| Ÿ Al 01700 OINOHOÏ 40 ALIS H3A ACTA AINN ll «a HISTOIRE SCIENCES MÉDICALES COMPRENANT L'ANATONIE, LA PHYSIOLOGIE, LA MÉDECINE LA CHIRURGIE ET LES DOGTRINES DE PATHOLOGIE GÉNÉRALE PAR CH. DAREMBERG Professeur chargé du cours d'histoire de la médecine an Collége de France, Membre de l’Académie impériale de médecine, Bibliothécaire de la bibliothèque Mazarine, ete, TOME SECOND DEPUIS HARVEY JUSQU'AU XIXe SIÈCLE PARIS J.-B. BAILLIÈRE er FILS LIBRAIRES DE L’ACADÉMIE IMPÉRIALE DE MÉDECINE rue Hantefeuille, 49, près du boulevard Saint-Germain LONDRES : MADRID LEIPZIG Hipp. BAILLIÈRE. | c. BAILIY-BAILLIÈRS. E. JUNG-TREUTTEL. 1870 HISTOIRE SCIEN CES MÉDICALES IT PRINCIPAUX OUVRAGES DU MÉME AUTEUR. Exposition des connaissances de Galien sur l'anatomie, la physiologie et la pathologie du système nerveux. Thèse inaugurale. Paris, 1841. Traité sur le pouls attribué à Rufus d'Ephèse, publié pour la première fois en grec et en français, avec une Introduction et des notes. Paris, 1846, in-8. Fragments du commentaire de Galien sur le Timée de Platon, publiés pour la première fois en grec et en français, avec une Introduction et des notes. Paris, 1848, in-8. Essai sur la détermination et les caractères des périodes de l'histoire de la médecine. Paris, 1851, in-8. Œuvres d’Oribase, texte grec et traduction française, avec une Introduction et des notes par MM. BUSSEMAKER et DAREMBERG. Paris, 1851-1862, tome I à IV, in-8 grand papier. (Les tomes V et VI sont sous presse). Notices et extraits des manuscrits médicaux des principales Bibliothèques d'Europe. Première partie : Angieterre. Paris, 1853, gr. in-8. Glossulæ quatuor magistrorum super chirurgiam Rogerii et Rolandi, nunc primum ad fidem codicis Mazarinei edidit, Neapoli, 1851, in-8, Œuvres choisies d’Hippocrate, accompagnées d'arguments, de notes, et pré- cédées d’une Introduction générale, 2° édition. Paris, 1855, in-8. Anonymi de secretis mulierum, de chirurgia, de modo medendi, poema medicum nune primum edidit. Neapoli, 1859, in-8. Œuvres anatomiques, physiologiques et médicales de Galien, traduites pour la première fois en français; avec notes, Paris, 1854-1856. 2 vol. gr. in-8 avec figures. A. €. Celsi de Medicina libri octo, ad fidem optimorum librorum denuo recen- suit, adnotatione critica indicibusque instruxit. Leipzig, 1859, in-12, Gymnastique de Philostrate, avec traduction française et notes, Paris, 1868. La Médecine. Histoire et doctrines. 2€ édition. Ouvrage couronné par l’Académie française. Paris, 1865, in-8. La médecine dans Homère, ou études d’archéologie sur les médecins, l’ana- tomie, la physiologie, la chirurgie et la médecine dans les poëmes homériques. Paris, 1865, in-8. État de la médecine entre Homère et Hippocrate d’après les poëtes, les philosophes et les historiens grees : anatomie, physiologie, pathologie, médecine militaire, histoire des écoles médicales. Paris, 1869, in-8. Recherches sur l’état de la médecine durant la période primitive de l'histoire des Indeus. Paris, 4867, in-8. sHuvres de Eufus d'Ephèse. | vol. in-S. (Sous presse.) Paris. — Imprimerie de E. MARTINET, rue Mignon, 2. HISTOIRE Ë SCIENCES MÉDICALES COMPRENANT L'ANATOMIE, LA PHYSIOLOGIE, LA MÉDECINE LA CHIRURGIE ET LES DOCTRINES DE PATHOLOGIE GENERALE PAR CH. DAREMBERG Professeur chargé du cours d'histoire de la médecine an Collége de France, Membre de l’Académie impériale de médecine, Bibliothécaire de la bibliothèque Mazarine, etc. TOME SECOND DEPUIS HARVEY JUSQU'AU XIX: SIÈCLE PARIS 1.-B. BAILLIÈRE er FILS LIBRAIRES DE L’ACADÉMIE IMPÉRIALE DE MÉDECINE rue Hautefeuille, 49, près du boulevard Saint-Germain LONDRES | MADRID LEIPZIG Hipp. BAILLIÈRE. C. BAILLY-BAILLIÈRE. | B. JUNG-TREUTTEL. 1370 Tous droits réservés, L (r A “à HISTOIRE GÉNÉRALE DES SCIENCES MÉDICALES XIX SOMMAIRE, — Considérations générales sur le xviit siècle, — Comparaison des idées anciennes et des idées modernes sur la marche du sang, — Précurseurs de Harvey (Érasistrate, Galien, Vésale, Fabrice d’Acquapendente, Servet, Colombo, Césalpin, etc.). — Découverte de la circulation du sang, — Exposition de cette découverte d’après l'ouvrage de Harvey.— Attaques dirigées contre la circulation (Primerose, Aem, Parisanus, C. Hoffmann, C. Folius, J. Riolan, Guy-Patin, Joannes à Turre, Magnassius, Homobonus Piso, etc.), — Prompt et éclatant triomphe de Harvey. MESSIEURS, Nous venons d'achever l'étude des sept premières périodes de l’histoire de la médecine ; nous entrons aujourd’hui dans la hui- tième et dernière, celle où s’accomplissent les destinées de notre science. Avant d'aborder les détails recueillons-nous un instant, el relraçons à grands traits les caractères du xvn° siècle qui inaugure si brillamment cette période. Si l’on jette un coup d'œil sur la littérature médicale du xvIr' siècle, on trouve qu’elle peut être partagée en trois gran- des séries parallèles : les ouvrages où la tradition domine, les PAREM BERG, 1. = 37 578 ÉTAT DES SCIENCES MÉDICALES AU XVII® SIÈCLE. écrits émanant des novateurs (Van Helmont, Sylvius de le Boe et la chimiatrie, dont nous avons déjà parlé ; Borelli et l’iatromé- canisme) ou inspirés par eux; enfin, la multitude des recueils d’Observations qui succèdent aux Consilia, et où la narration des faits laisse moins de place à l'intervention des théories. Le temps des Sommes est passé ; les monographies et les Disputa- tiones sur les sujets les plus divers abondent, particulièrement sur les maladies épidémiques ; les ouvrages en langue vulgaire se multiplient; le latin a perdu une partie de ses droits, parce que l’Église et la scholastique ont perdu une partie de leur em- pire ; les nationalités se distinguent ets’isolent ; il n’y a plus un seul centre et un seul code. Au xvi° siècle nous avions remar- qué la littérature épistolaire ; mais, au xvir°, les Lettres sont un peu mises de côté par les communications publiques faites aux académies, au sociétés savantes, aux journaux. — Les commen- taires sur Hippocrate sont encore assez fréquents, tandis qu’on trouve Galien trop prolixe pour l’allonger encore par des gloses ; quant aux ouvrages des Arabes, ils restent le texte favori de quel- ques professeurs, particulièrement en [italie (1); mais on n'im- prime guêre ces leçons. — Enfin, on a les Thèses du doctorat, et tous les pamphlets des écoles ou des divers ordres de praticiens en lutte les uns contre les autres (2). Le xvir° siècle est le nœud de l’histoire de la médecine; la con- sommation des temps anciens va s’accomplir, l’ère nouvelle est à son aurore. De tous côtés, en matière de science, l’observation de la nature tend à se substituer au principe d'autorité ; la néthode expérimentale gagne chaque jour du terrain sur la méthode logique, ou dialectique, ou à priori ; déjà, depuis plus d’un demi- siècle, on méprise les Arabes ; c’est par exception que l’on croit encore aveuglément aux Grecs. L’œuvre-de destruction mar- -(1) Voyez l'ouvrage de M. Renan, Averrhoes et l'averrhoisme. Paris, 1852. (2) Je n'ai traité qu’en passant de ce dernier point de l'histoire extrinsèque de la médecine, parce que je sais que M. Chéreau, qui passe une partie de sa vie aux Archives et dans nos bibliothèques, prépare un volume Sur l’histoire de la méde- cine à Paris, où ces disputes seront longuement exposées. Sans trop sortir de son cadre, M. Chéreau se permettra, sans doute, quelques excursions en province ; de sorte que le sujet sera définitivement épuisé. ÉTAT DES SCIENCES MÉDICALES AU XVII SIÈCLE. 579 che à pas précipités ; l’œuvre de reconstitution commence; elle commence par la physiologie, elle se poursuit par l'anatomie. Mais autant le mouvement est vif et dégagé pour la physiologie et pour l’anatomie, autant il est lent et entravé pour la patholo- gie. Cherchons ensemble les motifs de cette dissemblance si pro- fonde et si remarquable ; ils sont multiples et de diverse nature. La découverte de la circulation du sang renverse, il est vrai, du moins en principe, la médecine ancienne ; mais elle ne suflit pas encore à créer une médecine nouvelle, quoique Harvey lui-même n'ait pas négligé d'indiquer les relations de sa découverte avec une réforme de la pathologie, et que ses partisans les aient égale- ment entrevues. On ne pouvait désormais, cela est incontestable, faire aucun progrès sérieux en pathologie et en thérapeutique générales sans cette découverte, mais il ne s'ensuit pas rigoureu-: sement qu'on se trouvât immédiatement en mesure d’en tirer toutes les conséquences qu’elle comporte. Il y a même deux rai- sons, peut-être trois, pour qu'il n’en fût pas ainsi : la première est qu'après l’année 1628, et pendant un temps malheureuse- ment assez long, tous les efforts des médecins furent consacrés, par les uns, à attaquer, par les autres, à défendre l'invention d'Harvey; Ja seconde raison, c’est qu'un siècle a toujours à sol- der l’héritage d’un autre siècle; or, tandis que, pour l'anatomie, le xvn: siècle relève de l’école positive des Vésale, des Fallope, des Fabrice et de tant d’autres, le xvu° siècle médical est le fils très-légitime du xvi°, qui était le siècle de l’alchimie, ou, si l’on préfère, de la chimie, mot moins compromis, mais alors non moins compromettant. Les doctrines chimiques sont, de toutes façons, trop séduisantes, et en même temps trop prêles à tout expli- quer pour qu’elles ne se soient pas très-fortement emparées des esprits. Les folles idées de Paracelse, rendues, pour ainsi parler, plus saines par Van Helmont et par Sylvius de le Boe, tenaient toules les issues de la médecine avant que la circulation ait pu porter ses fruits. D’un autre côté, les attaques violentes de Paracelse, les discussions plus calmes et vraiment scienti- fiques de Vésale et d’autres contre la médecine hippocratico-ga- lénique laissent debout ei furieuse une meute de médecins dé- cidés à accepter tout plutôt qu’une nouveauté. Il est peu glorieux 580 ÊTAT DES SCIENCES MÉDICALES AU KVII* SIÈCLE. pour nous d’être obligés d'ajouter que cette meute hurlait prin- cipalement dans nos écoles françaises. Au moment où parurent les Exercitationes de motu cordis et sanquinis circulatione, le domaine de la pathologie se trouvait donc partagé entre les progressistes, je veux dire les chimiatres, qui, ayant rompu avec Galien, acceptaient la circulation, mais sans en user convenablement, et les réactionnaires, qui ne vou- laient pas plus de la chimie que de la circulation, parce que ni la chimie ni la circulation ne se trouvaient dans Galien. Quelle que soit la fausseté des théories des novateurs, il n’en est pas moins vrai que ces novateurs ont la prétention de prendre l’ex- périence pour base de leurs théories. Van Helmont et Sylvius se croient des observateurs, autant que Sydenham pouvait le penser de lui-même. En tout cas, ces théories sont, en bien des points, tellement différentes des théories anciennes, qu’elles ont con- tribué, non pas autant peut-être que la circulation, à édifier la nouvelle médecine, mais autant que cette découverte à creuser l’abime où s’est cffondré le galénisme. La dernière raison qu'il faille probablement ajouter aux pré- cédentes, c’est que la doctrine de la circulation devait, pour exercer une influence décisive, être fortifiée et complétée par la découverte du cours du chyle et de la lymphe, par les recherches sur la structure intime des glandes, par la poursuite et la mise en évidence sous le microscope ou par les injections des ramus- cules vasculaires et des moyens de connexion des deux ordres de vaisseaux, finalement par une meilleure théorie de la respiration. Il est bien avéré que, si l’on ne peut rien sans la bonne phy- siologie, la bonne physiologie à son tour ne peut rien contre des idées préconçues et qu’on ne veut pas vérifier. Il faut qu'un autre élément intervienne et lui prête secours; ce nouvel élé- ment, c’est la clinique désintéressée, qui fait évanouir les sys- tèmes et laisse le champ libre aux déductions qu’on peut légiti- mement tirer de la physiologie; mais il n’y a eu au xvri° siècle qu'un grand chinicien (1), Sydenham (2). A lui seulilne pouvait (4) Baglivi, le disciple et l’émule de Sydenham, son rival, Morton, appartiennent à peine au xvni siècle par la date de leurs ouvrages. (2) Je suis tout ce que renferment de précieux les Recuerls d'observations (ana ÉTAT DES SCIENCES MÉDICALES AU XVII SIÈCLE. 581 ni arrêter le torrent des hypothèses (il s’y laisse même parfois entrainer), ni mettre à profit la nouvelle physiologie pour une nouvelle pathologie. D'ailleurs Sydenham était heureusement trop peu instruit dans des théories contemporaines; il avait en même temps trop de bon sens pour se livrer sans frein aux aven- tures. Quand il s’égare, c’est plutôt avec les anciens, surtout avec Hippocrate, qu'avec les modernes. Et voyez, Messieurs, combien la vérité est lente à se faire jour : les premières conséquences qu'on à ürées de la circula- tion et de la connaissance des vaisseaux lymphatiques ont été déplorables et désastreuses. Rien de plus faux, au xvir siècle, que les explications physiologiques et pathologiques tirées par Wharton ou Glisson, par Sténon et par bien d’autres, du mou- vement de la lymphe et des prétendus esprits animaux; rien aussi de plus fatal à la pratique que l'erreur de lieu de Bocrhaave, fondée sur la circulation capillaire. De même nous verrons l’ana- tomie de texture des muscles et du système fibreux, ainsi que les recherches sur les nerfs et les centres nerveux, enfanter, en dehors de la méthode expérimentale et avant de fournir la notion des forces inhérentes à la matière organisée, les plus étranges théories (surtout les théories solidistes par réaction contre les théories humorales) avant de produire leurs effets légitimes. Si le solidisme donne la clef des mouvements vitaux, c’est surtout l’humorisme, c’est-à-dire la circulation du sang et ses dépendances, qui explique les actes intimes de la vie plastique à l'état sain ou à l’état pathologique, et sinon l’action ultime, au moins les actions intermédiaires des médicaments. Mais ce sont là des conceptions trop élevées et des opéralions trop délicates pour que les premiers anatomistes ou les premiers physiologistes en aient eu pleine conscience et les aient imposées aux méde- cins. Le vice des théories du xv° siècle (le xvim° n'échappe pas non plus à ce reproche), c’est d’être successivement ou simultané- logues, mais supérieurs aux Consilin du moyen âge et de la Renaissance), pu- bliés au xvu° siècle, je fais même connaitre plus loin les plus importants; mais dans ces faits, rassemblés un peu au hasard, et dont beaucoup frappent surtout par leur rareté ou leur singularité, il n'y a pas de lien, et l'on n'y surprend pas un souffle puissant et fécondant. 582 DÉCOUVERTE DE LA CIRCULATION DU SANG. ment, mais exclusivement, chimiques, vitalistes, physiques, méca- niques, jamais biologiques, et toujours extra-expérimentales. HUITIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE. Nous avons l'habitude, Messieurs, de commencer pour chaque périodenotreexposition historique parl'anatomie; commentsuivre un pareil ordre lorsque, dès les premières années du xvn: siè- cle, on rencontre Harvey? Comment ne pas laisser d’abord de côté, sauf à y revenir plus tard, quelques anatomistes fort esti- mables sans doute, mais de second ordre, pour s'attacher à un tel nom? Nous avons donc commencé par l’histoire de la décou- verte de la circulation du sang, puis nous avons tout naturelle- ment continué par celle du système des vaisseaux chylifères et lymphatiques; après quoi, nous avons poursuivi quelques con- séquences ou applications plus ou moins inattendues de ces deux grandes découvertes : je veux parler des recherches de Glisson, de Wharton, de Sténon, sur les glandes, sans oublier la fameuse théorie de l’irritabilité Glissonienne. Nous sommes enfin revenus aux ouvrages d'anatomie, et nous nous sommes arrêlés avec com- plaisance sur l’anatomie de texture. C’est en suivant cet ordre que je veux résumer aujourd’hui les premières leçons du cours de l’année scolaire 1867-1868, Entrons donc en matière : L'histoire de la découverte de la circulation est une des par- ties les plus intéressantes et les plus instructives de l'histoire générale des sciences médicales : on y voit comment les erreurs prennent naissance, grandissent et s’enchaînent si fortement qu’elles opposent pendant de longs siècles une barrière inexpu- ynable à la vérité, — et comment, à quelles conditions, par quels moyens, avec quels instruments, au prix de quels combats s’o- pérent et s’imposent les grandes découvertes. C’est le raisonne- ment qui le plus souvent a enfanté l’erreur ; aussi le raisonne- ment, loin de prévaloir conire elle, ne fait que lui donner force et audace : il faut pour la détruire la hache de la méthode expé- rimentale. Il n’y a pas non plus de partie de l’histoire qui mette mieux dans leur jour la puissance de la routine, l'entêtement des préjugés, la malice humaine et la stupide ou perverse igno- GÉNÉRALITÉS SUR CE SUJET. 583 rance des gens inféodés aux dires de l’École; iln’y en a pas non plus qui justifie mieux cette belle pensée de Biot : « Rien n’est plus clair que ce qu’on a trouvé hier; rien n’est plus difficile à voir que ce qu’on trouvera demain. » En effet, le phénomène de la circulation nous paraît aujourd'hui si simple, 1l est si gé- néralement connu, qu’on a peine à comprendre comment tant de médecins et de naturalisies éminents, qui se sont succédé pendant tant de siècles, ont été aveugles à ce point de ne pas le découvrir. Mais ne soyons pas si sévères! Dans un siècle, dans vingt ans, demain peut-être, nous mériterons le même reproche pour des faits aujourd’hui inconnus et qui seront alors tombés dans le domaine de l’observation; ne nous montrons pas non plus si ignorants des conditions qui, dans les siècles passés comme sous nos yeux, favorisent ou retardent, soit une décou- verte, soil une invention, Les sciences se développent dans un ordre hiérarchique, dans l'ordre le plus naturel, le plus régulier, le plus nécessaire. Sem- blables aux semences qu’on jette sur une terre mal préparée, les découvertes prématurées, quelles qu'elles soient, restent infé- condes, ou tombent dans l'oubli, tant qu’elles ne rencontrent pas un milieu qui les soutienne et où elles puissent prospérer ; tant qu’on n’a pas écarté chacun des voiles qui cachaient la lumière, chacun des obstacles semés par l'ignorance sur la route du savoir. La doctrine de la circulation a eu de singulières fortunes : beaucoup, à son apparition, l’ont niée formellement, parce qu’elle ne se trouvait, à leur dire (et sur ce point ils avaient rai- son), ni dans Hippocrate, ni dans Galien ; au contraire, plusieurs de ceux qui l’admettaient, voulant enlever à Harvey tout ou par- tie deses mérites, ont cherché non pas seulement dans les pré- décesseurs immédiats du physiologiste anglais, mais jusque dans Hippocrate ou dans Galien les preuves de la connaissance du mouvement circulaire du sang, preuves que les partisans les plus dévoués de la médecine ancienne n’y ont jamais trouvées. Quels singuliers conire-sens et quelles déplorables aberrations de l'esprit! Quoi! les anticirculateurs s'efforcent de démontrer, avec tout l’attirail de l’érudition, que la doctrine de Harvey ne peut pas être vraie, puisqu'elle n’est pas dans Galien, et voilà 58h DÉCOUVERTE DE LA CIRCULATION DU SANG. que les cérculateurs, je ne parle pas seulement des médecins du xvu° siècle, mais de quelques-uns du xix° (1), voulant ravir la (4) Van der Linden (Hippocrates de circuitu sang., 1661, in-4), suivi par Spon, Wedel, et par d’autres que j'ai lus non sans dégoût, tire d’un texte obscur du traité Des songes, qui lui fournit matière à dix-sept dissertations ei 721 para- graphes, et de dix autres passages non moins obscurs, la preuve certaine qu'Hip- pocrate connaissait la circulation, que Césalpin la connaissait aussi, mais que Harvey avait volé ce qu'il en savait à un pharmacien de Londres, nommé Heriot, lequel à son tour avait volé Césalpin. Voilà comment procédaient ceux qui faisaient de l'opposition à Harvey! — Charles Patin (Circulat. sang, à veteribus cognitam fuisse ; 1685, in-4), digne fils de son père, Guy Patin, blàäme les modernes de se montrer plus avides de gloire qu’il ne convient, revendique énergiquement la doc- trine de la circulation pour les anciens; il trouve, sur ce point, Hippocrate très- clair et Galien plus obscur! Cependant, il veut bien reconnaitre que Harvey et ses prédécesseurs immédiats sont les res{auratores, sinon les inventores de cette doc- trine. La découverte d’Aselli ne le gène pas, mais celle de Pecquet n’est point acceptable, puisqu'elle dépossède le foie, — Stenzel (De vestigüs cireul. apud Hippocr. ; 1731, in-A) ne peut pas supporter qu'on (Bontekoe, el Warlitzius dans son Sal/omonaeum) attribue la découverte de la circulation à Salomon, aux Chinois (Cleyer), à Érasistrate (Francius); toutefois il ne serait pas éloigné de voir des pré- curseurs de Harvey, soit dans le scholiaste d'Euripide (voyez mon Mémoire sur l’état de la mtdecine entre Homère et Hippocrate, p. 13, note 3), soit dans l’évêque Né- mésius; il pense aussi qu'Hippocrate en savait très-longsur ce sujet, presque aussilong que Harvey, personnage illustre et noble, à qui il accorde du moins, même contre Servet et Césalpin, l'honneur d'avoir démontré ce que le médecin de Cos avait si bien entrevu, Quelle pauvre érudition ! quelle plus pauvre critique! — Harless, ni dans sa dissertation latine, intitulée : Historia sanquinis antiquissima, 1794, in-8, ni dans l'édition allemande, revue et augmentée, mais dans les mêmes limites, ne dépasse l'époque d’Empédocle., En ce temps-là, les mouvements du sang étaient trop obscurs pour que nous nous en occupions. — En 1830, Pariser (Historia opinionum quae de sang. circulat. ante Harvaeum viquerunt; in-8) attribue la cir- culation à tout le monde, excepté à Harvey; il lui accorde seulement le mérite de l'avoir bien décrite, — En 1831, Hecker, ordinairement si sagace et si bien in- formé, Hecker (Die Lehre von Kreislauf vor Harvey, in-8) n'hésite pas à couronner Galien comme le grand promoteur, le vrai inventeur de la circulation, laquelle n’est ni nouvelle, ni spontanée, mais un produit de la physiologie galénique.— Lichten- stein (Hist. circul. ante et post Harv.; 1847, in-8) est du même avis que Pariser et Hecker. — Douglas, ou plutôt Sprengel (Analecta ad hist, circul, sang. Har».; 1797, in-8) a écrit une bonne dissertation où l’on trouve surtout l'analyse de l'Exer- citatio de motu cordis et sanguinis, et un exposé critique des controverses qui se sont élevées après la publication de cette Exercitatio. Dans les préliminaires, il ac- corde trop à Césalpin. — Thielmanun (Veterum opiniones de angiol. atque sang. motu; 1832, in-8) a victorieusement répondu à ceux qui veulent trouver la cireu- lation dans Hippocrate, et, surtout, dans Galien; il s'arrête avec cet auteur, — GÉNÉRALITÉS SUR GE SUJET. 585 gloire qui appartient à notre grand physiologiste, cherchent des preuves contre lui dans les œuvres de Galien, de l'homme qui a le plus retardé la découverte de la circulation, de celui qui ne connaissait même pas la petite circulation, bien loin d’avoir Barzelotti (Dialog. sulla scoperta della cireul.; 1831, in-8) tient pour Césalpin; Zecchinelli (Delle dottrine sulle funzioni del cuore, etc.; 1838, in-8) tient pour Rudio. — Un vétérinaire, Prangé (Documents pour servir à l'histoire de la décou- verte de la circulation du sang, Paris, 1855), se montre grand admirateur de l'Anatomia del cavallo de Ruini (1598) et veut trouver la circulation du sang dans un passage où il est impossible de voir autre chose que la théorie galénique. Ruini ne connaît même pas la petite circulation. — Flourens, dans un livre très- bon, malgré quelques erreurs de détail (Hist, de la découverte de la circulation, 2e éd., 1857), tient pour Harvey contre tous les prétendants, excepté contre Césal- pin, qui, cependant, n’a pas connu la grande circulation, C’est ce qu'a dit, dès 1766, le biographe anonyme de Harvey (en tète de l'édition de Londres), c'est ce qu'ont répété P. Bérard (Historique de la découverte de la circulation dans Cours de physiologie, t. UX, p. 562, 1851 ; consiste surtout en une analyse exacte de Harvey) et J. Béclard (Harvey, dans Confér. histor. de la Faculté de médecine de Paris; 1866, morceau oratoire qui embrasse en raccourci toute l'histoire de la circulation), mais sans que ni les uns ni les autres aient insisté sur la preuve générale essentielle contre Césalpin. — Je n'ai pu me procurer, ni dans les bibliothèques ni dans le commerce, les dissertations suivantes, qui sont indiquées par les bibliographies au chapitre de l'Histoire de la cir- culation : Th. Bartholin, De corde apud veteres; Hafniae, 1648 et 1668 dans ses Orationes. Bartholin a voulu s’arroger une part petite ou grande dans toutes les découvertes qui ont été faites de son temps. — Barthol. Graccus, Hippocratico- Galenico-neotericum..…. in quo ostenditur circul. sanquinis antiq. aeque ac recent. notam extitisse ; Mediol.,: 1707, in-8.— Laubmeyer, Praecognita circul, sang, apud veteres ante Harv. Regiom., 1799, in-8. — Ce n'est qu'à la dernière heure et au moment où je relis ces pages que m'arrive enfin, après plusieurs années de recherches et de démarches, un livre dont je ne connais pas un seul exemplaire à Paris et qui a pour auteur le docteur John Redman Coxe et pour titre: An in- quiry into the claims of W. Harvey to the discovery of the circulation of the blood, with a more equitable retrospect of that event. Philadelphia, 4834, in-8. Je ne regrelte ni ma peine ni mon argent; cependant, j'ai été singulièrement désappointé en voyant un si grand appareil de citations mis au service d’une cause insoutenable, à savoir, que de tous les anciens et les modernes, c’est Harvey qui à eu la plus petite part dans la découverte de la circulation! Conclusion tirée surtout, mais très-illogiquement, de la fausse notion que le physiologiste anglais avait de la com- munication des artères et des veines.—Il n’y a pas de raison de ranger parmi les historiens de la circulation Homobonus Piso, Aemilius Parisanus, Primerose ou tout autre, qui ont discuté dogmatiquement et non historiquement sur la non- existence de la circulation. Nous reviendrons plus loin sur ces auteurs. 586 DÉCOUVERTE DE LA CIRCULATION DU SANG. la moindre idée de la grande. Il n’y a pas un texte de Galien, pas une des dispositions anatomiques qu'il invoque ou plutôt qu'il imagine, qui ne soient un obstacle à la circulation. Toutes les voies sont occupées à autre chose, toutes les issues sont closes ou maladroitement ouvertes, tous les postes sont gardés, avec défense expresse, de par les causes finales, au sang de circuler ! semblerait, à voir les dénis de justice envers Harvey, qu’un grand homme tout entier, avec tout son génie, soit trop pour l’admiration des contemporains et de certains historiens; chacun cherche à effacer quelques-uns des rayons de sa gloire; mais la postérité, plus équitable, ne se trompe pas : Harvey, pour elle, sera toujours l’immortel Harvey! Le véritable inventeur est celui qui met définitivement le monde en pleine possession de connaissances et de faits dont on peut chaque jour et à volonté vérifier la réalité, exactitude. Ne confondons pas les œuvres du hasard, ou, si vous voulez, les œuvresdu savoir, mais d’un savoir inconscient, qui, trouvant quelques-uns des rouages d’une ma- chine, les laisse, ne sachant qu’en faire, à l’état d'isolement, — de grâce, Messieurs, ne les confondons pas avec les œuvres du génie qui cherche, découvre, rassemble, unit, relie toutes les pièces de la machine et la met en mouvement. Je ne prétends pas que le hasard ne mette quelquefois sur la bonne voie ; mais le hasard seul ne mêne pas loin. C’est le hasard qui montre les chylifères à Aselli, mais le hasard les laisse aux portes du foie. C'est le hasard aussi qui montre à Pecquet le réservoir du chyle, mais c’est la recherche expérimentale qui con- duit cet habile anatomiste jusqu’à la sous-clavière gauche, et qui lui permet de déposséder le foie de fonctions vingt fois séculaires. Lorsque l’on compare ce qu’on savait de la circulation avant 1698 et ce que Harvey nous en a appris, on reconnait bien vite chez Harvey l’œuvre du génie, et chez ses précurseurs les bonnes fortunes d’un savoir aveugle ou les inventions d’un savoir borné; on reconnaît ce que peut la méthode et ce que vaut l'en- tuition. On pourrait supposer (encore je ne suis pas certain que la supposition soit fondée) que, sans ces bonnes fortunes anté- cédentes, Harvey n'aurait pas fait sa découverte; du moins ce COMMENT LE SANG CIRCULE D'APRÈS LES MODERNES. 587 que j'ose affirmer, c’est que lui était en possession de la méthode qui découvre, et que ses devanciers ne l'avaient pas. Ce que j'ose affirmer encore, c’est qu’avant lui, personne, notez bien ce mot, personne, n’avait eu la notion du grand cercle : ni Vésale, qui avait fermé la cloison interventriculaire ouverte par Galien, ni Fabrice et ses émules, qui avaient vu les valvules des veines, ni Servet, ni Golumbo, ni même Césalpin, qui connaissaient en partie la petite circulation. Nous le prouverons tout à l'heure. Tâchons donc, Messieurs, de bien marquer ensemble pourquoi la découverte de la circulation a été si longtemps retardée, par quelle méthode elle a été faite, et comment elle a été jugée, ac- cueillie et définitivement triomphante. Pour fixer les limites de la discussion et montrer la distance qui sépare la doctrine ac- tuelle de la doctrine ancienne touchant la circulation du sang, déterminons nettement les deux points extrêmes; en d’autres termes, énumérons les principaux détails de la circulation har- véienne, — ils n’ont pas changé depuis 1628, — et rappelons les théories de Galien sur les mouvements du sang. Le cœur est composé de quatre cavités : deux charnues, qu’on nomme ventricules; deux membraneuses, qu’on appelle oreil- lettes. Ces cavités sont disposées de telle façon qu'il y a pour ainsi dire deux cœurs, l’un à droite, l’autre à gauche, composés chacun d’une oreillette qui forme létage supérieur, et d’un ventricule qui forme l’étage inférieur. Les ventricules commu- niquent de haut en bas avec les oreillettes, mais ni les oreillettes ni les ventricules ne communiquent latéralement (4). Le cœur gauche est destiné au sang artériel, le cœur droit au sang vei- neux. Prenons le cœur, et dans le cœur le ventricule gauche, comme point de départ du mouvement du sang. Ce liquide, lancé dans le tronc commun de toutes les artères du corps, je veux dire dans l'aorte, arrive dans l'intimité des tissus à l’extré- mité des plus petits ramuscules de l'arbre artériel; ces ramus- cules s’abouchent avec les plus petites radicules de l'arbre vei- neux, lesquelles, en se réunissant de proche en proche, forment (4) Chez le fœtus, les oreillettes communiquent largement entre elles par le trou dit de Botal; le canal artériel établit également une communication entre l'aorte et l'artère puimonaire, 588 DÉCOUVERTE DE LA CIRCULATION DU SANG. deux troncs volumineux, lun pour la partie supérieure du corps, l'autre pour la partie inférieure (veines caves). La veine cave inférieure passe à travers le foie. Toutes deux se rejoignent dans la poitrine, au niveau de l'oreillette droite du cœur, et versent dans cette cavité le sang qui revient de la périphérie au centre, chargé des résidus de la nutrition. De loreillette droite le sang passe dans le ventricule droit, d’où 1l est envoyé aux poumons par un vaisseau qui se ramifie dans le même sens que les artères (artère pulmonaire; pour les anciens, artère veineuse). À lex- trémité de ces ramifications, il est repris par d’autres vaisseaux dont les radicules, se réunissant de proche en proche dans l’in- térieur du poumon, à la manière des veines, le ramèênent par quatre troncs (veines pulmonaires; pour les anciens, veine ar- térieuse) dans l'oreillette gauche, laquelle le fait passer à son tour dans le ventricule gauche, où nous l'avons pris. Le sang arrive au poumon impur, noir et mort, pour ainsi parler, il en ressort purifié, rutilant et vivifié par le contact de l'air. La seule théorie complète qui nous soit arrivée de l'antiquité sur les fonctions du système vasculaire et sur la marche du sang est celle de Galien; elle est presque en tout point l'opposé de celle des modernes, et a été adoptée sans contestation, sauf pour la petite circulation, jusqu'à Harvey, c’est-à-dire jusqu’au xvu° siècle. Toutes les veines naissent du foie, toutes les artères naissent du cœur. Galien donne même plusieurs raisons anatomiques et physiologiques pour que les veines ne puissent pas venir d’ail- leurs que du foie. Par conséquent, il y a deux veines caves qui toutes deux partent du foie, l’une inférieure ou descendante, qui fournit jusqu'aux extrémités des orteils; l’autre supérieure ou ascendante, qui se ramifie Jusqu'au sommet de la tête; elle ne fait que toucher, comme à un dverticulum, à l'oreillette droite pour y verser le sang destiné à nourrir Je cœur et le pou- mon. Les veines contiennent le vrai sang, c'est-à-dire l'aliment, qui, arrivant du canal intestinal par les veines mésaraïques (1), (1) Lesquelles sont le siége d’un double courant, puisqu'elles amènent l'aliment au foie et qu’elles reçoivent pour la nourriture des organes digestifs1é sang pur que leur envoic le foie, MARCIIE DU SANG D'APRÈS GALIEN. 589 se rend au foie pour y subir la transsubstantiation, la coction ou hématose.: c’est le sang rouge foncé, humide, épais. Du foie, comme d’un réservoir central, et au moyen des branches des veines caves, le sang se répand, pour les nourrir, dans toutes les parties du corps. Le mouvement est communiqué au sang plutôt par les facultés attractives et sélectives des parties que par une vertu propre, ou par limpulsion que lui auraient donnée ces veines. Incessamment le sang veineux s’épuise, pour la nutri- tion, dans l'intimité des tissus, de celui du poumon (du moins en partie) aussi bien que du reste du corps, et incessamment il se renouvelle par l'alimentation. Voilà donc un premier courant, caractérisé par un va-et-vient perpétuel, et où il n’y a pas la moindre idée de circulation. Les artères, à leur tour, contiennent un peu de sang et beau- coup d’air. D'où leur viennent ce sang et cet air? Une partie du sang, qui arrive par la veine cave ascendante dans l’oreillette droite et de là dans le ventricule droit, est lancée dans le pou- mon (1), qui s’en nourrit (c’est ainsi « que le cœur récompense le poumon de l'air qu’il lui envoie »}, pénètre en petile quantité dans les veines pulmonaires (veines artérieuses), mais à travers leurs parois, car clless’abouchent avec les ramilications de la tra- chée, non avec celles de l'artère pulmonaire (2); l'autre partie se rend au ventricule gauche en traversant des pertuis que Galien a imaginés dans la cloison interventriculaire, et qui s'ouvrent en conséquence du ventricule droit dans le ventricule gauche; puis le peu de sang qui du poumon pénèlre dans les veines pul- monaires, lorsqu'elles ont envoyé le pneuma au cœur et ainsi opéré le vide, se mêle à l'air de la respiration; arrivantainsi spiritueux, subtil, ténu, il s’unit dans l’officine des esprits vitaux, c’est-à-dire dans le ventricule gauche, par l'intermédiaire de l'oreille gauche, à celui qui a filtré à travers la cloison interven- triculaire ; de là il est reçu dans l’aorte, où il est distribué dans (1) En raison de sa densité, l'artère pulmonaire ne laisse arriver au poumon qu'un sang déjà atténué par le cœur et en rapport avec la substance poreuse et lé- gere de ce viscère! Le ventricule droit profite aussi d'abord du sang de la veine cave pour se nourrir. | (2) Ce qui détruit même l'idée de la petite circulation, 590 DÉCOUVERTE DE LA CIRCULATION DU SANG. toutes les parties du corps. Galien est si éloigné même de la petite circulation, qu’il admet que les fuliginosités du cœur et un peu du vrai sang mêlé au pneuma refluent, pendant cer- tains mouvements du cœur et de la respiration, dans les veines pulmonaires, qui sont comme les cheminées du cœur. Ainsi il n'hésite pas plus ici que pour les veines mésaraïques à ad- mettre un double courant dans un même vaisseau ! Les autres sources auxquelles les artères vont puiser le sang et qui de nouveau écartent toute idée de cercle, ce sont précisé- ment les anastomoses des deux ordres de vaisseaux; par suite d’un chassé-croisé très-limité, les artères donnent un peu d’air aux veines, el en échange en reçoivent un peu de sang (1). Dans tout ce système si bien combiné, et où J’omets une foule de dé- tails, le cœur joue le rôle d’organe respiratoire. Voilà pourquoi le pouls et la respiration sont même chose pour Galien. Tel est le deuxième courant, également caractérisé, comme celui des veines, par un perpétuel mouvement de va-et-vient, et qui, sans les esprits qui animent et excitent les parties, ferait double emploi avec le courant veineux déjà chargé de leur nutri- tion. N’avez-vous pas, Messieurs, trouvé dans cette exposition de nouvelles preuves de l'impérieuse et détestable influence d'une mauvaise physiologie sur lanatomie, bien loin qu’une bonne anatomie puisse à elle seule réformer une mauvaise physiolo- gie (2). Pour le besoin du système, Galien, qui a bien vw la struc- ture du cœur, torture les dispositions anatomiques les plus évi- dentes, il en invente même : ainsi il ne tient presque pas compte de l’oreille droite; il fait partir les veines pulmonaires non du poumon, mais de l'oreille gauche; ces veines, il les fait s’anasto- moser directement avec les ramifications des bronches; enfin il traverse la cloison interventriculaire de nombreux pertuis. D'un autre côté, toute la science anatomique la plus exacte n’amène pas le moindre doute dans son esprit sur le thème que la tradi- tion lui a légué et sur lequel son imagination brode encore! (4) Attendu que certains organes réclament un sang plus épais et certains autres un sang plus ténu, plus spiritueux. (2) Voyez plus haut, p. 322 etsuiv, ORIGINES DE LA THÉORIE DE GALIEN. 591 Cette théorie si étrange, où les inconséquences et les impos- sibilités sautent aux veux, n’a point été formée de toutes pièces par le médecin de Pergame ; les divers éléments en sont disper- sés dans la suite des siècles, et je veux les rassembler ici pour que vous puissiez bien comprendre la succession des erreurs chez les anciens, et par conséquent les obstacles que la notion exacte de la circulation a dû rencontrer avant de se faire jour. La première découverte qui ait été faite dans la connaissance du système vasculaire, celle qui semble la plus facile, ne remonte ce- pendant pas très-haut; elle consiste en la distinction des deux ordres de vaisseaux, artères et veines. Platon, comme le remarque Galien, n'avait pas fait cette distinction, et, bien qu'il appelle si justement le cœur nœud des vaisseaux, 1 croit que tous les vaisseaux du corps sont de même nature et contiennent même substance. Diogène d’Apollonie, contemporain de Socrate, avait peut-être vw l'aorte et la veine cave, la jugulaire et la carotide, mais il ne les distinguait pas, eu égard à leur nature et à leurs fonctions : il croyait, en conséquence de son système général de physiologie, que tous les vaisseaux contiennent à la fois de l’air et du sang. On ne saurait pré- ciser ni à quelle époque les artères et les veines ont été dis- tinguées, ni quel physiologiste (1) s’est avisé de mettre le sang dans les veines et l’air dans les artères : première fausse notion qui est un premier obstacle à la découverte de la circula- tion, puisqu'il y a dès lors pour les plus anciens physiolo- gistes deux courants en sens contraire, celui du sang par les veines, et celui de l'air par les artères. Érasistrate a essayé de fortifier cette opinion touchant le contenu des artères et des veines, en y rattachant toute une théorie médicale sur l’inflam- mation, qu’il fait dépendre d’une extravasation du sang veineux dans les artères ; de sorte que la nature, en abouchant les artères aux veines par une multitude de vaisseaux capillaires, n'aurait eu d’auire but que de faciliter le développement d’une des ma- ladies les plus répandues, de celle qui fait partie intégrante de presque toutes les autres ! (1) Peut-être Démocrite (Fragm. 2 De agricultura, éd. Mullach) ; mais l’au- thenticité du passage est fort douteuse. 592 DÉCOUVERTE DE LA CIRCULATION DU SANG. Comment a pris naissance cette singulière opinion, que les artères contiennent de l'air ? Depuis Homère, l'air a été consi- déré comme le principe même de la vie, de sorte que de très- bonne heure on a cherché, soit à ouvrir des voies plus ou moins na- turelles, soit à se servir des voies déjà ouvertes pour la circulation de cet air. D’un autre côté, les premières disseclions, même les plus grossières, en établissant la distinction anatomique entre les artères et les veines, montrèrent une certaine analogie de structure entre la érachée-artère et le plus gros vaisseau du corps, l'aorte, entre les bronches et les artères de moindre calibre; on n’eut pas de peine non plus à constater que la trachée et les bronches sont les premiers canaux de Pair; on crut voir que trachée et bronches communiquaient à travers le tissu pulmo- naire avec le cœur au moyen des veines pulmonaires. Enfin toutes ces erreurs semblaient justifiées parce qu'après la mort les artères sont à peu près vides de sang. Un obstacle non moins grand à la découverte de la circula- lion, et qui parait s'être formé en même temps que naissait l’idée de la présence de l'air dans toute une moitié du système vascu- laire, c’est l’obstination des anciens à chercher aux vaisseaux une ou plusieurs origines, ce qui exclut toute idée de cercle, puisque, dans un cercle, il n'y a ni commencement ni fin. Après bien des tâtonnements, qu'Hippocrate et Aristote nous ont fait connaître, on assigna enfin le foie pour origine aux veines (1), etle cœur comme point de départ des artères ; de sorte que les deux courants devaient se diriger incessamment en sens con- traire, le sang et l'air partant de deux points à peu près opposés et ne se rencontrant plus qu’à la périphérie du corps. Ainsi le sang s'arrête d’une part au poumon, et de l’autre à toute la périphérie du corps ; il ne revient pas vers lui-même, il ne circule pas ; les deux courants veineux et artériels se diri- cent tous les deux vers la périphérie. Pour nous, les artères sont les canaux mêmes de la vie; ce sont elles qui transportent les matériaux de la nutrition du centre à la périphérie ; les veines (4) On comprend, du reste, comment le foie, qu'on à comparé à du sang coa- quié et que parcourent une multitude innombrable de vaisseaux, a pu être pris comme point d'origine des veines, VÊSALÉ, FABRICE, SERYET. 593 né sont que des votes de retour pour un sang appauvri, qui va reprendre dans le poumon ses qualités vivifiantes au contact de l'air. Au contraire, pour les anciens, les veines sont chargées de la nutrition, tandis que les artères n’ont qu’un rôle tout à fait secondaire. Galien n’a d'autre mérite que d’avoir détruit en partie l’er- reur d'Érasistrate, puisqu'il admet dans les artères beaucoup d’air et un peu de sang, et, dans les veines, beaucoup de sang et un peu d’air. « C’est ainsi, dit-il, que les choses se passent à l’état normal; mais quand une artère est ouverte, l'air s'échappe d’abord, puis, par suite de l'horreur du vide el en raison de la communication des veines avec les artères, le sang remplace l'air et s'échappe à flots. » A celte explication, que je n'ai pas besoin de qualifier, Galien ajoute trop d’autres erreurs pour que jamais la vraie critique puisse lui attribuer même le soup- con de la circulation. Cependant un fait, un seul fait que Galien observait chaque jour, donnait à tout son système le plus formel démenti : dans la saignée, les veines se gonflent au-dessous de la ligature pour le bras et la jambe, et au-dessus pour le cou. Comment donc expli- quer que le sang monte à travers les veines, du foie à la tête, et descende du foie aux parties inférieures? Ce fait, tous les médecins l'ont constaté ; Césalpin lui-même le remarque ex- pressément, et il n’en a pas conclu à la circulation. Le premier pas sérieux que l’on ait à signaler vers la décou- verte de la circulation, est celui qu'a fait Vésale en affirmant audacieusement que la cloison interventriculaire n’est pas per- cée ; mais Vésale continue à ignorer la circulation. — Le second est dù à Fabrice, ou mieux à plusieurs anatomistes ses prédéces- seurs immédiats ou ses contemporains, qui ont décrit les valvules des veines, ce qui est la grande preuve anatomique de la circulation; mais, comme le remarque M. Flourens, Fabrice a vu le fait et non la preuve ; jusqu'alors on ne s’avise pas d’étu- dier les mouvements du cœur; c’est seulement l'anatomie qui intervient, et elle cst stérile. Que Servet, vers 1553, ait indiqué én quelques phraseslaczrcu- DAREMRERG. 38 594 DÉCOUVERTE DE LA CIRCULATION DU SANG. lation pulmonaire ou petite circulation, cela est hors de toute contéstation : il dit que l'artère pulmonaire est unie intimement par ses ramifications avec la veine pulmonaire ; il affirme que du sang partant du ventricule droit revient par cette voie au ventri- cule gauche. Mais en même temps il croit, comme on le croyait avant lui, que les veines pulmonaires, siége d’un double cou- rant, servent aussi, pendant l'expiration, à purger le ventricule gauche des fuliginosités du sang ; il admet qu’il peut bien passer quelque chose à travers la cloison interventriculaire, et, sans s'expliquer sur ce quelque chose, il dit que ce ne peut pas être tout le sang destiné au ventricule gauche, sans doute parce qu’il y est trop abondant; il ajoute qu’il arrive trop de sang au poumon pour que ce sang soit uniquement employé à sa nourriture. — De la communication anastomotique des deux vaisseaux cardiaco- pulmonaires, il résulte que, contrairement à l'opinion de Galien, c’est à travers les anastomoses qu’arrive le sang, et à travers les parois que s'opère le passage de l'air destiné à alimenter l'esprit vital dans le ventricule gauche et les artères, et peut-être aussi le reflux des matières fuligineuses (1). Il ne faudrait pas non plus faire à Servet trop d'honneur de cette phrase : « Ce n’est pas le ventricule gauche, trop petit pour cela, mais le poumon, qui, par un long trajet, spéritualise le sang qui vient du ventricule droit et change sa couleur noire en couleur jaune. » En effet, notez bien ce point qui limite la découverte de la petite circulation, ce n’est pas fout le sang veineux qui passe par le poumon, mais seulement celui qui doit arriver au ventricule gauche pour concourir à la formation des esprits ; le surplus suit les routes que lui a ouvertes Galien. Le reste de la doctrine de Servet touchant la marche du sang dans le corps et la formation de l'esprit animal dans l’encéphale, est entière- ment galénique ou s'appuie sur de nouvelles erreurs. Or, c’est justement à propos de ces produits de son imagination qu’il s’é- crie : « Miraculum maximum est haec hominis compositio. » De sorte qu'entre Galien et Servet (quoique ce dernier la croie bien grande) la distance n’est pas si considérable qu’on le proclame. (4) Voy. p. 595. SERVET, 595 C'est bien Harvey seul qui a vu que out le sang veineux passe par le poumon pour revenir dans l'aorte. On sait que Servet a payé de sa vie sur un bûcher allumé par Calvin les propositions théologiques hétérodoxes qui se lisaient dans le fameux livre intitulé : Uhristianismi restitutio, où appa- rait pour la première fois une ébauche de la petite circulation. Il s'agissait en effet, dans cet ouvrage, de démontrer que, conformé- ment au texte de l'Écriture, l'âme est dans le sang ; que, soufflée par Dieu à travers la bouche et les narines, elle est allée se loger dans le ventricule gauche, pour de là prendre un second domicile au foie. C’est pour les besoins de cette belle démonstration que Servel a été amené à parler de l’arrivée du sang et de l’air dans le cœur ; ainsi, à ses hérésies religieuses il ajoutait une hérésie mé- dicale ; car, tout incomplète qu’elle se montre dans l'ouvrage de Servet, la petite circulation devait passer, aux yeux de beaucoup de médecins, pour une véritable hérésie. D’où lui est venue cette connaissance € inouie » jusqu'alors ? Certainement de trois choses dont on peut supposer l'ordre de succession d’après l'ordre même de l'exposition : 1l a vw, cela ne parait guère douteux, en ouvrant des animaux vivants (car les vivisections étaient alors fort à la mode), il a vu la marche et l'agitation du sang à travers « le long circuit » des poumons, lesquels sont toujours en mouvement; — la démonstration anatomique est fournie ensuite par les anasto- moses des deux ordres de vaisseaux cardiaco-pulinonaires; — puis le raisonnement, s’ajoutant à l’observation, apporte la confirma- tion du tout : ce raisonnement, c’est que l'artère pulmonaire est trop volumineuse et envoie trop de sang pour n'être que la nour- rice des poumons, car, de cette façon, le cœur ne serait plus sous la dépendance des poumons (1) ! J'espère ne pas me laisser abu- ser par un système historique préconçu, en ne trouvant, pas plus actuellement pour Servet que je ne le trouverai tout à l'heure pour Harvey, une influence première, immédiate, directe, in- contestable de l'anatomie pour la réforme de la physiologie; c’est (4) Galien pensait bien aussi qu'il arrive dans l'aorte du sang à travers les pou« mons; seulement, il n’en admettait pas autant et il ne le faisait pas arriver de la même manière: 596 DÉCOUVERTE DE LA CIRCULATION DÜ SANË. presque toujours l'observation des phénomènes qui précède la ré- forme de la physiologie et subsidiairement celle de l'anatomie (1). (4) Voici en entier le passage de Servet : « L'esprit vital a son origine dans le ventricule gauche du cœur, et ce sont les poumons qui contribuent le plus à sa géné- ration. C’est un esprit ténu, élaboré par la force de la chaleur, jaunâtre, d’une puis- sance ignée ; c'est comme la vapeur transparente du sangle plus pur, laquelle contient ensoi la substance de l’eau, de l’air et du feu. Ilest produit par le mélange, dans les poumons, de l'air inspiré avec le sang subtilement élaboré que le ventricule droit du cœur communique au ventricule gauche. Mais cette communication ne se fait pas [entièrement], comme on le croit communément [et comme Galien l'avait ima- giné], à travers la cloison du cœur. Par un artifice admirable, le sang subtil, partant du ventricule droit du cœur, est mis en mouvement en passant par les poumons; il y est préparé et prend une couleur jaune, puis la veine artérieuse le transmet à l’ar- tère veineuse; dans cette dernière artère, il se méle à l’air inspiré, et, par l'expi- ration, il est purifié de matières fuligineuses. Enfin, tout le mélange est attiré par diastole du ventricule gauche du cœur, préparation convenable pour la production de l'esprit vital. — Que la communication et la préparation se fassent ainsi par les poumons, on en a la preuve dans les conjonctions diverses (anastomoses) et la com- munication de la veine artéricuse avec l'artère veineuse dans les poumons. Le fait est confirmé d’abord par le volume remarquable de la veine artérieuse; elle n'aurait pas été créée aussi ample et n’enverrait pas en si grande abondance du cœur aux pou- mons le sang le plus pur seulement pour leur nourriture, et de cette façon le cœur ne serait plus le serviteur des poumons ; puis, ce fait surtout établi si l’on considère que, dans l'embryon, les poumons tirent d’ailleurs leur subsistance, car les mem- branules ou valvules du cœur ne s'ouvrent qu'après la naissance, ainsi que l'enseigne Galien. C’est donc pour un autre usage qu'au moment de la naissance le sang s’é- panche si abondamment du cœur dans les poumons. Puis, ce n’est pas un air pur, mais un air mélangé de sang que les poumons envoient au cœur par l'artère vei- peuse : donc le mélange se fait dans les poumons. C’est des poumons, non du cœur, que le sang spiritueux reçoit cette couleur jaune. I n'y a pas, dans le ventricule gauche du cœur, place pour un mélange si grand et si abondant, et l'élaboration de la couleur jaune n'y serait pas suffisante. Enfin, la cloison interventriculaire, n'ayant ni vaisseaux ni facultés, n'est point apte à celte communication et à cette élaboration, quoiqu'elle puisse cependant laisser transsuder quelque chose. Ainsi que dans le foie se fait la transfusion de la veine porte à la veine cave, en vue du sang, par le même artifice se produit dans le poumon, ex vue de l'air, la transfusion de la veine artérieuse dans l'artère veineuse. Si l’on compare ce que je viens de dire avec ce que Galien écrit, dans les livres VI et VII De l'usage des parties, on res- tera convaincu que Galien était dans l'erreur. » — Servet regarde les capillaires comme une espèce particulière de vaisseaux, et il pense que les nerfs sont canali- culés pour s’anastomoser avec les artères et en recevoir l'esprit; puis, aux erreurs de Galien il ajoute de nouvelles erreurs, comme M. Flourens lui-même le remarque, COLUMBUS, CÉSALPIN. 597 Quelques années plus tard, en 1559, Realdus Columbus (1) écrit: « Le sang ne passe pas à travers la cloison interventricu- laire, mais il est porté du ventricule droit au poumon où il est atténué (mnèlé avec l'air); de là, il est entrainé avec l’air dans le ventricule gauche par les anastomoses établies entre les ar- tères pulmonaires et les veines pulmonaires. » Colombus s’attribue formellement le mérite de cette découverte, dont personne, sui- vant lui, n'avait encore parlé (2). Il est vraiment bien étrange de voir deux auteurs contempo- rains arriver, sans se copier, au même résultat, et trouver la moitié d’une même vérité (3) en cherchant à démontrer la même erreur, c’est-à-dire la formation de l'esprit vital! Mais, sans preuve positive, comment admettre le plagiat? Voici, du reste, un troisième auteur, Césalpin (4), en faveur duquel on vient revendiquer non-seulement la circulation pul- monaire, mais la circulation générale; cet auteur ne cite non plus ni Servet ni Columbus. À propos de Césalpin, je me sépare de la plupart des historiens de la circulation, de M. Flourens en particulier. Césalpin a décrit l4 petite circulation, et même il a trouvé le mot cérculatio, cela est certain; mais il n’a pas conau (4) De re anatomica, lib. VIT, p. 177, éd. de 14559, in-f°, (2) « Arteriam venalem (veine pulmonaire) factam esse ut sanguinem cum aere mixtum a pulmonibus afferat ad sinistrum cordis ventriculum. Quod tam verum est quam quod verissimum; #am non modo si cadavera inspicis, sed si viva etiam animalia, hance arteriam in omnibus sanguine refertam invenies, quod nullo pacto eveniret si ob acrem duntaxat et vapores constructa fuisset. »— P,178, et p. 179 il s'insurge contre ceux qui jurent sur les livres de Galien comme sur les Évan- giles. (3) Pour la petite circulation, Colombus dépasse Servet ; il rejette la communica- tion interventriculaire, Il sait de plus, comme plus tard Harvey l'a établi, que le cœur et les artères se dilatent ct se resserrent dans un ordre inverse ; que le cœur s’é- lève et semble se dilater pendant la diastole; puisqu’enfin il ajoute, ce qui doit lui assurer une grande place dans notre histoire, que les vivisections en apprennent pluÿ en un jour que trois mois de lecture des livres de Galien. (4) A propos de Césalpin, j'ai trouvé, dans un volume qui m'apparlient et qui porte la signature de ce célèbre médecin philosophe, une preuve curieuse de la dépendance où l'Église tenait encore les savants à la fin du xvr° siècle : « Concedi- tur licentia D. Andreae Cisalpini artis medicae doctori tenendi et legendi hunce 598 DÉCOUVERTE DE LA CIRCULATION DU SANG. la grande circulation (1), cela ne me semble pas moins certain. Cherchons d’abord les preuves de cette assertion dans la doc- trine générale de Césalpin sur la structure et les usages du cœur. Césalpin est péripatéticien, et en cette qualité il soutient avec son maître Aristote que tous les vaisseaux, veines et ar- tères, viennent du cœur et que les nerfs en viennent aussi, Opi- nions vivement combattues par Galien. Par conséquent, tout ce que nous trouvons de bon ou de mauvais dans notre auteur tou- chant les mouvements du sang vient du désir de démontrer non pas une thèse physiologique, mais plutôt une thèse philoso- phique : la parfaite vérité des assertions d’Aristote. Sans doute, un texte isolé peut donner le change; mais l’ensemble des pas- sages où Césalpin parle du sang ne peut laisser aucun doute sur l'ignorance où il était de la grande circulation. J'ai cru, Messieurs, qu’il n’y avait rien de mieux que de traduire ces pas- sages et de les mettre sous vos veux : « Il ressort (2), de ce que nous avons dit, que le cœur est le principe non-seulement des veines [comme des artères], mais aussi des nerfs, Ce sentiment a été combattu surtout par Galien autant par des injures que par des raisonnements. Il pensait, en effet, avec Platon, que l’âme avait un triple principat distingué par les facultés et par les lieux; il a donc placé dans le foie, qu’il regarde comme le principe du sang et des veines, la faculté nourricière qui distribue l'aliment à tout le corps; il a voulu établir dans le cerveau la faculté sensitive et celles qui regardent la con- naissance et le mouvement : c’est ce qu'il appelle la faculté animale; en conséquence, il regarde le cerveau comme le principe des nerfs, attendu que le sentiment et le mouvement se font par eux. Mais comme il ne restait aucune partie de l’âme qui ne fût pas comprise dans ces deux fa- cultés, et afin d’assigner au cœur un principat quelconque, il imagina la faculté vitale dont l'office serait de régler les pulsations du cœur et des artères, Comme si la vie n'était pas surtout une opération de l'âme nour- ricière. » librum. Romae, die 45 Martii 4595. » Signé : F' P. Jo®S Saragosa ME et socius Rmi Magri sacri palatii, — Or, ce livre n’est autre chose qu'une suite de figures de plantes, de Dioscoride, avec les noms grecs, latins, allemands (/x Dioscoridis Historiam herbarum certissima adaptatio, cum earumdem iconum nomenclaturis, etc. Argentorati, 4543, in-f°}; volume, du reste, aussi rare que précieux. (4) Voyez p. 599 et suiv. (2) Quaestiones peripat., V, 3; Venet., 14593, in-4, p. 446 vo. CÉSALPIN. 599 Après avoir rappelé les principaux arguments à l’aide desquels Galien s'efforce de prouver que le foie est l’organe de la sangui- fication, Césalpin continue : « Galien (1) prétend que le sang arrive à un état parfait, après sa pré- paration par le foie, de façon à pouvoir nourrir le foie lui-même ; quant à nous,nous accordons qu'il se fait là le genre d’aliment appelé auctivum par Aristote, mais non celui qu’on nomme nutritivum, et qui donne l'être. De plus, nous avons démontré, d’après Aristote, que cette préparation se faisait non-seulement dans le foie, maïs encore dans toutes les veines, Donc le foie aide la coction en embrassant les veines dans sa masse, car c’est ainsi qu'il conserve plus longtemps la chaleur qui lui vient du cœur, chaleur par laquelle se fait toute coction (cf. p. 603). Nous accordons aussi que la nature a formé un vaisseau spécial pour recevoir le sang nutritif arrivé à coction : c’est l'artère aorte ; mais il n’est pas nécessaire qu'elle retourne du cœur à la veine cave; celle-ci, en effet, contient l'aliment auctivoum, lequel se perfectionne à cause de sa continuité avec le cœurl» Ainsi du cœur part une paire de vaisseaux, la veine cave et l'aorte. Le sang auctivus formé par les aliments monte par la veine cave au cœur, s’y transforme en sang nutritivus, et de là . descend aux parties par l'aorte, Mais à la périphérie les deux sangs ne se continuentpas, ne vont pas d’un vaisseau à l’autre, restent isolés chacun dans ses conduits; en un mot le sang ne circule pas. Est-ce clair ? et peut-on nier plus formellement la circulation générale ? On ne manquera pas de m'’objecter triomphalement cette phrase du traité Des plantes (A) : « Nous voyons que, dans les animaux, l'aliment est conduit par les veines au cœur, comme à l’officine de la chaleur, et qu'après y avoir reçu la dernière per- fection il est distribué dans tout le corps, par le moyen des ar- tères, sous l’action de l'esprit, qui est engendré dans le cœur du même aliment. » On ajoutera même (ici je copie M. Flou- rens) : « Césalpin va plus loin encore; il lie d’un trait rapide les deux phénomènes ensemble : la cèrculation pulmonaire et la circulation générale. La disposition du cœur est telle, dit Gésal- (1) Quaest, perip., p. 119. (2) De Plantis, 1, 2; Florent., 1583, p. 3. 600 DÉCOUVERTE DE LA CIRCULATION DU SANG. pin, que le sang passe nécessairement de la veine cave dans le ventricule droit, du ventricule droit dans le poumon, du poumon dans le ventricule gauche, du ventricule gauche dans laorte; de sorte donc qu’il y a un mouvement perpétuel de la veine cave par le cœur, et par les poumons dans l'aorte. Tous ces passages sont admirables, surtout le dernier. » Quelque admirables que soient ces passages, j'y vois bien la circulation pulmonaire que tout le monde à celte époque découvrait; mais le ait qui réu- nit les deux circulations est en effet s? rapide qu'il échappe à mes regards. Je vois que le sang va de la veine cave au cœur, puis aux poumons, puis dans l’aorle; mais je ne vois pas plus ici que dans le texte du traité Des plantes, qu’il revienne des ar- tères dans la veine cave; il ne manque que cela pour que les deux circulations soient liées, mais cela manque absolument. La preuve, je la tire de cette page 234 des Questions médicales (iv. IE, chap. xvn), à laquelle M. Flourens nous renvoie. Écoutez, Messieurs, et je vous laisse juges : « I serait curieux de rechercher pourquoi les veines liées se gonflent au-dessous de la ligature, non au-dessus (1) ; ce que l’expérience apprend aux personnes qui saignent. Mais il aurait dû en être autrement si le mouvement du sang et de l'esprit se fait des viscères dans tout le corps (2); car, le passage étant intercepté, ce mouvement est arrêté : le gonflement des veines aurait donc dû se montrer au-dessus du lien. Aristote résout-il la difficulté en disant (De somn., chap. 111) : « Ce qui est évaporé doit être poussé quelque part, puisrevenir sur lui-même, commele flux et le reflux del’Euripe; la nature de la chaleur animale est d'être portée vers les parties supérieures, d’où elle redescend vers le bas, » Ainsi parle Aristote. Pour expliquer ce passage — il faut savoir que la nature a préparé les conduits du cœur de façon que l’intromission se fasse par la veine cave, dans le ventricule droit, où s'ouvre l'issue vers le poumon; qu'il y a, en outre, par le poumon, une autre entrée dans le ventricule gauche du cœur, où s'ouvre également une issue vers l'artère aorte, le retour étant fermé par des membranes placées aux embouchures des vaisseaux. Il y a ainsi une sorte de mouvement perpétuel de la veine cave par le cœur et les poumons dans l'artère aorte — (3), ainsi que nous l’avons expliqué dans (4) Il s’agit, bien entendu, du bras ou du pied, non du col. (2) C'est-à-dire si le sang veineux part du centre ou du cœur pour se rendre à la périphérie. Voyez p. 599. (3) C’est le texte cité plus haut par M. Flourens. CÉSALPIN. 601 les Questions péripatéticiennes (1). Mais comme dans la veille le mouvement de la chaleur naturelle se fait au dehors, c'est-à-dire vers les organes des sens, et dans le sommeil au dedans, c'est-à-dire vers le cœur, on en con- clura que dans la veille l'esprit et le sang se portent en abondance aux artères; c'est, en effet, le chemin vers les nerfs (2), tandis que dans le sommeil la chaleur retourne au cœur par les veines, non par les artères ; en effet, l'entrée naturelle dans le cœur se fait par la veine cave, non par l'artère (3). Dans le sommeil, la chaleur naturelle se porte moins vers les artères ; au réveil, elle s’y précipite avec véhémence. Il n’en est pas de même des veines, car elles sont plus gonflées pendant le sommeil que pendant la veille, ainsi qu'on le voit par les veines des mains. Dans le sommeil, en effet, la chaleur naturelle passe des artères dans les veines par la communication que l’on nomme anastomose, et des veines au cœur (4). Mais, de même que l'ascension (exundatio) du sang vers les parties supérieures et son retour vers les parties inférieures, en forme de flux et de reflux (5), sont manifestes dans le sommeil et dans la veille, ainsi ce mouvement ne l’est pas moins dans toute partie du corps où, soit une ligature, soit toute autre manière de clore les veines sera mise en usage. Lorsque l’écoule- ment est arrôté, les ruisseaux se gonflent là où ils coulent habituelle- ment. Peut-être alors le sang retourne-t-il à son principe pour ne pas périr par l'intersection (6). » Non-seulement, Messieurs, il n’y a pas trace en ce passage de la circulation générale (7), mais à chaque ligne se dresse un obstacle à celte circulation. C'est toujours lantique flux et reflux dans les veines d’un côté et dans les artères de Pautre. Voilà Césalpin mis hors de cause pour la grande circulation. CAVE pe 42500 (2) Vis motiva, quae nervis perficit suos motus, in corde est. Ibidem et appetitus inest, unde est principium motus (Aristot.)..... Ex quibus est manifestum primum sensorium cor esse. Quaest. porip., V, 3, p. 116. Voyez aussi V, 6. (3) On trouvera plus loin le commentaire de cette phrase, (4j C’est donc la chaleur vitale et non le sang qui passe des artères dans les veines. (5) Voyez p. 603-604. (6) Ce chapitre a été écrit pour prouver que, dans l’angine, /a suffocation ne suit pas toujours l’interception des veines, mais l’interception de celles qui se por- tent vers la tête, à cause de leur excellence et de leur grandeur. (7) Pas plus qu'on n'en trouve dans Galien lorsqu'il dit que, durant le sommeil, il se fait par les anastom. ses un petit échange de sang et d’air entre les veines ct les artères, car on cherchait tous les expédients pour remplir les artères.— Voy. dans Janus, t. I,p. 547, une réponse, mais insuffisante, de Steinheim contre les reven- dications élevées par Chimenz en faveur de Césalpin contre Harvey. Éd pa” SALE MAL. Li LV get 602 DÉCOUVERTE DE LA CIRCULATION DU SANG. Je le trouve encore fort en défaut pour la petite, puisqu’en un passage (1) où il parle de cette circulation, il laisse persister deux monstrueuses erreurs galéniques, le double courant dans la veine pulmonaire et le passage d’une certaine quantité de sang à travers la cloison interventriculaire. Après une vigoureuse sortie, mais appuyée seulement par des raisonnements plus ou moins subtils, contre la théorie de Galien touchant les mouvements du poumon, du cœur et des artères, Césalpin poursuit : « La nature (2) a déployé toute son industrie en donnant des poumons aux animaux terrestres, et des branchies aux animaux aquatiques, afin de modérer la chaleur du sang sans nuire au cœur. Elle a entouré le cœur pour sa défense, comme d’une capsule, de la membrane du péri- carde ; puis attirant vers les poumons ou les bronches le sang chaud et le restituant ensuite au cœur, elle l’a refroidi dans ce trajet, par le contact de l'air froid ou de l’eau. Le poumon donc, puisant au ventri- cule droit du cœur, par une veine semblable aux artères, un sang bouil- lonnant, et le rendant par anastomose à l’artère veineuse qui se dirige vers le ventricule gauche du cœur, faisant circuler l’air froid par les canaux de la trachée-artère, lesquels s'étendent le long de l'artère vei- neuse, sans cependant communiquer avec elle, comme le pensait Galien, le tempère par ce contact. La dissection confirme cette circulation (cércu- latio) du sang qui part du ventricule droit du cœur, et par les poumons retourne au ventricule gauche (3). « Le vaisseau du ventricule droit bat (pulsat) dans le poumon, car il re- coit quelque chose du cœur droit comme la grande artère reçoit égale- ment du cœur gauche, et sa substance est de même nature. Mais le vais- seau du ventricule gauche n’a point de pulsations, parce que son office est seulement d'introduire, et sa substance est semblable à celle des autres veines. I n’y a que deux membranes à son embouchure, et non trois, parce que le mouvement contraire n’était pas là aussi dangereux, et pouvait même devenir utile, ce mouvement se faisant vers l’endroil de la réfrigération (4). Tout est donc dans un ordre admirable : en effet, (4) Quaest. perip., V, 4, p. 425 et suiv. (2) Quaest. perip., V, 4, p. 425 vo. (3) Après cela, vient une discussion sur le nom qu'on doit donner aux vaisseaux cardiaco-pulmonaires et sur leur structure. (4) Encore la consécration de l’erreur qui donne deux courants à la veine pulmo- naire, Vun pour l’arrivée du sang et de l'air, l’autre pour la sortie des fuligino- sités, CÉSALPIN. 603 comme le sang doit s’échauffer dans le cœur pour devenir un aliment parfait, ilest transmis d’abord dans le ventricule droit, qui contient un sang encore plus épais, puis dans le gauche, où le sang est déjà plus pur; ensuite, pour la réfrigération, il est envoyé du ventricule droit au gau- che, partie par la cloison médiane (cloison interventriculaire) (4), partie à travers les poumons. Le poumon trouve ainsi une nourriture suffisante : mais on ne peut admettre qu'il consomme tout le sang qu'il reçoit; sa substance, en effet, ne serait pas, comme nous la voyons, rare et légère si elle s’assimilait une si grande quantité d'aliment ! » En somme, de tous les précurseurs de Harvey, Césalpin est le moins compromettant pour sa gloire, Puis, la justice commande de remarquer encore que, d’après la théorie de Césalpin, une partie du sang auctivus passe rès-positivement par la cloison médiane pour devenir dans le cœur gauche sang zutrilivus, ou du moins pour s’y mêler avec ce sang, de sorte que la petite circu- lation serait chez lui plus défectueuse que chez Servet. Nous savons à présent ce que Césalpin ne connaissait pas ou connaissait mal; il reste à indiquer maintenant comment il con- cevait les mouvements du sang. Nous trouvons ces renseigne- ments au chapitre 111 du livre V des Questions péripatéticiennes : Il v a deux sortes d’aliment : le nwtritif (nutriens), celui qui entretient ja vie, qui a la vertu plastique, et l’'augmentatif (au- gens), celui qui fournit pour ainsi dire la matière première, mais qui, par lui-même, n’est pas propre à la nutrition; à ces deux aliments correspondent deux ordres de vaisseaux. L’aliment auc- tivum ou augens est fourni par les organes digestifs, où il est déjà un peu cuit par l’action que le cœur exerce encore sur leurs vaisseaux ; de ces organes il arrive au foie, mais sans s’y épan- cher, et de là aux veines caves. La coction s'opère peu à peu de la manière suivante, qui est aussi une espèce de demi-cireulation: la chaleur du cœur commence l'opération dans l'estomac, en- suite,se servant comme de racines des veines qui partent du tube digestif, elle accompagne de proche en proche l'aliment aucti- vu jusqu’à la source de la chaleur, c’est-à-dire jusqu’au cœur. (4) Voilà qui compromet singulièrement la théorie de la petite circulation et qui est un recul par rapport à Servet, surtout par rapport à Columbus, sans comp- ter que Césalpin oublie à ce sujet la polémique de Vésale contre Galien, 604 DÉCOUVERTE DE LA CIRCULATION DU SANG. Plus le sang monte, plus il se perfectionne, et c’est dans le cœur qu'il reçoit sa dernière façon avant de pénétrer dans l'aorte, d’où il se répand dans tout le corps pour le nourrir. Voy. p. 117 v°. Dans tout cela, rien qui ressemble à notre circulation; le sang qui est dans les veines n’est pas le détrilus de celui qui a servi à la nutrition el qui passe des artères dans les veines : ce sang est le produit de la digestion; il est déjà un aliment, loin d’être une décomposition; incessamment fourni par les substances alimen- taires, il vient incessamment se perfectionner dans le cœur avant de passer dans l'aorte. Il y a bien une partie de cercle, mais non pas un cercle complet, puisqu'il n’y a pas reprise des matériaux d’un système vasculaire par l’autre système; la dépendance qui existe au centre, c’est-à-dire au cœur, n’existe pas à la périphé- rie. La phrase du traité De plantis ne dit rien de plus; il suffit de l’encadrer comme il convient et ne pas la laisser sans son commentaire naturel. Je n'ai pas besoin d’insister maintenant sur les erreurs anato- miques qui sont communes à Césalpin et à Aristote (1), ni sur les lacunes de sa théorie; la cause me paraît gagnée compléte- ment contre la dialectique, la physiologie et même l’anatomie du célèbre péripatéticien. Voici Harvey ! Comme au jour de la création, le chaos se débrouille, la lumière se sépare des ténèbres. Harvey regarde longtemps, et il finit par voir, il cherche avec patience, et il finit par trouver; il fait peu d'expériences, mais elles sont déci- sives; il use des raisonnements, mais ils sont concluants. y à deux parties dans l’Exercitatio anatomica de motu cor- dis et sanguinis circulatione (2) : détruire les erreurs anciennes, édifier les vérités nouvelles; la première partie est renfermée (1) Par excmple, l'existence d'un ventricule médian, très-petit, et qui est logé dans la cloison à gauche. (2) On ne parle ici que de la première Exercilatio, car les deux autres sont diri- gées contre Riolan, L'édition princeps de la première Exercitatio est de Francfort, 1628 ; mais, depuis neuf ans et plus, Harvey avait démontré la circulation devant les membres du Collége des médecins de Londres; il semble même qu'il l'ait enseignée encore plus tôt dans ses leçons d'anatomie. (Voyez la Préface à Ar- gent.) HARVET. 605 presque tout entière dans le Proloque, la seconde forme le livre lui-même. C'est là l’ordre des matières dans l'Exercitatio, mais ce n’est pas l’ordre des recherches. La première phrase du livre prouve que les objections faites à l’ancienne doctrine ont suivi et non pas précédé les expériences. Après avoir lu le Proloque, on ne peut se défendre de cette réflexion, que tous les argu- ments de Harvey n'auraient jamais pu suffire à ébranler l’auto- rité de Galien et à créer une doctrine nouvelle; mais, quand on est arrivé à la fin de la seconde partie, on ne peut que s’écrier avec l’auteur lui même : « Voilà qui est aussi clair que le jour. » En matière de science, les meilleurs raisonnements (et ceux de Harvey étaient justes d'ordinaire) ne sauraient égaler la force démonsiralive de bonnes expériences ou de faits bien observés. C'est ainsi qu'ap:ès la découverte de Harvey les plus beaux rai- sonnements n’ontpas réussinon plus à empêcher le sang de cir- culer, et les adversaires de la circulation ont même si bien com- pris la valeur des expériences qu'ils n’en ont presque pas parlé. Voici quelques réflexions tirées de la dédicace de Harvey à Argent, président du Collége des médecins de Londres, ré- flexions qui prouvent à la fois la candeur et l’élévation de ce orand esprit, qui a pris tant et de si délicates précautions pour arriver à la vérité. ILa voulu d’abord protéger sa découverte contre les objections des savants, en la confirmant devant les membres du Collége par des expériences et des dissections avant de la mettre au grand jour, quoiqu’on le lui demandät depuis longtemps. Son livre est le seul (et il a raison de le dire) où l'on ait tracé une nouvelle route au sang et où l’on ait montré qu’i/ revient sur lui-même. C’eût été une marque d'arrogance de se mettre ainsi en opposi- tion avec les plus doctes et les plus habiles de l'antiquité et des temps modernes si l’on n'avait pas eu l’appui d’une assemblée aussi éminente que l’est celle des médecins de Londres. Har- vey compte sur les vrais amis de la philosophie, qui ne peuvent qu'être les amis de ja vérité... Quel esprit assez étroit (ques tam angusti anima) pour croire que la science et l’art de la médecine nous sont arrivés si parfaits par la tradition qu’il ne reste rien à 606 DÉCOUVERTE DE LA CIRCULATION DU SANG. faire, ni à l’habileté ni aux soins du temps présent? Mais la part que nous ignorons é6st plus grande que celle que nous savons ce n’est pas la peine de se faire philosophe pour abdiquer lin- dépendance de son esprit, et jurer aveuglément par les anciens. Qui serait assez stupide, assez insensé pour nier la lumière du jour en plein midi, c'est-à-dire le progrès constant des sciences? L’anatomie et la physiologie s’apprennent non dans les livres, mais par les dissections et par les expériences, non d’après les opinions des philosophes, mais d’après l'observation de lorga- nisme. Sans rien retrancher du mérite des anciens, sans vouloir entrer en lice avec ses maîtres en anatomie, Harvey ne cherche que la vérité; c’est à cela qu’il a consacré tous ses efforts, qu’il a consommé toute son huile. Ce qu'il souhaite, c’est d’être agréable aux honnêtes gens, favorablement accueilli par les savants, utile, enfin, à la république des lettres. Jamais auteur n’a pris plus de précautions pour mettre sa personne et son livre à l'abri de tout reproche de précipitation, d’irrévérence, d’ingratitude, de légèreté ou de malveillance, ni apporté plus de soin à multiplier et à établir ses preuves. Pourquoi faut-il qu’une ombre vienne s'étendre sur un coin de ce tableau? Harvey sait bien qu'on découvrira encore beau- coup de choses; mais ce qu'il a trouvé doit suffire pour le mo- ment, le reste viendra après lui (4). Il dirait volontiers, comme plus tard Fontenelle : « Ges inventions sont trop jeunes, et moi je suis trop vieux pour que je puisse leur faire ma cour. » Le fait est que Harvey n’a rien compris à la découverte d’Aselli (2), contre laquelle 1l manifeste sa mauvaise humeur, et qu'il se montre des plus injustes contre celle de Pecquet (3), « qui n’est pas suffisamment établie, et qu'il n’a pas le temps d’examiner, soit en raison de son âge, soit faute de liberté d’esprit à cause des troubles qui agitent l'Angleterre. » Cependant, comment entendre le cours circulaire du sang si l’on n’a pas le moyen, (4) Voy. les deux Lettres à Horstius, 4654-55, (2) Voy. les lettres précitées et Exercit, II ad Riolanum: (3) Lettre & Morison, 1652. — Il aftaque Pecquet par des raisonnements de inème force que ceux qu’on à opposés à la circulation, Voilà bien les imperfections de l'esprit humain, HARVEY, 607 en se passant du foie, d'alimenter ce liquide par un apport conti- nuel dans des vaisseaux spéciaux ? Les modernes ont ajouté plusieurs preuves à ceiles que Har- vey a données de la circulation, mais on n’a détruit aucune des siennes. Ses expériences et les conclusions qu'il en à tirées pour établir que tout le sang passe incessamment par le poumon pour aller d'un ventricule à l’autre, et que tout ce qui reste du sang contenu dans je système artériel, après avoir servi à la nutrition, est repris par le système veineux pour être ramené au cœur, afin de se purifier et de redevenir propre à entretenir la vie dans l'organisme, ses expériences, dis-je, et ses conclusions ont été rap- portées dans presque toutes les histoires de la circulation; on les trouvera particulièrement, en France, dans les monographies de Bérard, Béclard et Flourens. Je ne les reproduirai donc pas, préférant insister sur quelques points particuliers. La distribution du livre de Harvey ne laisse aucun duute sur la voie qu'il a suivie pour arriver à la circulation. De très-bonne heure, il avait demandé non pas aux livres (non per libros alio- rumque Scripta), mais à l'observation personnelle (per auto- psiam), Sur des animaux vivants qu’il avait la grande habitude de disséquer, de lui faire connaître comment se meut le cœur et quelles utilités ont ses mouvements. C’est la physiologie en ac- tion qui le guide, ce n’est pas lanatomie morte qui lui révéle aucun de ces mystères. Il lui semble d'abord, ainsi qu’à Fracastor, que les mouvements du cœur sont connus de Dieu seul, tant ils se succèdent avec rapidité et paraissent se mêler comme les éclats de la foudre. Cependant, usant chaque jour de plus de soin, multi- pliant les recherches, variant les animaux, confrontant les ob- servalions, 1l finit par atteindre le but; 1l sort triomphant de ce labyrinthe ; il a distingué la systole, la diastole et le repos! Voilà, Messieurs, comment se font les grandes découvertes; la patience est le premier instrument du génie. Une fois maître de son sajet, Harvey fait des 6bservations de plus en plus délicates : il remarque (ce que déjà Golumbo avait de son côlé entrevu) que, pendant la contraction (systole), le cœur semble se contourner en spirale (quasi sese leviter contorqueré); 12 ‘es 2 F# 608 DÉCOUVERTE DE LA CIRCULATION DU SANG. que, dans cette espèce d’érection, durant laquelle il diminué de largeur et s’allonge, il s'élève en pointe et vient frapper la poitrine; qu'il se durcit à la manière des muscles lorsqu'ils entrent en action, qu'il blanchit, tandis qu’au repos il reprend sa couleur naturelle. Au moment de la systole, ce ne sont pas seulement les fibres droites qui concourent, mais tout le système des petits muscles intra-ventriculaires (colonnes charnues). La contraction du cœur coïncide avec la dilatation des artères, qui reçoivent le sang comme les outres dans lesquelles on verse de l’eau, et non pas comme des soufflets qui aspirent et s'étendent quand le cœur est lui-même en diastole. Cela est juste la vérité, et juste le contraire de l’opinion ancienne; cette proposition est confirmée par quelques expériences sur le pouls et sur le jet du sang des artères ou de la veine artérieuse ouverte au moment de la contraction du ventricule gauche ou du ventricule droit. Il ya quatre mouvements distincts eu égard au lieu et non eu égard au temps où ils se passent; les deux oreilleltes se contractent ensemble, et ensemble aussi se contractent les deux ventricules, mais après les oreilleltes : ainsi quatre parois en mouvement, mais deux par deux. Harvey a voulu déterminer, par des expériences minutieuses (aujourd’hui elles laissent cependant quelque chose à dé- sirer), quelle est la dernière partie vivante, l’ul{imum moriens dans le cœur (1); mais ce qui est encore plus finement observé, c’est le frémissement ou le mouvement oscillatoire du sang qui survit aux battements ullimes des parois qui le contiennent; c’est aussi la révivification momentanée du cœur sous l'influence d'agents excitateurs. L’anatomie comparée lui a appris aussi qu'il y a loujours une trace d'oreillette partout où il y a vestige de veniricule. Il a comparé, et cette comparaison a été reprise tout récemment, la succession des mouvements du cœur et des vais- seaux à ceux de la déglutition; enfin, mais malheureusement il ne s’est pas arrêté à celle remarque, il a entendu le bruit du cœur, le passage du sang, en appliquant son oreille sur la région (1) Il conclut à l'oreillette droite. Les résultats des observations actuelles varient suivant l'espèce d'animal, les milieux, le genre de mort et diverses autres circon- stances, TARVEY. 669 précordiale. C’est seulement après avoir fait ces expériences, ces observations, qu'il en cherche le contrôle et la confirmation dans la disposition anatomique des valvules du cœur. L’anatomie du système vasculaire chez le fœtus vient lui fournir ensuite une nouvelle espèce de démonstration. La théorie de la respiration et de l’hématose est encore bien imparfaite; Harvey attribue plus de pouvoir au cœur qu’aux pou- mons; il n'a pas bien compris l’action de l'air pour rendre au sang la vertu, la vie, qu'il avait perdues en quittant les artères pour revenir par les veines. Il ne suffisait pas d’avoir étudié les mouvements du cœur, il convenait de suivre le sang depuis le ventricule gauche et de prouver qu’il n’a pas un flux et reflux, comme lEuripe, ainsi que le soutenaient les anciens. C’est alors que Harvey hésite, qu'il se recueille, dans la crainte d’exciter la jalousie en avançant des choses si nouvelles qu’elles renversent les anciens dogmes aux- quels on s'était attaché comme à une seconde nature, à une na- ture factice. Mais, alea jacta est, s'écrie Harvev,tantilavait con- science de son œuvre ; il faut marcher en avant et mettre son espoir dans les amis de la vérité et dans la bonne foi des savants. Je laisse la parole à Harvey (1); on verra comment, après avoir constalé la petite circulation, il découvre la grande. Ici le raisonnement semble avoir devancé l'observation des phéno- mènes; toutefois Harvey se hâte de donner une démonstration expérimentale. L'étude dela structure des partiesintervient,ilest vrai, mais secondairement, dans ce raisonnement; l’observation et l’expérimentation ont encore le pas sur les données que peut fournir l'anatomie toute seule. « Considérant souvent, à part moi, la grande abondance du sang, que j'avais reconnue tant par la disseclion et par l’ouverture des ar- tères sur les animaux vivants, par la symétrie et l'ampleur des ventri- Ccules du cœur et des vaisseaux qui y entrent ou qui en sortent (2), que (1) Exeralat., I, 8. | (2) Ici, un tribut payé à la vieille idée « que la nature ne fait rien en vain », mais un tribut payé pour la forme, car Harvey dit ailleurs, en parlant des disposi- lions propres à expliquer la circulation: «Illa autem vera esse vel falsa sensus nos facere debet certiores, non ratio; #)rcbx, non mentis agilatio, » DAREMRERG. 39 610 DÉCOUVERTE DE LA CIRCULATION DU SANG, par l’artifice si bien réglé des valvules, des fibres, et de tout le reste de la structure du cœur, enfin, par bien d'autres raisons; considérant, dis-je, combien est abondant le sang transmis [au cœur], combien cette transmission est rapide, je me demandai si [incessamment épuisé] le sang pouvait [incessamment] être renouvelé par l'aliment ingéré; je compris alors que les veines seraient épuisées et vides, et d’autre part, que les artères se rompraient par l'invasion d’une trop grande quantité de sang, si par quelque chemin ce sang ne retournait pas des artères dans les veines, et n’arrivait pas jusqu’au ventricule droit du cœur. « Je commençai aussi à croire que peut-être le sang avait un certain mouvement circulaire; plus tard, je reconnus que ce mouvement exis- tait réellement, et que le sang sortant du cœur se répandait par les artères dans toutes les parties du corps, sous l'impulsion du ventricule gauche du cœur (comme dans les poumons par la veine artérieuse [artère pulmonaire] sous l'impulsion du ventricule droit), et qu'ensuite par les petites veines, il arrivait dans la veine cave, jusqu'à l'oreillette droite, de la même manière qu'il est ramené des poumons par l’artère veineuse (veines pulmonaires), au ventricule gauche, ainsi que je viens de le dire. » La démonstration ultérieure du mouvement circulaire repose sur trois arguments que Harvey appuie par des calculs célèbres et par des expériences ingénieuses (1). Ces trois arguments sont : Le sang arrive sous l'impulsion du cœur en telle abondance, d’une manière si continue et sans solution de continuité, de la veine cave dans les artères, qu'il ne peut pas être fourni par les aliments (2), et de telle sorte qu’il passerait tout entier en peu de temps [des veines dans les artères]. — En second lieu, le sang, continuel- lement, uniformément poussé par les artères dans les membres et les parties, y entre en beaucoup plus grande quantité qu’il ne faut pour leur nutrition, ou que la masse totale n’en pourrait fournir; — enfin et semblablement, de chaque membre, les veines ramènent perpétuellement le sang au cœur.Ge qui prouve, dit Harvey un peu plus loin, que les artères ne reçoivent rien des veines, mais au contraire que les veines reçoivent des artères, c’est qu’à la mort, c’est-à-dire après le dernier coup de piston, les artères sont vides, parce qu’elles ont tout envoyé aux veines (1) Chap. 1x et suiv. (2) Ab assumptis suppeditarti. = C'est-à-dire que les aliments ingérés ne suffi- raient pas à le remplacer, au fur et à mesure qu’il s’épuise, s’il se consumait sur place et s’il ne revenait pas sur lui-même, HARVEY. 611 qui se remplissent et qui n’ont plus la force de pousser vers le cœur ce qu’elles ont reçu. Ainsi qu'on le voit, dans ces preuves de la circulation géné- rale, le raisonnement joue un rôle assez important, mais c’est un raisonnement dont lobservation directe et les expé- riences (1) sont le vrai point de départ. Quoi qu’il en soit, et quelque spécieux que paraissent les arguments de Harvey, en les isolant bien entendu des expériences et de l'observation, on pou- vait y répondre, et l’on y a répondu suffisamment en apparence pour faire prendre le change à beaucoup d’esprits prévenus. Soyez-en donc bien convaincus, Messieurs, c’est par la méthode expérimentale et non par les procédés logiques qu’on a découvert la circulation, la petite comme la grande. Nous voici arrivés à un point délicat de cette histoire de la circulation. Le célèbre physicien Boyle assure qu’il tenait de Harvey lui-même que la première idée de la circulation lui fut inspirée par la découverte de Fabrice (2). Ce serait donc la dis- position des valvules, leur forme, leur nombre, leur place, qui auraient été le germe de la découverte de la circulation; en d’autres termes, c'est à l’anatomie que reviendrait le premier honneur d’avoir réformé la physiologie. Mais, à l’assertion de Boyle, reproduite par la plupart des historiens de la circulation, il faut opposer le silence absolu de Harvey lui-même sur cette particularité dans son Exerctatio 1°, notamment dans le chapitre treize, où il parle des valvules, décrites pour la première fois par Fabrice d’Acquapendente, «très-habile anatomiste et très-véné- rable vieillard », ou peut-être par Jac. Sylvius, d’après Riolan. Il est évident que l’argument tiré de la disposition des valvules (4) Par exemple, la ligature de la veine cave ou de l'aorte au-dessous du cœur ; l'ouverture ou la ligature des vaisseaux cardiaco-pulmonaires; la ligature des veines pour la saignée. (2) I faut noter ici que M, Flourens a réduit à néant les prétentions élevées en faveur de Sarpi pour la découverte des valvules et d’une partie de la circulation, M. le docteur Brullé de Dijon, dans une Note pour servir à l'histoire de la décou- verte de la circulation; Dijon, 4854 (Extraits des Mémoires de l’Académie), est du même avis. Lapin mn eus 612 DÉCOUVERTE DE LA CIRCULATION DU SANG. n’est qu'un argument confirmatif (4), venu après beaucoup d’au- tres que j'ai déjà fait connaître ou seulement indiqués, et auquel il ne semble pas que Harvey, pas plus que Fabrice, ait pensé tout d’abord, bien que lui, Harvey, ait trouvé des valvules là où son maître n’en avait pas indiqué. L’argument n’a été accepté comme valable, ou même pris en considération, par le physio- logiste anglais qu'après des expériences décisives rapportées dans ce même chapitre treize. Harvey mérite qu’on tienne comple de son silence comme de ses paroles, et l’on peut supposer que Boyle a été mal ou incom- plétement servi par ses souvenirs. On sait déjà que Harvey s’est montré peu favorable aux dé- couvertes touchant le système des vaisseaux chylifères et Iym- phatiques ; il faut ajouter, quoiqu'il en coûte de signaler des la- cunes dans une aussi belle œuvre, l'ignorance singulière où était Harvey du mode de communication des artères et des veines dans l'intimité des tissus. «Je dis (2), peut-être avec trop d'audace, que ni Galien ni Riolan n’ont ja- mais vu par aucune expérience les anastomoses sensibles, et n’ont jamais pu les démontrer par les sens. Pour moi, j'ai cherché avec tout le soin (1) De même, au chap. xvi, la circulation est confirmée par la marche et les effets du poison ou des médicaments. Dans ce chapitre est le germe de la réforme médicale qui doit, plus tard, correspondre à la découverte de Harvey. (2) Voyez sa deuxième Exercitatio, dirigée contre Riolan. — Dans cette Exercr- tatio et dans la troisième il défend pied à pied, et parfois à l’aide de preuves nou- velles, sa découverte contre les raisonnements ou les faits faussement allégués par Riolan; il le traite, dans la première, avec beaucoup de respect; c’est, du reste, le seul de ses adversaires auquel il ait daigné répondre ; dans la deuxième, au con- traire, il est très-vif, trop vif, puisque lui-même se refusait à l’évidence pour les recherches d’Aselli et de Pecquet. IL écrit à Horstius, en 4654-55 : Plane constat, eum (Riolanum) magno conatu magnas nugas egisse. Voyez aussi sa lettre à Slegel (14651): Invicla semper jveritas discipulum docuit superare magistrum. Dans ces deux Exercitationes, dans la seconde surtout, on trouve des réflexions curieuses et déjà fort avancées sur le siége de la chaleur animale (/es artères el non pas le cœur) et sur les esprits à propos desquels on relève la phrase suivante : Vu/go enim scioli cum causas assignare haud norunt, dicunt statim a spiritibus hoc fieri. Pour lui, les esprits sont dans le sang, mais ils n’en sont pas séparables. Il insiste aussi sur ce point que le sang ne peut pas revenir des veines aux artères, excepté pour la petite circulation (passe du sang de l'artère pulmonaire dans les veines pulmonaires), HARVEY, 613 possible ces anastomoses, et j'ai perdu bien du temps et de l'huile dans cette recherche, sans pouvoir trouver ces vaisseaux (capillaires), c'est-à-dire ceux à l’aide desquels on prétend que s’abouchent les artères avec les veines ; je l’apprendrais volontiers de ceux qui vantent tant Galien, qu'ils osent jurer par ses paroles. | » Ni le foie, ni la rate, ni les poumons, ni les reins, n'ont présenté d’anastomoses, même après qu'ils ont été soumis à l’ébullition et que le parenchyme, devenu friable, put être isolé avec une aiguille de toutes les fibres des vaisseaux, si bien que je pouvais voir nettement les plus petits détails. J’ose donc affirmer qu'il n’y a pas d’anastomoses, soit de la veine porte avec la veine cave, des artères avec les veines, ou des ra- meaux capillaires du canal cholédoche qui sont dispersés avec les veines sur toute la partie concave du foie. Tout ce qu’on peut voir dans un foie récemment enlevé, c’est que les racines dela veine cave rampant sur la partie convexe du foie, ont des tuniques criblées de petits pertuis, et pré- parées comme dans une sentine, pour recevoir le sang qui dégoutte; les rameaux de la veine porte ne se comportent pas ainsi, mais ils se parta- gent en ramuscules, de façon que chaque groupe, l’un du côté de la face concave, l’autre du côté de la face convexe, s’étend de part et d’autre jus- qu’au lobe central (wmbo) du viscère, sans anastomose, » Harvey ne trouve de véritables anastomoses des artères avec les veines que pour le plexus choroïde, les vaisseaux sperma- tiques et les vaisseaux ombilicaux; partout ailleurs, suivant lui (4), la communication nécessaire entre les artères et les veines se fait de la manière suivante : « Les petites artères, qui sont tou- jours au moins du double ou du triple plus petites que les veines qu’elles accompagnent, et vers lesquelles elles se dirigent peu à peu, se perdent entre les tuniques des veines. Je croirais donc que le sang qu’eiles amènent se glisse dans les tuniques des veines, et qu’il arrive ce qu’on observe dans la conjonction des uretères avec la vessie, et du canal biliaire (canal cholédoque) avec l’in- testin duodénum. » Ainsi voilà des espèces de vasa vasorum imaginés gratuitement pour remplacer les anastomoses connues, ou du moins légitime- ment supposées par les anciens et qui devront être, peu d’années après Harvey, démontrées à l’aide des injections et du micro- scope. Non-seulernent Harvey ignore les voies que la nature a pré- (4) Lettre à Siégel, avril 1654. 614 DÉCOUVERTE DE LA CIRCULATION DU SANG. parées pour faire passer le sang des artères dans les veines, mais, égaré par son opposition contre Aselli et Pecquet, lui si âpre contre Galien, conserve la vieille et fatale erreur du double courant, établi, de par la théorie descauses finales, dans les veines mésaraiques, pour porter l'aliment (1) au foie et en rapporter la nourriture aux intestins (2). Malgré quelques faiblesses de caractère, qui se trahissent en- core plus par l'indifférence que par l’envie pour les découvertes d'autrui, et malgré de graves erreurs consacrées ou conser- vées dans son ouvrage, Harvey reste le plus grand génie du xvu° siècle, et son livre est le plus beau fleuron de la médecine. Il n’y a en ce siècle qu'un autre ouvrage qu’on puisse comparer aux Exercitationes de motu cordis et sanquinis circulatione ; cet ouvrage à pour titre : Exercitationes de generatione animalium, et pour auteur Harvey. Ah ! Messieurs, après avoir célébré la gloire de Harvey et les œuvres de la médecine expérimentale, je n’ai vraiment plus le courage de mettre en parallèle avec les lumineuses expériences du physiologiste anglais les obscurs raisonnements d’un Prime- rose (3), qui a employé quatorze jours à écrire un libelle contre la circulation, dont la découverte avait demandé plus de douze ans; de Primerose, qui, affectant de ne croire qu’au visible, se moque d’Aselli aussi bien que de Harvey, et provoque une déci- sion du roi Charles IT en sa faveur ; — d’un Parisanus (4), qui a écrit cette phrase, témoignage honteux de la stupidité humaine : « Ajoutez que Harvey prétend que le pouls provient du sang envoyé dans l’aorte, et qu'il en résulte [à la région du cœur] une pulsation etun certain bruit que nous autres, pauvres sourds, ni aucun des médecins de Venise ne pouvons entendre ; que celui (1) Exercitat. X, 16; Lettre à Morison, mai 1652. (2) Seulement, pour Galien, c’est le foie, et pour Harvey, c’est le cœur qui trans- forme cet aliment en vrai sang. (3) Exercitationes et animadversiones in librum Harvaei. Lond., 1630, in-4 ; réimprimé plusieurs fois. Voy. aussi ses Réponses à Wallaeus et à H. Regius. Ces livres sont si mauvais que l’auteur n’a pas même eu l'approbation de Riolan. (4) De cordis et sanguinis motione ad Harvaeum et contra eum ; 1633, et plusieurs fois réimprimé ; fait partie de ses Nobiles Exercitationes (pars altera). ANTAGONISTES DE HARVEY, 6145 qui l'entend à Londres soit trois fois heureux. Quant à nous, nous écrivons à Venise. » Ne suffira-t-1l pas aussi de vous rappeler Paristotélicien Caspar Hoffmann (1), qui mérita, par un profond mépris pour la cir- culation, de recevoir de Guy Patin le titre de mon bon ami, Hoff- mann, en présence duquel Harvey avait pris la peine de démon- trer le mouvement circulaire du sang ; — Franzosius (2), qui proteste à la fois de son respect pour Aristote et Galien et de sa tolérance pour les recherches modernes, pourvu qu’elles ne con- trarient pas trop les anciennes, et «qu'elles n’aient point la pré- tention de reposer uniquement sur l'inspection anatomique » (aussin’en use-t-il guère de cette inspection pour réfuter Harvey); — Joannes a Turre (3), à qui sa conscience ne permet pas de sup- porter plus longtemps le scandale causé par Harvey, Pecquet, Bartholin et tous ces misérables novateurs qui abusent de leur savoir pour troubler le foie (4) et le cœur, le vieux Galien, les vieilles écoles, et pour ruiner tant de « dogmes succulenis » et tant de « magnifiques thèses ». Il est de ceux qui croient que c’est par suite d’un état contre nature et douloureux que les veines se gonflent au-dessous de la ligature. Mais quand elles se gonflent au-dessus pour les jugulaires?.. Notre auteur ne va ni aussi loin ni aussi haut! Quant à Riolan (5), le fils, ce fut le plus savant des adversaires de Harvey, mais aussi l'un des plus passionnés et des plus systé- matiques : tout démonstrateur d'anatomie qu’il était, le célébre (1) Particulièrement dans son commentaire sur l'Usage des parties de Galien, et dans son Apologie pour le même Galien, (2) De motu cordis et sanguinis in animalibus pro Aristotele et Galeno (juste- ment fort difficiles à concilier sur cette question) adv. anatom. neotericos. Veronae, in-4, s. d. (1652), (3) De sanguinis officina, motu ac usu libri tres, in quibus opiniones de sangui- ficat. loco, de cireulatione sanguinis.… lactisque genesi..….…. ventilantur et oppu- gnantur, ut adveterum tandem placita contra dicta pro posse reducantur, Mediol., 1666, in-4. (4) Voyez plus loin, à propos dessvaisseaux lymphatiques, les funérailles du foie et son épitaphe par Bartholin ; sa résurrection et son apothéose par Jean de la Torre. (5) Dans ses Opuscula anatomica nova, 1649, et Opusc. varia et nova, 1652. — Voy. aussi ses autres Opusc, nova anatomica — et physiol., 1653, 4658, contre Aselli, et la doctrine de Pecquet, qui retire au foie ses anciennes fonctions, | | | 616 DÉCOUVERTE DE LA CIRCULATION DU SANG. professeur, «fortbongroshommeet fortmordant naturellement», comme disait Guy Patin, n’oppose que des raisonnements à Harvey et récuse a priori la valeur de ses expériences ; c’est aussi lui qui trouvait que la nature avait changé depuis Galien, puisque les dissections (faites sur les animaux) ne concordaient plus avec celles des modernes (faites sur des hommes). — Je ne puis pas oublier non plus de mentionner Folius (1), grand admirateur de Parisanus. Pour avoir peut-être vu une anomalie, ou exercé quelque violence à l’aide d’un stylet, ce médecin croit à une sorte de persistance du {rou oval (appelé aussi #rou de Botal, quoique Galien lait connu), et qui met chez le fœtus les deux oreillettes en communication; il en conclut, trouvant trop longue la route ouverte par Columbus, que c’est par Jà et par un autre petit pertuis placé à côté, que s’opére le passage du sang du cœur droit dans le cœur gauche; il prétend, en outre, avoir démontré l'existence d’un conduit à travers lequel le chyle se porte des vaisseaux chylifères au foie (2)! Cependant Folhus passait pour un grand anatomiste | Enfin, je veux rappeler encore Magnassius (3): il tient, avec Columbus et même avec Harvey, conire Galien, pour sa bonne explication de plusieurs des mouvements du cœur ; mais il ne voit dans le cœur que la fabrication des esprits en vue du cer- veau, et dans les artères que le mouvement et la distribution de ces esprits; il ne semble avoir aucune idée de la vraie circu- lation : rien de plus étrange qu'un pareil compromis entre les opinions anciennes et les opinions modernes. Je ne ferai pas à Guy Patin l'affront de relever dans ses lettres (4) Sanguinis a dextro ta sinistrum cordis ventriculum facilis reperta via, ete. Venetiis, 1639, in-4. Je possède un exemplaire qui à appartenu au célèbre Caspar Hoffmann, un des adversaires de Harvey (voy. p. 615). — J'ai lu intégralement, non sans dégoût, tous ces ouvrages et d’autres encore que je passe sous silence; je ne regrette pas, cependant, le temps que j'y ai consacré, puisque j'y ai appris jusqu'où l'esprit de routine et l’aveuglement des écoles peuvent reculer les limites de la sottise humaine, et quelles entraves ils peuvent apporter aux progrès des sciences! (2) I affirme avoir reconnu le premier les vaisseaux chylifères chez les hom- mes, à Venise. (3) Disquisit, phys, de molu cordis et cerebri, Paris, 1665, in-4 ; volume rare que Haller n’a pas vu, mais que j'ai trouvé à la Faculté de médecine. TRIOMPHE DE HARVEY, 617 toutes les sottises qu’il débitait contre la circulation, « paradoxale, inutile à la médecine, fausse, 2mpossible, mintelligible, absurde, nuisible à la vie de l’homme ». Il a trop d'esprit pour qu’on se moque de lui, et il est trop ridicule envers les nouveautés pour qu’on ne soit pas tenté de lui infliger un juste châtiment si on le prenait au sérieux. Un des derniers échos des clameurs contre la circulation re- tentit encore à la fin du xvr° siècle et jusqu'aux premières an- nées du xvi‘. Homobonus Piso (1) nie la circulation, parce qu’elle trouble la thérapeutique, qu’elle détruit la doctrine de la révulsion et de la dérivation. Lorsqu'il ouvre un cadavre, il trouve le spectacle que donnent les veines venant du foie et les artères partant du cœur au moins aussi beau que le bouleverse ment opéré par la circulation ! Tout jeune, il avait éprouvé autant de tristesse que d’indignation contre les détracteurs de Harvey, tant il trouvait /anquidae les réponses qu’ils lui faisaient : aussi en a-t-il inventé de plus fortes! On ne s’occupe pas plus maintenant des mauvaises plaisante- ries de Guy Patin que des lourdes attaques de Primerose ou des larmes de Piso contre la circulation. — De son vivant, Harvey à élé défendu et vengé par les hommes les plus éminents du xvi siècle : W. Rolfink (2), ancien prosecteur de Fabrice, Des- cartes, Plempius (qui l'avait d’abord attaqué et qui s’est rétracté avec une admirable candeur, suivi en cela par Vesling), Drake, Regius, Walaeus, de Back, Slégel, Pecquet, Ent et bien d’autres. Le dernier mot est resté à la circulation, c’est sur elle que re- pose la nouvelle médecine ; la postérité est à Harvey. Les attaques contre la vaccine et la circulation du sang sont les deux grands arguments qu'on invoque chaque jour en fa- (4) Ultio antiquitatis in sang. circul, Cremonae, 1690, et Nova in sanguins cucul. Inquisilio. Pataviae, 1726. (2) Dans ses volumineuses Disserlationes anatomicae ; le même auteur a donné, sous le titre : Dissert. de corde ex veterum et recentiorum, propriisque observationibus concinnata et ad inventionem novam accommodata, Jenae, 4654, in-4, une histoire très-curieuse et d'une piété singulière, des opinions qui ont eu cours avant lui sur la structure, les mouvements et les usages du cœur. — Sur les défenseurs de la circulation, surtout en Hollande; voy. fsraels dans sa traduction hollandaise du Manuel d'histoire de la médecine de Haeser, Amsterdam, 1859 ; p. 570 et suix, 618 DÉCOUVERTE DE LA CIRCULATION DU SANG. veur du magnétisme, des tables tournantes et parlantes, des esprits frappeurs, de toute espèce de magie et de sorcellerie et même... de l’homæopathie. A cela 1l n'y a que deux mots à ré- pondre : de leur vivant, Harvey et Jenner ont triomphé de toutes les résistances, ont mis à néant toutes les calom- nies ; le monde croit à la vaccine, à la circulation, qui ne sont que d'hier ; chaque jour, à chaque heure, on peut vérifier le phé- nomène de la circulation ; — la découverte de ce phénomène a transformé la médecine; — l’observation répétée, les faits mul- tipliés démontrent chaque jour aussi l'efficacité de la vaccine. Harvey et Jenner ont rendu service à l'humanité ; ils ont, comme ce philosophe de l'antiquité, prouvé le mouvement en marchant. Mais, de grâce, dites-nous enfin quels services a rendus la magie, qui remonte presque jusqu’à l’origine du monde; où en est le magnétisme, quel progrès l’homæopathie a-t-elle fait dans les- prit des savants ou même dans la crédulité des malades ? Pour compléter ces réflexions, je veux ajouter celles que M. Axenfeld présentait naguère à ses auditeurs (1) sur la routine; elles s'appliquent à toutes les résistances au progrès, d’où qu’elles partent et où qu’elles tendent; hier c’était la circulation, demain ce sera le système des vaisseaux lymphatiques et chylifères ; après-demain viendra le tour du microscope ou des analyses chi- miques; la clinique elle-même n’a pas été plus épargnée : « La routine est informe sous prétexte d’éclectisme ; ennemie de toute donnée scientifique, avec la prétention de poursuivre l’u- tile seulement , elle s’érige en gardienne de la tradition (qu’elle ne connaît guère) pour avoir le droit de se montrer dure aux in- novations ; au fond, elle est le parti pris de ne rien désapprendre et ne rien apprendre, et sa solennité n’est que de la paresse d’es- prit élevée à la hauteur d’un dogme. Elle a sa petite pathologie facile, sa petite thérapeutique courante ; que dis-je ? elle abonde en petites théories plus téméraires que ses adeptes ne le soup- connent. Leur attachement hypocrite au passé, leur âpre résis- tance à toute découverte, ont engendré ce que j’appellerais vo- lontiers le pharisaisme médical, et les pharisiens de la médecine, (1) Revue des cours scientifiques, 29 août 1868. TRIOMPHE DE HARVEY. 619 vous les reconnaîtrez aisément dans tous les pays et à toutes les époques, qu'ils portent le bonnet pointu du médecin grec à Rome, ou la robe traînante immortalisée par Molière, ou ample cha- peau et la cravate blanche sacerdotale du bon docteur d’aujour- d’hui. Ge sont eux qui, en matière d'anatomie humaine, donnent raison aux dissections de singes de Galien contre les dissections d'hommes de Vésale; — ce sont eux qui soutiennent « des thèses contre les circulateurs ». — Quand Rudbeck, l’étudiant d’'Upsal, leur fait voir le réservoir commun des lymphatiques et des chy- lifères, ils se regardent entre eux, consternés, et s’écrient : «Que sera-ce de nous, si cet homme dit vrai! » — Ils élèvent contre l’auscultation des objections de la force de celles-ei : Impraticable à cause du bruit des voitures, inconvenante quand on l’applique à la poitrine des femmes. — Naguèëre, ils combattaient comme immoral l’usage du spéculum. — Ils ont des ironies qu’ils croient écrasantes. Montrez-leur la relation qui existe entre certains ac- cidents convulsifs et la présence de l’albumine dans lurine, ils riront et s’exclameront : « De l’albumine épileptique (textuel)! » — (Qu'on ne leur parle pas de « ces petites machines », qui se nomment laryngoscope, ophthalmoscope, sphygmogra- phe ; leur siége est fait. Autrefois ils ont fait campagne contre le quinquina et maintenu la supériorité, sur ce merveilleux médica- ment, des saignées, des sangsues, des lavements, de tout cet at- ürail thérapeutique qui, pendant si longtemps et avec une inef- ficacité qui ne s’est jamais démentie, a été opposé aux fièvres intermitltentes, C'est eux qu'on a vus, mêlant volontiers les gou- vernants à leurs doctes querelles, provoquer un décret de Charles- Quint contre quiconque saignerait un pleurétique du côté opposé à la pleurésie, et solliciter du parlement la défense, sous peine d'amende, d'employer l'émétique dans les inflammations du poumon! » XX Sommaire. Découverte des vaisseaux chylifères et lymphatiques, — Aselli, — Pecquet. — Rudbeck. — Bartholin. — Théorie de la nutrition: Wharton et Glisson. MESSIEURS, Maintenant que le sang circule, il faut trouver un moyen de l'entretenir; cette découverte est une nouvelle gloire du xvrr° siè- cle, et cette gloire est partagée par un Italien, par un Français, par un Suédois et un Danois. Aselli fixe définitivement l’atten- tion sur les vaisseaux chylifères entrevus dans l’antiquité ; Pec- quet, le petit Pecquet de madame de Sévigné, trouve leur réser- voir commun et conduit le chyle jusqu’à la sous-clavière gauche; Rudbeck et Bartholin démontrent le système des vaisseaux lymphatiques et le raccordent à celui des chylifères. Les deux découvertes, celle de la circulation et celle des vais- seaux chylifères, n’ont eu aucune influence l’une sur l’autre. Aselli, dont le livre a été publié en 1627, peu de temps avant sa mort, ne pouvait pas connaître les Exercitationes de Harvey, publiées en 1628, et Harvey n’a voulu ni croire Aselli sur parole, ni vérifier ses asserlions, ni admettre non plus les recherches de Pecquet (1). J'ai déjà indiqué (2) ce que les Grecs et les Salernitains sa- vaient des vaisseaux chylifères ; on peut supposer que Fallope les a vus lorsqu'il signale des veines qui rampent sur les intestins, (4) Voy. p. 506. — Dans sa Defensio..…… adversus Riolanum, 1665, p. 179 et suiv., Thomas Bartholin s'étonne avec raison du dédain que Harvey affecte pour les chylifères et de sa défense des veines mésaraïques : « IL était sans doute, dit-il assez finement, occupé à faire circuler le sang, » II combat pied à pied les argu- ments de Harvey, (2) Voyez p, 462 et 261. DÉCOUVERTE DES VAISSEAUX CHYLIFÈRES. — ASLLLI. 621 lesquelles contiennent une matière jaunâtre, et se portent au foie et au poumon; on peut admettre également qu'Eustachius a lui aussi vu, mais sans savoir non plus de quoi il s'agissait, sur un cheval, un canal blanchätre allant de la sous-clavière vers les parties inférieures. Puis tout à coup la scène change : ce qui n’était qu'une intuition, ou plutôt qu'un accident, devient une certitude ; la science prend définitivement possession. Il faut laisser parler les maîtres; ils exposent leurs décou- vertes avec une simplicité et ane candeur qui n’appartiennent qu’à eux. Je traduis donc le neuvième chapitre (1) où Aselli cé- lèbre /e hasard qui la mis sur la trace des vaisseaux chylifères, qu'il appelle une quatrième espèce de vaisseaux (2), car les nerfs, dans cette anatomie et dans cette physiologie héritières de l'antiquité, étaient tenus pour des canaux qui transportent ou un certain suc ou l'esprit animal. « Quant à l'historique de cette découverte, je vais dire comment le fait se passa. À la demande de quelques-uns de mes amis qui désiraient voir les nerfs récurrents, le 93 juillet [1622], je m'étais procuré pour l'ouvrir un chien vivant, en bon état, et bien nourri. Après m'être acquitté de la démonstration des nerfs, je voulus en même temps observer aussi (4) Les chap, 1-vir contiennent l'anatomie ct la physiologie du mésentère et de l’épiploon, avec une discussion spéciale sur la direction ct les usages des veines, des artères et des nerfs entéro-mésentériques, — Aselli relève, sur ces divers su- jets, plusieurs erreurs de ses devanciers, mais il en laisse subsister beaucoup et lui-mème en commet de nouvelles. Ce qu'il faut remarquer, c’est la critique qu'il fait des opinions de Galien sur les usages des veines mésaraïques; Galien leur concédait trois usages : transport des matériaux du sang depuis les intestins jusqu’au foie (4y4- Vects, importation), un commencement de transsubsiantiation de ces matériaux du chyle en sang (awxroct:, hématose), transfert du sang tout fraichement fabriqué dans le foie pour nourrir les intestins et le mésentère (dexd'ccs, exportation). Quant à Aselli, il dépouille les veines du premier usage et, par conséquent, du second, et l’attribue aux vaisseaux chylifères; mais, aveuglé par l'éclat que projette le nom de Galien, il conduit les vaisseaux chylifères au foie. — Encore une fois, voilà ce que produit la mauvaise physiologie ou la physiologie 4 priori, la physio- logie non expérimentale, Le hasard fait trouver les chylifères, la théorie galénique fait qu’on les voit se terminer au foie. (2) Nerfs, veines et artères mésaraïques; chylifères. « Reliquum aliud est ge- nus, quairtum novum, vasorum mesenterium peragrantium, casu magis, ut verum fatear, quam consilio aut data opera, observatum », dit Aselli dans le chap. 1x, où il prépare le lecteur à sa découverte, 622 : DÉCOUVERTE DES VAISSEAUX CHYLIFÈRES. dans le même animal le mouvement du diaphragme. Tandis que je m'y prépare en ouvrant pour cela l'abdomen, et que d'une main je rejette en arrière les intestins et le ventricule, j'aperçois tout à coup beaucoup de cordons très-ténus et très-blancs dispersès par tout le mésentère et les in- tesiins avec des racines en nombre infini.Croyant d'abord que c'étaient des nerfs, je ne m'y arrêlai pas longtemps. Mais je reconnus bientôt mon erreur quand je vis que les nerfs qui appartiennent aux intestins étaient distincts de ces cordons, fort différents, et que leur direction était tout autre. Frappé de la nouveauté de ce fait, je demeurai un moment silen- cieux, pensant en moi-mêmeaux controverses non moins pleines d’aigreur que de paroles, qui s’agitent entre les anatomistes au sujet des veines mésaraïques et de leur office. Justement il m'était arrivé quelques jours auparavant de lire un livre spécialement écrit sur ce sujet par Jean Cos- taeus (1). Dès que je fus revenu à moi, pour m'éclairer par une expé- rience, armé d'un scalpel aigu, je perce un des plus gros de ces cordons. J'avais frappé juste, et aussitôt je vois s'échapper une liqueur blanche, semblable à du lait ou à de la crème. » À cette vue, ne pouvant contenir ma joie, je me tournai vers ceux qui étaient présents, entre autres vers Alexandre Tadinus et le sénateur Septalius, tous deux membres de l’illustre collége de l'Ordre des méde- cins, et, quand j'écrivais ceci, présidents du Conseil de santé : Eÿonxx m'écriai-je, avec Archimède, les invitant en même temps à jouir d’un spectacle si merveilleux et si insolite dont la nouveauté les frappa aussi d’étonnement. Mais il ne nous fut pas donné de l’observer longtemps ; le chien mourut bientôt, et chose singulière, au même instant toute cette série, tout cet amas de vaisseaux, perdant sa blancheur et son suc, dis- parut si promptement entre nos mains, et s’'évanouilt si bien sous nos yeux, qu'il laissa à peine quelque trace. Fort troublé de ce résultat, je résolus de recommencer l'expérience. À cet effet, je fis chercher un autre chien pour le jour suivant et je l’ouvris ce jour même sans retard. Mais le succès ne répondit pas à mon attente : pas le plus petit vaisseau blanc ne s’offrit à ma vue malgré les recherches les plus minutieuses. Déjà je commençais à perdre courage, et je pensais à part moi que ce que j'avais observé dans le premier chien était probablement une de ces choses qui, selon le dire de notre Galien, se voient rarement en anatomie. Mais me rappelant que le chien que je venais d'ouvrir n'avait pas pris de nourriture, et soupçonnant, ce qui était vrai, que l’oblitération des vaisseaux tenait à la vacuité des intestins, je me décidai à une troisième expérience sur un autre chien. Je l’ouvris le 26, six heures environ après qu'il avait pris de la nourriture en abondance et jusqu’à satiété. Le résultat répondit cette fois à ma prévision. Je retrouvai parfaitement sur ce nouveau sujet tout (4) Sans doute le livre qui a pour titre: De venarum mesaraicarum veteris opi- nionis confirmatione adversus eos qui chyl in jecur distributionem fieri negant per mesaraicas venas, Venet,, 1565, in-4, Partisan de l'opinion de Galien. ASELLI. 623 ce que j'avais observé sur le premier, si ce n’est que la blancheur des vais- seaux disparut, et qu'eux-mêmes furent obscureis plus promptement chez le dernier sujet que chez le premier, quoique la vie ne l’eût pas aban- donné. » Encouragé par cette double expérience, et ne doutant plus du fait lui-même, je m'appliquai à l’étudier et à l'approfondir ; je poursuivis ces recherches avec tant d'ardeur que, je ne dirai pas une semaine, mais un mois au plus ne se passait pas sans que je fisse une ou deux sections sur un sujet vivant; mes expériences s’étendaient aussi à d'autres animaux que les chiens, aux chats, aux agneaux, soit têtant encore, soit paissant déjà ; aux vaches, aux pores et à bien d’autres. J’achetai même un cheval pour cela et je l’ouvris vivant. Je n’ai pas ouvert, je l'avoue, et n’ouvrirai jamais d'homme vivant, ce qu'autrefois cependant Érasistrate et Héro- phile n’ont pas craint de faire, parce que je crois avec Celse que l’art qui veille au salut des humains ne peut, sans un crime digne de mort, infli- ger à un homme un supplice aussi atroce (1). Je tiens pour certain cepen- dant qu'il ne peut se faire qu’on ne trouve pas dans l’homme ce que j'ai observé sur tant d'animaux. Qui croira jamais que dans une chose si né- cessaire, la nature, mèrecommune, aitpris plus desouci des bêtes que des hommes; qu’elle ait été une mère pour eux, pour nous une marâtre ? Chez les animaux qu’il m'a été donné d'ouvrir, jamais mon attente n’a été trompée. Dans tous les animaux bien repus auparavant, et ouverts au moment convenable après qu'ils avaient mangé, j ai toujours trouvé ces vaisseaux, sinon dans le mésentère ou les intestins, du moins dans le pancréas (2), et là où les vaisseaux se joignent à la veine porte. Je les ai toujours nettement vus dans les mésentères qui sont dégarnis de graisse, comme dans ceux des chiens, des chats, des agneaux, même des chevaux; dans ceux qui sont garnis de graisse on a souvent besoin, pour qu'ils ap- paraissent, d'enlever la graisse qui les cache. » Mais je ne veux, ici, que donner une narralionsuccincte de l'invention de ces vaisseaux, à l'appui de laquelle je puis invoquer les témoignages les plus véridiques, ceux des personnes qui étaient présentes à mes opé- rations. Beaucoup y ont assisté, souvent des hommes graves entre tous, et aussi illustres par leur érudition et leur renommée que parleurs talents en médecine. Entre ceux dont je puis invoquer le témoignage, et dont le nom seul, comme il est digne de toute louange, doit inspirer aussi une foi entière, je citerai Septalius, sans contredit le prince des médecins de notre temps, auquel je joins volontiers André Trévisius, premier médecin de l'Infante sérénissime, lequel ne le cède à aucun des médecins célè- (1) On voit, malgré ces protestations, qué l'envie ne manquait pas à Aselli de pratiquer une toute petite vivisection sur un de ses semblables. Scientiae sacra fames ! (2) Aselli prend ici les glandes du miésentere chez certains animaux, chez le chien en particulier, pour le pancréas, TP, 624 DÉCOUVERTE DES VAISSEAUX CHYLIFÈRES. bres par la renommée de son nom et sa grande science. Celui que j'ai déjà nommé, et que, pour lui faire honneur, je nomme une seconde fois, le sénateur Septalius, non moins célèbre par son talent que par celui de son père, m'a toujours favorisé de sa présence. J'ai aussi à me féliciter de l’assiduité et de l'attention de Quirinus Cnoglerus, mon ami bien cher à plus d'un titre, et dont le nom n’est inconnu en Italie à aucune des célébrités littéraires et scientifiques. » Les nouvelles choses demandent de nouveaux noms. Aselli ap- pelle donc les nouveaux vaisseaux venue albae et lacteae ; cepen- dant ce dernier nom ne leur est pas donné en raison de leur contenu, le chyle d'apparence laiteuse, mais bien plutôt en rai- son de leur provenance, les intestins qu’on appelait les lactés (A). Cela ressort de tout le chapitre x. Après avoir décrit sa décoûverte, Aselli recherche (2) dans ses prédécesseurs ce qui s'en rapproche, et il dit avec raison que plusieurs ont vu, mais non reconnu (visa, sed non cognita), les vaisseaux lymphatiques; il les excuse par toutes sortes de bonnes et charitables raisons, mais il ne montre pas la même indulgence pour Galien, qui avait eu tant et de si belles occa- sions de sacrifier toutes sortes d'animaux vivants, et dans les meilleures conditions. Ajoutez qu’Aselli a bien indiqué l'existence des valvules à leur point de départ des intestins ei sur tout le parcours des chyli- fères (3), et qu'il a écrit cette phrase remarquable, si elle n’est pas tout simplement un souvenir de Servet (4) : «Il ne serait peut-être pas absurde de supposer que le sang porté au poumon par la veine arlérieuse (artère pulmonaire), mélangé avec l'air, atténué par le mouvement du poumon pour produire l'esprit vital, revint au ventricule gauche [par l’artère veineuse, veines pulmonaires]. Peut-être n’y a-t-il pas besoin des pertuis imaginés par Galien dans la cloison interventricu- (4) Cest aussi le titre du livre : De lactibus sive lacteis venis. (2) Chap. x17, XIII, XIV. (3) Il remarque (ch. xvi) que Columbus (Anat., 11, 1) a vu de semblables val- vules sur les veines mésaraïques, et que celles-là foris intro feruntur, tandis que celles des chylifères ixtus foras spectant. Quelle belle occasion de trouver la cireu- lation par l'anatomie, si l'anatomie seule pouvait conduire à la physiologie ! (4) Chap. vr, ASELLI, — GASSENDI. 625 LS laire, et ne pouvant servir à rien. » Aselli se propose d'examiner cette question plustard, en même temps qu'il parlera deses recher- chesrectificatives sur la distribution des vaisseaux ombilicaux. Mais, cela dit, tout le reste n’est qu’une suite de discussions stériles, parce qu’elles restent au fond galéniques, sur la température radicale, sur la marche du chyle vers le foie (1), et sur le rôle de ce viscère dans la transsubstantiation du liquide nourri- cier en sang, opération déjà préparée dans les chylifères eux- mêmes, comme elle l'était pour Galien dans les vemes entéro- mésentériques. Quelle constante sobriété dans Harvey, quel flux de paroles dans Aselli lorsqu'il cesse d'exposer sa découverte pour expliquer les conséquences théoriques qu'il en veut tirer ! On sent aussi, à lire comparativement ces deux auteurs, qu'Aselli n’a fait que vorr et reconnaître une minime partie d’un fait; qu’il n’a pas le sens de la méthode expérimentale; que le doute n’a pénétré dans son esprit que depuis les intestins jusqu’au foie, tandis que chez Harvey un regard appelle un autre regard, une expérience est suivie d’une autre expérience : ici un demi-jour, là une écla- tante lumière. Aselli se laisse toujours aller à expliquer la fonc- ion par la structure, encore par une structure incomplétement connue et par la vaine recherche des causes finales. Comme complément de l'histoire de la découverte des vais- seaux chylifères, et pour montrer combien à cette époque les savants et les philosophes, préludant à la fondation de l’Acadé- mie des sciences, s'intéressaient à des questions que la plupart des médecins négligeaient alors, je transcris une note manuscrite que j'ai trouvée sur une des gardes d’un exemplaire du livre d’Aselli (édition originale posthume de 1627), et qui provient probablement des papiers de Peiresc. + «De Paris, 26 may 1628... n° 138, t. Il. « M. de Gassendi écrit à M. de Peiresc (2) qu’il existe un petit livre (4) Les chylifères sucent (comme des sangsues) les intestins ; le foie attire à lui le chyle qui est en mème temps poussé par le mouvement péristaltique des intestins et par celui des chylifères eux-mêmes. C'est ce qu'Aselli appelle fractus et pulsus. (2) Voyez aussi Gassendi Vita Peireskii. Quedlinb., 1706, in-8, p. 234. DAREMBERG. 10 _— 626 DÉCOUVERTE DES VAISSEAUX CHYLIFÈRES. nouveau et d’une invention nouvelle qu'ils n’ont point; c’est De lacti- bus, etc., 1627. — Il n’y en a que trois copies en cette ville, que M. Naudé a apportées d'Italie, dont il a donné l’une à M. Riollan, l’autre à M. Moreau, et la troisième qu'il s’est réservée (1); c'est celle que je n’ai qu’à prest. J'eusse bien désiré qu'il s’en fût trouvé une pour vous envoyer, mais si vous en désirés ce n’est qu'un volume d’un doigt in-4° que je sçai que vous pouvez recouvrer d'Italie fort facilement. Pour mon particulier, j'ai été bien aise de voir cette pièce, parce que, si bien elle détruit par adven- ture quelqu’une de mes imaginations, toutefois, et je suis très-joyeux de voir qu’un autre approche plus de la vérité que moi, parce que ce n'est que me faciliter le chemin à ce que je cerche, et ayant cognaissance de ce qui est déjà mis en lumière, cela me peut empêcher de faire quelque. incongruilé. Et pour vous toucher un mot de ce que c’est et du mérite du livre, il ne m'estoit jamais sçu entrer en la tête que le passage du chyle au foye se fist par l'entremise de ces rameaux de la veine porte qui sont semés par le mésentère comme servant non-seulement à porter du foie la nourriture nécessaire à toute cette région intestinale dont nous les voyons tous remplis, et rouges de sang vermeil, mais encore à en rap- porter des intestins dans le foie Le chyle destiné à être converti en sang. J'en avois souvent et longuement conféré avec feu M. Mérindol, et peut- être trouverait-on parmi ses mémoires la réponse qu’il apprètoit à une lettre de 12 à 45 feuilles que je lui avois écrite à ce sujet quelque temps avant sa mort (2). « J'avois donc imaginé un nouveau passage bien plus commode et com- pendieux, sçavoir est le canal du pore cholidoque, par lequel les méde- cins veulent seulement que la bile soit déchargée dans les intestins pour servir aux excréments de clystère naturel. Et parce que M. Mérindol m'y avoit formé beaucoup de difficultés, je croyois d’y avoir tellement satisfait par madite lettre, qui aussi à mon avis se trouveroit encore, que je ne pensois pas que mon opinion ne dût être de quelque considération parm les personnes qui seroient sans préoccupation ; et voici aujourd'hui arriver cet Asellius (qui néanmoins, comme Copernicus, est décédé avant l’im- pression de son livre), lequel a découvert une infinilé de petites veines semées par le mésentère, et implantées d’un côté au foie, et de l’autre aux intestins, desquelles jamais jusques aujourd’hui personne ne s’éloit (4) C'est l’exemplaire de la Mazarine, lequel porte la présente note manuscrite et la signature de Naudé.— Dans eette édition, qui est extrêmement rare, les figures semblent imprimées en chromolithographie. (2) «An memorabo [Peireskium] conscium fuisse meae cujusdam dissertationis cum Merindolo pridem habitae, de transfusione chyli in jecur. Aperueram scilicet iter per porum dictum cholidochum, mesenterii venis obstructis, » P, 234 de la Vita Peireskii, Puis Gassendi raconte que Peiresc lui a envoyé Aselli et, qu’à son tour, il lui a fait connaître Harvey; Peirese s’est empressé de répéter les expé- riences d'Aselli et de Harvey. DÉCOUVERTE DU CANAL THORACIQUE ET DES LYMPHATIQUES. 627 pris garde, et qui semblent avoir été destinées à la fonction que je n'aurois jamais sçu accorder aux mezaraïques communes. Elles sont blanches et remplies d’un lait ou substance blanche {elle qu’on veut être celle du chyle ; mais elles ne peuvent être vuës ni observées qu’en l’ani- mal encore vivant, et quelques heures après qu’on l’a bien fait paître ; c’est-à-dire quand l'aliment préparé dans l’estomach descend le long des intestins. C’est homme en a fait tout un monde d’expériences en divers animaux qu'il a ouverts tous vivants, comme chiens, chats, agneaux, pourceaux, vaches, voire même un cheval acheté pour ne servir qu’à cela : étant bien considérable que, d’abord que l’animal expire, ces vases ne laissent point de vestiges d'eux-mêmes, et que, si l’animal n’est repü, eton ne l’ouvre en une heure convenable, on n’en sçauroit aussi rien voir. Je n’en ai point encore vu l'expérience ; mais, outre la foi que ce brave homme semble mériter, M. Riolan et autres personnes qui l’ont déjà éprouvé, m'ont assuré qu’il n’en faut point faire de doute. » Nous venons d’assister, Messieurs, aux premiers assauts qu’a reçus la vieille théorie de la sanguification, ou plutôt de la chy- lification (car jusqu'ici personne n’a encore eu une juste idée de l'hématose), après qu’on eut reconnu les vaisseaux chylifères. Mais ces assauts ne nous ont pas rendus maîtres de la place, puisque le foie conserve ses antiques fonctions. Maintenant nous allons, avec notre compatriote Pecquet, conquérir un nouveau tronçon des voies de la nutrition, et cette fois le viscère hépati- que est mort, bien mort, jusqu’à ce que M. Claude Bernard vienne le ressusciter en lui donnant d’autres attributions. « Il manquait, dit Mentel (1), un couronnement à la découverte d'Aselli et un point de départ à celle de Harvey; c’est toi, Pec- quet, qui, au grand bénéfice de la raëédecine, as flairé et puis découvert cette nouveauté nécessairr. » Pecquet a reçu une double imraortalité : par la découverte du réservoir du chyle et du conduit qui mêne ce liquide aux sous-clavières (voy. p. 681, note 1), et par les Lettres de ma- dame de Sévigné, où il est nommé et célébré comme médecin, mais où il n’est pas question de sa découverte. Être appelé par une grande dame « notre petit Pecquet,» être l’objet de ces «pe- tites amitiés » que dicte une vive reconnaissance, n’est pas une mince faveur; être préféré à tous les médecins pour soigner ce (4) Epistola ad Pecquetum. 628 DÉCOUVERTE DU CANAL THORACIQUE ET DES LYMPHATIQUES. que madame de Sévigné avait de plus cher au monde est un hon- neur non vulgaire. Ce qui vaut mieux peut-être, c’est d’être resté fidèle à la personne de son maitre et client le surintendant Fou- quet, pour qui Pecquet subit la Bastille et l'exil. Tant de mérites et de si grandes relations n’ont pas empêché Pecquet de suc- comber, à l’âge de cinquante-deux ans, aux suites de l'abus qu'il faisait, dit-on, de l’eau-de-vie, regardée par lui comme une panacée universelle. Le titre de l'ouvrage de Pecquet est digne de remarque : Ex- perimenta nova anatomica (1); ce sont des expériences, des observations, et non plus des hypothèses ou de simples raison- nements. Ces Experimenta font écho aux ÆExercitationes de Harvey; cependant ces expériences, ces observations, ne sont pas nées de recherches préméditées, de réflexions sur le rô'e des chylifères et sur des fonctions inconnuss, c’est encore le hasard qui a conduit la main de Pecquet; il ne songeait guère au réser- voir (césterna) ni au canal thoracique; ce n’est pas par l’anato- mie, ni en raisonnant sur les vaisseaux d’Aselli, qu'il arrive à changer la route du chyle, c’est en ouvrant des animaux qu’il tombe fortuitement sur ce réservoir d’abord, et en poursuivant alors ses recherches, qu’il remonte jusqu'au cœur. C’est ensuite en faisant une foule d’expériences qu’il détermine la marche du liquide nouveau, et par conséquent les fonctions des vais- eaux qui le renferment. Ne croyez pas Desgeneites (2), lors- qu'il affirme que « cette découverte ne fut pas l'effet du hasard, comme l'ont prétendu de jaloux adversaires »; croyez-en plutôt Pecquet, qui, lui, aflirme qu’en celte circonstance le hasard à été son premier maitre. « Gardez-vous de penser, lecteurs, s’é- crie-t-il au début de son livre, gardez-vous de penser que c’est à moi, à moniniliative, que vous devez le jaillissement des veines lactées et l’origine de mon expédition : un bienfait de la fortune jouant avec un ignorant. — Munus est fortunae cum inscio lu- dentis. » Est-ce clair? Cependant 1l faut ajouter, à la louange de (4) Anatomicus se disait alors aussi bien de la physiologie que de l'anatomie, car on ne séparait guère ces deux parties dont la réunion représente l'orga- nisme. 7e 12 ee a Arsnlol nvhola Der : (2) Bographie médicale, article PECQUET, PÉCQUET. 629 Pecquet, que, s’il ne cherchait pas la route du chyle, 27 cherchait du moins quelque chose ; car, laissant de côté l'anatomie faite sur des cadavres (mutam alioqui frigidamque sapientiam), 1] lui plut de se mettre à la poursuite de la vraie science en sur- prenant les mouvements de la vie, et en particulier du cœur, sur les animaux vivants. | On sait que le livre de Pecquet, dédié au frère du surinten- dant Fouquet, évêque de Sainte-Agathe, et composé, à ce qu'il paraît, vers l’année 1647, auprès de ce personnage, aux environs de Montpellier, a été écrit en latin et publié en l’année 1651 (1) : mais ce qu'on ne sait pas, c’est que Pecquet avait pris la peine de traduire lui-même son ouvrage, l’abrégeant et le rema- niant. Le manuscrit autographe se trouve dans la Réserve, à la Bibliothèque impériale, à la suite de l'édition originale, où je l'ai copié. C’estaussi un nunus fortunae, ou, si Vous aimez mieux, l'impulsion de ma curiosité naturelle, qui m'a mis sur la trace de ce précieux autographe, en lisant sur le Cataloque, t. T, p. 2907-98, « Pecqueti Experimenta, etc., avec onze feuillets manuscrits dont six (lisez neuf) sont de la main de Pecquet. » Je désire que mes auditeurs et mes lecteurs profitent d'une aussi bonne fortune, et je transeris ici les parties essentielles de cette traduction; il n’y a pas de meilleur moyen de faire con- naître Pecquet et son œuvre. Manuscrit de M. Pecquet mesme sur sa découuerte des veines thoraciques du chyle, contenant l'exposition de son livre. Première partie. — « Un ancien philosophe disoit que le hasard estoit le meilleur artisan qui fust au monde, et qu’il nous aprenoit souuent des choses qui auroient esté dans un éternel oubly, sy il ne nous les avoit fait connoiïstre. Il m'a donné la connoissance du vray chemin que fait le chyle dans le corps des animaux (2) auant que d’arriuer au lieu où se (1) Mentel, cette même année, loue Pecquet de ce que, dans une aussi grande jeunesse, il ait sacrifié le plaisir à l'étude et déjà fait de belles découvertes. (2) On lit en tête du même volume les deux notes suivantes; elles émanent de quelqu'un qui voulait plutôt rabaisser qu’exalter la gloire de Pecquet : « Pequetus plane tyro in anatomicis forte fortuna reperit (Mentelio adhortante illum ad examen confluvii lactearum mesenterii venarum (Ze récit de Pecquet ne confirme pas cette allégation ;—voy. aussi la fin du chap. 6) ductum chyli thoracicum, quemiduplicem facit (voy. p. 631, note 1 et p.627), licet unicus sit; de qua re inventa nihilcom-: 630 DÉCOUVERTE DU CANAL THORACIQUE ET DES LYMPHATIQUES. forme le sang qui est l’aliment véritable qui les entretient et leur donne la vie. « J'auois leué le cœur d’un chien que j'ouuris tout vif pour le voir battre sur une fable, et ne songeoïs à autre chose qu’à conter les systoles et diastoles que les derniers efforts de ses esprits lui faisoient produire, lorsque j’aperçus une substance blanche comme laiet qui découloit de la veine cave ascendante dans le péricarde, à la place où auoit esté le ventricule droit du cœur. J'examine cette substance blanche, et, n'ayant pu découurir aucun abcès qui l'eust produite, comme j'en avois eu la pensée, j'ouuris la veine cave en sa longueur, tant au-dessus qu’au-des- sous du cœur, et je m'aperçus que cette substance, qui n’auoit autre goust, odeur, couleur, ny consistance que du laict ou chyle que j'auois vu peu auparavant exprimé des veines lactées, venoit des rameaux sous- clauiers, où je trouuay un peu au-dessus des jugulaires les trous par où cette liqueur laicteuse entroit dedans la veine caue. Je crus que le mé- zentaire y pouuoit auoirenuoyé ce laict par des canaux qui jusques alors estoient inconnus, et qu’il estoit à propos de ne pas négliger la connais- sance que la Providence divine me donnoit d’une chose si utile et si né- cessaire à l'usage de la médecine. « Je mis la main sur le mézentaire de cet animal qui auoit encor asses de chaleur, et dont les lactées n’estoient pas du tout épuisées, et à peine eus-je un peu pressé, que je vis sortir le laict tout pur de ces deux sources que j’auois remarquées dans les sous-claviers. J’y reconnus quatre ou cinq trous d’un costé et autant de l’autre, par où ce laict entroit dedans la cave, et vis qu’ilne pouuoit monter en haut par les jugulaires dont les deux portes ou valuules se fermoient à mesure que ce laict, à cause de la situation de l'animal, vouloit y monter. Je continuai de rechercher ces vaisseaux lactés dans une infinité de chiens que j'ouuris à ce dessein (1). movebatur, nisi Mentelius illum excitasset et provocasset ad scriptionem, cui epi- stolam laudatoriam attexuit, et Dominum de Mersenne atque D. Auzotium ad illud idem praestandum impulit (Mentel, de Mercenne, Auzot, qui s'occupe surtout des conséquences médicales et physiologiques du Novum inventum, vantent Pecquet, et, dans leurs Lettres, ne s'attribuent aucun mérite). Hinc celebritas Pequeto accessit. — Sane non ignoremus eademaetate fuisse Pomponium (id est, comicum) sensibus celebrem, verbis RvDEM (ita Pequetus), et novitate inventi a se operis commen- dabilem. » Veil. Paterculus, Histor,, lib. II[9, 5]. — Ges deux notes, qui sont de deux mains différentes, paraissent un peu plus récentes que le livre de Pecquet. À la suite du manuscrit de Pecquet, on a ajouté le curieux Rapport autographe du chirurgien Bertrand (décembre 1650) qui a fait la dissection d'un corps où les parties internes étaient transposées. Enfin les Lettres de Mentel et de de Mercenne sont chargées de notes, — Il y a une édition in-24, Amsterd., 14664. (4) Le manuel opératoire est très-bien indiqué par un des élèves de Pecquet, par Martet, dans son Abrégé des nouvelles expériences anatomiques, ete. Toulouse, 1652. C'est là ce qu’il y a de plus intéressant dans ce livre. PECQUET. 631 Et les trouuay enfin tout le long des vertèbres du dos, sur l’épine, des- sous l'aorte; et,les ayant liés tant d’un costé que d'autre, je les vis se gonfler au-dessous de la ligature, et reconnus en laschant quelquefois la mesme ligature, qu'ils portoient le laict aux trous que j'auois remarquez dans les vaisseaux sous-claviers de la cave ascendante. Je les conduisis depuis ces trous jusqu'au diaphragme avec grand soing, et les trouuay étendus sur l’épine du dos, tantost s’unissant, tantost se séparant, et tantost s’enuoyant des branches l’un à l’autre. J’en trouuay deux pour l'ordinaire (1), maïs qui varioient souuent les lieux de leur union et qui pourtant ne manquoient jafhais de se rendre aux mesmes endroits des sous-claviers (2). « Après les avoir exactement conduits jusques au diaphragme, je m'aperçus qu'il y auoit entre les veines, sous le centre du mézentaire, un réseruoir (3) caché, d’où sortit une grande quantité de laict, quoique je n’en aperçusse plus ou fort peu dans les veines lactées du mézentaire. « J'ouuris un autre chien et m'attachay principalement à la recherche de ce réseruoir. Je liay d'abord les vaisseaux lactés que j'auois trouuez daus le torax pour empescher que le chyle ne s’en allast lout; et c’est par où il faut commencer la recherche de ce que j'ai découuert. Je courus incontinent au diaphragme ; je le leuay tout doucement, le dé- chirant peu à peu, et treuuay dessous l'aorte une vessie pleine que je (4) Chez l’homme, il y a deux groupes de lymphatiques (les chylifères sont con- sidérés comme les lymphatiques intestinaux) qui aboutissent à deux troncs: 4° le canal thoracique, celui que Pecquet décrit, non d’après l’homme, mais d’après les mammifères ; après avoir recu {ous les lymphatiques de l’abdomen, des membres inférieurs, du côté gauche de la poitrine, du cou et de la tête, il s'ouvre au confluent de la sous-clavière gauche et de la jugulaire interne du même côté; 20 la grande veine lymphatique recoit les Iymphatiques du bras droit, du côté droit de la tête, du cou et de la poitrine, et s'ouvre dans Ia portion sous-clavière du tronc brachial droit. Je trouve, dans Cuvier-Duvernoy (Lecons d'anatomie comparée, 2 éd., ft. VI, p. 66), la phrase suivante qui justifie Pecquet : «On voit souvent sortir (chez ies mammifères) de la citerne lombaire (réservoir du chyle) deux troncs distincts qui s’avancent sur les deux côtés du corps des vertèbres, s'envoient des branches transverses de communication et s’écartent l’un de l’autre en avant de la poitrine pour gagner les sous-clavières droite et gauche, et s’y terminer après s’être encore séparés en deux ou trois branches. » (2) Voy. les figures, p. 632-633.— Comme Pecquet ne pense qu'aux chylifères, il fait mille efforts de raisonnement et institue même des expériences pour prouver qu'il n’y a point de ces vaisseaux aux membres ni à la tête, ni au tronc, mais seu- lement dans l'abdomen. — Voy, p. 634, note 4, et p. 638, note 5. (3) Receptaculum. Situé au niveau de la troisième vertèbre lombaire, entre les deux reins, adhérent aux glandes surrénales. — Pecquet détruit, chemin faisant, l'erreur d’Aselli touchant le paneréas; il ne trouve que des glandes isolées, tantôt cinq, tantôt trois, chez les chiens ou autres mammifères. | 632 DÉCOUVERTE DU CANAL THORACIQUE ET DES LYMPHATIQUES, FIGURES ET EXPLICATIONS TIRÉES DE PECQUET. La figure À montre les vaisseaux lactés thoraciques et le réceptacle du chyle. A. Tronc ouvert de la veine cave ascendante. — B. Rencontre des veines jugu- laires et axillaires; les embouchures des lactés sont désignées par des points. — GC. Valvules des jugulaires qui s'opposent à l'ascension du chyle. — D. Division des vaisseaux lactés (canal thor.) vers leurs embouchures, — KE, Anastomoses des vais- seaux lactés, à divers Es de leur parcours. — F. Renflement qui se montre Ynr AE à mn cd souvent à gauche, près du diaphragme, — G. Autre renflement se développant à droite, — H, Portion du nel. — 1, RÉceprAcLe du chyle. — L. Troncs des lactés mésentériques près du réceptacle ; une membrane plus ample indique les valvules qui empêchent le retour du chyle, — 7, Valvules qui permettent le passage du chyle dans la veine cave, mais s ’opposent à son retour vers le réceptacle. PECQUET. 633 La figure 2 montre un chien ouvert avec les vaisseaux lels qu'ils sont chez l'animal et placés chacun en leur lieu, 1. Tronc de la veine cave ascendante, — 2. Portion de l'aorte qui adhère, entre À | à les reins, au réceptacle du chyle. — 3, Les reins. — 4, Le diaphragme disséqué. — 5. Woar ou muscles lombaires. 634 DÉCOUVERTE DU CANAL THORACIQUE ET DES LYMPHATIQUES. sentois au fact. Je remarquay sa grandeur, sa longueur et sa largeur ; et ayant coupé le foye, la rate, l’estomach et tout le mésentère, je la treuuay encor en sa plénitude et sans qu’elle se déchargeast. D'où je jugeay que le laict que je voyais y estre contenu, par sa continuité avec les vaisseaux lactés du torax, ne relournoit pas vers le mésentère, et qu'il y auoit des valuules aux embouchures des vaisseaux qui l’auoient porté dans cette vessie pour en empescher le reflux. Je connus qu’il n’alloit point au foye ny à la rate, puisque [ces viscères] estant jettés dehors, il ne laissoit pas de se conseruer dans ce reservoir; et ayant fendu la veine caue et l'aorte en long depuis les iliaques jusques au diaphragme, je n’aperçus point qu'il y entrast du laict. J'ouuris ce réseruoir pour voir si je ne me trompois point dans la conjecture que j'auois faicte du laict qu’il contenoit, et je reconnus par l'abondance qui en sortit qu’il en con- tenoït davantage que je ne m'en estois promis. Il me fut aisé pour lors de remarquer les valuules des vaisseaux lactés du thorax, qui ne déchar- gèrent point leur chyle par l’ouuerture que j'auois faicte au réseruoir.Je voulus voir si je pourrois trouuer le reseruoir après que j’eus vuidé le laict; mais il me disparut aussi bien que les lactées du mésentère et du thorax, qui ne sont visibles que par le laictou chyle qu’ils contiennent, «ll ne me restoit plus qu’une chose à voir, qui est la communication des veines lactées du mésentère auec ce reseruoir. Je prends un chien, je l’ouure, je lie les vaisseaux lactés du {horax, je découure le reseruoir sans endommager le mésentère; je lie au centre de ce mésentère, le plus près que je peux de ce réseruoir, les veines lactées d’Asellius, pour y arrester ce laict; je crève mon reseruoir, et le chyle restant sorty, je délie les veines lactées du mésentère, et alors je vois que le lait qu’elles contenaient s'écoule tout par le trou que j'auois fait à ce reseruoir. « Voilà le sommaire de l’hystoire anatomique que j'ay décrite dans la première partye de mon traité. Or, avant de la finir, j'ay remarqué: « Que j'auois découuert ce réseruoir du chyle et ces vaisseaux lactés du torax, non-seulement aux chiens dont j'en ai fait mourir un grand nombre, mais encore dans les bœufs, veaux, vaches, chevaux, pourceaux, et dans les moutons où j'ai trouvé cela en particulier, que souuent il n’y a qu'un vaisseau lacté dans le torax, maïs fort gros, qui, quand il est arriué vers le cœur, se distribue pour aller porter le laict aux sous-cla- vieres, comme [chez] les autres animaux (1). « Je ne dis rien des hommes, parce que je n’ay pas eu l’occasion d’en ouurir de tout nouuellement exécutez, comme fit M. Peyres [c] quand il y treuua en Prouence des veines lactées dans le mésentère, n'ayant pas eu la pensée de les aller chercher dans le torax, non plus que tous nos anatomistes. Je ne doute pourtant point qu'ils n’ayent les mêmes vais- (4) Ici nous retrouvons les mêmes dispositions que chez l'homme pour le canal thoracique ; nulle part Pecquet n’en a distingué la grande veine lymphatique, et il veut toujours que le canal simple ou double aille aux deux sous-clavières, PECQUET. 635 seaux, et que leur foye ne soit aussi inutile pour l'aimatose que celui des animaux, qui ne fait jamais de sang, et ne sert que pour échauffer le ventricule et filtrer la bile et les impuretez de la masse sangui- naire (1). » La deuxième partie des Experimenta, où Pecquet traite des mouvements du sang et du chvle, ne vaut pas la première ; 1l admet la circulation harvéienne et la confirme par des expé- riences qui n’ont aucune nouveauté; elles ne sont guère que la répétition de celles de Harvey (2) : La ligature des vaisseaux, leur ouverture, puis la disposition des valvules ; cependant le passage sur la veine porte et quelques réflexions sur le prin- cipe du mouvement du sang méritent d’être cités. « Les expériences susdites et plusieurs autres m’ayant convaincu pour la veine cave et les autres, j'ai tasché de découvrir le mouvement du sang daus la porte. J'ai trouué que les ligatures et les seignées que l’on fait dans ses petits rameaux ne suffisent pas pour convaincre un esprit raisonnable, à cause du peu de valuules et des fréquentes anastomoses qu'ils ont avec les rameaux de l’artère céliaque. Mais, ayant lié les gros rameaux splénique et mésentérique, proche le tronc, j'ay trouué que ces rameaux se sont gonflés vers leurs ligatures depuis leurs extrémités, et qu'ils se sont vuidés depuis les mesmes ligatures jusqu’au foye avec beau- coup de vitesse; ce quis’est fait tant de fois, que je ne puis comprendre comme M. Riolan a un autre sentiment touchant cette matière. Cecy étant expédié pour la porte, j'ai trouué qu'elle a double usage et double tunique. Elle fait l'office des veines portant le sang des extrémités à son tronc, et l'office d’artère, portant et distribuant le sang de son tronc par les extrémités de ses racines dans le foye, qui ont une véritable tunique d’artère. « Je trouve que le principe du mouvement du sang ne peut être son (4) Ce sont les expériences sur le mouvement du chyle, au moins antant que la direction des vaisseaux lactés, qui ont conduit Pecquet à porter condamnation contre le foie. Mais voyez combien il est difficile de se débarrasser soi-même des vieilles erreurs et de délivrer le foie de fonctions imaginaires, Voilà encore que, selon Pecquet, ce viscère sert de chaufferette pour l’estomac et de filtre pour le sang ! (2) Pecquet admet les synanastomoses où abouchements pour les vaisseaux car- diaco-pulmonaires dans le poumon; mais il pense que, pour presque tout le reste du corps, il y a anastomose; c’est-à-dire, que, prenantce mot danssa signification ori- ginelle, il fait extravaser le sang par les bouches béantes des artères, dans l'intimité des tissus, pour les nourrir, et il fait reprendre le résidu par les bouches ouvertes des veines, — Voy. plus haut, p. 612-613, la doctrine de Harvey sur ce point. 636 DÉCOUVERTE DU CANAL THORACIQUE ET DES LYMPHATIQUES. propre poids qui le fait passer des artères dans les veines, et que quand les artères et les veines seroient des syphons, le sang ne pourroit pas retourner au Cœur. « 4° Parce que les artères des moribons se vuident, et les veines se gonflent sans se décharger dans le cœur, ce qui ne convient pas au syphon ; 2° les artères liées se vuident au delà de la ligature et poussent leur sang dans les veines, sans que la grauité ny que la raison du syphon agisse ; 8° les veines liées ne laissent pas d'envoyer leur sang au cœur depuis feur ligature ; ce qui ne convient pas au syphon ; 4° les syphons tirant d'un costé se vuident de l’autre, ce qui ne conuient pas aux veines et artères; car, lorsque le sang est poussé dans les artères, les veines ne se vuident point, mais seulement se gonflent, et ne se vuident que lorsque rien n'entre plus dans les artères. « Je montre, par les mesmes raisons, que la systoie du cœur (ventricule gauche) ne suffit pas pour le retour du sang dans le cœur [par les veines}, puisque l'interruption de cette systole par la ligature des veines et artères n'empesche pas ce retour du sang dans le cœur, et que les moribons ne laissent pas d'envoyer leur sang artérieux dans les veines lorsque la systole a cessé. Je montre que la diastole est aussi très-inefficace pour attirer le sang au cœur par sa chaleur, comme on dit de la vantouse, ou par sa dilatation, comme le soufflet attire l'air en se dilatant; parce que je ne puis admettre cette attraction que je ne vois aucunement néces- saire, puisque les veines sont gonflées et regorgent de sang lorsque le cœur s'ouure, et que, malgré qu’elles en ayent, elles sont contraintes de le laisser s’écouler dans les ventricules du cœur lorsqu'ils sont vuides et ouuerts pour le recevoir. « Je découure les causes partielles du mouvement du sang, qui sont la systole du cœur, la contraction des membranes qui, naturellement, se res- serrent, estant dilatées par une humeur étrangère qui les y contraint, et la compression des muscles et des parties externes, comme pourroit estre la dilatation des poulmons, etc., et fais voir que ces trois causes concou- rent pour le retour du sang, et que quand l’une meurt, l’autre supplée à son défaut. «Je montre ensuite le principe du mouuement du chyle, son entrée dans les intestins, son chemin dans les lactées et dans le réseruoir du chyle, et sa sortie dans les sous-claviers; où je fais veoir que la respi- ration cause tout ce mystère, contraignant le chyle de s'exprimer des viandes dans les lactées à travers les tuniques des intestins, comme les liqueurs s'expriment à trauers un sac de linge lorsqu'on le presse (1). Je fais voir que la contraction des intestins ne facilite point ce passage du chyle, mais bien la compression des parties voisines, lors de la contraction des muscles. Les mouvements du chyle, depuis les intestinsjusques aux sous- (4) I a fallu l'intervention du microscope et des injections les plus délicates pour reconnaitre le mode d’abouchement des chylifères avec les intestins, PECQUET. 637 claviers, je l’attribue tant à la compression des parties externes causée par la respiration, contraction des muscles, battement des artères, etc., qu’à la contraction naturelle des veines lactées. «Je ne parle point du mouvement du chyle des rameaux sous-claviers au cœur, parce que il s’infère du mélange du chyle avec le sang qui descend dans ces rameaux, et qui va par la caue ascendante au ventricule droit. » Combien la vérité rencontre de difficultés à se faire jour ; car non-seulement elle est combattue par la routine, mais souvent obscurcie par ceux mêmes qui la découvrent et qui n’en voient qu’une portion! La découverte de Pecquet a rencontré une oppo- silion d'autant plus vive qu'elle chassait les galénistes endurcis de leur dernier retranchement, c’est-à-dire du foie. — Plusieurs des adversaires de Harvey, entre autres Riolan (4), furent tout naturellement les adversaires de Pecquet. En 1654 Pecquet et un de ses amis, Hyginus Thalassius (si toulefois ce n’est pas un pseudonyme), ont vertement ct victorieusement répliqué à Riolan, dont ils ont fait, par anagramme : Joannes ore insanus (Joannes Riolanus). Dans sa réponse Pecquet invoque quatre expériences assez compliquées, un peu confuses, exactes cependant, ce me semble, pour prouver que les chylifères d’Aselli n’aboutissent pas au foie ni au pancréas (dont il connaissait le canal décrit en 1642 par Wirsung), mais au canal thoracique, et que le chyle suit bien la marche qu’il lui a assignée (2). (1) Nous avons aussi, comme un modèle du genre, l'ouvrage que Joannes à Turre a publié en 4666, à Milan (Sanguinis officina, motus el usus), pour répondre à tous les abominables novateurs (voy. plus haut, p. 615 et note 3). — Le Noble, dans ses Observationes rarae et novae de venis lacteis, ete., Parisiis, 1655, voulant con- tenter tout le monde, même Riolan, défend une thèse parfaitement ridicule (elle est encore soutenue, en 4652, par Bartholin, De lacteis thoracis), à savoir, qu'une partie du chyle va au canal thoracique et l’autre au foie. Hénault lui oppose un Bouclier (Clypeus), contre lequel viennent s'émousser les traits dont il voudrait percer le second cœur (réservoir) découvert par Pecquet. Rouen, 1655, Le Noble a bien vu, du moins, que le canal thoracique est simple chez l’homme. (2) Mais voyez plus haut, p. 631, note 2, son erreur relative au reste des lympha- tiques ; il y a lieu de croire que, dans la quatrième expérience, il a vu des lym- phatiques qu’il prend pour des conduits galactophores. Riolan, au contraire, les re- gardait presque comme des chylifères. — Pecquet ne sait pas non plus comment se fait l'hématose, si ce n’est par la fermentation dans le cœur. | - 3 638 DÉCOUVERTE DU CANAL THORACIQUE ET DES LYMPHATIQUES. Jusqu'ici, Anglais, Italiens, Français, ont concouru, avec plus ou moins de succès et de génie, à tracer au sang et au chyle leurs véritables voies; 1l reste encore une section à ouvrir, celle des lymphatiques du corps. Cette gloire revient certainement en première ligne au Suédois Rudbeck, bien que le Danois Thomas Bartholin la lui ait disputée avec autant d’acrimonie que d’injus- tice par la plume de son ami Bogdan. Après avoir lu avec la plus grande attention, et en avoir fait même de nombreux extraits, les deux premières dissertations de Rudbeck (1), les attaques de Bogdan (2), la réponse assez calme de Rudbeck (3), la réplique injurieuse de Bogdan (4) et les dis- serlations nombreuses de Bartholin lui-même sur ce sujet, je demeure convaincu avec Haller que Rudbeck a la priorité sur Bartholin, loin d’être son plagiaire, dans la démonstration si compliquée des vaisseaux lymphatiques. Toute la question git dans la distinction expresse d’une espèce de vaisseaux blancs, différents, au moins par leur origine, des vaisseaux chylifères. Eh bien! de l’aveu de Bogdan lui-même, au mois de décembre 1651 Bartholin confondait encore les chylifères et les Iymphati- ques (5), tandis que Rudbeck, qui en 1650, avant Pecquet, avait vu mais seulement indiqué le canal thoracique (6) et son ré- servoir, décrit aussi les vaisseaux agueux ou séreux dans les premiers mois de 1651 ; dès lors, il ne cessa de multiplier les (4) De circulatione sanguinis. Arosiae, 4652 ; Nova exercitatio dnatomica, ibid., 1653. (2) Insidiae structae Bartholini vasis lymphaticis ab O. Rudbeckio; 1654, in-4. (3) Insidiae structae aquosis ductibus O. Rudbeckii a Th. Bartholino. Leid., 4654, in-4. (4) Apologia pro vasis lymph. Th. Bartho!,, 4654, in-12. (5) Dans la dissertation De lacteis thoracis in homine brutisque, etc., 1659, Bartholin, qui confond encore les chylifères et les lympbhatiques, dit, comme Pecquet {voy. p.631, note 2), qu'il n’y a point de chylifères à la tête ni aux membres; cependant (chap. 6) il en a entrevu sur l’aorte, sur les vaisseaux émulgents, etc., d’un chien. Il prend les lymphatiques lombaires et utérins pour des chylifères, mais il établit que le canal thoracique ne s’abouche qu'avec la sous-clavière gauche (chap. 5 et 12). — Dans cette dissertation, il cherche à tirer des conséquences mé- dicales plus ou moins exactes de la doctrine des chylifères. (6) Pecquet n’avait pas connaissance de ce fait, RUDBECK ET BARTHOLIN. 639 investigations sur ces vaisseaux; et même en 1658 il en connais- sait un bien plus grand nombre que Bartholin. Horne, ami des deux parties, n’hésite pas à donner le pas à Rudbeck sur Bartho- lin (1), à qui on peut reprocher de ne s'être jamais trouvé assez riche de son propre fonds, d’avoir trop souvent porté envie aux découvertes des autres, et cherché à en revendiquer sa part sans motifs légitimes. Plus érudit que savant, Bartholin n’a pas tou- jours vu par lui-même, et il embrouille ou compromet les démonstrations d'autrui, comme cela lui est arrivé dans la ques- tion présente, surtout dans ses premières dissertations. Quoi qu’il en soit, c’est en 1653 que Bartholin s’est décidé (2) à chanter le De profundis sur le foie, qu'il l’a enterré solennel- lement et qu’il a mis sur sa tombe l’épitaphe suivante : SISTE, VIATOR CLAVDITVR. HOG TVMVLO. QVI. TVMVLAVIT PLYRIMOS PRINCEPS, CORPORIS. TVI. COQVS. ET ARBITER HEPAR. NOTVM. SECYLIS SED IGNOTYM. NATVRAE Qvon NOMINIS, MAJESTATEM, ET DIGNITATIS FAMA, FIRMAVIT OPINIONE, CONSERVAVIT TANDIV. COXIT DONEC, CVM. CRVENTO, IMPERIO, SEIPSUM DECOXERIT ABI. SINE. JECORE. VIATOR BILEMQVE. HEPATI. CONCEDE VT SINE. BILE. BENE TIBI. COQVAS. ILLI. PRECERIS (4) C'est le 28 février 4652 que Bartholin donne aux vaisseaux lymphatiques du foie le nom de vaisseaux aqueux ou séreuxr, qu'il les distingue des chylifères proprement dits, et que par conséquent il répudie l'erreur qu'il partageait avec Aselli, Cette même année, il signale beaucoup d’autres réseaux lymphatiques. Voy. Vasa lymph. nuper Hafniae in animantibus inventa, 1653. Cap. 2 et 3. (2) Dans la dissertation intitulée : Vasa lymphatica nuper Hafniae in animan- libus iaventa, C’est là (voy, la note précédente) qu'il donne une description 640 DÉCOUVERTE DU CANAL THORACIQUE ET DES LYMPHATIQUES. A quelque temps de là (1666), Joannes de Turre, avec lequel nous avons déjà fait connaissance (voy. p.615), relevait le corps glorieux du foie et célébrait son apothéose : PRO SANGUIFICO HEPATE CARMEN. QVID. VIATOR. ABIS SICQVE. GRAVI, CENSES, INSONTEM. MARMORE. CLAVDI CUJUS. ET. IMPERIO. PVRPVRA. DIGNA, FVIT SISTE LAESERAT. HEROEM, PECQVETVS. SANGUINE. DEMPTO ADDIDERAT. TVMVLUM. BARTHOLVS. VLTRO. QVIDEM EIA SED. NEQVE. SVB, SAXO. JECORIS. NVNC. VMBRA. MORATVR IPSI. NAM. VITAM. TVRRIVS. IPSE. TVLIT EN SANGVINE. NON. SOLVM. DITAVIT. TVRRIVS. HEPAR SANGVINIS. ET. SCEPTRVM. REDDIDIT, IMO. DEDIT Mais le foie était mort, bien mort; il n’est pas sorti de son tombeau et lAl/eluia du poëte-médecin n’a trouvé d’écho que dans quelques esprits mal organisés (1). Voilà done, Messieurs, toutes les voies de la nutrition décou- vertes (sauf les anastomoses capillaires des artères et des veines que démontreront tout à l'heure les anatomistes de la fin du xvu° siècle), mais'il manque enccre une théorie de la nutrition elle-même. C’est Wharton (1610-1673) et Glisson (1596-1677), assez ample des lymphatiques, de leur contenu et de leurs usages, usages qu'il invente pour la plupart. — Voy. aussi : Vasa lymphatica in homine nuper reperta, 1654. IL a entrevu ces vaisseaux sur l’homme en 1653, attendu la pénurie des pendus en cette année; mais il les a vus, en 4654, sur le cadavre en- core chaud d’un phthisique, circonstance très-favorable à cause de l’extrème mai- greur du sujet (chap. 2). Ici la physiologie et la pathologie ne valent guère mieux que dans la dissertation précédente. — Sur la dénomination des lymphatiques, voy. le même auteur dans la prolixe De/ensio. adversus Riolanum, p. 60 et suiv. (4) Le fameux de Bils, un moment si renommé pour ses préparations anato- miques, de Bils qui avait imaginé et même faitreprésenter une nouvelle distribution des vaisseaux lymphaliques et une nouvelle forme du canal thoracique qu'il appelle rorifer en raison des étranges fonctions qu'il lui attribue, eut un moment, avec Deusing, l'idée de ressusciter le foie (roy. en particulier Barthol. Spicil. ex vasis lymph., 1660 ; IT, 7). Ces tentalives, renouvelées par Vattier et Leichner, entre autres, échouèrent misérablement ; Sténon n’a pas peu contribué à leur chute, WHARTON ET GLISSON. — THÉORIE DE LA NUTRITION. 6h deux anatomistes anglais, qui nous la fournissent, et c’est bien une des plus étranges conséquences qu’on ait pu tirer des nou- velles découvertes; du reste c’est l'imagination d’une part, et d'autre part les apparences anatomiques qui lui ont donné nais- sance en dehors de touté expérimentation régulière. Jusqu’à présent nous n’avons rencontré aucun démenti éclatant à cette proposition si souvent répétée : La seule connaissance de la structure ne conduit pas à la connaissance des fonctions; si elle met sur la voie, il faut que la confirmation décisive vienne de la méthode expérimentale. On ne peut pas séparer Glisson et Wharton, deux honnêtes figures de cette époque; l'amitié les avait unis; une certaine communauté de vues et de recherches a resserré ces liens que l’histoire ne doit pas rompre. Les anciens, divisant les parties, eu égard aux apparences extérieures, en spermatiques (ou parties blanches, par exemple tout le système cellulo-fibreux) et sanguines (ou parties rouges, par exemple les muscles), prétendaient que les premières conti- nuent à se nourrir aux dépens de la liqueur prolifique en prédo- minance sur le sang, tandis que les secondes sont entretenues presque exclusivement par le sang. Wharton (suivi en cela par Glisson) consacre cette distinction, mais en la modifiant sur un point important. Pour lui, ce n’est pas précisément le sperme qui est l'aliment des parties spermatiques, mais un liquide analogue, blanc, un principium primogenaeum. Et par où pensez-vous que Wharton fasse venir cette liqueur blanche ? Sans doute par les lymphatiques, dont la découverte faisait tant de bruit à cette époque ? Non pag; — mais alors ? — Eh bien, par les nerfs, comme nous allons le voir. Wharton (chap. 1‘r) range les glandes parmi les parties blanches ou spermatiques; c’est lui qui, pour la première fois, les étudie dans leur généralité, les sépare des viscères (1), des tissus membraneux, et décrit chacune d'elles ; il a même fait quelques découvertes assez importantes (2). Dès le (4) Au chapitre 5, les glandes et les viscères sont comparés à des {les (il eût mieux valu dire des presqu'iles), et les autres parties à des ferres fermes ou continents. (2) Wharton met au rang des glandes des organes que nous ne regardons plus DAREMBERG. Ai 642 WHARTON ET GLISSON. début du livre (1) nous voyons poindre la nouvelle théorie de l’origine des sucs blancs. Le cerveau, substance médullaire sui generis, n’est pas une glande ni un viscère (chap. 3), comme le croyaient les anciens; mais, ce qui ne vaut guère mieux, c’est le maitre des glandes, lesquelles sont:ses servantes. Aucun nerf ne le pénètre, il en est au contraire l’origine, et c’est par eux qu'il distribue à tout le corps le succus nutritivus dont il est la source, sinon l'officine. La rate est comme une succursale du cerveau par les services analogues qu’elle rend aux nerfs (2), ce n’est pas une glande; elle n’a ni lymphatiques, ni canaux excré- teurs; son parenchyme n’est pas #2 frustula divisum, comme celui des glandes, mais continuum ; elle a des vaisseaux plus volumineux que les glandes ; les nerfs sv terminent à la char- comme telles ; il les subdivise en plusieurs groupes (chap. 6) : celles qui regardent l'individu, les générales (glandes du mésentère, de l’épiploon, pancréas, thy- mus, elc.; du cou, de la bouche, du cerveau, conarium, ete., des articulations; ganglions) ; — celles qui regardent l'espèce (testicule, gland, ovaires, placenta, nymples, clitoris, ete.). 11 y en a de constantes, d’accidentelles, de saines et de morbides. Jamais Wharton ne manque de donner place aux considérations patho- logiques, après avoir décrit chaque espèce de glandes. — II dit (chapitre 2) que la langue est non une glande, mais un muscle pourvu, surtout à sa partie postérieure, d’une substance glandulaire spéciale. IL sait (chap. 7), que le mésentère esl une lame cellulaire doublée, sur ses deux faces, par le péritoine ; — il en a reconnu la forme en éventail, la pointe à la racine, Il décrit mieux qu’on ne l'avait fait avant lui les ganglions mésaraiques ; il distingue très-bien, contre Bartholin (De lacteis thor. in animant., ete.; cap. 5 et 6), le réservoir de Pecquet des ganglions Iym- pbhatiques lombaires ; il a remarqué (chap. 8 et 40) que les radicules des vaisseaux lactés ou lympbatiques, après s'être réunies en tronc plus ou moins volumineux, se ramifient avant ou dès leur arrivée aux ganglions et après en être sorties ; alors elles se réunissent de nouveau, On connait la découverte que Wharton a faite du conduit excréteur de la glande sous-maxillaire, découverte dont Glisson reven- dique sa part, mais de bonne amitié. Rien n’est plus intéressant que ee livre sur les glandes, malgré de nombreuses lacunes, des méprises pour l'anatomie et des erreurs plus nombreuses encore pour la physiologie, (Voyez, par exemple, Îles parotides chargées de fabriquer le cérumen de l'oreille!) Il règne d'un bout à l'autre de cet ouvrage une grande sincérité. (1) Adenographia, sive glandularum totius corporis descriptio. Y'ai suivi l'édition de 1664, — Bartholin, Spécileg. ex vasis ympl, V, 1-3; 1655, a réfuté la théorie de Glisson. (2) Sylvius de le Boe (p. 552) fait jouer aussi à la rate un rôle prépondérant dans la sanguification; mais des deux eôtés le rôle n’est pas tout à fait le même. THÉORIE DE LA NUTRITION. 643 pente fibreuse et ne plongent pas dans le parenchyme; enfin la liqueur qu'elle contient, ne pouvant pas s’en aller au dehors, ne peut servir qu’à être absorbée par les nerfs ! Il n’y a rien de curieux comme de voir un esprit ingénieux du reste, et fort cultivé, s’épuiser en vains efforts pour démontrer une hypothèse gratuite qu'aucun fait expérimental ne soutient et pour laquelle il met à la torture des recherches anatomiques per- sonnelles ou déjà faites. En général, les vraies glandes ont cinq vaisseaux : des artères, des veines, des nerfs (qui les font participer au mouvement, au sentiment et à la nutrition), des lymphatiques à l’aide desquels elles enlèvent l'humidité aqueuse ou la Iymphe, enfin des ca- naux excréteurs. Car « toutes les glandes prêtent de quelque manière leur ministère aux nerfs; ce sont des parties entière- ment excrétoires, et ce qu’elles sécrêtent, ou elles le reçoivent des nerfs ou elles le leur fournissent; à moins qu'il ne s'agisse d'une matière tout à fait superflue, à l'excrétion de laquelle sont employées quelques glandes spéciales qui ont des vaisseaux appropriés à cette matière ». (Pag. 13.) Toutes les glandes, dit ailleurs Wharton, ont un emgloi public et officiel ; elles servent en partie (comme les viscères, du reste) à la dépuration du sang; en partie elles reçoivent des nerfs quelque chose qu’elles versent dans le système veineux, et en partie elles communiquent une portion de l'aliment d'élite (selectum) aux nerfs qui deviennent dès lors le siége d’un double courant comme autrefois les veines mésaraïques. Les viscères sont plutôt les serviteurs du sang vital et les glandes plutôt les servantes du fluide des nerfs. Voici le passage capital tiré du chapitre dixième ; il n’y est pas question des lymphatiques du tronc, mais seulement des gan- glions et des /actés entéro-mésentériques, ou de quelques autres parties de l'abdomen, sans distinction d'avec les lymphatiques. « Je pense que les glandes (ganglions) servent moins à l'altération du chyle qu'à séparer de lui, pour l'aliment des parties nerveuses (fibreuses), un certain suc plus pur et plus doux, et à ramener dans le réceptacle commun ce qui reste de plus spiritueux en lui. De ces deux actes, le premier s'exécute en partie par une sorte de filtration faite à 6h WHARTON ET GLISSON. travers la substance de la glande, en partie par l'attraction similaire des extrémités du nerf propre à la glande ; le second se fait aussi en partie par filtration à travers la glande, et en partie par succion élective des extrémités des lactés de la seconde espèce, qui sortent de la glande. « Si on disait que leur principal office est de modifier en quelque point le chyle, il se trouvera une grande difficulté dans cette assertion. Il n’est pas aisé, en effet, de dire quel changement elles peuvent produire dans ce suc lacté, puisque par leur substance et leur tempérament elles parais- sent toul à fait semblables à ce lait. Or, le suc transmis par ces glandes dans le réceptacle commun du chyle, ne semble nullement altéré, ni quant à la couleur, ni quant à la substance. «Je regarde en effet comme assez probable le sentiment qu'énonce notre illustre collègue Glisson, dans son ouvrage intitulé : Anatomia hepatis, à savoir qu il y a deux espèces d'aliments : l'un pour le sang et les paren- chymes sanguins, l’autre pour les parties spermatiques; que cet aliment est fourni aux parties fibreuses par le ministère desnerfs, et que les nerfs le reçoivent immédiatement des glandes nourricières. Je suis aussi de son avis lorsqu'il dit que les glandes ont trois offices principaux : la nu- trition, l’excrétion, la réduction (1), et que les unes nourrissent surtout le mésentère, les autres les lombes. «J'en ai assez dit pour faire connaître l’office des glandes, de leurs nerfs et des deux espèces de lactés (2) qui leur prêtent leur ministère; l'office des lactés de la première espèce est d'amener et de distribuer le chyle tout entier aux glandes ; celui des glandes, de séparer du suc lacté le suc nu- tritif des parties nerveuses ; l'office des nerfs, de sucer et de porter ail- leurs le suc nourricier ; enfin celui des lactés du second genre, d'attirer l’autre partie, la partie lactée, et de la conduire dans le réceptacle commun. » A lire attentivement le traité de Wharton, on reconnaît promp- tement que ce n’est pas un esprit très-méthodique, et que le rôle qu'il attribue aux sucs blancs, et par conséquent aux glandes, est assez mal expliqué. Gependant on peut donner le résumé suivant comme l'expression la plus exacte des idées du célèbre adéno- graphe anglais : les glandes servent tantôt à reczvoir quelque chose des nerfs, tantôt à leur fournir; quelquefois elles font successivement les deux opérations. Il explique avec Glisson ce double courant par la multitude des fibres nerveuses dans un même nerf, ce qui permet à un liquide de monter et à un autre (4) Reductio: la reprise et le retour des sues blancs à un centre. (2) Ceux qui se rendent aux ganglions (#portalion) et ceux qui en sortent (exportation où exonération), THÉORIE DE LA NUTRITION. 645 de descendre en même temps, et il ajoute que le volume des. glandes est en raison de celui des nerfs dans chaque région. Encore une belle œuvre de lanatomie réduite à ses propres forces ! Du reste les rapports des lympbatiques avec les glandes (ces rapports ne sont pas très-nettement déterminés) permettent aux liquides d’être absorbés par ces canaux et d'arriver ainsi aux veines. Ce qui est obscur et incomplet dans Wharton devient plus clair dans Glisson (1), mais non pas meilleur. Glisson est un observateur attentif qui emploie le microscope et les injec- tions (2), la mensuration, les pesées; mais c'est un écrivain diffus, fort dialectique, et qui trouve d’aussi bonnes raisons que Galien pour expliquer la configuration des parties; néanmoins sa des- cription du foie passe encore pour classique, elle renferme en effet beaucoup de remarques nouvelles (3), et les modernes n’ont guére eu à y ajouter que l’anatomie microscopique. — Son opi- nion sur le mouvement de la bile est à peu près aussi celle qui est reçue aujourd’hui. Il signale l'importance du canal hépatique qui ne manque jamais, tandis que la vésicule fait quelquefois défaut ; — puis, quoiqu’elles soient bien évidentes, avec Harvey il nie au chapitre 38 les anastomoses de la veine porte avec la veine cave. L'office noble et public du foie est de purger le sang (sanquinis depuratio), et là il fait quelques sacrifices à la chi- miâtrie. Voici la partie physiologique de son livre, celle qui sert (1) Anatomia hepatis, ete. Londres, 1654, Plus tard, comme nous le verrons en traitant de l’irritabilité (p. 666, note 4), Glisson à voulu s’amender. (2) IL sait que le microscope peut créer des illusions et que les injections mal faites peuvent donner le change sur les communications entre les vaisseaux. (3) On connait la capsule de Glisson qui entoure les ramifications de la veine porte dans le foie, capsule que notre anatomiste a découverte en faisant des re- cherches spéciales sur les ligaments de ce viscère. Glisson compare le foie à un seg- ment oblique et un peu contourné d’un œuf cuit au dur ; c’est à peu près la com- paraison dont se sert Cruveilhier. Il déclare très-positivement que le foie humain n'est pas lobé ; car le lobe de Spiegel est si pelit, les éminences portes sont si pen développées, le sillon de la veine ombilicale est si peu profond, qu'on ne peut pas constater de véritables lobes. 616 WHARTON ET GLISSON. de complément ou d'explication à la théorie de son collègue Wharton. Il commence par établir (chap. 33) que ce n’est ni le foie, ni le cœur, ni les vaisseaux qui sont l’officine de l’hématose (car le sang existe dans l’embryon avant les vaisseaux, le cœur et le foie), mais bien l'esprit vital répandu dans la semence. Get esprit vital continue, par le mouvement et la chaleur, à donner au sang sa couleur rouge, de sorte que le sang est l'humeur la plus opulente parce qu’elle contient le plus de cet esprit vital; seulement il oublie de dire où agit cet esprit, et pourquoi le sang, rouge dans les artères et noirâtre dans les veines, rede- vient rutilant après avoir traversé le poumon ; à son tour le sang opère sur le chyle pour le transformer en raison de sa force assi- milatrice. Glisson a la prétention d'appuyer ses arguments sur l’embryogénie du foie et sur d’autres considérations anatomiques; aucun d'eux, cependant, n’a de valeur scientifique. Ce n’est pas uniquement le chyle qu'il importe de faire entrer dans le torrent de la circulation, il faut trouver une origine, un mode de distribution, un emploi pour la lymphe (1). Glisson énumère toutes les parties qui ne peuvent pas fournir la lymphe : ni les parties blanches, puisque ce sont justement celles-là qui en sont nourries ; ni les viscères pectoraux, ni les reins, ni le pancréas, ni le cerveau, et cela par d'aussi bonnes raisons que pour les parties blanches; enfin il finit par découvrir que la source en est à l'estomac et aux intestins (qui fournissent alors deux espèces de liquides, lymphe et chyle}; et comme ce ne sont pas non plus ni les artères, ni les veines, ni les lymphatiques eux- mêmes (2) qui peuvent puiser celte Iymphe à sa source, il ne reste plus que les nerfs; or la nature a justement disposé sur l'estomac et les intestins les nombreuses anastomoses du nerf tri- splanchnique et les a destinées à aspirer médiatement ou immé- (4) Glisson, comme, du reste, les autres anatomistes anglais, attribue, on ne sait pourquoi, la découverte des vaisseaux lactés et lymphatiques à un certain Jolivius, inconnu, du reste. (2) En voici la raison: « Siquidem isti humorem hunc aqueum a partibus ab- ducunt foras, ideoque inidonei videntur qui eumdem ad illas afferant, praesertim cum valvulae, quae innumerae in iis reperiuntus omnesque extrorsum spectant, id fieri vetant, » — Wharton n'était pas aussi difficile sur les doubles-courants, THÉORIE DE LA NUTRITION. 647 diatement {il laisse la question en suspens } cette lymphe ou liquide nutritif (a/ibile) ! À son tour la rate, qui est très-nerveuse, vient en aide, en fournissant aux nerfs un autre suc plus dilué, le- quel empêche la coagulation de celui que fournit le tube gastro- intestinal et lui sert de véhicule ; la preuve c’est que le sang sort de la rate plus épais qu'il n’y est entré. O Galien, que tes mânes sont vengés! Jamais tu n’as rien imaginé de plus ridicule ! Ce n’est pas tout : Glisson observe, avec son ami Ent, que les parties ne se nourrissent pas toutes de sang, mais d’un liquide du genre spermatique analogue à leur nature blanche; ce sont les parties spermatiques des anciens et de Wharton; or ce liquide leur est envoyé par les canaux capillaires des nerfs : quant aux parenchymes qui n’ont en eux aucun nerf qui l'y dis- tribue (foie, rate, reins, poumon, partie rouge des muscles), ils se nourrissent de sang épais. Mais les nerfs ne sont pas canali- culés. Qu’à cela ne tienne : les fibres des feuilles n’ont pas de canaux, cependant elles absorbent les liquides; les nerfs optiques et olfactifs sont percés, donc les autres peuvent être aussi percés; d’ailleurs le liquide est si ténu, son cours est si lent, les fibrilles nerveuses sont si nombreuses, que des liquides de diverse na- ture peuvent ramper entre elles sans se mélanger ! Puis Glisson a vu des nerfs creux; même il a si bien examiné les choses que parfois 1l confond encore le système fibreux avec le système ner- veux ; enfin il prouve par toutes sortes de phénomènes (la lymphe plastique, etc.) que ies nerfs contiennent réellement un liquide; si l’on n’en rencontre pas sur les cadavres, c’est que la lutte de la mort a tout dissipé. Que devient ce premier suc quand il a été épanché par les nerfs et qu'il a servi à la nutrition ? C’est ce que va nous appren- dre la fin du quarante-cinquième chapitre. « Où va l'aliment aussitôt après avoir été absorbé ? — 11 est admis sans conteste que le suc nourricier, peu de temps après le repas, s’insinue insensiblement dans les nerfs, et de là se dirige graduellement vers le cerveau et la moelle épinière. De là vient, en effet, la torpeur des sens quelques moments après le repas, l'inaptitude au mouvement et le pen- chant au sommeil. Après quoi, ce suc parait se déplacer pour aller nour- 648 WHARTON ET GLISSON, rir les membres el les autres parties du corps. Ce sentiment est appuyé par l'observation de ceux qui affirment que cinq ou six heures après l’ab- sorption de la nourriture, les conduits de la lymphe se voient très-dis- tinctement, parce que c’est le moment où ils sont le plus remplis (4). « Cela sera établi plus clairement si nous examinons sérieusement le flux des nerfs (nervorum fluores) après le sommeil. Le cerveau et la moelle épinière se contractent et prennent une tension plus grande; de là un mouvement de reflux dans les nerfs, et la liqueur se dirige aussitôt pas à pas en partie vers les membres pour les nourrir, en partie vers les glandes qui servent à l’excrétion et au retour (reduction) ; les yeux s’hu- mectent, les narines se remplissent de mucus, le palais et les amygdales excitent les crachats et la toux, les glandes maxillaires produisent une salive abondante, chez beaucoup le ventre se relâche, les jeunes gens sont pris, frappés par l’éperon des désirs vénériens, chez tous, la sueur apparaît. De cela, il résulte que le mouvement des nerfs, après le som- meil, tend bien, comme nous l'avons dit, vers les parties extérieures et vers les glandes émonctrices et de renvoi (reductrices). Le troisième mouvement est alternatif dans les vaisseaux ; tour à tour, dans les mêmes conduits, ii se fait en avant et en arrière; c’est ainsi, avec quelques différences, que l'air est attiré dans la trachée-artère, lorsque nous recevons et renvoyons alternativement la respiration par les mêmes ca- naux. « Le canal des nerfs est divisé en plusieurs fibrilles qui constituent la partie moyenne du nerf ; de là vient la facilité avec laquelle des liquides divers se glissent sans se mêler entreles fibres. « Les liquides sont mis en mouvement dans les vaisseaux par une sorte d’irritation ; c’est la même cause qui envoie le suc nourricier dans les nerfs. Cette irritation se produit de trois manières : par la plénitude, l'’aigreur, et par la vigoration des nerfs. «La vigoration des nerfs (nous sommes forcé d'employer ce mot) expulse nécessairement l'humeur contenue en eux; car il y a contraction et lutte dans cette vigoration, lesquelles, dans un vaisseau plus fort, ne se feraient pas sans un épanchement quelconque de liquide. Cette vigo- ration a trois causes : la perception ou la sensation, l'appétit et le mouve- ment des muscles (2). La sensation de la douleur surexcite les nerfs et en même temps produit un flux dans la partie affectée, quand le nerf se contracte et expulse l'humeur qu'il avait en lui ; de même dans la sen- sation de la volupté, durant laquelle les nerfs versent gaillardement leurs liquides : cela se passe ainsi dans l'acte vénérien, où les nerfs envoient en grande quantité dans les organes de Ia génération leur liqueur fécon- dante, émission que suivent la tristesse, et même, si celte liqueur a été (4) Ceci doit se rapporter aux chyliferes, (2) Voy. pius loin, p. 657 et suiv. THÉORIE DE LA NUTRITION. 649 fournie en trop grande quantité, la maigreur, le ramollissement du cer- veau, etc. L'appélit aussi, s'il est véhément, donne de la vigueur aux nerfs et les excite au mouvement, de même que la crainte produit la tré- pidation et la sueur froide. Peut-être les autres affections de l’âme ont- elles différents moyens d’exciter les nerfs. Le mouvement et l'exercice réchauffent le corps et augmentent la tension et la force des nerfs. Il peut arriver que toutes ces causes concourent ensemble, et alors il est probable que tout le suc nourricier est exclu des nerfs, comme il arrive presque toujours dans l’agonie (de ceux suriout qui meurent de mort vio- lente). C’est pour cela, comme nous l'avons dit, que, dans les dissections des sujets morts ou vivants, on ne trouve plus chez eux de suc nour- ricier. » Voilà, Messieurs, une nouvelle preuve de ce que peut une bonne anatomie pour les progrès de la physiologie, quand l’ex- périmentation n'intervient pas! — Mais justement Glisson lui- même, le systématique Glisson, ouvre une nouvelle ère à cette physiologie lorsqu'il observe et qu’il expérimente. XXI SOMMAIRE, — Exposition et discussion de Ja théorie de Glisson sur Pirritabilité et la sensibilité, MESSIEURS, Au milieu des longueurs et des vaines spéculations qui dépa- rent op souvent l’Anatomia hepatis de Glisson, vous avez dû remarquer un mot, mais un mot qui est à lui seul toute une révé- lation. C’est celui d’érritation (1). Dans cet ouvrage, Glisson se demande comment les canaux biliaires sont provoqués, soit par eux-mêmes (oiginahter a se ipsis), soit par suite de leur rela- tion avec d’autres parties (cum aliis partibus consensu), à verser de la bile en plus grande quantité dans un temps que dans un autre (page 396) ; 1l répond qu’ils sont irrités (vasa illa irritantur), etil ajoute (p. 3897-98): « Toute partie qui souffre une incom- modité cherche à s’en débarrasser ; vous appellerez proprement cela tre irrité ; les parties qui peuvent ainsi percevoir les injures et réagir sont dites, à juste titre, capables d’irritation (erritatio- ms capaces). » Plus loin enfin (p. 454), il reconnait trois causes à lirritation : la plénitude, l’acrimonie, la tension des nerfs (végo- ralio nervorum). Dans ce traité, comme on le voit, #ritation n’est pas encore synonyme d’érritabilité, où même d’eéncitabilité motrice ; c’est un éfat de surexcitation en vertu duquel une partie, prise en bloc, et non pas seulement considérée eu égard aux fibres qui entrent dans sa composition, est sollicitée par un irri- tant naturel ou contre nature. Cette manière de concevoir l’érri- tafion, qui a surtout pour but la sécrétion normale ou exagérée des liquides, est, on doit le dire, plus voisine de celle de Brous- sais que de celle de Haller. (1) Voy. dans l’éd. de Londres, 1654, p. 396, 398, 454; et plus haut, p. 648, GLISSON. — THÉORIE DE L'IRRITABILITÉ ET DE LA SENSIBILITÉ, 6514 Dans un autre ouvrage, publié en 1672 (4), Glisson, reprenant la question à un autre point de vue, beaucoup plus général, cherche à expliquer la cause première, non-seulement des mou- vements musculaires et des mouvements de sensation qu’il rap- porte à un même principe, mais de la vie universelle; c’est alors qu’il prononce le mot 2rritabilité. Là on ne trouve encore qu’une ébauche de cette théorie en ce qui concerne la fibre char- nue ; restreinte en ce sens, cette théorie reçoit tous ses dévelop- pements dans la seconde partie d’un traité (2) moins célèbre que (4) Tractatus de natura substantiae energetica, seu de vita naturae ejusque tri- bus primis facultatibus, perceptiva, appetitiva, motiva,naturalibus. Londres, 1672, in-4 (volume extrêmement rare et dont j'ai rencontré un exemplaire à la biblio- thèque de la Faculté de médecine). — Cet ouvrage, remarquable par une certaine hardiesse d'opinion et par une grande puissance de dialectique, est un traité de physique comme la comprenaient les savants de ce siècle, mais les savants plutôt théoriciens qu’expérimentateurs. Glisson y étudie toutes les modalités essentielles ou accidentelles et les forces (en particulier le mouvement) reconnues alors dans la malière, Confoudant les forces de la matière inorganique avec celles de la matière organisée (distinction qui, du reste, n’a été faite d’une manière à peu près positive que dans ces derniers temps), Glisson accorde la vie, c'est-à-dire les mouvements, à toute espèce de corps. — « Nous avons établi une distinction entre l’âme de la nature et celle des animaux; il nous reste à donner plus exactement la preuve de la vie naturelle. (La vie primitive ou naturelle n’est pas un accident, mais une entité subsistante par elle-même, en tant qu'elle est considérée dans ses opérations, vie modifiante, animée ou inanimée, La vie est la nature énergétique de la substance et le principe interne du mouvement et des opérations, Ch. 18, $ 19). Je dis donc que toutes les substances ainsi appelées proprement, c’est-à-dire qui subsistent par elles-mêmes, sont douées d’une certaine nature vitale ou des trois facultés pre- mières, perceptive, appétitive, el motrice. Cela est certain pour les substances spiri- tuelles, Le point sur lequel roule la controverse est celui-ci : Les substances matérielles sont-elles douées de la nature vitale ? Or, jusqu'ici, l'esprit des hommes semble imbu de ce préjugé, que la matière est une chose insensible, inerte, entiè- rement passive, destinée seulement au remplissage du monde (ad infarciendum mundum nataj ; donc, il nous incombe de prouver que la matière est non-seule- ment susceptible de la nature vitale, znais vivante en acte, c’est-à-dire douée des facultés vitales perceptive, appétitive, motrice, » (Ch. xvr, $$ 1, 2.) Voyez plus loin, p. 664, note 3. Cf. p. 656-657. ! (2) Tractatus de ventriculo et intestinis, cui praemittitur alius de partibus con- tinentibus in genere et in specie de iis abdominis. Lond., 1677, in-4, — Rien ne ressemble moins à un traité didactique moderne que cet ouvrage. IL y est question de tout ce qui se rapporte même de très-loin, où même pas du tout, au canal gastro-intestinal: généralités sur l'anatomie, description de l’abdomen, de ses ré- 652 GLISSON. l’Anatomie du foie, et qui a cependant une plus grande impor- tance, puisqu'on y rencontre l'essai d’une explication des mou- vements musculaires différente de celle qu’en avaient donnée les anciens, et une nouvelle formule de la vie, laquelle est considérée comme la résultante d’une série de mouvements internes ou ex- ternes, sensoriels ou purement organiques. Haller a rendu justice à Glisson, mais une justice peut-être un peu sommaire; or, comme la doctrine de lillustre Bernois n’est rien autre chose qu’une démonstration plus scientifique et mieux délimitée de la théorie de Glisson, 1l importe de faire connaître ici, avec quelques détails, les véritables origines de l’irritabilité (1). gions et de ses parties constituantes ; longue dissertation sur la peau et sur les nae»i qui y naissent, sur les ongles et les poits. Voilà pour la première partie ; c’est dans la seconde que nous trouvons les recherches sur l'irritabilité, entre l'anatomie de l’estomac et celle des intestins, recherches qui servent à l'explication d’une partie des fonctions saines ou perverties et des usages du tube digestif. Dans le chapitre deuxième du second traité, on remarquera une discussion sérieuse sur la distinction spécifique à établir entre le tact et les autres sens. Glisson montre que la faim et la soif ne sont pas une modification du fact; il inclinerait même à re- connaitre ces deux phénomènes comme des sens particuliers, Il les appelle des sens plaintifs (sensus queruli). En somme, et malgré de trop nombreuses divagations théoriques et un grand flux de paroles inutiles, cet ouvrage, rédigé avec un soin scrupuleux, non sans érudition, est infiniment supérieur au Sextuplex digestio de Van Helmont (auquel Glisson a encore trop emprunté, tout en le combattant sou- vent sur certains points de sa théorie, par exemple, sur les ferments); ce traité, dis-je, résume très-exactement l’état de la science, à la fin du xvu® siècle, sur l’anatomie et la physiologie de l’estomac et des intestins. (1) A. G. Weber a publié une histoire de l’irritabilité sous le titre: Commen- tatio de initiis ac progressibus doctrinae irritabilitatis. Halae, 1783, in-8. La pre- mière partie de cette histoire est un peu futile; l’auteur remonte au déluge, je veux dire aux Égyptiens, à la Bible, à Pythagore ; Cicéron, Ovide lui-même n’échap- pent pas à ses investigations; puis il franchit d’un saut la distance qui sépare Galien du xvue siècle 3 il voit l’irritabilité dans l’Archée furieux de Van Helmont et relève avec plus de raison une phrase de Harvey et quelques passages de Sténon en 1667; enfin, il consacre deux pages fort insuffisantes à Glisson, après quoi il poursuit avec plus de critique son exposition jusqu'à l’an 1782, — G, H. Meyer a donné, en 1843, dans Archiv. für die Gesammte Medicin de Haeser (V® vol., cahier 1, p. 1-17) un mémoire intéressant, quoique souvent plus embrouillé que le texte même de l’auteur, Sur la doctrine de lirritabilité et de la sensibilité d'après Glisson, Enfin, nous devons à Charles Mueller des recherches plus approfondies, mais présentées d'une façon non moins obscure, sur quelques points de la doc- THÉORIE DE L’IRRITABILITÉ ET DE LA SENSIBILITÉ. 653 Quoique le système de Glisson soit plus imparfait que celui de Haller, et que, par conséquent, il satisfasse moins encore aux exigences de la physiologie actuelle (1), néanmoins, il marque un progrès notable sur la physiologie ancienne, puisqu'on com- mence à ne plus considérer les facultés comme des êtres rési- dant dans les parties, mais comme des propriétés de ces parties. Cependant, tout solidiste, tout mécanicien, tout matérialiste qu'il est, Glisson tend les mains aux vitalistes par l’admission d'une espèce d’Archée (vin, 6). Ajoutons enfin que la théorie du médecin anglais se rapporte autant à la psychologie et la méta- physique par la sensibilité, qu’à la physiologie par l’érritabilité. Écartant l'appareil dialectique et les raisonnements superflus, nous rangerons sous trois chefs la théorie de Glisson (2) : consti- tution de la fibre, phénomènes physiques et dynamiques dont elle est le siége ; explication de ces phénomènes par l'irritabilité ; rap- ports de l’irritabilité et dessensations (sens interne, sens externe). La fibre, créée de la matière spermatique (3) en vue d’un trine de Glisson : Fr. Glissonii Theoremata de perceptione, appetitu et molu. Berol., 1846, in-8. Du reste, l'obscurité est bien pardonnable en pareille matière; je ne me flatte pas d'y avoir entièrement échappé. (4) Les recherches les plus récentes, celles de M. Bernard, à l'aide du curare, ou de M, Schiff, par la production de la contraction #/79-musculaire, tendent à prouver, comme l’affirmait Haller, mais sans l'avoir démontré, que la contractilité est une force vitale inhérente à la fibre musculaire et indépendante de l’action excito- motrice du système nerveux cérébro-spinal. L’irritabilité de Glisson ne répond pas exactement à notre contractilité. Pour lui, l'irritabilité n’est guëre qu'une abstrac- tion, elle n'existe qu'en puissance; c’est surtout une propriété, une faculté très- générale, à l’aide de laquelle sont expliquées les deux vies de relation et de nutri- tion, — Dans sa Myologie géométrique, Sténon s'était aussi occupé, en passant, de la contractilité musculaire ; il avait reconnu qu'on peut couper les artères, les veines et les nerfs qui se rendent à un muscle, sans que ce muscle cesse de palpiter, Avec Swammerdam, il a vu des grenouilles et des tortues nager ou remuer les mem- bres longtemps après qu’on leur eut enlevé le cœur ct la tête. Puis, au rapport de Willis, dans sa Dissertatio de motu musculari (1670), Sténon aurait constaté que la ligature de l'aorte faisait cesser les mouvements volontaires. (2) Pour les citations du traité De ventriculo et intestinis (deuxième partie), j'in- dique seulement, entre parenthèses, le chapitre et les paragraphes. J'ai sous les » P paragsrap yeux l'édition de Londres; les divisions sont les mêmes dans les autres éditions. (3) Voyez plus haut (p. 641), à propos de Wharton, la division des tissus en sper- \ à (P /: P , P matiques et sanguins. — La fibre est ou simple, c'est-à-dire uniquement sperma- 654 1 GLISSON. mouvement quelconque et de la force, est un corps rond, mince comme une toile d’araignée, résistant, doué d’une forte cohésion et se rompant difficilement ; cette force de résistance et un tem- pérament moyen entre la mollesse et la dureté lui donnent la flexibilité. Elle est extensible, c’est-à-dire qu’elle peut être éten- due dans le sens de la longueur, la largeur devenant moindre, et qu’elle prend de l'épaisseur dans le sens de la largeur, avec ré- duction de la longueur; elle est érritable, c’est-à-dire que, sous l'influence d’une irritation, elle est excitée à entrer en action, à montrer sa force, sa puissance (excitatur ad se vigorandum), tandis qu’elle se relâche d’elle-même quand l'irritation cesse ; c'est en vertu de cette faculté d’extension et de resserrement qu'elle est apte à mouvoir. L'étude de la fibre est d'autant plus digne d'observation que la plus grande partie du corps est fi- breuse, et que c’est dans la fibre que réside l’activité (1v, 6; v, Let 5). Le volume (corpulentia), ou le bien en chair (carnositas) de la fibre varie, comme on peut le voir chez les animaux charnus ou chez ceux qui sont maigres (1). — La fibre est allongée ou parce qu'elle est distendue, ou parce qu’elle est flasque, languissante, énervée. — Une fibre en action (vigorosa) qui se distend, pâtit (voy. v, 16), et elle résiste sans cesse à cette affection avec des forces égales ou inégales. — La fibre énervée, distendue, ne revient pas promptement à sa position moyenne ; elle ne jouit pas d’élasticité. — La position moyenne est celle qu’affecte la fibre au repos. C’est par une contraction (contractione), un res- serrement, que la fibre distendue reprend sa position moyenne, ainsi qu’on le voit, par exemple, pour les fibres du sphincter de l'anus ou pour celles de l’orifice de l’estomac. C’est par relâche- ment, ou mouvement de retour, de rémission, qu’une fibre en action, mais non distendue, revient à la position moyenne.—Le raccourcissement est la position d’une fibre en travail. Quand tique; où mixte, c’est-à-dire composée d'éléments spermaltiques et d'éléments san- guins, par exemple, dans les fibres du cœur (v, 4). — Voyez aussi tout le chap. 1v de la première partie du traité De ventriculo et intestinis, où il est traité de la peau proprement dite, (4) Voyez Béclard, Traité élémentiire de physiol. Paris, 4866, p. 620-650. THÉORIE DE L'IRRITABILITÉ ET DE LA SENSIBILITÉ. 655 une fibre se contracte, elle fait effort, se tend et agit (v, 7. — Voy. vi, 13).—Les fibres sont ou droites, ou obliques, ou trans- versales ; un corps composé de fibres d’un même genre est dit strié, etil est facilement fendu dans le sens des stries; un corps composé de fibres enchevêtrées peut être appelé corpus contex- tum vel intertextum. — Plus une fibre est noble, plus elle est tissue de fibrilles délicates (v, 8); d’où l’on voit que Glisson sem- ble avoir distingué les faisceaux fibreux des fibres primitives ap- pelées fibrilles. La solution complète de continuité des fibres les fait rétracter ; de là la difficulté, pour ne pas dire l'impossibilité, de réunir les plaies des muscles par première intention (v, 9). On sait, en effet, que le tissu musculaire ne se reproduit pas; les bouts divi- sés d’un muscle se réunissent par un tissu conjoncüf fibreux qui donne l'apparence d’un muscle digastrique. Glisson reconnaît dans la fibre trois forces: d’abord un robur insitum qui n’est autre chose que sa carnosité et sa résistance (1), robur auquel on ne saurait comparer la force ou la puissance de contractilité ; puis deux autres forces ou plutôt deux excitants, l'influxz vital (esprits vitaux contenus dans le sang artériel), et l'influxz animal où nerveux (esprits animaux distribués par les nerfs). L’influx vital se perd dans la lipothymie, dans les fiè- vres, etc.; l'influx animal dans les affections cérébrales avec pa- ralysie (v, 10; vi, 2, 3). De la prédominance de l’une ou l’autre de ces forces, de leur manière d’être respective. l’auteur (vi, 5-8) tre une théorie mécanico-chimique des maladies. Fidèle à son système matérialiste, Glisson admet que toutes les fibres, dans les animaux, ont au moins le sens du tact, et 1l ajoute que toutes, excepté celles qui servent au pouls et à la respiration, jouissent du repos pendant le sommeil (v, 10). Pro- position qui n’est pas exacte, car bien d’autres fibres sont en action durant le sommeil, ainsi que le témoigne la station des oiseaux sur le perchoir lorsqu'ils sont endormis. L'action ou le mouvement actif de la fibre est double : la con- (1) « La force innée, comme on l'a dit, consiste surtout, pour la fibre, dans une juste proportion de la chair (carnositus) et dans la ténacité, » vr, 4, 656 GLISSON. traction et le relächement. L'action proprement dite de la fibre est la contraction; le relâchement est plutôt la rémission de l'ac- tion que l’action elle-même, c’est-à-dire le retour à la position moyenne; c’est une action qui tend au repos, à la cessation (v, 15) (1). Voilà les faits dans leur nudité, leur simplicité; il convient maintenant d’en chercher l’explication avec Glisson. On l’a déjà vu, c’est une #ritation qui produit les mouvements, et c’est en vertu de l'irritabilité de la fibre que cette fibre perçoit l'irrita- tion et y répond. La contraction, pour Glisson, est un fait, mais ce n'est pas encore une force ; quant à l’érretabilité, ce n’est rien autre chose que la faculté de percevoir V'irritation et de réagir. Eatre les offices des sens et les offices de la fibre il n’y a pas de différence radicale. C’est cette faculté très-générale de perception qui est innée dans la fibre et qui la met en rapport avec les ex- citants intérieurs ou extérieurs. Elle n’a ni liberté ni indépen- dance ; elle n'existe pas, pour ainsi parler, substantiellement, comme nous croyons qu’existe la force vitale de contractilité. A bien considérer tous les textes, l'irritabilité dépend plutôt d’une sorte d'intelligence de la fibre que de la mise en activité ou en éveil d’une force effective, soit par un excitant du dehors, soit par la volonté. Il y a dans la doctrine de Glisson un mélange, souvent inextricable, des facultés naturelles de Galien et de l’ar- chéisme de Van Helmont ; le tout aboutissant à une doctrine où la matière est agissante (energetica), attendu que toute la nature (4) « L'action proprement dite de la fibre, ou son mouvement actif, consiste en contraction, vigoration, effort et travail. En effet, quand la fibre se contracte, elle prend de la vigueur, fait effort, s'étend, travaille ; ensuite elle éprouve de la fatigue et de la lassitude. L'action est naturelle ou contre nature; elle est saine ou lésée. L'une et l’autre admet des degrés : elle est relâchée, ou intense, ou moyenne. Ces degrés sont formés par les degrés de force, d’irritabilité ou de causes irritantes (v, 15). — La passion de la fibre, ou mouvement passif, est un mouvement pro- venant d’une cause placée en dehors de l'essence de la fibre qui pâtit. Lorsque cette passion ou cette souffrance ni n’endort, ni ne relàche, ni ne stupéfie la fibre, elle l’excite à prendre de la vigueur; aussi, presque toujours, plus la passion est forte, plus l’irritation est grande. La passion similaire nait de la cause qui altère la constitution similaire de la fibre, et elle est ou agréable ou peu sympathique à celle-ci. La passion organique consiste dans une certaine distension des parties de la fibre (v, 161,» THÉORIE DE L'IRRITABILITÉ ET DE LA SENSIBILITÉ. 657 vit, car la matière brute est douée de mouvement (1) et, jusqu’à un cerlain point, pensante (2). Voici maintenant quelques détails qui justifient ces propo- sitions: La faculté motrice des fibres, si elles n’étaient pas irritables, c’est-à-dire si elles n'étaient pas sous la dépendance d’une force intermittente, s’exercerait sans cesse ou serait perpétuellement au repos. Cette succession d'action et de repos suppose de la part de la fibre perception et appétit, pour qu’elle soit toujours excitée de nouveau à opérer un #727ouvement (3). Il y a trois es- pèces de perception eu égard au mouvement de la fibre: la x4- turelle, la sensitive et l'animale. En vertu de la première, la fibre est invitée ou excitée, soit à désirer, soit à fuir l'impression (al. teratio) qui se produit en elle et à se mouvoir en conséquence (vu, 1). — Grâce à la seconde, la fibre, remarquant l'impression (alterationem) faite dans l’organe externe (organes des sens et tact, sensus externus), est excitée à désirer quelque chose et à se mouvoir en conséquence. — La troisième, sous la dépendance de l’appétit animal (sensus internus), est celle à l’aide de laquelle le cerveau met en mouvement les fibres des muscles pour exé- cuter ce qu’il désire (vu, 1). (4) Voy. p.651, note 4. (2) Glisson, dans le traité De vita naturae et dans celui qui nous occupe, admet trois espèces de facultés, les zaturelles qui se trouvent dans les corps, dans les es- prits, mème dans l'âme rationnelle et chez les anges (voy., par ex., la préface, SS 7 et 8); les facultés animales ou sensitives ; les facultés intellectuelles ou spiri- tuelles, Chacune de ces facultés s'exerce par perception, appétit (désir ou réaction) ct mouvement. Mueller, dans sa Dissertalion précitée (p.652, uote 1) a exposé les idées de Glisson sur la nature en général, sur la substance (on pourrait rapprocher ces idées de la Monadologie de Lcibnitz) et la matière, sujet qui appartient plutôt à la physiqu?, dans le sens ancien du mot, qu'à la médecine, mais où se mêlent cependant quelques considérations très-subtiles, parfois ingénieuses, sur la géné- ration (Mueller insiste sur les sécrétions dont Glisson, comme dans ces derniers temps Valentin, explique, — mais sans se rendre un compte bien exact de ce qu’il avance, — la diversité par une sorte d'élection des parties), sur l’accroissement, sur la destruction et sur les mélanges et transformations de la matière vivante. Plu- sieurs d ces considérations viennent de Harvey. (3) Voyez Béclard,Trailé élément. de physiol.; Paris, 1866, p. 679, et Gavarret, Phénomènes physiques de la vie. Paris, 4869 ; p.120 et suis, DAREMPERG. L2 658 GLISSON, IL faut, s’il se peut, expliquer plus clairement ces trois défi- nitions. La fibre est douée d’une perception naturelle (1), c’est-à-dire d’une perception vitale (2) ne venant pas de l'extérieur ni du cerveau, et qui la rend sensible à lirritation. Ainsi, il est hors de doute que les fibres tantôt se meuvent et tantôt sont au repos: par conséquent, il faut que quelque chose les excite; durant le sommeil, toutes les fibres, excepté celles du pouls et de la respi- ration, qui sont sous la dépendance des esprits vitaux (vor. plus haut, p. 655), se reposent; dans la veille, elles sont toutes le siéce d’un petit mouvement tonique (3); d’un autre côté, dans tout mouvement des membres, les muscles opposés sont en anta- gonisme : quand ladducteur se contracte, l’abducteur se relâche. — Or, comme les fibres ne sont pas agentes principales, comme elles n’ont pas leur libre arbitre (h}; en d’autres termes, qu’elles n’ont pas une coptractihité intrinsèque, inhérente à leur existenec même, il faut que quelque chose les sollicite, qu’elles sentent cette sollicitation ; car il n’est pas possible que les fibres au repos reprennent leur mouvement si une cause irrilante ne les y pousse; elles ne sauraient être irritées si elles ne percevaient pas lirri- tation. Autrement, c’est vouloir faire entendre un sourd ou ré- veiller un mort (VI, 2). On peut prouver de diverses manières qu'il y a une perception naturelle (5) qui s'exerce quand on ne peut soupçonner aucune sensation, c’est-à-dire aucun acte sensoriel externe, ou aucun (4) C’est là cette faculté innée dont j'ai parlé plus haut, p. 655-656. Elle est régie par les esprits vitaux qui circulent avec le sang. (2) Voyez p. 657, note 2 ; p. 659 et 662. (3) « Mediocri motu tonico vigorantur, » — C'est l'équivalent de la fonicité musculaire, propriété bien différente de la contraction ou de l'élasticité, et qui est subordonnée à l’action du système nerveux cérébro-spinal ; elle est détruite par la paralysie. Cette tonicité n’est pas non plus absente durant le sommeil; elle ap- partient aux deux systèmes musculaires, celui de la vie de relation et celui de la vie organique, — Voyez, sur la lonicité (fonus) de l'estomac et des intestins, les 8$S 30, 31 du chap. xx. (4) « Les fibres n’agissent pas Hibrement, mais la nature les a destinées à exécuter les ordres du cerveau. » (vit, 2.) — Voy. aussi p, 661-662, (5) Voyez p. 657 et la note 2, TRÉORIE DE L'IRRITABILITÉ ET DE LA SENSIBILITÉ. 659 appel du sensus internus (volition cérébrale). Le cœur ne bat pas en vertu de l’action sensorielle, c’est-à-dire par le système nerveux central. C’est lirritation produite par le choc rapide du sang vital (micatio sanquinis vitalis) contenu dans les ventricules qui le fait entrer en action d'une façon intermittente. La preuve qu’il s’agit ici non d’une perception sensitive pro- duite par les esprits animaux, mais d’une perception vitale, de celle que créent les esprits vitaux, c’est que le cœur bat durant le sommeil et que les fibres des muscles et des viscères des ani- maux tués ou morts ou décapités palpitent sous l'influence d’ex- citations arlificielles, qu’elles se rétractent par le froid et que le cœur arraché bat encore (vu, 5). Ce n’est pas seulement le souvenir des facultés naturelles de Galien qu’on retrouve dans la théorie de Glisson, c’est aussi la doctrine des esprits animaux ou vitaux qui sont l’excitant naturel et nécessaire de la fibre pour produire les mouvements volon- taires ou involontaires. — Les sensations ou les fonctions sen- sorielles sont, chez Glisson comme chez Galien, expliquées par l’action des esprits animaux, mais avec des nuances assez consi- dérables pour que l'intervention directe des mouvements fibrii- laires constitue un progrès réel. L’intellect ou le sensorium commune, le cerveau, n’a pas conscience des mouvements orga- niques, de ceux qui appartiennent au domaine de l'esprit vital et qui s'étendent jusqu'aux actes les plus intimes de la nutrition (rritabilité plastique où formelle); c’est, au contraire, le cer- veau qui préside aux mouvements sensoriels comme aux mou- vements de relation. Dans ces mouvements sensoriels ou de relation, la fibre (D), (1) Glisson a distingué la partie parenchymateuse de la partie fibreuse des or- ganes ; il accorde des fibres d’abord aux muscles, puis aux systèmes nerveux et vas- culaire, aux ligaments, aux tendons, au tube intestinal, à la peau, aux reins, à la rate, etc. Il a soin d'établir {et cela était nécessaire pour que son système ne füt pas boiteux) que les parties non fibreuses à la manière des chairs, comme sont les os, la moelle, la graisse, le sang, le chyle, les humeurs des yeux, ont, en raison de l'irritabilité, une perception naturelle, mais non une perception animale, ou du moins qu'elles en ont une à peine sensible (vix adiniltunt perceptionem animalemi, —Voy . chap. 1x, S 4. 660 GLISSON. car c’est toujours la fibre qui est mise en jeu, est sollicitée tantôt de l'extérieur, tantôt de l’intérieur. Dans le premier cas, un excitant quelconque, agissant, soit sur la surface du corps, soit sur les organes des sens spéciaux (sensus exlernus), éveille en la fibre la faculté de percevoir (1). La perception retentit au cerveau (sensus internus), qui la détermine, se la rend présente et la livre à l'examen de la phantasia ou partie intellectuelle du sensorium commune, en même temps que, par un choc en retour, il la rend également présente au lieu même où elle a pris origine. C’est l’érritamentum externum ou l'impression que le sensus externus traduit en perception pour la livrer au cerveau qui la lui renvoie à son tour. Dans le second cas, la sollicitation vient par la phantasia ou volonté, du cerveau à la fibre; c’est Pirretamentum internum ; partant du sensus internus Où sensorium commune, il va à travers les nerfs solliciter la fibre qui entre en mouvement, ce dont à son tour le cerveau a conscience. Si je ne me trompe, le sensus internus tantôt reçoit la perception dont 1] a conscience et contre laquelle il réagit, et tantôt, provoquant directement la fibre, il reçoit l’impression de la résistance ou de la soumission à ses ordres. Voici les paroles mêmes de Glisson : Le sens (2) externe est la perception d’un objet obtenue à l'aide d’un organe externe (organe des sens), perception qui retentit avec l’objet lui-même au centre commun, c’est-à-dire au cerveau, et qui détermine un appétit et un mouvement con- formes (vi, 5) (3). Il n’est pas douteux, en effet, que le sens externe, qui est la faculté de percevoir à la périphérie, ne tienne (4) Les choses se passent ici, suivant Glisson, à peu près comme dans une expé- rience où l’on irriterait directement une fibre musculaire. (2) Sens équivaut ici en partie à sensation. (3) Voilà au moins une définition supérieure à celle de Van Helmont et même de Sylvius de le Boe, — Cependant, comme on peut le voir par l’en- semble du raisonnement de Glisson, par ce qui suivra tout à l'heure, et, si je ne me trompe en cette difficile exposition, par tout le $ 9 du chap. vu, il semble que la perception est produite à la partie même et qu'elle est conduite toute faite au cerveau par les nerfs qui la renvoient, tandis que, pour nous, la perception est, pour ainsi dire, un choc en retour de l'impression cérébrale vers la partie qui à été le siége de l'excitation, THÉORIE DE L'IRRITABILITÉ ET DE LA SENSIBILITÉ, 661 aux parties nerveuses de l’organe sensuel externe (organe de cette faculté perceptive périphérique), d’où il est permis d’in- férer qu'il peut en temps opportun exciter les fibres de son organe, auquel il est intimement présent, à désirer et à se mou- voir (vi, 6); il rend ainsi les fibres irritables en acte (1). Le sens interne (ou sens cérébral) est la perception de l’objet perçu par le sens exlerne, perception qu'il communique tout entière à l'imagination. Le sens (ou /a sensation) externe a done par ordre de nature (ordine naturae) la priorité, mais une prio- rité logique sur le sens interne, car il y a en fait simultanéité ; toutefois la sensation externe n’est complète que du moment où elle est perçue par l’acte interne (actu interno). G'est ainsi que la perception privée, celle qui est propre à un organe, devient publique quand elle s'est transmise à tout l’animal ; elle se trans- forme alors en sensation (vir, 5). Après ces considérations générales, Glisson, pénétrant encore plus avant dans la question, se demande si lirritation des fibres se produit directement par l'appétit animal ou par lintermé- diaire de la perception naturelle. Puisque les animaux meuvent leurs membres ou les tiennent au repos à volonté, 1l semble en résulter que les fibres qui servent au mouvement animal sont nécessairement placées sous la dépendance de la phantasia et de l'appétit animal, et qu’ils agissent plus par l'influence de l'appétit et de la perception animale que par celle de l’esprit naturel cu vital. Sans doute, dans les mouvements animaux l’agent principal (/e (1) Ce qui distingue l'appétit sensitif externe de celui qui est interne, c'est que le premier vient du dehors ; car c'est par le sens externe et immédiatement qu'il meut les fibres de l'organe externe dans lesquelles il réside, tandis que le second vient de l’intérieur, c’est-à-dire du sensorium commune et de la phantasia, et meut immédiatement les fibres du cerveau (voy. plus loin, p.663 et suiv.). Le premier est appelé appétit animal, uniquement parce qu'il est porté à l'intérieur et communiqué aux sens intérieurs par l'intermédiaire du sens externe; le second est dit très -spé- cialement animal parce qu'il découle de la source elle-même des opérations animales et qu'au moyen des nerfs il dirige au dehors, pour mouvoir les muscles, les mou- vements ordonnés par la fantaisie. 662 GLISSON. cerveau) se meut et varie son mouvement à volonté (1); mais les causes instrumentales (/es fibres), soumises à l’agent principal, n’agissent pas à leur volonté ; elles attendeni le commandement et le signal de la faculté supérieure; autrement la cause princi- pale ne serait pas libre! — L’appétit animal ne meut pas les membres immédiatement ; il a pour intermédiaire les nerfs et les fibres; si les fibres se mouvaient à leur gré, la phantasia serait dépossédée de sa puissance. Ainsi la phantasia, Vimagina- tion, ou mieux l’intellect, ou, si l’on veut, l'âme, préside à tout l'ensemble de la vie de relation et en dirige les actes. Glisson ne s'explique très-clairement ni sur la nature de cette puis- sance ni sur celle de cette autre puissance naturelle ou vitale qu'il appelle quelque part Archée (vin, 6), et qui préside à la vie intérieure ou de nutrition. Or, ce qu’il importe de savoir, ce n’est pas la soumission des fibres au pouvoir de la phantasia ; cette soumission est évidente ; mais 1l convient de s’enquérir comment les ordres de la phan- tasia se rendent aux muscles. Nous reconnaissons que les fibres, dans leur état naturel, obéissent constamment aux solli- citations de lappétit animal; d’autres causes, comme dans les spasmes et les convulsions, peuvent aussi les mettre en mou- vement (vu, À). D'où il résulte qu’il y a, suivant Glisson, plusieurs espèces de mouvements dans les fibres : un, animal, dépendant du cerveau par les esprits animaux (2), et un, naturel, dépendant d’un agent qui n’a pas de siége bien défini, mais qui correspond à l'esprit vital ou naturel, se répandant avec le sang et partant du cœur (3); (4) Voy. plus loin, p. 663 et suiv., la théorie desmouvements fibrillaires du cerveau. (2) « L'appétit sensitif, excité par la phantasia, sollicite la faculté motrice du cerveau à commencer l'exécution ou mouvement extérieur... Les nerfs, percevant ce mouvement du cerveau par une perception naturelle, sonnent la trompette pour éveiller les fibres (fibris quasi classicum canunt); celles-ci, connaissant aussi par une perception naturelle l'irritation, exécutent à l'instant le mouvement ordonné. » (vi, 2.) (3) Lorsque Glisson parle des mouvements organiques ou des mouvements invo- lontaires qui succèdent à des impressions internes non perçues ou senties, indépen- dantes de l’esprit animal, on peut voir là quelque analogie lointaine avec cer- taines catégories de mouvements réflexes. Mais lui, Glisson, ne se rendait pas compte THÉORIE DE L'’IRRITABILITÉ ET DE LA SENSIBILITÉ. 663 c’est sans doute le second agent qui sollicite, d’après Ghsson, les muscles dans la convulsion et dans les mouvements qu'on observe à la suite d'une mort violente. Ces divers mouvements résultent de la mise en activité d’une propriété générale, mais toujours dépendante, l'irritabilité. Après avoir établi comment une sensation arrive au cerveau, y est perçue, et comment à son tour le cerveau réagit sur cette perception, pour produire une action conséquente et volontaire, Glisson cherche à se rendre compte de la mise en activité du cerveau. Le cerveau perçoit par les sens, trouve bon ou mauvais ce qu'il perçoit, et en conséquence s’en rapproche (1) ou s’en éloi- gne. Ainsi la perception forme l’appétence qui détermine le mou- vement ; d’où le vers : Mars videt hanc visamque cupit potiturque cupita. Chez les animaux, c’est la phantasia (l’énstinct) qui, par l'inter- médiaire de l'appétit, exécute (peragit) les mouvements ; chez l’homme, c’est l’intellect, par l'intermédiaire de la volonté, qui les commande. Les fibres au repos ne savent pas ni si le cer- veau vient les mouvoir à nouveau, ni avec quelle force; elles ne se mettent pas non plus en mouvement toutes ensemble et au hasard, à un signe du cerveau ; chacune, en ce qui la concerne, se meut avec le degré de vigueur tout le temps que veut l'appétit animal, avec ou sans intermittence. Ce n’est pas par divination qu’elles se rendent aux vœux du cerveau. — Entre elles et le cerveau il n’y a pas d’autre messager que le nerf pro- pre à chaque muscle (2). En conséquence, si le nerf est coupé du mode de production de ces mouvements, puisqu'il les croit indépendants du système nerveux central, Voy. Vulpian, Leçons sur la physiologie du système ner- veux, p. 393 et suiv. (1) L'appétit sensitif qui n’est pas soutenu, dirigé, commandé, ressemble au chat qui voudrait bien manger le poisson, mais qui n’ose pas mettre la patte dans l’eau pour l'y prendre (vin, 4). (2) Le nerf est le cordon tiré par une main et qui répond à une sonnette; la main est le cerveau d’où part l’ordre et où retentit la réponse. Mais le nerf est en même temps un conducteur réel de l'impression ou de la volonté. 664 GLISSON. ou paralysé, l'empire du cerveau cesse aussitôt de s'exercer sur le muscle. — Le mouvement du cerveau s'exerce du dedans (centre) au dehors (périphérie), vers la racine des nerfs, pour produire l'irritation des fibres (vu, 4). Le mouvement du cerveau, qui détermine celui des fibres par l'intermédiaire des nerfs, n’est pas un mouvement en masse, ou de translation, mais un mouvement intime de vigoraltio, de mise en activité, de contraction, qui produit une sorte de plissement, de resserrement ; cette contraction n’équivaut pas à la 200° partie de l'épaisseur d’un travers de doigt; elle est suivie de rémis- sion (1); il suffit que cette tension soit sensible aux nerfs. Glisson ajoute aussitôt qu’elle varie d'intensité suivant que lappétit exige des fibres une action plus forte ou plus faible. La possibi- lité, la réalité de cette action est démontrée par ce fait que le cerveau peut subir quelque extension, lésion ou impulsion artifi- cielle, sans être contus ni se rompre. Il est fibreux, quoique la mollesse de son tissu ne permette pas d'isoler ses fibres, comme dans les autres parties (2). Comme partie principale (pars princeps), le cerveau est le prin- cipe (principium) de la pensée (3), ainsi que de Pappétit et du (4) On ne saurait imaginer une explication plus grossièrement mécanique pour des faits du domaine de la psychologie. Glisson n'avait non plus aucune notion exacte sur la façon dont les nerfs prennent leur origine au cerveau ; sous ces divers rapports, il n'était pas plus avancé que Galien. — La vigoratio, ou l'espèce de mouvement fibril- laire admis par Glisson dans le cerveau, ne doit pas être comparée aux ébranlements que certains physiologistes modernes admettent dans cet organe en raison des mouvements respiratoires et artériels. (2) Plus tard, on a cherché, non sans succès, en durcissant le cerveau, à dé- montrer cette texture fibreuse. (3) Mais comment est-il le principe de la pensée ? Glisson ne peut pas le dire ; d’ailleurs, il ne s'accorde pas toujours avec lui-même. Dans son système de biologie, l'âme joue un rôle très-effacé. Cependant, pour se mettre complétement en règle avec la théologie, Glisson a fait, dans le traité De natura substantiae, ete., Ad lec- torem, $$ 7 et 8, une déclaration ambiguë, en partie contredite par l’ensemble de ses opinions, sur la vie en général et sur la formation des concepts de la phantasia, déclaration qui, du reste, ne s'applique qu'à la vie dans l’homme. Après avoir mon- tré que, dans les Esprits, la vie est leur propre substance indestructible, cherche à prouver que la vie dans la matière n’est pas moins essentielle, quoique plus dé- pendante, — « La vie spirituelle est originale (originalis) en elle-même, mais la THÉORIE DE L'IRRITABILITÉ ET DE LA SENSIBILITÉ. 665 mouvement animal. —- Une fois que le cerveau est contracté et tendu, tous les nerfs et toutes les fibres de tout le corps se tendent et sont dans un état de mouvement tonique modéré (1). — L’ani- mal est alors en éveil et prêt à exercer tous ses sens et tous ses mouvements (2); en définitive, il n’exécute que ceux qui sont opportuns dans le moment présent (var, 5). En effet, tout le cerveau pouvant entrer en action et se relâcher, rien n'empêche que certaines fibres de ce viscère, correspondantes à certains nerfs de certains muscles, n’entrent isolément en action, et ne se relâchent isolément (3). vie matérielle est participante ou dérivée d’ailleurs. Cela est évident chez l'homme, sa vie tenant à la présence de l'âme immortelle, raisonnable, formatrice du corps, et dont la séparation radicale d’avec ce corps produit la mort, Si une substance vivante par sa nature s’unit intimement à une autre morte par sa nature, il en ré- sulte un composé vivant, de sorte, cependant, que la première partie ait une vie substantielle, l’autre seulement la participation de cette vie. On inférera aussi de là que la vie, quant à son subjectum radical, est substantielle, quoique, au point de vue du subjectum secondaire, elle soit accidentelle, On dira qu'il en cst tout au- trement dans les brutes ; que leurs âmes ne sont pas des substances ; conséquem- ment, que la vie qui en découle n’est point substantielle, J'accorde que les âmes des brutes ne sont pas des substances subsistant par elles-mêmes, que leur vie n’est pas proprement substantielle et que ces âmes sont des modes de la matière essen- tiels et en même temps vitaux. Par cela mème que ce sont des modes vitaux, ils ne sont point les derniers subjecta ultimes de la vie; ils supposent, en effet, un subjec- tum antérieur à eux qu'ils modifient (en d’autres termes, il y à un principe vital dans la matière, antérieur à son animation et qui justement permet cette anima- tion) ; ils ne sont pas non plus les subjecta d'eux-mêmes, loin d’être ceux de la vie ou modifiante ou modifiée qu'ils renferment en eux; ils cherchent donc un appui pour eux et pour tout ce qui est en eux. Ce qui est par soi-même soutient ses modes et est leur subjectum dernier. La matière est donc le subjectum dernier ou premier de la vie matérielle, Or, comme rien n’est plus cher ou plus intime à tout subjectum que sa vie, il est évident que cette vie est l'essence intime et inséparable de la matière, Mais, comme l’essence elle-même de la matière est sujette à diverses modifications, sa vie aussi peut être diversement modifiée, et cela même prouve que la matière contient en elle la racine de la vie. Comment, en effet, modifier la vie là où la vie manque? » —- Que de vains efforts pour accorder la biologie et la théologie ! (4) C'est là une idée galénique, car Galien accorde aux nerfs une vertu plutôt mécanique que dynamique dans les mouvements et même dans les sensations. (2) Le sommeille met dans un état contraire, comme le remarque Glisson, (3) Voyez dans Vulpian, Leçons sur l& Physiologie du système nerveux, lecons 28 et 29, les recherches des physiologistes modernes sur la question soule- | | 666 GLISSON. Puisque la masse cérébrale est fibreuse, il est certain qu’il y à quelques fibres qui se continuent de la racine centrale des nerfs dans l’intérieur de la moelle du cerveau (1). — Comme ces fibres du cerveau sont susceptibles de tension, et comme leur perception naturelle (Archée) leur révèle mille choses qui échappent aux sens, et leur fait connaître toute la structure du corps qu'elle a formé (2), l'usage et le mode d’action des parties ; comme enfin elles sont un pouvoir exécutif et non délibérant, ces fibres, dis-je, remarquent que leur office est d'accomplir un ordre, c’est-à-dire de répondre à la sollicitation; elles entrent en action et elles excitent au même mouvement les nerfs aux- quels elles correspondent. Ce qui peut le plus peut le moins (vx, 6). Toutes ces opérations, qui se rapportent à la vie de relation, sont en définitive, comme je l'ai déjà dit, sous la dépendance des esprits animaux (3), «car lesesprits animaux ne peuvent être niés par personne ». Glisson démontre qu’ils ne sauraient être ni des substances volatiles, ni des exhalaisons, ni âcres, ni piquants, ni violents, ni des ferments, mais qu’ils sont tout l'opposé. — Les esprits animaux ne sont pas autre chose que les esprits du suc albuginé ou nutritif des parties spermatiques, car ils doivent être nourrissants, corroborants, consolidants. Ce sont les mêmes que les esprits qui habitent l’albumen de l'œuf (vu, 7) (4). vée ici par Glisson, mais soulevée sur des données purement hypothétiques et par conséquent extrêmement vagues. (4) Plus loin ($ 16, fine), il appelle origines ce qu'il nomme ici racines. (2) IL y à là un souvenir de Paracelse. En tout cas, Glisson évite avec grand soin toute explication purement psychologique. (3) Toujours la question est indéfiniment reculée, puisque nous ne savons jamais ni où ni comment saisir le moteur premier. Glisson n'ose pas dire que tout vient des propriétés inhérentes à la matière organisée ; il craint de faire intervenir un principe trop immatériel, (4) Dans son traité De l’Anatomie du foie, il à admis: 1° que la matière du suc nutritif était une partie choisie du chyle; 2° que la sécrétion de cette partie d'élite s’opérait surtout du reste du chyle, dans les glandes du mésentère, pour être transporté de là au cerveau à travers les nerfs; 3° que les nerfs de la rate sé- crétaient un suc plus doux et plus ténu qui devenait le véhicule du premier.— ci, il donne congé à ces erreurs et à toutes les conséquences qu'on en pourrait tirer. Il ne nie pas, cependant, qu'un vrai suc nutritif ne soit dispensé du cerveau par Îles THÉORIE DE L’'IRRITABILITÉ ET DE LA SENSIBILITÉ. 667 Ces esprits, avec leur suc nutritif, qui constitue comme leur nid, nourrissent, fortifient, humectent, réchauffent, corroborent le cerveau, et le rendent propre à remplir ses fonctions, puis ils se rendent aux parties spermatiques au moyen des nerfs et y sont chargés des mêmes offices. Sans eux aucun acte ne pourrait s’accomplir dans les organes; ils facilitent ces actes, mais ils ne les produisent pas (1); embarrassés par le suc nutritif (2), ils ne sont pas assez agiles dans leur cours, ils ne marchent pas tan- nerfs aux parties spermatiques, et qu'il ne soit le syjet des esprits animaux ; mais il soutient maintenant que ce suc est engendré dans le cerveau seul, entre la cou- che corticale et la moelle par voie de sécrétion ; c’est la partie la plus douce du sang et la matière la plus spermatique, tandis que la partie la plus âcre, la plus élaborée, rejetée du cerveau, est reprise par les veines grèles, ramifiées pour cet usage dans l'écorce du cerveau. Cette partie chassée n’est pas préparée par subli- mation des esprits, mais cuite pour les esprits animaux par sédation, refroidissement et blanchiment. — Ce n'était vraiment pas la peine de se rétracter ! (4) A l'effet de démontrer (vi, 9) que les muscles n’ont pas besoin d’un grand afflux d’esprits pour se mouvoir, Glisson a imaginé une expérience ingé- nieuse, mais non suffisamment concluante, de laquelle il résulterait que la masse musculeuse augmente de volume pendant que les fibres se relâchent, M. Béclard y fait allusion, mais il n’en indique pas la source ; M. Marey n’en parle pas; elle est du même temps que celle de Swammerdam sur la patte de grenouille. Je crois donc devoir la rapporter: « Prenez un tube oblong en verre, assez large; à sa partie supérieure et extérieure, près de l’orifice, adaptez un autre petit tube droit, en forme d’entonnoir; qu’un homme robuste enfonce son bras nu tout entier dans l’orifice du grand tube; on bouche alors hermétiquement l’orifice du tube autour de l'épaule pour que l’eau ne puisse s’écouler ; versez ensuite, par l’entonnoir, au- tant d’eau que le tube en pourra contenir, de façon que le liquide s'élève un peu dans l’entonnoir. Ceci fait, on ordonne à l'opérateur tantôt de roidir en même temps tous les muscles de son bras, tantôt de les détendre entièrement. Pendant la contraction, l'eau garde son niveau dans le tube ; dans le relâchement, elle s'élève, Il résulte de cette expérience que, dans la tension, les muscles ne se gonflent pas, mais plutôt diminuent, se contractent et se dégonflent; car, s'ils se gonflaient, l’eau s’élèverait dans le tube, loin de descendre. Inférons-en donc que c’est par leur propre mouvement vital que les fibres se raccourcissent, et qu'elles n'ont pas besoin d’un copieux afflux d’esprits, soit animaux, soit vitaux, pour se gonfler, se rac- courcir et exécuter les mouvements ordonnés par le cerveau. » — Les physiolo- gistes modernes paraissent s’accorder, en s'appuyant sur des expériences plus pré- cises, à reconnaitre que, dans la contraction comme dans le relèächement, le niveau de l’eau ne change pas sensiblement. (2) I! croit, avec Willis, que ce suc est plus abondant, plus visqueux chez les jeunes animaux, et que les nerfs se gonflent au-dessus d’une ligature (vin, 8). 668 GLISSON. tôt de dedans en dehors et tantôt de dehors en dedans, dans les mêmes canaux (1), comme l’exigeraient la rapidité et la simul- {anéité de ces opérations (vnx, 8). La perception de l’objet tangible qui se fait à l'extrémité du doigt est ressentie instantanément par le cerveau; l’action du doigt et celle du cerveau produisent une sensation, wne , conti- nue, totale, mais complexe, de l’objet sensible. Quant à la distinction établie entre le sens externe et le sens interne, elle n’est absolue qu’en puissance. Ces deux sens sont en réalité tellement impliqués que rien ne se fait par l’un sans que l’autre y participe; car la distance est franchie instantané- ment par la vibration du nerf qui s'étend de l'extrémité périphé- (4) De dehors en dedans, c'est-à-dire de là périphérie au centre, ou du sensus externus vers le cerveau ; du dedans au dehors, c’est-à-dire du cerveau vers le sen- sus externus (voy. p. 660 et suiv.), car, dans tout acte de la vie de relation, que l'excitant vienne du cerveau ou de l'extérieur, il y a toujours un aller et retour ou courant centrifuge et centripète, pour qu'il y ait perception, appétit et mouve- ment conforme, action sur le cerveau, réaction du cerveau. Glisson le reconnait, quoique obscurément; seulement, il ne sait trop ni en quoi consiste ce flux etreflux,ni comment il s'opère ; il n’a pas pu distinguer, comme l'ont fait les mo- dernes, deux ordres de fibres nerveuses, les unes pour le courant centripète, les autres pour le courant centrifuge. — L'’embarras de Glisson se montre avec toute évidence dans le passage suivant (vin, 9): « Le flux et le reflux des matières dans les mêmes canaux se voit rarement dans l’économie animale. Pour la respiration, l'expiration et l'inspiration s’accomplissent dans le même tube; mais, à cette fin, la trachée-artère a été faite cartilagineuse, et le thorax se contracte et se dilate alter- nativement. Pour les intestins, on admet le flux et le reflux du chyle. Dans les nerfs, au contraire, on ne trouve guère de raison suffisante pour expliquer le transport des esprits tantôt de dedans au dehors et tantôt de dehors au dedans, à moins qu'on ne suppose un mouvement péristaltique dans les nerfs, ou qu'on n’admette que les esprits animaux, comme des animalcules dans leurs évolutions, vont et viennent dans les deux sens. Ils courent pour gonfler les muscles et les mettre en mouve- ment, pour nourrir les parties et rendre aptes à leurs fonctions les organes du sens. Soit. Cependant ils reviennent alternativement pour annoncer au sens commun ce qui se passe dans l'organe externe; mais par quelle bouche l'annoncent-ils? c’est ce que je ne comprends pas. L'idée est une représentation une et continue de l'organe externe et interne, comme est un objeclum qui est perçu, mais la sen- sation du même objet dure quelquefois plusieurs heures. Les esprits animaux con- tinuent-ils pendant fout ce temps à aller et venir dans les mêmes nerfs, pour que la sensation de l’objectum persiste si longtemps dans l'organe externe et l'organe in- terne? Ce sont là des énigmes inexplicables. » THÉORIE DE L'IRRITABILITÉ ET DE LA SENSIBILITÉ. 669 rique, c’est-à-dire du sens externe au cerveau (sens èntlerne). La rapidité de la vision (aller et retour de Pimage qui laisse tou- jours l’objet présent) le démontre bien évidemment. — De même un coup frappé à l'extrémité d’un bâton que l’on tient retentit à son extrémité opposée et frappe en même temps la main qui le tient. La transmission se fait à travers les nerfs comme à travers le bâton; la rigidité du bâton est représentée par la tension du nerf, de sorte que le sens commun où interne se lrouve instan- tanément mis en communication avec le sens externe par le cordon nerveux (VII, 8). L'irritabilité est distinguée en premaire et en secondaire (c’est-à-dire par consensus ou sympathie), naturelle ou contre nature. La primaire est celle dont il vient d’être question; la secondaire est triple : animale, naturelle et violente (1x, 3). À propos de l'irritabilité secondaire animale, je dois signaler une vue très-ingénieuse et qui repose sur une expérience qu’on peut vérifier aisément : si l’on veut avec une main frapper sa poi- trine, et avec l’autre frotter sa tête, les deux mairs finiront par faire la même chose ; en d’autres termes, toutes les deux frap- peront ou toutes les deux frotteront. C’est la synergie muscu- laire (1x, À). Mais Glisson confond aussitôt l'incitation, ou la sym- pathie entre individus et le concours de divers appareils pour une même action, avec cette réduction des deux mains en un même acte après qu’elles en ont commencé chacune un différent. Il attribue avec plus de raison à une irritation secondaire ou sympathique le retentissement que les affections de certains organes produisent sur d’autres organes plus ou moins éloignés, par exemple le calcul des reins sur l’estomac (1x, 5, 6; voy. aussi le chap. xx11, De nausea). Glisson termine par quelques réflexions sur la variation d'in- tensité de l’irritabilité en raison des causes organiques ou acci- dentelles dépendant des causes extérieures, de maladies, de pas- sions (IX, 7; voy. aussi v, 16-17). De tout ce qui précède il résulte que pour Glisson l'irritabilité est plutôt une conception de l'esprit qu'une création expérimen- 670 GLISSON. tale; elle a un caractère beaucoup plus général et beaucoup plus métaphysique que lirritabilité hallérienne , surtout que notre contractilité. C’est une théorie à la fois physique, physiologique et psychologique, embrassant la nature entière considérée comme vivante, théorie où la vie universelle, celle de l'esprit comme celle de la matière, est ramenée à une sorte de mouve- ment vibraloire. Considérée plus spécialement dans la fibre et surtout dans la fibre musculaire, l’irritabilité n’est pas une force, mais une propriété latente, ou mieux encore une faculté de percevoir les excitations, faculté en vertu de laquelle se pro- duisent, non-seulement les mouvements qui éloignent ou rap- prochent l’animal ou la partie de Panimal, soit de l’objet perçu, soit de l’idée conçue, mais tous les mouvements de la vie orga- nique, et, dans de certaines limites, ceux de la vie intellectuelle. Cette faculté d’être sensible ou excitable n'existe qu’en puissance, n’a aucune spontanéité ou hberté, est soumise absolument à lac- tion des esprits ou de lintellect, et n’est éveillée ou mise en acte que par des excilants qui sont en dehors de la fibre; de sorte que ses mouvements sont toujours subordonnés, soit au cerveau, soit à tout aulre excitant intérieur ou extérieur. Je crois que dans l’his- toire de l’irritabilité, ces divers côtés de la théorie de Glisson n’ont pas été suffisamment mis en relef, et qu’on en a trop res- treint la signification pour la rapprocher plus facilement de la théorie de Haller et des opinions actuelles. Le mot est trouvé ; quelques détails du phénomène sont également indiqués ; mais, comme 1l y a beaucoup plus de raisonnement que d'observation et d'expériences, là se borne, à vrai dire, le mérite de Glisson, qui cependant est considérable, puisque c’est un premier pas sérieux vers la solution d’un problème extrêmement compliqué et qui est un des nœuds de la physiologie. Comme Harvey lorsqu'il expose sa découverte, Glisson, dans la préface ($ 20) du traité De natura substantiae energetica, s'excuse de ne pas être parfaitement d'accord avec les anciens ; comme lui aussi il croit que c’est leur manquer de respect que de jurer par eux sans examen, puisque ces mêmes anciens ont été un jour des modernes, et que la science ne fait de progrès THÉORIE DE L'IRRITABILITÉ ET DE LA SENSIBILITÉ. 671 qu'à la condition de profiter des travaux antérieurs pour les améliorer et les agrandir. « On ne doit pas, dit-il, rejeter de prime abord tout ce qui est nouveau ; car les choses qui sont anciennes maintenant ont été nouvelles autrefois. Et même à quoi bon un livre nouveau si on n’y trouve rien qui n'ait été déjà dit? Ne sont-ce pas les mêmes choses, que vous les lisiez dans un ancien livre ou dans un nouveau ? La multitude des livres fatigue et distrait l'esprit plutôt qu’elle ne l’aide ou l'instruit; si on apporte quelque chose que les autres avaient négligée, il peuten résulter un accroisse- ment pour les connaissances humaines. Que personne ne croie, en lisant ceci, que je sois tout entier dominé par l’amour de la nouveauté. Je suis les anciens là où le permet la vérité confirmée par le témoignage des sens; je les interprète avec la meilleure foi possible, et j’admets leur autorité jusqu'où il est permis de le faire, bien loin de croire qu’il soit juste de traduire devant le tri- bunal de la science, comme ennemis de la vérité etdu genre hu- main, cesgrandeslumières du monde, Hippocrate, Platon, Aristote, Démocrite, Galien. Autant qu’il était en leur pouvoir, et non sans un grand travail, ils ont fidèlement transmis à la postérité toutes les connaissances qui étaient venues jusqu’à eux. Comment donc les proscrire, parce qu’ils n’ont pas tout connu, parce qu'ils ont erré ou se sont trompés en quelques points, et que beaucoup de choses qu’ils ignoraient ont été mises en lumière plus tard ? On pourraitnous accuser d’uné raré paresse et d’une insigne stupidité si pendant tant de siècles nous n'avions rien ajouté à ce qu’ils avaient trouvé. Que dirons-nous donc ? Si on s’en rapportait à moi, les anciens conserveraient leur autorité sans que les recher- ches se ralentissent chez les modernes, et on chercherait la vérité de tous les côtés, par toutes les voies et les moyens possibles; car, mettant à part l'esprit de parti, ces deux manières d'agir peuvent fort bien se concilier. » Voilà le langage d’un esprit honnête, juste, droit, et d’un vrai savant; ce n’est pas celui des Paracelse ni des Van Helmont, ni même des Sylvius de le Boe. Voilà comment ont parlé, avec déférence pour les autres et avec autorité personnelle, les grands médecins du xvi et du xvr° siècle ! 672 GLISSON. — THÉORIE DE L'IRRITABILITÉ ET DE LA SENSIBILITÉ. Les siècles, comme les hommes, ne voient au loin ou ne sont en perspective que lorsqu'ils sont accumulés les uns sur les autres; la fin du xvi‘ siècle et tout le xvrr° sont placés sur les hauteurs des siècles les plus féconds de l’histoire, je veux dire sur les siècles anciens : les siècles purement conservateurs du moyen * âge n’ajoutent qu’une unité à ceux qui les ont précédés, ou plutôt ils forment comme l'entablement qui va recevoir le cou- ronnement de l’édifice. XXII SOMMAIRE : — Suite de l'histoire de l'anatomie et de la physiologie au xvn® siècle, — Recherches de Sténon. — Anatomie microscopique et injections : Malpighi ; Leeuwenhoeck ; Ruysch, — Anatomie descriptive. — Anatomistes français. — Influence de l’Académie des sciences sur les progrès de l'anatomie et de la phy- siologie en France. — Descartes. MESSIEURS, Il a suffi de quelques opuscules d’un physiologiste expérimen- lateur pour dissiper toutes les illusions de limagination des Wharton et des Glisson sur le rôle des nerfs et des glandes lym- phatiques. Le Danois Sténon (1658-1686) à fait, mais avec moins d'éclat, pour le système lymphatique ce que Harvey avait fait pour le système vasculaire sanguin. Malgré une vie des plus agitées et des plus aventureuses, Sténon a laissé (1) dans l’his- toire de l'anatomie (qu'il appelle divine) et de la physiologie une trace ineffaçable. Sa présence à Paris a été fort remarquée : Bossuet l’avait en haute estime et admiration ; Thévenot l’admit dans sa Société, et il fit, en présence de l'élite des savants, une démonstration du cerveau (2) qui est le véritable point de départ des recherches modernes sur cet organe, et où il a réfuté plu- sieurs erreurs de détail qui avaient cours avant lui. Outre le cerveau, Sténon a plus particulièrement étudié les glandes (3), les Iymphatiques, les muscles, y compris le cœur, enfin, le développement du fœtus. (4) Sténon, d’abord protestant zélé, se convertit à la foi catholique et fut nommé évèque 77 partibus par Innocent XI. Peu s’en est fallu qu'il ne fût canonisé après sa mort. (2) Discours sur l'anatomie du cerveau, Paris, 1669. Il y combat à la fois Willis et Descartes. (3) Les noms de Wirsung (canal du pancréas), de Wharton (canal de la glande sous-mazillaire) et de Sténon (canal parotidien et appareil lacrymal), forment la série chronologique des principales découvertes pour le système glandulaire au DAREMBERG. 43 tome tente 67% STÉNON. Déjà Wharton avait donné un des caractères essentiels des glandes, en disant qu’elles sont pourvues d’un canal excréteur, mais il n’en avait déduit aucune vue physiologique raisonnable, tandis que Sténon (1) a établi par la méthode expérimentale que les glandes tirent leur produit directement du sang (2). De plus, Sténon décrit pour la première fois le canal parotidien qui porte son nom (à) et que Cassérius avait vu, mais en le prenant pour un tendon, les canaux excréteurs des glandes sous-linguales, buccales et palatines, l'appareil glandulaire du nez, des yeux, de oreille et les canalicules qui traversent l’épiglotte. IL combat la théorie qui fait descendre les larmes du cerveau (4) ; il croit, mais à iort, qu'il existe, aussi bien chez l’homme que chez certains animaux ruminants, un canal 2ncisif ou palatin antérieur pénétrant jusqu'aux fosses nasales (5). Il a suivi la marche de la lymphe et l’assimile à celle du sang veineux, n’admet aucune des rêveries de Wharton ou de Glisson touchant les usages de cette humeur, et montre les intimes rapports du système gan- glionnaire (glandes conglobées) avec les vaisseaux lymphatiques; il professe que les vaisseaux lymphatiques tantôt viennent de ces glandes et tantôt y aboutissent. Rien n’est encore aujour- d'hui plus obscur, plus incertain que la véritable origine des radicules lymphatiques qui sont dispersées dans le corps entier et que Sténon n'avait pas pu poursuivre très-loin (6). xvu® siècle. — On appelait glandes conglomérées les glandes proprement dites à cause de leur apparence et par opposition aux glandes conglobées ou lymphatiques (ganglions). (4) Observationes anatom., ete. Lugd. Bat., 1662; Demusculis et glandulis obser- vationum specimen. Amstel., 1664. (2) I le démontre particulièrement pour le lait. De muscul. et gland. p. 49. (3) Gérard Blasius, plutôt amateur qu’anatomiste, voulut s’attribuer cette décou- verte; mais Sténon, dans une lettre à Bartholin (voy. aussi De muscul. et glandul., p. 33, et Observ. anatom., p. 5), n’eut pas de peine à prouver la fausseté de cette prétention. (4) De muscul. et gland., p. 48. (5) De muscul. et gland., p. 37, (6) Il à vu des vaisseaux lymphatiques ramper à la surface des muscles, et il ne sait, pas plus que les modernes, s'ils pénètrent dans l’intérieur (De musc. et gland. Ps 15). STÉNON. 675 Ses recherches les plus neuves, celles qui ont eu le plus d’in- fluence et qui ont ouvert la voie à Borelli (quoi qu’en dise ce dernier), portent sur la structure et les fonctions des muscles, auxquels il applique les notions de la géométrie; il a débrouillé la charpente de la langue et il a soutenu qu’il n’y avait pas de chair en dehors de la chair musculaire ; il a montré que les fibres du cœur ne finissent pas à la pointe du cœur et qu’elles s’'enroulent (1); il est en cela le précurseur de Lower, qui ne lui a pas assez rendu justice. Sténon distinguenettement des fibres musculaires les fibres tendineuses, qu’il regarde comme de sim- ples cordes non contractiles (2), et cherche à déterminer les diverses directions de ces dernières. Il ne sait rien de positif, par conséquent, il ne veut rien préjuger sur le fuide qui pré- side à la contraction des muscles; 1l émet les propositions sui- vantes sur les mouvements musculaires (3) : 4° La structure de la fibre musculaire motrice est la même chez l’homme et chez les animaux; du moins, c’est ce que lui ont appris ses propres observations (4) ; 2° quand un muscle se contracte, chaque fibre motrice se raccourcit ; 3° dans la fibre iln’y a que la chair qui se raccourcisse, les tendons ne participent pas à ce mouvement ; 4° quand la chair se raccourcit, elle durcit, et sa surface, douce avant la contraction, devient alors plus rude; 5° après la contraction, la fibre s’allonge un peu; 6° coupée transversalement, la chair se rétracte d’abord, puis elle s’allonge ; 7° la fibre motrice continue à se rétracter après qu’on a fait la section des nerfs, des artères et des veines; 8° tous les mus- cles se terminent de chaque côté par un tendon ou par des fibres tendineuses (5). (4) Voy. De muscul. et glandulis, p. 12 et suiv. (2) De muscul. et glandul., p. 21. (3) Myologiae specimen, seu musculi descriptio geometrica, Florent., 1667, in-4, p. 54 et suiv. — De muscul. et glandul., p. 45 et suiv. (4) Cette proposition n’est pas absolument vraie pour toute espèce d'animaux, ni même pour toute espèce de fibre motrice, quand on s’en tient, comme Sténon, aux apparences extérieures. Mais la structure intime parait la même pour tous jes museles,—Voy. Marey, Du mouvement dans les fonctions de la vie, p. 274 et suiv. (5) I y a des muscles, même parmi ceux de la vie de relation, qui s’insèrent directement par leurs fibres charnues. 676 STÉNON, % Îl est probable que Glisson a emprunté à Sténon, qu'il cite d’ailleurs pour d’autres sujets, une partie de ce qu’il a de meil- leur sur la constitution de la fibre et sur quelques-uns des phé- nomènes de la contraction ou de la rétraction (1). C’est dans les ouvrages de Sténon qu'on rencontre pour la première fois un essai de description et de délimitation régulière des muscles de la colonne vertébrale ; 1l a donné une juste idée des élévateurs des côtes et du triangulaire du sternum. A la suite de son traité Sur la myoloqie géométrique, Siènon revendique énergiquement (p. A9) la découverte de la prolon- gation du vitellus vers l'intestin dans l'embryon du poulet (2). Quelques-unes de ses observations sur l’embryogénie rivalisent de délicatesse et d’exactitude avec celles de Harvey, parfois même elles les surpassent. Enfin, il résulte pour lui d'expériences qui ne sont pas entièrement confirmées que, de tout le système cir- culatoire, c’est la veine cave qui survit la dernière. Au temps de Sténon, comme de notre temps, il se trouvait des esprits rétrogrades ou paresseux qui, au nom de la pratique, at- taquaient les recherches minutieuses entreprises sur la structure des tissus; on disait alors comme on dit aujourd’hui: A quoi bon prendre tant de peine pour n’arriver à aucun résultat utile? Sténon répond noblement à ces routiniers, et sa réponse vaut actuellement ce qu’elle valait alors. Je la reproduis comme une des belles pages du xvur' siècle (3) : «On m'a souvent fait cette objection : À quoi bon cette con- naissance de la structure des muscles? qu’a-t-elle de commun avec la pratique? Par cette interrogation répétée souvent et pré- sentée sous des formes diverses, on cherche à rendre ridicules auprès de tous, pour ne pas dire odieux, ceux qui s'occupent de recherches nouvelles. Il ne serait pas difficile de démontrer combien la pratique est redevable aux expériences anatomiques (1) Voy. plus haut, p. 653 et suiv. (2) If s’agit probablement du conduit vitellin où omphalo-mésentérique. « Vitelli in intestina pulli transitus. » Quelques anatomistes, entre autres Coiter, avaient déjà entrevu cette disposition, mais, au rapport de Sténon, ni Harvey ni lui-même n’en avaient connaissance. (3) Myologiae specimen, p. 67, 68. STÉNON. 677 de ce siècle, expériences qui ont fait découvrir bien des erreurs dans l’explication des causes et ont en même temps démontré la fausseté de certaines raisons que l’on allègue dans l'emploi des remèdes. Pour toute réponse, nous prierons nos adversaires d’in- terroger leur conscience, puis de nous dire ce qu’il y a de solide dans leurs paroles lorsqu'ils se prononcent avec tant d'assurance au sujet de l’apoplexie, de la paralysie, de la contraction, des convulsions, de la prostration des forces et des autres symptômes du mouvement animal. Sur quel fondement s’appuient-ils pour prescrire les remèdes qu'ils appliquent à ces affections, et cela en prenant non la paralysie, non la convulsion, mais tel paraly- tique ou tel convulsif? S'ils avouent que dans le diagnostic on n'apporte rien que des paroles, que, dans le traitement, c’est la conjecture seule qui guide, bon gré mal gré ils avoueront que la recherche du vrai et du certain, dans cette partie de lPanato- mie, peut être bonne à quelque chose. Objecteront-ils que, pen- dant bien des siècles, les choses sont restées dans le même état? La réplique est facile: tout le monde a cherché des remèdes, peu ont cherché à connaître la structure de la partie à laquelle ils appliquent les remèdes. Or, celui qui est chargé de rétablir un mouvement perdu dans un automate construit par un autre, doit étudier avec soin la structure de cet automate ; de même, celui qui ne s’en rapporte pas au hasard pour guérir des sym- ptômes qui lèsent le mouvement naturel, celui-là devra, autant qu'il pourra le faire à l’aide de l’industrie humaine, étudier la nature du sang, de la fibre nerveuse et de la fibre motrice. Ainsi, puisque dans la myologie il y a beaucoup de choses que nous ignorons et que nous pouvons apprendre ; puisque la con- naissance de ces choses importe non-seulement à la vérité, mais aussi à la santé, chacun jugera si nos censeurs ont bonne grâce lorsqu'ils raillent les nouvelles expériences des anatomistes, pré- tendant que ce sont là les occupations d’un homme oisif. » L’anatomie, au xvir siècle, était loin d’avoir ditson dernier mot avec Sténon; une ère nouvelle vamême s'ouvrir pour cette science. Le xvi° siècle avait transformé l’anatomic descriptive; le xvu, après nous avoir fait connaître les glandes et nous avoir donné le 678 MALPIGHI. système lymphatique, crée l'anatomie de texture. Quand on a cité Malpighi(1628-1694), Frid. Ruysch (1638-1727) et Leeuven- hoeck (1632-1723), on n’a pas besoin d'accompagner de tels noms de banales formules d’éloge ; il suffit de faire connaître les œuvres qui se rattachent à ces noms; et je n’ai qu’un regret, c’est de ne pouvoir reproduire ici tous les développements dans lesquels je suis entré devant vous sur les merveilleuses décou- vertes de ces trois grands hommes, d’un mérite inégal, sans doute, mais tous trois dignes de notre admiration reconnais- sante. Avec Malpighi commence la véritable anatomie des tissus, et tout à coup, de tous les côtés, les recherches furent poussées dans ce sens avec tant d'activité qu'elles parurent un instant absorber toutes les intelligences, réduire la médecine à des ques- tions d'histoire naturelle et reculer l’institution régulière de la clinique, comme si ce n’était pas la clinique qui seule fournit les moyens de tirer de l’anatomie et de la physiologie les consé- quences légitimes qu’elles renferment, et préserve des écarts d'une imagination trop prévenue. Il n’y eut bientôt plus d’un côté que des savants armés du scalpel, du microscope et de la seringue à injections, et de l’autre, soit d’incorrigibles réactionnaires qui niaient ou tournaient en ridicule, comme ne servant à rien, les découvertes nouvelles, soit des esprits aventureux toujours prêts à tirer de ces découvertes, souvent mal comprises, les systèmes les plus extravagants ou les plus exclusifs. Quoi qu'il en soit, rappelons les principaux titres de Malpi- ghi (4) comme anatomiste et physiologiste. Il a montré par l’in- sufflation et par les injections que la substance du poumon n’est pas un parenchyme ou une chair, mais un tissu vésiculeux ; il a même indiqué un réseau vasculaire sur les parois des vésicules; il a pris soin d’établir cette priorité contre d’injustes revendica- tions ; et, là encore, nous retrouvons linsatiable Thomas Bar- tholin, toujours prêt à s’approprier quelque chose du bien d'autrui. Malpighi a entrevu le rôle du poumon dans la respira- (1) Voyez, pour sa vie, ses œuvres, ses relations scientifiques ou d'amitié, Atti, Notizie edite et inedite della vita et delle opere di Marc Malpighi e di Bellini. Bologne, 1847, in-4. Ouvrage diffus, mais rempli d'utiles renseignements. MALPIGHI. 679 tion, car il dit que ce viscère (qu’il compare au boulanger) assimile entre elles certaines parties du sang et divise celles qui sont trop cohérentes. L'air dilate les vésicules; les vas- seaux qui les enlacent sont agités, et de là un mélange plus exact des liquides qu'ils contiennent. L'un des premiers aussi il s'est servi du microscope pour étu- dier le développement du poulet dans l'œuf et la circulation dans les capillaires. Perfectionnant les méthodes de recherches pour la structure du cerveau et de la moelle, Malpighi a eu recours avec avantage à l’ébullition ; il signale le canal de la moelle épinière. Il achève de débrouiller la texture de la langue, au moins chez les animaux, et montre pour cette partie, pour les doigts et pour le reste de la peau, que les papilles nerveuses sont l'organe essentiel du goût et du tact; ilconnait le corps réticulaire (corps de Malpighu), les glandes sudoripares, les cellules graisseuses, les glandes séba- cées, etc. Il a vérifié la structure lobulaire ou en grappe du foie, disposition ignorée jusqu’à lui ; il a confirmé les expériences de Sténon sur les rapports des glandes avec le système vasculaire et il a poursuivi les mêmes démonstrations pour le rein et la rate (1). Maisil est trop enclin à voir partout la structure glan- dulaire, et, si peu théoricien qu'il soit, il ne quitte le domaine de l'expérience en anatomie que pour entrer sur celui des hypo- thèses en pathologie. Il est partisan de lacidité. Aussi juste pour ses devanciers que ses contemporains l'a- vaient été pour lui-même, Malpighi avait eu le dessein d’écrire une histoire de l’anatomie dans laquelle il aurait rendu à chacun l'hommage qu’il mérite; malheureusement ses amis l'ont détourné d’une pareille entreprise, et nous n’avons qu’une esquisse pu- bliée pour la première fois par Atti. Cette esquisse renferme l'historique de l’anatomie du cœur, du poumon et des vaisseaux cardiaco-pulmonaires. (1) Les recherches de Malpighi, comme, du reste, celles de presque tous ses contemporains, ont été faites plutôt sur les animaux que sur l'homme, L’'ardeur pour les dissections était telle que la quantité disponible de cadavres ne pouvait pas suffire à la satisfaire. Malpighi, ordinairement retiré à la campagne, a vu peu de malades ; il à écrit en un style embarrassé, quelquefois à peine latin. 680 { RUYSCH. Encore moins médecin que Malpighi, quoique reçu docteur à Franequer (Hollande), et, quoique attaché à un hôpital, Ruysch, professeur à Amsterdam, n'était guère qu'un préparateur, mais un préparateur de génie, un homme animé d’une ardeur, d’une patience, d’une perspicacité, d’une finesse de sens qu’on n’a peut-être jamais égalées dans les sciences (1). On disait de Ruysch : il a des yeux de lynx et des doigts de fée. Il courait après les malades moins pour les guérir que pour disséquer leurs cadavres, et découvrir la structure normale ou patholo- gique des organes et des tissus. Comme Vésale, il visitait les cime- tières sans trop de respect pour les morts ; il se réjouissait pres- que des rixes entre particuliers et des guerres civiles qui lui fournissaient plus d'une bonne occasion de disséquer; non content d'étudier l'anatomie sur ses semblables, il était à la piste de toute espèce d'animaux. Jamais musée publie n’a été aussi bien approvisionné que celui de Ruysch (2); jamais pièces n’ont été aussi bien préparées (3), n’ont affronté aussi longtemps les injures du temps, et jamais cadavres n’ont mieux présenté après la mort presque toutes les apparences de la vie que ceux qui sortaient de son laboratoire. Tant d’habileté frappait d’admiration le publie, même les souve - rains, mais excitait la jalousie ou provoquait la calomnie des con- frères. Le seul reproche que l’on puisse faire à Ruysch, c’est qu’il avait des secrets et qu’il les cachait soigneusement à ses meilleurs amis ; ce n’est pas là le propre des vrais savants. D’un autre côté, son peu d’érudition l'a sonvent exposé, comme le remarque Schreiber, à s’attribuer les découvertes des autres. Ainsi il avait été devancé par notre Du Verney et par Clopton Havers pour la structure des os, par Fallope pour les moyens (4) Voy. Schreiberus, Historia vitae et meritorum Frid. Ruysch. Amst., 1732, in-4. Travail excellent, écrit d’après les documents originaux. (2) Ostéologie, splanchnologie, système vasculaire, organes des sens, anatomie pathologique, anatomie comparée, monstruosités, tout y abondait. Dans ses divers ouvrages, il à aussi donné d'assez belles planches; il a publié le Catalogue de son musée (Observ, analomico-chirurgicarum ceaturea. Accedit Cataloqus rariorum in Musæo Ruyschiano. Amsterdam, 1691), et un Thesaurus anatomicus (Amsterdam, 4701-1715, 10 vol.). (3) IL avait trouvé le moyen de durcir la fibre cérébrale. RUYSCH. 681 d'union de lapophyse styloïde au crâne, par plusieurs anato- mistes pour la démonstration des valvules semi-lunaires dans les vaisseaux lymphatiques (1), et pour l'existence de lympha- tiques sur le thymus, organe que du reste il regarde comme transitoire ; il n’a fait que vérifier l’existence des cellules pulmo- naires et les communications anastomotiques des vaisseaux car- diaco-pulmonaires ; enfin il a complétement tort en soutenant, contre de Raw, qu’il a le premier constaté l'existence de la cloi- son qui, dans l’intérieur du serotum, sépare les deux testicules. Le mérite de Ruysch ne consiste pas tant dans ses découvertes que dans ses admirables procédés de préparation et de dé- monstration des parties, surtout des vaisseaux et de leurs mu- tuelles anastomoses. Cependant il faut mettre en relief plusieurs remarques très- neuves: le maxillaire se rétrécit chez les vieillards par suite de la chute des dents; — les côtes sont plus épaisses et plus rondes chez les femmes que chez les hommes; — le tissu appelé cellu- laire où connectif est très-bien décrit; — la couenne ou pseudo- membrane, qui se produit sur le sang, estformée par la fibrine ; on sépare artificiellement cette fibrine en battant le liquide aussitôt qu'il est sorti des vaisseaux ; c’est même par une telle séparation, mais accidentelle et pathologique, que Ruysch tâche d'expliquer la formation des polypes ou autres corps étrangers dans l'utérus. — Ruysch donne une exacte description de la crosse de laorte, de l’origine des carotides, et de l'artère bronchiale. — Il a dé- montré des capillaires là où personne ne les avait jamais vus, par exemple dans l'œil, dans l'oreille, dans les enveloppes de la moelle, dans l’arachnoïde, dans la capsule articulaire coxo-fémorale, dans la peau. —Malpighi lui-même croyait encore queles artères et les veines sont réunies par un réseau Intermédiaire spécial et distinct des deux ordres de vaisseaux. —Ruysch a combattu cette opinion … et fait connaître tous les divers genres d’anastomoses, suivant la diversité des parties ; il en tire même cette conséquence, qui n’est pas partout justifiée, que là où il y a diversité d’anastomoses, 1] y à afflux d’humeurs différentes et différence de mouvements. (1) S'il ne les a pas découvertes, du moins il les a mieux étudiées que pas un de ses devanciers, dans son premier ouvrage publié en 166%, Re Se ere one: 2 MSI TT 7 Le de] D — ——— 682 RUYSCH, Malpighi avait fait accepter deux opinions également erronées : la première, que la peau, la plupart des viscères, foie, reins, rale, testicule, cerveau, étaient des glandes eu égard à leur struc- ture (1); et laseconde que, dans le corps, les glandes étaient exclu- sivement chargées des sécrétions. À propos de lapremière opinion, Ruysch mêle le faux et le vrai (2), surtout pour la peau; car il nie, par exemple, l'appareil sudoripare, parce qu’il ne l’a pas vu: sur la seconde, il établit très-bien le rôle des membranes séreuses, en ce qui concerne le péricarde et l’arachnoïde, sous laquelle il assure avoir démontré par insufflation une tunique cellulaire, — Selon Ruysch, la membrane du tympan est composée de trois feuillets; elle n’est jamais percée naturellement, comme on le croyait; la trompe d'Eustache peut s’injecter avec le vifargent. — On luidoit la découverte de la couche interne de la choroïde ou membrane de Ruysch, niée par Verheyen et de Raw.— Pour ter- miner, signalons encore quelques points de l’œuvre de Ruysch : la sécrétion de l’urine se fait par les artères et non parles veines; — le chorion est composé de diverses lames; — il n'existe pas de glandes utéro-placentaires; les injections démontrent les con- nexions vasculaires du placenta avec l'utérus. On a prétendu que Ruyschaurait inventé l’anatomiesielle n’avait pas existé. Quel contre-sens historique ! Si Ruysch a été si grand, c'est qu'il avait été instruit par vingt anatomistes, ses prédéces- seurs ou ses contemporains; si la connaissance de la structure des tissus ä fait de tels progrès entre ses mains, c’est que les voies avaient été préparées par les Wharton, les Glisson, les Sténon, les Malpighi : de telle sorte que, malgré son peu de connaissance des livres (cependant on voit qu'il n’ÿ était pas (1) Cetile erreur tenait sans doute à ce qu'il usait beaucoup de la macération et de l'ébullitiou, lesquelles réduisent plus ou moins promptement les organes en cor- puscules qu'il à pris pour des éléments glanduleux. — On peut reprocher aussi à Ruysch d’avoir voulu systématiser ses observalions sur les vaisseaux capil- laires, et de ne voir dans la structure des organes qu'un réseau vasculaire, ce qui lui à fait méconnaitre quelques-uns des résultats positifs des recherches de Malpighi sur les glandes. (2) C'est pour correspondre à la nouvelle doctrine sur les glandes que Boerhaave, l'ami de Ruysch, avait, dit-on, inventé les mots cryptes, follicules, utricules ; le mot actus semble venir de Malpighi à propos de la structure du foie. LEEUWENHOECK, 683 tout à fait étranger), Ruysch était l'héritier, l'écho d'une tradi- tion qui se faisait sentir même à distance et qui avait mis tous les esprits en éveil. Leeuwenhoeck est l'exemple le plus éclatant de ce que peuvent une volonté inébranlable et le travail opiniâtre ; sans autre maître que lui-même, sans études académiques (par conséquent sans idées préconçues), sans la connaissance d’aucune langue an- cienne ou moderne autre que la sienne propre, 1l a pu devenir, d’un très-médiocre homme d’affaires, un des plus illustres anato- mistes des temps modernes (1). La réputation que Ruysch s’était acquise par ses injections et ses préparations humides ou sèches, Leeuwenhoeck l’a conquise avec la puissance des microscopes de sa façon (2); à mon avis, il lemporte de beaucoup sur Ruysch par l'étendue et la sûreté de ses connaissances positives en anatomie et même en physiologie, connaissances qui ont été plutôt vérifiées, agrandies, développées ou rectifiées que contre- dites par ceux de ses successeurs qui ont voulu contrôler sur l'homme ce que l’anatomiste hollandais avait vu ordinairement sur les animaux (3). (1) C’est par un commerce épistolaire suivi avec les savants et les académies qu’il se tenait constamment au courant de tout ce qui se faisait en Europe ou même de ce qui s'était fait avant lui. (2) On en conserve encore plusieurs à la Société royale de Londres. (3) «Leeuwenhoeck regarde presque au hasard (?) avec son microscope, et, comme le plus souvent il est le premier à regarder dans les conditions où il a su se placer, il découvre. Il décrit ce qu’il a observé, et, heureux d’avoir révélé des choses in- connues, son ambition se trouve satisfaite. Pendant près d’un demi-siècle, cet homme ingénieux, doué d’un esprit pénétrant, examinera sans suite, sans mé- thode, les substances organiques, les liquides, les êtres les plus infimes de la créa- tion. Ses études le conduiront à faire les découvertes les plus inattendues, à con- naître les faits les plus propres à jeter de nouvelles lumières sur Les plus importants phénomènes de la vie, mais jamais son esprit ne saura s'élever à une conception générale. Malgré tout, cet homme remarquable à tant de titres n’en sera pas moins l’auteur des découvertes brillantes qui, en élargissant dans des proportions immenses le champ de l’investigation, deviennent l’origine d’une foule d’études fécondes pour le progrès des sciences naturelles. Les savants les plus considérables, les penseurs les plus illustres ont témoigné leur estime à l'observateur habile, patient et ingé- nieux; les plus hauts personnages lui ont donné des marques de leur considération ; et, comme il est tout à fait naturel, le gouvernement de son pays n’a jamais songé 684 LEEUWENHOECK. Ce n’est pas seulement à la force de grossissement des lentilles de son invention (1), à la puissance de sa vue, si excellente qu’il fabriquait des chaînes d’or capables d’enchaïiner des pucerons, à la bonne préparation des objets placés sous le champ du micro- scope, que Leeuwenhoeck doit de si importantes découvertes ; il avait ce coup d’œil scrutateur qui sait regarder longtemps et souvent les mêmes choses. — Cependant sa confiance en lui- même et en ses instruments ne l’ont pas assez mis à l'abri des illusions ou des erreurs, témoin ses étranges assertions sur les globules du sang. Leeuwenhoeck donnait volontiers par lettres tous les renseignements qu’on lui demandait; toutefois, à l'exemple de Ruysch, non-seulement il tenait secrets ses procédés et ses modes de fabrication, mais il portait envie aux autres fabricants, même à l'atelier que Leibnitz avait fait monter ; c’est là le caractère d’un artisan et non celui d’un savant : ajoutez qu'il trait grande vanité deshonneurs qui lui venaient de l'étranger, des présents qu'on lui envoyait, des visites princières qu’il recevait ; puis, comme correctif, n'oublions pas qu’il ne s’est jamais exa- géré outre mesure la valeur de ses découvertes ou la sûreté de ses raisonnements, et qu'il ne s’est pas montré trop entèté devant l'évidence. Le premier travail imprimé de Leeuwenhoeck date de 1673 ; il avait rapport à l’étude microscopique du dard de l'abeille, et fut communiqué par de Graff à la Société royale de Londres, qui était alors et qui resta longtemps le centre principal où venaient aboutir et recevoir leur consécration toutes les recher- ches scientifiques. & Arrivons maintenant à l’énumération des questions sur les- quelles Leeuwenhoeck a plus particuliérement porté son atten- tion (2). à lui faire une situation digne de son mérite. » Blanchard. — (Voyez plus bas la note 2 de cette page 684). (4) C’est avec un microscope de Leeuwenhoeck que Ham a vu pour la première fois, en 1677, les animalcules spermatiques; c’est à tort que Hartsoeker s’est altri- bué cette découverte, (2) Trois étudiants hollandais, unis par l'amitié et par un sentiment commun LEEUWENHOECK, 685 Sang (1). — Les anciens pensaient que certains animaux n’ont pas de sang, attendu que pour eux le caractère dis- tincuüf du sang résidait dans la couleur rouge. Le premier, Leeuwenhoeck déclare que le sang est le liquide nutritif par excellence, et qu'il se retrouve dans toute la série du règne ani- mal; — cependant il a fait ses observations particuliérement sur les vertébrés. Il distingue dans le sang la partie solide ou le rouge, et le sérum; les corpuscules qui nagent dans le sérum et qui donnent sa couleur au sang, 1l les appelle particules chez les oiseaux, les reptiles et les poissons, et, chez les quadrupèdes globules, à cause de leur forme qu'il croyait exactement sphé- rique. Il a minutieusement étudié les diverses figures et couleurs (verte chez les sauterelles) des particules et des globules dans les diverses classes d’animaux (2); il a eu quelquefois, comme je l'ai dit (p.684), des illusions d’optique et même des contradictions, d’admiration pour Leeuwenhoeck, ont résumé en trois dissertations inaugurales les travaux de ce grand anatomiste (De Leeuwenhoeckii meritis in quasdam partes anatomiae maicroscopicae). Lesueur Fleck et Hiddo Halbertsma soutinrent leur thèse le même jour (3 novembre 1843) à Leyde, et Van Charante le 5 juin 1844 dans la même université. Ges trois dissertations sont peu connues en France, car je ne les vois pas même citées dans un très-bon travail de M. Blanchard Sur Leeu- wenhoeck et les premiers observateurs au microscope (Revue des deux mondes, 15 juillet 1868, p. 379-416). L'auteur s'occupe surtout de la composition et de la circulation du sang, ainsi que des animalcules appelés improprement ?nfu- soires), J’ai tiré de ces trois dissertations, après avoir vérifié, en parcourant atten- tivement les œuvres de Leeuwenhoeck, l'exactitude et l'abondance des renseigne- ments qu'elles fournissent, tout ce que je rapporte ici touchant l’illustre citoyen de Delft. (1) Halbertsma à traité du sang, du système vasculaire et de la circulation, des os, des dents, et, en tête de sa dissertation, il a mis une vie de Leeuwenhoeck ; Fleck s’est réservé les muscles et le cristallin ; enfin, Van Charante a pris pour sa part les nerfs, l’épiderme, les poils et le tartre des dents. Pour chaque section, les auteurs ont ajouté de nombreuses notes critiques où ils discutent et comparent avec les recherches modernes les résultats des observations de Leeuwenhoeck; enfin, ils ont reproduit les figures dozänées par l’auteur. — Ces messieurs ont omis les ob- servations de Leeuwenhoeck sur la génération et le développement de l’œuf, parce que c’est la partie de son œuvre la plus faible et la plus entachée d'erreurs, celle, en un mot, pour laquelle il s’est le moins élevé au-dessus des opinions qui avaient cours de son temps, même en dépit des expériences de Harvey. (2) Le lait, la graisse, le cerveau, la moelle, ont également des globules, suivant Leeuwenhoeck, 686 LEEUWENHOECK. mais le plus souvent il a bien vu et vu toujours de même. Il connaît le mouvement rotatoire des globules, leur change- ment de forme par addition d’eau, les variations de couleur par l'action de dissolutions salines. Enfin il a indiqué au centre des corpuscules un point lumineux admis par les modernes, et aussi le nucleus ou noyau enfermé dans la membrane. Il ne paraît pas savoir quel est le rôle comparatif des globules et de la partie liquide dans l’acte de la nutrition. La première mention des corpuscules sanguins remonte à l'année 1673. Kircher avait pris pour des vers et Malpighi pour de la graisse les globules qu’ils avaient vus par hasard, lun dans le sang d’un fébricitant, l'autre dans celui d’une hystérique. Leeuwenhoeck admet avec raison une moindre quantité de globules par rapport au sérum dans les invertébrés que dans les vertébrés. I attribuait à la plus grande quantité de sérum du sang artériel la rougeur plus grande de ce sang, tandis que cela est dù au degré d’oxygénation. Mais, chose étrange, 1l ne voit pas de différences entre les globules de l’homme et ceux de la gre- nouille (1) ! Vaisseaux et circulation. — Leeuwenhoeck a étudié les vais- seaux sanguins non-seulement sur les vertébrés, mais encore sur divers invertébrés ; 1l s'est trompé quand il a pris pour des vais- seaux les trachées annulaires des insectes. On admet aujourd’hui que ces animaux n'ont pas de vaisseaux, et que le sang circule dans les interstices des tissus. Le premier il a séparé la mince membrane interne des artères, et a vu qu’elle consistait en un nombre incroyable de trés-petites particules enchaînées comme sont les mailles d’un filet (vraisem- blablement les deux premières tuniques de Henle). Il a aussi examiné la membrane sous-jacente, dans laquelle il a signalé la direction circulaire des fibres (quatrième de Henle ?). — II a suivi l’'ondée sanguine qui dilate l’artère, laquelle se contracte activement ensuite, en vertu d’une propriété spéciale. — Ses (4)M. Blanchard, dans le travail précité (voy. p.684, note 2), a raconté d’une façon très-pittoresque la découverte des animaleules dans l'eau, sous le champ du micro- scope, C’est d’après une première observalion d'un étudiant, nommé Ham, que Leeuwenhoeck a étudié les entozoaires spermatiques, (Voy. plus haut, p, 684, note 4.) LEEUWENHOECK. 687 recherches sur la structure des veines manquent de préci- sion; il a du moins suivi et démontré, mieux peut-être que Ruysch, la continuation directe des veines et des artères par les capillaires, qu'il appelle (vu la difficulté de déterminer où commencent les unes et où finissent les autres) tantôt très-petites veines ou très-petites artères, où très-petits vaisseaux. Les ca- pillaires ne laissent le passage qu’à un seul globule. Ses obser- vations ont surtout réussi sur les animaux à sang froid. Il a rigoureusement constalé les véritables parois des capillaires, niées de nouveau par quelques anatomistes modernes, qui, reve- nant par une voie détournée à l'opinion de Harvey, pensent que le sang passe d’un système vasculaire à l’autre, comme de l’eau à travers le sable. Notre anatomiste a scrupuleusement noté tous les mouve- ments tantôt rapides, tantôt ralentis, ou presque suspendus, du sang dans les capillaires. Il a remarqué quelques mouvements de retour et l’action qu’exercent certains agents extérieurs (froid, chaud, sels) sur ces mouvements. Il a prétendu mesurer, mais sans y réussir entièrement, la rapidité de la circulation. Os. — Leeuwenhoeck a d’abord supposé que les os étaient for- més de corpuscules (c’est Purkinge qui les a découverts plus tard); puis 1l a pensé que ces corpuscules étaient une illusion de sa part, et que ce qu’il avait pris pour tel m'était rien autre chose que les extrémités des tubes qui forment la charpente des os. Au lieu d’une seule espèce de tubes, il en à reconnu quatre espèces disposés en long (à tort nommés #wbes de Clopton Havers, qui les a mal et insuffisamment décrits), puis un certain nombre disposés en travers. Aujourd’hui, on admet généralement que le tissu fondamental des os est formé par des lamelles et des cellules disposées en séries concentriques à la circonférence des canaux, et, suivant quelques anatomistes, par des corpuscules disséminés dans les lames ou entre elles. Dents. — Leeuwenhoeck a décrit la distribution des vaisseaux dans les dents ; il a vu que ces organes se composaient d’une série de canaux qui, prenant leur origine à la cavité, se ren- dent à la circonférence. C'est ce qu’on appelle la substance 688 LEEUWENHOECK. dentaire, l’ivoire proprement dit, dont on rapporte à tort la découverte à Malpighi;, car cet anatomiste, méconnaissant la nature tubuleuse des dents, les a prises pour des filaments entrelacés comme les mailles d’un réseau. — De son côté, Leeuwenhoeck n’a pas connu la substance vitrée qui est à la superficie des dents (émail), découverte par Purkinge, mais ila entrevu l’estéide (croûte pierreuse des ruminants). Muscles. — Leeuwenhoeck distingue plus exactement que ne l'avaient fait Hook, Sténon, Borelli, Muys, les #/s qui consti- tuent les fbrilles, et les fibrilles qui constituent les fibres ; il a dit peu de chose sur la structure apparente de la chair muscu- laire, mais il a très-bien décrit la disposition des muscles sur la langue du bœuf et la structure du cœur (concatenatio fibrarum). Il a insisté sur les formes diverses que présentent les fibrilles chez les divers animaux. — Les fibres n’augmentent pas en nombre, mais en volume avec l’âge. — Il a mesuré les diffé- rences de volume des fibrilles, soit sur les diverses parties d’un même animal, soit dans les animaux de même espèce, soit enfin chez les animaux d'espèces différentes. — Les fibrilles, dans lesquelles il n’a découvert aucun canal, sont composées, à leur tour, d’une multitude de fils; et même, poussant par la pensée l'analyse encore plus loin, Leeuwenhoeck admet, plutôt qu'il ne le démontre, que ces fils résultent de l'assemblage de nombreux filaments enfermés dans une tunique. — Il a décrit les sérres que présentent les fibrilles dépouillées de leur enveloppe, il les croyait d’abord circulaires, mais il à vu plus tard qu’elles sont spiroïdales. Leeuwenhoeck, après des hésitations, finit par conclure que les fibrilles ne naissent pas des tendons, comme il l’avait cru d’abord, ni les tendons des fibrilles, mais que la création de ces deux parties est distincte et simultanée; il a admis la jonction des deux ordres de fibres par accolement sans que les fibrilles musculaires se forment en cône. Pour lui, la struc- ture des tendons est à peu près la même que celle des muscles. Réfutant l'opinion d’un certain professeur de Franequer, qui soutenait que le sang circule dans un prétendu canal creusé LEEUWENHOECK. 689 au milieu des fibrilles, il a constaté l'existence d’un véritable réseau vasculaire sur les parties latérales des fibres du dia- phragme d’une brebis. — Il ne sait pas si les fibrilles sont pour- vues de nerfs ou non; depuis, on les a découverts; mais il en a vu se ramifier et s’accoler le long des tendons sur le bœuf et sur la brebis. C’est une des rares observations de ce genre. Cristallin. — La structure lamelleuse du cristallin (1), déjà connue de Sténon, a été très-exactement vérifiée par Leeuwen- hoeck. Les micrographes modernes n'ont fait que rectifier cer- tains détails. Système nerveux. — Les observations microscopiques de Leeuwenhoeck, sur la structure du système nerveux central et périphérique, ont été communiquées, de 1674 à 1685, à la Société royale de Londres; elles n’ont pas toutes une égale va- leur, et n’offrent pas en général, surtout pour ce qui regarde l’encéphale, une aussi grande précision que celles qui se rappor- tent aux autres systèmes organiques. Voici, du moins, les re- marques les plus importantes : Le nerf optique du bœufet celui du cheval n’ont pas de canal central, comme les anciens le croyaient; ils sont composés de filaments, ou mieux de canali- cules juxtaposés et remplis de globules dont l’ébranlement, par l'impression de la lumière, se communique de proche en proche jusqu’au cerveau (2). En 1715, déjà octogénaire, Leeuwenhoeck voit mieux les choses et constate que les nerfs sont composés de filaments enveloppés par une membrane assez résistante ; ces filaments sont, à leur tour, composés d’une multitude de fi- briles qui ressemblent par leur apparence extérieure à des vaisseaux capillaires, et qui sont si déliées qu’on en peut compter plus de mille dans un nerf dont le volume ne dépasse pas celui de trois poils de barbe ; il admet que ces fibrilles contiennent un liquide dans lequel nagent des corpuscules dont il n’a pas su découvrir la nature : la structure du cerveau et de la moelle ne (1) « Constat ex sphaerarum in modum contortis laminis, sibi invicem impositis, » quae ex centro originem trahunt; omnes constant ex sphaerulis crystallinis. » (2) C’est là une de ces explications mécaniques fort à la mode au xvir® siècle, DAREMBERG, 44 690 LEEUWENHOECK. lui a pas paru trés-différente de celle des nerfs. Il a bien décrit la névrilème ou enveloppe générale du nerf, et a constaté la distribution des vaisseaux jusque sur les fibrilles. El a reconnu la structure rétieulaire de la rétine. Épiderme. — Leeuwenhoeck écrit, en 1674, que l’épiderme est composé de squamules plates et rondes dont plusieurs cen- taines pourraient être recouvertes par un grain de sable (1). Dans sa pensée, il les assimile aux écailles des poissons, avec la différence que nos écailles épidermiques se renouvellent sans cesse; il ne croit pas que l'humeur sécrétée de la transpiration insensible entre pour rien dans la formation de l’épiderme; 1l a trouvé des squamules dans le cérumen des oreilles, ainsi que dans la sueur du visage et des pieds. C’est entre les squamules, quelque soudées ensemble qu’elles paraissent, et non au moyen de pores, que s'échappe finalement la sueur à travers l'épiderme; la peau elle-même est par- courue par une foule de canaux extrêmement déliés qui versent au dehors la sueur et les particules graisseuses (2). Notre mi- crographe a fait des observations comparatives sur les squa- mules des cicatrices, des callosités et de l’épiderme normal. Il a étudié l’épiderme chez les ichthyosiques et sur les nègres ; 1l (4) « Les personnes sachant avec quelle rigoureuse exactitude les observateurs modernes déterminent la dimension des plus petits objets, ne pourront s'empêcher de sourire des moyens de détermination tout primitifs à l'usage de Leeuvenhoeck. Son terme de comparaison préféré est le grain de sable, et, comme la grosseur des grains de sable varie dans des limites fort larges, on se trouve assez mal renseigné par la comparaison. Il importe donc, en lisant les écrits de notre auteur, de savoir que son étrange étalon de mesure égale en diamètre le trentième d’un pouce, Au reste, le naturaliste de Delft est plein de ressources quand il veut donner une idée de la dimension des objets qu'il a examinés ; il la compare volontiers à l'épaisseur d’un cheveu où d'un poil de la barbe, 11 manifeste souvent une prédilection pour les grains de millet, et, à une époque un peu avancée de sa carrière, il aime à pren- dre pour point de comparaison les globules du sang, qui lui rappellent une de ses premières comme une de ses plus intéressantes découvertes, » (Blanchard, article cilé, voy: p. 684, note 2.) (2) C'est sans doute, comme le remarque Van Charante, à cause de lobli- quité de l'ouverture des pertuis épidermiques que Leeuwenhoeck ne les a pas reconnus. LEEUWENHOECK. 691 pense que la coloration noire dépend de l’épiderme (1). Enfin, il a observé les squamules (couche épithéliale) dans le vagin et à l'entrée de la bouche ; il a également esquissé une description de la face interne des intestins. Poils.— Les recherches de Leeuwenhoeck sur la structure des poils ont été en grande partie confirmées par les micrographes modernes, mais il ne s’est pas toujours rendu exactement compte de la vraie signification des dispositions qu’il découvrait. Cela ne saurait diminuer son mérite, Car il a vw et reconnu à lui seul une infinité d’autres détails qui depuis ont exercé la patience et la sagacité de cent anatomistes, dont les recherches sont ve- nues si souvent en confirmation de celles qu'il faisait avec un art merveilleux. Salive et tartre. — La salive ne contient pas par elle-même d’animalcules, mais le microscope en révèle une multitude dans le tartre qui se fixe aux dents. Leeuwenhoeck en a même distin- gué. {rois espèces. Mandl, Van der Hoeven et Van Charante ont fait, à cet égard, des observations qui ne s’écartent guère de celles que je viens de rappeler. Ainsi, Ruysch surtout avec les injections, Leeuwenhoeck sur- tout avec le microscope, et Malpighi usant de moyens divers, ont amené l’anatomie de texture aux limites de la perfection. N'oublions pas, Messieurs, que ces recherches et ces observa- tions ont deux siècles de date ! Treize leçons ont à peine suffi à tracer devant vous une es- quisse rapide et encore fort incomplète de l’histoire de l’anato- mie et de la physiologie au xvu° siècle; cependant que de noms célèbres, sinon illustres, il nous resterait à enregistrer ! J. Riolan (1577-1657), un des dissecteurs les plus exercés du xvIr' siècle, et en même temps un des plus mauvais et des plus vaniteux anatomistes par sa propre infatuation et sa foi absurde dans les anciens; — Casserius de Plaisance (1561-1616), plus (1) On croit généralement aujourd’hui que cette coloration dépend, non de l’épiderme, mais d’un pigment noir ou tissu muqueux situé entre la peau et l’épi- derme. 692 ANATOMISTES DE SECOND ORDRE AU XVII SIÈCLE. connu par ses planches assez exactes pour le temps où elles ont été faites que par ses découvertes, bien qu’il ait étudié spéciale- ment les organes des sens et de la voix; — Fabrice d’Aquapen- dente (1537-1619), un des {derniers représentants actifs de l'anatomie galénique, et dont les ouvrages sur les organes des sens, le larynx, la voix, le fœtus, la respiration, le mouvement, l'appareil digestif, ont été publiés dans les dix-huit premières années du xvu° siècle (1); — Borelli de Naples (1608-1679), l'ami de Malpighi, réduit toutes les questions de physiologie à des questions de mécanique ; du moins il s'est attaché, parfois avec succès, à décrire les mouvements des muscles et à en cal- culer la force et les directions, mais il consacre la vieille Opi- nion d’une matière particulière ou d’une espèce de fluide ner- veux pour opérer ce mouvement (2); — Riva d’Asti (1627- 1677), l’un des maîtres de Lancisi; il avait établi à l'hôpital de la Consolation, àRome, un musée anatomique, et tenait dans sa propre maison des conférences d'anatomie qui ont contribué à mettre en honneur, pour un moment, la pratique des dissections, dans une des villes où elles étaient le plus négligées ; — Vesling, de Minden en Westphalie (1598-1649) , et Diemerbroeck, de Montfort en Hollande (1609-1674), qui, faisant exception à la règle (3), publient des traités généraux où l’on à peine à trouver quelques nouveautés (4). (4) Si j'ai mentionné Fabrice à la page 329 de ce volume, c'est que sa démon- stration des valvules date de 1574. (2) Voy. plus loin la xxiv° leçon sur l’iatromécanisme. (3) Auxvu“siècle, ily a peu d'anatomie descriptive proprement dite, peu de traités généraux ; on n'admettait plus l'anatomie trop défectueuse des anciens, on n’en pos- sédait pas encore une moderne; elle était trop incomplète et manquait de méthode ; on cherchait dans tous les sens, on écrivait des monographies, les traités généraux n'étaient que des compromis, Quelques rares auteurs ont essayé, sans grand génie, de mettre, dans des traités complets, la vieille anatomie d'accord avec la nouvelle : c'était répondre au désir de beaucoup de personnes qui recherchent les Manuels et aux besoins des médecins qui aiment à posséder une anatomie pratique ; de là les livres de Diemerbroeck ou de Vesling, auxquels on pourrait ajouter ceux de Spiegel (qui a écrit aussi un traité plutôt physiologique qu'anatomique Swr le fœtus, 1627), de Verheyen, d'Highmor (1651) et de Cowper (1697), lequel a volé une partie de ses planches à Bidloo. (4) Gelée, dans son Anatomie française (Rouen, 1635) abrége Riolan et Dulau- ANATOMISTES DE SECOND ORDRE AU XVII‘ SIÉCLE. 693 Il convient de faire une mention spéciale de Schneider, de Bitterfeld, en Misnie (environ 1610-1680), qui tranche enfin la question de la position du cœur, sur laquelle on avait si long- temps disserté à Heidelberg, sans songer à ouvrir la poitrine, et qui, par sa trés-prolixe mais savante description de l'ethmoïde, des nerfs olfactifs, des ventricules du cerveau, de la membrane pituilaire, ruine pour jamais la théorie des catarrhes, en prou- vant avec Sténon que toutes les humeurs sont une sécrétion du sang. — Willis (1622-1675), élève de l’Université d'Oxford, est aussi célèbre par ses mauvaises doctrines physiologiques et mé- dicales que par sa description très-exacte pour le temps (mais qu'il tenait en partie de Lower, autre élève de la même Uni- versité) du cerveau et des nerfs crâniens (1). Lower lui-même (environ 1631-1691) a porté un peu de lumière sur la structure du cœur. Dans le traité De corde, dont la première édition a paru à Londres en 1669, on lit, mais sans que l'explication en soit donnée, que l'air rougit le sang (2). On peut croire que Lower a fait l’un des premiers des expériences régulières sur la transfusion du sang (3). rens. — L'Anatomie de l’homme, de P. Dionis (Paris, 4690), n’est qu'un résumé sans originalité et sans érudition. — Le Théâtre anatomique de C. Baubin de Bale (1560- 4624), appartient, comme presque tous les autres écrits de cet auteur, au xvi° siècle, Ce Théâtre, dont la meilleure édition à paru au xvu* siècle, est un ouvrage d’éru- dition et, par conséquent, un des livres les plus précieux pour l’histoire de l'anatomie jusqu'à la fin du xvit siècle. Le texte est accompagné de planches nombreuses, mais généralement grossières ou inexactes, (4) I a donné une classification et une nomenclature des paires des nerfs crâniens dont on tient encore compte dans nos traités classiques. Les recherches de Willis sur l’encéphale (1664) ont été surpassées, dès 1675, par l’illustre Wepfer, dans ses Observations sur l'apoplexie. — Willis a indiqué la diabète sucré. (2) Voy. aussi Mayow, De respiratione, 1668. Pour ces deux auteurs, l'air (ou plutôt l’azote) agit en produisant une fermentation vitale, à l’aide des parties sulfu- reuses contenues dans le sang, (3) Voyez, outre l'Histoire de la transfusion, par Scheel Die Transfusion des Blutes, u, s. w. (1802-1803), avec le supplément de G.-Fr. Dieffenbach (1828), le Journal des Savants des années 1667, 4668, 1669; Elsholtius, C/ysimata nova sive ratio, qua in venam sectam medicamenta immitti possint,..…, addita etiam omnibus seculis inaudita Ssanguinis transfusione ; ed, secunda, Coloniae Brandenb., 1667, in-8, avec des figures. Les expériences faites dans divers pays y sont rapportées. — Tout récemment M, le docteur Oré, de Bordeaux (Études historiques et physiolo- 9% ANATOMISTES DE SECOND ORDRE AU XVII® SIÈCLE, Redi d'Arezzo (1626-1697), adversaire de la génération spon- tanée, grand promoteur de l'anatomie comparée, a démontré que certains poisons agissaient sur les surfaces dénudées et non sur les membranes muqueuses parfaitement saines el intactes, — Bellini, de Florence (1643-1703), disciple de Borelli et de Redi : homme de grande imagination, propagateur des plus fausses idées sur la dérivation, la révulsion et le fluide nerveux, s’est approprié une partie des recherches d’'Eustachi sur les reins et de Malpighi sur l’organe du goût. Nous devons encore mentionner Drelincourt (1633-1697), né à Paris, mais professeur à Leyde : rude adversaire de Descartes, et au nom duquel se rattache une bonne description du larynx et des glandes de l’épiglotte (1); — Peyer, de Schaffouse (1653-1712), élève de notre du Verney, et à qui l’on doit la découverte des glandes ou follicules intestinaux (clos et non pourvus d’un conduit excréteur) qui portent son nom; — Brun- ner, de Ratisbonne (1653-1727), inventeur des glandes duodé- nales et auteur d’une expérience sur le pancréas, qui prouve que ce viscère ne sert pas à la coction des aliments; — Rivinus, de Leipzig (1652-1723), connu par ses recherches sur les glandes sublinguales et leurs canaux excréteurs. Enfin, n'oublions pas trois célèbres anatomistes hollandais (2) : Regnier de Graaf, Van Hoorn et Verheyen. Le premier (1641-1673) est surtout connu (3) par ses recherches sur la structure et les usages des giques sur la transfusion du sang. Paris, 1868, in-8°), a donné une bonne histoire abrégée de la transfusion du sang; il veut remettre en honneur une méthode thérapeutique qui a toujours semblé offrir plus d’inconvénients que d’avantages et qui sera très-difficilement admise dans la pratique ordinaire (voy. cependant dans Union médicale, 1869, n° 98, p. 259, une note encourageante de M, P, Garnier. Voy. aussi Gesellius, Capillar Blut..… zur Transfusion. St-Pétersb., 1868, surtout Swiontkowski Die Transfus. u. s, w.; Heidelb., 1869). IL n’en est pas de même de la méthode qui consiste à faire passer directement des substances médicamenteuses dans le sang, (1) C’est lui qui, décrivant ie cerveau, a le premier signalé la valvule impropre- ment appelée valvule de Vieussens. — Un autre professeur hollandais, Nuck, mort en 4692, a laissé plusieurs écrits justement estimés sur l'appareil glandulaire. (2) La Hollande, au xvu siècle et au commencement du xvin°, a été la pépinière de l’Europe pour les anatomistes et les médecins. (3) Il à aussi décrit et figuré une seringue pour les injections sur les cadavres; ANATOMISTES DE SECOND ORDRE AU XVII° SIÈCLE, 695 organes génitaux de l'homme et de la femme, deux ouvrages composés de 1648 à 1672, et par l’exacte description, soit des follicules ovariques appelés vésicules où œufs de Graaf, soit des canaux déférents. On assure que la vie de cet anatomiste a été abrégée par des querelles de priorité ou des discussions de divers genres qu'ileut à soutenir contre Swammerdam (1), autrefois son ami, et contre d’autres anatomistes. — Van Hoorn (1621-1670) a donné, dès 1652, une bonne description et une bonne figure du canal thoracique chez l’homme; il a soigneusement étudié l'appareil glandulaire de la bouche et l'anatomie des organes génitaux dans un Prodromus (1668) que Swammerdam, son aide, a presque revendiqué pour lui-même dans une nouvelle édition de 1672. Un auteur contemporain, de Rhyne, lui attribue la décou- verte des papilles de la langue. Le Cireulus anatomico-physiologqicus, etc., de JS. Bohn (2), est un résumé bien fait et souvent une critique des opinions qui avaient cours du temps de l’auteur sur le mécanisme des fonc- tions du corps humain. L'ouvrage est dédié à Malpighi; ce nom seul est une recommandation. En général, Bohn tient pour les expériences contre les hypothèses, cependant il n’y échappe pas toujours ; ainsi, à propos des mouvements, dont l’êtude était alors si fort à la mode (Progym., 29, p. 457), il repousse le pls- sement où corrugation, la traction par les nerfs, renouvelée de Galien, la force explosive de Willis, l’ébullition expansive et l'effervescence de Borelli; mais il attribue le mouvement de la fibre musculaire à l’incitation ou mieux à la pression du sang (en vertu de ses mouvements oscillatoires) et des esprits (en vertu de leur élasticité), qui mettent en jeu la contractlité (3). il se servait de liquides colorés, — Comme médecin, c'était un ardent sectateur de Sylvius. (1) Homme d’un caractère au moins bizarre, mais d’une rare habileté dans les disseetions des plus petits animaux. Il a imaginé une préparation de cire pour in- jecter les vaisseaux. Avant lui on se servait de mereure ou de liquides colorés. (2) J'ai sous les yeux l'édition de Leipzig, 4697. La première porte la date de 1680, (3) C'est à peu près la théorie du célèbre Mayow (voy. son traité De motu muss culari; Oxon, 1674, cap. 4 et 5). Mayow veut aussi que les particules fermentes- cibles nitro-aériennes jouent un certain rôle, en raison des efforts de respiration 696 ANATOMISTES DE SECOND ORDRE AU XVII‘ SIÈCLE. En ce sens, il appartient à l’école mécanique, mais il est plus du côté de Sténon que de celui de Glisson, dont il écarte aussi en partie les explications. Bohn (1) admet avec Sylvius (voy. p. A5 et suiv.), et presque dans les mêmes termes, la distinc- tion du sens de la chaleur et du froid d’avec le sens du tact proprement dit; Verheyen, au contraire (2), combat cette dis- tinction. Verheyen (1648-1710) a écrit une Anatomia corporis hu- mani (3) dont la première édition, œuvre alors imparfaite, a paru en 1693, et la seconde, fort améliorée, en 1710. L'ouvrage est divisé en deux sections : la première comprend la description des parties solides (4) ou anatomie proprement dite, avec l’in- dication des usages; la seconde (Anatomiae supplementum) est consacrée aux humeurs ou liquides, aux esprits, au mouvement animal, lequel comprend la théorie des sens et des passions (ici le cartésianisme domine), aux fonctions de nutrition, enfin à la génération; c’est un traité de physiologie comme on les compre- nait à cette époque. Verheyen a étudié avec beaucoup de soin les liquides à l’aide du microscope et de l’analyse chimique; le chapitre sur le sang est particulièrement remarquable. Presque toujours, notre auteur prend parti contre les mauvaises opinions (par exemple contre celles de Sylvius, à propos du lait, de la lymphe, de la bile, etc.) pour les bonnes, ou du moins pour celles qui sont relativement meilleures. Il est fort au courant des que nécessitent les mouvements plus ou moins intenses.— Voy, plus loin, p. 704, note 4, comment Mayow envisageait la respiration, (1) Progym. 22 et 23, p. 351 et 354. (2) Dans le Supplementum anatomicum, tractatus TITI, cap. 2, (3) Le Syntagma de Vesling est beaucoup plus abrégé; ce sont les notes et les appendices que Blasius y a ajoutés qui lui donnent de l'intérêt; ces additions sont tirées, mais non toujours avec beaucoup de discernement, des auteurs anciens, et surtout des anatomistes contemporains. Les Observationes anatomicae du même Ves- ling, ouvrage posthume publié en 1664, offrent quelques remarques originales, surtout en ce qui concerne les vaisseaux lymphatiques, dont l'étude était alors fort à la mode, (4) L'auteur, très-bref sur les os, les muscles et les autres systèmes organiques, donne surtout l’anatomie des appareils. En d’autres termes, le livre de Verheyen est une anatomie des trois grandes cavités, tète, poitrine, ventre et des membres, comme sont la plupart des traités complets de cette époque. ANATOMISTES DE SECOND ORDRE AU XVII® SIÈCLE. 697 recherches nouvelles sur le mouvement des muscles ; il a fait lui-même quelques expériences. Il ne paraît pas avoir une idée très-nette des sécrétions qu’il confond parfois avec les transsu- dations; Je n'ai rien remarqué qui se rapportàt positivement aux sécrétions par les membranes séreuses. Suivant lui, plus les membranes des sens sont tendues, plus la sensation est vive, attendu que les nerfs sont alors plus fermes, plus actifs, et que leurs cavités, mieux distendues, laissent plus facilement voyager les esprits. Il professe très-positivement que c’est la partie liquide du sang, le plasma coagulable, ou Iymphe plastique, qui est le véritable suc nourricier ; il croit que la lymphe propre- ment dite est le résidu du sérum qui a servi à la nutrition, et que cette lymphe, reprise par des vaisseaux spéciaux, est re- portée au moyen du canal thoracique dans le torrent circula- toire. Cette manière de voir (toutes différences mises à part) est plus voisine de l'opinion des physiologistes modernes, que la théorie imaginée en Angleterre et reçue par beaucoup de phy- siologistes du xvu siècle (1). L’Anatomia corporis human est un résumé critique des connaissances anatomiques et physiolo- giques du xvu siècle; c’est surtout à ce titre qu’il méritait une place spéciale dans notre énumération. Quelques-uns des anatomistes que je viens de citer appartien- nent en partie au xvi° siècle, en partie au xvur'; je les ai ce- pendant rangés dans le premier, parce qu’ils y arrivent à l’a- pogée de leur activité scientifique. D'ailleurs, comme je l'ai déjà dit (2), les divisions dans l’histoire des sciences ne correspondent pas exactement aux divisions chronologiques. Ainsi, notre xvi1° siècle, qui commence avec la découverte de la circulation du sang et la constitution de l’école iatrochimique, se termine, d’une part, avec les derniers travaux des micrographes, les dernières grandes découvertes physiologiques, et la reprise de l’anatomie descriplive, de l’autre avec les derniers échos de la chimiatrie et le développement des nouvelles théories médicales. Ces théo- ries ne sont guère plus vraies que leurs aïînées; elles reposent du moins sur un fondement plus solide ; elles ont la prétention, (1) Voy. plus haut, p. 640 et suiv., la théorie de Wharton et de Glisson, (2) Voy. page 322, nole 4. 698 FONDATION DES ACADÉMIES. parfois justifiée, de tenir compte des progrès accomplis dans l'anatomie et la physiologie; seulement leurs premiers auteurs, surtout les Italiens et les Anglais, éblouis par le rapide essor qu’avaient pris les sciences physiques et mathématiques, suivi. rent le fâcheux exemple que Descartes avait donné, et, au lieu d'étudier la vie pour elle-même et par elle-même, en firent un domaine de la mécanique ou de la mathémathique, comme au xvi° siècle elle n'était qu’une succursale de la chimie. Ces théo- ries prennent leur origine au xvir' siècle etse développent ouse transforment au XVIT°. C'est avec la fondation de l’Académie des sciences (23 dé- cembre 1666) que commencent chez nous la réforme de l’ana- tomie et les premiers travaux sérieux sur la physiologie de l’homme et des animaux (1); ce sont les physiciens, c'est-à- dire les savants adonnés à la physiologie et à l’histoire natu- relle (2), qui finissent par secouer linerlie des médecins, les arrachent à la routine et brisent le joug des écoles. Les plus (4) Voy., pour l’histoire des origines et des développements de l'Académie des sciences, Maury, L’Ancienne académie des sciences, Paris, 1864, in-8 ; J. Bertrand, PAcadémie des sciences et les académiciens de 1666 à 1793, Paris, 1869, in-8. — l'Académie des Lyncées a été fondée à Rome en 1603 ; la Société royale de Londres date de 1645, c’est-à-dire des plus mauvais jours de l'Angleterre ; l'Aca- démie des Curieux de la nature à pris naissance en 4652; l’Académie del Cimenta a été établie à Flcrence en juin 1657, et celle de Vienne en 1676, Si la renommée scientifique de la France est tardive, elle n’est pas pour cela moins éclatante, et notre Académie des sciences à toujours rivalisé avec les plus célèbres compa- gnies savantes de l'Europe.— Au xvi et au xvrf siècle, c’est dans les recueils de ces sociétés, dans le Journal des Savants (le premier numéro à paru le 5 janvier 1665), et dans quelques autres publications périodiques, qu’il faut chercher la plus grande partie de l’histoire de l'anatomie et de la physiologie. (2) Les médecins entraient à l’Académie comme anatomistes; par exception, Cureau de la Chambre y fut admis comme médecin. Aussi l'Académie des sciences a-t-elle eu moins d’action sur la médecine proprement dite que sur l'anatomie et la physiologie; on ne doit pas s’en plaindre, car il y avait déjà bien assez de Des- cartes pour fausser la pathologie par l'emploi des procédés des sciences physiques et mathématiques, L'influence de l’Académie des sciences n’a été que salutaire, en habituant d’abord, et sans trop de parti pris, nos médecins aux procédés de la mé- thode expérimentale en ce qui touche l’étude de l'organisme, PERRAULT, 699 illustres représentants de cette révolution, qui faisait écho à celle qui s'était déjà accomplie en Angleterre, en Hollande et dans les pays du Nord, sont Claude Perrault (1613-1688), du Verney (1618-1730) et Vieussens (1641-1715), mais à des degrés différents. Perrault a fait avancer la physiologie des sens (1) et la connaissance de la mécanique animale, quoique dans ses expli- cations il se montre trop visiblement attaché aux idées de Des- cartes ; il est aussi partisan de la préformation des germes ; il décrit le mouvement péristaltique des intestins, rectifie l’anato- mie des vaisseaux biliaires chez les animaux, se montre très-peu favorable à la transfusion, et tient pour un charlatan le fameux Denys, l'un des grands promoteurs de cette opération. Perrault a le tort de mêler un peu trop de raisonnements à ses expé- riences, ce qui ne l'empêche pas d’être un de ceux qui ont le plus contribué à introduire en France la méthode expérimen- tale (2), ni d’avoir écrit cette belle page dans la préface de ses Mémoires pour servir à l'histoire des animaux : « Comme il est impossible de philosopher sans avancer des propositions générales qui doivent être fondées sur la connais- sance de toutes les choses particulières dont les notions univer- selles sont composées, et que nous avons encore longtemps à travailler avant d’être instruits de toutes les particularités qui sont nécessaires pour cela, nous croyons qu’on ne s’arrestera pas beaucoup aux raisonnements que nous avons mêlez parmi nos expériences, el qu’on jJugera aisément que nous ne prélendons répondre que des faits que nous avançons, et que ces faits sont les seules forces dont nous voulons nous prévaloir contre lauto- rité des grands personnages qui ont écrit avant nous... La grande louange que cent aveugles pourroient donner à une beauté ne seroit pas aussi avantageuse que la plus médiocre d’un seul homme qui auroit de bons veux. » — Il n’expose, dit-il, les choses que « comme estant singulières »; il affirme, (4) I soutient, contre Mariotte, que c’est par la rétine et non par la choroïde que s'opère la vision, | (2) Voy., dans J. Bertrand, l’Académie des sciences, p. 6 et suiv,, le plan d’études proposé par Perrault à l’Académie. 700 DU VERNEY. — VIEUSSENS. par exemple, ce qu'il a vu d'un ours, mais il ne généralise pas pour tous les ours. Guichard-Joseph du Verney, aussi habile professeur, aussi bon écrivain qu’anatomiste distingué, a laissé sur l'organe de l’ouie, sur le cerveau et sur certains points délicats de l'anatomie des- criplive, par exemple sur les muscles des yeux ou de laine, des observations d’une rare précision. La minutie était son domaine, et on l’a vu jusque dans la vieillesse, et malgré ses infirmités, se coucher à terre et passer de longues heures dans cette position pour observer les mœurs des limaçons (1). Les nombreux mé- moires de du Verney attestent une grande puissance de travail (2) et un esprit vraiment français, c’est-à-dire pénétrant et clair. Il est toujours pour les saines doctrines, aussi bien quand il s’agit de la circulation du fœtus, contre Méry (3), que quand il est question de la nutrition, et en particulier de celle des os, contre divers auteurs (4). Raymond de Vieussens joignait à l’ancien esprit de Montpellier un peu de l'esprit nouveau de Paris. Son vrai titre comme ana- tomiste et comme membre de l’Académie des sciences, c’est sa Neurologia universalis (5). I y décrit tous les nerfs du corps, surtout ceux qui prennent leur origine à la moelle (6) et qui avaient été à peine indiqués par Willis, lequel est souvent aussi corrigé et rectifié pour les nerfs crâniens. Malheureusement, Vieussens mêle à une bonne anatomie (dont on a beaucoup pro- fité sans le citer comme il convenait) la plus détestable physio- (4) Voy. Fontenelle, Éloges, p. 449, 451, 459. (2) Fontenelle fait cette remarque : « Du Verney craignait que la religion, dont il avait un sentiment très-vif, ne lui permit pas un si grand attachement pour les sciences qui s'emparaient de toutes ses pensées et de tout son temps. » (3) Fontenelle, en ses Éloges, montre un peu trop de partialité contre du Ver- ney pour Méry, que l’Académie des sciences lui avait adjoint, ou mieux, opposé. — Verheyen, à la fin du Supplementum anatomicum (éd, de 1710), a soutenu aussi une lutte acharnée et victorieuse contre Méry. (4) Voy. Journal des Savants, 1689, p. 219-226. (5) Ou ne doit pas omettre de signaler l'ouvrage posthume, Expériences el ré- fleæions sur la structure et les usages des viscères, 1755, où il montre de l’habileté pour les injections, surtout à l’aide du mercure et de liquides colorés. (6) Dont il a parfaitement indiqué les divers renflements; il connait aussi les nerfs du cœur, VIEUSSENS. —— DESCARTES. 701 logie; il explique tout par les ferments, et il en est encore à la théorie de Glisson pour la nutrition; il professe les plus étranges idées sur la sécrétion de l’urine, pour laquelle il imagine des vaisseaux particuliers; il nie l'existence des parenchymes, et croit que tout se réduit dans les organes, même pour l'aorte, à un lacis de vaisseaux; enfin il invente un réseau de capillaires neuro-lymphatiques qui portent les sucs nutritifs des artères aux veines. Vieussens, pour appuyer ses idées sur la fermentation, voulait trouver un acide dans le sang. Pour le démontrer, il prend 50 livres de ce liquide, le fait bouillir dans un vase de cuivre jus- qu'à réduction de 3 onces 7 drachmes par l’évaporation des liquides; et c'est dans ce résidu qu'il crut trouver le fameux acide. — Chirac lui disputa la priorité de cette découverte; des discussions on en vint aux querelles : l'amitié fut brisée. C’est ainsi, dit Portal, que deux hommes célèbres se disputèrent l’hon- neur d’avoir découvert dans le corps de l’homme un être qui n'existait que dans leur imagination. Descartes (1596-1650), qui a précédé la plupart des person- nages que je viens d’énumérer, passe, lui aussi, pour un habile anatomisle et un grand physiologiste. Quant à moi, je ne com- prends pas que l’auteur de la Dioptrique, que l'inventeur de l'application de l'algèbre à la géométrie, de la loi d'égalité des angles d'incidence et de réflexion, ait pu imaginer l’homme-ma- chine (1), oules tourbillons, ou une grossière explication méca- nique des passions. Descartes, J'ai quelque scrupule à parler ainsi d’un philosophe et d’un savant aussi éminent, Descartes à intro- duit dans la physiologie et maintenu dans l'anatomie plus de nouvelles erreurs qu’il n’en a détruit d'anciennes (2). (4) « Opus in fastis ingenii bumani memorabile, ex quo intelligas, quam exigua maximi ingenii subtilitas, si praeter experimenta rerum naturalium causas sibi con- stituere sumpserit, » (Haller, dans sa Biblioth. anatom.) (2) J'ai consacré une leçon à démontrer que Descartes ne pouvait être pris au sérieux ni comme anatomiste ni comme physiologiste; au moment où je rassemblais mes notes et les citations à l'appui, j’ai reçu de mon savant confrère M. le doc- teur Bertrand de Saint-Germain (qui a bien voulu être un de mes auditeurs assidus), un volume intitulé : Descartes considéré comme physiologiste el comme médecin, 702 DESCARTES. Quoique Descartes ait abandonné les maîtres et leurs livres pour lire dans le grand livre du monde; quoiqu'il ait fermement résolu de se dépouiller de toutes les opinions antérieurement reçues, il n’a rien de bon sur l’anatomie et la physiologie que ce qu'il a emprunté aux autres; il accepte de confiance les plus étranges explications physiologiques, et ce qu’il invente ne vaut pas mieux que ce qu'il rejette. | Descartes a plutôt imaginé une bonne méthode logique qu'il n’a créé un système de philosophie; il a toujours montré beau- coup de goût pour les sciences physiques, à cause de leur côté positif; mais ce goût si légitime, s’il eût été renfermé dans de justes bornes, l’a complétement égaré lorsqu'il a voulu pénétrer sur les domaines de la physiologie et même sur ceux de la psycho- logie. N'ayant trouvé dans ses devanciers aucune idée exacte touchant les lois qui régissent la matière organisée, ne connais- sant de la physiologie spéciale que ce que lui avaient enseigné Harvey ou quelques autres, il s’est emparé de tout ce qu’il savait de mathématiques, de mécanique et de physique pour expliquer la vie. Îl est le père de la plus mauvaise partie de la médecine jatrochimique. Descartes a ouvert beaucoup d'animaux, comme les anciens philosophes, mais on ne voit pas dans ses ouvrages qu'il ait plus qu'eux le sentiment des expériences régulières, quoiqu'il dise avoir fait autant d'expériences qu’il y a de lignes dans ses écrits, et qu'il se vante que peu de médecins aient Paris, 1869, in-8. Il est évident que le but de l’auteur est de montrer que Des- cartes à pris une part active au progrès de la physiologie et de la médecine ; mais je dois dire que, malgré tout le talent qu'il a mis à présenter et à défendre sa thèse, il n'a pas pu se persuader à lui-même que son héros mérite une grande place dans notre histoire ; il se fait même si peu d'illusion à cet égard, qu'il dit: « Descartes a apporté peu de vérités nouvelles, ef, à ces vérités ilse mêle beaucoup d'erreurs »; mais il ajoute: «c’est à la direction qu'il a imprimée aux recherches scientifiques que les médecins sont redevables des résultats positifs qu'ils ont obtenus. » Cela mème est loin d’être prouvé; les médecins cartésiens sont en général de très-mau- vais physiologistes et de médiocres anatomistes. Quoi qu'il en soit, le livre de M. Bertrand de Saint- Germain est attachant el instructif par l'exactitude des infor- mations, par les commentaires ingénieux et érudits dont l’auteur a su entourer les citations originales, enfin, par l'excellente tenue du style. L'ouvrage est rédigé avec tant de bonne foi et un tel respect pour les textes, qu’on y peut puiser à pleines mains des témoignages contre la science positive de Descartes. DESCARTES, 703 regardé d'aussi près que lui à la structure des animaux. Lors- qu'un gentilhomme qui le visitait lui demande à pénétrer dans sa bibliothèque, pour toute réponse il tire un rideau et montre dans une galerie un veau qu’il allait disséquer, ajoutant : « Voilà ma bibliothèque, voilà l'étude à laquelle je m’applique le plus maintenant. » C’est là une pure mise en scène très-peu digne d’un savant et d'un philosophe. Abordons un instant les détails, afin qu’on ne soit pas tenté de crier à l’irrévérence, au scandale, après avoir lu un pareil juge- ment. Le principe du mouvement et de l’activité des sens est une espèce de feu sans lumière dont le cœur est le foyer. Grâce à ce feu, les parties les plus subtiles du sang sont raréfiées, montent au cerveau et composent cet air qu'on nomme les esprits ani- maux, lesquels à leur tour dilatent le cerveau et le rendent propre à recevoir les impressions des objets extérieurs et celles de l’âme. Descartes complète ces belles théories en perchant l’âme sur la glande pinéale, comme la légende perche saint Syméon sur sa co- lonne. La transmission des esprits animaux à travers les nerfs et celle des impressions extérieures au cerveau sont également réglées par les lois de la mécanique. La digestion ne laisse pas moins à désirer, car l’explication n’en est pas même aussi claire ni aussi complète que dans Galien. « Les substances alimentaires, désagrégées par certaines li- queurs contenues dans l'estomac, sont agitées en s’échauffant, comme fait la chaux avec l'eau commune; joint à cela que l’es- tomac et les boyaux sont également agités; d’où il résulte que l'aliment se digère, descend et se divise en deux parties, l’une excrémentitielle qui s'échappe par les boyaux, l’autre nutri- tive; cette dernière, qui est la plus subtile et la plus agitée, trouve sur sa route une foule de pertuis à travers lesquels elle se rend dans une grande veine qui la conduit au foie et dans d’au- tres vaisseaux qui la portent ailleurs ; sans qu’il y ait rien que la peutesse de ses trous qui la sépare des parties plus grossières, ainsi que, quand on agite de la farine dans un sac, toute la plus pure s'écoule, et il n’y a rien que la petitesse des trous par où elle passe qui empêche que le son ne la suive. » Pour ma part, 704 DESCARTES. j'aime autant la faculté concoctrice de Galien ou de Fernel que l'agitation et les petits trous de Descartes. La nutrition s'opère par le même procédé que la digestion; le corps est un crible, et Ja distribution des sucs nourriciers dépend uniquement de la situation des vaisseaux, de leur calibre et des dimensions de leurs pores. Descartes croit, avec les anciens, que la respiration sert à mo- dérer la chaleur du cœur, et il ajoute, à condenser le sang en même temps qu'il le refroidit. ILme semble que ce n’est ni en vertu de l'autorité des anciens, ni par le raisonnement, mais par des expériences, que Boyle, Mayow (1), Black, Lavoisier et d’autres ont été mis sur la voie des véritables usages de la respi- ration, de ses rapports avec la combustion et de son action chi- mique sur l’air. Ce sont encore des expériences qui ont rectifié ce qu'avaient de défectueux les conséquences tirées de celles de Lavoisier, de Black ou de Boyle. Les gaz que les chimistes ont trouvés dans le sang sont également différents des esprits ani- maux, enfantés dans le cerveau des anciens physiologistes et acceptés avec tant de faveur par les philosophes. Descartes s’est fait le champion de la circulation du sang; c’est un mérite; c’est presque du courage au milieu des clameurs idiotes mais furibondes de la tourbe des médecins. Toutefois, quel parti notre philosophe a-t-il tiré de la circulation? Aucun. A-t-il agrandi cette découverte? Nullement! II ]a même compro- mise en introduisant l’idée de fermentation et de dilatation du sang pour expliquer le mécanisme de son mouvement. «La chair du cœur contient dans ses pores un de ces feux sans lumière qui sont les ressorts de toute notre machine.» Le reste est à l'avenant, et toutes les fois qu’il s’écarte de Harvey, Descartes tombe dans les hypothèses les plus inadmissibles, même absurdes, car je ne me contente pas du mot « insuffisantes ». (1) Suivant Mayow : «la respiration consiste en ce que par le ministère des pou- mons, certaines particules absolument nécessaires au mouvement de la vie animale, sont séparées de l’air et mêlées à la masse du sang et que l'air aspiré a perdu quel- que chose de son élasticité, Les particules aériennes absorbées pendant la respiration sont destinées à changer le sang noir ou veineux en sang rouge ou artériel. » — Voy. Hocfer, Hist. de la chimie, 2° édit., t. 11, p. 260. DESCARTES. 705 Descartes n’est pas plus près, comme physiologiste expérimen- tateur, de Harvey que de Lavoisier ; comparer, à cet égard, Des- cartes à Lavoisier ou à Harvey, c’est presque un sacrilége. Le médecin ne vaut pas mieux que le physiologiste (1); un seul exemple le démontre : toutes les fièvres sont causées par la fer- mentalion ; l'intermittence et ses variétés sont expliquées par le plus ou moins de lenteur que l'humeur corrompue met à entrer en fermentation ; idée acceptée par plusieurs iatromécaniciens. Cela dit, je me résume : ni les physiologistes ni les médecins ne sont en rien redevables au « grand esprit » de Descartes des résultats positifs qu’ils ont obtenus. Ni Vésale ni Harvey n’ont attendu Descartes pour réformer l'anatomie ou transformer la physiologie ; après Descartes, les grands anatomistes, les grands physiologistes et les grands cliniciens ne paraissent pas s’être beaucoup souciés ni du Traité de l’homme, ni de celui Du foetus, ni des Lettres ; ils n’ont même ressenti que très-indirectement l'influence du Discours de la méthode. Eux aussi ont lu dans le livre de la nature, mais, fort heureusement, avec d’autres yeux que ceux de Descartes. (4) Le docteur Montfortécrivait en tête des Processus integri de Sydenham, « qu'il vaut mieux pour l’utilité commune être médecin que philosophe, et il ajoute : Qui voudrait jamais, en eflet, avoir Descartes pour médecin? » — Baglivi, Praris medica, Y, x, 44; ef. I, 1x, 4, s'élève aussi contre la médecine cartésienne, tandis qu'il appelle (Jbid.I, xn, 8) Sydenham : artis medicae ornator et ornamentum, qu'il le célèbre et le copie à tout propos. — Enfin Boerhaave disait qu'on ne trouve plus Descartes dans Descartes, quand il traite des sujets de physiologie, — Voy, Schultens, Oratio in memor, H. Boerhavii, 1738, p. 35. DAREMBERGs 45 XXII SommaIRE: Sydenham, sa vie, son caractère, ses doctrines, sa pratique, son influence, MESSIEURS, « Après avoir étudié la médecine durant quelques années en l’Université d'Oxford, je revins, c’est Sydenham qui parle (1), je revins à Londres où je commençai à me livrer à la pratique; et comme je m'y appliquais avec autant d’altention que de soin, je reconnus bientôt (cette opinion n’a fait que se fortifier en moi) que le meilleur moyen d'apprendre la médecine était l’exercice et l’usage, et que le médecin qui étudie par ses propres yeux, avec une extrême application, les phénomènes naturels des maladies, devait nécessairement exceller dans l'art de connaître les véritables indications curatives. Telle est la méthode à la- quelle je me suis livré entièrement, bien persuadé que, si Je prenais la nature pour guide, je ne m'écarterais jamais du droit chemin, lors même que Jj'entrerais dans des voies inconnues jusqu'alors (2). » Ces belles paroles ne retentissent pas pour la première fois à vos oreilles; ne voussemble-t-1il pas cependant que l'écho en soit fort éloigné ? Au temps de Sydenham (1624-1689), elles avaient déjà plus de dix-neuf siècles de date, car elles ont été pronon- cées pour la première fois par Hippocrate, et, depuis le temps (1) Épitre dédie. au docteur Mapletoft. C'est au docteur Thomas Coxe que nous devons Sydenham ; c’est lui qui le décida, au milieu des agitations de la guerre civile, à embrasser la carrière médicale. Gloire à ce médecin dont c’est là, mais il est grand, le seul mérite ! (2) J'emprunte les citations un peu étendues des ouvrages de Sydenham à la traduction de Jault (2° éd. Avignon, 14799), in-8, mais en la corrigeant parfois sur le texte. SYDENHAM. 707 où vivait ce médecin d’un renom immortel, elles ont, il est vrai, passé de bouche en bouche, mais le plus souvent comme un vain son. Tous les prétendus réformateurs ont invoqué la nature, au- cun ne l’a suivie, presque aucun même ne l’a regardée. -- Que lon cite, entre Hippocrate et Sydenham, un interprète désinté- ressé de la nature; que l’on nomme un observateur attentif et impartial de la marche des maladies (4), un peintre fidèle, si- non toujours correct, des constitutions médicales, un médecin qui ait essayé de délivrer la pathologie de ces types factices de maladies dont on n’était pas sorti depuis l’École d'Alexandrie, qui les avait empruntés en partie à l’École de Cnide (2)! Nous sommes aujourd’hui si habitués aux rigueurs du dia- gnostic, nous avons si bien mis au second plan la fièvre, pour placer au premier l’état local, que nous comprenons mal et que nous sommes tentés de blâmer le vague des descriptions de Sydenham, surtout en ce qui touche les éfats fébriles, où les manifestations locales sont considérées comme de simples épi- phénomènes (fièvre péripneumonique, par exemple). Pour ma part, je ne doute pas que de cette étude, à peu près exclusive de l’état général dans ses rapports avec la constitution régnante et le tempérament du malade, on ne puisse tirer, en dehors du diagnostic physique, de meilleures indications thérapeutiquesque de la lecture des descriptions, plus précises en apparence, qui se trouvent dans les Sommes, les Abrégés ou les Pratiques dont nous avons parlé ci-devant : de telles descriptions, en effet, sont données non pas d’après l'observation des malades, mais d’après des groupements traditionnels de svmptômes, qui ont perdu toute authenticité et toute réalité en s’éloignant de leur source primitive. Déjà, à leur origine, ces groupes avaient quelque (1) Sydenham dit avec raison, dans Epistola Il responsoria, $ 3, que la vie de plusieurs hommes ne suffirait pas pour donner une bonne histoire des maladies aiguës, tant les formes en sont variées ; il ne veut qu’esquisser la physionomie de celles qu'il a eu l’occasion d'observer. (2) On saitcombien Galien était systématique ; onn’ignore pas que les descriptions des médecins méthodistes, ou celles d'Arétéc, sont encore plus brillantes que fidèles, Excepté dans les consultations et les observations, les médecins du moyen âge ou de la Renaissance ne font que reproduire les traits consacrés par Galien et un peu altérés par les Arabes. 708 SYDENHAM. chose de factice, de purement nosographique; nous en avons, je l'ai dit plusieurs fois, une preuve manifeste dans la fièvre pseudo-continue d'Hippocrate, qui, démembrée artificiellement, est devenue le causus, le phrénihs et le létharqus, trois noms qui ne représentent plus rien de positif. Quoi qu’il en soit, avec l’Hippocrate anglais, nous quittons le terrain mouvant des hypothèses, et nous allons mettre le pied, mais, hélas ! pour bien peu de temps, sur un sol mieux affermi. Ce n’est pas que Sydenham n’ait quelquefois sacrifié aux idoles de son temps (1), mais cette faiblesse inévitable n’est qu'un accident et n’a pas défiguré ses impérissables tableaux des maladies saisonnières et épidémiques. Thomas Sydenham est né en 1624, d'une famille riche, dans le bourg de Winford-Eagle (Dorsetshire); à dix-huit ans il entra au collége de Magdeleine, en l’Université d'Oxford; bientôt, de gré ou de force, on ne le sait pas, car cette partie de sa vie est fort incertaine, il fut incorporé, mais avec un emploi supé- rieur, toutefois l'armée du Parlement; en 1645, ii revint à Oxford, et en 1648 il obtint le grade de bachelier en médecine. C’est à Cambridge, en 1676 (2) seulement, qu'il reçut le bonnet de doc- teur ; toutefois, depuis assez longtemps déjà il avait choisi pour théâtre de sa pratique le populeux quartier de Westminster, à Londres; il y conquit bientôt une immense réputation d’heureux praticien. Il mourut le 29 décembre 1689. Ici, limpartialité nous oblige à rappeler que la mémoire de ce grand et honnête médecin n'est pas tout à fait sans tache. Sydenham, sollicité par ses amis, par sa famille, encouragé par de funestes exemples, a fui un instant devant la peste qui, en 1665, ravageait la ville de Londres. Mais le devoir a été plus fort que la peur ou qu'un instant de défaillance ; Sydenham est rentré dans la cité en deuil avant les autres médecins, qui avaient, pour la plupart, abandonné les malades aux fureurs de l’épidé- mie (3). On pourrait encore reprocher à Sydenham un trop (4) Voy. p. 580-581. (2) On suppose qu'entre 1648 et 1676 il a fait un court séjour à Montpellier. (3) On consultera avec fruit, pour la biographie de Sydenham, la Vie écrite par SYDENHAM. 709 grand souci de sa réputation, une certaine présomption qui lui fait regretter de livrer le fruit de ses longs et précieux travaux à des paresseux ou à des ingrats, et assez peu de déférence pour les sentiments qui pouvaient être contraires aux siens (1). Sydenham se tient à égale distance d’un traditionalisme rou- tinier et de enthousiasme pour les nouveautés. Nous trouvons la pieine justification de cette proposition dans la belle préface du Traité de lhydropisie, S A3 el suiv. «Il y a deux sortes de gens, dit Sydenham, qui empêchent également le progrès de la médecine. Les premiers sont ceux qui, ne faisant eux-mêmes rien du tout pour son perfectionne- ment, s’enflamment contre ceux qui voudraient y contribuer, ne fût-ce que dans les moindres choses (2). Ils allèguent, pour cou- Kühn en tète de son édition des œuvres de ce médecin (Leipzig, 4827) et reproduite par le docteur Greenhill, avec diverses améliorations, dans l'édition qu'il a donnée pour la Société de Sydenham, Londres, 1844; puis une autre Vie écrite avec beaucoup de soins par le docteur Latham, et qui précède la traduction anglaise de Sydenham, imprimée en 1848-1850 par la même Société. — Les diverses éditions de Genève passaient pour les meilleures; elles étaient du moins les plus complètes; M. le docteur Greenhill, en suivant, à de très-rares exceptions près, les dernières éditions revues par l’auteur, a donné un texte beaucoup plus correct que celui de ses devanciers, et il l’a accompagné de notules explicatives ou critiques qui y ajoutent un nouveau prix; il a écarté de son édition les accessoires qui, dans les éditions de Genève, ont été ajoutés au texte original. (4) Praefatio ad Observat, medic., $ 26 et suiv. — Dans le traité De l’hydro pisie, $ 43, Sydenham estime qu'on lui saura gré de s'en rapporter à la nature, bien loin de s’asservir aux opinions de quelque auteur que ce soit. Il ajoute « qu’on perdrait son temps en ne lisant ses ouvrages qu’une fois; il faut les imprimer dans son esprit pour en retirer une utilité qui réponde à la peine qu'il a prise pour les écrire ». — En effet, la description des maladies est aussi claire qu'on peut le sou- haiter pour le temps, mais l'exposition des doctrines est en général assez peu pré- cise, il faut y regarder à deux fois. Loin d'’en faire un reproche à Sydenham, je dis cela à la louange de son esprit positif qui craignait toujours d’aller trop loin dans la théorie ; d’ailleurs, la méthode était nouvelle, et Sydenham n’a pas voulu sortir des monographies. (2) Au $ 4 de la Praefat, ad Observ. medic.— Sydenham se propose, et avec grande raison, en exemple aux médecins; il les engage à ne rien laisser perdre de leur pratique, afin que chacun apporte sa pierre à l'édifice médical. Le conseil est excellent, dira-t-on, mais tout le monde n’est pas Sydenham ; cela est vrai; néan- moins, tout le monde peut quelque chose dans la mesure,de ses forces. Ce n’est pas 710 SYDENHAM. yrir leur ignorance et leur paresse, le faux prétexte du respect extraordinaire qu'iis prétendent être dü aux anciens, dont ils n'osent s’écarter de la longueur d’un ongle. Mais je voudrais bien savoir pourquoi nous croirions faire tort aux anciens en avouant qu’ils nous ont laissé la médecine fort imparfaite, tandis que nous ne croyons pas leur faire tort en avouant qu'ils nous ont laissé de même tous les autres arts qui, assurément, intéres- sent bien moins le genre humain. Les modernes ont inventé une infinité de choses qui surpassent de beaucoup tout ce que les anciens nous ont laissé. Or, les auteurs de ces découvertes ne font pas plus de tort à la gloire des anciens, qu’un fils n’en ferait à la mémoire de son père parce qu’il augmenterait par son tra- vail et son industrie l'héritage qu’il en aurait reçu (1). « La seconde sorte de gens qui empêchent le progrès de la médecine sont des gens naturellement vains et légers qui, vou- lant se donner la réputation de génies supérieurs, vous accablent de raisonnements et de spéculations qui ne servent de rien du tout pour la guérison des maladies, et qui, au lieu de montrer le bon chemin aux médecins, ne font, par leurs feux follets, que les jeter dans l'erreur. Ces messieurs-là ont assez d'esprit pour débiter sur la nature de savantes bagatelles ; mais ils n’ont pas assez de jugement pour comprendre qu’on ne peut la connaitre que par le moyen de l'expérience, qui seule est capable d’en dévoiler les mystères. Car telle est la bassesse de la condition humaine, que toutes nos connaissances des choses naturelles dépendent uniquement des sens et ne vont pas au delà de ce qu’ils nous apprennent. Voilà pourquoi nous pouvons bien ac- quérir une certaine capacité proportionnée à notre état; mais personne ne sera jamais vraiment philosophe suivant toute lé- tendue de ce nom. Quant au médecin, toute sa philosophie con- siste à connaitre l’histoire des maladies, et à savoir employer les remèdes que lexpérience a fait voir être les plus efficaces pour les guérir, et, en même temps, il doit suivre une méthode qui seulement en ville, mais dans les hôpitaux qu’une foule de faits précieux sont, faute d’être recueillis, absolument perdus pour la science et pour l’art. On ne le répète ni assez souvent, ni assez haut. (1) Voy. p. 671 ; 676-677. SYDENHAM. 711 soit fondée non sur des spéculations chimériques, mais sur une manière de raisonner ordinaire et naturelle. » Voilà pour la tradition. Voici maintenant pour ceux qui méri- tent le nom de novateurs bien plus que les beaux raisonneurs dont il est question plus haut : «€ De même qu'Hippocrate blâme ceux qui donnent plus à une étude curieuse de l'anatomie qu'aux observations pratiques, de même on peut blâmer aujourd’hui ceux qui croient que les nou- velles découvertes chimiques sont le meilleur moyen pour per- fectionner la médecine. Ce serait assurément une ingratitude extrême de ne pas reconnaître les obligations que nous avons à la chimie, de ce qu’elle nous a donné des remèdes utiles et très- propres à remplir différentes indications, entre lesquels un des principaux est l’émétique. Par cette raison, la chimie mérite des louanges, pourvu qu'elle $e contienne dans les bornes de la phar- macie. Mais ceux-là se trompent grossiérement qui s'imaginent, en s’échauffant, et en se torlurant le cerveau, que le principal défaut de la médecine est qu’elle manque de remèdes puissants et efficaces que la chimie seule peut lui fournir. Au contraire, si l’on examine les choses comme il faut, on verra clairement que ce qui manque le plus à la médecine n’est pas de savoir le moyen de remplir telle ou telle indication, mais de savoir précisément quelle est cette indication qu'il s’agit de remplir. Le moindre garçon apothicaire m’apprendra dans un demi-quart d'heure les remèdes dont je dois me servir pour faire vomir ou pour purger, pour faire suer ou pour rafraïchir un malade, au lieu que pour m'apprendre avec la même certitude quand et dans quel cas je dois employer tel ou tel remède dans les différentes maladies, il faut être extrêmement versé dans la pratique de la médecine (1). » Le premier et le plus important des ouvrages de Sydenham, publié en 1666, a pour titre Observationes medicue (2) ; le der- (1) Tract. de hydrope, $ 23. — Voy. Praef. ad Observ. medic., 25, la préférence marquée de Sydenham pour les remèdes tirés du règne végétal et son éloignement pour la polypharmacie ($$ 29-50). Cependant ou peut signaler bien des mélanges superflus. (2) Pour la bibliographie des œuvres, séparées ou complètes, de Sydenham, voy, 719 SYDENHAM. nier est la Schedula monitoria, qui a vu le jour en 1686 (1); dans l'intervalle , l’auteur a donné les Epistolae responsoriae, en 4680; la Dissertatio epnstolaris, en 1682; enfin le Tractatus de podagra (2) et hydrope , en 1683. Dans les Observations, l'auteur traite des fièvres et des mala- dies inflammatoires avec fièvre; puis il décrit cinq constitutions médicales : 1661-1664, fièvres intermittentes, fièvres continues malignes ; — 1665-1666, c’est la peste, la vraie peste à bubons, que Sydenham n’a pas observée dans tout son développement ; — 1667-1669, les varioles dominent ; — 1669-1673, constitu- tion dyssentérique, choléra-nostras, rougeole et variole; — 1673-1675, fièvres comateuses, varioles de mauvais caractère, affections thoraciques, et particulièrement la grippe. Dans l'Epistolai responsoria I, Sydenham revient sur plusieurs points de sa description des fièvres intermittentes qui régnaient entre 4675 et 1680 ; l’Eprstola IT est consacrée à la syphilis (3). la Notitia litteraria tirée de Haller par M, Greenhill, mais avec de notables amé- liorations et compléments. (1) Les Processus integri, publiésen 1692, sont un Compendium des ouvrages de Sydenham et où les formules abondent. On peut douter que ces Processus soient une œuvre posthume authentique laissée par l’auteur lui-même dans l’état où elle nous est arrivée. Toutefois, c’est dans les Processus qu’on trouve quelques-unes des opinions de Sydenham sur certaines affections, les chroniques surtout, dont il n’est pas question dans ses monographies. Les Anecdota Sydenhamiana, medical notes and observations, publiés pour la première fois par M. Greenhill, 22 éd. Oxford, 4847, se rapprochent beaucoup des Processus integri; c’est un recueil moitié anglais moilié latin. La Theologia rationalis, publiée pour la première fois aussi par M. Latham à la suite de son édition, est d’origine fort douteuse. (2) Sydenham a été tourmenté par cette maladie, avec complication d'affection calculeuse, durant une partie de sa vie; il soutient qu’on ne saurait arriver à une cure radicale ; il recommande surtout la patience. Il est mort d’un accès de goutte à la suite duquel se manifestèrent des vomissements et des déjections alvines que rien ne put arrêter. — Contre l'hydropisie, Sydenham prescrit les pur- gatifs, même les drastiques, puis les corroborants. (3) Contre la syphilis confirmée (constitutionnelle ?) il préconise les onctions mer curielles jusqu’à ample salivation, car c’est en agissant ainsi, et non comme spéci- fique, que le mercure guérit le mal vénérien ($$S 12, 24 et suiv.). Quant à la gonorrhée, il la traite d’abord par les purgatifs éncrgiques, afin d'évacuer la ma- tière peccante ; si elle résiste, on a recours à l'administration du turbith minéral, du mercure doux, de la térébenthine, ete. ($$ 13, 17). SYDENHAM. 713 La Dissertatio epistolaris résume les observations de Sydenham sur les varioles confluentes, l’hypochondrie et Fhystérie. La Schedula embrasse plusieurs sujets : la description d’une fièvre pneumonique stationnaire, ies fièvres malignes en général, les varioles graves, les calculs rénaux. Rien ne ressemble plus exactement aux Épidémies d'Hippo- crate que les Observationes et les Epistolae de Sydenham; l’ordre n’y est pas plus sévère, le diagnostic n’y est pas beaucoup plus rigoureux, et cependant, à Londres comme à Cos, on reconnait l’habile praticien. Sydenham, pas plus qu'Hippocrate, ne com- prend et ne décrit tout ce qu’il a sous les yeux, mais il ne donne que ce qu’il voit, et c'est en raison de ce qu'il voit qu'il établit les mdications thérapeutiques, après quelques tâtonnements aux- quels il est impossible d'échapper au début d’une constitution médicale. Voilà sa grande, son incontestable supériorité sur ses devanciers et ses contemporains ; voilà ce qui le place à la tête des réformateurs de la pathologie. Il ne suffit pas, dit notre auteur (1), de saisir les apparences communes d’une maladie qui a plusieurs faces ; car, quoique la même variété ne se montre pas dans toutes les maladies, néan- moins il en est plusieurs qui, lraitées sous le même nom, sans distinction d'espèces, sont cependant d’une nature très-diffé- rente; il convient donc de marquer les traits différentiels et de réduire les maladies en espèces définies et certaines (2). On n’ar- rive à ce résultat qu’en distinguant, d’après un grand nombre de faits, les symptômes essentiels ou pathognomoniques des symptômes accidentels ou étrangers, ceux qui dépendent de l’âge, du tempérament, même du traitement. On doit remarquer soigneusement aussi quelles saisons favorisent plutôt telle espèce de maladie que telle autre, parce que les saisons, ainsi que Îles climats, ont leurs maladies comme elles ont leurs plantes spé- (1) Praefatio ad Observ, medic., &S 6 et suiv. (2) Comme sont, par exemple, le genre carduus en botanique et les nombreuses espèces de ce genre. Ainsi des maladies de même nom, semblables eu égard à un certain nombre de symptômes, se partagent en espèces qui toutes doivent ètre trai- tées d’une manière différente. 714 SYDENHAM. ciales, sans préjudice des maladies qui sévissent en tout temps, en tout pays, encore plusieurs prennent-elles une certaine teinte particulière des lieux et des moments de l’année. Ce n’est pas seulement à la connaissance plus exacte de la maladie, mais aussi à un traitement plus certain que conduisent ces diverses consi- dérations. Sydenham, malgré cette préoccupation exagérée des détails qui aurait dû éparpiller ses médicaments, autant que son attention, marque beaucoup de confiance (trop de confiance même) dans l'intervention de la thérapeutique (4). Le moyen qu'il croit le plus propre à l'avancement de la médecine est d’avoir une méthode fixe, sûre etcomplète de traiter les maladies; il entend une méthode soli- dement fondée sur un assez grand nombre d'expériences, etavec laquelle on soit en état de guérir ; car il ne suffit pas, selon lui, de décrire les succès particuliers d’une méthode ou d’un remède, si cette méthode ou ce remède ne réussissent pas universellement et dans tous les cas, du moins en supposant telles ou telles circon- stances. [l affirme que nous devons être aussi sûrs de guérir une maladie en remplissant telle ou tellcintention (#xdication), que noussommessürs de pouvoir remplir telle outelle intention partel ou lel genre de remèdes; quoique la chose ne réussisse pas tou- jours, elle réussit très-fréquemment ou mieux le plus souvent, aussi sûrement, par exemple, qu'avec les feuilles de séné nous lâchons le ventre et qu’avec le pavot nous faisons dormir (2). Insistant plus que de raison sur la comparaison des maladies avec les plantes, Sydenham accorde trop d'action aux influences extérieures et pas assez, ce me semble, à l’idiosyncrasie (3); dans la thérapeutique, il tient, ou du moins il prétend tenir compte des plus petites circonstances; en cela il s'éloigne de la méthode d'Hippocrate, qui s’attachait toujours à°ce qu'il y a de (1) Parcette confiance, et par d’autres points de vue encore, Trousseau appartenait bien à l’école de Sydenham. — Voy. aussi Lasègue, Eloge de Trousseau prononcé à la Faculté de médecine de Paris, le 14 août 1869. L’habile et judicieux panégy- riste rappelle la doctrine de Trousseau, relative aux espèces morbides. (2) Praef. ad Observ. morb., 16, (3) Praefat, ad Observ., $ 12. Voyez cependant Observ. med., X, 11, 3, une pro- position plus formelle en faveur du tempérament et de l’âge pour le traitement des fièvres continues, SYDENHAM. 715 plus général, à l'indication la plus compréhensive. Sydenham va même, malgré son aversion pour les hypothèses, jusqu’à suppo- ser que, 81] connaissait dans tous ses détails l’histoire d’une ma- ladie, il serait toujours en état de la guérir (1); en mème temps, par une véritable mais inexplicable contradiction, et par des mo- tifs assez futiles, il professe linutilité des observations particulières de maladies : si elles servent à quelque chose, c’est non pour l'enseignement des autres, mais simplement pour soulager la mémoire du médecin qui les recueille (2). Aussi, le défaut d’o4- servations dans les ouvrages de Sydenham constitue-t-il une la- cune des plus regrettables; car en plusieurs cas il n’est jras aisé de refaire le diagnostic rétrospectif. Or, c’est avec les observa- tions, bien plus qu'avec les réflexions générales des Épidémies d'Hippocrate, que M. Littré a pu reconstituer la fièvre rémittente ou pseudo-continue. I faut remarquer en passant que les rapports qu’on peut signa- ler entre Hippocrate et Sydenham ne semblent pas résulter d’une érudition bien digérée de la part de Sydenham; cette érudition est du moins très-dissimulée, car je ne crois pas qu’il ait cité une seule fois les Épidémies, où même qu’il y ait fait une allu- sion directe; bien plus, il donne comme des livres exempts de (4) «Je dis que les plus petites circonstances d’une maladie peuvent fournir aussi sûrement au médecin des indications curatives qu’elles lui fournissent un diagnostic. C'est pourquoi, j'ai pensé plusieurs fois que, si je connaissais parfaitement l’his- toire de chaque maladie, je serais toujours en état de la guérir, parce que ces diffé- rents phénomènes me montreraient la véritable route que je devrais tenir, et qu’é- tant soigneusement comparés ensemble, ils me conduiraient comme par la main aux indications les plus véritables, qui se tirent du fonds de la nature et non pas des erreurs de l'imagination. » (Praef. ad Observ. med., S 14.) (2) «Je ne nie pas qu'un médecin ne doive examiner soigneusement les effets particuliers de la méthode et des remèdes dont il s’est servi dans le traitement des maladies, et les marquer par écrit, tant pour soulager sa mémoire que pour acquérir peu à peu une plus grande habileté et se former enfin, après des expériences fré- quemment réitérées, une méthode sûre dont il ne s’écarte en rien dans le traite- ment des maladies, Mais je ne pense pas qu’il soit fort utile de publier des ob- servations particulières ; car si l'observateur se contente de nous apprendre que telle maladie a cédé une ou plusieurs fois à ce remède, de quoi cela me servira-t-il, si, outre cette quantité presque immense de remèdes dont nous sommes accablés depuis longtemps, on en propose un nouveau dont je n’ai point encore entendu parler? » (Praef. ad Observ. med., $$ 16-17 et 28.) 716 SYDENHAM. tout système le traité Des maladies et celui Des affections, deux ouvrages cnidiens (1). On peut croire que, si le médecin anglais s’est inspiré, d’une façon générale, des écrits du médecin de Cos, c’est surtout à son propre génie qu’il doit d’avoir presque égalé son modèle et d’avoir échappé aux détestables influences qui de son temps opprimaient la médecine (2). Sa méthode est un peu étroite, je le reconnais, mais elle est plus sûre qu'aucune de celles qui s’appuyaient sur les systèmes alors en vigueur. Élève plus ou moins direct d'Hippocrate, Sydenham est le père de l’école clinique de Vienne (celle de la fin du xvr° siècle), comme l’école française, par Corvisard, Bayle et Laennec, relève de Morgagni. A Vienne, on s’occupait plutôt de la relation des symptômes fonctionnels, indépendamment des lésions orga- niques, et à Paris, surtout des symptômes dans leurs rapports avec les lésions cadavériques. Vous n'attendez pas de moi, Messieurs, que je suive Sydenham dans la description des constitutions médicales ou de quelques maladies particulières; de telles études ne rentrent pas dans mon plan actuel; je me contenterai de relever et de mettre en lumière, mais sans trop les discuter, cela m'’entrainerait trop loin, les principes fondamentaux de la doctrine du médecin anglais. (1) Praef, ad Obserb, med., 15.— Voy. plus haut, p. 121 et suiv. (2) C’est sans doute par réaction contre ces influences que Sydenham se montre si fortopposé à la recherche des causes éloignées ou cachées, objet de la spéculation des Écoles, mais inutiles pour le traitement, et qu'il écarte les hypothèses de son esprit, autant que cela était possible à un médecin au xvue siècle. Praef. ad Observ., 17-20; ef, $ 9, et beaucoup d'autres passages contre les hypothèses. Cependant, comme il n’est pas toujours possible de s’en passer, Sydenham désire qu'elles soient fondées sur les faits et non sur les spéculations philosophiques. De Hydr., 25.— Grand admi- rateur de Bacon, ayant la prétention d’être très-positif, Sydenham revient à plu- sieurs reprises contre les hypothèses philosophiques. Ses propres hypothèses, celles qu'il appelle naturelles, ne sont pas toujours bien solides, témoin celles qu'il pro- pose sur la nature de l’hystérie. Voy, $ 25 du traité De hydrope et dans la Dis- sertatio epistolaris ($ 59 et suiv.), ce qui regarde l'hystérie, — C’est par un senti- ment analogue que Sydenham n'admet qu'un seul spécifique, le quinquina, mais cetie opinion repose pour lui sur des idées préconçues bien plus que sur des con- sidérations de l'ordre physiologique ou thérapeutique. — Voyez aussi Praef, ad Observ. med., $ 21 et suiv. SYDENHAM. 717 Le Naturisme (1)semble dominer dansles œuvres de Sydenham; il apparaît dés les premièreslignes (2); mais c’est un naturisme qui se rapporte bien plus à la recherche de l'essence des maladies qu'à la thérapeutique : la maladie n’est rien autre chose qu'un effort de la nature qui, pour conserver le malade, travaille de toutes ses forces à évacuer la matière morbifique (3). — A ce compte, les varioles les plus confluentes, les pestes les plus char- bonneuses, celles où les bubons sont le plus multipliés, la goutte caractérisée par les dépôts les plus volumineux, les dyssenteries les plus copieuses, seraient les varioles, les pestes, les gouttes, les dyssenteries les plus favorables; à ce compte aussi, le traite- ment de la suette par les sudorifiques à outrance, celui qui inonde les malades de sueur, serait le plus conforme aux vœux de la nature : comment se fait-il cependant que ce traitement soit le plus pernicieux? Et pourquoi Sydenham est-il, pour le pro- nostic et le traitement de toutes les maladies, si peu fidèle à sa définition? Parce que, en dépit de cette définition systématique, il a si bien observé la nature que la nature elle-même lui a appris qu’on ne devait pas toujours favoriser ses tendances, ni se con- fier aveuglément en la sagesse de sa conduite, mais qu'il fallait au contraire Ja secourir, la réprimer, la mettre à la raison (4x ordinem redigere) quand elle faiblit ou s’égare (4). Aussi cette définition qui,entre lesmains d’un doctrinaire entêté, conduirait à une médecine tantôt expectante ettantôt incendiaire, n’a pas em- pêché le médecin anglais d’user d’une thérapeutique fort active, mais rationnelle, et qui se trouve souvent en opposition avec les tendances de la nature. Je sais qu’on saigne avec succès contre cer- taines hémorrhagies, et qu’on guérit certaines diarrhées par les (1) Parle mot rature, Sydenham entend non pas l'âme du monde, comme le font les anciens philosophes, mais l’assemblage des causes naturelles qui, quoique pri- vées d'intelligence, sont conduites par l'Être suprême avec une extrême sagesse, Observ, med,, U, 11, 48, — On verra plus bas que Sydenhamne se fie guère à cette extréme sagesse de la nature ou même de l'Être suprème dans la conduite des maladies, (2) Praef. ad Observ. med., 15. (3) Observat. medic., 1,1,1.—Le premier chiffre indique la section, le deuxième le chapitre ; le troisième, en chiflres arabes, le ou les paragraphes, (4) Praef. ad Observ. med., 15, — Voy. aussi la fin du $ 21. 718 SYDENHAM. évacuants (1), mais ce n’est pas en vertu des principes du natu- risme ; c’est en vertu de la méthode révulsive ou substitutive, ce qui est bien différent. L'élimination de la matière morbide, c’est-à-dire la complète dépuration du sang, se fait plus ou moins rapidement; quand la nature à besoin d’une prompte élimination, elle suscite la fièvre (2). C’est ce qui constitue essentiellement les maladies aiguës. Voyez un peu quelle sage nature; elle crée un principe morbifique tel qu’il lui faut aussitôt appeler la fièvre à son secours pour le chasser plus promptement et plus sûrement! Il est heu- reux que de pareilles propositions ne se rencontrent pas souvent sous la plume de Sydenham. Hippocrate avait dit très-simple- ment, mais avec une vérité saisissante, que les maladies aiguës sont la pierre de touche du bon médecin, tant leur marche est insidieuse et tant les heures sont comptées (3). Quant aux maladies chroniques (4), elles consistent en une (4) Sydenham a remarqué (Observ. med., I, 1v, 10, 13 et 52) que les émétiques réussissent très-bien dans la diarrhée des fièvres que nous appellerions aujourd'hui fièvres muqueuses, (2) Observ. med., T, 1, 4-4. (3) Régime dans les maladies aiquès, 8,t. 11, p. 232; Aphor., H, 19 ;t. IV, p.475. — Voici, du reste, quelques réflexions de Sydenham lui-même, qui se rapprochent de celles d’Hippocrate, « La nature agit de tant de manières différentes dans la production des maladies aiguës, et ses allures sont si délicates et si variées, que la vie d’un homme, quelque longue qu’elle soit, ne suffit pas pour décrire comme il faut les divers symptômes de ces maladies et le traitement qui leur convient, Que dis-je, la vie d’un homme! Celle de dix hommes qui se succéderaient les uns aux autres pendant un pareil nombre de siècles et qui joindraient à tout le génie, la sa- gacité possible, un travail infatigable, une pratique continuelle et des observations . Sans nombre, ne serait pas trop longue pour un tel ouvrage. Vous voyez donc que je suis bien éloigné d’avoir acquis, ou de croire avoir acquis une parfaite connais- sance de la médecine. Je me rends trop de justice pour cela, et je connais trop bien mon peu de capacité. » Epistola Il respons., 2. (4) Observ. medie., 1, 1, 4, 5.— Voy. aussi dans Tract. de podagra, 34 et suiv., la différence des maladies aigües et des maladies chroniques. Ces dernières viennent surtout de l’indigestion ou crudité des humeurs; ailleurs, il est dit que les maladies aiguës viennent de Dieu et les maladies chroniques de nous-mêmes, pour montrer que les premières ne peuvent pas être prévenues püisqu’elles viennent de l'air, et que les secondes pourraient, à la rigueur, être évitées par un bon régime et une conduite régulière, Dissert, epistol., 26, 27. — On ne saurait admettre que Jault ail rouvé cette mention de la Divinité trop compromettante, quoiqu'il l'a supprimée SYDENHAM. 719 matière morbifique qui n’est pas de nature à exciter la fiévre pour produire la dépuration, ou qui s’est fixée sur une partie absolu- ment incapable de s’en débarrasser, comme dans les épanche- ments pleurétiques (1) ou dans la goutte (2). Les maladies aiguës (3) sont divisées en deux séries : les mala- dies de la première série ne dépendent ni duchaud ou du froid, ni du sec ou de l’humide, ni d’une qualité particulière et préexis- tante du sang et des autres humeurs, mais d’une altération secrète de l’air par des émanations qui s’échappent des entrailles de la terre (4), vicient les liquides du corps humain et attaquent dans sa traduction; car, dans d’autres passages, il laisse subsister ces marques de la piété de Sydenham. (1) On est aujourd’hui beaucoup moins affirmatif sur l’impossibilité de la ré- sorption des épanchements pleurétiques. (2) Sydenham (Epist. Il respons., 3) demandait au ciel de prolonger ses jours pour être en mesure d'écrire une histoire des maladies chroniques; et il ajoute ces très-justes réflexions sur le peu d’avancement de la connaissance des maladies chro- niques : « Les auteurs de médecine, si on l’excepte le grand Hippocrate et un très- petit nombre d’autres, ne me fournissent presque aucun secours dans la route in- connue où je devrais marcher et qui est toute semée de ronces et d’épines. Les lumières qu'ils présentent ne sont que fausses et trompeuses lueurs, très-propres à égarer et à faire tomber dans le précipice, mais incapables de guider comme il faut dans la recherche des véritables opérations de la nature. C’est que tous leurs écrits ne contiennent presque que des hypothèses qu'a enfantées une imagination déréglée. Aussi les histoires qu'ils donnent de ces maladies, c’est-à-dire les des- criptions de leurs symptômes, ne sont point fondées sur la réalité des choses, mais sur de vains systèmes qui servent aussi de base à la méthode que ces auteurs em- ploient pour les traiter. » — Ailleurs (Praef, ad Observ. med., 22), Sydenham est moins raisonnable lorsqu'il regrette de n’avoir pas autant de spécifiques qu'il y a d'espèces de maladies chroniques. Il revient souvent sur cette idée et ne parait pas savoir ce que peut et comment agit la médication altérante contre ces maladies. (3) Parmi ces maladies, les fièvres continues, sans lésion locale, n’ont point de noms propres ; elles tirent leurs noms de la diversité ou de l'intensité des altéra- tions du sang: fièvres putrides, malignes, pourprées. Observ, medic., 1, x, 12. (4) Observ. med., 1, 1, 6, sans oublier I, 11, 19, — Cependant (/bid., n, 10 et suiv.), il divise, eu égard aux maladies épidémiques, les saisons en deux sections : le printemps, qui comprend l'été ; l'automne, qui comprend l'hiver. Mais il ajoute : « Quoique ces maladies puissent arriver en tout autre temps de Pannée, il faut les ranger parmi celles de la saison dont eiles approchent le plus »; ear les saisons ont une certaine influence secondaire sur les maladies épidémiques qui tiennent aux qualités secrètes de l'air. Il semble mème, d'après Observ. medic.,1,n, 6 et 15, que 720 SYDENHAM. un grand nombre d'individus à la fois; ce sont les épidémies dans le sens où Hippocrate avait pris ce mot. Sydenham se servait aussi des expressions constitulions médicales stationnaires ou fixes, dénominations que les modernes ont adoptées, réservant le mot épidémie aux affections qui ont ordinairement un carac- tère de grande généralité (la variole, l’érysipèle, la dyssenterie, la fièvre typhoïde, le typhus), ou aux pandémies, c’est-à-dire aux maladies qui, sortant du pays où elles sont endémiques, s'étendent sur plusieurs contrées et frappent une multitude d'individus (peste, fièvre jaune, choléra). — Les maladies de la seconde série proviennent, soit d’une anomalie particulière et individuelle, soit directement de la saison (par exemple l’esquinancie, la pleu- résie), de sorte qu’elles n’attaquent pas beaucoup de gens à la fois; Sydenham les appelle éntercurrentes où sporadiques, car elles se montrent en même temps que règnent les épidémues (1). Les mêmes maladies épidémiques, surtout les fièvres continues, différent tellement l’une de l’autre dans les diverses années que la même méthode de traitement non-seulement ne saurait leur con- venir d’une année à une autre, mais encore que celle quiétait sa- lutaire peut devenir mortelle (2); aussi la constante préoccupation du médecin doit-elle être, aussitôt que se manifeste une de ces épidémies ou constitution médicale, de chercher dans l’ensemble des symptômes (ceux qui sont constants et caractéristiques de l'affection, et ceux qui sont propres à la constitution médicale) des indications thérapeutiques qui deviennent d’autant plus sûres qu'on tient en même temps compte de l’âge, du tempérament et de diverses circonstances qui se révèlent à l’observateur (3). Il est évident que Sydenham, en se préoccupant plutôt encore des symptômes de circonstance que des symptômes fixes (4), devait ce sont surtout les saisons qui déterminent la prédominance de telle ou telle ma- ladie stationnaire épidémique, quand plusieurs règnent à la fois. (1) Observ. med. 1, 1, 73 1, 11, 6. Voy, aussi plus loin, p. 729 et suiv. ce que je rapporte du livre VI des Observ, medicae, (2) Observ. med., 1,1, 3. (3) Observ. med., I, 1, 4 et suiv. (4) Au commencement de sa pratique, il s'était surtout attaché aux sym- ptômes généraux des fièvres; ce sont les déceptions de la thérapeutique qui l'ont conduit à chercher une autre voie et à observer les constitutions médicales fixes SYDENHAM. >| être, comine il le dit ui-même, livré aux tâtonnements et tou- jours embarrassé au début de chaque constitution médicale (1); cet embarras devait être d'autant plus grand qu'il n'avait pas à sa disposition les moyens de diagnostic local qui peuvent fournir les éléments d’une prompte décision. Cependant les praticiens, surtout les praticiens très-répandus ou placés à la tête de grands services hospitaliers, s'accordent à reconnaître que Sydenham était dans la bonne voie, que les constitutions médicales et les maladies saisonnières sont lrès-réelles, et que les maladies, même celles qui sont le mieux localisées, comme la pneumonie, lors- qu’elles régnent sous la forme épidémique et à des époques déterminées, ont un caractère su? generis qui commande le traitement; enfin que linstitution du traitement est, au début, toujours difficile à asseoir. Aussi, lorsqu'on néglige les expli- cations aujourd'hui surannées, ou les divisions trop subtiles de Sydenham, ou la durée trop prolongée des constitutions, ou les distinctions en partie factices, en partie mal justifiées entre les épidénues et les affections saisonnières, ou les prétendus ca- prices de la nature, pour s'attacher aux résultats cliniques, on elles maladies saisonnières. Observ. imed., T1, 11, 4. — Jamais Sydenham ne perd l’occasion de s’amender lui-méme et de rapporter naivement les fautes qu'il à com- mises, afin d’en préserver ses confrères. Ainsi on lit, dans le traité De l’hydro- piste, $S 14: « Comme j'étais jeune et sans expérience, car c'était la première hy- dropisie que j’eusse jamais fraitée, je m'imaginai mal à propos que j'avais dans le sirop de nerprun un remède capable de guérir toutes sortes d'hydropisies ; mais je ne fus pas longtemps sans être désabusé de mon erreur. Au bout de quelques se- maines, je fus appelé pour traiter une autre femme attaquée d’une hydropisie qui avait succédé à une longue fièvre quarte. Je lui donnai plusieurs fois le sirop de nerprun, en augmentant peu à peu la dose, mais sans aucun succès. La malade ne fut point purgée ni les eaux évacuées; l’enflure du ventre ne fit au contraire qu'augmenter, de sorte que la malade me renvoya et fit venir un autre médecin qui, lui ayant donné des remèdes plus efficaces, la guérit de son hydropisie, autant qu'il me souvient. » (4) Au $ 20 du chapitre 11 on lit: « Lorsqu'il commence à paraître de nouvelles fièvres, ma méthode est de temporiser d'abord et d'aller suspenso pede, surtout quand il s’agit de l'emploi de grands remèdes ; pendant ce temps-là j'examine soi- gneusement le carac'ère de la maladie et les résultats déjà obtenus pour choisir les meillèurs parmi les remédes mis en usage, » DAREMBERG. AG 722 SYDENHAM. ne peut qu'admirer son génie observateur et la sûreté de ses indications curatives. Sydenham semble avoir constaté le caractère pseudo-inter- mittent ou rémittent dans diverses maladies aiguës (4); surtout il a indiqué les formes incertaines que présentent, suivant les saisons, des fièvres qui doivent prendre plus tard un type régu- lier (2); il a vu, surtout au printemps, des fièvres continues revêtir le caractère intermittent (3), et a remarqué que les fièvres intermittentes de juillet imitent à s’y tromper, lorsqu'elles se joignent aux fièvres d'automne, le caractère des fièvres conti- nues (4); il sait que, dans les constitutions médicales ou sous le règne d’épidémies proprement dites, la maladie dominante efface presque toutes les autres, ou du moins en diminue, soit le nombre, soit l'intensité; il affirme aussi que les maladies dominantes impriment en quelque sorte leur cachet sur les affections inter- currentes (5). Mais Sydenham dépasse les limites de l’observa- tion lorsqu'il prétend ($ 17) que les maladies épidémiques principales qui exercent leurs ravages pendant lautomne sont remplacéesen hiver par les maladies épidémiques moins consi- dérables qui prennent le dessus jusqu'à ce que la maladie d'au- tomne reparaisse et les affaiblisse de nouveau. Ce chassé-croisé semble un fruit de l'imagination. L'exposition de Sydenham est chronologique (6), je veux dire au'’ildonne, comme Hippocrate, en une série de monographies la (1) Æpist. T respons,, $ 26. Dans ce cas, il prescrit le quina. (2) Les fièvres intermittentes tirent leur nom de l'intervalle des acces (Observ, med., V1, 44); elles font périodiquement des efforts pour expuiser Ia matière pec- cante, tandis que dans les fièvres continues ces efforts n'ont pas d'interruption; ce sont des maladies aiguës eu égard à chaque paroxysme. (Observ, med., T, 1, 4.) (3) Observ. med., W, 11, 35. Il s’agit sans doute de ces fièvres larvées qui offrent d’abord un type presque continu et qui finissent par prendre le type intermittent; j'ai eu l’occasion d'observer ces fièvres à diverses reprises: elles sont très-rebelles, et tiennent, en général, à un trouble assez profond du système nerveux. (i) Observ, med., X, 5, 14. (5) Observ. med., TX, 1, 16 et suiv, (6) IL en donne la raison, 1, 51, 20 et suiv, Cette raison est tirée de la difficulté de bien connaître l'histoire des maladies aiguëssi lon n'étudie pas leur diversité, leurs variations suivant les années. SYDENHAM. 723 description des constitutions médicales année par année. Syden- bam n'est pas partisan des mots fermentation ou ébullition du sang pour la fièvre; ces mots ne représentent pas un état réel; il se contente de l'expression mouvement qui ne préjuge rien. La fièvre est ordinairement (par exemple dans les fièvres éruptives), mais pas toujours, un acte dépuratoire; elle peut survenir en un corps non pléthorique, non cacochymique, mais sain et à l'abri de toute influence d’un mauvais air; alors elle est destinée (en- core trop de tendance aux explications) à remettre le sang en une disposition convenable eu égard à la température de l'air, à la nourriture ou aux autres choses non naturelles. Toutefois, même dans ce cas, on doit admettre que la matière poussée au dehors par la fièvre est viciée quoique fournie par un sang pur, ainsi qu’il arrive aux aliments sains qui prennent une certaine puanteur pendant la digestion. Sydenham pense aussi, comme Glisson et Wharton, que l'érètation des fibres n’est pas étrangère à ces sortes de fièvres. Pour ces fièvres, il recommande de maintenir le sang dans de justes proportions, de ne pas in- sister, excepté chez les individus adultes et vigoureux, sur les émissions sanguines, enfin de s’en abstenir chez les enfants et chez les vieillards, ajoutant celte réflexion d’une suprême sa- gesse : « Je sais que les cordiaux ont réparé les forces de malades affaiblis par la saignée, mais mieux vaut ne pas faire le mal que d’avoir à le réparer. » Les saignées doivent en général, quand elles sont jugées nécessaires, être suivies de vomitifs (antimo- niaux) et de délayants; par ce moyen, on évite ou même on guérit les diarrhées. L'administration des toniques ou cordiaux (4) n’est cependant pas à dédaigner après ce traitement, lors même qu'il n’y a pas de faiblesse prononcée. De tout ceci on pourrait (4) Le diascordium est rangé parmi les cordiaux ou les restauratifs après les grandes évacuations sanguines ou les déplétions de matières peccantes par les vo- mitifs ou les purgatifs, ce qui n’est pas aussi déraisonnable que le prétend Jault, le traducteur de Sydenham (voyez Gubler, Commentaires thérapeutiques, p. 322), Je crois aussi, en consultant les anciennes pharmacopées, que le diascordium, au xvu® siècle, renfermait une moindre proportion d’opium qu'aujourd'hui, ee qui justifierait les hautes doses prescrites par Sydenham.—Quoique notre auteur préco- nise toujours le régime antiphlogistique, cependant, vers la fin de sa carrière, il se montre de plus en plus avare du sang de 8es malades: 72h SYDENHAM. conclure que notre auteur parle de ces fièvres continues qu’on appelait et que même on appelle encore fièvres angioténiques ou inflammatoires ; mais, à considérer l’ensemble des symptômes, il est probable que cette fièvre se compliquait d’un état gastrique plus ou moins caractérisé, et qui allait jusqu’à la fièvre mu- queuse (1) et même jusqu'à la fièvre typhoïde, puisqu'il y est question de délire phrénétique contre lequel Sydenham em- ployait avec succès le laudanum solide ou liquide, mais seule- ment vers le douzième jour, et jamais au fort de la fièvre. On observait aussi, dans ces affections, de la toux, des saignements de nez, la diarrhée, qui doit être prévenue ou combattue par des vo- mitifs ($ 11 suiv., 52 suiv.); l’auteur fait même mention d’une véritable passion 1liaque avec vomissement de matières fécales (sans doute un vo/oulus ou quelque autre affection analogue) qui vient parfois compliquer la fièvre continue (2). C’est là une com- plication purement accidentelle et sur les causes de laquelle Sy- denbam n’a pas d'idées bien nettes. — Du reste,la description des constitutions médicales durant les années 1661 à 1664 n’est ni aussi détaillée, ni aussi précise que celle des constitutionssuivantes. Quoique Sydenham déclare qu'il n'est point plelosophe, qu'il ne court pas à la découverte des causes cachées, 1l n’en est pas moins vrai qu'il cherche et trouve de singulières explications du frisson, de la chaleur et de la sueur dans les fièvres intermit- tentes, et de l'intermittence elle-même (3); puis, chemin faisant, il sacrifie aux exigences du temps, en ce qui touche les esprits ani- maux et même la fermentation, quoiqu'ils’en défende ; du moins il revient vite à l’observation. Les fièvres inlermittentes (4) du printemps sont en général de (4) Voy. Observ. medic., 1, 1, 73 1, 1v, 1-39. Au $ 40, il recommande uñ moyen populaire, heureusement abandonné, qui consiste à faire coucher des jeunes gens à côté des malades, attendu qu'ii n’y à rien de plus fortifiant que la trans- mission, à un Corps épuisé, d’une multitude d’espriés émanant d’un corps sain, robuste et jeune ! (2) Observ. med., Y, 1V, 42 et suiv. (3) Observ, med, 1, v, 1-5. (4) Observ. med., 1, v, 11. — Ces remarques, malgré ieur apparenté généralité, semblent se rapporter à la constitution de 1661-1664, — Voy. V, vr, 2, sur la transformation de la fièvre continue en intermittente ; je crois, s’il ne s’agit pas de SYDENHAM. 725 si courte durée et si légères qu’elles guérissent lorsqu'elles sont traitées par un médecin ignorant, pourvu qu'il soit honnête homme, c’est-à-dire pourvu qu’il ne fasse pas de dangereuses expériences et qu'il ne prescrive pas un traitement trop actif par les saignées et les purgalifs, car il suffit d’un léger vomitif ou de quelques diaphorétiques. Les fiévres d'automne, surtout les quartes, laissent après elles des reliquats très-fâcheux, par exemple l’hydropisie, des engorgements abdominaux, ete. Les fièvres d'automne ne peuvent pas être guéries d'emblée ($ 28); elles sont aggravées par les purgaufs (1) et les saignées; il est toutefois certain que Sydenham, en dépit des succès qu’il affirme avoir obtenus (29 etsuiv.),usait contre les fièvres d’un traitement sudorifique beaucoup trop incendiaire, au moins pour la géné- ralité des cas et des tempéraments. Quant aux fièvres quartes, le meilleur remède est la poudre de quinquina à la dose d’une once par jour, pourvu qu'on ne l’adrinistre pas trop tôt (si le malade conserve de la force), car 1] faut laisser à la fièvre le temps de se dessiner, et qu'on le donne loin des accès, par prises rappro- chées ($ 34-35), afin d’imprégner le malade. Cette méthode, adoptée en parlie par Bretonneau et Trousseau, est encore suivie avec succès au moyen du quinquina ou du sulfate de quinine, surtout dans les contrées paludéennes. On voit (2) que Sydenham est loin d’avoir, au début de sa pra- tique, généralisé l'usage des préparations de quina contre toute espèce de fièvres intermittentes. Plus tard, dans son Epitre à Brady ($ 13 et suiv.), il met l'emploi de cette plante contre les fièvres intermittentes, sans distinction manifeste, au-dessus de toute autre médication; il la préconise aussi contre certaines affections de la matrice et de l’estomac; quoiqu'il n’en connaisse fièvres larvées (voy. p. 422, note 3), qu'il vaudrait mieux dire : la succession de la fièvre intermittente à une fièvre continue. (4) Aux paragraphes 30 et suiv., il est recommandé de purger après la disparilion de la fièvre.— La crainte des mauvais effets des évacuants au début de la fièvre est exagérée ; les praticiens savent qu’un purgatif, surtout qu’un vomitif précédant l'ad- ministration du sulfate de quinine est souvent nécessaire ou du moins fort utile pour faciliter l'absorption du sel de quinine où du quinquina ; je l'ai éprouvé pour moi- méme et j'en ai observé les bons effets chez plusieurs malades. =. (2) Cf., par exemple, S 36 elsuiv, 726 SYDENHAM, pas toutes les autres propriétés contre une foule de maladies dé- terminées ou contre beaucoup d’états pathologiques moins bien caractérisés, cependant 1l a contribué plus que personne à en répandre l'usage. C’est cette Épitre à Brady qu’il faut lire et mé- diter si l’on veut connaître à fond la méthode suivie par Sydenham pour l'administration du quinquina et la critique des opinions vulgaires répandues contre ce précieux remède (1). Si les modernes ne reconnaissent guère que des maladies in- dividuelles, Sydenham tombait, en certains moments, dans l'excès opposé ; en effet, quoiqu'il ait voulu assimiler la pathologie à la botanique et créer des espèces de maladies, comme on avait formé des espèces de plantes, néanmoins il n’en tient pas grand compte dans la pratique, car il admet des constitulions saisonnières qui durent une ou plusieurs années et pendant lesquelles les maladies qui paraissent ont même nature etexigent même traitement (2), de telle sorte quelaspécificité consiste uniquement, pourles fièvres continues, à se présenter toutes sous certaines formes, suivant la constitution régnante. Ainsi, la fièvre est pneumonique, ou vario- lique, ou rubéolique, etc. Jugeant la question particulière des constitutions stationnaires, M. Vignal, dans une bonne thèse de concours pour l'agrégation (3), me semble avoir séparé assez (1)-Bretonneau et son digne élève, Trousseau, ne cessent de vanter l'excellence des préceptes de Sydenham,— On sait aussi que c’est Talbor qui a imaginé en An- gleterre d’aciduler les préparations de quinquina et que cela lui a valu de grands succès et une juste réputation. — Voy. aussi Cole, Nova hypoth. ad eæplic, febr. nterm.; édition de 1693, p. 253. (2) Sydenham n’est pas toujours constant dans ses idées touchant la prédomi- nance du général sur le particulier. — On peut dire aussi, avec M. Fuster, qu'il ya non pas des affections déterminées stationnaires, mais des ctats pathologiques Qui sont compatibles avec toutes les maladies et règnent longtemps. (3) Comparer Sydenham et Stoll et apprécier l'influence qu'ils ont exercée sur la médecine pratique. Montpellier, 14860, p. 25, 26. — D'autres dissertations ont été consacrées, par divers médecins, à l'exposition des doctrines de Sydenbham. Goeden, Th. Sydenham ueber seine Bedeutunq in der heilenden Kunst. Berlin, 1827, in-8. Jugeant Sydenham d’après les principes nuageux de la philosophie de la nature, Yauteur le défigure complétement ; il lui prête, à lui ennemi de la phi- losophie, les idées les plus profondes, je veux dire les plus creuses sur les maladies et sur leur traitement. Sydenham, s’il revenait au monde, serait bien étonné d’avoir SYDENHAM. 727 nettement la bonne de la mauvaise part dans le système de Sydenham. La constitution médicale des années 1673-1675 (1) est beau- coup mieux décrite que celle de la période que nous venons d'examiner. Sydenham, fortifié dans l’art d'observer et de trans- mettre le résultat de ses observalions, a laissé de côté une par- tie des vues théoriques qui obscureissaient ses sens et parfois égaraient son jugement. Ge qu'il faut admirer ici, ce n’est pas la précision des éléments du diagnostic (2), car, à cet égard, nous avons beaucoup à désirer, c’est l’excellence de la méthode à l’aide de laquelle l’auteur cherche à se rendre compte du ca- ractère léger ou malin, inflammatoire ou catarrhal, des affections qui dominent dans cette constitution; ce qu'il faut admirer encore, c’est l'analyse des symptômes, qui permet à Sydenham de com- parer les aflections des années 1673-1675 à celles des années pensé tout cela, même lorsqu'il se contenterait de lire les vingt-huit propositions qui résument ses doctrines. — Gernhard, De Thoma Sydenhamo. Venae, 1843, in-4 (thèse inspirée par M. Haeser) reconnait à Sydenham les mérites suivants : avoir repoussé les hypothèses à priori, avoir pris pour guides : comme maître, Hippocrate, comme maitresse, la nature ; avoir suivi la nature dans la description des maladies et dans leur thérapeutique (nous avons mis des restrictions à ce dernier point); avoir mieux décrit le génie épidémique que ses devanciers.— Le travail le meilleur, le plus complet, quoique trop systématique (l’auteur est élève de Schoenlcin), gst sans contredit celui de F. Jahn: Sydenham ein Beitrag zur wissenschaftlichen Medicin. Eisenach, 1840, in-8. Nous signalerons aussi Rovers, De Sydenhamo in morbis curandis naturae imitatore. Dordraci, 1838. C’est une bonne analyse de la partie des œuvres de Sydenham qui regarde les maladies aiguës; l’auteur y mêle quelques réflexions et fait plusieurs rapprochements intéressants. — Enfin, M. Finckenstein a publié dans Deutsche Klinik (1868-1869) une suite de feuilletons sur la médecine eu Angleterre au xvne siècle, et en particulier sur Sydenham, qu'il étudie sans esprit de parti et en le présentant comme un grand observateur de la nature, (4) Je laisse de côté la peste de 1665-1666, parce que Sydenham l’a peu observée par lui-même (voy. p. 708), qu'iln'a pas d'idée bien précise sur son traitement, enfin qu'il a confondu d’autres maladies avec la vraie peste. C’est surtout d’après Hodges, Loimographia, 1672, que nous connaissons cette épidémie. — Les autres constitu- tions se rapportent à la petite vérole ; nous y revenons plus loin. (2) Je pense que nous avons affaire, en général, à des fièvres malignes avec pré- dominance de l'élément inflammatoire ; toutefois on remarque que le délire est tantôt phrénétique et tautôt comateux ou léthargique. (Observ, med,, V, 11, 3 suiv. et 22.) 728 SYDENHAM. 1661-1664 et de marquer les différences ; ce qu'il faut admirer enfin, c’est le soin avec lequel il recherche en conséquence les indications thérapeutiques (K 8). Sydenham mérite parfois plus de louanges pour ce qu'il a cherché à faire, que pour ce qu'il a fait en réalité, il avait ouvert la bonne voie, mais faute d'aide, il n’a pas pu y pénétrer assez avant. Sydenham res- pecte Ja nature, mais il n’est pas son esclave. Par exemple, il ne veut pas qu’on trouble les sueurs qui ont un bon caractère, ni qu'on les provoque à tout propos sous prétexte d’expulser la matière morbide (K 15 etsuiv.) (1). On remarque aussi ($ 12) la recommandalion de faire lever les malades chaque jour pendant quelques heures, ou, s'ils sont trop faibles, de les placer tout habillés sur leur lit, ce qui, dans beaucoup de circonstances, n’est pas un précepte à dédaigner, mais non pas précisément pour les motifs assignés par Sydenham. J'ai vu aussi que le changement de chambre avait une influence très-notable sur la convalescence. En 1675, et peut-être en 1677 et 1679, Sydenham eut l’occa- sion d'observer deux épidémies de grippe d’un caractère assez dangereux; 1l reconnaît que cette affection se termina par des pleurésies et des pneumonies; toutefois il les distingue avec beaucoup de soin, eu égard à leur forme et même eu égard à leur traitement, des pleurésies et des pneumonies franches et d'emblée; celles-là sont purement symptomatiques (2). (1) Ici trouvent leur place quelques réflexions qui montrent avec quelle perspi- cacité Sydenham avait observé les inconvénients des traitements par les sudorifiques ou les échauffants : « L'idée de malignité a été beaucoup plus pernicieuse au genre bumain que l'invention de la poudre à canon, On appelle fiévres malignes celles où l'inflammation est portée à un degré extraordinaire de violence, Là-dessus les mé- decins se sont figuré qu’il y avait dans ces fièvres je ne sais quel venin qui devait être évacué par les pores de la peau; et, en conséquence, ils ont eu recours à des cordiaux, à de prétendus alexipharmaques et à un régime très-chaud dans des maladies qui demandaient les plus grands rafraichissants. C’est ainsi qu'ils se sont comportés dans la petite vérole, qui est une des maladies les plus inflammatoires, et dans un grand nombre d’autres fièvres. La cause de cette erreur a été appa- remment les taches de pourpre et les autres exanthèmes de cette nature qu'ils ont aperçus et qui cependant ne venaient, dans la plupart des sujets, que de ce que le sang, déjà trop enflammé par la fièvre, l'avait été encore davantage par le mauvais traitement. » (Schedula monit., 1, 41.) (2) Observ. med,, V,v; Epist. 1 responsoria, 42.—La Schedula monitoria De no- SYDENHAM. 729 À vrai dire, dans Sydenham (1) toutes les maladies qui ne sont pas franchement localisées ou bornées à quelque partie du corps, comme la pleurésie (2), la fausse pneumonie (3), le rhu- matisme, l’esquinancie (mot qui désigne des maladies diverses), la fièvre érysipélateuse (érysipèle idiopathique, surtout celui de la face) (4), sont des fièvres inflammatoires, catarrhales, putri- des, éruptives, dysentériques (5) ou intermittentes. Les fièvres règnent ordinairement sous forme épidémique ; les maladies loca- lisées avec fièvre sont ordinairement sporadiques ou intercur- rentes; cependant elles peuvent aussi revêtir le caractère épidé- mique ou stationnaire. Sous la rubrique /vres, il faut ranger la peste, le typhus, les fièvres malignes (6), péripneumoniques franches, catarrhales (y compris la dysenterie et toutes les formes de bronchites), éruptives (7), la fièvre simple et l’inflam- vae febris ingressu (1685) contient, entre autres choses, la description d’une maladie qui semble avoir beaucoup d’analogie avec une grippe compliquée et qui devient grave, surtout si l’on insiste sur les échauffants. Voyez particulièrement &$ 5 et 23. Sydenham remarque ($ 23) que, malgré le caractère un peu intermittent ou du moins rémittent, et contre toute attente, le quinquina échouait. — Cf, sur l’épidé- mie de grippe de 1675 en Angleterre, Thompson, Annals of influenza.…. in Great Britain. Londres, 1852 (publication de la Société de Sydenham). (1) Moy: Observ. med., N,, vi etV,/r. (2) Contre laquelle il ne connait pas de meilleur et de plus merveilleux traite- ment principal que les saignées à haute dose, dès le début, pour apaiser Pinflam- mation du sang. Observ. med., VI, 1, 6 et suiv. Il en est à peu près de mème pour le rhumatisme aigu, mais non pour le chronique. VI, v. Au $ 2, Sydenham cherche à distinguer la goulte du rhumatisme.— IL est évident, par l'énumération des symptômes, que, sous le nom de pleurésie, il faut souvent entendre la péripneu- monie. (Observ. med., VI, ut, 4 et suiv.) (3) Maladie assez mal déterminée ; mais on voit par le détail des symptômes, surtout par le traitement où le sang est très-ménagé, où les purgations sont préco- nisées, qu'il ne s’agit pas d’une vraie pneumonie. {Observ, med., VI, iv.) (4) Certes, voilà bien une maladie qui rentrerait mieux, d’après le système de Sydenham, dans les fièvres stationnaires que dans les intercurrentes ! (5) C'est dans Ia dysenterie ct dans les petites véroles qu'il préconise la décoc- tion blanche. (Observ. med., AN, 1, 40 et vr, 9.) (6) Elles sont mal distinguées de la peste (Observ, med., I, 11, 1.) Plusieurs traits épars paraissent se rapporter, soit au typhus-fever, soit à la fièvre typhoiïde. (7) La scarlatine est rangée, on ne sait trop pourquoi, parmi les maladies inter- currentes. Sydenham ne s'arrête pas sur cette maladie, il ne lui oppose que le ré- 730 SYDENHAM. matoire. De ces distinctions, il résulte pour le traitement une grande différence, car dans les fièvres stationnaires les manifes- tations locales ne sont que des symptômes ou des accidents, tan- dis que dans les fièvres intercurrentes ces manifestations sont essentielles, attendu qu’elles tiennent à une inflammation parti- culière du sang et propre à chaque maladie, D'où il suit que dans les fièvres stationnaires localisées il ne faut pas employer la méthode qui convient aux affections essentielles, mais celle que demande la fièvre dont elles sont les symptômes, en chan- geant seulement quelques petites choses. Contre les affections essentielles, le plus urgent dansle traitement, c’est de rafraichir le sang et de bien évacuer la matière morbifique qui s’est fixée sur un point, par exemple sur le gosier dans l’esquinancie. Ces vues, prises en gros, sont ingénieuses, séduisantes même, sur- tout au point de vue pratique ; mais il ne faut pas vouloir trop entrer dans les détails, car l'établissement, la classification, les caractères de ces genres et espèces de maladies ne sont certes pas à l'abri de tout reproche. Le langage technique s'éloigne beaucoup de notre manière de voir, mais en somme cela revient à dire, par exemple, que les pneumonies qui règnent épidémiquement doivent être traitées différemment des pneumo- nies sporadiques, accidentelles pour ainsi parler, ou que les pneumonies qui viennent si souvent compliquer la grippe récla- ment d’autres soins que les pneumonies d'emblée. On remar- quera aussi combien est subtile la méthode indiquée (1) pour reconnaitre au début la nature des fièvres continues épidémiques indépendamment de toute localisation quelconque, ou pour dis- tinguer les maladies essentielles d’avec les symptomatiques (2). Malgré tous ces défauts, qui tiennent bien moins au vice de la méthode, considérée absolument en elle-même, qu’à l’'insuf- fisance des moyens pour l'appliquer régulièrement, je ne fais pas difficulté de soutenir que le médecin intelligent qui prendrait Sydenham pour seul guide guérirait plus de malades et commet- gime et les soins hygiéniques, à l'exclusion de tout traitement actif, En général, c’est le vrai traitement, (4) Observ. med., V, vi, 3 et suiv. (2) Oüserv. med., VI, 1, 6. SYDENHAM. 731 trait moins de fautes, de méprises ou d'erreurs dommageables que celui qui suivrait les Van Helmont, les Sylvius, les iatro- mécaniciens et tous les fameux réformateurs du xvu° siècle, même du xvi. Puisqu'il n’était pas facile alors d'arriver au diagnostic local, mieux valait s’en tenir à la nosologie hippocra- tique qu'aux subdivisions imaginaires de Sylvius. Les remarques suivantes sur la variole (1) et sur diverses autres maladies confirment, j’en ai l'assurance, cette manière de voir. Les petites véroles épidémiques et régulières commencent en général vers léquinoxe du printemps, les irrégulières dès le mois de janvier (2). Les varioles sont discrètes ou confluentes. Notre auteur a étudié avec un soin minulieux la marche compa- rative de ces deux espèces de varioles; il suit pas à pas le déve- loppement des pustules; il n'oublie pas de noter que, pour les vario]es simples, l'appareil fébrile tombe en même temps que se fait éruption (3) ; il énumère toutes les complications qui peuvent survenir; il distingue en praticien consommé (4) la fièvre primi- tive ou de suppuration de la fièvre secondaire putride ou de ré- sorption. Sydenham insiste pour qu’on ne pousse pas à la sueur, comme c'était el comme ça été si longtemps l'habitude ; il attribue à cette fâcheuse méthode les pétéchies, ia malignité et la mort; il use d’un régime et d’un traitement rafraichissants, lors même (4) Voy. Observ, med., II, u, années 1667, 1668, partie de 1669. (2) Sydenham généralise trop volontiers des observations relativement, mais non absolument exactes sur l’époque de l’année où apparaissent les affections qu'il ap- pelle épidémiques; ces questions de chronologie saisonnière ont été reclifiées avec les progrès et l'extension de la statistique médicale, — La petite vérole est, au dire de Sydenham, une maladie nouvelle; la raison qu'il en donne (Observ. med., V, iv, 15-46), c'est qu'Hippocrate ne l’a pas décrite. IL admet qu'il y a des maladies nou- velles et des maladies éteintes, parce que les altérations secrètes de l'air varient suivant les siècles. (3) 1 a fait précisément l'observation opposée pour la rougeole ; il ne manque pas de remarquer aussi que les rougeoles retentissent le plus ordinairement sur les membranes muqueuses, tandis que les phénomènes calarrhaux sont l'exception pour la petite vérole. Voy., par ex., Observ. med., IN, v, où il établit très-bien le dia- gnostic différentiel des deux affections. (4) Schedula monit., X. La partie qui regarde la petite vérole. 1352 SYDENHAM. qu'il y a de la diarrhée (1). Quoique Sydenham déclare qu'il ne sait absolument rien de la nature de la variole (K 30), il penche à croire qu’elle consiste en une inflammation particulière du sang et qu'elle se compose de deux temps: la séparation et l'expulsion de la matière morbifique; la fièvre produit la sépara- tion ; cette séparation une fois opérée par l’ébullition du sang, la matière se répand dans les pustules qui lui livrent passage en se rompant. Pour ces deux opérations, il ne faut ni brusquer ni en- traver la nature (2); ce n’est pas l'œuvre du premier venu de bien traiter la variole, maladie assez insidieuse et qui expose à la fois la vie du malade et la réputation du médecin. Au chapitre troisième de cette même troisième section (voyez aussi f,11, 16), Sydenham décrit une fièvre variolique sans variole et qui arégné concurremment avec les petites véroles et pendant le même temps, c’est-à-dire pendant les années 1667, 1668 et partie de 4669. De même pour les années 1669-1672 (3), il admet une fièvre dysentérique sans déjection, mais caractérisée par des sueurs abondantes. Laissant de côté quelques rares explications, tribut payé à la mode, écartantaussi quelques moyens thérapeutiquesmaljustifiés, (4) IL permet même au malade de se lever si Le peu d'intensité de l'éruption et la saison le permettent. (2) C'est ce qu'il confirme dans son Épitre à Guillaume Colle, qui se louait du régime rafraichissant dans les varioles discrètes, et des narcotiques, surtout du sirop diacode, de préférence au laudanum, dans les varioles confluentes. Dans sa réponse, Sydenham renouvelle expressément la recommandation de ne pas retenir toujours les malades au lit dans les varioles bénignes, mais surtout au début et quand on pense que la variole sera confluente, parce que le lit pousse aux pustules ($ 4 et suiv.). (3) Observ. med., IV, 1. Ces vues sur les fièvres varioliques et dysentériques persistantes sont certainement trop générales; elles tiennent à un esprit un peu prévenu et à des erreurs successives de diagnostic ; mais on y reconnait l'influence des maladies épidémiques sur les Sèvres qni ne sont pas nettement caractéri- sées, — On admet, ct encore non sans hésitation, qu'au milieu d'une épidémie de variole il y à quelques individus qui éprouvent tous les symptômes de la fièvre variolique sans pustules, où du moins avec une ou deux pustules (ce qui m'est arrivé à l'hôpital de Dijon dans une grande épidémie qui régna parmi les soldats); mais de 1à à la proposition de Sydenbam il y a une distance immense, SYDENHAM, 13: on esi étonné de rencontrer tant de traits frappants de vérité, tant de conseils excellents en un siècle où se sont produits les excès du dogmatisme en médecine, où régnait le délire des hypothèses pour expliquer les maladies, en un siècle où l’on vantait Hippo- crate sans même soupçonner en quoi consistait la méthode d'observation ; dans un pays où Willis, Duncan, Kloyer défen- daient l’iatrochimisme, où Pitcairn et Cole introduisaient l’iatro- mécanisme. Dans cet examen si attentif des constitutions médi- cales en général et de chaque malade en particulier, on reconnait l’éminent praticien qui, en 1680, écrivait au docteur Brady (1): « Dieu a réservé pour un petit nombre d'hommes supérieurs l’im- mense privilége de pouvoir contribuer à améliorer la santé publique... Quant à moi, fai toujours pensé qu'il valait infini- ment mieux trouver le moyen de guérir même la plus petite maladie que d’amasser les trésors de Crésus. » On reconnait bien aussi, en lisant son œuvre d’un bout à l’autre, le médecin qui écrivait, dans la Dissertation épistolaire adressée à Gole ($ 56): «Un médecin qui n’a pour se régler que son imagination ne peut guère que se tromper; celui qui passe son temps à forger des systèmes sans consulter les faits, perd sa peine, n'avance pas la pratique et ne saurait manquer de s’égarer lui-même tout en jetant les autres dans l’èrreur. » Cene sont pas là de vaines paroles inscrites sur un drapeau pour protéger loules les fantaisies de la méthode 4 priori; S\denham, je n'ai pas manqué de le dire et même de le prouver, ne s’est pas complétement affranchi des explications, mais en général, sur- tout après la description de la première constitution, c’est sur les observations et non sur les explications qu'il règle la théra- peutique; dans la recherche des indications, 1l s'occupe moins de la nature intime des maladies que des phénomènes ou sym- plômes qui révèlent l’état général de lorganisme, et il épie les moindres effets des remèdes employés pour juger s'il faut les suspendre, les modifier ou les continuer. Sydenham, je ne crains pas de l'affirmer, a fait pour la pathologie, avec un peu moins de sürelé, parce que la question est beaucoup plus compliquée, ce (4) Epistolo Î responsoria, 2, 73L SYDENHAM. que Harvey a fait pour la physiologie, ce que l’école italienne et l’école hollandaise ont fait pour l'anatomie. On a prétendu (1) que Sydenham était non le successeur d'Hippocrate, mais le précurseur de Rademacher, un mystique frotté d’homæopathie! Je vous demande, Messieurs, si jamais Sydenham a ressemblé à un pareil homme. Sydenham est le pré- curseur des Stoll, des de Haen, des Stôrck, des Franck, des Huxham, des Pringle, même des Corvisart et des Laennec, non qu’il ait trouvé le diagnostic local, il en était même fort éloigné, mais parce qu’il y a conduit en ramenant à l'observation atten- tive et continuelle des malades. Pourquoi Sydenham a-t-1l conservé un renom si grand, non pas seulement auprès des historiens de la médecine, mais parmi les simples praticiens? Ce n’est pas assurément qu’il fût doué d’un génie hors ligne ; c’est tout simplement parce qu’il était lui-même un praticien de premier ordre, c’est parce qu'il a trouvé de bonnes méthodes de traitement, fondées sur des indi- cations rationnelles et non sur de vaines théories; c’est parce qu’il a observé la nature, et que loin de la défigurer, 1l s’est tou- jours efforcé de la peindre sous des traits reconnaissables : les faits demeurent, les théories passent. Il y a longtemps que les coryphées de l’archéisme, de la chimiatrie ou de l’iatromécanisme seraient à peu près oubliés de la foule des médecins, si l'histoire attentive n’eùt recueilli et pris leur nom sous son patronage ; mais, n'eût-on jamais écrit une histoire de la médecine, les échos de la tradition auraient transmis aux âges futurs le nom de Sydenham. (1) Kissel dans Janus, 2e série, 1851, 1, 11, p. 268, et la Réfutation, par Thier- felder, I1, ur (4853), p. 426. — Kissel insiste particulièrement sur la division des maladies en espèces. Mais il n'avait pas bien compris l’idée de Sydenham, qui veut seulement dire : il y a, dans chaque maladie, des caractères généraux et des carac- tères spéciaux, comme daus les familles de plantes; ce sont les caractères spéciaux qui constituent l’individualité et qui règlent les indications particulières, XXIV SOMMAIRE : Origines, développements, diffusion, transformations del’iatromécanisme. — École italienne : Sanctorius; Borelli; Bellini; Baglivi; Ramazzini; Lancisi ; De Sandris ; Guglielmini; Michelotti; Crescenzo Mazzini ; Bazicaluve ; Bernoulli. — École anglaise : Archibaïd Pitcairn ; W. Cole ; Keill ; Mead, ete. — Apparition de l'iatromécanisme en France. — Ses débuts en Hollande et en Allemagne : Boerhaave, Hoffmann.— Les Recueils d'observations médicales et chirurgicales au xvne siècle, — De l'état de la chirurgie durant ce siècle, Messieurs, Nous n’en avons pas encore fini avec le xvn° siècle ni avec toutes les théories médicales que ce siècle à enfantées. Déjà, à plus d’une reprise, vous avez entendu le mot éatromécanisme (on disait aussi tatromathématique) ; il convient ici de définir le mot et de faire connaitre la doctrine en étudiant ses principaux représentants, qui appartiennent particulièrement à l'Italie et à l'Angleterre, où les sciences physiques étaient en grand honneur, L’iatromécanisme n’est autre chose que l'explication des mouve- ments organiques, même des plus intimes, et des maladies par les lois de la mécanique, de la statique, et de l’hydraulique avec le concours des formules algébriques (1). C’est une réaction, en physiologie, contre les facultés naturelles de Galien, et l’ar- chéisme ; en pathologie, contre la chimiatrie et les excès de l'hu- morisme. Galien est complétement sacrifié; mais Hippocrate trouve encore des défenseurs dans cette secte. On rattache ordinairement cette doctrine au fameux Sanctorius (1561-1636), à l'auteur de la Médecine statique. West vrai que la théorie de la perspiration insensible fait partie de l’iatroméca- (4) Par ex. Borelli De motu animali; pars Hf, cap. xvr, prop. 191, compare l'estomac à un pressoir ; sa force chez certains gallinacés est de 1350 livres; la nutrition, les sécrétions, sont des opérations tout à fait mécaniques, — Voy. Marey, Physiol. de la circul, du sang, p. 90 : Force du cœur. 736 JATROMÉCANISME. nisme (1), mais seulement à titre d’accessoire. L'iatromécanisme a une bien autre généralité que la médecine statique ; cette doc- trine procède de tout un ensemble deconnaissances physiologiques étrangères à Sanctorius, qui a écrit avant la publication du livre de Harvey (l’Ars statica est de 1614), et à plus forte raison, bien avant les grandes découvertes faites en anatomie et en physiologie dans la seconde moitié du xvr siècle. L’iatromécanisme se pro- pose d’embrasser à la fois toutes les fonctions et toutes les mala- dies; il sort directement, par Borelli et d’autres, de l'Académie del Cimento (2).S. Sanctorius (Sanctorio Sanctoro) de Capo d’Istria, s’est borné à rattacher les maladies aux troubles de la perspi- ration insensible, qu'il distingue soigneusement de la transpi- ration (1, 21 et suiv.), et pour cela il a passé une partie de sa vie dans une balance, afin de déterminer les moindres changements de poids en plus ou en moins (3). Voici les principales propositions du livre de Sanctorius ; quand on les mettra en regard de l’exposé de la doctrineiatromécanique, on reconnaîtra aisément qu'il est difficile de faire sorur Borelh, Bellini, Baglivi, Pitcairn, Cole, ete., de la balance du professeur de Padoue, quoi qu’assis sur cette balance, comme sur un trépied, Sanctorius ait rendu quelques bons oracles d'hygiène que les iatromathématiciens ont précisément négligés. — Si chaque jour dans le corps s’opérait l'addition de ce qui manque, et la soustrac- (4) Voy. par ex. Borelli De motu anim., pars IT, cap. xv. II montre l’impor- tance qu'il y à à étudier le rapport des mouvements de nutrition et des mouvements d'élimination (motus nutritivi el motus destructivi). La vie de l’animal consiste en uu mouvement perpétuel des particules organiques. Les degrés de la vie et la per- fection des animaux se calculent sur la rapidité même de ces mouvements; et juste- ment Borrelli dit à propos de ce double mouvement que le corps ne saurait êlre comparé à une construction quelconque, mais à un fleuve, à la flamme, ou à une légion en marche (prop. 188). (2) Voy. plus haut, p. 698, note 1. (3) D'abord professeur à Padoue (1611), il se retira en 1624 à Venise, sur l'invitation du Sénat. La première édition de l'Ars Sanctori Santorit De medicina statistica, à paru à Venise en 1614. Dans mes cilations, le chiffre romain repré- sente la section, les chiffres arabes, les aphorismes. — L'ouvrage est divisé en sept sections: De ponderatione insensibili perspirationis ; — de aere el aquis; — de cibo et potu ; — de somno et vigilia; — de exercitio et quiete; — de venere; — de anümi affectibus. 2 SANGTORIUS. 19 üon de ce qui est en excès, la santé perdue se retrouverail aisé- ment, ou la santé présente se conserverait toujours. — Le mé- decin qui a seulement égard à la nourriture alimentaire (addition) et aux déperditions sensibles, et qui ne sait pas ce qu'on perd quotidiennement par la transpiration insensible, ce médecin-là trompe ses malades et ne les guérit pas (1, 4-2). — La transpi- ration insensible est ordinairement plus abondante que toutes les évacuations sensibles réunies. La transpiration insensible s'opère par la surface cutanée et par la surface pulmonaire; elle varie suivant les aliments, le pays, le temps, l'âge, les maladies, les idiosyncrasies. Si l’on absorbe en un jour huit livres d’aliments, on en dépense environ €inçq par la transpiration insensible (1,5,7).—I1 faut particulièrement surveiller les rapports de poids entre les aliments ingérés, la perspiration et les évacuations sen- sibles. Si l’on reconnait par la balance un obstacle à la perspi- ration, 1l faut s'attendre à quelque trouble. La transpiration insensible mêlée de sueur n’est bonne que si elle remédie à quelque grand mal ([, 9 et suiv.). Les meilleurs signes d’une bonne santé sont de se sentir plus léger, bien que le poids du corps n'ait pas diminué (1, 30), et d’éprouver pendant la nuit une perspiration assez abondante sans sueur (1, 62). Les premiers germes des maladies sont reconnus plus sûrement par laltération d'une perspiration anormale que par la lésion des fonctions (1, A2). L'auteur expose ensuite quels signes de maladies donnent les troubles de la perspiration, et quelles sont les circonstances in- térieures (l'occupation de l'organisme à la digestion ou à quelque évacuation thérapeutique, la diversion ou distraction des hu- meurs, par exemple la douleur, la diminution des forces), ou extérieures (flux, vomissements, habillements, chaud ou froid, âge, exercices, remèdes intempestifs, elc.), qui entravent la per- spiration en employant les forces ailleurs (4). Sanctorius pense que les hommes comme les femmes de- viennent plus pesants au milieu du mois, et que chez eux la crise (1) Il est dommage que Sanctorius n'ait pas connu l'hydrothérapie ; il aurait pu réformer beaucoup de ses idées sur l’action du froid et faire de curieuses obser- vations sur les fonctions de la peau. DAREMRERG. 47 738 MÉDECINE STATIQUE. qui les allége, s'opère par des urines chargées. C’est là leurs règles (1, 65,66).— Moins le poids varie d’année en année, meil- leure est la santé ([, 69).—C'est le renouvellement quotidien de la chair chez un animal vivant qui l'empêche de se corrompre (1, 80). Si les vieillards n’atteignent pas l’âge de la décrépitude, c’est qu'ils perdent par une mauvaise hygiène les forces néces- saires pour la perspiration (1,85). N'oublions pas cette remarque, que confirment la polyurie et le diabète : quand on urine plus qu’on ne boit, on transpire peu ou point (1, 94) ; ni celle-ci : la lipothymie soulage dans les grandes fièvres en amenant la transpiration (I, 98). Si la médecine statique était absolument vraie, s’il fallait s'as- treindre à toutes ses exigences, si elle était la seule voie de salut, l'univers devrait se résigner à passer sa vie dans une balance, et les hommes n'auraient pas d'autre occupation que de peser ce qui entre dans le corps et ce qui s’en échappe ! La vie ni la santé ne vaudraient les embarras et la servitude que coûteraient leur entretien et leur conservation. Mais cette médecine n’est pas plus vraie d’une façon absolue dans ses applications à la pathologie que dans ses principes. On trouve quelques bonnes remarques dans les six sections consacrées à l'hygiène ; encore ces remarques n’ont-elles rien de très-nouveau, et sont entremêlées des propositions les plus étran- ges. Par exemple, dans la section troisième, où Sanctorius étudie les circonstances les plus minutieuses qui dans le boire ou dans le manger peuvent influer sur l’état et la quantité de la perspira- tion (car la perspiration insensible est un résidu de la troisième coction, celle qui se fait dans les glandes et les viscères, IIT, 84), nous lisons : Les flatulances ne sont qu’une certaine matière perspirable brute (MI, 13). — Pourquoi périt-on de faim, si le sang ne manque jamais dans un individu vivant ? Parce que le sang abandonne le cœur pour se porter dans le vide de l’estomac (HE, 47). Et puis, celui qui voudrait se conformer à toutes les injonctions de Sanctorius, ne mangerait guère plus à sa table que Sancho à celle de l’île de Barataria. Pourquoi les personnes affectées d’une maladie pernicieuse guérissent-elles ? Parce qu'elles peuvent disposer de plusieurs ere À SANCTORIÜS. 739 degrés de poids compatibles avec la santé; les maladies en effet enlèvent en moyenne, plus ou moins, trente livres, sui- vant la corpulence et suivant la durée de la maladie ([, 81).— La transpiration insensible supprimée détruit la vie non-seule- ment des parties principales, mais aussi d’une partie infime : des parties principales, par exemple l’apoplexie pour le cer- veau, la palpitation pour le cœur, la polyémie pour le foie, la suf- focation pour l'utérus, et, pour une partie infime, la gangrëne (1, 86). — Pourquoi la perspiration insensible est-elle empêchée dans la fièvre intermittente ? Parce que l'humeur peccante est à la périphérie du corps (1,95). — Le tétanos vient de ce qu’on a fermé l’issue de la plaie du nerf (1, 99). — Rien ne nuit plus aux ulcères malins que les topiques qui gênent la perspiration (1, 117). — Les aphorismes 126 et suivants sur la peste, que l’auteur attri- bue avec raison non au contact, mais à la contamination de l’air, renferment un conseil excellent quand on peut le suivre sans honte pour soi, ou sans dommage pour les autres : celui de fuir le plus vite et le plus loin possible les lieux infectés; mais la bonté de ce conseil ne prouve rien pour la bonté de la doctrine. — Sanctorius, outre divers préceptes que tout le monde recom- mandait en temps de peste, donne celui de célébrer les offices divins en plein air et non dans les églises, afin de ne pas accu- muler des gens déjà infectés et des gens sains dans un espace étroit; il veut dans une même maison séparer les pestiférés de ceux qui ne le sont pas, enfin on doit se défier des chirurgiens étrangers, qui sont d'autant plus satisfaits que les ravages de la peste sont plus étendus ; des remèdes internes, dont aucun n’est bon; des volailles achetées aux marchés, parce qu’elles sont certainement touchées par des gens qui ont le germe de la ma- ladie (I, 140). Vous comprendrez, Messieurs, après ces extraits, que nous ne puissions pas partager les élans d'enthousiasme de Baglivi (1), (1) Praefat, ad canones de medicina solidorum, et canons 6, 9,10 (où Bagliv ose dire que la médecine statique et la découverte de la circulation sont les deux pôles de la vraie médecine); 27, 31, 41, 4 et 60, où il anathématise ceux qui blasphèment contre Hippocrate, Sanctorius, Harvey et Duret, Cf. aussi Praxis medica, X, vu, 7 — De nos jours, on recommence à peser les malades, 740 MÉDECINE STATIQUE. de Bocrhaave et de beaucoup d’autres médecins du xvH° el du xvin: siècle pour la médecine statique (1). Je ne crois pas non plus que pour ce seul ouvrage on érigerait aujourd’hui à Sanctorius une statue de marbre, comme on la fait peu après sa mort. Sanctorius est à peu près oublié : on ne le lit même plus. Tout l'édifice de son Ars statica repose sur la vieille physiologie; il ne tient aucun compte de l'absorption cutanée dans ses pesées ; il ignore les lois de la nutrition, et quoiqu'il ait une vague idée de la perspiration pulmonaire (1 5), Sanctorius ne sait ni ce qu'est cette perspiration, ni ce qu'est la transpiration cutanée insen- sible dont il parle tant, ni enfin le rapport qui existe entre ces deux espèces d’évaporation. Si l’Ars statica est à peine lu aujourd'hui, les autres ouvrages de Sanctorius sont encore moins connus. Cependant cet homme, qui à passé une partie de sa vie dans une balance, a trouvé le temps d'écrire de volumineux commentaires sur Hippocrate (Première section des Aphorismes); sur Galien (Aré médical); sur Avicenne; un traité en XV livres touchant les erreurs com- mises par les médecins, enfin un traité sur la méthode qui con- duit à trouver les médicaments propres aux diverses maladies. Parmi ces ouvrages, que les historiens ont trop négligés, 1l y en a deux qui sont fort instructifs et qui, à mon avis, offrent au moins autant d'intérêt que la Médecine statique, laquelle se ré- duit à deux ou trois propositions sérieuses. Dans le commentaire sur Avicenne (2), on trouve notamment des détails précieux sur plusieurs instruments, ou de l'invention de Sanctorius, ou en usage de son temps ; il devait même en décrire plus au long le mécanisme et l'emploi dans un traité spécial (De instrumentis me- dicis) qui n’a pas vu le jour. Presque tous, dit l’auteur, ont été imaginés pour rendre la médecine moins conjecturale. Sanclorius a inventé (col. 30) un thermomètre à eau, dont la (4) Les aphorismes ont le privilége de séduire par leur impérieuse précision; ils s'imposent en résumant toute une science; de là la fortune de ceux d'Hippocrate, de ceux de Sanctorius (traduits comme ceux d'Hippocrate dans presque toutes les langues), de Boerhaave et de bien d’autres. — Baglivi, Praxis med., I, 1x, 1, cé- lèbre la forme aphorïstique. Cf. aussi IF, 1, 6, et la fin du chapitre 1x du livre TJ. (2) Commentaria in 1am fen libri 1 Canonis Avicennae, 4°, édit. de Venise, 1660. SANCTORIUS. 1h71 80. = 10 10 30 FiG. 4. — Thermomètre, Fi6. 2. — Pulsilogiurr. 40 5° 60 S a ST DE NÉ RE ie Fic. 2, — Explication : Le pulsilogium est un pendule, comme le montrent là 742 MÉDECINE STATIQUE. sensibilité devait être peu marquée (1), à l’aide duquel il jugeait de la température de l'air, et de celle du malade (2). Le malade tenait dans sa main la boule terminale, qui était close, ou bien la boule était ouverte, et le malade respirait dans cette boule ouverte; et l’eau montait ou descendait, suivant que la cha- leur du cœur était plus ou moins forte (col. 309); ou bien on appliquait la boule terminale sur la région du cœur; enfin le malade mettait cette boule dans sa bouche (col. 307-310) ; alors le thermomètre formait des spirales, au lieu d’être rec- tiligne. À laide d’un autre instrument nommé pu/silogium (3), dont Sanctorius avait varié la construction, il mesurait la fréquence ou la rareté du pouls, c’esi-à-dire non pas le nombre des pul- sations dans un temps donné, mais le deggé de rapidité, eu égard à la distance qui sépare une pulsation de l’autre (col. 29). IL veut aussi, par l'emploi simultané du thermomètre et du pulsi- (4) Voy. figure 4. Nous avons fait reproduire les figures de Sanctorius en fac simile, d’après l'édition originale de 1625 in-folio. Elles sont plus nettes que dans l'édition de 1660 que nous citons ici. — Dans Methodus vitandorum errorum, E, 2, p.5, édit. de Genève, 1630, Sanctorius indique divers sujets fort intéressants, qu’il se proposait de traiter. Peut-être n’a-t-il pas eu le temps de s’en occuper ; peut- être aussi les manuscrits existent-ils dans quelque bibliothèque d'Italie. (2) Voy. Borelli, Motus anim., pars II, cap. xin1, prop. 175. (3) Cf. aussi Method. vitand, error., N, 7, page 289. Là, Sanctorius compte 133 différences dans le pouls régulier, eu égard à la plus grande rareté et à la plus grande fréquence ; il y mentionne les intermittences ; et veut qu’on tâche de savoir d'avance comment se comporte le pouls chez les individus en bonne santé. figure elle-même et l'explication de Sanctorius (col. 29) : « La main tient un fil de lin ou de soie auquel est suspendue une boule de plomb ; mise en mouvement, cette boule oscille plus ou moins vite suivant la longueur du fil : plus fréquemment et plus rapidement, sile fil est plus court; plus lentement et avec moins de fréquence, s’il est plus long. Pour mesurer la rareté ou la fréquence du pouls, on met sur l'échelle graduée le fil au point de longueur où l’oscillation de la boule correspond exactement au mouvement du pouls. Avec cet instrument, comme avec les autres pulsilogia, on peut comparer le pouls de la santé avec celui de la maladie, et on peut en suivre les changements jour par jour, ou même heure par heure, suivant qu'il faut allonger ou raccourcir le fil. Sans ces instruments, on se trompe lourde- ment dans ses appréciations, ef on n'arrive qu’à des à peu près, » SANCTORIUS. 743 Fi. 3. — Autre Pulsilogium. Fic. 4, — Autre Pulsilogium. Fig. 3 et. — Explication : Sanctorius ne décrit nulle part le mécanisme et le mode d'emploi de ces deux pulsilogia, | renvoie à son livre Sur les instruments ; que nous n'avons pas. Il semble, du moins, à les bien considérer, que ce sont des espèces de montres à ressort, ou simple, ou à pendule. Dans un passage (col. 409), il dit, à propos de la figure qui porte ici le n° 4: « Voici un pw/silogiurn que nous avons imaginé (quod invenimus), à l’aide duquel on mesare non-seulement le temps (quel temps ?), mais aussi la fréquence et la rareté du pouls); il y a ici sept diffé- rences de fréquence et de rareté (il a aussi des pulsilogia de 12 et de 24), que nous reconnaissons à l’aide de l'aiguille, Chaque degré est divisé en sept minutes, que nous subdivisons avec la petite aiguille. » Je crois encore qu'il ne s’agit pas de compter les pulsations, mais seulement de les #esurer, suivant que le mouve- ment de l'aiguille parcourt plus ou moins de degrés entre deux pulsations. 744 MÉDECINE STATIQUE. logium, comparer l'état de la chaleur du cœur avec celui du pouls. Quelque grossiers qu'aient été ces instruments, quelque imparfaites que soient les notions qu’ils fournissaient, l’histoire doit en Lenir compte. Sanclorius avait encore (col. 31-33. Voy. aussi A7s statica, ,h) deux hygromètres construits dans le système de nos capucins, 1! | | | || Fig. 6. — Autre Hygromètre. | où le plus ou moins de tension d’une corde, agissant sur un objet mobile, indique le degré approximatif de sécheresse et la figure 5, les degrés sont figurés sur une paroi à laquelle est attachée une corde à boyaux, d’où pend une boule qui monte d'humidité de l'air extérieur ou de celui d’une chambre. Dans ou descend en raison de l’état atmosphérique. Dans la figure 6, SANCTORIUS. 745 une corde de lin assez épaisse, et enroulée sur elle-même, est attachée par une de ses extrémités à une aiguille qui marque les degrés sur un cadran. Quand les malades ne peuvent pas sortir de leur hit, et qu’ils ont besoin d’un bain, Sanctorius les introduit dans un sac de cuir qu’il remplit et vide à l’aide de deux robinets (col. 567- 568). On se sert de nos jours d'appareils analogues. | | NE É NN ET Cp il [l I LUI (LULU LL | EN J a WU ji | (rt Lt TEEN a ( | | pu ù ù | ES, (| MIE TETE nom enrernenEeere rpm [HE DE AI F7 | S. . FN À jh 77 AN NA | À & » 7 li D _—_— | a. ( Ut di Me = x #: di LU Te — D — ss EN —_ “a | NS = A se: Z DS —# —— NZ VR < LAPS Sn D To Héliogravure DURAND. Fig. 7. — Appareil pour prendre un bain dans le it. Il faut rappeler une sonde terminée par trois valves flexibles 746 MÉDECINE STAYIQUE. pour extraire de la vessie les petits calculs rénaux qui ne s’é- | chappent pas d’eux-mêmes à travers l'urèthre (col. 422). d _ à s = 2 S = 2 e A © = > En (==) S = Fa © © = (D) = TZ G=) = : = = [eb] = © En © u2 = un : = co eo — . ' » e = 5 = A = = en ce FiG. 8, 9,10. — Erplcation : La figure 8 est la sonde avec les valves réunies au moment où eile va être introduite dans l’urèthre. — 9, représente la tige qu’on | SANCTORIUS. 747 Sanctorius a aussi un appareil de fumigation pour rafraichir et rendre plus humide l'air de la chambre du malade (col. 569); — une sorte de trocart muni d’une canule pour la ponction, trocart et canule dont il se servait également pour combattre, par l’ou- verture de la trachée au-dessous du second ou du troisième anneau, la suffocation imminente dans les affections de la gorge (il ne les dénomme pas), surtout chez les enfants (col. 508-510); — un instrument (canule introduite dans un petit spéculum) pour pratiquer les injections dans la cavité utérine (col. 608- 609 et913); une boule pour apaiser la soif (col. 700): elle était percée de trous extrêmement petits, et après l’avoir remplie d’une eau réfrigérante on l’introduisait dans la bouche ; des ven- touses avec une pompe à air (col. 719); la fameuse balance (col. 781); un appareil pour les douches locales (col. 835 et 936); un autre pour les affusions (col. 937) ; enfin un lit méca- nique (col. 892 et 944. — Voy. fig 14, p. 748). On serait étonné de trouver tant d'instruments ingénieux dans un commentaire qui est d’ailleurs entièrement scholastique, si l'on oubliait que Sanctorius était avant tout un physicien et un mécanicien, toujours en quête de nouveautés ; de sorte que la médecine statique est moins le résultat d'un système médical que l’application d’études dirigées vers les travaux de la mécanique proprement dite. Au début de son traité sur les erreurs commises par les mé- pousse dans la sonde pour maintenir réunies les trois valves par une sorte de chapi- teau triangulaire, mais à angle mousse, si je ne me trompe.—10, est la sonde arri- vée dans la vessie, et dont on a retiré la tige après l’avoir dégagée de la pointe des valves. La vessie étant pleine d’urine (on a pris soin sans doute de fermer l'orifice inférieur de la sonde), le calcul est tout naturellement porté entre les valves vers le point O ; alors on l’amène au dehors, en mème temps qu’on retire la sonde, Si le calcul n’est pas entrainé par le flot de l’urine entre les valves, on l’attire avec un siphon par la force de l’aspiration (per vim vacui). — Chez les femmes, l'opération est plus simple à cause de la brièveté et de la largeur du canal. — Haller, dans sa Broliotheca chirurgica, semble croire que le trident qui servait à maintenir fermées les trois valves pendant l'entrée de la sonde était employé aussi à broyer les calculs, mais je n'ai pas vu cela dans le texte de Sanctorius, 748 MÉDECINE SATIQUE, decins (4), Sanctorius déclare qu'il se porte le champion d'Hip- pocrate et de Galien contre les novateurs et surtout les empiri- En Le mul su Lan = Sn Li LR TE Don ju ji HI HI HIT MENU JAI Qui Il {ll & D D fi ; nr recss yes * EU) 3 A NC | DST DD My ï RS LD 0 Er 2222 UT FiG. 11. — Lit mécanique. 4) Methodi vitandorum errorum omnium qui in arte medicacontingunt, üibri XV, éd. de Genève, 4630. EUR EE D POPRS EE TERRE 10 Je his DIS SIENNE ENEREr nt F1G. 11, — Explication : « Ge lit a six usages : le premier, d'être à la fois un lit el un fauteuil ; la tringle D donne la possibilité d’abaisser ou de relever les matelas, | —— SANCTORIUS, 749 ques ; par conséquent il n’y a pas à trouver dans ce livre les ori- gines et les principes de l’iatromécanisme. Nous signalerons plus particulièrement le livre deuxième, où l’auteur, en parlant de quelques faits rapportés par Galien, montre combien se trompent les médecins sans instruction (#edicr rudes) et les empiriques, qui appliquent les remèdes sur le lieu où se passent les phéno- mênes morbides, et non sur le point de départ du mal, par exemple sur des doigts paralysés ou douloureux quand il faut remonter jusqu’à l’épine (1). À ce propos il rappelle les sympa- thies vraies ou fausses qui existeat entre les diverses parties du corps. Mais, tout en redressant les torts des autres, Sanctorius commet lui aussi d'assez notables erreurs ; par exemple, quand il suppose (II, 16, p. 106) qu’il existe une sympathie morbide par le muscle grand dorsal entre le bras etl’os sacrum, en raison de la prolongation vers les parties inférieures des insertions de ce muscle. — Au livre I, ch.14, p.195, nous voyons que les bonnes femmes et les empiriques croyaient que l’appendice xiphoïde qui termine le sternum peut tomber, et qu’on recourait à toutes sortes de manœuvres plus ou moins dangereuses pour le remettre en place. Quant aux mélanges ou altérations dont les humeurs sont susceptibles, Sanctorius se livre aux plus incroyables spécu- lations ; ilne compte pas moins de quatre-vingt mille quatre- vingt-quatre de ces mélanges (VIT, 9, p. 394 et suiv.). Un deslivres les plus curieux de ce traité, c’est le XIV°, où l’on trouve un ex- posé des théories qui avaient eu ou qui avaient encore cours sur la révulsion et la dérivation. Signalons enfin les livres XI et XII, où Sanctorius célèbre les avantages du raisonnement sur les procédés de Pempirisme ancien ou moderne. Là il reprend pour (1) Voy. plus haut, p. 234 et suiv., la célèbre cure de Galien, = a —_———— me mt couvertures, ete., E. — Le second, de permettre au malade de ne pas se lever pour aller à la selle; C est une chaise percée mobile.— Le lit peut être suspendu à l’aide du treuil et de la corde A, ou rester fixe ; c’est le troisième usage.— Les autres sont de procurer un agréable sommeil au moyen de la douce musique faite par l’entre- choquement des boules d’airain B, quand le lit est suspendu ; de pouvoir dresser, pour le malade assis, une table sur les bras du fauteuil; de transporter sans fatigue ie malade de ce lit dans un autre au moyen de la mobilité que donne la suspen- sion, et de la faculté d'enlever les bras du fauteuil. 750 IATROMÉCANISME. —- ÉCOLE ITALIENNE. son compte les principes de Galien et des autres médecins dog- matiques touchant la recherche des indications thérapeutiques; il relève et commente avec complaisance les arguments déjà fort prolixes du médecin de Pergame contre la secte empirique, et il v joint des raisons de l’ordre logique tirées d’Aristote et d’au- tres auteurs. Revenons maintenant au véritable iatromécanisme. Il est clair que la médecine statique n’a guère de mécanique que l’emploi des balances, et qu’elle ne comprend pas un sys- tème nouveau de physiologie; on n’y peut remarquer que la tentative de ramener la perspiration à une question de physique, et de rattacher les causes et la cure des maladies au défaut et au rétablissement de l'équilibre dans cette fonction (1). Il en est tout autrement dans l’iatromécanisme. Toutefois il faut croire que la mécanique et les mathématiques ne suffisaient pas à tout expliquer, ou que la chimiatrie était bien vivace, car nous en re- trouvons des fragments, pour ainsi parler, Jusque chez les mé- caniciens les plus déterminés. C’est surtout par la théorie de l'effervescence et de la fermentation, lesquelles produisent une certaine dilatation, que la chimiatrie a fait brèche dans l'iatro- mécanisme ; la fermentation devint une force motrice, comme est la vapeur. Le véritable promoteur de l’iatromécanisme, c’est Alphonse Borelli ; tous les iatromécaniciens le tiennent pour leur chef et en parlent avec grand respect, lors même qu'ils s’écartent de ses opinions, et qu’ils les combattent ; c’est donc par Borelli que nous commencerons l’exposition de cette doctrine, qui a eu près d’un siècle de durée, et qui a tenu pendant ce temps presque tous les abords de la médecine, excepté en France. Je dois vous avertir aussi, Messieurs, que je poursuivrai sans désemparer l’histoire de l’iatromécanisme jusqu’à ses dernières transformations, c’est-à-dire jusqu’au milieu du xvim° siécle. (1) Les iatromécaniciens se sont emparés de la doctrine de Sanctorius, mais seu- lement comme étant une portion de leur domaine, et en y ajoutant une théorie des sécrétions. BORELLI. — PHYSIOLOGIE. oil À beaucoup d’égards, et sous celui-là en particulier, la division opérée par la plupart des historiens entre le xvir' siècle et le xvin® est tout à fait factice : la biographie et le développement des doctrines s’y refusent absolument. Je reviendrai du reste sur cette division dans une des prochaines leçons. Je laisse de côté les spéculations mathématiques de Borelli touchant les diverses espèces de mouvements, leur direction, leur force, dans les différentes classes d'animaux ; de pareils théo- rèmes ne pouvant être démontrés ou contrôlés, ou contredits, qu’avec un appareil si particulier de formules, de figures et de machines, qu’il faudrait, pour y parvenir, des moyens de dé- monstration et des connaissances que je ne possède pas. Il est certain que c’est la partie la plus importante, la plus neuve de son livre, celle qui mériterait d'appeler l'attention et la vérifi- cation d'hommes spéciaux (1). En attendant, je dois me con- tenter d'exposer devant vous, Messieurs, les théories physiolo- giques plus accessibles à tous, et je prends pour exemple de celles de Borelli l’explication du mouvement des muscles et celle de la nutrition. Les muscles se contractent parce qu’ils se gonflent (2n/lantur) en raison de la structure poreuse ou spongieuse, d’autres ont dit vésiculaire, de leurs fibres ; ils se gonflent parce qu’il se produit en un clin d'œil (éctu oculi) une fermentation, ou turgescence, ou ébullition ; cette fermentation se développe au contact du suc ou de l'esprit nerveux, substance essentiellement corporelle, analogue à l’esprit-de-vin, engendrée dans l’encéphale et se ré- pandant à travers les nerfs (dont les fibrilles peuvent être creuses comme des joncs, guoiqu’elles ne le paraissent pas), sous l’im- pulsion du cerveau qui opère, soit spontanément pour les mou- vements vitaux et durant le sommeil, soit sous l'empire de la vo- lonté. Les esprits ou sucs nerveux agissent soit par la force du (4) Puccinotti, Sforia della medicina, t, HI, p. 109, montre que l’illustre phy- siologiste Müller à confirmé,même contre Vicq d’Azir, plusieurs des explications de Borelli, touchant certains mouvements des animaux. Mais le savant historien va beaucoup trop loin quand il veut rapprocher la doctrine de Borelli sur la cause prochaine du mouvement des muscles de celle de Haller, et surtout de celle des modernes, 752 JATROMÉCANISME. — ÉCOLE ITALIENNE, choc, soit par une certaine âcreté dontils jouissent probablement. I n’y a pas de meilleur et de plus simple moyen pour opérer le mouvement ; c’est celui que la nature, ordinairement économe, a dù employer. Ces esprits très-habilement instruits, ce n’est pas une aveugle nécessité, n1 la loi de la chute des graves qui les fait descendre; mais ils sont sous l’empire d’une habitude et d’une expérience acquises par la répétition des mèmes actes; 1ls tâton- nent d’abord, mais ils finissent par se dresser. Cependant, tout intelligents qu'ils deviennent, les esprits ne suffisent pas à eux seuls pour produire le gonflement et, par suite, le mouvement des museles; 1ls ont besoin du concours du sang, parce que leur action s’affaiblit en route, et par le mélange d’autres sucs, la lymphe, par exemple ; mais c’est tout le contraire qui arrive par le mélange du sang et du suc nerveux : au contact de ces deux fluides, il se produit une opération chimique, une fermentation; le gonflement, la désplosion arrive à sa plus haute puissance, et le muscle se meut ! Quelle que soit cette puissance, elle est bien petite en comparaison des prodigieux effets qu’elle produit ; les muscles, sous celte double action du sang et du suc nerveux, déploient une force immense (À). Messieurs, je livre à vos méditations ces sublimes conceptions; je n’y ai rien ajouté, je n’en ai rien retranché. Même au xvir siè- cle, on avait élevé quelques doutes sérieux contre ces explica- tions, mais Borelli (prop. 28) n’a pas plus de peine à détruire les objections qu'il n'avait mis d’hésitation à proposer et à sou- tenir ses hypothèses. Ce n’est pasloul: ce suc nerveux et ce sang dontnous connais- sons les merveilles ne servent-ils qu'à mouvoir les muscles ? Non, certes ! — La nature n’est pas aussi prodigue; elle les em- ploie à un usage non moins important, à la nutrition, et voici comment (2): Borelli suppose qu'il y a deux parties dans le chyle (1) De motu animalium, pars 11, cap. 11, vrop. 22, 27, 29; voy. aussi pars I, Cap. XVI El XVII. (2) De motu animalium, pars I, cap. xvi, prop. 99-104, — Voy, aussi tout le chapitre x1, De fluxu substantiae spiriluosae per nervos. BORELLI., — PHYSIOLOGIE, 753 gastro-intestinal ; que l’une, la plus pure, est absorbée par les chylifères dont les orifices sont configurés pour cela; que l’autre l'est par les veines mésaraïques dont les orifices sont également disposés de façon à recueillir à la fois le chyle grossier mêlé avec la bile et le sang artériel, pour porter le tout au foie (1). Le sang est la vraie et principale matière dont se nourrissent toutes les parties du corps; l’a/bumen du sang répond exactement par ses qualités à l'albumen de l'œuf; le sang refait les parties perdues, etilest aussi le véhicule de l'aliment (nutrimentum).On objecte que l'épuisement par la faim ne diminue pas sensiblement la masse du sang (2), et qu'une hémorrhagie, à moins qu’elle ne soit trés-abondante, n’affaiblit pas en raison de la perte de sang. Il en faut conclure, non pas que le sang ne sert pas à la nutrition, mais qu'il a besoin du suc spiritueux des nerfs, ainsi que l’admettent les modernes (3). Comme la petite quantité de suc nerveux ne suflirait pas à réparer tant et de si continuelles pertes, on doit dire que ce suc donne aux parties reconstituées par le sang, la forme, la faculté vitale et animas- tique. Si donc, après une ample hémorrhagie, l'animal n’est pas (4) Borelli compare, comme le faisaient les anciens, les radicules veineuses à des sangsues dont les bouches absorbantes choisissent ce qui leur convient. Galien et les autres physiologistes de son école, ne connaissant ni les chylifères ni les lympha- tiques, avaient attribué aux veines gastro-intestinales le pouvoir d’absorber les élé- ments de lanutrition. Au xvii® siècle, on avait presque oublié les veines pour ne plus voir que les chylifères et les lymphatiques. — Borelli fait exception à la règle, et se rapproche de la théorie actuelle, — Au xvi siècle, divers physiologistes ontrefusé, en vertu d'expériences peu concluantes, le pouvoir absorbant aux veines gastro-intestinales, Aujourd'hui on admet ces deux agents de l'absorption qu’on pourrait appeler digestive : les chylifères et les lymphatiques, d'une part ; de l’autre, le système de la veine porte, qui se distingue des chylifères en ce que ses radicules intestinales n’absorbent pas sensiblement les matières grasses (voy. Béclard, Traité élém. de phys., p. 165); en d’autres termes, les chylifères prennent de l'aliment tout ce dont les veines ne veulent pas. — On recornait aussi d’autres voies d'absorp- tion : la peau, la muqueuse pulmonaire, les cavités closes, etc. (2) Quelques personnes, dit Borelli, pensent que chez les individus morts de faim, le sang, réduit à un état de vappidus fluor, a perdu ses parties glutineuses ou alimentaires, On sait aujourd’hui que, dans la mort par inanition, le sang perd environ la moitié de son poids, et que les globules disparaissent peu à peu, (3) Surtout d’après l’école anglaise, — Voy. p. 641 et suiv, DAREMBERG, 48 154 IATROMÉGANISME. — ÉCOLE ITALIENNE. très-débilité, c’est qu'il reste du suc nerveux ; si, au contraire, on meurt de faim, c’est que le suc a disparu entièrement. N'est-ce pasici le cas, ou jamais, de répéter le mot de Molière: Voilà pourquoi votre fille est muette ? Ce n’est pasencore tout : il s’agit d'expliquer mécaniquement la nutrition. Comme ce ne sont pas seulement des liquides, mais des parties solides qui se dissolvent et s’évaporent, il reste néces- sairement des cavités, le sang s’y précipite comme un coin ; mais toutes les particules sanguines ne peuvent pas indifféremment pénétrer dans toutes les savités ; chacune prend ce qui lui con- vient en raison de la dimension de ses orifices, comme cela se fait dans un crible ; l'air aspiré par la bouche, ou absorbé par la peau, aide par son impulsion à l'incunéation (adjrvat incunea- tionem) des particuies nutrilives, en même temps que par son élasticité et son impétuosité il conserve ct augmente le mouve- ment vital. Le moment le plus favorable & la nutrition, c’est le sommeil, parce qu'alors le suc nerveux dispose sans distractions de son activité et de ses propriétés. Maintenant que nous connaissons quelques-uns des points es- sentiels de la physiologie de Borelli (1), voyons quelles applica- tions it en a faites à la pathologie. Si l'on ne peut admettre, dit Borelli (2), la division du con- tinu (prop. 205) et la dissolution de la texture des fibres ner- veuses (prop. 206), pour expliquer la sensation etles mouvements douloureux, il n’y à plus que l'ébranlement ou la titillation (4) Sur là respiration, Borelli ne sait rien de précis; il suit en grande partie Malpighi; il pense en outre que les atomes aériens (aeris machinulae) en pénétrant dans le sang par les poumons, produisent dans le liquide un mouvement oscitla- toire, comme celui du pendule (Pars 11, cap vi, prop. 115 et 416). C'est une vis motiva Ôt vitalis ; elle est une des principales causes de l'entretien de la vie, laquelle sé résume en un Mouvement continu. Il a fait de curieuses expériences sur la ger- . mination des plantes (Cap. Xi), et combat avec assez de viva ité une partie de la néorie de Harvey touchant la génération des animaux (cap. xiv). — Quant aux sécré- tions (cap. 1x), elles peuvent s'accomplir dans les grands vaisseaux parfermentation, ct dans les petits, comme dans les reins, par une nécessité mécanique, Cn raison de l'étroitésse ct de la configuration des canaux. (2) De motu animalium, pars H, cap. xviu, prop. 207, De motibus dolorficis. l 7 BORELELIL — PATHOLOGIE, 755 (vellicatio), comme est la sensation produite sur le tympan par le grincement d’une scie, et la corrosion de ces fibres qui puis- cent les produire. Les fibres nerveuses étant en effet très-sen- sibles, et les sucs spiritueux contenus dans leur moelle spon- gieuse élant aisément irrités , il en résulte qu’agités d’un mouvenent irrégulier et troublé, ces sucs peuvent commu- niquer au cerveau des ébranlements conformes, assymètres, qui amènent cel état convulsif, désagréable et tourmentant que lon appelle douleur. Le traitement des sensations douloureuses prouve aussi qu’elles tiennent à la vellication. Un léger contact, le frottement d’un fétu, la piqûre d’une mouche dans les narines, aux sourcils, au front, causent à quelques-uns une sensation si désagréable que pour s’en débarrasser ils se donnent des souf- flets, se frappent la tête contre les murs etse déchirent avec leurs ongles jusqu'à effusion du sang. Sila vellication demande un re- mède aussi énergique que sont la corrosion et le déchirement de l4 peau avec les ongles, il fautcroire que la sensation produite par un fétu ou le contact d’une mouche est bien plus douloureuse que la corrosion et la lacération des nerfs quisontramifiés dans la peau. Ainsi, l'importunité douloureuse consiste seulement, de sa na- ture, en une vellication et en un prurigo des nerfs, parce que les esprits animaux, contrairement à leur état normal, sont irrégulié- rement agilés dans le cerveau. De là vient l'action calmante des narcotiques contre les vellications internes dolorifiques. Ainsi les douleurs de dents sont quelquefois apaisées par d’ineptes paroles que murmurent des charlatans, parce que la croyance absolue où est le malade qu’il peut en obtenir du soulagement, donne aux esprits animaux une direction contraire qui interrompt et enlève entièrement la commotion vellicatrice. La manière dont on traite cette contraction convulsive de la jambe qu’on appelle granchio en italien (crampe?), vient encore à l’appui; car si l’on agite violemment la jambe malade en la tenant par le talon, cette incommodité disparaît instantanément. Il faut donc qu’un nou- veau mouvement trouble et arrête l'autre mouvement dolorifi- que de vellication. La lésion des organes (prop. 209) produit l’état de lassitude douloureuse de trois manières : 4° quand l’obstruction des voies 756 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ITALIENNE, empêche les sucs spiritueux d'arriver aux muscles et de les gon- fler pour les mouvoir ; 2° lorsque les fibres des muscles et des tendons sont disjointes, lacérées, et ne peuvent se mouvoir sans douleur ; 3° quand les mouvements sont interrompus par des ordures qui se sont glissées entre les fibres (sucs âcres irritants, ou visqueux et excrémentitiels), de même que la poussière ou la rouille arrête les rouages d’une pendule. Il suffit d’énoncer ces trois propositions sans les accompagner des explications four- nies par Borelli, pour juger la pathologie générale du chef de l’iatromécanisme ; j'ajoute seulement quelques lignes pour indi- quer jusqu'où pouvaient aller ces explications. On observe aussi l'inertie, la torpeur, la lassitude en certaines maladies aiguës, dans lesquelles les forces s’affaissent un instant, non que les es- prits fassent défaut, mais parce qu'ils ne peuvent être amenés à mouvoir les muscles. Celte conjecture se tire de ce qu'après le paroxysme les forces reviennent sans qu'on ait donné de nou- velle nourriture ; et même, si le phrénitis survient, les esprits meuvent fortement les muscles ! Le repos guérit de deux manières la lassitude : 1° en faisant disparaître la lésion et la vellication des fibres des muscles; 2° en réparant peu à peu les particules lésées et perdues, celles qui avaient été déplacées reprenant leur position habituelle, et les parties disjointes s’agolutinant par l’arrivée du suc nutritif. Ces opérations sont dues à un cerlain sens reconstituant plein de sua- vité: « Quae omnia suavi quodam sensu refectivo contin- qunt.» Passons maintenant, si vous voulez bien, Messieurs, à la défi- nition classique de la fièvre, où l’auteur montre l’impropriété de cette définition (cap. xxi1, prop. 220). On a donné le nom de fièvre à un certain état d’incandescence du mouvement du cœur etdes artères (ou plutôtdu sang qui y est contenu), incandescence qui provient non de la colère ou d’un mouvement véhément du corps, mais qui estspontanée et perma- nente, à laquelle se joint ordinairement une chaleur brülante de tout le corps, et que suivent d’auires symptômes, la langueur, la faiblesse, la douleur, etc. On définit encore plus brièvement la fièvre, un feu allumé dans le cœur, Ensuite les fièvres se subdi- BORELLI. — PATHOLOGIE. 751 visent en #ntermittentes, continues, périodiques, irréqulières ; es unes débutent par le frisson et le froid, d’autres par la chaleur ; celles-ci sont très-ardentes, celles-là sont exemptes de chaleur ; quelques-unes enfin sont très-pernicieuses. Quant aux causes de l’incandescence fébrile, on croit que la cause efficiente est la chaleur native du cœur, et que la cause ma- térielle réside dans le sang lorsqu'il pèche par la quantité ou la qualité; de sorte que, semblable au bois, il alimente le feu. Puis, comme le plus souvent les fièvres ont des périodes fixes de durée et de rémission, et reparaissent en des temps déterminés, plus exactement qu’une horloge, il faut qu’il se produise dans le sang, ou qu'il lui soit communiqué d’ailleurs, quelque chose qui, à chaque période fébrile, dans une mesure régulière, dans une proportion et un temps égaux, puisse rallumer la fièvre; c’est, à leur avis, une humeur excrémentitielle et corrompue, cachée dans une mine, et qui, grandissant peu à peu, en un mo- ment déterminé, affecte le sang et le met en effervescence. Cette mine ou foyer, selon le sentiment vulgaire, se trouve dans les veines mésaraïques ou ailleurs ; les quatre humeurs tradi- tionnelles en sont la matière. Ce sentiment a été rejeté à juste titre après la découverte de la circulation, puisque le sang ne s’arrête ni dans les vaisseaux mésaraïques ni ailleurs, et que nulle part, dans le corps de l'animal, on ne peut trouver, sans une tumeur considérable ou quelque abcès, un lieu de retraite ou un antre, pour tenir les humeurs en réserve. Cette fable s’évanouit donc tout entière. Cette réfutation de l'opinion ancienne est vive, spirituelle eten soi concluante ; Borelli triomphe non moins aisément de la théorie de Descartes (prop. 221, et voy. plus haut p. 705), de celle qui donne à la fièvre pour origine la trop grande abon- dance, la turgescence du sang et l’irritation du cœur (prop. 222), et de cette autre où un excès de soufre arrivant dans le sang par le chyle allume l'incendie (prop. 123 et 124). Le terrain une fois déblayé par une critique impitoyable, Borelli cherche tout na- turellement à y reconstruire ses propres hypothèses pour expli- quer à son tour le mouvement fébrile (prop. 225). La proposi- tion fondamentale est celle-ci: « Les esprits ou sucs nerveux > 758 TATROMÉCANISME, — ÉCOLE ITALIENNE. dévenus plus âcres qu’à l'ordinaire, en irritant les nerfs et le cœur, sont la cause productive première et immédiate de lin- candescence fébrile. » Remarquons d’abord, continue Borelli, que le signe ou le ca- ractère propre de la fièvre est le pouls avec commotion véhé- mente du cœur ct des artères; la chaleur et les autres svm- ptômes suivent, cela est universellement admis. Une commotion violente du cœur est la cause effective de la chaleur du corps, mais n’ajoutons pas, en retournant les termes, que la chaleur du corps est la cause productive d’un mouvement violent dw cœur, car la chaleur de l'été, celle des étuves, de l’ingestion d'eaux thermales ne sont pas nécessairement suivies de com- motion du pouls. La même cause qui, dans l’état de santé, agile le cœur par un mouvement doux et mesuré, déterminera, lorsqu'elle aura pris un excès de force, un mouvement plus accé- léré et plus fort. Le même feu qui donne une chaleur faible et tempérée, donnera, si l’on s’en approche ou qu’on en augmente l'activité, une chaleur plus ardente; de même, sous l'empire de la volonté, par l’entremise de l'esprit ou du suc nerveux, les muscles des mains, des picds et des autres parties sont agités d’un mouve- ment tantôt doux ct lent, tantôt véhément et rapide. Puisque le cœur, à l’instar d’un automate, peut éprouver spontanément des pulsations successives, indépendamment de l'empire dela volonté, il faut que le même esprit ou suc distil'é par les nerfs dans Île cœur (comme il a été dit ailleurs, cap. vi, prop. 77), produise des pulsations du cœur par un mouvement doux et lent en l’état de santé, véhément en l'état fébrile, lesquels ne différent que par des degrés de plus ou de moins. Il suffit donc, pour que le mou- vement du cœur devienne plus grand et plus accéléré, que ce suc spirilueux, en prenant plus d’âcreté, soit instillé plus sou- vent et plus abondamment dans le cœur (1), d’où résultent une (1) Borelli remarque que la seule odeur du vin ou d'un spiritueux répare mer- veilleusement les forces languissantes d'un animel affaibli, et augmenfe en un instant les pulsations ralenties du cœur, quoique, ajoute-t-il, les fumets odurants ne se communiquent pas au cœur par les veines ou par les bronches du poumon. Puis aussitôt, reprenant ses explications mécaniques, il‘parait admeïtre que les parti- cules odorantes s'insinuent à travers les nerfs jusqu'au cerveau, qui excité alors BORELLI. =— PATHOLOGIE. 759 agitation de ce viscère et une augmentation de la chaleur natu- relle. On ne doit pas chercher l'origine de eet accroissement de chaleur (1) dans le mouvement d'accélération du sang en tant que mouvement, mais plutôt dans la nature du sang : le sang con- lient en effet un esprit ou huile, ou mieux des particules ignées à demi éleintes (sopitas) ; s'il arrive qu'elles soient délivrées des liens qui les. retenaient, de façon à pouvoir exercer le mouve- ment qui leur est propre, alors elles manifestent la chaleur au sens. Si cela n'arrive pas par le froissement ou Fécrasement (ex attrilu) des parties du sang hélérogènes, du moins la cha- leur ct l'ardeur peuvent se montrer par suite du mélange avec les sels lixiviaux (a/calins) dispersés dans les viscéres ct les autres parties cachées auxquelles (à sang parvient en raison de la violence avec laquelle il est poussé p K cœur. C’est ainsi qu'il arrive dansle mélange du vitriel et da Lot ou jlutôt, c'est ainsi que les choses se passent dans les expériences de Willis. Ce mé- decin, melant de lesprit-de-vin à du sang extravasé chaud, ou de la corne de cerf, ou de Ja suie, ou du vitriol, eu une autre liqueur spirilueuse ou saline, a vu une merveilleuse ébullition et cfer- vescence se produire dans le sang. En vérité, Messieurs, ce n'élait pas la peine de se moquer si lost de Descartes, pour substilucr à ses erreurs des erreurs non moins monstrueuscs. Mais poursuivons; il faut vous ménager d'autres surprises, particulièrement en ce qui touche les fièvres istermillentes (ch. xx, prop. 227-228). Pour bien faire connaître la nature de la fièvre, il ne suffit pas de démontrer que le suc nerveux fermenté et devenu âcre peut, en arrivant au cœur et en lagilant avec violence, pro- duire l'incandescence fébrile, il faut encore tenir compte des causes prochaines qui altèrent ce sue et des lieux où se font ces allérations. Pour cela, il convient d'observer sur les cadavres les effets produits par la fièvre : on ne constate alors aucun changement notable dans le sang, mais on trouve souvent les excite à son tour le cœur. Il invoque aussi à l'appui de sa thèse les passions de l’âme qui, agréables ou dépluisantes, agitent le cœur. (4) Voy. plus loin l'opinion contraire de Pitcairne (École anglaise). 760 IATROMÉCANISME, — ÉCOLE ITALIENNÉ. poumons enflammés, ulcérés, quelquefois cancéreux ou par- semés d’exanthèmes ; souvent aussi des lésions de la rate et du foie, mais le plus ordinairement la rate durcie et squirrheuse ; les glandes sont toujours dures et squirrheuses, ou jaunâtres et livides, surtout dans le mésentère. La rougeur dont les poumons sont saturés n’a certainement pas été la cause de la fièvre, ni même l’inflammation de ce viscère ni toute autre lé- sion, puisqu'on observe celte rougeur dans les cadavres d’a- nimaux sains ; elle est produite chez les moribonds par suite de la cessation de la respiration, tandis que les battements du cœur continuent encore; celte abondance de sang qui est ramenée aux poumons s’y arrête aux confins de la vie et les gonfle, alors que la respiration étant éteinte, ils ne peuvent se débarrasser de cette abondance de sang (1). Secondement, le éabes et la pustu- lence de ces mêmes poumons est rarement la cause, même éloi- gnée, de la fièvre, tandis qu’elle en est très-souvent l’effet, car on n’observe pas cette corruption des poumons dans tous les ca- davres des fébricitants ; chez les asthmatiques, au contraire, les poumons sont lésés et pleins de pus sans qu’il y ait eu de fièvre; c'est donc un peu avant la mort que s’opère cette corruption ; ou si elle a précédé, elle ne sera pas la cause immédiate de la fièvre. Reste donc seulement à tenir compte des lésions des glandes, lé- sions qu'on observe toujours dans les cadavres des fébrici- tants. En outre, il résulte des observations du savant et ingénieux Wbarton (2) et d’autres auteurs, que dans chacune des glandes de l'animal se ramifient des nerfs, des artères, des veines et des vais- seaux lymphatiques, étendant leurs nombreuses racines à l’instar des arbres; dans quelques-unes même apparaissent manifeste- ment des conduits et des canaux excréteurs; tels sont les canaux (4) Ces espèces de pneumonies ou plutôt d’engorgements hypostatiques et de la dernière heure sont assez fréquentes sans doute, mais il semble évident que Borelli a dù confondre bien souvent ces hypostases avec la vraie pneumonie qu'il consi- dérait comme une fièvre ; et, j'en demande pardon à sa mémoire, ce qui suit sur les rapports de l'anatomie pathologique de ce viscère, de Ja rate et du foie avec l'état fébriie, ne porte aucun des caractères de la bonne observation clinique. (2) Voy. plus haut, p. 641 et suiv. BORELLI, — PATHOLOGIE. 761 salivaires et les conduits du pancréas. Il résulte de cette struc- ture que les glandes sont autant d'officines où s’opêre quelque œuvre importante. Mais quelle est cette œuvre? Peut-être le sang artériel est-il dépouillé dans les glandes de quelques im- puretés et humeurs séreuses qui sont reçues par les vaisseaux excréteurs, les salivaires, par exemple; mais s’il en était ainsi, à quoi bon ici un nerf ramifié, puisque les glandes n’exercent aucun mouvement, ni n'éprouvent aucune sensation? Il faut donc que, dans les glandes, les racines nerveuses ou reçoivent quelque chose des artères, ou que les nerfs rejettent et vomis- sent quelque chose dans les vaisseaux destinés à la réception, tels que les veines, ou dans les vaisseaux destinés à l’excrétion comme les conduits salivaires. Il ne parait pas vraisemblable que les nerfs dans les glandes reçoivent du sang des artères, puisque les artères allant en grand nombre au cerveau peuvent, avec bien plus de célérité, y fournir du sang [pour la fabrica- tion du suc nerveux], tandis que, au contraire, on forcerait difficilement les nerfs à mendier du sang dans les glandes. Il paraît donc plus vraisemblable qu'un certain suc arrive des nerfs dans les glandes, suc d’une nature spéciale, déterminée selon la différente figure et capacité des orifices des nerfs (ostiola nervorum); lequel suc, mêlé ensuite aux particules émises par le sang artériel, devient apte à opérer quelque action dans les diverses parties de l'animal, comme dans la bouche, l’œsophage, l'estomac, les intestins, et ailleurs, pour la fermentation et la digestion de la nourriture; puis à remplir ses fonctions propres, c’est-à-dire la nutrition, la vivification et le mouvement. Il n’est pas impossible que ces sucs destinés à être chassés des nerfs et déposés dans les glandes soient, par accident, re- tenus dans ces mêmes nerfs, lorsque, par exemple, les con- duits et les orifices des ramuseules nerveuses aboutissant aux glandes se trouvent bouchés par suite de pléthore ou par un certain gluten contenu en eux ; ces sucs retenus dans les nerfs peuvent alors facilement, par une espèce de fermentation, re- vêtir une nature étrangère nuisible à l'animal. On sait, en effet, que la semence génitale, destinée, dans un animal bien consti- 762 IATROMÉCANISME, — ÉCOLE ITALIENNE. tué, à être expulsée pour la généralion, si elle est retenue lon- temps, se corrompt el porle dommage. Il est donc évident que le cerveau peut être affecté d’irritation ou de commotion (1), et que celle commolion désordonnée des esprits ou du sue nerveux peut également se propager rar les nerfs jusqu'au cœur. Ainsi, c’est dans [es olandes et les racines de leurs rameaux nerveux, quand elles sont obstruées et irritées, que les sucs nerveux entrent d'abord en fermentation. La cause de la fermentation est la rétention violente des parties qui devaient être séparées des nel fs, où une Souillure qui leur a été communiquée, laquelle peut galement, à cause de la rétention, produire lintempérie des es its ; à leur tour, ils excitent À ne fébrile quise ma- nifeste plus où moins rapidement, suivant que les désordres (0b- struclion et FUI) se produisent avec plus ou moins de promplitude dans les glandes, le suc nerveux et les nerfs. Cherchons maintenant la cause di frisson et du froid par lesquels débutent quelques paroxysmes fébriles. On scra peut-être en mesure dela connaitre si lon considère qae le sangn rest jamais entiérement purgé du sérum de l'urine, puisqu’après avoir été privés de boisson pendant deux ou trois jours les animaux uri- nentencore. Il peut donc arriver que, dans les glandes obstruées, les artères vomissent des particules nitreuses eLautres sels qui, par l'effet d’un ferment spécial né dans les glandes mal disposées, acquièrent une nalure cuivreuse et frigorifique; puis, que la piéthore et lobstruction, étant complètes, ces particules soient portées des glandes par les nerfs au cerveauct à la moclle épinicre (il ya en effel une voie courte et directe des nerfs du plexus abdo- minal qui communiquent aux lombes dans Fépine du dos!); or comme Îles fibres nerveuses sont aisément excitées ctirritées, elles produiront, au début du paroxysme, la sensation de tremblement et de froid, à cause de la nature particulière du mire. Celle contraction et ce tremblement causent la torpeur des esprits, et de là un pouls serré et petit; cela aura lieu lors- que la commotion du suc nerveux est faible. Il est possible de se rendre compte d’une autre manière du froid au début du pa- (1) Le texte porte communicatio; mais ne faut-il pas commotio? Le contexte semble exiger cette correction. BORELLI, —— PATHOLOGIE. 763 roxysme. Si des glandes obstruées, altérées par le ferment, il se communique au cerveau par les nerfs un suc semblable à l'esprit de vitriol, et si l’on suppose que les artères laissent dans la moelle épinière des sels urineux, qui reliennent la nalure ammoniacale (c’est avec l'urine, en effet, que l’on fabrique les sels ammonia- eaux), et se trouvent mêlés avec les esprits cuivreux, ccs sels sont en état d’exciter une effervescence froide, comme on voit un mélange arüficiel bouillir en développant un grand froid. Ces deux causes peuvent donc être assignécs au frisson, au trem- blement et au froid, surtout dans la région dorsale de la moelle épinière; on remarque en même Lemps la lorpeur des esprits et la petitesse du pouls, parce que le cœur n’a qu'un mouvement languissant, el que cette ébullition froide ne disparait pas tout à coup. Après avoir expliqué (voy. aussi prop. 280) comment le pa- roxysme fébrile est parfois diminué dans les fièvres continues, et complétement éleint dans les fièvres intermittentes (1), Borelli s'attache, dans la proposition suivante, à fournir égale - ment l’explicaltion de ec phénomène singulier, le retour à heure fixe des accès dans les fièvres intermiltentes : nœud très-difficile à dénoucr, difficillimus nodus dissolvendus, pour me servir de ses propres expressions. Un premier paroxysme ne peut exister qu'à la suite d’une irritalion du cœur par les sucs nerveux; si l'ob- struction, l’irritation ou là mordicalion (ve{licatio), en raison de la quantité proportionnelle du ferment avec la masse du sang et la capacité des vaisseauxgne reviennent que toutes les vingt- quatre, les quarante-huit où les soixante. douze heures, le retour du second paroxysme et des suivants sera retardé d’autant, ct “vous aurez une fièvre quotidienne, tieree ou quarte. Vous le voyez, Messieurs, rien de plus simple et de plus vrai- (1) En raison de l'excitation que le cœur recoit des sues nerveux fermentés (voy. plus haut, p. 759}, ce viscère bat plus fort, ct par conséquent désobstrue en partie ou totalement, soit pour un temps, soit pour toujours, les orifices des nerfs dissérninés dans les glandes, disperse et même expulse les matières fermentescibles, Voilà comment il se fait que les paroxysmes sont plus où moins rapprochés, plus ou moins francs, et que la fièvre diminue ou cesse par intérvalles, ou disparait complétement ! 764 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ITALIENNE. semblable qu’une pareille explication ; c’est ce que Borelli appelle une explication où il ne reste rien d’ambiqu ni d'incertain. Vous ne serez point étonnés, Messieurs, que les indications thérapeutiques, dans la fièvre intermittente, soient rigoureuse- ment tirées de celte belle théorie. Puisque la rémission du pa- roxysme dans les fièvres intermittentes est une sorte de guéri- son temporaire, et la cause qui en produit le renouvellement, une nouvelle fermentation née des reliquats du ferment resté à l’état latent dans les glandes ; d’où il résulte manifestement qu’on n'obtiendra la cure absolue de la fièvre que lorsqu'on aura at- ténué et éliminé entièrement le ferment fébrile. Dans la fièvre catarrhale, c’est par l’atténuation du ferment, par son excrélion à travers la peau, les poumons, la bouche et les narines, que s'opère la guérison. Eh bien ! il en est de même des autres fièvres (1) : tout se réduit à atténuer et à désobstruer par les voies naturelles. Borelli est d’avis que jamais ou rare- ment les fièvres ne sont guéries par d’abondantes déjections et purgations d’humeurs, car le ferment fébrile est ordinairement de peu d'importance; c’est ce qui ressort de la cure des fièvres intermittentes avec le quinquina; cette plante, en effet, enlève la fièvre sans produire aucune déjection, soit par le ventre, soit par les sueurs, soit par les urines. Il suffit donc que ce léger fer- ment soit expulsé hors des nerfs, ou se trouve mêlé et confondu avec les autres humeurs, ou que son mouvement fermentatif soit arrêté, engourdi ou changé. Cela ressort évidemment encore de ce que, si opiniâtre qu'elle soit, la fièvre quarte est quelque- fois guérie par un simple sentiment de colère, d'angoisse ou de crainte. La raison en est sans doute que le mouvement véhément eltrès-accéléré des esprits ou des sucs nerveux peut troubler, arrêter et changer le mouvement fermentatif de ces mêmes sucs, de sorte qu'après l'entrée en scène d’un mouvement nouveau, la fièvre peut être entièrement éliminée. Aussi Borelli est-il d’avis que la guérison de ces fièvres est due le plus souvent à un effort (1) Notre iatromécanicien Magendie, qui fut malheureusement chargé d’un ser- vice d'hôpital, ne trouvant dans ses doctrines aucune base pour la thérapeutique, se contentait du moins de passer la revue des malades et ne prescrivait rien, J'ai été mainte fois témoin de cette pratique à l'Hôtel-Dieu, BELLINI — PHYSIOLOGIE. 765 spontané de la nature ; il convient et admet que, quoique les re- mèdes usités soient fort incertains, l’art d’un habile médecin peut aider cet effort de la nature. Du reste, ajoute-t-il, le plus sou- vent on doit regarder comme salutaires les fièvres dans lesquelles, soit que le médecin opère bien et selon Part, soit qu'il traite à contre-sens, soit qu'il ne fasse rien, les malades guérissent par- faitement! IL est impossible qu'un médecin donne, par esprit de système, une plus déplorable idée de son sens pratique. L'œuvre de Laurent Bellini, disciple de Borelli et de Redi, se compose de trois parties (1): 1° Anatomie et physiologie de l'or- gane du goût (Bononiae, 1665), où, après avoir combattu les opinions anciennes, particulièrement celle d’Aristote, il établit que la diversité des saveurs dépend de la forme des sels et n’est perçue que par les papilles de la langue (2); Anatomie des reins (Florentiae, 1672); — 2° ses Opuscula practica, de urinis, pul- sibus, sainquinis nussione et febribus, necnon de capitis pecto- risque morbis (Bononiae, 1683); — 3° ses Opuscules phystolo- giques, adressés à Archibald Pitcairne (Pistorii, 1695). Il n’y a rien, dans la littérature médicale, de plus pompeusement vide, de plus obscur et de plus impatientant, que les Opuscula ad Pitcarnium (3), malgré quelques remarques ingénieuses ; quand on y est revenu à plusieurs reprises, on n’est pas encore sûr d’avoir à peu près deviné la pensée de l’auteur au milieu d'un cliquetis de paroles, d'afflirmations sans preuves ou de raisonnements enchevêtrés et peu concluants, malgré les ap- parences de la rigueur mathématique ou lintervention d’ex- (1) Plusieurs ouvrages annoncés par lui ou n’ont pas été rédigés, ou sont perdus, ou sont restés en manuscrits dans quelques bibliothèques. (2) Bellini assure n'avoir pas lu les Lettres de Malpighi et de Fracassati, publiées dans cette mème année, un peu avant son traité, et ne les connaitre que par Borelli, — Il avait dit, dans sa Préface au traité De l'organe du goût, la même chose touchant le livre d'Eustachi sur la structure des reins. Il cite tous ceux qui se sont occupés de ce sujet pour les critiquer et ne parle pas du célèbre Libellus de renibus, publié en 1563. — Voy. plus haut, p. 329. (3) Haller, dans sa Bibliothèque de médecine pratique, dit: « Huic libellorum collectioni potissimum contortuplicatum et anxium calamum adhibuit, » 766 IATROMÉCANISMÉ. ; ÉCOLE ITALIENNE, périences nombreuses, mais mal dirigées, ct qui ne prouvent pas où qui sont trop souvent des prétextes à déclamations (1). Les Opuscula ad Pitcarnium comprennent, en une série de cinquante-trois propositions, des remarques sur le mouvement du cœur dans l'utérus et hors de l'utérus, sur l’œuf, l'air qui y est contenu et la respiration de l'œuf, sur le mouvement de la bile, les ferments, les glandes, les émissions sanguines, Ja con- traction naturelle de la fibre contractile, le stimulus ou les exci- tants. i C'est le suc nerveux qui fait contracter le muscle des ventri- cules et des oreillettes, ainsi que tous les autres muscles; mais, comme ces deux parlies du cœur ne se meuvent pas en même temps, il faut que Îs suc qui agit sur les oreillettes ait quitté les nerfs qui s’y rendent pour aller à ceux des ventricules lorsqu'ils entrent en mouvement. L'animal périrait si, des deux côtés, le mouvement élait perpétuel (2). Comme si, en réalité, la systole et Ja diastole des parois des quatre cavités(3) ne formaient pas cette espèce de mouvement perpétuel que Bellini redoute tant! Après avoir posé ces deux questions, qu’il ne résout pas (4): La semence est-elle comme les graines des plantes qui contien- nent ou qu’on croit contenir toutes les parlies de la plante elle- même, avec la seule différence du petit au grand (théorie de l’évolution défendue par Malpighi, et plus tard par Haller)? Dans la semence existe-t-1l seulement quelque chose de transmutable et qui finira par devenir cœur, cerveau, sang, fluide nerveux; (1) Au tieu d'étudier les faits en physicien, Bellini se plaît à pousser des cris d’admiration et à répéter que tout, dans la structure et les fonctions de l'organisme, dépasse l'intelligence humaine. Alors, il ne fallait pas viser à lant de précision ni même s'occuper de l'organisme ! (2) Beïlini, Zfolus cordis intra et extra uterum, prop. 1. (3; Le mouxement actif de diastole se passe dans les deux ventricules, puis dans les deux orcillettes ; par conséquent le mouvement plus passif de diastole s'opère suivant le mème rhythme, (4) H semble cependant pencher vers la seconde.— En pressant ses conclusions, : on serait tenté de croire que Bellini, malgré l'absurdité de la supposition, mais à cause de l’obscurité du langage, admet que, pendant la vie intra-utérine, le cœur west ni organisé ni ne fonctionne comme pendant la vie extra-utérine, et que tout se transforme, pour ainsi parler, au inoment de la naissance, BELLINI — PHYSIOLOGIE, 767 en d’autres termes, la semence est-elle composée de parties, mais de parties non définies (prop. 8, 4. Théorie de l’épigénèse, propagée surtout par Harvey et généralement acceptée)? Ce qui est certain, du moins, c'est que, eu égard au volume et à la force de cohésion, la plantule ou l'animalcule, dans la semence, diffèrent notablement de la plante ou de Panimal qui sortent de celte semence (prop. 4). Les semences des plantés, avant de recevoir le mouvement de la génération, sont pleines d’un certain liquide ou suc qui est agiié aussitôt que la génération commence. (est Ie liquide con-. tenu dans un pelit canal nerveux qui deviendra l’épine (4igne prémitive), et dans le canal auquel doit succéder le ventricule gauche, qui, chez le fœtus, est le siége de cette agitation (prop. 45). Ce liquide est fourni par lamnios (1), qui comprend 4e corps de l« semence (prop. À et 5), et, dans ce liquide (prop. 6), il y a une force légèrement agitante, suffisante pour coordonner et non pour dissoudre (2). Dans la génération, au début même, sans Je secours du cerveau, les villosités qui constituent les membranes formatrices du ventricule gauche et les membranes (4) Bellini dit, dans la Proposition 4 : « Au viteilus adhère une sicatricule, laquelle n’est pas autre chose que l’amnios ou le petit sac (ou encore le corpuscule Llañé) contenant un certain liquide suc generts avec la vraie Sermentce ou la masse du corps. » — Si on compare avec soin cette anatomie avec celle de Malpighi (dans son traité De formatione pulli in ovo et dans l’Appendéx), on restera, je crois, con- vaincu que Beilini n’a pas bien compris les descriptions de ceiui qu'ii célèbre avec tant d'éclat, et, du reste, avec tant de justice, comme le maitre des observateurs. Il sémble aussi que Beilini n’a pes lu Harvey (Exercit, de generat. animalium) ; il est certain, du moins, qu'il a peu mis à “oi ses recommandations touchant la recherche de la vérité par une scrupuleuse ct incessante observation, dégagée, autant que possible, des vaines spéculations. — J'ai laissé de côté beaucoup de détails ou incxacts, ou empruntés par Beltini à Mal; ighi, pour ne m'aftacher qu'aux ques- tons Gui touchent plus ou moins directement à la doctrine iatromécanique., — Je rémarque en passant que Harvey, pour l'anatoinie de l'œuf, ne Craint pas de rendre pleine justice à son maitre, Fabrice d'Aquapendente, qu'il appcile son praemon- strator, comme Aristote est son guide. 11 n’y a done pes licu de l'accuser d’avoir méconnu Îes dréits imaginaires de Fabrice à la découverte de la circulation. (2) Ge mouvement est expliqué par ce qui se passe dans les œufs durcis avant ou après l’incubation ; dans ces derniers, on trouve non coagulé, et même plus iluide, d'autant plus de liquide, au profit de l’amniss, que l’incubation a été plus prolongée (prop. 6), 768 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ITALIENNE. formatrices de l’épine et de la moelle épinière (1), sont douées d’une force naturelle de contraction et se renflent. Les fibres musculaires possèdent donc deux forces contractiles : l’une natu- relle, primitive et qui subsiste, soit pendant la vie extra-utérine, soit quelque tempsaprès la mort, soit quand un muscle est séparé du corps; l’autre, superaddita, postérieure à la naissance et qui se manifeste sous l'influence de la volonté (prop. 13 et 14). Cette force agitante n’est pas innée (non insita) dans le liquide de l’amnios ou des autres cavités de l'œuf; elle ne vient pas de la force fécondante ; ce n’est pas non plus la chaleur de l’incu- bation qui la produit; elle ne fait que diviser la masse totale en particules, sans en changer la nature (prop. 7 et 8). Gette force paraît résider dans l'air ou dans une partie de l'air que contient un sac particulier de l'œuf (/o/liculus aeris; chambre à air) lequel occupe la grosse extrémité de l'œuf (2). Si cet air agit quand l'œuf ne peut pas être soumis à lincubation, tout se corrompt en lui; cet air remplit, dans l’état normal, loffice de celui de la respiration sur le chyle, en atténuant les liquides et les rendant propres à la nutrition du fœtus (prop. 9 et 12). Dans le liquide primitif se trouvent le corps qui est tiré du sang, pour que puisse se pro- duire le mouvement des muscles, et le corps qui est tiré de la lymphe cérébrale pour la production de ce mouvement; ils se séparent peu à peu sous l'influence de l'air en creusant leurs ca- naux : c’est la circulation primitive qui s'opère sans que se fasse encore sentir l’action du muscle du cœur (prop. 12). Dans la se- conde phase, le cœur agit sans qu'existent le cerveau et la pie- (1) On ne voit nulle part comment Bellini fait naitre ces deux rudiments pri- mitifs du fœtus ; il s’en rapporte sur ce point à Malpighi; mais, ici encore, il com- promet les observations précises et neltes de Malpighi en les enveloppant dans son roman physiologique. Bellini explique le développement des nerfs; surtout du cœur et des vaisseaux, par le renflement mécanique des deux canaux sous l’action des liquides (prop. 11), sans le secours du cerveau, de la dure-mère, des glandes et du sang proprement dit (prop. 12 et 15). (2) Chez les animaux où les œufs ne doivent pas subir promptement l’incuba- tion, l'amnios est distant du folliculus aeris et s’en rapproche peu à peu. Tout cela est, tant bien que mal, appuyé sur les observations de Malpighi, naturae mystes, « cet homme plus grand que nature ». Ailleurs, prop. 4, Bellini dit de Malpighi : « Omni prodigio major, observatorum phoenix. » BELLINI. — PHYSIOLOGIE. 769 mère (1), en vertu de la contractilité naturelle des membranes, et, à ce qu'il semble, de l'excitation produite par le liquide sanguin et le liquide lymphatique (prop. 13). Fidèle à son système sur l’action de Pair dans la génération, Bellini, et ici 1l se rapproche un peu de la vérité, soutient que, non-seulementiln"y a pas de ferments spéciaux pour expliquer les diverses sécrétions et les dissolutions de liquides et de solides, mais que l'air est unique et vrai ferment dans le corps animal; toutefois il ajoute aussitôt, quant aux sécrétions, qu’elles s’opérent à travers les porosités artérielles par l'impulsion latérale du sang contre les parois de ces vaisseaux; ce n’est qu’une question de pression. Les glandes ne sont pas autre chose que l’enroulement des artérioles; de la diversité de forme des glandes résulte la diversité des fluides sécrétés; les maladies ne dépendent pas de l'altéraiion des ferments spéciaux et ne sont pas guéries par l'administration de remèdes spécifiques (2). La seconde partie de l’opuscule De motu cordis est plus spé- cialement consacrée à l’explication, par les lois de la mécanique et de l’hydraulique, du mouvement du sang à travers les vais- seaux; comme leur forme est conique, il y a, pour ainsi dire, deux courants : l’un central et direct, l’autre consistant en une pression latérale sur les parois (3) ; les inflexions des vaisseaux sont une cause de diminution de rapidité (prop. 15 et suiv. — Voy. aussi De motu bilis, prop. 25-29). L'opuscule De mussione sanquinis (h) est consacré à résoudre (4) Il faut, sans doute, lire dure-mère. — Voy, plus loin la théorie de Baglivi sur les mouvements de la dure-mère. (2) De fermentis et glandulis, prop. 32 et suiv. (3) I divise les canaux en borgnes ou fermés d’un côté, comme sont l'intestin caecum et les canaux aériens, qui se terminent dans le poumon aux petits sacs clos (vésicules) de Malpighi, et en ouverts à leurs deux extrémités, comme sont les vais- seaux. Les uns sont cylindriques, les autres coniques, et il en déduit la théorie de la marche des liquides (De motu bilis, prop. 30). Il a montré que la bile coulait des rameaux vers le tronc et non du tronc vers les rameaux (/b:4., prop. 31); il aurait pu faire la même observation pour les veines, les Ilymphatiques et les chylifères. (4) Cet opuscule, tout à fait théorique, est distinct de l’opuscule portant le même titre que celui que j’analvse p. 775 et qui se rapporte plus à la pratique. DAREMBERG, 49 710 IATROMÉCANISME, — ÉCOLE ITALIENNE. ce problème: étant donnés, soit le temps le plus long pendant lequel l’homme, dans son élat naturel, peut vivre sans aliments et sans perdre ses forces ; soit la quantité quotidienne de la per- spiration dans l’état naturel; soit la consommation quotidienne du sang par l’accomplissement des diverses fonctions (1), déter- miner la plus grande quantité de sang qui peut être soustraite dans cet état naturel, et dans le même temps, sans déprimer les forces et sans que le sang lui-même en perde. Il est impossible de rien imaginer de plus fulile et, parfois, de plus impénétrable que cette suite de raisonnements accumulés par Bellini pour démontrer sa thèse et pour arriver à prouver qu’on pourrait, sans abattre les forces, Uirer à un homme, en {rois jours, dix-huit livres de sang! 11 semble même que l'auteur veuille con- clure de jà que la saignée bien ménagée, en plein état de santé (secundum latitudinem sanitatis), peut non-seulement ne pas abattre les forces, mais les réparer (prop. 43 et AA). Cet éerit est dirigé évidemment contre les détracteurs ou jies prôneurs aveu- gles de la saignée ; l’auteur cherche à établir, d’après la statique, des préceptes fixes pour les émissions sanguines. Bellini pense que le temps qui peut le mieux faire juger de la force naturelle de la circulation, est le repos du sommeil; c’est surtout pendant le sommeil que le corps se refait par la nutri- tion, et surtout pendant la veille qu'il se détruit par la multipli- cité des opérations qui causent des pertes considérables (prop.A5). La force qui produit la circulation naturelle, c’est-à-dire, qui met en mouvement les muscles du cœur et de la poitrine, et pré- side à la contractilité (swperaddita ; voy. plus haut, p. 767-768) des artères, est contenue dans une quantité de sang beaucoup moindre que la masse totale de ce liquide (prop. 47 et 48) (2). Quant aux émissions sanguines, dans l’état de maladie on en règle l'emploi sur cette double considération : la force circula- toire est la même ou plus forte que dans l’état morbide; alors, (4) Le sang vicié de facon à altérer les forces équivaut au sang normal, mais dont la quantité est moindre que celle qui est nécessaire pour entretenir les forces (prop. 42 et 90). (2) On en donne pour preuve l’exiguité des nerfs cardiaques et la petitesse des artères coronaires qui fournissent la #atière de la force du cœur. BELLINI. — PATHOLOGIE, 771 nul doute, il faut saigner ; elle est moins forte, alors on doit examiner où est plutôt le péril de vie, dans l’abstention ou dans la pratique de la saignée ; en tout état de choses, ne pas diminuer le sang au delà de la quantité nécessaire pour entretenir les forces, surtout celles du système circulatoire (prop. 49). Tout cela reste dans le domaine de la spéculation. Il en est de même pour les stimulants (prop. 53) dont l’action est expliquée par le rapport de force, de faiblesse et d’exactitude des aspérités des deux corps mis en contact, d’où résultent des contractions, des distensions, des succussions dont la série varie à l’infini (1). Les ouvrages pratiques de Bellini sont un peu plus compré- hensibles que ses ouvrages théoriques, etils n’ont pas absolument perdu toute utilité. Le traité Des urines renferme quelques bonnes remarques sur la trop grande importance que les wro- manciens donnent à la seule inspection de ce liquide. Les signes que fournissent les urines ne sont ni très-certains, ni très-sûrs, ni démonstratifs ; on n’en peut tenir compte que secondairement et comparativement avec les autres signes ; on doit surtout bien connaître la qualité et la quantité ordinaires de l’urine chez les individus en parfait état de santé, et ne pas se laisser trom- per par des modifications accidentelles ou qui tiennent à des cir- constances tout individuelles ; car les urines peuvent varier dans une maladie, sans que celte maladie y soit pour rien. Les parties constituantes de l’urine sont des substances salines, terreuses, et l’eau commune ; les variétés normales ou pathologiques qui se produisent dans la quantité, la qualité ou le mode d’émission de l’urine tiennent à l'abondance plus ou moins grande de l’eau et des particules solides dont la proportion exacte est détruite; (4) Bans l’opuscule De contractione naturali in villo contractili (prop. 51), il est question de la compressibilité et de la dilatation de l'air, de la dilatation et du retour sur eux-mêmes de l’eau et du mercure, phénomènes reconnus par les phy- siciens et que Bellini invoque à l'appui de la théorie de la contractilité. Du reste, il voit la contractio et la distractio, partout, même pour la séparation du cruor et du sérum après la saignée. Dans le Corollaire de ce même traité, déductions 12 et 13, Bellini pense que dans tout mouvement il y a une certaine dépense et déper- dition de chaleur, une certaine dissolution et déperdition des parties, d’où la né- cessité de réparer ces pertes, Cette proposition mérite d’être remarquée, 772 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ITALIENNE, ilne faut faire intervenir en tout cela ni la coction ni la bile. Les nuages, suspensions et dépôts ne sont que les parties consti- tuantes de l'urine, lesquelles, n’étant plus soumises à l'agitation du sang, occupent différentes places, suivant leur pesanteur. L'urine est un excrément de toutes les coctions ; elle provient surtout des boissons; aussi faut-il qu'il y ait entre le liquide in- oéré et le liquide excrété une proportion naturelle. Il est difficile de savoir si l'urine est une partie déjà transformée en substance animale, mais séparée par la-force de la circulation et par la chaleur, ou si la partie aqueuse de l’urine n’est que du liquide aqueux non transformé. Comme Sylvius de le Boe, et dans le même sens que lui (voyez plus haut, p. 548), Bellini s'occupe de la sonorité des urines tombant dans le vase ; il l’attribue à l’intensité du mouvement d'émission et à ce que l'urine contient des matières plus ou moins sonnantes et sèches, ou plus ou moins visqueuses et humides. Les poils, les cheveux qu’on prétend être rendus par l’urine sont des filaments détachés des reins altérés. L’opuscule se termine par un recueil, avec commentaire, des passages relatifs aux urines qui se lisent dans la Collection hippo- cratique. Il faut relever, quoiqu’elles soient ou trop absolues, ou en partie fausses, et qu’elles ne reposent sur aucune expérience concluante, les propositions suivantes, dans l’opuscule Sur le pouls (4) : le sang est envoyé par le cœur seu/ jusqu'aux extré- mités des artères, et les artères se dilatent sous la pression du sang ; aussi le cours du sang diminue-t-il de plus en plus depuis le commencement jusqu’à la fin des artères; cependant Bellini admet que toutes les artères battent au même moment. Quant au mouvement de diastole des artères qui s’accomplit quand londée sanguine les quitte pour passer dans les veines, il serait difficile de déterminer si c’est pour lui un mouvement purement passif, ou s'il admet l'intervention de l’élasticité et de la contractilité de ces vaisseaux (2) : « Series arterierum seu subito restituetur, (4) Comme pour les urines, Bellini examine aussi la doctrine ancienne. (2) Voy. cependant plus haut, p.770, et plus loin, p. 776, où il semble qu'il soit question d’une contraction des artères, BELLINI. — PATHOLOGIE, 773 seu subito guodam motu rapietur introrsum. » — Les signes fournis par le pouls ne sont pas moins trompeurs que ceux qu'on veut tirer de l’urine, car toutes sortes de circonstances non mor- bides, et, en particulier, le degré d'intensité des mouvements du cœur, peuvent le changer. Gela est fort exagéré, car on peut, le plus ordinairement, distinguer les variétés morbides des varié- tés physiologiques du pouls. Après avoir défini les fièvres continues et les diverses fièvres intermittentes par la durée et par leurs caractères extérieurs, après avoir décrit, en se tenant dans les données tradition- nelles (1), leurs causes occasionnelles sous le nom d’antecedentia, leurs symptômes sous celui de conjuncta, leurs complications, ou leurs suites, ou leurs reliquats (succedentia), Bellini explique la nature de la fièvre et émet les propositions suivantes : Il n’y a pas de fièvre sans un vice du sang ; le sang est vicié eu égard à son mouvement, à sa quantité, à sa qualité, surtout eu égard à l'excès ou au défaut de cohésion ; ce qui peut tenir à une cause intrinsèque ou à l'introduction d’un corps étranger, d’où les changements plus ou moins nécessaires du pouls. Par exemple, la fièvre éphémère a pour cause efficiente le ralentissement des mouvements du sang, par suite de la diminution de la contractilité musculaire, laquelle diminution dépend d'un moindre afflux du liquide nerveux, quand c’est la tristesse qui est la cause de cette fièvre; la colère produit la même fièvre par des effets justement contraires. De cette façon, on n’est jamais embarrassé pour fournir à toute chose une expli- cation. Les symptômes, les complications, ou reliquats, ou suites de la fièvre éphémère, sont une conséquence des troubles du mouvement du sang. D’autres espèces de cette fièvre dépendent d’une altération soit de la quantité, soit de la qualité du sang. Il en est de même pour toutes les autres fièvres continues. Voici maintenant, sur les fièvres intermittentes, des proposi- tions qui rappellent, parfois en les exagérant, celles de Borelh sur le même sujet (2). (4) I semble du reste, par tout l’ensemble et par la date de ses Opuscula prac- tica, que Bellini était peut-être alors un peu moins exclusivement attaché aux dogmes de l’iatromécanisme. (2) Voy. plus haut, p. 763, 774 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ITALIENNE. La fièvre quotidienne intermittente est un vice dans la qualité du sang, vice qui, par une viscosité (/entor) adhérente aux ar- tères (1), est apte à arrêter la chaleur; cette viscosité peut être entraînée par les artères; mais, ou bien elle revient, ou il s’en forme de la nouvelle toutes les vingt-quatre heures; de là le type quotidien. Dans la fièvre tierce, cette viscosité revient tous les deux jours, et ainsi pour les autres types; seulement, on doit admettre aussi que, dans les fièvres tierce et quarte, la viscosité est plus tenace que dans la quotidienne (prop. 31, 32 et 33). Les causes des fièvres erratiques attestent qu’elles sont pro- duites par des viscosités diverses mises en mouvement en diffé- renis temps el ne reparaissant pas à jour fixe, ainsi que le démon- trent tous les symptômes. Comme il arrive souvent que, par suite des viscosités qui produisent cette fièvre et ses accès, le sang, continuellement en proie à une chaleur contre nature, perd toute son humidité, il en résulte qu’il se dessèche entiérement et se trouve disposé à la viscosité qui produit la fièvre quarte. Si la chaleur n’est pas assez grande pour dompter le froid, il arrivera que la fièvre quarte succédera aux fièvres erratiques, et les choses en demeureront là; mais la fièvre hectique se montrera si la cha- leur est, au contraire, prédominante (prop. 34). Les maladies de la tête et de la poitrine sont également expli- quées en partie mécaniquement (2) par les troubles de la circu- (4) Cette viscosité est souvent invoquée aussi pour expliquer les fièvres conti- nues, où elle est alors plus fixe et plus tenace. (2) La fumée de charbon, dans l'asphyxie, agit par compression, en suite de la dilatation du sang par la chaleur, — L'intermittence dans les battements du cœur et des artères dépend de ce qu’un obstacle empèche le fluide nerveux d'arriver régu- lièrement au cœur: par exemple, si quelque chose comprime non entièrement, mais un peu, les nerfs du cœur, et, ne permettant pas au fluide de marcher d’une façon continue, l’oblige d'attendre que l'obstacle cède ou que l'accumulation du fluide en triomphe. —La syncope est une interruption plus complète et plus longue au cours du fluide nerveux. — Si l’on veut voir comment les modernes ont à leur tour déterminé les causes mécaniques de la syncope, et par quelles expériences aussi délicates que précises ils l'ont fait, on peut consulter les Lecons de pathologie expérimentale de M, le professeur Sée, Paris, 1866, p. 209. — Voy. aussi, P. 199, sur les troubles produits par un défaut d'équilibre dans la pression artérielle ; enfin, p.213, sur les palpitations d'ordre chimico-mécanique. BELLINI. — PATHOLOGIE, 715 lation, en partie par les altérations du sang, que ces troubles ou ces altérations naissent spontanément ou qu'ils dépendent de causes accidentelles. Du reste, toutes les maladies sont sympa- thiques ou idiopathiques. Si je m'arrète un peu plus longtemps sur le traité de Bellini, De missione sanquinis, qui fait partie des Opuscula practica, que sur ses autres ouvrages, c’est qu'il représente, à mon avis, tout un côté de la doctrine tatromécanicienne, la physiologie de la saignée, sur laquelle les autres médecins de cette secte n’ont pas fourni autant de renseignements. C’est aussi la seule partie des ouvrages de Bellini où 1l soit question de la thérapeutique, et en parüculier de l'action des stimuli sur l’état du sang; car, dans les deux opuscules consacrés aux maladies de la tête et de la poitrine, on ne trouve que des descriptions et des explications. La doctrine du De sanquinis missione ne vaut assurément guère mieux que celle des précédents traités de Bellini; du moins, on rencontre çà et là quelques points importants qui ont été de nouveau étudiés de nos jours par les physiologistes les plus ha- biles, entre autres, en France, par M. Marey. Je livre les extraits et le résumé du traité De sanquinis missione à leurs médita- tions, espérant que quelques-uns, heureusement inspirés par la Muse de l’histoire, auront le courage de reprendre ces textes et d'en apprécier définitivement la valeur (1). I leur appartient de juger en dernier ressort la physiologie iatromécanicienne ; quant à la pathologie, elle ne vaut pas la peine d’une discussion appro- fondie; le peu que J'en ai dit, d’après lexamen attentif des sources, me paraît propre à décider l'opinion des médecins. La théorie des émissions sanguines repose sur ces deux prin- cipes: dans l’état naturel, quand il n’y a pas de vaisseau ouvert, (1) Les théories iatromécaniciennes sont à la fois si fausses et si obscures qu'après avoir lu tous les textes, j'ai voulu chercher quelques éclaircissements dans les historiens mes prédécesseurs ; mais je n’en ai trouvé nulle part de très-satisfaisants, ni dans Sprengel qui erre à chaque page et qui a à peine effleuré les traités dont il parle, ni même, si ce n’est pour quelques points de la doctrine de Borelli, dans les doctes ouvrages de Renzi (Histoire de la médecine italienne), ou du vénérable Puc- cinotti dans son Âistoire de la médecine, 716 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ITALIENNE. le sang coule à travers les artères, pendant la systole et pendant la diastole, avec une égale vitesse; la force du courant est me- surée par le degré des efforts de la pression qu’exercent les par- ties qui environnent les artères (pression à laquelle Bellini attri- bue une grande influence) et par le degré de puissance du cœur conire les résistances que lui opposent la colonne sanguine con- tenue dans les vaisseaux et ces vaisseaux eux-mêmes, Le sang coulant à travers les artères fait effort contre le sang qui coule dans les veines, et, quelque faculté entraïînante qu’on puisse supposer dans les veines, elle ne peut pas empêcher cet effort (1). D'une série d’affirmations qui ne reposent sur aucune expé- rience (prop. À), Bellini conclut que la rapidité du sang est plus grande après qu'avant la saignée; mais que cette rapidité est cependant moindre que celle qu'il possède pendant la saignée. Alors, en effet, tout le sang qui sort de la veine résiste difficilement au flux de celui qui se succède dans les veines et les artères qui leur sont continues, et presque tout le sang qu’appelle la saignée s'écoule. L'ouverture étant fermée, la saignée étant terminée, le sang qui succède à celui qui se dirigeait, à travers les veines et les artères, du côté de l'ouverture fermée, trouvera une plus grande résistance dans celui que la saignée altirait, et qui ne coule plus, que lorsqu’ilcoulait; ou bien sa rapidité sera moindre que lorsqu'il s’écoulait. La quantité du sang étant moindre après la saignée que lorsqu'il est tout entier dans ses canaux, la ré- sistance sera, à la vérité, plus grande que durant la saignée, mais moindre que lorsqu'il n’y a pas eu de saignée. En d’autres termes, la rapidité du sang sera plus grande après qu'avant la saignée (ce qe À. de Heyde a nié), mais moindre que celle qu’il possède lorsqu'il coule par l'ouverture de la veine (prop. 2). Notre auteur se fait les plus étranges idées sur les effets qui peuvent suivre immédiatement la saignée ; vous allez en juger par une analyse de la troisième proposition (2). (1) Souvent j'ai traduit le texte aussi littéralement que possible, dans la crainte de douner à la phrase si embarrassée de l’auteur quelque entorse préjudiciable à l'exacte compréhension de sa pensée. (2) De son vivant, Bellini, renommé comme mathématicien, musicien, poëte même, avait au contraire la réputation d’un très-mauvais praticien, où du moins xx BELLINI. — PATHOLOGIE. 771 Par la saignée seulement, et au moment même où elle est pratiquée, tout le sang retenu dans les vaisseaux, devenu plus fluide, moins cohérent dans ses parties, peut être éparpillé (dimo- veri), se raréfier, s’enflammer et fermenter d’une manière mer- veilleuse, de sorte que tout ce qui tient aux maladies, tout ce qui est digne de remarque et inattendu en elles, se produit aussitôt dans le corps. Au moment même de la saignée il peut arriver, en outré, que, sans cet éparpillement complet du sang, la séparation (sécrétion) de quelque humeur ou sa dérivation dans les canaux soit entièrement supprimée ou diminuée, qu’une autre humeur augmente, qu'une autre soit viciée dans ses qualités. Le pouls subit aussi toutes sortes de modifications (même des modifications qui ne seront pas perçues au toucher), en raison des changements que la diminution du sang produit dans la cir- culation. La saignée pratiquée sur une veine quelconque diminue la quantité du sang, et, tout en augmentant sa rapidité, le refroidit et l’humecte (/e rend plus liquide). Si, cependant, la nature du sang est telle qu’en raison de sa diminution il acquière de la cha- leur, la saignée pourra réchauffer et sécher. Il est vraisemblable que le sang aura cette nature dans les âges, les tempéraments, les maladies, les pays, les saisons, le régime, etc., qui sont chauds (prop. 5). Il en faudrait conclure que la saignée est contre- die dans ces diverses circonstances ; or, ce sont précisément celles qui, le plus ordinairement, indiquent le mieux les émissions sanguines. Bellini oublie de nous dire son avis sur ce point spécial; 1l se contente de soutenir sa thèse à grands renforts de fastidieux arguments. Voici, cependant, ce qu’il pense sur l'opportunité de la saignée et sur le lieu où on doit la pratiquer. On ouvrira la veine dans toute maladie où l’on doit, soit dimi- nuer la quantité du sang, ou augmenter sa rapidité, ou éloigner et enlever quelque chose qui adhère aux vaisseaux, ou donner d'un praticien très-malheureux. En effet, dans ses ouvrages il serait difficile de surprendre une idée pratique digne d’un Sydenham ou même d’un Baglivi; et certes ce dernier n’était cependant pas moins engoué que Bellini de l’iatroméca- nisme; mais il avait en même temps le sens médical, 7178 TATROMÉCANISME. — ÉCOLE ITALIENNE. occasion aux particules qui composent le sang de se séparer, soit le modifier lui-même. Si la maladie demande une émis- sion de sang, mais non sa modification, et que, cependant, il soit modifié par la saignée, on devra examiner (mais comment?) si ce changement nuit ou non au malade; s’il ne lui est pas con traire, on passera outre et on tirera autant de sang qu'il est nécessaire ; s'il lui est contraire, on obviera à ce changement en donnant en boisson, aussitôt après la saignée, les liquides qui peuvent le prévenir ou l'arrêter : des réfrigérants, par exemple, si le sang devient chaud (1), des émollients sil se durcit, et ainsi pour chaque espèce de modifications. Si la maladie est répartie dans tous les vaisseaux, il sera indifférent qu’on ouvre, dans n'importe quelle partie, ou la veine la plus ample ou la plus étroite, ou les capillaires. Sile mal qui exige la saignée est local, il sera plus sûr d'ouvrir les veines issues du tronc commun à celles qui tendent vers le point affecté ou vers le côté opposé, que celles de la partie malade elle-même. Il est plus sûr encore de saigner d’abord d’une veine quelconque parmi celles qui vien- nent d’un autre tronc, surtout si la région affectée se trouve à l'extrémité du corps, où la pression des parties est très-faible et où la rapidité du sang est diminuée; enfin des veines de la partie affectée, et s’il y a quelque espace entre celle-ci et l’extré- mité du corps, il sera plus avantageux de saigner dans cet espace, de façon que la partie affectée soit placée entre le cœur et l’en- droit où se fait émission du sang. Il est moins bon de tirer du sang entre le cœur et la partie affectée ; mais on agira très-sa- gement en pratiquant l’émission sanguine dans un lieu quel- conque autour de cette partie. Dans les maladies des viscères, du poumon, par exemple, si le mal est limité au poumon, sai- gnez du côté que vous voudrez; mais s’il se communique à la plèvre et à la poitrine, ou au tronc descendant de la veine cave, ou à ses rameaux ascendants (!), il sera prudent de saigner aussitôt de la veine du même côté, chaque fois que l’on pourra être assuré que la plus grande quantité du sang dont la dériva- (1) C’est là une réponse, mais indirecte et incomplète, à la question que je posais tout à l'heure (p. 777) à propos de la cinquième proposition. pan + BELLINI. — PATHOLOGIE, 779 tion (1) vers la partie affectée devient plus accélérée par la sai- gnée, suffit, avec la pression provenant du poumon, à éloigner la maladie; sinon on pratique des saignées successives (prop. 6). Après avoir établi, dans la septième proposition, que la quan- tité de sang qui s’écoule d’une artère est bien supérieure à celle que fournit une veine du même calibre, aussi rapprochée du cœur, et sur laquelle on aurait fait une ouverture égale, Bellini conclut, dans la proposition suivantet que l’artériotomie l’empor- terait de beaucoup sur la phlébotomie, s’il n’y avait de grands dangers qui peuvent résulter de l’ouverture des artères. Il se figure qu’on supplée à l’artériotomie en agissant directement sur les capillaires artériels (2), soit pour extraire, soit pour écarter le sang, au moyen des ventouses sèches et scarifiées, des sangsues, qui non-seulement enlèvent du sang, mais le dérivent, des liga- tures, des bains (ainsi que les fomentations, ils agissent sur la direction du sang dans ses canaux, en vertu de la pression que l'eau opère de la périphérie au centre), des affusions froides (elles arrêtent subitement le cours du sang, comme dans les hémorrhagies), des frictions surtout quand la maladie tient à ce que quelque chose de morbide s'attache aux vaisseaux périphé- riques. Dans les affections purement superficielles il convient, si on le peut, ou de lier, ou de brûler, ou de comprimer, ou d'ou- vrir l'artère la plus proche. La saignée, ou ce qui, on vient de le voir, en tient immé- diatement lieu, peut être remplacée par le régime, par les mé- dicaments altérants, par les purgatifs ou les vomitifs, par les sudorifiques, les diurétiques, les béchiques ou expectorants, les apophlegmatismes qui évacuent par les narines ou par la bou- che ; par les sialogogues, les sternutatoires, les répereussifs, les topiques qui adhèrent fortement à la peau, les emplâtres, lini- ments, cérats, onguents épilatoires, sinapismes, qui sont dits aussi (4) En divers passages, et ici en particulier, Bellini semble prendre les mots révulsion et dérivation (qui ne sont pas, dit-il, de vains mots) à peu près dans le sens ancien, Voy. les notes sur Oribase, . IT, p. 817 et suiv. (2) Plus loin Bellini parle cependant de l’action simultanée des divers moyens mentionnés ci-après, sur les veines en même temps que sur les artères ; mais peut- être entend-il ici l’action secondaire, 780 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ITALIENNE. rubéfiants; parles cautères, les sétons, les vésicants, et les ustions pratiquées d’une manière quelconque; il conseille aussi Parra- chement subit et violent des cheveux, l'écartement et la torsion douloureuse des doigts, des chatouillements aux parties qui les supportent impatiemment et y sont le plus sensibles, les odeurs âcres, désagréables, pénétrantes, les flagellations ; en un mot, tout ce qui produit une douleur intense et qui a la propriété de stimuler. On se dirait ici en plein méthodisme, tant Bellini accumule les médicaments qui portent une perturbation profonde dans l’organisme, qu’ils soient appliqués au dehors ou qu'ils soient administrés par la bouche. Chacun de ces moyens est toutefois ou moins actif ou moins sûr que la saignée, etil ya encore des degrés dans la comparaison. Le régime est le plus sûr, mais le plus lent; tout ce qui excite de la douleur, ou joue le rôle de stimulant, est le plus expédiüf ; mails on n’y à pas recours sans danger, surtout si l’on ne sait pas se tenir dans de justes limites. De quelque manière qu’on évacue, soit par les selles, soit par le vomissement, la sueur, l’urine, les fonticules, etc., il y a plus de danger que de recourir à la sai- gnée, lors même qu'on produirait un effet aussi prompt. — Pourquoi? L'auteur ne le dit pas, etje ne saurais non plus vous Papprendre. Quant aux altérants ils sont aussi d’un effet moins rapide que la saignée, mais ils n’offrent pas plus de danger. Tant qu’on n’aura pas trouvé un médicament qui, pris à l'intérieur, ou appliquésur la peau, puisse mettre en mouvement ou arrêter tout ce qui doit être mû ou arrêté pour que le corps revienne à la santé, on ne pourra pas, en sûreté de conscience et avec raison, négliger la saignée (prop. 9)! C’est tout au moins une grande naïveté dans Ja bouche de Bellini. Nous avons vu plus haut (p. 774) comment Bellini expliquait la production du stimulisme ; dans le traité De sanquinis mis- sione, il examine les effets physiologiques et thérapeutiques du stimulus. C’est un chapitre détourné de l’histoire de l’irritabilité ou mieux de lirritation (1). (1) Si on lit, en effet, avec attention le chapitre sur les stimuli, on recon- ——————————————————————— BELLINI. — PATHOLOGIE. 781 La stimulation est un certain mouvement dont la sensation doit être rapportée à la douleur, et l’excitalion qui en résulte à un choc (émpetus), plus ou moins fort, produit dans les nerfs. L'effet de ce choc est soit de disjoindre ou de séparer l’une de l’autre les parties des nerfs qui font effort contre celte pression, soit de comprimer seulement et de refouler intérieurement, où d’inflé- chir, ou de rompre les contacts naturels des parties, afin d’en établir de nouveaux. Voici maintenant les effets principaux qui résultent de l’em- ploi des stémulr : il se produit un plus grand effort de mouve- ments dans les parties membraneuses, par suite de la contraction des fibres, et en même temps une dispersion ou expulsion (expressio) et une dérivation plus faciles des liquides d’un côté ou d’un autre (qua potest). En raison de la force du stimulant, on voit la contraction des muscles (laquelle vient des liquides, sang et fluide nerveux qui coulent en eux), la dispersion des fluides devenir plus faciles, le mouvement du sang plus rapide. — C'est aussi sous l’action des stimulants que les parties rougissent, se tuméfient, s’enflamment, ou versent au dehors une humeur quelconque. Il peut s’ajouter aussi au sfémulus une sorte de fer- ment qui pénètre encore plus avant. De l’action simultanée ou isolée de ces deux agents résultent toutes sortes d’effets merveil- leux sur les solides et sur les liquides. Bellini n’accorde ni à toutes les membranes internes et naîtra qu'il s’agit pour Bellini d'expliquer par les stimuli les mouvements vitaux qui concourent aux procédés thérapeutiques par les déplacements artificiels des divers liquides. Après les propositions générales que je résume, Bellini étudie les effets particuliers de chaque espèce de stimuli (arrachement des poils, titil- lations, tiraillements des doigts, odeurs, flagellations, piqüres, topiques, cau- tères, ustions, etc.), ct indique les maladies auxquelles conviennent ces diverses espèces, Il suit le même procédé dans le paragraphe De medicamentis, pour chacun des médicaments qu'il regarde comme les succédanés de la saignée, indiquant les circonstances où ils doivent être employés, insistant sur leur action physiologico- thérapeutique, énumérant enfin les différentes classes de ces médicaments (vomitifs, purgatifs, diurétiques, sudorifiques, etc.). IL rapporte quelques-uns de leurs effets à la stimulation, et en somme il met toujeurs la saignée fort au-dessus : «Ex his patel, singula haec medicamenta, quousque similia sint venae sectioni, et quantum naec cum iis singulis conveniant, et esse singula aut minus tuta, aut inus expedita, aut utrumque, quam sit venae sectio ; et hanc proinde illis praeferendam, » 782 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ITALIENNE. externes, comme à la vessie par exemple, la faculté naturelle de contraction, ni à tous les liquides du corps le pouvoir de presser de tous côtés contre les membranes, comme fait le sang contre ses vaisseaux, ni des voies d'expulsion à tous ces liquides, si ce n’est les voies artificielles que les stimuli ouvrent là où on les applique. C’est, à ce qu'il semble, en raison de la pression opérée par le stimulus, que les liquides refoulés de proche en proche viennent affluer à la partie stimulée et dégager la partie malade. L'auteur ajoute qu'il est très-prudent de diriger les slimu- lants sur une partie éloignée de celle que l’on veut dégager, toutes les fois que l’on peut craindre un trop grand afflux par le stimulant vers la partie stimulée. Si ce danger n'existe pas, les stimuli pourront être dirigés vers la partie à évacuer, plus ils seront nombreux, et plus leur extension sera grande, plus ils se- ront utiles pour exciter les mouvements ; on les réappliquera ou l’on rouvrira les plaies faites par eux quand la douleur cesse avec la sensation du stmulus. Lorsqu'on attend un grand bien et un prompt avantage des stimulants, on se servira des plus amples et des plus âcres. Contre la sécheresse, la chaleur et les fermen- tations qui pourraient se manifester ensuite (1), on aura recours aux remèdes froids, humides et à ceux qui arrêtent ou modérent ces fermentations. Toutefois, comme on doit se servir en général des stimuli pendant un long espace de temps, ils pourront être moindres et en plus petit nombre; puis, lorsque la sensation et la douleur cessent, on les renouvellera et on rouvrira les plaies; mais ces s{muli n'auront guère d'utilité et disposeront toujours les humeurs et le corps à la sécheresse, à inflammation et aux fermentations qui en dérivent. En conséquence, Bellini conclut en disant : que les s/#nuli, quoique pouvant remplacer la saignée dans certains cas et produire un effet aussi prompt, surtout s'ils ont une grande âcreté, sont cependant beaucoup moins sûrs que la saignée (2). Ils ont toutefois un effet particulier qui manque à (1) Bellini dit que les stimuli ont là propriété, en vertu même de leur action, de produire une grande consommation et dissipation des esprits. Voy. p, 771, note 1. (2) Dans la dixième proposition, Bellini détermine, non d’après l'observation, mais d’après des raisonnements aussi prolixes que faux, l’époque de la fièvre où il BAGLIVI. 783 la saignée, celui de mouvoir, de contracter, de secouer tout le corps ; si donc les autres dangers peuvent être évités, lorsque le système nerveux souffre, lorsqu'il s’agit de détacher des sinuo- sités du corps et d’expulser un flux d'humeur, ils ne doivent pas être rejetés. Quelque sévère que soit le jugement qu’on doive porter, même en tenant compte du temps où vivait Bellini, sur les principes généraux et les détails de sa doctrine thérapeutique, on ne peut cependant disconvenir que l'intervention des stimuli donne à cette doctrine un caractère très-particulier qui la distingue aussi nettement de celle de Galien que de celle des iatrochimistes. C’est peut-être un des côtés les plus originaux et les plus neufs de l’œuvre de Bellini, et celui-là précisément que les historiens ont négligé. Baglivi (1668-1706) est le plus sensé et le plus cicéronien des iatromécaniciens : — le plus sensé, car autant il se montre un ar- dent défenseur des théories mathématiques et mécaniques dans la physiologie, et même dans quelques points de la pathologie générale, autant, par un heureux écart de la logique, ilest un tra- ditionnaliste décidé dans le traitement des maladies ; il parle avec un même respect et une égale admiration d’'Hippocrate, de Sydenham, de Borelli et de Bellini ; —le plus cicéronien, car son latin est aussi pur et aussi élégant que celui des autres latroma- thématiciens est embarrassé, chargé de mots difficiles à entendre et rempli d'obscurité. On peut dire de Baglivi qu’il a semé des fleurs de rhétorique sur une route hérissée de broussailles, C’est bien le génie romain, spirituel et grave à la fois; c’est bien l’homme nourri de la lecture des anciens et des modernes, sachant traiter les questions les plus abstraites, en les entremêlant de toutes sortes de réflexions de l’ordre philosophique ou moral et qui don- nent tant d’attrait à ses ouvrages. Même au milieu des plus subtils raisonnements, l'attention est agréablement soutenue par quel- ques excursions qui ornent ou élèvent l'esprit. Baglivi est en outre un expérimentateur fort habile et qui arrive à des résultats très- faut recourir à la saignée, et les divers genres d'émissions sanguines en rapport avec la diversité des fièvres, 784 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ITALIENNE. positifs quand la théorie ne l’aveugle pas, quand il expérimente, moins pour démontrer une idée préconçue (par exemple lin- fluence des prétendus mouvements de la dure-mère) que pour découvrir, souvent avec désintéressement, la vérité, comme dans ses Dissertat. IE, HT et IV, De experimentis, et dans celle Sur l'usage et l'abus des vésicatoires. Baglivi veut que, dans tout ce qu'il dit et dans tout ce qu il fait, le médecin soit le ministre et l'interprète de la nature ; il ajoute que ce n’est pas un homme, mais la nature elle-même, qui a parlé par la bouche d'Hippocrate (1); aussi ne faut-il pas opposer les an- ciens aux modernes, mais plutôt tâcher de les concilier (2). On ne saurait dire combien de maux a engendrés l’ardente recherche de nouvelles hypothèses (3). La médecine, imaginée par la néces- sité, ne se perfectionne que par l'expérience ; la médecine roule sur l'observation et le raisonnement ; l'observation est le fil qui conduit là où doivent être dirigés les raisonnements des méde- cins (4), car nous ignorons et nous ignorerons éternellement la (4) Praxis medica, 1,1, 1, 3. — Presque tout ce qui, dans le premier livre de la Praxis, regarde les caractères des fièvres, les symptômes, les épiphénomènes, les crises (Prax. med., 1, xu, 5. — Bellini, De sang. missione, prop. 10 fire, dans Opuscula practica, et d’autres iatromécaniciens, par exemple Pitcairne, admettent les crises, non les jours criliques), les pronostics dans les maladies aiguës, est tiré d’Hippocrate ou des hippocratistes. Voy. I, 1x, De pleuritide ; de febribus in genere ; de febribus malignis et mesentcericis, — La Praxis medica est un livre fort irrégulier, mais d’une lecture aussi instructive qu’attachante ; les géné- ralités y sont mélées aux descriptions particulières ; l’auteur indique les desiderata de la pathologie. On peut reprocher surtout le vague et parfois l’incohérence des conclusions, l’irrégularité des classifications qui rompent souvent les unités morbides oumélangent lesespèces distinctes. Néanmoins nous félicitons M. le docteur Boucher d’avoir traduit cet ouvrage (Paris, 1851), et nous regrettons que cette traduction, à laquelle nous avons fait volontiers quelques emprunts pour les longues citations, ne soit pas plus connue, bien que notre confrère s'y soit donné parfois une liberté compromettante pour le sens. (2) Praxis medica, I, 1, 5. (3) Praxis medica, 1,1, 9. (4) Praxis medica, X, 1, 1, 2. — Baglivi (IE, 1v, 1, 2, et v, 6) souhaiterait des académies, des colléges pratiques, où les uns recueilleraient dans les livres les obser- vations faites sur les maladies, et où les autres apporteraient le résultat de leur propre pratique, surtout en y joignant les nécropsies, Au chapitre vr, il donne en exemple la goutte, décrite d’après la méthode de Sydenham.— Baglivi (1, x, 7) dési- BAGLIVI. — PHYSIOLOGIE ET PATHOLOGIE. 785 constitution des solides et des fluides des parties du corps. Puis, passant en revue toutes les causes qui peuvent éloigner de la vraie médecine, il indique le mépris que les novateurs, ses con- temporains, affectaient pour les anciens, dans le désir d'élever leur propre nom, comme si ce n'étaient pas les anciens qui avaient jeté les premiers fondements de la science ; il faut done vérifier et respecter la tradition (1). Disciple de Bacon (2), il poursuit les idoles et les singeries des médecins, particulièrement de ceux qui réduisent tout à l’antagonisme des acides et des alcalis (3). Ils se trompent étrangement, s’écrie-t-il, ceux qui pen- sent réussir dans le traitement des maladies, parce qu’ils ont une méthode merveilleuse pour Ja théorie (4). Mais nous voyons aus- sitôt que Baglivi s'éloigne pour lui-même de ces sages préceptes ; ainsi que nous l’avons dit, il est en pratique aussi hippocratiste que possible, et en théorie il accepte presque toutes les solutions de l’iatromécanisme ; il célèbre particuliérement Borelli, noble rerait aussi qu’en médecine comme en astronomie, « quidquid observavit unus, observavit etiam et alter; » mais cela n’est pas possible, tant sont grandes les diversités des malades et de la maladie. (1) Praxis medica, 1, 1v ; 2, 3. (2) Voy. Boucher, Influence du Baconisme en médecine, en tête de sa traduc- tion de la Pratique de Baglivi. (3) Praxis medica, X, v, 2. Baglivi, quoiqu'il admette à la fin de l’Appendir de pleuritide que l’acrimonie peut entrer pour quelque chose dans la cause de la pleurésie, fait une guerre à outrance aux chimiâtres et mème à Mayow (voy. Praxis med Aux, 3 :0x, 31: x, 4; TL 11, 1; Il, 1x, 2 et 3); contre les{poudres absor- bantes (Specimen relig. lib. de fibra motrice, xx initio ; cf. aussi [, 1x : De febr, in genere, p. 61,éd. de Kühn,—C'est l'édition que je suis); contre la thérapeutique des Helmontistes dans la pleurésie (1, 1x, Append, ad pleur., p. 46, 57) ; contre leur proscription de la saignée dans les fièvres (FE, vr, 3).—Peut-être, ajoute-t-il ailleurs, les médicaments chimiques conviennent-ils au delà des monts, où l’on est moins sobre, où l’air est moins pur qu’en ftalie; je ne veux détourner personne de la médecine nationale. Du reste on connait ce mot, qu’il répète à tout propos: « Romae scribo in aere romano. » C’est son refuge, soit pour légitimer ses succès, soit contre toute thérapeutique qui ne lui réussit pas, contre le kina, par exemple, dont il semble ne pas connaitre très-bien l'emploi. Du reste, il prèche volontiers en faveur de la médecine domestique et indigène, Voy. Praxis med,, 1, xv, 1. (4) Praxis mediea, X,v, 6. Baglivi se montre, comme Sydenham, très-opposé aux médecins qui imaginent sans cesse un caractere malin aux maladies (1, 1x, De febribus malignis el mesenter., initio). DAREMBERG:, 20 786 IATROMÉCANISME, — ÉCOLE ITALIENNE. astre de l’Académie romaine, dont on doit suivre les préceptes si l’on aspire à bien traiter @es liquides et des solides (1). « Les iatromécaniciens, dit Baglivi, qui partent de divers prin- cipes mathématiques, ceux de la statique, de l'hydraulique, de la pesanteur, et qui veulent les appliquer à là structure du corps vivant, ceux-là ont philosophiquement raison de le faire, car le corps de l’homme, en tout ce qui regarde la structure animale, est soumis aunombre, au poids, à la mesure, et subit dès lors toutesles conséquences qui en dépendent. Telle fut sans doute la volonté de Dieu, le père souverain des choses, lorsque, pour rendre cette machine animale plus propre à exécuter les ordres de l'âme, il n’employa, cesemble, que le compas et la craie du mathématicien, pour tracer dans l'économie du corps de l'homme l’arrangement harmonieux des proporlions et ües mouvements. «Examinez, avec quelque attention, l’économie physique de l’homme : qu'y trouvez-vous? Ces mâchoires armées de dents, qu'est-ce autre chose que des tenailles ? L’estomac, c’est une cor- nue; les veines, les artères, le système entier des vaisseaux, ce sont des tubes hydrauliques ; le cœur, c'est un ressort; les viscères ne sont que des cribles, des filtres, le poumon n’est qu’un souf- flet. Qu'est-ce que les muscles, sinon des cordes ? Qu'est-ce que l’angle oculaire, si ce n’est une poulie? et ainsi de suite. Lais- sons les chimistes, avec leurs grands mots de fusion, de sublima- tion, de précipitation, vouloir expliquer la nature et chercher ainsi à établir une philosophie à part; ce n’en est pas moins une chose incontestable, que tous ces phénomènes doivent se rap- porter aux lois de équilibre, à celles du coin, de la corde, du ressort et des autres éléments de la mécanique. Ainsi done, les phénomènes de l'économie physique de homme ne pouvant s’ex- pliquer d’une manière un peu claire, un peu facile, qu’au moyen des principes de la mathématique expérimentale, ce qui est, au fond, le langage même de la nature, nous pensons également qu'il n’y a pas de manière plus simple, plus naturelle d'expliquer les phénomènes extra-physiques et morbides, et que, par consé- quent, toute théorie fondée sur ces principes doit offrir nécessaire- (4) Specimen trium reliq. libr, de fibra motrice et morb,, initio. BAGLIVI. — PHYSIOLOGIE ET PATHOLOGIE, 781 ment beaucoup plus de certitude queles autres » (E, x1; 7, trad. Boucher). « Puisque, dit ailleurs Baglivi (1), les inductions analogiques ürées de la mécanique et de l'anatomie offrent des rapports fort étroits avec la thérapeutique, et beaucoup plus de certitude que toutes les autres hypothèses, on comprendra sans difficulté com- ment il s’est fait que deux hommes illustres, Borelli à l'Académie de Rome et Bellini à celle de Florence, voulant raffermir sur ses fondements l’édifice ébranlé de la science, ne trouvèrent pas de moyen qui leur semblât aussi puissant que l'application des règles anatomico-mécaniques à l’explication des effets des mala- dies. Aussi, rien n’est plus digne d’être médité que leurs savants ouvrages, également glorieux pour la science et la patrie, et utiles pour l'humanité. Mais ceux qui cherchent au fond des cornues les résultats de réactions minérales, pour en déduire analogique- ment des résultats semblables dans les corps animés par la vie, ceux-là ne se contentent pas d’arriver à des conclusions fausses, ils fournissent encore aux fatales erreurs qui inondent la médecine de nos jours un appui et une force incroyables » (trad. Boucher). — « Ils avaient cependant un moyen d'arriver à des résultats bien plus beaux : c'était d'appeler à leur aide une sorte d'anatomie infusoire, à Vaide de laquelle ils auraient opéré avec les liquides animaux le mélange des liquides végétaux ou chimiques, et d’en noter avec soin les effets » ({, vr, 2). C’est le propre des sectes, comme des partis, de ne voir jamais que la paille de Pœil du voisin. Y a-t-il au monde une doctrine qui eût répandu plus d'erreurs que l’iatromécanisme, plus détourné les esprits des vrais principes de la physio- logie, et lancé la pratique dans plus d'aventures pernicieuses, si les iatromécaniciens les plus décidés n'étaient pas restés de simples théoriciens, ou n’avaient pas suivi la tradition pour le traitement des maladies (2)? Je n’ai certes pas montré une (1) Voyez aussi presque tout le Specimen reliq. libr. de fib. motrice. (2) On voit justement dans le passage suivant (1, vi, 3) comment Baglivi cherche à concilier la théorie iatromécanique et les indications de la thérapeutique tradi- tiounelle. « Si les solides arguments tirés de la mécanique et de l'expérience nous font considérer l’usage prudent de la saignée comme infiniment utile dans les fiè- 788 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ITALIENNE: orande prédilection pour la chimiatrie; mais il a bien fallu reconnaitre, devant vous, Messieurs, qu’il y avait là un secours pour la physiologie, une nouvelle idée thérapeutique à suivre et une nouvelle officine à exploiter. Poursuivant la revue des obstacles semés sur la route de celui qui veut devenir un bon médecin, Baglivi donne sur la lecture des conseils presque toujours sages, quelquefois puérils ; J'en re- lève un qui conduirait tout droit à l’empirisme, s’il était pris à la lettre : — «Sachez, jeunes gens, que vous ne trouverez pas un livre plus instructif que le malade lui-même (1) : la maladie, si vous savez l’observer diligemment, vous apprendra bientôt et ra- pidement beaucoup de choses dignes d’être retenues et que peut- être ne vous fournirait pas une lecture de plusieurs années. » Ail- leurs (2), notre auteur avait fait une recommandation plus acceptable en disant qu'il ne faut pas lire avec avidité plus qu’on ne peut digérer, mais qu'il faut régler, mesurer leslectures, et y joindre par conversationle commentaire d'hommes doctes. Autant les bons livres nous enseignent vite, autant les mauvais nous font désapprendre. Enfin Baglivi donne encore un autre correctif à sa vres, ce n’est pas une raison pour la croire indifféremment applicable dans tous les cas ; nous ne la croyons utile que dans les fièvres où l’excessive ébullition du sang, sa quantité trop grande, ou un engorgement qui se déclare dans quelques viscères, préparent à l’économie les dangers les plus graves, tels que le délire, l’insomnie, les inflammations viscérales, de pénibles serrements d'estomac ou de poitrine, la difficulté de la respiration, la suspension du cours des humeurs dans quelques organes, la rupture des vaisseaux et mille autres accidents qui arriveraient bien vite, et même nécessairement, si l’on ne se hâtuit de les prévenir par une évacuation sanguine. Cette évacuation, d’ailleurs, n’a pas seulement pour résultat la suppression des accidents dont nous venons de parler; mais la masse elle-même du sang eu ébullition se trouve ainsi ramenée à un type modéré de mouvement, qui suffit pour opérer en temps convenable la dépuration et l’excrétion de la matière morbide » (trad. Boucher). (41) 1, vu, 9. Ailleurs (IE, 11, 4), il veut un empirisme raisonné, fécondé (expe- riundi ratio intellectu fermentata). Pour lui (TE, 1 et n) la médecine première, ou histoire des maladies, ne doit pas dépasser l’exacte description des phénomènes ; c’est presque une question d'histoire naturelle, une science sui generis, comme il l'appelle, et indépendante. Quant à la médecine seconde , où thérapeutique, il invoque à son aide d’autres sciences et d’autres arts. (2) L, var, 4. BAGLIVI. — PHYSIOLOGIE ET PATHOLOGIE. 789 proposition trop absolue (4) :— « Quelque lettré que soit un mé- decin, 1l ne guérira jamais les malades s’il ne joint la pratique à l'étude. » Ilexige beaucoup de prudence et de patience, aussi bien dans l’enseignement que dans la pratique de la médecine (2). L'École de Cos, dit Baglivi (Prax. Il, 11, 1), a de tout temps joui d'autant d'estime que d’autorité ; il faut la prendre pour guide dans la méthode d'observer les malades et de recueillir les obser- vations. En conséquence, mais étendant un peu le point de vue hippocratique, ilréclame quatre conditions pour une bonnehistoire des maladies : recueillir un nombre infini de cas particuliers, les classer, les mürir et les digérer dans son esprit; enfin en tirer une série de préceptes et d’axiomes généraux. Le développement de ces quatre propositions rentre plus dans le genre scolastique que dans la méthode médicale, qui tend de plus en plus à s’af- franchir des cadres factices, et qui, dans l'analyse des cas multi- ples soumis à l’observation, trouve rarement de ces formules générales aphoristiques si fort en faveur auprès des anciens. Dans les prolégomènes du traité De la fibre motrice et malade ($ 2), là où justement 1l s'éloigne le plus d'Hippocrate, là où il met le solidisme au-dessus de l’humorisme, Baglivi s’écrie : « Étudiants en médecine, tout ce que je vous dis est confirmé par l'expérience ; je vous exhorte à étudier toujours Hippocrate ; lui seul à pu montrer ce que c’est que le savoir, ce que c’est que d'être versé dans l’art de guérir les malades : retenez ses pré- ceptes, je vous en conjure, et suivant l'intelligence que vous a départie la divine Sagesse, conformez-y votre pratique. Je suis convaincu que vous ne serez jamais trompés ni dans vos espé- rances m dans vos opinions (3). » Voilà donc qui est bien convenu : l'unique, le vrai guide, c’est Hippocrate ; mais comment accorder les préceptes de l’École de os avec ceux de l'Ecole iatromécanicienne? — Rien de plus in- (1) I, vu, 10. Voy. aussi chap. vur sur les défauts que présentent les commen- taires rédigés sur les observations médicales ou sur les ouvrages des anciens maîtres par des médecins qui n’ont pas de doctrines et ne sont pas praliciens, (2) 1, 1x : De febribus malignis et mesentericis, p. 67. (3) Voy. aussi Specimen.reliq. libror. de fibra motrice, cap.n. 190 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ITALIENNE. génieux que la transition ou le moyen de conciliation imaginé par Baglivi : cela vaut la peine d’être cité (1). « En lisant assidûment Hippocrate (2), comme j’en ai l’habi- tude, j'ai remarqué que pour le traitement des maladies il pres- crit surtout les bains, les frictions, l'exercice, les onctions, les cautérisations, l’incision des parties jusqu'aux os, les ablutions, la purgation de la tête par les sternutatoires, les lotions de la tête, les vellications, les succussions et autres remèdes sembla- bles qui exercent leur action sur les parties solides du corps hu- main (3). Comme c’est pour ces parties que de tels remèdes sont immédiatement employés, et non pour les fluides, si ce n’est par Pintermédiaire des solides, je ne concevais pas encore la raison de ces remèdes, me demandant pourquoi, la maladie existant et se cachant souvent dans les fluides, on emploie des remèdes qui, ou conviennent peu aux fluides, ou ne leur conviennent qu’à l’aide des solides sur lesquels ils s’'impriment. Hippocrate donnait aussi trés-peu de remèdes par la bouche, si l’on excepte l’ellébore et (1) Prolegomena speciminis fibrae motr., ete, : Animadv. in theoricen veterem, 4-4. Dans la Praxis medica (1, 1x, 7), son premier ouvrage (1696), si je ne me trompe, Baglivi, moins avancé dans les voies du solidieme, fait quelques concessions à i'humorisme, mais tout en déclarant que jamars les médecins ne verront elair dans les fluides de l’économie animale, et que jamais on n’en connaïtra l’exacte composition. — La physiologie actuelle et la chimie donnent chaque jour, heureu- sement, un éclatant démenti à cette prédiction‘ intéressée. —- L'ouvrage Sur la libre motrice ef malade devait avoir quatre livres. Le premier seul paraît avoir reçu la dernière main ; des autres nous n'avons qu'une esquisse, Du reste, au début du premier livre, Baglivi donne le plan de tout le traité qui dévait embrasser l'ana- tomie, la physiologie et la pathologie de la fibre ou des solides, Dans la pathologie, tout se réduit à une question de tension ou de relàchement contre nature, que cela tienne directement à la fibre ou secondairement aux vices des humeurs et du fluide nerveux, On doit regretter de ne pas posséder les études que Baglivi avait faites à ce point de vue sur les maladies aiguës ou chroniques. Dans le premier livre l’auteur s'occupe comme Bellini des stimuli, mais il les considère comme de vrais trritants. Cest un pas de plus. (2) Je n'ai pas besoin de faire remarquer que Baglivi, prenant la Collection hippo- cratique en bloc, ne distingue pas les prescriptions qui appartiennent aux diverses écoles représentées dans cette Collection. L'usage du lait et du petit-lait, par exemple, est une méthode Cnidienne. (3) Nous avons vu plus haut (p. 769 et suiv.) que Bellini considérait ces divers moyens, et d’autres analogues, comme des sfimuli succédanés de la saignée. BAGLIVI. — PHYSIOLOGIE ET PATHOLOGIE. 791 le petit-lait ou le lait dans beaucoup de maladies. De nos jours, comme guidés par lui, la plupart des Indiens et des Orientaux traitent les maladies par les ecautérisations et les piqûres d’ai- guilles, témoin Ten Rhyne et le très-docte Alpin, dans son livre De la médecine égyptienne. Après avoir fait ces réflexions, je soupçonnai que Pillustre vieillard nourrissait dans son esprit quelque spéculation secrète sur les solides gw’11 s'est abstenu de dévoiler à ceux qui sont venus après lui (car il a dit en passant quelque chose sur les maladies, la force et la puissance des so- lides) et qu’ils’est conformé à cette spéculation pour les remèdes que j'ai cités. Comme j'ai à peine trouvé chez les anciens et les modernes, lorsqu'ils traitent des causes des maladies, quelque chose qui se rapporte aux solides, mais seulement beaucoup de fuulités et de rêveries relativement aux fluides, j'ai résolu, vu l'aridité d’une matière qui n’est point encore familière à nos doc- teurs, d'observer moi-même l'usage, la force et la puissance des solides dans un corps vivant, sain on malade, et cela par les ex- périences sur la fibre motrice des animaux vivants, surtout par une patiente et constante observation des symptômes chez les malades. Je crois fermement, en effet, qu'on ne peut connaitre l'usage, la force et la puissance des solides d’une partie sans avoir noté et observé les accidents qui s’y produisent quand elle est affectée de maladie ; on ne saurait déterminer l’usage et la structure d’un viscère, après qu'une maladie, un squirrhe ou une obstruction l’auront altéré, qu’en notant d'abord les sym- ptômes de la maladie, puis en examinant avec soin les viscères à l’aide de la dissection après la mort. En conséquence, je me livrai tout entier à l'observation des symptômes morbides et à l’au- topsie des cadavres des malades morts dans ces conditions (1) ; et je me persuadai de plus en plus que l’action des solides était plus puissante que celle des fluides pour la production des mala- dies (2), et que c'était une grande négligence de la part de beau- (4) Quelles que soient les conclusions de Baglivi, et quelque défectueuses que soient ses nécropsies, il y a loin de sa méthode, qui est la bonne, à celle de Bellini qui est la plus mauvaise. (2) Baglivi poursuit la démonstration dans tout le reste du chapitre par d'assez mauvais arguments tirés de la clinique et même d'Hippocrate. — Dans De fibra 792 IATROMÉCANISME. =— ÉCOLE ITALIENNE. coup de médecins d’avoir laissé de côté jusqu'ici un sujet si grave sans y donner l'attention voulue (4). » Pour démontrer sa proposition, Baglivi ne trouve rien de mieux que d’invoquer en preuve ce qui se passe dans certaines ma- ladies de la tête : « L'observation des plaies de tête, dit-il, nous fera connaître mieux que toute autre chose la force et la puissance des solides. Celui qui est affecté d’une blessure à la tête est con- sidéré comme sain et sans lésion du suc nerveux, ni des acides fictifs ou des autres molécules imaginaires des fluides (2). Ainsi on observe souventà la tête une partie médullaire du cerveau pourrie et pleine de pus, quoique le malade ne souffre d’aucun accident de léthargus, de délire, de convulsions, etc. » On peut même enlever celle parte gâtée avec pleine sécurité pour la guérison. motrice, lib. 1,t.1, p. 378, Baglivi insiste encore sur ce point, et il ajoute cependant cette proposition digne de remarque, à savoir que la fibre peut être excitée, tendue, mise en insurrection soit par l’extérieur comme chez un jeune homme que le moindre attouchement faisait tomber en syncope avec des horripilations très-prononcées ; soit à l’intérieur par la titillation des fluides circulants, et ayant perdu leur qualité anodine. I ne faut pas trop exalter les fluides, mais en tenir compte, quoique les solides aient le pas sur eux. « Vous prescrivez un diaphorétique à un malade, afin de donner aux fluides de nouveaux et violents mouvements; mais que la fibre du ma- lade soit, naturellement ou par suite de la maladie, tendue, crispée et qu’elle ne cède pas facilement au fluide dont le mouvement a été accéléré, qu'elle lui résiste même, vous verrez alors que le fluide fait violence aux viscères et aux parties inter- nes, et, selon les diverses parties qu'il traverse, il se produit différents symptômes, des douleurs, du délire, des insomnies, des convulsions, ete. Nous avons fréquemment observé tout cela, lorsque, contre certaines maladies aiguës et inflammatoires, dans iesquelles on pouvait supposer une crispation excessive des solides, on prescrit à contre-temps, c’est-à-dire quand la maladie est encore crue, et lorsque les solides ne sont pas relachés convenablement, des remèdes purgatifs, diaphorétiques et spiritueux. Aussi, dans la pleurésie, il ne faut jamais attendre les crachats sans avoir relàché auparavant, par les remèdes convenables, les solides et les fluides de la partie enflammée. Ce que nous disons de la pleurésie, on doit l'appliquer à toutes lies autres maladies aiguës.» — Voy. aussi Praxis medica, 1, 1x: De febribus in genere. — C'est en des termes différents, mais pour le fond même, une doctrine hippocratique. (4) Baglivi (Anat. fibrar., ete., t. IE, p. 63) exhale les mêmes plaintes sur les conséquences facheuses qui résultent, dans le traitement des maladies, de ce que les médecins négligent les solides, Là encore, cependant, il fait quelques concessions à la médecine chimique, mais il s'élève contre l'abus des boissons aqueuses, (2) Voy. des réflexions analogues dans De anatome fibrarum, ete., t. II, p. 56. BAGLIVI,. — PHYSIOLOGIE ET PATHOLOGIE. 793 Après cet exemple, où il s’agit probablement d’une hernie du cerveau à travers une fracture du crâne, et non, je pense, d’un fungus de la dure-mère, Baglivi veut établir par d’autres faits pathologiques qui se rapportent aux parties solides membra- neuses, combien, au contraire, leur lésion est dangereuse. Les blessures des muscles temporaux, lesquels sont recouverts par le péricrâne, qui est une prolongation de la dure-mère (1), sont toujours graves, presque toujours mortelles. De même, dans les blessures de la tête, quand les méninges sont touchées ou viciées, les mouvements convulsifs, le délire, le tremblement, ne se font pas attendre; il a également observé que si, dans les blessures de tête, on emploie les vésicants pour éloigner le léthar- eus, les malades allaient aussitôt plus mal (2). Puisque le délire, comme le prouve l'ouverture de tant de cadavres, est causé par l'inflammation des méninges, il n’y a pas lieu de s'étonner que l'emploi des vésicants nuise à ceux qui sont pris de délire plutôt qu'ilne les soulage. En effet, le délire vient de la partie solide des méninges irritées, crispées et enflammées; le sel aigu et caustique des cantharides, s’y mêlant, irrite et augmente le délire. Baglivi a remarqué encore que les vésicants, dans le délire, nuisent plus aux hommes qu'aux femmes, parce que la fibre des femmes est plus molle, plus flexible et moins disposée à la crispation que celle de l’homme, dont la fibre est dure et plus tendue (3). (4) C'était l'opinion de beaucoup d’anatomistes de ce temps, qui partageaicnt cette erreur avec Galien. (2) Voy. son ouvrage Sur l'usage et l'abus des vésicatoires. (3) Dans De anat. fibrar., ete., t, If, p. 56 et suiv., Baglivi établit les degrés de la tonicité des fibres musculaires et membrancuses d'après l’âge, les tempéra- ments, les sexes, les divers états de la vie. Il ajoute quelques propositions peu galantes et peu spiritualistes. « Les femmes et les enfants, parce que leurs fibres, surtout celles du cerveau, sont trop molles et trop relâchées, passent pour être absolument incapables de trouver et d’enseigner la vérité. Nous voyons que tout est vain et variable dans leurs pensées et leurs desseins instables et inconstants. Les passions de l’âme, quoique la cause en soit légère, les abattent ; on les voit se désespérer et se lamenter sans motif grave ; les choses sensibles et curieuses les attirent et les domi- nent. Les femmes aussi, à cause de cette mollesse des fibres, sont ingénieuses dans les choses d'apparence : l'élégance du parler, le soin dans l'habillement; elles ont d’une manière exquise le sens du goût et de l’odorat, et l'observation fastidieuse des céré- monies leur est naturelle. Il en est tout autrement pour les hommes d’un âge mûr ; 794 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ITALIENNE. En présence de ces accidents, Baglivi ne connaît pas d'autre indication à remplir que de relâcher la fibre par la saignée et la médication émolliente; il en cite divers cas ici et dans la deuxième dissertation de ses Dissertationes varii arqumentt. «Les accidents, continue Baglivi, qu’on observe à l'approche du délire ou dans le délire, tels que la rétraction des hypochon- dres vers l’intérieur, prouvent manifestement que la fibre des méninges ainsi affectée crispe et contracte à la fois le système des membranes, les parties et tous les viscères qui naissent des membranes, lesquelles sont régies par la dure-mère, dont elles tirent leur origine (1). Aussi Hippocrate (2) enseigne-t-il, en plusieurs endroits, que la rétraction des hÿpochondres, que le bulbe des yeux devenu immobile et comme changé en pierre, que la langue bégavyante et presque toujours enflée, aride et sèche, qu'un sentiment de tension et de rigueur dans tout le corps, présagent le délire. Dans le délire, les fibres des glandes sécrètent peu. Si à la douleur de tête se joint une diminution de la sécrétion des humeurs, de l'urine, par exemple, de la sueur, de la salive, des excréments, le délire est proche, surtout ai les médecins font un usage immodéré des diaphorétiques et des alexipharmaques ignés et trop violents, destinés, comme üls le disent, à réfréner la malignité, laquelle, le plus souvent, est ima- ginaire et fausse, au point que beaucoup encourent un mal plus grave, la mort même, non à cause de cette malignité, mais par les remèdes qu'on leur donne pour la combattre. Prudenti pauca. » leur esprit atteint sa perfection depuis trente jusqu'à quarante ans ; les fibres ayant alors Ja solidité et la maturité voulues, ils jugent et délibèrent avec réflexion et sagesse; comme leur esprit n’est pas distrait de son œuvre par les choses sensibles et extérieures, ils sont plus aptes que les autres à chercher et à enseigner la vérité. La douleur et la volupté ont moins de prise à cet âge ; les passions de l’âme ainsi que les injures les émeuvent et les effrayent moins ; ils vont mème courageusement au- devant, comme il convient àun homme doué d'un esprit généreux et constant, » (4) Nous verrons plus loin que la dure-mère est, pour Baglivi, la partie du corps qui tient sous sa dépendance presque toutes les manifestations du système nerveux et fibreux (museles et tissu fibreux proprement dit). (2) En aucune occasion, Baglivi ne manque de ranger «le divin » Hippocrate de son parti, BAGLIVI. — PHYSIOLOGIE ET PATHOLOGIE. 795 Baglivi, disciple fervent de l’iatromécanisme, est le vrai pré- curseur de cette école solidiste qui en est, pour ainsi parler, la conséquence naturelle, et qui est venue à sa suite en Angleterre, en Italie, plus tard en France, par une voie plus détournée, Les remarques qui précèdent nous ont déjà appris que Baglivi, tout solidiste qu’il est, tout opposé qu’il se montre parfois à la chimiatrie, ne rejette cependant pas absolument, ni en théorie ni en pratique, l’humorisme et les remèdes chimiques. Il en donne une nouvelle preuve dans sa manière de considérer les tumeurs (1). « De même, dit-il, qu’il est impossible de guérir extérieurement une tumeur causée par la contraction douloureuse des fibres, si auparavant on ne lui oppose les anodins, les fomentations et les bains ; ainsi nous ne pourrons dévager le cours des fluides interceptés intérieurement par la violence de la douleur, ni faire disparaître les tumeurs qui en proviennent, avant d'avoir adouci la véhémente crispation des fibres par les huileux, les anodins et les humectants employés en dedans et au dehors. Ce n’est pas seulement la trop grande contraction des fibres qui cause les tumeurs, c’est aussi le trop grand relâchement qui produit les tumeurs dites froides et indolentes, tumeurs dues non au fluide, mais à la fibre. Le traitement de ces tumeurs demande des re- mêdes qui, en rendant à la partie la tonicité, la solidité et la force perdues, dégagent le cours intercepté des humeurs, et le ren- dent facile et coulant; tels sont les amers, les aromatiques, les amaro-astringents et les préparations de fer, dont les anciens se servaient avec succès dans le traitement des écrouelles et des (1) De anatome fibr., ete, t 11, p. 69. Voy. aussi Canones de meïlicina solido- rum, ad rectum statices usum, 21, 22 : La mort naturelle est produite par l'aridité et la dessiccation des solides, par la salure et l’évaporation des liquides, — Les solides se rétablissent par un bain d’eau tiède; les liquides par la transpiration insensible, par des aliments d’un bon sue, pris modérément et selon que le demandent les forces de la nature affaiblies dans la vieillesse, — 11 y a une route royale de la peau au ventre, et une autre du ventre à la peau; les humeurs et les maladies s’y succèdent mutuellement. Les douleurs du ventre se terminent en douleurs des articulations, et vice versa. Il y a également des successions et des permutations de la vessie au ventre, du ventre à la vessie, ici à cause du voisinage, là en raison d’une certaine despumation générale et commune faite à travers des filtres. 796 IATROMÉCANISME. —- ÉCOLE ITALIENNE. tumeurs indolentes. De nos jours aussi on emploie avec le même succès ces remèdes dans les affections chroniques des viscères, qu'on attribue au relâchement de la tonicité des solides. Les préparations de fer, en effet, surtout le fer pur réduit en poudre impalpable, et donné à la dose de 8 grains ou plus (1), absorbent l'acide stomacal et guérissent le relâchement des parties, relà- chement dans lequel résident souvent, pour les maladies chroni- ques, la force et l'âme (vis efanima) de la maladie. Le relâchement ou l’atonie des parties produit quelquefois des tumeurs et des douleurs périodiques; les fibres de ces parties étant distendues et disjointes par une longue maladie ; l'ordre des solides étant alors rompu, les sucs commencent à s’y amasser et y adhérent; quand ils sont en grande abondance, de façon qu’ils ne peu- vent être reçus ou rejetés par la partie, ils tourmentent le ma- lade, à des époques fixes, sous l’apparence de douleurs et de tumeurs. Il faut donc admettre que les tumeurs ont deux causes : soit un vice du fluide dont la crase troublée par les particules épaisses, acides et visqueuses, ou âcres, aiguës et salines qui sur- abondent en lui, le rend incapable de circuler; soit un vice des fibres chargées de favoriser le cours des sucs par leur oscillation, lorsqu'elles sont ou trop tendues et contractées, ou au contraire relächées, indolentes et comme paralysées. Que si lon ne pèse avec soin tout cela dans les maladies, je pense qu’on ne pourra jamais instituer un traitement conformément à la raison. » Toutefois Baglivi ne perd pas une occasion de marquer sa prédilection pour les explications mécaniques et solidistes ; il le prouve manifestement dans le passage suivant tiré des Canones (K 28) touchant l’action intime des médicaments : QI est difficile de se rendre compte de la manière mécanique dont agissent les médicaments dans le traitement des maladies, si lon n’a pas la connaissance de la statique des solides et des liquides, ainsi que celle de l'équilibre de leurs forces et de leurs résistances réciproques ; car on doit regarder comme des fictions (1) L'auteur ajoute : « Chalybs enim quo magis arte solvitur, eo infirmior red- ditur sua virtus.» Sans doute il entend que si le fer est dissous chimiquement il perd de sa vertu naturelle. BAGLIVI. — PHYSIOLOGIE ET PATHOLOGIE. 797 ce qu'on enseigne dans les écoles sur les qualités premières des remèdes. La vertu et le pouvoir des remèdes résident plus dans le mouvement, la figure et le poids de leurs particules les plus ténues que dans la pompe et dans la prétendue activité de leurs qualités élémentaires. » Avec Baglivi les deux plateaux de la balance sont rarement en équilibre, malgré son intention de se tenir à une égale distance des exagérations. Tantôt on le croit exclusivement solidiste et tantôt il fait une place considérable aux humeurs dans la produc- tion des maladies (1). Même dans ce dernier cas, il s'efforce de ranger les explications sous les formules de l’iatroméca- nisme (2); mais toujours on peut remarquer que le sens médical, que Baglivi possède à un haut degré (3), le préserve des pratiques hasardées et téméraires. Jusqu'ici c’est surtout des solides qu'il a été question. Toutefois, outre ce qui vient d’être rapporté des tumeurs, nous trouvons encore, dans le dixième chapitre (Des indications thérapeutiques) du livre second de la Pratique mé- dicale, quelques réflexions intéressantes qui se rapportent plus particulièrement aux humeurs. (4) « Primas itaque obtinere videtur solidum supra fluidum, quam contra, » Dissert, varii argumenti, W, fine. «Aussi on ne s’étonnera pas, dit-il, que j’attribue aux solides beaucoup plus de puissance que ne l'ont fait mes devanciers, » IL fait cependant une concession au milieu de cette mème dissertation : « Non execludo lamen fluidorum potestatem, nam vita in utrorumque mixtione et aequilibrio posita est, » (2) Baglivi (Praxis medica, U,1x, 8 3, n° 5) veut que pour bien instituer le traitement des fièyres, on s’enquière de l’état du sang à l’effet de déterminer s’il est agité, ténu, inflammable, coagulable, lent, malin; c’est de là qu'on tire les indica- üons, À la fin du n° 8, il ajoute : «D'après les médecins mécaniciens, et surtout d’après l'expérience, plus savante encore que tous les mécaniciens, il est établi que la saignée peut résoudre les stagnations d’humeurs commencantes, et apaiser d'emblée leur trop grand orgasme, » (5) Par exemple, il a compris toutes les difficultés que présentent les maladies de poitrine. On voit à ses exclamations combien il serait heureux d’avoir quelque moyen de diagnostic: — Oh! combien il est difficile de guérir les maladies du poumon ! combien difficile de les reconnaitre et de donner un pronostic! Les plus habiles, les princes de la médecine, s’y trompent (Praxis medica, X, 1x, De pleuri- tide). — Ii a trouvé (/bid.) à l'autopsie des tubercules qui n'avaient pas, pendant de longues années, donné signe de leur présence, et qui tout à coup se révélaient après une pleurésie ou une fièvre, et tuaient le malade, 798 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ITALIENNE. La véritable base de la pratique, ce sont les indications; une fois qu’elles sont trouvées, les médicaments s'offrent d’eux- mêmes. Jusqu'à présent, la science des indications, tirée des plus vaines théories, repose sur les plus trompeuses hypo- thèses (1). Voyez plutôt les galénistes, ils ne songent qu’à éva- cuer une des humeurs peccantes (2). Après les galémistes, ce sont les médecins qui poursuivent le « triste fantôme des acides et des alcalis, » quoiqu’on ne sût ni quel acide produisait les maladies, ni quel alcali les guérissait. Mille causes donnent naissance aux maladies, même en restant dans le cercle des humeurs qui agissent en vertu d’une qualité spéciale qu’elles acquiérent. Comment, par exemple, ne pas tenir compte des principes coagulants, dissolvants, relâchants, astringents? (4) Comme tousles sectaires, Baglivi proteste de son aversion pour les hypothèses, et de son goût pour la seule expérience ou pour l'observation : « IL n’est pas rare, dit-il, d'arranger dans son cabinet de fort belles idées, qui semblent parfaitement conformes à la raison, et que l’on peut regarder comme certaines. Essayez un peu de les mettre en pratique, et vous en verrez sur-le-champ l'impossibilité, l’absurdité même. [y a une foule de choses, au contraire, en fait de traitement surtout et de remèdes, qui paraissent au premier abord inutiles ou déraisonnables, soit qu'elles ue rentrent pas parfaitement dans nos hypothèses, soit que nos connais- sances ne nous permettent point d’en donner quelque raison suffisante ; soumettez- les cependant au creuset de la pratique et de l'expérience, et vous y trouverez à la fois des moyens sûrs et pleins d'utilité.Laissons donc à la pratique et à la théorie la place qne chacune d'elles doit occuper dans la science ; c’est le meilleur moyen, selon nous, de donner à la médecine l’appui dont elle a besoin, et la force qui doit l’élever au-dessus de ce qu’elle a toujours été (Praxis med., 1, x1, 7 ; trad. Bou- cher. « En ce qui me concerne, dit Raglivi » (Praxis med., X, xu, 10), je me tiens aux hypothèses tant qu’elles me paraissent suivre exactement les traces de la nature; pour peu qu'elles s’en écartent, je les laisse et je suis la nature, qui est notre meilleur guide, » — Les médicaments guérissent, non les hypothèses (Zbid., IT, x, 3). Aussitôt Baglivi ajoute pour mieux prouver qu'il ne fait pas d’hypothèses : presque toujours ces médicaments guérissent sans produire aucune évacuation sen- sible, mais seulement en rendant aux fluides malades et aux solides le ton et l'énergie qu'ils avaient perdus. — Enfin il dit (/b#4., IE, x, 6): « Totus sum in ob- servando, » (2) Il est possible que Baglivi ait raison contre ceux qu'il appelle les galénistes des deux derniers siècles; mais il est certain que pour Galien les indications em- brassaient beaucoup plus de choses que les quatre humeurs cardinales. Ses Com- mentaires sur Hippocrate, ses ouvrages sur la thérapeutique le prouvent surabon- damment, On n’est presque jamais juste envers ses adversaires. BAGLIVI. — PHYSIOLOGIE ET PATHOLOGIE. 799 «Îly a des maladies, et en grand nombre, qui n'ont pas d'autre cause qu’une sorte de modification dans la texture natu- relle ou dans l’arrangement des parties élémentaires qui consti- tuent l’une des humeurs de l’économie ; cette modification elle- même peut être le produit d’une influence externe, mais elle peut dépendre aussi d’une agitation intestine, d’une action réci- proque des solides sur les fluides, en vertu de laquelle tout change dans les molécules élémentaires, le mouvement, la forme et les rapports ; et c’est Ià une source abondante de maladies. Or, dans ce cas-là, qu'importe la nature des médicaments? Chauds ou froids, acides ou alcalhins, doués de vertus semblables ou de vertus contraires, administrés à l’intérieur ou bien à l’exté- rieur, pourvu qu'ils soient en état de rendre aux fluides ou aux solides le ton et l’arrangement qu’ils ont perdus, soyez sûrs qu’ils sont parfaitement propres à guérir l'espèce de maladie dont nous parlons. « C’est là ce qui explique une anomalie singulière, dont nous sommes témoins à chaque pas. On voit tous les Jours, par exem- ple, une seule et même maladie céder également bien à des mé- dicaments chauds et à des médicaments froids ; à des remédes et même à des méthodes absolument contraires. D’un autre côté, l’eau de Spa, dont la juste réputation est faite depuis si long- temps, dans les cas de suppressions de règles, l’eau de Spa, di- sons-nous, au témoignage de Henri de Heers, est encore le plus sûr et le meilleur moyen d'arrêter les pertes, ou de modérer l'écoulement exagéré des règles. On en pourrait dire autant, du reste, de la plupart des autres remèdes » (trad. Boucher). Suivant Baglivi, les indications se tirent, en premier lieu, des symptômes dominants, puis de la nature, de la cause et de la vio- lence de la maladie. C'est à peu près ce qu'avait dit Galien. ne suffit pas d'affirmer qu'un remède est spécifique contre telle ou telle maladie, par exemple le lait contre l'acrimonie, les évacuants contre les excès d’humeurs, la saignée contre la pléthore ; 1l faut encore tenir compte de mille circonstances acces- soires ou prineipales, savoir la meilleure manière d'administrer le remède, le temps de la maladie ou même de l’année où l’on peut l’administrer, et connaître toutes les règles à suivre; la 800 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ITALIENNE. même maladie réclame des médicaments très-divers, et les mêmes médicaments agissent de différentes manières (1). « Les remèdes spécifiques sont particulièrement nécessaires dans les maladies chroniques. Quelle est, en effet, la cause de ces maladies? Un épaississement, une élaboration incomplète des humeurs, et, la plupart du temps, une lésion des solides orga- niques bien plutôt que des fluides. La nature, habituellement étouffée sous le poids d’un mal qui ne finit pas, n’a plus l’éner- gie nécessaire pour opérer la coction et la dépuration de la ma- (1) Certainement, Baglivi va beaucoup trop loin, et tombe dans le faux, lorsque (Praxis med., T, 1x : De lue venerea et morbis glandul.) il veut établir des diffé- rences de siége ou de symptômes assez profondes dans le mal vénérien, suivant les positions sociales, ou le sexe des individus qui en sont affectés : « Quand le mal vénérien s’est fixé pendant longtemps sur quelque organe, il en diminue le ton ct l'énergie. J’ai vu, par exemple, un homme tomber dans l'impuissance absolue des organes de la génération à la suite d’une gonorrhée chronique; chez un autre, un ulcère aux parties génitales eut exactement le même résultat. Les professions diffé- rentes, les diverses positions sociales font varier également le siége des symptômes syphilitiques, qui semblent avoir, suivant les circonstances, des organes de prédi- lection. Ainsi, les hommes de peine et les gens du peuple, obligés de gagner chaque jour le pain qui doit les nourrir, ontles articulations généralement affaiblies par la fatigue d’un travail incessant. Que ces hommes soient soumis à l'infection vénérienne, et vous verrez chez eux le mal se fixer sur les articulations avec une sorte de préférence, précisément à cause de la fatigue toute spéciale de ces organes. Aussi, dans cette condition de la vie, c’est habituellement sous la forme de douleurs articulaires, de paralysies ou autres maladies des articulations que se manifeste l'affection syphilitique. Chez les hommes de lettres ou de cabinet, dont la tête est généralement épuisée par l'étude, c’est la tête qui devient le siége principal de la maladie, et la syphilis, dans ce cas, se traduit ordinairement par des affections céré- brales. Les musiciens, au contraire, dont les poumons chaque jour en jeu offrent par cela seul moins de résistance à la maladie, voient chez eux la syphilis assiéger pour ainsi dire cet organe et ne s’en éloigner jamais ! Quant aux femmes, celles du peuple comme celles du monde, les habitudes sédentaires ou même l’oisiveté qui leur sont habituelles amassent aux environs du mésentère une grande quantité d'humeurs crues et épaisses dont la présence finit par éteindre le ton de cet organe; aussi est-ce là que se manifeste plus spécialement la syphilis chez les femmes, En général, toutes les personnes qui vivent au sein du luxe et du loisir, quand elles ont contracté la syphilis, deviennent habituellement la proie d'accidents de la même nature : ce sont des crudités, des obstructions, de l'inappétence, de la pâleur, des fièvres mésentériques lentes, des phthisies, des hydropisies, tout ce qui fait enfin le cortége des maladies du mésentère. » | | | | BAGLIVI. ——= PHYSIOLOGIE ET PATHOLOGIE. 801 uère peccante; il faut donc que le médecin éteigne lui-même l'espèce morbide au moyen de quelque médication spéciale ; ou bien, 1l faut relever le ton de l’organisme avec des médicaments spiritueux, analeptiques et amers; de cette façon, l’économie, délivrée de sa torpeur, peut à la fin secouer elle-même le joug si lourd que la maladie faisait peser sur elle. Voilà sans doute pour- quoi, dans la pratique, on voit aujourd’hui si souvent les mo- dernes avec leurs médications spiritueuses, volatiles ou exci- tantes, réussir si bien dans les maladies chroniques et si mal dans les maladies aiguës. Dans celles-ci, en effet, les fermen- tations se faisant avec énergie et promptitude, et les solides ayant généralement leur intégrité de fonctions, la nature n’a be- soin de rien, ou du moins elle a besoin de peu de chose pour opérer elle-même la coction rapide, l’épuration de la matière peccante et pour en débarrasser l’économie au moyen des éva- cuations qu'elle sait choisir mieux que personne. « Cependant, lorsque les maladies aiguës ont leur source pre- mière dans quelque modification inconnue de l’atmosphère, ou dans un changement de constitution médicale, le meilleur moyen et le plus sûr pour trouver des médicaments qui puissent combattre et étouffer cette espèce nouvelle, c’est l'observation attentive et répétée des résultats, bons ou mauvais : on voit tous les jours des remèdes qui, dans une épidémie donnée et sous l'influence d’une constitution médicale particulière, font autant de bien qu'ils font de mal dans une épidémie différente et sous l'influence d’une autre constitution. « Puisque nous en sommes sur le sujet des maladies aiguës, essayons de montrer en passant combien est grave l’erreur de ces médecins qui viennent tourmenter les maladies aiguës et inflammatoires, et qui font si bien, avec tous leurs remèdes, que la nature enfin, ne sachant plus que faire, tiraillée d’un côté par la maladie, de l’autre par les médicaments, doit finir nécessai- rement par succomber dans la lutte. Ces résultats n’ont rien que de naturel. Examinons, en effet, la marche des maladies aiguës, celle des fièvres surtout : fort souvent elles guérissent toutes seules; c'est ce qu'on voit tous les jours chez les pauvres et les gens de la campagne (!); ce même bouillonnement des hu- DAREMBERG. o 802 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ITALIENNE. g meurs, qui est la source de la fièvre, est aussi le moyen qui détermine en un temps donné la coction et l'élimination de la matière morbide. Or, cette élimination, c’est à la nature seule qu'il appartient de la faire, et voilà pourquoi le traitement des fièvres aiguës est un écueil où les médecins échouent mille fois plus souvent et plus dangereusement qu'ailleurs. Une si grande quantité de remèdes, ou des remèdes donnés avec si peu de mé- thode finissent par jeter dans les mouvements si réguliers de la nature le trouble et le désordre ; au lieu de diminuer, la fièvre augmente, les crises n’arrivent pas au moment déterminé, et le malade, trop faible pour résister à tant d’assauts, va tout droit à la mort ou aux maladies chroniques (Praxis med., I, x1; 5-6. Trad. Boucher). » Afin de compléter l'histoire des plus importantes parties de la doctrine physiologique et pathologique de Baglivi, ou mieux pour en donner en quelque sorte la quintescence, le nœud, le lien com - mun, il nous faut rappeler son opinion aussi fausse que célèbre sur les mouvements de la dure-mère, les oscillations des solides et les ondulations des liquides (1), qui en sont la conséquence, opi- nion qui se lit au chapitre cinquième du premier livre du traité De fibra motrice specimen. Après avoir rapporté de curieuses observations ou expériences faites, soit par lui seul, soit en com- pagnie de son ami Pacchioni, et jde Pallili, pour reconnaitre la structure de la fibre chez divers animaux, même chez les pois- sons (chap. 1); après avoir établi, comme Borelli, mais avec quelques nuances, que le cerveau et le cœur par le fluide nerveux et le fluide sanguin (2) président aux mouvements (chap. 1v), notre auteur arrive à comparer les mouvements du cœur avec ceux de la dure-mère, qu’il appelle le cœur du cerveau et aussi un diaphragme (3), vu son organisation, son aclion comprimante (4) Canones de med. solidor,, 31 et 47. (2) Au chapitre vi, on lit : « Il est indubitable et certain que toute sensation et tout mouvement dépendent de la mutuelle union ou relation (mutua consensione) du cœur et du cerveau. Le cœur envoie le sang aucerveau, et le cerveau le fluide nerveux au cœur, par un perpétuel échange. (3) Voy. Dissert, vart arqum., 1, t. IL, p. 682. BAGLIVI, — PHYSIOLOGIE ET PATHOLOGIE, 803 et son mouvement de diastole et de systole. Même, d'observations faites sur un enfant hydrocéphalique, sur des individus porteurs de fractures du crâne, enfin d'expériences sur les animaux (4), Baglivi conclut que ces mouvements innés, c’est-à-dire contempo- rains de la formation du fœtus, viennent, non pas des artères (ce- pendant il a constaté l’isochronisme des mouvemenis de la mé- ninge et du battement des artères), ni des nerfs qu’on suppose s’y ramifier, ni d'autre chose, mais uniquement d'elle-même et de sa structure. À quoi sert ce mouvement de la dure-mère ? Il est le moteur premier de tous les mouvements normaux ou pathologiques de l’organisme, en raison de la continuité des oscillations de la mé- ninge à travers les fibres, et en raison de la contractilité de ces fibres (2), qui à leur tour agissent sur les liquides, quand ces liquides n'irritent pas directement la fibre : c'est là ce qui explique (4) 11 faut lire toutes ces expériences (voy. par ex. les Experimenta, dans De fibra motrice specunen, 1), faites en pure perte par Baglivi, mais qui peuvent servir, à un autre point de vue, aux physiologistes modernes. (2) « De même que les petites statues mécaniques exécutent divers et admirables mouvements des mains, des pieds, de la tête et de tout le corps sans l’impulsion d'aucun fluide, mais seulement par l'assemblage spécial des solides et la connexion variée du ressort des roues et des cylindres, etc., comme on le voit aussi dans les hor- loges, pourquoi ne pourrions-nous pas cousidérer les fibres humaines comme autant de petits et nombreux leviers, lesquels, à la moindre impulsion du fluide, acquièrent un degré de mouvement qui va toujours en croissant et se propage en un instant à travers la continuité des parties? Et pourquoi n’admettrions-nous pas que cette force presque merveilleuse des solides se mouvant eux-mêmes, consiste plus dans l'ar- rangement particulier de cylindres, de fuseaux et de roues, pour ainsi parler, que dans cette grande activité qu'on attribue gratuitement et sans preuve certaine aux esprits animaux ? J'avoue sans peine que le fluide nerveux donne la première im pulsion, la première excitation au mouvement; mais la force considérable qui est nécessaire à l'exécution des mouvements dépend du mécanisme particulier des fibres et en reçoit sa continuité et son accroissement... Ainsi, la fibre des sens étant touchée par les objets externes, l'impression du mouvement arrivera plus vite au cerveau par la continuité de ses plus petites parties que par la continuité des plus petites parties du liquide coulant en lui ou derrière lui; et ainsi les fonctions des sens s’expliqueront plus facilement par l’oscillation et la collision rapide du solide avec le solide que par l’ondulation du fluide faisant effort sur le solide (De fibra motrice specimen, 1, Nu, p. 384-385), » Voyez aussi les chapitres suivants var etix, et Déssert, varit argum., Disser{, II, 804 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ITACIENNÉ. toute la physiologie et toute la pathologie ; c’est là aussi ce qui donne une si grande supériorité aux solides sur les fluides. Puis Baglivi s'éerie (chap. 1x, init.) : « On croira difficilement combien les explications données dans ce chapitre auront d’uti- lité pour l'avancement de la pratique médicale, et combien elles jettent de lumière sur la connaissance et le traitement des mala- dies, surtout en tant qu’elles sont guéries sans aucune évacuation de malière (1), mais en relâchant les solides trop crispés, trop tendus, et en les crispant quand ils sont trop relâchés(2) : car ces deux vices des solides pervertissent et troublent d'une manière étonnante la nature et le cours des fluides. De là, pour de nom- breuses maladies, l’occasion de se produire, maladies que les médecins vulgaires attribuent immédiatement aux fluides, tandis qu’elles viennent en réalité des solides, causes premières de leur invasion, comme s’en assurera le médecin qui lira avec un es- prit équitable et impartial cet essai sur la mécanique des so- lides, écrit pour illustrer l’histoire et la nalure des maladies. » Voici maintenant quelques extraits où l’auteur cherche à mettre d'accord le cours du fluide nerveux et les mouvements (4) Voy. plus haut, p. 764, une opinion analogue dans Borelli. (2) «On peut s'assurer, par l'observation quotidienne des maladies dans les hôpi- taux, que c’est la diversité de tonicité et de force dans la dure-mère qui dirige diver- sement aussi le cours des fluides dans les parties sous-jacentes, et qui communique aux solides eux-mêmes leurs différents mouvements d’oscillation. Donc, si la tête est le siége d’une blessure, d’une douleur ou de torpeur, observez a ussitôt les changements qui se produisent dans les parties inférieures, J'ai vu une femme sepluagénaire souffrant d’un asthme aigu avec toux continuelle ; toutes les fois que de ses deux mains elle comprimait fortement le sommet de sa tête, aussilôt et pendant le temps que durait la pression, l’asthme et la toux catarrheuse se calmaient ; aussitôt qu'elle ôtait ses mains, le mal revenait. Peut-être cette forte . pression des mains se faisait-elle sentir au péricrâäne et successivement à la dure- mère, qui lui donne naissance, Par ce moyen, la dure-mère prenant de la force et de la tonicité, les mouvements des liquides étaient mieux dirigés dans les parties inférieures, ce qui faisait incontinent cesser l'asthme et la toux. Je ne vois pas qu’on puisse rendre raison de ce cas d’une mauière plus probable. Ceci étant admis comme vrai, on ne doit certainement pas railler les anciens, lorsque dans les diverses maladies de cette espèce ils appliquent sur la tête des cérats fortifianis pour arrêter les fluxions, et empêcher, comme ils le disent, l’afflux des humeurs aux parties infé- rieures, » De fibra motrice specimen, T, v, p. 342, BAGLIVI. — PHYSIOLOGIE ET PATHOLOGIE. 805 propres à la dure-mèêre, et où il tâche aussi de nouveau, par la clinique et par les expériences, de fortifier son opinion (1). « Le fluide nerveux, poussé à travers les nerfs vers les parties par la continuelle circumpulsion de la dure-mère (mouvement systaltique ou successif), ne revient pas au cerveau par les vais- seaux de retour, comme le sang vers le cœur par les veines, mais il reste dans ces vaisseaux, y demeure et s’y perd; on peut croire que, pendant ce temps, il produit en eux de la vigueur, de la tonicité, et qu’il leur donne du ressort, même une certaine inclination occulte vers la systole et la diastole, et une grande facilité à se mouvoir. Comme la dure-mère est continue avec les parties, il arrive que, par une sorte d’ondulation, les mouve- ments occultes systaltiques ou successifs des parties se reflètent et sautent, pour ainsi dire, sur la dure-mèêre (mouvement systal- tique réflexe) et de celle-ci sur les parties, à cause de la conti- nuelle fluctuation de ces mouvements (2). Par suite de l’équi- libre ou proportion du mouvement successif de la dure-mère vers les parties, et réciproquement, la dure-mère est le siége d'un effort continu de contraction et de ressort, outre que les artères de la dure-mère ou les nerfs qui viennent vers elle, sont pour beaucoup dans cette action, comme on le croit généra- lement (3). À cause de cela, c’est-à-dire par suite du défaut d'équilibre entre le mouvement de réflexion dans les parties susdites, on voit souvent des mouvements convulsifs se manifes- ter dans les parties et se propager peu à peu jusqu’à la tête; quelquefois aussi, commençant à la tête, ils descendent vers les parties (4). (4) Voy. aussi De motu meningum et oscillatione solidorum Philippo Hecquet Epistola. (2) Voy. cependant p. 803, 1. 5 suiv. Cf. p. 802 et note 2 de cette page. (3) De fibra motrice specimen, \, v ; t. 1, p. 339. (4) « Pour que les ordres de l'âme arrivent presque instantanément aux parties, le fluide nerveux et les méninges reçoivent les impressions de la direction déterminée par l'âme et les transmettent aux parties par le mouvement systaltique déjà men- tionné. Pour que les impressions faites par les objets extérieurs dans les sens externes soient perçues par l’âme, il faut que des sens elles arrivent au cerveau par le fluide nerveux, et aussi par les méninges elles-mêmes qui se prolongent dans les parties sensibles, Cela doit s’opérer par un mouvement différent du premier, mou- 806 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ITALIENNE. De la théorie des oscillations et des ondulations, il n’y a pas loin à celle des sympathies, aussi Baglivi n’a pas manqué de traiter ce sujet au point de vue de la mécanique. « Qu'est-ce que le corps humain ? Un faisceau de fibres mêlées de mille manières, enchaînées l’une à l’autre et se mouvant sous l'impulsion d’un fluide qui semble tenir, dans l’économie, la place du ressort en mécanique; admirable unité de structure, d’où viennent ces sympathies de l'organisme célébrées par le grand Hippocrate [De l'aliment, 231 sous des noms variés : Consensus unus, conspiratio una, consentientia omnta. «Quand nous parlons de ces étonnantes sympathies organiques, ce n’est pas que nous voulions défendre le vieux systéme des vapeurs qui s'élèvent d’un organe vers un autre, système com- plétement abandonné par les modernes. Pour nous, toute sym- pathie est le résultat direct de l’une des causes suivantes : D’a- bord, la contiguité des organes, comme cela se voit entre la plèvre et le diaphragme, la vessie et le rectum, ete.— En second lieu, la communication des vaisseaux, et il y en a de plusieurs sortes : celle qui fait un tout de chaque système, veineux, artériel, ner- veux, et ainsi de suite, et celle qui unit ensemble des organes voisins, comme fait le canal cholédoque pour le foie et l'intestin. — La troisième cause, enfin, d’où je fais dépendre les sympa- thies organiques, c’est l’analogie et la continuité des substances, telle qu’on l’observe, par exemple, d’une façon merveilleuse entre toutes les parties membraneuses de l’économie. C’est cette connexion admirable qui produit, dans les opérations vitales, une suite de phénomènes si prodigieux, si incompréhensibles, que vement que nous appelons réflexe, parce que c’est comme par réflexion qu'il se propage en un moment des parties au premier mobile de la dure-mère, Afin qu’il ne s’élève pas de confusion entre les deux mouvements, c'est-à-dire entre le commerce avec les sens et vice versa, nous pensons que la nature a créé deux mé- ninges (Baglivi ne connait pas l’arachnoïde ; s’il l’eùt connue, qu’en aurait-il fait?), dont l’une est destinée à recevoir les impressions des ordres de l’âme et à les transmettre aux sens; l’autre à recevoir les impressions des parties faites en celles-ci par les objets extérieurs, et à les transmettre rapidement au cerveau, prin- cipal siége de l'âme. » De fibra motrice specimen, X, \, p. 344. — En laissant de côté les erreurs considérables qui déparent cette physiologie, on y pourrait peut-être retrouver quelques germes des idées modernes sur les actions réflexes. _ BAGLIVI. — RAMAZZINI. 807 l’homme n’a souvent qu’à s’humilier"devant le mystêre où s’en- veloppe la nature. | « Si l’on admet une fois cette sympathie nécessaire, les signes fournis par des organes éloignés ne peuvent plus devenir pour l'intelligence, lorsqu'elle poursuit la recherche des causes pro- chaines, une source d’illusion et d'erreur ; mais il n’en faut pas moins apporter dans cette recherche toute l’attention possible, car c’est d’elle seule que dépend pour nous la connaissance plus ou moins prompte, plus ou moins facile, des obscurs phénomènes qui semblent se passer sur les limites de la nature; cette at- tention est plus spécialement nécessaire encore, lorsque l’ac- tion d’une cause morbide s’exerce sur des organes revêtus, pour ainsi dire, de fonctions publiques, tels que le cœur, par exem- ple, le poumon, le cerveau, le système nerveux, dont les souf- frances, presque toujours, se traduisent par des symptômes qui sont exactement les mêmes. Or, c’est ce qui se voit tous les jours, surtout dans les fièvres malignes, dont le foyer s'allume tantôt sur un organe, tantôt sur l’autre, si bien que l’investigation des lésions fonctionnelles devient alors pour le médecin le seul moyen de s’y reconnaître (Praxis med., IL, 1x, art. 3, n. 6; trad. Boucher)» | L’étude que nous venons de faire des œuvres de Borelli, de Bellini et de Baglivi nous a fourni la connaissance des principes de l'École iatromécanicienne pour la physiologie et la patho- logie, car elle n’a rien innové en anatomie : en Italie, on suivait Mälpighi, et dans les autres pays, les anatomistes en renom. Il nous reste à vous indiquer les nuances, les rectifications ou additions qui se sont produites soit dans la Péninsule, soit en Angleterre, en Hollande et en Allemagne, pour avoir, sinon le tableau complet, du moins une esquisse suffisante de la doctrine. C’est, Messieurs, cette esquisse que nous allons essayer de vous présenter, en nous conformant à notre méthode ha- bituelle, c'est-à-dire en interrogeant les textes. Bernard Ramazzini (1633-1714), de Modène, professeur à Padoue, collègue de Morgagni et de Vallisnieri, Ramagzini, I FRET 808 1JATROMÉCANISME. . — ÉCOLE ITALIENNE. médecin et fort versé dans les mathématiques, est un homme de grande érudition, un écrivain élégant, mais âpre à la dispute (1); c’est surtout un éclectique quicherche et trouve partout des expli- cations, dans le « divin maître » Hippocrate, comme dans Baillou, Sydenham, Sylvius de le Boe, Borelli, Bellini et Descartes. On ne peut donc pas, avec Puccinotti (2), le ranger parmi les coryphées de l'iatromécanisme. Ce qui domine dans ses œuvres, c’est la méthode de Sydenham pour l'observation des maladies (les Con- stitutions ont été écrites avant la Praxis medica de Baglivi), et la doctrine de Sylvius pour la pathologie générale. Il suffira de quelques remarques extraites de ses Constitutions épidémiques et de ses Oraisons pour s’en convaincre. Dans la Constitution médicale de 1690 ($ 26 et suiv.), Ramazzini expli- que les fièvres intermiltentes ou rémittentes graves de cette constitution de façon à satisfaire toutes les sectes, ou du moins à n’en mécontenter aucune. Dans ces fièvres, la masse du sang, ayant dégénéré de son état naturel de douceur et de fluidité, a acquis une consistance trop grande; en effet, la proportion manque entre la bile devenue languissante et le suc pancréatique qui l'emporte. D’après une ingénieuse pensée du célèbre Sylvius, confirmée par des raisons (1) A propos de la relation de l'accouchement et de la mort d’une marquise, publiée par Ramazzini en 1680, Haller compte une série d'au moins douze atta- ques et répliques entre l’auteur et son antagoniste Moneglia. (2) Storia della medicina, vol. I, p. 198 et suiv. Firenze, 1869. — On en peut dire à peu près autant de Lancisi, l’ami de Ramazzini, quoiqu'il admette la théorie mécanicienne des sécrétions (celle de Guglielmini, voy. plus loin, p. 822), et qu'il donne une place dans la médecine aux sciences exactes et à la mécanique, en se fondant sur ce texte de l'Écriture : « Omnia in numero, pondere et meusura ; » mais il admet aussi la chimie. C’est surtout comme clinicien que Ramazzini mérite les éloges de l'historien. — Du moins, on doit remarquer, avec Puccinotti, que Ramazzini, grâce à ses connaissances profondes en mathématiques et en hydrau- lique, a rendu de vrais services en propageant l'usage des puits artésiens. C’est lui aussi qui a décrit (De petrolaeo montis Zibini) des sources de pétrole près de Modène ; il sait que le pétrole purifié donne une flamme brillante. Avant Ramaz- zäni, Fallope recommandait le pétrole pour les ulcères invétérés, et au temps de Ramazzini on l’employait comme anthelmintique ; lui-même le prescrit contre cer- taines affections de la peau et contre beaucoup d’autres maladies (chez les animaux et chez l'homme), dont 27 donne le détail. D on RAMAZZINI. 809 et des expériences (!), C’est du ciel principalement que les esprits volatils descendent sur la terre, tandis que de la terre, qui est remplie de sucs minéraux, s'élèvent sans cesse des particules acides. Aussi, comme dans la constitution pluvieuse et froide de l’année 1690, l'air manquait de parties volatiles et spiritueuses, et, d’un autre côté, était chargé de particules acides sorties d’une terre fangeuse et pour ainsi dire en fermentation, il n’y a pas lieu de s’étonner si, entrant dans l'organisme, ces sels ont produit la diathèse d’où est sortie une si grande quantité de fièvres. Ce qui prouve, au dire de Ramazzini, que la dyscrasie acide a prévalu en général sur la bilieuse et l'alkaline, c’est premièrement que, durant celte année, dans cette ample moisson de fièvres, il ne lui à point été donné d'observer aucune synoque, aucune fièvre ardente ; en second lieu, que le plus souvent ces fièvres furent plutôt accompagnées d’une espèce de boulimie que d’une soif intense. Dans une année qui fut marquée par beaucoup d’inégalités de température, où les céréales et les autres aliments furent si viciés et si pituiteux, où l’on fut réduit à manger beaucoup de poisson, ce n’est qu'au suc pancréatique et non à la bile qu’on peut attri- buer tant de fièvres, car il n’y avait pas une matière suffisante pour engendrer une abondance de bile telle que toutes les fièvres fussent sous sa dépendance, comme on le croit généralement. Il n'y a pas lieu à recourir non plus aux influx célestes, comme si les astres regardaient avec plus de malignité les habitants de la campagne que ceux de la ville, supposés moins coupables ; outre qu'il n’est pas probable que les influx célestes aient pu être cir- conscrits dans un espace si étroit. On ne saurait pas davantage s’en prendre aux exhalaisons souterraines, puisqu'on n’avait pas entendu parler de tremblement de terre, et que dans la grande plaine Cispadane et Transpadane, où exerçait Ramazzini, il n'existe ni antres, ni ouvertures charoniques par lesquels pour- raient s'échapper de pernicieux effluves qui souilleraient l'air. Pour ce qui est de la cause interne, qu'on appelle conjointe, continue notre auteur, elle ne devait être rapportée qu’à une pituite épaisse et visqueuse à laquelle adhérait un ferment acide. Cette pituite ou bien occupait l'estomac, comme le veut Etimüller, 8160 TATROMÉCANISME. — ÉCOLE ITALIENNE. ou obstruait les conduits latéraux du pancréas, comme décide Sylvius. Cette matière, transvasée dans les veines et mêlée aux parties spiritueuses du sang, excitait l’effervescence fébrile; quelque affaiblie, en effet, et languissante que soit la masse du cruor, elle contient toujours, cependant, quelque chose d’hui- leux et de sulfureux qui suffit à nourrir la flamme vitale. Le foyer fébrile se trouvait donc hors des vaisseaux sanguins, comme dans toutes les fièvres périodiques ; autrement il serait très-difficile de distinguer les fièvres intermittentes de celles qui sont vraiment continues, fièvres que le divin maître, Hippocrate, reconnait sous le nom de feu (xs). On ne peut concevoir, en effet, disait le savant Descartes (t. 1, Ép. 51? — et 88; éd. Cousin, t. VIT, p. 558), quelle peut être la cause du circuit, si ce n’est une certaine matière qui a besoin d’être müûrie avant de se mêler à la masse sanguine, laquelle matière, portée au cœur par les veines, peut exciter tant de troubles et soulever la tem- pête fébrile, tempête qui ne s’apaisera que quand cette matière hostile se dissipera, sous forme de sueur, par tout le corps, ou sera expulsée par les voies urinaires. Quoi qu’il en soit de ces explications cherchées avec tant de peine, l'épidémie, bien que générale et marquée par des réci- dives, n’a pas fait de victimes ; le mal cédait aux efforts de la nature bien plus qu’aux remèdes, dont aucun ne fut profitable, pas même le quinquina, dont Ramazzini instruit, bien à tort, le procès à toute occasion, sous prétexte qu'i/ #’amène aucune évacuation de la matière morbide (1). Puis, à côté de ces larges emprunts faits à l’humorisme et à la chimiatrie (2), Ramazzini (4) Voyez, en particulier, Constitut, annorum 1692-1694, $ 56, et sa Dissert, epist. de abusu Chinae, qui est une réaction contre le « nimius et impudens usus » de cette écorce (Oratio nona). I est un peu plus juste dans l'Oratio quarta, — Dès ses débuts, Torti a dù combattre les exagérations de Ramazzini. On sait que justement Baglivi (voy. plus haut, p. 804 et la note) appuyait sa doctrine solidiste en thérapeutique sur ce que la plupart des médicaments amenaient la guérison sans produire les évacualions recherchées par les humoristes. (2) Dans la Constilutio urbana, 36, il rappelle l'aphorisme des médecins her- métiques : « Alkalia per acida et acida per alkalia emendari, » Ettmüller est un de ses guides, RAMAZZINI. 811 vante plusieurs explications de Bellini ($ 49; Constit. urbana, $ 12) et la science de Borelli; cependant il blâme, dans sa qua- trième Oraison, les hypothèses mises en avant par les écoles pour expliquer les fièvres; et il a prononcé un Discours très- sensé, le neuvième, sous ce titre : Theoricae medicinae nullum jus esse ut supra practicam dominatum affectet. Ramazzini passe, avec raison, pour un très-habile observateur, car la théo- rie ne l'aveugle pas à ce point qu'il méconnaisse les véritables caracières des maladies qu’il a sous les yeux. A cet égard, il égale les grands cliniciens du xvir siècle, et surpasse quelquefois Baglivi lui-même. On reconnait bien aussi le praticien, l'obser- vateur dans son livre Sur les maladies des artisans, si souvent imprimé et traduit, et d’où, malgré les imperfections, qui tien- nent surtout au défaut des moyens de diagnostic et à lab- sence de la statistique, on peut encore tirer de bonnes notions. Hippocrate ne nous à pas donné un tableau plus saisissant des angoisses et des embarras d’un médecin, en présence des mala- dies aiguës, que celui que retrace Ramazzini dans sa cinquième Oraison : « Rien ne peut mieux donner une idée d’une maladie aiguë dangereuse que la vue d’une tempête sur la mer. Figurez-vous un navire battu des vents, en perdition, et les matelots inquiets cherchant à l’arracher aux flots. Le pilote prévoyant, non-seule- ment est loujours prêt contre un coup de vent subit qui s’abat sur le navire; mais aussi, dans la prévision de signes menaçants, il à soin de faire serrer les agrès et appuyer vigoureusement sur les rames, comme autrefois Palinurus, célèbre nautonnier chanté par Virgile; il ordonne de replier les voiles, ou de les pré- senter obliquement au vent pour diviser son impétuosité ; il jette les ancres, tenant le gouvernail dans sa main; il a les yeux fixés sur les cordages; il rassure les timides, et se prépare à lutter énergiquement contre les vents et la mer. Puis, s’il voit que la fureur de la tempête augmente, et que le naufrage paraisse imminent, il fait alléger le navire et jeter à la mer non-seule- ment les bagages qui ont le moins de valeur et les plus pesants, mais aussi les marchandises plus précieuses, apportées avec tant 812 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ITALIENNE. de peine et de soin des extrémités de la terre, comme s’il pensait pouvoir apaiser par ce sacrifice la colère de Neptune. » Voyons maintenant le médecin affairé autour du malade luitant contre une maladie dangereuse ; n’agit-1l pas comme le pilote? D'abord il exhorte les assistants à remplir leurs devoirs; il puise avec sollicitude dans l'arsenal de la médecine : le pouls est dans sa main comme le gouvernail ; son regard ne quitte pas le visage du malade pour ne perdre aucun symptôme ; il feint l'espoir, apaise les cris et les gémissements des femmes; sil s'aperçoit que la tempête morbifique augmente, il allége le corps du malade du lest des humeurs, par en haut et par en bas, à l’aide de cathartiques et d’émétiques ; puis, recourant à la phlé- botomie, ancre de salut, il tire abondamment du sang en ou- vrant les veines, et, s’il le faut, les artères. Or, quoi de plus précieux que le sang, nectar vivifiant et ami de la nature, néces- saire, par-dessus toute chose, pour réparer les pertes quoti- diennes de la vie et nourrir la lampe vitale?» Après cette espèce de digression qui montre combien, même en ltalie, au plus fort de la médecine iatromécanique, la chi- miatrie d’une part, et surtout l’École hippocratique de l’autre, cherchaient à reprendre ou avaient conservé d’empire, nous de- vons revenir aux véritables iätromécaniciens. L'ouvrage de J. de Sandris (1), professeur à l'université de Bo- logne, a été publié en 1696, in-4°, à Bologne. Il paraît, on ne sait pour quelle raison, que l’auteur avait retiré lui-même du com- merce une partie de l'édition, ce qui avait rendu le livre très- rare. Junken, qui nous apprend cette particularité, eut l’idée de la réimprimer à Francfort en 1712, in-8°, et cette édition n'est guère plus commune que l'édition originale. Du reste, ce traité n’a pas grande valeur, car on n’y rencontre, ni rien de bien nouveau, ni une doctrine arrêtée, mais, au contraire, beaucoup de vues très-étranges ; il semble, toutefois, une réaction de l’humorisme mécanique contre le solidisme de Baglivi. De San- dris pense que, non-seulement le cœur gauche pousse violem- (1) De natural et praeternaturali sangquinis statu specimina medica, cum tractatu de ventriculo et emeticis, DE SANDRIS. 815 ment le sang par sa contraction, mais que le sang lui-même ajoute à la puissance du cœur par son propre poids ou par une autre qualité ; 1l ajoute que les coins des petites particules du sang, en s'insinuant dans les fibres des tuniques artérielles, les contractent et resserrent les artères, de sorte que le sang s’aide lui-même; ce qui n'empêche pas notre auleur d’ajouter que la force d’élasticité ou de contractilité des artères vient au secours du cœur pour pousser le sang des grosses branches vers les extrémités capillaires, les mouvements des artères ré- pondant exactement et synchroniquement aux mouvements du cœur. Enfin, les petites particules du sang se tiennent si bien qu'elles vibrent comme des verges roides, el cette vibration est circulaire, passant des artères aux veines (p. 106-109). Il va presque jusqu’à nier (p. 110-112) la différence qui existe entre les veines et les artères, en invoquant, entre autres raisons, celle-ci, que, si le sang artériel est moins dense et plus écarlate que le sang veineux, c’est parce qu’il est poussé plus violemment par le cœur. On ne peut être plus ignorant en 1696. De Sandris suppose (pp. 116-117) que le sang est, en raison de circonstances accidentelles, intumescent, et que cette intumescence se mani- feste par le pouls. Avec Borelli, Willis et Boyle, il admet un fluide élastique dans les nerfs, non qu'il soit démontré, mais pour les besoins de la cause (pp. 123-131). Le chyle amené par les artères sous-clavières, par celles du bras et des mamelles, est d’abord confondu avec le sang ; 1l s’en sépare dans le parcours pour devenir du lait dans les mamelles (p. 137). Sandris veut bien admettre (p. 145) que le sang est seul à fournir la liqueur séminale, et que le suc nerveux n’y est pour rien; c’est pour lui une idée fondée sur l'amplitude des artères spermatiques; du reste, il admet que le sang contient la matière active du suc nerveux. Dans tout cela, on retrouve certainement les principes de la doctrine iatromathématique, quoique notre auteur mette sur le même rang la chimie, la mécanique et l'anatomie (p. 153). La pathologie est à la hauteur de la physiologie. Toutes les maladies sont expliquées par une perturbation dans la qualité, la quantité ou le mouvement du sang (1). (4) A la page 465, il donne les raisons mécaniques (pesanteur) qui lui font soup- 81h IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ITALIENNE. Voici, en conséquence, ce que c’est que la pneumonie (1) (lisez péripueumonie, car il est question de douleur pungilive, attendu que le, poumon est sensible) : c’est une inflammation, un érysipèle causé par la stagnation dans les poumons d'un sang, où le sang lui-même, le chyle et la lymphe ne sont pas intimement mélangés (p. 203). — Tout n’est pas aussi mauvais, Dieu merci, mais le bon est bien clairsemé : et cependant, à lire les histo- riens de la médecine, on serait tenté de faire un certain cas de J. de Sandris. Les recherches que nous avons maintenant à signaler se rap- portent surtout aux mouvements des muscles, à la circulation des fluides et du sang en particulier, aux sécrétions, à la nutrition, à la fusion des théories de l’effervescence avec celle de la méca- nique, enfin à quelques points de pathologie. Ces recherches se rattachent trés-directement à celles de Borelli, qu’elles confirment, qu’elles étendent ou qu’elles rectifient sur plusieurs points im- portants. C’est là, avec le traité Du mouvement des muscles, la partie fondamentale du système physiologique des iatromécani- ciens; c’est sur les démonstrations mathématiques et méca- niques que je veux de nouveau appeler l'attention des hommes spéciaux ;.elles sont dignes de leurs méditations, malgré les hy- pothèses mal établies et d’évidentes erreurs qui tiennent à cette fatale idée que les mouvements vitaux sont purement méca- niques; idée qu'il appartenait sans doute à des mathématiciens de défendre, mais que les physiologistes doivent ramener dans les justes voies de l’expérimentation. Jean Bernoulli (1667-1748), successivement professeur de mathématiques à Groningue et à Bâle, où il remplaça son frère Jacques, appartenait à une famille d’origine suisse, et qui a donné à la république des lettres plusieurs savants illustres. conner que le sang qui arrive au cerveau n’est pas dans les mêmes conditions que celui qui part du cœur; au cerveau, il n'arrive que du sang sublimé ! (1) Daus cette deuxième partie du traité, presque toutes les maladies sont passées en revue (causes et traitement). té BERNOULLI.#— PHYSIOLOGIE. 815 remets Jean) Bernoulli a réformé Borelli sur deux points de la théorie du mouvement musculaire. Il a mieux déterminé la courbe que for- ment les petits espaces qui appartiennent aux fibrilles des mus- cles, espaces qui sont pressés uniformément et perpendiculaire- ment par l'aura élastique (1), et il a calculé plus exactement les raisons ou les causes des forces pour chaque degré de dilatation des fibres, eu égard au poids à soulever (2).— Entre autres causes de la paralysie (qu’on ne doit point attribuer uniquement, comme le prétend le vulgaire, à un arrêt de l'influx des esprits animaux), il reconnaissait l’extrème mollesse des particules qui constituent l'esprit animal, ou la trop grande dureté des globules sanguins, car dans l’un et l’autre cas il se produit soit la diminution, soit l'abolition de l’effervescence nécessaire pour exciter le mouve- ment musculaire (3). On y voit aussi qu’il expliquait beaucoup de maladies par des causes analogues, par exemple l’hydropisie tympanite par le trop d’acuité ou d’âcreté des particules des esprits animaux (4). Quant à l’effervescence, Bernoulli montre qu’en soi (reapse) elle ne diffère pas de la fermentation (9). Sans se préoccuper des acides et des alcalis, il affirme qu’il y a trois genres d’effervescence : mélange de deux corps fluides ; d’un (1) « Curvaturam, quam induunt spatiola ad fibrillas musculorum pertinentia, ab aura elastica undique aequaliter et ad perpendiculum pressa, rectius détermi- nasse, » — Bernoulli a calculé plus rigoureusement qu’on ne l'avait fait avant lui l'expansion des fluides élastiques. (2) « Rationes virium musculorum pro singulis gradibus dilatationis fibrarum, habito respectu ad pondera tollenda, exactius quam Borellus subduxisse, » (3) Voy. Editoris praefatio en tète des deux dissertations, De motu musculorum (Basil., 1697) et De effervescentia et fermentatione (Basil., 1690); réimprimées à la suite de Michelotti, Venet., 1721. — Voy. plus loin, p. 836 suiv. — On doit con- sulter encore : P, Ant. Michelotti Apologia in qua Jo. Bernoullium motricis fi- brae in musculorum motuinflatae curvaturam rectissime supputasse defenditur, et Ric. Mead (ou plutôt Pemberton d’après Haller), objectiontbus respondetur, ete., Venet., 1727, in-4°, À la suite, Rari ex utero morbi historia una cum necessa- rüs medicis animadversionibus a Michelotto perseripta (p. 33-45). 1 s’agit proba- blement d’une hystérique qui a vécu plusieurs années presque sans boire ni man- ger, et eu présentant une succession de symptômes étranges, — On pense que c’est Bernoulli lui-même qui est l’auteur de l’Apologie. (4) Edit. praef, — Cf. De motu muscul,, $ 8. (5) Edit. praef. Noy. aussi Dissert. de efferv., Praef., $ 3 et 4. 816 IATROMÉCANISME. —— ÉCOLE ITALIENNE. corps solide et d’un corps fluide ; de deux corps solides avec l'intervention d'un moteur. Dans ce phénomène, il y a un corpus agens, dont les particules tétraèdres sont comprises dans quatre triangles à côtés égaux (quatuor trianqulis isopleuris compre- henduntur), et un corpus patiens ; les particules de ce corps ont la forme de tétraëèdres dont les bases sont opposées (/ormam tetraedorum buses mutuo obvertentium) (1). Le sang dans l’état naturel ne fermente pas, mais seulement dans certaines affections du genre des putrides, et pour les mouvements des muscles vo- lontaires ou involontaires, où se produit, par lexpansion de l'air sous l'influence de la mutuelle réaction des particules du sang et du fluide nerveux, un bouillonnement, et en consé- quence le renflement (enflatio) des vésicules musculaires (2). Avec Bernoulli, Borelli, Bellini, Cowper, Perrault, etc., en raison d’une expérience de Sténon sur les mouvements des muscles et en dépit des objections d’Astruc (Motus muscul., 1710), Miche- lotti (3) soutenait que l’influx nerveux ne suffit pas pour le mou- vement musculaire, et qu'il y faut ajouter l’afflux du sang. Dans une troisième dissertation, publiée à Groningue en 1699, sous le titre De nutritione, J. Bernoulli a calculé les pertes que fait le corps par la perspiration insensible, et le temps que mettent à se reproduire par la nutrition Îles particules enlevées par la perspiration. Il soutient que les parties solides se réparent comme les fluides ; il pense que l’a/iment arrive à la base des fibres, qu’il est poussé dans leur intérieur et qu’il nourrit par une violente impulsion. Daniel Bernoulli, fils de Jean, a fait des recherches sur la respiration, sur le mouvement des muscles et (4) Voy. Editor. praef., et Dissert. de efferv,, $S 2, 5 et 10 et suiv. (la numéro- {ation n’est pas régulière, mais je la respecte), Cf. sur le rôle de l'air qui existe à l’état comprimé dans les corps et dans leurs particules, $ 43 et suiv. (2) Voy. Edit. praef. et De motu muscul., $ 5 : « Quando innumerae guttulae [fluidi nervei] per totam musculi molerm, quae instar spongiae semper humectata est, simul ejiciuntur ex orificiis nervulorum, tunc earum particulae tenuissimae spiculis suis subtilissimis impactae in particulas sanguineas tenuiores easdem dif- fringunt, et insito aeri condensato exitum praebent, qui se expandendo ebullitio- nem... producit. » (3) Animad. II ad Keillium, éd. Venise, 1721, p. 32 suiv. — De separate fluid, in corpore animali, p, 297 et suiv, GUGLIELMINI. — PHŸSIOLOGIE. 817 le cours des liquides dans les canaux inanimés et dans les vais- seaux vivants. Il reconnaît là des différences essentielles. Guglielmini (1655-1710), d’abord professeur des sciences ma- thématiques à l’archigymnase de Bologne, sa ville natale, fut ensuite appelé à Padoue, où il exerça la charge de surintendant des eaux, qu’il avait déjà occupée à Bologne, et celle de profes- seur de physiologie médicale pratique (1); en 1702, il prenait la ) succession de Pomp. Saccus, professeur de médecine théorique ; il avait reçu le bonnet de docteur en médecine et en philosophie à vingt-deux ans. Ses ouvrages sont nombreux et ont été réunis en deux volumes in-4°, imprimés sur deux colonnes (2). La plus grande partie de ces écrits concerne l’hydraulique, l'astronomie, la minéralogie, la chimie. Nous nous occuperons, bien entendu, de ceux-là seulement qui sont consacrés à la médecine (3), ou (1) Dans la préface au traité De salibus, Guglielmini nous apprend que dans cette chaire il s’est adonné tout entier à trouver les véritables principes, ou, comme ou dit, les éléments du corps, des médicaments, et généralement de tout ce qui compose ou altère les parties solides et liquides, doctrine des éléments dont on n’avait jamais cessé de s'occuper, mais d’après une méthode vicieuse. Ne trouvant aucun secours efficace ni dans Descartes, ni dans Démocrite, Platon ou Aristote, il s’est tourné du côté de la chimie ; il reconnait les services qu’elle a rendus, mais elle ne peut que dissoudre par ses procédés d'analyse, et même on n’est pas sûr que les corps existent en cet état dans l’organisme. «Qui pourra, s’écrie-t-il, trouver avec la chimie la gravité des corps, la force élastique de l'air, les effets du mouvement des humeurs, dérivés de la structure des glandes et des museles, du principe sensitif des fibres charnues et des nerfs ? » Aussi a-t-il pensé qu’il fallait, sans délaisser la chimie, recourir à l'étude physique et anatomique des éléments, de leurs mouvements, de leurs actions, d’après les lois de la mécanique. C’est comme spécimen qu'il a publié” son traité sur les sels. (2) Domini Gulielmini... Opera omnia mathematica, hydraulica, medica et phy- sica; accessit Vita autoris a J.-B, Morgaqgni…. scripta : Genevae, 1719, avec por- trait. Pour quelques ouvrages écrits en italien, on a donné la traduction latine. (3) L’Exercitatio de idearum vitüs, correctione et usu ad statuendam et in- quirendam morborum naturam, est un traité très-verbeux, purement dialectique, où il est surtout question de l'adaptation du langage aux idées qu’on veut exprimer suivant que l’on considère un sujet à tel ou tel point de vue, et des catégories logi- ques qui conduisent à de bonnes définitions. On aura une idée exacte de la méthode de l’auteur en lisant le $ 36, où il est question des caracteres différentiels de la maladie, de la santé, et de leurs rapports avec l’intégrité ou la lésion des fonctions. DAREMBFR(.. 52 818 IATROMÉCANISME. —- ÉCOLE ITALIENNE. plutôt à la physiologie, et en particulier de l'£Exercitatio physica- medica de sanquims natura et constitutione. Le sang est le prin- cipe actif de toutes les opérations de l’organisme ; pour que le “sang puisse suffire à cette tâche, 1l doit être dans son état naturel, eu égard à sa quantité, à son mouvement total ou partiel, à la diversité des parties qui le composent, à leurs proportions, à leur figure, à leur masse. Pour que le sang circule de proche en proche et d'une façon continue, pour qu'il n°y ait pas dans les vaisseaux de ces vides qui laissent passage à l’air ou à d’autres substances incompatibles avec le sang et qui causent de si graves désordres, il importe que les artères soient toujours remplies exactement, quelle que soit la quantité relative du liquide; leur texture (l’auteur admet pour les artères trois tuniques, avec Sténon et Willis) et leurs propriétés s’y prêtent merveilleusement. I y a trois mouvements dans le sang : le circulaire, ou #notus lotus, qui vient du cœur (1); le #notus agitativus ou non in toto sed in partibus (S 18), ou encore confusivus, turbativus, qui s’ex- plique par les courbes des vaisseaux, par la gravité des parties, c’est-à-dire par leur densité et par la compression qu'elles exercent, par l'influence de la respiration, par l'action de la matière éthérée, subtile, s'il est vrai qu’elle pénètre tout le corps, comme le veut Descartes; enfin le #01us fermentativus, qui diffère du précédent et qui existe dans l’état naturel ou dans l’état contre nature, suivant que le sang se trouve en des conditions particulières placées sous la dépendance de la réac- tion ou de la prédominance de certaines substances hétérogènes — Dans De sanguinis natura, ete., S 66, Guglielmini annonce un traité De natura et causis febrium, qui n’a jamais été rédigé ou qui n’a pas vu le jour. Cette der- nière supposition est admissible ; car, ainsi que je m'em suis assuré par mes propres veux, et que M. Puecinotti l’a prouvé dans sou Histoire de la médecine, les biblio- thèques italiennes renferment un grand nombre d'ouvrages inédits de médecins illustres des trois derniers siècles, (4) Ce sont, Guglielmini le fait remarquer, ses contemporains Borelli et Bellini qui ont démontré comment le mouvement du saug est continu, mème quand il s'échappe au dehors, bien que le moteur et les artères aient des mouvements en apparence intermittents. Guglielmini reprend et développe cette démonstration (8 7-17); mais ($ 12) il professe sur le passage du sang des artères aux yeines une opinion analogue à celle de Harvey (voy. p. 612). . GUGLIELMINI. — PHYSIOLOGIE. 819 qui le constituent ($ 19 et suiv.), lesquelles parties peuvent va- rier par leur figure, leurs proportions ; toutes circonstances qui facilitent ou entravent la circulation et les sécrétions, et qui maintiennent le sang dans son état normal ou l’en écartent. L'auteur examine le rôle de l'air dans l’économie : air est encore plus nécessaire à la vie que Paliment, puisque l'animal meurt plus vite de la suppression de l’air que de celle de l’ali- ment. La vie générale dépend essentiellement de la vie parti- culière du cerveau, laquelle tient au sang pouryu d’un fluide aérien, que ce viscère communique à toutes les parties (8 32). Gu- glielmini pense que les esprits animaux viennent principalement de l'aliment et non pas seulement de la respiration, comme les an- ciens le croyaient; ilest même tenté de croire que l'air, en agitant ‘fortement le sang, ne fait que favoriser la séparation de ce liquide d'avec les esprits; c’est ce qu'on appelle wifalisatio ($ 33-34 ). Après cela, Guglielmini s’enquiert de la formation de l’aliment; il donne, par hypothèse plus que par analyse, la composition du chyle ($38) : une partie três-pure, une autre excrémentitielle, une troisième qui n’est autre chose que les sels des ferments et com- mune aux deux autres parties. Ce liquide pénètre dans les chyli. fères et les lymphatiques pour se rendre au canal thoracique et à l'anneau de Bils, centre de tous les vaisseaux lymphatiques (1). Arrivant à étudier la composition du sang, Guglielmini déclare ($ 56, p. 35) que le sang est un fluide aqueux, dans lequel on ren- contre, 2mmediate confusae, des particules salines dans des états, avec des figures, et sous un volume variables; des filaments d’une substance blanche, concrescible (stamina albidae concres- cibilis substantine ; fibrine) ; les globules rouges ou plano-ovalia corpuscula (2), des parcelles sulfureuses (sulfuris ramenta) qui proviennent immédiatement, soit des parties constitu- tives du sang, soit du chyle ; des molécules nées fortuite- ment de la combinaison des matières précitées; des particules du chyle qui ne sont pas fondues avec la masse; enfin des particules d’air qui arrivent les plus épaisses avec le chyle, les (1) CE. $ 38-39. Comme on voit, notre auteur est fort arriéré, puisqu'il croit encore aux inventions imaginaires de Bils (voy. p. 640, note 1). (2) Voy. plus haut, Leeuwenhoeck, p. 685 et suiv. 820 JATROMÉCANISME. — ÉCOLE ITALIENNE. plus ténues par la respiration, et qui échappent à toute ana- lyse (4); car, aussitôt que le sang est extravasé, ces particules rentrent dans la masse aérienne. Il y a de plus un caput mor- tuum composé d'huile, d’esprits et de terre. Dans le sérum seul, dont le menstrue est de l’eau pure, résident l'essence et Pacti- vité du vrai sang ($ 58, 64); les sels ne servent qu'à la fermenta- tion ($ 64). Les globules sont partie intégrante, mais non essen- tielle du sang ; ils servent d’abord à colorer le sang en rouge; ils ont probablement un autre usage supérieur; l’auteur aime mieux ne pas hasarder de conjectures à ce sujet (K 62). La fibrine ne sert pas à l'augmentation et à la nutrition des parties solides, mais à unir les diverses parties du sang et à le pré- server de diffluence; la nature en avait besoin aussi pour que dans la coction stomaco-duodénale les aliments ne fussent pas amenés à leur parfaite résolution, car à travers les premières voies l'aliment aurait pu se perdre, sinon en totalité, au moins en grande partie; elle s’est contentée d’un état qui permit à l'ali- ment d'arriver aux chylifères. Guglielmini se proposait même de montrer l'utilité de la fibrine dans un traité Sur la nature et les causes de la fièvre ; elle ne doit être ni trop ferme ni trop diffluente. Je passe sous silence les usages des autres parties du sang, ce serait fatiguer inutilement l'attention et surcharger la mémoire. Il suffit de ce que j'ai dit pour montrer jusqu'où peut aller l'imagination d’un mathématicien, d’un physicien fort savant du reste, qui s’obstine à étudier la vie sans le secours de la chimie organique ni des expériences biologiques. Cependant en 4702, dans un discours tenu à Padoue et où il défend le raisonnement en médecine contre l’empirisme, où en même temps, en se fondant sur le dire de Galien, il vante l'in- tervention constante des sciences physiques, Guglielmini s’écriait fièrement : La physiologie, c’est-à-dire la science naturelle de l’homme, ne doit pas être construite sur les dogmes d’Aristote et de Galien, de Platon, de Descartes, ou d'Épicure, mais confor- mément aux lois de la vérité (2). (4) L'auteur ($S 54 ) s'appuie sur les dires de Bellini, son grand ami et homme très-ingénieux. (2) Pro fheoria medica adversus empiricam sectam praelectio. GUGLIELMINL — PHYSIOLOGIE, 821 Si presque rien ne sert dans le sang à l'accroissement et à la nutrition des parties, d’où vient que l’animal croît et se nourrit? Voici la réponse; on la trouve au $ 63 : € La plupart des médecins attribuent à la fibre sanguine l’ac- croissement et la nutrition de l’animal; mais cela ne peut pas se soutenir, car notre corps n’est qu’un lacis de vaisseaux (appelle ainsi tout canal destiné à contenir ou à transporter des liquides, les nerfs aussi bien que les vaisseaux sanquins) qui sont tissus de membranes ou filaments nerveux (/ibreux ?); d’où il résulte d’abord que toutes les parties de notre corps, sans excepter les os, relèvent, dans la formation première, du genre nerveux; et, en second lieu, que leur accroissement, lequel s'opère par 2n- tussusception, doit provenir du suc nerveux et non du sang; d’ailleurs les parties qui apparaissent au début sont l’épine (ca- rina) et les rudiments du ceryeau, et non pasle cœur. De plus, enfin, n'est-il pas plus conforme aux opérations de la nature, qui recherche toujours la simplicité, d’avoir un principe homo- gène pour constituer un organisme également homogène, plutôt que de confier ce soin à un liquide composé de tant de parties diverses? Donc le sang ni ne forme immédiatement les parties, ni ne leur donne l’accroissement ; il ne fait que contribuer indirec- tement à leur nutrition. Les parties sont dites nourries (nutritae dicuntur partes), quand elles jouissent de leur volume requis, qu'elles sont gonflées par un suc nécessaire à l’accomplissement régulier et continu de leurs fonctions, suc d’où dépend leur force, leur consistance, etc. Ge suc (qui agit, comme on le voit, mécaniquement et à l'instar d’un remplissage), doit être appro- prié à chaque partie; il est fourni par le sang qui comble les intervalles vides, les porosités, mais ne se change pas en la sub- stance des parties, comme le veut lopinion vulgaire. Sans cesse poussé par le mouvement circulatoire, il s'écoule et se renouvelle sans cesse, à moins cependant qu'il ne doive ajouter quelque comprincipe (comprincipium) d’une grande subülité et tout à fait différent de la fibre du sang, comprincipe par lequel le suc nerveux soit soudé (/erruminetur), dans, certaines parties, dans les 05 par exemple, et se condensé dans les cartilages. » I n’y a pas lieu à imaginer une chaleur innée avec les anciens, 822 JATROMÉCANISME. — ÉCOLE ITALIENNE. ni une flamme vitale avec les Cartésiens ; c’est le sang qui déve- loppe la chaleur, animale par les esprits nitro-sulfureux qui y sont contenus ($ 73-75). Nous avons vu plus haut quel rôle le sang joue dans la nutrition, il lui reste un dernier office à remplir (S 78, 79), c’est de fournir la matière des sécrétions et du fluide nerveux. Ce double travail se fait dans les glandes : le sang y arrive par les artères ; une partie en est reprise par les bouches des veines, une autre sé répand dans les lacunes qui séparent les artères des veines (car notre auteur ne connait pas ou n’admet pas les capillaires) ; cètte partie se divise en deux : l’une pénètre pour former un suc nouveau à travers les nerfs qui $e ramifient dans les glandes parällélement aux artères ; l’autre s’échappe par lés canaux excréteurs de la glande, sécrétion dont la matière varie en raison de la structure (vésiculaire où tubuleuse) des olandes, de la forme et de la dimension des pores ouverts {ënsculptlos) sur les membranes sécrétoires, lesquelles font office de cribles. De ces matières sécrétées ($ 80) lés unes sont excré- mentitielles, attendu qu'elles ne sont utiles en rien au sang, par exemple l’urine, la sueur ; les autres servent à quelque chose après leur excrétion, la bile, la salive, le suc pancréatique ; les troisièmes, enfin, ne sont ni excrémentitielles ni inutiles, mais elles servent aux fonctions, comme le suc nerveux et la lymphe. On à grand tort de tenir toutes ces matières pour des ferments ; car, les unes sont condamnées à l'expulsion complète, les autres servent à des opérations mécaniques ; les troisièmes seules, celles qui servent à la première coction et qui rentrent dans le sang, peuvent recevoir le nom de ferments (1). Ajoutons enfin que, après avoir étudié la génération du sang dans l’embryon etla conversion du chyle en sang, conversion ou assimilation qui se fait pour certaines parties du chyle plus vite, et pour d’autres plus lentement, et à laquelle le poumon ne parait prendre qu’une part indirecte, Guglielmini couronne son œuvre (dissertationis coronts) par l'examen de ce problème qu’enve- loppe une extrême difficulté : comment se fait-il, puisque le (f) Voy. plus loin, une théorie presque identique et différant seulement par les termes, longuement établie par le médecin anglais Cole. GUGLIELMINI. — PHYSIOLOGIE. 823 sang est sans cesse renouvelé par le chyle, qu'avec l’âge la masse du sang languisse à ce point qu’elle devient impropre à ses usages naturels et que mort s'ensuit ? Voici l’explication : lhématose ou transsubstantiation du chyle en sang requiert les conditions suivantes ($ 84) : que le chyle soit arrivé à un état parfait ; que le sang soit bien purgé par les sécrétions de toutes les parties excrémentilielles ; que le cœur ait une force suffisante pour agiter convenablement le sang ; que l'air respiré soit três-pur afin de vzfaliser le sang. Quand ces con- ditions manquent, il survient des désordres dans l’économie ; par exemple il est évident que les sécrétions ne peuvent plus s’accomplir régulièrement, par suite du relâchement où de l’en- crassement des parties ; cela se fait peu à peu, d’abord insensi- blement, parce que la nature, suivant le proverbe, #’attache pas ses opérations avec un fil, et qu’elle abonde en ressources ; tou- tefois il arrive un moment où les glandes sont tellement altérées que la machine s’arrête. s On attribue à Guglielmini deux opuscules dont l’un (Epéstola de Dondonelli bello civilimedico) est publié sous le nom de Julius Monilienus, et l’autre (Symposium medicum, sive quaestio con- vivalis de usu mathematum in arte medica) sous celui de Don- zellini. Dans le premier, on regrette l'autorité dont jouissaient autréfois universellement les anciens; on déplore les guerres acharnées (1) que se font les médecins (exactement comme au temps présent), non par amour de la vérité, mais pour le plaisir de se perdre les uns les autres de réputation, chacun avec l’es- pérance de se grandir dans là renommée publique, d'arriver à la fortune et de faire prévaloir les opinions de son école, le tout au grand détriment de l’art et des bonnes doctrines. L'auteur conclut qu’il est difficile d'accorder les modernes avec les anciens, et plus difficile de réconcilier les modernes entre eux, surtout quand il y a des rivalités de clocher; « car, pour se servir d’une phrase de Galien, on ferait plutôt renier Moïse par un juif, et le Christ par un chrétién, qu’on n’arriverait à faire renoncer un phi- (4) Digladiantur invicem professores ; digladiantur et clinicr, 824 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ITALIENNE. losophe ou un médecin à sa secte. » Guglielmini lui-même en est malheureusement la preuve. Dans le second opuscule, Donzellini, en un dialogue à la façon de Plutarque, se moque des chimistes qui veulent, à l'exemple de Tachenius, se rattacher à Hippocrate (1) ; il n’approuve ni les paracelsistes, ni les helmontiens, ni les galénistes, puis il prend hardiment la défense de la médecine mécanique; cependant il veut qu’on réunisse les connaissances anatomiques, physiques, mécaniques, avec la pratique des analyses chimiques. L'auteur fait plus loin la part de chacune de ces sciences dans la constitu- tion de la médecine, en ramenant le tout sous le joug des ma- thématiques, à l'exemple de Borelli et de Bellini, qui semblent en cela les échos lointains de Galien, si fort partisan des sciences exactes et qui s'en sert si habilement. La nature n’est rien qu’un vaste ouvrage mécanique de Dieu, et les activités (activitates) du corps, rien que l’exécution des lois que le Créateur a imposées (endixit) à la matière, et qui sont les fondements des diverses sciences. De même que les lois de la nature ne peuvent pas man- quer de leur effet (suo carere e ffectu), ainsi les déductions légi- times des principes mathématiques doivent nécessairement exprimer ces mêmes effets. Personne ne conteste que le corps humain, ses actes, ses souffrances (passiones) doivent se rap- porter aux choses naturelles (ad naturalia). Si donc la médecine théorique et pratique a pour objet les corps, leurs actions et passions, elle doit nécessairement être mathématique pour acquérir une exacte notion de ce dont elle s'occupe et s'acquit- ter ponctuellement de ce qu’elle est chargée de faire. La néces- sité, le hasard, l’empirisme, ont pu mener la médecine à un cer- tain degré d'avancement, mais ce sont les mathématiques qui seules la perfectionneront, comme il est arrivé pour une foule d'arts et d’inventions. Une des parties les plus neuves et les plus instructives du dia- logue est celle où Donzellini fait la part de ce que les théoriciens (pour l'exactitude des raisonnements) et les praticiens (pour la sûreté des méthodes et des explications) peuvent emprunter légi - (4) Voy. plus haut, p. 576, U GUGLIELMINI. 82 _ imement à la médecine mécanique ; l'exemple des Borelli, des Bellini, des Pitcairne est là, dit-il, pour le prouver ! Il est im- possible, d’être bon théoricien à moins qu’on ne soit mécani- cien. Cependant Donzellini reconnaît qu’il y a plus d’une expli- cation relative, soit aux causes des maladies, soit à l’action de moyens thérapeutiques, qui échappent à l'empire des théories mathématico - mécaniques, et qui rentrent dans celui de la chimie. L'usage des mathématiques, dit en outre l’auteur (p. 509 et suiv.), n’est pas le même en médecine que sur leur propre do- maine. Considérées en elles-mêmes, elles doivent déterminer chaque chose eu égard à la quantité ; au contraire, en médecine, cela n’est ni exigé ni nécessaire : il suffit que l'attention (consi- deratio) soit dirigée vers la découverte des causes, vers le mode .des lésions, vers la manière d’agir des médicaments (1), pour lesquelles choses l’abstraction n’est pas requise ; du moins cette utilité est à peine comparable à celle qui ressort des abstractions qui tendent vers une mesure précise. La médecine, en effet, ne peut pas prétendre à une telle rigueur; mais l'application des mathématiques est toujours le plus sûr moyen d'arriver à cette précision cherchée. D’ailleurs la mort est pour nous la termi- naison fatale, tandis que les nombres ne périssent pas. L'application des mathématiques à la médecine date, comme l’auteur le fait remarquer, de Descartes (2) et de Gassendi; il aurait pu ajouter, de Galilée. Rien n’est plus curieux que d’en- tendre l’un des interlocuteurs, Anaximandre, énumérer avec es- prit et non sans malice les diverses phases par lesquelles a passé la médecine en soixante ans avant d’arriver à la présente con- stitution (p. 518, 519). ANAXIMANDRE : € Dis-moi, Je te prie, Cléobule, quand cessera (4) Voy. p. 535, où la détermination des causes de maladies et l'administration prudente des médicaments sont appelées les deux pôles de la médecine, et où l'on essaye d'arriver à ces résultats par l’emplei des mathématiques et de la mécanique. (2) On remarquera que Descartes, en sa prétendue qualité de médecin et de physiologiste, n’a exercé que peu d'influence sur la médecine en Fraäce, tandis que cetle influence a été très-puissante à l'étranger, même en Italie, quoi qu'on en ait dit, car il y a plusieurs Cartésiens parmi les iatromécaniciens de la Péninsule, 826 JATROMÉCANISME, — ÉCOLE ITALIENNE. et jusqu'où ira celte manie d'innover dans l’art médical, manie si fortement enracinée dans l'esprit des hommes. Il y a soixante ans, quand j'étais jeune (et ce n’est pa Sans Chagrin que je re- monte si haut), lorsque je m'adonnai à lélude de la médecine, il n’était question dans les écolés que du chaüd inné, du radical humide, des qualités premières et autres choses semblables ; pour l'anatomie, on suivait Riolan ou Vesline, auteurs nouveaux alors ; pour la botanique, J. Bauhin [Historia Plantarum, 1650 ; ou peut être le Prodromus, 1619] et l’AHistoria [plantarum] lug- dunensis [de Daléchamps (?), 1587]; pour la pratique, Sennert el Rivière; quant à la pharmacie, on s’en tenait aux Antidotaires et à la Pharmacopoea dogmaticorum restituta de du Chesné [1607]; on allait, tout au plus, jusqu’à la Pharmacopée d’Augsbourg ; Wa plupart du temps on s’en rapportait à Wecker [Antidot. generale et speciale, 1585, 1588] et à Renodeus [Renou, Dispensator. me- dicum, ete. 1623]. On chuchotait (russitabatur) sur la circula- tion du sang, mais les contradicieurs ne manquaient pas. À peine étais-je au courant de tout cela et avais-je débuté dans la prati- que, quand on commença à parler du système chimique de Van Helmont, puis de ceux de Sylvius et dé Willis, qui imaginérent de nouvelles idées sur les maladies, des méthodes et des remèdes nouveaux. Alors l'hypothèse sur l’alkali ét l'acide se fit jour, et, comme un inceñdie, énvahit bientôt presque toute l'Europe. S'il faut même dire la vérité, aucune ne fut plus prônée, et cela, comme je le crois, parce qu’élant bien fournie d’expériments nombreux, à la portée de tous, d’une préparation facile, elle suffisait à tout avec cela. Ainsi les poudres alkalines, regardées par plusieurs comme des cordiaux et des alexipharmaques, for- mérent au moins le tiers de la matière médicale, de même que les humeurs acides, après la proscription des quatre hurieurs vulgaires, furent chargées de tout le fardeau des causes morhi- fiques. Entre temps, les anatomistes donnèrent au corps humain deux fois plus de parties, pour ainsi dire, qu’il n’en avait aupa- ravant, et de nouveaux usages des viscères remplacérent les an- ciens. Les botanistes ne restèrent pas en arrière, apportant de l'Amérique, de l'Afrique, de l’inde, de la Chine, des plantes inconnues prises à la surface de la terre ou tirées du fond de BAZZICALUVE. — PHYSIOLOGIE, 897 l'Océan ; ils ontsi bien assemblé les familles que, par l'invention de classes, le changement de genres et l’assignation de certains ca- ractères, beaucoup de plantes furent expulsées de leurs antiques demeures en recevant des dénominations diverses qu’on ignorait il y à vingt ans. Les physiologistes même, s’imaginant qu'ils de- vaient faire cause commune avec les physiciens, répudiant les idées d’Aristote, introduisirent dans la médecine les systèmes de Descartes et de Gassendi, systèmes qui ont élé torturés au point qu'on ne sait sur quel fondement physiologique chaque médecin fait reposer ses théories et institue son traitement. Celte diversité dé doctrines n’était-elle pas suffisante pour tout confondre, sans compter que les mathématiciens achevaient de tout embrouiller ? Si tu comprends bien ce que j'ai dit, Ô Cléobule, Lu resteras per- suadé que tout cela ne vient pas du désir de faire marcher et de perfectionner l’art, mais d’une manie désordonnée de produire des nouveautés et de l'envie immodérée d’une gloriole pé- rissable. » CLÉOBULE (p. 520) répond fort sensément à cet esprit chagrin : « Jé veux comme toi la fin des nouveautés ; mais loin de croire qu’elles ont mis l’art sens dessus dessous (sus deque), je crois qu’elles lui ont profité en excitant les esprits et en lais- sant quelque chose après elles; j'ai lu les anciens ét lés mo- dernes et j'ai rempli més cahiers dé notes utiles; d’un autre côté, si l’on conipare la pratique d’aujourd’hui à celle d'autrefois, on resleràa convaincu qu’elle a fait de grands progrès. » Puis il ajoute : « Maintenant que les mathématiques sont nos guides, nous marchons sur un terrain solide ét qui ne changera plus ! » L'histoire a donné un cruel démenti à cette conclusion toute natu- relle de Cléobule, je veux dire de Donzellini. La théorie d’Ascanio-Maria Bazzicaluve de Lucques (1) repose à peu près, comme celle de Borelli, sur la fermentation et sur (1) Novum systema medico-mechanicum et nova tumorum methodus quorum nomine comprehenduntur inflammationes omnes, intrinsecus, et extrinsecus adve- nientes ; Parmae, 1701, in-4°. L’exemplaire dont je me suis servi porte la signa- ture de Buffon ; il est conservé dans la Réserve de la Bibliothèque Impériale, Ce livre est rare en France ; je n'ai même pas pu trouver à l'acheter en Italie, 828 IATROMÉCANISME, — ÉCOLE ITALIENNE. les lois de la mécanique. Plus explicite encore que l'auteur du traité Du mouvement des muscles, l'auteur du Système médico- mécanique déclare que la fermentation (ou l’effervescence, ou l'ébullition, ce qui est tout un pour lui comme pour Guglielmini), date, dans le corps de l'animal, de la création même ; c’est par la juste mesure de la fermentation que se maintient la santé, et par ses désordres que se produisent les maladies (1). Si la fermen- tation est la cause de tous les mouvements organiques sains ou pervertis, les mouvements s’accomplissent suivant les lois de la mécanique et àe l’hydraulique. Bazzicaluve suppose que toute la masse du sang est constituée par des globules que séparent de. petits espaces, etque ces globules eux-mêmes résultent de l’assem- blage de particules très-petites et hétérogènes, salines, sulfureu- ses, tarlareuses, nitreuses, spiritueuses (air élastique) et au- tres (2).0n peut croire de plus que, par suite du mouvement du sang, et, par conséquent, de l’attrition ou de la collision des glo- bules et de leurs particules constitutives, les particules ignées sont énucléées successivement, comme un noyau de cerise pressé par les doigts, en plus ou moins grande quantité, suivant la com- position et la force du sang, ou la densité et la résistanec qu’op- pose la capacité des tubes capillaires, soit hbres, soit obstrués. De la multiplicité et de l'intensité de ces espèces d’étincelles, lors- qu’elles dépassent la mesure normale, résultent les maladies, en particulier l’inflammation, dont l'étendue et Ja gravité varient en raison du degré de l'incendie et de l’état des vaisseaux (3). Le côté mécanique de la théorie est, soi-disant, élucidé par une suite de figures fantastiques où se trouve représentée la (1) Lectori benevolo. — Vox. aussi prop. 5. (2) Voy. le corollaire de la prop. 3, p. 14-17, sur la manière dont le sang se recrute à l’aide du chyle, et sur les membranules des globules, Dans le poumon, les particules sulfureuses, nitreuses, etc., du chyle pénètrent à travers les pores des membranules pour s'unir avec leurs congénères. Il semble aussi qu'il y a, par suite de la pression, une espèce de transpiration où d’éjaculation à travers les globules, non-seulement pour les particules ignées, mais pour les autres, toujours à l'effet d'entretenir la fermentation. Voy, p. 816. — Quant aux sécrétions, elles s’opèrent darts les glandes par la rupture des membranules qui, suivant la force de la pression, laissent passer tel ou tel liquide. (3) Lectort benevolo, BAZZICALUVE. — PATHOLOGIE. 829 marche des globules dans les artères (4). L'ensemble de ces vais- seaux avec l'aorte est comparé à un arbre dont les branches se- raient dépouillées de leurs feuilles. La forme conique des artères, artérioles et capillaires détermine précisément, en vertu des lois de l’hydraulique, les efforts et la é/lexion du sang pour se frayer un chemin sous l’impulsion du cœur ; de ces efforts, augmentés par la résistance des tuniques artérielles et la pression de l'air, résulte l’énucléation des particules ignées qui entretiennent la fermentation, c’est-à-dire la température du corps, quand tout se passe selon l’ordre naturel (2). Telle est l’idée qu’on doit se faire de la physiologie du Nouveau système médico-mécanique. Passons à la pathologie. Par le mot tumeur, Bazzicaluve entend toute espèce d’éminence ou d’éle- vure, y compris l’inflammation que les anciens appelaient aussi tumor (prop. 8 et 10) ; les tumeurs sont ou chaudes ou froides, ou flatulentes ou mixtes ; e//es ne peuvent même être autrement. Les chaudes sont produites par une trop abondante séparation (segregatio) des particules ignées très-ardentes ; les froides, par insuffisance de cette séparation et par le peu de chaleur des par- ticules. Les tumeurs flatulentes proviennent de ce que dans quelque partie du corps la matière des globules peut être dé- pouillée de son élément humide, devenir viscido-siccior, s'arrêter, et donner lieu ainsi à une fermentation en raison de la prédomi- nance des particules ignées et de la dilatation de l'air intérieur qui distend et brise lesmembranules environnantes. L’explication des tumeurs mixtes est naturellement un peu plus compliquée : comme les globules sont composés de particules hétérogènes, s’il ya un arrêt da sang (consistentia sanquinis), il séjourne dans quelque partie du corps, et, s'il se fait un mélange anomal des globules, si leur perspiration est troublée, s’il survient quelque pression externe qui déchire la membranule, alors, dans un tel désordre, il peut se produire un mélange contre nature des parti- (1) Le cours du sang est accéléré dans les artérioles, à cause de la petitesse de leur lumière. C’est là une des hypothèses de Bazzicaluve, adoptée par Hoffmann, et qui sépare Bazzicaluve des autres mécaniciens. (2) Prop. 4, 2, 3, ket 6. 830 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ITALIENNE. cules hétérogènes, de sorte que les particules ignées abon- dent dans certains espaces qui se prêtent à la fermentation, tandis que dans d’autres elles sont si gènées qu’elles ne peuvent pas se dégager. Par suite d’un mouvement de va-et-vient, la tu- meur sera donc alternativement froide, et chaude, ou en partie froide et en partie chaude (1). Un effort trop violent des globules les uns sur les autres, c’est- à-dire une trop grande condensation du sang (2), en faisant jaillir les particules ignées, développe l’inflammation ; c’est là la premiére cause ; il est même possible qu'il en résulte la fermenta- tion destructive par la putréfaction du sang, si ce liquide perd la faculté de se mouvoir convenablement. Une autre cause (prop.11), c’est la diminution des efforts du sang par suite de l'évacuation des parties liquides, ce qui donne alors libre carrière aux parti- cules ignées qui trouvent de plus vastes espaces entre les globules trés-séparés les uns des autres (raritas sanguinis). En tous cas, ces phénomènes ne pourraient pas se produire, le sang ne pour- rait pas être entravé dars sa marche, si les artérioles n'étaient pas coniques (prop. 12). La fièvre naît de l’inflammation ; en effet, par suite de la stase, l’ébullition, ou fermentation en excès, se propage à toute la masse du sang. Du reste, le sang doit être prédisposé à engendrer l’inflammation par l’âge, le tempérament, les saisons, le régime, les lieux, etc. (prop. 14); cela est établi en vertu de la doctrine d’Hippocrate tirée des Aphorismes, des Coaques, et d’ailleurs (3). On ne doit pas s'attendre ici, avec un auteur aussi décidément systématique, que Ja thérapeutique sera en désaccord avec la pathogénie. Il y a donc deux indications à remplir (prop. 16) : séparer les uns des autres les globules qui, par suit : de trop grands (4) Dans la seconde partie du Systema, Bazzicaluve revient d’une façon générale sur ces quatre espèces de tumeurs (prop. 47-24) qu'il se proposait d'étudier plus tard avec grands détails. (2) « Auctus globulorum nisus inter se invicem, seu, quod idem est, nisciditas sanguinis. » (3) A la page 62, l’auteur ne parait pas éloigné de partager l'opinion de quel- ques physiologistes qui admettaient l'existence de conduits directs entre l'estomac et les reins, pour expliquer dans l’urine la présence si rapide de la couleur et de l'odeur, soit de la rhubarbe, soit d’autres substances ingérées dans l'estomac. CRESCENZO. 831 efforts et d’une trop grande tendance au rapprochement, à la cohésion (compactio), sont foulés les uns sur les autres (réfrigé- rants, désobstruants, et, parmi les désobstruants, la saignée, le plus près possible du côté malade, suivant le précepte de Bellini, tient le premier rang ; humectants, résolutifs) ; rapprocher les glo- bules, s'ils sont trop distants les uns des autres (1); pour cela en- core les réfrigérants, les résolutifs, les désobstruants, auxquels on adjoint les répercussifs et les incrassants, toutes indications rem- plies en s’appuyant encore sur les Aphorismes d'Hippocrate (2). Quant aux tumeurs froides (prop. 20), il faut les traiter par les substances qui augmentent l’effervescence du sang; mais Bazzi- caluve n’indique pas la série des médicaments ; il n’est pas plus explicite pour les tumeurs flatulentes, et pour les mixtes. Du resie, comme je l’ai indiqué plus haut (p. 830) dans une note, l’auteur se proposait de revenir sur ce sujet; mais, vous en con- viendrez, Messieurs; ce que je viens de vous révéler de sa doc- trine vous permettra de l’apprécier. Outre un traité des fièvres (3) que je n’ai pas pu me procurer, que Haller n’a pas vu, que de Renzi ne paraît pas avoir lu, dont Puccinotti ne donne que le titre, et dont Sprengel enfin dit seulement que la théorie des fièvres y est expliquée par l’hydrau- lique, Nicolas Crescenzo, de Naples, a écrit un autre ouvrage, encore moins connu que le 7raité des fièvres, et où la physiologie mécanique joue un certain rôle (4). En sa qualité de professeur de philosophie, Crescenzo veut que l'étude de la médecine soit (4) On a vu un peu plus haut que la raritas sanguinis est une des deux causes générales de l’inflammation. (2) Voy., outre l'argument de la proposition 46, p. 115 : Hippocratis sententin et propositiones ad methodum medendi inflammationes. (3) Voici le titre d’après Haller, Mic. Crescentii Tractatus medico physicus, in quo potissimum febrium nova exponitur ratio. Neap. 4711, in-4°. (4) Raggionamenti (au nombre de quatre) 2ntorno alla nuova medicina dell acqua, e come la prima volta introdotta ella fosse, difesa, e sostenutà in Napoli ; e interno al vero studio della medicina, e «à una più sicura maniera di medicare, Coll aggiunta d'un breve metodo de praticarsi l'acqua anche da coloro, che non son medici; Napoli, 1727, in-4°, Ce volume existe à la Bibliothèque impériale, Haller le possédait, mais ne l’a pas analysé. 832 1ATROMÉCANISME. — ÉCOLE ITALIENNE. fortifiée par l'étude de la physique, de la logique et de la morale; cependant il ne semble pas qu'il soit besoin d’un tel appareil de science pour noyer les maladies, sinon les malades. C’est de la Chine que vient la vraie médecine, celle qui consiste à faire in- gérer au malade plus ou moins d’eau froide. Au rapport du père Bartoli, dans son Æistoire de l'Asie, les maladies les plus déses- pérées ont été guéries sous ses yeux par ce simple traitement, qui s’est d’abord répandu en Espagne (on en sait quelque chose par Gil-Blas) et de là en Italie, où il fait merveille. En Asie, en Amérique, en Afrique, on conserve encore, Dieu merci, la connaissance des bons médicaments, parce qu'on n'y est pas empesté par les écoles médicales ; mais, partout où existe cette peste des écoles, comme en Europe, on accorde beaucoup trop de soin et de temps à toutesles connaissances médico-phy- siques, ou physico-mécaniques, mathématiques (pour lesquelles il montre cependant un goût particulier), où encore aujourd’hui à Naples, aux spéculations rhétorico-médicales (1) qui sont un aliment à la curiosité philosophique, qui payent d'apparence, mais qui ne sont pas profitables à la thérapeutique. Crescenzo condamne la chimie, même l’anatomie, celle du moins qui montre trop de zèle et se livre à d’inutiles recherches ; d’où l’on voit bien que notre auteur était fort de l'avis de ceux que gour- mande Sténon (2), ce qui ne l'empêche pas de dogmatiser lui- même à outrance. Ce sont les écoles qui, en engendrant le scepticisme, ont perdu la médecine de réputation, et l'ont mise à Naples dans un si piteux état, que nombre de jeunes gens imberbes se permettent de médicamenter. Quant à lui, Crescenzo, il tient pour l’union de la secte empirique et de la secte rationnelle ; il pense que la mé- decine a plus de certitude que beaucoup d’autres sciences, mais que de la certitude générale il ne faut pas conclure à la complète certitude dans les opérations particulières, comme cela arrive aussi dans d’autres sciences. Il préfère, pour l’enseignement, la (4) P. 20, — Voy. p. 58-60 la conversation de Crescenzo avec un médecin beau parleur, mais dépourvu de toute science. (2) Voy. plushaut, p. 676. CRESCENZO. — CURE PAR L'EAU: 833 méthode analytique (sy/logisme) à a synthétique (énduction) (1): par conséquent, Platon, Descartes et les géomêtres, à Aristote, et surtout à Bacon de Verulam ; mais c’est par la méthode syn- thétique que les sciences en elles-mêmes commencent et s’ac- croissent. Agostino Magliari fut l’un des premiers qui cherchèrent à faire prévaloir à Naples la cure par l’eau; ses succès déchainèrent les médecins contre lui; il faillit tout compromettre, parce qu’il rai- sonnait à sa guise et comme personne; ne voulant faire aucun sacrifice ni à la philosophie mécanique moderne (f/osofeg- giare ammodernito, che dicono mecanismo), ni à la philosophie de Descartes (/osoficanti alla cartesiana) pour laquelle l’en- gouement était universel à Naples, il s’appuyait sur les saintes Écritures, et semblait vouloir les réduire en eau (reddurre la sacra Scrittura in acqua), lant il accumulait les passages en faveur de sa méthode aquatique, qu'il appelait la plus sublime des philosophies (2). Les efforts plus habilement dirigés par Crescenzo, et secondés par des adeptes courageux et fidèles, fini- rent par triompher des obstacles, et de son temps la cure par l’eau froide prit grande faveur à Naples ; 1l rapporte avec complaisance une foule de guérisons de toutes sortes de maladies internes ou externes. Peu d'ouvrages sont aussi diffus, aussi remplis de divagations que celui de Crescenzo ; plus de cent pages y sont consacrées dans l'an ou l’autre Ragqionamento à la méthode de philosopher en général, et dans la médecine en particulier ; on n’y rencontre que des observations incomplètes et de vagues renseignements, mais l’énumération de toutesles qualités merveilleusesdel’eau(3). (4) Par exemple, Méthode analytique : tout feu réchauffe ; ceci, cela est feu, donc ceci, ou cela réchauffe ; Méthode synthétique; ce feu, cet autre, et tous les autres feux réchauflent; donc chacun de ces feux réchauffe. (2) Voy. p. 84-85 et suiv. — Tout ce Raggionamento secondo est très-curieux pour l’histoire de la médecine à Naples. (3) Nous voyons, à la page 103, que Crescenzo eut vers 14705, à l'hôpital des In- curables, à Naples, une conférence avec le chirurgien français Bigot, lequel avait parcouru l’Europe, fréquenté les plus habiles médecins, et qui désirait discuter sur la cure des hydropiques par de copieuses libations d’eau simple,et non pas seulement DAREMPBERG. 53 83h FJATROMÉCANISME. -— ÉCOLE ITALIENNE. La première partie du troisième Aaggionamento est consacrée à l'exposition du système physiologique de l’auteur ; ce système ne diffère pas beaucoup de celui de Descartes, dont Crescenzo invoque à plusieurs reprises le témoignage sur ces questions, et qu’il ap- prouve aussi (p. 211) d’avoir soutenu que les solides diffèrent seu- lement des liquides par l'intensité des mouvements. On voit bien qu'il s’est un peu inspiré des théories mécaniques (il met, p.219, Borelli bien au-dessus des acidistes), surtout en ce qui touche les esprits animaux, les mouvements du cœur, et l’analogie des glandes (1) avec un crible; mais moins par conviction ou du moins par une étude explicite, que pour ne pas se mettre en op- position avec le goût du siècle, car la prudence est la grande qualité de notre docteur. Il posait en principe, avec Guglielmini (voy. p. 820), que le sérum est la partie la plus importante du sang, que c’est aussi la parie de cette humeur quise dissipe ou se consumele plus promp- tement dans les fièvres ; il en conclut l'indispensable nécessité du traitement par l’eau. Il y a quatre circulations : celle du sang dans les artères et les veines ; celle de ce même liquide à travers le poumon, quoique, à vrai dire, cette seconde circulation fasse parte intégrante de la première ; la circulation des esprits ant- maux qui se répandent dans les fibrilles nerveuses, partant de la tête et revenant au cerveau par les Iymphaliques et aussi par les vaisseaux sanguins qui s’'abouchent avec ces Iymphatiques ; enfin, celle de la bile, qui va du foie à la vésicule, et qui revient de la vésicule au foie pour se mêler au sang, après avoir envoyé aux intestins sa portion la plus impure; il rattache, à peu près comme l'avait fait Baglivi (voy. p. 802), mais sans le nommer (2), les d’eau ferrée. Le médecin napolitain croyait, contrairement au médecin français, que l’eau ferrée a plus d'efficacité. (4) 11 pense (p. 195) comme Bellini (voy. plus haut, p. 769) que les glandes ne sont pas autre chose que l'extrémité des artères enroulées pour permettre au sang de s'arrêter quelques instants, afin de s'y purger des différentes immondices sui- vant la forme des pores et des glandes elles-mêmes : il s'appuie mème sur le dire de Platon en son Timée ! (2) li cite Sténon, Vieussens et Lowet, pour le cœur, Dans sa dédicace à Niceolo Pio Garelli, médecin de l'empereur Charles UT, il célèbre Malpighi et Guglielmini, pour la grandeur de leur doctrine répandue dans le monde entier. CRESCENZO, — CURE PAR L'EAU, 835 mouvements des sucs nerveux à ceux de la dure-mére, lesquels sont aidés par la pulsation des artères ; toutefois, il pense que ces sues viennent directement de la partie la plus subtile du chyle, L’entre- lacement infini des plus petits ramuscules des vaisseaux permet au sang de s'arrêter facilement, et l’on corrige la erudité qui en résulte, pourvu qu’on tienne compte du degré de la crudité et des lieux où le sang cesse de se mouvoir. De même que l’eau donne au sang la pénétrabilité, de même le fiel, qui n’est certes pas un excrément sans importance, le rend plus onctueux, plus * coulant, plus visqueux, comme l'huile agit sur les couleurs. Le sang proprement dit et le suc nerveux servent tous deux à la nu- trition. La seule question douteuse, pour notre auteur, c’est de savoir si les deux fluides nourrissent séparément, l’un les par- ties musculeuses, l'autre les parties spermatiques, ou toutes les deux ensemble, par leur mélange. Crescenzo penche vers la pre- mière opinion, eu égard à la diversité de nature de ces deux élé- ments essentiels du corps. Après avoir établi que l'eau maintient le corps en état de santé, Crescenzo, dans le quatrième et dernier Haggionamento, montre comment avec cette même eau on chasse presque toutes les maladies. C’est là qu'il donne aussi les règles pour l'admi- nistration de cette panacée universelle : par exemple, il conseille dans les fièvres continues de n’en commencer l’asage qu’au mo- ment où il se manifeste des signes de coction. Quant aux fièvres intermittentes, il n’a eu l’occasion que d’en traiter deux et avec succès, même une que le quinquina avait changée en fièvre con- tinue et aiguë, après que le malade avait, une première fois, in- terrompu la cure par l’eau. La quantité d’eau à boire dans les vingt-quatre heures, durant six ou huit jours et plus, variait entre douze ou quinze bouteilles et même plus (une bouteille par heure-ou par heure et demie); pendant la cure, on ne devait pas prendre de véritable aliment ; puis, on allait en diminuant; c’est ce qu’on appelait la cure parfaite (voy. p. 335 et 3538). — Il n’est pas besoin d’une plus longue analyse d’un volume qui n’a pas moins de 371 pages, pour donner une idée et de la doctrine et de son auleur, ainsi que de l'étrange association des théo- ries de Borelli avec la moitié de celles du docteur Sangrado, 836 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ITALIENNE. L'ouvrage de P. Michelotti (1) sur les sécrétions (2) est à la fois dogmatique et historique ; la controverse y est même assez vive sousles formes les plus courtoises ; et, malgré l'obscurité de l'exposition, on lit ce livre avec intérêt, parce qu'il tient parfaite- ment au courant de l’état des questions relatives au mouvement du sang et aux sécrétions, durant la seconde moitié du xvir sié- cle et au commencement du xvi°. La profession de foi de Miche- lotti est fort simple : la partie des mathématiques qu’on appelle mécanique rationnelle révèle aux médecins les causes cachées des fonctions des parties; sans elle on ne connaît rien, ni à la vie, ni à la santé (p. 2 et3). L'auteur disserte longuement sur le rapport qui existe entre la consistance des liquides, leur degré w’élasticité, le mélange ou plutôt l'union des fluides ayant diverses qualités physiques, la forme, la résistance, l’élasticité, les courbures des canaux, relati- vement au mouvement de ces mêmes fluides dans les tuyaux qui les contiennent, et il applique toutes ces données aux artères (voy. particul., p. 69 et suiv.). Du milieu d’une foule de discus- sions, qui toutes ont trait à l’hydrodynamique, se dégagent les deux lois suivantes en ce qui concerne les sécrétions, lesquelles sont réduites à un acte mécanique et non à une fonction vitale. Première loi (p. 238). Le fluide à sécréter, de quelque genre qu’il soit, qui préexiste dans les artères et dont les parties adhé- rent, par un simple contact, aux parties du sang, s’ilest conduit vers quelque glande, coule à travers dans les orifices des cana- licules séparateurs (excréteurs : in canaliculorum separantium orificia), orifices ouverts dans la cavité de la glande et n'offrant aucune résistance, pourvu que le fluide lui-même soit divisé, 2x actu, en parties dont le plus grand diamètre ne soit pas plus considérable que le plus petit diamètre des orifices (dummodo.… (4) P. A. Michelotti, De separatione fluidorum in corpore animali dissertatio physico-mecanico-medica; Venet., 1721, in-49, avec cette épigraphe : «Que celui qui ignore les mathématiques s'éloigne de l’école de la médecine rationnelle. » (2) Celles, bien entendu, qui ont les glandes pour siége, car onne connait encore que très-imparfaitement le rôle des séreuses : il est même dit (p. 233-234): « Comine la structure des glandes est vasculeuse, partout où il y à sécrétion il y a des glandes, » MICHELOTTI, — PHYSIOLOGIE, 897 ad minimam oMficiorum diametrum haud habeat rationem majoris inacqualitatis)… Lorsque les parties du fluide àsécréter coulent avec le sang dans la cavité de la glande, nécessairement quelques-unes de ses parties, à savoir celles qui se présentent aux orifices des vaisseaux sécréteurs en faisant effort sur les pa- rois de la glande, seront dérivées vers les vaisseaux sécréteurs. Suit la démonstration mathématique, et dans la scholie (p. 240 et suiv.) Michelotti s'appuie sur cette démonstration déjà em- ployée, mais'non expliquée par Pitcairne (1), pour déclarer avec cet auteur que la sécrétion n’est pas comparable à l'opération d’un crible, qui exige que tous les trous soient de même figure ; car, suivant Pitcairne et Michelotti, c’est non la figure, mais Ja capacité diverse de la lumière des orifices qui fait la différence des sécrétions (2). En tout cas, il n’en reste pas moins acquis pour les iatromécaniciens que l’un des actes les plus essentiellement vitaux n’est plus qu’une question de mécanique et de rapports de grandeur, entre des molécules et des pores. Deuxième loi (p. 250) : « Les parties d’un liquide quelconque qui doivent être sécrétées du sang, et qui préexisient dans les artères, peuvent se séparer du sang lui-même et se rendre dans les conduits sécréteurs propres des glandes, quelle que soit la rapidité du sang circulant dans ces glandes, pourvu queles parties à sécréter ne solent pas agglutinées avec les autres parties du sang, mais qu’elles leur soient seulement contiguës, afin qu’il n’y ait pas obstacle à la séparation (3). » Pas plus la seconde que la première loi ne fait connaître en vertu de quelle puissance une glande sécrète plutôt un liquide qu'un autre; elles nous apprennent seulement, mais sans dire n1 pourquoi ni comment, que le liquide sécrété est en rapport de volume avec telle glande plutôt qu'avec telle autre. C’est ce que l’auteur tâche, mais vainement, de déterminer dans le chapitre second (p. 259 et suiv.), où il passe en revue tous les liquides sé- crélés et aussi les esprits animaux, et il avoue que les causes mé- (4) Voy. De circul. sang. per vasa minima, $ 2, p. 23 de l’éd. de Rotterdam, (2) Voy. plus loin, p. 850. (3) Michelotti nie que le sang marche plus rapidement dans les pelits que dans les gros vaisseaux, 838 IATR OMÉCANISME, «— ÉCOLE ITALIENNE. caniques (c’est-à-dire celles dont nous connaissons ou la structure ou Ja manière d’agir) ne peuvent pas seules expliquer entièrement cette séparation, attendu que ni la contexture intime des glandes ni la dureté ou la ténuité de chaque liquide ne sont assez connues et ne peuvent même l’être. Il essaye seulement d'établir des distinctions ou des analogies entre les diverses humeurs, eu égard à leur consistance, par exemple l’urine et la sueur qui se substi- tuent Püune à l’autre (chap. m1, $ 3, p. 319), la salive et les autres humeurs sécrétées par la muqueuse gastro-intestinale, la semence et la Ivrnphe. Tout cela, c’est reculer et non résoudre la difficulté. I est impossible d’accumuler plus d’hypothèses invraisemblables dans une science qu’on voulait rendre aussi positive que sont les nathématiques. Sans doute, pour toutes les fonctions où la mé- caniqué peut revendiquer quelque droit, par exemple, pour le mouvernent des muscles, pour là circulation (encore uñe petite partie), les iatromécaniciens soft en avance sur les anciens ; sur presque tout le reste, ils sont aussi aventureux, aussi ridicules, aussi éloignés de la vraie méthode expérimentale qui cependant fleurissait à côté d’eux ! Aussi Leibnitz, se détachant un instant de son grand traité d'histoire, écrivait-1l de Hanovre, le 17 septembre 1715, à Miche- lotti qui l'avait consulté (voy. p. 347 et suiv.) : — « La cause de la sécrétion n’est pas encore assez instruite pour qu'elle puisse être jugée en ce moment, sinon avec précipitation. Vos médi- {ations à ce sujet sont à nulle autre pareilles. Vous avez heu: reuséement tenté de joindre les mathématiques à la physique ; mais nécessairement vous restez dans les hypothèses encore peu solides faute de données. » Leibnitz ne voit pas qu’on ait réfuté victorieusement les arguments en faveur de la fermentation; il voudrait aussi invoquer des causes physiques , celles dont le mé- canisme est caché. Enfin, il souhaite qu’on ne fasse pas comme les Cartésiens qui s’écartent trop des choses soumises aux sens, mais qu’on tâche de tirer des expériences tout ce qu’elles com- portent avant de se livrer aux hypothèses (1). (1) «Caeterum danda opera est, ne, Cartesianorum exemplo, nimis ab iis, quae sunt sensui subdita, reccdamus, sed ex is quae experimentis constant, ducere ten- temus quidquid potest, antequam in hypotheses liberiores expatiemur, » MAZINO. —— PHYSIOLOGIE. 839 Une pareille lettre n’a pas besoin de commentaire : elle a satis- fait Michelotti ; je crois qu’elle nous satisfera encore davantage. Mazino, de Brescia, professeur de médecine pratique à Padoue, a publié une foule de dissertations qui ont été réunies en trois volumes in-4° (1). Le premier volume contient ce qu'on pourrait appeler une physiologie générale de la matière, ou un traité des substances actives (2), c’est-à-dire élastiques (air, lumière, soufre), ou des principes inertes qui la composent (eau, sels, mercure, terre) ; puis la physiologie des animaux (tempéraments, diges- tion, chylification, sanguification, respiration, nutrition, sens, intelligence, mouvements, génération, production du lait). — Le second volume est tout entier consacré à la théorie méca- nique des maladies ; enfin, le troisième renferme un traité sur la respiration du fœtus, et deux autres sur la mécanique du pouls et des urines. - Examinons rapidement ces divers ouvrages, en laissant de côté ce qui se rapporte à la composition primordiale de la matière inerte, — Voici d’abord comment il faut concevoir les tempéra- ments ($ 83 etsuiv.). Du tempérament (femperies) spécifique des fluides et des solides de la machine animale dépendent les ac- tions spécifiques et les réactions naturelles ou contre nature en vue de sa conservation ou de sa décomposition ; donc les fluides qui peuvent rentrer dans le domaine du tempérament normal ou de l’intempérie doivent être considérés primitivement dans le sang (a sanquine desumenda sunt). Quoique dans la formation première du fœtus le fluide nerveux paraisse être celui dont les fluides sanguins, lymphatiques et même les premiers solides sont tirés (8), néanmoins, après la formation de ces liquides et de ces (4) J. B. Mazini.. Opera omnia nunc primum tribus tomis distributa. Brixiae, 1743, in-4°, — Les Italiens écrivent Mazzini ou Mazzino, et même Masino, (2) Ges substances ou ces particules primordiales et séminales ne sont pas les atomes d'Épicure, solides, indivisibles, mobiles par eux-mêmes, éternels, mais des particules divisibles, périssables (caducae), mobiles, créées par Dieu pour la com- position ou la dissolution de l’agrégat naturel ($ 2). Les physiologistes modernes son plus près d'Épicure que de Mazino, (3) Voy. plus haut, p. 766 et 821, ce que je rapporte des opinions de Bellini touchant cette question. 810 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ITALIENNE. solides, le suc nerveux se mêle au sang et à la lymphe, et s’en sépare par ses organes propres, en quantité et avec des forces déterminées, et toujours ainsi dans le cours de la vie. Puisque, d’un autre côté, après la formation de l’animal, le sang est le liquide qui, par l'ampleur de ses vaisseaux, par sa quantité, sa couleur, sa rapidité, est le plus appréciable aux sens; puisqu'il reçoit aussi et sécrète tous les fluides, et qu’enfin par les phé- nomênes naturels ou contre nature il est celui des nombreux corps composants qui produit dans la machine animale les effets les plus sensibles, c’est justice de considérer comme source et racine du tempérament et de lintempérie la masse du sang mêlée avec le sue nerveux, la lymphe et beaucoup d’autres élé- ments, dont les uns sont doués d'activité et élastiques (actuosa et elastica), et les autres inertes et non élastiques (enertia et non elastica). Le reste de la dissertation est destiné à démontrer celte thèse physiologique, appuyée en partie sur l'autorité de Boyle et de Willis, que les tempéraments ou les intempéries résultent, sous l’influence variable des six choses non naturelles (air, aliments, exercices, etc.), de la bonne proportion ou du défaut d'équilibre des corps constituants. — La théorie mécanique des maladies en est un développement pathologique. Il faut ajouter ($ 87 et suiv.) qu'il y a deux espèces de tempé- rament, comme disaient les anciens, et notamment Avicenne : un tempérament quoad pondus, et un autre quoad justitiam ; le premier, presque factice, résulte de l'équilibre momentané et ri- goureusement géométrique de toutes les parties composantes ; le second, qui constitue l’état habituel, est celui où l'équilibre ne pèche pas notablement, où il y a entre toutes les parties consti- tuantes du sang, qu’elles soient liquides ou solides (par exemple la fibrine), une unité suffisante qui permet des oscillations ou variétés sans que l’économie soit troublée dans ses fluides ou dans ses solides. S Aprés avoir rappelé les diverses opinions qui avaient cours touchant la dissolution des aliments dans l'estomac, Mazino ($94 et suiv.) attribue cette dissolution à une force semblable à celle qu’exercent les coëns ; mais où trouver ces coins dans l'estomac ? Ce sont les sels isolés par les glandes de la membrane nerveuse MAZINO. — PHYSIOLOGIE. sut de ce viscère, fournis par les boissons, et cristallisés en triangles, qui en font office; il le démontre par des figures géométriques! La dissolution s'opère en vertu d'une proportion de force entre les sels et les aliments. Du mouvement du chyle je ne dirai rien, sinon que Mazine ($ 118) appelle au secours des lois de la mécanique et de lhy- draulique la pression de l'air contenu dans les intestins, air qui vient, soit des aliments, soit aussi par l’œsophage pendant la res- piration (voy. plus haut, p. 819), air dont l'agitation continuelle et continue dans le canal intestinal fait pénétrer les parties les plus pures du liquide dans les chylifères et lui communique une grande rapidité de mouvement. On doit conclure aussi de divers passages, que l'air agit, non pas seulement indirectement, mais immédiate- ment, en s’insinuant dans les vaisseaux à la suite du chyle. Le phénomène de l'hématose ou de la sanguification, c’est-à- dire de la conversion du chyle en la substance du sang, se pro- duit depuis l’union de la lymphe avec le chyle, et surtout depuis l'entrée de ce mélange dans les sous-clavières ; il se continue dans les artères, sans que le poumon y ait plus de part que les autres parties, si ce n’est par la multiplicité et l'intensité de ses mouvements (1), car cette opération demande beaucoup de temps et de force. Les circonstances qui concourent à la sanguification sont l’exact mélange des particules du chyle avec celles du sang, l’élasticité de l'air qui accompagne le chyle, le contact du suc nerveux avec la bile, la présence de sels sulfureux et nitreux, enfin la pression que soutiennent les particules du chyle par la systole du cœur et celle des artères. Ge sont les rayons de lumière et les particules aériennes, en pénétrant dans l’estomac, dans les vésicules du poumon et dans le système artériel, c’est l'extrême rapidité du mouvement qui donnent la couleur rouge au sang, surtout dans le poumon, phénomène qui ne tient pas, comme le voulait Mayow (2), à un gaz nitro-aérien ($ 123 et suiv. ; 146 et suiv.). Ce ne sont ni le sang, ni le suc nerveux, ni la Ilymphe, pris iso- (1) Mazino, attentif seulement à la mécanique, éloigne toute idée chimique pour l'explication de l’hématose. (2) Voy. plus haut, p. 704, note, A 842 TATROMÉCANISME. — ÉCOLE ITALIENNE. | | lément, mais les trois fluides réunis qui chacun opèrent la nutri- | tion des parties auxquelles leurs particules s'adaptent ; la nutrition | est donc un mouvement des particules portées vers les parties | où sont, eu égard à la masse, au poids et à la figure, soit réparées, soit restituées les particules proportionnelles et homogènes, égales | en longueur, largeur et profondeur, en un mot semblables à celles | qu'ont dissipées le mouvement et la perspiration perpétuels (voy. | plus haut, p.821). Plusieurs circonstances favorisent la nutri- tion : la lenteur, la douceur, le calme du mouvement des hu- meurs, la parité des fluides, et en même temps l’assimilation, la conformité (congruentia) et ressemblance avec les éléments organiques (e/ementa componentia) ($ 154-155). On comprend aisément que, pour les organes des sens, du moins pour certains d’entre eux, les explications mécaniques et physiques soient plus acceptables que partout ailleurs ; aussi je n’y insiste pas (1). Quant à l’imagination et à l'intelligence, c’est une question de rapports entre l’âme immortelle, laquelle réside dans le corps calleux, et larrangement des fibres du cerveau (voy. $ 208-221), le tout étant complétement et humblement soumis au jugement de l’Église catholique (2). — Mazzino n’est guëre moins embarrassé que Glisson (3) pour accorder la phy- siologie avec la psychologie spiritualiste et théologique (4). Après avoir prouvé, contre toutes les objections, Yexistence d’un suc nerveux spécial et différent de la lymphe ($232 et suiv.), en s'appuyant Sur la sagesse de la nature géomètre et mécani- cienne, sur de nombreuses autorités, en particulier celle de Malpighi qu'il appelle le secrétaire de la nature (4 secretis na- turae), après avoir détruit aussiles objections qu’on osait élever contre ce suc merveilleux, Mazino ($250 et suiv.) explique le mou- vement volontaire ou animal des muscles à l’aide d’une hypothèse (4) Mazino est à peu près au courant des recherches faites par les anatomistes du xvue siècle sur la structure des organes des sens. (2) « Je déclare soumettre humblement et en tout point au jugement de l'Eglise catholique ce que j'ai avancé hypothétiquement et suivant les analogies géomé- triques. » (3) Voy. plus haut, p. 664, note 8, (4) La mémoire n'est aussi qu’une #mpression répétée sur la fibre cérébrale | (& 222 et suiv.). ; MAZINO. — PHYSIOLOGIE. 83 qui tient le milieu entre celle de Borelli et celle de Sténon (1). Au lieu d'admettre, avec Borelli, que les nerfs résultent de l’agens cement d’une série de tubes longitudinaux, creux et remplis d’une substance spongieuse comme celle du sureau, il croit, avec Cowper, qu'ils sont composés de cellules, lesquelles figurent des globules ; en conséquence il suppose que l'impression de l’âme se communique de proche en proche à la série de ces globules sphériques qui contiennent le fluide nerveux et se touchent inti- mement, que le mouvement se propage par les nerfs aux machi- nuscules rhomboïdales qui, suivant Borelli, forment la structure des fibres musculaires, lesquelles ressemblent à des chaines. Alors le mouvement se produit par contraction ! Quant aux mouvements involontaires ou naturels, il les expli- que longuement par l’intervention du cervelet ; l’âme agit en vertu de sa puissance naturelle, comme elle agit sur le cerveau par sa puissance animale ; d’ailleurs du cervelet partent les nerfs qui se rendent au cœur, aux poumons, au diaphragme, au tube intestinal ($ 258 et suiv.). La structure du cervelet est composée de segments circulaires tant à l'extérieur qu’à l’intérieur, tant à la partie corticale qu’à la partie médullaire. C’est une disposition qui, selon les lois géométriques, a pour résultat de donner, en raison des espaces contenus (circonscrits?) dansles segments cir- culaires, au suc nerveux plus de place, de mouvement ou de res- sort, et de permettre, par l’oscillation des segments, des oscilla- tions et actions continues, égales, constantes, nécessaires pour les mouvements naturels, Mazino réfute les objections élevées par Diemerbroeck et Fracassali contre cette suprématie du cervelet sur les actions naturelles, car c’est à faux qu'ils ont prétendu que certains oiseaux n'avaient pas de cervelet; Willis en a toujours trouvé. Le sang, la lymphe, le suc nerveux et sans doute la graisse, (4) Voy. plus haut, p. 754, Borelli faisait arriver directement le fluide nerveux par les canalicules des nerfs, et le sang par les artères, d’où résultait la fermentation explosive. — Sténon (Myol. specimen, p. 63 ; De musc., p. 21), rejetant les es- prits animaux, pensait qu'il suffit de l’action de l'âme sur le cerveau pour que l’im- pression se communique aux muscles par la vertu dynamique des nerfs. Quant aux mouvements involontaires il s’abstient, n’ayant rien à dire de certain, 844 IATROMÉCANISME. = ÉCOLE ITALIENNE. ainsi que le pensait Malpighi (que notre auteur suit en partie), concourent à la formation du lait; sa complète élaboration (broiement, mélange intime) et son expulsion ont lieu mécani- quement par les actions et réactions des organes de la glande mammaire ; ces organes, par leur texture, sont en rapport de structure, de figure avec les particules à sécréter et à mettre en réserve dans des canaux appropriés. C’est une loi commune pour toutes les opérations qui s’accomplissent dans les glandes, que l'adaptation de la texture de la glande avec le liquide à séparer du sang (K 301 et suiv.). Non-seulement Mazino soutient que le fœtus respire dans le sein de sa mère, mais encore il prétend (1) que c’est au moment où le poumon a acquis toute sa perfection que le fœtus fait effort par la respiration pour s'échapper, et que c’est là la cause pre- mière de l’accouchement; 1l y ajoute un plus grand besoin de nourriture, une action et réaction plus vives des solides, un mouvement et un ressort plus prononcés des fluides ; et il prouve sa thèse par une multitude de calculs sur la forme de l'utérus et du fœtus. — Mais les accouchements qui se font assez longtemps avant terme, et où ne peut être invoquée aucune de ces circon- stances, comment les expliquer? Mazino ne soulève même pas l'objection; il se contente de dire que, si l'hypothèse n’est pas vraie, elle est au moins la plus probable de toutes celles qu’on peut imaginer; cela lui suffit. Je laisse de côté les opuscules sur le pouls et les urines, où je n'ai rien trouvé à noter de bien saillant ni de bien nouveau après tous les autres mécaniciens, et j'arrive à la théorie méca- nique des maladies et des médicaments. Puisque le mouvement est l’âme du monde, au rapport des philosophes anciens, on ne peut pas s'occuper des maladies, sans étudier d’abord le mouvement des fluides et du sang en particu- lier. Il y a dans le sang trois espèces de mouvement, celui de pres- sion où d’émpulsion; un autre de séparation (sécrétion), un troi- sième d'assimilation (nutrition) (2). Le premier est produit par ) De respirat. foetus, dissert., 7. { (2) Voy. plus haut, Guglielmini, p.818 À MAZINO. — PATHOLOGIE, 845 le cœur, par les artères, par la force élastique dont sont douées ($ 3) certaines particules; ce mouvement est calculé mathéma- tiquement d’après la forme conique des vaisseaux, leurs angles, leurs courbes et la structure des tuniques, comme Guglielmini et Bernoulli l'avaient fait. Si ce mouvement est troublé (quand toutes les particules ne sont pas dans un équilibre statique parfait), si par exemple les particules sulfureuses affluent dans certaines parties, viennent les fièvres aiguës et ardentes sans frisson, tan- dis que se manifestent des fièvres avec frisson lorsque ce sont les particules salines qui prédominent ( 5 et 6); quand c’est la lympbhe, surgissent les fièvres lentes ou Iymphatiques (voy. p. 846). Lorsque la force de vibration ou la force élastique des glandes ne correspond pas exactement à la force de la systole, alors se produit un trouble dans le mouvement de séparation ou de sé- crétion, et des maladies correspondantes se produisent {$ 8, 11 et suiv.). Si les particules ont été dissoutes par le mouvement de pression, et que mécaniquement dans les glandes :l s’est opéré une séparation des substances inutiles d'avec les utiles, alors com- mence le mouvement d’assimilation ou de nutrition ((13). Nous avons vu plus haut (p. 843-844), quels sont pour Mazino le sens et la portée de ce mot; il ne fait ici que développer cette défini- tion et la justifier. C’est par des causes analogues à celles que Mazino a invo- quées plus haut pour expliquer les fièvres, qu’il rend compte des maladies du poumon. Par exemple, dans un air maréca- geux et impur les particules du sang et de la lymphe, privées de lumière, sont moins agitées, moins atténuées; elles engor- gent les canaux; de là l'inflammation ou l’hydropisie du pou- mon ($ 25). C’est aussi quand le sang, considéré dans l’ensemble du corps, a perdu son innocence (expulsa innocentia ; innocuité), c'est-à- dire quand le sang n’a plus ses qualités neutres et vivifiantes, les particules étant viciées dans leur élasticité, leur densité, leur chaleur active, que se déclarent les autres maladies ($ 27 et 32). Les affections des sens et celles du système nerveux sont principalement rapportées à une altération des fibres nerveuses, eu égard à leur contraction et distension (pars If, $ A et 846 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ITALIENNE. suiv.), altération qui se communique aux membranes ou fibres avec lesquelles elles sont en connexion ; de sorte que la douleur (un raisonnement probable a donné à Mazino la hardiesse de le soupçonner) vient d’un désordre (mauvaise direction de mouve- ment, défaut de parallélisme des fibres, changement dans l’ineli- naison naturelle des angles formés par l’assemblage des fibres) dans les fibres membraneuses qui enveloppent les parties solides des nerfs, et conséquemment des fibres nerveuses elles-mêmes ainsi que des autres auxquelles ces membranes adhèrent étroite - ment (1). La mélancolie, la manie et toutes les maladies dites des sens internes sont rattachées à un défaut d'équilibre dans l’action des fibres du cerveau ou du cervelet. Vivre c'est se mouvoir ; nous mourons quand fluides et solides perdent le mouvement ; la santé, c’est l'égalité et l'isochronisme des mouvements des fluides et des solides; la maladie c’est le désordre, l'inégalité, l’asymétrie de ces mouvements. La fièvre, qui est la maladie par excellence, la plus universelle, est un mouvement asymétrique de mixture des éléments de la masse du sang avec un excès ou un défaut de vélocité proportionnelle des fluides et des solides (2); les divers degrés de cet excès ou de ce défaut expliquent la diversité des fièvres (3). Le frisson est une corrugation des parties externes; l'hor- ripilation est un mouvement inégal avec secousse (concussio) de la peau par l'accroissement du froid ; le règor n’est que l’hor- ripilation augmentée et permanente (A). L’intermittence ($ 14 et suiv.) tient à l’une de ces trois causes (5) : 1° quoique la masse du sang semble pendant l’intermission rentrer, à peu près complétement, dans l’état le plus parfait, cependant il arrive que, par suite des altérations du chyle et des humeurs propres (1) Pitcairne, Elementa medicinae, W, vu, 2, définit la douleur : une sensation de solution de continuité violente et rapide dans les nerfs, les membranes, les ca- naux et les muscles, (2) «Cum inaequali aut dissimili excessu vel defectu proportionis velocitatis fluidorum et solidorum. » (3) De febribus in gencre, dissert, I, 4, 2. (A) Diss. TI, 10. Les numéros se continuent dans la suite des dissertations. (5) Voy. plus haut, p. 759 MAZINO. —— PATHOLOGIE, 847 aux diverses glandes intestinales, des éléments hétérogènes qui existent déjà ou qui entrent dans la masse du sang, s’y mêlent, et quoiqu'ils soient, à tous égards, dans un degré d’infériorité par rapport aux éléments homogènes, ils sont capables dans un temps donné rallumer la fièvre ; — 2° quoique la masse du sang paraisse homogène durant l’intermission, il se peut néanmoins qu’elle ne soit pas absolument ni uniforme ni égale dans de petits espaces des artères el des veines qui se terminent aux glandes, à cause des mouvements asymétriques de ces glandes qui séparent (sécrètent), à des époques diverses et contrairement à l'ordre naturel, des sucs hétérogènes ; — 3° dans l’état naturel, à cause de l’isochronisme des pulsations du cœur, des artè- res et des glandes, il est certain que dans des temps déterminés on aura nécessairement un nombre déterminé de circulations; la loi et l’ordre du mouvement des éléments de cette même masse seront donc égaux, et la séparation de ces mêmes élé- ments dans les glandes se fera à des époques fixes et détermi- nées. Voici par exemple comment Mazino explique les fiévres inter- mittentes quotidiennes : € Si un grand nombre de corps hétérogènes.., par un défaut de la nature, s'accumulent dans le sang, dans la Iymphe et le suc nerveux, au point d'arrêter constamment en vingt-quatre heures la vélocité du sang dans beaucoup de tronçons des plus petits vaisseaux, dans l’intérieur de beaucoup de glandes, de sorte que même dans les plus grands tronçons lavitesse de la masse du sang est diminuée, avec une pression déterminée des corps élastisques et non élastiques, avec une action et une réaction inégales des vaisseaux et des fluides et presque universelles, d’où viennent des mixtions vicieuses et à contre-sens, avec l'affection du froid désignée par le nombre 12 et de la chaleur désignée par le nombre 43, il se produira des fièvres quotidiennes homo- tones et régulières. » Quant aux médicaments, c’est par là que je termine l’ana- lyse très-sommaire de l'œuvre de Mazino, suivant la doctrine de Boyle, acceptée et développée par Mazino, ils agissent d'une façon générale par leurs effluves ; leurs actions particulières 8/18 JATROMÉCANISME. — ÉCOLE ITALIENNE. tiennent à la figure ou cristallisation de ces effluves et au rapport de cette figure avec celle des corps au contact desquels arrivent les effluves ($ 26 et suiv.). Les détails ne sont pas nécessaires pour juger une pareille théorie, Je suis loin, Messieurs, d’avoir épuisé la liste des iatromécani- ciens italiens ; mais j'ai voulu seulement vous signaler les prin- cipaux, ceux dans les ouvrages desquels toute la doctrine est représentée ; les autres auteurs ne font guère que développer ou exagérer quelques points de cette doctrine. D’ailleurs, il en est quelques-uns que je n’ai pas pu me procurer malgré toutes mes recherches et dont je ne connais les écrits que par Haller, suivi en partie par de Renzi. Même Haller ne les a pas tous vus ni analysés. Or, vous le savez, je n’aime guère à parler des ouvrages que je n’ai pas lus. Ainsi je ne saurais rien vous dire de particulier touchant Scaramucci, Circula- tion au sang, 1672; Mouvement du cœur, 1689; Théorèmes familiers de médecine mécanique, 1695 ; — Matteo Georgi, Traité de l’homme, âme et corps, 1713 ; — G. Poleni, Lettres à Grandi, 4724, où il confirme les idées de Bernoulli sur les muscles ; — Santanielli, Lucubrations physico-mécaniques, 1698. Toutefois, sur ce dernier, j'ai appris par l’ancien catalogue manuscrit de la Bibliothèque impériale (catalogue écrit de la main du Père Clément), que son ouvrage en sept livres avait été condamné par un décret de la Congrégation de l’Index, en date du 27 octobre 1701, et qu’en conséquence il figure parmi les desiderata de ladite bibliothèque. Il n’est donc pas étonnant que je n’aie pu rencontrer ce livre nulle part. Borelli, professeur aux Écoles pies, avait pris ses précautions , en mettant son livre sous la sauvegarde des censeurs ; Bellini avait évité de s'engager dans les passages dangereux ; on sait que Baglivi avait désavoué d'avance tout ce qui dans sa doctrine s’écarterait de l’orthodoxie. XXV SOMMAIRE : Suite de l’histoire de la doctrine iatromécanique. — École anglaise : Pitcairne, W. Cole, Keill, Mead, Robertson, Ridley, ete. MESSIEURS, En 1712, Junken, publiant le livre de J. de Sandris Sur l’état dusang (voy. plus haut, p. 812), s’écriait: « Si quelqu'un cherche des médecins habiles, qu'il aille en Italie ! C’est là qu’on trouve des hommes qui savent révéler les secrets de la nature et dé- brouiller les causes cachées des maladies par les principes tirés de la mécanique ». De fait, c’est par l'Italie que l'Angleterre, la Hollande et certainement aussi l'Allemagne, ont été initiées à l’iatromécanisme. Mais Boerhaave et Hoffmann se sont approprié la doctrine en la modifiant sur des points importants et en l’agran- dissant. Partout, du reste, l’iatromécanisme conduit au solidisme avec toutes ses nuances; c'était la conséquence naturelle, Le solidisme domine dans la seconde moitié du xvirr° siècle, et mène par des voies différentes à Brown, à Rasori et à Broussais. Le solidisme, quoiqu'il soit assez étroit, devient entre les mains de quelques médecins une théorie plus physiologique que liatromécanisme, L’école italienne s'appuie sur Descartes, au moins autant que sur Galilée, quoiqu’on ait prétendu le contraire par suite de pré- ventions nationales (1) ; du moins elle est surtout mécanique (2); (1) Je ne dis pas qu’on ait adopté en Italie toutes les explications de Descartes, mais j’affirme qu’on s’est laissé entrainer par l'exemple qu'il avait si malheureuse- ment donné, de faire de la mécanique au lieu de physiologie et de pathologie. (2) Au xvrrf et au xvi® siècle, l’iatromécanisme n’a eu en France, où dominait soit la tradition hippocratico-galénique, scit, mais au second plan, la chimiatrie, DAREMBERG; 54 850 TATROMÉCANISME. — ÉCOLE ANGLAISE. l'école anglaise se rattache particulièrement à Newton ; elle em- prunte beaucoup d'explications à la physique, et pour la phy- siologie, elle repose sur un fond plus solide. Un peu effrayés des conséquences matérialistes de liatromécanisme, certains médecins anglais, Nichols, Porterfield, etc., suivant en cela l'exemple de Sauvages, ont tâché de sauver les droits de la psychologie. Mais ce n’est certes pas le chef de l'École anglaise, Pilcairne, qui a pris de telles précautions. Au xvn° siècle, les deux représentants les plus connus de l'ia- tromécanisme en Angleterre, sont l'Écossais Archibald Pitcairne (1652-1713, Pitcarnius en lan); William Cole (docteur en 1666); et Keill (1676-1719), né aussi en Écosse. Pitcairne a suivi les errements de Bellini, et il a été l’un des maîtres de Boerhaave, alors qu'il demeurait à Leyde. Pitcairne, impitoyable adver- saire des hypothèses d'autrui, est fort complaisant pour les siennes. Il pense (1) que la médecine a précédé la philosophie, que les médecins n’ont jamais rien retiré de bon de leur com- merce avec les philosophes, et que les méthodes des uns et des autres sont complétement dissemblables ; car les unes partent de suppositions, de l’apriorti, les autres du fait et de l'observation. Il nie qu'il y ait aucun RAR dans les glandes, et affirme que tous les pores et orifices des vaisseaux des glandes el des parties du corps ont même figure, c'est-à-dire circulaire, mais non pas même dimension (2), et que la médecine fondée sur les propo- sitions contraires est mensongère et nuisible. C’est l’action du poumon, l'impulsion du cœur, et la compression opérée par les plus petites artères, qui réduisent le sang en particules extrême- ment ténues ; il n’y a pas besoin de faire intervenir des ferments que de rares partisans : Chirac, par exemple, Astruc, Quesnay, Hecquet, Sauvages, pour ne citer que les plus importants; encore leur système n'est-il pas exempt de beaucoup de mélanges. Les travaux de Ch. Perrault ou de Dôdart se rapportent, il est vrai, à la mécanique animale, mais on ne saurait dire de ces deux savants que ce sont des iatromécaniciens. (4) Oratio qua ostenditur medicinam ab omni philosophorum secta esse liberam; dans Opuscula, éd. de Rotterdam, 4714 : c’est toujours l'édition que je cite. (2) Orat, qua ostenditur, etc., p. 8, et De circulat, sang. per vasa minima, p.28, 30, 31, PITCAIRNE. — PHYSIOLOGIE, 851 pour cela. Il est également d'avis qu'il n'y a entre les extrémités des artères et les racines des veines aucun corps ou tissu intermé- diaires ; la marche du sang est calculée par le rapport de la force du cœur, de la résistance des angles et du diamètre des vaisseaux. Pitcairne rapporte ou a fait des expériences; mais elles sont insuf- fisantes, et il en tire des conclusions qu’elles ne comportent pas. Ici je répéterai volontiers avec M. Marey (1), que les expé- riences rigoureuses sont le seul moyen d'arriver à la solution de tous les problèmes qui intéressent la marche du sang; mais jene voudrais pas ajouter avec lui que les idées émises sur de tels su- jets, et qui ne sont que des erreurs ou des hypothèses, ne méri- tent pas d’être mentionnées. Je voudrais, au contraire, qu’un homme aussi ingénieux, aussi habile, aussi versé dansles sciences physiques et mathématiques que lest mon savant confrère et collègue, reprît toutes les idées émises par les iatromécaniciens, et montrât ce qu’elles ont d'absolument faux, et ce qui peut en- core entrer dans le domaine actuel de la science (quae sunt bona, quae sunt mala, quae pessima), et surtout ce que la méthode a de vicieux en soi. Pour ma part, je serais heureux de lui four- nir tous les textes qui pourraient élucider ces difficiles questions. Après avoir discuté les opinions alors en faveur sur la diges- tion, et en particulier celle d’un ferment, Pitcairne (2) soutient que ce sont les efforts des fibres de l'estomac, joints à ceux du diaphragme et des muscles de l'abdomen, qui résolvent, désagré- gent, et préparent, pour être mêlées au sang, les substances ali- mentaires compactes ; d’où il résulte que le chyle n’est pas aussi atténué que le sang, lequel reçoit sa dernière façon, son morcelle- ment, son atténualion définitive dans le poumon. Les arguments qu'il donne à l'appui de cette manière de voir sont aussi mauvais que ceux qu'il combat dans les théories des autres auteurs; ici même il oublie tout à la fois la méthode d'observation, la méthode expérimentale, et parfois la fidélité à lalogique; après quoi, iléerit un discours où il veut du même coup délivrer ses concitoyens de (1) Physiologie médicale de la circulation du sang, p. 153. (2) De motu quo cibi in ventriculo rediquntur ad formam sanguini reficienda idoneam, p. 74 et suiv, 852 IATROMÉCANISME. —— ÉCOLE ANGLAISE. la crédulité, de la /o2 brute (4), et faire la guerre à la manie d'innover; quant à lui, il ne s’en rapporte qu’à l'évidence (2). L'application de la théorie physiologique de Pitcairne à la méde- cine pralique se trouve en partie dans la dissertation De curatione Jebrium quae per evacuationes instituitur; Pitcairne y rattache les causes et la guérison des fièvres au trouble, au rétablissement, à l'augmentation, naturelle ou provoquée par les médicaments, de toutes les évacuations naturelles et particulièrement de la transpi- ration cutanée (3), d'après la théorie de Sanctorius, qu'adopte et qu'il tâche de fortifier par toutes sortes de raisonnements et de cal- culs où l’observation clinique n’a rien à voir. De là à combattre les théories pathogéniques fondées sur l’antagonisme des alcalis et des acides, 1l n’y à qu’un pas, et c'est ce pas que Pitcairne fran- chit dans sa Dossertatio brevis de opera quam praestant corpora acida vel alcalica in curatione morborum. Autant vaudrait dire, à son avis, que toutes les maladies sont engendrées par le ter- restre et guéries par le céleste, ou réciproquement. Il n’y a que l'usage et l'expérience qui apprennent que tel médicament guérit plutôt que tel autre. Il n’y a pas une seule évacuation qui ne puisse être excitée par les acides aussi bien que par les alcalis ; or, comme les maladies sont engendrées par les vices des excré- tions, 1l en résulte que l’on ne peut les attribuer exactement ni aux alcalis ni aux acides. Beaucoup de maladies sont de plus guéries par les émissions sanguines ; or la saignée n’a rien à faire aveclesalcalis oulesacides; il en est de même du quinquina, dont l'action ne peut être expli- (4) Pitcairne, qui, en toute occasion, se moque des préjugés religieux et médi- Caux, croit à la vertu des remèdes les plus ridicules, de la poudre de crâne d'homme, en particulier, contre l’épilepsie et la paralysie: De variolis, p. 162.— Dans la variole, il prodigue la saignée ; il rappelle les pustules par les vésicatoires à la nuque. (2) Solutio problematis de inventoribus, p. 86, 87 et 88. Voy. aussi p. 94, où Pitcairne fait cette sage remarque qu'Hippocrate et ceux qui l'ont suivi ont parlé, avant Harvey, de la circulation comme des gens qui ne la connaissent pas, comme en ont aussi parlé ceux qui l'ont niée après Harvey. IL réfute victorieusement les auteurs qui pensent qu'Hippocrate connaissait la circulation. (3) Voy. particulièrement, p. 426 et suiv. PITCAIRNE. — PATHOLOGIE, 853 quée ni par les acides ni par les alcalis, puisque les substances acides ou alcalines sont loin d’exercer sur les fièvres la même influence que lui. Enfin, d'après les théorèmes de Boyle, il n'existe aucune fermentation dans le sang; les plantes qu’on prend par la bouche, quelque acides qu’elles soient, deviennent alcalines par l’action de estomac, du poumon et du cœur ; done, il n’est pas possible que les acides ou les alcalis soient jamais la cause des maladies, ou leur remède. L’iatromécanisme ne pou- vait pas avoir plus étrangement, plus faussement raison contre la chémiatrie ! Mais ce qui dépasse encore, sil se peut, l’étrangeté de la théo- rie de la fièvre, c’est l’étrangeté de la théorie du flux menstruel qui, dans les Observationes de fluxu menstruo, est attribué à la disposition des vaisseaux utérins qui n’ont pas de soutien et offrent d'autant moins de résistance chez la femelle de l’homme qu'elle jouit de la station droite. Il faut lire toutes ces Observa- tiones pour juger combien sont reculées les limites de l’absurde chez les théoriciens qui ne font attention ni aux inconséquences, ni aux impossibilités, et qui, dans le cas présent, ne tiennent même pas compte de la périodicité pour le flux menstruel. Pitcairne attribue aussi l’origine de la syphilis aux troubles de la perspiration si fréquente chez les Orientaux; comme les Orien- taux suent plus facilement que les Européens, les sudorifiques végétaux leur suffisent ; aux habitants du Nord, il faut des sub- stances plus lourdes, le mercure (1)! Dans ce même opuscule, il rappelle, à propos du mercure, les expériences qui prouvent que des poisons peuvent être donnés par la bouche sans causer aucune nuisance, tandis qu’ils tuent si on les met en contact avec une plaie récente ; et il ajoute qu’en conséquence il a pu administrer impunément de l’arsenic à des individus tourmentés par des douleurs intenses du ventre. Mais (4) De ingressu morbhi qui venerea lues appellatur : c'estlà qu’il écrit cette phrase passablement irrévérencieuse à propos de la contagion, $ 9 : « Ex his sequitur plus quam esse barbarum etindignum hominibus, morem illum, cives honestissimos qui sacerdotes plerosque e faece plebis homines habent inimicos, levissimis de causis domi suae se continere cogendi, iisque aqua et igni interdicendi, quamvis pullo contagio infecti, » 854 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ANGLAISE. cet exemple est mal choisi, car l’arsenic empoisonne aussi bien par la bouche qu’introduit dans le torrent de la circulation, soit par une surface dénudée, ou absorbante, soit par les injections hypodermiques. La nosographie de Pitcairne (De divisione morborum) est digne de sa physiologie et de sa pathologie; qu’il me suffise de vous y renvoyer. À la fin de la Divisio, vous pouvez lire cette phrase plus orgueilleuse que justifiée (p. 177) :« Je ne doute pas d’avoir résolu ce noble problème : une maladie étant donnée, en trouver le remède. » Après quoi, il ajoute avec Ovide, en son XV: livre des Métamorphoses : Jamque opus exegi. Le complément de la doctrine médicale de Pitcairne nous est fourni par un ouvrage posthume, peu connu et rare (1). Dans un Proloquium très-hardi, Pitcairne veut tirer la médecine (pratique et enseignement) de cette incertitude qu’on ne souffrirait pas s’il s'agissait des affaires et de la fortune, incertitude qui tient à ce que, tout en apprenant aux autres à éviter les fautes des anciens, on y retombe sans cesse, en prenant pour la réalité les fruits de l'imagination. Il faut secouer le joug des philosophes, suivant lesquels les maladies viennent des dieux et des astres, et qui ont transporté dans la médecine la théologie, l’astronomie et une physique insensée. Si, au contraire, on est versé dans les sciences exactes, particulièrement dans les mathématiques, on comprendra la vanité des qualités occultes, et qu’il n’y a rien autre à connai- tre en toutes choses que leurs mutuelles relations, les lois et les propriétés de leurs forces par lesquelles on peut les changer ou être changé par elles. Ce qui incombe aux médecins, c’est de connaitre les forces du corps, celles des maladies et des médica- ments ; alors l’adage, inventé quand on ne savait pas de physi- que: Ubi incipit medicus ibi desinit physicus, n'aura plus de (1) Elemienta medicinae physico-mathematica, libris duobus, quorum [prior] theoriam, posterior praxim exhibet. Hagae Comitum 1718, ouvrage posthume, — Dans le premier livre, l’auteur suit l’ordre, mais non toutes les idées de Sennert; dans le second, la méthode de Rivière. Dans mes citations, le premier chiffre indique le livre, le deuxième Le chapitre, le troisième Les paragraphes, PITCAIRNE, —- PATHOLOGIE, 855 raison d’être, et l’on ne verra plus les noms des héros de la mé- decine effacés dé la mémoire des hommes comme ceux des so- phistes. Quel dommage que de si belles paroles servent d'introduction à un traité de médecine où trop souvent l’imagination joue pré- cisément un rôle qui ne laisse pas beaucoup de place à la réalité ! La médecine est l’art de prolonger la vie indéfiniment. En effet, la maladie est un effort pour mourir ; la mort est le sum- mum des maladies; la vie indéfiniment longue est celle qui est exempte de maladie, c’est-à-dire exempte d’an effort infini vers la mort; en d’autres termes, une vie très-saine. Mais comme il faut mourir un jour ou l’autre, au mot infini substituez, dans la pratique, le mot défini. En d’autres termes, la méde- cine est l’art de rendre la vie homogène et toujours semblable à elle-même; c’est là l’éndolence du corps ou l'absence de toute souffrance (Il, 11, 2-4). C’est trop demander à la médecine, et, quoi qu’en dise notre auteur, je préfère la vieille définition : La médecine est l’art de conserver la santé présente et de la ré- tablir quand on l’a perdue (1). — Les tempéraments (au nombre de trois : bilieux, mélancolique et pituiteux ; le tempérament sanguin n’est que la pléthore) sont produits par l'inexacte pro- portion des éléments du sang et par conséquent par les vices de la sécrétion normale des fluides, attendu qu'ils sont essentielle- ment et primitivement des liquides et non des canaux (2). Les £em- péraments sont un commencement de maladie (cap. 111, 1-7). La chaleur innée n’est que le résultat de l’attrition du sang dans son mouvement naturel; l’humideradical estle sang lui-même; iln°y a dans le sang aucune fermentation vraie, au sens de Willis, puis- qu'il n’y à jamais dans le sang dégagement d’esprit ardent ou d’esprit-de-vin (cap. 1v). Quelques-unes de ces propositions sont à peu près vraies, mais les raisons assignées pour les établir sont presque toujours boiteuses. (1) L'auteur critique presque toujours les opinions des autres, en même temps qu'il cherche à établir les siennes, (2) On peut bien supposer cependant, même en restant fidèle à l’iatromécanisme, quelque altération dans les canaux pour expliquer les sécrélions anomales, — Du reste, Pitcairne ne voit dans la structure du corps que canaux et fluides. 856 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ANGLAISE. Dans le chapitre v, intitulé De l’économie animale, l'auteur applique les lois de la mécanique et de hydrostatique aux diver- ses fonctions ; ainsi la digestion est le broiement des aliments en particules impalpables, toutes homogènes ; le suc gastrique ne sert qu’à amollir les aliments ($ 4 et suiv.) (1). La faculté vitale des anciens est la force musculaire du cœur qui pousse le sang dans tout le corps ; la faculté naturelle est la force issue de la circulation et qui se manifeste par toutes les sécrétions opérées dans lPuniversalité du corps, excepté celle des sucs nerveux ou des esprits animaux, qui est sous la dépendance de la faculté animale, laquelle s’exerce sur le sang qui circule dans l’encé- phale ($ 53 et suiv.). Le mouvement est produit par l’afflux du suc nerveux dans les muscles, et les sensations par le reflux (refluxus) des esprits animaux à la racine des nerfs dans le cer- veau (K 71). Le cœur et le cerveau, les artères et les nerfs sont dans le fœtus formés en même temps, quel que soit le mouvement qui s'opère dans les particules de la semence et la place qu’elles occupent ; la semence, non l’œuf, contient en germe et formés, cœur, cerveau, nerfs, artères (fhéorie de l’évolution, voy. p. 766); il y a des animalcules mâles et d’autres femelles ($ 77-78). Puisque la santé consiste en une bonne circulation du sang, la maladie n’est qu'une circulation augmentée ou diminuée, soit dans tout le corps, soit dans quelques-unes de ses parties (LE, vr,1). Les crises, au sens d’'Hippocrate (3° ou 7° jour, ou un nombre composé de 3 et de 7), c’est-à-dire suivant des jours réglés, n'existent que dans l'imagination des Français ou des Italiens imbus de vieilles doctrines, et des Écossais qui les ont fré- quentés (2). La crise est une coction et expulsion d’une matière morbifique par une glande quelconque (cutanée, intestinale, ré- nale, etc.) qui s'opère en plus ou moins de temps suivant les pays, car les pays influent sur la formation et la rapidité d’expul- (1) Aux $ 9-49 sont rapportées des expériences comparatives sur la coagulation du sang artériel et veineux mis en contact avec diverses substances. (2) D'après Baglivi (Praæis med., I, x11, 5), les crises, quoiqu'elles soient des mouvements constants de la nature, varient suivant les saisons, les localités, le genre de vie, le tempérament des malades, l’âge et le sexe. PITCAIRNE. — PATHOLOGIE. 857 sion des matières morbides, Pitcairne souhaiterait ane statistique exacte et comparée pour décider la question du temps (vit, 1-7). Les indications thérapeutiques se tirent de ce qui est dans l'animal (e re entra animal) ou hors (e re extra) de l'animal. Si c’est d’une chose hors de l'animal, mais dans son corps (distinc- tion plus que subtile), c’est-à-dire dans l’estomac ou les intestins, il faut faire vomir et purger. On doit distinguer les maladies propres à l’estomac et aux intestins de celles qui sont sympto- matiques d’altération d’autres parties en connexion avec les vis- cères : par exemple, du foie dans une diarrhée prolongée; auquel cas, il faut donner aussi des sudorifiques, afin d’évacuer les liqui- des qui surabondent par suite de la dilatation des canaux biliai- res, causée par les efforts importuns du sang que provoque la suppression de la transpiration cutanée. Si l’indication est prise ere intra animal, elle est alors tirée du sang artériel ou veineux, attendu que les maladies viennent du mouvement augmenté ou ralenti de ce liquide; car tout changement dans la texture ou les qualités du sang ‘ugmente ou diminue ses mouvements. Si l'indication est tirée € re intra animal, mais qu’elle ne se rap- porte pas aux artères et aux veines, elle regarde la diminution ou l’accroissement des sécrétions. Si la cause morbifique n’est contenue ni dans le tube intestinal ni dans les vaisseaux, et que cependant elle soit dans le corps, si elle est extravasée dans les viscères, alors le mal est incurable puisqu'elle n’a pas de voie naturelle pour être expulsée. L’extravasation se fait-elle à la périphérie du corps, par exemple dans la poitrine (empyème), le chirurgien doit intervenir (f, vu, 9-12). La fièvre est une cireulation dont la rapidité est augmentée uniformément, c’est-à-dire également dans des temps égaux (If, 1,1). Le sang devient alors plus rare, c’est-à-dire que ses parties sont moins cohérentes : d’où la chaleur ; devenu plus ra- pide, le sang se trouve en plus grande abondance dans certaines parties du système vasculaire : d’où la distension et la douleur; et ainsi de tous les autres symptômes ou complications des fièvres ($ 2 etsuiv.) : ainsi, les hémorrhagies viennent de l’extrême di- latation des vaisseaux ; les pustules, de ce qu’une petite partie du sang peut seule s’extravaser vers la peau (K 7-8). 858 IATROMÉCANISME. —— ÉCOLE ANGLAISE, La fièvre légitime continue est impitoyablement traitée par la saignée et les vésicatoires, attendu que ce sont les deux remèdes qui combattent le mieux la raréfaction du sang. Il est vrai que pendant la saignée la rapidité du sang augmente, mais elle cesse peu après l’émission sanguine (4). Donc, avant que soit trouvé, car il ne l’est pas encore, un médicament qui combatte immédia- tement la raréfaction du sang et son mouvement précipité, on in- sistera sur la saignée. On doit éviter les sudorifiques qui agissent précisément en sens contraire de l'indication remplie par la sai- gnée, à moins qu’il n’y ait des signes de coction dans les urines ; dans ce cas, il ne s’agit pas d’une fièvre légitime; elle est jointe à une autre qui dépend d’une matière épaisse. La fièvre intermittente résulte d’une matière épaisse qui s’a- Joute à la cause de la fièvre simple; en conséquence, on doit sai- gner, faire vomir et donner les médicaments amers ou le quin- quina qu’on appelle à tort fébrifuyges, mais qu’on devrait nornmer atténuants où apéritifs, car ils sont opposés à la maladie pro- duite par la matière épaisse, maladie qui accompagne ou excite la fièvre ({ 33-37) (2). On voit, ce me semble, par cet échantillon, avec quelle inflexible logique Pitcairne a pu et dù expliquer mécanique- ment toutes les autres maladies : la manie (3) par la fluidité du sang; toutes les inflammations par la stase du sang dans les artères; les maladies de l'estomac par la plénitude vu la vacuité de ce viscère. La théorie lui échappe plus d’une fois lorsqu'il s’agit de thérapeutique ; il prend les remèdes de toutes mains el sous toutes les formes, sans trop se soucier s'ils concordent ou non avec la cause organique supposée de la maladie ; il suit alors ou la tradition, ou même l’empirisme, tant il est difficile de mettre la thérapeutique en accord avec des théories très-limitées ; il faut, pour cela, avoir, comme Broussais, rompu en visière avec le passé (4) Voy. plus haut, Bellini, p. 776. (2) « Medicamentum febrifugum quale vulgo (sed male) appellatur, quod febri intermittenti, qua ali, opponitur » (IL, 1, 37-41). (3) [la vu (II, v, 8) des épileptiques qui, durant l'accès, avaient conscience d'eux-mêmes; un de ses malades, pendant qu’on lui faisait des onctions, cherchait à réciter des vers de Juvéual (Satire De alipta), W. COLE. — PATHOLOGIE, 859 et le présent, et oser dire : « La médecine c’est moi. » Pitcairne a une foule de recettes plus ou moins rationnelles ; il en donne même, lui si sévère contre le profanum vulqus, qui rentrent dans la médecine populaire : par exemple, la poudre de crâne humain, ou de vers de terre grillés, contre les convulsions qui viennent d’inanilion (II, v, 22), contre la pleurésie et la péripneumonie. Parmi les prescriptions choisies, on remarque une infusion qui doit combattre la stagnation et où il entre, comme ingrédient principal, de la fiente chaude de cochon de lait ou de cheval châtré (IL, x1v, 18); ce qui n'empêche pas Pitcairne de traiter ($ 23) de rêveurs et de crédules les médecins qui précomisent l'esprit de sel urineux tiré du sang humain (voy. note 1, p. 852). La lecture des divers chapitres consacrés à chaque maladie en particulier n’est cependant pas dénuée d’intérêt (1); car on y rencontre quelques bonnes prescriptions et surtout plusieurs ob- servations tirées de la pratique de Pitcairne. Pour chaque maladie (elles sont rangées à capite ad calcem) on trouve la définition (ilrenvoie volontiers à Rivière pour les signes) et le traitement. William Cole écrivait à peu près en même temps que Pitcarrne ; son ouvrage Sur les fièvres internuttentes (2) porte la date de 1693. C’est un livre entièrement médical, dont la physiologie iatromathématique fournit les principes pathologiques et théra- peutiques. Cole tient son kypothèse sur la cause des fièvres en si grande estime, il la croit si vraisemblable qu’il commence par se défendre de plagiat à l'égard de Mundius et de Borelli qui avaient exprimé à peu près les mêmes idées, mais dont il ne connaissait pas les ouvrages ; exerçant à la campagne, et chargé d’une nom- breuse clientèle, le temps lui manquait pour lire les nouveautés (1) Je remarque ceci en passant (11, xxix, 2): Quand l'accouchement est rendu difficile, non par l'abattement des forces, mais par une position vicieuse ou l’étroi- tesse des parties, c’est l'affaire du chirurgien, de la sage-femme, où du mari. (2) Novae hypotheseos ad explicanda febrium intermittentium symptomata et typos exogitatue hypotyposis. Una cum aetiologia remediorum ; speciatim vero de curatione per corticem peruvianum. Accessit Dissertutiuncula de intestinorum motu peristallico. Londini, 1693, in-8°. — Cole démontre dans la Déssertatiuncula, écrite primitivement en anglais en 1676, que les fibres prétendues annulaires des iuteslins sout réellement enroulées en spirales, 860 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ANGLAISE. scientifiques, et même, le temps ne lui eût-il pas fait défaut, ilse serait difficilement procuré les ouvrages de ces deux auteurs. Une fois averti et mis en possession de ces livres par un de ses amis, Gibbons, /brorum magnus heluo, il s'est empressé de satis- faire une légitime curiosité, et de réparer sa faute involontaire. Mais il n’a pas eu ni à briser sa plume, ni à jeter son livre au feu. Mundius et Borelli n’avaient aperçu qu'une ombre de la vérité, qu'une parcelle de la vraie théorie ! Si Mundius dans sa Biochrestologia seu commentari de aere vital, etc. (1680) avait, dit Cole, en sa préface, considéré la théorie des fièvres plus profondément, s’il s’en était bien péné- tré, il n’en aurait pas simplement parlé en quelques lignes, il en aurait donné une explication plus détaillée, telle que la deman- dait l'importance du sujet. Mundius suppose, ex passant, que la matière des fièvres intermittentes, quoiqu'elle soit fournie par le sang, réside dans le fluide qui baigne le cerveau et la moelle épinière, entre en fermentation, excite et contracte les mem- branes, et par cette contraction est poussée dans les nerfs; d’où le frisson et le tremblement. Il croit que, par suite de cette commotion, le fluide est de nouveau chassé des nerfs, puis est porté dans la masse sanguine par les conduits de la Iymphe, où, excitant de nouveaux troubles, il fait naître l’effervescence fébrile qui s’apaise après quelques heures, la matière fébrile étant exclue par les pores. Alors suc- cède l’apyrexie jusqu’à ce qu’un aliment fébrile nouveau et suf- fisant s’accumule dans le même foyer. Cela, affirme Cole, est loin de satisfaire un esprit avide au moins de probabilités! Quant au sentiment de Borelli {voy. plus haut, p. 759), il s’é- loigne plus encore de celui de Cole, en ce qu’il place le foyer de la fièvre non dans le cerveau lui-même ou dans le système nerveux en général, mais dans quelques glandes obstruées ; en conséquence 1l suppose que les extrémités des petits nerfs placés dans ces glandes sont, par la même raison et la même nécessité, obstruées de telle sorte qu’elles ne peuvent verser leur suc, et que ce suc, amassé peu à peu par suite de ce retard, entre en fermentation et prend des qualités mauvaises ; puis, le mal se transmettant d’abord au cerveau, ensuite au W. COLE. — PATHOLOGIE, 861 cœur et au sang, chaque symptôme se montre suivant son ordre, Cole accuse Borelli d’obscurité, et de n’avoir pas suffisam- ment rendu compte de tout ce qui se passe dans les fièvres. Quant à nous, nous passons condamnation sur l'obscurité, mais nous trouvons qu'il ne s’est que trop étendu en ses explications. Voyons donc si celles de Gole sont plus claires et plus complètes. Les quatre premiers chapitres sont consacrés à la critique des opinions qui ont précédé celle de notre auteur, sur le siége et les causes des fièvres intermittentes ; à exposer les conditions qui président à la formation des fièvres (la matière doit en être puissante sinon volumineuse, universelle, rapide en ses mouvements, prompte à disparaître et à revenir, ct propre sur- tout à rendre compte de tous les symptômes, conditions que ne remplit aucune des autres théories) ; à prouver que le suc nerveux est l’agent principal de la nutrition (1) ; enfin à établir que les désordres du sue nerveux suffisent à tout expliquer. Cela dit, en quatre-vingt-quinze pages, Cole propose sa vic- torieuse hypothèse : Il arrive que, soit par suite de locclu- sion des pores, les effluves sont retenus et rejetés dans la masse sanguine (ce qui est une occasion très-fréquente de fièvres intermittentes et de beaucoup d’autres maladies) ; soit par une anomalie quelconque dans l’une ou l'autre des causes non natu- relles (aliments, boissons, exercices, etc.), quelque matière (fer- mentescible ou non) contraire aux fonctions naturelles est ad- mise dans le sang ou se produit en Jui (2). Cette matière est assezténue pour être admise par les racines des nerfs répandues partout dans l'écorce du cerveau, et pour péné- trer à travers les tubes nerveux ; elle perd peu à peu sa lenteur () « Nutritionis voce intelligendam censeo electivam appositionem materiae alicujus, in corporis viventis substantiam, sive ad deperditae instaurationem, sive in augmentum a natura praestitum, » —- Car il n'existe pas de différence essentielle entre les facultés nutritives etauctrices, Inutile d'ajouter que, pour Cole, lanutrition est une fonction à peu près entièrement mécanique. — Voy. plus haut, p. 821, la théorie de Guglielmini, (2) Cette matière ne doit pas ètre d’une espèce ou d’un degré capable de relà- cher entièrement la crase naturelle du sang; ear, sil en était ainsi, la fièvre deviendrait continue. 862 TATROMÉCANISME. — ÉCOLE ANGLAISE. et en sort plus active, activité produite à la fois par l’action puis- sante des sels volatils (sels qu'on peut soupçonner n'être autre chase que les esprits animaux, du moins jusqu'à ee qu'on ait trouvé dans le corps quelque substance plus propre à remplir leurs fonctions et à qui l’on puisse appliquer cette dénomina- tion), par la collision des autres particules qui la composent quand elles changent de siége; enfin par lexcitation de la cha- leur qui règne dans toutes les parties. A son tour, celte matière exaltée réagit contre les particules naturellement contenues dans les nerfs, et les fait entrer également en insurrection. Elle peut être retenue paisiblement pendant plusieurs heures, même plusieurs jours, dans les réceptacles, y circuler sans incon- vénient à cause de son faible volume, et pour d’autres raisons tout aussi ridicules; il en résulte des intermittences plus ou moins prolongées ! Le retour de la fièvre (1), c’est-à-dire le nou- vel enclavement et la nouvelle exaltation, ramène les frissons et les autres symptômes préliminaires de l'accès, lesquels commen- cent principalement du côté de la moelle (comme il est naturel, puisque le point de départ est dans le cerveau et dans les nerfs), pour se propager bientôt à tout l’ensemble des fibres qui ne sont pas autre chose que les dernières ramifications des nerfs (2). La (4) « Comme l’atonie des glandes corticales du cerveau persiste après un premier paroxysme, qu'elles ne peuvent, à cause de leur mollesse, être modifiées en peu de temps, et que les fibres de tout le corps ne peuvent se dépouiller aussitôt de leur aptitude à recevoir la matière turgescible ; d’un autre côté, comme le sérum du sang, qui fournit leurs suppléments aux nerfs, doit envoyer un suc peu conve- nable, même après le premier paroxysme, à plus forte raison, dans le cours de la maladie, il en résulte que, ce sérum fournissant sans cesse aux glandes cet aliment nouveau mais vicié, et celles-ci le recevant et le transmettant à toutes les fibres par l'entremise des nerfs, la matière d’un nouveau paroxysme s’amasse peu à peu, lequel, quand cette matière, après un certain intervalle, est arrivée à maturité et au même degré que la première, répète la même scène. Or, ceci se renouvelle jusqu’à ce que, soit les médicaments, soit le changement detempérature, soit l'intervention d'autres causes, en rendant à ces vaisseaux leur tonicité, dompte la dyscrasie morbide de la matière. » C’est en vain, ce me semble, et quoi qu’en dise Cole, qu'on chercherait des diflérences radicales entre cette théorie et celle de Boreili ; du reste, elles se valent l'une l’autre. (2) Ces opinions sont très-voisines de celles de Baglivi et surtout de celles d'Hoffmann. W. COLE. — PATHOLOGIE. 86% vive agitation qui en résulte amène la chaleur; puis la matière morbide étant domptée, arrivent la détente et la sueur ! Tout récemment, deux médecins, lun français, M. Diberder, de Lorient (1), l’autre américain, M. Salisbury, de Cleveland dans l'Ohio (2), ont voulu expliquer l’intermittence dans la fièvre, par l'encubation (période d'intermittence) et l’éclosion (période d'accès) d’animaleules ou de sporules végétales. Le docteur Di- berder n’a émis qu’une hypothèse, tandis que le docteur Salisbury pense avoir démontré expérimentalement sa thèse. Je crains qu’il n’en soit de l'hypothèse et dela prétendue démonstration, comme il en est de la pure hypothèse de Cole. D'ailleurs lintermittence n’est pas spéciale à la fièvre, et je ne vois pas que l’explication des deux ingénieux auteurs modernes puisse servir aux autres espèces d’intermittence, à celle de la névralgie par exemple. Là il n’y a guère moyen de trouver la petite bête. En terminant le septième chapitre, où il s'est efforcé de rendre compte, à l’aide des prémisses que vous connaissez, des différents typesréguliers des fièvres, et des fièvresirrégulières, Cole s’écrie : « Je crois maintenant avoir donné quelque idée des fièvres; que si quelqu'un repousse mes opinions comme invraisembla- bles, je lui demanderai d’en proposer de plus probables, soit parmi les hypothèses déjà mises en avant, soit tirées de son propre fonds; s’il le fait, je lui rendrai des actions de grâces, car, avide que je suis de la vérité, je ne regretterai pas de m'être instruit en vieillissant. » Eh bien, nous aussi, Messieurs, qui aimons la vérité, nous souhaitons qu’on cherche encore des causes plus probables de la fièvreintermittente, que celles qu’on a proposées jusqu'ici, sans en excepter celles qui viennent de se produire à Lorient et Cle- veland. Encore, à toutes ces explications préférerons-nous de bonnes études cliniques sur les causes occasionnelles, les formes diverses, les anomalies, les reliquats et le traitement des fièvres intermittentes. Il ne suffit pas de dire comment vient la fièvre, il importe (1) Union médicale ; n° du 4 novembre 1869. (2) Revue des cours scientifiques, n° du 6 novembre 1869, 86h TATROMÉCANISME. — ÉCOLE ANGLAISE. surtout d'apprendre comment on la chasse. C’est ce que fait William Cole dans le chapitre x, où il met au-dessus de tout l'écorce du Pérou (a/tiorem considerationem meretur). Si au moins il s'était attaché à imiter la réserve de Sydenham ! Oh non! il faut qu’il sache avant tout comment agit le quinquina. Aussitôt que le quinquina a pénétré dans l'estomac il est saisi et désagrégé par le sue gastrique qui suinte de la tunique glan- duleuse du viscère. Les particules atténuées sont emportées par le chyle dans le sang auquel il donne de Ia force, et dont elles changent peut-être aussi la crase. Par le sang elles arrivent aux glandes corticales du cerveau et pénêtrentmême jusque dans la moelle cérébrale ; en raison de leur séjour, elles 1rritent les glandes, les invitent à se contracter et leur rendent ainsi le ton qu’elles ont perdu, ce qui permet à ces glandes d’expulser la ma- tière morbifique, ou de lui refuser l'entrée. Les particules les plus déliées et sublimées se mêlent au sue nerveux en le pénétrant comme autant de coins qui détruisent les cohésions ou associa- tions hétérogènes dans ce suc. Pour que le kina ait le temps de produire tous ces effets, 1ldoit être adininistré assez longtemps avant le retour du paroxysme. Il importe également de soutenir l'effet du médicament par des doses assez fortes et fréquemment répétées. Il se peut que le médicament, en concentrant son action sur les nerfs de l'estomac, et en agissant par sympathie sur les autres nerfs, empêche le re- tour du paroxysme; mais ne vous y fiez pas trop, car cet effet est trop éphémère ; l'autre voie est plus certaine, et Gole daigne même nous apprendre comment on mène sûrement le quinquina en sub- stance de l'estomac au cerveau. Cest en lPalcoolisant on en laci- dulant, suivant la méthode de Talbor (1), ou en y mêlant des amers (2): cela lui donne de la rigidité et augmente ses qualités styptiques, car les amers possèdent ces qualités au suprême degré, et c’est pour cela qu'avant la découverte de l'écorce du Pérou on les administrait quelquefois, non sans succès, contre les fièvres in- termittentes légères. Commeles maladieschroniques se rattachent presque toutes au genre nerveux, que presque toules les fibres (4) Voy. plus haut, p. 726, note 4. — En France on écrit Talbot. (2) Après avoir débarrassé les premières voies avec des vomitifs minéraux ou végétaux, W. COLE. — DES SÉCRÉTIONS. 865 manquent alors de ton, il n’est pas étonnant que dans plusieurs de ces maladies le quinquina réussisse aussi bien que dans les fié- vres intermiltentes (1). Cole à aussi publié, en 1674, un traité De secretione animali, dans lequel il montre qu’il n’y a pas de fonction dont la connais- sance importe plus au médecin, soit pour la conservation de la santé, soit pour le traitement des maladies, soit pour établir la vérité de l’iatromécanisme, que la simplicité et la grandeur des procédés employés par la nature. Il s'excuse de n'avoir pas refait les expériences physiologiques ou vérifié les observations ana- tomiques qui font l’étonnement du siècle, parce qu’il n’y aurait rien pu ajouter ou qu'elles suffisent à son sujet (2), et d’user volontiers de conjectures, car la théorie des sécrétions a été jusqu'alors à peine ébauchée (Préface). L'ouvrage est très-dialectique : Cole subdivise les sécrétions en secretiones ad privatum (nutrition de chaque partie), et ad publicum usum ; les sécrétions qui servent à un usage public sont s’nples ou mélangées ; on appelle aussi les simples perfec- tives, parce qu’elles servent à l'entretien et à la perfection de l'organisme; elles sont constituées par le chyle et le suc ner- veux (3); les mélangées sont dites excrétives ou dépuralives, attendu qu'elles séparent un fluide qui s'échappe du corps comme excrémentiliel ; les excrétlives regardent à leur tour la conservation de l'espèce (sperme, lait), ou celle de l'individu (urine, faeces, ele.). Enfin, parmi les excrélives, 1l yen a aussi de (1) On sait, en effet, que le quinquina ou le sulfate de kinine est un puissant modificateur, non-seulement dans les fièvres intermittentes ou rémittentes, mais dans une foule d’autres affections, soit névralgiques, soit inflammatoires (le rhuma- tisme par exemple), et dans plusieurs dyscrasies, ou maladies chroniques, (2) Cependant, il dit au chap. v, qu'il ale premier deviné d'abord, puis reconnu à l'inspection, la nature glanduleuse de la surface interne de l'intestin grêle et du duodénum. Peyer et Brunner ont en effet écrit après la publication du traité de Cole, — On peut dire seulement que leurs recherches ont bien plus de précision que celles de l’auteur anglais (voy. plus haut, p. 694). (3) Pour la défense duquel il soutient, dans le chap. 111, une discussion spéciale contre les téméraires auteurs qui en niaient l'existence, ou du moins qui la met- taient en doute. DAREMLERG. 55 866 IATROMÉCANISME. —— ÉCOLE ANGLAISE. réductives, comme est la bile, parce qu’elles sont en partie wtiles, en partie excrémentitielles. Elles agissent comme ferments par leur partie utile. Cela n’est pas bien nouveau; on trouve à peu près les mêmes divisions à propos des glandes dans Wharton (1). Notre auteur admet aussi des sécrétions contre nature : la ma- tière de l'hydropisie ; le pus (chap. n1). - A lire attentivement le cinquième chapitre, on voit que la sé- crétion n’est pour Cole, à peu près comme pour Willis (2) qu’une fermentation (3) qui exige dans la masse du chyle ou du sang cerlaines conditions particulières, et, dans les canaux excréteurs (partie mécanique de la doctrine), des conditions correspondantes (grandeur et figure des pores). Lasécrétion réclame un mouvement etun mouvement plus accéléré dans le fluide à sécréter, un volume etune forme spéciales, une mesure dansle degré de l’effervescence, pour que les fluides ne deviennent pas trop subüls et ne s’excré- tent pas avant le moment et par d’autres lieux que ceux qui sont fixés par la nature. Les sécrétions simples ou perfectives s'opèrent par simple percolation ou filtrage (chap. vr et vn) ; quant aux sécrétions mixtes et mélangées, elles exigent particulièrement l'intervention d’un ferment (chap. vur.—Voy. encore chap. Ix-xit); il les appelle aussi des secretiones praecipitatoriae (chap. xv). Les Tentamina medico-physica, de Keill (4), sont (1673-1719) (4) Voy. plus haut, p. 6/41 et note 2. (2) Descartes est tenu aussi en grand honneur par Cole. (3) Cette fermentation est produite, soit par l'air lui-même qui existe dans le soit par les principes nitreux, acides, etc., qui s’y trouvent; sans oublier l’in- sang, fluence des sucs nerveux qui abondent dans les glandes, en raison de la multitude des ramuscules nerveux distribués à profusion dans ces glandes par l'imagination des iatromécaniciens (voy. chap. 1x, x, x); ces sucs agissent surtout par l'agitation qu'ils donnent au sang (chap. xn). (4) Je donne en entier le titre du volume, ear ce titre en indique exactement le contenu et nous montre l'importance des sujets traités : Jac. Keillii Teatamina medico-physica quinque : de sanguinis quantitate ; de velocitate sanguinis ; de vi cordis ad sanguinent per totum corpus propellendum ; de secretione animali ; de motu musculari. Quibus accedit medicina statica britannica, complectens tabulas perspi- ralionem excretionemique per sinqulos menses exhibentes ; observationes unius anni continu ad singulos menses ; observaticnes variorum annorum ; aphorismos sta- ticos ; disquisitiones duas de frigoris suscepti causa ; de corporis animati vi attra- Er DR mi 1 KEILL. — PHYSIOLOGIE. 867 généralement considérés comme marquant une ère nouvelle dans la physiologie iatromécanique. Keill passe pour un esprit critique, sévère, judicieux. Sans doute il tâche d'échapper aux idées aven- tureuses, mais 1l est loin d’y réussir toujours. Par exemple, s’il ramène à quelques onces, huit à douze (1), la force du cœur que Borelli estimait à 135 000 livres, il tombe aussitôt (2) dans une exagération non moins grande ; il évalue le poids du sang, chez un homme qui pèse 160 livres, à au moins 100 livres; il compte la partie solide des os pour 10 livres, la graisse pour 17; le reste des 60 livres appartient sans doute aux viscères ou du moins à quelques-uns et peut-être aussi aux fibres pleines. Il est vrai, d’abord, que sous le nom de sang, Keïll comprend toutes les hu- meurs contenues dans des canaux et dépendant plus ou moins directement du cœur, et ensuite qu’il résulte pour lui des décou- vertes anatomiques de son temps, que le corps, sans excepterles os, se compose wniquement de vaisseaux. Cependant, même avec celte manière de voir, l'évaluation n’en demeurerait pas moins de beaucoup au-dessus de la vérité, car il semble que la masse du contenant l’emporterait encore sur la masse du contenu. Avant Keill, lui-même le remarque, on admettait assez généralement dans le corps humain une moyenne de 25 livres; aujourd'hui on compte environ 16 livres dans un corps du poids total de 130 li- vres, proportion qui reste à peu prés la même chez les divers animaux. Keill se fonde, pour ses évaluations, sur des observations fabuleuses d’hémorrhagies, sur des calculs 4 priori, et sur des raisonnements que ne confirme aucune expérience, enfin sur des rapports imaginaires de volume et de poids entre les fibres pro- prement dites et les vaisseaux qu’on croyait composés à leur tour hente, — La première édition a été imprimée à Londres, en 1718. Celle que je possède est de Leyde, 1730, in-4°, Elle est plus complète, Keill a encore publié une Anatomie, en 1698, qui, d’après Haller, car je n'ai pas vu le livre, est un bon résumé ; et un traité Sur les sécrétions (An account of animal secretions, etc, 1708). La doctrine en est, d’après Haller, résumée dans les Teatamina. (4) Tentamen WI, —C'est à peu près, mais un peu au-dessous, l'évaluation mo- derne. Le ventricule gauche, à chaque pulsation, chez un adulte, pesant 70 kilogr., effectue un travail qui équivaut à un poids d'environ 400 grammes, (2) Voy. Tentamen 1, 868 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ANGLAISE. d’un entrelacement d’autres petits vaisseaux, ce qu'il ne faut pas confondre avec nos v4sa vasorum. Faute d'instruments et d'expériences directes, Keïll (1) donne également de fausses notions eur la vitesse du sang : dans l'aorte le sang parcourt un chemin équivalent à 5,233 pieds en une heure et sept minutes, tandis que dans les plus petits vaisseaux la route ne dépasse pas, dans le même temps, un pied (2). Keill tire même de là des conséquences qui ne sont pas contenues (4) Tentamen 1. (2) Voy., sur les évaluations modernes, Marey, Physiologie de la circulation du sang, p. 152 suiv. — Bryan Robinson dans sa Dissertation sur la quantité de la transpiration et des autres excrétions du corps, trad. L[avirotte], Paris, 1749, à la suite du Pharmacien moderne, par Langrish, s’en référant à son traité de l'Éco- nomie animale et à de nouvelles expériences, émet cette proposition vraie, peut-être, s'il s'agit de canaux artificiels, mais qui serait à vérifier pour les vaisseaux : « Si une personne en santé est dans une situation donnée respectivement à l'horizon, la vitesse avec laquelle le sang coule du ventricule gauche dans l'aorte, est en raison sous-doublée du diamètre de l'aorte; et si son corps est parfaitement bien propor- tionné, et que son cœur soit libre des influences qui pourraient le troubler, la vitesse avec laquelle le sang coule du cœur dans l'aorte est en raison sous-qua- druplée de la longueur du corps... En sorte que le sang coule du cœur dans l'aorte des personnes bien proportionnées, qui ont 72 pouces de haut, ct dont le cœur n’est pas troublé, avec une vitesse quilui ferait parcourir 15,48 pouces dans une minute.» Une table permet d'établir des proportions pour toutes les tailles. — Dans ce mème traité, Robinson fait voir que la transpiration, en Angleterre, en [rlande, dans la Caroline méridionale, est beaucoup plus grande le jour que la nuit, tandis que, d’après Sanctorius, c'est le contraire en Italie, C’est donc une grande erreur de prendre pour absolument vrai cet aphorisme de Sanctorius et d’autres de même nature. Cependant on lui à de grandes obligations pour avoir ouvert la voie, — Robinson pense que l'excès d'acide de lair distend les globules du sang veineux dans les fièvres inflammatoires (d’où la teinte noire ou noirâtre, comme dans la putréfaction), tandis qu'il les resserre dans l’état de santé, d'où la couleur rutilante, ou violet-indigo du second ordre. Dans la proposition 24 de l'Économie animale, i] est dit que l'acide de l'air, par son mélange avec Le sang dans les poumons, conserve la vie en dissolvant, en atténuant le sang et en lui conservant sa chaleur. — De nombreuses expériences faites par l’auteur sur lui-mème, sur d’autres personnes, et sur des animaux, relativement à la proportion des aliments solides et liquides avec la transpiration normale, les urines et les selles, sont résumées en une suite de tableaux statistiques. On trouve aussi des recherches sur le poids proportionnel du cœur et du foie avec le corps chez divers animaux. Voy. p. 881, où il est encore question de Robinson, KEILL. — PHYSIOLOGIE. 869 très-légitimement dans les prémisses ; surtout il cherche à les justifier par des raisonnements inacceptables (L). Keill (2) admet, avec Borelli et Guglielmini, que les muscles sont composés de fibres et de fibrilles, que les fibrilles sont con- stituées par des vésicules enchaïinées les unes aux autres, et dont le gonflement, volontaire ou involontaire, par le sang et le suc nerveux, donne lieu à la contraction et aux mouvements. Voilà, dit-il, qui est certain ; ce qui l’est moins, c’est la manière dont se produit ce gonflement (ir/flatio). Par une suite de raisonne- ments, fondés en partie sur les causes finales, Keïll décide qu’il faut ajouter des globules d'air au sang et au fluide nerveux, glo- bules soigneusement enfermés dans une membranule d’où ils ne peuvent pas s'évader. Cet air est fourni par le sang qui en con- tient beaucoup, comme le démontre la machine pneumatique (3). C’esten vertu d’une attraction particulière que ces globules s’in- sinuent dans les vésicules. A lire attentivement cette partie du cinquième Tentamen, il n’est guère possible de douter que lau- teur à pris pour des globules aériens, soit certains globules san- guins (peut-être les blancs), soit le point lumineux des globules rouges, qu'il a vus au microscope dans les capillaires (4). (1) « Pour renouveler entièrement la quantité et la nature du sang, il faut user souvent et pendant longtemps des médicaments, la marche du sang étant d’autant plus lente qu’il atteint un point plus éloigné de quelque grande artère ; puis, dans les parties extrèmes, le sang ne peut se mêler que tardivement avec les médica- ments. Comme le cours du sang à travers les glandes qui reçoivent les artères issues immédiatement d’un tronc volumineux, est beaucoup plus accéléré et plus rapide, il se peut qu’une grande partie des médicaments soit évacuée en peu äe temps; ce n’est donc pas tant la grande quantité de médicaments que leur usage répété qui renouvellera la nature du sang, Il ressort aussi de là que lorsqu'on croit expédient de modifier le sang à l’aide des eaux minérales, on doit en boire fréquemment etnon beaucoup à la fois ; si en effet ces eaux sont rapidement expulsées par les éva- cuations, on n’atteint pas le but qu’on se propose. Quand on les ingurgite dans un petit espace de temps, elles ne se mêlent qu'avec une faible partie du sang, alors l’économie animale en est nécessairement troublée, » (2) Tentamen Y. (3) Le sang, à l’état normal, ne contient pas d'air en nature, mais des gaz (oxy- gène, azote, acide carbonique) qui existent dans ce liquide soit à l’état de complète dissolution, soit sous celui de simple combinaison. (4) « Les particules du sang s’attirent mutuellement avec une grande force ; et les 870 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ANGLAISE. Mais jusqu'ici, direz-vous, Messieurs, on ne voit pas que soient justifiés les éloges donnés à Keill, ni en quoi il se distingue des autres iatromécaniciens. D'abord Keïll, dans la Sfatica britan- nica (1), a réformé Sanctorius en plus d’un point eta étendu, par des observations bien faites, le domaine de la statique : il montre l'importance qu’il y a à entretenir les fonctions de la peau, et les heureux résultats qu’on obtient en agissant sur cette membrane, surtout pour les maladies chroniques ; à ce propos il vante, non sans raison, plusieurs des pratiques usitées par les médecins mê- thodiques (2). Keill a trouvé presque la vérité pour la force du cœur; enfin il a introduit dans la physiologie l’idée newtonienne de Pattraction pour expliquer les sécrétions ; il prépare de loin les voies aux Stevenson, aux Nicolas et Bryan Robinson, à Clifton Wintringham, dont les uns font intervenir, soit un éther, soit l'électricité, et dont les autres commencent à avoir quelque soupçon des propriétés spéciales de la matière orqa- nisée, en même temps qu'ils substituent (Stevenson) des explica- tions chimiques aux explications mécaniques pour la production de la chaleur animale. globules sont formés par cette attraction des particules du sang. Lorsque, pour mon agrément, j'ai examiné au microscope le cours du sang, j'ai plusieurs fois observé que le globule sanguin comprimé dans les passages les plus étroits des vaisseaux prenait la forme sphéroïde ; puis qu'après sa sortie de ces passages, porté dans un lieu moins étroit, il reprenait, par suite de son élasticité innée, sa première forme sphérique. IL me parait très-vraisemblable que ces modifications, dans la forme, sont dues à un globule aérien, revêtu d'une légère membrane sanguine (p. 100). » (1) D'après des principes que semble lui avoir en partie empruntés Robinson.— Voy. plus haut, p. 862, note 2. Û (2) On lit à ce propos, dans Drsquisitio de vi attrahente, p. 198: « La commu- nauté du lit intéresse fortement la santé; il y a en effet une grande attraction entre des corps nus couchés sous les mêmes couvertures et placés l’un à côté de l’autre ; ils se réchauffent mutuellement et sont enveloppés comme d’un nuage du souffle chaud de la perspiration. La plus grande partie de la vie se passant ainsi, rien d'étonnant que des corps unis par le mariage se communiquent mutuellement leurs qualités. Dans cette union, le pruritus se propage ; la matière qui s'échappe d’un corps souillé, affecte de la maladie vénérienne celui qui est sain (il faut plus que le coucher côte à côte. — Bocrhaave, Aph. 1440, croit aussi aux effluves véné- riens). Dans cette union, enfin, l'ardente jeunesse réchauffe la vicillesse, et l’on voit languir et s’étioler la jeune fille aux chairs succulentes, rapprochée d'un vieil- lard desséché, » Mais pourquoi deux effets si différents dans deux cas semblables ? SE —— KEILL. — PHYSIOLOGIE. 871 Cest dans le quatrième T'entamen que se trouve l'exposé de la doctrine de Keill sur les sécrétions. Le sang est un fluide saturé de divers corpuscules, dont les uns s’allrent mutuellement, tandis que d’autres attirent les par- ticules du sang et y adhérent; c'est par cette attraction que le sang est susceptible de coagulation; que le sérum surnage, et que la quantité de sérum répond à la force de l'attraction ; bien plus les corpuscules du sérum s'unissent mutuellement, si quelque partie de l’humide est chassée par la chaleur ; enfin c'est lunion diverse des corpuscules qui forme les diffé- rents liquides aptes à la sécrétion par les glandes. Tout se passe donc ici en vertu des lois qui président à la cohésion des parti- cules matérielles (p. 50). Après avoir rappelé les lois générales de l'attraction, Keill en fait une application spéciale à la sécrétion du sperme et de la bile, liquides très-consistants (fenacissima), et qui sont tamisés (percolantur) au voisinage (?) du cœur, là où la force d’adhésion agit le plus puissamment. « La bile devant se mêler au chyle qui va de l'estomac au duo- dénum, aucun lieu n’était plus favorable pour la séparation de la bile d'avec le sang que celui où est placé le foie (4). Mais si le foie avait reçu tout son sang directement des rameaux de l’ar- tère cœæliaque, les particules dont se compose la bile, tendant aveclenteur lune versl’autre en raison du mouvement effervescent intestin, ne se seraient jamais rencontrées ; c’eût été inutilement que la nature aurait placé ici le foie. S'écartant donc de la mé- thode admise qui envoie le sang par les artères à toutes lés par- ties du corps, elle a imaginé la veine porte; cette veine ne vient (2) pas de la veine cave, comme toutes les autres, mais elle sort de toute la longueur des intestins, de épiploon, de l'estomac, de la rate et du pancréas, afin de conduire au foie le sang apporté à ces parties par les artères cœliaques et mésentériques. Par cet artfice, le sang, conduit par un long détour, s’avance (1) Keill est assez partisan des causes finales; on en trouve plus d’une preuve dans ses écrits, Cette considération est en général étrangère aux iatromathématiciens. (2) Keïll oublie que les veines ne viennent pas de la veine cave, mais s’y rendent de proche en proche, 872 IATROMÉCANISNE, — ÉCOLE ANGLAISE. lentement afin de donner aux particules dont l'union (opérée par la force de l'attraction) doit engendrer la bile, le temps de s’incorporer. C’est à cet office que la nature a destiné la veine porte, dont les auteurs qui ont traité de l’économie animale n’ont tenu presque aucun compte, quoiqu’elle soit la plus remar- quable entre toutes (1) » (p. 63-64). Cet exemple montre que, siKeill a mis en avant une idée nou- velle, l'attraction, il n’en a pas tiré un grand profit. Voici ce qu'il pense de la sécrétion des esprits animaux : ces esprits lui semblent rentrer dans la catégorie de ces humeurs qui sont formées des plus petites particules du sang, puisqu'elles sont filtrées par les plus petites glandes. L'économie animale tire un grand avantage de la distance con- sidérable qui sépare le cerveau du cœur. Autrement les parti- cuies du sang agitées par le poumon auraient pu obstruer les petits canaux des nerfs et pénétrer dans les glandes d’où sont sécré- tés les esprits animaux. I] en résulterait infailliblement l'apo- plexie, la paralysie et le léthargus. Keill, ne voulant pas s'arrêter en st beau chemin, tâche d’ap- pliquer sa théorie des sécrétions à la pathogénie. Le corps animé, dit-1l (p. 87 et suiv.), est une machine dont les mouvements et les divers offices naissent, sont mis en action et sont régis par les sucs que le sang dans son circuit rejelte par ses pro- pres émonctoires. Sans ces sucs, pas de coction des aliments, par conséquent pas d'entretien du sang ; le sang ne reçoit point l'impulsion du cœur, ne réagit pas sur le cœur; point d’inspira- lion ni d’expiralion de l'air vital, de perception dans les organes des sens; point de mouvement ou d’agilité dans les membres. Puisque les fluides qui sont régulièrement tirés du sang donnent au corps animal la vie et la santé, pourquoi une mauvaise sécré- (1) Keill rappelle ici que le volume des branches artérielles d’un tronc surpasse le volume du tronc lui-même, et sur cela, il fonde toutes sortes de calculs relati- vement à la proportionnalité des troncs et des rameaux des vaisseaux entéro-mésen- tériques, pour en déduire le mode de sécrétion de la bile et des autres liquides, suivant qu'ils réclament une plus ou moins grande rapidité du sang, un plus ou moins grand éloignement du cœur, Se A KEILL, — PATHOLOGIE, 875 tion des humeurs ne pourrait-elle pas causer des maladies? Mais si quelque sécrétion dépasse la mesure normale ou s’écarte des voies naturelles, il en résulte ladiarrhée, des sueurs excessives, le diabète ; que de tourments surgissent, quelle langueur atteint le corps et même l'âme! L’ictère, la suppression de l'urine et des menstrues montrent qu'il n’y a pas moins de péril lorsque les sé- crétions pèchent par défaut; des maux aussi grands résullent du changement dans les qualités des sucs; tels sont la colique, l’ardeur d'urine, les ulcérations des intestins, des reins, de la vessie, et de la bouche elle-même par la vertu corrosive de la salive. Keill cherche particuliérement à faire jaillir quelque lumière sur la nature inconnue du diabète, sur ses symptômes et ses causes, afin de déterminer la véritable méthode de traitement, Les symptômes qui précèdent le diabète sont des douleurs légères, vagues, et des soubresauts des tendons, que suit bientôt une abondante émission d’urine, d’une saveur douce comme du miel, glutineuse au toucher et de couleur pâle; puis viennent la soif, l'accélération du pouls, la langueur des esprits et une grande faiblesse; le tout croît et décroît selon la mesure de l'écoulement. La cause de cette maladie est évidemment quel- quefois l’absorptionquotidienne et en trop grande quantité d’une liqueur généreuse ; et plus cette boisson approche de la nature des esprits, plus elle est nuisible, en pénétrant le sérum d’un li- quide spiritueux. Si cette cause n’est pas la seule, elle sert du moins à expliquer toutes les autres. Les sels du sanget de l'urine ne se liquéfient pas dans l'esprit vineux ; en d’autres termes, les particules quicomposent ces sels s’attirent elles-mêmes plus fortement qu’elles n’attirent les parti- cules de ce fluide; chaque jour donc la quantité des sels retenus s’augmente en coulant abondamment dans les vaisseaux capillaires, en irritant les fibres de ces vaisseaux, d’où les douleurs et les tressaillements dans les parties charnues et les tendons. Dès que le sérum du sang, entouré de globules sanguins, se trouve saturé, les sels, entrant en contact avec les globules, les tirent de tous côtés, lesdissolvent et divisent l’ensemble du sang. Lu partie rouge du sang, liquéfiée dans le sérum, et poussée à travers les 87h IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ANGLAISE. glandes des reins, donne à l'urine une douceur pareille à celle que le vinaigre reçoit de la litharge, en s’incorporant aux sels et en changeant leurs figures et leurs propriétés. N'êtes-vous pas en effet, Messieurs, éblouis par ces raisons qui s’'échappent de la théorie des sécrétions. Voici qui est plus raisonnable : « Une évacuation excessive di- minue les autres sécrétions; ainsi, une abondante émission d'urine devra produire la suppression de la salive et du fluide dérivé par les nerfs; c'est pour cela que ceux qui souffrent du diabète, sont, suivant la quantité d’urine excrétée, altérés, lan- suissent, et qu'ils perdent leurs forces. » Mais bientôt la théorie reprend ses droits; c'est en vertu de celle théorie que l'indication thérapeutique consiste essentielle- ment à obtenir la séparation (disjunctio) des sels et du coagu- lum sanguin; or, pour remplir cette indication, il n’y a rien de mieux qu’une large absorption d’eau dont la quantité égale celle de l'urine évacuéte! De toutes les eaux celle qui sort d’un terrain calcaire est préférable aux autres ; la chimie, en effet, démontre la faculté qu’elle possède d'attirer les sels urineux. Telle parait être l’eau de la fontaine de Bristol. C'est par cette méthode que Keill prétend avoir arraché à la mort un malade qui rendait par jour six conges d’urine. Quelques noms (1) terminent la liste des médecins anglais de (4) Cockburn passe, aux yeux de quelques auteurs, pour un iatromathématicien. Après avoir lu son Oeconomia corporis animalis (ou physiologie du corps humain), Lond., 1695, je pense avec Haller que ect ouvrage n’appartient à aucune secte. Cockburn est un homme éloigné de toute exagération, acceptant les opinions qu'il tient pour les mieux prouvées ou les plus probables, aussi bien les chimiques que les anatomiques, comme il dit, Pitcairne l’accuse de plagiat, mais je vois plutôt que Cockburn aréfuté la théorie de Pitcairne sur la trituration desaliments dans l'estomac. Cependant il dit que les particules subtiles de la bile pénètrent dans le chyle, comme autant de coins, pour le rendre plus fluide, — Le sang n’est le siége d'au- cune fermentation; c’est lui, considéré dans sa masse, qui nourrit le corps; Cockburn ne véut pas que, pour cette opération, on sépare le sang rouge comme inutile, et la lymphe plastique comme matière essentielle de la nutrition, — Le sang se meut par impulsion, et la chaleur lui est communiquée par le mouvement. — Le fœtus ne respire pas, ete. — Le même Cockburn à publié ün livre intitulé The nature and FREIND. — THÉORIE DES MENSTRUES. 875 la fin du xvr° ou du commencement du xvin siècle, médecins qu’on peut, au moins par certains côtés, rattacher à l'école iatro- mécanicienne; nous mentionnerons d’abord Freind (1675-1722 et Mead (1673-1754). Freind, aussi érudit (1) que médecin, explique dans son premier ouvrage, l'Emmenologia ou traité des règles des femmes (1703), ce flux périodique par une théorie mécanique, comme Pitcairne l'avait déjà fait, eten se conformant aux principes de Bellini, « homme d’un esprit admirable » (2). Suivant Freind, les menstrues ont pour cause finale, ainsi que le pensait Galien, d'entretenir la santé de la femme dans l’état de vacuité en remédiant à la pléthore, et de procurer par leur réten- tion la nourriture du fœtus pendant la grossesse. La seconde pro- position est à peu près vraie chez la femme, si l’on ajoute toute- fois que cette fonction est intimement liée à l'ovulation ou à la maturité et à la rupture d'une vésicule de Graff. Il reste et peut- être il restera longtemps encore un «point mystérieux », Je veux dire une question très-difficile à résoudre pour la cause finale de la menstruation, puisque les femelles d'animaux, à l'exception peut-être de quelques femelles de singes, en sont privées. Freind, précédé par Charleton, attaque avec beaucoup de vivacité la théorie des ferments qu’on avait mise en avant depuis Sylvius comme cause efficiente des règles ; quant à lui, il adopte cures 0f flures (diarrhée, lienterie et dysenterie), Londres, 1724, in-8, 3° édit., où l’on trouve des remarques judicieuses sur les méthodes éméto-cathartique etastrin- gente, sur la marche et les symptômes des divers flux, d’utiles observations et des renseignements historiques, L'auteur avait pratiqué sur mer et dans les armées, Haller n'a pas vu ce livre, mais il cite d’autres ouvrages qu'à mon tour je n'ai pu trouver, entre autres, un Traité sur les maladies des marins et sur la saignée dans les fièvres, dont je ne connais que la partie publiée en 1696 (elle contient 19 observations). Il parait que dans la seconde partie (1697), l’auteur prescrit de se servir du ther- momètre et de compter le pouls. Du reste, il n’y a rien de plus rare dans nos biblio- thèques, rien de plus difficile à se procurer, dans le commerce, que les ouvrages médicaux écrits en anglais à la fin du xvne siècle, ou au commencement du xvi*, si ce n’est les ouvrages écrits en italien ou en espagnol à la même époque. (4) On lui doit des Commentaires sur les livres L et HIT des Épidémies d'Hip- pocrate, et une histoire estimée de la médecine, depuis Galien jusqu'au xvif siècle. (2) Ailleurs (chap. vu), il l'appelle : « Theoriae medicinalis inventor primus. » Il accepte sa théorie sur les fièvres intermittentes, Ü 876 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ANGLAISE. encore ici l'opinion de Galien : les menstrues tiennent à lt plé- thore; seulement 1l veut expliquer mieux qu’on ne l'a fait com- ment la pléthore est cause des menstrues, et quel est le méca- nisme de la menstruation chez la femme. C’est le sujet de trois chapitres (3-6); pour la démonstration, Freind invoque particu- lièrement les lois posées par Sanctorius, dans sa Séatique, sur le rapport des pertes et des réparations dans l’économie animale. Chez la femme, il y a moins de matière perspirable que chez l’homme, parce que la rapidité du sang est moins grande, at- tendu l’étroitesse de tous les vaisseaux sanguins ou excréteurs. — Leur tempérament étant plus humide, leurs. chairs, plus molles, ne poussent pas facilement les humeurs au dehors ; — enfin leur vie est oisive et sédentaire : de là une tendance mar- quée aux congestions vers la matrice.— Cet organe est dans une position perpendiculaire, tandis que chez les animaux il est horizontal ; les vaisseaux qui $ y rendentont, eux aussi, une direc- tion perpendiculaire chez la femme et horizontale chez les ani- maux ; — le tronc de l'aorte est plus volumineux chez la femme que chez l’homme ; — enfin les veines utérines sont dépourvues de valvules. Voilà en vertu de quels « principes simples et indubitables » Freind explique comment les femmes ont leurs règles et que les animaux n’en ont point. Reste la question de périodicité. Rien de moins embarrassant : puisque les femmes n’ont pas une perspiration abondante, il faut bien qu’il s’accumule de jour en jour dans les vaisseaux plus de sang qu’il ne convient. Eh bien! comme cette accumulation se produit en raison de la quantité d'aliments ingérés, et de l'absence de la perspiration qui devrait se faire en proportion directe de cette quantité, ilarrive que tous les trente jours environ, la pression sur les vaisseaux étant trop forte, le sang s'échappe (1). Aussi la suppression ou la diminu- (1) Comparant, daus ce même chap. vu, sa théorie du flux menstruel avec celle de Bellini pour la fièvre intermittente, Freind ajoute : « Si la quantité de la matière perspirable, retenue pendant plusieurs jours, reste la même, il se produira certaine- ment aussi la même pléthore ; laquelle provoquera aussitôt, pour un temps défini, le flux utérin, S'il se produit quelque chose qui empêche la pléthore de parvenir à sa quantité habituelle, alors aussi la période variera dans ses mouvements accoutumés.» FREIND. — THÉORIE DES MENSTRUES. 877 A lion, ou, à l’âge critique, la cessation des règles sont-elles accom- pagnées de toutes sortes d'accidents. Heureux siècle que celui où il ne fallait qu'un bien petit effort d'imagination pour résoudre tous les problèmes les plus difficiles ! Lorsque Freind sort des explications et aborde lexposition des phénomènes de la menstruation normale ou troublée; lors- qu'il énumère les accidents qui suivent les désordres menstruels, ou les causes de ces désordres, il mérite d’être encore consullé. Pour la thérapeutique, tout en cherchant à tirer les indications des états supposés de tonieilé ou de faiblesse des vaisseaux, ou de la qualité des humeurs, Freind trouve ses moyens de traite- ment dans la tradition depuis Hippocrate (1). En définitive, les théories mécaniciennes avaient la prétention de changer la physiologie et la pathologie générale, mais elles n'avaient rien en elles qui pût, comme l'avait tenté la chimiatrie, réformer la thérapeutique ou enrichir les officines. Le chapitre x1v est intitulé : De remediorum viribus et opera- hione. Dans ce chapitre, une vue générale importante domine les propositions particulières, souvent fort hasardées. Freind, qui ne parait pas admettre de spécifiques, dans le sens rigoureux du mot, attribue aux médicaments deux espèces d’action : une pri- maire, et qui correspond assez bien à ce que nous appelons action physiologique, et une secondaire ou thérapeutique qui est une conséquence de la première. Ainsi l'opium, pris à dose modérée, a pour action primaire d’atténuer le sang, et pour action seconde ou thérapeutique, de guérir les fièvres causées par l’épaississe- ment de celiquide. Les emménagoques, particulièrement les amers, exercent justement une action analogue à celle de l’opium ; et Freind a fait sur le sang des animaux, soit à l’aide d'injections, soit en faisant avaler tel ou tel médicament, soit en mélangeant le sang extrait par une saignée avec diverses sub- — Avec Sanctorius (voy. plus haut, p. 737), il admet une crise mensuelle pour l’homme. (4) Dans sa préface aux Épidémies, il tonne contre ls novateurs qui s’écartent avec dédain des traces des anciens, et pensent acquérir pour eux-mêmes plus de gloire en méprisant leurs devarciers. 878 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ANGLAISE. stances, un grand nombre d'expériences (1) dans le dessein d’éta- blir son assertion. Freind soumet les astringents, c’est-à-dire les médicaments qui répriment les règles trop abondantes, aux mêmes raisonnements et aux mêmes expériences. Je voudrais citer presque tout ce chapitre; mais, à cause de son étendue, je me borne à y renvoyer le lecteur. Ce curieux et important chapitre n'empêche pas toutefois notre auteur d'affirmer, dans son épilogue, qu'il n’y a pas de bon praticien sans théorie, et surtout sans la théorie mécanique, qui sert aussi bien à la sûreté de l’art qu'à l’ornement de la science. Les médecins sans théorie, qui ne connaissent mi la struc- ture du corps, ni le jeu des organes, ni la statique, ni la ma- nière dont agissent les remèdes, font, il est vrai, la fortune des pharmaciens, mais ils envoient leurs malades dans l’autre monde. Il v a ici une confusion, faite un peu à plaisir, entre les purs empiriques qui prescrivaient à tort et à travers les remèdes fournis par la matière médicale, et les médecins, qui, sans trop se soucier de tout expliquer et de raisonner sans cesse sur la na- ture ou la cause interne des maladies, s’en tenaient à l'exemple de Sydenham dans ses meilleurs jours, à une observation métho- dique et à une tradition contrôlée par l'expérience de longue date. Ce qui manquait, à cette époque, aussi bien aux savants théo- riciens qu'aux humbles praticiens, c’est la possibilité d'établir un bon diagnostic : or, sans diagnostic, les plus belles théories el la plus patiente observation ne mènent guère qu’à une thé- rapeutique de hasard. Le second Commentaire sur les Épidémies d'Hippocrate con- tient une dissertation fort savante sur l’histoire de la saignée de la jugulaire et sur les bons effets de cette opération, quand il s’agit de désemplir le cerveau. Quoique Freind blâme volontiers Sydenham, cependant dans son troisième et son huitième Com- mentaires, il s'accorde avec lui sur ce point, qu'il ne faut pous- ser ni aux sueurs ni aux urines dans les fièvres inflammatoires ; (1) Voy. plus haut, p. 856, note 4, des expériences analogues, tentées pour un autre but par Pitcairne. MEAD, — THÉORIE DES POISONS. 879 il se montre au contraire très-partisan des vomitifs doux au début des fièvres, et des vésicatoires (Comm. h et 9). De nombreuses observations et toutes sortes de renseignements historiques ren- dent la lecture des ouvrages de Freind (1) aussi agréable qu'in- structive, lorsqu'on oublie un instant les hypothèses qui les dé- parent. Le célèbre Richard Mead, le protecteur si généreux de Freind, l'écrivain élégant et érudit, l'élève distingué de l'École de Leyde, l'ami de Boerhaave, a surtout appliqué la physiologie mécanique à l’action des poisons (Medical account of Poi- sons, 4702) sur l’économie animale (2): il nie (dans son /ntro- duction générale) que la seule vibration des fibres nerveuses puisse suffire à produire les sensations et les mouvements, sans le secours d’un fluide dont la présence explique les changements dans le corps, changements dont l’âme est le principe, les mé- tastases et les phénomènes si rapides qui suivent les altérations des humeurs. Le fluide qui a pour ainsi dire la domination sur tous les autres, c’est le fluide nerveux. Il ne peut venir que du (1) Sa lettre Sur les médicaments purgatifs dans la fièvre secondaire (de résorp- tion) des varioles confluentes ; ses Recherches sur des espèces particulières de varioles portent aussi témoignage de la culture d’esprit et de la sagacité de Freind, quand il oublie Bellini et ses rêveries mathématiciennes. (2) Les Conseils et Préceptes de médecine (Monita et praecepta medica, 1751), fruit d’une verte vieillesse et d’une longue expérience, renferment peu d'explications etse rapportent surtout à la pratique. Après les fièvres viennent les maladies locales qui y sont rangées a capite ad calcem, puis les maladies générales, Dans une /ntro- duction sur le corps humain, Mead déclare que le premier moteur dans l’économie animale, c’est l’âme ; il en fait même une espèce d’Archée, ou du moins il la confond presque avec la nature, puisque c’est l’âme qui est chargée de produire et de diriger les efforts de l'organisme contre la maladie, «laquelle n’est qu'une lutte de la nature qui combat en sa propre faveur. » Dans son excellent Traité de la petite vérole et de la rougeole (chap. n), Mead ne fait pas difficulté de déclarer que pour lui la nature, c'est le principe immatériel qui est en nous, distinct de la matière, ou l'âme pensante. IL est donc à la fois mécanicien et animiste dans de certaines li- mites, — Dans ses Nofationes et observationes in R. Mead Monita et praecepta (j'ai sous les yeux l’édit. de Paris, 1773, in-8°), Clifton Wintringham s'est pro- posé de commenter, de confirmer ou de rendre plus certains et plus pratiques les Préceptes et conseils de Mead. Ce commextaire n’est pas moins utile à consulter que le texte qu’il développe et rectifie en beaucoup de points. 880 IATROMÉGANISME. — ÉCOLE ANGLAISE. cerveau, lequel, en sa qualité de glande, ne servirait à rien s’il ne sécrétait pas quelque matière spéciale. C’est une substance ténue, volatile, douée d’une grande force d’élasticité, laquelle rend raison de la puissance qu’il a d'accomplir presque toutes les fonc- tions de l'économie. Il est donc évident qu’une telle substance doit être affectée très-vivement et très-rapidement par une autre substance douée également de force et de subtilité. Par là on com- prend l’action si subite et si terrible de certains poisons; le sang marche trop lentement, les symptômes d'intoxication dépendent trop manifestement du genre nerveux, pour qu'on puisse sup- poser que ces sortes de poisons agissent d'abord sur le sang ; c’est secondairement que ce fluide en éprouve les effets. Telle est la théorie de Mead dans toute sa simplicité; 1l l'ap- plique au venin de la vipère, de la tarentule, au virus rabique, à quelques poisons végétaux et minéraux, enfin aux miasmes pestilentiels. Il a un chapitre spécial sur lopium, où il explique ses effets sur le cerveau par ceux que produit le sommeil après un bon repas, effets qui tiennent, par suite de la compression de l'aorte descendante et de l'accumulation du sang dans les ar- tères du cerveau, au ralentissement du mouvement de flux et de reflux des esprits animaux ; alors, eux-mêmes gênés dans leur cours, ces esprits semmagasinent dans le cerveau pour suffire aux différents offices qu’ils ont à remplir pendant la veille. Le sommeil est un temps d’approvisionnement; la veille est un temps de dé- pense. L’opium pris à faible dose procure artificiellement ce dé- licieux état qui transporte dans le pays des rêves tranquilles. C’est en titillant agréablement les fibres de l'estomac, et en pro- duisant une certaine plénitude au cerveau par la raréfaction du sang qui entraine la dilatation des vaisseaux, c’est parce qu’il est composé d’un principe alcalin volatil et d’une partie huileuse, que l’opium produit ces merveilleux résultats. Pris en grande quantité, non-seulement il met trop d’esprits animaux en réserve, mais il les paralyse complétement et suspend la vie. Comme médicament, lopium est un antagoniste des plus puissants contre toutes les #ritations auxquelles succèdent, soit d'intenses dou- leurs, soit les flux abondants. Le scorbut à également une cause mécanique : en effet, Pair ROBINSON. — PHYSIOLOGIE. 881 respiré agit sur le sang par sa pesanteur et son élasticité : par sa pesanteur, 1l tend à diviser les particules sanguines, et par son élasticité il excite un mouvement intérieur qui prépare les sécrétions à mesure que les humeurs congruentes arrivent aux glandes où elles doivent se séparer. Tout mauvais air inspiré nuit évidemment à ce double office de la respiration; or, le scorbut n'est que le résultat de cette respiration viciée qui produit dans le sang une fermentation d'autant plus dangereuse et qui se traduit par des symptômes d'autant plus terribles que l'air est plus profondément altéré. Bientôt la physiologie et la médecine anglaises, tout en se rat- tachant par beaucoup de points à l’iatromécanisme, vont changer cependant de physionomie. En médecine, l'École de Sydenham, ou, pour mieux dire, l’École de l'observation (car quelques-uns des auteurs de la fin du xvr° siècle se sont montrés peu favo- rables à Sydenham, tout en suivant ses errements), prend le dessus, et nous trouvons les travaux de Huxham (1694-1768), de Fothergill (1712-1780), de Pringle (1707-1782), et même de Heberden (1711-1801), dont nous pouvons différer de parler en ce moment, car ils doivent trouver une place très-légitime dans la partie du xvui' siècle que nous avons laissée en réserve. Nous nous arrêterons, du moins quelques instants, sur les méde- cins physiologistes que nous avons cités plus haut : Bryan Robin- son et Clifton Wintringham le fils (1710-1794), puisqu'ils ap- partiennent très-certainement à l’iatromécanisme. J'ai déjà parlé de la théorie de Robinson sur les sécrétions, sur le mouvement du sang et sur l'usage de la respiration (1). Je n’y reviendrai pas ici, et, par conséquent, je laisse de côté ce qui regarde ce sujet dans son Économie animale (2). Ro- binson déclare dans sa Préface que, depuis Harvey et Lower (qui s’élait occupé du mouvement du cœur considéré comme muscle) jusqu'à Newton, la connaissance de l’économie ani- (4) Voy. plus haut, p. 868, note 2, (2) À treatise of the animal oeconomy. Je n'ai pu me procurer que la seconde édition, Dublin, 1734, in-8°, avec la continuation de 1737, D'après Haller, dans sa DAREMBERG, 56 Bihlioth. anatom., il existe une troisième édition, 1738 ; 2 vol, in-8°, 882 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ANGLAISE. male, ou physiologie, n’avait reçu aucun véritable accroissement digne de remarque. Notre auteur adopte la théorie des esprits animaux éthérés qui pénètrent partout avec une entière liberté et expliquent le mouvement des muscles ainsi que beaucoup d’autres fonctions, sans qu’il soit besoin de croire que les nerfs sont canaliculés. Ces esprits naissent dans le cœur par suite de l’incandescence des humeurs. _ En conséquence (prop. 8), le mouvement musculaire (4) ré- sulte de la vibration d’un éther extrêmement élastique logé dans les nerfs et dans les membranes qui enveloppent les plus petites fibrilles des muscles, vibration mise en jeu par la chaleur (Leaf), la volonté, les piqûres ou blessures, les particules subtiles et actives du corps (comme le démontrent les effets produits par les vomitifs, les purgatifs et quelques poisons), et par diverses autres causes. — La nutrition est la transformation de la texture de l'aliment en celle du corps jusqu’au point d’en devenir une partie solide et durable (prop. 27). — C’est en vertu d’une at- traction particulière que ce rapprochement, cette assimilation, cette forte soudure ont lieu (prop. 29) (2).—II y faut encore une chaleur et un mouvement convenables (prop. 28). — Avec l’âge, la fibre augmente de densité et de force, mais diminue un peu de longueur (prop. 26. — Voy. aussi prop. 27 sur l'état de la fibre suivant la composition ou l’état hygrométrique de Pair). — La contraction de la fibre en un temps donné est en proportion avec le degré d’extension produit par an poids donné dans le même temps; mais la proportion est un peu moindre dans les fibres fortes que dans les fibres faibles, que ces fibres soient sèches ou trempées dans l’eau. Dans la continuation de son Économie animale, Robinson s'occupe de la consistance (fenacity) du sang, comparée avec la force de résistance des fibres; du mouvement de vibration de ces fibres (1), et, comme conséquence, du mouvement des fluides; - (4) Dans le commentaire de cette proposition, p. 91, il est dit que les tendons sont peu sensibles, tandis que la chair musculaire l’est beaucoup, C'était aussi l'opinion de Lower, adoptée par Rocrhaave. (2) L'attraction des humeurs spéciales par les glandes joue aussi un rôle dans les sécrétions (prop. 30). (3) Ce mouvement est produit par le plissement et Le relichement des fibres : . ROBINSON. — PATHOLOGIE, 883 après quoi il donne le moyen de ramener dans les maladies aiguës ou chroniques ces divers phénomènes à leur état naturel, qu’ils soient en excès ou en défaut. Il étudie les diverses circonstances (chaleur, humidité, âge, sexe, ete.) qui diminuent ou accroissent la consistance du sang ou la résistance des fibres, en insistant par- ticulièrement sur les propriétés astringentes, resserrantes de l'a- cide de l'air. Reprenant et complétant par de nombreuses expé- riences diverses propositions de Sanctorius, Robinson établit que la santé parfaite requiert, pour une stature donnée, une certaine quantité de sang proportiannelle au poids du corps, de sorte qu’une personne arrivée à l'âge adulte (grown person) doit tou- jours conserver à peu près le même poids pour jouir d'une bonne santé (prop. 44). De là tout un système de pathologie (prop. 46): la cause immé- diate des fièvres est un changement dans la consistance et la tex- ture du sang, changement produit par les causes éloignées : chaud, froid, excès dans le boireet le manger, excès ou défaut d'exercice, troubles dans les sécrétions et les excrétions. Au début des fiè- vres, le sang est plus consistant que dans la santé ; l’air froid ou l’intermission des exercices, soit du corps, soit de l'esprit, com- mandent une diminution de la chaleur du sang, d’où résulte une augmentalion de sa consistance ou densité. Au début des fièvres, la quantité des parties solides du sang (parties salines, ter- reuses, huileuses) est en proportion plus grande, par rapport aux parties aqueuses, que dans l’état de santé. Ordinairement le poids du corps augmente au commencement des fièvres, et cette augmentation est plus forte en hiver qu’en été, dans les contrées froides que dans les chaudes, chez les personnes qui ont des fibres résistantes que chez celles qui les ont faibles. Quand les causes éloignées ont produit un changement dans l’état du sang, la fièvre qui s’allume en conséquence devient € un grand in- strument » dont la nature se sert pour dépurer le sang altéré, le ramener à son état naturel, surtout en excitant la chaleur et le mouvement; or, il n’y a rien qui prévienne ou détruise mieux les obstructions et mène à une crise plus salutaire que la chaleur et le mouvement! C’est aussi la doctrine d'Hoffmann. Le traitement consiste tout naturellement à faire de telles éva- 88! IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ANGLAISE. cuations, à prescrire un tel régime et de tels médicaments, que la fièvre pourra opérer d’une manière parfaite la dépuration du sang. Robinson examine, eu égard à leur propriété de diminuer le poids du corps, l'abstinence, la saignée, les purgatifs, les vo- mitifs, les sudorifiques, les vésicatoires (b/istering), la matière du régime. — Dans les fièvres intermittentes (communément appelées agues), la consistance du sang chargé d'impuretés est moindre que dans les fièvres continues (1); néanmoins on com- mence par les évacuations, et, quand le malade a subi plusieurs accès, on administre le quinquina à doses rapprochées, mais assez fortes; une once ou deux au plus suffisent pour une per- sonne adulte. Ce médicament rend la vigueur aux fibres et la con- sistance au sang, active le mouvement de ce liquide et la contrac- tilité des vaisseaux, surtout quand il est mélangé avec quelque substance acidule et astringente (2). Dans un autre traité publié à Londres en 4752 et qui a pour titre : Observations on the virtues and operations of medicine, Robinson ajoute de nouveaux principes à ceux que je viens d'ana- lyser pour expliquer le mode d’action des médicaments. Après avoir rappelé dans sa préface que toutes les parties des animaux sont composées de substances volatiles ou fixes, solides ou fluides, il ajoute : « Quand on sait combien les corps changent, eu égard à la dimension et à la densité des corpuscules qui concourent à leur composition intime, on comprend combien sont changées les puissances attractives et répulsives des particules; et en re- connaissant combien ces particules changent, on apprécie quels changements elles produisent en tant que médicaments. Si la dimension des corpuscules est diminuée, leurs propriétés et ac- tions n’en seront que plus augmentées. » Au début même de son livre, Robinson émet cette proposi- tion : les propriétés et actions des médicaments dépendent des propriétés et des forces de leurs petites particules; cette dépen- (4) Comme la plupart des iatromathématiciens, Robinson attribue le retour des accès à un reliquat de matière fébrile, qui n’a pas été dompté et expulsé par une crise complète. (2) Voy. plus haut, page 864, note f, WINTRINGHAM. — PATHOLOGIE. 885 dance à pour cause l’éther élastique et la lumière, d’après la doctrine newtonienne sur laquelle notre auteur discute trèés-lon- guement. Ce traité, quoique fort curieux, ne brille pas par l’ordre: l'auteur y rapporte successivement des expériences sur la fibre musculaire qu’ila vue, comme l'avaient déjà dit Harvey et d’autres, pâlir pendant la contraction et rougir pendant la rémission ; — sur les changements que subissent la fibre, le sang et les autres fluides mis en contact avec diverses substances (1), sur l'influence de ces mêmes substances administrées à l’intérieur chez l’homme et les animaux. On trouve aussi une section spéciale sur l’action des vomitifs relativement au mouvement du sang et des observa- tions de malades à l'appui; destables de proportion pour le poids spécifique ou la densité du cruor et du sérum; — enfin des re- cherches touchant l'influence que la contraction musculaire exerce sur la circulation. Dans ce même ouvrage (p. 25), Robinson attribue la chaleur du corps au mouvement vibratile de ses parties, lequel mouve- ment est causé par la même espèce de mouvement de l’éther élas- tique logé dans les pores; à son tour le mouvement de l’éther est excité par la lumière, par la volonté ou par d’autres causes. Dans son mémoire intitulé : À Déssertation on the food and discharges of human bodies, Londres 1748 (p. 108), il attribue la chaleur du sang à son mélange avec l'acide volatil de l'air. La chaleur est proportionnelle à la quantité de cet esprit animant (en/ive- ning spirit), reçu par le sang dans un temps donné. Clifiton Wintringham, le fils, a résumé dans ses Commentaria de morbis quibusdam (deux parties; Londres, 1782 et 1791), une pratique de quarante années tant à Londres que dans les faubourgs, et dans les hôpitaux militaires. Get ouvrage, qui se compose d’une série de six cent trente-huit propositions apho- ristiques concernant surtout le diagnostic, le pronosticet le trai- tement d'un grand nombre de maladies, échappe à l'analyse. Je relève quelques-unes de ces propositions : La mort subite pro- vient, le plus ordinairement, comme le prouvent les autopsies, (4) Voy, plus haut, p, 856, note 1, 886 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ANGLAISE. de polypes ou de concrélions dans le cœur (14). — Dans les violentes angines inflammatoires, on peut recourir avec succès à la saignée de lartère temporale, puisque les fortes hémor- rhagies nasales, naturelles ou artificielles, les guérissent le plus souvent (16). — Les saignées, soit de la veine jugulaire ou de l’occipitale, soit de l'artère temporale, sont d’un grand secours dans les affections cérébrales (47. — Voy. 22 pour les affections des yeux). Dans les propositions 37 (vomissements), 40 (diabète), 59 et suiv. (saignées et aspect du sang), 824 (fièvres nerveuses et ardentes), 445 et suiv. (obstructions), 638 (inflammation du sang), on trouve, pour ne citer que quelques exemples, plusieurs traces des doctrines latromécaniques. — Dans les fièvres inter- mittentes (pernicieuses?) où l'intensité du froid fait craindre la mort du malade, l’auteur se borne à prescrire des moyens in- ternes et externes qui peuvent pousser à une sueur violente (48). — Dans les plaies par armes à feu, s’il survient de la fièvre sans motifs apparents, c'est qu'ilse forme quelque collection purulente (78.— Voy. 145,146 et 147). — Le typhus pourpré des camps est presque toujours accompagné d’hémorrhagie (118). — Wintrin- gham a très-Judicieusement remarqué que souvent au début les fièvres intermittentes simulent les maladies inflammatoires (322). On trouvera de bonnes remarques (prop. 842 et suiv.) sur les maladies des femmes enceintes ou nouvellement accouchées, et sur la pratique des accouchements; sur la variole (381 et suiv., et 622 et suiv.) — L'auteur s'étonne grandement qu’on ait pro- scrit la saignée dans les dyssenteries, surtout dans les dyssenteries des camps (420). — Extrême danger des dyssenteries accompa- gnées d'aphthes et de pétéchies (421).— Wintringham a reconnu sur le cadavre des ossifications de certaines (nonnullae) valvules du cœur, qu'il avait soupçonnées pendant la vie (601. — Voy. aussi 603-605). J'ai trouvé à la Bibliothèque impériale un travail de Clifton Wintringham (sur le titre Winterigham) le père ; il a pour titre : Commentarium nosologicum morbos epidemicos et aeris varia- tiones in urbe Eboracensi (York) ab anno 1715 usque ad jinem anni 1725 grassantes complectens. L'auteur insiste sur la fré- WINTRINGHAM. | 887 quence et la marche de certaines maladies épidémiques ou spo- radiques, eu égard à la fempérature de l'air, circonstance très- importante dont les médecins, sans en excepter Sydenham, n’ont pas assez tenu compte au dire de Wintringham. Il rapporte de nombreuses variations barométriques et thermométriques. Les maladies qu’il a observées sont particulièrement les va- rioles, les fièvres rémittentes et intermittentes, les fièvres in- flammatoires, et certainesfièvres nerveuses du genredel’hystérie, accompagnées de vertiges, de tendance au sopor, de tremblement des tendons, de sueurs à la tête, au cou et à la poitrine. Ces fièvres revêtaient parfois le type intermittent. On surprend çà et là dans cet ouvrage des traces manifestes d’iatromécanisme, ou du moins de solidisme; l’auteur insiste sur la rigidité des parties solides, les vibrations des fibres et la viscosité du sang, phénomènes produits par la sécheresse et source de maladies inflammatoires. XX VI SoumaIREe. — Suite de l’histoire de l’iatromécanisme. — Ecoles hollandaise et allemande, — Boerhaave et Hoffmann, MESSIEURS, Il est temps d'abandonner l'Angleterre (1) pour suivre la for- tune de l’iatromécanisme en Hollande et en Allemagne. Ici nous sommes bien forcé par l’histoire de rompre ce fameux trium- virat que les historiens se sont plu à former et qui domine (1) Il faut au moins mentionner, ne füt-ce que dans une note, l'Anatomia cerebri (Leyde, 1750), de Henri Ridley, membre du Collége des médecins de Londres, et élève de l'École de Leyde. Ridley, pour l'anatomie du cerveau, suit en partie Willis et surtout Vieussens; quant à la physiologie, en particulier, pour le mouvement des muscles (gonflement des fibres sous l’afflux des sucs nerveux), pour les sens et les sensations, il appartient à l'École iatromécanique. Il se sépare très-nettement de Willis, en ce qui concerne l'influence que ce dernier attribuait au cervelet dans la production des mouvements involontaires (chap. xvu). On lui doit, sur la structure du cerveau et de ses annexes, plusieurs observations neuves, ou des recherches plus complètes que celles de ses devanciers. Ainsi, il nie {chap. 11) les glandes de la pie- mère, admises par Willis; il connait (chap. 1v) l'incurvation de l'artère vertébrale ; il a découvert, sur un supplicié, les Iymphatiques des plexus choroïdes (chap. vn); il a soumis à un nouvel examen (chap. 1), après Bidloo et Bohn, la membrane intermé- diaire entre la pie-mère et la dure-mère ; il sait qu’elle appartient au cerveau et à la moelle; elle est rétiforme ; il la compare pour les formes au péritoine, et pour la structure, à l'enveloppe de l'humeur cristalline. En conséquence, il propose de l’ap- peler arachnoïde. I a bien décrit (chap. v) les sinus de la dure-mère, et en parti- culier le sinus circulaire où coronaire, — Niant (chap. vr) les mouvements qu'on a attribués en propre à la dure-mère, il pense que ceux du cerveau, et secondaire- ment de ses membranes, sont produits par les pulsations du réseau artériel de la base; mais il croit encore (chap. vin) à l'existence du ete admirabile chez l'homme, quoiqu'il y soit beaucoup plus petit que chez les animaux, et il suppose qu'il nait du côté interne des carotides, — L'iénfundibulum est creux chez les grands animaux et plein chez l’homme. — On doit aussi à Ridley un recueil d'observations sur lequel je reviendrai un peu plus loin, quand je parlerai de ce genre d'ouvrage, BOERHAAVE. 889 toute la première partie du xvnr' siècle : Bogrhaave (1665-1738), Hoffmann (1640-1742), Stahl (1660-1734). Les premiers travaux de Boerhaave (à l'exception de sa Thèse, d’un discours sur Épi- cure et d’une Disputatio de distinctione mentis a corpore, 1690) appartiennent au commencement du xvir° siècle; sa théorie est l'écho d’un iatromécanisme (1) mêlé d’hippocratisme et de chi- miatrie (2) à peu près comme celui de Baglivi. Quant à Hoffmann, son système est tout au moins un solidisme très-france, greffé sur l’iatromécanisme, et très-manifestement opposé à une doctrine qui, véritable métempsychose de l’Archéisme, se produisait pour la première fois avec éclat en Allemagne dans les écrits de son rival, Stahl. Nous ne pouvons donc pas achever l’histoire de l’iatromécanisme sans nous occuper de Boerhaave et d'Hoff- mann. Je n’ai pas besoin de vous rappeler, Messieurs, de quels hon- neurs, de quels hommages, de quel respect Boerhaave a été entouré durant sa vie (3); vous savez tous que lafflaence des étudiants était telle à Leyde, qu’on fut obligé d’abattre les rem- (4) J'ai rappelé plus haut (p. 850), que Pitcairne, pendant son séjour à Leyde, avait été un des maitres de Boerbaave. (2) Boerhaave a publié, en 1701, son Oratio de commendando studio hippocratico; en 1701, une autre Oratio de usu raliocinit mechanici in medicina ; enfin, pour achever le dessin de sa doctrine, un troisième discours en 1718 : De chemia suos errores expurgante, — Sa Thèse (1693) a pour titre : De utilitate inspiciendorum in aegris excrementorum ut signorum (urines, faeces, crachats). (3) L'Oratio in memoriam Boerhaavi de Schultens, 1739, 4°, est fatigante par un enthousiasme convulsifethaletant. Cette Oratio commence, se continue et finit par des points d'exclamation. La Ve que de la Mettrie a jointe à sa traduction des Jnsti- tutions de médecine est beaucoup plus calme et plus instructive. — Quelle réserve dans les paroles, mais quelle admiration, quelle reconnaissance bien senties éclatent à chaque ligne de la brève appréciation de Halier! On ew peut dire autant de l'Éloge prononcé par Fontenelle, — Parmi les autres biographies, je signalerai celles de Burton, Londres, 1743, 8°; de Ebert, Iéna, 1843. — On sait que le célèbre pro- fesseur de Leyde avait été destiné au ministère évangélique, et qu'entre autres rai- sons (une accusation de spinosisme) qui l'ont décidé à embrasser la carrière médi- cale, on doit probablement compter la guérison qu'il avait opérée sur lui-même d'un ulcère à la jambe. — De mème Van Helmont (voy. plus haut, p. 469), fier de s'être guéri de la gale, en dépit de tous les Galénistes, s'était fait aussitôt étudiant en médecine, 890 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE HOLLANDAISE. parts de la ville pour y bâtir des maisons ; vous avez également lu que des extrémités du monde on écrivait à M. Boerhaave en Europe ; enfin vous n'ignorez pas les prodigieux éloges qu’on a faits de cet homme illustre après sa mort. À Dieu ne plaise que je veuille ici troubler ses mânes, ni donner une fausse note dans ce concert de louanges dont le bruit arrive jusqu'à nos oreilles. Cependant je ne puis pas, je l’avoue en toute franchise, m'ex- pliquer cet enthousiasme universel par les écrits de Boerhaave, même par ses deux ouvrages répulés classiques : les /nstitu- tions de médecine (première édition 1708), et les Aphorismes (première édition 1709). Il faut que la renommée sans égale de Boerhauve lui soit venue de la noblesse de son caractère, de Ja simplicité de ses mœurs, de son désintéressement, de ses vertus, du vif sentiment de ses devoirs, de son immense éru- dition, de l’élégance, de la lucidité de son enseignement, et sans doute aussi des succès de sa pratique, quoi qu'en aient dit d’injustes critiques appartenant à l’école de Bordeu. Dans les Aphorismes et dans les fnstitutions il n'y a ni profondeur, ni rien qui dépasse la mesure ordinaire de l'esprit humain ; ni la forme n’est nouvelle (1), ni la doctrine n’est sublime et inouïe ; il me semble même que le commentaire du disciple Van Swieten vaut beaucoup mieux que le texte du maître. A lire Van Swieten on se sent plus instruit, plus praticien qu'après avoir lu Boerhaave. Les cinq premières sections des Aphorismes d'Hippocrate ont bien plus de grandeur, attestent une réflexion plus pénétrante et un esprit plus élevé. Galien, si l’on en excepte les explications exégétiques et les renseignements historiques, à l'inverse de Van Swieten, a plutôt affaibli l'effet des Apho- rismes qu'il n’en a augmenté l'éclat. Je ne voudrais pas rester dans le schisme sans tranquilliser ma conscience en vous entraînant à ma suite. Lisons donc ensemble quelques pages des Institutions et des Aphorismes, les deux ouvrages les plus renommés de Boerhaave. Les /nstitutiones embrassent la physiologie générale et spé- (4) Ce qui a surtout contribué à l’immense popularité de ces deux ouvrages, c’est l’enchaînement rigoureux et la clarté des propositions aphoristiques. = u_— d BOERHAAVE. — PHYSIOLOGIE, 891 ciale, avec les notions d'anatomie nécessaires pour comprendre le mécanisme des fonctions (4); la pathologie, la sémiotique, lhy- giène, la thérapeutique générales. Cet ouvrage s'ouvre par une esquisse de l’histoire de la médecine ; et quand il arrive à Harvey, Boerhaave s’écrie : « Désormais la médecine peut être cultivée en dehors de toute secte, car elle est dirigée maintenant par des découvertes certaines faites dans l'anatomie, la botanique, la chimie, la physique, la mécanique et par les faits de la pratique (prop. 19). » Certes on ne saurait contester ni le nombre ni la grandeur de ces découvertes au temps de Boerhaave; mais, comme on l’a vu, l'usage qu’en ont fait les médecins, sans excepter Boerhaave lui-même, prouve bien que les plus belles inventions en anatomie, en physiologie et même en mécanique, ne servent pas beaucoup à l'avancement de la médecine, quand une clinique sérieuse ne vient pas en aide, et quand, loin de rester dans la voie de l’observation et de l’expérience, on met précisément à profit ces inventions, soit pour appuyer des hypo- thèses déjà anciennes, soit pour en former de nouvelles sur la physiologie ou la pathologie. Il semble en vérité que les grands anatomistes et les grands physiologistes du xvrr' siècle, ainsi que les promoteurs du progrès des sciences positives, n’ont pas eu d'autre office que de permettre aux médecins de se livrer à tous les écarts de leur imagination. Cela tient certainement à ce que les médecins, depuis longtemps habitués à raisonner et non pas à observer, acceptaient, souvent sans les comprendre, et toujours sans les vérifier, les résultats de recherches qui devaient leur ouvrir les yeux et leur révéler la vraie méthode. Boerhaave insisté avec juste raison sur la distinction du moral et du physique, tout en montrant l'étroite union et les mutuelles sympathies du corps et de l’âme; mais il ne veut pas qu'en médecine on se mette en quête ni des dernières causes ni des premiers principes ; il faut s’en tenir à l'expérience. Puis, (4) Les descriptions anatomiques sont tirées à peu près exclusivement des auteurs classiques du temps. — Boerhaave avait assisté aux cours de Nuck ; il avait fait aussi quelques dissections, mais il avait appris l'anatomie surtout dans les livres. — Les Institutiones sont une nouvelle preuve de Pimpuissance de la meilleure anatomie pour réformer la physiologie, quand les observations et les expériences n’intervien- nent pas directement, 892 IATROMÉCANISME, — ÉCOLE HOLLANDAISE. dès le début de la physiologie, il nous montre dans le corps hu- main tout un assemblage de pièces mécaniques (1), au milieu desquelles l'âme ne trouve pas grande place. « Les solides (2) sont ou des vaisseaux qui contiennent les hu- meurs, ou des instruments tellement construits, figurés et liés entre eux, qu'il se peut faire, par leur fabrique particulière, certains mouvements déterminés, s’il survient une eause mou- vante. On trouve en effet dans le corps des appuis, des colonnes, des poutres, des bastions, des téguments, des coins, des leviers, des aides de levier, des poulies, des cordes, des pressoirs, des soufilets, des cribles, des filtres, des canaux, des auges, des ré- servoirs. La faculté d'exécuter ces mouvements par le moyen de ces instruments s'appelle fonction ; ce n’est que par des lois mé- caniques que ces fonctions se font, et ce n’est que par ces lois qu’on peut les expliquer. — Les parties fluides sont contenues dans les solides, mues, déterminées dans leur mouvement, mêlées, séparées, changées. Elles meuvent les vaisseaux avec les instruments qui sont liés avec eux; usent, changent leurs parois, et réparent les pertes qu’elles y ont causées. Ces actions se font selon les lois hydrostatiques, hydrauliques et mécaniques. On doit donc les expliquer conformément à ces lois, quand on est venu à bout de connaître auparavant la nature de chaque hu- meur en particulier, et les actions qui en dépendent uniquement, autant qu'on peut les découvrir par toutes sortes d'expériences. » (Aph. 40 et A1.) Plusieurs forces concourent à la digestion (Aph. 58 et suiv.): d'abord une opération préliminaire, la mastication; puis les forces chimiques : salive et sues gastriques qui développent un commencement de fermentation ou de putréfaction; les forces mécaniques, c’est-à-dire la compression opérée sur les aliments par la vigoureuse contraction des tuniques très-résistantes de l’estomac; ces forces sont mises certainement au premier rang par Boerhaave, surtout chez certains animaux et chez l’homme, principalement en ce qui concerne les aliments solides, dont il (1) Ce passage semble imité de Baglivi. — Voy. plus haut, p. 786. (2) J'emprunte la traduction donnée par de la Mettrie, Paris, 1740, 2 vol, in-12, pour les citations un peu longues, ES BOERHAAVE. —= PHYSIGLOGIÉ, 893 ne croit pas qu'ils puissent être dissous par les actions chimi- ques. Mais, quelque puissantes que soient les tuniques stoma- cales, elles ne réussiraient pas seules à accomplir leur office ; il y faut ajouter : 4° la chaleur continuelle du cœur, du foie, de la rate, de l’aorte, du pancréas, du mésentère, des artères, des veines, en un mot des parties qui environnent l’estomac et qui lui com- muniquent de tous côtés la plus grande chaleur qu’il y ait dans le corps ; 2° les battements sans nombre de {ant d’artères proche du cœur, distribuées à l'estomac, au diaphragme, à l’épiploon, à la rate, au foie, au pancréas, au mésentêre, au péritoine ; 8° les violentes vibrations de l'aorte qui est située sous l'estomac; 4° Paction des esprits qui sont peut-être ici en plus grande quan- üté qu’en aucun endroit du corps; 5° la compression conti- nuelle, réciproque, forte, de presque tout le péritoine, compres- sion produite par le jeu du diaphragme qui a une très-grande étendue. (Aph. 86.) Boerhaave déclare ensuite, comme conséquences naturelles, que la seule chaleur de l’estomac ne produit pas la digestion, qu'il n’y a pas d’âcreté vitale dans ce viscère, que les acides n’ai- dent pas à la digestion, mais que l’interposition de l’épiploon graisseux est une prévoyance de la nature contre les froissements qu'aurait pu subir l'estomac par la compression des muscles lorsqu'ils aident au brotement des aliments ! Le cours du chyle est également expliqué par des causes mé- caniques (1), dont la plupart sont étrangères aux chylifères eux-mêmes ($ 124 suiv.). Voici la composition de ce fluide : « Le chyle qui entre dans les vaisseaux lactés passe donc sans raison pour n'être que la production des aliments solides; car c’est une humeur composée de salive, de la fine mucosité de la bouche, des deux liqueurs de l'œsophage et du ventricule, de la bile cystique, de la bile hépatique, du suc pancréatique, de l'hu- meur lymphatique des intestins, de celle qui est exprimée des olandes de Peyer, et peut-être d’une grande quantité d’esprits, (1) ILest étonnant que pour l'action et la force du cœur, Bocrhaave n'ait cité aucun mécanicien, mais seulement Vésale, Lower, Eustachi, Ruysch. Plus loin 211), il dit de Bellini et de Pitcairne, qu'ils savent déduire d’une façon merveilleuse les fonctions des parties de leur structure, 894 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE HOLLANDAISE. fournis par tous les nerfs qu’on trouve sans nombre en ces en- droits. » (Aph. 105.) Après quoi Boerhaave condamne également la chaleur coctrice du ventricule ; son âcreté vitale, naturelle et volatilisante ; PArchée de Van Helmont; la bile alcaline qui change le chyle acide en alcalescent, salé, volatil (Sylvius); lâcreté de la lymphe du pan- créas et son bouillonnement prétendu avec la bile ; une précipi- tation qui purifie le chyle ; les facultés péripatétiques, galéniques, chimiques ; les bouillonnements, les effervescences, les fermen- tations et une infinité d’autres hypothèses chimériques, qui sont pernicieuses et condamnables, par rapport aux règles de pratique que leurs auteurs en déduisent. L'hématose (transformation du chyle en sang) est opérée non par l’action directe et chimique de Pair sur le sang, mais par les mouvements de broiement, d'atténuation, de dissolution que le poumon et l'air impriment au liquide (mélange de chyle et de sang) qui circule dans les vaisseaux pulmonaires (Aph. 201). La perfection de l’hématose est en raison de la force du poumon; une fois qu’il a passé des artères dans les veines pulmonaires, le chyle, moins pressé, reprend son propre ressort, se raréfie un peu plus et arrive dans le ventricule gauche troublé, écumeux et d’un rouge vif (204, 205, 207) (4). Boerhaave ne veut pas plus de la théorie de Borelli (cf, plus haut, p. 759) que de celle de Lower (voy. plus haut, p. 693), ou de celle de Sylvius, adoptée en partie plus tard par Robinson (rafraichissement par le nitre de l'air) ou des galénistes (rafraîchissement, et expulsion des fuligi- nosités). — Il semble n’admettre que comme une exception, d’a- près quelques expériences de Ruysch «le premier homme du monde pour découvrir, exposer et conserver les plus petits vais- seaux du corps, « de Sylvius et de Swammerdam, que l'air peut pénétrer dans les vaisseaux. (Aph. 201-203, 210 et 211.) Boerhaave partage l'opinion des iatromécaniciens, et de Ridley en particulier, sur les transformations (a/fénuation, purifica- tion, etc.) que le sang subit en arrivant au cerveau par suite (4) La rate (323 et suiv.) est à peu près, pour Boerhaave comme pour Sylvius, un second foyer d’hématose, à l'instar du poumon. Voy. plus loin, p. 896. BOERHAAŸE. — PHYSIOLOGIE. 895 du ralentissement de son cours; ce qui le rend plus propre aux sécrétions, du fluide nerveux particulièrement, plus im- propre aux concrétions, et plus en harmonie avec la mollesse du cerveau (Aph. 235). Quant à la théorie des sécrétions, théorie où les glandes proprement dites et les ganglions Iymphatiques paraissent confondus, où les radicules nerveuses jouent toujours leur rôle, elle est, à quelques détails près, la même que celle des iatromécaniciens (voy. Ah. ? A1 suiv.). « La distance de l'artère au cœur, sa situation par rapport au cœur et au tronc dont elle sort, sa différente complication (com- plicatio, la multiplicité de ses circuits ?), ses diverses divisions à ses extrémités, la différente vitesse du sang par son canal, sa proportion du rameau particulier au tronc, la différente force exprimante, externe et interne, le séjour dans la cavité commune, de là ensuite sa distribution dans des lieux dont la structure change la nature des humeurs, la séparation ou lévaporation des parties les plus liquides de l'humeur dont la sécrétion s’est faite; voilà autant de causes qui séparent non-seulement du même sang différentes humeurs en divers lieux, mais qui, après leur sécrétion, en changent encore la nature d’une façon sur- prenante. (Aph. 253.) — Ces causes, qui sont différentes en di- vers lieux du corps, seules ou combinées, se trouvent réellement dépendantes d’une fabrique qui tombe sous les sens ou s’en dé- duisent avec une parfaite évidence par des lois mécaniques cer- taines, et par la connaissance que tout le monde a ou peut aisé- ment avoir de la nature des humeurs. D'où l’on comprend qu’il y a autant de sécrétions que d’humeurs qui en sont la matière, c’est-à-dire une infinité. (Aph. 254.)— Pour les expliquer, il n’est donc pas nécessaire d'imaginer des pores de figure diverse, constante, immuable, surtout parce qu’il répugne aux lois de la nature qu'il y en ait de tels, et quand il y en aurait, qu'ils agis- sent ainsi! — Il est encore moins permis d’avoir ici recours à aucuns ferments, » (Aph. 255 et 256.) On remarquera toutefois que, contrairement à la doctrine gé- néralement reçue, Boerbaave croit (Aph. 245 et 247), d’une part, qu’à leurs dernières ramifications les artères se divisent en deux ordres de rameaux: les sanguins et ceux qui sont chargés 896 1ATROMÉCANISMÉ, — ÉCOLÉ HOLLANDAISE. de porter aux glandes les humeurs qui constituent les diverses sécrétions, el, d'autre part, que les artères versent directement dans les glandes, et non à travers les pores, la matière des di- verses sécrétions. Il admet de plus, avec Ruysch (Aph. 246), des artères lymphatiques sans valvules, et des veines lymphatiques avec valvules. Les fonctions des nerfs dépendent des sucs ou esprits nerveux fournis par le cerveau et la moelle, et non pas de simples vibra- tions (1). La substance des nerfs et l’exactitude dela représentation sensorielle des objets s'opposent également à cette opimon, L’œil ne peut pas voir ces fluides si subtils, mais la raison les conçoit; cela suffit (Aph. 285 et suiv.). — Comme tout l'organisme n’est qu’un entrelacement de vaisseaux, la veine porte constitue une partie de la substance du foie (Aph. 339), et les /obules du foie ne sont qu’un enroulement des derniers ramuscules de cette veine el de la veine cave au moment de leur anastomose. C’est de la veine porte que partent les radicules du canal hépatique qui fournit la biie hépatique. La bile peut refluer dans le foie et être menée A la veine cave; mais c’est un cas pathologique. La bile n’est point un excrément ; il y a deux sortes de bile: bile hépatique et bile cystique, laquelle est un croupissement de la bile hépa- tique dans la vésicule. — Le foie est, par l’action de la bile sur les aliments, un viscère destiné à façonner le chyle plutôt qu’à façonner le sang. — La rate, organe d’hématose, a pour office de préparer les éléments de la bile que doit fabriquer le foie; le sang, en passant par la rate et le système de la veine porte, de- vient deux fois veineux et deux fois artériel avant de retourner au cœur (Aph. 338 et suiv.). Ce tissu d’hypothèses, parfois con- tradictoires, est souvent inextricable. Dans la physiologie de Boerhaave, quelques-unes des demi-véri- tés et presque toutes les erreurs du temps se sont donné rendez- vous, eton n’y trouverait pas, je pense, une opinion personnelle fondée sur l'expérience. Je ne pousserai pas plus loin l’analyse (4) Boerhaave (Aph. 263) admet avec Malpighi et Wepfer la structure glanduleuse (vésiculeuse) de la substance corticale du cerveau; et il explique par là la sécrétion des sues nerveux. — Iladopte aussi les opinions de Vieussens sur la formation de ja substance médullaire, par une sorte de prolongement des fibrilles du cortex, BOERHAAVE. —- PATHOLOGIE GÉNÉRALE. 897 de cette partie des Zastitutions (1); j'ajoute seulement que, selon Boerhaave, la vraie et unique cause du mouvement des muscles, c'est le fluide nerveux (Aph. 403), que la matière nutritive, l'aliment des parties solides est non pas le sang rouge, tout à fait impropre à la nutrition (2), mais le chyle changé en un sérum qui est peu à peu, en circulant avec le sang, subtilisé au degré du fluide nerveux. Ce sérum, prétend-il, remplit le même office que le blanc d'œuf durant l’incubation (Aph. 44 et suiv.). Il faut souvent se mettre l'esprit à la torture pour retrouver, à travers le prisme de limagmation de Boerhaave, qui rend les idées les plus nettes à peu près méconnaissables, les théories phy- siologiques émises avant lui par les autres médecins mécaniciens. Nous retrouvons presque tous les principes de l’iatroméca- nisme dans la pathologie générale de Boerhaave. En voici quel- ques échantillons (3): «L'air trop chaud dissipe les parties les plus humides des yeux, des narines, de la bouche, de la trachée-artère ; dessèche les pe- lits vaisseaux de ces parties, épaissit davantage le sang du pou- mon, empêche par ces deux causes l'action de ce viscère, fait paire plusieurs maladies qui en dépendent, emporte les humeurs externes qui sont toujours les plus ténues; brüle, pour ainsi dire, les internes qui restent, dissipe leurs particules les plus mobiles, rapproche, condense, dessèche les plus lentes ; il dimi- nue donc sans cesse les parties aqueuses, spiritueuses, salines, volatiles; au contraire, il augmente les parties salines fixes, les huiles grossières et tenaces et les huiles âcres brülées et enve- loppées dans les autres, ainsi que les parties terrestres fixes ; il les accumule, les unit et en fait des masses irrésolubles : ce qui (1) Les Apl, 481-694 sont consacrés aux sens externes et internes (sensations), à la veille et au sommeil; à la respiration {il n’est question que de son mécanisme), et aux fonctions qui en dépendent, voix, etc., enfin à la génération. (2) Voy. plus haut, p. 821, la théorie de Guglielmini. (3) Je les choisis dans l’Étiologte, et je ne crois pas devoir m’arrêter sur les autres parties de la pathologie générale; attendu que les principes qui y sont exposés se retrouvent dans les Aphorismes, et que le mode d’exposition ne diffère pas de celui qui est adopté dans presque tous les ouvrages du temps, d’après la tradition galénique, À DAREMBERG. 57 898 IATROMÉCANISME, — ÉCOLE HOLLANDAISÉ. donne lieu à l’émunéabilité des humeurs, à l'allongement et à l’affaiblissement des solides et aux effets qui s’ensuivent, à l’ob- struction, au desséchement, à Pinflammation, au défaut de coc- tion, à la putréfaction, à la constipation, à la soif, à la strangurie, aux urines rouges, aux humeurs jaunes, à des maladies aiguës chaudes, sèches, et principalement au dérangement des fonc- tions du genre nerveux et lymphatique (Aph. 746). » « L'air froid raccourcit les fibres solides, les condense, leur donne de la force; de là, il augmente leur action sur les hu- meurs; mais le dégel dissout et détruit les fibres. Ce même air froid rapproche les particules des humeurs, les condense, des- sèche le poumon, le resserre et coagule le sang de ce viscère ; d’où naissent l’obstruction, l’inflammation, le desséchement, les- soufflement, la toux, les rhumes, les catarrhes, la mucosité, le pus, la gangrène, le sphacèle ; mais si en même temps on se donne une violente agitation, alors il se fait une si grande action et réaction réciproque des solides et des fluides, que cela produit une alténuation, une transpiration, une voracité, une débilité extrêmes, des défaillances et la mort subite ; si, au contraire, on reste en repos, exposé à un grand froid, 1l survient des engour- dissements, des douleurs dans les membres, et le scorbut (Aph. 747). » « Si l'air est trop humide, il relâche, dissout, affaiblit les fibres, surtout celles du poumon ; retient, augmente, accumule la lymphe du poumon, empêche la transpiration de ce viscère ; d’où naissent encore des toux, des péripneurnonies séreuses, des diarrhées semblables, des engourdissements, des fièvres. S'il se joint une grande chaleur à lhumidité de l'air, 1l se fait une promple putréfaction; si, au contraire, elle est accompagnée d'un grand froid, elle produit un amas de corruptions séreuses (Aph. 748). » « L'air trop sec occasionne à peu près les mêmes effets que l'air trop chaud (Aph. 749). » «L'air trop pesant comprime tous les tuyaux et les humeurs du corps, surtout dans le poumon, ce qui fait que le cœur trouve trop de résistance, que le mouvement des humeurs est inter- rompu, arrêté et comme suffoqué (Aph. 750). » BOERHAAYE. — PATHOLOGIE GÉNÉRALE, 899 « Sice même air est trop léger, comme il presse peu les vais- seaux et les humeurs, il les dilate, les raréfie, cause par là des tumeurs, des éruptions d’humeurs, des erreurs de lieu assez fâcheuses, el en conséquence les maladies. Il peut aussi moins vaincre l’élasticité des fibres pulmonaires qui résiste à leur dila- tation ; d’où la respiration s'arrête, le sang s’amasse dans le poumon; on est saisi d’une péripneumonie promple et de la mort. De ces mêmes effets, on peut déduire ceux de Pair dense et rare (Apb. 751). » Les causes internes, c’est-à-dire, celles qui tirent leur origine d’un trouble dans le mouvement, ou d’une altération dans la com- position des humeurs, sont appréciées et expliquées d’après les mêmes principes, c’est-à-dire, plus où moins explicitement, d’a- prés les lois de la physique et de la inécanique. — Eà voici la preuve : «Lorsqu'il se fait un trop grand mouvement des humeurs par les vaisseaux il produit la compression, le broiement, l'atténua- üon des humeurs, la chaleur, une disposition inflammatoire et les maux qui ont été déjà expliqués (Aph. 766 : dissolulion des parties solides et liquides; dissipation des parties mobiles, spiri- tueuses; inflammation du résidu des humeurs, etc.) ; leur cours trop lent produit des vices tout à fait semblables à ceux qu’on a exposés (769 : inertie des muscles, réplétion des cellules, dévelop- pement de la graisse, etc.) ; surtout il n’est rien de plus dange- reux que l'excès ou le défaut du mouvement des esprits animaux, car par là toutes les coctions, sécrétions, excrélions, sont déran- gées, d’où naissent mille sortes de maladies (prop. 783). » « Quant à l’extrême fluidité des humeurs, elle cause de la dissipation, de la consomption, du dérangement dans les séeré- tions, du rétrécissement dans les grands vaisseaux, de l'affaiblis- sement dans ces mêmes vaisseaux, de la faiblesse, des obstrue- tions, des ruptures, des suppurations dans les petits vaisseaux ; elle est principalement nuisible lorsqu'elle est accompagnée d’un grand mouvement et d’une forte acrimonie. (Aph. 784.) » « Leur trop grande ténacité cause des obstructions, des exten- sions de vaisseaux, des douleurs, des tumeurs, surtout aux glandes et aux plexus artériels. Mais lorsque l'acrimonie est pa- 900 IATROMÉCANISMÉ. -— ÉCOLE HOLLANDAISE. reillement jointe à la ténacité, suivant la diverse proportion des concours de ces deux qualités, les petits vaisseaux se détruisent, les fluides s’extravasent, ce qui produit ensuite des pustules, des inflammations, des gangrènes, le sphacèle, le cancer, des ulcères malins, la carie et autres maux semblables. Or l’acrimonie, lantôt accompagne, et tantôt suit la ténacité (prop. 785.). » « Les humeurs acides crues, acides âpres, acides fermentées vineuses, acides chyleuses, acides laiteuses, alkalescentes, vola- tiles ou fixes, ou véritablement alcalines; les humeurs salées, comme de la saumure ou du sel ammoniac; les humeurs âcres, salines, huileuses, aromatiques ; enfin, les humeurs huileuses et insipides excitent une foule de maladies (prop. 786) » dont Boerhaave donne les détails (prop. 760 et suiv.). Après des considérations générales sur la maladie, qui est le contraire de la santé, sur la nécessité de savoir, pour guérir les maladies, de quoi dépendent les fonctions vitales, na- turelles et animales, dont le trouble est précisément la cause des maladies ; après avoir répété, mais à tort (car on ne connait ni on ne peut pas atteindre la cause immédiate, efficiente), avec la plupart des anciens, qu’il suffit de détruire la cause de la maladie pour en opérer la guérison, Boerhaave dans les A phorismes ajoute que, dans l'étude des maladies, on doit commencer par les plus simples, ct que les plus simples sont celles qui attaquent la fibre solide. Les fibres peuvent être trop faibles et trop lâches, ou trop résistantes et trop élastiques. — Sont-elles trop faibles et Tâches, par exemple dans les vaisseaux, alors naissent les tumeurs, les croupissements, la putréfaction des humeurs extravasées ; il faut fortifier. — Sont-elles trop résistantes et trop élastiques, elles rétrécissent, raccourcissent les vaisseaux et les rendent impro- pres à la circulation des humeurs; il faut affaiblir. — I y a des maladies des petits vaisseaux qui composent les grands, et des grands qui sont tissus avec les petits. — I! existe également pour les viscères des maladies de faiblesse ou de rigidité. Quant aux humeurs, elles demeurent crues ou subissent la coction assimilatrice. Il y a des maladies qui proviennent de l'acidité, d’autres de la viscosité, d’autres de l’alcalinité des hu- BOERHAAVE. — PATHOLOGIE SPÉCIALE. 901 meurs (car l’iatromécanisme n’a jamais fait un divorce com- plet avec la chimiatrie), d’autres, enfin, d’un simple trouble de la circulation, lorsque, pour une cause quelconque, une trop grande quantité d’esprits animaux, envoyée au cœur, cause du désordre dans ses fonctions, ou que ce viscère est irrité par le retour du sang veineux chargé de matières nuisibles, salines, purulentes, ichoreuses, ete. La surabondance d’un sang pur (pléthore) a pour cause tout ce qui donne trop de chyle et qui en même temps empêche l’atténuation, la dissipation et la perspi- ralion des humeurs. La pléthore est accompagnée de dilatation des artères et des lymphatiques, de compression ou relâchement des veines, d’où résultent toutes sortes de désordres. Au premier rang des maladies les plus simples parmi les ma- ladies composées on doit ranger l’obstruction. € L'obstruction est une obturation de canal qui empêche l'en- trée du liquide vital sain ou morbifique qui doit y passer, et qui a pour cause la disproportion qui se trouve entre la masse du liquide et le diamètre du vaisseau (Aph. 107). — Elle vient donc de Pétroite capacité du vaisseau, de la grandeur de la masse qui doit y passer où du concours des deux (Aph. 108). — Un vaisseau se rétrécit quand jl est extérieurenient comprimé, par sa propre contraction ou par l’épaississement de ses mem- branes (Aph. 109). — La masse des molécules s'augmente par la viscosité du fluide ou par le vice du lieu oùil coule (Aph. 110). — Et par ces deux causes à la fois, lorsque les causes de l’un et de l’autre mal concourent ensemble (Aph. 114). » Rapprochons de l’obstruction l’inflammation et la fièvre et nous aurons le cadre à peu prés complet de la pathologie géné- rale de Boerhaave (1). (4) Je ne dis rien des chapitres assez médiocres sur les plaies en général, sur les plaies des diverses régions, en particulier sur les fractures et les luxations, ni du chapitre sur la douleur, que Boerhaave attribue à une Zadésposition, surtout à une trop grande tensionde la fibre nerveuse, laquelle prend son origine au cerveau. Il ap- partient encore à la vieille école qui confond toute espèce de fibres avec les nerfs, etadmet que le tissu fibreux proprement dit peut être, par conséquent, directement le siége d’une douleur. — On objectera peut-être, contre le jugement que je porte sur la chirurgie de Boerhaave, que Louis, le célèbre secrétaire perpétuel de l'Acadé- mie de chirurgie, a pris la peine de traduire cette partie des Aphorismes (Paris, 902 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE HOLLANDAISE. L'inflammation consiste en ce que le sang rouge artériel qui croupit dans les plus pelits vaisseaux est agité et pressé par le reste du sang dont la fièvre a accéléré le mouvement (Aph. 371). — Elle peut donc se faire ou dans les extrémités des artères san- guines ou dans les vaisseaux séreux lymphatiques ou dans les plus petits vaisseaux artériels, lesquels ne peuvent transmettre les globules rouges ou autres éléments grossiers des fluides qui ont pénétré dans leur cavité par la dilatation de leurs orifices (Aph. 372). — Ainsi son siége est toute partie du corps où se distribuent des artères sanguines, et où les lymphatiques prennent leurs ori- gines (Aph. 373). — Par conséquent, les artères mêmes, les veines, les nerfs, les membranes, les muscles, les glandes, les os, les cartilages, les tendons, tous les viscères, et conséquemment presque toutes les parties du corps sont susceptibles de ce mal, qui affecte la graisse plus fréquemment et avec plus d’opiniä- treté que toute autre partie (Aph. 374). — Ce croupisserment a pour cause : 1° toute compression, tension, contorsion, rupture, contusion, brûlure, érosion, crispalion, qui rétrécit tellement les extrémités coniques et cylindriques des vaisseaux, que le dia- mètre de leur orifice devient plus petit que le diamètre du glo- bule de sang; la chaleur, le mouvement violent, tout corps étranger, les ligatures, toute pression, tout âcre pris intérieure- ment ou appliqué extérieurement, le froid mordant, le frotte- ment trop violent ou trop longtemps continué, toutes les causes des plaies, des contusions, de l'érosion, des fractures, des luxa- tions, des obstructions (Aph. 375). — Cette même stagnation est produite : 2° par tout ce qui bouche les vaisseaux, en y mêlant en même temps des âcres intérieurement ou extérieurement, comme sont les matières huileuses, salines, âcres (Aph. 376). — 4768,7 vol. in-12); mais il est manileste par la préface du traducteur lui même, que c’est surtout pour les Commentaires de Van Swieten qu'il a présenté ce travail au pu- blie. Il dit, en effet, dans sa préface : «Les commentaires de Van Swieten donnent vé- ritablement les premiers principes de la chirurgie, car ils sont le résultat de l’obser- vation et de l'expérience On donne abusivement le nom de principes à des traités superficiels, où l’on ne trouve que la définition des noms et la division scolastique des matières (or, c’est le cas pour Boerhaave). Ces sortes d'ouvrages seraient mieux qualitiés par le nom de rudiments.» — Louis vante ensuite le savoir profond et la grande érudition de Van Swieten, BOERHAAVE. — PATHOLOGIE SPÉCIALE. 903 Par tout ce qui épaissit le sang : le mouvement excessif, la dissi- pation de ses parties les plus (luides, par les sueurs, les urines, la salive, la diarrhée, les ichorosités, les coagulants (Aph. 377), Boerhaave passe en revue les diverses suites de l’inflammation: abcès, sphacèle, gangrène, puis il étudie le squirrhe (épaississe- ment et desséchement des humeurs dans les glandes), le cancer (squirrhe tellement ému par le mouvement des parties environ- nantes qu'il finit par s’enflammer et prendre un caractère ma- lin), et les maladies des os. Rien n’est plus caché que la nature de la fièvre ; aussi faut-il se tenir en garde contre les hypothèses hasardées à l’aide desquelles on a tenté de la découvrir. Or, à quoi ces précautions conduisent-elles Boerhaave ? À décider que la fiévre est caracté- risée par le frisson, la rapidité du pouls et la chaleur, phéno- mênes produits par le croupissement des humeurs contenues dans les petits vaisseaux, et par l’irritation du cœur que cause le dés- ordre des esprits nerveux ; — que c’est dans la seule vélocité du pouls que le médecin puise ce qu’il sait touchant la nature de la fièvre ; — que la fièvre cesse par la mort, et qu’en somme la fièvre est un effort fait par la vie, tant dans le froid que dans la chaleur, pour éloigner les causes de la mort. Suivent l'énumération et l'explication des symptômes et des épiphénomènes de la fièvre : anxiété, soif, nausées, faiblesse, chaleur, délire, coma, sueur, convulsions, exanthèmes, etc. Quatre chapitres sont consacrés aux fièvres continue, synoque ardente et intermittente, qui sont plutôt décrites qu'expli- quées. Le cadre nosologique de Boerhaave est très-simple : il est di- visé en deux compartiments : les maladies aiguës fébriles et les maladies chroniques. Rien de plus factice que les subdivisions et les délimitations des diverses affections. Que de maladies se cachent sous cette seule rubrique : phrénésie ! Ce n’est pas non plus une observation clinique rationnelle qui a présidé à la clas- sification des angines; on peut admettre des esquinancies ou angines aqueuses ou lymphaliques (qui sont appelées aussi ædé- mateuses oucatarrhales), maisilestdiflicile de savoir ce que sontles 004 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ALLEMANDE. angines squirrheuses. Rien n’est plus confus que le- chapitre inti- tulé : Esquinancies inflammatoires. Boerhaave paraît avoir quel- que idée de la laryngite suffocante; il croit, avec Hippocrate (Épid. W, 24), à une angine convulsive ou paralytique par suite d’une luxation, soit de l’apophyse odontoïde, soit d’une vertèbre du cou en dedans, tout en disant que cette espèce d’angine arrive fréquemment dans l'épilepsie, l’hystérie, l'hypochondrie (K SI, 819); enfin il confond sous le nom d’esquinancie toutes sortes de suffocations dont quelques-unes appartiennent à l’agonie. Boerhaave distingue deux vraies péripneumonies, l’une causée par l’inflammation des artères pulmonaires, l’autre par linflam- mation des artères bronchiales. Il confond en beaucoup de cas Gil ne pouvait guère en être autrement avant Auenbrugger et Laennec) la péripneumonie avec la pleurésie (quoiqu'il déerive à part cette dernière maladie), car il regarde l’empyème comme un résullat de la pneumonie (1). La fausse péripneumonie est causée par la pituite. Avec Boerhaave, comme avec Sydenham, du reste, il est difficile de se faire une idée exacte de cette ma- ladie. La paraphrénésie où inflammation de la plèvre diaphrag- malique, ou même du centre nerveux du diaphragme, est une maladie fréquente, incurable, selon Boerhaave, mais qui reste une énigme pour nous, à moins qu'il ne s’agisse tout simple- ment de la pleurésie dite diaphraymatique. Les maladies chroniques naissent spontanément ou consistent en des reliquats de maladies aiguës; beaucoup sont expliquées par les désordres chimiques des humeurs (scorbut, rachitis, rhu- matisme) ; d’autres, par exemple les affections nerveuses (épilep- sie, manie), le sont par les lois de la mécanique et tiennent au mouvement des liquides dans lintérieur du crâne. La petite vérole vient d’un miasme contagieux qui augmente la vélocité du sang; il agit comme un irritant inflammatoire (Aph. 1352-1387). [ci, comme dans toutes les maladies de ce genre, la thérapeutique consiste à expulser le venin par la sai- gnée, le relâchement de la peau et un régime léger (Aph. 1394). (4) En d’autres termes, la vraie péripneumonie est pour lui une inflammation du poumon qui donne quelquefois lieu à une suppuration; car il dit, aph. 1183, que l’empyème est un amas de pus formé entre le poumon et la plèvre, HOFFMANN,. 905 Boerhaave croit, comme Keill, que la maladie vénérienne peut se transmettre par les exhalaisons (Aph. 4441). En général, pour le traitement, Boerhaave s’en tient à la tra- dition; aussi c’est la partie ordinairement la plus raisonnable de son livre. Je pense que, si les historiens y regardaient de plus prés, beaucoup de réputations médicales acceptées de confiance mais créées par des circonstances accidentelles, s'évanouiraient en par- tie sous le regard d’une critique sérieuse et impartiale. Frédéric Hoffmann (1660-1742) (4), appartient par sa nais- sance à cette célèbre université de Halle (2), qui a fourni tant de médecins distingués (3) et qui est devenue bientôt, par la présence de Hoffmann et de Stahl, la rivale de l’université de Leyde. Hoffmann professait la physique, la chimie, l'anatomie, la médecine pratique et la chirurgie (4), tandis que Stahl était (1) On trouve dans l'édition in-folio de ses Œuvres complètes (Genève, 1748- 4753; 6 vol. in-f° et les supplém.) une Vie de Hoffmann, écrite par J-H. Schultze, son élève de prédilection. Elle à été traduite par Bruhier et mise en tête de la Médecine rationnelle. On trouve à la suite une liste des nombreux écrits de Hoff- manu et sou portrait, Voy. aussi les Bibliothèques de Haller, et en particulier la Bibliothèque médicale. (2) Fondée en 1694, par Frédéric INT, électeur de Brandebourg, qui réalisait ainsi un vœu formé longtemps avant, par Albert, archevêque de Magdebourg. (3) Par exemple, Gœælicke, Albert, Coschwitz, Junker, Büchner, Nietzky, Eber- hard, Cassebohm et Schultze. Voy. Friedländer Zur Geschichte der medie. Facult. in Halle, dans le t. III de Haeser’s Archiv für d. ges. Medicin et du mème, Hist. ordin. medic., Halens. Halae 1840. (4) Tout novateur qu'il était ou qu'il croyait être, Hoffmann est un ami ardent de la tradition et particulièrement de l'antiquité. Il a publié une très-curieuse dis- sertation (De praeparatione ad lectionem veterum medicinae auctorum, 1719), dont je conseille la lecture aux contempteurs où aux ennemis de l’histoire, à ceux aussi qui ne l’étudient pas. On y trouvera de bons conseils et d’utiles renseignements sur les auteurs qu'on doit préférer. On en pourrait citer beaucoup d’autres, mais c’est déjà une riche bibliothèque à consulter. — Au début de la Pathologie spé- ciale de la Médecine rationnelle, Hofimann recommande la lecture d'Hippocrate, de Celse, d'Alexandre de Tralles, d’Arétée, de Baillou, du très-heureux praticien Rivière, de Mereurialile scoliaste d'Hippocrate, de Willis, de Sydenham, de Wharton, de Sennert, de Fabrice de Hilden, d’Ettmuüller, de Sylvius, enfin de Boerhaave. 906 IATROMÉCANISME. —— ÉCOLE ALLEMANDE. chargé de la médecine théorique, de la physiologie, de la diété- tique, de la matière médicale et de la botanique. Ces deux vigou- reux athlètes se partageaient ainsi presque tout le domaine des sciences médicales, Quel professeur voudrait aujourd'hui prendre une si grande charge, quel pourrait suffire à de si grands de- voirs ? Hoffmann, après s'être rangé d’abord dans le camp des chi- miatres (1), puis un moment sous le drapeau de l’animisme, se sépara bientôt de Stahl (2) et des adeptes du fourneau pour devenir lun des sectateurs à la fois les plus ardents et les plus illustres de la médecine mécanique (3). (4) Voy. son Exercitatio chimica, ete. Xéna 1681. — On retrouve encore çà et là des traces de ces premières études. (2) Voy. ses Fundamenta medicinae ; Halle 4695. — Les Fundamenta medicinae ne sont qu'une suite d’aphorismes comprenant l’hygiène, l'anatomie, la physio- ‘logie, la médecine mécanique, la thérapeutique, — On y lit ces deux propositions : «Non-seulement les esprits animaux meuvent le corps, mais ils sentent, et cette sensation ne se fait pas sans mouvement (chap. vi, aph. 46).» — « Quand les fibres nerveuses ou musculaires sont stimulées ou irritées par une certaine matière, nou-seulement il se produit là un afflux d’esprits, mais il se fait, par l'impulsion de l’objet, une sensation et une perceplion (même chapitre, aph. 45). » — Les développements se trouvent dans la Médecine rationnelle. (3) Haller se loue des relations qu'il eut avee Hoffmann alors que ce dernier était déjà fort âgé, — Je tire l'histoire des doctrines d’Hoffmann d’abord de la Médecine rationnelle d’un grand nombre de ses Dissertations: NVoy. aussi le traité pos- thume, publié par Cobausen : Commentarius de differentia inter Hoffmanni doctri- nan inedico-mechanicam et Stahlit medico-organicam, 1746.— Les Consultations (1734) ne peuvent servir presque en rien à élucider la doctrine d'Hoffmawun, car elles lui sont en général envoyées par des médecins d’une incomparable ignorance dans le diagnostic (par exemple des tumeurs de la base du cerveau, ou des caries des os du crâne, ou des polypes à l’arrière-cavité des fosses nasales pris pour des migraines singulières), de sorte que les réponses ne peuvent naturellement se fon- der que sur la teneur des demandes. On y voit seulement que notre auteur conseille volontiers ses remèdes, sa liqueur anodine, et les préparations domestiques (Voy. De medic. simplicissim. summa efficacin, 1754). Les Consultations comprennent 300 cas rangés sous ces rubriques : maladies de la tête, de la poitrine, de l'abdomen, des membres. — Haller a donné une analyse détaillée d’une autre collection de Consultations en cinq décuries, 4721-1739; 10 vol. in-4°. Les réponses émanent de la Faculté de Halle. La collection de 1734, traduite par Bruhier, contient quel- ques parties de celle de 4721-1739. — Je cite pour mémoire et comme de purs jeux d'esprit les dissertations suivantes : Quod nemo aegrotorum moriatur ex morbo, HOFFMANN. 907 Hoffmann s’est proposé de réduire toute la médecine en un système raisonné, tellement lié que les principes se suivent dans l'ordre le plus naturel, et qu’on en puisse déduire, par des con- séquences directes, l'explication d’une foule de phénomènes dont fourmille l’histoire des maladies, et les effets de tant de causes capables de porter préjudice ou d’être avantageuses à la santé. Or, c’est là le grand écueil où viennent échouer la plupart des réformateurs et tous les sectaires : ranger sous une loi unique, inflexible, toute la physiologie et toute la pathologie, sans tenir compte ni des lacunes de la science, ni de la multitude des faces que présentent les problèmes à résoudre. Ge n’est pas seulement la prétention de trouver une source universelle d'explication qu’ils affichent, ils se piquent encore d’être les seuls à éviter les hypo- thèses (1) et seuls à indiquer la vraie raison des choses (2). C’est ce que ne manque pas de faire Hoffmann, qui croit avoir trouvé une médecine positive, une médecine à l'abri de toute idée pré- conçue, parce qu'il y a appliqué une méthode qu’elle ne com- porte guère, la méthode mathématique, parce qu'il fait intervenir 1717 (mais des symptômes !) ; — Quod plurimi aegrotorum moriantur contra leges artis, 1717 (belle consolation ! c’est du Molière); enfin De medicis morborum causa, 1728. Mauvais emploi des médicaments, en particulier des émétiques, prendre les symptômes pour la maladie, etc. Mais puisque ce sont les symptômes, et non la maladie qui tuent! — Dissertation peu flatteuse pour les confrères. (4) Hoffmann a écrit une dissertation (De #edicina ab omnt hypothesi vindicanda (4749), où il gémit sur Les dissensions entre médecins, dissensions si nuisibles aux progres de l’art, à la dignité de la science, et qui cesseraient infailliblement si chacun répudiait toute autre autorité que celle de l'iatromécanisme ou mieux de l'iatro- mathématisme ! — [1 développe encore cette pensée dans une autre dissertation qui a pour titre : De difficultatibus in medicina addiscenda (1718) ; il y indique toutes les autres difficultés qui se présentent dans l'étude de la médecine, et donne les règles à suivre pour en triompher, insistant sur la nécessité de connaître l'anatomie (voy. Dissertatio... qua sistitur verum universae medicinae principium in structura corportis humanti mechanica reperiendum ; 1732. C’est un travail tout à fait dialec- tique; cf. De anat. in prari medica usu; 1707), la physique, la mécanique, la matière médicale et diététique, le tempérament des malades, les constitutions atmosphériques particulières ou générales. (2) Voy. aussi De generat, febrium, 17145, & 3, où il est dit qu’on doit tenir pour règle de ne rien apporter dans la démonstration, comme principe ou cause pre- mière, qui n'ait été auparavant prouvé et démontré clairement, de façon à enlever tous les doutes. A ce propos, il s'élève contre l’animisme, 908 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ALLEMANDE. anatomie, la physique expérimentale et la mécanique (4) dont il ne prouve pas, du reste, qu'il ait eu une connaissance très- approfondie (2), surtout de l'anatomie et de la physique expéri- mentale. Nous commencerons par la physiologie (3). La vie n’est rien autre chose qu’un mouvement circulaire, vital et progressif du sang et des autres humeurs, produit par la systole et la diastole du cœur et des artères; ou, pour mieux dire, c'ést un mouve- ment de tous les canaux et de toutes les fibres, entretenu par l'abord qui s’y fait du sang et du suc nerveux, et qui, au moyen des sécrétions et des excrétions, préserve le corps de corrup- tion (car le sang et les autres parties sont très-sujets à la pu- tréfaction, en raison de la diversité des substances qui les com- (1) Praef. ad Med, ration. Pour les longues citations de cet ouvrage j'emprunte la traduction de Bruhier. — On peut dire de la Medicina rationalis, un des derniers grands travaux d’'Hoffmann, qu’elle est le résumé de presque toutes les dissertations, opuscules ou discours qui composent la majeure partie de son œuvre. C’est aussi le résumé de sa pratique et comme son testament médical. (2) Dans la préface des Consultations, on lit : « Nous devons être instruits par l'anatomie de la composition et structure du corps ; de la forme, situation, rapport et usage de toutes ses parties ; des fonctions de ces parties par rapport à la vie et à la santé. Les expériences chimiques, physiques et mécaniques doivent nous apprendre à connaitre quelles sont les qualités, la force et les vertus des choses extérieures, soit aliments, éléments ou médicaments, ou autres corps qui agissent constamment sur notre machine et peuvent causer des changements considérables dans la santé, la vie, les maladies et la mort ; par là nous discernons celles qui sont salutaires d’avec celles qui peuvent nous nuire. Comment un médecin peut-il connaitre qu'une maladie est mortelle s'il ne sait pas l'anatomie et s'il ignore l'usage et la situation des parties? Comment pourra-t-il déterminer quelle est la partie affectée et le siége de la maladie, s’il ignore la situation des viscères et leurs fonctions ? Qui pourrait apercevoir les causes et le danger d’une maladie, sans savoir la théorie des mouvements et surtout de la circulation du sang dans tout le corps et dans chacune de ses parties ? Et si les principes de mécanique ne nous apprenaient quelle est la nature, quelles sont les espèces, les propriétés et les effets de ces mouvements, comment pourrions-nous conpaitre l’état d’une maladie par les variations délicates et presque imperceptibles du pouls? » Trad, Brubier. (3) Hoffmann appelle philosophie la physiologie et la diététique, car elles sont la plus noble partie de l’art et constituent le plus éminent degré de la sagesse, Voyez De optima philosophandi ratione , 1741, HOFÉMANN, -— PH: IOLOGIE, 909 posent) (1), en même temps qu'il entretient les fonctions de toutes les parties, en particulier la nutrition. L'augmentation de la vélocité du sang (c’est-à-dire la fièvre) est cette nature médica- trice si vantée par les anciens (2). C’est elle qui détruit les obs- tructions et expulse les humeurs nuisibles (3). Le mouvement lui-même ne doit pas être rapporté à un être distinct, intelli- gent, doué de sentiment ; il tient à l’afflux du sang et du fluide nerveux (4). Tout part de causes naturelles et nécessaires ; tout s'opère mécaniquement dans l’organisme sans que pour cela on nie l'âme, mais on ne comprend rien à la physiologie si l’on admet un principe métaphysique. C’est le sang qui meut le cœur, premier vivant et dernier mourant (5), lequel à son tour meut le sang. La (4) Voy. Putredinis doctrinae jusque amplissimo in medicina usu; 1722, C'est là que Hoffmann vante à la fois, contre la putréfaction, le camphre, les calcaires et la corne de cerf. La putrélaction est la cause principale des maladies d'automne, surtout dans les camps. Quelques-unes des maladies qu'il y indique se rapprochent de nos fièvres malignes.—Voy, encore De malignitatis natura... in morbis acutrs ; 1695. (2) Cependant Hoffmann dit un peu plus loin qu'en général dans les maladies aiguës, surtout dans les chroniques, il ne faut pas s’en remettre à la nature pour expulser où changer la matière morbifique ; autrement on manquerait l'occasion de couper le mal à sa racine ; il n'y a d'exception que pour certaines maladies aiguës où toute l’économie est troublée, où fout est en mouvement. — Singulière exception, en vérité! — Mais tout cela prouve que le za!/urisme n’est en pratique qu'un vain mot, quoiqu'on en fasse grand état en théorie. La preuve de ceite incon- stance en fait de doctrines naturistes, c'est que dans Différents états de la médecine et des médecins, &wad. Brubier, Hoffmann gourmande les médecins à la fois pour ne pas savoir administrer les médicaments et pour leur empirisme qui ne leur permet ps d'attendre le bon vouloir de la nature ; et ceux qui accordent tant de puissance à cette nature qu'ils l'ont transformée en une àme intelligente et presque suffisante pour la cure des maladies {voy. aussi Dissertat. De natura morbor. medicatr. me- chanicu, 1699). C’est du reste dans cette Dissertation (États de la médecine, eic., qu'il s’explique le plus clairement sur le role très-limité de la nature, sur l’impor- lance qu'il y a à ne pas confondre les forces naturelles du corps et celles de l'âme, forces tout à fait distinctes et indépendantes dans leur essence. IL y insiste aussi sur l'utilité prédominante du régime. (3) Nous reviendrons plus loin, à propos des fièvres, sur la théorie de la nature médicatrice. (4) Voy. Differentia inter doctrinam Hof'man. et Stahli, éd. Cohausen, $ 56, où il est dit que l'âme n’a d’action que sur les mouvements volontaires. Cf. aussi $ 39, 136. (5) La mort, en général, n’est que la cessation des mouvements du cœur, Med, ration., 1, 51, 16 ; la mort et la vie sont des phénomènes mécaniques, 1hid, 21, 910 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ALLEMANDE. mort sénile n’est que la cessation du mouvement par l’épaissis- sement des tissus et la diminution ou la cessation de l’afflux des liquides (sang et suc nerveux), principes moteurs. Le sang est entretenu, rajeunt, réparé par la partie élastique de Pair et par les aliments. Les excrélions sont à peu près égales au poids des aliments. Les maladies ne sont qu'une lésion ou qu'un trouble des mouvements naturels de resserrement et de relâchement (systole et diastole) ; d’où l’atonie ou le spasme (1). Le livre premier de la Médecine rationnelle n’est que le déve- loppement de ces propositions générales extraites de Ja préface même de l'ouvrage. L'auteur y ajoute cependant quelques re- marques qu'il ne faut pas négliger, — Le suc nerveux est la par- üe la plus subtile d’un bon sang et d’une bonne lymphe; —le corps est surtout une machine hydraulique, et des plus parfaites, puisque toutes ses parties, comme le démontre l'anatomie, sont un tissu de vaisseaux, —la multiplicité des humeurs, la diversité de leur composition, nécessitent une foule d’émonctoires ou voies d’excrélions;, aucune parlie n’a avec la tête un commerce plus suivi et plus étroit que lestomac et les intestins; —il existe également une correspondance toute particulière entre le sang el le fluide nerveux ; — on remarque une égale harmonie entre les mouvements animaux et les mouvements vitaux (chap. 1) (2). Ici s’intercalent naturellement quelques considérations remar- (4) Aussi dit-il dans la Dissertation Différents états de la rédecine et des médecins, qu'il faut plus s'occuper des mouvements désordonnés que de l'intempérie des hu- meurs,— Le mouvement vital du sang peut être troublé de trois manières : le sang estmü par une force trop grande, mais uniforme, de la systole et de la diastole du cœur et des artères; ou bien la systole des parties où le sang circule étant augmentée avec excès, le mouvement du liquide devient inégal ; ou bien un relâchement des solides entraine la progression du sang et cause des stases ; de là trois classes de maladies : la fièvre, le spasme, l’atonie. — Voy, Dissertatio de morborum ortu, et causis eorum proximis (1715). (2) En tout ceci rien de bien nouveau, rien même qui ne se retrouve dans divers iatromécaniciens et dans Boerhaave en particuber. La forme est aphoristique dans Hoffmann comme dans Boerhaave ; mais combien le ton d'Hoffmann est plus décidé, plus dogmatique, et combien le développement de sa pensée, même lorsqu'elle est fausse, ce qui arrive souvent, à plus d’ampleur, de relief, d'attrait, même d’au- torité ! HOFFMANN. — PHYSIOLOGIE. 911 quables sur lorganisme vivant et sur la comparaison de cet organisme chez l'homme et chez les animaux (1). Hoffmann n’a pas manqué non plus l'occasion de faire à ce propos le procès à l’animisme, mais toujours en termes décents, et avec une par- faite conviction. Dieu, dit notre auteur, n’a pas formé le corps d’une sub- stance (d’un ens) spirituelle active et d’une autre passive, ni d’une substance purement passive à laquelle il ait dù donner ensuite le mouvement et la vie; il a dù plutôt, lors de la primitive créa- ton, produire instantanément des substances ou des forces éten- dues, aptes à en mouvoir d'autres ou à leur communiquer la vertu active interne qui les anime, aptes aussi à recevoir des autres le mouvement et la force, à être mues par elles. Il se trou- vera, sans doute, des personnes, surtout parmi les Cartésiens, qui objecteront que cette force innée dans les corps ne peut être appelée substance où accident; car, si c'était une substance, elle serail ou un esprit où un corps; elle n’est cependant ni l’un ni autre ; ensuite qu’on ne peut comprendre ce qu’est cette force. La réponse est facile : Une force créée qui agit et souffre, n’est autre chose qu’une substance; et, comme elle est double, l’une douée d’étendue, motrice et mobile, l’autre sans étendue, intelligente et agissant librement ; on nomme celle-là le corps, celle-ci l'ame (2). Nous savons, nous comprenons, nous concevons suflisamment ce qu'est le corps ; mais il paraît impossible de séparer par l'imagi- nation l'actif du passif dans Le corps et de faire abstraction de l’un ou de l’autre; nous ne pouvons, en effet, à cause de notre intellect fini et de la faiblesse de nos sens, atteindre humainement, par conjecture, la nature intime des êtres réels et des créatures. Mais si l’on veut considérer séparément l'actif et le passif dans une créa- ture quelconque et faire abstraction l’un de l’autre, puis appeler (4) Voy. Dissertatio de natura morborum medicatrice mechanica (1699). Dans cette dissertation Hoffmann énumère quelques-unes des définitions données avant lui du mot zalure, un de ces mots qui de tout temps ont été une source des plus vives discussions dans les écoles de philosophie ou de médecine, (2) Voy. Differentia inter doctrinam Hoffm. et Stahlii, $ 1-6, 16, 64, 67, 103, 186. — Cet ouvrage renferme aussi beaucoup de remarques sur la thérapeutique ; mais il n’y a rien de saillant qui ne se trouve dans la Médecine rationnelle, 912 YATROMÉCGANISME. — ÉCOLE ALLEMANDE. celui-là esprit, celui-ci matiere, J y donne les mains, pourvu qu’on se garde de ne pas prendre au propre le mot esprit, pour éviter une grande confusion dans la théologie et la physique, et de ne pas tenir cet actif pour une substance ou un être existant en dehors de l’âme, car aucune substance n’est purement active que celle qui est incréée, c’est-à-dire Dieu seul ($ 4). Hoffmann marque aussi la différence qui distingue le méca- nisme divin ou naturel du mécanisme humain ou arüficiel (4). Cette distinction consiste, pour les machines humaines que lon appelle ordinairement, par excellence, artificielles, en ce que l'art et la manière de construire y sont superficiels, simples, exiquus et finis, tandis que, dans le mécanisme divin, le mode de construction est incomparablement plus excellent, infiniment plus varié; aussi c’est avec grande raison que l’art humain est appelé le singe de la nature. La différence entre les deux mécanismes consiste de plus en ce que les animaux et les corps vivants sont mus par un principe mo- teur répandu également dans lorganisme, tandis que pour les automates, qu'ils soient mus par l'air ou par l'eau, ce principe est plutôt externe. Enfin la différence capitale qui les distingue, c’est que les êtres qu'on appelle naturels, organiques, se repro- duisent el se multiplient par la vertu séminale, ce que ne peuvent faire les machines artificielles (K 7). En d’autres termes, 1l y a d’un côté la vie et par conséquent l'activité dans l'espace et dans le temps, tandis que de Pautre il y à une sorte de mort avec l'inertie. « L'économie de la Providence divine éclate merveilleusement quand notre machine, composée, comme celle de tous les ani- maux, d’un principe corruptible, c’est-à-dire d’un mélange de fluidité, d’aquosité, de soufre, d’oléosité, de mucilage et de sel volaul, sait se garantir dans un air humide, chaud et fort apte à engendrer la pourriture, dont elle devient la proie en peu de temps, si la vie l’abandonne. Nous assurons donc que Dieu a, (4) Cette limitation du mécanisme vient plutôt d’une donnée théologique que d’un principe scientifique, quoique Hoffmann ait voulu séparer les deux domaines. Du reste on peut dire que notre auteur pousse la doctrine purement mécanique moins loin que Baglivi et qu'il a plus le sentiment des forces biologiques. HOFFMANN. — PHYSIOLOGIE. 913 dans ce but, etavec un grand artifice, disposé, selon le système mécanico-hydraulico-statique les parties de notre machine, afin qu’elles conspirent harmoniquement au mouvement circulaire perpétuel et continu des sucs et surtout du sang, ce mouvement, lant qu’il persiste, assurant au corps sa vie et sa durée; car, par la circulation continue à travers les tubes capillaires grands et petits, le sang, cette humeur hétérogène, très-disposée par sa stase à la coagulation comme à la disperdition de ses éléments, est conservée dans une fluidité trés-utile; et si elle y persiste, elle ne peut que très-difficilement se putréfier. Au moyen de ce mou- vement circulaire des émonctoires, le sang et les autres humeurs (/luores) de notre corps sont en même temps purifiés des parti- cules aqueuses, salino-sulfureuses, mucilagineuses les plus agitées et les plus promptes à se corrompre (1). Cette épuration, ainsi que le fait remarquer avec raison mon très-excellent patron et maitre Stahl, est un très-bon moyen pour prévenir la cor- ruption. En effet, la fin de tout notre mécanisme qui se mani- feste dans notre corps tend à ce que non-seulement les aliments produisent une humidité qui par le mélange d’un air très-ténu fournisse une vapeur ou un esprit très-mobile, instrument de (1) C'est là ce que Hoffmann appelle la force conservatrice et curatrice de la nature (voy. plus haut, p. 909). On lit au $ 10 : « Il est bien digne de remarque qu'il ne se fait presque aucun mouvement interne, aucun paroxysme ou solution d’une maladie, où ne se manifestent pas en même temps un mouvement et une impulsion véhémente et plus intense des esprits à travers le genre nerveux et musculeux, ou du sang et des humeurs à travers les artères et les veines ; dans le premier cas c’est pour les médecins un mouvement spasmodique et convulsif, et dans le second cas un mouvement fébrile. C’est dans ces mouvements solennels et fondamentaux, quoique anomaux, que s’accomplit la nature et l’essence de toute maladie ou lutte de la nature contre une cause nuisible et pernicieuse. Mais lorsque ce n'est pas le défaut des forces motrices ou des esprits, ou la gravité de la cause morbifique, qui excitent un tel mouvement morbide, il en résulte un très-grand mal; car cette longue stase produit ou des obstructions rebelles et scirrheuses des viscères, où une corruption putride ou sphacéleuse, ou de menaçants apostèmes, ou des maladies conduisant à la mort (voy. le $ 11 sur les effets de la séase dans les inflammations), Campanella a donc dit avec raison que la fièvre était la médecine du corps, un remède, un préservatif contre les causes morbifiques pernicieuses et, pour ainsi dire, la guerre de la nature contre l’ennemi enfermé dans une ville, » Cf. Doctr. Hoff. et Stahl., $ 184 suiv. DAREMBERG, 58 914 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ALLEMANDE. l’âme rationnelle (voy. $ 10, 2nif.) mais, surtout à ce que tout ce mélange demeure longtemps entier et soit préservé de la destruc- tion et de la putréfaction, dans tous les membres, au moyen des actes de sécrétion, d'expulsion et d'atténuation ($ 9).» « Après ces explications, continue Hoffmann, il est manifeste, je pense, que, pour l’accomplissement des actions volontaires et automatiques dans notre corps, il n’est besoin du secours ni de Paide d’une substance pensante ou agissant moralement ou libre- ment, quoique nous accordions que l’âme a aussi son action sur les esprits et conséquemment sur le corps, ainsi que le prouvent les affections véhémentes de l’esprit. La machine universelle (macrocosme) a été construite et disposée avec tant d'artifice et de régularité au moyen de globes immenses, inorganiques, impurs, je veux dire les planètes, par l’interposition d’un fluide éthéré animé d’un mouvement très-accéléré, que cette machine est conduite et gouvernée de sorte qu’un ordre et un temps fixes président au mouvement de ces planètes, à la succession du jour et de la nuit; que la chaleur aussi est également distribuée par- tout pour la fécondation des plantes et la vie des animaux, sans qu'un être doué de connaissance ou d'intelligence dirige im- médiatement et accomplisse ces effets; il est plus palpable encore, puisque la nature corporelle n’a pas cette substance di- rectrice et modératrice de ses opérations, que les machines par- ticulières vivantes peuvent, sans cette substance interne, mener leurs opérations purement corporelles jusqu’à une fin certaine d'agir, tenant compte cependant toujours de l'immense sagesse de Dieu qui a formé le corps de diverses parties en sorte que certains effets soient produits par la nécessité de la structure. » La chaleur est une violente action de la matière éthérée agitée d’un mouvement intestin sur les parties sulfureuses des fluides, action qui dilate les pores, divise les parties du corps, subtilise les plus épaisses et assouplit celles qui sont dures (Médecine rationnelle; Physiologie, chap. 11). — La chaleur alcalise et subulise les parties tempérées, huileuses et terrestres du sang; c’est l'union des principes alcalirs et huileux qui donne au sang sa couleur. Le principe terreux tempère l'action de l’élément sulfureux (chap. v). Sur la circulation rien ‘de plus que dans HOFFMANN. — PHYSIOLOGIE. 915 Harvey. Cest l’agitation qui atténue le sang et le rend vermeil (chap. vi). La chaleur (1), dit Hoffmann dans une dissertation spéciale, quoiqu’elle soit liée d’une façon indissoluble à la vie, n’est pas cependant une substance particulière, distincte dans l'organisme. La chaleur est un produit du mouvement, lequel est le principe même de la vie. La chaleur est chargée par la nature d’assou- plir et d’éloigner ce qui peut causer la ruine ou la corruption du corps. Par l’action de la chaleur se produit une sprritues- cence ou génération d’une matière ténue, subtile, expansive ; les pores sont maintenus ouverts et les superfluités peuvent être aisément poussées au dehors. C’est justement l'office de la chaleur fébrile dans les crises salutaires et les guérisons sponta- nées. }l existe dans la nature un certain fluide universel qu’on ap- pelle aero-aethereus ; 11 environne et pénètre tous les corps; agité par un mouvement intestin ei rapide, il s’'échauffe ou nous donne la sensation de la chaleur par l'intermédiaire d’une trémulation des fibres nerveuses ; de sorte que la chaleur est une officine de ce fluide, qui plus il s’agite, plus il augmente la sen- sation du chaud. Plus les corps sont nitro-sulfureux, plus ils admettent de ce fluide. Cela est prouvé par les substances inani- mées et par ce qui se passe dans les corps animés où il est in- troduit par la respiration, par les aliments. — Ce n’est pas le mouvement qui dégage directement cette chaleur (car le mouve- ment des fleuves ou des liquides dans des tubes inertes — ce qui est fanx — n'en dégage pas), mais indirectement en ce que plus 1l y a de particules de l'air éthéréen et de matières inflam- mables, plus il y a de mouvement et par conséquent de chaleur. Cependant Hoffmann admet que la pression et lattrition, la col- lision dans les vaisseaux les plus étroits et les plus rigides aug- (4) Disputatio physico-medica de causis caloris naturalis ct praeternaturalis corpore nostro (1699). Voy. aussi De corporum motu ejusque cuusis (1695), où le mouvement est présenté comme une propriété inhérente à la matière et donnée primitivement par Dieu ; ce n’est pas une substance spirituelle créée à part, c’est une puissance qui se révèle de diverses façons, suivant la matière qu’elle meut ; c'est non une attraction, comme dans l’aimant, mais une propulsion imprimée dès l’origine des choses et qui s’exécute au moyen de l’air attiré. 916 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ALLEMANDE. mente la chaleur. Atiaquant (comme du reste il le fait souvent) d’autres médecins sur les sources de la chaleur fébrile, Hoffmann déclare que cet accroissement tient à ce que toutes les parties du système circulatoire ne sont pas libres, et qu’il se forme ainsi des foyers d'incendie et d'inflammation sous des pressions et des résistances inégales. Cette explication vaut pour les fièvres in- termittentes comme pour les autres fièvres générales ou loca- lisées. Les excrétions et les sécrétions sont, d’après Hoffmann (voy. Des fonctions naturelles et animales, dans la Médecine ration- nelle), les principales fonctions du corps, celles d’où dépendent le plus immédiatement le bon état de santé et les maladies. — La nutrition est une application des sucs aux fibres, en péné- trant dans leurs pores; elle se fait aux dépens de la matiére glutineuse des aliments. Cest la partie diaphane, non la partie rouge du sang qui nourrit, car le chyle ne nourrit pas im- médiatement ; donc plus les chairs sont succulentes, plus elles nourrissent; aussi les Français, qui mangent habituellement de ces chairs, supportent-ils mieux la saignée que les autres peu- ples. — La digestion est une dissolution des aliments par Ja salive (menstrue) et par la chaleur ; d’où résulte une sorte de fermentation. Il n’est pas question du suc gastrique. — La bile bien conditionnée est un remède souverain pour les premières voies en servant à la digestion et à l’expulsion des matières excré- mentitielles ; mais c’est en même temps un poison si elle pèche par son mouvement, sa constitution ou sa quantité. Hoffmann a même écrit sur ce sujet une dissertation (1). — La perspi- ration, dont la quantité est en raison directe de la chaleur, se fait non-seulement par les pores, mais par de petits vaisseaux cachés sous la peau. — Quelle que soit la quantité d’acides qu’on ingère, jamais l’urine n’en décèle, parce que les acides se com- binent toujours dans le sang avec les alcalis pour former des sels moyens tartareux ou ammoniacaux. — Les menstrues sont expliquées par la pléthore, les lois de la mécanique et le degré de tonicité des fibres. — Le lait est un chyle et non un sang qui (1) Voy. De bile medicina et veneno corporis, 1704, HOFFMANN. — PATHOLOGIE GÉNÉRALE. 917 prend la nature du lait; il est sécrété (tout fait?) dans les glandes mamillaires. — On ne trouve rien en ce qui concerne les esprits animaux qui ne se lise dans les auteurs que nous avons déjà fait connaître. Hoffmann est d'avis que les animaux ont, comme l’homme, une âme sensitive qui transforme les sensations mécaniques en perceptions psychologiques. — Le toucher est une sensation produite par le contact des houppes nerveuses avec un objet indifférent ou douloureux. Les généralités sur la médecine auxquelles sont consacrés les prolégomènes du premier livre de la Médecine rationnelle, n'offrent ni intérêt ni originalité. La médecine est divisée en phy- siologie (qui comprend l'anatomie), hygiène, pathologie et thé- rapeutique. Hoffmann pense que l’essentiel d’une médecine rai- sonnée est de connaître la puissance et les effets des médicaments et des aliments; il s'élève, non sans raison, contre les prétendus remèdes spécifiques; il veut que toujours une solide théorie (1) (1) On lit dans la préface des Consultations (trad, Bruhier) : «Je définis l’erpé- rience en médecine une observation exacte et complète de tous les états et des chan- gements qui arrivent au corps humain, J'entends par raison une théorie solide, physique et médicinale qui enfante des vérités certaines et incontestables quand on en fait une application juste à des observations complètes, C’est cette raison qui nous fait connaître les choses qui sont propres ou non à entretenir et à rétablir la santé, et par conséquent atteindre heureusement au but de toute la médecine. Plus le champ est vaste, aussi bien que la multitude des objets qui sont avantageux ou nuisibles à la santé, plus le médecin doit s'appliquer à une étude sérieuse, afin de ne point administrer des remèdes dont il ne connaît pas certainement les effets, et ne pas risquer de faire plus de mal que de bien à la santé... Par exemple, vou- lons-nous savoir si le quinquina peut être administré sûrement ou non dans les fièvres intermittentes, nous trouverons les avis partagés sur cette question. Ceux qui soutiennent la négative et qui prouvent par plusieurs expériences que ce remède cause à ces fièvres des retours dangereux, et même des maladies plus sérieuses et souvent funestes, sont en aussi grand nombre que ceux qui en conseillent l'usage. Tel est le sort de la plupart des remèdes, et cette ambiguïté engage souvent à prendre des partis différents et contraires qui, cependant, paraissent également avoir l'expérience et la raison de leur côté. Mais quelle est la cause de ces contrariétés ? Je n’en vois pas d'autre qu’un jugement précipité et fondé sur des observations incomplètes el sur une théorie estropiée, jugement qui attribue au seul remède de bons ou de mauvais effets qui viennent souvent d’autres causes. — Voy. aussi dans Médecine rationnelle, \a Préface de la Thérapeutique. — La Dissertatio de cognos- 918 IATROMÉCANISME, — ÉCOLE ALLEMANDE. vienne au secours de la pratique (1). Passant en revue les principales doctrines, notre auteur déclare que la méthode mécanique de traiter les malades qui s'appuie principale- ment sur l'anatomie (plutôt sur une physiologie imaginaire et sur de fausses applications des connaissances anatomiques de son temps) et sur la véritable physique, a été suivie, à la grande admiration des connaisseurs et au grand avantage des malades, et que c’est la seule qui donne la connaissance des causeset four - nit les éléments d'un pronostic certain (2)! A ce propos il combat énergiquement le système de la nature inerte en soi, par soi, et soumise à un agent extérieur, Dieu, un être spécial ou l’âme. Dans le huitième et dernier chapitre de ces Prolégomènes, Hoffmann célèbre de nouveau la méthode géométrique qui conduit infailliblement à la découverte de la vérité, en posant des axiomes clairs, évidents, faciles à saisir, et à en tirer successivement et par ordre une suite de conclusions rigoureuses. Le médecin n’a rien de mieux à faire que de suivre cet exemple. — Hoffmann, pos- sédant un système qui répond à tout, ne comprend même pas qu'une pareille voie ne soit pas praticable pour un praticien. Cependant, Hoffinann lui-même, dans sa Dissertation sur la médecine et les médecins (3), s'appuyant sur le dire d'Hippo- cenda corporis human nalura ex effectu remediorum (1732) est surtout dirigée contre les empiriques, (4) Dans la Dissertation sur la médecine et les médecins (Perversa judicia, ete), il s'élève avec vivacité contre cette calomnie, qu'un bon théoricien ne peut pas être un bon praticien. Il n'est pas nécessaire de voir un si grand nombre de malades pour les bien traiter ; il suffit de posséder dans la mémoire l'expérience des siècles passés et de l’appliquer à un certain nombre de malades qu'on étudie ayee soin. — Après avoir établi (Dissert. de medicina Hippocratis mechanica, 1719) que le corps est une machine automatique, admirablement créée par Dieu, dans laquelle tous les mou- vements qui entretiennent la vie ou guérissent les maladies, viennent de causes nécessaires mécaniques émanées des lois de l’éternelle nature, Hoffmann cherche à démontrer, par des arguments plus ingénieux que solides, et par des textes rassem- blés un peu au hasard, qu'Hippocrate est le premier médecin mécanicien. Il donne l’épithete d'excellente à sa doctrine, et il le cite presque à chaque page. (2) Voy. Dissert. sur la médecine et les médecins, et le chapitre 11 de la Patho- logie générale dans la Médecine rationnelle, où il tonne contre les hypothèses. (3) IL y énumère eu très-bons termes, et parfois avec une véritable éloquence, toutes les qualités que doit revêtir un bon et honnête médecin, Il faut lire encore HOFFMANN. — PATHOLOGIE GÉNÉRALE, 919 crale, qu'il n’y aurait pas besoin de médecins si le même ré- gime convenu à toute personne saine ou malade, si l’action des remèdes élail toujours la même, montre combien varient les effets des aliments et des médicaments suivant les âges, les sexes, les tempéraments particuliers, les climats, les saisons, le genre de vie, les conditions où se trouve le canal gastro-in- teslinal, les phases diverses et mille circonstances particulières d'une même maladie chez un même malade; de sorte qu’on ne saurait admettre ni l’existence d'aucun ere spécifique, ni la nécessité d’une multitude de médicaments, mais seulement l'usage persévérant de ceux qui sont reconnus bons (1). Il ajoute qu'un bon médecin est la chose la plus rare du monde. Au milieu d’une telle mobilité dans les maladies et de si nom- breuses difficultés, comment appliquer des règles mathémati- ques, et combien les tâtonnements de Sydenham sont mieux indiqués et plus sûrs que les décisions tranchantes de Hoffmann ! la Politique du médecin, publiée par les élèves de Hoffmann d’après ses cours, et traduite dans le tome IL de la Médecine rationnelle. L'auteur y traite, d’une façon fort attachante, de la religion, de la philosophie, de étinre des exercices pratiques du médecin, de sa bibliothèque, de son genre de travail, de ses voyages, de ses vertus, de ses devoirs envers les malades, les assistants et envers lui-même, envers les chirurgiens et les apothicaires : c’est une vraie déontologie médicale que les malades ou leurs proches feront bien de lire aussi, car les uns et les autres ont également des devoirs à remplir. (4) Halier, dans sa Bibliothèque médicale, remarque que Hoffmann était grand partisan des médicaments agréables, ce qui lui rapporta autant de profit que dé renommée. Il faut peu de médicaments, disait-il (Praef. ad Medic. ration.) aveë van Helmont ; le tout est de savoir s’en servir. On n'ignore pas que Hoffmann est l'inventeur de liqueur anodine encore reçue dans nos Codex, Voyez-en la com- position dans la préface du tome VI de la traduction de la Médecine raisonnée par Bruhier. — Les anciens médecins (De praestantia remediorum domesticorum (1718) se contentaient de peu de médicaments. C’est Galien et les Arabes qui ont multiplié les formules, Les chimiatres en ont encore ajouté de plus nombreuses, Les médicaments chimiques ont surtont plus d’activité que n’en peut supporter la nature animale. Hoffmann appelle domestiques ceux qui sont connus du peuple, qui se trouvent sous la main, dans les maisons, dans les jardins, dans les prés; ceux que la nature ne refuse nulle part, Il n’y a pas besoin de médicaments étrangers. Ceux que la patrie nous offre suffisent, Hoffmann vante les expériences faites par le populaire et s'appuie sur les Ecritures et sur une foule d'autorités de même valeur. Longue énumération de tous les médicaments domestiques, 920 JATROMÉCANISME. — ÉCOLE ALLEMANDE. Dans le livre consacré à la matière et aux règles de l'hygiène, je ne vois rien qui ne se trouve partout, et qui, par conséquent, mérite de vous être signalé, si ce n’est quelques remarques sur les rapports du physique et du moral: la santé du corps est liée intimement à la santé de l’âme ; quoique l’âme ne préside pas à la vie comme premier moteur, ses troubles et ses désordres n'en ont pas moins une grande action sur les mouvements de l’or- ganisme. Hoffmann recommande très-particulièrement, en finis- sant ce livre, de fuir les médecins et les apothicaires quand on est en bonne santé ; leur ombre seule pourrait faire tomber en quelque malaise ou maladie. Ne définissez pas la maladie, avec les anciens, un change- ment de l’état naturel en un état contre nature. C’est ne rien apprendre du tout que le nom même de la maladie; suivant les principes de la mécanique, on doit dire de la maladie que c’est une altération et un dérangement notable de proportion et d'ordre dans les mouvements des solides et des liquides, mouve- ments accélérés ou retardés dans tout le corps ou dans certaines parties, lequel dérangement est accompagné d’une lésion consi- dérable des sécrétions, excrétions et autres fonctions du corps, tendant à sa conservation (1) ou à sa destruction, ou encore à créer une disposition à contracter d’autres maladies (2). En conséquence, la mort est une destruction totale de la circu- lation du sang et la complète cessation des mouvements qui se doivent faire dans les solides et les fluides; ce qui entraîne après soi la corruption et la putréfaction du corps (chap. 1, prop. 1). La physiologie est la partie de la science qui enseigne les vé- ritables causes de la vie et de la santé, c’est-à-dire des mouve- ments réguliers, en même temps qu’elle en explique la nature et l’usage. L’hygiène donne des règles sur l’usage des choses non naturelles qui entretiennent les mouvements. La pathologie a pour objet de déduire du renversement de l’ordre des mouve- (4) Voy. plus haut (p. 913) ce que j'ai déjà dit du naturisme de Hoffmann, et plus loin (p. 939 suiv.) ce que j'en rapporte à propos des fièvres. (2) Méd. ration. : Pathol. générale : de la maladie et de la mort ; chap, "1, prop. 2 et 3. 0 HOFFMANN. — PATHOLOGIE GÉNÉRALE. 921 ments les causes de la mort, des maladies et des effets de ces dernières. La thérapeutique se propose de faire rentrer dans l’ordre ces mouvements ou d’en prévenir le désordre par les moyens qu’elle indique et qu’elle emploie (1). La pathologie est une science qui décrit méthodiquement, c’est à-dire dans l’ordre et la liaison convenables, l'origine des maladies, leurs causes, leurs progrès, leur marche, leur carac- tère spécial, les raisons de leurs symptômes ou de leurs phéno- mèênes et de leur issue. Elle doit fournir des histoires complètes de ces maladies (2), de la nature et des lois des mouvements qui s’observent dans l’économie animale, et en faire l'application à la médecine pratique (prop. 2). — L'ouverture des cadavres est le complément indispensable des observations quand la maladie a une issue fatale ; c’est le seul moyen de vérifier l'exactitude du diagnostic et d’en préparer un plus certain pour lavenir (prop. 10). Comme les anciens n’avaient ni observations exactes (??), ni la connaissance de la mécanique du corps; comme ils ne savaient pas traiter géométriquement de la doctrine des maladies, il s’en- suit naturellement qu'ayant bâti sur des fondements ruineux, ils n'ont rien donné de solide dans l’art de la médecine (prop. 16 et Pathol. qén., L" partie, chap. nn). Ce qui nuit plus encore à la (1) Méd, ration. ; Prolégom. à la Pathologie générale, chap. 1, prop. 1. (2) Voy. sur la manière de recueillir ces histoires, les conseils donnés au chapitre de la Thérapeutique générale 1" section, dans la Médecine ralionnelle. On trouve dans le troisième chapitre de bonnes réflexions pour le temps sur le diagnostic absolu ou différentiel des maladies. — « Personne ne doute, je crois (Préface des Consulta- tions, trad. Bruhier), que les observations ne soient le premier fondement de notre art; mais personne ne peut disconvenir que les observations seules sont insuffi- santes. Or, à moins que le médecin n’aif un jugement bien exercé, qui puisse tirer de ces observations des vérités utiles par Le secours du raisonnement, elles ne pro- duiront que très-peu de fruit ou point du tout. Aussi rencontre-t-on quelquefois des médecins qui, après avoir pratiqué la médecine pendant cinquante années et plus, et avoir recueilli des observations sans nombre, ne s’en servent que pour en tirer des conclusions tout à fait fausses, et ont des sentiments défectueux sur Les véri- tables qualités des remèdes. Le jugement seul ne suffit pas non plus, mais il faut outre cela une théorie solide, physique, mécanique, chimique et médicinale, sans laquelle on ne peut découvrir par les observations aucunes vérités, ni expliquer les causes d'aueuns effets et d’aucuns phénomènes, » 922 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ALLEMANDE. pathologie que la méthode des anciens, c’est celle qu’on voudrait emprunter aux métaphysiciens dans la recherche des causes ca- chées (chap. 1v, prop. 4). Rien n'avance plus la connaissance des causes que la recherche sur l’action des poisons, effets si ra- pides, si décidés, si clairs (prop. 7). Les mouvements morbides (notez bien cette dixième proposition) sont amenés en partie par les causes qui produisent les mouvements naturels, en partie par les mouvements morbifiques qui attaquent les fibres motrices. Il découle de cette proposition que, selon Hoffmann, la pathologie rentre, en une certaine mesure, dans le domaine de la physio- logie : c'est presque la doctrine moderne, mise pleinement en lumière par Broussais. Je laisse de côté les différents ordres de causes et leurs nombreuses espèces. J'arrive au chapitre v qui à une plus grande importance. Il y est dit qu'à l'égard des causes morbides le corps n’est pas purement passif; 1] réagit, au contraire, et résiste. Sans cette notion, il n’y à ni patho- logie ni thérapeutique (prop. 4). Aussi faut-il qu'il y ait une proportion entre le corps et la cause, pour qu’on puisse cal- culer les effets de cette cause (prop. 2 et suiv.). Mais Hoffinann tombe dans une grave erreur et se contredit lui-même lors- qu'il prétend (prop. 4) que l'intensité des effets d’une cause est en raison directe de sa masse; il aurait dû se contenter de dire : en raison de sa faculté pénétrante, puisqu'il sait que les plus terribles poisons sont ceux dont il faut à peine quelques atomes pour ruiner l'organisme le plus solide, en attaquant les principes mêmes de tous les mouvements (1). Puis, fidèle à son système, il soutient (prop. 8) que c’est parti- culièrement sur les parties solides, motrices et nerveuses, qu'agissent les causes nuisibles; car ces parties sont principa- lement atiaquées de mouvements insolites et maladifs; c’est également en ces parties que siégent le plus souvent les ma- ladies ; parmi ces parties, il faut distinguer le tube membraneux et nerveux gaslro-intestinal (prop. 8-15) (2). Ne vous semble-t-il pas, Messieurs, entendre la voix de Brous- (1) Voy. Méd. ration. ; Pathol. gén., 2° partie, chap. 11 et suiv. (2) Cf. Differentia inter doctrinam Hofjmanni et Stahlü, $ 107 et suix., sur l’état des premières voies comme cause de la plupart des maladies. HOFFMANN. —— PATHOLOGIE GÉNÉRALE. 923 sais? Mais Hoffmann ajoute aussitôt (prop. 46) : ce qui fait que les animaux sont moins souvent malades que l’homme, c’est que l’homme a plus de cerveau et les nerfs plus tendres, plus sensibles que les animaux ! Les maladies longues ou chroniques sont produites ordinaire- ment par la séagnation du sang, en raison de latonie des vais- seaux et par les états spasmodiques; les maladies aiguës sont le résultat de stases inflammatoires dans les viscères, de lésion des parties nerveuses, enfin de l'irritation produite par une matière âcre qui s'attache aux parties sensibles. Dans la dissertation De putredinis doctrina, ejusque amplis- simo in medicinausu (1722. Voy. aussi De usu camphorae, 1714; De maliqn. natura in morbis acut., 1699), Hoffmann, après avoir célébré les services que l'anatomie, la physique et la chimie ren- dent à la médecine, cherche à démontrer que la putridité et la fer- mentalion sont dues à un mouvement intestin des humeurs et à l'afflux excessif d’une matière agitée et très-chaude ; mais la putri- dité dégage un esprit urineux volatil, et la fermentation un esprit sulfureux inflammable. En conséquence il prescrit, pour préve- nir ou pour guérir la putridité, des substances qui agissent à l'instar de lesprit-de-vin et des balsamiques, lesquelles ont la propriété de conserver les corps et de déshumecter, sinon de dessécher entièrement ies parlies, et aussi, en combattant la pléthore et la diffluence, de donner au sang ce mouvement uni- forme qui est le baume le plus exquis contre la corruption. Les principales maladies par putridité sont la peste et les fièvres pé- téchiales, la fièvre hectique, ie scorbut. Les maladies inflamma- toires deviennent aussi pulrides quand elles se terminent par la mort, ainsi qu'on le constate au moyen des autopsies. La théorie des maladiés continues et intermittentes est tout à fait digne d’être mise à côté de celle des autres médecins mécaniciens (chap. vi, prop. 4) : les maladies continues tien- nent à des causes fixes, fortement adhérentes au genre ner- veux, où elles entretiennent un spasme universel et permanent. Si les causes nuisibles sont peu éloignées des parties qui pré- sident aux mouvements vitaux, si elles résident dans les pre- mères voies ou dans les canaux excréteurs, alors il y à inter- 924 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ALLEMANDE. mission, relâche dans les spasmes pendant plusieurs heures ou plusieurs jours. Je passe toutes les autres distinctions des mala- dies, bénignes ou malignes; épidémiques ou sporadiques ; con- tagieuses ou non; régulières ou non; sujettes à rechutes, ou se terminant pour ne plus revenir; simples ou compliquées, héré- ditaires ou accidentelles; en rapport ou non avec les âges, les saisons, elc.; salutaires ou pernicieuses ; rares ou communes. Dans les dix chapitres de la seconde partie de la Pathologie générale, Hoffmann traite des effets des passions de l'âme, des poisons et des médicaments qui agissent comme poisons (1). Ces chapitres, fort intéressants sans doute, quoique déjà bien vieillis, échappent à l’analyse, car les détails y abondent et les proposi- tions générales v sont rares. — On doit seulement remarquer que Hoffmann manifeste ici d’une façon très-particulière son aversion pour tous les médicaments qu’il range dans la classe des poisons, surtout pour les préparations antimoniales ou mer- curielles, auxquelles il atiribue des effets qui ne peuvent tenir qu’à une détestable préparation ou à une administration intem- pestive. Et qui sait? peut-être ces effets sont-ils purement ima- ginaires, Hoffmann ayant besoin d'y croire pour donner satis- faction à ses préjugés théoriques. Dans la troisième partie de la Pathologie yénérale de sa Méde- cine rationnelle, notre auteur traite de la naissance des maladies par suite de la faiblesse des parties du corps (2), de la qualité ou de la quantité des aliments et des boissons, du défaut dans (1) I y en a de plusieurs sortes : ceux qui viennent du dehors et sont ingérés par la bouche ou entrant dans le corps par quelque piqüre ou morsure ; les fer- ments maladifs introduits dans l’organisme par l'air ; des émanations pestilentielles mal distinguées de la seconde classe ; les uns agissent épidémiquement, les autres individuellement. — Il y a des poisons fermentatifs, putrides, àcres ou caustiques. (2) Hoffmann reconnait (chap. 1) la force du tempérament à l’ampleur des vais- seaux et du cœur, à la rapidité de la circulation, à une grosse tête, à la résistance des forces. Il soutient que ces tempéraments-là sont rarement malades, Proposition beaucoup trop absolue; car la bonne santé, uniforme, permanente, ne concorde généralement pas avec cette espèce de constitution athlétique que vante l'illustre professeur de Leyde.—Voy. aussi le chap. 1x où Hoffmann déduit de ces principes les règles à suivre pour conserver au corps cette généreuse attitude, HOFFMANN. — PATHOLOGIE GÉNÉRALE, 925 les sécrétions, source principale des maladies. Les maladies épi- démiques sont rattachées surtout aux obstacles que Pair met à la liberté de la transpiration. Il v a deux espèces d’air (chap. vn): l'air extérieur, et l'air qui est logé dans toutes les humeurs du corps et qui y pénètre par les aliments, par la respiration ; c’est l'air intérieur, élastique, subtil, qui donne l’aisance à tous les mouvements (voy. plus haut, p. 915); il est en opposition avec l'air extérieur, qui lui, au contraire, comprime le corps de la circonférence au centre et s'oppose à la trop grande dissipation des particules à travers les pores. Or, quand l’exacte harmonie est rompue, toute l’économie est troublée; de là une multitude de maladies qui deviennent générales si Pair extérieur, en raison de causes cosmiques, ayant perdu ses qualités naturell>s ou ses mouvements réguliers, trouble les sécrétions et les excrélions. La rétention momentanée ou la suppression complète des excrétions naturelles ou accidentelles, mais devenues une habi- tude, causent les plus graves et les plus nombreuses maladies. Hoffmann insiste sur les suppressions de la sueur, des menstrues, du flux hémorrhoïdal. A ces sources de maladies il faut encore ajouter : la faiblesse congénitale ou acquise qui toutes deux se reconnaissent à la lenteur et au peu d'intensité de tous les mou- vements. La faiblesse s’acquiert surtout par les longues maladies ou par de violentes hémorrhagies ; alors ces maladies donnent naissance à d’autres états pathologiques : par exemple l'asthme produit dés enflures ; les flux de ventre, la consomption; la fièvre quarte, l'hydropisie; la pleurésie, l’empyème; les calculs des reins, le vomissement, l’ictère, les coliques et les calculs de la vessie, ete., etc. Il est bien évident, par cette seule énumération, que Hoffmann a confondu avec de vraies maladies, surajoutées à d’autres, soit des complications naturelles, soit les symptômes les plus immédiats, les plus constants d’une affection. Quant aux calculs de Ja vessie, on sait bien aussi qu’ils ne sont pas une conséquence de ceux des reins. Dans le chapitre des #étastases ou des dépôts (nuisibles ou salutaires), notre auteur est plus maître de son sujet; il a vu les choses à la fois par les yeux d'Hippocrate et par les siens propres; généralement il les a bien vues. EE 1 ji 926 JATROMÉCANISME, — ÉCOLE ALLEMANDE. Voiei maintenant, pour terminer cette partie, qui forme la derniére section de la Pathologie générale, le sentiment de Hoff- mann sur le pouls, sur le sang, sur les urines et sur les crises (Thérap., sect. F°, ch. 12-15). « Laissant toutes les imaginations galéniques à ceux qui les idolâtrent, j'ai dessein de traiter cette matière et de caractériser les différences du pouls suivant les idées et les lois de la méca- nique, afin de montrer clairement combien dans la nature il. y a peu d’espèces de pouls, quelle est leur cause, et de quelle utilité est leur connaissance exacte dans la pratique de la médecine. Or, comme on ne connait en mécanique que deux espèces de mou- vements génériques, le grand et le vite, à qui le petit et le lent sont opposés, Je ne distingue aussi que deux espèces de pouls, le pouls grand et le pouls vite, et leurs opposés, le petit et le lent. La grandeur et la petitesse, en fait de mouvement, regardent le volume du corps qui est mü, lequel est grand ou petit, et la vi- - tesse el la lenteur se rapportent à l’espace que le corps mû par- court dans un temps plus long ou plus court. J’appelle donc pouls grand une graude dilatation et un gonflement de l’ar- tère, causés par l'entrée d’une grande quantité de sang qu'y pousse la contraction du cœur; et j'appelle au contraire pouls petit une petie dilatation de l'artère, correspondant à la petite quantité de sang qui y est poussée. Je donne le nom de pouls vite lorsque la dilatation de l'artère se fait dans un court espace, et de pouls lent lorsque cet espace est plus long. Ces espèces de mouvements primitifs diversement combinés donnent deux sous- divisions, qui sont le mouvement fort et le faible. La vitesse et la grandeur réunies font le mouvement fort ; la petitesse et la lenteur font le faible; et ces deux sous-divisions des mouve- ments ont aussi lieu en fait de pouls. — Quant à la fréquence et à la rareté du pouls, à l'égalité ou l'inégalité, ce ne sont point des affections essentielles du mouvement, car elles ne se rappor- tent point à chaque pulsation en particulier, et n’ont d’applica- tion qu’à la suite et à la succession des pulsations. » Hoffmann a lant d'idées préconçues en faveur des solides, il a fait si peu d’études sérieuses sur le sang, qu'il pense (chap. xt, $ 8) que de l'examen de ce liquide on ne peut ordinairement tirer | HOFFMANN. — PATHOLOGIE GÉNÉRALE. 997 que des signes trompeurs ou incertains, car la plupart des ma- ladies ne viennent pas de lui, et la saignée abrége plutôt qu’elle ne guérit la maladie. Il use communément d’un procédé particulier lorsqu'il veut examiner le sang. Soit qu'on le tire du pied ou du bras, il en fait couler une partie dans une pa- lette, et une autre dans l’eau. Celui qui est dans la palette sert à faire connaître la quantité de sérosité et de la partie coagulable du sang ; on peut même en examiner la nature en y mêlant dif- férentes liqueurs chimiques (voy. plus haut, p. 856, note 1). On voit alors avee quelle promptitude il se coagule par le mélange des esprits acides, de l'esprit de nitre, ou de vitriol, quelle consistance lui donne une forte décoction d’écorce de quin- quina. Les liqueurs alcalines fixes et volatiles fluidifient et augmentent beaucoup sa couleur vermeille ; le mélange de l’eau- forte teint la sérosité d’une couleur laiteuse, et la partie rouge d’une couleur grise. Il a souvent éprouvé ce que fait au sang le mélange d’une solution de nitre, ou de sel réduit en poudre, et il a toujours trouvé qu'il le rendait plus fluide et plus ver- meil, de sorte qu’on ne peut assez s'étonner du paradoxe avancé dans les écrits de médecins très-célébres qui font les plus magnifiques éloges de la vertu du nitre dans les maladies, soutenant que le nitre épaissit et coagule le sang. — La par- tie du sang que l’on tire dans l’eau révèle les différentes sub- stances dont le sang et la sérosité sont composés. Car Ja partie sulfureuse, d’où dépend la couleur, rougit l’eau, et d’après la plus ou moins grande force de cette teinture, on peut juger de la quantité de soufre plus ou moins épais. Il faut cepen- dant remarquer que plus longtemps l'eau teinte de sang reste exposée à l'air libre, plus sa couleur devient brune et foncée. On voit encore par ce moyen les parties nourricières chyleuses, qui se précipitent ordinairement au fond, où on les trouve en manière de flocons, et souvent une si grande quantité de matière gélati- neuse, qu’on peut la prendre à la main. C’est ce que Hoffmann a fréquemment remarqué dans le sang des pléthoriques d’un tem- pérament sanguin, surtout dans les personnes du sexe qui ont l'habitude du corps spongieuse ; auquel cas Pexercice, la fruga- lité et la sobriété, surtout au souper, leur font grand bien. On 0928 JAÏROMÉCANISME. —- ÉCOLE ALLEMANDE. peut aussi voir par ce moyen si le sang est fibreux, c’est-à-dire s’il est rempli de beaucoup de filets et comme de fibres char- nues qui se rassemblent et nagent éparses sur la superficie. Cetle qualité du sang fibreux s’observe particulièrement dans l'épilep- sie, les palpitations de cœur, et la difficulté de respirer accom- pagnée d’inquiétudes. C’est un signe certain qu’il existe un po- lype ou qu’il ne tardera pas à s’en former un. Quant à l’urine, je me borne à rapporter quelques remarques spéciales; le reste appartient à la médecine traditionnelle ou se rapporte à de grossières expériences faites en vue de recon- naître les matières qui composent l'urine: « Bien qu’on pense communément, en conséquence des cal- culs, et du sentiment de Sanctorius, que la matière qui sort con- tinuellement par le couloir de la peau surpasse en quantité celle de toutes les autres excrélions, et que je ne doute pas qu'il en soit ainsi dans l'Italie et d’autres pays chauds, j'ai trouvé par un examen exact que j'ai fait, qu’il n’en est pas de même dans nos pays septentrionaux et froids; et ma remarque est conforme à celle de Keill, qui a fait pour ce sujet nombre d’expériences, dont il résulte que l’urine pendant un jour, ou dans l’espace de vingt-quatre heures, monte à deux livres et près de six onces; que la transpiration dans le même temps n’est que de trente et une onces, et que le poids des excréments grossiers n’est, dans le même espace de temps, que d'environ cinq onces. — J'ai voulu m'instruire par moi-même de la vérité. Pour y parvenir j'ai fait des expériences sur moi. En voici le résultat fidèle qui, je crois, ne sera pointinutile au lecteur. Je n’ai pris pendant quinze jours aucun aliment, solide ou liquide, que je n’aiepesé. J'en ai fait de même de l'urine que j'ai rendue. Voici le détail de ma vie pendant ce temps. Je buvais chaque jour deux mesures de bière légère qui pesaient au moins quatre livres poids de mare, dont chaque livre, au rapport de mon hydromètre, renfermait cinq gros et demi de matière solide. Je prenais le matin cinq tasses de café dont chacune pesait deux onces, ce qui fait dix onces pour le tout. Le bouillon que je prenais au diner et au souper montait aux environs de dix onces ; ajoutez au diner cinq onces de vin de Hongrie, et environ six onces de liquides mêlés avec les HOFFMANN. — THÉRAPEUTIQUE GÉNÉRALE. 929 aliments solides qu'on me servait: il s'ensuit que je prenais chaque jour au moins six livres de liqueurs. Rarement les ali- ments solides, comme le pain, la viande, les ragoûts, excédaient une livre. L’urine que je rendais pendant que je suivais ce régime, tant pendant la nuit que pendant le jour, a toujours été aux en- virons de quatre livres, c’est-à-dire quelquefois trois onces de plus ou de moins. A l’œil les excréments grossiers ne passaient pas huit onces. Déduisant le total, qui est environ quatre livres douze onces, des sept livres d'aliments que je prenais, il résulte que, comme je ne devenais pas plus pesant pendant ce temps-là, il sortait deux livres quatre onces, ou environ, par les pores de la peau, la respiration, la mucosité des narines et du gosier et la salive. — C'était au mois de décembre que je faisais ces expé- riences en gardant la maison. Je les ai continuées pendant quel- ques semaines. Je gardai le même régime et conservais la même agilité du corps, et le résultat de mes expériences a été presque le même chaque jour. » Sur les crises Hoffmann professe à peu près les mêmes doc- tines qu'Hippocrate et Galien ; seulement, s’il croit fermement aux crises, 1l est moins affirmatif en ce qui concerne les jours cri- liques. Il est temps, Messieurs, d'arriver à la thérapeutique géné- rale (1), dont tous les préceptes sont rigoureusement déduits des (4) Hoffmann à écrit plusieurs dissertations spéciales sur les remèdes en général (De modo operandi remediorum physico-mechanica (1718); — De differenti me- dicamentorum operatione secundum diversam corporis humant idiosyncrasiam, 1721) et sur leurs diverses classes (évacuants, 1698; altérants, 1698 ; purgatifs, 1696); sur l'usage convenable ou intempestif des médicaments sédatifs (1724) ; sur les Aémostatiques (1698); les anthelminthiques (4698) ; les antiodontalgiques (1698); enfin sur quelques médicaments en particulier, — La plupart de ces dissertations sont résumées dans la Médecine rationnelle ; mais elles méritent d’être lues pour les nombreux renseignements historiques qu’on y rencontre. — Dans la disserta- tion De vesicantium et fonticulorum circumspecto usu in medicina (1727), Hofr- mann se montre partisan des cautères plus que des vésicatoires. IL donne l’histo- rique des débats qui ont eu lieu successivement, sur l'emploi des vésicatoires, entre Hercules de Saxonia, Freind, M.-A. Severinus, Septalius (pour), Alexander Mas- saria (contre), Baglivi, ce dernier professe à peu près les mêmes sentiments que Hoffmann, — Notre auteur repousse les vésicatoires dans les affections très- DAREMBERG. 59 930 JIATROMÉCANISME, — ÉCOLE ALLEMANDE. prémisses que nous venons de passer en revue. Hoffmann se pro- pose, entre autres choses, de mettre à néant toutes les explications hypothétiques sur les effets des médicaments; de juger en der- nier ressort les opinions contradictoires qui avaient eu cours ou qui régnaient encore de son temps sur l’action thérapeutique ou nuisible de certains médicaments; de dévoiler les mensonges que médecins et apothicaires répétaient à lenvi sur les merveilleux résultats d’un grand nombre de formules fastueuses (1); enfin de donner des règles plus fixes pour la préparation et le mode d'emploi des médicaments; car il n’y a pas de science où l'on soit plus sujet à se tromper que la médecine. Mais ce sont là, ajoute-t-il modestement, des services qu’on ne doit attendre que des médecins indépendants qui ne jurent pas sur la parole du maître; etil y en a peu de cette espèce ; aussi n’adresse-t-il son ouvrage qu'aux hommes savants, curieux d'apprendre et d'enseigner quelque chose de solide. Quant à lui, s’il a écrit quelque chose de bon, il en apporte le mérite au souverain Auteur de toutes grâces. (Préface de la Thérapeutique.) Le premier chapitre est consacré à démontrer les relations intimes qui existent entre la physiologie, la pathologie (bien en- tendu la physiologie et la pathologie de Hoffmann) et la thérapeu- tique (2). Si l’on ne connaît pas le mécanisme du corps, et si l’on aiguës, tres-fébriles, dans la pléthore ; ils agissent nou par le liquide qu'ils souti- rent, mais par la stimulation qu'ils produisent. Il note qu'après la découverte de la circulation on les avait à peu près abandonnés. — Les fonticules sont fort utiles comme émonctoires factices, dans les affections du cerveau, des yeux, de la bouche et quand il y a des humeurs extrayasées ou trop adhérentes à un point limité du corps. — Du reste il faut toujours user de précautions, car on peut faire à ces moyens de traitement le même reproche qu'aux remèdes chimiques, d’être plus actifs, plus excitants qu'il ne convient à la nature humaine. — Voy. aussi De pur- gantibus selectis et minus cognitis (1704) : teinture de Mars avec le tamarin, divers sels, décoctions végétales, etc. ; De remeciorum evacuantium mechanica operandi ratione (1698); De medic. insecuris et infidis, 1713. (1) On peut voir dans le chap. n de la II section de la Thérapeutique générale les causes pour lesquelles on ignore généralement les véritables propriétés des médicaments. (2) Dans De cognoscenda corporis kumani natura ex effectu remediorum (1732) (voy. plus haut, p. 917, note 4, à la fin), il est dit qu'il est possible de sayoir par les effets qu'ont produits les médicaments pris antérieurement quelle est la consti- HOFFMANN. — THÉRAPEUTIQUE GÉNÉRALE. 931 ignore de quelle façon le désordre de cette machine engendre les maladies, il sera impossible de les bien traiter et de les guérir. Ce qui suit n’est guère qu’une simple répétition ou qu’un déve- lopyement parfois três-prolixe de ce qui a été rapporté ci-dessus touchant la cause première des maladies, e’est-à-dire le trouble des mouvements vitaux. Le quatrième chapitre est spéciale ment employé à cette démonstration, que les diverses espèces de maladies proviennent de l’atonie ou du spasme, en d’autres termes d’une surexcilation avec extrême tension, et que cette origine des maladies tient à la correspondance, ou à la sympa- thie des diverses parties nerveuses, comme les rouages se corres- pondent dans une machine ; c’est la théorie de Baglivi sous une autre forme. Si tout est vaisseau dans notre corps, tout est fibre dans les vaisseaux ; de là tension etrelächement, ondulation, os- cillation; de là encore la communication presque instantanée à tout le système par l'impression reçue dans une partie, car les ma- tières du plus petit volume, par exemple les poisons, peuvent exci- ter une grande agitation, une épouvantable commotion dans les nerfs (1) ; de là, enfin, la nécessité d’avoir une idée exacte de la distribution des cordons nerveux. Cela dit, Hoffmann passe en revue les sympathies des divers organes, et principalement de l'estomac, avec les parties nerveuses, surtoul avec la tête (2). Il cite à l'appui, pour cet organe et pour les autres, des observa- tions qui sont loin de prouver ce qu’il avance. On doit aussi soi- gneusement, dans la pratique, distinguer les affections primitives de celles qui sont secondaires ou sympathiques (chap. v). Comme les autres latromécaniciens, Hoffmann (chap. vr) fait dépendre en grande partie les altérations des liquides de désor- dres dans les solides. Ainsi l’émotion des vaisseaux et l’aecéléra- tution naturelle des corps, par exemple si un médicament purgatif ou émétique a rencontré des fibres molles et qui ne résistent pas, ou des fibres fermes et qui se cabrent. C'est un traité où les raisonnements sont très-enchevêtrés et où se mêlen des remarques d'ordre fort différent sur l'effet des remèdes par rapport aux âges, aux sexes, aux idiosynerasies et aux causes des maladies. (4) Voy. plus haut, p. 922. L'auteur pense aussi que les blessures des nerfs ue sont pas moins terribles que les blessures des tendons. (2) Voy. aussi la curieuse dissertalion De tnflammatiane ventriculi, 1706; et De duodeno multorum morborum sede, 1708; c’est presque du Van Helmont, 932 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ALLEMANDE, tion du mouvement du sang dans la fièvre opère des changements considérables dans la température, le mélange et la texture du sang, qui devient salé, sulfureux, bilieux, et finit par dégénérer en excréments. De là des sueurs et des urines salées; l’évapora- tion des parties spiritueuses volatiles du sang, l'épuisement de sa partie glutineuse, d’où dépendent le calme et l’aisance des fonctions, enfin son complet appauvrissement. Ce seul exemple suffit pour faire présumer quelles seront les conséquences théra- peutiques d’un pareil système. Le quinquina agit en apaisant l'ardeur du sang, et les eaux minérales purgent les viscères de toutes les humeurs impures que le mouvement fébrile y a accu- mulées. Il est donc bien important de reconnaitre promptement où se portent les humeurs pour diriger le remède vers le foyer de corruption. La recherche des signes spéciaux des divers siéges de cette corruption, ou sphacèle, ou abcès, ou puru- lence, ou tumeurs, fait l'objet du chapitre septième, qui certes n’est pas un des meilleurs du livre. L'étude des causes de la mort dans les diverses maladies (chap. vur et 1x) offre un peu plus d'intérêt, mais elle se rapporte trop directement à la pathologie spéciale pour que je m'en occupe ici. Revenant encore à la nature médicatrice (1), en laquelle il n’a pastoujours une foi absolue (voy. p.909, note 2), Hoffmannaflirme que les paysans guérissent mieux et plus vite de toutes maladies aiguës ou pestilentielles, sans médecine, que les citadins avec les secours de l’art, et qu'ils ont moins de maladies chroniques. L'erreur était encore plus grande qu’elle ne le serait de nos jours, du temps de Hoffmann, où les paysans avaient une plus détes- table hygiène et plus de préjugés ou de superstitions qu’ils n’en ont aujourd hui. Quoi qu'il en soit, il déclare que cette nature n’est pas un être surajoulé en nous ou considéré en dehors de nous, mais le mouvement propre à tout corps organisé, mou- vement progressif qui reconstitue et élimine en même temps (2) ; en cela il se rapproche un peu plus de la vérité, car il est certain (1) Méd. raisonnée; Thérapeutique gén., 2 section, chap. 1. (2) Voy. plus haut, p. 915. — Voy. aussi les $ 6, 15, 20, 185-187, de Drffes ia inter doctrinam Hoffmanni et Stahlii. HOFFMANN. — THÉRAPEUTIQUE GÉNÉRALE, 933 qu'il y a dans le corps des mouvements pathologiques (lesquels ne sont qu'un écart des mouvements physiologiques) qui peu- vent, en certaines circonstances, devenir salutaires. Pour notre auteur, ces mouvements curatifs sont des mouvements spasmo- diques qui emportent le mal en débarrassant les canaux, en poussant aux excrétions et sécrétions et en adoucissant l’âcreté ; quand ces mouvements ou ne suffisent pas ou se font en mau- vais sens, le médecin doit leur venir en aide ou les corriger. Il y à aussi des maladies qui en guérissent d’autres, comme la fièvre pour les convulsions; mais il est difficile d'admettre que la fièvre intermittente se guérisse par elle-même, en ce sens que plus le mouvement fébrile est vif et répété, plus il est capable de dégager les viscères, dont l’obstruction est la cause première de cette espèce de fièvre. Il est impossible d'imaginer rien de plus systématique et de plus contraire, je ne dis pas seulement à l’ob- servation, mais au bon sens. Toutefois, Hoffmann reconnait que la nature est très-souvent insuflisante, d’abord parce que les mouvements n’ont pas tou- jours assez de force pour chasser le mal; en second lieu, et sur- tout, parce que ce mouvement (qui cependant peut changer les humeurs saines en humeurs viciées, — voy. p. 923) n’est pas capable de rendre aux humeurs leurs qualités normales! Donc le médecin doit venir au secours de la nature; et pour la diriger dans ses opérations, Hoffmann établit quatorze lois, dont plu- sieurs viennent d Hippocrate. Je transceris les principales : On doit observer avec toute l'exactitude et l'attention possibles, dans toutes les maladies, l’ordre et la succession de tous les efforts et mouvements que produit la nature, et même les temps où elle entreprend et achève d'elle-même la cure à l'avantage des malades. Quoiqu'il importe de s’opposer de bonne heure aux maladies, on ne doit jamais rien brusquer ni tenter d’évacuations avant que la matière soit propre à l’excrétion, et que les voies par lesquelles elle doit sortir soient ouvertes. — Il faut abandonner les remèdes qui remuent fortement, ou évacuent les humeurs lorsque l'accès est dans sa force et quand la nature les met en mouvement; et recourir plutôt à ceux qui calment les mouvements excessifs UM 934 IATROMÉCANISME. -— ÉCOLE ALLEMANDE. ou les modèrent.— On évitera avec le plus grand soin l’usage des médicaments anodins et des sédatifs, lorsque les mouvements sont déjà languissants; il convient bien mieux d'employer les remèdes qui rétablissent les forces et qui raniment les mouve- ments. = Le médecin emploiera les fortifiants, à la fin de la maladie ou de l'accès, pour empêcher la rechute ou une maladie nouvelle. — Les personnes faibles se trouvent bien dés choses faibles et les forts des fortes. — Préférer les remêdes simples à ceux qui sont composés. — On se gardera des fréquents chan- gements dé remèdes, et l’on persistera dans l’usage dé ceux qui sont sûrs et éprouvés, bien qu'on n’en sente pas de soulagement sur-le-champ. A propos des vertus des médicaments, Hoffmann (chap. 1) émet une opinion qui mérite d’être rapportée et d’être méditée, car elle est encore à l’ordre du jour, sous une autre forme, parmi les médecins modernes : Une des causes de l'ignorance des vraies propriétés des médicaments est sans contredit l'erreur où l’on est communément, non-seulement parmi le peuple, mais même parmi les médecins qui se piquent d'habileté, que les effets nuisibles ou salutaires que les médicaments produisent ré- sultent nécessairement de l'essence de ces mêmes médicaments. Toutes les propriétés de tous les corps dont l'univers est composé ne sont-point du tout absolues, mais purement relatives, condi- tionnelles, et dépendantes de certains rapports et circonstances. Tous les effets, toutes les opérations qui se font dans le corps inal disposé n’ont point d'autre cause que le mouvement. Or, la physique et la mécanique apprennent que le mouvement ne vient pas d’un corps Seul, d’un corps simple, mais qu'il résulte du choc et de la réaction d’au moins deux, et que la force motrice d’un corps reçoit des modifications étonnantes de la réaction d’un autre ; par conséquent, on ne peut dire d'aucun inédicament en parliculier qu'il produise un certain effét, c'est-à-dire une cer- taine espèce de mouvement salutaire, dans un plus haut ou dans un moindre degré, bien que ce médicament ait en soi-meéme une force capable de produire quelque opération. D'où lon conclut avec raison qu'il en est des médicaments comme de: corps, qui HOFFMANN, — THÉRAPEUTIQUE GÉNÉRALE. 935 agissent moins selon étendue de leur sphère d'activité que selon la manière dont leur action ést reçue, ét que lopération des médicaments doit être rapportéé non-seulement aux causes des maladies, mais à la disposition très-variéé des sujets, combinai- sons dont la connaissance est Si nécéssaire, que sans elle toute üpération médicinale est éntièrément incertaine. Il est vrai que cette connaissance exacte des circonstances rénd la pratique de la médecine difficile et conjecturale en partie, c’est pourtant ce qui distingue une pratique raisonnée de l’empirisme. Quoique la connaissance de la chimié, ajoute Hoffmann, ait fort avancé la connaissance des effets des médicaments, il est certain cependant qu'on les connaît encore beaucoup mieux par une longue et judicieuse expérience. Mais alors que devient l'im- périeuse nécessité dé là théorie ? Pour Hoffmann, commié pour Cullen, pour Brown, même pour Broussais, la thérapeutique se réduit à une sorte de dichoto- mie. Ainsi, puisque pour toutes les maladies, il y a vice dans le mouvenrent ou dans la matière qui est mise én mouvement, ou dans celle qui y dispose; puisque le mouvément n’est vicieux que s’il est trop violent ou trop faible dans tout le corps, ou seule- ment dans une de ses parties; puisqu’enfin la matière ne pèche qu’en quantité ou en qualité, l'effet de tous les remèdes en gé- néral consiste à corriger les vices du mouvement ou de la ma- tière. Les altérants (4) sont destinés à corrigér les qualités vi- cieuses de la matière ; les évacuants font sortir le superflu; les forufiants donnent du mouvement aux parties qui sont dans latonie, ou le raniment dans celles où il n’est qu’affaibli; les calmants rabattent ou diminuent ce même mouvement quand il est excessif ct que les parties sont attaquées de contrac- lions spasmodiques. « Voilà done quatre classes générales aux- quelles peuvent se rapporter très-aisément tous les médicaments (1) Les ältérants qui Sont propres à absorber ou à émousser l’acide sé nomment absorbants ; les tempérants servent à calmer et réprimer le bouillonnement des liqueurs et l’intempérie bilieusé ; les #cisifs divisent et dissolvent celles qui sont visqueuses et épaisses ; et les adoutissants enveléppént ét neutralisent l’acrimonie brûlante et corrosive. — Les autres classes dé médicaments sont subdivisées d’après la mére méthode, par exemple les évacdants en émétiques, vomitifs, sialagogues, sudorifiques, à peu près comme dans Boerhaave. 936 IATROMÉCANISME, :— ÉCOLE ALLEMANDE, que la Providence a fait naître pour le soulagement des hommes ; et toutes les opérations du médecin pour procurer la santé peu- vent aisément s’exécuter par ces différents moyens; ce qui fait bien voir qu'Hippocrate a très-bien et mécaniquement défini la médecine quand il a dit [Des airs, $ 1. Voy. Nat. de l’homme, S 9; Du régime, 1, 2] : c’est l’art d’ôter et d'ajouter ; d'ôter ce qui est superflu et d'ajouter ce qui manque; et que celui qui est en état de bien faire ces deux fonctions mérite le titre d’ex- cellent médecin. » (Thérap., I, 4.) Les médicaments agissent immédiatement, soit sur les fluides (altérants et évacuants), soit sur les solides (fortifiants et cal- mants). Les médicaments agissent de diverses manières, suivant l'espèce des fluides ou des liquides auxquels ils ont affaire. Quant aux spécifiques (chap. vi), Hoffmann n'appelle pas spécifiques, avec le commun des médecins, des remèdes qui produisent sérement et infailliblement un effet salutaire dans certaines maladies et dans tous les sujets, remèdes en un mot qui ne trompent jamais les espérances des médecins ; il n’y en a pas de tels dans la nature, car ces médicaments ne contiennent point /or- mellement les opérations etles effets, qui ne font que paraître dans le temps où on les met en œuvre. Ces effets résultent de l’activité du médicament et de la réaction du corps ; les remèdes opèrent si peu en vertu de leur énergie absolue, et si bien relativement aux dispositions des sujets, que si l’on donne le même remède à dix personnes attaquées de la même maladie, ses effets seront diffé- rents dans chacun de ces sujets. (Voy. plus haut, p. 934-935.) — Les vrais spécifiques sont les médicaments dont la vertu est telle, qu'ils sont plus avantageux et plus efficaces que d’autres contre certaines maladies déterminées (1). — « C’est ce qui fait donner avec raison au quinquina le nom de spécifique pour arrêter les accès de fièvres intermittentes, à l’opium pour calmer les dou- leurs, aux mercuriels pour guérir les maladies vénériennes (2). (4) Voy. Specifica quorumdam medicamentorum efficacia (1727); De specificis antispasmodicis (1704); De purgantibus specificis (1696); enfin, De medicamentis Specificis eorumque operandi modo (1694). (2) C'est d'une façon moins rationnelle que Sydenham (voy. plus haut, p. 719, note 2) considérait les spécifiques. HOFFMANN. — THÉRAPEUTIQUE GÉNÉRALE. 937 Il yen a qui portent le même nom parce qu'ils sont plus amis que d’autres des parties que la maladie attaque et qu'ils leur font principalement ressentir leur opération. Les parties nerveuses et membraneuses, et les nerfs, se trouvent très-bien des remèdes empreints d'une huile subtile aromatique de bonne odeur, et mal des narcotiques, des remèdes lirés du pavot et des astrin- gents. L’estomac est réjoui par les acides, dont l’action réveille l'appétit et aide la digestion ; mais les acides sont contraires aux bronches des poumons et leur causent des irritations. » Laissant de cêté ce qui regarde l'usage médicinal des bains généraux ou partiels, de l’eau froide (1), des exercices, de labsti- nence, et de l’usage habituel de l'eau en boisson, remèdes très- familiers à Hoffmann, et de l’action desquels il est facile de se rendre compte quand on connait son système, je terminerai l'exposé de ce système en résumant quelques-uns des apho- rismes de notre auteur sur la saignée (ch. x1). Il n’y a point de secours pluse fficace ni plus prompt pour pré- venir el surtout pour guérir beaucoup de maladies aiguës (sur- tout les fièvres continues et aiguës, et même les fièvres exanthé- maliques, sans en excepter la fièvre pétéchiale) et chroniques que la saignée bien appliquée ou faite avec prudence (2). Comme la plénitude du sang demande son évacuation, son défaut et celui des forces l’interdit absolument. — La saignée est souvent très-utile aux vieillards pléthoriques, et même contribue à prolonger leurs jours. — La saignée n’est point sans danger dans les accès ou redoublements des fièvres, mais on la pratique avec succès dans le temps de l’intermission. — Bien que l'ouverture des veines de la tête, par exemple de celles du front, de celles qui rampent der- rière les oreilles, des jugulaires externes, de celles qui sont sous la langue, ait une grande efficacité dans certaines maladies de la tête, comme l’expérience en fait foi, il ne faut point s’imaginer que ces saignées conviennent toujours et à tous les sujets ; aussi (4) Voy. De aqua medicina universali (1712). (2) Hoffman a publié quelques dissertations spéciales sur l'utilité ou les dangers de la saignée. — Voy. particulièrement De magno venae sectionis ad vilam sanam et longam remedio (AT); et De venaesectione prudenter administranda (4723). 938 IATHOMÉCANISME. —— ÉCOLE ALLEMANDE. faut-il particulièrement lés réjeter, où du moins lés faire précé- der par une saignée, soit du bras, soit du pied, si le Sang était poussé trop violemment vers la tête par quelqué mouvement spasmodique. La Saisnée produit trois effets excellents : l’évacuation, la révulsion et la dérivation; faite mal à propos, elle cause souvent les rhumatismés, les catarrhés, les rhumes de cerveau, la toux ; quand, au contraire, elle est faite à propos, elle les prévient mer- veilleusement. L’évacuation de sang au moyen des sangsues peut être salu- taire ; mais il ÿ à de bonnes raisons pour douter qu’elle soit plus avantageuse que celle que procurent leS scarifications, moyen excellent pour tirer le sang peu à peu, à différentes reprises. Hoffmann se montre peu partisan de l’application des sangsues à l'anus, contre la suppression du flux hémorrhoïdal et contre les maladies que cause cette suppression (L). La Pathologie spéciale de la Médecine rationnelle n’ést qu’une application aux maladies particulières des principes que je viens d'exposer. — Ici Hoffmann, éxcépté pour la fièvre, décrit plu- tôt qu'il n’explique, et il donne à l’appui de ses descriptions et des moyens de traitement employés un tês-grand nombre d'im- portantes observations. = La fièvre est un état spasmodique de tout le genre nérveux (2), quelquefois salutaire. Il y a deux mouvements dans la fièvre : un de la périphérie au éentre; c’est l’initial, celui qui détermine tous les premiers symplômes ; (4) Voy: De salubritaté fluzus haomofrhoidum, 1708. (2) « Quant à ce principe que la nature est fort occupée dans les fièvres à dimi- nuer, pour l'avantage du corps, le sang surabondant au moyen d’une sorte de réso- lution colliquative que produit le mouvement intestin, nous nions nettement et absolument que l’äbondance du sang et des humeurs soit la cause de la fièvre. Si cela était vrai, les pléthoriqués y seraiént plus sujets que les autres, et l’on serait sûr de prévenir et d'écarter promptement toutes les éspèces de fièvres par une saignée faite à propos, Je crois, au contraire, que la consomption du sang et la dissolution en parties excrémenteuses qui arrive pendant la fièvre est plutôt l'eflet et la suite nécessaire de la chaleur fébrile, et qu’élle est plus ennemié qu'amie de la nature, puisqu'elle dissipe et détruit en mème temps les forces d’où dépend celle des mou- vements vitaux, » (De l'usage convenable du quinquina, $ 19.) HOFFMANN. — FIÈVRES, 939 un autre qui suil en sens contraire ét produit les effets opposés; s’il est frane et légitime, il jreut juger lui:même la fièvre (L). Les fièvres sont étudiées dans l'ordre suivant : tierce, quarte, quotidienne, fièvres intermittentes, anomales, épidémiques ; — semi-tierce ; catarrhale bénigne, varioliques, rubéoliqués, pourprées , miliaires; fièvres catarrhales graves ou pété- chisantes, pétéehiales vraies, pestilentielles , érysipélateuses, synoque, fièvre bilicuse, fièvre stomachale. Puis viennent les fièvres avec localisation : angines, phrénilis, pneumonie, pleuré- sie, néphritis ; inflammations de la vessie, de l'utérus, du füie, des intestins (2); fiévres hectiqués, symptomatiques qui suocé- (1) La nature guérit én poussant à la peau ét én éxcitant des mouvements qui tonifient les fibres, mettent les liquides en circulation et empèchent la pourriture, mais aidée auparavant par des sudorifiques, ou des liqueurs spiritueuses et d’autres agents (De natura oplima febrium pestilentium medicatrice, 1713). Dans l'état de maladie, y est-il dit, ou contre nature, lé mouvement vitäl qui pousse lesliquéurs du dedans au déhors é$t éxfrèmement dérangé lorsqu'il arrive unë contraction Spasmo- dique des vaisseaux capillaires et des petites fibres dont ils sont composés ; alors, par un mouvement inverse, il est réfléchi de la circonférence au céntre (c’est aussi l'impression du froid qui en ecrispant les capillaires de la peau fait rétrocéder les exanthèmes; voy. Méd. ral.; Thér., Liv, 15) ; puis, si la systole et la diastole viennent à augmenter, il ést dérechéf violemment dirigé du centre à la circonférence. Ce mouvement, s'il attaqué tout le corps, s'appelle f£vre, L'augmentation du mouve- ment de systole, ou le spasme, se trouve quelquefois dans certaines parties seule- ment, où il dérange le cours des humeurs ; pour cette raison on l'appelle spasmo- dique (sous ce chefsont rangées diverses affections de la tête, des intestins, de la vessie, du diaphragme, des vaisseaux sécrétoires, ete, Voy. Méd, rat.; Thérap., 1, 1v, 20 et suiv.) lorsqu'il $é fait un mouvemerit alternatif de contraction ét de rélàächement dans les parties musculeusés du dedans et du dehors, sans que la volonté y ait part; il l'appelle convulsi/; ou s’il est énorme, épileptique: On voit enfin dans beaucoup de maladies un grand relâchement ou affaiblissement du mouvement systaltique des solides, d’où il s'ensuit un retardement du mouvement progressif. Gette affection, si elle est peu considérable, sé nomme «tonte ; elle prend le nom de paralysie quand elle l’est dâvantagé, et c’ést une cause féconde de maladies (voy. Méd rat.; Thérap., 1, iv, 9). Au S 33 on lit : « Une classe de mouvements contre nature qui soht causes prochaines de maladies et un dérangement du mouvement tonique qui ne consiste point simplement dans une augimentation de la systole ou de la contraction des parties motrices, mais dans l'alternative de ee mouvement et d’une expansion ou dilatation considérable de ces mêmes parties. — Ce sont les mouvements convul< sifs. (Méd. rat.; Thérap., 1 1v. 33.) (2) Dan Méd, rat.; Traité des fièvres, W, 1, 2, il est dit (et cette idée à été reprise 940 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ALLEMANDE. dent soit à des blessures, soit à d’autres maladies, lesquelles ont agi violemment sur le système nervoso-membraneux. Les mala- dies inflammatoires proviennent, comme les autres, du spasme des parties nervoso-membraneuses ; mais elles sont particulière- ment caractérisées par une stase du sang faite en quelque lieu et qui distend les membranes d’une façon continue. La stase ou congestion générale produit la synoque et la fièvre ardente. La seconde partie de la Pathologie spéciale comprend en deux sections les flux de sang par le nez, les poumons, l'estomac, les hémorrhagies de l'utérus et voies urinaires, l'apoplexie; les douleurs et les spasmes de diverses espèces, tant intérieures qu’extérieures, et les douleurs arthritiques rhumatismales, cé- phalée, cardialgie, calculs bilieux, douleur iliaque, spasme dou- loureux de la vessie, odontalgie, otalgie, podagre. — Hoffmann donne très-souvent l’historique des diverses maladies. Les premières affections tiennent à l’atonie des fibres et des vaisseaux; les autres, à l’irritation ou à l'excitation exces- sives. Suivant Hoffmann, que Brown a encore imité en ce point, toutes les maladies sont produites par J’augmentation, ou la diminution et la faiblesse des mouvements, de sorte que celles-ci produisent les affections chroniques et rebelles, et la première les aiguës plus promptes en leurs évolutions, De là naît natu- rellement une question qui mérite d’être décidée : lequel est le plus dangereux, le plus ennemi de l’économie animale, du spasme ou de l’atonie ? Pour moi, s’écrie Hoffmann, je ne balance pas à décider hardiment que l’atonie a plus de force que le spasme pour opérer la destruction de la santé et de la vie. —Il est beau- coup plus aisé, en effet, de réduire ou de calmer les mou- vements excessifs et lrop impérieux que de ranimer ou de réveiller ceux qui manquent totalement (Méd, rat.; Thérap. 1, IV, 43). sous une autre forme par Brown) que c'est le mouvement fébrile qui occasionne le plus souvent les /7flammations, soit par l'âcreté, soit par la surabondance des humeurs en circulation, en formant des stases ou en provoquant des irritations. Les inflammations sont ou générales, comme dans la fièvre synoque ou ardente, ou plus ou moins localisées, comme est la méningite, la pneumonie, ete, HOFFMANN. — FIÈVRES. 91 Dans Hoffmann la théorie des fièvres présente trop d’aspects particuliers pour que nous négligions d'entrer à cet égard dans quelques développements. «Il n’y a pointde fièvre où le sang ne soit repoussé de l’exté- rieur du corps vers l’intérieur, c'est-à-dire vers le cœur et les grands vaisseaux qui y sont altachés, où 11 ne soit poussé versles parties supérieures, et où il ne s’y amasse, de manière à pro- duire des douleurs dans le dos et la tête, des inquiétudes dans les parties voisines du cœur, des mouvements involontaires, la difficulté de respirer, l’oppression de la poitrine, la dureté et la fréquence du pouls, et, lorsque le sang est fouetté violemment vers les membranes du cerveau et de la moelle de l’épine, où il n'arrive des délires, des convulsions, des épilepsies, quelquefois dans le commencement de la maladie, quelquefois même, ce qui est plus dangereux, dans le temps de sa force (acmé).Ilne se gué- rit enfin ou ne se résout aucune fièvre ou mouvement fébrile, si le resserrement spasmodique de la surface de la peau et des petits vaisseaux ne diminue, ou même ne cesse enlièrement, et qu’en conséquence l'égalité et la liberté de la circulation et la- bord des liqueurs aux vaisseaux excrétoires, et à l'habitude exté- rieure du corps, ne se rétablisse; ce qui est suivi d’un pouls plus mollet et plus fort, d’une augmentation de sueurs, de moi- teur ou de transpiration, d’une plus grande liberté du ventre et de la sortie d’une urine plus épaisse, tous signes d’une bonne crise; et c’est ce mouvement double qui constitue l'essence et la nature de toutes les fièvres ou de tous les mouvements fébriles. (Méd. rat.; Thérap. X, 1v, 10). » Les phénomènes initiaux de la fièvre (frisson, sentiment de brisure, ete.) sont rattachés à un état spasmodique des enve- loppes de la moelle, élat déterminé par l'impression des causes occasionnelles. Cette théorie est développée en plusieurs endroits des écrits de Hoffmann. La cause formelle de la fièvre, ou, pour ainsi dire, sa cause principale, consiste dans une contraction spasmodique de tous les nerfs et de toutesles fibres en général, laquelle commence par la moelle épinière, et se porte successivement des parties exté- rieures vers les intérieures. 942 JATROMÉCANISME. — ÉCOLE ALLEMANDE. C'est ce que prouvent évidemment tous les phénomènes et toutes les altérations qui surviennent dans la fièvre (1), eomme la douleur qu’on ressent dans le dos, surtout aux environs des lombes, le frissonnement, le frisson, le froid et un tremblement dans les extrémités du corps, la couleur vide des ongles, le dégonflement des vaisseaux dans les mains et dans les pieds, le resserrement et la sécheresse de la peau, le häillement, les extensions des membres, la couleur pâle et livide du visage, la palpitation et le tremblement du cœur, les inquiétudes des par- ties voisines du cœur, la difficulté de respirer, Pagitation du corps, le bouillonnement du sang dans les parties voisines du cœur, le resserrement, la petitesse et la faiblesse du pouls, le dé- goût et l'envie de vomir, la suppression de la transpiration et des excréments, la limpidité et la qualité aqueuse de l’urine. — Par conséquent tout ce qui peut contribuer au raceoureissement spasmodique des nerfs et des vaisseaux est très-propre à occa- sionner la fièvre. On peut mettre au premier rang les mou- vements violents de l’âme, et surtout la peur et la colère, les matières vénéneuses, subtiles el caustiques qui s’engendrent dans le corps eu y sont introduites par la contagion, le défaut de transpiration, les sueurs critiques qu’on a arrêtées, les exan- thèmes rentrés, le pus uleéreux qui séjourne dans les parties, des aliments trop âcres, les erudités corrompues et bilieuses qui séjournent dans les premières voies, les trop grandes veilles, les douleurs violentes aussi bien que la trop grande tension des nerfs dans les inflammations, les tumeurs et les abcès, la lésion des parties nerveuses faite par quelque instrument tranchant, les remèdes âcres et corrosifs, les bains trop froids et ceux qui sont trop chauds, ou astringents (Méd. rat.; Des fièvres, Prolég. 4 et 5). La diversité des fièvres et de leur degré de curabilité dépend (1) Voy. Méd, rat. ; Thérap., 1, 1v, 32. — De generat. febrium (1715) $ 6, où il est dit que de toutes les fièvres c’est l’intcrmittente où se manifeste le plus clairement cette génération des phénomènes spasmodiques qui ont leur point de départ à la moelle, — Voy. De vera motuum febrilium sede et indole (1723), $ 11. Là Hoffmann met les membranes du cerveau au même rang que celles de la moelle épinière. — Voy. aussi Méd. rat.; Thérap., X, 1v. HOFFMANN. — FIÈVRES. 943 de la diversité de ces eauses (voy. aussi Traité des fièvres, X, x, À). Mais il ne faut pas se laisser tromper par les apparences. Il arrive, en effet, souvent, que le pouls s'accélère et que la chaleur augmente momentanément par un exercice un peu trop vio- lent ou une émotion trop vive. Le frisson et le froid (c'est-à-dire le mouvement de la péri- phérie au centre) sont les caractères essentiels de toute fièvre ; et la fièvre est encore bien mieux dessinée sice mouvement con- centrique est suivi d’un mouvement contraire, Hoffmann rap- porte ailleurs (1) les observations qu'il a faites sur la production arlficielle des fièvres par certaines eaux minérales dont on use mal ou à contre-sens. L'action de ces eaux styptiques lui sert à expliquer comment le froid humide a tant de puissance pour déterminer la fièvre. Enfin il rappelle les curieuses expériences faites par Baglivi pour produire la fièvre chez divers animaux à l'aide d’injections pratiquées dans les veines avec diverses sub- stances irritantes. Dans le dessein de prouver combien le mouvement eoncentrique est périlleux, notre auteur s'exprime ainsi : Ceux qui meurent de fièvre, qu'elle soit continue, intermittente, aiguë, chronique, meurent dans le temps de la contraction des nerfs, du frisson, du froid, et des convulsions des parties extérieures, à cause que le cœur, les poumons et le cerveau, trop chargés de la quantité de sang qui s'y est amassée, n’ont plus la force de Île faire cir- culer. Le second mouvement qui se fait des parties intérieures et du centre à la circonférence et vers les petits vaisseaux, est plutôt salutaire et vital; il est même médicinal et il tend à la conserva- tion du c2rps; car, pendant qu’il dure, la matière qui cause le spasme fébrile se corrige par succession de temps, se dissipe et se détruit ; ce qui la fait cesser (2). La fièvre est donc un combat avec la maladie. Si les spasmes des nerfs obligent les sucs de se porter vers les parties intérieures, et qu'ils surmontent le mouvement que font le cœur et les pou- mons pour les porter vers les extérieures, la maladie l'emporte (1) De vera motuum febrilium sede et indole (1723), $ 12-15, (2) Voy. De generatione febrium (ATA3), $ 7e Cynn JATROMÉGANISME. =— ÉCOLE ALLEMANDE, et le malade meurt. Mais si le mouvement rétrograde causé par le spasme des nerfs est surmonté par la contraction du cœur et des artères qui pousse avec violence le sang au dehors, la ma- ladie cesse et le malade guérit (1). La victoire que remporte la nature après ce combat arrive dans des jours fixes qu’on a dé- terminés principalement par le nombre de sept. On les appelle par celte raison critiques; ils servent aux médecins à juger de l'événement de la maladie. ($ 6-8) (2). Nous voici donc ramenés à cette fameuse et délicate question de la nature médicatrice que déjà nous avons rencontrée plusieurs fois sur notre route. À lire les passages que je viens d'analyser ou de rapporter textuellement, on pourrait croire que Hoffmann est un naturiste très-décidé. Eh bien! voici ce qu’on lit aux para- graphes 27 et 34 dela Dissertation sur la jièvre salutaire : « On ne doit pas croire la fièvre salutaire parce que la nature, qui s'aperçoit qu'il y a dansle corps une matière nuisible, fait ses efforts pour l'en faire sortir par certains endroits et dans certains temps, au moyen d’une certaine proportion et d’un certain degré de mouvement assorti à la qualité de la matière morbifique. C’est ce qu’on peut dire de l'âme qui se fâche à l'aspect de quelque objet extérieur, mais qu'on ne peut appliquer naturellement aux mouvements purement mécaniques (3). En effet, comme une passion de l’âme (4) Cf. De generatione febrium (1715), $ 6; Dissertation de la salubrité des fièvres, $ 4 et 4. — Voy. aussi le $ 9 du Traité des fièvres, où il est recommandé de veiller soigneusement à ces facultés motrices départies avec tant de sagesse par la Providence à notre machine. Il faut savoir les respecter et en même temps les diriger. — Il est surtout dangereux de chercher à arrêter, à juguler les fièvres con- tinues ; on produit ainsi toutes sortes de cachexies. Salubrité des fièvr:s, S 39. (2) «C'est se tromper lourdement que de s'imaginer que les excrétions qui se font les jours critiques qui viennent après la période d'état de la maladie et dans le déclin, sont composées de la matière morbifique ; tout ce qu'il y a de certain, c’est que les évacuations qui se font dans les fièvres en temps convenable et en quantité suffisante, déposent de l’état de convalescence, et sont un signe certain de la victoire que la nature a remportée, parce qu'il s'ensuit que tout dans le corps est tranquillisé et rentré dans l’ordre. » De la fièvre salutaire, S 34, (3) Les Stabliens disent que les effets produits par le principe immatériel de l'âme ou l'agent raisonnable, sont salutaires en eux-mêmes et de leur nature ; mais ils sont au contraire tellement ordonnés qu'ils menacent la vie, et que, loin d’être l'ouvrage de la sagesse de la nature, ils en marqueraient l’aveuglement et même la HOFFMANN, — FIÈVRES. 945 diffère d’une maladie, de même la fièvre et la colére sont diffé- rentes ; et toutes les fièvres ne supposent pas une action immaté- rielle de l’âme, en un mot une perception. On ne peut donc pas dire que la fièvre est salutaire, utile et produite pour une bonne fin, puisque ni la nature, ni même l’âme sensitive ne connaissent en aucune manière la disposition des causes morbifiques, des voies, des lieux, et les fins des choses qui existent dans l’intérieur du corps. La fièvre, dans notre sentiment, ne peut être appelée salutaire ni en soi ni relativement à sa fin ou à son effet, puis- qu’elle est souvent ennemie, que dis je! meurtrière de la nature humaine, mais seulement parce qu’elle produit quelquefois, par accident, un effet salutaire. «Cette doctrine mérite d’être éclaireie par un exemple. Une trop forte contraction spasmodique des membranes du ventricule et des intestins, produite par un émétique ou par un purgatif, n’est pas en soi une chose avantageuse ni salutaire ; c'est même une affection entièrement contre nature, et par conséquent une ma- ladie qui produit souvent des accidents trés-graves; cependant quand elle fait sortir de ces parties un amas de liqueurs impures, visqueuses et corrompues, elle est et devient, à raison de cet effet, une chose salutaire. [l en est de même du spasme des par- ties internes qui produit les hémorrhagies spontanées ; loin que ce soit en soi un mouvement salutaire, il cause souvent des perles de sang mortelles; il ne laisse pourtant pas de produire par accident un effet salutaire quand il y a trop de sang et que la perte n’enlève que le superflu. On en doit dire autant de la fièvre qui, considérée en elle-même, ne mérite pas d’être appelée utile ou salutaire, parce qu’elle égorge et tue la moitié des hommes; cependant elle produit souvent (1) un effet salutaire folie : car quelle est la personne versée dans l'exercice de la profession qui ignore qu'il se fait dans toutes les fièvres un mouvement sensible de la circonférence vers je centre, avec un spasme violent et une espèce d’agitation convulsive des parties externes et nerveuses, qui s’élend sympathiquement à toutle système des nerfs, mou- vement suivi d'un désordre extrème de toutes les fonctions, et même du danger de mort, tellement que ceux qui meurent des fièvres intermittentes meurent dans ce mouvement (Dissertation sur l'usage convenable du quinquina, $ 14). (4) Dans Méd. rat.; Thérap., V,1v, 19, Hoffmann, encore moins affirmatif, déclare que c’est seulement par accident que la fièvre devient salutaire. Voy. aussile $ 18. DAREMBERG, 60 CR RE 946 IATROMÉCANISME. — ÉCOLE ALLEMANDE. en rétablissant la parfaite intégrité et la santé d’un corps de ma- lade, à raison des impuretés qu’il contient. «Nous disons donc que la fièvre est un remède pour le corps par rapport à l'augmentation du mouvement intestin de chaleur et à l'accélération du mouvement progressif et cireulaire dans les canaux de toute espèce, qui divisent et alténuent les crudités vis- queuses, lèvent les obstructions des glandes, font rentrer dans les voies de la circulation les liqueurs qui étaient en stagnation, évacuent celles qui sont corrompues et surabondantes, et dissi- pent l'humidité; d'où il suit que la fièvre est souvent un excellent remède pour purifier el évacuer le corps. » Hoffmann (1) ne montre pas plus de confiance dans la sagesse et la puissance médicatrice de la nature, pour les fièvres inter- mittentes que pour les fièvres continues; il bläme même trés- sévèrement les médecins qui ne veulent pas, sous prétexte de laisser à la nature le temps de manifester ses salutaires inten- tions, donner l'écorce du Pérou avant que la fièvre n’ait été marquée par plusieurs accès. L'expérience prouve que cette crainte est absolument chimérique, et que dans les fièvres épi- démiques graves il faut se hâter de déblayer les premières el les secondes voies par un éméto-cathartique (2), et d’administrer le quinquina après le second, quelquefois après le premier accès, suivant l'apparence maligne des symptômes. Il va même jusqu’à dire que le quinquina a ‘plus de peine à guérir et demande plus de précaution quand la fièvre est déjà ancienne que si elle est nouvelle (3). (1) De l'usage convenable du quinquina, $ 36. Dans ce même traité, Hoffmann détruit une à une les objections sophistiques élevées par des personnes qui ne savent pas employer le quinquina ou qui ont des préjugés déraisonnables contre son usage, « Cette écorce tonifie les fibres, entretient et aide la transpiration ; sa vertu fébrifuge consiste en bonne partie, sinon principalement, dans cette opération ; ear nous avons déjà remarqué que lersque cette évacuation salutaire se supprime, et que les impu- retés qu'elle doit faire sortir refluent dans l’intérieur, elles fournissent d’autant mieux la cause première des fièvres intermittentes,'qu'il y à dans le sang et les hu- meurs une pis 6 grande quantité d’excréments bilieux. » $ 28, (2) Voy. S 25 sur les inconvénients de la stase des matières visqueuses dans le canal gastro- en si elle coïncide avec l'administration du quinquina. (3) Au $ 18 Hoffmann remarque que la cause génératrice des fièvres intermit- tentes vient rarement des fautes de régime ou d’indigestion, mais qu'étant surtout HOFFMANNe 947 Le premier accès de la fièvre intermittente (maladie qui ap- partient essentiellement au genre nerveux), le premier accès s'explique de la mème façon que pour les autres fièvres; mais la difficulté commence pour le retour périodique des nouveaux accès, C’est là la pierre d’achoppement de la théorie iatromécanique des fièvres, et presque tous les adeptes de cette secte en sont réduits à la même hypothèses : c’est-à-dire à supposer une per- sistance partielle de la matière fébrile, qui se réveille à des époques fixes. « La matière fébrile, formée de liqueurs bilieuses et lymphatiques salivaires, secondairement corrompues (voy. p. 909; p. 913, note 1), et de la masse indigeste des aliments, cette matière qui séjourne principalement dans le duodénum, ne passe pas tout entière et tout à la fois dans le sang et le système des nerfs; elle ne le fait que successivement. D'ailleurs, ce qui reste de ce ferment fébrile, qu'on me passe celte expression, reçoit sans cesse un nouvel aliment des liqueurs impures qu’ap- portent le foie, le pancréas et les glandes du duodénum. Il y a plus : le mouvement intestin, qui augmente prodigieusement pen- dant l'accès, réduit le sang et la sérosité en impuretés mucila- gineuses salines sulfureuses qui, ne sortant pas entièrement pen- dant l’intermission, demeurent dans le corps et ne font que corrompre de plus en plus les liqueurs lymphatiques salivaires et la bile, Ajoutons, ce qui n’a été, que je sache, remarqué par personne, que, dans le temps de l’intermission, le pouls est très- faible et languissant, et que les parties intérieures et la peau sont plutôt froides que chaudes, ce qui est une preuve évidente que la transpiration est languissante, et qu'elle n’est pas assez considé- rable pour faire sortir la quantité des liqueurs excrémenteuses qui se trouvent dans le corps. Enfin, il est très-vraisemblable que le épidémiques ou endémiques, elles sont plutôt engendrées par le contact prolongé d’un air froid et humide et par les miasmes marécageux, — Dans la dissertation Febr. intermittent. nova hypothesis ($ 14), notre auteur revient sur cette question et énumère les «effets merveilleux » que produit l’air, soit en introduisant dans le sang une matière élastique (air ou éfher élastique) ou des effluves très-subtils, soit en resserraut ou dilatant les pores suivant son degré de chaleur, comme cela est démontré par son action sur le thermomètre et le baromètre. C’est en favorisant ou en contrariant la transpiration qu'il contribue particulièrement à maintenir ou à troubler la santé, 948 jATROMÉCANISME. — ÉCOLE ALLEMANDE. ion, la force et les fonctions de cet excrétoire universel nerveux, fibreux et vasculeux, la peau en un mot, sont dérangés et dé- truits par les violentes contractions spasmodiques si contraires auxquelles elle est exposée, c’est-à-dire par le resserrement con- sidérable accompagné d’une chaleur brûlante, suivi d’un relä- chement excessif, et que cette opération si salutaire de la trans- piration insensible se fait mal pendant tout le cours de la fièvre, et que la dépuration du sang et des humeurs devient fort lan- guissante. Toutes ces causes concourant, il est aisé de concevoir qu’un nouveau foyer s’'amassant insensiblement et acquérant, au bout d’un certain temps, une force suffisanté, il survient un nouvel accès. — Si le retour de l'accès, dans les fièvres intermit- tentes, se fait en temps plus ou moins éloignés, c’est-à-dire st l'accès vient tous les jours, tous les deux ou quatre jours, sil change quelquefois de caractère et de période, s’il double même quelquefois, j’attribue uniquement cette différence à celle des impuretés, Soit relativement à leur quantité, soit à leur caractère plus ou moins fixe ou volatil et à leur abord plus ou moins con- sidérable dans les premières voies, enfin à l’état et à la disposi- tion des viscères, et surtout du foie, de la rate et du pancréas. » (& 20 et 21; voy. aussi le K 24.) Cette théorie est très-longuement développée dans la disser- tation De febrium intermittentium nova hypothesi, 1694 (1). L'auteur insiste sur les effets de la contraction des fibrilles mus- culaires (2), nerveuses et vasculaires (ces dernières sont compo- (1) Voy. aussi De generat. febrium, 1715, et De vera motuum febrilium sede ac indole, 1715. Là ilest établi que ce n’est pas primitivement dans le sang, mais dans le système nerveux mis en un état spasmodique que git le siége de la fièvre. L'in- termittence est comparée aux fonctions périodiques normales, le sommeil, par exemple, et aux habitudes du corps ou de l'esprit; comparaison d'autant plus juste, est-il dit (voy. De febr. interm., ete. $ 3) que les esprits etle système nerveux sont en jeu et que tout dans l’organisme se fait par poids et mesure. (2) Hoffmann ($ 14) dit que les fibrilles musculaires sont creuses, quoiqu'on ne voie pas leur cavité à l’œil nu; mais on reconnait que dans ses observations micro- scopiques sur la queue de l’anguille il a pris pour des fibrilles les plus fines ramifi- cations capillaires. Ce qui prouve encore, selon lui, que les fibrilles sont creuses, c’est l’augmentation de volume et la décroissance de ces fibrilles par la bonne où la mauvaise nutrition, | HOFFMANN. — MALADIES HÉRÉDITAIRES 949 sées de fibres motrices), sur la compression et le refoulement des liquides qui en résultent ; il fait aussi intervenir l'éfher élas- tique dont les effets contribuent puissamment au mouvement excentrique qui succède au mouvement concentrique (K 6,7, 11, si) Pour achever l'exposition des doctrines de Hoffmann, il nous reste à examiner ses opinions sur les maladies héréditaires. Dans la dissertation De affectibus haereditariis ilorumque origine (1699), Hoffmann rapporte d'abord (suivant une coutume dont il s'écarte rarement) les opinions des anciens sur les causes de l’hérédité morbide, et énumère les maladies qui, à leurs yeux, passaient pour héréditaires; puis il propose son explica- lion mécanique, rejetant toute idée d’un être ou d’une activité spirituelle (efficacia sprritualis) qui, se transmettant par la géné- ration, est capable par lui-même d'agir ou de ne pas agir. Il n’y a que des causes corporelles, physiques, agissant de nécessité et mécaniques ; 1l n’y a que des corps agissant (corpus agens) qui développent dans un corps passif (corpus passioum), en raison de la nature de l’agent et du patient, une réaction que le Corps patient ne peut ni faire dévier ni changer, et à laquelle il ne peut pas non plus résister. Hoffmann reconnaît dans la semence, avec Malpighi et Malebranche, des linéaments, des filets (stamina) qui sont comme les diminutfs, le compendium de l'organisme à venir (théorie de l'évolution, voy. plus haut, p. 766). Si l’on examine la nature de la semence du mâle et de celle de la femelle, on y trouve un double principe : l’un très-ténu, très- simple, fluide, mobile, élastique (principe spiritueux) ; l'autre, plus épais, plus aqueux, est accessible aux sens; c’est comme le véhicule et l'enveloppe du premier. Ce premier principe tire son origine du sang contenu dans les artères et du fluide ner- veux et cérébral (1). Ce fluide a reçu dès Porigine, des mains du divin Architecte et de sa puissante parole, la vertu immuable de prendre et de re- tenir une certaine figure, une forme et un mouvement, des (4) C'est là précisément, dit-il, la cause de l'affaiblissement corporel et mental qui suit les trop grandes pertes de semence, 950 IATROMÉCANISME. —- ÉCOLE ALLEMANDE. choses externes corporelles qui agissent sur lui dans toute la masse du sang et jusqu'aux parties les plus intimes du corps; c’est d’après cette impression qu’il produit dans d’autres choses une réaction proportionnée et un effet équivalent, à peu prés comme il arrive pour les sens ($ 11). Telle est, Messieurs, en quelques mots, la théorie des ressem- blances et des monstruosités séminales ; elle a le mérite d’être très-simple, si elle ne possède pas celui de satisfaire les hommes plus exigeants que Hoffmann. Par cette théorie on peut comprendre aisément comment les maladies des parents sont transmises aux enfants. Presque tous les auteurs ont jusqu’ici toujours attribué l’origine des affections héréditaires ou à la mauvaise conformation des parties solides, ou à une certaine disposition originelle vicieuse des parties hi- quides ou des esprits eux-mêmes, laquelle par la semence se transmet aux enfants. Les maladies qui tiennent au mouvement ou au vice des esprits, au sang ou aux humeurs, ne se propagent en aucune manière, mais celles-là seulement qui ont leur racine dans une mauvaise disposition des viscères ou des parties solides. Les maladies, en effet, qui ne tiennent qu’à l’intempérie du sang et des humeurs ou à quelque sel irritant sont superfi- cielles et se dissipent facilement (!), attendu que ces intempéries, ces âcretés, sont promptement modifiées ou détruites par le mou- vement circulatoire, et qu’on ne saurait admettre une force fer- mentescible multiplicative qui éclate plusieurs années après la naissance. Hoffmann croit donc fermement et professe que toutes les ma- ladies héréditaires, quelles qu’elles soient, naissent d'une mau- vaise disposition et configuration des parties solides externés où internes, des viscéres, des émonctoires, laquelle disposition affecte ensuite notablement les parties fluides et spiritueuses. C'est en effet une chose connue et admise, que les parties fluides reçoivent leur principale force, leur tempérament et leur nature, des parties solides ; et, celles-ci étant viciées et lésées dans leur tonicité, leur force et leur mouvement, il ne peut qu’en résulter un grand dommage pour les parties liquides qui font effort (#»- pelum facientes corporis nostri). HOFFMANN. 951 L'auteur réfute ensuite, en s'appuyant sur l'autorité de For- tunatus Fidelis, de Diemerbroeck et d’autres, les objections tirées de ce que des enfants sains sortent de parents malades, et réci- proquement de ce que des parents estropiés ont des enfants irréprochables. Ces réfutations sont aussi fausses que les objec- tions. Le système de Hoffmann a été défendu dans l’université dé Halle par Schulze, Büchner, Nicolaï, Nietzky, Eberhard, qui adopte la théorie des esprits nerveux ét une parlie des doctrines de Häaller sur Pirritabilité. Les plus importantes discussions, parmi les adhérents de Hoffmann ou dans le camp des dissi- dents, ont précisément porté sur ces deux points, aussi bien en ltalie, en Angleterre qu'en Allemagne. Hoffmann à repoussé plus de lecteurs qu’il n’en a attiré; la masse de ses œuvres épouvatte ; et pour justifier un éloignement aüssi mal fondé que préjudiciable à l’histoire des doctrines médi- cales, ot a répandu le bruit que c'était un auteur difficile à lire, ennuyeux, fatigant. C’est un jugement à reviser, une mémoire à réhabiliter. Sans doûte on ne lit pas Hoffmann avec le même plai- sir ét aussi couramment qu'un bon livré moderne ; mais j'affirmé qu'après avoir longtemps partagé le préjugé vulgaire et avoir longtemps aussi reculé devant les volumes in-folio qui composent les œuvres du célèbre professeur de Halle, j'ai éprouvé une im- préssion toute différente que celle que j'avais acceptée de con- fiance, lorsque je me suis décidé à étudier ses écrits. Hoffmann a traité des sujets les plus divers et toujours mägistralement : les considérations générales, souvent élevées, s'entrethèlent aux pro- positions particulières ; le système, tout faux qu'il est, est la: sement et fermement dessiné; le style a de l'ampleur ; l’éru- dition est variée; la critiqué est fine, vive, mais honnête. Hoffmann est un penseur, un philosophe; en même temps il montre parfois les qualités d’un observateur attentif et fort judicieux. Aussi, pour toutes cés raisons et pour d'autres qu'il sérait trop long d’énumérer, je place Hoffmann beaucoüp au- dessus de Boerhaave. Les petits volumes du second mont beau- coup plus fatigué par leur sécheresse que les vastes in-lolio du 952 IATROMÉCANISME. premier, malgré le développement, quelquefois excessif, de la démonstration. D'où l'ennui et le sommeil s’échappent parfois inévitablement, c’est des œuvres de Stahl. Quel courage il à fallu pour les tra- duire. Ce n’est peut-être pas uniquement l'amour platonique pour Stahl qui a soutenu le zèle de M. le docteur Blondin dans sa vaste et méritoire entreprise; il a cru fermement (mais je crains qu'il ne se soit trompé) que Stahl pouvait devenir le patron-mé- decin de la physiologie théologique de saint Thomas, et c’est sous ce couvert que M. Blondin a présenté son travail à NN. SS. les évêques. Je ne crois pas qu’il y ait dans toute notre histoire une ques- tion aussi difficile et aussi obscure que celle de .l’iatroméca- nisme. L’obscurité tient à la doctrine elle-même, mais peut-être _plus encore au mauvais style que semblent affecter la plupart "des médecins iatromécaniciens, les Italiens et les Anglais sur- tout. Ce sont ces difficultés mêmes qui m'ont, je l'avoue, attiré et en même temps attardé; car il n’est pas facile de marcher ra- pidement dans des chemins aussi mal entretenus; une fois en- gagé, il n’y avait plus moyen de reculer ni de laisser la tâche inachevée. J'avais besoin de donner cette explication pour qu’on ne m'accusât pas trop des longueurs auxquelles il était assez difficile d'échapper, attendu qu’il fallait, ici, faire connaître les nuances particulières aussi bien ans les He communs dans les différentes écoles. Après cette revue de re res on ne peut que s’éton- ner de voir tant d’esprits distingués faire aussi complétement fausse route, substituer les calculs mathématiques aux expé- riences physiologiques, réduire l'homme à une machine, n'avoir aucune notion sur l’idée même de la vie, et se complaire à cher- cher dans les sciences exactes, qui excitaient alors l’enthou- siasme, la solution de problèmes dont la plupart échappent et échapperont toujours à ceux qui ne reconnaissent pas dans les fonctions des corps organisés des forces différentes, sinon tout à fait indépendantes de celles auxquelles est soumise la matière inorganique. L’inconséquence à laquelle la plupart des iatromé- RÉSUMÉ, 953 caniciens ont été contraints dans la pratique suffirait déjà à les condamner. On reconnait aisément aussi que leurs théorèmes physiologiques n’ont presque pas éclairé la nature des fonc- tions, si ce m'est pour le mouvement musculaire; quant à la marche du sang dans les artères, aux sécrétions et à la nutri- on (ce sont les trois autres points sur lesquels ont porté leurs recherches les plus originales), les mécaniciens n’ont guère fait qu'éveiller l'attention des physiologistes sur ces sujets si im- portants; leurs propres explications sont illusoires. Heureusement la vanité de la doctrine ramena, dès le milieu du xvin* siècle, en Angleterre comme en Allemagne, mais d’une manière moins sensible en Italie, tous les bons esprits vers la méthode d'observation pour la médecine et vers la méthode ex- périmentale pour la physiologie. XXVII Sommaire. = Monographies et recuéils d'Ubservations relatifs à la médecine et à la chirurgie au xvnf siècle, = Histoire de la chirurgie durant ee siècle. Traités généraux : Magatus, Séverin, Dionis, Wisemann, Van Solingen, Purmann: MessIEURS, Baglivi dit quelque part (1), qu’à aucune époque, il n’y a eu une si grande abondance de livres, et qu’en même temps, à aucune époque, il n’y a eu une aussi déplorable disette d’obser- vations médicales. — C'est là, Messieurs, une grande exagéra- tion; malgré la multitude des livres théoriques, on distingue aisé- ment, dans la littérature médicale du xvrr' siècle, outre beaucoup de monographies, particulièrement consacrées aux affections épi- démiques, un nombre considérable d'ouvrages qui justement ne contiennent guère que des observations, etsouvent de très-bonnes. Pour ma part, j'ai réuni plus de cent de ces ouvrages (2). Je vous ai parlé plusieurs fois de ces recueils et de ces monographies (3); c’est le moment de nous y arrêter quelques instants, en suivant à peu près l’ordre chronologique, calculé, en général, sur la pre- mière édition, sauf, bien entendu, à revenir sur cet inépuisable sujet, lorsque nous traiterons de l'histoire des maladies (4). Les Observations (a capite ad calcem, avec les fièvres) de Charles le Pois (Carolus Piso; 1563-1633), au nombre de cent quatre-vingt-trois (Sel/ectiorum observationum et constlio- rum.… liber sinqularis, 1618 ; la dernière édition et la meilleure (4) Praxis med., 1, vx, 9. (2) Le nombre n’est pas moins grand au xvit siècle. (3) Je ne signale que les auteurs principaux. (4) J'ai commencé, depuis un an, au Collége de France, la série des leçons sur l'Histoire de la pathologie médicale et chirurgicale ; elles formeront la matière d'une publication spéciale, MONOGRAPHIES ET RECUEILS D'OBSERVATIONS. 955 a été donnée en 1768 par Boerhaave), se distinguent des autres re- cueils de ce genre, en ce qu’elles sont encadrées dans un système. L'auteur, dans sa dédicace à Henri If, duc de Lorraine, déclare que la recherche de la vérité est le nerf de la sagesse; mais il s’est trop souvent écarté de cette sentence lorsqu'il veut prouver que la plupart des maladies viennent de la surasondance générale ou partielle de la sérosité (serosa colluvies seu diluvies), qui cir- cule dans les vaisseaux avec le sang. Dans sa préface, il prétend appuyer ce système sur l’expérience et sur l'autorité des anciens, etil l’applique rigoureusement dans le commentaire qui accom- pagne chaque observation. Il est certain que ces observations recueillies avec une telle préoccupation sont assez souvent défi- gurées ; néanmoins, en ÿ portant toute l’attention qu’elles méritent d’ailleurs, on peut en tirer profit pour l’histoire des maladies. Van der Mye écrivait, en 1627, un remarquable traité Sur la peste de Bréda ; 1 s'agit évidemment d’un typhus des camps. L'auteur a observé que des exanthèmes se développent encore quelques heures après la rnort ; c'étaient sans doute des taches gangréneuses. On nc saurait oublier l'ouvrage de Valérius Martinias de Venise, qui à poar titre : Totius medicinae practicae exactissima col- lectio, en sept livres (Venise, 1628), et qui ne manque pas d’im- portance pour Fhistoire de la saignée. L'auteur discuté toutes les opinions antérieures ét tâche de déterminer avec précision les diverses indications , il n’a pas de parti pris et souvént donne de très-sages conseils. A la suite vient un traité en sept livres mais très-dialectique sur la certitude de la médecine. On doit signaler aussi une assez bonne description d'une épi- démie de fièvre pourprée ou fiëvre pétéchiale, due à J. Morel, médecin à Chäâlon-sur-Saône (1). . Les trois cénturies d’'Observations (1648), œuvre posthume de Ph. Salmuth (—1662), ne contiennent guère qué des cas rares; (4) De febre purpurata..… quae ab aliquot annis (vers 1628) in Burgundiarn et ommes fere Galliae provincias (surtout à Lyon, Chälon, Dijon) misere debacchatuwr; 2e édit., 4694. — L'auteur soutient que L4 maladie n’a pas été importée de Lyon à Châlon, mais qu’elle s’y est développée par des causes communes, et par quelque nfliction céleste. 956 MONOGRAPHIES ET RECUEILS D'OBSERVATIONS quoique trop brèves, elles offrent de l'intérêt parce qu’elles sont souvent accompagnées d’autopsies. Zacutus Lusitanus (1575-1642) à publié deux ouvrages pré- cieux : les Æistoires médicales (1629), tirées de Galien et d’au- tres auleurs grecs ou arabes, c’est-à-dire la collection de presque toutes les observations qui se trouvent disséminées dans les volu- mineux écrits du médecin de Pergame et des Arabes; un autre recueil en cinq livres, où sont rassemblées ses propres céserva- tions. La Praxis admiranda (1634) ne contient guère non plus que des observations faites par Pauteur. En tête du premier ou- vrage, se trouve une bibliographie médicale où les auteurs sont d'ahord rangés par ordre chronologique et leurs ouvrages classés ensuite par ordre de matière ; c’est un travail encore fort utile. Quoique Primerose (voyez plus haut, p.614) ait combattu la circulation par des arguments ridicules, il fait preuve en d’autres sujets d’un esprit assez critique, son livre Des erreurs popular- res (1630) le prouve; il s'élève contre les alchimistes (mais non contre la bonne thérapeutique chimique), et contre les uro- manciens. Malachias Geiger s’est déterminé à écrire un traité sur les hernies (Kelegraphia, sive Descriptio herniarum cum earumdem curationtbus tam medicis quam chirurgicis descripta ; Monachii, 1631, avec portrait), pour combattre à la fois l’impudence des charlatans, la fatale crédulité du publie, et l'opinion si générale- ment répandue et si pernicieuse pour les progrès de la science et de l’art, que la chirurgie doit être séparée de la médecine. Sur les deux premiers points Geiger n’a pas atteint son but : il ne manque aujourd'hui ni de charlatans audacieux, ni de clients empressés autour d'eux; sur le troisième point tout le monde est d'accord aujourd’hui, au moins en principe. Quoi qu’il en soit des bonnes intentions de Geiger, son livre n’est plus guère qu’un document historique. Geiger étend, avec les anciens, le mot hernie à des affections que nous ne nommons plus ainsi: par exemple au sarcocèle, à l’hydrocèle, même au varicocèle ; parmi les hernies intestinales, il distingue les complètes (sortie de l'intestin et de l’épiploon) et les incomplètes (sortie de l’un ou de l'autre); il croit que le AU XVIT* SIÈCLE. 957 cæcuin peut faire hernie dans le scrotum à gauche ; mais le plus ordinairement, c’est l’iléon qui s'échappe seul ou avec le cæcum; le côlon et le jéjunum sont, dit-il, trop bien attachés pour descen- dre aussi bas; enfin il ne paraît pas avoir distingué très-nettement les hernies crurales des inguinales ; du moins il n’en parle qu’en passant. — À propos du diagnostic différentiel des diverses her- nies, il cite quelques terribles méprises des circum/oranet, plems buccis, aureos montes promiltentes, ouvrant le ventre en croyant avoir affaire à une hydrocéle. A propos de la cure des hernies on trouve aussi une curieuse énuméralion des pratiques super- slilieuses et magiques en usage de son temps. De son côté, notre auteur met trop de confiance dans le régime, les médica- ments internes ou les topiques ; du moins il insiste davantage sur l'utilité des bandages (swbligacula) à pelotes molles ou coussins, ou à pelotes de bois, et dont il donne une ample description avec figures. Il préfére, comme plus faciles à supporter, les bandages de toile aux bandages d'acier (il parait qu'on en fabriquait aussi de bois), à moins qu’il ne s'agisse de hernies très-vieilles qu'il faille maintenir fortement ct pour lesquelles il a des appareils assez compliqués. Geiger indique deux procédés pour la cure radicale de la her- nie réductible. Le premier est l’incision qu'il décrit très-super- ficiellement sous le prétexte qu’on ne saurait apprendre dans les livres une telle opération dont les procédés varient du reste beau- coup ; on voit seulement que notre auteur est imbu des vieux pré- jugés, car 1l dit qu’on peut enlever ou respecter le testicule. Le second procédé, qu'il préfère et qui était inventé depuis peu de temps, s'appelait le point doré. Lorsqu'on avait réduit l'intestin et fait ou non une incision à la peau, on passait, après avoir écarté les vaisseaux spermatiques et sanguins, une aiguille armée d’un ou de plusieurs fils à travers les bords de l’anneau, et l’on tirait fortement les fils sur une plaque. On se servait quelquefois d’un fil d'or, d’où le nom du procédé, ou d’un fil de plomb. Geiger parle aussi de emploi des caustiques, dans le but de procurer une cicatrice obturatrice. Il indique et figure la sonde cannelée pour le débridement des hernies étranglées. Il examine égale- ment les diverses méthodes de traiter les autres Lernies, et s’ar- 958 MONOGRAPHIES ET RECUEILS D'OBSERVATIONS rête longtemps sur les accidents ou complications qui sur- viennent : hémorrhagies, spasmes, inflammations, gangrène, céphalalgie, fièvre, etc, Il traite l’exomphale par la ligature circulaire de l'anneau ombilical soulevé, après avoir disséqué la peau tout autour de lombilic. En ce même temps, Chartier (1572-1654) dépensait de son propre argent 50 000 livres pour sa grande édition d'Hippocrate et de Galien (1639-1679); Bonet et Manget publiaient leurs vastes compilations, qui rendent encore aujourd’hui tant de services (1). On publiait en Allemagne une foule de dissertations; par exemple, Tappe de Helmstadt, Moebius d'Iéna; et des cen- taines d’opuscules sur les médicaments anciens ou modernes et sur les maladies envoyées par le diable, Haller a dit des Observations (1641) de Tulpius (1593-1674) : «Ouvrage excellent, tout y est bon. » En effet, dans les quatre livres dont se compose ce recueil consacré à la fois à la médecine et à la chirurgie, on ne trouverait pas (si on laisse de côté quel- ques explications surannées) dix observations inutiles. Tulpius se montre trop partisan de la trépanation dans les cas de simples fissures externes, seraient-elles même à peine apparentes. Il rap- porte le fait curieux d’un peintre qui, ayant la tête un peu dé- rangée, croyait que tous ses os étaient mous comme du coton, et qui, dans la crainte de les casser, n’osait pas sortir de son lit. Tulpius l'a guéri de cette folle imagination en lui persuadant que c'était une maladie très-connue et dont il était fort aisé de triom- pher; il guérit également une femme qui était persuadée d’avoir (1) Bonet, Sepulchretum anatomicum, 1679 ; il faut préférer l'édition de Manget, 4700 ; —- Mercurius compilatitius, seu Index medica practicus, per decisiones, eau- tiones, animadversiones, castigationes et observationes in singulis affectibus praeter naturam, ete, 1682 ; — Medicina septentrionalis (1684.— Extraits des Actes des Curieux de la nature et de ceux de la Société de Copenhague); — Polyalthes, seu Thesaurus medico practicus ex optimis rei medicae seriptoribus eollectus, 4691 ; — Bibliothèque de médecine et de chirurgie, contenant la manière de quérir toutes les maladies, tant internes qu'externes,.., le tout extrait des plus célèbres auteurs, tant anciens que modernes, 4708, 4 vol. 4°, publiés aussi séparément dans les années précédentes, — Manget, Bibliotheca anatomica (4685), chirurgica (1721), che- mica (4702), pharmaceutico-medica (1703), medico-practica (1696-1698), seripto- rum veterum el recentiorum in qua... vitae enarrantur, opiniones et seripla recen- Sentur, 1731; — Theatrum anatomicum, 1717. AU XVII‘ SIÈCLE, 959 une môle dans le ventre, et qui se figura l'avoir rendue par des purgalifs. L’anatomie pathologique n’est pas non plus absente des Observations de Tulpius. On pourrait faire aux Observations (1644) de J.-P. Lotichius (1598-1652) les mêmes reproches qu’à celles de Stephanus : elles sont aussi trop courtes, mais fort intéressantes; on y rencontre plusieurs cas de chirurgie, Il a donné une assez bonne descrip- tion de la fièvre pétéchiale de 1641 dans la Hesse, et de la peste à bubon. Il rapporte l’observation d’un sénateur mort de joie, et il ajoute que le cas est très-rare, Je le crois sans peine ; car les sénateurs ne sont pas faits pour avoir de si vives émotions. Les Observaliones medicae et curationes insignes (1646) de Lazare Rivière (1589-1655) forment quatre centuries, à la suite desquelles se trouvent des observations qui lui ont été communi- quées par divers auteurs ou qu'il a trouvées dans un manuscrit anonyme; elles sont, en général, très-brèves en ce qui con- cerne les symptômes, de sorte que le diagnostic rétrospectif est souvent difficile. Du reste, ici comme pour beaucoup d’autres auteurs, c’est par la précision du diagnostic que péchent les observations, de sorte qu’on ne sait pas toujours de quelle mala- die il s’agit, et par conséquent quelle est la valeur du traitement employé. Nous devons accorder ici une mention honorable aux Respon- siones et consultationes medicinales (1606) de J.-C. Claudinus (— 1618). L'auteur reste dans les données anciennes; mais c'était son droit à l’époque où il écrivait ; aussi nous retrouvons dans son ouvrage les qualités et les défauts que nous avons signalés dans les recueils analogues du xvi° siècle ; et l’on peut même dire que la plupart des correspondants de Glaudinus sont plus instruits que ceux de Hoffmann, dont nous avons parlé plus haut (p. 906). Ses Observations sont sincères el en général assez développées pour qu'on en puisse encore tirer parti. On peut citer, en preuve de la richesse des monographies du xvur° siècle, la très-érudite histoire de la peste de Nimègue (1646), par Diemerbroeck (1609-1674), et l'excellent livre de Van der Heyde (1572, mort vers 1650) sur la dysenterie et le cho- léra-morbus ou érousse-galant (1643), L'auteur est grand par- 960 MONOGRAPHIES ET RECUEILS D'OBSERYATIONS tisan du laudanum de Paracelse. — Rapprochons de ces deux auteurs Serrier d'Arles, qui, en 1673, a donné une-description de la dysenterie, de la lienterie, de l'hystérie, de l’hydropisie, du spasme cynique, etc. L'auteur a tiré heureusement parti de l'examen du pouls pour le diagnostic des maladies du cœur. Chaque observation, comme chez Stalpart van der Wiel, est ac- compagnée de commentaires historiques et pratiques. Loyseau, sous le titre d'Observations médicinales et chirurgi- cales, 1617, a rapporté plusieurs cas curieux, entre autres la cure des carnosités survenues au canal de Purèthre du rs5i Henri IV. — Dionis disait de Loyseau « qu'il faisoit le mystérieux et qu’il tenoit un peu du charlatan ». En 1624 et 1627, Hoechstetterus a donné six décades d’Obser- vations rares. C’est une des bonnes collections du xvr° siècle. Arnold Boot (1606-1650), dans ses Observationes medicae de affectibus omussis, Londres, 1649, ou recueil de cas rares, que je connais seulement par Haller, insiste sur les fissures des lèvres auxquelles les enfants sont particulièrement sujets en Irlande et en Angleterre. Les Observations (1653) de Pierre Borel de Castres (vers 1620-1689) sont un vrai recueil de cures miraculeuses; queiques cas, cependant, sont à relever. L'auteur est plein de superstition et de crédulité. A la suite se trouve la Vre de Descartes, par Borell, et les Observations de Cattier, médecin-à Montpellier ; il n’y en a que dix-neuf, mais elles sont intéressantes. J. Stephanus a donné des commentaires sur Hippocrate, et, chose plus rare à celte époque, une paraphrase sur une partie du Canon d’Avicenne. — Ce sont surtout les Consilia (1653) qui offrent de l'intérêt pour la médecine pratique; seulement on peut regretter qu'Étienne s'attache plus aux discussions sur la nature de la maladie et sur les indications thérapeutiques qu’à la description de la maladie elle-même. —1l procède « capite ad calcem. — 1] rapporte le cas d’un chanoine qui avait des érec- tions avec courbure de la verge, causée, dit Étienne, par un ganglion, mais plus probablement par un rétrécissement calleux de Purèthre. — Il cite une famille d'individus dont les pieds grossissaient énormément le soir, après la marche; on les appe- AU vi SIÈCLE. 061 lait pedones. — H note que dans les fièvres malignes les urines donnent souvent de bons signes dans les cas les plus rapidement mortels, remarque qui avait été déjà faite par J. des Parts (voy. p. 345, note 1). Il conseille un cautère au bras pour une inflam- mation chronique de la hanche. Ses Miscellanées contiennent une foule de Lettres curieuses sur des points de physiologie, de médecine pratique; par exemple, sur l'abus des vésicatoires au début des maladies. Il est d'avis que les chimistes ne sont pas hérétiques, et il a voulu mettre d'accord les dogmes de Platon, d’'Hippocrate, d’Aristote, de Galien, avec ceux du christianisme. Il faisait des vers sur la médecine à ses moments de loisir. Thomas Bartholin (1616-1680), le (ls du célébre Gaspar, qui avait parcouru l'Europe (1), publiait ses Centuries d'observations (1654 à 1657) sur l'anatomie normale et pathologique, des Lettres (1663-1667) sur divers points de médecime; c’est un des au- teurs les plus féconds : il à touché à toutes Îes questions d'ana tomie, de physiologie, de pathologie et de litérature médicale, sans se mêler activement aux débats d'aucune secte. Il est le créateur des Acta Hafniensia, remnlis d'observations, de celles de Borrichius entre autres. . Joseph Covillard, l'auteur du Clerurgien opérateur, a donné en 1659 des Observations iatro-chirurqgiques, au nombre de ein- quante ; elles sont relatives aux calculs vésicaux, à la tulle par le grand appareil, aux carnosités de larèthre, aux plaies d’'ar- mes de guerre, etc. Les six Centuries (1741 et 1627) de Wolff. Gabeichoverus con- üennent plus de formules et d’annotations thérapeutiques que de véritables descriptions. * Benedictus Silvalicus (mort en 4658) a publié, en 1656, des Consilia lrès-galéniques, où les descriptions sont trop brèves, où il y a trop de formules et surtout trop de raisonnements. Christophe Bennet (né vers 1617-1655), dans son Theatrum tabidorum (1656), a fait, pour le temps, une bonne étude sur la phthisie. J. Daniel Horst, de Giessen (1620-1685), donne, en 1656, ses (4) A décrit l'angine de Campanie (1646) et prouvé que la saignée était fatale dans cette affection; il vante l’utitité de l’eau de neige dans les fièvres d'Italie. DAREMBER(. 61 962 MONOGRAPHIES ET RECUEILS D'OBSERVATIONS Observations et Lettres anatomiques, riches surtout pour l’ana- tomie pathologique. Horst se montre peu partisan de la chirurgie infusoire. L’Hercules medicus(1657) ou Consultationes, de Wolfg. Hoefer (1614 —), est un recueil de premier ordre. On y rencontre des cas de luxation des vertèbres, suite de chute ; l'auteur a répété l'expérience de la corde mordue par le patient, pour reconnaitre une fracture du crâne ; il rapporte plusieurs ca: importanis de crélinisme avec scrofules. Les Observations (1657) de Rhodius (né vers 1557-1699) por- tent sur les maladies rares, et renferment plusieurs faits difliciles à croire. Voici quelques exemples des observations les plus im- poriantes : fièvre quotidienne guérie par une éruplion de taches noires; transmission de la syphulis par l'emploi du même verre à boire; mort arrivée par suite de l'incision de la peau des mal- léoles dans l’hydropisie, et causée sans doute par la gangrène. Rhodius a vu l'humeur aqueuse se reformer dans un œil crevé ; il a observé des animalcules dans l'urine; fracture du bras cau- sée par le seul mouvement ce l'air à la suite d’un coup de canon; il y eut gangrène, cécité et: 1rdité consécutives. Rhodius a noté la pousse de la barbe chez une femme après la ménopause et di- vers cas de substitution des règles, etc. Comment ne pas faire mention en celte revue des Observa- tiones medico- practicae (1727), et de la célèbre Historre de l’a- poplexie éclairée par des observations et des autopsies (1653 et 1675), due à J. Jacq. Wepfer (1620-1695), illustre médecin de Schaffouse ? C’est lui qui, lun des premiers, si je ne me trompe, a constaté sur le cadavre la cicatrisation de foyers apoplectiques, et qui à le mieux étudié avant Morgagni et d’autres médecins plus modernes les causes el les espèces de l’apoplexie. Highmore (1613-1685), dans ses Exercitationes de passione hysterica, de affectione hypochondriaca (1660, Voy. aussi Zpis- Lola responsaria), s'élève contre l’idée que l'hystérie vienne tou- jours de l'utérus, el que cel organe se meuve; fais il attribue l'hystérie à une sorte de pléthore visqueuse et obstruante. L’hy- pochondrie, qui altaque également les deux sexes, vient d’un vice de la coction. AU XVII° SIÈCLE. 963 Parmi les plus inportantes monographies, il faut signaler celle de Glisson, De rachitide seu morbo puerili qui vulgo the rickets dicitur (1660). Cette maladie n’était observée que depuis trente ans dans l’ouest de l’Angleterre, d’où elle fut importée à Lon- dres; 1l y a de très-bonnes observations, quoiqu’on puisse soup- çonner qu'elles ne se rapportent pas toutes à la même maladie. Les Casus medicinales de Balth. Timaeus von Guldenkee ont élé publiés en 1662, après trente-six ans de pratique; ils n’en sont pas pour cela beaucoup plus instructifs, l'auteur se montrant fort superstitieux. Notons, cependant, qu’il est ennemi de la sai- gnée dans les fièvres malignes éruptives. Haller tient en grande estime les soixante-neui Observations chirurgiques (1664) de Pierre Marchetti (1589-1673), ainsi que celles de Tulpius, et son jugement doit être confirmé. Mar- cheili paraît avoir eu un rare bonheur dans la cure des plaies de lète. Ses Observations surtout prouvent que le danger de ces sortes de plaies n’est pas très-grand quand il n’y a ni com- motion ni compression; mais encore faut-il savoir soigner les plaies de danger moyen (4). Il cite un cas où des portions du crâne pénétraient fort avant dans le cerveau; une autre d’une pointe arrivant jusqu’au corps calleux, mais retirée aussitôt; un autre cas analogue, accompagné cependant de paralysie partielle; une épilepsie guérie par la trépanation qu'avait nécessitée une plaie de tête. Dans l'observation x14, il v a évidemment commotion; le sujet tombe sur la tête : point de blessure, mais perte du sen- timent et du mouvement, qui persista tout le temps. Vingt jours après, on finit par charger Marchelti de faire Ja trépanation ; c'était trop tard : au bout de trois semaines, le malade succom- bait. L'auteur a très-bien reconnu les céphalées vénériennes, et celles aussi qui sont causées par des tumeurs intra-crâniennes, ayant la vérole ou une autre diathèse pour cause. Il a opéré avec succés des tumeurs au col, des grenouillettes (incision et cauté- risation); il rapporte plusieurs cas de plaies pénétrantes de poi- (1) On ne s'élonnera pas de rencontrer au Moyen âge, à la Renaissance, même au xvuif siècle, tant d'observations de plaies de tête, sans qu'elles soient reçues sur un champ de bataille. Les rixes étaient alors plus fréquentes, plus terribles en- core qu'elles ne le sont aujourd'hui, C'était une petite guerre perpétuelle, 96h MONOGRAPHIES ET REGUEILS D'OBSERVATIONS trine (4), guéries surtout par le repos absolu; il a pratiqué avec succès l’opération de l’empyème, et l'ouverture des abcès du foie. Il a remarqué que les fractures par armes à feu sont fort difficiles à maintenir réduites, à cause du broiement des os, et que ées fractures, même simples, ne se consolident plus lors- qu’elles n’ont pas été bien soignées immédiatement. Marchetti traite par les bougies d’abord, puis, si cela est nécessaire, par les scarifications et la cautérisalion, les fistules uréthrales. Il pres- crivait, contrairement à l'opinion de Séverin, de faire la suture des nerfs et des tendons divisés. Les Consultationes, Responsiones et Consilia de Raymond Forti (4603-1678), publiés en nouvelle édition dans l’année 4704 (c’est celle que je possède; la première édition porte les dates de 1669-1678), appartiennent, comme l’auteur, au xvI° siècle (la permission d'imprimer est de 1668), et rappellent à la fois les Consilia de la Renaissance, en ce sens que les anciens y sont souvent cités, et les Observations plus modernes, où domine l'observation personnelle. Forti est un galéniste décidé, mais c’est un praticien assez habile. L'ouvrage à quatre centuries, sans compler les consilia pour les fièvres et les maladies des femmes. Les maladies sont rangées à capite ad calcem; les observations, fort détaillées, sont accompagnées de réflexions, et présentent les faits dans toutes leurs circonstances. L'auteur in- siste beaucoup aussi sur le traitement, mais il n’y a point d’ana- tomie pathologique ; -- quelques recettes superstitieuses. Les volumineux et importants recueils (2) de G.-H. Welsch (1624-1677), licencié, mais non docteur en médecine, publiés en 1668, 1675, 1681 et 1693, contiennent les observations de l’auteur, celles de ses correspondants ou de médecins plus an- ciens. La première collection, la plus rare, contient l’opuscule de Cumanus, si précieux pour l'histoire de la syphilis. Welsch est surtout un empirique. (1) Une de ces plaies a été suivie d’atlaques d’épilepsie, affection dont le blessé ne s'était jamais ressenli auparavant. (2) Il a publié aussi, en 1660, une curieuse dissertation De aegagropilis seu cal- culis in rupicaprarum ventriculis reperiri solitis, el un savant commentaire sur le texte d’Avicenne relatif à la filaire ou veine de Médine (1674). AU XVI° SIÈCLE, 965 Les Observationum medicarum libri quinque de Nicolas Ches- neau (1601 —?) ont paru pour la première fois en 1672, et ont été réimprimés en 1719. Il ne faudrait pas se laisser induire en erreur par le titre: Chesneau, comme Charles le Pois, prend pour ainsi dire les observations comme les pièces justilicatives d’un système, et ce système est la réhabilitation de la doctrine ancienne ; particulièrement de celle des catarrhes. Il attaque avec vivacité les belles recherches de Schneider (4) et les opinions de Van Helmont, et maintient le siége des catarrhes dans le cerveau. Il faut, dit-il, que ces deux auteurs, et Lous ceux qui les suivent aient eu la tête bien sèche pour nier la théorie de Galien et se refuser à l’évidence. Les observations sont nombreuses, mais trop souvent elles manquent de ces détails qui permettent un diagnostic rétrospecuf. L'ouvrage se lermine par un Mémorial thérapeutique où les maladies sont rangées par ordre alpha- bétique avec les remèdes qui leur conviennent. Blasius, dans ses Observationes medicae rariores (1677), donne le résultat d’un grand nombre d’autopsies ; mais cette anatomie pathologique est à peu près stérile, puisque le plus souvent on ne connait pas l'histoire de la maladie. Peut-être faut-il chercher dans G. Ten Rhyne (2), élève de Sylvius de le Boe, une description de Pangine de poitrine, ou de la maladie cardiaque des anciens. Ten Rhyne, qui avait séjourné au Japon, à Batavia, est très-habile sur la sphymologie chinoise et grand partisan des moxas. Dans les cinq livres des Observationes medicae et les Consilia de Lossius (Londres, 1672 et 1654), on trouve, entre autres, des remarques utiles sur la commotion du cerveau, le catarrhe suffo- quant, l’épilepsie, les morts subites, les inflammations du pou- mon (peut-être de la gorge?) avec paralysie du bras gauche, les calculs salivaires, ete. Je note dans la centurie d’Observations médicales (1677) de B. Verzascha le vagitus uterinus, et loutes sortes d’autres très- (1) Voy. plus haut, p. 695, {2) Voy. à la suite de son traité De arthritide (maladie — goutte et rhumatisme, surtout le chronique — qui a son siége dans le périoste, et qui est due à un flatus; Londres, 1683) : Febris cardiaca et cordis palpitatio ex flatibus, ab ipso auctore Passae, Elle régnait en Perse et au Bengale. 966 MONOGRAPHIES ET RECUEILS D'OBSERVATIONS d précieuses observations, accompagnées de savants Commentaires et de renseignements historiques. Il y a peu d'ouvrages dans la littérature médicale aussi recom- mandableset plus utiles que les Centuriae observationum rariorum (1687 et 1727), de Corn. Stalpart Van der Wiel (1620 —). Chaque observation, recueillie avec autant de soin que de dé- sintéressement, est suivie d’un commentaire fourni par l’auteur lui-même, ou tiré d’autres médecins ; les cas analogues sont rap- prochés avec soin, de sorte que ce recueil est à la fois un ouvrage pratique et une mine de renseignements historiques ; de nombreuses planches anatomo-pathologiques accompagnent le texte. On doit préférer l'édition de 1727. — C'est celle-là que Planque a traduite en 172$. Mais cette traduction n'est malheu- reusement pas plus fréquentée que ne l’est le texte. — A la suite des Observations se trouve une dissertation écrite par Pierre fils de Corneille Sur la nutrition du fœtus. Ce sont des tentatives d’injections des vaisseaux utéro-placentaires qui l'ont conduit à une très-mauvaise théorie ; il soutient en effet que ce n’est pas le sang de la mère qui nourrit le fœtus, mais que c’est une humeur épaisse et résineuse qui traverse lPamnios après s'être échappée du tube utérin, et arrive à la bouche du fœtus. Les Observations physico-médicinales (1694) de Pechlin (1646- 4706) sont au ombre de cent quatre-vingt-huit: elles embrassent là chirurgie aussi bien que la médecine. Ainsi on y trouve des remarques importantes sur les calculs, sur la lithotomie, sur les affections de l'utérus, sur les accouchements, sur la paracentèse, sur les polypes, sur la saignée, à côté d’observations sur un grand nombre de maladies internes ou rares ou communes, mais plutôt rares. L'auteur est exercé dans les recherches d'anatomie pathologique. Les Observations chirurqico-médicinales de Ido Wolf (1615- 1693) ont été traduites du manuscrit allemand (1693) en latin, par son fils Jean-Chrétien, en 1704. Ce recueil, où les observa- . tions sont encadrées dans des remarques critiques ou histori- ques, se compose de deux livres ; la chirurgie y domine. On doit signaler les observations sur les plaies de tête, sur celles du cœur, du tube intestinal, de la poitrine; sur les luxations des vertèbres, : AU XVII SIÈCLE. 967 sur le sarcocéle, sur les tumeurs. L'auteur, qui semble ne pas être éloigné du systéme archéique de Van Helmont, croit beaucoup à la nature médicatrice et aux causes finales. Wolf rapporte plusieurs relations d'anatomie pathologique. Quoique la doctrine soit généralement médiocre ou mauvaise, les observa- tions n’en présentent pas moins un très-réel intérêt. Là où il y a des observations, même au milieu des plus mauvaises doctrines, il y a toujours quelque chose à gagner. Martin Lister (né vers 1638-1711), dans un ouvrage imtitulé : Exercitationes medicinales de quibusdam morbis chronicis (De hydrope, diabete, hydrophobiu, lue venerea, scorbuto, arthritide calculo humano, variolis ; éd. de 1698), a rapporté un três-grand nombre d'observations fort instructives ; ou plutôt ce lhvre se compose d'observations avec préambules et commentaires théra- peutiques ou pathologiques. L'auteur déclare ne pas appartenir à cette foule de médecins modernes qui font grand état de la phi- losophie, surtout de la philosophie chimique, et qui méprisent, comme une vaine étude, l'examen scrupuleux des faits que la na- ture soumet à leur observation ; quant à lui, ila interrogé avec soin et la nature et la tradition. Emporté par trop de prévention con- tre les modernes, en faveur des anciens, Lister s’écrie : On met toujours en avant les maladies nouvelles comme un prétexte au. mépris des anciens; ce sont des rêves d’un esprit vide; qu’on lise attentivement; qu'on médite les livres dont on feint de vou- Joir se passer, et l’on restera convaincu que toute la médecine s’y trouve ! Il y a peu de monographies qui aient exercé autant d'influence sur les progrès ultérieurs de la chirurgie, par toutes lesremarques auxquelles elle a donné lieu, que celle de Verduyn d’Amster- . dam, sur Pamputation de la jambe à lambeau (1). (4) Dissertatio epistoliea de nova artuum decurtandorum ratione, 1697, traduite la même année par Vergnol que Verduyn lui-même avait amputé. Une seconde traduction a été donnée en 1756 par Massuet, qui a joint des remarques sur les moyens de perfectionner la méthode de Verduyn et d'en étendre les applications. Le traducteur disserte aussi sur l’ampulation à deux lambeaux, proposée par Ravaton et Vermale, chirurgien de l'Électeur palatin ; il discute en même temps les objections faites à ces deux méthodes par divers chirurgiens, entre autres par Louis, A la fin 968 MONOGRAPHIES ET RECUEILS D'OBSERVATIONS Je transcris dans la traduction de Vergnol la description du procédé adopté par Verduyn : « Avec la main gauche ayant for- tement empoigné cette partie du gras de la jambe qui est au- dessous de Ja ligature, il faut d'abord, de la main droite, enfoncer la pointe du couteau courbe, et la faire sortir de autre part, si près des os qu'il est possible, pour ne perdre rien des chairs, et d’un seul coup les trancher [suivant leur largeur| jusque près du tendon d'Achille ; puis couper transversalement sur le devant de los le cuir et les chairs, suivant la méthode ordinaire, en sé- parant du même couteau le périoste et ce qui est entre les deux os. Après avoir retiré en arrière la portion du gras qui a été laissée, il faut scier les os, et avec l’éponge mollette trempée dans l’eau tiède, nettoyer promptement la plaie afin qu’il n’y reste aucune esquille, ce qui pourrait retarder la guérison. Après quoi il faut défaire la ligature et renverser, sur la partie mutilée, la portion de chair qui a été conservée, et l'y bien ajuster en la comprimant de la main et la poussant de la partie postérieure de la jambe vers l’antérieure ; puis garnir les bords de la plaie avec le champignon, la charpie, les étoupes, ou avec quelque autre astringent propre (dont il faut peu), et envelopper tout le tronc avec la vessie ramollie, l’attachant avec les bandes d'em- plâtre adhérent ; on peut ajouter une seconde vessie dans la né- cessité. » L'appareil de pansement est beaucoup trop compliqué, et la jambe artificielle, imaginée par Verduyn, a été condamnée à cause de son poids énorme. Mais c’est bien du chirurgien hollandais que date Ja vraie réforme de la pralique des amputations, pratique qui n'a fait que des progrès insignifiants durant le xvn° siècle. Le Sylloge physico-medicinalium casuumn incantationibus vulgo adscribi solitorum de G.-A. Mercklin (1644-1702), publié. en 1698, est un des recueils les plus curieux pour l’histoire de la médecine magique ; l’auteur tient dans celte question un juste du volume se trouve une lettre où Van Wlooten rapporte trois cas de succès obtenus par la nouvelle méthode, et la réponse de Verduyn. Quel est ce «fameux chirurgien » de Londres, dont parle Verduyn, dans sa traduction, et qui aurait eu l’idée, mais sans qu’elle ait eu de retentissement, de l’'amputation à lambeau avant Verduyn ? C'est sans doute Lodwam, dont le procédé a été publié en 1679. AU XVII SIÈCLE. 969 milieu plus prudent que scientifique ; il ne nie pas tous les faits d'incantauons, mais il ne les accepte pas tous non plus. En de telles questions, les compromis paraissent impossibles ; l'autorité des témoins, la probabilité des faits ne prouvent rien; c’est le principe même qu'il est difficile à un médecin d’accepter. Saviard (1656 1702) a publié, l’année même de sa mort, son Recueil d'observations chirurgicales (au nombre de 428), dont une seconde édition avec commentaires a été donnée, en 1784, par Le Rouge (1). Je souscris en grande partie au jugement très- favorable de Haller sur cet ouvrage; toutefois Je trouve que Saviard est trop prompt à blâmer les confrères et trop pressé de se donner des éloges. [1 a attaqué avec acrimonie le lithotomiste Jacques Beaulieu ou Baulot. Toutefois 1} remarque, non sans finesse, mais peut-être non sans injustice (2), que frère Jacques doit sa grande réputation à ces cinq circonstances, dont quatre au moins contribuent encore à la renommée de nos charlatans empiriques: € 1° parce qu’il n'opère pas de la même manière que les autres lithotornistes (appareil latéralisé intéressant la prostate, le corps et le col de la vessie) ; 2° parce qu'il a beaucoup de har- diesse tant à opérer qu'à vanter ses prouesses: 3° parce qu’il semble être désintéressé (de quoi il pourrait être blâmé, de par l'Evangile, pour montrer plus de zèle et de vertu qu’il n’en faut selon la science et selon Dieu !); 4° parce qu'il porte l’habit de moine et qu'il parait dévot ; 5° parce qu’il assure que tout ce qu'il sait de la chirurgie lui est venu par inspiration divine, de sorte que n'ayant rien dépensé pour se faire instruire, 1] veut aussi enseigner à d’autres gratuitement ce qu’il sait. » Ce dernier trait serait un motif de louange plutôt que de blâme; nos chirurgiens empi- riques ne sont pas aussi communicatifs. Pour en finir avec la critique, remarquons que Saviard a des procédés un peu barbares (4) Le plupart des observations ont été recueillies par Saviard lui-même ; quel- ques-unes lui ont été communiquées par d’autres chirurgiens. (2) Beaulieu a compté un grand nombre de succès dans tous les pays par où il a passé ; Saviard ne semble tenir compte que des revers. — Dionis, en ses Opéra- tions de chirurgie, après avoir également fort maltraité frère Jacques, reconnait cependañt qu'il y a du bon dans sa méthode, mais à condition d'être mise en pra- hique par un chirurgien habile anatomiste, 970 MONOGRAPHIES ET RECUEILS D'OBSERVATIONS pour la cure prétendue radicale de lexomphale (observ. 9); qu’il use d’une véritable brutalité pour pénétrer dans la vessie en forcant les rétrécissements et en donnant lieu à d’abondantes hémorrhagies (voy. par ex. observ. 73); qu’il ne paraît pas sa- voir reconnaître l’abaissement du renversement de la matrice. Saviard à été heureusement inspiré quand il a 2naginé (observ. 6h) d’aviver, après les avoir réunis, les bords d'une fistule ancienne, suite d'une opération de taille ; mais les moyens employés pour rafraîchir les bords et pour les maintenir en con- tact ne seraient probablement pas approuvés de nos jours. Les observations 8 el k contiennent la relation d’une imperforation de Vanus chez un enfant nouveau-né, et de l’'hymen chez une jeune fille. Dans l'observation 5, il est question d’une femme qui était prise d’œdème aux membres supérieurs chaque fois qu’elle avait ses régles. Saviard (observ. 7) traitait l’anévrysme par l'incision de la tumeur et par la double ligature au-dessus et au-dessous de celle tumeur ; mais il se pressait beaucoup trop de lever le premier appareil. L'observation 107 est consacrée à un malade qui avait une multitude de pierres enchatonnées dans des cloisonnements de la vessie. On doit rapporter aussi plusieurs observations rela- tives à des accouchements laborieux ou compliqués. Enfin, je re- lève dans l'observation 100, à propos d’une morsure par un chat enragé, de curieux détails de mœurs. Malgré une vive opposi- tion, Saviard, esprit fort, avait fait l’antopsie de l'individu qui avait succombé aux suites de cette morsure, et il ajoute : « Au reste, cette ouverture mit dans la suite beaucuup d'alarme dans Phôpital ; la peur saisit quelques dames religieuses et d’au- tres particuliers qui avaient assisté à cette ouverture ; M. le che- valier de Pontcarré, qui en était, fit le voyage de Dieppe pour être plongé dans la nier ; les dames religieuses prièreot M. Méda- vid Grancev, archevêque de Rouen, de les venir guérir par la préparation et l'application d’un remède secret qui lui était par- ticulier et dontil cachait soigneusement la composition ; et comme il fallait que cette application se fit à jeun, et que la composition du remède devait être réitérée pour chaque malade en particu- lier, il était plus de trois heures après midi avant que les der- nières guéries pussent manger. Cependant ces dames n’élaient AU XVII* SIÈCLE. 971 pas evcore bien revenues de leur crainte par cette mystérieuse opération ; elles firent venir le jeune chevalier de Saint-Hubert, qui nous toucha tous et nous préserva de telle sorte qu'aucun de nous n'a eu dans la suite la moindre atteinte de ce mal. » Ridley (voy. plus haut, p. 888, note 1) à publié un recueil trop peu connu d'observations (1) et d’autopsies. On y remarque des observations sur les convulsions et Ja céphalalgie à la suite d’in- fection syphilitique ; d’excès de sensibilité de la peau d’ane partie du corps; de prurit vulvaire; d’hystéries avec des formes parti- culières ; d'asthme; de convulsions chez les enfants, avec au- topsie ; d’une femme infectée de vérole par un enfant à qui elle donnait le sein, etc. Je mentionnerai, en finissant, les Observationes (1614 et 16/1), les Consilia (1615) de Félix Plater (1536-1641), où lon trouve plusieurs relations d’autopsies ; — les douze décades d’obser- vations, ou Praxis medico-chirurgica rationalis (éd. de 1695) de J. Muys; l’auteur, très-heureux dans la pratique, est en théorie beaucoup trop cartésien; — les dix Decades miscellaneorum medicinalium (3625) de J.-B. Cortesius (1554-1636), où l’au- teur traite de toutes sortes de sujets, de médecine, de chirur- gie, d'anatomie, de physiologie et d'hygiène ; on y trouve d’in- téressants détails historiques et pratiques sur Pautoplastie ; — les Observationes medicae (1684) de Antoine de Heyden (1772 —), de Meekren (1682), de Hagendornius (1698); —]les Observationes medico-physicae (1680), ouvrage posthume de Hellwig (1600- 1674), publié par Schroeck ; — enfin, les nombreuses Centuries d'observations rédigées par Fabrice de Hilden (1560-1634) du- rant sa longue carrière, et qui appartiennent pour une petite partie au xvi° siécle et pour la plus grande au xvn°. Ces Centu- ries contiennent, outre le résultat de la pratique de Fabrice, un grand nombre d'observations empruntées à d’autres auteurs (4) Observationes quaedam medico-practicae el physiologicae, inter quas ali- quanto fusius agitur de asthmate et hydrophobia, quarum etiam decem ultimis subjiciuntur administrationes totidem corporum, etc.; Lugd. Bat. 1703 et 1728, 8°. — Le titre annonce une dissertation sur les vaisseaux du fœtus ; c’est la 33° obser- vation, p. 177 ; la planche se trouve à la fin du volume, Je n’ai trouvé ces Obser- vationes qu'à la Bibliothèque impériale, A POS 972 DE LA CHIRURGIE AU XVII SIÈCLE. ou qui lui ont été communiquées; elles fournissent aussi de notables renseignements historiques. Les recueils périodiques du xvir siècle, et en particulier les Éphémérides des Curieux de la nature et les Mémoires de l Aca- démie des sciences, les Transactions philosophiques, sont remplis d'observations de médecine et de chirurgie. — Les ouvrages de Ruysch abondent aussi en observations médicales, chirurgicales et d'anatomie pathologique. Cette longue mais incomplète énumération prouve combien il y avait de mouvement en dehors des écoles, et combien la mé- thode d’observation cherchait à se faire jour à côté de Pesprit de secte et d'hypothèse. Mais on a leu de s'étonner que tant d'empressement à récolter les faits, souvent tant d’exactitude à les reproduire, n’ail pas plus contribué à écarter de la pathologie et de la thérapeutique générales toutes ces conceplions « priori qui ne reposent absolument sur rien. Malheureusement les faits sont isolés, sans attache, sans lien, rassemblés presque sans autre but que de satisfaire la curiosité ou le goût pour lÆsstoire naturelle, et ne parlent pas plus à ceux aui les voient qu’à ceux qui les lisent. C'est à nous maintenant d'en faire notre profit; mais qui ouvre et qui connait ces vieux ouvrages ? Quelques chirurgiens; encore moins de médecins. La chirurgie au xvi siècle, surtout celle qui est représentée dans les traités dogmatiques, les seuls dont je veuille m'occuper ici (1), ne diffère pas très-sensiblement, si ce n’est en paroles, de la chirurgie au xvi‘ siècle. Les efforts vers le progrès sont surtout manifestes dans les recueils d'observations dont nous venons de parler; mais rien encore ne fait nettement pressentir cette grande et noble chirurgie du xvur° siècle, cette chirurgie qui repose sur des connaissances solides en anatomie, sur un diagnoslic raisonné et sur des essais satisfaisants d'anatomie pathologique. En Italie, car c’est encore en ce pays, au début du (1) Voyez plus haut les recueils d'observations et les monographies, particulie- rement les ouvrages de Geiger, de Marchetti, de Tulpius, de Saviard, de Verduyn. MAGATUS. 973 siècle, que la chirurgie cherche le plus activèment à sortir des ornières, en [lalie nous trouvons, au xvi° siècle, Magatus (1579- 1647) et Marc-Aurèle Séverin (1580-1656); — en France, Pierre Dionis ( — 1718) ; Saviard (voy. plus haut p. 969) ; Baulot ou Beaulieu, ou encore Frère Jacques (1651-1714), le célèbre litho- tomiste ; Belloste (1654-1730), disciple fervent de Magatus; Ma- reschal (1653-1736), un des hommes qui, sans écrire aucun livre (1), ont exercé le plus d'influence au xvir siècle sur les progrès de la chirurgie en proposant avee La Pevyronnie, à Louis XV, la fondation de l'Académie de chirurgie; — en Angle- terre, Richard Wisemann, chirurgien de Jacques I; — en Hol- lande, 3-3. Rau (1658-1719), un des plus habiles promoteurs de la taille latéralisée ; Verduyn (voy. plus haut, p. 967); G. van So- lingen (mort vers 4702;; Palfyn; — en Allemagne, Purmann; Seullet (1595-1645), connu surtout par son Armamentarium (1653), ou Arsenal de chirurgie, ouvrage précieux pour la descrip- üon et l'histoire des instruments, et pour les observations qu’on y rencontre; Muralt (1655-1733), et quelques autres chirurgiens de moindre renom. Nous cowmencerons par lIlalie, et en Italie par Magatus, renommé pour avoir tenté de simplifier les panse. ments, Ce qui élait une des réformes les plus utiles et les plus urgentes de la chirurgie. César Magatus (1579-1647 ou 1648) pratiqua la médecine à Rome, à Naples, à Bologne, fut professeur à Ferrare, et finit par entrer dans l’ordre des Capucins, sans cesser d'exercer son art. — Magalus ne se vante pas d’avoir eu le premier l’idée de modifier le pansement des plaies; il raconte, au contraire, qu'il avait vu celte nouvelle méthode mise en pratique par la plupart des chirur- giens de Rome, mais qui agissaient ainsi plutôt par empirisme que par raisonnement; c’est lui qui, élevé clans les anciens errements, s’est chargé de réduire cette pratique en doctrine(2). On peut (4) Ses Observations ont été publiées par divers chirurgiens, ses élèves, ou dans les deux premiers volumes des Mémoires de l'Académie de chirurgie. W avait per- fectionné le Luut appareil pour la taille. (2) De rara medicatione vulnerum, ete. La première édition a paru à Venise en 1616, in-f°; l'édition de Francfort, 1733, en deux volumes in-4°, beaucoup Ru ES as CT des IE +#3 974 DE LA CHIRURGIE AU XVII* SIÈCLE. ajouter aussi que déjà le chirurgien Würtz (— 1576) avait signalé l'abus des tentes ([, 2). Deux questions soñt en litige : les plaies creuses (car il s’agit surtout de celles-là) doivent-eiles être remplies de tentes? Faut-il renouveler souveni l'appareil et les visiter une ou deux fois chaque jour ? Magatus énumère les quatorze raisons assignées en faveur de l’ancienne méthode : les principales sont qu'il faut toujours absterger et dessécher; qu'on s'expose à voir la putréfaction, même la gangrène se produire si l’on ne panse pas très-souvent les plaies; qu'il y a nécessité de renouveler journellement les médicaments et d’en observer les effets ; de donner un pronostic quotidien; d’éloigner les causes d'irritation; enfin, qu'on s’est toujours comporté de cette façon, et qu’on s’en est bien trouvé, parce que c’est un procédé rationnel, tandis que la méthode opposée est aouvelle, rompeuse. La preuve c'est que les bons auteurs, les auteurs patentés n’en ont pas parlé! £rgo/ Ce sont là précisément les objections que Magatus lui-même avait commencé à proposer aux chirurgiens qui suivaient les préceptes condamnés. De fait, il y répond par des arguments de l’ordre logique plutôt que de l'ordre scientifique, et 1linvoque les raisonnements piutôt que des expériences bien suivies. [l faut nous contenter de ce genre d’argumentalion à la mode en ce temps-là, puisqu'elle a conduit Magatus dans la bonne voie, et qu'il a fini par s’en rapporter à sa propre observation. La première raison pour s'écarter de l’ancienne pratique, c’est que l’on conserve mieux la chaleur et que même on l’accroit en . pansant rarement les plaies; or, la chaleur est nécessaire pour leur guérison. — Seconde raison : ce qui retarde le plus et em- pêche même la cicatrisation des plaies, c’est l’afflux d’humeurs vers lesdites plaies; or, plus on irrile les plaies en les découvrant, plus correcte et plus complète (c’est celle dont je me sers), contient la réplique signée par le frère de Magatus aux attaques dont la doctrine de celui-ci avait été l'objet, et de plus une très-bonne préface de Crégut sur l’état des sciences médi- cales au xvn® sièele et au commencement du xvin. On y voit qu'un Syraeu- sain, Zumbo, avait inventé les représentations anatomiques en cire colorée, et que J.-B. Bianchi, à Turin, et Desnoues, en France, avaient porté eet art à un rare degré de perfection, MAGATUS, 975 en les bourrant de charpie, plus on dissipe la chaleur naturelle, plus aussi on affaiblit les parties, et plus on les dispose aux fluxions. — Troisième raison : Galien a dit, dans sa Méthode thérapeutique, qu'il faut surtout éloigner des plaies simples ou creuses tout ce qui offense la nature; or, il n’y a rien d’aussi contraire que l'air ambiant qui refroidit les parties. — Quatrième raison : Hippocrate déclare, dans son traité Des fractures, qu’on nuit beaucoup à la coaptation et à la cicatrisation, en découvrant et en fatiguant sans cesse les fractures et les plaies. — Cinquiè- mement : Si le nouveau mode de pansement est jugé si excellent par les maîtres, on doit tenir pour certain qu'il engendre moins de parties excrémentitielles que l’autre. Enfin, l’expérience prouve qu'avec celte méthode les plaies guérissent plus heureusement el plus vite qu'avec l’ancienne ; cette seule raison suffisait! Ma- gatus ne veul pas qu’on défasse le bandage avant le quatrième jour; il est d'avis qu’une plaie simple réclame ordinairement sepi à huit jours pour se cicatriser, quelquefois moins; ilena vu se cicatriser en quaire jours. Quant à l'usage des tentes et des gâteaux de charpie, pour la défense desquels les traditionalistes avaient d’aussi bons argu- ments que pour les pansements fréquents, Magatus n’a pas de peine à établir les bons principes ; il n’allègue que cinq raisons, mais elles sont en partie valables : loin qu’il soit bon de tenir les lèvres de la plaie béantes, il faut au contraire les rapprocher ; Galien lui-même l'affirme, et, en de telles circonstances il use de médicaments liquides versés au fond de la plaie. Rien ne prouve mieux l’inutilité et le danger des tentes que les désordres (déchi- rures, douleurs, afflux d’humeurs, effusion de sang, etc.) qu'on produit dans une plaie quand on les met ou qu’on les enlève. En s’imbibant de pus et d’autres détritus, la charpie ne peut qu’en- trelenir le mal et offenser la parte ({, 1-7). Mägatus donne ensuite la définition des plaies, indique leurs différences, leurs signes, leur pronostic; il entre dans toutes sortes de longues considérations ou discussions sur les phénomé- nes et accidents que présentent les plaies, sur les diverses condi= tions où elles se trouvent; c’est une section de son livre extrêmement fastidieuse, et toute galénique. Après quoi, il entre 976 DE LA CHIRURGIE AU XVII SIÈCLE. dans des détails non moins prolixes sur la cure, tant interné qu'externe, des plaies en général; et là, il rapporte des exemples et cite quelques autorités (1) pour établir l'excellence de sa méthode. Le second livre est consacré à l’histoire de chaque espèce de plaies en particulier; l'auteur s'arrête avec une prédilection marquée sur les plaies de tête. On y trouve plusieurs remarques importantes {2), mais dont l’énumération nous entraînerait trop loin (3). Notons seulement qu'avec Ambroise Paré, Magatus prouve (car le préjugé existait encore) par de longs et nombreux arguments, que les plaies par armes à feu ne sont point empoi-' sonnées ; tous les désordres que cause la balle, le danger qu’elle fait courir viennent de la violente contusion ; il a néanmoins pour ces plaies plu-ieurs huiles (entre autres l'huile aux petits chiens) ou onguents particuliers, (Append. De vulner. sclopo inflictis.) Sennert avait attaqué Magalus assez vivement; celui-ci, prétextant de ce qu'il était devenu moine et ne voulant plus s’occuper des affaires de ce monde, s’abrita derrière le nom de son frère Jean-Baptiste et écrivit une verte réplique en deux parties, où il reprend et corrobore les preuves déjà données en faveur de sa méthode et auxquelles il en ajoute de nouvelles. Il invoque tour à tour les autorités, l'expérience et le raisonnement contre les pansements fréquents et l’usage des tentes ; mais il ne donne pas de rêgles bien fixes pour le renouvellement des appareils. (4) D'abord, pour les besoins de la cause il s'élait appuyé sur Îes témoignages d'Hippocrate et de Galien ; ici, pius soucieux sans doute de sa propre réputation, il incline à dire que la nouvelle méthode leur était inconnue, aussi bien qu’à Celse, à Avicenne ct aux autres, exceplé pout-êlre à Paracelse (1, 41-43). (2) Il redoute les contusions du eràne plus peut-être que les fractures, à cause des chances de gangzrène interne et des accidents de commotion. On doit enlever avec la rugine toute la félure lorsqu'elle ne pénètre pas, et trépaner si elie intéresse l'épaisseur du crâne. Il pense qu'une large fracture du crâne fait office de trépan. Il défend de retirer les corps étaugers qui ont pénétré dans les plaies avant l’éta- blissement de la suppuration ; ce qui semble une mauvaise pratique. (3) Au chapitre 4°", il se défend vaillamment contre les médecins qui l’accusaient de pénétrer sur leurs domaines en traitant des maladies internes produites par les affections chirurgicales, et il montre comme Séverin, mais mieux que lui, les tristes résultats de la séparation de la médecine d'avec la chirurgie, MAGATUS. -— SANCASSAN(. 971 Sancassani (1669-1718) est l'apologiste le plus passionné, le dé- fenseur le plus ardent et le plus instruit de Magatus ; ses œuvres ont été réunies sous ce titre : Dion. Andr. Sancassani Dilucida- ziomt fisico-mediche tendenti a richiamare la medicina pratica alla preziosa purita in cui ce la lascio il grande Ippocrate ; con altrè trattati concernenti a tale importantissimo argomento. — 1731-1738. 4 vol. in-folio. — Ce recueil, très-rare en France, se compose d'une foule d'ouvrages dont les auteurs sont plus ou moins favorables à la doctrine de Magatus : Pelagio, Zambeccari, Herm. Van der Hevden, Pisoni, etc. Le texte de la plupart de ces ouvrages est accompagné d'éclaircissements, de commentaires, de lettres, de dissertations par Sancassani. On y trouve aussi la réfutation des objections faites de divers côtés contre la méthode préconisée par le célèbre réformateur. On remarquera particu- lhièrement dans le premier volume une statistique des résultats que fournissent les deux méthodes de traiter les plaies, statistique donnée par Magnani, Pietro Cessoni et Mario Gecchini, durant l’année 1700, à l'hôpital du Saint-Esprit à Rome. On regrette seulement de n’y trouver presque aucun délail sur la nature des blessures. Il est bien entendu que tous les avantages sont pour la pratique de Magatus. Le second volume, en tête duquel se trouve une brève notice biographique sur Magatus, écrite par son neveu Prosp. Magatus, est rempli en grande partie par la traduction du Chirurgien d'hôpital de Belloste (17 vero Maqati redivivo) avec les dilucidazioni, les additions et les aphorismes de chirurgie de Sancassani, qui à réuni aussi un certain nombre d'observations de Belloste (6° partie) et les siennes propres; elles sont très- nombreuses. Les deux derniers volumes renferment la suite des observations de Sancassani, des lettres et autres {estimonia ou apologies en faveur de la nouvelle méthode, la Défense de Maga- tus publiée sous le nom de son frère, enfin l’Aré de sucer les plaies, par Anel. En laissant de côté la plupart des explications et hors-d’œuvre qui abondent dans ce recueil, on y trouve une foule d’observa- tions qui peuvent servir à l'histoire de la chirurgie. DAREMRERG. 62 978 DE LA CHIRURGIE AU XVII‘ SIÈCLE. Marc-Aurèle Séverin paraît avoir été très-frappé de labais- sement et du discrédit dans lesquels était tombée la chirurgie au xvii° siècle (1); il en attribue la cause ([, 5, — voy. aussi chap. 10) à la fatale séparation de la médecine et de la chirurgie; de là découlent nécessairement, faute de notions théoriques, la négligence des chirurgiens dans la recherche des causes et de la nature des maladies, leur mépris pour la lecture des grands au- teurs, leur ignorance presque complète de l'anatomie, laquelle peut seule donner fermeté à la main et assurance dans le dia- gnoslic ou le pronostic. Les chirurgiens ont été réduits à la mi- sérable condition de manœuvres timides ou aventureux qui n’ont ni souci de leur dignité ni soin de la réputation qu'ils pourraient acquérir en se montrant plus hardis. Séverin rapporte à ce sujet des exemples à peine croyables, soit de la timidité des chirur- giens, soit de la témérité des charlatans. — A l'en croire, on n’osait plus faire la plus simple opération, où bien on portait le fer et Le feu sans savoir ni pourquoi ni comment. Notre auteur se plaint aussi de la mollesse de ses concitoyens qui se refusent à souffrir la moindre douleur, ce qui nous rappelle l’ostracisme dont Archagathus fut victime lorsqu'il voulut importer à Rome la mâle chirurgie des Grecs (2), au lieu de se contenter des simples usités dans la médecine populaire. Séverin prend occasion de ces remarques touchant la couar- dise des chirurgiens et la préférence qu’ils donnent aux mé- dicaments sur l'emploi des instruments tranchants ou sur l'usage des cautères actuels, pour faire la guerre à Paracelse, «homme ambitieux, ennemi juré du part des Grecs », qui a donné le triste exemple de celte chirurgie bâtarde où l’on vante les baumes, les (1) 1l est bon de mettre sous les yeux de mes lecteurs le titre farouche et ambi- tieux que Séverin a donné à son ouvrage : De efficaci medicina libri LIT qua Her- culea quasi manu, ferriignisque viribus armata, cuncta, sive externa sive interna tetriora et contumaciora mala colliduntur, proteruntur, extinguuntur, adjuvan- tibus aeque pragmatias experimento, methodi fulcimento, auctoritatis complemento. Opus antehac in arte desideratum. — La première édition est de Francfort, 1646. — Quel médecin qui se respecte oserait aujourd’hui inscrire un pareil titre en tête d'une de ses œuvres. Beaucoup de nos anciens ont poussé aux dernières limites Pou- trecuidance, et, tranchons le mot, le charlatanisme professionnel, (2) Voy. plus haut, p. 177, - SÉVERIN. 979 onguents et où l’on tolère seulement les escharotiques (I, 8 et 9). Il faut une chirurgie tranchante et non émoussée (II, 11), une chirurgie où prudence ne soit pas synonyme de lâcheté et d'absence de savoir (1, 10). Il n’y a pas de chirurgie cruelle (A) quand elle procède, non au hasard, mais avec méthode pour le soulagement ou la guérison des malades (£, 12 et 13). Séverin va sans doute un peu loin lorsqu'il veut nous faire croire que la douleur est très-supportable par elle-même, et qu’on doit tou- jours être disposé à la souffrir pour la santé et l'intégrité du corps (1, 13). Ilest pleinement dans son droit lorsqu’il affirme que la chirurgie active, efficace, herculéennne, est moins dangereuse et rapporte plus de gloire que la chirurgie indulgente, efféminée et d’aventure,.ou qu'il s'élève contre cet «bsurde raisonnement qu'il y a prescription contre la chirurgie virile, puis qu elle a été abandonnée depuis si longtemps. Séverin n’a pas de peine à mon- trer que c’est l'ignorance, la barbari® et les préjugés qui sont la seule cause de ce délaissement (1,15). Mais en quoi consiste cette de efficace entre les mains de Séverin? Ne croyez pas, Messieurs, qu'il s'agisse d’imagi- ner de grandes opérations que n’avaieht pas tentées les. anciens pour remédier à des affections mieux connues et jusqu'ici négli- gées, ni même de revenir à la prafique savante des Alexandriys et des habiles chirurgiens qui vivaient au temps de Galien, et dont Oribase, Aétius, Paul, ou Rhazés noûs ogt conservé tant de précieux extraits. A lire le fier préambule’ de Séverih on ne s'attendrait guère, en effet, à trouver dans son livre si peu de chose de la grande chirurge. C’est cependant à quoi. il faut sé: résigner quand on ne s’en rapporte pas au titre et qu'€ "pr pare au cœur de l'ouvrage lui-même. Il y a trois espèces de chirurgie : la com positive ou mprhisai la divisive ou diérèse; Vextractive ou exérèse. La principale dignité de la chirurgie consiste dans la diérèse, c’est-à-dire dans [2 (4) Voyez ia contradiction! Séverin (1, 12) semble accuser Tagliacozzi de faire une véritable boucherie dans ses belles opérations d’autoplastie. Il ne ménage pas non plus Fabrice d’Acquapendente, mais avec plus de lôgique, car ce chirurgjen tenait pour les cures douces et faciles, Hi ; 986 DE LA CHIRURGIE AU XVII® SIÈCLE. les #ncisions (1, 18), auxquelles il faut joindre les cautérisations par le fer rouge. Cette seule division prouve déjà que Séverim n'avait pas une idée ni bien nette ni très-large de la chirurgie, car la diérèse n’est en général, à proprement parler, qu'un préam- bule, qu'un préliminaire aux véritables opérations, c’est-à-dire à l’ablation des tumeurs, à l’extraction des corps étrangers, à la séparation des parties gâtées : ce n’est qu’un moyen de péné- trer dans les cavités, vers un vaisseau à lier, une hernie à ré: duire, etc., etc. — S'agit-il de tout cela pour Séverin? Non! mais de la section de Ja peau du front (ypospathisme) ou de l’occiput (péricyphisme) pour des affections qui sont aussi bien du ressort de la médecine que de celui de la chirurgie (c’est ce qu'il appelle l'exothérapie où traitement externe, par opposition à l’entothérapie où médecine interne), de la scarification, de l'artériotomie, de l'ouverture des abcès, de l’excision. Ajoutons, cependant, que la lithotomie est rangée sous celte rubrique. Cela dit, Séverin, qui avait déjà donné, au début de son traité, une histoire un peu fantaisiste de la chirurgie héroïque et de la chirurgie suivant les diverses nations (f, 2 et 3), expose les mé- thodes suivies depuis Paracelse jusqu'à lui (f, 19-21), et aborde dans la seconde partie les opérations en particulier. On voit aisé- ment que son cadre est extrêmement restreint. Ainsi il passe successivement en revue l’artériotomie et ses nombreuses es- pêces, qu'il célèbre pour toutes sortes de maladies, donnant des exemples à l'appui : — la cautérisation des mêmes artères; — la phlébotomie, où 1 indique une multitude de veines à saigner; — la cirsotormue (LE, 37), ou opération des varices, laquelle con- siste, soit en une simple ouverture, soit dans la secuon complète de la veine, comme la pratiquait Fallope et comme notre auteur lui-même la recommande. € Quant à moi, fondé sur le raisonnement de ce personnage (Fallopius) et l'autorité de Galien au livre HE de sa Méfhode thé- rapeut., ©. h, et au iv. Il Des médicaments selon leurs genres, ch. 2, etsur Aetius, Tetrab., Serm. x1v, ch. 4, lesquels avertissent que si les varices sont jointes à un ulcère, jamais il ne se conso- lidera, quelque peine que l’on prenne, j'ai guéri très-heureuse- ment, et contre toute opinion, des ulcères de deux, trois, sept et SÉVERIN. 981 dix ans, voire des plus invétérés, en coupant les varices qui étaient autour, lesquelles empêchaient la consolidation. Jai fait le pre- mier celte sorte d'opération dans Naples, ayant néanmoins été criminalisé au commencement parles gouverneurs et intendants de l'hôpital qui croyaient que l’on mettait les patients en un évident danger; mais les bons événements qui ont suivi, par la orâce de Dieu, lequel a favorisé ce qui se faisait à bonne inten- tion, ont fermé la bouche aux envieux et à ceux qui ne compre- naient pas bien l'affaire. Or, d’entre ceux que j'ai guéris, quoique ce ne soient point gens de marque, je veux principalement faire mention d’an frère mineur de la province de Rome, nommé frère Antoine Cavensis, lequel ayant porté l’espace de douze ans un ulcère, effectivement petit, au talon, mais extrêmement opiniètre et incurable, je le rendis sain au mois de septem- bre, l’an 1625, ayant coupé la petite varice qui était dessus. Et un autre nommé Dominic Ferrarius fut guéri d’un sem- blable ulcère en l’an 4629. Or, £’estune chose digne de remarque que, quoiqu'il y ait une grande douleur en ces parties qui sont au-dessous, il ne reste aucun mal après avoir coupé les varices qui sont beaucoup au-dessous (ste). Il faut aussi remarquer que toute l’enflure des parties inférieures disparaît, et que la partie revient à son état naturel sitôt que l’on a coupé ces entortillements, tout de même qu’une plante vient à sécher sitôt qu’on lui a ôté l’eau qui l’arrose. Il faut encore admirer ceci que nous avons décou- vert avec contentement en un homme travaillé des varices : il avait au-dessus du genou, en dedans, des varices entortillées, lesquelles, montant en haut, faisaient comme une petite colline, et s’allant rendre vers l’aine, venaient à descendre insensiblement en bas de ce tubercule. Ayant donc coupé la varice en cet endroit, je fis expression du sang qui était dans ce tubercule autant qu'il me fut possible, et du bout qui était resté au bas, le sang coulait abondamment au commencement ; mais, mon industrie étant de- venue inutile, il se fitun abcès en la partie, comme l’ulcère fait par la section était déjà mondifié. Voici donc ce que jy ai trouvé digne de remarque, c’est que le sang qui avait croupi dans ces re- plis entortillés, étant refroidi par la discontinuation de l'influence de la source, n’avait pas pu garder sa consistance, et par consé- 982 DE LA CHIRURGIE AU XVII° SIÈBLE. quent y était corrompu. Et ce qui est encore plus admirable, les veines mêmes étaient aussi pourries; mais néanmoins, l’ulcère ayant été au bout de quelque temps mondifié, cel homme fut guéri. » Outre toutes ces cirsotomies que j'ai exercées en ces mem- bres, j'ai encore fait particulièrement celle du scrotum (varico- cèle?), laquelle est tellement abolie en notre siècle qu'il semble une chose absurde et téméraire de lentreprendre. Néanmoins j'ai guéri quelques-uns en notre hôpital et hors d'icelui. Sous ma con- duite Jean-Dominie Moschius a guéri Augustin Pharensis, de la société de Saint-Horace Gambaveta au couvent de Sainte-Marie de Grâce, à Naples, quoique Aetius tienne au Tetrab. IN, serm. 2, ch. pénult., que ces opérations sont très-difficiles » (traduct. de Th. Bonet, Bibliothèque de médecine et de chirurgie). Séverin, appuyé sur l'autorité d’Oribase, confirmée par le docte Sébastien Travus, professeur à Turin, et par Montuus, célèbre la scarification et entre dans de grands détails sur sa merveilleuse efficacité contre les maladies internes ou externes. Sous le titre de paracentèse il comprend diverses opérations d’un genre très-différent : les ponctions de la dure-mèêre, l'ouverture des hydatides, celle des diverses tumeurs des paupières ou de la surface du globe oculaire, des hémorrhoïdes, opération de hy- drocèle, etc. ; enfin la véritable paracentèse. Nous donnons ici les chapitres 43 et 16 qui fourniront un nouvel échantillon de la pratique du temps et aussi une idée des préjugés auxquels Séverin resta soumis et qu’il a cependant combattus avec véhé- mence au début de son traité. Dans le chapitre 138, 1l décrit une nouvelle manière de traiter la hernie, et qui est empruntée tex- tuellement à Al. Benedictus (XXXV, 37) (4). « Il faut avoir une forte aiguille par laquelle on fera passer un fil de soie crue extrêmemeni fort qui ait un pied de long ; on fera aussi faire une petite platine d'ivoire ou de corne ayant la figure (1) Souvent Séverin fait de semblables emprunts, mais en citant parfois de telle facon, qu'il pourrait passer pour l'inventeur des procédés qu'il décrit, — M. Malgaigne (Introd. aux Œuvres d'A. Paré, p. cur et suiv.), rapproche le pro- cédé de Benedictus, pour la cure radicale des hernies, de celui de Bonnet de Lyon, et il ne le désapprouve pas tout à fait, SÉVERIN. 983 d’un rectangle oblong et d’un pouce de largeur ; on tiendra en- core prêts les cataplasines et autres emplâtres nécessaires. Le malin on couchera le malade sur le dos après avoir repoussé les intestins. On rasera auparavant la partie; alors on étendra le scrolurm afin que la peau de laine soit bandée, et le malade re- tiendra doucement son haleine sanscriér ; le chirurgien arrêtera de la main gauche , adroitement, la membrane, repoussant le boyau de peur qu’il ne descende en bas, et de la droite il cher- chera la veine (vaisseau) spermatique qui va au lesticule avec la- quelle il faut attraper en même temps toute la membrane et la peau, faisant passer l’aiguille trempée en huile auprès de la veine, sans appréhender ; puis tirant le filet, et l'aiguille étant sortie, le serviteur prendra le filet, et mettant la petite lame dans le filet, il la serrera bien de sorte qu’elle soit de plat sur la peau, sans tou- cher à l’autre parte du serotum, et les deux testicules étant hors du nœud ; tous les jours il faudra une fois ou deux contourner la platine qui est dans le filet, lequel, en étreignant insensible- ment de tous côtés, ronge peu à peu la peau et la membrane en la serrant, et élargit le trou qui est vers le testicule où il se forme du pus, et en même temps la plaie qui a été dilatée se con- solide par le moyen des médicaments que l’on met dessus, de sorte que la plaie s'ouvre peu à peu, et en même temps les bords viennent à se joindre l’un à l’autre, car le filet qui serre de tous côtés coupe entièrement la plus grande partie de ee qu’il étreint en l’espace de dix ou quinze jours. Il faut alors faire en sorte qu’il se forme une cicatrice et qu’elle s’affermisse par un calus, pre- nant soigneusement garde que la partie qui a été tout fraîchement offensée ne vienne à se relâcher et que le boyau ne descende de- rechef, par ce moyen, 1} ne faut point appréhender que les veines venant à s'ouvrir, 1 arrive une perle de sang ou inflammation : ais immédiatement après la piqüre on met par-dessus un oxy- rhodin de vin et d'huile rosat, et après, un cataplasme de lentilles avec miel ou vin, dans lequel on a fait cuire de l'écorce de gre- nades. Après que l’inflammation est apaisée, on en applique un autre fait de farine de froment et de résine de pin ; on déterge peu à peu le pus, enfin on fait venir la cicatrice sur la plaie, y ajoutant un cérat. Mais dans cetie cure 1l faut observer la même 98/4 DE LA CHIRURGIE AU XVII‘ SIÈCLE. facon de vivre qu’on a accoutumé d’ordonner dans les autres plaies. IL faut donc couper toute la partie qui a été attrapée, laquelle il faut aussi guérir, car le calus y étant venu (comme nous l'avons remarqué) et la production du péritoine étant bouchée, le passage est fermé au boyau et à l’omentum. J’en ai vu plusieurs qui ontété guéris en celte manière par un Espagnol, lequel atti- rait quantité de personnes à soi par la douceur de sa cure (la- quelle se faisait par une seule piqûre) comme aussi par la pro- messe de la durée d’icelle ; mais il la faisait acheter excessivement cher. » Au chapitre xv1 1l est question De la ponction de la matrice qui est descendue : « Les anciens qui guérissaient les maladies des bêtes (et comme Chiron Centaurus, entreprenaient aussi de traiter des hommes), quand le siége, le membre viril et la vulve étaient descendus, après les avoir piqués légérement avec des pointes subtiles ou même frappés avec des orties vertes, les lavaient incontinent avec du fort vinaigre, car c’est une chose certaine que ces parties s’iront cacher en leur lieu naturel. Voilà ce qu’en enseignent les vétérinaires Apsyrtus et Hiéroclès au liv.f, ch. A8 [ Vererinaria ; ed. Ruellius, f° 59]. Mais qu'est-ce qui em- pêche qu’on ne puisse faire le même essai aux hommes de ce temps: vu principalement que par le moyen de ces ouvertures insen- sibles on ôle en partie la cause qui pourrait derechef les faire descendre, à savoir ce sang mauvais et corrompu. » (Trad. Bo- net.) — Ainsi, notre auteur voudrait qu'on fouellât et qu'on ponctionnât la matrice tombée ou peut-être renversée ! Séverin passe ensuite aux incisions de la peau du crâne ou de la face contre les catarrhes qui descendent sur les yeux, et contre certaines douleurs invétérées de la tête ; il parle aussi d’une foule d’autres incisions que lui-même n'a pas toujours pratiquées, mais dont il rapporte des exemples tirés d’autres auteurs ét qui avaient pour but d’évacuer des matières contenues dans le foie, dans les reins, dans le ventre, dans la poitrine (empyème), et même pour faire sortir l'urine de la vessie en cas de rétention. Certes il y a dansbeaucoup de ces faits relatésavee complaisance plusde chirur- gie barbare que de chirurgie rationnelle. Séverin s’étend longue- ment sur la forme à donner aux incisions suivant les parties ou SÉVERIN. 985 les affections ; il mentionne aussi les contre-ouvertures dans les clapiers purulents et en énumère les indications ou contre-indi- cations. Dans une longue série de chapitres (30 à 140), notre auteur sans suivre aucun ordre, mêlant et distinguant au hasard (mais en donnant çà et là des observations, qu’il puise ailleurs ou qui lui appartiennent), parle des plaies, des ulcères, des tumeurs, qui, dans quelque partie qu’elles siégent, réclament incision ou excision ; on y voit confondus l’adhérence des paupières, le filet, la laryngotomie, la sortie du nombril, Phypospadias, le phimosis, l’imperforation de l’hymen (membrane qui n’est ni naturelle ni ordinaire) ou du fondement, les fistukes simples ou « fourchues » le panaris, l’herpès et autres espèces d’ulcères, les cicatrices vicieuses, la morsure de chien enragé, les affec- tions des yeux, les polypes, les hernies, les condylomes, les cors aux pieds, la nymphotomie, l’ongle incarné, les amputations, les sections des nerfs, des muscles, des tendons, les sutures. En lisant ces nombreux chapitres, où les autorités sont accu- mulées, il n’est pas difficile de constater que, malgré son éner- gique revendication en faveur de la thérapeutique efficace, Séverin n'a fait que rarement de grandes opérations. Le chapitre 102 prouve en particulier combien, au xvn° siècle, était petite autorité des chirurgiens, et combien les opérations aujour- d’hui les plus simples semblaient de blämables témérités. I] s’agit de l’amputation des membres. Voici ce chapitre, une des pages les plus curieuses de l’histoire de la chirurgie : QI faut rapporter à la chirurgie efficace et résolue l’amputa- ton tant des membres pourris que de ceux qui ont souffert par mortification, ou infection par poison, comme aussi de tous ceux qui dépendent des préceptes de l’art, pour éviter la mort, La nécessité est si évidente de cette opération que nul ne passera pour médecin qui la rebutera ou fera difficulté de s’en servir. Je parlerai de toutes par ordre. Quant au premier, pour faire voir ouvertement et le plus clairement qu'il sera possible une chose qui semble difficile à plusieurs, je dirai en peu de mots ce que jai remarqué en l'hôpital des Incurables. Un homme âgé de 59 ans, nommé Barthélemi Chiocca, étant tombé dans le feu en | D _ ne 986 DE LA CHIRURGIE AU XVII°, SIÈCLE, un accès de haut mal, duquel il s’était approché à cause du froid, il se brüla tellement le bras jusqu’au coude, qu’il en perdit une grande portion de chair, etles ligaments qui lient l'os de l'épaule avec les inférieurs furent rompus, les muscles étant exténués par- tout, et l'os de l’épaule en quelques endroits à découvert. J'avais délibéré de couper avec la scie l’os de l'épaule, un peu au-dessus du coude, après avoir fait une ligature pour ôter le sentiment. Car quel remède pourrait-on trouver pour retenir les os qu’ils ne viennent à se choquer et entre-heurter l’un l’autre, ou qw’il n’ar- rive une douleur violente et convulsive aux nerfs et parties sen- sibles si leurs ligaments sont consumés ? Comme donc il mena- çait à toute heure le patient de mort ou de passer une misérable vie, Je trouvai à propos de le couper, tout de même qu’on exter- mine un mauvais citoyen pour conserver la bourgeoisie. Mais le malade ayant connu ma délibération, il mer à un tel bruit par ses larmes et éjulations, que, la chose ayant été rapportée aux supérieurs qui n'étaient pas éloignés, il obtint qu’elle serait ren- voyée de quelques jours. Mais cependant les douleurs et les veilles le travaillèrent en sorte, et il avait tellement approché le dernier des maux qu’il défaillait presque. Quand il se vit réduit à cet état, il me supplia instamment au nom de Dieu que je vinsse à exécuter ce que j'avais délibéré auparavant, qu'il se résolvait à souffrir toute rigueur de la chirurgie. J'eusse désiré qu'il eût tenu ce langage au commencement, car il ne me semblait pas assez fort pour supporter la douleur. Ayant donc laissé l’excision en arrière, Je fis en sorte par les médicaments que les os qui élaient venus noirs commencèrent à se séparer. Ge qu'ayant vu quelques-uns des nôtres, ils crurent que l’agglutination pourrait succéder ; mais n’y ayant aucune base qui soutint la chair, 1l fut” nécessaire à ce pauvre homme de supporter ordinairement ee bras de la main gauche pour l'empêcher de tomber contre son gré en bas. Il mourut cependant avec un grand abattement de forces et de cruels tourments, et à mon avis aurait échappé s’il se fût soumis du commencement à la chirurgie, comme jugeait chacun de ceux qui l'avaient vu au commencement. » (Trad. de Bonet.) La dernière partie du Zraité de la médecine efficace est consa- SÉVERIN. 987 crée à la trépanation, que l’on pratiquait en ce temps-là pour de simples migraines, pour la manie, ou pour des maladies d'yeux, et qu'on rejette ou qu’on hésite à faire de nos jours pour de graves blessures du crâne. I est aussi question, dans cette partie, de la trépanation des côtes dans l’empyème afin d'éviter les parties molles des espaces intercostaux ; du limage des dents; de la résection des fragments d’os qui sortent à travers les plaies dans les fractures ; de la rupture de la rotule après une fracture mal consolidée. Enfin Séverin affirme avoir guéri à l'hôpital une foule d’exostoses en ruginant la tumeur jusqu'au vif et en appliquant ensuite la poudre catagmatique. La Pyrotechnie chirurgicale (1) du même auteur est divisée en quatre parlies : considérations générales sur les effets du feu; — diverses méthodes de cautériser ; — variété des instruments ou autres moyens mis en usage; — affections dans lesquelles convient la pyrotechnie ; — parties sur lesquelles il est permis ou défendu d'appliquer le feu. — Les fomentations, les bains chauds, les parfums, qui renferment en eux une malière ignée, les étuves, l’insolation, font aussi partie de la pyrotechnie. — On y trouve un chapitre spécial sur les ventouses. La dernière partie est con- sacrée à l’énumération des nombreuses maladies isternes et externes dans lesquelles on employait le feu. Il y est fait grand état des fonticules ou cautères, dont Séverin a le premier déter- miné la place au bras dans la région celluleuse limitée par les insertions de la longue portion du triceps et du deltoïde. Séverin avait raison de prémunir les clients contre la crainte de la douleur : il fallait, en vérité, que ce füt un vain mot pour que les malades aient continué si longtemps à se soumettre à de pareils traitements; il fallait également que les chirurgiens fus- sent aussi barbares qu’ignorants et englués dans les vieux pré- jugés de la chirurgie arabe, pour livrer les patients à de si hor- ribles tortures, quand un seul et rapide coup de bistourt ou de (4) Autant la Chirurgie efficace redontait encore le fer, autant elle employait le feu avec hardiesse et mème témérité, par la raison toute simple que le danger y est moins apparent et que là manipulation est moins difficile. 988 DE LA CHIRURGIE AU XVIJ* SIÈCLE. ciseaux pouvait si aisément les remplacer, Voilà, Messieurs, ce que Séverin appelait la grande et vaillante chirurgie efficace ! Certes, si notre auteur avait raison de gémir sur le misérable état de la chirurgie, on ne saurait lui reconnaitre le mérite de l'avoir relevée. Le premier livre du traité De recondita abscessum natura (A) concerne surtout le pronostic de ces affections ; il y est aussi question des parotides malignes. — Dans le deuxième livre il est parlé des abcès par congestion qu'il faut ouvrir tout de suite, même avant leur maturité. Séverin préférait l'ouverture avec le fer rouge. — Le troisième livre est intitulé : Des abcès anomaux. On y rencontre la mention de tumeurs cystiques du cou qu’on enlevait avec une certaine hardiesse, malgré la présence si dan- gereuse des vaisseaux. Il décrit des anévrysmes d’un énorme vo- lume ; il en a guéri par la ligature et lincis ton. Dans cet ouvrage il dit avoir pratiqué la laryngotomie. — Le quatrième livre est occupé par les tumeurs, abcès et autres maladies analogues dans toutes les parties du corps. Il n’y a aucun ordre dans ce livre, mais beaucoup d'intérêt dans les détails. On y remarque de curieuses autopsies et des observations; par exemple 1} y à une observation où il est per- mis, ce semble, de reconnaître des embolies dans les vaisseaux. — Séverin a observé des tumeurs dans le bassin chez un syphili- tique. Mais, à côté de cela, il à pris pour un reptile à deux queues, et fait figurer comme tel, des caillots fibrineux dans le cœur. — Le cinquième livre traite des maladies des os, particu- lièrement des abcès qui en proviennent, des tumeurs blanches, du spina ventosa, peut être de la carie de la colonne vertébrale, mais d'une facon moins explicite. — Le livre sixième est, pour ainsi dire, la suite du cinquième, puisqu'il est question des pieds bots, varus et valqus, et aussi de la gibbosité. — Le septième est consacré aux affections de la peau qui rentrent plus dans la classe des tumeurs que dans celle des abcès; puis des engelures, (1) Publié en 1632. C'est l'ouvrage le plus pratique de Séverin, le plus utile encore, mais qu'il est difficile d'analyser, SÉVERIN. 985 pour lesquelles Séverin se montre aussi embarrassé que les modernes. Contre les engelures non ulcérées, il préconise les fumigations de cinnabre, puis des onctions; contre les engelures ulcérées, 1l pratique des onctions avec des cérats desséchants. Il'a remarqué avec raison que les engelures pouvaient causer de graves désordres aux articulations ou aux os quand elles sont ulcérées. — Le huitième et dernier livre est consacré aux an- gines gangréneuses, au croup et à la laryngite suffocante. Les idées de Séverin ne sont pas très-netles à cet égard. Séverin a encore publié, en 1650, à Padoue, un volume inti- tulé : Vipera pythia, id est de viperae natura, veneno, medi- cina, demonstrationes et experimenta nova, en trois livres (1). Dans le premier, l’auteur étudie la nature, à la fois terrestre et céleste, de la vipère, les causes de ses vertus alexilères, ses mœurs, ses habitudes. I signale la puissance vilale que conservent les tronçons d’une vipère coupée en morceaux ; il étudie son mode de génération (vzvipare ; ovovipare aurait-il dù dire); sa struc- ture, les histoires plus ou moins fabuleuses qu’on avait débitées ou qu'on débilait encore sur son compte. Dans le second livre, il recherche les sources et le siége du poison de la vipère. Le troi- sième est consacré à la préparation et aux propriétés de la thé- riaque. — Entre autres problèmes que lauteur cherche à ré- soudre, 1l y a celui-ci : la vipère et les autres serpents ont-ils été conservés dans larche de Noé, et pourquoi? — La vipère n’a pas naturellement de poison (pas plus que l’homme et le chien ne sont naturellement enragés); elle acquiert la propriété veni- meuse en raison des localités, du ciel, de la manière de vivre, de circonstances fortuiles, de l'excitation qu’on lui fait subir! Du moins, Séverin ne croit pas que la queue de la vipère soit veni- meuse. La source du venin est dans une émanation du fiel, car c’est seulement quand la vipère est en colère que sa morsure est dangereuse (cela explique comment les psylles et les marses ma- (4) Voy. aussi sa Zoonomia democritea (4645), livre très-curieux contenant des généralités sur l'anatomie et la physiologie sumaïnes et comparatives, ainsi que l'anatomie spéciale d’un grand nombre d’animauxs 990 DE LA CHIRURGIE AU XVII‘ SIÈCLE. niaient impunément les vipères) ; alors le venin arrive, par des canaux appelés ichorodochi, du foie à la bouche dans de petites vésicules gingivales qui laissent suinter le long des dents‘ canali- culées le venin, quand la mâchoire est en mouvement, et exerce une forte pression sur la partie mordue. Les choses se passent, en partie, comme dans les émissions de semence provoquées par de simples désirs. Le venin des chiens enragés est également une bile noire corrompue. La vipère morte et mangée ne cause plus aucun dommage, puisque la cause accidentelle qui rend le fiel venimeux a disparu. Séverin sait, du reste, que les venins n’agis- sent que sur les surfaces dénudées, et qu’on peut les avaler et même sucer les plaies impunément. Quoique les dents de la vipére ne soient pas venimeuses par elles-mêmes, cependant, malgré le dire de notre auteur, elles peuvent conserver, assez longtemps même, du venin en suffisante quantité pour qu'une piqûre devienne mortelle. On a fait des expériences en ce sens avec les dents du serpent à sonneltes. Séverin a pratiqué des dissections qui lui ont prouvé que le venin de la vipère ne laisse” aucune trace dans le corps des animaux morts à la suite d’une morsure. En France la chirurgie commence à prendre le pas. Même avant la création de l’Académie de chirurgie nous rencontrons quelques praticiens habiles, instruits, judicieux et qui auraient dû faire honte aux médecins, Au temps de Louis XIV, comme je l'ai déjà remarqué ailleurs (1), les médecins sont bien les or1- ginaux qui ont posé devant Molière; mais les chirurgiens mon- trent autant de dignité que de savoir; ils se respectent et res- pectent leur art aussi bien que la science. Nous avons parlé plus haut (p. 969) de Saviard et de quelques autres observateurs (2), (4) Voy. dans La médecine, histoire et doctrines, le chapitre intitulé : Les méde- eins de Louis XIV. (2) Rappelons aussi, sans compter les nombreuses productions sur les accouche- ments, et quelques auteurs de très-peu de mérite; les Opérations de chirurgie (4610) de J. Girault; les divers ouvrages de J. Vigier Sur les ulcères et sur les tumeurs (de 1614 à 1658); le Traité des bandages (1618) de J. de Marque; les OŒEuvres chi- rurgiques (1677) de Lambert; le Chirurgien opérateur (1640) de Covillard (voy. plus haut, p. 961); les étranges’écrits de Fournier (Économie chirurgicale; Ban DIONIS, 991 arrêtons-nous un moment près de Dionis, chez qui nous trou- verons quelques bonnes doctrines, et qui résume létat de la médecine opératoire de son temps, car je ne vois pas, à vrai dire, d’autres grands traités français sur les maladies chirurgicales dignes d’être étudiés ici. Le Cours d'opérations de Pierre de Dionis (1), aujourd’hui complétement oublié, a joui jusqu’à la fin du xvin siècle, même jusqu’au commencement du xix°, surtout en province, d’une très-grande réputation. Cet ouvrage et les Principes de chirur- gie de La Faye se partagaient les faveurs des étudiants avant la Médecine opératoire de Sabatier (1796). Je me souviens même que les deux premiers livres qu’un chirurgien fort recherché à Dijon, le docteur Guéniard, mit entre mes mains, furent Dionis et La Faye; or, nous étions en 4835! Sile Cours d'opérations n’a plus qu’une valeur historique, on doit néanmoins tenir compte à l’auteur d’avoir écrit un manuel peu méthodique, il est vrai, mais très-clair, très-minutieux, où brille le bon sens à défaut d'invention : « Homo rotundus, sani tamen judicii », comme dit Haller. On pardonnera bien à Dionis de tenir la chirurgie pour le plus excellent des arts et pour la première des sciences; il en parle dages, 1671, etc.) ; les Observations sur la vipère (4670) de P.-F3. Michon (vulgo l'abbé Bourdelot);Y Epitome praeceptorum medicinae chirurgicae (4612) de Pigray ; le Traité des plaies de téte (1677) de Boirel, habile chirurgien d'Alençon; le Traité de la lithotomie (1681) de Tolet ; les Observations de Méry sur la méthode de frère Jacques (1700); la Manière de quérir les fractures et luxations (1685) de Laurent Verduc; le Maitre en chirurgie (1691) du fils de Laurent; les Opérations de chirur- gie (1693) de son autre fils J.-Ph. Verduc ; les Opérations de chirurgie (Paris, 4690) du Savoisien J. de la Charrière ; le précieux traité Des maladies des os (4751, ouvrage posthume) de Du Verney ; le Chirurgien d'hospital (1696) de Belloste ; les Opérations (1696) de La Vauguyon ; la Chirurgie complète de Daniel Leclere (et non Gabriel-Charles qui a écrit l'École du chirurgien, 1684), par demandes et par ré- ponses ; j'ai sous les yeux la troisième édition, 4698, L'ouvrage comprend l’anato- mie, les opérations, bandages, appareils, la réduction des fractures et des luxations, les autres maladies des os, les moyens médicamenteux. Pour les anévrysmes, l’au- teur ne veut pas qu'on coupe l'artère entre les deux ligatures. (1) On sait que Dionis était démonsirateur royal au Jardin des plantes. La pre= mière édition du Cours d'opérations est de 14707; son Anatomie de l'homme sui= vant les principes de la circulation est de 1690. * 992 DE LA CHIRURGIE AU XVII* SIÈCLE. avec un noble enthousiasme qui lui fait grand honneur. Avec quel accent convaincu il recommande aux jeunes gens de s’y adonner tout entiers! Comme il est fier de pouvoir dire que ses fils ont été de très-bonne heure sur les bancs, «qu'ils ont fait les vingt-cinq actes du chef-d'œuvre avec la dernière rigueur », et que dans la compagnie des chirurgiens ils ont puisé des lu- mieres qu’on ne trouve point ailleurs! L'ouvrage est divisé en dix démonstrations ; le cadre est plus large que celui des chirur- giens ilaliens et surtout mieux rempli. La première démonstration comprend les opérations en géné- ral ; la seconde, les opérations qui se pratiquent sur le bas-ventre, à l’exception des hernies, l'opération césarienne, la pierre et les autres affections des organes génilo-urinaires ; la quatrième, les hernies, l'hydrocèle, le sarcocèle, les maladies du rectum; la cinquième, l’empyème, le cancer des mamelles, la gibbosité, la saionée de la jugulaire, la bronchotomie ; les sixième et septième, les opérations qui regardent le crâne, la face, les veux, Pinté- rieur de la bouche, etc.; la huitième, la saignée, l’'anévrysme, les doigts surnuméraires ou adhérents, le panaris; la neuvième, l’amputauon, les varices, la saignée du pied, les difformités des pieds, l'entorse, les cors aux pieds et l’ongie incarné; enfin la dixième, l'extraction des corps étrangers, les abcès, tumeurs et la pelite chirurgie. Ainsi, d'une façon générale, l’auteur suit l'ordre anatomique (ou des régions), ce qui l’entraîne à mélanger les opérations les plus disparates, à ne pas distinguer et carac- tériser les divers genres d'opérations et à négliger toutes sortes de considérations générales qu’entraine naturellement cette dis- tincüon. Nos chirurgiens actuels ont heureusement combiné, dans leurs traités, l’ordre anatomique et la classification des genres d'opérations. Il n'y a que peu de points à noter dans les préliminaires : por- tait du bon chirurgien ; touchants conseils sur la manière de se comporter auprès des malades et de ses confrères ; nécessité d’être excellent anatomiste; l’art a acquis plus de lumière et de podi- tesse ; on a retranché ces fers ardents et ces instruments affreux que les malades ni même les assistants ne pouvaient voir sans DIONIS, 993 trembler (1); chirurgie divisée en quatre sections : synthèse (réunion), diérèse (séparation), exérèse (extraction), prothèse (remplacement), une des sections négligées par Marc-Auréle Sé- vérin; descriplion des instruments les plus usités, des pièces d'appareils et des bandages (2); une prédilection beaucoup trop grande pour les tentes et autres moyens de celte espèce ; condam- nation trop absolue des sutures enchevillées et de celles avec agrafe ; on les a conservées en les modifiant et en les simplifiant. Dionis, dans la seconde Démonstration, s'élève contre les pré- jugés relatifs à la ligature du cordon ombilical ; 11 donne d’assez bons préceptes pour le traitement des plaies du ventre avec ou sans issue des parties qui y sont contenues; il a corrigé la suture du pelletier ; il est en progrès sur Saviard (voy. p. 969) en ce qui concerne la cure de l’exomphale, pour lequel, dans les cas ordinaires, les bandages contentifs lui semblent suffisants; en certaines circonstances il conseille Pineision, qu’il considère du reste comme très-dangereuse, presque toujours mortelle, ainsi qu'il l’a expérimenté deux fois ; aussi veut-il, pour éviter ce péril, qu'on se passe plutôt de chemises que de bandages; il décrit plu- sieurs espèces de tumeurs du nombril. Dionis se montre aussi très-circonspeet pour l’opération du sarcocèle. Le chapitre sur la paracentèse est un de ceux dont on peut tirer encore profil. L'opération césarienne sur. une femme vivante est condamnée par d'assez mauvaises raisons. Dionis (3° Démonstration) repousse énergiquement les pro- messes des chirurgiens qui se vantaient de fondre les grosses pierres avec les lithontriptes ; 1] conseille la ponction au périnée quand on ne peut pas pénétrer dans la vessie avec la sonde et qu'il y a une complète rétention d'urine; il a imaginé pour l'opération de la taille, en s’en référant à la méthode du frère Jacques, malgré la critique qu'il fait de cette nouveauté (3), de pénétrer dans la vessie très-prés du col, sans intéresser l’urèthre; (4) A parcourir, en effet, l'Armamentarium de Scultet, on comprend aisément qu’au moyen âge et à la Renaissance on était loin du « cfo, tuto et jucunde » de Celse ! (2) L'ouvrage est accompagné de nombreuses planches. (3) Voy. aussi plus haut, p. 969, et note 2, DAREMBERG, 65 99% DE LA CHIRURGIE AU XVII SIÈCLE, le petit appareil ne convient que pour les enfants, le grand est de beaucoup préférable pour les adultes. Dionis prétend que Île haut appareil est moins dangereux que le petit et le grand; il voudrait qu'on usât plus souvent de cette méthode inventée par Franco (ou plutôt par Jean des Romains). Comme Saviard, il nie les carnosités de l’urêthre et n’admet que des vices de cicatrisa- tion à la suite des excoriations qu’entraîne la blennorrhagie. Dionis soutient que de toutes les mauvaises présentations dans l'accouchement, celle de la main est la plus fâcheuse ; il déclare l'extirpation de la matrice mortelle, « jusqu’à ce qu'il ait été dés- abusé ». La récente extirpation pratiquée par M. Péan laurait à peine convaincu ; en tout cas il ÿ a, même aujourd’hui, peu de chirurgiens qui oseraient la tenter. — A propos des hernies (4° Démonstration), on trouve une curieuse description de re- mèdes, internes et externes, inventés par le prieur de Cabrières, remèdes que le roi mit gratuitement à la disposition de ses sujets, et qu’il prenait la peme de faire composer devant lui. Dionis n’a pas {Trop protesté. Blegny.« dont le nom seul n’est que trop conau », rivalisant de zèle avec les chirurgiens herniaires, avail imaginé un bandage à ressort qui n’est plus usité. — Noire auteur fait une violente sortie contre les médecins qui prétendent contrôler les chirurgiens dans l'opération de la hernie étranglée, et: qui, au grand détriment des apothicaires, envoient chercher les drogues che les Jésuites et chez les Sœurs de charité. C’est ainsi qu'il se venge d'être obligé d'approuver et d'accepter les remèdes du roi. Notre auteur (6° Démonstr.\) rejelie presque toutes les incisions qu'on pratiquait sur la tête et que Séverin décrit encore sous le nom de chirurgie efficace; 1 n'admet guère que le trépan. Il dit avec beaucoup de raison que le pronostic est toujours douteux dans les plaies de tête; 1l admet la théorie ancienne du contre- coup’ et rapporte deux faits à l'appui ; du reste son diagnostic n’est pas très-ferme, et les indications pour le trépan ne sont pas très-assurées. — L’arrachement imaginé par Fabrice de Hilden lui semble la meilleure manière de traiter les polypes du nez (7° Démonstration) . Dionis recommande très-particulièrement (8° Démonstration) DIONIS. 995 dans l'opération de lanévrysme (il traite surtout de ceux qui surviennent par la piqüre de l'artère pendant la saignée, — ané- vrysme faux-consécutif) (1), l'emploi du tourniquet, inventé de- puis trente ans, au siége de Besançon, par un chirurgien de l’ar- mée ; mais au lieu d'employer la ligature de l'artère au-dessus et au-dessous de l’ouverture du sac, il préfère les boulettes de papier mâché trempées dans une eau styptique. Lorsque le cas l'exige, il veut bien qu’on ait recours à la ligature, mais à la ligature médiate. | Encore un mot sur l’amputation et je termine ce résumé qui s’écarle un peu du cadre que je me suis tracé; mais nous sommes en France, et il faut bien excuser cette irrégularité. C'est surtout comme chirurgien consultant des armées que Dionis a eu occasion de pratiquer ou de conseiller l’anpulation des membres. Le choix du lieu d'élection est ainsi réglé : pour la cuisse, aussi près que possible du genou; pour le bras, aussi près que possible du coude; pour l’avant-bras, le plus bas pos- sible; mais il y avait divers avis pour la jambe : les uns vou- laient, afin d'éviter les embarras d’un trop grand moignon et de trouver plus de facilité dans l’emploi des movens de prothèse, faire la section près du genou, tandis que les autres prescri- vaient de couper le plus bas possible si le pied seul était ma- lade; quant à Dionis, il tient pour la pratique du Hollandais So- lingen, qui conserve de la jambe autant qu’il est possible, pourvu qu'il soit loisible de ménager les mouvements du genou (2). La désarticulation dans le genou est formellement condamnée ; on a voulu la remeitre en honneur de nos jours ; les résuliats de la pratique de M. Velpeau (j'ai été témoin de plusieurs cas) ne sont . (4) Dionis soutient qu'il n’y a pas d'opération qui soit souvent aussi difficile à bien exécuter que la saigne ; aussi dangerèuse parfois et aussi compromeitante pour la réputation du chirurgien; il cite à ce propos un chirurgien cependant fort célèbre (mort vers l’an 1670) qui avait piqué onze fois l'artère en un an ! mais aussi il faut dire à sa décharge qu'il faisait presque toutes les saignées de Paris, — Voy. aussi, sur le phlébotomiste Izes, qui avait gagné une immense fortune, Bordeu, dans Re- cherches sur l'hist. de la méd., p. 604, édit. de Richerand. (2) Je ne vois pas que Dionis ait connu le procédé de Veräuyn. (Gi, plus haut, p. 967.) 996 DE LA CHIRURGIE AU XVII* SIÈCLE. pas faits pour justifier cette revendication. Dionis ne se pro- nonce pas sur le procédé qui consiste à rétracter en haut les chairs avant de scier les os. Ici se trouvent des réflexions fort sensées contre le merveilleux emploi de l’eau de Rabel dans les amputations, bien que le sieur Rabel eût été patronné par le roi et par M. de Louvois. Dionis préfère, avec Guillemeau, à tous les procédés recommandés pour la ligature des artères après l’amputation, celui qu'Ambr. Paré employait dans certains cas et qui consistait à comprendre le vaisseau et une partie des chairs dans une anse de fil double ou triple passée au moyen d’une ai- guille, procédé que Dionis avait même modifié, mais qui à été heureusement remplacé par la ligature immédiate. Dionis n'oublie pas (4° Démonstration) de noter qu'après le succès de l'opération faite sur le grand roi par Félix, les fistules étant devenues fort à la mode, tous les courtisans (il en a vu plus de trente)sollicitèrent ardemment l'opération pour le moindre suintement hémorrhoïdal, etse fâchaient quand on ne répondait pas à leur désir. Notre servilité ne va plus jusqu’à ce point. On rirait aussi de toutes les précautions qu’on prenait, au rapport de Dionis, quand il s'agissait de saigner le roi ou quelque prince; mais peut-être y a-t-1l encore des belles dames qui croiraient, comme en ce temps-là, que si l’on jette dans un seau d’eau fraîche le sang extrait par la saignée, le sang qui reste dans le corps se trouve rafraichi. On prétend que la guerre est la meilleure école pour former les chirurgiens; sans doute; mais encore faut-il que l'esprit du siècle soit enclin vers les réformes, et que le chirurgien ait pris, grâce à plus de savoir en anatomie, une confiance raisonnée et une véritable hardiesse. Ces deux conditions, c'est le milieu, . c’est le progrès régulier et pour ainsi dire fatal des diverses par- ties de la science, ei non les hasards d’une mêlée qui les font naître. Quel temps fut plus fertile en combats que le moyen âge et la Renaissance, et cependant quelle lamentable chirurgie! Ambroise Paré lui-même, malgré son génie particulier et les belles occasions qu’il avait eues, ne se dégage pas complétement WISEMANN, 997 de la routine. À quelle époque y a-t-il eu des guerres plus lon- gues et plus nombreuses que sous Louis XIV ? Néanmoins la chi- rurgie n’est pas encore bien brillante au xtn° siècle. C’est dans un temps relativement plus calme, du moins pour la France (mais alors tout était préparé), que la chirurgie a pris définitive- ment son essor. Ce n’est pas la guerre qui a rendu Séverin moins timide que ses contemporains, ni la guerre non plus qui a engagé Magatus à propager une nouvelle méthode de pan- sement; on ne voit pas, d'un autre côté, que l'Anglais Rich. Wisemann, que l'Allemand Matth. G. Purmann aient sensible- ment amélioré l’état de la chirurgie, bien que tous deux aient pratiqué dans les camps et sur le champ de bataille; ce sont les nouvelles et grandes méthodes préconisées par l'Académie de chirurgie qui ont préparé les illustrations de la chirurgie militaire ; les Percy, les Larrey ont pu alors profiter de l’expé- rience des champs de bataille. Wisemann, homme d'autant de loyauté que d'expérience, n’est pas un beaucoup plus grand chirurgien que Séverin ; il emploie une foule de médicaments actifs, mais sa chirurgie est peu effi- cace (1); ce n’est point, à proprement parler, un véritable opé- rateur. Wisemann pense que les simples topiques astringents et un bandage approprié peuvent presque toujours triompher des va- rices, el, quoiqu'il ne désapprouve pas l'opération, qui consiste à inciser le peau et à faire sous la veine variqueuse une double ligature avant l’excision, cependant il n’a jamais eu l’occasion n constaté la nécessité de l’employer (chap. 15). — Dans les ané- vrysmes il marque trop de confiance pour les bandages, les astringents et les escharrotiques; il cite quelques exemples à l’ap- pui de cette préférence ; néanmoins il se décide à l’incision et à la ligature dans les cas qui résistent à ces divers modes de trai- (4) Eight chirurgical Treatises : tumours, ulcers, diseases of the anus ; King's Evil (scrofules ou mal du roi) Wounds ; et Gun-shot wounds (blessures par armes à feu'; Fractures and luxations; lues venerea. J'ai sous les yeux la 6° édition. Londres, 1734; la première a paru en 4676. Un des mérites de ce livre, c’est de “ontenir beaucoup d'observations 998 DE LA CHIRURGIE AU XVII‘ SIÈCLE. tements isolés on combinés, préférant encore cette opération à l’amputation quand l’anévrysme siége sur un membre (ch: 16). On doit laisser librement saigner les anévrysmes formés par la piqûre de l'artère pendant la phlébotomie ; s'ils ne saignent pas, on met en topique le royal styptique ou autre médicament analogue, et l’on applique le bandage requis. — L’infiltration du scrotum dans l’anasarque et l’hydrocèle proprement dite sont confondues sous cette même rubrique : ydrocèle (chap. 23). Contre l’infiltration il recommande les scarifications ou le séton ; contre l’hydrocèle (affection qui ne cède guère aux topiques) simple ou enkysté, il faut employer la ponction avec le bis- touri , suivie immédiatement de l'introduction d’une canule. — Je ne vois pas que Wisemann ait parlé distinctement de la hernie crurale ; il sait qu'il n’y a pas rupture du péritoine dans les hernies inguinales ou serotales (chap. 28). La hernie om- bilicale n'offre ordinairement pas de dangers, mais elle donne beaucoup d’embarras au chirurgien par la difficulté qu’on a de la tenir réduite ; elle cause aussi des coliques et même des vo- missements. Wisemann recommande les bandages des fabricants Syms et Smith. Dans l’opération de la hernie étranglée, il se servait de la sonde cannelée pour le débridement. — Il semble préférer la ligature à l’incision dans les fistules à l'anus, ce qui lui a valu un assez grand nombre de revers (HI, 5). — Le pre- mier chapitre du livre IV contient quelques détails historiques sur la cure des scrofules par les rois de France et d’Angle- terre ; ces derniers avaient, comme on le sait, usurpé ce pouvoir en envahissant la France (1). — Ce livre, où il est aussi question de plusieurs espèces de maladies des os, est des plus curieux. — Dans le livre V, à propos de blessures simples et récentes, il est fort de l'avis de Magatus conire l'abus des tentes et plamasseaux et contre les pansements trop fréquents ; mais il use trop volon- tiers d’emplâtres, d'onguents, de décoctions, de poudres, etc. On ne pourrait pas écrire sur les plaies de tête, ni sur les plaies d'armes à feu, ni même sur les fractures et les luxations, sans (1) Quant à lui, moins favorisé du ciel, il à été réduit à enlever, avec une assez grande hardiesse, du reste, des tumeurs scrofuleuses dans des régions très-vasculaires, SOLINGEN. 999 consulter Wisemann. Sa manière de procéder dans les plaies des articulations par armes à feu et dans le sphacèle des membres prouve que dans son opinion l’amputation devait être réservée pour des cas où le désordre était tel qu’il n’y avait pas lieu d’es- pérer la guérison par les autres moyens (1). Il dut perdre par cet excès de temporisation et de timidité une très-grande quantité de malades. Pour l’amputation Wisemann se servait du couteau en faucille ou du rasoir, et se contentait de faire relever fortement la peau et les muscles (2) avant de pratiquer la section ; il pense que le styptique royal (voy. aussi I, 16) nouvellement inventé, peut très-bien, dans les cas ordinaires, remplacer la ligature des artères ! N'est-ce pas une simple flatterie ? Mais quand on est sur le champ de bataille, comme il faut arrêter le sang immédiate- ment et préserver les chairs de la putréfaction, on a recours au cautère actuel. Avant l'amputation, pour comprimer ces mêmes artères, Wisemann employait le tourniquet, assurant qu'il n'avait jamais rencontré un homme assez fort pour empêcher, par la compression des mains, l’écoulement du sang. Ces extraits montrent suffisamment le caractère de la chirurgie un peu timide de Wisemann, en dire ici davantage serait m’écar- ter de mon plan. Corn. van Solingen a joui en Hollande d’autant de réputation comme chirurgien que comme accoucheur; mais je lis trop péni- blement le hollandais à travers l'allemand pour avoir pris une con- naissance suffisante de ses ouvrages; je ne pourrais guère en par- ler que d’après la savante analyse qu’en a donnée Haller dans sa Bibliotheca chirurgica ; j yrenvoie donc le lecteur etje suis obligé d'agir de même pour les œuvres chirurgicales de J. de Muralt, ou J. de Muralto (Schriften von der Wundarzney; 1691), qu’il m’a été impossible de me procurer, soit à Paris, soit chez les libraires d'Allemagne. (1) Seulement, pour les plaies des articulations, si l’on se décide à pratiquer l’am- putation, il faut la faire avant que le malade ait perdu ses forces (avant que les esprits soient épuisés ; vr, 6). (2) IL rejette les compresses adoptées pour cet usage par la plupart des chi- rurgieus, 1000 DE L'OBSTÉTRIQUE AU XVII® SIÈCLE. Un des hommes sur qui la pratique dans les camps a exercé une assez heureuse influence au xvu° siécle, c'est Matth. Godofr. Purmann ; non qu’elle lait rendu un chirurgien beaucoup plus entreprenant ni plus habile que ses contemporains (1), mais parce qu’elle en a fait un observateur zélé et attentif, Sa Véritable chi- rurgte d'armée (1680) ; sa Grande chirurgie (1694) ; ses Obser- vations chirurgicales (1710); le Barbier de la peste, sont rem- plis de détails variés, de matériaux importants et d'observations qui cependant ne doivent pas être accueillis sans quelque réserve, car Purmann enregistre peut-être trop de succès et ne parle pas assez des revers. Les ouvrages de Purmann, quoique la plupart aient eu plusieurs éditions, sont devenus assez rares dans le commerce, et on ne les trouve même pas tous dans nos bibliothé- ques. Au xvir' siècle la science et l’art des accouchements avaïent suivi le mouvement général; il suffira de citer les noms histo- riques de Louise Bourgeoise, de Marguerite de la Marche, de Mauriceau, de Paul Portal, de Peu, et surtout de G. Manquest de la Motte (la France, cette fois, prend décidément le haut du pavé) : de Solingen et de Deventer, en Hollande ; de Justine Sie- gemundin, de Anna-Élisabeth Horenburgin en Allemagne. Les préjugés sont vivement combattus, l'observation clinique inter- vient, de bonnes observalions sont recueillies; le mécanisme des accouchements est mieux connu; on étudie mieux aussi les divers genres de présentations, les opérations de dystocie deviennent plus rationnelles, et les soins à donner à l'enfant et à l'accouchée sont dirigés suivant les règles d’une meilleure hygiène. (4) Voy. plus haut, p. 996-997. XXVIHI SOMMAIRE. — Considérations générales sur le xvin® siècle, — Esquisse de l’his- toire de l'anatomie, de la physiologie et de la chimie biologique durant ce siècle (Lavoisier, Fourcroy). MESSIEURS, Le xvnr° siècle ne constitue pas une période de notre histoire; ni la chronologie, ni surtout le développement et la succession des doctrines ne permettent une pareille distinction. Nous avons déjà vu, par exemple, que l'iatromécanisme se développe et s'étend d’une façon non interrompue, et sans revêlir des carac- tères très-particuliers ni très-nouveaux, pendant la seconde mol- tié du xvr° siècle et pendant la première moitié du xvin*; nous savons que beaucoup de médecins ont illustré ces deux siècles en commençant à écrire dès le xvi°; la séparation du XVII d'avec le xvir° siécle est donc toute factice, et ne sert qu’à soula- ger la mémoire. Le xvur siècle est la suite directe, immédiate du xvir ; on con- tinue à marcher, mais longtemps encore dans les mêmes voies. Nulle époque ne fut plus féconde en systèmes : à l’iatroméca- nisme succède le solidisme sous toutes les formes; mais en ce temps, comme au siècle précédent, lesprit d'observation pour- - suit sa roule parallèlement à l'esprit de système, pour prendre enfin le dessus, surtout dans le domaine de l’anatomie et de la chirurgie. L’anatomie conserve religieusement l'impulsion et la méthode qu'elle avait reçues au xvir' siècle, seulement on néglige un peu les recherches sur la structure des tissus qui avaient été portées à un si haut degré de perfection, pour aborder plus réso- lüment l’anatomie descriptive proprement dite, laquelle récla- mait encore bien des soins. Quels noms plus célèbres dans lhis- + 4602 CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LE XVIII SIÈCLE. toire de cette science que ceux de Valsalva, de Winslow, de Sé- nac, de Lieutaud, des Monro, des Hunter, d’Albinus, de Sandi- fort, de Camper, de Malacarne, de Morgagni, de Mascagni, de Scarpa, de Wrisberg, de Soemmerring, de Vicq d’Azyr ? — La physiologie ne fait pas autant de progrès: et loin de servir à la réforme de la médecine, elle ne fait que prêter secours aux systèmes exclusifs de pathologie générale qui, paraissant suffire à tout, quoiqu'ils ne reposent sur aucune conception réelle et critique de la vie, détournent l'attention des expériences et des observations pratiques. Quelques questions cependant sont élu- cidées : la mécanique animale, la théorie des organes des sens, la puissance dynamique du système nerveux, quelques points de l’histoire de la circulation sont en progrès. Quoique la bonne mé- thode ne coit encore ni régularisée ni uniformément acceptée, bien qu’on croie plus encore, en certaines parties, au raisonne- ment qu'aux expériences, néanmoins il y a un mouvement en avant qui se révèle d'année en année jusqu'au moment où Haller, lhistorien et le rénovateur de la physiologie, vient donner à cette science une direction qui ne s’est plus ralentie. Cependant il ne faut pas cacher que, même chez Haller, on chercherait en vain une de ces grandes découvertes en appa- rence inopinées, radicales, comme fut celle de la circulation, dont on a été malheureusement si longtemps à tirer les véritables conclusions qu’elle comporte. C’est à Lavoisier qu'était réservé cet éternel honneur ; après lui, les deux pôles de la médecine étaient trouvés : la circulation, à laquelle on n’a presque rien changé depuis Harvey, et la respiration, dont la chimie plus mo- derne a modifié la théorie sur quelques points. C’est par l’expé- rimentation, non par le raisonnement, que Harvey et Lavoisier avaient fait ces deux conquêtes; l’un en usant de ses yeux, autre en se servant des réactifs et des balances. Bichat est venu quelques années plus tard compléter cette imposante trilogie de savants qui protégent encore la médecine comme autant de génies tutélaires. Les théories médicales du xvin° siècle reposent sur une physio- logie hypothétique ; celles du xix° procèdent de la physiologie ex- périmentale ; l'anatomie était fort avancée au xvar° siècle, et sur- tout au xvur ; toutefois, celie excellente anatomie n’a servi de CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LE XVIII SIÈCLE. 1003 rien; nouvelle et éclatante preuve de sa stérilité quand elle marche seule et sans appui solide du côté de la physiologie et de la chnique. Les deux premiers tiers du xvnr° siècle sont emplovés à ache- ver la ruine de l'autorité des anciens, mais en même temps à imiter ces anciens tant décriés pour avoir 2aginé des systèmes ; la troisième partie de ce siècle est employée à restaurer et à étendre l'empire de la médecine clinique, sans toutefois mettre fin aux systèmes. D'un autre côté, avec Barthez et Pinel se fait jour l’idée des éléments morbides et de la méthode nosologique. La chirurgie, qui n’a pas eu à subir aussi despotiquement et d’une façon aussi continue le joug des théories, se dégage tout à coup de l'obscurité où l'avait maintenue la médecine, et, forte de toutes les connaissances anatomiques, normales ou pathologiques, accumulées depuis près de deux cents ans, elle se révèle au grand jour dans une Assemblée que le monde entier enviait à la France, et qui a placé notre pays au rang qu’occupaient jadis llialie, l'Angleterre et la Hollande. Messieurs, au milien de ces flots toujours grossissants de la littérature médicale au xvarr° siècle, le zèle le mieux soutenu se trouve submergé ; il est absolument impossible de lire tout ce qui s’imprime, et par conséquent il m’est impossible de vous en- tretenir avec pleine connaissance de cause des innombrables productions qui toutes à la fois sollicitent l'attention de l’histo- rien. Du moins j'ai pris soin d'étudier par moi-même les princi- paux monuments de cette époque mémorable, et dans le tableau dont je compte seulement vous présenter l’esquisse, je tâcherai de mettre en relief et sous leur vrai jour les personnages les plus considérables et les écrits les plus importants; en d’autres iermes, les personnages et les écrits qui marquent les princi- pales étapes que notre science a parcourues d’une façon si bril- lante, sinon toujours par les voies les meilleures et les plus sûres. C’est ainsi que nous étudierons ensemble l’animisme ayec Stahl ; l'anatomie pathologique avec Morgagni ; la théorie de l'irritabilité avec Haller; ses app'ications à Ja pathologie par 4004 HISTOIRE DE L'ANATOMIE Gaubius ; ses déviations et son mélange avec le mécanisme dans le système nervoso-dynamique de Cullen, dans lincitabilité de Brown. A la fin de cette longue et pénible carrière nous trouve- rons le système des organismes spéciaux et isolés de Bordeu; le vitalisme décidé de Barthez:; et nous serons conduit à dire quelques mots de Bichat et de Broussais, deux échos de Haller, comme notre école d'anatomie pathologique, représentée par les Corvisard, les Bayle, les Laennec, est la continuation de l’école anatomique de Morgagni et de l’école clinique de Vienne. Je serai très-bref sur l’anatomie; elle est si avancée qu'y in- sister ce serait refaire devant vous un cours d'anatomie classi- que moderne. Je veux seulement vous en signaler les tendances et vous indiquer les principaux traits de détail. — Remarquons avant tout qu'au xvin‘ siècle, comme du reste, en partie, au XVII, l'anatomie présente un caractère tout scientifique par la forme même sous laquelle elle se produit : il y a abondance de monographies, c’est-à-dire de recherches spéciales et originales, tandis que les traités généraux, c’est-à-dire les résumés des tra- vaux d'autrui, sont comparativement moins nombreux. I faut signaler, par ordre de mérite, parmi les grands anato- mistes, les Italiens d’abord, puis les Hollandais, les Français, les Anglais et les Allemands. — Ant. Pacchioni (1665-1726) a écrit sur la structure et les usages de la dure-mère, sur les glandes qu'il y à découvertes et qui portent son nom (1) ; enfin sur les vais- seaux lymphatiques qui, s’'échappant de ces glandes, rampent à la surface convexe de la dure-mère. — Dans son beau traité Sur l'oreille (2), Valsalva (1666-1723) étudiait très-exactement la (1) De durae meningis fabricu et usu, 1701 (Lettres à Fantoni sur le même sujet, 1715). Ici l'anatomie n’est pas désintéressée; elle sert particulièrement à soutenir la théorie de l'irritabilité et des mouvements propres de cette membrane (voy. ce que j'en dis plus haut à propos de Baglivi, p. 802 et suiv.).— De glandulis conglobatis durae matris, 1705, et d’autres Dissertations sur les mêmes sujets, pu- bliées en 1721. Ses œuvres ont été réunies en 17/1. (2) De aure humana,1704,—Valsalva mêle à la description des parties des remar- ques de physiologie, de pathologie et même quelques recherches historiques. L’ou- vrage est accompagné de bonnes planches, Valsalva a publié aussi des dissertations AU XVIII SIÈCLE. 4005 structure de cet organe. Il décrit les plus petits muscles du pa- vilon, ceux de la trompe d'Eustachi, et à cette occasion les mus- cles du voile du palais et du pharynx, les vaisseaux du tympan et les nerfs. Ce traité n’a élé surpassé que par celui, plus complet, plus exact et plus pénétrant, que Cassebohm (1743), disciple de Winslow, a écrit de 1730 à 1735. Santorini (1681-1737) cst célèbre pour ses observations déli- cates sur les muscles de la face, du larynx, de l'anus, du pénis, sur le corps jaune dans Povaire (1). Il est dommage qu’il ait trop facilement adopté plusieurs des idées de Bellini et qu'il croie encore à la semence de la femme. J.-B. Bianchi (1681-1761) dans son Historia hepatica (1710; la meilleure édition est celle de Genève, 1725, avec planches), dépasse Glisson en beaucoup de points, mais sans avoir fait entiè- rement oublier lAnatomin hepatis. Get injuste adversaire du système de l'irritabilité de Haller à aussi publié diverses mono- oraphies sur les conduits lacrvinaux, les chylifères, les organes génitaux el urinaires, elc. Au nombre des monographies qui se rapportent à des sujets très-spéciaux et limités, nous ne devons pas omettre les recher- ches de Fr. Pourfour du Petit (1664-1741) sur l'anatomie des yeux, sur le nerf intercostal (grand sympathique) qui ne vient pas des cinquième et sixième paires, mais s’y rend el fournit, par l'intermédiaire du ganglion ophthalmique, les esprits aux nerfs ciliaires (2) ; sur les paralysies alternant avec le côté du cerveau atteint d’apoplexie, recherches qui se trouvent pour la plupart dans les recueils de l'Académie des sciences ; — celles de Duver- sur la cataracte, sur les reins succenturiès chez les animaux. Vingt lettres de Mor- gagni développent, commentent, et parfois rectifient les recherches de Valsalva sur les différents sujets que nous venons d’énumérer. (1) Voy. son traité De structura et motu fibrae, ete., 1705, et surtout ses Obser- vationes analomicae, 1724, qui sont, avec les Adversaria de Morgagni, dont je parle plus loin, un des ouvragesles plus précieux du xvurt siècle.— Ses dix-sept planches anatomiques avec les Commentaires de Girard (1775), sont un des chefs-d’œuvre du xviri° siècle. (2) Les expériences physiologiques valent mieux que l'anatomie qui est fort indécise. 1006 HISTOIRE DE L'ANATOMIE noy de Montbéliard, maître de Haller pour l'anatomie, sur le canal salivaire, l'anatomie comparée des vaisseaux chylffères, la structure des intestins ; — le traité de l’anatomie et de la physio- logie de l'œil (1759) de Porterfield; — les travaux sur le même sujet de Demours (1702-1795), qui a donné son nom à une des membranes de l’œil (la vitreuse); — les mémoires de Bertin sur les organes de la voix; son remarquable Traité d’ostéologte, qui contient tant de remarques nouvelles, — les dissertations du rival de Ruysch pour son habileté dans les préparations anatomi- ques et dans le maniement du microscope, de Nath. Lieberkübn (4714-1756), Sur la valvule du côlon et l'appendice vermicu- laire (1739), Sur la structure et les villosités des intestins grêles (17h45) (4). Au nombre des plus célèbres monographies du xvnr siècle (sans parler des admirables travaux de Scarpa sur l'oreille, l'organe de l’odorat, les ganglions, les plexus des nerfs, et sur les os) il faut placer celle de Zinn (1727-1759) relative à Pana- tomie des diverses parties qui constituent l'organe de la vision (de 4753 à 1755); — ses Leçons complémentaires (1757 et 1758) sont restées malheureusement inédites. — La description que Cotugne-(1736-1822) à donnée de l'oreille interne en 1760 (2), est un chef-d'œuvre d’exactitude anatomique (3). On trouve aussi dans son traité De ischiad enervosa (1765) quelques utiles remarques anatomiques (4). — On doit à J. Hunter (1728-1793), (4) En 1797 Hedwig a publié une fort savante Disquisitio ampullarum Lieber- kuehnii physico medica, avec planches. (2) On peut rapprocher de cet ouvrage une excellente dissertation de Busch sur la structure et les fonctions de l'organe de la voix, 4770, écrite sous l'inspiration de Camper. (3) Quant à la physiologie, il serait trop long de la discuter ici; je dirai seule- ment qu’elle n’est pas, en tous points, parfaitement exacte. (4) M. le docteur Lagrelette a tiré un excellent parti de cette dissertation dans sa thèse inaugurale : De la sciatique, Etude historique, sémiologique et thérapeu- tique, Paris, 1869. Voy. particul., p. 327, le jugement général qu'il porte sur Cotugno. Cotugno avait vu, mieux que Vésale, Varole, Vidus-Vidius et d’autres, le liquide céphalo-rachidien ; il connaissait l'arachnoïde, mais sans savoir qu’elle secrète ce liquide.— Il paraît, d’après Portal (Histoire de l'anatomie, t. V1, p.593; voy: aussi son Anatomie médicale) que l'arachnoïde a été découverte par la Société anato- AU XVII® SIÈCLE. 1007 frère de Guillaume, unc excellente description des dents avec des recherches sur leur structure, et de bonnes planches (1771), et diverses monographies sur l'anatomie comparée (1). Les travaux de Hewson (1759-1774) sur les vaisseaux lymphatiques, le sang, le chyle, la lymphe (de 1771 à 1774, et dans les Transactions phi- losophiques) sont des travaux de premier ordre. Ses œuvres ont été réunies en un volume par la Société de Sydenham. Je termine cette revue des monographies par un hommage rendu à là France en la personne de Sénac (1690-1770). Son Traité des maladies du cœur, à la fois historique et dogmati- que (2), est tout parsemé de recherches anatomiques d’une re- . marquable précision (voy. surtout la 2° édition, 1783, en deux vol. in-4°). Cet ouvrage, dépassé par Corvisart, qui avait la per- cussion à laquelle il assigne une « place distinguée, » et qui con- naissait mieux l’analomie pathologique (3), n’a été définitivement mique de Leyde en 1665, et démontrée pour la première fois devant les étudiants, par Van Horne, en 1669. - ({) Les Observations on certain parts of the animal Oeconomie, éd. de 4792, con- tiennent, entre autres mémoires, des recherches sur la situation du testicule chez le fœtus, sur sa descente, sur les glandes séminales, sur la structure du placenta, sur la digestion, sur les usages des muscles obliques. Ses traités De l’inflamimation et Des maladies vénériennes jouissent aussi d'une juste réputation, Ses œuvres ont été publiées en français, en 4 vol. in-8°, par M. Richelot, avec des notes de M. Ricord pour les maladies vénériennes et de Owen pour l'anatomie comparée. (2) Plus que personne Sénac a été frappé de la difficulté que présente le dia- gnostic des maladies du cœur, surtout parce que les différentes affections de cet organe offrent souvent les mêmes phénomènes apparents, Aussi, à défaut des moyens physiques de diagnostic recherche-t-il curieusement les moindres nuances des symptômes, Il emprunte, en outre, quelques lumières à l'anatomie pathologique, à la physiologie (il récuse ici la part qu'on a voulu donner à la géométrie), et sur- tout à ses belles recherches sur la structure du cœur. La pathologie n’occupe qu’un tiers de l’ouvrage; l’auteur y montre autant de critique qu'on en pouvait avoir à cette époque; il passe successivement en revue les maladies du péricarde, les ma- ladies générales du cœur (inflammation, ulcères, polypes, blessures, hypertrophie), les palpitations, la syncope, etc. (3) Corvisart s'occupe particulièrement « des lésions organiques, c’est-à-dire de celles qui surviennent, par quelque cause que ce soit, dans les éléments et dans la texture des parties solides dont le concours etl’arrangement déterminés sont néces- saires pour former un organe ou un viseère et pour en établir le mode, l’action, la loi de son active durée ». Il croit que les maladies du cœur sont beaucoup plus 1008 HISTOIRE DE L’ANATOMIE effacé que par celui auquel M. Bouillaud doit une partie dé sa juste renommée. ; Durant le xvin® siècle l'anatomie est appliquée directement à la pathologie, soit comme anatomie normale, soit comme ana- tomie pathologique (Lieutaud, Morgagni, Portal), soit au manuel opératoire (Palfyn). L'anatomnie (1) et la physiologie comparées se font jour. — Dans les volumineux ouvrages de Vallisneri (2), dans la Myographie comparée de Douglas (1675-1741) (3); dans les travaux de Daubenton (1716-1799); de l’illustre Camper (i722-1789); de Spallanzani (1729-1799) ; et dans les premières publications de Blumenbach (1752-1840). L’analtomie du système circulatoire et celle du système ner- veux sont, il est vrai, un peu négligées; toutefois, dans la se- conde moitié du xvin° siècle ces deux parties si importantes de la science reprennent une faveur réelle. En 1776, Malacarne publiait ses recherches sur la structure du cerveau; Mascagni (1752-1815), donnait en 1757 son splendide traité iconographi- fréquentes qu'on ne le pense généralement. Quand on lit sôn livre avec attention, on reconnait que la percus-ion cest bien loin de suffire pour le diagnostic des mala- dies du cœur ; on peut s’en convaincre en lisant les chapitres consacrés aux lésions des valvules, et à ce qu'il appelle l'anévrysme aclil et passif, c’est-à-dire à l’hyper- trophie et à la dilatation avec amineissement des parois du cœur. Il blâme énergique- ment le moyen de diagnostic inventé par Richat sous le nom de pression abdo- minale. (1) Cette anatomie est bien différente de celle qu’on pratiquait au xvi° et au xviie siècle sur les animaux, faute de pouvoir la faire sur les cadavres humains. (2) Ces ouvrages ont été réunis en 1733, 3 vol. in-f°. Outre les mémoires consa- crés aux sciences naturelles, surtout à la physiologie et à l'anatomie des animaux inférieurs, ct à des discussions polémiques, Vallisneri a donné une dissertation sur la maladie pédiculaire, et 39 Consultations médicales. (3) Descriptio comparata musculorum corporis humant et quadrupedis [canis], eorum tnventores, ortus, progressus, insertiones ac differentias exhibens ; cui accesserunt historia musculorum feminae singularium ; tabula explicans muscu- lorum nomina ; de plus Leges quas sil figit J. Douglas, tenendas, ubi integram corp. hum. compartamque anatomiam pertractabit : et enfin un O>do musculorum ab interprete additus. Lugd. 1729. L'anatomie humaine précède l'anatomie comparée ; il n'y a qu'une simple énumération. L'ouvrage est intéressant par les renseigne- ments historiques qu'il fournit. L'édition originale est de 1707 en anglais — On doit aussi à Douglas une Description du péritoine, 1730 , et un Spécimen de biblio- graphie anatomique ; 1715. Préférer l'édition d’Albinus de 1734. AU XVIII* SIÈCLE. 1009 que des vaisseaux lymphatiques ; — dans des proportions plus modestes, Scarpa (1747-1832) faisait arriver à un terme voisin de la perfection l’anatomie des ganglions et des plexus nerveux, des organes des sens et l’étude de la structure des os. — En Alle- magne, Wrisberg (1739-1508) mettait successivement au jour diverses monographies sur la cinquième paire ; sur le déverti- culum du péritoine; sur les nerfs des viscères abdominaux ; enfin sur la structure du placenta et de ses annexes. — J, Fr. Meckel le grand-père (1713-1774) avançait de son côté l’étude des nerfs, de l’épiderme et des vaisseaux sanguins et lymphatiques dans les glandes et leurs canaux excrétoires. -— Chez nous, Vicq d’Azyr (1748-1794), le médecin de l'infortunée Marie-Antoinette, étudiait si attentivement la structure du cerveau et les origines des nerfs (1786), que la plupart de ses observations ont été vérifiées par les anatomistes actuels (1). Soemmerring (1755-1530) étonna les savants par ses magni- fiques et si exactes tables de la base du cerveau et de l’origine apparente desnerfs (1778). De 1791 à 1796, c’est-à-dire, quand la France était sabmergée par les tempêtes révolutionnaires, il publiait son trailé complet et historique de l'anatomie de l’homme qui a été, dans ces derniers temps, remanié el complété par Bischoff, Henle, etc. (2). Parmi les traités d'anatomie ou complets (ceux-là sont relati- vement peu nombreux), ou se rapportant à quelques-unes des grandes sections de celte science, uous devons enregistrer la Des- cription des parties génitales de la femme avec un traité des monstres (1708), et surtout l’Anafomie chirurgicale, 1726, de Palfyn (1649-1730) (3); --le Compendium anatomicum de Heister (1683-1758) (4); — l'Anatomie du corps humain de W. Chesel- (1) Voy. Traité d'anatomie et de phys., 1786-1791, etles Œuvres, 6 vol., 1805. (2) Il existe une traduction française de cette édition, sous le titre d'Encyclopédie anatomique. Paris, 1843-1847; 8 vol in-8° avec atlas. (3) Dans les deux traductions françaises, celles de Boudon (1734) et de Petit (1753), le texte original hollandais à été très-modifié, d’après ce que dit Haller; j'ai lu, non sans un grand intérêt, la traduction de Petit. (4) La meilleure édition porte la date de 1732.— Heister, dans le Compendium, semble s'être particulierement proposé de remplacer l'ouvrage de Verheyen, auquel il DAREMBERG. 64 1016 HISTOIRE DE’ B'ANATOMIE den (1688-17 52)dont toutesles éditions (de 1713 à 1741) différent; ses découvertes portent spécialement sur lés muscies: On lui doit aussi une excellente Ostéographie (1733), avec de très belles planches; les grands os y sont représentés m#ascule et forti- ter, pour me servir d’une expression de Haller, Les traités de B.-S. d’Albinus (1697-1770) sur les os et sur les muscles (1726 et 1734) passent pour des modèles du gente clas- sique (1); ses Annotationes anatomicae .(175h à 1768) ren- ferment des recherches précieuses sur toutes sortes de points dé- licats ou controversés de l’anatomie humaine ou des animaux. Ces Annotationes n'ont qu'un défaut, c’est d’être si muluüphées, de porter sur tant de points, qu'il est difficile de les étudier toutes avec l'attention que réclamerait chacune d’elles. J. Halbertsma a publié à Leyde, en 1848, une dissertation intitulée : Oratio de Albini anatomiae tractandae methodo com- parala cum ea quam nostra tempora sibi deposcunt, où, tout en fait toutes sortes de reproches dont quelques-uns sont à peine justifiés. Le but avoué c’est de mettre entre les mains des élèves et des médecins un résumé d’anatomie où soient rappelées les principales découvertes des temps modernes. Les descriptions (souvent il h°y à qu'ue énumération des parties) sont tellement brèves et laissent de côté tant de dispositions impôrtantes que le Compendium peut à peine servir de Memento ; mais les notions historiques et les remarques critiques dispersées dans le texte ou rassemblées dans des notes, sous forme d’appendice, sont curieuses et instructives. — Ce manuel a été traduit en français, en 1724, par Devaux. — Heister a écrit aussi un grand nombre de Dissertations ou d'observations d'anatomie, sôit sous forme de ionographies, soit dans les Actes des Curieux de la nature. Voy. plus loin ce que je dis de sà chirurgie. (4) Malgré les soins qu'Albinus apporte dans la description des muscles; il serai aujourd'hui impossible de se servir d’un pareil livre dans un tinphitbéâtre. — Les descriptions ne sont ni assez méfhodiques ni assez précises ; les attaches des muscles sont désignées et délimitées trop vaguement, malgré les règles très-bonnes en soi que donne notre auteur. On pourrait faire des remarques analogues pour lostéo- logie. — Quoique à un moindre degré, comme les procédés sont à peu près sem- blables, on peut adresser les mêmes reproches à Sandifort, qui a également publié une Ostéologie et une Myologie. Ces deux auteurs renvoient pour les figures partieu- lièrement à Eustachi, à Vésale, ete, — L’atlas d'Albinus pour les os et pour les muscles est une belle œuvre artistique ; mais les délicatesses, les infinis détails de la structure apparente des os n’y sont pas très-bien rendus; la représentation des muscles est très-désavantageuse en ce qu'ils sont dessinés isolément les uns des autres ; les attaches sont également mal délimitées. AU XVII SIÈCLE. 011 rendant justice à l'exactitude des descriptions d’Albinus, à ses Conhäissances aussi étendués que profondes, il professe que l'anatomie doit entrer résolàment, mais prudemmeént, dans les voies nouvelles que lui ont ouvertës le microscope et la chimié ; il se plaint de l’insuffisance des moyens d’études que l’on pos- sède à Leyde, et, se laissant emporter par son ardeur pour les étudés positives, il ose soutenir que les futurs médecins donnent beaucoup trop dé temps et de soin à l'étude des lettres! Je me fais presque un scrupule d'indiquer cette dissertation, où quel- ques protecteurs trop exclusifs des éfudes professionnelles vont peut-être puiser des arguments. Jé souhaite seulement qu'ils expriment leurs doutes en un latin aussi élégant que celui d'Hal- bértsma; ce sera pour eux; comme pour notre auteur, un bril- ant démenti à leurs idées anti-littéraires: En même temps qu'Albinus, Alex. Monro l’ancien (1697-1767), professeur à Édimbourg (1), publiait, en 1726, et réimprimail plusieurs fois un traité De l'anatomie des os, qui ne le cède en (4) AI. Monro (Senior) dans ses Tentamina circa methodum partes animantium affabre injiciendi, etce., traduits de l'anglais en latin, en 1741, par Bonégarde, qui y à ajouté des notes complémentaires ou rectificatives, propose comme la Meilleure Matière à injections, suivant le calibre et la disposition des Vaisseaux, un tnélange, soit (pour les injections fines) d'huile de térébenthine, de cinabre ou de vert-de-gris en poudre impalpable {à quoi Bonegarde ajoute quelque gomme pour solidifier), soit (pour les injections plus grossières) de graisse, de cire, d'huile d'olives, de térében- thine de Venise, avec les matières colorantes susdites ; pour rendre l'injection plus pénétrante on mêle de l'huile de térébenthine, L'auteur critique les autres mé- thôdés. 11 à aussi donné les règies pour là préparation ét la conservation des pièces anatomiques. — Les Essai d’anatoïnie comparée de Monro ont été traduits en français, par Sue, en 1786. Monro s’y propose de prémunir ses contempo- rains contre les conclusions qu’on pourrait tirer des dissections des anciens (surtout de Galien} puisqu'elles ont été faites sur Les animaux et non sur l’homme, et que néanmoins les premiers anatomistes ont rapporté à l’homme ce qui n’appartenait qu'aux animaux. J1 à voulu décrire les principaux types afin de bien marquer les différences ; l’auteur a eu aussi le dessein d'éclairer la physiologie par l'anatomie comparée. — L'Ostéologie d'AL. Monro est plutôt une suite d’éfudes qu’une des- cription méthodique des diverses parties du squelette. L'auteur y a joint des re- marques pathologiques, Les Œuvres de Monro ont été réunies en 1781 par son fils Donald, qui y a joint une Vie de son père, — D’AL, Monro (Junior, 1732-1817), son autre fils; on à de nombreux et savants inémoires d’anatumie et de physiologie humaine ou comparée, 1012 HISTOIRE DE L'ANATOMIÏ rien à celui du célèbre professeur de Leyde (1). Ed. Sandifort (né vers 1740-1819), successeur el rival d’Albinus, à repris et perfectionné les sujets traités par son maitre, c'est-à-dire les os (1785) et les muscles (1781) (2). Albinus et son disciple Sandifort peuvent être, avec Monro, Winslow et Sabatier, considérés comme les véritables créateurs de cette anatomie exacte, minutieuse, pratique, qui est tenue encore en si grand honneur à la Faculté de Paris par les Cru- veilhier, les Denonvilliers, les Sappey, les Giraldès, et par les chi- rurgiens de la bonne et vieille école, les Velpeau, les Nélaton, les Laugier, les Richet, les Gosselin, elc.; ces messieurs ne rejet- tent ni les secours que fournit le microscope, ni les services que rend la chimieg seulement, entreposant dans leur mémoire les résultats qui ne sont pas encore définitifs, ils attendent la vérifi- cation clinique avant de les proclamer acquis à la science. Nous ne quitterons pas les os et les muscles sans nommer Chaussier (1746-1828), qui a si heureusement réformé leur nomenclature (Dijon, 1760), quoique les nouvelles appellations soient quelquefois un peu compliquées; — ni sans dire un mot de Weitbrecht (1702-1747), qui a donné à Pétersbourg, en 174?, un ouvrage où la description des ligaments est presque achevée. Cet ouvrage est intitulé : Syndesmologia seu historia ligamento- rum corporis humant. N'a écrit aussi diverses dissertations ana- tomiques insérées dans les Mémoires de l'Académie de Saint- Pétersbourg. Winslow (1669-1760) mérite plus de considération pour les nombreux mémoires qu’il a publiés dans les recueils de l'Acadé- mie des sciences que pour son ouvrage, cependant si renommé, (4) Il a eu deux fils, Donald et Alexandre, qui jouissent d’une juste réputation comme médecins et comme anatomistes (voy. p. 1011, note 1). Le fils d'Alexandre junior a écrit aussi des ouvrages remarquables sur l'anatomie normale ou patho- logique. — J. Jos. Sue a traduit le traité de Monro et y a ajouté de très-belles planches, 1759, (2) Sandifort a aussi publié un Trésor de dissertations, où l'anatomie tient la plus grande place; une monographie avec planches sur les hernies congéniales, 1781; des Tabulae intestini duodeni, 1780 ; une description du musée anatomico-patho- logique de Leyde, où l’on trouve de très-bonnes remarques sur l’anatomie patholo- gique des 054 AU XVIII° SIÈCLE. 1013 qui a pour titre : Exposition anatomique de la structure du corps humain (nombreuses éditions ou traductions ; a paru pour la première fois en 4732). L’ostéologie d'abord, puis la myo- logie (1) sont les deux meilleures parties de Pouvrage. Du reste, cette Exposition n’était que l’abrégé d’un plus ample traité qui n'a pas vu le jour. Jos. Lieutaud (1703-1780) se recommande à l’historien par plusieurs mémoires insérés dans les collections de l’Académie des sciences, et surtout par ses Essais anatomiques (1742 et 1746), ouvrage d’un homme expérimenté; enfin, par son His- toire anatomique, où l’on trouve de très-nombreuses ouver- tures de cadavres (1767), mais dont Morgagni blâme avec raison le désordre et l'insuffisance. Les Éléments physiologiques (1749) ne sont qu’un résumé assez médiocre, où l’on trouve trop d’hypothèses ajoutées à celles de ses devanciers. W. Hunter (1718-1783) a publié en 1762 des Leçons antro- ductoires d'anatomie ; et, de 1762 à 1764, il a soutenu contre Monro senior d’assez longues discussions (Medical commenta- ries). Son Anatomie de l'utérus dans l’état de gestation (de 1774 à 1794), avec planches, est un des meilleurs et des plus splendides ouvrages du xvin siècle. Sabatier (1732-1811), qui s'était d’abord contenté de donner une nouvelle édition, annotée, du Traité d'anatomie de Cas. Ver- dier (1768), ayant acquis une longue expérience des dissections, a publié, en 1775, un Traité d'anatomie, en deux volumes. Cet ouvrage, qui pourrait encore, malgré un défaut de précision, surtout pour les petits détails, principalement pour les os et les muscles, servir de guide sur les tables de l’École pratique, a en- tiérement fait oublier Winslow, comme l'ouvrage de ce der- nier avait éclipsé tous les Compendia de ses devanciers. Enfin, l'anatomie a eu son historien dans Ant. Portal (1742- 1832), homme de plus de lecture que de critique et de jugement, qui à fait peu de chose par lui-même, et qui ne rapporte pas toujours exactement ce que les autres ont fait. Le premier volume (1) Cependant la myologie de Winslow passe généralement pour moins com- plète que celle d’Albinus, 4014 DE LA PHYSIOLOGIE AU XVIII SIÈCLE. de son Histoire de l'anatomie et de la chirurgie est de 1770. On lui doit encore une Anatomie médicale (1803), qu'il faut con- sulter avec méfiance, mais où l’on trouve, pourvu qu’on ait soin de vérifier les sources, d’utiles remarques historiques, relatives à l'anatomie normale ou pathologique, et même à la physiologie. Quoique la physiologie (4) n'ait pas eu, à l'exception de Haller et de Lavoisier, de très-illustres représentants, cependant il serait injuste de ne pas reconnaître les progrès qu’elle a faits sur quelques points assez considérables entre les mains de François Pourfour du Petit, en ses Lettres d'un médecin des hôpitaux (1710), touchant un nouveau système du cerveau (2), et de nou- velles expériences contraires au système des acides et des alcalis; — de Hales (1677-1761) pour l’hémostatique (1727 et 1733); — de Whytt (1714-1766), pour les mouvements (3) et la circu- lation (1751 et 1755); — de l’ami de Haller, Caldani (1725- 1813), sur lirritabilité (1756 à 1770); — de H. A. Wrisberg (1739-1808), sur la respiration et ses rapports avec le nerf phrénique (1763); — surtout de Spallanzani (1729-1799) sur la génération et la circulation (de 1765 à 1776); — de Galvani (1737-1798) et de Volta (1745-1826) sur l'électricité appliquée à la physiologie; — même de Lecat (1700-1768) sur les sens, les sensations et les mouvements (de 1740 à 1767), malgré ses préventions, ses prétentions, son peu d'originalité, ses divaga- tions philosophiques, son goût pour les hypothèses gratuites et (4) Dans Nouvelles observations microscopiques avec des découvertes intéres- santes sur [la génération}, la composition et la décomposition des corps organiques, par Needham (1713-1781) ; trad. par L.-A. Lavirotte, 1730, on lit (p. 241) cette phrase remarquable : «Il parait évident qu'il y a une force végétative dans chaque point microscopique de matière et dans chaque filament visible dont toute la con- texture animale et végétale est composée. » — Cela est dit à propos des animalecules microscopiques et des animalcuies spermatiques qui se résolvent en filaments et donnent de nouveau naissance à des animaux plus petits. (2) L'auteur à particulièrement étudié les troubles physiologiques qui résultent des affections cérébrales et surtout des coups et blessures; il répugne à admettre une fermentalion concomitante du sang pour expliquer l’action des espritsanimaux däns les nerfs. — Voy. plus haut. (3) An Essay on the vital and other involunt. motions of animals, 1754. — II y applique les principes de Newton et adopte aussi quelques idées de Stahl, DE LA CHIMIE AU XVIII* SIÈCLE. 1045 surannéés, sur le fluide nerveux, par exemple, qu'il a fait repré- senter (!)et son peu d'habitude des expériences. Il n'y à pas jusqu’au trop célèbre Marat (1744-1793) qui, cé- dant au goût du jour, n’ait écrit, touchant l'influence de l’âme sur le corps et réciproquement (1775), un livre non absolument dépourvu d'intérêt et de vues parfois ingénieuses, mais aussi non exempt de vaines hypothèses et d’une métaphysique obscure; l’auteur est très-sévère pour ceux qui ne pensent pas comme lui, et en particulier pour Lecat. — Dans la même année, Pierre Roussel (4742-1802) publiait son Système physique et moral de la femme, ouvrage qui a eu plus de succès qu'il n'en mérite, et qui inaugure cette littérature médico-philosophique, cette littéra- ture hybride, filandreuse, vide, qui n’a trouvé que trop de repré- sentants en France dans la médecine à la fin du xvi siècle et au commencement du xix° : les Tissot, les Pomme, les Richerand, les Alibert, les Moreau de la Sarthe, les Virey, les Réveillé-Parise, sans même excepier tout à fait Cabanis, homme supérieur à d’autres égards. Ce n’est certes pas à une pareille école qu'appartenait Lavoi- sier (1743-1794); lisez plutôt ces admirables Mémoires où il expose la plus grande des découvertes modernes après celle de la circulation. Je ne pourrais, Messieurs, mieux terminer cette revue qu’en vous donnant une brève analyse et des extraits de ces Mé- moires. Tout en rendant justice aux « trés-ingénieuses, très-délicates expériences » de Priestley tendant à prouver que la respiration a la propriété de phlogistiquer l'air, comme le fait la calcination des métaux, Lavoisier pense que ces expériences n’expliquent pas tous les phénomènes et qu’elles sont même en contradiction avec plusieurs ; il a donc fait de nouvelles expériences sur les métaux et sur les animaux, qui, en lui permettant de décom- poser et de recomposer l'air, l’ont conduit aux conclusions sui- vantes (1): (1) Expériences sur la respiration des animaux et sur les changements qui arri- vent à l'air en passant par leur poumon, p. 174 et suiv. du tome II de ses OŒEu- wres. Voy. aussi Réflexions sur le phlogistique ; ibid., p. 623 et suiv, 1016 DE LA CHIMIE AU XVIII SIÈCLE. « 1° Que la respiration n’a d’action que sur la portion d'air pur, c’est-à-dire un cinquième du volume de l’air de l’atmos- phère, d’air éminemment respirable, contenue dans l'air de l’at- mosphère ; que le surplus, c'est-à-dire la partie méphitique, est un milieu purement passif qui entre dans le poumon et en ressort à peu près comme il y était entré, c’est-à-dire sans changement et sans altération ; « 2° Que la calcination des métaux dans une portion donnée d'air de l'atmosphère n’a lieu que jusqu’à ce que la portion de véritable air, d'air éminemment respirable, qu’il contient, ait été épuisée et combinée avec le métal ; «3° Que, de même, si l’on enferme des animaux dans une quan- té donnée d’air, ils y périssent lorqu’ils ont absorbé ou converti en acide crayeux aériforme la majeure partie de la portion respi- rable de Pair, et lorsque ce dernier est réduit à l’état de mofette ; « 4° Que l'espèce de mofette qui reste après la calcination des métaux ne diffère en rien, d’après toutes les expériences que J'ai faites, de celle qui reste après la respiration des animaux, pourvu toutefois que cette dernière ait été dépouillée par la chaux ou les alcalis caustiques, de sa partie fixable, c’est-à-dire de l’acide crayeux aériforme qu’elle contenait ; que ces deux mofettes peu- vent être substituées l’une à l’autre dans toutes les expériences et qu'elles peuvent être ramenées loutes deux à l’état de l'air de l'atmosphère par une quantité d'air éminemment respirable égale à celle qu'ils ont perdue. Une nouvelle preuve de cette dernière vérité, c'est que, si l’on augmente ou que l’on diminue, dans une quantité donnée d’air de l’atmosphère, la quantité de véritable air, d'air éminemment respirable qu’elle contient, on augmente ou l’on diminue dans la même proportion la quantité de métal qu'on peut y calciner, et jusqu’à un certain point le temps que les animaux peuvent y vivre. » Dans un autre mémoire (A/térations qu'éprouve l'air respiré) publié en 1785, et reproduit dans le tome II de ses Œuvres, p. 676 et suiv., Lavoisier, après avoir rappelé que l’air atmosphé- rique diffère des autres fluides aériformes, et qu’ilest non simple, mais composé, prouve que la respiration décompose l'air, et que, dans un milieu clos, l'air est bientôt vicié par l'absorption LAVOISIER, 1017 de l'air respirable (oxygène) et par l'expiration de l'acide carbo- nique. L'air alors diminue de volume et augmente en pesanteur absolue. Donc, indépendamment de la portion d’air vital qui a été convertie en acide carbonique, une portion de celui qui est entré dans le poumon n’en est pas ressortie dans le même état. Ou bien une portion de l'air vital s’unit avec le sang, ou bien, ce qui paraît plus probable à Lavoisier, elle se combine avec une portion d'hydrogène pour former de l’eau. Les expériences ont été faites sur l'air de la respiration après qu’il avait été re- froidi et qu'il avait perdu l'humidité surabondante dont il est chargé en sortant du poumon. Les animaux qui meurent dans l'air irrespirable paraissent succomber à une fièvre ardente et violemment inflammatoire. Le cœur est gorgé de sang et livide, le poumon très-rouge et flasque; les chairs sont fort rouges. Lavoisier n’a pas manqué d'appliquer ces résultats à l'hygiène en montrant ce qu’il fallait de mêtres cubes d’air dans les cham- bres ou salles habitées par un plus ou moins grand nombre d'individus (1). On trouvera aussi des applications à l’hygiène et à la pathologie dans le Mémoire sur la respiration des animaux, publié en 1789, par Seguin et Lavoisier (OEuvres, t. IT, p. 688 et suiv.). On voit également dans ce Mémoire que suivant Lavoisier et Laplace la respiralion ne se borne pas à une combustion de carbone, mais qu’elle occasionne encore la combustion d’une partie de l’'hydro- gène contenu dans le sang, d'où résulte une formation d’acide carbonique et d’eau par la respiration. La chaleur animale est entretenue par la portion de calorique qui se dégage au moment de la conversion de l’air vital de atmosphère en gaz acide carbo- nique, comme il arrive dans toute combustion de carbone. C’est l'air qui fournit l'oxygène et le calorique ; c’est le sang qui four- nit le combustible ; par conséquent l’huile manquerait bientôt à La lampe si les animaux neréparaientpas par la nourriture ce qu'ils perdent par la respiration. Seguin s’est soumis lui-même aux expériences qui devaient servir à déterminer la proportion de perte (4 Voy. aussi, dans le tome III des Æuvres de Lavoisier, Rapports, observa- lions et notes sur les prisons ; Projet de translation de l'Hôtel-Dieu et d'une nou- velle construction d'hôpitaux pour les malades. 1018 DE LA PHYSIOLOGIE AU XVIII SIÈCLE. et de gain par la respiration et l’alimentation, et à reconnaître les phénomènes variables de la circulation suivant la nature des expériences. . La machine animale est done principalement gouvernée par trois régulateurs : la respiration qui consomme de l'hydrogène et du carbone et fournit du calorique; la transpiration (4) qui augmente ou diminue suivant qu'il est nécessaire d’emporter plus ou moins de calorique ; enfin la digestion qui rend au sang ce qu’il perd par la respiration ei la transpiration. Les auteurs établissent ensuite que l’action de ces trois agents peut varier dans des limites três-étendues suivant les milieux, les exercices, les aliments, etc. Seguin et Lavoisier en concluent que le bon régime dans les maladies est une des armes les plus puissantes que la médecine ait à sa disposition, et aussi (ce qui n’est pas également exact) que l’art médical consiste souvent à laisser la nature aux prises avec elle-même. Ce mémoire se termine par une belle et « consolante » pensée que je veux mettre sous les yeux du lecteur : «Il n’est pas indispensable pour bien mériter de l'humanité et pour payer son tribut à la patrie d’être appelé à ces fonctions publiques et éclatantes qui concourent à l’organisation et à la régénération des empires. Le physicien peut aussi, dans le silence de son laboratoire et de son cabinet, exercer des fonctions pa- triotiques ;il peut espérer, par ses travaux, de diminuer la masse des maux qui affligent l'espèce humaine ; d'augmenter ses Jouis- sances et son bonheur, et n’eût-il contribué, par les routes nou- velles qu’il s’est ouvertes, qu’à prolonger de quelques années, de quelques jours même la vie moyenne des hommes, il pourrait aspirer aussi au titre glorieux de bienfaiteur de l'humanité. » Ce titre, si bien mérité par Lavoisier, la Révolution, qui se disait amie du peuple, ne l’a pas respecté ; l’incomparable chi- miste est mort sur l’échafaud ! Si Fourcroy (1755-1809), à qui l’on doit le plan de la réorga- | nisation de l’Université, n’est pas venu le premier, du moins il a (4) Voy. Mémoire sur la transpiration des animaux, par Seguin et Lavoisier, 1790 ; dans Œuvres, t. II., p. 704 et suiv. FOURCROY. 1019 noblement marché sur les traces de Lavoisier, et il légale dans un autre ordre de recherches. C'est lui qui, du premier coup, a porté aussi loin qu’on le pouvait alors l’analyse des principes immé- diats des corps organisés : la fibrine, la gélatine, l’albumine, le chyle, le lait, la bile ; c’est lui aussi qui a décomposé les diverses espèces de calculs biliaires, salivaires, urinaires, et qui a montré par la théorie, soutenue de nombreuses expériences, que quel- ques-uns de ces calculs, surtout les urinaires, peuvent être dis- sous par l'emploi de certains médicaments administrés à l’in- térieur. Ce ne serait pas trop nous éloigner du sujet (anatomie et phy- siologie) dont nous nous occupons ici que de mettre maintenant en scène Morgagni ; et, même, si je ne craignais de contrevenir trop ouvertement, et sans nécessité absolue, aux règles de la chronologie, j'aimerais à rapprocher Haller de Morgagni, et à opposer ainsi la phalange des vrais savants, des expérimenta- teurs, des observateurs, des hommes positifs, à ce groupe, res- treint il est vrai, mais malheureusement trop puissant, des mé- decins qui s’en rapportent plus à leur imagination qu'à leurs sens. Je cède done, avec regret, à la chronologie, car je ne veux pas écourter Morgani, et je vais vous entretenir de Stahl. XXIX SOMMAIRE, — Stahl et l'animisme. — Exposition et critique de ce système : physio- logie, pathologie générales et spéciales. MESSIEURS, On a écrit beaucoup de phrases pompeuses sur Stahl (1660- 1734), besogne facile quand on ne prend pas la peine de lire les ouvrages dont on parle; on a porté beaucoup de jugements di- vers sur le système du promoteur de l’animisme, mais peu de ces jugements sont solidement motivés; en général ce sont les phi- losophes qui ont eu la parole et qui ont défendu Stahl; or, il n°y a pas de plus mauvais physiologistes que les meilleurs philo- sophes. La philosophie a une tendance naturelle, par la méta- physique, à créer ou accepter soit des êtres (comme l'ont fait Van Helmont et Barthez), soit des dédoublements d’êtres (Stahl), pour expliquer les mouvements de l'organisme ; rarement elle cherche dans la science la solution du problème; c’est par excep- tion qu'elle invoque les lumières de l’expérimentation, de l’ana- tomie et surtout de la physiologie comparées; elle admet diffi- cilement que la matière organisée ait des propriétés spéciales, inhérentes, qui entrent en activité en raison de certaines condi- tions des milieux; il lui faut toujours un moteur distinct qui incessamment touche le grand ressort. Parmi les auteurs français (1) qui ont publié les travaux les plus sérieux sur Stahl, je dois citer en première ligne M. Lasègue, dont la thèse intitulée : Stahl et sa doctrine médicale (Paris, 1846) a commencé sa réputation d'écrivain et de savant (2); puis (1) Les Disserlations de Matthes, de G. Meineke et de K.-W. Ideler sur Stahl et son système, n’offrent qu'un médiocre intérèt. (2) Voy. aussi sa Conférence sur Stahl, dans Confér. historiques de la Faculté de médecine, 1866. Je trouve seulement que M. Lasègue pousse un peu loin son admiration pour Stahl, lorsqu'il dit : « Stahl s’est élevé à une telle hauteur doctri- a Pi STAHI. 1021 M. J. Tissot, doyen de la Faculté des lettres de Dijon, lequel, en 1861, a publié : La vie dans l’homme, où il‘ donne une grande place à l'histoire et à l'examen critique de l’animisme, recherches qu'il a reprises, sous une forme plus dogmatique, dans un autre ouvrage, consacré à l'étude des principales explications qu’on a données récemment de la vie (1). M. Tissot est favorable à l’ani- misme. M. Alb, Lemoine, dans Le vitalisme et l'animisme de Stahl (Paris, 1864), tient pour le vitalisme contre l’animisme, ancien ou moderne. M. Saisset (L’äme et la vie, Paris, 1864), résumant les divers travaux publiés sur ce sujet, principalement ceux de MM. Bouillier (Du principe vital et de l'âme pensante) , Tissot et Lemoine, sépare les deux domaines : la vie intellectuelle et la vie organique, et ne les rapporte pas à un même principe. Vien- nent ensuite les nombreux et longs commentaires de M. Blon- din, au milieu desquels Stahl semble parfois étouffé, et dont Putilité n’est pas toujours suffisamment justifiée, quoique l’habile traducteur, aidé de quelques-uns de ses amis, et en particulier de MM. les professeurs Royer et Tissot, ait tâché dans ces commen- taires de rendre plus présente la pensée de son auteur. On y remar- que trop de hors-d'œuvre, de pages déclamatoires et d’allégations historiques fort aventurées; par exemple (1. I, p. 424,note 1), on lit que Pitcairne a consacré la plus grande partie de sa vie à com- battre l’iatromécanisme! Je crois que les commentaires qu’on a joints à la traduction, exacte d’ailleurs, nuisent plus à Stahl qu'ils ne le servent; Stahl a perdu sa propre physionomie pour devenir une enseigne de parti; ce n’est plus qu’un porte-drapeau. nale qu'il aurait le droit de produire aujourd'hui les opinions qu'il professait il y a plus d’un siècle. » Le droit je ne le conteste pas, mais reste à savoir quel accueilon ferait parmi les savants à l'exercice de ce droit; Stahl serait écouté comme on écoute son commentateur M. Blondin ou la Revue médicale, Du reste M. Lasègue ne ménage aucun reproche au caractère difficile de Stahl, à l'obscurité de sa pen- sée, à l’incorrection de son style; et Blumenbach a dit que si Hoffmann avait effacé Stahl, c’est plutôt par la différence du caractère que par la supériorité de la doc- trine, par la clarté de l'exposition que par l'inébranlable solidité des raisonnements. (1) L'animisme, ou la matière et l'esprit conciliés par l'identité du principe et la diversité des fonctions dans les phénomènes organiques et psychiques (Paris, 1865). —Dans sa Psychologie expérimentale, M. l'abbé Bautain avait lui aussi imaginé une sorte de substance intermédiaire entre le corps et l'âme. 1022 DE L'ANIMISME. Pour ma part, je ne fais aucuñe difficulté de déclarér que cher: cher, en dehors dé l'organisme lui-mémié, uni êére quelcoïque pour épxliquer la vie, mé parait une concéplion dé l'enfance de l'art. Cela nous reporte à ces temps reculés où les hommes, nié sachant comment se rendre compte dés phénomènes dé la nature, “avaient un dieu, un demi-dieu, quelque génie particulier, où siin- plement l’aveugle fat (1) pour expliquér chacune de ses mani: festations. I n’y a rien de plus grossiér qu'un pareil procédé, rién qui éloigné plus des véritablés recherches scientifiques qu'une parcille hypothèse, rien qui écarte plus l'esprit de l’étude des for- ces naturelles à la matière organisée, rien par conséquent qui s’op- posé plus aux progrès de la physiologie (2). Tirons-nous du pro- blème dé la vié comine nous pourrons, mais tirons-nous-én par l'étude de la vie elle-même, partout où elle existé ; ne nous déchar- geohs pas du soin pénible dé fournir dés explications plus ou moins rationnelles en inventant une responsabilité étrangère, un êtré qui suilit à tout ét né nous laissé guèré qué la peine de justifier sa pré- sencé. Or, cetté peine, pour le diré en passant, ést, si l’on n’a pas uñ acquiéscement aveuglé à la doctrine, présqué aussi grande que celle que réclament les recherches poursuiviés dans uné autre direction. José affirmer qué si l'esprit dé parti religiéux ou là théolügié pure ne S'étaiént pas emparés de l’añimisme, cêlte doctrine n’eût pas survécu à son auteur. À mon avis l’inanité dé l’animismé ét sa fausselé Ont été victorieusement démon- (1) SI lui-même, dans la Disquisitio de mecañismi et organismi diverst- tate (1706) distingue le hasard du destin dans les opérations de la nature. Destin est synônyme de nécessité fatale (mais régulière ét conforme à un but), de produc- tion physique; hasard désigne les créations ou les mouvements qui n’ont rien de fiñal, ni de positif, ni d’arrété d'avance. (2) On s'étonne à bon droit qu'un homme dont Fourcroÿ à écrit, en parlant de ses connaissances chimiques, &« qu'il avait fixé pour un demi-siècle là théorie de là chimie, et qu'ilen avait présenté l’ensemble le plus imposant, le système lé mieux lié etlé plus étendu, » ait pu mettre au jour üné doctrine physiologique et médicale aussi hypothétique et aussi vaiñé. — Voy. âussi les éloges que Lavoisier (Réflerions sur le phlogistique, p. 622 et Suiv, du L. IT de ses OEvvres) dénne Stahl & comme étant un des patriarches de la chimie et avant fait une sorte de révolution dans cétte science » par Ses récherches sur la combustion, et là transmissibilité d’un corps à un autre de la propriété d’être inflammable. STAHL. — PHYSIOULOGIE GÉNÉRALE. 1023 trées (1), au nom de la philosophie par M. Albert Lemoine dans l'ouvrage précité, par M. Saisset dans lAmne et la bie, et au nom de la physiologie par M. Vulpian dans ses Lecons de physiologie générale et comparée du système nerveux (xiv° leçon). Quant à l'exposé de la doctrine de Stahl (2) (1660-173h), je tâcherai dé le rendre aussi clair et aussi succinct que possible ; pour cela je le tirérai uniquement de ses œuvres, en me servant dé là traduction dé M. Blondin pour ceux des écrits du profes- seur de Halle/qui ont déjà vu le jour dans cétte traduction. Stahlse plaint, dans une dissertation Sur les choses étrangères à la médecine (3), qu'on fait entrer dans la médecine trop dé chosés qui lui sont étrangères et même nuisibles ; mais n'est-ce pas à Stahl lui-même qu'il faudrait adresser cé reproche ? N’est-cé (1) Je place bien entendu au premier rang des critiques du système de Stabl, les Doutes et fins de non recevoir de Leibnitz, que Stahl a réunis et tâché de réfuter däus un ouvrage publié sous le titre dédaigneux de Negotium otiosum , et dont Haller a dit : Opus metaphysici potius saporis. Si je ne me trompé, et si je me place au point de vue physiologique, Leibnitz (en mettant à part ses opinions souvent von- troversables, et dont il se sert trop volontiers dans ses arguments qui sont ainsi en partie invalidés) a raison pour l’ensemble et pour beaucoup de points de détail du système ; il à raison en un langage mesuré, plein de déférence et de respect en- vers l’illusire professeur de Halle. Stahl à souvent tort dans ses réfutations, surtout lorsqu'il prétend que le mouvement n’est bas en la puissahce du corps; il a tort en un langage emporté, acerbe, injuste, parfois peu sincère, Si j'ajoute cetté duré épi- thète, c’est que, selon moi, il résulte avec uue certaine évidence de la lecture du factum de Stahl, que, pressé par son Aristarque, son censeur, son adversaire, comme il appelle Leibnitz, il est revenu par une voie détournée et par des raison- nements un peu sophistiques, sur quelques-unes de ses opitions éinises d’une façon trop absolue : par exemple, à propos de la part de l’âme dans les mouvements vitaux physiologiques ou pathologiques (doutes 20 et 27 de Leibnitz). Puis, comme le fait remarquer M. Lemoine (p.150 et suiv.), Leibnitz aurait eu beau jeu contre Slahl dans la question de la matérialité de l'âme s’il ne se fût pas arrêté aux pre- mières pages de la Theoria medica vera, car dans le chapitre de la génération, il regarde lres-positivement l’âäme comme divisible : puisque le mouvement est divi- Sible,iln'y a pas de répugnance à croire que le moteur lui-même est également divi- sible, et étendu par conséquent ! (2) La vie de Stahl, qui s’est passée presque tout entière à Halle, n’offre rien de particulier; elle à été consacrée au travail du cabinet et à là pratique. Les seuls accidents qu'on y puisse signaler, ce sont les différends de Stahl avec Leibmitz ét âVec son collègue, Hoffmann. (3) Paraenesis ad aliena à medica doctrina arcendum, 1706. 1024 DE 1H ANIMISME. pas lui qui introduit de vive force la métaphysique dans ia phy- siologie, qui invoque à chaque page les principes de la philoso- phie spéculative dont il fait plus d'état que des expériences physiologiques, de la dissection « minutieuse » des cadavres (1), de l’histoire naturelle de l’homme ou anthropologie ? Tout cela ne sert de rien pour comprendre comment le corps peut re- cevoir des lésions et surtout de quelle manière il a l'habitude de les recevoir. N'est-ce pas lui qui, dans celte même disserta- tion, tente de faire le procès à la physique (2), à la chimie (3), en raison des minimes résultats auxquels, après beaucoup de bruit, elles seraient arrivées? N'est-ce pas Stahl aussi qui bläme les médecins de trop s'occuper de la nature où du corps physi- que et pas assez des mouvements? Mais qu’a donc fait toute l’école mécanique ? Ce qui le choquele plus, c’est que dans toutes ces écoles physiques on ne s’enquiert pas même de la vie, de ce qu’elle est, en quoi elle consiste, d’où elle provient, par quels modes ou quels moyens elle se maintient et subsiste. Ce qu'il blâme, c'est qu'on n'ait pas distingué le muxle du vivant, c’est- à-dire, la proportion du mélange des particules qui constituent le corps, de la vie elle-même, et la corporéité ou structure, de la vitalité. Stahl oublie que les iatromécaniciens ont cherché et donné une formuie de la vie : seulement cette formule diffère de la sienne. Personne en effet, si ce n’est peut-être Van Helmont (4) Il faut lire les $$ 27 et suivants de la Paranaesis, etc., pour juger jusqu'où paraît aller la prévention de Stabl pour une science qu'il ne connaissait pas. Il cherche à y prouver, que l’anatomie délicate, surtout en ce qui concerne les mus- cles, est non-seulement inutile mais nuisible à l’art médical ; par conséquent elle n’est pas indispensable au médecin; elle ne fait pas partie intégrante de l’art mé- dical. C’est à n’en pas croire ses yeux quand on lit de telles pages. (2) Au $ 7 et suiv. Slabhl cherche, mais, à mon avis, sans y réussir, à préciser cette formule qu'il adopte et qui était combattue par l’iatromécanisme : là où finit le phy- sicien commence le médecin. Voy. plus haut Pitcairne , p. 854. (3) Au $ 31 de la dissertation précitée, la chimie n’est pas mieux traitée que l’ana- tomie. Stahl dit que les chimistes n'ont jusqu'à ce jour rien, absolument rien dé- couvert qui se trouve en parfaite harmonie, soit avec la vérité chimique, soit même avec quelques-unes des hypothèses qu'ils ent adoptées, bien loin qu'ils y aient pu montrer quelque rapport solide avec le caractère propre de la vie humaine. Cela serait à peine vrai de liatrochimie poussée à ses dernières conséquences, — Voyez aussi sa Lettre à Schroeck, président de l’Académie des Curieux de la nature. STAHL, —- PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE. 1025 avec son archée et les théologiens, n'avait dit que c’est l'âme qui rassemble et maintient unies toutes les innombrables particules qui constituent le corps, et détermine ses tissus et ses organes. Or, c’est précisément de cette façon que Stahl comprend lorga- nisme. Stahl dit encore que jusqu'à lui on n’a connu ni la vé- ritable utilité, ni l'importance, ni l'efficacité, ni la dignité des sécrétions. Mais toute la pathologie ancienne, toute la pathologie iatromécanique etmême chimique ont pour pivot une théoriedes excrélions et des sécrétions ! Oui, il est vrai, s’écrie-t-1l, que les modernes ont traité ce sujet, mais si vaguement en parlant de la force mécanique, que c’est une spéculation dénuée de tout principe vrai et peu profi- table à la science et à l’art. Sans doute, la théorie mécanique n’est pas suffisante, mais elle vaut bien celle de Stahl; elle n’a pas tout au moins détourné les veux des médecins de la contem- plation de l’organisme pour les reporter vers les régions nua- geuses de la métaphysique biologique. On voit à peu près, dans cette dissertation (1), ce qui selon Stahl est étranger à la médecine : c’est justement ce qui lui rend le plus de service quand on en sait user; mais ilne dit nulle part ce qui est »raunent médical, ce qui a avec la médecine un rap- port « essentiel el naturel de connexité, de convenance et de réelle uuilité » ; il se contente d'affirmer qu’on doit suivre la mé- thode naturelle établie sur une solide et infaillible expérience, (4) « Une chose qui depuis déjà longtemps m'inspire le plus profond dégout, s’écrie Stahl (Du mixte et du vivant, $ 86), c'est cette démangeaison inconcevable qu'ont les modernes de vouloir toujours se méler de tout; c’est cette manie préten- tieuse par laquelle on agite, plutôt qu'on ne fait avec quelque résultat, une foule de choses à la fois, mais le tout sans succès évident; et ce qui cest pis encore, c’est que les esprits, une fois énervés par ces sortes d’études si hétérogènes les unes aux autres, non-seulement s’écartent, même avec intention, du but utile, et perdent ainsi de vue l'enchainement naturel des rapports qu'ont les choses entre elles (le seul et véritable but qu'ils devraient sans cesse s’efforcer d'atteindre dans leurs études), mais encore, perdant même de vue leur intention réelle et primitive, ils deviennent par le fait impropres aux choses sérieuses et à cette constance de l’es- prit si nécessaire à la découverte et à l'étude continuelle des rapports intimes et invariables que ces choses ont entre elles, Or, toutes ces digressions si vaines, libres et sans frein, tous ces écarts coupables d’une téméraire curiosité sont absolu- ment inutiles et même préjudiciables, » DARFMPERG 65 1026 DE L'ANIMISME. et les inspirations bienfaisantes d’une saine raison ; c’est juste- ment ce que répètent à l’envi et à la fois tous les seciaires et tous les rétrogrades | La méthode naturelle, pour Stahl, c’est de ne se soucier n1 de la composition ni dela structure du corps; de donner à une portion de l’âme un empire souverain dont elle ne doit compte à personne et à l’aide duquel elle dirige tous les actes de l’orga- nisme, avec ou sans conscience de ce qu'elle fait. On comprend, mais sans l’approuver, qu’en présence d’un tel système quelques physiologistes se soient laissé emporter par un soufile de réaction jusqu’à arracher violemment et contre tout droit âme du corps pour attribuer à la matière des offices auxquels elle est manifes- tement impropre (1). M. Lemoine pense que le vitalisme a été le principe, le point de départ de la doctrine de Stahl, et que l’animisme n’en est qu'une « conséquence arbitraire ». Cette assertion ne me semble justifiée ni par la lettre ni par l’esprit des textes. Dès ses premiers pas dans la carrière médicale et dès les pre- mières lignes de sa dissertation inaugurale, De éntestinis (1684), Stahl regarde déjà l'âme comme le z20teur principiant, ei le corps séparé de lâine, comme un simple ayréqat; au chapitre second, c'est l'âme qui digère par le moyen de l'estomac et des intestins, moins à l’aide de tous les sucs prétendus digestifs qu'au moyen d’une chaleur propre, inhérente aux intestins comme aux autres (4) Stahl, dans Disquisitio de mechanismi, ete., a très-bien séparé les deux de- muines, celui de l'esprit et celui de la matière, quant à la création et à l'association des idées; mais il sort aussi évidemment de la bonne voie en accordant à une partie de l'âme une puissance absolue sur le corps qu’elle ne possède pas, de même que les matérialistes qui prêtent à la matière une vertu qui lui est étrangère. Stahl joue évidemment sur les mots quand il oppose son organisme au mécanisme, car les mé- caniciens comme les organiciens admettent un principe moteur et une fix dans les actes produits. Pour les uns comme pour les autres, le corps peut être assimilé à une horloge bien montée, bien réglée et bien dirigée. Les mécaniciens ne cessent de se servir de celte comparaison, Mais Stahl, qui recommande à ce propos «de ne pas trop se tourmenter l'esprit pour découvrir le but final de l'existence des êtres », met son esprit et le nôtre à la toriure pour savoir en quoi different z26canisme et Organisme, STAHL. — PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE, 1027 parties et entièrement en dehors de la chaleur externe, ou agent microcosmique, chaleur qui résulte de l’ébranlement de chacune des particules de l’organisme mises en mouvement par l'âme. Ailleurs (1) Stahl, distinguant du v/vant le mixte où l'agrégat, identifie l’émne et la vie, La nature, auteur et soutien de notre vie, C'est-à-dire la nature animale, c'est-à-dire l'âme (car tous ces mots sont synonymes — A6), accomplit son œuvre dans et sur le corps par le mouvement, sans qu’on puisse dire pour cela que le mouvement soit la vie (2), ni que le mouvement circula- toire des humeurs soit aussi la vie ; ce n’en est qu'un simple in- strument, comme le corps tout entier n’est que l'instrument et l’ofJicine de l’âme pour laquelle il a été formé (4). Le trépied sur lequel repose l'âme où même les trois rouages principaux dont elle se sert pour entretenir 2t défendre le corps, sont la cércula- tion, les sécrétions et les excrélions (1). Aussi ($ 47-48) ne faut-il (4) Paraenesis ad aliena a med. doctr. arcendum. Voy. $ 17 et suiv. (2) Voy. De vera diversitate corporis mixti et vivi, etc., 1707, Voy. p. 317, $ 63-65. — D'après Stahl, Dieu est la cause première, mais il #’a pas voulu que nous ayons à remonter jusqu à son immensité, et #/ à dü nous donner un intermé- diaire, l'âme, (3) Disquis. de imechan.,S98 ; De vera divers. corporis mixti,ete., $ 51 et suiv., où il est dit que l’homme est proprement me. (4) Stahl se plaint (De vera divers. corporis mixti, ete. Voy. aussi $$ 47, 55-144) que l'essence de la vie soit mal connue ; mais en donne-t-il une meilleure notion ou définition ? « Quels que soient la manière et le sens dans lesquels on admet l’ac- ception universelle des mots ve et vivant, quelque signification qu’on leur donne ou qu’on veuille leur donner, ils rappellent toujours à l'esprit l'idée d’une évidente activité quelconque, ou mieux encore d’une action sur les choses corporelles ; action soit véritablement, soit apparemment innée et même immanente, non transitoire et ne cessant jamais d'agir tant qu’on y reconnait sa présence. Telle est l’idée que le mot vie, pris et conçu dans un sens général, et, par cela même, dans un état plus absolu, présente à l'esprit de l’homme, Ce n’est pas seulement d’une manière générale qu'il convient de considérer et d’éludier les rapports et le mode d'être de la vie à l'égard du corps; il importe surtout d'observer réciproquement les rap- ports naturels ou la manière d’être du corps à l'égard de la vie. Car enfin c’est de cette comparaison que résulte et se manifeste une plus spécifique et plus formelle raison, tant de la vie elle-même que du corps par rapport à la vie. Ce qui vient spécialement à l'appui de celte considération, c'est, d'une part, l'observation sérieuse du corps humain, ex tant que privé de sa vie, et, d'autre part, l'étude de ce corps #7? d’une manière concrète à la vie, c'est-à-dire jouissant de sa propre i028 DE L'ANIMISME. pas, avec les iatrochimistes, dont la théorie est qualifiée de folle (K 49) (1), s'opiniâtrer à violenter le corps pour le préserver de Ja corruption à laquelle il est si fort exposé en sa qualité d’agré- qat où de muxte; il convient le plus souvent de s’en rapporter à l'âme, puisque chaque individu possède en lui-même et a pour ainsi dire sous la main Ja faculté et la libre puissance, au moyen de l’âme et d’un bon régime, d’user à son gré de toutes les choses nécessaires à la vie et à la santé. La nature elle-même nous sert de guide. « Dans l’universalité des espèces annnales, il existe comme chez l’homme une #wxtion en tout semblable, apte et sujette à de subuüles et faciles altérations ; de même et pareillement ce moyen, celle /orce, en tant que puissance de conservation vitale, est iden- tique partout et pour tous ; de telle sorte qu’en éliininant par de perpétuels mouvements de paisibles excrétions tout ce qui paraît devoir être nuisible au corps, cette force conservatrice naturelle, après avoir fait disparaître la cause morbifique, domine abso- lument tout l'effet, et l’anéantit certainement beaucoup mieux qu'ells ne pourrait le faire si, au lieu d'éliminer ainsi cette cause, elle en tolérait la présence, si elle fermait les yeux (qu’on nous permelle l’expression) sur son accumulation et sa concen- tralion, si elle en favorisait même la formation, non pas tant comme ayant l'air d'attendre que comme semblant provoquer et accueillir avec plaisir le danger d’un plus grave dommage. « Gomme la raison est d'abord l’auteur de cette méthode cura- tive naturelle, el qu'une puissance ainsi qu'un caractère propre d'activitévilale li appartiennent d’une manière spéciale, de même il est vrai de dire que c’est l'âme qui s'occupe avec un soin tout paruculier de cette activité, el qui l’emploie à l'heure indiquée avec autant de constance que d’exactitude et de précision. C’est donc, je le répète, à l'aide de cette méthode que le corps vtt et vie, » De telles réflexions sont si justes, qu'on s'étonne après les avoir lues que Stahl ait eu besoin de l’âme pour expliquer la vie ; ces réflexions devaient le mettre sur la bonne voie. (4) I dit dans sa conclusion que toute doctrine étrangère à lu vraie {héorie médi- cale ne se fait remarquer que par sa perplexité, ses doutes et les innombrables exemples d’une scandaleuse pratique, fatale et funeste, STAHL. — PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE. 1029 quil est conservé dans la pureté et l'intégrité de sa mirtion ; c’est par elle aussi qu’il est entièrement préservé des altérations qui le menacent sans cesse et qui même l'ont déjà atteint. Telle est la médecine de la nature, celte force, celle puissance qu'Hip- pocrate avait déjà signalée comme pouvant guérir un grand nombre d'individus de leurs affections sans le secours même de l'art médical. Telle est, en un mot, l’autocratie méthodique de la nature, si digne de la considération et de lPappréciation la plus délicate ; car, ne l’oublions point, c’est seulement par elle que l’homme sujet aux maladies les plus affreuses se trouve sponta- nément délivré de ses souffrances et est rendu à la santé après avoir été arraché à une mort imminente. » Trad. Blondin. Vous allez done, Messieurs, ajoutant pleine confiance dans les paroles si absolues de Stahl, vous reposer doucement sur la na- ture « sans vous mettre en sueur, sans souffrir des veilles » ; mais tournez quelques feuillets (1) : « Comment se fait-il, dit Stah}, que lorsque la putréfaction en- vahit une partie du corps, l’acte conservateur vital abandonne la partie voisine encore saine, tandis ‘qu’il pouvait et devait même arrêter les progrès de celle corruption actuelle ! Certes, et je ne cesserai de le rappeler à lattention de chacun, on ne saurait citer aucune espèce animale chez laquelle de pareils phénomènes se produisent aussi aisément et d'une manière si habituelle que chez l'homme (2). Mais à quoi donc attribuer cette prodigieuse anomalie, si ce n'est à ce principe vital, actif et vivifiant de l’homme, doué de la faculté de raisonner, je veux dire à l'âme raisonnable telle qu’elle est, mais non telle qu’elle devait être, au point de vue de sa rationalité, non telle, dis-je, qu’en se li- magine plutôt qu'on ne la suppose ordinairement ? Cette faculté (1) De vera diversitate corporis merti, ete., & 41. (2) I est dit plus loin que chez les animaux « l'âme s’arrèle directement, sim- plement sur chaque objet qu’elle poursuit d'une manière spéciale et naturelle », Dans le $ 49 de la Dissert. De mech. el organ., on voit combien l'âme est accablée par la multitude des objets dont elle est assaillie de tous côtés et à la fois. Au $ 69, on lit que l'âme est l'être cssentiellement actif par rapport à la matière absolument passive. 1030 DE L’ANIMISME. de raisonner, cette rationalité n’est ni droite, ni simple, ni directe, ni, ainsi qu’on le dit vulgairement, naturellement saine, mais dépravée, timide et incertaine, téméraire el trop hätive à tirer des conséquences erronées et intempestives, se mêlant et s’occupant de nombreuses et différentes choses à la fois, mais n'entreprenant et n'exécutant jamais rien avec exac- titude et précision, si ce n’est après de nombreux détours et de grandes hésitations ; se livrant plutôt à la contemplation qu’à la simple méditation des choses; ou bien, quand elle parvient à délibérer avec calme et sagesse, cherchant avec plus d’empres- sement à prévoir l’avenir qu'à imaginer les moyens propres à y pourvoir ; faculté, dis-je, tantôt craintive et tremblante, tantôt impatiente à Végard des choses imprévues ; bien souvent désor- donnée et inconstante, et se hâtant fémérairement d'arriver à son but avec précipitation, tout en négligeant d'employer les moyens convenables et propres à cette même fin. € Lorsqu'il n’y a pas absolument espoir de conserver (chose d’ailleurs assez difficile, quelque saine que soit la raison) la partie du corps déjà envahie par la corruption (1), dès ce mo- ment cette portion de la machine corporelle (perdue à jamais) est vouée à un simple et naturel oubli, et l'âme n’éprouve désor- mais plus pour elle qu’une indifférence et une insouciance qui tiennent de l’insensibilité et de l’apathie. Aussi est-ce pour cela que l’on ne devra pas regarder comme absolument déraisonnable cette crainte désespérée. Aussi il me parait plus conforme à (4) Du mixte et du vivant, S 42. Au $ 68 de cette même Dissertation, on lit : « La constitution matérielle du corps est si essentiellement disposée à une cor- ruption intime et prompte, que, considérée en elle-même, elle nous apparait réel- lement avoir été faite à dessein et même destinée, comme on dit, à la corruption. Mais nous voyons aussi cette constitution matérielle du corps dans une disposi- tion toute contraire, je veux dire, par opposition à la corruption, susceptible de se conserver durant de longues années par un quelque chose toujours opposé et étranger à la nature-foncièrement corporelle et matérielle de cette constitution ; et ce quelque chose, quelle que soit l’idée que nous nous en fassions, est réellement incorporel et ##matériel, de sorte que, si nous le considérons comme un effet d’une cause certainement pareille et elle-même immatérielle, nous le ferons bien raison- nablement dériver du mouvement. » — Encore une fois, ce mouvement fait échec à l'aime, car il suffirait de le concevoir au point initial pour n'avoir plus besoin de la présence actuelle, continue de l’âme, STAHL. — PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE. 1031 la saine raison de suspendre alors platôt que de poursuivre tout acte vilal lorsqu'il lui est impossible d’opposer une résistance suffisante à la corruption et partant d'atteindre son but. » Ce n’est vrainent pas la peine d'avoir une âme raisonnable pour qu’elle fasse, par pure distraction, de telles sottises, pour qu’elle laisse le corps se corrompre au lieu de le préserver comme elle le peut si aisément. Le corps tout seul, la matière toute seule saurait tout aussi bien el même mieux se défendre. A ce compte, une âme de bête devient de beaucoup préférable à une âme d'homme, puisqu’elle se laisse moins aller aux funestes dis- tractions. De cette longue et fastidieuse discussion (1) il ne se dé- gage qu’une vérité banale, tant elle est peu contestée, à savoir, l'influence réciproque du moral et du physique, et l’action de la volonté sur le corps (2). Si toutefois nous avançons un peu dans cette discussion, nous reconnaîtrons aisément, malgré l’opi- nion contraire de M. Blondin, que l’âme, « bien qu'elle ait une certaine connaissance particulière des crganes qui lui appar- tiennent (3), est singulièrement limitée dans ses puissances, et que Stahl lui refuse justement sa plus noble prérogative, celle d'aspirer à la science de l'infini (4). Il semble, en vérité, que, pour l’âme raisonnable de Stahl, la direction de la vie (et quelle direction, grand Dieu!) soit l'office principal, tandis que la pensée n’est qu’une occupation accessoire (5). Il ne pouvait guère (1) Voy. De mechanismo et organismo, etc. ; De vera diversitate corporis mirti et vivi. — C'est de ce dernier traité que M. Blondin dit « qu'il est le solide fou- dement de la doctrine médicale, le point culminant et ce qu'il y a de plus élevé et de plus grand dans le domaine des connaissances physico-médicales jusqu'à ce jour ! » (2) Voy. aussi Theoria medica vera, sect. IL, chap. vi, où les affections de l'âme sont en partie placées sous la dépendance de l’état organique du corps. (3) De mech. et organ., $ 90. (4) Voy. De smech. et organ., $ 48, où il est dit que l’âme est quelque chose de fini, et que le fini est seul de son domaine. Au $ 50, Stahl ajoute même que l'âme re- doute l'infini, qu’elle recule devant lui avec un véritable trembiement. (5) M. Saisset a très-judicieusement remarqué {p. 50 et 34) qu'un des moindres inconvénients du système de Slahl (voy. par exemple Theoria medica vera, ch. 7, 1032 DE L'ANIMISME. en être autrement avec une telle physiologie, avec de telles occupations corporelles attribuées à âme; et si l’on veut faire ici une distinction entre l’anima ou âme physiologique, et l’ani- mus ou àme psychologique, on arrive forcément à admettre dans un même mot deux âmes de dignité différente. En effet, quoique Stahl (1) se croie, mais illogiquement, forcé d'accorder aux animaux le jugement, le discernement, l'imagination, la mémotre, on découvre bien, par la distinction même de l’animus d'avec l’anima, que les animaux sont doués d’une 4me vitale, à peu près exclusivement corporelle ou physiologique. Il fau- drait même, dans le système de lanimisme, admettre autant d'espèces d'’âmes qu'il y a de degrés dans l’animalité; mais Stahl ne descend pas à tous ces détails gênants, même, pour mieux éviter les embarras, 1l déclare tout net que les plantes ne vivent pas et ne sont que des #ixtes (2) ; de cette façon, 1l n’a pas d’âmes à leur distribuer, et le principe est sauvéi Stahl a mille fois raison contre les machines de Descartes (3), mais il ne saurait pas nous persuader, au milieu de ses contradictions, que nous ne sommes guère que des bêtes ou que les animaux sont presque des hommes (4). D'où vient à Stahl cette doctrine sur l’autocraue de l’âme, tant en santé qu’en maladie? Si vous lisez la dissertation, publiée S 21-25), c'est qu'une seule et même àme est tour à tour consciente dans les actes de la pensée, inconsciente dans les actes vitaux. M. Bouillier, lui, pense qu’elle est toujours consciente même dans les battements du cœur et qu’elle a l'idée innée de la circulation. — Voy. aussi p. 1023, note 1. (1) De mechanismi et organisa diversitate. Vox. $ 47 et 64. (2) De mixto et vivente, $ 10, n° 12. (3) Voy. De mech. et org., $ 64. (4) Au $ 75 de De mechan , ete., Stahl, sans faire aucune distinction, soutient que l'âme «a une disposition parfaite à être naturellement intelligente ». Plus haut, $ 58 et 59, il assure que l’âme ne s'occupe que des états du corps et des moyens matériels, et que seule, sans ces moyens, l’âme ne saurait jamais concevoir ni la forme ni la figure ; elle n’en aurait même pas la plus légère notion. Enfin, dans Wicte et vivant, $ 8hk,on lit : « Je ne saurais m'empêcher d’éprouver un sentiment de vive indignation, de frémir même, quand j'entends dire que les mouvements tant kygides (ou normaux) que morbides, vitaux bien entendu, ne sont en aucune manière et sous aucun rapport dans la puissance de l'âme pensante et rationnelle !» STAHL. — PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE. 1035 en 1706, Sur les choses étrangères à la médecine, vous y trouve- rez ce qui suil ($ 17) : « Ge qui me choquait par-dessus tout, c’est que, dans celte théorie physique du corps humain, la vie, même dés le début, était passée sous silence, et que je n’en voyais nulle part une définition logique. J’eus beau chercher, en effet, ce fut en vain; Car aucun des propagateurs de ces prétendues doctrines n’a jamais dil et démontré ce qu'est, en quoi consiste, d’où pro- vient, par quels modes, par quels moyens se maintient et sub- siste ce que nous appelons la we; par quoi, enfin, et à quel point de vue le corps est dit vivant. Or, je l’avoue sincèrement et d'une manière ingénue, fout ce que je sais à cet égard, c’est chez les anciens que je l'ai puisé, c’est à eux seuls que je le dois; ce sont eux, en effet, qui, les premiers, ont établi cette habituelle distinction dans le corps humain entre le vivant et le mixte, c’est-à-dire entre les proportions du mélange des particules qui constituent le corps, en lant que z#xte, et la ve elle-même. Ce sont les anciens, je le répète, qui ont d’abord indiqué cette im- portante distinction, mais ils ont été incomplets à ce sujet, et je trouve qu'ils n’ont pas suffisamment éclairé le fond de cette inté- ressante question. Du reste, je crois réellement que cette dis- üinction du mixte et du vivant, transmise aux anciens eux-mêmes, par une tradition plus antique encore, comme un reste de la pure vérité, a été ainsi réduite peu à peu à presque rien, tant par la variété des interprétations que par une simple négligence, de sorte qu'aujourd'hui elle ne fait que rappeler à notre mémoire le souvenir de importance que l’on accordait jadis à cette distinc- tion si majeure, etnous indiquer combien elle estencore digne de notre attention. » Puis, si vous vous reportez, à un an de date, aux Réclamations, défenses, etc., $ 31, vous êtes tout surpris d'y trouver, au con- traire, une revendication complète, absolue de toute la doctrine. Je résume les paroles mêmes de Stahl (1) : Pour la prise de possession des doctrines qui nous sont propres, il nous suffira d'en appeler aux dogmes publics des diverses écoles médicales ; (1) De scriplis suis vindiciæ quaedum et indicia, 1707. Voy. aussi $ 64, 80 et suiv. 1034 DE L’ANIMISME. on ne trouverait dans aucune rien de ce qui constitue le fondement sur lequel nous établissons notre vraie doctrine médicale ; aucune où l’on en ait même fait un simple exposé historique, bien loin d'en avoir jamais présenté l’ensemble dans un ordre tel qu’il soit applicable à un véritable traité dogmatico-systématique, et qu’il se trouve en harmonie parfaite avec la clinique médicale. Cepen- dant nous croyons utile de citer, à l'appui de notre défense, cer- tains faits et principes d’une très-haute importance, avant un rapport immédiat avec la base solide de toute médecine. Nous affirmons, en outre, bien sincèrement, que les faits et principes que nous invoquons n’ont jamais été, ni en apparence, ni en réalité, examinés sous le même point de vue spécial par aucun auteur, et qu'ils n'ont jamais fait le sujet d’un véritable ensei- gnement dans aucune école médicale. à La distinction du #ixte et du vivant n’est plus qu’une idée à peine ébauchée par les anciens. Personne, cela est incontestable, affirme Stahl, n'avait même soupçonné, avant lui, ce que c’est que la vie ; car personne n’avaitimaginé qu il ya entre le corps et l'âme un influx, non simplement formel, mais réellement mécanique dans son acte et non matériel en soi, au moyen duquel la vie s’exé- cute et se maintient naturellement (1); personne non plus n’a ja- (4) Mais que peut être cet influx, cet intermédiaire qui apparaît tout à coup, et qui pourrait bien détrôner l’âme elle-même si l’on pressait les conséquences de cette proposition? Stahl ne le dit pas, et je ne vois là ni « idées larges et géuéreuses », ni quelque chose de « vraiment digne de figurer au premier rang dans les écoles médicales », pour me servir du langage enthousiaste de M. Blondin. — C’est encore à propos de la partie physiologique de la Theoria medica vera que ce même commentateur ose dire : « Il n’est aucun livre (Traëté de physiol.) plus propre à guider le médecin (maître ou élève), dans le chemin si ardu de l’art médical, Ici rien n’est stérile ou décourageant ; on se sent malgré soi entrainé à l'étude sérieuse et approfondie des faits. L'enseignement y est relevé et toujours digne de l'esprit supérieur qui l’a inauguré à une époque où la science, en lutte avec les utopies et les erreurs d’un siècle, hélas! trop célèbre, tendait à rentrer dans une voie hon- teuse pour l'humanité. Stabl a été l’inaugurateur de la nouvelle ère scientifique qui s’est ouverte devant nous et qui est sur le point de s’accomplir. Que les intciligenees d'élite ne fassent poiut défaut à son généreux appel, et la médecine aura bientôt atteint ce degré de gloire et d'honneur qui doit la placer à son vrai rang, au pre- mier rang de toutes les sciences humaines !... »— Voilà comment on écrit l'histoire quand on appartient à uu parti et qu’on à même le dessein d’en être le chef, STAHL. —- PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE. 1035 mais enseigné qu'il existe (où?) un mouvement tonique vital na- tarellement subordonné (?) aux battements du cœur, lequel mou- vement entrelient et provoque par une action incessante la circu- lation du sang, en même temps qu'il maintient conditionnellement les parlies poreuses du corps dans un état suffisant de ten- sion, el qu’il y dirige avec intelligence les parties à sécréter (1); personne n’a dit avant lui, en 4685 (cette fois il est dans le vrai), que la respiration échauffe la masse sanguine loin de la refroi- dir; ainsi, pendant près de cent pages s’étale une vanité souvent puérile, toujours dédaigneuse, et éclate un orgueil olympien, deux défauts que nous retrouvons dans presque toutes les œuvres de Stah}l, notamment dans les Disputes avec Leibnitz. La Theoria medica vera est le développement physiologique et l'application de ce système à la pathologie générale ou spéciale ; nous devons donc, Messieurs, la parcourir ensemble, afin d’y relever et de résumer les opinions qui confirment ce que nous avons déjà dit ou que nous n'avons pas encore rencontrées. La physiologie est la partie de la médecine qui démontre les actes et les phénomènes spéciaux que produit le principe de mouvement et de repos, et qui sont tout à fait distincts, dans leur nature, de ceux qui appartiennent au corps considéré dans ses modes purement organiques et matériels (swbyechivité), c’est- à-dire considéré comme simple #irte. Stahl y explique la ve, la structure des organes et leurs usages. Le point essentiel dans la physiologie, c’est l’activité nécessaire, incessante, du corps vivant, activité non pas simplement physique, mais finale (objectivité), activilé qui ne s'exerce pas au point de vue des organes corpo- rels, mais au point de vue de l'âme appliquant son intelligence et (4) $ 39; voy. aussi 87 et 91. — Voici encore une nouvelle force où une propriété de la matière organisée, qui vient prêter aide et assistance à l’âme ; il faut cependant ajouter que c’est l'âme qui crée cette force; en effet, on lit seulement, $ 97 et 99, que la nature c’est l’âme humaine, et qu’elle agit, ou veille aux inté- rêts du corps à l’aide du mouvement tonique ; qu’elle est l’auteur de tous les mou- vements, qu’elle les dirige suivant des fins particulières. Mais alors l’âme ne serait plus qu'une clef de montre. — Il est longuement question de ce mouvement dans le Negotium otiosum. Voy. encore Theorin medica vera, $ 38 et suiv., t. UT, p. 505, et surtout la Dissertatio epistolica ad Slevogt De motu tonico vitali, 1692, 1036 DE L'ANIMISME. sa volonté à des objets aussi variés que nombreux. Ce langage pompeux revient simplement à dire, suivant la définition très- vulgaire, que la physiologie est la science de la vie; il n’arrive que trop souvent à Stahl de dissimuler les vieilles idées sous des façons particulières de parler. Toutefois, ici il n’y a pas d’équi- voque possible : c’est l’âme, l'âme seule, l’âme intelligente, et cependant inconsciente, qui est la formule adéquate de la vie et de ses manifestations. Le corps est le sujet de l'âme; il ne sau- rait même pas, en raison de sa propre constitution tout orga- nique, avoir la moindre utilité réelle pour aucune autre sub- stance que pour l'âme (1). Le corps animal, en raison de sa composition, a, plus que tout autre corps, une tendance intrinsèque inhérente à la corruption; mais par l’incessante intervention, constante, durable, vigoureuse (mais voy. plus haut, p. 1029 suiv.), d’une force conservatrice, il échappe à cette corruption plus que tout autre corps (K 4 du préambule). La vie (enfin voici une définition) est donc la con- servation d’un corps éminemment corruptible par une force spé- ciale qui est l'âme agissant d’une maniére instrumentale à l’aide des machines organiques disposées harmonieusement tant dans leur action particulière que synergique, ce qui surtout constitue la santé { 5-8.— Cf. chap 17, K 1). (1) Du mirte et du vivant, S 133-434. — Ailleurs on lit : « L'hématose est un acte de l'âme agissant par ses facultés vitale et végétative ; acte en vertu duquel les parties nutrilives des aliments se changent en une liqueur dissimilaire, mais qui est en tout convenable dans l'espèce, et qui, se répandant à travers divers viscères (en tant qu'organes), est distribuée en quantité suffisante, à l’aide d’un mouvement naturel et libre, dans tout le corps. C’est ainsi que par une assimilation ultérieure des substances alimentaires s’accomplit la nutrition et se maintient la vie du corps animal dans son entier. Deux sortes d'actes bien distincts doivent être observés dans tout corps animal; mais, dans le corps bumaiv, nous avons à en constater spécia- lement trois bien remarquables, savoir : 4° la nutrition vilale ou la restauration incessante et successive des parties qui composent le tout, ou bien, eu égard au temps, la conservation et le maintien de la crase vitale (qui s'opère par l'agitation intime et spécifique des molécules constituantes) : mouvement durant lequel l'action dissolvante et délétère de l'air ambiant ne peut absolument rien sur les corps vivants ; 2° le mouvement local et la sensation qui sont le complément formel de lanimalité; 3° enfin, et spécialement chez l'homme, le perfectionnement continu et indéfini de la raison, en ce monde, » De la sanquification, t. VI, chap. 1 etre STAHL. — PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE. 1037 Puisque le corps n’est fait que pour l’âme, puisqu'il n’est rien sans elle, qu'il n’a par soi aucune utilité, que l'âme est tout en lui, pourquoi avoir attaché un tel boulet à l'âme, pourquoi lui avoir donné une surveillance si délicate et si difficile? Il eût été mieux, pour éviter lant de peine et tant de maux, de ne créer que des âmes délivrées de tout travail, et par consé- quent à l'abri de caprices, d’incertitudes, et non exposées aux embarras ou aux mésaventures que cause la maladie. Voici l'in- directe et singulière réponse que Stahl fait à cette question (chap _1,$ 3), c'est que l’âme ne peut naturellement et absolument rien sans le corps (1) à l'égard des choses qui, dans ce monde, appartiennent directement à linitative de son acte principal; c’est-à-dire que l’âme ne peut avoir aucune pensée, aucune con- naissance, aucune communication avec le monde extérieur sans les perceptions sensorielles. Mais alors on pourrait, retournant la phrase de Stahl, affirmer que l’âme a été faite pour le corps, en vue de celles des actions de ce corps qui sont du domaine de la psychologie; ce ne serait plus l'âme qui aurait besoin du corps, mais le corps qui aurait besoin de l’âme pour penser ; de sub- jectif le corps deviendrait objectif. Si le corps n’a besoin de l’âme que pour penser, il n’a probablement pas besoin d'elle pour vivre,etles êtres quine pensent pas n'auraient point d'âme. Enfin, si l’âme ne peut pas penser toute seule (2), 1l est à craindre que la doctrine de Stah] ne tourne, malgré son auteur, vers une sorte de matérialisme ou d’organicisme; il dit, en effet, $ 5, que le corps a deux fins : se conserver au moyen des actions vitales de l'âme; être utilement employé par l’âme à la pensée ou du moins à ses manifestations. Ces diverses propositions, quoi qu’on en dise, ne liennent pas très-solidement ensemble. On ne comprend pas non plus ($7 et suiv.) comment il y a entre le corps et l’âme un intermédiaire qui n’est plus l’érflux dont il a (1) Cependant plus haut, mème page, notre auteur dit que le corps n’était rien sans l'âme. Cf. aussi p. 1040, (2) Si au moins l’auteur se contentait de dire que l'âme sans le corps ne peut pas manifester ses pensées extéricurement et pour ainsi dire matériellement. — Cette doctrine de Stahl sur les limites distinctes de la puissance spirituelle de l'âme est-elle bien orthodoxe? Voy. plus, haut p. 1023, note 4, 1038 DE L’ANIMISME. été question plus haut, page 103%, mais une chose réelle différente du corps par son principe et loute sa nalure, et qui a, par son 2m- matérialité et son activité, un double rapport avec l'âme. Cette chose ou ce principe c’est le mouvement lonique (voy. p. 1035), qui encore une fois devient une sorte de seconde âme, ou du moins une force distincte, indépendante de l’âme, dont cette âme ne peut se passer ; car c’est son instrument immédiat. Pourquoi donc ce principe ne suflit-il pas à caractériser et à déterminer la vie? À quoi bon l'intervention de l’âme qui y est asservie? Pourquoi en conclure que le corps est fait pour l'âme et non pour lui-même ? Surtout comment ajouter que l'âme gouverne directe- ment, immédiatement le corps sans le concours d’un autre agent, Comme si ce mouvement-principe n'élait pas un véritable agent tout immatériel qu'il est? est une logomachie devant laquelle un commentateur prévenu peut bien s'extasier, mais qu'un vrai physiologiste ne peut prendre au sérieux. Heureuse- ment notre auteur s’empresse-t-il d'arrêter les « inextricables complications » que soulève l'étude de l’action et de la réaction du matériel et de l’immatériel, surtout de limmatériel, par la production des actes vitaux, et 1l trouve mieux son compte à critiquer les opinions émises avant lui sur les trois âmes imagi- nées par Galien, sur les esprits, sur larchée, etc. Ce qui nous étonnera non moins que ce qui précède, c’est que Stabl (ch. 11, $ 2 et suiv.) revient à son insu, mais très-po- siivement, aux théories mécaniques et chimiques. Voici ses propres paroles : « Pour que les mouvements ordinaires des or- ganes, et ceux plus exquis encore des sens, puissent s’exécuter dans le corps, il est indispensable que ce dernier soit doué dans son entier d’une souplesse très-grande; aussi toute matière d’une trop grande rigidité aurait-elle été impropre à une telle consis- tance. C’est pourquoi il a fallu le concours d’une matière qui, bien que d’une certaine ténacité, fût propre à cette souplesse ou flexibr- litérequise. Telle est la mxlion mucido-adipeuse dontsetrouvent pourvues toutes les parties flexibles du corps et dont les moins souples ont aussi leur part. Üomme celte z#ixtion mucido-adi- peuse, surtout dans son élat de lexibilité requise, se trouve d’une nature aqueuse, et que, comme on le sait, l’eau et la graisse STAHL. — PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE. 1039 n’ont entre elles aucune affinité durable, maïs qu’elles sont au contraire sujettes à une prompte désagrégalion /ermentescible, il en résulte que cette mixtion du corps animal porte en elle ce même caractère et qu’elle se trouve entièrement exposée à une intime déssolution putride. Dès lors, quoique la véritable raison d'être du corps animal ne dépende pas tant de sa mixtion que de ia structure particulière des organes (en sorte que le corps ainsi construit exige une matière propre, soit à l'acte même de sa construction, soit même à l'usage pour lequel il a été destiné), s'il se manifeste néanmoins une profonde dissolution dans cha- cun des ?n/iniment petits atomes qui forment et constituent cette masse ainsi mélangée, il en résulte évidemment, par le fait, la ruine entière de toute la séructure du corps. » Aïnsi, il faut que les corps soient mous pour sentir, et flexibles pour mieux répondre aux sollicitations de l'âme; ainsi, ce n’est pas seulement parce qu'il est un mixte, mais un mixte /ermen- tescible que le corps est sujet à la corruption (voy. p. 1036). La nature, ou l’âme, ou la force vitale a la puissance diverse sur la structure ; tandis que pour le r2xtum elle partage son empire avec les altérations macrocosmiques putréfiantes (K 12). Galien avait depuis longtemps dit à peu près les mêmes choses en d’au- tres termes, et les latromécaniciens ont repris et accepté une partie de ces idées en les modifiant. La respiration est un acte tout mécanique qui consiste à sou- lever, dresser, mettre en érection les vaisseaux du poumon pour agiter le sang et en activer la marche (sect. If, ch. 1, $ 17); en vertu de son élasticité expansive, l'air augmente mécaniquement la chaleur du sang (bid., $ 18). Voyez aussi sect. [, ch. 1v, $ 9 et:12. On peut surprendre encore, au milieu ‘des violentes déclama- tions de Stahl en faveur de l’omnipotence de l’âme, d’autres traits d'un vrai matérialisme bioiogique (1). Ainsi, au chap. 1v, art. 5, (4) Au $ 44 du chap. v, il est dit que l'énergie de l'espril est en accord et en conspiration manifeste avec l'énergie de l’économie corporeile.— AuxS 11-13 Stahl déclare ne pas savoir pourquoi le principe conservateur, l'âme, a une puissance si limitée que la vie de l’homme est natureliement très-courte, Ce n’est certes pas la peine d’avoir à son service une âme si intelligente pour en être réduit à de pareils 1640 DÉ L’ANIMISME. $ 5, après avoir décrit les divers tempéraments, Stah] ne fait pas difficulté d'expliquer les différences physiques et morales qu'ils présentent par la proportion organique qui existe entre les méats etles humeurs, en même lemps que par le mouvement égale- ment analogue et proportionné aux conditions organiques selon lesquelles ce mouvement est convenablement réglé et administré. Cette proposition est immédiatement suivie d’une autre tout à fait inattendue, et qui suivant moi suffirait à ruiner toute sa doc- irine : « Il est essentiel que le corps existe el soil même vivant avant que l’âme puisse agir sur lui, en lui ou par lui!» De sorte que non-seulement le type du tempérament, mais le corps lui- même, sont créés d'avance et sans que l’âme y soit pour rien. I a aussi quelque chose qui n’est pour rien dans ce système, c’est la logique. En ce qui touche les fonctions spéciales étudiées par Stahl, je me bornerai à vous signaler deux questions fondamentales, les sécrétions (1) et la nutrition, où nous trouverons plus d’une idée empruntée aux mécaniciens. (On a voulu (Theoria med. vera, ch. vi, $ 3-7) assigner à chacune des particules humorales les plus petites, el à chaque méat ou pore livrant passage à ces hu- meurs certaines formes déterminées et spéciales, de telle serte que la capacité de ceux-ci correspondrait d'une manière invaria- ble et absolue à la dimension et à la proportion exactes des particules humorales. Avant de démontrer ce qu'il y a d'absurde et d’inadmissible dans ces sortes d'opinions, nous allons tâcher de faire comprendre comment la sécrétion des humeurs s’ac- complit ordinairement sans gène, sans difficulté réelle et même avec une convenance remarquable. Ce qu'il y a de bien notoire d’abord, c’est que, dans le perpétuel et incessant mouvement progressif des humeurs, les vaisseaux et les méats sont conti- nuellement dans un certain état de plénitude, de telle sorte qu'il doutes ou à de telles assertions qui soumettent en définitive l’âme au corps plusencore que le corps à l'âme. (1) Les sécrétions se divisent en sécrétions proprement dites, opération à la suite de laquelle les liquides tirés du sang restent dans le corps, et les excrétions, c'est- à-dire la séparation d'avec le sang des matières qui sont expulsées hors du corps. STAIIL. — PHYSIOLOGIE SPÉCIALE. 1041 n'existe pas un libre et direct passage entre l'extrémité capillaire des artères et les dernières ramifications veineuses, de manière à faire communiquer par ce moyen lestronces veineux avec les dernières divisions artérielles. Il y a en celle circonstance un certain retard et un certain effort de résistance, jusqu’à ce que, par le retrait d’une quantité quelconque de sang de l'extrémité des dernières ramifications veineuses, 1l soit permis à une nou- velle quantité d’humeurs de pénétrer dans la cavité de ces petits vaisseaux veineux et de rentrer ainsi dans le torrent de la circulation ; de manière que ces humeurs, entrainées avec le sang, après avoir subi entre les extrémités artérielles et veineu- ses une espèce de balancement, trouvent en/in accès dans les extré- mités capillaires desveines. Durant cet intervalle de temps, les hu- meurs, secouées etcomprimées entre les parties molles poreuses et criblées de méats, ont pu facilement devenir de plus en plus /€- gères et subtiles, et aptes à s'échapper àtraversles méats extrême- ment exigus des parties plus compactes. Alors, une fois que ces humeurs se sont ainsi distribuces ca et la, le reste dusang, quand il est enfin poussé dans les veines, a acquis nécessairement un plus haut degré de consistance ; ce qui établit d’une manière très-évidente la raison naturelle de ce phénomène énoncé ci-des- sus sous forme paradoxale. « Ce qui démontre de la manière la plus évidente la réalité de ces faits, c’est 1° la petite quantité des humeurs épaisses rela- tivement à la quantité des autres humeurs ; 2° la délicatesse de texture des vaisseaux lymphatiques, telle qu’au travers des mailles qui forment leur tissu une certaine quantité d'humidité aqueuse et légère peut encore se séparer des parties les plus épaisses de la lymphe par une sorte de transpiration ; 3 l'observation exacte de la vraie consistance du lait, telle que l’expérience nous la pré- sente, Il est évident et certain, en effet, que, lorsque l’on tire #rop abondamment ou trop souvent le lait, ou que l’on ne met pas un assez long espace de temps entre ces fréquentes succions, il devient de plus en plus £énu et aqueux, tandis qu'il est d'au- tant plus épais et consistant qu'on met wn plus long intervalle entre ces mêmes opérations. On peut encore trouver des preuves évidentes de ces mêmes faits dans les exemples des substances DAREMBERG. 66 4042 DE L'’ANIMISME. excrémentitielles, attendu qu’il est démontré que, lorsque l’éjec- tion de l'urine a lieu bientôt après l’absorption de liquides, elle est beaucoup plus abondante et plus /mpide, tandis que, lorsqu'elle s'effectue longtemps après que l’on a bu, elle est alors en bien plus petite quantité, plus consistante et plus chargée en couleur. Nous pourrions répéter les mêmes preuves en nous appuyant sur la nature des excréments eux-mêmes, et dire qu'ils sont d'autant plus /iquides que les selles sont plus souvent répétées, tandis que la dureté de ces matières correspond toujours à un retard plus ou moins prolongé de la défécation, à tel point qu’elles ne sont rejetées qu'avec peine et sous forme de petites boules dures et sèches après un long séjour. » Il me semble que l'hypothèse de Stahl vaut bien l'hypothèse des mécaniciens tant bafoués par lui et s’en rapproche, quelque effort que l’antagoniste de Hoffmann puisse faire pour montrer les difficultés que soulève l’absolue proportion réciproque des particules humorales et des pores sécréteurs où colateurs (4); car lui-même admet qu'il y a un certain rapport de dimension (K 15 du chap. vi, et$ 2 de l’art. 1° du chap. vu) avec la consistance et Ja ténuité des humeurs; c’est en vain qu'il ajoute qu'avec l'hypo- thèse des mécaniciens il faudrait que chaque humeur sécrétée fût parfaitement homogène, ce qui n'a pas lieu, les humeurs les plus simples en apparence constituant toujours un mélange. Dans la nutrition (sect. IL, $ 11, 7) l’âme manifeste, au moyen de l'appétit, qui est un désir, une volonté, une puissante énergie tant de volition que de direction motrice proportionnée à des in- tentions de fins certaines, — Ce n’est pasla m#astication qui active la sécrétion de la salive; c’est un acte arbitraire dépendant d’un acte de la volonté, et du désir ou de la répulsion. La preuve c’est que la salivation se produit en dehors de la mastication (2hed., (1) Stahl prétend (chap. vi, art, 1, K 8) que la Iymphe (y compris le chyle) n’a pas assez d'importance directe en médecine pour qu'elle devienne l’objet de pro- fondes méditations et réclame un secours direct de la part du médecin! — Selon lui, le sérum (art. 2) étant le résultat du mélange de diverses substances aqueuses, est sécrété, non par un seul et même organe, mais par plusieurs organes, selon les éléments qui le constituent. — La sécrétion et excrétion des menstrues est une crise septénaire (ch. vi, $ 10); les hémorrhoïdes sont une excrétion analogue. STAHL. — PHYSIOLOGIE SPÉCIALE, 1043 $ 16-17). Stahl ($ 18 et suiv.) admet une fermentation digestive dans l'estomac, mais sans qu'il soit besoin d’un ferment spécial développé dans lestomac ; il provient des aliments et aussi de la salive (1). Cette fermentation ($ 23-24) est activée par le suc pancréatique et par la bile dans la partie supérieure des intes- ins. Îl n’y a pas de différence essentielle entre les vaisseaux chy- lifères et Iymphatiques ($ 27) puisque le chyle est destiné à être changé en Iymphe (2). «Il est manifeste que la nutrition (Theoria med. vera, sect. II, $ 49) s’accomplit formellement par un mouvement simple et direct, mais si bien réglé, que toutes les plus petites particules du corps entier sont parfaitement agencées selon leur nombre exact et leur position spéciale ; car, de même qu’il n’est pas possible que dans le corps humain 1l y ait un seul linéament physique fabriqué sans raison, puisqu’en effet toutes les parties, les plus petites comme les plus grandes, y sont remplies de méats, d’interstices, de pores, et ont des formes particulièrement pro- pres à leurs usages, de même aussi on ne saurait admettre que de telles dispositions, de si parfaites distributions des plus petits ou des plus grands atomes puissent provenir des mouvements de la matière errant au hasard, et bien moins encore qu’elles puissent suivre des mouvements réguliers et des effets successifs propres à atteindre un but déterminé et raisonnable. Il nous sera facile maintenant de découvrir la vérité du phénomène de la nutrition, d’en étudier tous les secrets à l’aide de la rai- son, et de démontrer ensuite que l'acte suprême et formel de cette importante fonction, vulgairement appelé assimilation, est véritablement un acte inorganique, c'est-à-dire s’exécutant sans l'intermédiaire d'aucun organe ou instrument, mais d’une ma- nière immédiate, par un mouvement trés-spécial, ou, en d’autres termes, avec une mesure, un ordre et une régularité admirables. De sorte que Passimilation nutritive consiste d’une manière ab- solue : 4° Dans la séparation de corpuscules nourriciers, extraits de la lymphe lors de son trajet dans les organes, et lorsqu'elle se porte au delà du lieu où lapposition doit s'effectuer ; dans la (4) Voy. plus haut, p. 916, une explication à peu près semblable de Hoffmann, (2) C’est presque le contraire qu’il aurait fallu dire, 1044 DE L’ANIMISME. séparation, disons-nous, de tels corpuscules, convenables à la consistance de toutes les parties, d’avec d’autres corpuscules de nature différente ; 2° dans le rapprochement ou l’application suc- cessive par le mouvement; 3° enfin dans la juxta-position et la collocation de ces particules dans les parties où elles doivent être fixées pour un temps. Ce phénomène est exécuté d’une ma- niére absolument convenable et conforme au nombre de ces cor- puscules, non en vertu de la quantité de la matière, mais selon les besoins continuels des organes eux-mêmes durant foute la vie de l'individu. » Toujours préoccupé de lPemploi intempestif de la physique, Stahl ouvre son traité de Pathologie spéciale par cette déclaration, que toute considération qui ne mène pas le médecin à la décou- verte d'indications et d'agents thérapeutiques en parfait accord avec elle-même, doit être regardée comme étrangère à la vraie théorie médicale et reléguée dans la physique pure. Par exemple, si l’on ne fait attention dans une blessure qu’à la cause physique et au résultat matériel, on ne pourra tirer de là aucune indica- tion, puisqu'on ne voit que des fibrilles coupées, et qu'il est aussi impossible de les compter que de les rajuster bout à bout pour en obtenir la réunion directe. Exemple mal choisi sil en fut, et qui prouve que Stahl ne savait guère ce que c’est que la réunion par première intention, et à quelles conditions elle s’o- père! Voyons si le reste de la pathologie spéciale répond à ces débuts. Pour Stahl, la maladie est une exception; les hommes exempis de maladie sont en bien plus grand nombre que ceux qui en sont atteints ; en tout cas les maladies sont peu variables, quant à leur espèce, chez un même individu. Voilà, je crois, une asser- tion fort contestable dans la teneur absolue où elle est présentée. La suivante, que les animaux sont encore plus rarement et en moins grand nombre que les hommes, atteints de maladie, de- mande aussi vérification. Stahl prend de là occasion pour recom- mander la vie simple, active, exempte de passions et d'émotions, et pour faire indirectement un procès à la civilisation trop avancée, autant de banalités sur lesquelles il ne faut pas s'arrêter. STAHL, — PATHOLOGIE SPÉCIALE. 4045 Bientôt apparaît le naturiste qui veut prouver que toute l'énergie vitale est employée à expulser spontanément les mala- dies et à rétablir la santé (1). La plupart des maladies et même toutes celles qui ne provien- nent point d’une cause externe violente, n’ont aucune puissance directe et naturelle sur le corps ; mais il est encore plus évident que toutes les maladies subissent nécessairement, de la part de l'économie vitale, une réaction telle que cette activité seule suf- fit, sans le secours d’aucun agent artificiel, pour combattre, sub- Juguer et éliminer ces mêmes maladies. Par ce moyen non-seu- lement le corps retrouve son ancien équilibre, mais il est encore rétabli dans l'intégrité même de la structure et de la texture de ses issus, partout où il y avait eu lésion. Ces phénomènes ne s’accomplissent pas en des cas rares, à l’aide d’expédients et de méthodes éventuelles et fortuites, mais bien par des moyens et suivant des procédés universels et si constants, que, si ce n'étaient certains obstacles individuels et accidentels, les guérisons spon- lanées, l'expulsion des matières, le soulagement et le rétablisse- ment complet des parties et des actions auraient invariablement lieu. «€ Sans aller chercher des témoignages en dehors de notre sujet, nous citerons, continue Stahl, la plus grande partie du globe, l'Asie, l'Afrique, l'Amérique, et, dans notre Europe, les classes rustique, plébéienne et militaire, qui constituent l’im- mense majorité des habitants (2). Il est bien reconnu en effet, par de nombreux exemples, que les maladies ordinaires et même les affections pestilentielles, si dangereuses d’ailleurs, sont amen- dées et même guéries sans le secours de l’art, mais seulement d'une manière spontanée (3); de telle sorte que, à bien appré- (1) Theor. med, vera : Pathol, génér., 1, 11, À et suiv. (2) Bordeu, dans ses Recherches sur l’histoire, dit la même chose. (3) «La plupart du temps (deux fois sur trois), le médecin n’a rien à faire et ne fait réellement rien du tout, Les maladies à traiter présentent trois conditions, Or voici quelles sont ces frois condilions : la première, c’est lorsque la nature con- court, par son acte efficace, dans la curation des maladies et qu’elle intervient d'une manière satisfaisante ; lorsqu'elle. fait; dis-je, assez régulièrement et convenable- ment ce qu’il est urgent qu’elle fasse. La seconde, c’est quand la méthode médi- catrice de la nature, dans quelque sens qu’on la prenne, soit dans son action ordi- 1046 DE L’ANIMISME. cier la chose, tous les moyens thérapeutiques, tant préconisés, ne méritent ici aucune prérogative (1). Ajoutons que ces diverses affections morbides, ainsi guéries sans la médecine, n’exigent pour leur guérison ni plus de temps, ni de plus pénibles épreuves, di des sensations plus désagréables et plus profondes, que dans les cas où l’art médical triomphe de ces maladies; c'est là ce que démontre l'observation. « Une circonstance digne de la plus sérieuse considération, c'est que, non-seulement plusieurs maladies spéciales, mais encore presque toutes les affections morbides, sont spontané- ment guéries, après un laps de temps parfaitement déterminé, tant chez les enfants, les adultes et les hommes faits, que chez les vieillards affaiblis par l’âge. Ces phénomènes s’opérent au moyen de lexpulsion sensible de certaines matières dont l’éva- cuation, l’excrétion et la disparition définitive sont d'autant plus difficiles que le mal fait plus de progrès et qu'il devient, comme on le dit vulgairement, plus intense et plus opiniâtre. Sauf quel- ques cas, bien rares d’ailleurs (sect. IV, K 2), la seule chose qu'ait à faire le médecin, c’est de prêter une main secourable à lacti- vité spontanée de la force vitale. Cela est si vrai, qu’à bien con- naire, soit du moins dans son action particulière, à l'égard des hommes les plus robustes, est tout à fait contraire et opposée à ces maladies. La troisième, enfin, c’est quand chez quelques individus l'énergie de la nature n’est pas convenablement et suffisamment constante à elle-même, que la matière morbide exige réellement, ou du moins qu'elle admet un secours étranger. Dans les deux premières condi- tions, non-seulement il est utile que le médecin demeure simplement spectateur de ce qui se passe, mais il faut et il est absolument nécessaire, dans le second cas. surtout, qu'il n’intervienne jamais en aucune manière, » (Du mixte et du vivant, $ 104 etsuiv.,t. IT, p. 454.) (4) Voy. aussi Du mirte et du vivant, $ 101, 152, 153 (où l’on recommande surtout de ne pas faire violence à l'autocratie de la nature). — Aussi l’/ntroduc- tion à la Theoria medica vera, où les distractions de l'âme conservatrice sont rat- tachées au péché originel, — Dans A7rs sanandi cum exspectatione (en réponse à l'Ars curandi cum nuda expectatione de Gédéon Harvée) Stahl maintient cette proposition que la maladie consistant dans la corruption de la matière, la nature es chargée de mürir et de séparer ou de sécréter cette matière ; mais en même temps il combat les exagérations de Harvée, et assigne-au médecin le rôle qui consiste à diriger la nature ; il ne veut pas qu'il reste un simple contemplateur des scènes pathologiques. STAHL. — PATHOLOGIE SPÉCIALE. 4047 sidérer le fait en lui-même, on peut dire que le médecin n’est pas absolument nécessaire à la maladie, attendu que la nature peut souvent, par sa propre énergie spontanée, diriger et accom- plir elle-même la guérison. Cependant l'intervention de l’art de- vient accidentellement et individuellement indispensable, toutes les fois qu’il survient dans le cours de la maladie une complica- lion par suite d’une trop grande violence que l'agent curateur, dans son trouble, ne saurait dompter, tant à cause de l’altéra. tion directe et profonde de l'organisme, qu'à cause de l’impuis- sance où est l’énergie vitale d'atteindre normalement son but, soit enfin à cause du besoin où se trouve en général cette force spontanée et propre de la nature d’être secondée pour ramener l’économie animale dans de meilleures conditions. » D'où l’on peut conclure que /a mort n’est pas tant la consé- quence directe de la maladie, que le résultat d’une fâcheuse issue provenant d’un défaut de résistance de la part de la force vitale (4). N’est-il pas constant, en effet, que sur des milliers d'individus indistinctement atteints d’une seule et même maladie, pas un seul ne succombe et que tous recouvrent la santé? Témoin la variole et bien d’autres affections de ce genre. C’est l'âme qui tue ou laisse mourir le corps, dit M. Lemoine; comment et pourquoi? Stahl lui-même pose encore mieux la question : La question n’est pas absolument : pourquoi l'homme meurt, mais pourquoi il meurt au bout d’un espace de temps déterminé ; ou plutôt: puisque l’homme peut ne pas mourir pendant un long temps, pourquoi ne le peut-il pas toujours ? pourquoi est-il nécessaire qu’il cesse de vivre ? Parfois Stahl renonce à expliquer le fait. C’est sans doute que l'énergie de l’âme est limitée quant à sa durée, qu’elle s’épuise et s’affaiblit à la longue ; mais pourquoi cet épuisement et cette impuissance? On ne peut trouver (et l'usure naturelle ?) aucune raison pour laquelle, au bout d’un certain temps d’une si courte période, l’énergie active, l'énergie qui forme et répare le corps, languisse et fasse peu à peu défaut. Parfois, sentant que la mort naturelle est une grave objection contre l’animisme, Stahl essaye, (4) Voy. plus haut, p. 1029 et 1036, 1048 DE L'ANIMISME. par un subterfuge ingénieux, mais arbitraire et qui ne fait que déplacer la difficulté, de décharger l’âme de la responsabilité que la mort fait peser sur elle. C’est que l’âme aurait sous son pou- voir la structure du corps tout entière, mais non pas le mélange matériel dont elle forme le corps; or c’est de ce mélange et de sa corruptibilité que viendrait tout le mal. Les influences étrangères du chaud, du froid, de l’humide, agissent sur ce mélange, et, à un moment donné, leur action peut devenir assez puissante pour vaincre toute résistance que l’âme tenterait de lui opposer. A l'appui de ces considérations, et comme en étant une inter- prétation fidèle, nous citerons, avec Stahl, celte sentence du philosophe Sénèque : « O0 homme, si tu meurs, ce n’est pas que tu sois malade, mais bien parce que tu es en vie; c’est là une calamité qui te menace même alors que tu jouis de la plus parfaite santé, » Voilà un aphorisme très-philosophique, mais peu phy- siologique, sous la forme qu’il a prise en passant par la bouche de Sénèque. Stahl résume sa doctrine dans les trois propositions suivantes qu'il développe longuement (sect. If, Prol., $ 3) : 1° Le corps humain possède une très-grande aptitude et une naturelle dis- position à être malade ; 2° malgré cette suprême prédisposition, il existe dans l’économie animale un remarquable éloignement pour un tel genre d'altération organique; 3° il se trouve enfin, entre ces deux conditions opposées et contraires, un état inter- médiaire, c’est-à-dire une disposition probable du corps à cer- taines maladies qui l’atteignent réellement. Il est bien triste que le second de ces aphorismes ne soit pas le seul vrai; nous ne pouvons guère nous consoler des deux autres par la seule pensée que la nature qui a fait le mal saura le répa- rer par élimination partielle et locale ou par l'expulsion géné- rale, définitive, hors de l’économie, des matières en voie de se décomposer ou déjà corrompues (sect. IT, chap. 1v, $ 2); car c’est là la méthode universelle des guérisons spontanées, en vertu d’une réaction de l'énergie vitale contre l'énergie morbide. À proprement parler, il n’y a que trois causes générales et trois espèces de maladies ; la pléthore (sect. IV, chap. 1) générale ou a STAH£L, — PATHOLOGIE SPÉCIALE. 1049 locale (1), à laquelle se rattachent les divers genres d’hémorrha- gies ; l’épaississement du sang (4bid., chap. n1) (2), d’où les con- gestions distentives qui se traduisent par des hémorrhagies inter- slitielles ou externes, même par le rhumatisme, l’inflammalion, dont le premier sujet matériel est la stase d’un sang pur, stase qui explique la douleur, la chaleur, le gonflement, la rougeur et la tension (chap. m1 de la [T° section) (3); car ce sont là les véritables causes qui fournissent la matière, l’occasion et comme linstigation d’un grand nombre de maladies (ch. 11, $ 1); enfin les mouvements insolites des parties qui donnent naissance aux spasmes, à la débilité, à la paralysie, à l’apoplexie, aux convul- sions, etc. (A). Les mouvements liés à une cause extraordinaire, étant unis à cette cause, sont purement passifs et disparaissent avec la cause, tandis que les mouvements qui s’exécutent en vue de cette même cause, mouvements essentiellement vitaux, sont actifs, en ce (4) Il y a des pléthores qui naissent ex vitio mentis ; elles se guérissent chez les enfants par une épislaxis, chez les femmes par un flux utérin, et chez les hommes par les hémorrhoïdes, qui sont, pour Stahl, une des voies que la nature emploie le plus souvent et avec le plus de succès dans la cure des maladies, Il a même écrit sur ce sujet une dissertation spéciale : De motus hemorrhoïdalis et fluxus hemorrhoï- dum diversitate, ete. (2) On lit ici ($ 1) que le sang a un élément vital, une vie qui lui est propre. Sile sang ($ 6) ne s’épaissit pas aussi souvent que semblerait le commander sa con- stitution naturelle, c'est qu'il se produit une pression et un ébranlement par son mouvement local incessant. Borelli ou Bellini n'auraient pas mieux dit! Enfin Stahl ajoute, chapitre m, $ 4, que la pléthore n’occasionne que de rares et légères incom- modités (comme si les hémorrhagies étaient des affections si peu dignes d’attention), tandis que les plus graves maladies viennent de l’épaississement du sang, atteint ainsi dans l'intimité de sa constitution, (3) Voy. aussi Positiones de mechanismo motus progressini sanguinis, 1693, — Ce ne sont pas les loismécaniques qui expliquent la stase ; c’est l’âme qui la produit. — Voy. encore {nflammationis vera pathologia , 1698; De obstructione vasorum sanquin., 1713, (4) Suit une longue discussion sur la question de savoir siles mouvements patho- logiques sont, ou non, dans Zur principe, dépravés et contre nature, si l’on doit les considérer comme des lésions de fonctions des parties affectées ou plutôt si, au point de vue de l’ordre moral et final, le corps, en tant que vivant et devant être conservé, n’est pas la cause réelle, l'instrument direct, et surtout le but convenable et nécessaire de ces mouvements extraordinaires, 1050 DE L’ANIMISME. sens qu'ils sont destinés à combattre et à détruire cette cause; ils ne diffèrent des mouvements normaux que par le degré, l’ordre et la succession; ils sont l’instrument de la nature cura- trice, instruments qu’elle dirige et dont elle règle lintensité sui- vant les besoins, lesquels sont déterminés en grande partie par le tempérament et la sensibilité. I faut ajouter à cela les causes adventices qui sont divisées en deux classes : la première comprend l’abus, l’usage funeste, le mauvais choix des choses non naturelles nécessaires à l'entretien de la vie, ce qui revient à nos causes occasionnelles, puisqu'elles peuvent engendrer la pléthore ou l’épaississement du sang. La deuxième elasse embrasse les choses dites contre nature, qui troublent le corps par violence, par exemple les brûlures, les corrosions, les substances acides, âcres, celles qui sont trop astringentes, ou les contraires, les doses élevées de médicaments actifs, les coups et blessures. En conséquence de cette manière de voir, Stahl émet les pro- positions suivantes (Path. spéc., sect. V et dernière, $ 19) : « Loin de négliger et de dédaigner, avec l’arrogant orgueil des sys- tèmes modernes, la vieille et constante maxime des praticiens de l’ancienne école, enseignant que les remèdes spécifiques et ap- propriés à la spécialité de l’état morbide ne doivent être em- ployés qu'après l’usage préalable des remèdes universels, nous devons au contraire l’accueillir loyalement et en faire, quand il le faut, une sage application. Si l’on ne considère pas aveu- glément cet aphorisme au simple point de vue empirique, ce qui serait contraire d’ailleurs à l'intention de ses auteurs; si, dans une affection donnée, on ne s’en tient pas toujours et quand même à la méthode générale des évacuations de toute espèce regardées comme indispensables, mais qu’on s'explique raison- nablement le fait et qu’on en vienne à l’application formelle des moyens convenables à chaque espèce morbide; si enfin, vu le retour fréquent de la plupart des maladies, on porte à temps son attention sur une médication plutôt préservatrice que réelle- ment curative, on retirera certainement de toutes ces précau- tions des vérités pratiques et des avantages dogmatiques bien autrement salutaires que ces élucubrations contradictoires qui (STAHL. — PATHOLOGIE SPÉCIALE. 1051 sont la ruine de toute solide thérapeutique et d’une sage théorie. Si l’on veut savoir franchement notre avis sur cette question, nous dirons, en terminant, que, loin d’attribuer à ces causes adventices une sphère si étendue d’activité et une efficacité maté- rielle directement capable de produire formellement, pour par ler le langage de l’école, les affections qu’on leur assigne, ou de leur imprimer une raison d’être toute spécifique et un caractère particulier, au moyen d’une énergie d’action physique et immé- diate, nous pensons au contraire qu’on doit plutôt les prendre, d’après leur véritable mode d'agir, pour des causes générales, éloignées, occasionnelles, conjointes tout au plus, et capables, non de provoquer directement ces affections, mais simplement de les irriter. » Comme dominant le cadre nosologique apparait la fièvre avec ses causes générales ou spéciales, ses caractères, la diversité de ses modes et de ses attributs (1). Elle est considérée (sect. IV) comme une affection subalterne et bienfaisante dont l’entention est la même que celle des hémorrhagies, en atténuant le sang par le mouvement local. On diffame la fièvre, Stahl la réhabilite ; au lieu d’être l’en- nemie de l’homme, elle est au contraire sa meilleure auxiliaire, Elle n’a d'autre cause qu'une cause morale. S'il arrive que la fièvre s'aggrave outre mesure et qu'elle semble être la cause de la mort qui survient, c’est encore par suite de l’aggravation de la maladie contre laquelle la nature fait un dernier et violent effort. Les fièvres intermittentes et périodiques surtout prouvent bien qu’elles ne sont pas des effets de la maladie, mais des ac- tions de la nature. La raison des périodes et des paroxysmes des fièvres est double : à des corruptions plus dangereuses, c’est-à- (1) La fièvre (sect. IV, $ 24) est considérée comme un acte vital,excréteur, sécré- teur, moteur, une énergie appréciatrice des choses qui doivent accomplir le salut; d’oùrésulte que l’âme des bêtes, moins intelligente que celle des hommes, ne sus- cite que très-rarement cet acte merveilleux ! O folies des systèmes! — Voy. aussi De autocratia naturae, 1696, et De febris rationali ratione, 1701; Febris in genere historia, 1701. IL y est dit que les hommes seuls sont exposés à la fièvre, et qu'on n’est jamais mieux portant que lorsqu'on a été bien guéri d’unefièvre; car la fièvre est un dépuratif du corps (De febrium pathologia in genere, 1702). 1052 DE L'ANIMISME. dire plus présentes, la nature oppose aussi une commotion con- tinue du sang ;.… à des corruptions plus lentes, elle oppose aussi des commotions plus modérées. (Lemoine, Le Vitalisme, etc, page 82.) Stah] étudie les hémorrhagies spontanées ou presque sponta- nées, qui ne dépendent d'aucune cause occasionnelle ou fortuite ; elles ne sont jamais ni précédées ni accompagnées d’aucune sensation fâcheuse remarquable. Cependant il range parmi ces hémorrhagies celles de l'utérus, du poumon (hémorrhagie sub- slitutive des menstrues ?), des reins, à côté de celles du nez! Quelque considérable que soit une hémorrhagie spontanée (elles sont ordinairement réglées par des temps déterminés), elle n'affaiblit pas l’économie et n’y cause aucun trouble notable si elle ne devient pas subitement ëmmodérée ; or, c’est jus- tement le contraire lorsque la saignée (!) ou un accident quel- conque donne lieu à une perte équivalente de sang (2° partie, sect. 1, Préamb.). I] n’est pas besoin de faire remarquer la faus- seté de presque toutes ces propositions, contre lesquelles la cli- nique proteste, si le système du pouvoir personnel et intelligent de l'âme leur est favorable. Des deux affirmations suivantes, tirées du même Préambule, l’une est d’une vérité douteuse, l’autre est plus conforme à l'ob- servation, mais trop générale: les sujets qui ont des hémor- rhagies périodiques, régulières, faciles, non-seulement jouissent d’une bonne santé, mais sont réfractaires à bien des maladies ; toutes les fois que dans le cours d’une maladie il survient un flux sanguin périodique et réglé, la maladie disparaît à peu prés complétement. Enfin, la suppression brusque d’un flux pério- dique habituel est presque toujours fâcheuse, ce qui est vérifié par l'expérience (1). (4) « Les hémorrhoïdes sont plus fréquentes et plus communes chez les hommes qu’on ne le croit, surtout dans les climats du Nord. — Les hémorrhoïides, la scia- tique, la néphrite, l'affection calculaire, ont entre elles etavec la goutte des liaisons, des corrélations, des connivences, sinon invariables, au moins habiutelles, — Il existe une grande différence entre le mouvement et le flux hémorrhoïdal (chap. 11, $ 17). STAHL. — PATHOLOGIE SPÉCIALE. 1053 Les conditions internes délerminantes (ici un nouveau retour vers le mécanisme) des hémorrhagies sont l'amplitude des vais- seaux et la forte impulsion du sang qui provoque son épanche- ment et son extravasation. — C’est surtout chez les jeunes gens ou les individus vigoureux et pléthoriques que se rencontrent de telles conditions. Les causes externes sont au nombre de cinq (Path. spéciale, chap. 1, $ 3) : 1° Les mets fortement épi- cés, appelés vulgairement échauffants, ayant la propriété de ra- réfier ou de dilater le sang; 2° les boissons spiritueuses et les liqueurs alcooliques ; 3° la grande chaleur de l'air atmosphérique, alors surtout qu'il est imprégné d'humidité; 4° une forte com- motion de la masse sanguine par des exercices corporels {rop violents; 5° enfin, le passage subit d’une température chaude dans un milieu froid. Il y a aussi, bien entendu, des hémorrhagies par causes traumatiques. Stahl range dans cette classe les /oclues des femmes en couches, et les hémoptysies produites par un effort violent. Il appelle passives les hémorrhagies par cause externe et étrangères aux actes vilaux. Ce n’est pas directement et par une simple efficacité physique que la pléthore produit les hémorrhagies ; il faut, le plus souvent, un moteur accidentel, une commotion (l'ivresse, par exemple, ou les mouvements impétueux dans les maladies), une émotion, un orgasme. Ces flux, affectant presque toujours le type périodique et presque toujours critique, ne peuvent être attribués mi à l’acri- monie ni à l’obstruction des voies. C’est, par conséquent, au point de vue moral de leurs fins, usages et destinations cura- tives, et non au point de vue mécanique ou physique que ces hémorrhagies doivent être considérées. Il nous paraît inutile de suivre Stahl dans les détails où il entre sur chaque espèce d’hémorrhagies spontanées; ces con- sidérations suffisent amplement pour révéler l'esprit qui a présidé à toutes ces recherches. Nous arrivons aux conges- tions. « D'après son acception étymologique et propre, le mot con- gestion (Pathol, spéc., sect. IE, $ 1-3) indique plutôt un état réel 1054 DE L’ANIMISME. d'activité qu'un simple état de passivilé; ajoutons même à cela que la congestion peut être considérée comme da véritable source des divers élats passifs qui, sous les noms plus spéciaux de {luxion, d’engorgement, de stase, d'obstruction, semblent en dépendre directement et en provenir naturellement. L'effet im- médiat, direct et prochain de la congestion, c’est la s‘agnation qui, prise dans son vrai sens ét dans la réalité des choses, ne désigne pas seulement un obstacle apporté dans la circulation de la masse humorale, mais indique surtout léfat respectif des voies et méats; état sous lequel la circulation ayant encore lieu, il survient néanmoins, par l’a/flux d’une quantité de sang plus grande que de coutume, un embarras dans la promptitude et dans la régularité ordinaires de la marche progressive de ce liquide, et, comme conséquence de ces phénomènes, la disten- sion anomale des vaisseaux et des tissus voisins de la conges- tion, ainsi qu'une altération apparente dans la sensibilité et le volume de la partie affectée, Il est donc avéré qu’on doit en- tendre par stagnation non l'arrêt simple et réel du sang dans une partie du corps, mais bien un embarras mécanique dans sa libre et naturelle circulation. Ceci une fois admis, on comprendra aisément que l’engorgement et la distension des organes desti- nés à recevoir et à transmettre le sang, ainsi que le surcroît de sensibilité qui en est la conséquence, ont pour cause détermi- nante le ralentissement de plus en plus grand de la marche pro- gressive de ce liquide, malgré une énergie impulsive égale et uniforme d’abord, mais devenant successivement plus intense. La distinction que nous venons d’établir est des plus importantes, tant au point de vue organique, c’est-à-dire des phénomènes physiques qui se passent en ce moment, qu’au point de vue médical ou des symptômes pathologiques qui accompagnent et suivent cette altération de la sensibilité locale, en se manifestant tantôt par un profond sentiment d'irritalion, tantôt, mais plus fréquemment, par un acte réciproque d’ébranlement local et de répulsion, afin de prévenir les effets prochains d’une s{ase immi- nente, en provoquant de puissants et énergiques mouvements constricteurs dans les parties lésées : par ce moyen, en eflet, les humeurs qui, par leur séjour trop long, seraient peu à peu STAHL. — PATHOLOGIE SPÉCIALE, 1055 devenues impropres à la circulation et auraient profondément altéré la sensibilité, sont repoussées vers d’autres organes et définitivement chassées des parties, siège de la congestion. » Ainsi la congestion est un mouvement tonique actif; l’obstruc- tion, un phénomène passif et négatif de toute activité (K 6); de sorte que lacte congestif répond à une destination finale (K 9), qui est l’allégement de la masse sanguine, ou effort hémorrha- gique entravé ($ 14). Il y a (8 20) quatre espèces de conges- tions : les congestions simples et tendant à l’hémorrhagie avec plus ou moins de succès; les congestions dont l’action est très- étendue et qui changent volontiers de place (affections rhuma- tismales); l’inflammation, enfin les douleurs résultant de la dis- tension des tissus. La troisième partie de la Pathologie de Stahl s'appelle Patho- logie très-spéciale, parce que l’auteur y étudie les véritables maladies très-particuhières, ou plutôt les causes, les symptômes, la marche et le traitement très-particuliers des maladies ; 1l exa- mine d’abord toutes les maladies hémorrhagiques spéciales, l’hé- moptysie phthisique (1), la toux, sous lequel nom on entrevoit la bronchite et la pneumonie, l’hématémèse (avec ou sans mal hypochondriaque, deux affections ordinairement conjointes); les vomissements noirs, les hémorrhoïdes, la sciatique, qui procède d’une congestion ou d’un flux primitif et surtout rétrocessif des (1) L'hémoptysie est considérée comme un moyen plus ou moins facile et éran- quille employé par la nature pour combaltre la congestion pulmonaire. Les diverses éruptions ou tumeurs sont aussi présentées comme des efforts congestifs salutaires, ainsi que le démontrent les dangers des rétrocessions. La goutte (c’est Stahl qui l’a découvert le premier!) vient souvent d’efforts hémorrhoïdaux éloignés, opiniàtres, mal dirigés et ne pouvant pas atteindre leur but naturel (chap, 1) ; le rhumatisme (affection propre à la pléthore) est une maladie rare dans ses attaques violentes ; ce n’est qu'une vague et indécise tendance générale vers la congestion et l’hémor- rhagie, avec altération constitutive des humeurs avant la congestion ; les métastases y sont fort redoutables, ainsi que les engorgements (chap. 1). Quoiqu'il ait prétendu plus haut que l'hémoptysie congestive est salutaire, il dit ici qu'on ne peut pas la négliger sans exposer le malade à avoir des ulcères à la poitrine; pour lui elle est précurseur, non suite de la phrhisie, qui est une affection du poumon, tandis que la fièvre hectique ne vient pas nécessairement d’une telle cause locale, 1056 DE L'ANIMISME. hémorrhoïdes, les vices de la menstruation; l’hystérie et l’hypo- chondrie, comparées ensemble et qu'il regarde comme deux affections identiques; l’une est le mal des femmes, l’autre celui des hommes(1); l’hématurie; la néphrite; les hémorrhagies pour causes externes; les hydropisies; la cachexie, l’'œdème, suite des suppressions de flux; les hémorrhagies anomales ou incongrues, par exemple eu égard à l’âge; les saignées intem- pestives (2). Puis viennent les diverses affections congestives et inflammatoires : céphalée, coryza, odontalgie, otalgie, abcës, apostèmes, ophthalmies, parotides, angines, vomiques, abcès des mamelles, gangrène, sphacèle, ulcères, furoncles, anthrax, cancers. En troisième lieu, Stahl s'occupe des affections spasmo- diques : arthritis, hémicranie, odontalgie, contraction des ten- dons, paralysie, apoplexie, délires, les différentes formes de Ja folie, la rage; il termine par les poisons. Que de maladies man- quent dans celte nosologie dressée par l'esprit de système ! Ce n’est pas à dire qu’il n’y a pas quelques enseignements utiles à recueillir çà et là dans cette Pathologie très-spéciale, mais ils sont rares, tant les discussions hypothétiques dominent sur les idées vraiment pratiques. Du moins il ne faut pas perdre de vue qu'il y a dans ce traité un certain nombre d'observations qui ne sont pas tout à fait à dédaigner (3). (4) Affections sœurs et congénères. L’hystérie est plus grave, plus fréquente dans son existence absolue et dans ses’ attaques, eu égard au temps, que l’hypochondrie. Toutes deux appartiennent au genre spasmodique, (2) L'auteur, partisan des saignées opportunes, rapporte plusieurs cas curieux de saignées intempestives. — Voy. De sanguisugarum utilitate, 4699 ; Venae sectionis patrocinium, etc, 1698; De phlebotomia, 4701 : contre van Helmont (voy. plus haut, p. 525 et suiv ); De venaesectione in morbis acutis, 1703; De venaesectione in pede et als corporis partibus, 4749 : partisan de la révulsion. (3) Le Colleqium casuale (1734) se compose de cent deux observations, avec commentaires, Une histoire de maladie doit comprendre, suivant Stahl, les cir- constances ou phénomènes spécifiques perpétuels, et les phénomènes accidentels, individuels, variables; on aura graud soin de ne pas les mélanger et de leur assi- gner à chacun sa place, de bien marquer les dépendances, de reconnaitre l'agent et le patient, les diverses espèces de causes, le subjectum médiat ou immédiat, l'affection formelle, la proto- et la deutéronathie, Quant à la thérapeutique on s’in- quiétera de la disposition générale de pureté et d’impureté du corps, en considé- rant si cet état peut ou non entretenir la maladie, et la proportion de puissance de STAIUL, — LIBERTÉ DE PENSER, 1057 S'il me fallait porter un jugement général sur Stahl, je dirais que Stahl est un esprit chagrin, atrabilaire, jaloux; un écrivain obscur; c’est un Van Helmont, moins l'illuminisme et la chi- miatrie ; c’est un Paracelse, moins la grossièreté du langage et avec un esprit beaucoup plus élevé et mieux cultivé (1). Au milieu des trois cents ouvrages, mémoires ou dissertations qui composent l’œuvre de Stahl, il y a au moins une page à retenir, une des plus belles qui aient été écrites au xvin° siècle, où la tolérance n’était pas à l’ordre du jour dans les Écoles de médecine, une de ces pages qui sous la plume d’un inventeur de système prennent une importance singulière, puisqu'on y réclame énergiquement pour les autres la liberté de penser et d’écrire qu'on a prise pour soi-même (2). « La berté de penser et celle de livrer à la publicité ses propres opinions ont une raison d’être quasi identique. Peut-on nier, en effet, et n'est-il pas au contraire fort évident, que bien des choses, je ne dis pas seulement #nutiles, mais souvent frès- mauvaises, sont aussi livrées à l'impression et répandues dans le public? C’est là, du reste, un inconvénient qui devient plus la maladie à supporter l’impureté générale, ou à la corriger et à l’évacuer, sous l’action des efforts de la nature qu'il faut bien se garder de troubler mais se conten- ter de diriger. Puis Stahl examine les deux méthodes thérapeutiques, la dogmatique et l’empirique ; il appelle cette dernière tumultueuse ou téméraire, aveugle , stu- pide. Enfin on s’attachera à éloigner tous les reliquats de la maladie pour qu’elle ne revienne pas. — Les observations sont rangées à peu près à capite ad calcem ; la relation des faits est malheureusement très-courte et le plus souvent insuffisante, tandis que les commentaires analytiques (resolutio) et les développements théori ques (exegesis) sont très-longs et rédigés sous une forme scolastique fastidieuse. = Cependant quelques remarques pratiques sur l'emploi de certains traitements et sur diverses particularités des maladies sont à noter dans ce Collegium. Voy., par exemple, les observations d’ophthalmie, de dysenterie, de paralysie de la langue, d'asthme convulsif, d'hypochondrie, d'hémorrhoïdes, de tremblement de la tête, de fièvre pétéchiale, ete. (4) Voy. sur les partisans et les antagonistes du système de Stahl, Sprengel, His- toire de la médecine, &, V, p. 227 suiv. de la traduction française, et Haeser, Ge- schichte der Medicin, $ 507. Si je n'étudie pas ici tous ces auteurs, c’est que l’his- toire n'aurait pas grand’chose à y gagner, et que, du reste, il en est plusieurs, surtout parmi les Anglais, que je n’ai pas pu me procurer, (2) Voy. Réclamations et défenses, $ 3. AREMBERG. 67 1058 DE L’'ANIMISME. tolérable dès lors qu’on peut aussi penser librement dans un tout autre sens, de manière à dévoiler par des raisonnements contraires toute la turpitude et la vanité des opinions nuisibles, et à porter des jugements plus rationnels et plus sains sur Îles mêmes sujets. » Quoique l’on soit généralement persuadé qu'il serait bien plus avantageux de ne point tolérer les choses inutiles, ineptes, oiseuses, suspectes ou évidemment pernicieuses, et de les étouffer, pour ainsi dire, à leur berceau, néanmoins un examen un peu attentif nous montre clairement qu’une telle pensée ne serait pas raisonnable du tout, et que son exécution rencontrerait de très-grandes difficultés. » Et d’abord, sérieusement parlant, qui est-ce qui aurait Île droit de juger de la valeur réelle des écrits, et de déterminer s'ils méritent ou non d'être livrés à la publicité? En second lieu, autant d'hommes, autant de goûts différents, et, à cause même de la variété des études particulières, les sujets que lon traite, à moins qu’ils ne heurtent de front les bonnes mœurs, peuvent paraître aux uns mal fondés et d’une futilité flagrante, tandis que d’autres ne les croient pas indignes du grand jour et du bon accueil des lecteurs. Ajoutez à cela qu’à cause de la diversité des caractères, les esprits naturellement méchants, fri- voles, insouciants et ineptes trouveraient toujours de quoi satis- faire leurs goûts dépravés et leur mauvaise nature, lors même qu’ils seraient privés de nouveautés; tandis que d'autres esprits plus solides et de meilleure trempe, véritablement occupés de eur objet, bien loin de se laisser séduire par des exemples aussi scandaleux, savent au contraire en tirer avantage pour tenir en éveil, exciter et exercer une excellente nature, afin de soumettre plus aisément à un libre examen et à une sévère discussion ces doctrines erronées et mal comprises. » Pour ce qui est de la liberté de penser et d'écrire considérée en elle-même, puisqu'on ne peut raisonnablement exercer une juste répression contre elle, il me paraît peu équitable de mon- trer une si grande sévérité envers quelques personnes, surtout envers les esprits superficiels et médiocres, par exemple; tandis qu'on ne veut ou qu’on ne peut pas comprimer la liberté de STAHL. — LIBERTÉ DE PENSER, 1059 ceux qui se distinguent par un plus grand mérite. Nous avons une preuve bien saillante de ce fait dans certains écrits publiés depuis deux siècles et ayant tous pour titre : Défense de la vérité religieuse. En effet, tandis que les uns préféraient demeurer dans une croyance calme, modeste et sans bruit, persuadés que les vérités religieuses sont trop claires d’elles-mêmes pour avoir besoin d'appeler l’éloquence à leur secours, les autres, entraînés par une opinion contraire, ne cessaient de publier à ce sujet des ouvrages fastidieux et de se livrer à des explications qu’on avait cent fois répétées. « Ceux qui ne peuvent souffrir aucune défense n1 aucune cen- sure en pareille matière, profitent de ces circonstances pour inspirer des doutes aux personnes peu instruites, mais justes et sans prévention, en leur disant que la cause religieuse a sans cesse besoin des appuis de l’éloquence. Ils s’efforcent en même temps d'agir auprès des personnes plus expérimentées, en discré- ditant la science et les mœurs de ceux qui prennent intempestive- ment la plume en sa faveur. C’est pourquoi, puisqu'on ne peut pas ou qu’on ne veut pas réprimer certains écrivains, il me semble que l’on ne saurait, sans violer l'égalité du droit et fouler aux pieds la justice, persécuter et tourmenter ceux qui se trouvent dans la même catégorie, en invoquant contre eux tantôt l'autorité des lois, tantôt celle des mœurs. « Je laisse donc chacun libre d'examiner mürement la ques- tion, et de juger s’il est réellement équitable de supprimer et de réprimer indifféremment tout ce qui n’a point un caractère subversif au point de vue de la morale publique et des lois sociales, et ce qui ne s’élève pas directement et ostensiblement contre la bonne police des cités. Il serait plus sage et plus rai- sonnable, en pareil cas, que l’on priten sérieuse considération (si toutefois il est permis d’espérer une saine appréciation) les meil- leurs ouvrages, et que ceux qui sont le plus convenablement écrits fussent mis au jour, soutenus et propagés par les soins de l’au- torilé, qui userait de tous les moyens possibles pour assurer leur succès, afin de faire tomber dans un juste discrédit les productions ridicules et sans but louable. Mais il nous semble a posteriori, et d’après l'expérience, que ce projet ne saurait 14060 DE L’ANIMISME. — STAHL. avoir un résultat satisfaisant, vu que nos espérances seraient évidemment déçues, et que a priori ce serait là aussi un vœu défectueux et inique, attendu qu'il serait peu raisonnable et injuste mème d'espérer ou de mendier, pour le triomphe de la vérité, des secours intempestifs et étrangers. Mais c’est là un soin dont se charge la Providence, qui ne manque jamais d’agir dans ce sens, au moment opportun, pour réaliser le triomphe de la vérité ; il lui suffit de fournir un petit nombre d’exemples, en suscitant, quand l'heure décisive a sonné, quelques hommes qui servent d'instruments à son œuvre et qui aient assez de force et de volonté pour se dévouer tout entiers à la lutte. Il résulte de là qu’il est très-convenable de consentir de bonne grâce, comme l'on y est contraint par la nécessité, à abandonner àleur heureuse destinée l'appréciation et le sort ultérieur des bonnes choses qui ne manqueront pas bien certainement, en leur temps, de cou- ronner d’une auréole de lumière ce qui est vrai, ce qui est d’une réalité positive, ce qui, à cause de son utilité, a déjà été consacré par des éloges mérités. » XXX SOMMAIRE, — Morgagni et l'anatomie pathologique, — Haller et la théorie de l'irri- tabilité. — Bichat et les propriétés des tissus, — Gaubius et les applications de la doctrine de l’irritabilité à la pathologie, MESSIEURS, Quand on suit avec attention la marche de la médecine au xvai° et au xvin° siècle, on est péniblement frappé de voir quels obstacles la routine, les préjugés et surtout l'esprit de système opposent ici par la force d'inertie, là par une véritable violence, à l'établissement des bons principes, au triomphe des bonnes méthodes. La physiologie n’a pas plutôt fait une conquête qu’on la tourne en ridicule pour la précipiter dans l'oubli, ou qu'on l'attaque avec passion, ou qu’on s’en sert de travers pour y rap- porter toute la pathologie, sans s'inquiéter si d'autres décou- vertes ne contredisent pas les conclusions qu’on se hâte de tirer, sans songer que si un point est éclairei, beaucoup d’autres res- tent dans l'obscurité. Hier c'était la chimie qui voulait tout expliquer, aujourd’hui c’est la mécanique ou l'animisme, demain ce sera l’érritabilité, un autre jour la stimulation, enfin en der- nier lieu l’érritation; el toujours ainsi. Il faut arriver jusqu’à notre époque pour entrevoir la domination de la pure et solide méthode expérimentale, qui, toujours en quête, ne se presse pas de formuler des lois, mais se contente de rapporter d’abord les faits pour en tirer plus tard des principes. Remarquons aussi que le rôle des nationalités est changé : tandis qu’autrefois la France se faisait remarquer par une véritable torpeur, secouée de temps à autre par quelques systèmes étrangers, elle est au- jourd’hui, on peut le proclamer bien haut, à la tête de l'Europe pour la physiologie et pour la médecine clinique. L’Angleterre marche à peu près notre égale dans la voie de l'observation 1062 MORGAGNI attentive des maladies; mais l'Italie renaît à peine de ses désas- tres qui ont entraîné la ruine ou du moins l’affaiblissement de l'esprit scientifique ; quant à l'Allemagne, elle reste encore trop en proie, sous apparence de physiologie ei de médecine positives, aux mauvais conseils de l'imagination, aux suggestions de l'esprit d'aventure. Au xvin* siècle, l'Europe médicale est partagée entre le méca- nisme ou le solidisme et l'animisme. Çà et là apparaissent quel - ques disciples de Sydenham, je veux dire des observateurs désintéressés de la nature. Au milieu de ces disputes de mots, de ce cliquetis de systèmes opposés, il faut prêter une oreille atten- tive pour entendre la voix sinon éloquente, du moins grave et ferme de Morgagni (1682-1771), le rénovateur de l'anatomie pathologique (1). Depuis le traité Des lieux affectés de Galien, il ne s'était rien produit en ce genre, dans la littérature médi- cale, d’aussi important, d'aussi décisif, que les Lettres sur la recherche par l'anatomie des causes et du siège des maladies (1761). L’illustre professeur de Padoue avait préludé à ces Lettres, œuvre de sa vieillesse, par les Adversaria anatomica (1706-1719) (2), où à côté des témoignages innombrables d’une science aussi profonde que lumineuse, on regrette un peu trop d’âpreté dans la discussion, surtout contre Manget et Bianchi; — &t par une foule d’autres travaux de critique, d’érudition, d’analo- mie (Æpistolae anatomicae, écrites en partie à propos du traité de Valsalva sur l'oreille, etc.) et de médecine pratique, qui lui (4) Une des meilleures Vies de Morgagni est celle qu'a écrite Tissot, et qui a été reproduite en français, en tête de la traduction française des Lettres sur les causes et le siége des maladies, par MM. Desormeaux et Destouet. (2) Dans ce recueil tout est neuf ou mieux étudié que par les prédécesseurs de Mor- gagni. Nous signalerons en particulier les recherches sur le larynx, les voies lacry- males, les muscles de l’œil, le côlon et son appendice, les cavités articulaires et les glandes qui s’y trouvent, les organes génitaux mâles et femelles, les valvules du cœur. Morgagni n’a pas de rival dans la description et la délimitation des muscles ; La signalé un grand nombre de variétés ou d'anomalies. — On sait que l’'Aumeur de Morgagni n'est qu’une dissolution cadavérique des cellules ou globules qui for- ment la couche pigmentaire de la face antérieure du cristallin, appelée aussi couche de Morgagni. ET L'ANATOMIE PATHOLOGIQUE. 1063 avaient déjà fait une juste réputation; mais ce sont les Lettres qui ont mis le sceau à sa renommée et lui assurent les hommages de la postérité (1). Ce n’est pas tant dans la multitude des faits rassemblés par Morgagni que dans le profit qu’il en tire pour justifier ou asseoir le diagnostic pendant la vie d’après les lésions observées après la mort, que gît le grand mérite des Lettres. Les histoires de ma- ladies ont été rédigées et les autopsies ont été faites en partie par Valsalva (2), en partie par Morgagni lui-même. C'est une œu- vre analogue à la Clinique de N. Th. Lerminier et d'Andral; Morgagni est l’Andral qui a fécondé ces matériaux, qui a su en tirer les enseignements les plus précieux (3). Comme le déclare très-judicieusement Morgagni dans sa préface et dans sa dédicace du premier livre, à Frew, les né- cropsies ne peuvent servir que si elles sont faites par un homme expérimenté dans la clinique, habile dans l'anatomie normale (4), el si elles sont accompagnées de l’histoire détaillée de la maladie ; (1) Tabarrani (1702-1780), maître de Mascagni, à Bologne, a dédié à Morgagni, en 1751, ses Observationes anatomicae (je possède la seconde édition de 1753) qui renferment nne série d’intéressantes observations d'anatomie pathologique relatives à des cas de chirurgie ou de médecine (par exemple, fracture des vertèbres prise pour une luxation ; anévrysme faux; hypertrophie du cœur ; hernie crurale), et un plus grand nombre de remarques sur différents points de l'anatomie normale que Tabar- rani à étudiés avec une rare habileté et une érudition critique remarquable, L'ouvrage est accompagné de planches, (2) Dans la dédicace du II° livre à Bromfield, après avoir célébré les progrès récents de l'anatomie pathologique et les services qu'elle a rendus, Morgagni déclare qu'il a voulu, par piété pour son maître et pour être utile aux étudiants, sauver de l'oubli et de la ruine les précieux papiers de Valsalva, afin qu'ils n’eussent pas le sort de l'Anatomie médicale de Harvey. (3) Les Lettres de Morgagni, où la chirurgie tient une assez grande place, sont un ouvrage de détails qui échappe à l'analyse. Je n’y relèverai que les points de doc- trine ; mais il y faudra revenir à chaque instant quand nous traiterons de l'histoire des maladies. (A) Eustachi, au rapport de Morgagni (dédie. du V® livre, à Meckel), se plaignait d'avoir trop négligé l'anatomie pathologique qui fait connaitre les causes des mala- dies, pour l'anatomie normale, Morgagni ajoute qu'il est sans doute regrettable qu'un aussi grand anatomiste ne nous ait pas doté d’un recueil d'observations faites sur les cadavres, mais que l'anatomie normale est le flambeau de l'anatomie patholo- gique, surtout quand elle est pratiquée par un homme aussi distingué qu'Eustachi, 1064 MORGAGNI hors de ces conditions (1), l’anatomie pathologique est stérile, puisqu’on ne peut pas distinguer ce qui est morbide de ce qui ne l’est pas, ce qui est cadavérique de ce qui est l’effet de la maladie, puisque surtout on ne peut pas rattacher les lésions aux sym- ptômes ; à quoi peuvent servir en effet lesplus belles descriptions prises sur le cadavre, les plus belles planches dessinées et colo- riées d’après nature, si nous ne savons pas de quel état elles sont la suite, et quels désordres fonctionnels elles ont produits pendant la vie? En quoi une telle anatomie pourrait-elle avancer le diagnostic, fournir des lumières pour le pronostic et diriger la médecine dans la thérapeutique? C’est tout au plus de l'his- toire naturelle, mais à coup sûr ce n’est pas de la médecine cli- nique. L’anatomie pathologique (2) est la description et la représen- tation des altérations et des métamorphoses de toute nature que la maladie développe dans les humeurs, les tissus et les organes. Nul spectacle plus triste et à la fois plus instructif pour le méde- cin que ces excès, ces diminutions, ces transformations de tissus, ces aberraltions de forme et de structure, ces déplacements d’or- ganes ; rien qui montre mieux les difficultés de la médecine et en même temps ses ressources infinies; rien qui dise plus élo- quemment quelle est la misère de l’homme et la puissance des- tructive de la nature; rien enfin qui nous enseigne avec plus de sûreté quelle est tantôt l'extrême faiblesse et tantôt l'extrême ré- sistance de l'organisme. Qui pourrait, tant les ruines humaines jettent d’effroi dans l’âme, assister sans émotion, même quand on y apporte la passion de la science, à ces autopsies où se ré- vèle tout ce que la maladie et la mort ont de plus repoussant? Quel médecin ne s’instruirait en retrouvant sur un corps main- tenant inanimé l'explication d’une partie des phénomènes qu’il a observés pendant la vie? Il confirme ou redresse son diagnostic par l’examen méthodique des produits de la maladie ; il rattache (1) Conditions qui, manquent le plus ordinairement dans le Sepulchretum de Bonet et Manget, ainsi que Morgagni le remarque dans une critique un peu rude, mais justifiée par de nombreux exemples. Morgagni a signé la paix avec Manget quand celui-ci eut fait amende honorable. (2) Voy. mon ouvrage intitulé ; /a Médecine, histoire et doctrines, p. 129, ET L'ANATOMIE PATHOLOGIQUE, 1065 les lésions locales à un état plus général de l’économie, et puise dans ces recherches de précieuses et plus certaines indications thérapeutiques pour l'avenir. Qui ne reconnait aussi à ces traits nouveaux quela maladie a empreints en nous combien il encoûte pour vivre et combien pour mourir? Comment expliquer que la vie puisse subsister pendant de longues années lorsque d’ef- froyables lésions ont envahi les organes les plus essentiels, ou que la mort survienne avec la rapidité de l'éclair quand un léger épanchement de sang déchire la substance cérébrale, qu’un caillot se forme dans le cœur, qu’une bulle d’air entre dans le torrent circulatoire ou qu’une goutte de quelque poison subtil pénètre sous l’épiderme ? Devant de tels accidents, la médecine reste im- puissante, tandis qu'elle peut, la nature venant à son aide, triompher des plus graves désordres, ou les arrêter dans leur marche. Ce sont là des mystères qui épouvantent ou qui éton- nent l’homme du monde ; pour le médecin ce sont de perpétuels sujets d'étude qui chaque jour le conduisent à de nouvelles con- quêtes dans les régions de l'inconnu. Il a fallu passer par les autopsies timides, inintelligentes et sou- vent fantastiques des premiers anatomistes de la Renaissance, Montagnana, Benivieni, Benedetti, et par bien d’autres essais isolés de Vésale, de Plater, de Schenk, de Bonet, etc., pour arriver à Morgagni, le véritable créateur de l'anatomie patholo- gique. Pour la première fois, dit M. Lebert, on voit un homme grave et sévère s’écarter des anatomo-pathologiques de son temps, toujours à la recherche du merveilleux, pour s’occuper des questions même les plus élémentaires. Ses descriptions sont faites avec une exaclitude inconnue jusqu’à lui. Toutes les fois que les documents qu’il possède le lui permettent, il confronte les symptômes observés pendant la vie avec les résultats de l’autopsie, et sa tendance à pénétrer le mode de formation et la nature des maladies se fait jour à chaque page de ses Lettres sur le siége et les causes des maladies démontrés par l'anatomie. Cependant ni l'anatomie pathologique elle-même, ni l’observa- tion clinique, ni le diagnostic expérimental ne purent arriver à de grands progrès aussi longtemps que firent défaut les moyens 1066 MORGAGNI physiques et chimiques qui servent à reconnaître les maladies. De telle sorte que l'anatomie pathologique resta pendant long- temps encore lettre morte; ou, si vous aimez mieux, elle ne fut que l'histoire naturelle des maladies. Mais tant de recherches pénibles et poursuivies avec patience par ceux-là mêmes qui n’en pouvaient pas tirer grand parti, furent tout à coup fécondées par les travaux de Bichat sur l'anatomie des tissus, et par la décou- verte à jamais mémorable de la percussion et de l’auscultation, à laquelle sont attachés les noms célèbres d’Avenbrugger, de Cor- visart et de Laennec, découverte dont les modernes ont tiré un si admirable parti et qui fait la gloire de l'École de Paris. Aussi- tôt qu'avec l'oreille ou avec le doigt on put reconnaître sur le vivant ce que révélait la dissection sur le cadavre, la description des maladies et par conséquent la thérapeutique entrèrent dans une voie toute nouvelle, puisqu'on était en étai de suivre le mal et de le combattre pied à pied. Aussi lon se prend à frémir en pensant combien de malades ont dû périr bien moins par suite de l’impéritie du médecin que par l'insuffisance de la médecine, alors que les plus graves affections (celles de la poitrine et celles du cœur, par exemple) naissaient et se développaient dans les replis cachés de l’économie, sans que le praticien le plus expéri- menté pût même en soupçonner lexistence ou la uature. Mais la dissection ne suffisait pas à dévoiler les traces les plus profondes et certainement les plus graves de la maladie. Les alté- rations primitives des soldes et des liquides lui échappaient ; la chimie et la physique ont dù intervenir à leur tour; l'intimité des tissus fut pénétrée par la lumière intelligente du microscope, et les réactifs saisirent dans nos humeurs les nuances les plus fu- gitives de la maladie. C’est ainsi que la mort, livrant forcément ses secrets, voit chaque jour rétréeir ses domaines par les ravages mêmes qu’elle ne cesse de produire dans notre économie. Done, sans anatomie normale point d'anatomie pathologique ; sans l’une et l’autre anatomie, point de diagnostic certain et ra= tionnel, soit du siége, soit de la nature de l’affection; sans les moyens chimiques et physiques mis au service du diagnostic et des autopsies, insuffisance absolue des dissections et incertitude complète dans la thérapeutique. On peut déplorer cette inflexible Pr EE ET L'ANATOMIE PATHOLOGIQUE. 1067 lenteur qui préside au développement de chacune des parties de la science; mais en même temps on ne saurait tropadmirer com- ment chaque progrès arrive en son lemps et en suscite de nou- veaux. C’est un grand enseignement pour lhistorien ; il y apprend à respecter le passé et à ne pas désespérer de l’avenir, à modérer les trop vives ardeurs et à relever les courages abattus. Morgagni revient à plusieurs reprises sur les services que peut et doit rendre l’anatomie pathologique. — Elle sert à la physio- logie en montrant le rapport qui existe entre les lésions des or- ganes et les troubles fonctionnels ; elle est même capable de faire découvrir des usages qu'on ne connaissait pas et de rectifier les erreurs commises dans les fonctions que l'on attribue parfois ar- bitrairement à un organe (1). — Plus d’une fois elle a démontré que de prétendues monstruosités ne sont que des déplacements ou des vices de quelques parties ; par exemple on a pris bien sou- vent pour un troisième testicule ce qui n’était qu’une hernie épiploïque dans le scrotum (2). Les maladies sont si nombreuses, elles ont des causes si mul- tipliées et si diverses (3); elles sont si manifestement sous la dépendance des lésions organiques, qu’il n’est pas possible ni de les reconnaitre ni de les traiter si la dissection des cadavres ne nous révèle pas le rapport entre le mal, ses symptômes et ses effets. Plus on aura rapproché, confronté des histoires de mala- dies et des autopsies, mieux on sera instruit sur les causes (4); (4) Dédicace du livre V, à Meckel. (2) Lettre 43. Cette lettre est fort curieuse ; on y trouve un historique des opi- nions émises sur la nature des hernies. Morgagni y soutient, avec Valsalva et bien d’autres, que dans les hernies le plus ordinairement le péritoine n’est pas crevé (on appelait autrefois les hernies des ruptures), mais relâché, distendu, et qu'il forme ainsi le sac de la hernie. — C'est Verheyen qui l'un des premiers a décrit la her- nie crurale. (3) La maladie, dit Morgagni, n’est pas simple comme son nom, elle embrasse plusieurs différences produites par beaucoup de causes, non-seulement diverses mäis souvent opposées. (4) Morgagni prend trop souvent peut-être les effets pour les causes. La cause de i hydropisie n’est pas l’eau qu’on trouve dans le péritoine, ni même les altérations 1068 MORGAGNI il désire qu’on rapporte surtout les histoires de maladies com- munes, de celles qui se présentent journellement ; ainsi que son ami Haller, il ne goûte que médiocrement les recueils de cas rares; cependant il ne les méprise pas absolument, parce que leur étude met le praticien en garde contre les erreurs qu’il pourrait justement commettre en raison du peu de fréquence de certaines maladies. Aussi il n’a pas assez d’éloges à donner aux médecins et aux étudiants qui viennent dans les hôpitaux où abondent les maladies communes et où se rencontrent parfois des cas rares (1). «Les médecins, dit Morgagni, même les plus recommandables, avouent que de toutesles maladies il en est à peine trois ou quatre qui aient leur ‘signe pathognomonique, c’est-à-dire tellement propre qu'il les distingue de toutes les autres, tandis que toutes les autres ne peuvent être reconnues que par la réunion de plu- sieurs signes, parce que presque toujours elles ne dépendent pas d’une cause simple et qui n’affecte qu'une seule partie. Ils dési- rent donc beaucoup d’abord d'augmenter, s’il est possible, ces signes particuliers et tout à fait propres, et ensuite, s'ils ne le peuvent pas, d'établir du moins, d’après la réunion de plusieurs caractères, comme 1l a été dit, ce qu’il y a de principal dans chaque maladie. Car on a remarqué fort souvent que les sym- ptômes que l’on regardait comme les principaux, et presque comme propres, ne l'étaient réellement pas, puisqu'on a trouvé sans eux les mêmes lésions intérieures que l’on croyait indiquées par eux, ou bien les mêmes signes tirés de lésions bien diffé- rentes (2). » Lors même que les dissections (ce qui n’est pas vrai) n’ap- prendraient rien pour opérer la guérison des maladies, elles ser- viraient au moins à faire connaître les maladies incurables, à de cette séreuse, mais presque toujours une modification, soit dans le cours, soit dans la constitution du sang. — Beaucoup d’autres exemples analogues pourraient être cités ; mais ce que Morgagni recherche avant tout, et ce qu’il croit presque tou- jours trouver, ce sont les causes, au moins les causes apparentes; il s'inquiète peu des causes éloignées, encore moins de la nature des maladies. (1) Dédicace du IV® livre, à Schreiber. (2) Dédicace du Ve livre, à Meckel, ET L'ANATOMIE PATHOLOGIQUE. 1069 détourner les médecins d’accabler le malade de remèdes inutiles, fatgants ou même qui peuvent hâter la mort dans les cas déses- pérés; elles enseigneraient encore à prescrire seulement des palliatifs qui consolent le patient et lui conservent l’espérance ; elles serviraient enfin à confirmer le diagnostic, ce qui est déjà un grand honneur pour le médecin (1). Il ne faudrait pas reprocher à Morgagni (2) de n'avoir pas toujours établi un rapport exact entre l'histoire de la maladie et les lésions cadavériques, soit parce que cette histoire n’est pas suffisamment détaillée, soit parce qu'il explique telle lésion par une cause dont elle ne dépend pas. Morgagni, aussi bien que Valsalva, manquait de nos moyens physiques de diagnostic, par conséquent il leur était d’une part difficile de préciser pendant la vie les lésions qu’ils devaient rencontrer après la mort; en second lieu, en raison de ce défaut de moyens de diagnostic, ils ne rapportaient que les symptômes les plus apparents, ceux qui passaient alors pour caractéristiques (3); enfin l’histoire de la maladie n’a pas toujours été faite par eux, mais elle leur était racontée par les personnes qui les chargeaient de faire l’autop- sie. Si le résultat ne répond pas entièrement au désir et aux intentions de Morgagni, la faute ne dépend pas de la méthode, mais de l'insuffisance des instruments qu’il avait à sa disposition, Malgré ces lacunes il est ordinairement assez facile de refaire un diagnostic rétrospectif plus rigoureux que celui de Morgagni qui range des espèces toutes différentes de maladies sous des noms génériques. C’est ainsi, par exemple, qu’on peut recon- naître des méningites dans la première Lettre, et dans la septième (4) Dédicace du III livre, à Sénac. (2) Ce grand homme est aussi vengé de reproches encore plus futiles par M. Rayer, à la page 55 de sa Thèse (Sommaire d'une histoire abrégée de l'anatomie pathologique. Paris, 1818), savant début d’un médecin qui devait bientôt illustrer notre profession, et qui, durant sa longue carrière, s’est toujours montré l’un des plus ardents défenseurs et l’un des plus zélés protecteurs de l'anatomie pathologique, (3) Remarquons aussi que la brièveté de certaines histoires tient à un préjugé du temps, savoir que les personnes de qualité méritent une observation plus détaillée que les pauvres! Voyez, par exemple, Lettre 2°, 1070 MORGAGNI (voy. aussi la Lettre dixième), sous la rubrique douleurs de têle. La quinzième Lettre est curieuse par l’histoire de Ja phthisie cal- culeuse et granuleuse et des concrétions pulmonaires (voyez aussi la vingt-deuxième Lettre). Les Lettres vingt-trois à vingt-six prouvent combien le diagnostic et la valeur des lésions anato- miques des affections du cœur était peu avancé, cependant combien d'efforts Morgagni avait faits pour élucider ces ques- tions ! Du reste il ne faut pas toujours s’en fier aux titres des lettres ; elles contiennent parfois plus ou moins que le titre ne promet, par exemple les lettres sur les allections des organes de la poitrine et celles sur lapoplexie, où, pour le dire en passant, Morgagni commet la singulière erreur de prendre les morts ra- pides, dans la peste du vi siècle, pour des apoplexies (Lettre deuxième). Il paraît croire aussi (cinquième Lettre et dans la cinquante-deuxième), que la sanie pouvait se transporter du poumon au crâne, ou descendre du poumon dans les voies uri- naires, Dans la même lettre il admet aussi que les humeurs con- tiennent de l’air, croyance généralement reçue de son temps ; mais il sait les désordres que cause la pénétration de l'air dans les veines (444). Les Lettres, au nombre de soixante-dix, sont divisées en cinq livres ; les maladies y sont étudiées à capite ad calcem. Les his- toires et les nécropsies sont accompagnées de remarques très- variées où les recherches de l’érudit se mêlent souvent aux réflexions (rarement les explications) du médecin. L'esprit du lecteur est sans cesse attiré et toujours maintenu en éveil. Du temps de Morgagni on attaquait l'anatomie pathologique, comme on avait ridiculisé la circulation, comme on se moque de l'histologie. On prétendait (1) que les causes des maladies sont inaccessibles à nos sens parce qu’elles consistent dans des con- formations cachées de particules dans leurs liaisons, leurs mou- vements, et dans les forces qui produisent ces mouvements et ces liaisons. Mais lors même, objecte Morgagni, que cela serait vrai, les effets de ces causes n’échapperont pas à nes sens, car ils se portent sur des parties mamifestes, et les changements que nous (1) Dédicace du IF livre, au « grand » Sénac, ET L'ANATOMIE PATHOLOGIQUE. 1071 constatons sont des causes internes évidentes de la plupart des maladies. Mais chacun, ajoute-1-l, juge, d’après ce qu'il n'a pas lui-même, que ce qui existe dans un autre est superflu, parole aussi spirituelle que profonde, qui s'adresse aussi bien aux dé- tracteurs de l’érudition médicale qu'aux contempteurs de tous les progrès qui les gênent ou les humilient. Cette admirable sen- tence, je voudrais la voir gravée en lettres d’or à l'entrée de nos écoles, de nos cliniques, de nos laboratoires ! La Lettre quarante-neuvième sur les fièvres est un véritable ca- put mortuum où Morgagni a rangé plusieurs maladies qui ne pou- vaient trouver place ailleurs, parce qu'elles n’ont ni causes, sur- tout ni siége déterminé, car il ne veut pas mettre dans la classe des fièvres les maladies fébriles localisées, ce qui est un progrès notable, comme on voit. — Cette lettre renferme quelques obser- vations de fièvres lentes ou hectiques, d’amnaigrissement ou mar- cor, de fièvres intermittentes, de leur traitement. N'ayant rien là de bien précis à dire, Morgagni se livre aux explications, mais, en même temps, il fait Justice des autopsies fantastiques rappor- tées dans le Sepulchretum. Dans l'observation d’une femme qui, au dire de Valsalva, avait une fièvre ardente, et, selon l'avis de Morgagni, une péripneumonie, il est question d'un bruit qui se passe dans la poitrine pendant la respiration, comme si une matière y était en mouvement. C’est une auscultation à distance, dont il y a plusieurs exemples chez les auteurs à propos de la péripneumonie, mais qui n’a jamais conduit à l’auscultation im- médiate et directe. Les lettres qui suivent sur les tumeurs et les blessures, soit à la tête, soit aux autres parties, sont pleines d’in- térêt et fort instructives. Morgagni traite longuement des ané- vrysmes primilifs ou des anévrysmes faux consécutifs ; il insiste avec le savant Haller et le « grand Molinelli » sur le rétablisse- ment de la circulation collatérale après la ligature d'un tronc principal. Ses idées sur l'opportunité et les conséquences du trépan ne sont pas très-neltes, mais les observations qu’il rap- porte doivent fixer l’attention (1). (4) Voy. le résumé et la critique des opinions les plus répandues sur l'opération du trépan, dans l'excellent mémoire de M, le baron Hippolyte Larrey, intitulé 3 14072 MORGAGNI Les ouvrages de Morgagni sont de ceux qu’on ne doit jamais négliger quand on écrit l’histoire et qu’on étudie, soit l'anatomie, soit la pathologie. Albert de Haller (1708—1777), issu d’une famille patricienne de Berne, est une des plus grandes figures, un des plus nobles caractères, un des hommes les plus respectables, un des savants les plus accomplis de ce xvur° siècle, qui a été si fécond en per- sonnages célèbres, aussi bien dans la médecine que dans les au- tres sciences. Travailleur infatigable, Haller n'aurait pas pu dire comme Trajan : « Ami, j'ai perdu un jour. » S'il voyage en Hol- lande, en Angleterre, en France, en Allemagne, c’est pour s’instruire ; s'il se repose de ses occupations actives, c’est pour étudier; il se délasse d’une fatigue par une autre ; il est le /abor improbus, le travail opiniâtre, fait homme. Il fut du petit nombre de ces enfants précoces qui n’ont pas démenti dans l’âge mdr leurs premiers succès. À huit ans, il avait déjà extrait deux mille articles des Dictionnaires de Bayle et de Moréri. Nous le voyons tour à tour orientaliste distingué, anatomiste diligent (si diligent même qu’il fut obligé de-quitter Paris, parce qu'il empestait ses voisins en disséquant), physiologiste con- sommé, botaniste habile, le modèle des bibliographes, des érudits et des historiens, très-versé dans la médecine et la chi- rurgie, bien qu’il ne se soit jamais livré à la clientèle proprement dite, poëte à ses heures de loisir, administrateur intègre, vénéré, mais aristocrate jusque contre ses propres intérêts (1). De plus, Haller à été en commerce épistolaire continuel avec l’Europe entière (2), et les plus illustres sociétés se sont fait un Étude sur la trépanation du crâne dans les lésions traumatiques de la téte, Paris, 1869 (extrait des Mémoires de la Société de chirurgie). (1) On peut lui reprocher un peu d’intolérance dans les questions religieuses ; ais lui-même donnait l'exemple des plus rigoureuses observances; aussi, malgré son ardeur pour l'étude il se résignait à ne pas se livrer aux œuvres profanes le dimanche, jour rigoureusement observé par les protestants. (2) Mon ami, M. le professeur Haeser, de Breslau, me mande qu'il s'occupe en ce moment de dépouiller, pour la publier, cette vaste correspondance, conservée à la bibliothèque de Berne. APPRÉCIATION DE SES TRAVAUX, 1073 honneur de le compter parmi leurs membres. C’est surtout comme analomiste, comme physiologiste et comme érudit qu’il uüent le premier rang, non-seuiement parmi ses contemporains, mais pour la postérité la plus reculée. Les E/ementa physiolo- giae corporis humani, où la physiologie est traitée expérimen- lalement et historiquement, sont un monument impérissable auquel on ne peut comparer que la Physiologie de Burdach, malheureusement inachevée, les /cones anatomicae passent à juste titre pour un des plus beaux ouvrages en ce genre, un des premiers où la nature ne soit pas défigurée par le crayon, où les parties soient présentées dans leurs rapports naturels; les Dis- putationes et les Opera anatomica renferment des recherches et des découvertes importantes : critique de Goschwitz qui avait pris une artère pour un nouveau Canal salivaire; origines du nerf in- tercostal (grand sympathique), racines du canal thoracique ; des- cription de l’épiploon et du tissu cellulaire; structure du dia- phragme ; de la respiration dans ses rapports avec la circulation; sur les vaisseaux coronaires du cœur, sur ceux des vertèbres; anatomie et physiologie comparées, etc. Les Bibliothèques anatomique, chirurgicale, médicale, de botanique, en 8 volumes in-4°, forment le plus vaste réper- toire de bibliographie critique qu’on ait jamais publié; Haller a tout lu, tout analysé, tout jugé avec un suprême bon sens, une parfaite équité et une pleine connaissance des choses dont il parlait. On ne sent jamais mieux le prix de ces Bibliothèques qu'au moment où elles vous font défaut, c’est-à-dire à la fin du xvin siècle, à l’époque où mourut Haller; on se trouve alors sans guide; on erre un peu à l’aventure, ou bien il faut re- courir à un nombre considérable de bibliographies partielles, qu’on se procure difficilement et dont aucune ne vaut celles de Haller. Une des plus utiles entreprises qu’un libraire pourrait faire, s’il était appuyé par l’État, et par de nombreuses sous- criptions (qui certes ne feraient pas défaut), serait de fondre les quatre Bibliothèques de Haller en une seule, de conserver l’ordre chronologique en ajoutant les dates connues de naissance et de mort pour les divers auteurs, en corrigeant certains titres un peu altérés, en comblant les lacunes, surtout pour l’antiquité et DAREMBERG. 68 1074 HALLER. le moyen âge, en rectifiant les erreurs qui se sont glissées dans ce travail herculéen, en analysant les ouvrages que Haller n’a pas vus lui-même, en continuant ces Bibliothèques jusqu’à nos jours, enfin en ajoutant des tables par ordre alphabétique et de matières (1). J'ai beaucoup pratiqué ce trésor incomparable de renseignements, et Je ne puis pas retenir mon étonnement en voyant se produire tant de détestables ou de médiocres histoires de la médecine, quand on a sous la main un guide aussi éprouvé et qui égare bien rarement; mais on ne consulte guère les Bibliothèques de Haller, et lon ne fréquente guère non plus nos précieux dépôts de livres. Cest si commode et si peu fatigant de bâtir l’histoire en l’air, de s’exempter de lire les textes, de s’en fier à son imagination ou de copier ses prédécesseurs, quelque- fois sans les comprendre, et toujours sans vérifier leurs asser- tions | Outre ses travaux originaux, Haller a donné encore plusieurs éditions estimées d'auteurs anciens ou modernes, et des recueils fort précieux de dissertations, devenues rares, qui se rapportent à la physiologie, à l’anatomie, à la chirurgie et à la médecine. Enfin il a contribué à fonder divers établissements scientifiques ou charitables. Dans l’œuvre immense de Haller (immense moins peut-être par le nombre que par la solidité et l'importance des travaux) je choisirai de préférence le point culminant, celui où notre auteur se trouve placé à la tête des physiologistes modernes, je veux parler de son Système de l'irritabilité des parties sensibles (2), (4) De Vigiliis de Creutzenfeld a remis (en 1781) par ordre de matières la Bibliotheca chirurgica de Haller, à laquelle il a joint des rectifications et de nom- breuses additions , surtout pour les auteurs contemporains de Haller, et pour ceux dont les ouvrages avaient paru après sa mort, [l à repris aussi ce qu'il y avait de chirurgical dans la Bibliotheca medica. (2) Les Mémoires sur la nature sensible et irritable de certaines parties du corps ont paru pour la première fois, en latin, l’un en 1753, dans les Commen- taires de la Société de Goettingue, et l’autre en 1755 dans les Opera minora de Haller ; Tissot en a donné une traduction française en 1756 ; on y a joint divers mémoires d’autres auteurs (Zinn, Oeder, Castell, Mublmann, Tossetti, Housset, Caldani, Fontana, Cigna, etc.) sur le même sujet, ainsi que les Réponses failes par Haller à différentes objections. Le tout forme 4 vol. in-12. — Haller a fait un très- THÉORIE DE L’IRRITABILITÉ. 1075 non que ce système soit demeuré entièrement debout, mais parce qu’il a donné l'impulsion à toutes les recherches subsé- quenles. Il est évident, d’après la définition même qu’Haller en donne, que lirritabilité n’est pas autre chose que la contractilité ; mais il la distingue de l’élasticité (1). Voici cette définition : « J’appelle partie irritable du corps humain celle qui devient plus courte quand quelque corps étranger la touche un peu fortement. En supposant le tact externe égal, l’irritabilité de la fibre est d'autant plus grande qu’elle se raccourcit davantage. Celle qui se rac- courcit beaucoup par un léger contact est très-irritable ; celle sur laquelle un contact violent ne produit qu’un léger change- ment l'est très-peu. J’appelle fibre sensible dans l’homme, celle qui, étant touchée, transmet à l’âme l’impression de ce contact ; dans les animaux, sur l’âme desquels nous n’avons point de cer- ütude, on appellera fibre sensible celle dont l’irritation occasionne chez eux des signes évidents de douleur et d’incommodité. J’ap- pelle insensible, au contraire, celle qui, étant brûlée, coupée, pi- quée, meurtrie jusqu'à une entière destruction, n’occasionne aucune marque de douleur, aucun changement dans la situation du corps. Cette définition est fondée sur ce que nous savons qu’un animal qui souffre cherche à soustraire la partie lésée à la cause offensante; il retire la jambe blessée, il secoue la peau si on la pique, et donne d’autres marques qui nous prouvent qu’il souffre, » Les nerfs ne sont pas la base de tous nos solides, comme le voulait Boerhaave, et, par conséquent, toutes les parties ne sont pas sensibles comme il le prétendait également; c’est précisé- grand nombre d'expériences (il en rapporte 567 7 extenso, qui constituent le deuxième mémoire) sur les animaux vivants ; mais on peut dire qu'il ne les a faites qu'avec une extrême « répugnance, comme il le dit, et par l’envie de contribuer à l'utilité du genre humain », Sa sensibilité était telle qu’il n’a jamais pu se décider à faire une opération, quoiqu'il ait été dix-sept ans professeur de chirurgie. (1) C’est une force morte qui appartient aux corps inertes, comme aux corps orga- niques considérés sous le rapport purement physique ; il y a de plus, pour les tissus, la force intégrante ou de contractilité, ou encore vitale, et la force nerveuse ou de relation, agent puissant et permanent d’irritation, 1076 HALLER. ment ce que démontrent les expériences (1). La grande sensi- bilité de la peau dépouillée de l’épiderme est si exquise, que Haller l’a prise pour le degré fixe de cette propriété des tissus. La chair des muscles n’est pas sensible par elle-même, mais seu- lement par les nerfs qui y distribuent la multitude de leurs ra- muscules. Les expériences répétées plus de cent fois sur les ten- dons des divers animaux ou de l’homme, et en particulier sur le tendon d'Achille, prouvent, contrairement à l'opinion de la plu- part des auteurs, que ce tissu ne jouit d’aucune sensibilité, parce qu'il ne reçoit pas de nerfs (voy. plus haut Leeuwenhoeck, p. 689) et qu'il n’est susceptible non plus d'aucune contracti- lité. C’est donc à tort qu’on redoute tant les plaies des tendons, et qu'on à si longtemps hésité à en faire la suture lorsqu'ils sont divisés. Les aponévroses, les ligaments, les capsules arti- culaires, le périoste, et même, en dépit de Baglivi, la dure- mère (2) et l'enveloppe des nerfs sont dans le même cas que les tendons. Les quelques lignes que je vais transcrire résument la théorie de Haller : | « Les nerfs, qui sont la source de la sensibilité, en ont eux- mêmes une très-grande. On ne peut se représenter qu'après l'avoir vu l’état de douleur et d’anxiété dans lequel on met un animal en touchant, en irritant ou même en liant quelque nerf. L'expérience m'a appris qu’en liant quelque rameau considé- rable, non-seulement de la huitième paire, mais même des ex- trémités, des chiens périssaient au bout de quelques jours; ce qui m'a fait craindre encore plus qu'auparavant ces ligatures des nerfs si ordinaires dans les amputations. Le nerf coupé et irrité au-dessous de la section n’a point occasionné de sensation à l'animal, preuve que la douleur ne se propage pas par anasto- mose d’un nerf à l’autre. Nous avons vu que les parties sensibles du corps sont celles qui reçoivent des nerfs, et les nerfs eux- mêmes. En interceptant la communication entre une parlie et (1) Haller se servait, pour éprouver la sensibilité ou l'irritabilité, du souffle, de la chaleur, de l'alcool, du scalpel, de la pierre infernale, de l'acide sulfurique et du beurre d’antimoine. (2) Haller n’admet dans le cerveau que des mouvements communiqués par le mouvement de la respiration et qui existent seulement quand le crâne est ouvert. THÉORIE LE L'IRRITAPBILITÉ, 1077 son nerf, on la prive sur-le-champ du sentiment; c’est un fait prouvé par des expériences connues et qu’on peut voir dans mes Commentaires sur Boerhaave. Il n’y a donc que les nerfs de sen- sibles par eux-mêmes, et toute leur sensibilité réside dans la partie médullaire, qui est la substance interne du cerveau, à laquelle la pie-mère fournit une enveloppe. L'irritabilité est si différente de la sensibilité, que les parties les plus irritables ne sont point sensibles, et que les plus sensibles ne sont point irri- tables. Je prouverai l’une et l’autre de ces propositions par des faits, et je démontrerai en même temps que lirritabilité ne dé- pend point des nerfs, mais de la fabrique primordiale des parties qui en sont susceptibles. « Les nerfs, ceux même qui sont l’organe de toutes les sensa- tions, n’ont aucune irritabilité. Cela paraîtra étonnant, mais cela n’en est pas moins vrai. Si l’on irrite un nerf, le muscle auquel il se distribue entre sur-le-champ en convulsion. Je n’ai jamais vu manquer cette expérience, et j'ai souvent fait entrer en con- vulsion par ce moyen le diaphragme et les muscles de l'abdomen dans un rat, et les jambes de devant ou de derrière dans une grenouille. On peut voir les expériences concordantes de Swam- merdam, et en les faisant j'ai trouvé, comme M. Oeder, que l'ir- ritation d’un nerf ne communique de mouvement qu'aux muscles auxquels le nerf va se rendre, et qu’elle n’ébranle point ceux qui tirent leurs nerfs d’ailleurs. J'ai aussi remarqué constamment que laconvulsion du musele avait lieu quand onirritait le muscle avec un scalpel, et qu’elle ne se fait point quand on y emploie les cor- rosifs. Mais pendant qu'on irrite les fibres charnues du muscle, il n'arrive point de contraction dans le tronc du nerf. Je m'en suis assuré plusieurs fois dans les chiens et surtout dans les gre- nouilles; quelque irritation que j'aie donnée au muscle, elle n’a jamais communiqué de mouvement au nerf. J'ai fait ensuite la même expérience que M. Zinn a faite à Berlin, J'ai appliqué un instrument de mathématiques, divisé en très-petites parties, le long d’un nerf d’un chien vivant, de façon qu'il me fit apercevoir les plus petites contractions; dans cet état j'ai irrité le nerf, il est resté parfaitement immobile. Ces expériences prouvent, pour le dire en passant, que la force d’oscillation qu'on (les iatromécani- 4078 HALLER. ciens) avait attribuée aux nerfs n’est pas conforme à l'expérience. La peau, qui est le siége de l’attouchement, les membranes ner- veuses de l’estomac, des intestins, de l’urêthre, n’ont aucune irritabilité, et il faut bien prendre garde de ne pas confondre avec cette propriété une espèce de mouvement vermiculaire dû à la corrosion, que l'huile de vitriol ou l'esprit denitre communiquent aux nerfs, aux artères, à la membrane de la vessie, à la vésicule du fiel. Cette corrosion n’a rien de commun avec la vie, elle sub- siste vingt-quatre heures après la mort, et cela prouve évidem- ment qu’elle n’est point une suite du sentiment. L'irritabilité n’est point non plus proportionnée à la sensibilité; l’estomac est extrêmement sensible, les intestins le sont moins, aussi n’éprou- vent-ils pas d'aussi vives douleurs dans un homme vivant, et ce- pendant je les ai trouvés plus irritables que le ventricule. Le cœur, qui est extrêmement irritable, n’est que peu sensible, et en le touchant dans un homme qui à ses sens, on lui procure plutôt un évanouissement que de la douleur. » Si Haller n'avait pas confondu l’irritabilité avec la contractilité, il se fût assuré que l’irritabilité vraie est une propriété élémen- taire très-générale et qui n’est pas limitée à un seul élément ana- tomique (1). Quant à l'indépendance de l’'irritabilité hallérienne par rapport aux nerfs, puisqu’un muscle se contracte, soit quand on a lié ou coupé les nerfs qui s’y rendent, soit après sa sépara- tion du tronc de l’animal, soit que l'animal ait succombé depuis peu, celte indépendance, dis-je, a été pleinement confirmée, et d’une manière bien plus exacte encore, par les expériences de M. Bernard avec le curare qui anéantit complétement toute pro- (1) L’irritabilité, disent MM. Littré et Robin dans leur Dictionnaire de méde- cine, etc., est un terme très-général qui désigne les divers degrés de l'activité vitale, c’est-à-dire des propriétés élémentaires dont jouissent les éléments anatomiques et qui sont représentées par la sensibilité et la contractilité. C’est Bichat qui a rem- placé le mot #rritabilité, pris au sens hallérien, par celui de contractilité : con- tractilité animale, celle des muscles soumis à la volonté ; contractilité organique sensible, celle des faisceaux striés du cœur et des fibres cellules ; c’est aussi à ces dernières que s'applique le nom de contractilité insensible. — Maller a nettement séparé l’irritabilité ou contractilité de la sensibilité, ce que Glisson n'avait fait que fort obscurément. THÉORIE DE L'IRRITABILITÉ. 1079 priété quelconque du système nerveux (1). Cela prouve bien aussi, contre les animistes et les vitalistes, comme Haller lui- même le remarque, que ce n’est ni l'âme même divisible à l’in- fini, ni un être métaphysique quelconque qui peut présider aux mouvements, Haller a très-bien distingué les phénomènes d’élasticité qui se passent dans la peau, le tissu cellulaire et d’autres tissus ana- logues, de la contractilité musculaire. Ses expériences ne lui ont rien appris de certain (faute d’une méthode plus délicate) sur la contractilité des artères ou des veines (2); mais il admet celle des chyliferes, dans lesquels il soupçonne l'existence de fibrilles musculaires (3). Tous les muscles sont contractiles, mais les uns plus et plus longtemps, les autres moins; au premier rang se placent le cœur (sans qu’on puisse affirmer lequel des deux ventricules ou oreil- lettes est le plus irritable) et le diaphragme; puis viennent les intestins et les muscles œsophagiens dont la contraction est quelquefois plus longue que celle de tous les autres muscles, le diaphragme excepté. Haller conclut aussi du faible degré d’irri- tabilité des muscles de l'abdomen comparée à celle des intestins que les muscles contribuent très-peu à l'expulsion des matières fécales. En somme les parties vitales musculeuses sont plus irri- tables que toutes les autres. Les physiologistes modernes accepteront difficilement la dé- termination faite par Haller du siége de lirritabilité, ou mieux de la contractilité : « Les fibres musculaires étant composées d'éléments terrestres et d’une mucosité gélatineuse, on peut demander dans laquelle de ces deux parties l’irritabilité réside. (1) On sait aujourd’hui que les éléments musculaires ne sont pas les seuls qui soient doués de contractilité ; on cite, par exemple, les spermatozoïdes, les cils vibra- tiles des épithéliums, etc. (2) Dans une thèse soutenue à Naney, en 1770 (Dissertation sur la dilatation des artères et la sensibilité), Arthaud prétend que le pouls ne vient pas de la dia- stole, mais de la locomotion des artères. (3) Haller regarde l'érection comme un phénomène de contractilité ; mais il n’a pas reconnu le véritable siége de cette contractilité qui réside surtout dans les fais- ceaux musculaires de la vie organique dont sont abondamment pourvues les veines du tissu érectile. 4080 HALLER. Ïl paraît que c’est dans la partie gélatineuse, parce qu’elle tend à se raccourcir quand on l’étend, au lieu que la terre, qui est le plus sec de tous les corps, ne change jamais de figure par elle- même, et qu’étant extrêmement friable, quand ses parties sont une fois séparées, elles restent constamment dans cet état. Cette idée est confirmée par ce fait que les enfants, chez qui la gélati- nosité domine, sont beaucoup plus irritables que les adultes. La vivacité de leur pouls, qui fait 440 vibrations par minute, pen- dant que celui des vieillards n’en fait que 60 ou 65, le prouve évidemment. Une autre preuve encore, c’est que les parties les plus solides et les plus terrestres de notre corps, les os, les dents, les cartilages, n’ont aucune irritabilité, et qu’on la fait perdre aux parties les plus irritables en les privant de leur mucus par le desséchement. » Haller ne s’attribue pas la première idée de l’irritabilité ; il a même, à la fin de son mémoire, donné une brève histoire de cette question (1), et cité les noms de Glisson d’abord (sans peut-être lui payer un assez large tribut d’éloges. — Voy. plus haut, p. 650 suiv.), de Bellini, de Baglivi, de Boerhaave, de Woodword, de Stuart, mais 1l omet Sténon (voy. plus haut, p. 675 et suiv.). C’est de 1739 à 1742 que la théorie de l’ir- ritabilité a pris une forme définitive dans l’esprit de Haller; en tout cas c’est lui qui a démontré ce phénomène dans tous ses détails par une expérimentation habile et presque toujours positive. Prudent et réservé, loin de bouleverser la physiologie et la pathologie, il se contente de dire que probablement il en résul- tera quelques changements dans ces deux sciences ; c’est même cette simple prévision qui l’a engagé à mettre tant de scrupu- leuse exactitude et de précision dans ses expériences. Il n’a pas (4) En 1751, Zimmermann (l'auteur d’un traité De la solitude), son élève, son parent et son ami, avait publié une dissertation De érritabilitate où il donne le résultat des recherches déjà faites par son maitre et des siennes propres, Entre autres points il y discute longuement et savamment les opinions de Baglivi sur les mouvements de la dure-mère ; il y examine la question de savoir si la sensibilité des nerfs réside dans la partie médullaire ou dans le névrilène ; il tient pour la partie médallaire. Pour lui, comme pour Haller, l’ulfimum moriens c’est le cœur, THÉORIE DE L'IRRITABILITÉ, 4081 voulu non plus donner une explication de ces deux propriétés, l'irritabilité et la sensibilité ; il le déclare dans un passage qui mérite d’être cité : « Quelle est la cause de ces deux propriétés? Pourquoi quelques parties en sont-elles douées pendant qu’on ne les trouve pas à d’autres? Ce sont des problèmes théorétiques que je ne me promets (sic) point de résoudre. Cachées vraisem- blablement dans la texture des dernières molécules de la ma- tiére, hors de la portée du scalpel et du microscope, tout ce que l’on peut dire là-dessus se borne à des conjectures que je ne hasarderai pas. Je suis trop éloigné de vouloir enseigner quoique ce soit de ce que j'ignore, et la vanité de vouloir guider les autres dans des routes où l’on ne voit rien soi-même me parait être le dernier degré de l'ignorance. » Mais s’il a été peiné de voir les tentatives hardies et préma- turées qu’on avait faites pour rattacher toute la pathologie à ces deux phénomènes, il n’a pu retenir son indignation de chrétien et de savant devant les conséquences que de La Mettrie s’é- tait cru permis de tirer de la connaissance qu’il avait eue, presque fortuitement, des recherches de Haller sur l’irritabilité, « Feu M. de La Mettrie a fait de lirritabilité la base du sys- tème qu'il a proposé contre la spiritualité de l’âme (L’.omme machine, n. 18, 22). Après avoir dit que Stahl et Boerhaave ne l'avaient pas connue, il a le front de s’en dire l'inventeur; mais je sais par des voies sûres qu’il tenait tout ce qu’il pouvait savoir là-dessus d’un jeune Suisse qui, sans être médecin et sans m'avoir jamais connu, avait lu mes ouvrages et vu les expé- riences de l’illustre M. Albinus; c’est là-dessus que La Mettrie a fondé ce système impie, que ses expériences mêmes servent à réfuter. En effet, puisque ?irritabilité subsiste après la mort, qu’elle a lieu dans les parties séparées du corps et soustraites à l'empire de l’âme, puisqu'on la trouve dans toutes les fibres musculaires, qu’elle est indépendante des nerfs qui sont les satel- lites de l'âme, il paraît qu’elle n’a rien de commun avec cette âme, qu’elle en est absolument différente, en un mot que lirri- tabilité ne dépend point de l'âme, et que par conséquent l’âme n’est point l’irritabilité, » 1082 THÉORIE DE L'IRRITABILITÉ. Je donne ici, comme résumé des recherches si nombreuses de Haller, le tableau qu’en a dressé Tissot en tête de sa traduction. Parties sensibles. Le cerveau, les nerfs par leur moelle et les parties suivantes par les nerfs. La peau, les muscles, l'estomac, les intestins, la vessie, les uretères, l'utérus, le vagin, le pénis, la langue, la rétine, le cœur, mais moins que les autres mus- cles, Les viscères et les glandes n’ont que très-peu de nerfs et, par conséquent, très-peu de sensibilité. Parties irritables. Le cœur, les muscles, le diaphragme, le ventricule (estomac) et les intestins, les vaisseaux lactés, le canal thoracique, la vessie, le sinus muqueux, l'utérus, les parties génitales dont l'irritabilité a quel- que chose de singulier. Parties insensibles, L’épiderme, le tissu cellulaire, la graisse, les tendons, les membranes, tant celles qui enveloppent les viscères que celles des articulations ; la dure et la pie-mère, les ligaments, le périoste et le péricrâne, les os, la moelle, la cornée, l'iris. Les artères et les veines ne sont sensibles que dans quelques en- droits où elles reçoivent des nerfs, Parties non tirritables. Les nerfs, l’épiderme et la peau, les membranes, les artères, les veines, le tissu cellulaire, les viscères. Les con- duits excrétoires n’ont qu'une irritabilité extrèmement faible et qui exige une irritation très-forte. Parties qui sont tout à la fois sensibles et irritables. Toutes celles où l’on trouve des nerfs et des fibres musculeuses ; les muscles, le cœur, tout le canal alimentaire, le diaphragme, la vessie, l'utérus, le vagin, les parties génitales. Les recherches si neuves, et surtout si concluantes contre beaucoup d'opinions traditionnelles, ou de préjugés, ou de théo- ries fondées à priori, ne pouvaient manquer de susciter de nom- breux contradicteurs à Haller. Quelques-uns sont mesurés et paraissent avoir cherché la vérité; la plupart sont ou prévenus d'avance (comme le P. Pétrini), ou complétement étrangers aux expériences (Whytt, Delius), ou s’en rapportent à des manœu- vres, et naturellement ils sont presque tous violents, injustes, injurieux même (par exemple Bianchi, Girard, etc.), ou mal renseignés (par exemple Le Cat) (1). Haller leur a répondu avec (1) Voy. Le Cat, Traité de l'existence de la nature et des propriétés des fluides des nerfs, et Principalement de son action dans le mouvement musculaire ; suivi de WEBER. 1083 autant de modération que de fermeté dans ses Réponses à quel- ques objections (1759). Non-seulement il se défend, mais sa bonne foi est si grande qu’il se corrige lui-même s’il reconnaît une erreur, et qu'il cite tous les auteurs qui, avant lui ou en même temps que lui, avaient émis des propositions analogues ou semblables aux siennes. C’est une justification très-instructive par le ton qui y règne et par les renseignements historiques qu’elle fournit. Weber, dans une bonne et impartiale dissertation sur la sen- sibilité et l'irritabilité morbides des parties (1), a montré que, si le plus souvent les propositions de Haller sont vraies en ce qui touche la sensibilité ou la non-sensibilité de la plupart des parties du corps humain, à l’état sain, ces propositions ne sont pas tou- jours acceptables dans la maladie ; que quelques-unes même sont inexactes pour les parties saines. Ainsi Weber cherche à prouver, soit d’après ses propres observations, soit d’après celles d'auteurs dignes de foi, que le tissu cellulaire, la graisse, le poumon, le foie, la rate, les reins, les artères, les membranes du cerveau, les tendons, insensibles à l’état sain, sont très-sensibles quand ces parties sont enflam- mées; mais il ne serait pas difficile de montrer que Weber ou ses autorités se sont trompés parfois sur le siége même de la douleur, sur son point de départ, sur ses causes premières, sur son mécanisme. Cela est manifeste pour le poumon, par exem- ple. Quant à l’irritabilité, il n’est pas moins certain qu'au sens de contractilité où l’a prise Haller elle n'existe ni dans le tissu cellulaire ni dans la peau, et que Weber a pris les phénomènes secondaires de palpitation, d’'horripilation, pour la contractilité. Ce qui rend fort difficile et obscure l’histoire de l’irritabilité ballérienne, c’est que les uns, se tenant dans les limites déter- minées par les expériences de Haller (or ils étaient dans le vrai), dissertations sur la sensibilité des méninges, des tendons, etc., et sur l’irritabilité hallérienne. Berlin, 1765. — Haller eut aussi à se plaindre de de Haen, et il s’en ouvrit même à l’empereur François Joseph II, (4) Voy. Historia sensibilitatis et irritabilitatis partium morb., à la suite de Commentatio de initiis et progressibus doctrinae irritabilitatis, Halae, 1783, in-8°, 1084 THÉORIE DE L'IRRITABILITÉ. ont conservé au mot 2rritabilité le sens de contractilité; tandis que les autres ont appliqué ce mot non à une propriété, mais à une modalité beaucoup moins déterminée, la faculté d’être érrité, c’est-à-dire à la surexcitation des propriétés vitales, ce qui peut alors devenir toute espèce de chose et surtout une question de sensibilité. Aussi n’a-t-on pas manqué d'attribuer cette propriété à tous les tissus et à toutes sortes de phénomènes. Certainement, en ce sens, le précurseur le plus immédiat de Bichat pour l’ex- tension des mots #rétabilité ou contractilité, et de Broussais pour celle du mot irritation, c’est Jean-Louis Gauthier, de Breslau. Dans une thèse rare (Halle, 1793), De irritabilitatis notione, natura et morbis, Gauthier soutient que la plupart des phéno- mêènes physiologiques ne dépendent pas des forces physiques ou mécaniques, mais des forces vitales, lesquelles ne résident pas uniquement dans le système nerveux ; il admet que la contrac- tilité n’est pas exclusivement propre à la fibre musculaire, mais, comme Weber, à presque tous les autres fibres, en particulier à la fibre cellulaire (1), et cela indépendamment du système ner- veux. Pour lui la contractilité est, pour ainsi dire, une manifes- tation de l’irritabilité, ou, si l’on aime mieux, une portion des forces vitales. | Gauthier définit la fièvre et les phénomènes qui la caractéri- sent une augmentation de l’irritabilité du cœur, des artères et de tous les vaisseaux. C’est l’irritabilité de quelques-unes des parties du système vasculaire qui produit Pinflammation. Chez les hypochondriaques il survient souvent des ardeurs locales, surtout dans l'abdomen, lesquelles proviennent d’un excès d'irri- tabilité d’un rameau artériel. Les hémorrhoïdes et les autres con- gestions paraissent avoir la même cause. Les spasmes dépendent aussi d’un accroissement de l'irritabilité. C’est encore par une affection primitive des solides, en particulier du foie, que se produisent les maladies de la bile et leurs suites, par exemple la fièvre bilieuse. Tissot, le traducteur des Mémoires de Haller sur la sensibilité (1) 11 donne presque autant d'importance que Bordeu à ce tissu, mais en se pla- çant à un autre point de vue, ana De mare — "2 GAUTHIER, TISSOT. 1085 et lirritabilité, n’a pas manqué, en se fondant sur ce principe, vrai en soi, que la pathologie est sous la dépendance de la phy- siologie, de tirer des conséquences pathologiques très-générales d'un fait physiologique limité; aussi Tissot dans sa Préface aux Mémorres de Haller est de ceux qui, à leur insu et pour les besoins dela cause, prennent le mot irritabilité dans son sens le plus général d’excitabilité. Voici trois passages qui prouveraient combien le célèbre médecin de Lausanne s'était trop hâté dans ses conclusions : « La façon d'agir de l’opium, qui a enfanté tant de systèmes opposés et chimériques, qui a occasionné tant de disputes, sans avoir pu être déterminée, l'est enfin depuis qu’on connaît l’irri- tabilité; ce n’est ni en divisant ni en épaississant les humeurs, ni en exaltant ou en absorbant les parties sulfureuses, ni en répri- mant larchée furibond, ni en liant le fluide nerveux, que l’o- pium fait dormir ; c’est en diminuant l'irritabilité de toutes les parties, excepté celle du cœur qui n’est que très-peu, le plus souvent point affaiblie par ce remède. Toute action des muscles cesse; les sens se trouvent enchaînés dans un sommeil tran- quille ; le cœur seul et le poumon, l’un parce que son irritabilité n’est point altérée, l’autre parce que son action est indépendante de lirritabilité ; le cœur, dis-je, et le poumon continuent leur mouvement tout comme auparavant ; les viscères qui sont dans le cas du poumon continuent leurs fonctions ; celles de l’estomac et des intestins diminuent ; et l’on déduit de là dans quel cas l’opium convient pour arrêler les évacuations trop abondantes : c'est quand elles dépendent de la trop grande irritabilité des intestins ; est-elle trop faible, les narcotiques nuisent; ce grand principe sert de base à toute la pratique de ce remède; et la façon dont il agit rend raison de tous les symptômes qu'il occa- sionne. « Puisque l’irritabilité dépend du mucus, et que ses différents degrés sont proportionnels à la consistance de ce corps singulier, qu’elle est d'autant plus grande qu’il en a moins, pour en guérir l'excès, il faut rendre au mucus sa consistance nécessaire. Les toniques sont donc les seuls remèdes qu’il faille employer ; les saignées, les purgations, les sels, les eaux minérales (au moins 1086 THÉORIE DE L'IRRITABILITÉ. la plupart), les aqueux doivent être bannis, et l’on doit leur sub- stituer le régime, l'exercice, les frictions, lesligatures, les astrin- gents légers, les vins aromatiques, etc.; et la pratique ayant con- firmé tant de fois l'utilité de cette méthode, n’est-on pas en droit d'en conclure la vérité du système qui l’explique, et que M. de Haller n'avait proposé que comme une conjecture? L’âge qui donne la fermeté au mucus diminue cette excessive mobilité ; aussi on voit tous les jours les femmes hystériques cesser de l’être à un certain âge ou l'être beaucoup moins. Il est un point au delà duquel la consistance du mucus est un mal, parce que l'irritabilité est trop faible pour que les mouvements puissent se faire par les causes ordinaires ; cet épaississement étant la suite inévitable de la vieillesse, la vieillesse conduit nécessairement à la mort, qui n’est qu’une cessation de tout mouvement ; dans la vieillesse plus d’irritabilité, sans l'irritabilité plus de mouve- ment, sans le mouvement plus de vie. La nature fait dans les tendons l’effet de la vieillesse ; et, quoique composés de fibres musculaires et continuation des muscles, leur trop de compacité empêche qu'ils ne soient irritables. Ce phénomène bien examiné pourra peut-être servir à faire connaître en quoi consiste l’irrita- bilité du mucus; les explications dans lesquelles je viens d’entrer fournissent celles d’un grand nombre de phénomènes et con- duisent aux véritables règles de la pratique dans bien des cas, sur lesquels jusqu'à présent on n’en avait que de très-fausses. « La théorie des fièvres, celle des inflammations, en un mot, de toutes les maladies qui dépendent d’une augmentation de circulation, seront fixées désormais, puisque la cause de la circu- lation connue conduit à la connaissance de celles qui peuvent l’augmenter ou l’affaiblir, Le sang devenu plus âcre est par là même plus irritant, l'acrimonie produira donc la fièvre; et les différentes espèces d’acrimonie, l'ordre de leur génération, celui de leur évacuation, le lieu où le stimulus exerce principalement son action, formeront les différentes espèces de fièvres. Il reste encore des découvertes à faire sur lirritabilité, surtout relative- ment à la force des différents stimulus, qui dépend peut-être de plusieurs causes ; plus on en fera, plus il sera aisé de rendre GAUBIUS. — PATHOLOGIE DE L'IRRITABILITÉ. 1087 raison de tous les mouvements qui dépendent de cette pro- priélé. » C’est dans les /nstitutiones pathologiae medicinalis (1758, plusieurs fois réimprimées et traduites) de Gaubius (1705-1780), de Heidelberg, d’abord élève de Boerhaave, puis partisan de Haller, qu'on trouve les applications suivies (1) du système de lirritabilité à la pathologie (2). L'ouvrage est essentiellement un traité de pathologie géné- rale (3); l’auteur n’y traite pas des maladies individuelles ou localisées. La maladie est un combat de la nature pour sa propre conservation ($ 51). Puisque la maladie n’a pas d’autre siége que le corps, sa cause appartient au corps et doit y être cherchée, quoique, par suite du commerce étroit de l’âme avec le corps, l’âme puisse avoir aussi quelque influence. C’est au médecin d’observer cette in- (1) Mais fort mélangées, comme on va le reconnaitre par le bref exposé de la doctrine de Gaubius. (2) Unzer (1727-1799) est entré dans la même voie, Ce médecin regardait comme synonymes force vitale et irritabilité (y compris la sensibilité) et action nerveuse. Il se rapproche de Stahl en ce qu'il mettait cette force ou ces forces sous la dépendance de l'âme. — J, de Gorter (1689-1762), auteur d’un très-grand nom- bre d'ouvrages, a insisté sur la doctrine de la force vitale et des esprits; il recon- naissait chez les plantes un principe de mouvement analogue à celui qui préside aux fonctions de l'organisme animal. Pour lui, ce principe de mouvement n’est pas mécanique, mais dynamique et indépendant de l'âme aussi bien que du fluide ner- veux. En ce sens, il devient presque un des précurseurs de Haller. (3) Les Institutions sont rédigées sous forme de propositions aphoristiques, comme celles de Boerhaave, Si le tableau est mauvais, le cadre pourrait encore servir aujour - d’hui, car il est très-méthodique. Après quelques considérations présentées à la facon de Galien sur la nature des maladies, leurs causes, leurs symptômes, Gaubius étudie d’abord les maladies les plus simples des solides et celles des liquides, dans leur quantité, leurs qualités et les erreurs de lieu; ce sont là les maladies élémen- taires, pour ainsi parler. — Puis viennent les maladies composées qui dépendent de puissances nuisibles (aliments, boissons, air, abus des remèdes, pestilence). — Les symptômes comprennent les vices des qualités sensibles des excrétions, des actions lésées, des sens troublés et de la douleur ; les vices de la force motrice, des mou- vements vitaux, des fonctions naturelles, de celles de la génération. L'ouvrage de Gaubius se termine par l’examen des différences que présentent les maladies eu égard à leur origine, à leur siége, à leur cours, à leur degré, à leur caractère, à leur pronostic, 1088 GAUBIUS. fluence, au philosophe de l'expliquer ($ 65) (1). On ne pourrait pas mieux séparer les deux domaines. Au 99 l'auteur parait, mais pour un moment seulement, se ranger sous le drapeau de l'animisme. L'organisme humain n’est pas une simple machine ; il y a l'esprit qui, averti des souffrances du corps, emploie les forces dont il dispose dans ce corps pour repousser l’ennemi ; le corps lui-même possède une excitabilité qui devient conser- vatrice de ce corps; cette excitabilité, modérée dans l’état de santé, s’exalte sous l'influence de la maladie et se livre à d’é- normes efforts pour résister. L'analyse chimique du corps est bientôt faite ($ 180 et suiv.) : c'est du sec mêlé à de l’Aumide. L’humide, qui est de l’eau, est chargé de maintenir les parties dans l’état de souplesse; le sec est le solide qui se compose de trois parties : l’inflammable que le feu consume, est le siége de la chaleur et tempère l’acrimonie; le salin que l’eau absorbe, est le moyen d'union entre l’eau et le phlogistique ; le terreux, base de la machine, résiste au feu et à l’eau. Tout cela est mélangé exactement dans l’état de santé. Le solide vivant est ce qui est doué de la force vitale ($ 169 et suiv.). La force vitale (ici Haller fait place à Stahl) est la faculté de pouvoir entrer en mouvement au courant d’un irritant et celle de sentir ce contact ou cette sollicitation. L'une réside dans les fibres musculaires et l’autre dans les nerfs; mais tous les irritants ne produisent pas les mêmes effets, et tous les hommes ni toutes les parties d’une même personne ne sont pas aptes à répondre de la même façon aux stimulants ; — de là les tempéraments, les idiosyncrasies ;, — de là l’action puissante du degré d’irritabilité et de sensibilité pour la santé ou pour les maladies. La force vitale peut pécher par excès ou par défaut : la première est l’ir- ritabilité (le mot est ici détourné du sens physiologique de Haller); la seconde, la torpeur ($ 189); le juste milieu est la santé. L’irritabilté est une si grande sensibilité du solide vivant qu'il (4) Voy. sa première Dissertation de regimine mentis (1747) où il accorde plus d'action au corps sur l'âme que de puissance à l’âme sur le corps; dans la se- conde, épouvanté par l’assentiment que lui avait donné La Mettrie, il quitte le rôle de physiologiste pour prendre celui de philosophe, et il s’égare au milieu de décla- mations en s’efforçant de déplaire à son approbateur. PATHOLOGIE DE L'IRRITABILITÉ, 1089 entre, aux moindres stimulants, en des mouvements considéra- bles qui troublent le juste équilibre des fonctions ($ 190 suiv.). C'est la force connue et l'application de l’irritant qui donne la mesure de l'intensité des mouvements. Cette irritabilité occupe soit tout le corps, d’où aussi l’action sur l'esprit, — la fièvre par exemple, — soit quelques-unes de ses parties, — une inflamma- tion locale. Les caractères de cette irritabilité sont la tension de la fibre, une grande agilité des sens, des humeurs ténues, âcres, une circulation active. D'où vient tout cela? De l’hérédité, du régime, etc., de la nature de l'esprit. La torpeur a justement les qualités contraires; de sorte que dans ce cas les irritants naturels n’ont même pas la puissance de produire les mouve- ments nécessaires au jeu des fonctions. Après cela viennent les maladies des cavités, en tant que cas vités, et non comme se rattachant à des états pathologiques plus généraux, si ce n’est à l'irritation ou à la torpeur. Il y a des di- latations qui produisent les tumeurs, des relâchements (obstruc- tions, ecchymoses, sécrétions, etc.), des défauts de cohésion. Les maladies instrumentaires des solides sont les plaies, les blessures, elc., ou maladies chirurgicales venues de causes soir externes, soit internes. La seconde grande classe des maladies appartient aux fluides. On peut les rapporter : T° à un défaut de cohésion (trop ou trop peu), soit qu'il y ait trop de matières solides dans le crassamen- um du sang, soit qu'il s’y trouve trop d’eau ; 2° à la séparation d’un ou de plusieurs des éléments des liquides, comme les sueurs, les urines, la salivation ; 3° à un plus grand ou moindre degré d’acrimonie. Il y a un dcre mécanique qui tient à la forme des particules, et un dcre chimique qu’on ne peut reconnaître à la vue, mais qui dépend de la constitution intime des liquides. La putridité naît d’une espèce d’âcreté ammoniacale ou alcalescente. I y a des causes innées de ces âcretés et des causes qui tiennent aux aliments, aux milieux où l’on vit. Rien n’agit plus efficace- ment pour produire ces âcretés que les vices de la coction. D’où viennent ces vices eux-mêmes ? Du défaut de tonicité. Gaubius étudie en particulier ies maladies de chaque humeur, chyle, sang etc.; 1l s'étend longtemps sur la formation mécanique DAREMBERG., 69 1090 QUELQUES REMARQUES SUR BICHAT. de la couenne. Il reconnaît comme constituant le sang, outre les esprits, le sérum, les globules rouges et la fibre (fibrine). Le défaut d’exacte proportion de ces trois éléments sert à expliquer la formation d’une foule de maladies. C’est du sang que se sé- crètent la plupart des fluides qui peuvent être eux-mêmes al- térés par la quantité ou la qualité, de sorte que ces viciations engendrées par les états morbides en produisent d’autres à leur tour. Sous ce titre, guantitas humorum vitiata, Gaubius étudie sur- tout la pléthore et la cacochymie ; c’est-à-dire la surabondance de sang ou des liquides blancs. Gaubius semble avoir travaillé à réunir tous les systèmes et à contenter tous les sectaires : Galien, avec les généralités sur la pathologie; Hoffmann, avec la mécanique ; Stahl, avec l'âme ; surtout Haller, avec l’irritabilité ; Boerhaave, avec les erreurs de lieu; enfin Borelli, avec les mouvements désordonnés des li- quides. Tel est le résumé de la pathologie générale de Gaubius, en ce qui concerne les causes prochaines ou les causes intimes des maladies; le reste nous offrirait trop peu d'intérêt pour que nous nous y arrêlions. La théorie de Bichat est par certains points trop voisine de celle de Haller, et la distance qui sépare ces deux hommes n’est pas assez grande pour que nous ne fassions pas ici une légère infrac- tion à la chronologie en rappelant sommairement les opinions du créateur de l'anatomie générale. € La vie, dit Bichat (1), est l’ensemble des fonctions qui résis- tent à la mort. » Cest là une définition qui ne nous apprend rien sur l'essence de la vie, et qui nous la fait seulement connaître par une de ses fins contingentes ; ou plutôt c’est une vraie pétition de principe qui revient à dire : la vie n’est pas la mort; ou : la mort n'est pas la vie. Mais passons et suivons l’auteur dans le développement de ses idées : Il y a deux vies ; l’une commune aux (! ) Recherches physiologiques sur la vie et la mort, édition de Magendie dans les OEuvres complètes de Bichat. — Voy. aussi les Considérations générales, et le Tableau de la physiologie qui précèdent l’Aratomie générale. QUELQUES REMARQUES SUR BICHAT. 1091 végétaux el aux animaux, c’est la ve organique ; l’autre, ou vie antmule, ou encore vie de relation, est propre aux animaux. Dis- ünction plus apparente queréelle, puisque les animaux plus petits que les plus petits éléments anatomiques ont des propriétés vi- tales qu'on chercherait vainement dans les plantes, même dans la sensitive, Bichat a remarqué qu’il y a dans la vie animale deux ordres ou deux courants de fonctions ; les unes s’établissent de la périphérie ou des milieux vers le cerveau, et les autres se por- tent vers les organes extérieurs de la locomotion et de tous les sens, non pas seulement de la voix comme il le dit. Quant à la vie organique elle se compose, d’après Bichat, de deux mouvements presque parallèles, l'assimilation et la décomposition ou désas- similation, Le premier comprend la digestion, la circulation, la respiration, la nutrition, et, si je ne me trompe, l'absorption ; le second renferme l’exhalation, les sécrélions et les excrétions ; à quoi il faut ajouter l’usure graduelle. La circulation est le système moyen où se meuvent les molécules propres à la nutrition et à la déperdition (1). Poursuivant avec une rare sagacité la distinction anatomique et physiologique des deux vies, Bichat rapporte les différences dans la forme extérieure de leurs organes respectifs (symétrie pour la vie animale, asymétrie pour la vie organique), dans le mode d'ac- tion de ces organes (harmonie pour la première, discordance pour la seconde), dans la durée de celte action (continuité dans l'une, intermittence dans l’autre) ; puis il étudie sous une forme saisissante, mais non toujours avec une entente parfaite du sujet, les rapports du physique et du moral. Un des points auxquels Bichat (p. 103-105) attachait la plus grande importance et qu'il s’est particulièrement attaché à éclair- cir, c’est la distinction des forces physiques d’avec les forces vitales. Il a ouvert la voie, mais il s’est égaré, et a égaré ses lec- teurs presque dés les premiers pas. « En considérant sous ce rapport les lois vitales, le premier aperçu qu’elles nous offrent, c’est la remarquable différence qui (1) lei M. Magendie remarque dans ses notes que Bichat semble partager encore l’erreur des physiologistes qui tiraient le lait du chyle, 1092 QUELQUES REMARQUES SUR BICHAT. les distingue des lois physiques (1). Les unes, sans cesse variables dans leur intensité, leur énergie, leur développement, passent souvent avec rapidité du dernier degré de prostration au plus haut point d’exaltation, s'accumulent et s’affaiblissent tour à tour dans les organes, et prennent, sous l'influence des moindres causes, mille modifications diverses. Le sommeil, la veille, l’exer- cice, le repos, la digestion, la faim, les passions, l'action des corps environnant l'animal, etc., tout les expose à chaque instant à de nombreuses révolutions. Les autres, au contraire, fixes, invariables, constamment les mêmes dans tous les temps, sont la source d’une série de phénomènes toujours uniformes. Comparez la faculté vitaie de sentir à la faculté physique d’attirer, vous verrez l'attraction être toujours en raison de la masse du corps brut où on l’observe, tandis que la sensibilité change sans cesse de proportion dans la même partie organique et dans la même masse de matière. « L'invariabilité des lois qui président aux phénomènes physi- ques permet de soumettre au calcul toutes les sciences qui en sont l’objet ; tandis qu’appliquées aux actes de la vie, les mathémati- ques ne peuvent jamais offrir de formules générales (2). On cal- cule le retour d’une comète, les résistances d’un fluide parcourant un canal inerte, la vitesse d’un projectile, etc.; mais calculer, avec Borelli, la force d’un muscle; avec Keïll, la vitesse du sang ; avec Jurine, Lavoisier, etc., la quantité d’air entrant dans le poumon, c’est bâtir sur un sable mouvant un édifice solide par lui-même, mais qui tombe bientôt faute de base assurée! » La physiologie moderne a donné un solennel démenti à la plu- part de ces propositions ; et c’est Justement en mettant à l'étude les problèmes dont Bichat déclare la solution impossible que les iatromécaniciens ont rendu un vrai service à la physiologie. (4) Bichat a été surtout frappé (et il ne pouvait guere en être autrement) par les différences extérieures ou par les résultats de la mise en action des deux ordres de forces. Aujourd’hui on sait que les forces biologiques, quoiqu'elles découlent en'partie des forces physico-chimiques, revêtent des formes sui generis, et qu'elles sont dès lors distinctes de ces mêmes forces physico-chimiques, (2) Beaucoup de phénomènes physiologiques (par exemple les mouvements mus- culaires) ne sont pas moins invariables que les phénomènes physiques. QUELQUES REMARQUES SUR BICHAT, 1093 « La physique, la chimie, continue Bichat (p.109 et suiv.) se touchent, parce que les mêmes lois président à leurs phénomènes, mais un immense intervalle les sépare de la science des corps organisés, parce qu'une énorme différence existe entre leurs lois et celles de la vie. Dire que la physiologie est la physique des animaux, c’est en donner une idée extrêmement inexacte; j'aimerais autant dire que l’astronomie est la physiologie des astres. » Non, certes, la physiologie n’est pas dans son essence ni de la physique ni de la chimie pure, mais à côté des forces biologiques spéciales, qui en procèdent, il y a dans les manifestations orga- niques des phénomènes directement chimiques ou physiques. Je ne saurais, du reste, donner une meilleure et plus savante réponse aux propositions de Bichat sur la distinction des forces physiques d’avec les forces vitales, que de transcrire ici quelques passages de la préface que M. le professeur Gavarret a mise en tête de son ouvrage intitulé : Les phénomènes physiques de la vie (1869) : « Les physiciens ont démontré que toutes les forces du monde inorganique ont une commune mesure, le travail, et changent sans cesse de forme, sans jamais rien perdre de leur énergie; que la même quantité de force peut, suivant les conditions au milieu desquelles elles se manifestent, nous apparaître tour à tour sous forme de force vive, de chaleur, d'électricité, d’affi- nité, etc., ete. Cette grande et belle théorie de la réciprocité des forces, est-elle assez générale pour embrasser les manifestations dynamiques du monde organisé aussi bien que celles du monde inorganique ? doit-elle en un mot être acceptée comme univer- selle ? L'étude des propriétés des éléments histologiques démontre que chaque élément, distinct par sa composition et par sa texture, est doué d’une activité propre dont tout démontre les rapports d’étroite solidarité avec les réactions physico-chimiques accom- plies dans la trame des capillaires généraux. Ces activités nous sont apparues comme des modalités dynamiques spéciales déri- vant, par voie de transformation et sans perte d'énergie, de ces réactions physico-chimiques, sans lesquelles i] »°y a ni nulrilion 109% QUELQUES REMARQUES SUR BICHAT, ni développements possibles. Dans chaque organe de l’écono- mie, les activités propres des éléments histologiques exécutent un travail spécial sous l'influence des conditions extérieures de milieu ambiant ; le travail de l’agrégat vivant n’est que le résui- tat de ces travaux partiels (1). Entre le monde inorganique et le monde organique, il s'opère doncun échange incessant de matière et de force. De ce principe découlent comme conséquences néces - saires, la légitimité de l’extension de la théorie de la réciprocité des forces au monde organisé, en même temps que la définition des vrais rapports de la biologie et des sciences physico-chi- miques. » Bichat veut distinguer en deux espèces les propriétés de tout organe vivant : les unes tiennent immédiatement à la vie, commencent et finissent avec elle, ou plutôt en forment le prin- cipe et l’essence; les autres n'y sont liées qu’indirectement et paraissent plutôt dépendre de l’organisation, de la texture des parties. La faculté de sentir, celle de se contracter spontanément, sont des propriétés vitales. L’extensibihité, la faculté de se res- serrer lorsque l’extension cesse, voilà des propriétés de tissus ; celles-ci , il est vrai, empruntent de la vie un surcroît d'énergie, mais elles restent encore aux organes après qu’elle les a aban- donnés, et la décomposition de ces organes est le terme unique de leur existence. L’extensibilité et le resserrement n’appartien- nent pas aux tissus en tant que vivants, ainsi que Haller Pavait déjà remarqué; ce sont des propriétés purement physiques qui se meuvent dans un grand nombre de la nature brute ou in- animée Pour Bichat, les propriétés vitales se réduisent au mouve- ment (2) et à la sensibilité, mais il y en à d’autres reconnues et (1) Voyez, par exemple, ce qui regarde la contraction musculaire et les activités ” du système nerveux. — Noy. aussi Onimus, Des forces dans l'organisme (Revue des cours scientifiques, 42 février, 14870). (2) Les plus belles pages de l’Anatomie générale sont celles que Bichat a con- sacrées à l'étude anatomique et physiologique des deux systèmes musculairés de la vie animale et de la vie organique ; distinction qui, du reste, {n’est pas parfaitemen exacte au point de vue physiologique. QUELQUES REMARQUES SUR BICHAT. 1095 admises par les modernes : forces distinctes de la faculté de sentir, laquelle, pour l’auteur des Recherches sur la vie et la mort, embrasse presque toutes les fonctions. Par ce côté, Bi- chat se rapproche malheureusement à la fois des vitalistes, des mécaniciens et même de Brown. La contractilité n’est, à vrai dire, pour notre illustre physiologiste , et sans qu’il en ait plei- nement conscience, qu'un mode de la sensibilité, de sorte que, en définitive, il n’y a plus qu'une propriété vitale, cette sensibi- lité qui, à force d’être compréhensive, devient un être de rai- son.— (Quoi qu’il en soit, c’est par ses études sur la contractilité que la doctrine de Bichat confine à celle de Haller et en est un écho. Bichat admet (ce qui est fort équivoque) deux espèces de mouvements, produits l’un par la contraction (suite de la con- traclilité), l’autre par la dilatation (mouvement de l'iris, érec- tion des corps caverneux ou du mamelon). C’est en vain que l'extensibilité active est ici distinguée de l’extensibilité passive, dont l’une tient à la vie, et l’autre à la seule qualité d’être un tissu; c’est en vain aussi que Bichat déclare trop peu connaitre le mouvement par extensibilité active pour s’y arrêter ; ce n’en est pas moins une vue à peu près entièrement fausse. Il y à deux espèces de contractilité : l’une, animale, qui est essentiellement sous l'empire de la volonté; l’autre, indépen- dante du centre commun (non pas précisément dans une vie complète), trouve son principe dans l'organe même qui se meut, échappe à tous les actes volontaires et donne lieu aux phéno- mèênes digestifs, circulatoires, sécrétoires, absorbants, nutritifs. Toutes deux se lient à une espèce correspondante de sensibilité organique et animale. « L’enchainement (p. 144) n’est pas le même dans les deux espèces de facultés. La sensibilité animale peut isolément s’exercer, sans que la contractilité analogue entre nécessalre- ment pour cela en exercice : il y a un rapport général entre la sensation et la locomotion; mais ce rapport n’est pas direct et actuel; au contraire, la contractilité organique ne se sépare jainais de la sensibilité de même espèce ; la réaction des con- duits excréteurs est immédiatement liée à l’action qu'exercent 41096 QUELQUES REMARQUES SUR BICHAT. sur eux les fluides sécrétés; la contraction succède d’une ma- nière nécessaire à l’abord du sang. Aussi tous ies auteurs n’ont- ils point isolé ces deux choses dans leurs considérations et même dans leur langage : #ritabilité désigne en même temps et la sensation excitée sur l’organe par le contact d’un corps, et la contraction de l'organe réagissant sur ce corps. » La raison de cette différence, dans le rapport des deux es- pècesde sensibilité et de contractilité, est très-simple : il n’y a dans la vie organique aucun intermédiaire dans l'exercice des deux facultés, le même organe est le terme où aboutit la sensation et le principe d’où part la contraction. Dans la vie animale, au con- traire, il y a entre ces deux actes des fonctions moyennes, celles des nerfs et du cerveau, fonctions qui peuvent, en s’interrom- pant, interrompre le rapport. » La contractilité animale est toujours à peu près la même, quelle que soit la partie où elle se manifeste ; mais il existe dans la contractilité organique deux modifications essentielles qui sembleraient y indiquer une différence de nature, quoiqu'il n’y ait que diversité dans l’apparence extérieure : tantôt, en effet, elle se manifeste d’une manière apparente ; d’autres fois, quoique très-réelle, elle est absolument impossible à apprécier par l’in- spection. » La contractilité organique sensible s’observe dans le cœur, l'estomac, les intestins, la vessie, etc. Elle s'exerce sur les masses considérables de fluides animaux. » La contractilité organique insensible est celle en vertu de Ja- quelle les conduitsexcréteurs réagissentsur leurs fluides respectifs, les organes sécrétoires sur le sang qui y aborde, les parties où s'opère la nutrition sur leurs sucs nourriciers, les Iymphatiques sur les substances qui excitent leurs extrémités ouvertes, etc. Partout où les fluides sont disséminés en petites masses, où ils sont très-divisés, là se développe cette seconde espèce de contrac- “tilité. » On peut donner de toutes deux une idée assez précise, en comparant l’une à l'attraction qui s'exerce sur les grands agré- gats de matière, l’autre à l’affinité chimique dont les phéno- mèênes se passent dans les molécules des diverses substances. QUELQUES REMARQUES SUR BICHAT. 1097 Barthez, pour faire sentir la différence qui les sépare, prend la comparaison d’une montre dont l’aiguille à secondes parcourt d'une manière très- apparente la circonférence, et dont lPai- ouille à heures se meut aussi quoiqu’on ne distingue pas sa marche. » La contractilité organique sensible répond à peu près à ce qu’on nomme éritabilité; la contractilité organique insensible à ce qu’on appelle fonicité. Mais ces deux mots semblent supposer, dans les propriétés qu’ils indiquent, une diversité de nature, tandis que cette diversité n'existe que ‘dans l'apparence exté- rieure. Aussi je préfère employer pour toutes deux un terme commun, contractilité organique, qui désigne leur caractère général, celui d’appartenir à la vie intérieure, d'être indépen- dantes de la volonté, et d'ajouter à ce terme commun un ad- jectif qui exprime l’attribut particulier à chacune. » On aurait, en effet, des idées bien inexactes de ces deux modes de mouvements si on les considérait comme tenant à des prin- cipes différents. L’un n’est que lextrème de l’autre; tous deux s’enchaînent par des gradations insensibles. Entre la contractilité obscure, mais réelle, nécessaire à la nutrition des ongles, des poils, etc., et celle que nous présentent les mouvements des intestins, de l'estomac, etc., il est des nuances infinies qui ser- vent de transition : tels sont les mouvements du dartos, des artères, de certaines parties de l’organe cutané, etc. » Au nom de la physiologie expérimentale que Bichat oublie un peu en ces considérations, les modernes ont réfuté ou redressé plusieurs des opinions hasardées ou controuvées, et ces distinc- tions subtiles qui ont pris pour trop longtemps racine dans la science en s'abritant sous un grand nom (1). (4) Dans les Considérations générales qu'il a placées en tête de son Anatomie gé- nérale, Bichat reprend ét cherche à corroborer par de nouveaux arguments, tirés même de la pathologie, la distinction des deux vies, avec leurs modes spéciaux d’ac- tivité et la séparation des propriétés physiques d’avec les propriétés vitales. IT assigne aux minéraux les propriétés physiques ; aux plantes, ces mêmes propriétés, plus les propriétés organiques, sauf la contractilité sensible ; aux animaux, toutes les pro- priétés physiques, toutes les propriétés vitales organiques et les propriétés vitales animales, — Blandin, dans ses notes, a déjà rectifié plusieurs des assertations de Bichat, 1098 QUELQUES REMARQUES SUR BICHAT. Bichat reste plus fidèle à l’observation lorsqu'il examine dès le premier jour de l’incubation jusqu'à ia mort, l'apparition et le développement successifs des diverses fonctions de la vie orga- nique et de la vie de relation. La physiologie actuelle est en beaucoup de points plus exacte encore dans son analyse, mais les premiers éléments du problème ont été tracés par une main de maitre. Reprenant les recherches de Haller (recherches qu’il trouve avec vérité un peu superficielles) sur les membranes, Bichattente de nouvelles voies ; mais il est évident que si Haller avait été top loin en affirmant que tous les tissus membraneux ne sont que des modifications du tssu cellulaire où lamineux, Bichat, de son côté (1), a établi des distinctions qui reposent plutôt sur la considération des formes et de la texture apparente dont il donne une excellente description, que sur l'examen expérimental des fibres élémentaires et primilives, sans parler même des élé- ments anatomiques éludiés seulement de nos jours (2). Selon Bichat il y a des membranes simples, dont l'existence isolée ne se lie que par des rapports indirects d'organisation avec les par- lies voisines, et des #embranes composées qui résultent de las- semblage de deux ou de plusieurs membranes simples dont elles réunissent les caractères différents. Les membranes simples sont désignées sous le nom de mu- queuses, séreuses (ou sécrétoires) et fibreuses. Les membranes composées sont les fibro-séreuses, séro-muqueuses et fibro-mu- queuses. Mais ces membranes résultent non de composition, mais de juxtaposition. — A la suite du Traité des membranes se trou- vent deux bons mémoires descriptifs sur larachnoïde, qu'il range définitivement dans la classe des séreuses, et sur les syno- viales qui jouent un rôle analogue. Bichat a reconnu dans le corps vingt et un tissus qui font Vobjet de son Anatomie générale, tandis que leurs combinai- (4) Voy. son Traité des memlranes. Ce traité a été refondu et complété dans l'Anatomie générale, mais les données principales restent les mêmes. (2) Voy. les articles Tissu et Lamineux dans le Dictionnaire de médecine de MM. Littré et Robin, 122 édition, Paris, 1865, p. 733 et 1534, QUELQUES REMARQUES SUR BICHAT. 1099 sons diverses, pour former des organes et des appareils, consti- tuent le sujet de l’Anatomie descriptive. QI y a dans l'organisation générale des animaux un certain nombre de tissus simples qui sont partout les mêmes, quel que soit l’endroit où ils se trouvent placés, qui ont la même na- ture, les mêmes propriétés vitales et physiques, les mêmes sym- pathies, ete., et qui, véritables éléments organisés de l’écono- mie vivante, sont combinés quatre à quatre, cinq à cinq, six à six, ele., pour former les organes composés que la nature des- üne à remplir chaque fonction. Ces tissus simples (mais tous sont loin d’être simples) sont les suivants : 4° le cellulaire, 2° le ner- veux de Ja vie animale, 3° le nerveux de la vie organique, 4° lar- tériel, 5° le veineux, 6° celui des exhalants, 7° celui des absor- bants (1)et de leurs glandes, 8° l’osseux, 9° le médullaire, 10° le cartilagineux, 11° le fibreux, 12° le fibro-cartilagineux, 13° le musculaire de la vie animale, 14° le musculaire de la vie organique, 15° le muqueux, 16° le séreux, 17° le synovial, 48° le glanduleux, 19° le dermoïde, 20° l’épidermoïde, 21° le pileux. » Ces vingt et un tissus ont fait l'objet de mon Anatomie gé- nérale ; leurs combinaisons diverses vont être celui de mon Ana- tome descriptive. Remarquez, en effet, que tous les organes concourant à une fonction quelconque résultent de plusieurs de ces tissus simples réunis entre eux. Prenons quelques-uns de ces organes pour exemple : l'estomac est un assemblage des tissus muqueux en dedans, séreux en dehors (2), musculaire organique au milieu. Les tissus séreux au dehors, muqueux dans les cel- lules, fibro-cartilagineux dans les bronches, elc., composent le poumon. Dans un muscle il y a le tissu musculaire pour ie corps, le fibreux pour les extrémités, et quelquefois le synovial lorsqu'un glissement est à éprouver. Dans un os long et frais, les tissus os- seux pour le corps, cartilagineux et synovial pour les extrémités, (1) Vu son ignorance des phénomènes d’endosmose et d'exosmose communs à tous les tissus organiques, Bichat a ##naginé en grande partie ces eux espèces de vaisseaux, Les lymphatiques sont chargés de l’absortion ; mais Bichat en avait ad- mis là ou il n’y en a pas. ; (2) Bichat fait ici du péritoine une parlie intégrante de l'estomac, et il oublie la membrane fibreuse 1100 QUELQUES REMARQUES SUR BICHAT. médullaire pourle milieu, se trouvent réunis, etc., etc. De plusle tissu des artères, des veines, des exhalants, des absorbants, des nerfs et du système cellulaire, se trouvant mêlés à tous ceux-là, entrent comme matériaux dans la structure de chacun des or- ganes précédents, et de presque tous les autres. » D’après cela, l’idée d’un organe entraîne nécessairement celle d'un composé de plusieurs tissus différents, qui, isolés les uns des autres, seraient insuffisants pour les fonctions de cet or- gane, mais qui, par leur réunion, deviennent propres à les rem- plir. J'ai désigné sous le nom de système le traité de chaque tissu simple; celui d'organes exprime une réunion de plusieurs systèmes, pour former un tout unique; celui d'appareil me sert à désigner un assemblage de plusieurs organes concourant à une fonction, comme, par exemple, les assemblages des os et des muscles pour la locomotion, de la bouche, de l’estomac et des intestins pour la digestion, de la plèvre, du poumon et de la tra- chée-artère pour la respiration, etc., ete. C’est sous ce rapport que je dis systèmes osseux, fibreux, cartilagineux, etc.; organes gastrique, pulmonaire, cérébral, etc., expressions synonymes de celles-ci : estomac, poumon, cerveau, etc. ; appareil de la loco- motion, de la digestion, de la respiration, etc. » L’Anatomie générale etY Anatomie descriptive (1), où la phy- siologie est sans cesse présente, où les idées abondent, où Îles faits se classent et s’enchaînent avec tant de méthode, sont les seuls ouvrages en ce genre qui se lisent avec un tel plaisir, qu’on les trouve trop courts (cependant ils ne forment pas moins de neuf volumes in-8°) (2), et que, dans l'entrainement de la pensée et des yeux, on ne s'aperçoit ni que les descriptions ne sont pas toujours suffisamment exactes et complètes, ni que les idées (4) Dans l'Anatomie pathologique, qui n’est qu'une ébauche, Bichat a eu le mé- rite de distinguer les maladies des tissus de celles des organes. (2) Tout cela écrit par un homme mort à trente et un ans (4771-1802), et qui avait mené de front un travail opiniâtre et de vulgaires satisfactions des sens, Peut- être Bichat a-t-il assez vécu pour sa gloire; car ses idées préconçues et son ima- gination l’eussent vraisemblablement conduit dans les régions de l'aventure et du roman. QUELQUES REMARQUES SUR BICHAT, 1101 sont parfois fort sujettes à discussion et à rectification. Quand la nouvelle anatomie microscopique ou histologie aura trouvé un Bichat, elle pourra se tenir pour assurée, au moins durant un temps assez long, de séduire tous les bons esprits et de devenir populaire. XXXI Sommaire. — Cullen ; ses divers ouvrages ; exposé de son système de physiologie, de pathologie et de fhérapeutique. — Brown. Exposition et discussion de son système. — Parallèle entre Brown et Broussais. MESSIEURS, La doctrine iatromécanique avait Jeté des racines trop pro- fondes pour que les nouveaux systèmes de médecine n’en gar- dassent pas quelque chose. Le mécanisme se transforme en so- lidisme : c'était la conséquence naturelle. Les systèmes de Cullen et de Brown sont deux de ces transformations, ou, si vous aimez mieux, un écho, une limitation de l'iatromécanisme, sans oublier l'influence plus ou moins directe du système de lirritabilité, Cullen, fort opposé à Stahl, se rattache directement à Hoffmann, et en partie par lintermédiaire de Gaubius, à Haller (1). — (4) On lit dans la Préface des Éléments de la médecine pratique : & I n'est pas douteux que les phénomènes de l'économie animaie, tant dans l’état de santé que dans celui de maladie, ne peuvent s'expliquer qu’en considérant l’état et les affec- tions des puissances motrices qui impriment le mouvement à toute la machine, Il me parait étonnant que les médecins aient été si longtemps sans s’en apercevoir ; c’est, à mon avis, une obligation particulière que nous avons à Hoffmann de nous avoir mis sur la voie convenable pour observer ; et il parait que les médecins sen- tent de jour en jour la nécessité de plus en plus grande de sa méthode. C’est sans doute ce qui engagea Boerhaave à publier son ouvrage intitulé : Impelum faciens, et le docteur Gaubius à donner sa pathologie du so/idum vivum. C'est aussi dans la même vue que le baron Van Swieten a cru nécessaire de faire, au moins dans un cas particulier, un changement considérable à la doctrine de son maitre, comme on peut le voir dans son commentaire sur l’aphorisme 795. Le docteur Haller a beau- coup perfectionné cette partie de la physiologie par ses expériences sur l’irritabilité et la sensibilité. Ces exemples et beaucoup d’autres, particulièrement les écrits de M. Barthez (Cullen n’a connu que l’ébauche de son système), professeur de Mont- pellier, sont des preuves des progrès que l’on a faits dans l'étude des affections du système nerveux, et suffisent pour faire apercevoir combien nous sommes redeva- bles à Hoffmann d'en avoir posé les fondements d’une manière si convenable, Néan- CULLEN. — PHYSIOLOGIE. 1103 Cullen (1712-1780), successivement professeur à Glassow et à Édimbourg, ami de William Hunter, antagoniste de Brown dont il avait été d’abord le protecteur, a joui de son vivant d'une très-grande réputation, mais elle n’a pas résisté à celle de Brown qui faisait plus de bruit et de mal à la fois (1). Le premier ou- vrage de Cullen a pour titre: Synopsis nosologiae metho- dicae (1769), dont la meilleure édition est la quatrième (2) ; puis les Premiers éléments de médecine pratique à l’usage des étudiants (1776-1783); la Physiologie (1772); des Lecons de ch- nique (1797) (3); enfin, une Matière médicale publiée en 1789. Ces divers ouvrages ont été popularisés en France par les tra- ductions de Bosquillon. La Physiologie est un livre médiccre et arriéré, même pour le temps. Cullen n’a aucune idée des différences essentielles des tissus ; il admet dans l'organisme deux espèces de parties solides: les simples qui ont les mêmes propriétés sur le cadavre que sur le vivant, et ces propriétés ne paraissent pas différer de celles que l’on remarque dans plusieurs corps inanimés; les solides vitaux ne sont autres que le système nerveux, lequel est le système organique par excellence, celui d’où dépend santé et maladie moins les lois du système nerveux, dans les différentes circonstances de l’économie animale, sont si peu déterminées, qu'il ne faut pas être étonné que, dans une ma- tière aussi difficile, le système de Hoffmann soit resté imparfait et défectueux, et qu'i ait eu moins d'influence qu'on ne devait l’espérer. I différait de Stahl, son collègue, dans les principes fondamentaux de son système; mais il n’est que trop évident qu'il était infecté des erreurs de Stahl, sur la pléthore et la cacochymie, comme on peut l’observer dans tout le cours de sa Médecine rationnelle, et particulièrement dans son chapitre De morborum generatione ex nimia sanguinis quantitate et hu- morum impurilate, » (1) Thompson à donné, en deux volumineux in-8 (1832-1869) une Ve de Cullen. C’est un livre excellent, fait comme les mémoires anglais, c’est-à-dire d’après les papiers ou autres documents authentiques. (2) L'auteur a reproduit en abrégé les nosologies de Sauvage, de Sagar, de Macbride, etc., et trace la sienne propre. (3) I parait que Cullen avait rédigé une grande partie de ses Leçons sur la mé- decine pratique, leçons dans lesquelles il développait ses Premiers éléments de méde- cine ; mais elles sont restées longtemps manuscrites; Bosquillon en a eu, je crois, une copie, et Thompson s’en est servi dans sa Vie de Cullen. On n’en a publié qu'un fragment en 1797, 4104 CULLEN. ($ 7-40). On voit que cette doctrine n’est qu'une exagération de celle des iatromécaniciens. Ces solides, tout simples qu'ils sont, doivent cependant être considérés comme un agrégat homogène ou un mixte formé d’eau et de quelque matière qui s’agglutine avec l’eau. L'état de ce mixte varie suivant la proportion des ma- uières, la force de cohésion, la flexibilité et l’élasticité (S 11-13). C’est le fluide nutritif qui a le plus d’action sur l’état du solide mixte ($ 16-17) ; vient ensuite l'humidité extérieure, la tempéra- ture, la pression interne ou externe, le mouvement ($ 20-21); comme l’auteur ajoute ($ 21), que cet état du mixte varie en raison de son organisation, c’est-à-dire en raison de l’ordre des fibres, de la condition du tissu cellulaire ou de la texture des vaisseaux, on en peut conclure que pour Cullen les solides sim- ples (il ne dit rien des composés) répondent à peu près aux féssus. Ce qui a lieu d’étonner, c’est que ($ 23-24) le bon état du tissu cellulaire soit présenté comme la circonstance la plus im- portante pour l'intégrité de l’organisme. Aussi les causes des altérations de ce tissu (volume, fermeté, densité, force ou fai- blesse, matière contenue dans les cellules, variétés de mouve- ments dans les parties qui composent ou séparent le tissu cellu- laire, etc.), sont-elles recherchées avec beaucoup de soin. N'oublions pas que la partie fondamentale des solides simples est formée par un tissu de vaisseaux ($ 24), et que c’est surtout l’état de ces vaisseaux qui détermine les maladies de cette espèce de solides ; ils peuvent être plus ou moins remplis de fluides ; ce liquide peut se solidifier ; ils peuvent être bouchés par du tissu cellulaire; les parois peuvent s’agolutiner (1). Afin qu'on puisse apprécier à leur juste valeur ces fondements physiologiques et anatomiques du système de Cullen, rappelons que notre auteur ($ 29), pour expliquer le sentiment et le mou- vement, considère à peu près comme Galien, dans les nerfs, deux espèces d’extrémités. Les extrémités sentantes des nerfs sont celles où la substance médullaire est dépouillée des membranes qu’elle (1) Cullen donne ici la classification suivante des maladies ($ 26) : maladies des parties naturellement souples : faiblesse jointe à la flexibilité, à la fragilité ; — axité, flaccidité ; rigidité avec diminution ou destruction de la flexibilité ; — mala- dies des parties naturellement dures : flexibilité, fragilité. PHYSIOLOGIE. 1105 recevait de la pie-mêre, et qui lui servaient d’enveloppe ; elles sont exposées, par conséquent, à l’action de certains corps externes, et même elles sont affectées uniquement par l’action de certains corps. Les autres espèces d’extrémités des nerfs ont une structure lelle, qu'elles sont susceptibles d’une contractilité particulière, et qu’en conséquence de leur situation et de leurs attaches, elles peuvent, en se contractant, mouvoir la plupart des parties solides et fluides du corps. Cullen les appelle extrémités motrices des nerfs ; on les nomme communément fibres motrices ou #nusculaires ; puis il ajoute que les anatomistes n’ont pas, il est vrai, prouvé que les fibres musculaires soient une continua- tion de la substance médullaire du cerveau et des nerfs; que celle opinion n’est pas même universellement admise par les physiologistes, mais qu’on doit la supposer pour le besoin des explications. Avant d'aborder les fonctions sensorielles des nerfs (1), Cullen fait la profession de foi suivante dans le $ 31, auquel il faut ajou- ter, comme corollaire, le $ 117. « Une substance immatérielle pensante, ou l'âme, existe con- stamment dans l’homme vivant; et chaque phénomène de la pensée doit être considéré comme une affection ou une faculté de l’âme seule; mais cette partie immatérielle et pensante de l’homme est tellement unie avec la partie matérielle et corpo- relle, et particulièrement avec le système nerveux, que les mou- vements excités dans ce dernier produisent la pensée; et la pensée, de quelque manière qu’elle soit produite, donne lieu à de nouveaux mouvements dans le système nerveux. Je regarde avec confiance cette communication mutuelle ou cette influence comme un fait; mais je ne comprends nine prétends expliquer la manière dont elle s'opère; en conséquence, on ne peut pas exi- ger que je résolve les difficultés que renferment les différentes suppositions que l’on a adoptées à son égard. Ainsi le cerveau est le sensorium ou l'organe corporel le plus immédiatement uni avec l’âme ; et en tant qu’il agit comme organe corporel, toutes les opérations de la pensée produites par les sensations sont des (1) Cette partie se rapporte autant à la psychologie qu'à la physiologie, DAREMBERG, 70 4106 CULLEN. opérations du cerveau, et se modifient suivant les différents états où se trouve cet organe. » Cullen poursuit cette étude par une réfutation fort sensée du système de Stahl ($ 122); cependant je ne vois pas qu’on ait jamais accusé de matérialisme le professeur d’Édimbourg. Notre auteur ($ 125 et suiv.) attribue le sommeil et la veille, non aux différences alternatives de quantité du fluide nerveux, mais à la nature même du cerveau qui est capable d'acquérir dans des temps déterminés plus ou moins de mobilité (4). Il a très-bien reconnu (K 129 et suiv.) que la circulation est nécessaire pour l’excitement du cerveau (2); il indique les faits les plus (4) « Suivant l'opinion la plus généralement reçue ($ 125), le cerveau est un organe sécrétoire, destiné à la sécrétion d’un fluide nécessaire aux fonctions du système nerveux; et l’on croit que c’est parce que ce fluide est alternativement épuisé et réparé, qu'il proe ait les états alternatifs du sommeil et de la veille, Mais cette supposition présente beaucoup de difficultés : 4° il est probable que le fluide nerveux existait dans l'embryon, avant que l’action du cœur, ou toute autre fonc- tion sécrétoire, püt avoir lieu ; 2° dans les animaux qui éprouvent une mort passa- gère pendant l'hiver, tels que les chauves-souris, la puissance vitale des solides se rétablit avant que le sang reprenne sa fluidité, lorsqu'ils sont de nouveau rappelés à la vie par la chaleur; 3° le fluide nerveux subsiste dans les nerfs et dans les fibres musculaires longtemps après qu'ils sont séparés du cerveau, et souvent mème lorsqu'on les à coupés en plusieurs petites parties ; 4° le cerveau est véritablement un organe sécrétoire ; mais le fluide qui s’en sépare peut être destiné à un autre objet; et, d'après les connaissances que nous avons de cet objet, le fluide propre à le remplir ne peut l'être pour produire le sentiment et le mouvement ; 50 il n'y à pas d'apparence ie se fasse, dans aucune partie du système nerveux, une provi- sion du fluide qui s’y sépare de manière qu'il s’'accumule accidentellement ; et rien ue prouve évidemment que cette accumulation ait réellement lieu; 6° us phéno- mènes du sommeil et de la veille ne s'accordent pas avec une pareille supposition j car le sommeil a souvent lieu lorsqu'il doit y avoir une grande quantité de ce fluide de séparé, et la veille est souvent prolongée lorsqu'il est épuisé beaucoup au delà de sa mesure ordinaire ; 7° ces deux états sont produits par plusieurs causes que l'on ne peut guère supposer agir sur la sécrétion, » (2) La maaière dont Cullen ($ 1174 et suiv. des Éléments de médecine) explique la syncope, montre quelle idée il se faisait de la corrélation des actions du cœur et du cerveau. Un passage de cette véritable dissertation mérite d’être cité : «En exa- minant attentivement la plupart des phénomènes que présente la syncope, on ne peut douter que la cause prochaine de cette affection ne consiste dans une faiblesse considérable, ou dans une cessation totale de l’action du cœur ; mais il est tres-dif- ficile d'expliquer de quelle manière les différentes causes éloignées engendrent la vause prochaine. Les causes éloignées de la syncope peuvent, en premier lieu; se PHYSIOLOGIE. 1107 importants qui se rapportent à la marche du sang dans les deux ordres de vaisseaux ; il cherche à prouver ($ 159) que les artères ont en elles-mêmes une contractilité musculaire qui vient en aide au cœar ; puis il admet aussi une dilatation dérivée de l’élas- ticité par impulsion du sang ; deux propriétés concordantes ad- mises aujourd’hui. A propos de la digestion ($ 207 et suiv.), Cullen cherche à dé. terminer la nature de la matière commune qui sert surtout d’a- liment, soit dans les végétaux, soit dans les animaux. — La matière commune végétale, constituée surtout par la matière sac- charine, est sujette à la fermentation acide ; l’animale, à la fer- mentation putride ou ammoniacale. Cette division, comme on le voit, n’est pas três-éloignée de celle des modernes. -— Cullen n’a aucune idée exacte des digestions artificielles par le suc gastrique en dehors de l’estomac ; illes nie presque. Il penche ($ 234-235) à admettre que la digestion est une fermentation particulière ; — il admet aussi la présence de l'air dans les fluides animaux ($ 241). Quant à la composition du sang ($ 248 et suiv.), il n’en sait pas plus que Gaubius : le sérum qui contient les sels ; le cruor ou crassamentum, qui à son tour renferme les globules rouges et la fibrine (gluten du sang). W ne veut pas se prononcer sur la forme microscopique des globules ($ 254), et prend probablement pour des erreurs du microscope la variété de forme de ces glo- bules chez les différents animaux, Cullen ne pense pas que la chaleur animale dépende, soit du seul mélange des fluides, soit d’une sorte de putréfaction , soil du mouvement du sang qui produit un double frottement des molécules entre elles et sur les parois des vaisseaux (8 262 et suiv.), surtout il repousse l’idée que la respiration puisse être la source de la chaleur. On affirme, dit-il, que les animaux qui res- rapporter à deux chefs généraux. Le premier comprend les causes qui résident et agissent dans le cerveau ou dans des parties du corps éloignées du cœur, mais qui agissent sur cel organe par l'intervention du cerveau. Le second chef général des causes éloignées de syncope comprend celles qui existent dans le cœur même ou dans des parties qui lui sont très-immédiatement unies, et qui de là agiss ent plus directement sur te viscère lorsqu'elles produisent cette maladie, » 1108 CULLEN. pirent sont les plus chauds; mais on ne saurait pas plus dire qu'ils sont plus chauds parce qu'ils respirent, qu’on ne pourrait dire qu’ils respirent parce qu’ils sont plus chauds (S 268). L’hy- pothèse la plus vraisemblable, c'est que cette chaleur animale paraît dépendre du sëmple mouvement du sang; encore l'expli- cation n’est pas certaine ($ 266 et 262). Cullen croit (8 275 et suiv.) que les divers fluides sécrétés déri- vent du sang ; mais il ne sait pas bien ni sous quelles formes ils y sont contenus, ni comment s'opère, soit la sécrétion, soit l’ab- sorption ; il penche à croire que les fluides sécrétés ne sont pas contenus sous leur forme dans le sang; qu’il y a un travail par- ticulier qui leur donne naissance. — IL dit que, sauf la sueur, aucune sécrétion n’est augmentée par l’action du cœur et des artères, mais qu’elles le sont par l’action des stimulants sur les organes sécrétoires. Tous les tissus sont de nature celluleuse et finalement fibreuse (il avait dit plus haut vasculaire, mais c’est secondairement), et les fibres sont dans la plupart des cas des parties du système nerveux. C’est le gluten du sang (la fibrine) qui filtre du cerveau à travers les nerfs pour nourrir les parties ($ 285 et suiv.). Nous revenons, comme on voit, à Whar- ton et à Glisson. Voici maintenant une théorie mécanique de la nutrition (& 294-295). Dans le commencement (c'est-à-dire probable- ment, pendant la vie fœtale) le corps de l’animal se développe de la même manière que chez les végétaux ; les choses changent lorsque l'animal croît; alors l'accroissement paraît dépendre de l'extension des artères qui se fait en longueur et en largeur par le sang qui y est poussé. Celte extensiondes artères, du moins on peut le supposer, agit sur chaque fibre du corps, etces dernières, en s'étendant, favorisent l'application et l’agglutination de Ja matière nutritive ; d’où l’accroissement de la fibre même, celui du tissu cellulaire, et peut-être la sécrélion des fluides. Versés dans le tissu cellulaire déjà formé, ces fluides produisent les de- grés de densité et de dureté qui se manifestent dans différentes parties du corps et qui varient suivant la disposition de ces fluides à prendre une forme concrète plus ou moins ferme. PHYSIOLOGIE. 1109 Les différentes parties du corps se développent par degrés, les unes plus tôt, les autres plus tard, en raison de la constitution des fibres primitives, des changements qui surviennent ensuite, et des conditions spéciales qui les exposent plus ou moins à l'impétuosité du sang et les rendent propres à en recevoir uñe plus grande quantité. Les parties qui se développent ainsi les premières, croissant particulièrement en raison de la densité de leurs parties solides, doivent résister de plus en plus à leur accrois- sement ultérieur ; la même résistance doit déterminer le sang à se porter avec IE de force et en plus grande quantité dans les parties dont l’accroissement est moins avancé. Tout l'organisme se développe de celte manière, et chaque partie des solides se met en équilibre, relativement à sa densité et à sa résistance, avec les autres parties, et avec les forces auxquelles chacune d’entre elles est assujettie. De la théorie de l’accroissement découle l'explication de la mort naturelle ($ 300-301). Avec le temps, la résistance des ar- tères et des veines devient plus considérable, tandis que la force du cœur n’augmente pas en proportion ; la diminution de la force du cœur et la compression à laquelle les plus petits vais- seaux sont constamment exposés par la distension des plus gros, par l’action des muscles et par d’autres causes, prouvent aussi que le nombre des petits vaisseaux, et par conséquent la capacité de tout le système, diminuent dans la même proportion. Le cœur peut bien encore suffire pendant quelque temps à la circulation du sang ; mais, tandis que les résistances augmentent sans cesse dans les vaisseaux, l’irritabilité des fibres motrices et l’énergie du cerveau s’affaiblissent ; nécessairement la puissance du cœur finit par devenir insuffisante pour la tâche qu’il doit remplir ; la circulation cesse, et la mort s'ensuit (1). C’est là ce qu’on appelle la mort sénile, et pour laquelle les modernes n’ont pas (sauf les termes) une autre explication que celle de Cullen. Toutefois notre auteur, voulant ici faire jouer un rôle au système nerveux, ajoute que la mort doit provenir aussi particulièrement de l’affaiblissement et de l’extinction totale de (4) Voy. plus haut Stahi, p. 1047, 4110 _ GULLEN, l'excitement ou de la puissance vitale du système nervenx, et de causes fort indépendantes de la circulation du sang, qui prennent naissance dansle système nerveux même en conséquence du pro- grés de la vie. Geci parait prouvé par l’affaiblissement des sens, de la mémoire, des fonctions intellectuelles et de lirritabilité, qui a constamment lieu à mesure que la vie avance au delà d’une certaine période. Cullen a du moins le mérite d'émettre toutes ces propositions d’une façon modeste, souvent dubitative ; il fait valoir les objec- tions, et l’on reconnait bien vite qu'il marche dans un pays dont les routes lui sont peu familières. Cullen avait donné pendant quelques années des leçons de médecine clinique ; mais une partie seulement a été après sa mort livrée à l'impression, en 1797, sous le titre Clinical lectu- res delivered in the years 1765 and 1766. On ne saurait compa- rer ce volume à nos Traités de clinique ; car on y trouve surtout des dissertations plus ou moins étendues, ou de simples remar- ques sur diverses maladies et sur des questions de pathologie : désordres du système nerveux ; tension et jaxité, dérivation et révulsion, sympathies, hypochondrie avec de très-nombreuses subdivisions, douleurs de tête, accélération du pouls, paralysie, rhumatisme aigu ou chronique, usage de l'électricité en méde- cine surtout contre le rhumatisme, hystérie, trouble de la mens- truation, scrofules, jaunisse, dysenterie, syphilis, fièvres inter- mittentes. — Les observations sont malheureusement rares ; elles se rapportent surtout à l’hypochondrie, à la céphalalgie, à l'hysté- rie et au rhumatisme, un des chapitres les plus intéressants de l'ouvrage. Dans la Matière médicale, 1772, traduite en français par Bos- quillon, 1789-1790, Cullen pose comme principes qu’il y a peu ou point de médicaments qui agissent sur le corps vivant de la même manière que sur la matière inanimée; que l’action et les effets des substances que l’on applique sur le corps vivant, sont la plupart entièrement différents de ceux que produit la mème application sur le cadavre. De plus, pour juger un mode CLINIQUE. — MATIÈRE MÉDICALE, aa d'action des médicaments, il faut connaître les circonstances par- liculières qui peuvent rendre le corps humain capable de re- cevair différents changements par le contact des autres corps qui lui sont appliqués; enfin il importe d'étudier la manière dont laction générale des médicaments peut être modifiée par les différents états où se trouve le corps. L'effet des médica- ments est déterminée par la sensibilité et l’irritabilité nerveuse. Après un bref historique de la matière médicale, Cullen étudie successivement les tempéraments, les forces vitales (sensibilité, irritabilité), les moyens chimiques et physiques de reconnaître les vertus des médicaments, les aliments considérés surtout comme agents modificateurs de l’économie, et secondairement comme moyens thérapeutiques, enfin les médicaments propre- ment dits. Les médicaments sont divisés en astringents ; toniques et amers (un des meilleurs chapitres du livre) ; émollients, corro- sifs, stimulants, sédatifs et narcotiques, rafraichissants, antispas- modiques, délayants, atténuants, incrassants, adoucissants, anti- acides, antialcalins, antiseptiques, sternutatoires, sialagogues, expectorants, émétiques, purgatifs, diurétiques, sudorifiques, emménagogues. On voit par cette énumération combien est vicieuse une classification qui repose sur toutes sortes de con- sidérations d'ordres très-différents, et non pas sur la connais- sance de l’action essentielle des médicaments. Toutefois la Ma- tière médicale de Cullen, un des premiers traités en ce genre, est un des bons livres du xvin‘ siècle, et supérieur à ceux qui l’avaient précédée, si l’on en excepte l’Apparatus medicami- num dont Murray avait déjà commencé la publication au moment où écrivait Cullen. Eu égard aux observations pratiques il a êté peut-être surpassé par le Cours élémentaire de matière médi- cale (1789), de Desbois de Rochefort. Le bon sens dont Cullen fait preuve par la manière dont il présente ses hypothèses physiologiques, ou plutôt les hypothèses de son temps, et surtout celles de son pays (car la plupart de ces hypothèses, ne l’oubliez pas, dérivent de Wharton et de Glisson, avec mélange d’iatromécanisme et de stimulus ou irritabilité) brille en son vrai jour dans les Éléments de médecine pratique. 1112 CULLEN. En son discours préliminaire il juge avec une grande indépen- dance les trois systèmes contemporains : celui de Stahl (1) qui repose uniquement sur une hypothèse et qui conduit au dogme de l’autocratie de la nature, si fatal au médecin praticien. Cullen soutient à tort que c’est par suite de la croyance à ce dogme qu’on a rejeté les nouveaux médicaments; non, c’est simple- ment par haine des nouveautés, par servilisme pour les anciens, par paresse, par le plaisir qu'on éprouve à se laisser bercer sous le joug de l'autorité. Toutefois, à la défense de ce dogme, il dit que ses partisans ont rendu service en étudiant scrupuleuse- ment la marche de la nature, et en décrivant les phénomènes des maladies. Cullen a tout naturellement beaucoup de complaisance pour le système de Hoffmann, qui, en opposition avec celui de Stah], conclut presque toujours à l'autobiologisme du corps, sije puis me servir de cette expression ; sans compter qu’il met en avant, pour expliquer les maladies, le spasmus, l'atomia, et plutôt l'in- fluence de la qualité du mouvement des humeurs que la qua- lité des humeurs elles-mêmes pour la production des maladies ; car, suivant Cullen, les phénomènes de l’économie animale, tant dans l’état de santé que dans celui de maladie, ne peuvent s’ex- pliquer qu’en considérant l’état et les affections des puissances motrices qui communiquent le mouvement à toute la machine. Boerhaave passe pour supérieur à Hoffmann par la vaste éten- due de son plan et la liaison de toutes ses parties; cependant Cullen, tout en rendant justice au vaste savoir du médecin de Leyde, n’est pas tout à fait de cet avis; il a raison (2). Enfin à tous ces systèmes il trouve assez de défauts pour vouloir en pro- poser un nouveau (3). Le premier changement, le plus important, que Cuilen voudrait faire subir aux anciens systèmes, c'est de concentrer (Gaubius en avait eu également l’idée) dans le so/idum vivum, c’est-à-dire dans le système nerveux et dans les dépendances qu’il y admet, (4) Voy. plus haut, p. 95. (2) Voy. plus haut, p. 1102. (3) Cullen expose toujours et critique les opinions des autres médecins; ses des= riptions de maladies sont, du reste, excellentes, SYSTÈME DE PATHOLOGIE. 4113 les propriétés tonico-vitales et motrices que Boerhaave reconnait dans presque toutes les fibres, mais encore faiblement, car il est plutôt humoriste; à cet égard, Cussen préfère Gaubius à Boerhaave. Il ne trouve pasinattaquables non plus les opinions de Boerhaave sur l’alcalinité et V'ascescence des fluides (1). Cullen veut donc créer un système; et voici sa profession de foi, très-juste en principe, mais fort défectueuse dans l’applica- tion (Préface) : « Le seul ouvrage utile que l'on puisse faire sur la médecine serait peut-être, aux yeux de quelques-uns, de rassembler tous les faits relatifs à l’art, c'est-à-dire tout ce que l'expérience nous a appris sur le traitement des maladies. Je suis de cet avis, mais je doute que l’on puisse convenablement exécuter ce plan sans tenter de former un corps de principes en tirant de justes conséquences des faits et en les généralisant convenablement. Au moins je suis persuadé que c’est le moyen non-seulement le plus certain, mais même le plus utile pour y parvenir. » A ce propos, Cullen critique vivement l’ouvrage purement, pragmatique de Lieutaud (Précis de Médecine pratique, qu’il ap- pelle un peu ironiquement, je crois, « le premier médecin d'une nation éclairée et spirituelle » ; il le blâme de n’avoir rien rap- proché de ce qui se ressemble, rien séparé de ce qui est divers, et d’avoir pris trop souvent des symptômes pour des maladies, méthode qu'il ne suit même pas dans le traitement, puisqu'il les traite comme maladies secondaires. — Quant à Cullen, il veut qu'on distingue toujours les genres, les espèces et les variétés. En même temps qu’il rassemble les faits, Cullen recherche les causes prochaines des maladies et tâche de fonder sur ces causes une méthode curative certaine et mieux appropriée. Puis, comme tous les inventeurs de systèmes qui reposent sur des notions incomplètes d'anatomie ou de physiologie, il se flatte d’avoir évité les hypothèses et les spéculations uniquement fondées sur l'imagination. En établissant plusieurs principes de physio- (4) Il ajoute, et je suis fort de son avis, qu'il n’y a presque pas de page dans les Aphorismes où l'on ne trouve quelque chose à désirer, 4114 CULLEN. logie et de pathologie, il croit pouvoir dire avec confiance qu'il n'a fait que généraliser les faits, pour tirer, avec beaucoup de circonspection, des conclusions de ceux qui ont paru le mieux prouvés. La thérapeutique est la conséquence de ces principes, et Cullen ajoute que l’on ne pourra renverser son système qu’en montrant que les faits sur lesquels il s'appuie sont faux. Le livre de Cullen abonde en faits vrais et en principes faux. La médecine pratique consiste du reste à connaître, distin- guer, prévenir et guérir les maladies telles qu’elles se manifes- tent dans chaque individu ; c’est là aussi la base d’une nosologie ou classification des maladies. Toutes les fois qu’on ne peut pas établir sa pratique sur la connaissance évidente des causes pro- chaines, lesquelles apparaissent plutôt, elles-mêmes, comme des faits que comme les conséquences du raisonnement, il faut s’en tenir à l'expérience qui diffère de l’empirisme impuissant et dan- gereux ; l'expérience est un système ; l'empirisme, c’est le nihi- lisme. Cullen à divisé les maladies en quatre classes, subdivisées en ordres. Les trois premières classes répondent aux actions vitales, animales el naturelles, comme si toutes ces actions n’entraient pas en jeu pour presque toutes les maladies. — La quatrième est chirurgicale : c’est déjà un échec à son système, car beaucoup de maladies réputées chirurgicales entreraient dans une des classes. l° CLASSE. Pyrexies ou maladies fébriles : fièvre, phlegmon, exanthèmes, hémorrhagies (1), flux. — n°. Comata (mais c’est (1) Cullen ($ 735 et suiv.) insiste sur la distinction des hémorrhagies en passives, ef en actives, en mettant de côté les traumatiques. Les hémorrhagies actives sont pour lui accompagnées d’un certain degré de pyrexie, lequel dépend de l'accélération du sang dans les vaisseaux ouverts. Les secondes paraissent occasionnées par une fluidité putride du sang, par la faiblesse ou l'érosion des vaisseaux, plutôt que par l'accélération de la circulation du sang, dans ces mêmes vaisseaux. Ce n’est pas seu- lement le mouvement du sang, mais encore la force médicatrice de la nature qui cause les hémorrhagies actives, par suite de la congestion, laquelle occasionne une résistance qui provoque la nature, Stahl n’a pas parlé autrement. Voy. plus haut p. 1052, — Les hémorrhagies intermittentes sont expliquées par Cullen à peu près comme les mécaniciens exp'iquent les fièvres intermittentes (S 647-648). SYSTÈME DE PATHOLOGIE. A115 un symptôme); adynamies (un état et non une maladie); les spasmes (conséquence et non principe); les vésanies; mais elles peuvent dépendre de toutes les espèces de forces et ne sont aussi que des conséquences. — mm. Marcores ou amaigrisse- ments (1), ce sont peut-être les cachexies (qu’on doit considérer aussi comme des conséquences) ; intumescences, impétigos. — Quant à la quatrième (chirurgie), 1l déclare qu’elle n’est pas de son domaine. Dès le début du livre nous voyons les preuves du vice, aussi bien de la méthode que du système. Ainsi Cullen (chap. 1 du livre [*) pense que dans la fiêvre (il parle surtout des intermit- tentes) le frisson initial est toujours précédé de /asblesse; or comme le frisson à son tour précède la chaleur, et la chaleur la sueur, il en conclut que la fièvre a pour cause prochaine une faiblesse, produite elle-même par des agents affaiblissants (causes éloignées). Cette faiblesse (2) amène un spasme de l’extrémité des petits vaisseaux (3), spasme qu'il regarde comme un effort de (1) « Les causes d’amaigrissement peuvent, à ce que je crois, se rapporter à deux chefs principaux, c’est-à-dire à un défaut général de fluides dans les vaisseaux du corps ou à un défaut particulier d'huile dans le tissu cellulaire, Ces causes sont fré- quemment combinées ensemble ; mais il est convenable de les considérer d’abord séparément. Une grande partie du corps étant composée de vaisseaux remplis de fluides, la masse totale doit dépendre beaucoup du volume de ces vaisseaux et de la quantité de fluides qu'ils contiennent. IL est en conséquence aisé de voir que le défaut de fluides dans ces vaisseaux doit, suivant son degré, produire une diminu- tion proportionnelle de la masse de tout le corps. Ceci paraitra encore plus évi- dent, si l’on considère que, dans le corps vivant et sain, les vaisseaux paraissent être extraordinairement distendus partout par la quantité de fluides qui y est con- tenue ; mais, comme ils sont en même temps élastiques, et qu'ils tendent constam- ment à se contracter, ils doivent, lorsque la force qui les distend cesse d'agir, ou, pour me servir d’autres termes, lorsqu'il y a une diminution dans la quantité des fluides, se contracter en proportion et diminuer de volume. On peut en outre observer que, comme {outes les parties du système vasculaire communiquent entre elles, toute diminution de la quantité de fluides dans une partie quelconque doit diminuer en proportion le volume du système vasculaire et, par conséquent, celui de tout le corps » ($ 1603-1604), (2) Si le frisson est un effort de la nature, la nature est bien sotte ; car, au lieu de combattre la faiblesse, cause prochaine, par trois actes, elle ferait beaucoup mieux de fortifier tout de suite, (3; C'est la fausse théorie des mécaniciens. Voy. plus haut, Hoffmann, p. 941, 1116 CULLEN, la nature produit par une cause quelconque (la faiblesse peut- elle être cette cause?) qui irrite le cœur et les artères, irritation qui persiste jusqu’à la détente (1). Mais le spasme n'est-il pas quelque chose de tonique (2)? Comment alors expliquer la fièvre éphémère, ou d’autres fièvres inflammatoires ou la fièvre, engen- drée dans les phlegmasies? La fièvre intermittente est une va- riété de la fièvre, mais l’idée plus générale de fièvre y est con- tenue, et cela échappe aux explications de Cullen. « En résumé, dit Cullen ($ 100-101), notre doctrine des fièvres se réduit évidemment aux principes suivants : Les causes éloignées sont certaines puissances sédatives appliquées au sys- ième nerveux, qui, diminuant l'énergie du cerveau, produisent, en conséquence, la faiblesse dans toutes les fonctions et particu- lièrement dans l’action des petits vaisseaux de la surface. Cepen- dant, telle est en même temps la nature de l’économie animale, que cette faiblesse devient un stimulant indirect pour le système sanguin; ce stimulant, à l'aide de l'accès de froid et du spasme qui l’accompagne, augmente l’action du cœur et des grosses artères, et subsiste ainsi jusqu’à ce qu’il ait pu rétablir l'énergie du cerveau, communiquer celte énergie aux petils vaisseaux, ranimer leur action, ct surtout détruire, par ce moyen, leur (1) Cullen, tout en affirmant que la fièvre vient de la faiblesse et par suite du spasme, ne sait pas très-bien d’où vient le spasme lui-même : « L'idée qu'on peut se former de la fièvre ($ 41) est qu’elle consiste dans un spasme de l'extrémité des petits vaisseaux, produit par une eause quelconque, qui irrite le cœur et les artères, et que cette irritation continue jusqu’à ce que le spasme soit diminué ou détruit. Il y a beaucoup de symptômes qui viennent à l'appui de cette opinion, et l'on ne peut guère douter qu'il existe un spasme qui irrite le cœur, et doit, par conséquent, être considéré comme constituant la partie principale de la cause pro- chaine de la fièvre, Néanmoins il restera toujours une question à résoudre, savoir quelle est la cause de ce spasme ? Est-il directement produit par les causes éloi- gnées de la fièvre, ou n'est-il qu'une partie de l’action de la nature qui tâche d'opérer la guérison? » — Il ajoute plusieurs raisons en faveur de la dernière opinion, S 42 et suiv., et il renvoie à Gaubius, $ 750. IL lui parait probable (quoique ce soit difficile à expliquer) que, durant tout le cours de la fièvre, l’atonie subsiste dans les petits vaisseaux, et que le spasme ne peut diminuer que quand le ton et l'action de ces vaisseaux se rétablissent, (2) Broussais croit avoir fait un grand pas en attribuant la faiblesse non à l’atonie, mais à l'irritation intérieure ; ce qui explique le frisson et la débilité apparente, SYSTÈME DE PATHOLOGIE. 1117 spasme. Ce dernier étant dissipé, la sueur et tous les autres signes caractéristiques du relâchement des conduits excréteurs se manifestent. » Aux $ 243 et suivants, Cullen applique à l’inflammation l’expli- cation qu'il a donnée de la fièvre : ç« L’inflammation est due à l’ac- célération dusang dansles vaisseaux de la partie affectée, sans qu’il soit nécessaire pour cela que l’action du cœur soit également augmentée. L'action plus violente du cœur et des artères ou des artères seules ne peut se soutenir un certain temps par d’autres moyens que par le spasme qui affecte les pelits vaisseaux; il est donc vraisemblable qu’un spasme a également lieu dans l’in- flammation, puisque toute inflammation considérable commence par un excès de froid, et est en même temps accompagnée des autres symptômes de pyrexie. Il arrive quelque chose de sem- blable même dans les inflammations qui paraissent moins consi- dérables et qui sont purement locales (1).» La puissance de l’observation et du bon sens a conduit Cullen, presqu’à son insu, à ne plus confondre, au point de vue théra- peutique, toutes les fièvres, comme il l’avait fait à propos des causes prochaines pour répondre aux besoins de son système. Dans le traitement des fièvres continues il pose d’abord en principe qu’il ne faut pas attendre la guérison des efforts de la nature qui sont souvent mal dirigés et que nous connaissons peu (2). Il ne veut pas qu’on fasse, avec Stahl, de la pathologia pigrorum. (4) « Pour diminuer la congestion, la force médhcatrice de la nature augmente encore davantage l’action de ces vaisseaux, et elle produit cet effet en excitant, de même que dans les autres maladies fébriles, une contraction spasmodique dans leurs extrémités. » ($ 244,) C'est également l'opinion de Hoffmann. (Voy, plus haut p. 9A1 et suiv.). (2) « On convient ($ 125-126) que, dans toute fièvre dont le cours est complet, il ya un effort de la nature qui tend à opérer la guérison; d’après cette idée on pourrait croire que la cure devrait en être abandonnée à la nature, ou plutôt que le but de la médecine devrait être uniquement d'entretenir et de régler ses efforts, et que nous devrions former nos indications en conséquence. Néanmoins je ne puis adopter ce plan, parce que les opérations de la nature sont très-précaires, et que nous ne les connaissons pas assez parfaitement pour être en état de les diriger con- venablement, Il me semble que la confiance que l’on a eue dans les efforts de ja nature à fréquemment donné lieu à une pratique paresseuse et sans action, et il y a lieu 41118 CULLEN. On peut bien ajouter que la fièvre intermittente est la preuve la plus évidente de la nullité ou de la perversité des efforts de la nature; de leur nallité, car la sueur a beau venir, la fièvre n’en persiste pas moins; de leur perversité, car dans les fièvres perni- cieuses ces efforts conduisent à la mort. Cullen n’a pas manqué, en effet, de diriger contre les fièvres intermittentes ou rémittentes ou même adynamiques continues le remède « le plus célèbre et peut-être le plus efficace de tous les remèdes toniques » ($ 214 et 231 suiv.), l'écorce du Pérou. II reconnait que le quinquina peut se donner sans danger dans quelque période que ce soit des fièvres intermittentes, mais il marque trop de crainte d’une diathèse inflammatoire qui domi- nerait le système, et des congestions considérables ou fixes dans les viscères de l'abdomen (1). Le temps propre pour prescrire le quinquina dans les fièvres intermittentes est celui de l’intermis- sion ; on doit en conséquence s’en abstenir pendant le temps des paroxysmes. Dans les rémittentes, quoiqu'il ne survienne pas d'apyrexie complète, on peut donner le quinquina pendant le temps des rémissions, ou même lorsque les rémissions sont de peu de durée, si, d’après la connaissance que l’on a de la nature du mal (épidémique ou non), on n’a pas lieu d’attendre de sitôt des intermissions ou des rémissions considérables, et s’ilya beaucoup à craindre des redoublements réitérés. Dans le cas des vraies fièvres intermittentes, où l’on met en usage une quantité convenable de quinquina, il faut le donner le plus près possible du temps de l'accès, autant que la disposition de l'estomac du malade le permet.— C’est la règle contraire qu’on suit aujourd’hui. — En général, dans tous les cas de fièvres intermittentes, il ne suffit pas d’arrêter une fois, par l’usage du quinquina, le retour du paroxysme ; 1l faut communément s'attendre à une de croire que l’art peut souvent négliger de faire attention aux efforts de la nature: — Il me parait plus convenable de former les indications curatives dans la vue de prévenir la tendance à la mort, et de diriger en même temps les moyens propres à remplir ces indications en faisant une attention suffisante à la cause prochaine des fièvres, » (4) Peut-être, il faut bien le dire, ces craintes doivent encore diminuer avec l'emploi rationnel du sulfate de quinine, SYSTÈME DE PATHOLOGIE. 41119 rechute, et continuer, pour la prévenir, l'usage de ce remède que l’on réitérera à des intervalles convenables. Les indications consistent, dans les fièvres continues : 4° à modérer la violence de la réaction (mais dans les fièvres conti- nues 1l y a peu de réaction dans le sens où l’entend Cullen) ; 2 à dissiper les causes ou prévenir les effets de la faiblesse. C’est le contraire que voulait Broussais , tout en partant d’un même principe, à savoir que tout vient d’atonie et de tonicité : seule- ment Broussais ne reconnaissait presque jamais l’atonie ! La troi- sième indication est tout imaginaire, puisqu'elle consiste à ar- rêter ou à corriger la disposition des liquides à la putréfaction ! En tout cas, la deuxième indication devait être la premiére, puisque tout dans la fièvre vient de faiblesse (1). Broussais était plus logique. C’est le régime et le traitement antiphlogistique auxquels on s'adresse pour éviter une réaclion trop forte et venant surtout de l’irritation du cœur et des artères. Mais alors comment con- cilier ce traitement et ce régime, quelque discret et méthodique qu'en soit l'emploi, avec l'accroissement de tonicité que récla- merait la faiblesse ? Il faut tout de suite remarquer ce que vaut un bon praticien contre un mauvais théoricien, c’est que la plupart des préceptes thérapeutiques que donne Cullen sont bons, pourvu qu’on les isole des explications théoriques qui dans son livre en font le sou- tien ; de telle sorte qu’on dirait qu'il a d’abord pratiqué très-heu- reusement, et qu'il a ensuite raisonné tout de travers; car son (1) « On peut remplir la première indication ($ 127-129), c'est-à-dire modérer la violence de la réaction, en employant : 1° tous les moyens capables de diminuer l’action du cœur et des artères; 2° ceux qui dissipent le spasme des petits vais- seaux, que nous supposons être la cause principale de la réaction violente. On peut diminuer l’action du cœur et des artères : 1° en évitant ou modérant les causes d’irrilation qui agissent presque constaminent sur le corps, à un’ degré quelconque ; 29 En usant de certaines puissances sédatives ; 3° en diminuant la tension et le ton du système artériel. Les causes d’irritation qui agissent presque constamment sont les impressions faites sur nos sens, l'exercice du corps et de l'esprit et les aliments dont nous usons. L'art d'éviter, autant qu'il est possible, ces causes d'irritation, ou de modérer leur activité, constitue ce qu’on appelle proprement le régime anti- phlogistique, que l'on doit employer dans presque toutes les fièvres continues, », 1120 BROWN. raisonnement, s’il eùt précédé sa pratique, l’eùt certainement induit à mal. Et puis, voyez ce qu'il y a d’étrange et d’inconsé- quent dans ce système. Toute fièvre a pour cause prochaine, directe, efficiente : quoi? la faiblesse; mais qu’il s'agisse de la traiter, qu'est devenue la faiblesse? Elle a disparu. «La plupart des puissances sédatives qui produisent la faiblesse cessent d'agir immédiatement après leur première application; en conséquence, les moyens de les détruire ne sont pas l'objet de l'indication présente ; il n’y a qu’une de ces puissances dont on puisse supposer que l’action continue, c’est la contagion ; que faut-il donc faire? Saigner dans les fièvres ordinaires, car elles sont inflammatoires; ne pas saigner dans les épidémiques, car ” elles sont ordinairement adynamiques! » Restons, Messieurs, sur cette dernière proposition qui est la suprême condamnation des théories 4 priort et l'éternel éloge de la pratique. Parlons maintenant du rival de Cullen, de Brown (1735 ou 1736-1788), qui nous réserve d’autres surprises; mais, s’il dé- passe Cullen par l'esprit de système, il ne l’égale peut-être pas par la bonne foi. Brown et Cullen sont bien plus loin de nous par les idées que par le temps: il semble que ce soient des an- ciens, et cependant il doit se trouver, en Écosse, quelques vieil- lards qui ont pu voir Cullen ou Brown. C’est la gale qui soudain illumine Van Helmont et lui ouvre les pones du sanctuaire de la chimiatrie (1) ; c’est la goutte qui tout à coup révèle à Brown les secrets du stimulisme (2). La goutte vient de l’asthénie, donc presque toutes les autres moldie. doi- vent avoir la même cause (sur 100 malades, il y a 97 asthéni- ques; les opportunités ou prédispositions étant dans la même proportion, $ 493),et doivent être traitées par les stimulants (3). (4) Voy. plus haut, p.469 et suiv. (2) Voy. la Préface de ses Éléments de médecine. (3) Voici le dénombrement des maladies asthéniques : la maigreur, l'anxiété ou l'insomnie, la démence asthénique, l’éruption psorique, la scarlatine asthénique, le diabète léger, le rachitis, les hémorrhées, telles que la ménorrhée, l’épistaxis, les hémorrhoïdes; en outre trois maladies contraires, en apparence, aux précédentes : BROWN ET HROUSSAIS. 1121 C'est juste le contraire pour Broussais. Tous les malades de Brown sont destinés à devenir des athlètes ; tous les patients de Brous- sais seront réduits à l’état de corps diaphanes; des mains de Brown on sort vermeil, de celles de Broussais on s'échappe blanc comme un linceul; pour le premier la stimulation est le remêde, pour le second l’érréfation est le mal; ici, on ménage le sang (1), là, on le verse à flots; le médecin écossais attise et ral- lume le feu, le médecin du Val-de-Grâce voit partout l'incendie et partout il cherche à l'éteindre.— Le système de l’un est aussi faux que le système de l’autre; mais de Brown il n’est rien resté, tandis que Broussais nous à légué, pour en faire un merveilleux usage, l'anatomie pathologique dont il avait tiré de si funestes conséquences. Brown et Broussais, denx hommes de même trempe à peu près (avec cette différence que dans Broussais il y a beaucoup plus de bon que dans Brown) poussent l’esprit de système à ses dernières limites ; mais heureusement, avec Brous- sais, cette manie de dogmatiser semble avoir disparu aujourd’hui, la rétention, la diminution ou la suppression des règles ; ensuite la soif, le vomisse- ment, l'indigestion, la diarrhée, la colique sans douleur; puis les maladies des enfants : telles que les vers, la consomption générale, la dysenterie el le choléra légers, l'esquinancie, le scorbut, l'hystérie légère, la rhumatalgie, la toux asthé- nique (le catarrhe est le produit non du froid, mais des stimulants; il se dissipe par le froid, — Préface), la cystirrhée, la goutte des personnes fortes (ou goutte dyspep- tique, $ 601-602), l'asthme, le spasme, l'anasarque, la dyspepsanodynie, l'hystérie, grave, la goutte des personnes faibles, l'hypochondrie, l’hydropisie, la coqueluche l’épilepsie,'la paralysie, le trismus, l’apoplexie, le télanos, les fièvres, telles que la quarte, la tierce et la quotidienne, intermittentes ou rémittentes, la dysentcrie et le choléra graves, le synoque, le typhus simple, l’esquinancie gangréneuse, la variole confluente, le typhus pestilentiel et la peste (qu'il faut traiter par le laudanum à haute dose, $ 688). La mort est le dernier terme de toutes ces maladies ($ 505), (1) Dans sa Préface Brown déclare que la plupart des maladies pour lesquelles on a toujours la lancette à la main, comme si elles étaient inflammatoires, dépen- dent plutôt de la pénurie du sang et d'autres causes de faiblesse, — Ne pas saigner non-seulement dans les asthénies, mais aussi dans les sthénies, à moins qu’elles ne soient extrèmement violentes, Même dans le rhumatisme, qui est uue des dia- thèses sthéniques les plus considérables, la saignée n’est pas toujours utile ; parfois même elle est nuisible; en tout cas une saignée de 410 à 142 onces suivie d’un purgatif, suffit le plus ordinairement ($ 281 et suiv.; 455-457; 459, 461 ; 472, 481-484). Brown insiste au contraire sur la nécessité de provoquer là sueur dans le rhumatisme et dans beaucoup d’autres maladies ($ 474 et suiv.), DAREMR ERG. 71 1122 BROWN ET CULLEN. en France, en Angleterre et même en Allemagne ; les méthodes ont remplacé les systèmes. La doctrine de Cullen et celle de Brown ont entre elles de grandes analogies, au moins pour le point de départ; mais le mérite de Cullen, c’est de n’avoir placé la faiblesse qu'aux débuts des maladies, et d’en avoir promptement fait justice dans la thérapeutique, tandis que le système de Brown, plus ferme, plus logiquement constitué, en apparence, domine toutes les parties de la science médicale et ne fait presque aucune place à la tra- dition. Cullen est un ancien par sa manière de subordonner la nosologie à la considération des symptômes ; il reste, pour ainsi dire, à la superficie du corps, loin de chercher à pénétrer dans les profondeurs de l'organisme, en se laissant guider par le flam- beau de l'anatomie pathologique; Brown a la prétention, au contraire, d'être tout à fait nouveau (1), d’être un moderne ; mais 1} n’est pas moins arriéré que son rival, puisqu'il ne tient pas plus compte que lui des résultats acquis par la dissection des cadavres. Quoiqu'il renvoie ($ 4) à « Pillustre Morgagni », il ajoute bien vite : « N'ayez pas lespoir de jamais découvrir sur le cadavre lorigine d’une maladie générale, e{ soyez circonspects dans vos jugements. » Le caractère des deux hommes se retrouve dans leur système. Cullen est un esprit conciliant, Brown est un esprit absolu, taillé d’une seule pièce et ne faisant de concession à personne, pas même à ses amis, à ses protecteurs, à ses maitres. Suivons donc Brown dans le développement de son idée exclu- sive, et tâchons de la faire comprendre en la dégageant de ses Éléments de médecine (1780). John Brown (1735 ou 1736-1788), né de parents très-pauvres, eut, dès ses premières années, à lutter contre la misère ou la mauvaise fortune (2) ; 1l y a peu de vies qui aient été aussi traver- (4) Voy. $ 212 où il dit que jusqu’à lui tout était conjectural dans la médecine ; c’est lui qui a inventé et justifié le traitement des asthénies. (2) Voy. sa biographie par Beddoes, 1797, et par son fils William. De nombreuses dissertations, même de gros volumes ont été publiés sw», pour, ou contre Brown ; on en trouvera la liste dans la Brbliotheca medico-historica de Choulant, et dans les BROWN. — PHYSIOLOGIE ET PATHOLOGIE GÉNÉRALES. 1123 sées que la sienne. À force de volonté, et doué d’heureuses disposi- tions littéraires, Brown lisait le latin et se tirait honorablement du grec ; mails, réduit au dénüment, il fut contraint de se faire mois- sonneur, Jusqu'à vingt ans 1l eut des mœurs très-sévères et se montra fort religieux. Bientôt son caractère devient impétueux, insubordonné ; Brown se révolte contre tout le monde et contre lui-même ; il devient licencieux et affiche l’incrédulité. Cepen- dant, comme il veut satisfaire à la fois son ardeur fiévreuse pour le travail et ses goûts pour le plaisir, 1l altère gravement sa santé. À bout de ressources, il monte une maison d'étudiants ; son petit pécule est rapidement dévoré, 1] fait banqueroute. Sur ces entre- faites, Cullen, peu familiarisé avec le latin, prit Brown pour son secrétaire et comme précepteur de ses fils, et lui marqua une bienveillance toute particulière ; mais, soit du côté de Cullen, manquement à certaines promesses pour une chaire ; soit défaut de reconnaissance, probablement aussiemportements de caractère, du côté de Brown, ces relations amicales se changèrent en une haine violente. Ce fut alors que Brown publia ses Éléments de médecine, où Cullen vit une audacieuse usurpation de ses doc- trines, et qu’il ouvrit un cours qu'il transforma bientôt en un club (4), et à ce qu’on prétend même, en une école de mauvaises Additamenta de Rosenbaum, — Voy. aussi un article de M. Littré, sur Brown, dans le Journal hebdomadaire de méd. et de chir., t. V, 1829. — L'ouvrage de Weikard (Entwurf einer einfacheren Arzneikunst, u. s. w., 1795) n’est qu'une paraphrase tantôt abrégée, tantôt amplifiée des Éléments de médecine. X. Frank a donné de la valeur au livre en l’enrichissant de notes dans une traduction italienne qui, elle à son tour, à été traduite en français, par Bertin, 1798, sous le titre : Doctrine mé- dicale simplifiée ou éclaircissement et confirmation du nouveau système de médecine de Brown. Bertin a eu la bonne idée d’ajouter aux notes que Frank avait faites pour cet ouvrage celles dont il avait également accompagné la traduction italienne d Jones (peut-être de Brown lui-même) : An énquiry in to the state of medicine on the principles ofinductive philosophy, 1782.— La meilleure étude publiée en Alle- magne sur Brown, et sur la propagation de son système en Amérique et en Europe, est celle de Hirschel : Geschichte des Brown’schen Systems, 1846, — L'auteur y a joint une Histoire de l'origine de l’irritation où mieux de l'incitation qu'il rattache à Rôschlaub (voy, plus loin, p. 1141, note 1). Il donne de plus une ample et exacte bibliographie de toutes les publications qui regardent les théories de Brown et celles de l'incitation. (4) On rapporte que pour s’exciter à la parole, pour s’échau/fer, il avalait pen- 1124 BROWN. mœurs. On l’accuse encore d’avoir employé les moyens les plus honteux pour accaparer les malades, pour attirer les étudiants dontilavait fait des sicaires, et pour discréd iter ses confrères d’É- dimbourg, ceux-là mêmes qui, d’abord enthousiastes, lui avaient voté une statue : de là, entre les browniens et les cullénistes, de lamentables conflits de plume et des duels sans nombre. Devenant plus dissolu et plus intraitable que jamais, Brown se vit aban- donné de tout le monde; il fit un nouveau cours qui ne fut pas suivi et publia sur les Systèmes anciens de la médecine un livre (1787) qui ne fat pas lu et qui ne mérite guère d’être plus connu (1). A cinquante-deux ans, il mourut frappé d’apoplexie, laissant une veuve et des enfants dans le plus profond dénüment. William Cullen Brown (le filleul de Cullen), par sa bonne conduite et ses sérieuses études se fit accueillir à Édimbourg ; maisil chercha, avec plus de piété que de succès, à réhabiliter la mémoire de son pére, à faire oublier ses violences et ses désordres. Une jeunesse mal- heureuse, une carrière péniblement parcourue, expliquent cer- tains défauts de caractère, mais ne justifient pas les vices que dant ses lecons, ou mieux ses déclamations, plusieurs verres d’eau-de-vie de France, assaisonnée d’une cinquantaine de gouttes de laudannm. «€ Queiqu'un (Brown lui- même) ayant entrepris un travail littéraire pour lequel il avait besoin de conserver toute la plénitude de ses facultés intellectuelles durant quarante heures sans inter- ruption, parvint de la manière suivante à se tenir éveillé et dispos pendant tout ce temps. Après un bon repas il se mit au travail et but toutes les heures un verre de vin, Au bout de dix heures il prit quelque chose de nourrissant, mais en petite quantité et entretint encore l’état de veille pendant quelques heures par le moyen d’un punch médiocrement fort. Lorsqu'enfin il ressentit quelque propension au sommeil, il prit, au lieu de tout autre stimulant, une préparation d'opium et acheva ainsi son ouvrage en quarante heures. Il lui fallait encore quelques heures pour corriger. Afin de rester suffisamment éveillé, il alla chez son imprimeur et but avec lui encore un verre de punch. 1 fit ainsi succéder les stimulus les uns aux autres : l'exercice de l'esprit au stimulus des aliments, celui du vin à l'exercice de l'esprit, de nouveaux aliments au vin, ensuite du punch, de l’opium, puis encore du punch, et enfin le stimulus de la conversation, » Note du $ 31. (1) Observations on the principles of the old system of physie exhibiting a com- pend of the new doctrine. C'est d'abord une glorification du système de Brown ; les Éléments de médecine y sont reproduits en partie ; puis c’est une attaque pas- sionnée contre la doctrine du spasme et par conséquent contre Cullen. Sydenham n'y est pas non plus très-bien traité; quant à l'histoire des systèmes anciens, elle est à peu près nulle. PHYSIOLOGIÉ ET PATHOLOGIE GÉNÉRALES. 4125 l’histoire reproche à Brown. A voir le portrait de Brown on en jugerait tout autrement ; c’est, comme on dit, une bonne fiqure. I n’y a rien de plus simple, et par conséquent rien de plus faux, que le système physiologique et médical de Brown, qui ne manque pas, cependant, de célébrer cette merveilleuse simpli- cité (1), et de s’en faire d'avance un mérite devant la postérité. « Le lecteur voit clairement à quelle simplicité j'ai porté la médecine, qui n'était jusqu'à moi qu'un amas d'hypothèses, d’in- cohérences et d'erreurs, une science mystérieuse et énigmatique. J'ai démontré qu'il n’est que deux formes de maladies, et que l’aberration de l’état de santé, ou l’état morbifique ne consiste ni dans la surabondance, ni dans la pénurie, ni dans la dégénéra- lion des humeurs devenues acides ou alcalines, ni dans l’introduc- lion de matières étrangères dansle corps, ni dans un changement de forme des molécules organiques, ni dans une disproportion de la distribution du sang, ni dans une augmentation ou une diminution de la force du cœur et des artères qui opère la cir- culation, ni dans linfluence d’un principe raisonnable qui régisse les fonctions, ni dans un rétrécissement ou un élargissement des pores, ni dans une conslriction des vaisseaux capillaires par le froid, ni dans un spasme qui occasionne une réaction de la part du cœur ou des vaisseaux profonds, ni dans rien de ‘ee qu'on a jamais imaginé sur la nature et les causes des maladies. J'ai fait voir, au contraire, que la santé et la maladie ne sont qu’un même état et dépendent de la même cause, savoir de Pincitation qui ne varie dans les différents cas que par les degrés. J’ai démontré que les puissances qui produisent la santé et la maladie, et qui agissent quelquefois avec un degré d'énergie convenable , d’au- tres fois trop fortement ou trop faiblement, sont également Îles mêmes. Le médecin ne doit avoir égard qu’à l’aberration qu'é- prouve l'incitation, pour la ramener par des moyens convenables au point où réside la santé (2). » (4) Tout repose en effet sur ces trois termes : séünulants, stimulabilité, stimu- lation. (2) Note du $ 150. Traduction de Fouquier ; Paris, 1805, C'est à cette traduction que j'emprunte les citations. Bertin, dans la même année, à donné également une autre traduction des Eléments de inédecine. 1126 BROWN. En effet, le système du réformateur, je devrais dire de l'agi- tateur anglais, procède d’un principe unique, ou mieux, d’une hypothèse puisée dans une mauvaise physiologie, et à l’aide duquel il voulait tout expliquer : la vie normale et la vie patho- logique. La vie est sous la dépendance des stimulants; elle consiste tout entière, en santé et en maladie, dans le stimulus (4); la vie n’est ni un mouvement ni une sensibilité; c’est une exci- tation, une capacité, une faculté d'excitabilité, une réceplivité de stimulisme. Le corps humain est un tout; les fonctions ne s’exercent pas par une force inhérente à chaque organe. Otez les influences naturelles (2) : chaleur (voy. & 142) ; froid ($ 47,122); aliments (124); sang, humeurs, air ; contraction mus- culaire et action du cerveau (3); la pensée ; les passions ($4139suiv.), la vie cesse inévitablement: elles sont presque seules nécessaires à la vie. « La propriété par laquelle agissent ces deux genres d’in- fluences s’appellera incitabilité, et elles-mêmes seront nommées (4) L’incitation est le résultat du stimulus des puissances incitantes et exige l’incitabilité ($ 25). (2) Cette excitation par les puissances naturelles est singulièrement exposée dans la transmission des vices organiques de père en fils ($ 603) : « L'hérédité d’une maladie n’est qu’une fable, ou bien les fondements de cette doctrine se rédui- sent à rien. Les enfants des riches héritent de la goutte avec la fortune ; mais qu’ils soient deshérités, ils n'auront point la goutte, à moins qu'ils ne la gagnent, Je dis plus, s’il est seulement deux maladies qui soient héréditaires, toutes le sont né- cessairement ou aucune ne l’est. Il faut supposer que dans le premier cas les in- fluences nuisibles sont superflues, tandis qu'il est constant qu’elles peuvent tout ; comme cette supposition est absurde, il faut bien reconnaitre qu'il n’est pas de ma- ladies héréditaires. Notre premier élément, ou la première molécule de solide simple qui nous constitue d’abord, est doué de plus d'épaisseur dans les uns et de plus de ténuité dans les autres. Si les puissances incitantes, de qui tout dépend dans la vie, sont bien dirigées, la variété de ces corpuscules élémentaires n’em- pêche pas qu'ils ne jouissent chacun de la santé que sa nature comporte, et même d’une assez bonne santé, si l’action bien réglée des stimulants développe dans les embryons une incitation suffisante. Quoique le père de Pierre ait eu la goutte, ce dernier n’en n’est pas nécessairement attaqué, parce qu'il peut avoir su éviter la maladie de son père par un genre de vie convenable, c’est-à-dire par une incita- tion adaptée à la nature de sa constitution. » (3) Tout cela entretient la vie ou en est la manifestation; mais ce n’est pas le principe de la vie. Il y a une véritable pétition de principe. PHYSIOLOGIE ET PATHOLOGIE GÉNÉRALES. 1127 puissances incitantes. Par les mots corps ou organisme je n'en- tends pas simplement le corps, abstraction faite de lesprit, du cœur ou de lâme, mais l'ensemble appelé communément sys- tème. Les sensations, la locomotion, les opérations intellectuelles et les affections morales sont l’effet commun de toutes les puis- sances incitantes. Cet effet étant un ou identique, l'action de toutes les puissances est donc également une et identique. Les diverses puissances ne peuvent done avoir une action différente. J'appellerai éncitation effet de l'impression des puissances inci- tantes sur l'incitabilité. Comme quelques-unes de ces puissances agissent par des impulsions manifestes, que le même effet pro- duit par les autres puissances annonce une même manière d’a- gir, et que toutes paraissent douées d’une certaine activité, Je les appellerai stémulantes. Les stimulants sont généraux ou lo- caux. Les stimulants généraux sont les puissances incitantes qui agissent sur lincitabilité, de manière qu'il en résulte constam- ment de l'incitation dans tout l'organisme. Les stimulants lo- caux n'agissent que sur l'endroit où ils sont immédiatement appliqués, et n’affectent point le reste de l'organisme, qu'ils n'aient produit un changement total. On ne sait ce que C’est que l’ancitabilité, nicomment elle est affectée par les puissances énct- tantes; mais quelle que soit celte propriété, l'être qui com- mence à vivre en est pourvu à certain degré. Son énergie ou sa quantité varie dans les divers individus ; elle varie encore dans le même individu. » ($11-18; 22; note du K 232; 313 et suiv.; 316 et suiv.). Ainsi voilà qui est bien convenu, l’incitabilité est la cause de lout; mais personne ne sait d’où elle vient et comment elle est mise en jeu. Ces affirmations sans preuves, sans démonstration, qu'aucune expérience n’appuie, ne doivent pas étonner de la part d’un homme qui écrit (S48) : « La recherche des causes est le serpent de la philosophie. » En tout cas, le principe de la vie est placé en dehors de organisme; le corps devient une statue ani- mée par les excilants en vertu d’une puissance latente, comme le charbon s'allume au contact de l'air, et qu'il faut renouveler pour que le foyer ne s’épuise pas par la combustion. Dans ce système, pas plus que dans le vitalisme ou l’animisme, on ne 1198 BROWN. trouve l’idée des forces actives inhérentes à la matière orga- nisée. Cependant, si l’on se reporte au $ A8, on voit qu’à son insu, ou du moins sans avoir pleinement conscience de ce qu'il avance, Brown trouve le siége de Pirritabilité dans la moelle nerveuse et dans le tissu musculaire, confondus sous le nom de système nerveux ! C’est revenir par une voie détournée aux propriétés innées de Haller: sensibilité et contractilité. L'action modérée des stimulants constitue la santé; leur excès ou leur défaut constituent les maladies. L'homme et les animaux vivants, même les plantes, diffèrent de toute matière inanimée en ce qu'ils sont susceptibles d'être affectés par les choses externes (4) et par certaines actions qui leur sont propres (2), d’où résulte le jeu des fonctions, attributs essentiels de la vitalité (& 10-12). Une partie de cette proposi- tion est un fait incontestable ; mais ce n’est pas là le prin- cipe de la vie; c’est au contraire une conséquence de la fvie, qui correspond à deux des facultés fondamentales ou propriétés vitales, la contractilité et la sensibilité. On ne peut pas dire que les contractions musculaires affectent l'organisme ; elles sont elles-mêmes le résultat d’une excitation qui tient à la vie ani- male ou à la vie de relation. Il n’y a que deux sortes de maladies ($ 5 et 6). Les maladies sont communes à toutes les parties du corps, ou bornées à quel- que partie. Dans le premier cas elles doivent être appelées géné- rales, dans le second locales. Celles-là sont toujours générales des le principe ; celles-ci ne le deviennent que dans leur cours, et même rarement. Les: premières supposent toujours une op- portunité (ou prédisposition) préalable, les dernières jamais ; celles-là sont générales en conséquence de l’affection du prin- cipe vital; les autres ne le deviennent qu'après une lésion locale. Le traitement des premières est dirigé sur tout l'organisme, celui des dernières sur la partie malade (3). (1) Mais il ne sait pas si les poisons et les contagions rentrent dans celte caté- gorie. — Voy. aussi $ 20 et 21, et plus haut, p. 1126. (2) Ces diverses causes qui donnent lieu aux diathèses asthénique et sthénique sont étudiées au 4% chapitre de la section IT. (3) Brown ne semble regarder comme de vraies maladies que les aflections géné- PHYSIOLOGIE ET PATHOLOGIE GÉNÉRALES. 1129 Puis les maladies générales sont divisées en sthéniques, celles qui üennent à un excès des stimulants, et en asthéniques (1), celles qui dépendent d’un défaut de ces stimulants ($ 23). Toute- fois il existe #2 peu de stimulus dans les maladies les plus asthé- niques, car le sang, jar exemple, comme toutes les autres causes stimulantes, quelque faible qu’il soit, conserve encore une petite parcelle de sa vertu stimulante; en sorte que des causes débilitantes ne sont que des causes excitantes réduites à un plus faible degré d'action. Plus les puissances stimulantes agissent faiblement, ou plus le stimulus est faible, plus l'incitabilité s’ac- cumule, tandis que plus le stimulus agit fortement, plus l’incita- bilité s’épuise ($ 24). De là vient ($ 26) que plus l’incitabilité est abondante, plus aisément elle est satisfaite, moins elle comporte de stimulus. Cet état peut être porté au point que le plus léger simulus éteigne la vie. D’un autre côté l’incitabilité comporte aussi d'autant moins de stimulus qu'il a été consumé plus d’in- cilation ; cet épuisement peut être tel que le moindre stimulus éteigne la vie. De tout cela cependant il se dégage une observation juste, quoiqu'elle ne soit pas neuve : Je veux parler de la diminu- tion graduelle et de l’anéantissement final de l’action des sti- mulants trop longtemps prolongée. C’est le ressort trop tendu, c’est aussi la puissance de l'habitude qui use certains sens. Brown insiste (vous l’avez vu plus haut dans la note de la page 1123, note 1) sur les heureux effets que produit une série de stimulants employés tour à tour pour se soutenir l’un l’autre. Brown ne parait cependant pas bien sûr de cette doctrine (dont l'application du reste lui a fort mal réussi), car au $ 32 il dit : « L’incitabilité, épuisée d'abord par le stimulus, ensuite réparée et consumée de nouveau, est très-difficile à rétablir, par la raison que plus Pac- tion des stimulants a été portée loin, c’est-à-dire plus on a em- ployé de stimulus, moins il reste d'accès aux stimulants nouveaux rales ou généralisées ; il croit en outre (cela est ordinairement vrai) que les remèdes agissent surtout par leur action générale. (4) Les asthénies tiennent surtout à l'abondance et à la vélocité du sang, tandis que les asthénies dépendent de la pénurie du sang qu'accompagne une plus grande accélération dans son mouvement ($ 134). 1130 BROWN. par lesquels on voudrait ranimer Vincitation. L'épuisement ‘de l'incitabilité par un stimulant quelconque, tel que le vin, peut entraîner la mort; l’action réunie de plusieurs stimulants aura bien plus sûrement cet effet. » Il faut aussi faire attention à l’incitabilité qui n’a pas de sti- mulus pour s'exercer. Le décroissement de Pincitation (K 40, voy. aussi $ 3 et suiv.), proportionnel à l'accroissement de l’incita- bilité, va constamment jusqu’à la mort. Tout le prouve : les effets du froid, de la faim, du repos, des peines d’esprit, de la déper- dition des humeurs ; effets qui, portés à un certain degré, mènent tous rapidement à la mort. Brown, qui avait quelque intérêt à soutenir cette doctrine, veut nous prouver ($ AÏ) qu’une agréable nouvelle remplace un bon repas qui se fait attendre; qu’une boisson forte prise au moment de s'endormir, ou l’opium (1), supplée à la fatigue qu'auraient procurée des exercices violents; que Bacchus tient lieu de Vénus, que Vénus présente fait oublier Bacchus absent, etc. [n’y a rien d'aussi dangereux que l'accumulation d’incitabilité sans emploi, puisque toute la vie réside dans le bon usage des stimulants ($ 42-44). La faiblesse directe résulte de l'insuffisance de stimulus; linei- tabilité s'accumule par défaut d'incitation. Si au contraire il y a excès de stimulus, et par conséquent d'incitation, l'incitabilité s’épuise, et l’on tombe dans la faiblesse indirecte ($ 35, 38, 39, A5, 101, 102). L'action des puissances stimulantes n’est ni différente dans les diverses parties du système nerveux (pour Brown, comme pour Cullen, ce système comprend la moelle nerveuse et le tissu musculaire. — Voy. plus haut, p. 1104), ni composée. C’est une propriété, une et indivisible ; elle n’agit pas sur toutes les parties à la fois, quoiqu'elle affecte instantanément l'incitabilité générale, (1) Cependant Brown dit : l’opium n’est pas un sédatif ni un somnilère, c’est un excitant qui agit merveilleusement dans les asthénies et qui tue dans les sthénies (note du $ 232 où il déclare que cette découverte lui appartient tout entière ; voy. aussi la note du $ 244). C’est en agissant comme stimulant diffusible dans la faiblesse que l'opium fait dormir, $ 245-246. — Il est douteux, dit Brown au $ 230, qu'il y ait dans la nature rex de sédatif, au moins par rapport aux animaux. PHYSIOLOGIE ET PATHOLOGIE GÉNÉRALES. 4131 de sorte que laffection généralisée surpasse infiniment l'affection locale (1). Les parties sont plus capables les unés que les autres de recevoir l’incitabilité ; la partie la plus affectée est ordinaire- ment celle où le stimulus est appliqué immédiatement et direc- tement. La disposition des organes les rend plus sensibles les uns que les autres à recevoir l’excitation : ainsi le cerveau, le tube intestinal, le dessous des ongles, sont plus vivement affectés que les autres parties ($ 48, 49). Brown a même voulu calculer mathé- matiquement ces divers degrés (\ 50) : « Que l'affection principale (par exemple, linflammation des poumons, dans la péripneu- monie, l'inflammation du pied dans la goutte, lépanchement de sérosité dans une cavité générale cu particulière, dans l’hydro- pisie), soit comme 6, et l'affection moindre de chaque partie comme 3, le nombre des parties légèrement affectées comme 1000. L’affection partielle sera avec l'affection du reste du corps dans le rapport de 6 à 3000. Les causes excitantes qui agissent tou- jours sur tout le corps, et les remèdes qui en détruisent les effets dans tout l’organisme, confirment l'exactitude d’un pareil calcul dans toute maladie générale (2). » Jusqu'ici nous nous sommes surtout occupés de la partie phy- siologique et de la pathologie générale dans le système de Brown; suivons maintenant notre auteur dans les applications plus directes à la pathologie plus spéciale (K 62, suiv.). « L'incitation, produit de l’action des puissances incitantes, constitue la santé quand elle est dans un degré convenable, et crée les maladies, et préalablement l’opportunité aux maladies quand elle est en excès ou en défaut. » Brown affirme que celte (4) Il n’y à pas d'affection générale qui ait son siége dans une partie séparée. Toute affection générale occupe l'organisme entier, parce que l’incitabilité tout en- tière est affectée partout, quoique d’une manière inégale ($ 54). Toute affection locale doit être considérée, dans une affection générale, comme une partie de la première, Aussi, ajoute Brown, et ici avec raison (excepté pour les affections externes) les remèdes doivent être appliqués non sur la partie principalemeut affectée, mais dirigés sur l'organisme. (2) Voy. aussi dans les diverses éditions ou traductions des Éléments de médecine pratique, la Table de Lynch, où les degrés de la santé et de la maladie sont calculés d’après une échelle de proportion, 1132 BROWN. proposition renverse tous les systèmes de médecine qu’on a jamais pu élever ! Puis il ajoute qu'aucune maladie ne dépend du vice primitif des solides ni des fluides, mais seulement de la diminu- tion ou de laccroissement de l'incitation. Le traitement ne doit donc pas être dirigé contre l’état des solides ou des fluides, mais il doit se borner simplement à augmenter ou à diminuer linci- tation. Brown reprend pour son propre compte et accommode à son système une proposition que j'ai déjà eu plusieurs fois l’occasion de vous rappeler dans ces leçons, savoir que la pathologie estun département de la physiologie, ou, comme a dit Broussais, de la physiologie pathologique. Brown affirme en effet {($ 65) qu’il est pleinement démontré que l’état de santé et celui de maladie ne sont pas différents, par cela même que les puissances qui pro- duisent ou détruisent l’un et l’autre ont une même action; il cherche à le prouver, par exemple, en comparant la contraction musculaire et le spasme ou le tétanos ($ 57 suiv.; cf. 136). Les maladies générales nées d'une incitation immodérée sont appelées s{héniques; celles que produit une incitation trop faible se nomment asthéniques. L'état intermédiaire aux mala- dies et aux opportunités opposées (1), et qui n’incline d'aucun côté, est la santé parfaite. La diathèse asthénique est un état du corps d’où résultent les maladies du premier genre ou leur opportunité ; la diathèse antiasthénique ou sthénique aonne lieu aux maladies de la seconde forme et à l’opportunité qui leur est propre. Toutes deux sont communes à l’opportunité (2) et à la maladie; elles ne varient que par le degré. Les causes excitantes nuisibles sont les puissances qui portent ces diathèses jusqu'au mode de maladie. On doit nommer pyrexies (et non pas (1) L'opportunité est un état intermédiaire entre la santé parfaite et la maladie ; elle est produite par les mêmes causes, mais moins fortes et de moindre durée que celles qui créent la maladie. Selon que l’action des puissances nuisibles excitantes sera forte ou faible, l'opportunité sera plus ou moins courte, et plus tôt ou plus tard elle passera de l'état de santé à l’état de maladie décidée ($ 73 et 74). (2) On lit au $ 334 que la fréquence du pouls est déterminée non par l’état local, mais par la quantité de sang à mouvoir et par le degré de stimulus que ce liquide excite. PHYSIOLOGIE ET PATHOLOGIE GÉNÉRALES. 1133 Jièvres) les maladies sthéniques, dans lesquelles le pouls est extraordinairement affecté, pour les distinguer des maladies as- théniques, dans lesquelles le pouls est également affecté et aux- quelles le nom de fièvre convient proprement (K 68). Le diagnostic (8 82 suiv.) consiste uniquement à distinguer les maladies générales des maladies locales ou des affections symptomatiques qui troublent l’organisme entier en présentant les apparences d’une affection générale. En conséquence des prin- cipes posés, le danger de mort est relatif, dans la maladie ou dans son opportunité, au degré de la dathèse et à l'importance de la partie. La mesure de la diathèse étant donnée, plus elle est égale dans tout l'organisme, moins elle est à redouter; mais jamais elle n’affecte un peu grièvement un organe essentiel à la vie sans entrainer un péril imminent, comme la pneumonie et lPapoplexie ( 86). Les indications curatives sont tirées de la diathèse : augmenter l'incitation dans l’asthénie, la diminuer dans la sthénie ; en d’au- tres termes, faire rentrer l'incitation dans les justes bornes qui constituent la santé ($ 88). Voici maintenant les règles les plus gé- nérales pour remplir convenablement les indications au gré du médecin et à la satisfaction du malade (( 89 suiv.). Comme l’une et l’autre diathèse naissent d’une action identi- que des puissances excitantes et qui ne varie que par le degré, on les dissipe et on les prévient également par des moyens de même nature, mais opposés par leur mesure à celle qui a produit la diathèse. Tout confirme cette manière d'envisager la cause ainsi que le traitement (1). Les débilitants qui guérissent une seule (4) «Je suppose, dit Brown, que la diathèse sthénique soit montée jusqu'à 60 de- grés de l'échelle de l'incitation (voyez la Table de Lynch), on doit chercher à sou- straire les 20 degrés d'incitation excessive, et employer à cet effet des moyens dont le stimulus soit assez faible, Ces puissances curatives n’en restent pas moins inci- tantes, quoiqu’elles dissipent la diathèse sthénique, et n’ont pas pour cela une autre maniere d'agir que les puissances qui l’ont produite. Ces moyens curatifs ne doivent être aucunement considérés comme sédatifs pour les raisons que j’ai déjà appor- tées, et parce que l'existence des substances sédatives n’est appuyée sur aucune preuve (voy. p. 1130, note 1). Mais comme leur stimulus est moindre que celui qu'il faut pour entretenir l’état de santé ordinaire, ces puissances incitantes méritent le nom de débilitantes et sont appropriées au traitement de la diathèse sthénique, » 1134 BROWN. maladie sthénique quelconque, guérissent toutes les autres ; et les mêmes stimulants qui guérissent une seule maladie asthéni- que, les guérissent toutes (1). La paralysie, quand elle n’est pas incurable ; Phydropisie, lorsqu'elle constitue une maladie géné- rale ; la goutte et les fièvres ne sont-elles pas diminuées et gué- ries par les mêmes moyens ? La péripneumonie, la variole, la rou- geole, le rhumatisme et le catarrhe ne cèdent-ils pas aux mêmes remèdes? Or,tous ces moyens augmentent l’énergie vitale dans l’asthénie et la diminuent dans l’état de ‘sthénie. Leur manière d'agir dañs l’un et l’autre cas est absolument la même ; il n°y a de différence que dans leur mesure et dans les mots. Les moyens curatifs de la diathèse sthénique sont donc les puissances incitantes, mais plus faibles dans leur action qu'il ne convient à l’état de la santé; ce sont les débilitants. Les moyens curatifs de la diathèse asthénique sont les puissances incitantes dont l’action est plus forte qu’il ne convient à l’état de santé par- faite, ce sont les stimulants. Ces moyens doivent être employés plus ou moins largement, selon que la diathèse et l'affection locale qui en dépend sont plus ou moins fortes. I'importe de ne jamais, pour une affection générale, les diriger exclusivement sur une partie, comme si elle était le siége de la maladie; 1l vaut mieux employer plusieurs moyens à la fois, pour qu'un plus grand nombre de points soient ainsi soumis à leur action et que l'incitabilité soit plus pleinement et plus également affectée (2). La troisième partie des Eléments de médecine de Brown com- prend ce qu'il appelle maladies générales. Les maladies géné- (4) «Je suppose, au contraire, que la diathbèse asthénique soit descendue de 20 de- grés, il faut employer des puissances capables par leur action de la relever. Ces moyens curatifs ne différeront de ceux dont j'ai parlé que par 40 degrés d'énergie. De même que les puissancesdébilitantes, quoique toujours incitantes, employées dans le cas précédent, diminuent l'excès morbifique d'incitation, de même aussi les moyens salutaires dans ce dernier cas et qui méritent plus particulièrement le nom de stimulants, réparent le manque d'incitation et ramènent celle-ci au degré où réside la santé.» — Voy. $ 178 et suiv. sur les symptômes des maladies asthéniques et les explications étranges qu’en donne Brown. (2) «Les remèdes généraux sont ceux qui rétablissent la santé en agissant sur l'incitabilité dans tout l'organisme. Les remèdes locaux sont ceux qui rétablissent la santé par une action bornée à une seule partie ($ 93-94). » PATHOLOGIE SPÉCIALE. 1135 rales sthéniques sont ou accompagnées de pyrexies et d’inflam- mation de quelque partie externe (voy. $ 168) : phlegmasies(1), exanthèmes ; les autres sont seulement pyrétiques ; d’autres, enfin, sont exemptes de pyrexies et d’inflammations. La phleg- masie est l’état général ou diathèse sthénique; l’inflammation la suit ordinairement, mais jamais ne la précède; elle est quelque- fois concomitante (2), jamais primitive et essentielle, tandis qu'il peut y avoir inflammation sans phlegmasie; du reste lin- flammation et la phlegmasie, quand elles coexistent, suivent habituellement le même degré d'intensité ($ 329-332 ; 542-344). Ainsi, selon Brown, la péripneumonie (3) est presque une fièvre péripneumonique, comme pour les anciens, ou une fièvre loca- lisée, puisque le siége de la maladie est dans tout l'organisme, dans tout le système nerveux ($ 348). L'auteur va même Jusqu'à prouver la généralité du siége par cette considération que la douleur change de place, ce qui est une preuve que l’état local (1) Les exanthèmes et les phlegmasies sont traitées indistinctement, Brown ne considérant que le degré plus ou moins grand de l'incitation ($ 330). — I y à quatre sortes d’inflammations, deux générales; l’une sthénique (se termine par suppuration quand elle ne se résout pas), l’autre asthénique (tend à la gangrène); deux autres sont locales et également sthénique ou asthénique ($ 206). (2) On peut dire cependant que la maladie locale est toujours contenue, et sou- vent pronosticable, où reconnaissable d'avance dans les prodromes.— Voici, du reste, ce qu'on lit aux $$ 344 et 445 : « C’est en vain que, pour expliquer et montrer comment les phlegmasies naissent d’une inflammation , on parle d’une épine qui, enfoncée sous l’ongle, y cause une inflammation qui s’éteud jusqu'à l'épaule, et détermine une pyrexie générale. Il ne résultera jamais rien de semblable à une phlegmasie d’une telle lésion ou de toute autre affection locale, à moins que par hasard il n’existe préalablement une diathèse sthénique qui soit près d’éclater spon- ianément par quelqu’une des maladies qui lui appartiennent. Sans cette diathèse il ne survient point d’affection générale, et si en pareil cas la diathèse est antisthé- nique, la maladie l’est également ; ce sera un typhus pernicieux, symptôme de la grangrène. L'inflammation qui survient souvent sans phlegmasie démontre assez et au delà que l'affection locale dépend de l’affection générale, et non pas celle-ci de la première, » (3) La pneumonie est rare parce que son siége est à l’abri de beaucoup de stimu- lants capables d'allumer la diathèse sthénique et l’inflammation qui l’accompagnent, et qu'elle dépend de la respiration qui est entretenue par un air doux el maintenue dans un état habituel de calme et d'égalité ($ 168)! — L'inflammation se porte là où la stimulation normale agit le plus facilement ($ 169). 1136 BROWN. est également mobile, comme le démontre l'anatomie patholo- gique ($ 352)! Il ajoute (Q 354 et suiv.) : « La difficulté de res- pirer ne dépend d'aucun vice organique des poumons où de l'appareil respiratoire, ni du défaut d'incitation dans ces organes, mais seulement de l'air qui dans l'inspiration comprime les vaisseaux sanguins enflammés en remplissant et en distendant les cellules aériennes. La toux est causée par l'excrétion de l'humeur exhalable et du mucus sécrété abondamment , qui irritent les vaisseaux aériens et augmentent leur incitation, aussi bien que celle de toutes les puissances qui dilatent la poitrine. Cette inci- tation est tout à coup suspendue, et l'inspiration et l'expiration entières sont ainsi exécutées en partie avec le concours de la volonté. » — Un système médical n'est-il pas jugé et condamné par de telles propositions ? Brown admet des gastrites et des entérites locales ou trauma- tiques (1), parce qu'elles sont produites par des substances qui, ingérées par la bouche, agissent directement sur les {uniques ; mais on sait que les gastrites qu’on pourrait appeler traumatiques sont fort différentes des gastrites proprement dites, comme la pneumonie traumatique (qui est aussi une maladie locale pour Brown) diffère des pneumonies ordinaires. On ne s’étonnera pas non plus de voir Brown affirmer (K 360 et 493) que les affections vraiment locales laissent moins de prise au médecin que les affections générales, parce qu’on ne peut pas atteindre la drathèse ($ 360). Or, on doit se souvenir (cf. 458) que l'affection locale n’exige aucun soin particulier, puisqu'elle dépend du degré de la diathèse générale. Il s’agit seulement de voir si l’on peut ou si lon ne peut pas aider ie traitement général en lappliquant à l'affection locale. Les symptômes des diathèses sthéniques, pyrétiques el inflam- matoires sont Je frisson; la langueur, la fréquence et la dureté du pouls; la sécheresse de la peau ; la suppression ou la notable (1) Seavini, professeur à l'université de Turin, à traduit et accompagné d'assez bonnes notes, et souvent rectificatives, la cinquième partie (maladies locales) des Éléments de Brown, sous le titre de Chirurgie de Brown, Turin, an XI, — Le mème auteur à donné, en l'an XIE, un Précis historique de la doctrine de l'inflam- mation. PATHOLOGIE SPÉCIALE. 1137 diminution des excrélions; la rougeur de l'urine; la chaleur extrême ; enfin souvent la soif ($ 331). Ces divers symptômes sont expliqués presque mécaniquement, quoiqu’ils soient placés sous la dépendance de l'incitation (1). Ainsi, par exemple, le sentiment de lassitude dépend de la trop grande incitation dans le cerveau et les muscles; c’est ici l'excès du stimulus et non une cause débilitante, qui affaiblit les fonctions; la suspension des excrétions résulte de la densité exagérée des fibres qui ferment les extrémités capillaires des vaisseaux et en diminuent le calibre de façon à ne laisser aucun passage pour les liquides. Si l'urine est rouge, c’est que la diathèse générale, affectant les canaux sécréteurs, s'oppose à la sécrétion : alors l'urine distend les vais- seaux et fait effort pour les rompre, tandis que les fibres résistent. Cette lutte acharnée fait suinter le sang; voilà pourquoi l'urine est rouge! La chaleur est forte, parce que celle qui se produit intérieurement par suite de la suppression de la perspiration ne peut pas s’exhaler au dehors (K 333-3/A1). Les vraies maladies sthéniques se composent d'une pyrexie et d’une inflammation externe; ce sont la péripneumonie, la phré- nésie (2), la variole, la rougeole, lorsque ces deux dernières sont violentes; l’érysipèle grave, le rhumatisme, l’érysipèle léger et l’esquinancie tonsillaire (3). Le catarrhe, la synoque simple (4), la scarlatine, la variole et la rougeole, lorsque l'érup- tion de ces deux dernières est peu considérable, sont exempts d’inflammation ($ 347). = (4) Les phénomènes de la menstruation ($ 523 et suiv.) sont aussi expliqués en partie mécaniquement. (2) « La phrénésie est une phlegmasie avec une affection légèrement inflamma- toire ou catarrhale d’une ou de plusieurs jointures (joints), ou de la gorge, accom- pagnée de douleurs de tête, rougeur des yeux et du visage, sensibilité exquise pour les sons et la lumière, insomnie et délire » ($ 361. Voy. $$ suiv.). 3) QIL est encore une maladie rare qui se présente quelquefois en certains pays et jamais en d'autres, et qu’on appelle croup. La respiration y est pénible et l'inspi- ration bruyante. Il y à de l’enrouement, une toux résonnante et une fuméfaction à peine sensible. Cette maladie n’attaque guère que les enfants de l’âge le plus tendre, Tout le reste est incertain ($ 400). » (4) La définition de la synoque (S 412) simple est la même que celle de la phré- uésie, à l'affection cérébrale pres. DAREMBERG;: SI 12 1138 | BROWN. Il n°y a pas lieu d'insister sur ce que Brown appelle l'Histoire de ces diverses maladies, car cette histoire ne comprend qu'une brève énumération des symptômes et quelques explications spéciales qui dérivent du système et qui n’aJoutent rien à ce que nous en savons déjà. La seule histoire de la pneumonie, dont j’ai parlé ci-dessus, suffit bien pour marquer ce que nous devons penser du clinicien et du pathologiste. Il faut cependant citer un passage qui prouve entre cent jusqu'où est allé l’aveuglement de Brown, et l’on peut ajouter quel était son peu de bonne foi scientifique : Q Il n’y a pas de quoi s'étonner que les poumons s’enflamment quand la diathèse sthénique qui accompagne la rougeole est très-violente, puisque le catarrhe a coutume de produire le même effet quand la diathèse sthénique est très- forte. Mais quand je songe à la multitude de prétendus faits rap- portés dans les ouvrages de médecine, et dont j’ai reconnu la fausseté, les témoignages qu'on nous donne de la propension des diverses parties internes à s’enflammer, en conséquence de la prétendue répercussion de l’éruption de la rougeole (qu'il traite par les rafraîchissants), me paraissent de bien peu de poids. Je suis même porté à tout révoquer en doute, et d’autant plus qu’un fait analogue évident est absolument contradictoire avec ceux-là : c’est que l’inflammation dépendant de la diathèse gé- nérale dans les maladies sthéniques ne s'étend jamais (autant que je sache jusqu'ici) sur une partie profonde. L’inflammation née de toute autre cause n’est pas non plus, à beaucoup près, aussi fréquente dans les parties internes qu’on le croit commu- nément. On a trouvé, par les ouvertures de cadavres, le canal intestinal enflammé dans la dysenterie; mais on n’a observé ce phénomène que dans les cas où le traitement débilitant évacuant végétal avait été suivi; ce n’était pas, à ce qu'il paraît, un phé- nomène primitif, encore bien moins la cause de la maladie, mais un de ses derniers effets. J’ai démontré plus haut (K 198) que ce qui a été considéré par beaucoup de médecins comme une vio- lente inflammation des premières voies, n’était pas du tout une inflammation ; et même, là où il se rencontre une inflammation interne, elle n’est point sthénique, mais toujours asthénique, générale ou locale ; et une affection qui guérit promptement ne PATHOLOGIE SPÉCIALE. 11439 peut pas être inflammatoire. S'il existe si fréquemment une inflammation réelle vers la fin de la rougeole, ce doit être une inflammation asthénique : ce qui rend cette opinion vraisembla- ble, c’est la tardiveté de cette inflammation, et une circonstance négligée par les autres médecins, à laquelle j’attache beaucoup d'importance: je veux dire que, puisque la variole discrète peut se convertir en confluente, la péripneumonie en hydrothorax, et que toute maladie sthénique peut, avec sa diathèse, passer à l’état d’asthénique, il n’est rien dans la nature de l'organisme animal ni dans les puissances qui agissent sur lui, qui puisse rendre impossible ce changement de sthénie en asthénie dans la rougeole, lequel est assurément le produit de la faiblesse indi- recte, et je suis persuadé qu’on n'aurait rien de semblable à craindre si l’on observait la méthode débilitante dès le principe de la maladie. » (Note du $ 380.) Voulez-vous savoir pourquoi les petites articulations sont prises dans la goutte et les grandes dans le rhumatisme? Brown n’est pas embarrassé pour satisfaire à cette question. Dans le rhuma- tisme les douleurs, aussi bien que le reste de la maladie, con- sistent en une diathèse sthénique violente; or, les parties les plus exposées à la chaleur (seule, ou agissant alternativement avec le froid) qui est un des plus puissants stimulus, sont les parties externes, les articulations ou la gorge, etc.: par con- séquent les plus grandes articulations éprouvent une diathèse plus intense; elles sont aussi plus vivement affectées. La goutte, au contraire, étant asthénique de sa nature, doit être dans sa plus grande intensité là où la faiblesse est la plus grande, savoir aux parties extrêmes et les plus éloignées du centre du mouve- ment et les moins accessibles par conséquent au stimulus ($ 391, 168, 169, 389). La manie, l’énsomne, Vobésité (1) sont des apyrexies sthéni- qués; elles naissent d’une diaihèse sthénique qui excite le système vasculaire moins que ne le font les autres maladies sthéniques ($ 425). Les maladies organiques ($ 700 et suiv.) qui ne constituent qu'une affection locale des parties du corps les moins sensibles, sont les solutions de continuité, les brülures, la violente réfrigé- 1140 BROWN. ration, l'introduction de venins (1) par une plaie. les fractures. Un emplâtre léger, doux, huileux, et le repos suffisent à les guérir. — Cela suffit peut-être pour les cas les plus légers, bien rarement pour les piqûres ou morsures venimeuses; et il est surtout extrêmement contraire à l'observation de dire que ces af- fections sont purement locales (voy. $ 77), car beaucoup d’entre elles entraînent une vive réaction. Notre auteur dit que la pré- tendue force médicatrice de la nature n’est pas autre chose que l'incitabilité agissant ici, comme dans les maladies générales, pour la guérison, lorsqu'elle est mise en éveil par des excitants convenables et bien dirigés; ailleurs ($ 96), la matière morbi- fique est présentée comme agissant à l'instar des autres stimu- lants quand elle est prête à s'échapper (2). Les affections locales ($ 707 et suiv.) qui entraînent un élat général (encore cet élat général n’a-t-il que les apparences de la diathèse générale puisqu'il n’est pas primitif) sont les blessures des parties très-sensibles (mais les fractures ne lèsent donc pas des parties très-sensibles, et les brûlures non plus ?) : la gastrite, lentérite (3) traumatiques, c’est-à-dire provoquées directement par des substances irritantes dans lestomac, l'hépatite et toutes les autres lésions des viscères abdominaux produites par des blessures, des chutes, des pressions (4). (4) La contagion ($ 368. Voy. p. 1128, note 4) est une matière imperceptible inconnue dans sa nature, et ne se manifeste que par ses effets ; avant d’être expulsée elle fermente, sans exciter aucun changement dans les liquides et les solides. (2) L'effet des émétiques et äes purgatifs s'explique par La diminution qu'ils pro- duisent dans la somme totale de l'incitation (S 21). (3) Broussais a pris le contre-pied du système de Brown, puisque, selon le réfor- mateur du Val-de-Grâce, toute la pathologie roule sur deux affections que Brown semble mépriser et regarder comime insignifiantes au point de vue de Part. (4) « C’est en vain que pour expliquer et montrer comment les phlegmasies naïis- sent d'une inflammation, on parle d’une épine qui, enfoncée sous l’ongle, y cause une inflammation qui s'étend jusqu’à l'épaule et détermine une pyrexie générale. 11 ne résultera jamais rien de semblable à une phlegmasie d’une telle lésion où de toute autre affection locale, à moins que par hasard il n’existe préalablement une diathèse sthénique qui soit près d’éclater spontanément par quelqu'une des mala- dies qui lui appartiennent. Sans cette diathèse il ne survient point d'affection géné- et si en pareil cas la diathèse est de nature antisthénique, la maladie l’est rale ; également, ce sera un {yphus pernicieux, symptôme de la gangrène ($ 344). » PROPAGATION DE SON SYSTÈME. 1141 On rencontre encore des maladies générales qui dégénérent en maladies locales, lesquelles sont la suppuration, les pustules, l’anthrax, le bubon, la gangrène, certaines tumeurs que Brown semble considérer, à la façon des anciens, comme des dépôts ou apostèmes ($ 742 et suiv.). Messieurs, sil n’y avait pas d'autre voie à suivre pour devenir médecm que celle qui a été ouverte par Brown et par tous les autres prétendus réformateurs systématiques dont nous vous avons entretenus Jusqu'à présent, il vaudrait mieux se faire pure- ment et simplement empirique ! Heureusement il y a une autre route brillamment éclairée, c’est la clinique expérimentale et raisonnée, la clinique agrandie et fortifiée par une bonne phy- siologie. Le nouveau système ne trouva pas grand écho en Angleterre, non parce que c'était un système et qu'il était nouveau, bien d’autres systèmes aussi mauvais avaient pris pied ou naissance sur le sol britannique, mais à cause de la mauvaise réputation du fondateur et de la violence avec laquelle ses rares adhérents prétendaient imposer et propager la doctrine du maitre. À vrai dire, l’histoire n’a conservé que deux noms en Angleterre parmi les sectateurs décidés du brownisme, le nom de Jones et celui de Linch, l’auteur de la fameuse échelle des degrés d'incitation, véritable thermomètre de la santé et de la maladie. Si Brown ne fut pas, comme il le souhaitait, un prophète en son pays, s’il mourut abandonné de presque tous ses compatriotes, ses idées se répandirent bientôt, et à peu prés en même temps, aux deux extrémités du monde, dans l'Amérique du Nord par l'influence de Benjamin Rush (1745-1513), professeur à Philadelphie, en Allemagne par celle de Girtanner qui avait étudié le brownisme en Angleterre, et qui se l'était même d’abord, sans trop de scru- pule, complétement approprié; plus tard J. Frank, Rüschlaub (1768-1835) (1) et surtout Weikard (1742-1803) contribuérent (1) La maladie, dit Rôschlaub, n'appartient qu'aux parties solides, parce que les liquides ne peuvent pas devenir malades, mais seulement se corrompre. — La ma- ladie ne nait pas, comme le veut Brown, par l'augmentation passive et l’épuisement de l'irritabilité, mais par la disproportion de l'irritabilité et des contre-coups pro- 4142 BROWN. 1 puissamment à propager le système de Brown, après l'avoir amendé, les deux premiers au point de vue théorique et pra- tique, Weikard en l’acceptant tout entier (1). — L'Italie avait été initiée à la doctrine de l'incitation par les Recherches de Jones, disciple de Brown; Pierre Moscati, Locatelli, Rasori (qui imagina plus tard le contro-stimulisme), devinrent successi- vement d’ardents défenseurs du médecin anglais. — En France Bertin et Fouquier ont, en 4805, traduit les É/éments de méde- cine; mais chez nous Browr fut bientôt éclipsé par Broussais. duits par elle eu égard aux irritations influentes. — La sthénie, ou, comme s’ex- prime Rôschlaub, l’hypersthémie, naît d'irritations très-violentes, qui agissent subitement et par une grande incitabilité, tandis que l’asthénie naît en partie de ce que la somme d'irritation (asthénie directe) est absolument faible; en partie de ce que de violentes irritations succèdent à une irritabilité très-diminuée. Enfin Rôschlaub attribue la mort à l’asthénie directe ou indirecte. — Néanmoins l’er- reur fondamentale du système de Brown n’est pas corrigée par Rôschlaub : quoique la vie continue à être un état forcé, ses modifications n'étant appréciées que sous le rapport quantitatif et non sous le rapport qualitatif qui est de beaucoup le plus important, l'irritabilité resta une idée logique, un chiffre. Rôschlaub lui-même, comprenant les vices de ce système, crut lui donner quelque force en l’appuyant sur la philosophie naturelle de Schelling ; mais c'était tomber de l’obscur dans le plus obscur (obscurum per obscurius) ; la doctrine de Rôüschlaub se perdit dans un mysticisme mêlé de théosophie. (1) L'Allemagne, où la théorie de l’irritabilité hallérienne avait grande faveur, où l’on était déjà las de tous les systèmes qui s’y étaient succédé ; l'Allemagne où l’on aime cependant les systèmes, à condition d’en changer souvent, et où les esprits étaient alors en pleine insurrection en faveur de la raison et de la liberté de penser, compte encore beaucoup d’autres adhérents au système de Brown, système qui du reste séduit par sa simplicité ; nous citerons particulièrement Marcus, diree- teur de l'hôpital de Bamberg, et qui finit, comme Rüschlaub, par donner dans toutes les divagations de la philosophie naturelle. — Je relève d’après Haeser (car je n'ai pas pu me procurer la dissertation de Speyer et Marc : A.-F. Marcus, peint selon sa vie el ses œuvres, avec préface de J.-H, Klein ; Leipz, 14817, in-8°, une curieuse statistique de l'hôpital de Bamberg) : il y avait en traitement durant l’année 1798, 480 malades, 46 affectés de maladies sthéniques, 367 de maladies asthéniques, et 67 de maladies locales ; ce sont à peu près les proportions de Brown. Des indica- tions fournies sur la quantité des médicaments administrés par Marius, on peut calculer qu’en moyenne, pour chaque malade, on a employé À drachme d’opium, 195 grammes de camphre, { once de liqueur anodine de Hoffmann, 132 grammes de serpentaire, 528 grammes de quinquina, plas d’une livre d’alcool rectifié, pres- que autant de muse, de naphte, de vitriol, d’arnica, de valériane, d’élixir fortifiant de Whytt, d’angélique, de cannelle, ete. PROPAGATION DE SON SYSPÈME. 1143 Je ne saurais mieux finir, Messieurs, celte histoire des sys- tèmes médicaux qu'en vous citant une page où M. Littré cher- che à en montrer l'utilité par le mouvement d'esprit qu'ils provoquent. « Cest une lutte perpétuelle de systèmes contre systèmes qui s’entre-détruisent, ce sont des terres incessamment remuées qui tombent de toutes parts. Quelques personnes ont pris cause dans ces inconstances et ces contradictions pour repousser Îles avan- lages des systèmes et se prononcer contre leurs irruptions. Ce- pendant les doctrines générales sont choses bonnes et utiles; on s'en convaincra surtout et l’on en sentira la nécessité lorsqu'on réfléchira qu’en médecine deux études ont toujours marché de front, la science et la pratique, le vrai et Putile. Elle est double, en effet, et Celse ne la comprenait pas tout entière lorsqu'il disait : Alimenta sanis corporibus agricultura, sic sanitatem aeqris medicina promiltit. Gest un art dans ses apphcations journa- lières, c’est une science dans son ensemble. Reconnaître une pneumonie à ses signes, la traiter par les remèdes qu’a consacrés l'expérience, c’est là affaire du praticien. Cest là aussi ce dont s'inquiètent avant tout les gens du monde qui reprochent amé- rement à la médecine ses variables théories. Mais par delà ce cercle de la pratique est une autre sphère d'idées, un autre ordre de travaux et de recherches, partie scientifique à laquelle ‘appar- tiennent les doctrines et les systèmes. Là on est à la quête de l'utile ; ici à la quête du vrai; là, on ne cherche que ce qui peut servir ; ici, on accueille tout ce qui accroît la somme des con- naissances. Et qu’on ne dédaigne pas la science pour le positif de la pratique; car celle-ci s’éclaire sans cesse des lumières de celle-là ; et le plus souvent, ici comme ailleurs, l'utile découle du vrai. Ce n’est donc pas sans fruit qu’on étudie ces efforts renais- sants de la médecine pour se constituer et se créer des lois; ce n'est pas non plus sans intérêt qu'on voit naître ces dominalions de systèmes, s’écrouler ces empires scientifiques devant les 1r- ruptions de doctrines ou nouvelles ou régénérées, et naître d'intervalle en intervalle ces puissants esprits, législateurs tem- poraires à qui finit toujours par échapper la science mobile et progressive. 41144 BROWN ET BROUSSAIS. » Aussi toutes les fois qu’on a voulu systématiser la pathologie, a-t-on commencé par réformer les doctrines physiologiques. En effet, on ne peut lier les différents faits pathologiques sans prendre là son point de départ. Brown a aussi commencé par faire sa physiologie, où nous verrons découler toutes ses opi- nions sur la génération des maladies et leur thérapeutique. » (Article sur Cullen, dans Journal hebdomadaire de médecine, 1830, t. VI, p. 321 et suiv.) Nous avons vu plus haut (p.1120 etsuiv.), mais sommairement, par quels côtés Brown et Broussais se rapprochent ou s’éloignent l'un de l’autre. Au fond les deux systèmes ont quelques ana- logies par la théorie abstraite de la stimulation ; mais presque tout diffère dans le ‘point de départ, dans les détails et surtout dans les applications thérapeutiques. Broussais à pris soin, du reste, dans son Examen des doctrines médicales (3° édit, & WE, p. 345 et suiv.) de marquer longuement les dissemblances, et de montrer même comment quelques-unes de ses idées confinent plutôt à celles de Rasori, en ce qu’il admet comme ce médecin, non-seulement des stimulants, mais aussi des contre-stimulants dont l’action est évidente et qui est la contre-partie de celle des stimulants, quoiqu’elle contribue, elle aussi, à entretenir la vie où à rétablir la santé. Selon Broussais, les stimulants externes, c’est-à-dire tous les corps pondérables où impondérables, sont les principaux stimulants, attendu que les stimulants internes (l’exer- cice même des fonctions, l'influence nerveuse, les passions, l’ac- tion musculaire) ne sont que la conséquence des stimulants ex- ternes, dont la privation fait immédiatement cesser la vie. Cela n’est pas vrai absolument : en effet, quoique l’organisme ait en soi des propriétés immanentes, elles ont besoin des milieux et d’une mise en activité pour se manifester, on ne sawait le contester ; cependant il n’est pas douteux que ces propriétés innées, que ces réceplacles naturels internes de stimulation sont, en principe, supérieurs, comme l'avait dit Brown, aux sli- mulants externes qu’on peut comparer à la clef de montre qui remonte le mécanisme. Mais Broussais, pas plus que Brown, n'avaient pris, comme fondement de leur doctrine physiologique BROWN ET BROUSSAIS. 4145 et pathologique, l’idée des forces vitales inhérentes à la matière organisée, forces dérivées en partie des forces physico-chimi- ques et qui, par de mutuelles substitutions et transformations, rendent compte de la plupart des mouvements de l'organisme. Là où le dissentiment est à la fois le plus considérable et le plus manifeste entre Broussais et Brown, c’est dans la localisa- lion des maladies. Brown professait à priori que toutes ou du moins presque toutes les maladies sont d’abord générales et qu’elles ne font que se localiser suivant diverses circonstances ; au contraire, selon Broussais, qui a cru pouvoir déduire cette proposition de l'anatomie pathologique, toutes ou presque toutes les maladies (puisqu'il comprend la fièvre inflammatoire, les fièvres intermittentes, pernicieuses ou simples, les névroses ac- tives, etc.) sont locales dans leur principe, et se généralisent par suite des réactions diverses. Aussi Broussais reproche-t-il à Brown d’avoir considéré l’économie en masse et non chaque issu en particulier, étranger qu’il était € à la savante division » des tissus vivants établie par Bichat. Les phénomènes morbides n'appartiennent pas à lous les tissus, mais chacun de ces phéno- mènes (troubles de la circulation, des sécrétions, état particulier des muscles, etc.) appartient à un tissu distinct des autres. Broussais ne critique pas moins vivement la théorie de l’incita- bilité, de sa diminution ou de son accumulation ; il essaye de dé- montrer, par l’observation clinique, que les mêmes causes peu- vent produire l’asthénie et la sthénie ; que, par exemple, dans les maladies par faiblesse indirecte, lPincitabilité était souvent augmentée et non diminuée; que dans certaines maladies où Brown croit celte incitabilité en excès, elle est en défaut. Il veut ensuite, pour prouver que l’incitabilité n'est pas uniforme dans l’économie, distinguer l’excitation générale de la matière ner- veuse, des augmentations de force, d’excitabililé, ou de conges- ion sanguine; toutes discussions qui ont aujourd'hui perdu pour nous la plus grande partie de leur valeur. — Broussais combat ensuite l’idée de l'opportunité pour les maladies; cette opportunité, ou n’est rien qu’un être fictif, ou est déjà un com- mencement très-faible de maladie. En somme, cette opportunité revient à ce que nous appelons prédisposition morbide, et que 1146 BROWN ET BROUSSAIS. Broussais admettait également sous une autre forme, ne voulant pas reconnaître les diathéses. Il n’est pas besoin d’insister sur les critiques de détail que Broussais adresse presque toujours victo- rieusement à la classification et à la description des maladies; je donne seulement la sévère conclusion du jugement porté par le médecin du Val-de-Grâce sur le médecin d'Édimbourg: « L'histoire de la médecine nous a prouvé que letourment moral de l’homme est d'ignorer. C’est pour cela que les médecins ont constamment inventé ou supposé des faits, pour ajouter aux faits que leurs sens leur faisaient découvrir, afin de compléter et de régulariser la science de l’homme physique. En vain Bacon les avertit un jour de la faute qu'ils commettaient; il ne put leur enseigner le moyen de n’y plus tomber, et lui-même supposa la nature au lieu de la chercher avec patience. Il n’est donc pas étonnant que les médecins n'aient pas fait plus que lui et qu'on les voie encore affirmer ce qui n’est pas prouvé. Si Jamais ils ar- rivent au point de n’admettre pour dogmes que des propositions générales, réductives en faits que les sens puissent constater, 1ls auront donné au monde un grand exemple. Mais ce n’est point cela que Brown a fait : dès le moment qu'il a réalisé incitation, la force et la faiblesse, et qu’il en a parlé comme de choses sen- sibles, ayant une existence par elles-mêmes, ?/ 4 commencé à mentir, et ses propositions générales ou ses dogmes ont cessé d’être réductibles en faits ; par conséquent, 1l est tombé dans le vice que nous avons reconnu chez tous ses devanciers, ou bien, si l’on aime mieux, il n’a fait que travestir leurs doctrines et les exprimer en d’autres termes. Les maladies qu'il admet sont encore leurs maladies, c'est-à-dire leurs groupes de symptômes ; seulement il en donne une explication qu’il a trouvée chez eux et qu'il a l’art de rendre nouvelle. De même il n’en change le trai- tement qu’en rapportant à une des causes hypothétiques, qu’un système aussi hypothétique leur avait assignée, à la faiblesse, un nombre plus considérable de ces entêtés qu'on ne lavait fait avant lui; et c’est toujours parce qu'il suppose plutôt qu'il ne voit les faits particuliers. Mais ces changements sont si peu fondés, que ses successeurs, sans sortir de sa doctrine, sont obligés de remettre la thérapeutique à peu près sur l’ancien IDÉE GÉNÉRALE DU SYSTÈME DE BROUSSAIS. 1147 pied, si même ils ne vont pas au delà dans le sens opposé au sien, sauf à trouver une nouvelle hypothèse pour justifier cette irrévérencieuse dérogation. C’est ce que nous allons voir dans les doctrines d'Italie qui ont succédé au brownisme pur, et dans les autres doctrines modernes. En les examinant, nous essayerons de déterminer comment s’est opéré cet amalgame inconcevable qu’on appelle éclectisme et que lon donne pour le nec plus ultra de la théorie médicale. » Je pense qu’il sera bon, puisque je ne veux pas 1c1 m’étendre sur la doctrine de Broussais (cet auteur appartient au xIx° sié- cle, devant lequel je n'arrête, par l'impossibilité de donner des jugements critiques longuement motivés), de rappeler quelques- unes des propositions fondamentales du système du fougueux réformateur (1), et de les mettre en regard de celles de Brown. Je me permets d'autant plus volontiers cette longue citation que Broussais est à peu près aussi oublié que Brown par nos médecins et par nos étudiants, et que les uns et les autres trou- veront, au moins, un résumé de sa docirine. Généralités sur la physiologie et sur la pathologie. — « La vie de l'animal ne s’entretient que par les stimulants extérieurs (Brown, voy. plus haut), et tout ce qui augmente les phénomènes vitaux est stimulant. La composition des organes et des fluides est une chimie parüculière à l'être vivant. La puissance inconnue qui met cette chimie en action donne aux organes, en les composant, la faculté de se mouvoir en se contractant, et à leur ensemble la faculté de témoigner qu'ilest sensible. Contractlité et sensibilité sont donc les témoignages ou les preuves de Pétat de vie : la con- traculité appartient à toutes les fibres animales ; la sensibilité est un des modes d’action de l'appareil encéphalo-nerveux. La sensi- bilité et la contractilité étant augmentées dans un point, le sont bientôt dans plusieurs autres ; c’est la sympathie. La sympathie (4) Voy. Examen des doctrines médicales, 3° édit., t, F1, p. 1-cxx. On trouvera une judicieuse et équitable appréciation de Broussais et de ses écrits dans une Etude sur Broussais et son œuvre, par M. le docteur P, Reis, 1869, Je passe entièrement sous silence ce qui regarde la psychologie de Broussais ; on en lira une magistrale réfutation dans un très-bel article de M, le duc de Broglie. Voy. Écrits ot Discours, t. 1, p. Î et suiv., sous ce titre : De l'existence de l'âme. 1148 IDÉE GÉNÉRALE DU SYSTÈME DE BROUSSAIS. s'effectue par l'intermédiaire d’une forme particulière du tissu vivant ou de la matière animale, qu’on appelle matière nerveuse. La sensibilité et la contractilité sont distribuées à différents degrés dans les divers organes qui composent le corps vivant. Ceux qui possèdent dans le plus haut degré reçoivent immédia- tement l’action des stimulants et la transmettent aux autres; ils sont donc les mobiles naturels des sympathies. » Toute stimulation assez intense pour parvenir au cerveau parcourt tout l’ensemble du système nerveux de relation. Elle se répète donc dans tous les viscères, ce qui fournit au cerveau de nouvelles causes de stimulation. Telle est l’origine des besoins qui déterminent l'animal à l'action. Celle-ci est exécutée tantôt sans conscience et tantôt avec conscience. Dans le premier cas, elle est du plus bas instinct, et sans plaisir ni douleur ; dans le second, elle est ou simultanément instinctive et intellectuelle, ou purement intellectuelle. Dans ces deux dernières conditions, elle s’exécule en vertu du plaisir ou de la douleur que l’animal per- çoit, et a toujours pour objet ou de faire durer, ou se répéter la stimulation, ou d’en écarter la cause, ou d'y soustraire l’orga- nisme. Les nerf: ganglionnaires viscéraux recueillent, malgré la volonté, l'influence stimulante des nerfs cérébraux, et la font servir aux mouvements indépendants du centre de perception. Aussi la volonté ne peut-elle retirer la stimulation qu’elle leur a fait parvenir par l’exercice des fonctions de relation. Les nerfs canglionnaires viscéraux font servir la force vitale de l'animal, c’est-à-dire l’action dont il est capable, à la chimie vivante, mal- oré l'influence de la volonté; et quand la somme de celte force ne peut plus suflire aux deux grands ordres de fonctions, ils la dé- tournent de celles de relation, pour la concentrer dans les fonc- tions nutritives. Ils opèrent cette diversion en cumulant linner- vation et avec elle les fluides dans les capillaires des viscères et surlout du cerveau. Le sommeil est probablement produit de celte manière. Une communication de lexcitation facile, conti- nuelle et dans toutes les directions, entre les différentes parties du corps, par le moyen de la matière nerveuse, est indispensable pour entretenir l'équilibre des fonctions (1). 4) Broussais montre que l’abord d'un sang oxygéné peut entretenir pendant quel= IDÉE GÉNÉRALE DU SYSTÈME DE BROUSSAIS. 1149 » Dans les saisons et dans les climats chauds, l'excitation arrive plus aux animaux par la surface extérieure que par les surfaces internes. Dans les saisons et les climats froids, l'excitation leur est plus donnée par les surfaces internes que par l’externe. La surface gastrique devient alors la principale voie d’excitation ; c’est pourquoi la nutrition est plus considérable. L’excitation n'est jamais uniforme dans l’économie animale ; elle est toujours en plus dans certaines parties, en moins dans plusieurs autres, et prédomine successivement dans diverses régions. Cette inégalité finit souvent par déranger l’équilibre des fonctions. » La santé ne s’altère jamais spontanément, mais toujours parce que les stimulants extérieurs destinés à entretenir les fonc- tions ont cumulé l'excitation dans quelque partie, ou parce qu'ils ont manqué à l’économie, ou parce que l'économie a été stimulée d’une manière qui répugne à lexercice des lois vitales; car il existe des rapports entre les modificateurs extérieurs et l'ensemble ou les différentes parties de l'organisme, tels que les uns favo- risent, les autres entravent les lois vitales, et ces derniers sont les poisons. Les fonctions sont irrégulières lorsqu'une ou plusieurs d’entre elles s’exercent avec trop ou trop peu d'énergie. La vita- lité des organes peut avoir été exaltée avant d'être diminuée, et vice versa, n'y a ni exaltalion, ni diminution générales et uni- formes de la vitalité des organes. L'exaltation commence tou- jours par un systèmé organique, et se communique à d’autres, soit dans le même appareil, soit ailleurs. La nature de l'exaltation communiquée est la même que celle de l'exallation primitive. C'est toujours l'augmentation des phénomènes qui atteste l'état de vie. » L’exaltation d’un ou de plusieurs systèmes organiques, d’un ou de plusieurs appareils, détermine toujours la langueur de quelque autre système ou appareil. La diminution de vitalité d’un système ou d’un appareil entraine souvent l’exaltation d’un ou de plusieurs autres, et quelquefois leur diminution. L’exal- que temps la nutrition dans les parties paralysées, mais que, par défaut de l'influx nerveux, cette nutrition devient de plus en plus languissante sans toutefois entrai- ner la mort locale, 1150 IDÉE GÉNÉRALE DU SYSTÈME DE BROUSSAIS. tation de la vitalité d’un système (et à plus forte raison, d’un appareil) suppose toujours une action des modificateurs stimu- lants supérieurs à celle qui convient au maintien de la santé, c’est-à-dire une superstimulation ou surexcitation. La surexci- tation partielle suppose toujours un appel trop considérable de fluides ; il y a donc congestion préjudiciable à l'exercice des fonctions dans toute surexcitation. C’est une congestion morbide. La réunion de la surexcitation et de la congestion morbide par- tielles entraine toujours une nutrition partielle exagérée ou irré- gulière, ce qui constitue la congestion active, qui tend nécessai- rement à la désorganisation. La surexcitation et la congestion morbide actives et partielles sont compatibles avec la diminution générale de la somme de vitalité. La diminution partielle de la vitalité entraine toujours celle de la nutrition, quoiqu'’elle dé- termine souvent une congestion morbide ; mais celle-ci est pas- sive. » La congestion morbide passive peut désorganiser, mais beau- coup moins que l’active. La congestion morbide active étant tou- jours compagne de la surexcitation ou surirritation, il suffit de nommer cette dernière pour être entendu en développant la marche des maladies; on peut même, pour être plus bref, se contenter du mot 2rritation, pourvu que l’on y attache le même sens qu’à ces deux expressions ; mais il faut sous-entendre l’é- pithète s#norbide. » L’irritation peut exister dans un système sans qu'aucun autre y participe; mais cela n’a lieu que lorsqu'elle est peu considéra- ble. Elle ne porte alors que sur les mouvements organiques locaux et sur la nutrition de la partie; mais aussitôt que lirritation locale s'élève à un certain degré, elle se répète dans d’autres sys- tèmes ou dans d’autres appareils plus ou moins éloignés, et toujours sans changer de nature. L’irritation tend à se propager par similitude de tissu et de système organique ; c’est ce qui constitue les diathèses; cependant elle passe quelquefois dans des tissustout différents de ceux où elle a pris naissance, et plus souvent dans les maladies aiguës que dans les chroniques. Lors- que l'irritation accumule le sang dans un tissu, avec luneur, rougeur et chaleur extraordinaires, et capables de désorganiser IDÉE GÉNÉRALE DU SYSTÈME DE BROUSSAIS. 1154 la partie irritée, on lui donne le nom d’inflammation. L’inflam- mation laisse souvent à sa suite un mode d’irritation qui porte un nom différent du sien et produit une cacochymie que l’on a crue essentielle. » Pathologie spéciale. — « Le mot entérite, étant consacré à l’inflammation de l'intestin grêle, ne peut servir à distinguer celle du côlon ; il faut appeler celle-ci colite ou colo-rectite; mais les deux se succèdent et s'associent. La gastro-entérite existe: sans aucun point douloureux lorsque Pinflammation ne prédomine pas avec force dans l’estomac ou le duodénum ; et la pression de l'abdomen ne développe même pas de douleur. La gastro-en- térite se reconnaît par les symptômes locaux (voy. les K 133 et suivants pour les détails donnés, sous forme aphoristique, re- lativement aux autres maladies) et par les sympathies qu’elle développe, savoir : 1° les organiques, rougeur et chaleur des ou- verlures des membranes muqueuses et de la peau, altération des canaux sécréteurs de la bile, et surtout du muceus; 2° les rela- tives, qui sont les douleurs de la tête et des membres, l’aberra- tion de la faculté de sentir et de juger. L'influence exercée sur le cœur est commune à plusieurs autres phlegmasies. Les gastro- entériles aiguës qui s’exaspérent arrivent toutes à la stupeur, au fuligo, à la lividité, à la fétidité, à la prostration, et représen- tent ce qu’on appelle fièvre putride, adynamique, typhus; celles dans lesquelles l’irritation du cerveau devient considérable, qu'elle s'élève ou non au degré de la phlegmasie, produisent le délire, les convulsions, etc., et prennent le nom de fièvres mali- gnes, nerveuses ou ataxiques. » Toutes les fièvres essentielles des auteurs se rapportent à la gastro-entérite simple ou compliquée. Ils l’ont tous méconnue lorsqu'elle est sans douleur locale, et même lorsqu'il s’y trouve des douleurs, les regardant toujours comme un accident. Les auteurs ont quelquefois dit que certaines fièvres dépendaient d'une inflammation des organes digestifs; mais ils n’ont Jamais dit que les fièvres prétendues essentielles ne puissent avoir une autre cause, jamais qu'elles fussent produites par le même mé- canisme que la fièvre des pneumonies, etc., jamais enfin qu'il n’y 1152 IDÉE GÉNÉRALE DU SYSTÈME DE BROUSSAIS. en eût point d'essentielles. Tout cela n’a été dit que depuis la doctrine physiologique. Les auteurs, ignorant que la membrane interne des intestins grêles peut s’enflammer sans douleur locale, ont tous attribué à leurs entérites les symptômes de la péritonite et souvent ceux de la colite. » C’est par une gastro-entérite aiguë, premier effet de l’agent contagieux, que débute la variole. La phlegmasie cutanée la remplace, et la termine lorsque les pustules sont en petit nom- bre; mais elle la reproduit, si les pustules sont nombreuses, par l'érysipèle qui résulte de la confluence des aréoles. Telle est la fièvre secondaire de la variole, dite aussi iévre de suppuration. Je n’ai point vu de tubercules du poumon sans une inflammation antécédente. Ceux qu'apportent les enfants naissants ne me paraissent pas indépendants de ce phénomène. » Les inflammations des membranes séreuses n’ont que deux formes, l’une aiguë, très-douloureuse et très-fébrile, l’autre chronique, presque indolente et apyrétique. Cette dernière se confond avec les subinflammations. Les inflammations des membranes muqueuses ont des formes et des degrés plus mul- tipliés que celles des séreuses, parce que, comme sens internes abondamment pourvus de matière nerveuse, et mobiles conti- nuels de sympathies, les muqueuses ont une sensibilité et une irritabilité plus variées et plus intenses que les séreuses, qui n'ont ni sensibilité ni sympathies dans l’état sain. » Toutes les hémorrhagies qui ne dépendent pas d’une violence extérieure, et qui sont spontanées, sont actives, quelle que soit la faiblesse du sujet. Les névroses sont actives et passives, tandis que les inflammations et les subinflammations ne peuvent être qu’actives. » L'irritation morbide peut être intermittente dans presque tous les appareils et systèmes organiques où l’inflammation aiguë peut se développer. L'irritation morbide peut être continue dans un appareil à un degré modéré et s’y exaspérer périodiquement pour retomber ensuite à son premier état. Dans ces cas, quand elle y est modérée, elle excite peu de sympaihies; lorsqu'elle S'y exaspère, elle en développe un grand nombre; ce sont Îles fièvres rémittentes, subintrantes, etc., des auteurs. Les irrita- IDÉE GÉNÉRALE DU SYSTÈME DE BROUSSAIS. 1153 tions intermittentes et rémiltentes sont toujours avec exaltation de la sensibilité et de la contractilité, et par conséquent avec con- gestion, soit dans le principal siége du mal, soit dans les lieux où il éveille des sympathies. Les irritations intermittentes et rémit- tentes sont toujours des phlegmasies, des hémorrhagies, des né- vroses ou des subinflammations qui se déplacent et se terminent spontanément par des métastases critiques; si elles cessent de se déplacer, elles se convertissent en phlegmasies, en hémorrhagies, en névroses, ou en subinflammations continues, soit aiguës, soit chroniques. » Les fièvres intermittentes et rémittentes sont des gastro-en- térites périodiques, mais lencéphale et les autres viscères sont irrités sympathiquement, de même que dans les continues, et peuvent aussi devenir le siége principal de l'irritation et s’enflam- mer d’une manière périodique ou continue. Chaque accès régu- lier de fièvre intermittente est le signal d’une gastro-entérite dont l’irritalion est ensuite transportée sur les exhalants cutanés, ce qui produit la crise; si l’irritation ne se déplace pas complé- tement, la fièvre est rémittente; si elle cesse de se déplacer, la fièvre devient continue. Les fièvres larvées des auteurs sont des irritations périodiques de différents systèmes ou appareils, soit intérieurs, soit extérieurs, mais dans lesquelles le cœur est moins influencé et la chaleur générale peu ou point exaltée. Les fièvres dites pernicieuses ne diffèrent des autres que par la violence et le danger des congestions. » Thérapeutique (1).— «I est toujours dangereux de ne pas arrêter une inflammation au début, car les crises sont des efforts violents, souvent dangereux, que la nature déploie pour soustraire l’économie à un grand danger; ilest donc utile de les prévenir et imprudent de les attendre. Il ÿ a quatre moyens d'arrêter la marche des inflammations : les débilitants, les révulsifs, les toniques fixes et les stimulants plus ou moins diffusibles. Les débilitants propres à arrêter les inflammations sont la saignée, l'abstinence, les boissons émollientes et acidules, mais la sai- (1) Ici comme pour la pathologie je laisse de côté les détails de la thérapeutique ; ils ne sont que les conséquences des principes que je transcris, DAREMBERG. 73 4154 IDÉE GÉNÉRALE DU SYSTÈME DE BROUSSAIS. gnée est le plus eflicace de tous. Les vésicatoires augmentent souvent les gastro-entérites, parce que l'inflammation qu'ils produisent ajoute à celle de la membrane muqueuse digestive, au lieu d’en opérer la révulsion ; ils ne rendent donc pas les ser- vices qu'on en attend dans le degré de ces maladies que lon désigne par les mots de fièvre adynamique. Les vésicatoires exaspèrent le plus souvent les inflammations des différents tissus du poumon, soit aiguës, soit chroniques, lorsqu'on les appli- que avant le traitement antiphlogistique; mais, après les sai- gnées répétées, ils opèrent très-efficacement la révulsion. » L’estomac est un organe qui a besoin d’être stimulé, afin d'entretenir, par les sympathies qu’il réveille, le degré d’irrita- tion nécessaire à l'exercice des fonctions; mais il doit l'être dans un degré et dans un mode qui conviennent à sa vitalité, car il est le siége du sens interne régulateur de l’économie. Les in- flammations intermittentes cèdent aux saignées et au froid appli- qués durant la période de chaleur, au printemps, lorsque le sujet est robuste et pléthorique, et lorsque la maladie est récente ; dans ces cas placer les sangsues le plus près qu’il est possible du principal point d'irritation. » Les groupes de symptômes que l’on donne pour des mala- dies, sans les rapporter aux organes dont ils dépendent, ou bien en les rapportant aux organes, mais sans avoir bien déterminé la nature de l’aberration physiologique de ces derniers, sont des abstractions métaphysiques qui ne représentent point un état morbide constant, invariable,et dont on soit assuré de retrouver le modèle dans la nature ; ce sont donc des entités faclices, et tous ceux qui étudient la médecine par cette méthode sont des ontologistes. Gonsidérer les entités morbides factices comme des puissances malfaisantes qui agissent sur les organes et les modi- fient en y produisant tel ou tel désordre, c’est prendre les effets pour les causes, c’est faire de l’ontologie. Considérer la succes- sion des symptômes que l’on a observés comme la marche néces- saire et invariable d’une maladie, et en faire des caractères es- sentiels à son diagnostic, et par conséquent à son traitement, c’est créer une entité factice, puisque les affections des organes se comportent différemment suivant leur irritabilité, leur sensi- IDÉE GÉNÉRALE DU SYSTÈME DE BROUSSAIS, 4155 bilité et les modificateurs qui agissent sur eux; c’est se mettre dans l'impossibilité de traiter cette maladie avant sa terminaison, sans être en contradiction avec ses propres principes ; c’est tou- Jours faire de l’ontologie. Adresser des remèdes à une entité morbide factice, sans apprécier leurs effets sur les organes qui les reçoivent, et sur ceux qui sympathisent avec ces organes, c’est guérir ou exaspérer une maladie sans en connaître la raison physiologique. » Celui qui guérit une maladie sans en avoir apprécié avec justesse les modifications physiologiques au moyen desquelles il a opéré cette cure, n’a pas la certitude de reconnaître ni de guérir la même maladie lorsqu'elle se présentera de nouveau; d'où 1l résulte nécessairement que ni les succès ni les revers des onto- logistes ne peuvent servir ni à les rendre aps praticiens, ni à Er donner les moyens d’en former d’autres. Du système de Brown il ne subsiste rien, mais du système de Broussais 1l reste de belles descriptions de maladies, de savantes observations, la considération, après Bichat de la diversité des maladies suivant les tissus qu’elles envahissent ; l'exemple, devenu plus salutaire entre les mains de ses rivaux qu'entre les siennes, de l'application régulière de l'anatomie pathologique à l’étude des maladies; une pathologie où les lésions sont envisagées dans leurs rapports avec les manifestations morbides (1); une foule de précieuses remarques touchant la marche et les suites de linflammation. C’est là l'impérissable titre de Brous- sais à occuper une des places les plus élevées dans l'histoire de la médecine. Ce titre, il faut surtout le chercher dans l’His- toire des phlegmasies chroniques, et encore dans la première édition (1808); car dans les suivantes, de scrupuleux observa- (4) Dans la Préface de l’Lrritation et la folie Broussais définit la méthode phy- siologique : «L'observation des rapports de l’homme avec les modificateurs externes et des organes de l’homme les uns avec les autres, aussi bien en santé que dans l’état de maladie, Ce n’est pas l’abstraction vie qu'il s’agit d'étudier, mais les organes vivants, car ni les forces ni les propriétés ne peuvent pas être considérées indépendamment des organes et des tissus. Il est donc indispensable que le médecin ait toujours la matière des organes présente à son esprit. » 1156 IDÉE GÉNÉRALE DU SYSTÈME DE BROUSSAIS. teur, ou, si l’on aime mieux, de simple chercheur (1) qu'il était, il prend, sous le feu de la contradiction, les allures d'un sectaire. (4) On remarque cependant, dans la premiere édition de l'Histoire des phlegma- sies chroniques, plus d’une vue aventureuse sur la nature et sur le traitement des fièvres, particulièrement des fièvres intermittentes, pour lesquelles Broussais, comme beaucoup de médecins du xvrnf siècle, n'use qu'à contre-cœur du quinquina, dans la crainte des phlogoses. En tout cas, si le nouveau système se trouve tout entier sa celte première édition, il s’y trouve dans une mesure encore tout à fait scienti- fique. XXXIT SoumaIRE.— Ecole de Montpellier ; Bordeu et la fédération des organismes ; Barthez et le vitalisme; Grimaud et son Traité des fièvres; Dumas et son système des ma- ladies ; Reilet le vitalisme en Allemagne; Erasme Darwin et le matérialisme bio- logique en Angleterre, MESSIEURS, Théophile de Bordeu (1722-1776), dont on fait, ou du moins dont on faisait si grand état à Montpellier, est, à mon sens, un esprit très-embrouillé, un anatomiste mal assuré (1), un phy- siologiste incertain, un théoricien sans doctrine bien arrêtée, un véritable syncrétiste, un historien des plus mal informés, un prétendu savant qui vante sans cesse l’empirisme et la médecine naturelle (vovez surtout ses Recherches sur l'histoire de la méde- cine) et en même temps qui se laisse aller parfois aux rêveries d’une sorte de mysticisme (2). En 1742 il publie, comme bache- lier, une dissertation De sensu generice considerato, où il recon- nait que les nerfs sont le siége des sensations et de la sensibilité, (1) On a beaucoup vanté le Mémoire de Bordeu, intitulé : Recherches anatomi- ques sur les articulations des os de la face. I est certain que Bordeu à fait une étude atientive de ces os et de ceux du crâne ; mais le problème qu'il pose (et que suivant son habitude il ne résout pas) est, au moins, singulier : «Quand un homme a un grand poids sur la tête et serre en même temps quelque chose violemment entre ses dents, il est évident que les principaux os de la tête font effort, Quel est celui qui en fait le plus ? Quel est celui qui soutient toute la machine? Les coupes données à ces pièces sont-elles les plus propres qu'il soit possible, les plus conve- nables, celles qui épargnent le plus la matière et ménagent le mieux l’espace? » Mais la tète n’est pas faite seulement pour supporter un grand poids et pour que les dents serrent en même temps quelque chose; d’ailleurs, c’est non-seulement par l'étude des os de la tète humaine, mais de la tète des divers animaux, qu'on peut arriver à déterminer en vue de quels offices ces os sont construits et agencés, (2) I appelle quelque part (Des glandes, $ 64) Van Helmont un de ces enthou- siastes comme il en faudrait un chaque siècle pour tenir les scolastiques en haleine. 1158 ÉCOLE DE MONTPELLIER. non par l'intermédiaire des esprits animaux, sur l'existence des- quels on ne peut former que des conjectures (voy. K 5 et suiv.), mais par une sorte de puissance contractile ou d’oscillation, (K31 et suiv.) qui est mise sous la dépendance d’une sorte de réver/ d’une irritation spontanée ou acquise (voy. aussi Des glandes, $ 87 et suiv., et 130) (1). On trouve au septième chapitre, $ 2, des Benherches sur l’lris- toire de la médecine, un passage thé curieux où Bordeu émet son opinion sur la constitution de l'organisme humain considéré dans la plus grande généralité. « L'âme spirituelle, dit-il, jointe au corps vivant, a ses fonc- tions particulières ; elle agit sur le corps et elle en recoit des modifications ; mais la vie corporelle est due à l’être animal ou vivant, être distinct, par sa nature ou par ses dispositions essen- tielles, de tous les autres corps, être duquel les bêtes approchent beaucoup plus que les plantes, qui jouissent pourtant d’une nuance ou d’une portion de vie corporelle. Les savants ont reçu avec empressement les expériences et les réflexions d’un médecin philosophe des plus distingués de ce siècle, Haller; il a pris l'irritabilité des parties du corps vivant pour un principe géné- ral, et il la mise à la place de la sensibilité, qui avait de même été regardée comme un principe général dans l’École de Mont- pellier, avant qu’il fût question de l’irritabilité considérée sous ce point de vue. Or, la sensibilité paraît plus aisée à comprendre (1) Bordeu pense, en partie comme Baglivi (voy. plus haut, p. 802 et suiv.), que le cerveau à une espèce de mouvement de tonicité active qui se propage aux nerfs, mouvement ou tonicité qui sont propres à sa substance ou qui lui viennent des membranes, et auxquels les pulsations artérielles de la base ne sont pas tout à fait étrangères ; il combat l'opinion de ceux qui pensent que les nerfs des fonctions vitales viennent du cervelet ($ 130 ; voy, aussi $ 131 sur la théorie mécanique des modifications que l'âme fait subir au cerveau).—Les idées, prises, comme les sensa- tions, dans ce qui s'appelle leur matériel, ne sont que des tensions ou des vibra- tions plus ou moins fortes des fibres du cerveau qui retentissent sur une partie, par exemple l’action de l’idée d’un bon mets sur la sensation de la salive. Bordeu se rat- tache ici à la théorie iatromécanique, quoiqu'il se moque un peu des mécani- ciens, sans négliger quelques malices à l’adresse des Stahliens (voy. aussi Des crises, $ 48), lesquels n'ont pu, dit-il, s'implanter à Montpellier qu’en habillant la doctrine du maitre de quelques lambeaux de mécanique fournis par les auteurs anglais. | BORDEU. — PHYSIOLOGIE ET PATHOLOGIE. 4159 que lirritabihté, et elle peut très-bien servir de base à l’explica- tion de tous les phénomènes de la vie, soit dans l’état de santé, soit dans l’état de maladie, Au reste ces deux opinions se res- semblent beaucoup, et elles ont eu de grands partisans en Angle- terre. Telle est donc la façon de considérer le corps vivant, de la part de ceux qui, parmi les modernes, ont porté leurs spécula- tions au delà de la médecme pratique et des systèmes reçus dans les écoles du commencement du siècle. Tel est l'essor que prend la médecine philosophique dans ce qui concerne les fonctions purement matérielles du corps. Les médecins anciens n’ont pas fait de moindres efforts pour développer la cause et les phéno- mènes de la vie et de ses fonctions. » En 1742, il donne une autre dissertation Sur la chylification, qu'il considère comme un acte vital, mais où il admet, pour contenter tout le monde, un peu de fermentation et un peu de putréfaction. En 1744, rèçu docteur en médecine, 1l démontre l'anatomie à Pau, revient à Montpellier, d’où il se rend à Paris et fréquente surtout la Charité; en 4749 il était nommé inten- dant des eaux minérales d'Aquitaine dont il vantait les merveilles en toute occasion (1). C’est en 1752 qu'il vient se fixer à Paris. Peu de temps aprés son arrivée en cette ville, il attira l'attention sur lui par ses Recherches anatomiques sur les différentes positions des glandes et sur leur action, 1752, où il combattit sans trop de ménage- ments les opinions qui avaient cours à l'École de Paris. Ce n’est pas par la compression des parties voisines que les glandes se vident ou sécrêtent, ainsi que le professaient la plupart des ph\- siologistes, Boerhaave, Lazerne, Fizes, Heister, ete. (8 4 et suiv.); il appuie ses légitimes objections sur un raisonnement assez subtil et sur des expériences ingénieuses pour la parotide, les (4) Ses Recherches sur les maladies chroniques (1775) et ses Lettres sur les eaux minérales du Béarn, 1746-1748, semblent écrites pour la glorification des eaux minérales, — M. Guardia (Gazette médicale de Paris; n° 9, 3 mars 1866, a trouvé dans les archives de l’Académie de médecine (voy. plus haut, p. 14, note 1) une lettre {40 mars 1773) inédite où Bordeu recommande « ses eaux » à la Société royale de médecine, 1160 ÉCOLE DE MONTPELLIER. diverses glandes salivaires (il les distingue en latérales internes, inférieures latérales, maxillaires inférieures moyennes), pour les glandes de l'arrière-bouche, les glandes aryténoïdes, et pour toutes les autres glandes. Sans prendre parti ni pour Malpighi ni pour Ruysch que Lieu- taud avait, € avec tout le feu de l’école », fort maltraités, sans admettre positivement que le cerveau est fongueux et forme une masse poreuse , Bordeu ($ 31 et suiv.) s’en tient aux sages doutes de Sténon. Les nerfs ne sont pas les conduits excréteurs du cerveau ; l’infundibulum parait seulement remplir ce rôle par rapport aux ventricules du cerveau. Que le cerveau soit ou non une glande, il n'en mérite pas moins considération, surtout en ce point que, s’il est comprimé, son action ou ses sécrétions sont supprimées; ce qui prouve bien que la compression arrête au lieu de favoriser les sécrétions ($ 34 et suiv.). Il est présumable que la glande thyroïde envoie quelque liqueur à la trachée, où Bordeu à remarqué, pour la premiére fois, en 1741, soit une fente, soit des trous ouverts sur le pre- mier cerceau de ce tube; ce sont là les embouchures des con- duits excrétoires de la thyroïde ($ AO et suiv.). Le thymus n'a que des usages transitoires; il ne tient pas la place des poumons chez le fœtus; il ne sécrète pas de liqueur ; il semble plus probable que c’est un organe sanguin qui se rape- tisse après la naissance, non qu'il soit comprimé par le poumon, mais parce qu’un tel diverticulum du sang n’est plus nécessaire, puisque le poumon reçoit une quantité suffisante de ce liquide ($ 48 et suiv.). Pour prouver que la sécrétion s'opère dans les glandes, non par compression, mais par érritation, il apporte en témoignage (K 73) le chatouillement particulier qui accompagne la succion et le tiraillement des mamelles par l'enfant; les femmes appellent cela /a montée du lait; sous l'impression de ce cha- touillement leurs mamelles, de flasques qu’elles étaient, se bouf- lissent. Je donne ici textuellement deux passages qui résument la doctrine ($ 87 et 98). « L'excrétion des glandes dont il a été question jusqu à présent ne se fait pas, comme on l'avait avancé, par la compression du corps glanduleux, mais par l’action propre de l'organe, acüon BORDEU. — PHYSIOLOGIE ET PATHOLOGIE. 1161 que certaines circonstances augmentent, comme les #ritations, les secousses et les dispositions des vaisseau: du même organe. Ces circonstances ou ces changements paraissent les uns mieux que les autres dans certains organes; mais ils sont nécessaires pour lexcrétion, qui dépend principalement d’une espèce de convulsion ou d'état spasmodique de l'organe, que nous avons appelé érection. Ajoutons que chaque glande ayant besoin, pour agir ou pour travailler à l’excrétion, de se replier ou de se rouler sur elle-même, de se gonfler et de se durcir, 1 à fallu que la na- ture ménageât les parties qui environnent les glandes de façon qu’elles ne les gênassent point; aussi le détail a-t-11 fait voir que chaque glande à , pour ainsi dire , sa che particulière où elle peut contourner librement. Ge qu'il y a de particulier, c’est qu'il fallait accorder cette liberté avec une position convenable pour que la glande fût secouce et agitée où excitée par les parties du voisinage sans en être comprimée ; on a vu comment tout a été admirablement proportionné pour la même fin. Voilà bien des propositions qui paraîtraient tout d’un coup des paradoxes, en suivant l'opinion commune; mais nous croyons avoir démontré qu’elles sont évidentes, et que le système ordinaire ne saurait subsister tel qu’on l'a donné jusqu'ici, à moins qu'on n'y fasse quelque modification particulière. » Nous pensons que les sécrétions dépendent surtout de lac- tion des nerfs qui se trouvent dans la glande, et que la sécrétion est tout comme l’excrélion, de la part de l'organe, une action particulière qui fait qu'il s'arrange, pour ainsi dire, lui-même, et qu'il se dispose à séparer une humeur. En un mot, nous croyons que pour faire une sécrétion proprement dite, 1l faut, outre les mouvements ordinaires des humeurs, outre leur circu- lation, un autre mouvement particulier de la part de l'organe olanduleux. Donnons les raisons de cette assertion, pour venir ensuite à ce que nous pensons sur la façon dont les nerfs agissent pour faire la sécrétion d’une liqueur particulière. Sténon avait dit que les mamelles ont des nerfs pour que l’excrétion du lait soit volontaire. Bergerus croit que les nerfs contribuent à la sécrétion en étranglant un peu les petites veines afin qu'elles reçoivent moins d'humeur. On trouve ainsi dans les auteurs quel- 1162 ÉCOLE DE MONTPELLIER. ques passages épars, qui prouvent, si l’on veut, qu’on a senti la vérité de ce que nous proposons, mais il est évident que, comme je l'ai dit, on a négligé l'action ‘des nerfs dans la sécrétion; on n'en parle presque pas communément. D'ailleurs il s’agit de voir quelle est la façon dont nous croyons que les nerfs agissent, et quelles sont les preuves que nous employons ; on connaîtra aisé- ment la différence de ce qu’on a dit jusqu'ici et de ce que nous avançons. » Bordeu combat ($ 95) les deux opinions qui avaient cours de son temps sur la cause des sécrétions, savoir : l’Aumeur analogue, la disposition mécanique des organes glandulaires, des circonvo- lutions et des différents diamètres des vaisseaux. Les deux Opi- nions résument à la fois les théories chimiatriques et iatroméca- niques. Ce sont les nerfs eux-mêmes qui choisissent les humeurs ( 108) ; ce qui réduit la sécrétion à une espèce de sexsation, de goût et de ton particuliers, d'érection ($ 118), sous la direction des nerfs qui, attentifs à leurs fonctions, et insensibles à tout ce qui ne les regarde pas, ferment les portes, ou mieux, les petits sphincters des glandes, à toute humeur qui voudrait s’égarer et qui existe formellement dans le sang (K 114) ; du moins c’est l'o- pimion Ja plus acceptable. Stabl n’a rien dit de plus fort! Ici se placent tout naturellement les remarques de Bordeu touchant l’action spécifique de certains médicaments sur les glandes ($ 115). Il e.t, comme toujours, fort hésitant sur cette question ; il voit des raisons également probables pour admettre et pour rejeter cette espèce de médicaments; il croit de plus que toutes sortes de circonstances, même les dispositions particulières des malades, peuvent changer un purgatif en diurétique ou en sudorifique. En tout cas, il existe peut-être des médicaments qui évacuent certaines humeurs en les rendant soit plus abondantes dans la masse du sang, soit plus ou moins mobiles ou plus ou moins épaisses ; d’autres produisent une évacuation en agissant seulement sur l’organe glandulaire. Du reste, un médicament n'a pas toujours besoin de rouler avec la masse des humeurs pour être porté vers l'organe sur lequel il doit produire son action. On peut admettre aussi qu'il réside dans l'estomac un BORDEU., —— PHYSIOLOGIE ET PATHOLOGIE. 1163 organe général, lequel influe à certains égards sur tous les autres, et qui les modifie jusqu'à un certain point, suivant qu'il est diversement modifié lui-même. Voilà comment un médicament pour agir sur la tête n’a pas besoin de cireuler avec les humeurs! Van Helmont, ajoute Bordeu, nous en apprendra, sur ce sujet, plus que tous les autres praticiens ensemble ; mais qui lit Van Helmont? (Voy. p. 1057, note 2.) Chaque glande (et les viscères ne sont guère que des glandes) forme un département dont on ne peut pas nettement déterminer l'étendue, mais où l’on remarque des actions périodiques isolées ou congénères, comme cela se passe dans les monastères, les villes, les campagnes, où les gens sont soumis à des règles fixes, et où chacun agit à la fois pour soi et pour la commu- uauté (1). Il y a donc une circulation générale et des circulations particulières, une série d'animaux dans l'animal. Les organes du corps sont liés les uns avec les autres; mais ils ont chacun leur districtetleur action (2) . Les rapports de cesactions, harmonie qui (4) Comme complément de cette doctrine nous citerons le passage suivant : « On a considéré le corps vivant comme étant formé de deux moitiés égales et symé- triques, adossées, et, pour ainsi parler, collées vers son axe, de manière que les parties du même côté se communiquent souvent de haut en bas et en ligne directe, du foie à l'épaule et à la jambe droites, de la rate à l'épaule et à la jambe gauches. Les anciens l’avaient très-bien observé, et les modernes l’ont beaucoup trop négligé. On a vérifié, toujours d’après quelques aperçus des maitres de Cos, que le corps est aussi partagé par un plan qui suit la position horizontale du diaphragme, et qui coupe l’axe en deux parties supérieure et inférieure, lesquelles se contre-balancent continuellement par la résistance qu’oppose la masse des entrailles à la dépression du diaphragme : cette résistance intestinale cause en effet des phénomènes éton- nants pour ceux qui savent les apercevoir et les calculer. — On a vu chaque organe, mêniée ceux qui paraissent de très-peu de conséquence, jouir, dans l’ordre et Pen- chaïnement des fonctions de son département, de son étendue d'action, plus ou moins sensiblement exprimée, C’est ce qui constitue les rapports de ces organes plus ou moins évidents et qui aide à déterminer ceux qui sont congénères, qui agissent en même temps, pour le même objet, et ceux dont les actions se croisent ou se détruisent mutuellement. » (Plan des recherches sur les maladies chroniques.) (2) Au $ 126 Bordeu insiste sur la comparaison des glandes avec l'estomac. — Des deux côtés fonction et sensation parliculières ; chacune travaillant à sa façon ce qu'elle contient, chacune se débarrassant à ses heures, chacune ayant un mouve- ment différent de celui qui la fait vivre, Les mouvements vitaux ne sont jamais spontanés; c’est une réaction contre une incitation; ce qui est presque du brow- nisme , 1164 ÉCOLE DE MONTPELLIER, enrésulte font la santé ; si celte harmonie se dérange, soit qu'une partie se relâche, soit qu’une autre emporte sur celle qui lui sert d’antagoniste, si les actions sont renversées, si elles ne sui- vent pas l’ordre naturel, ces changements constitueront des ma- ladies plus ou moins graves ({ 125). Chaque âge, chaque sujet même, a ses organes, sous la dépendance desquels ou duquel le reste est placé ; de là peut-être certaines maladies (1) et certains tempéraments. Tel estle système fédératif du grand organisme formé par la réu- nion des petits organismes distincts, mais secondaires; c’est une république fédérative où règne assez souvent l’anarchie. — Ge qui n’était chez Bordeu qu'un roman (2), a pris, pour les parti- sans de la théorie cellulaire (sous quelque forme qu’elle se pré- sente), une apparence plus scientifique, mais, non pas encore, une plus grande certitude. (1) Quand une partie s'enflamme, elle devient comme un organe particulier qui a une action, une circulation et des fonctions à certains égards indépendantes de la circulation générale ! L'inflammation parait provenir de l'irritation exaltée de quelque nerf, (2) En tout cas Bordeu assimilait, sans le savoir, les animaux supérieurs aux ani- maux inférieurs où la vie est, pour ainsi dire, fragmentaire, — Pordeu (voy. Re- cherches sur les maladies chroniques, part. 1, théor, 1 et suiv., et le Plan de l’ou- vrage) avait un triumvirat : le cerveau, le cœur et l'estomac, analogue au duum- virat de Van Helmont (voy. plus haut, p. 484, note 4). — C'est par l'intermédiaire du tissu muqueux ou cellulaire (voy. ses Recherches sur ce tissu) que s’opèrent les actions continues et rayonnautes des parties les unes sur les autres; on peut alors appeler le tissu cellulaire un tissu connectif ; la description qu'il en donne n'est pas du reste sans mérite. Puis voici que l'homme, si empirique en thérapeutique, se montre le plus imperturbable dogmatique en physiologie et en pathologie générales ; car la pathologie d’après le tissu cellulaire ne le cède en rien aux plus fortes balluei- nations des anciens, — « On a suivi dans ee corps cellulaire les esquisses ou les dessins des départements; les bornes des forces qui se compriment mutuellement, et qui, gravitant pour ainsi dire les unes contre les autres, établissent dans toutes les positions l'équilibre nécessaire aux mouvements si diversement variés dont le corps vivant est continuellement agité. Ces mouvements sont dus aux efforts inex- üinguibles dans la partie sensible, et ils sont réveillés et entretenus par les varia- tions de l'atmosphère, par l'impression de toutes les causes physiques, aliments et autres ; par les affections de l'âme pendant la veille et le sommeil, en santé et en maladie, Sans cesse le corps tremble, frémit, s’agite, jusque dans le plus profond de ses moindres parcelles ; ces frémissements sont sans cesse gradués et dirigés pour entretenir la régularité et l'ordre des fonctions, et ils sont foncièrement soumis au BORDEU. — PHYSIOLOGIE ET PATHOLOGIF, 1165 Les Recherches sur les crises (1753) sont plutôt un ouvrage historique qu'un traité dogmatique, et, en ce sens, ces Recher- ches ne manquent ni d'intérêt ni de piquant. Bordeu admet les crises etmême les jours critiques, mais d'une façon très-générale ; il voit dans les détails une foule de difficultés qu'il n'appartient qu'aux législateurs de l’art, aux médecins philosophes (et ils sont, dit-il, très-clair-semés, même à Paris, l'an 1753), de soulever et de résoudre ; il faut, pour éclairer la doctrine des crises, « être libre et initié dans cette sorte de médecine philosophique où branscen- dante, à laquelle il n’est peut-être pas bon que tous les médecins populaires, je veux dire cliniques, S'attachent. En effet, on pour- raitdemander si ces médecins populaires ne sont pas faits la plu- part pour copier seulement ou pour imiter les grands maitres de l'art. N°y aurait-il pas à craindre que ces esprits copistes ou imi- tateurs, qui sont peut-être les plus sages et les meilleurs pour la pratique journalière de la médecine, ne tombassent dans le pyr- rhonisme, si on leur laissait prendre un certain essor? Ce qu'il v a de certain, c’est qu'on doit chercher parmi eux ce que j'appel- lerais les témoins des faits particuliers en médecme ; et il semble qu'il convienne qu’ils soient assujettis à des règles déterminées, tant pour leur propre tranquillité que pour la sûreté des ma- lades ($ 115-116). » — On voit que Bordeu traite assez lestement la « vile multitude » de ses confrères. Les Recherches sur le pouls par rapport aux crises (1756), où Bordeu se fait le disciple à la fois de Galien, de Solano de Luc- ques, de son traducteur et commentateur Nihell, enfin de Sénac, et où il cherche aussi à réformer la nomenclature adoptée avant lui (1), achevérent de le répandre dans la clientèle et de le perdre principe de sensibilité qui dirige tout par des lois fort différentes de celles qui pré- sident aux mouvements des corps morts et sans âme, On à aussi suivi dans le même corps cellulaire les divers lorrents d’humeurs aqueuses et autres qui, ainsi que les nuages dans l'atmosphère terrestre, forment les amas, les courants, les dépôts, Les congestions et, en général, les causes matérielles ct les résidus de presque toutes les maladies et de leurs crises. Ainsi chaque partie a paru nager continuellement dans une atmosphère de sérosité, et y exister à la manière de ces insectes poissons si nom- breux dans certaines liqueurs, » (Plan du traité des maladies chroniques.) (1) Bordeu a des distinctions très-subtiles de pouls, suivant les maladies des 1166 ÉCOLE DE MONTPELLIER. auprès des médecins de Paris qu'il flagellait avec autant de har- diesse que d'esprit. Bouvart, l'honnête, mais le bourru, le gros- sier Bouvart, l’homme le plus attaché aux préjugés et aux pri- viléges de l'École, l'homme qui ne pouvait ni subir un progrès ni accepter un éfranger, se montra des plus acharnés; il alla même jusqu’à accuser Bordeu d’avoir dévalisé un de ses clients qu'il avait conduit aux eaux de Baréges. Bordeu est décrété de prise de corps, et il ne fallut rien moins qu’un arrêt de la cour du Parlement, en 1764, pour le décharger de toutes les imputa- tions calomnieuses accumulées sur sa tête (1). C’est pendant ce temps de persécution (1764) que Bordeu mit au Jour ses Recherches sur l'histoire de la médecine, à propos de l’inoculation (1764), recherches que la Faculté se contenta de vouer au mépris de peur de leur donner trop de crédit en les condamnant solennellement. L'ouvrage est mordant, spirituel parfois (2) ; mais l’auteur y montre une rare ignorance sur les matières de l’histoire, et une crédulité qui ne recule même pas devant le ridicule ; le tout en l'honneur de l’empirisme et de la médecine naturelle, ou expec- tante,jou encore des gardes-malades; et cela, à la fois, contre les «théoriciens qui lorgnent au microscope les dernières petites fibrilles du corps, qui mesurent le jeu du cœur et des artères, qui jugent du degré de tonicité des diverses parties du sang », et contre la persuasive ou impérieuse gravité des dogmatiques ou la timidité du praticien qui n’ose rien tenter (chap. 1v, $3), comme si lui-même ne répétait pas à tout propos que la nature est le diverses régions. Fouquet suit à peu près la même doctrine dans son Essai sur le pouls, par rapport aux affections des principaux organes, 1767. (4) Voici deux exemples des aménités de Bouvart : « Bordeu : Vous attaquez mon honneur et ma probité. — Bouvard : Point du tout. — Bordeu : Vous me regardez donc comme un honnête homme .— Bouvard : Non. — Bordeu : Suis-je donc un fripon ? — Bouvard : Je n’en sais rien. » — Comme Bordeu était mort foudroyé par une apoplexie, ses amis disaient que la mort le craignait si fort qu'elle l'avait attaqué durant son sommeil. A quoi Bouvard répondit, faisant allusion à la pendaison : «Je ne croyais pas qu'il püt jamais mourir horizontalement! — Les temps sont-ils changés? L'/avidia medicorum pessima a-elle disparu ? » (2) I dit quelque part que les médecins guérissent toutes les maladies, excepté la dernière (chap. 11, & 1). BORDEU. — PHYSIOLOGIE ET PATHOLOGIE. 1167 vrai catholicum, la Vraie panacée. (Voy. Xech. sur le tissu mu- queux, $ 109.) Puis il s'écrie du ton d’un énergumène : « Mânes de nos célé- bres sectaires, ouvrages volumineux de nos doctes professeurs, brillants théoriciens, ardents réformateurs de notre art, les pra- ticiens yous jugent journellement auprès du lit des malades; eux seuls connaissent à cet égard le fort et le faible de vos tra- Vaux. » Dans ces mêmes Recherches (ch, 1, $ 2), Bordeu loue les Ro- mains d’avoir vécu longtemps sans médecins patentés, et, dans le Plan des maladies chroniques 1 appelle ëmpudents cyniques ceux qui oseralent soutenir qu'une société d'hommes peut exis- ter sans le secours de la médecine. Bordeu veut bien la méde- cine, mais sans les médecins... dogmatiques. La maladie (1) est un dérangement dans les fonctions, dépen- dant de quelque vice organique ou de l’action, soit augmentée, soit diminuée, de quelque partie. Il appartient à l’école, non au clinicien, qui doit se préserver de tout esprit de système, de discuter la question de savoir si la maladie est un effort de la nature pour se mettre en liberté et rétablir la santé, ou si c’est, au contraire, une série de mouvements qui tendent à la destruc- tion de notre organisme. Arrivant à des questions plus spéciales, Bordeu explique les différentes phases d’une maladie. Dans une maladie caractérisée par l’irritation, la partie affectée reçoit d’abord une somme de forces plus grande que de cou- tume; elle devient simplement plus animée ; on appelle cela temps d'irritation, lequel répond assez bien à celui de l’érec- tion d’uneglande qui se dispose au travail del’excrétion; quand le mouvement s'est accru jusqu'aux extrêmes limites, la maladie est à son second temps, celui de sa maturité, qu’accompagnent des phénomènes semblables à ceux de l'érection ou de l'orgasme d’une (1) Ce qui suit est tiré de la première partie des Recherches sur les maladies chroniques. Ce livre n’a guère d’autre mérite que de renfermer un assez grand nombre d'observations qui, presque toutes, sont présentées comme concourant à prouver l'efficacité des eaux minérales du Midi, en rendant le ton ou la laxité à la fibre élémentaire ; c’est à cette démonstration que sont consacrées les parties II et suiv, Voyez aussi les dernières pages du Plan de cet ouvrage. 1168 ÉCOLE DE MONTPELLIER. glande ; enfin, lorsque la maladie est terminée, et que la partie, ainsi que la glande après son travail, a repris son repos ou est sur le point de le reprendre, c’est là le troisième ou dernier temps, celui de l'excrétion complète (voy. p. 1169). L’inflammation accompagne beaucoup de maladies comme effet ou cause ; cependant elle se rencontre dans toutes. C’est un excès déplorable, aussi bien pour la théorie que pour la pratique, de regarder toutes les maladies comme étant inflammatoires (4), et qui a entrainé tant de médecins. Pour éteindre la source de ces maux, Bordeu ne veut point relever une foule de questions minu- tieuses qui n’ont que trop grossi les écrits de Vieussens et de Chirac, maîtres fameux en cette matière, sur laquelle on pourrait dire que les philosophes se sont joués. « On doit entendre, con- tinue notre auteur, par inflammation, un amas de sang, de feu, ou de chaleur et de forces dans une partie, lequel s’est fait par le moyen des nerfs et des vaisseaux qui la composent; ces vais- seaux, dont les liqueurs peuvent se porter en avant ou en arrière, fluer ou refluer, suivant la détermination des oscillations ou de la force qui les meut, sont comme autant de puissances en érec- tion dont l'effort est dirigé vers un centre particulier : le lieu où réside ce centre est ordinairement le tissu cellulaire, dont quel- ques lames, entortillées entre elles, font le même effet qu'une épine enfoncée dans les chairs, de manière qu’on a cu assez de raison d'appeler une partie enflammée /wrens, furieuse, puis- qu'étant devenue l’aboutissant de l’effort des autres parties, elle a une action considérable qui lui fait attirer ou repousser vive- ment les humeurs. Il y a aans toute inflammation vraie un ou plu- sieurs centres ou noyaux formés par la compression des lames du tissu cellulaire et par leur collement. C'est la facilité qu'ont ces lames à se coller entre elles lorsqu'elles restent quelque temps sans action qui empêche qu’une partie enflammée ne se ouérisse ou ne se résolve jamais parfaitement, comme le prou- vent les callosités qu’on remarque toujours à la suite des inflam- malions vraies, du moins est-1l bien certain qu’une résolution parfaite est alors un cas bien rare (2). » (4) Voilà une réfutation anticipée de Broussais. (2) Recherches sur les maladies chroniques, 1€ partie, $$ 23-28 et 30, BORDEU. — PHYSIOLOGIE ET PATHOLOGIE. 1169 S'appuyant sur l'autorité de Van Helmont, Bordeu déclare que l'estomac et les parties avoisinantes sont le siége ou l'écho du plus grand nombre des maladies, car c’est là aussi que les nerfs: abondent, nerfs gastriques, qui,se répandant dans touteslesparties du corps, portent au loin les désordres dans les parties les plus éloignées de l'estomac. — L’irritation produite par la compression des viscères gonflés sur le diaphragme est une autre cause de maladie, — La crise n’est qu'une suite d’excitation, attendu que l’on peut raisonnablement comparer une maladie à une glande. L'art guérit les maladies en favorisant la crise, en facilitant la désobstruction des viscères et des parties. — Dans toutes les ma- ladies il y a trois temps : l’érritation, la coction et l'évacuation critique. (Noy. p. 1167). S'il y a dans l’œuvre de Bordeu un écrit qui mérite grâce, ct désarme un peu lhistorien, c’est sans contredit celui qui a pour ütre : Recherches sur le traitement de la colique métallique à l'hôpital de la Charité de Paris, pour servir à l’histoire de la colique métallique, vulqairement nommée colique de Poitou (colica Pictonum seu pictorum). Ge traité est rempli de rensei- gnements précieux sur les pratiques observées à la Charité. C'est à cet hôpital qu'on envoyait tous les malades affectés de ladite colique; on croyait même généralement que les religieux italiens, qui postédèrent longtemps cet hospice, avaient un arcance pour la traiter. Mais enfin l'empire du macaront (c'était le nom de l'arcane ; 11 s'appelait aussi mochlique) commença à être ébranlé par le départ de ces religieux et par l'introduction d’une méde- cine plus rationnelle. Mais avant, les malades eurent à subir l’in- fivmier Stanislas qui comptait les saignées par douzaine, ving- taine, trentaine. D'abord on en faisait sept en l'honneur des sept Jours de la semaine, puis une huitième pour que le compte fût rond; puis neuf, parce que Numero Deus impare gaudet ; ete., ete. Le reste de la dissertation est consacré à la discussion des opinions émises par Astruc et Dubois sur les causes, la nature et le traitement de la colique de Poitou. Ici encore nous retrouvons DAREMBERC,. 74 1470 ÉCOLE DE MONTPELLIER. le goût pour les hypothèses, mais aussi beaucoup de passages intéressants pour l’histoire de la maladie. Bordeu a trouvé des admirateurs à Montpellier, mais on ne saurait pas lui reconnaitre un disciple considérable ni un défen- seur de sa doctrine. C’est une preuve que l'impression qu’elle a produite n'a pas été très-profonde et que la réputation de Bordeu est une réputation de circonstance. Aussi haut que l’histoire nous permet de remonter, nous voyons les philosophes et, plus tard, les médecins attentifs à rechercher le principe de la vie; il n°y a pas jusque dans le Rig Véda et dans Homère (1), où l’on ne rencontre quelques traces de ces préoccupations si naturelles. Les plus anciens philosophes étaient dans la bonne voie, sauf sur la question de l'éternité du monde, lorsqu'ils cherchaïent à expliquer la vie en dehors de toute idée métaphysique ou théologique, et par la supposition d’une ma- tière organisée vivant en elle-même. Le problème s’est com- pliqué de plus en plus à mesure qu’on s’est éloigné de la con- templation de la nature pour se perdre dans les régions de la philosophie. On doit ajouter aussi, malgré le respect qu'in- spire la voix de l'Église, que la théologie, en s’annexant tous les domaines scientifiques, a singulièrement entravé la solution du problème. La foi absolue s’est substituée, sur des questions qui ne lui appartiennent pas, au libre examen des lois physiques et biologiques. Les plus hardis, ceux qui n’employaient pas la défi- nition réputée orthodoxe, ou furent censurés quand ils s’en écar- tèrent trop, ou cherchèrent un compromis, aussi fâcheux pour la science que pour la théologie, soit en dédoublant l’âme, soit en lui donnant un ou plusieurs satellites, de sorte qu'on ne savait plus quelle part accorder à lagent spirituel, immatériel qui fait de nous un être moral, intelligent, responsable, et à l'agent périssable, à moilié matériel, qui gouvernail la vie. Aussi quand une réaction s’est définitivement produite, on a violem- ment arraché l’âme de son trône et l’on n’a plus voulu considérer que la matière, même pour expliquer la pensée. Les philosophes et les théologiens avaient eu si longtemps la parole, qu’il était (1) Voy. plus haut, p. 72 et suiv. DU VITALISME EN GÉNÉRAL. 1171 temps en effet que les médecins la prissent à leur tour; mais elle aurait acquis et conservé plus d'autorité si bologisme n’était pas devenu à peu près synonyme de matérialisme (1). Il n’y a pas plus de raison, ni de possibilité d'expliquer la vie par l’âme, que l’intelleet et la responsabilité morale par la matière. Pour cette dernière question, le médecin doit toujours se souvenir qu'il y a une âme; pour toutes les autres, il faut qu'il cherche la formule de la vie là où cette vie est présente sous toutes ses formes, où elle se révèle par toutes ses manifestations ; c’est-à- dire dans la matière organisée, sans plus se préoccuper des brefs pontificaux ou des thèses de saint Thomas, que de la métaphy- sique d’Aristote ou des dialogues de Platon. Aujourd’hui la phy- siologie, heureusement émancipée, ne peut plus s’écarter que librement, ou, si l’on aime mieux, par un vice de la méthode, des voies scientifiques ; mais aucune autorité, d’où qu’elle vienne et quelque grave qu’elle soit, n’est capable de la faire dévier. Ce sentiment de la matière organisée, des lois qui la régissent, de leur autonomie, malgré l’union qui les rassemble en partie avec les lois physiques et chimiques, ce sentiment, dis-je, était si nouveau, même après les recherches de Haller (recherches posi- tives s’il en fut, mais faites à un moment où les esprits étaient plus attentifs aux idées qu'aux faits), qu'il n’a pris pied dans la science que tout récemment. Barthez n’en avait pas la moindre idée. En effet, ce n’est pas directement et par nécessité que ce physiologiste a imaginé le principe vital, mais dans la conviction qu’il s'était formée a& priori que la vie ne peut pas s'expliquer sans l'intermédiaire d’une force distincte isolée ou d’un être à peu prés indépendant, ayant domination sur tout le corps, et avec cette conviction non moins arrêtée que cet agent, créé de toutepièce, ne pouvait être ni les archées de Van Helment, ni l’âme de Stahl. Donc le principe vital est une simple création contingente qui repose à la fois sur une croyance métaphysique et sur l'ignorance des propriétés vitales. Le principe vital est (1) Ainsi que l’a très-judicieusement remarqué M. le professeur Gavarret, l’exis- tence du cerveau et son fravail sont we condition de l'émission, de la manifes- tation de la pensée; mais il ne s'ensuit pas que ce soit /a condition ou la cause suffisante. Voy. Préface aux Phénomènes physiques de la vie. 117% ÉCOLE DE MONTPELLIER. inutile pour les animaux supérieurs où lé système nerveux règle tout par ses propriétés primordiales, et impossible chez les animaux inférieurs, à cause de leur divisibilité, sans que la vie s’éteigne. D'ailleurs, il est au moins aussi difficile d’expliquer une force générale qui mettra d'accord toutes les forces particu- lières, que de supposer la coordination spontanée des diverses forces pour constituer la vie (1). Dans mes Leçons je me suis étendu avee quelque complai- sance sur la biographie de Barthez (1734-1806) ; ici je me con- tentera de renvoyer à l’ouvrage de Lordat qui a pour titre : £x- position de la doctrine de Barthez et inémoires sur la vie de ce médecin, 1818. C’est un modèle du genre, un des meilleurs écrits de Lordat, un livre si excellent, composé avec tant de conscience et appuyé sur des informations si exactes, que malgré le désir, non dissimulé, de sauver sur presque tous les points la réputation de son maître et ami, l’auteur, entrainé par l’amour du vrai, ne peut dissimuler entièrement ni les insupportables défauts de caractère, ni la vanité puérile (2), ni lPégoïsme de Barthez, ni sa jalousie pour toute personne qui s'élève à côté de lui, ni les tracasseries qu'il suscite à tout propos, ni ses intrigues percées à jour, car il se prêtait avidement à toutes les faveurs que la fortune pouvait lui offrir, ni son «plan d’évoisme » nises plaisan- teries mordantes (3), son mépris pour la «multitude » ; nises em- (4) Barthez (voy. Lordat, Doctrine médicale de Barthez, 5. 146) s'élevait forte- ment contre Bordeu, suivant qui les mouvements et les autres actes de la puissance vitale ne sont jamais spontanés, mais sont toujours provoqués par une irritation ; Barthez lui-même ne tombe-t-il pas dans une faute analogue lorsqu'il soutient que les actes des propriétés vitales sont sous la direction nécessaire du principe vital, tout en admettant qu'il y a des actes non soumis à la sensibilité ? (2) Dans une lettre (29 décembre 1777) que M. Guürdia a publiée pour la pre- mière fois (voy. Gazette médicale de Paris, % mars 1866, n° 9), Barthez se plaint à la Société royale de médecine qu'on ne lui ait pas donné son vrai titre sur un diplôme d’associé. Il ne s’appelle pas M. le vice-chancelier, mais bien M. le chan- celier, où, à la rigueur, M. le chancelier-adjoint avec survivance ! (3) CM. de Lamure, lui rapportait quelqu'un, dit assez ouvertement qu'il ne croit pas à la médecine. — Parbleu ! répondit Barthez, il a fort raison s'il parle de la Sienne. » (Lordat, p. 102.) — A son tour le terrible Bouvart disait de Bar- BARTHEZ. —- DU PRINCIPE VITAL, A7 portements contre les moindres obstacles, lui qui fut comblé d'honneurs et de places à Paris comme à Montpellier ; ni ses ju- gements si passionnés et si injustes qu'il a osé dire de Bichat que « sa réputation était une des folies du siècle» (1). Quelque eflort que, dans un zèle pardonnable, Lordat ait fait pour mettre toutes ces remarques dans l'ombre, la lumière éclate de tous côtés; la plaie apparaît toujours sous le bandage, quelque précaution qu'on ait prise pour le bien appliquer. Une ébauche des Éléments de la science de l'homme avait été donnée en 1773 sous le titre : De principio vitali hominis. La véritable première édition, publiée en 1778 en un vol. in-8°, est devenue excessivement rare; la seconde édition n’a vu le jour qu’en 1806, l’année même de la mort de Barthez. C’est un des plus beaux livres de Ja littérature médicale française ; jen porte d'autant plus volontiers un tel jugement, que je tiens ce livre pour aussi absolument faux dans son point de départ, qu’il est re- marquable par l’habileté spécieuse des déductions (une fois ce point de départ admis), par l'élévation des idées, par la beauté de quelques détails, par la force du style, enfin par l’érudi- tion (2) ; cependant, malgré toutes ses qualités, encore aujour- d'hui incontestables, et, je crois, incontestées, le premier effet des Éléments de la science de l'homme, au moment de leur ap- parition (1778), sur l'opinion publique ne dut pas flatter lamour- propre de l’auteur, comme le remarque Lordat, qui attribue cet échec décourageant à la nouveauté de la méthode de raisonner en médecine, méthode ardue, hérissée de toutes les difficultés thez : « C’est un excellent professeur; c’est un homme universel, qui sait le droit, la physique, les mathématiques et même de la médecine. » — IL li joua plus tard un très-méchant tour qui est raconté fort au long par Lordat (p. 331-336). (4) Sandifort, plus équitable, écrivait du vivant même de Bichat : « Avant six ans votre Bichat aura dépassé notre Boerhaave. » — Barthez disait modestement « qu’on perd tout quand on néglige de plaire à ceux qu'on efface ». A quoi Lordat ajoute : « S'il était assez juste pour n'être jamais agresseur (?), il n’était pas assez généreux pour renoncer à la vengeance (p. 270, 271). (2) Il est un homme qui a plus d’un rapport avec Barthez, quoique tous deux par- tent de principes opposés, c’est M. de Bonald ; j'ai été très-souvent frappé de cette analogie en lisant l’un et l’autre comparativement, 4174 ÉCOLE DE MONTPELLIER. qui naissent de l’extrême complication du sujet; d'autre part, Barthez (et c’est le vice essentiel de ses recherches) se séparait complétement de la méthode expérimentale hallérienne, alors en grande faveur (1); de plus, enfin, il s'était fait de telles inimitiés qu'on saisit le prétexte de l’obscurité apparente de sa doctrine pour la condamner sans examen, et qu’on mêla l’injure à la cri- tique. De bonnes âmes allèrent même jusqu’à insinuer que Bar- thez était matérialiste et peut-être athée. Cependant Barthez ter- mine ses Éléments par cette déclaration solennelle : « Lorsque l’homme meurt, son corps est rendu aux éléments; son principe de vie se réunit à celui de l'univers, et son âme retourne à Dieu qui l’a donnée et qui lui assure une durée immortelle. » Nous allons, Messieurs, lire ensemble et commenter les propo- sitions fondamentales des Nouveaux éléments de la science de l'homme (2). Barthez (3) commence par reconnaitre que les anciens ont eu trop de facilité à multiplier, dans l'étude de la nature, le nombre des causes expérimentales. « Ils ont, dit-il, introduit souvent une cause ou faculté nouvelle, pour rendre raison des phénomènes qu’ils auraient pu expliquer par leur analogie avec d'autres phénomènes dépendant des facultés qu'ils avaient déjà admises. Ils ont aggravé encore cette multiplication vicieuse des causes données par l'expérience, lorsqu’au lieu d’énoncer sim- plement une de ces causes, ils l’ont définie par une affection morale ou autre qu'ils ont supposée arbitrairement dans un prin- cipe inconnu. C’est ainsi qu'ils ont donné pour cause de l’ascen- sion de l’eau dans les pompes l’horreur du vide qu'ils attri- buaient à la nature ou au principe universel. » La plupart des modernes sont tombés dans un défaut opposé, en diminuant dans les sciences naturelles le nombre des causes expérimentales fort au-dessous de celui qu'indique l'observation. (1) Barthez, qui, dans ses Cours de physiologie, traitait surtout de l’usage des parties un peu à la façon de Galien, confiait à un Démonstrateur royal le soin des préparations anatomiques, trouvant cette besogne manuelle au-dessous de sa dignité. (2) Je me sers de la nouvelle édition donnée par M. E. Barthez, en 1858. (3) Disc, prélim., p. 14. BARTHEZ, —— DU PRINCIPE VITAL, 4175 Quelques-uns d’entre eux ont voulu rapporter toutes les forces motrices des corps à la seule force de communication du mou- vement par l'impulsion; et ils ont ainsi voulu réduire à une seule force les facultés occultes des anciens, qu’ils croyaient d’ail- leurs pouvoir détruire entièrement. Mais ce n’est qu’en multi- pliant de vaines hypothèses qu’on peut diminuer à ce point le nombre des causes expérimentales, C’est pourquoi 1l est, par exemple, infiniment mieux d'admettre comme autant de causes les affinités particalières qu’indiquent les phénomènes de la chi- mie, jusqu’à ce qu'on ait découvert successivement des principes cénéraux de ces affinités. C’est inutilement qu'on voudrait expli- quer ces phénomènes par des applications arbitraires des lois du seul principe de l'attraction, lorsqu'elle a lieu entre les particules des corps (ainsi que Freind la tenté vainement pour expliquer les opérations de la chimie). Dans toute science naturelle, les hypothèses qui ne sont point déduites des faits propres à cette science, et qui ne sont que des conjectures sur des affections possibles d’une cause occulte doivent être regardées comme con- traires à Ja bonne méthode de philosopher. Leur introduction ne peut devenir utile que par un hasard heureux, dont les chances sont trop rares ». Eh bien, Barthez commet juste la faute qu'il reproche aux anciens, puisqu'il aurait pu, lui aussi, par analogie, expliquer avec des forces déjà connues (1), et celles-là très-expérimentales, ce qu'il a voulu expliquer à l’aide d’un principe nouveau. Lui- même a prêté des armes à ses adversaires, lorsqu'il dit (p. 17) que dans chaque science naturelle on ne doit point se proposer de deviner la nature par des hypothèses où l’on emploie des principes étrangers aux faits qui sont l’objet de cette science, d'autant qu'on altère ou qu’on néglige les faits, suivant qu'ils fa- (1) Il admet justement pour la chimie des affinités particulières qui auraient dû le mettre sur la voie de la corrélation ou combinaison des forces qui est le vrai principe vital ; de plus, dans ses cours de botanique où il s’occupait de la physio- logie, il a presque reconnu cette unité vitale dans les plantes ; car, selon lui, la cause qui anime le végétal est une puissance active qui use des forces motrices et autres dont elle est douée suivant des impulsions intérieures primordiales et comme instinctives, et non suivant des impulsions externes. Voy. Lordat, p. 321, 1176 ÉCOLE DE MONTPELLIER, vorisent ou contrecarrent les hypothèses. Plus on lit le discours préliminaire de Barthez, plus on y trouve la condamnation de son hypothèse. Barthez (p. 23) combat les mécaniciens par Stahl, et l'ani- misme de Stahl par ces affirmations qu'il ne prend pas même la peine de démontrer : Les faits n'élablissent d'aucune ma- nière que tous les mouvements qui s’exécutent dans le corps vivant (sans être sensiblement dépendants de la volonté), soient causés par le même être pensant, dont l'influence détermine les mouvements volontaires. Cela, ajoute-t-il est même d'autant moins probable que la nature et les facultés essentielles de cet être n’ont été jusqu'ici définies que par des notions purement métaphysiques ou théologiques. « Dans l'état actuel de nos con- naissances sur l'homme, on doit rapporter les divers mouvements qui s’opérent dans le corps humain vivant à deux principes différents dont l’action n'est point mécanique et dont la nature est occulte. L'un est l'âme pensante et l’autre est le principe de la vie.» — Si ce mot, principe vital, n’est pas une pure abstrac- tion, si c’estun être dont l’actionn’est pas mécanique, mais presque spirituelle, pourquoi alors ne pas se contenter de l'âme qui s’acquittera aussi bien de l'office ; si c'est au contraire une réa- lité, 1l n'y a pas de raison logique contre Stahl, pas de motifs pour ne pas admettre avecBordeu(voy. p.1172, note 1)et avec Van Hel- mont, autant de ces principes de vie qu’il y a de fonctions à accom- plir. Labonne méthode de philosophie que Barthez invoque à cha- que ligne, consiste, non pas à affirmer, mais ä prouver, à ne rien inventer sans nécessité ; il fallait donc prouver que le principe existe, ou prouver que l’accomplissement des diverses fonctions en a absolument besoin. Notre auteur se contente d'affirmer (p. 28) que la seule expérience nous fait conaitre le principe de vie dont les lois sont d'un ordre transcendant, par rapport aux lois de Ja physique et de ia mécanique; après quoi, il réfute par une succession de sophismes où pétitions de principe ceux qui regar- dent l’orgamsation avec les forces unies comme une raison suffi- sante de la vie. Tout en se réduisant (p. 32-42) à un « scepticisme invincible » sur la nature du principe vital dans l'homme, Barthez reconnait BARTHEZ. — DU PRINCIPE VITAL. . AU néanmoins, en ce principe, des facultés et des modifications de ces facultés, ou des affections de ce principe, pour expliquer les modes de la santé ou de la maladie. Ce sont même toutes ces brillantes imaginations qui lui ont, dit-il, permis de rectifier les règles anciennes touchant la thérapeutique des fluxions et de la paralysie saturnine, attendu que, d’après sa théorie, les maladies sont essentiellement des suites d'affections du principe de vie ; à peu près comme elles peuvent résulter des mouvements ou désor- donnés, ou thérapeutiques, de l'âme. Après une telle proposition, peut-on affirmer que Barthez n'a aucun rapport avec Stahl ou Van Helmont? On ne voit pas, en effet, pourquoi l’âme ou les archées n'auraient pas autant de droits ou de puissance que le principe vital. De plus, le principe est ainsi élevé à la qualité d'un être dans un être. C'est done, quoi qu’en dise l’auteur, une création substantielle, un véritable ontologisme. La seule différence essen- lüielle qu'on puisse noter entre Barthez, Stahl et Van Helmont, c'est que Barthez, quoi qu'il en dise, a souvent montré une heu- reuse inconséquence dans les conclusions thérapeutiques qu'il a tirées de sa doctrine. Après ces réflexions préliminaires, qui, déjà, nous disposent mal en faveur du principe vital, nous arrivons au cœur même du sujet : «€ J'appelle, dit Barthez (p. 47), principe vital de l'homme la cause qui produit tous les phénomènes de la vie dans le corps humain. Le nom de cette cause est assez indifférent et peut être pris à volonté. Si je préfère celui de principe vital, c'est qu'il présente une idée moins limitée que le nom d'énpetum faciens (rè tous), que lui donnait Hippocrate, ou autres noms par lesquels on a désigné la cause des fonctions de la vie. — Il paraît que les principes de vie ne différent des principes de mouvement qu’en ce que les premiers déterminent et modifient, par des lois beaucoup plus compliquées, l'action des parties de la matière. On peut observer une échelle de gradations assez mar- quées depuis les principes de mouvement les plus simples jus- qu'aux principes de vie qui engendrent et conservent les corps organisés des végétaux et des animaux, » Le deuxième paragraphe de cet extrait n'est-il pas la preuve 1178 Ë ÉCOLE DE MONTPELLIER. qu’un effort de plus dans la compréhension des forces suffisait à expliquer la vie; c’est une question de plus ou de moins, même d’après la déclaration de Barthez (p. 48). « Le premier coup d'œil que les hommes jettent sur l'univers leur présente une étendue immense et fixe sur laquelle ils rap- portent tous les mouvements des animaux, des éléments et des corps célestes. [ls ne reconnaissent de l’activité que dans ces êtres mobiles et tout le reste de la nature leur parait brute et inanimé. À mesure que l'intelligence s'élève, elle découvre que toutes les parties de la matière ont une activité qui leur est propre, el qui manifestent les divers principes de mouvement qui les ani- ment. » Barthez rappelle, dans une note, que les anciens philosophes aveient constamment donné un principe d'animation à la matière. Il eût été mieux de dire que, parmi les anciens, les uns croyaient tout simplement la matière animée par elle-même, mais sans posséder aucune idée expérimentale des lois de la nature brute ou animée ; et que, suivant les autres, il y avait autant de divi- nités (ou principes de vie) qu’on reconnaissait dé mouvements ou d’actes vilaux; c’est exactement le même motif qui a fait créer le principe vital, car l'invention d’une entité résulte nécessaire- ment de l'ignorance des lois de la nature et des mouvements innés de la matière. Les solides réflexions que fait Barthez (p. 52-53)sur les forcesqui maintiennent en équilibre les atomes et les particules des matières brutes et des corps célestes auraient dû également le porter à con- clure que la résultante des propriétés vitales suffit à expliquer les mouvements de l’âme, comme laffinité de l'attraction pour régler les mouvements cosmiques et l'agrégation des pierres. Son prin- cipe vital poar l’homme équivaut à l’dme des astres, admise dans les sphères célestes par les anciens. Revenant sur des opi- nions d’abord moins tranchées (voy. p. 1175, note 1), relative- ment aux plantes, Barthez reconnaît aussi, avec les animistes, une puissance vitale dans les plantes (p. 56 et suiv.); mais en somme il est bien contraint de réduire celte puissance à l’équi- libre et à l’action réciproque des forces motrices et sensitives. Tout cela d’ailleurs est fort obscur, puisqu'il semble croire en BARTHEZ, — DU PRINCIPE VITAL. 1179 même temps que c’est la puissance vitale qui est douée de ces deux forces (1). Il serait plus vrai de dire que la puissance vitale résulte de la combinaison de ces deux forces ; que c’est une synergie naturelle, spontanée, et non pas, soit une force géné- rale, soit une création substantielle (2). Arrivant à l’homme , Barthez pense qu'il faut , pour mieux connaitre les forces du principe vital, les étudier séparément des affections de l’âme et de celles du corps simplement organisé (3). Cette seule phrase prouve que, contrairement à son prétendu scepticisme sur la nature du principe vital, il le considère au moins comme quelque chose à part du corps et de l’âme, quoi- qu'il ne sache ni s’il existe par lui même, ni s’il est simplement un mode du corps humain vivant. Évidemment les idées ne sont pas concordantes malgré les prétentions contraires de Barthez. Le principe vital n’est pas (cela est démontré par lobserva- üon journalière) plus uniforme en ses allures, ni plus parfait dès sa naissance, ni plus persistant jusqu'à la décrépitude, que l’âme pensante ; encore moins. D'un autre côté, si l’âme est trop simple (p. 103) pour s’allier avec la multiplicité immense des mouvements et des sentiments et les tendances opposées qui existent dans l’homme à chaque instant de la vie, pourquoi le Principe vital aurait-il plutôt cette faculté? ne faut-il pas, au (4) M. Flourens, qui adoptait une partie des idées « admirahles » de Barthez, veut, pour relier toutes les propriétés de la vie, un point central, un #œud vital ; c’est une doctrine anatomique substituée à une doctrine métaphysico-physiolo- gique, mais qui ne vaut pas mieux. (2) Lordat prétend (p. 168 et suiv.) « que les affections qu'éprouvent les fluides du corps humain sont un grand sujet de contestation parmi les physiologistes, Quand une fois on s’est permis d'affirmer que la vie est Le résultat de l’organisation, on est forcé de dire que les fluides, dont les molécules mobiles ne sont susceptiMles d'aucun arrangement constant, sont des corps inertes qui doivent leur constitution, leur conservation, leurs mouvements intestins, leurs mutations, à l'action des solides ; et alors il faut fermer les yeux sur une multitude de faits qui ne s’accor- dent nullement avec cette manière de voir, ou en donner des explications tout à fait hypothétiques, » — Mais pas du tout! Les liquides sont vivants comme les solides, aussi bien pour les autobiologistes que pour les animistes, les mécaniciens ou les vitalistes. (3) Voy. aussi p, 05, où il est dit qu'il est impossible de passer par gradation du corps à l'âme, c’est-à-dire de la matière à l'esprit. 1180 ÉCOLE DE MONTPELLIER. contraire, supposer alors plusieurs principes, ce qui revient, soit aux archées de Van Helmont, soit à la fédération de Bordeu, soit enfin à la multütude des forces synergétiques. D'ailleurs Barthez semble bien regarder le principe vital comme simple. N'est-ce pas le cas d'appliquer à Barthez le mot que lui-même emprunte à Condillac : Cela prouve lincertitude que peuvent avoir des opinions & priori, où des physiologistes, d’ailleurs très-éclairés, croient reconnaitre le caractère de l'évidence (p.107, note) ? Voici encore une bien singulière façon de raisonner. Barthez (p. 114) semble apporter comme raison de l'existence du prin- cipe vital, qu'on ne sait rien de cerlain sur ce qu'est le corps, et rien de solide sur les esprits. Que sait-il donc lui-même de po- siif sur le principe vital, être créé de toute pièce et qui n’a pas même pour lui le suffrage de la conscience humaine ou de lex- périence directe et personnelle? Il se peut, dit Barthez (p. 114- 116), que, d’après une loi générale qu’a établie l'Auteur de la nature, une faculté vitale douée de forces motrices et sensi- tives survienne nécessairement à la combinaison de matières dont chaque corps animal est formé, et que celte faculté rende raison de tous les mouvements vitaux. Si c'est le principe vital qui donne la vie. il se trouve confondu avec la nature ou avec Dieu Il se peut aussi que Dieu unisse à la combinaison de matière qui est disposée pour la formation de chaque animal des forces vitales qui subsistent dans cette matière et qui, dans l'homme, diffèrent de l’âme pensante. Si les deux suppositions sont ad- missibles, pourquoi préférer la plus compliquée ? Pourquoi sur- tout tirer une partie de la démonstration de la doctrine, non pas directement de l'étude des faits, mais indirectement de l’impos- sibilité de conserver à l’âme le rôle que Stahl lui avait assigné ? « Le principe de vie (p. 117-118) dans les animaux peut être détruit sans aucune altération sensible dans l’intégrité et dans les conditions physiques des organes. Il est des poisons, et il en est même de caustiques, qui font périr très-promptement, et dont la force délétère ne laisse point de trace de lésion dans au- cune partie du corps. Réciproquement le principe vital survit longtemps à des lésions très-considérables des organes les plus / BARTHEZ. —- DU PRINCIPE VITAL. 1181 essentiels, comme du cœur et du cerveau, et à la suspension de fonctions qui paraissent indispensables , comme est la digestion des aliments. » 2 Dans les états violents de danger ou d’irritation que le principe vital ressent obscurément, il imprime au corps des mouvements que ne peut opérer aucun changement mécanique et nécessaire dans les organes ; mouvements qui sont tout autres que ceux produits dans l’état naturel par ce principe, et qui sont contraires à ceux qu'une âme hibre et prévoyante devrait et pour- rail impriner au corps pour le soustraire au danger. La terreur cause souvent dans un animal des tremblements et des contrac- lions violentes des organes extérieurs qui lui ôtent tout pouvoir de se dérober par la fuite à l’objet qu'il redoute. » La première proposition est une erreur; la seconde est con- traire à l’existence d’un principe indépendant de la matière : sans cela pourquoi la mort, si le principe veut retenir la vie? «Une sorte d'harmonie préétablie entre les affections du prin- cipe vital et l'organisation du corps qu’il anime, fait que ce principe essaye dans les diverses espèces d'animaux des mouve- ments relatifs à des organes qui n'existent point encore ou dont la formation est trop imparfaile. L'oiseau que la chaleur a fait éclore de son œuf loin de sa mère, et par conséquent loin du modèle qu’il pourrait imiter, s’essaye à voler lorsque ses ailes sont encore trop faibles pour le soutenir ; le jeune veau fait l'effort de têle avec lequel il doit un jour fiapper des cornes, même avant qu'elles soient nées, etc. (p.,119). Eh bien, l'harmonie préétablie des forces ne suffit- elle pas à tout ce qu'on demande au principe vital? « Le petit canard qui a été couvé sous une poule, et qui est tenu loin de l’eau, témoigne de l'inquiétude et de l’impatience. M. Percival a remarqué qu’on le voit faire les mêmes mouve- ments que s’il nageait, sans qu’il connaisse sa destination, ni l’élément pour lequel ses plumes onctueuses et ses pattes mem- braneuses sont préparées. Swammerdam a tiré un limaçon d’eau tout formé de la matrice de sa mère : à peine ce petit animal fut jelé à l'eau qu'il se mit à nager et à se mouvoir en tout sens, et à faire usage de tous ses organes aussi bien que sa mére. Il 1182 ÉCOLE DE MONTPELLIER, montra tout autant d'industrie qu’elle, soit en se retirant dans sa coquille pour aller à fond, soit en en sortant pour remonter à la surface de l’eau (p. 119). » Toujours même confusion de nature et de principe vital. Les autres raisonnements de Barthez prouvent seulement que les animaux ont des instincts plus définis que l’homme et plus in- volontaires. « Quelle que soit la manière d'exister du principe de la vie, on à une preuve très-vraisemblable que ce principe a une exis- tence distincte de celle du corps qu'il anime, dans les résurrec- tions de divers insectes et d’autres animaux, qui sont opérées par l’humectation ou la chaleur après une très-longue interrup- tion de toutes les apparences de la vie (p. 122). » Comment supposer qu’un principe vital immatériel sommeille et se réveille par l'eau chaude; ne s'agit-il pas plutôt de pro- priélés éteintes ou engourdies? Mais alors pourquoi notre prin- cipe vital ne reviendrait-il pas aussi s’il a une telle vertu ressus- citante? Il y a là quelque chose qui est voisin de l'absurde. Puis si le principe vital est une simple faculté vitale, où réside-t-elle ? Pourquoi disparaît-elle et revient-elle quand les autres ne font que s’engourdir? Ce sont précisément ces mêmes faits rappe- lés par Barthez, ou d’autres faits analogues en grand nombre (révivifications partielles, grefles animales, autonomie des élé- ments anatomiques, tendance impérieuse, presque fatale, à la restauration ou à l'acquisition du type, etc.), que MM. P. Bert et Vulpian ont mis en pleine lumière par la méthode expérimen- tale, et invoquent pour réfuter victorieusement l'hypothèse gra- tuite d’un principe vital. « On n’a pas su ou voulu m’entendre quand on a assuré que je fais consister la nouveauté de ma théorie (ou manière de voir) en physiologie et en médecine, dans l'adoption d’un principe vital, comme d’un être dont 1] suffisait de supposer l’existence et l'action pour expliquer toutes les fonclions de la vie. » Barthez, en effet, loin de vouloir expliquer les fonctions de la vie par le principe vital, a précisément pour but d'expliquer ou de justifier le principe vital par ces fonctions. Il n’explique, en BARTHEZ, — DU PRINCIPE VITAL. 1183 effet, mi la circulation, ni la digestion, etc.; il veut au contraire montrer par la diversité, encore plus apparente que réelle, de ces fonctions une justification de son hypothèse d’un principe régu- lateur universel; mais il n’y réussit guére, et il aurait mieux fait d'étudier expérimentalement toutes les propriétés vitales de la série des tissus dans les diverses classes des animaux, et de recher- cher, par une observation attentive, quel était le lien de ces pro- priétés dans la série animale. | De ce qui précède on peut conclure que Barthez n’a pas dé- montré Vexistence du principe vital; qu'il n’y a pas nécessité d'inventer ce principe ; qu'il n’y a même pas possibilité, car ce principe met immédiatement, et de soi, à néant toutes les pro- priétés attribuées expérimentalement, même avant Barthez, à la matière vivante, à laquelle elles sont inhérentes. Non-seulement ce principe vital ne rend compte de rien, ne résout aucune des difficultés que présente le problème de la vie, mais en- core il compromet toutes les vérités acquises et qui seules peuvent mettre sur la voie de la solution. Ce principe a de plus un vice radical irrémédiable, c'est qu'il est hors de la portée de l’expérience et que la biologie est avant tout une science expérimentale. C’est aussi une faute non moins irrémédiable que de livrer, à l’exemple des animistes, le principe de la vie aux diseussions des philosophes et des théologiens, où, d’un côté la mobilité des jugements et de l’autre labsolutisme de la foi ne permettent jamais de regarder le problème en face. Ajoutons encore quelques réflexions sur le principe vital, qu’on le considère comme inhérent à la matière ou comme’ un être distinct. Ce principe, cette force qui réunit ou rassemble toutes les autres, où réside-t elle? dans quel système organique? Si c’est une force générale, elle ne peut pas habiter un tissu isolé; et si elle est en effet générale, il faut la tenir pour indépendante : alors nous retombons dans une variété de l’animisme. Mais, dit-on, l’unité de l’organisme résulte d’une force de cohésion vitale, comme lunité d’une pierre de la cohésion physique; tout se tient naturellement dans les êtres vivants par l'agencement des différents systèmes organiques. Cette coordination, cette unité, 1184 ÉCOLE DE MONTPELLIER. cette indivisibilité qui avaient porté Barthez vers l'invention du principe vital, se réduit à bien peu de chose chez les animaux inférieurs ; à la nutrition presque seule, comme dans les plantes. Eh bien, la propriété assimilatrice ou plastique est une force aussi inhérente à la matière vivante que la contractilité. Pourquoi, dans le dessein de relier les diverses forces qui concourent au main- tien de l’organisme, imaginer autre chose que la vie elle-même? Il n’est pas plus difficile d'admettre une unité fonctionnelle entre les différentes forces, que d'admettre une force spéciale dans un des tissus du corps, que de reconnaître dans tous la force de nutrition et d’assimilation avec ses modes spéciaux. On peut opposer au vitalisme la même objection qu’à l'incita- bilité ou stimulabilité de Brown. Si le principe vital est dans la matière, la matière est animée et n’a pas besoin d’aatre force; si ce principe n'est pas dans la matière, les changements de la matière sont les suites de l’action du principe vital; mais alors il faut qu’elle ait une faculté primitive également générale pour répondre à l'appel de ce principe. Puis, que devient le principe vital après la mort? S'il est spi- rituel, 1l s'échappe, et où va-t11? S'il est matériel, c’est ou une matière, mais qui oserait le dire? ou une force ; mais quoi la détruit? D’autres forces plus puissantes qu’elle, plus puissantes qu'un principe, chargées de régler toutes les autres puissances de l'organisme ! La naissance, la vie et la mort sont trois termes de l'organisation, trois modes de la vie, qui s'expliquent par Îles mêmes procédés. A la naissance du fœtus, quel sera le principe vital qui présidera à sa formation ? Celui de la mère ? Mais com ment alors concevoir une même force qui préside à deux actes si différents : conservation d’un individu, création d’un autre ? Ce sera donc le principe vital du fœtus; mais d’où vient ce prin- cipe, comment s'est-il formé? Est-ce une pousse du principe maternel ou du principe paternel? Est-il au contraire indépen- dant, existant par lui-même ? alors nous retombons dans la pré- formation du corps par l'âme. Enfin il n’est pas plus difficile de se rendre compte de lharmo- nie de toutes les forces innées que de comprendre comment le cerveau préside à la fois au mouvement et au sentiment. Le cer- PATHOLOGIE SPÉCIALE. 1185 veau, où du moins le système nerveux, quel qu'il soit, ne peut-il pas être considéré comme le régulateur suprême là où il existe, et là où il fait défaut, dans les plantes, par exemple, la vie est si simple qu'elle se réduit à une seule propriété, la nutrition et encore par imbibition et juxtaposition. Franchement, difficultés pour difficultés, je préfère celles qu’on peut résoudre petit à petit, par la méthode expérimentale, sans rien préjuger d'avance, à celles que l’on tranche d'autorité par un mot derrière lequel s’abrite l'ignorance de la physiologie. Les propositions suivantes résument la théorie des maladies malignes et nerveuses, d’après l’action du principe vital. € Dans les maladies nerveuses (L. IE, p. 39 et suiv.), le système entier des forces du principe vital est affaibli par une altération habituelle qui s’est introduite dans les forces sensitives et dans leur influence sur les forces motrices. » Voilà certes une défini- tion qui n’apprend pas grand’chose ; elle revient à dire que les maladies nerveuses sont des désordres du système nerveux. Barthez ajoute que, si les affections vaporeuses sont si fréquentes de son temps, c’est que les passions y sont moins vives qu'autre- fois et qu’il y a « plus de passions faibles ». — On doutera de la valeur de cette explication qui pèche de tous les côtés. — « Les vapeurs ou névropathies ne tiennent à aucune lésion perma- nente de tel ou tel organe. Très-variées dans leurs effets, elles doivent être distinguées de l’hystérie, de l’hypochondrie et de l'état nerveux qui est borné aux organes digestifs, quoique cha- cune de ces affections différentes puisse coexister avec les va- peurs et même contribuer souvent à les produire (1) ». Pour le traitement Barthez mélange les remèdes sédatifs et les excitants, avec les toniques et les nervins ; ces moyens impri- ment assidèment au principe de la vie des affections qui effacent (4) « Il est encore essentiel de reconnaitre et de bien distinguer d’autres causes qui concourent souvent à produire l’état constitutif des maladies nerveuses ou vaporeuses. Entre ces causes, les plus ordinaires sont : un vice des humeurs de nature goutteuse, une humeur àcre et irritante, qui se porte sur les nerfs; c’est une affection générale des solides qui rend la fibre roide ou lâche et fait le stric- tum ou le lazum. » DAREMBFRG, 75 1186 PBARTHEZ. la tendance habituelle que la maladie nerveuse lui donne à reproduire les grandes aberrations de ses forces agissantes dans divers orgañes. On insiste sur les sédatifs et jes nervins, lorsque c'est lé spasmé ; ou sur les excitants et les toniques lorsque c’est l’atonie qui domine dans toute la constitution et dans les organes particulièrement lésés. Si l’on ne réussit pas, on peut avoir recours avec succès à l’usage combiné et alternalif de remèdes sédatifs et excilants ; mais cela constitue une méthode moins rationnelle et qué Barthez appelle méthodé perturbatrice, en ce qu’elle pro- cure au principe vital des impressions qui se succèdent en sens contraire, qui roinpént la chaîne de ses affections morbifiques, et qui l’amènent, comme jar des sortes d’oscillations, à rentrer dans l’ordre naturel de la distribution et des communications de ses forces! Cest l’affaiblissement du système nerveux qui cause les mala- diës nerveuses ; c’ést encore l’affaiblissement de ce même système qui donne naissance aux maäladiëés malignes (p. A8 et suiv.), lesquelles sont accompagnées d’une véritable résolution des forces de tous les organes. Barthez ajoute (en cela, il est d'accord avec les bons praticiens) qu'il est très-hnportant de distinguer cet état de résolution des forces laquelle caractérise une maladie maligne, et réclame les analéptiques et les cordiaux, d'avec l’état de simple oppression des forces; d'autant que, dans cette opprés- sion, des évacualiohs convenables développent souvent très- promptement l’äction des forces radicales que lon crovait ételiles. « Lorsque le système des forces vitales (p. 52) est affecté forte- ment et en même temps par les sympathies des actions des deux organes, dont les efforts he sont point liés l’un à l’autre, mais se font en des sens divers ou contraires, ces sympathies tendent à déterminer des altérations simultanées dans les forces des prinvi- paux organes, qui sont le cerveau, le cœur et les viscères réunis dans la région épigastrique. Ces altérations sont où contraires ouextrèmement diverses entre elles pour le mode et pour le degré. L'unité d'affection nécessaire pour l'exercice des forces de cha- que principal organe dvil manquer alors; ce qui peut amener promplement l’interception des fonctions essentielles à la vie. » PATHOLOGIE SPÉCIALE. 1187 Barthez cherche ensuite dans la théorie des sympathies une explication, plus que douteuse, dans la majorité des cas, des acci- dents qui se manifestent après les grandes opérations : « On doit rapporter sans doute à une semblable cause la terminaison funeste qu'ont les amputations et les plaies fort étendues, lorsque, pendant leur suppuration, on vient à charger l'estomac d'ali- ments solides. On voit, peu après cette erreur de régime, sur- venir un abattement extrême des forces, auquel succèdent ra- pidement la difficulté de respirer, le délire, les mouvements convulsifs et la mort. Il semble qu’on n’a point encore vu ce phénomène dans son vrai jour. On a reconnu qu'il ne peut être l'effet de la seule résorption du pus ; ni de la gangrène, qui n’est point formée dans la plaie lorsque les symptômes mortels se dé- clarent.On à donné (même récemment) pour raison de ce fait très- remarquable, que la digestion stomachique et la suppuration sont alors pareillementempèchées, tandis que tous les organes du corps devraient concourir à l’une et l’autre fonction par des concen- trations de leurs mouvements. Mais comment la seule suspension de ces deux fonctions, dont chacune peut être longtemps arrêtée sans aucun danger pressant, aurait-elle aussi soudainement des effets meurtriers ? Cette mort prompte est sans doute causée par les efforts non harmoniques que le principe vital fait en même temps dans tous les organes, lesquels sympathisent jusqu’à un certain degré, et au travail de la digestion et à celui de la suppu- ralion; efforts qui font une distraction pernicieuse des forces dans les principaux organes. » Barthez a une manière de traiter les fièvres intermittentes per- nicieuses qui ne recevrait pas aujourd’hui l'approbation des pra- ticiens, puisque Le quinquina n'y tient qu'un rang secondaire. « Lorsqu'on doit combattre un accès présent de fièvre inter- mittente pernicieuse, qui est manifestement accompagné d'un élat spasmodique des organes précordiaux ou autres particuliers, l'indication principale du traitement le plus sûr et le plus direct est d'äffaiblir l’activité des forces sensitives par le moyen de lopium (1) donné convenablement et à assez grandes doses, et de (1) Barthez, comme du reste Brown (voy. plus baüt, p. 1130), attribue à l’opiuui une vertu excitante qui tient, pour ainsi dire, la vertu närcotique sous sa dépendance, 1188 BARTHLZ. faire cesser, par la réduction de ses forces, tout ce que leur in- fluence vicieuse ajoute aux mouvements spasmodiques, dont la violence et la durée seraient funestes.Il faut d'ailleurs employer dans ce traitement, avec l’opium, les remèdes qui sont particu- lièrement indiqués par la nature de laffection symptomatique funeste, qui caractérise chaque espèce de la fièvre pernicieuse où domine un état spasmodique particulier (p. 85 et suiv.). » Nous ne suivrons pas Barthez dans les applications qu’il a faites de sa doctrine à la chaleur animale, aux sympathies, aux tempé- raments ; ceia nous entraînerait trop loin; nous dirons seulement, pour qu'on juge de sa manière de voir, dans ces applications par- ticulières à la physiologie, qu'après avoir rapporté quelques expé- riences touchant l’effet produit sur les muscles par la ligature des nerfs ou des artères, il ajoute (t. 1, p. 473): « Le résultat de tous ces faits me paraît être que le principe vital qui est inhérent à chaque muscle, et qui fait partie du principe de vie de l'animal entier, peut, dans l’état naturel, opérer à chaque instant le mou- vement de ce muscle ; mais qu’il perd bientôt cette faculté et paraît s’éteindre, lorsque le nerf surtout, ensuite l'artère, etenfin la veine de ce muscle sont séparés, par la section ou par une forte ligature, de toute communication avec les parties qui leur sont similaires dans tout le reste du corps vivant. » Il serait difficile de méconnaitre d’une façon plus évidente le rôle du système nerveux, de remplacer des faits positifs par de vains mots, et de se rapprocher en même temps plus manifeste- ment du système des archées locaux soumis à un archée cen- tal ; le principe vital inhérent à chaque muscle et qui fait partie du principe total n’est pas autre chose. La méthode de traitement des fluxions aiguës ou chroniques (1) (4) Voy. Mémoire sur le traitement méthodique des fluxions. — La fluxion, dit l'auteur, est un mouvement qui porte le sang ou une autre humeur sur un organe particulier, avec plus de force ou suivant un autre ordre que dans l’état naturel. IL gait jouer un certain rôle à l’ivritation dans la production du flux ; ainsi il divise les irritations attractives considérées par rapport à l'organe d’où nait la fluxion et auquel elle se termine, en révulsives si ce flux se fait dans des parties éloignées de organe, et dérivatives lorsqu'elle se fait dans les par Lies voisines. ——————— PATHOLOGIE SPÉCIALE. 1189 se réduit à cinq règles fort bien résumées par Lordat (p. 380) : La fluxion imminente, la commençante et celle qui se fait par reprises, exigent la révulsion. Suivant la seconde, la fluxion avancée, fixement établie, qui a déjà formé congestion, dont les mouvements ont peu d'activité, ou qui a le caractère chro- nique, demande les attractions dérivatives. La troisième, qui se rapporte aux fluxions très-rapides avec grande congestion, ordonne des évacuations locales, que par prudence on fait ordi- nairement précéder de la révulsion et de la dérivation. Dans ces mêmes cas, il peut être nécessaire d'employer alternativement, et à plusieurs reprises, les évacuations locales, les attractions déri- vatives et les révulsions. Dans les fluxions chroniques qui recon- naissent pour cause excitatrice l'affection d’un organe éloigné de celui où les mouvements se portent, la quatrième règle pres- crit de pratiquer des attractions, non près du terme de la fluxion, mais près du point dont elle part, comme disent les praticiens. La cinquième règle porte que les remèdes qu’on emploie comme révulsifs, et surtout comme dérivatifs, ont d'autant plus d’effica- cité, lorsqu'ils sont appliqués sur les points du corps qui ont les sympathies les plus fortes et les plus constantes avec l'organe par rapport auquel on veut opérer une révulsion ou une déri- vation. On trouve dans ce Mémoire des remarques sur l’emploi des vésicatoires, de la saignée et des ventouses comme agents déri- vatifs etrévulsifs, dont quelques-unes, bien comprises et isolées, ne manquent pas d’une certaine utilité; mais elles sont, en gé- néral, vagues; la théorie médicale y est aussi incertaine que la physiologie en est fausse. Lordat dit qu'à Montpellier les élèves de troisième année savent ce livre par cœur. J'espère que les choses ont changé depuis 1818 ; ce qui est certain, du moins, c’est que nos élèves de Paris ne pourraient pas se contenter d’un pareil livre, où les idées ne sont ni absolument anciennes, ni tout à fait modernes, où elles manquent surtout de l’appui des obser- vations cliniques, et qu’on n’y trouve pas une définition exacte de ce que Barthez entendait par maladies fluxionnaires. Dans son cours de médecine clinique, que nous ne connais- 1190 BARTHEZ. sons que par le résumé de Lordat (1), Barthez se proposait de donner l'esprit des lois de la thérapeutique ; il rapporte à trois classes les méthodes de traitement connues : les naturelles : s’en rapporter à la nature (2) et la diriger le mieux qu’on peut; les analytiques : décomposer les maladies simples ou compliquées en leurs éléments, et #raiter chaque élément ; heureusement ül ajoute qu’on doit, autant que possible, attaquer plusieurs élé- ments avec le même moyen. « Quant aux méthodes empiriques, dit Barthez, d'après Lordat (p. 304), elles conviennent surtout aux maladies où l’on a lieu de craindre que les mouvements spontanés de la nature ne soient impuissants pour opérer la guérison, et dans celles qu'on ne peut décomposer en des éléments bien déterminés, dont on puisse être assez sûr de remplir les indications. Il est absolu- ment nécessaire d’y avoir recours dans les maladies que la (4) La perte de ce cours est-elle si fâcheuse ? On en peut douter, puisque Bar- thez, trop occupé des hautes questions de philosophie médicale, dédaignait de re- cueillir des observations. Écoutez plutôt Lordat (p.472) : « On a paru regretter sérieusement que Barthez n'ait pas rédigé des Observations médicales. C’est comme si l’on regrettait que Bramante et Vignole n'aient pas travaillé aux carrières. Il était né pour établir et enchainer des principes, pour réformer la philosophie de la science ; peut-on être fâché qu'il n’ait pas renoncé à une telle vocation pour faire des journaux de maladies? D'ailleurs on ne doit communiquer au public que les faits plus féconds en conclusions utiles que ceux dont il est déjà possesseur, Or, on pense qu'un homme aussi informé de l’état de la médecine que l'était Barthez ne devait pas rencontrer souvent des faits qui différassent, par leurs circonstances essentielles, de tous ceux qui avaient été recueillis avant lui, et qui méritassent une description particulière. Cette retenue, louable chez tout le monde, est un devoir pour ceux qui proposent des dogmes nouveaux. Si parmi les observations qu'ils leur donnent pour fondement les leurs dominent sur celles d’autrui, ils échappe- ront difficilement à l'accusation d’avoir arrangé les faits de la manière la plus favo- rable à leur théorie, et, comme disait Craton d’Amatus Lusitanus, d’avoir, pour soutenir leur système, écrit des fictions au lieu de faits, fic{a, non facta. Barthez ne pouvait donc mieux faire que de se prémunir contre les insinuations de ses enne- mis et les préventions du public ; on n'aurait pas manqué de jeter des doutes sur la solidité de l'édifice si l'architecte en avait fourni les matériaux. » (Lordat, p. 472.) Il n’est pas possible, pour louer un ami, de méconnaitre ainsi les droits de la méde- cine et les devoirs du médecin. (2) La nature est encore une nouvelle force avec laquelle le principe vital doit se trouver nécessairement, soit en accord, soit en opposition ! Où est donc l'équilibre des forces ? et comment la rature peut-elle troubler ou apaiser le principe vital? ne Sr ETES TA s E Snd THÉRAPEUTIQUE. 1191 nature seule ne guérit point, comme sont la fièvre intermit- tente maligne et la maladie vénérienne portée à un haut degré. I reconnait trois sortes de méthodes empiriques, qu'il distingue par les noms d’emifatrices, de perturbatrices et de spécifiques. I n’est pas hors de propos d'en rappeler les définitions, puisque des auteurs assez récents ont singulièrement altéré l'acception de ces mots. — Les méthodes imitatrices sont celles qui tendent à déterminer la nature à des mouvements de fièvre ou autres, con- formes à ceux par lesquels elle guérit souvent des maladies sem- blables. Pour ne pas confondre ces méthodes avec les naturelles, il faut faire attention que ces dernières ont pour objet de favo- riser les efforts médicateurs qui s’opérent ; or, celte intention suppose qu’on aperçoil ou qu'on prévoit la tendance de la nature. Mais on a recours aux méthodes imitatrices lorsqu'on n'attend rien de favorable du progrès naturel de la maladie. Il suffit que dans des cas pareils on ait vu l'affection se terminer par un chan- gement, qu'il est en notre pouvoir de produire, pour nous auto- riser à le réaliser, quoique nous n’ayons d’ailleurs aucune raison de présumer qu'il y ait une disposition à quelque métabole salu- laire. Telle est la différence qui existe entre l'esprit de ces mé- thodes et celui des naturelles. L'expérience prouve que des affec- tions morbides de genres très-divers, et toutes les habitudes vicieuses, peuvent disparaître par leffet d’un trouble, d’une commotion qui a fortement ébranlé la puissance vitale, comme une idée qui revient avec obstination peut être effacée par un événement quelconque, capable de remuer profondément la puissance intellectuelle, quoiqu'il n’ait pas d’ailleurs une oppo- sillon spéciale avec cette idée. Il existe, en effet, un grand nom: bre de méthodes reconnues efficaces, dont le résultat immédiat est de causer une secousse plus ou moins violente, et qui n'ont d'ailleurs aucun rapport direct avec la nature des affections contre lesquelles on les dirige. Ce sont là les seules méthodes qui mé- ritent le nom de perturbatrices. On nomme spécifique toute mé- thode dont l'effet immédiat est de dissiper une affection morbide directement, par une sorte d'incompatibilité entre la modifica- tion constitutive de cette affection et celle que la puissance vitale reçoit de l'impression du remède. Pour rendre cette idée aussi 1192 BARTHEZ. distincte qu'il est possible, il faut opposer ce mode d'action à celui des méthodes qui amènent la terminaison de la maladie, en provoquant des mouvements critiques, où en dérangeant la combinaison des actes vitaux qui la composent ; et à celui des méthodes qui sollicitent le retour de l’ordre naturel par des secousses ou des commotions capables d'interrompre l'habitude d’une propension vicieuse. Une méthode spécifique attaque la maladie sans aucun intermédiaire, et l'effet en vertu duquel elle ouérit ne peut s’apercevoir que chez ceux en qui se trouve acluel- lement le mode d'affection dont elle est le moyen curatif. Ainsi la vertu antisyphilitique du mercure est directe et ne dépend nullement des autres changements connus, que cette substance peut déterminer dans les forces vitales. Il en est de même de la propriété antipériodique du quinquina. » Nous ne quitterons pas Barthez (4) sans dire un mot de son (4) Outre les divers Mémoires de pure érudition, destinés à l’Académie des inscriptions dont il était associé libre, Barthez a publié quelques articles dans l’'En- syclopédie ou dans les Mémoires de la Socièté médicale d'érulation, et un Discours sur le génie d'Hippocrate, prononcé le 4 messidor an XI, à l’occasion de l’inaugura- tion du buste d'Hippocrate, discours où l’on remarque un langage grave, tout à fait digne du sujet et quelques vues élevées sur le côté pratique de certains ouvrages d'Hippocrate, Toutefois on ne doit pas oublier qu'à l’époque où écrivait Barthez la critique n'avait fait que des distinctions arbitraires entre les ouvrages qui compo- sent la Collection hippocratique ; qu'on n'avait pas bien déterminé le sens patho- logique de ces ouvrages; enfin qu'il y avait des phrases traditionnelles « sur les dogmes fondamentaux » posés par le divin vicillard, sur la sublimité des Apho- rismes qui « surpassent les forces de l'esprit humain », sur « limmutabilité des principes du Pronostic ». Quoique ce discours ait d’incontestables mérites, ce n’est pas Barthez, mais bien M. Littré qui nous a révélé le vrai génie d'Hippocrate. — La Nouvelle inécanique des mouvements de l'homme et des animaux à paru en 1798. Borelli avait surtout à cœur de démontrer que les museles déploient dans leur action infiniment plus de force que ne le demandent les résistances surmontées par leurs efforts; de plus il expliquait (comme on la vu plus haut, p. 751) les mouve- ments de locomotion par le gonflementé vésiculaire, tandis que Mayow avait ima- giné une sorte de projection. — Barthez se rapproche des modernes quand il pose comme principe de sa mécanique l'axiome suivant : lorsqu'un muscle se con- tracte, où tend à rapprocher ses deux points d'insertion, chacun de ces points obéit en proportion de sa mobilité actuelle, ou en raison inverse de la résistance qui le retient ; mais on ne doit pas perdre de vue que, hors les ças d’une fixation TE MALADIES GOUTTEUSES. 1193 Traité des maladies goutteuses (4). La goutte est un état spéci- fique dont la nature nous est inconnue ; il faut, pour que cette maladie se développe, qu'il y ait disposition particulière de la constitution, et faiblesse relative des parties où elle se porte, L'état goutteux des solides serait dû à la force de situation démontrée (!) par Barthez dans les muscles et les tendons, etsup- posée dans les autres tissus. — Toujours des assertions en l'air. Ce qui fait croire à Barthez que la goutte est un état spécifique, c’est l’inanité des traitements généraux, même en tenant compte des indications fournies par les états fluxionnaires ou autres élé- ments de la maladie, et au contraire le succès de certains spéci- fiques ; Wadmet du moins, à peu près comme les modernes, mais dans d’autres termes, et sans avoir bien conscience de ce qu'il avance, un état particulier des humeurs, surtout du sang qui laisse échapper plus de matières terreuses, lesquelles se portent surtout vers les os. Puis voici que, sans que rien l'y convie, intervient le principe vital, qui, modifié dansla goutte (comment modifié”), fixe les mou- vements toniques des fibres (voy. aussi note p. 35) et enraye les mouvements intestins des fluides qui concourent si puissamment à rendre exacte la mixtion de leurs parties constituantes ; de là la désagrégation de ces parties. En vérité ce principe vital ferait beaucoup mieux de se tenir tranquille, ou d’agir vigoureuse- ment dans le sens contraire du principe de la goutte. Mais qui le crée ce principe goutieux? Si ce n’est pas le principe vital, c’est l'organisme lui-même. Eh bien, si l'organisme peut faire la goutte, il n’a pas besoin du principe vital pour produire les symptômes ou les causes déterminantes de la goutte ni pour rien autre chose. invincible des deux points d'attache, la contraction musculaire agit sur ces deux points à la fois, et que, si l’une des insertions est fixée, l’autre fera tout le chemin. (4) Cet ouvrage n'a eu qu'une édition. La prétendue seconde ne consiste que dans le renouvellement du titre. — Je ne parle ni des Consultations de médecine (1810), œuvre d'une authenticité douteuse ; ni de celles que Lordat a publiées en 1820 et qui n’ont pas une très-grande valeur, —- Dans Observations sur la constitution épi- démique de l'année 1756, dans le Cotentin, Barthez se montre bon observateur, et ne méprise pas encore les faits particuliers (voy. plus haut, p. 1090, note 1), 1194 GRIMAUD. Le rhumatisme goutteux (mal distingué de l'inflammatoire) est une maladie congénère de la goutte. Le traité de Barthez est divisé en trois livres : goutte des arti- culations; rhumalisme, ou affections, soit congénères, soit seu - lement analogues ; goutte des viscères, consécutive à la goutte articulaire. C’est surtout au point de vue thérapeutique que Bar- thez s'occupe de la goutte. Si l’on compare ce qu'il dit sur le trai- tement de la goutte chaude ou fluxionnaire avec les méthodes actuelles, on constatera que le traitement est {trop actif, trop per- turbateur, surtout en ce qui concerne l’emploi des émissions sanguines locales ou générales. Je ne puis pas m'empêcher de remarquer, à propos du traitement de la goutte, qu'un des plus récents auteurs qui ont écrit sur ce sujet, Garrod (traduit par MM. Ollivier et Bergeron) n’a fait mention qu’en passant du livre de Barthez, où il y a cependant des prescriptions à discuter (par exemple l'emploi de l’eau froide), où l’on trouve aussi un histo- rique de la question et des détails pathologiques à consulter. Après tout nous n'avons pas tant de monographies de la goutte pour qu'on les oublie. Il y a un chapitre qui doit particulièrement attirer l'attention ; c’est celui où Barthez traite de la goutte compliquée avee une maladie primitive. IL est clair que dans ce chapitre Barthez a pris pour des complications de simples coincidences, Il valait la peine d'examiner ces questions; il vaudrait aussi la peine de montrer que le diagnostic différentiel du rhumatisme et de la goutte a déjà été traité par Barthez.— Les remarques sur la goutte interne ou rétrocédée exigeraient aussi un examen critique; je signale ces questions aux savants traducteurs de Garrod. Quoique élève de Haller (1) d’abord, puis de Barthez, et quoi- qu'il ait été le maître de Damas, Grimaud (1750-1789), auquel je dois faire ici une petite place puisque nous sommes à Montpei- lier, Grimaud n’en fut pas moins un rétrograde, du moins un es- prit flottant. Habile professeur, peu recherché par la clientèle à cause de sa timidité et de sa gaucherie dans le monde, il était tout (4) Grimaud a publié une thèse inaugurale, en 1776, sur l'irritabilité on eon- tractilité musculaire dans ses rapports avec la sensibilité, GRIMAUD. — DUMAS. 1195 entier à l’étude ; il essaya une étrange alliance, entre le solidisme des modernes et l’humorisme des anciens. Cette alliance parut même si mal justifiée, que l'Académie de Pétersbourg n’osa pas donner à Grimaud un prix pour son second mémoire sur la nu- trition comme elle l'avait fait pour le premier (1). Le solidisme de Grimaud avait beaucoup d’analogie avec celui de Bordeu; toutefois s’il ne multiplie pas comme lui les orga- nismes, il multiplie les forces, comme Van Helmont, ce qui revient au même. Il voulait qu'on n'étudiât les maladies, et en particulier les fièvres, que par les phénomènes apparents sous lesquels elles se produisent; mais il les regardait comme des êtres inconnus dans leur nature. Aussi la description des sym- plômes est ce qui fait le grand mérite deson Traité des fièvres (2). — Son Cours complet de physiologie (AS18) est utile à consulter non parce que la physiologie de Grimaud est bonne en soi, mais parce que le Cours résume assez exactement l’élat de la science au moment où il a été publié. ‘ Malgré la force naturelle de son esprit et ses connaissances acquises, bien qu'il eût quitté un instant Montpellier pour Paris, Charles-Louis Dumas (1765-1813), successivement professeur et doyen de l’École de santé de Montpellier, ne put jamais se débarrasser complétement des doctrines un peu surannées de Grimaud ; il admet des forces fictives et abstraites plutôt que des forces réelles et expérimentales. Ainsi, il compte trois forces : force de réaction vitale ; d’assimilation; de résistance. C’est une création qui lui appartient, mais que personne n'a voulu ad- mettre après lui. Sa division des systèmes organiques vient de Bordeu et donne la main à celle de Bichat. Sa elassification des maladies est aussi défectueuse qu’il est possible et ne repose sur aucun principe fixe. N'ayant aucune homogénéité, représentant toutes les doctrines, cette classification porte la marque d’un éclectisme désespérant : maladies produites par altération des trois forces : maladies par altération de la sensibilité, de l'irrita- (1) C’est le seul ouvrage, avec sa thèse, publié de son vivant. (2) Publié d’abord en 1818, puis, en 2€ édition, en 1824, par Lauthois, am de Grimaud. La meilleure édition est celle en 4 vol. in-8°, 1815, par Dumas, 1196 REIL. bilité, de l'absorption, de l'énergie de la constitution ; maladies produites par les changements chimiques, physiques ou vitaux des humeurs, par resserrement, relâchement, etc., des solides ; enfin maladies qui viennent d’un vice spécifique de la constitu- tion. Toutefois Dumas fondait ses indications, non sur les forces et sur les tissus organiques, mais sur les éléments morhides, c’est- à-dire sur la douleur, la phlogose, distincte de linflammation, la périodicité, etc., doctrine qui conduit tout droit à la recherche des spécifiques (1). En Allemagne c’est J.-Chr. Reil (1759-1813) qui est le repré- sentant le plus accrédité du vitalisme; il procède à la fois de Haller, de Bordeu et de Bichat ; il sépare très-nettement les idées (domaine de la psychologie) de la matière (domaine de la phy- siologie); il est donc aussi autobiologiste; enfin il est bien près de localiser toutes les fièvres. Érasme Darwin, qu’il ne faut pas confondre avec notre con- temporain, come l’a fait le rédacteur d’un journal religieux qui venait surveiller mon cours au Collége de France, Érasme Dar- win (1731-1802) est brownien en physiologie, mais en patholo- gie il professe une doctrine opposée. Pour lui, la psychologie n’est qu'une branche de la physiologie. Il n’admet pas que la pensée ait pour se produire un autre instrument que les sensa- tions ; c’est une irritation, doctrine qui lui valut les accusations et les calomnies du libertin, mais religieux Johnson. Darwin était philosophe, physiologiste, poëte et médecin. Après avoir fait sa fortune par la clientèle et par un double mariage, il se relira à Derby où il fonda une sorte de Société scientifique. Il mangeait beaucoup et ne buvait que de l’eau. Mais voyez, Mes- sieurs, la vanité des systèmes et celle aussi de la thérapeutique ; c’est la goutte qui conduit Brown à préconiser les stimulants à outrance contre toutes les maladies (voy. plus haut, p. 1120) ; c’est cette même goutte qui décide Darwin à attribuer presque (4) Les deux grands ouvrages de Dumas sont : Traité de physiologie, 1800-1803, 2e éd, 14806, avec des remaniements ; — Maladies chroniques, 1812, ouvrage des > ; ques, plus prolixes ; enfin des Discours et des Mémoires. ÉRASME DARWIN. 1197 toutes les maladies à l'abus des stimulants et à vanter les calmants et les délayants. Tous deux avaient tort, et tous deux cependant exprimaient une partie de la vérité. Le principal ouvrage de Darwin est sa Zoonomie ou système des lois universelles de la nature vivante, ouvrage qui a été traduit en français, en allemand et en italien. Loin de chercher, comme Barthez, dans la diversité des forces vitales une raison pour imaginer un principe de vie plus général, il trouvait que tous les objets dont se compose la nature avaient une certaine analogie, et que tous obéissaient à certaines lois identiques; il était tout près de deviner la loi de substitution des forces. Il se rapproche des mécaniciens par ses opinions sur le mouvement ; Loute la vie se résout, selon lui, en des mouvements. Mouve- ments primitifs : irritation interne, gravilalion; — mouvements chimiques : nutrition; — mouvements vitaux, par exemple cir- culation, locomotion, pensée. Les mouvements vitaux sont des mouvements secondaires ou communiqués par les stimulants ex- térieurs, ou par l'irritation externe. — Vous voyez qu'il y a du Brown:et du Broussais dans le célèbre physiologiste anglais. Il admeltait quatre classes de maladies : excès, diminution ou rétrogradation des mouvements irritaufs, sensiufs , volontaires ; enfin des mouvements associés. Les principes thérapeutiques sont en rapport avec celte bizarre théorie : les médicaments nutrien- la maintiennent l’activité des mouvements irritalifs ; les 2nce- tantia augmentent celte activité; les revertentia la rétablissent ; les 2mmanuentia la diminuent. Darwin, au rebours de Brown, compte plus de maladies asthéniques que de maladies sthé- niques; car la dernière classe de médicaments n’est donnée que pour mémoire. En cela, il se rapproche à la fois de Cullen et de Broussais, en mettant à part la théorie de l'incitation interne et externe. XXXII SommAiRe. — Histoire de la médecine pratique du xvin* siècle, France (Pinel et quelques auteurs de moindre importance) ; Italie (Torti, Borsieri, ete.) ; Angle- terre (Huxham, Pringle, Lind, Fothergill, Fordyce, Heberden, Cheyne, Jenner, Baillie, etc.); Allemagne (Ecole de Vienne : Van Swieten, de Haen, Stoll, Aven- brugger, etc.).— Société royale de médecine de Paris.— De l’état de la médecine et de la chirurgie en Espagne. MESSIEURS, Enfin, Messieurs , nous quittons les systèmes pour n’y plus revenir (1) et nous abordons l’histoire de la science positive au xvi siècle. Nous commencerons par la médecine interne , et ce séra presque un acte d’humilité que nous commettrons , car la France n’est ici représentée que par quelques noms, tandis que l'Italie, l’Angleterre et l'Allemagne offrent à nos études les personnages les plus distingués dans nos annales : Torti, Bor- sieri, Mead, Freind (dont nous avons déjà parlé à propos de l’iatromécanisme; voy. plus haut, p. 875 et 879), Huxham, Cheyne, Pringle, Lind, Heberden, Fordyce , Fothergill; Fowler (1736-1801) , dont le vrai titre à figurer dans l’histoire est d’avoir préconisé l’usage de l'acide arsénieux contre les fièvres intermittentes ou rémittentes ; Grant (2); Floyer, médecin très- (1) Hahnemann appartient en effet au xix° siècle. (2) Les Traités des fièvres (1771-1775) de Grant (mort en 4786) sont rédigés d'a- près les doctrines humorales et iatrochimiques, et en partie d’après les principes de Sydenham. Les fièvres sont étudiées surtout dans leurs rapports de causalité et de modalité avec les saisons ; elles sont communes ou épidémiques, c'est-à-dire qu’elles sont régulières et attaquent un grand nombre de personnes, ou qu'ellesse manifestent irrégulièrement ; alors elles sont en général contagieuses, Les affections épidémi- ques saisonnières (fièvres proprement dites) sont donc distinguées des maladies épidé- miques qui tiennent, soit à un principe contagieux sui generis, propre à certaines contrées, et que les rapports contmerciaux ont importé dans d’autres pays (peste, Variole, etc.), soit à des combinaisons accidentelles qui peuvent se produire partout MÉDECINE PRATIQUE AU XVIII‘ SIÈCLE. 1199 laborieux, connu surtout par son Traité de l'asthme (A); l'im- mortel Jenner, dont aucune discussion, si savanté, si pas- sionnée qu'elle soit, ne diminuéra la gloire; Van Swieten, de Haen, Stoerck, Stoll; Stark (1753-1811), dont je recommande surtout l'Histoire du tétanos (1778 et 1781); Murray (1740-1791) si justement renommé pour son Apparatus medicaminum et par ses nombreuses dissértalions académiques; Avenbrugger (2), les deux Frank (5), Quarin ; Strack (1726-1806), auquel on doit (fièvres des camps, des prisons, des vaisseaux). Les fièvres saisonnières sont en général inflammatoires pendant les saisons froides, et putrides pendant les saisons plus chaudes. — La classe dés maladies dites pestileñtielles est assez confuse, el äu ilieu des discussions théoriques qui font perdre à notre auteur l’idée de déctire l'affection, il n’est pas aisé de reconnaitre toujours de quelle espèce il s’agit, On entrevoit du moins, en raison des milieux où elles se produisent, la fièvre pété- chiale, le fyphus fever, et la fièvre typhoïde. Grant a aussi décrit deux épidémies de grippe en 1775 et 1782. Les Traités des fièvres ont été traduits en francais, par Lefèvre de Villebrune, de 1773 à 1776. (4) Ce traité, publié pour la première fois en anglais, en 1698, à été traduit deux fois en français. L'auteur avait souffert lui-même une partie de sa vie de cette cruelle maladie. Floyer a voulu « faire un précis de ce que les anciens ont écrit sur l'asthme, mais en s’accommodant à la manière présente de philosopher ; quant aux méthodes curalives de ces mêmes anciens, elles subsisteront toujours, attendu qu’elles sont fondées sur la nature même et confirmées par l'expérience. » L'asthme ust un resserrement et une constriction des bronches, suite de l’enflure de l’es- tomac et des membranes du poumon dans l’effervescence du sang. L’étiologie {causes déterminantes) est fondée à la fois sur lhumorisme chimiatrique et sur la théorie des flatuosités, des cacochymies et de l’effervescence, Les indications (hé- rapeutiques découlent naturellement de ces dounées, — On doit encore à Floyer, entre autres écrits, un traité Sur l’usage des bains froids (1697; — on doit pré- férer les édit. de 1702 ou des années suivantes) que l’auteur préconise pour presque toutes les maladie:, Cet ouvrage, où Floyer montre un peu de charlatanisme, con- tient quelques recherches historiques sur le baptème par immersion, et sur les bains chez les anciens, | (2) Je mentionne seulement les monographies, érudites sans doute, mais fasti- dieuses par la prolixité, le mauvais style et le peu de critique, que Schurig (1688- 1733) a publiées sous les titres de Spermatologia; Chylologia, Sialographia, etc. (3) J.-P. Frank (1745-1821) et Jos, Frank (1771-1841), Ces deux auteurs appar- tiennent plutôt encore au xix° siècle qu'au xvinf, Aussi je n’en parle ici que pour mémoire et pour recommander d’abord comme un ouvrage éminemment pratique l'Epitome de J.-P. Frank (1792-1821), traduit en français par Gaudereau; puis, comme une véritable bibliothèque médicale (par l'abondance des renseignements 1206 MÉDECINE PRATIQUE AU XVII SIÈCLE. de bonnes Observations médicinales sur diverses maladies épidé- miques ou sporadiques; R.-A. Vogel (1724-1774) qui a écrit avec talent et en homme expérimenté sur presque toutes les parties des sciences médicales; Werlhoff (1699-1757), un de médecins les plus érudits de l'Allemagne, après Triller et Gruner, et célèbre surtout par ses études sur les Üèvres intermittentes (1732) et sur les maladies charbonneuses, les anthrax, les varioles (1735); Zimmermann (1728-1795), enfin Hufeland (1762-1836), si renommés, l’un pour son Traité de la solitude, l’autre pour l’Art de prolonger la vie. Et chez nous, en mettant à part les créateurs de systèmes, quel grand clinicien pouvons-nous opposer à celte vaillante co- horte étrangère? Chirac (1650-1732), plus fort sur les raisonne- ments chimiques et mécaniques que sur l'observation (1), homme dont le caractère est peu sympathique; Hecquet (1661-1727), jatromathématicien, médecin très-bienfaisant, janséniste ardent, et écrivant plus pour plaire aux gens du monde ou pour soutenir d’äpres controverses que pour faire avancer la science (2); An- dry (1658-1742) qui est surtout un polémiste (3) de talent sans doute, mais d’un caractère équivoque ; Astruc (1684-1766), cé- lëbre plutôt comme historien et polémiste (4) que comme clini- historiques et bibliographiques) les Praecepta praxeos medicae universae de Jos. Frank (1821-1835), traduit, mais assez mal, en français par Bayle dans l'Encyclopédie des sciences médicales. (4) I faut surtout distinguer son Traité (ouvrage posthume) des fièvres malignes et pestilentielles, 1742; ses Consultations, trad. en français en 1744,-et ses Observations sur les incommodités auxquelles sont Sujets les équipages des vais- seaux, 1724. (2) Plusieurs de ses écrits sont encore recherchés par les curés de villages et les bonnes femmes. (3) Son traité De la génération des vers dans le corps de l’homme, etc., 1700, avec les Éclaircissements, 1704, lui a attiré plus de sarcasmes que d’éloges. — Du moins, dans les divers écrits qui sont la contre-partie de ceux de Hecquet, il a quelquefois raison contre le rigorisme de ce dernier. Andry s’est montré un impla- cable défenseur des médecins contre les chirurgiens (voy. plus haut, p. 283). (4) Voy. surtout ses Recherches pour servir à l'histoire de la Faculté de médecine de Montpellier, 1767, et sa Bibliographie des maladies véaériennes, où il y a plus de travail que de critique. Il se montre ardent défenseur de Ja contagion dans ses Dissertations sur la peste. Quoique un peu iatromécanicien, Astruc expliquait la digestion par une fermentation, Ent PINEÏ. 4201 cien, mais dont on consulte encore les traités Sur la maladie vénérienne (1740), Sur les tumeurs (1759), et Sur les maladies des femmes (1761-1765); Lieutaud (1703-1780), assez habile dans l'anatomie normale, mais qui n’a su tirer presque aucun parti des nombreuses ouvertures de cadavres qu’il a faites (1); Sauvages(1706-1767), qui est, par sa Nosoloqia methodica (1763), l’un des précurseurs de Pinel. La Nosoloqia est fondée, pour la théorie médicale, en partie sur les idées de Boerhaave, et pour la méthode, sur le système de Linné (2). Je ne chercherai pas à cacher que Pinel (1755-1826) m’a tou- Jours beaucoup embarrassé. Si personne n'est tenté de lui mar- chander les éloges qu'il mérite, à si juste titre, pour les ser- vices éminents qu’il a rendus aux malheureux aliénés, et pour la réforme du régime des hôpitaux, de la Salpêtrière en par- tüculier (3), il n’est pas aussi aisé de porter un jugement favorable sur ses doctrines médicales. A lire un peu superficiellement, dans les Préfaces de la Nosographie philosoplique (1797) et de la Médecine clinique (1802), ses professions de foi, ses déclarations de principes, les règles qu’il trace pour la récolte des Observa-- hons, on est un moment séduit par le ton affirmatif, par un style assez vif et entraînant, et l’on croit avoir affaire à un homme três-positif, puis, lorsqu'on veut pénétrer plus à fond dans sa pensée, on y trouve une foule de considérations d’un vague dé- solant, et dans les déductions pathologiques un manque absolu de bases solides. Non, Pinel n’est pas un c/inicien dans la légitime acception de ce mot; c’est un naturaliste, et la preuve je la trouve dès les premières lignes de la Nosographie. Que penser en effet de cette phrase : « La vraie médecine, celle qui est fondée sur des prin- cipes qui consistent bien moins dans l'administration des médi- (1) Essais anatomiques, ete., 1742. L'édition de 1776-1777 a été donnée par Portal qui y a ajouté beaucoup de notes. Lieutaud a rectifié beaucoup d'erreurs de Winslow; — Précis de la médecine pratique, 1759 ; — Historia anatomica medica sistens numerosissima cadaverum humanoruwm extipicia, 1767. (2) Je parle plus loin de la Société royale de médecine. (3) Pinel avait été devancé par le Mémoire de Tenon Sur les hôpitaux, 1788. DAREMBERG. 76 1202 MÉDECINE PRATIQUE AU XVIII SIÈCLE. caments que dans la connaissance approfondie des maladies... doit être reprise et cultivée avec les bons auteurs, comme une branche de l’histoire naturelle? » Tout pour Pinel, élève, mal in- spiré, de Condillac, consiste à appliquer la méthode d'analyse à la médecine (1). Classer les maladies, semble être le but suprême auquel doit tendre la médecine. Il s’agit bien, en vérité, de ré- soudre ce problème posé par Pitcairne : Une maladie étant donnée, en trouver le remède ; ce serait montrer bien plus de présomption que de lumière et de sagesse (2). « Rabattons de ces prétentions exagérées, prenons plus de circonspection et de ré- serve, descendons au problème suivant qui est bien plus mesuré et plus circonscrit : Une maladie étant donnée, déterminer son vrai caractère et le rang qu’elle doit occuper dans un tableau nosologique. » Grande consolation pour les malades, et grand avantage pour les médecins! Eh quoi, la médecine ne serait que l'art de quérir! Fi donc! Elle a de bien plus nobles destinées! Certes on ne saurait nier que Pinel a contribué plus qu'aucun de ses devanciers à tirer du chaos la nomenclature médicale; mais sur quelles données de pathologie générale repose sa clas- sification (3)? Pinel affirme que les maladies ne sont point des écarts ni des déviations de la nature, qu’elles ont un caractère évident de sta- (4) De ce que la méthode analytique a conduit diverses sciences vers le progrès, il ne s'ensuit pas qu'elle soit exactement et uniquement la source de ceux de la médecine, surtout pratiquée à la façon de Pinel. (2) Plus loin, dans cette même Introduction à la Nosographie, Pinel fait justice des prétentions thérapeutiques exagérées, comme si la maladie n’était qu’une sorte de mécanisme..., comme s’il était possible d’entraver en général ou de suspendre son cours, et qu'ii fallut toujours admirer la puissance et les ressources fécondes de la médecine! — En somme, et quoiqu'il s’en défende un peu mollement, du reste, Pinel arrive à la placidité des Stahliens, (Voy. aussi Clinique, sect. IT, $ 3, influence du traitement; méthode agissante et expectante), et comme Stahl ou Hoffmann il voudrait exclure les médicaments exotiques au profit de la médecine naturelle et domestique ; cependant, malgré sa bonne envie, il n’y put pas complétement réussir. (3) Dans un volume publié en 1772 (2° édit.) Cullen, sous le titre de Synopsis nosologiae methodicae, etc., a donné le conspectus des Nosologies de Sauvages, de Linné, de Vogel, et la sienne propre, pour laquelle il a emprunté diverses notions à Sauvages. I faut ajouter les Nosologies de Sagar, de Nietzki, de Selle, de Mac- bride et de Van den Heuvel. PINEL. 1203 bilité, si l’on ne trouble point la marche de la nature. Une obser- vation attentive les fait envisager comme des changements pas- sagers dans les fonctions de la vie, et manifestés par des signes extérieurs avec une constante uniformaité pour les traits princi- paux, et des variétés innombrables pour les traits accessoires. Plus loin, il ajoute que la maladie ne doit pas être considérée comme un tableau sans cesse mobile, comme un assemblage incohérent d’aflections renaissantes qu’il faut toujours combattre par des remèdes, mais qu'elle forme un tout indivisible, un ensemble régulier de symptômes caractéristiques et une succession de pé- riodes avec une {endance de la nature le plus souvent favorable, quelquefois funeste. Aussi dans l'exercice de la médecine on peut à peine trouver une maladie qu’un homme judicieux ne puisse déterminer et dont la description ne soit consignée dans quelque ouvrage ! Je vous le demande, Messieurs, qui oserait aujourd’hui signer de telles propositions et de si absolues? Pinel lui-même n’est pas très-assuré de l’unité et de l'indivisibilité des maladies, car impression qu'il éprouve en entrant dans une salle d’hôpital, c’est «une image de confusion et de désordre » (1) sans parler de la fluctuation d'opinion, de l'incertitude, de l'embarras ex- trême qu'il ressentit lorsqu'il fut appelé à exercer la médecine dans ‘les hospices (d’abord à Bicêtre et, plus tard, à la Salpé- trière) (2). Cependant c’est en 1798 qu'il affirmait la sûreté et la facilité du diagnostic « pour un homme judicieux », et déjà il avait passé plusieurs années dans l’étude et dans la pratique de la médecine. Quoi qu’il en soit, la nosographie repose particulièrement sur les manifestations extérieures des maladies et non sur l’anatomie pathologique, ce qui est déjà un très-grand vice de construction; de plus, Pinel soumet les maladies aux mêmes opérations que les naturalistes font subir aux plantes et aux animaux; il forme des cadres inflexibles pour les classes, les ordres, les genres, les espèces, en procédant par abstractions successives. Puis, mécon- naissant des analogies manifestes ou des dissemblances non noins (1) Médecine clinique (1802). Des fièvres ; considérat. préliminaires, (2) /bid, Introduction. 1204 MÉDECINE PRATIQUE AU XVIILI® SIÈCLE. évidentes, il forme des groupes artificiels (1), en s’en rappor- tant aux apparences et non aux réalités. Ainsi, pour n’en citer qu'un exemple, il brise le faisceau si naturel des fièvres inter- mittentes dans le désir qu'il à de rapprocher la fièvre tierce des fièvres gastriques, la fièvre quotidienne ou quarte des fiè- vres muqueuses continues ou rémiltentes, les fièvres inter- mittentes pernicieuses des fièvres ataxiques continues (2). La thérapeutique y perd beaucoup, et la pathologie n'y gagne rien. Les six ordres de fièvres, fondés sur des affections du sys- tème circulatoire, sur l’irritation de l'estomac ou du duodénum, ou de l'intestin, ou sur l’atonie de ce conduit (atonie qui envahit l'irritabilité des muscles), sur les désordres du système nerveux causés par une lésion profonde de lirritabilité et de la sen- sibilité, enfin sur des circonstances particulières de mortalité, de contagion et d'une affection simultanée des glandes, ces ordres, dis-je, sont tout à fait factices ; on en peut juger par ce simple énoncé. Je pourrais multiplier les exemples pour prouver les vi- ces de la méthode, mais ce que j'en ai dit suffit pour montrer que c’est bien, quoi qu'en dise Pinel, «un jeu de l’imagination ». Les applications qu'il a faites de sa méthode dans la Clinique, ne font guère que confirmer ce jugement. Quelle différence entre l'École de la Charité, inaugurée par Corvisart, et l’École de la Salpêtrière dirigée par Pinel! Dans l’École de Pinel, les autopsies n’ont presque aucune valeur (3), le diagnostic ne repose sur aucun moyen physique, la thérapeutique est à peu près insigni- fiante. On ferait un praticien avec les ouvrages de Sydenham, avec ceux de Stoll, ou même de Baglivi, jamais avec les écrits de Pinel (4). (4) Voy., par exemple, de déplorables confusions dans la classe des fièêvres pu- trides-adynamiques. (2) Quoi qu’en ait dit Pinel ($ 97 de la Nosographie) la désignation des fièvres ntermittentes par leur type n’a pas été proscrite, et il est probable qu'elle sera longtemps encore acceptée. (3) Dans la seconde section, sous le titre Nécrologie, on trouve de belles phrases sur les autopsies faites en présence de plus de cinquante élèves; mais ces phrases n'instruisent pas quand il n’y a rien au bout, (4) M. Dubois (d'Amiens), secrétaire perpétuel de l'Académie de médecine (voyez on Discours, aussi ingénieux que littéraire, Sur le degré de certitude en médecine, PERDRE PE BE. + TORTI. 1205 Je reprends maintenant, et par nationalité, les auteurs les plus importants dont j'ai donné la liste plus haut (1). Torti (1658-1741) fut un des plus ardents réformateurs de la matière médicale et un des plus habiles promoteurs de la méde- cine clinique rationnelle ; il s’attira la haine des apothicaires et des galénistes ; mais, l'impulsion une fois donnée, il n°y avait plus moyen de résister. De tous les médecins italiens, et même de tous ceux du xvi siècle, c’est certainement Torti qui mérite le plus d’éloges pour sa défense active et victorieuse du quinquina et la distinction des diverses classes de fièvres intermittentes simples ou pernicieuses (2). On peut le regarder comme le second inventeur, après Sydenham, du traitement des fièvres intermit- tentes par l'écorce du Pérou; il a signalé limminence du danger des fièvres pernicieuses, le moment opportun, l’usage des doses élevées quand cela est nécessaire, et prouvé que les cachexies qui dans Bulletin, t. XXXII, p. 1128 ct suiv.; 1866-1867), porte sur Pinel un jugement qui ne diflère pas de celui que je viens d'exprimer après une étude attentive de ses œuvres principales. — Quelque temps après la lecture de M. Dubois, M. le doc- teur Bouvier, membre de l’Académie, a relevé le gant (Bulletin, t. XXXIII, 1868, p. 384 etsuiv.), et cherché dans un Mémoire fort habile à réhabiliter à la fois l’École de santé qui, je crois, n’était pas en cause directement, et la mémoire de Pinel comme clinicien, Sur ce dernier point, j'ai le regret de l’avouer, mon savant et excellent collègue ne m’a pas convaincu. Je ne m'en rapporte pas aux phrases de Pinel, mais aux faits, aux résultats positifs, je veux dire à la méthode de classer les maladies, ou nosographie et à la clinique. Pinel avait les meilleures intentions du monde et le plus grand souci du salut des malades confiés à ses soins ; mais pour ma part, je ne voudrais pas d’un tel médecin, si philanthrope qu’il soit. (1) Je note encore les Adversaria et consultationes (1714) de Lanzoni (1663- 1730); les Œuvres (1716),'surtout la Pyretologia (4704) et le traité De lue venereas 1689 (l’auteur tient pour l'antiquité de la maladie), de Musitanus (1635-1714), prêtre napolitain et médecin ; les Recherches historiques et pratiques de Fantoni (1675-1758), sur la fièvre miliaire, 1747 et 1762. Le même auteur avait donné, en 1699, 1701 et 1746, de curieux recueils d'Observationes anatomicae. (2) Therapeutice specialis ad febres periodicas perniciosas, 1709. L'édition de 1756 contient une Vie de l’auteur, par L.-A. Muratori, et les Responsiones ad Ramazinum. Le premier et le deuxième livre renferment l'histoire du quinquina, les opinions des auteurs sur son emploi ; le troisième et le quatrième sont consacrés à l'exposition de sa méthode et au récit des nombreuses observations qu'il a recueil- lies ; le cinquième est consacré à une discussion sur les indications et contre-indi- eations de l'emploi du quinquina dans les fièvres continues ou pseudo-continues. 1206 MÉDECINE PRATIQUE AU XVIII‘ SIÈCLE. suivent les fièvres intermittentes ne viennent pas du quinquina. Il a aussi nettement reconnu les contre-indications du quinquina dans certaines fièvres continues et continentes. Helvetius avait imaginé d’administrer ce médicament en lavement; d’autres, aprés l'avoir réduit en poudre impalpable, l’appliquaient en topi- que sur les mains. Torti (V, vi, 4) regarde l’emploi des topiques comme une méthode ridicule; quant aux lavements, il ne leur accorde presque aucune efficacité et ne veut s’en servir que dans les cas où il est absolument impossible de faire prendre quelque chose au malade par la bouche; car, dit-il, mieux vaut essayer un moyen d’une efficacité problématique que de rester inactif devant un danger pressant. Gela était vrai du quinquina en pou- dre, ou de sa macération ou décoction, mais cela n’est plus vrai du sulfate de quinine. Borsieri de Kanilfeld (1725-1785) est un des hommes qui ont lutté avec le plus de courage et de succès contre l’adversité; il dut tout à l'énergie de sa volonté et à la droiture de son carac- tère. Ses Institutions de médecine (1751-1785. Voyez surtout l'édition de Hecker, 1826) sont en ce genre le livre le plus com- plet et le plus sensé qu’ait produit le xvm° siècle. Ce qui dis- tingue particulièrement cet ouvrage (outre qu’il est parsemé de renseignements historiques et bibliographiques), c’est qu’il est fondé sur l'observation de la marche et des symptômes des ma- ladies. L'auteur, clinicien avant tout, a tenu peu de compte des systèmes ; mais il accepte en partie la doctrine de lirritabilité. Il a groupé les maladies en classes naturelles, telles qu'elles se dessinent et s’individualisent dans les cas les plus ordinaires. Les indications thérapeutiques sont tirées des mêmes considérations, ou plutôt elles dérivent d’un empirisme raisonné, c’est-à-dire de l'expérience qui prend pour base l'observation attentive des ré- sultats obtenus et des rapports les plus apparents entre les ma- ladies et les remèdes. Lorsque Borsieri quitta la chaire qu’il occupait à Pavie, il fut remplacé momentanément par Tissot (1728-1797), Tissot, le médecin populaire dans le meilleur sens du mot, le médecin lit- térateur par excellence, et qui dut toute sa réputation, toute sa vogue, à un certain bon sens médical, à un caractère facile, à un BORSIERL — TISSOT, — CHEYNE. 1207 style coulant (1). Aussi mauvais professeur qu’il était bon prati- cien, Tissot n’a pas de doctrine, ou plutôt il a successivement toutes celles qui s'imposent. Son plus grand mérite est d’avoir, - par une traduction française, vulgarisé les Mémoires de Haller sur lirritabilité. Des nombreuses productions de Tissot, dont la réunion ne forme pas moins de onze volumes in-8°, il ne reste, comme des ouvrages de Berquin, rien, rien qu’un vague souvenir d'estime. Tissot, c’est le Berquin de la médecine. Il serait aisé de ranger Cheyne (1671-1743) parmi les iatro- mécaniciens, car sa doctrine sur la fibre (2) concorde en grande partie avec les principes de Bellini et de Pitcairne ; toutefois les opinions de ce médecin touchant la constitution du corps animal sont trop originales ou, si l’on aime mieux, trop excentriques et trop mélangées pour que je n’aie pas cru devoir le séparer des autres iatromécaniciens (3). (4) Voy. dans Médecine, histoire et doctrines, ce que j'ai dit de Tissot, à propos de son Traité de la santé des gens de lettres. (2) De natura fibrae ejusque laxae sive resolutae morbis, J'ai sous les yeux l’édi- tion de Paris, 1741, L'auteur établit d’abord que les fibres sont composées d’une multitude innombrable de fibrilles ; il tient surtout compte de l'élasticité de la fibre; au $ 5 il énumère les affections de la fibre qui donuent lieu aux maladies, soit par elle-même, soit par les canaux qui en forment le tissu. Quant aux maladies chroniques il les rattache à la fois aux vices des humeurs et aux alté- rations de la fibre, Les maladies nerveuses, fixes ou passagères, sont caractérisées par un vice, soit de la sensibilité, soit du mouvement aboli, ou affaibli, ou perverti, en mettant à part les mouvements désordonnés, spasmodiques, convulsifs ou con- tractifs. Les impressions et les mouvements sensoriels ou psychiques dépendent de la corrugation et de l’oscillation de la fibre. — Cheyne admet le fluide nerveux. — La vie n’est, selon lui, que l’exacte circulation des fluides et l’intégrité des parties solides ou fibreuses ; dans la pratique on doit, en conséquence, tenir compte des par- ties solides, et c’est surtout par le régime qu'on parvient à maintenir et à rétablir la santé. Lui-même, en raison de son état valétudinaire, avait fait une longue et minutieuse étude de la matière alimentaire, — Le traité intitulé : Fluxionum methodus universa, sive quantilatum fluentium leges generaliores, ad Pitcar- nium, 1703, est un travail purement mécanique et mathématique : « études creuses et stériles », c’est Cheyne qui le dit lui-même. — Dans le Tractatus de infirmorum sanitate tuenda, il n'y à aucun principe qui ne se trouve dans sa Méthode curative. (3) Voy. Natural methode of curing the diseases, etc., 1742 ; trad. en français, en 1749, par de la Chapelle, qui y a joint la description, l'histoire et la méthode de la fameuse transfusion du sang. 420$ MÉDECINE PRATIQUE AU XVII SIÈCLE. Dès le début de sa Wéthode curative (Réflexions, etc., $ 1), Cheyne montre son penchant, limité cependant pour quelques- unes des idées de Stahl. Les facultés naturelles de vivre, d’aper- cevotr, de vouloir, etc., leurs différents degrés et leurs différentes modifications d'activité, de sagacité, de désir, sont, dit-il, essen- tiellement et uniformément inhérents à la substance spirituelle, chacune dans l’ordre et le degré qui leur est propre, quelque espèce de corps que ces facultés animent ou vivifient. Quand l'âme ne fait pas éclater ces qualités essentielles et innées, cela vient des bornes étroites où elle se trouve resserrée par la nature de la matière grossière qui l'enveloppe, et par les lois du corps qu'elle anime ou vivifie; obstacle étranger, mais insurmontable au degré de son activité et de sa mobilité propre (1). Cheyne admet la théorie de l’évolution; pour lui ($ 2) l’ani- mal est aussi parfait, aussi complet dans son état /ombagine (4) Cheyne (voy, $ 32) ne persiste pas avec une inébranlable constance dans ces vues purement spiritualistes, car il fait bientôt intervenir la constitution même du système nerveux pour expliquer les nuances et les grâces de la pensée, Je trans- cris ici ce curieux passage : « À cause que le cerveau est pulpeux, et que les nerts sont fort lâches, il y en a qui se sont imaginé que ces deux espèces d'organes w’éfaient point du tout propres à recevoir ni à communiquer des vibrations ou des ondulations, sans faire attention que la grande activité de ces substances réside dans les membranes, dont chaque fibrille nerveuse ou chaque nerf infinitésimal est enveloppé ; ils sont tous enfermés et liés, pour ainsi dire, dans un sac membraneux où ils sont attachés ensemble par des filets de mème espèce, Or tout le monde sait que de tous les corps il n'y en a point de plus élastiques et de plus propres à trans- mettre des vibrations, que les membranes, On ne peut guère douter que leur sub- stance interne soit cellulaire, comme la moelle de jonc, et qu'elle ne soit unique- ment destinée à faire la sécrétion d’une substance lactée, que quelques personnes peu altentives appellent liquide nerveux ; substance qui sert à entretenir leur élasticité, leur volubilité, et la propriété qu'ont ces membranes de pouvoir exercer des vibra- tions, en quoi consiste toute leur vertu mécanique. Les grâces, la facilité et l’élés sance de l’action de penser consistent dans la souplesse, dans la culture et dan- l'exercice habituel de ces organes nerveux, de la même manière précisément que l'on acquiert les grâces du corps, les manières aisées et les façons aimables par un exercice convenable et par des actes répétés. Pour mettre en action notre faculté de penser, il nous faut faire usage de cette espèce d'exercice intellectuel, et faire jouer ces glandes nerveuses, de même que, dans l'acte de la vision, nous nous servons des différents muscles pour étendre et diriger la prunelle à des objets qui sont à une distance convenable, » CHEYNE. 1209 et spermatique qu'il l’est dans son état adulte ; mais il ne com- mence à être un homme que dans ce dernier état, lorsque ses facultés spirituelles, en agissant sur les organes matériels de son corps, n'y trouvent plus d'autre opposition que celle qui procède des limites de la matière; c’est-à-dire quand ces organes eux- mêmes sont complets, développés et revêtus de l’incrustation et des téguments qui leur sont propres, et dans lesquels l’ani- mal doit continuer son existence pendant tout le temps pres- crit par la nature (1). Qu'est-ce que cette incrustation qui revêt les organes? L’au- teur l’a trouvée dans son imagination (2), et il nous en explique sinon la nature, du moins les usages aux K 10 et suivants. « La tunique ou la croûte qui couvre les fibres primitives et motrices, est destinée à les meltre en état de supporter sans douleur et sans violence les situations où elles doivent se trouver dans la suite; à leur servir de gaine, à les défendre et à garantir leur délicatesse, leur sensibilité et leur petitesse extrême, de la dureté, de la rudesse et des injures des corps qui nous environ- nent dans cet état de cadueité et de délabrement où se trouve la demeure que nous habitons. » La surface extérieure des viscéres n’est pas seulement r'e- couverte de tuniques et de membranes particulières qui sont les principaux organes de leur activité, et qui les défendent des injures des fluides ou des solides trop grossiers, ou de l'élément dans lequel nous avons à vivre dans ce monde, mais encore chaque fibrille particulière, quoique d’une petitesse qui approche de l’infiniment petit, et proportioncule linéaire d’un solide, pour ainsi dire éthérien et spirituel, est revêtue d’une tunique qui lui est propre, pour la mettre à couvert de tout ce qui pourrait lui nuire, et la rendre capable de servir à l'âme en qualité de véhi- cule, pour en porter l’action aux différentes parties du corps, et rapporter à celte même âme l'impression des objets externes qui l'environnent. Le tout est enveloppé d’une membrane tellement (1) Voy. aussi $ 7. (2) Il ne peut guère s'agir, en effet, du tissu cellulaire qui, pour certains organes, remplit, à peu près, l'office attribué à l’'incrustalion, 12140 MÉDECINE PRATIQUE AU XVIII SIÈCLE. construite, que plus les fluides qui Penvironnent sont grossiers et plus ils la compriment, plus elle croît en épaisseur, plus elle devient serrée et compacte, ainsi qu'on le voit à la paume des mains et à la plante des pieds des gens qui font habituellement des travaux rudes, de même qu’à la peau des pauvres gens et de ceux qui ne sont point couverts! » Chaque glande transpiratoire, chaque conduit excrétoire, faisant sortir une goutte de matière visqueuse que l'air com- prime, cette goutte s’aplatit et s'endurcit en forme d’écaille, afin de couvrir les orifices des glandes transpiratoires qui sont au- dessous. Ceite écaille, semblable aux tuiles d’une maison, laisse son entrée ouverte, et néanmoins, par un mécanisme merveil- leux, elle la défend contre les injures de l'air trop grossier el trop piquant, qui est l’aliment des animaux terrestres. La peau ou la cuticule de l’homme est entièrement composée de ces écailles qui s’endurcissent au besoin. On remarque dans les ani- maux aquatiques un mécanisme analogue à celui-ci : c’est une espèce d’écailles minérales plus dures qui mettent leurs tendres fibres à couvert des impressions trop fortes de l’eau, élément plus dense et plus pesant que celui des hommes. Il est donc clair que la mucosité et la cuticule sont d’une nécessité absolue, l’une pour humecter et l’autre pour mettre à l'abri des agents externes les fibres délicates et sensibles. » Voici maintenant (S 5 et 6) ce que Cheyne pense de la compo- sition élémentaire du corps et de ses forces primordiales : « Tout ce que Part le lus parfait de l'analyse a pu découvrir jusqu’à présent sur la composition intrinsèque des corps, se ré- duit à nous apprendre qu’ilssont composés : 1° desoufre, d'huile ou d'esprit ou de la matière du feu; 2° de se/ ou de particules dures et solides qui ne peuvent être bien dissoutes que dans l’eau ; 3° d'air ou d’un fluide sec, rare, élastique ; 4° d’eau, c’est-à-dire d’un fluide plus dense, sans élasticité et qui a la propriété de mouiller ; 5° de terre, c’est-à-dire d’une substance grossière, inaltérable, permanente, qui est la base et le ciment des quatre espèces de matière précédentes. La variété infinie des corps, toutes leurs apparences diverses, peuvent uniquement procéder du mélange et de la combinaison de ces matières, prises en CHEYNE, 4211 quantité et en proportions différentes. Je ne reconnais parmi les grands principes d’action, dans les corps petits ou grands, que 1° l'attraction ou la répulsion avec ses différentes lois ; 2° l’é/as- hicité ou la réaction; 3 la fermentation; 4° la chaleur, le feu ou sa matière et sa cause (1). » La théorie de la nutrition ($ 8 suiv.) n’est pas moins singu- lière ; par quelques points elle se rapproche de celle des iatro- mécaniciens; par les autres, elle est une conception a priori de l’auteur lui-même. « Afin d’être nourri pendant quelque temps et de faire les fonctions animales, c’est-à-dire d’être en action de vie, il paraît qu'il suffit absolument que la grandeur des particules destinées à la nourriture soit proportionnée aux orifices qui les reçoivent, ainsi qu'aux orifices excrétoires, ou que ces particules ne soient pas plus grosses que le diamètre de l'ouverture des vaisseaux où elles doivent couler, afin qu’elles puissent entrer avec facilité dans les canaux qui leur sont propres, et y être charriées où il convient; car dans les endroits où elles se trouveraient d’un trop grand diamètre, elles y causeraient nécessairement des obstructions, de la douleur, et enfin la mort ou la destruction de la machine. Elles peuvent être moins grosses que ces orifices sans aucun inconvénient, mais il ne faut pas qu’elles le soient plus. » Cheyne conclut que, si les particules des aliments étaient ré- duites en leurs atomes primordiaux et indivisibles, elles ne seraient pas en état de réparer les pertes, de rétablir les ruptures, ou de remplir les vides qui se font perpétuellement dans le corps par les seules actions de la vie et par celles des fluides qui nous environnent. De plus, en raison de leur solidité et de leur degré d'attraction qui croit à mesure que leurs particules deviennent plus petites, jusqu’à ce qu’elles aient atteint les dernières limites de leur division, elles s’attireraientles unes lesautres et se réduiraient en cristaux ; par conséquent, elles formeraient des corps d'une composition différente de celle qui constitue la chair et Île sang. (1) En tout ceci, Cheyne s'appuie fort souvent sur les ouvrages de Bryan Ro- binson. Voy. plus haut, p. 881. 42912 MÉDECINE PRATIQUE AU XVII SIÈCLE. Pour Cheyne, cette manière de concevoir l'aliment ne reste pas au simple état de spéculation ; il en üre des conséquences pratiques, qu’il cherche même à appuyer sur des expériences de Geoffroy relatives à la quantité de matière nutritive que contien- nent les diverses espèces d'aliments. Il admet done que les par- ticules les plus propres à la nature sont celles qui ont une com- position et une grandeur moyennes, une texture rare, poreuse et spongieuse, ou qui tiennent le milieu entre les particules com- posées de soufre et de sel, et celles qui participent plus des autres éléments, c’est-à-dire de l'air, de l’eau et de la terre : ce sont les plus petites particules intégrantes des substances anima- les et végétales. C’est une des raisons pour lesquelles les liqueurs fermentées, les esprits etles fluides distillés (1), de quelque espèce qu'ils soient, sont si contraires, si dangereux ou si funestes aux corps des animaux. Quant à la chair des animaux, il faut préférer les viandes blanches, jeunes, tendres ; le lait (voy. $ 26), le pain, lesvégétaux (2), fournissent ensuite les meilleures substances pour la nutrition. Il est vrai qu’un tel genre d'alimentation ne donne pas une trés-grande force, parce que ces substances se digèrent plus vite que les autres et sont plus fugitives; mais elles corrigent merveilleusement l’acrimonie des humeurs, procurent plus d’ai- sance dans les fonctions, et un bien-être complet. La coction des aliments dans lestomac ($ 22; voy. aussi 27) semble être le résultat d’une action douce, d’une chaleur modérée, d'une coction aidée, pour la transformation en substance animale, par la grosse glande de lestomac (pancréas?) et par les autres (4) « La même chaleur qui fait mürir les raisins et les fruits tardifs continuant à agir sur eux, quand on les comprime et qu'on les enferme, est cause de leur fer- mentation, moyennant quoi leurs particules séparées et dégagées se mettent en action, et par leur attraction propre et leur pesanteur elles tendent à se distribuer dans leurs différentes classes ou leurs différents ordres : après qu’une grande partie des particules terreuses, aériennes et aqueuses s’est dissipée, les sucs commencent à devenir vineux; par là une plus grande quantité d'esprit inflammable s’y unit et s'y concentre ($ 17). » (2) « Les substances animales et végétales diffèrent principalement dans les pro- portions des principes élémentaires de se, de soufre, d'air, d'eau et de terre, qui y sont contenus, Les deux premiers principes, le sel et le soufre, dominent dans les substances animales : dans les végétaux, c’est l'air, l'eau et la terre (S 19). » CHEYNE. 1213 glandes plus petites, conjointement avec l’action musculaire des membranes, des artères et des veines; à quoi Cheyne ajoute plus loin l'action musculaire des premières voies et de l'abdomen. Quant à la conversion du chyle en sang, elle est due à l’action du « moulin pneumatique, » c’est-à-dire du poumon, et du nitre de l'air. La couleur rouge des globules (1) vient « d’une certaine grandeur des particules superficielles, » de l'air et du nitre. Le sang, du reste, ne reçoit sa dernière perfection (Sylvius de le Boe est aussi à peu près de cet avis; voy. plus haut, p. 552) que dans des glandes particulières. Perdant un moment de vue ces vaines hypothèses sur les con- ditions de la nutrition, Gheyne entrevoit les bonnes doctrines à propos du sang ($ 28). « Ce sont, dit-il, les globules rouges qui font la partie grumeleuse du sang ; on en trouve même beaucoup dans la sérosité qui sont d’une couleur plus blanche; et il y a apparence que ces derniers globules sont les vrais globules de la nutrition, qui servent à boucher les crevasses des fibres, à en réparer les pertes, et à épaissir les fibrilles primordiales. Quand la sérosité devient grossière ou lixivielle, la plus grande partie de ces globules rouges se compriment, se crèvent ou s’aplatis- sent, moyennant quoi les grumeaux devenant sombres et noirs, ces globules perdent leur première beauté, leur couleur, leur grandeur et leur forme originelle. Les globules d'huile et de vi- naigre que l’on mêle avec beaucoup de rapidité présentent un modèle bien évident de cette opération de la nature. » De la théorie des aliments à celle des médicaments, il n’y a pas loin, et Cheyne franchit vite la distance. Il est d’avis ($ 36) que les médicaments agissent principalement par leurs qualités les plus éminentes et les plus sensibles. « Comme ce sont des corps mixtes, la propriété qui domine le plus en eux, et celles des mo- lécules intégrantes qui y abondent le plus, sont principalement (4) « Les globules du sang se forment dans les gros trones des artères et des veines, même dans les intestins et dans les réservoirs du chyle, par l'attraction innée de leurs parties les plus fines ; une particule centrale ou d’air le plus subtil, ou de sel, ou de soufre atlirant à elle toutes les molécules qui se trouvent dans la sphère de son attraction, c’est une nécessité mécanique qu’elle devienne un globule {S 28). » 4214 MÉDECINE PRATIQUE AU XVIII SIÈCLE. ce qu’on y considère en médecine. » C’est à peu près l’opinionde Cullen. Il en est des particules intégrantes des médicaments comme de celles des aliments; dans leurs opérations elles se bri- sent et se divisent ; mais ensuite elles se rassemblent en partie dans les artères capillaires, dans les viscères et dans les glandes, pour servir aux différents usages de la nature ; elles conservent toujours leurs qualités principales et dominantes, ainsi qu'on l’observe souvent par le goût, la couleur et l'odeur des sécré- tions (1). Les fièvres(sect. IT, ch. r11, $ 2) sont caractérisées par un mouve- ment excessif du sang (mouvement que décèle le pouls dont le dérangement provient de la surabondance des globules devenues trop denses et troptenaces), et par l’amertume de la bouche. Cette amertume poussée à ses dernières limites accuse une forte acri- monie des humeurs, et cause les fièvres putrides. Huxham (1694-1768) est un des meilleurs observateurs de Angleterre. Il vivait à Plymouth. Son Traité des fièvres est re- marquable par la part qu’il accorde à l'élément inflammatoire. — Il prescrivait le quinquina comme antiseptique dans la petite vérole, ainsi que Brown le fit plus tard. Il employait hardiment l’opium dans les inflammations, toutefois après les évacuations sanguines. On lui doit aussi une très-bonne description (1757) de angine gangréneuse, maladie qui semble avoir commencé à sévir de 1610 à 1620, et qui fit en Angleterre de très-grands ravages au xvin* siècle; 1l la traitait par le quina, l'acide sulfurique et d’autres remèdes analogues. Il a décrit une espèce de typhus ap- pelée fièvre lente nerveuse d’'Huxham. Pringle (1707-1782), élève de l’École de Leyde, plus savant que Huxham, a exercé sur de plus grands théâtres, a occupé des postes plus éminents, et a rendu de plus grands services à l’An- gleterre en appelant l'attention du gouvernement sur l'hygiène des hôpitaux, des camps et des vaisseaux. Son ouvrage Sur les maladies des armées (1752) asi peu vieilliqueM. Perrier, médecin (4) Parmi les médicaments qui répondent le mieux aux vues de Cheyne, il n'y en a point de supérieur au mercure ; c'est «la vraie panacée cherchée par le sage», contre les maladies héréditaires, les faiblesses, les putridités, et les maladies chro- niques, HUXHAM. -— PRINGLE. — LIND. — HEBERDEN. 1245 principal de l’armée, a cru devoir faire réimprimer une ancienne traduction française (1771), en l’accompagnant d’une longue étude complémentaire et critique (1). Pringle, longtemps attaché aux armées, ne parle que de ce qu’il a vu et observé, surtout dans les Pays-Bas pendant les campagnes de 1742 à 1748 (guerre de la succession d'Autriche). Le traité est divisé en trois parties : de l'air et des maladies des Pays-Bas ; des maladies des armées en général ; observations sur les fièvres inflammatoires rémittentes, suivies de recherches sur les fièvres des hôpitaux et des prisons. Les Expé- riences sur les substances septiques ou antiseptiques ne sont pas trés-rigoureuses ni toujours très-probantes, en raison du temps où elles ont été faites (2), cependant elles méritent qu’on ne les oublie pas tout à fait. Pringle a été attaqué avec plus de véhé- mence que de justice par de Haen, esprit jaloux et emporté ; le mé- decin anglais lui a répondu très-pertinemment et avec calme. Lind (-— 1794) a voulu aussi aussi être utile aux armées de terre et de mer en publiant son célèbre Traité du scorbut (1753, traduit en français par Savary en 1796), traité si rempli de renseignements historiques et de bonnes observations cliniques, qu'il sert encore de guide aux praticiens. C’est un de ces livres qu’on peut appeler impérissables ; car ils reposent moins sur des hypothèses que sur un grand nombre de documents authentiques. Les médecins anglais qui exercent sur les flottes, dans les camps ou «ux colonies, semblent avoir présents à l’esprit les modèles et les exemples que leur ont donnés Lind et Ringle. On doit encore à Lind un Mémoire Swr la santé des marins (1757) et un ou- vrage important Sur les maladies des pays chauds (1768). On range communément W. Heberden (1710-1801) parmi les grands cliniciens de l’Angleterre ; il semble qu’en effet il a été fort recherché par la clientèle de Londres; toutefois, ses écrits (1) Peut-être le texte n’est-il simplement qu'un tirage extrait de l'Encyclopédie médicale, publiée par Bayle. (2) On sait que Pringle traitait la dysenterie (où il reconnaissait beaucoup moins d'espèces que Sydenham) par un mélange de quinquina et d’opium ; il croyait, par suite de ses expériences, que l’opium retarde la putréfaction. Il a beaucoup contribué à propager l'usage de la liqueur de Van Swieten contre la syphilis, — Les éruptions pourprées, dans les fièvres graves, lui semblaient être le résultat d’une crise et non du traitement échauffant ou sudorifique exagéré. 1216 MÉDECINE PRATIQUE AU XVIII SIÈCLE. sont plutôt d’un savant que d’un praticien (1). Rappelons seu- lement ici que c’est lui qui a le premier donné à un groupe de symptômes mal définis le nom d’angine de poitrine et qu'il rangealt cette maladie parmi les névroses (2). Au nom de Fothergill (1712-1780), auteur de beaucoup de mémoires disséminés dans divers recueils, se rattache le traite- ment de l’angine gangréneuse ou Garrotillo (An account on the putred sore-throat, 1757; voy. plus haut Huxham, p. 1244), par les vomitifs, les antiphlogistiques, les boissons vineuses, les acides minéraux, les cordiaux tt les amers, traitement qui lui avait été révélé par le docteur Letherland. Stoll suivit également cette pratique qui était aussi employée depuis quelque temps en Espagne (3). Fothergill se fit autant de réputation par sa bien- (1) Is ont été réunis sous le titre de Commentaries on the history and cure of diseases, 1802, traduits la même année, en latin, sous le titre : Commentart de morhorum historia et curatione. Ce volume comprend la collection presque com- plète des Mémoires ou Notes qu'Heberden avait publiés en grande partie dans les Transactions médicales de Londres. Une brève notice biographique est placée en tête du volnme.— On remarquera particulièrement les mémoires ou les notes sur l’arthrite, l'asthme, les eaux de Bristol, la chorée, les nodosités de la dernière pha- lange des doigts et qui n’ont aucun rapport avec la goutte, le purpura, le rhuma- tisme, la toux convulsive, enfin l’angina pectoris, placée ici sous le titre : Door pec- loris. (2) Voy. le mémoire de Zechinelli, intituté : Sopra una malattia di Seneca da lui descrilta sotto il nome di suspirium nella sua lettera, 54 ; Padova, 1817. — Avant Heberden (24 juillet 1768), Rougnon (le 23 février 1768) avait décrit mais non dénommé l’angine de poitrine dans Lettre à M. Lorry sur la mort de M. Chartes, capitaine de cavalerie. Hcberden ne connaissait vraisemblablement pas cette Lettre. La note d'Heberden, lue, en 1768, au Collége des médecins de Londres, n’a été pu- bliée dans les Medical Transactions de ce Collége qu’en 1772 (t. II, p. 59). Voy. aussi dans le vol. III, p. 4 et suiv., année 1785, deux Lettres sur le même sujet, adressées au docteur Heberden. (3) L'auteur donne un bref et substantiel historique de cette maladie, qu'on observa pour la première fois en 1739 à Londres, où on l’eut bientôt considérée comme une affection sw? generis. — Les œuvres complètes de Fothergill ont été publiées par Lettsom (1783-1784) en trois volumes in-8°. Elles comprennent, en ce qui intéresse la médecine, les mémoires suivants : De l’usage des émétiques dans diverses maladies (l’auteur s’y montre fort admirateur de Boerhaave); sur les eaux et les maladies de Londres; sur un cas de rupture du diaphragme avec déplacement de quelques viscères chez une fille de dix mois; remarques sur la cure de l’épilepsie, et des flux ; sur l'usage du quinquina dans les affections scorbutiques ; sur l’hydro- FOTHERGILL. — FORDYCE. 1217 faisance envers les pauvres, par sa générosité princière pour le progrès des sciences naturelles, que par son heureuse pratique dans la ville de Londres. Georges Fordyce (1736-1802), ami de Cullen, et élève de l'École de Leyde, aussi habile physicien et chimiste que savant médecin, a publié des recherches neuves et précises pour le temps, sur la température des animaux (On experiment on heat, 1787). Dans un autre travail (A treatise on the digestion of food, 1791), il range la nutrition sous l’action des lois vi- tales, enlevant presque entièrement celte fonction à la méca- nique et limitant l'intervention de la chimie pure. Le même George Fordyce a aussi publié une série de très-importantes dis- serlations Swr la fièvre simple (éphémère), 1794; Sur les fièvres intermittentes, tierces régulières, 1795; Sur les fièvres inter- mittentes irréqulières, 1802; et Sur leur traitement, 1802; Sur la fièvre continue, 1798; et Sur son traitement, 1799; enfin Sur les fièvres continues irréqulières, 1803 (ouvrage pos- thume). Les Éléments de médecine pratique (1767-1791) sont divisés en deux parties : Æistoire naturelle du corps humain ; Méthode de traiter les fièvres et les inflammations externes. Quoique très-courte, l’histoire naturelle, ou physiologie, du corps humain prouve que l'auteur est un savant éloigné de presque toutes les vaines hypothèses. — De William Fordyce (1724-1792), je ne connais que son Traité des maladies vénériennes, 1767 (l'auteur préconise le mercure même dans la gonorrhée, etil blâme Sydenham de purger dans cette affection) etles Fragmenta chirurgica et medica, 178h, où Fordyce traite brièvement des abcès du foie, des maladies de l'anus, de lasthme, des calculs biliaires, du danger des ceintures de mercure usitées contre la gale, du cancer, de la colique, de la dysenterie, des fièvres inter- mittentes, de l’hydropisie, du rhumatisme, de la saignée, etc. Le plus souvent une ou plusieurs observations particulières, donnent lieu aux diverses remarques ou notices. Fordyce à aussi céphale, la consomption, l’hydrophobie, l'angine de poitrine, et l'emploi de divers médicaments, Le 3° volume contient une longue vie de Fothergill, écrite par Cuming. DAREMBERG, NT 1218 MÉDECINE PRATIQUE AU XVIII SIÈCLE. aussi publié, en 1773, un ouvrage qu’on dit très-pratique Sur l’angine gangréneuse. Macbride est surtout un nosologiste (4) qui plus de dix ans avant Pinel avait appliqué, en invoquant l'autorité de Sydenham, à la classification des maladies, la méthode analytique (X, 1) employée dans les sciences naturelles; il a des classes, des ordres, des genres, des espèces (IX, 2); il distingue les sym- ptômes en essentiels et en secondaires (ILE, 1) ; c’est sur l'examen de ces symptômes qu'il fonde sa nosologie, imitée du reste de celle de Cullen (2). Or, si l’on veut bien se reporter à ce que J'ai dit plus haut de Pinel (p. 1201), on verra que des deux côtés ce sont à peu près les mêmes principes, ce qui ôte à Pinel même le mérite de la nouveauté. Dans sa physiologie, Macbride ne veut ni tout expliquer par le mécanisme, n1 attribuer l’omnipotence à l’âme ; mais il n’est pas très-ferme sur ses opinions ; ici (I, 3), il soutient que les fonc- tions du système nerveux échappent aux raisonnements méca- niques ; là ([, 4), il admet volontiers que ce système est, comme le fluide électrique, le siége de vibrations continues et à l’aide desquelles, sous le ministère de l’âme, se transmettent même les impressions ou les sensations et s’opèrent les mouvements; ailleurs (1, 3) 1l reconnaît comme premières puissances dans l’é- conomie animale l'attraction et la répulsion électives (il les ap- pelle forces inanrmées) et lirritabihté qui est une force vitale inhérente aux fibres musculaires. Ce sont les divers états de la fibre qui constituent la diversité des tempéraments (II, 2). La maladie n’est qu'une série de phénomènes opposés à ceux de la (4) Methodical introduction to the theory and practice of the art of medicine, 1772. Trad. en français par Petit-Radel, 1787, sur la 2 édit. — Vicq-d’Azyr, dans l'Éloge de Macbride, le vante beaucoup comme accoucheur et comme chimiste, Voy. pour ce dernier point l'ouvrage suivant : Experimental essays on the follo- wing subjects : I. On the fermentation of the alimentary mixtures, 11. On the nature and properties of fixed air. II. On the respective powers and manner of acting of the different kinds of antisepties. IV. On the Scurvy ; with a proposal for trying new methods to prevent or cure the same, at sea, V. On the dissolvent power of Quick-Lime (chaux vive), 1764. (2) Voy. sur les classifications en pathologie, Béhier et Hardy, Trailé élémen- taire de pathologie, 2° édit,, t. IL, p, À et suiv. MACBRIDE. — BAILLIE, 1219 santé; Macbride en a même dressé le tableau sur deux colonnes (II, 1). Les maladies sont divisées en générales, locales, sexuelles et maladies de l’enfance ; ces quatre classes se subdivisent en ordres, qui à leur tour comprennentdes genres, lesquels se frac- tionnent en espèces ; 1ly à même, en outre, des variétés. L'auteur a donné une exposition critique des nosologies publiées avant la sienne. Les méthodes thérapeutiques sont au nombre de cinq; car les indications à remplir se rapportent à l'augmentation, ou à la diminution, même à la suspension des mouvements du système vasculaire ; aux désordres du système nerveux ; à la cor- rection des matières nuisibles qui existent, soit dans les pre- mières voies, soit dans la masse des humeurs; enfin à régula- riser les sécrétions augmentées, diminuées ou perverties. Je n’ai rien vu qui fût vraiment digne de remarque dans la pathologie spéciale. Il suffit de dire que c’est un instructif et substantiel résumé de l’état de la médecine en Angleterre sur- tout, et que la thérapeutique y tient une place assez importante. Macbride ne dissimule pas, du reste, qu’il a pris un peu partout et qu’il n’y a guère que la rédaction qui lui appartienne ; il cite les auteurs qu’il a mis à contribution. Les seuls ordres de mala- dies que Macbride ait traités sont les fièvres, les inflammations, les flux, les maladies douloureuses, les incapacités et privations, les affections spasmodiques, les maladies mentales et les mala- dies humorales. Voici quelques propositions tirées de la préface de l’Anatomie pathologique (The morbide anatomy, 1793 et 1797; trad. de l'anglais sur la 2° éd. par Ferral), de Matthew Baillie (1761-1823), Quoique la connaissance des altérations pathologiques ne con- duise pas avec certitude à la connaissance de l'action déréglée qui les a produites, ces altérations bien observées doivent servir de base à toute théorie pathologique. Nos progrès dans la con- naissance des maladies doivent garder une cerlaine proportion avec l’étendue et l’exactitude de nos connaissances en anatomie pathologique. Distinguer les altérations de texture, souvent con- fondues, permet une observation plus attentive des symptômes qui accompagnent les actions morbifiques, perfectionne le dia- 4220 MÉDECINE PRATIQUE AU XVIII® SIÈCLE. gnostic, et fournit le moyen de corriger les théories hasardées. Baillie appelle l'ouvrage de Morgagni un ïivre étonnant (stu- pendous) et dont aucun éloge ne peut égaler le mérite, quoique la description soit trop générale ou contienne bien des détails accessoires. L'auteur étudie successivement l’anatomie patholo- gique des organes cardiaques et pulmonaires, de la glande thy- roide, du larynx, de l'abdomen , du tube gastro-intestinal et de ses appendices, des organes génitaux urinaires, enfin du cerveau. En général, c’est bien de l'anatomie morte, c’est-à-dire de l’ana- tomie à peu près stérile, en ce sens qu’il y a peu de remarques sur l’état du malade durant sa vie; de plus, les descriptions sont trop brèves. — Un bel atlas (1803) accompagne l'ouvrage, mais il a le grand défaut de n’être pas colorié. — Je n'ai point à parler ici d’un autre ouvrage du même Baillie, publié en 1825, et inti- tulé Lectures and observations on medicine ; cet ouvrage appar- üent au xIx° siècle. À moins de deux siècles de distance l'Angleterre a produit les deux hommes qui ont rendu le plus de services à la science et à l'humanité : Harvey et Jenner. Par ses principaux écrits, Jenner (4749-1823) appartient au xvur° siècle (1); toutefois la grande controverse entre la vaccination et l’inoculation (dont il faudrait évalement faire l’histoire) date des premières années du xIx'; mais ce sujet, si vaste par lui-même et qui vient encore d’être agrandi par les discussions retentissantes qui se sont produites à l'Académie de médecine de Paris, mérite un examen particu- lier ; je ne voudrais donc pas efileurer ici un tel sujet qui rentre mieux d’ailleurs dans une histoire de la pathologie, histoire que je me propose de rédiger très-prochainement puisque j'en ai rassemblé les immenses matériaux à travers des milliers de volumes. Lors des Conférences historiques de la Faculté de mé- decine de Paris (1865), M. le docteur Lorain a pris Jenner pour sujet de son discours; j'y renvoie volontiers pour la biographie scientifique de linventeur de la vaccine, de l'élève privilégié du célèbre J. Hunter, et pour lesquisse de l’histoire de l’inocula- (1) Une Vre lres-détaillée et très-bien faite de fenner a été publiée en deux volumes par John Baron, Londres, 1827, JENNER., — VAN SWIETEN. 4291 tion et de la vaccination, en mettant toutefois en garde contre les conclusions de l’auteur relativement aux origines historiques de la variole ; notre honorable confrère n’a pas consulté les ou- vrages les plus récents et les plus accrédités, ouvrages qui recu- lent de beaucoup, pour l'Occident, la première apparition de cette maladie. Nous passons maintenant à la fameuse école clinique de Vienne (1), où l’on rencontre tant d'hommes supérieurs, peu ce- pendant qui aient acquis plus de renom que les médecins anglais ou italiens que nous venons de signaler. Le mérite capital des médecins de Vienne consiste moins peut-être dans la nouveauté des aperçus et des résultats que dans l'importance qu’ils ont donnée à l'étude de la médecine clinique et dans la généralité de leurs écrits. Van Swieten (1700-1772), Hollandais d’origine, élève parti- culier de Boerhaave, dut aux petites misères qu’il eut à subir comme catholique d’être choisi pour médecin par Marie-Thérèse, Il n’usa de son grand crédit que pour fonder et faire libéralement doter une école de médecine clinique à Vienne ; il fut le soutien, le directeur de cette école. S'il ne fut guère que l’écho des doc- trines de Boerhaave dans ses écrits et son imitateur dans la pra- Lique , ilse montra du moins un homme des plus érudits et il a rendu un 1mmense service à son maitre en commentant les 4pho- rismes (2). Dans ses Constitutions épidémiques observées à Leyde (éd. de Stoll, 1782), Van Swieten remarque que les maladies les plus fré- (1) Voy. pour l'histoire de cette École (formée à limitation de celles d'Utrecht et de Leyde, établies en 1636, l’une par Van der Straten, et l’autre par Heur- nius) le savant travail de Hecker dans Geschichte der neuren Heilkunde, Berlin, 1839, L’auteur donne la Vie de Van Swieten, de Haen, et de Stoll; il analyse méthodi- quement et juge leurs ouvrages. Les autres célèbres médecins ou chirurgiens appartenant à l’École de Vienne (par exemple Plenck, Plenciz; Trnka, dont les nombreuses et savantes monographies sont bien connues, Stoerk, Crants, Collin), durant le xvint siècle, {rouvent oussi leur place dans celte étude, Des notices bio- graphiques et une ample bibliographie terminent le volume. (2) Voy. plus haut, page 901, note 1, 1999 MÉDEDINE PRATIQUE AU XVIII SIÈCLE. quentes ont été les fièvres bilieuses aboutissant souvent aux putri- des, et que les aphthes se développaient surtout quand on avait omis les purgatifs et les vomitifs ; il tire ses indications des sym- ptômes; il n’use pas de vésicatoires, mais de fomentations avec le lait et le savon dans les pleurésies bénignes, et se montre du reste opposé aux vésicatoires dans les maladies aiguës, excepté dans l'arthritis. Puis, chose étrange ! il ne veut pas de quinquina dans les fièvres automnales, qu’il traite volontiers par des dissolvants salés et les amers; dans les fièvres tierces il purge six heures avant Paccès ; il prescrit l’opium après l'accouchement; dans la pre- mière période de la variole il saigne légèrement et administre des boissons délayantes en abondance. Van Swieten eut pour successeur Stoerck (1741-1803) comme directeur de l'École de Vienne. On doit à ce médecin une série d'ouvrages fort remarquables sur les propriétés ei l'emploi thé- rapeutique de la ciguë, de la stramoine, de la jusquiame, de l’aconit, du colchique et de la pulsatille (4). Mais ni le nom de l’auteur ni les médicaments nouveaux qu'il préconisait ne se répandirent d’abord au delà de l'Autriche. La thérapeutique resla en effet plus longtemps encore engagée dans les vieilles formules que la médecine dans les vieilles théories. Les deux élèves les plus distingués de Van Swieten furent de Haen, Hollandais de naissance (1704-1776), et Stoll (1742-1788), qui tous deux devinrent rivaux. De Haen n’a dû sa renommée qu'à son seul talent de praticien, car il n’avait aucun des ayan- tages extérieurs qui assurent le succès; il supportait mal la contradiction, montrait beaucoup de morgue et portait envie à toutes les réputations qui, sans menacer la sienne, pouvaient du moins l’égaler. À cela près, c'était un homme bienfaisant, ho- noré pour la fermeté de son caractère. Sa mort, comme aussi celle de Stoll, fut un deuil pour la cour et pour la ville. (1) Son Annus medicus (1779-1790) renferme une foule de matériaux précieux pour l’histoire des maladies aiguës et chroniques.— Les Praecepta medico-practica, traduits de l'allemand, par J.-M, Emschosulen, 14791 (2° édit., en 2 vol. in-8°), sont un manuel de médecine pratique, surtout un Memento thérapeutique rempli de formules et destiné plus particulièrement aux médecins qui exercent dans les armées et à la campagne, STOERCK. — DE HAEN. 1293 La méthode de de Haen consiste non pas à décrire les cas les plus importants, mais à donner un résumé systématique et cri- tique de presque tous les faits qui se sont présentés à son obser- vation, jour par jour, heure par heure ; il notait tous les phéno- mènes, les changements dans les fonctions, les lésions de diverse sorte, les doses et les effets de chaque médicament. Son livre (1) renferme plus de mille observations. L'auteur s’excuse de paraître un homme singulier, attendu qu’il n’a pas les opinions de tout le monde ; mais il ajoute finement que c’est seulement auprès des gens mal instruits qu'il aura cette réputation, car, dit-il, lorsqu'on lit les monuments de notre science on voit à quelles conditions et comment s’opèrent les progrès. Ses modifications aux idées reçues portent principalement sur les fièvres maliqgnes, la fièvre nerveuse, les règles relatives aux émissions sanguines et le traitement prophylactique de la peste. D'un autre côté, de Haen ne craint pas de changer d'opinion quand il quitte erreur pour la vérité, et il se déclare prêt à dis- cuter scientifiquement avec toute personne qui voudra bien accep- ter un débat sérieux. De Haen insiste sur la distinetion des maladies en bénignes et en malignes : distinction féconde pour la pratique, mais qui, il faut le remarquer, n’est que secondaire pour la théorie ; car le fond, la nature des maladies ordinairement bénignes et qui deviennent malignes, n’est pas changé pour cela; il n’y a que des circon- stances particulières ajoutées ; quant aux maladies qui sont ordi- nairement malignes d'emblée, elles le sont en raison même de leur constitution, car la bénignité accidentelle des maladies ma- lignes n’altére pas non plus leur nature. De Haen semble le re- connaître lui-même, puisqu'il dit que depuis l'éphémère tout peut être malin, et depuis la peste tout bénin. Le peu ou le trop d'intensité des causes n’est pas ce qui déter- mine la malignité ou la bénignité des maladies, comme le croit de Haen. Nous ne connaissons pas assez la nature des causes, leur poids dans la balance, ni leurs rapports avec les symptômes pro- (4) Ratio medendi, ete., 15 vol. in-8°, 1758-1773. Un excellent index est ajouté à l’ouvrage, — De Vigiliis, dans sa Bibliotheca chirurgica, a noté tout ce qui Cans lé Ratio medendi se rapporte à KR chirurgie. 41224 MÉDECINE PRATIQUE AU XVIII SIÈCLE. duits pour établir une exacte proportion. Telle cause, en apparence petite, peut produire une fièvre typhoïde, une pneumonie grave; eltelle cause, grave en apparence, n’entrainer qu'un rhume de cerveau. Au surplus, quoique, en théorie, malin pour de Haen soit synonyme de grave, en réalité c’est un mot synonyme de septique. De Haen donne une énumération, en général juste, des ma- Jadies qui ordinairement sont bénignes (fièvres intermiltentes ; mais cela dépend du pays; et les fièvres inflammatoires); et celles qui le plus souvent sont malignes : fièvres exanthématiques. —- Les signes de la malignité sont indiqués d’après Boerhaave; ils consistent surtout dans la dépression des forces, dans Îles efflorescences cutanées, dans les déjections anomales. Notre auteur fait l'application de ces principes aux maladies suivantes : variole, rougeole, scarlatine, peste. De Haen a plutôt vanté l'anatomie pathologique qu'il ne s’en est servi; cependant il a décrit et fait figurer quelques cas rares, Les premières parties du Ratio medendi sont consacrées à des généralités sur le régime, la thérapeutique, les crises, les urines, le sang; on ytrouve aussi une comparaison des méthodes d'Hip- pocrate, de Sydenham et de Bocrhaave; puis l’auteur aborde le détail des maladies, mais sans ordre, et en suivant moins rigou- reusement que Stoll la méthode analytique : par exemple : coli- que dite du Poitou, calculs, fièvres malignes, anévrysmes, coxalgie, apoplexie, fièvres exanthématiques, épilepsie, hydropi- sie, cardialgie, etc. Cà et là se trouvent des dissertations sur l'électricité, les médicaments, lirritabilité (contre Haller). De Haen dans son Ratio medendis’ adresse aux gouvernants au- lant qu'aux médecins; il pense que la science médicale intéresse l'État autant que les malades. Il signale les questions sociales engagées, et la nécessité de tenir les citoyens dans les condi- tions de santé que réclament la vie publique comme la vie privée. Il insiste particulièrement sur l'urgence qu’il y a de préserver les populations de la variole à l’aide de linoculation ; de prendre des mesures contre les épidémies et les endémies. S'il ne se fait pas d'illusion sur l'inanité de beaucoup des mesures que l’on DE HAEN. 1225 peut prescrire, du moins il veut qu’on mette toutes les bonnes chances de son côté, et il invite ses collègues à lui venir en aide. Îl s’occupe aussi des noyés, des moyens de les rappeler à la vie; de la salubrité des eaux potables qui laissaient tant à désirer à Vienne. Parmi les monographies dues à la plume de de Haen, il faut distinguer celle Sur la colique du Poitou, que je n'ai pas pu me procurer (1); puis la Dissertation sur les hémorrhoïdes, où il étudie les causes finales et les causes prochaines. La cause finale est un salutare molimen ; les causes prochaines sont une àäcreté du sang qui excite les vaisseaux, une impulsion accidentelle ou permanente des veines hémorrhoïdales et qui cause des modifi- cations dans la circulation. — Causes particulières : suppression d'hémorrhagies naturelles (menstrues), ou accidentelles, pédé - rastie, usage trop fréquent des sangsues, elc. Les hémorrhoïdes servent particulièrement contre la pléthore et la cacochymie ; leur suppression a de graves inconvénients; ces considérations sont lirées en partie d'Hippocrate. De Haen reconnaît aussi les inconvénients qui peuvent résulter d’un flux trop abondant ou non nécessaire et purement mécanique ; 1l se montre ici très-peu favorable à la doctrine stahlienne. Dans une autre dissertation, dirigée en partie contre Pringle, de Haen demande si la miliaire et les pétéchies sont le produit d’une crise ou d’un mauvais traitement ; il pense que le second cas est le plus fréquent ; mais il est évident que dans cette disser- tation l’auteur confond les exanthèmes criliques ou accidentels qui se produisent dans certaines maladies, et ceux qui font partie intégrante ou essentielle d’une unité morbide, comme sont la fièvre miliaire et le typhus pétéchial. On voit aussi par la divi- sion des fièvres combien peu de Haen avait le sentiment de la délimitation des maladies, puisqu'il semble considérer parfois la vraie fièvre miliaire comme un accident de la fièvre éry- sipélateuse, ou de la fièvre scarlatine. Pour la miliaire en par- ticulier il montre une ignorance complète de son histoire; il confond trop souvent la miliaire proprement dite avec les érup- (1) Elle est sans doute résumée dans Ratio medendi, 1296 MÉDECINE PRATIQUE AU XVII‘ SIÈCLE. tions miliaires et celles des femmes en couche, même avec le pourpre ou les éruptions pourprées. Stoll (1752-1788) était un excellent praticien, fort bon obser- vateur des symptômes et de la marche des maladies ; mais il n’avait qu'une très-mauvaise physiologie, celle de Boerhaave ; et mieux vaudrait, pour lavancement de la médecine clinique, n'avoir point de physiologie que d’en avoir une mauvaise. Les principaux ouvrages de Stoll sont : 4° Ratio medendi, en sept parties (1779-1790), dont il existe des traductions fran- çaises partielles par Corvisart et Mahon. — 2° Les Prélecons sur diverses maladies chroniques, 1788-1789. — 3° Les Disserta- ions sur les maladies chroniques. — h° Enfin les Aphorismes (1785) qui ont été commentés par Eyerel. — Séduit par la forme aphoristique que Boerhaave avait si bien mise en œuvre, Stoll a refait et corrigé la partie des Aphorismes du professeur de Leyde qui traite des fièvres. Stoll, grand admirateur de Sydenham, qu’il prend pour guide, divise les fièvres de la façon suivante : stationnaires, qui règnent pendant un certain nombre d’annés; — annuelles, qui revien- nent chaque année: et saisonnières ; -- fièvres inflammatoires, comprenant presque toutes les maladies locales inflammatoires ; par exemple la pneumonie, la pleurésie (1), les affections céré- brales, etc. ; — fièvres bilieuses, qui jouent un grand rôle dans sa pathologie; fièvres pernicieuses; — fièvres intermittentes ; — fièvres épidémiques intercurrentes : variole, rougeole, scar- latine; — fièvres nouvelies, inconnues; — fièvres sporadiques : celles qui apparaissent hors de leur saison ; — fièvre de lait; — fièvre puerpérale; fièvre hectique comprenant la phthisie pulmonaire (2). (1) M. Perrot (Voy. Conférences sur Stoll, dans Conférences historiques de la Facullé de médecine de Paris) à distingué dans les pneumonies décrites par Stoll : les preumontes inflammatoires ; la bilieuse ou fausse inflammatoire (embarras ou fièvre gastrique, ou catarrhe bronchique avec embarras gastrique); enfin la mixte qui est vraiment une pneumonie bilieuse avec prédominance gastrique. (2) Outre les influences générales qui embrassent presque toute l’étiologie, Stoll admet{ait encore une sorte de prédisposition individuelle, STOLL. 1297 Vous voyez que pour Stoll la fièvre était l'élément principal, le déterminatif de la maladie locale. Aujourd’hui c’est laffection locale qui est le déterminatif de la fièvre. Le Ratio medendi est un recueil d'observations, comme celui de de Haen, avec des différences marquées: Stoll insiste sur les constitutions météorologiques de l’année ; il donne mois par mois l'indication des maladies; chaque année forme une partie; à la suite des descriptions nosologiques se trouvent les ouvertures de cadavrés et des Excerpta ex necroloqüs qui constituent une espèce de statistique mortuaire; le tout est semé de dissertations spéciales. Analysons une partie, afin que vous jugiez mieux de la mé- thode. En janvier 1776, varioles graves ; à la fin de janvier, avec l’abaissement de la température, inflammation du parenchyme pulmonaire d'emblée ou pleuropneumonie ; — en février, conti- nuation des pneumonies, malgré la douceur presque subite de la température ; —en mars de grandes alternatives, et finalement une véritable épidémie de grippe, décrite sous le nom de fièvre catarrhale ; il y eut des complications de pleurésie et même de pneumonie; quoique Stoll ne donne pas son vrai nom à cette maladie, il lassimile à l'épidémie de 1580, laquelle à parcouru une partie de l’Europe en y causant passablement de ravages. En 1733 Huxham avait décrit une épidémie semblable. Au mois d'avril, froid humide d’abord, froid sec ensuite : beaucoup de pleurésies et de pneumonies bilioso-inflammatoi- res (1); les remèdes souverains étaient dans ce cas, non pas la saignée, mais les expectorants et le tartre stibié ; 1l prescrivait vo- lontiers l’'émétique en lavage. Les vésicatoires eurent aussi un grand succès, Messieurs, lisez Stoll, lisez-le attentivement ; sans doute vous n’y apprendrez pas toute la médecine, mais vous y appren- (1) Stoll insiste sur les complications bilieuses ou gastriques pour presque toutes les maladies subinflammatoires, et même pour certaines affections franchement inflammatoires. Ce n’est cependant pas uz Awmoriste dans le sens ordinaire du mot; il n’appartient à aucune secte, et prend de tous les systèmes ce qui lui semble vraz et utile. Ce simple titre de Ratio medendi, le désir de guérir, premier et principal but, est peut-être encore mieux justifié chez Stoll que chez de Haen. 1228 MÉDECINE PRATIQUE AU XVIII® SIÈCLE. drez la bonne clinique, celle du moins qui sait varier les trai- tements en raison de la physionomie particulière des maladies. La meilleure preuve que Stoll ait donnée de son sens prati- que (il l’a plus développé encore que de Haen), c’est que, la con- stitution ayant changé à Vienne dans les dernières années de sa pratique, il reconnu très-vite ce changement et modifia sa thé- rapeutique en conséquence. La première constitution étant bi- lioso-gastrique, les évacuants faisaient merveille: la seconde étant inflammatoire, il tira les plus grands avantages du traitement anliphlogistique. Revenons à l’année 1776. Au mois de mai, il y aune importante discussion sur le diagnostic différentiel entre la pleurésierheuma- tique, qui est, je crois, la simple pleurésie, car Stoll note un épan- chement dans la plèvre, et la vraie pleurésie qui est presque tou- jours une pleuro-pneumonie, comme on le voit par l’autopsie. Voici lesréflexions que lui suggère letraitement : Dans la pleurésie rheu- matique au début saignée, quelquefois redoublée, puis vésicatoires volants, en se gardant de les faire suppurer et même d’enlever l’épiderme, car ces pratiques augmentent la douleur et la fièvre. Comme Stoll pensait que la vertu curative des vésicatoires réside surtout daus labsorption du principe des cantharides, peu lui importe le lieu où on les place; toutefois, dans le cas présent, le lieu d'élection était l’entre-deux des épaules. — Les vésicatoires exaspèrent la pleurésie vraie ou inflammatoire, surtout pen- dant la période la plus aiguë ; encore sont-ils plus nuisibles qu'utiles dans la période de décroissance. Les saignées répé- tées sont le remêde souverain. Les circontances où lon peut, où l’on doit même employer les cantharides sont les suivantes : laxité de la fibre, déliquescence, refroidissement et diminution des humeurs, obstruclions des poumons par les crachats, dépression des forces. — Dans la pleurésie ou la péripneumonie bilieuse, l'application des vésicatoires, avant qu’on ait débarrassé les pre- mières voies est nuisible; car les cantharides provoquent alorsdes sueurs de mauvaise nature, elles resserrent le ventre, et elles pous- sent dans le torrent de la circulation la matière peccante accu- mulée dans la région précordiale. Lorsque, après l'administration des évacuants, l'expectoration est difficile, que les crachats sont STOLL, — AVENBRUGGER. 1229 visquéux, des boissons chaudes abondantes et aromatisées doi- vent être prescrites; on termine merveilleusement la cure par un vésicatoire. Les maladies chroniques étudiées par Stoll sont : le scorbut, le rachitis, les scrophules, l'hydropisie, l’anasarque, l'hydropéri- cardite, la tyÿmpanite, la syphilis, les convulsions, les maladies des enfants, les maladies du cerveau, épilepsie, manie ; ophthalmie, angine, odontalgie, palpitations, toux, diverses affections de poi- trine, vomissement, colique, diarrhée, dysenterie, hémorrhoi- des, ictère, hypochondrie, maladies des femmes. Dans tout ce livre il y a autant de pathologie générale que de pathologie spé- ciale. Malgré le vague de la classification, malgré la marche un peu incertaine et l'absence soit d’un diagnostic précis soit d’une exacte anatomie pathologique, les leçons de Stoll sont encore aujourd hui remplies d'enseignements. — On pourra se convain- cre, par exemple, en lisant l’article angine, que les divisions en espèces (sauf le croup qu’il y mêle) sont encore en partie adop- tées aujourd'hui, en changeant seulement les termes; cepen- dant Stoll est à peine cité par nos auteurs contemporains. Donnez à Stoll, avec la percussion qu’il pratique déjà, le sté- thoscope qu'il ne connait pas, ce sera un des plus habiles et des plus sûrs praticiens des temps modernes. Je viens de prononcer le mot percussion ; il faut, Messieurs, que je vous fasse maintenant connaître son inventeur, Aven- brugger (1722-1899), né à Graetz, dans la Styrie, mort, dans un âge avancé, médecin d’un des hôpitaux de Vienne (1). L'inven- tion de la percussion, cette merveilleuse méthode d'exploration des cavités, a été méconnue, méprisée même, jusqu’à Corvi- sart (2), qui, le premier, a rendu et fait rendre pleine justice à (1) Voy., sur l’histoire de la percussion, Clar : Leopold Avenbrugger der Erfin- der der Percussion der Brustkorbes, und sein Inventum novum, Graz, 1867 ; avec le portrait d'Avenbrugger et une nouvelle édition, en latin, de l’Inventum. (2) Nouvelle méthode (le titre d'Avenbrugger est Iaventum novum. etc., 1761) pour reconnailre les maladies internes de la poitrine par la percussion de cette cavité, ouvrage traduit et commenté par Corvisart, Paris, 1808. — En 1770, Rozière 1230 MÉDECINE PRATIQUE AU XYIIIH‘ SIÈCLE. l'illustre praticien de Vienne. Pour vous donner une idée de la facon dont on a su, de tout temps, apprécier les plus utiles dé- couvertes, et aussi la nuance qu’on affecte trop souvent de mettre entre les inventions des étrangers et celles des conci- toyens, permettez-moi de vous citer un curieux passage de la Biographie médicale, en 1820. Après avoir décerné de grands éloges à Avenbrugger, dont la découverte est « la vraie boussole du médecin, » l’auteur de l’article continue : « M. Laennec, pour obvier à l’insuffisance que la percussion a présentée dans certains cas, a imaginé le s{éthoscope ou pectoriloque... Le temps déci- dera du mérite respectif de ces deux méthodes. La nouvelle aura pendant longtemps contre elle les difficultés qu’elle pré- sente, les précautions minutieuses qu’elle exige et l’air de char- latanisme qu’on peut craindre qu’elle ne donne à celui qui la met en usage (1) ! » Après cela, étonnez-vous qu'on se soit, au xvu° siècle, montré si violent contre la circulation du sang, le chyle et la lymphe! Aujourd’hui on tomberait volontiers dans l’excès contraire en se montrant enthousiaste pour la moindre trouvaille, surtout lors- qu'elle nous arrive de l’étranger. Arrêtons-nous un moment sur Avenbrugger ou plutôt sur son petit mémoire si plein de résultats et si gros d’avenir (2). L'au- teur avance, et tout bon médecin souscrira avec empressement à cette proposition : « J’affirme que les signes fournis par la per- cussion sont très-utiles, non-seulement pour connaître, mais de la Chassagne avait aussi traduit l'Zzventum novum ; mais cette traduction ne pa- rait avoir eu aucun retentissement. C’est vraiment Corvisart qui a introduit Aven- brugger en France, — Avenbrugger commenté par Corvisart, Laennec commenté par M. Andral, le traité pratique d’Auscultation et de percussion, de MM. Barth et Roger, sont trois ouvrages qu’il faut lire et sans cesse relire, (1) Si l’on veut avoir une appréciation, aussi judicieuse que savante, de l’œuvre de Laennec et de la puissante influence qu'il a exercée, on doit lire la Conférence de M. Chauffart, dans Conférences historiques de la Faculté de médecine de Parts, 1866. Il n'entre pas dans mon plan de pénétrer, si ce n’est indirectement, sur les domaines du xix® siècle. (2) Avenbrugger ne dit rien des voies par lesquelles il est arrivé à percuter la poitrine. Son livre, publié en 1760, le 31 décembre, est d’un ton très-modeste ; l’auteur à longtemps hésité à le mettre au jour, dans la crainte d’être exposé aux morsures de l'envie. AVENBRUGG£R. 1231 aussi pour guérir les maladies ; après l’examen du pouls et de la respiration, elle tient le premier rang.» On peutdire aujourd'hui que le médecin qui sait percuter et ausculter possède la moitié de la médecine, et les deux tiers du diagnostic. Le Zbellus d’Avenbrugger est composé d’une suite de propositions fonda- mentales, dont chacune est suivie d’un commentaire, ou déve- loppement, ou justification, sous le nom de schodia. — On trouve d’abord les généralités du sujet: son du thorax; procédé opéra- toire; signification diverse des sons non naturels du thorax; ma- ladies aiguës ou chroniques qui donnent lieu à des modifications de son, et quelles sont ces modifications; rapport du diagnostic avec l’anatomie pathologique (vous voyez, rien n'y manque); signes propres aux diverses affections de la poitrine, aux hydro- péricardites et aux anévrysmes; champ déjà bien vaste pour une première tentative. Avenbrugger veut qu'on percute plus vigoureusement les thorax pourvus de gros muscles, et plus faiblement les thorax revêtus de muscles grêles. Il prétend qu’il faut interposer quel- que chose (percussion médiate recommandée et perfectionnée par M. Piorry) entre la surface du thorax et le doigt, ou simple- ment un gant d’un cuir inégal. L'auteur indique toutes sortes de précautions qui ne sont pas absolument nécessaires ; ses recommandations les plus pratiques sont d'arrondir le dos, et de croiser les bras sur la poitrine pour la percussion du dos. « Sans doute, dit Corvisart, Avenbrugger n’a pas tout vu, ni tout dit sur les objets qu'il a traités; il y a même des maladies qu’il n’a point saisies sous leur juste point de vue; mais, si l’on se reporte au temps où il écrivait cet ouvrage (en 1760), et si l’on veut se souyenir combien peu, à cette époque, on avait d'idées saines sur les maladies dont 1l parle, sans compter le procédé de la percussion dont il est l’inventeur, et qu’il a su réduire à des règles très-positives, on verra qu'il a beaucoup fait pour l’avan- cement de l’art, dans l’une des parties les moins avancées de la médecine pratique. » On comprend que l’idée de percuter la poitrine se soit pro- duite tardivement, on n'avait pu y être amené que par le hasard ou par l'anatomie pathologique révélant, par exemple, la den- 1932 MÉDECINE PRATIQUE AU XVI SIÈCLE. sité des tissus pulmonaires dans la pneumonie; mais ce que JE comprends moins, c’est que personne (sauf peut-être, il y a plus de deux mille ans, un auteur hippocratique?), avant Laennec, n'ait été tenté, quand il entendait à distance, soit les bruit de la res- piration troublée, soit même les violents battements du cœur, d'appliquer son oreille sur le thorax pour suivre et mieux déter- miner ces bruits! C’est, du moins, un éternel honneur pour l'Allemagne et pour la France d’avoir découvert à quelques an- nées de distance ces deux puissants moyens de diagnostic : la percussion et l’auscultation ! Si l’on compare Quarin (1733-1814) aux auteurs dont nous venons de parler, on reconnaîtra que, quoiqu'il ne soit pas sans mérite (1), il est cependant d’un ordre inférieur. Il est particu- liérement en défaut pour les maladies chroniques (2). Ainsi 1l range parmi les apoplexies (qui sont cependant plutôt une affec- tion aiguë) les accidents rapidement mortels causés par des po- lypes du cœur ou par la ruplure des gros vaisseaux, altérations que révèlent, pendant la vie, l’intermittence du pouls et de fré- quentes syncopes (3). Sous la rubrique foux, Quarin confond plusieurs maladies fort différentes et nettement caractérisées, quoique la toux soit un de leurs symplômes communs : par exemple, la coqueluche, la laryngite suffocante, etc. La descrip- tion dela phthisie, trop séparée de l’hémoptysie, ne vaut guère mieux. Cette maladie n’est pas, dit notre auteur, aussi contagieuse qu'on le croit communément; cependant il raconte gravement « qu’un mari ayant embrassé sa femme qui se mourait de cette maladie, éprouva une dépilation complète dans la partie du menton sur laquelle la malade avait appliqué ses lèvres, quoique la barbe continuâtl de croître en abondance autour de l'endroit dépilé ». Quarin à fort bien vu que les hydropisies ascites ou (1) On lui doit surtout de la reconnaissance pour le développement que, gràce à sa position de premier médeein de Joseph If, il a donné aux instituts cliniques. (2) Animadversiones practicae in diversos morbos, 1786. (3) Son traducteur, Sainte-Marie (1807), n’est pas plus expérimenté, car il prend pour une apoplexie une fièvre intermittente pernicieuse avec prédominance des symptomes cérébraux. QUARIN, 1235 les leucophlegmasies ont souvent pour cause des tumeurs qui compriment la veine cave. Il se montre peu partisan de la pa- racentèse, surtout quand on à reconnu de graves désordres dans les viscères de l'abdomen (1); c’est du moins un palliatif qu'il ne faut pas négliger dans certains cas. Quarin connaît les hydropisies enkystées et peut-être celles de l'ovaire. Le chapitre de la blennorrhagie simple mérite encore d’être consulté ; mais les détails relatifs aux maladies vénériennes propre- ment dites sont assez médiocres. Ce qui dans cet ouvrage offre un intérêt particulier, c’est l’histoire critique des divers traitements préconisés contre les maladies dont il est successivement ques- tion. On ne doit pas oublier toutefois, que le diagnostic man- quant ordinairement de. bases, la thérapeutique n’a pas non plus un bien ferme soutien, et que le lecteur se trouve fort souvent en doute pour déterminer avec assurance contre quelle affection les médicaments sont dirigés. Le Traité des fièvres et des inflammations (2) est, si je ne me trompe, supérieur au Traité des maladies chroniques, maladies qui étaient en effet difficiles à reconnaitre et à délimiter dans un temps où, d’une part, l’analyse des symptômes n’était pas encore trèés-avancée, etoù, d'autre part, nos moyens actuels de diagnostic faisaient défaut pour la plupart; d’ailleurs la tradition scienti- fique était plus ancienne et mieux assise pour les maladies aiguës que pour les maladies chroniques. Selon Quarin, qui suit en cela Van Swieten, la fièvre est une « accélération du mouvement du sang avec lésion des fonctions », ce qui est déjà, comme on voit, un premier assaut contre l’essentialité des fièvres. Toutefois, cette vue ne repose pas sur l'anatomie pathologique, mais sur cette con- sidération que dans beaucoup de fièvres du genre malin le pouls ne donne aucun signe pathognomonique, et qu’il est même souvent naturel ou presque anéanti, comme si cet anéantissement n’était (1) I blâme sévèrement les injections irritantes que quelques médecins anglais recommandaient après 11 paracentèse, En tout cas, il veut que l’on évacue, autant que faire se peut, les eaux d’un seul coup; si le liquide est gélatineux, on agrandit, à l’aide d’une incision, l'ouverture faite par le trocart, (2) Commentatio de curandis febribus et inflammationibus, 1781, Les Fièvres et les Inflammations avaient paru séparément en 1772 et en 1774. DAREMBERG . 78 1254 MÉDECINE PRATIQUE AU XVII SIÈCLE. pas lui-même un signe (1)! L'auteur, rejetant les nombreuses subdivisions admises par Sauvages, traite seulement des fièvres les plus communes et les mieux caractérisées : la synoque non pu- tride, la fièvre ardente, la fièvre putride, la fièvre maligne, les fièvres éruptives, les fièvres intermittentes, la fièvre puerpérale. Comme pour les maladies chroniques, Quarin, évitant les discus- sions théoriques, s'attache à la description symptomatique et au traitement, mêlant presque toujours une parie historique à l'exposition dogmatique. Les angines sont divisées à peu près comme dans Boerhaave ; toutefois, en suivant avec attention le texte de l'auteur, on y reconnait une partie des espèces ou formes adoptées aujour- d'hui. Sous la dénomination d’angine. paralytodée, il rapporte un cas de paralysie de l’œsophage et chute de la paupière su- périeure gauche à la suite d’un vertige; le malade succomba. Il a eu peu d'occasions d'observer l’angine gangréneuse, autrefois fréquente à Vienne. L’angine aqueuse est selon lui l'angine œdé- mateuse ; enfin il parle d'angines inflammatoires qui annoncent une affection paralytique. Sous la rubrique phrénésie, on peut distinguer la méningite. Le chapitre sur la péripneumonie mé- rite d’être étudié pour beaucoup de remarques cliniques inté- ressantes qu’on peut découvrir malgré le vague du diagnostic. En présence de cette réunion de cliniciens éminents ou distin- gués qui abondent dans les pays voisins, sommes-nous donc si absolument dépourvus que la comparaison demeure impossible ? Non, pas précisément, Messieurs! Nous avons la Société royale de médecine, fondée, en 1776, par Lässone (2), premier médecin du roi Louis XVI, Société qui, malgré les tracasseries de tout genre qu’elle a eu à essuyer de la part de l'École de médecine, a jeté un véritable éclat sur la médecine en France, à la fin (1) On notera en passant que, pour Quarin, comme pour Brown, la gastrile est causée, soit par l’inflammation des parties voisines de l'estomac, soit par l’ingestion ges de substances âcres. — Il est, comme on voit, loin de Broussais, (2) Lassone (1717-1788) à publié un grand nombre de Mémoires dans les recueils de l'Académie des sciences, de l’Académie de chirurgie et de la Société royale de médecine. SOCIÉTÉ ROYALE DE MÉDECINE. 1235 du xvur° siècle. Celte Société a compté comme membres titu- laires ou comme associés et correspondants, Gaze, Lepecq de la Cloture (1), le R. P. Colle, Tessier, Paulet (2), Daubenton, J.-B.-Fr. Carrère, le savant auteur d’une Bibliothèque de la médecine ancienne et moderne et d'un Cataloque des livres publiés sur les eaux minérales ; Chabert, Mauduit, Lieutaud, le vénérable Hallé, Saillant, Chabrol, Thouret qui à importé la vaccine en 1801 (3), l’abbé le Noble, le Roux, Lorry (4), et, au- dessus de tous, Vicq d’Azyr qui a immortalisé son nom par une longue suite d’Éloges prononcés au sein de la compagnie. Tout admirables qu’ils soient par leur simplicité, et malgré les con- naissances variées qu'ils reflètent, ces éloges n’ont pas réussi à sauver de l'oubli plusieurs noms alors fort en vue. Les Mémoires de la Société royale de médecine se composent de dix volumes in-4°, dont le premier a paru en 1776, et dont le dernier a été publié en 4789 par les soins de l’École de santé. Chacun de ces volumes comprend la liste et souvent l’ana- lyse des ouvrages composés par les membres de la Société; les éloges des membres français ou étrangers morts pendant l’année ; l'histoire des travaux annuels de la Société ; les observations météorologiques faites en France ou dans les pays voisins; la description topographique, médicale et hygiénique des villes ou même des bourgs et villages de France; la description des ma- ladies épidémiques, endémiques ou sporadiques, même de quel- ques affections chirurgicales ; les épizooties ; l'analyse chimique des aliments, des remèdes, des eaux minérales ; des remarques touchant l’histoire naturelle et la physique médicales. La préface (4) Ses Observations sur les maladies épidémiques, etc., 4776 et 1778, ont con- servé une juste renommée, (2) Voy. son Traité de la vipère, ses Recherches historiques et physiques sur les maladies épizootiques, 4776 ; et son Histoire de la petite vérole, 1765, qui lui valut la menace de la Bastille, parce qu'il avait dit que cette maladie est conta- gieuse ! (3) Voy. aussi plus haut, p. 3. (4) Praticien très-occupé et, en même temps, médecin érudit et lettré, Lorry a donné diverses éditions d'opuscules et d'ouvrages d'auteurs anciens ou récents ; il a écrit un Essai sur les aliments, 1753, et un traité De Praecipuis morborum mutationibus, etc., 1784, 4936 MÉDECINE PRATIQUE AU XVII SIÈCLE. du premier volume pourrait encore servir de programme et de guide pour des recherches de ce genre. On remarquera, parmi les Mémoires relatifs à la médecine, ceux qui se rapportent à la rage, aux maladies des troupes pendant l'automne, à la suette, à linduration du tissu cellulaire. Ne vous semble-t-il pas, Messieurs, qu’une telle Société peut soutenir, sans trop de désavantage, la comparaison avec l’École de Vienne ? Sans doute, la Société de médecine n’a pas jeté au- taut d'éclat que l’Académie de chirurgie; du moins, par la spécialité de ses travaux, par toutes les recherches qu'elle a sus- citées dans cet ordre d'idées, elle a rendu des services que l’his- toire ne doit pas oublier. A consulter les historiens de la médecine espagnole, Morejon et Chinchilla, l'Espagne, durant le xvir' siècle, serait toute remplie d'Hippocrates, de Galiens, même de Leibnilz et de New- tons inconnus. Cependant les mêmes historiens avouent ingénu- ment (il faut même les louer de cette franchise), que les médecins espagnols n’ontjamais accepté volontiers les innovations, et qu’en vrais provinciaux ils suivaient les modes, quand déjà depuis longtemps la capitale n’en voulait plus. Ces historiens répètent à l'envi qu’il faut s’en tenir à la méthode d’'Hippocrate, méthode qu'ils ne comprennent ni dans sa généralité ni dans ses détails ; ils en appellent aussi à l’expérience et à l'observation ; mais justement ils ne sont au courant de presque aucun des procédés de l’expé- rience et de l'observation. Toutefois remarquons, à la décharge des médecins et de leurs biographes, que la liberté de penser n'a jamais régné en Espagne; que la médecine y échappe à peine encore aux entraves d’une métaphysique réputée orthodoxe, et de la théologie. Si la médecine espagnole, au xvin° siècle, n’a pas été très-puissante ni très-originale, elle a été, on doit le re- connaître, très-féconde ; et c'est marquer ua trop grand dédain ou une trop grande ignorance que de ne pas même lui donner une place dans les résumés d'histoire de la médecine. Au moins ne faudrait-il pas oublier Piquer. Il est vrai que les anciens livres espagnols sont excessivement rares en France, qu'ils coûtent fort cher, et que leur lecture MÉDECINE ET CHIRURGIE EN ESPAGNE. 1931 n’est pas toujours très-amusante ; mais les prétextes à un complet oubli ne sont plus permis depuis que nous possédons les histoires analytiques, ou plutôt les bio-bibliographies de Morejon et de Chinchilla (1), quelque opinion que l’on ait sur leurs procédés his- toriques et quels que soient les jugements qu’ils portent sur leurs compatriotes, leurs livres n’en sont pas moins fort instructifs. Morejon remarque que, malgré les tristes auspices sous les- quels s’ouvrit le xvin siècle (guerre de la succession d’Espagne), ce siècle fut fécond en tous les genres de littérature. Philippe V se montra protecteur des lettres et des sciences ; il fonda l'Académie espagnole, la bibliothèque de Madrid, l’Académie d'histoire, des musées d'histoire naturelle. De plus les calamités de la guerre servirent à quelque chose. Beaucoup de médecins et chirurgiens arrivèrent en Espagne à la suite des armées étrangères et répan- dirent les connaissances acquises déjà depuis longtemps dans les autres pays. Il faut placer au premier rang des médecins espagnols durant le xvur° siècle, Piquer (1711-1772) médecin, érudit et philosophe ; il a traduit Hippocrate, publié un Traité des fièvres (lequel a été traduit à Montpellier); des ouvrages de philosophie morale et de logique. Dans les premiers il montrait les rapports de la science et de la religion; malgré leur orthodoxie, ils lui attirèrent toutes sortes de désagréments de la part du clergé. Piquer fut de plus un botaniste distingué et un écrivain habile. Il décrit plutôt qu'il ne définit la fièvre; pour lui elle ne réside essentiel- lement ni dans l'augmentation de la chaleur ni dans l’accéléra- tion du pouls; il adopte une division particulière des fièvres en éphémères, putrides et hectiques; les fièvres putrides sans inflammation se subdivisent en ardentes, sinoques, malignes, hémitritées et quotidiennes; division imparfaite et fausse en plu- sieurs points. L'auteur étudie d’abord la fièvre en général dans ses causes et dans ses symptômes, puis les fièvres ardentes, sino- ques, malignes, hémitritées, quotidiennes, éphémères, tierces (1) Déjà, avec les seules Bibliothèques de Haller, il était possible de parler som- mairement de la médecine espagnole au xvint siècle; mais au xvu° la disette de renseignements est plus grande pour la Péninsule. 1258 MÉDECINE PRATIQUE AU XVIII® SIÈCLE, et quartes; il semble qu'il ne range pas la quotidienne parmi les intermittentes. Piquer tient Hippocrate en grande estime et fait consister la certitude de la médecine dans l’exactitude des obser- vations ; mais 1 ne se conforme pas toujours à cette proposition. — Les /nstitutiones medicae, 1762, renferment en deux parties un traité de physiologie générale et spéciale, et un traité de pa- thologie générale, le tout d’après les hippocratistes et les galé- nistes (4). Gaspar Casal a fait la topographie médicale des Asturies à la façon d’Hippocrate. C’est Casal qui, le premier, au moins en Espagne, a parlé du #nal de la rose ou pellagre. K était en cor- respondance avec plusieurs médecins de Montpellier. On lui doit aussi une bonne description de la lèpre. — Alcinet avait décou- vert un moyen d’ôter au quinquina son amertume, sans lui rien enlever de ses vertus fébrifuges.— José Ignacio de Torres a trouvé également, à ce qu’il paraît, le secret, perdu, d'empêcher le mercure de produire la salivation ; il s'était beaucoup occupé des maladies syphilitiques. — Ant. Capdevilla, un des médecins les plus érudits, et possesseur d’une riche bibliothèque, était le cor- respondant de Haller pour la bibliographie médicale espagnole. — Ant. Franseri a publié de précieuses observations sur la danse de Saint-Gui. — Au nom de Ignacio Luzuriaga se rattache l’his- toire de la colique de Madrid. — Masdevall a écrit des remarques pratiques sur la fièvre putride qui a sévi en Catalogne depuis 1764 jusqu’en 1783, — C’est à Lafuente, Salva, Arejula qu’on doit les pretuières descriptions européennes de la fièvre jaune (qui apparut en Espagne en 1725) et les discussions sur son ca- ractère et sa contagiosité. — Amar, Gil et Salva ont eu le très- grand mérite de propager, en Espagne, dans ce pays rétrograde, la nouvelle invention de Jenner; c’est à peu près en même temps qu'ont eu lieu, comme dans tout le reste de l'Europe, de violentes disputes sur l’inoculation ; enfin Solano de Luque a pousté l'étude du pouls jusqu’en ses derniers détails. : La chirurgie n’est pas restée non plus en arrière : on prati- (1) Voy. aussi dans Guardia, Médecine à travers les siècles, p. 274, la curieuse Relation de la dernière maladie de Ferdinand VI, roi d'Espagne, par son mé- decin ordinaire Andres Piquer. MÉDECINE ET CHIRURGIE EN ESPAGNE, 1239 quait hardiment les opérations les plus redoutables : Higature de l'aorte dans le ventre, comme l'avait fait Cowper, la trachéotomie, lextirpation de l'utérus, la ponction du péricarde, -— Les plaies d'armes à feu sont l’objet de travaux particuliers et où l’on sim- plifie beaucoup le traitement d’après les méthodes suivies à l'étranger. — C’est un Espagnol, Gimbernat, qui a donné une description du canal crural et de l’expansion fibreuse, qui porte encore le nom de Ægament de Gimbernat (1). Charles HE lavait chargé de visiter tous les hôpitaux du continent et de rapporter en Espagne le fruit de ses observations; il fut particulièrement apprécié en Angleterre par Hunter, pour son procédé opératoire de la hernie. La première moitié du xvin‘ siècle fut occupée par une discus- sion des plus vives, à la fois populaire et médicale, sur l'emploi de l’eau froide naturelle comme remède universel. De là le fameux médecin Sangrado (2). Comme une conséquence à peu près natu- relle de cet enthousiasme pour l’eau, certains médecins en vin- rent à proscrire entiérement la saignée et les purgatifs dans les cas où cependant ces remèdes sont le plus clairement indiqués ; tout cela sous prétexte de bien interpréter Hippocrate. L’hémo- phobe Don Miguel Marcelino Boix y Moliner publia Æ1po- crates defendido; Corral lui répondit dans l’Hipocrates vindi- cado. — Morejon remarque encore que durant le xvir' siècle les médecins espagnols s’occupérent activement des eaux minérales, et qu’on a publié un grand nombre de monographies pour les décrire et en indiquer les vertus thérapeutiques. Le plus habile des anatomistes espagnols est Martin Martinez, qui a écrit, en 1716, un traité sous forme de dialogue ; cette ana - tomie est surtout destinée aux chirurgiens. Il a publié aussi, en 1722, un traité de médecine opératoire, et plusieurs mémoires sur la chirurgie. Les diverses parties de l’histoire des sciences médicales ont eu aussi des représentants distingués dans le xvm° siècle; il (4) Un long extrait de son Mémoire (1793), a été traduit dans les Archives géné- rales de médecine, V'® sér., t. VII, 4825 ; p. 119 et suiv. (2) Voy. plus haut, p. 831, ce que je dis de Crescenzo. 1210 HISTORIENS DE LA MÉDECINE AU XVIII® SIÈCLE. nous suffira de rappeler (1) l'Histoire de la médecine de Daniel Leclerc dont l'édition définitive a paru en 1702; celle de Freind; l’AHistoria medicinae, de Schulze ; le Compendium d'Ackermann ; la Palaeologia therapiae W'Hebenstreit; les Monographies de Triller, de Gruner, de Moehsen,; les travaux de Grimm sur Hippocrate, de Bianchoni et de Targa sur Celse, de Cocchi sur les chirurgiens grecs; les Biographies de Baldinger; les travaux historiques ou bibliographiques d’Astruc, de Goulin ; l’Æistoire de l'anatomie et de la chirurgie, de Portal (2), etc. (1) Voy. plus haut, p. 29 et suiv., pour plus de détails sur les histoires générales de la médecine. (2) J'en ai déjà parlé plus haut, p. 1013; plus loin (p. 1273), je donne quelques détails nouveaux touchant l'Histoire de la chirurgie, de Dujardin et Peyrilhe. XXXIV SOMMAIRE, — Histoire de la Chirurgie clinique au xviie siècle. Spécialistes. — Allemagne et pays du Nord (Heister, Platner, Bilguer, Theden, Henkel, Richter, Callisen, etc.). — Italie (Molinelli, les deux Nannoni, Bertrandi, Brambilla, Ma- lacarne, Palletta, etc.) ; — Angleterre (Gheselden, Monro, Sharp, Gooch, J. Hun- ter, Bell, ete.); — France (Académie royale de chirurgie ; revue des ouvrages des principaux membres de cette compagnie, ét de quelques autres chirurgiens français). — Histoire de la chirurgie, par Dujardin et Peyrilhe.— Études spéciales sur Pott, Louis, Jean-Louis Petit, Desault. — Considérations sur les premières années du xix° siècle, — Conclusion. MESSIEURS, Le point le plus lumineux dans les annales des sciences mé- dicales, au xvin° siècle, c’est sans contredit la chirurgie (1), cet astre s'élève de notre France, du sein de cette Académie fa- meuse qui a régné pendant de longues années sur le monde entier ; la plupart des travaux qui sont exécutés en dehors de la Francé sont inspirés, parfois dictés, par l'Académie de chirurgie. Nous devons donc nous arrêter avec quelque complaisance sur l’histoire de la chirurgie et spécialement sur l’histoire de la chirurgie française. Sans doute l'anatomie, comme nous l'avons vu, à jeté aussi un vif éclat, mais on n’y remarque pas de doc- trines nouvelles ; il n’y a qu’un accroissement régulier, continu, des acquisitions déjà faites au xvir° siècle, tandis que, pour la chirurgie, une véritable révolution s’accomplit par l'application raisonnée de l’anatormie normale, de l'anatomie pathologique à la clinique, je veux dire au diagnostic et au traitement des affec- tions chirurgicales. Les systèmes, les idées préconçues, s'évanouis- sent peu à peu pour faire place à la méthode d'observation. (1) La théorie et la pratique des acouchements n’ont pas fait moins de progrès que le reste de la chirurgie ; mais c'est un sujet très-spécial que je n’ai pas cru devoir traiter dans ce livre ; il a d’ailleurs donné lieu à la publication de bonnes monographies historiques, 1242 CHIRURGIE PRATIQUE AU XVIII® SIÈCLE. Mais rien ne pousse ni subitement ni spontanément ; il faut le temps et des germes; le xvi° siècle et le commencement du xvuI* sont une préparation efficace à la transformation de la science opérée par l’Académie de chirurgie. Nous avons déjà jeté un coup d’œil sur l’histoire de la chirurgie au xvn siècle, suivons maintenant ses développements au début du xvir°. Puisqu’il faut choisir et se borner dans ce vaste ensemble de la littérature chirurgicale, nous rappellerons d'abord sommaire- ment les mérites des auteurs d'un ordre moyen, après quoi nous aborderons l'étude plus détaillée des ouvrages écrits par les hommes qu'on peut considérer comme les coryphées de la chi- rurgie au xvur° siècle : J. L. Petit, Louis (1), Desault, en France ; Pott en Angleterre; Richter en Allemagne. L'Italie, l'Espagne (voy. plus haut, p. 1238) n’offrent guère en pâture à nos inves- tigations que des écrivains secondaires qui sont souvent des échos de notre grande École de chirurgie, ou de l’École anglaise. Entre les années 1707 et 1717, nous rencontrons les ouvrages d’Anel (2), d'abord médecin militaire, puis attaché à la cour de Savoie, homme fort ingénieux, mais âpre à la dispute. Il a attaché son nom à la méthode de tirer le sang des cavités du corps et le.pus des plaies ou des abcès à l’aide d’un siphon (5), et à un traitement de la fistule lacrymale par les injections, les dilatateurs et les tubes, sans le secours du fer et du feu (de 1713 à 1717), méthode qui convient dans certaines espèces de fistules, mais qui ne suffit certainement pas dans toutes, notamment dans celles où les os ne restent pas sains et où le canal est compléte- ment oblitéré. Woolhousé (— 1730), J. Daviel (1696-1762), Pallucci (1719-1797) sont aussi des spécialistes de savoir el surtout de (1) Si Louis a été la tête, l'âme de l’Académie de chirurgie, on peut dire que J. L, Petit en été le bras. (2) On ignore la date de sa n'issance et de sa mort. On voit par ses ouvrages qu’il a résidé une partie de sa vie en Piémont. (3) Dans l'Art de sucer les plaies (A707), Anel dit qu’il y avait dans les hôpitaux ef dans les armées des suceurs à gage, métier dangereux, ajoute-t-il, si le suceur ou le sucé sont atteints de quelque maladie contagieuse. Après la succion on injectait divers liquides dans la plaie. SPÉCIALISTES. 1243 caractères différents (1). Woolhouse, chirurgien périodeute, a, comme Anel, toutes les allures d’un charlatan; il est peu instruit, hargneux et d’une conscience douteuse. Il à imaginé divers in- struments oubliés pour les opérations sur les veux (2).— Daviel, chirurgien de Marseille, puis oculiste du roi à Paris, ami de Haller, fort recherché à l'étranger comme en France, a si heu- reusement perfectionné l'opération de la cataracte par l’extrac- tion, en ponctionnant la cornée, que sa méthode et ses instru- ments ont été généralement adoptés. Ses divers mémoires sur ce sujet sont malheureusement disséminés dans des journaux ou recueils académiques, et son ouvrage sur les maladies des yeux est resté inédit. — Quant à Pallucci, qui a vécu successivement à Paris, à Vienne et à Florence, son pays, il a contribué à per- fectionner la méthode par abaissement (3) pour la cataracte (mé- thode qu'il préconisait, attendu qué l'extraction ne lui avait pas d’abord réussi) (4), et les divers procédés employés pour la taille, car il paraît n’en avoir d’abord exclu aucun. Toutefois, pour cette dernière opération, il a imaginé une méthode qui tient le (1) Outre les Dissertations sur la cataracte et le qlaucome (en français, 1717 ; en latin, 1719). Voy. aussi ses Expériences des différentes opérations manuelles et des quérisons spécifiques : pannus, staphylôme, fistule lacrymale, ulcères de la cornée, cataracte, ete.; avec l'adresse dudit Woolhouse, gentilhomme, (2) IL faut rappeler aussi les Observations sur la cataracte (1706 et 1708), par Brisseau (1631-1717). L'auteur insiste sur le véritable siége et sur la nature de la cataracte; il opérait par abaissement. M. Sichel a signalé dans un savant Mé- moire sur le glaucome, p. 106 et 169) les recherches de Brisseau relatives au glaucome. — Les travaux de Ténon (1724-1816) sur la cataracte (1755 et 1757) et sur diverses maladies des yeux ne doivent pas être négligés, Voy., du reste, le même mémoire de M. Sichel, pour l'appréciation des oculistes du xvin* siècle. (3) Il avait inventé (1750) pour la cataracte une aiguille enfermée dans un tube très-délié ; il perçait les tuniques de l'œil avec l'aiguille et abaissait la cataracte avec le tube qui était plat. Il dit lui-même que la manœuvre était difficile, et il l’a rendue moins aisée en inventant, en 4752, un instrument plus compliqué. — Il conseillait au malade de ne se servir de son œil que six mois après l’abaissement de la cataracte, Il prétend avoir enlevé à travers une incision de la cornée la capsule opaque en laissant la lentille qui était transparente ; il a vu plusieurs fois la cata- racte abaïssée se résorber. (4) Cependant, en 1763, il spécifie les cas où il faut extraire au lieu d’abaisser, etil décrit un instrument de son invention, — Il à aussi une méthode et des instru- ments particuliers pour la cure des polypes du nez (1763). 1244 CHIRURGIE PRATIQUE AU XVIII SIÈCLE. milieu entre le petit et le grand appareil (1764). Ses ouvrages, que je n’ai pu du reste réunir qu'à grand’peine, présentent, en général, un caractère purement scientifique. Il traitait, en se fondant sur la cure radicale de l'hydrocèle, la fistule lacrymale par des mèches enduites d’onguents digestifs, et proscrivait les escharotiques ainsi que les tiges de plomb. Mauchart (1696-1751), de Tubingue, est aussi un oculiste habile qui a écrit un grand nombre de dissertations sur les mala- dies des yeux et les opérations qui leur conviennent; elles ont été réunies en 1783, par Chr.-Fr. Reuss, sous le titre de : Dus- sertationes tubingenses, etc. On lui doit encore une dissertation sur la hernie étranglée (1722); il y combat l'opinion que le pé- ritoine est rompu dans la descente de l'intestin. Heister (1683-1758), l’un des noms les plus considérables de la première moitié du xvin' siècle, a débuté par des mémoires et des controverses (1711-1719) sur la nature de la cataracte et sur son traitement (chaissement). On ne peut comparer aux disputes qui se sont élevées à cette époque au sujet de la cataracte que celles qui ont eu lieu, à peu près au même temps, et un peu avant, sur l’opération de la pierre (1). Un point surtout doit nous éton- ner, c’est qu'on ait si longtemps discuté sur le caractère le plus ordinaire de la maladie, l’opacité, du cristallin. Heister a décrit aussi la forme beaucoup plus rare, appelée cataracte membra- neuse. Notre chirurgien se montre fort partisan de la méthode d’Anel pour la fistule lacrymale (1716); mais, moins exclusif, il emploie le cautère actuel quand los est attaqué. Il a aussi pu- blié, outre de nombreuses observations dans les Actes des Curieux de la nature, et qui ont été pour la plupart réunies en 1759 et 1770, près de quarante dissertations sur divers sujets de chi- rurgie, mais qui, presque toutes, ont échappé à mes recherches; quelques-unes ont été réimprimées par Haller dans ses collec- tions, entre autres celles sur l’hydrocèle (1744); un mémoire (1) I y aurait à faire, sur ce double sujet, surtout sur le dernier, même après le travail cependant sérieux de Deschamps : Traité historique et doymatiaue de la taille, avec un supplément de Bégin, 1797-1826, deux monographies historiques très-intéressantes. HEISTER. == PLATNER. — DE LA MOTTE. 1245 sur les avantages du procédé de Celse pour pratiquer la taille (1745). La plupart des travaux particuliers de Heister sont résu- més dans ses /nstitutions de chirurgie, publiées pour la première fois en 1718 {en allemand), traduites ensuite en latin et dans presque toutes les langues de l'Europe. C’est le traité de chirur- gie le plus ample, le plus savant, le plus érudit (1), le plus com- plet qui ait été donné jusqu'à la fin du xvrr° siècle, où nous trouverons, entre autres, le Système de chirurgie de B. Bell, ei les Éléments de chirurgie de Richter. Heister a pris tout ce qui avait été écrit de bon avant lui (2), mais presque toujours il l'a amélioré d’après les résultats de sa longue expérience. Le texte est accom- pagné de nombreuses figures. Les /nstitutiones chirurqiae sont donc un ouvrage à la fois dogmatique et historique ; il y en a peu qui soient aussi instructifs. A l'époque où nous en sommes onne peut guère rapprocher de ce traité que celui de Platner (1694-1747), de Leipzig ({nstitu- tiones chirurgqiae rationalis, 1745, plusieurs fois réimprimées), où l’auteur use également de ses lectures et de son expérience, mais pour un simple résumé ; et le Traité complet de chirurgie (1722, surtout lédition de 1771 donnée par Sabatier), de G. Mauquest de La Motte (1655-1737), quoiqu'il soit beaucoup moins complet que celui de Heister, peut-être aussi moins origi- nal. Ce qui distingue particulièrement ce traité, c’est qu’il ren- ferme un grand nombre d'observations, et que l’auteur, fidèle aux principes de Magatus (3), a fait de louables efforts pour sim- plifier la chirurgie. Peut-être pourrait-on lui reprocher cepen- dant d’avoir trop d’aversion pour l'emploi du fer, aversion qui n'étonnera pas de la part d’un homme qui, dans sa longue pra- tique obstétricale (4), ne s’est presque jamais servi que de la main. (4) Une bonne bibliographie chirurgicale est placée en tête de l'ouvrage. (2) Mais peut-être sans assez de ménagements : par exemple il copie presque le traité de J. L. Petit Sur les maladies des os. (3) Chabert, de Marseille, dans ses Observations de chirurgie (1724) se montre aassi un partisan décidé de Magatus ; il en est de même de Guisart, médecin de Montpellier, dans sa Pratique de chirurgie, 1735. On doit préférer l’éd. de 1747. (4) Voy. Traité des accouchements, ete., 1722; plusieurs fois réimprimé et amélioré. 1246 CHIRURGIE PRATIQUE AU XVIII SIÈCLE. Le Journal hebdomadaire de médecine et de chirurgie (Medi- cinische and chirurgische berlinische Nachrichten, 1709-1747), de Samuel Schaarschmidt (1708-1749), professeur et praticien à Berlin, anatomiste aussi distingué qu’habile chirurgien, renferme un très-grand nombre de remarques et d’observations d’un haut intérêt, relatives à la médecine et à la chirurgie. Haller appelle Schaarschmidt énsignis clinicus. Quoique je n’aie fait que par- courir le recueil, j'ai été frappé de la richesse des matériaux rassemblés par un homme mort à la fleur de l'âge (4). — Le recueil (Sammlung) de remarques médicales et chirurgicales (deux séries, 1747-4772), de J. Fr. Henkel (1712-1779), méde- cin militaire, puis professeur à Berlin, est du même genre que le Journal de Schaarschmidt (2). Cet auteur a aussi publié divers ouvrages sur la chirurgie, les opérations et les accouche- ments (3). J. G. Günz (1714-1754), Kaltschmidt (1706-1769), Eller (1689-1760), Mohrenheim (1736-1807), Hunczovski (— 1798), Schmucker (1712-1786), Mursinna (1744-1832), Jos.-Jacques Plenck, et d’autres chirurgiens allemands de celte époque, ne me sont connus que par Haller, par Hacser, ou par les biogra- (4) Auguste Schaarschmidt (1720-1791) a écrit plusieurs tableaux anatomiques qui ont été longtemps considérés comme classiques. Ils ont été traduits en latin par J. Fr. Érasme. (2) Le plus important des recueils périodiques de ce genre publiés en Allemagne pendant le xvin® siècle est la Chirurgische Bibliothek, de Aug.-Gottl, Richter, de 1748 71Y07" (3) Les Neue medicinische und chirurgische Anmerkungen (17e partie, 4769; je n'ai pu me procurer que cette partie) du même Henckel, sont un recueil d’observa- tions, encadrées dans des remarques pratiques et souvent accompagnées de rensei- gnements bibliographiques très-précieux. — Les re.urques sont au nombre de vingt-quatre. Les principales sont relatives au spina bifida, à la putréfaction des intestins et de l’épiploon dans une hydropisie ascite, au traitement de la fistule lacry- male, à la carie de l'os maxillaire inférieur, à la fracture de la rotule, au traitement heureux d’une hydropisie universelle, à divers cas de vices de conformation observés chez des enfants nouveau-nés ; enfiu à des relations d’accouchements laborieux. — Je connais encore un mémoire du même auteur Sur l'opération de la cataracte (4770) où l’on trouve un bon historique, une exacte bibliographie des méthodes employées pour l'abaissement ou l'extraction de la cataracte, et une dissertation sur les di- verses autres espèces de cataracte. BRAMBILLA; — BILGUER. — THEDEN. 1247 phies; la plupart ne se trouvent même pasà Paris (1). — Bram- billa (1728-1800), que l'Italie et l'Allemagne se disputent, ne vaut pas tant d'honneur; c’est un homme de plus de savoir faire que de savoir, et qui étale sa vanité jusque dans la façon luxueuse dont il fait imprimer ses livres qui méritent à peine une mention, sauf peut-être son Trattato chirurgico pratico sopra il flem- mone (1777); c'est un résumé assez exact, mais sans critique. Sa Storia delle scoperte fisico-medico-anatomico-chirurgiche fatte dagli uomani illustre italiani (1777), est un plagiat pres- que perpétuel, et la honte de l’érudition. Le Discours sur la pre- émanence et l'utilité de la chirurgie, traduit en français par Lin- guet, 1787, avec un long Avertissement du traducteur, est une déclamation sans valeur. Bilguer (1720-1796), qui avait longtemps exercé à l’armée, est surtout connu dans l’histoire de la chirurgie par une aversion plutôt systématique que raisonnée des amputations (De mnem- brorum amputatione rarissime administranda, aut quasi abro- ganda, 1761). Ni les violentes et incoercibles hémorrhagies, ni les os brisés n’ont pu le décider à amputer; il assure avoir traité à la suite d’un combat, 6622 blessés dont 657 seulement sont morts. Peut-être ce chiffre, qui représente surtout des fractures du fémur, dépose-t-1l contre son système absolu. Il cite beau- coup d’autorités, et rapporte plusieurs observations, pour justi- fier son abstention. — Ses autres ouvrages (Anweisung zur aus- übenden Wundarzneikunst in Feldlazarethen, 1763; Chirur- gische Wahrnehmungen, 1763 ; Medicinisch-chirurgische Fra- gen, 1774), moins consultés, sont cependant recommandables par le grand nombre de remarques ingénieuses et de bonnes observa - tions qu'ils renferment. Theden (1714-1797), Mecklembourgeois , d’abord domes- tique, puis tailleur, puis garçon chirurgien, puis enfin chirur- gien militaire, durant la guerre de Sept ans, finit par gagner la confiance du grand Frédéric et l'amitié de Sam. Schaarschmidt ; (4) Les Abhandtungen von der vornehmsten chirurgischen Operationen du chirur- gien danois Heuermann, publiés en allemand en 1756, 1757 et 1773 (j'ai ces trois dates sous les yeux pour les deux premiers et le troisième volume) reflètent sur- tout la chirurgie française et la chirurgie traditionnelle. Ce livre contient des rem ques sur les maladies elles-mêmes qui nécessitent les opérations. aT- 1248 CHIRURGIE PRATIQUE AU XWVIII® SIÈCLE. son principal ouvrage a pour titre : Neue Bemerkungen und Erfahrungen zur Bereicherung der Wundarzneikunst und Me- dicin, 1771 et 1795. La première partie a été traduite en fran- çais par Chayrou (4777) sous le titre : Progrès ultérieur de la chirurgie. Theden rapporte surtout les résultats de sa propre pratique. Il était renommé pour ses succès dans la cure des plaies anciennes à l’aide de bandelettes ; 1l recommande l’em- ploi des bandages pour la cure de l’anévrysme faux consécutif ; dans les affections des extrémités et dans les amputations des membres pour diminuer la douleur; il substitue, pour toutes les amputations, les tampons de charpie à la ligature, ce qui est une pratique fort aventureuse; il proscrit la ligature du cordon dans la castration et toutes les sutures. Theden paraît avoir retiré de grands avantages des douches simples ou médicamenteuses tombant de très-haut (de A5 pieds, par exemple) pour diverses affections des articulations, et se servait volontiers d’eau froide, éntus et extra, pour toutes sortes de maladies chirurgicales ou médicales, même dans les éruptions aiguës. Les préparations de Goulard et l’eau d’arquebusade lui ont paru très-efficaces. Les débridements et les pansements émollients sont recommandés dans les plaies d'armes à feu; tous les spiritueux ou excitants sont proscrits. — En 1795, Theden a ajouté deux nouvelles parties qui n'ont pas été traduites et qui renferment des remarques avec observations sur les sujets suivants : Hydrocèle et sarcocèle, mutlité du trépan, commotion cérébrale, heureuse opération d’une énorme tumeur au cou, cas de rage sans morsure d’un animal malade, emploi du gaïac ou de l'asa fœtida dans la goutte et le rhumatisme, formes particulières de panaris; machines pour les fractures des membres inférieurs ou supérieurs et autres machines ou instruments pour diverses opéra- tions, par exemple, une pince pour extraction des polypes du nez par l’arrière-gorge; emploi du sublimé dans les maladies véné- riennes pendant trente-quatre ans de pratique; plaies des articula- tions, bons effets de la belladone dans la fièvre intermittente quarte et dans l’hydropisie ; rétroversion de lutérus; possibilité de la luxation des vertèbres (par le chirurgien Schack) ; testicule véné- rien, etc.; chute qui entraîne une déchirure du foie, une frac- RICHTER. — CHIRURGIENS HOLLANDAIS, 1249 ture de la jambe et la mort, abeès de la main, singuliers effets produits par des éclairs sur le corps de plusieurs soldats (par le docteur Mayer), etc. Dans les Éléments de chirurgie (Anfangsqründe der Wund- arzneikunst u. s. w.; 7 vol., 1782-1804), A. G. Richter a em- brassé comme Bell, comme Boyer, à peu près tout l’ensemble de la chirurgie. Ce livre a servi de base à beaucoup de manuels de chirurgie en Allemagne, et il a été traduit en italien par Volpi, en 1794 et années suivantes. On y distingue spécialement ce qui regarde les plaies de tête, les hernies et les maladies des yeux, sujets sur lesquels Richter avait fait de savantes recherch»s. L'auteur donne une bonne description des divers genres de plaies de tête, et des accidents qui en sont la suite. Comme Pott, il veut qu'on respecte les lambeaux charnus et membraneux, dans les vastes plaies par instruments tranchants ou déchirants; mais il n’est pas d'accord avec le chirurgien anglais touchant l'emploi du trépan pour presque toutes les fractures du crâne. Il énumère avec détails les signes à l’aide desquels on peut reconnaître la com- motion ou la compression. C’est particulièrement la compression qui doit régler l'application du trépan. Richter ne permet l’opéra- tion de la hernie que si la tumeur est étranglée et complétement irréductible ; l'opération est grave par elle-même, et surtout par les accidents fortuits qui peuvent se produire. — Les trois fasei- cules des Observationes chirurgicae (1770-1780) renferment de précieux Mémoires sur la cataracte, les hernies, le cirsocèle, la trachéotomie, les abcès des sinus frontaux, l’'amaurose, et di- verses autres maladies des yeux (y compris la fistule), le cancer du sein, enfin sur une nouvelle méthode d'opérer la cataracte : abaisser où extraire la capsale en mème temps que le cristallin, suivant qu’on emploie l’une ou Pautre méthode (1). La Hollande compte parmi ses meilleurs chirurgiens Palfvn, Tittsingh, Vylhoorn (élève de l’École de Paris), Schlichting, Van Gesscher, dont les ouvrages, tous écrits en hollandais, ne ine sont connus que par Haller qni les a longuement analysés. (4) Voy. aussi Von der Ausziehung der grauen Stanres, 1773. DAREMBERG, 79 1250 GHIRURGIE PRATIQUE AU XVIII‘ SIÈCLEe La Systemu chirw'yiae hodiernae (1798) de Henri Callisen (1740-1824), brille plus par la clarté de l'exposition et la sûreté du jugement, que par la nouveauté des recherches. C'est un ré- sumé succinet des connaissances chirurgicales du temps, un texte sous forme aphoristique, pour des leçons publiques. La classifi- cation des maladies y est très-systématique et ne repose ni sur un diagnostic toujours rationnel, ni sur les résultats d’une exacte anatomie pathologique, car on y trouve des alfections qui oni à peine une existence réelle, indépendante. Cest, pour la chirur- gie, avec plus de science positive, un livre analogue aux 4pko- rismes de Boerhaave pour la médecine. En Italie, nous trouvons avant le célèbre Bertran di plusieurs chirurgiens de distinction, entre autres Ant. Benevoli (1685-1756) qui a écrit Sur la cataracte lenticulaire (1722); sur les caron- cules, les carnosités ou les rétrécissements de l’urèthre (1724), qu’il traite volontiers par de simples bougies, de préférence aux éscharotiques; enfin sur les hernies (1747) dont il attribue la cause à la laxité du mésentère. — Angelo Nannoni (1715-1790), disciple de Benevoli et à qui l’on doit des Dissertations sur la fistule lacrymale (1 y blâme la perforation de l’os unguis) et la cataracte (174$), un Discours sur la chirurgie, où 1l est surtout question de l’histoire et de la pratique des amputaiions (1750), un traité Sur les maladies de la mamelle (1762), a aussi publié, en 1771, un {rattato charurgico sopra la simplcita di medicare i mali d’altenenza della chrurgra, que Halier appelle majus opus. L'ouvrage de Nannoni se divise en deux parties : la première comprend des considérations sur la simplification du iraitemeut des blessures, des plaies, des tumeurs, elc., avec des observa- tions à l’appui ; la seconde partie se compose de cinquante obser- valions, accompagnées de quelques réflexions pratiques. Dans la première parte il esttraité du danger de laisser les corps étran- gers dans les plaies, surtout dans celles des parties tendineuses ou fibreuses, à la main, par exemple; de la prompte réunion des lambeaux de chars dans les plaies de la face ou du crâne, avec ou sans suture, même s’il existe une perte de substance ; du traitement par lincision et la réunion immédiate de tumeurs {BENEVOLI, — NANNONI. = MOLINELLI, 1251 ou d’ulcères cancrénoides des lèvres ; des hernies étranglées ré- duiles avec succès sans opération, et de celles qui réclament l'intervention du fer; enfin de toutes sortes de tumeurs anévrys- males ou autres. Dans la seconde partie (observations proprement dites) on peut signaler les observations qui sont relatives aux tu- meurs du sommet de la têse ou du scrotum ; à la carie des os; à de vastes sarcomes du tronc et des membres ; au charbon; à de nombreuses maladies des yeux, L'auteur aime tant les obsérva- ons (el uous ne devons pas nous en plaindre) qu’il en insère d'intéressantes jusque dans sa Préface. Son fils, Laurent, élève de Paris, fut aussi un chirurgien dis- üngué; il à publié en 6 volumes, 1755, un lrattato di chirur- qua teorico pralica, e di ostetriccuu. Je connais de luiun T7attato dell'idrocele (1779). De Loutes les méthodes préconisées pour Ja cure radicale de ceite allecuion, Nannonmi semble préférer linei- sion qui permet de voir le mal dans toute son étendue et l’état du tesucule. Il a égalemenipublhié, en 1751, un traité Sulla rege- nerazione delle parti similart, ei en 1750, une Drssertazione sulla cutarelta, — Yanaron,uu élève de Paris, et qui s'était perfecuonné dans es camps, à écrit, en 4754, un fraté de chirurgie où il ate volontiers les chirurgiens français. — Dans un traité des plaies culanees de la tête, Nic. Gappelletu, de Lucques, se montre un partisan très-instruit de la rélorme de Magatus ; n1 l’un ni l’autre de ces ouvrages n'existent, que Je sache, dans nos bibliothèques, el je ai jamais pu les rencontrer dans le commerce. Molinélh (1695-1764) et Berirandi (1728-1765), deux célèbres chirurgiens italiens, appartenaient, comme membres correspon- dants, à l'Académie de chirurgie; c'est en raison de cet hoii- neuf, fort recherché en France et à l'étranger, que Louis à prononcé leur éloge. Molinelli est un des meilleurs élèves des écoles et des hôpitaux de Paris, où 1l se montra d'une rare asst- duité (1). ll a écrit plusieurs mémoires de chirurgie (particulié- reinent sur la fistule lacrymale, lés anévrysmes et les ruptures du tendon d'Achille), de physiologie expérimentale sur le sys- (4) Molinelli a fondé à Bologne un cours d'opérations à l'instar de eeux qu'il avait suivis ét ädmirés à Paris. = Où qu’on jette les yeux à cette époque, c’est Paris qui gouverne l'Europe, comme autrefois c'étaient l'Italie et l'Ecole de Leyde, 1252 CHIRURGIE PRATIQUE AU XVIII SIÈCLE, ième nerveux, d'anatomie pathologique relative aux plaies de tête et aux abcès du foie ou d’autres parties qui en sont la consé- quence (1). C’est à propos de létonnement qu’on manifestait sur l'élégance du style de Molinelli, quoique chirurgien, que Louis s’écrie avec un noble et légitime orgueil : « Pourquoi s’atten- dait-on moins à trouver ce talent dans un chirurgien que dans tous ceux qui cultivent les autres sciences? Y a-t-il quelque pro- fession qui exige plus d'esprit, d’études, de lumières, de juge- ment et d'expérience, que la chirurgie ? La précision, la justesse et l’élégance du style ne sont point des ornements étrangers à notre art. » Qui a donné les modèles les plus accomplis de toutes ces qualités, n'est-ce pas l’ilustre secrétaire de Académie de chi- rurgie? 1] lui était donchien permis de se révolter contre un Juge- ment aussi injurieux que mal fondé ; et Louis n’a-t-il pas fait une bonne action en profitant de l’occasion pour engager les élèves en chirurgie à ne se pas négliger sur les talents littéraires dont ils doivent éprouver journellement le besoin dans les consulta- tions et dans la rédaction des faits que la pratique leur présente ; il leur cite en inême temps tous les noms des médecins ou chi- rurgiens qui ont illustré à la fois la science et les lettres. Bertrandi, formé d’abord aux meilleures disciplines liltéraires, se livra de bonne heure à l'étude de l'anatomie et de la chirur- gie. Il acquit une si grande habileté dans les dissections que Bianchi, comme Louis nous l’apprend, lui demanda de laider dans ses études sur la structure des viscères; mais lorsque ce médecin, d’un caractère peu recommandable, dévoila à Ber- trandi le dessein où il était de se servir de ses travaux contre Morgagni, l'élève marqua au maître la ferme volonté de ne pas se prêter à une pareille manœuvre; aussi Bianchi ne lui pardonna- t-1l jamais d’avoir refusé de servir ses rancunes pour prix des ser- vices qu'il prétendait lui avoir rendus en le recevant chez lui chaque année. Une pareille conduite est aussi fréquente que honteuse. Bertrandi vint compléter ses études en France, où il contracta d’illustres amitiés, et en Angleterre. Outre plusieurs (1) Cette seule recherche de la concomitance des abcès du foie et des plaies de la tête prouve quelle nouvelle et excellente marche avait suivie l'anatomie patholo- gique, même depuis Morgagni. BERTRANDI. — CHESELDEN. 1253 mémoires anatomiques sur le foie et sur l’œil, etc., 1] a publié en 1763 (trad. en français en 1769) un Traité des opérations de chirurgie qui comprend les sutures, surtout celles des intestins, la paracentèse, l’opération césarienne, le cathétérisme, la taille, l’hydrocèle, et quelques autres opérations, où je n’airien trouvé de bien nouveau. En effet, quand on étudie les ouvrages mêmes de Bertrandi, on est tenté de croire que Louis l’a un peu surfait, comme chirurgien. Les divers ouvrages de Bertrandi ont été réunis après sa mort (de 1786 à 1802), en 14 vol. in-8° (1). W. Cheselden (1698-1752) (2), dont nous avons déjà parlé plus haut (p. 1009) comme anatomiste, se recommande à l’historien (4) Les Observaziont di chirurgia (en deux parties) : Precetti, Esempli, publiées en 1784, par Malacarne, occupent aussi un rang distingué dans la littérature chi- rurgicale du xvin® siècle. Dans les Esempi ou Observations, on trouve plusieurs relations importantes d'hydrocéphalie, d’anévrysmes, de néphrotomie, elc., avec beaucoup de remarques anatomiques. Son mémoire Delle operaziont chirurgiche spettanti alla riduzione, 1796, renferme d’utiles préceptes pour la réduction des parties molles et des parties dures.— Rappelons aussi le traité de Troja, De novorum osstum regeneratione experimenta (1775), qui a préparé les voies, par d’ingénieuses expériences, aux belles recherches des modernes sur ce sujet. — Enfin citons le beau travail expérimental de Fontana Sur le venin de la vipère , etc., 1781, et sur- tout les savants Mémoires de Palletta (1747-1832) qui ont été publiés en partie au commencement du xix° siècle el en partie à la fin du xvure, et qui portent sur des sujets très-nombreux. Les Adversaria chirurgica de Palletta renferment : 1° un très- important mémoire sur la claudication congénitale, sur les diverses causes et sur les lésions anatomiques dont elle est la conséquence ; 2° une série d'expériences sur le sang, au moment où il vient d'être tiré de la veine, avec les cantharides en poudre ou en teinture, et avec d’autres substances, afin de s'assurer de leur action sur ce fluide ; àce propos il étudie avec grand soin les effets des vésicatoires sur l’économie animale; 3° des observations anatomo-pathologiques sur le mal de Pott.— Les Exercitationes pathologicae, publiées de 1820 à 1826, renferment plusieurs mémoires spéciaux, sur le$ polypes utérins, la phlébite, la sciatique, les maladies de la hanche, les tubercules des os, le sarcocèle, les abcès sanguins, les morts rapides, la dysphagie, les fractures des vertèbres, les maladies des femmes en couches, les hernies, les affections de Ja vessie, etc. Parmi ces mémoires, il doit s’en trouver qui avaient été disséminés dans des recueils périodiques. — Du reste, je n’ai eu entre les mains que les Adversaria et les Exercitationes, — Tous ces travaux sont marqués au coin de l'observation pratique la plus attentive. (2) Cheselden avait acquis une telle habileté qu'il opérait dans l’espace de quel- ques minutes, on dit même d’une minute, avec l'appareil latéralisé. Un des Colot 4254 CHIRURGIE PRATIQUE AU XVIII SIÈCLE. de la chirurgie, non-seulement par ses travaux sur l'opération de la taille, mais encore par son recueil d'instruments (1749) et par toutes les remarques ou représentations figurées d'anatomie pa- thologique touchant les maladies des os qu’ila consignées, soit dans son Ostéographie, soit dans son Traité d'anatomie du corps hu- main. —Cheselden a publié (1723) un traité où il célèbre les avan- tages de la taille par le haut appareil ou taille sus-pubienne imagi- née par Franco, etoùil rapporte des observations à l'appui; mais, finissant par y reconnaître d’assez graves inconvénients, il adopta en 17350, et perfectionna la méthode de Raw, qui lui-même l'avait empruntée au Frère Jacques, en la corrigeant très-heu- reusement (taille latérale ; — trad. franç. par Guérin, en 1818, avec un mémoire où Thompson expose les modifications qu’il a fait subir aux instruments et aux incisions, et l'opinion de Du- puytren sur le même sujet). Le premier traité de Cheselden a été traduit en français par Noguez (1724), à la suite de l'ouvrage de Jean Douglas. — Cet ouvrage de Jean Douglas, publié d’abord en 1719, comprend une brève histoire critique des divers pro- cédés usités pour l’opération de la taille, et la description, avec observations, du haut appareil qu’il préfère à tous les autres. — Jacques Douglas (1675-1742), son frère, a publié en 1726 (avec appendice en 1731) une Æistoire de la taille latérale sans intéresser l’urèthre, la prostate et les vésicules séminales. Les deux Douglas sont très-âpres contre Cheselden. — Dans une thèse soutenue en 1750, sous la présidence de Falconet, Malouin a vanté la taille latérale. Alexandre Monro (l’ancien, 1697-1767) tient un des premiers rangs parmi les chirurgiens anglais. Ses différents mémoires sur la paracentèse, les anévrysmes, les maladies des voies lacrymales, les hernies, l'hydrocèle, le sarcocèle, la carie, l’exarthrose, la cataracte, elc., ont été publiés dans les Actes de la Société d’ Édimbourg. Sharp (—1765), un ennemi acharné de la routine, était disciple (Français), qui vivait à cette époque, préconise le grand appareil et rejette absolu- ment le haut appareil. — Aujourd'hui quelques chirurgiens, adoptant le procédé de M. le professeur Dolbeau, réunissent avec succès la taille périnéale et la litho- ‘tritie (voy. Dolbeau, Traité pratique de la pierre, 1864). DOUGLAS, — MONRO, — SHARP, ETC. 19255 de Cheselden, mais supérieur à son maître ; 1 a publié deux ou- vrages : ses Opérations de chirurgie(l) et ses Recherches critiques sur l'état présent de lachirurgie (1750), qui lui assurent une des premières places dans l’histoire de la chirurgie. Voici quelques- uns des points les plus importants à signaler dans ses Opérations de chirurgie : il défend d'ouvrir les abcès avant leur maturité ; il proscrit les tentes pour les abcès profonds, les accusant avec raison de produire des trajets fistuleux; il employait hardiment la pierre infernale pour raviver les vieux ulcères ; il use aussi volontiers de l’eau de chaux ; 1 brùle mais ne coupe pas les fongosités ; déjà il avait imaginé des canules de drainage dans les fistules ; il guérit les abcès des articulations par limmobilité qui procure l’anchylose; il ne veut pas enlever les amygdales avec l'instrument tranchant, mais avec Îa ligature, comme Ghe- selden et Levret; dans le cas d’épanchement de sang ou de pus dans la cavité thoracique, ilouvre dans la région moyenne, entre l’épine et le sternum. Sharp a donné au trépan sa forme cylin- drique actuelle. Dans ses Recherches sur l’état présent de la chirurgie, Sharp compare la chirurgie française (il avait fait un voyage à Paris) avec la chirurgie anglaise. — Dans l'opération de la hernie il défend d’inciser l'intestin au moment de le remettre en place, et de le recouvrir de glace, mais il ne veut pas non plus qu’on fasse rentrer le sac avant qu’on y ait pratiqué une petite incision, contrairement à la coutume de beaucoup de chirurgiens français. Sharp est partisan de la taille latéralisée. Il se plaint que les chi- rurgiens français ne soient pas assez explicites sur les signes de la commotion du cerveau; il rejette la ligature de Pépiploon gangrené avant de le reséquer; il n'y à pas d’hémorrhagie à craindre. En général il se montre peu favorable aux Français. Bromfield (1712-1792), chirurgien de moindre renom que Sharp, mais fort estimable cependant, a donné en 1773 un recueil de précieuses Observations qui est encore consulté. —(G. Arnaud, Français d'origine, obligé, en suite de quelques calomnies, de (4) Londres, 3° éd., 1740, — C'est la meilleure édition de ce livre ; la première a paru vers 1737. Les Opérations de chüruigie et les Recherches critiques ont été traduites en français par Jault. 1256 CHIRURGIE PRATIQUE AU XVIN* SIÈCLE. quitter son pays, se réfugia en Angleterre, où il a écrit à la fois en anglais et en français. Ses Mémoires de chirurgie (1768) ren- ferment en français de savantes recherches sur les hernies (her- nies congénilales; hernies de l’épiploon ; hernies crurales chez l’homme ; inconvénients des descentes chez les prêtres), les ané- vrysmes, l’hermaphrodisme, les différences locales des testicules, sur divers instruments ou machines, sur les avantages de l’ana- tomie, enfin sur la vie de W. Hunter, mais je n’y vois pas figu- rerles /nstructions pour les maladies de la vessie et de l’urêthre (1763 et 1764). Le Practical treatise on wounds and other chirurgical subjects (2° édit., 1767, 3 vol. in-8°), de Gooch (mort vers 1780 dans un âge très-avancé), comprend d’abord (1* vol.) un recueil d'observations qui sont dues pour la plupart à Gooch lui-même, et qui porient sur toutes sortes de sujets de chirurgie; plusieurs sont fort intéressantes. Des planches nombreuses, représentant surtout des machines que l’auteur appelle ssmplifices, accom- pagnent le texte. Il est impossible d'analyser un pareil ouvrage. Le second volume s'ouvre par une pitoyable Æistoire de la chi- rurqie et de l'anatomie qui comprend 62 pages ; 1l renferme en- suite des remarques générales sur les plaies, sur leur pronostic; sur les principales indications à remplir dans le traitement, sur les bandages, les sutures, etc., et sur les plaies ou affections de diverses parties du corps, avec quelques renseignements histo- riques. Ce volume est une espèce de commentaire du premier. — Le troisième volume contient de nouveau des observations chirurgicales, ou relatives à quelques fièvres épidémiques qui ontrégné de 1739 à 1741, soit sur terre, soit sur des vaisseaux. John Hunter (1728-1793) est un des plns habiles praticiens qu’ait eus l'Angleterre ; 1lest surtout célèbre, comme chirurgien, par ses Lecons sur les principes de la chirurgie, par son Traité du sang et de l'inflammation et par ses Mémoires sur les plaies d'armes à feu, sur la phlébite, l'anévrysme poplité, l'hydro- cèle, etc. On reconnaît dans ces ouvrages, non-seulement le grand chirurgien, mais aussi l’homme versé dans létude des questions générales d'histoire naturelle et de physiologie. Sans mépriser les faits, Hunter insiste sur les principes qui conduisent à la GOOCH. — J, HUNTER. — ALANSON. 1257 connaissance des causes, lesquelles, à leur tour, sont la source des indications et de la bonne direction du traitement. En lisant les Principes de chirurgie, on est émerveillé de tout ce que l'au- teur a vu et admirablement décrit ; quand on parcourt le Traité de l’inflammation, on est frappé de la profondeur, de la sûreté de ses observations et de son habileté à manier la méthode expé- rimentale, Alanson a préconisé comme le meilleur de tous, pour éviter la saillie de los, un procédé d’amputation (1), qu’on a trouvé cependant compliqué, douloureux et auquel on a renoncé. Voici en quoi consiste ce procédé : Appliquer le tourniquet; faire re- lever fortement la peau par un aide (car l’auteur proscrit la liga- ture du membre); inciser circulairement la peau; la séparer du tissu cellulaire et de ses attaches à une assez grande hauteur; couper les muscles obliquement (c’est-à-dire en cône dont le sommet est dirigé vers la racine du membre), la pointe de l’in- struments étant toujours en contact avec l'os; inciser circulaire- ment le périoste à la pointe du cône; scier l'os; attirer les artères avec une pince, et pratiquer la ligature immédiate afin d’éviter tous les inconvénients attachés à la ligature médiate ou en masse avec l'aiguille. — Alanson usait de la méthode à lambeaux pour l’amputation au-dessus de la rnalléole (2). Après Bromfield, il a pratiqué avec succès l’amputation dans l'articulation ,scapulo- humérale. Son livre contient beaucoup d’observations. On peut dire de Ben]. Bell qu'il est le Boyer de l’Angleterre; des deux côtés même bon sens, même respect pour la tradition, et en même temps égal désir de mettre à profit les découvertes, les divers genres de progrès que lPexpérience personnelle peut constater; mais des deux parts aussi, peu de goût pour les trop récentes nouveautés; les préjugés nationaux, ou le manque d’érudition, ne leur permettent pas non plus de se tenir toujours au courant de ce que font les étrangers ou même leurs conci- (4) Practical observations upon amputation and the after treatement, 1779 ; traduit en français par Lassus en 1784. — Voy. plus haut page 967. (2) Alanson cite pour l’amputation à lambeaux Lowdham, 1679 (dans le Currus triumphalis e terebintho, de Young). Déjà White en 1669 avait fait l’amputation circulaire au-dessus des malléoles; il ne dit rien de Verduyn. 1258 CHIRURGIE PRATIQUE AU XVIII‘ SIÈCLE. toyens ; ainsi Bell reproche aux Français de pratiquer trop facile- ment l’opération de la hernie ; et lui, qui cite Pott si volontiers, ne se souvient pas que ce grand chirurgien se vante d’avoir pratiqué très-fréquemment la kélotomie, qu’il regarde du reste comme une opération aisée ei sans grande conséquence, quand elle est faite à temps. Bell semble avoir eu, en écrivant son Système de chirurgie (), le dessein de substituer ce livre à celui de Heister que la science avait de beaucoup dépassé ; il s’est proposé, avant tout, de don- ner un ouvrage où l’état actuel de la chirurgie fùl exactement présenté, et dans lequel il donnait en même temps le résumé de sa grande pratique. Le Système n’a pas beaucoup d'ordre ; l’au- teur n’a même prétendu donner qu’une suite de monographies. Ainsi il traite successivement des sutures, de la saignée, des anévrysmes, des hernies, de l’hydrocèle et des autres maladies des organes génitaux et urinaires, y compris les calculs ; des hé- morrhoïdes, de la fistule, de lempyème, de la bronchotomie, de l’æsophagotomie, du cancer du sein, des plaies de têle, des affections des yeux et des autres organes de la face et du cou; des fractures et des luxations, des plaies en général, des brûlures et des tumeurs, sans oublier l’iënoculation, alors fort en vogue. Gomme Pott (voy. plus loin p. 4260), Bell veut qu’on fasse dans les fractures, surtout dans celles de la cuisse, l'extension quand le membre est au moins dans une demi-flexion, afin qu’on n’ail pas à lutter contre la contraction des muscles. Quand on lit avec attention les ouvrages de Percival Pou (1713-1788), réunis par son disciple Earle, qui y a ajouté une biographie (traduits en français, 1777-1792, en 3 volumes in-8°), on ne peut qu'admirer ce dont est capable le génie de l'observation chez un homme bien doué d’ailleurs, placé dans un milieu vraiment scientifique, mais qui avait plus étudié les malades que les livres, dont il ne connaissait guère que les plus récents (1) System of surgery, 1783-1787 ; traduit en français par Bosquillon, 1796. — On doit aussi à Bell un Traité des ulcères, 1779 ; un Traité de la gonorrhée et de la maladie vénérienne, 1793, également trad. en français, enfin un Mémoire sur les maladies des testicules ; 1794. BELL. — POTT, 1259 et les plus classiques. Pott est un des chirurgiens qui rappellent le mieux J. L. Petit par Poriginalité de ses travaux; il a eu sur lui l'avantage d'être attaché à un des grands hôpitaux de Lon- dres, celui de Saint-Barthélemy. Les Œuvres de Pott se composent de monographies sur les plaies de tête, la fistule lacrymale, les hernies, l’hydrocèle, les fistules à l’anus, les fractures et luxations, la cataracte, les polypes du nez, la mortification des orteils, lamputation, enfin la carie des os de la colonne vertébrale, appelée vulgaire- ment mal de Pott (1), et que l’auteur a désignée par un sym- piôme qui n’est pas constant : la paralysie des extrémités infé- rieures. Chaque monographie est suivie d’un nombre quelquefois considérable de très-bonnes observations. Pott fait reposer la chirurgie sur les connaissances exactes en anatomie et en physiologie. Ge sont là les deux sciences qui donnent au chirurgien l'exactitude du diagnostic, la sûreté de la main, et qui manifestent l'efficacité de son intervention. fl ne suffit pas seulement de guérir, mais de guérir promptement, propre- ment et sans faire trop souffrir (2). Pott se montre très-partisan des réformes opérées de son temps, spécialement de l’amputa- tion à lambeaux; il loue la chirurgie d’être moins barbare et plus conservatrice ; il réprouve les terribles machines de réduc- tion, et défend de fourller les cavités pour ÿ chercher les corps étrangers. Le mémoire Sur les plaies de tête renferme des re- marques précieuses touchant la commotion, les contre-coups et la compression. Le retentissement que produisent les blessures des parties molles ou dures du crâne sur les organes contenus dans cette cavité ne s'expliquent plus par la continuité des fibres du péricrâne avec la dure-mèêre, mais par les anastomoses des vaisseaux. Pott recommande, et non sans de bonnes raisons, de saigner après les coups reçus à la tête, lors même qu'ils ne semblent devoir entrainer à leur suite aucun accident. La pre- miére indication du trépan est fournie par les signes de com- (1) C’est ce chirurgien qui l’a, sinon indiquée le premier (voy. plus haut, p. 998), du moins le mieux décrite au xvir* siècle, et qui a accompagné cette description d'observations anatomo-pathologiques. -(2) Préface au mémoire Sur la fistule lacrymale, 1260 CHIRURGIE PRATIQUE AU XVIII SIÈCLE. pression et par les fractures; cette opération n’est pas réclamée pour les plaies externes, quand le péricrâne reste fermement attaché aux os. Le grand principe sur lequel repose la pratique de Pott, c’est qu'il ne faut pas donner de règles trop générales, mais celles-là seulement qui embrassent très-exactement les faits recueillis avec une critique sévère; il dit cela particulièrement pour les plaies de tête et pour celles de ces plaies qui n’intéressent que les tégu- ments. L'expérience lui a appris, par exemple, qu’on ne doit pas se hâter de reséquer les lambeaux de chair, car on parvient or- dinairement à les réunir par cicatrisation, lors même que les ravages paraissent considérables. S'il se forme des clapiers, on a la ressource des contre-ouvertures. Il tient pour plus fächeuses les blessures par instruments piquants que les déchirures ou les larges sections. Pott a établi des différences essentielles entre les fistules lacry- males suivant le degré d’obstruction du canal, laltération de la membrane qui recouvre le sac, celle du sac lui-même, de los, enfin suivant l'état général du malade. Il pense que souvent on peut, au moyen de certaines précautions hygiéniques, éviter l'opération; d’autres fois la simple ‘ouverture du sac suffit; mais on est, en quelques circonstances, obligé de désobstruer le canal et de le dilater avec des éponges préparées. Évitant les escha- rotiques, il ne permet la répression des chairs fongueuses qu'avec le nitrate d'argent; enfin, lorsque le canal est com. plétement fermé, il autorise la création d’un canal artificiel, en perçant l'os unquis avec le trocart courbe, opération qui est encore pratiquée aujourd’hui et à laquelle M. Laugier a tenté de substituer l’ouverture du sinus maxillaire. J’ai entendu M. le professeur Broca s'élever avec vivacité con- tre la pratique de Pott dans les fractures, surtout dans les fractu- res de cuisse ; il pense que mettre le membre dans la flexion ou la demi-flexion, et qu'employer peu de force pour la réduction, sont les deux causes les plus ordinaires du raccourcissement du mem- bre; il vante, au contraire, les chirurgiens américains (1) qui nous (1) Au delà de l'Atlantique les clients ont la triste habitude d'exiger une indem- POÏT, . 1961 ont appris à faire l’extension directe, en employant une force graduée, continue, mais assez énergique dès le début, tandis que Pott réclamait au début une petite force qu'il ne poussait jamais très-loin. Néanmoins on ne saurait méconnaitre que notre au- teur a donné des règles en général très-méthodiques pour l'ex- tension, la contre-extension, la coaptation et l'application des ban- dages ou appareils. Dans les luxations il preserit de porter toute la force sur l'extrémité de l’os opposée à l'extrémité luxée. Il est d'avis que le degré de violence qui a luxé un os n’appelle pas un degré équivalent de force pour le réduire, il pense en même temps que le déchirement des téguments est beaucoup plus rare qu'on ne le croit communément; en tout cas ce déchirement, s’il survient, n'a pas de graves conséquences. Le mémoire Sur les amputations semble particulièrement di- rigé contre Bilguer et son traducteur Tissot, qui prétendaient proscrire celte opération (voy. plus haut, p. 1247). Pott reconnait quatre indications urgentes: fractures compliquées, lumeurs blanches, carie des os, certains anévrysimes ou tumeurs fongueu- ses. On avait objecté contre l’amputation, dansle cas d’anévrysme à la cuisse ou au jarret, que celte opération était inutile, puis- que généralement les malades étaient atteints en même temps de dilatation de quelque autre gros vaisseau de l’intérieur du corps, Pott réfute cette objection par le succès durable de lamputation. Notre chirurgien avance en outre que si les circonstances le per- mettent, si l'artère n'esl pas sensiblement lésée, on peut prati- quer la ligature de l’anévrysme au-dessus et au-dessous de la tumeur. Il range à côté des anévrysmes, mais en les distinguant, certaines tumeurs probablement cancéreuses ou fongueuses de la jambe. Le mémoire Sur les hernies est un des plus remarquables (4). Pott y étudie avec soin les différences que présentent les hernies, nilé des chirurgiens qui n’ont pas su éviler la claudication, en remettant une cuisse cassée ! De là, nécessité de trouver des moyëns de réduction aussi efficaces que possible. (1) Pott a vu le côlon, le cæcum et l'appendice vermiculaire dans des sa:s her- niaires ; il débridait ordinairement l'anneau sur son doigt, 1262 CHIRURGIZ PRATIDÏE AU XViIIl® SIÈCLE. eu égard, soit au danger qu’elles éntraînent, soit à la facilité de la réduction, ou de la cure radicale, chez les enfants, les adultes ét les vieillards. Ilest rare (quoiqu'il en ait vu quelques cas) que la hernie s’étrangle chez les enfants (1); la hernie se guérit ra- dicalement sans opération chez les enfants, très-diflicilement chez les adultes, jamais chez les vieillards. Il réprouve tous les moyens usilés par lescharlatans ou les barbiers pour la cure ra- dicale des hernies; il eut même encore à combattre la castration, la cautérisation et le point royal. Il n’a jamais eu l’occasion d’ob- server de hernie ventrale; il se contente de bandages contentifs pour les hernies ombilicales ; quelquefois des parties de l'esto- mac ou du foie s’échappent par ces hernies. L'opération de la hernie étranglée paraît à Pott une des moins dangereuses quand elle est faite dans de bonnes conditions ; 1l la pratiqu ait avec au- tant de succès que de hardiesse. Il ne s’effraye pas non plus de la nécessité où se trouve parfois le chirurgien d'ouvrir ou de laisser ouvert un anus contre nalure dans le cas de gangrène des intestins ; il a vu plusieurs fois des hernies non réduetibles (mais non étranglées) à cause des adhérences du sac. Dans son mémoire Sur l’hydrocèle, Pott montre beaucoup de discernement dans le diagnostic de diverses espèces de celte af- feciion (2), qu’il sépare avec soin des hernies vraies ou des her- nies dites venteuses, des sarcocèles, de l’hydropisie des bour- ses (3), de l’hématocèle, du cirsocèle, etc. Pott n’a pas montré moins de sagacité pour la fistule à l’anus, qu’il faut se garder de confondre avec de simples abcès à la marge de lanus (4). Dans l'opération de la fistule il défend de reséquer des portions de (1) Pott décrit la hernie congénitale qui renferme souvent le testicule. Il doute de l’étranglement de la hernie par le sac, étranglement que les chirurgiens français, entre autres Ledran et la Faye, admettaient. (2) I décrit l'hydrocèle de la tunique vaginale. (3) Dans ce cas il se contente de simples piqüres pour évacuer l’eau épanchée, tandis qu'il ouvre assez largement les hydrocèles avec le trocart qui luiserten même temps à passer un séton, auquel il attribue la plus grande efficacité pour procurer la cure radicale et dont l'emploi a persisté fort longtemps ; pour ma part j'y ai eu re- cours plusieurs fois quand j'étais attaché à l'hôpital de Dijon. Aujourd'hui l’on préfère les injections irritantes, surtout la teinture d’iode iodurée et étendue. (4) C’est lui aussi qui a décrit le cancer du scrotuin dit cancer des ramoneurs, ACADÉMIE DE CHIRURGIE. 1962 l'intestin où de la peau, comme on Île faisait encore de son temps, Si Pott ne surpasse pas, du moins en beaucoup de points il égale nos plus grands chirurgiens français du xvin‘ siècle. «Tout est bien qui finit bien », dit un proverbe fort applicable à l'histoire de la chirurgie française. En effet, ce sont les déplora- bles querelles entre les chirurgiens barbiers et les perruquiers, entre les uns et les autres et les chirurgiens de Saint-Côme, entre tous, enfin, contre les médecins, querelles qui aboutirent finale- ment, par suite de la fusion des barbiers-chirurgiens et des mem- bres de la Confrérie de Saint-Côme, à la création de l Académie de chirurgie. « Ge fut, dit M. Malgaigne (1), ce fut avec ces tristes éléments qu'un homme de cœur et de génie songea à assurer du même coup la dignité de l’art et l'avenir de la science, sans s'inquiéter de personne, luttant à la fois contre la rigueur avilis- sante des séatuts, contre la Jalousie de ses confrères, contre la résistance de ses élèves. — Dès 17i4, J. L. Petit avait été nommé prévôt de la communauté de Saint-Côme. » Je ne raconterai pas en détail l’histoire de la fondation de PAcadémie de chirurgie; cette histoire a été esquissée (2), de manière à salisfaire les plus impatients, par M. Dubois, d'Amiens, secrétaire perpétuel de l'Académie de médecine. Pour l'écrire d’une façon plus complète, il faut meltre en ordre et extraire tous les papiers que l’Académie de médecine a reçus de l’Acadé- mie de chirurgie, papiers que j'ai trouvés enfouis dans les gre- niers (3), dont personne ne s'était jamais inquiété, et qui, je l'espère, serviront bientôt à un travail définitif de la part du bibliothécaire adjoint, M. le docteur Lempereur. Ici je me con- tenterai de citer quelques dates et de rapporter les titres des principaux membres de cette savante compagnie. Le 12 décembre 1731 (4), lettre de Maurepas à Mareschal, (4) Lettres sur l'histoire de la chirurgie, p. 92. (2) Voy. Introduction aux É/oges lus dans les séances de l'Académie royale de chirurgie, de 1750 à 1792, par A. Louis. Paris, 1859. (3) Voy. plus haut, note 4 de la page 11. (4) Le 8 août 1793 la convention natiçnale supprimait l’Académie de chirurgie avec « toutes les autres académies et sociétés littéraires patentées où dotées par la 1264 CHIRURGIE PRATIQUE AU XVII‘ SIÈCLE. premier chirurgien du roi, approuvant le projet d’une Société académique composée de soixante-dix membres, dont dix libres, tous choisis parmi les maîtres chirurgiens jurés ; — première séance, 18 décembre 1731. Lecture du règlement et formation du bureau : Mareschal, premier chirurgien du roi, président ; J. L. Petit, directeur ; Morand, secrétaire; Maleval, vice-secré- taire ; le Dran, secrétaire pour la correspondance ; Garengeot, secrétaire pour les extraits; Bourgeois, trésorier. La Société se réunissait les mardis de chaque semaine de trois à cinq heures, dans la grande salle Saint-Côme. Tous les chirurgiens-jurés de Paris étaient associés. La paix fut bientôt troublée, d’abord par les membres de ja compagnie de Saint-Côme qui, mécontents de n’être qu’associés, intriguërent de façon qu’on établit un certain nombre de places muables ou temporaires, La Peyronie, qui avait succédé à Mares- chal, prit lui-même cette fatale décision qu’il devait si bien répa- rer plus lard par ses largesses. On fut, au bout de quelque temps, obligé de revenir à l’ancienne organisation. — Avec la Peyronie apparaît un homme qui devait être à la fois l'âme et l'une des gloires de l'Académie, et par suite de toute la chirur- gie française: Louis, d'abord aide de Morand, qui avait succédé à J. L. Petit, puis définitivement secrétaire perpétuel. Avant de parler des chefs de cette noble et puissante compa- gnie, je dirai quelques mots de ses membres les plus distingués ou les plus en reuom, laissant dans l'ombre les personnages de troisième ordre. Gà et là, et pour ne pas trop rompre l'ordre chronologique, je citerai quelques chirurgiens français contem- porains, mais non associés de l’Académie. R. J. Croissant de Garengeot (1688-1759), homme de plus de savoir-faire que de savoir, a été plutôt, par sa Jacltance, sa mauvaise foi, une honte qu'une gloire pour la chirurgie fran- çaise; il a audacieusement pilé une grande partie de ce qu'il rapporte d’important en ses Opérations de chirurgie. Dans la première édition (1720) ïl cite quelques chirurgiens de Paris nation ! » Seulement, il faut remarquer que € était la Peyronie et non la nation qui avait doté l’Académie de chirurgie, GARENGEOT. — MORAND. 1265 qu'il dépouille (1); dans la seconde (1731) il supprime tous les noms de ceux qu'il a volés! Cependant il n’était pas assez pau- vre de son propre fonds pour en être réduit à chasser ainsi, sans permis, sur les terres d'autrui; car, outre qu’il était un opérateur adroit, on trouve dans son livre plusieurs bonnes choses qui lui appartiennent légitimement. On lui doit la c/ef qui porte son nom et qui sert à arracher les dents; il a défendu avec ardeur les droits des chirurgiens contre les prétentions des mé- decins. Ses recherches les plus originales paraissent être celles qui se rapportent à l’usage du trépan, au bec de lièvre, aux her- nies (pour les débrider il se servait avec succès d'une sonde can- nelée, perfectionnée par lui), à la paracentèse (il évacuait tout le liquide d’un seul coup et avait recours ensuite à la compres- sion réhabilitée par Monro), à la taille latéralisée (2). Contraire- ment au sage avis de J. L. Peut, il pousse trop à la suppuration les plaies contuses ou avec déchirures. Pas plus que ses contem- porains, Garengeot n’est très-érudit, car ce n’est pas de l’éru- diion que de prendre le bien de tout le monde; ses rares citations concernent des livres qui étaient écrits de son temps. La chirurgie, au xvin° siècle, est toute personnelle; elle ne pro- cède pas de l'autorité, mais des libres recherches; c’est là préci- sément ce qui en fait le très-grand mérite et la force. Morand (1697-1773) est, comme homme et comme chirur- gien, un des membres les plus renommés de l’Académie de chi- rurgie (il appartenait aussi à l’Académie des sciences), quoique son bagage scientifique ne soit ni très-considérable ni très-impor- tant (3), et qu'il ait compromis son mérite par sa vanité. Louis l’a (4) Quoiqu'il eùt pris à Winslow toute son anatomie, il le mentionne à peine. Ces procédés-là sont encore assez à la mode de nos jours. —- Dans la Myotomie humaine et canine (1724), il doit également beaucoup à Douglas. Il a écrit aussi une Splanchnolcgie, 1728. (2) De Popération de la taille par l'appareil latéral, ou la méthode de Frère Jacques, corrigée de tous ses défauts, 1730. (3) Les Opuscules de chirurgie, 1768, renferment ses principaux travaux. On ne doit pas oublier Ie Discours dans lequel on prouve que le chirurgien doit étre lettré, 1743. Son élève Faudach, chirurgien de Namur, à publié un traité estimable Sur les plaies d'armes à feu, 1746, et un autre Sur les plaies en général, 1736 ou 1735. — Son fils, J. F, Clément Morand a écrit plusicurs mémoires intéressants, DAREMBERG, 80 1266 CHIRURGIE PRATIQUE AU XVIII SIÈCLE. loué publiquement, parfois avec malice; puis dans des notes res- tées longtemps manuscrites et publiées pour la première fois par M. Dubois d'Amiens (1), le panégyriste officiel se venge des élo- ges de commande ou des ménagements de situation, par des eri- tiques assez amères. Peut-être plus d’un secrétaire perpétuel a-t-il tenu la même conduite? Est-elle bien noble? Je ne le pense pas, quoiqu'il m'en coûte de relever cette tache dans le caractère de Louis, qui a montré cependant plus de courage pour Le Cat ; mais le chirurgien de lPhôtel roval des Invalides était un plus grand personnage et avait plus d’attaches que le chirurgien de Rouen (2). * Ledran (1685-1770)a établi une école anatomique à la Charité et il a été un des maîtres de Haller ; ce sont là deux grands titres devant la postérité; 1l fut de plus un homme d’autant de sa- voir que de circonspection, de sincérité que de modestie, un praticien des plus exercés et des plus habiles. Il a été Pélève d’un chirurgien dont il n’y a plus d'exemplaires, de Jacques Petit «qui a vécu à l’'Hôtel-Dieu depuis l’âge de treize ans jusqu’à celui de quatre-vingt-dix-sept, si singulièrement occupé de son état au service des pauvres que, si l’on en croit la tradition, il n’a pas passé le seuil de la porte de cet hôpital, pendant les quatre- vingt-quatre ans qu'il y a exercé la chirurgie, quoique sa répu- tation le fit désirer au dehors » (3). — Louis distingue particu- liérement les Observations de chirurgie, avec des réflexions (1731) ; le Traité des plaies d'armes à feu (1737), qui était « tout en préceptes, comme le second était tout en exemples ». Il est plus réservé à l’égard du Traité des opérations, 1742 (4). « La vente du baume vert (Louis, Eloge de Ledran, p.162), avait fait faire une fortune inespérée à la famille de Ledran (4) Voy. Éloges.… par Louis, p. 230 et suiv., et p. XLIL et suiv., les notes et éclaircissements . (2) On voit aussi que Louis ne pensait pas absolument tout le bien qu'il disait des ouvrages de J. L, Petit, (3) Éloge de Ledran, p. 463, dans les Éloges par Louis. (4) Voy. aussi Parallèle des différentes manières de tirer la pierre hors de la vessie, 1730. LEDRAN. — LAFAYE, 1267 et la soutenait. Mais ce commerce ne parut pas offrir une res- source assez stable. Le seul moyen de l’assurer était de mettre le jeune Ledran dans la chirurgie. La réputation du baume était un présage de celle qu’acquerrait un chirurgien qui passerait pour en avoir exclusivement le secret, et qui saurait, par les con- naissances de son art, en faire un usage raisonné et méthodique. L'abbé Feuillet déploya toute son éloquence pour prouver à son neveu : « que Dieu ne lui avait fait parvenir la connaissance d’un remède si souverain que pour rendre de grands services aux pauvres et faire subsister honorablement sa famille; qu'il ne pouvait prévoir que de la satisfaction, étant assuré, au moyen de ce remède, de pouvoir guérir fous ceux qu'il panserait, et même ceux à la guérison desquels les soins des autres chirurgiens au- raient été donnés en vain. Touché par ces raisons, le jeune homme sacrifia enfin ses propres inclinations aux espérances de sa famille, et on le plaça en conséquence à l'Hôtel-Dieu de Paris, sous la conduite de Jacques Petit, premier chirurgien de cette maison ». De la Faye (— 1781), quoiqu'il ait peu écrit, est une des gloires de la chirurgie française, un des membres de l'Académie de chirurgie qui ont jeté le plus de lustre sur cette compagnie. Ses Principes de chirurgie (1738) ont eu au moins six éditions ; ses notes sur Dionis (1740) ont eu également un grand succés, quoique Louis prétende que de la Faye eût mieux fait de laisser le livre de Dionis périr de sa belle mort. Après avoir été l'élève de La Peyronie à la Charité, de la Faye fut attaché pendant dix ans, en qualité d’interne, à PHôtel-Dieu, et suivit l'armée en 1733. « Formé en de si bonnes écoles que celles où les occa- sions d'observer sont habituelles, où les faits de pratique si di- versifiés se renouvellent sans cesse », comme s'exprime Louis dans son Éloge, notre jeune chirurgien devint rapidement un des maîtres de l’art. Ses observations sur le bec de lièvre, ses re. marques sur le trop grand nombre d'instruments destinés à l'opération de la cataracte, sont des modèles du genre ; il ne fut pas moins bien inspiré dans son examen de la méthode d’ampu- tation à lambeaux. 1268 CHIRURGIE PRATIQUE AU XVIII SIÈCLE. A lire l'Éloge que Louis a fait de Quesnay (1694-1774) et les propres écrits de ce chirurgien, on reconnaît aisément que c'était un homme de plus de jugement, de travail et de littérature que de génie, Ses trois ouvrages les plus connus Sur la suppuration (1749), Sur la gangrène (1749), Sur les effets et l'usage de la saignée (1750) ont vieilli, bien qu'ils renferment de bonnes ob- servations. Son ouvrage sur la saignée a du moins contribué à détruire bien des préjugés touchant lutilité spéciale d'ouvrir toutes sortes de veines du corps(1). Ses Mémoires sur le trépan et les plaies du cerveau, insérés au premier volume des Mémoi- res de l'Académie de chirurgie, ont conservé plus d'importance; enfin son Examen impartial des contestations des médecins et des chirurgiens est un précieux document historique, et il paraît que Quesnay lui-même y attachait beaucoup de prix (2). Ici je veux rapporter quelques lignes écrites par Louis (Éloge de Ledran, p.168), au sujet de la manière dont Quesnay consi- dérait les observations. « M. Ledran a dédié ses observations aux élèves en chirurgie, et le titre porte que c’est en faveur des étudiants qu’on y à Joint des réflexions. M. Quesnay a envisagé la chose sous un autre point de vue. Il assure, dans Île premier tome des Mémoires de l’Académie, que les observations ne peu- vent instruire les jeunes chirurgiens quelorsqu’elles sont interpré- tées par des maîtres savants et expérimentés. (C’est une restriction aussi judicieuse qu'importante. Il faut lire et méditer les remar- ques de ce grand maïître sur l’usage des observations. C’est un chef-d'œuvre vraiment philosophique et le fruit des plus pro- fondes connaissances. Souvent les observations n’éclairent pas même ceux qui les communiquent, et les observateurs envisa- (4) Quesnay a eu dans Bagieu un redoutable antagoniste ; ce chirurgien à publié entre autres travaux, en 1756 et 1757, deux précieux volumes intitulés : Examen de plusieurs parties de la chirurgie d'après les faits qui peuvent y avoir rapport, où il suit volontiers Ravaton, Louis et Sharp, en ajoutant beaucoup de son propre fonds. On lui doit aussi (Mémoire de l’Acad. de chir., & 11, p. 274) un Mémotre sur cette question : s’il est plus avantageux d'attendre que la nature sépare la portion d'os saillante (après les amputations) où de la reséquer par une seconde amputation réponse affirmative à la seconde question). (2) Voy. p. 283, note, pour ses Recherches sur l'histoire de la chirurgie. QUESNAY. 1269 gent rarement les faits par le côté qui peut être le plus instructif. La grandeur de la maladie et le succés de la cure est ordinaire- ment l’objet qui les frappe Le plus. Néanmoins on n’a pastoujours beaucoup de part aux plus grandes guérisons. On n’y contribue la plupart du temps qu’en satisfaisant aux préceptes les plus con- nus et les plus ordinaires. La nature seule doit parler dans les observalions, mais son langage, lors même qu’on nous le rend fidèlement, est presque toujours enveloppé etambigu, et même souvent trompeur ; on ne peut l'interpréter que par le concours des lumières qu'une grande pratique et une profonde théorie peuvent réunir. Il n’y a donc que les maïîtres qui ont acquis les connaissances que l’une et l’autre peuvent procurer qui puissent démêler, dans les observations, la réalité d'avec les apparences; qui puissent y remarquer les mauvais procédés qui y sont auto- risés par un succès équivoque et passager, et y reconnaitre la bonne pratique dans les cas mêmes où elle n’a pas été favorisée par l’événement. » Ce serait donc tromper grossièrement les jeunes praticiens que de leur donner des observations particulières pour leur ser- vir de modéles. Ils ont besoin d'instructions sûres et précises pour se conduire dans la pratique. Le meilleur ef l'unique parti qu'ils puissent prendre, c'est de s'attacher aux maximes et aux règles établies et digérées par des maîtres qui peuvent employer sûrement les observations à réformer les préceptes mal conçus ou erronés, à vérifier ceux qui sont encore Incertains, à marquer les bornes de ceux qui ne sont établis que d’une manière vague et indéterminée, à entrer par des exemples dans le détail des cas particuliers, qui ne peuvent être assujettis aux règles ordinaires, et dont on ne connaît point encore assez l'étendue pour être fixés et réduits en préceptes. » Suivant ces réflexions, non moins savantes que judicieuses, M. Quesnay réduit la plupart des observations à la qualité de simples récits, de pures histoires de guérisons, telles qu'auraient pu les donner des spectateurs attentifs qui n’auraient été ni mé- decins ni chirurgiens. On peut regarder comme un devoir l’'at- tention de rappeler ces vérités lorsque l’occasion s’en présente; car la juste sévérité avec laquelle M. Quesnay a parlé de cette ma- 1270 CHIRURGIE PRATIQUE AU XVIII® SIÈCLE. nière d'écrire les observations n’a pas déraciné le vice qu’il con- damne. » Il n’est pas permis d'oublier Goulard, chirurgien de Montpel- lier, qui a donné son nom à la solution d’acétate de plomb ; c'était pour lui un spécifique contre les maladies de l’urêthre, y compris les rétrécissements (1746). Aujourd’hui cette « eau merveilleuse » est généralement employée pour d’autres affec- tions (1). Goulard ne pense et n’écrit que sur cette eau; aussi ses travaux, sans en excepter ses OEuvres de chirurgie, 1763 et 1766, sentent un peu le charlatanisme (2). — Rapprochons de Goulard un lithotomiste membre du collége de Saint-Côme, et assez réputé, Allies, qui a mis au jour, en 1755, un 7raité des maladies de lurèthre, contenant l'origine, les progrès, la qué- rison de plusieurs carnosités, rétention d'urine, et la composition de bougies de toute espèce. Encore un sujet qui mériterait une monographie historique spéciale. La réputation de Le Cat (1700-1768) est des plus contestées el des plus contestables. Louis, dans l’Éloge qu’il a fait de ce chi- rurgien, ne dissimule pas qu’il doit satisfaire d’abord aux égards que méritent l’Académie, le public et la vérité, en parlant d’un homme dont le premier souci a été celui de sa réputation, et qui ne savait ni profiter de ses fautes ni accepter la moindre critique. Le Cat est un de ces esprits inquiets, jaloux, à l’affüt de toutes les idées nouvelles, de toutes les découvertes, de toutes les questions agitées (3), pour en faire son profit et en tirer gloire, comme s’il (1) Voy. Goulard, Lettre à M. de La Martinière sur les bougies enduites d’extrait de Saturne, 1751, et Mémoire sur les maladies de l'urèthre, 1746, — Allies, dans son traité des Maladies de l’urèthre, préconise les bougies calmantes ou fondantes, contre la gonorrhée et les rétrécissements. La composition de ces bougies est indi- quée p. 413 et suiv. — On trouve aussi dans ce livre la critique des autres méthodes employées pour le traitement des maladies de l’urèthre. (2) Le chirurgien G, Arnaud (voy. plus haut, p. 1255) à modifié les formules de Goulard, d’après ce que dit Haller; mais je n'ai pas vu l’opuscule d’Arnauld, où il est question de cette modification. (3) Il a même osé se mesurer avec Rousseau : Réfutation des discours de M. Rous- seau, 1752, GOULARD. — LE CAT. —- RAVATON., — LOUBET. 1274 s'agissait de son propre bien, souvent aussi pour dénigrer les auteurs qui l'avaient instruit. Le Cat se souciait moins de l’ap- probation des juges compétents que des applaudissements des gens du monde; il rechercha et obtint plus de titres honori- fiques que de considération. Lé nom de Le Cat se rattache sur- tout à l'opération de la taille (1) et à quelques questions de phy- siologie dont nous avons parlé plus haut. Ravaton est sans contredit un de nos plus habiles chirurgiens militaires. Son ouvrage Sur les plaies d'armes à feu et d'armes blanches (1750 et 1768), malgré le peu d'ordre qui y règne, renferment de très-précieux matériaux, de bonnes observations ét d’heureux perfectionnements à diverses opérations. C’est un de ceux qui ont le plus contribué à faire prévaloir l’amputation près des malléoles dans les cas où le pied seul est intéressé. Sa Pratique moderne de chirurgie, publiée et annotée par Sue le jeune, en 1776, A volumes in-12, est le fruit d’une longue observation personnelle. L'auteur a trop de faible pour ses propres inventions, et se montre un peu sévère pour celles des autres; Sue a rectifié assez souvent ce point de vue partial ; mais, en somme, le livre est un des plus instructifs du xvur° siècle, et vaut mieux que bien des compilations plus savantes. — On sait que Ravaton a imaginé et propagé la méthode d’amputation à deux lambeaux. L'ouvrage de Loubet Sur les plaies d'armes à feu (1755) a moins d’étendue et de réputation que celui de Ravaton, mais il n’en mérile pas moins considération ; l’auteur s’est particulière- ment attaché à simplifier les opérations et les pansements (2). — (1) Lettre concernant l'opération de la taille, 1749 ; Recueil de pièces sur l’opé- ration de la taille ; 1749-1752; Parallèle de la taille latérale, 1766. — C’est lui qui appelait /e velouté, les membranes muqueuses. (2) Loubet veut qu'on débride les plaies d’armes à feu avec fracas, ou introduc- tion de corps étrangers, qu’on enlève autant qu’on le peut, ces corps ou ces esquilles. En tout cas, il pousse trop à la suppuration. Il craint beaucoup les fusées purulentes et les clapiers. Les plaies des articulations sont particulièrement dangereuses; après elles viennent les plaies de la diaphyse des os ; celles qui intéressent seulement les chairs ne doivent pas inspirer autant d'inquiétude, Les plaies par armes blanches sont beaucoup moins redoutables que les plaies par armes à feu, quoiqu'il ne croie 1272 CHIRURGIE PRATIQUE AU XVIII SIÈCLE. On doit aussi recommander le Recueil des observations de chi- rurgie (1753) de Delaisse, chirurgien à Montfort-l'Amaury. Les Œuvres posthumes (1783) qui comprennent les Mélanges de chirurgie (W760), l'Essar sur la rage (1763); le Mémoire sur la taille (1763), mettent Pouteau (1725-1775), chirurgien de Lyon, au rang des meilleurs et des plus hardis praticiens, des observateurs les plus originaux de son époque. On voit, en lisant ces auteurs, que les plus notables progrès de la chirurgie, comme ceux de la médecine, datent de l’époque où les hôpitaux, ces grands centres de véritable instruction clinique, sont ouverts aux maitres et aux disciples. « Les grands chirurgiens, disait Quesnay (Louis, É/oge de Quesnay, p. 257), sont aussi rares que le génie, le savoir et les talents. Le génie est la source des lumières; c’est l'instrument universel; mais il est, pour ainsi dire, tel que le corps, il s’en- gourdit quand il est dans l’inaction. L'esprit qui n’a pas été cullivé est aussi incapable de distinguer les objets, d'en voir les liaisons, de suivre exactement le fil d’un raisonnement, que le corps est incapable d’agilité et de souplesse lorsqu'il n’a pas été exercé. Il faut donc que l'esprit soit préparé pour entrer dans la chirurgie comme il doit l'être pour entrer dans les autres sciences, c'est-à-dire qu'il faut porter dans l'étude de Part les connaissances qui nous dévoilent les opérations de la nature. Sans ces connaissances, on ne saurait pénétrer jusqu'aux vérités qui forment les règles par lesquelles on doit se conduire dans la cure des maladies. » L'anatomie et la chirurgie ont eu, grâce à Portal, leur histoire ou plutôt leur bibliographie analytique (voy. plus haut, p. 10138); la chirurgie a trouvé dans Dujardin et Peyrilhe, au sein de l’Académie de chirurgie, des historiens qui présentent la suite des faits suivant une méthode qui tient à la fois de l’histoire et de la bibliographie raisonnée. Cependant l'Histoire de la chi- pas que ces dernières soientfvenimeuses, 11 signale les complications de la vérole avec ses plaies; se fondant sur ce qui arrive dans les panaris, il veut qu’on achève la section des tendons endommagés par les pansements ; il'use volontiers de charpie lèche, et proscrit les alcooliques, —. — : pon CARS EEE DUJARDIN ET PEYRILHE, 1273 rurgie depuis son origine jusqu'à nos jours (1774-1780), en deux volumes in-4° (1), est loin de satisfaire aux exigences de l'érudition moderne ; les auteurs, quoique fort instruits et des plus consciencieux, n’ayant pas eu ni l'entière possession ni l'intelligence suffisante des textes, c’est un ouvrage à refaire. Rapport (2) fait à l’Académie de chirurgie, le jeudi 19 mai 1791, sur le troisième volume manuscrit de l'HisTOTRE DE LA CHIRURGIE, par M. Peyrilhe.— Chargés par l'Académie, M. Baudelocque 4°" et moi, de lui rendre compte du troisième volume (3) manuscrit de l'Histoire de la chirurgie par M. Pey- rilhe, nous avons cru que la meilleure manière de justifier le jugement que nous devons porter, était de mettre l’Académie en état de juger elle- même l’auteur en lui présentant une courte analyse de son travail. Le manuscrit qui nous a été remis contient plus de mille pages d’écri- ture très-fine, ce qui paraît devoir suffire pour la composition d'un volume in-/{° de grosseur ordinaire. Dans le sixième livre, qui finit le second volume imprimé de l’Histoire de la chirurgie, M. Peyrilhe a examiné l’état de la chirurgie depuis Galien jusqu’à Paul d'Égine, c’est-à-dire depuis le règne de Marc-Aurèle jusqu à la prise de la ville d'Alexandrie par les Sarrasins. Dans le septième livre, qui commence le troisième volume, l’auteur considère l’état et la déca- dence de cette science depuis la prise d'Alexandrie, vers l'an 6/41, jusques à la fin du xvr° siècle. Pour répandre quelques lumières sur l'obscurité qui couvre les an- ciennes écoles de médecine de ces temps reculés, l’auteur a réuni le peu de monuments qui nous sont restés pour éclairer l’enseignement général, et il parcourt les établissements faits à ce sujet chez les Égyptiens, les Juifs, les Grecs et les Romains. L'homme alors qui se sentait le talent nécessaire pour réussir dans l’enseignement, ouvrait une école qu'il transmet{ait, à la fin de sa carrière, à celui de ses disciples qu'il jugeait le plus digne de lui succéder. C’est ainsi qu'Hippocrate légua la sienne à (1) L'ouvrage s’arrète au vie siècle, Le manuscrit du troisième volume se trouve, dit-on, dans la bibliothèque de M, le professeur Paul Dubois. J'ai découvert le Plan de ce volume dans les papiers de l’Académie de chirurgie qui font partie des Archives de l'Académie de médecine. Ce plan est présenté par Sue dans son rapport fait à l'Académie. Je transcris ici ce document inédit et inconnu ; il donne une idée exacte de l’étendue et de l'esprit des recherches des deux auteurs. (2) Sue a indiqué page par page les différentes parties du manuscrit qu'il a ana- lysées, mais j’ai cru pouvoir ici supprimer cette indication. (3) Des rapports ont été faits sur les deux premiers volumes ; mais ils sont très- brefs et à peu près insignifiants, Ils sont également conservés dans les Archives de j'Académie de médecine, 1274 CHIRURGIE PRATIQUE AU XVII SIÈCLE. Polybe, son gendre; c'est ainsi que Platon, Aristote, Libanius et autres se choisirent leurs successeurs, et que Lycon, qui succéda par testament à Straton, chargea ses amis de nommer le sien après sa mort. Galien nous apprend que les médecins de l'École d'Alexandrie n'étaient pas plus instruits dans la pratique de la médecine que l’empirique igno- rant que l'exercice seul a formé. C’est pourtant au milieu d’eux que Paul d'Égine, cet écrivain judicieux qui sut mettre à profit les préceptes d'Hip- pocrate et de Celse, qui quelquefois même s’écarta de ses modèles et sub- slitua à leurs doctrines ses propres découvertes, qui enfin compila moins qu'il ne Composa d'après un plan qui n’appartenait qu'à lui, M. Peyrilhe lui assigne la première place après Galien. Comme écrivain de médecine il balance, dit-il, Celse, et le surpasse comme écrivain en chirurgie. C’est pour justifier ce jugement et faire connaître à ses lecteurs le talent de Paul d'Égine que M. Peyrilhe réunit dans un seul faisceau les améliora- lions qu'il a portées dans l’art de guérir. C’est dans son livre de l’exsec- tion du fœtus que Paul justifie la qualification d’accoucheur qu'il reçut de ses contemporains, et qui fait parmi les médecins grecs son caractère distinctif. Le siècle où vécut Charlemagne fournit peu de chose pour l’histoire de la chirurgie; les efforts de ce prince pour chasser l'ignorance furent inu- tiles. Les moines se maintinrent dans la possession de l’enseignement et de la pratique de la médecine, et aux 1x°, x° et xr° siècles les ecclésiasti- ques étaient à peu près les seuls qui sussent lire ; ils durent être ainsi les seuls qui pussent puiser dans les écrits sur l’art les moyens de guérison qu'ils renferment. Nous ne recueillerons pas dans notre ouvrage, dit M. Peyrilhe, l’aride et sèche nomenclature d’une multitude des ministres des autels qui cultivèrent la médecine dans les Gaules depuis le 1v° siècle jusqu’au xiv°, La liste, ajoute-t-il, en serait trop longue et n'aurait pas même, au défaut de l'instruction, le mérite de l’agrément. On y verrait des abbés, des évêques, des cardinaux, des papes même, qui, avec beau- coup de talents pour leur siècle, n’ont enfanté aucune production ,ulile pour l’art de guérir, ci dont les compilations ou recueils de recettes sont perdus depuis longtemps, ou sont restés ensevelis dans la poussière des bibliothèques claustrales. Depuis Paul d'Égine jusqu'à Nicète, écrivain du xi° siècle, l'empire d'Orient n'offre pas un seul médecin qu’on puisse placer avec honneur dans l’histoire de la chirurgie. On ne devrait pas sans doute s'attendre que ces mêmes barbares qui avaient pris les mesures les plus réfléchies pour étouffer jusqu’au souvenir des sciences transmises à des peuples qui n'avaient pas su les conserver, seraient ceux qui feraient croître le cré- puscule du jour inespéré qui leur rendrait la vie et la splendeur dont elles jouissaient auparavant. C’est cependant ce qui est arrivé. Les Arabes recueillirent les faibles restes des sciences qu'ils n'avaient pu détruire et les transmirent aux peuples d'Europe préparés pour les recevoir, Vers | | DUJARDIN ET PEYRILHE. 1275 la fin du vi siècle, les califes, songeant à conserver leurs conquêtes, crurent qu'un des moyens à employer était de protéger les sciences et les arts utiles. La médecine fut une des premières qu’ils accueillirent, en accordant des honneurs et des distinctions à ceux qui l’exercaient. Les Perses, les chrétiens et même les Juifs furent, suivant M. Peyrilhe, les canaux principaux qui portèrent la médecine chez les Arabes; ce qu’il prouve par l’histoire de cette science chez ces peuples. Il suit sa marche dans les dégradations qu’elle éprouve, et la conduit en Espagne, en Italie et de là en Grèce où elle végète jusqu'à la renaissance des lettres au xvi siècle. Un coup d'œil rapide sur la profession et le caractère des principaux médecins arabes lui fournit l’occasion de rapporter des anec- dotes très-curieuses et très-intéressantes. Avant de passer à l’examen de leurs ouvrages, il fait quelques réflexions sur la manière dont la méde- cine existait chez eux; il fait voir que le talent, le goût et d’autres cir- constances, que nous ne sommes plus à portée d'apprécier, attachaient à la chirurgie certains médecins d’une manière plus particulière que les autres. Tels étaient les chirurgiens dont Rasi parle en cent endroits avec distinction, qu'il appelle ses confrères et de qui il convient d’avoir beau- coup appris. Avenzoar distingue le médecin-chirurgien du simple méde- cin; c'est celui-là qu’il veut qu’on appelle lorsqu'il s’agit de grandes opérations, parce que lui seul possède les connaissances anatomiques nécessaires pour opérer avec sûreté. Avenzoar fait en même temps la remarque que Cette classe de médecins-chirurgiens était alors fort peu nombreuse, tandis que celle des médecins qui, suivant sa propre expres- sion, ne guérissaient qu'avec des mots, était fort abondante. Mézué, Rasi, Avicenne, Avenzoar, Jésu Hali, Albucasis, tels sont les auteurs arabes dont M. Peyrilhe analyse les ouvrages avec cette clarté, cette précision qui caractérise le style du second volume de l'Histoire de la chirurgie. Nous n’hésitons pas à prononcer que l'appréciation des tra- vaux médicinaux et chirurgicaux de ces auteurs est faite de main de maitre. Les médecins arabes ne tardèrent pas à donner aux Siciliens le désir de connaître et d'étudier un art dont ils éprouvaient les bienfaits : peut- être leur en fournirent-ils l’occasion en ouvrant des écoles particulières en Italie. Salerne élait alors une viile considérable. Sa situation agréable, son port commode pour entretenir une communication nécessaire avec les Arabes d'Afrique et d'Espagne, appelèrent dans ses murs les princi- pales forces des vainqueurs, les principaux officiers, et avec eux les méde- cins grecs, juifs, arabes, qui avaient suivi les drapeaux de leurs conqué- rants. Ainsi naquit, suivant la plus commune opinion, la fameuse École de Salerne, la première de ce genre ouverte en Europe, et le modèle de toutes les universités qui se sont successivement formées. L'organisation du collége de Salerne est établie avec la plus grande exactitude dans l'Histoire de la chirurgie, L'auteur rapporte les principales preuves de son 1276 CHIRURGIE PRATIQUE AU XVIII SIÈCLE. antiquité et fait connaitre sa constitution, son ancienne célébrité, ses révolutions, sa décadence et sa chute. Il jette un coup d’œil rapide sur les premiers médecins qui l'ont illustré. Il passe de là aux chirurgiens italiens, Roger, Théodoric, Salicet et autres dont il analyse les ouvrages. Tandis que ces chirurgiens établissaient la chirurgie arabe dans leur patrie, cette même science s'introduisait en France avec le secours de deux peuples, les Juifs et les Sarrasins, qui en étaient devenus les dépo- sitaires après la ruine: d'Alexandrie. De là naquit l'École de Montpellier, dont M. Peyrilhe trace l’histoire avec le même soin qu’il a employé pour celle de l’École de Salerne. Il nous apprend qu’elle existait sans ordre, sans règle de discipline, lorsqu’en 1220 le cardinal Conrad jeta les pre- miers fondements de son organisation. Apprécié comme chirurgien et comme historien, Lanfranc joue un rôle différent dans ces deux États. On voit par l'extrait de ses ouvrages que les services qu’il a rendus à l’art, mesurés sur les connaissances actuelles, sont absolument nuls; que cependant l'importance de ces ou- vrages n'est plus douteuse, quand on l’envisage comme l’étincelle long- temps attendue qui excita nos pères à l'étude de la chirurgie. L'origine, le sujet, la durée et la fin des débats réciproques entre la Faculté de médecine et le Collége des chirurgiens de robe longue ne pouvaient manquer d'occuper une place distinguée dans l'Histoire de la chirurgie. Nous ne pouvons suivre M. Peyrilhe dans tous les détails que lui ont fournis des querelles aussi longues, dictées par la jalousie et l’ani- mosité, et qui n’ont pu finir que par la destruction d’une des deux com- pagnies rivales. Contentons-nous de présenter les résultats des recherches de l’auteur qu'il termine ainsi : Ceux qui reverront après nous les titres allégués par les deux parties se convaincront, comme nous sommes con- vaincu nous-même : 1° que les chirurgiens du Collége Saint-Louis, de robe longue, ou vieux chirurgiens (car ils ont été connus sous ces trois dénominations), ont toujours eu, depuis le x siècle jusqu’en 1657, époque à laquelle le procès finit, une école latine et des lecteurs ou pro- fesseurs qui faisaient des leçons publiques; 2° que durant le même espace de temps les chirurgiens ont été en possession de conférer les grades de licencié et de maitre à leurs candidats, quoique le titre ecclésiastique de cette possession ne remonte pas au delà de 1579, les chirurgiens n'ayant eu jusqu'à cette époque d’autre autorisation que celle des édits et ordonnances de nos rois; 8° que le Collége de chirurgie a joui du titre de Faculté depuis le commencement du xiv° siècle, quoique ce titre ait été combattu et méconnu par le corps de l’Université, et que, relative- ment à la puissance civile, le même Collége a été de même ordre et a joui des mêmes priviléges que les autres Facultés; 4° que les maïîtres du Collége de chirurgie ont toujours exercé le droit exclusif d'examiner et d'approuver leurs candidats qui se destineraient au plein exercice de la chirurgie, ainsi que ceux qui se hborneraient à quelqu'’une de ses bran- DUJARDIN ET PEYRILHE. 1277 ches ; 5° enfin que les chirurgiens de Paris se sont toujours gouvernés par leurs statuts, et qu’ils n'ont jamais reconnu pour chefs et pour supé- rieurs que les deux chirurgiens du Châtelet de Paris et l’un de leur; membres élu prévô!, sans aucune dépendance réelle de la Faculté de médecine ou de l'Université. M. Peyrilhe aurait bien désiré pouvoir laisser dans l’oubli ces vils instruments de l'ambition de la Faculté, ces éternels rivaux des chirurgiens ainsi que leurs suppôts, les barbiers; mais leur histoire ayant une con- nexion directe et immédiate avec celle du Collége de chirurgie, il a fallu vaincre une répugnance légitime et tracer avec la même exactitude l’origine, les progrès et les usurpations toujours favorisés par le méde- cins de cette société rivale jusqu'aux contrats de 1577 et ceux qui sui- virent. Lorsque parut Guy de Chauliac, la chirurgie était opprimée par un double fléau, l'ignorance générale et la fureur des sectes. Ses ouvrages analysés prouvent les services qu’il a rendus à cette science. Ce fut vers l'an 1442 que prit naissance en Italie l’art de réparer certaines mutila- tions par des entes (greffes) que le mutilé prenait sur lui-même ou qu’il empruntait à quelque malheureux porté par l’indigence à ce douloureux sacrifice. L'histoire de la vérole et des chirurgiens italiens du xvr° siècle forme une grande partie du troisième volume de l'ouvrage de M. Peyrilhe; il revient ensuite en France et fournit une nouvelle carrière qui devient plus intéressante pour nous. Depuis deux siècles, dit-il, la France n'avait produit aucun écrivain de chirurgie qu’elle pût opposer à ceux dont l'Italie s’honorait aux yeux de l’Europe entière, lorsque enfin le célèbre Paré vint effacer l'espèce d’opprobre que cette longue stérilité semblait jeter sur sa patrie; en décrivant sa vie et ses travaux, il nous fait voir que tout est prodigieux dans cet homme rare. Il le considère d’abord comme écrivain, ensuite comme chirurgien militaire, et enfin dans l’ordre de la société et dans la carrière des honneurs. On n’a jamais élevé à Paré un monument de gloire plus solide et plus durable que celui que lui con- sacre M. Peyrilhe dans son histoire. Les disciples de Paré, Thierry de Hery, Franco, Pigray, Guillemeau, reçoivent aussi le tribut d’éloges dus à leurs utiles travaux dans l’art de guérir ; l'analyse de leurs ouvrages en donne une idée aussi nette que précise. Après s’être livré au plaisir de tracer les heureux effets de l'influence de Paré sur son siècle, après avoir fait connaître les grands chirurgiens sortis de son école, et ceux qui furent autant instruits par ses livres qu’é- chauffés par son exemple, M. Peyrilhe, revenant sur ses pas, examine et décrit l’état de la chirurgie chez les étrangers, en Italie, en Allemagne, et analyse les ouvrages de ceux qui se sont distingués par leurs écrits. Joignant les préceptes de l’art à l'histoire de ses restaurateurs, il avance 1278 CHIRURGIE PRATIQUE AU XVII SIÈCLE. d’un pas ferme et soutenu vers la fin du xvr* siècle, et prolonge ses recher- ches jusque dans les premières années du xvre. Voilà, en abrégé, quels sont les sujets des recherches historiques, litté- raires et critiques de l’ouvrage soumis à votre examen. L'analyse que nous venons de mettre sous les yeux de l’Académie la rend autant juge que nous du mérite et de l'importance du nouveau travail de notre con- frère. Nous ne parlons pas de la diction, parce que les preuves de l’au- teur à cet égard sont faites depuis longtemps. Tous ceux qui savent lire conviennent que le second volume de l'Histoire de la chirurgie, publié avec l'approbation de l’Académie, présente le modèle d’un style nerveux, élégant et harmonieux dans certains endroils, serré sans être obscur, abondanñt sans être diffus. Il ne dégénère pas dans la composition du troisième volume que nous venons de parcourir. Nous croyons donc et nous concluons que l’Académie doit revêtir du sceau de son approbation ce troisième volume de l’Histoire de la chirurgie, et permettre à l’auteur de prendre à la tête le titre d'académicien. — Baudelocque, premier. — F. Sue, second. Les premiers travaux de Louis (1723-1792), sans excepter son Cours de chirurgie pratique sur les plaies d'armes à feu (17h6), sont assez médiocres (1); mais son talent d'écrivain et son savoir chirurgical, la fermeté de son jugement se révèlent bientôt dans Éloge de J.L. Petit (1750), dans la traduction des Aphorismes de chirurgie de Boerhaave (1767), dans un mémoire de méde- cine légale Sur la distinction du suicide et de l'assassinat (1767 ; à propos de l'affaire Calas); dans un Recueil d'observations pour servir de base à la théorie du contre-coup (1766), quoique les matériaux y soient pour la plupart empruntés à divers chirur- giens. On peut dire que Louis est tout entier dans les Meé- moires de l'Académie et dans les Éloges qu'il a prononcés aux séances publiques; c’est lui qui prépare les diseussions, qui rédige les jugements, qui dicte les réponses, qui fait le choix des lectures et des morceaux à imprimer; lui enfin qui donne le ton à ces Mémoires par les communications qu’il y a insérées sur les cal- (4) Voyez cependant les Observations de Louis sur l'électricité, son action sur l'économie et son utilité, 4747, où l’on rencontre d’intéressantes observations, mais où l'on remarque en même temps que l’auteur n'avait peut-être pas toute l’habileté ni l'expérience requises dans l’emploi de ce moyen, ni des connaissances suffisantes pour bien distinguer les cas où convient l'électricité de ceux oùr elle peut nuire ou rester infructueuse. LOUIS. — JEAN-LOUIS PETIT. 1279 culs, sur Pamputation (particulièrement sur les moyens de pré- venir la saillie de los), sur la grenouillette, sur les hernies étran- glées, sur la taille, sur le bec de lièvre, sur la bronchotomie, et sur vingt autres sujets. Une chaleur qui vient toujours de la con- viction, et quelquefois d’un certain mouvement de passion (4), anime les dernières productions de Louis et leur donne cette autorité souveraine dont Petit et plus tard Desault eurent égale- ment le secret, sous des formes moins littéraires, mais peut-être mélangées de moins de hauteur ou d’amour-propre que chez Louis. Quant aux Éloges de Louis, je ne trouve que ceux de Fonte- nelle à leur comparer : compliments bien tournés, blâmes fine- ment indiqués, mesure, sobriété, élégance, réflexions profondes ou délicates, parfois de Pesprit, toujours une raison inflexible et jamais de rhétorique (2); telles sont les qualités qui brillent dans la plupart des Éloges de Louis et qui lui assurent une perpétuelle renommée (3). Si j'ai parlé de Louis en premier lieu, c’est qu'il a été le véri- table organisateur de l’Académie de chirurgie; mais je dois revenir à J. L. Petit (1674-1760), dont le nom est inséparable de celui du plus illustre des secrétaires perpétuels que cette compa- gnie alt eus. Jamais peut-être livre n’a été attaqué avec autant de violence sur les points les moins vulnérables (4), que le Traité des os, (4) Louis forma des amitiés nombreuses, très-actives, très-fidèles ; mais il eut quelques ennemis irréconcihables, injurieux même, entre autres Valentin dans ses Recherches critiques sur la chirurgie (1772), où il prend à plaisir le contrepied des opinions de Louis. (2) Louis eùt été malheureux de s'entendre louer comme la loué son aïni Sue dans un langage prétentieux qui a beaucoup des mauvais côtés de la littérature déclama- toire de la révolution, Dans cet éloge il y a plus de phrases que de jugements mo- tivés et décisifs. (3) Voy. dans Gazelte médicale de Paris, 1866, n° 40, 41, 42 les intéressantes Recherches historiques de M. Dubois d'Amiens, sur les dernières années de Louïs et Vieqg d'Azyr. (4) Andry s’est placé à la tête des accusateurs, et précisément il réprimande gros- sièrement Petit au sujet de la rupture du tendon d'Achille que notre chirurgien avait si bien observée, décrite et traitée ; puis on le raille à propos de sa machine pour 4280 CHIRURGIE PRATIQUE AU XVII SIÈCLE. premier ouvrage de J. L. Petit (1674-1750); mais jamais non plus d'aussi habiles champions n'ont pris avec une conviction aussi apparente (1) la défense d’un auteur outragé. En somme ce traité, quoiqu'il soit loin de mériter toutes les louanges que lui donnait Boerhaave, porte la marque d’un chirurgien de premier ordre. Son principal mérite, c’est d’être fondé sur une anatomie très-sérieuse et sur de bonnes observations cliniques; ses vrais défauts tiennent aux circonstances suivantes : Petit, n'étant pas très-versé dans la mécanique des os et des muscles, s’en rapporte trop à la force pour les luxations, et, pour les fractures, il a quel- ques appareils trop compliqués ; ilne possède pas, comme Duver- ney, une idée suffisante de la formation du cal; enfin l'anatomie pathologique ne vient pas assez souvent à son aide pour la dis- tinction des diverses espèces de luxations, surtout de fractures. En parcourant seulement les généralités que Petit a mises en tête de son ouvrage, on voit cependant combien il se montre supérieur à tous ceux qui ont écrit sur les maladies des os sans avoir pris pour fondements de leurs remarques l'anatomie des parties molles et des parties dures, sans avoir fait non plus ni des études sur la facilité comparative de la production des luxa- tion (2), sur leur forme et leur pronostic, n1 des recherches les luxations, quel’on compare aux chevalets de torture, mais qui n'avait d'autre in- convénient que d’ètre souvent inefficace par son excès même de puissance qui maintenait les muscles en révolte. — Voyez aussi dans l’Éloge de Petit par Louis, les moyens honteux employés contre lui par ses ennemis, et l'offre qui lui fut faite, par l’auteur mème, d'acheter 2000 fr. le manuscrit d’un libelle plus qu’infamant. (4) Quand je dis conviction apparente, je pense surtout au Discours où Louis (voy. aussi son Éloge de Petit) prend avec tant de calme et de raison les intérêts de Petit et de la chirurgie rationnelle ; mais on voit par Sue (ÉVoge de Louis), qu'il fai- sait, au fond et dans son particulier, peu de cas du traité de Petit, el qu'il en sou- haitait un meilleur, qui, du reste, s’est longtemps fait attendre. (2) Petit a distingué les luxations causées par de simples mouvements spasmo- diques des muscles de celles qui proviennent de quelque choc ou autre cause exté- rieure ; il sait aussi que la rotule se brise transversalement, plus souvent peut-être par des efforts, des faux pas, que par des coups directement portés sur cet os, Il a de bonnes remarques sur la fracture du col du fémur et sur les exostoses. Petit re- gardait comme imaginaires les fractures ex long ; Fabrice d’Acquapendento les avait théoriquement admises ; Duverney est du même avis ; Louis se range du côté de Petit. Longtemps les chirurgiens n’ont reconnu que des fractures #rés-obliques, mais J.'É PET 1981 relatives aux changements que ces déplacements produisent dans les parties; toutes considérations auxquelles presque per- sonne ne s'était livré depuis les immortels ouvrages d'Hippocrate sur ce sujet. Seulement Petit, qui ne connaissait pas aussi bien que les modernes, même aussi bien que Louis, la série des mou- vements combinés, parallèles ou antagonistes des muscles, à eu recours à des machines trop puissantes et qui agissent dans un seulsens, tandis que l'emploi des mains qui suit, corrige et change les mouvements musculaires, suffit le plus souvent à des réduc- lions en apparence fort difficiles. L'usage des anesthésiques est encore venu simplifier les méthodes de réduction. C’est à l’aide des saignées abondantes, répétées, saignées souvent dan- gereuses, que nos anciens maîtres cherchaient à triompher de cette résistance des muscles, contraction ou constriction, prin- cipal obstacle à la remise en place des os sortis de leurs ca- vités. Louis (4) remarque três-judicieusement qu'il faut, si l’on veut profiter de la lecture des anciens, avoir des principes qui per- mettent de saisir et d'apprécier les différentes circonstances dé- crites pour chaque cas de pratique. Les connaissances générales sont des faits primitifs et fondamentaux qui éclairent les com- mençants sur les faits particuliers dont les connaissances elles- mêmes sont le résultat. C’est là précisément ce qui distingue le livre de Petit qui remplaça si heureusement celui de Verdier. « Toutes les tracasseries, ajoute Louis, que M. Petit a essuvées ont tourné à sa gloire et 1l a eu l'avantage d’en jouir. Personne n’a plus contribué que lui à la renaissance de la chirurgie; eïie lui doit une partie de ses progrès; ses principes sont enseignés dans les écoles et adoptés dans les meilleurs ouvrages. Et le traité de M. Duverney, quoique rempli de plus d'observations et plus volumineux, n’a pu faire oublier celui de Petit. On juge mal du mérite respectif des deux ouvrages par leur masse; c’est la par- non pas positivement e7 long ; aujourd’hui elles sont établies par des pièces patho- logiques. La fèlure, comme l'a démontré M. le professeur Gosselin, est une des conséquences assez ordinaires de la fracture en V du tiers inférieur du tibia. (1) Discours sur le traité des maladies des os, de Petit, p. 9, édit. 1758 ; voyez aussi Éloges de Ledran et de Quesnay. DAREMBERG. 81 1282 CHIRURGIE PRATIQUE AU XVIII SIÈCLE, tie dogmatique qu'il faut considérer ; c’est par là que brille lou- vrage de M. Petit (p. 98-99 du Discours). » Outre un très-grand nombre de Mémoires de haute impor- lance sur divers points de la chirurgie (1), insérés dans les recueils de l'Académie des sciences et de l’Académie de chirur- gie, Petit a laissé un ouvrage posthume et malheureusement incomplet, publié par les soins de son élève Lesne. Cet ouvrage, qui a eu deux éditions (1774 et 1790, avec de nombreuses plan- ches), est intitulé : Traité des maladies chirurgicales et des opérations qui leur conviennent ; 1] résume ou reproduit même une partie des (ravaux précédents de l’auteur, sauf le Traité des maladies des os, publié séparément. L'éditeur nous apprend que « Petit tirait presque tout de son propre fonds; la nature était l'unique source où il puisait ses principes ; il ne lisait les livres de chirurgie que pour avoir une idée générale des progrès que l’on avait réalisés jusqu’à lui, faisant peu de cas de l’érudition qui se borne à donner un air savant aux talents médiocres. » Pour les larges plaies récentes, Petit, sans proscrire les sutures, comme l’a fait Pibrac, en a restreint et simplifié l’usage ; il rap- porte plusieurs observations de cures très-heureuses obtenues à l’aide de ce moyen. Quand les sutures ne sont pas réclamées par l'étendue de la plaie, il préfère les bandelettes agglutinatives aux bandages unissants dont on n’est jamais sûr. Il répudie les émol- lients pour les plaies récentes ou anciennes. On est étonné qu'il se montre partisan de la ligature en masse contre les hémorrha- gies ; il agit ainsi par suite d’une fausse crainte, celle de couper le vaisseau en usant de la ligature immédiate. Quant aux plaies en particulier, Petit n’a traité que de celles de la tête et de la poitrine, mais de façon à nous faire regretter qu’il w’ait pas pu relater ses observations sur les plaies des autres régions. Il traite les tumeurs sanguines des téguments du crâne par la simple compression, ou, suivant les cas, par une incision, dans la crainte que le sang en s’altérant ne cause des désordres dans l’intérieur du crâne, Cette pratique est sans doute bonne, mais la (1) Petit a très-bien démontré la nécessité de la formation du caillot pour que les hémorrhagies prennent fin, J. L. PETTT. 1283 raison qu’il en assigne est controversable. La fracture des os du crâne indique seule, quand elle est compliquée, la nécessité du trépan ; elle l’indique par elle-même lorsqu'il n’y a pas d’épan- chement apparent ou d’autres signes immédiats de danger ; car, s’il y a des exemples de guérison sans l'emploi du trépan, il arrive beaucoup plus souvent que des accidents très-graves surviennent, lors même qu’au début ils ne s’annoncent d'aucune manière, L'auteur entre dans de grands détails, appuyés sur des observa- tions, relativement aux cas où il convient de recourir au trépan. Les plaies de poitrine (même les contusions violentes) quoique non pénétrantes (1), méritent toujours une grande attention de la part du chirurgien, lorsqu'elles intéressent des parties de cette région, particulièrement l’aisselle, où peuvent se former des infiltrations sanguines ou de véritables hémorrhagies pro- fondes, qu’il importe de combattre par des incisions ou des con- ire ouvertures et par les divers moyens hémostatiques. Il n’est pas moius utile que le chirurgien étudie avec le plus grand soin les symptômes de la pénétration de la plaie dans l’intérieur de la poitrine, et qu’il ne se laisse égarer, ni dans un sens ni dans un autre, par les signes équivoques (par exemple, lemphysème et le crachement de sang) qui peuvent lui inspirer trop de crainte ou lui donner trop de sécurité, suivant qu’ils existent ou qu’ils manquen. Le chapitre consacré aux tumeurs (2), enkystées ou non, est riche en observations particulières et en remarques sur les di- vers procédés opératoires pour leur extirpation ou sur les autres moyens de guérison. Pour le cancer de la mamelle Petit a heu- reusement modifié le nombre et la direction des incisions:; il re- commande de ne laisser dans l’aisselle aucune glande suspecte. C’est à propos des tumeurs qui ont leur siége près des oreilles et qui sont accompagnées de carie des os que Petit a présenté des réflexions d’un grand intérêt pratique, sur lexfoliation des os, sur la pénétration de la carie jusque dans la cavité du crâne, et sur ce phénomène, qui, dit-il, trompe tant de jeunes chirur- (1) C’est surtout de ces sortes de blessures que Petit s'occupe. (2) Parotides ; tumeurs des environs de la bouche et du gosier; grenouillette : abcès de la voûte et du voile du palais; loupes ; tumeurs variqueuses; tumeurs formées par la rétention de la bile ou des calculs dans la vésicule du foie. 1284 CHIRURGIE PRATIQUE AU XVIII SIÈCLE. siens, à savoir qu'un jour il y à fluctuation et qu’un autre Jour les doigts n’en perçoivent plus aucune trace (1). Ces traits d’une observation si attentive, et bien d’autres qu’il serait trop long de relever, ne se trouvent pas dans les chirurgiens qui ont précédé Petit, ou même dans ses contemporains; ils révèlent en quelques lignes le véritable génie chirurgical. C’est en se fondant sur l'anatomie et sur la physiologie que Pe- tit a si fort avancé le traitement des lumeurs et des fistules la- crymales, en ouvrant le sac lacrymal et en introduisant une bou- ie dans le canal nasal, afin de rendre aux larmes leur libre cours (2), au lieu de se contenter des procédés ingénieux, mais rudimentaires et insuffisants d’Anel, dont il reconnait du reste les bonnes intentions. Petit n’a pas montré une moindre rectitude de jugement en parlant des vastes abcès du fondement; comme son collègue Foubert, mais avec plus d’autorité et en s'appuyant sur un plus grand nombre de faits, il distingué très-nettement les cas où il faut se contenter d'ouvrir l’abcès de ceux où il convient de fen- dre aussi le rectum. Un progrès que notre chirurgien prétend avoir fait faire au traitement des hernies consiste à ne pas ouvrir le sac herniaire dans tous les cas, comme on le faisait assez gé- néralement avant lui, mais à se contenter, quand l'état des par- es le permet, de débrider et de faire rentrer en bloc les parties herniées après l'opération. Le nom de J. L. Petit se rattache d’une façon plus éclatante, sil se peut, aux amputations qu'aux autres genres d’opéra- lion; quoique toutes ses idées et tous ses préceptes ne soient pas demeurés dans la pratique, il n’en est pas moins vrai que c’est lui quia liréles chirurgiens de l’ornière où ils s’obstinaient à rester à l’égard de l’ablation des membres. Sans parler d’un paragraphe (4) Voy. aussi sur ce sujet les remarques historiques de Lesne, dans son Discours préliminaire, — Petit a souvent aussi montré une grande hardiesse à chercher pro- fondément le pus avec la pointe de son bistouri. (2) Petit proscrivait l'ouverture de l’os wrguis, opération inutile, que Anel avait déjà contribué à faire tomber en désuétude et que Monro avait voulu rétablir, — Voy. plus haut TE PETITS 1285 excellent et des plus judicieux sur les cas qui exigent l'amputa- tion, notons que J. L. Petit a inventé (1718), pour suspendre la circulation, un tourniquet beaucoup plus simple et plus com- mode que l’ancien tourniquet ou garrot auquel on tenait tant, et soulignons, ce précepte : « Dans les amputations on doit couper des chairs le moins qu'il est possible, et desos le plus qu'on peut, car plus on conserve de chairs, plus tôt l'os se recouvre, souvent même sans S'exfoher,et plus promples sont laréunion et la cica- trisation. » Après avoir rappelé les différents moyens employés jusqu'à lui pour obtenir ce résultat tant désiré, J. L. Petit rap- porte, avec une admirable simplicité, le procédé qu’il a imaginé pour remplir plus sûrement cette indication. C’est ce qu'il a appelé lui-même la section des chairs en deux temps. «Je com- mence, dit-il, l'incision circulaire un pouce plus bas que l’en- droit où j'ai dessein de scier les os ; je ne coupe, par cette pre- mière incision, que la peau et la graisse, jusqu’à la membrane qui couvre les muscles ; je fais tirer vers le haut ces téguments, en sorte que les chairs se trouvent découvertes de plus d’un pouce (une légère dissection rend plus efficacement ce service). Alors je coupe les muscles circulairement, au niveau de la peau; je les relève encore avec la compresse fendue, et lorsque J'ai scié los, je le trouve enfoncé, cé qui fait qu'en peu de temps le centre est rempli et cicatrisé entièrement. En suivant cette méthode les chairs du moignon et l’os sont au niveau lun de l’autre lorsque le malade est guéri; quelquefois même la cicatrice est plus enfoncée au centre qu’à la circonférence du moignon, ce qui est avantageux pour l'application d’un membre artificiel. » Petit, loin de rejeter l’amputation à lambeaux, y trouve plu- sieurs avantages, suivant les cas et les régions; mais il n’en dit que quelques mots. Comme avec la méthode de Petitil arrive en- core assez souvent que les os (particulièrement le fémur) sont dénudés par suite de la rétraction des muscles, Louis a cherché un perfectionnement à cette méthode ; il fixait d’abord les chairs avec une ligature, coupait d’un seul trait la peau et les muscles jusqu’à l’os, ôtait ensuite la bande qui fixait les chairs, pour don- ner aux muscles qui ne sont pas adhérents à l'os la liberté de se rétracter ; après quoi il coupait avec un bistouri les adhérences, 1286 CHIRURGIE PRATIQUE AU XVIII® SIÈCLE. relevait toutes les chairs avec la compresse fendue, et sciait l'os à trois travers de doigt plus haut qu’on ne l'aurait fait si on l’eûl scié au niveau des chairs affermiés par la ligature. Les deux méthodes combinées (car le principe demeure intact) sont deve- nues la base des procédés opératoires actuels pour lPamputa- tion circulaire (4). M. Malgaigne était bien inspiré quand il appelait J. L. Petit : le génie, le réformateur de la chirurgie moderne. Mais Desault, venu après Petit, est illustre aussi, non pas seulement parce qu’il est venü après ce chirurgien, mais par ses propres travaux, mar- qués au coin de la plus savante observation. Desault (1744-1795), comme Dupuvytrén, avec lequel 1l à tant de rapports, a très-peu écrit; même, à en croire Bichat, son élève favori, élève devenu lui-même, en son genre, plus illustre que son maître (2) & en croire Bichat (3), Desault n'avait jamais ré- digé qu'un seul Mémorre, qu'il a communiqué à l’Académie de chirurgie, mais dont on ignore nième letitre.C’est dans les cahiers publiés par ses élèves, dans le Journal dechirurgie (1791-92) (4), (1) Petit a reniis en usage la sonde en & décrite par les anciens ; il a triomphé, par un taxis persévérant et bien dirigé, des hernies qui semblaient les plus rebelles, (2) Buisson, Roux; ont été aussi les élèves de Desault. On sait que Desault l’em- porta, en 1788, sur Pelletan pour la place de chirurgien en chef de lHôtel- Dieu; mais Pelletan fut unanimement désigné pour son successeur ; ce n’était que justice rendue à üne de nos célébrités chirurgicales. (3) Éloge de Desault, en lète des OŒEuvres chirurgicales, 4801. Après plusieurs autres panégyristes, M. le docteur Labrune a publié, en 4867, une Étude sur la vie et les travaux de Desault, travail qui à obtenu le prix d’éloquence proposé par l'Académie de Besançon (Desault était Franc-Comtois). Cette étude m'a paru en effet surtout digne d’un prix de rhétorique; sauf quelques renseignements sur les relations de Désault avec Louis XVI et avec sa famille, il n’y a absolument rien de uohveau däns ce travail qui semble rédigé plutôt d’après l'E/oge de Bichat el d'au- tres biographies que d'après la lecture des ouvrages composés sous l'inspiration du grand chirurgien, — La notice de M. Descuret dans la Biographie médicale est plus instructive et fort bien écrite. (4) Sans qu'on puisse affirmer avec Bichat, dans son Introduction, « que le Journal peut tenir lieu dé tous les ouvrages, et qu'il peut les remplacer », il est certain qu'on y trouve un très-grand nombre d'observations et de remarques d’un grand prix par leur originalité et leurs conséquences pratiques. Quoi qu'en dise encore DESAULT. 1287 rédigé sous sa direction et d’après sa propre pratique, enfin dans les Œuvres chirurgicales que Bichat ou Chopart ont recueillies, qu’il faut chercher la doctrine de Desault. Cette doctrine elle- même, Desault l'a prise moins dans les livres(bien qu’on ne puisse pas dire qu’ils’en soit passé, malgré son peu d’érudition), que dans l'observation attentive et continue des malades; nous savons même qu’une fois à la tête d’un service chirurgical, soit à la Charité, soit à l'Hôtel-Dieu, et quoiqu'il fût marié, il ne quittait l'hôpital que pour la pratique particulière. C’est ce qui à fait dire à Bichat que la perpétuelle concentration de l'esprit sur un même sujet a jeté plus d’éclat sur la carrière de Desault, que ne l'aurait fait l'éparpillement des recherches de divers côtés; c’est le mot para- phrasé : Timeo hominem unius libro. Bichat ajoute qu’il faut au chirurgien, comme au médecin, outre le génie, l’expérience, et que l’expérience ne s’acquiert que sur un grand théâtre : ce théâtre, qui justement manqua à J. L. Petit pour qu'il égalât, et peut-être même surpassât Desault, fut la Charité et PHôtel- Dieu (1). Avant Dupuytren jamais chirurgien n'avait régné comme Desault sur ses malades et sur ses élèves, et depuis Dupuytren personne n’a pu ressaisir cette autorité vraiment royale. Desault comprit de très-bonne heure, comme l'ont fait tous nos grands chirurgiens, que la première école à fréquenter était celle de anatomie; non-seulement il s’appliqua pour lui-même à cette science, mais, malgré l'opposition des confrères jaloux, 1l ouvrit bientôt des cours publics qui servirent de modéle à tous ses successeurs, et où affluaient les élèves. L’anatomie n’était pas pour lui une simple spéculation d'histoire naturelle, 1] la Bichat, les journaux, même ceux de chirurgie, vieillissent comme les autres livres, parce que la science ou la pratique qu’ils représentent vieillissent elles-mêmes, Seu- lement on peut regarder celui de Desault comme un des plus vivants, attendu que l'expérience y est celle d’un grand maître aidé par de savants élèves. Un pareil recueil se consulte sans cesse, mais ne s’analyse pas. (1) Dans un excès d'enthousiasme que l’histoire mème excuse, Bichat semble croire que Desault s’est fait en quelque sorte tout seul ; mais si le champ de la chirurgie n'avait pas déjà été profondément et savamment labouré par Peut et par tant d’autres, le chirurgien de l'Hôtel-Dieu n'aurait pas réussi à y faire germer tant de brillantes inventions, 1288 CHIRURGIE PRATIQUE AU XVII SIÈCLE. voulait toujours unie à la physiologie, appliquée, soit au diagnos- tic des maladies, soit au manuel opératoire; il voulait qu’elle servit, par la comparaison de l’état normal avec les changements pathologiques, à éclairer le chirurgien sur la nature des affec- tions qui se présentent à son observation, et sur le rapport qui existe entre ces changements et les indications thérapeutiques. C’est ainsi qu'il devint le créateur de cette anatomie chirurgicale que Dupuytren a mise en si grand honneur, et que les chirur- siens du monde civilisé ont cultivée avec une émulation que l'anatomie microscopique a fortifiée loin de l’amoindrir. Desault fut assez longtemps à perfectionner ses connaissances positives avant de se signaler par quelque notable invention; mais le premier pas qu’il ait fait dans la voie des découvertes a ôté dirigé par l’anatomie et par la physiologie (4). C’est en effet en réfléchissant sur la forme de la clavicule, sur l’ensemble des muscles auxquels cet os estsoumis, et en calculant ensuite la force des puissances musculaires dans le déplacement des fragments de cet os fracturé, qu'il est arrivé à inventer un bandage qui oppose à ces puissances un degré égal de résistance (2). L'application de cet appareil a été couronné de succès, et depuis, son emploi a pris rang, avec quelques modifications, dans la chirurgie clas- sique. Les différentes espèces de fractures, les signes qui les font reconnaitre, la diversité des chevauchements, les complications, le mode de réduction, sont étudiés avec un grand soin. Desault a aussi remarqué que dans certaines fractures (notamment celles qui ont licu à l'extrémité humérale ou à l'extrémité sternale), les fragments s’écartent à peine de la position naturelle (3). — Ses recherches sur les fractures de l'extrémité supérieure de l’hu- mérus, du col du fémur ei du grand trochanter n’offrent pas (1) Son étude de l'articulation scapulo-humérale et de l'articulation du coude, en vue des luxations qui s’y produisent, prouve aussi combien c’est surtout par l’ana- tomie qu'il est supérieur à ses devanciers dans ses remarques sur les fractures et les luxations. (2) 1 est également l'inventeur du bandage à extension continue pour la luxation de la clavicule à ses extrémités sternale ou humérale, (3) Voy. aussi le Mémoire sur la fracture de la rotule. Le moyen de réduction que Desault y propose est ingénieux et, en général, suffisant. Pour la rupture du tendon d'Achille, il a très-heureusement modifié l'appareil de Petit. DESAULT. 1289 moins d'intérêt, quoique elles aient peu d'originalité. Il n’en est pas de même du mémoire sur la fracture de l'extrémité inférieure de l’humérus, avec séparation des condyles, espèce de fracture dont Petit, Duverney, Bell et les chirurgiens contemporains ne font nulle mention avant Desault. Le principe d’après lequel Desault a conçu ses appareils pour les fractures, principe déjà entrevu par Petit, repose sur cette considération essentielle qu'ils doivent contribuer à maintenir pendant la durée du traitement l’extension et la conformation donnée au membre lors de la réduction (1). Il serait difficile, impossible même, en un livre de la nature de celui-ci, de dresser l'inventaire de toutes les heureuses inno- vations dont ia chirurgie est redevable à Desault, sans mentionner, au moins, celles qu'il a apportées au rétablissement des voies naturelles dans la fistule lacrymale, à l’opération et au panse- ment du bee de lièvre et de la bronchotomie, à l'incision des fis- tules à l'anus, au traitement des polypes par la ligature, à la résec- tion des amygdales, ou de la luette. Laissant aussi de côté, mais à regret, l’exposé des modifications qu’il a fait subir à un grand nombre d'instruments destinés à pénétrer dans les cavités profon- des, soit pour des ligatures, soit pour des excisions, aux sondes (2), au trépan, au gorgeret de Marchetti pour la fistule à l'anus ; nous (1) Voyez particulièrement Mémoires sur les fractures de l'avant-bras et du fémur. On voit dans ce dernier mémoire que Desault avait l'intention de donner une sta- tistique comparative de toutes les maladies qui étaient traitées à l'Hôtel-Dieu, et en particulier des fractures, suivant leur degré de fréquence, eu égard aux divers os. (2) On sait qu'il avait généralisé l'emploi des sondes élastiques perfectionnées par Bernard, soit pour les affections de l'urèthre et de la vessie, soit aussi pour l’ali- mentation des malades chez qui la déglutition naturelle était devenue impossible par suite de quelque accident ou affection ; il ya sur ce point un mémoire fort inté- ressant : «L'invention des sondes de gomme élastique, par Bernard, est une des décou- vertes les plus heureuses dont on ait enrichi la chirurgie dans ce siècle, Les praticiens avaient senti la nécessité des sondes flexibles pour le traitement des maladies des voies urinaires, et toutes celles qui ont été faites avant cet habile mécanicien n’of- frent que des imperfections. Les sondes de corne, proposées par Van Helmont, ont l'inconvénient d’être trop roides et de s’incruster promptement, Celles de cuir, recommandées par Fabrice d’Acquapendente, amollies par les urines et le mucus de l’urèthre, s’affaissent sur elles-mêmes et ne conservent plus leur cavité, Les 1200 CHIRURGIE PRATIQUE AU XVIII SIÈCLE. rappellerons que Desault usait avec succès, comme dérivatif, de l'émétique € en grand lavage » dans les plaies de tête, dans celles surtout qui sont compliquées d'un érysipèle ou qui s’ac- compagnent de commotion ; qu'il a précisé encore plus exacte- ment qu'on ne lavait fait et réduit comme Petit à un nombre restreint de cas les indications du trépan (enfoncement et épan- chement) ; enfin qu’il a donné des remarques très-neuves sur les maladies du tissu maxillaire. Quoique opérateur très-habile et très-hardi quand les circon- slances l’exigeaient, Desault était essentiellement conservateur. L’amputation était, selon lui, une ressource extrême où les revers qu’on éprouve effacent souvent les succès qu'on obtient. Mais «la médecine longuement expectante », à laquelle il donnait d’abord la préférence, n’a-t-elle pas aussi le grave inconvénient de laisser le temps à toutes sortes d'accidents de se produire, de rendre l'opération inutile et de compromettre ainsi mdirectement, mais souvent avec certitude, la vie du malade? Bichat ne nous apprend pas dans quelles circonstances son maître substituait opération à la temporisation ; c’eût été un élément de plus pour la solution d’un problème quiestencore fort agité aussi bien dans la pratique civile que dans l'exercice de Ja chirurgie sur le champ de bataille. Néanmoins, Desault a fait faire de très-grands progrès aux procédés opératoires en usage de son temps pour les ampu- peaux qui recouvrent celles qui sont faites de fils où de lames d’argent contournés en spirales, s’altèrent et se pourrissent promptement, et leur bec, ne tenant plus alors au corps de la sonde que par le fil d'argent qui s’y termine, arrêté au col de la vessie ou dans quelque autre endroit du canal, peut se détacher et rester dans ces cavités. On ne peut reprocher aucun de ces défauts aux sondes de Bernard ; elles sont formées d’une espèce de tresse de fil de soie ou de poil de chèvre, recouverte de gomme élastique. Elles ont la flexibilité nécessaire pour se mouler aux diffé- rentes courbures de l’urèthre, ne s’amollissent point par les urines, et conservent toujours la liberté de leur canal ; leur surface lisse et polie les préserve aussi long- temps que les algalies des incrustations terreuses, Comme ces sondes sont spéciale- ment employées dans le traitement des maladies de l’urèthre, où leur introduction devient souvent difficile, on les garnit d’un stylet ou mandrin de fer, courbé comme les algalies. Ces stylets sont préférables à ceux de cuivre, parce qu'ils plient moins et conservent leur courbure plus exactement, » DESAULT. 1291 tations; ainsi il a remplacé le couteau courbe par le conteau droit, et il à fait effiler ces instruments de façon qu'ils pussent servir en même temps à couper les muscles interosseux; il a définitivement fait prévaloir la ligature immédiate directe sur la ligature médiate ou en masse, et réfuté, moins par le raisonne- ment que par les expériences, les objections que Petit lui-même formait contre la ligature immédiate. Sans nier les avantages que le garrotet surtout le tourniquet (4) peuvent rendre pour pré- venir ou suspendre l’hémorrhagie, Desault a montré que ce tourniquet ne s’adaptait pas aisément à toutes les régions où son emploi devient nécessaire, et en conséquence il a recours, soit à la simple pelote, soit, toutes les fois qu’il le faut, à la compres- sion plus intelligente opérée par les doigts d’un aide qui se mou- lent, pour ainsi dire, sur les ondulations des parties, et suivent tous les mouvements du malade. Desault paraît avoir employé la méthode à lambeaux aussi bien que la méthode circulaire; mais Bichat ne rapporte qu'un exemple pour chacune de ces méthodes. La section des chairs était pratiquée en trois temps : incision de la peau à un pouce et demi au-dessous du point où l'os devait être scié, dissection de la peau d’avec les muscles, section des muscles après avoir relevé la peau. | On est assez étonné de voir Desault préconiser, en suivant l'exemple d'A. Paré et surtout de Saviard (voyez plus haut, p. 969), la ligature des téguments et du sac pour la hernie ombilicale chez les enfants, en ayant grand soin toutefois de s'assurer qu'aucune anse intestinale n’est comprise dans le sac. Enfin la chirurgie des anévrysmes doit à Desault de réels per- fectionnements, qui ont été exposés et appréciés avec un rare talent de critique historique par M. Broca (Des anévrysmes ; p.449, suiv.). Desault n’a pas toujours été heureux dans ses ten- tatives, surtout en ce qui regarde l’anévrysme de l'artère axillaire, malgré invention de son aiguille à ressort et toutes les précau- tions que lui suggérait la structure si compliquée de la région ; (4) Les plus grands perfectionnements apportés à cet instrument sont dus à notre célèbre médecin militaire, le baron Larrey, «le plus honnète homme de l'empire », suivant le mot de l’empereur Napoléon 1°". 4292 CHIRURGIE PRATIQUE AU XVIII* SIÈCLE. mais pour d’autres (par exemple pour l’anévrysme poplité), il a pleinement réussi. Les anévrysmes vrais avaient paru au-dessus des ressources de l’art, lorsque leur extrémité supérieure est inaccessible aux instruments. Desault ne pouvant se résoudre à abandonner ainsi les malades à la certitude d'une mort plus ou moins éloignée, proposa le procédé suivant, qui fut mis pour la première fois en pratique, mais avec insuccès, sur l'artère fémo- rale, par le citoyen Deschamps : diviser les téguments suivant la direction de l’artère, mettre celle-ci à nu, faire la ligature im- médiatement au-dessous de la tumeur, qu’on abandonne ensuite aux soins de la nature; le sang, arrêté dans son cours direct, refluera vers les collatérales; celui qui est amassé dans la partie s'y condense en un épais caillot, et contracte des adhérences avec ses parois resserrées sur lui; le tube artériel s’oblitère depuis la ligature jusqu’à la première collatérale supérieure. Les remarques qui précèdent sont tirées des deux premiers volumes des Œuvres chirurgicales de Desault. Le troisième volume, publié par Bichat et par Roux, qui y a ajouté quelques mémoires de sa composition, contient, entre autres sujets, les leçons célèbres du chirurgien de l’'Hôtel-Dieu Sur les maladies des voies urinaires, leçons publiées d’abord en extraits par Cho- part, puis dispersées dans le Journal de chirurgie, enfin rassem- blées en un volume qui constitue le cinquième de ce journal. Bichat, dans le troisième volume des OEuvres chirurgicales (4803), déclare que dans cette édition, augmentée de remarques nouvelles, il a conservé exactement le fond même des leçons du maitre, et que la rédaction seule Jui appartient. C’est d’après celte édition, bien que je n’y aie pas relevé de notables différences avec la précédente, que j'en dirai quelques mots. Ce n’est pas la partie la moins vantéee de l’œuvre de Desault, cependant c'est peut-être celle qui a laissé le champ le plus libre à de nouveaux perfectionnements pour le diagnostic et le traite- ment des maladies de l’appareil génito-urinaire. — Il est inutile de s'arrêter sur le premier chapitre consacré au diabète. Bichat lui-même a remarqué que, sur ce sujet, Desaull n'avait que des idées incertaines et vagues. La suppression et surtout la dépra- vation des urines ne sont pas non plus traitées de façon à satis- DESAULT. 1293 faire ni les chirurgiens ni les médecins. Le chapitrele plus ample et encore le meilleur, a pour titre : De la rétention d'urine (1). Sous celte rubrique très-générale l’auteur traite de toutes les causes et particulièrement des causes mécaniques (qu’elles soient en dehors de l'appareil urinaire lui-même, ou qu’elles tiennent à des affections propres à cet appareil) qui peuvent ralentir ou suspendre le cours des urines. Desault y fait preuve de plus de jugement critique que d’érudition ; il a plutôt vu les incon- vénients ou l'insuffisance des moyens de iraitement employés avant lui ou par ses contemporains, qu’il n’en à proposé de par- faitement efficaces(2). Du moins il a appelé l'attention du chi- rurgien sur les services que rendent les sondes de gomme élasti- que inventées par Bernard (3); mais il leur accorde une confiance trop absolue, trop peu restrictive ; pour le traitement des rétré- cissements, il pense que, laissées longtemps en place, ces sondes en triomphent sûrement par la compression qu’elles exercent et par la phlogose résolutive qu’elles excitent, et qui finit cependant comme Desault lui-même en rapporte des exemples, par produire de véritables abcès ou dépôts dans l'épaisseur du canal. De plus, il n’a pas appris par l'anatomie pathologique quelles sont les diverses espèces de rétrécissements, et sa classification n’est plus admissible aujourd’hui. Il a toutefois remarqué que ce qu’il appelle les « brides » se forment particulièrement vers le bulbe de lurêthre, qu’elles sont quelquefois incomplètes et qu'elles siégent à des distances plus ou moins éloignées les unes des au- tres. ILest fort opposé d’une part à l'emploi des caustiques dans les cas ordinaires et surtout à la ponction de la vessie pour le rétrécissement en apparence infranchissable, et il en donne de bonnes raisons que voici : «Il est des praticiens qui, découragés par les obstacles qu’ils rencontrent, et prenant le défaut momentané de succès pour l'impossibilité d'introduire la sonde, ne balancent pas à faire la (1) Voy. aussi les paragraphes spéciaux consacrés aux bougies et à la ponction de la vessie. (2) Il ne connaissait pas les procédés employés déjà par les chirurgiens grecs, tels que l’excision, et remis en honneur de nos jours, etc. (3) Voy. plus haut, p. 1289, note 2. 1294 CHIRURGIE PRATIQUE AU XVIII SIÈCLE. ponction de la vessie. Mais à moins qu'on n’ait acquis la preuve qu'une bougie laissée dans le canal ne détermine point la sortie des urines, et que les accidents dépendant de Ja rétention ne soient très-urgents, nous pensons qu'on doit différer cette opé- ration et ne la pratiquer qu’à la dernière extrémité. Car, sans parler des dangers où elle expose toujours le malade, elle est en pure perte pour la guérison de la maladie de Purèthre. Il faudra toujours en revenir à l'introduction de la sonde; et les difficultés que l’on a rencontrées dans les premiers essais ne diminueront pas par la ponction de la vessie. » L'opération connue sous le nom de boutonnière, quoique en apparence mieux adaptée à la nature de la maladie, est presque toujours inutile ou dangereuse. Elle est inutile si, pour la prati- quer, on peut passer un cathéter ou une sonde cannelée dans la partie rétrécie du canal, puisque l’on aurait pu de même y porter une sonde creuse. Elle est dangereuse si l’on ne peut être guidé par ces instruments, puisqu’alors on fait les incisions au hasard, et que l’on peut manquer le canal et diviser des parties dont la lésion est suivie d'accidents plus ou moins graves. » Les caustiques, recommandés par Hunter, nous paraissent tout à la fois incertains dans leur effet et très-dangereux dans leurs suites. Quoique ce praticien nous assure en avoir obtenu des succès qui ont surpassé ses espérances, nous n'avons jamais osé faire usage de ce moyen. Le caustique dont il se sert est la pierre infernale. Pour l'appliquer immédiatement sur la partie rétrécie du canal, 1l ainventé une canule presque semblable aux algalies à bouton proposées par Petit. Après avoir introduit jus- qu’à l'obstacle cette canule fermée par le stylet à bouton, il retire le stylet et en substitue un autre terminé à son extrémité par une espèce de porte-crayon dans lequel est fixée la pierre infernale; il enfonce ce dernier jusqu’au bout de la canule. De cette ma- n'ère le caustique ne peut agir que sur la partie du canal où la sonde est arrêtée. Il recommande de ne le tenir appliqué que pen- dant une minute, de le retirer ensuite et d’injecter aussitôt de l’eau par la même canule, pour entrainer au dehors toutes les parties du caustique qui auraient été dissoutes dans le canal et qui pourraient l’irriter. Il réitère cette application tous les jours DESAULT. 1295 ou tous les deux jours, selon que l’eschare est plus ou moins de temps à se séparer, etil en continue l'usage jusqu'à ce que Ja sonde puisse pénétrer dans la vessie. Enfin 1l termine la cure avec les bougies. » On ne peut disconvenir que ce moyen ne soit très-ingénieux ; mais qui garantira que ce caustique agira toujours dans la direc- tion du canal, qu’il ne percera pas ce conduit et ne formera pas de fausses routes? Hunter a senti cet inconvénient et n’en prend aucune inquiétude, pourvu qu’on rentre dans l’urèthre, et qu’on parvienne avec les bougies jusque dans la vessie. Il re- garde ce nouveau conduit comme aussi propre à donner passage aux urines que le canal naturel. Nôus croyons bien aussi que, si l’on continue longtemps les bougies, cette portion factice du ca- nal restera pendant leur usage assez dilatée pour que les urines y passent librement ; mais il nous paraît douteux que cette route nouvelle se conserve toujours dans le même état, et qu'il ne s’y forme pas dans la suite un rétrécissement plus difficile à vaincre que le premier. D'ailleurs, n'est-il pas à craindre que, lorsque Île caustique sera une fois sorti du canal, on ne puisse pas le rame- ner dans la direction de ce conduit? Et alors plus on avancera, plus on aggravera la maladie. » Ce n’est pas seulement pour ses mérites personnels et pour la sûreté de sa pratique que Desault est digne des hommages de la postérité, mais surtout parce qu’il a le premier constitué une École clinique pour les étudiants, à l'Hôtel-Dieu, et qu'il a suggéré à son élève et ami, Corvisart, l’idée d’une même institution pour la médecine, à la Charité. Au moment où s’ouvraient, dans toutes les grandes villes de l’Europe, et pour ne plus jamais se fermer, les portes des hôpi- taux et des amphithéâtres de dissection, on a pu dire que la con- sommation des siècles anciens était accomplie, que le règne de l'autorité avait pris fin, que la parole était aux faits, à l’'observa- tion, à la science expérimentale; que la médecine et la chi- rurgie avaient enfin conquis cette indépendance, cette sponta- néité que l'anatomie et la physiologie avaient reprises depuis un siècle et demi. 1296 COUP D'OEIL GÉNÉRAL SUR LE XIX° SIÈCLE. Des horizons nouveaux s'ouvrent à nos regards; mais avant que les vrais principes de la médecine remportent une victoire décisive, il nous faut assister encore à plus de trente années de luttes, d'autant plus acharnées, que certe fois l'esprit de système revêt les franches allures de l'esprit d'observation. Broussais, le dernier des réformateurs et le premier des médecins qui aient appliqué l’anatomie pathologique et les lumières du diagnostic à débrouiller le chaos de la nosologie, à localiser définitivement beaucoup de maladies, que, peu de temps avant lui, on consi- dérait encore comme des affections primitivement générales; Broussais, entraîné par la fougue naturelle de son caractère, et peut-être aussi, come tous les révolutionnaires qui, par la crainte de laisser subsister quelques abus de l’ancien régime, veulent abat- tre d’un seul coup les plus fortes têtes en lesquelles se personnifie la réaction, Broussais frappe la vieille médecine dans ses fon- dements les plus solides; au nom de l’observation il attaque, les armes à la main, tous ceux qui ont légitimement inscrit cetle même devise sur leur drapeau, mais avec le dessein de ruiner ses affirmations à la fois hasardées et pernicieuses. Dans le camp opposé à celui du Val-de-Grâce la passion n’est pas moins vive, mais elle est mieux contenue ; la bonne cause n’a pas besoin de violence, assurée qu’elle est du triomphe du droit et de la raison. Quel temps fertile en hommes de premier ordre, en produc- tions savantes, que celui où maîtres et disciples, également prompts à l'attaque et à la riposte, tenaient l’Europe médicale suspendue, pour ainsi dire, à l'extrémité de leur plume ! Quel temps que celui où notre Faculté, où la France, comptaient à côté de Broussais, Bouillaud, un disciple qui est devenu égal au maître, Bayle, Corvisart, Hallé, Laennec, Chomel, Andral, P.C. A. Louis, J. Cruveilhier, et Trousseau, venu après eux. Plusieurs ont disparu de ce monde; d’autres, fatigués par d’opiniâtres travaux ou par l’âge, ont presque abandonné le champ de bataille, et nous n’entendons plus que l'écho de leur voix si ferme, si grave, si imposante et si respectée ; ils ont du moins des élèves qui, à leur tour, continuent la grande école de la clinique COUP D'OEIL GÉNÉRAL SUR LE XIX® SIÈCLE, 1297 médicale, en élargissant encore la porte pour y faire pénétrer toutes les conquêtes les plus récentes. J'ai beau jeter les yeux autour de moi, en Angleterre, en Allemagne, en Italie, je ne vois aucun nom qui le dispute en réputation et en autorité, si ce n’est ceux de Rasori et de Tom- masini, aux grands noms que l’histoire offre, en France, à notre admiration pendant les quarante premières années du xix° siècle. On ne nous opposera sans doute ni le nuageux Schelling, ni son illustre disciple Schônlein, cet esprit fort in- génieux sans doute, mais où l'imagination dépasse le jugement ; ni même Hufeland, qui est le Tissot de l'Allemagne, avec plus de science et moins de préjugés; ni surtout Hahnemann, qui avait débuté par des expériences et qui a fini par l'illuminisme. Et pour la chirurgie, à côté des noms justement retentissants de A. Cooper, de Dieffenbach, de Langenbeck, de Graefe, nous pouvons placer, sans craindre la comparaison, le plus grand des héros qu'ait eus la chirurgie, Dapuytren, qui à lui seul vaut tout un bataillon. Boyer et Pelletan sont surtout les propagateurs fidèles des doc- trines de l’Académie de chirurgie ; Dupuytren suit également ces grandes traditions, mais 1l y ajoute une anatomie pathologique plus savante, un diagnostic plus exact, un manuel opératoire plus brillant et plus assuré, enfin le coup d’œil du génie. C’est en vain qu’on voudrait déprécier Dupuytren ; 1l restera aux yeux de l’his- toire « le grand chirurgien du xix° siècle », et ses élèves ou ses disciples, qui font aujourd'hui l’ornement de notre École, se plai- ront toujours à placer leur renommée sous l'égide de ce nom puissant. Ici je m’arrête; je ne veux ni ne puis nommer personne dans la crainte de méconnaître et de mélanger les rangs, ou de ne pas paraître juste en ne mettant pas tout le monde au premier. À côté de Dupuytren, quoiqu'ils ne se rangent pas tous sous sa bannière, il est permis de compter Breschet, P. J. Roux, L. J. Sanson, L. J. Bégin, Ant. Dubois, Lisfranc, Blandin, 3. Delpech, Lallemand, Jobert de Lamballe, J. Leroy d’Étiolles, Civiale, Malgaigne, Michon, A. Bonnet (de Lyon) ; et, parmi les plus nobles représentants de la chirurgie militaire, Lombard (de Strasbourg), Percy et J. D. Larrey. DAREMBERG. 82 1298 CONCLUSION, L’anatomie, la physiologie, la chimie organique, d’abord moins favorisées depuis Bichat, Lavoisier et Fourcroy, se relè- vent bientôt. Si l'Angleterre possède Charles Bell, et l'Allemagne J. Mueller, nous avons Magendie, ÉL. et Isid. Geoffroy Saint- Hilaire, P. A. Béclard, G.Cuvier, de Blainville, Flourens, Leuret, qui font certes grande ligure à côté de Meckel, de Burdach, de Treviranus et de Blumenbach. Dumas dont ie nom appartient déjà à la postérité, Thenard, dans des travaux qui ont moins d'originalité, mais qui sont également solides, Donné, par ses ingénieuses recherches sur le sang, la salive, le lait, etc., ont agrandi le domaine de la chimie organique; Raspail lui-même, qui depuis longtemps figure sur d’autres théâtres, Raspail, en ses bons jours, a répandu d’assez vives lumières sur ce sujet; tous le disputent, à des degrés divers, au savant Berzelius. Sur tous les points, dès le commencement de ce siècle, nous avons pris une éclatante revanche de l’état d’infériorilé où nous étions restés si longtemps, à plus d’un égard, en face des autres nations de l’Europe. Ce serait une tâche séduisante mais diffi- cile, périlleuse peut-être, et certainement trop hardie, que de continuer cette revue jusqu’au temps présent; le jugement de l’histoire n’est pas encore venu pour cette brillante cohorte de médecins, de chirurgiens, d’anatomistes, de physiologistes, qui sont aujourd’hui la gloire de l’École française et qui rivalisent aveë toutes les célébrités des pays voisins. Ce qui fait aujourd’hui la force des sciences médicales, ce qui assure leurs futures des- tinées, si l’on veut bien ne pas négliger ni la tradition ni Phis- toire, c’est que tous les savants dignes de ce nom, d’un bout à l’autre du monde civilisé, oubliant les rivalités de système, et se- couant l’omnipotence d’une autorité routinière, d’où qu'elle vienne, se recherchent et se rencontrent sur le terrain commun de l’observation, de l'expérience et du libre examen. FIN DU TOME SECOND. a TABLE DES MATIÈRES DU TOME SECOND XIX. — Considérations générales sur le xvni® siècle. — Comparaison des idées anciennes et des idées modernes sur la marche du sang. — Précurseurs de Harvey (Érasistrate, Galien, Vésale, Fabrice d’Aquapendente, Servet, Columbo, Césalpin, ete.) — Découverte de la circulation du sang. — Exposition de cette découverte d’après le texte de Harvey. — Attaques dirigées contre la circulation (Primerose, Aem. Parisanus, C. Hoffmann, C. Folius, J. Riolan, Guy-Patin, Joannes à Turre, Magnassius, Homobonus Piso, etc.). — Prompt et éclatant triomphe de Harvey....:...... SA do dE cie Job ouco ob ot:0 cie age 977 XX. — Découverte des vaisseaux chylifères et lymphatiques. — Aselli, — Pecquet. — Rudbeck.— Bartholin, — Théorie de la nutrition : Wharton et Glisson. 620 XXI. — Exposition et discussion de Ja théorie de Glisson sur l’irritabilité et la SENSIDUILÉ ee ie ee RAGE oo LORIE Dobbboncsonbendordemooeut (ill XXII. — Suite de l’histoire de l'anatomie et de la physiologie au xvu® siècle. — Recherches de Sténon. — Anatomie microscopique et injections : Malpighi; Leeuwenhoeck ; Ruysch, — Anatomie descriptive. — Anatomistes français. — Influence de l’Académie des sciences sur les progrès de l'anatomie et de la phy- siologie en France. — Descartes....,...... te. -Drcr-reaietieu il XXIIT. — Sydenham, sa vie, son caractère, ses doctrines, sa pratique, son in- HUEHCE ee ee ones Done De reel el ecereeetece-tete 00 XXIV, — Origines, développements, diffusion, transformations de liatroméca- nisme, — École italienne : Sanctorius (médecine statique); Borelli; Bellini; Baglivi; Ramazzini; Lancisi, De Sandris; Guglielmini; Michelotti; Crescenzo, Mazino: Bazicaluve: Bernoulli... .................. DOocedDocono VE XXV. — Suite de l’histoire de la doctrine iatromécanique. — Ecole anglaise : Pit- cairne, W. Cole, Keill, Freind, Mead, Robinson, Wintringham, Ridley, etc. 849 XXVI. — Suite de l'histoire de l’iatromécanisme. — Écoles hollandaise et alle- mande. — Boerhaave et Hoffmann... .... ...... ....... Me 888 XXVII. — Monographies et recueils d’Observations relatifs à la médecine et à la chirurgie au xyu° siècle, — Histoire de la chirurgie durant ce siècle : Traités gé- néraux : Magatus, Séverin, Dionis, Wisemann, Van Solingen, Purmann, etc. 954 1390 TABLE DES MATIÈRES. XXVIIL. — Considérations générales sur le xvint siècle, — Esquisse de l'histoire de l'anatomie , de la physiologie et de la chimie biologique durant ce siecle (Lavoisier, Fourcroy)..... nn celoenitereepeiseet CT ECLIELCE Spa CHI XXIX, — Stahl et l’animisme.— Exposition et critique de ce système : physiologie, pathologie générales et spéciales. . .... SSSR HE à d1 SU NP Poe 1020 XXX. — Morgagni et l'anatomie pathologique. — Haller et lathéorie de l’irritabi- lité. — Bichat et les propriétés des tissus. — Gaubius et les applications de lafdocirimetde lirritabilitiératdaspatholonie PER e Cecrcecre 1061 XXXI. — Cullen : Ses divers ouvrages ; exposé de son système de physiologie, de pathologie et de thérapeutique. — Brown : Exposition et discussion de son sys- ième. — Parallèle entre Brown et Broussais.. .......... IE ST eAO2 XXXII, — Ecole de Montpellier; Bordeu et la fédération des organismes ; Barthez et le vitalisme ; Grimaud et son Traité des fièvres; Dumas et son système des ma- ladies ; Reil et le vitalisme en Allemagne; Érasme Darwin et le matérialisme bio- logique en Angleterre......,....... RS CR RL E ar cd Le LE XXXII. — Histoire de la médecine clinique au xvim® siècle. France (Pinel et quelques auteurs de moindre importance) ; Italie (Torti, Borsieri, etc.); Angle- terre (Huxham, Pringle, Lind, Fordyce, Fothergill, Heberden, Cheyne, Jenner, Baillie); Allemagne ‘Ecole de Vienne : Van Swieten, de Haen, Stoll, Avenbrug- ger, etc.). — Société royale de médecine de Paris. — Etat de la médecine et de la chirurgie en Espagne. ........ UABSEUR CR DÉS A A1A RCE ATOS XXXIV. — Histoire de la chirurgie clinique au xvin® siècle. Spécialistes. — Allemagne et pays du Nord (Heister, Platner, Bilguer, Theden, Henkel, Richter, 4. Callisen, etc.).— Italie [Molinelli, les deux Nannoni, Bertrandi, Brambilla, Ma- lacarne, Palletta, etc.). — Angleterre (Cheselden, Monro, Sharp, Gooch, J. Hun- ter, Bell, etc.). — France (Académie royale de chirurgie; revue des ouvrages des principaux membres de cette compagnie et de quelques autres chirurgiens français). — Histoire de la chirurgie, par Dujardin et Peyrilhe. — Etudes spé- ciales sur Pott, Louis, Jean-Louis Petit, Desault. — Considérations sur les pre- mières années du xix° siècle, — Conclusion....... SES ere rater et: SE 1240 FIN DE LA TABLE DU TOME SECONP ERRATA ET ADDENDA Page 11, ligne 12, lisez des deux Frank. Page 17. Depuis l'impression de la note de cette page, j'ai reçu de mon savant confrère, M, le docteur Desbarreaux-Bernard une analyse du Mémoire de Caillau ; il se trouve en manuscrit dans les archives de la Société médicale de Toulouse. Il est évident, à la façon dont Caillau établit les périodes et juge les systèmes, qu'il n'entendait rien à l’histoire de la médecine, L'auteur reconnait quatre périodes : temps qui ont précédé Hippocrate ; Hippocrate; d’Hippocrate aux arabes inclu- sivement ; des alchimistes jusqu’à Stoll et Barthez. Page 23, ligne dernière, après le mot organiques, ajoutez en note : La substance organisée est douée de deux sortes de propriétés : celles qui lui sont communes avec les corps bruts (propriétés chimico-physiques) et celles qui # appartiennent qu'à cette substance. Ces dernières se nomment propriétés vitales ou organiques. Les propriétés vitales se rapportent à la vie végétative (nutrition dont tous les éléments anatomiques sont doués ; développement, reproduction), et à la vie animale (inner- vation, contractilité). Pour ces diverses propriétés il existe un rapport de contin- gence avec les propriétés physico-chimiques, en ce sens, que celles des forces vitales qui sont dérivées, ou du moins accompagnées de phénomènes physico-chi- miques, revêtent des formes spéciales, sui generis, et qui dès lors sont en soi caractéristiques de la vie. C’est par la mise en activité, spontanée, et le plus sou- vent provoquée, des propriétés ou forces vitales que la nature concourt à la guérison des maladies. C’est là, le seul vitalisme, et le vrai naturisme. Page 49, note 2, lisez Werber Page 66, à la fin de la ligne 26, ajoutez : en Halie, Alf, Corradi Page 81, note 2, ligne 2, lisez 1869 Page 151, ligne 7, lisez Diogène d’Apollonie Page 249, ligne 42, Zisez Paul d’Égine Page 243, ajoutez à la note 4. En 1867, Marquardt dans le Manuel des antiquités romaines (Antiquités privées, T° partie, p. 366) de W. A. Becker, et Friedlaender, dans son ouvrage Sur les mœurs et coutumes à Rome au temps d'Auguste (Leipzig, 1864-1865 ; 3° édit., 1869) ont résumé les renseignements fournis par l’épigraphie et par les textes sur l'exercice de la médecine civile et militaire à Rome. — M, Revil- lout a lu devant l’Académie des sciences morales et politiques un travail Sur la profession médicale sous l'empire romain; une partie de ce travaii à paru dans les Comptes rendus de l'Académie (1866). Enfin, en 1869, M. Briau a donné un Mé- 1302 ERRATA ET ADDENDA. moire sur l’Assistance médicale chez les Romains. — Antérieurement à tous ces in- téressants travaux, il avait paru une foule de dissertations relatives au même sujet (on en peut voir la liste, encore est-elle incomplète, dans la Bibliotheca medico- historica de Choulant, et dans les deux Additamenta de Rosenbaum), dissertations parmi lesquelles il faut distinguer celles de Kühn (voy., au sujet de ces disserta- tions, une note bibliographique dans mon Mémoire sur l'État de la médecine entre Homère et Hippocrate, p. 44, note 5) et de Simpson, le célèbre inventeur du chio- roforme. — On ne doit pas oublier non plus les nombreuses et importantes recher- ches des érudits français (particulièrement de Duchalais et Sichel) étrangers (sur- tout Grotefend) sur les médecins oculistes romains. Page 309, ligne 43, lisez la voix de Boerhaave, encore plus que celle d'Hoffmann, est restée presque sans écho; sa théorie indéeise aboutit à la confusion ; la doctrine Page 329, ligne 43, supprimez le mot premier Page 334, titre courant, Zisez xv° siècle. Page 344, ligne 24, lisez Guy Patin Page 350, Zisez Guy de Chauliac Page 575, ligne 8, lisez Pitcairne Page 620, ligne 12, /isez peu de temps après au lieu de peu de temps avant Page 675, ligne 25, /sez à se contracter Page 675, à la fin de la ligne 28, ajoutez : Haller, dans sa Bibliothèque anato- mique (t. 1, p. 493), à propos du Myologiae specimen de Sténon, dit: «In £pistola ad Thevenotum (qui fait partie de ce Spécimen, p. 48 et suiv.), etiam experimentum habet, quo evincere putavit, vincta arteria aorta, animalis crura resolvi., » Astruc dans sa Dissertatio physico-anatomica de motu musculari, 1708, rapporte aussi cette expérience qui est également citée par Michellotti (voyez plus haut page 816); mais je l’ai vainement cherchée dans cette Lettre à Thévenot, dans celles que Sténon a écrites à Bartholin et dans ses autres ouvrages. Peut-être se trouve-t-elle rapportée par quelque auteur d’après une communication verbale de Sténon; et c’est là où peut- être Astruc l’a vue signalée, car il ne cite aucune autorité et ne saurait avoir emprunté la relation de cette expérience à Haller. Page 684, ligne 24, lisez Graaf. Page 735. Le Sommaire de la xxiv° leçon doit s'arrêter au mot Bernoulli (et non Bernoulli), ligne 3. Même ligne, /isez Crescenzo, Mazino Page 736, titre courant, /isez MÉDECINE STATIQUE, Page 849. Sommaire, ligne 2, lisez Robinson ax lieu de Robertson. Page 918, note 1, ligne 1, au lieu de (Perversa judicia, ete.), lisez : (De differente artis medicae et medicorum conditione ac statu, et criteriis boni ac periti medici — Servant de Préface à la Médecine rationnelle dans l’édit. de Genève, — Voyez aussi De medicis et medicina perversa judicia 1712 ; où Hoffmann montre que par ses exigences, ses préjugés, son ignorance, le public pousse dans la mauvaise voie les médecins qui ne sont pas assez fermes, ou les perdent de réputation, en même temps qu'ils contribuent au mépris de la médecine). Page 962, à la suite de la ligne 9, ajoutez : Les observations consignées dans ce livre (où Hoefer donne les opinions des auteurs sur Ia plupart des maladies, y ERRATA ET ADDENDA, 1303 compris le traitement) sont rares, brèves, quoique parfois curieuses, et, le plus souvent, empruntées. À la fin du volume se trouvent des Miscellanea sur la médecine et le médecin, sur les médicaments, et un Consilium pro sanitate tuendu. Page 964, avant-dernière ligne, lisez Marcellus Cumanus Page 994, ligne 5, lisez (le grand appareil avait été imaginé par Marianus Sanc- tus, ou plutôt par Jean des Romains). Page 1000, ligne 17, lisez Louise Bourgeois Page 1004, ligne 8, /isez Corvisart Page 1005, ligne 5, lisez (mort en 1743) Page 1019, ligne 21, lisez Morgagni Page 1072, ligne 10, lisez Titus. Paris, — Imprimerie de E. MARTINET, rue Mignon, 2. LIBRAIRIE 1. B. rues é LEFÈVRE (A. ). Histoire du service de mé de la marine Minis de ris 4 écoles de médecine navale en France. Paris, 1867, À vol. in-8, avec 43 plans, cartes et fac-simile. ee ee LÉLUT (L.-F.). L'Amulette de Paseal, por L.-F. LÉLUT, membre de l'Institut. Paris, 1846, in 8. 6 fr. . LÉLUT (L.-F.). Du démon de Socrate. Nouvelle édition. Paris, 1856, in-18 de 348 pages. 3 fr. 50 LOUIS (Ant.). Éloges lus dans les séances publiques de FAcadémie royale de chirurgie de 4350 à 42392, recueillis et publiés par Fr. Dugcrs (d'Amiens). Paris, 1859, 1 vol. in-8 de 548 pages. 7 fr. 50 MALGAIGNE (J.-F.). Essai sur l'Histoire et la philosophie de la chirurgie. Paris, 4847, in-4. 4 fr: 50 OUSTALET (Fr.). Résumé de l'Histoire de la médecine. Paris, 1835, 1 vol. in-18. 60 :c. * | PAKÉ. Œuvres complètes. Édition de J.-F. Malgaigne, Paris, 4840, 3 vol. grand in-8, avec 217 figures. 3602 PARISET. Histoire des membres de l’Académie royale de médeeine, ou Recueil des Eloges lus dans les séances publiques , édition complète, pee de l'Eloge de Pariset par Fr. Dupois (d'Amiens). Paris, 1850, 2 vol. in-12 7 fr, PATIN (GUI). Lettres. Nouvelle édition, par REVEILLÉ-PARISE. Paris, 1846, 3 vol. % “ in-8. 21 PAULET (J J.-J.). Flore et Faune de Virgile, ou Histoire néEQuE des plantes et des animaux dont ce poële a fait mention. Paris, 1834, iu-8 avec 4 planches. 6 fr. PEISSE (Louis). La médeeine ct les médecins. Paris, 1857, 2 vol. in-18. 7 fr. PÉTREQUIN (J.-L.). Nouvelles recherches historiques et critiques sur Pétrone. Paris, 1869, gr. in-8 dé 192 pages. 4 fr. 50 ; RAC{BORSKI (A.). Histoire des découvertes relatives au système veineux depuis Morgagni jusqu'à nos jours. Paris, 1841, in-4 (4 fr.). 3 fr. RENOUARD (P.-V.). Lettres philosophiques et historiques sur la méde= De cine au XHX° siècle. 3° édition. Paris, 1861, in-8. 3fr, 50 RISUENO D'AMADOR. influence de l'anatomie pathologique sur la méde- eine depuis More gagni jusqu'à nos jours. Paris, 4837, 1 vol. in-4. BAL: SAINTE-MARIE, Wissertation sur les médecins poëtes. Paris, 1835, { vol. _ in-8. 2 fr. SALVERTE (Eus.). Bes sciences RS 4 ou Essai sur la magie, les prodiges et les miracles, ge édition, par E. LITTRÉ, Paris, 1856, 1 vol. grand in-8. 7 fr. 50. SEGOND (L.-A.). Histoire et systématisation générale de la biologie. Paris, 1851, in-12. 2 fr. 50 . SIEBOLD (Ed.-C.). Lettres obstétricales, traduites, avec introduction et notes, ve par M. STOLTZ, Paris, 1867, 4 vol. in-18 jésus de 268 pages. 2 fr. 50 SIMON (Max.). Étude pratique, rétrospective et comparée sur le traite- ment des épidémies au XVIII‘ siècle. Appréciation des travaux et éloge de : Lepecq de la Clôture. Paris, 1853, in-8. 5 fr. TRÉLAT (U.). Recherches historiques sur la folie. Paris, 1839, in-8. : Paris, — Imprimerie de E, MARTINET, rue Mignon, 2, ce