) Paris Id. Id. Languedoc Mussehenbrœæk (P. van)|Utrecht Van Royen (Adrien) De Superville (Dan.) Beyreuth SCIENCE. | Ingénieur. | Astron., chimiste. Mathématicien. Naturaliste. Id. Chimiste. Astronome. Mathématicien. Naturaliste. Chirurgien. Mathématicien. Id. Astronome. Chirurgien. Astronome. Chirurgien. Chimiste. Mathématicien. | Astronome. | Id. Id. Botaniste. Id. Archit. géomètre. Médecin. Physicien. Géomètre. Médecin. Astronome. Agronome. Chirurgien. Physicien. Chirurgien. l Géomètre, ingén”. Physicien, natural. Mathématicien. Naturaliste. Physicien. Botaniste. Médecin. » de CES SUITE DU TABLEAU NI. OMS ET NATIONALITÉ. Italie Algarotti (Fr.) Beccari (Jac.-Barth.) Castillioneus (Joh.) * Cocchi (Ant.) Crivelli (Joh.) Marinori (Joh.-Jac.) Morgagni (Joh.-Bapt.) Poleni (Joh., marquis) Zanotti (Eusth. ) Zanotti (Fr.-Maur.) Portugal Moura (Ben. de) Russie Fischer (Joh.-Benj.) Suède Klingenstierna (Sam.) Suisse Allamand (Fr.) Bernouilli (Nic.) Bonnet (Ch.) Euler (Léonard) Garcin (Laurent) Haller (Albert de) Jallabert (Joh.) Trembley (Abraham) Cramer (Gabriel) (Total 74 noms.) RÉSIDENCE. Turin Berlin Pise Venise Lausanne Bâle Genève Bâle SCIENCE. | Physicien, etc. Médecin, anatom. | Géomètre. Médecin. Mathém., physic?. Mathématicien. Anatomiste. Physicien. Astronome. |Physic" et natural. Physicien. Naturaliste. Mathématicien. Neuch!,Vaud Genève Naturaliste. Berne Genève Id. Id. | Id. Physicien. Naturaliste. Mathématicien. Société royale de Londres en 1789 Allemagne Bode, Academiæ berol. De Born (baron) Crell (Laurent) Gærtner (Jos.) Hedwig (Joh.) Kærstner Pallas (Simon) Schæfter (Jac.-Christ.) Meuschen (Fr.-Ch.) Berlin 'Helmstadt |Calw Leipzig Id. (Ratisbonne Hanau | | | Astronomes (Prague, Vienne /Minéralogiste. Médecin. Botaniste. | Id. Mathématicien. S'-Pétersbourg|Vovag” natural*. Botaniste. Zoologiste. Mathématicien Ê : | Naturaliste. | Mathématicien. | Naturaliste. | 56 SUITE DU TABLEAU Il. NOMS ET NATIONALITÉ. RÉSIDENCE. SCIENCE. Belgique Chevalier (Jean) Bruxelles Astronome. Limbourg (J.-Phil. de) Médecin. Danemark Bugge Copenhague |Astronome. Espagne Ortega (Cas.-Gomez) [Madrid Botaniste. Ulloa (Ant.), amiral Astron., chimiste. Etats-Unis Bowdoin (Jacob) Boston Physicien. France Adanson Paris Botaniste. Berthollet Id. Chimiste. Bougainville (de) Id. Navigateur. Cassini (Jac.-Dom.)* Id. Astronome. Chabert (de), amiral Toulon Navigateur, De la Chapelle (J.-Bapt.) Mathématicien. Daubenton Paris Botaniste. Grand-Jean de Fouchy Id. Astronome. De Lalande Id. Mathématicien, Lavoisier [d. Chimiste. Legendre Id. Mathématicien. Mechain (P.-Fr.-Andr.) | Id. Astronome. Messier (Charles) Id. Id. Le Monnier (L.-Guill.) Id. Médecin, natural*. Le Monnier (P.-Ch.) Id. Astronome. Guyton de Morveau Id. Chimiste. | Perronet (J.-Rod.) Id. Ingénieur. De la Place Id. Mathématicien. Poissonnier (Pierre) Id. Chimiste. Le Roy (Jn-Bapt.) Id. Pnysicien. De Secondat Bordeaux Agronome. Sejour (P.-A.-D. du) Paris Astronome. Sue (Jean-Jos.) Id. Médecin, anatom. Hollande Jacquin (Nic.-Jos.) Vienne Botaniste. Vau Royen (David) Leyde Id. Italie Allioni Turin Botaniste. Caldani (Marc-Ant.-L.) |Padoue Anatomiste. Carburi (J.-B.), comte Médecin. Castiglione (Jean) Géomètre Cigna (J.-Fr.) Turin Médecin. Lorgna Vérone Astronome. 4 SUITE DU TABLEAU II. | NOMS ET NATIONALITÉ. | RÉSIDENCE. SCIENCE. Marsigli Padoue Naturaliste. Spallanzani Pavie Id. Stratico (Simon) Padoue Mathématicien. Toaldo Id. Physicien. Norwége Ascanius (P.) Minéralogiste. Pologne Poczobut Astronome. Portugal | Almeida (Théod.) Physicien. | Russie | Rasumowski (comte) |S‘-Pétersbourg Naturaliste Suède | Bergius (F.) Stockholm |Naturaliste. Ferner (Bened.) Id | | Thunberg Upsal Botaniste. | Wilcke (Joh.-Car.) Stockholm 1? (Secrét. SR. de Stock ) Suisse | Bonnet (Charles) Genève INaturaliste. De Luc (J.-André) Id. INaturaliste. De Saussure (Hor.-Ben.)| Id. |Physicien, géolog. Tissot (S.-A.) Lausanne Médecin. | Berthoud (Fréd.) Mécanicien. | Le Sage Genève Philos., mathémat. (Total 64 noms.) Société royale de Londres en 1829 Allemagne Bessel Kænigsberg |Astronome. Blumenbach Gôütlingen Anatomiste. Encke Berlin Astronome. Ermann (Paul) Id. Physicien. Gauss Güttingen Mathématicien. Harding (C.-L,) Id. Astronome. Humboldt (Al. von) Berlin Voyag” physicien. Olbers Bremen Astronome. | Schumacher (H.-C.) Altona Id. Sœmmering (de) Munich \Anatomiste,. Stromeyer (Frid.) Güttingen Médecin. Buch (baron von) Berlin \Géologue. Mitscherlich Id. Minéralogiste. Danemark | OErsted (J.-J.-C.) Copenhagen Physicien. 58 SUITE DU TABLEAU ID. NOMS ET NATIONALITE 2 LITÉ. RÉSIDENCE. SCIENCE. | Espagne Bauza (Felipe) Madrid Géographe. France Ampère Paris Mathématicien. Arago Id. Physicien. Biot Id. Id. Bouvard Id. Astronome. Brongniart (Alex.) Id. Minéralogiste. Cassini (de) Id. Botaniste. Chaptal Id. Chimiste. Chevreuil Id. Id. Cuvier (G.) [d. Zoologiste. Dulong Id. Phvsicien. Fourier Id. Mathématicien. Legendre Id. Id. | Gay-Lussac Id. Physicien. Poisson I. Mathématicien. Prony (de) Id. Ingénieur. Thénard Id. Chimiste. Vauquelin Id. Id. Jussieu (Ant.-L. de) Id. Botaniste. Hollande Van Marum Harlem Physicien. Hongrie De Zach (baron) Gênes Astronome. Italie Moricchini Rome Oriani Pavie Astronome. Plana Turin Id. Scarpa Pavie Anatomiste. Portugal Villa da Praia Lisbonne Mathématicien. Russie Struve (F.-G.-W.) St-Pétersbourg|Astronome. Suède Afzelius Upsal Botaniste. | Berzelius Stockholm Chimiste. Thunberg Upsal Botaniste. Suisse De Candolle (Aug.-Pvr.) Genève Botaniste. Lhuillier Id. Mathématicien. Prevost (P.) Id. Physicien. De Saussure (Théod.) Id. Chimiste. (Total 48 noms.) SUITE DU TABLEAU II. NOMS ET NATIONALITÉ. Allemagne Argelander Bischoff (Th.-L.-W.) Bunsen Clausius Dove Ehrenberg Haïdinger Hansen (P.-Andr.) Helmholtz Kummer Lamont (von) Liebig (von) Magnus (H.-G.) Mohl (Hugo von) Neumann (F.-E.) Rose (Gust.) Rosenberger Swabe (S.-H.) Siebold (C.-Th.) Weber (E.-H.) Weber (W.-E.) Wübhler Belgique Quetelet Danemark Steenstrup États-Unis Peirce (Benj.) . France Elie de Beaumont Becquerel (A.-C.) Bernard (Claude) Brongniart (Ad.) Chasle (M.) Chevreul Delaunay Dumas Mine-Edwards (H.) Le Verrier Liouville Société royale de Londres en 1869 RÉSIDENCE. Bonn Munich Heidelberg Bonn Berlin Id. Vienne Seeberg Heidelberg Berlin Munich Id. Berlin Tubingen Kœnigsbere Berlin Halle Dessau Munich Leipzig Gôttingen Id. Bruxelles Copenhagen Cambridge(E-U) Paris Id. Id. Id. Paris Id. Id. Id. Id. Id. Id. SCIENCE. Astronome. Physiologiste. Chimiste. Physicien. Id. Naturaliste. Géologue. Astronome. Physicien. Mathématicien. Physic., astronom. Chimiste. Physicien. Botaniste. Physicien. Minéralogiste. Astronome. Id. Naturaliste. Anatomiste. Astronom., physic. Chimiste. Astronome. Zoologiste. Astronome, Géologue. Physicien. Physiologiste. Botaniste. Mathématicien. Chimiste. Astronome. Chimiste. Zoologiste, Astronome. Mathématicien. 60 SUITE DU TABLEAU II. NOMS ET NATIONALITÉ. | RÉSIDENCE. SCIENCE. Pasteur (L.) Paris Chimiste. | Pontécoulant (G. de) Id. Mathématicien. | Regnault Id. Physicien. Verneuil (de) Id. Géologue. Würtz (Ad.-Ch.) Id. Chimiste. Hollande Donders Utrecht Anatom., Z00log. Italie Secchi (le Père) Rome Astronome. Norwége Hansteen Christiania Astronome. Russie Von Baer S'-Pétersbourg|Zoologiste. Suisse Agassiz (L.) Cambridge(E-U)/Zoologiste. De Candolle (Alph.) Genève Botaniste. De la Rive (Aug.) Id. Physicien. Kôlliker Wurtzbourg |Anatomiste. | (Total 49 noms.) ? La liste qui m’a été communiquée ne contient que les noms. J’ai indiqué la résidence et la science de plusieurs titulaires d’après mes propres recherches. ? Sans doute Salvemini de Castiglionei ou Castilione, des Diction- paires, né à Castilione en Toscane, en 1709, mort à Berlin en 1791, appelé sur la liste de 1789 Joh. de Castiglione. % La liste imprimée porte Joh. Dom. Comes de Cassini, mais ce doit être une erreur pour Jacobus Dom., car en 1789 Jean Domini- que le premier des Cassini était mort depuis longtemps. ht id LA HISTOIRE DES SCIENCES. 64 $ 3. Opinion de l’Académie royale des sciences de Berlin sur les sa- vants étrangers à l'Allemagne à quatre époques, de 1750 à 1869. L'Académie royale de Berlin, fondée en 1700, avait autrefois : 4° des membres honoraires (Ehrenmitglieder), quiétaient généralement des princes ou degrands seigneurs; 2% des membres étrangers, ou plutôt non résidents (ab- wesende), qui étaient pour la plupart connus dans la science, mais dont quelques-uns étaient des littérateurs, des historiens ou des érudits. Sur ces deux listes se trouvaient des allemands mélangés avec des étrangers, et il ne paraît pas qu'il y eût une limitation de nombre ou des propor- tions fixes pour aucune de ces catégories. Plus tard, par exemple en 1829, les listes sont au nombre de trois, savoir : 1° des membres étrangers, peu nombreux, 2° des honoraires, 3° des correspondants, lesquels sont subdivisés suivant qu'ils se rattachent à la classe des sciences physi- ques ou à celle des sciences mathématiques. Dans les trois catégories se trouvent à la fois des allemands et des étran- vers proprement dits. Enfin un règlement constitutif de 1838 a fixé qu'il y aurait: 1° seize membres dits étran- gers, parmi lesquels peuvent se trouver cependant des allemands; 2° des membres honoraires, allemands ou au- tres; 3° des membres correspondants, allemands ou au- tres, dont le nombre maximum est de cent pour les scien- ces physiques ou mathématiques. Grâce à l’obligeance de M. DuBois-Reymond, l'un des honorables secrétaires de l’Académie, et après avoir con- sulté les listes qui se publient actuellement dans chaque volumes des Mémoires, je puis donner les tableaux de 1750, 1789, 1829 et 1869. On pourra les comparer avec ceux 62 _ HISTOIRE DES SCIENCES. des mêmes années de l’Académie de Paris et de la Société royale de Londres. Les listes de 1750 et de 1789 sont, comme dans les autres sociétés, celles qui méritent le moins d'attention, soit parce qu'elles se composent de membres en nombre illimité, soit parce que l’Académie de Berlin, comme je l'ai déjà fait remarquer, comptait autrefois beaucoup de savants français, suisses, italiens, etc. qui avaient été atti- rés en Prusse et qui, dans les nominations, peuvent avoir penché un peu plus qu'il n'aurait fallu du côté de leurs compatriotes. Dans le siècle actuel l'Académie a pris un ca- ractère plus indépendant. Elle nomme peut-être un alle- mand non prussien, plus volontiers qu'un étranger à l'Allemagne, parce qu’elle apprécie plus vite les ouvrages écrits en allemand et que les amitiés personnelles, com- mencées dans les universités, doivent exercer une in- fluence, mais il n’y à aucune raison de croire qu'un corps aussi bien composé ne pèse pas le mérite des savants an- glais, français, italiens, etc., exactement dans la même balance. Le mélange sur les listes de nationaux et d’étran- gers est plus complet qu’à l'Académie de Paris; il s'étend même à la liste des seize membres dits étrangers. En re- vanche le nombre des correspondants n’est pas déterminé pour chaque science, ce qui à permis de suivre mieux le mouvement scientifique général. Lorsqu'une science est moins cultivée elle offre moins de candidats dignes d’être élus; quand elle grandit beaucoup, elle en offre de très- nombreux et très-dignes qu'on peut élire immédiatement. Le système de l’Académie de Paris a l'avantage d’assu- rer la nomination de correspondants dans des sciences très-spéciales, qui n’intéressent guère la majorité de l’A- cadémie et qui ont pourtant leur place dans le monde intellectuel. Celui de Berlin et de Londres a de son côté D” > LE ; HISTOIRE DES SCIENCES. 63 d’autres avantages, par exemple de pouvoir nommer aisé- ment les hommes quis’occupent des sciencesintermédiaires entre les autres, comme la paléontologie, et ceux qui in- fluent sur la marche générale de toute une catégorie des sciences, sans être cantonnés dans l’une des bran- ches spéciales, comme aujourd'hui M. Darwin. Du reste, quel que soit le système, chacune des Acadé- mies peut être considérée comme impartiale à l'égard des nationalités étrangères et, je le répète, cela est vrai sur- tout quand on prend les élections faites dans une série d'années de paix, pendant lesquelles de bons rapports ont existé entre les hommes instruits de toutes les nations. Les années antérieures à 1750, 1789, 1829 et 1869 se trouvaient dans ces conditions favorables ‘, bien plus que les années de la Révolution ou le moment actuel. Il faut au surplus que les idées soient singulièrement troublées pour qu'un sentiment de haine politique empêche de rendre justice à un savant étranger. Cela peut arriver à la suite de guerres auxquelles tout le monde est obligé de prendre part, mais dans le XVII® siècle les hommes de science faisaient rarement partie des armées. J'ai éliminé des tableaux de Berlin les savants de di- verses contrées de l'Allemagne (ancienne confédération). Quant aux nationalités douteuses de quelques individus, j'ai suivi les principes énoncés ci-dessus pour de Lagrange, Herschel, Cuvier, Milne-Edwards, etc. Les membres étran- gers dits honoraires ont été compris dans la liste, lorsqu'ils se sont occupés de sciences naturelles, physiques ou ma- thématiques. Ils sont moins nombreux que les membres étrangers non allemands et surtout beaucoup moins que les correspondants non allemands. } La guerre de Sept Ans n’a commencé qu’en 1756. 6% HISTOIRE DES SCIENCES. “ TABLEAU IV LISTE DES MEMBRES NON ALLEMANDS DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES DE BERLIN A QUATRE ÉPOQUES, CLASSÉS PAR NATIONALITÉS Re de Berlin en 1750 | NOMS ET NATIONALITÉS. RÉSIDENCE. SCIENCE. Angleterre | Bradley Greenwich Astronome. | Folkes Londres Chimiste. | Mortimer Id. Médecin. Pemberton Mathématicien. | Sloane (Hans) Londres Naturaliste. | Danemark Horrebow Copenhague |Astronome. : Winslow (Jac.-Benign.) |Paris Dr anatomiste. | Espagne _ Belidor (Bern. de) Ingénieur. France : D’Alembert Paris Mathématicien. Bourdelin Id. Chimiste. Buffon (de) Id. Naturaliste. | Cassini père ? Id. Astronome. | Cassini fils Id. Id. | Clairaut (Jean) Id. Mathématicien. | Clairaut fils (Alexis) Id. Id. . Condamine (de la) Id. Astronome. Deparcieux Id. Mathématicien. Fontaine Id. Id. _ Jacquier Rome Id. L'Isle (de) Paris Astronome. Jussieu (Ant. de) Id. Botaniste. Moivre (Abr. de) Id. Mathématicien. Lemonnier Id. Médecin. Nicole Id. Mathématicien. Outhier Astronome. : Réaumur (de) Paris Physic. naturaliste. SUITE DU TABLEAU IV. 65 (Total 42 noms.) Académie de Berlin en 1789 NOMS ET NATIONALITÉS. RÉSIDENCE. SCIENCE. Hollande Lulolf Leyde Astronome. Musschenbroek Utrecht Mathém., physic. Superville (Dan. de) Beyrouth Médecin, anatom. Ulhornius (Henri) Amsterdam |Chirurgien. Italie Algarotti (Comte) Physicien érudit. Bianconi (J.-L.) Bologne Médecin, physic. Maffei (Marquis, Scipion)| Vérone Physicien. Marinori Vienne Mathem. astron. Poleni (Jean, Marquis) |Venise Physicien. Russie Rasumowski (Comte) |S'-Pétersbourg|Naturaliste. Suède Linné Upsal Naturaliste. Suisse Bernouilli (Daniel) Bâle Mathématicien. Bernouilli (Jean) Id. Id. Bernoulli (Nic.) Id. Id. Cramer (Gabriel) Genève Id. Haller (Alb. de) Berne Naturaliste, Espagne | Ulloa (Ant. d’) Astron., chimiste. Etats-Unis Thompson (Colonel) Londres Physicien. France D’Aubenton Paris Naturaliste. Barthez Montpellier |Médecm. De Condorcet Paris Mathématicien. Jacquier Rome Id. De Lambre Paris Astronome. De la Lande Id. Id. De Machy Id. Chimiste. Messier Id. Astronome. Le Monnier Id. Médecin. De Montucla (Jos.) Id. Mathématicien. Romé de l'Isle Id. Minéralogiste. De Secondat (J.-Bapt.) |Bordeaux Agronome. Hollande Camper (Pierre) La Haye Anatomiste, 66 Van Marum Italie De La Grange SUITE DU TABLEAU IV. NOMS ET NATIONALITÉS. Jacquin (Baron de) Bianconi (Jean-Louis) RÉSIDENCE. Vienne Harlem Rome SCIENCE. Botaniste. Physicien. D: et physicien. Tuniv, Berlin, Paris Mathématicien. (Total 36 noms.) Angleterre Davy Brewster Brown (Robert) Dalton Herschel (fils) Jameson Ivory Belgique Van Mons Danemark OErsted France Arago Londres Edimbourg Londres Manchester Slough Edimbourg Londres Bruxelles Copenhague Paris Lorgna (Colonel) Vérone Id. Scarpa Modène Anatomiste. Spallanzani Pavie Physiologiste. Toaldo Id. Astronome. | Volta Id. Physicien. Portugal De Barros (Jos.-Joach.) [Lisbonne Astronome. De Magellan Londres Physicien. Russie Rasumowski (Comte) |S‘-Pétersbourg|Naturaliste. Euler fils Id. Mathématicien. Suède Melander Upsal Astronome. Suisse | Bernouilli (Jean) Bâle Mathématicien. Bertrand (Elie) Orbe Géologue. Bertrand (Louis) Genève Mathématicien. Bonnet (Ch.) Id. Naturaliste. Gessner (Joh.) Zurich Mathématicien. Huber Bâle Astronome. Prevost (Pierre) Genève Physicien. Académie de Berlin en 18290 Chimiste. Physicien. Botaniste. Physicien. Astronome. Physicien. Astron., physic. Chimiste, hortic. Physicien. Physic. astronome. SUITE DU TABLEAU IV. Cuvier De Jussieu (Ant.-L.) Ampère Beaumont (Elie de) Berthier Biot Brongniart (Alex.) Desfontaines Dulong Gay-Lussac Larrey Latreille Savigny (J.-C.) De Serres (Marcel) Thénard Vauquelin Fourier Legendre Poisson De Prony Italie Scarpa Balbis Brera Caldani Configliacchi Tenore Carlini Flauti Oriani Norwége Hansteen Russie Loder (von) Eschscholtz Krusenstern (von) Stephan (von) Suède Berzelius Hisinger (von) Florman Wahlenberg suisse Prevost (Pierre) NOMS ET NATIONALITÉS. RÉSIDENCE. Paris Christiania Moscou Dorpat St-Pétersbourg Id. Stockholm Lund Upsal Genève SCIENCE. Zoologiste. Botaniste. Mathématicien. Géologue. Minéralogiste. Physicien. Minéralogiste. Botaniste. Physicien. Id Chirurgien. Zoologiste. Id. Géologue. Chimiste. Id. Mathématicien. Id Id. Ingénieur. Anatomiste. Botaniste. Médecin. Anatomiste. Physicien. Botaniste. Astronome. Mathématicien. Astronome. Physicien. Médecin. Naturaliste. Voyageur. Id. Chimiste. Minéralogiste. Zoologiste. Botaniste. Physicien. 67 68 SUITE DU TABLEAU IV. : \ | NOMS ET NATIONALITÉS. RÉSIDENCE. SCIENCE. | | MEx Ut ie 4 | L'Huilier Genève Mathématicien. 4 De Candolle (Aug.-Pvyr.)| Id. Botaniste. (Total 51 noms.) É | Académie de Berlin en 1869 | Angleterre |: Herschel (fils) | Sabine (E.) | Airy Bentham (G.) Cayley Darwin Hooker (fils) Huxlev Miller Owen (R.) Stokes (S.) Wheatstone : Forbes (J.-D.) | Graham | Belgique | Van Beneden Plateau Quetelet Danemark Steenstrup Etats-Unis Dana (James) Asa Gray France Regnault Becquerel (A.-C.) Bernard (CL.) Boussingault Brongniart (Ad.) Cahours Chasles Chevreul Duhamel (J.-M.) Dumas Lyell (Sir Charles) Sylvester (James) Murchison (Sir Roderick) Londres Slough Astronome. Londres Physicien. Greenwich Astronome. Londres Botaniste. Cambridge Astronome. Bromley(Kent) Naturaliste. Kew Botaniste. Londres Zoologiste. Id. Géologue. Cambridge Mathématicien. Géologue. Id. Zoologiste. Cambridge Physicien. Woolwich Mathématicien. Lonäres Physicien. Edimbourg Id. Londres Chimiste. Louvain Zoologiste. Gand Physicien. Bruxelles Astronome. Copenhague |Zoologiste. New-Haven |Physic..géologiste. Cambridge Botaniste. Paris Physicien. Id. Id. [d. Physiologiste. Id. Chimiste. Id. Botaniste. Id. Chimiste. Id. Mathématicien. Id. Chimiste. Id. Physicien. Id. Chimiste. ni ss. | SUITE DU TABLEAU IV. NOMS ET NATIONALIT ÉS. Beaumont (Elie de) Fizeau Hermite (Ch.) Lamé (G.) Leverrier Liouville Milne-Edwards (H.) Morin (Arthur) Pambour (F.-M. de) Pontécoulant (G. de) Se-Claire Deville (Henri) Tulasne Thuret (G.) Verneuil (de) Wurtz (A.) Hollande Kaiser (Fred.) Mulder (J.-G.) Italie Boncompagni (B.) Libri (Guill.) Norwége Hansteen Sars (Pasteur) Russie Baer (von) Tchihatcheff (P. de) Abich (Herm.) Struve (Otto) Suède Angstroœm Fries (Elias) Sunderwall (Karl) Suisse Merian (P.) Agassiz Marignac De la Rive Studer (B.) (Total 66 noms.) RÉSIDENCE. Paris Id. Antibes Paris Id. Leyden Bennekom Rome Londres Christiania Id. Dorpat St-Pétersbourg Id. Pulkowa Stockholm Bâle Etats-Unis Genève Id. Berne 69 SCIENCE. | Géologue. Physicien. Mathématicien. Physicien. Astronome. Mathématicien. Zoologiste. Mécanicien. Ingénieur. Mathémalicien. Chimiste. Botaniste. Id. Géologue. Chimiste. Astronome. Physiologiste. Mathématicien. Id. Physicien. Zoologiste. Zoologiste. Voyageur. Géologue. Astronome. Astronome. Botaniste. Anatomiste. Géologue. Zoologiste. Chimiste. Physicien. Géologue. 1 Probablement, d’après la date, Louis Claude. ? D'après la date, Jacques, fils du premier Cassini. # Thompson, comte de Rumford. 70 HISTOIRE DES SCIENCES. SECTION III Analyse des faits et recherche des causes qui favorisent ou entravent le développement des sciences. $ 1. Proportion des mathématiciens et des naturalistes à différentes époques depuis deux siècles. Les seiences fondées sur le calcul paraissent avoir de- vancé les autres avant l’époque de la création des gran- des sociétés ou Académies dont nous venons de parler. En effet, les noms scientifiques les plus célèbres de l’épo- que précédente, se rattachaient à l’astronomie et aux ma- thématiques, par exemple Copernic, à la fin du XVe siècle; Galilée et Kepler, à la fin du XVI: Newton et Leibniz à la fin du XVII". Aucun chimiste ou naturaliste ne pouvait leur être comparé, quoique Cesalpin, par exem- ple, contemporain et compatriote de Galilée, fût un ob- servateur philosophe d’un rang très-élevé. Plus tard les sciences mathématiques et les sciences naturelles se sont équilibrées ou à peu près. Cette marche résulte probablement de l’une des diffé- rences qui distinguent le plus la science moderne de celle des philosophes de l’antiquité. Je veux parler de la re- cherche persévérante et spéciale des méthodes ou moyens d'étude. Les anciens abordaient les questions de front, avec leur géométrie imparfaite et les yeux dont tout homme est pourvu. Au contraire, les modernes ont com- pris, dès l’origine, qu'il fallait développer le procédé du calcul pour l'appliquer à l’astronomie et à la physique, et ils ont inventé le télescope, le microscope, le thermomètre et bien d’autres instruments ou appareils pour mieux ob- server ou expérimenter. Ils ont aussi créé des collections, L £ PRES HISTOIRE DES SCIENCES. 71 qu'ils ont pu enrichir des produits de pays nouvellement découverts. L'invention de l'imprimerie a décuplé les moyens d'étude, et dès lors, quand on a vu les progrès accomplis, les méthodes originales et les procédés nou- veaux ont été salués comme de véritables découvertes. Les sociétés ou académies fondées à Londres, Paris et Berlin, de 1662 à 1700, donnèrent une forte impulsion à cette marche logique des sciences. Voyons dans quelles proportions ces illustres compagnies ont rendu hommage aux savants qui s’occupaient ou de calculs ou d’observa- tions et d'expériences. L'Académie des sciences de Paris a toujours été libre de choisir comme Associés étrangers des savants de toutes les catégories. Or le tableau n° 1 montre qu'elle a nommé 92 associés, savoir: Jusqu'à la fin du Dansle XVII®e siècle. XIXr° siècle. Dans les sciences mathématiques et phy- siqûes (Mathématiques, Astronomie, Physique, Mécanique) . . . . . . . ... 29 20 Dans les sciences naturelles (Histoire na- turelle, Médecine, Chimie, Minéralogie, RE Le nl 23 20 52 40 Deux choses sont à remarquer dans ces chiffres: la pro- portion considérable et croissante des naturalistes, qui confirme les idées générales indiquées tout à l'heure, et l’impartialité de l'Académie, qu’on peut eonstater sur- tout dans le siècle actuel. En effet, d’après le règlement de 1802, chaque section a six membres, et il y à pour les sciences naturelles une section de plus que pour les sciences de calcul. Si l’Académie avait eu le tempérament 72 HISTOIRE DES SCIENCES. des corps politiques, elle aurait marché dans le sens de nommer de plus en plus des chimistes, géologues ou na- turalistes comme associés étrangers, au détriment des mathématiciens, astronomes et physiciens, car elle est composée de 36 savants de la première catégorie et de 30 de la seconde. Elle a nommé, au contraire, depuis 1802, exactement le même nombre dans chacune des deux caté- gories. La Société royale de Londres s’est réservé toujours une liberté absolue dans le choix de ses membres étrangers, et voici comment ses nominations, à quatre époques dif- férentes, ont représenté les deux classes de savants: 1750 1789 1829 1869 Sciences mathématiques. . . . . . .. DA AA 124 Sciences naturelles 2 PP PRE Saut. SONIA 6h 25 Des deux catégories * . . . . . . . 2 2 0 0 Indétermineés 27/7 2h 0 2 2 0 Totaux. ....: V2um64 Su On peut encore noter la proportion parmi les corres- pondants de l’Académie de Berlin, dans le XVIIPe siècle. Elle pouvait alors choisir librement dans toutes les scien- ces, tandis que maintenant elle est obligée de prendre le même nombre de titulaires dans les sciences mathé- matiques et dans les sciences naturelles. Ulloa était astronome et chimiste ; Réaumur physicien et zoolo- giste; Hor.-Ben. de Saussure, physicien et géologue. ? Les savants que j’ai conservés sur les tableaux, sans que j’aie pu cependant constater par les dictionnaires, biographies ou cata- logues de livres, de quelle science ils s’occupaient, étaient ordinaire- ment des présidents ou secrétaires des Sociétés ou Académies. Ils ont contribué certainement aux progrès des sciences, même en sup- posant qu’ils n’aient rien publié pour leur propre compte. LE HISTOIRE DES SCIENCES. 73 1750 1789 PPEneS mathématiques 0. . . .. . . . . . . . . 26 21 M HIENES 0... 12. 43 CP OIES . . . … . , . ... , . . 2 2 EE .. . . , 2 0 Lotanx dl: : 42 1 56 En résumé, la Société royale de Londres s’est montrée tantôt plus tantôt moins favorable aux naturalistes qu'aux mathématiciens ; l'Académie de Berlin, dans le siècle der- nier, penchait décidément vers les mathématiciens ; enfin, l’Académie de Paris a suivi la direction intermédiaire, probablement plus équitable. Les chiffres des deux pre- mières compagnies et le Changement d'organisation fait à Berlin pour exiger autant de nominations d’une catégorie que de l’autre, montrent l'importance croissante des sciences naturelles, et si l’on réfléchit aux développements soit de l'expérience en physique, soit de l'observation en astronomie, on reconnaitra combien le calcul est moins important aujourd'hui que les autres procédés scientifi- ques. $ 2. Application croissante des savants chacun à une seule science. Les philosophes grecs s’occupaient de toutes les bran- ches des connaissances, et c’est aussi ce que faisaient les rares et profonds penseurs du moyen äge. Une fois ce- pendant qu'on eut inventé de bonnes méthodes, le nom- bre des faits connus devint si considérable que chaque sa- vant se vit obligé, pour avancer, de circonserire le champ ? Ce sont Ulloa et Réaumur, déjà mentionnés, et Bianconi, qui était médecin distingué et mathématicien. 74 HISTOIRE DES SCIENCES. de ses travaux. Les hommes qui désirent seulement con- naître ou savoir peuvent varier indéfiniment leurs lec- tures, suivre des cours de toute espèce et discuter entre eux « de omni re scibili et quibusdam aliis. » Ceux, au contraire, qui ont la noble ambition de découvrir et de publier des choses nouvelles, doivent nécessairement con- centrer leurs efforts sur une science et même quelquefois sur une seule division de cette science. Ils sont obligés aussi d'abandonner les occupations d’une autre nature. Les savants qui ne peuvent ou ne veulent le faire avan- cent moins, se voient prévenus ou dépassés par d’autres, et souvent se découragent. De demi-siècle en demi-siècle, les hommes qui ont marqué dans les sciences sont donc devenus plus spéciaux. J’en ai eu la preuve en consultant les biographies, pour pouvoir remplir dans mes tableaux d'académiciens la colonne qui indique la science dont chacun s’occupait. À l’époque de Leibniz et de Newton il m'aurait fallu écrire presque toujours deux ou trois dé- signations pour chaque savant, par exemple : « astronome et physicien, » où « mathématicien, astronome et physi- cien, » ou bien n'employer que des termes généraux comme « philosophe » ou « naturaliste. » Encore cela n'aurait pas suffi. Les mathématiciens et les naturalistes étaient quelquefois des érudits ou des poëtes. Même à la fin du XVIIe siècle les désignations multiples auraient été nécessaires pour indiquer exactement ce que des hom- mes tels que Wolff, Haller, Charles Bonnet avaient fait de remarquable dans plusieurs catégories des sciences et des lettres. Au XIXe siècle cette difficulté n'existe plus, ou du moins elle est rare, et quand un même homme s’est distingué dans deux sciences, c’est ordinairement dans deux sciences connexes. L'impossibilité de s’élever un peu haut dans les scien- HISTOIRE DES SCIENCES. 75 ces tout en ayant une profession lucrative ou une cause habituelle de distraction, devient de jour en jour plus évi- dente. Jadis un savant illustre était souvent médecin, non de titre, mais de fait. Wolff, mathématicien et naturaliste, était chargé de l’enseignement du droit. Newton était di- recteur de la Monnaie et membre du Parlement. Les as- tronomes étaient quelquefois des marins et les géomètres des militaires. De nos jours on a vu Cuvier être fonction- naire civil d’un ordre supérieur, sans cesser pour cela de contribuer aux progrès de la science, et sir Roderick Mur- chison, après avoir achevé honorablement une carrière mi- htare, est devenu un illustre géologue: mais ces cas sont rares et ils le seront tous les jours davantage. Sans doute un grand nombre de personnes cultivent la science et font même des découvertes tout en exerçant une pro- fession ou après en avoir exercé une, mais le temps et les forces leur manquent presque toujours pour parvenir aux premiers rangs. Les titulaires des sociétés ou académies au XIXe siècle sont presque tous des hommes qui se sont consacrés de bonne heure à une seule branche des con- naissances. Sous ce rapport l’organisation économique influe sur le progrès des sciences. Dans les pays et les époques où les capitaux sont rares et difficiles à gérer, un grand nombre d'hommes qui seraient disposés à travailler pour les sciences se trouvent dans une position difficile ou sont obligés de s'occuper continuellement de leurs affaires. Il est plus aisé d’administrer une fortune mobihère de 900,000 fr. qu'une propriété rurale de 100,000, surtout dans les pays où l’on n'a pas de fermiers. Il est plus aisé aussi de conduire un patrimoine d’un million en fonds publics ou en bonnes valeurs cotées à la Bourse, qu'une petite partie de cette somme en prêts à des commerçants 76 HISTOIRE DES SCIENCES. ou industriels. Le temps de ceux dont la fortune est fa- cile à gérer profite à une infinité de choses utiles, en par- ticulier aux sciences. De là une cause évidente de supério- rité pour certaines populations et certains individus. Est-ce à la spécialité croissante des savants qu'il faut attribuer l'abandon de la science par la plupart des ecclé- siastiques catholiques ? Je suis porté à le croire. En tout cas, le fait mérite d’être signalé et discuté. Jusqu'à la fin du XVIIe siècle on remarquait sur les listes de correspondants ou associés d'académies, des jé- suites, des minimes, des abbés, en très-grand nombre. En Italie c'était Bianchini, prélat domestique du pape, le père Carcani, le jésuite français Jacquier, établi à Rome, l'abbé Toaldo, le père de la Torre, le père Bianchi, ana- tomiste, etc. ; en Pologne, Poczobut : à Raguse, le jésuite Boscowich: en France, l'abbé de la Chapelle, Jean Picard, astronome, Jean-Baptiste Duhamel, aumônier du roi, le père Cotte, l’abbé Bossut, de la Caille, du Gua, l'abbé Nollet, l'abbé Rozier, le père Outhier, etc. Quand on par- court les noms des membres effectifs de l’Académie des sciences de Paris dans les XVIIe et XVIIe siècles, on est étonné de la forte proportion des ecclésiastiques. Au commencement du siècle actuel, on voyait encore l’abbé Haüy, et maintenant on peut citer un célèbre jésuite, le père Secchi, mais ce sont des exemples devenus rares. Pour expliquer ce singuher changement deux hypothèses se présentent : ou l'Église catholique serait devenue in- différente et même hostile aux progrès des sciences ; ou la nécessité de s'occuper très-spécialement d’une science, pour s'élever au-dessus de la moyenne des savants, met- trait de plus en plus dans l’ombre les prêtres disposés à faire des recherches, comme les pasteurs protestants, les avocats, les fonctionnaires publies et même les industriels EE RS à HISTOIRE DES SCIENCES. 71 et les médecins qui s'occupent de travaux scientifiques. A l'appui de la seconde de ces hypothèses, je ferai re- marquer la condition spéciale des ecclésiastiques catholi- ques autrefois célèbres dans les sciences. Ce n'étaient pas des évêques, des curés ou des vicaires, mais des abbés ou des membres de certains ordres religieux, c’est-à-dire des prêtres qui n'étaient pas sans cesse occupés de fonctions ecclésiastiques. Un jeune homme qui aimait les sciences prenait la position d’abbé ou de membre d’un ordre ré- puté savant, afin de pouvoir mieux se livrer à ses goûts. De cette manière il était assuré d’avoir strictement de quoi vivre et de travailler aux sciences dans un milieu social qui reconnaissait sa position et la respectait. Les devoirs ecclésiastiques étaient si peu génants pour plu- sieurs d’entre eux et les dispensaient si complétement de certaines charges, par exemple du service militaire, qu'ils devenaient aisément des hommes spéciaux, plus consacrés à la science que la plupart des laïques. La révolution vint supprimer les ordres religieux, et en même temps les ab- bayes et les bénéfices. Les seuls ecclésiastiques catholiques conservés furent des prêtres eflectifs, comparables aux pasteurs des églises protestantes. IT est naturel qu'on en trouve dès lors un petit nombre parmi les savants spéciaux. Beaucoup de pasteurs protestants sont connus pour aimer les sciences et quelques-uns ont fait des découvertes. S'ils ne parviennent pas souvent aux premiers rangs de la science, c’est évidemment que le temps leur manque pour devenir tout à fait spéciaux. Je ne prétends pas que cette explication soit la meil- leure, ou du moins la seule, en ce qui concerne les prêtres catholiques. Du reste, l'expérience va se faire. On aura bientôt la contre-épreuve des faits observés depuis soixante ans. La France est redevenue très- 78 HISTOIRE DES SCIENCES. catholique et plus romaine que jamais. Les ordres re- ligieux ont reparu: les fondations ecclésiastiques se sont multiphiées ; les familles riches ont des abbés pour pré- cepteurs et pour conseils: les colléges catholiques sont nombreux. Si l’Église est aussi favorable aux sciences que dans les XVIPe et XVIIIe siècles, on verra de nouveau les portes de l’Académie s'ouvrir à des ecclésiastiques et plusieurs d’entre eux se distingueront assez pour être nommés correspondants des grandes associations scienti- fiques des autres pays. Dans quelques années on saura bien à quoi s’en tenir à cet égard. Pour compléter mes réflexions sur les ecclésiastiques savants (je veux dire qui font faire des progrès à la science), J'ai deux remarques à ajouter. L'une est la singulière disproportion des ecclésiastiques catholiques voués aux sciences de calcul et aux sciences, naturelles ; l’autre est sur les missionnaires, ou catholiques ou protestants. . Les ecclésiastiques catholiques astronomes, physiciens ou mathématiciens ont été nombreux et quelques-uns fort distingués. On dirait que l'Église a voulu répondre aux reproches qu'on lui fait sur Galilée, en cultivant précisé- ment les sciences qui étaient celles de l’illustre philosophe toscan. Ses naturalistes ont été moins nombreux et en cénéral d’une faiblesse regrettable. À peine en trouve-t-on quatre ou €inq dans les listes de membres étrangers des Académies. Serait-ce que certains détails anatomiques et physiologiques seraient jugés à Rome trop contraires à la pureté des mœurs ? Mais l'Église est forcée de s’en rap- porter aux ecclésiastiques dans ces sortes de choses, sans quoi elle interdirait aux prêtres âgés de moins de soixante ans la confession et la lecture des livres sur la HISTOIRE DES SCIENCES. 79 confession. D'ailleurs la botanique n’a pas les inconvé- nients de la zoologie. Les prêtres catholiques appelés, depuis des siècles, à séjourner comme missionnaires dans des pays lointains fort intéressants pour l’histoire naturelle, n’ont guère en- voyé que des collections insignifiantes et n’ont publié le plus souvent que des ouvrages médiocres. En regard des moyens dont ils disposaient naguère, c'est assez singu- lier. Assurément si une ville a pu avoir le plus beau jardin botanique du monde et l'herbier le plus riche, c’est Rome. Le collége de la Propagande n'aurait eu qu'à don- ner quelques instructions et quelques encouragements aux jeunes missionnaires qui auraient montré de la bonne vo- lonté pour l'histoire naturelle. Les graines sont faciles à re- cueillir ; les plantes sèches faciles à préparer. Il faut seule- ment en comprendre l'intérêt et que les supérieurs approu- vent et encouragent. Si les missionnaires proprement dits sont trop occupés ou trop exposés, dans certains pays, 1ls ont été autrefois parfaitement libres et maitres des populations dans toute l'Amérique espagnole, au Brésil, aux Philip- pines et ailleurs. Et si les ecclésiastiques sédentaires dans ces vastes pays ne savaient pas décrire les plantes mieux que les pères Loureiro et Blanco, Vellozo et Montrousier, ils auraient pu tout au moins collecter et envoyer une grande quantité d'échantillons en Europe. Les mission- naires protestants n'ont pas fait mieux, mais ils ne sont à l'œuvre que depuis un demi-siècle, et n'ont jamais été les maitres absolus de millions d'indigènes, comme les prêtres catholiques du Paraguay, des Philippines et au- tres lieux. Ces maîtres qui commandaient à des popula- tions paisibles et dévouées, dans des pays très-curieux à explorer, avaient précisément ce qui manque à la plupart des ecclésiastiques en Europe, ils avaient du temps. Ils 80 HISTOIRE DES SCIENCES. auraient pu devenir des naturalistes habiles, mais ils ne l'ont pas su ou voulu. Ils n’ont pas même facilité comme ils auraient pu le faire les travaux des naturalistes euro- péens. Une pareille indifférence fait croire à quelque la- cune dans l’enseignement des séminaires. Tout y est dirigé, je suppose, vers l’intérieur de l'homme, rien vers l’exté- rieur. On préfère le calcul à l'observation. Cependant les élèves qui réussissent dans les mathématiques ne sont ja- mais qu'en petit nombre, et d’autres se plairaient peut- être aux sciences naturelles. D'ailleurs, si les ecclésiasti- ques doivent faire uniquement leur devoir de prêtres, ils n'ont besoin ni de mathématiques ni de botanique. La question est de savoir jusqu'à quel point les Églises en- tendent bien l'intérêt de l'humanité et même leur propre intérêt, en limitant aussi étroitement les notions scien- tifiques de leurs élèves. Pour la science, cette limitation est évidemment regrettable. La spécialité toujours croissante des travaux à déjà sé- paré, en histoire naturelle, les collecteurs des descripteurs. Elle sépare aussi les hommes qui appliquent les sciences de ceux qui travaillent spécialement aux recherches ori- ginales. Dans les sciences mathématiques, il y à de plus en plus des calculateurs, et des expérimentateurs ou ob- servateurs ; dans les sciences naturelles, des botanistes, zoologistes ou géologues, et des agriculteurs, des médecins ou des ingénieurs des mines. Enfin, dans toutes les scien- ces, on sera obligé de séparer l’enseignement des travaux purement scientifiques. Les gouvernements demanderont toujours aux savants de professer : les savants auront tou- jours plus ou moins besoin de places et quelques-uns, parmi ceux qui peuvent s’en passer, aimeront toujours enseigner. Mais la force des choses domine tout. Deux hommes de même capacité et énergie étant donnés, celui HISTOIRE DES SCIENCES. 81 qui sera chargé d’un enseignement et de nombreux exa- mens n’avancera pas dans la carrière des sciences comme celui qui dispose entièrement de son temps. Au XX siè- ele, les corps scientifiques se recruteront beaucoup plus en dehors des professeurs. Cela me paraît inévitable, à moins que le zèle désintéressé pour l'étude n'ait disparu, ce qui n'est nullement probable. Quand les hommes spéciaux et progressifs seront ap- pelés moins souvent à professer ils perdront peut-être sous le rapport de la clarté des idées. Ils oublieront plus vite ce qu'ils savaient en sortant de l’université et c’est bien alors qu'on pourra dire d'eux ce que disait je ne sais plus quel homme politique: Un savant est un homme qui sait ce que d’autres ne savent pas et qui ignore ce que tout le monde sait. D'un autre côté les savants seront moins entraînés à sacrifier l'exactitude à la clarté, et la complication naturelle des faits au désir de simplifier, ce qu'ils ne font que trop souvent aujourd'hui, pour être agréables aux élèves. Ils penseront moins à l’effet, au suc- cès passager, et davantage aux choses difficiles et obscu- res. Ils ne seront pas forcés de revoir continuellement toutes les parties de leur science, mais s’appliqueront de plus en plus à l’une d’entre elles et chercheront à la faire progresser dans toute la mesure de leurs forces. $ 3. De quelles parties de la société sortent les hommes qui font le plus avancer les sciences. Nos tableaux sont extrêmement instructifs sous ce rap- port. Assurément les académies ne s'inquiètent guère de l’é- ducation et de l’origine des savants étrangers qui sont of- ferts à leurs suffrages. Elles se décident d’après ce qu'ils 6 82 HISTOIRE DES SCIENCES. ont publié et l'influence qu'ils ont exercée, le plus souvent sans connaître leurs personnes ou leurs familles. Si l’on rapproche ensuite toutes les nominations et si l’on fait usage des nombreuses biographies qui existent, on arrive à constater la proportion des savants les plus illus- tres sortis de chacune des couches sociales de nos popu- lations modernes. J'ai fait ce genre de recherches sur les 92 Associés étrangers de l'Académie de Paris. Leur réputation est si grande qu'il ne m'a pas été difficile de savoir l’origine de presque tous ces savants. Je l’ai indiquée, pour 90 d’entre eux, à la dernière colonne du tableau n° E. Sur ces 90 savants illustres, non français, il s’est trouvé : ‘Issus de la noblesse ou de familles aristocratiques d'anciennes villes libres, ou de familles riches. . . 37, soit 41 °/, De la clasé moyenne. .:{,,; - CN OAT NUE 07 De la classe des ouvriers, cultiva- teurs, etc. 25 2. 10este Ce RENROERET FR Total : 90 La répartition des noms dans ces trois groupes à été faite surtout d’après le degré d'indépendance probable de fortune et de position. Dans la première catégorie, j'ai mis les individus qui pouvaient ne rien faire, s'ils l'avaient voulu, c’est-à-dire les fils de nobles, de gentlemen anglais, de familles aisées, occupant une position plus ou moins aristocratique dans certains pays, ou de familles riches dans les pays démocratiques. J'ai considéré comme sortis de la classe moyenne les fils de professeurs, docteurs, in- stituteurs, hommes de loi, pasteurs, négociants, petits propriétaires, etc., à l'exception de ceux qui étaient d’ail- HISTOIRE DES SCIENCES. 83 leurs de famille riche, car tel titre de professeur ou de doc- teur est accompagné quelquefois, dans certains pays, d’une condition de fortune avantageuse. Pour les savants des villes de Suisse, d'Allemagne et de Hollande, j'ai tenu compte de la position des familles avant l’époque actuelle, et, par exemple, les fils de magistrats, c’est-à-dire de mem- bres du gouvernement, ont été attribués à la première catégorie, non à la classe moyenne, à cause de la manière dont on choisissait autrefois dans ces pays les fonction- naires d’un ordre supérieur. Cette classification présente des difficultés pour quel- ques noms; mais si l’on faisait certains changements, les conclusions à déduire resteraient exactement les mêmes. Il faut voir, en effet, les rapports de nombres avec les trois grandes classes de la population. À ce point de vue il y aurait, par exemple, 10 */, de la troisième catégorie, au lieu de 7, ou 30 ‘/, de la première, au lieu de #1, que les conclusions ne devraient nullement être changées. La classe des ouvriers, cultivateurs, employés subal- ternes, marins, soldats, etc,, est dans tous les pays la plus nombreuse. Elle constitue généralement les */; ou les */, de la population. C'est cependant de cette masse qu'il est sorti le moins de savants illustres, malgré tous les moyens de promotion qui existent par les écoles, l’armée, le clergé, l’industrie, le commerce, etc. La elasse moyenne constitue la partie la plus nom- breuse de ce qui est au-dessus de la foule, et le reste, c'est-à-dire une fraction minime de la population totale, compose la classe noble ou riche. A priori, je m'attendais à un nombre de savants illustres beaucoup plus considé- rable dans la classe moyenne que dans la classe noble ou riche. Celle-ci en effet est la moins nombreuse. Dans la plupart des pays, avant l’époque actuelle, c’est de son 8 HISTOIRE DES SCIENCES. sein qu'on tirait les officiers et la plupart des fonction- naires civils supérieurs. Elle comptait en outre beaucoup d’oisifs. La proportion de ces derniers doit avoir été moin- dre qu'on ne suppose, puisque l'ensemble de la classe ri- che ou noble, la moins nombreuse de toutes et chargée d'emplois, a fourni #1 ‘/, des savants d’un ordre supé- rieur hors de la France. On dit loisiveté agréable aux hommes. On croit qu'il faut une nécessité pressante pour travailler. Cela est vrai des travaux manuels, non de ceux de l'esprit. Laissez un peu de liberté aux jeunes gens de familles riches: qu'ils reçoivent une éducation propre à diriger leur curiosité vers des choses vraies et relevées : que les obligations militaires ne pésent pas trop lourde- ment sur eux ; qu'ils puissent voyager et compléter par eux-mêmes leurs études, et vous verrez beaucoup d’entre eux s'occuper de recherches scientifiques. La preuve en est dans le tableau n° Let dans d’autres qui suivent. Les plus grands noms de la science sont sortis de cha- cune des trois catégories de familles : Huyghens, Cassini, Newton, de la Grange, Volta, etc., de la classe noble ou riche: Leibniz, les Bernouili, Linné, Herschel père, Berzelius, Robert Brown, etc., de la classe moyenne: Davy, Faraday, de la classe la plus nombreuse. Avant de nous arrêter aux conclusions dont je viens de parler, il faut essayer de combler une lacune. Le tableau des Associés étrangers de l'Académie de Paris ne contient au- cun français. Si des documents analogues sur les savants principaux nés en France donnaient des résultats diffé- rents, il faudrait évidemment modifier ou limiter mes con- clusions. J'ai donc cherché quelque moyen impartial de compléter mes données en tenant compte des savants français. La Société royale de Londres et l’Académie des HISTOIRE DES SCIENCES. 85 sciences de Berlin n’ont pas de catégorie limitée de mem- bres étrangers qu'on puisse comparer aux huit Associés de l’Académie des sciences de Paris. Cette distinction toute spéciale n’a jamais existé à Londres. On à établi quelque chose d’un peu analogue, dans le siècle actuel, à Berlin, mais ce n’est pas précisément le même système, les Associés étrangers pouvant être nommés parmi les allemands hors de la Prusse, aussi bien que parmi les étrangers proprement dits. Le nombre des français sur cette liste d’associés est d’ailleurs trop limité. Dans le but d'obtenir une énumération de savants français indépen- dante de toute idée préconçue et formée d’hommes vrai- ment d'élite, je me suis arrêté d’abord à l’idée de réunir les noms des savants français qui ont été à la fois de la Société royale de Londres et de l’Académie de Berlin aux diverses époques indiquées dans les tableaux IIT et IV. Ils sont au nombre de 40, savoir: * D’Alembert Arago Buffon Ampère Cassini (Jacques) Biot Clairaut (Alexis) Brongniart (Alex.) De la Condamine Cuvier (G.) Jacquier Dulong L'Isle Fourier Jussieu (Ant. de) Gay-Lussac Reaumur (de) Legendre Daubenton Poisson Le Monnier (d') Prony (de) Messier Thénard Secondat (de) Vauquelin ! Dans ce calcul, je ne compte pas M. Milne-Edwards, qui est né hors de Frauce, d’une famille non française. 86 HISTOIRE DES SCIENCES. Jussieu (Ant. L!) Dumas Beaumont (E. de) Leverrier Becquerel (A. C.) Liouville Bernard (Cl.) Pontécoulant (de) Brongniart (Ad.) Regnault Chasles Verneuil Chevreuil Wurtz J'ai cherché ensuite dans les biographies la position des pères de ces savants distingués et j'y suis parvenu pour 36 d’entre eux. En les classant je trouve: De familles nobles ou riches . . . 10 soit 28 °/, De la classe moyenne . . . . . . 417 » 47 De la classe des ouvriers, cultiva- teurs, et6 2 LR RE 36 100 La liste sur laquelle j’opérais ce classement ne m'a pas paru suffisante. Des français très-distingués n'étaient pas correspondants, à la fois des corps scientifiques de Lon- dres et Berlin, dans les quatre années auxquelles se rap- portent mes tableaux. Quelques-uns l'ont été successive- ment, à d’autres époques. Il y a trop de noms modernes (43 dans le XVII siècle et 27 dans le siècle actuel), tandis que pour les Associés étrangers de l’Académie de Paris nommés d'année en année, depuis 1666, il y avait plus de la moitié antérieurs au siècle actuel. Ne voyant pas de choix académiques propres à guider d’une manière plus satisfaisante, j'ai hasardé de faire moi-même une liste supplémentaire de savants français, très-distingués, non compris dans mes tableaux des quatre années. Je n'ai point ajouté de savants actuellement vivants, parce que les plus jeunes n’ont pas encore la réputation qu'ils HISTOIRE DES SCIENCES. 87 auront peut-être plus tard, et qu’en outre je voulais des noms surtout du XVITF® siècle, pour compenser le trop grand nombre de ceux du XIX® dans le calcul qui pré- cède. Voici ma liste. Réunie aux savants affiliés aux deux Sociétés ou Académies de Londres et Berlin, elle présente un bel ensemble de noms scientifiques français, un peu plus nombreux cependant qu'il ne faudrait pour avoir des hommes aussi choisis que les 92 associés étrangers de l’Académie de Paris. Tournefort (Pitton de), botaniste. Demoivre ou Moivre, mathématicien. Mairan (de), physicien et mathématicien. Mariotte (Edme), physicien. Magnol, botaniste. La Hire (de), mathématicien et astronome. Maupertuis (Moreau de), mathématicien. Du Hamel du Monceau, botaniste, physicien. Bouguer, astronome, géographe. Lamarck (Monet de), naturaliste. De la Place, mathématicien. Monge, géomètre. Delambre, astronome. Guyton de Morveau, chimiste. Foureroy, chimiste. Lavoisier, chimiste. Geoffroy St-Hilaire (Et.), zoologiste. Ducrotay de Blainville, zoologiste. Cauchy, mathématicien. Lalande (Jérôme-Francç. de), astronome. Latreille, zoologiste. Haüy, minéralogiste. Fresnel, physicien. 88 HISTOIRE DES SCIENCES. Dutrochet *, physiologiste. Lacépède (de), zoologiste. Des 25 savants de cette liste, Mariotte est le seul sur lequel je n'ai pas trouvé des renseignements suffisants. Les 24 autres se classent comme suit : Première Catégorie" COOP SM Eee Deuxième catécorié LM NS Troisième catégorie. "ST Total: 24 100 La différence d’avec les chiffres du premier calcul s’ex- plique par la différence des temps. La première liste con- tenait une majorité de savants du XIX?* siècle, celle-ei une majorité du XVII®; or la révolution à diminué la proportion de la classe de l’ancienne noblesse dans la po- pulation française, elle a supprimé les abbayes, bénéfices ecclésiastiques et ordres religieux qui donnaient une posi- tion avantageuse aux hommes studieux de la classe moyenne et aux cadets de familles nobles ; enfin elle a fa- cilité à la classe pauvre l'admission dans les établissements d'instruction publique et dans les emplois où la science est exigée. Toutes ces modifications de la société française s’aperçoivent dans la comparaison des chiffres de notre premier calcul et du second. La proportion des savants distingués de familles riches ou nobles à diminué; celle des savants de la classe pauvre et surtout celle de la classe moyenne ont augmenté. Lom de moi l’idée d'attribuer à à ces chiffres une valeur précise, statistique. Ce sont des indications, des probabilités approximatives ; mais on voit ! Je l’indique uniquement à cause de la découverte de l’endos- mose. | 4 HISTOIRE DES SCIENCES. 89 qu'il faudrait de très-grandes altérations dans les listes qui m'ont servi de base pour amener des conclusions ab- solument contraires. Un changement de quelques cen- tièmes dans les proportions ne renverserait pas le raison- nement. Si pour avoir une base plus solide, on réunit les deux listes qui précèdent, on trouve 60 savants français distin- gués, sortis de la Classe riche ou noble . . . . . . 21 soit 35 °/, D moyenne . .. . . . . . 95 » 49 Classe la plus nombreuse . . . . 414 » 93 Total : 0 100 Ainsi les savants français les plus distingués seraient sortis, pendant deux siècles, dans une moindre proportion de la elasse riche ou noble et de la classe moyenne, et dans une plus forte proportion de la classe pauvre, qu'on ne l'avait constaté chez les autres nations‘. La différence est considérable dans la catégorie appelée ordinairement classe inférieure, qui est toujours inférieure en indépendance de fortune, mais qui devient de fait supérieure, quand le suf- frage universel donne au plus grand nombre le droit de gouverner. Malgré cette diversité entre la France et les autres pays, on peut remarquer, à quel point la proportion des savants de mérite a été partout inverse du chiffre de la population des trois classes. Assurément la catégorie des ouvriers, la- ? Depuis trois siècles, la haute noblesse (princière, ducale ou d’un rang analogue) des pays catholiques et de l’Allemagne n’a fourni aucun savant très-illustre, tandis qu’on a vu en Danemark Tycho- Brahé, et dans les Iles britanniques Bacon, Boyle et Cavendish sortir de familles du rang le plus élevé. 90 HISTOIRE DES SCIENCES. boureurs, etc., en un mot des gens occupés de professions manuelles, constitue en France, comme ailleurs, l'immense majorité (peut-être 18 ou 20 millions d'individus sur 36). La classe moyenne est sensiblement moins nombreuse, et la classe de l’ancienne noblesse et des familles riches ne compte peut-être pas dans tout le pays un million d’âmes. A l’époque de la révolution le chiffre des nobles fut évalué à cent mille. Retranchez quelques milliers d'individus, à cause des gentilshommes pauvres de quelques provinces, qui n'avaient aucune indépendance réelle de fortune; ajoutez environ 80 ou 100 mille bourgeois riches, qui- pouvaient exister alors; supposez quatre femmes ou enfants mineurs pour chaque chef de famille; cela formait un total de population qui ne devait pas s’élever à un million. Beau- coup de ces familles se sont éteintes. D’autres il est vrai ont pris leur place. Néanmoins, et sans qu’il soit néces- saire d’invoquer des statistiques précises, il est clair qu’en France, comme partout, la classe dite supérieure est mi- nime quant au nombre, et la classe dite inférieure est énorme. Si le talent naturel, si le goût prononcé pour des recherches scientifiques étaient les seules causes qui déter- minent la carrière et le succès des hommes de science, il ÿ aurait eu infiniment plus de savants de familles pauvres, que de savants d’une origine différente — surtout le nombre des savants de familles riches aurait été minime relativement aux autres — ce qui n’est pas arrivé. [l y à donc plusieurs conditions différentes qui influent sur le développement des hommes les plus célèbres dans les sciences. Nous allons découvrir peu à peu certaines de ces conditions, en étudiant les documents sous d’autres points de vue, mais, avant de passer plus loin, constatons un fait qui explique, en grande partie, la rareté des savants illustres sortis de Ja classe la plus nombreuse. HISTOIRE DES SCIENCES. 91 Le travail de chercher des faits inconnus et des vérités théoriques ne peut pas être rétribué en proportion de la peine qu’il donne et des chances auxquelles on s'expose en s’y consacrant. Ce n’est pas qu'on ne comprenne dans beaucoup de pays l'importance des découvertes, mais il y a tellement d'irrégularité, de hasard et d’inconnu dans le résultat des recherches qu'on ne sait comment apprécier le travail scientifique au point de vue pécuniaire. Un savant peut travailler longtemps sans rien trouver. Il peut s’abuser sur la valeur de ses travaux. Enfin on ne peut pas toujours deviner l'importance d’une découverte au mo- ment où elle vient de se faire. Volta invente la pile: tous les physiciens jugent l’idée excellente, admirable. On aurait cru bien faire en décernant à l’auteur quelque prix de 3 ou 4,000 fr. Si l’on avait entrevu les nmnom- brables conséquences de cette invention pour la physi- que, la chimie et dans toutes les applications, c’est plu- sieurs millions qu'il aurait fallu donner, mais où sont les princes et les parlements, les académies et les asso- ciations particuhères qui disposent de semblables récom- penses ? À supposer qu'on eût des moyens pareils de sub- vention, leur effet ne serait-il pas d'introduire parmi les hommes de science un esprit d’avidité et d’intrigue tout à fait contraire à leur vocation ? D'ailleurs beaucoup de tra- vaux utiles, modestes, qui peuvent servir à d’autres, échap- peraient à l’attention. Aïnsi, par la force des choses, l'œu- vre du savant qui fait des recherches est une œuvre d'abnégation. On ne doit pas la conseiller à ceux qui ne possèdent rien. Le bon sens l'indique, et c'est la grande cause pour laquelle tant d'hommes capables choisissent d’autres occupations quand ils n’ont pas une certaine in- dépendance de fortune. Même en augmentant les subsi- des aux élèves pauvres et intelligents des colléges et des 992 HISTOIRE DES SCIENCES. universités, on ne Changerait guère ce qui existe. Poursui- vre des idées ou des choses nouvelles ne sera jamais une profession ni régulière ni lucrative. Les encouragements créent des hommes instruits, surtout des professeurs, mais pour décider un jeune homme à suivre la voie des travaux originaux et pour qu'il s’y consacre au point d’en faire une spécialité, 1l faut le concours de plusieurs circonstances ou influences autres que l'éducation universitaire. C’est ce que nous allons examiner. $ 4. Causes diverses pouvant influer sur le nombre, la direction et le succès des hommes qui font faire des progrès aux sciences. A. Principes généraux. Avant d'entrer dans le détail des causes, il est essentiel de se rappeler la nature des hommes dont il s’agit et les caractères particuliers qui les distinguent. Nous ne parlons jamais ici des hommes qui savent, mais de ceux qui s'occupent à découvrir et à publier des choses vraies, dans le domaine des sciences, ou à combat- tre les erreurs, quand ils les constatent. La pierre de tou- che pour reconnaître un savant de cette catégorie n’est pas de lui faire subir un examen, c’est de voir s’il est cu- rieux de choses réelles, mal connues ou inconnues ; s’il aime la vérité en elle-même, sans s'occuper de l’opinion d'autrui, ni de ses intérêts personnels, ni des conséquen- ces possibles. Il s’agit d'un travail libre, ordinairement désintéressé, pour lequel certaines doses de persévérance et de capacité sont nécessaires. Comme en toute chose l'individu doit vouloir et pouvoir. Bien des causes influent sur ces deux conditions mora- les et psychologiques. Essayons de les grouper par catégo- HISTOIRE DES SCIENCES. 93 ries, afin de les mieux étudier. On peut reconnaître: 4° Des causes antérieures à la naissance (hérédité possible des facultés, des défauts et des tendances de l’un ou l’autre des parents ou des ancêtres). 2° Des causes posté- rieures à la naissance (éducation, exemples donnés, con- seils, expérience de l'individu, réflexions à la suite de ses études, des circonstances qui l'entourent, de l'opinion pu- blique et des institutions du pays). Il est possible aussi de grouper les causes d’une manière différente, en: 4° Cau- ses inhérentes à la famille (hérédité, éducation, conseils et exemples donnés par les parents): 2° Causes extérieu- res (écoles, opinion publique, lois et institutions du pays). Cette dernière classification me paraît moins bonne, parce que l'éducation, celle surtout qui se rattache à l'influence religieuse, a lieu simultanément dans l’intérieur de la fa- mille et en dehors. Nos documents permettront-ils de démêler ce qui tient à l’hérédité et aux causes subséquentes ? Si cela se peut, nous aurons fait un pas au delà des recherches curieuses de M. Galton, dans son ouvrage récent sur l'hérédité du génie ‘. Cet auteur à réuni beaucoup de données sur des hommes éminents de toutes catégories : juges, hommes d'État, savants, littérateurs, artistes, ete., principalement de son pays, et tout en parlant de l'éducation et de l’exem- ple comme de causes qui poussent les enfants dans la di- rection de leurs pères ou ancêtres, il met fort en évidence l’hérédité. Le titre même et la première phrase de son livre * montrent qu'il la regarde comme la cause domi- ! Hereditary genius. Un vol. in-8. Londres, 1869. ? « I propose to show in this book that a man’s natural abilities « are derived by inheritance, under exactly the same limitations as « are the form and physical features of the whole organic world. » — C'est-à-dire : Je me propose de montrer dans ce livre que les 94 HISTOIRE DES SCIENCES. nante. Je ne vois pas cependant qu'il en ait donné la preuve, ni qu'il ait scruté cette question d’une manière assez spéciale. Elle offre un intérêt très-grand, et par sa difficulté même elle pique la curiosité. Mes renseignements sur les hommes de science ont été recueillis d’une autre manière que ceux de M. Galton. J'ai employé des documents biographiques plus complets, tirés d'ouvrages français, anglais et allemands. Je puis me flat- ter d’avoir penétré ainsi davantage dans le cœur de la question. M. Galton a étudié, d’après les dictionnaires biographiques, 65 des principaux savants depuis Aristote jusqu'à nos jours. Il a constaté lesquels avaient eu des pères, frères, fils ou autres parents rapprochés, plus ou moins célèbres. Je ne doute en aucune manière de l'impar- tialité du choix, mais en bornant mes observations à l’es- pace de deux siècles sur lesquels abondent les informations, en m'appuyant sur quelques centaines de noms au lieu de 65, et surtout en employant les listes de membres étrangers formées lentement et scrupuleusement par les trois corps scientifiques les plus compétents qu'on puisse trouver, J'ai évidemment une base plus large et plus so- lide que celle de M. Galton. Du reste, quant aux faits, nous allons être complétement d'accord. C’est dans l’in- terprétation des faits, en d’autres termes, dans la recher- che des causes, qu'on remarquera une assez grande diffé- rence entre nos deux opinions. moyens naturels d’un homme dérivent par hérédité, exactement comme la forme et les caractères physiques de tout être organisé. + : Li | 45 HISTOIRE DES SCIENCES. 95 B. Étude spéciale de l’hérédité. Je parlerai d’abord du tableau [, des Associés étran- gers de l’Académie des sciences de Paris, dont le nombre a toujours été de huit, pour toutes les sciences et tous les savants non français. Lorsqu'on réfléchit aux conditions d’un pareil choix, la probabilité que deux hommes de la même famille soient nommés dans le laps de deux cents ans parait infiniment petite, du moins si l’on part de l’idée que, pour ce con- cours d'une espèce particulière, tous les hommes auraient une chance égale. Huit individus sur plus de 200 millions qui forment la population des pays civilisés en dehors de la France; 92 en tout, dans le laps de deux siècles, c’est- à-dire sur un milliard peut-être de personnes, c'est une proportion minime. Nous savons, il est vrai, que la masse des cultivateurs, ouvriers, etc., qui constituent la majorité de chaque population ne donne qu'une très-petite propor- tion des hommes qui se vouent aux sciences. Les femmes, les enfants doivent moins encore être comptés ; mais res- serrons le champ du calcul: ne pensons qu'aux hommes instruits: arrivons même à estimer à peu près le nombre des savants qui ont écrit depuis deux siècles, nous trou- verons encore que la chance pour chacun d'eux d’être nommé Associé étranger est extrêmement faible. Dans une seule science, la botanique, il a existé depuis l’origine jusqu’en 1851 plus de cinq mille auteurs ‘, dont, je sup- pose, environ quatre mille depuis deux siècles. On a pro- bablement moins écrit dans la moyenne des autres scien- ces. Admettons, par exemple, deux mille auteurs pour ? Voir la table de Pritzel, Thesaurus litterature botanice (1 vol. in-4°. Lipsiæ, 1851). 96 HISTOIRE DES SCIENCES. chacune. Comme il y à en tout huit sciences (zoologie, botanique, médecine, chimie, géologie et minéralogie, phy- sique, astronomie, mathématiques), il y aurait eu depuis deux siècles environ seize mille auteurs. Les savants français ont formé peut-être le quart de l’ensemble de ces écrivains et il y aurait eu par conséquent environ douze mille auteurs scientifiques non français. Sur ce nombre 92 ont été nommés Associés étrangers, c’est-à-dire 7 ou 8 sur mille. Dans le siècle actuel, le nombre des savants ayant augmenté énormément et le chiffre des Associés étrangers étant resté de huit, la proportion des élus est bien moindre relativement au chiffre des savants qui pu- blient. Cherchons aussi à estimer vaguement combien de sa- vants illustres n’ont pas de fils, ni surtout de fils qui parviennent à l’âge de 50 à 60 ans auquel une cé- lébrité peut être généralement reconnue, il en résul- tera la conviction d’une probabilité excessivement faible pour qu'un père et un fils se rencontrent sur la liste. Cette coïncidence improbable s’est pourtant présentée quatre fois. Je citerai les noms, d’après le tableau n° L mais il me faut auparavant répondre à une objection, celle que les fils d'hommes connus dans les sciences se- raient nommés plus facilement que les fils d'inconnus. Je n’ignore pas cette opinion. La politesse de quelques- uns de mes amis ne m'a pas empêché de voir qu'elle existe. Voici ma réponse. Toutes les fois que le fils d’un homme célèbre est mis en avant pour un titre ou une place, le publie des savants se divise, comme le grand pu- blic, entre trois opinions, dont deux extrêmes et une moyenne. L'une des opinions extrêmes est qu'un homme élevé par un père illustre doit avoir de bonnes méthodes, une bonneinstruction et un vif désir de se montrer digne HISTOIRE DES SCIENCES. 97 du nom qu'il porte. On est donc disposé à le nommer. L'autre opinion extrême pose en fait que le fils d’un grand homme est nécessairement un imbécile. Enfin l’opinion moyenne soutient qu'il faut l’envisager en lui-même, comme tout autre, et le juger d’après ses œuvres. Quand vient le moment d’une élection par un corps nombreux, tel qu'une Académie, les deux opinions extrêmes se neu- tralisent l’une l’autre et l'opinion moyenne doit être celle qui décide. Nous verrons bientôt que les fils d’Associés étrangers nommés au même titre, ont tous été des mathématiciens, comme leurs pères. Pourquoi l’Académie aurait-elle été trop favorable à cette catégorie de savants et pas assez aux autres? S'il y a eu faveur pour les fils de savants, ce doit avoir été aussi bien pour les fils de naturalistes ou de chimistes que pour les fils de mathématiciens ou d’astro- nomes. La diversité constatée dans les élections prouve l’impartialité du corps qui a nommé. Admettant donc cette impartialité habituelle de l'Aca- démie, je citerai les noms: BernouiLzzt Daniel, et BERNOUILLI Jean, 11% du nom, Associés étrangers, comme leur père Jean Bernoulli. EuLer (Albert), comme son père Léonard. HERSCHEL (John), comme son père William. Outre les quatre Associés dont les pères avaient eu aussi ce titre, nous voyons sur la liste cinq fils de profes- seurs de science, médecins ou pharmaciens, c’est-à-dire d'hommes qui s’occupaient plus ou moins de choses scientifiques, sans parler des fils de pasteurs, instituteurs, magistrats, nobles, ete., c’est-à-dire d'hommes qui avaient passé par des études universitaires et avaient montré quel- quefois des dispositions réelles pour les sciences. En somme 1] y à eu neuf Associés étrangers, fils de savants 7 98 HISTOIRE DES SCIENCES. illustres ou d'hommes scientifiques, c’est-à-dire une pro- portion de 10 °/,. Je viens de comparer les Associés étrangers avec leurs pères. Maintenant je vais les comparer avec leurs fils. Il est impossible de savoir le nombre des fils d’Associés étrangers qui se sont occupés d'une manière quelconque de science, mais on en voit quelques-uns figurer sur nos listes IE, HIT et IV, à titre de membres étrangers ou Cor- respondants des trois principaux corps scientifiques, à quatre époques différentes, et jen ai trouvé d'autres, moins connus, en consultant les ouvrages de biographies ou mes propres souvenirs. Après les quatre fils d'Associés étrangers déjà cités, qui ont éié eux-mêmes Associés étrangers, je note d’après les tableaux : Cassini (Jacques 1°), directeur de l'Observatoire de Paris, fils de Dominique, astronome. SAUSSURE (Théodore de), chimiste, fils d’Horace-Béné- diet, géologue et physicien. CANDOLLE (Alphonse de), botaniste, fils d'Augustin-Py- ramus, botaniste. D'autres fils d’'associés étrangers pourraient encore être nommés par les académies d'ici à quelques années. Enfin, je citerai en dehors de mes tableaux des quatre années : BERNOUILLI (Jean Ile du nom), directeur de l'Obser- vatoire de Berlin, fils de Jean IE, petit-fils de Jean L°', tous mathématiciens. BERNOUILLI (Daniel He du nom), mathématicien, fils de Jean I. BERNOUILLI (Jacques 1), membre de l’Académie de Saint-Pétersbourg, mathématicien, fils de Jean IX *. 1 La relation de frère ne s’est présentée que deux fois, et uni- quement dans la famille Bernouilli: Jean et Jaques; plus tard, Da- niel et Jean ve du nom. ET] HISTOIRE DES SCIENCES. 99 LiNNÉ (Charles), botaniste, fils de Charles Linné. Si je pouvais ajouter les fils d’associés étrangers qui ont eu une carrière plus ou moins scientifique, comme professeurs de science, médecins, pharmaciens, ete. le nombre en serait bien plus considérable. Évidemment dans la ligne descendante des associés étrangers, 1l y a eu plus de savants connus que dans la ligne ascendante. Ceux dont je viens de parler ne sont probablement pas les seuls qui aient existé et leur nombre est cependant de 11. Comme les associés étrangers nommés depuis 1820, par exemple, ont eu des fils qui peuvent encore se faire connaître dans les sciences, il faut comparer le chiffre de LE avec 65 as- sociés antérieurs à 1820, ce qui constitue la proportion de 17 ‘/,. Il serait bien difficile de faire des recherches aussi complètes sur la plupart des listes de simples membres étrangers ou correspondants des trois académies. Le nom- bre de ces titulaires est trop considérable, quelques-uns dans le XVII siècle sont trop peu connus, et pour les modernes, actuellement vivants, il n’a pas encore été pu- blié des biographies suffisantes. En cherchant une liste, pas trop nombreuse, bien composée et d’une date qui püt faire espérer des renseignements à peu près complets, Je me suis arrêté à celle des #8 membres étrangers de la Société royale de Londres en 1829 (page 57). C’est une liste qui ne contient aucun Anglais, comme celle des associés étrangers de Paris ne contenait aucun Français. Au sujet des ascendants de ces #8 titulaires, je note, en commençant par ceux dont les pères étaient le plus connus dans les sciences : SAUSSURE (Théodore de), chimiste, fils de Horace-Bene- dict, géologue et physicien. Cassinr (Henri de), botaniste, fils de Jacques- Dominique 100 HISTOIRE DES SCIENCES. et descendant en ligne directe des trois autres Cassinis plus ou moins illustres comme astronomes. SOEMMERING, fils d’un médecin. OERSTED, fils d’un pharmacien. BRONGNIART (Alex.), fils d’un architecte célèbre, qui devait avoir fait des études scientifiques. D'autres ont eu des pères qui, après avoir passé pro- bablement par les études universitaires, n’ont pas conti- nué à s'occuper de science ou du moins ne sont pas con- nus sous ce rapport. Cinq sur 48 constituent la proportion d'environ 10 °/,. Mais les deux premiers, dont les pères ont marqué dans la science proprement dite, forment seulement le finies Quant aux descendants, il m'est impossible de savoir combien il s'est trouvé parmi eux de médecins, pharma- eiens, ingénieurs, etc, Mais Je puis mentionner à ütre d'hommes connus dans les sciences : BRONGNIART (Adolphe), botaniste, membre de l’Aca- démie de Paris, fils d'Alexandre, minéralogiste. Jussieu (Adrien de), botaniste, de l'Académie de Paris, fils d’Antoine- Laurent, botaniste. TuénarD (Paul), agronome, de l'Académie de Paris, fils de Louis-Jacques, chimiste. CANDOLLE (Alphonse de), botaniste, fils de Augustin- Pyramus, botaniste. STRUVE (Ofto), directeur de l’Observatoire de Pul- kowa,. fils de François-Georges-Guillaume, astronome. Par conséquent 5 sur #8, soit environ 10 °}/,. lei, comme pour les associés étrangers, la ligne des- cendante à fourni plus de savants spéciaux et connus que la ligne ascendante. M. Galton était arrivé à la même conclusion (Hereditary genius, p. 3A7 et 420). | | | | | | HISTOIRE DES SCIENCES. 101 En ce qui concerne la même liste de la Société royale en 1829, le nombre des frères distingués dans les sciences est de trois. Je remarque en effet : ERMANN (Georges-Adolphe), voyageur et physicien, frère de Ermann (Paul), physicien. Cuvier (Frédéric), zoologiste, membre de l’Académie de Paris, frère de Cuvier (Georges), zoologiste plus cé- lèbre. ArZEUUS (Jean), professeur de chimie à Upsal, frère de Afzelius (Adam), naturaliste. De ces faits et des renseignements biographiques à moi connus dont je parlerai tout à l'heure, je conclus dans un sens plutôt contraire à l’action de l'hérédité proprement dite. Elle me parait avoir eu peu d'effet, excepté dans les sciences mathématiques. Ce seraient les influences d'éducation, d'exemple, de conseils donnés, etc., qui auraient été prépondérantes. Voici mes motifs pour le croire. 1° Les fils de savants reçoivent presque tous la même instruction collégiale et universitaire que les autres jeunes gens. Je citerai à l'appui nos villes de Suisse, où les faits me sont le mieux connus. Les fils des Bernoulli, des Hal- ler, Saussure, etc., ont tous passé par les établissements d'instruction publique, appelés académies ou universités, de leurs villes respectives. Plusieurs ont complété leurs études hors du pays, mais en cela ils ont agi comme beaucoup d’autres de leurs compatriotes destinés à la médecine ou au barreau. L'instruction publique et l'in- fluence générale des mœurs ou des lois ont donc été par- faitement semblables pour les uns et pour les autres. Si les fils de savants se sont souvent occupés de science, il faut nécessairement l'attribuer aux causes qui existent dans l'intérieur de la famille, mais ces causes ne sont 102 HISTOIRE DES SCIENCES. pas seulement lhérédité, il y a aussi les conseils et l'exemple, le désir de ressembler à son père et l'aide ma- tériel donné par des livres, laboratoires, ete., qui se trou- vent dans la maison paternelle. On peut faire les mêmes réflexions pour beaucoup de fils de savants des autres pays. À Paris, à Berlin, à Cambridge, ete, ils ont été élevés avec une foule d’autres élèves et cependant ils ont tourné plus souvent vers les sciences. On pourrait croire que, parmi les causes propres à la famille, l'hérédité serait la principale si les fils de savants distingués s'étaient trouvés dans les écoles supérieures avec une multitude de fils de portefaix ou de laboureurs, car les descendants d’hommes ayant travaillé de la tête, sont probablement, dès leur naissance, plus disposés à étudier que les descendants de ceux qui ont développé seulement leur système musculaire. Mais les élèves des cours scientifiques, dans les établissements supérieurs, sont presque tous des fils de fonctionnaires publics, avo- cats, pasteurs, instituteurs, négociants ou industriels d'un certain ordre, en un mot de personnes qui exer- cent leur intelligence plus que leurs bras. 2° Parmi les jeunes gens qui sont sortis de la foule des élèves, depuis deux siècles, pour devenir des savants illustres, un grand nombre étaient des fils de pasteurs ou de ministres ! protestants. Notre tableau des associés étrangers de l'Académie de Paris en indique treize, sur les 90 savants dont j'ai pu constater l'origine au point de vue de la profession du père. Cette proportion a été pour moi bien imprévue. Les fils de médecins, chirurgiens ou pharmaciens, sur la même liste des associés étrangers de Paris, sont au nombre de cinq seulement. * Le titre de ministre, chez les protestants, répond à celui d’abbé parmi les catholiques, et celui de pasteur au titre de curé. HISTOIRE DES SCIENCES. 103 Jai retrouvé le même fait sur la liste des membres étrangers de la Société royale de Londres en 1829. Elle se compose de #8 savants et jai pu constater la profes- sion du père pour tous, excepté un (Stromeyer). Or, il s’est trouvé huit fils de pasteurs (Blumenbach, Encke. Ermann, Olbers, Harding, Mitscherlich, Berzelius, Pierre Prevost), et trois fils de médecins, chirurgiens ou phar- maciens) OErsted, Sæmmering, Chevreul). Pourtant le nombre total des hommes de l'art dans les pays hors de France doit être bien supérieur à celui des ecclésiastiques protestants. En effet, parmi les popula- tions protestantes, considérées isolément, les médecins. chirurgiens, pharmaciens et vétérinaires sont à peu près aussi nombreux que les ecclésiastiques, et quand On ajoute ceux des pays purement catholiques autres que la France, ils constituent un total beaucoup plus considérable que celui des pasteurs et ministres pro- testants *. Les études que les hommes de l’art médi- cal ont faites, les travaux auxquels ils doivent se li- vrer habituellement pour leur profession, sont bien plus dans la sphère des sciences que les études et les travaux d’un pasteur. Si la capacité pour les sciences était une affaire d’hérédité, il y aurait bien plus de fils de méde- cins, pharmaciens, ete., sur nos listes, que de fils de pas- ! La proportion des ecclésiastiques et des hommes tenant à l’art médical varie beaucoup, selon les pays. En France, le recensement de 1861 a donné (Statistique officielle, p. zxvr) : Ecclésiastiques du sexe masculin, 65,481 ; hommes de l’art médical, 28,308. Aux États-Unis, le recensement de 1860 a donné (Seventh Census, p. Lxxx1): Ecclésiastiques, 37,529 ; hommes de l’art médical, 61,627. Les ecclésiastiques sont probablement moins nombreux que les hommes de l’art dans les pays protestants, et plus nombreux dans les pays catholiques. Mais si l’on réunit les hommes de l’art de tous les pays protestants. mixtes ou catholiques, ils doivent être évidemment plus nombreux que les seuls ecclésiastiques protestants. re 104 HISTOIRE DES SCIENCES. teurs. Évidemment la manière d’être de ceux-ci, leur vie régulière de famille, souvent à la campagne, les conseils qu'ils donnent à leurs fils ont exercé une influence consi- déreble, plus grande que celle d’une hérédité quelconque des dispositions scientifiques chez les hommes de l'art, ajoutée aux conseils qu'ils ont pu donner à leurs fils. La manière de se conduire, de travailler, l'absence de certaines causes de dérangement, une surveillance du père plus habituelle, en un mot des influences morales et de famille, l'emportent donc, au moins dans ce cas, sur l'influence plus ou moins probable d’une transmission purement héréditaire de facultés scientifiques. 3° Siles hommes de science dont j'ai parlé, fils ou pe- üts-fils de savants, s'étaient livrés à leurs travaux, dès leur jeunesse, par une sorte d’instinct, c'est-à-dire par une habitude devenue héréditaire, on aurait vu le même phénomène, avec ies mêmes proportions, dans tous les pays. Or les faits ne se sont pas manifestés de cette ma- nière. En Suisse, il y a eu, depuis deux siècles, plus de savants groupés par familles que de savants isolés, ou du moins la proportion des premiers à été très-remarqua- ble, surtout si l’on fait attention aux hommes les plus distingués. En France et en Italie le nombre des savants qui sont uniques dans leur famille constitue au contraire l'immense majorité. Les lois physiologiques sont sembla- bles pour tous les hommes. Donc l'éducation, dans cha- que famille, l'exemple et les conseils donnés, doivent avoir une influence plus marquée que l’hérédité sur la carrière spéciale des jeunes savants. Il est aisé d’ail- leurs de comprendre pourquoi cette influence à été plus forte en Suisse que dans la plupart des pays. Les études s’y font, jusqu'à l’âge de 48 ou 20 ans, dans chaque ville. et dans des conditions telles que les élèves vivent chez HISTOIRE DES SCIENCES. 105 eux, auprès de leurs pères. C'était surtout vrai dans le siècle dernier et dans la première moitié du siècle actuel, tout particulièrement à Genève et à Bâle, c'est-à-dire dans les deux villes qui ont fourni la plus forte proportion de savants unis entre eux par des liens de famille. Aïl- leurs, notamment en France et en Italie, il est assez ordi- naire que les jeunes gens soient élevés dans des colléges où ils demeurent et se trouvent par conséquent éloignés des influences de famille . Je ne voudrais pourtant pas nier absolument une in- fluence d’hérédité. Et d’abord, en lisant diverses biographies et en recueil- ! Le groupement des savants suisses par familles est tellement extraordinaire qu’il mérite d’être exposé plus en détail. J’ai dressé une liste de tous les Genevois qui ont été rattachés aux Académies des sciences de Paris ou de Berlin, ou à la Société royale de Lon- dres, à titre d’associés ou de membres étrangers, ou encore de membres effectifs à la suite d’une résidence à Paris, Berlin ou Londres. Ils s’élèvent à 29. Sur ce nombre, seulement 11 se trou- vent n’avoir eu aucun père, frère ou fils connu dans les sciences, et trois au moins, peut-être quatre, n’ont pas eu de fils qui leur ait survécu. Les 18 autres savants ont eu des proches, au premier, second ou troisième degré de parenté, au nombre de 20, qui ont joué un rôle dans la science, savoir 2 qui ont eu des titres aca- démiques de même nature à l’étranger, et 18 qui ont écrit sur les sciences, et faisaient partie de sociétés scientifiques moins impor- tantes. La relation de père à fils s’est présentée 11 fois, celle de frères 5 fois, celle de grand-père à petit-fils 2 fois. Dans les cas de la relation de père à fils, il est arrivé cinq fois que les fils ont été plus célèbres qué les pères, deux fois que les pères ont été plus cé- lèbres que les fils, et quatre fois qu’on ne saurait dire si le père mérite plus de célébrité que le fils. Je craindrais d’être incomplet sur les savants des autres cantons de la Suisse; mais il est aisé de voir qu’on aurait à Bâle des faits tout à fait analogues. Il a existé huit Bernouilli célèbres dans les mathématiques et un connu comme statisticien, deux Euler, deux Fatio de Duiller (frères). Seuls, Huber, l’astronome, et M. Pierre Mérian, le géologue actuel, n’ont pas eu, à ma connaissance, d’ascendant ou de descendant qui se soit occupé spécialement de science. 106 HISTOIRE DES SCIENCES. lant mes souvenirs au sujet d'un grand nombre de fa- milles de savants que j'ai connues, je regarde comme ex- cessivement rare qu'un homme célèbre dans les sciences ait eu un père aliéné ou idiot, à moins que cette affection ne fût survenue tardivement à la suite de quelque maladie accidentelle où par l'effet d’un age très-avancé. Les faits sont moins connus en ce qui concerne les mères. Cepen- dant il est permis de dire, avec assez de probabilité, qu'un savant, pour parvenir à un certain degré de distinction, doit avoir reçu de ses parents tout au moins des facultés intellectuelles dans un état normal et des passions qui ne l'entrainent pas d'une manière excessive dans un sens nuisible aux travaux de esprit. La santé physique, dont la transmission est bien con- nue, doit être telle qu'un jeune homme puisse se livrer sérieusement à l'étude, On cite des savants de premier or- dre qui étaient nés trés-délicats. Newton, par exemple: mais il y a certaines affections spéciales, souvent hérédi- taires, qui S’opposent absolument à des occupations scien- tifiques un peu soutenues. [faut encore, je présume, une certaine dose des facul- tés élémentaires de lesprit, comme lattention, la mé- moire, le jugement, la volonté, facultés qui constituent l'homme, aussi réellement que les formes intérieures ou extérieures, et qui se transmettent par conséquent de gé- nération en génération. Ces facultés ne doivent pas être contrariées par un développement excessif de limagina- {on. I faut qu'elles soient combinées d’une manière heu- reuse pour former un savant capable de s'élever au-des- sus de là moyenne. Toutes sont nécessaires, seulement si lune est faible une autre doit être forte. Ainsi un bon Jugement, qui conduit à de bonnes méthodes d'ordre, rem- place un défaut de mémoire. Une volonté déterminée et HISTOIRE DES SCIENCES. 107 la mémoire peuvent compenser un défaut de force dans l'attention. Une très-grande facilité remplace un défaut de persévérance. Les hommes supérieurs ont presque toujours certaines facultés dominantes, mais ce sont tantôt les unes, tantôt les autres. Rarement elles sont égales, comme on les a vues chez Haller et Gœthe. L’hérédité, considérée ainsi comme un fait relatif aux facultés élémentaires de l'individu et non aux spécialités scientifiques, produirait des combinaisons variées, et per- mettrait à beaucoup de jeunes gens de suivre une carrière ou une autre, une science ou une autre, avec la même probabilité de succès. Un goût prononcé pour un certain enre d'occupation fait présumer une volonté précise et probablement persévérante qui à ses avantages : mais, ex- cepté dans ce cas, ce doit être plutôt l’ensemble des facul- tés reçues par hérédité et développées par l'éducation qui détermine le succès. L'homme doué d’une forte dose de persévérance, d'attention, de jugement, sans beaucoup de déficit dans les autres facultés, sera jurisconsulte, histo- rien, érudit, naturaliste, chimiste, géologue où médecin, selon sa volonté, déterminée par une foule de circonstan- ces. Dans chacune de ces occupations il avancera en rai- son de sa force, de son zèle et de la concentration de son énergie sur une seule spécialité. Je crois peu à la néces- sité de vocations innées et impérieuses pour des objets spéciaux, excepté probablement pour les mathématiques. Ce n’est pas, comme on voit, nier l'influence de lhéré- dité, c’est la réduire à quelque chose de très-vénéral,com- patible avec la liberté de l'individu, et pouvant fléchir ou se modifier suivant toutes les influences subséquentes dont l’action augmente à mesure que l'enfant devient homme. L'observation des faits me conduit à admettre pour les 108 HISTOIRE DES SCIENCES. mathématiques une faculté spéciale, comme on l'admet, par exemple, pour la musique. Cette faculté serait très- développée ou très-susceptible de développements chez certains individus, selon leur nature primitive, c’est-à-dire par héritage de leurs parents, ou par une de ces dévia- tions de l’état des parents qui sont dans la nature physio- logique des espèces. C’est en effet parmi les calculateurs qu'on trouve des prodiges de précocité, comme chez les grands compositeurs de musique. Tout le monde connaît l'histoire de Pascal qui, à l’âge de douze ans, avait résolu les trente-deux propositions d'Euclide. Alexis Clairaut, fils d'un professeur de mathématiques et préparé par lui, fut en état, à l’âge de douze ans et huit mois, de présenter à l'Académie des sciences de Paris un mémoire original sur certaines courbes douées de propriétés remarquables. L'Académie pensa d'abord que ce mémoire n'était pas entièrement de lui: mais les réponses qu'il fit aux ques- üons qu'on lui adressa dissipèrent tout à fait ce doute. À dix-huit ans, il fut jugé digne d’être nommé de l’Acadé- nie. Îl fallut demander au roi une dispense, le règlement ayant fixé l’âge de vingt ans comme minimum. Claraut devint ensuite un des principaux mathématiciens de son époque. Il n'a pas laissé de descendants. Un de ses frères, après avoir annoncé les mêmes dispositions que lui, était mort jeune‘. Les Bernouilli ont été de grands mathéma- ticiens dès l’âge de 18 à 20 ans. L'un d'eux, Jean HE, fils de Jean IF, fut reçu docteur en philosophie à l’âge de treize ans. Gauss, que de la Place regardait comme le plus fort calculateur de son temps, avait montré dès son en- fance une rare aptitude aux caleuls. II disait de lui même en plaisantant, qu'il avait su calculer avant de savoir par- ! Biographie universelle, article Clairaut. “LÉ ” Le rs < L ler. À dix ans il aborda l'analyse supérieure‘. On a vu | des paysans, de simples pâtres, faire, tout jeunes et de tête, des calculs extraordinaires. Enfin dans les colléges on remarque de singulières inégalités chez les jeunes gens au point de vue de la faculté de calculer, et plus on Fob- serve à un âge encore tendre, plus on a le sentiment que c'est une disposition de naissance, ayant eu son origine chez les parents. Les grands mathématiciens dont j'ai parlé il ÿ à un in- siant avaient été quelquefois contrariés par leurs pères dans leurs goûts mathématiques. Jacques et Jean Bernouilli étaient réprimandés quand ils s’occupaient de calculs : aussi le premier d’entre eux, ayant fait de l'astronomie, prit pour devise : {nvito patre sidere verso. Daniel Ber- nouilli, fils de Jean [°", concourut secrètement à un prix de mathématiques, et comme il l’obtint de moitié avec son père, celui-ci ne put jamais le lui pardonner complé- tement *. Le père de Pascal, craignant pour la santé de son fils encore jeune, cachait ses livres de mathématiques. Les biographies de naturalistes mentionnent aussi quel- quefois un penchant précoce et déterminé vers l’observa- tion. Ce penchant paraît, dans certains cas, avoir été héré- ditaire. Par exemple, Huber fils, l'historien des fourmis, observait avec autant de persévérance et de finesse que son père, le célèbre aveugle, historien des abeilles. Gærtner fils, Adrien de Jussieu, étaient aussi bons observateurs que leurs pères. Ces faits sont moins surprenants que ceux relatifs aux calculateurs. La faculté d'observer implique un ensemble assez varié de facultés. Ce n'est pas quelque chose de tout spécial, comme les mathématiques, et d'ail- HISTOIRE DES SCIENCES. 109 * Nouvelle biographie, par Hæfer, au mot Gauss. ? Nouvelle biographie, art. Bernouilli. 110 HISTOIRE DES SCIENCES. leurs les hommes sont en moyenne plus disposés à regar- der qu'à calculer. La tendance vers les mathématiques ou vers les scien- ces d'observation ne résulte pas seulement d’une aptitude naturelle pour apprécier les relations de valeurs ou du défaut de cette aptitude, elle provient aussi de certaines manières de raisonner assez différentes, qu'on trouve ra- rement réunies chez le même individu. Le mathématicien se plait à suivre un raisonnement rigoureux, dans une di- rection unique. Le naturaliste, comme l'historien ou le jurisconsulte, est un homme disposé à comparer plusieurs faits, dont aucun n'est absolument prouvé, et plusieurs arguments, dont aucun n'est absolument rigoureux. Son travail consiste à estimer des probabilités, pour conclure dans le sens le plus vraisemblable. Il cherche à voir le plus possible d'une forme ou de l’évolution d’un être, mas 1 sait bien qu'il ne voit pas toutes les cu'constances antérieures, ni les infiniment petits que son microscope ne peut pas atteindre. Ces causes d'incertitude et d'erreur déplaisent à l'homme doué de l'esprit mathématique. Aussi voyons-nous, dans les écoles, les Jeunes gens capa- bles se diviser en deux catégories. Les uns cherchent le raisonnement étroit, profond et rigoureux des mathéma- tiques et le poursuivent volontiers si le calcul ne les fatigue pas: les autres préfèrent le raisonnement large et plutôt diffus, varié mais peu rigoureux des sciences d'observation. I faut aux uns plus de force de tête pour réussir, aux autres plus de jugement. Le mathématicien calcule certaines probabilités, quand des données précises le lui permettent; le non-mathéma- ticien estime toutes les probabilités, au moyen d’un exer- cice continuel de l'observation et du bon sens. Ge sont deux emplois des facultés très-différents et il ne faut pas HISTOIRE DES SCIENCES. 111 s'étonner si chaque homme et même, probablement, cha- que famille, incline plus vers l'un que vers l’autre. Quand les faits se prêtent aux calculs, en raison de leur simphi- cité réelle ou supposée, les mathématiciens S'en emparent. Lorsqu'ils sont plus compliqués et peu certains, les natu- ralistes, les chimistes, les géologues, les historiens, les économistes, les jurisconsultes cherchent à les débrouiller, à les comparer, à les expliquer. Si les faits peuvent être énumérés, ils les comptent et 1ls font sur eux des raison- nements de staüsticiens, très-différents de ceux des mathé- maticiens, car ils n'ont d'autre issue qu'une appréciation des probabilités *. Ceci fait comprendre pourquoi, en ad- 1 La forme numérique ne doit pas abuser. Les chiffres employés dans la méthode statistique ne sont qu’une manière de grouper des faits, dans le but d’estimer mieux leur valeur et les causes qui les ont produits. Par exemple, on désire étudier les circonstances qui influent sur les épidémies de choléra morbus. Pour cela, on re- cueïlle, aussi exactement que possible, des documents sur la morta- lité par cette maladie dans les quartiers d’une ville ou les districts d’un pays; ensuite, on compare les chiffres de ces diverses localités, en pensant toujours aux causes probables qui peuvent influer et dont on désire connaître les effets. Si l’on suppose que l’humidité, le rapprochement des habitants et leur indigence influent, on aura soin de comparer la mortalité de localités sèches et humides, les autres circonstances étant jugées semblables. On comparera de mé- me les localités à population dispersée et à population condensée, les autres circonstances étant semblables. Enfin, les localités à po- pulation aisée et à population pauvre, le reste supposé semblable. S'il n’y a pas d’autres causes qui influent, les conclusions statisti- ques seront probantes. Mais combien d’estimations et d’appréciations dans tout cela! Le bon sens d’un homme impartial doit dominer toute la recherche ; autrement vous n’avez qu’une de ces statistiques apparentes et sans vraie signification qui encombrent les journaux. C’est un travail de l’esprit complétement différent de celui des ma- thématiciens. C’est le travail d’un homme qui cherche à se dé- brouiller au milieu de faits mal connus, déterminés par des causes elles-mêmes variées et mal connues. Il s’efforce de compter les faits, de les peser, de les classer et de les comparer. Avec une forte tête, il pourrait le faire sans chiffres; mais alors ses éléments de TL de + ic «à: 112 HISTOIRE BES SCIENCES. mettant un certain degré d'hérédité des facultés, 1l y au- rait deux sortes d'héritage, l’une qui rendrait propre aux sciences mathématiques, l’autre aux sciences naturelles, historiques et sociales, indifféremment, sous la condition vénérale, pour réussir, que les facultés aient une certaine force et qu'elles soient combinées ou équilibrées d’une manière satisfaisante. Les faits sont assez à l'appui de cette hérédité selon les grandes catégories de facultés plutôt que les facultés spéciales. On voit rarement dans la même famille des poètes ou artistes célèbres et des savants ou érudits d’un ordre élevé. Malgré la chance de ressembler à sa mère ou à quelque aieul maternel, chance qui doit introduire toutes sortes de diversités, on à de la peine à citer des exemples de ces deux célébrités dans une même famille *. Au contraire rien de plus facile à trouver que deux frères, ou un père et un fils, célèbres l’un dans les sciences naturelles, l’autre dans les sciences historiques ou sociales. Je citerai sans avoir à faire la moindre recherche: les deux Humboldt, OErsted et son frère, jurisconsulte et ministre d'Etat en Danemark, Hugo de Mohl, botaniste, frère de Jules de Mohl, orientaliste, de Robert de Mohl, jurisconsulte, et de Maurice de Mohl, économiste et conseiller des finances — conviction seraient personnels, par conséquent contestables. En re- cueillant et groupant des chiffres, il divise les éléments de la ques- tion, et tout le monde peut suivre son raisonnement, le contrôler et juger de la probabilité des conclusions. C’est une appréciation motivée des probabilités; ce n’est pas un calcul mathématique. ! Un des jeunes peintres les plus distingués de l’école moderne française, Regnault, tué dans une sortie contre les Allemands lors du siége de Paris, était fils du célèbre physicien, membre de l’Aca- démie des sciences; mais il était aussi petit-fils, par sa mère, d’un auteur dramatique estimé. HISTOIRE DES SCIENCES. 113 Tiedemann, fils d’un philosophe célèbre, Madame Necker, auteur de l'Éducation progressive, fille du géologue de Saussure, Ampère, érudit et littérateur, fils du physi- cien, etc. Dans l'hypothèse d'une hérédité fréquente de dispositions propres à chaque science, ces exemples se- raient extraordinaires. Ils le sont peu si l’on admet une _ hérédité de facultés générales applicables à toutes les sciences dont les méthodes sont analogues, hérédité qui serait d’ailleurs influencée fortement et même dominée par l'éducation et par les circonstances personnelles *. Nous verrons plus tard un autre motif pour admettre l’hérédité des facultés considérées dans un certain degré de généralité. C’est le fait que les sciences se sont de plus en plus développées dans le sein des mêmes populations depuis trois siècles. Les savants distingués ne naissent pas au hasard, tantôt dans une partie du monde et tantôt dans une autre, ni même indifféremment dans tous les pays européens. Ils sortent des groupes de population dans lesquels beaucoup de familles ont négligé les travaux ma- nuels et cultivé l'intelligence, pendant une ou plusieurs générations, et ils sortent en immense majorité des fa- milles mêmes dans lesquelles ces antécédents ont existé (p. 82 à 89). Nous reviendrons sur ce sujet en parlant de la classification des savants par nationalités. 1 Je fais toujours une réserve pour la faculté de calcul qui pa- rait un peu héréditaire (p. 97, 108). Des recherches ultérieures sur ce point sont à désirer. J’en indiquerai une, qui est peut-être pos- sible. On assure que les registres de l’École polytechnique de Paris ontété tenus avec certains détails et conservés. Il serait intéressant de chercher quelles proportions de jeunes gens sortis avec les meil- leurs numéros, et de jeunes gens sortis avec les plus mauvais, étaient fils de professeurs de mathématiques, de membres de l’Académie (sections mathématiques) ou d’anciens élèves de l’École. Les tra- vaux étant faits en commun, sous les mêmes professeurs, au même âge, des différences constatées seraient assez probantes. 8 1 ai 114 HISTOIRE DES SCIENCES. C. Influence de l’éducation, de l’instruction, et des moyens matériels nécessaires dans les travaux scientifiques. Ce n’est pas ici, en passant, qu'il est possible de traiter du vaste sujet de l'éducation et des études spéciales pour créer des savants et développer les sciences. Je me bor- nerai à quelques réflexions sur la tendance de l’enseigne- ment et sur les divers moyens d'étude. Le principe de toutes les découvertes est la curiosité. J'entends la curiosité de choses réelles ou vraies, non de choses fictives ou imaginaires. Le désir de connaître, en d’autres termes d'acquérir la connaissance de choses ou d'idées, est sans doute provoqué et augmenté, comme le désir de posséder des objets quelconques, par la satisfac- tion qu'on à éprouvée antérieurement à posséder. Il s’en faut cependant que les désirs d'acquisition soient les mêmes chez tous les hommes. On les voit différer beau- coup et d'intensité et de nature. Tel a des appétitions d'une énergie extraordinaire, tel autre une sorte d’indif- férence; tel est avide de jouissances matérielles, tel autre de jouissances intellectuelles. Celui-ci désire ce qui est vrai, celui-là ce qui est ficüf. Mais quelle que soit la vi- gueur ou la direction de la curiosité, l'éducation peut beaucoup pour lexciter, la réprimer et la diriger. Si, dans l'intérieur d’une famille et à l’école, on pose des questions à un enfant, ou si on le met dans des condi- tions telles que lui-même se pose des questions, sa curio- sité est excitée. Si, au contraire, on ne cesse de lui dire qu'il ne faut pas s'occuper de telle ou telle chose, qu'il ne faut pas être curieux, que les maîtres et les parents doi- vent résoudre tous les problèmes, qu'il est inutile ou nui- sible ou défendu de scruter les choses qu'on ne comprend pas, les élans de la curiosité sont arrêtés et l'esprit se plie HISTOIRE DES SCIENCES. 4115 peu à peu dans le sens de devenir indifférent ou timide. Les parents et les maitres peuvent aussi parler de légendes et de fables, ou des choses réelleset vraies dont la nature et les circonstances sont à la portée des enfants. La curiosité se trouve ainsi dirigée soit du côté de la fiction, soit du côté de la vérité, c’est-à-dire vers les arts de l’imagina- tion, ou vers les sciences de toute nature. La direction im- primée continue par le fait même des jouissances que la fiction ou la vérité peuvent causer, soit en elles-mêmes soit par le fait de chercher. Les éducateurs se divisent entre ces deux tendances, et quand ils les raisonnent ils ont des arguments en faveur de l’une et de l’autre. Chacun a surtout des objections contre celle de ces tendances qui ne lui est pas agréable. On peut trouver des inconvénients à la direction réaliste. Cependant, au point de vue moral, c’est une bonne habi- tude de chercher ce qui est vrai. Il en résulte plus de véra- cité chez la moyenne des individus, par conséquent plus de confiance et de solidité dans les relations de toute es- pèce. Comparez, par exemple, les nations dans lesquelles l'esprit positif domine avec celles où la fiction occupe tou- tes les têtes — mettez surtout en comparaison les extré- mes sous ce point de vue, par exemple les Anglais et les Persans, les Hollandais et les Grecs d'autrefois. Vous serez bien vite convaincu de la facilité avec laquelle passent, dans la vie ordinaire et dans la vie publique, les tendances vers le réel ou le fictif. La conversation et l'exemple sont fes grands moyens d'influer sur la curiosité. Aussi est-ce la famille, plus que l’école, dont l'action me paraît importante à cet égard. Tel mot dans une promenade, telle observation ou expérience faite pour chercher la vérité, peuvent déterminer chez un Jeune homme qui en est témoin une série de recherches 116 HISTOIRE DES SCIENCES. analogues et, en général, le désir de chercher. Quelque- fois un livre sans prétention, mais bien fait, sous le rap- port éducatif, a d'immenses conséquences. Faraday, l’un des savants les plus ingénieux de notre siècle, étant à l’âge de treize ans apprenti chez un relieur, se met à lire quelques feuilles des Conversations de M"° Mareet sur la chimie, ouvrage destiné aux institutions de jeunes demoi- selles. Il y trouve, posées familièrement, plusieurs questions sur des phénomènes naturels, comme la congélation, la dilatation, les combinaisons chimiques, ete., avec l’indica- tion d'expériences très-simples, très-faciles à répéter. Sa curiosité est vivement excitée. Il vérifie les expériences, et il est de plus en plus enchanté, parce qu'il à compris pour la première fois la puissance des bonnes méthodes ; aussi, bien des années plus tard, lui-même racontait-il volontiers cette anecdote, en rendant hommage au modeste auteur des Conversations sur la chimie *. L'enseignement, depuis l’école primaire jusqu’à l'Uni- versité, favorise, contrarie, ou dirige d’une manière ou d’une autre l'esprit inquisitif des jeunes gens. Ques- tionner à propos, éloigner les demandes frivoles ou inconvenantes, bien accueillir celles qui ont un caractère sérieux et dont la solution est possible pour l'élève, par- ler des choses qui ne sont pas encore découvertes ou com- prises, mais qu'on peut espérer de découvrir ou de com- prendre au moyen de recherches et de réflexions, user rarement du principe d'autorité, qui est l’opposé des méthodes scientifiques, voilà ce qu'on peut indiquer aux instituteurs et aux professeurs comme pouvant diriger l'esprit de leurs élèves vers la partie relevée des sciences. Ce ne sont pas les professeurs les plus éloquents ou les 1 Éloge de Faraday, par M. de la Rive. 4 4 HISTOIRE DES SCIENCES. 117 plus elairs qui font surgir les esprits inquisitifs. Ce sont plutôt ceux dont l'enseignement laisse des doutes et qui posent des questions. S'ils parviennent à instruire tout en excitant la curiosité, c’est très-bien ; mais s'ils provoquent les efforts des élèves par un enseignement mal donné, ce n'est pas aussi regrettable qu'on le croit. En particulier pour les sciences mathématiques, où 1l est si important de forcer son attention soi-même, un professeur médiocre réussit quelquefois mieux qu'un très-habile *. Le pire, à mon avis, est celui qui représente la science comme faite. ; Notre tableau p. 36, prouve qu'il n’est pas sorti des villes d’universités beaucoup de ces savants d’un ordre supérieur qui sont devenus Associés étrangers de l’Académie de Paris. On remarque aussi avec surprise, en lisant les bio- graphies des savants, combien les maîtres d'hommes illus- tres étaient quelquefois médiocres et combien les élèves des professeurs les plus célèbres sont souvent des hommes d'un rang secondaire dans la science. Il faut en convenir: les savants illustres font les bons enseignements, mais les bons enseignements ne font pas les savants illustres. Libri, dans la préface de son Histoire des sciences mathématiques en ltahe, porte un jugement encore plus sévère sur les effets de linstruction publique à l'égard des sciences. « Les !? On prétend, dans un journal, disais-je à un savant professeur de l’École polytechnique de Paris, que dans votre jeunesse l’École a produit beaucoup plus de mathématiciens et de physiciens célè- bres qu’elle n’en produit maintenant. Est-ce vrai? — Peut-être, me répondit-il. — Pourquoi? — « Parce que, voyez-vous, notre prin- cipal professeur de mathématiques était si obscur que les élèves forts devaient se réunir après chaque leçon pour la refaire. C’est moi qui ait rédigé, pendant quelque temps, les cahiers pour mes camarades. Vous ne pouvez pas vous figurer combien cela m’a fait travailler. » A Le ÉRNTE È : 118 HISTOIRE DES SCIENCES. « temps, dit-il, où l’on à fait le plus d'efforts pour instruire « le peuple n’ont presque jamais été suivis par une de « ces grandes époques littéraires qui jettent un vif éclat «sur la vie d’une nation. C’est dans les causes qui ten- « dent à augmenter ou à diminuer la force morale des « hommes, plutôt que dans celles qui font varier le nom- « bre des écoles et des professeurs, qu'il faut chercher « Pexplication des phases de la gloire littéraire des na- «tions. » Libri était un savant judicieux, érudit, dont les opinions étaient libérales. Sans doute 1l s’'appuyait sur l’histoire, mais sans tenir compte de tous les pays et de toutes les époques. Il faisait comme beaucoup de nos contemporains qui attribuent la supériorité scientifique actuelle de l'Allemagne à ses universités, oubliant que celles-ci existaient presque toutes et étaient organisées à peu près de la même manière dans le XVII" siècle, quand l'Allemagne était très-inférieure dans les sciences. L'enseignement doit évidemment contribuer aux progrès: seulement il y à d’autres causes, et Libri lui-même, malgré sa sagacité, n'en apercevait qu'une partie. Le sujet de l'instruction publique, au point de vue de l’avancement des sciences, est extrêmement complexe. On peut se demander si l'instruction qui prépare pour les universités n’est pas la plus importante. D’après l'exemple de la Suisse et de l'Allemagne, je serais tenté de le croire. C’est à l'âge de 15 à 18 ans qu'un jeune homme apprend à travailler. C’est alors qu'il sent de quoi il est capable en fait d'intelligence et d’énergie. L'enseignement spécial des universités doit lui-même être considéré sous divers aspects. Il convient qu'il favorise les jeunes gens et les professeurs qui ont le plus le goût des recherches scientifi- ques. Les universités allemandes sont remarquables sous ce point de vue, particulièrement en ce qui concerne les t | ! À HISTOIRE DES SCIENCES. 119 jeunes docteurs. En leur permettant d'enseigner avec le titre de Privat-Docent, on les fixe dans le champ d’une science déterminée, ce qui est un immense avantage. Plus tard, selon qu'ils aiment ou la science ou l’enseigne- ment, ils deviennent des hommes consacrés surtout aux recherches ou donnant un grand nombre de cours et pu- bliant des ouvrages élémentaires. IIS sont moins chargés d'examens et de rapports administratifs qu’en France, en Suisse, en Italie et ailleurs. Malheureusement on voit, même en Allemagne, des professeurs très-Ingénieux, très- zélés pour la science, donner à la fois plusieurs cours et des cours prolongés, au détriment de leurs travaux origi- naux et de la célébrité qu'ils pourraient acquérir. La question des traitements, par l’État ou par les élèves, vient ici se heurter contre les intérêts tantôt de la science, tantôt des professeurs pères de famille. Une combinaison heureuse, que j'ai vu réussir naguère à Genève, était de pouvoir offrir des places de professeur aggrégé, non rétri- buées, mais accompagnées de certains avantages accessoi- res, à de jeunes savants qui avaient de l’aisance, et de réserver les places payées pour les enseignements les plus laborieux et pour les hommes qui ne pouvaient pas se passer d’un traitement. Du reste l'importance de l'enseignement oral, relative- ment aux autres moyens d'étude, n’a pas cessé de dimi- nuer. Avant la découverte de l'imprimerie c'était le moyen principal de transmettre les idées. Les manuscrits ne pou- vaient pas rivaliser alors avec la parole, mais peu à peu les imprimés ont pris la place principale dans les affai- res intellectuelles. Ils ont porté la lumière hors des éco- les, hors des villes, hors des pays civilisés. Les paroles _ fugitives ont été remplacées par quelque chose de durable et de précis, qui permet à chacun de réfléchir sur les 120 HISTOIRE DES SCIENCES. raisonnements et de comparer exactement les opinions. Pour peu qu'un livre soit bien fait, il a plus de lecteurs qu'on ne voit d’auditeurs dans les cours les plus fré- quentés. De nos jours on à rédigé des ouvrages élémen- taires et des traités scientifiques excellents, pourvus de figures qui en augmentent beaucoup Futilité. Enfin les bibliothèques, les laboratoires, les observatoires, les col- lections de toute espèce ont pris un immense développe- ment, approprié aux besoins réels de la science. Ce sont des ressources admirables pour les savants, quand il peu- vent et veulent ne pas donner tout leur temps à des dé- tails de pure administration. D. Influence de la religion. Pour plusieurs genres d’influences il m'a fallu argu- menter à priori, selon ce qui me paraissait vraisemblable. Quant à la religion c’est différent. On peut fournir des preuves directes, basées sur des faits. Les pays non chrétiens sont complétement étrangers au mouvement scientifique. [ ne faudrait pas en conclure à la nécessité d'être chrétien pour être un savant distin- gué, puisque beaucoup d'exemples contrediraient cette assertion. Il est permis de dire seulement que la religion chrétienne, par une influence générale sur la civilisation, a été favorable aux sciences. On peut affirmer tout au moins qu'elle a été, à l’époque moderne, la seule religion qui ait coincidé avec un développement scientifique sé- rIeUX. Mais la religion chrétienne elle-même n’est pas homo- gène. Elle comprend trois groupes, qui sont tous subdivi- sés, même lorsqu'ils ont la prétention de ne pas l'être, et dont le plus nouveau, celui du protestantisme, est plus HISTOIRE DES SCIENCES. 121 subdivisé que les autres. La répartition des populations est actuellement pour l'Europe *: Millions. Proportions. Catholiques romains . . 144 BL: I TERRE EEE 68 24 Enoiestanis, 2 4: 0 68 ‘/, 29 280 ‘/, 100 Hors d'Europe 1l y à fort peu de grecs, mais les catho- liques romains sont en nombre à peu près double de celui des protestants, comme en Europe, sans qu’on puisse en donner des chiffres très-exacts. Si nous laissons de côté les grecs, dont la civilisation est trop récente pour avoir pu fournir autant de savants distingués que les autres, il devrait se trouver sur les listes d’associés ou correspondants des principales aca- démies un nombre de catholiques à peu près double de celui des protestants. C'est presque l'opposé qui est arrivé. En voici la preuve. En Europe, hors de France, il y a maintenant 107 millions de catholiques et 68 millions de protestants. Or, sur la liste (p. 36) des savants les plus illustres nommés Associés étrangers par l'Académie de Paris, de 1666 jusqu'à nos jours, il y a 16 catholiques, 71 protestants et5 titulaires dont je n'ai pas pu constater la religion ou qui étaient peut-être israélites. Retranchons 2 protestants des États-Unis, pour ne comparer que les chiffres concernant l'Europe, il se trouve que la population européenne, non française, a fourni quatre fois plus d’Associés étrangers protestants que d’As- ! Almanach de Gotha, 1870, p. 1040. 122 HISTOIRE DES SCIENCES. sociés étrangers catholiques, le rapport des populations protestantes et catholiques en Europe, hors de France, étant de 4 à À ‘/,. Cette comparaison n’est pas concluante, en ce qu'elle laisse de côté les savants français, qui sont très-nombreux, parmi les catholiques. Voyons, pour corriger cette cause d'erreur, une liste des membres étrangers de la Société royale de Londres, à une époque offrant le plus possible de français, par exemple la liste de 1829 (page 57). Elle me parait avoir à peu près moitié de chaque culte. Je ne saurais préciser davantage, à cause de deux ou au plus trois noms sur lesquels les renseignements me font défaut. Dans la liste de 1869 le nombre des protestants dépasse un peu celui des catholiques. Cependant, en de- hors du royaume de la Grande Bretagne et de l'Irlande, il existe, en Europe, 139 ‘/, millions de catholiques et &4 millions de protestants ?. Il y à quelque chose de plus probant que ces rapports de chiffres basés sur des populations très-différentes, où l’on peut soupconner des influences de climat, de régime politique ou autres, qui prévaudraient sur l'influence des religions. Jaime mieux comparer des populations voisi- nes, catholiques et protestantes, ou des populations mé- langées des deux cultes. Or, sur la liste des Associés étran- vers de l’Académie de Paris, vous ne trouvez pas un seul catholique anglais ou irlandais, quoique leur pro- portion dans la population des trois royaumes dépasse la cinquième. L’Autriche n’y est pas représentée, et en général l'Allemagne catholique y fait presque complétement défaut, relativement à l'Allemagne protestante. Enfin, en Suisse, où les deux populations se trouvent distribuées par can- ! Almanach de Gotha, 1870. RE — HISTOIRE DES SCIENCES. 125 tons ou mêlées dans certains d’entre eux, et où les catho- liques sont aux protestants dans le rapport de 4 à 4 */,, il y à eu 13 Associés étrangers, dont pas un seul catholique. La même différence parait exister, pour les Suisses et pour les Anglais ou Irlandais des deux cultes, dans les listes de Londres et de Berlin. Je ne puis dire qu’elle soit sans exception, parce que les renseignements font défaut sur plusieurs savants moins connus que les Associés étrangers, mais, s’il y à eu peut-être quelques noms catho- liques parmi les anglais ou irlandais nommés à Paris ou à Berlin, je puis certifier du moins que sur les quatre listes dont je me suis occupé et que j'ai citées il n'y a pas un seul suisse qui ne soit protestant. Nous respirons pour- tant tous, en Suisse, le même air. Nous avons eu dans tous les cantons le régime républicain, excepté dans celui de Neuchâtel, qui s'était donné volontairement un Prince, dépourvu du reste de toute autorité sérieuse. Les cantons catholiques étaient aussi libres, dans leur administration intérieure, que l'Autriche ou la Bavière l’étaient en Alle- magne avant 1870. Done la diversité dans le nombre des savants qui ont fait le plus progresser les sciences, doit être, en grande partie, l'effet de la religion, soit sur l’édu- cation dans les familles et dans les écoles, soit sur len- semble des mœurs et des idées. attribue fort peu cette différence aux dogmes, dont plu- sieurs se rapportent à des doctrines qui ne concernent pas la vie ordinaire ni même la vie présente. D'ailleurs On ne sait jamais s'ils sont véritablement admis, même par les personnes qui les professent, et bien souvent la pra- tique n’est pas conforme aux principes. Ainsi, les musul- mans croient à la fatalité, et pourtant, lorsqu'un incen- die éclate à Constantinople, les riches sortent tous de leurs maisons avec une cassette qui contient leur or et 7 Liber 2e 1 dir + pi. 2) « Cr dal rie de D TE PV, di res. uk ax À 124 HISTOIRE DES SCIENCES. leurs bijoux. On trouverait parmi les chrétiens des con- tradictions tout aussi grandes. Par exemple, toutes les sectes admettent l’immortalité de l'âme, et cependant combien de cérémonies et de monuments pour notre en- veloppe charnelle quand elle est plus matière que jamais! L'influence des cultes me paraît tenir plutôt au clergé, à son action directe ou indirecte sur l'éducation et surtout à l'habitude qu'il peut avoir de prescrire par autorité ou de laisser chacun choisir librement ses opi- nions. Un dogme peut avoir de l'importance sans doute, mais le fait de limposer et celui de l’accepter d'autorité en ont bien davantage. Plus on procède par la voie auto- ritaire, plus on diminue Ja curiosité, mère des sciences, et plus aussi on augmente la timidité de lesprit. Celle-ci doit être une chose un peu héréditaire. La timidité à l'égard des dangers l’est certainement chez les animaux; et chez les hommes il y a des races, des classes et des fa- milles plus courageuses que d’autres. Une population édu- quée pendant plusieurs générajions avec le principe d’au- torité doit être naturellement timide dans les affaires in- tellectuelles. Au contraire une population habituée dès l'enfance à seruter les choses qu'on lui dit être les plus importantes, comme celles de la religion, ne craindra pas d'examiner des questions purement scientifiques et saura mieux les aborder pour les résoudre. Pour montrer à quel point une éducation fondée sur l'autorité peut rendre timide, je citerai lexemple de Descartes, homme assurément remarquable et qu'on estime avoir contribué à émanciper lesprit humain. Il avait achevé un Traité du Monde, dans lequel 1l de- vait parler du mouvement de la terre. Ayant appris la condamnation de Galilée, il renonça à la publication de cet ouvrage. Voici ce qu'il écrivait à son ami le P. Mersenne: | | | | HISTOIRE DES SCIENCES. 125 « On m'a mandé que le hvre (de Galilée) avait été brûlé « à Rome et l'auteur condamné à quelque amende: ce qui «m'a si fort étonné que je me suis presque résolu de « brüler tous mes papiers, ou du moins de ne les laisser « voir à personne... J'avoue que si le mouvement de la « terre est faux, tous les fondements de ma philosophie « le sont aussi, parce qu'il se démontre par eux évidem- « ment. Il est tellement lié avec toutes les parties de mon « traité, que je ne l'en saurais détacher sans rendre le « reste tout défectueux. Mais, comme je ne voudrais pour « rien au monde qu'il ne sortit de moi un discours où il «se trouvât le moindre mot qui fût désapprouvé par « l'Église, aussi aïmé-je mieux le supprimer que de le « faire paraître estropié» (Lettre du 20 novembre 1633). « Et ailleurs: « Toutes les choses que j'expliquais dans « mon traité, quoique je les erusse appuyées sur des « démonstrations très-certaines, très-évidentes, Je ne « voudrais toutefois pour rien au monde les soutenir « contre l'autorité de l'Église » (Baillet, Vie de Descartes, cité dans Hœæfer, Nouv. biographie). Que serait devenue la science si tous les savants avaient fait comme Descartes ! N'oublions pas, à titre d'influence indirecte de l'orga- nisation du clergé, le fait qu'un grand nombre de savants | distingués ont été des fils d’ecclésiastiques protestants. Les sciences ne seraient pas avancées au point où elles en sont aujourd'hui si Linné, Hartsæker, Euler, Jenner, Wollaston, Olbers, Blumenbach, Robert Brown, Berze- lius, Encke, Mitscherlich, Agassiz, etc., n'étaient pas nés. Heureusement leurs pères, qui étaient ecclésiastiques , n'étaient pas astreints au célibat. Retranchez des listes de savants des pays protestants les fils de pasteurs, et l'égalité se trouve presque rétablie entre les populations des deux cultes au point de vue de leur influence sur les 126 HISTOIRE DES SCIENCES. sciences. Ainsi, une règle de pure discipline, étrangère aux dogmes et qui n’a pas même toujours existé dans l'É- glise romaine, a eu des conséquences fâcheuses pour les sciences dans les pays catholiques. Le nombre des per- sonnes qui peuvent élever une famille dans des habitudes morales, simples, laborieuses, avec le désir d’être utiles aux autres et la volonté de s'occuper d’une manière désinté- ressée de questions intellectuelles, n’est jamais considéra- ble. On regrette de le voir affaibli par une obligation de céhbat imposée à des hommes qui ont précisément plus d'instruction et de moralité que là moyenne. Je parle ici du clergé catholique. Le clergé grec est, en partie, marié. Il a sans doute d'excellentes qualités morales, mais l’in- struction n’abonde pas chez lui. Je n'ai rencontré sur les listes de membres étrangers des académies aucun ec- clésiastique russe et je doute qu'il y ait également aucun de leurs fils. On trouvera peut-être une certaine contradiction enire deux paragraphes du présent article. Je mentionne le principe d'autorité comme détaurnant des sciences, et je constate plus loin que l'éducation donnée par les pasteurs protestants à leurs fils les a dirigés fréquemment vers les études scientifiques. On sait cependant que l'autorité joue un rôle dans toute influence exercée par des ecclésiasti- ques. La réponse est facile à faire. L'Église protestante exerce sur les esprits une pression autoritaire moins In- tense que les Églises romaine et grecque. Elle est partie de la liberté d'examen pour se séparer de l'Église catholi- que, et il était difficile après cela de se soustraire complé- tement et pour longtemps à l’examen ultérieur des doc- trines. En particulier dans la période du XVIIe siècle et de la première partie du XIX"°, la liberté d'opinion a été généralement assez grande parmi les ecclésiastiques pro- ét Dr deal PARLE . pans d'a “Sin dar à HISTOIRE DES SCIENCES. 127 É testants, surtout en Allemagne eten Suisse. Le retour ac- s tuel d’une moitié à peu près des laïques et ecclésiastiques protestants aux idées exclusives du XVIT® siècle chan- \ gera probablement les dispositions intellectuelles d’une ; partie des familles de pasteurs, mais on ne peut pas en- core en apercevoir nettement les conséquences. À L'histoire de la petite république de Genève est cu- rieuse comme démonstration des effets de l'autorité. Pen- dant près de deux siècles (1535 à 1725), les principes absolus des premiers réformateurs ont régné compléte- ment chez les laïques et les ecclésiastiques. L'’instruction était imposée par la religion. Presque tous les citoyens passaient par le collége et beaucoup d’entre eux suivaient plus tard les cours spéciaux de l'Académie; mais pendant toute cette période aucun Genevois ne s’est distingué | dans les sciences. De 1720 à 1730, le principe calviniste 2 d'autorité vint à faiblir: l'éducation et les mœurs chan- gèrent dans un sens libéral, et depuis 1739, date de la première élection d’un Genevois à une société étrangère importante, celle de Londres, Genève n’a pas cessé de produire des mathématiciens, des physiciens et des natu- + AS dre LE Se dé CRD Sade it 1 AN tee | ralistes, dans une proportion remarquable pour sa faible ; | population. K. | + | E. Influence des traditions de famille. £ É | | Certaines idées, certains sentiments, certaines sympa- | thies ou antipathies se transmettent, non-seulement de père en fils, mais d’aïeul à petit-fils et même au delà. Il est | impossible d'en douter. Ce n’est pas uniquement dans des | familles nobles ou princières qu'on peut le voir, c’est | | aussi dans les autres. En général on pense du bien de ses 3 | ancêtres et l’on est disposé à faire comme eux. Le fait | 128 HISTOIRE DES SCIENCES même d'entendre répéter toujours dans sa famille certains conseils, certaines anecdotes, dispose à prendre une di- rection plutôt qu'une autre. Si l’on retrouve, par hasard, les mêmes idées dans des papiers bien anciens d’un pa- rent qu'on n'a pas connu et que ces idées paraissent jus- tes, la tradition se propage avec plus de force. Les principes traditionnels peuvent éloigner ou rap- procher de la carrière scientifique. Dans telle famille, par exemple, on insiste sur la né- cessité ou la convenance du travail; dans telle autre sur le plaisir du far niente. Une famille transmet de généra- tion en génération le principe qu'il ne faut rien faire pour rien ; une autre qu'il est beau et louable de travailler sans profit ou avec peu de profit, et qu'il faut savoir sacrifier ses intérêts au bien publie, etc. D'avance on peut parier dix contre un qu'il ne sortira des familles dans les- quelles on vante la paresse, ou le lucre tout seul, aucun savant dévoué aux progrès de la science. On y verra peut- être des hommes riches s'occupant de science, par ma- nière de distraction, ou des professeurs qui enseignent pour argent, mais les principes moteurs de découvertes ou seu- lement de travaux de patience et d’érudition feront dé- faut, car ces principes sont évidemment l’abnégation et le travail. Les traditions résultent souvent de quelque grand évé- nement qui à influé sur une famille, par exemple, une carrière brillante ou inversement uné vie rendue malheu- reuse par quelque position ou profession. Le désir d'imi- ter un ancêtre célèbre est combattu par la crainte, plus fréquente qu'on ne le pense, de ne pas pouvoir soutenir la comparaison, mais cependant, en général, l'idée de suivre une carrière, dont on s’est applaudi dans la fa- mille, et de le faire avec certaines tendances qui ont paru RS | HISTOIRE DES SCIENCES. 129 bonnes, est une idée contre laquelle rien ne fait obstacle. Elle passe aisément à l’état de tradition. De là tant de fa- milles où l’on préfère la profession des armes, de l'admi- nistration, du commerce ou du barreau, etc. à cause des précédents. Quelquelois des événements malheureux re- jettent une famille hors de certaines directions et la pous- sent vers d’autres. Je connais un cas dans lequel des mal- beurs politiques ont dirigé vers les sciences plusieurs gé- nérations d’une même famille. Il s’agit d’un magistrat d'une ancienne ville libre qui avait cherché à remplir con- sciencieusement ses devoirs. On l’avait une fois comblé d'éloges pour quelque mesure libérale qu'il avait pro- posée, mais de révolution en révolution, quatre ans après, les plus honorables de ses collègues furent exécu- tés et lui-même, fugitif, se vit condamné à mort par con- tumace. Ayant survécu plusieurs années à ces affreux événements, il ne cessa de dire à ses fils et de consigner, par écrit, pour ses petits-fils, qu'il fallait avant tout se garder d'entrer dans un gouvernement quelconque. L'un des fils s'étant distingué dans les sciences à maintenu la tradition. Le petit-fils a eu des goûts studieux, grâce à une sorte d’instinct, soit habitude héréditaire. On Fa vu refuser à deux reprises de prendre part à l’administration supérieure de son pays, en présence, 1} est vrai, de nou- velles révolutions, et préférer les occupations scientifiques. La troisième génération est imbue des mêmes idées. L'influence des traditions se voit clairement dans les fa- milles qui ont émigré ou qui ont été expulsées de certains pays. C’est chez elles peut-être que cette influence existe au plus haut degré, parce qu'elles restent pendant quelque temps isolées moralement et qu'elles puisent volontiers leurs inspirations dans des souvenirs. La population protestante expulsée des pays catholi- 9 1350 HISTOIRE DES SCIENCES. ques au XVIre, au XVIP® et même au XVIIe siècle, a produit un nombre extraordinaire d'hommes distingués dans les sciences. On peut en juger, jusqu'à un certain point, par l'ouvrage de M. Weiss, sur les réfugiés d’ori- gine française *, mais il n'indique pas les réfugiés de di- vers autres pays et ne mentionne que brièvement les ré- fugiés français antérieurs à la révocation de l'édit de Nantes. Mes tableaux, complétés par quelques détails bio- graphiques, montreront l'importance du fait pour l’histoire cénérale des sciences. Je donnerai l’énumération des sa- vants les plus connus parmi ceux qui descendent de protestants de divers pays, émigrés pour cause de religion. Afin d’avoir une limite indépendante de ma volonté, Je mentionnerai seulement les correspondants, associés ou membres étrangers de l'une des trois grandes académies ou sociétés de Paris, Londres et Berlin *. J’ajouterai à cette liste les deux Bauhin, tous deux célèbres botanistes, un peu antérieurs à la fondation des corps scientifiques dont je viens de parler, et qui auraient sûrement été nommés par eux s'ils avaient vécu quelques années de plus. ! Histoire des réfugiés protestants de France depuis la révocation de l’édit de Nantes, jusqu’à nos jours. 2 vol. in-8°. Paris, 1855. ? Quelques-uns ne sont pas sur mes tableaux If, III ou IV, qui se rapportent à quatre années seulement. Les noms ajoutés sont ceux de savants qui ont été nommés par l’une des trois sociétés ou aca- démies dans l’intervalle de ces époques. HISTOIRE DES SCIENCES. 431 TABLEAU V SAVANTS QUI DESCENDENT DE PROTESTANTS EXPULSÉS DE LEUR PAYS : 1° Descendants de Belges, expulsés à l’époque du duc d’Albe, réfugiés A Bâle: . ‘Jacques Bernouilli, mathématicien. “Jean Bernouilli, mathématicien. Nicolas Bernouilli, id. ‘Daniel (fils de Jean) Bernouilli, mathématicien. “Jean IT (fils de Jean) Bernouilli, id. Jean I (fils de Jean ID) Bernouilli, id. Daniel II (fils de Jean IF) Bernoulli, id. Jacques I (fils de Jean IT) Bernouilli, id. Christophe Bernoulli, physicien et naturaliste, En Allemagne : De Bary, botaniste. | 2° Descendants de Français, expulsés dans le XVE siècle, ou dans le XVIE avant la révocation de l'Édit de Nantes, réfugiés A Bâle: Jean Bauhin, botaniste. Caspar Bauhin, botaniste. A Genève: Jean Trembley, mathématicien, né en 1749, Abraham Tremblev, naturaliste, fils de Jean. ‘Tronchin, docteur en médecine. “Horace-Benedict de Saussure, géologue et physicien. Théodore de Saussure, chimiste. * Les noms marqués d’un * sont ceux d’associés étrangers de l’Académie de Paris. 1352 HISTOIRE DES SCIENCES. ‘Charles Bonnet, naturaliste. Senebier, naturaliste. Simon Lhuilier !, mathématicien. | Pierre Prevost, physicien. ‘Augustin-Pyramus de Candolle, botaniste. ! Alphonse de Candolle, botaniste. À Genève et Lausanne : Tissot, docteur en médecine. Dans la principauté de Montbéliard : Georges Cuvier, zoologiste. 3° Descendants de Francais, expulsés après la révocation de l'Édit de Nantes, réfugiés À Genève :: | Georges-Louis Le Sage, mathématicien et philosophe. Jalabert, physicien. Louis Bertrand, mathématicien. Henri-Albert Gosse, chimiste. Jacques-André Mallet, astronome. Jean-Pierre Maunoir, chirurgien. . | Galissard de Marignac, chimiste. Emile Plantamour, astronome. À Neuchâtel et le canton de Vaud: Élie Bertrand #, mathématicien. Laurent Garcin #, naturaliste. : \ ! Descendant. de l’un des bourgeois de Paris qui remirent les clefs de leur ville à Henri IV. ? Le naturaliste le plus distingué, descendant de réfugiés fran- çais de cette époque, a été Édouard Claparède. Ses ouvrages sont très-remarquables, et nous savons tous, à Genève, combien il était savant et ingénieux. Malheureusement, il nous a été enlevé à 38 ans! C’est pour cela que son nom ne figure pas parmi ceux des ti- tulaires d’Académies. 3 D'une famille originaire de Toulouse, autre que celle du même 4 nom, réfugiée à Genève, et dont Louis Bertrand faisait partie. Voir Galiffe, Généalogies genevoises, 4 vol. in-8°, et Jeanneret et Bon- hôte, Biographies neuchâteloises, 2 vol. in-8; Locle, 1863. à # Voir Jeanneret et Bonhôte, Biographies neuchâteloises, I, p. | à 313-3179. HISTOIRE DES SCIENCES. 133 En Allemagne: Jean de Charpentier, géologue, résidant en Suisse. Achard, chimiste. En Hollande :: Daniel de Superville, médecin. De Lyonet, naturaliste. (Originaire peut-être d’une époque antérieure.) En Amérique: Jacques Bowdoin, physicien, président de la Société améri- caine des sciences ?. 4 Descendants de sujets autrichiens émigrés pour cause de religion, réfugiés de Moravie En Hanovre, puis émigrés volontairement en An- gleterre: “William Herschel, astronome. “John Herschel, astronome. d° Descendants d’Italiens *, réfugiés À Bâle, établis depuis à Genève et en Angleterre. Fatio (Nicolas), dit de Duiller. Fatio (Jean-Christophe), physicien et astronome, comme son frère, et comme lui de la Société rovale de Londres. “ Il est impossible de n'être pas frappé du nombre de ces savants, plus ou moins distingués, qui descendaient ! Le botaniste Jacquin, né à Leyde, en 1727, devrait peut-être figurer sur cette liste. Il était fils d’un français venu en Hollande, mais je n’ai pu constater si c'était pour cause de religion. ? L'origine de Bowdoin m’a été donnée par le D" Asa Gray, l’un de ses successeurs à la présidence de l’Académie américaine. 8 Il ne faut pas comptér les De Luc, de Genève, qui ne sont pas d’origine italienne. Voir Galiffe, II, p. 176. 4 Voir l’article Katio dans Senebier, Hist. litt. de Genève, IT, p. 155. PL UN Pos ACIER 154 HISTOIRE DES SCIENCES. par leurs pères de réfugiés protestants de divers pays. Pour tenir compte des plus célèbres, on doit remarquer dix associés étrangers de l'Académie des sciences de Paris, plus Georges Cuvier, qui aurait certainement reçu ce titre s’il était resté en Allemagne, où il avait fait ses études, et si Montbéliard n'était pas devenu une ville française. La proportion de 10 associés étrangers sur les 992 du tableau [, soit près de 14 "/,, est énorme pour un groupe de population de moins d'un million d’âmes *. En supposant ce chiffre d’un million pour la totalité des ré- fugiés protestants de divers pays, ce qui me parait exa- géré, l’ancienne confédération germanique, avec les trente millions d'habitants qu'elle comptait dans le XVITPe siècle, aurait dû avoir 30 fois plus d'associés étrangers, c’est-à-dire 300: or, elle en a eu 25. Le royaume uni de la Grande-Bretagne et l'Irlande, dont la population était d'environ douze millions à la même époque, aurait dû avoir 120 associés étrangers: il en à eu 27. La seule émigration des protestants français, dont on peut évaluer le total, au plus, à 500,000 ämes, à fourmi par ses descendants quatre associés étrangers. L'en- semble de toutes les autres populations chrétiennes, hors de la France, qui était peut-être de 450 millions dans 1 Weiss, Histoire des réfugiés protestants de France, I, p. 104, estime le chiffre des protestants sortis de France, dans les quinze dernières années du XVIe siècle (révocation de l’Édit de Nantes), à 250,000 ou 300,000, au plus. Supposons qu’il en soit sorti, pen- dant les guerres de religion du X VIe siècle ou dans le XVIII": siè- cle, un nombre égal, ce qui est probablement exagéré, et que les autres pays catholiques aient expulsé 100 ou 200,000 protestants, ce qui est probablement aussi exagéré, on n’arrive pas à un million pour la totalité des protestants originaires de divers pays catho- liques. HISTOIRE DES SCIENCES. 135 le siècle dernier et qui est aujourd'hui de plus de 300 millions, à fourni les autres, c’est-à-dire 88. On voit à quel degré les proportions sont différentes "! Nous avons ainsi une confirmation du zèle avec lequel les protestants se sont appliqués aux recherches scientifiques, mais il y a d’autres conséquences bien plus curieuses à tirer de ces faits, sous le point de vue de l'influence des tradi- tions, comparée à l'influence de l'hérédité, de la religion et des institutions. Jamais on n’a pu éclaircir cette ques- tion, si obscure, au moyen de détails aussi probants. Je prie donc le lecteur de faire une grande attention à ce qui suit. Les descendants de réfugiés protestants qui se sont le plus illustrés dans les sciences, c’est-à-dire les dix Asso- ciés étrangers, étaient tous fixés en Suisse, à l'excep- tion des deux Herschel. On ne voudra peut-être pas tirer des conelusions d’un choix aussi limité que celui des Associés étrangers, mais si l’on extrait de nos tableaux de 1750, 1789, 1899 et 1869 les descendants de réfugiés français ou belges qui étaient ou Associés ou Correspon- dants ou Membres étrangers des trois corps savants de Paris, Londres et Berlin, dans ces quatre années, on aura 25 noms, les uns illustres, les autres occupant une bonne position dans les sciences, et si l’on ajoute, comme je l'ai fait dans le tableau p. 134, ceux qui ont été nommés en dehors des quatre années sus-dites, on trouvera en tout #4 noms, plus ou moins remarquables. Or, de ces #4 savants, affiliés ! La population des réfugiés français a dû augmenter fort peu, à cause des souffrances qu’elle a endurées à l’origine, et parce qu’elle comptait surtout des gens de la classe moyenne ou supé- rieure, avec peu de prolétaires. La population générale de l’Eu- rope, en dehors de la France, a au contraire doublé, et au de là, depuis le XVIme siècle. + k 136 HISTOIRE DES SCIENCES. aux grandes Académies, 35 étaient ou sont nés en Suisse, 2 en Hollande, 4 aux Etats-Unis, # en Allemagne, 1 en Angleterre, ? à Montbéliard. Cependant les français per- sécutés s'étaient répandus en Allemagne, en Hollande, en Angleterre, pour le moins autant qu'en Suisse. Ils avaient même formé des colonies en Danemark, en Suède, aux États-Unis et ailleurs. Les réfugiés dans ces divers pays for- maient un total bien supérieur à celui des réfugiés en Suisse, et ils ont produit moins de savants. Leur direction dans les travaux intellectuels à été différente. Dans tous les pays autres que la Suisse et la petite principauté de Mont- béliard, très-analogue à la Suisse, ils ont fourni des juris- consulies célèbres (Sir John Romilli, de Savigny), des philosophes ou historiens (les Ancillon), beaucoup de théo- logiens et de prédicateurs, des officiers de mérite, et en gé- néral des hommes connus dans les sciences morales ou politiques, plutôt que dans les sciences mathématiques ou naturelles. I y à eu en Suisse 35 descendants de réfugiés affiliés aux trois grandes corporations scientifiques et seulement 9 dans tous les autres pays. Si l'hérédité déter- minait les aptitudes aux différentes branches des connais- sances humaines, et si la religion seule avait dirigé les protestants vers les sciences, on aurait vu les descendants de réfugiés se distinguer, en tous pays, et dès l’origine, dans les mêmes catégories de travaux. S'ils étaient doués d'une manière spéciale pour les sciences mathématiques, ou pour les sciences naturelles, ou pour les sciences morales et politiques, ou si l'éducation des pays protestants y disposait plus que rien autre, ils l'auraient montré aussi bien en Angleterre, en Hollande, en Allemagne qu'en Suisse. Ils se seraient distingués des la seconde génération, ! Denis Pepin était né en France. Je ne parle que des descendants de réfugiés nés hors de France. = HISTOIRE DES SCIENCES. 137 plutôt qu à la troisième ou la quatrième, comme cela est souvent arrivé, surtout à Genève. Donc cette population particulière des réfugiés avait probablement une certaine base de capacité intellectuelle héréditaire, surtout de capacité dirigée vers des choses sérieuses : elle avait aussi dans plusieurs des familles qui la composaent des traditions favorables aux études, mais elle à éprouvé des influences locales qui l’ont tournée vers des travaux différents selon les pays. Quand il a convenu à ces familles de réfugiés de s'occuper de droit, de lettres ou de théologie, elles ont donné des jurisconsultes et des théologiens, ce qui est arrivé surtout en Angleterre, en Hollande et en Allemagne. Dans les très-petites républiques de la Suisse et dans la petite principauté de Montbéliard, où les sciences morales etpolitiques présentaient peu d'application et peu d’impor- tance, elles ont fourni des mathématiciens, physiciens, chimistes ou .naturalistes. Ainsi les mêmes capacités générales peuvent, comme je lai soutenu précédemment, s'appliquer à des choses différentes, pourvu que celles-ci exigent l'emploi des mêmes facultés et de méthodes ana- logues. Ceci fait la part probable de lhérédité, relative- ment aux influences subséquentes. Voyons maintenant la part de l'éducation publique. Les divers descendants de refugiés recevaient en Angle- terre l'éducation des Anglais, en Allemagne léducation des Allemands, en Suisse l'éducation des Suisses, dans tout ce qui concerne les écoles, colléges ou universités. Is étaient influencés dans chaque pays, comme les nationaux, par les opinions religieuses protestantes et par d'autres opinions particulières à chaque nationalité. S'ils n'ont pas marché absolument comme leurs condisciples et contempo- rains anglais, hollandais, allemands ou suisses: s'ils ont fourni, par exemple, en Suisse beaucoup plus de mathé- TX 4 PET IE NOEL UE 7 - RL” mar Le Er ler sole L'ATLAS LCR, 12 "2 SC NE © var re 138 HISTOIRE DES SCIENCES. maticiens ou de naturalistes que la moyenne de leurs condisciples, tandis qu'ailleurs ils donnaient des juris- consultes ou des érudits, il faut que des traditions de fa- mille aient exercé sur eux une grande influence à côté des circonstances générales d'époque et de nationalité. Ces traditions étaient par exemple — et ici je parle pour les avoir reçues moi-même — de n'être pas oisif; de travailler volontiers et d’une manière désintéressée, en vue du bien général; d'éviter la politique: enfin de viser à l'approbation des hommes éclairés de tous les pays, ap- probation qu’on peut obtenir par de bons travaux dans les sciences plus facilement que par des moyens d'une autre nature. D'ailleurs, en supposant la même capacité et la même énergie, les familles anciennes dans un pays et les nouvelles doivent avoir des tendances différentes. Les anciennes doivent viser surtout à une influence locale, et les autres, un peu étrangères pendant quelques générations, doivent penser plutôt à l'Europe, ou du moins à leur pays d'origine, en même temps qu'à leur pays d'adoption. Le genre des propriétés que possèdent ces deux catégories de familles est ordinairement différent. Les familles anciennes ont surtout des immeubles, qui exigent une surveillance continuelle et quelquefois une résidence hors des villes, tandis que les familles étrangères possèdent plus souvent des valeurs mobiliaires, qu’on administre sans beaucoup de peine, et dans les villes. Elles se trouvent avoir ainsi plus de temps pour les professions purement libérales. J'ajouterai encore quelques détails qui méritent d’être notés. Les descendants, en Suisse, de réfugiés du X VFre siècle, ont donné plus de savants connus et surtout plus de savants illustres, que ceux de réfugiés des époques sub- HISTOIRE DES SCIENCES. 139 séquentes. Cela ne tient pas à ce que les descendants des premiers ont eu un siècle de plus pour se faire connaitre, car tous les hommes dont je parle, excepté les Bauhin et les premiers Bernouilli, ont brillé dans le XVIe siècle, non dans le X VIP. Ce n'est pas non plus à cause d'une supériorité de nombre des premières émigrations, car l’affluence par l'effet de la révocation de l'édit de Nantes a été la plus considérable. J'explique ce fait, comme beaucoup d’autres, par la nature et l'importance des traditions de famille. Les réfugiés du XVI: siècle (les Huguenots) étaient surtout des gentilshommes éclairés ou des hommes de lettres, le protestantisme s’étant développé beaucoup dans ces deux catégories de la population, en France et ailleurs. Ils apportaient avec eux des idées favorables aux études, avec un sentiment profond d'indé- _ pendance et de désintéressement. Les réfugiés de la seconde époque présentaient d'autres conditions. La noblesse française avait déja abandonné le protestantisme et le nombre des hommes de lettres ou de science qui avaient pu continuer à enseigner dans les écoles, tout en de- meurant protestants, était singulièrement réduit. Presque tous les religionnaires français à la révovation de l'édit de Nantes, étaient négociants, industriels ou agriculteurs. [l y avait sans doute parmi eux quelques officiers, quelques savants ou littérateurs, mais par exception. Le flot de ces émigrés se trouva donc favorable à l'industrie, au com- merce et à l’agriculture des pays dans lesquels ils furent | accueillis. Ils avaient, commeleurs devanciers les Huguenots, des habitudes d'activité, mais plutôt d'activité lucrative. . Leur indépendance d'opinion n'était pas moindre, et c’est peut-être ce qui les préparait à réussir quand il leur a plu de s'occuper de choses intellectuelles. Beaucoup se sont distingués non-seulement dans le commerce et l'industrie, VAT, VPN T LT 7 : 140 HISTOIRE DES SCIENCES. mais aussi dans les sciences morales et politiques, surtout en Allemagne, en Hollande et en Angleterre. Je ferai re- marquer cependant que dans cet ordre d'idées l’homme qui à laissé la trace la plus profonde et la plus persistante est Jean-Jacques Rousseau, lequel descendait d’un bour- geois de Paris, huguenot, qui était devenu citoyen de Genève en 1555 et exerçait la profession de libraire dans cette ville *. J'aurais aimé pouvoir compléter ces documents en in- diquant les descendances par les femmes. Malheureusement il n'est pas facile de savoir l'origine des mères, attendu que les biographies en font rarement mention. Parmi les savants cenevois ?, Jalabert, Théodore de Saussure, Pierre Prevost, Senebier, de Candolle (Aug.-Pyr.), de Candolle (Alph.) et Plantamour, soit 7 sur 19 des savants indiqués p. 434, 122, descendaient ou descendent de réfugiés français à la fois par leur père et par leur mère, et Tronchin, d'un réfugié français par son père et d’un italien par sa mère *. Parmi les Associés étrangers de FAcadémie de Paris, je citerai comme descendants par leur mère de refugiés fran- ais: de Humboidt et de la Rive. Des renseignements aussi incomplets ne prouvent rien sur linfluence relative des deux sexes dansles faits d'hérédité intellectuelle, d’édu- cation et de tradition. Je crois l'influence maternelle très- ! Rousseau l’ignorait probablement. Son origine est donnée, en détail, dans Galiffe, Généalogies genevoises, II, p. 308. ? D'après Galiffe, Généalogies genev. 4 vol. in-8°. % Les protestants italiens réfugiés à Genève, dans le XVIme siè- cle, ont été assez nombreux. Ils ont fourni, par leurs descendants, beaucoup d'hommes connus dans les sciences morales ou politiques. Je citerai le jurisconsulte Burlamaqui et plusieurs théologiens des familles Turrettini et Diodati. Ce sont leurs traditions qui diffé- raient de celles des Français, puisqu'ils recevaient exactement la même éducation et vivaient dans le même milieu, sans avoir les mé- mes tendances. PTE T0 Tee PRE ER HISTOIRE DES SCIENCES. 141 grande pour l'éducation, peut-être égale à celle du père quant à l'hérédité proprement dite, mais décidément moindre en ce qui concerne les traditions, lesquelles sont déterminées souvent par le nom et par des considérations de fortune ou d’antécédents de famille. Les puritains anglais qui ont émigré pour cause religieuse en Amérique avaient essentiellement le même caractère et les mêmes dispositions que les protestants français du XVI siecle. Aussi leurs descendants de la Nouvelle Angleterre ont-ils montré des tendances favorables aux sciences de toute nature, comme ceux des Huguenots en Europe. Ils ont donné les physiciens Franklin et Rumford et une grande partie des autres savants distingués et des historiens ou littérateurs des États-Unis. Les émigrations déterminées par des causes politiques ou économiques ne produisent point les mêmes effets. Je mentionnerai les principales, à titre de comparaison. Un très-grand nombre de polonais ont abandonné leur pays, par des motifs politiques, depuis à peu près un siècle. Je ne vois cependant aucun nom de Fémigration polo- naise sur les listes de membres étrangers à Paris, Londres ou Berlin dans les années 1829 et 1869. Les disposi- tions d'esprit, les habitudes et les traditions ne paraissent pas avoir dirigé ces émigrés du côté des sciences. [ne faut cependant pas se hâter de conclure d’après une expérience d'un demi-siècle. Si les descendants des polonais réfléchis- sent aux malheurs de leurs ancêtres, quelques-uns d’entre eux auront horreur de la politique et des révolutions, ce qui pourrait bien tourner leurs idées vers la culture pai- sible des sciences. L'émigration, toute volontaire, mais énorme, des européens aux États-Unis, offre à peu près le même phé- nomène. Elle se compose d'hommes laborieux, cherchant _. 142 HISTOIRE DES SCIENCES. la fortune et tourmentés quelquefois d'idées politiques. Les traditions qui s’établissent dans leurs familles ne peuvent guère, en général, être favorables aux occupations sédentaires et peu lucratives de la science. Un grand nombre vient d’un pays peu scientifique, l'Irlande, ou des couches les moins instruites des autres parties de l’Europe. S'il y avait eu sur chaque vaisseau d'émigrants un homme, un seul homme, tel par exemple que Nuttall, Agassiz, Engelmann, Marcou, de Pourtalès, ete. on verrait des résultats probablement différents. Déja autour de ces quel- ques émigrés savants et de ceux qui leur ressemblent on aperçoit, de bonnes traditions scientifiques. Elles vien- dront s'unir à celles des pèlerins de la Nouvelle-Angle- terre. L'ensemble des faits relatifs à F Amérique confirme l'importance des idées de famille, entées sur lhérédité pro- prement dite, et le peu d'influence relative des écoles, col- léges où universités, pour la production des hommes qui cherchent les vérités purement scientifiques. Je me gar- derai toutefois de réduire à zéro cette dernière catégorie d'influences, de même que celle de l'opinion publique dont je me propose de parler maintenant. F. Influence de l’opinion. Le nombre des hommes qui se sentent de bonne heure une tendance irrésistible vers telle ou telle occupation est extrêmement limité. Presque dans tous les cas ce sont des causes variées qui influent et même qui décident. Quelques- unes sont impératives, par exemple la nécessité de gagner sa vie où l’impossibilité de remplir certaines conditions évidemment nécessaires dans une profession. D’autres sont des causes morales, moins déterminées, qui agissent par. des moyens détournés ou compliqués. Parmi ces dernières, HISTOIRE DES SCIENCES. 143 il faut compter surtout l'opinion publique. Elle est comme une atmosphère qui entoure les individus et les familles, et il est très-difficile de ne pas céder à son influence. On aime se sentir appuyé, approuvé, considéré. L'idée d'être blimé ou tourné en ridicule est désagréable. D'ailleurs l'opinion récompense les personnes qu'elle soutient et qui flattent ses penchants. Il y a des profits pécuniaires, des places, des distinctions et mêmè des mariages avantageux qui résultent de son appui. J'ai connu plusieurs exemples, en Angleterre, à Paris, à Genève, de jeunes gens sans fortune, qui se sont alliés à des familles riches, unique- ment parce qu'ils se distinguaient dans les sciences. Pour employer le langage de M. Darwin, il se fait dans ce cas une sélection sexuelle favorable aux savants. Rien de plus curieux que la manière dont se crée l'opinion. On dirait d’abord une chose vague, insaisissable quant à l’origine: mais en regardant de plus près on en découvre les principes moteurs. Il y a des intérêts, et aussi des goûts, quelquefois contraires aux intérêts. Évidemment, par exemple, la masse des négociants agit dans un sens favorable au commerce, le clergé dans un sens religieux, les fonctionnaires de l'instruction publique dans le sens qui lui est favorable, les artistes dans le sens de l’art, etc., mais en outre chaque individu a ses goûts de prédilection à côté de ses intérêts, et chacun s’efforce de les faire pré- valoir en s’entendant avec d’autres personnes. Dans toutes les professions lucratives il y a des gens qui aiment les questions religieuses ou les sciences ou les arts ou le plaisir, de même que dans le clergé et parmi les professeurs d'université il y a des individus qui préfèrent le lucre au bien de la religion ou de la science. L'union des tendances secrètes où avouées forme des courants d'opinion qui lut- tent avec les grands courants déterminés par les intérêts. 2 cs L La 14% HISTOIRE DES SCIENCES. Le nombre et la passion des personnes, de l’un et l’autre sexe, qui créent ces divers courants, déterminent aussi leur force relative et par conséquent l'opinion dominante. On peut distinguer six tendances qui dirigent les in- dividus d’une façon plus ou moins exclusive : A A. Recherche habituelle et prononcée de biens matériels, pour le plaisir d'acquérir et de posséder. B. Recherche de ce qui plait, c’est-à-dire disposition à ne rien faire, ou à dépenser pour son agrément des valeurs de toute espèce, au lieu d'en créer. . Recherche d'influence et d'action politique. . Préoccupation d'idées religieuses. . Recherche de la vérité, en elle-même, ce qui est le principe et le but de toutes les sciences morales, politi- ques, mathématiques ou naturelles. F. Recherche du beau, en lui-même, ce qui est l'essence des arts et de la littérature. Les individus très-passionnés n’obéissent guère qu'à une seule de ces tendances, mais en général chacun obéit à deux ou trois d'entre elles. C’est pour cela qu'on aime si fort la propagande. Elle attire et unit les tendances de second ou troisième ordre de beaucoup d'individus, de façon à ac- croître la force du courant en faveur duquel on se démène. Ainsi l'homme politique va chercher des appuis, au moyen de ses discours et de ses journaux, dans toutes les parties de la société : de même le prédicateur ou lorateur religieux: et aussi l’homme de science, au moyen des sociétés libres qui se sont si fort multipliées de nos jours. Le résultat de cette lutte continuelle des tendances diffère selon les pays et les époques. Quelquelois une tendance en écrase une autre, mais presque toujours il y a une, deux ou trois tendances dominantes, qui caractérisent l'opinion, sans anéantüir complétement les autres. ENS HISTOIRE DES SCIENCES. 145 En partant de ces bases, on peut indiquer aisément ce _ qui disüngue tel pays ou telle époque au point de vue.de l'opinion. Ainsi, dans le siècle actuel, en Angleterre et aux États-Unis, les tendances A, C et D sont prépondérantes, mais en Angleterre la tendance E prend également de l’im- portance d’année en année. En Allemagne, dans le XVII siècle, les tendances B et F dominaient, tandis que maintenant C et E ont pris la conduite de la société. La France est tellement divisée entre À, B, C et D, qu'il en résulte des tiraillements et des crises, non sans inconvénient pour les tendances E et F. Ceci me conduit à parler de l’antagonisme qui existe ou qu'on prétend exister entre certaines de ces tendances. Évidemment A etB contrarient les autres, mais est-il vrai, comme on le dit souvent, que la science et la religion ne puissent pas marcher d'accord? J'en doute beaucoup, et voici. mes motifs, indépendamment de ceux qu'on peut déduire des nombreuses biographies de savants. Il existe, je le reconnais, dans le but poursuivi de part et d'autre et dans les méthodes, des différences très-réelles. L'homme de science ne cherche absolument que la vérité en elle-même, sans s’occuper des conséquences possibles ou probables. L'hemme attaché d’une manière particulière à une religion est persuadé qu'il tient la vérité. Il n’aime pas qu'on la discute. Il lui répugne d'en voir critiquer certaines déductions. Il redoute aussi les découvertes qui pourraient entamer ce qui lui semble plus important que tout le reste. L'homme de science repousse absolument le principe d'autorité. Jurare in verba magistri lui est antipathique : à plus forte raison se soumettre à l'opinion d'une académie ou à la majorité d'une réunion quel- conque. Il tient beaucoup à n'admettre que des choses 10 146 HISTOIRE DES SCIENCES. prouvées, et comme il en existe fort peu qui le soient mathématiquement, il s'attache à des probabilités, qu'il pèse dans son esprit et qu'il doit toujours être prêt à abandonner quand d’autres lui semblent prévaloir. L'homme essentiellement religieux ne redoute pas le principe d'autorité. Il l'admet sous plusieurs formes, ou verbales ou écrites, et même pour des choses qu'il ne comprend pas. Ce sont là de grandes différences, mais en même temps il y a de véritables analogies. Ni les bommes de science, ni les hommes religieux ne sacrifient leurs opinions à des intérêts matériels, à la politique ou au plaisir. Quand cela leur arrive, ils sortent de leur catégorie et perdent l’estine du public. Les uns et les autres s'occupent de choses intellectuelles, et doivent, pour réussir, accepter une vie réglée, laborieuse, même sévère, quand ils sont d’une famille pauvre. Ils ont enfin en commun le précieux sentiment de tra- vailler d’une manière désintéressée au bien de lhuma- nité. Le contraste me semble moins fort que celui des hommes de science et des hommes politiques, puisque ceux-ci défendent, non pas toujours ce qu'ils croient vrai, Mais ce qui leur paraît pratique, c’est-à-dire pou- vant se réaliser, et qu'ils admettent d’ailleurs l'autorité des chefs ou des majorités. Les politiques s’amalgament aisément avec les individus de la lettre À, car ils ont besoin souvent des mêmes procédés pour réussir: mais l'homme qui cherche la vérité pure, en histoire, en droit, en science morale, naturelle ou autre, sans pen- ser à lui, est bien dépaysé dans une assemblée poli- tique. Il ne peut s’y trouver guère que par patriotisme ou par un entraînement momentané, et très-vite 1l re- connaît qu'il n’est pas à sa place. Comment pourrait-il HISTOIRE DES SCIENCES. 147 se prêter aux manœuvres des politiciens? — par exem- ple, trafiquer d’un principe contre un chemin de fer, d’une fondation de charité contre une élection ; du ren- versement d'un ministère ou d'une dynastie contre certains avantages personnels? Les hommes de science se sont trouvés quelquefois assez nombreux dans les assemblées politiques. On s’est empressé alors de leur donner un nom, par exemple, celui de doctrinaire, pour les bafouer et les renverser, comme on a fait du nom d’aristocrate, le plus beau de tous (œpeoros, meilleur), une épithète injurieuse. Décidément, l'amour du bon, du beau ou du vrai, c'est-à-dire la religion, l’art et la science, occupe un des côtés de la sphère morale de homme, et amour de soi l’autre côté. G. Influence des institutions et des gouvernements. La répartition, par nationalités, des savants qui ont | fait le plus avancer la science, montrera tout à l’heure | combien la forme du gouvernement exerce peu d'in- È fluence à cet égard. Chaque système politique peut avoir certaines manières d'encourager et de décourager les savants. Il serait difficile de déterminer, d’après les faits, comme à priort, lequel leur est le plus favorable, En général, les gouvernements confondent beaucoup | trop l’enseignement avec le progrès des sciences. Plu- sieurs croient avoir tout fait en créant des écoles, des universités. [ls ne comprennent pas non plus qu'en gé- nant ces institutions dans les méthodes ou dans le choix des professeurs, ils font quelquefois plus de mal que de bien. Ils ignorent à quel degré la science vit de liberté et du travail individuel des maîtres et des élèves en dehors des leçons. Souvent ils surchargent les professeurs de cours, RE “————— ——— — 2 — M. 148 HISTOIRE DES SCIENCES. d'examens ou de détails administratifs qui enlèvent à ceux qui voudraient travailler le temps de le faire ‘. Ils s'occu- pent fort peu d'encourager les publications originales ?, que la vente par les libraires est loin de rémunérer. Les souverains absolus ont quelquefois attiré dans leurs capi- tales et favorisé des hommes célèbres. Leurs intentions, sans doute, étaient bonnes, et les résultats en ont été utiles à leur pays. Mais, après tout, ce n'était qu'une manière de déplacer la culture scientifique, non de la créer. Louis XIV fit venir d'Italie Dominique Cassini, qui a contribué par lui-même et par ses descendants à l'illustration scientifique de la France; mais on enlevait cette famille remarquable à un autre pays. Le même Louis XIV forçait les Français protestants à opter entre leur pays et leur religion, ce qui chassait, par exemple, le mathématicien de Moivre, membre de l’Académie de Paris, et décidait Huyghens, fixé en France, à retourner en Hol- lande. Les rois de Prusse et les empereurs de Russie ont attiré un grand nombre de savants français, suisses, ita- liens et autres, et leur ont donné des titres et des pen- sions, comme membres de leurs Académies royales ou impériales; mais ces hommes, déjà connus dans les sciences, auraient probablement travaillé chez eux. C’est 1 Au moment où je rédige cette phrase, j’ai sous les yeux des lettres de professeurs français, allemands et italiens, qui se lamen- tent de ne plus pouvoir travailler pour la science, chargés comme ils le sont par des centaines d'examens. Qu’on désire des hommes forts pour les lecons, cela doit être; mais les examens pourraient parfaitement être confiés à d’autres personnes, moins connues, moins âgées, dont le temps est moins précieux. ? L'Empereur et les Chambres du Brésil ont donné un bon exemple, en allouant des fonds pour une Ælore dont la direc- tion est confiée, en Allemagne, à un botaniste consciencieux, et la rédaction à de nombreux collaborateurs, rémunérés convenable- ment. SN SPP TOP ET NU 7 MP EN EME + HISTOIRE DES SCIENCES. 149 évident, tout au moins pour Maupertuis, de la Grange, Euler et bien d’autres. En général, cependant, ces émi- grations de savants ont été utiles à eux-mêmes, à la science et aux pays dans lesquels ils recevaient un si bon accueil, d'autant plus que les souverains avaient quelque- fois assez de bon sens pour laisser à leurs académiciens le temps de travailler. Les gouvernements constitutionnel ne peuvent guère employer ce mode d'encouragement, qui suppose des choix et des dépenses plus ou moins ar- bitraires. Obligés de suivre des règles uniformes et de toût expliquer au public, ils sont conduits à traiter un homme de génie comme un autre et quelquefois à favori- ser une médiocrité nationale à la place d'un étranger plus capable. D'un autre côté, les gouvernements absolus exercent, | sur les hommes de science, pour les obliger à accepter | des emplois, une certaine pression à laquelle beaucoup | d’entre eux ne peuvent ou ne veulent résister. Le médecin | botaniste Camerarius, ayant réfusé obstinément d’être | attaché à quelque prince d'Allemagne dont j'ai oublié le nom, prit cette fière devise : « Alterius non sit qui suus | | esse potest. » Je cite cet exemple à cause de sa rareté. | Combien de jours et d'années certains savants, désireux | _ detravailler, n’ont-ils pas perdu dans des devoirs de | cour, d'administration ou de délibération, censés volon- | _ aires et qui ne l’étaient pas ? Heureusement pour plu- | sieurs d’entre eux, telle charge imposée conférait des | avantages utiles à leurs travaux: par exemple, une bonne position de fortune, la dispense du service mili- taire, où plus de liberté dans l'énoncé des opinions. J'ai connu des républiques aristocratiques chez lesquelles la partie principale du traitement d'un professeur était lexemption militaire. Les régimes de pure démocratie 150 HISTOIRE DES SCIENCES. ne peuvent pas créer un privilége aussi énorme. Si les États-Unis laissent la liberté personnelle à tout le monde, il faut l’attribuer aux traditions anglaises et à la position géographique particulière du pays. Les démocraties ont aussi leurs manières d'encourager les savants. Elles leur laissent une grande liberté d’opi- nion scientifique, par la raison fort simple qu'elles s’oc- cupent plus d’affaires matérielles et d'intérêts de per- sonnes ou de partis que d’affaires intellectuelles. Quand elles persécutent, ce n’est pas pour longtemps, leurs majo- rités étant variables. Les démocraties ont surtout le grand avantage d’éloigner de la vie politique et des fonctions publiques, y compris l’enseignement, les hommes qui ont le goût des recherches, du travail de cabinet, de l'indé- pendance des idées, de la vérité, mise au-dessus de la popularité et des intérêts matériels, c’est-à-dire précisé- ment ceux qui peuvent faire avancer le plus les sciences. En Amérique, en Suisse, comme autrefois à Athènes, les mœurs et les procédés démocratiques séparent les caté- gories Cet E de ma classification des tendances (page 14%). Pour moi, qui en ai profité d’une manière très-positive, il me serait impossible de ne pas être reconnaissant en- vers la démocratie absolue de mon pays. Si Je laisse une faible trace dans la science, je le dois certainement au loisir que deux révolutions et certains procédés adminis- tratifs m'ont imposé, à l’âge où la maturité d'esprit se trouve le mieux combinée avec la force intellectuelle. y a des ouvrages qui demandent à être rédigés sans inter- ruption et dont le succès dépend beaucoup du moment où ils paraissent. En général, quelle que soit la forme ou la tendance d’un gouvernement, les hommes qui cultivent la science pour elle-même, doivent s’estimer plutôt heu- HISTOIRE DES SCIENCES. 151 reux s'ils sont en défaveur dans la région gouverne- mentale. Le principe des aristocraties est de réserver chaque catégorie d’occupations à des catégories d'individus et même de familles. C'est le système des spécialités, qu paraît favorable aux sciences, d’après ce que nous avons remarqué ci-dessus (page 73). Les démocraties, au con- traire, considèrent tous les individus et toutes les familles comme propres à tout. Le même citoyen, à côté de sa profession, est électeur ou député: il est aussi juré, mili- taire, etc. Cette confusion, nuisible aux vraies spécialités, a l'avantage de relever la moyenne d'intelligence par lé- lévation du grand nombre, et si la conséquence n’est pas de faire naître plus d'hommes scientifiques de premier ordre, du moins il y a une foule mieux disposée en faveur des sciences. Au surplus, les idées des démocraties différent autant que celles des souverains absolus ou des aristocraties. Je ne parle pas des démocraties qui s’improvisent au milieu des révolutions, mais des républiques démocratiques bien établies, qui marchent avec aussi peu de guerres civiles ou de révolutions que la plupart des pays monarchiques. Aux États-Unis, par exemple, on crée des colléges et des universités par fondations, et ces fondations, ordinaire- ment indépendantes des gouvernements, sont respectées. L'enseignement y serait entre les mains de Jésuites ou de communistes — et il est souvent sous l'influence de sectes fort exclusives — qu'aucune législature n'aurait l'idée de s’en mêler. On provoquerait plutôt, par sous- cription, d’autres établissements dirigés dans un autre esprit. En Suisse, au contraire, les gouvernements se sont faits pédagogues, et les fordations de toute espèce ont été si peu respectées dans certains cantons que personne RO NE TE en DRE PAC SUN OU SET CM CRIS ‘ veto ch : ET Nahir ; 152 HISTOIRE DES SCIENCES. n'aurait l'idée d'en faire de nouvelles. On pourrait citer d’autres différences, qui montreraient en somme les dé- mocraties aussi diverses les unes des autres que, par exemple, les aristocraties d'Angleterre et d'Autriche ou les despotismes de Louis XIV et de Louis XVI. La forme des gouvernements n'a done pas pour les progrès scientifiques l'importance qu'on lui attribue quel- quefois. Pourvu que la civilisation ne soit pas détruite par une série de violences révolutionnaires ou guerrières agissant pendant plusieurs siècles, il n°y à pas de raison de croire que les travaux scientifiques s'arrêtent dans un pays uniquement à cause du régime politique. Les mœurs nt plus d'importance, et surtout l'éducation et les tradi- tions dans le sein des familles, sans parler de l'hérédité des facultés qui est à la base. Celle-ci me parait donner aux individus une impulsion plus générale que spéciale, impulsion modifiée ensuite et accrue ou diminuée par toutes les autres influences. à H. Influence de la grandeur du pays. Si les institutions publiques pouvaient véritablement exciter aux recherches scientifiques et les faire réussir, les grands pays auraient un avantage manifeste. En d’autres termes, il y aurait habituellement plus de savants illustres, sur un million d’âmes, dans une grande nation que dans une petite. La statistique nous montrera bientôt des faits tout contraires et il n’est pas impossible de deviner pour- quoi. IL Y à dans les petits pays, en ce qui concerne les sciences, deux avantages qui doivent compenser ample- ment les places lucratives et les distinctions honorifiques des grands pays. HISTOIRE DES SCIENCES. 153 L'un de ces avantages est l'importance relativement moindre de toutes les fonctions publiques. Évidemment, dans “n petit pays, les carrières de l’armée, de la magistra- ture, de l'administration doivent tenter médiocrement les jeunes gens qui se sentent de la capacité. S'ils aspirent à une réputation européenne, les sciences sont le - moyen le plus à leur portée pour y parvenir. Le public le comprend, et comme il désire de son côté qu'on ne mesure pas la valeur du pays à l'étendue de son terri- toire, il appuie moralement les hommes qui cherchent à se distinguer dans les affaires purement intellectuelles. Cet appui de l'opinion, très-sensible dans les États tout _ à fait petits, comme le Danemark, les cantons de la . Suisse, etc., entraîne un autre avantage. Les hommes de mérite préfèrent rester dans leur pays. [ls y conservent de bonnes influences, de bonnes traditions, au lieu de se transporter dans les capitales des grands États. Les très- petits pays, comme étaient autrefois plusieurs villes Hbres en Allemagne, en Suisse, en Italie, ont encore cet avantage relativement à des pays un peu moins restreints, de com- prendre qu'ils ne peuvent pas suffire à l'éducation de leurs Jeunes gens et de mettre à profit, sans aucun froissement d'amour-propre, les ressources d'instruction des pays étrangers. Ces réflexions, faites « priori, ne persuaderont peut-être pas, mais je donnerai plus loin des preuves posi- tives de l'avantage des petits pays dans les affaires scien- tifiques. I. Influence du langage. Il est impossible de ne pas regarder comme un avan- tage, dans la culture des sciences, de parler une des trois langues principales des nations civilisées. Inversement, c'est un désavantage de parler une des autres langues, 154 HISTOIRE DES SCIENCES. surtout une de celles qui sont propres à de petites popula- tions ou qu'on étudie rarement. Depuis que le latin à été abandonné dans la plupart des sciences, l'inconvénient (à de certaines langues est devenu réel pour ceux qui les |4 parlent. C’est une cause d'isolement, nuisible à la fois aux savants et à la science. Les langues du Midi se ratta- | chent heureusement au latin, le hollandais et les langues (A scandinaves à l'allemand, mais les langues slaves et le hongrois sont étrangers à la plupart des nations eivili- sées, comme le japonais ou le chinois. Cet obstacle aux communications scientifiques est compensé jusqu’à un certain point par deux circonstances. L'une, que dans les pays isolés de langage on apprend communément les langues principales: l’autre, que dans les pays où règne une des langues les plus répandues, on néglige quelquefois d'apprendre les autres. Ainsi, la con- ; naissance habituelle et complète de plusieurs langues est un fait évident chez les Russes, les Danois, les Hollandais, les Italiens, et l'ignorance des langues étrangères n'est que trop réelle en France et dans l'Amérique anglaise. Les Allemands ont échappé jusqu'ici à cette cause d'infériorité, peut-être parce qu'ils entrent seulement dans la période où tout le monde apprend votre langue et où soi-même on à un sentiment de supériorité qui devient nuisible. La France a passé par cette période. Jadis on y apprenait l'italien et l'espagnol, qui avaient de Pimpor- tance. Ensuite, au XVITe siècle, tout le monde en Eu- rope sachant le français, il a semblé inutile de savoir les autres langues. L'Allemagne subira prochainement la même épreuve. Quant à l'anglais, il sera parlé dans un demi-siècle par beaucoup plus d'hommes civilisés que l'allemand et le français réunis. Dans deux siècles, nos langues principales du continent européen seront, à son HISTOIRE DES SCIENCES. 155 égard, comme aujourd'hui le hollandais ou le portugais à l'égard du français ‘. K. Influence de la situation géographique, du climat et de la race. Une position géographique entre des pays civilisés, ou à côté d'eux, doit être évidemment un avantage, tandis qu'une grande distance doit agir en sens contraire. Il y à cependant, outre le simple défaut de communications fa- eiles avec l'Europe, quelque chose de très-grave dans la situation des pays voisins de l'équateur. D’après les tableaux 1, If, IF et IV, la culture des sciences n'a réussi absolument qu’en Europe et dans le nord de l'Amérique. On ne trouve sur les listes qu'un seul individu qui ait été domicilié dans les régions tropi- cales et encore c'était dans une région élevée, analogue à PEurope. Je veux parler d’Alvarez de Vera, officier du génie, qui vivait à Santa-Fé-de-Bogota et avait été nommé correspondant de l’Académie des Sciences de Paris en 1750, époque où ce titre avait du reste assez peu de si- gmification. Il m'a été impossible de découvrir quel ou- vrage il aurait publié. Les dictionnaires biographiques ne disent pas s’il était né en Amérique ou en Espagne. D'a- près les fonctions civiles et militaires qui lui avaient été confiées, je présume qu'il était espagnol de naissance. En cherchant avec soin dans les listes de correspon- | dantsd’Académies hors des quatre années dont je me suis | occupé, je remarque le chimiste Del Rios, de Mexico, qui état peut-être né au Mexique. Mais une exception plus extraordinaire est un mulätre nommé correspondant de l'Académie de Paris, à la fin du siècle dernier : Lislet Geof- | ! Voir l’article du présent volume sur les langues dominantes. PETER EN RS RS PET ne MATE DE Le DT e IE DEA AT 156 HISTOIRE DES SCIENCES. froy, qui résidait à Port-Louis. Il avait publié des cartes | des îles Bourbon, Maurice et Madagascar, ainsi que des observations météorologiques faites dans ces contrées. Qu'il n'y eut pas alors en Europe une quarantaine de savants plus dignes d’être nommés, c'est ce que je n’ose- rais affirmer. Au XVIIe siècle, le titre de correspondant n'était pas en nombre limité et on le donnait facilement à des Français établis dans les pays lointains. Jai cru cependant devoir signaler ce fait, tout au moins comme une singulière exception. Est-ce par un effet du climat ou de la nature des races que les hommes des pays intertropicaux sont impropres à la culture énergique des sciences ? Ce serait difficile à dire dans beaucoup de cas, à cause de la réunion de ces deux influences, climat et race. Mais, dans le midi de l'Europe, on constate déjà un effet débilitant de la chaleur sur les populations les mieux douées et dans les colonies ce fait est encore plus évident. Sur le tableau [, des Associés étrangers de l'Académie des Sciences de Paris, on ne voit pas un seul savant né au midi des Pyrénées ou de l'Italie centrale. Parmi les illustrations françaises, Arago et Tournelort, originaires du midi de la France, auraient certainement figuré sur une liste aussi restreinte que celle des Associés, si les Académies non françaises en avaient eu: par conséquent, les Pyrénées et la Tos- cane ont été les points extrêmes d’origine des savants tout à fait illustres. Le Portugal, l'Espagne et le royaume | de Naples ont eu quelques savants dont les noms figurent en partie sur nos listes IE, TE et IV, mais aucune illustra- tion vraiment supérieure. Dans des pays plus chauds, hors d'Europe, les descendants d’Européens, même ceux qui viennent de pays tels que l'Angleterre ou la Hol- lande, ne sont jamais parvenus à une véritable célébrité HISTOIRE DES SCIENCES. 157 scientifique. On trouve sur les listes de correspondants, par exemple, Wallich, établi à Calcutta, ou Ferdinand Mueller, établi en Australie, qui ont déployé beaucoup d'activité, mais ce sont des Européens du Nord qui ont été dépenser ailleurs le stock de forces qu'ils avaient recu de leurs aïeux. Les exceptions apparentes (s'il en existe?) sont quelques descendants d'Européens nés dans les ré- sions élevées de l'Amérique, sous des conditions de climat analogues à celles de l'Italie moyenne, et Lislet Geoffroy, dont j'ai déjà parlé tout à l'heure. I n'y a rien dans ces faits qui ne soit d'accord avec nos observations de chaque année. Quand la saison chaude arrive, nous éprouvons tous combien il est diffi- cile de continuer certains travaux. Si nous nous forçons, nous en devenons quelquefois malades. Il ne faudrait pas S'imaginer que dans les pays chauds on s’habitue beau- coup à la chaleur. On y résiste mieux au froid de hiver qu'à la chaleur de l'été, puisqu'on s'habille et se chauffe . mal pendant la saison froide, tandis qu'on fait volontiers du jour là nuit pendant la saison chaude. Les travaux scientifiques ne s’arrangent nullement de cette dernière habitude. Ce sont seulement les observations et les calculs de l’astronome qui sont possibles pendant la nuit. Le géo- logue, le naturaliste, le chimiste, le physicien, ont besoin de toute la clarté du jour. Les travaux de laboratoire et de dissection ne sont pas faciles avec l'extrême chaleur, et quand il faut chercher des plantes ou des animaux dans la campagne, les forces sont bientôt épuisées. Ainsi, la philosophie, le droit, les mathématiques pures conviennent aux pays méridionaux, mais la plupart des sciences phy- siques et naturelles exigent trop de dépense musculaire pour s'adapter à leurs conditions d'existence. Si l'on peut espérer quelque chose des descendants d'Européens dans 158 HISTOIRE DES SCIENCES. les régions tropicales, c’est surtout quand ils vivent à une grande élévation au-dessus de la mer. Dans les régions tempérées ou froides des deux hémi- sphères, les races non européennes ne comptent pas au point de vue scientifique. I doit y avoir là une cause hé- réditaire. Les Chinois et les Japonais n’inventent plus. Ils ne peuvent nullement rivaliser avec la science européenne. Du reste, en Europe et aux États-Unis, une immense partie de la population reçoit les avantages des décou- vertes scientifiques sans contribuer à les créer. Les hom- mes qui font avancer les sciences sont le résultat com- biné de plusieurs causes, parmi lesquelles une race anciennement éduquée joue un rôle, mais à côté de beaucoup d’autres. Nous le verrons plus clairement au moyen de la classi- fication des savants selon les nationalités. $ 5. Répartition par nationalités des savants qui ont le plus fait avancer les sciences. A. Exposé des faits et comparaison générale des pays. Nous venons d'examiner, une à une, les causes qui peuvent influer sur le développement d'hommes consacrés particulièrement à la science. Ces causes existent plus ou moins dans tous les pays. Par conséquent, la proportion des savants distingués ou illustres, à chaque époque, dans les diverses populations civilisées, sera un moyen de con- trôler ce que nous avons indiqué comme probable et aussi de mesurer l'intensité relative des causes. On pourra peut-être faire découler de ce genre de comparaison cer- taines conséquences, plus ou moins vraisemblables, sur l’avenir des travaux scientifiques dans diverses contrées. HISTOIRE DES SCIENCES. 159 Je vais envisager les faits, toujours en m’appuyant sur les opinions des grandes Académies ou Sociétés. Qu'il me soit permis, au début, de rappeler une vérité souvent méconnue. La science n’a rien à voir avec les nationalités. Elle est universelle. On ne peut pas dire qu'il y ait une chimie allemande et une chimie anglaise, une astronomie française el une astronomie italienne. Les hommes qui cultivent les sciences forment un groupe qu à ses principes et ses méthodes, indépendamment des distinctions de pays. Ils constituent une sorte de république aristocratique, plus réelle que celle des lettres, parce qu'elle ne s'inquiète pas comme cette dernière des sentiments et des langages propres à la plupart des na- tions. Si l’on veut bien se pénétrer de cette généralité absolue des sciences, on envisagera des proportions fortes ou faibles de savants distingués dans tel ou tel pays, sans exalter un pays ni déprécier les autres. Ce sont des faits qui ont des causes très-variées et sur lesquels véritable- ment l’ordre politique et la force militaire des nations influent fort peu, où par conséquent les vanités de partis et de peuples ne trouvent guère leur nourriture. Si je n'a- vais vu dans la répartition des savants par pays quelque chose de très-général, concernant l'histoire de l’homme et des sciences, je me serais abstenu de faire les recher- ches que je publie maintenant. Le lecteur saura, je l’es- père, considérer les noms d'hommes et de pays comme de purs moyens de démonstration, sans faveur ni défa- veur à l'égard ou des individus ou des nations. Je rappellerai d'abord les noms des 92 Associés étran- gers de l’Académie de Paris (tableau p. 36), en les clas- sant d'après les nationalités, avant et pendant le XIXe siècle. dr ETS M CRIER RAT Par Le À + « PNR ENT LT | LR: œil dit À D à viL 160 HISTOIRE DES SHENCES. TABILEA Ur CLASSIFICATION PAR NATIONALITES DES 92 ASSOCIES ÉTRANGERS ñ DE L’ACADÉMIE DES SCIENCES DE PARIS. ë NOMMÉS % Dans l’ancienne période de Dans le ; 1666 jusqu’à la fin du XVIII": siècle. XIXe siècle. ÿ Allemagne. (Ancienne Confédération.) Rœmer. | Pallas. Leibniz. K!iproth. Tchirnhausen (de). Humboldt (de). Wolff. Werner. Margraff. Gauss. Herschel père (Will.). Olbers. Blumenbach. | Buch (de). | Bessel. ! Jacob. Tiedemann. Mitscherlich. Lejeune-Dirichlet. Ehrenberg. Liebig. Wôhler. Kummer. Angleterre. (Les trois royaumes.) Newlon. Maskelvne. Sloane. Cavendish. Hallev. Jenner. Folkes. Watt. Bradlev. Davy: Hales. Wollaston. Macelesfield. Young. Douglas (C'° Morton). Dalton. Pringle. Brown. Hunter. Faraday. Priestley. Brewster. Banks. Herschel fils (John). Black. Owen. PAU Murchison. Danemark. | OErsted. Franklin. Huyghens. _ Hartsoeker. Ruysch. _ Boerrhaave. _ Van Swieten. _ Camper. Guglielmini. Viviani. Poli. _ Bianchini. Marsigli. Manfredi. _ Morgagni. Cervi. Poleni. La Grange (de). Jablonowski. Euler fils. Linné. _ Bergmann. Wargentin. Bernouilli (Jacques). Bernouilli (Jean). De Crousaz. Bernouilli (Daniel). Haller (de). Tronchin. _Bernouilli (Jean Il). Bonnet (Charles). Cassini (Dominique). Euler père (Léonard). _ Saussure (Hor. Ben. de). (Total de 1666 à 1800 HISTOIRE DES SCIENCES. | 161 États-Unis. | Rumford. Hollande. Pologne. | Russie. | Suède. Berzelius. Suisse. Candolle (Aug.-Pvr. de). Rive (de la). 59).| (Total de 1804 à 1870... 40). LE 162 HISTOIRE DES SCIENCES . Deux choses frappent au premier coup d'œil dans ce tableau. 1° La population totale d’un pays est un élément très- secondaire dans la production des savants d’un ordre élevé. Si le génie seul décidait de l'illustration et si le génie naissait absolument au hasard, on ne verrait pas des pays de 10 à 15 millions n’avoir aucun représentant sur le tableau; un pays encore bien plus peuplé, la Russie, n’en avoir pour ainsi dire aucun, puisque le seul est Eu- ler (Jean-Albert), fils du célèbre mathématicien suisse Euler (Léonard): on ne verrait pas non plus les États- Unis avoir si peu de représentants depuis que leur popu- lation est devenue égale à celle de l'Angleterre, tandis que d'un autre côté des petits pays, comme la Suède, la Hol- lande et la Suisse ont eu, pour leurs deux millions d’ha- bitants, 4, 6 et 12 Associés étrangers. Mais, le génie ne suffit pas dans les sciences : il faut aussi de l’activité, du désintéressement, de la persévérance. Il faut vouloir et pouvoir. En outre, la grande masse des populations, celle des individus occupés de travaux manuels, ne compte pour ainsi dire pas dans la production des savants 1llus- tres (voir ci-dessus, p. 81). Ce sont les classes aisées, c'est-à-dire la classe riche d’abord et ensuite la classe moyenne, qui en fournissent de beaucoup les plus fortes proportions. Si ces deux dernières classes ne sont pas considérables dans une population, il ne faut pas s’at- tendre à trouver chez elle un nombre un peu élevé de sa- vants illustres. Viennent ensuite toutes les causes qui influent pour diriger les jeunes gens de ces deux classes vers les sciences ou les en éloigner, et ces causes ont une action très-différente selon les pays, indépendamment du chiffre total des habitants. 2° Sil’on compare le XIX siècle avec l’époque précé- HISTOIRE DES SCIENCES. 163 dente, l'Angleterre est restée à peu près au même niveau, tandis que l’Allemagne a augmenté notablement d’impor- tance, au détriment de l'Italie, de la Suisse et de la Hol- lande. Cela ne veut pas dire que, dans ces derniers pays, on ait reculé pour la culture des sciences, mais relative- ment, l'Allemagne ayant fait plus de progrès, a emporté plus de nominations. Il s’agit ici, en quelque sorte, de prix d'honneur, décernés de loin en loin, jamais au nombre total de plus de huit, par l’Académie des Sciences de Paris. Les savants allemands, depuis quelques années, en ont eu davantage, tandis qu'au XVII siècle ils n’en obte- naient pas plus que les Hollandais et moins que les Suisses ou les Italiens. Quant à l’ensemble des 92 Associés étrangers, élus de 1666 à 1870, voici leur répartition numérique par na- | tionalités. Je classerai ici les pays dans l’ordre de leur po- pulation à une époque moyenne (fin du XVII siècle), malgré le peu d'importance de cet élément de la question et précisément pour mieux montrer à quel point 1l joue un faible rôle. UN UD OT UN CUP ART TS VON RP ROUES M TE TAN TRS k 1 (AD ABT ‘ us te 211 re TR ñ L 164% HISTOIRE DES SCIENCES. TABLEAU VII NOMBRE ET PROPORTION DES ASSOCIÉS ÉTRANGERS DE CHAQUE NATIONALITÉ de 1666 à 1570 1° Grands pays (plus de 18 millions). Nombres. Proportions. RUSSIE. 22/4444 NAT USERS {l 0,011 Allemagne (ancienne confédération). . . . 23 0,250 Angleterre (les trois royaumes) . . . . .. 27 0,294 HANO NES ENT OPA ARE HAN ONE 15 0,163 2 Pays à population croissante (1——30 millions). États-Unis. 21" AM ONE 2. … 0.022 3° Population moyenne (12—4 millions). Espagne 1% ete NOMME 0 Hongrie... "6e Set NME 0 Turquie d'Europe PP RE RACEE 0 Amérique espagnole et Brésil. . . . . . .. 0 POIOONE ft. US PEN 1 0,011 4 Pays ayant moins de 4 millions. Portugal: ire EN PAPERS 0 Belgique ‘14:12 NSP 0 SuÊde :. UP NAN EP NERSPE 4 0,043 Hollande 7.22 0e NE 6 0,065 Suisse”. 2.020000: NN 12 0,130 Danemark CENTS TOME 1 0,011 Norwége 45.418 ENAINOUA EP EERES 0 Totaux 600802 1,000 HISTOIRE DES SCIENCES. 165 La supériorité de nombré des pays où domine la religion protestante s'explique par les faits indiqués ci- dessus (p. 102, 124), mais ici nous apercevons quelque chose de plus : ce sont surtout les petits pays protestants (Hollande, Suède, cantons protestants de la Suisse), qui ont offert des proportions remarquables. La Suède, la Norwége, le Danemark, la Hollande et la Suisse pro- testante comptaient en tout, vers la fin du XVII“ siè- cle (époque moyenne entre 1666 et 1870), au plus 7 millions d’âmes et le nombre de leurs Associés étran- gers a été de 23. On ne voit nulle part une semblable proportion. Ainsi la Grande-Bretagne (Angleterre et Écosse), ayant une population à peu près double, au- rait dû présenter 46 nominations: elle en a eu 27. L’AI- lemagne protestante, avec une population à peu près triple, aurait dû en avoir 69: elle en a eu 20 ou 21 (voir p. 36 à 41). Les petits pays, tant d’une religion que de l'autre, en comptant même parmi eux l'Italie, qui était composée de plusieurs États de diverses grandeurs, sans lien fédératif, semblent avoir eu, en moyenne, plus d’Associés étran- vers que les grands pays, relativement aux chiffres de la population. Il nous faudra revenir sur cette question avec des documents plus étendus, c’est-à-dire après l'examen des tableaux IT, IT et IV. Je désire pourtant noter un fait curieux relatif à la Suisse. Nous avons vu (p.131), que huit de ses associés étrangers étaient des descendants de Belges ou de Français protestants, expulsés de leurs pays pour cause de religion. Par conséquent, la popula- tion véritablement suisse, antérieure au XVIe siècle, n’a fourni par ses descendants que quatre Associés étrangers, chiffre encore élevé pour un pays de 2 millions d'âmes, F £. F 4 | É à 1 1 166 HISTOIRE DES SCIENCES. mais qui placerait la Suisse au rang d’autres petits pays et non dans une position exceptionnelle. Des 27 Associés étrangers du royaume-uni de la Grande- Bretagne et l'Irlande, huit sont nés en Écosse ou d’une famille écossaise à l’étranger (Black), 18 en Angleterre, ou de famille anglaise à l'étranger (Cavendish); un seul est né en Irlande, mais de famille écossaise (Sloane). Les populations respectives des trois royaumes, au com- mencement du siècle actuel, étaient d'environ 1 1/2, 10 et % millions, par conséquent l’ordre de la valeur scientifique jugée d'après la proportion des grandes illus- trations, a été : 40 Écosse, 2 Angleterre, 3° Irlande, si même on peut mentionner celle-ci pour un seul membre d’origine écossaise. Des différences analogues entre les grands et les pe- tits pays existent ailleurs, sans qu’on puisse les constater dans tous les cas aussi clairement. L’Autriche n’est pour rien dans le tableau des Associés étrangers de l’ancienne Confédération germanique et le royaume de Naples n’a rien fourni non plus au chiffre des Associés étrangers ita- liens. Les villes qui ont donné naissance à plus de deux Associés étrangers sont : Dile: Lists Berlm22702 2 Geneve ere Londres 105 La population de ces quatre villes était, à une époque moyenne de notre tableau, par exemple vers le commen- cement du siècle actuel, à Bâle de 16,000 âmes, à Ge- nève de 25,000, à Berlin de 200,000, à Londres de 1,300,000. Aucune de ces villes n’a été, du moins pendant la plus grande partie de la période envisagée, le siége d’une HISTOIRE DES SCIENCES. 167 grande université. Bâle et Genève n'ont jamais eu plus de 2 ou 300 étudiants, dont une très-petite partie pour les sciences. Berlin n’avait pas d'université avant 1810. L'université de Londres est encore plus récente. Ce n’est donc pas la proximité des moyens d'instruction supé- rieure qui a déterminé des jeunes gens distingués de ces quatre villes à s'occuper particulièrement de science. Il y a eu sans doute d’autres causes plus importantes. En général, si lon considère la somme de population des villes hors de France où sont de grandes universités, ayant plus de 800 élèves par exemple, comme Gættingen, léna, Tubingen, Munich, Vienne, Bonn, Heidelberg, Péters- bourg, Kasan, Oxford, Cambridge, Édimbourg, Coimbre, Salamanque, Palerme, Naples, Pavie, Padoue, Bologne, etc, on verra qu'il n'en est pas sorti un nombre excep- tionnel de savants illustres. Au contraire, de petites villes ou des villages ont été souvent le lieu de naissance des savants, non français, qui sont devenus Associés étrangers de l'Académie de Paris. Il est peut-être avantageux pour le développement dé- fimtif d’un homme d'être né hors des grandes villes, par conséquent de parents plus robustes, et d’avoir vécu d'abord à la campagne, sans être excité ou fatigué de bonne heure par l'agitation d’une capitale ou par des étu- des préliminaires trop fortes. Cependant, ne nous hâtons pas de conclure. Certains renseignements que je donnerai plus loin, sur le lieu de naissance des savants français les plus distingués, indiquent une proportion considérable d'individus nés à Paris. Nous verrons s’il faut l’attribuer aux moyens d'instruction qui s'y trouvent ou à d'autres causes. Passons à l'étude, sous le point de vue des nationalités, des tableaux If, HT et IV. Is mentionnent des savants 163 HISTOIRE DES SCIENCES. moins illustres, mais de tous les pays, et constatent l’opi- nion de trois des principaux corps scientifiques, au lieu d’un seul. Chaque liste, ayant un nombre différent de noms, j’in- diquerai d’abord les nombres réels, ensuite les nombres proportionnels des élus de chaque pays, pour chacune des trois Sociétés ou Académies, en 1750, 1789, 18929 et 1869. Par exemple, l'Académie des Sciences de Paris avait, en 4750, six Anglais sur un total de 35 corres- pondants non français ou Associés étrangers, ce qui constitue la proportion 0,171. En 1829, la même Aca- démie de Paris comptait vingt Anglais sur 69 correspon- dants non français ou Associés étrangers, ce qui constitue 0,290. Les autres chiffres étant calculés de la même ma- nière, la comparaison de l'opinion de chaque corps scien- üfique, à chaque époque, pour chaque pays, sera facile. Afin d’éviter l'inconvénient des petits nombres, je réu- nirai quelques pays qui sont séparés sur les listes nomi- natives. Ce sont : 4° la Pologne et la Russie; 2° la Suède, la Norwége et le Danemark: 3° l'Espagne et le Portugal. Ces réunions de pays très-analogues ont plus d'avantage que d’inconvénient. Elles se jusüfient par de bons motifs. La fusion des trois royaumes scandinaves s'appuie sur leur étroite affinité de langage, de religion et de tendan- ces intellectuelles, c’est-à-dire sur des liens plus naturels que l'union politique, par exemple, de l'Irlande et de la Grande-Bretagne, de la Bavière et du Wurtemberg, ou de tel canton suisse avec tel autre. Le gouvernement en commun n'existait pas plus en Italie que dans les pays scandinaves avant une date toute moderne, et cependant il n'était guère possible de distinguer dans nos tableaux les savants des États de Parme, Piémont, Toscane, ete., tant les Italiens avaient depuis longtemps la même édu- HISTOIRE DES SCIENCES. 169 cation et le même langage. À cet égard, comme pour les questions de nationalité douteuse de quelques savants, la considération des analogies morales et intellectuelles doit primer quelquefois la condition artificielle des agglomé- rations politiques. En Italie et en Allemagne, les savants ont toujours eu l'habitude de passer d’une ville à l’autre avec une grande facilité. De cette manière, l'unité s'était constituée parmi eux avant d'exister politiquement. On peut remarquer même qu'il y avait plus d’uniformité de tendances intellectuelles dans la péninsule italienne, for- mée d'États absolument séparés, qu'en Allemagne où il existait un lien fédéral, et surtout qu'en Suisse, où, mal- gré la petitesse et l'union fédérative du pays, les savants de l’un des cantons n’aliaient presque jamais vivre dans un autre. On doit s'attendre à trouver des différences dans le rang scientifique des pays autres que la France, calculé d’après les Associés étrangers de l’Académie de Paris, ou d’après la réunion des Associés étrangers et des Correspondants de la même Académie à quatre époques successives. Les deux termes ne sont pas exactement comparables, puisque l’un est relatif à une série continue de nominations de 1666 à 1870, l’autre aux titulaires existants à quatre époques déterminées. Cependant, il y à entre les deux cal- culs des disparates qui me semblent trop élevées pour ne pas tenir à une cause particulière. Désirant ne pas revenir sur ce point, je mettrai tout de suite en regard, pour les pays les plus importants : 4° les proportions d’Associés étrangers (en groupant les trois pays scandinaves, comme dans les tableaux VIT et IX); 2° la moyenne des millièmes afférente à ces mêmes pays dans la partie À du tableau IX, p. 176. L'ordre n’est pas le même, comme on peut voir : x À À L | | À . LL hf 4.2 170 HISTOIRE DES SCIENCES. Proportions des Associés étrangers, de 1666 à 1870. Proportions d’après les Associés et Correspondants, en 1750, 1789, 1829 et 1869. Antleterreisen ant lens 0,294 Allemagne. ... ... …. 0,251 AlleMALnE EC 0,250 . Angleterre 0,226 folie EE. 0,163. fialie RES 0,195 D'USSC ME ee 0 0,130 "SUISSE RENE 0,115 Hollande. 202 Nan 0,065 Suède, Norw., Danem. 0,083 Suède, Norw., Danem. 0,054 Espagne, Portugal. . . 0,060 États Unisanne ve. € 0,022 Russie, Pologne . . . . 0,048 Russie et Pologne . ... 0,022 Hollande... 0,047 ATDITES DANS. eue 0,000 Belique eee 0,025 HONETIE EE MERE 0,010 | Etais- Unis DORA 0,010 “| Autres pays Are nes 0,000 l 1,000 1,000 D'après les seuls Associés étrangers, l'Angleterre passe avant l'Allemagne, et la Hollande avant les trois pays scandinaves, ce qui n'a pas lieu dans l’autre calcul. Cela tent probablement à ce que, dans les années antérieures à | 1750, l'Angleterre et la Hollande ont eu une forte pro- portion d’Associés. Peut-être aussi les savants de ces deux pays ont ils été plus souvent d’un degré d'illustration su- périeur, qui les faisait passer du titre de Correspondant à celui d’Associé. Cette dernière hypothèse est appuyée par un autre calcul. En prenant la somme des Allemands, des Anglais, des Hollandais et des savants des trois royaumes scandi- naves, nommés par l’Académie de Paris aux différents titres de Correspondants et d’Associés, en 1750, 1789, 1829 et 1869 (tabl. IE, p. 44), on trouve : Allemands, 62, dont 8 Associés, soit 13 ?/,. Anglais, 52, dont 11 Associés, soit 24 °/.. Suédois, Danois ou Norwégiens, 15, dont 1 Associé, | soit 7 °/. | Hollandais, 8, dont 2 Associés, soit 25 ?/,. HISTOIRE DES SCIENCES. 171 Quelques-uns des Correspondants sont devenus plus tard Associés, mais, telle était la proportion des Associés, sur l'ensemble des titulaires, pendant les quatre années qui ont servi de base à nos calculs. Les savants anglais auraient donc été plus souvent originaux et novateurs que les allemands, car c’est sur- tout à cause de l’originalité des idées et des découvertes qu'un homme est élevé au titre d’Associé étranger. Les savants hollandais auraient marqué de la même manière, relativement à ceux des pays scandinaves. Il se présente une réflexion toute naturelle à l'appui de cette hypothèse, indépendamment de l'idée assez répandue de l'origina- hté caractérisée des anglais. Les savants allemands et ceux des pays scandinaves ont toujours été, en majeure partie, des professeurs d’universités, tandis que les anglais et les hollandais ont été souvent des hommes dans une position indépendante. Or, un professeur doit, avant tout, connaitre bien sa science, même dans les parties doni il ne s'occupe pas spécialement. Il doit aussi donner la meilleure partie de son temps au public. Celui qui n'a pas de pareilles obligations peut s'appliquer à un seul objet, suivre ses idées et mieux achever ses tra- vaux. Îl n’est pas en présence de personnes qui le flat- tent ou le dénigrent, mais en présence de lui-même. C'est une raison pour innover. Quand il réussit, il peut publier rapidement et sa réputation devient vite euro- péenne *. ! J’ai essayé de constater combien des savants des divers pays avaient enseigné et combien n’avaient pas enseigné, mais les ou- xrages généraux de biographies ne donnent pas toujours ce genre de renseignements. D’ailleurs, un professeur anglais pourrait bien n'avoir pas la moitié ou le quart du nombre des leçons qu’un pro- fesseur allemand est obligé de donner. -unone guuou JRA OU oNTYPEIV I -G8LI wo QUE og amod onbrpur SeSUY. P quiod © op | re l 9 | av | en | en | 59 | 22 | 69 | 69 | 6e | Se Malone eo ln aile Oo Gare. 20 ë ere ep 6 8 | % |3 e |] I Le CE CRaRUT cn recent 0 io lr2 arte F9 hñ 6 l' 1! Ï [! I = £ 1 FA 5 cn 2 cie e |% PSE RDA CA) a ne rater me | LT | L G 06 | 06 | 9 | 9 5 | cs | vel er | er | or | er | 8 | %€ à ml el6 mille |s Per Pere PE Pere Pre Fe 698Y 681 682L+7 OSLT'6981 6CST 68L7 0SLTIGOIST 628T | 68LT oSLT | Nate rt SHUANOT ET 172 £eu prnb amoxo red sud Js0,çu 29 : enfers eite XneJO ee. liather a etes cu cs Debte) ee nie cire RSS Ua teiren trie je eus tee nl D ve “OPURIIOH en ten el pre) ihoteige digelys, de onPISTOT ° * ARUIOUL(] 9 289AUON ‘PONS "SUOYQUE G 0D SU 0% En ‘SUOMI SE 2NNSUO 39 un € ct TR ue 7 DR TE GNOME TL CE “SUOMRU 9 D ET 0Œ DOS CNE 1 2 EE ( SOUL EAO SIO.1) SA) 2U9JATSUY DS CS TRS eut (UONEIID9TUON auU? apur) ous SUULOT[V RE SET OO II ON SOT ‘SUOMI ST 9 SN of "O[D9IS ouf [TAN UP Uÿ e] s10A uorejudod 197 ep 21PIO,] UO[9S (SAVA HA SNOILVHANOTHDY NO SAV SA'TOSA V D ENEAQNATATEINAE SAHANON ‘V SANDOME SEA ANAOFHO V SALSET SIOUL SAC SUAONVULE SAUERAN NO RENTONOdSANION SADOSSY SA SELTIVNOLEEN UXd NOIELLAVdA | + HISTOIRE DES SCIENCES. uorssorddns 000‘1 9L0'0 00.0 70/0 160° 0 0£0'0 0£0'0 868 0 G6L£'0 1900 6987 OO'T 660 0! 0600 SIT'0 LLV'O LET'0 61%'0 8L0‘0 6C8T RI % JUOI] U09 SICU : NT “OT 91 MOTEA US 9p 89 Id snjd ne $tur 979 ® Sporaed SOLHIUO S0p UNE) ‘SO[EUTI9P SouaoriJenD S9p nv21qe} o[ sUep I00°T SIO} oun 99 GGG‘O SI0} SIOI} OANOIY UO ‘SO[ROIJIOA SOUUOIO9 SO JUEUUOIJIPPE UM 666°0/000°11666‘0 0001 0007 00070007 10001 0007 6660 Le 5e 2 XNVIOI Y610 1611 0/80 0 6800 600 86 101Z80"0 8L0/0 881 0) ELT'0 PTE is CAE LÉ OBn | To €80*0)60°0/080*0 1800 160'0 2900 U80:0) CUT ONE DID RS AN NE een “OPUEIION 060/0 | F£0‘0! 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Le calcul qui précède montre la part proportionnelle de chaque pays dans les 35, 39, 69, etc., étrangers nom- més, à chaque époque, par les trois corps scientifiques. Ainsi, en 1750, l'Allemagne avait à Paris 5 titulaires sur 39, soit 0,143 de la liste. On doit comparer les proportions de chaque pays, à diverses époques, pour la même Société ou Académie, mais ce serait une erreur de combiner les diverses listes. Elles reposent sur des éléments qui ne sont pas sembla- bles, puisque la liste française à été formée sans tenir compte des savants français, la liste anglaise sans tenir compte des anglais et celle de Berlin sans tenir compte des allemands. La circonstance d'éliminer une de ces na- tions réagit sur les listes et cela d’une manière différente, suivant l'importance à une certaine époque de la nation éliminée. Il sera utile aussi de comparer les proportions avec les populations, non que toute une population contribue aux progrès scientifiques, mais pour savoir quelle partie ali- quote du public d’un pays doit compter comme influant sur les sciences. Nous examinerons bientôt cette question d'une manière spéciale, On peut juger par le tableau VII et l’on jugera encore mieux par le tableau IX, de l'importance relative scienti- fique de chaque pays. Elle est exprimée par la proportion des savants de chaque nationalité sur l’ensemble de chaque liste. Elle dépend, à la fois, de la population totale du pays et du nombre de savants qui se distinguent, dans chaque frac- tion de la population. La valeur scientifique de l'élément moyen de chaque po- pulation est le nombre de savants distingués sur un chiffre déterminé d'habitants, par exemple, sur un million: HISTOIRE DES SCIENCES. . 175 D) L Les tableaux IX et X indiqueront ces deux sortes de rapports. Ils ont beaucoup d'intérêt, du moins pour les personnes qui admettent notre double point de départ : 4° que les principaux corps scientifiques choisissent leurs membres étrangers parmi les savants dont les ouvrages ont le plus contribué à l’avancement des sciences pendant À les années antérieures: 2° que les erreurs ou omissions, . regrettables dans tel ou tel cas individuel, n’influent pas sur les moyennes par époques ou par pays. _ Voici l’ordre des différentes nationalités, d’abord sous le point de vue de l'importance scientifique. HISTOIRE DES SCIENCES. 0000 Y10°0 Y%0‘0 Y%0'0 L80‘0 FOTO 0680 08%'0 “(ITA 19 II XNPoIqRL) s2mduva] uou . vu CLEAN R Vrvveq OU VU el Gus. 1800 : ba di : onbiS 194 | 1600 ; LATE ÈR re OUEIT 40/0 : DS 2 RIDE €80/0 ; “ue SAION ‘9PQNS E80'0 sms .E80:0 ARE. 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DES SCIENC E HISTOIR 000‘0 6 00 9%0'0 940°0 9700 GOT'0 668 0 €Gr'0 000‘0 0£0°0 0£0‘0 0£0‘0 (G70'0 190'0 920'0 160'0 866 0 GL£'0 Cu A 19 AI XNPOIQUL) 20/0 y, 1 D S400uD.Ya SJunans sa] NAN UYAIG 0P ONUQPDIY J 9p SUoOUDUNUOU S2] S40b, 4 9) . ‘sÂed sony ° * * onbisfog Un STUN-SIEIA ‘ur(] “A ION ‘opanç “2s$mM$ ALOJOTEUY D OAIO DIEU e DANOQS1991-1S 9D ANUIPDIY 1 D SUOYDUAUOU S9] Sa, ‘A * ‘sed Sa1ny ° *‘stt{-SJIA eee oeil °°° apUEIIOF * onbis[og SOIOWYI S2[ SUCP onNU9JU09 9781] EI S91de,p ‘698T MO ‘fouuoryIppe JuomoUuSTOSsUA ; OUSEUOIIY |. 0000 0000 0600 660‘0 ‘ ‘9U20[04 “ISSN 820‘ ; OMC CC Jeans) UV] S'AUON ‘pans * * OM9JO[UY AQU CY MCE Lu CU 698T SIT'0 LET'O ‘ LLYO ‘ GIY 0 : “LIUOI of SIM 999 & 9dnod surour o7 sAtd 97 ‘s01140 0p opres9.p sv0 ua ‘sed onbero e ojuooge 9981 EI 9P UOOUIY EL Juonbipur 91149 SOT ; "O[UHQAUI 919 PUIY, I 9P ‘s\ed Samy ° ‘ OPURIIOH ‘ ‘ onbis[og ‘7 ossms oU50[04 ‘OISSUY “ur MION ‘ a pans °° * AMOJIOUV|YGT O0 "°°°" "'enIY6r 0 " * * ooutIMA|Re 6T8T 0000 0000 8800 8600 9600 £80'0 680/0 ‘0 re ‘uv «done OPANS Y20'0 tt" "stun-S514 760 0 * ‘+ ouS0[04 ‘ISSN F20‘0 ‘180404 ‘ousedsf 6600 * * * * : : 3 AORBUNOIGN 0 =" en Mot TEL CUP Où te à Ce Qi 68LT ‘sÂed so. ny OL LJOISUY ass ss ‘+ OUVIN 000‘ ‘+ + * * *sÂed samy ‘ * 9090104 ‘aISSNY :00).10q “ousedsg “ueq AM. ION ‘apans * 9PUPI[OH * DI9JAITUY °°° ee GI TO * RACE RTE. 64%:0 NE" ne CURS JOUA | OSLT | | 178 HISTOIRE DES SCIENCES. Dans ce tableau, les premiers noms de chaque colonne sont ceux qui méritent le plus d'attention, parce qu'ils reposent sur des chiffres un peu élevés, ayant par consé- quent plus de valeur statistique. L'ordre des derniers pays aurait souvent changé si l’un des titulaires de la liste était mort un peu plus tôt, ou avait été nommé un peu plus tard, aussi remarque-t-on plus de variations dans les der- niers pays de chaque colonne que dans les premiers. La vue du tableau IX et celle du tableau VI, p. 460, font naître plusieurs réflexions. ΰ Sur les listes du tableau IX, À, de l'Académie de Paris (où par conséquent les savants français ne figurent pas), le premier nom est l'Italie, dans le XVIIe siècle et l'Allemagne dans le XIX®. En d’autres termes, c'était, hors de France et dans l'opinion des savants français con- sidérés comme juges impartiaux, l'Italie qui jouait autre- fois le plus grand rôle scientifique: l'Allemagne à pris en- Suite sa place. Dans les listes de Londres, IX, B, où les Français sont comparés avec d’autres et où les exclus sont les sa- vants anglais, le premier rang à été jusqu’au milieu du siècle actuel aux Français : maintenant il est aux Alle- mands. Sur les listes de Berlin, IX, C, où les Allemands ne sont pas compris et sont considérés comme juges des au- tres, la France occupe et a toujours occupé le premuer rang. Aïnsi, dans l'opinion combinée et réciproque des trois pays, le premier rang aurait été, dans le XVIIe siècle et encore en 1829, pour la France; depuis quelques années il aurait passé à l’Allemagne, ce qui est confirmé par le tableau IX, D, tiré des nominations de l’Académie de Saint-Pétersbourg, dans lequel les trois grands pays se HISTOIRE DES SCIENCES. 179 trouvent comparés probablement d’une manière impar- tiale. Du reste, la population de l'Allemagne est la plus considérable des trois. Comme elle à augmenté plus que celle de la France, nous verrons bientôt qu'à proportion des populations, la France à conservé sa place. Le second rang était disputé dans le X VIT siècle, sur les listes françaises, par la Suisse et l'Angleterre, mais l'Angleterre l’a occupé constamment au XIXe, l'Italie et la Suisse ayant décliné relativement. Sur les listes de la Société royale de Londres, le se- cond rang a été disputé d’abord entre Allemagne ei l'1- talie, puis 1l à été à l'Allemagne et enfin à la France, FAI- iemagne ayant passé au premier rang. Sur les listes de Berlin, où les Allemands n'entrent pas, le second rang a été, dans le X VIT Te siècle à la Suisse. dans le XIXe à l'Italie d’abord, ensuite à l'Angleterre. Sur la liste de Saint-Pétersbourg, en 1869, où se trouvent à la fois les trois grands pays, le second rang est à la France. 2° La Suisse occupait dans le XVII" siècle et occupe encore au XIX®, mais à un degré moindre, une position qu'on n'aurait pas devinée, d’après la faiblesse de son chiffre de population. Il faut l’attribuer, en grande partie, aux descendants des protestants expulsés des pays ca- tholiques, ainsi que je l'ai expliqué ci-dessus (p. 130). 3° Au milieu des fluctuations d’une époque à l'autre et des diversités inévitables qui résultent de ce que les sa- vants tantôt de France, tantôt d'Allemagne, tantôt d'An- sleterre, n'entrent pas en concurrence avec les autres, on remarque certains faits assez caractérisés. La France et la Suisse ont conservé généralement leur position. L'1- talie, la Hollande et la péninsule ibérique ont décliné du XVIIIe au XIXe siècle. Au contraire, l'Allemagne s’est 180 HISTOIRE DES SCIENCES. élevée notablement. Enfin, l'Angleterre, qui avait baissé en 4789, a repris l'une des premières positions. Pour obtenir une expression des valeurs scientifiques des populations des divers pays sur un nombre déterminé d'habitants, 1l m'a fallu d’abord réunir les chiffres des po- pulations, tels qu’on peut les avoir, par les recensements dans le XIXe siècle et par des évaluations dans le XVIIPre, C'est ce que j'ai fait dans le tableau suivant (n° X), où je me suis contenté d'indiquer pour les plus fortes popu- lations les millions et demi-millions d'âmes et pour les plus petites les millions et quarts de millions. Une préci- sion plus grande était inutile dans un pareil sujet et d’ail- leurs elle est impossible à atteindre pour les années du XVIe siècle. Les races autres que celles d'Europe, n'ayant jamais fourni de savants affiliés comme étran- sers à lune des trois Académies, je n'avais pas à en parler. J’indique seulement les Européens et les popula- tions qui en descendent, mais ce dernier élément est très- incertain pour beaucoup de pays étrangers à l'Europe, à cause du mélange des races. Du reste, ce chiffre augmente les totaux de la population européenne et d’origine euro- péenne, sans affecter les considérations relatives à chaque pays, puisque les savants associés aux Académies, comme membres étrangers, manquent aux populations colomiales et à toute l'Amérique espagnole ou portugaise. HISTOIRE DES SCIENCES. 131 TABLEAUX POPULATION À ce mes européenne et descendants d'Européens. PAYS OU AGGLOMERATIONS | EE | supposée, | évaluée, | constatée constatée : | en en | en en | D ÉOT 1750 | 1789 | 1829 | 1869 | | millions | millions | millions | millions ee en Allemagne (anc.Confédérat.) 26 */,) 31 /,|) 35 | 59 | Angleterre(les 3 rovaumes).| 11 1! 13 ’/,| 23 1}, 31 | PARMI AUIC 23E ire A bat LA elae als. Se [Espagne et Portugal . . .. | 43 | 14 ‘/,] 16 | 21 PRIS URIS 0. -7 200, 1 L'hpudi ds 5 tell ME Le An À Rae n ut ameartier 22 229 ADI a2 0411138 orne St en tn, RAS RE A NE PRE E TLOTTR MAAF 80/2110 LACS Réque: il Lund 1h 16 |49 | A 26 1}, Russie EhPologne.….. .…. 43 ? | 50 ‘| 56 69... He Norvege, Danmark 3 Dao A DHiSSe MU 2OC, il AP MAR 22 CIE Autres pays européens (Tur- | quie, Grèce, Principautés | | danubiennes) et descen- | dants européens au Canä-\ 9p 9 da, au Cap, au Mexique, d dans les Antilles, l'Améri- que méridionale et autres colonies. 1O rss © [Ke =] oo Co Co = LS LA © Totaux. . . . 1169 1/,1202 :/,1248 1, 349 | L'Allemagne non comprise.| 142 */,171 213 1/,1290 L'Angleterre » 158 .1189 225 (1318 La France » 147 1,176 1/,\246 :/,|341 Russie et Pologne » | | 280 ! Les populations des divers pays dans le XVIIF®: siècle ne peu- vent pas être données exactement, si ce n’est pour la Suède, où les recensements ont commencé en 1757, et ont été l’objet de travaux importants de Wargentin, dans les Mémoires de l’Acad. de Stock- holm. Godwin (Rech. sur la popul., 2 vol. in-8°, traduit en fran- çais) les a complétés. Il dit qu’en 1757 la Suède (avec la Finlande) avait 2,323,394 habitants. Pour les îles Britanniques, j’ai employé les recensements officiels, qui ont commencé en 1801; le travail de M. Villermé, dans les nn ne 182 HISTOIRE DES SCIENCES. En appliquant les données du tableau IX aux chiffres du tableau X, on obtient la proportion des titulaires sur un million d'habitants, de chaque pays, à chacune des époques. Ainsi, l'Allemagne, en 1829, avait 35 millions d'habitants et sur la liste des membres étrangers de la Société royale de Londres, elle entrait pour 0,271 de la liste totale: donc, pour un million, elle avait 0,0077 de Ann. d’hygiène publique, vol. 12, relatif au recensement de 1831; et celui de Dieterici, sur la population de l’Europe en 1789, dans les Mémoires de l’Acad. de Berlin, 1850, p. 75. L'évaluation pour la France, en 1789, est celle de Dieterici. On donne quelquefois 25 millions. Les chiffres de 1829 et 1869 résul- tent des recensements des années les plus rapprochées. Pour la Hollande, je me suis servi du chiffre de Dieterici pour 1805, de 1,882,000, en réduisant dans une proportion modérée pour estimer la population de 1789. Dieterici estime la population belge, en 1802, à 3,028,000, ce qui m’a fait prendre 2 “4 millions comme probable en 1789. Pour les États-Unis, Pitkin estimait la population de 1749 à 1,046,000. Le recensement de 1790 a donné 3,929,326 (Godwin, Rech. sur la popul., If, p. 148), et il y avait probablement des omissions. La population de la Suisse était évaluée pour 1795, dans le Con- . servateur suisse, à 1,842,800 âmes; mais ce chiffre était probable- ment trop fort (Picot, Statistique de la Suisse, p. 8). J’ai supposé, en 1789, un million et demi. Pour les autres pays, j’ai évalué la population de 1789 en retran- chant 10 ‘ à celle de 1829, ce qui m’a paru devoir être assez près de la vérité. C’est moins que l’accroissement le plus faible constaté en Europe dans la période de 1830 à 1870 (voir Almanach de Go- tha, 1870, p. 838); mais il s’agissait surtout d’une époque de guerres et de révolutions, entre 1790 et 1816. Pour 1750, j’ai supposé environ 15 ‘ de moins qu’en 1789, sup- position très-arbitraire, qui repose sur l’idée d’un accroissement plus rapide, vu l’état de paix, que dans les quarante années sui- vantes. Enfin, les chiffres de 1829 et 1869 sont officiels. J’ai pris les der- niers principalement dans l’Almanach de Gotha de 1871. — Au reste, la nature du sujet ne demande pas des chiffres d’une exacti- tude rigoureuse. HISTOIRE DES SCIENCES. 185 la liste, soit 0,008 si l’on veut éviter une quatrième déci- male insignifiante. La Suisse, dans la même année, avait deux millions d’âmes et sur la même liste anglaise 0,083 de titulaires, par conséquent pour un million d’âmes 0,41 à 0,42. Lorsque les chiffres indiqués dans les tableaux IX et X donnaient la même quantité de millièmes pour _ deux ou plusieurs pays, j'ai poussé le calcul au delà de trois décimales, ou je Fi fait sur un chiffre de population plus exact que les chiffres exprimés en demi ou quart de millions dans le tableau IX, afin d’énumérer ces pays dans l’ordre le plus conforme à la réalité. ‘ 2U80[04 ‘2ISSUY 100‘0 au80[0d ‘ Spa €00 0 ‘ur(I ‘ ‘ou50[04 ‘eIssny ‘1500 ‘ouseds “SIU(-SIUVA ‘AUSEUAI[V 600/0 °°" 9181700 0 onP13194 19000 * ‘aour14|/800/0 9PUIIOH| F60‘0 S‘AMION ‘opons!650'0 ‘218600 etre ere *SAUPUOT 9p 9]Dh04 919100$ D] 2p SUOYDUNUOU 9] SAÏD *H eee SU fI-S16/4 1600 0 ‘ * © * © © “OUOUOH Y00°0 22" ont6000 : ‘LSnmog ‘ousedsT)700 0 * ++ * * onb1#[04/500 0 : Doro 800/0 ‘URL É'AMJION ‘opons/800 0 ‘ * * * * ‘SUSEUEIIY|FE0 0 CCE ANT “OPULIIOH 800‘0 COR TU IY D 9PULIIOF 7100 CCE TE "QUSLUOI[V 2100 onto no Ris ok le SAR 810:0 °° * * * SJULIH F0 0 ‘Ua CA ION ‘pong L60'0 PS ARS) DE OT" LE ° * ‘ossmSI£90'0 æ £ | x 00/0 = ‘ 280104 ‘aIssn y 600 0 2 F00‘0 ES MODE À . 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Dans ce tableau, la Suisse occupe et à toujours occupé le premier rang, avec une supériorité de chiffres extraor- . dinaire. C’est le pays où, sur une population déterminée, les trois Sociétés ou Académies de Londres, Paris et Berlin ont choisi constamment la plus forte proportion de membres étrangers. Au premier aperçu, je me suis demandé si la circon- stance de parler allemand dans les deux tiers des cantons suisses, français ou italien dans l'autre tiers n'aurait pas été à Berlin et à Paris une cause de faveur qui aurait fait nommer quelquefois des savants suisses à la place de sa- vants anglais, hollandais, etc., du même mérite. Cette crainte n'était pas fondée, puisque les listes de la Société royale de Londres attribuent aussi le premier rang à la Suisse, avec des chiffres souvent intermédiaires entre ceux de Paris et de Berlin. Chose bizarre ! Quoique la majeure partie de la Suisse parle allemand et que cette portion du pays ait toujours compté des savants très-esti- mables, c'est l'Académie de Berlin qui, en général, a nommé le moins de savants suisses. De la même ma- nière, le fait de parler anglais aux États-Unis, n’a pas été une cause de faveur à la Société royale de Londres, relativement aux Académies de Paris et de Berlin. En général, les trois corps scientifiques paraissent avoir tenu compte seulement des services rendus à la science, sans se laisser influencer par des considérations de nationalité, de religion ou de langue. La seule exception est qu'à Ber- lin on à vu assez ordinairement les savants anglais avec moins de faveur qu'à Paris. Jai déjà remarqué la singulière circonstance qu'en 1789 il n°y avait pas un seul anglais sur la liste berlinoise, à moins qu’on ne veuille compter William Herschel, qui était un Alle- mand de naissance et d'origine, établi en Angleterre. La | HISTOIRE DES SCIENCES. 187 liste de Paris montre, j'en conviens, qu'en 1789, l’Angle- terre avait faibli dans les sciences, mais il y avait pour- tant alors le célèbre Priestley, que l'Académie de Berlin aurait bien fait de nommer. Il n’est pas facile, d’après le tableau XI, de résumer dans son esprit, le rang de chaque nation à chaque épo- que, à cause des deux, trois ou quatre listes qui en four- nissent les éléments. Pour obtenir quelque chose de moins vague, j'ai pris la moyenne des millièmes de chaque pays pour chaque année. Ainsi, pour la Suisse, en 17950, la moyenne des trois listes de Paris, Londres et Berlin : pour Vtalie, en 1869, la moyenne des quatre listes de Paris, Londres, Berlin et Saint-Pétersbourg, et de même, pour chaque pays et époque, selon qu'il y a des chiffres basés sur deux, trois ou quatre listes différentes. Au point de vue arithmétique, ce genre de calcul n'est pas satisfai- sant, puisque les listes ont été formées d’après des groupes différents de populations, l Académie de Paris n'ayant pas eu à considérer les savants français pour la nomination d'étrangers, la Société de Londres les savants anglais, et les savants allemands ayant été éliminés de la liste de Berlin. [1 m'a paru cependant qu'on pouvait en faire usage pour constater, d’une manière approximative, l'or- dre moyen des pays, à chaque époque, d’après l’ensemble des documents. Le tableau qui suit indique cet ordre. HISTOIRE DES ee) = ‘au50[04 ‘aISSNY ‘SIU(-SJ214 “OIBIT ‘OPUEIIOH ‘onbis[og “HIBUTQUL( AUON ‘9p9nS ‘1H9}I[FUY "QUSEUEI[Y EAN ‘2SSINS ‘SIU{)-S}e)4 ‘JUF0[04 ‘2ISSN ‘[Roni0q ‘ausedsF ‘OLISUOH ‘onPis[og “O[8IT ‘OPUPIIOH ‘HAUT ‘JUSLUOI[Y ÉALIAR “HIBUUR(, MAION ‘Op9ns "ASSIS 6887 ‘OUSUO0H ‘JUS0[04 ‘2ISSNY “QUSLULAI[Y "HAUT ‘SIU{-SJPVH “onpis[og “OUT ‘[02u10q ‘ouseds "JULIA “HIBUQUL(] MAION ‘9p9n ‘APURIIOH ‘assIns 68LT | ‘aU20[04 ‘alSSnyY ‘Ren0q ‘ousedsF "AUSLUOIIY “OITeT ‘2U9}9[8UY “JULIA “HACUIQUR(] MUON ‘9p9nS ‘OPURI[OH EDS OSLTY OX AVATAVL NO SANNTAON SAT SAIAVE SAV SUAALE SAQ SENVLIVILE NOLTTEN NO AOOITENAUNS HAIVA FT AQ AUCO HXANATIANVIL HISTOIRE DES SCIENCES. 189 Ce tableau montre bien le progrès ou le recul qui s’est fait dans plusieurs pays, relativement aux autres, sous le rapport scientifique en considérant un chiffre égal de population. La Suisse à maintenu sa position au haut de l’échelle. La Hollande, qui marchait avec elle dans le XVIIe sie- ele, a décliné dans le XIX"%. L'Italie, la péninsule ibéri- que et les États-Unis ont baissé. L'Angleterre, qui avait baissé à la fin du XVIIP: siècle, à repris sa bonne posi- tion. La France à toujours occupé un rang élevé. Les pays scandinaves ont faibli récemment. L'Allemagne, qui était très-bas dans le XVIIe siècle, s’est élevée notable- ment. Les faits que nous venons de déduire du tableau XII, sont semblables à ceux qui résultaient de la liste des Associés étrangers de l'Académie de Paris, seulement le progrès et la diminution de certains pays sont plus accusés par les Associés étrangers (voir l'Allemagne et la Hol- lande, du XVIIe et du XIX*° siècle, p. 160, 170). Il faut une grande sève pour produire des savants de premier ordre. Quand leur nombre augmente, d’autres savants moins distingués abondent ; quand il diminue c’est le contraire. On pourrait s’en servir comme d'un indice pour l'avenir. Les pays qui n’ont pas eu un seul As- socié étranger de l’Académie de Paris n’ont jamais été ailleurs qu'au bas de l'échelle pour la proportion des |. savants d'un ordre moins élevé sur un million d'habi- tants. | Les oscillations de divers pays quant à la valeur scien- Hfique, ne sont pas en rapport avec le degré moyen de l'instruction. Ainsi, JAngleterre avait probablement au- |. {ant de gens instruits en 1789 que dans le demi-siècle | précédent, et la Hollande du XIXe siècle est un pays re- 190 HISTOIRE DES SCIENCES. marquablement instruit. Ce n’est pas le savoir qui à fai- bli dans ces deux cas, c’est le désir de chercher sans avantage pécuniaire, d'innover, ou de faire connaître ses découvertes et ses opinions. | Le groupement des populations par nationalités a l'in- convénient de réunir des populations favorables à la | science et des populations tout à fait indifférentes. Les chiffres de la Suisse seraient relevés si l’on éliminait les cantons catholiques: ceux de l'Angleterre, si l’on Ôôtait M l'Irlande: ceux de l'Allemagne, si l'on séparait les pro- vinces autrichiennes: ceux de Fftalie, si lon défalquait Rome et le royaume de Naples; ceux des États-Unis, si l’on retranchait le sud et l’ouest. En revanche, ces élimi- nations, rendraient encore plus sensibles les différences M qui existent entre des populations souvent juxtaposées et M appartenant au même pays. Par exemple, deux des cantons les moins peuplés de la Suisse, Bâle et Genève, ont fourni l'immense majorité des savants qui se trouvent sur nos tableaux. En 1789, Ge- nève était encore une petite république indépendante, alliée à quelques cantons suisses, comme l’étaient aussi M Mulhouse, le Valais et Neuchâtel. J’aurais pu la considé- rer comme un État distinct, et alors ses 35,000 habi- lants, qui constituaient deux dix-millièmes des popula- M tions civilisées hors de la France, auraient eu 0,05 des M Associés étrangers de l’Académie de Paris, et quelquefois M plus de 0,1 des Associés et Correspondants réunis, d’où il serait résulté une proportion fabuleuse sur le tableau M XL lettre A. | On ne saurait trop le répéter, les proportions par pays l ontune faible valeur en elles-mêmes et sans commentaire. M | Si jeles ai données, c’est qu’on peut cependant, avec de la prudence et de l'impartialité, en déduire certaines indi- ADR. SLA © 16. TRE HISTOIRE DES SCIENCES. 191 cations ou même quelques conclusions, qu'il n'est pas possible d'obtenir autrement. On attribue, par exemple, dans le public, une impor- tance exagérée à la nature des institutions politiques et des gouvernements (voir p. 147-152). Je prie les per- _ sonnes qui supposent à la forme républicaine une valeur spéciale pour développer la civilisation dans toutes ses branches, de vouloir bien comparer dans le tableau XI, p. 184, la position de la Suisse et celle des États-Unis. . Afin de rendre la comparaison plus exacte encore, je pro- poserai de comparer la partie protestante de la Suisse avec l'Amérique. Cette partie de la Suisse se trouverait fort au- dessus de la position occupée sur nos tableaux par la Suisse entière, mais la comparaison serait mieux fondée. | On aurait, de part et d’autres de petits États protestants et républicains, réunis jusque vers le milieu du siècle actuel, | | en Suisse, comme en Amérique, par un lien fédératif très-faible, qui laissait à chaque État ses lois, son admi- mistration, ses écoles, etc. Cependant, les cantons protes- . fants de la Suisse, et même la Suisse entière, sont au haut . de l'échelle pour la proportion des savants sur un chiffre | | donné de population, et les États-Unis, même ceux de la Nouvelle-Angleterre, en sont bien éloignés. Les républiques suisses étaient, il est vrai, plus ou moins aristocratiques, jusqu'en 1847, et tous les savants Suisses, même ceux des tableaux de 1869, ont été élevés sous un régime qui n'était pas celui d’une démocratie absolue, tandis que les États de l'Amérique, surtout ceux du nord, étaient et sont essentiellement démocratiques. Les États-Unis comparés avec l'Angleterre, en particulier avec la partie protestante du royaume-uni, indiqueraient également une infériorité qui semble déterminée par la démocratie. La Hollande monarchique n’a pas eu dans ÿs 192 HISTOIRE DES SCIENCES. les sciences les nombreuses illustrations de son ancienne république aristocratique. Mais alors, pourquoi l’Alle- magne dans tout le XVIIP® siècle et l'Angleterre en 1789 étaient-elles si inférieures dans les sciences à ce qu'elles sont maintenant ? Les institutions aristocratiques v ont baissé et la science y à grandi dans des proportions très-évidentes. Du reste, le régime d’une démocratie ab- solue est si nouveau dans le monde que l'expérience n’en est pas encore faite. Les sciences ont prospéré beaucoup dans le centre de l'Europe, depuis deux cents ans, sous des conditions d’aristocratie ou absolue ou mitigée : voilà le seul fait acquis. L'avenir montrera les résultats d’une égalité complète des droits politiques dans les pays où elle vient de s'établir. Le régime absolutiste n’a pas développé les sciences en Russie, en Turquie, en Autriche, en Espagne, en Por- tugal. On le voit clairement sur nos tableaux. Mais, l’an- cienne France et plusieurs des États italiens comptaient assurément dans le monde scientifique, malgré l’absence de garanties constitutionnelles. Je cherche encore dans le tableau XI, jusqu'à quel degré les petits États auraient été plus favorables aux sciences que les grands. Comme je l'ai déjà fait remar- quer, les fonctions civiles et militaires doivent attirer moins les hommes capables dans les petits pays, et les sciences y offrent un moyen précieux de se faire con- naitre au dehors. Le tableau XI confirme les avantages des petits pays. La Suisse est partout à la tête; elle se compose d'Etats pour ainsi dire microscopiques et leur ensemble ne fait encore qu’un des plus petits pays de l'Europe. La Hollande, la Suède, la Norwége, le Da- nemark y occupent aussi de bonnes positions. Il n’en est pas de même du Portugal et des républiques de Union Sa Non CE é dt il HE HISTOIRE DES SCIENCES. 193 américaine, mais en somme les petits pays sont bien placés. L'empire de Russie ne relève pas les grands. La France, l'Italie, l'Angleterre, l'Allemagne, se trouvent dans le milieu des colonnes du tableau et laisseraient la question indécise, d'autant plus que l'Angleterre est com- posée de trois royaumes, dont le plus petit, l'Écosse, est celui qui à fourni à proportion le plus de savants illus- tres (p. 166). L'Italie et l'Allemagne étaient formées de nombreux États, surtout au XVII siècle, et ce sont les petites principautés ou villes libres de ces deux pays «qui ont donné le plus de savants connus. Tout au moins le royaume de Naples à toujours cédé le pas, sous ce rapport, à la Toscane, à la ville anciennement libre de Bo- logne, à Parme, Venise, etc.: comme l'Autriche à Baden, au Wurtemberg, aux petits duchés et aux villes libres d'Allemagne. La France est le seul pays considérable et non fractionné qui ait joué un rôle important dans les sciences, mais encore, sur le tableau le plus significatif, elle n’est pas au premier rang. En définitive, si les grands pays ont pour eux la force, les petits pays trouvent dans le domaine intellectuel plusieurs compensations. J'ai déjà signalé certains de leurs avantages (p. 152). Maintenant, les faits étant bien constatés, j'ajouterai quelques mots sur leurs causes probables. Les petits pays touchent aux autres par tous les points. Ils sont, pour ainsi dire, tout frontières. On ne peut y vivre sans faire des comparaisons fréquentes avec les in- stitutions, les lois et les usages des pays adjacents. Cela seul est une cause d'activité intellectuelle, qui prolite à la culture des sciences. Le voisinage des limites à encore l'excellent effet de rendre impossible une complète tvran- me. Il est bien facile aux gens persécutés de S'échapper et d'aller vivre paisiblement dans le voisinage. C'est ce 15 194 HISTOIRE DES SCIENCES. qu'on à vu souvent en Italie, en Suisse et en Allemagne. On passait de Florence à Sienne ou à Pise, de Milan à Ferrare, ou de Rome sur les terres de la république de Venise, et on échappait de cette manière à toute persécu- üon. Galilée à vécu vingt ans à Padoue sans éprouver le moindre désagrément, ce qui n'aurait pas eu lieu si Rome avait gouverné alors l'Italie. De nos jours, un botaniste distingué, Gasparrini, ayant été expulsé de Naples pour opinions politiques, fut pourvu aussitôt par le gouverne- ment autrichien d’une excellente place dans l’université de Pavie. Beaucoup de savants allemands, gênés en Au- triche ou à Cassel, ont passé tout simplement dans un autre des États de l'Allemagne. On a parlé quelquefois du despotisme qui régnait dans la très-petite république de Genève sous le régime calviniste, dans le X Vfre et le X VITme siècle, mais la frontière était à dix minutes des portes de la ville ! Combien de constitutions libérales n’assurent pas aux individus persécutés une ressource aussi commode. Dans un pays très-étendu, non-seulement il est difficile de s'échapper, mais encore si l'on s’expatrie on se trouve au milieu de populations parlant une autre langue et ayant d’autres habitudes, ce qui devient à la longue très- pénible. Outre la facihté de quitter un petit pays, on peut aisé- ment en faire sortir des valeurs pour les placer à l’étran- er. C'est même une des choses qui irritent le plus les despotes de petits États, parce qu’ils ne peuvent absolu- ment pas l'empêcher. En somme, la petitesse d’un pays est favorable à la liberté individuelle, par conséquent à l’indépendance des savants. S'ils ont chez eux une bonne position, c’est très-bien : s'ils ne ont pas, ils en souffrent moins que les savants des grands pays. En définitive, nous pouvons, d'après les faits, de même que par le HISTOIRE DES SCIENCES. 195 raisonnement, regarder la-petitesse d’un État comme fa- vorable aux sciences. Maintenant, nous savons à n'en pouvoir douter, que beaucoup de causes influent sur le nombre et le succès des hommes qui s'occupent de découvertes scientifiques. Cette notion est indispensable pour expliquer les faits rela- tifs aux divers pays. B. Examen des divers pays au point de vue des causes qui parais- sent avoir déterminé leur influence relative dans le progrès gé- néral des sciences. Pour éviter de nombreuses répétitions, je rappellerai d'abord, d’une manière succincte et sous des numéros, les diverses causes qui doivent influer plus ou moins sur le développement des hommes voués à la recherche des dé- couvertes scientifiques. J'indiquerai les causes favorables. On peut représenter, si l’on veut, les causes contraires par un signe négatif correspondant. Ainsi, la circonstance favorable marquée ci-après du chiffre 13, Clergé ami de l'instruction, à évidemment pour antithèse — 13, Clergé ignorant ou ennemi de l'instruction. Le n° 18, Proximité des pays civilisés, à pour cause défavorable contraire — 18, Éloignement des pays civilisés, ete. Il y à une cause essentielle dont je me dispenserai de parler, parce qu’elle est commune à toutes les nations eu- ropéennes ou d'origine européenne, c’est la race. Évi- demment, les Européens et leurs descendants sont les seuls qui jouent un rôle dans les sciences. Il n’est pas nécessaire de rappeler constamment cette condition, mais elle prime les autres en importance, puisque toutes les nations européennes ayant plus où moins contribué à l'avancement des sciences, les races asiatiques, afri- caines et américaines indigènes sont restées, au con- 196 HISTOIRE DES SCIENCES. traire, complétement en dehors du mouvement scienti- fique. CAUSES FAVORABLES 1. Proportion considérable de personnes ap- partenant aux classes riches ou aisées de la po- pulation, relativement à celles qui sont obligées de travailler constamment pour vivre et surtout de travailler de leurs bras. 2. Proportion importante, dans les classes ri- ches ou aisées, d'individus sachant se contenter de leurs revenus, ayant une fortune facile à ad- ministrer et, par suite, disposés à s'occuper de choses intellectuelles peu ou point lucratives. 3. Ancienne culture de lesprit, dirigée depuis plusieurs générations vers des choses réelles et des idées Justes. 4. Immigration de familles étrangères instrui- tes, honnêtes et ayant le goût de travaux intellec- tuels peu ou point lucratifs. o. Existence de plusieurs familles ayant des traditions favorables aux sciences et aux ocecu- pations intellectuelles de toute nature. 6. Instruction primaire, et surtout moyenne el supérieure, bien organisée, indépendante des parts politiques ou religieux, tendant à provo- quer les recherches et à favoriser les Jeunes gens et les professeurs dévoués à la science. 7. Moyens matériels abondants et bien orga- HISTOIRE DES SCIENCES. 197 nisés pour les divers travaux scientifiques (bi- bliothèques, observatoires, laboratoires, collec- tions). 8. Public curieux de choses vraies ou réelles, plutôt que de choses imaginaires ou fictives. 9. Liberté d’énoncer et de publier toute opi- nion, au moins sur des sujets Scientifiques, sans éprouver des inconvénients d’une certaine gra- vité. 10. Opinion publique favorable aux sciences et à ceux qui S'en occupent. 11. Liberté d'exercer toute profession, de n'en exercer aucune, de voyager, et d’éviter tout service personnel, autre que celui auquel on s'engage volontairement. 12. Religion faisant peu d'usage du principe d'autorité. 15. Clergé ami de l'instruction chez ses pro- pres membres et dans le public. 14. Clergé non astreint au célibat. 15. Emploi habituel de Pune des trois langues principales, l'anglais, l'allemand ou le français. Connaissance de ces langues assez répandue dans les classes instruites. 16. Petit pays indépendant ou réunion de pe- tits pays indépendants. 17. Position géographique sous un climat tempéré ou septentrional. 18. Proximité des pays civilisés. 198 HISTOIRE DES SCIENCES. Telles sont les causes favorables. I suffira de les rappro- cher de nos tableaux indiquant la valeur scientifique des diverses populations, pour voir qu'elles influent toutes et qu'elles se justifient par les faits, aussi exactement qu’on pouvait le prévoir. Dans cette partie du travail, je ne saurais étudier tous les pays et indiquer ce qu'ils ont présenté ou présentent aujourd'hui de causes favorables ou défavorables. Per- sonne ne connait assez bien toutes les nations civilisées pour pouvoir le faire. Je prierai seulement chaque lecteur de compléter ce que je dirai, en pensant à la nation ou aux nations qu'il connait le mieux et en notant pour chacune les causes favorables ou défavorables qu'il sait exister. Il verra que l'abondance et l'importance dans un pays de causes favorables, avec la rareté et le peu d'im- portance de causes défavorables, ont toujours pour terme correspondant une position élevée sur les tableaux XI et XIE, tandis que les conditions inverses concordent avec une position inférieure. Pour citer les deux extrêmes, la Suisse, où plutôt certains cantons de la Suisse, en parti- culier Bâle et Genève, dans le X VITF"e siècle, réunissaient toutes les conditions favorables et ne présentaient aucune des conditions défavorables. Or, la Suisse est à la tête du tableau p. 18%, et dans le XVIIe siècle c'était à cause des savants de Bâle et Genève. Au contraire, la Turquie d'Europe et les colonies intertropicales, n'ayant Jamais présenté une seule des conditions favorables et ayant eu toujours l’ensemble des défavorables, ces pays ne figurent pas même sur le tableau. Je désire justifier mon assertion relative à la Suisse, d'autant plus que ce petit pays de deux millions d’âmes a présenté des faits assez curieux au point de vue de HISTOIRE DES SCIENCES. 199 l’histoire des sciences. Comme 1l s'agit de mon propre pays, je puis en parler pertinemment. Je serai plus bref sur les autres. SUISSE La Suisse, dans son ensemble, a toujours présenté certai- nes conditions favorables ‘, marquées ci-dessus (p.196), des chiffres 2, 3. 5, 10 et surtout 15. 16, 17, 18. Le n° 11 a existé dans le X VIP" siècle et dans une partie du XIXe, mais à l’époque actuelle un des premiers articles de la constitution porte : Tout Suisse est soldat. Nous ver- rons bientôt ce qui est spécial aux cantons protestants et aux cantons catholiques. Auparavant, je voudrais attirer l'attention sur une influence favorable aux sciences qui est particulière à la Suisse ou du moins qui à existé à un degré si exceptionnel dans ce pays, qu'il faut en tenir un compte spécial. Les Suisses ont eu des rapports incessants et pour ainsi dire intimes avec les autres nations. Non-seulement ils aiment les voyages, comme les Anglais, les Allemands ou les Russes, mais encore ils ont souvent résidé en pays étrangers, et là ils ont suivi des carrières libérales, sans renoncer à leur propre nationalité. De tout temps, ils ont vu se fixer chez eux des hommes instruits de toutes les nations, sans parler des simples voyageurs. On sait aussi combien d'étrangers de marque ont été élevés dans les instituts suisses de Fellemberg, Pestalozzi, Na- 1 En admettant telle ou telle condition comme favorable, il faut toujours penser à l’état de l’Europe dans le temps dont il s’agit. Par exemple, l’opinion publique suisse (n° 10), au XVIII®: siècle, n’é- tait pas aussi favorable aux sciences que maintenant. mais elle l’é- tait plus que dans la plupart des autres pays. 200 HISTOIRE DES SCIENCES. ville, etc., tandis que d’autres ont été éduqués dans leurs pays par des instituteurs suisses. Les rapports extrême- ment nombreux et croisés qui résultent de cet ensemble d’usages ne peuvent s'exprimer que par le mot anglais intercourse. C'était l'effet de la petitesse du pays, de sa position géographique, de ses institutions et de l'absence d'une langue nationale. Les cantons se regardaient au- trefois comme des États indépendants. Leur lien moral était surtout dans la passion qu'ils avaient tous de se vouverner eux-mêmes, sans se laisser absorber n1 par la France, ni par l'Autriche, ni les uns par les autres. Ils avaient d’ailleurs le sentiment de leur faiblesse et de la faiblesse de la Confédération dans son ensemble. Per- sonne à l'étranger ne se défiait des Suisses et chacun d'eux pouvait, légalement et moralement, offrir ses services à qui bon lui semblait. On admettait complétement la possibilité d’être citoyen d'un des cantons et sujet d'un autre pays. La qualité de Genevois, Bernois, Bà- lois, etc., ne pouvait pas se perdre par une naturalisa- tion à l'étranger. Aujourd’hui, les sentiments de natio- nalité exclusive qui règnent en Europe et le progrès de la centralisation en Suisse ont un peu modifié ces anciennes idées, mais elles existaient en plein dans le XVII" siècle. On a vu Le Fort, citoyen de Genève, ministre de Pierre le Grand, et Necker, également Genevois, ministre de Louis XVI. Des régiments suisses étaient au service de la France, de la Hollande, de l'Espagne, ete. A plus forte raison, de jeunes Suisses fréquentaient les universités étrangères et des savants suisses devenaient professeurs ou académiciens à l'étranger. Euler avait été appelé en Russie: Jean Trembley, Pierre Prevost, Lhuilier étaient membres effectifs de l'Académie de Berlin: Haller a été professeur à Gœttingen : De Luc était lecteur de la reine HISTOIRE DES SCIENCES. 201 d'Angleterre, etc. De nos jours, on a trouvé tout simple, à Genève, que Sturm se fit naturaliser français pour en- trer à l'Académie des sciences de Paris, de même que Bluntschhi est devenu un des principaux jurisconsultes en Allemagne. Quand un petit peuple à le bonheur de ne pouvoir imposer sa volonté aux autres, 1l lui est aisé d'admettre la possibilité pour chacun de ses ressortissants d'être utile dans deux pays et d'aimer deux pays. Les conséquences de cette manière de voir des Suisses ont été très-heureuses pour eux. Il est bien différent de parcourir l’Europe en allant d'hôtel en hôtel, ou d'entrer pratiquement dans une carrière à l'étranger et de tâcher par ses efforts et sa bonne conduite de mériter un avan- cement. Les Suisses dans une armée étrangère tenaient à leur réputation de solidité sur le champ de bataille. et les professeurs ou académiciens tenaient de la même manière à justifier, vis-à-vis des nationaux, les positions qu'ils avaient acquises. Beaucoup revenaient plus tard chez eux et répandaient alors, dans leurs cantons d'origine, des idées et des méthodes importantes, qui préparaient de nouvelles générations plus éclairées. C'est à raison de ces habitudes cosmopolites qu'il faut attribuer à la Suisse, dans son ensemble, un bon système d'instruction supérieure (n° 6). Chaque canton possède el possédait déjà autrefois des moyens d’études préparatoires assez satisfaisants. Bâle, Berne et Zurich ont eu des uni- versités: Genève, Lausanne et autres chefs-lieux de can- tons des académies, où l’enseignement supérieur n'était pas aussi complet. Mais, en outre, les jeunes Suisses ont eu la meilleure de toutes les universités, tar ils ont pu choisir toujours la plus forte de l'Europe, dans chaque Spécialité, pour wterminer leurs études. Paris, Berlin, Gœttingen, Édimboure, etc.. leur ont offert, successive- re: QE de x bé Re. # Mid hi ons? pére # LA hé PRET AO I DT RS NS OM PONT Ve Te TT VI uw nt < Lt Le". nf NTI TES L'vA 202 HISTOIRE DES SCIENCES. ment ou simultanément, ce qui valait le mieux pour la médecine, le droit ou les sciences. On parle aujourd’hui de créer une grande université fédérale en Suisse. À coup sûr, elle ne vaudra jamais, dans toutes les branches à la fois, les meilleures universités de l'Europe, l’une étant excel- lente dans une des facultés, l'autre dans une autre, l’une dans un temps, l'autre à une époque subséquente. Je le ré- pète, les idées cosmopolites des Suisses ont beaucoup con- tibué à leur brillante position dans le monde scientifique. Il ne faut jamais l'oublier, si l’on veut expliquer l’ordre des nationalités dans les tableaux XT et XIE Je reviens à la distinction des cantons protestants et catholiques. Les premiers * ont offert, indépendamment des condi- tions favorables communes à toute la Suisse, celles mar- quées ci-dessus 4, 4, 6, 7, 8, 9, 22, 13, 1%. Is ont pro- lité au plus haut degré des conditions 2, 3, 4, 5 et 10, et quant aux autres, c’est plutôt en les comparant avec l'état des diverses parties de l'Europe dans les mêmes années qu'on peut les considérer comme ayant existé. En somme, les cantons protestants ont cumulé, pendant un siècle et demi toutes les conditions qu'il nous a été possible de croire favorables aux sciences. Ils n’en ont présenté aucune de défavorable, si ce n’est, dans les temps modernes, les exi- gences militaires (n° TT). L'armée suisse, dira-t-on, n’est pourtant pas l’armée prussienne. C'est vrai, si l’on compte les jours de service actif, mais la Prusse favorise, à titre d’engagés volontaires, les jeunes gens des universités et les docteurs, ce qui n'existe pas en Suisse. D'ailleurs, nous 1 * J’appelle protestants les cantons qui étaient exclusivement tels dans le XVIIwe siècle. De nos jours, plusieurs d’entre eux ont reçu des populations catholiques et certains cantons catholiques des po- pulations protestantes. HISTOIRE DES SCIENCES. 203 ne prétendons pas qu'un certain nombre de mois ou même d'années de service empêchent un jeune homme de se dis- tinguer dans les sciences. Nous disons seulement que cela diminue son temps de travail et altère quelquefois sa santé pendant l’époque la plus précieuse de la vie. S'il est obligé de retarder certains travaux, certaines publications, il se voit devancé par d’autres et sa position dans la science peut en être singulièrement modifiée. Le service militaire obligatoire est done une cause défavorable aux savants suisses et allemands, dans leur concurrence avec les an- glais, par exemple. Les cantons catholiques ont eu moins de conditions fa- vorables et beaucoup de défavorables, surtout —#,—6,— 9,192, 13.— 1%. Les résultats en ont été absolu- ment conformes à l'opinion qu'une grande diversité de causes influe sur la production de savants distingués et que les causes morales ont plus d'importance que les cau- ses matérielles. Quoique la population catholique soit d'un million, la protestante étant de 1 ‘/, million, tous les As- sociés étrangers nommés par l'Académie de Paris en Suisse et tous les correspondants de cette Académie, de la Société royale de Londres et de l'Académie de Berlin, nommés dans les quatre années de nos tableaux, étaient ou sont tirés des cantons protestants ou, dans les cantons mixtes, de la population protestante. Leur nombre à été si considérable que la proportion sur la population totale de la Suisse à mis ce pays à la tête de chaque subdivision du tableau XI. Les chiffres auraient été tout à fait excep- tionnels si l’on avait calculé seulement sur les cantons de Bâle et Genève. Lorsqu'on pénètre dans les détails de l'histoire scien- tifique de la Suisseen comprend encore mieux la diver- sité des causes qui influent. L'indépendance morale des 204 HISTOIRE DES SCIENCES. petits États de la Confédération, jusqu'au milieu du sièele actuel, était si grande, qu'on peut les étudier un à un ou les comparer entre eux, comme on le ferait pour des pays M différents de l'Europe. On voit alors, en petit, ce que les | prévisions et les faits montrent ordinairement en grand. | J'en citerai quelques exemples. Genève n’a pas eu de titulaires des principales Acadé- mies ou Sociétés étrangères avant le milieu du siècle der- nier. Plusieurs des causes favorables y existaient cependant, les unes depuis le milieu du XVIe siècle, les autres depuis le XVIPe, en particulier les n° 3,4, 5, 6, 8, 10, 13, 14, 15, 16, 17, 48, mais il y avait des conditions défavo- rables, très-fortes à l’origine, qui ont diminué seulement vers la fin du XVIIe siècle et au commencement du XVIIe, La ouerre de l'indépendance, soutenue contre les dues de Savoie, avait réduit jadis la petite république à une misère extrême. Malgré l’affluence des protestants étran- | gers, la population de la ville était descendue à 16 ou 18,000 âmes. On y était si pauvre que, pour exercer une profession libérale, il fallait avant tout en faire son gagne- pain et laisser de côté la plupart des questions purement scientifiques. Il faut done marquer pour l'époque de 1535 M à 1650 ou 1680, les conditions défavorables —1,—2, ! —7,— 11 Heureusement, le XVIe siècle fut pour Genève une longue période de tranquillité intérieure et de pros périté matérielle croissante. Cela explique comment, au M XVIe, 1] s'est trouvé beaucoup de familles assez à M leur aise pour cultiver les lettres et les sciences sans risquer d'en souffrir. En outre, pendant la durée du ré- cime calviniste pur, c’est-à-dire de la fin du XVIe siècle, jusqu'en 1720 où 17925 environ. il faut marquer les con- ditions défavorables, — 9 et — 12. En 1735, l'opinion publique était devenue si tolérante, en particulier dans le HISTOIRE DES SCIENCES. 205 clergé, qu on renonça officiellement à exiger des candidats au saint ministère une déclaration de foi explicite, et qu'on jugea suffisante la promesse d'enseigner et de pré- cher en se conformant aux Écritures, selon les lumières de sa propre conscience ‘. La liberté accordée sur un point aussi essentiel marquait pour Genève une ère nouvelle. La théologie cessait d’être une science exclusive et domi- nante. Les forces intellectuelles que la seconde immigra- tion de réfugiés, après la révocation de l’édit de Nantes, avait redoublées, et qu'une aisance générale rendait d’ail- leurs plus disponibles, allaient se porter sur les sciences, les lettres, la politique, avec une intensité croissante. C'est en 1739 que, pour la première fois, un Genevois fut nommé de l’une des trois grandes Sociétés savantes ou Académies de l'Europe *. En 1750, nous en voyons trois sur le tableau de l'Académie de Paris et quatre sur celui de Londres. Cette même année, Gabriel Cramer fut pré- senté par l'Académie des sciences de Paris, ex æquo avec Van Swieten, pour l’une des huit places d’Associé étran- ger. Le roi préféra Van Swieten, mais le mérite de Cra- mer n'en avait -pas moins été constaté par une corpora- tion scientifique du premier ordre. Les savants genevois qui se distinguaient alors avaient été élevés sous les in- fluences libérales des trente ou quarante années précéden- tes. Enfin, dès la seconde moitié du X VIP" siècle, toutes les causes favorables se trouvent réunies à Genève et au- cune cause défavorable ne peut y être signalée. Les pro- portions des tableaux p. 160 et 18% concordent avec cet ensemble de faits. Bâle n’a pas suivi les mêmes phases que Genève. Le ! Chastel, Le Christianisme de l’âge moderne, IT, p. 232. = Jalabert, membre étranger de la Société royale de Londres. Lente Me un à: Las 206 HISTOIRE DES SCIENCES. mouvement scientifique s’y est fait plus tôt et s’est ralenti à l’époque moderne, au lieu de continuer comme à Ge- nève. Les célèbres botanistes Jean et Caspar Baubin, fils d'un réfugié français, étaient nés à Bâle dans le XVIme siècle. Les frères Jacques et Jean Bernoulli furent nom- més Associés étrangers de l'Académie de Paris en 1699. Plusieurs Bâlois figurent sur nos tableaux des titulaires académiques de 1750 et 1789, indépendamment de deux autres Bernouilli et de Euler, Associés étrangers: mais sur les tableaux de 1829, nous ne voyons plus aucun sa- vant de Bâle et, sur ceux de 1869, M. Pierre Mérian est le seul. Ainsi, la grande époque scientifique de Bâle à été la première moitié du XVIIe siècle: celle de Genève, la seconde moitié du même siècle. À Bâle, comme à Genève, le mouvement scientifique s’est prolongé d’une manière moins caractérisée, après avoir atteint un maximum. Les Bälois ont brillé surtout dans les sciences mathématiques (buit Bernouilli, Euler, l’astronome Huber) ; les Genevois plutôt dans les sciences naturelles. Dans les autres bran- ches de l’activité humaine, on remarque aussi le dévelop- pement plus hâtif de Bâle. Le grand artiste Holbem était du X Vlr siècle et le Genevois le plus célèbre dans les lettres et les arts, J.-J. Rousseau, du XVIIPre. Ces faits s'expliquent par l’ancienne prospérité de Bâle, à une époque où Genève souffrait cruellement de la guerre et d’une position politique incertaine. D'ailleurs, Bâle se trouvait rapprochée des villes libres d'Allemagne, chez lesquelles un grand développement s'était opéré dans le X Vie siècle, et il ne faut pas oublier combien les commu- nications entre pays un peu éloignés étaient alors diffi- cles. Quant à la diminution de l'importance scientifique de Bâle dans le siècle actuel, je ne saurais en rendre compte HISTOIRE DES SCIENCES. 207 et j'avoue qu'elle me surprend. Il doit y avoir des causes que je ne puis deviner, sur lesquelles un Bälois, connais- sant bien son pays, pourrait seul renseigner. Ce sont probablement les conditions 2, 6, 10 et 12 qui devraient être examinées et appréciées par un homme compétent. Bâle est aujourd'hui, de l’aveu de tout le monde, une des villes d'Europe où il y a le plus d'instruction et de ri- chesse. Mais, savoir n'est pas chercher, et le fait de pos- séder de la fortune n'est pas toujours accompagné de Ja volonté de travailler sans profit pécuniaire ou à peu près. Sous ce dernier point de vue, il existe une assez grande différence entre les cantons allemands et français de la Suisse. Chez les premiers, on voit communément les fils de riches négociants ou industriels continuer la carrière de leurs pères, au lieu que, dans les cantons fran- çais, un homme enrichi par le commerce ou l'industrie voit souvent avec plaisir ses enfants sortir des affaires et exercer une profession libérale. Le premier système est favorable aux développements économiques : le second. aux travaux de l'intelligence. L'un, est le système améri- ain; l’autre, celui des pays plutôt aristocratiques, et, ilest bien connu que les mœurs sont moins démo- cratiques dans les cantons de langue française que dans eux de langue allemande. Le triomphe de la démocratie absolue dans la Suisse française changera probablement ces dispositions basées sur d'anciennes habitudes. Les Jeunes gens de familles riches, voyant à quel point les dé- mocraties répugnent aux services gratuits et rendent les positions incertaines, penseront davantage à eux-mêmes, c'est-à-dire à l'augmentation de leur fortune et à leurs plaisirs. Peut-être, cependant, un certain nombre d'entre eux auront d'autres idées. Les préventions qu'ils ren- 208 HISTOIRE DES SCIENCES. contreront dans la carrière politique les feront incliner quelquefois vers les sciences, les lettres ou les arts. Les sociétés scientifiques suisses sent un assez bon moyen de juger du zèle en faveur des sciences, à diffé- rentes époques et dans toutes les parties du territoire. Déja, au XVIIe siècle, la Société économique de Berne pubhait desmémoires importants sur les applications de la science à l'agriculture et à certaines industries. À Genève, la Société des Arts, fondée en 1776, à limitation de celle de Londres, obtint l'adhésion de plus de mille personnes, qui S'engageaient à fournir une contribution annuelle as- sez forte pour l'époque (24 fr.). Dans le siècle actuel, on a fondé pour toute la Suisse la Société helvétique des sciences naturelles”, et il existe dans la plupart des cantons une où plusieurs sociétés locales consacrées aux sciences. La Société helvétique avait 79% membres en 1862 et 843 en 1869. Les amis de la science qui font partie des sociétés locales, sans être de la Société générale, sont pro- bablement tout aussi nombreux. Ainsi, il y aurait en Suisse, pour deux millions et demi de population, à peu près 1,600 personnes plus où moins disposées à faire des recherches scientifiques. Cette proportion donnerait quinze à vinot mille individus pour un des grands pays de l’Europe. Les six cantons qui ont eu, à une époque quelconque, des associés où correspondants d’Académies étrangères indiqués sur nos tableaux, c'est-à-dire Bâle, Berne, Ge- neve, Neuchâtel, Vaud et Zurich, ont ensemble une popu- lation de 1,157.000 âmes et 545 membres de la Société helvétique des sciences: les autres, sur 1,343,000 âmes, ! Fondée à Genève en 1815. Elle a été la première des associa- tions qui se transportent d’une ville à l’autre dans l’intérieur d’un même pays. HISTOIRE DES SCIENCES. 209 en ont 298. Genève et Bâle, qui ont eu la plus forte pro- portion de titulaires sur les listes d’Académies, ont aussi la plus forte proportion de membres de la Société (au delà de un pour mille habitants”). Les cantons exclusivement catholiques ou à peu près, ont une population qui forme le quart de la population totale de la Suisse et comptent deux villes d’une certaine importance. Ils ont 120 membres de la Société, c'est-à- dire ‘/,. Dans les cantons mixtes, la population protes- tante est celle qui est le plus fortement représentée parmi les membres de la Société. Ainsi, les faits observés en Europe sur la proportion des titulaires des grandes Aca- démies appartenant aux deux cultes, se retrouvent en petit dans l'intérieur de la Suisse, pour ce qui concerne les per- sonnes s’occupant de sciences ou favorables à leurs pro- grès. En d’autres termes, une opinion publique bien dis- posée en faveur des sciences est liée à la production de savants distingués et cette opinion elle-même se rattache en grande partie aux circonstances religieuses du pays. HOLLANDE D'après les tableaux, p. 18% et 188; la Hollande à commencé par occuper la seconde place, quant à la valeur scientifique, mais dans le siècle actuel sa position est mo- deste, où même entièrement effacée. Que les proportions numériques aient faibli, comme pour l'Italie, par exemple, cela se comprend si l’on fait attention à l'Allemagne et à l'Angleterre, qui marechaient humblement après plusieurs petits pays dans le XVIIe siècle, et se sont élevées très- haut dans le XIXe, absorbant ainsi une grande partie ? Verhand]. der schweiz. Naturforsch. Gesellsch. 1869, p. 271. 14 210 HISTOIRE DES SCIENCES. des nominations au détriment des autres États. Mais ka Suisse a conservé toujours son rang, tandis que la Hol- jande a disparu pour ainsi dire du concours. Elle avait eu six Associés étrangers de l'Académie de Paris dans le XVIIe siècle (tableau, p. 161): elle n'en à pas eu un seul dans le XIXe, La diminution des correspondants est moins grave, mais cependant fort évidente. Je voudrais en chercher les causes. Malheureusement, une connais- sance détaillée du pays me fait défaut et c’est avec timidité que je hasarderai quelques réflexions. En fait de causes favorables aux sciences qui ont tou- jours existé en Hollande, je citerai les n° À, 3, 5, 6, 7, 8: 9, 40, -H.. 12: #9; AR AA: Bien peu de circonstances ont été constamment défa- vorables. Une est évidente, — #5 (langue spéciale), et elle est devenue plus grave depuis l'abandon du latin dans la pratique des sciences. Aux conditions favorables, on pouvait ajouter autrefois le n° #, car la Hollande à largement profité de l’émigra- tion des réfugiés français protestants. Leurs descendants entrent pour une fraction dans la liste des titulaires hol- landais de nos tableaux, il est vrai une fraction beau- coup moins importante qu'en Suisse. Dans le siècle ac- tuel, la Hollande ne paraît pas avoir attiré beaucoup d’é- trangers. Elle s’est isolée davantage, ou bien les étrangers qu'elle à reçus n’ont pas profité au développement scien- üifique comme les anciens réfugiés. Le pays aurait ainsi perdu une cause importante de mouvement dans les idées. Je n'ose rien affirmer sur le n° 2. Il est possible qu on cherche davantage aujourd'hui à augmenter sa fortune, quand on pourrait s'occuper de choses intellectuelles non lucratives. Je l’ignore. Les Hollandais seuls peuvent dire ce qu'il en est. En définitive, les causes qui ont amené un HISTOIRE DES SCIENCES. 211 affaiblissement de la Hollande dans le concours scienti- lique européen, seraient surtout l'inconvénient croissant de la langue et l’absence de Fimpulsion que les réfugiés avaient donnée autrefois. Ces causes ne sont pas bien graves et, si mon analyse est vraie, la Hollande se relé- vera. L'éclipse actuelle serait momentanée, comme celle de Angleterre à la fin du XVIIe siècle. I y à de singulières analogies entre Bâle et la Hol- lande. Dans les deux pays. on à vu d’abord de grandes illustrations scientifiques: ensuite une richesse croissante, accompagnée d'une diminution d'activité scientifique et d'une instruction aussi sérieuse que généralement ré- vandue. La richesse ôterat-elle une certaine hardiesse dans les idées, tout en laissant un honorable désir d'étu- dier ? Ou faut-il croire, comme beaucoup d'exemples in- dividuels le font penser, qu'une forte instruction empêche de poursuivre des idées nouvelles ? Le temps qu'on met à apprendre plusieurs langues, à suivre une infinité de cours, à étudier toutes les sciences, à lire ce qui se publie, ne peut effectivement pas s'appliquer à autre chose. Ap- prendre n'est pas chercher. Savoir beaucoup est le con- trare de s’absorber dans une spécialité. Je croirais cette cause plus vraisemblable que lautre, car la richesse, à côté de quelques inconvénients, à l'avantage de faciliter les expériences, les voyages et les publications des hommes de science. L'exemple de l'Angleterre et de l'Amérique montre comment elle peut aider au développement des recherches scientifiques. Les Hollandais les plus célèbres, autrefois Associés de l'Académie des sciences de Paris, étaient presque tous de familles riches. C'est done la di- rection des esprits qui à changé en Hollande, comme l'in- dique d’ailleurs le passage d’une république aristocratique à la monarchie relativement démocratique du siéele actuel. PRE CON PL NT EN) 27, 212 HISTOIRE DES SCIENCES. L'avenir montrera si les causes dont j'ai parlé sont bien réelles et si elles sont profondes. Il existe encore tant d'excellentes influences en Hollande, qu'on peut espérer raisonnablement un retour de l’ancien éclat scientifique du pays. SUÈDE, NORWEÈGE, DANEMARK La culture des sciences à commencé de bonne heure dans les pays scandinaves. Tycho-Brahé, noble danois. était né en Scanie, en 1546. Toutes les circonstances ont été favorables dans ces petits États, excepté le fait de parler des langues peu con- nues dans les autres pays et celui de recevoir un bien petit nombre d'étrangers de nature à augmenter le zèle scientifique. La pauvreté des populations à été un obsta- cle, qu'on à cependant surmonté, grâce à des habitudes simples et laborieuses. Le clergé a contribué fortement à l'avancement des sciences, non-seulement par lui-même, mais aussi en encourageant les hommes studieux. Sars, qui à fait de si belles découvertes sur les animaux à gé- nération alternante, était pasteur dans un pauvre village norwégien. Linné, Wargentin, Berzelius, étaient fils d’ec- clésiastiques. Les proportions de savants scandinaves sur le tableau p. 184 sont restées uniformément très-élevées. Elles ont moins varié que celles des Hollandais et des Suisses. Il est vrai qu'elles reposent sur un chiffre de population plus considérable. FRANCE Je vais parler maintenant des quatre grandes nations LA pe et CAE ne PRÉ HISTOIRE DES SCIENCES. 213 civilisées : Italie, France, Allemagne, Angleterre: et d’a- bord de la France, qui a occupé parmi elles le premier rang aux quatre époques mentionnées dans mes tableaux. Ce pays a subi une transformation si grande à la fin du siècle dernier, qu'on voudrait pouvoir analyser nettement les influences avant et après cette époque. Malheureuse- ment, il n'est pas aisé de préciser quelles étaient, au XVIIe siècle, les causes favorables ou du moins les causes qui étaient plus favorables alors en France que dans les autres pays. L'instruction publique y était-elle meilleure qu'en Angleterre et en Allemagne? La liberté des opi- nions scientifiques était-elle suffisante ? Les bibliothèques, observatoires, musées, étaient-1ls remarquables pour le temps? Je suis disposé à répondre affirmativement à ces questions, mais il est difficile de se représenter exacte- ment l'état de l'Europe il y à un siècle, sous ces divers points de vue. Ce qui nous parait aujourd'hui arriéré était quelquefois ce qu'on avait alors de mieux. Véritablement, après avoir lu beaucoup de mémoires de l'époque et de biographies de savants, je eroirais qu'on peut attribuer à la France du X VIT siècle, surtout à l'époque de Louis XVE, les avantages qui suivent : 2, 3, 9, 6, 7, 10, 41, 13, 15, 17, 18. Une circonstance défavorable était l'intolérance religieuse, qui avait fait sortir du royaume un très-grand nombre de protestants amis des sciences et qui empêchait l'établissement d'étrangers non catholiques (— #). Cette intolérance génait quelque peu la liberté scientifique (--9), et faisait régner dans l'éducation le principe d'autorité (—12). Enfin, la grandeur du pays rendait les fonctions publiques très-importantes, ce qui devait détourner un certain nombre d'hommes capables des travaux purement scientifiques (—16). Le clergé aimait les sciences, où du moins dans le " VA 214 HISTOIRE DES SCIENCES. nombre immense des ecclésiastiques il y avait beaucoup de savants qui faisaient des recherches originales, qui en- traient dans les Académies de Paris ou de la province, étaient connus à l'étranger et pouvaient, grâce à des pri- viléges de corps ou à de hautes protections, jouir d’une liberté intellectuelle suffisante. Beaucoup obtenaient des bénéfices, qui leur semblaient une propriété viagère par- faitement assurée, aussi quand vint le moment de la spo- liation, ce furent les ecclésiastiques lettrés, laborieux et libéraux qui la ressentirent avec le plus d'amertume ”. Sous des conditions aussi favorables, la France occupa dans le X VIF siècle, surtout vers la fin, une position ex- trémement importante au point de vue scientifique. Le plus beau moment fut l'époque de Lavoisier, et nos ta- bleaux l’accusent d'autant mieux que l'Allemagne et l'An- vleterre ne brillaient pas alors dans les sciences. La géné- ration formée sous cet ancien régime porta dans le nou- veau une grande vigueur et une grande hardiesse. Détruite en partie par la révolution, elle se recruta bien- tôt d'hommes que la secousse de l'ordre social venait de susciter et qui devaient naturellement aussi avoir, dans toutes les branches des connaissances, un certain degré d’audace. Des écoles spéciales furent créées ou rétablies et, par suite, en dépit d'une barbarie de douze ans et d'une querre terrible qui faisait prumer la force sur intelligence. on vit pendant plusieurs années la France occuper encore une position éminente parmi les orands pays. Vers 1840 où 1850 seulement, le nouvel ordre de choses ayant pro- duit tous ses effets à l’intérieur, et deux autres grands pays, l'Angleterre et l'Allemagne, s'étant beaucoup déve- loppés en fait de travaux scientifiques, on s'aperçut d’une 1 Lire les Mémoires de l’abbé Morellet. HISTOIRE DES SCIENCES. 215 modification dans les forces relatives. Depuis quelques années, les Sociétés ou Académies nomment plus d'An- slais, plus d’Allemands qu’autrefois et un peu moins de Français. Comme il s’agit d’une sorte de concours et de valeurs relatives, c'est en comparant l'Angleterre et l'Allemagne à a France moderne, qu'on pourrait se rendre compte nei- tement des causes qui ont le plus influé: mais pour la France même, il y à des faits assez évidents. L'Académie des sciences a retenti de plaintes extrêmement vives sur l'état des colléges. des facultés et des institutions scienti- fiques en général. J'aime à croire qu'en ce qui dépend de l'État, de grandes améliorations pourront résulter de ces plaintes et de l'effet moral des calamités qui ont affligé le pays. Malheureusement, il y a des causes plus profondes, tenant aux idées et aux mœurs, plus qu'aux lois et a “ouvernement. Ces causes ne sont pas immuables, mais elles sont lentes à changer et ce n'est pas la génération actuelle qui pourra les anéantir tout à coup. Jai attribué à l’ancien clergé français une heureuse influence sur les sciences dans le X VIT siècle. Le clergé actuel à repris beaucoup de force, mais il n'a plus les mêmes dispositions. [1 veut bien se servir des sciences comme d'un moyen d'action sur les écoles spéciales, mais il ne les aime guère pour elles-mêmes. La preuve en est l'absence complète d'ecclésiastiques français sur les listes des Académies étrangères, comme sur celle des membres effectifs de l'Académie des sciences de Paris. Le principe d'autorité domine plus que jamais dans l'Église et se ré- pand par son influence au dehors. De BR, une grande timidité quand il surgit dans la science quelque idée absolument nouvelle, la théorie de l’évolution des êtres organisés, par exemple. 216 HISTOIRE DES SCIENCES. Les effets en sont visibles dans l'organisation des col- léges et de l'Université. Il n'y à plus de concurrence, que celle de deux autorités rivales. On pouvait citer, il y a quelques années, une institution, l'École centrale, qui n'était soumise ni à l'autorité absolue du elergé, ni à celle non moins absolue de l'État. Après une existence hono- rable, elle à abdiqué en mains du gouvernement, sans au- cune réclamation, ce me semble, ni des professeurs, ni des anciens élèves. La classe aisée ou riche à beaucoup augmenté. Ce serait une circonstance favorable, si le goût des personnes indé- pendantes les portait plus souvent vers les recherches scientifiques. Malheureusement, il y à beaucoup d'indices du contraire. Les grandes fortunes ont décuplé de nombre et cependant les Lavoisier, les Benjamin Delessert. les due de Luynes sont devenus rares. On aime le plaisir et les fictions, bien plus que l'étude et les choses vraies. S'il n'en était pas ainsi, les journaux, dont le principe est tou- jours de chercher des abonnés, donneraient moins de ro- mans et de fausses nouvelles. Naguère on à vu la presse allemande gênée sous le rapport politique. comme la presse française l'était il y à quelques années, mais dans cette période, la Gazette d'Augsbourg s'est efforcée de capter son publie par des articles d'histoire, de droit, de statisti- que, de voyages, même par des détails réels sur de très- petits pays où sur des pays fort éloignés, tandis que les meilleurs journaux français ont cru nécessaire de tripler leurs feuilletons, leurs articles de théâtre et d’amuser par un certain genre d’anecdotes. Quand un étranger se trouve à Paris et qu'il veut savoir ce qui se passe de réel dans le monde, il est forcé de lire le journal anglais de Galignani. I y a, dans le publie français, une telle absence de curiosité pour les choses réelles, que, pour savoir, par HISTOIRE DES SCIENCES. 217 exemple, l'état des récoltes en France, indépendamment de toute opinion intéressée, le meilleur journal est le Times. Celui-là, du moins, a des correspondants spéciaux dans tous les pays et il leur enjoint de chercher la vérité vraie dans les affaires non politiques. Le défaut de eu- riosité peut changer. L'Allemagne, à la fin du XVITre siècle et jusque vers 1820, préférait les fictions aux réa- lités. Elle s’est lassée des fictions. C’est alors qu'elle à réussi dans les sciences. En résumé, les causes favorables, dans la France ac- tuelle, me paraissent être : 1, 2, 3, 5, 7, 9, 15, 17, 18 : et les causes défavorables : (GE (ER, EE 13, — 14. On vient de rendre le service militaire obligatoire, ce qui change le n° 11 en — 11. D'un autre côté, tout peut faire espérer une amélioration dans le système de l'in- struction publique (n° 6). Si elle s'opère véritablement, la génération prochaine se montrera plus curieuse de cho- ses vraies. Elle voyagera davantage, demandera aux jour- naux des nouvelles détaillées et exactes sur tous les pays, et ne craindra pas les idées scientifiques un peu hardies: en un mot cette génération aura davantage les principes de l'esprit scientifique. J'ai parlé librement sur un pays qui vient d’être mal- heureux et pour lequel j'éprouve personnellement une véritable affection. Je me serais tü, si j'avais regardé un léger affaiblissement dans les sciences comme un mal ir- rémédiable ou comme une preuve de déchéance intellec- tuelle. L'observation des faits dans d’autres pays, à d’au- tres époques, me fait envisager les choses autrement. L’Angleterre, en 1789, était fort inférieure dans les sciences à ce qu'est la France aujourd'hui, et elle s’est relevée tout à coup. L'Allemagne du XVIe siècle était 218 HISTOIRE DES SCIENCES. très-faible au point de vue scientifique, et même celle de 1820 ne ressemblait pas à l'Allemagne de 1840 ou 1850: La France n’a jamais eu des oscillations aussi grandes. Depuis Descartes et Pascal, elle n'a jamais cessé de pro- duire des hommes d’un rare mérite. La petite variabilité du nombre de savants français doit être, Jusqu'à un certain point, l'effet de l’organisation de l’Académie des sciences. Une classe de fonctionnai- res constitués, en nombre déterminé, pour chaque science, influe de deux manières opposées sur les jeunes savants. Toute élection prochaine les encourage, — une fois faite elle les décourage. Quelques-uns abandonnent la science après deux ou trois échecs. D'un autre côté, ce système maintient un personnel constant d’académiciens et à peu près constant de candidats : c’est un régulateur. Il influe de même sur les idées, car il réprime à la fois les écarts de jugement et les hardiesses du génie. Une faute nuit beaucoup à un candidat, et une théorie absolument neuve, mais contraire à des opinions dominantes, peut produire le même effet. Les sociétés libres, qui commencent à se développer en France, n'auront ni les mêmes avantages ni les mêmes inconvénients. C’est un ressort nouveau, que la création d’une Association scientifique française, à limitation des autres pays, vient encore de renforcer. Depuis deux siècles, Paris n'a pas cessé d'attirer les jeunes 2ens qui se sentaient de la capacité et de l'énergie. Paris possède les principales écoles, les meilleurs profes- seurs, les crandes bibliothèques, les principales collections de la France. Les familles de gens à leur aise et instruits s'y sont agclomérées et il s’est établi entre elles une con- currence très-active pour les places, l'argent et les distinc- tions honorifiques, lesquelles sont d’ailleurs plus accessi- bles aux Parisiens qu'aux provinciaux. Si les opinions de HISTOIRE DES SCIENCES. 219 Darwin sur l'hérédité et la sélection sont vraies, Paris doit avoir donné naissance à plus de savants distingués que la population provinciale. Pour vérifier ce point, J'ai repris mes listes de 64 savants français d’une grande dis- tinction (p. 85 et 87). J'ai cherché le lieu de naissance de chacun d’eux et voici le résultat de cette enquête : REPAS. . © . 16, soit 25 °/.. HAeurs et 48 79 64 100 Or, il s'en faut de beaucoup que Paris renferme le quart de la population de la France. La sélection parait donc avoir été énergique ". On dira peut-être qu'elle n'a pas agi toute seule. Paris offrant les meilleurs movens d'instruction, les jeunes gens doivent, en leur supposant un même degré de capacité, s’y développer davantage. Je ne conteste pas cette im- . fluence, mais si elle prime la sélection, on doit trouver aussi une supériorité dans les villes de province telles que . Strasbourg et Montpellier, qui ont offert depuis longtemps des institutions scientifiques d’une certaine importance. Or, ma liste indique un seul Alsacien, M. Würtz, né, si _je ne me trompe, à Strasbourg, et un seul individu né à Montpellier, le botaniste Magnol. Les villes, autres que Paris, qui ont donné plus d’un des savants inserits sur }? Les dispositions de la population ouvrière de Paris s’expliquent aussi par l’affluence, déjà ancienne, de gens actifs, ambitieux, en- treprenants, dont la descendance agitée s'adapte aux conditions locales, je veux dire à cette condition qu’un renversement de l’ordre social, dans la capitale d’un pays centralisé, peut faire parvenir à tout. Heureusement la partie la plus dangereuse de la population des grandes villes est celle qui laisse le moins de descendants, at- tendu qu’elle produit surtout des enfants illégitimes, parmi lesquels la mortalité est énorme. 220 HISTOIRE DES SCIENCES. ma liste, sont : Lyon (3), Montbard (2) et Vitry-le- Français (2). Assurément ces deux dernières localités ne. brillaient pas par les moyens d'instruction. On sait la foule | de jeunes gens de toutes les parties de la France qui vien- | nent à Paris pour leurs études. Le nombre des provin- | ciaux à toujours été supérieur dans les Facultés de Paris à celui des Parisiens de naissance. Donc, si ces derniers constituent le quart des savants français qui se sont illus- trés depuis deux siècles, il faut recourir à d’autres causes que l'instruction. J'en discerne trois : 1° la sélection: M 2° des traditions de famille plus souvent favorables, à Paris, aux professions libérales: 3° une richesse moyenne | plus grande, qui permet davantage de suivre aux occupa- M tions honorables, mais peu lucratives, de la science. Ces dernières causes sont atténuées par les désordres, les dis- M fractions et les besoins d'argent qui résultent de Fhabita- 1 tion dans une grande ville. Reste donc la sélection comme … | cause principale. Un coup d'œil jeté sur la distribution des savants nés hors de Paris peut avoir quelque intérêt. Je dirai qu'en les groupant selon de grandes divisions du territoire et en retranchant de la liste M. Reonault, né hors de France, et Georges Cuvier, né à Montbelhard, encore principauté allemande en 1769, on trouve : Nés en Alsace. . COR l » Lorraine et se | » Picardie, Flandres, ne 4 » Normandie . are 7 » Bretagne "1 APRES 2 » Champagne. 5) ) Bourgogne . 7 » Anjou, Tourr aine, Orléanais. ; 4 A reporter 29 HISTOIRE DES SCIENCES. 291 Report 29 D ons Lt... 1 | D » Sud-Ouest, duRhôneàBayonne 11 » PEHNPDCO es CL. | Il » Berry, Bourbonnais, Nivernais, Auvergne, Dauphiné, Com- tatet Franche-Comté. . . . 0 46 Le Lyonnais, une des provinces les moins peuplées, paraît avoir prolité d’une sélection analogue à celle de Paris. Si l’on rapproche ces faits de ceux concernant l’origine des Associés étrangers (p. 166), on sera frappé des diffé- rences. Paris a exercé en France une attraction de la po- pulation aisée et instruite et partant une sélection, bien plus grandes que Londres, Édimbourg, Berlin et autres capitales. C’est à peine si Londres et Berlin ont donné naissance à plus de savants illustres que leur population (surtout celle de Londres) ne le comportait. La seule res- semblance entre les deux séries de faits est celle-ci: hors de France, comme en France, les villes d’universités n’ont pas produit plus d'illustrations que beaucoup d’autres dé- pourvues de ressources pour l'instruction supérieure. ANGLETERRE À la fin du XVIlre siècle, l Angleterre possédait l'illustre Newton et la Société royale, fondée à cette époque, té- moigne du zèle qu’on avait alors pour les sciences. Non- seulement la cour et la noblesse leur étaient favorables, mais la constitution même de la Société royale, avec ses membres en nombre illimité, payant, au lieu de recevoir un traitement, prouve qu'il existait dans toute la classe 222 HISTOIRE DES SCIENCES. instruite et aisée de la population une véritable ardeur pour les affaires scientifiques. L'esprit de recherches, qui s'était porté d’abord sur la religion et les institutions po- tiques, se tournait sur les problèmes de la science, et l'impulsion venait si bien du public en général, qu'elle se fit sentir à Londres encore plus que dans les villes d’uni- versités. À cette époque, les savants anglais étaient évi- demment plus nombreux, plus distingués que les écossais. Le tableau p.36, montre sept Anglais Associés étrangers de l’Académie de Paris, avant qu'on eût nommé un seul Écossais. En 1790, l'Académie de Paris avait encore plus d’An- glais ou Écossais que d’Allemands parmi ses titulaires étrangers (tableau p. #4), et un seul Écossais pour cinq Anglais. L'Académie de Berlin comptait alors cinq An- glais et aucun Écossais. Par quelles causes la Grande-Bretagne avait-elle négligé peu à peu les sciences dans la seconde moitié du XVIIe siècle ? C'est ce qu'il est bien difficile de comprendre. Le fait ressort d'une manière incontestable des tableaux p.173 et 184. Non-seulement l'Académie de Berlin avait oublié, en 1789, qu'il existât des savants anglais où écos- sais, mais, à Paris, l'Académie des sciences en avait nom- mé depuis quelques années dans une proportion moindre qu'en 1750 et que depuis, au XIXe siècle. Le tableau des Associés étrangers, p. 36, montre pourtant qu'il y à toujours eu en Angleterre ou en Écosse, même pendant cette période de dépression, quelques savants d’un mérite exceptionnel. Le nombre, plus que la qualité, aurait fait défaut. Je ne puis trouver à ces faits d'autre cause qu'un changement des mœurs et de l'opinion. La guerre avec l'Amérique, les discussions qu'elle excitait dans le Parle- ment, certaines habitudes grossières qui s'étaient aggra- d'a JR Mr HISTOIRE DES SCIENCES. 22; vées par l'effet de la richesse, avaient détourné probable- ment alors des travaux purement intellectuels. Quoi qu'il en soit, l'Angleterre reprit vite un rang élevé dans les sciences. D'après nos tableaux, elle à occupé dans le XIXe siècle une position plus éminente qu'à aucune autre époque. L'Écosse rivalise avec l'Angleterre propre- ment dite. L'Irlande seule est restée dans l'ombre. Si nous cherchons à analyser les causes qui influent à l'époque actuelle, nous serons obligés de parler briève- ment de l'ensemble des trois royaumes et de considérer plutôt séparément la Grande-Bretagne ( Angleterre et Écosse ) et l'Irlande. Ce dernier pays, par son histoire et par ses deux populations d’origine diverse se trouve dans des conditions tout à fait particulières. L'ensemble des trois royaumes jouit d'une condition favorable qui n'existe nulle part en Europe au même de- gré. C'est la faculté pour chaque individu de vivre abso- - lument comme il l'entend, même quand il est d'âge à porter les armes, et même en temps de guerre, car la presse des matelots n'existe plus, si ce n’est dans limagi- nation de quelques écrivains du continent (44). Notons aussi l'avantage d'un climat tempéré (17) et celui d'une langue plus répandue dans le monde que Fallemand ou le français (15). La Grande-Bretagne (Angleterre et Écosse) présente Spécialement les conditions suivantes : Circonstances favorables : 1, 2, 3, 5, 7, 8, 9, 10, 15, 1%; on peut même ajouter 6 et 12, avec certaines restric- tions. Circonstances défavorables : — # (immigration d'Irlandais et de révolutionnaires de tous les pays). En Irlande, les conditions paraissent être : circonstances favorables : # (immigration ancienne d’Écossais et d’An- glais), 6 et 7 (en ce qui concerne Dublin), 9. 224 HISTOIRE DES SCIENCES Circonstances. défavorables :.= 10322. — 8, — 10, — 192, — 13, — 14 (pour le clergé le plus nombreux). Les tableaux de membres des diverses Académies étran- vères feraient présumer pour l'Irlande des circonstances encore plus défavorables. Chose singulière, la partie pro- testante de la population, originaire principalement d’É- cosse, n'a pas montré le zèle ordinaire des Écossais et des Anglais pour les recherches scientifiques. Un seul Associé étranger, Sloane, est sorti de cette catégorie, mais il était fils d’un Écossais et, depuis l’âge de seize ans, avait voyagé hors d'Europe ou résidé à Londres. Il serait difficile de le considérer comme Irlandais. Le clergé an- glican, imposé à l'Irlande par la conquête, avait peu d’oc- cupation, puisque dans chaque village la majorité est catholique. Cependant, ce elergé n’a pas tourné son acti- vité vers les sciences, du moins je n'en vois pas de preuves dans mes tableaux. Vraisemblablement, l'agitation continuelle du pays et les luttes religieuses ont détourné des travaux scientifiques. Du reste, les Irlandais de l’un et l’autre culte montrent une disposition d'esprit plus fa- vorable aux œuvres de limagination qu'aux recherches positives de la science. Leurs hommes les plus célèbres sont des auteurs de romans ou de comédies (Swift, Sterne, Sheridan). D’après ces noms, l’excentricité des idées peut: se trouver chez les protestants comme chez les catholiques, mais si l’esprit est parfois utile dans les sciences, il ne suffit pas à lui seul. La tendance toute positive (matter of fact) des Anglais et des Écossais leur est plus favorable. En tenant compte de la population, l'Écosse à produit vers la fin du siècle dernier et au commencement de ce- lui-ci, plus de savants que l'Angleterre. Les universités y sont nombreuses et pendant longtemps elles ont offert, HISTOIRE DES SCIENCES. 22 sous le rapport de lindépendance des opinions et des bonnes études scientifiques, des avantages que les uni- versités anglaises n'avaient pas. Le clergé presbytérien s'est montré, dans tous les pays, extrêmement favorable aux sciences. Enfin, la manière de vivre, une certaine | disposition à se contenter de modestes revenus et ce qui subsiste encore en Écosse de l'indépendance d’un petit État, sont autant de causes favorables aux sciences dont le pays continue de profiter. Il est aisé de voir cependant que l'Angleterre attire les savants écossais. Plusieurs d’entre les plus célèbres sont venus demeurer à Lon- dres. Les universités anglaises ont imité ce qu'il y avait de bon dans celles d'Écosse et même on a fondé à Lon- dres une université selon le système écossais. Aujourd'hui, d'une extrémité de la Grande-Bretagne à l’autre, on re- marque un zèle assez égal en faveur des recherches scien- tifiques. Anglais et Écossais rivalisent à cet égard. Le nombre et l'importance des sociétés en est la preuve. Je ne vois qu'un seul indice de faiblesse pour l'avenir, c’est une disposition croissante des hommes de science à solli- citer l'appui du gouvernement. On dirait qu'ils ne se fient plus aux forces individuelles, dont le résultat pourtant a été si admirable dans leur pays. Peut-être se font-ils des illusions sur ce qu'il est possible d'obtenir de chambres, de politiciens et ministres d'état en faveur des sciences ? Peut-être aussi n’ont-ils pas remarqué à quel point le zèle s'engourdit quand on attend tout de la manne céleste d'un budget? [ls auraient besoin d'étudier un peu, sous ce rapport, les monarchies et les républiques de lun et de l'autre monde. 15 226 HISTOIRE DES SCIENCES. ALLEMAGNE Lorsqu'on est pénétré de l'importance actuelle de lAI- lemagne dans toutes les branches de la science, on re- marque avec surprise à quel point ce rôle est nouveau. Pendant un siècle et demi la Confédération germanique a passé bien après l'Angleterre (tableaux p. 160, 176, 188), et même après un très-petit pays, la Suisse. En 1750, l'Académie des sciences de Paris avait distingué cinq, en 1789, trois savants allemands, et, aux mêmes époques, six et cinq savants suisses (p. #4), de sorte que, même sans tenir compte des populations respectives, la différence était en faveur de la Suisse. Pendant la longue période de 1666 à 1800, l'Allemagne à eu six associés étrangers de l’Académie de Paris, l'Angleterre 13 et la Suisse 10, C'est surtout de 1830 à 1840 que l'Allemagne à commencé sa marche ascendante. Maintenant, sur plu- sieurs listes d’Académies, elle égale ou dépasse lAngle- terre et même la France. Il est vrai qu'en tenant compte des populations l’avantage n'est pas aussi prononcé et que, sur la liste anglaise, il demeure encore à la France (p. 184). C’est afin de mieux établir la position relative des trois grandes nations, en 1869, que j'ai consulté la liste des étrangers de l’Académie de Saint-Pétersbourg. Elle les place dans l’ordre suivant : Allemagne, France, Angle- terre — même en tenant compte des populations respec- tives. La supériorité actuelle de l'Allemagne doit tenir aux causes qui existaient 11 y à vingt, trente ou quarante ans, puisque les hommes devenus célèbres en 1869 ont été élevés et se sont décidés pour des occupations scientifi- 43132 APE ER EAN _ ÉË ; à LAS + Î + HISTOIRE DES SCIENCES. 227 ques à une époque déjà ancienne. C’est donc l'Allemagne de 1820 à 1840 ou 1850 qu'il faut comparer à celle de 1789 et de 1869, ainsi qu'aux pays étrangers. Allemagne du XVIIe siècle. La Confédération germanique se ressentait des anciens ravages de la guerre de Trente-Ans et de la profonde di- vision causée par la Réforme. Les États protestants avaient marché dans le sens de l'émancipation intellectuelle, tan- dis que l'Autriche, la Bavière, les printipautés ecclésiasti- ques s'étaient cramponnées aux anciennes Croyances, aux anciens usages et au principe d'autorité en toute chose. La Prusse n’était pas encore ce qu'on peut appeler un grand pays, mais elle en avait les allures et les tendances. Quand on cherche à résumer les conditions favorables ou défavorables aux travaux scientifiques, dans ces divers groupes des peuples germaniques, pendant le XVIIe siè- cle, on trouve : Dans les. petits États protestants : Circonstances favorables : 2, 3, 5, 6, 7, 11, 19, 13, 14, 15, 16, 17, 18. Défavorables : aucune de bien caractérisée : cependant quelque rapprochement vers les conditions — 1, — 8, — 9, — 10, c’est-à-dire que sous ces différents points de vue la civilisation n'était pas encore dans un état aussi satisfaisant que, par exemple, en Angleterre, en France ou en Italie. En Prusse : Les conditions étaient les mêmes, excepté l'avantage n° 4, de l'immigration des savants étrangers appelés à Berlin et de celle des réfugiés protestants, après la révo- 298 HISTOIRE DES SCIENCES. cation de l’édit de Nantes. La politique des souverains de la Prusse avait été heureuse à cet égard. D'un autre côté, le pays était pauvre (—1), la liberté d'opinion était sou- vent gênée ( — 9) et les fonctions civiles ou militaires étaient trop importantes pour ne pas détourner des sciences (— 10, — 16). Dans les Etats catholiques : Toutes les conditions étaient défavorables, excepté cel- les communes aux divers pays allemands, comme 14, 15, 1118: Allemagne moderne. Au XIX"%e siècle, les parties catholiques de l'Allemagne se sont peu à peu rapprochées des autres. Il s’est fait un mélange de population qui contribue au progrès des lu- mières. L'Allemagne savante s’est renforcée non-seule- ment de catholiques éclairés, mais encore d'israélites, que des préjugés et même des lois positives plaçaient naguère en dehors du mouvement intellectuel. L'instruction pu- blique s’est améliorée partout. Les bibliothèques, collec- tions, observatoires, ete., n'ont rien laissé à désirer. La curiosité du public s’est détournée de la poésie pour des choses positives. L'opinion générale est devenue favorable aux sciences. La liberté des opinions s’est accrue. Elle à gagné même l'Autriche. La liberté personnelle seule à diminué, par le fait du service militaire obligatoire, mais sur ce point encore les exigences sont réduites pour les jeunes gens qui suivent des études. Les conditions sont done devenues de plus en plus favorables, excepté la der- nière, et elles se sont répandues de proche en proche dans toute l'Allemagne. Il est resté des obstacles dans une partie des populations catholiques, mais à un degré HISTOIRE DES SCIENCES. 229 moindre qu'ailleurs, l'immense majorité des Allemands, de l’un et l’autre culte, ayant pris l'habitude de lire, de réfléchir, de penser par soi-même, de chercher conscien- cieusement des choses réelles ou vraies sans demander permission à Rome. De là, une multitude d'hommes spé- ciaux, qui se sont consacrés avec succès à l'avancement de toutes les sciences. Je constate les faits. De plus habiles que moi pourront en découvrir les causes intimes. Il y à eu des changements moraux, bien difficiles à ap- précier, surtout pour un étranger. Ordinairement, on attribue une grande influence aux universités. Comme elles ont été le centre des idées allemandes modernes et qu'on voit les illustrations scientifiques en sortir, on est disposé à croire que l’enseignement à tout fait. Cepen- dant, plusieurs de ces universités étaient déjà très-bien organisées au XVIIm siècle. Quelques-unes remontent à trois ou quatre cents ans. Elles avaient jadis une grande réputation. J'en donnerai comme preuve que nos jeunes Suisses du siècle dernier, lorsqu'ils voulaient achever leurs études, allaient aussi volontiers à Gœættingen, à Téna, à Heidelberg, qu'à Montpellier, Paris ou Édimbourg. C’est l'esprit du public allemand qui à changé après les dés- astres de l'invasion française, et le nouvel esprit s’est fait jour à son origine dans les universités. Cependant l'Allemagne à vécu encore quelque temps de ses grands poëtes. Le goût des fictions s’y est prolongé jusque vers 1820 ou 1895, et, dans le midi, un peu plus tard. On le trouvait cà et la, même dans les sciences, témoin l’école des philosophes dits de la nature (Naturphilosophen). Encore, en 1827, lorsque jeune homme j'allai à Munich, la foule des étudiants se pressait aux leçons d’Oken, où l’habile professeur enseignait que l'homme était venu d’un 230 HISTOIRE DES SCIENCES. embryon jeté sur une côte par les flots de la mer, etc. | Oken, du reste, me priait, en souriant, de ne pas aller | l'écouter. Il s’excusait sur les goûts de la jeunesse qu'il fallait un peu flatter, — on comprend pourquoi. Peu d’an- nées après, à Munich aussi bien qu'à Berlin, les profes- ! seurs étaient obligés de se montrer sérieux dans les affai- res scientifiques. L'esprit avait changé: les Universités se pliaient à des conditions nouvelles, — mais il avait fallu que l’ancienne génération poétique eût disparu, ou du moins se vit très-effacée par la nouvelle. En général, les mouvements profonds et généraux de l'opinion sont difficiles à expliquer. Il y a des change- ments rapides et superficiels, qu'on peut qualifier de mo- des, et qui résultent de changements d'opinion chez les individus vivants, à la suite de quelque grave circon- stance. Par exemple, après les révolutions tout le monde demande l'ordre, après la guerre la paix. Les ridicules d’une génération frappent les personnes qui ont quelques | années de moins et de là un changement. Mais les modi- fications profondes et durables se produisent autrement. Elles résultent des réflexions de ceux qui étaient enfants lorsque certains événements sont arrivés. En France, les voltairiens qui n'avaient pas péri sur l’échafaud de 1793 sont restés ce qu'ils étaient jusqu’à la fin de leur vie. La | sénération actuelle des Français à été formée par la lec- ture des ouvrages de Thiers, Victor Hugo, Alexandre Du- mas, etc.: elle ne saurait refaire son éducation. Ce sont les adolescents d'aujourd'hui qui se formeront sous des influences différentes. En Allemagne, la société sentimen- tale du XVIe siècle avait duré après les malheurs du pays. Ce sont les fils et quelquelois les petits-fils qui ont eu d’autres idées, sous l'influence d'écrivains autres que Schiller et Gœæthe. Quel sera dans quarante ans l'effet de Fr HISTOIRE DES SCIENCES. 231 l'unité croissante de l'Allemagne, de sa force actuelle, morale et militaire, du changement d'esprit des étrangers à son égard, les uns se mettant à la flatter, les autres à la raindre ou la détester: c’est ce qu'il est bien difficile de prévoir. Pour ce qui concerne les sciences, l'exemple des autres peuples et l'étude des conditions favorables ou dé- favorables peuvent servir à diriger. Je laisserai chacun de mes lecteurs apprécier celles de ces conditions qui se mo- difient aujourd’hui en Allemagne. IIS pourront ainsi se livrer à des conjectures basées au moins sur quelque chose, et l'avenir montrera ce qu'elles valent. ITALIE D'après la proportion des Associés étrangers de l'Aca- démie de Paris de 1666 à 1870 (p. 161), ltalie se trouve placée plus haut que d’après la moyenne des Asso- ciés et correspondants dans les quatre années choisies pour nos recherches (p.170). Au XIXe siècle, les Asso- ciés étrangers italiens sont moins nombreux qu'au XVII, mais ils ne sont pas moins illustres. Volta, Scarpa, Piazzi, Plana. semblent même avoir laissé dans la science des traces plus profondes que plusieurs des Associés étran- vers de l’époque précédente. Ce n'est done jamais le génie qui a manqué dans la patrie de Galilée, mais le grand dé- veloppement des sciences en Angleterre et en Allemagne au XIXe siècle, a conduit l'Académie à choisir un plus grand nombre de titulaires au nord des Alpes. Si l'Italie à paru alors décliner, cela doit s'entendre surtout d’un déclin relatif, et si les proportions de 4869 sont très-fai- bles sur toutes les listes, si aucun nom italien ne se trouve sur le tableau VII, en 1869, pour Londres et Saint-Pé- tershoure, il faut l'expliquer par une circonstance malheu- 292 HISTOIRE DES SCIENCES. reuse, la mort de plusieurs savants distingués dans le laps d'un petit nombre d'années. En 1849 (ou plutôt de 1848 à 1850), l'Académie des sciences de Paris comptait 66 Associés ou correspondants non français, parmi lesquels se trouvaient comme correspondants : Plana (nommé de- puis Associé), Carlini, Santini, Melloni, Marianini, Fodera et Panizza. La proportion des ftaliens était donc alors de 0,106, c’est-à-dire un peu plus forte qu'en 1829. La mort de tous ces savants et de Matteucei a été plus rapide qu'on ne pouvait le supposer d’après leur âge, et les Ita- liens dignes de les remplacer n'étaient pas encore arri- vés, en 1869, au degré de célébrité qui est le produit cumulé des années et du talent. Jusqu'à l'époque actuelle, les États qui composaient l'Italie réunissent un grand nombre de circonstances heureuses pour la culture des sciences, du moins dans le Nord et en Toscane. On peut les résumer ainsi : Circonstances favorables : 4, 2, 3, 5, 6, 8, 10, 11 167 17:18; Circonstances plus ou moins défavorables — 12, — 14, — 15. | L'affluence des étrangers n’a guère profité aux Italiens à cause des obstacles que leur opposaient les gouverne- ments. On s’en est aperçu, il est vrai, dans le siècle actuel plus qu'au XVIIe. Les moyens matériels d'étude (n° 6) n'ont pas été généralement aussi bien organisés qu'en deçà des Alpes. La liberté d’énoncer toute opinion scientifique a été rarement complète, cependant 1l était aisé d'éviter certaines entraves en passant d’un État dans un autre. Le gouvernement toscan, si Je ne me trompe, n'a jamais empêché de publier un ouvrage sur les scien- ces: mais, en Toscane, comme ailleurs, les idées politiques ont souvent occupé la première place dans les esprits, 9, “)°) HISTOIRE DES SCIENCES. 239 circonstance assez défavorable aux études. Quant au cler- gé, il ne serait pas juste d'oublier les services qu'il à quelquefois rendus aux sciences. Dans le XVIIe siècle, on remarquait en Îtalie, comme en France, beaucoup d’ec- clésiastiques savants, dont les noms se retrouvent sur nos tableaux. Ils n'ont pas absolument disparu, comme au nord des Alpes, puisque l'Ordre des Jésuites peut se lo- rifier du père Secchi, — mais une exception ne fait pas règle. L'Italie est peut-être le pays où la classe riche à le plus marqué dans les travaux de l'intelligence. Elle s’est dis- tinguée dans les recherches d’érudition, et Galilée, Cassini, Viviani, Pol, Marsigh, Morgagni, Poleni, Volta, appar- tenaient tous à des familles nobles ou patriciennes. Nulle part aussi, excepté en Suisse, l'affection des hommes de mérite pour leurs villes natales ne S'est montrée d'une manière aussi frappante. Aucun pays étranger, aucune grande capitale n’a prélevé sur Bologne, Venise, Florence, Turin, Milan, Rome, que dis-je, sur aucune des villes de ce noble pays le tribut de leurs hommes les plus capables. Ils sont ordinairement restés chez eux et ont favorisé les travaux de l’art et de la science toutes les fois qu'une bonne position de fortune le leur permettait. Depuis des siècles, c’est une des causes de la civilisation du pays, aussi les événements politiques et militaires n'y ont-ils Jamais éteint la vie intellectuelle. S'i est permis d'em- ployer le mot hydre dans un bon sens, je dirai que l'Italie a été une hydre à plusieurs têtes, comme l'Allemagne d'autrefois et comme la Suisse. Les circonstances vien- nent de changer. Espérons que la hberté, aujourd'hui complète, de tout dire (9), compensera la disparition des petits États (16). Souhaitons aussi que l'opinion publi- que, dans ce moment passionnée pour les entreprises 23/4 HISTOIRE DES SCIENCES. commerciales et industrielles, n'abandonne pas la science pure pour la science appliquée, ce qui serait, en em- ployant notre notation, changer 2 contre — 2. ÉTATS-UNIS Les deux Associés étrangers de l’Académie de Paris et la majorité des correspondants américains de cette Aca- démie et des deux autres corps savants sus-mentionnés appartenaient aux États de la Nouvelle-Angleterre. Par conséquent, les chiffres calculés sur l'ensemble de la Con- fédération ne donnent pas des idées exactes et, si l’on veut apprécier les influences, il faut distinguer entre les six États du nord-est et le reste du pays. L'époque la plus brillante pour la Nourvelle-Angleterre a été celle de Franklin et de Rumford. La population de cette partie des États-Unis était alors d’un demi-mil- lion seulement et elle présentait, en raison de son origine, des conditions très-favorables, savoir les n° 3, 4, 5, 6, 83 9:10, 14; 1248 85 M6 EEE Les seules conditions défavorables étaient les n°5 — 4, — 9, — 7, — 18. Ni les unes miles autres ne son très-graves ni très-caractérisées. On comprend done pourquoi la Nouvelle-Angleterre à marché dans la voie scientifique comme les pays les plus civilisés de l'Europe. Les pélerins pranitifs ressemblaient aux protestants sortis de France et de Belgique, par leur ancienne culture intel- lectuelle, leur dévouement à des idées plus qu’à des inté- rêts, leur vie laborieuse et sévère. La rigueur de l’ancien calvinisme fit place, à Boston, comme à Genève et en Écosse, à des idées plus larges et plus tolérantes. Frank- ln n'aurait pas été possible sans cela et l'influence scien- üfique de FUÜniversité de Harvard ne peut guère s'exph- cs LE HISTOIRE DES SCIENCES. 9255 quer autrement. Si quelque chose aujourd'hui parait nuisible à cette population choisie de la Nouvelle-Angle- terre, c’est l’émigration continuelle de ses enfants vers les autres parties del Amérique et l'immigration d'étrangers, la plupart très-différents des premiers colons. Peut-être aussi l'activité caractéristique des Américains est-elle un obstacle à la culture des sciences, même dans les États de la Nouvelle-Angleterre. Pour l'ensemble de la Fédération, e’est évidemment la principale difficulté. Les jeunes gens abandonnent les études de bonne heure. Ils changent sou- vent de résidence et de profession, dans l'espoir de gagner davantage et plus vite. Les savants, dont le métier n'en est pas un, doivent faire une singulière figure dans une société aussi dévouée à la production de toutes les valeurs négociables. Aussi, l'esprit inventif des Américains se porte-t-il de préférence sur les applications, qui ne sont pas de la science proprement dite. Je ne fais 1c1 que répéter ce que disait récemment un savant américain fort distin- gué, à l'ouverture d’une session de l'Association scientifi- que des États-Unis ‘. Du reste, pour être juste et pour ré- ! « Nous avions déjà donné au monde plus d’un chef-d'œuvre dans les arts de la paix et de la guerre: le bateau à vapeur, la ma- chine à corder, et la machine à coudre, l’application pratique du télégraphe électrique et l’impression des dépêches par la machine elle-même ; les formes les plus parfaites de la machine à vapeur et de la chaudière; l’artillerie la plus puissante et les vaisseaux les mieux défendus ; les télescopes de Clark et de Fitz, les microscopes de Spencer et de Tolles; enfin, le moyen de supprimer les douleurs dans les opérations chirurgicales. Mais, au point de vue de lascience, notre pays est resté en arrière. Il n’est pas même au niveau de plu- sieurs peuples de l’Europe, qui ont eu à surmonter des obstacles tout aussi considérables que les nôtres, bien que d’un genre diffé- rent. » (Discours de M. Benj. Apthorp Gould, président de l’Asso- ciation scientifique américaine en 1870. Traduction tirée de la Ga- zette médicale de Paris, 20 mai 1871.) 230 HISTOIRE DES SCIENCES. pondre à certaines idées européennes fondées sur Fappa- rence extérieure du peuple des États-Unis, il convient d'a- jouter une réflexion. Ce n’est pas par avidité d'argent et de jouissances matérielles que les Américains se jettent | avec tant d'ardeur dans les occupations lucratives. Is sont très-Capables de sacrifier leurs intérêts à des idées, comme on l’a vu dans leur grande ouerre civile. Certainement, l'intérêt des deux fractions du pays était alors de vivre en bonne intelligence, au moyen de concessions réciproques, , mais dans le midi on tenait à l'ancienne souveraineté des M États. dans le nord à la grandeur actuelle et future des États-Unis et une partie du publie tenait à l'abolition de M l'esclavage. On à tout sacrifié à des sentiments et à des M idées. Quand les Américains auront quelques centaines | d'hommes aussi zélés pour avancement des sciences que leurs volontaires l'ont été pour des idées politiques, 1ls réussiront à merveille. Ce n'est ni lacüvité ni lPintell- “ence qui leur manquent, c'est de vouloir s'appliquer à den. ms = une chose qui ne rapporte rien et qui ne répond à au- cune des passions du publie. Il semble aussi que dans ce peuple jeune (excepté la Nouvelle-Angleterre), on soit encore très-curieux de choses imaginaires. Les poëtes des M deux sexes y sont nombreux. Les sectes religieuses témoi- M enent parfois d’une grande force d'imagination. La plus | excentrique, celle des Mormons, a voulu rétablir une in- stitution très-connue, la polygamie, mais elle à aussi in- venté la théorie de femmes spirituelles qui, par sa pureté, sa grâce et sa nouveauté, méritait véritablement un prix M de poésie. Le spiritisme à plus de faveur aux États-Unis qu'en Europe. Or, pour arriver à une belle époque scien- tifique, il faut un public avide de choses vraies, de choses pouvant se démontrer par des procédés parfaitement sûrs, HISTOIRE DES SCIENCES. 237 et j'ajouterai aussi, de choses, dont l’utilté pratique est nulle ou fort éloignée. Les antécédents, les traditions profitables aux travaux gratuits de la science, font défaut dans la plus grande partie des populations qui émigrent aux Etats-Unis. La sélection de ces populations se fait dans le sens d'une activité luerative et elle produit des résultats parfaitement conformes à la théorie. Il en serait bien autrement si, par exemple, les guerres et les révolutions détruisaient peu à peu la civilisation en Europe et si des milliers de familles ayant exercé des professions libérales depuis cent ou deux cents ans espéraient trouver plus de sécurité en Amérique. On verrait alors, en grand, ce qui s’est passé au profit de la Nouvelle-Angleterre, de la Suisse, de la Hollande, de la Prusse, à l’époque des anciennes persécutions des protes- tants français et belges. L'Amérique recueillerait l'héritage de la culture séculaire des sciences en Europe. A défaut de semblables événements, les progrès de la richesse héri- tée, de l'instruction, et de l'isolement, déjà manifeste, de beaucoup d'hommes éclairés au milieu de l'agitation dé- mocratique, doivent accroître peu à peu, dans une cer- taine parte du peuple américain, le goût des recherches désintéressées purement scientifiques. L'éloignement des anciens pays civilisés à nui long- temps aux travaux et à la réputation des savants améri- cains. Comme preuve, je ferai remarquer la circonstance que les seuls citoyens des États-Unis appelés à la haute distinction du titre d'Associé de l'Académie des sciences de Paris, Franklin et Thompson, comte de Rumford, avaient résidé en Europe, le premier dans une position qui le mettait fort en évidence, le second pendant une longue série d'années. Sans cela, il est très-possible qu'on eut fait moins d'attention à leurs travaux. De nos jours. de ds 230 HISTOIRE DES SCIENCES. les communications sont devenues plus faciles. Beaucoup de jeunes Américains étudient en Europe. D'autres vien- nent y faire des excursions, après avoir publié des mé- moires. Leur zèle scientifique est ainsi accru et les savants européens les connaissent davantage. Enfin, la langue anglo-américaine est destinée, par la force des choses, à devenir prédominante. De toute manière, on peut donc espérer un plus grand développement des sciences aux États-Unis — il est vrai dans un avenir quelque peu éloi- né, car les influences favorables se font apercevoir après une ou deux générations seulement. POLOGNE ET RUSSIE La Pologne à donné de bonne heure des preuves d’une haute civilisation, puisque Copernic a précédé Keppler et Galilée‘. Je ne sais par quelles causes, à une époque où ce pays était parfaitement indépendant et maître de son sort, il a délaissé de plus en plus les recherches scientifi- ques. Entre Copernic et le premier partage de la Pologne (1779), il s'est écoulé à peu près trois siècles. L'Acadé- mie des sciences de Paris a été fondée en 1666 et le nombre des savants distingués était alors si peu considé- rable qu'ils arrivaient au titre d’associé étranger presque aussi aisément qu'on parvient aujourd'hui au titre de correspondant, du moins dans certaines sciences *. Malgré 1 Copernic est né en 1478, Galilée en 1564, Keppler en 1571, Newton en 1642, Leibniz en 1646. ? Le nombre des chimistes distingués, hors de France, est peut- être aussi considérable maintenant que celui de tous les savants étrangers à la France à l’époque de Leibniz. Il y a dans ce moment six correspondants, non français, pour la chimie, et il y à toujours eu huit associés étrangers. On peut faire la même remarque sur d’autres sciences. ‘LÉ a HISTOIRE DES SCIENCES. 239 cela, on ne trouve sur le tableau des Associés étrangers qu'un seul Polonais, le prince Jablonowski, nommé en 1761. [1 n'y avait pas de correspondant polonais de FA- cadémie de Paris en 1750 (tableau p. 44). En 1789, il y en avait deux, tous deux ecclésiastiques: en 1829 et 1869, aucun. Les tableaux de Londres et Berlin (p. 53 et 64) ne contiennent qu'un Polonais. Évidemment. l'ancienne civilisation du pays n'a pas été favorable aux sciences. Le clergé catholique avait fourni quelques sa- vants dans le siècle dernier: maintenant il parait avoir tourné le dos à la science. Avec de pareils antécédents, 1l ne faut pas s'étonner si l'émigration polonaise s’est mon- trée différente de celle des réfugiés protestants du XVIe siècle. La Russie à suivi des phases absolument contraires. Elle était plongée dans la barbarie quand la Pologne pro- duisait un Copernic: mais depuis Pierre LE, elle n’a jamais cessé de faire des efforts pour développer toutes les bran- ches de la civilisation moderne. Sous le point de vue scientifique, ces eflorts commencent à produire des effets visibles. La Russie n'a eu sur le tableau des Associés étrangers qu'un seul membre, qui n'était pas un véritable * Russe : le fils du mathématicien suisse Euler, attiré à S'- Pétersbourg en qualité de professeur. Le nombre des re- présentants de la Russie sur les tableaux IE, TL IV à plu- tôt augmenté de 40 en 40 ans, mais les noms ont été en général de forme allemande et indiquent une origine ou germanique ou des provinces de la Baltique. Si l'on ob- serve cependant les noms de 1869 comparés à ceux de 1829, ou du siècle actuel comparés à ceux du XVIIe, On verra que les noms russes deviennent plus nombreux. Dans les mémoires de l'Académie de S'-Pétersbourg et de la Société des naturalistes de Moscou la fréquence des 240 HISTOIRE DES SCIENCES. noms d'auteurs à désinences russes est de plus en plus ae- cusée, Les conditions deviennent réellement plus favorables aux sciences, en particulier les suivantes : #, 6, 7, 9, 40. I reste beaucoup de conditions défavorables, en parti- CUBE EU CRE CS Go Parmi les premières, la plus spéciale à la Russie et la plus heureuse, a été l'immigration de beaucoup de savants étrangers et d'hommes instruits, en qualité de professeurs, instituteurs, ingénieurs, etc., depuis le commencement du XVIe siècle, Ils ont donné un bon enseignement, une bonne impulsion, de bons exemples, et leurs descendants, amalgamés avec les Russes, ont communiqué à certaines familles des traditions favorables aux choses intellectuelles. La noblesse à manifestement le désir de s’éclairer, mais le service militaire, dont elle ne peut presque pas se dispenser, l'attrait que présentent les fonctions publiques dans un aussi puissant empire et l'obligation de s'occuper de pro- priétés foncières, détournent dans bien des cas des travaux spéciaux et sédentaires de la science. Je n’ai pas osé no- ter le n° 8 comme favorable. Il y a beaucoup de curiosité dans l'esprit des Russes, mais elle se porte souvent sur des légendes, des fictions et de pures hypothèses. La méthode lente et serrée du raisonnement scientifique n’est pas encore précisément de leur goût, excepté chez quelques individus qui font exception ou qui descendent de familles étran- gères. Les femmes sont zélées pour l'instruction. La no- blesse ne recule pas devant des services publics gratuits ou mal rétribués. Tout cela est d’un bon augure pour l’ave- nir scientifique du pays, et si les résultats s’en font atten- dre encore quelques années, il faut se rappeler quelle à été la durée séculaire du développement des causes favo- rables dans d’autres pays. Au dire de beaucoup de Russes, dignes de confiance, HISTOIRE DES SCIENCES. 241 l'état moral et intellectuel de leurs prêtres n'est pas satis- faisant. Le clergé inférieur, marié, est trop ignorant pour donner à ses fils l'éducation que reçoivent ceux des ec- clésiastiques luthériens, presbytériens où anglicans, et le clergé supérieur, ainsi que le clergé sécuher, par l'effet du célibat, se trouve isolé. Dans toutes ces catégories on se cramponne à d'anciennes idées, à d'anciennes formes et au principe d'autorité. La puissance civilisatrice de la Cou- ronne ne paraît pas pouvoir influer sur l'Église. On se figure à l'étranger que l'Empereur est le chef de K religion. Cest une grande erreur. D’après plusieurs Russes qui m'en ont parlé il n'oserait pas même changer le ca- lendrier ! Les savants russes publient ordinairement leurs obser- vations en français ou en allemand. Is n’ont pas élevé, entre eux et le reste de l'Europe, cette muraille de la Chine qui serait résultée de l'emploi du russe, et c’est une preuve à la fois de connaissance des langues et de jugement. L'habitude des voyages, si répandue en Russie, peut déve- lopper une curiosité pour les choses réelles, qui profiterait aux sciences. À moins de subversions communistes, dont il y à les éléments dans la constitution ancienne de la pro- priété, il est permis de concevoir de grandes espérances pour les sciences du développement déjà bien accentué de la Russie. BELGIQUE L'époque la plus glorieuse pour la Belgique, au pont de vue scientifique, a été la seconde moitié du X VIe siècle, antérieure au temps dont nous nous sommes occupés. Dodoens, L'Obel, de l'Escluse, Fusch (qu'il ne faut pas confondre avec l'Allemand Fuchs), Coudenberg, et autres, 16 rs 242 HISTOIRE DES SCIENCES. brillèrent alors dans les sciences naturelles. « Malheureuse- ment, dit M. Édouard Morren, dans son éloge de Couden- berg, nos villes durent céder à la supériorité des armes de l'Espagne, aux talents et à la politique d'Alexandre Farnèse, prince de Parme. Une grande population abandonna sa terre natale pour se soustraire au joug espagnol, et porta ses arts d'industrie et ses richesses en Hollande, en Angleterre et ailleurs, » J'ai signalé (p. 134) des savants de premier ordre, nés en Suisse ou en Allemagne, qui descendaient de Belges protestants, expulsés de leur pays. L'effet de ces actes de barbarie et de la pression morale qui les accompagnait, a produit des résultats qu'on peut con- stater jusqu'à notre époque. La Belgique n'a pas eu un seul Associé étranger de l'Académie des sciences de Paris, né chez elle, mais il en est sorü quatre d’une seule famille d'origine belge, élevée à Bâle, sous des conditions absolu- ment opposées. En 1750 la Belgique n'avait pas même un membre correspondant des trois grandes sociétés ou Académies (tableau p. 176, 177). En 1789, 1829 et 1869, sa position sur les listes à été moins mauvaise. Chose remarquable! c'est le pays opprimé qui à pris les devants sur le pays oppresseur (voir sur les tableaux Belgique et Espagne, aux quatre époques). Personne n’ignore le développement de l'instruction dans la libre Belgique d'aujourd'hui, et quant aux autres causes, favo- rables ou défavorables, qui existent maintenant, je lusserai chacun de mes lecteurs les énumérer lui-même. HONGRIE Le petit nombre de savants nés en Hongrie et la com- plication des diverses populations sur le même territoire, m'engagent à passer outre, sans observation rétrospective. HISTOIRE DES SCIENCES. 243 L'avenir scientifique du pays dépendra beaucoup de l'usage qui s'établira de publier dans une langue connue où dans une langue inconnue au reste de l'Europe. L'abandon du latin dans les sciences à été un singulier malheur pour la Hongrie. Elle pourrait y parer en em- ployant l'allemand, mais l'esprit politique, si souvent opposé à la véritable civilisation, ne le permet peut-être pas. ESPAGNE ET PORTUGAL L'absence de développement des sciences dans la péninsule 1bérique, comparée à la péninsule italienne, est un des faits les plus curieux de notre civilisation moderne. Climats fort analogues, mœurs et langage dérivés surtout des Romains, religion semblable — tout aurait fait présu- mer, à priori, des tendances intellectuelles fort analogues. Et cependant quelle différence! L'Espagne et le Portugal n'ont pas fourni un seul des 92 Associés étrangers de l'Académie de Paris, tandis que l'Italie en a eu 15, après avoir donné auparavant le naturaliste Cesalpin et Galilée. L'Espagne et le Portugal ont eu, il est vrai, des membres correspondants ou étrangers des diverses Académies, mais toujours dans une faible proportion et moins au XIX"° siècle que dans les époques précédentes. Il vaut la peine de s'arrêter sur les causes de cette infériorité relative. M. Galton n’en voit que deux, ou du moins ne parle que de deux, parce qu’elles rentrent dans le plan de son ouvrage. «L'Église, dit-il‘, a d’abord fait la capture de tous les individus ayant de bonnes dispositions morales * Hereditary genius, p. 359. 244 HISTOIRE DES SCIENCES. (gentle natures) et les a condamnés au célibat. Après avoir ainsi rabaissé la race humaine, en laissant le soin de la propager aux gens serviles, indifférents ou imbéciles, elle a en outre persécuté ceux qui étaient intelligents, honnêtes et indépendants. .... L’étendue de cette persécution se mesure par quelques renseignements statistiques. Ainsi, la nation espagnole a été purgée des hibres penseurs, à raison de mille individus par an, de 1474 à 1784. Pendant tout ce temps une centaine de personnes ont été exécutées annuellement et 900 ont été mises en prison. Les chiffres sont, pour les trois siècles, 32,000 individus brülés effectivement, 17,000 en effigie (la plupart sont probable- ment morts en prison ou se sont échappés à l'étranger), et 291,000 condamnés à divers emprisonnements ou à d’autres peines. Il est impossible de croire qu'une na- tion soumise à un pareil régime ne le paie pas fortement par une détérioration de la race, et en eflet, quant à l'Espagne, il en est résulté la population superstitieuse et inintellisgente de notre époque. » L'auteur anglais ne dit pas à quelles sources il à puisé ses chiffres, mais je crains fort qu'ils ne soient exacts, d'après d’autres documents. D'ailleurs personne ne peut contester la durée et l’extrême violence des atrocités de la Sainte Inquisition. L'effet moral indirect, sur les ec- clésiastiques et les laïques non persécutés, à dû être au moins égal à l'effet direct lui-même. La péninsule espagnole a été sous un régime de Terreur, pendant trois siècles, et elle n’en est sortie que pour tomber dans des révolutions et des réactions presque aussi effrayantes. Les hommes à esprit indépendant n'y ont jamais eu de sécurité d’une cer- taine durée. La plupart ont péri misérablement ou se sont échappés du pays, laissant après eux ou derrière eux, un | 14 le | | Î | HISTOIRE DES SCIENCES. 245 sentiment de crainte tellement répandu, tellement profond, qu'il à dû devenir plus ou moins héréditaire ". En Itale des persécutions religieuses ont aussi existé ça et là, mais elles n'ont jamais été aussi atroces, aussi générales et aussi durables. L'Italie était composée de petits pays. Quand on persécutait dans l’un, on pouvait se réfugier facilement dans un autre. L'Espagne, au con- traire, est depuis longtemps une grande nation, uni- formisée et centralisée. Les éléments primitifs de la po- pulation étaient du reste meilleurs en Italie, car les Étrusques et les Grecs de la Grande Grèce et de la Sicile, appartenaient à la plus ancienne civilisation de l'Europe. Les Cantabres ne les valaient pas, et les Arabes, inaloré ce qu'on à dit de leur science, n'avaient réçu qu'un pale reflet des écoles dégénérées de l'antiquité. Des traditions favorables à l’étude ont pu se conserver en Italie, mieux qu’en Espagne, surtout dans le sein de l'Église. L'expul- sion des Maures fit dominer au midi des Pyrénées la partie cantabre, c’est-à-dire la moins civilisée de la popu- lation, et ensuite il y eut une sélection dans un mauvais sens, comme le dit énergiquement M. Galton. Sans doute, après tant de malheurs, et sous un autre régime, il a paru quelques hommes d’un vrai mérite, qu'il ne faut pas oublier, mais lorsqu'il s'agit de détruire l'effet accumulé des siècles la tâche est rude. Elle est au-dessus de la force d’une ou de deux générations. La lutte contre un passé sinistre n'est pas encore armée, dans la péninsule, de moyens suffisants, Car si nous cherchons quelles sont au- Jourd'hui les conditions favorables aux sciences, nous ne pouvons en compter que quatre ou cinq de celles énumé- ! Je parle ici de la crainte d’avoir une opinion et de la mani- fester, car les Espagnols et les Portugais ont toujours eu le courage militaire. 26 HISTOIRE DES SCIENCES. rées p. 196, savoir : 2, 6, 9, 414, 17, et même certaines d'entre elles n'existent pas dans quelques provinces. Les conditions défavorables sont donc toujours, de beaucoup, les plus nombreuses et les plus profondes. TURQUIE D EUROPE, GRÈCE, PRINCIPAUTÉS DANUBIENNES, COLONIES, BRÉSIL ET RÉPUBLIQUES ESPAGNOLES D AMÉ- RIQUE. Aucun de ces pays n'a de représentants sur nos listes. Ils ont tous, plus ou moins, à lutter contre deux grands obstacles: un climat énervant et le mélange avec des races inférieures. La Grèce, surtout les îles foniennes qui doivent avoir des traditions venant d'Italie, présenteraient à l'analyse quelques circonstances jusqu'à un certain point favorables, mais dans les autres contrées soumises au despotisme des Turcs rien n’est encore préparé pour un véritable mou- vement scientifique. I faut plus d’un siècle d’eflorts avant qu'un pays devienne civilisé, même quand il est chrétien. Hors d'Europe, le seul des pays susmentionnés qui jouisse du repos, avec un régime libéral, est le Brésil. A la tête de son gouvernement se trouve un empereur d’un mérite exceptionnel, très-instruit, judicieux et rempli de bonnes intentions. C'est un avantage réel, mais tempo- raire. À distance, je ne puis discerner quelles en seront les effets dans quarante on cinquante ans. Peut-être faut-il espérer beaucoup des Brésiliens, puisqu'ils respectent un prince honnête et ne font pas des révolutions militaires comme les Espagnols et les Portugais. De sn 4 las ss do _L'h) Gin on Lis." 0, ME | HISTOIRE DES SCIENCES. 947 RÉFLEXION FINALE La revue que nous venons de faire justifie pleinement la distinction de causes nombreuses, les unes favorables, les autres défavorables au développement des sciences. Les divers pays se succèdent bien sur nos tableaux p. 184 et 188, en raison de l'abondance et de l'im- portance des causes favorables, de la rareté et du peu d'importance des causes défavorables. C'est une confir- mation, à la fois, de notre méthode pour apprécier la valeur scientifique des populations et de la variété sup- posée des causes qui influent. Je vais montrer maintenant ces causes groupées d'une manière plus générale que par la distinction des nationa- lités. ce qui nous permettra de remonter à l'origine de plusieurs d’entre elles. S 5. Origine de plusieurs des causes qui influent sur le développement des sciences et durée de ces causes. Je me suis efforcé jusqu'à présent de reconnaitre les différentes causes qui ont influé sur le développement des sciences. Je les ai considérées d’abord une à une, 4 priori: ensuite, d’après leur effets dans les classes de la société, les nations et les divisions géographiques des pays civilisés. Voici le moment de conclure, et aussi de chercher lori- wine des causes, car tout s’enchaîne et il v a nécessal- rement pour chaque cause une ou plusieurs causes anté- rieures. J'ai distingué (p. 195 et 196) dix-neuf causes immé- diates favorables aux sciences. Elles appartiennent à deux 248 HISTOIRE DES SCIENCES. catégories : les unes sont physiques, les autres morales ou plutôt historiques. Les causes physiques sont le climat, là distance des pays civilisés et la race, en entendant sous ce mot les grandes distinctions de race blanche et de couleur. L'homme ne peut pour ainsi dire pas modifier ces catégories d’influen- ces. La rapidité des communications diminue, sans douie, l'inconvénient des distances, mais elle agit sur tous les pays en même temps, et si l'Amérique parait aujourd'hui plus rapprochée de l'Europe, les villes d'Europe aussi paraissent plus rapprochées les unes des autres. Relative- ment parlant, l'échange des idées sera toujours plus difficile quand la distance géographique est plus grande. Les races aussi peuvent changer, mais en supposant des progrès dans une race inférieure, les races les plus avancées en font de leur côté et la différence continue d'exister. Toutes les autres causes se rattachent au développement historique des populations et sont moins stables. Elles changent, ou elles ont changé, dans la série des années ou des siècles, selon les circonstances dans lesquelles se sont trouvés ou se sont placés les peuples, par leurs conflits avec d’autres et par leur évolution intérieure. L'ordre dans lequel les causes ont été énumérées à la page 196 n'est pas celui de leur nature, ni de leur impor- tance. C’est la marche de linvestigation qui l’a amené. Il convenait pour l'étude. Maintenant nous venons de distinguer deux catégories de causes, et dans la seconde nous pouvons aisément discerner des causes principales et secondaires. Par exemple, la cause n° 3, Ancienne culture de l'esprit, depuis plusieurs générations, est importante, parce- qu'elle entraîne presque forcément d'autres conditions fa- vorables, comme les n° 5, 6, 7, 8, 9, 10. La cause n° 12, Religion faisant peu d'usage du principe d'autorité, con- el, AR MEL RAR … LE É Là hu HISTOIRE DES SCIENCES. 249 duit également à d'autres causes favorables 6 (et par conséquent 7), 9, 10, 13. La cause n° 14, Clergé non us- treint au célibat, conduit presque nécessairement au n° 42, dont nous venons de voir les conséquences importantes. Certaines causes ont quelquefois où bien ont eu jadis une importance majeure, mais seulement dans tel où tel pays. C'est le cas du n° 4, Immigration, pour la Suisse: du * 16, Réunion de peiits pays indépendants, également pour la Suisse: du n° 14, Léberté d'agir, ete, pour l'Angleterre: du n°9, Liberté de publier, pour la HoHande et l'Angleterre. Le n° 415, Emploi de l'une des langues principales, à profité surtout aux pays de langue francaise, depuis deux siècles. Évidemment plusieurs des causes favorables sont liées les unes aux autres. C'est précisement ce qui rend quel- ques-unes d’entre elles plus importantes, et c'est aussi ce qui nous permet de reconnaitre une cause supérieure, d'une importance encore plus grande. Cette cause supérieure est que tout individu soit bien assuré de pouvoir faire ce qu'il juge à propos de faire, sous la condition générale de ne pas nuire à autrui. On rend cette idée ordinairement par deux termes, sécurité et liberté, mais pour peu qu'on réfléchisse, on s'aperçoit qu'il n'y à pas de sécurité sans liberté, ni de liberté sans sécurité. L'un de ces biens est le complément de l'autre. On peut dire qu'il en fait partie. Les atteintes à la hiberté sont des atteintes à la sécurité, et vice versà. Par exemple une autorité absolue militaire, celéricale où populaire, vous menace, vous fait peut-être arrêter pour avoir émis une Opinion, c'est une limitation de liberté: en même temps, vous et vos amis perdez de la sécurité. On nomme de mauvais juges, une majorité qui paie peu on point d'im- pôts vous taxe outre mesure, on vous force de marcher ‘+ 4 TPE 250 HISTOIRE DES SCIENCES. pour défendre une dynastie ou l'équilibre européen ou quelque autre chose, vous n'avez plus de sécurité, et en même temps vous n'avez plus la liberté de soutenir vos droits, de garder votre fortune, de disposer de votre per- sonne. Toujours les deux idées sont connexes. Les partis qui demandent uniquement la sécurité et ceux qui deman- dent uniquement la liberté sont à plaindre quand ils ob- hennent ce qu'ils ont demandé, car alors ils n’ont ni sé- eurité mi liberté. C'est pour cela que tant de ouerres et de révolutions font beaucoup de mal et peu de bien. Elles s'appuient sur une idée incomplète. Pour donner de la sé- eurité ou de la liberté à certains individus, elles diminuent ou détruisent celles des autres. C’est un changement de despotisme, au lieu d’une consécration de garanties à l’u- sage de tout le monde, en particulier des moins nombreux, des plus faibles, des plus exposés aux attaques. Je reviens à l'énumération des causes qui ont favorisé les sciences (p. 196). Presque toutes les causes morales n'ont pu s'établir, que par l'existence d’un certain degré de sécurité ou, si vous voulez, de liberté. C’est évident pour la formation, la répartition et l’emploi des capitaux (n° 4, 2, 7): bien plus encore pour la faculté d'étudier, d'enseigner, de publier, de manifester des opinions (n°6, 9, 10, 12), et même pour la facilité de choisir sa manière de vivre sans être exposé à des peines ou des désagréments d'une certaine gravité (n° 14, 44). Enfin, lorsque ces conditions favorables produites par la sécurité et la liberté ont existé un certain temps dans un pays, on voit de bonnes traditions s'y former, le publie et le clergé S'y montrer curieux de choses vraies, favoriser l'instruction et les sciences: on voit aussi des étrangers de mérite s’y établir à la suite de persécutions dans leur propre pays (n® 3, 4, 5, 8, 10, 13). HISTOIRE DES SCIENCES. 251 Si nous avions à nous occuper ici de la philosophie de . Phistoire, il faudrait remonter aux causes, politiques et re- ligieuses, qui ont amené dans quelques parties de l'Europe une dose de sécurité assez grande pour inspirer le senti- ment de la liberté, ou si l’on veut une liberté assez com- plète pour donner toute la sécurité désirable. Je me con- tenterai de rappeler brièvement quelques faits. Si lon represente, sur une carte d'Europe, les événements prin- cipaux de l'histoire moderne, on verra très-bien pour- quoi les causes favorables aux sciences sont accumu- lées dans un espace triangulaire compris entre lItahe moyenne, l'Écosse et la Suède, avec une projection au delà de l'océan, vers la Nouvelle-Angleterre. Il s’est ma- nifesté, en effet, depuis le XVe siècle, trois mouvements, pour ainsi dire trois courants intellectuels, qui ont décidé de la civilisation européenne. Ce sont la Renaissance, née en Toscane, la Réformation, partie d'Allemagne, et la liberté politique développée péniblement et lentement en Angle- terre. Chacun de ces courants s’est propagé autour de lui, mais avec des intensités et une durée bien différentes. Le premier n'a guère servi qu'à préparer les autres. Le se- cond s’est trouvé infiniment plus sérieux et plus efficace, comme tout ce qui repose sur des idées religieuses. Le troisième était trop spécial aux Anglais pour être bien com- pris par les autres peuples. On ne pouvait pas limiter complétement, puisqu'il découlait des antécédents et du caractère national d’une population déterminée : aussi les imitations n'ont-elles guère profité ni duré. Elles étaient d'ailleurs accompagnées souvent de violences, qui étaient la négation de la liberté, ou bien elles laissaient subsister des principes contraires, qui devaient les renverser. Si la liberté politique n'avait pas eu le protestantisme pour appui dans quelques États du continent, ce n'est pas 292 HISTOIRE DES SCIENCES. exemple de l'Angleterre qui l'aurait fait vivre. Heureu- sement la liberté relisieuse et l’organisation du clergé protestant étaient propres à favoriser et à régler la liberté politique. Réunies elles ont donné à quelques popula- tions un degré de sécurité qui n'existe pas ailleurs. Voici bientôt un siècle que les pays uniquement protestants comme la Suède, la Norwéce, le Danemark, l'Angleterre, la Hollande, jouissent d’une tranquillité intérieure com- plète, sous des institutions libérales, tandis que les pays purement catholiques sont livrés à de continuelles révolu- tions. Is n'échappent aux violences populaires qu'en su- bissant un joug de nature à ôter toute sécurité et qui prive de leur liberté naturelle un grand nombre d'individus. Les pays mixtes, tels que l'Irlande, l'Allemagne, la Suisse, ont eu leur part du défaut de sécurité, mais c’est à cause du conflit des deux principes qui se font la guerre dans les populations catholiques. Les événements du XVP® siècle et du XVI" siècle n'avaient pas fait triompher partout un des principes, d'une manière complète. La France et l'Italie n'avaient pour ainsi dire plus de protestants au XVIF® siècle, mais il restait des tendances au libre examen, sous la forme de Port royal et de l'Église gallicane. Bossuet dis- eutait, donc il admettait le droit d'examiner, et S'il approuvait les persécutions, c'était par une sorte d'incon- séquence analogue à celle de Calvin. Les principes absolus ayant triomphé en Autriche et en Espagne, l’espace dans lequel on à pu ressentir les effets de la renaissance, de la réformation et du régime représentatif s'est trouvé res- serré sous la forme d'un triangle, ou plutôt d'un secteur, dont l’origine est en Toscane et qui se prolonge au nord- ouest par la France et la Suisse jusqu'en Écosse et en Suède, La lutte continue aujourd’hui, dans ce triangle, et HISTOIRE DES SCIENCES. 253 s'étend sur ses côtés sud-ouest et nord-est. Il est difficile d'en prévoir l'issue, d'autant plus que les partisans de la sécurité, soit hberté individuelle, ont à côté d'eux un en- nemi plus formidable que jamais, l’absolutisme des majo- rités populaires. Cette force irresponsable et irrésistible, s'est montrée quelquefois, à d’autres époques, par exem- ple dans le temps de la Ligue, mais on lui a donné de nos jours, dans la plupart des pays, une forme régulière au moyen du suffrage universel. Ces considérations tout à fait générales n’affectent pas les causes qui influent directement sur le progrès des sciences. On peut travailler, faire des découvertes, au mi- lieu des guerres, des abus d'autorité, des révolutions de toute espèce. Je dirai même que ces désordres excitent au travail désintéressé et élevé des sciences, par lindignation et le dégoût qu'ils causent. Mais, à côté de l’action directe . et momentanée sur les individus, il y à une action indi- recte et prolongée plus importante. La civilisation rétro- grade. La plupart des causes favorables aux sciences diminuent d'intensité et les causes défavorables devien- nent prépondérantes. Assez souvent des hommes illustres brillent au moment même où l’état social qui les avait préparés s'écroule. Ce sont les générations suivantes qui s'aperçoivent des progrès de la médiocrité, de l'ignorance et du défaut de dévouement aux idées ou aux principes, à moins qu'elles ne soient tombées elles-mêmes assez bas pour ne plus apprécier leur décadence. En définitive les causes supérieures, ou si l’on veut antérieures, qui paraissent produire les nombreuses causes secondaires immédiatement favorables aux sciences, sont : 1° Que la race soit européenne ou d’origine européenne, c'est-à-dire appartenant à cette partie de la race blan- che qui a pris depuis longtemps, au moins dans certaines 29/4 HISTOIRE DES SCIENCES. classes de la population, l'habitude des travaux intellec- tuels: 2° que le climat ne soit pas d’une chaleur acca- blante; 3° que la situation géographique ne soit pas trop éloignée des centres de culture intellectuelle; 4° enfin, qu'il y ait eu des habitudes de hberté individuelle, et sur- tout de respect de la liberté d'autrui, poussées jusqu'à pro- duire un sentiment général de sécurité, en ce qui con- cerne les propriétés, les opinions et les personnes. Les trois premières conditions (race, climat et posi- tion géographique) ont évidemment manqué aux pays qui ne sont ni l'Europe ni le nord des États-Unis. Les colonies australes et le Canada ne sont pas encore assez peuplés d'Européens pour avoir pu jouer un rôle dans les sciences. Il faut donc fixer notre attention sur l'Eu- rope et les États-Unis, afin de voir si la quatrième con- dition, celle d’une liberté assez complète pour produire la sécurité, se trouve justifiée par lhistoire des scien- ces, telle que nous l'avons déduite de l'opinion des prin- cipaux corps scientifiques. Naturellement, je m'attachera à ceux des grands pays, qui ont joué un rôle important, et dont l’histoire, connue de tout le monde, embrasse une période de plus d’un siècle. De ces grands pays (Italie, France, Angleterre et Alle- magne), je n'en vois qu'un seul dans lequel, depuis plus de cent ans, aucune guerre civile ou d’invasion, aucun service public rendu obligatoire, aucune révolution, au- cune persécution pour opinion politique ou religieuse, enfin, aucun abus flagrant d'autorité ne soit venu trou- bler la sécurité des familles et diminuer la liberté de penser et d'agir de chaque individu. Ce pays est la Grande Bretagne, c’est-à-dire l'Angleterre et l'Écosse. Le dernier incident qui ait menacé la paix intérieure de cette Île vraiment exceptionnelle, à été la tentative du . HISTOIRE DES SCIENCES. 29 prétendant, en 1745. Depuis lors, le système de la société s’y est développé régulièrement dans le sens de la liberté individuelle, contenue par la liberté d'autrui. Les pou- voirs s'y sont trouvés divisés. Aucun d'eux n'a disposé d'une forcé militaire de quelque importance. Le plus con- sidérable de ces pouvoirs, celui de la chambre des Com- munes, est resté dans les mains de la classe la plus inté- ressée aux affaires du pays, à cause de sa fortune, et la plus responsable, à cause du petit nombre de ceux qui la composent et de la position fort en évidence qu'ils occu- pent. Le pouvoir judicrure à été une garantie, même contre les autorités politiques. La multitude n'ayant jamais été armée et exercée, l'émeute en à été réduite à des moyens tout primitifs d'agression, comme le jet de pierres ou le bris de clôtures. Ce n'est pas que les mœurs man- quent de passion et même de rudesse, mais la partie de la société qui a beaucoup à perdre à eu l'esprit de ne pas enseigner à l’autre l’art de se battre. D'ailleurs les opi- nions s'accordent sur beaucoup de points essentiels, en particulier sur le respect des droits de chaque individu ou agelomération d'individus. Cet ensemble de choses, qu on peut appeler singulier, tant il est rare, a produit un sentiment général de sécurité, dont on se fait mal l'idée à moins d'avoir vécu dans le pays. — Voici main- tenant quelle à été l'histoire des sciences. — L'époque si agitée de la révolution avait eu un mouvement scientifique réel, dont Newton demeure le représentant très-1llustre, sans doute, mais un peu isolé (voir tableau p. 36). Je ne sais s'il faut attribuer aux désordres antérieurs le déclin qui suivit, mais 1l est de fait que pendant une grande partie du XVII siècle, l'Angleterre et l'Écosse ne comptèrent pas pour beaucoup dans les sciences. On-y voyait des hommes célèbres, comme Hales, 250 HISTOIRE DES SCIENCES. Bradley, mais en petit nombre. Plus tard, après cinquante ou soixante ans de la sécurité absolue qui s'était établie, le flambeau de la science brilla de nouveau dans les mains de Hunter, Priestley, Hutton: et enfin, quand l'or- dre social fut encore mieux consolidé, on vit paraître la grande époque de la science anglo-écossaise, représentée à la fin du XVIIe siècle et au commencement du XIXe, par Cavendish, Davy, Wollaston, Brewster, Herschel, Ro- bert Brown, Dalton, Faraday, Murchison, ete. Il à fallu un demi-siècle de grande et complète sécurité fondée sur la hberté, pour engendrer la richesse, l'application désin- téressée à des travaux intellectuels. le goût de linstruc- ton et les traditions, qui conduisent aux découvertes dans les sciences. Une fois ces causes favorables immédiates établies, leur action est de nature à continuer un certain temps, même sous l’empire de circonstances différentes. Or, l’état social de Angleterre et de l'Écosse n’est pas exposé à changer totalement et brusquement. S'il dure encore, par exemple, un demi-siècle, on peut augurer une prolongation, au delà de cette époque, du mouvement scientifique commencé depuis environ quatre-vingts ans. L'Irlande n'a jamais joui d'une sécurité même mé- diocre, et il est aisé de constater que si elle à produit quelques savants isolés d’un certain mérite, elle n’a eu mi de très-grandes illustrations (p. 36 à 40) ni une époque scientifique marquée. L'histoire des sciences sur le continent n’est pas moins instructive. La France à brillé d’un vif éelat scientifique pendant la seconde moitié du XVIIe siècle et la première moitié du siècle actuel. La période comprise entre Lavoisier et Arago peut être citée comme particuhèrement remarqua- ble. Demandons-nous. d’un autre côté, à quelle époque, pp HISTOIRE DES SCIENCES. 257 dans les temps modernes, les Français ont eu le plus de liberté et de sécurité. Si je ne me trompe, c’est dans les soixante-cinq années qui ont séparé le despotisme de Louis XIV de celui de la Révolution. Sous cet ancien ré- aime, la classe inférieure était encore exposée à des actes arbitraires, mais nous savons, par nos recherches (p. 84), que jamais cette partie de la population ne fournit un nombre quelque peu considérable de savants distingués. La classe moyenne et la classe supérieure, d’où sortent en général les hommes de science, ont eu Ge 1715 à 1789, particulièrement sous le règne de Louis XVE beaucoup de liberté d'opinion et une assez grande sécu- rité. Les ecclésiastiques eux-mêmes JjJouissaient d’une indépendance qui étonnerait aujourd'hui. Les nobles devaient le service militaire, mais il leur était facile de le rendre léger. D'ailleurs, les guerres se démenaient hors du territoire et ne demandaient pas le concours de millions de soldats comme aujourd’hui. Les illusions ajoutaient à la sécurité générale. Avant 1789, on marchait à une catastrophe en croyant approcher d'un âge d’or. Ainsi, le grand développement scientifique de la France à suivi la sécurité vraie ou supposée et, de même qu'en Angle- terre, il à fallu environ cinquante ans pour que l'effet du nouveau régime se fit sentir. Après 1789, l'observation des faits est bien plus cu- rieuse qu'en Angleterre. Au lieu de voir se consolider le système qu’on avait espéré sous Louis XVL, des calamités sans nombre et presque sans exemple ont accablé la France, avee peu d’intervalles depuis quatre-vingts ans. Deux terreurs, trois invasions, les hommes les plus éner- giques, et souvent les plus instruits, massacrés tantôt dans les rues, tantôt sur les champs de bataille, des émeutes et des révolutions qu'on ne peut plus compter, la ville de 17 mit >; Prune? À ep? 258 HISTOIRE DES SCIENCES. Paris, principal centre intellectuel du pays, condamnée un jour à périr de la manière la plus affreuse, plusieurs dynasties, plusieurs formes de gouvernement, dont aucune stable, et, dans les moments de calme entre les tempêtes, la tutelle du clergé et de l'État invoquée pour éviter de plus grands maux. Tout cela est bien propre à diminuer le sentiment de la sécurité et à faire considérer comme dangereuses les forces individuelles. Cependant, de 1790 jusqu'a nos jours, le lustre scientifique de la France a continué! Tant il est vrai que plusieurs des causes qui favorisent directement les sciences persistent une fois qu'elles se sont manifestées. Les traditions, l'exemple, les moyens «étude accumulés dans les musées et les biblio- thèques, l’enseignement de quelques professeurs, les socié- tés qu'une opinion favorable aux sciences à fait naître, continuent malgré le désordre et le despotisme, pourvu qu'ils ne soient pas extrêmes et d’une grande persistance. L'esprit d'examen se développe lentement, mais diminue plus lentement encore. Quand les circonstances sont mal- heureuses, les hommes instruits cherchent volontiers des consolations dans l'étude. Cicéron, Tacite, Montaigne et bien d’autres l'ont prouvé, et cependant, ces illustres litté- rateurs ou philosophes, au milieu des crimes de l’espèce humaine, n’étudiaient que l'homme, tandis qu'un natura- liste, un astronome, un physicien peut se placer, par ses travaux, dans un milieu complétement différent. S'il a fait ce qui dépendait de lui pour éviter le malheur de ses compatriotes, 1l peut au moins s’en distraire par des occupations graves et honnêtes, et il conserve le feu sacré de là science. L'Italie montre bien la durée que peut avoir limpul- . sion une fois reçue. Sa grande époque, sans remonter jus- qu'à Galilée, le fondateur de la science moderne, a été | | t4 L HISTOIRE DES SCIENCES. 259 la fin du XVI et le commencement du XVIIe siècle. Dans la période 1666 à 1740, l'Académie des sciences de Paris, ayant à nommer ses associés étrangers dans tous les pays hors de France, 1l s’est trouvé qu'elle à choisi dans ce laps de temps. dix Italiens sur vingt-qua- tre nominations (tabl. p. 36). Plus tard, l'Italie à eu moins de savants très-illustres, mais elle à continué d'en produire d'un rang assez distingué. En 1789, elle occu- pait encore une position remarquable sur nos listes aca- démiques (tabl. p. 176), et si elle a faibli au XIXe siècle, il faut se rappeler combien la concurrence est plus grande parmi les savants depuis que leur nombre à augmenté dans tous les pays. En réalité, les Italiens n'ont jamais cessé de s'occuper de science et d'v réussir. Leur grande époque tenait à des causes anciennes qu'il faudrait étu- dier dans l’histoire de la renaissance. Au point de vue qui nous occupe, rappelons que jamais l'oppression n'a été complète et générale en Italie, grâce à la multiphicité des États. La Toscane a été gouvernée avec beaucoup de douceur pendant un siècle, et Venise savait très-bien ne pas se laisser dominer par Rome. L'Allemagne à eu sa grande époque scientifique aussi tard que l'Italie l'a eue de bonne heure. Dans les États du nord et du centre, le protestantisme avait créé depuis longtemps l'habitude de l'indépendance intellectuelle, dont il était l'expression, et la multiplicité des souverainetés dans toute la Confédération, permettait à chaque Alle- mand de sesoustraire, sans beaucoup de peine, aux menaces locales de despotisme. Malheureusement la liberté indi- viduelle et la sécurité des familles ont presque toujours été compromises en Allemagne, par de longues guerres, civiles, religieuses ou politiques. La guerre de Trente ans avait ruiné le pays, et la civilisation reprenait au XVIIIe 250 HISTOIRE DES SCIENCES. siècle, lorsque la guerre de Sept ans vint préluder aux euerres qui ont fini en 1815. Alors et pour la première fois, ilrègna dans le pays un sentiment de sécurité. L’Eu- rope était lasse de guerres, et l'union des grandes puis- sances, déclarée sainte, faisait croire à quelque chose de plus durable qu'une paix ordinaire. Aussitôt, l'esprit alle- mand se tourna vers les travaux intellectuels avec une ardeur singulière, et les causes directes favorables aux sciences, qui existaient déjà dans le pays, obtinrent assez vite leur complet épanouissement. De 1820 à 1850 l'Allemagne ne cessa de grandir dans les sciences. Au- jourd’hui, nous la voyons parcourir la phase la plus bril- lante dans cette carrière où le succès ne nuit à personne et profite au monde entier. La revue que nous venons de faire des principaux pays montre bien les causes favorables aux sciences comme naissant à la suite d’une époque de sécurité et de liberté individuelles, dans des populations européennes ou d'origine européenne, déjà habituées aux travaux de l'intelligence et vivant sous un climat convenable. Il ne faudrait pas en conclure cependant que, la condition de sécurité existant, le zèle pour les recherches scientifiques doive nécessairement se produire. Chaque jour nous voyons des jeunes gens se diriger spontanément vers d’autres choses, et dans le sein d’une population parfaitement libre, certaines circonstances peuvent détourner la pres- que totalité des hommes capables de la carrière purement scientifique. Elle est si peu lucrative, le succès y est si peu assuré, qu'elle doit être considérée toujours comme une exception. Seulement, c’est une exception qui se montre çà et là, et il faut au moins que les germes n’en soient pas étouffés par des vexations, des humiliations ou des HISTOIRE DES SCIENCES. 261 contraintes. Une fois l'impulsion donnée : Vôres adquirit eundo. S 6. Région géographique des sciences. L'étude des tableaux IE, IL IV et VI conduit à des idées bien différentes de celles de la plupart des écrivains et du public en général. On ne cesse de parler du pro- srès des sciences, de la diffusion des lumières, etc. Cepen- dant les principales Sociétés où Académies dans leurs nominations d'étrangers, depuis 1666 jusqu’à nos jours, n'ont pas étendu régulièrement le cercle des pays dans lesquels ces nominations ont été faites. Ainsi l'Académie des sciences de Paris (tabl. p. 160), pendant le X VITE siècle, a nommé des associés étrangers dans neuf pays dif- férents, et au XIX®° dans sept pays. Les nominations d’as- sociés étrangers et de correspondants réunis (tabl. p. #4) avaient montré, pendant le XVII siècle, une augmen- tation croissante des pays scientifiques en dehors de la France, puisque les choix de 1750 ont été faits dans sept pays et ceux de 1789 dans 14: mais, depuis 1789, la marche à été absolument contraire. On pouvait compter en 1789 quatorze pays différents, en 1829 onze, en 1869 sept. De même pour les nominations faites par la Société royale de Londres. Elles ont été, aux quatre époques du tableau p. 53, dans 9, 1%, {Let 10 pays différents. A Berlin (p. 64) les nominations ont été faites plus unifor- mément, savoir dans 9, 9, 9 et LT pays. L'ensemble des trois listes indique des nominations, en moyenne, dans 8, 12, 10 et 9 pays différents, pour les quatre époques de 1750, 1789, 1829 et 1869. Ce sont les savants des pays du centre de l'Europe qui ont absorbé la plus grande partie des nominations. Ceux 262 HISTOIRE DES SCIENCES. des pays éloignés, comme le Portugal, l'Espagne, l'Italie méridionale, la Turquie d'Europe, l'Autriche, la Pologne, la Russie, l'Amérique, sont faiblement représentés sur les listes ou même n’y figurent jamais. Avant l’époque dont je me suis occupé les grandes illustrations scientifi- ques paraissaient, çà et là, dans des pays très-éloignés et quelquefois excentriques : Copernic en Pologne, Keppler en Allemagne; Galilée à Pise, Newton en Angleterre. Le génie scientifique paraissait alors un don exceptionnel et personnel, distribué un peu au hasard, comme le génie des poètes. Au contraire, depuis que le nombre des sa- vants à beaucoup augmenté, leur distribution géographi- que se montre plutôt par groupes, dans les pays très-civi- lisés du centre de l'Europe, et plus les sciences font de progrès, plus il devient difficile aux pays excentriques ou nouvellement civilisés de lutter contre les pays du centre. La multiplicité des causes qui influent sur la production et le développement des savants et la lenteur avec laquelle certaines de ces causes peuvent agir, expliquent jusqu'à un certain point ce phénomène. Les pays qui ont pris les devants il y à deux siècles, ont conservé lavantage de causes favorables antérieures. A supposer même un arrêt dans la marche de lun d'eux, il existera longtemps au sein de sa population des causes intimes, qui peuvent reparaître avec énergie et ramener une marche ascen- dante, par exemple des traditions favorables aux sciences dans certaines familles ou une tendance héréditaire aux occupations intellectuelles. [y à aussi pour les pays du centre le bénélice, qu'on ne peut leur ôter, d’une situation près des autres pays civilisés et sous un climat convena- ble. Il faudrait donc des événements bien extraordinaires et bien prolongés pour enlever à l'Europe centrale son hécémonie en matière scientifique. HISTOIRE DES SCIENCES. 263 Malgré les faits et les raisonnements, ce résultat m'a causé quelque surprise. Jai voulu le contrôler par une autre méthode, moins bonne ce me semble, mais dont Je dirai cependant quelques mots. Je me suis demandé quelles ont été les découvertes scientifiques les plus importantes, depuis une trentaine d'années, et dans quels pays elles ont été faites. Pour cela j'ai consulté des personnes compétentes, sur les sciences autres que l'histoire naturelle. J'ai cru devoir me limiter aux découvertes : 4° qui ne sont pas des applica- tions de la science: 2° qui ont ouvert des horizons nou- veaux, c’est-à-dire qui ont créé des branches nouvelles dans les sciences, ou qui ont obligé à remanier toute une science, en raison d'idées neuves, pouvant expliquer des faits jusqu'alors mexplicables. Certaines sciences ont fait de grands progrès, depuis vingt ou trente ans, par un ensenble d'observations, d'ex- périences, de raisonnements ou de caleuls qui ne sont pas à proprement parler des découvertes de premier ordre. C’est le cas, par exemple, de astronomie, de la chimie, des mathématiques pures. Mais, dans les sciences physiques et naturelles, on ne refusera pas le titre de grandes découvertes aux six que je vais indiquer * : Analyse spectrale (Kirchhoff, Bunsen, etc.). Transformation des forces (Mayer, Joule, Clausius. ete.). Ancienne extension des glaciers (Venetz, de Charpen- tier, Agassiz, etc.). Antiquité de l’homme et études préhistoriques (Bou- ! Jamais les études sous le microscope n’ont été aussi générales qu’à notre époque, et cependant une seule des très-grandes décou- vertes à été faite par ce moyen. Les autres sont venues d’observa- tions à la vue simple, ou de raisonnements et d'expériences qu’on aurait pu faire en tout temps. 204 HISTOIRE DES SCIENCES. cher de Perthes, en France, Rutimayer et autres savants, en Suisse où en Danemark). Sélection naturelle (Darwin et Wallace). Générations alternantes (Sars. en Norwése, Steenstrup, à Copenhague, ete.). J'ai rappelé entre parenthèses les savants dont les noms se trouvent le plus liés avec les découvertes récentes men- tionnées, sans prétendre qu'ils soient les seuls et sans ignorer que la plupart des idées nouvelles sont amenées par des travaux antérieurs. Îl y à aussi des notions très- importantes qui se répandent spontanément et qui s’im- posent pour ainsi dire à une certaine époque, sans qu'on puisse les attribuer à tel ou tel individu. C'est le cas de la transformation des êtres organisés dans la série des temps, qui était déjà admise implicitement, de quelque manière, par la plupart des naturalistes, comme un fait incompré- hensible, lorsque l'idée neuve de la sélection offrant un moyen d'explication vint donner à la théorie un appui très-important. Malgré ces difficultés historiques, les grandes décou- vertes dont j'ai parlé sont curieuses au point de vue de leur origine. Elles sont toutes sorties des pays scandi- naves, de l'Allemagne centrale, de la Suisse, du nord de la France ou de l'Angleterre, c’est-à-dire de pays qui oceu- pent sur nos listes les premières places. Si l'on étendait la recherche aux quarante ou cinquante dernières années, au lieu des trente dernières, ce serait la même chose, car on aurait les découvertes d’Arago, de Faraday, de Dumas, de Berzelius, OErsted, Ampère, Ehrenberg, etc., qui sont sorties des mêmes pays, à l’exception de la Suisse. Ainsi, en tenant compte des plus grandes découvertes depuis un demi-siècle, de même qu'en calculant la pro- portion, sur un million d'habitants, des savants qui ont CES 'ITS LWNE 7 Ve! "7 bleus 2 HISTOIRE DES SCIENCES. 265 été honorés du suffrage des principales Académies, on trouve qu'il existe dans une partie moyenne de l'Europe, s'étendant du nord-ouest au sud-est, une région très- scientifique, moins vaste qu'elle ne l'était à la fin du XVIIe siècle. Cette région, d’après les découvertes, se compose de deux bandes, ayant des frontières plus ou moins vagues, dont l’une s'étend du midi de FAngleterre, par Paris et le nord de la France, jusqu'à la Suisse, el l'autre partant de la Suisse traverse l'Allemagne, le Dane- mark et aboutit à Stockholm et au midi de la Norwése. D'après les nominations faites par les Académies, cette région est également dirigée du nord-ouest au sud- est, mais elle constitue sur la carte une seule bande, plus longue et plus large. Cela devait être, puisque les condi- tions pour devenir membre étranger ne sont pas d'avoir fait une trés-grande découverte et qu'il suffit d'avoir publié des travaux originaux, utiles à la science. Si lon envi- sage les deux siècles qui ont fait l'objet de nos études, el si l’on tient compte plus particulièrement du tableau des Associés étrangers de l’Académie de Paris, on trouve dans la région essentiellement scientifique l'ftalie moyenne et septentrionale, le midi de la France, l'Écosse et la Hol- lande. Si l’on veut ajouter là considération des titulaires moins célèbres qui n'ont pas été Associés étrangers de l’Académie de Paris, et si lon attribue Euler fils à la Russie, quoique d’origine suisse, il faudra étendre la ré- gion scientifique jusqu'a l'Espagne, le Portugal et, au nord, jusqu à St-Pétersbourg. On doit aussi mentionner la Nouvelle-Angleterre, qui était du temps de Franklin et qui est encore aujourd'hui une région dans laquelle on cultive les sciences avec succès. Il résulte cependant de l'examen des faits que la partie centrale de la région scientifique européenne est la plus importante. C'est là 266 HISTOIRE DES SCIENCES. que les plus grandes découvertes ont été faites, depuis un demi-siècle, et à aussi que l'Académie des sciences de Paris a nommé le plus d’Associés étrangers depuis son origine. L'énergie scientifique, si l’on ose employer cette expression, diminue sur les bords et aux extrémités de la région qui s'étend d'Édimbourg et d'Upsal jusqu'à lIta- lie centrale. Les hommes très-distingués ou illustres constituent, en quelque sorte, la charpente de l'histoire des sciences, mais on voit à côté d'eux un nombre considérable de savants qui contribuent peut-être tout autant, par leurs efforts collectifs, aux progrès incessants des sciences. Il se trouve dans cette catégorie des hommes très-ingénieux, très- laborieux, très-dignes de figurer dans les premiers rangs, mais qu'une mort prématurée enlève à la science, ou qu'un défaut de méthode ou d'activité empêche de publier, ou qui se trouvent obligés de donner la plus grande partie de leur temps à des travaux dont il ne reste aucune trace dans les ouvrages. Les célébrités qui paraissent au grand jour sont, en réalité, la manifestation de l'existence d’un certain public instruit et ami des recherches. Le travail scientifique est bien plus qu'il ne semble une œuvre col- lective. C’est une des raisons pour lesquelles certains pays et certains groupes de population l'emportent sur d’au- tres et conservent leur supériorité pendant des siècles. Un ou deux hommes célèbres peuvent disparaitre, sans que la population choisie et progressive dont ils étaient la plus haute expression soit annulée. De nouvelles illus- trations peuvent être ramenées par un groupe quand il en à une fois produit. Le peu de diffusion de la culture des sciences en dehors de la partie moyenne de l'Europe tient à l'accumulation dans les régions voisines de causes défavorables, et surtout HISTOIRE DES SCIENCES. 267 à ce que ces causes sont précisément les plus défavorables de toutes. $ 7. De la vanité nationale et des illustrations scientifiques. Lorsqu'un homme obscur, médiocre et ignorant se largue d’avoir pour compatriote un savant illustre, la première impression vous porte à rire. On croit entendre un nain se vanter de la taille élevée des gens de son pays. La réflexion fait ensuite apercevoir quelque chose d’utile et de fondé, dans cette vanité si commune en tout pays. Il convient qu'on loue des hommes dont la célébrité n'a coûté de larmes à personne et dont les travaux agrandis- sent la sphère des connaissances, au profit de l'humanité tout entière. Puisque l’opinion publique est un des élé- ments qui favorisent la science, il est avantageux qu'elle se manifeste, même par des organes obscurs et d’une fai- ble importance. i D'ailleurs, au fond, il y a dans cette vanité quelque chose qui n’est pas une erreur. Les hommes illustres et et les hommes simplement distingués se trouvent placés plus où moins haut, d’une manière absolue, c'est-à-dire dans l’histoire et dans le monde, suivant la moyennne de la population au-dessus de laquelle ils s'élèvent. Chaque multitude à une moyenne de capacité. Les individus qui se classent au-dessus et au-dessous sont nombreux près de la moyenne et fort rares à une certaine distance. Au-dessus et très-haut sont les grandes illustrations, au- dessous et très-bas les idiots. Si la moyenne est élevée, relativement à d’autres populations, les exceptions supé- rieures et inférieures se trouvent, absolument parlant, plus haut ou plus bas. Jusqu'à présent du moins 11 n'a pas été démontré qu'il ÿ eût plus de distance de Newton 268 HISTOIRE DES SCIENCES. ou de Leibniz, de Galilée ou de Pascal à la moyenne des | Européens que d’un Chinois célèbre comme Confucius à | la moyenne des habitants de la Chine à son époque, ou du nègre le plus intelligent de tous, qui n’a fait aucune | découverte scientifique, à la moyenne des nègres. En admettant l'hypothèse d’un écartement uniforme, les ex- | ceptions supérieures remarquables doivent avoir au-des- sous des moyennes remarquables. Les individus qui se trouvent dans ces moyennes, et même ceux qui sont au- dessous, doivent donc être supérieurs à légard d’autres | individus de position correspondante parmi d’autres po- | pulations, et ils en ont le sentiment. Leur instinct prouve la vérité de l’assertion. Aïnsi des Européens ordinaires, peu instruits, lorsqu'ils se trouvent au milieu d’fndiens ou de nègres, prennent la direction, spontanément. On leur obéit, par l'effet d'un sentiment inverse. La même chose se remarque au contact d'individus de pays très-civilisés : | avec Ceux de pays qui le sont moins, ou d'individus ayant développé et éprouvé leur intelligence avec d’autres indi- vidus peu instruits où sans expérience sur leur propre capacité. Ces réflexions s'appliquent à tous les groupes de po- pulation. Ilest de mode aujourd’hui de croire les peuples M inégaux en Capacité et les familles égales dans le sein du même peuple, mais si lon réfléchit aux causes de liné- galité des peuples, comme la race, l’éducation, les tradi- tions, ete., on voit bientôt qu’elles agissent avec une force | encore plus grande sur les familles et qu'il doit y avoir M des différences sensibles de l’un de ces groupes partiels à un autre. La vanité nationale au sujet des illustrations scientifi- ques repose done sur une base positive. Elle serait cepen- dant ridicule chez les personnes qui parlent ou agissent HISTOIRE DES SCIENCES. 269 dans le sens de diminuer l'intensité des causes favorables au développement des sciences où qui secondent les cau- ses défavorables. Il ne sied pas, par exemple, à ceux qui recommandent surtout de travailler pour gagner, à ceux qui aiment les arguments d'autorité, à ceux qui pous- sent à la destruction des petits peuples et qui mettent la force matérielle, l'intrigue ou le nombre au-dessus de l'intelligence honnête, à tous ceux qui engagent l'opinion publique dans des directions absolument contraires aux sciences, il ne sied pas, dis-je, à tous ces individus de tirer vanité de leurs compatriotes savants, Car Ceux-ci Ont été célèbres malgré ce qu'ils ont pu faire. Que chacun done avant de dire « notre illustre géomètre » ou « notre grand naturaliste » ou « notre célèbre astronome, » fasse un peu son examen de conscience. Les individus seule- ment qui ont agi, selon leur position et leurs moyens, dans le sens de développer de bonnes conditions pour la cul- ture des sciences, peuvent se montrer fiers des résultats. Une espèce de solidarité existe, mais pour eux, non pour les autres. Quant aux hommes de science, en particulier, la vanité nationale est tout simplement ‘un écueil. Leur rôle est d'être cosmopolites. Une science n'est ni d’une nation ni d'une autre. En général les notions morales et intellec- tuelles sont du domaine de l'homme et fort au-dessus des distinctions de familles, de classes et de peuples. Les as- Sociations scientifiques le comprennent volontiers, et elles le prouvent tantôt par leurs nominations de membres étrangers et tantôt par les éloges que prononcent leurs présidents ou leurs secrétaires dans des séances solennelles. L , % K 4 270 HISTOIRE DES SCIENCES SECTION IV Sur la marche des sciences morales et politiques compa- rée à celle des sciences mathématiques et naturelles. I y à toujours de l'intérêt à voir comment l'esprit humain avance dans des directions différentes, par des causes tantôt semblables et tantôt dissemblables. Je ne puis me flatter de jeter beaucoup de lumière sur une ques- tion aussi complexe, mais, après avoir employé une mé- thode nouvelle pour apprécier la marche des sciences d'une certaine nature, il me semble opportun d'examiner jusqu'à quel point cette méthode pourrait s'appliquer à d'autres catégories des travaux de l'esprit. Je laisserai de côté les produits de l'imagination, qui doivent résulter de circonstances et d’individualités autres que ceux du jugement. Les grands poètes, les grands artistes, ont paru à diverses époques. Les plus célèbres ont été ordi- nairement les plus anciens et ont précédé les hommes de science. Homère à paru avant Socrate et Aristote; Dante, Michel-Ange et Raphaël avant Galilée: Shakespeare avant Newton. Si les premiers grands poètes français et allemands ont été contemporains de philosophes et de savants illustres, il faut ajouter que leur élan poétique n’était ni très-vif ni très-original. On sent toujours chez eux l'influence de limitation, de la règle, et quelquefois des deux en même temps. Ceux de mes lecteurs qui se- raient curieux d'apprécier la part de l’hérédité dans la production des hommes d'imagination, feront bien de lire l'ouvrage déjà cité de M. Galton. Je les engagerai seule- HISTOIRE DES SCIENCES. 271 ment à tenir plus de compte qu'il ne l'a fait des circon- stances extérieures dans lesquelles se sont développés les artistes et les poètes. Ici, je me contenterai de parler des hommes qui se distinguent dans les sciences morales et sociales. Le but étant le même dans ces sciences et dans les sciences mathématiques ou naturelles (la recherche désin- téressée du vrai), les moyens étant les mêmes (l'observation directe ou de témoins dignes de foi, l'expérience, le raison- nement, le calcul), on doit s'attendre à beaucoup d’ana- logie dans la marche. Il est aisé de voir, en effet, que les grandes époques scientifiques coincident avec un dévelop- pement des idées morales et sociales. Le XVIe siècle à été celui de la réformation et de très-importantes décou- vertes scientifiques. Newton à été contemporain de la révolution anglaise. Le X VIH siècle, en France, a produit une foule de mathématiciens et de naturalistes célèbres, au milieu du mouvement, philosophique d’où est sortie la révolution française, et plus récemment, en Angleterre et en Allemagne, comme en France, on a vu des historiens. des érudits, des philologues, se distinguer d’une manière remarquable, pendant que des astronomes, des chimistes, des naturalistes de premier ordre brillaient à côté d'eux. J'aurais voulu suivre ces faits dans leurs détails. et classer les savants qui ont cultivé les sciences philoso- phiques et sociales, comme les mathématiciens et les na- turalistes. Malheureusement je ne suis pas parvenu à découvrir un procédé pour constater la valeur réelle des hommes qui se sont occupés de sciences littéraires. Les nominations de certaines Académies expriment leur degré de célébrité, mais la célébrité dans cet ordre de choses n'est pas (oujours en raison de la valeur réelle. Assuré- ment elle dépend beaucoup de leftet produit dans le 272 HISTOIRE DES SCIENCES. publie grâce à la forme employée ou aux dispositions de l'opinion. Dans les sciences proprement dites un homme ne devient pas célèbre sans avoir eu des idées neuves et justes, ou sans avoir fait des découvertes que chacun peut vérifier. Les réputations exagérées baissent très-vite, et quand des travaux importants ont été négligés au mo- ment de leur publication, il suffit d’en constater la daie pour leur donner immédiatement une valeur considérable. Dans cette catégorie, le fait, l’idée, la date sont les choses qui elassent un savant, et ce sont des choses précises. La forme des écrits, la notoriété qu'ils ont eue à l’origine, sont accessoires. Dans les sciences morales et politiques c’est tout autre chose. La forme et la notoriété jouent un grand rôle. Elles déterminent, en grande partie, la célé- brité d’un homme, même après sa mort. Par exemple, un historien pourrait traiter d’une époque sans donner au- cun fait nouveau, ni même une idée nouvelle, et se faire lire cependant par des millions d'hommes. Il suffit qu'il ait donné des récits extrêmement bien faits, en choisis- sant les réflexions les plus justes ou les plus saisissantes émises par ses prédécesseurs et en s'adressant à l'imagi- nation où au sentiment d'une nombreuse population. Un écrivain religieux ou philosophique, un socialiste, un historien, qui fait vibrer les fibres populaires, peut avoir une immense réputation et la conserver. Que dis-je? un écrivain dans les sciences morales et politiques peut, comme certains hommes d’État, princes ou généraux, obtenir et garder une célébrité d’autant plus grande qu'il a fait plus de mal. Détournons les regards de ces cas extrêmes qui ne font pas honneur à l'humanité. Pensons aux gloires pures des hommes qui ont cherché le bien de leurs semblables dans les voies de la philosophie, de la religion, du droit, de HISTOIRE DES SCIENCES. 272 l'organisation sociale. Il n'en est pas moins vrai que, pour eux, la célébrité est venue beaucoup de l'influence sur les inasses, et cette influence elle-même de la forme donnée aux idées, de leur répétition incessante, de l'opportunité, et de l’appui de certains individus où groupes d'individus. Et comment pourrait-il en être autrement? Les faits nouveaux sont rares dans les sciences morales et les idées sont presque toujours anciennes. C’est surtout l'im- pression qu'elles produisent qui peut être nouvelle. Dans _les sciences proprement dites il à été ajouté, de siècle en siècle, des branches absolument nouvelles, et les faits qu'on découvre provoquent des théories qui sont aussi nouvel- les, tandis que dans les sciences morales cela n'est guère arrivé. On peut citer, j'en conviens, la philologie compa- rée, l’économie politique, et la méthode numérique soit statistique, appliquée aux faits sociaux. Pour le reste, et surtout en fait d'idées, on puise ordinairement dans un fonds immense, d’une antiquité quelquefois singulière. Un homme très-érudit pourrait, peut-être, faire la gageure de trouver toutes les idées philosophiques connues dans les livres des anciens Grecs, toutes les idées religieuses des Européens et de leurs descendants d'Amérique dans la Bible, toutes les notions de droit dans le droit romain, el pour les idées de politique, il suffirait d'ajouter Jefferson et Montesquieu à Machiavel et à Platon pour les avoir à peu près toutes. Une idée nouvelle dans ces grandes ca- tégories des sciences est presque toujours une idée renou- velée, qu'on offre au public d'une certaine manière et à propos. L'histoire, l’économie politique et la philologie sont, pour ainsi dire, les seules branches dans lesquelles on procède au moyen de faits en partie nouveaux et de re- cherches dans l'inconnu, comme dans les sciences physi- ques et naturelles. C’est done dans ces trois branches ” N re 18 2 nd Se LS de née ana el ben La DS QU GE = 4 du à HORS RS SE dé ER CS a ne. - © LA ÉD Pa L 274 HISTOIRE DES SCIENCES. qu'il est le plus facile de trouver des réputations basées sur le fond et sur la nouveauté, plus que sur la forme, l'opportunité et l'effet. | Ces réflexions feraient présumer, pour les conditions | du développement des sciences morales et politiques, des ! différences assez grandes d'avec les sciences proprement ! dites. Puisque l'effet sur le public est si important, les au- teurs qui écrivent dans une langue peu connue et ceux qui appartiennent à une petite nation, doivent, avec la même dose de capacité et d'efforts, rester au-dessous des écrivains qui publient dans une des principales langues M et au milieu d'un grand pays. Les petites nations qui ont le malheur de parler une langue spéciale, peuvent avoir des moralistes, des théologiens, des historiens, des Juris- consulles d’un très-grand mérite, mais on ne les connait M pour ainsi dire pas. S'ils ont traité de leur propre pays les étrangers n'y feroni guère attention, quoique les obser- vations faites sur un petit pays et les lois imaginées par leurs législateurs soient, dans certains cas, tout aussi bonnes que celles relatives à de grandes populations. Peui-être le sentiment patriotique, ordinairement très-développé dans les petits pays, pousse-t-1l fortement certains hommes ca- M pables vers les sciences morales et politiques, mais la difi- © M culté de se faire connaître au dehors doit en décourager d'autres et les porter plutôt vers les sciences mathéma- tiques et naturelles, qui sont cosmopolites. Avec celles-ci, du moins, la publication la plus obscure, dans une langue M quelconque, si elle renferme une découverte ou une idée neuve, doit être examinée. Je dis do, car un savant, dans ces sciences, n'est plus considéré que comme un ignorant s’il ne fait pas attention à tout ce qu'on publie dans sa spésialité. Sa réputation décline s'il en agit autre- ù, & nd De dos Ste ele Soit A HISTOIRE DES SCIENCES. 275 ment, et par le rapprochement de certaines dates on le lui fait bien sentir. La position personnelle de ceux qui émettent certaines opinions influe beaucoup dans les sciences morales et politiques. Si une doctrine religieuse est émise par un évêque, où un principe de droit par un juge, ou une théo- rie politique par un homme d'Etat, c’est bien autre chose que l'énoncé, fait peut-être avec plus de talent, par un simple laïque, un avocat ou Journaliste. Rien de semblable n'existe dans la catégorie des sciences proprement dites. Enfin, la nature des institutions politiques influe beau- coup sur la culture des sciences qui se rapportent à l’état social. Dans les pays où l’on ne peut pas émettre ses opi- nions, elles tombent à néant. Si la hberté de publier existe, mais qu'il faille convaincre des gens puissants et igno- rants, comme il y en a de toute dénomination, rois, sei- uneurs ou peuples, la tâche est si lourde que la plupart des hommes d’études, et les plus sérieux, y succombent. C'est dans certaines conditions rares de la société, lors- que leS hommes les plus intelligents et les plus honnêtes ‘conduisent les affaires, que les sciences morales et sociales doivent le plus prospérer, tandis que pour les sciences naturelles où mathématiques les institutions influent mé- diocrement. Des différences aussi importantes sont de nature à dé- tourner des comparaisons qu'on voudrait essayer de faire sur les sciences morales d'une époque à l’autre et d’un pays à l’autre, même s'il se présentait un moyen facile à em- plover, tel que celui dont j'ai fait usage pour les sciences proprement dites. Je citerai cependant un exemple basé sur la même méthode. Les Académies dans lesquelles on s'occupe de sciences morales et politiques au point de vue purement scientifi- 276 HISTOIRE DES SCIENCES. que, sont assez rares. [l n’en existe point en Angleterre. En France, l Académie des sciences morales et politiques, rétablie en 18392 et organisée à peu près comme lAcadé- mie des sciences, doit avoir les qualités désirables pour que ses nominations de membres étrangers soient faites avec discernement et impartialité. En particulier, avant la malheureuse année 1870, il n'y avait pas de raison pour qu'une assemblée de savants français se montrt plus favorable aux Anglais qu'aux Allemands, aux Hollan- dais ou aux Suisses qu'aux italiens. Les élections de mem- bres étrangers ont l’avantage d’être peu influencées par la forme des écrits ou par l’éloquence des candidats. On est obligé de considérer à leur égard le fond des idées plus que la forme, puisqu'il faut se décider d’après des traduc- tions, ou en lisant une langue étrangère, dont les nuances vous échappent en partie. Je prendrai donc l'Académie des sciences morales et politiques de Paris comme un jury éclairé et impartial à égard des étrangers, dans les objets dont elle s'occupe. Cette Académie nomme six Associés étrangers et des correspondants, nationaux ou étrangers, dont le nombre réglementaire à varié. Il était de 45 en 1869, parmi lesquels 35 étrangers. Je vais indi- quer la répartition de ces Correspondants étrangers par nationalités, en joignant à eux les # Associés étrangers de 1869, ainsi que deux autres qui venaient de mourir et qu'on n'avait pas encore remplacés *. L'Académie se compose de cinq sections : Pluloso- phie, Morale, Législation, Économie politique et statis- tique, Histoire. Deux autres sciences analogues, savoir la linguistique et l’érudition dans le domaine des choses anciennes, se trouvent classées dans l’Académie des In- * Annuaire de l'Institut pour 1869. CS ER NT, 1, CENT bg "LEE TS "ARR de: | de al L. vu at + Ur ‘ HISTOIRE DES SCIENCES. 277 seriptions et Belles-Lettres. Celle-ci s'occupe plutôt d'é- tudes qui se rapportent à l'histoire, aux lettres ou aux arts. Si je comprenais les huit Associés et les trente-huit Correspondants étrangers de l'Académie des Inscriptions, je donnerais trop d'importance à deux branches, qui doi- vent compter en réalité comme l'une des cinq de FAca- démie des sciences morales. Je me contenterai done d’a- jouter les huit Associés étrangers de l'Académie des In- seriptions, en conservant un membre qui venait de mourir et qu'on n'avait pas encore remplacé en 1869. La classi- fication par nationalités comprendra de cette manière 1% Associés étrangers de l’une ou l’autre Académie, tous d'un ordre supérieur dans les sciences morales, sociales. historiques ou linguistiques, et 35 Correspondants non français de l'Académie des sciences morales et politiques, en tout 49 titulaires. La distribution d'après les nationalités m'a fourni les chiffres qui suivent : 3 Allemagne (ancienne conféd.) 19 dont 8 Associés. Angleterre (les trois royaumes) 11» 3 » nb eue 2650. 12%: » CLS PPT EE IL eue re ne duts 10 op D ais tasses Le ou. D ES » CESR CNNNNRSEN TER ERREUR LE ET RER DU pe 98, din 0 » Holiux0 49 14 En comparant avec le tableau analogue des nomina- tions d'étrangers par l'Académie des sciences de Paris, (tableau p. 176, lettre À, 1869), on remarquera deux grandes différences. 278 HISTOIRE DES SCIENCES. 1° L'Italie passe avant la Suisse et la Belgique. 20 La Russie et les trois royaumes scandinaves ne sont | pas mentionnés. | 30 Au contraire, les États-Unis et l'Espagne y figurent. | 4° La Belgique occupe un rang élevé pour un aussi petit pays. | Du reste, l'Allemagne et l'Angleterre 4 's mL bn BE lib" x à et RO NE TO NT TE PU TETE ET [Ro LIT L'ESPRIT D'OBSERVATION ET L'ENSEIGNEMENT DANS LES ÉCOLES Savoir observer les faits matériels, les formes, les cou- leurs, les apparences et surtout les réalités de chaque chose, est un talent, dont l'application est singulièrement utile dans la plupart des carrières. Ne faut-il pas qu'un agriculteur observe constamment les détails de chaque objet autour de lui? Pour soigner des animaux, en ache- ter. surveiller des ouvriers, cultiver convenablement, et bien préparer où conserver chaque produit, n'est-il pas obligé de voir de près et de réfléchir à ce qu'il a vu ? Le fabricant et le marchand ont besoin aussi d'observer, chacun dans sa spécialité. Le militaire doit se rendre compte rapide- ment de faits topographiques. Le médecin ne cesse d’ob- server. L'homme de loi est obligé souvent de scruter des faits matériels, comme avocat, notaire ou juge. Dans quelle position sociale n'a-t-on pas besoin de saisir des nuances de physionomie, des inflexions de voix ou autres indices des idées et des sentiments ? En vérité, je ne vois qu'un ESPRIT D'OBSERVATION. 257 mathématicien pur qui puisse se dispenser de regarder, et encore il n'est pas toujours enfermé dans son cabinet: il est homme et doit savoir mille choses que les autres sa- vent. Bref, la qualité de savoir observer, est indispensable, pour ainsi dire, à tout le monde. Nous en sommes doués dans notre enfance, à un degré remarquable. Que fait-on ensuite, dans les écoles, pour développer cette précieuse faculté ? A peu près rien. Que fait-on, au contraire, pour l’entraver, l'éteindre, la subordonner à d’autres facultés ? Énormément, Pour le prouver, | invoque le témoignage de ceux qui, comme moi, ont enseigné les sciences natu- relles à des jeunes gens de 18 à 20 ans. Is diront com- bien il est fréquent de voir de bons élèves, quelquefois les meilleurs pour l'ensemble des études, qui ne savent pas remarquer les choses les plus visibles dans un objet ma- tériel. Pour en bien juger, il faut demander à l'un d'eux de décrire une plante de vive voix. Fen ai connu qui ne regardaient pas même l'échantillon mis entre leurs mains. Hs cherchaient dans leur tête, et rappelés à l'observation, ne savaient pas voir si les feuilles étaient en face les unes des autres ou situées à des hauteurs différentes le long de la tige. À cinq ou six ans ils auraient peut-être mieux vu, mais pendant nombre d'années on les avait occupés uniquement de choses abstraites ou internes : grammaire, mots de plusieurs langues, calcul, histoire, religion, poésie. S'ils avaient appris quelque chose des faits d'histoire na- turelle, c'est dans les livres. S'ils avaient regardé par ordre d'un maître quelque détail de forme, c'est dans des le- cons de dessin, et encore en copiant des modèles. Les Lie List TN TOR EU TPE AE MALE PO TT PERTE Tel YÉ à S (V:, VA \ \ 288 ESPRIT D'OBSERVA'FION. premieres études, dont le but logique est de préparer la jeunesse à des choses plus variées et plus spéciales, se font presque toutes dans le sens de développer la réflexion abstraite, la mémoire et Fimagination. On oublie l'obser- vation. On oublie aussi que la faculté d’observer n’est pas seulement le fait de regarder, mais de graver dans sa mé- moire, de comparer et de réfléchir, pour tirer des con- elusions qui soient vraies. Un des naturalistes qui ont le iieux. observé, Huber, Flhistorien des abeilles, était aveugle. Else servait des yeux d'un employé, les dirigeait, et concluait. Donc observer est une opération, à la fois des yeux et de l'esprit, très-compliquée. Elle ne rend pas l'enfant léger — au contraire. Elle ne contrecarre aucune de ses facultés, si ce n'est l'imagination, dont il à sou- vent plus quil ne faudrait. Elle favorise l'attention, la mémoire et le raisonnement. Si les instituteurs la crai- onent e'est qu'ils ne là comprennent pas ou ne savent pas la diriger. Les jeux d'adresse, les excursions, et il faut le dire, l’école buissonnière, aident l'enfant à ne pas perdre abso- ment l’usage de ses veux. S'il vit à la campagne il ne manque pas d'occasions d'observer, mais à la ville, surtout dans une grande ville, c’est tout autre chose: Le hanneton captf est le seul animal qu'il puisse examiner, et encore ce n'est que tous les quaire ans! Je suis loin cependant de proposer l'introduction dans ies écoles primaires, où même dans les colléges, d’un en- seignement développé de l'histoire naturelle. On à tant de choses à enseigner qu'il faut être sobre d'augmentations. i'ailleurs, il vaut mieux éviter les termes bizarres de la science et toute allusion à certaines catégories de faits, jusqu'à l’âge auquel un jeune homme peut voir, au-dessus des mots et de la matière, des idées et des principes. Je ESPRIT D'OBSERVATION. 289 me contente de demander aux instituteurs et aux direc- teurs des établissements d'instruction primaire ou Heyland. jf | TA ESPRIT D'OBSERVATION. 291 demandai (Ce qui ne m'était pas arrivé Fos dans mes lecons de dessin) pourquoi je ne réussissais pas. Pro- voquer la réflexion est bien plus utile que montrer. C’est surtout ce qui importe pour limmense majorité des éle- ves, puisque la plupart ne doivent pas devenir des artistes. Une seconde recommandation est puisée dans la nature. Lorsqu'un enfant veut s'amuser, il crayonne à sa fan- taisie, sans copier. Lorsqu'un écolier veut faire une cari- cature de son maître ou d’un camarade, il dessine pres- que toujours de souvenir. Done il ÿ à un charme à ne pas copier. On se plait naturellement à reproduire les choses qu'on à vues et dont on à su conserver le souvenir. Ceci est une indication de la bonne méthode. Je voudrais qu'un professeur de dessin fit de temps en temps dessiner de souvenir. On montrerait aux élèves un rameau por- tant, par exemple, trois fleurs et un certain nombre de feuilles, ou bien un insecte remarquable, ou encore le modèle d'un monument peu compliqué. L'objet ayant été vu, on le cacherait, et chaque élève aurait à le dessiner de souvenir. L'attention et la mémoire seraient alors en jeu. L'art du dessin ne serait plus une routine, et l'on ne verrait pas des élèves, après avoir copié des centaines de nez, de bouches et de têtes, ne pas pouvoir dessiner à volonté une figure qui rit ou une figure qui pleure. De passif l'élève deviendrait actif, or, l'activité est ce qui développe les facultés. L'esprit d'observation y gagne- rait. Dans les études subséquentes on aurait des ‘élèves moins gauches, plus prompts à voir et à comparer. Le “oût des sciences naturelles se répandrait davantage, et dans toutes les professions on aurait des hommes plus ha- bitués à observer et plus en état de dessiner, ce qui certai- nement serait un progrès, indépendamment des sciences. IV AVANTAGE POUR LES SCIENCES D'UNE LANGUE DOMINANTE ET laquelle des langues modernes sera nécessairement dominante au XX®° siècle. A l’époque de la renaissance le latin servait aux hom- nes instruits de toute l'Europe. L'église romaine l'avait conservé soigneusement et aucune des langues vivantes ne présentait encore une littérature assez riche pour lui faire concurrence. Plus tard la réformation brisa le fais- ceau de l'unité romaine. L'italien, Fespagnol, le français, l'anglais devinrent successivement des idiomes réguliers, riches en productions littéraires de toute espèce. Enfin. il ya quatre-vingts ou cent ans au plus, le progrès natu- rel des sciences fit sentir les inconvénients du latin, lan- oue morte, d'ailleurs peu claire à cause de ses inversions, de ses mots retranchés et de l'absence d'articles. On vou- lait divulguer les découvertes qui se faisaient en très- grand nombre. On voulait aussi expliquer et discuter sans être obligé de chercher ses mots. Toutes ces causes, agis- sant presque partout, firent adopter les langues moder- nes dans la-pratique de la plupart des sciences. L'histoire naturelle seule fait exception. Elle emploie encore le la- LANGUE DOMINANTE. 29; tin, mais seulement dans les descriptions, partie toute spéciale et technique où le nombre des mots est limité el la construction très-régulière. A vrai dire, ce que les naturalistes ont conservé, c’est le latin de Linné, langage dans lequel chaque mot est précis, et chaque phrase or- donnée logiquement, clairement, comme aucun auteur romain ne l'a fait. Linné n'était pas linguiste. I savait à peine quelque chose des langues modernes, et il est aisé de s’apercevoir qu'il luttait contre beaucoup de difficultés quand il écrivait en latin. Avec un vocabulaire très-limité et une tournure d'esprit qui répugnait à la fois aux périodes eicéroniennes et aux réticences de Tacite, 1l sut créer une langue précise, appropriée à la description des formes et intelligible même pour des écoliers. Il ne s’est jamais servi d’un terme sans l'avoir d’abord défini. Renoncer à ce langage spécial de Fillustre Suédois, serait rendre les descriptions moins claires et moins accessibles aux savants des divers pays. Quand on essaie de traduire en latin de Linné certaines phrases des flores modernes écrites en anglais ou en allemand, on s'aperçoit bien vite d’un certain défaut de clarté. Ce serait encore pire si les auteurs n'avaient introduit dans leur langue beaucoup de mots purement latins. Du reste, en dehors des textes relatifs aux caractères, et toutes les fois qu’il s’agit de phénomènes successifs ou de théories, on constate aisé- ment la supériorité des langues modernes. C'est pour cela que, même en histoire naturelle, le latin est chaque jour moins employé. ? En anglais, le mot smooth veut dire à la fois glaber et læœvis. En allemand, les constructions de phrases, indiquant les caractères génériques ou autres, sont quelquefois si obscures qu’il m’a été im- possible, dans certains cas, de les faire mettre en latin par un Al- lemand, bon botaniste, qui savait mieux que moi les deux langues. 4 294 LANGUE DOMINANTE. La perte du lien établi jadis entre les savants de tous pays par lusage de la langue latine s’est pourtant fait sentir. Il en est résulté d’abord une tentative fort chimé- rique, celle de créer quelque langage artificiel, qui aurait été pour toutes les nations comme l'écriture pour les Chi- nois. I aurait été basé sur les idées, non sur les mots. Le problème n'a pas été résolu le moins du monde, et s'il pouvait l'être, on aurait quelque chose de tellement com- pliqué, de si peu pratique et si peu flexible qu'on renon- cerait bien vite à s'en servir. La nécessité et les circon- stances de chaque époque ont amené de préférence l'emploi de lune des principales langues européennes, comme trait d'union entre les hommes éclairés de tous pays. Le français a rendu ce service pendant deux siècles. Aujour- d'hui plusieurs causes modifient l'usage de cette langue à l'étranger et l'habitude s’est introduite, à peu près par- tout, que chacun parle sa langue. C’est donc une période de confusion dans laquelle nous sommes entrés. Ce qu'on croit nouveau, dans un pays, ne Fest pas pour ceux qui lisent des ouvrages dans une autre langue. On a beau étu- dier de plus en plus les langues vivantes, on connaît tou- jours tard et incomplétement ce qui se publie à l'étranger. Peu de personnes savent bien plus de deux langues, et quand on veut dépasser une certaine limite en fait de connaissances linguistiques, le temps manque pour autre chose, car il y à un degré où l’étude des moyens de savoir empêche d'apprendre. Les discussions et les conversations polyglottes ne répondent pas aux intentions de ceux qui les recherchent. Elles sont trop obscures. Il arrive trop souvent qu'on répond tare pour barre. Je suis persuadé qu'on sentira de plus en plus les inconvénients d'un pa- reil état de choses. Je crois aussi, d’après l'exemple du orec dans l'empire romain et du français dans les temps modernes, qu'une langue dominante s'impose presque toujours. Certaines nécessités y ramènent, après une pé- riode d'anarchie. Pour le comprendre il faut réfléchir aux causes qui font préférer une langue, et à celles qui en propagent l'emploi, malgré les défauts qu'elle peut avoir. Ainsi, aux XVIlre et XVIIe siècles, il existait des motifs pour faire succéder le français au latin dans toute l'Europe. C'était une langue, parlée par une grande pro- portion des hommes instruits de l'époque: une langue assez simple et fort claire. Elle avait l'avantage d’être voi- sine du latin, qu'on connaissait à merveille. Un Anglais, un Allemand avait tout naturellement appris la moitié du français en apprenant le latin. Un Espagnol, un [italien en savait d'avance les trois quarts. Si l’on soutenait une discussion en français, si lon publiait ou traduisait dans cette langue, tout le monde comprenait. Dans le siècle actuel la civilisation s'est beaucoup étendue au nord de la France et la population S'y est augmentée plus qu'au midi. L'emploi de la langue an- glaise à doublé par le fait de l'Amérique. Les sciences sont de plus en plus cultivées en Allemagne, en Angle- terre, dans les pays scandinaves et en Russie. Le centre de gravité scientifique s’est avancé du midi vers le nord. Sous l'empire de ces conditions nouvelles une langue ne peut devenir dominante que si elle réunit deux carac- LANGUE DOMINANTE. 295 tères : 1° Avoir assez de mots ou de formes germaniques: et latines pour être à la portée, à la fois, des Allemands et des peuples de langue latine, 2 Être parlée par une ma- jorité considérable des hommes civilisés. — Outre ces deux conditions essentielles, il serait bon, pour le triom- phe définitif d’une langue. qu'elle eût aussi des qualités de simplicité grammaticale, de brièveté et de clarté. 296 LANGUE DOMINANTE. L'anglais est la seule langue qui puisse, dans emquante ou cent ans, offrir toutes ces conditions réunies. C’est une langue moitié germanique et moitié latine, Elle a des mots allemands, des formes allemandes, avec des mots français et une construction de phrases fran- aise. Elles est une transition entre les principales lan- ques usitées aujourd'hui dans les sciences, comme Je français l'était jadis entre le latin et plusieurs des langues modernes. L'extension future de la langue anglo-américaine est évidente. Elle sera imposée par le mouvement des popu- lations, dans les deux hémisphères. En voici la preuve. qu'il est facile de donner en peu de mots et peu de chif- fres. Dans le moment actuel on parle ‘: Anglais. POPULATION millions En Angleterre . "77" Aux États-Unis 114 NMNNMESESNENEIEER ns Au Canada, étc. (DOMINION) RER He Dans l'Australie et la Nouvelle-Zélande . A Total RTE Allemand. En Allemagne et dans une partie de: lAu- triche ‘2°. 7 TEEN En Suisse (partie allemande). . . . . . . 2 Total.) ASS ! Almanach de Gotha pour 1871. LANGUE DOMINANTE. 297 Francais. POPULATION D. millions D En France. . cr EN JONLAS En Belgique LS oo Bou e0 5000208 = En Suisse (partie française) . ge En Algérie et dans les colonies. . . . . . . 1 0088 NE SRE As Dee À D'un autre côté, d’après les accroissements qui ont eu lieu dans le siècle actuel, on peut _ estimer que la pose augmentera comme suit !: En Angleterre, elle double en 50 ans, donc elle sera dans un siècle. en 1970, de. . . . . . 124 Aux États-Unis, au Canada, en Australie, elle . double en 25 ans, donc elle sera de . . . . . . 736 (4 | Total probable de la langue anglaise en 1970. . 860 | En Allemagne, la population du Nord dou- ble en 56 à 60 ans: celle du Midi en 167 ans. Supposons 100 ans pour la moyenne. Elle sera . probablement en 1970, pour les pays de langue | D... . . 124 _ Dansles pays de langue française, la popu- . lation double à peu près en 140 ans. En 1970, on aura done probablement pour la langue fran- LL... LYS ET C4 1 Almanach de Gotha pour 1870, p. 1039. 298 LANGUE DOMINANTE. Ainsi les trois langues principales parlées aujourd'hui le seront dans un siècle avec les progressions suivantes : La langue anglaise aura progressé de 77 à 860 millions. » allemande ) 62 à124 » » française ) 401, 009% Les individus parlant allemand formeront là 7% partie et ceux parlant français la 12% où 43% partie de ceux de langue anglaise, et tous ensemble ne formeront pas le quart des individus parlant anglais! Les pays allemands ou français seront alors vis-à-vis de ceux de langue an- olaise, comme aujourd'hui la Hollande ou la Suède à lécard d'eux-mêmes. Je suis loin cependant d'avoir exa- oéré l'accroissement des populations anglo-australi-amé- ricaines. D'après la surface des pays qu'elles occupent, elles continueront d'augmenter dans une forte proportion pen- dant longtemps. La langue anglaise est d'ailleurs plus répandue que toute autre en Afrique et dans l'Asie méri- dionale. L'Amérique et l'Australie ne sont pas, j'en con- viens, des pays où la culture des lettres et des sciences soit aussi avancée qu'en Europe, et il est probable que, pour longtemps encore, l'agriculture, le commerce et Pin- dustrie y absorberont les forces les plus actives. Je le reconnais. Mais ce n’est pas une raison pour qu'une masse aussi considérable d'hommes intelligents et in- struits ne pèse pas d’un poids décisif dans le monde en sénéral. Ces peuples nouveaux, d'origine anglaise, sont mêlés d’Allemands, qui compensent les Irlandais sous le rapport des dispositions intellectuelles. Ils ont en général de l’ardeur pour apprendre et pour appliquer les décou- vertes. [ls lisent beaucoup. Les ouvrages publiés ou traduits en anglais auront, dans une immense population, un trés-arand débit. Ce sera un encouragement pour les écri- LANGUE DOMINANTE. 299 vains et les traducteurs que n1 l'allemand ni le français ne pourront offrir. Nous savons, en Europe, à quel degré la publication des livres sérieux est difficile. Mais, ouvrez à la librairie un immense marché et les ouvrages les plus spéciaux pourront se vendre. Lorsque les traductions seront lues par dix fois plus de personnes, il est évident qu'on en fera davantage, et ceci ne contribuera pas peu à rendre la langue anglaise prépondérante. Aujourd'hui déjà beau- coup de personnes parlant français achètent des traduc- tions en anglais d'ouvrages allemands, de même que les Italiens achètent des traductions en français. Si les Hbrai- res anglais ou américains avaient l'idée de faire traduire dans leur langue ce qu'on publie de meilleur en russe, en suédois, en danois, en hollandais, eic., ils satisferaient un public dispersé dans tous les pays, en parüculier les nom- breux Allemands qui savent l'anglais. Nous ne sommes pourtant encore qu'au début de la prépondérance numé- rique des populations parlant anglais. La nature d’une langue ne semble pas, au premier aperçu, influer beaucoup sur sa diffusion. On à préféré le français pendant deux siècles, et cependant Pitalien était une langue tout aussi claire, plus élégante, plus har- monieuse, plus rapprochée du latin et qui avait depuis longtemps une littérature remarquable. Le nombre, l'ac- üvité des français, la position géographique de leur pays, sont ce qui à décidé. Toutefois les qualités d'une langue, surtout les qualités préférées par les peuples modernes. ne sont pas sans avoir de l'influence. On aime aujour- d'hui la briéveté, la clarté, la simplicité grammaticale. Les nations, du moins celles de notre race imdo-euro- péenne, ont commencé par parler d'une manière obscure, compliquée ; en avançant elles ont précisé, simplifié, Le sanscrit et le basque, deux langues très-anciennes, sont 300 LANGUE DOMINANTE. excessivement compliquées. Le grec et le latin le sont à un moindre degré. Les langues dérivées du latin ont re- vêtu des formes plus claires et plus simples. Je ne sais comment les philosophes expliquent le phénomène de la complication des langages à une époque ancienne, mais il est incontestable. Les simplifications ultérieures se comprennent mieux. Lorsqu'on à trouvé une manière plus simple et plus commode d'agir où de parler, on la préfère. D'ailleurs la civilisation augmente l'activité indi- viduelle, et celle-ci exige des mots courts et des phrases courtes. Le progrès des sciences, le contact fréquent de personnes qui parlent des langues différentes et ont de la peine à s'entendre, conduisent à un besoin de clarté de plus en plus impérieux. 1 faut vraiment avoir été élevé dans les colléges classiques pour ne pas trouver ridicule la construction d'une ode d'Horace. Traduisez-la exacte- ment à un industriel illetiré, en conservant à chaque mot sa place : elle lui fera l'effet d'un édifice dont la porte d'entrée est au troisième étage. Ce n'est plus une langue possible, même en poésie. Les langues modernes n'ont pas toutes au même degré les avantages de clarté, simplicité et brièveté qu'on re- cherche aujourd'hui. Le français a des mots moins longs que italien et des verbes moins compliqués. C’est probablement ce qui à contribué en partie à son succès. L’allemand n'a pas subi l’évolution moderne de commencer chaque phrase où par- tie‘de phrase par le mot principal. Il coupe encore des mots en deux, et il en disperse les fragments. Il à trois venres, tandis que l'italien et le français en ont deux. Il a des conjugaisons de verbes assez compliquées. Les ten- dances modernes pèsent pourtant sur les Allemands et il est aisé de voir qu'ils modifient un peu leur langage. Les LANGUE DOMINANTE. 30! auteurs scientifiques surtout se mettent à employer les touruures directes et les phrases courtes des autres nations, de même qu'ils ont abandonné les caractères vothiques d'imprimerie. S'ils correspondent avec des étrangers ils ont souvent la politesse d'écrire en lettres latines. Hs im- woduisent volontiers dans leurs rédactions des termes tirés des langues étrangères ou du latin. Ce sont des mo- difications, tantôt de fond et tantôt de forme, qui témoi- agneni de l'esprit moderne, et du jugement éclairé des hommes instruits, si nombreux en Allemagne. Malheureu- sement les modifications de forme n'ont pas beaucoup d'importance et celles de fond se produisent lentement. L'anglais, plus pratique, coupe les phrases et les mots. Il s'empare volontiers de mots étrangers, comme lalle- mand, mais de cabriolet 1 fait cab, de memorandum 1 fait mem. E n'a que les temps indispensables et naturels : le présent, le passé, le futur et le conditionnel. 1 n’a aucune distinction arbitraire de genres. Les objets animés, sont masculins ou féminins: les autres sont neutres. La con- struction ordinaire est si bien de commencer par l'idée principale, qu'on peut se dispenser souvent dans la con- versation d'achever les phrases. Il y à encore certaines inversions germaniques, mais dans les modifications de mots, plus que dans les phrases. Le défaut capital de l’an- glais, son infériorité à l'égard de l'allemand ou de l'italien, est une orthographe absolument irrégulière, tellement absurde qu'il faut un an de plus aux enfants pour ap- prendre à lire ‘. La prononcialion est peu articulée, peu ? Surpris, une fois, de la lenteur avec laquelle des enfants anglais, intelligents, apprenaient à lire, j’ai voulu en savoir la raison. Cha- que lettre a plusieurs sons, ou si l’on veut chaque son est écrit de plusieurs manières. On est donc obligé d’apprendre la lecture mot par mot. C’est affaire de mémoire, à peu près sans règle. 302 LANGUE DOMINANTE. définie. Je n'irai pas jusqu'aux imprécations amusantes de Me Sand sur ce point, mais il y a du vrai dans ce qu'elle a dit. Les voyelles ne sont pas assez distinctes. Du reste l'anglais, selon la remarque du même habile éeri- vain, est une langue claire, aussi claire que toute autre, du moins quand les Anglais veulent bien relire leurs ma- nusériis, ce qu'ils ne font pas toujours. Ils sont si pres- sés ! Les formes de l'anglais sont adaptées aux tendances modernes. Faut-il hêler un vaisseau, crier stop à un train, démontrer une machine, faire une expérience de physique, parler en peu de mots à des gens pressés et pratiques, c'est la langue par excellence. Relativement à l'italien, au français et surtout à l'allemand, l'anglais fait l'effet, à ceux qui parlent plusieurs langues, du plus court chemin d'un point à l’autre. Je l'ai constaté dans des familles où l’on sait également bien deux langues. comme il y en à souvent en Suisse. Lorsque les deux langues sont lalle- mand et le français, ce dernier l'emporte presque toujours dans usage. Pourquoi ? demandai-je à un Suisse allemand établi à Genève. « Je ne sais, me répondit-il d’abord : Chez moi nous parlons allemand, pour habituer mon fils à l'allemand, mais 1l retombe toujours dans le français de ses camarades. Le français est plus court, plus com- mode. » Avant les événements de 1870, un grand indus- triel d'Alsace envoyait son fils étudier à Zurich. Je fus curieux d'en connaître le motif. « Nous ne pouvons pas, me dit-il, amener nos enfants à parler l'allemand, qu'ils savent pourtant comme le français. J'ai voulu y obliger mon fils en le mettant dans une ville où personne ne parle français. » A de pareilles préférences il ne faut pas chercher des causes de sentiment ou de fantaisie. Quand un homme a le choix de deux passages, l’un dron LANGUE DOMINANTE. 305 et ouvert, l’autre courbe et quelque peu embarrassé, 1l prend, pour ainsi dire sans réflexion, le plus court et le plus commode. J'ai vu aussi des familles dans lesquelles les deux langues connues au même degré étaient l'anglais et le français. Dans ce cas l'anglais se maintient, même en pays de langue française. Il passe quelquefois d’une géné- ration à l’autre. On l'emploie quand on est pressé, quand on veut dire nettement et brièvement quelque chose. La ténacité des familles françaises ou anglaises établies en Allemagne à parler leurs langues, et la disparition rapide de l'allemand dans les familles allemandes établies dans les pays français où anglais, s'expliquent par la nature des langues, plus que par des influences de mode où d'é- ducation. Règle générale : Dans le conflit de deux langues, toutes choses d'ailleurs égales, €’est la plus brève et la plus simple qui l'emporte. Le français bat Pitalien ef l'allemand, l'anglais bat les autres langues. Inutile d'ail- leurs de rappeler que plus une langue est simple, plus 1l est aisé de l'apprendre, et plus vite on parvient à la pos- séder au point d'en profiter réellement. L'anglais à un autre avantage dans Fintérieur des familles. C’est la langue dont la littérature convient le mieux aux femmes, et chacun sait combien les mères In- fluent sur le langage des enfants. Non-seulement elles leur apprennent la langue dite maternelle, mais encore, quand elles ont de l'instruction, elles se plaisent à parler en lan- gue étrangère. Elles le font avec gaité, avec grâce. Tel jeune homme qui trouve son maitre de langue bien pé- dant, sa grammaire bien ennuyeuse, n'a pas la même impression lorsque sa mère ou sa sœur où une amie de sa sœur s'adresse à lui dans une langue étrangère. Ce sera souvent en anglais, par une raison excellente. Aucune lan- gue n’est aussi riche en ouvrages. écrits avec une parfaite 304 LANGUE DOMINANTE. convenance, sur des sujets qui intéressent les femmes : religion, éducation, romans, mémoires, poésie, etc. La prépondérance future de la langue des Anglais, Australiens et Américains me parait donc assurée. La force des choses y conduit et la nature propre du langage accélère ce mouvement. Les peuples qui parlent anglais se trouvent ainsi char- és d'une responsabilité, qu'il est bon de leur faire aper- cevoir dès à présent. C'est une responsabilité morale, vis- à-vis du monde civilisé des siècles prochains. Leur devoir, comme leur intérêt, est de maintenir l'unité actuelle de la langue, tout en admettant les mo- difications nécessaires où heureuses, qui seraient faites d'un commun accord, sous l'influence d'écrivains émi- nents ou de conventions discutées convenablement. Le danger à redouter est que l'anglais ne se brise, avant un siècle, en trois langues, qui seraient relativement les unes aux autres comme l'italien, l'espagnol et le portugais, ou comme le suédois et le danois. Quelques auteurs anglais ont la manie de forger des mots nouveaux. Dickens en à fait beaucoup. Cependant l'anglais a déjà plus de mots que le francais et l'histoire de sa littérature montre qu'il à plus besoin d'en supprimer que d'en ajouter. Aucun écri- vain, depuis trois siècles, n'a employé, à beaucoup près, autant de mots différents que Shakespeare: done il y en avait une foule d’inutiles. Probablement chaque idée et chaque objet avait autrefois un terme d’origine saxonne et un d’origine latine ou française, sans parler de mots celtes où danois. L'opération très-logique du temps à été de supprimer les doubles et triples mots. Pourquoi en rétablir? Un peuple aussi économe de paroles n'a pas besoin de plus d'un mot pour une chose *. ! Un écrivain anglais, qui est pourtant un homme d’esprit, vient LANGUE DOMINANTE. 305 Les Ainéricains de leur eôté innovent dans les mots, l'accent et l'orthographe ". Les Australiens en feront au- tant, s'ils n’y prennent garde. Pourquoi n’auraient-ils pas tous la noble ambition de donner au monde une langue uniforme, concise, appuyée sur une immense littérature, et parlée, dans le siècle prochain, par 800 millions ou un milliard d'hommes civilisés? Ce serait pour les autres langues comme un vaste miroir dans lequel chacune vien- drait se réfléchir, grâce aux journaux et aux traductions, ettous les amis de la culture intellectuelle auraient un moyen commode pour s'entendre. Ce serait rendre un immense service aux races futures, et en même temps les savants et les littérateurs parlant anglais donneraient . une forte impulsion à leurs propres idées. Les Améri- eains surtout sont intéressés à la stabilité, puisque leur pays sera le plus important de ceux de langue anglaise. Comment pourraient-ils mieux influer sur la vieille An- gleterre qu'en parlant exactement sa langue ? La liberté d’allure des races anglaises risque de pro- duire assez vite une division linguistique. Heureusement certaines causes qui ont brisé la langue latine n'existent pas pour les populations anglaises. Les Romains avaient soumis des peuples dont les idiomes se maintenaient ou reparaissaient çà et là, en dépit de l’unité administrative. Les Américains et Australiens, au contraire, n’ont de- vant eux que des peuplades sauvages qui disparaissent sans laisser aucune trace. Les Romains ont été conquis …— et morcelés par les barbares. De leur ancienne civilisation de publier un volume sur les institutions du peuple qu’on appelle Swiss en anglais. Il le nomme Switzers. A quoi bon ? Y aura-t-il bien- tôt des Deutschers ? 1 Ils écrivent presque toujours labor, harbor, au lieu de labour, harbour. 20 306 LANGUE DOMINANTE. il ne resta aucun moyen d'unité, si ce n'est l’église, qui elle-même subissait l'influence du déclin de toute chose. Les Américains et Australiens ont des écoles multi- pliées, florissantes. [Is ont la littérature anglaise, outre la leur. Ils peuvent influer, s'ils le veulent, dans le sens de maintenir l'unité de la langue. Certaines circonstances le leur permettent. Ainsi, les instituteurs et les professeurs sortent en majorité des États de la Nouvelle-Angleterre. Si ces hommes influents comprennent le rôle futur de leur pays, ils porteront leurs efforts sur la transmission exacte de la langue: 1ls suivront les écrivains classiques et repousseront les expressions et les innovations locales. En fait de langage, le patriotisme bien entendu, ou, si l’on veut, le patriotisme d’un Américain très-ambitieux pour son pays, doit être de parler l’anglais des Anglais, d'imiter la prononciation des Anglais, et de suivre leur orthographe bizarre, jusqu'à ce qu'ils la changent. S'ils obtiennent cela de leurs compatriotes ils auront rendu, pour l'avenir, à toutes les nations et à la leur, un service incontestable. L'exemple de l’Angleterre prouve l'influence de l'in- struction sur l'unité du langage. C’est le contact habituel des gens instruits et la lecture des mêmes ouvrages qui ont fait disparaître peu à peu laccent et les mots écos- sais. Encore quelques années et la langue sera uniforme dans toute la Grande-Bretagne. Les principaux journaux, rédigés par des hommes instruits, exercent aussi une influence heureuse dans le sens de l’unité. Il y a des pages du Times écrites dans la langue de Macaulay et de Bulwer. Des millions de personnes les lisent, et 1l en reste une impression qui maintient le public dans de bonnes habitudes littéraires. L'Amérique n’a pas une presse aussi lettrée, mais ses écoles atteignent toute la population, LANGUE DOMINANTE. 307 et ses universités comptent des professeurs extrêmement savants dans la spécialité de la langue anglaise. Si jamais l'opinion des deux pays s’ébranlait dans le sens de faire subir des modifications à l’orthographe ou même à la langue, une réunion de délégués des principales univer- sités des trois royaumes, d'Amérique et d'Australie serait excellente pour discuter et proposer. Elle aurait sans doute. le bon sens de ne pas vouloir beaucoup innover et grâce à une action commune elle obtiendrait probablement d'être suivie. Quelques modifications, dans l’orthogra- phe seulement, rendraient la langue anglaise plus facile pour les étrangers et contribueraient à maintenir dans les pays anglo-américains l'unité de prononciation *. 1 J’orthographe française n’a pas les anomalies de l’anglaise ; cependant on a senti, de temps en temps, le besoin de la régulariser et de la rapprocher de la langue parlée. Voltaire, dans le siècle dernier, usant de sa grande influence, a fait passer des modifications qui sont restées. Il à réussi, parce qu’il à proposé des changements peu nombreux et judicieux. À la même époque, un naturaliste qui avait du génie, mais plus d’originalité encore que de vrai génie, Adanson, publiait un livre dans lequel toute l’orthographe était changée. Chaque son était représenté d’une seule manière. Il y avait en tête une Préface sstorike sur l’état de da botanile et une téorie de cette science. Les plantes étaient ranjées dans cet ouvraje d’après une nouvele et bone métode, etc. L’auteur à montrait de l’espri, mais l’esprit ne suffit pas à tout, quoi qu’en dise le proverbe. De nos jours, on à proposé des changements analogues, sans se douter qu’en 1763 l’auteur de l’ouvrage intitulé Familles des plantes (2 vol. in-8), avait échoué pour avoir trop innové et parce qu’il n’avait pas l’appui d’un auteur populaire ou d’associations composées de manière à en- traîner le public. s NE Te dt OI fe CR TE SL ns SJ r. = x ? 27: I y SUR LA PART D'INFLUENCE L'HÉRÉDITÉ, LA VARIABILITÉ ET LA SÉLECTION le développement de l'espèce humaine et sur l'avenir probable de cette espèce ‘. A une époque où M. Darwin venait de publier son premier ouvrage sur la sélection, je profitai d’un travail spécial de botanique pour énoncer une opinion sur cette ! Je comprends ici tous les hommes sous l’expression espèce hu- maine, et voici pourquoi. La définition du mot espèce est devenue assez arbitraire, chaque naturaliste pouvant s’attacher à tel ou tel des caractères qui ont été proposés pour distinguer la race, l’espèce, le sous-genre et le genre. On tombe aisément d’accord sur la défini- tion suivante: lespèce est un groupe intermédiaire cntre la race et le sous-genre ou genre, — mais C’est trop vague pour les besoins de la science. Il y a deux moyens d’arriver à quelque chose de plus pré- cis. Le premier est de suivre Linné, qui a eu le mérite d’associer les formes héréditaires (races) sous le nom d’espèce. Il a créé, en quel- que sorte, ce nom, car il aurait pu appeler « catégorie » ou « genre » ou « sorte » ce qu’il a nommé espèce. Ceux qui trouvent utile de ne pas changer le sens des mots, et je suis du nombre, sont conduits à employer le mot espèce, comme Linné. Par exemple, l’homme (Homo sapiens) comprendra tous les hommes. L’autre moyen est de consi- dérer comme appartenant à une même espèce toutes les formes d’ê- tres qui peuvent se croiser, et dont le croisement donne des produits | | | AT SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. 309 nouvelle théorie. Dans un article souvent reproduit ‘, je montrai les espèces du genre Chêne comme ayant des limites assez vagues et des formes assez variables. Je fis sentir ce qu'il y a de nécessaire et incontestable dans le principe de la sélection, et j’insistai sur les explications qu'on pouvait en tirer pour des phénomènes jusqu'alors inexplicables. En même temps je fis ressortir les causes qui combattent la divergence des formes dans une série de générations, par exemple l'atavisme, la fécondation entre individus plus ou moins éloignés de la forme moyenne, enfin la loi du balancement des organes et des fonctions. Je concluais dans le sens d’une extrême len- teur de la sélection et d’un effet total médiocre pour la plupart des espèces. Je disais en particulier : « Les races « humaines sont instructives à ce point de vue. Assuré- « ment les anciens Hébreux, Grecs et Romains, les hom- « mes de la race blanche, ont bien lutté, soit individuelle- « ment, soit collectivement. Les plus faibles au point de « vue physique ou intellectuel ont toujours eu un dés- « avantage, les plus forts physiquement et moralement, « l'ont toujours emporté: et cependant, soit pour l’intel- « ligence, soit pour la beauté physique, la force et la « santé, on ne peut pas dire qu'il y ait une différence féconds. Cette manière de voir conduit aussi à regarder toutes les races et sous-races d'hommes comme appartenant à un seul groupe spécifique. L'origine des hommes est trop obscure, trop ancienne, pour qu’on puisse la faire servir à une définition, et, sur ce point, il est curieux de voir la science moderne se rapprocher des vieilles idées théologiques. En effet, selon les opinions qui règnent aujour- d’hui sur la filiation des êtres, une origine unique pour tous les hommes paraît non-seulement possible, mais probable. Il n’en était pas de même à l’époque de Cuvier; seulement les faits et la théorie prouvent qu’une origine commune doit avoir été bien plus ancienne que les cinq, six ou sept mille ans dont on parlait autrefois. ? Voir la note ci-dessus, p. 8. Tr das Esp dr HR Fa DSP PIRE NT ME } : : SÉLECTION DANS L’ESPÈCE HUMAINE. « évidente entre les modernes et les anciens. On peut « croire même qu'elle est nulle, car les uns l’estiment « dans un sens, les autres dans l’autre. » Après avoir effleuré ce genre de considérations, je comp- tais y revenir. J'avais même rédigé un article assez étendu sur l’hérédité et la sélection dans l'espèce humaine, lors- que plusieurs ouvrages ayant paru coup sur coup dans lesquels la question est fort bien traitée, je me suis de- mandé s’il convenait de publier une partie quelconque de mon travail. Ces ouvrages ont été surtout ceux de MM. Wallace ‘, Herbert Spencer * et Galton *, résumés et complétés en 1871 par M. Darwin, dans le premier volume de son ouvrage sur l’origine de l’homme *. Les opinions de ces écrivains ingénieux ont été discutées dans de nombreux articles des revues anglaises. En Allemagne, l’école darwinienne s’est occupée simultanément des mêmes questions, mais plutôt sous le rapport des êtres organisés en général que sous celui de l’espèce humaine en particulier et surtout de l’homme civilisé. Je citerai cependant la 3m et la 4e conférence du docteur Büchner, faites de 1866 à 1868, où sont indiquées et discutées les opinions de plusieurs naturalistes allemands ”. Il m'a semblé, au premier aperçu, fort inutile de m'occuper 1 Wallace, dans Anthropological review, mai 1864, et dans Quar- terly review, avril 1869, reproduits dans son volume Contribution to the theory of natural selection, 1870, dont la traduction en français, par M. Lucien de Candolle, vient de paraître (1 vol. in-8°; roue 1872, chez Reinwald). 2? Herbert Spencer, Principles of biology; 2 vol. in-8°. London, 1867. Voir vol. If, p. 446 à 508. 3 Galton, Hereditary genius. 1 vol. in-8°. London, 1869. # Darwin, The descent of man. 2 vol. in-8°. London, 1871; tra- duit en français, par M. Moulinié. 5 Büchner. La traduction française, approuvée par l’auteur, à paru en 1869, à Paris, chez Reinwald. SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. 11 dans ce moment de ces sujets; cependant, en relisant mon manuscrit, } ai vu quil différait sur plusieurs points des ouvrages anglais et allemands. La méthode d'exposition . n'est pas la même; les opinions ne sont pas toujours semblables, et certaines questions à peine touchées par les auteurs s’y trouvent développées. J’ai supprimé plusieurs feuillets qui auraient été de simples répétitions. D’autres _ont été conservés, parce qu'ils traitent de sujets dont on s'est moins occupé, ou que mes conelusions diffèrent de celles des auteurs. Peut-être aurais-je mieux fait de supprimer en entier le premier article, sur lhérédité et l'instinct. Il ne contient à peu près rien de nouveau, du moins pour les naturalistes. Une immense quantité de faits relatifs à ces questions importantes ont été exposés et discutés naguère par le docteur Prosper Lucas *, ou plus récemment par M. Darwin, dans ses trois ouvrages - fondamentaux, sans parler d’autres écrivains de tous les - temps et de tous les pays. Mais c’est précisément l’abon- dance des documents qui m'a fait conserver, pour l'usage des lecteurs autres que les médecins et les naturalistes, . un résumé bref, assez concluant ce me semble, dans le- quel sont condensées les opinions ordinaires des hommes spéciaux sur ces questions. J'ai voulu surtout montrer que, pour l’hérédité, de nouveaux exemples ont peu d’impor- tance s'ils n’ont été bien observés, et qu'après tout, le raisonnement conduit à des conclusions assez sûres, grâce à la multitude des faits déjà connus. J'ai eru devoir rap- peler aux naturalistes modernes une source importante de diversité dans les générations successives : l'état tempo- ! Lucas, Traité philosophique et physiologique de l’hérédité na- turelle dans les états de santé et de maladie du système nerveux. 2 vol. in-8°. Paris, 1847. JR ne 912 SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. raire des parents au moment de la conception et celui de la mère dans la période qui suit immédiatement. L'ordre dans lequel j'ai traité le sujet si compliqué dela sélection m'a fait voir certains points de vue qui avaient échappé, par exemple celui des classes de nos sociétés ci- vilisées. Sur le mouvement des populations et l’extinc- tion des familles nobles ou autres, j'ai relevé une singu- hère erreur qui à échappé aux statisticiens. Enfin, dans les considérations relatives à l'avenir de l’espèce humaine, je me suis éloigné des idées de plusieurs savants anglais, et J'espère avoir indiqué des aperçus basés sur ce qu’on observe actuellement, sans m’aventurer dans le domaine de pures hypothèses. SECTION I Hérédité et diversités d’une génération à l’autre. L’hérédiié des facultés physiques, morales et intellec- tuelles dans l'espèce humaine à donné lieu souvent à des idées fausses ou exagérées. Pour faire comprendre la nature de ces erreurs et pour limiter le champ des ques- tions véritablement obscures et contestables, il faut com- prendre d’abord comment on doit observer les faits, et quelles personnes peuvent les bien observer. La ressemblance des enfants avec leurs parents, se montre surtout, et dans certains cas se montre seulement, à un âge déterminé. Il faut avoir connu un père, une mère, à l’âge où l’on observe leurs enfants, ce qui sup- pose 25 ou 30 années de distance entre les époques SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. 315 - d'observation. Il est bon aussi d’avoir connu d’autres as- _ cendants ou parents, car un individu ressemble quelque- fois à son aieul ou à son aïeule, à son bisaïeul ou à sa bisaïeule, et même à un oncle, à un parent plus éloigné, chez lesquels se sont montrés peut-être plus clairement certains caractères de la famille. Ce sont par conséquent les personnes âgées qui doivent le mieux constater les ressemblances, et ces personnes doivent aussi être douées de l'esprit d'observation et d’une mémoire suffisante. Il est à désirer que, par la nature de leurs études ou de leur profession, elles aient été exercées à remarquer les faits dont il s’agit. Les naturalistes, les médecins, les artistes habitués à faire des portraits ressemblants, c’est-à-dire doués de plus de perspicacité que d'imagination, sont les individus dont le témoignage, dans ces sortes de choses, mérite confiance. Lorsqu'il s’agit de questions morales ou intellectuelles, les ecclésiastiques, les administrateurs, en savent quelquefois autant que les médecins. Je me suis laissé dire cependant qu'on est plus véridique avec ceux- ci qu'avec ceux-là, et qu'une consultation étant souvent plus spontanée et plus nécessaire qu'une confession, dé- voile mieux les faits et les penchants. En tout cas, je le répète, l’observateur doit être à la fois d’un certain àge. et digne par ses antécédents et ses habitudes d’un cer- _ tain degré de confiance. Je ne dis pas que dans le nombre des négociants, des militaires, des agriculteurs, on ne trouve des hommes qui observent bien ou même mieux que tel ou tel médecin, tel ou tel naturaliste, mais je parle ici de la moyenne des individus de chaque profession. Et si l’on doute de l'incapacité de la commune des hommes et des femmes pour juger sainement des ressemblances, J'invoquerai l'expérience, si souvent faite, de montrer un enfant où un portrait dans une réunion de famille. Com- 314 SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. bien d'idées différentes sur la ressemblance! Combien de discussions ! Évidemment les uns voient justes, les autres voient mal. Après l'observation pure et simple, ce qu'il y a de difficile, c'est de s'élever à un certain degré de généraki- sation qui ne soit ni faux, ni absolu. Les enfants peuvent ressembler tantôt à l'un, tantôt à l’autre de leurs parents ou même de leurs ancêtres, et tantôt d’une manière, tantôt d’une autre. Il faut savoir classer, coordonner et apprécier des faits aussi compliqués. Les naturalistes ont à cet égard un avantage incontestable, leur métier étant précisément de classer les êtres en raison de ressem- blances et de différences excessivement compliquées. Ils ont lhabitude de subordonner les caractères les uns aux au- tres, selon leur gravité. Par exemple, dans la question de savoir si un enfant ressemble plus à son père qu'à sa mère, ils feront attention à la forme générale du visage, du nez, du front, plutôt qu'à l'expression de la bouche lorsqu'elle sourit ou à la teinte des cheveux. Ils savent tenir compte de plusieurs ressemblances ou dissemblances à la fois, au lieu de conclure d’après celle qui frappe au premier abord. Laissons done de côté les réflexions si communes et quelquefois si erronées du publie dans ces sortes de choses, et voyons ce que les hommes doués des conditions nécessaires pour bien observer admettent, ou peuvent au moins présumer, en ce qui concerne l'hérédité dans l'espèce humaine. H y à d’abord chez les individus qui descendent les uns des autres, des ressemblances tellement frappantes et tellement évidentes qu’on ne peut guère les nier. On est obligé de les attribuer à l'hérédité, sans que l'influence de l'éducation ou de l'exemple des parents aient pu S'y SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. 315 mêler. Voici les cas dont je parle. Je les énumère en commençant par les plus apparents. 4° La forme extérieure de l’ensemble et de chaque organe, celle par conséquent des parties osseuses, la coloration de ia peau, de l’œil et des cheveux, présentent généralement des ressemblances dans les générations suc- cessives, ressemblances d’autant plus habituelles et d’au- - tant'plus marquées que la parenté est plus rapprochée. 2° Le tempérament sanguin, bilieux, nerveux ou Iym- phatique des parents se retrouve fréquemment chez les enfants. Ces termes sont un peu vagues, mais ils indi- quent pourtant une nature propre des organes intérieurs et de leur manière de fonctionner. Le son de voix trahit aussi quelquefois une ressemblance d'organes intérieurs dont on ne se douterait pas sans cela. Il en est de même de la disposition dans certaines familles à se développer promptement ou lentement, de la longévité, d’une fécon- dité plus ou moins habituelle chez les individus du sexe féminin. On a remarqué des familles dans lesquelles la naissance de jumeaux n'est pas rare. Tous ces faits tien- nent à des ressemblances internes que l'examen extérieur ne peut nullement indiquer. 3° Les maladies physiques ou mentales sont fréquem- ment héréditaires. On peut dire qu’elles le sont toutes jusqu'à un certain degré, pourvu qu'il ne s'agisse pas de maladies causées par des circonstances extérieures, comme les fièvres paludéennes. Il faut noter, et ceci est impor- tant, que l’état de maladie ne peut être distingué nette- ment de l’état de santé. Il n’y a peut-être point d'homme qui soit constamment dans un équilibre parfait au point de vue de la santé physique et de la santé mo- . rale et intellectuelle. Chacun commence et finit la vie par un état morbide et chacun, lorsqu'il se croit bien portant, EF DT 316 SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. a quelque tendance vers tels ou tels maux. Certaines tristesses ne sont qu’une hypochondrie légère; certaines passions telles que l'amour, la jalousie, la colère, l’am- bition, l’avarice, ne sont que des affections mentales, puisqu'elles dominent l'individu. Les affections bien ca- ractérisées étant héréditaires, pourquoi les affections moins intenses ne le seraient-elles pas à un certain degré? 4 Les gestes sont souvent héréditaires, et Je parle ici de ceux qui paraissent tout à fait spontanés et irréfléchis, non de ceux que l’éducation, limitation ou certaines habitudes prises ont pu déterminer. M. Darwin (Varia- tions, Chap. 12) en a cité des exemples curieux, auxquels j'ajouterai le suivant que j’ai entendu raconter à Oxford, en 4866, au célèbre chirurgien Sir James Simpson. « J'avais été appelé, disait-1l, pour les couches de la mar- quise de .... C’est moi qui annonçÇai au marquis la nais- sance du fils dont on parle beaucoup aujourd'hui. [f fut extrêmement content, et se frotta les mains, en les tordant d’une manière si particulière qu’elle me frappa. Douze ou quinze ans plus tard, je fus appelé de nouveau dans la famille pour une cause toute différente. Le marquis était mort peu de mois après la naissance de son fils, et celui-ci, par conséquent, n’avait pu conserver aucun souvenir de son père. Fappris qu’on avait fait de la peine au jeune homme en lui refusant la permission d'acheter une petite machine à vapeur. Je crus devoir demander à sa mère de revenir sur cette décision. Lorsque j'allai ensuite apprendre au jeune marquis la faveur qu’on lui accordait, il en ressentit une vive joie et, à ma grande surprise, je le vis se froiter et se tordre les mains exacte- ment comme le faisait son père. » Les gestes dépendent probablement de l'organisation SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. 317 intérieure et extérieure des individus, qui est hérédi- taire. [Il n’est donc pas étonnant que la démarche, la ma- nière de danser, de faire des armes, de jouer au billard ou à la paume, etc., se transmettent souvent par héré- dité, mais les mouvements par lesquels on exprime la joie, la douleur, la surprise ou tel autre sentiment, dé- pendent bien moins de la forme des organes, et nous venons de voir que, dans certains cas, ils ne dérivent pas de l’imitation. Ils paraissent, comme on dit, irré- fléchis, instincüfs : mais sous ces deux mots, combien de choses obscures et inconnues ! Si nous pouvions décom- poser le temps par millionièmes de secondes, et si nous avions la perception de ce qui se passe en nous dans ces périodes si courtes, ne verrions-nous point que tel acte qui nous paraît spontané, irréfléchi, est amené au con- traire par une sensation et une réflexion qui nous échap- pent? À vrai dire, spontané signifie, probablement, connu et exécuté dans un temps si court que nous ne pouvons pas le décomposer. Nous ne comprenons pas ce qui se passe dans un temps bref, comme nous ne voyons pas les rayons d’une roue quand elle tourne très-vite. Les physi- ciens ont imaginé des appareils pour apprécier des temps plus courts que ceux dont nous avons naturellement la perception; mais on à fait peu de progrès dans ce sens, et, au delà de ces progrès, au delà de ceux qu'on fera sans doute encore, il y a l'infini de la subdivision du temps. Le brouillard qui nous entoure s'éloigne un peu, mais l’homme sera forcément toujours environné de brouillards. 9° Le sentiment de la musique, c'est-à-dire une apti- tude à mesurer le temps et à distinguer les notes est une disposition de naissance chez beaucoup d'enfants, et une disposition dont on trouve l'origine clairement, dans 318 SÉLECTION DANS L’ESPÈCE HUMAINE. beaucoup de cas, chez le père, la mère ou les ascendants qui ont précédé. Quand les parents des deux côtés sont musiciens, presque toujours les enfants naissent avec l'oreille juste. Quand l’un des parents est seul musicien ou que dans l’une ou l’autre des familles cette qualité n'est pas ordinaire, on voit souvent des frères ou des sœurs différer sous ce rapport. L’aptitude musicale, dans ce cas, n’est pas fractionnée ou atténuée pour chacun des enfants, mais l’un a l'oreille juste, l’autre ne l’a pas. Or, l'impression causée par les sons est physique, mais la re- lation entre les sons et la mesure du temps est plutôt du domaine intellectuel. 6° La faculté de calculer, c’est-à-dire de comprendre rapidement et de manier, pour les comparer ou les com- biner, des valeurs numériques ou algébriques, paraît un peu héréditaire, comme l'appréciation des temps qui est la base de la musique. Cela résulte de l’histoire des ma- thématiciens (ci-dessus p. 408) et de l'observation faite souvent dans les écoles d'enfants doués d’aptitudes spé- ciales pour le calcul, indépendamment des qualités supé- rieures de raisonnement qui permettent à certains d’entre eux de devenir mathématiciens. Par les affections mentales, le calcul, le sentiment musical, les gestes appelés communément instinctifs ou irréfléchis, nous passons peu à peu des faits physiques aux dispositions morales et intellectuelles. On les croit souvent héréditaires, mais ce ne peut être qu’à un degré obscur et contestable, à cause des circonstances variées qui influent sur les individus, entre autres l'éducation, les exemples donnés et les réflexions personnelles à la suite d'observations, de lectures, ete. Le commun des hommes a toujours confondu ces diverses influences, les unes ori- ginaires, les autres subséquentes. J’ai essayé de les | | | SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. 319 démêler en examinant la statistique et les biographies des savants (Voir ci-dessus p. 95 à 142). Mais la masse du public regardera toujours certaines dispositions, certains caractères, certaines aptitudes ou incapacités, comme propres à des familles, ou aux classes de la société, lesquelles sont en quelque sorte de grandes familles, à cause des alliances. On pousse ordinairement cètte idée jusqu'au préjugé, dans ce sens qu'on admet le fait sans réflexion et sans preuves. On l’admet comme général, tandis qu'il faudrait distinguer : 4° chaque indi- vidu, à cause des nombreuses exceptions, et 2° chaque genre de facultés, parce que probablement certaines d’en- tre elles sont plus souvent héréditaires. Que ce soit l’édu- cation ou l’exemple ou l’hérédité ou tout cela ensemble qui détermine des différences entre les hommes, il n’en est pas moins vrai que tous les peuples ont eu, pendant la plus grande partie de leur existence, des monarchies et des aristocraties héréditaires. Même dans les pays et aux époques essentiellement démocratiques, il est surpre- nant de voir combien l’idée d’une transmission des opi- nions, des tendances et des capacités est admise par ceux même qui croient en être le plus affranchis. En France, après 1848, les fils ou petits-fils de conventionnels ont surgi partout, et les actes ou les opinions de leurs pères ont été pour eux des titres favorables. Il y a tel elub où le descendant d’un Robespierre, s’il en avait existé, aurait eu une place d'honneur et aurait été porté avec enthousiasme aux plus hautes charges. Dans la petite République où j'ai eu le loisir d'observer les hommes au milieu de beau- coup de révolutions, les comités électoraux, les électeurs et même les corps législatifs m'ont paru souvent recher- cher ou exclure les individus en raison de leurs noms, c'est-à-dire de leurs pères ou de leurs ancêtres, et même 320 SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. d'autant plus que ces comités, électeurs ou législateurs se disaient plus démocrates. Il y a des noms populaires et d’autres impopulaires. Donc le peuple croit à la trans- mission des idées, du caractère, des facultés morales et intellectuelles, sans distinguer ce qui tient à l'hérédité ou aux influences d'éducation et d'exemple, qui enveloppent ou dominent plus ou moins chaque individu, sans tenir compte aussi suflisamment des exceptions déterminées tantôt par des causes inconnues, tantôt par l'intelligence personnelle d'êtres qui observent et réfléchissent. L'homme est done soumis aux influences de l’hérédité, de l'éducation, de l'exemple des autres hommes, de l’in- telligence propre de chaque individu, à quoi 1l faut ajou- ter les circonstances physiques extérieures, comme le climat, l’action des lois, du gouvernement, des opinions religieuses, en général des institutions qui pèsent sur cha- que individu, en raison des tribunaux, ou par un effet des mœurs et d’une intolérance plus ou moins répandue. En cela, l’homme est semblable aux animaux, surtout aux animaux sociables, et plus particulièrement aux ani- maux à la fois sociables et domestiques. Seulement chez l’homme, l'intelligence à une part d'action d'autant plus grande pour chaque individu que ses réflexions sont éten- dues et fortifiées par celles des autres, au moyen des conversations et des lectures. Dans quelques espèces ani- males, l'exemple a plus de force que chez l’homme. On connaît l’histoire des moutons de Panurge. Quant à l’action d’un gouvernement, il ne faut pas croire qu'elle manque absolument chez les animaux. A l’état sauvage, ce sont les plus forts ou les plus expérimentés qui con- duisent, du moins dans les espèces sociales, et quand un troupeau de chamoïs place des sentinelles, pour être averti des dangers, il obéit bien à une organisation ana- a — SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. 321 logue à celle des tribus humaines. Dans les animaux do- mestiques, l'homme conduit les troupeaux, et en cela, suivant la remarque d'un ancien, les animaux sont plus heureux que nous, car ils sont dirigés et dominés par un être supérieur, tandis que les hommes sont gouvernés par des hommes. Au milieu de toutes les causes qui influent sur l'espèce humaine, quelle part faut-il attribuer à l'hérédité, en d’autres termes à l'instinct, puisque l'instinct n’est qu'une habitude héréditaire *? La réponse à cette question s’est trouvée difficile pour les animaux; elle l’est bien plus encore pour l'homme. Un naturaliste doué d'une grande sagacité, M. Wal- lace *, a montré comment beaucoup de faits attribués à Pinstinct chez les animaux, sont dus à l'éducation des petits par les parents ou à Fexemple. Les oiseaux chan- . tent par imitation et ils imitent quelquelois des espèces qui ne sont pas la leur. Ils construisent leurs nids par une action combinée de l'éducation, de l'exemple, des causes extérieures et de l'intelligence. En particulier, ils choisissent les matériaux en raison de ceux qui sont à leur portée, et en faisant attention aux accidents ou aux inconvénients qui peuvent en résulter. Quand l’homme arrive pour la premiére fois dans une île ou au fond de vastes forêts, il est étonné de voir que les animaux n'ont pas peur de Jui. Au bout de quelques années, au contraire, ? M. Asa Gray (American journal, septembre 1870) s'exprime d’une manière heureuse en disant : Znstinet briefly defined is a con- genital habit (l'instinct, défini en peu de mots, est une habitude congénitale). — On a dit aussi: L'instinct est une disposition à agir Sans imitation, ni expérience faite. ? Wallace, Contributions to the theory of natural selection. 1 vol. in-8°; London, 1870, p. 201. — Traduit en français; Paris, 1872. 21 "2-2 EE CE 322 SÉLECTION DANS L’ESPÈCE HUMAINE. ils sont devenus craintifs. Sur nos Alpes, les papillons viennent autour de l'homme: ils se posent volontiers, par exemple, sur les robes multicolores des dames, tandis que dans la plaine ils sont craintifs. Est-ce l'expérience per- sonnelle de chaque animal qui le rend prudent, à mesure qu'il connait mieux la méchanceté de Phomme? Ou bien cette expérience est-elle accrue par hérédité, et même par hérédité et sélection, chaque génération ayant perdu successivement de bonne heure, les individus trop con- fiants, et s'étant recrutée surtout par les plus défiants ? On n'a peut-être pas assez observé jusqu'à présent pour pouvoir répondre à ces questions. M. Darwin croit sur- tout à l’hérédité, devenue un instinct, et à la sélection, M. Wallace réduit singulièrement l’insünct, jusqu'à le mer presque complétement. Une jeune hirondelle, en automne, se précipite vers l'Afrique, au travers de la mer Méditerranée. Est-ce par- ce que ses parents et ancôtres l'ont fait et lui en ont trans- mis le désir instinctif, lequel se manifesterait au moment où la température change ? Ou bien l'oiseau suit-il l’exem- ple donné par les autres de son espèce, qui ont déjà presque tous fait le voyage? Pour le savoir, il faudrait retenir, séparées les unes des autres, de jeunes hirondelles, nées en Europe, et les lâcher isolément. Encore même, si elles se dirigeaient vers l'Afrique, on pourrait dire qu'elles ont remarqué le côté du midi comme étant le plus chaud, et qu'à l'approche du froid, elles vont au midi par réflexion. Les chiens amenés d'Europe au Brésil ne savaient pas chasser le tatou. Ils ont su le faire après quelques générations. En général les chasseurs admettent que « bon chien chasse de race. » Mais l'homme n'a-t-il pas dirigé les chiens vers telle ou telle manière de chasser ? N'a-t-1 * SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. 323 pas éliminé, de génération en génération, les individus médiocres et propagé la race par les meilleurs? Dans tous ces Cas, On peut pourtant affirmer que l'oiseau naît pou- vant chanter, à cause de l'organisation de ses prédéces- seurs, et qu'il est disposé à imiter, ce qui est bien de l'instinct. L'enfant peut parler, à cause de la nature de sa bouche, et quand il apprend une langue,'on voit qu'il est né avec'une disposition à imiter. Le chien naît avec une disposition à chasser. Beaucoup d'oiseaux s’agitent par moments dans leur cage, où ils ne manquent de rien, donc ils ont une disposition native à changer de lieu. Sans doute, dans l'espèce humaine, ce qu'on peut attri- buer à l'instinet est plus douteux, plus obscur et plus limité que parmi les animaux. Cependant, il Y à des ten- dances héréditaires qui sont positives. Il existe une cer- taine hérédité, non-seulement. des formes, mais, comme nous le disions tout à l'heure, des tempéraments, des gestes, des maladies physiques et mentales, de lapprécia- tion des temps et des sons musicaux. Si une disposition à la colère est liée au tempérament sanguin: si une dis- position aux maladies mentales est liée au tempérament nerveux; si un penchant à l'hypocondrie résulte souvent des affections dans les voies digestives: si un développe- ment considérable ou du cerveau ou du cervelet se lie à l'activité des dispositions ou intellectuelles ou sensuelle, — et tout cela est impossible à nier: —si d'un autre côté les tempéraments sanguins et nerveux, les affections des voies digestives, le développement spécial du cerveau ou du cervelet, sont en quelque degré héréditaires, — et cela encore ne peut être nié — on est conduit forcément à la conclusion que beaucoup de tendances morales et intel- lectuelles sont héréditaires, bien entendu avec toutes les chances de lhérédité, c’est-à-dire avec ressemblance 32% SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. tantôt à l'un des parents, tantôt à l’autre, et même à des ancêtres plus où moins éloignés, et avec une foule d'ex- ceptions, comme il en existe dans toutes les règles géné- rales. Une observation patiente, prolongée et raisonnée des faits conduit ordinairement aux mêmes résultats. Pour les animaux domestiques, cela n’est pas douteux. Les éle- veurs ont constaté dans plusieurs espèces des Fignées plus intelligentes que d’autres *. Quant à l'espèce humaine, les moyens d'observation sont moins précis, mais ils conduisent aux mêmes conclusions. Ma propre expérience est sans doute peu de chose. Elle est basée pourtant sur quarante-cinq ans d'observations, et sur des faits de même nature que mon père, grand observateur dans ces sortes de choses, m'avait fait remarquer. En définitive, les dispositions morales et intellectuelles nous ont paru moins héréditaires que les formes extérieures et les dispo- sitions purement physiques, mais elles le sont cependant un peu. Nous avons connu, par exemple, des familles où la majorité des individus à été méchante, d’autres. où elle a été composée de gens bons et affectueux: des familles où l'imagination domine, d'autres où c’est la raison : des familles bornées et des familles intelligentes. Je pourrais étendre encore cette sorte d’énumération. Il est difficile d'attribuer de semblables faits uniquement à l'éducation, à l'exemple et aux influences raisonnées des individus à la suite de rapports intimes avec leurs parents. Dans la plupart des cas, Féducation diffère beaucoup d'une géné- ration à l’autre. L'indépendance assez ordinaire des Jeu- nes gens, leur âge relativement à celui des parents, et la circonstance qu'ils ont rarement des rapports un peu 1 Darwin, Descent of man, I, p. 110. SÉLECTION DANS L’ESPÈCE HUMAINE. 329 suivis avec leurs grands-pères ou grand'mères, diminuent la force des influences d'éducation et d'exemple, tandis que les changements de lois et de mœurs dans le laps d’une trentaine d'années, diminuent aussi certains genres d'influence très-puissants. Il faut donc en revenir pour un certain degré à l'hérédité. Selon mes propres observations et réflexions, cette influence serait plus sensible dans les faits moraux que dans les faits intellectuels, et on le com- prend, les dipositions morales étant assez spontanées et prenant naissance de bonne heure, tandis que lintelli- vence se développe surtout après l'enfance, par lobserva- tion, l'étude et l’expérience. Les données historiques sur les familles princières et aristocratiques conduisent à des conclusions analogues. Certainement, quand on connaît l’histoire de France, on trouve les Valois faux et cruels. Le souverain le plus chevaleresque de cette race, François Ke", ne craignit pas de manquer à la parole qu'il avait donnée à Charles- Quint, pour se libérer. Il fit brüler Dolet, avec des raffine- ments de cruauté, « pour le plus grand amusement des dames de la cour. » Au contraire, les princes de la maison de Bourbon, excepté Louis XIV et quelques-uns de ses des- cendants hors de France, ont été généralement humains ". Les Stuarts ont eu des traits de caractère que les Anglais n'ignorent pas. On peut en dire autant des Médicis, de la maison de Guise et de beaucoup d’autres familles histo- ! La dévastation du Palatinat et la persécution des protestants peuvent, à la rigueur, être envisagées comme les conséquences d’une politique mal entendue, plutôt que d’une volonté d’être cruel; mais il faut lire dans les mémoires de Saint-Simon (année 1705) le récit du procès et de l’exécution de Fargues. La note ajoutée à la fin du volume, dans l’édition de 1865, prouve que Lamoïgnon ne fut pour rien dans ce crime, qui fut simplement une vengeance basse et cruelle de Louis XIV, agissant à la manière de Louis XI. 7 he” Î 320 SÉLECTION DANS L’ESPÈCE HUMAINE. riques. La transmission des caractères par les femmes est souvent frappante : « Il suffit de consulter l'histoire €_ pour reconnaître Scipion dans Cornélie; Cornélie dans € les Gracques : Caton dans Poreia: Cicéron dans Tullie: € Agrippine dans Néron: Blanche dans St-Louis: Ca- € therine de Médicis dans Charles IX et Henri HT: Henri € IE dans Jeanne d’Albret et Jeanne d’Albret dans € Henri IV: Henri IV dans Henriette d'Angleterre: Anne € d'Autriche dans Louis XIV ". » Je sens très-bien le côté faible de ces arguments tirés d'exemples particuliers ou de faits historiques. On est toujours frappé des cas favorables à son opimon: les autres passent inaperçus où négligés. [Il est complétement impossible de savoir la proportion des faits à l'appui de l'hérédité et de ceux contraires, d'autant plus que les faits eux-mêmes sont mal aisés à constater. J’attribue done plus de valeur aux arguments généraux qu'on peut résu- mer ainsi : Dans les faits physiques et matériels de l'organisation humaine, l'hérédité est incontestable. Une liaison des phénomènes moraux et intellectuels avec les organes est certaine dans beaucoup de cas, on peut même dire dans tous les cas, puisque les facultés peuvent être anéanties par une lésion ou une ablation d’organe : done les manifestations morales et intellectuelles sont, en quelque degré, sous l'influence de l'hérédité. Cela revient à dire qu'en naissant, nous tenons de nos pères, mères ou ancêtres, une disposilion à pencher dans tel ou tel sens, plutôt que tel ou tel autre. En même temps nous recevons la faculté de favoriser les bons penchants et de résister plus ou moins aux mauvais. De là une respon- ! Brierre de Boismont, Annales d'hygiène publique, vo].42, p. 282. SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. 327 sabilité morale personnelle. Les ériminalistes ne deman- dent pas qu'on punisse les intentions vicieuses, mais le fait de ne leur avoir pas résisté suffisamment. En cela, ils font une distinction juste, tandis que les moralistes vont quel- quefois trop loin lorsqu'ils représentent à des esprits faibles toutes les mauvaises intentions comme coupables. Il y a des idées fâcheuses qui naissent à l'improviste, en quelque sorte comme les rêves. Si on ne les cherche pas, si on ne les nourrit pas, surtout si on les repousse après réflexion, la responsabilité morale n’est réellement pas engagée. Un directeur de conscience raisonnable plaint les personnes qui ont certaines idées sans le vouloir, peut- être par hérédité : il ne les punit pas. Un dernier mot sur les capacités spéciales et les célé- brités. On peut très-bien croire à une certaine hérédité des facultés, sans admettre l'hérédité de capacités spéciales et surtout de la célébrité. Chaque faculté de l'homme s’ap- plique à plusieurs choses de nature analogue. Supposez un enfant né avec un penchant vers l'imagination, peut- être parce qu'il a eu des ascendants qui en étaient doués et qui avaient cultivé les choses d'imagination, il aura de la peine, je suppose, à devenir un bon agriculteur prati- que, un bon notaire, un bon juge, un naturaliste obser- vant au microscope ou décrivant avec beaucoup de préci- sion, ete., mais il a une chance de réussir comme poète, et, dans certaines spécialités en apparence très-positives, il aimera probablement la partie qui demande le plus d'invention. S'il est musicien, il composera: s'il est mé- canicien, il inventera des machines; s'il est théologien, il cherchera le sens de l’Apocalypse: s'il est calculateur, il se posera des problèmes nouveaux: s'il est physicien ou naturaliste, il aimera les hypothèses hardies, et si, par 528 SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. hasard, il est doué en même temps de patience e: d'un vrai talent d'observation, il appuiera ses hypothèses sur de bonnes bases. Supposez, au contraire, un enfant né avec peu d'ima- gination, mais avec une tendance à comparer, examiner, discuter en lui-même et avec d’auires, 11 sera propre aux affaires pratiques, aux professions qui exigent du jugement, de l'exactitude, et aux occupations scientifiques ou htté- raires qui demandent de la précision. À chaque faculté ou plutôt à chaque combinaison de facultés répondent des spécialités diverses. La seule chose qu'on puisse présumer d’après les lois de l'hérédité, c'est que les descendants de personnes ayant certaines dispo- sitions très-développées se refuseront souvent à telles ou telles études ou occupations, et porteront, dans des carrières assez différentes, les dispositions d'esprit de leurs parents et aieux. L'éducation, l’exemple et les en- couragements de toute nature aident à continuer certai- nes tendances où professions dans la même famille, mais là encore ce sont des catégories et non des spécialités qui se remarquent le plus souvent. Vous verrez rarement des fils d'artistes, j'entends d'artistes ayant de l'imagination, devenir des hommes de loi ou des hommes absolument pratiques, et si vous cherchez quelles professions avaient été exercées par les pères de jurisconsultes, d’administra- teurs, de négociants, de médecins, etc., qui ont réussi, vous trouverez presque toujours des professions dans les- quelles l’ordre et le jugement sont plus utiles que les dons de l'imagination. La célébrité est moins héréditaire encore que la spécra- lité. Elle n’est jamais qu’une exception, déterminée par plusieurs causes rarement réunies. Pour qu'un homme devienne célèbre, il ne suffit pas qu'il soit doué d’une ae te ee mo. à SÉLECTION DANS L'ESPECE HUMAINE. 32) grande capaeité. fl lui faut encore des circonstances favo- rables, et surtout la volonté d'agir, de se montrer ou d'être utile. L’indifférence, la paresse de corps ou d'es- prit peuvent arrêter des hommes très-capables, qui brille- raient sans cela au premier rang. Dans chaque spécialité, certaines conditions morales sont nécessaires. Par exem- ple, l'habitude de tromper jetterait un savant dans un tel discrédit qu'on ne l’écouterait pas. Du désordre dans les notes, une extrème inexactitude dans les heures, ou la disposition de s'occuper de trop de choses différentes, arrêtent quelquefois l'essor d’un homme qui aurait pu devenir célèbre. Inversément il ne manque pas d'exem- ples d’après lesquels un individu doué de lalents médio- -cres, mais qui veut et sait les employer, arrive à une ré- putation méritée. L'’hérédité n’est pour rien dans tout cela, où da moins elle ne peut avoir influé que d'une manfère très-accessoire, aussi est-ce un des préjugés les plus faux, quoique l’un des plus ordinaires, de croire, par exemple, que les descendants d'un habile capitaine peuvent conduire une armée mieux que d'autres, ou que le fils d’un mathématicien célèbre, sera Fui-même un grand mathématicien. À supposer, dans ces deux cas, une ressemblance du fils au père, plutôt qu'à là mère ou à d’autres ascendants, il y aurait seulement une probabilité, au moment de la naissance, pour le fils du grand capi- taine, d’être un homme disposé à commander, et pour le fils du mathématicien, d’être un homme disposé à caleu- ler, ce qui peut faire du premier un bon piqueur où ma- jordome, et du second un teneur de livres très-exact. Pour s'élever au-dessus de la moyenne, bien d'autres choses sont nécessaires, qui dépendent d'autres facultés, héritées ou non héritées, de l'éducation, des circonstances et Surtout du caractère individuel. 330 SÉLECTION DANS L’ESPÈCE HUMAINE. A mesure qu'un enfant se développe, l'action des au- tres indivdus, ses propres réflexions et le poids des insti- tutions sociales influent davantage sur lui. Elles dimi- nuent, en apparence, ou augmentent la part qu'il faudrait attribuer à l’origine. Si l'enfant est élevé sous des influen- ces contraires à celles qui avaient formé. ses parents: s'il réagit de lui-même contre les idées de sa famille, ce qui se voit assez souvent: s'il à autour de lui certains exem- ples très-influents: si les institutions du pays ont heau- coup changé, le cachet primitif transmis par l'hérédité s'efface plus où moins. Si, au contraire, des influences analogues à celles qui avaient agi sur les parents conti- nuent d'agir, les traits de la famille prennent des lignes plus accentuées. La race tend alors à se former, et dans le cas où, pendant plusieurs générations, les mêmes 1in- fluences continuent, la ressemblance accidentelle aux aieux (atavisme) vient consolider encore cette race, puis- que le fait de ressembler à l’un de ses ancêtres, comme à son père ou à sa mére, produit les mêmes effets. Dans les dispositions morales et intellectuelles, cette uniformité de tendances constitue un instinet. Lorsque toute une population participe aux mêmes instincts, par une longue suite d’influences communes et d’unions entre compatriotes, 1l en résulte un caractère national. Si l'hérédité ne jouait aucun rôle dans le caractère des peuples, on ne verrait pas les enfants, même jeunes et à l’école, différer sensiblement d'un pays à l’autre. Rien de plus curieux cependant, que de comparer une réunion de petits Italiens et de petits Allemands. Les premiers ont des physionomies éveillées, une grande vivacité, une sin- culière promptitude à saisir ce qu’on leur enseigne; les seconds se distinguent par le calme, le sérieux, l’applica- SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. 331 tion. Ces enfants diffèrent peut-être plus que les Italiens et les Allemands d’äge mür. Il existe cependant des causes de trouble dans la trans- mission héréditaire la plus suivie et la plus probable. Je veux parler de l’état physique, moral et intellectuel des parents à l’époque où la transmission d'une vénération à l'autre s’est effectuée. Une maladie temporaire de Fun des parents peut influer, de même qu'une affection de la mère pendant la gestation. Ceci est d’une importance très-crande, et je ne comprends pourquoi les naturalistes modernes n’insistent pas sur certains faits bien constatés, dont ils peuvent lire le détail dans l'ouvrage classique du docteur Lucas *. Comme exemple tiré d'animaux, cet auteur mentionne l'observation suivante de Girou de Burareingues. Une chienne ayant reçu au moment de l’accouplement, un coup très-fort sur le dos, et étant de- meurée plusieurs jours paralysée du train de derrière, a donné naissance à huit petits, dont un, bien conformé, ressemblait au père, et sept avaient le train de derrière mal conformé ou défectueux, à ce point que les extrémités postérieures manquaient, ou étaient trop courtes, ou ne pouvaient pas se mouvoir. Dans l'espèce humaine, le trouble des facultés intellectuelles déterminé par l'ivresse à gausé l'idiotisme, uni quelquefois à des diflormités, chez des enfants dont la conception avait eu lieu sous cette fâächeuse influence. Les anciens l'avaient déjà pensé ?, ! Traité de l’hérédité naturelle, I, p. 502. ? La fable attribuait la difformité de Vulcain à une cause sem- blable que Leti a mise en vers : Quis nescit crudo distentum nectare quondam Indulsisse Jovem Junoni; atque inde creatum Vuleanum turpem, cœlique ex arce ruendum ? (Calvidü Leti, Callipædia, poema. Lugd. bat. in-4°, 1655, lib. Il.) 332 SÉLECTION DANS L'ESPECE HUMAINE. mais Lucas cite des observations positives publiées par Hufeland, Esquirol, Seguin et Roœsch. Voilà done une affection momentanée du système nerveux qui s'est trans- inise. Il est difficile après céla de ne pas admettre comme possible une transmission d’autres affections momenta- uées, telles que la colère, la tristesse, une idée fixe, c’est- à-dire une monomanie, ete. Un des enfants adultérins de Louis XIV, dit M. Lucas, concu dans une crise de larmes et de remords de madame de M., que les cérémonies du Jubilé avaient provoquée, garda, toute sa vie, un carac- ‘ère qui le fit nommer des courtisans : l'Enfant du Jubilé. il ne faut pas s'étonner si quelques philosophes ont attri- bué une importance très-grande, probablement trop crande, à ces influences temporaires. On ne peut douter qu'elles existent quelquefois. Les circonstances purement physiques ne varient pas fréquemment chez les personnes mariées qui sont encore dans la force de l’âge, et sil survient quelque maladie, elle est souvent une cause de séparation des époux, même quand elle est peu grave. Ceci fait obstacle à lhérédité de plusieurs affections mo- mentanées qui seraient théoriquement transmissibles. Au contraire, les variations de l’état moral et intellectuel sont fréquentes, et la violence de certaines passions, surtout de celles que deux époux peuvent ressentir égale- ment, ne s'oppose pas aux relations conjugales. L’agita- tion d'esprit causée par les révolutions et par la guerre; le trouble apporté par un événement de famille heureux ou malheureux, des menaces, des inquiétudes, des spec- tacles ou des lectures qui frappent l’imagination, peuvent jeter momentanément un des conjoints ou tous les deux dans un état du système nerveux exceptionnel, voisin de la monomanie, et dangereux pour l'enfant dont la con- ception remonterait à cette époque. C'est là une cause de E | SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. 333 . déviation dans les qualités mentales héréditaires. Si l'af- . fection momentanée à été violente, ce peut être une cause de folie ou d’idiotisme, dans une famille ordinairement saine d'esprit. Je serais tenté d'attribuer à l’état moral momentané des parents les différences quelquefois très-sensibles de caractère entre des frères consanguins, ou des frères légi- . times et illégitimes. Ceux-ci ne sont pas seulement de . mères différentes, ils ont de plus été procréés sous des . influences d'affection et de passion ordinairement plus . vives. Dans la vie ordinaire, on a rarement l'occasion de . s’apercevoir de ces différences, mais certains faits histo- _ riques sont curieux. Don Juan d'Autriche était supérieur . à Philippe H:; Vendôme avait plus d'énergie que Louis XIII et Gaston d'Orléans. En général le rôle qu'ont joué les —._ hbätards ou des branches illégitimes de familles princières … est remarquable, quand on pense à leur petit nombre. . Je citerai : Dunois, le bâtard de Savoie, le prince Eugène, - Vendôme, le connétable. de Bourbon, Maurice de Saxe, _ tous fils ou petit-fils de bâtards, sans parler de quelques . modernes. Ces personnages ont eu de l’audace et peu de | _ moralité, ou, si l’on veut être parfaitement dans le vrai, ils ont eu toujours de l'audace et presque toujours une ‘absence complète de moralité. Ces deux traits de carac- ère, d'après le fait même de leur naissance illégitime, devaient se trouver chez les parents, du moins à l'époque de la transmission héréditaire *. De pareils exemples font réfléchir. Cependant, je ne saurais trop le répéter, dans toutes les choses obscures et 1 Une influence de l’état temporaire des parents sur les conditions . physiques, morales ou intellectuelles de l’enfant conçu alors, s’ex- - plique dans l’hypothèse, assurément compliquée et hasardée, de la … pangénése de M. Darwin. Ne 39/4 SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. singulières, on est frappé des exemples favorables à quel- que théorie, et l’on ignore ou néglige des faits contraires, peut-être plus nombreux. Il en est ainsi des rêves et des pressentiments. Ceux qui se réalisent nous frappent, et nous en parlons volontiers. De ceux qui ne laissent aucune trace dans notre esprit et que rien ne vérifie, il n'est plus question. Quant aux faits d'hérédité, les exemples favorables, à côté de notre ignorance des cas contraires, sont assuré- ment une objection, mais ils signifient seulement qu'on ne peut pas préciser la proportion des individus qui res- semblent à leur père, à leur mère, ou à d’autres parents. ou qui ne ressemblent ni aux uns, ni aux autres. Le doute seul de la proportion des ressemblances constate l'héré- dité, car on n'élèverait pas une question semblable pour savoir combien de descendants d'une espèce de singe, par exemple, ressemblent à des hommes, où même combien de fils des hommes de la race blanche ressemblent, sur des points importants, à des nègres. Il ne serait pas impossible d'obtenir des documents précis pour résoudre les questions de proportions. Sup- posez, par exemple, deux ou trois médecins âgés, bons observateurs et impartiaux, qui feraient chacun le relevé des familles dans lesquelles ils ont connu trois générations. Ils pourraient constater sur ces groupes d'individus, réunis indépendamment de toute théorie, combien ressemblaient à leur père, leur mère, leur aïeul ou aïeule, combien 4 deux d’entre eux, et par quels traits physiques, moraux ou intellectuels ils ressemblaient. Les documents de M. Galton ‘ sur les familles des juges et des premiers ministres d'Angleterre, ceux que j'ai donnés ei-dessus pour les sa- * Hereditary genius, 1869. si fu. SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. 33) vants affiliés aux Académies et sur leurs ascendants et descendants, approchent des conditions désirables. Jusqu'à ce qu'on possède quelque chose de mieux, les arguments généraux sont peut-être les plus forts. Is doivent entrai- ner, ce me semble, les esprits disposés à réfléchir. L'hé- rédité des attributs qui constituent l'espèce animale ou végétale, el même la race, est de toute évidence. L'homme se continue de génération en génération avec les carac- tères physiques et moraux de l'espèce humaine, et homme de la race nègre avec les caractères de cette race. La res- semblance porte aussi, et assez fréquemment, sur les ca- ractères secondaires qui distinguent les subdivisions de races et de familles: les enfants peuvent ressembler tantôt à l’un, tantôt à l’autre de leurs parents et même de leurs aieux (atavisme), et cela tantôt par un caractère, tantôt par un autre : enfin il y a des dissemblances d'une géné- ration à l’autre. Les doutes, je le répète, roulent non sur ces principes fondamentaux, mais sur la fréquence des ressemblances de telle ou telle catégorie, les cas ne pou- vant pas être constatés et énumérés comme il le faudrait pour obtenir des résultats statistiques probants. L'incerti- tude est après tout assez limitée, et au surplus, pour les ressemblances dans les espèces animales, les expériences des éleveurs ont donné des preuves déjà complètes. Dans ce qui précède, j'ai mêlé quelquefois les eflets de limitation avec ceux de l'hérédité. Is sont difficiles à dis- tinguer. D'ailleurs, en définitive, pour ce qui concerne la sélection, ils concourent aux mêmes résultats. Qu'un In- dou mange uniquement du riz, parce que son estomac es semblable à celui de parents qui s'accommodaient de cette nourriture, où parce qu'il voit ses parents el Voisins man- ger uniquement du riz, peu importe une raison pour présumer que lui et ses descendants s'ar- ce sera {toujours 330 SÉLECTION DANS L’ESPÈCE HUMAINE. rangeront de vivre de riz. Que le fils d’un Européen stu- dieux lise et réfléchisse par imitation plutôt que par héré- dité, le résultat n'en sera pas moins qu'il s’adaptera aux conditions dans lesquelles un travail de cabinet devient profitable. De même pour toute espèce de qualité, défaut ou tendance que les uns attribuent à l’hérédité ou à l'in- stinct, les autres à la simple imitation. La base de la sélection est à la fois dans l'hérédité, for- üifiée par l’hnitation, et dans les dissemblances que diverses causes peuvent aggraver après la naissance. Pour qu'un enfant s'adapte mieux que ses parents à des circonstances environnantes, il faut qu'il diffère d'eux de quelque ma- nière, Ensuite il transmettra probablement cette diversité à ses enfants, et si elle est transmise, la génération sui- vante en héritera avec plus de probabilité encore, puisque l’atavisme viendra s'unir dans ce cas à l’hérédité au pre- mier degré, Les dissemblances importent donc beaucoup à ceux qui croient à l'hérédité, comme règle principale, sans croire à la fixité indéfinie et absolue des caractères dans les êtres organisés. C'est pour cela qu'il est essentiel d'observer les dissemblances et d'en scruter les causes. Jai insisté sur l’une de ces causes, qui est l’état momen- tané physique, moral et intellectuel des parents ou de l’un des parents, à l'époque de la transmission des caractères distinctifs. D'autres influent probablement aussi pendant la gestation, mais elles sont difficiles à constater. Enfin l'éducation, la profession, les habitudes matérielles et intellectuelles prises par un individu peuvent influer sur sa descendance, puisque même des lésions accidentelles ont été quelquefois transmises. _ SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. 397 SECTION II Sélection. A 1. Des différentes catégories de sélection qui peuvent se trouver dans l'espèce humaine. [4 On connaît la distinction faite par M. Darwin entre la sélection naturelle et la sélection artificielle. L’une se pro- duit dans une espèce ou une race indépendamment de l'action volontaire ou involontaire de l’homme. L'autre _ résulte d’une série d'actes, plus ou moins réfléchis, de l'homme agissant en maitre. La sélection naturelle doit nécessairement se présenter dans l’espèce humaine. Il y a des conditions d'existence, comme le climat, les moyens de nourriture, etc. Il y a aussi des rivalités et des luttes entre les individus et les agglomérations d'individus. La condition du succès est de s'adapter aux circonstances mieux que ses rivaux. De là une sélection inévitable, qui n'implique pas un perfec- tionnement absolu, mais un perfectionnement relatif, dans le sens de mieux surmonter les difficultés de l'époque et de la localité. Quant à la sélection artificielle, on peut douter qu'elle existe, du moins parmi les hommes civilisés. Les proprié- , taires d'esclaves, dans les pays barbares, ont pu régler _ jusqu’à un certain point les unions sexuelles et soigner | d'une manière particulière, dans un but déterminé, les malheureux qui étaient sous leur dépendance. A défaut de | caleul prémédité, l'intérêt des familles de maitres doit pro- | duire, dans ce cas, une sélection qui se suit de génération en génération. On assure qu'aux Etats-Unis la race des 9 OR CE [a L _ TR 330 SÉLECTION LANS L’ESPÈCE HUMAINE. nègres était devenue plus robuste, plus capable d'un tra- vail musculaire régulier, par un effet graduel de l'intérêt des propriétaires qui achetaient cher leurs esclaves et dé- siralent avoir de bons travailleurs. Le despotisme des an- ciennes républiques de la Grèce admettait une sélection artificielle des enfants, même pour les familles de citoyens libres. Aristote, qui n’était pas un rêveur, s’accordait avec Platon sur la convenance de ne pas élever les enfants nés difformes, et les prescriptions qu'il recommande dans sa Politique sur l’âge auquel on devrait se marier, sont tout à fait dans l'esprit d’une sélection imposée. Les despotes de tous les temps ont fait acte de sélection, sans le savoir, en emprisonnant où mettant à mort les hommes d'un es- prit indépendant. Ils ont obtenu ainsi le double effet de diminuer le nombre des familles dans lesquelles on est disposé à se servir de sa volonté, et de rendre la masse plus timide, de génération en génération. Hormis ces cas extrêmes, assez rares dans les pays ei- vilisés, Je ne vois pas de sélection à laquelle on puisse donner, dans toute son étendue, la qualification d’artifi- cielle. Le mode d'action des lois et des religions à bien quelque ressemblance, mais 1l diffère quand on examine de plus près. Le législateur se flatte, sans doute, d'exercer une influence sur les conditions de la vie matérielle ou morale de ses subordonnés. Il emploie des moyens de re- pression plus ou moins énergiques, et même, par des lois pénales, 1l retranche de la société certains individus, d'une manière temporaire ou définitive. C'est bien une sélec- tion ; mais elle est imparfaite, incomplète. Elle atteint une petite partie du publie, d’une façon souvent irrégulière et même passagère, attendu que les lois sont mal appliquées et varient. D'ailleurs, 1l est rare qu'on ose empêcher le mariage des individus dont la propagation ne convient SÉLECTION DANS L'ESPECE HUMAINE. 399 pas, et quand on le fait, les naissances illégitimes altérent plus ou moins le résultat désiré. Les religions influent avec plus de durée que les lois, mais elles s’éloignent du mode d'action de la sélection, en ce que la volonté de chaque individu est la condition préalable d'influence. Les religions les plus sublimes, les plus morales, ne sont rien pour ceux qui n'en font pas leur règle, et quand on im- pose cette règle par la force, on obtient une adhésion hypocrite, incomplète, dont les conséquences morales dé- truisent le bien qu'on espérait obtenir. Toute contrainte ses limites. Les maitres d'esclaves, les souverains abso- lus, les législateurs, les membres d’un clergé ne peuvent pas imposer toutes leurs volontés à des hommes. IIS sont obligés, dans une certaine mesure, d'obtenir leur con- sentement. Eux-mêmes d'ailleurs sont des êtres humains qui n'ont pas une durée plus longue, ni une intelligence toujours plus grande que celle de leurs subordonnés. Tout au plus y a-t-1l dans certains cas, une différence de race qui entraîne une différence d'énergie ou d'intelligence, mais cela n’est pas suffisant. L'homme procède à l'égard des espèces animales comme un maître absolu. C'est ce qui lui permet une sélection artificielle proprement dite. indépendante de la volonté des subordonnés, allant jus- qu'à retrancher ceux qui ne lui conviennent pas et jus- qu'à appareiller les autres, selon les produits qu'il se pro- pose d'obtenir. Les influences légales ou religieuses, au contraire, n'étant ni absolues, ni complétement observées, agissent plutôt à la manière des conditions d'existence et contribuent ainsi à amener une sélection naturelle plutôt qu'artificielle. Les religions reposent presque toutes sur des bases qui ont été posées il y a des milliers d'années, et qu'on rappelle, de génération en génération, au moyen de cé- J40 SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE rémonies et de textes positifs. Elles contribuent ainsi à une sélection, puisqu'elles favorisent uniformément cer- taines tendances et en contrarient d’autres. D'un autre côté, l'ancienneté des prescriptions prévient les change- ments d'opinions et de coutumes, et cela d'autant plus que la religion dont il s’agit est plus exigeante, plus pré- cise, plus autoritaire. Les musulmans, les indous sont obligés de se plier dans leur vie de famille et comme ci- toyens à une infinité de règles, qui les maintiennent tou- jours dans la même voie. Les chrétiens sont plus libres, surtout ceux qui ne reconnaissent d'autre guide que l'É- vangile, aussi la variété de leurs idées a-t-elle été extrê- mement grande depuis l’origine. Après avoir démontré le peu d'énergie de la sélection artificielle parmi les hommes, je citerai cependant un cas dans lequel son action à été prépondérante. Je veux par- ler de la race noire en Amérique. L'évèque Las Cases, dans un esprit de charité chrétienne, frappé des malheurs des indigènes sous la tyrannie es- pagnole, avait imaginé de faire venir d'Afrique des esclaves plus robustes. Ces hommes se trouvaient bien adaptés aux travaux et au climat. La traite s'était établie, malheureu- sement avec beaucoup de cruauté, et toutes les régions chaudes du nouveau monde allaient être livrées à la race nègre, lorsqu'un changement d'idées religieuses survint tout à coup en Angleterre. Pendant dix-huit siècles, les églises d'Orient et d'Occident avaient reconnu l'esclavage, lequel implique la faculté de transporter des hommes con- tre leur volonté. Mais le christianisme n’est pas inflexible et immuable — c'est un de ses principaux mérites — et les Anglais en lui faisant dire ce que les apôtres, les papes, les conciles et Luther n'avaient pas dit, ont rendu à notre race caucasienne un service d’une immense por- SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. 341 tée. Ils ont exigé ou demandé et obtenu la prohibition de la traite, et pour l'empêcher de renaître, ils ont sacrifié des milliers d'hommes de leur propre sang dans des croi- sières malsaines sur les côtes de Guinée. Quand ils ont voulu émanciper les esclaves de leurs colonies, ils n’ont reculé ni devant des dépenses considérables, ni devant la perspective de dangers qu'il était facile de prévoir *. D’au- tres peuples ont suivi cet exemple — quelquefois au prix de grands malheurs — mais le résultat, en définitive, à été le même. Si la race nègre était assez intelligente pour émigrer et surtout pour passer les mers, elle aurait profité de ses qualités physiques incontestables et aurait continué d'envahir le nouveau monde. Heureusement, le noir s'at- tache au sol et demeure dans les pays où ses pères ont vécu. Il n’est jamais sorti d'Afrique volontairement. La traite étant supprimée, la race nègre a été arrêtée dans son expansion, au profit des blanes et peut-être des Chi- nois. Jamais l’action énergique d'une volonté sociale n'a- vait produit un aussi immense résultat. La résistance même de l’Europe à l'islamisme n’a pas eu des consé- quences aussi graves, attendu que les Mahométans étaient de race sémitique, avaient déjà un certain degré de civih- sation et se seraient modifiés en quelques siècles, au heu que les nègres, transportés de place en place par des mai- tres de race blanche, auraient fait de l'Amérique tropicale une seconde Afrique. 1 C’est ce mépris des intérêts qui prouve, indépendamment des discours de Wilberforce, l'impulsion toute religieuse des Anglais dans cette affaire. Si jamais une grande puissance était assez pénétrée de l'esprit de l'Évangile pour vouloir abolir la guerre, elle annoncerait que ses flottes et ses armées se joindront au premier auquel on dé- clarera la guerre ou qui sera attaqué sans déclaration préalable. On pourrait comparer cette extravagance politique à celle des Croisades, mais elle aurait un but plus chrétien et plus humain. 942 SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. On pourrait encore citer l'extermination des hommes à esprit indépendant poursuivie, dans quelques pays, pen- dant plusieurs siècles, mais cette espèce abominable de sélection n'a été complète qu'en Espagne et en Portugal (voir p. 243). Dans ces deux exemples — et l’on pourrait en citer d'autres — c'est toujours l'action du pouvoir légal, sous la pression d'une idée religieuse, bonne où mauvaise, qui a produit des effets durables. Sans l'idée religieuse, le pouvoir politique varie et calcule ses intérêts, par consé- quent il n'a pas toute l'influence qui détermine une sé- lection artificielle véritable : et de même l'idée religieuse sans le pouvoir, agit sur une parte seulement des popu- lations et produit ainsi des effets insuffisants. S 2, La sélection en ce qui concerne les sociétés humaines, soit nations, les unes relativement aux autres. L'homme vivant toujours à l’état de familles agglomé- rées, il faut considérer la sélection tantôt dans l’intérieur de chaque société, c'est-à-dire de chaque nation, tantôt dans les rapports des diverses nations entre elles. Jexa- minerai d'abord ce dernier point de vue, parce qu'il est plus clair et mieux connu. Assurément de tous les êtres qui vivent en société, l’homme est le plus agressif. Les abeilles de deux ruches, les fourmis de deux fourmilières se combattent de temps en temps, mais pour les êtres humains réunis en corps de nation, la guerre est un état presque habituel. Les hommes combattent pour des besoins et des appétits matériels, comme les autres espèces, et en outre pour des idées. A prüori, les nations devraient devenir de plus en plus évales, puisqu'elles luttent si souvent. Les plus faibles de SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. 343 population, de courage, d’habileté devraient, à ce qu'il semble, disparaître. L'histoire ne confirme pas cette opi- nion théorique, excepté pour les petites hordes de sau- vages qu'un voisin plus fort peut chasser ou exterminer complétement. Dans toutes les parties de la terre et à toutes les époques, il y a eu des nations de force diffé- rente. Les faibles ont quelquefois duré plus que les fortes. Cela s'explique par des causes accessoires, faciles à con- stater : l'isolement géographique, les moyens de défense locale, l'appui d’une grande nation ou la jalousie de plu- sieurs, enfin la volonté plus ou moins ferme d'exister comme agglomération indépendante. Il existe aussi, dans l'intérieur même des populations, des causes qui procèdent lentement et sûrement. Elles sont analogues aux faits dont s'occupent les naturalistes, sous les deux noms de varia- bilité et sélection. Les peuples changent moins lentement et plus claire- ment que les espèces végétales et animales. Ainsi la popu- lation augmente, les idées se modifient, l'impulsion vient tantôt d’une classe et tantôt d’une autre, les habitants sont unis ou désunis, la force destinée à maintenir la co- hésion et à résister aux ennemis extérieurs varie, etc. En définitive, toutes les modifications successives s'adaptent ou ne s'adaptent pas aux circonstances dans lesquelles se trouve chaque peuple relativement aux autres. De là des influences nombreuses qui maintiennent, augmentent, di- minuent ou font même disparaître un peuple indépen- dant. lei, comme pour les espèces animales et végétales, adaptation ne veut pas dire perfection. Du moins, si c'est une perfection, il faut la prendre pour relative, partielle et temporaire. Dans le voisinage d'une nation très-agressive, les peuples barbares se défendent quelquefois mieux que 344 SÉLECTION DANS L’ESPÈCE HUMAINE. les peuples civilisés. Dans d’autres cas un peuple civilisé use de ses richesses et de son intelligence pour écraser des peuples moins avancés. Les Grecs, plus civilisés que les Romains, n'ont pas pu leur résister. Les Romains, à leur tour, plus civilisés que les Barbares, ont été accablés par eux. Les Musulmans, à l’époque de leur plus grande bar- barie, ont été bien près de conquérir toute l'Europe, tandis que les nations modernes européennes sont aujourd'hui plus fortes que tous les barbares et tous les sauvages des autres parties du monde. Le succès est dû souvent à de mau- vais moyens. La bonne foi, le respect des traités marquent assurément un progrès: cependant, la mauvaise foi des princes et des hommes politiques a souvent profité à leurs nations respectives. Dans ces luttes incessantes et hor- ribles de l'espèce humaine, les mauvaises qualités s’a- daptent quelquefois mieux que les bonnes aux circon- stances du moment. De là une durée indéfinie de nations de toutes sortes. Par exemple, sur le vaste continent de Asie, depuis plusieurs milliers d'années, on a toujours vu des peuples barbares et cruels et des peuples de mœurs assez douces, de vastes empires et de petites nations, de même qu'il y a toujours eu des bêtes féroces et des rumi- nants, des oiseaux de proie et des passereaux. Certains changements remarquables, dans les sociétés humaines, tiennent à une tendance successive vers l’uni- formité et la centralisation d’abord, ensuite vers la dis- location, tendance qui ne cesse guère d'influer une fois qu'elle a commencé, et qui produit ou détruit les sociétés, indépendamment des conquêtes et de la fondation de co- lonies. Chaque peuple, dans son régime intérieur, tend volontiers à faire disparaître les diversités et les irrégu- larités qui existent. Le mélange des individus, le désir d'être fort contre ses voisins, celui d’être juste dans les SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. 34) détails d'administration, l'unité souvent désirée de lan- gage, de religion et d'éducation, la facilité croissante des moyens de communication, les intérêts du commerce, tout en général pousse vers la régularité et l’uniformité. Qu'on étudie l’ancienne civilisation romaine ou celle des États de l'Europe moderne: on voit constamment des droits et des institutions locales disparaître. Le travail se fait dans les mœurs comme dans les lois, dans les monar- chies comme dans les républiques, et l'aristocratie étant une diversité, on la voit ordinairement s’affaiblir de siècle en siècle, jusqu'à ce qu'il n’en reste rien — si ce n'est peut-être des mots et des titres — après quoi surviennent de nouveaux faits, et plus tard de nouveaux peuples. La marche vers l’uniformité est aussi claire dans les confédérations que dans les États absolument indépen- dants. On à procédé d’une manière identique dans tous les pays fédérés : en Suisse, en Allemagne, en Amérique. Différents États s’allient pour se défendre mutuellement. Comme ils n’ont pas d'autre but à l'origine, ils trouvent tout naturel de laisser à chacun ses institutions et ses principes. Bientôt on s’habitue à vivre d’une vie com- mune. On se désigne par un nom collectif tiré de l'en- semble, au lieu des noms d'États, et on adopte un seul drapeau. De génération en génération augmente le nombre des objets dont le public ou une partie du publie désire que la Confédération s'occupe. Chaque constitution fédé- rale détermine les objets qui sont dans les attributions du pouvoir central, mais aussitôt ces points fixés, recommen- cent les demandes d’uniformité. L'œuvre se poursuit per fas et nefas. Lorsqu'un pacte a été déclaré perpétuel et juré solennellement, ce n'est pas sans contestation qu'il est violé ou changé. Peu importe. Après une, deux ou trois guerres civiles, la Confédération devient une seule nation, RL: Te de de TR EN F. AIRE 3/46 SÉLECTION DANS L’'ESPÈCE HUMAINE. dans je sein de laquelle continue encore le travail de ré- cularisation ‘. Les royaumes unis sous un même souverain tendent presque toujours à se fondre en un seul État, vo- lontairement ou forcément (îles britanniques, Russie et Pologne). Quelquefois plusieurs petits États indépendants se hâtent de fusionner, sans passer par la forme fédéra- tive, comme on l’a vu récemment en Italie, mais c’est un exemple rare. La période plus ou moins longue d’uniformité crois- sante est celle de la force d’une nation. Elle profite alors de l'énergie des institutions locales, des aptitudes prapres à chaque classe de la société et en même temps de la vi- aueur d'un commandement central. C’est le moment des conquêtes, où des annexions plus où moins volontaires. On aspire à la crandeur territoriale, qui devient elle-même une source de force pour uniformiser et régulariser da- vantage. Une fois la nation parvenue à une complète uniformité, sans institutions locales autres que celles qu’on veut bien laisser où donner, sans aristocratie indépendante et res- ponsable, sans diversité réelle de mœurs et d'opinions d'une province à l’autre, on voit commencer une phase particulière qui conduit, par une voie lente, à dé nouvelles constitutions de peuples. Chaque individu, dans un vaste pays uniformisé, compte pour si peu parmi les millions d'unités humaines, et les minorités y sont tellement impuissantes, qu'on prend l'habitude de courber la tête. On ne porte plus au pays qu'un intérêt vague et théorique. Chacun ne pense qu'à soi et sa famille. Comme il n°y a plus de elasse respon- ! Pour apprécier cette marche, il faut faire abstraction des va- riations annuelles et comparer le même pays à des intervalles de 30, 40 ou 50 ans. PCT CP es IT ES QE LL SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. 47 sable de la conduite des affaires et gardienne des tradi- tions, 1 n'y a ni véritable division du travail politique, nt spécialité. Chacun est supposé apte à tout et l'est mé- diocrement. Dans un système républicain. c’estle triomphe des ambitieux, des intrigants, qui parviennent à gouver- ner paree qu'ils profitent d’usages despotiques, ou se moqueni des formes électorales et des assemblées régu- lières. Ordinairement cet état de choses conduit très-vite à un pouvoir monarchique absolu, mais dans lun ei Pautre cas, ce n’est plus que la force brutale d’une insur- rection ou d’une révolution de palais qui peut donner au malheureux publie la satisfaction de changer de maitres: L'empire romain, la Chine, l'empire ture, les vastes colo- nies espagnoles de Amérique ont vécu ou vivent encore de cette manière, et certains États modernes progressent dans le même sens”. Il faut du temps pour y arriver. I faut surtout de vastes associations monarchiques ou ré- publicaines, dans lesquelles chaque individu ne compte plus que pour un cent millionième, par exemple. Entre celte proportion homæopathique de force individuelle et la nullité absolue, la différence est si légère qu'il ne vaut pas la peine d'y penser. Chacun a le sentiment que, s'il a encore le droit de voter, il ne peut pas plus influer sur la marche des affaires dans son pays que sur celle du vent ou de la marée. Alors commence le travail de dislocation. La grande association uniformisée n'a plus de force contre des enne- mis intérieurs ou extérieurs. Personne n'a de motif ni de pouvoir suffisant pour résister. Les chefs se divisent, les provinces se révoltent, les étrangers envahissent, et après des événements, qui peuvent être lents comme la chute de ! L’Inde anglaise en est un exemple remarquable. nées. Lei + Bi dl dd a J48 SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. l'empire romain, ou rapides comme le fractionnement des possessions espagnoles en Amérique, de nouvelles nations se trouvent formées qui décriront à leur tour leur ellipse. En définitive, les nations naissent ou par démembre- ment d'anciennes nations presque toujours parvenues à maturité, ou par des colonies. Une fois créées, leur force militaire relative n’est pas ordinairement ce qui les fait durer. Il y a des conquêtes, sans doute, et des réunions arbitraires de pays imposées par des traités, mais les ag- elomérations fondées sur la force sont ordinairement éphémères. Les empires d'Alexandre, de Charlemagne, de Napoléon et bien d’autres l'ont prouvé. La marehe his- torique est plutôt celle d’agrandissements successifs et par- tiels, combinés avec un travail intérieur tendant à l’uni- formité, lequel conduit à une sorte de maturité, puis de décadence forcée, et finalement à la formation d’autres sociétés : Novus tunc renascitur ordo. Sous un point de vue très-général, c’est bien l'adap- tation aux circonstances qui fait durer et prospérer les nations, mais cette adaptation elle-même dépend beau- coup des conditions intérieures. C’est done dans le sein de chaque société humaine, soit nation, qu'il faut pénétrer, pour voir les phénomènes le plus semblables à la lutte des individus végétaux ou animaux, à leur adaptation aux circonstances extérieures et aux sélections qui en ré- sultent. Je voudrais auparavant dire quelques mots des classes de nos sociétés humaines, agglomérations inter- médiaires entre les individus et les nations. $ 3. La sélection en ce qui concerne les classes dans l’intérieur d’une même nation. La formation des classes est tout à fait particulière à PS TP SP PORT RS CRT SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. 3549 l'espèce humaine. Elle résulte d’une tendance habituelle des individus et des familles qui se ressemblent, à se grou- per et à s'unir par des mariages, de façon à constituer de petites sociétés dans l'intérieur de la grande. Chacune de ces sociétés limitées, sous l'influence de conditions parti- culières d’ origine, d'éducation, de mœurs, d'habitudes et d'intérêts, ressemble à une race ou plutôt à une subdivi- sion de race, mais plusieurs causes arrêtent cette diver- sence et lui imposent des limites plus où moins étroites. Rien de pareil n'existe en dehors de lespèce hu- maine. Dans les espèces de vertébrés qui vivent en société, même chez les plus intelligentes, comme les singes, les chiens, les oiseaux, ce ne sont pas les individus analogues qui s'associent. Au contraire, les plus forts se battent entre eux et s’excluent les uns les autres; les plus voraces également. Les plus intelligents ne paraissent pas se re- connaître et-s’associer. Les plus rapides à la course ou au vol se trouvent bien à côté les uns des autres dans une fuite ou une migration, mais c'est le résultat d'un fait tout matériel, sans volonté commune apparente. Les fa- mulles se roupent moins encore que les individus. Dans les sociétés d'insectes, par exemple chez les four- mis et les abeilles, le nombre immense des individus et la distinction de certaines catégories déterminent quelque ressemblance apparente avec nos sociétés humaines. En réalité, les catégories n'y sont point analogues à des classes. Elles résultent ou d'espèces différentes vivant en- semble, ou de distinctions sexuelles. Dans les fourmis, les esclaves n’auraient pas dû recevoir ce nom. Elles sont l’a- nalogue de nos animaux domestiques, nullement d’es- claves, puisque ee sont des individus d'une autre espèce, dont les larves ont été prises et les jeunes individus élevés 390 SÉLECTION DANS L’ESPÈCE HUMAINE. de manière à travailler au profit des maitres. Quant à la distinction des males, femelles et neutres, c’est l'effet d'une nourriture particulière donnée à certains individus qui les rend féconds ou inféconds. La catégorie des neu- tres est à peine représentée dans nos sociétés humaines par une petite population féminine sans descendance, et sur ce point, l'organisation de nos sociétés est inférieure à celle des sociétés d'insectes. Chez nous, le chiffre de la population, relativement aux moyens d'existence, se règle par une mortalité énorme des enfants le moins bien soignés, par les infanticides, les guerres, les épidémies, iandis que les abeilles et les fourmis peuvent augmenter ou diminuer leur population en nourrissant les larves d'une eertaine manière. Le problème cherché par les phi- losophes, depuis Platon jusqu'à Malthus, se trouve résolu chez elles sans cruauté, sans violence, par un simple pro- cédé physiologique. En définitive, dans les animaux, rien ne ressemble à nos classes composées de familles et par conséquent héréditaires. Celles-ci doivent provenir beaucoup de lintelligence plus développée de Fhomme. Il y à pourtant aussi une base naturelle, pour ainsi dire instinctive, car si les in- dividus qui se ressemblent le plus avaient de la répugnance à se rapprocher, c’est en vain que des raisonnements fon- dés sur l'intérêt ou l’amour-propre essayeraient de lutter. Les rapprochements ne seraient que passagers et indivi- duels, tandis que les classes durent et comprennent de nombreuses familles. On remarque des distinctions de classes chez des peuples barbares et même sauvages. Cependant, il a fallu pour la naissance de cette idée que la famille fût constituée d’une manière un peu régulière, ce qui suppose aussi une COn- stitution de la propriété. Les recherches très-curieuses de SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. 391 M. Louis H. Morgan ‘ sur la dénomination des rapports de parenté chez les peuples anciens d'Asie, d'Europe et d'Amérique montrent qu'à une époque préhistorique re- culée, l'espèce humaine vivait dans l'état de promiscuité. Les peuples américains, les anciens Chinois et d'autres peuples asiatiques encore arriérés, n’ont pas d'expressions pour désigner les relations collatérales d’oncle, tante, ne- veu, nièce, grand-oncle, ete. [ls appellent fils ou filles d'un individu tous les enfants de lui ou de ses frères et sœurs: de même ils nomment pères ou mères tous les frères ou sœurs du père on de la mère, grand-pères ou grand - mères tous les frères ou sœurs de la génération au-dessus. Selon M. Morgan, c'est la preuve d’une promiscuité qui existait entre es frères et sœurs d'une même famille. On ne connaissait pas les filiations, et, dans le doute, on assi- milait les individus nés de contemporains. Il y avait des groupes d'individus de même âge ou à peu près, vivant dans une condition qui peut être désignée, sous la forme linnéenne, par polyandrie, polygynie. Suivant M. Morgan, la tribu à succédé à cette forme primitive de l'espèce hu- maine. Elle à pour base une famille régulière, polygame ou monogame. Un de ses traits distinctifs est l’usage de se marier entre personnes de tribus différentes. C’est un progrès dans l’ordre moral, l'union entre proches parents étant déjà mal vue ou interdite. La tribu elle-même gran- dit sous la forme de nation. On voit alors des classes ou castes dans le sein d’une vaste agglomération, et elles re- posent sur des idées bien différentes des tribus, puisque Proceedings of the American Academy of arts and science, 11 février 1868; vol. VII, p. 436-477. Après avoir réuni de nouveaux documents, l’auteur annonçait alors un mémoire complet, qui devait paraître et qui a peut-être paru dans les Transactions of the Smith- sonian institution. 352 SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. les mariages ont lieu surtout entre personnes du même sroupe. L'existence de classes est un fait commun à toutes les sociétés humaines sorties d’un état primitif. Pour s’en as- surer, il faut écarter certaines erreurs qui proviennent de mauvaises désignations et se méfier des apparences. Les classes se disputent et s’arrachent le gouvernement de la société. De là, des appellations injurieuses ou pré- somptueuses. De là aussi cette idée fausse qu’une classe n'existe plus quand on lui a Ôté l’action gouvernementale. En réalité, la distinction des classes se rattache, quelque- fois, à une idée exagérée de l'hérédité des facultés phy- siques et intellectuelles, et toujours à l'existence de pro- priétés individuelles, transmissibles aux enfants, propriétés : qui sont la condition sine qua non de toute société sortie de l'état sauvage. On n'a jamais pu faire vivre une société tant soit peu civilisée sur d’autres bases, parce que la transmission de la propriété est à la fois un instinct et la seule condition d'un travail régulier. Une fois la propriété transmissible donnée, ii s'établit toujours trois degrés en vertu du fait exprimé nettement par le proverbe : Qui se ressemble s’assemble. Au premier degré se trouve la mul- titude qui travaille, et économise de manière à vivre seule- ment d'année en année et quelquefois dé jour en Jour, avec la chance de s'élever au-dessus par un bon emploi de ses ressources, c’est-à-dire de ses forces, de son intelli- sence et de sa moralité. La classe moyenne est formée par les individus et les familles qui ont économisé un capital mobilier ou acheté sur leurs économies un terrain, de manière à pouvoir travailler moins rudement et à jouir de plus de liberté, sans cependant pouvoir se dispenser d'une occupation lucrative. Enfin, la troisième classe est celle des gens assez riches pour pouvoir ou ne pas tra- es SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. ShN: vailler, ou faire un travail gratuit au profit de la commu- nauté. Chez les barbares, des catégories d'hommes vio- lents s'emparent quelquefois des capitaux par la force: chez les civilisés, quelques individus s’enrichissent par de mauvais moyens. En définitive cependant, la fortune ne reste guère dans les familles à moins d’un certain travail et d'un certain degré d'économie, de telle sorte qu'à un point de vue très-cénéral, ces deux conditions déterminent les différences. Maintenant il se peut que les familles riches gouvernent, Ou si vous voulez, que les gouvernants soient les plus riches. Il se peut aussi que les hommes revêtus d'autorité proviennent de deux des catégories de fortune ou de toutes les trois. Cela dépend de la lutte politique entre les classes, mais au fond les trois elasses existent toujours. La suprématie politique est d'autant moins es- sentielle comme attribut des classes qu'à bien considérer, elle appartient à certains individus en particulier. Le trou- peau humain est toujours poussé par quelques hommes : princes, prêtres, politiques ou politiciens *. Dans une no- blesse légalement constituée, les individus qui gouvernent forment une petite minorité de cette noblesse. Dans une démocratie, si vous comptez les orateurs influents, les hommes qui dirigent les comités électoraux, ceux qui posent les questions sur lesquelles vote le peuple, et les principaux orateurs ou Journalistes, en un mot tous ceux qui dirigent la foule et qui gouvernent effectivement, c'est une fraction minime. Les luttes sociales, pas plus que les luttes politiques. ne détruisent les classes. Elles peuvent quelquefois devenir très-nuisibles aux individus de telle ou telle catégorie, ! Cette expression est nécessaire pour les pays démocratiques. Le politicien est à l’homme politique ce que le faiseur est à l’homme: d’affaires. 99 23 En 2 “ è hé . 39/4 SÉLECTION DANS L'ESPECE HUMAINE. aux riches, par exemple: mais après un mouvement de destruction des capitaux, comme ceux de la Jacquerie, de la Terreur ou de la Commune de Paris, la nécessité du travail pour vivre, l’instinet de la propriété, plus vif chez l’homme que chez les animaux, et le sentiment de la fa- mille, enfin toutes les diversités intellectuelles et morales des travailleurs, ramènent la distinction des trois classes. Cette distinction est quelquelois tellement tranchée qu'elle domine l'idée de nationalité. En d’autres termes. il arrive quelquefois que les individus d’une classe dans un pays ont plus d’aflinité pour ceux de la même classe dans d’autres pays qu'avec leurs compatriotes de classes différentes. Par exemple, en Europe, jusqu'en 1789, il était assez fréquent, chez les gentilshommes, de prendre du service hors de leur pays, ce qui voulait dire se joindre à des officiers étrangers qui appartenaient aussi à la no- blesse. Les mariages étaient plus nombreux entre familles nobles de différents pays qu'entre nobles et roturiers du même pays. Pendant un demi-siècle, nous avons vu l'idée de nationalité dominer celle de classe. Maintenant nous voyons les ouvriers se grouper sans égard aux nationali- tés. Les castes des Indous, qui sont une exagération du système des classes, montrent aussi des groupes plus forts que telie ou telle nationalité du même pays ‘. J'arrive à une conclusion. Les trois classes fondamentales existent toujours. Elles sont même quelquefois plus fortes que l'ensemble d’une ! D’après les recherches modernes des érudits, la religion primi- tive des Indous n’avait pas constitué les castes comme elles ont existé à la suite des siècles. Elles se rattachaient, probablement par leur origine, aux diversités de la race blanche conquérante et des races colorées soumises. Elles ont ensuite subi des modifications et se sont subdivisées par l’effet de causes nombreuses. Voir Max Muller, Chips Jrom «a german workshop, 2 vol. in-8°. SÉLECTION DANS L'ESPECE HUMAINE. 39 société. Leurs luttes n'ont pas pour effet de les anéantir, mais de modifier leurs attributions, ou plutôt les attri- butions de quelques-uns des individus qui les composent, dans l'organisme de la grande société. Par conséquent, si nous voulons employer le langage de l'histoire naturelle moderne, la lutte entre les classes n’est pas pour lexis- tence. Dès lors, elle n’est pas tout à fait analogue à celle entre les sociétés soit nations, ni à celle entre les espèces. Cette lutte des classes influe beaucoup sur le caractère des familles qui les composent. Si les individus d'une classe ont, dans une nation, certaines qualités ou certains défauts mieux adaptés aux besoins de la nation en géné- ral, ils prospèrent davantage. De même, quand ils ont au plus haut degré certaines qualités ou certains défauts utiles dans leur propre classe. Par exemple, dans une classe riche et en même temps gouvernante, la capacité politique fait avancer : dans une classe riche, étrangère à toute ac- tion dirigeante, comme celle des États-Unis, la richesse sera la qualité la plus appréciée. Dans la classe moyenne, on réussit surtout par une intelligence pratique, par la moralité et l’ordre, et dans la classe pauvre par l’ordre, la moralité et l'aptitude au travail manuel. Tout cela se rat- tache donc à la lutte entre les individus, à leurs diversités. et aux sélections qui en découlent. $ 4. La sélection en ce qui concerne les individus de la même société humaine. A. Chez les sauvages. Il est assez facile de comprendre les conditions qui rendent un homme de quelque peuplade sauvage supérieur aux autres, ou pour parler plus exactement, mieux adapté aux circonstances dans lesquelles se trouve la peuplade. j , Le 390 SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. Celle-cr est toujours en guerre avec ses voisins ou obligée de se défier d'eux. Ses moyens d'existence sont surtout la chasse ou la pêche. L'intelligence est si peu avancée que les habitations, la nourriture et les vêtements font souvent défaut. Dans un pareil état de choses, les qualités en vertu desquelles un individu peut l'emporter sur les autres et avoir, par conséquent, le plus de chance de laisser des descendants, sont de jouir d'une vue perçante, d’avoir l'ouie fine, une certaine force musculaire et surtout la fa- culté de bien résister au froid, au chaud, à l'humidité, à la faim. Certaines qualités morales ou intellectuelles sont utiles aussi au sauvage, par exemple une grande force de volonté, de la finesse, de la perspicacité, même de l’élo- quence pour entrainer ses compatriotes ou leurs alliés. Les conditions physiques sont-elles plus nombreuses et plus décisives, M. Wallace le pense ", mais il est permis d'en douter. Le sauvage le plus heureux à la chasse n'est peut-être pas celui qui est le plus fort ou qui a la vue la meilleure, mais celui qui comprend le mieux les habitudes des animaux et qui sait le mieux inventer des armes ou des piéges. De même, pour résister aux intempéries, 1l est bon d’avoir une peau très-épaisse et huileuse, à défaut du poil des animaux, mais il est peut-être plus avanta- geux d’avoir le petit degré d'intelligence qui fait qu'on se couvre d'une peau de bête et qu’on passe la nuit dans les cavernes. En réfléchissant à toutes les inégalités physiques et intellectuelles des individus sauvages, il semble que leurs races auraient dû changer et se diversifier plus qu'elles ne l'ont fait. La variabilité est nécessairement accompa- * Wallace, La sélection naturelle, Essais, ete., traduction fran- çaise, p. 318 et suivantes. PTE NS CPR TE Se ve 2 SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. 397 gnée de sélection, et cependant, au midi de l'Asie et en Afrique, pays où l'homme est très-ancien et n’a Jamais manqué d'ennemis, les races sauvages se sont peu modi- fiées, à moins que leurs modifications ne se soient opé- rées d'une manière extrémement lente, depuis une époque de beaucoup antérieure à l'histoire, ce qui n’est pas plus facile à comprendre. L’explication me parait se trouver dans certaines causes qui entravent chez les sauvages les effets naturels de la variabilité et de la sélection. En voici quelques-unes, et il y en à peut-être d’autres : {° L’oppression des faibles, un des caractères les plus détestables de l’état sauvage, a pour effet de compenser jusqu'à un certain point la sélection. Ainsi les femmes sont ordinairement maltraitées ; on les surcharge de tra- vaux, on les frappe comme des bêtes de somme, et c’est à peine si on leur accorde le repos nécessaire après leurs couches. La faiblesse qui en résulte retombe sur leurs en- fants. De cette manière, le guerrier le plus vigoureux à bien la chance de laisser des enfants d'une certaine vi- gueur, mais une chance tout opposée est transmise par les mères, et comme les enfants ressemblent tantôt à lun. tantôt à l’autre des parents, 1! ne doit guère y avoir pro- grès, même au point de vue purement physique. 20 L'emploi de la force à l'égard des faibles n’est pour- tant pas aussi Constant et aussi rigoureux que notre sé- lection dans les animaux domextiques. Un éleveur sacrilie sans hésiter les jeunes animaux mal conformés ou qui ne présentent pas les attributs de la race. Il abat avec la même promptitude les animaux malades où âgés qui se- raient de mauvais reproducteurs. Les sauvages ne pous- sent pas la barbarie jusqu'à sacrifier aussi lestement les faibles de leur propre race. Leurs superstiions ne con- sistent pas toujours en des actes cruels comme les sacri- 398 SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. fices humains. Elles protégent quelquefois des demeures, des arbres utiles ou des districts entiers, par exemple au moyen du fabou des insulaires de l'Océan pacifique. De cette manière, la propagation de l'espèce n’est pas réser- vée exclusivement aux plus forts où à ceux qui ont au plus haut degré certains avantages physiques. 3° Enfin, l'intellisence et la moralité des sauvages sont si peu développées, leur manière de vivre est si primitive, qu'ils ne peuvent ni constituer des nations d’une certaine force, ni établir des lois ou des institutions favorables au développement des facultés. Jindique cette dernière cause avec un certain doute, parce que les lois et les msttutions peuvent agir dans des sens opposés, comme nous le ver- rons tout à l'heure, mais a priori les lois et les institu- tions les plus utiles sont probablement celles qui durent le plus. Les sauvages ne peuvent guère en établir de cette sorte, parce qu'ils vivent, jusqu'à un certain point, au jour le Jour. En somme, la lutte est affreuse entre les individus d'une peuplade sauvage, mais la sélection qui pourrait en résulter, et qui serait une heureuse compensation, est entravée de plusieurs manières. On voit par là pourquoi les sauvages changent peu et s'adaptent finalement assez mal aux conditions dans lesquelles ils se trouvent. Sans ces obstacles, l'Amérique, par exemple, avec ses ressources immenses pour la nourriture de l’homme, se serait peu- plée davantage antérieurement à l’arrivée des Européens, et ses races anciennes auraient été plus vigoureuses: l'Australie aurait produit à la longue quelques peuplades d’une certaine valeur, ayant au moins certaines qualités physiques spéciales, par exemple de résister à de longues sécheresses. Cela n’est pas arrivé. Les peuples sauvages de ces régions ont été plutôt stationnaires. Il ne faudrait SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. 399 pas en conclure que la variabilité héréditaire et la sélec- tion soient des utopies, mais on est obligé de reconnaitre qu'elles n’agissent pas d’une manière régulière, et qu'elles sont fortement entravées par leurs oppositions, du moins parmi les sauvages ‘ B. De la sélection chez les barbares. Les peuples barbares ont l'intelligence plus développée que les sauvages. Un des premiers résultats qui en dé- coulent est une véritable division des professions et des fonctions publiques. IF y a des cultivateurs, des industriels, des marchands, des médecins, des militaires, des prêtres, des autorités supérieures de plusieurs sortes. Ordinaire- ment on distingue un souverain, des nobles et des prolé- taires. La spécialité des professions ét des fonctions est cependant encore assez imparfaite. Le travail mécanique se fait surtout en famille, et le même ouvrier confectionne toutes les parties d’un même objet. Les fonctions exécu- tives, législatives et judiciaires sont souvent confondues dans les mêmes mains. Les prêtres sont souvent légis- lateurs, et les autorités ont presque toujours des attri- butions à la fois militaires et civiles. Ce qui distingue en- core plus l’état barbare de l'état civilisé, c’est la prédomi- nance habituelle de la force, même d'une force arbitraire ef irrégulière, résultat inévitable de la confusion des fonc- tions et d’une moralité peu développée. La sécurité et la liberté mancuent à la plupart des individus. .! J’ai abrégé ce qui concerne l’état sauvage, parce que c'est un des sujets les mieux traités dans les publications récentes des An- glais. Voir sir Jahn Labbock, Origin of civilisation et Prehistorie tunes; Fylor. Prinutire eutiure: Darwin, dans tous ses ouvrages; et uné foule de publications citées par ces auteurs. 360 SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. Voyons les effets relativement à la sélection. Les hommes qui naissent et se développent avec le plus de force physique ont la meilleure chance de survivre à tous les actes de violence et aux guerres continuelles d’un semblable état de société. Cependant, les avantages intel- lectuels ne sont pas sans utilité. Il faut en effet une grande «dose de volonté et d’habileté pour diriger les populations nombreuses que la division du travail ou des conquêtes ont agglomérées. Chaque métier, chaque profession libé- rale exige pour réussir un certain degré d'intelligence. La rivalité qui s'établit entre les personnes du même métier est au profit des plus capables. [n’est pas jusqu'au loisir des princes et des nobles qui ne contribue au développe- ment de l'intelligence, par les bienfaits distribués aux gé- néraux les plus habiles, aux artistes, aux poëtes et même quelquefois à des savants. Les faibles de corps et d'esprit sont annulés, on peut même dire écrasés, dans un pareil état de société. Parfois le caprice d’un noble ou d’un souverain sera favorable à quelque pauvre individu contrefait ou dénué de raison, mais, en général, les moins vigoureux, les moins adroits, les moins intelligents restent en arrière. Ils doivent sou- vent périr sans laisser de descendants. La polygamie est une conséquence naturelle de l’abus de la force. Au milieu de beaucoup d’inconvénients, elle a cet avantage que la population de la classe riche se maintient par un choix continuel de femmes douées de beauté et de santé. Nous venons d’énumérer ce qui est favorable à une bonne sélection, tantôt par une prime donnée à la force, à l'intelligence ou à la beauté physique, tantôt par élimi- nation des individus qui n’ont pas ces qualités. Si de telles influences agissaient seules, les peuples barbares ra SÉLECTION DANS L'ESPECE HUMAINE. 301 s’éléveraient vite, par une sélection très-active, mais 11 Y a chez eux des actions opposées, peut-être aussi puis- santes. Et d’abord, rien ne favorise la moralité. Au contraire, les gens scrupuleux et honnêtes, ceux surtout qui osent blàmer les abus de la force, sont maltraités et quelquefois envoyés au supplice. La ruse, le mensonge, de basses complaisances, l'intrigue sont souvent les meilleurs moyens de réussir. Il se fait donc chez les barbares une sélection qui est plutôt dans le sens du vice que dans celui de là moralité. En outre, l'oppression des faibles réagit sur les forts. comme nous l'avons remarqué pour les sauvages. La classe la plus nombreuse, étant opprimée et appauvrie, se développe mal au point de vue physique. Les enfants déli- cats, que la pauvreté dans les classes inférieures et là polygamie dans les classes riches laissent mourir en grand nombre, sont souvent — peut-être le plus souvent — ceux qui naissent avec le plus d'intelligence ou qui se dé- veloppent le plus dans un sens intellectuel. Les anciens avaient remarqué la bêtise des lutteurs, et il est aisé de comprendre, d’après les notions actuelles de physiologie, qu'un développement considérable du système nerveux marche presque toujours avec l’affaiblissement du système musculaire. Malgré les exceptions, on peut dire qu'il y à un balancement presque forcé entre les qualités physiques et les qualités intellectuelles, entre la vigueur (compagne ordinaire de la beauté) et l'esprit. Les conditions géné- rales des peuples barbares paraissent done, en définitive, favoriser un peu l'intelligence, mais bien plus la force physique et la beauté. L'observation des faits vient assez à l’appui de ces données théoriques. Les plus beaux types de l'espèce humaine et les soldats les plus robustes se 302 SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. voient peut-être plus souvent chez les barbares que dans les nations civilisées. De nos jours, les Persans, les Cir- cassiens, les Arméniens, les Tures (améliorés par des al- liances polygames avec des Circassiennes où Arméniennes), dans d’autres races, les Malais, les Abyssins, etc., sont des exemples évidents de la force physique et de la beauté, unies à une certaine intelligence, avec d'énormes déficits dans les qualités morales. La volonté sans frein des despotes barbares semble, au premier aperçu, pouvoir exercer une sélection arüficielle sur les troupeaux d'êtres humains qui leur sont soumis. Les esclaves surtout, et il en existe dans presque tous les pays barbares, les esclaves, dis-je, pourraient être par- qués, triés, appareillés comme des moutons ou des che- vaux. On obtiendrait ainsi des races nouvelles appropriées à certains usages où douées de formes distinetes. Cela ne s’est pourtant jamais vu, et voici pourquoi. Les despotes ‘ont pas assez de persévérance et ne vivent pas assez longtemps pour opérer sur plusieurs générations humaines. Leur intelligence d’ailleurs n'est pas assez développée, et les malheureux esclaves, qui en ont quelquefois plus qu'eux, se soustraient à certaines de leurs exigences. L'homme peut influer beaucoup sur les animaux, parce qu'il leur est supérieur en intelligence, et que la durée de sa vie est plus longue. Le même éleveur peut voir deux ou plusieurs générations d'un animal domestique. Il peut faire plu- sieurs triages successifs. Au contraire, la vie d’un despote n'est pas différente de celle des autres hommes. A sup- poser chez lui de l'intelligence et de sonnes intentions, ce qui est rare, il ne peut pas réussir, ne fût-ce que par défaut de durée. En revanche, l'influence des religions se prolonge bien au delà de la vie d’un homme. Chez les barbares, elle esl Tate CU NN R _ di « SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. 365 quelquefois très-puissante. La confusion primitive des idées fait que leurs religions sont à la fois politiques, so- ciales et philosophiques. Elles prescrivent quelquefois des règles qui durent pendant des milliers d’années et doivent influer un peu à la manière d’une sélection. Par exemple, la prohibition du mariage entre parents rapprochés est une mesure favorable à la race, en même temps que mo- rale, D'après la science moderne, ce genre de prohibition devrait être étendu, plutôt que restreint. La religion des Juifs imposait, même à une époque où ce peuple n’était pas civilisé, des règles très-favorables à l'hygiène et aux mœurs, par conséquent favorables à la beauté et à la vi- sueur de la race. D'un autre côté, les peuples barbares ont ordinairement des religions composées plutôt de su- perstitions et de formes inutiles ou nuisibles. Les sacri- fices humains en sont l'extrême le plus affreux, mais les tortures plus ou moins volontaires, les jeûnes, les prohi- bitions de substances alimentaires parfaitement nutritives, le célibat forcé sont autant de manières de tourmenter les hommes de génération en génération, de les rendre plus faibles de corps ou plus cruels ‘, et comme ces restric- tions inhumaines pèsent sur les gens les plus conscien- cieux, les familles se propagent surtout par les autres. II s'opère ainsi une sélection dans un mauvais sens. Quant aux recommandations de justice, de charité, d'amour du prochain qui existent dans les religions de plusieurs peu- ples, même barbares, elles contribuent évidemment aux ! Dans toutes les espèces animales qu’on peut comparer physi- quement à l’homme, la séparation des sexes rend les individus, sur- tout les mâles, méchants, quelquefois féroces. On s’apercevrait mieux de cet effet dans l’espèce humaine, si la continence absolue n’était assez rare, et si, lorsqu'elle existe, des influences religieuses puis- santes ne parvenaient quelquefois à modifier l’état naturel. 30% SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. progrès moraux. Elles préparent une meilleure civilisation, mais par la voie lente d'influences individuelles qui ten- ‘ent à devenir héréditaires, et que l'éducation et l'exemple lortifient. C'est une cause de variations individuelles, peu suivie de sélection. En effet, l'oppression fréquente des sens à mœurs douces et de tendances honnêtes par les violents et les vicieux, dans l'état de barbarie, combat cette variation utile et conduit à une sélection dans un Mauvais SERS. En définitive, l'état de société appelé barbarie paraît ne favoriser absolument que la beauté physique. IT est contraire à la moralité et peu favorable aux progrès de l'intelligence. C'est cependant par les idées qu'un peuple barbare se civilise graduellement, d'où il faut conclure que Pintelligence progresse quelquefois chez eux. C. De la sélection chez les peuples civilisés. Les nations dites civilisées, qu'il vaudrait mieux appe- ter incomplétement cvilisées, offrent relativement aux barbares un développement de l'intelligence et de la mo- ralité plus élevé et surtout plus général. La force y joue un moins grand rôle. Elle est appliquée ordinairement à réprimer les malfaiteurs et à maintenir la société contre les révoltes ou les attaques venant du dehors. Les profes- sions et les fonctions publiques sont extrêmement sub- divisées. Une remarquable sécurité résulte du bon emploi de la force et de la limitation de pouvoir de chaque fontc- tionnaire. Cette sécurité permet une grande liberté de pa- role, décrits et même d'action, dans tout ce qui n'est pas défendu par une loi ou gèné par une opinion publique intolérante. La sécurité et la liberté produisent à leur tour une accumulation de éapitaux qui deviennent une nou- it "Abri SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. 20 velle source de développement intellectuel, car il faut du loisir, c’est-à-dire de l’aisance pour étudier. Les profes- sions libérales jouissent comme les autres des avantages de la subdivision. A mesure qu'elles font des progrès, ceux qui les exercent influent davantage et répandent plus de lumières. La société dans son ensemble se connait. Elle peut, jusqu'à un certain point, se diriger. Le sentiment de la justice et du droit, fortifié par des discussions, crée une opinion publique éclairée. Les croyances religieuses datent quelquefois des temps les plus anciens, mais la morale qui les accompagnait à l’origine est modifiée. On ne se représente plus la vengeance comme un attribut de la divinité, et aucune législation n'admet ce qui existe en- core chez les Arabes, qu'un individu soit punissable pour les fautes, ni même pour les érimes de son père ou de ses ancêtres, de ses voisins où de ses compatriotes. Encore moins serait-il admis que la mort d’un homme innocent. d’une pure jeune fille ou d'un agneau rachetàt des cou- pables. La moralité est basée sur la conscience indivi- duelle, et l'accord de certains sentiments chez les hommes consciencieux détermine des idées générales d'honneur et de probité, qu'on ose rarement affronter. De cet ensemble de choses résultent des législations plus humaines, plus équitables, plus éclairées que celles des peuples barbares, et surtout des législations que la force des autorités pu- bliques fait ordinairement respecter, au lieu de les en- freindre. La civilisation a des degrés. Chaque peuple ou fraction de peuple et, pour ainsi dire, chaque individu estime ces degrés selon sa manière de voir, d'après des points de vue trop limités, et sans réflexions suflisantes. Abstraction faite des tendances personnelles ou nationales, on peut admettre le principe suivant : le peuple le plus avancé en Léna nd. si. n 306 SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. civilisation est celui chez lequel se présentent au plus haut degré les caractères qui distinguent de la barbarie. Or, ces caractères, dont la source est au plus profond de l'intelli- sence et du cœur des hommes, par conséquent dans une région assez obscure, se manifestent heureusement par quelques faits extérieurs faciles à constater. On peut grou- per ces faits sous trois chefs : {° limitation de l'emploi de la force à des cas de défense légitime et de répression des violences illégitimes : 2° spécialité des professions et des fonctions: 3° liberté individuelle d'opinion et liberté d’ac- tion, sous la condition générale de ne pas nuire à autrui. On pourrait toujours contester les caractères plus in- times de la civilisation, comme le degré de moralité, de science, etc., mais ces trois faits peuvent se voir, et par eux on juge assez bien du degré de civilisation des divers peuples. À ce compte, il y en a peu qui approchent d’une véritable et complète civilisation, car les faits de violence non justifiée, de cruauté, de guerres offensives ou de guerres défensives prolongées au delà du nécessaire, les exemples d'intolérance, d’arbitraire, de confusion des pouvoirs sont malheureusement assez répandus chez les peuples qui se disent eivilisés. Il est même curieux de les voir retourner quelquefois, de propos délibéré, aux habi- tudes des pays barbares. On reproche à ceux-ci la con- fusion des fonctions, mais la division n’est plus observée chez les civilisés quand les mêmes individus sont à la fois militaires et civils, administrateurs et législateurs, juges et officiers, etc. La liberté individuelle est quelquefois mise de côté volontairement dans des pays où l’on parle beau- coup de liberté, par exemple quand on oblige tout le monde au service militaire ". Dans ce cas, on estime que ! On objectera sans doute que le but de ces actes est louable. l'avantage de pouvoir résister à d'autres nations, et même de pouvoir leur imposer sa volonté, est supérieur à celui de la liberté personnelle. Je ne veux pas discuter iei le principe et ses applications, mais il est clair qu’en im- posant par contrainte une profession essentiellement con- traire à la liberté de chaque instant, d'une nature dange- reuse, et qui vous force à faire des choses auxquelles vous répugnez, comme de prendre le bien d'autrui et de tuer, on revient aux pratiques des barbares. En réalité, telle civilsation est plus avancée sur un point, telle autre sur un autre. C'est en distinguant les signes caractéristiques et en comparant avec les pays barbares qu'on s'aperçoit bien des ressemblances et des différences. Au surplus, une civilisation avancée n'est pas une €ivi- sation parfaite ou approchant de la perfection. La civi- lisation la plus avancée est simplement celle qui s'éloigne le plus de l’état barbare: mais elle a ses défauts. Par exemple, une extrême douceur de mœurs conduit à la faiblesse, même à la bassesse. Une grande liberté indivi- duelle présente d’autres inconvénients. En général, il vaut mieux ne pas parler de perfection en fait d'état social. d’abord parce qu'elle n'existe jamais, et aussi parce que chacun met la perfection dans la qualité qui lui plait le plus, ou dans l'absence des défauts qui lui sont le plus désagréables. Tâchons d'éviter ces vues trop exclusives, et pour être clairs, envisageons seulement les États civi- lisés comme s’éloignant plus ou moins des conditions de la barbarie. SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. 367 C’est vrai pour les guerres défensives, mais la limite est-elle tou- jours claire entre une guerre offensive et une guerre défensive ? Les seuls pays qui aient conservé le système du service volontaire, savoir l'Angleterre et les États-Unis, sont aussi les moins agressifs, les plus disposés à laisser chacun maître chez lui, et à recourir au système de l’arbitrage pour terminer les différends. + EE è ô % 368 SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. Le rôle de la sélection dans ces États n'est pas facile à apprécier, à cause de la complication singulière des faits et de leurs actions réciproques. L'individu, avons-nous dit, est plus libre que dans les pays barbares. Cependant, la société exerce encore sur lui une pression considérable. On peut s'attendre, par conséquent, à trouver, indépendamment de la sélection naturelle, une espèce de sélection artificielle. Il est pos- sible que lune agisse en sens contraire de l'autre. C’est ce qu'il faudra tâcher de démêler, et pour ne pas nous ézarer dans des questions aussi complexes, nous envisa- verons successivement les conditions physiques, morales et intellectuelles des populations civilisées. 1° Conditions physiques. La force, la santé, la beauté sont des avantages per- sonnels moins précieux chez les civilisés que chez les barbares. Sans doute, quelques professions demandent des qualités physiques plutôt que des qualités morales ou intellectuelles, mais elles ne sont pas nombreuses. Plus la civilisation est avancée, plus il faut d'intelligence, même dans les occupations manuelles, et aussi plus les demandes abondent pour les professions d’une autre nature. IT y a des catégories entières de professions qui conviennent aux individus faibles de corps ou ayant telle ou telle infirmité, pourvu qu'ils soient intelligents, honnêtes, instruits, ou doués de certains talents spéciaux. L’horlogerie, la bi- jouterie, la gravure, l'imprimerie, le travail des bureaux, plusieurs des professions dites libérales s'accommodent très-bien de certaines conditions physiques imparfaites qui rendent, par exemple, un homme impropre au service militaire. La plupart de ces individus seraient maltraités SÉLECTION DANS L'ESPECE HUMAINE. 309 et mourraient sans descendants chez un peuple barbare ou sauvage. Au contraire, grâce à la protection des lois dans un pays civilisé et à l'aisance qu'une vie sédentaire et occupée peut y procurer, ils se marient et transmettent plus où moins leurs défauts physiques, avec leurs dispo- siüons intellectuelles, aux générations suivantes. Quelques professions détériorent positivement la santé. Ainsi les mineurs souflrent de travailler sous terre et beaucoup d'ouvriers de passer leur temps dans des salles trop chaudes, mal aérées ou remplies de poussière. L'absence d'exercice est, pour beaucoup d'employés, une cause d’af- faibissement et de maladie. Bref, dans les populations industrielles et commerçantes, on voit bien plus d'états nuisibles que d'états favorables à la santé, et comme les individus nés faibles ou contrefaits s'adaptent plus ou moins aisément aux exigences de ces professions, et qu'ils ont en même temps l'avantage d'être exemptés du service militaire, la sélection naturelle agit en définitive plutôt dans un mauvais sens. Ÿ a-t-1l du moins une compensation provenant des unions conjugales ? Peut-on dire que, dans les pays civi- lisés, l'espèce humaine se propage au moyen des familles le mieux douées sous le point de vue des avantages phy- siques ? — Pas précisément. La santé et la beauté sont, j'en conviens, des qualités recherchées, mais on considère aussi pour se marier la fortune, la position dans le monde, l'esprit, les talents, le caractère, la moralité, et 1l y a des sympathies qui n'ont pas de causes bien apparentes. Les lois prohibent le mariage entre proches parents et au- dessous d'un certain âge, mais elles ne vont pas au delà. Elles ne pourraient pas, sans tomber dans de graves in- convénients, empêcher les gens infirmes ou estropiés de se marier si cela leur plait. La polvsamie des pays bar- 24 370 SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. bares, favorable à la beauté de la race, n'existe pas dans les pays civilisés, du moins à l'état légal, et la polygamie irrégulière, toujours fréquente à côté de la monogamie et du célibat, laisse fort peu de descendants. Ajoutez à ces causes d’affaiblissement des races eivili- sées, ou au moins de non-perfectionnement sous le rap- port de la force et de la beauté, deux circonstances très- importantes: 1° Les exigences militaires retiennent hors des liens du mariage et font périr quelquefois d'une ma- nière prématurée une foule d'individus valides, pendant que les estropiés et les valétudinaires, laissés chez eux, s’établissent et continuent la race. 2° Des sentiments très- louables, unis au progrès de la médecine et à ceux de la richesse, engagent à soutenir les malades, les faibles et les contrefaits. Toutes les infirmités, l'enfance, la vieillesse, la cécité, les maladies en nombre infini deviennent l’objet de secours généreux, tantôt des particuliers et tantôt de la société en général. Ainsi, la lutte entre les individus serait naturellement aussi terrible que Malthus la supposait: elle serait aussi destructive des faibles que chez les barbares. si la charité publique et privée ne faisait d'immenses ef- forts pour l'atténuer. La sélection, dans le cours naturel des choses, serait toute au profit des plus valides, mas elle est refoulée par la volonté des hommes civilisés. Les ré- sultats en sont plus honorables pour eux que profitables au point de vue de la race. Heureusement, cette même volonté des hommes civilisés produit d’autres effets, étran- gers à la sélection, auxquels on ne peut trouver absolu- ment que des avantages. Plus un pays est civilisé, plus les individus et les pouvoirs publics s'opposent aux in- fluences nuisibles, comme les épidémies, les constructions dangereuses ou malsaines, un travail exagéré dans les fabriques, surtout un travail imposé aux enfants. Les re- SÉLECTION DANS L'ESPECE HUMAINE. 371 ligions de notre époque ne favorisent pas le développe- ment physique, comme le faisait l’ancien paganisme des Grecs, mais les hommes éclairés et l'État peuvent ÿ SUp- pléer. Les premiers ne méprisent pas les beaux-arts, qui relèvent dans l'opinion la beauté physique, et l'État peut, dans les écoles qu'il dirige, introduire des exercices cor- porels et permettre tout au moins la vie active qui plait aux enfants et leur est nécessaire. Il peut surtout ne pas sacrifier la fleur de la jeunesse sur des champs de bataille pour de sottes questions d'amour-propre ou des intérêts d'un ordre secondaire. Si nous pesons maintenant dans notre esprit toutes ces influences, bonnes et mauvaises, de la vie civilisée au pot de vue de la force, de la santé et de la beauté des populations, nous serons fort embarrassés de savoir si le mal l'emporte sur le bien. La science toute moderne de la statistique pourrait expliquer à peu près ce qu'il en est. Malheureusement, elle ne possède pas encore certaines données nécessaires. Des documents très-positils et tres- curieux ont appris que la durée moyenne de la vie est plus grande chez les peuples civilisés que chez les autres, et qu’elle augmente à mesure que la civilisation se répand davantage et crée plus de richesse. Le nombre ordinaire- ment moindre des naissances, dans les populations tres- civilisées, et de meilleurs soins provenant de cette cause, ainsi que du progrès des connaissances médicales, amènent une diminution dans la mortalité soit absolue soit propor- tionnelle des enfants. Mais, ce qui est bien remarquable. malcré la conservation d'individus nés faibles où malades dans leurs premières années, la vie probable à chaque âge, jusque dans la vieillesse, est plus grande que parmi les populations moins civilisées. A ces faits, on peut objecter que là longévité n’est pas 372 SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. la santé: que, par exemple, les femmes vivent en moyenne un peu plus que les hommes et sont cependant moins robustes et moins valides: enfin que nous voyons fré- quemment des gens atteints de défauts physiques, ou valé- tudinaires, parvenir à un âge avancé, gràce à une certaine aisance, à certaines précautions qu'ils peuvent employer et au fait qu'aucun de leurs organes essentiels n'était compromis. Cela est vrai. [ n'est pas possible de soutenir d'une manière absolue que la longévité soit une mesure exacte de la santé. L'ouvrage du comte d’Angeville, in- titulé Essai sur la statistique de la population française (E vol. in-#, Paris 4856), est très-instructif à cet égard. L'auteur donne les chiffres de la vie moyenne par dépar- tement, pour plusieurs années, et ensuite ceux de lexemp- tion du service militaire pour causes physiques (la peti- tesse de taille exceptée), dans les mêmes années et les mêmes départements. Des cartes teintées, n° 6 et 7, per- mettent de voir, sans consulter les chiffres, comment les départements se classent sous ces deux points de vue. Il y à des analogies et des dissemblances qui étonnent. Ainsi les départements de la Normandie (population aisée) ont une vie moyenne longue et très-peu d'exemp- tions. Mais ceux de la Bretagne (population pauvre) ont une vie moyenne courte et également fort peu d'exemp- tions. M. d'Angeville à été frappé de ces différences. « Si « nous examinons, dit-il, comment les départements se « répartissent sous le rapport des exemptions pour causes « physiques, et que nous comparions ce résultat à celui «que nous avons obtenu pour la longueur de la vie « moyenne, nous voyons qu'il y a très-peu de rapport «entre ces deux ordres de faits. Nous ne savons comment < expliquer d'une manière satisfaisante cette anomalie. » [ s'agit dans ce cas de la santé sous certains points de SÉLECTION DANS L’ESPÈCE HUMAINE. 5713 vue seulement, et pour une seule classe de la population, celle des jeunes gens de vingt ans. D'ailleurs on ne peut pas définir la santé ou la maladie d’une manière assez précise, pour que la statistique puisse recueillir des faits probants et généraux. Si l’on veut entrer dans le vif de la question, il faut distinguer les pays civilisés agricoles et les pays civilisés industriels. On trouve assez ordinaire- ment la vie longue et les incapacités pour le service mili- taire rares dans les premiers, communes dans les seconds. Ainsi ce serait plutôt le genre de civilisation que la civili- sation qui influerait. La statistique ne peut pas fournir des renseignements sur la beauté des traits. Les artistes prétendent rencontrer plus souvent de beaux modèles dans les pays arriérés que dans les villes et même les campagnes du centre de l'Eu- rope. Peut-être faut-il en conclure qu'une beauté correcte et distinguée se rattache à des constitutions peu robustes et se trouve plutôt dans les pays où la jeunesse est mal vêtue, mal nourrie, mal éduquée, mais hbre. Peut-être aussi les occupations assujettissantes et spéciales des pays civilisés ont-elles pour effet de diminuer l'élégance et la grâce ? En définitive, chez les barbares, la sélection sexuelle se fait au profit de la beauté des races, et la manière de vivre ne nuit pas aux formes, tandis que chez les peuples civi- lisés, la sélection sexuelle n'agit pas uniquement dans le sens favorable à la beauté, et ja conséquence de plusieurs professions est de nuire au développement correct des formes. D'un autre côté, la santé est, en général, meilleure chez les civilisés, ce qu'il faut attribuer à l'aisance et à des soins intelligents plutôt qu'à un effet de sélection. 1 Æ SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. + + —— 20 Cunditions morales. Les Anglais ont coutume de dire: honesty is the best policy, te qui veut dire en français : l'honnêteté est le meilleur des calculs. Ce proverbe a le défaut de présenter l'honnêteté comme une affaire de choix, non comme un sentiment naturel et un devoir. Il a aussi Pinconvénient de n'être pas tout à fait exact. Évidemment, c'est un mauvais calcul d’être voleur, faussaire, ete., au point de tomber sous la pres- son de Findignation publique et d'être poursuivi devant les tribunaux. Mais, dans l'état d’une société civilisée, les petites faussetés, les petites tromperies, les mensonges in- téressés ne sont-ils pas employés assez fréquemment pour qu'on puisse les croire utiles à ceux qui les pratiquent? Voyez ce qui se passe dans les grands rassemblements, comme les foires, les marchés, les bourses, ete. Assuré- ment, il y a dans la foule une quantité de gens honnêtes, et bien plus encore qui voudraient l'être et le seraient complétement si les circonstances ne les poussaient à dé- vier: mais là majorité n'est-elle pas occupée à Jouer au plus fin, en d’autres termes à tromper un peu et à mentir davantage, dans l'espoir d'acheter au-dessous du prix et de vendre au-dessus ? Si quelqu'un dépasse la limite ordi- naire des petits mensonges et des indélicatesses, on crie haro, mais la limite est assez vague. On y fait peu d'at- tention, à moins que les faits ne soient patents. Les as- semblées politiques ne sont pas non plus précisément des écoles de moralité. L'intrigue y gouverne presque tou- jours, et qui dit intrigue dit mensonge. Les relations sexuelles irrégulières, plus communes dans les pays à monogamie que dans ceux de la polygamie, sont aussi une grande source de faussetés. Dans ce cas, des hommes SÉLECTION DANS L'ESPECE HUMAINE. 319 honorables sont conduits à mentir, pour éviter à d’autres personnes des conséquences plus fâcheuses. Il existe toujours, dans les pays civilisés, beaucoup d'honnêteté naturelle, fortifiée par de bonnes influences morales et religieuses. Seulement le monde, la pratique de la. vie agissent en sens contraire, jusqu'au point où les faits sont par trop graves. La violence et la cruauté sont sénéralement mal vues. Cependant, on entretient des mil- lhers d'hommes dans l'idée qu'il est beau d'être fort, de conquérir, de savoir massacrer, non-seulement pour dé- fendre son pays, ce qui est légitime, mais à la suite de princes, de majorités ou d’intrigants intéressés qui di- visent les nations, commencent les guerres ou les rendent inévitables. En temps de paix, on renverse les gouverne- ments par la force. Tel est l’état des choses dans beaucoup de pays qui se vantent d’être civilisés. Heureusement il y à aussi chez eux de bonnes in- fluences qui n'existent pas chez les barbares. L'opinion et les lois répriment les individus par trop malhonnêtes. Une proportion assez notable d’entre eux est condamnée, malgré toutes les négligences et toutes les défaillances de la police, des juges et des jurés. Il est assez rare que l’organisation judiciaire soit si mauvaise que les gens honnêtes soient obligés de se défendre personnelle- ment ou de créer des comités illégaux de vigilance et d'employer la « loi de Lynch. » L'emprisonnement d'un certain nombre de malfaiteurs sert d'exemple. Il produit un effet de sélection, puisque les prisonniers ne vivent pas en famille et laissent peu de descendants. Un autre résultat de la vie civilisée amène encore une adaptation et une sélection dans le bons sens. La division des pro- fessions et des fonctions crée des catégories d'individus qui par nécessité, par devoir et par habitude, doivent 370 SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. être en général honnêtes. Il y a des employés de confiance pour lesquels la probité est une sorte de nécessité; des médecins, des hommes de loi, des banquiers qui vivent de la confiance des familles : il y a encore des ecclésiasti- ques, des juges, des instituteurs qui donnent de bons exemples en raison de leurs convictions, de leurs engage- ments et de leur véritable intérêt. Quand le célibat ne leur est pas imposé, ils deviennent presque tous de bons pères de famille. Leurs carrières sont des portes ouvertes aux gens moraux. Dans le langage darwinien, c’est une adaptation heureuse d’une partie de la population, et les familles élevées dans ces conditions prenant plus ou moins les bonnes places dans la société, 1l en résulte une excel- lente espèce de sélection. La recherche de la vérité, j'entends de la vérité en elle- même, sans s'occuper de ses conséquences possibles ou probables, est le métier de quelques personnes, malheu- reusement d'un petit nombre. En effet, dans les profes- sions libérales, presque tout le monde est avocat d’une cause. Au barreau, dans la chaire, dans les corps politi- ques, on défend une opinion plus ou moins déterminée, en raison d'engagements pris d'avance. Pourtant les savants, les médecins et les juges sont obligés de chercher uniquement et constamment la vérité, — ce quon appelle par un pléonasme assez significatif la vérité vraie. Un savant qui trompe sur un fait scientifique n'est plus écouté, celui qui se refuse à croire aux découvertes bien constatées, et même celui qui ne veut pas examiner ce qu'on avance, crainte d’avoir à changer d'opinion, descend de degré en degré, et n’est plus un véritable savant. À ce point de vue l'étude des sciences, et j'entends ici les scien- ces philosophiques et littéraires aussi bien que les autres, est essentiellement morale. On ne peut pas chercher tous SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. JA 1 les jours la vérité absolue, sans être conduit, par habi- tude, à préférer et à soutenir ce qui est vrai. Cette dispo- sition de l'esprit, qui donne aux hommes de science une position presque toujours isolée dans les affaires politi- ques et religieuses, présente certains avantages pour la société sous le rapport moral, indépendamment des avan- tages intellectuels et des conséquences qui résultent de découvertes utiles. La liberté et la sécurité propres aux pays civilisés pro- duisent du bien et du mal. On v fait de la propagande dans tous les sens. L'absence assez habituelle de force brutale, la demande régulière de gens honnêtes pour un grand nombre de fonctions ou professions, agissent dans un sens très-heureux. Ainsi, en définitive, la civilisation est favorable à la moralité. Non-seulement elle s'oppose aux abus de la force, mais elle réprine et arrête le déve- loppement de la partie la plus vicieuse des populations: enfin elle ouvre des carrières aux gens honnêtes et véri- diques. Il est vrai que les petites faussetés et les petites tromperies ont leur .cours, et que bien des délits d’une certaine gravité échappent à la répression. Il est vrai aussi que les guerres et les révolutions entretiennent et encou- ragent les habitudes de violence, et que les fonctions pu- bliques, au moyen desquelles certains individus influent sur la société, sont souvent dévolues par les princes, les ministres ou les peuples souverains à des hommes de peu de moralité, dont l'exemple et les actes ont des consé- quences fâcheuses. Néanmoins la tendance définitive est plus morale que dans les sociétés barbares. On objectera le nombre des crimes et le fait que les délits contre la propriété sont plus nombreux dans les pays très-civilisés que dans les autres, mais il ne faut pas se payer de l'apparence. Une diminution constatée des 310 SÉLECTION DANS L'ESPECE HUMAINE. crimes contre les personnes, surtout des crimes les plus odieux, parle en faveur des pays très-civilisés, et l’aug- mentation des attentats contre la propriété dans ces mêmes pays tient beaucoup à ce que la richesse y est plus grande. Les valeurs mobilières, qui sont le plus aisément soustraites, abondent dans les centres civilisés. Ainsi, à moralité égale ou supérieure, les tentations y étant plus erandes que dans les pays arriérés, il doit y avoir plus de vols. Supposez un nid de brigands au sommet d’une mon- lagne de Grèce où de Calabre, la propriété susceptible d'être volée y est si rare et si bien gardée par les posses- seurs, qu'on ne peut guère dans un pareil endroit vivre de petits vols ou d’estroqueries. La moralité y est pour- tant détestable. 39 Tntelligence. Le développement de la civilisation résulte beaucoup de l'intelligence, mais en même temps la civilisation favorise les habitudes intellectuelles, et met souvent en évidence les hommes le mieux doués sous ce rapport. Plus un pays est civilisé, plus les catégories intelligentes de la popula- tion se trouvent adaptées à l’état de la société, plus aussi les faibles d’esprits sont négligés. Il s'opère donc lente- ment une sélection dans le sens du progrès intellectuel. Comme l'a très-bien fait remarquer M. Herbert Spencer ", les applications des sciences devenant plus nombreuses à inesure que la civilisation se développe, un homme ordi- naire doit, chaque jour davantage, connaître une foule de machines, de substances chimiques et de procédés, non- seulement pour pouvoir gagner sa vie, mais encore pour ! Principles of biology, IX, p. 496. SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. 379 n'être pas victime d'accidents. À mesure que les profes- sions deviennent plus spéciales, que les sciences <’occu- pent de choses moins visibles et moins faciles à vérifier, 1 faut pour les comprendre plus d'application, plus de mé- moire, plus de sagacité, plus de force de raisonnement. La facilité croissante de voyager et les relations qui s’éta- blissent entre les divers pays conduisent à apprendre plusieurs langues, à connaitre plusieurs législations et à comparer des usages ainsi que des produits agricoles, in- dustriels ou commerciaux dont l'abondance influe sur le bien-être de chaque individu. Ceux qui restent en arrière dans toutes ces connaissances ne réussissent pas. La lutte s'établit donc ordinairement au profit de ceux qui savent, tandis que chez les barbares, elle est au profit des plus rusés et des plus violents. L'instruction et les voyages développent une qualité très-désirable pour l'avancement des connaissances, la curiosité, en particulier, la curiosité des choses réelles plutôt que des choses imaginées où imaginaires. La ri- chesse, qui augmente beaucoup, et la transmission assu- rée des héritages, contribuent aussi à accroître cette curio- sité, mère des sciences, beaucoup de gens riches ne vou- lant pas se contenter d’une vie purement oisive ou dissi- pée. Il se forme de cette manière une catégorie de savants tout à fait libres, qui peuvent suivre leurs goûts et faire des dépenses pour des collections, des publications, des expériences ou des voyages. Dans le nombre de ces &ma- teurs", on compte des hommes tels que Tycho-Brahé, Boyle, ! La langue française est si pauvre ou si injuste que le mot em- ployé pour un ami désintéressé de la science ou des arts veut dire aussi un homme superficiel et médiocre. Il n’y a pas de terme pour caractériser les hommes illustres qui ont travaillé uniquement en vue de leur satisfaction et pour le bien de l'humanité. 380 SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. Huyghens, Volta, Cavendish, Lavoisier, Darwin, de Humboldt, de Saussure, etc. La richesse fait naître des protecteurs généreux de la science comme Banks, Delessert, le duc de Luynes. Les mœurs étant favorables à l’instruc- tion, l’État crée des écoles de toute espèce, et les particu- liers se réunissent pour former des sociétés destinées à favoriser la culture des lettres, des sciences et des arts. De tout cet ensemble, il résulte pour les populations eivi- lisées une habitude de chercher, d'apprendre et de réflé- chir, habitude qui tend à devenir héréditaire, c’est-à-dire instinctive, et qui s’accroit par l'éducation et l'exemple. Certaines familles, grâce à une culture intellectuelle an- cienne, sont naturellement plus propres aux travaux de l'intelligence qu'aux efforts purement musculaires, et la marche vers les choses de l’esprit est d'autant plus assu- rée pour une population, que ces familles y sont plus nombreuses et plus satisfaites. A ce point de vue, il n’est pas indifférent que certaines catégories du publie instruit, intelligent et honnête, soient astreintes au célibat ou ne le soient pas. Laissant de côté toute idée dogmatique ou relative à la discipline du clergé, le résultat n'est pas le même pour un pays, sous le rap- port de l'instruction, quand il y a par exemple quarante où cinquante mille ecclésiastiques célibataires ou. pareil nombre d’ecclésiastiques pères de famille. Qu'on réduise l'hérédité des choses intellectuelles au minimum, la seule existence, dans les pays protestants, de pasteurs mariés, assure le développement d'année en année d’un certain nombre de personnes instruites et honnêtes, qui exercent sur la société une heureuse influence. Je sais qu'on à contesté ‘ depuis quelques années la bonne tendance des ! Galton, Hereditary genius, p. 258, 274, 282. D ) SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. 301 enfants élevés dans des familles de pasteurs: mais 11 v à des exemples frappants et nombreux du contraire. Je ci- terai, à l'appui de mon opinion, quelques hommes, d'un mérite incontestable, qui ne seraient pas nés si les ecclé- siastiques protestants avaient été astremts au célibat, ou qui auraient tourné autrement si leur éducation avait été mauvaise. [ls sont tous fils de ministres, doyens ou pas- teurs protestants . Sciences mathématiques, physiques ou naturelles *. Agassiz, naturaliste: Berzelius, chimiste: * Boerrhaave, médecin, naturaliste: Brown (Robert), botaniste : Camper, anatomiste :* Clausius (Rud. M.), physicien : Encke, astronome : Euler, mathématicien : Fabricius *, astronome : * Hartsæker, physicien: Heer (Oswald), naturaliste : Jenner, médecin : Linné, naturaliste: Mitscherlich, minéralogiste : * Ojbers, astronome : Dia se sr. + | ! La plupart de ces exemples sont tirés de biographies spéciales ou des principaux Dictionnaires biographiques. J’en dois aussi quel- ques-uns à M. Rodolphe Wolff, astronome distingué, lui-même fils de pasteur. ? Les noms marqués d’un * sont ceux de savants qui ont figuré parmi les huit associés étrangers de l’Académie des sciences de Paris (voir p. 36-40). # John Fabricius, qui a découvert les taches du soleil (Lettre de M. Wolf). 2 SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. Studer (Bernard), géologue : Young (Arthur), agronome: Wallis (John), mathématicien : # Wargentin, astronome : * Wollaston, chimiste. Sciences morales, historiques, politiques ou philologiques. Abbot, 4° lord Colchester, homme d’État: Ancillon (Ch.) et son fils, Frédéric, historiens : Bochart, orientaliste: Hallam (H.), historien : Hase (Ch.-Benoït), helléniste : Hobbes (Thomas), philosophe: Müller (Jean de), historien : Puffendorif (Sam.), jurisconsulte: Schweighæuser, helléniste : Sismondi (de), historien. Poëites et littérateurs. Addison : Gessner (Jean) : Johnson (Ben): Lessing : Richter (Jean-Paul) : Swift : Thomson : Wieland : Young. Artistes. Wren (Christophe): Wilkie (David). SÉLECTION DANS L'ESPECE HUMAINE. 209 J'aurais pu tripler où quintupler ces listes en indiquant des noms d'hommes assurément distingués, mais moins connus du public en général. Ce serait inutile comme démonstration, car il suffit des noms énumérés pour faire comprendre à quel point les sciences, la médecine, les lettres, auraient moins progressé depuis deux siècles si le célibat avait été imposé aux ecclésiastiques de tous les cultes, ou si, étant mariés, leurs habitudes d'éducation domestique avaient été mauvaises ‘ M. Galton critique avec raison l'institution des /ellorrs particulière aux universités d'Oxford et Cambridge, d’après laquelle un certain nombre des meilleurs élèves sont tentés de ne pas se marier, pour obtenir la jouis- sance d’une pension et d'une existence commode dans les colléges universitaires. Assurément, si l'on poussait un pareil système plus loin — si par exemple on obtenait des jeunes gens les plus distingués de toutes les professions de renoncer au mariage — la conséquence inévitable serait un abaissement de la moyenne intellectuelle. I manquerait aux générations suivantes deux choses : 1° une bonne influence héréditaire des facultés : 2° un nombre ! Dans ces listes, je n’ai pas compris une foule de théologiens distingués ou prédicateurs, célèbres parmi les protestants, qui ont été des fils de pasteurs, comme: Élie Saurin, Alph. Turrettini, Jac- ques Lenfant, Jean Claude, Pierre Dumoulin, Schleiérmacher, Alex. Schweizer, Sam. Vincent, etc. Les séries de pasteurs et théologiens distingués de la même famille sont très-nombreuses en Suisse, en France et en Allemagne. Il suffit de rappeler les Hottinger, à Zu- rich; les Buxtorf, à Bâle ; les Turrettini, les Diodati et les Cellé- rier, à Genève; les Monod et les Vincent, en France, ete. En An- gleterre, on trouverait des exemples analogues. — J'aurais voulu, pour la curiosité du fait, pouvoir citer des généraux, fils de pas- teurs. Il m’a été impossible d’en découvrir un seul. Æcclesia abhor- ret a sanguine, dira-t-on. C’est un bien bel éloge,.… quand on peut le faire. 04 SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. suffisant de pères de famille ayant les qualités conve- nables pour élever des enfants dans une direction intel- lectuelle. Du reste, Putilité de la vie de célibataire, pour donner aux hommes studieux plus de temps et de tran- quillité d'esprit, parait assez contestable d'après lexem- ple des ordres monastiques et des fellows anglais. Les Bé- nédictins eux-mêmes n'ont pas produit dans les lettres (ouf ce qu'on pouvait espérer, ei quoique plusieurs fellorws aient été des hommes de mérite, on ne peut guère aflir- mer qu'ils aient dépassé dans leurs travaux la moyenne des docteurs et professeurs mariés. Ceci me conduit à examiner si les populations de pays civilisés augmentent plus par la partie à plus intelligente ou par celle qui l'est le moins. Question grave, liée étroi- tement à l'histoire de la sélection et à ses conséquences définitives. L'intelligence est un avantage dans presque toutes les professions. Elle développe très-vite là prévoyance, puis- que l'individu qui observe et qui réfléchit pense à l'ave- nr. En moyenne, sur un ensemble de plusieurs milliers d'individus, ceux qui ont le plus d'intelligence gagnent le plus et savent le mieux conserver ce qu'ils ont gagné. La partie de la population qui à de laisance ou de la richesse se recrute donc par l'accession des ouvriers ou employés intelligents. Elle perd d'un autre côté les indi- vidus qui ne savent pas conserver ce qu'ils ont gagné ou hérité, e'est-à-dire qui n'ont pas en moyenne beaucoup d'intelligence. Un homme parvenu, encore jeune, à un certain degré de bien-être, achève son éducation et cultive ses facultés. Ensuite les enfants et les petits-enfants de ceux qui ont eu le talent de gagner ou de conserver, reçoivent une éducation plus soignée, et surtout plus pro- longée, que celle des enfants de simples laboureurs, fy TN LS a — 4 4 SÉLECTION DANS L’ESPÈCE HUMAINE. 38) ouvriers ou employés subalternes — nouvelle cause qui élève la moyenne d'intelligence. Enfin, quelque opinion qu'on puisse avoir sur l'hérédité proprement dite, il est impossible de la réduire absolument à rien, et il paraîtra probable, si ce n'est démontré, que sur deux groupes égaux de population, l'un ayant une plus forte moyenne d'intelligence que l'autre, 1l naitra plus d'enfants intelli- cents dans le groupe où il y a le plus d'intelligence. Par tous ces motifs, la question posée tout à l'heure revient à savoir si la population des pays civilisés augmente plus par les familles riches ou aisées que par les familles pau- vres. Dans le cas d’une très-grande différence en faveur de l’accroissement par la classe pauvre, le bénéfice pré- sumé de la sélection dans le sens de l'intelligence serait plus ou moins annulé. Or, si l’on consulte l'opinion des anciens et des moder- nes, elle est unanime pour admettre un plus grand accrois- sement par la classe pauvre. Les Romains avaient imaginé le mot prolétare, parce que, disaient-ils, la partie infé- rieure de la population servait ad prolem generandam. Mal- thus à insisté sur l'augmentation excessive dans les fa- milles mprévoyantes, qui sont ordinairement les plus pau- vres, et l'exemple de la multiplication des Irlandais, chez eux d'abord, ensuite dans les villes anglaises et en Améri- que, n'a pas peu contribué à maintenir l'opinion générale. On voit les grandes villes attirer continuellement des ou- vriers. Leur population, à ce qu'il semble, devrait devenir encore plus énorme qu'elle ne l'est si les familles riches ou enrichies peuplaient autant que les autres. Dans les rela- uons du monde et des affaires il est toujours plus commun de rencontrer des personnes qui ont fait fortune, ou dont les pères ont fait fortune, que des ouvriers pauvres ayant été riches, ou descendant de personnes autrefois riches. 25 280 SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. La statistique ne confirme pas d'une manière probante ces notions basées sur des appréciations un peu vagues. Elle montre bien certaines différences, mais qui ne sufli- sent pas pour constituer des preuves. Aïnsi, le nombre des naissances est moindre dans les populations aisées que dans les autres, mais les enfants moins nombreux des familles aisées recoivent plus de soins et leur vie moyenne est plus longue. I y à dans la partie la plus riche de Ja population moins de naissances et moins de décès; dans la partie pauvre plus de naissances et plus de décès. Cette complication empêche de saisir le résultat quant à l'ac- croissement définitif. [ faudrait pouvoir comparer, par exemple de 50 en 50 ans, deux populations primitive- ment de même nombre, exposées aux mêmes conditions de climat, lune riche ou aisée, l'autre décidément pau- vre. Or, les émigrations et immigrations rendent ces comparaisons fautives quand on veut se baser sur la po- pulation de deux localités. D'ailleurs 1l existe, dans cha- que ville où pays, un mélange de familles aisées et de fa- willes pauvres. | Pour éviter ces inconvénients, l'idée se présente d'exa- miner la population de classes déterminées, comme la noblesse de certains pays, la haute bourgeoisie de quel- ques autres, et de la comparer avec elle-même, à des épo- ques successives, ou avec la masse de la population des mêmes pays. Plusieurs statisticiens ont fait des recherches de cette nature, mais ils sont tombés dans une erreur bien singulière. [ls ont conclu de la diminution du nombre des failles, et même simplement de la diminution du nom- bre des noms de famille, à une diminution de la popula- tion qui composait primitivement ces familles. Ainsi les pairs héréditaires d'Angleterre diminuent rapidement de nombre. D'après des observations déjà anciennes, Ja D VE di SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. 387 Chambre haute se serait beaucoup réduite, Si n'y avait pas eu de fréquentes nominations. De même les familles de notables qui figuraient autrefois dans les Grands Con- seils des villes de Suisse, diminuaient rapidement. Malthus l'avait signalé pour l'ancien Conseil de Berne, et je puis ajouter que sur 133 familles qui étaient représentées par un individu au moins dans le Conseil de Genève, en 1789, il n'en existe plus dans le pays ou à l'étranger que 92. Les bourgeoisies des villes de Suisse ont eu besoin de se recruter pour ne pas diminuer : ainsi à Berne, 487 familles avaient été admises de 1583 à 165%, et sur ce nombre il n’en restait que 168 en 1783 ‘. Benoiston de Châteauneuf a fait un travail considérable sur l'extinction des familles nobles de l'ancienne France *. Îl a constaté une exünetion plus rapide qu'on ne pensait, et il en cher- che les causes dans la guerre, les duels, les mariages consanguins, les ordres religieux, les mœurs. A l'occasion de ce travail, M. Passy fit observer que les familles nobles, mais pauvres, de la Bretagne, ont duré longtemps *. En- fin, M. Galton, dans un des chapitres les plus curieux de son ouvrage récent *, montre par des faits précis que l'exünetion des familles de la pairie anglaise tient surtout à ce que les nouveaux pairs, n'ayant pas une fortune en harmonie avec leur position, cherchent volontiers pour eux ou pour leurs fils aînés, des femmes qui soient des ! Les faits relatifs à Berne sont cités par Benoiston de Château- neuf d’après Malthus. ? Mémoires de l’Académie des Sciences morales et politiques, in-4°, vol, V, p. 753, et Annales d'hygiène, vol. XXXV. Les mai- sons historiques de France, fondées du Xe au XII siècle, ont duré en moyenne trois cents ans. « L’extinction rapide des aristo- craties et corps de citoyens fermés, dit cet auteur, est un fait gé- n‘ral dès l’antiquité. » # Annales d'hygiène, 55, p. 54. $ Hereditary genius, 1869. 398 SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. héritières. Les conditions de cette qualification sont, en Angleterre: où d'être la seule survivante de plusieurs en- fanis d'une famille riche, c’est-à-dire: d’avoir probable- ment peu de santé: ou d'être fille unique, c’est-à-dire de descendre d'une famille probablement peu féconde, ce qui est à un certain degré héréditaire. Par une conséquence toute simple, les nouvelles familles de la pairie ont ainsi une grande chance de s'étendre dès la première ou la secondaire génération. M. Galton le prouve par des chif- fres. En remontant d'année en année dans les volumes du peerage, il a constaté que 50 nouveaux pars qu ont épousé des héritières (eux-mêmes n'étant pas des fils uni- ques), ont eu 10% fils et 103 filles, tandis que 59 nou- veaux pairs qui ont épousé des femmes non héritières, ont eu 468 fil et #42 filles. Ainsi la fécondité moindre des héritières, dans des conditions sociales d’ailleurs sembla- bles, est bien évidente. Du reste, les pairs au titre de baron qui deviennent marquis, et les comtes ou les marquis qui deviennent dues, éprouvent aussi le besoin d'augmenter leur fortune par de riches mariages, et il en résulte, dit M. Galton, une nouvelle cause d'extinction des familles. On connaissait déjà la faible durée des familles de dues en Angleterre. Si les titres éteints n'avaient pas été conférés à de nouvelles familles, cela serait aussi clair pour tout le monde que pour les historiens et les généalogistes. Au milieu des renseignements précis et des opinions très-sensées de MM. Benoiston de Châteauneuf, Galton et autres statisticiens, je n'ai pas rencontré la réflexion bien importante qu'ils auraient dû faire de l’extinction énévita- ble des noms de famille. Évidemment tous les noms doi- vent s’éteindre, et d'autant plus vite qu'ils sont portés par moins d'individus du sexe masculin, car les familles sont désignées par les mâles, et de temps en temps un père ne SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. 309 laisse point d'enfants ou seulement des filles, tandis que d'autres ont eu un ou plusieurs fils. Supposez une popu- lafton qui resterait la même dans sa totalité de siècle en siècle, et qui ne changerait pas même par le fait d'émigra- tions où immigrations, il arriverait forcément chez elle que le nombre des familles désignées par des noms ou par des titres héréditaires dans les mâles, diminuerait graduelle- ment. Un mathématicien pourrait calculer comment la réduction des noms ou titres aurait lieu, d'après la pro- babilité des naissances toutes féminines où toutes mastu- lines ou mélangées et la probabilité d'absence de nais- sances dans un couple quelconque. Les noms de famille sont ordinairement recrutés : Ÿ° par les enfants trouvés: 20 par les fractionnements plus ou moins légalisés des fa- milles: 3° dans la plupart des pays, surtout dans les villes par des immigrations. Sans cela on verrait diminuer sen- siblement leur nombre, indépendamment du chifire sta- tionnaire, croissant ou décroissant de la population. Dans une chambre des pairs, où chacun arrive seul.de son nom. et dans les villes, qui attirent une foule d'étrangers isolés. l'extinction des noms de famille est plus rapide que dans une population non choisie ou dans un district agricole dont la population se recrute faiblement d'étrangers ?. Si les noms et les titres étaient transmis par les femmes, 1l en serait différemment. mais encore les noms diminueraient de nombre, à cause des individus mariés qui ne laissent pas de descendants. 1 Dans les villages, surtout dans ceux de localités peu fréquen- tées, il y a d'ordinaire deux ou trois noms portés par l'immense ma- jorité des habitants. On croit presque toujours que c’est la consé- quence d’un ancien accroissement de quelques familles. C’est proba- blement aussi l’effet de l’extinction graduelle des famiiles qui étaient représentées par un ou deux individus mâles seulement, les filles de ,Ceux-ci ayant épousé des hommes des noms prédominants. 390 SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. Malgré la confusion regrettable faite par les auteurs en- tre la diminution des noms de famille et celle de la popu- lation qui composait primitivement ces familles, on peut toujours se demander si les populations aisées ou riches ausmentent autant que les pauvres. Assurément les popu- lations les plus choisies ne diminuent pas. Aïnsi les 100 nouveaux pairs d'Angleterre dont parle M. Galton ont eu de leurs femmes 547 enfants, ce qui pour 209 personnes et 100 ménages fait plus de 5 enfants par ménage. La probabilité de vie, au moment de la naissance, pour les familles de la pairie anglaise, étant de 52 à 53 ans (exac- tement 52, 64), d'après des tables connues ® une forte majorité des 517 enfants a dû arriver à l’âge de se marier. Leur descendance masculine et féminine à dû augmenter. Mème celle par les héritières à eu plus de # enfants par couple marié, d'où l’on peut inférer une augmentation, à moins que la vie probable des enfants ne soit plus courte dans cette catégorie, ce qui pourrait bien être vrai. La différence de fécondité des héritières et non héri- tières anglaises est si grande * qu'elle avertit d’une cause, 1 Voir, par exemple, Lankester, Comparative longevity (1 vol. in-6°; Londres, 1870), p. 115, où sont résumés les chiffres de Baïley et Day. ? Les faits cités par M. Galton sont si curieux que je crois devoir mentionner le suivant. Il s’agit des familles des nouveaux pairs d'Angleterre qui ont eu un, deux, trois fils ou davantage. Pour chacun de ces nombres de fils, M. Galton indique la proportion des mères héritières ou non héritières. HÉRITIÈRES. NON HÉRITIÈRES. 0 fils 22 2 JUS 16 10 2 » 29 14 3 » 22 34 Lu 10 20 D » 6 5 6 » 2 ) TO 0 4 Au delà 0 (0) 100 100 SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. 391 jusqu'à présent inconnue, du petit nombre des naissances dans les familles aisées ou riches. Ce ne sont pas seule- nent les nouveaux pairs d'Angleterre qui recherchent en mariage des femmes riches. On trouve cette disposition dans toutes les familles de la noblesse et de la bourgeoisie des autres pays. En général, les filles riches se marient aisément, et selon toutes les probabilités physiologiques, confirmées par les faits que M. Galton a découverts, ce sont elles qui ont la plus faible chance de laisser des descendants. La proportion de ces femmes riches doit donc diminuer l'augmentation de population des classes qui vivent dans l’aisance. D'autres causes purement physiologiques doivent in- fluer de la même manière, principalement dans les famil- les où l’on développe beaucoup l'intelligence. M. Herbert Spencer ‘ en a très-bien exposé les principes, conformes d'ailleurs à tout ce qu'on avait reconnu depuis longtemps dans la science. Il existe une lutte entre les trois fonctions par lesquelles se dépensent les forces d’un être humain, sa- voir les fonctions du système musculaire, du système ner- veux et du système de la reproduction. Chacune de ces fonc- tions souffre quand les autres consomment trop, surtout lorsque la nourriture ne répare pas suffisamment les forces perdues. Même avec une nutrition convenable, les fatigues musculaires ou les fatigues du cerveau nuisent aux fonc- tions reproductives. Cela est vrai particulièrement pour le sexe féminin, parce que l’ensemble des fonctions avant. pendant et après la naissance d’un enfant y est très-com- pliqué et peut être troublé par une foule de circonstances occasionnelles, même chez des femmes bien portantes. Or, la fatigue provenant de travaux intellectuels exagérés 1 Principles of biology, vol. IT, ch. 12. 392 SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. ou d’une excitation trop forte du système nerveux par la musique, les fêtes, ete., arrive plus souvent chez les fem- mes de la elasse riche ou aisée que chez celles de la classe pauvre. On comprend qu'il doit y avoir, par ce mot, moins de naissances dans la première catégorie, indépen- damment des autres causes, par exemple d’un degré supé- rieur de prévoyance qui fait retarder l’âge moyen des ma- riages et redouter les familles trop nombreuses. La dimi- nution de santé doit se manifester surtout dans les familles où la culture intellectuelle chez les personnes du sexe fémi- nin étant très-crande, une alimentation suffisante ne ré- pare pas assez les forces. L’être organisé est alors entie- rement livré au système nerveux, et si la santé physique n’en souffre pas, c’est le système nerveux lui-même qui succombe *. Plusieurs causes diminuent ainsi la santé et la fécon- dité dans les classes riches ou aisées, surtout dans la por- tion de ces classes qui s'occupe le plus de choses intellec- tuelles. Il est difficile de croire qu'une supériorité de soins donnés aux enfants et une hygiène plus prévoyante compensent de pareils inconvénients. Ce serait donc, selon l'opinion ancienne et générale, la partie riche ou aisée des populations qui augmente le moins et la partie pauvre qui augmente le plus. À défaut de chiffres bien pro- bants, 1ly a trop d'indications accessoires statistiques, phy- siologiques ou basées sur des faits observés en masse, pour ne pas admettre cette proposition avancée depuis long- ? Les médecins de la Suisse française, particulièrement des can- tons de Neuchätel et Genève, auraient, je crois, d’assez tristes ren- seignements à donner si on leur demandait la proportion des jeunes ‘illes destinées à la profession d’institutrice qui se trouvent dans les établissements d’aliénés, ou dont la santé a souffert de leçons de musique, de calcul, ete., trop multipliées entre dix et dix-huit ans. “hoc Pa dr LEE, DS ec 2 "ES SÉLECTION DANS L'ESPECE HUMAINE. 393 temps. La population la plus prévoyante et en moyenne la plus intelligente ne diminue pas, comme les extinetions rapides des noms de famille pouvaient le faire supposer. mais elle augmente peu ou point par elle-même. Lors- qu'elle n’est pas recrutée par de nouvelles adjonctions, elle se voit débordée: elle craint d’être submergée, et, dans la lutte générale pour l'influence sur la société, elle l'est réellement. Les conséquences diverses de ce mode d'accroissement des sociétés par la couche inférieure, mériteraient d'aiti- rer l'attention des historiens et des philosophes. J'en citerai en passant quelques exemples. La religion professée dans une famille persiste de génération en génération quand cette famille s'enrichit ou qu'elle augmente considérable- ment de nombre. Ainsi lorsqu'une religion nouvelle s’est une fois introduite dans la classe pauvre, elle prend bien plus d'extension que si elle s'était introduite dans la classe riche. De même lorsqu'il s’agit de la religion appor- tée dans un pays par une masse considérable d'immi- grants de la classe pauvre. Dans ces deux cas l'augmen- tation relative des diverses parties de la population tend à rendre la nouvelle religion dominante. fadis le christia- nisme a profité de son introduction par la classe infé- rieure, et maintenant le catholicisme des Irlandais à des effets analogues dans les villes de la Grande-Bretagne et en Amérique. Les haines et les sympathies nationales per- sistent moins que les opinions religieuses, cependant elles se transmettent d'une génération à l'autre dans la foule. parce que celle-ci connaît peu les dispositions des autres peuples et obéit aux sentiments plutôt qu'aux raisonne- ments. Ceci est une cause de durée en dehors des gens qui savent et qui réfléchissent. En général les sentiments se continuent dans la classe la plus nombreuse, un peu 39% SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. par hérédité et beaucoup par imitation ou entrainement. La sélection produit une catégorie de la société plus réfléchie, plus prévoyante, mais celle-ci est continuel- lement menacée et débordée par l'augmentation de la masse. Une partie du public étant plus prévoyante, c'est-à-dire plus intelligente que la foule, son désir est souvent de répandre Pinstruction. Du moins si elle est véritablement prévoyante, elle comprend qu'il faut agir dans ce sens. Malheureusement, les obstacles s'accumulent en grand nombre, et quelques-uns sont inévitables. Aïnsi, à suppo- ser qu'aucun parti religieux ou politique ne s’oppose à la diffusion des connaissances, on ne pourra pas éviter que les individus continuellement fatigués de travaux manuels «ent le temps et le repos nécessaires pour lire, voyager, comparer, discuter, se former enfin des opinions réfléchies, comme les gens qui ont du loisir. De quelque manière qu'on suppose la société modifiée à cet égard, les travaux musculaires seront toujours en opposition avec les travaux intellectuels. Augmentez les uns, vous diminuez les autres. Créez une multitude d'écoles, faites-les gratuites, obliga- toires, 11 y aura toujours des familles qui auront su ga- ner davantage ou dépenser moins, et s'assurer par là plus de loisir. Si elles l'emploient mal, elles descendent: si elles l’'emploient bien, elles continuent d'être plus prévoyantes ef plus instruites que la masse, lors même que celle-ci se sera peut-être élevée: mais le mouvement d’accroissement des populations n'est pas favorable aux familles prévoyan- les. Mieux vaut sans aucun doute voir s'élever par l'in- struction la moyenne générale, seulement c’est une marche dans laquelle on avance moins vite et moins sûrement qu'on ne voudrait. IH va pour cet arrêt de développement d’autres causes SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. 39 que l'augmentation inégale des diverses catégories de la société. La subtilité des idées, les paradoxes, les efforts qu'on fait pour comprendre où apprendre, un genre de vie trop sédentaire, des alliances entre personnes de la même famille ou qui ont les mêmes antécédents, multiplient beaucoup les cas d’aliénation dans la classe riche ou aisée. Cette fatale disposition, dont lhérédité n'est que trop connue, augmente aussi dans la classe pauvre avec la vie civilisée. Cela résulte de la liberté même laissée aux individus et des excitations, des espérances où des mé- comptes qui en sont l'effet inévitable. Le développe- ment des facultés intellectuelles conduit à des chutes d’au- tant plus fréquentes qu'il a été plus hardi et plus intense, comme de violents mouvements du corps conduisent à des fractures. Les nations eivilisées doivent avancer en intelli- sente, mais €e n'est pas sans être retardées par les morts et les blessés qu'elles laissent sur le champ de bataille des lattes intellectuelles. Un autre effet — celui-ci de l'ordre économique d'une importance encore plus grande. Lorsqu'on à mul- tiplié les écoles, les universités, les musées, les bibliothé- ques, lorsqu'on a excité tout le monde à apprendre et à réfléchir, il arrive tout naturellement que certaines pro- fessions nécessaires sont abandonnées. Il y à dès lors sur- abondance de personnel dans les professions libérales et dans les métiers qui exigent de l'intelligence, avec un dé- ficit dans les professions qui demandent de la vigueur, des habitudes un peu grossières et malpropres, où une vie très-matérielle. La force des choses attire alors une autre population venant de pays moins civilisés. Souvent ce sont des voisins de même race, mais d'idées et d'habi- tudes différentes, qui s'adaptent assez mal aux institutions esi 396 SÉLECTION DANS L’ESPÈCE HUMAINE. | du pays. Quelquelois, ce sont des honmes de race absolu- ment inculte, comme les nègres, ou grossières et Immo- rales comme les Chinois. Le mélange s’opère tôt ou tard, mème (dans le cas de races très-disparates, mais 11 agit | absolument en sens opposé aux influences civilisatrices. La société pourrait-elle intervenir dans le but d'arrêter ces contre-courants défavorables? C’est bien difficile. Elle n'est pas toujours organisée de manière à le vouloir et le pouvoir. J'ai dit pourquoi les institutions sociales ne pro- duisent que rarement et imparfaitement leflet des sélec- tions artificielles opérées par l’homme sur les animaux. Ce sont précisément les sociétés qui souffrent de l'encom- brement dans eertaines professions et du déficit dans les autres qui, d'après des idées d'égalité, poussent le plus à luniformité de l'instruction et à sa diffusion. Elles dé- truisent d'une main ce qu'elles font de l’autre. Ainsi la société américaine s'efforce d’éduquer tout le monde, | même ses nègres, mais elle attire par cela même les Irlan- dais et les Chinois. De temps en temps, elle voudrait les empêcher d'arriver, au moyen d'impôts, de sociétés secrètes plus où moins hostiles, ete. Tentatives bien vai- nes contre des lois économiques forcées ! 4 Conclusion sur les pays civilises. Résumons ce qui concerne les pays plus ou moins civilisés. Leur tendance est d'ouvrir sans cesse de nouvelles car- rières à Facuvité individuelle par la division du travail, par la sécurité qui règne et par les découvertes uüles qui se font journellement. Il y à une demande croissante pour des individus honnêtes et intelligents, mais les qualités physiques sont moins recherchées. Les personnes qui s’a- SÉLECTION DANS L’ESPÈCE HUMAINE. 397 daptent le mieux aux conditions demandées de moralité et d'intelligence doivent prospérer. Grâce à leur nombre et à leur influence, les races doivent devenir par instinct (habitude héréditaire), de plus en plus morales et intelli- gentes. L'action collective de la société, au moyen des mœurs et des lois civiles et religieuses, ajoute à la sélec- ton naturelle une sorte de sélection artificielle plus ou moins efficace. Les sociétés civilisées marcheraent ainsi rapidement dans un sens opposé à la barbarie, S'il n°y avait pas des influences contraires et des obstacles. Le soin des affaires publiques et la nécessité de défen- dre ses intérêts dans les affaires privées conduisent les hommes civilisés, comme les autres, à une foule d'intri- oues et de faussetés, qui- prennent quelquefois de vastes proportions. Les crimes eux-mêmes ne sont pas assez réprimés. Beaucoup de coupables échappent. On abuse souvent de la liberté, qui est un des attributs les plus pré- cieux des pays civilisés. On abuse des moyens d'instruc- tion, comme l'imprimerie, et des moyens de moralisation, comme l'influence du clergé. Les familles les plus intelli- sentes se trouvent contribuer moins que les autres à laug- mentation de la population. Les maladies mentales de- viennent fréquentes. Le vide qui se fait dans les professions manuelles par un appel factice aux professions libérales et par une répugnance fréquente des personnes instruites pour les travaux musculaires, fait arriver de pays peu eivi- lisés une immigration de travailleurs qu'il faut éduquer, à moins de descendre à leur niveau. En‘in, il y à des retours fréquents vers la barbarie, par des causes que nous examinerons tout à l'heure. Malgré ces influences contraires, la civilisation tend ordinairement à augmenter chez les peuples qui sont sor- 398 SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. üs de l'état barbare. C'est du moins ce que l'histoire nous enseigne. L'égalité des individus, sous le rapport moral et intellectuel, devient plus grande. L'égalité civile et politi- que en découle forcément. L'horreur de l’injustice et des violences est plus marquée. On veut que chaque individu soit responsable de ses actes, sans égard pour la conduite de ses parents ou ancêtres. On à plus de charité et de tolérance. L'état social approche alors d'une civilisation complète. Viennent les causes de décadence dont j'ai parlé à l'occasion des sociétés en général (p. 347). Quelquelois de bonnes habitudes passées à l’état d'instinet, ou le savoir- fre d’un pouvoir central absolu, prolongent l'existence d'une semblable société pendant des siècles, malgré l'in- différence inévitable de millions d'individus tous égaux et sans force contre les despotes ou contre l’ensemble. Mais S'il y a quelque race locale grossière et hardie, ou quelque peuple voisin d'une civilisation moins avancée, cette so- ciété civilisée sera nécessairement détruite, fractionnée ou conquise. La seule consolation à lui offrir est que ses bonnes traditions reparaitront plus où moins à une épo- que inconnue et contribueront à former de nouveaux peuples eivilisés, comme les Grecs et les Romains d’autre- fois ont servi à notre civilisation moderne. Je m'explique maintenant pourquoi l'espèce humaine civilisée a peu changé depuis Fépoque des anciens Égyp- tiens, Hébreux et Hellènes. Ce n’est pas que les condi- tions de l'existence soient restées absolument semblables. L'homme de notre race qui habite au delà du cercle po- laire ou dans la zone intertropicale n’est plus dans les con- ditions physiques où étaient les anciens. L'homme mo- derne qui parcourt de grandes distances à la vapeur, qui profite par l'imprimerie d’une foule d'idées nouvelles et d'inventions, n'est plus dans les conditions morales de SÉLECTION DANS L'ESPECE HUMAINE. 399 l'antiquité. Et pourtant il se reconnait, au physique dans les statues et les bas-reliefs les plus anciens, et au moral dans les livres grecs et hébreux. J'étais fondé à faire cette réflexion il y a dix ans ‘, mais la conséquence que j'en tirais alors contre la théorie de la sélection n'était pas juste. Il existe une complication extrême dans les phéno- mènes en ce qui concerne homme, surtout l'homme eivi- lisé. La sélection produit des effets contraires qui se neu- tralisent. Elle est d’ailleurs entravée par d’antres influences très-actives et très-puissantes. En définitive, quand les sélections et les forces opposées sont à peu près égales, les sociétés changent fort peu: quand elles sont plutôt favora- bles, elles changent en bien: quand c’est l’inverse, elles changent en mal. Dans tous les cas, ce ne peut être qu'un changement très-lent, partiel et soumis à des fluctuations assez fréquentes. Le conflit incessant des classes et des nations fait prévaloir de temps en temps les moins civili- sées. Il semble même inévitable qu'un groupe de popula- tion très-civilisé, c’est-à-dire très-doux, très-humain., très- intelligent, et par conséquent riche, soit jalousé, opprimé, ramené par la force au niveau moyen des autres. D'ail- leurs les grandes nations civilisées portent en elles des causes de décadence et de dislocation. Ainsi marche l'espèce humaine, sans qu'on puisse rien en conclure contre les lois de l'hérédité, de la variabilité et de l'adaptation aux circonstances, mais plutôt en vertu de ces lois elles-mêmes combinées avec d'autres. 1 Voir ci-dessus, p. 309. 100 SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. SECTION I Les retours fréquents des hommes civilisés vers la barbarie sont-ils des faits d’atavisme et d’instinct? Les hommes dits civilisés ne présentent pas toujours les caractères qui distinguent la civilisation de la barbarie. Souvent il y à comme une marche rétrograde. Elle se ma- nifeste tantôt par des individus isolés, tantôt par un croupe de population et même par un peuple tout entier. Le premier cas est celui des malfaiteurs qui se hvrent, con- trairement à leurs vrais intérêts, à des acts de barbarie, quoique nés au milieu d’une population intelligente et de mœurs policées, Le second cas est celui des révolutions et des guerres. Dans ces deux dernières circonstances, des milliers d'hommes, ou des peuples entiers, sans être tou- jours dans le cas de légitime défense, se soustraient aux lois divines ef humaines qu'ils respectent, et agissent pour un temps comme de véritables barbares. À supposer mème qu'une révolution soit basée sur de justes motifs ou qu'une guerre soit vraiment défensive, elles deviennent l'occasion pour bon nombre d'individus de manifester des coûts d'arbitraire, de violence, même de férocité, dignes des époques de barbarie. Les criminalistes et les historiens s'occupent de ces maux sans remonter beaucoup à leurs causes profondes et peut-être anciennes, tandis que les théologiens, avec leur idée d’un péché originel, ont peut-être approché d'une vérité, dont ils auraient seulement méconnu la na- ture et exagéré les conséquences. L'atavisme, en effet, SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. 401 c'est-à-dire la ressemblance à des ascendants, quelquefois séparés par plusieurs générations, peut produire du mal quand certains ascendants ont été vicicux. Notre manière de voir en histoire naturelle conduit cependant à certaines différences d'avec les idées théologiques. Plus les ascen- dants vicieux sont éloignés, moins il ÿ aurait de chances pour les individus actuels de leur ressembler. En outre, les dispositions bonnes où mauvaises sont pour nous de plusieurs catégories, et une tendance ne peut engendrer qu'elle-même. Par exemple, la violence d’un individu peut bien amener chez ses descendants de la violence, mais non de lhypocrisie, ou un certain défaut d'équité, ou de la paresse. Au moral, comme au physique, nous ne voyons pas le mal et le bien, mais plusieurs mauvaises et plusieurs bonnes dispositions, chacune un peu héréditaire, avec une probabilité d’hérédité d'autant plus faible que la parenté est plus éloignée. L’atavisme étant démontré possible dans des cas indi- viduels, voyons s'il est nécessaire de l'admettre pour expliquer les faits plus généraux dont je parlais. Quelques milliers d'enfants sont élevés de la même ma- nière et reçoivent les influences d’un milieu civilisé, En dépit de Funiformité quelquefois très-grande qu'ils mani- festent, il se développe de temps en temps parmi eux un individu très-violent, ou très-disposé à l'injustice, ou très-lâche, ou d’un esprit borné, ou plein de ruse et de mensonge, ayant en un mot tel ou tel des défauts qui ca- ractérisent les hommes barbares et même sauvages. Est- ce une déviation accidentelle déterminée par une cause inconnue où par l'état momentané d'un des parents lors de la conception, ou un fait d'hérédité ordinaire, peut- être d'atavisme? À mon avis, C’est un accident tout per- sonnel si les père, mère et ancêtres de l'individu n'ont 9 ? 49 402 SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. rien présenté de semblable, même temporairement à l’é- poque où les transmissions héréditaires ont dû s'effectuer. Mais si le même défaut a existé chez les prédécesseurs, surtout s’il a existé longtemps, jusqu'à une époque peu éloignée et d’une manière intense, on sera conduit à dire : c'est un fait d'hérédité ou d’atavisme. Nous raisonnons ainsi pour les caractères de forme des individus et pour leurs conditions physiologiques internes. Or, la haison du moral avec le physique et plusieurs des observations men- tionnées ci-dessus, nous conduisent à admettre comme fondé emploi des mêmes principes dans les phénomènes intellectuels et plus encore dans les phénomènes moraux. La vraie difficulté est toujours de distinguer les causes de naissance, d'avec celles qui tiennent à l'éducation et aux exemples. La comparaison des Israélites avec les peuples chrétiens me parait à cet égard d’une grande valeur. Elle montre des différences que l'histoire civile et religieuse ne peut pas expliquer, mais dont il semble que l’atavisme rend compte d’une manière satisfaisante. IL y a quelques vingt ou trente ans, j'allai voir un na- turaliste fort ingénieux, honnête et bon observateur qui pratiquait la médecine à Londres, près de la Tour. Il eut la bonté de m'accompagner dans les rues malpropres de ce quartier peuplé de matelots, de Juifs et d'Irlandais. — « Comment vous trouvez-vous, » lui dis-je, « de cette po- pulation qui vous entoure? N'avez-vous pas à vous plain- dre de sa grossièreté, de sa misère, de ses désordres? — Un peu, me répondit-il, mais pas autant qu'on pourrait le croire. Les marins profitent, il est vrai, de leur séjour à terre pour se griser et faire du tapage. Les Irlandais se grisent et se battent toute l’année. Quand je suis appelé chez l’un d'eux, je risque fort de recevoir un coup ou un SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. 40 projectile destiné au mari ou à la femme de mon malade. Mais ces pauvres juifs, que vous voyez, sont des gens très- doux et très-rangés. Leurs familles sont unies et laborieu- ses. D'une maison à l’autre, on s’aide en cas de besoin. sans recourir à la paroisse. Je voudrais que tous les chré- tiens fussent comme eux ! » Ce témoignage d’un homme judicieux me fit réfléchir. J'ai retrouvé ailleurs la population juive toujours labo- rieuse, intelligente, économe, quelquefois jusqu'à l'ava- rice, mais charitable, peu disposée à la violence, aux crimes contre les personnes, et peu adonnée à l'ivro- snerie. On lui reproche de manquer de dignité, d'être trop humble et de ruser dans les affaires. Elle a, en somme, les qualités et les défauts des peuples extré- mement civilisés, c'est-à-dire des qualités excellentes el des défauts supportables. Si l'Europe était uniquement peuplée d'Israélites, voici le singulier spectacle qu'elle pré- senterait. Îl n°y aurait plus de guerres, par conséquent le sens moral ne serait pas si souvent froissé, des millions d'hommes ne seraient pas arrachés aux travaux utiles de toute espèce et l’on verrait diminuer les dettes publiques et les impôts. D'après les tendances connues des Israélites. la culture des sciences, des lettres, des arts, surtout de la musique, serait poussée très-loin. L'industrie et le com- merce seraient florissants. On verrait peu d'attentats con- tre les personnes, et ceux contre la propriété seraient ra- rement accompagnés de violence. La richesse augmente- rait énormément par l'effet d'un travail intelligent et ré- gulier, uni à l'économie. Cette richesse se répandrait en charités abondantes. Le clergé n'aurait point de colli- sions avec l'État, ou bien ce serait seulement sur des objets secondaires. Il y aurait malheureusement des concussions et peu de fermeté chez les fonctionnaires 40% SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. publics. Les mariages seraient précoces, nombreux, assez cénéralement respectés : par conséquent, les maux résul- tant du désordre des mœurs seraient rares. Ceci, joint à quelques bonnes règles d'hygiène, rendrait la popu- lation saine et belle. Les naissances seraient nombréuses,. et la vie moyenne prolongée *. Par toutes ces causes, la population augmenterait énormément. Ce serait un peu l'état de la Chine, avec plus de moralité, plus d'intelli- sence, plus de goût, et sans les révoltes et les massacres abominables qui déshonorent le moins céleste des empires. Après ce tableau, qui n’a pas demandé beaucoup d'i- magination, puisqu'il est basé sur des faits connus, je me hâte d'ajouter que la société ainsi composée ne serait pas viable. Pour peu qu'il restàt en Europe ou dans les pays voisins quelques enfants des anciens Grecs ou Latins, des Cantabres ou des Celtes, des Germains, des Slaves ou des Huns, limmense population supposée serait bientôt sou- mise, violentée et pillée. Plus ses richesses seraient gran- des, plus vite on la dépouillerait. Plus la race serait belle, plus on la traiterait comme celle des Cireassiens et des jeunes captives qui pleuraient jadis à Babylone. Si les barbares manquaient en Europe, il en viendrait d’au delà des mers. En un mot, supposer une grande population 1 En Prusse, la mortalité, à chaque âge, est plus faible chez les juifs que parmi les chrétiens. Dans la première année de la vie, sur 100,000 âmes, elle est de 459 chez les premiers, et de 697 chez les seconds, et ainsi de suite. Il y a, sur la même population, 67 naissances illégitimes chez les premiers, 230 chez les seconds. (Voir Hoffmann, cité dans Ann. d'hygiène publique, série I, vol. 44, p. 23, pour plusieurs années, en particulier de 1831 à 1849.) En Al- gérie, pour 1844 et 1845, les décès de tout âge de la population ci- vile ont été, sur 1060 habitants, parmi les juifs de 28 individus, parmi les musulmans de 36, et parmi les chrétiens de 43. (Comptes rendus du ministère de la guerre, cités dans Ann. d’hygiène publ. sér. IV, vol. 50, p. 302.) SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. 405 très-civilisée, — c'est-à-dire très-humaine, très-douce. très-imtelligente et très-riche, — sans pillards et sans des- potes pour en profiter, est aussi contraire aux faits con- nus que d'imagmer un continent peuplé d'herbivores sans carnivores. Théoriquement, on peut concevoir une société extrêmement eivilisée, c'est-à-dire éloignée de l’état bar- bare, mais ce ne serait pas une perfection, puisqu'elle ne pourrait plus se défendre. Comment les petites communautés juives, éparses dans le monde, se trouvent-elles posséder les qualités et les dé- fauts qui caractérisent le mieux un état avancé de civili- sation ? C'est assez inexplicable d’après les idées ordinai- res des philosophes et des historiens. Si la religion avait seule déterminé le caractère des juifs et celui des chrétiens, on aurait vu absolument le contraire de ce qui s'observe. Les [sraélites sont guidés surtout par l'Ancien Testament et les chrétiens essentiel- lement par l'Évangile. Or, l'Ancien Testament pourrait donner des mœurs rudes et excuser certaines injustices. Il représente Dieu comme vengeur, comme punissant sur plusieurs générations les iniquités d'un père, comme ayant choisi un peuple, et par conséquent négligé les autres. I admet la dure loi du talion : dent pour dent, æil pour œil. Au contraire, le Nouveau Testament est imprégné de douceur, de charité et d'humilité. Dieu y est représenté surtout comme bon et miséricordieux: il ad- met tous les hommes, sans distinction de race ou d'ori- sine. La douceur et l'humilité sont recommandées jusqu'à certaines exagérations, comme de tendre une joue quand l’autre a été frappée. Ce sont cependant les juifs qui se- raient humbles parfois Jusqu'à obéir à ce singulier pré- cepte, et les chrétiens, qui souvent sont orgueilleux, vio- lents, exclusifs dans leurs affections, sévères outre mesure 106 SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. dans leurs lois. Si les seuls enseignements religieux avaient formé les peuples, les Esraélites pourraient bien être vio- lents, mais les chrétiens devraient être soumis, au lieu que c'est le contraire précisément qui se voit. On dit: les juifs sont humbles, défiants : ils sont écono- mes et attachés à leurs proches, parce qu'ils ont été long- temps persécutés. Mais plusieurs peuples chrétiens aussi ont été vexés, opprimés de mille manières, et dans ces condilons, ils ont toujours essayé de se révolter. Is ont mème commis des atrocités par vengeance. Les juifs ont souffert et se sont tus, tandis que les Espagnols sous les Arabes, les Polonais, les Irlandais, et bien d’autres se sont comportés différemment quand ils croyaient avoir à se plaindre. La douceur relative des [sraélites ne tient donc hi à leur religion, ni à la manière dont on les à traités. L'histoire naturelle en donne beaucoup mieux l'explica- (lon. La race juive est une des plus anciennement civilisées, eten même temps elle ne s'est mêlée à aucune autre. Pendant les désordres brutaux du moyen âge, les juifs avaient inventé les procédés de commerce qui unissent les peuples, par exemple, la lettre de change. [Is répondaient aux persécutions par la douceur, le travail et une charité constante les uns envers les autres. Is cultivaient les let- tres et les sciences *. Déjà, il y à deux mille ans, les idées 1 «C’est surtout aux juifs que la chrétienté est redevable des premiers rapports littéraires qu’elle à eus avec les musulmans. Quoi- que toujours haïs et persécutés, ils étaient répandus à la fois en Asie, en Afrique et en Europe; et les besoins du commerce faisaient par- tout valoir leur patiente et infatigable activité. Les nombreuses sy- nagogues qu’ils avaient fondées en Égypte, en Espagne, dans le midi de la France et en Italie, correspondaient entre elles par l’en- tremise de voyageurs, chargés en même temps des intérêts du com- merce et de la propagation des idées. Les manuserits qui se conser- SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. 407 morales et intellectuelles étaient remarquables chez eux. La tradition les avait ensuite conservées, d'autant mieux que la dispersion générale n'a pas empêché l'isolement de la race. De tout cela il résulte que si un Israélite ressem- ble à son aïeul ou même à un ancêtre reculé, on retrouve chez lui les qualités et les défauts d'un homme civilisé, en même temps que la belle conformation de sa race, juste- ment admirée par les artistes. Les peuples chrétiens, au contraire, sortent à peine de la barbarie, Leur civilisation à commencé dans l'Europe centrale il y a trois siècles, et en Russie, sous Pierre le Grand, Is n'ont pas cessé de lutter contre des habitudes antérieures de rapine, d'injustice et de violences, ou mora- les où physiques. Il y à encore dans le midi de notre con- tinent des populations qui regardent la vengeance comme une vertu — même la vengeance qu'on poursuit sur les descendants d’une personne qui vous a insulté. Il y à sur les côtes occidentales de l'Europe d’autres populations qui se réjouissent d’un naufrage comme d’une occasion léui- time de piller. Dans nos villes les plus civilisées, on brû- lait les hérétiques il y a deux siècles et de prétendus sor- vent encore dans les bibliothèques prouvent, qu'avant les chrétiens, les Juifs avaient traduit un grand nombre d’ouvrages arabes et grecs sur la philosophie, l’astronomie et la médecine. Benjamin de Tudela, dont les voyages avaient semblé d’abord mériter peu d’at- tention, mais dont les assertions se confirment à mesure qu’on avance dans la connaissance de l’histoire orientale, parle fréquem- ment des rapports qui liaient entre eux les juifs de tous les pays, et les montre tous occupés sans relâche à propager l'étude des sciences dans leurs nombreuses académies... Si l’on songe qu’à cette époque les médecins et les précepteurs des princes les plus puissants étaient des juifs, et que les juifs possédèrent pendant longtemps tout l’or et l’argent de l'Occident, on sera moins étonné de la grande influence que nous leur attribuons. » (Libri, Hist. des se. math. en Italie, I, p. 153.) 108 SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. ciers 11 y à cent ans. Au XVIIIe siècle encore, les arresta- tions arbitraires étaient communes, et des gens haut placés n'avaient pas honte de faire bâtonner des inférieurs, sans le moindre respect pour les lois et les tribunaux. Dans le commencement du siècle actuel, on pendait un homme, en Angleterre, pour quelque vol insignifiant. La guerre à tou- jours été horrible, et la piraterie est à peine hors des usa- ses. Ressembler à nos aïeux n’est done pas sans danger parmi nous. Leur violence, en vertu de latavisme, doit reparaitre de temps en temps. Elle était à l'état d'instinet, par l'effet d’une longue habitude : il faut du temps pour créer d’autres instincts. « Hier encore l'homme était bar- € bare, dit M. Galton ‘, par conséquent on ne doit pas € s'attendre à ce que les aptitudes naturelles de sa race <'aent été déjà faconnées, en raison des progrès réels € qu'il à faits. Nous autres modernes, nous sommes € comme des animaux transportés dans un pays où les € conditions de climat et de nourriture sont nouvelles € pour eux. Nos instincts font défaut dans des eircon- € stances qui ont changé. » Telles sont les lois de l'histoire naturelle. Je laisse à juger «1 elles n’expliquent pas aussi bien les qualités et les défauts des uns que les qualités inverses et les défauts opposés des autres. Supposez plusieurs siècles sans révolutions brutales et sans guerres, avec une ré- pression constante et cependant humaine des crimes con- tre les personnes. Supposez qu'on ait éloigné des rues, des églises et des musées tout ee qui rappelle les supplices atroces des temps barbares, et que la littérature et l’en- seignement de la jeunesse aient mis depuis longtemps les bienfaiteurs de Fhumanité fort au-dessus des conquérants, ? Hereditary genius, p. 349. SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. 109 — les mœurs seraient alors de plus en plus douces: la race se modifierait dans ce sens, et la loi d’atavisme amênerait des personnes qui ne seraient plus en disparate avec l'en- semble. De même pour les autres caractères des sociétés civilisées. Quand le sentiment des droits individuels est ancien dans une population, comme chez les Anglais, par exemple, il importe peu qu'on ressemble à son père, à son aïeul où à quelque ancêtre plus éloigné, on naît avec une disposition à défendre ses droits. Les retours au despo- tisme sont alors peu probables, par la double influence d’un instinct, et d’une opinion générale, qui résulte de l'histoire du pays. En parlant des institutions anglaises. qui ont tant de peine à s’acclimater ailleurs, on à dit : « lAnglais est un animal politique. » Ce mot, dépourvu de sa forme paradoxale, signifie que l'Anglais, tout natu- rellement, par instinct, s'entend avec ses voisins et com- patriotes pour se gouverner en commun. Îl en donne là preuve dans ses établissements coloniaux les plus reculés. C'est probablement l'effet d’une habitude de plusieurs siècles, créée par hérédité immédiate et par atavisme. accrue encore par la disposition naturelle des enfants à imiter leurs parents, leurs voisins et les hommes distin- gués de leur pays. De même en Écosse, dans plusieurs contrées de l'Allemagne, de la Suède, de la Hollande, de F4 Suisse, les faits d'hérédité et d’atavisme disposent à culti- ver l'intelligence, parce que l'instruction y a été répandue depuis trois siècles. Les retours déclarés vers l'obscuran- tisme y sont peu probables 1 Quand j’ai parlé tout à l’heure des juifs et des chrétiens, j’ai montré qu’ils s'étaient éloignés, les uns et les autres, de la direc- tion que leurs livres sacrés auraient fait présumer. Il y a cependant une secte aussi rapprochée que possible de l’esprit de douceur et de charité de l'Évangile, celle des Anis où Quakers, sur laquelle j'au- #10 SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE, En définitive, et pour en revenir à là question que je me suis posée, les relours fréquents des hommes civilisés vers la barbarie s'expliquent ordinairement par plusieurs influences, auxquelles on doit ajouter l'hérédité directe, l'atavisme, l'instinct, c'est-à-dire l'habitude devenue héré- ditaire, et limitation. Laissons les historiens analyser à leur manière les cau- ses de désordres qui affligent nos sociétés civilisées. IE ont parfaitement raison de signaler les jalousies de classes et de nations, les intérêts souvent opposés, les ambitions de sens puissants, la licheté et la bêtise des autres, les prin- cipes Immoraux ou absurdes que des écrivains où ora- teurs populaires mettent en avant. Tout cela détermine des conflits et amène une marche rétrograde vers la barbarie. Mius cette marche ne serait pas facile, et elle ne serait pas accompagnée de tant d'horreurs, si pendant plusieurs vénérations des instinets d’une bonne nature avaient pu se former, et si ces instinets s'étaient développés dans toutes les parties de chaque population. IS savent fort rais vivement désiré avoir des renseignements statistiques, parce qu'ils seraient probablement d’une grande force comme preuve in- verse de ce qui précède. Il s’agit, dans ce cas, d’une association respectable, dans laquelle, depuis plusieurs générations, il est interdit de porter les armes, de se faire droit à soi-même, de contribuer directement ou indirectement à des guerres, et de laquelle on exclut les individus qui se montrent violents ou vicieux. Aïnsi, pour les familles des Amis, la religion, l’exemple, une sélection réelle et, comme conséquence, l’hérédité et l’atavisme, sont réunis pour qu’il y ait beaucoup d’individus de mœurs douces et honnêtes et peu de criminels, surtout de criminels violents. Si je ne m’abuse, il doit y avoir dans les prisons d'Angleterre et des États-Unis une bien fai- ble proportion d’individus nés de familles quakers, et, parmi ces condamnés, bien peu doivent avoir commis des actes de violence con- tre les personnes. Je crains que la population totale de la secte des Amis ne soit pas assez constatée pour qu’on puisse, même avec des documents judiciaires, établir la première de ces deux proportions. SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. AIT mal l'histoire, les misérables qui commettent des cruautés à l’occasion d’une révolution ou d’une guerre. Chez beau- coup d'entre eux, ce n'est pas une imitation des temps passés, puisqu'ils les connaissent à peine. On dirait plu- tôt une impulsion venant de leurs aïeux barbares, qui se montre quand la société ne peut plus se défendre. Cette impulsion ne détermine pas précisément les chutes de l'or- dre moral et social, mais elle les aggrave. Heureusement, il se forme aussi dans certaines nations et certains groupes de chaque nation des habitudes opposées, des instincts contraires, qui luttent contre les retours à la barbarie et qui l’emportent quelquefois. Dans l'intervalle des violences, la sélection doit agir assez ordinairement, mais lentement, dans le sens des progrès de la moralité et de l'intelligence. Si les intervalles se prolangent, les instincts eux-mêmes deviennent favorables, et la civilisation profite alors de la loi d’atavisme. SECTION IV De l'avenir probable de l’espèce humaine. Il n'est pas difficile d'indiquer certaines probabilités touchant le sort futur de l'espèce humaine. Ce sera natu- rellement sur quelques points déterminés, mais ils ne manquent ni d'importance, ni d'intérêt. Pour aborder convenablement la question, il faut se rappeler toujours trois principes: 1° les êtres organisés doués de volonté et de la faculté de locomotion, cherchent 412 SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. à s'adapter aux circonstances dans lesquelles ils se trouvent, et nul ne peut le faire mieux que l'homme, à cause de sa grande intelligence: 2° les individus de lespèce hu- maine qui peuvent ou savent le moins se plier aux crr- constances ont le plus de chance de périr, où tout au moins de laisser un petit nombre de descendants, de sorte que les populations se recrutent principalement par les individus qui ont les qualités le plus adaptées aux eir- constances de chaque pays et de chaque époque; 9° les luttes violentes qui règnent presque toujours entre les peuples ou les individus accélèrent le mouvement de mo- difications et d'adaptation à de nouvelles circonstances. L'application de ces lois nous oblige à considérer d’a- bord, autant que faire se peut, les circonstances pro- chaines où éloignées dans lesquelles se trouveront proba- blement nos successeurs. Si nous envisageons un avenir rapproché, de quelques siècles par exemple, ou d'un millier d'années, nous pou- vons croire à un certain degré de stabilité dans les con- ditions physiques générales et même locales, qui affec- tent l'espèce humaine. Du moins, d'après le passé, cela parait assez probable. Les climats n’ont pas changé de- puis l'époque des plus anciens documents historiques. La configuration des terres s’est modifiée fort peu. Sans doute la géologie nous montre qu'il s'est fait de grands changements, mais d'ordinaire cela s’est passé lentement. Admettre une continuation de l'état physique actuel pen- dant la durée de quelques générations d'hommes est donc une idée vraisemblable. Or, avec les conditions actuelles stationnaires où à peu près, il est aisé de prévoir deux phénomènes : 1° La terre se couvrira de plus en plus d'habitants, puisque certaines races très-actives et robustes ont assez SÉLECTION DANS L’ESPECE HUMAINE. #13 d'intelligence pour franchir les mers, et que d’ailleurs dans chaque pays la population tend toujours à s’accroi- tre. En d’autres termes, les hommes de notre époque s'a- dapteront de plus en plus aux conditions d'existence qui s'offrent à eux dans leurs propres pays et ailleurs, ce qui suppose une immense augmentation de la population gé- nérale du globe. 2° Le transport continuel et croissant des hommes d'une partie du monde à l’autre produira des mélanges de races de plus en plus fréquents. Ici encore, certaines probabilités peuvent être énon- cées. Jees races tout à fait inférieures de nombre, de force physique où d'intelligence, doivent ou disparaitre, ou se fondre avec les races plus puissantes qu'elles par le nom- bre, la vigueur ou l'intelligence. Les Australiens et beau- coup de peuplades des îles de la mer Pacifique, les Hottentots, les indigènes de quelques parties de FAmé- rique doivent disparaître, vu l'impossibilité pour eux de lutter contre les autres peuples, soit dans la guerre, soit dans la paix. Les races moins inférieures, mais peu actives, du Mexique, du Pérou, de quelques régions de l'Asie, s'amalgament déjà avec leurs conquérants, de ma- nière à constituer des populations intermédiaires, mais trois races principales, douées de qualités précieuses pour envahir, se mêleront avec celles-ci et entre elles, plus ou moins, suivant les circonstances locales. Ces trois princi- pales races sont: la race blanche, représentée surtout par les Européens et leurs descendants d'Amérique: la race Jaune, représentée surtout par les Chinois et les Japonais, et la race nègre. La première à l'avantage de l'intelligence, mais elle ne supporte pas les climats chauds comme les deux autres. L'émigration des blancs ne cessera sans au SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. doute pas d'en introduire, dans les pays équatoriaux, seu- lement dans ce cas les enfants seront décimés, là où les nègres et les Chinois élèvent facilement les leurs. Les adultes même de la race blanche résistent difficilement dans les régions méridionales. Les races mêlées auront dans la zone torride moins de désavantage que les blancs, mais la sélection s'y fera dans le sens de favoriser les individus les plus colorés, ce qui ramènera au point de départ, malgré tous les mélanges. [nversément la race nègre ne prospérera jamais dans les pays froids. Les métis eux-mêmes ne supportent pas un climat rigoureux aussi bien que les blanes. En dépit du mélange des races. on peut done augurer une prédominance durable des nègres dans les pays équatoriaux et des blancs dans les régions froides. Les Chinois seuls paraissent assez intelli- cents et assez robustes à la fois, pour lutter, en tous pays. avec les uns et avec les autres. Ils sont déjà nombreux. Ils commencent à émigrer. Par leurs qualités physiques et physiologiques et même par leur avidité ingénieuse et active, ce sont eux qui devraient supplanter les autres races, seulement ils ont peu de courage et encore moins de bonne foi. Les blancs d'Europe et des États-Unis sou- tiendront la lutte, grâce à leur bravoure habituelle, à leur facilité de s'entendre et à la confiance qu'ils peuvent avoir les uns dans les autres. Les nègres la soutiendront aussi, grâce à leur vigueur physique. Le mélange des trois races principales ne sera donc pas complet. Il y aura beaucoup de métis et intermédiaires de tous les degrés. mais en Afrique, en Chine et dans le nord de notre hémisphère les races primitives continueront probable- ment à dominer pendant un grand nombre de siècles. Envisageons maintenant un avenir plus éloigné, par exemple de 50,000 ans, de 100,000 ans, même de plu- SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. 415 sieurs centaines de milliers d'années. Il est encore possi- ble de prévoir, pour ces époques, certaines tendances et certains états de l'espèce humaine. Notons cependant ce qui rend douteuses les considérations les plus plausibles. Pour un laps de temps aussi prolongé, on ne peut savoir si quelque grand événement terrestre où même cosmique ne viendra pas changer absolument les conditions exté- rieures. Notre globe pourrait avoir des affaissements ou des soulèvements qui changeraient du tout au tout la nature de la surface habitable. Il pourrait se manifester parmi les hommes des maladies dont nous n'avons aucune idée. Ces maladies pourraient détruire tout une race ou même anéantir l'espèce humaine. Les astronomes ont prouvé que les variations du plan de lécliptique et de l’excentricité de l'orbite terrestre ne sont pas de nature à changer sensiblement les climats. En constatant cette vérité M. Croll ‘ s’est cependant efforcé de prouver quel’accumu- lation des glaces, par un effet de ces causes agissant tantôt sur le pôle nord et tantôt sur le pôle sud, doit produire cer- tains changements des courants et des vents dominants, ce qui entraine des changements de climat dans toutes les par- tes de la terre. Il y aurait eu plusieurs époques glaciales dans chaque hémisphère. La moins ancienne pour lhé- misphère boréal aurait commencé il y à 240,000 ans, et fini il y a environ 80,000 ans. Sir Charles Lyell * a dis- cuté les opinions de M. Croll, et, d'après lui, la périodi- cité des époques glaciales serait assez incertaine. On ne peut cependant pas négliger la possibilité de semblables événements, dont l'effet serait de rejeter les êtres organi- sés de chaque région polaire vers les zones tempérées, et ? Croll, dans Edinburgh philosophical magazine, 1867 et 1868. ? Sir Ch. Lyell, Principles of geology, dernière édition. #10 SÉLECTION DANS L’ESPÈCE HUMAINE. ceux des régions tempérées vers la zone équatoriale , naturellement avec extinction de beaucoup d'espèces, ou, quand on parle de l’homme, avec extinction de beaucoup de peuples. Enfin, qui peut prévoir les événements rela- ufs à notre système solaire tout entier ? Il marche avec une grande vitesse dans une certaine direction. Peut-être rencontrera-t-il un jour quelque partie de l'univers plus chaude où plus froide que l’espace parcouru depuis plu- sieurs milliers d'années. Le soleil aussi peut changer. Des laits de cette nature pourraient anéantir non-seulement les hommes, mais encore tous les êtres organisés de notre lobe. Laissons de côté ces cas hypothétiques sur lesquels la science ne peut encore rien prévoir, et passons à des faits qui sont, au contaire, d’une certitude absolue. L'oxygène de Pair et l’action incessante du travail hu- ain ont pour résultat de diminuer la quantité de métaux et de houille accessibles, sans trop de peine, à la surface de la terre. Le génie de quelques savants découvrira sans doute des procédés pour exploiter les mines à de plus orandes profondeurs et pour profiter d’oxydes métalliques épars dans le sol. On trouvera aussi de nouveaux com- bustibles. Jamais cependant 1ls ne pourront être aussi avantageux que ceux tout préparés dont nous profitons, et les poussières métalliques éparpillées seront toujours plus difficiles à atteindre que les accumulations primitives ne le sont aujourd'hui. Il y aura forcément une diminu- ion de population quand les ressources anciennes seront rares, surtout quand elles deviendront presque inaccessi- bles, et que finalement elles manqueront. Les peuples les plus civilisés seront alors les plus malheureux. Ils n’au- ront ni chemins de fer, ni bateaux à vapeur, ni rien de ce qui est basé sur le charbon de terre ou les métaux. Leur 2, on Le SE à 2 os PR A OPRE D RÉ SÉLECTION DANS L’ESPÈCE HUMAINE. 417 industrie sera régulièrement réduite quand le cuivre et le fer seront rares. Certaines populations, à la fois sédentai- res et agricoles, vivant dans les pays chauds et pouvant se contenter de peu, seront alors les mieux adaptées aux circonstances générales du globe. C’est donc entre les tro- piques et près des grandes accumulations de houille aux États-Unis, que les populations resteront le plus long- temps agglomérées en masses considérables. Cependant, la rareté des métaux sera une cause de décadence même dans ces localités privilégiées. Un autre changement, plus lent, mais également cer- tain, est la diminution des surfaces terrestres et surtout labaissement des régions élevées, par l'effet de l’action incessante des eaux, de la glace et de l'air. Depuis des milliers d'années, chaque ruisseau, chaque fleuve a en- traîné vers l’océan des particules solides qui se sont déta- chées des hauteurs, et cette action lente doit continuer. On a calculé l'abaissement moyen des continents d’après le limon des principaux fleuves et en supposant les pro- portions constantes. De pareils calculs reposent sur des conditions trop variables pour mériter beaucoup de con- fiance, mais la direction du phénomène est certaine. Sur les hautes montagnes et dans les régions polaires, le mou- vement des glaces corrode les roches les plus dures et en- traine des substances solides vers les fleuves. Les surfaces moins hautes sont aussi lavées et abaissées. Le limon des fleuves glisse ou tombe au fond des mers, et comme cel- les-ci ont déjà une étendue beaucoup plus grande que les terres et une profondeur qui dépasse l'élévation des plus hautes chaînes de montagnes, il est clair que les surfaces solides et habitables pour l'homme diminueront, relative- ment aux surfaces liquides. Ajoutez aussi que le fond des mers se comblant en partie, la surface doit s'élever plus 9% 1 418 SÉLECTION DANS L’ESPÈCE HUMAINE. ou moins, si l’on suppose la masse liquide constante. En même temps, depuis quelques siècles, les atterrissements sur certaines côtes peuvent être supposés égaux aux éro- sions sur d’autres points, et les soulèvements partiels ont pour contre-partie des abaissements. Ainsi, d’après l’en- semble des phénomènes, et à moins d'événements brusques impossibles à prévoir, les îles et les continents doivent d’abord diminuer d’élévation, ensuite diminuer d’étendue, et même on peut entrevoir dans un avenir très-éloigné une submersion à peu près complète des surfaces terres- tres, par conséquent une destruction plus ou moins com- plète des êtres organisés, végétaux et animaux qui vivent sur ces surfaces ou dans les eaux douces. L'espèce hu- maine peut résister mieux que d’autres, grâce à son intel- ligence, mais elle approcherait aussi alors de sa fin, puis- qu'elle n'aurait plus la ressource de vivre sur des vais- seaux quand il n’y aurait plus ni bois, n1 métaux pour en construire. Probablement la submersion des conti- nents n'étant pas générale et des îles volcaniques ou ma- dréporiques s'étant formées, il resterait encore quelques points habités par des hommes. Ce serait dans des condi- tions d'isolement dont nous nous faisons à peine l’idée. Avant cette époque extrême — que des événements brusques où impossibles à prévoir peuvent encore éloigner — nous devons nous représenter l'espèce humaine privée peu à peu des trésors de houille et de métaux qui sont au- jourd’hui à sa portée, et obligée de se concentrer sur des surfaces terrestres moins étendues, presque toutes insu- laires, comme il en a existé déjà dans des temps géolo- giques très-anciens. La cherté du combustible et des mé- taux rendra les communications difficiles. L’abaissement des chaînes de montagnes diminuera la condensation des vapeurs aqueuses et augmentera l'étendue des régions sté- SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. 419 riles. Quelques pays deviendront semblables à l'intérieur de l'Australie. Pendant cette période, la population dimi- nuera forcément, mais l'intelligence et la moralité ayant peut-être augmenté, la réduction ne se fera pas comme aujourd'hui par une mortalité affreuse dans les familles les moins prévoyantes et par des moyens accessoires encore plus horribles, comme l'infanticide et la guerre. Il se pourrait, par exemple, que l'homme füt en état de régler la proportion des naissances masculines et fémi- nines, Ce qui n'est point improbable d'après l'exemple d’autres espèces organisées. Il résulterait de là une rareté croissante des femmes et une diminution considérable des naissances. A mesure que les continents privés de montagnes de- viendront plus desséchés-dans l'intérieur ou se diviseront en archipels, les peuples deviendront de plus en plus ma- rimes. C'est de la mer qu'ils devront tirer la plus grande partie de leur subsistance, mais ils auront à lutter contre l'envahissement des flots. Les peuples intelligents et tena- ces seront alors les mieux adaptés aux circonstances. Malgré leur isolement et les difficultés de la navigation. ils pourront encore prospérer. Ils auront même le bien- être qui résulte d’une existence paisible, car à cette épo- que, sans métaux, ni combustibles, il sera bien difficile de former des escadres pour dominer les mers et de erandes armées pour ravager les terres. Le mélange des anciennes races s'arrêtera par un effet du morcellement des surfaces terrestres et de la cherté croissante des moyens de communication. Ce qui sera resté des trois races principales actuelles se trouvera pro- bablement très-dispersé. Les îles des régions boréales et australes étant exposées aux invasions plus où moins périodiques des glaces, et n'ayant pas de contiguité avec 420 SÉLECTION DANS L’ESPÈCE HUMAINE. des terres mieux situées, la race blanche, qui aura persisté chez elles plutôt que dans les régions équatoriales, sera celle qui souffrira le plus. Dans les archipels méridionaux, les races colorées, devenues aussi pures qu’à présent, grâce à une longue sélection pendant leur isolement, auront de meilleures chances. En définitive, notre époque et celle qui suivra d'ici à un millier d'années, seront caractérisées par une grande augmentation de population, un croisement des races et une prospérité de plus en plus marquée. On verra en- suite probablement une longue période de diminution de population, de séparation des peuples et de décadence. N'est-ce pas, en général, ce qui arrive quand il y à lutte entre des influences différentes ? Certaines causes gran- dissent où diminuent presque toujours lentement. Au- jourd’hui, nous voyons des espèces qui s’éteignent. Elles ont commencé par devenir rares. Souvent leur habita- tion, brisée d’abord de place en place, se trouve réduite à un seul district, et là une cause, quelquefois peu im- portante, leur donne le coup de grâce. Dans les temps antérieurs, si l’on peut en juger suffisamment par les données géologiques, les espèces ont eu aussi une période d'abondance et d'extension, ensuite de raréfaction et de limitation. L'espèce humaine décrirait de la même manière une sorte de courbe, dont les extrêmes échappent à nos moyens d'observation, tandis que la partie moyenne frappe vivement nos regards. Nous savons que l’un des termes extrêmes à existé; nous prévoyons le moment où l’homme occupera toute la surface habitable de la terre, et aura consommé ce qui s’y trouve actuellement accumulé par une longue série d’événements géologiques; sans beaucoup d'imagination, nous pouvons done entrevoir l’autre partie de la courbe, tendant à quelque point final encore très- SÉLECTION DANS L’ESPÈCE HUMAINE. 421 éloigné. Telles sont les probabilités, selon le cours actuel des choses ; mais plus on envisage un temps considérable, plus il faut admettre la possibilité d'événements incon- nus, imprévus, impossibles même à prévoir, qui peuvent introduire des conditions absolument différentes. Les réflexions auxquelles je viens de me livrer difie- rent beaucoup de celles de MM. Spencer et Galton, dans les chapitres où ces auteurs traitent des mêmes questions. M. Spencer ‘ parle fort peu des conditions physiques aux- quelles l’homme sera soumis. Il mentionne seulement les alternatives de glaces aux deux pôles, comme devant dé- placer les populations voisines. Maloré les calculs et les hypothèses de M. Croll, c’est peut-être la moins certaine et la moins importante des modifications matérielles que rencontrera l'espèce humaine. La rareté croissante de la houille et des métaux est bien plus démontrée, bien plus rapprochée, surtout la rareté des dépôts de houille aisé- ment exploitables. Quant aux modifications de l'homme lui-même par un effet de la variabilité, de la concurrence et de la sélection qui en résulte, M. Spencer l'analyse avec habileté, mais d’une manière à mon avis incomplète. La lutte, dit-il, est de siècle en siècle plus active, à cause de l'augmentation de la population et des progrès de la science, de l'industrie, du commerce, qui obligent les in- dividus à savoir davantage et à faire de plus grands efforts. De là un développement probable, de plus en plus marqué, des facultés intellectuelles (vol. IT, p. 496, 499), et aussi probablement de la moralité (p. #97). De ces nouvelles conditions intellectuelles et morales il doit découler, dit-il encore, une moindre fécondité, qui deviendra une nou- velle source de progrès moraux et intellectuels. 1 Herbert Spencer, Principles of biology, vol. IE, liv. 6, ch. 13. 1929 SÉLECTION DANS L’ESPÈCE HUMAINE. M. Galton ‘ raisonne à peu près comme M. Spencer en ce qui concerne le développement intellectuel probable. Il craint seulement que l'amélioration des facultés dans les races déjà avancées ne marche pas assez vite pour les besoins croissants d'une civilisation qui grandit énor- mément. Après avoir constaté la disparition de plusieurs races sauvages, par le simple effet d’une lutte qu'elles ne peuvent pas soutenir contre la race anglaise, il ajoute * : « Nous aussi, les promoteurs principaux d’une eivilisation « avancée, nous commençons à nous montrer incapables « de marcher avec la même vitesse que notre propre ou- « vrage. Les besoins de centralisation, de communication «et de culture demandent plus de cerveau et plus de « d'énergie intellectuelle que notre race n'en possède. « Nous demandons à grands eris plus de capacité dans « toutes les positions sociales. Ni les hommes d'État, ni «les savants, ni les artisans, ni les laboureurs ne sont à «la hauteur de la complication actuelle de leurs diffé- «rentes professions... Notre race est surchargée. Elle « semble courir le risque de dégénérer, à la suite d’exi- « gences qui dépassent ses moyens. Quand la lutte pour « l'existence n’est pas trop grande pour la force d’une « race, elle est saine et conservatrice, autrement elle est « mortelle. » On peut douter de quelques-unes de ces assertions. Par exemple la centralisation ne complique pas; elle simphi- lie. I] y a, en effet, plus de choses à prévoir, plus de dif- ficultés à surmonter, plus d'énergie à déployer, pour faire marcher plusieurs petits ateliers, plusieurs petites popu- lations indépendantes, que si le même ordre est exécuté ! Galton, Hereditary genius, p. 336-362. DURS SET SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. 123 par des milliers d'ouvriers et des millions d'habitants. La division du travail, aussi, simplifie, et elle augmente tou- jours avec Ja civilisation. On lui a reproché quelquefois de diminuer les efforts de l'esprit, chaque individu n'ayant à penser qu'à une seule chose. Ce serait, à ce point de vue, un obstacle au développement intellectuel dans les populations très-civilisées. En général, les deux auteurs dont je viens de parler, tout en faisant des réflexions très-justes et quelquefois très-originales, très-dignes d'attention, me paraissent avoir un peu trop oublié l'inégalité de développement des classes et des peuples, ainsi que les causes nombreuses qui amènent une sélection dans le mauvais sens où un arrêt de sélection. L'histoire est pourtant d'accord avec la théorie pour montrer à quel degré la marche du côté de l'intelligence et de la moralité, est irrégulière et douteuse, même dans le laps de temps de plusieurs milliers d’an- nées. Depuis Socrate jusqu'à Lavoisier, combien d'hom- mes éminents n'ont pas péri d’une mort misérable, victi- mes de la force et de l'ignorance du grand nombre ! Com- bien de populations d'élite n’ont pas disparu! Combien d'invasions de barbares n’ont pas eu lieu! Je ne parle pas seulement de celles qui ont détruit l'empire romain, mais aussi de l'invasion des prolétaires chinois, irlandais et autres dans les pays civilisés d'aujourd'hui. M. Spencer admet avec raison ‘ qu'un développement du système ner- veux à pour effet de diminuer l'accroissement des popula- tions, et comme il estime ce développement probable, il y voit une double cause de satisfaction pour l'avenir. Les populations tendraient ainsi à devenir stationnaires quant au nombre, précisément quand elles seront arrivées à cou- PE: 006, 42% SÉLECTION DANS L'ESPÈCE HUMAINE. vrir la surface terrestre d'individus très-intelligents. Mais d'ici à cette heureuse époque, et même je suppose encore à cette époque, il y aura des familles moins intelligentes et moins prévoyantes que les autres. Ce sont elles qui peu- pleront le plus, et leur flot toujours renouvelé changera singulièrement la progression supposée de l'intelligence, sans parler des autres causes d'arrêt. Pour bien comprendre les faits probables, dans leur ensemble, et pour les rattacher aux lois de la sélection, il faut de toute nécessité: 1° attribuer une importance ma- jeure aux circonstances matérielles qui doivent se mani- fester d'ici à quelques milliers d'années; 2° revenir au principe de la théorie de M. Darwin, et l'appliquer à l’es- pèce humaine. J'appelle principe de la théorie, l'adaptation forcée des êtres organisés aux circonstances environnan- tes de toute nature, d'où il résulte que les modifications conservées sont tantôt bonnes, tantôt mauvaises, à notre point de vue humain de ce qui est bon ou mauvais. On peut avoir une idée sur la bonté et la perfection, mais la marche des faits n’est pas nécessairement dans un sens conforme à cette idée, car elle résulte des obstacles de toute nature qui se rencontrent pendant une série de plusieurs milliers d'années. Le monde est peuplé aujour- d'hui d'une infinité d'espèces végétales et animales peu développées, peu parfaites, si la complication des organes et la division des fonctions sont envisagées comme des perfections. Ces êtres inférieurs sont adaptés aux circon- stances actuelles, puisqu'ils existent. Ils sont tout aussibien adaptés que d’autres appelés par nous supérieurs, et 1l en sera peut-être ainsi pendant une série immense de siècles. Je ferai le même raisonnement pour les races et les famil- les humaines. Les plus grossières sont quelquefois mieux que les autres adaptées à certaines conditions. Aïnsi les nè- SÉLECTION DANS L’ESPÈCE HUMAINE. 495 ores résistent parfaitement aux climats équatoriaux, et dans nos pays civilisés, certaines populations de prolétaires s’accommodent pour vivre de conditions misérables que d'autres ne pourraient nullement supporter. Si ces hommes qui se contentent de peu n'existaient pas, il s’en formerait par variabilité et sélection. Nous ne savons pas jusqu'où la frugalité et le mépris du bien-être pourraient conduire des êtres humains, s'il n°y avait quel- quefois des obstacles venant des mesures de police ou de l'opinion des autres hommes. D'après ce qu'on raconte des cultivateurs indous et égyptiens, une longue suite de souffrances amène, par sélection, une race granivore ou frugivore singulièrement économe et qui peuple beau- coup. Dans nos grandes villes d'Europe, malgré les rigueurs du climat, on verrait des familles s'établir dans des sou- terrains humides, sous des ponts, même dans des égoûts. et s'adapter à ces conditions d'existence par la mort pré- maturée des plus faibles, si la volonté des autres hommes ne faisait obstacle. I y a plus. Les individus grossiers et immoraux ne laissent pas d’être adaptés, malheureuse- ment, à certaines conditions des pays civilisés, par exem- ple aux révolutions, aux vols faiblement poursuivis, aux empiétements sur la propriété par certains législateurs qui ne possèdent rien, aux guerres mal fondées, agressives, eic., tandis que d'autres individus sont adaptés à des conditions morales, savantes, justes, etc., qui existent aussi. Cette double nature des conditions ne paraît pas pouvoir cesser d'exister. S'il y a une fois des hommes plus intelligents et par conséquent plus prévoyants qu'au- jourd'hui, il y en aura aussi de moins intelligents et moins prévoyants à côté d'eux ou ailleurs, qui convoiteront leurs biens et se moqueront de leurs droits. L’optimisme est très-agréable, puisqu'il séduit les hommes les plus 126 SÉLECTION DANS L’ESPÈCE HUMAINE. positifs", mais il n’est pas conforme aux faits du passé, ni aux faits probables pour lavenir. Si l’on se dirige seu- lement d’après les conditions connues et vraisemblables, la sélection ne peut influer dans un bon sens sur l'espèce humaine que d’une manière douteuse, temporaire et extrêmement lente. Ce serait donc une illusion de re- construire, sur la base des idées modernes des naturalistes, la théorie du perfectionnement indéfini de certains philo- sophes français du sièele dernier. Du reste, une étude at- tentive des ouvrages de M. Darwin ne permet pas de conclure dans ce sens, et il faut se garder de croire avec certains auteurs * que la direction souvent regrettable de l'espèce humaine soit une objection à la loi de la sélec- tion. Voir l’utopie par laquelle M. Büchner a terminé sa 4ve confé- rence (trad. franç., p. 178). ? Dans le Fraser’s magazine de septembre 1868, un auteur, qui n’a pas signé, mais dont M. Darwin indique le nom (Descent of man, I, p.167), à intitulé un article, très-bien fait d’ailleurs: Fuai- lure of natural selection in the case of man (Naufrage de la sélection naturelle en ce qui concerne l’homme). C’est, au contraire, l’ap- plication large et juste de la sélection qui fait comprendre les faits, parfaitement exacts, dont parle l’écrivain. M. Darwin n’a jamais cru que le progrès moral de l’espèce humaine dût résulter nécessaire- ment de la sélection (voir Descent of man, I. p. 166, 177 et ail- leurs). Re CR a ho Ar EE RO de a DE Gt nd à Se ds ni An, ACT D'UNE ALTERNANCE FORCÉE DANS L'INTENSITÉ DES MALADIES ET dans la valeur des moyens préventifs, tels que la vaccination. La diminution d'efficacité du vaccin comme préser- vatif de la petite vérole à été un sujet, d'abord d’incré- dulité, ensuite d’étonnement, pour le monde médical et même pour le public tout entier. On en cherche les causes dans la nature du vaccin, mais il n’a pas été dé- montré qu'en prenant de nouveau sur l'espèce bovine la matière à inoculer, on retrouve l'efficacité primitive. Sans vouloir contester aux hommes de l'art la chance de découvrir une explication tirée du domaine des faits médicaux et physiologiques dont ils s'occupent, je désire signaler une conséquence de la loi fondamentale de l'hé- rédité comme s'appliquant au phénomène en question. Pour en comprendre la réalité il est bon de rappeler d’a- bord un fait qui concerne les épidémies. L'histoire médicale à constaté au sujet des maladies épidémiques ou contagieuses, une mortalité considérable 428 VACCINATION. dans les premiers temps de l'apparition, suivie d’une atté- nuation qui se prolonge lentement de génération en gé- nération. De nos jours les épidémies de choléra-morbus ont diminué de fréquence et d'intensité, dans un assez court espace de temps. Précédemment la siphilis et la va- riole, deux infections d’une nature différente, soit en elles-mêmes, soit par leur mode de transmission, avaient offert le même phénomène, savoir : intensité extrême au début, diminution de siècle en siècle. Si cette marche tenait à la nature des maladies, les po- pulations infectées pour la première fois dans le XIXe siècle auraient été moins décimées que celles infectées dans les siècles antérieurs. Mais ce n’est point ce qui s’est passé. Quand une population de sauvages à recu récemment, pour la première fois, la petite vérole, elle en a souffert autant que les Européens lors du début de la maladie en Europe. C'est le fait d’envahir un terrain nou- veau, qui rend les épidémies destructives, et avec un peu de réflexion il est aisé de comprendre pourquoi. Lorsqu'une épidémie tombe sur une population pour la première fois, la plupart des individus disposés à en recevoir les effets sont atteints. 11 en meurt un très-grand nombre. Les naissances subséquentes proviennent de per- sonnes qui n'ont pas été atteintes, ou tout au moins qui ont survécu, c'est-à-dire de personnes constituées mieux que les autres pour résister à la maladie dont il s’agit. En vertu de la ressemblance ordinaire des enfants avec les parents, la nouvelle génération sera moins disposée à souffrir de cette maladie. I y aura donc une atténuation ou une disparition momentanée: plutôt je présume une atténuation, parce que la ressemblance des enfants avec leurs aïeux (ce qu'on nomme l’atavisme) n'est pas très-rare et tend à ramener certaines formes ou certaines disposi- | l | RER VACCINATION. 4929 tions physiologiques dans les familles. Au bout de deux ou trois générations cette cause spéciale de retour de la maladie se fait cependant peu sentir, la ressemblance à un trisaieul ou quadrisaïeul étant plus rare qu’à un aïeul, mais alors l'ensemble de la population n'aura plus été exposée elle-même ou par ses pères à la maladie en ques- tion, ou y aura été exposée très-faiblement. Il se consti- tue ainsi de nouveau, par la rareté même de l'affection, une proportion d'individus non soumis à l'épreuve ou dont les parents n’y ont pas été soumis, individus sur lesquels la maladie doit sévir et la sélection recommencer à opérer. La force des choses amène donc une variation dans l'intensité de chaque maladie, pourvu qu'il ne s'agisse pas d’une affection dont on meurt rarement ou qui tombe principalement sur les personnes âgées. Plus une maladie décime la jeunesse, plus le travail de sélection se fait vite et amène promptement une diminution. Si une première invasion détruit, par exemple, la moitié de la population au-dessous de l’âge nubile, les survivants doi- vent être fort peu dans les conditions physiques ou phy- siologiques favorables à la maladie dont il s’agit et les en- fants qui naîtront d'eux profiteront de cette immunité. Si la maladie est moins meurtrière l’épuration sera momdre. On découvre par là, Je ne dis pas la cause, mais une cause, pour laquelle beaucoup de pestes et autres affec- tions très-graves frappent les populations par intervalles et sont, comme on dit, épidémiques, tandis que certaines affections moins graves, même parmi celles qui atteignent la jeunesse, règnent d'année en année d'une façon plu- tôt continue, Telles sout les lois claires, on peut ajouter forcées, qui régissent les maladies indépendamment de toute autre 430 VACCINATION. circonstance de nature à produire une aggravation ou une diminution. Sans doute il peut y avoir d’autres cau- ses physiques où physiologiques et les médecins peuvent découvrir des moyens préventifs ou euratifs qui influent, mais l'effet incessant de l'hérédité, avec la sélection, n’en subsiste pas moins, et quand d’autres influences ne sont pas constatées on est assuré que celles-ci jouent leur rôle. Voyons maintenant pourquoi l'efficacité de moyens préventifs, tels que la vaccination, doit aussi varier. Lorsque Jenner découvrit la vaccine, la petite vérole avait un peu perdu, en Europe, de son intensité primi- tive. Les populations qui existaient alors provenaient de plusieurs générations qui pouvaient, grâce à la sélection. résister passablement à l'épidémie. Cela signifie que les individus n'étaient pas aussi facilement atteints qu'à l’o- rigine, ou que s'ils l’étaient ils succombaient dans une proportion moindre, ou encore que s'ils ne mouraient pas ils contractaient rarement la maladie une seconde fois. On admettait que les individus inoculés étaient à l'abri d'une récidive, et la pratique dangereuse de l’imo- culation n'aurait pas continué si l’on n'avait pas eu cette opinion. La vaccination est donc venue à une époque où la population européenne se trouvait dans des conditions améliorées à l'égard de l'épidémie variolique. Pratiquée avec ardeur, elle eut pour effet de rendre la petite vérole très-rare. Mais précisément parce qu'elle était devenue rare dans la génération qui a suivi Jenner, celle qui en est issue s’est trouvée en majorité composée de person- nes qui n’avaient pas été exposées à l'épidémie, et dans le nombre il a dû y en avoir qui, naturellement ou par atavisme, ont été disposées à recevoir l'affection varioli- que. De là une certaine recrudescence, que la vaccine doit contenir moins aisément. APT AE VONT es ee = VACCINATION. #31 En d’autres termes, après deux et même trois généra- tions vaccinées, la population européenne ayant été fai- blement exposée à la petite vérole, se rapproche des con- ditions d’une population dans laquelle la petite vérole fait invasion pour la première fois. Le choc n’est pas tout à fait aussi rude, mais il est sensible. Tout moyen d'y ré- sister, qui pouvait suffire il ÿ a cinquante ans, doit être devenu moins efficace. Pour nous résumer et d’une manière générale, l'héré- dité et la sélection doivent produire une alternance d'in- tensité dans les maladies. Cette alternance doit être d’au- tant plus marquée que la maladie dont il s’agit est plus meurtrière et atteint plus -particuliérement la jeunesse. Enfin les moyens curatifs ou préventifs qui peuvent suf- fire dans les périodes d'atténuation, doivent perdre une partie de leur efficacité dans les périodes d’aggravation, ce qui s'applique en particulier à la vaccine dans ce qu concerne la petite vérole. Les ouvrages de Darwin étant aujourd'hui connus de tous les médecins, il est probable que plusieurs d’entre eux ont pensé à l'effet de la sélection sur la variation d'intensité des maladies. Je doute cependant qu'ils aient fait attention aux conséquences relatives à la vaccination. C’est ce qui m'a engagé à faire ressortir une application peut-être nouvelle des idées du célèbre naturaliste an- glais. VII SUR LES DIFFÉRENTS SENS DU MOT NATURE ET PAR CONSÉQUENT DES MOTS NATUREL, SURNATUREL, ETC. Le mot nature est pris par les philosophes et les sa- vants dans plusieurs sens. Il y a d’abord le sens qu'on peut appeler poétique, dans lequel on fait de la nature un être puissant, une sorte de Dieu, qui a la force et la volonté de produire des effets matériels et de les produire d’une certaine manière plutôt que d’une autre. Les poètes font parler cette divi- nité, comme les fleuves, les arbres ou les rochers, et les hommes les plus positifs, au milieu du XIXe siècle, em- ploient le même langage. IIS personnifient souvent un en- semble de choses ou de phénomènes sous le nom de na- ture. En voici quelques exemples tirés d'ouvrages de savants du premier ordre, anglais, allemands ou fran- Cas. « Nous devons considérer les variations comme le pro- cédé que la nature à adopté pour peupler le globe de formes diverses » (Hooker fils, Flora Tasman. introd. p. IV). LE MOT NATURE. 433 « La nature accorde un long temps pour l'œuvre de la sélection naturelle, cependant elle ne concède pas une période indéfinie. » (Darwin, sur l’origine des espèces, éd. 1869, p. 117.) — « La nature s'efforce toujours de distribuer sur des formes distinctes les propriétés accu- mulées d’abord dans une organisation unique. » (Büch- ner, conférences, trad. franc. 1869, p. 167.) — « Dans les organismes élevés les centres inconscients se forment avant les centres supérieurs et président à des fonctions organiques importantes dont la nature, par prudence, suivant l'expression d'un philosophe allemand, n'a pas voulu confier le soin à la volonté. » (CI. Bernard, discours à l’Académie française, 1869.) Puisque la nature, d’après ces citations, adopte des pro- cédés, accorde quelque chose, s'efforce, ne veut pas et cela par prudence, il est clair qu'on l’assimile à un être doué de volonté, de force, de discernement et de prévision. C'est une divinité, mais je me hâte d’ajouter une divi- nité supposée, car si l’on pressait un des savants distin- gués dont J'ai cité les paroles, il dirait sans aucun doute : j'ai employé des expressions figurées, un langage convenu et commode, tandis que véritablement dans la science nous ne disons plus « la nature a horreur du vide, » et nous la considérons comme un ensemble de choses maté- rielles et de phénomènes qui se s uccèdent. Laissons done de côté le sens poétique du mot, auquel les savants ne tiennent guère, tout en l’employant, et cherchons dans les ouvrages scientifiques s'il y en a d’au- tres qu'on puisse mieux adopter. J'en vois deux très-distincts. Le sens le plus ancien et le plus répandu consiste à appeler nature un ensemble de choses et de phénomenes dont les causes sont connues, où au moins présumées avec un cer- 2 D 43/4 LE MOT NATURE. tain degré de probabilité. À ce point de vue les phéno- mènes rares, extraordinaires, dont les causes ne sont mi sonnues ni même présumées, sont en dehors de la nature. Elles sont extra-naturelles. Si l'on prouve en outre qu'elles tiennent à une cause supérieure, on pourra les appeler surnaturelles. Le second des sens scientifiques du mot consiste à ap- peler nature l'ensemble de toutes les choses et de tous les phénoménes dont l’homme connait plus où moins ou ne con- nait pas du tout les circonstances et les causes. Avec cette définition tout est dans la nature, même les phénomènes les plus rares, les plus extraordinaires, les plus inexplica- bles, pourvu que ce soient des phénomènes constatés d’une manière certaine, c’est-à-dire s'étant réellement présentés. Le premier de ces deux sens paraît plus clair, parce qu'il suppose à la nature des limites. Cependant on ne tarde pas à voir que beaucoup de choses et de phénome- nes sont plus ou moins rares, plus ou moins mal connus quant aux circonstances et aux causes, ce qui rend la slassification des faits en naturels et extra-naturels sou- vent obscure. La limite change d'année en année avec le progrès des sciences. Dans des temps anciens une éclipse n'était pas un phénomène naturel. Aujourd’hui il est en- tièrement du domaine de la nature. Le lac de Morat, en Suisse, se couvre de temps en temps, à des époques éloi- gnées et irrégulières, d’une substance rouge, qui disparait l’année suivante. C'était un phénomène étranger à la nature, dans le sens ancien et limité du mot. Selon quel- {ques personnes €’élait un phénomène surnaturel et même, selon d’autres, annonçant une guerre. Le phénomène à été ramené à sa véritable cause: une production plus abondante qu'à l'ordinaire d’une oseillatoire. Il est donc LE MOT NATURE. (55) devenu naturel ‘. Plus récemment, les aurores boréales que les habitants de latitudes moyennes voyaient rarement et qu'ils ne pouvaient expliquer, ont passé du domaine extra-naturel au naturel. De même les transformations de formes organisées, dont on ne voyait pas du tout le mode et la cause, pouvaient être considérées comme un phénomène extra-naturel, tandis que maintenant on commence à les regarder comme naturelles. Avec cette définition des mots nature et naturel, chaque année, pour ainsi dire, il y a des faits qui entrent dans le domaine du naturel parce qu'on les connaît mieux. Une pareille mobilité n’est pas sans inconvénient. Elle Jette de la confusion dans les sciences. Elle peut aussi donner aux écrits d’un même auteur une apparence de contradiction s'il adopte un des sens après avoir employé l’autre. Le sens illimité à l’avantage de faire tomber une foule de discussions sur la qualité naturelle ou non naturelle des phénomènes. En les groupant tous dans la nature, on les divise ensuite, d’une manière plus instruetive et plus logique, en phénomènes dont la cause est connue, peu connue, absolument inconnue, Cecr du moins répond à une notion réelle, et les faits ou phénomènes passent d’une catégorie à l’autre avec le progrès des connaissan- ces, en suivant une promotion toute simple, qui est lex- pression même de l'histoire de la science. Le sens large me paraît le plus philosophique. C'est celui que j’emploierais si J'avais maintenant à me servir du mot nature. Malheureusement, quand un mot à été usité de plu- 1 Auo.-Pyr. de Candolle (Wém. de la Soc. de phys. et hist. nat. de Genève, 1826, vol. HT, partie 2). 136 LE MOT NATURE. sieurs manières, il est difficile de faire savoir comment on l'entend. I faudrait le répéter à tout propos, et encore combien de lecteurs n°y feraient pas attention ! J’ai trouvé pour mon compte un moyen plus simple d'éviter toute équivoque. C’est de renoncer à l'emploi du mot nature et de ceux qui en dérivent. On ne saurait croire combien cela est facile. Je m'en suis assuré, pratiquement, dans plu- sieurs rédactions. Au lieu de dire « la nature a donné des ailes aux oiseaux, » ou bien « les transformations d'espèces sont un fait naturel, ou un fait qui n'est pas naturel, » je dis : les oiseaux ont des ailes : les transfor-. mations existent où n'existent pas, s'expliquent ou ne s'expliquent pas. Il ne m'en coûte plus de n’employer ja- mais le mot nature ni ses dérivés, excepté pour dire la nature d’une chose, ou pour opposer le mot naturel à celui d'artificiel, ou encore dans les mots histoire naturelle et naturaliste, qui n'offrent aucune espèce d’ambiguité. En d’autres termes, le mot nature n’a pas moins de cinq acceptions différentes dans les livres. Jen conserve deux : la nature opposée à l’art et la nature d’une chose. C’est bien assez. Les trois autres, que J'abandonne, manquent de réalité, de fixité ou de clarté, On peut décrire toutes les formes et tous les phénomènes sans les employer. NAGER LA STATISTIQUE ET LE LIBRE ARBITRE L'application de la méthode numérique aux phénome- nes sociaux est devenue de plus en plus fréquente. Elle à donné des résultats remarquables, et cependant on lui fait des objections de plus d'une sorte, les unes insigni- fiantes et superlicielles, les autres assez spécieuses. Je ne voudrais pas me donner la peine de défendre la statisti- que contre les personnes qui n'aiment pas ce qui est pré- eis, ni contre celles qui blment une méthode à cause du mauvais emploi qu'on en à fait. Il n’est aucune science qui ne répugne aux esprits vagues où légers. Il n’en est aucune dans laquelle on ait toujours procédé logiquement et raisonné sans faire de faute. Pour comprendre une méthode scientifique, il faut consentir à un effort d'appli- cation et de jugement. Ceux qui acceptent des chiffres sans savoir comment ils ont été obtenus et classés, ou des conclusions sur des chiffres exacts sans savoir comment on les a déduites, ne veulent pas faire cet effort. On ne peut guère changer leur opinion, puisqu'il faudrait au préalable changer leur nature. 138 LA STATISTIQUE ET LE LIBRE ARBITRE. D'autres objections viennent d’esprits sérieux et judi- cieux, Dans le nombre je placerai celle-ci: les lois con- statées par la statistique paraissent en opposition avec le libre arbitre. Nous sentons en nous-mêmes ce qu'est no- tre liberté, par conséquent la négation de cette liberté ne peut pas être une chose vraie. Je crois pouvoir démontrer l’absolue indépendance des moyennes statistiques et du bre arbitre, mais — il faut le reconnaître — les statisticiens ont admis quelquefois une relation entre ces deux ordres de phénomènes et il ont ainsi prêté le flanc à la critique. L'auteur qui à le plus exagéré l’idée d'une soumission de Fhomme à ce qu’on appelle des lois de statistique, est Buckle, dans son Histoire de la civilisation en Angleterre. Après avoir constaté la régularité des nombres, par exem- ple celui des suicides sur une population un peu considé- rable, il dit! : « Une certaine condition de la société étant « donnée, un certain nombre d'individus doivent mettre S fin à leur propre existence. Ceci est la loi générale: Son pouvoir est si irrésistible, que l'amour de la vie, ou la « crainte d'un autre monde, sont complétement sans puis- À « sance, même pour tenir son opération en échec. » M. Quetelet, qui a contribué plus que personne au pro- orès de la statistique dans les faits relatifs à l'homme, s’est servi d'expressions analogues, mais 1l les à expliquées d'une manière qui n'exclut pas complétement le libre ar- bitre. Il avait dit autrefois *: « L'expérience démontre, « avec toute l'évidence possible, cette opinion qui peut « paraître paradoxale au premier abord, que c’est la so- « ciété qui prépare le crime et que le coupable n’est que ! Buckle, trad. française, vol. I, p. 56. 2 Quetelet, Sur l’homme, cité par Buckle, vol. IT, p. 325. PP NAT FOND IT AQU PE LIFE ? Ye RL T a08. He ULE, - É 1, 0 LL LA STATISTIQUE ET LE LIBRE ARBITRE. (5h « l'instrument qui l’exécute. » Plus tard, en 1869, M. Quetelet n’a pas oublié le libre arbitre, seulement il le subordonne à des causes plus générales. Ainsi, après avoir parlé de la régularité des nombres de suicides, de mutilations pour échapper au service militaire, de négli- “ences dans les adresses des lettres mises à la poste, etc. il dit": « Devant un pareil ensemble d'observations, faut-il < nier le libre arbitre de l’homme. Certes, je ne le crois « pas. Seulement ce libre arbitre se trouve resserré dans « des limites très-étroites, et joue dans les phénomènes « sociaux le rôle d’une cause accidentelle. K arrive alors « qu'en faisant abstractiondes individus, et en ne consi- « dérant les choses que d’une manière générale, les effets « de toutes les causes accidentelles doivent se neutraliser « et se détruire mutuellement, de manière à ne laisser « prédominer que les véritables causes en vertu desquelles « la société existe et se conserve. «….. Le libre arbitre de « l'homme S'efface et demeure sans effet sensible, quand les FX « observations s'étendent sur un grand nombre d'individus. » Ne pouvant admettre en aucune manière l'opinion de Buckle, je me rangerais volontiers à une partie des asser- tions de l'illustre savant de Bruxelles, mais à condition de reconpaitre plus nettement ce que signifient les moyennes de chiffres en regard du libre arbitre. À mon avis les chiffres expriment simplement des faits au moyen desquels on peut apprécier, si l'on veut, une probabilité pour l'avenir, et le libre arbitre de chaque im- dividu est totalement indépendant de ces faits. La dé- monstration en est aisée. Il suffit de raisonner, sans faire d'erreur, sur des cas particuliers. 1! Quetelet, Physique sociale, éd. de 1869, vol. Il, p. 146. Les mots en italique sont imprimés de la même manière dans le texte. 440 LA STATISTIQUE ET LE LIBRE ARBITRE. Ainsi, dans une grande ville, la proportion des lettres mises à la poste sans adresse est à peu près constante d'année en année. Y a-t-1l une nécessité pour certains individus de ne pas mettre des adresses ? S'il y a néces- sité, le libre arbitre est nul, du moins quant à une partie de la population. Mais les renseignements qu'il est aisé de prendre, à la poste, dans les bureaux ou dans les familles, prouvent que personne n’expédie volontairement ou forcé- ment des lettres sans adresses, et surtout qu'on ne s’in- quiète pas, au mois de décembre, de savoir si l’on appro- che de la moyenne ordinaire des lettres sans adresses pour empêcher d'en mettre à la boîte ou en augmenter le nombre. Chacun est parfaitement libre, jusqu'au 31 décembre à minuit, de mettre ou de ne pas mettre des adresses à ses lettres. Mais la proportion des étourdis qui oublient les adresses n’est pas de nature à changer sensi- blement d’une année à l’autre. Si lon vous demande quel sera leur nombre probable dans telle année, vous n'aurez pas besoin d’être bien habile pour répondre: ce sera à peu près comme dans les années précédentes. Et si lon vous montre, par un document officiel, que pendant deux, irois, quatre ou peut-être dix ans, la proportion de ces lettres sans adresse à très-peu varié, vous répondrez avec plus de confiance qu’elle sera sensiblement la même. Le calcul des probabilités, tenant compte des erreurs possi- bles d’après l'étendue des nombres, vous donnera, si vous VOUS en Servez, un moyen plus simple encore de préciser votre réponse. Autre exemple. Chaque année, dans une capitale ayant un million ou «eux d'habitants, le nombre des personnes qui périssent par des accidents de voiture est à peu près le même. Peut-on soutenir, comme le dit Buckle pour les suicides, &' rt En de md uit 2 Cl oi 459 1° ARE LC PA ae CAES, LA STATISTIQUE ET LE LIBRE ARBITRE. LA qu'un certain nombre d'individus doivent périr chaque année écrasés par des voitures ? Ce serait vrai si, par exemple, on interdisait la circulation des voitures quand le chiffre des personnes tuées est arrivé à la moyenne, et si un despote, dans le genre de Caligula, faisait placer sous les roues des voitures un certain nombre de person- nes lorsqu'au mois de décembre le chiffre ordinaire n'a pas été atteint. Or l'observation démontre qu'il n°y à rien de semblable. Chacun est complétement libre de se garer des voitures, aussi bien à la fin de l’année qu'au com- mencement. D'un autre côté la probabilité des morts ac- cidentelles dont il s’agit dépend du nombre des voitures, de leur construction, des cochers, des chevaux, de la po- lice, de la largeur des rues, et d’autres choses qui ne sont pas de nature à changer beaucoup d’une année à l'autre. Le chiffre moyen des accidents antérieurs est done propre à calculer la probabilité des accidents futurs. Ceci est vrai. à priori, lorsqu'une année commence : et quand ensuite on connait le chiffre de l’année il se trouve ordinairement qu'il s'éloigne peu de la moyenne des années précédentes. D'une manière plus générale, et pour prendre un exemple familier aux caleulateurs: Si vous mettez la man dans une urne qui contient des boules blanches et des boules noires, vous êtes parfaitement hbre de saisir une boule ou une autre, mais si dans une série d'extraction de la même urne, avec les mêmes boules, on à vu sortir tel nombre de boules blanches et tel nombre de boules noires, en ayant eu soin de remettre dans l’urne les bou- les à mesure qu'on tirait, vous aurez une probabilité cal- culable d'obtenir une boule de l’une des deux couleurs. L'expérience justifiera le calcul d'autant mieux que les nombres de boules extraites auront été ou seront plus éle- vés. 142 LA STATISTIQUE ET LE LIBRE ARBITRE. La volonté de l’homme est une cause d'action. Les chiffres, au contraire, et les moyennes, sont des effets. On renverse l'ordre logique si l’on suppose qu'un effet puisse influer sur une cause. Je dirai done volontiers, avec M. Quetelet, que le libre arbitre joue dans les phénomènes sociaux le rôle d’une cause, mais j'ajouterai : Ses effets sont sensibles; on peut souvent les compter et se ser- vir de leur nombre pour apprécier ou le retour d'effets semblables ou l'intensité variable de la cause. I vaut la peine de chercher l’origine de cette confusion qui s’est faite entre les causes et les effets, les nécessités imposées et les simples probabilités. Deux circonstances ont pu contribuer à faire naître l'erreur. L'une est le sens scientifique du mot loi, qui n’est pas compris de tout le monde. Je ne dis pas ceci pour les ma- thématiciens et physiciens, tels que M. Quetelet. Is savent très-bien qu'une loi de physique, de chimie, une loi scien- üifique en général, exprime la manière dont les phéno- mènes se manifestent quand on leur reconnait une mar- che habituelle et uniforme. C’est un terme pour caracté- riser des séries de faits, qui peuvent presque toujours offrir des exceptions. [l est rare qu'une loi scientifique soit né- cessaire, Par exemple, les corps se combinent chimique- ment selon des proportions déterminées, mais on n’a pas prouvé qu'ils ne puissent se combiner autrement : les corps se meuvent selon la loi d'attraction, mais on n'a pas découvert une nécessité qu'ils ne puissent se mouvoir autrement. D'autres lois, moins importantes, offrent des exceptions connues. C'est le cas, en histoire naturelle, de Fa loi d'hérédité. Le publie, et même les personnes instruites mais étrangères aux sciences, ont souvent dans la tête le sens vulgaire du mot loi, qui si- onifie une prescription imposée et nécessaire. Les deux d pie, 1 4 ltd +, à NUM L 0 de: LA STATISTIQUE ET LE LIBRE ARBITRE. 143 sens sont tout à fait différents. La loi scientifique est le ré- sultat de faits: la loi ordinaire en détermine. L'une n'im- pose rien et rend seulement certains phénomènes ou cer- taines explications probables: l’autre commande. Or les lois de la statistique, fondées sur des moyennes de faits observés, sont de la catégorie des lois scientifiques. Par exemple, cette loi que tant d'individus sur mille se tuent chaque année n'entraine pour personne l'obligation de se tuer, tandis que Ja loi civile par laquelle on est majeur à vingt et un ans détermine des obligations positives pour les jeunes gens de cet âge. Si l’on confond ces deux espè- ces de lois, on peut s’imaginer qu'une moyenne impose quelque chose et entraîne le libre arbitre, tandis qu'elle découle au contraire des faits du libre arbitre. La seconde source de l'erreur me paraît tenir à lhabi- tude, ancienne et encore très-répandue, de ne pas cher- cher suffisamment les causes directes des phénomènes, et de sauter sans transition à des causes éloignées, indirec- tes, qui sont alors plus ou moins hypothétiques. Par exem- ple, une centaine d'individus, en moyenne, sont tués cha- que année dans les rues d’une ville. Si l'on examine les causes directes de ces accidents, on trouve que tel individu à été tué par une voiture, tel par la chute d’un objet sur sa tête, tel par un coup de couteau, etc, — donc le chif- fre moyen de cent n'y est pour rien. Voici un certain nombre d'accusés qui ont été acquittés par le Jury. Si l'on regarde de près, l'un était clairement innocent, un autre avait un très-habile avocat, un troisième avait commis un venre de délit qu’on exeuse volontiers, ete, — ce n'est donc nullement paree que la moyenne de tant pour cent doit être obtenue à la fin de l'année qu'ils ont été acquit- tés. En d'autres termes, la moyenne n'est pour rien dans l'affaire. Les accusés avaient été libres de ne pas commet- 444 LA STATISTIQUE ET LE LIBRE ARBITRE. tre un délit, les agents de police de ne pas les arrêter, les jurés de les condamner ou de les acquitter, mais toutes ces causes. fondées sur la liberté-même et directes, pro- duisent chaque année à peu près les mêmes effets. La méthode de chercher les causes directes, voisines, presque toujours certaines, pour remonter de cause en cause, est fort usitée dans les sciences physiques. Elle l'est moins dans les sciences naturelles et beaucoup moins en- core dans les sciences morales ou sociales. Son avantage est cependant bien grand pour éviter des erreurs ou dissi- per des préjugés *. 1 [Il y a peu d’idées préconçues ou absurdes qui ne cèdent, quand on veut l’employer. Prenons un exemple. M. C. est tombé de che- val vendredi. — Ce n’est pas étonnant, dira Me X., c’était un ven- dredi! — Voyons la cause directe : le cheval a bronché de la jambe droite de devant. — Parce que c'était un vendredi, répète Mme X. — Questionnons le palefrenier : Comment expliquez-vous que ce cheval, ordinairement solide, ait bronché? — Parce que M. C. lui avait fait faire, les deux jours précédents, des courses qui avaient excessivement fatigué. — Pourquoi avait-il fait avec son cheval des courses pareilles? — Pour aller voir son ami, M. N., qui vient de mourir. — Qu'est-ce qui a causé la mort de M. N.? — Une fièvre typhoïde. — Nous voici, Madame, bien loin du vendredi. Faut- il chercher la cause de la fièvre typhoïde ? Je ne pense pas qu’on l’y trouve davantage. ÿ Prenons un exemple plus sérieux. Napoléon [et a perdu la ba- taille de Waterloo. — C’est parce que son étoile l’avait abandonné, disaient quelques-uns de ses soldats. — Voyons les causes directes : Blücher est arrivé sur le terrain décisif avant Grouchy. Il n’y a pas Jà d’étoile. Cherchez pourquoi chacun de ces deux généraux est arrivé vite ou lentement, vous ne trouverez pas d'étoile, et en remontant la chaîne des causes, jusqu'aux principes qui influent sur les armées et les nations, vous n’en trouverez pas davantage. PT PE IX TRANSFORMATIONS DU MOUVEMENT CHEZ LES ÊTRES ORGANISÉS On remarque dans les êtres organisés des mouvements de plusieurs sortes. Indépendamment de ceux que nous appelons volon- taires, qui se rattachent au système nerveux, particulier aux animaux, il est aisé de voir, dans l’un et l’autre règne, des mouvements de circulation intérieure, de direction des organes, d'extension des tissus, enfin, de formation de parties nouvelles et distinctes, dont quel- ques-unes se séparent et jouent ensuite un rôle très-im- portant. Plusieurs de ces mouvements peuvent s'expliquer par des causes physiques ou chimiques. La science à fait de grands progrès sur ce point. Ainsi, la perméabilité des membranes et même des liquides, propriété observée dans les substances organiques et inorganiques, à rendu compte de phénomènes jadis très-obseurs, par exemple de l'absorption, des sécrétions, et, en général, des transmis- sions de substances au travers de tissus végétaux ou ani- EAN 446 MOUVEMENTS. maux. La turgescence des cellules, certaines directions des tissus qui en sont l'effet, les accroissements dans les points où les matières nutritives se réunissent, et les mo- difications diverses de substances mises en contact, sont autant de faits qui résultent des transports et qui, à leur tour, expliquent d’autres phénomènes. La physiologie avance tous les jours dans ce sens. Mais, quelque rapides que soient ses progrès, le phénomène de la formation des organes, qui a lieu d’une certaine ma- nière pour chaque individu en raison de ceux qui ont précédé, sera longtemps, et peut-être toujours, une vérita- ble énigme. On expliquera sans doute comment tel tissu augmente par l'addition de nouveaux matériaux. On par- vient déjà, en employant le microscope, à voir comment plusieurs cellules dérivent d’une seule et une cellule uni- que du protoplasma. Bientôt peut-être on découvrira quel- que substance antérieure au protoplasma. Inversement, on peut suivre les évolutions du protoplasma, de la cel- lule, des agglomérations de cellules et des ramifications de tissus cellulaires, mais tout cela n’explique pas pourquoi les formations et les ramifications ressemblent à celles qui ont existé longtemps auparavant et dont il ne reste plus aucune trace. Voici, par exemple, deux particules de pro- toplasma, où même, si l’on veut. deux cellules, prises dans le sac embryonnaire de deux plantes phanérogames. Sous le microscope on n’aperçoit aucune différence entre les deux protoplasmas ni entre les deux cellules. L'analyse chimique n’en montra également aucune. Cependant un de ces protoplasmas, où une de ces cellules, produira, je suppose, un trèfle, et l’autre protoplasma ou cellule, un chêne, selon les origines. Mêmes phénomènes dans lau- tre règne. Ainsi l'identité apparente — dans tous les cas, une ressemblance évidente — des particules initiales, con- | | MOUVEMENTS. #A7 duit à des évolutions très-variées, reproduisant les formes antérieures de chaque ligne ascendante. Nous voyons donc les résultats d’un mouvement qui produit les formes, mouvement appelé avec raison plis- tique. Nous voyons aussi, jusqu'à un certain degré de quelle manière il procède, physiquement ou chimique- ment, mais nous ne voyons pas les causes, et nous devons penser qu'elles sont en dehors du champ de notre vision armée des plus puissants miscroscopes. Nous jugeons de la formation successive d’un être orga- nisé à peu près comme avec une bonne lunette et à quel- ques lieues de distance nous comprenons la construction d'un édifice. Il sort de terre: il s'élève : il prend certaines formes, et nous apercevons quelques-uns des moyens par lesquels on transporte ou dispose les matériaux: mais nous ne voyons pas pourquoi l'édifice revêt la forme grec- que ou gothique, se divise d’une manière plutôt que d’une autre, prend une certaine dimension, une certaine cou- leur, etc. Plusieurs causes essentielles nous échappent. De même, dans toute évolution, 11 y à un point où nous ne pouvons plus voir ni les faits ni les causes antérieures qui les produisent. Le mouvement plastique est celui qui caractérise le mieux les êtres organisés. On ne voit rien de semblable dans les phénomènes de la matière inorganique. Quel- ques exemples suffiront pour le prouver, surtout si je les choisis dans les objets ou les phénomènes qui offrent cer- taines ressemblances avec ceux des règnes organiques : je citerai les cristaux et les machines. Une substance inorganique se cristallise d’une façon bien déterminée et constante. À la suite d'agglomérations successives elle ressemble à un arbre qui végète, ou même, si l'on veut à un animal articulé. Mais cette substance 148 MOUVEMENTS. ne passe pas d’un état cristallin à un autre. Chacun de ses fragments, mis dans des conditions favorables, ne pro- duit pas, d’abord un hexaèdre, celui-ci engendrant un tétraèdre, lequel produirait un dodécaèdre, ete., — tou- jours dans le même ordre d'évolution, — tel fragment de l’un de ces cristaux pouvant lui-même ensuite répéter l'évolution. Chez un être organisé, les formes nombreuses et variées se répètent indéfiniment et dans un ordre semblable. Ainsi, du protoplasma formé dans un ovule de lys produit une cellule, qui engendre d’autres cel- lules sous une certaine forme propre à l'embryon du lys: cet embryon grandit avec addition de feuilles, fleurs, fruits, dont chaque partie externe ou interne à une position déterminée : ensuite un fragment de la plante beaucoup plus simple (bulbille ou embryon), recommence une évo- lution de formes presque identiques, et de même à l'infini. On voit à quel degré le mouvement des formations orga- nisées est différent de celui des cristaux. Les machines que nous construisons ressemblent à des êtres organisés. Il y à chez elles des parties qui servent à un ensemble, comme les organes des végétaux et des ani- maux. Il se fait des évolutions de formes, des mouvements: et quelquelois de véritables opérations chimiques dans l'intérieur des récipients, ou par élimination de divers ma- tériaux. Telle machine produit une substance déterminée, comme une plante produit de la fécule, ou l'abeille de la cire. Mais on n'a jamais construit une machine dont les éléments, où au moins certains éléments seraient capa- bles de reproduire une autre machine à peu près identi- que, laquelle aurait des parties pouvant reproduire encore là même machine, et ainsi de suite indéfiniment. Peut- on se figurer, par exemple, une montre qui, tout en cheminant, produirait des morceaux de nature à devenir DO Le Re. MOUVEMENTS. 449 des montres nouvelles, de même construction que la pré- cédente, de même forme, ayant les mêmes ornements, les mêmes lettres, sonnant les heures si la montre génératrice était à répétition, marquant les secondes si elle était à secondes, etc., reproduisant même quelquefois un défaut ou détail particulier d’une des montres antérieures. Au- cune machine assurément ne donne, même à peu près, des résultats de cette nature. Le mouvement plastique des êtres organisés est done un mouvement dont les effets sont tout particuhers, qui agit par rénovations par phases, en suivant des formes variées et en même temps déterminées, dans chaque série d'individus. Ceci est bien plus caractéristique de l’organisation que telle ou telle propriété chimique. On attache de l'impor- tance quelquefois au fait qu'une membrane végétale ou animale produit tels ou tels effets sur des gaz ou des liqui- des, mais ce n’est pas plus singulier que les autres spécia- lités d'action chimique ou physique des substances inor- ganiques. On insiste aussi sur le fait que les chimistes ne sont pas parvenus à fabriquer une membrane. Ce n'est pas plus étonnant que l'impossibilité où ils sont encore aujourd'hui de fabriquer des diamants. Ils savent qu'un diamant est du carbone et qu'une membrane végétale est formée de telles et telles substances. Par conséquent, d’un jour à l’autre, ils peuvent arriver à fabriquer un diamant où une membrane. Ce sont des difficultés dont la solution ne paraît ni impossible, ni improbable. Au contraire, la construction d’une machine douée du mouvement plasti- que des animaux et végétaux paraît complétement en de- hors des moyens dont l'homme dispose. Il ne peut pas même tenter de faire quelque chose de semblable, parce 29 450 MOUVEMENTS. qu'il ne connaît pas l’origine et le mode de transmission d'un mouvement de cette nature. Je voudrais pourtant aborder les préliminaires de la question, et cela sans hypothèses, en partant de l’obser- vation des faits et des principes modernes de la physique. Assurément je cours le risque d’être arrêté assez vite. Ce serait cependant quelque chose de pouvoir indiquer sur quelles bases et dans quel esprit on pourrait proposer des hypothèses, dans le but de lier les faits et d’entrevoir, jus- qu’à un certain point, leurs causes. D'après les physiciens tout mouvement à pour cause un mouvement antérieur, qui continue d'agir de la méme ma- nière ou qui se transforme. Cette loi, très-générale, est basée à la fois sur le raisonnement et sur l'expérience. On peut en étudier la démonstration dans les mémoires de MM. Jules Robert Mayer, Joule et autres physiciens. Il s'agit d'appliquer ce principe aux mouvements des êtres organisés, et en particulier au mouvement plastique, le plus distinctif de tous, dont M. J.-R. Mayer n'a pas parlé dans son ouvrage relatif à la nutrition. Pour y parvenir, je chercherai, dans l’évolution des végétaux et des animaux, les périodes dans lesquelles on peut espérer de saisir l'origine d’un mouvement plastique, lequel doit provenir d’un autre mouvement, continué ou transformé. Les circonstances les plus favorables à lobser- vation doivent être celles d’une reprise de mouvement après un repos plus où moins absolu, ou tout au moins après une absence temporaire de mouvement de forma- tion. On doit voir alors si le mouvement plastique pré- cède ou suit tel autre mouvement, et ce doit être le pre- nier mouvement qui engendre le second, celui-ci le troi- sième, etc. Je ne sais si le règne animal présente des faits de sus- MOUVEMENTS. 451 pension de mouvement aussi nombreux et aussi clairs que ceux observés dans le règne végétal. Tout le monde a en- tendu parler d’animaux pris dans de la glace, de sang- sues, par exemple, qui reprennent leurs mouvements quand la glace est fondue, mais est-on' bien sûr que toute circulation intérieure et toute modification chimique ces- sent pendant l'état de congélation ? Je n’oserais l’affirmer. Les œufs, qui sont stationnaires en apparence, subissent en réalité des modifications chimiques, c’est-à-dire des mouvements moléculaires, accompagnés d’un développe- ment de l'embryon. Les mouvements pourraient dans ce £as avoir été transmis directement du père et de la mère au jeune individu. Le règne végétal, heureusement, offre des cas nombreux, connus et faciles à étudier, de suspen- sions de tout mouvement chimique, physique ou plastique. Je veux parler des graines, des spores de cryptogames el même de beaucoup de corpuscules analogues qu'on dé- signe sous les noms de bulbilles, bourgeons, etc. Tous ces corps, producteurs d'organes variés, se forment, sont en- suite stationnaires, et enfin se développent de nouveau. Examinons d’un peu plus près le phénomène. Certaines cellules contenues dans le sac embryonnaire renferment du protoplasma, augmentent et se divisent. De cette manière, il se forme un embryon, contenu dans les enveloppes plus où moins nombreuses de la graine. Cet embryon est une petite plante qui végète. Elle offre dès cette première période un mouvement plastique, en vertu duquel, s'il s'agit d'une dicotylédone, par exemple, il se forme une petite tigelle, deux premières feuilles oppo- sées et même fréquemment d’autres feuilles. Tout cela se passe pendant que la graine tent encore à la plante mere. Le mouvement plastique pourrait done, dans cette pé- riode, être la continuation de celui de la plante généra- 452 MOUVEMENTS. trice. À un certain moment, la graine se sépare de la plante, et si elle tombe dans un milieu qui ne détermine pas la germination, elle subsiste sans changement appa- rent pendant plusieurs mois, plusieurs années ou même plusieurs siècles. Si, au contraire, les conditions de là cermination se présentent, on voit la petite plante gran- dir de nouveau et suivre sa longue évolution. Ainsi, quand la graine manque absolument de l'une des trois conditions de la germination eau, Chaleur, gaz oxyeène — l'arrêt de végétation de la Jeune plante est complet, et la suspension du mouvement peut se prolon- er beaucoup, sans que la plante cesse pour cela de pou- voir se développer de nouveau lorsque les circonstances de- viennent favorables. Il suffit de tenir les graines dans un lieu sec, sous une température ordinaire, pour qu'elles se conservent bien. Stratifiées dans du sable, leur durée est encore plus grande, et sous certaines conditions, elle est, pour ainsi-dire, illimitée. Je ne parle pas ici de grai- nes tirées des anciens tombeaux de l'Égypte et qui au- raient germé, parce que la germination, et l’authenticité de ces prétendues graines antiques, n'ont Jamais été suffisamment prouvées ", mais une conservation pendant deux ou trois mille ans n’a rien en elle-même d’im- probable. Il y à des exemples d’une durée aussi longue, peut-être même plus longue, qui sont bien constatés. Lorsqu'on ! Le seul cas dans lequel, à ma connaissance, on puisse croire à une germination de ces graines, est celui de deux grains de blé mentionnés dans le journal allemand Flora, 1835, p. 4. Cependant l’authenticité de l’origine laisse à désirer. Les Arabes se permet- tent beaucoup de fraudes. Ils introduisent quelquefois des graines modernes dans de vieux cercueiïls de momies. Les blés dits de mo- mie, qu’on cultive, viennent d'Égypte, mais probablement de l’É- gypte moderne, du moins une origine antique n’a pas été démontrée. MOUVEMENTS. 455 ouvre des tranchées dans un sol vierge, pour des travaux de chemins de fer ou autres, il lève quelquefois, en grande | abondance, des graines qui étaient enfouies depuis un temps incalculable. Un fait de ce genre à été observé récemment en Suisse, dans le canton de Neuchâtel, par M. L. Favre. Deux plantes, des terrains humides, Typhu minima et Myricaria germanica, qui n'existent pas aujour- d'hui dans le voisinage de la localité, sont sorties en abondance d'une couche profonde de terrain glaciaire, formant une pente sèche, au bas de laquelle un petit ruisseau à creusé son lit depuis une longue série de siècles *. Les glaciers doivent avoir disparu de cette par- tie du Jura depuis quelques milliers d'années. Dans ces cas de stratification de graines, c'est l'oxygène de Far qui manque pour déterminer la germination. Il se forme sans doute, au premier moment, un peu de gaz acide carbonique, à cause de lan qui existe autour de chaque craine dans le terrain, mais ce gaz ne doit pas s’échap- per facilement et sa présence autour de la graine fait obstacle à une continuation des’ phénomènes d'oxygé- nation. Les graines qui tombent au fond d'une eau tranquille se trouvent aussi privées d'oxygène. Malgré la pénétration du liquide dans leur tissu, elles ne ger- ment pas. Elles se conservent, comme les bois des ancien- pes habitations lacustres, comme les vaisseaux submergés à une certaine profondeur, et si le hasard ramène ensuite de pareilles graines au contact de l'air, elles germent quel- quefois, après un état stationnaire dont la durée à pu être extrêmement longue. C'est ce qui est arrivé quand on à desséché la mer d'Haarlem Dans une graine qui n'est pas en contact avec l'oxv- ? Bull. de la Soc. des se. de Neuchâtel, 1870, vol. 8, p. 479. 197 MOUVEMENTS. oène et qui n'est ni gonflée par l'humidité, ni travaillée par les dilatations et contractions du calorique, ni même atteinte par les ébranlements que pourrait peut-être déter- miner la lumière, on ne voit pas quel mouvement peut exister. Les particules de la matière S'y trouvent dans un état d'équilibre stable, et l'expérience démontre que plus cet état est stable, c'est-à-dire plus le repos apparent est complet, plus la jeune plante contenue dans la graine con- serve sa faculté de germer. S'il y à quelque mouvement interne, ce ne peut être que le mouvement d'une ma- üière invisible et impondérable — d'un éther, tel qu'on le suppose exister dans tous les corps afin d'expliquer les phénomènes lumineux et électriques. Mais, à ce point de vue même, le repos des graines en question paraît complet, car aucun phénomène de lumière, d'électricité, de chaleur ou de magnétisme ne s'aperçoit chez elles. Que se passe-t-il pour qu'un mouvement de formation de tige, feuilles, rameaux, fleurs, fruits, etc., puisse parai- tre de nouveau sur la jeune plante ? 11 faut d’abord qu'une absorption de liquide ait lieu par les enveloppes, qui se distendent et se ramollissent, et par la surface même de l'embryon soit jeune plante — phénomène purement phy- sique. I faut aussi que l'oxygène de l'air détermine une sorte de combustion lente des tissus — phénomène chi- mique. Enfin, la production de gaz acide carbonique et l'accès de l’eau liquide dans les cellules de la plante, con- jointement avec une certaine chaleur, déterminent des courants dans le protoplasma des cellules, et en général, des mouvements dans l'intérieur de la plante. IT n’est pas encore question de lumière: toute cette première phase de la germination se passe parfaitement bien dans un lieu obseur, en particulier au-dessous de la surface du sol. On voit que le mouvement plastique, c’est-à-dire de for- MOUVEMENTS. 459 mation de nouveaux tissus et de division en organes, vient aprés les mouvements purement physiques et chimiques. En d’autres termes le mouvement plastique n’a pas lieu S'il n'a été précédé immédiatement par d’autres mouve- ments physiques et chimiques, de même que la chaleur causée par le choc de deux corps solides n'existe pas si auparavant l’un des corps n’était pas en mouvement et l’autre en repos. Dans ce dernier exemple on estime avoir la preuve qu'un mouvement mécanique peut se transfor- mer en chaleur. Done il faut admettre aussi que des mou- vements physiques et chimiques peuvent se transformer en mouvements plastiques. Pour une plante qui à été longtemps stationnaire 1l n'est pas possible de supposer une autre origine à ce genre de mouvement. J'ai cité la jeune plante contenue, pendant des années ou des siècles, dans une graine, mais 1l y a d’autres exem- ples de cessation de mouvement, surtout de mouvement plastique, dans le règne végétal. Pendant l'hiver nos arbres ne forment pas de nouveaux organes. I y à, dans leur intérieur, des transmissions et modifications de substan- ces, sans évolution. [ei encore les mouvements physiques et chimiques de l'hiver précèdent ceux de développement, qui ont lieu quand la chaleur revient. Chez les animaux, d’autres catégories de mouvements attirent volontiers notre attention. IT y à des mouvements mécaniques, dont l’origine, d’après les physiciens moder- nes ‘, est bien dans les actions chimiques de la nutrition. Il y a aussi tous les phénomènes qui se rattachent plus particulièrement au système nerveux. Si l'homme ne se fait pas une complète illusion, les 1 J.-R. Mayer : Mémoire sur le mouvement organique dans ses rapports avec la nutrition, publié en 1842, traduit en français en 1872. 456 MOUVEMENTS. phénomènes moraux et intellectuels ne seraient pas sans quelque ressemblance avec des mouvements. Notre lan- gave ordinaire implique cette idée, car nous disons un mouvement de pitié, de sympathie, d'admiration, de colère — un bon, un mauvais mouvement, etc. Une idée nous traverse l'esprit, ete. Ce qui nous empêche de saisir mieux la nature des phénomènes, c’est leur extrême rapidité. Depuis Platon jusqu'à nos jours on n’a pas inventé le moindre appareil pour les ralentir, ni le plus petit mi- croscope pour observer des phénomènes intellectuels *. Nous sommes forcés de les voir aussi mal que les an- ciens, tandis que pour les faits dont on s'occupe dans les sciences physiques et naturelles, on à augmenté énormé- ment l'étendue des recherches, et on les a rendues plus précises, au moyen d'appareils spéciaux. Quoi qu'il en soit des phénomènes qui dépendent de l'existence du système nerveux des animaux, les mouve- ments mécaniques suivent évidemment chez eux des mou- vements physiques et chimiques de nutrition, et les mou- vements plastiques paraissent aussi une conséquence des mouvements physiques et chimiques, comme chez les végé- taux. On ne voit pas se développer de nouveaux organes dans un animal, en particulier le système nerveux, sans un travail physique et chimique antérieur. Le mouvement plastique se montre premièrement par une extension des tissus et une formation d'organes plus ou moins appa- rents, ensuite par la formation de germes non fécondés ou d’ovules et spermatozoaires, qui continue après la croissance générale de l'individu. S'il y à une interrup- tion prolongée dans les mouvements physiques et chimi- ! Je ne parle pas de la transmission par les nerfs qu’on a pu étudier, mais des phénomènes qui se passent à l’origine d’une trans- aission, comme un acte de volonté, de mémoire, etc. sit 06 » A. 4 no L' LA MOUVEMENTS. n57 ques de la nutrition, le mouvement plastique en est arrêté. et les mouvements mécaniques et intellectuels également. Si quelque mouvement mécanique, plastique ou intellec- tuel est très-fort, l'animal commence à souffrir, à moins d’un mouvement physique et chimique de nutrition assez énergique pour remplacer le mouvement perdu et au besoin le continuer. Il y a donc un enchaînement de cau- ses et d'effets. Dans le règne végétal les mouvements phy- siques et chimiques ne produisent que des mouvements plastiques ; dans le règne animal ils se transforment en deux ‘espèces de mouvements: plastique, et du système nerveux. Ce dernier est lui-même de deux sortes: mouve- ment dans l’intérieur du système nerveux et mouvement mécanique. La multiplicité de ces phénomènes dans le règne animal fait qu'il est plus prudent d'étudier lori- gine du mouvement plastique dans le règne végétal, où l’on voit sans peine qu'il résulte de mouvements physiques et chimiques. La transformation de ces mouvements physiques ou chimiques en mouvements ou plastiques ou du système nerveux, constitue ce que nous appelons ordinairement la vie. Je ne connais pas de définition de ee mot qui soit plus claire et mieux appuyée sur les faits. Du reste, c’est l'u- sage qui établit le sens des mots, et l'usage, dans le cas actuel, est bien réel. Par exemple, vous doutez qu'une plante soit vivante : mais si vous voyez ses bourgeons sor- ür, ou des bourgeons déjà formés grossir et s'épanouir, vous dites : elle vit. C’est bien à cause d’un mouvement apparent de formation que vous vous exprimez de cette manière. Peut-être direz-vous : ce mouvement n'est que l'indice d’une cause. C’est parfaitement exact; il n° à pas de mouvement sans cause, et la cause d’un mouve- ment doit être un mouvement antérieur. Seulement il y à 198 MOUVEMENTS. eu transformation des mouvements. S'il n'y avait eu que des mouvements physiques ou chimiques vous n'’auriez pas employé le mot vivre. Ainsi, les chimistes prouvent que les bourgeons produisent du gaz acide carbonique, par une combinaison de leur carbone avec l'oxygène de l'air. Cette modification, qui est un mouvement chimique des molécules, se verrait également avec des feuilles dessé- chées, des copeaux ou de la sciure de bois, mais il n°y à pas de transformation en mouvement plastique, et alors vous ne dites pas que les feuilles sèches, les copeaux, la sciure de bois, les bourgeons sont vivants. Autre exemple. Un animal vous paraît mort. Si cependant vous le voyez remuer, sans impulsion extérieure, vous dites aussitôt: il vit. Dans ce cas, c’est un mouvement mécanique qui à succédé aux mouvements chimiques, dont l'animal, en apparence mort, n'était certainement pas exempt. Il y avait chez lui des substances nutritives propres à une transformation en mouvement mécanique, et la transfor- mation avant eu lieu vous avez constaté la vie. Le mot de v#alité S'applique à la possibilité de produire des transformations de mouvements physiques où chimi- ques en d'autres mouvements, lorsque les circonstances deviennent favorables. Une graine peut conserver sa vita- lité, mais pendant ce temps elle n’est pas, à proprement parler, vivante. Quelque changement pourrait survenir qui lui Ôterait sa vitalité. La force vitale, expression scientifique dont on à beau- coup abusé, me parait une expression superflue. En effet, Si lon définit le mot force comme le veut illustre physi- cien, M. Jules-Robert Mayer ‘: « Tout ce qui peut être converu en mouvement, » et si l’on dit avec lui: « Aucun ? Mémoire déjà cité; trad. franç., p. 2. Voir aussi p. 71. MOUVEMENTS. 45° mouvement ne naît par lui-même, il provient d'une cause, la force, » on voit aussitôt que la cause des mouvements plastiques et mécaniques étant un mouvement physique ou chimique, la force dite vitale est simplement la force qui meut d’abord les particules de la matière pour les rapprocher, les éloigner ou les modifier chimiquement, et, qui ensuite se transforme. Le mot de mouvement suffit, et il a l’avantage d’être parfaitement clair. Ces observations sur les mots ne sont qu'une digres- sion. Je reviens à la question essentielle du mouvement. La transformation, chez les êtres organisés, de mouve- ments physiques et chimiques en mouvements plastiques et autres, étant reconnue, 1l n’en résulte pas qu'on com- prenne mieux pourquoi le mouvement plastique procède d'une certaine manière, propre à chacune des innombra- bles séries de formes végétales et animales appelées races, espèces, genres, familles ou classes. Lorsqu'on veut exa- miner les causes de ce wodus operandi, on entre néces- sairement dans le domaine des hypothèses, par la rai- son bien évidente qu'on ne voit pas une formation avant qu'elle ait acquis une certaine dimension, percepti- ble sous un bon microscope. À un certain degré de peti- tesse de la matière — environ ‘/,,,, de millimètre ® — l'observateur a le choix, ou de s'arrêter, ou de s'’aventurer dans des théories et des hypothèses. J'incline assez volontiers vers le premier de ces deux parus, cependant comme les faits montrent jusqu'à un certain point dans quel sens doivent se diriger les hypo- thèses, il n’est peut-être pas inutile d'ajouter encore quel- ques mots. ! Un homme doué de bons yeux peut voir, à la vue simple, un organe de ‘4 de millimètre de diamètre, et sous le microcospe il voit. encore assez nettement, ce qui est mille fois plus petit. 450 MOUVEMENTS. Si le mouvement plastique formait uniquement des cellules ajoutées à des cellules, on pourrait y voir une simple continuation des phénomènes physiques et chimi- ques. Cela ressemblerait beaucoup à une cristallisation. Mais, comme Je le faisais remarquer tout à l'heure, la for- mation revêt des formes qui parcourent une espèce de cycle, en procédant par des répétitions successives. Ainsi. des cellules venant à se développer dans la partie supé- rieure d'une plante, il se trouve que les formes de leurs agglomérations ne seront pas celles de la région inférieure, mais qu'elles imiteront presque complétement ce qui exis- tait une ou plusieurs générations auparavant dans la partie correspondante du végétal. Au point de vue chimi- que et physique, on comprendrait que du protoplasma contenu dans une cellule À, pût amener, par extension et iransmission au travers des membranes, une formation analogue à celle de A, mais il se développe des parties analogues à d’autres, très-éloignées au double point de vue du temps et de l’espace! L’étamine, par exemple, se trouve constituée extérieurement et intérieurement d'une autre manière que les feuilles, malgré certaines analogies. et l'ovule, qui se forme plus tard, ne ressemble pas non plus à la feuille, mais l'étamine et l’ovule ont une étroite ressemblance avec les organes de même nature qui avaient existé d'autres années auparavant, sur les indivi- dus de générations antérieures. Pourquoi la transforma- tion de mouvements physiques et chimiques semblables. comme l'absorption, la diffusion des liquides, les décom- positions chimiques de certains Corps, en mouvements plastiques, produit-elle tantôt une forme et tantôt une autre? Véritablement, après avoir constaté l'origine de la force plastique dans l'être organisé, 1l faut avouer que nous ne comprenons pas du tout sa manière d'opérer. ‘ | ! » d te FLE 4 MOUVEMENTS. 46T Je voudrais cependant me poser une question: les for- mes si variées, qui se reproduisent dans un ordre si régu- lier, peuvent-elles venir de la nature du mouvement lui- même, ou de la nature des corps qui le reçoivent, et le transmettent, au milieu d'obstacles plus ou moins com- pliqués ? Le mouvement, considéré d’une manière générale résulte d’une notion de notre esprit étroitement liée à celle de l’espace. Un homme ignorant, qui n’a aucune idée de l'existence de l’air atmosphérique, peut considérer deux points du ciel et comprendre le transport de lun à l’autre. Il n’a pas besoin de mesurer la distance ou de voir passer un objet soutenu par l'air. La notion du mou- vement est abstraite, tandis que les corps mis en mouve- ment sont une réalité palpable. En outre, le mouvement. considéré en lui-même, est une chose très-simple: Île transport d’un point à l’autre dans l'espace. Mais la nature variée des corps nous oblige à reconnaitre, en ce qui les concerne, des mouvements de diverses espèces. Ainsi nous distinguons des mouvements de translation. de rotation, de nutation, d'ondulation, etc., qui découlent des substances mises en mouvement et des corps qu'elles rencontrent. Cela se comprend bien, si l’on emploie un genre de comparaison souvent usité dans les ouvrages de physique. On parle du jeu de billard, dans lequel une bille lancée contre une autre communique à celle-ci son mouvement. On peut suivre la comparaison et rappeler qu'un joueur produit et transmet, de bille en bille, des mouvements d’une diversité singulière. Ce joueur ne fait pourtant que donner un coup, mais il frappe un corps sphérique, tan- tôt sur un point tantôt sur un autre, et le corps sphérique va frapper, tantôt d’un côté, tantôt d’un autre ou des 162 MOUVEMENTS. obstacles où un second corps sphérique. Supposez les billes d’une autre forme ou de grandeurs diverses ou ayant un côté plus pesant que l’autre ou quelque autre diversité, supposez aussi des obstacles autres que les ban- des rectilignes et le drap horizontal du billard, vous aurez, pour la même impulsion donnée, des effets complétement différents. Du reste, les machines nous montrent des résultats excessivement variés produits par un mouvement semblable. Ainsi, la roue que fait tourner un homme, peut amener un nombre incaleulable et illimité d’au- tres mouvements, selon les agencements, les obstacles et les Corps mis en contact, par suite des diverses impulsions qui se succèdent. D'après ces exemples, et en réfléchissant à ce qu'est le mouvement en théorie, il convient de chercher l’expliea- tion de lamanière d'opérer du mouvement plastique dans les substances variées qui constituent l'être organisé, aussi bien que dans le mouvement lui-même. La recherche ne serait pas très-difficile, si les corps or- vanisés se composaient uniquement de substances visibles à nos yeux. Mais ce que nous voyons se compose d'ag- olomérations perceptibles à la vue simple ou avec un fort microscope, ces agglomérations en comprenant d’au- tres, et celles-ci d’autres encore, indéfiniment, qui sont pour nous invisibles et impondérables. Ces agglomé- rations diverses jouent sans doute un rôle dans la trans- mission et la transformation des mouvements. Peut- être les plus ténues sont-elles les plus importantes dans les actions et réactions qui s’opérent à notre insu? C'est au milieu de ces choses inconnues, inabordables avec nos moyens d'observation, qu'il faut se hasarder quand on veut émettre des hypothèses. Elles doivent par- tir du protoplasma, premier objet actuellement perceptible MOUVEMENTS. 465 au moyen du microscope, et supposer des matières beau- coup plus ténues, que les mouvements physiques et chi- miques mettraient en action pour diriger les courants de protoplasma d’une manière ou d’une autre. Les matières très-ténues circuleraient facilement au travers des liquides et des membranes, et porteraient çà et là leurs mouve- ments, en raison de leur nature propre et de la nature des obstacles qu'elles rencontrent. Telle doit être la tendance générale des hypothèses, et c'est bien en partie de cette manière que d’illustres philo- sophes les ont entendues à diverses époques. Les hypothèses sroupées par M. Darwin sous le nom de pangenése sont les plus récentes, mais comme il le remarque lui-même, elles ne diffèrent pas beaucoup de celles émises autrefois par des savants ingénieux ‘. Dans cet ordre d'idées rien n'est précisément nouveau, et comme 1l s’agit de choses invisibles, on peut s'attendre à la même uniformité de con- ceptions que pour les causes également inabordables des phénomènes moléculaires, en chimie ou en physique, et des phénomènes du système nerveux, chez les animaux. On ne voit pas ce qui fait passer les courants de formation des tissus d'une manière plutôt que d’une autre, mais on ne voit pas davantage comment les parties constituantes d'un corps se combinent, comment elles passent de l'état solide à l’état liquide ou vice versà, ni comment une volonté se détermine dans notre tête. Là où l'observation directe et l'expérience ne peuvent rien, l'imagination n'a pas autant de ressources qu'on le suppose, et d’ailleurs des créations purement fantastiques, qui seraient complétement éloignées de la base des faits, n'ont aucune valeur dans la science. 1 Darwin : De la variation des animaux et des plantes, trad. franç. 2, p. 399. 16% MOUVEMENTS. Je disais tout à l'heure que les hypothèses connues ré- pondent en partie aux bases essentielles fondées sur les faits. Leur défaut est de laisser de côté les obstacles que les mouvements de corpuscules extrêmement petits doivent nécessairement rencontrer. Il n°y à point d'appareil ou de machine où le mouvement ne soit arrêté, dévié ou trans- formé par des obstacles. C’est même la cause de la grande variété des effets. S'il y a dans les êtres organisés des mouvements de corpuscules impondérables — et ceci est dans toutes les hypothèses — 1] faut rapprocher les végé- taux et les animaux des appareils d'optique et d’électri- cité, dans lesquels un éther supposé se meut et produit une multitude d'effets. Or, les mouvements de l’éther ren- contrent des corps opaques ou transparents, s'il s’agit de lumière, et des corps conducteurs où non conducteurs, s'il s’agit d'électricité. La nature et la disposition de ces obstacles à une immense importance, et pourtant il suffit d'une légère différence physique ou chimique pour qu'un corps soit transparent ou opaque, conducteur ou non con- ducteur d'électricité. Les gemmules supposées, dans la pangénèse de M. Darwin, devaient être considérées comme rencontrant des obstacles, tantôt dans un liquide et tantôt dans un solide, au travers de chaque forme des êtres or- ganisés. Malgré la perméabilité des corps, cela doit exister. Que les obstacles soient plus petits que nous ne pouvons les voir, où qu'ils soient simplement le protoplasma et les membranes subséquentes, il faut en admettre, et par con- séquent il faudrait, dans une bonne hypothèse, supposer tel ou tel genre d'obstacles. Sans la double base du mouve- ment et des obstacles, les hypothèses, quelque spécieuses qu'elles soient, sont improbables. Un jour on en tiendra compte, mais le moment de se passionner sur ce genre d'hypothèses n’est pas encore venu. Il viendra. MOUVEMENTS. 465 En effet, 1l y a des époques où les hypothèses sur l'évo- ution des êtres organisés doivent reprendre avec ardeur. C'est lorsqu'on à épuisé, jusqu'à un certain degré, l'étude des phénomènes visibles et palpables, avec les moyens dont on dispose. Nous approchons d’une de ces époques, tandis que nos prédécesseurs, il y a trente ou quarante ans, en étaient extrêmement éloignés. Deux circonstances avaient dû les rendre essentiellement positifs. Après les grandes guerres du commencement du siècle, les voyages nombreux et lointains de naturalistes habiles augmentèrent subitement les collections. Il fallut nécessairement décrire, nommer, classer une infinité d'animaux et de végétaux, qui arrivaient de toutes les parties de la terre. La science fut comme submergée, et rien qu’à étudier les formes les plus appa- rentes il y eut de quoi fatiguer toute une génération. Elle avançait dans ce travail, quand on inventa de meilleurs microscopes et des moyens perfectionnés de s’en servir. Le champ des objets à étudier fut agrandi dans ce sens, comme dans l’autre, et devint l'occupation favorite d’une moitié à peu près des naturalistes. Depuis cinquante ans les travaux de description de formes externes et internes s'accumulent, mais on ne découvre plus guère de nou- velles faunes ou de nouvelles flores, et les perfectionne- ments dans les moyens d'observation microscopique de- viennent plus difficiles. On connaîtra bientôt la totalité des formes et leur évolution jusqu'au grossissement de douze cents fois, mieux qu'on ne connaissait dans le siècle dernier un nombre beaucoup plus limité de formes de développements organiques. Alors, les naturalistes se sentiront à la fois plus libres et plus éclairés sur les faits. Là conséquence en sera qu'ils voudront de nou- veau s'élancer hors de l'espace dans lequel nous sommes 30 MOUVEMENTS. 166 enfermés. Connaissant mieux les phénomènes visibles et palpables, ils penseront davantage aux autres. Plus ils auront appris, mieux ils comprendront qu'une immen- sité d’autres phénomènes est au dela. Dans cet inconnu insaisissable, qui les entoure, ils ne pourront ordinai- rement que hasarder des hypothèses, et ils le feront jus- qu'à ce qu'ils en soient rassasiés ou que des procédés nouveaux d'observation leur aient donné quelque nou- velle tâche positive à remplir. 1 SR 0 —— TABLE ANALYTIQUE Agicx, 69. ACADÉMIES... comment elles font leurs nominations d'étrangers, 22, 62, 63. ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS, 277. ACADÉMIE DES SCIENCES DE BERLIN, 61, 64... proportion des mathématiciens et des naturalistes parmi ses étrangers, 72... noms de ses membres étrangers à quatre époques, 64. ACADÉMIE DES SCIENCES DE PARIS... ses nominations d'étrangers, 30, 42 ... ses associés étrangers (voir Associés). ... ses associés et correspondants à quatre époques, 44... sa division par sections, 71, à influé pour régler le nombre des savants français, 218. ACADÉMIE DES SCIENCES DE ST-PÉTERS- BOURG... proportion par pays de ses étrangers eu 1869, 177. ACADÉMIE DES SCIENCES MORALES ET PO- LITIQUES ... ses nominations d'étran- gers, 277. ApaMs (J.-C.), 49. ADANSON, 56 ... son orthographe, 307. ADAPTATION, 424. ADDISON, 382. AFZELIUS, 58, 101. AGaAssiZ, 40, 50, 60, 69, 263. Az, 40, 49, 68. ALEMBERT (d’), voy. D'Alembert. ALGAROTTI, 09, 68. ALIÉNATION... causes de |, 392, 395. ALLAMAND, 59, ALLEMAGNE (Ancienne Confédération), sa population, 181 ... opinion domi- nante en À., 145 ..... ses Associés étrangers de l’Acad. de Paris, 160, 164... ses Associés et Correspondants, 44, 45, 46,48... leur nombre, 172... ses membres étrangers de la Soc. roy. de Londres, 53, 55, 57, 59... propor- tions des dits, 170, 173, 176... des- cendants de réfugiés en A. 131, 133... importance scientifique actuelle, 163... valeur scientif. de la population, 188... ses causes, 226, 259... importance dans les sciences morales, 277, 278. ALLIONI, 56. ALMEIDA, 97. AMATEURS... mot à deux sens, 379. AMÉRICAINS (Anglo-)... leur langue, 305. AMÉRIQUE ESPAGNOLE ... son rôle dans les sciences, 246. Amis... secte respectable, 409. AMPÈRE, 58, 67, 85, 264. AMPÈRE fils, 113. AXNCILLON... leur origine, 136, 382. ANGLAIS.. leurs savants plus originaux que les Allemands, 170, 171... moins en faveur à Berlin que les Français, 186... instinct politique des, 409. ANGLAISE (Langue)... sera bientôt do- minante et pourquoi, 298, 301... ses qualités et défauts, 301-307. ANGLETERRE (Les trois royaumes) ... population, 181 ,.. opinions dominan- 168 tes, 145... ses Associés étrangers de l’'Acad. de Paris 160 ... leur propor- tion, 164, 166, 170... ses Associés et Correspondants de la dite, 44, 45, 47, 49... leurs proportions, 170, 173, 176... ses membres à l’Académie de Berlin, 64, 66, 68... leur nombre, 172... leurs proportions, 173, 176, 177... valeur scientif. de la popula- tion, 188... causes favorables aux sciences en À., 221... état politique et histoire des sciences en A., 254, 255 ... position dans les sc. morales, 277. ANGSTRŒM, 69. ANIMAUX SOCIABLES... se gouvernent, 320 ... leur instinct, 322. APPELS DE SAVANTS ÉTRANGERS, 148. ARAGO, 58, 66, 85, 156, 264. ARBITRE (Libre), 437. ARFWEDSON, 48. ARGELANDER, 49, 59. ARISTOCRATIES. . . leur action sur les sa- vants, 151. ARISTOTE ... approuvait les selections artificielles, 338. ASCANIUS, 57. ASSOCIÉS ÉTRANGERS DE L'ACADÉMIE DES SC. DE PARIS, 30... liste des, 36... nationalité obscure de quelques-uns, 40... proportion des mathematiciens et des naturalistes, 71... leur origine quant aux classes de la société, 81... plusieurs de familles de réfugiés fran- çais, 134... probabilité de devenir as- socié, 95... fils d’associés devenus as- sociés eux-mêmes, 97. . .ou savants plus ou moins connus, 98... classification des Associés selon les nationalités, 160. ATAVISME... sens du mot, 330... un de ses effets dans l’histoire, 400. AURORES BORÉALES... appelées d’abord surnaturelles, 435. AUSTRALIENS (Anglo-) ... 305. AUTORITÉ... influence fâcheuse de l’au- torité dans les sciences, 124... AUTRICHE... n’a pas eu d'Associé étran- ger de l’Académie de Paris 166. AVENIR SCIENTIFIQUE D'UN PAYS... nière de le prévoir, 189, leur langue, ma- TABLE ANALYTIQUE. AZEGLIO (Marquis d’) ... son opinion sur les leçons de dessin, 290. BAER (de), 50, 60, 69. BALE... proportion singulière des savants de même famille, 105... descendants des réfugiés protestants à B., 131, 133 . à fourni cinq Associés étrangers de l’Acad. de Paris, 166... causes, 205 ... analogies avec la Hollande, 211: BaALBIs, 67. BAXNKS (sir Joseph), 38, 45, 380. BARBARES . .. sélection chez les, 359... retour fréquent à l’état des, 400. BARLOW, 47. BaARRos (de), 66. BARTHEZ, 65. BASTER, 54. BAUHIN (J. et C.)... leur origine, 131. BauZaA, 58. BEAuMoNT (Elie de), 59, 67, 69, 86. BEAUTÉ... fréquente chez les barbares, 361... rare chez les civilisés, 373. BeccaRt, 55. BECQUEREL (A.-C.), 59, 68, 86. BELGIQUE... population à div. époques, 181... population expulsée de Belg. a fourni des savants illustres, 131... ses Correspondants de l’Acad. de Paris 45, 50... ses membres étrangers de la Soc. roy. de Londres 56, 59... ses membres à l’Acad. de Berlin, 66,68... nombres des dits, 172... leur propor- tion, 170, 173, 176, Arr valeur scientifique de la population 188... causes, 241... dans les sciences mo- rales.et politique, 277. BELIDOR, 54, 64. ; BENTHAN (Gr), 68. BENOISTON DE CHATEAUNEUF ... erreur de lui sur une question de statistique, "SET BERGIUS, 57, BERGMANN, 38. BERLIN... Associés étrangers de l’Acad. de Paris nés à B., 166. BERNARD (C1.), 59, 68, 86, 433. BERNOUILLI . . . tous précoces mathémati- ciens 108... leur origine belge, 131. BERNOUILLI (Christophe), 131, TABLE ANALYTIQUE, 1:69 BERNOUILLI (Daniel, fils de Jean), 36, 45, 65, 97... mathématicien malgré son - père, 109. Bernouizt (Daniel II), 98. BErNouIzLI (Jacques), 36. BERNOUILLI (Jacques II), 98 ... mathé- -maticien malgré son père, 109. RERNOUILLI (Jean), 36, 65, 66. BERNOUILLI (Jean 11), 38, 97. BEeRNouILLI (Jean III), 98. BERNOUILLI (Nicolas), 55, 65. BERTHIER, 67. BERTHOLLET, 52, 56. BERTHOUD, 57. BERTRAND (Elie), 66... origine de sa famille, 132. BERTRAND (Louis), 66... origine de sa famille, 132. BERZELIUS, 38, 48, 58, 67, 264. BESSEL, 40, 47, 57. BIANCHi, 45. BrANCHINI, 36. Braxcont (J.-L.), 65, 66 ... médecin et mathématicien 73. Bior, 58, 67, 85. BiscHorr (Th.-L.-W.), 59. BLANCS, voir Races. BLACK (Jos.) . . . associé étranger, 38... son origine 43... correspondant 45. BLAGDEN, 45. BLAINVILLE (Ducrotay de), 87. BLANE (Gilbert), 47. BLUMENBACH, 40,47, 57... fils de pas- teur, 103. BocHaART, 382. BODE, 55. BŒHNENBERGER, 47. BOERRHAAVE, 86. BoxcompaGni (B.), 69. Box DE ST-HILAIRE, 54. Bonnet (Charles), 38, 45, 46, 55, 57, 66... diversité de ses travaux, 47... origine de sa famille, 132. Borx (de), 55. Boscowicx, 45, 50. BOUCHER DE PERTHES, 263. BouGAINVILLE (de), 56. BouGuER, 87. BouRDELIN, 64. , BOURGEOISIES. . . s'éteignent vite, 387. BoussINGAULT, 68. Bouvarr, 58. BoyLe, 379. Bowpicx, 53. Bowpoin, 56... origine de sa famille, 133. BRACy-CLABRK, 47. BRADLEY, 36, 44, 64. BRAUN (Ailex.), 49. BRERA, 67. BRESIL... encourage les sciences judi- cieusement, 148... son rôle dans les sciences, 246. BREWSTER (sir David), 40, 47, 66. BREYN, 44, 58. BRINKLEY, 47, BRISBAXNE, 47. BroNGnraRT (Ad.), 59, 68, 86, 100. BRONGNIART (Alex.), 58, 67, 85, 100. BRowx (Rob.), 40, 47, 66. Bucx (de), 40, 47, 57. Bücxnee (D'), ses Conférences, 310, 426 . comment il emploie le mot nature, 433. Buckze... sur le libre arbitre, 458. Burron, 54, 64, 85. BuccE, 45, 56. Buüniva, 48. BunsEN, 49, 59, 263. BurG, 47. BueLAMmAQUI, 140. BuxTORFF, 383. CaHours, 68. CazDant, 56, 67. CALISEN, 48. CAMERARIUS. .. belle devise de, 149. Camper, 38, 46, 65. CANDOLLE (Alph.) ... ses opinions en 1855 sur l’origine des formes spécif- ques, 12... Correspondant de l’Acad. des sciences de Paris, 50... Soc. roy. de Londres, 60... fils de savant, 98, 100 . descendant de Français réfugiés 140. CANDOLLE (Augustin-Pyramus de), 38, 48, 58, 68... descendant de Français réfugiés, 140. CAPACITÉ INTELLECTUELLE ... SON ni- veau varie, 267. CAPITAUX... leur nature influe sur le dé- veloppement des sciences, 73, 170 CARACTÈRE... hérédité du, 324. CARACTÈRES NATIONAUX, 285, 330. CARBURI, 56. CARLINI, 67. CaRus, 49. Cassin (Henri, fils de Jacq.-Domin.), bo- taniste, 58, 99. CASsinI (Jacques), 54, 64, 69 (note), 85, 98. CAssiNI (Jacq.-Dom.), 56, 60 (note). CASSINI (Jean-Dominique), 233... d’abord Associé étranger, 31, 36... devenu membre de l’Acad. de Paris avait treize correspondants, 32. CASTEL, 54. CASTES, 354. CASTIGLIONE (J.), 55, 56. CATHOLIQUES ROMAINS... proportion des savants illustres, 121... leur infério- rité moyenne dans les sciences, 122, 203, 209 ... voir Ecclésiastiques ca- tholiques. Caucxy, 87. CAUSES (recherche des), 2, 444. CAUSES favorables ou défavorables aux sciences, 195, 196... origine des cau- ses favorables, 247. CAVENDISH, associé étranger, 38... origine, 42, 380. CAYLEY, 49, 68. CÉLÉBRITÉ... pas héréditaire, 327, 328. CéziBAT,... effet sur la civilisation, 380, 383. CELLÉRIER, 588. CELTIQUE (Race)... a varié, 284. CENTRALISATION. . . croit chez les peuples, 844. CERVI, 86. CESALPIN, 70. CHABERT (anural de), 56. CHALEUR... nuisible aux travaux scien- tifiques, 156. CHAPELLE (de la), 56. CHAPTAL, 58. CHARPENTIER (Jean de)... origine de sa famille, 133... extension des glaciers, 263. CHASLES, 68, 86. CHATEAUVIEUX (de), 48. CHESELDEN, 44. son TABLE ANALYTIQUE. CHEVALIER (chanoine), 45. CHEVALIER (Jean), 56. CHEVREUL, 58, 59, 68, 86, 103. CHEZEAUX, 45. CHINOIS .. ce qui les fait émigrer, 396 ... leur avenir, 413. CHRISTIANISME ... effets du, 340 ... cause qui Va favorisé, 393... peu ob- servé par les chrétiens, 405. Cia, 56. CIVILISATION ... sélection qui l'accom- pagne, 364... ses chutes forcées, 398. CLAIRAUT (Alexis), 54, 64, 85 ... pré- coce mathématicien, 108. CLAIRAUT (Jean), 64. CLAPARÈDE (Edouard), 132. CLASSES... sont propres à l’homme, 349 ... ne périssent pas, 353... ce qu'elles développent, 355... leur part relative dans la production des savants, 82-90 . et dans l'accroissement des popu- lations, 386. CLausIus, 49, 59, 263, 381. CLIMAT... son effet sur les savants, 195 ... Changements de, 415, Coccur (Ant.), 55. CoLcxEesTER (Lord), 382. CoLonies... leur rôle dans les sciences, 246. COMBUSTIBLES . .. ture, 416. CoNDAMINE (de la), 54, 64, 85. ConporcET (de), 65. CoNFIGLIACCHI, 67. CoNTINENCE... rend méchant, 363. CoxTINENTS... leur avenir, 417. CoNTINUITÉ des phénomènes, 2. CONYBEARE, 47. Copernic, 70. CoRNALIA, 50. CORRESPONDANTS. . . sciences de Paris. CRAMER (G.), 55, 65. CRELL 99: CRISTALLISATION ... sation, 448. CRIVELLI, D9. CroLL.. .son opinion sur les climats, 115. Crousaz (de), 36. Curiosité, 114, effet de leur rareté fu- voir Académie des diffère de l’organi- ddr ot ac mé ln “es fn à Mat be, n "Lhtés TERRE LEA Cuvier (Fréd.), 101. CuviER (G.), 52, 58, 67, 85... diversité de ses occupations 75... origine de sa famille, 132. D'’ALEMBERT, 54, 64, 85. DazTox, 40, 47, 66. DAxaA, 68. DANEMARK ... ses Associés étrangers de l’Acad. de Paris, 160... proportion, 164... ses Associés et Correspondants de la dite, 45, 48... ses membres étrangers de la Soc. roy. de Londres, 56, 57, 59... de l’Acad. de Berlin, 64, 66, 68... Voir Suède, Norwége, Danemark. DANUBIENNES (Principautés) . .. leur po- sition dans les sciences, 246. CALCULER (Faculté de) ... héréditaire, 318, 108, 113. DARWIN... sa position sociale, 380... de l’'Acad. de Berlin, 68... sa théorie de la sélection, 10, 13, 15, 264... sur l’homme, 310-426... comment il s’est servi du mot nature, 433... son hypo- thèse de la pangénèse, 464. DAUBENTON, 56, 65, 85. Davy (sir Humphrey), 38, 47, 66. DE CANDOLLE, voyez Candolle. DÉCOUVERTES SCIENTIFIQUES ... depuis trente ans, 263. DE Gua, 54. Dex (D' von), 53. DELA GRANGE, voyez Grange. DE LAMBRE, 65, 87. DE LA PLACE, 56, 87. DE LA RIVE, voyez Rive. DELAUNAY, 59. DELESSERT, 380. DE L'ISLE, 54, 64, 85. DEL Rios, 155. De Luc, 46, 57.., origine de, 133.- DEMIDOFF, 50. DÉMOCRATIES. .. leurs avantages et in- convenients pour les sciences, 150 ... croient à l’hérédité des idées. 319. DEMoIvRE, 31, 64, 87 ... France, 131. DEPARCIEUX, 64. Déervariox des formes, 5-11. faites expulsé de TABLE ANALYTIQUE. 471 DESCARTES... effets de sa soumission à une Église, 124. DESFONTAINES, 67. DESSIN... son importance et comment on l'enseigne mal, 289. DEvILLE (H'-S*-Claire), 69. Dropari, 140, 383. DoGMEs... ont peu d'influence sur les in- dividus, 123. DoxpErs, 60. Dove, 59. DouGzas (comte Morton), 38. DuxAMEL pu MoNcEAU, 54, 87. DuxaAMEL (J.-M.), 68. DuLoxG, 58, 67, 85. Dumas, 59, 68, 86, 264. DumouxziN, 383. DUTROCHET, 88. ECCLESIASTIQUES CATHOLIQUES GRECS... leur infériorité dans les sciences, 126. ECCLÉSIASTIQUES CATHOLIQUES ROMAINS ... leur rôle autrefois dans les sciences 76, 213... leurs études dans les sémi- naires 78, 80 ... leur célibat forcé a nui au progrès des sciences, 125. ECCLÉSIASTIQUES PROTESTANTS ... leur position dans les sciences, 77... leur nombre dans divers pays, 103... leurs fils souvent illustres dans les sciences, 104, 123, 381... et dans d’autres car- rières, 392. Écosse. .. sa proportion d’Associés étran- gers, 166, 222 ... causes favorables aux sciences en E. 223, 225. ÉpucaATION... son influence 137 ... sur les sciences 114. Epwarps (Milne), 52, 59, 69. EHRENBERG, 40, 48, 59, 264. ELECTIONS de membres étrangers... sig- nificatives pour l’histoire des sciences, 22-28. ÊLIE DE BEAUMONT, voy. Beaumont. EMIGRÉS EN AMÉRIQUE... actuellement peu favorables aux sciences, 141. ÉMIGRÉS POLITIQUES ... aux sciences, 141.- Excke, 47, 57... fils de pasteur, 103, 381, ENSEIGNEMENT ... ses tendances, 114, 286... oral, diminue d'importance, 119 . ses effets sur les professeurs, 171. peu favorables 172 ENSEIGNEMENT SCIENTIFIQUE. . . séparer des recherches, 80... doit être dans les écoles, 288. ERMANN (George-Ad.), 101. ERMANN (Paul), 57... fils de pasteur, 103. ESCALONE (Duc d’), 35. EscascHozrz, 67. ESCLAVAGE.., produit une sélection arti- ficielle, 337... incomplète 362. ESPAGNE ... n'a pas eu d’Associés étran- gers de l’Académie de Paris, 164... ses Correspondants, 44, 45 . ses membres étrangers à la Soc. roy. de Londres, 54, 56,58... à l'Académie de Berlin, 64, 65... à l’Académie des se. morales et politiques, 277, 278. ESPAGNE ET PORTUGAL ... population, 181... nombre de leurs correspondants aux diverses Académies, 172... propor- tions des dits, 170, 173, 176, 177... valeur scientifique de leur population, 188... causes 243. Espèces... leur origine probable, 7. ESPÈCE HUMAINE ... pourquoi favorable à l’étude des modifications, 13 ... son origine obscure 19... sa définition et son histoire, 308... son avenir, 411. Érars-Unis ... leur population, 181 ... leurs Associés étrangers de l’Académie de Paris, 38, 161 ... proportion, 164 . Associés et Carr de la dite, 46, 48... membres étrangers de la Soc. roy. Le Londres, 56, 59 ... de l’Académie de Berlin, 65, 68 . bres dans les dites, 172.. nee 170, 173, 176... un de leurs descen- dants français, 133. leur recrute- ment actuel peu mets aux sciences, devra se ce qu'il . nom- 141... valeur Hentique de leur po- pulation, 188 ... comparée avec Îa Suisse, 191 ... causes favorables ou défavorables à la science aux É.-U. 234... 1d. pour les sc. morales et po- n 277...seront des derniers pays habités, 417. ÊTRES ORGANISÉS. . bable, 4... leurs mouvements, 446. EUROPE... une partie est favorable aux sciences et pourquoi, 251, 261. EULER FILS (J.-A.), .. . leur évolution pro- associé élranger, TABLE ANALYTIQUE. 38, 97 ... son origine, 43:... corres- pondant de l’Académie de Paris, 46... de l’Académie de Berlin, 66. EULER (Léonard), 38, 55. EXAMENS ... seurs, 148. FABRICIUS (J.), 381. FACULTÉS INTELLEUTUELLES . .. ture chez les savants, 106. FAIRBAIRN, 49. FAMILLES ... leur mode de formation et d'extinction, 386. FaraDpay, 40, 47, 264... origine de sa curiosité scientifique, 116. Fario (Nic. et J.-Christ.) ..…. leur famille, 133. occupent trop les profes- leur na- origine de FAVRE (L.)... observation sur des graines, 454. FELLOWS ... leur rôle dans la science, 383, 384. FERNER, 46, 57. FiscHER (J.-B.), 55. FizEAU, 69. FLAUTI, 67. FLORMAN, 67. FoDERA, 48. FoLxres, 36, 44, 64. FONCTIONS PHYSIOLOGIQUES ... ensemble, 391. FoNTAINE, 64. Forges (J.-D.), 49, 68. ForsTER, 45. FossomBronI (de), 48. Foucxy, voy. Grand-Jean de. Fourcroy, 87. FouRIER, 58, 67, 85. FRANÇAISE (Langue), 3... FRANCE... population à diverses époques, 181... particularité sur la naissance de ses savants, 89... a expulsé une population très-favorable aux sciences, 131, 134... opinions diverses en Fr. 145... ses membres étrangers de la Soc. roy. de Londres, 54, 56, 58, 59 . de l’Acad. de Berlin, 64, 65, 66, 68... nombres à Londres et Berlin, 172... proportions, 173, 176, 177... valeur scientif. de la population, 188 . causes favorables aux sciences en Fr., 212... proportions des savants par luttent 307. Lrétte CS À - à TABLE ANALYTIQUE. 473 provinces, 220... histoire politique et seientif. de la France, 256. FRANKLIN... associé étranger de l'Aca- démie de Paris, 38, 46. FRANKLAND (Ed), 49. FRÈRES DISSEMBLABLES, 333. FRESNEL, 87. FRIEs (Elias), 69. GÆRTKER (J.), 55. GÆRINER FILS, bon observateur, 109. GALLÉE, 70 ... a profité de l’ancienne division de l'Italie, 194. CrALTON... son ouvrage sur l'hérédité du génie, 93, 310 ... faits curieux qu'il a constatés sur les Pairs d'Angleterre, 390 ... son opinion sur les modernes, 408... .sur l'avenir de l'espèce humaine, | ! GRIVE (de la), 54. 422. GaRcIN, 45: 50,.55 ….. mille, 132. GARENGEOT, 54. Gao, 45. Gauss, 58, 46, 57 précoce, 108. Gax-Lüssac, 58, 67, 85. GEER (DE), 45. GENÈVE... proportion singulière des sa- vants genevois de même famille, 105 origine de sa fa- -.. ses savants ont paru quand le cal- : or vinise a cessé de dominer, 127 ... plusieurs descendaient de réfugiés fran- çais, 131, 132... ses nombreux Asso- ciés étrangérs de l’Académie de Paris, 166 ... et Correspondants, 190 ... causes, 204 .. milles notables, 387. GEorrRoy (C.-J.), 54. Georrroy Sr-Hivaire (Ét.), 87. GEORGE (Juan), 44. GERMINATION, 453. GERSIN, 50. GERSTEN (C.-L.), 53. GESSNER (Jean), 382. GESssKER (Joh.), 66. Gesres... sont héréditaires, 316. GopiN, 54. GORDON, 44. GossE (H.-A.)... son origine, 132. GouLD... son opinion sur les découvertes américaines dans les sciences, 235. mathématicien | . courte durée de ses fa- | GOUT NATUREL pour une science, 107... favorisé ou contrarié, 108, 109. GOUVERNEMENTS ... leurs rapports avec les savants, 147... leur personnel, 352. GRAHAM, 49, GS. GRAINES, 451... leur vitalité, 453. GRAND-JEAN DE Foucay, 54, 56. GRANDE BRETAGNE, voyez Angleterre, Écosse. GRANGE (de la) ... son origine, 43... associé étranger, 38... correspondant, 46...membre de l’Acad. de Berlin, 66. GRAY (Asa) ... de l’Acad. de Berlin, 68 .. sur les migrations d'espèces, 17 . Sa définition de l'instinct, 321 GRÈCE MODERNE ... sciences, 246. son rôle dans les GROVE, continuité des phénomènes, 2 » &: ! GUERRES . .. leurs effets sur les relations entre savants, 24, 63. GUGLIELMINI, 86. GuNZ, 44. GuxTox DE MORvVEAU, 56, 87. HAIDINGER, 49, 59. HALES, 38. HALLAM, 582. HALLER (A. de), 38, 55, 65 .… de ses travaux, 71... les, 107. diversité ses facultés éga- : ! HALLEY, 36. HANSEX, 49, 59 HAXSTEEX, 50, 60, 67, 69. HaARDING, 47, 57... fils de pasteur, 103. HARTSOEKER, 36. | Hasr, 382. | HEISTER, 53. HATCHETT, 47. JEAN ce] AE ques de l’Académie de Paris, 76. HAYyxE (Christ.-Fréd.), 52. HepwiG (J.), 55. | HEER ... fils d'un pasteur, 381... son opinion sur la transformation, 11... 4 sur les migrations, 17. un des derniers ecclésiasti- | HELL, 46. HecLor (Jean), 54. HELMKoLrz, 49, 59. ‘ HÉRÉDITÉ ... dans les sciences, 93, 05 1 . Opinions opposées sur ce point, 96 o1 CSS “1 = . influe moins que les traditions de famille, 135, 137::: en quoi consiste, 281 ... dans l'espèce humaine, 308, 312 ... comment il faut l’apprécier, 312, 334... influence de l’état tempo- raire des parents, 331. HÉRITIÈRES. .. sont peu fécondes, 390. HERMITE, 69. HERSCHEL FILS (Sir John) ... associé étranger, 40, 97... son origine, 43... correspondant, 49... de l’Académie de Berlin, 66, 68. HErsCHEL (Sir Will.)... 58 ... origine de sa famille, 133 ... de lui-même, 43. HEYLAND ... bon maître de dessin, 290. Finn, 49. HISiNGER, 67. HISTORIENS ... points de vue qu'ils né- gligent, 393, 410. HOoBBESs, 382. HoFMANN (A.-W.), 49. HOFMEISTER, 49. HOLLANDE... sa population, 181 .. Associés étrangers de l’Académie de Paris, 161... leur proportion, 164... ses Associés et Correspondants, 44, 46, 48 ... ses membres étrangers à la Soc. roy. de Londres, 56, 58, 60... à l’Académie de Berlin, 65, 69 ... leurs nombres aux dites, 172... leurs proportions, 170, 173, 176, 177 ... valeur scientif. de la population, 188... causes favorables aux sciences, 209.:. sciences morales et politiques, 277, 278. HoME (Everard), 47. HONGRIE ... sa population, 181 ... ses Correspondants de l’Académie de Paris, 46, 48 ...ses membres étrangers de la Société roy. de Londres, 58 ... leur nombre dans les dites, 172 ... leur proportion, 170,173; 2176, 177: valeur scientif. de sa population, 188 . causes, 242. HoNNÊTETÉ... chez les civilisés, 374. HookeR riLs (J.-D.)... sur les migrations 17... correspondant de l’Acad. de Pa- ris, 49... de l’Acad. de Berlin 68... comment il a employé le mot nature, 432. associé étranger, . Ses TABLE ANALYTIQUE. HOoRREBOW, 64. HouiLe, effet de son épuisement, 416. HUBER, astronome, 66. HuBER père, zoologiste, 48. Huser fils, 109. HUFELAND, 47. HuauExors ... très-disposés aux recher- ches scientifiques, 129. HumBoLnr frères... 112... d’origine française, 140. HuwzozprT (de), 38, 46, 57, 380. HuNTER, 88. Huxzey, 68. HUYGHENS, 31, 36, 148, 379. HYPOTHÈSES. .: quand elles ont faveur, leur mère 465. IMITATION ... concourt avec l’hérédité, 335. INFIRMITÉS... sont avantageuses dans les pays civilisés, 369, 370. INQuisITION (Sainte) ... ses effets sur l'Espagne et le Portugal, 243. INSTINCT ... sa définition, 321 ... chez les animaux 322 ... l’homme 323 .. effet historique, 400... politique, 409. INSTRUCTION... n'est pas en rapport ré- gulier avec le nombre des savants, 189 ... semble quelquefois les arrêter dans leur essor, 211 ... effets de sa diffusion, 394. : INTELLIGENCE ... moyenne, 267 ... se développe par la civilisation, 378... produit l’aisance, 384. ...sa nature, 456. IRLANDAIS ... leurs tendances intellec- tuelles, 224 . habitudes de leurs prolétaires, 402. IRLANDE ... sa proportion d'Associés étrangers, 166... causes défavorables aux sciences en I., 223, 224, 956. ISRAËLITES . .. leurs habitudes et idées, 402, 406 ... mouvement de leur po- pulation, 404... causes qui ont influé sur eux, 404, 405. ISOLEMENT des individus organisés, 7, 9. ISOLEMENT des savants ... par l'effet de la langue de leur pays, 154 ... de la situation géographique, 155. ITALIE... sa population, 181... ses As- sociés étrangers de l’Académie de Paris, 161... leur proportion, 164... ses TABLE ANALYTIQUE. Associés et Correspondants à 4 époques, 45, 46, 48, 50... ses membres étran- gers de la Soc. roy. de Londres, 55, 56, 53, 60 ... de l’Académie de Ber- lin, 65, 66, 67, 69 ... leurs nombres, 172 ... proportions, 170, 173, 1576, 177... valeur scientifique de sa po- pulation, 188... l’ancienne division du pays a profité à des savants, 194 . causes favorables ou défavorables aux sciences en I., 231... histoire des sciences en I., 259... les sciences mo- rales et politiques en I., 277... ses ré- fugiés protestants à Genève, 140. Ivorx, 47, 66. JABLONOWSKI (Prince), 38. JACKNIEWITZ, 46. JacquiN (Nic.-Jos.), 56, 66, 133. JACQUIER, 54, 64, 65, 85. JACOBÉ, 44. © + JacoBt, 40. JALABERT ou JALLABERT, 45, 55... ori- gine de la famille, 132, 140. JAMESOX, 66. JENNER, 38, 381. Jonxsox (BEX), 582. JouLE, 263. Jour«AUX, leur nature indique le goût dominant, 216. Jutrs, voir Israélites. Jussieu (Adr. de), 100 ... bon observa- teur, 109. Jussieu (Ant. de), 54, 58, 64, 67, 85. Jussieu (Ant. Laur‘ de), 86. Jussieu (Bernard de), 54. KÆRSTNER, 55. Kaiser ((Fréd.), 69. KATER, 47. KEPLER, 70. KIRCHHOFF, 49, 263. KLAPROTH, 38. Kzæin (J.-Th.), 53. KLINGENSTIERNA, 45, 55, KœæxiG (S.), 44. KôüzikEer, 60. KRAYENHOFF (de), 48. KRONECKER, 49. KRUSENSTERN (de), 48, 68. KuxmxeRr, 40, 48, 59. Kuxrx, 47. LACÉPÈDE (de), 58. LALLEMAND, 48. LA CHAPELLE, 54. La Hire (de), S7. LALANDE (de), 56, 65, ST. LAmaRCK (Monet de), 87. LAMÉ, 69. ; LAMoNT (von), 59. LANGUES ... plus ou moins favorables aux savants, 153 ... les trois princi- pales donnent des chances égales de nominations acad. 186 ... pourquoi une langue domine, 292, 294 .. quelle dominera dans un siècle, 296. LARREy, 67. LATREILLE, 67, 87. Lavoisier, 56, 87, 380. LE CAT, 54. LE DRaAx, 54. LE Forr, 200. LEGENDE, 56, 58, 67, 85. LEIBNIZ, associé étranger 31, 36 ... or- thographe du nom, 40. LEJEUNE-DIRICHLET, 40. LE MoxxIER (P.-Ch.), 54, 56. LE Moxxier (D' G.), 54, 56, 64, 65, 85. L'ENFANT, 383. LE Roy (J.-B.), 56. MEIBAGEMAG 0531510. famille, 132. LE SEUR, 54. LESLIE, 47. LESSINKG, 882. LE VERRIER, 59, 69, 86. LHUILLIER, 58, 67, 200 ... sa famille, 132. LIBERTÉ... liée à la sécurité elle favorise les sciences, 250. LiBr:, 69... son opinion sur l'instruction publique, 117... sur les juifs, 406. LIEBERKUHN, 53. LiEeBIG, 40, 48, 59. LIEPRKNECHT, 53. LieuTauD, 54. LimBourG (J.-Ph. de), 56. LINDENAU (de), 47. Link, 47. LiNNÉ, 38, 45, 65, 381. LINE fils, 99. LiouviLe, 59, 69, S6. origine de sa origine de #76 L'ISLE (Romé de), voyez Romé. LisLET GEOFFROY, 155. LIVINGSTONE, 49. Loper (vou), 67. LœwExsTeIN-WERTHEIN (prince de), 55. Lois ... leurs effets de sélection, 358, 342... double sens du mot loi, 443. LONDRES ... d’Associés étrangers de l’A- cadémie de Paris nés à L., 166. LONGÉVITÉ ... pas toujours ïiée à la santé, 374. LorGxA, 46, 56, 66. Louis XIV... comment il agissait à l'égard des savants, 148... sa cruauté, 325. Lucas (Prosper), son ouvrage, 311. LuLOLF, 65. LüTke (Amiral de), 50. LuyxEs (Duc de), 380. LyELL (Sir Ch.), 49, 68, 415. LyoN... a montré une sélection intellec- tuelle, 221. LYoxET (de), 54... 158: Macczesriezp (Lord), 38. MACHINES... ressemblent aux êtres or- .ganisés, 448. Macxy (de), 65. Mac Leur, 49. MAPrEr (Scipion), 65. MAGALHAEXS ou MAGELLAN (de), 46, 66. MAGNoL, 87. Magnus, 49, 59. MAIRAN (Dustour de), 54, 87. MALADIES... sont héréditaires, 315... leur intensité souvent alternante, 427. MALLET, 46... origine de sa famille, 132. MALTHUS . .. une erreur de lui, 386. MALvEZz1, 46. MANFREDI, 36 MANN, 52. Marcer (Mad.), 116. Marcou, 142. MARGRAFF, 38. MARIAGES . .. origine de sa famille, comment ils influent sur les sociétés ceivilisées, 369... sur les savants, 143. MARIANINI, 232. MaRIGXAC (Galissart de), 50, 69 ... ori- gine de sa famille, 132. Marixort, 55, 65. TABLE ANALYTIQUE. MARIOTTE, 87. MarsiGLi, 36, 57. Marius (de), 47. MASKELYNE, 38. MATHEMATICIENS ... ont probablement une disposition naturelle héréditaire, 108, 113... leur mode de raisonne- ment, 110. MATHÉMATICIENS et NATURALISTES, leur proportion sur les listes académiques d'étrangers, 70 ... leur manière diffé- rente de raisonner, 110. MATIÈRE inorganique ... sa transforma- tion en matière organisée peu proba- ble, 4. ilaurerruis (de), 54, 87. MauxoiR, 48 ... origine de sa famille. Mayer (Jules-R. de), 49, 263, 455. MECHAIN, 56. MÉDECINS... leur nombre en divers pays, 105. MELANDER, 46, 66. MELLONI, 232. MERIAN (P.), 69. Messier (Ch.), 56, 65, 85. MÉraux... effets de leu dispersion fu- ture, 415. MÉTHopEs (leur recherche caractérise les modernes), 70. MEUSCHEN, 55. MIGRATIONS d'espèces, 17. Mizzer, 68. MIsSioNNAIRES. .. leur faiblesse dans les sciences naturelles, 79. MirscHerLiCx, 40, 47, 57, 881. MouL (de) frères, 112. Moxz (Hugo de), 49, 59. Moivee, voyez Demoivre. Morz (de), 47. MOoNGE, 87. MoxNTBELLIARD, voyez Cuvier. MoxTESQUIEU, 51. MoxrucLa (de), 65. MORALITÉ... chez les civilisés, 376. MorAND. 54. Morar (phénomène du lac de) ... 434. MOoRGAGNI, 36, 45, 55. MorGan (L.-H.)... ses recherches sur les parentés, 351. MoriCcHINI, 58. TABLE ANALYTIQUE. MORTIMER, 44, 64. Moi (A.), 69. Morxoxs, 236. MosELEYy, 49. Moura (de), 55. MouvEemEnT... dans les êtres organisés, 446. MueLLee (Ferd.), 156. MULATRES ... ont eu un correspondant de l’Académie de Paris, 155. MuLpEr, 69. MüLLEr (G.-Fr.), 53. MüLLer (Jean de), 382. Murcxisox (Sir Rod. I.), 40, 49, 68 ... a eu deux carrières, 75. MusCHENBROEK, 44, 54, G5. MusicaL (Sens)... est héréditaire, 317. NANTES (Révocation de l’édit de)... son effet sur les sciences, 132 ... sur les arts économiques, 139. NATIONALITÉS... répartition des savants selon les, 158... la science n’a pas de nationalité, 159. NarTioNs ... sélection entre les, 342 ... leur marche ordinaire, 344. NATURALISTES. . . leur mode de raisonne- ment, 110. NATURE... divers sens du mot, 486. NAUMANN (C.-F.), 49. NECKkER, 200. NECkER (Madame), 113. NÈGRES... refoulés chez eux, 393.., leur avenir, 414. NEUCHATEL. .. ses savants d’origine fran- çaise, 132. NEUMANXN, 48, 59. NEWTON... issu d'une famille aisée, 84 . associé étranger de l’Acad. de Pa- ris, 86 ... diversité de ses occupa- tions, 75. NICOLE, 64. NOBLESSE. .. sa part dans la production des savants, 82-90, 233 ... comment elle s'éteint, 386. NoLLEr, 54. Nos de famille. .. leur extinction forcée, 386. NoRWÉGE... ses Correspondants à l'Aca- démie de Paris en 1869, 50 ... ses membres étrangers de la Soc. roy. de 477 Londres, 57, 60... de l’Académie de Berlin, 67, 69. Voir Suède, Norw., Danemark. NOUVELLE-ANGLETERRE. .. Sa population, primitivement favorable aux sciences, 141, 142, 234. OBSERVATION (Esprit d'), 286. ŒRSTED frères, 112. ŒRsrTep (J.-Christ.), 40, 48, 57, 66, 100, 264. OKEX... anecdote sur, 229. Ozers, 40, 46, 57... fils de pasteur, 103, 381. OmauIus d'HazLoy, 50. OPINION PUBLIQUE. .. son influence, 143 . comment elle se forme, 143, 230. ORIANI, 48, 58, 67. 7 ORTEGA, 46, 56. ORTHOGRAPHE anglaise et française, 305, 807. OuTuHIER, 64. Owex, 40, 49, 68. PaIRs d'Angleterre . de vie, 8390. PALLAS, 38, 55. PANGÉKNÈSE ... explique un fait curieux, 333... enquoinest pas probable, 464. PANIZZA, 232. Paorx, 48. PARIS... proportion des savants nés à P., 249...a profité d’une sélection intellec- tuelle, 221. PaAscAL... sa précocité, 108. PASTEUR, 60. PASTEURS . .. testants. PAYS... ce qui constitue leur unité mo- rale, 168... importance relative dans les sciences, 174, 176... tranquillité des pays protestants, 252. Pays (Petits) ... favorables aux sciences mathém. et naturelles, 137, 152, 165, 192, 233... non aux sciences sociales, 274. PÉCHÉ ORIGINEL... en quoi conforme à l'instoire naturelle, 400. PEIRCE, 59. PEMBERTON, 64. PEMBROKE (Lord), 35. PERRONET, 56. leurs conditions voyez Ecclésiastiques pro- 178 Perers, 49. Perir (J.-L.), 54. PETITE VÉROLE, 226. Prarr, 47. Prazzi, 88. Prerer (F.-J.), 50. PiGoTT, 45. PILANDERHIELM, 45. Piror, 54. PLANA, 40, 48, 58. PLANTAMOUR, 50... 132, 140: PLASTIQUE (mouvement)... PLATEAU, 50, 68. Poczogur, 46, 57. Poères... rares dans les familles de sa- vants, 112... les plus illustres ont précédé les savants, 270. Porssox, 58, 67, 85. PoIssONNIER, 96. Porent, 86,45, 55, 65. Port (Martin), 36. POLITIQUE . . . est opposée à la science, 146. PoriTiQuE (système) influe peu sur l'acti- vité scientifique d'un pays, 191. PoLoGxE... ses Associés étrangers de l'Académie de Paris, 161... proportion 164... ses Correspondants, 46... ses membres étrangers de la Soc. roy. de Londres, 57. Voir Russie et Pologne. PorzyGAmMiE... favorise la beauté, 360. PozYTECHNIQUE (École) a donné plus de savants à son origine, 117... recherche à faire sur ses élèves, 113. Poxp, 47. PonrécouLanT (G. de), 60, 69, 86. PopuLATiox... mal réglée dans l'espèce humaine, 350. POPULATION DES DIVERS PAYS, 181... dans quelles proportions elle augmente, 297... si elle augmente plus par la classe pauvre, 385... n'est pas une mesure du nombre des savants distin- gués, 162, 190... valeur scientifique des diverses populations, 174, 184. PorTuGaL... ses Correspondants à l'A- cadémie de Paris, 46... ses membres étrangers de la Soc. roy. de Londres, 55, 57, 58... de l’Acad. de Berlin, 66... Voir Espagne et Portugal. origine de sa famille, 448, 454. f | TABLE ANALYTIQUE. PouRTALES (de), 142. PRÉJUGÉS. .. bonne manière de les réfu- ter, 445. PREVOST (P.), 58, 66, 67, 200... fils de pasteur, 103... origine de sa famille, 182: PRIESTLEY, 38, 45. PRINGLE (Sir John), 88. PRINGSHEIM, 49. PROBABILITÉS. . . appréciation des proba- bilités par la statistique, 111, 439. PROFESSEURS, 80... lesquels développent des savants, 117... voir Enseignement. PRoNY (de), 58, 67, 85. PROPAGANDE. .. pourquoi on l'aime, 144. PROMISCUITÉ. . . état primitif de l'homme, 851. PROPRIÉTÉS... leur nature influe sur les tendances des familles, 138. PROTESTANTS... proportion considérable de savants prot., 121... surtout parmi les descendants de réfugiés, 129, 134 ... dans les cantons prot. de la Suisse, 202, 209: PuriTaiINs... leurs descendants en Amé- rique favorables aux sciences, 141. PROTOPLASMA, 447, 462, PuFFENDORFF 362. PuURKINIE, 49. QuAKERS... secte respectable, à étudier, 409. QuereLzer, 59, 68... libre arbitre, 438. Quixer... son ouvrage de la création, 16. RACES HUMAINES... leurs effets sur la cul- ture des sciences, 248, 253... intellec- tuelles, 282... pures ou mélangées, 284 leurs aptitudes changent, 285... race refoulée, 341... avenir des races, 413, 419. RasumoWsKx1, 27, 65, 66. RAyNAL, D2. RÉAUMUR (de), 54, 64, 85. RÉFUGIÉS, voir Protestants,.. fugiés, 141. son opinion sur le . autres re- RÉGIONS TROPICALES... défavorables aux sciences, 155. RecxauLr, 60, 68, 86. REGNAULT, peintre, 112. RELIGION. . .son influence sur les sciences, TABLE ANALYTIQUE. 420... moindre que celle des traditions, 136... ses analogies et ses contrastes avec la science, 145... ses effets de sélection, 339... celle des classes in- férieures tend à l'emporter sur les au- tres, 393... influence moins que l'héré- dité, 400. RESSEMBLAXCES, 312, 314. RÉVOLUTION FRANÇAISE... à nui AUX ec- clésiastiques savants, 77... son effet sur la production de savants distingués, 88, 256. Révozurions. . .leur effet sur les sciences, 253, 256. RicHaRps (Cap. G.-H.), 49. RICHESSE ... si elle est favorable aux sciences, 90, 211, 380 ... d'où elle provient et ce qu’elle suppose, 384... ses effets sur la popuiation, 386. RacaTeR (Jean-Paul), 382. RIvE (de la), 40, 50, 60, 69, 140. RoEMER (Olaus de), 36. établissements botaniques, 79. ROMÉ LE L'ISLE, 65. Romxt (Sir John), son origine, 136. RosE (G.), 49, 59. Rose (M.), 44. ROSENBERGER, 59. RoussEAU (J.-J.). .. origine de sa famille, 140, ÆEvpozpHi, 47. Ruxrorp (Thomson, comte de), 38, 65... son origine, 141. RUSSIE. .. ses Associés étrangers et Cor- respondants de l’Acad. de Paris, 46, 48, 50... ses membres étrangers de la Soc. roy. de Londres, 55, 57, 58,60... de l'Acad. de Berlin, 65, 66, 67, 69... proportion de ses Associés étrangers, 164... voir Russie et Pologne. RussiE et POLOGNE... leur population, 181... nombre de leurs Associés étran- gers et Correspondants à l’Acad. de Pa- ris, 172... proportions, 173, 176, 177 .. valeur scientifique de leurs popuia- tions, 188... causes, 238. RUTIMAYER, 264. Ruyscx, 56. SABINE, 68. aurait dû avoir les plus beaux | UT MS, Made des à #79 SAINT-HILAIRE (Geoffroy), voy. Geoffroy. SANTÉ... son importance pour les 5a- vants, 106... cbez les civilisés, 368... n'est pas nécessairement accompagnée | de longévité, 371. SAXTINI, 50. SARS, 69, 264. SAURIN, 383. SAUSSURE (Hor. Ben. de), 38, 46, 57... origine de sa famille, 131... sa posi- tion sociale, 380. SAUSSUBE (Théodore de), 48, 58, 98, 99. SAUVAGES. .. sélection chez les, 355. SAVIGNY (de), jurisconsulte. .. sa famille, 136. SAVIGNY (J.-C.), naturaliste, 67. | SAVANTS ... ce mot a deux sens, 28... | définition singulière des, 81 ... leur origine dans les classes de la société, 81 ... ne peuvent pas être rémunérés selon leur mérite, 91... causes qui les | développent, 92... leur nombre appro- ximatif, 95 ... nombre et célébrité s'accordent à peu près, 266 ... opi- nions diverses sur les fils de savants, || 296: | ScaRPA, 38, 48, 58, 66, 67. | SCHÆFFER, 45, 55. | SCHWEIGHÆUSER, 282. SCIENCES .. . histoire des, 21 ... universelles, 159 ... région où elles prospèrent, 261...causes qui les favo- risent, 92, 196, 247. SCIENCES morales et politiques .. marche en divers pays, 270. SCHUMACHER, 97. SCHWEIYZER, 383. | SCHWERZ, 47. SCHLEIERMACHER, 383. SCORESBY, 47. SEeccxi, 50,60... dernier jésuite afllie aux académies, 76. SECONDAT de Montesquieu, 54, 56, 65, 85. SÉCURITÉ. .. favorise les sciences, 250. SEDGWICK, 49. SEEBECK, 47. SÉJOUR (P.-A.-D. du), 56. SÉLECTION, 10... exemple de sél. à Pa- ris, 219... et à Lyon, 221 ... en gé- néral, 308. . .quellesél. peutexisterchez origine de sont . leur 80 l'homme, 337... la sél. entre nations 342, classes, 348, individus, 355 ... ne conduit pas à un état théoriquement meilleur, 343... effet sur les maladies, 426. SENEBIER . . SERRES (Marcel de), 67. SERVICE MILITAIRE, 370, 149, 202. SHERIDAN, 224. SIEBOLD (C.-T.-E.), 49. SIEBOLD (C.-Th.), 59. SIMMONS, 45. SIMPSON (Sir James),observation delui,316. SISMONDI (de), 382. SLOANE, 36, 40, 44, 64. SMITH, 47. SOCIÉTÉ royale de Londres... ses nomi- nations d'étrangers sontimportantes, 23 . ses membres étrangers, 51, 53... proportion des mathématiciens et na- turalistes parmi eux, 72. SOCIÉTÉS scientifiques ... et de succès dans les sciences, 208... origine des sociétés mobiles, 208. SŒMMERING, 47, 57, 100. SPALLANZANI, 46, 57, 66. SPÉCIALITÉ des savants, 73. SPENCER (Herbert), 310, 391... venir de l'esp. humaime, 421. STABILITÉ. .. toujours peu probable, 3. STATISTIQUE ... mode de raisonnement en statist., 111...et libre arbitre, 437. STEENSTRUP, 59, 68, 264. STEPHAN (von), 67. STERNE, 224. STOKES, 68. STRATICO, D7. STROMEYER, 47, 57. STRUVE (F.-G.-W.), 58. STRUVE (O.-W.), 50, 69, 100. STUDER (B.), 69, 382. STURM, 201. Sur (J.-J.), 56. SUÈDE... ses Associés étrangers de l’A- cad. de Paris, 161... leur proportion, 164 ... ses Associés étrangers et Cor- respondants, 45, 46, 48 ... ses mem- bres étrangers de la Soc. roy. de Lon- dres, 55, 57, 58... de l’Académie de Berlin, 65, 66, 67, 69. sur l’a- | . origine de sa famille, 132. indice de zèle | TABLE ANALYTIQUE. SUÈDE, NORWÉGE, DANEMARK ... leur population, 181 ... nombre de leurs Associés et Correspondants aux diverses Académies, 172... proportions, 170, 173, 176, 177 ... valeur scientifique de la population, 188 ... causes favo- rables aux sciences, 212. SUISSE... population à diverses époques, 181 ... ses savants y ont été souvent de même famille, 104... beaucoup plus nombreux parmi les protestants, 122 . souvent de familles de réfugiés prot., 131, 132, 138 ... ses Associés étrangers de l’Acad. de Paris, 161... leur proportion, 164 ... leur origine, 165 ... ses Associés étrangers et Cor- respondants de la dite, 45, 46, 48, 50 . ses membres étrangers de la Soc. roy. de Londres, 55, 57, 58, 60... de l'Académie de Berlin, 65, 66, 67, 69 ... leurs nombres des dites, 172 ... et proportions, 170, 173, 176, 177... des Sciences morales et politiques, 277, 278, 280... la langue ne les a pas fait préférer à Paris et à Berlin, 186 ... valeur scientifique de sa population, 188 ... comparée aux États-Unis, 191 . causes favorables aux sciences en Suisse, 199. SUNDERWALL, 69. SUPERVILLE (de), 54, 65 ... sa famille, 133. SUPPLICES ... leur représentation est fà- cheuse, 408, SURFACES TERRESTRES ... diminueront, 417. SuRNATUREL, voir Nature. SVANBERG, 48. SWABE, 59. SWIFT, 382. Swiss, SWITZERS, 305. SYLVESTER, 49, 68. TcHÉBYCHEFF, 50. TCHIHATCHEFF (P. de), 50, 69. TCHIRNHAUSEN (de), 36. TENORE, 67. THéNARD, 58, 67, 85. THÉNARD (Paul), 100. THÉORIES ... leurs avantages accessoires pour la science, 14. origine de TABLE ANALYTIQUE. THompsoN, voyez Rumford. THomsox, 382. THUNBERG, 46, 57, 58. Taurer (G.), 69. F TIEDEMANN, 40, 47... fils de philosophe, 113. f Trssor (D'), 57... Ù 13%: Toazpo, 57, 66. Torixo, 45. Torre (de la), 45. Tourxerorr (Pitton de), S7, 156. TRADITIONS DE FAMILLE favorables ou nuisibles aux sciences, 127 ... leur grande influence, 135, 142. origine de sa famille, TRANSFORMATIONS DES ÊTRES ORGANISÉS, | 5161: TRAVAUX SCIENTIFIQUES . . . pas être rémunérés selon leur valeur, 91. TREMBLEY (Abr.), 45, 55... sa famille, 151. TREMBLEY (Jean), 131, 200. TREW, 53. TRora, 46. TRONCHIN (Di); 88,:x: mille, 131, 110. TULASNE, 69. TURQUIE ... n'a pas eu de savants et | pourquoi, 246. TurRETINI, 140, 383. TycHo-BRAHÉ, 379. ULHORNIUS, 65. UzLoaA, 44, 45, 54, 56, 65. UNIFORMITÉ ... tend à augmenter chez les peuples, 344. UxiversiTÉés ... les villes d’universités ont produit peu de savants illustres, 117, 167, 219... comment l’organisa- tion des univ. influe, 118... VACCIN, VACCINATION, 427. VALERA, 46. VAN BENEDEN, 50, 68. VANITÉ NATIONALE, 267. VAN MAER, 46. Vax Manu, 46, 48, 58, 66. Vax Moxs, 48, 66. VAN RoYEN, 54, 56. VAN SWIETEN. . . Associé étranger, 38... ne peuvent | origine de | origine de sa fa- n'ont pas | toujours exercé la même influence, 229 | ...la meilleure de toutes les univ., 201. 181 lÜ son origine, 43... Correspondant, 44. VAN SWINDEN, 46. VARIABILITÉ CHEZ L'HOMME, 308, 312... une de ses causes, 231. VauD (canton de)... ses savants descen- dant de réfugiés français, 132. VAUQUELIX, 58, 67, 85. | VENETZ, 263. | VERA (Alvarès de), 44, 50, 155. | ( | | | VÉRACITÉ ... où elle est de profession, 376 | VERNEUIL (de), 60, 69, 86. VIE, VITALITÉ, FORCE VITALE, 457. VILLA DA PRaîA, 58. VINCENT, 383. Viviant (Vincent), 36. | VOLTAIRE, 51... son orthographe, 307. Vozra, 38, 46, 66, 380. | VoyaGEs (Goût des), favorable aux scien- ces, 199. VuULCAIN... sa difformité, 351. | WAHLENBERG, 07. | WaLLACE, 264, 310... sur l’instinct, 321 . son opinion sur la sélection chez l’homme combattue, 356. WALLICH, 156. | Wazus (J.), 382. WALLOT, 45. WARDEN, 48. | WARGENTIN, 38, 45, 382. | Warr (James), 38. | Weger (E.-H.), 59. + Weger (W.), 49. W£sER (W.-E.), 59. WEIDLER, )3. WEIERSTRASS, 49. Weiss... son ouvrage sur les Réfugiés, 130. WERNER, 58. \WWHEANSTONE, 49, 68. WEIBEKING (de), 47. WIELAND, 382. | Wiccre, 57. WIiLkiE, peintre, 382. WixsLow, 64. WiRCHOW, 49. WoEuLER, 40, 48, 59. | WOLLASTON, 38, 382. : Wozrr (Christ.) ou Wollius, 36, 44, 53 |... diversité de ses occupations, 75. Me Tr Px | tr us RER À, vide À br RE + CUITS en SO E ., =. er sa Der TABLE ANALYTIQUE. WoLrr (Rop.), 381. Youx@ (Arthur), 382. EN" 4 WBRANGELL (amiral de), 50. YounG, poëte, 382. : : WREN, 382. ; Zacx (de), 48, 58. WürrTz, 60, 69, 86. ZANOTTI, 45, 55. Youxa, physicien, 40, 47. | ERRATA Page 247, $ 5, lisez: $ 6. > 2961, 8 6 NOT 2... 201,807, ES RRSRE