*Hfci TOI VDy vj£<^_~ *^~ 4 HISTOIRE ET LÉGENDES DES PLANTES UTILES ET CURIEUSES Typographie Firmin Didot. — Me=nil (Euie) Fig. 22. — Ananas (page 49). HISTOIRE ET LÉGENDES DES PLANTES UTILES ET CURIEUSES J. RAMBOSSON ANCIEN RÉDACTEUR EN CHEF DE LA ScidlCe polir tOUS ANCIEN PRÉSIDENT DE LA CLASSE DES SCIENCES DE LA SOCIÉTÉ DES ARTS , SCIENCES ET BELLES-LETTRES DE PARIS OUVRAGE ILLUSTRE De vingt planches dessinées par Foulquier, Freeman, Gerlier et Lancelot gravées par Huyot el de cent vignettes insérées dans le texte PARIS LIBRAIRIE DE FIRMIN DIDOT FRÈRES, FILS ET CIB IMPRIMEURS DE L'iNSTITUT, RUE JACOR , 56 1868 Droits de reproduction et de traduction réservés. AU LECTEUR. Chose étrange ! si l'on jette un coup d'œil sur les ouvrages qui traitent des plantes, ouvrages qui semblent prêter un côté si favorable aux choses intéressantes, on n'y trouve en général que des descriptions, des nomenclatures sèches et arides, on dirait des ouvrages faits exprès pour dégoûter de la science. Ce sont des livres d'histoire qui ne donnent que des dates et des généalogies : rien, en effet, ne ressemble plus à cela que les classifications et les nomenclatures dont nous parlons. Nous sommes loin d'en faire un crime à leurs auteurs, nous sommes loin même d'en faire une critique : leur but et le nôtre sont différents, voilà tout. Au lieu de ces classifications et de ces nomencla- tures sèches et arides, dont l'étude est sans doute d'une nécessité incontestable à nos botanistes de H AU LECTEUR. profession, mais complètement superflue pour un amateur ou un homme du monde, nous nous sommes proposé de faire en quelque sorte la bio- graphie du règne végétal, c'est-à-dire de choisir les principaux sujets qui nous présentent des faits in- téressants, de même que l'on tire de la biographie des hommes illustres un enseignement utile. À qui servent les classifications, les nomencla- tures sans fin? — Elles ne servent qu'au spécialiste qui veut faire sa carrière de l'étude des plantes; pour tout autre, elles surchargent la mémoire au préjudice des choses utiles, mettent le trouble, la confusion dans les idées et dégoûtent de la science. A qui sert l'étude des plantes comme nous l'en- tendons? Pour tous, c'est une étude ou plutôt une récréa- tion agréable et utile. — Toutes les facultés intel- lectuelles, et même les facultés morales, y trou- vent une nourriture fortifiante. Nous avons voulu donner, non pas ce qui peut servir au savant seulement, mais ce qui convient à tout le monde. Depuis bien des années nous cherchions avec amour, nous glanions partout les faits utiles ou curieux qui ont rapport aux plantes; et cela pour notre propre satisfaction , sans songer à les publier. Et lorsque ces matériaux ont été assez considé- AU LECTEUR. m rables pour en composer un livre, nous nous sommes dit : Pourquoi ne ferions-nous pas pro- fiter de nos recherches ceux qui pourraient avoir le même désir que nous avons eu ? Peut-être serions-nous ainsi agréable à la jeu- nesse, qui trouverait dans cet ouvrage quelques roses sans épines, de la science sans travail, une gracieuse image de ses jours heureux et brillants. Et F homme mûr, s'il est sensible et intelligent, que n'apprendra-t-il pas dans les enseignements que nous présente la végétation? Il verra avec émotion se dérouler en tableaux animés quelques- uns des mystères de la vie, eh repassant cette par- tie des sciences qui présente le plus d'applications journalières. L'enfant insouciant et l'aïeul à la tête trem- blante, qui lui apprend à épeler le grand livre de Dieu, y trouveront l'un et l'autre quelques charmes; un langage mystérieux y enseignera à l'un l'avenir, et rappellera à l'autre le passé. Il plaira au littérateur et au poète, nous som- mes-nous dit, car ils aiment à puiser chez les plan- tes leurs plus touchantes et leurs plus belles mé- taphores. Le savant même ne sera pas fâché de trouver réunis dans' un volume relativement peu con- sidérable des faits épars dans des milliers d'ou- vrages. iv AU LECTEUR. Pendant nos nombreux et lointains voyages, dans la mer des Indes principalement, nous avons été à même de faire des observations personnelles sur la végétation luxuriante des riches contrées du tropique, ce qui nous a permis d'ajouter quelque obole au trésor de nos devanciers. On peut voir, entre autres, les chapitres qui ont rapport aux con- sidérations générales sur les plantes, à l'ananas, à l'arbre du voyageur, au bambou, à la vanille, etc. De nombreuses gravures, dont nos lecteurs sau- ront apprécier l'exactitude et la belle exécution, ajoutent un mérite de plus à l'intérêt de l'ouvrage. Nous n'avons pas besoin de dire que cet ou- vrage est écrit sans aucune prétention. Nous avons cherché à satisfaire notre curiosité, en réunissant de toutes parts les faits qu'il contient ; nous y avons ajouté quelques souvenirs, voilà tout. Nous le relisons avec plaisir; et comme le goût de tous .les hommes se ressemble par quelques points, pour les productions de la nature, nous espérons aussi que la curiosité du lecteur sera satisfaite en retour- nant ces pages, ou du moins qu'il ne les par- courra pas avec trop d'indifférence. Il a fallu nous borner, par conséquent passer sous silence un grand nombre de plantes, même de celles avec lesquelles nous avons d'importantes relations, mais qui ne nous offrent pas de faits analogues à ceux qui ont déterminé notre choix. AU LECTEUR. Cependant nous avons jugé utile d'en donner le dessin lorsque l'occasion s'en est présentée; ainsi, au lieu de laisser une partie de page blanche à la fin d'un chapitre, nous y avons placé des gravures choisies avec soin, et dont la simple vue suffit pour faire reconnaître les plantes qu'elles représentent. Si nous ne les avons pas accompagnées d'une des- cription scientifique, c'est qu'elle aurait trop étendu le cadre de notre ouvrage; et d'ailleurs un célèbre botaniste a pu dire avec vérité : Si peu que vaillent les dessins , ils donnent souvent du végétal une idée plus exacte que les phrases les plus claires et les plus nettes. HISTOIRE ET LÉGENDES DES PLANTES UTILES ET CURIEUSES LES PLANTES. LEUR INFLUENCE, LA NOSTALGIE, LEURS ENSEIGNEMENTS. I. Un spectacle des plus grandioses , des plus enchanteurs et des plus vivifiants pour l'homme, c'est celui des vastes forêts. Quelle harmonie ineffable et touchante murmurent les feuillages divers! Quel parfum suave ils prêtent à la brise qui les caresse ! Que leurs frais ombrages ont de douceur et de charme ! Au sein des bois , il semble que la vie se purifie , que les passions se calment, que la fièvre s'éteint, que les pen- sées s'élèvent, que les sentiments s'agrandissent; on y sent mieux l'origine céleste de l'homme. 2 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. Tous les hommes supérieurs , tous les hommes doués de grandes facultés ont un attrait naturel et presque invincible pour la solitude, et surtout pour les grands bois. Toutes ces harmonies d'espaces libres, de douce lu- mière, d'ombres profondes; les accords sans fin des feuil- les frémissantes, les parfums aux maies suavités, toute cette atmosphère de vibrations et de scintillement qui les environne et les pénètre, leur semble le reflet d'un monde mystérieux qu'ils entrevoient, qu'ils touchent presque et qui est à l'unisson des pensées , des sentiments dans les- quels ils aiment à se bercer. C'est non-seulement les intelligences qui semblent lire dans l'espace les idées divines, qui aiment à s'égarer dans les sombreurs des vastes forêts ; les grands, les no- bles cœurs frappés n'y trouvent pas moins de baume. La douce mélancolie dont ils s'y nourrissent et ce senti- ment de la Divinité qui s'y fait sentir remplacent pour eux le charme des illusions déçues. Il y a des régions privilégiées où tout ce qui s'exhale, tout ce qui entoure l'homme, est propre à nourrir, à dé- velopper la vie physique et même la vie morale. In génie bienfaisant semble y veiller au salut de l'hu- manité et prendre soin de son bonheur. Les fluides, les émanations qui nous enveloppent de toutes parts pénètrent dans notre organisation, et ne tar- dent pas à faire partie de notre être en passant sous l'ac- tion de la vie; et, par suite des admirables rapports du corps et de l'Ame, il est évident qu'ils peuvent influer sur nos facultés intellectuelles. CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES. 3 Ce sont les endroits ombragés des forêts surtout, qui sont favorables à notre existence . Les arbres sont des amis dévoués et fidèles; jamais ils ne nous reprochent leurs bienfaits, et leur amour n'est pas susceptible de se changer en haine. Les plantes renferment pour nous de vraies panacées ; ce sont des pharmacies naturelles que la Providence a éta- blies sur le globe pour prévenir nos maux ou pour les guérir. De leur bois, de leur écorce, de leurs bourgeons, de leurs feuilles, de leurs fleurs, de leurs fruits s'exhalent des essences vivifiantes, qui fortifient nos organes, régénè- rent notre sang, et neutralisent les principes méphitiques qui nous entourent. L'histoire de tous les siècles nous apprend que les ré- gions favorisées où s'étendaient de vastes forêts ont tou- jours été saines et amies de l'homme. . Et ces mêmes régions, d'où l'on a fait disparaître les forêts, sont devenues marécageuses et ont donné naissance à des miasmes et à toute espèce de principes de mort. On pourrait citer de nombreux exemples : Aujourd'hui les fièvres paludéennes qui régnent dans certaines régions de l'Asie Mineure les rendent inhabi- tables; cependantles auteurs anciens parlent de marécages peu étendus et ne parlent pas de fièvres paludéennes, parce que dans ce temps-là les forêts existaient. Il y a mille ans, la Brenne était couverte de forêts en- trecoupées de prairies; ces prairies étaient arrosées d'eaux courantes et vives. C'était alors un pays renommé pour la fertilité de ses pâturages et la douceur de son climat. 4 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. Aujourd'hui que ses forets ont disparu, la Brenne est triste, marécageuse et malsaine. On peut en dire autant de la Dombe, de la Bresse, de la Sologne, etc. Voici un exemple qui est une démonstration perma- nente. Dans les Marais Pontins, un bois est interposé sur le passage d'un courant d'air humide , chargé de miasmes pestilentiels; eh bien, ce bois préserve les parties qui sont derrière lui, tandis que les autres sont envahies par le fléau destructeur \ Ainsi, les lieux d'où les forêts ont disparu semblent habités par de mauvais génies, qui ont hâte de s'incor- porer à nos organes et se manifestent sous la forme de fièvre, de choléra, de maladie de poitrine, de maladie de foie, de rhumatisme, etc. Il suffit, par exemple, de respirer pendant quelques secondes dans certains parages redoutés de Madagascar, ou de quelques îles funestes environnantes, pour qu'une prompte mort envahisse instantanément toute l'organisa- tion. Le jeune homme le plus fort, le plus robuste, le plus vigoureux, le jeune homme rayonnant d'ardeur, qui va chercher l'avenir doré dans ces parages sous l'influence de ces miasmes se sent expirer, comme si le venin du crotale courait dans ses veines , et s'il échappe à ces tor- tures, c'est souvent pour végéter tristement le reste de ses jours comptés. One d'infortunés de ce genre n'ai-je pas rencontrés pendant mon voyage dans la merdes Indes! Quel sacrilège de songer à vous détruire, douces cl 1 M. BF.cyiEREL, Académie des Sciences. CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES. 5 mystérieuses forêts, atmosphère de vibrations célestes, or- chestre divin où la brise murmure en gammes infinies l'hymne d'amour qui révèle le Créateur à la créature! Forêts amies, sombres feuillages, profondeurs obscures, vous calmez toutes les douleurs! Sous vos ombrages Pâme aussi bien que le corps goûte le repos régénérateur; la Divinité s'y abaisse jusqu'à nous; elle nous touche de son ombre; elle nous émeut jusqu'au fond de Pâme; elle nous caresse comme du souffle bien aimé d'une mère adorée! Fig. l. — Magnolia à grandes Heurs. PLAINTES UTILES ET CURIEUSES. II Jamais on ne pourra se faire une juste idée de toute la magnificence, de toute la splendeur que nous présentent les plantes, si l'on ne va les contempler sous les climats brûlants; mais une des choses que les voyageurs, à notre avis, n'ont pas remarquées suffisamment, et qui fait éprouver une espèce de nostalgie pour ces beaux pays, c'est l'harmonie enchanteresse qui résulte du bruit de la mer et de celui de la brise dans les divers feuillages. A l'île de la Réunion , nous avons été frappé de ce concert sublime, d'une solennité sans pareille. Comme il y a toutes les températures : la glace au haut des montagnes, et les chaleurs tropicales au bord de la mer, il y a aussi les arbres les plus divers, par conséquent les feuillages les plus variés, et chacun emprunte à la brise une voix, une note particulière dans ce grand concert de la nature. Il y en a un remarquable entre tous, c'est le filaos, es- pèce de cèdre qui tient du pin et du saule pleureur; son sommet se perd dans le bleu du ciel, et ses branches nom- breuses, portées par un tronc souple et élégant, soutien- nent des faisceaux de feuilles pressées, longues, cylindri- ques et fines comme des cheveux; elles se penchent vers la terre, et lorsque la brise vient les faire tressaillir de son souffle, elles chantent d'une voix mélancoliqueet plaintive, que l'on recherche toujours dès qu'une fois on l'a entendue. Les cocotiers (fig. 7 page, 21) , les palmiers, aux feuilles Fig. 2. — Bananier. CONSIDERATIONS GÉNÉRALES. 9 longues, dures et luisantes comme de l'acier, font réel- lement entendre le cliquetis des armes. Les feuilles gigantesques du bananier (fig. 2 et 3) sont l'écho de la voix du torrent débordé, en brisant l'air comme de vastes tuyaux d'orgues. Fig. 3. — Bananier de Chine. Les bambous aux chaumes élancés, qui se lamen- tent et grincent en se pliant, produisent de longs gémis- sements qui, se mêlant aux voix, aux pleurs, aux mur- mures de mille autres feuillages, aux vastes clameurs de la mer agitée dans le lointain et aux mugissements de la III PLANTES UTILES ET CURIEUSES. vague qui se brise sur la grève, forment un orchestre immense dont les sons divers, s'élevant vers les cieux, semblent y porter l'accent infini de toutes les joies et de toutes les douleurs de la terre. Os arbres, aux tiges variées, au feuillage épais, sonl Fig. U. — Livistonc austral (espèce de palmier): continuellement balancés par la brise qui règne sans in- CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES. il teiTiiption ; sous la lumière éclatante de ces climats, leur ombre parait noire, et comme elle est sans cesse en mou- vement, on dirait que tout est animé, que des sylphes et des fées sortent et s'échappent de tous côtés. Il y a constamment des fleurs aux parfums les plus péné- trants, et surtout lorsque celles du bois noir sont écloses, on dirait que chaque brin d'herbe, chaque feuillage, chaque goutte de rosée, se sont transformés en essences que la brise puise en passant pour embaumer les heu- reux mortels de cet éden. Ces régions enchantées ont des habitants dignes d'elles. L'hospitalité créole est proverbiale; chaque famille est heureuse de recevoir l'étranger, et bientôt on le compte comme ami et comme frère. Les femmes créoles ont l'élégance de leurs palmiers; elles sont fraîches et suaves comme la corolle qui s'épa- nouit à l'aurore; leur gracieuseté et leur bienveillance vous enveloppent comme les senteurs pénétrantes qui s'é- chappent de l'éblouissante végétation qui les entoure. Le Français qui rencontre un autre Français dans ces pays lointains semble y retrouver une partie de la France qui vient lui sourire, et l'union qui s'établit est indisso- luble. Jamais le voyageur ne peut oublier les scènes tou- chantes de la varangue, les soirées enchanteresses que l'on y passe, et la coupe joyeuse de l'amitié que l'on y échange. Cependant, sous ce ciel éclatant de pure lumière, dans cette atmosphère d'ombre, de parfum et d'harmonie, il me semblait qu'une teinte de mélancolie infinie ét;iil répandue partout. !2 PLAINTES UTILES ET CURIEUSES. Je regardais ce beau ciel, j'écoutais le tremblant feuil- lage, je respirais les senteurs pénétrantes, mais quelque chose nio manquait dans cet horizon; et lorsque j'ai voulu me rendre compte de ce qui me manquait, j'ai trouvé que c'était les arbres de mon pays, qui ne venaient pas dans toutes les zones , et surtout qui ne venaient pas aussi beaux. Je cherchais instinctivement le chêne immense, le grand noyer, le marronnier à la tendre verdure, le peu- plier élancé, le saule paisible, le bouleau à l'ombre lé- gère lig. 5 ; j'avais la réminiscence de l'odeur de leur feuillage qui se mêlait aux souvenirs les plus chéris, mais vainement; j'éprouvais alors un vide immense et indicible, que rien ne pouvait remplir; les larmes venaient natu- rellement sous ces impressions, vagues et profondes. J'avais faim, j'avais soif des parfums des arbres qui avaient ombragé mon enfance : une faim inassouvible , une soif inextinguible. Cet aliment invisible que nous donnent les exhalaisons des plantes auxquelles on est ha- bitué dès l'enfance était devenu pour moi d'une nécessité absolue, une condition de santé. A mon retour de ces voyages lointains , les premières semaines surtout, j'allais à la pépinière du Luxembourg hélas ! pauvre pépinière! ), j'allais sous les frais ombrages du bois de Boulogne, et là, pendant de longues prome- nades, je froissais des feuilles dans mes mains, et je respirais le parfum qui s'y développait. Je sentais que mes poumons s'épanouissaient, s'incorporaient une vie nouvelle, en même temps que cette atmosphère qui s'exhalait. lïg. 5. — Bouleau. CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES. 15 III, Les poètes, qui, comme les femmes, ont des pressen- timents intelligents qui leur font deviner les belles et bonnes choses, témoignent une prédilection spéciale pour les plantes ; de tout temps les uns leur empruntèrent leurs plus touchantes figures, les autres l'inspiration de leurs ornements les plus gracieux. L'élégante coiffure imitée de feuillage que portaient les femmes romaines dans le dixième siècle fig. 6 , ne rivalise-t-elle pas de charme avec- ce que le goût le plus exquis invente chaque jour en ce genre '. Les plantes sont pour nous non -seulement de gra- cieux symboles, elles nous offrent aussi de précieux en- seignements, car les lois qui régissent leur vie sont ana- logues à celles qui régissent la nôtre. Que de lumières ne pourrions-nous donc pas puiser chez elles ! Ainsi : Chez les végétaux comme chez les animaux, comme chez l'homme , il ne faut pour qu'ils atteignent une longue vie ni trop de rigidité dans les organes, ni trop de viscosité dans les humeurs; les organes doivent être forts et souples; les humeurs limpides et riches en éléments. ■ Nous empruntons cette gravure à l'ouvrage publié par la librairie Firmin Didot : Costumes anciens et modernes, 2 vol. in-8°. Cet ou- vrage, exécuté par Vecellio avec le concours du Titien, intéresse le public ami des arts. L'originalité et la bizarrerie des costumes pour- ront même souvent suggérer aux dames d'utiles inspirations. 10 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. Trop de rigidité et de solidité dans les organes, trop de viscocité dans les humeurs rend de meilleure heure les uns imperméables, les autres immobiles, produit des engorgements, et amène plus promptement la vieillesse et la mort. Les organisations humaines destinées à vivre long- temps ont en général quelque chose de l'homme et de la femme; elles sont sensibles et fortes, délicates et éner- giques. Le végétal qui atteint promptement son entier accrois- sement meurt promptement; il en est de même de l'homme. On a reconnu que l'homme et les animaux pou- vaient, en général, vivre cinq fois le temps qu'ils mettent à croître. La loi la plus constante pour la durée de la vie dans le règne végétal , c'est que plus une plante fleurit vite moins elle dure, et réciproquement; celles qui fleurissent la première année meurent aussi la première année , et celles qui donnent des fleurs au bout de deux ans meurent dans le cours de la seconde année. Les arbres et les végétaux ligneux, qui ne commencent à produire que vers la sixième, la neuvième et la douzième année, sont les seuls qui vieillissent; et môme, parmi eux, les espèces qui commencent le plus tard à se reproduire sont les seules qui atteignent l'âge le plus avancé. En général, les plantes qui sont les plus précoces dans la reproduction5 sont aussi celles dont le terme de la vie est le plus prochain. Il en est de même pour l'homme : plus sa formation complète est prompte, et plus aussi son existence est courte, Fig. C. — Costume de femme romaine en usage dans toute l'Italie au Xe siècle. 2 CONSIDÉRATIONS GENERALES. 19 toutes choses égales d'ailleurs. C'est une règle que l'on peut regarder comme absolue. Chez la plante, comme chez nous, la longévité dépend du plus ou moins de rapidité de la consommation, et du plus ou moins de perfection avec laquelle se fait la répa- ration des pertes. Quand la vie d'une plante a trop d'intensité, quand la consommation se fait chez elle avec trop de force et de rapidité, elle vit moins longtemps que lorsque tous ses mouvements sont modérés. Si, par exemple, on remue la terre tous les ans au pied d'un arbre, on le fait végéter avec plus de vigueur et donner des fruits avec plus d'abondance, mais en même temps on abrège la durée de son existence. Si, au con- traire, on ne fait cette opération que tous les cinq ou tous les dix ans, l'arbre vivra avec moins de force, mais plus longtemps. Il en est de même pour l'homme, plus il vit vite, passé un degré moyen, moins il prolongera ses jours. On a également remarqué qu'en remuant la terre aux pieds des vieux arbres auxquels personne n'a touché de- puis longtemps, on leur fait pousser un feuillage plus abondant; on les rajeunit en quelque sorte. Les hommes qui ont passé la première partie de leur vie dans un état de labeur et de privation peuvent de même jouir, pour ainsi dire, d'une seconde jeunesse dans un âge plus avancé, s'ils sont entourés des commodités de la vie. En général, l'art et la culture abrègent la vie des végé- taux. On peut poser en principe que les plantes sauvages, 20 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. abandonnées à elles-mêmes, vivent plus longtemps que celles que l'on cultive. On ne peut cependant dire cela de tous les genres de culture; car il y a, par exemple, des plantes qui ne vi- vraient qu'un an ou deux dans la campagne, et que l'on fait durer bien plus longtemps à force de soins. Gela prouve que même pour les végétaux il y a des moyens qui peuvent reculer le terme ordinaire de la vie. Il y a doncune culture pour la plante, comme un régime pour l'homme , qui prolonge la vie , et une autre qui l'a- brège. Il est facile de comprendre que plus la culture aug- mente l'intensité de la vie et la consommation intérieure, plus elle use les organes, plus elle les rend délicats, et plus elle nuit à la durée de leur existence. C'est ce que nous voyons d'une manière bien sensible dans nos serres, où la chaleur, les engrais et les soins de chaque instant entretiennent une activité intérieure con- tinuelle , qui fait que les plantes produisent de meilleure heure et plus souvent des fruits d'une qualité supérieure à celle que leur nature comporte. La culture propre à prolonger la vie dos plantes esl celle qui n'augmente pas outre mesure l'intensité de leur vie, qui retarde la consommation intérieure, qui diminue assez la viscosité des humeurs et la rigidité des organes pour leur conserver plus longtemps la perméabilité et le mouvement; en un mot, celle qui arrête les influences destructives et qui fournit des moyens plus puissants de régénération. Tous ces principes s'appliquent parfaitement à la Ion- Fisr. 7. — Cocotiur nucittre. CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES. 23 gévité humaine; l'homme qui suit habituellemenl un ré- gime trop stimulant se développe trop promptement, et arrive plus promptementà la lin de sa carrière. L'homme, au contraire, toutes choses égales d'ailleurs, (jui suit un régime parfaitement approprié à sa nature se développe plus lentement, mais plus complètement; il conserve toutes ses facultés dans un âge plus avancé, et peut parcourir une carrière plus étendue. Enfin, les principes qui résultent des faits observés sur la plante, et qui peuvent parfaitement s'appliquer à l'homme et à tout être organisé, peuvent se résumer ainsi : l'n être organisé ne peut atteindre un Age avancé qu'à la faveur des conditions suivantes : I ° Il faut qu'il se développe lentement ; 2° Qu'il se propage lentement et tard ; 3° Que ses organes n'aient qu'un certain degré de soli- dité; qu'ils soient souples et forts; i° Que ses humeurs ne soient pas trop aqueuses; qu'elles soient limpides et riches en éléments; 5° Qu'il ait une taille, suivant son espèce, plutôt grande que petite; qu'il soit bien proportionné; 0° Qu'il vive dans un milieu approprié à sa constitution et qu'il ait une nourriture abondante et variée, sans être trop stimulante; 7° Il faut de plus à l'homme la paix et une force mo- rale qui lui permette de conserver la tranquillité dans les circonstances les plus pénibles de la vie. 21 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. IV L'action principale de la vie de la plante, comme celle de l'homme, consiste dans une simultanéité continuelle de destruction et de réparation. L'être organisé ne cesse de puiser dans ce qui l'en- toure les molécules nouvelles qui passent de l'état de mort à celui de vie; d'un autre côté, les molécules usées, corrompues, ne cessent de se détacher; elles repassent ainsi du monde organique dans le monde inorganique, dont elles étaient sorties pour quelque temps. Il s'opère donc des changements, des transmutations vraiment incroyables pour ceux qui n'y ont pas encore réfléchi sérieusement. La nature entière n'est qu'un fleuve qui roule successivement ses molécules dans les exis- tences les plus diverses. Cette rose, aux couleurs si tendres et si fraîches, esl peut-être reconstituée des débris de l'insecte qui rampait au pied de sa tige ou du papillon volage qui allait se re- poser sur quelques-unes de ses ancêtres. En aspirant ce bouquet de violettes ou ce rameau de réséda , la tendre mère ne soupçonne pas qu'elle aspire peut-être des molécules qui ont appartenu à la petite exis- tence chérie qu'elle pleurait, il n'y a que quelques joins. Ce pauvre noir des colonies qui féconde le solde son acre sueur, peut avoir dans son sang des molécules qui ont jadis circulé dans les veines de quelque César. Et cette beauté que tous admirent , dont le doux regard CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES. 25 efface l'onctueuse lumière qui rayonne de ses diamants, l'ivoire est moins éclatant que les perles qui brillent à tra- vers ses lèvres de corail animé; cet être enchanteur ne soupçonne guère les transmigrations par lesquelles ont passé les molécules qui sont sous l'influence de sa vie et auxquelles ('lie t'ait subir une transformation éblouissante. Si une île ces molécules voulait nous dire son histoire , que de choses étranges ne nous révélerait-elle pas! Depuis que la terre existe, nous dirait-elle peut-être, je vous assure que j'ai eu de singulières pérégrinations. J'ai été brin d'herbe, puis, retournée en liberté, j'ai été aspirée par les racines d'un puissant chêne, je suis de- venue gland, et puis, hélas! j'ai été mangée, par qui?... j'ai été salée pour faire un voyage au long cours; un ma- telot m'a digérée, puis je suis devenue lion, tigre, ba- leine, ensuite j'ai été administrée à une jeune poitrine malade , etc . . . L'imagination se perd dans cette transformation des molécules de la matière; elles peuvent successivement ap- partenir à ce qu'il y a de plus saint et de plus ignoble, de plus ravissant et de plus horrible. C'est là le vrai panthéisme, tout se trouve dans le tout. Tous les êtres de l'univers matériel ne font réellement qu'un; leurs molécules passent successivement des uns dans les autres, prennent la nature même de l'être qui les absorbe, et peuvent devenir successivement rose ou papillon, goutte de rosée ou rossignol, plantes des eaux, poissons qui parcourent les mers, etc., et passer ainsi par toute l'échelle des existences. La seule chose qui ne se transmette pas , qui demeure 20 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. personnelle, c'est l'Ame, c'est l'esprit de l'homme qui a la conscience et la responsabilité de ses œuvres et qui domine le monde. Que d'étranges communions il existe parmi les liom- Fig. 8.— Palmier-dattier. mes, depuis qu'ils habitent la terre! C'est le même air, par exemple, qui alimente toutes les poitrines de l'humanité et qui passe successivement des unes dans les autres. CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES. :>7 Quand j'étais bien loin de mon pays, que j'avais tra- versé le vaste Océan, que je me reposais sons le palmier des Indes, à quatre mille cinq cents lieues de la France, je me consolais alors que je sentais les brises rafraîchies qui me venaient de la mer. J'ouvrais largement ma poi- trine, et je me disais en aspirant cet air électrique : Peut- être est-ce l'air qui a passé sur mon pays; peut-être a-t-il traversé la chambre de ma mère, a-t-il été ins- pire par elle et par tant d'êtres qui me sont chers; je le consultais en silence et je me perdais en profondes mélan- colies. Dans mon illusion, j'avais envie de confier à l'o- reille de ce messager inconstant bien des secrets qui dé- bordaient de mon cœur. Tout dans la nature nous rappelle que les hommes sont frères, et cette vaste solidarité qui existe entre eux. Fig. 9. — Doradille nid d'oiseau (espèce de fougère). L'ACANTHE. L'acanthe épineuse en architecture; l'acanthe molle; Callimaque el le chapiteau corinthien. Acanthe vient du grec akantha, épine. L'acanthe est une plante herbacée remarquable par la beauté de son port et par l'élégance de ses feuilles. Deux espèces d'acanthes croissent naturellement dans le midi de l'Europe; l'acanthe épineuse et l'acanthe molle. L'acanthe épineuse est plus finement découpée que l'acanthe molle. Elle offre à l'extrémité de ses segments des piquants roides et aigus (fig. 10); les architectes du moyen âge l'ont souvent imitée, comme on peut le voir dans plusieurs édifices gothiques, et entre autres à Notre- Dame de Paris L'acanthe molle est celle qui a donné naissance au chapiteau corinthien. Vitrine .lit à ce sujet qu'une jeune fille de Corinthe étant morte au moment de se ma- rier, sa nourrice recueillit plusieurs des objets qui lui avaient appartenu et les plaça dans une corbeille qu'elle alla déposer sur la tombe. Elle avait eu soin .le recou- vrir la corbeille avec une tuile. Une racine d'acanthe se trouvait par hasard dans ce lieu; au printemps elle poussa des feuilles qui entou- rèrent la corbeille, mais qui rencontrant la tuile furent forcées de se recourber. Le sculpteur Callimaque, passant près .lu tombeau, 30 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. fut frappé de l'aspect gracieux qu'il présentait, et y trouva le modelé du chapiteau corinthien fig. 1 1 . D.ans le langage des fleurs, l'acanthe est l'emblème du culte dos beaux-arts. Fig. 10. — Acanthe épineuse. L'AGONIT. Ses di\crscs espèces, son origine dans la fable, poison qu'il fournil, ses usages dans la médecine. Aconit vient du mot grec akoniton, qu'on dérive d'a- coné, pierre, parée que cette plante croît dans les terrains pierreux. Ce genre présente de l'im- portance, à cause des propriétés vé- néneuses de la plupart des espèces qu'il renferme. La plus remarquable et la plus gé- néralement connue est Y aconit napel, vulgairement tue-chien, grande et belle plante, à fleurs en épi. Ses co- rolles ont la forme d'un casque et sont d'un beau bleu iig. 12). Elle croit en France et dans les ré- gions méridionales de l'Europe; elle est très-commune en Savoie , sur les rochers et au sein des pâturages des montagnes; on la cultive même dans les jardins. Vient ensuite l'aconit lue-loup, que caractérise la couleur de ses fleurs , qui sont d'un jaune livide, mais à peu près delà même forme que celles du napel, et disposées également en épi. Fik-. 12. Aconit napel. 32 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. On trouvait ces plantes en grande quantité auprès d'IIé- raclée, dans le Pont, où était la caverne par laquelle on prétendait qu'Hercule était descendu aux enfers; de là la fable imaginée par les poètes, que cette plante était née de L'écume de Cerbère, lorsque Hercule lui serra forte- ment le gosier et l'arracha de l'empire des morts. « Né du venin subtil que le chien des enfers Vomit de son gosier écumant dans les fers, Sous la voûte d'un roc , ténébreuse caverne S'enfonce un chemin creux, descente de l'Averne, Où de la nuit profonde, Hercule , de retour, Traîna l'affreux Cerbère à la clarté du jour. Sa triple tète, en vain rejetée en arrière, Du soleil odieux repoussa la lumière ; Un hurlement sauvage épouvanta les airs ; Une écume de rage infecta ces déserts, Et du suc infernal de ce venin livide Germa de l'aconit la semence homicide. » (De Saunt-Ange , trad. des Métamorphoses. Au dire des poètes, l'aconit était le principal ingrédient des poisons préparés par Médée. C'est dans le suc de l'aconit que jadis les Germains et les Gaulois trempaient leurs flèches pour les empoisonner. Le principe actif de cette plante paraît être l'aconitine, que les chimistes ont extraite des feuilles du napel. Cette plante est mise au rang des poisons acres; outre ses ef- fets locaux, elle agit encore par absorption, et détermine des désordres graves dans l'innervation. En médecine , on administre l'aconit contre les affec- tions rhumatismales chroniques, contre les névralgies, la paralysie et l'hydropisie. L'homœopathie surtout en fait L'ACONIT. 33 un grand usage pour combattre les hémorragies et pour remplacer, dans la plupart des cas, les émissions san- guines. Sa préparation la plus usitée est l'extrait fait avec le suc exprimé de la plante fraîche ; la dose est de cinq centigrammes à un décigramme, que l'on peut aug- menter progressivement. Dans le langage des fleurs , cette plante est l'emblème du crime. Ellébore rose-de-Noël. L'AGARIC. Sis propriétés; faits curieux. Agaric \ient à'Agaria, contrée de la Sarmatie méri- dionale, ou ce champignon croit en abondance. On appelle ainsi le genre de champignons qui ont pour caractère principal un chapeau distinct du pédoncule, et garni intérieurement de lames nombreuses irradiant du centre à la circonférence. Les agarics croissent dans les lieux humides et ombra- gés; dans les prairies, les fumiers, les troncs d'arbre, les caves et les bois pourris. Ce genre contient un grand nombre d'espèces , dont quelques-unes offrent un mets très-délicat, mais qui, pour la plupart, sont vénéneuses. L'agaric blanc était jadis fort employé comme vomitif et purgatif. L'agaric amadouvier, qui croit sur le tronc des vieux chênes, des ormes, des bouleaux, etc., sert à faire l'a- madou. Il est excellent aussi pour arrêter l'hémorragie dans les coupures des veines et des artères : Le puissant agaric, qui du sang épanché Arrête les ruisseaux, et dont le sein fidèle, Du caillou pétillant, recueille l'étincelle. (Deltlle.) 11 y a lieu de croire que la propriété que possède l'agaric 36 PLANTES UTILES ET CI "KIEI "SES. d'arrêter les hémorragies était connue des anciens, puis- qu'ils ont nommé celui qui croît sur le chêne : Agaricus sariguinem sistens, c'est-à-dire : agaric qui arrête le sang. .Mais cette découverte avait été longtemps oubliée, lorsque le hasard Fa fait remettre à Tordre du jour. Au milieu du siècle dernier, un bûcheron s'étant donné, sur le pied, un coup de cognée, et ne pouvant arrêter le sang qui coulait en abondance, s'avisa de couvrir la plaie d'un morceau d'agaric qui se trouvait à portée de sa main, ce qui le mit en état de retourner chez lui. M. Brossard, chirurgien chargé du soin du malade, proposa ensuite ce champignon comme un remède sou- verain pour cet usage. L'agaric comestible ou champignon de couche est le seul Fig. l'i et 15. — Champignon comestible. qu'on'permette de vendre à Paris. Le pédoncule est haut de 3 à 5 centimètres, le chapeau convexe, lisse, garni en dessous de feuillets d'un rose terne qui noircit en vieillissant. La couleur générale est d'un blanc brunâtre; l'odeur et le goût en sont très-agréables. L'ALOES. Ses diverses espèces; son emploi dans la médecine et dans l'économie domestique: l'aloès dans les contrées lointaines; charmante allégorie. Ualoès, autrefois rare dans nos contrées, est maintenant connu de tout le monde ; c'est une plante d'ornement très- belle, aux feuilles épineuses, charnues, longues, armées sur leurs bords de petites pointes très-piquantes ; elles sont disposées en rond et réunies à la base de la hampe , qui a un mètre à deux mètres de hauteur, quelquefois plus, et se termine par un épi de fleurs. Les fruits de l'a- loès sont oblongs ou cylindriques, triangulaires, divisés dans toute leur longueur en trois capsules remplies de se- mences plates. Cette plante se plaît dans les lieux chauds , secs et sur les roches; elle appartient particulièrement à l'Afrique; cependant on la trouve dans un grand nombre de régions, entre autres dans le midi de l'Europe et on la cultive dans nos jardins. Elle possède de nombreuses variétés. Son suc fournit des matières colorantes et une gomme résineuse amère, odorante , d'un grand usage en médecine. Dans le commerce on distingue trois principales espèces de sucs d'aloès : 1° Yalocs socotrin, tiré primitivement de l'ile Socotora : c'est l'espèce la plus pure; il a une odeur aromatique particulière ; sa saveur est d'une amertune in- tense et durable; il est en morceaux d'un brun foncé lui- 38 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. sant; il s'amollit entre les doigts, et devient collant; sa pou- dre est d'un jaune d'or; 2° Valois hépatique, plus grossier, d'un rouge brun comme le foie <\u grec hépar); 3°Yaloés caballin, moins estimé, d'un brun sale, et usité seule- ment comme médicament pour les chevaux. I/aloès, piis à petites doses, est tonique; à plus haute dose c'est un purgatif puissant ; on l'emploie spécialement contre la jaunisse et la constipation; son effet est lent, mais sur : on le défend aux personnes affectées d'hémor- roïdes. La pulpe de ses feuilles neutralise les brûlures. L'aloès l'ait la base de la préparation nommée élixir de longue vie. Les habitants de la Cochinchine font avec cette plante une préparation agréable au goût, qu'ils mangent avec du sucre ou avec des viandes. Pour l'obtenir, on fait macérer les feuilles d'abord dans une eau alumineuse et ensuite dans de l'eau froide. On tire des feuilles de l'aloès un iil très-fort et très- blanc, dont on fabrique des cordes, les meilleures qui existent, des filets et des tissus. Cette plante a un rare mérite, c'est de croître dans les lieux les plus stériles; la beauté de ses formes et la su- prême élégance des belles espèces, en font un des orne- ments le plus pittoresques et le plus gracieux des pays où elle vient en abondance, tels qu'à l'île de la Réunion, par exemple. Lorsque l'on voit l'aloès étendre ses faisceaux diver- gents de larges feuilles, balancer sa tige couronnée d'un long épi de fleurs dans les endroits les plus déserts, au bord de la mer agitée, sur la pente des rochers les plus arides, il semble qu'il est le compagnon de l'exilé; on le Fig. 16. — Uoè L'ALOKS. 39 contemple en ayant l'air de lui compter bien des choses! son aspect l'ait alors éprouver un sentiment de douce et profonde mélancolie , qui inspire le porte ; aussi a-t-il été chante d'une manière (pie je trouve ravissante par nu de nos compatriotes et un ami, M. de Monforand, que j'ai connu clans ces contrées lointaines. Le lecteur me saura gré de donner ici ces stances qui expriment avec une grâce parfaite une délicieuse allégorie. La vie est un combat dont la palme est aux deux. Sur nos monts décharnés, dans un sol tout de pierre , Incessamment brûlé par les flots de lumière Que lui verse un soleil de l'eu , Vous avez vu souvent une robuste plante Dardant de tous côtés la pointe menaçante De ses grandes feuilles vert-bleu. Regardez à l'entour... Pas un brin de verdure ]N'ombrage du rocher la face sombre et dure , Pas un murmure de ruisseau : Dans ce coin désolé l'aloès solitaire Pousse loin des regards, et son aspect austère Écarte le vol de l'oiseau. Et pendant bien des mois il semble vivre à peine ; Mais pourtant sans relâche il grandit, il enchaîne Le rocher dans ses bras noueux. Il arrête en passant les atomes de terre Que transporte la brise, et boit l'eau salutaire Qui tombe du ciel orageux. Mais un jour il s'éveille à la vie , il découvre Le mystère enfermé dans son sein, qui s'entr'ouvre , Il se dresse en lut élégant; Puis en rameaux légers il étage sa tige , 40 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. Et se couvre de (leurs où l'essaim qui voltige Vient puiser uu suc odorant. Et quand il a jeté ses parfums à la brise , L'aloès se flétrit fleur à fleur, il se brise Et meurt sur le roc étendu. Trop heureux si, perçant le dur linceul de pierre , Un rejeton chétif renaît de sa poussière Pour vivre et tomber inconnu Tel est aussi ton sort, ô sublime génie ! Tu n'es pas, toi non plus, des élus de la vie : Marchant loin des sentiers frayés, Tu te nourris longtemps du pain de la misère, Et les plaisirs du monde à ton regard sévère Se détournent tout effrayés. Puis à l'heure où le temps a mûri ta pensée Tu laisses s'épancher ta force réservée; Tu lèves ton front radieux, Et ton âme, cherchant une sphère plus grande , Monte vers le Seigneur et lui porte l'offrande De ses travaux mystérieux. Mais bientôt épuisé de cet effort immense , Tu sens flétrir en toi la fleur de l'existence ; Ton beau jour est sans lendemain. Quand pour prix du combat tu crois à la victoire , Quand déjà triomphant tu vas saisir la gloire, La mort vient arrêter ta main. Et pourtant, tous les deux, grand homme et pauvre arbuste. Vous avez votre part ; et pour se montrer juste Dieu vous fait un destin commun : Vous survivez encor longtemps à cette vie, Et laissez après vous à la terre ravie , Toi , ton œuvre , et toi , ton parfum ! L'AMARANTE. Ses diverses espèces; l'amarante chez les anciens; l'ordre de l'amarante: la fête des dieux. Amarante vient du grec a privatif et maraïno, se flé- trir. Ce genre est ainsi nommé à cause de la persistance de ses fleurs, qui sont disposées en épis ou en grappes. Fig. 17. — Amarante crète-dc-coq. Cette plante est cultivée dans les jardins et fleurit eu au- tomne. L'amarante crête-de-coq, ou passe-velours, a ses ileurs 42 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. disposées en forme de panache, et ressemble à du velours d'une belle couleur rouge mêlée de violet; c'est cetteespèce qui a donné son nom à la couleur ama- rante (fig. 17). L'amarante à fleurs en queue, nom- mée aussi dis- cipline de reli- gieuse ou queue de renard, a une tige haute s feuilles oblon- fleurs en longues amoisies ; elle se ient partout (fig. dale est haute quel- son feuillage est ; elle se fait sur- gantesque inllo- I neuf et de forme L'amarante tricolore a ses feuilles ta- chées de jaune, de vert et de rouge (fig. 20). L'amarante bielle a la tige rameuse, couchée à la base, les feuilles ovales, échancrées au som- met; celte espèce est comestible. l-'ig. 18. — Amarante queue-de-renard. L'AMARANTE. 43 Chez les anciens, l'amarante était le symbole de l'im- mortalité; chez nous, elle est celui de la constance : t'ig. 18. — Amarante pyramidale. 44 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. « Tel un ami qu'entraîne un long voyage , De loin encor tournant les jeux vers nous, De ses regrets nous offre un dernier gage, Et de sa main, tendre et muet langage, Nous dit : Adieu ; mon cœur reste avec vous. » Les magiciens attribuaient aux. couronnes faites de cette Heur la vertu de concilier la faveur et la gloire à ceux qui en portaient. Dans l'Académie des jeux floraux, l'a- marante d'or est le prix de l'ode. Christine de Suède institua, en 1653, l'ordre de l'Ama- rante, qui doit son nom et son origine à une fête assez curieuse. Fig. 20. — Amarante tricolore, Il y avait en Suède un jour de divertissement annuel appelé Wirtscliaff, c'est-à-dire fête de l'hôtellerie; on le passait en festins et en danses, qui duraient depuis le soir jusqu'au matin. Christine changea le nom de cette fête et l'appela fête des dieux. Les seigneurs et les dames de la LA M AU AMK. 45 cour tiraient au sort la divinité qu'ils devaient y repré- senter. A table, les dieux étaient servis par une élite de jeune noblesse de l'un et de l'autre sexe, qui paraissait encore plus brillante par la diversité des vêtements que chacun inventait pour se distinguer. La reine prit le nom d'amarante, c'est-à-dire Immor- telle , et parut avec un habit superbe , couvert de diamants, qu'elle distribua ensuite aux masques admis à la fête. L'insigne de l'ordre était une médaille d'or ovale, émail- lée de rouge au milieu, où se trouvait un A et un V en chiffre avec une couronne de laurier au-dessus, le tout en diamants, et pour devise à l'entour : Dolce nella me- morci; le souvenir en est agréable. Cette médaille était attachée à un ruban couleur de feu et se portait au cou. Dnbos a délicieusement exprimé les différentes attribu- tions de l'amarante : Je suis la fleur d'amour qu'amarante ou appelle , Et qui vient de Julie adorer les beaux yeux. Rose, retirez-vous, j'ai le nom d'immortelle; 11 n'appartient qu'à moi de couronner les dieux. Je t'aperçois, belle et noble amarante ! Tu viens m'offrir, pour charmer mes douleurs , De ton velours la richesse éclatante ; Ainsi, la main de l'amitié constante, Quand tout nous fuit, vient essuyer nos pleurs. Ton doux aspect de ma lyre plaintive A ranimé les accords languissants ; Derniers débris de flore fugitive , Elle nous lègue, avec la fleur tardive, Les souvenirs de ses premiers présents. L'ANANAS. L'ananas aujourd'hui et L'ananas autrefois; sa description; ses variétés; son acclimatation; ses propriétés-; \in, (il, tissus d'ananas. L'ananas vient de plusieurs de nos colonies; il abonde maintenant chaque année, à certaine époque, sur la place de Paris. Avec cinq centimes, les enfants peuvent se ré- galer d'une tranche d'ananas, et avec 1 franc, I franc 50 cent., on en a un passable ; il n'y a que trois ou quatre ans cependant qu'il se vendait encore 100 francs et plus lorsqu'il était de belle qualité. Pour satisfaire sa femme, qui était enceinte, le général Junot offrit vainement 20 louis pour un ananas : impossible alors de s'en procurer, même à ce prix. — Quel changement ! Des détails intéressants se rattachent à ce fruit, juste- ment renommé et qui passe généralement pour être le meilleur du monde. L'ananas est une plante vivace, épineuse, au port élé- gant, aux feuilles longues, vertes, charnues et robustes, enveloppant une tige assez forte, couronnée elle-même d'un épi de (leurs nombreuses et violacées, auxquelles suc- cèdent des baies si pressées qu'elles semblent ne faire qu'un seul fruit. Elle est le type de la famille des bro- méliacées. Le fruit de l'ananas a la forme d'une pomme de pin ; à sa maturité, il est ordinairement d'un jaune doré; sa chair 48 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. est blanche, jaune ou rosée, d'un parfum et d'une saveur exquises, qui ressemblent au parfum et à la saveur de la fraise unie au citron. Le suc qu'il donne est très-rafraî- chissant et possède toutes les qualités nécessaires pour calmer l'ardeur des fièvres inflammatoires. On compte plusieurs variétés d'ananas à fruit rouge, blanc, violet, noir; il y en a qui réunissent à eux seuls plusieurs de ces couleurs. J'en ai, entre autres, goûté d'une qualité toute spéciale et dont le fruit est fort petit , à l'île de la Réunion ; sa chair est tout ce qu'il y a de plus exquis; elle fond dans la bouche comme celle de nos meilleures poires fondantes et joint aux saveurs générales de l'ananas un goût de muscat très-prononcé. Pour reproduire cette plante, il suffit de détacher avec soin le bouquet de feuilles vertes qui surmonte le fruit, et de le mettre en terre; on la propage encore au moyen d'oeilletons, qui se forment à côté des pieds qui ont fleuri. C'est don Gonzale Hernandez de Oviedo , gouverneur de Saint-Domingue en 1535, qui lit connaître cet excel- lent fruit aux botanistes de l'Europe. Acosta nous apprend qu'il fut apporté de Santa-Cruz aux Indes occidentales et en Chine, où il était connu en 1518. Quelques auteurs veulent, au contraire, que cette plante, originaire de l'Inde, ait été importée en Amérique. (> n'est qu'en 1733 que la culture a obtenu en France les premiers fruits de l'ananas. On parvint à le faire mû- rir à Versailles, et Louis XV fit servir à sa table, cette année-là , les deux premiers ananas qui aient mûri sous ce climat. Dans les pays brûlants, on les préfère aux. rv>, \n \s 49 Fig. 21. — Ananas. meilleurs fruits de l'Europe ; mais les ananas des serres ne peinent être comparés, pour la saveur exquise et parfu- mée, à l'ananas des Indes. C'est sous les ardeurs tropicales que ces fruits se pré- sentent dans toute leur splendeur. Il y a de vastes champs qui en contiennent plusieurs milliers (fig. 22 placée en tête de l'ouvrage), Toutes les expositions leur convien- nent ; ils poussent sur les mornes escarpés, près des mis- 50 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. seaux, sur les bords des fontaines, où brillent leur ver- dure tendre et leurs fruits dores. L'ananas parfumé, dont les vives odeurs Rappellent tous nos fruits et remplacent nos fleurs, S'élevait à la fois sur ce brillant rivage; Alvar en admirait la richesse sauvage. (Esménàrd.) Ce fruit facilite la digestion; on en compose une bois- son spiritueuse et mousseuse fort agréable , en mélangeant son écorce avec de l'eau et du sucre ; on en fait aussi une excellente salade, à la manière des salades d'oranges avec du sucre et des liqueurs fortes. Dans les pays où l'ananas est très-abondant , on fabrique un vin par la fermentation de son suc; ce produit, inconnu chez nous, peut rivaliser avec les meilleurs vins d'Espagne, pour le bouquet et pour ses propriétés réconfortantes; il est très-semblable au ^Ialvoisieet pourrait s'expédier aussi bien en barriques qu'en bouteilles; il se fabrique surtout aux Antilles, se vend 2 fr. 50 c. la bouteille et, suivant M. 0. Rocke, il pourrait facilement descendre à 2 fr. Les longues feuilles de l'ananas, abondantes en fibres blanches et très-ténues, sont employées au tissage (h's étoffes les plus délicates, recherchées pour leur éclat et leur fraîcheur. La Réunion reçoit cette étoffe toute fabri- quée de l'Inde, soit en pièces, soit en mouchoirs; les voya- geurs surtout aiment à s'en procurer; j'en ai rapporté quelques échantillons qui ont ébloui les connaisseurs; cette étoffe devient d'une souplesse extraordinaire et d'un blanc ravissant par l'usage. On en fait aussi des lignes de pèche et des cordages très-solides, réputés pour leur L'ANANAS. 51 conservation dans l'eau. Il est regrettable que l'Europe ne tire encore qu'un si mince parti d'une plante aussi riche d'avenir. L'arôme de l'ananas est difficile à concen- trer; il est très-altérable et très-fugace. Dans le langage des fleurs, cette plante est l'emblème de la perfection. I'i-. 2'). — Primevère de Chine. L'ANEMONE. Lieux qu'elle préfère; adonis et l'anémone; variétés de l'anémone curieux stratagème» L'anémone 3 suivant Pline, est ainsi appelée parce que c'est le vent, nommé en grec anemos , qui la fait éclore. Flos numquam seaperit nisi vento spirente, undeet nomen Fig. 24. — Anémone pulsatille. cjus. (Cette fleur ne s'épanouit que quand le ventsoufle, et c'est de là que vient son nom. ) Elle se compose de jolies plantes vivaces à tige droite et 54 PLAINTES UTILES ET CURIEUSES. robuste, à touilles d'un vert foncé, découpées; à fleurs doubles dont les couleurs sont magnifiques et variées. « m m, Fig. 25. — Anémone hépatique. (Test une des plus belles plantes de nos jardins; elle fleurit des premières, et annonce le retour du printemps. L'Inde autrefois nous donna l'anémone, De nos jardins ornement printanier. Que tous les ans au retour de l'automne Un sol nouveau remplace le premier, Et tous les ans la fleur reconnaissante Reparaîtra plus belle est plus brillante. (Parkv.J Les anémones se plaisent dans les plaines élevées et re- cherchent des lieux exposés aux vents; on peut en ob- tenir presqu'en toutes saisons, en les plantant à divers mois de l'année. Os plantes si brillantes n'ont point d'odeur et se fanent facilement. L'ANÉMONE. Elles sont l'emblème de la fragilité et de l'abandon. On assure qu'elles sont aussi dangereuses que belles , et qu'elles doivent être mises au rang des poisons acres, exerçant une action corrosive sur les tissus et stupéfiante sur le système nerveux. Selon la Fable, Mars, jaloux d'Adonis, le lit tuer à la chasse par un sanglier, et l'anémone naquit du mélange du sang d'Adonis et Mes larmes de Vénus. Anémone des fleuristes. On compte plus de trois cents variétés de cette plante , parmi lesquelles on distingue l'anémone pulsatille, d'un beau violet quoiqu'un peu sombre ; Y anémone en ombelle , 5G PLANTES UTILES ET CURIEUSES. des montagnes de Provence; V anémone hépatique, d'un bleu tendre , variant au rose , au violet et au blanc ; Ya- némone sylvie, à fleurs blanches et purpurines; Y anémone des fleuris t es, . reproduisant les couleurs de l'arc-en-ciel , même le vert; elle est un des ornements les plus riches de nos parterres; Y anémone élégante très-propre également à la décoration des grands jardins fleuristes et des petits Fig. 27. — Aiit'inone élégante. parterres, se recommande particulièrement pour sa flo- raison automnale. L'anémone des jardins, originaire du Levant, a été ap- portée en France par un nommé Bachelier, qui voulut gar- der ces fleurs pendant huit ou dix années sans en vendre. L'ANÉMONE. 57 Trouvant le tonne iixé beaucoup trop long, les cu- rieux, impatients de jouir de cette nouveauté, offrirent des sommes considérables; mais M. Bachelier étant tou- jours intraitable, un conseiller au parlement usa d'un stratagème assez plaisant. La graine d'anémone ressemble beaucoup à la bourre; elle s'attache facilement aux étoffes de laine quand elle esl tout à fait mûre. Le conseiller, vêtu de sa robe de pa- lais et accompagné de son laquais, vint voir M. Bachelier. Etant arrivé jusqu'aux planches d'anémones, il fit tomber la conversation sur une plante qui se trouvait placée d'un autre côté, et, d'un tour de robe, effleura quelques belles anémones qui laissèrent leurs graines après l'étoffe. Le laquais releva aussitôt la robe, et la graine se cacha dans les plis de l'étoffe. 31. Bachelier, qui ne se doutait de rien, fut, quelque temps après, fort étonné de voir cette fleur se multiplier dans les jardins, sans qu'il en eût donné une seule graine. Fig. 28. — Pâquerette double. L'ARBRE DU VOYAGEUR. Vspecl de l'île de [a Réunion, son climat; comment on peut y jouir de tontes les s;iisons de l'année à la fois; habitations des colons; la Riviere-des-l'luies; la Ressource; pa- norama incomparable; Paul el Virginie, leur histoire véritable; le comte Alfred de Vigny; l'arbre du voyageur et son onde fraîche. Gomme la plupart des îles, la Réunion a une forme plus ou moins pyramidale, à rebord; c'est ce rebord ou lisière, situé à peu près au niveau de la mer, qui est prin- cipalement habité. Il y a fort peu de villages dans l'inté- rieur de l'île, mais beaucoup d'habitations particulières. Sur cette lisière qui borde la colonie, la température est, quoique très-élevée, moins intense qu'on ne le pense; la moyenne est comprise entre 24 et 25 degrés. La brise de mer et la brise de terre qui se succèdent, matin et soir, rafraîchissent l'atmosphère, et y entretiennent une humi- dité salutaire. Il n'y pleut presque jamais, excepté pen- dant l'hivernage. Il y a d'ailleurs une grande facilité de choisir la tem- pérature que l'on veut. Comme les montagnes sont très-élevées , elles offrent toutes les saisons à la fois. Au sommet, on y voit de la neige et de la glace, et à leur pied se trouvent les cha- leurs tropicales, en sorte qu'il suffit de gravir pendant dix minutes, un quart d'heure, pour avoir un changement de température très-marqué. Aussi les colons tant soit peu aisés ont-ils soin de pro- 00 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. fiter de cette précieuse faveur d<> la nature. Ils choisissent deux ou trois habitations à différentes hauteurs, afin d'avoir toute l'année un printemps continuel. Pendant la saison la moins chaude, ils sont au bord de la mer; ensuite, ils vont dans une habitation peu élevée où la température est moyenne; et dans les grandes cha- leurs ils se transportent dans les régions escarpées. Il est impossible d'exprimer le charme qu'il y a d'avoir ainsi plusieurs habitations à son choix , dans lesquelles on a la faculté de jouir de toutes les températures que l'on peut désirer en toute saison. J'en avais trois : une à Saint-Denis, capitale de la co- lonie; une à la Rivière-des-Pluies, et une autre à la Res- source. La Rivière-des-Pluies appartenant à M. Desbassayns, vénérable \ieillard et président du Conseil général , est la plus belle propriété de l'île; on l'appelait autrefois le Versailles de Bourbon. J'habitais un pavillon sur le faite duquel les arbres qui l'environnaient croisaient leurs branches touffues, de sorte que, lorsque mes fenêtres étaient ouvertes, j'étais véritablement abrité sous un dôme de verdure dans lequel les oiseaux venaient gazouiller. Des allées régulières, à perte de vue, formées par de superbes manguiers, étaient entourées de parterres, de bosquets, de jardins, de bois et de toutes les dépendances d'une petite ville. Chaque grande habitation des colonies se suffit à elle-même et présente une fidèle image des anciens châteaux de la féodalité. La Ressource, appartenant aussi à M. Desbassayns, ha- bitation pour les grandes chaleurs, présentait un autre Fig. 2!). — Arbre la tempête. Elles produisent lorsqu'elles sont agitées un bruit ou plutôt des bruits, des grincements, des gémissements vio- lents, terribles, pleins de mystère; on dirait les disputes, les cris, les chants lugubres des ombres et des fantômes qui nous parviennent de l'autre monde. Ces bruits ins- pirent de la terreur lorsqu'on les entend pour la première fois, mais que de charmes on leur trouve ensuite! Dans une délicieuse demeure, que l'on nomme la Res- source, à l'île de la Réunion, et dont j'ai parlé précé- demment, je découvris une allée formée par des ba- lisages de bambous , tellement sombre , tellement épaisse et élevée, qu'il me serait difficile d'en donner une idée. Elle était comme percée au milieu d'un bois de ces gigan- tesques chalumeaux, et lorsque l'orage les agitait, elle produisait une harmonie si plaintive , si langoureuse , en même temps si terrible et si pleine de poésie que je pas- sais souvent une grande partie de la nuit à l'écouter. Quand je me rappelle cette harmonie enchanteresse, j'éprouve comme une espèce de nostalgie de ne pouvoir plus l'entendre. Je ne suis pas étonné de ce que l'on raconte de ces tiges élancées et sonores. Dans les pays fortunés qu'ombrage le bambou, les amants heureux et les cœurs souffrants , dit-on , font des trous à ces longs chalumeaux, et les combinent de telle manière que lorsque le vent souffle ils rendent l'expression fidèle de leur joie ou de leur douleur. Fie. 33. — Balisage (I<> limnliou LE BAMBOU. 71 Rien n'est si doux que les accents que font produire ainsi les aines sympathiques aux brises du soir qui vien- nent chanter dans ces chaumes harmonieux, devenus tout à la fois harpes et flûtes éoliennes. Le bambou croit avec une rapidité phénoménale ; dans des conditions favorables, on a constaté un développe- ment de plus de 8 centimètres en vingt-quatre heures. La nuit surtout est favorable à cet accroissement. Dans cer- tains cantons de la Chine, on fait une terrible et atroce application de cette propriété, en infligeant aux jeunes bambous tout à la fois l'office de pal et de bourreau : lorsque le soleil est couché , on asseoit le patient sur un siège placé à la hauteur de la jeune pousse, et le matin ses entrailles sont déchirées. La puissance de la végétation force le bambou à se frayer un passage dans les chairs palpitantes de la malheureuse victime. Je me crois presque obligé de demander pardon au lec- teur d'avoir rapporté cet usage barbare, tant il est horrible, et d'autant plus révoltant que c'est presque profaner un arbre national ; car les services que le bambou rend aux Chinois sont si nombreux et si importants , qu'il mérite ce nom à juste titre. Les jeunes bourgeons des bambous constituent un lé- gume tendre et délicat ; ils peuvent être mangés comme les asperges et être accommodés de diverses manières; bouillis, assaisonnés et confits, ils produisent d'excellentes conserves, tellement recherchées qu'elles forment une branche assez importante du commerce intérieur et figurent au banquet des grands. Les prêtres de Bouddha, qui font vœu d'abstinence et s'astreignent à un régime alimentaire 72 PLAKTES UTILES ET CURIEUSES. végétal, ont trouvé dans ce mets une ressource presque égale à celle que le poisson offre à notre clergé et à ceux qui se soumettent à l'abstinence. Le bambou est employé pour les vergues des voiles, pour la construction des échafaudages et même des maisons, pour la conduite des eaux; il entre aussi dans la confection de la plupart des instruments aratoires. Ce sont des perches de bambous qui servent à porter, à soutenir, à pousser les fardeaux ; c'est de bambous que sont faites les différentes mesures , le seau à puiser l'eau , le manche de la lance du soldat , les claies des chevaux de frise, aussi bien que le montant des parasols et des éven- tails ; c'est en bambou qu'est tressé le large chapeau de l'homme du peuple; c'est sa tige qui, découpée de di- verses grandeurs, se métamorphose en paniers aux formes variées, en tentes et en câbles pour la marine; sa racine se convertit sous une main habile en magots et en sculp- tures; enfin le lit, le matelas, la chaise, la table du Chi- nois, sa pipe, les baguettes avec lesquelles il prend sa nourriture, le balai de sa chambre , le papier sur lequel il écrit, le pinceau qui trace les caractères, etc., tout cela est fourni par le bambou. Une espèce de bambou, abondant aux iles Moluques, aie bois si dur que, lorsqu'on le coupe, il rend des étin- celles; ses articulations sont couvertes de gaines ridées comme une peau de requin ou de chien de mer : elles servent à polir le fer et les os. Les habitants des Moluques et de Java font, avec les tiges de ce bambou, des flûtes, des bâtons de perroquet, des baguettes de pèche, des calumets, des javelots empoisonnés LE BAMBOU. 73 et d'excellentes piques ou zagayes, dont l'extrémité, tail- lée en pointe et légèrement passée au feu, perce de pari en part le corps des hommes contre lesquels on les lance. Ils en font des cannes de promenade, qui sont très- estimées en Europe, surtout lorsqu'elles sont effilées et d'une belle forme. Leur légèreté, leur llexibilité et leur solidité les font principalement rechercher. Celles qui réu- nissent toutes les qualités dont elles sont susceptibles de- viennent des objets de curiosité et se vendent des prix énormes. Les articulations du bambou étant pleines, très-solidos et se décomposant difficilement, sont employées en pieux dont les Macassares forment des haies défensives, qui tiennent lieu de remparts. Leur roi étant en guerre avec les Hollandais, en 1651, pour se retrancher, il fit planter deux rangées parallèles de ces pieux, à un mètre de dis- tance l'une de l'autre; ils étaient unis par des liens et fermés par des claies également de bambou ; le milieu était rempli de branches , de terre et de sable , et formait un massif à l'abri du canon européen. Marie- Antoinette possédait deux plateaux de déjeuner qui avaient près de quatre-vingts centimètres de diamètre, d'une seule pièce, et formés chacun d'une seule tranche de bambou. Il est excessivement rare de voir ces arbres atteindre cette dimension . Ces plateaux étaient un présent offert par l'empereur de la Chine. Ceux qui ont visité l'exposition chinoise ont été à même d'apprécier les produits de cet arbre étonnant, qui devien- drait un vrai trésor pour la France s'il était possible de l'acclimater dans quelques-uns de nos départements. LE BLE. Son origine ; le blé et la Faille ; le blé et l'empereur Ching-Nong; cause de l'insuffisance des récoltes de blé en France; 1rs cécidomyes du froment; leurs mœurs curieuses; leur influence désastreuse ; instinct merveilleux de leurs ennemis; comment cet instinct permet aux récoltes de revenir à leur état normal. Le blé ou bled, du saxon blad, est une plante de la fa- mille des graminées, connue de tout le inonde et dont la description serait ici parfaitement inutile. On appelle vulgairement blé toute espèce de céréales ; gros blés, les froments et les seigles; blé méteil, le blé moitié froment moitié seigle ; petit blé, l'orge, l'avoine, le millet, le sarrasin. Le sarrasin ou blé noir (fig. 3-4) est originaire d'Asie; il a été transporté en Afrique et introduit en Europe par les Maures d'Espagne , ou Sarrasins, qui lui ont donné leur nom. Il sert à la nourriture des habitants de beaucoup de pays, qui sans lui seraient réduits à la plus affreuse misère. Les paysans de la Bretagne en font leur principale subsistance; les volailles, les bestiaux le mangent avec plaisir, et sa rapide croissance en fait un sujet précieux de culture. Mais le blé par excellence est le pur froment; lorsque l'on dit blé simplement, on entend toujours le froment. Le froment ayant été de tout temps considéré comme la plus importante des plantes cultivées, a constamment at- tiré l'attention des naturalistes, des agriculteurs et des 7G PLANTES UTILES ET CURIEUSES. artistes. L'examen des épis et des grains de blé conservés dans les tombeaux égyptiens, les grains carbonisés que l'on trouve.au tond des lacs de la Suisse, les figures de froment que l'on reconnaît sur les monuments les plus anciens, ou celles que l'on admire sur les mé- dailles grecques nous i apprennent que dès la ! plus haute antiquité il a existé un grand nombre de variétés de froments. Le blé de Flandre ou blanzê est un des plus beaux; c'est le type de la plu- part des variétés très- perfectionnées qui nous sont venues d'An- gleterre dans ces der- nières années; il est cultivé dans presque tous les cantons riches du nord de la France (fig. 35 . Le blé de mi- racle est un froment qui tente tous les nom eaux agriculteurs par la magnifique apparence de son épi, qui est large etrameux, et qui sou- l'is. 5U. — Le sarrasin. LE BLÉ. 77 vent contient jusqu'à 180 grains; mais chacun renonce vite à sa culture en grand, car soin eut il gèle ou reste maiere el l'iy. 36. — Blù de miracle. l- ijr. 35. — Rit'' de Flandre. d'un aspect misérable s'il n'a pas été semé an printemps dan- des circonstances exceptionnellement bonnes (fig. 36). 78 PLAKTES UTILES ET CURIEUSES. Les expériences pleines d'avenir que l'on fait mainte- nant dans un grand nombre de fermes modèles, princi- palement dans celle de Vincennes ( ferme de Vincennes, fîg. 37) sur la loi de la restitution en agriculture, ap- porteront certainement d'heureuses modifications dans la culture du froment. L'origine du blé se perd donc dans la nuit des temps; on ne le trouve pas aujourd'hui à l'état naturel , et l'on doit présumer qu'il n'est qu'une transformation opérée par la culture d'une espèce inférieure, comme l'épautre ou la fétuque flottante. La Fable a fait honneur de l'introduction du blé, tantôt à Osiris, divinité de l'Egypte, tantôt à Cérès, qui l'aurait cultivé d'abord dans les plaines d'Enna, en Sicile. Les Athéniens, les Cretois et plusieurs autres peuples se dis- putaient l'honneur de l'avoir cultivé les premiers. Ce qui est certain , c'est que sa culture était en honneur en Chine bien des siècles avant nos temps historiques. Les Chinois attribuent à Ching-Xong, le second des neuf empereurs de la Chine qui précédèrent l'établisse- ment des dynasties, la découverte du blé, du riz, du mil et des pois. Ching-Xong s'était appliqué, dit-on, depuis longtemps à observer un grand nombre de plantes et à examiner la nature des graines qu'elles produisent. Après avoir fait quelques essais qui justifièrent les conjectures qu'il avait formées sur la propriété nutritive de ces céréales , il fit re- cueillir une quantité suflisante de ces différents grains, défricher de vastes terrains et tracer les premiers champs qui offrirent bientôt le coup d'œil agréable de la culture. LE BLK. 81 Ravi de ce succès, Ching-Nong inventa plusieurs ins- truments aratoires, parmi lestjuels est la charrue qui porte son nom et dont les Chinois font encore usage. L'insuffisance des récoltes de blé en France, il y a quelques années, est un fait dont tout le monde a res- senti les déplorables conséquences, et qui a été rappelé de nouveau, d'une manière officielle, par le projet de budget pour 1867. Un fait également constant, c'est que ce déficit a eu pour cause principale le petit nombre de grains que contenaient les épis. On entendait se plaindre partout de la multiplication d'épis maigres et incomplets : les uns presque vides, n'ayant que trois ou quatre grains ; les autres ne donnant que la moitié, les trois quarts ou toute autre proportion restrictive de ce qu'ils devaient produire. On disait aussi qu'à côté de grains bien enflés, bien conformés, d'autres étaient mal nourris et difformes. Ces phénomènes étaient produits par les ravages dé- sastreux d'une sorte de cousins de la plus petite espèce , appelés cécidomyes, qui venaient déposer leurs œufs à l'endroit même où le grain se produit. Ces œufs don- naient naissance à des larves blanchâtres , qui devenaient bientôt d'un jaune vif; elles se nourrissaient des sucs qui devaient nourrir le grain de blé, qui se trouvait ainsi dé- truit en totalité ou en partie. Mais, chose curieuse, une autre espèce d'insecte venait introduire ses œufs par le moyen d'une tarière fine et dé- liée dans le corps même des larves de la cécidomye. Il y a donc, d'une part, des œufs de cécidomyes qui produisent des larves vivant aux dépens du blé, et, de l'autre, des œufs de parasites, qui donnent naissance à des 82 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. larves vivant de la substance même dos cécidomyes. Tout ce que colles-ci absorbent de suc nourricier aboutit aux autres; les larves des cécidomyes, minées par ces ennemis qu'elles nourrissent dans leur sein, périront, et il sortira de leur enveloppe, non des ennemis du blé, mais des in- sectes protecteurs. C'est un fait qui se reproduit souvent en histoire naturelle : une chenille a été piquée par un parasite ; au lieu du papillon attendu , une mouche sort de sa chrysalide. Si chaque larve de cécidomye renfermait clans son sein une larve de parasite, l'année suivante pas une seule cécidomye ne survivrait. Il a été remarqué, en Amérique, qu'au bout de deux ou trois ans de ravages considérables par les cécidomyes , les parasites prenaient le dessus , et les récoltes revenaient à leur état normal de production. Les cécidomyes se multipliant alors dans d'autres régions, le parasite les suivait, et là encore, après quelques années de mauvaises récoltes , l'équilibre se ré- tablissait. Il n'y a pas longtemps que ces phénomènes ont été ob- servés par M. Bazin; j'ai pu moi-même les vérifier dans sa ferme modèle du Mesnil-Saint-Firmin.- LE CACAOYER. Sa description ; sa préparation* sa torréfaction; sa réduction en paie; fabrication tenir éveillées pondant le jour, et ne manquent pas de s'endormir pendant la soirée quand elles n'en ont pas pris après leur dîner. Il en est beaucoup d'autres qui sont soporeuses toute la journée quand elles n'ont pas pris leur tasse de café dès le matin. « Voltaire et Buffon prenaient beaucoup de café ; peut- être devaient-ils à cet usage, le premier la clarté ad- mirable qu'on observe dans ses œuvres, le second l'har- monie enthousiaste qu'on trouve dans son style. Il est évident que plusieurs pages des traités sur l'homme , sur le chien, sur le tigre, le lion et le cheval, ont été écrites dans un état d'exaltation cérébrale extraordinaire. « L'insomnie causée par le café n'est pas pénible ; on a des perceptions très-claires, et nulle envie de dormir; voilà tout. On n'est pas agité et malheureux comme lorsque l'insomnie provient de toute autre cause; ce qui n'empêche pas que cette excitation intempestive ne puisse à la longue devenir nuisible. » Écoutons Silvio Pellico : « C'est la fille du geôlier, dit-il , qui dès qu'elle pou- vait l'aire le café à l'insu de sa mère le chargeait toujours extrêmement, à ce point que, grâce à mon estomac vide, il me causait une sorte d'agitation nerveuse sans dou- leur, qui me tenait éveillé toute la nuit. « Dans cet état d'ivresse tempérée, je sentais redoubler mes forces intellectuelles, je philosophais, je poétisais, je priais jusqu'au point du jour avec un merveilleux plaisir. Une soudaine faiblesse me prenait ensuite; alors je me jetais sur mon lit, et, en dépit des moucherons qui trou- 104 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. vaient encore moyen, quelque bien enveloppé qiie je fusse, de venir me sucer le sang, je dormais profondé- ment une heure ou deux. « Ces nuits, que rendait si fort agitées le café tombe sur un estomac vide, mais qui s'animaient d'une si douce exaltation , me semblaient trop bienfaisantes pour que je ne cherchasse pas à m'en procurer souvent de semblables. « Aussi , sans avoir besoin du papier du scondino , je prenais souvent le parti de ne pas toucher à mon souper pour obtenir le soir l'enchantement tant désiré du ma- gique breuvage. Heureux quand j'atteignais mon but! « Il ai riva plus d'une fois que le café ne fut pas pré- paré parla ccmpatissante Zanze, et n'était alors qu'une insipide boisson. Cette friponnerie me donnait un peu de mauvaise humeur, et, au lieu de me sentir électrisé, je languissais, je bâillais, j'avais faim et je me jetais sur mon lit, sans pouvoir y trouver le sommeil. » Le spirituel auteur de la Physiologie du goût fait remar- quer qu'autrefois il n'y avait que les personnes au moins d'un âge mûr qui prissent du café; maintenant tout le monde en prend; peut-être est-ce le coup de fouet que l'esprit en reçoit qui fait marcher la foule immense qui assiège toutes les avenues de l'Olympe et du temple de Mémoire. « Le cordonnier, dit-il, auteur de la tragédie de la Reine de Palmyre, que tout Paris a entendu lire , il y a quelques années, prenait beaucoup de café; aussi s'est-il élevé plus haut que le menuisier de Nevers, qui n'était qu'un ivrogne. « Le café est une liqueur beaucoup plus énergique LK CAFÉIER. 105 qu'on ne le croit communément; un homme bien cons- titué peut vivre longtemps en buvant deux bouteilles de vin chaque jour; le même homme ne soutiendrait pas aussi longtemps une pareille quantité de café; il devien- drait imbécile ou mourrait de consomption. « J'ai vu à Londres, sur la place de Lincester, Un homme que l'usage immodéré du café avait réduit en boule [cripple)-, il avait cessé de souffrir, s'était accoutumé à cet état, et s'était réduit à cinq ou six tasses par jour. « C'est une obligation pour tous les papas et les ma- mans du monde d'interdire sévèrement le café à leurs enfants, s'ils ne veulent pas avoir de petites machines sè- ches, rabougries et vieilles à vingt ans. Cet avis est fort à propos pour les Parisiens , dont les enfants n'ont pas tou- jours autant d'éléments de force et de santé que s'ils étaient nés dans certains départements , dans celui de l'Ain , par exemple. » Le café peut être considéré comme un médicament à employer dans un grand nombre de circonstances. Les Orientaux sont dans l'usage de se relever de l'affaissement et de la prostration où les jette l'emploi de l'opium , en prenant beaucoup de café. Souvent on a obtenu de grands succès contre des fiè- vres intermittentes opiniâtres, en administrant une forte décoction de café coupée de moitié de jus de citron. Il est aussi très-efficace dans les toux nerveuses qui accompagnent les maladies éruptives; plusieurs habiles praticiens le recommandent dans les coqueluches ; quelques cuillerées administrées aux enfants, après le repas , gué- rissent cette maladie en très-peu de temps. 106 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. J'ai pu remarquer l'effet spécial du café d'une manière bien précise. Quelquefois, ayant beaucoup à travailler in- tellectuellement, étant à jeun, ou l'estomac vide de mon dernier repas, je prenais quelques tasses de cette liqueur amère -, alors un effet étrange se produisait; tout à coup, et comme par enchantement, je voyais changer mes dispo- sitions morales et intellectuelles comme on change le pa- norama d'un théâtre. L'esprit prenait un développement étrange, mais au préjudice du cœur; de bienveillant, je devenais misanthrope, les hommes n'étaient plus pour moi des hommes, c'étaient des choses; si, par malheur, j'étais obligé de communiquer avec eux, j'étais sûr de leur inspirer des sentiments désagréables à mon égard, et ceux qui me voyaient alors pour la première fois me jugeaient tout le contraire de ce que je suis naturelle- ment. Les expériences faites par Balzac et Rossini viennent à l'appui de ces observations. « L'état où vous met le café pris à jeun dans les condi- tions magistrales, dit Balzac, produit une sorte de viva- cité nerveuse qui ressemble à celle de la colère ; le verbe s'élève, les gestes expriment une impatience maladive; on veut que tout aille comme trottent les idées; on est braque, rageur pour des riens; on arrive à ce variable ca- ractère du poëte tant accusé par les épiciers ; on prête à autrui la lucidité dont on jouit. Un homme d'esprit doit alors bien se garder de se montrer ou de se laisser appro- cher. « J'ai découvert ce singulier état par certains hasards qui me faisaient perdre sans travail l'exaltation que je me LE CAFÉIER. 107 procurais. Des amis chez lesquels je me trouvais à la campagne me trouvaient hargneux et dispulaillcur, de mauvaise foi dans la discussion. Le lendemain, je re- connaissais mes torts et j'en cherchais la cause. Mes amis étaient des savants de premier ordre, nous l'eûmes bientôt trouvée. Le café voulait une proie. » Non-seulement ces observations sont vraies et ne su- bissent d'autres changements que ceux qui résultent des différents tempéraments, mais elles concordent avec les expériences de plusieurs praticiens , au nombre desquels est l'illustre Rossini, l'un des hommes qui ont le plus étudié les lois du goût, un héros digne de Brillât-Savarin. Une chose remarquable , le vin stimule plutôt le cœur, et le café, l'esprit; dans les cabarets, on aime; dans les cafés, on raisonne. On pourrait appeler le vin la liqueur du christianisme et de la charité (il sert au plus grand mystère du christianisme ) , et le café , la liqueur de la philosophie et de la dispute. Des expériences sur les aliments , spécialement sur le café et le vin , poussées à un point qui a permis aux phénomènes de se manifester avec la plus grande netteté, m'ont conduit aux conclusions suivantes, que j'extrais d'un mémoire communiqué à l'Institut, et inséré dans les comptes rendus de l'Académie des sciences du 2 avril 1867 : 1° Il y a des aliments qui agissent spécialement sur les nerfs du mouvement, et des aliments qui agissent spé- cialement sur les nerfs de la sensibilité; 2° Les aliments qui agissent spécialement sur les nerfs du mouvement influent spécialement sur l'intelligence; 3° Les aliments qui agissent spécialement sur les nerfs 108 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. de la sensibilité influent spécialement sur les sentiments; -4° Il y a transformation de mouvement; les forces qui agissent sur les nerfs locomoteurs et les forces intellec- tuelles peuvent se transformer en sensibilité et en senti- ments, et réciproquement; 5° Chaque aliment occupe une place intermédiaire entre ceux qui agissent le plus soit sur les nerfs du mouvement, soit sur ceux de la sensibilité. Ces lois ouvrent un horizon nouveau , et donnent de fécondes conséquences en physiologie, en hygiène, en pathologie, en psychologie, etc. Quelques personnes feront peut-être observer que je fais de l'activité nerveuse l'intelligence, et de la sensibi- lité le sentiment; il n'y a rien dans mes observations qui tende à cela; je ne fais que constater une influence du physique sur le moral établie par le Créateur, et personne ne conteste cette influence, qui est le résultat des lois harmonieuses qui régissent les rapports du corps et de l'âme, de la matière et de l'esprit. Les amateurs du vin s'abandonnent à la gaieté, à l'in- souciance, à la légèreté, à une franchise étourdie; les buveurs de café, au contraire, deviennent circonspects, sérieux, réfléchis, pénétrants, subtils et calculateurs. Aussi le despotisme craint plus l'usage du café que celui du vin. Sous la minorité de Mahomet IV, pendant la guerre de Candie, le grand-vizir Kupruli, apprenant que dans les cafés publics on se permettait de blâmer sa conduite , en lui attribuant les malheurs et la décadence de l'empire, fit fermer sur-le-champ tous ces lieux, et même démolir LE CAFÉIER. 109 les maisons. On distribua par son ordre la bastonnade à d'imprudents raisonneurs et à quelques cafetiers de Constantinople , desquels on brisa les tasses. Cependant Eupruli , moins inquiet des cabarets et des tavernes où l'on vendait du vin , malgré la loi expresse du prophète, les laissa subsister. Il pensait en vrai tyran, car il redoutait peu l'ivresse qui abrutit les hommes, mais beaucoup la raison qui les éclaire. A Londres, en 1075 , sous Charles II, on remarqua que les cafés publics devenaient des foyers de sédition ou du moins des clubs politiques. L'autorité les fit aussi fermer, en laissant ouverts, comme l'avait fait Kupruli, les cabarets et les tavernes à vin et à bière. M. le docteur Virey fait observer que sous Louis XV les cafés à Paris exerçaient un puissant empire sur le public, et que la renommée du café Procope, où se rassem- blaient les beaux esprits de ce temps , n'est pas étrangère à l'histoire politique du dix-huitième siècle, non plus qu'à la philosophie, comme on peut le voir par la corres- pondance littéraire de Grimm. LA CANNE A SUCRE. Sa description; son origine; sa culture. — Fabrication du sucre; ses usages; ses diverses espèces; pourquoi le sucre râpé ou pilé est moins bon que le sucre en morceaux. La canne à sucre ou cannamelle est une plante de la famille des graminées , cultivée dans les pays méridio- naux, particulièrement aux Antilles et dans l'Inde. Elle s'élève de trois à quatre mètres; son épaisseur moyenne est de trois à cinq centimètres ; sa tige est lourde, cassante , d'un vert qui tourne au jaune dans le temps de sa maturité; elle est remplie d'une moelle fibreuse, spon- gieuse et blanchâtre qui est gonflée par un suc doux , très-abondant. Ce suc est sécrété entre chaque nœud sé- parément, de sorte que chaque cellule peut être consi- dérée comme un fruit isolé. On peut manger la canne à l'état naturel. On coupe sa tige en plusieurs parties , dans le sens de sa longueur, puis on élague l'écorce à l'une des extrémités de chaque morceau, progressivement, à mesure que l'on suce ou que l'on mâche la partie centrale qu'elle enveloppe. On fait de cela une distraction et un amusement dans les pays où l'on cultive la canne. Sucre dérive de scharkara, qui, en langue sanscrite de l'Inde orientale, signifie suc doux; de là est venu, par suite, le nom de scharkar que lui donnent les Persans, etde schukur, par lequel les Indous désignent également le sucre. 112 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. Il paraît que les Chinois portèrent la canne en Arabie, à la fin du treizième siècle ; de là elle passa en Egypte et en Ethiopie, et ce fut en 1740 seulement que dom Henri, régent de Portugal, fit transporter des cannes à sucre de Madère en Sicile. On ne fabriquait alors, avec le sucre des cannes que de la cassonade brute; en 1741, un Vénitien trouva un procédé à l'aide duquel il obtint du sucre blanc en pains. Les cannes plantées sont complètement mûres au bout de seize à dix-huit mois ; il suffit de quinze mois au plus pour les cannes provenant de rejetons. La récolte des cannes se fait en les coupant par le pied avec un coutelas ; on s'y prend de manière à les tailler en sifflet; cette forme est utile pour que les cannes s'enga- gent plus facilement entre les cylindres des presses. On coupe chaque tige en deux ou trois morceaux de lm, 10 environ. Après que les cannes sont coupées, leur jus ne tarde pas à subir quelque altération ; et avant même que cela soit sensible , la quantité de sucre cristallisable qu'elles contiennent a diminué. On doit donc les récolter au fur et à mesure que l'on peut les traiter | fig. 43). Dans les terres bien cultivées , les plantes peuvent durer dix et quinze ans ; cependant tous les ans on renouvelle à peu près le cinquième de la culture , parce que les pro- duits décroissent dans une trop grande proportion , vers les dernières années. Quelquefois on laisse reposer la terre , en la réservant pour le parcours des bestiaux ; mais il est plus avantageux d'alterner la culture et de soutenir cet assolement par des fumures. Il arrive souvent que les rats rongent les pieds des LA CANNE A SUCRE. 115 cannes pour sucer une partie de leur suc. Les plantes ainsi attaquées dépérissent, leur jus s'aigrit, et, lors- qu'elles sont exprimées à la presse avec les autres, celle portion fermentée devient un levain qui altère une plus grande quantité de jus et rend le sucre incristalli- sable. Mais on a soin d'employer un nègre, dans chaque habi- tation, à la destruction des rats, et des chiens d'une es- pèce particulière sont dressés à chasser et à étrangler ces rongeurs lorsqu'ils les attrapent. On recueille le suc dans des cuviers placés au-dessous des cylindres qui broient les cannes ; on y ajoute une pe- tite quantité de chaux, pour neutraliser les acides végé- taux , et on évapore le jus jusqu'à sa cristallisation ; c'est ainsi que l'on obtient le sucre brut ou cassonade. Après la cristallisation, il reste un jus qui renferme encore une grande quantité de matière sucrée; il est connu sous le nom de mélasse; en faisant fermenter cette substance , on obtient le rhum et le tafia. Pour raffiner le sucre, on le fond de nouveau dans de l'eau , puis on y ajoute du charbon fin , de l'albumine ou du sang de bœuf; on chauffe, et l'albumine en se coagulant, entraine avec elle toutes les matières étran- gères ; le sirop est ensuite évaporé et mis dans les formes où il se cristallise. Comme il contient encore une petite quantité de mé- lasse , pour l'en débarrasser, on met sur la base du pain de sucre une faible couche d'argile humide; l'eau qui s'en sépare petit à petit dissout la couche de sucre sur laquelle repose l'argile ; ce sirop concentré s'écoule peu à peu en 116 PLAINTES UTILES ET CURIEUSES. poussant devant lui la mélasse qui bientôt arrive à la pointe et s'échappe par une ouverture. Pour raffiner complètement le sucre, on répète cette opération, appelée terrage, trois ou quatre fois. Le sucre est composé d'oxygène, d'hydrogène et de carbone élaboré par des plantes; malgré les progrès de la chimie organique, le chimiste n'est pas encore parvenu à faire du sucre avec ces trois substances. Cependant il peut changer l'équilibre de ces éléments dans les corps, et con- vertir ainsi une substance en une autre. Il peut, par exemple, convertir un morceau de chiffon en gomme, puis en sucre, puis en alcool, en acide carbonique et en eau; mais de cet acide carbonique et de cette eau, il ne peut former les matières d'où il les a tirés. Il y a trois cents ans , le sucre se vendait à l'once chez les apothicaires; aujourd'hui, la France en consomme plus de cent millions de kilogrammes. Les usages de cette substance sont tellement connus de tout le monde, qu'il suffît de rappeler qu'elle entre dans la composition de la plupart des aliments et des médicaments. Ses dissolutions, additionnées de sucs ou de mucilages végétaux empruntés à la guimauve, au capillaire, au cochléaria, à la digitale, etc., composent les différents sirops dont on fait un débit si considérable dans les phar- macies. Le sucre est soluble dans l'eau à froid, et bien plus en- core à chaud; il se dissout aussi dans les liqueurs alcooli- ques, mais non pas dans l'alcool exempt d'eau. Lorsque l'on dissout le sucre dans de l'eau et qu'on évapore rapidement la liqueur, elle se prend ensuite par le LA CANNE A SUCRE. 117 refroidissement en masses solides, transparentes, d'un beau jaune d'ambre ; c'est ainsi que l'on fabrique le sucre d'orge ; ce nom lui vient de ce que quelquefois on dissout le sucre dans de l'eau d'orge. En ajoutant à du sirop du suc de pomme, on obtient, après l'évaporation, ce que l'on appelle le sucre de pomme. Le sucre d'orge et le sucre de pomme éprouvent une altération qui s'étend, petit à petit, de la surface jusqu'au centre des bâtons; ils perdent leur transparence, et leur saveur se modifie légèrement. On pourrait retarder cette modification en ajoutant au sirop quelques gouttes de vinaigre. Si l'on abandonne à l'évaporation libre une dissolution concentrée de sirop, on obtient de beaux cristaux pris- matiques , connus dans le commerce sous le nom de sucre candi; si l'on tend des fils au sein de la dissolution, les cristaux s'y attachent en se groupant entre eux par leurs angles. On peut obtenir ainsi des paniers, des corbeilles, des croix, etc., suivant la disposition que l'on donne à ces fils. Le sucre fond à 180 degrés; à 215 , il se transforme en une matière brunâtre qui répand une odeur caractéris- tique et que l'on appelle caramel; on en fait un très- grand usage en cuisine , pour donner de la couleur et de la saveur au bouillon et à un grand nombre de mets. Lorsque l'on jette du sucre dans un creuset chauffé au rouge , il prend feu au contact de l'air et brûle avec une flamme blanche, nuancée de bleu. Frotte-t-on, dans l'obscurité, deux morceaux de sucre l'un contre l'autre, ils deviennent phosphorescents. 118 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. Tout le monde sait aussi que le sucre râpé ou pilé est moins bon , à poids égal , que le sucre en morceaux ; cela vient de ce que le frottement contre la râpe ou le pilon, dé- veloppe assez de chaleur pour produire un commencement d'altération analogue à la caramélisation. « D'où vient, disait, un jour, Napoléon Ier au savant Laplace, que le verre d'eau dans lequel je fais fondre un morceau de sucre , me paraît beaucoup meilleur que celui dans lequel je mets quantité égale de sucre pilé? » « Sire, répondit Laplace , pris au dépourvu , il y a trois substances dont les principes sont exactement les mêmes : le sucre , la gomme et l'amidon ; elles ne diffèrent que par certaines conditions dont la nature s'est réservé le secret; il est possible que l'action du pilon fasse passer quelques parties sucrées à l'état de gomme et d'amidon. » Ce qui n'était pas mal répondu pour l'époque. Les substances organiques sont, en général, fort peu stables; le moindre dérangement d'équilibre suffit pour changer leurs propriétés. La réaction qui s'opère alors dans le sucre est semblable à beaucoup d'autres; le frot- tement échauffe le sucre et cette chaleur détruit l'équi- libre des éléments , et lui fait subir un commencement de décomposition qu'une chaleur plus forte achèverait. Lorsque l'on frotte deux morceaux de bois, ils s'échauf- fent, se décomposent et brûlent si le frottement est suf- fisamment actif et prolongé. Lorsque l'on a les mains bien sèches, il suffit de les frotter l'une contre l'autre pour sentir une faible odeur de corne grillée , résultat d'un commencement de décomposition, analogue à celle qui a lieu dans le sucre. LE CEDRE. Sa description ; son histoire ; ses usages ; charpentes des temples d'Épttèse et de Jérusalem ; barils de cèdre ; le filao. Cet arbre aux formes élégantes et pyramidales, aux feuilles petites , courtes , raicles et piquantes , ressemblant assez à celles des genévriers, d'un vert sombre se conser- Kig. UU. — Cèdre du Liban. vant même pendant l'hiver, aux rameaux horizontaux, s'éloignant du tronc à une distance de plus de 10 mètres, 120 PLAINTES UTILES ET CURIEUSES. au fruit en forme de cône ovale, arrondi en tous sens, et dont les écailles ne font aucune saillie , couvrait jadis les hautes montagnes du Liban où il croissait spontané- ment. Il en a disparu aujourd'hui presque partout; il est rem- placé par des forêts de châtaigniers; par compensation, il est maintenant assez répandu en Europe. On devrait s'empresser d'introduire dans nos landes un arbre qui réussit à merveille dans les terrains incultes et sablonneux. C'est à M. Bernard de Jussieu que la France doit le fa- meux cèdre du Jardin des Plantes de Paris. Ce savant eut la satisfaction de voir les deux pieds de cet arbre, que lui- même avait apportés d'Angleterre dans son chapeau, croître sous ses yeux et élever leurs cimes au-dessus des plus grands arbres. Les cèdres renferment des arbres célèbres par leur élé- vation et l'indestructibilité de leur bois qui est résineux, blanchâtre , d'un grain très- fin , presque aussi dense que celui du chêne , dégageant une odeur agréable lorsqu'on le brûle. Il peut servir à la plus belle menuiserie. Dès les temps les plus reculés , il a été recherché pour les constructions nautiques, pour les temples et autres grands édifices, ainsi que pour les cercueils ; la plupart des étuis des mo- mies égyptiennes sont en bois de cèdre. On rapporte que les charpentes des temples d'Éphèse et de Jérusalem étaient construites avec ce bois. On lit, dans l'histoire, qu'on trouva dans le temple d'Apollon, à Utique , des débris de charpentes de cèdre qui avaient près de deux mille ans. LE CÈDRE. 121 Les Anglais font des espèces de petits barils dont les douves sont en partie de cèdre; ils y laissent séjourner du punch ou d'autres liqueurs qui y prennent une odeur et un goût agréables. A l'île de la Réunion , il y a une espèce de cèdre très- répandue que l'on nomme le filao. C'est un des arbres les plus élégants que l'on puisse voir; il rappelle le pin et le saule pleureur; il estsvelte, flexible, très-élevé et très- rameux. Ses feuilles longues, pressées, cylindriques, et fines comme des cheveux, penchent vers la terre, et lorsque la brise vient les faire tressaillir de son souffle, elles chantent mélodieusement d'une voix que l'on re- cherche toujours, dès qu'on l'a entendue une fois. Fig. fi5. — Cityse commun ou faux-ébénier. LE CHANVRE. Ses usages; son origine; les deux chemises de toile de Catherine de Médicis. Tout le monde connaît cette plante aux tiges herba- cées, et qui, livrées au rouissage, séchées au soleil et soumises aux opérations dites teillagc, broyage, ribage, sêrançage , donnent par leur écorce, le chanvre ou la filasse destinés à faire de la toile et des cordages; les tiges privées de leur écorce sont employées à faire des allumettes ou fournissent un charbon excellent pour la fabrication de la poudre. Les graines, petites et ovoïdes, portent le nom de che- nevis, et servent à la nourriture des oiseaux domestiques. Elles fournissent aussi une huile très-bonne pour la pein- ture et l'éclairage, et que l'on peut même employer comme aliment. Le chanvre est originaire de la Perse, d'où il passa en Egypte; il parait que Pythagore le rapporta de cette dernière contrée, car, avant ce philosophe, les Grecs n'en connaissaient point l'usage. La province du Berri a été, de toute antiquité, re- nommée pour ses chanvres , et Bourges , sa capitale , est citée par Pline comme une des villes des Gaules dans les environs de laquelle venait, de son temps, le plus beau chanvre, et où se fabriquait une prodigieuse quantité de toile. 124 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. Il paraît cependant que cette plante était encore fort rare sous Henri II, ou du moins son emploi en linge fin ; car on cite comme une nouveauté deux chemises de toile de chanvre que possédait Catherine de Médicis. Fig. U6. — Chanvre en fleur. Il existe une espèce de chanvre nommé hachich, dont les Orientaux fument les feuilles mêlées avec du tabac , pour se procurer une ivresse énervante et des plus dange- reuses. Ils composent aussi, avec les feuilles, les fleurs, les graines de ce chanvre mêlées à d'autres substances, des pastilles, des breuvages et des poudres qui les jettent dans cette ivresse. (Voir hachich.) LE CHÊNE. Ses diverses espèces; ses propriétés; le chêne dans l'antiquité; les chênes célèbres; les chênes d'Autrage, d'Allouville, de Cardaillou, etc. ; le chêne du roi ; curieuse aventure; le chêne de Hainault ; le chêne de llerne ; le chêne du parlement ; le bâton de prome- nade du Maréchal; le chêne Caltropc; le chêne de Worksop; le chêne de Gelenos. Le chêne est le roi de nos forêts; il n'est pas d'arbre qui annonce autant de vigueur et qui présente un aspect aussi imposant. Il est l'emblème de la durée et de la force. Il peut atteindre 45 à 50 mètres; son accroissement est très-lent ; la durée de sa vie est communément de 1 20 à 150 ans, mais elle dépasse quelquefois trois siècles, et même bien davantage. On le reproduit par semis et par plans ; les uns arrachés dans les chênaies, les autres élevés en pépinières. Il se trouve dans tout l'hémisphère septentrional et domine dans nos forêts, mais il semble étranger à l'hémisphère austral. Plusieurs espèces de chênes portent des fruits doux qui, en Grèce, en Asie-Mineure , en Espagne et en Afrique, se mangent comme nos châtaignes. Mais la plupart des nôtres donnent des glands d'une saveur acre qui ne les rend propres qu'à la nourriture des porcs et des autres animaux domestiques. Le chêne est un des meilleurs bois de chauffage et des plus durs ; c'est pour cela que l'on en fait un grand usage dans la menuiserie, l'ébénisterie , le charronnage et la sculpture. Son écorce, réduite en poudre grossière, cons- titue le tan, employé au tannage des cuirs et qui sert 126 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. ensuite à la préparation îles molles à brûler ; c'est aussi un excellent succédané du quinquina. On donne le nom de galle à des excroissances très-va- riées , produites sur diverses parties des végétaux par la piqûre de certains insectes appartenant à divers ordres , principalement au genre cynips; elles sont dues à des ex- travasions des sucs du végétal. Elles se composent princi- palement d'acide gallique , de tannin et de mucilage avec un peu de carbonate de chaux. Les galles du chêne de l'Asie Mineure, connues sous le nom de noix de galle, sont d'un grand usage dans les arts , surtout dans la tein- ture. L'engallage se fait en plongeant les tissus pendant un certain temps dans une infusion de noix de galle , à une température voisine de Fébullition. La noix de galle agit de deux manières différentes : ou bien elle sert de mordant pour fixer la couleur, ou bien la couleur résulte de la combinaison de ses principes avec certains corps , surtout avec l'oxyde de fer : c'est ce qui a lieu pour les teintes noires. La galle de chêne s'emploie à la préparation des encres, et sert quelquefois en méde- cine à cause de ses propriétés astringentes (fig. 47). Le chêne était consacré à Jupiter; aussi était-ce un événement de mauvais augure lorsque la foudre frappait un de ces arbres. Il était aussi consacré à Rhéa et à Cybèle. Dans l'antiquité , le chêne fut un objet de vénération pour les peuples , qui prêtaient une âme à toutes les pro- ductions de la nature. Les chênes de la forêt de Dodone rendirent des oracles; depuis, ceux des Gaules servirent d'autels; c'était sous leur ombre sacrée que les druides chantaient des hymnes à l'Éternel. LE CHENE. li>7 Les Gaulois avaient pour le gui de chêne une vénération toute particulière; la recherche de cette plante était pour Fie. un. Cynips des feuilles du chêne. eux une fête nationale. Le sixième jour de la première lune, qui commençait leur année , c'est-à-dire vers le solstice d'hiver, la nation se rendait en foule dans les forêts qui s'étendent entre Chartres et Dreux pour assister au grand sacrifice du gui. Partout on entendait ce cri de ralliement : Au gui Van neuf! La cérémonie s'ouvrait par une proces- sion solennelle : les bardes chantaient des hymnes, les augures accompagnaient les taureaux destinés au sacrifice, le héraut d'armes et les grands dignitaires suivaient. Arrivé au pied du chêne, le grand prêtre brûlait du pain, faisait une libation de vin, distribuait de l'un et de l'au- 128 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. tre à l'assemblée, puis coupait le gui avec une serpette d'or, et achevait la solennité au milieu des prières. Chez les Grecs et les Romains, une branche de chêne tressée en couronne fut toujours regardée comme la plus belle récompense qu'on pût offrir à la vertu, et le citoyen qui l'avait méritée s'en tenait plus honoré que s'il avait été comblé de la faveur des rois. Il y a quelque temps, les journaux du Haut et du Bas- Rhin annonçaient que la cognée venait de renverser l'une des plus vénérables reliques de l'ancienne Gaule, le chêne d'Autrage, près Belfort, auquel les physiologistes n'assi- gnaient pas moins de vingt-quatre siècles d'existence. Le tronc dépouillé de ce géant , dont le poids était de 24,000 kilogrammes, et le diamètre de cinq mètres à sa base, a été transporté dans une scierie mécanique de l'Al- sace, pour être converti en planches. Le chêne d'Autrage qui a servi depuis longtemps à qua- lifier le pays où il existait ; Autrage-ès-Chène ) , donne une idée de ce que devaient être les antiques couverts de la Gaule druidique , car cet arbre était é\ ïd Miiment le dernier ves- tige de quelqu'une de ces forêts mystérieuses. En effet, il y a sept siècles , il y avait encore autour de lui de nom- breux contemporains; c'est du moins ce que doit faire présumer une charte de llOo, signée par Ermentrude , veuve du comte Thierry de Montbéliard, dans laquelle la localité d'Autrage est qualifiée dede Quercubus es chênes . Aujourd'hui, nous n'avons plus guère, en France, que deux ou trois de ces vieux monuments de la végétation autochthone , dont les plus remarquables sont : le chêne (l'AUouville, près d'Yvetot, âgé de neuf cents ans, et LE CHÊNE. 129 dont le tronc, surmonte d'un clocher, est converti en chapelle depuis IG9G; puis celui de Montravail, près de Saintes. Ce dernier, qui a neuf mètres de diamètre à sa base, est élevé de vingt mètres. D'après le nombre de ses couches concentriques, il paraît être âgé de deux mille ans. D'autres sujets de même essence viennent après ceux- ci, mais ils ne sont pas aussi remarquables; ce sont : le gros Cardaillou, de Délie; le Weiswil, de Laar, et l'Einsi- deln, de Haguenau. Il y a plus d'un chêne célèbre dans la Grande-Bretagne. On sait qu'après sa défaite à Worcester, Charles II ne fut sauvé que par la vitesse de son cheval : il se réfugia dans l'épais feuillage d'un vieux chêne énorme, qu'on appela depuis chêne du roi Charles; et les hommes qui poursui- vaient le prince choisirent précisément l'ombrage de ce chêne pour y bivouaquer, tandis que le malheureux Charles y était encore caché. Ces faits sont devenus de l'histoire familière. Quant au chêne de la forêt Hainault, en Essex, il était le rendez-vous de chasse de nombreux monarques ; sous le feuillage de cet arbre vénérable, il se tient en- core une foire annuelle. En fait d'autres chênes célèbres , on cite le chêne de Herne le Chasseur, qui s'élève au fond de la forêt de Windsor. Il y a une légende attachée à cet arbre, et Shakes- peare en parle dans le quatrième acte des Joyeuses Com- mères de ]Yindsor. Herne avait été garde-chasse durant la seconde partie du règne d'Elisabeth. Ayant commis un mé- fait par suite duquel il perdit son emploi , il résolut de se 130 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. pendre à ce chêne. Depuis ce temps, on dit que l'ombre de Herne revient chaque nuit hanter ces lieux. Toutes les horreurs de cette légende ont été retracées dans un roman d'Harrison Ainsworth , qui a pour titre le Château de Windsor, roman dans lequel le fameux chas- seur est représenté en commerce avec les divinités infer- nales, qu'il évoque par des conjurations magiques. L'i- dentité de l'arbre a été mise en doute par quelques écrivains. Cependant, un plan de la ville et du château de Windsor, publié à Eton en 1742, indique l'arbre et lui donne le nom de chêne de Falstaff. Le chêne dit du Parlement, dans le parc de Clipston, est âgé de 4 ,500 ans : ce parc existait avant la conquête ; il appartient au duc de Portland. Le chêne le plus élevé qui ait existé en Angleterre était également la propriété de ce seigneur. On l'appelait plai- samment le bâton de "promenade du duc (walking-stick). Il était plus haut que les tours de l'abbaye de Westminster. Le plus gros chêne d'Angleterre est le chêne Calthorpe , dans le Yorkshire ; sa circonférence est de 78 pieds anglais près du sol, c'est-à-dire à peu près 24 mètres. Le célèbre chêne de Worksop couvre de son feuillage un espace d'environ 777 mètres carrés. Le chêne qui , ayant été abattu , a produit le plus à son propriétaire est celui de Gelenos , dans le comté de Mon- mouth : la vente de l'écorce a rapporté 200 livres st.. (5,000 fr.), et celle du bois, 670 livres (16,750 fr.). LA CIGUË. Sa description ; ses effets toxiques ; contre-poisons à lui opposer; son emploi en médecine; la coupe empoisonnée chez les anciens; Téramène, première victime de la ciguë; mort sublime de Socrate et de Phocion ; curieux usages que l'on faisait de la ciguë à Marseille; Sénéquc boit vainement la ciguë; immunité contre les poisons; les phé- nomènes que présente l'empoisonnement par la ciguë, comparés à ceux que pro- duisait la coupe consacrée dans l'antiquité; effets étranges que peuvent exercer diverses substances sur le moral. La ciguë est une plante dangereuse, dont la racine et la tige contiennent un suc jaunâtre, poison violent pour les hommes et les animaux. On la reconnaît facilement à ses tiges, parsemées de taches livides comme la peau d'un serpent, à son odeur vireuse, à sa saveur d'une amertume désagréable, enfin à l'âcreté de toutes ses parties. Ses feuilles sont semblables à celles du cerfeuil sauvage, deux et trois fois ailées , grandes , un peu molles ; ses fleurs sont blanches, disposées en ombelles très-ouvertes; ses fruits , globuleux , sont renfermés dans un involucre de plusieurs folioles linéaires étoilées en tous sens. Elle croît dans les contrées du Nord comme dans celles du Midi, dans les lieux incultes, le long des haies, parmi les décombres où règne un peu d'humidité; elle fleurit en été. La ciguë est un des poisons les plus actifs ; sa vertu est d'autant plus grande qu'elle croît dans un climat plus chaud. 132 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. On en combat les mauvais effets à l'aide de purgatifs et d'acides végétaux, tels que vinaigre, suc de citron, etc. En médecine, on l'emploie comme narcotique, par- ticulièrement contre le cancer, les scrofules, la goutte, etc. On l'administre, soit à l'intérieur, sous forme d'extrait, soit à l'extérieur, sous forme de cataplasme et d'em- plâtre. Ce sont les effets toxiques de cette plante , terribles par leur rapidité et leur énergie , qui ont fixé l'attention sur elle , et c'est sous ce rapport qu'elle a joué un rôle his - torique qui laisse d'immortels souvenirs. On n'oubliera jamais la coupe empoisonnée qu'un peuple en démence approcha des lèvres héroïquement résignées de Socrate , de Phocion et d'autres grands hommes remarquables par leurs vertus civiques. L'origine de faire boire la ciguë aux condamnés, par jugement public, paraît pour la première fois à Athènes, sous le gouvernement des trente tyrans, et la première victime semble être Théramène, l'un d'entre eux, dis- ciple de Socrate, qui joue un rôle très-important comme général , orateur et magistrat. « 11 but la ciguë , dit Cicéron, comme s'il eût satisfait sa soif; puis, lançant ce qui restait au fond du vase de manière à lui faire produire en tombant un son que l'on croyait de bon augure, il dit en souriant : « Je passe la coupe au beau Critias, » présageant en quelque sorte la mort prochaine de son plus cruel ennemi , de celui qui l'avait fait proscrire. » Sous la même tyrannie, un riche Athénien, nommé Pa- lémarque , frère de l'orateur Lysias, fut désigné à la con- LA CIGUË. 135 voitisc des magistrats, et fut également condamné à boire la coupe empoisonnée. Tout le monde connaît la mort sublime de Socrate , le troisième dans ce martyrologe. Quand on vint lui an- noncer qu'il devait mourir par le poison, il dit : « Qu'on me l'apporte s'il est broyé, sinon qu'on le broie! » La coupe fatale fut apportée vers le coucher du soleil, ce Fort bien , dit-il à celui qui lui présenta le poison ; mais que faut-il faire? car c'est toi qui me l'apprendras. » « Pas autre chose, lui dit l'homme, que de te pro- mener, quand tu auras bu , jusqu'à ce que tu sentes tes jambes appesanties, et alors couche-toi sur ton lit, le poison agira de lui-même. » En même temps, il tendit la coupe à Socrate, qui la prit avec la plus parfaite sécurité. a Est-il permis , demanda le sage , de répandre un peu du breuvage pour en faire une libation? » L'homme ré- pondit : « Nous n'en broyons que ce qu'il est nécessaire d'en boire. » Socrate porta la coupe à ses lèvres et la vida avec une sérénité presque divine, priant l'Etre suprême de rendre heureux son dernier voyage. Il se mit à se promener, et dès qu'il sentit ses jambes s'appesantir il se coucha sur le dos, comme l'homme l'a- vait ordonné. En même temps celui-ci s'approcha, et après avoir examiné quelques instants ses pieds et ses jambes, il lui serra fortement les premiers en lui deman- dant s'il le sentait. Le sublime patient lui dit que non. Lui ayant ensuite serré les jambes et porté les mains plus haut, il s'aperçut que le bas-ventre était déjà glacé et que le corps se roidissait. 136 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. Socratese découvrit alors, et adressa à Criton ces der- nières paroles : « Nous devons un coq à Esculape; n'ou- blie pas d'acquitter cette dette. » Probablement que Socrate voulait ainsi remercier le dieu de la médecine, du breuvage empoisonné qui brisait les liens qui l'empêchaient d'entrer dans une vie meilleure. Peu de temps après il fit un mouvement convulsif, ses regards devinrent fixes. Le sage venait d'expirer. Cri- ton lui ferma la bouché et les yeux. Quatre-vingts ans après , Phocion eut la gloire de boire à la même coupe. Vrai philosophe, habile capitaine, grand homme d'État, d'une austère vertu, d'un ardent patriotisme, Phocion fut accusé de trahison et condamné sans qu'on eût entendu sa défense. Il pouvait s'échapper; mais, comme Socrate, il voulut obéir à l'inique sentence qui le frappait. Un de ses plus intimes amis étant venu lui dire en pleurant : « 0 mon cher Phocion , quel indigne traite- ment pour un homme tel que vous! » « Je m'y attendais, répliqua-t-il : c'est le sort qu'ont éprouvé les plus illustres citoyens d'Athènes. » Ses ennemis, assemblés autour de lui, le couvrirent d'insultes et d'opprobres; un d'eux lui cracha au visage. Phocion ne fit que se retourner vers les magistrats, et leur dit : « Ne pourriez-vous pas empêcher cet homme de com- mettre des choses si indignes? » Un de ses amis lui ayant demandé s'il n'avait rien à dire à son fils : « Oui, dit-il, c'est de ne point se souvenir de l'injustice des Athé- niens. » LA CIGUË. 137 Nicoclès et ses autres compagnons ayant pris le poison avant lui, comme il n'en restait plus, l'exécuteur refusa d'en broyer, si on ne lui comptait douze drachmes. Pho- cion pria un ami de les lui donner, puisqu'il n'était pas permis à Athènes de mourir gratis. Les habitants de l'Espagne, à l'imitation de ceux de Chio , préparaient un poison avec une herbe qui ressemble au persil; « ils l'ont sous la main, dit Strabon, pour les moments critiques et fâcheux. » En parlant de la cité de Marseille, Valère-Maxime mentionne l'usage qu'on y faisait de la ciguë. « On y garde, dit-il, dans un dépôt public, un poison composé avec de la ciguë, que l'on donne à quiconque justifie, de- vant le conseil des six cents , des raisons qu'il a de dé- sirer la mort; espèce de jugement où préside une huma- nité sans faiblesse , qui ne permet pas au citoyen de sortir légèrement de la vie, et qui lorsque la prudence l'y oblige lui fournit un moyen prompt et en même temps légal de mettre fin soit à ses adversités, soit à ses pros- pérités, car l'une et l'autre fortune offrent de grandes raisons de désirer la mort, l'une comme pouvant finir, et l'autre comme pouvant toujours durer. » Il ajoute que cette coutume ne lui parait pas avoir pris naissance dans la Gaule ; il pense qu'elle fut apportée de la Grèce , dont Marseille était une colonie. Valère-Maxime dit aussi avoir trouvé le même usage dans l'île de Céos, où les vieillards inutiles à la patrie quit- taient ordinairement la vie en buvant du poison. Étrange erreur! comme si l'on pouvait être inutile à son pays en vivant en honnête homme jusqu'au dernier de ses jours! Il 138 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. raconte que clans un voyage en Asie, étant dans la ville de Julis avec Sextus Pompée , une dame fit appeler l'illustre Romain pour le rendre témoin de sa mort. Après s'être longtemps entretenue avec lui, elle fit le partage de ses biens entre les membres de sa famille, prit d'une main le vase où l'on avait préparé le poison , en offrit des libations à Mercure , pria ce dieu de la con- duire dans le lieu le plus fortuné des enfers , et vida sans effroi la coupe empoisonnée. A mesure que les glaces de la mort s'emparaient des différentes parties de son corps , elle le disait tranquil- lement; et lorsqu'elle sentit que le froid gagnait ses en- trailles et son cœur, elle en avertit ses filles, les priant de lui rendre le dernier office : celui de lui fermer les yeux. On sait que Sénèque reçut de son ancien élève l'ordre de mourir, et qu'il s'ouvrit les veines des quatre membres pour finir ses jours par une hémorrhagie. La vie s'écou- lant trop lentement de ces nombreuses sources , le centu- rion était impatient. Le philosophe s'adressant alors à Statius Anneus , dont il avait éprouvé de longue date l'amitié pour lui et l'ha- bileté dans l'art médical , le pria de lui donner de ce poison par lequel on faisait périr à Athènes ceux qu'un jugement public avait condamnés. « 11 le but en vain, dit Tacite, parce que ses membres étaient déjà glacés et son corps fermé à la violence du poison ; il se fit alors transporter dans une étuve, dont la vapeur l'étouffa. » Galien rapporte un fait relatif à la ciguë , qui rappelle assez exactement l'immunité acquise, dit-on, parMithri- date contre les poisons. Une vieille femme de l'Attique LA CIGUË. 139 parvint, par l'habitude et une gradation lente, à manger impunément de la plante vénéneuse, au point de s'en faire une nourriture innocente. La plupart des auteurs ont parlé de la ciguë comme constituant le fameux poison qui donne si rapidement la mort, et qui chez les anciens était présenté aux lèvres des grands hommes. Jusqu'ici en effet on a cru géné- ralement que ce breuvage n'était que le suc de cette plante broyée. Cela n'est pas probable, cardes faits nombreux démon- trent le contraire ' . Cependant , le suc de la ciguë devait foire l'élément principal du breuvage. Comme il arrive souvent, on a donné à la préparation tout entière le nom de la substance dominante. Il suffit pour se convaincre de cette assertion d'exa- miner les particularités que présentent les cas d'empoi- sonnement par la ciguë pure et ceux que produisait la coupe consacrée dans l'antiquité. Il y a quelque temps, plusieurs journaux ont rapporté le fait suivant : « On écrit d'Angers que le nommé Yver, maçon , de- meurant rue Saint-Nicolas , ayant mangé , par mégarde , de la racine de ciguë , a éprouvé tous les symptômes du plus violent empoisonnement, et malgré les secours qui lui ont été administrés il a succombé samedi soir, au mi- lieu de souffrances atroces. 1 On peut voir sur cette question un excellent petit opuscule : La Coupe de ciguë, oula vérité sur la mort de Soc rate, par M. Marmisse, au- teur des Merveilles évangéliques éclairées par les sciences médicales. Nous constatons ici les faits principaux. 140 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. « Les jambes et la tète de ce malheureux étaient horri- blement contournées. Sa langue était tellement tuméfiée, qu'elle lui sortait de la bouche, et sous l'effort des con- tractions spasmodiques elle a été coupée par ses dents. « Un autre maçon, nommé Ravary, qui avait aussi mangé de la racine de ciguë, a éprouvé les mêmes symp- tômes , mais d'une manière moins violente , et grâce aux prompts secours qui lui ont été administrés il a pu être sauvé. » Voici quelques autres faits. Un jeune enfant ayant mangé de la racine de ciguë, qu'il prit pour du panais, éprouva peu de temps après des anxiétés précordiales , proféra quelques mots , se coucha par terre et urina avec beaucoup de force ; bientôt il fut en proie à des mouvements convulsifs horribles , perdit l'usage des sens, serra fortement la bouche. Il grinçait des dents, tournait les yeux d'une manière surprenante et rendait du sang par les oreilles. Il avait souvent le ho- quet; il cherchait à vomir, sans pouvoir ouvrir la bouche; il éprouvait de vives douleurs dans les articulations; sa tête était souvent portée en arrière, et le dos fortement arqué. Tous les moyens que l'on mit en usage pour le sou- lager furent inutiles : il expira environ une heure après l'invasion des symptômes. Un vigneron italien , qui cultivait des vignes dans son pays, y trouva de la grande ciguë, qu'il prit pour de la patenade ; il en mangea de la racine à son souper avec sa femme, et ils allèrent ensuite se coucher. Au milieu de la nuit, ils se réveillèrent entièrement fous, et se mirent à courir ÇcVet là, sans lumière, par LA CIGUË. 141 toute la maison. Dans des transports de fureur et de rage, ils se heurtèrent si rudement contre les murs, qu'ils en furent tout meurtris, enflés et ensanglantés. Ils guéri- rent par des remèdes convenables. Quelle vertu précieuse faisait la réputation du fameux poison des anciens ? C'est, proclament tous les historiens, qu'il procurait une mort rapide , facile , exempte de dou- leur, et il est impossible d'expliquer cette vertu cons- tante si la ciguë en était le seul élément. Thrasyas et Alexias, au rapport de Théophraste, fai- saient entrer du pavot et d'autres plantes semblables dans leurs habiles préparations; on ne s'étonnera donc pas que ce breuvage ait pu tuer, pour ainsi dire, en en- dormant. Les vomissements, les selles abondantes, les convul- sions, les crampes d'estomac, cortège ordinaire de l'in- gestion de la ciguë , ont pu s'adoucir et même disparaître en présence de l'opium. A Athènes, la coupe empoisonnée était un véritable instrument de supplice établi par les lois, mais non de torture, car elle était aussi, en plusieurs lieux, à Chio, à Marseille, à Céos, en Espagne, et même à Rome, un véritable instrument de suicide. Les gens dégoûtés de la vie y cherchaient une mort rapide, facile et exempte de douleur. Dans l'antiquité, la potion de ciguë était donc à la mode pour les rares exem- ples de suicide que l'on y découvre avec peine. Que l'on se transporte devant le lit de Socrate, com- ment expliquerons-nous l'absence du délire , du vomis- sement, des convulsions , des selles, des douleurs, si l'on 142 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. ne voit dans la potion rien autre chose que du suc de ciguë ? D'un autre côté , comment philosopher jusqu'au dernier souffle, au milieu des convulsions, du délire, des vomissements, des douleurs de tête?SiSocrate n'avait bu que de la ciguë, une heure avant sa mort, le sage n'aurait sans doute été qu'un fou. Personne n'ignore qu'il est des substances dont la puis- sance sur notre organisation revêt les nuances du mer- veilleux. Avec de la ciguë , de la belladone , de la mandragore , delà stramoine, de la jusquiame, du hachich , les rela- tions du moral et du physique sont entièrement boulever- sées. Que l'on en présente à Platon et à ses nombreux dis- ciples, qui discutent sublimement dans l'Académie , et ce sanctuaire de la sagesse sera changé en véritable Charen- ton, peuplé de fous calmes ou furieux. Nous concluons, avec M. Marmisse, qu'une seule ex- plication peut faire comprendre comment Socrate , Pho- cion et les autres victimes légales ou volontaires de la coupe empoisonnée, ont pu mourir rapidement, avec fa- cilité, sans douleur et sans trouble de leur intelligence : c'est que le breuvage était composé de diverses sub- stances. On mélangeait le suc de la ciguë avec quelque principe narcotique, comme l'opium. Le secret de cette potion antique est perdu; aucun auteur ne nous en a laissé la formule. LE CITRONNIER. Son origine; ses propriétés, chantées par Virgile; son étonnante influence sur le venin du serpent; faits curieux. Le citronnier est un élégant arbuste , toujours vert et continuellement chargé de fleurs et de fruits. Il fut d'abord apporté de la Médie par Palladius , qui en peupla la Grèce ; de là il passa en Italie et dans les pro- vinces méridionales de l'Europe. On le cultive en Sicile, en Portugal, en Espagne, dans le Piémont, en Languedoc et en Provence. On l'élève dans les serres là où la tem- pérature froide lui serait contraire. Parmi les riches productions de la Médie, Virgile fait mention d'un arbre aux fruits duquel il attribue les plus grandes vertus contre les poisons. Cet arbre est sans doute le citronnier : « Vois les arbres du Mède et son orange amère , Qui lorsque la marâtre aux fils d'une autre mère Verse le noir poison d'un breuvage enchanté , Dans leur corps expirant ramène la santé. » Il parait que le citron a plus d'efficacité contre les ve- nins dans les pays orientaux , où il vient plus naturelle- ment, qu'ailleurs, si l'on en juge par ce que rapporte Athénée de deux criminels condamnés par le gouverne- ment d'Egypte à être livrés aux serpents. Lorsqu'on les menait au supplice, une femme leur 144 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. donna par pitié quelques citrons qu'ils mangèrent. Ex- posés ensuite aux morsures des serpents les plus veni- meux, ils n'en ressentirent aucun mal. Le gouverneur, étonné, les renvoya le lendemain au supplice, et pour s'assurer que le citron était la cause d'un effet si peu at- tendu, il en fit manger à l'un et non à l'autre. Le pre- mier, quoique mordu plusieurs fois , n'éprouva aucun ac- cident fâcheux ; le second expira à l'instant : d'où Athénée conclut que le citron pris à jeun résiste à tous les poisons. Chez nous on emploie le citron dans un grand nombre de préparations culinaires ; mais on ne lui reconnaît point de propriétés différentes de celles des autres acides végé- taux contre les poisons qui produisent leurs effets en as- soupissant. Il serait donc à propos de faire de nouvelles expé- riences pour constater la valeur de son antique renommée. Fig. U9. — Cyclame de Perse. LE CYPRES. Sis caractères; ses propriétés; légende : Palémon et la tombe de Myrta. Le cyprès est originaire du Levant ; il est très-répandu dans le midi de l'Europe. C'est un arbre résineux, de haute taille et de forme pyramidale, à racines nombreuses et déliées, au tronc élevé, dont les rameaux, pressés contre la tige, portent un feuillage d'un vert foncé, composé de petites folioles imbriquées les unes sur les autres; ses fleurs sont formées de plusieurs écailles arrondies qui, en s'agglomérant, forment un fruit conoïde de la grosseur d'une noix, mû- rissant en hiver et s'ouvrant par segments pour laisser échapper la graine. Le cyprès par sa couleur, sombre, répand autour de lui un certain air de tristesse : aussi est-il l'arbre des tombeaux; les anciens l'avaient consacré à Pluton. « Le soir vint, dit Gessner, et Palémon, rempli d'un saint pressentiment, leur dit : « 0 mes enfants, sortons, al- lons visiter la tombe de Myrta ; nous y répandrons du vin et du miel, et nous terminerons la fête par des hymnes. » Ils sortirent et allèrent sur la tombe. « Embrassez-moi, mes enfants, » dit le vieillard dans un pieux ravissement. Alors, au milieu de leurs embrassements, il fut changé en un cyprès, dont l'ombre conserve encore le tombeau. 10 146 PLANTES UTILES ET CURIELTSES. « La lune, paisible témoin de cette aventure, s'arrêta dans sa course. Quiconque se repose à l'ombre de cet arbre se sent le cœur agité d'un saint transport, et de pieuses larmes coulent de ses yeux. » Dans le midi, on fait avec le cyprès des haies très-serrées et très-hautes, pour servir d'abri aux jardins et à certaines cultures. Son bois, fort et incorruptible, est sus- ceptible de recevoir un beau poli ; la résine qui en découle est utile contre les blessures récentes, et donne une belle couleur. La durée du cyprès est , dit-on , sept fois plus grande que celle du chêne. Dans le langage des ileurs, il est le symbole du deuil, de la douleur, Fig. 50. — Cyprès pyramidal. des TCgrctS. LE GAROÈ OU ARBRE SAINT. L'île de Fer et le premier méridien ; description de cette île ; curieux passage ; l'eau distillée par l'arbre saint ; explication de ce phénomène. L'île de Fer, qui fait partie du groupe des Canaries, a attiré spécialement l'attention des savants; elle fut long- temps le point d'où les géographes comptèrent la longi- tude. A l'exemple de Ptolémée, ils y faisaient passer le premier méridien , et Louis XIII, roi de France, ordonna, en 163i, que cette coutume serait adoptée par les géo- graphes de son royaume. Aujourd'hui, chaque pays veut avoir son premier mé- ridien ; l'unité a été bannie de la rédaction des cartes ; il faut avoir des tables comparatives pour s'y reconnaître , et le plus fol orgueil national ayant prévalu partout sur l'intérêt de la science , l'un compte de Greenwich , l'autre de Saint-Pétersbourg, ou de Berlin, ou même de Madrid; le moindre observatoire veut , à son tour, devenir le centre du monde. Les roches de l'île de Fer ont , en général , un aspect ferrugineux, et les autres produits qui couvrent le sol ressemblent assez à des scories de forges ; dans le prin- cipe, on aura sans doute pris l'apparence pour la réalité, et de là probablement sera venu le nom de cette île. D'après les meilleures observations, l'île de Fer se trouverait à 27° 47' 30" de latitude nord, et 19° oi' 44" de longitude occidentale , comptant de Paris. 148 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. Une ceinture de lave entoure l'île de Fer et la rend presque inabordable; elle s'élève rapidement, depuis les falaises qui bordent le littoral, jusqu'à une hauteur de plus de 1,000 mètres. Cependant, sur certains points, quel- ques petits plateaux disposés en assises rompent l'uni- formité de la pente et offrent un sol plus accessible. Lorsqu'on aborde l'Ile du côté de la bande septentrio- nale , on voit se développer, sur un espace d'environ quatre lieues, une enceinte de rochers d'un aspect impo- sant ; une forêt de lauriers , de palmiers et de grandes bruyères en garnit toutes les anfractuosités. Des routes qui longent la crête des montagnes permet- tent d'apercevoir, sur les deux bandes de File, les côtés opposés. Des cratères éteints, dont les flancs se sont re- couverts d'une végétation vigoureuse, des nappes de laves et de scories, des cônes d'éruptions d'époques plus ré- centes, se présentent à chaque pas dans cette haute région. Le promontoire de Salmore, qui s'avance vers le nord, domine tout le golfe et constitue la partie la plus élevée du Time, chaîne de rochers dont les terribles escarpe- ments forment les premiers gradins des montagnes su- périeures. On remarque sur le sommet du promontoire la cha- pelle de Notre-Dame de la Pena, qui avoisine le hameau de Guarazoca, et sur le point le plus culminant du pla- teau la chapelle de los Reyes. Une description de l'île de Fer remarquable par son exactitude et par la simplicité du style est celle que les liisloriens de Béthencourt écrivirent en 1102 : « Si parlerons premièrement, disent-ils, de l'isle de LE GAROÈ OU ARBRE SAINT. 151 For, qui estime des plus lointaines. C'est une moult belle isle , qui contient sept lieues de long et cinq de large ; elle est en manière d'un croissant et très-forte , car il n'y a ne bon port ne bon entrage. Elle a esté visitée par le sieur Béthencourt et par d'autres. Gadifer y fut bien longuement. Elle souloit estre bien peuplée de gens, mais ils ont esté pris par plusieurs et menez en cheti- fuoison et estranges contrées; aujourd'hui y sont de- meurés peu. Le païs est haut et assez plein, garny de grands bocages de pins et de lauriers portant meures si grosses et si longues que merveilles, et sont les terres bonnes pour labourer bled, vin et toutes autres choses. On y trouve maints autres arbres portant fruicts de di- verses conditions, et y sont faucons, esperviers, allouet- tes , cailles et une manière d'oiseaux de courte volée , qui ont plumes de faisan et la taille d'un pape-gaud. Les eaux y sont bonnes, et il y a grand planté de bestes; c'est à savoir : chièvres , pourceaux , brebis , et des lé- sardes grandes comme un chat; mais elles ne font nul mal et sont bien ideuses à regarder. Les habitants d'i- celle sont moult belles gens, hommes et femmes. Il y croît bleds de toutes manières assez. » Aucun ruisseau n'arrose le pays; les seules sources existantes sont celle située sur les hauteurs de los Llo- nillos , qui fournit une eau potable, toujours limpide et très-froide, et celle de Sabinosa, dont l'eau est presque chaude , d'une odeur sulfureuse et d'une saveur piquante. C'est la fontaine médicinale des habitants de l'île ; ils en font usage contre les obstructions. Les historiens de Bé- thencourt en parlent ainsi : 152 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. « Quand on a tant mangé que on ne peut plus, qu'on boit d'icelle eau , ainchois qu'il soit une heure la viande est toute digérée , tant qu'on a aussi grande volonté de manger qu'on avait auparavant \ » De hautes montagnes, où l'on retrouve des forêts vier- ges, attirent sur l'île une masse de vapeurs qui humec- tent et fertilisent le sol ; dans plusieurs endroits , la com- pacité des laves et la nature des autres produits volcani- ques retardent encore le développement de la végétation. Les habitants ont grand soin de recueillir, pendant l'hiver, les eaux pluviales dans des hères on citernes. Il existait dans cette île avant 1625 un arbre appelé garoè, que plusieurs écrivains mal informés ont traité de fabuleux. Abreu Galindo , historien des Canaries , ayant vu cet arbre merveilleux, qu'on appelait aussi arbre saint, dit qu'il était venu contre un gros rocher, et que c'est mal à propos qu'on le compare au tilleul , parce qu'il n'y ressemblait en rien; son tronc avait 6 mètres de hauteur, et sa tète, ronde, près de 60 mètres de cir- conférence; le feuillage en était fort touffu, consistant, poli, ne tombant point, et toujours vert, comme ce- lui du laurier, mais plus grand. Son fruit ressem- blait à un gland avec son capuchon, et la graine avait la couleur et le goût un peu aromatique des petites amandes que renferme celle du pin. Il y avait tout autour de l'arbre une grande ronce qui s'élevait jusque sur plu- sieurs de ses rameaux, et aux environs quelques hêtres ' Confjueste des Canaries, p. 123. LE GAROÈ OU ARBRE SAINT. 153 avec divers buissons. Du coté du nord, on avait élevé deux grands bassins, de iO mètres de surface et de 6 mè- tres de profondeur, afin que L'eau tombant de l'arbre y fût retenue. « Il arrive souvent, dit le même historien, et sur le matin, qu'il s'élève de la terre, non loin de la vallée, des vapeurs et des nuages, qui sont portés par les vents d'est, fréquents en ces parages, contre les grands ro- chers qui semblent destinés à les arrêter ; ces vapeurs s'a- moncellent sur l'arbre et s'y résolvent en gouttes sur ses feuilles polies. La grande ronce, les hêtres et les buissons du voisinage , les condensent de la même manière. Plus les vents d'est ont régné, plus la récolte d'eau est abondante ; les réservoirs s'en remplissant, on en récolte plus de vingt outres pleines. Un gardien chargé de ce soin la distribue aux gens du pays. » On dit que cet arbre remarquable , qui probablement était un de ces beaux lauriers des îles Atlantiques laurus inclica) , a été détruit par an ouragan vers 1625. On pourrait sans doute le renouveler au même lieu. Le phénomène qu'il présentait est facile à comprendre : on sait que l'eau s'évapore continuellement dans l'atmos- phère ; si la température de l'air est plus basse que celle de la vapeur au moment de sa formation, celle-ci se con- dense par le refroidissement, et apparaît sous forme de brouillard. Toutes les fois qu'un air chargé de vapeur rencontre un corps dont la température est moindre que la sienne, il en est de même. C'est également ce qui produit les brouillards que l'on 15-1 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. rencontre fréquemment sur les rivières; pendant l'été, après une pluie d'orage, l'air saturé d'humidité est plus chaud que la surface de l'eau , et dès qu'il approche des lieux où la fraîcheur de la rivière se fait sentir, la vapeur d'eau qu'il contient se condense et devient visible. On peut de même expliquer pourquoi pendant l'été une bouteille sortant de la cave se couvre de vapeur condensée. Si la condensation est plus considérable, le brouillard se résout en gouttelettes et en pluie : telle est la cause de l'eau qui découlait de cet arbre merveilleux, qui servait de condensateur à la vapeur lui venant de la mer. Nous pouvons voir quelque chose d'analogue dans nos jardins : après un brouillard humide, les arbres qui ont leurs feuilles dures et polies, tels que les orangers, les lauriers-cerises, etc., se couvrent de gouttes d'eau. Fig. 52. — Jasmin du Malabar. LE HAGHIGH. Sa description ; ses diverses préparations.; ses usages ; son influence sur le physique et sur le moral ; le Vieux de la Montagne. Hachich ou Haschisch, de l'arabe herbe, est le nom d'une plante dont le principe actif forme la base des diverses pré- parations enivrantes usitées en Egypte , et généralement dans presque toutes les contrées orientales. Cette plante est une espèce de chanvre, qui diffère très-peu de notre chanvre d'Europe; elle est très-com- mune dans l'Inde et dans l'Asie méridionale, où elle vient sans culture. Si l'on examine le hachich sur les lieux, on croira re- connaître un chanvre venu dans quelque terre maigre : il est de la même famille et du même genre ; les feuilles sont opposées, pétiolées, à cinq divisions profondes et aiguës; les fleurs sont peu apparentes; les maies et les femelles existent comme dans le chanvre ordinaire; le fruit est une petite capsule contenant une seule graine. La différence qui se trouve entre le chanvre et le ha- chich est dans la tige ; ce dernier a seulement une hau- teur de 75 centimètres à un mètre au plus ; sa tige n'est pas unique, mais rameuse depuis le pied; les branches sont alternes et ne fournissent pas les filaments que l'on rencontre sur le chanvre . La principale préparation du hachich, qui sert de 156 PL AMES UTILES ET CURIEUSES. fondement à tontes les antres, est celle appelée technique- ment extrait gras. On l'obtient fort simplement : on fait bouillir la feuille et les llenrs de la plante avec de l'eau à laquelle on a ajouté une certaine quantité de beurre frais; le tout étant ensuite réduit par évaporation à la consistance d'un sirop, on passe dans un linge. Le beurre que l'on obtient ainsi est chargé d'un prin- cipe actif et empreint d'une couleur verdâtre. . Cet extrait, qui ne se prend jamais seul, à cause de son goût nauséabond, sert à la confection de différents électuaires, de pâtes, d'espèces de nougats (pie l'on a soin d'aromatiser avec de l'essence de rose ou de jasmin, afin de masquer l'odeur répugnante de l'extrait pur. L'é- lectuaire le plus généralement employé est celui que les Arabes appellent daicamcsc. On peut fumer avec le tabac les feuilles du liacbich, lorsqu'elles sont récemment cueillies ; elles ont alors une action rapide et énergique qu'elles semblent perdre pres- qu'entièrement en se desséchant; elles servent aussi à la préparation d'une espèce de bière, dont les effets sont trop violents pour n'être pas dangereux. L'ivresse par le hachich jette dans une sorte d'extase, qui ressemble à celle que donne l'opium; les hommes tombés dans le délire qu'il procure s'imaginent jouir des objets ordinaires de leurs vœux et goûter une félicité dont l'acquisition coûte peu, mais dont l'usage trop sou- vent répété altère l'organisation et conduit infailliblement au marasme et à la mort. L'action du hachich est loin d'être la même pour tous à dose égale ; il peut produire des effets extrêmement LE HACHICH. 157 variés sous le rapport de leur intensité , suivant les indi- vidus. Il va des personnes qui paraissent résister à des doses qui chez d'autres produiraient des effets très-intenses. Chose très-curieuse, avec une certaine volonté, on peut arrêter ou du moins diminuer considérablement ces effets, comme on maîtrise un mouvement de colère. Pour sentir toute la puissance du hachich, il faut le prendre à jeun , ou du moins plusieurs heures après avoir mangé. Les effets de cette substance ont été connus dans la plus haute antiquité : Diodore de Sicile nous apprend que les Egyptiens alléguaient différents témoignages du séjour d'Homère parmi eux, mais spécialement le breu- vage qu'il fait donner par Hélène à ïélémaque , chez Mé- nélas, pour lui faire oublier ses maux. Le népenthès que le poète feint qu'Hélène a reçu de Polymneste n'est sans doute autre chose que ce fameux remède usité chez les femmes de Diospolis, et qui a fait dire qu'elles seules avaient le secret de dissiper la tristesse et le chagrin. Le parti que certains princes du Liban, au moyen âge, surent tirer du hachich tient vraiment du merveil- leux. Le Vieux de la Montagne faisait élever des jeunes gens, choisis parmi les habitants les plus robustes des lieux de sa domination, pour en faire les exécuteurs de ses bar- bares arrêts. Dans leur éducation, on avait pour but de leur persuader qu'en obéissant aveuglément aux ordres de leur chef ils s'assuraient après leur mort la jouis- sance de tous les plaisirs qui peuvent flatter les sens. 158 FLANTES UTILES ET CURIEUSES. Ce prince avait fait faire auprès de son palais des jardins délicieux; dans des pavillons, décorés de tout ce que le luxe asiatique peut imaginer déplus brillant, ha- bitaient de jeunes beautés uniquement consacrées aux plaisirs de ceux auxquels étaient destinées ces demeures enchanteresses. C'était dans ces lieux de mystère que les princes is- maéliens faisaient introduire de temps à autre les jeunes gens dont ils voulaient faire les ministres aveugles de leurs volontés. On leur servait du liachich, qui les plongeait dans un profond sommeil et les privait pour quelque temps de l'usage de toutes leurs facultés; c'est alors qu'on les transportait dans ces pavillons enchantés. Tout ce qui frappait leurs yeux et leurs oreilles à leur réveil les jetait dans un ravissement qui ne laissait au- cun empire à leur Ame. Le mot assassin est la corruption du mot haschischin, qui a été donné aux Ismaéliens à cause de l'usage qu'ils faisaient du hachich. Le dévouement fanatique que les princes ismaéliens inspiraient à leurs sujets, au moyen du hachich et de leurs jardins féeriques, ne reculait devant aucun obsta- cle, aucun sacrifice : un signe de la volonté du maître et les haschischins n'auraient pas hésité à se précipiter du haut d'une tour, à se jeter dans les flammes ou à se plonger un poignard dans le cœur. Les préparations du hachich sont propres à exciter les passions les plus honteuses et à donner une action nouvelle à tous les dérèglements de l'imagination ; aussi LE HACH1CH. 159 leur usage est-il certainement une des causes les plus actives de dégénérescence chez les peuples qui ont le malheur de s'y livrer. Les effets de cette substance in- fluent directement sur le cerveau , produisent un délire spécial, et placent celui qui en use habituellement dans les conditions d'une folie momentanée. La haute cour de justice de Constantinople a pris une importante décision, sanctionnée par le sultan, pour qu'à l'avenir le débit du hachich soit interdit aux dro- guistes et à tous ceux qui ne sont pas pharmaciens, et que dorénavant l'on n'en donne plus à fumer dans les cafés. Les pharmaciens eux-mêmes ne devront le déli- vrer qu'à titre de médicament et sur la prescription d'un docteur. Kig. 53. — Gentiane aeaule. LA LAITUE. Ses diverses espèces; ses propriétés hygiéniques; sou opium. La laitue renferme un grand nombre de variétés. L'es- pèce principale, la laitue cultivée, provient elle-même de trois variétés : 1° La laitue pommée , à feuilles concaves; 2° La laitue frisée, à feuilles crépues ; 3° La laitue romaine, à feuilles allongées et plus étroites à leur base. Cette dernière est ainsi nommée sans doute parce qu'elle était en grande vogue chez les Romains, qui en faisaient un de leurs mets favoris. Les laitues ont toujours été les plus estimées des herbes potagères; elles sont rafraîchissantes, tempèrent la soif , facilitent l'écoulement des urines, préviennent la consti- pation et portent au sommeil. Galien rapporte que dans sa vieillesse il ne trouva point de meilleur remède contre les insomnies auxquelles il était sujet que de manger des laitues le soir, soit crues, soit bouillies. Les disciples de Pythagore leur attribuaient la propriété de calmer les ardeurs du sang. La laitue contient un jus qui épaissi est un véritable opium , de meilleure qualité que celui qu'on retire du Le- vant. Le suc laiteux qui forme cet opium existe dans la tige et dans les feuilles de la plante : il se trouve clans des vaisseaux qui lui sont propres, et qui suivent longitu- 11 162 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. dinalement la partie fibreuse de la tige. On le recueille lorsque la plante commence à monter en graines ; aupara- vant il n'a pas toutes ses qualités, plus tard son pro- duit est beaucoup moins considérable. On l'extrait comme l'opium des pavots , par incision ; l'ouverture doit être circulaire; une petite profondeur suffit. Le jus sort en gouttes blanches, qu'on laisse sur la tige pour les enlever lorsqu'elles sont desséchées. On a essayé d'obtenir cet opium par la pression , mais les au- tres sucs de la plante qui s'y mêlent l'altèrent presque entièrement. Toutes les espèces de laitues contiennent plus ou moins d'opium, la lacluca silvestris ou virosa de Linné est celle qui en fournit le plus. Les essais ont été faits sur la laitue commune, qui n'est pas celle qui en donne le moins; de sorte que les tiges qu'on laisse monter en graines pourraient procurer un double avantage. LE LAURIER. Ses diverses espèces; laurier d'Apollon; son odeur pénétrante; ses propriétés; le lau- rier dans l'antiquité; l'oracle de Delphes; le portier des Césars; le laurier en méde- cine ; les couronnes de laurier; bachelier, lauréat; le laurier-amandier ou laurier- cerise ; le laurier-rose ; le laurier-camphrier ; extraction du camphre ; le laurier-can- nellier. Il y a plusieurs espèces de lauriers; mais le plus cé- lèbre et le plus anciennement connu est le laurier commun^ que l'on nomme aussi laurier d' Apollon 3 parce que de tous temps ses branches ont servi à faire des couronnes pour les vainqueurs. Il est originaire de la Crète et du mont Atlas. C'est un bel arbre, qui s'élève à dix mètres environ dans le midi de l'Europe , dans l'Asie Mineure et dans l'A- frique septentrionale, où il croît spontanément; mais il est beaucoup moins haut dans nos contrées. Le bois du laurier est dur et élastique; il conserve longtemps son odeur aromatique. Ses baies donnent une huile très-usitée en onctions contre les douleurs. Toutes les parties de cet arbre sont imprégnées de sucs aromatiques, et servent comme parfum et comme assaisonnement. Le laurier fut toujours la récompense des vertus mili- taires et des grands talents. Aucun arbre n'a été plus cé- lèbre dans l'antiquité, ni plus souvent chanté par les poètes. Il était particulièrement consacré à Apollon, parce 164 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. que, selon la Fable, la nymphe Daphné, poursuivie par ce dieu, avait été changée en cet arbrisseau. Sois noblement superbe, arbuste mémorable, Que , par ses fictions , a consacré la Fable , Qui vis en tes rameaux transformer la beauté Dont le dieu du Permesse essuya la fierté. (Dulaed.) Les anciens croyaient que le laurier communiquait l'es- prit de prophétie et l'enthousiasme poétique. Ils annon- çaient les choses futures sur le bruit qu'il faisait en brû- lant, ce qui était un bon augure; mais s'il brûlait sans aucun pétillement, c'était un mauvais signe. Ceux qui al- laient consulter l'oracle de Delphes se couronnaient de laurier au retour, s'ils avaient reçu du dieu une réponse favorable . Lorsque l'on voulait obtenir des songes heureux, on plaçait des feuilles de cet arbre sous le chevet du lit. Il était aussi le symbole de la victoire. Lorsque les dictateurs et les consuls s'étaient signalés par leurs ex- ploits, leurs faisceaux étaient entourés de laurier. On plantait des branches de cet arbre aux portes des palais des empereurs le premier jour de l'année. Pline l'ap- pelle le portier des Césars , le fidèle gardien de leurs pa- lais. Les anciens croyaient qu'il n'était jamais frappé de la foudre. La foudre te respecte , et ta feuille couronne Les vainqueurs dans les champs qu'ensauglante Bellone ; Les chautres reuommés dont les nobles concerts Éternisent le nom et charment l'univers. (Dulard.) LE LAURIER. 165 Il était regardé par les médecins comme une panacée universelle; c'est sans doute pour cette raison qu'on était dans l'usage d'en orner toutes les statues d'Esculape. On en mettait des branches à la porte des appartements où se trouvaient les malades , pour se rendre favorable le dieu de la médecine Longtemps dans les écoles on ceignit la tête des jeunes récipiendaires , au moment de leur réception , d'une cou- ronne faite avec les rameaux du laurier garnis de leurs baies; de là le mot baccalaureatus , c'est-à-dire orné de baies de laurier; d'où on a fait bachelier. C'était une couronne de laurier qui dans le moyen âge récompensait les poètes, les artistes et les savants qui s'étaient distingués par de grands succès; c'est de là qu'est venu le nom de lauréat. Laurier-amandier ou laurier-cerise. — Ce bel arbuste est originaire de l'Asie Mineure, d'où il fut importé en Europe en 1576; depuis il s'est répandu dans presque tous les jardins, où il est recherché à cause de la beauté de son feuillage et de ses usages comme condiment. Ses fleurs sont blanches, d'une odeur douce; ses fruits donnent un noyau et une amande très-amers, ce qui tient à la présence de l'acide prussique, qui se trouve abon- damment dans cette plante. Ce poison est si subtil que les seules émanations du laurier-cerise, si l'on s'arrête trop longtemps sous son ombrage, suffisent pour occasionner des maux de tête et des nausées. On se sert quelquefois de ses feuilles pour donner le goût d'amande au lait et aux crèmes; mais il ne fautja- 166 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. mais mettre plus de deux feuilles pour un litre de lait, si l'on ne veut s'exposer à faire naître des accidents, tels que vertiges, défaillance, etc. Laurier-rose. — Cet arbrisseau, cultivé maintenant dans tous nos jardins, est originaire du Levant et de la Barbarie; il croît spontanément sur le bord des eaux, en l'ig. 5^i. — Laurier-rose à (leurs pleines. Italie, en Espagne, en Grèce et dans le midi de la France. Le laurier-rose se fait remarquer par son feuillage élé- gant et par l'éclat et la grandeur de ses fleurs, très- nombreuses, qui varient du rose au blanc. Il contient un suc acre, laiteux et caustique, qui est un poison pour l'homme et pour les animaux. Les Maures de LE LAURIER. tG7 la Barbarie réduisent le bois de cet arbrisseau en charbon, et le font entrer dans la fabrication de la poudre. Le laurier-camphrier est originaire des contrées mon- tueuses de l'extrême Orient ; il a le port du tilleul , l'é- corce du tronc raboteuse et grisâtre; les feuilles ovales, longues , alternes , d'un beau vert luisant ; les fleurs blan- ches, petites, en panicules; les fruits pourpres, noirâ- tres, à une seule graine, de la grosseur du pois chiche. On trouve le camphre dans un grand nombre de plan- tes, mais c'est principalement du laurier-camphrier qu'on le retire avec avantage. C'est au Japon surtout que l'on en fait l'extraction; pour cela , on coupe le bois de ce laurier en petits morceaux , qu'on introduit avec de l'eau dans de grandes chaudières en fer, sur lesquelles on place un chapiteau en terre , garni dans son intérieur de cordes en paille de riz ; on porte à l'é- bullition, et le camphre, entraîné parla vapeur d'eau, se sublime et s'attache aux cordes sous forme de grenailles de couleur grise. Lorsque l'opération est terminée, on en- lève le chapiteau , et l'on détache le camphre, que l'on met ensuite dans des tonneaux. Le laurier -cannellier est un arbre qui croît à Ceylan , à Sumatra, à Java; il s'élève jusqu'à la hauteur de cinq ou six mètres. Ses feuilles sont ovales et assez semblables à celles du laurier commun ; mais l'odeur qu'elles exhalent est infiniment plus agréable ; les fleurs , disposées en bou- quets à l'extrémité des rameaux, répandent au loin leur parfum suave. La cannelle proprement dite est la deuxième écorce de ce laurier. LE LIS. Ses diverses espèces ; sa description; ses propriétés; ses symbolismes; le lis chez les Grecs; le lis et les poëtes. Le lis estime plante herba- cée , à tige simple , droite , élé- gante et couronnée d'un épi de fleurs resplendissantes, qui s'épanouissent en juin et en juillet. Les fleurs du lis sont en gé- néral de grande dimension; il y en a de diverses couleurs : blanches, roses , carminées, vio- lacées, rouges, orangées, etc. Les principales espèces sont : 1° le lis géant, des montagnes de l'Himalaya, introduit de- puis une vingtaine d'années en Europe. C'est la plus grande espèce connue. Sa tige, pres- que de la grosseur du bras d'un enfant au niveau du sol, s'élève à trois mètres et même plus, et se termine par une grappe de fleurs odorantes, d'un blanc jaunâtre , colorées de carmin à l'intérieur. 2° Le lis blanc (fig. 55); Fig. 55. Lis blanc. J70 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. c'est l'espèce classique du genre , la plus anciennement connue et aussi une des plus belles. L'origine de sa cul- ture remonte aux temps les plus reculés, comme le prou- vent de nombreux passages de la Bible et des auteurs grecs et latins. 3° Le lis à grandes fleurs, du Japon (fig. 56), plante peu élevée eu égard à la grandeur de ses fleurs; sa tige dépasse rarement quatre-vingts à quatre- vingt-dix centimètres de hauteur. 4° Le lis tigréou mar- tagon de la Chine (fig. 57), très-belle plante de l'Asie orientale, hau - te d'un mètre et plus . Ses fleurs, au nombre de six à douze sur une même tige , sont gran- des , inclinées , d'un rouge écarlate ou oran- gé ponctué de pourpre et de brun à l'intérieur. 5° Le lis de Chalcédoine, connu aussi sous le nom de mar lagon d'Orient, martagon écarlate, originaire de l'Asie Mineure, et introduit depuis plusieurs siècles dans les jardins de l'Europe; ses feuilles sont courtes et ses fleurs rouge écarlate. G0 Le lis orangé (fig. 58), indigène de l'Allemagne méridionale, est d'une taille élevée; ses fleurs, grandes, Fig. 50. — Lis à grandes fleurs. LE LIS. 171 forment de véritables ombelles au sommet de la tige : elles sont d'un rouge orangé parsemé de ponctuations brunes. Il est presque aussi commun dans les jar- dins que le lis blanc. On croit que le lis blanc, aujourd'hui ré- pandu par toute la ter- re, nous vient de Syrie . Tout le monde connaît ses grandes fleurs, en forme de cloche légè- rement inclinée , d'un blanc si pur, d'une odeur si pénétrante. Aucune plante ne pré- sente à la fois plus de simplicité, plus d'élé- gance et plus de ma- jesté. Lorsque le divin fon- dateur du christianis- me parle de toute la splendeur que peut re- vêtir une tète couron- née, il donne la préfé- rence à la suprême élé- gance du lis. En rappelant la confiance que l'on doit avoir dans notre père commun, qui est au ciel, il ajoute : « Con- sidérez comment croissent les lis des champs; ils ne tra- Fig. 57. — Lis tigré ou marUtgon de la Chine. 172 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. vaillent point, ils ne filent point, et cependant je vous déclare que Salomon même dans toute sa gloire n'a ja- mais été vêtu avec autant de magnificence. » (Saint Matthieu, chap. VI.) Le lis rouge brille d'un éclat tout particulier sous les rayons du soleil ; mais il n'offre point dans son port cette dignité mo- deste, et ne porte pas sur son front l'empreinte de cette sublime majesté qui a fait du lis blanc l'em- blème du pouvoir royal. Le lis est surtout cul- tivé dans les jardins ; ce- pendant on le trouve aus- si à l'état rustique dans les prés et les champs. Son parfum en plein air es t des plus agréables ; mais il devient trop fort et donne des vertiges et des maux de tête quand on le respire dans des appartements fermés. On l'emploie pourpar- f umer des pommades , des essences et des hui- Fig. 58. - Lis orangé. les ; sesbulbes cuites ser- LE LIS. 173 vent quelquefois en cataplasme pour hâter la maturité des abcès. Le lis est le symbole de la grandeur et de la majesté : il figure sur les armoiries de plusieurs souverains, d'un grand nombre de villes et d'ordres de chevalerie. Il était autrefois l'un des ornements de la couronne de France; il a suivi dans l'exil la branche aînée des Bour- bons. On raconte que Garcias IV, roi de Navarre, qui vi- tit en 1018, étant tombé dangereusement malade, fut guéri par l'image miraculeuse d'une madone trouvée, dit-on , dans une fleur de lis , et qu'en reconnaissance d'un si grand bienfait il institua l'ordre de Notre-Dame-du- Lis. Saint Louis avait pris pour devise une marguerite et un lis, la première faisant allusion à la reine, et le second aux armes de France ; il avait inscrit sur la devise : Hors cet anneau pourrions-nous trouver amour? On conserve encore de nos jours la vénération qu'avaient nos pères pour cette belle fleur. Le lis blanc est également regardé comme l'emblème de l'innocence, de la candeur, de la pureté virginale. Les Grecs, qui attachaient des idées gracieuses à l'origine de tout ce qui est distingué, regardaient la fleur si belle et si remarquable du lis blanc comme l'image d'une jeune fille qui s'était comparée à Vénus , et attribuaient sa blan- cheur éclatante à quelques gouttes de lait échappées du sein de Junon. LE MANCENILLIER. Sa description ; ses étranges propriétés ; ses usages domestiques ; pommes de la mort; les flèches empoisonnées ; le curare et ses propriétés ; sa préparation ; description par M. de Humboldt. Le mancenillier est un arbre de la grandeur du noyer; son feuillage est semblable à celui du poirier; ses fleurs sont petites, d'un pourpre foncé; son fruit est charnu, laiteux, de la couleur et de la forme d'une pomme d'api; son bois, dur et d'un très-beau grain , sert dans l'ébénisterie. Le nom de mancenillier lui vient de la ressemblance de son fruit avec une petite pomme que les Espagnols appellent mancenilla. Il croît spécialement dans l'Amé- rique équatoriale et l'Arabie ; il abonde surtout aux An- tilles, où il forme de vastes forêts. Les feuilles, le fruit, l'écorce et le bois du mancenil- lier sont pleins d'un suc laiteux et perfide, qui d'abord d'un goût très-fade devient bientôt caustique , et brûle à la fois les lèvres, le palais et la langue. Lorsque l'on coupe les rameaux du mancenillier, il découle de l'arbre ce suc blanc, laiteux, acre, brûlant et mortel dans lequel les sauvages trempent leurs flèches pour les empoisonner. Afin de se mettre à l'abri de ce suc, qui produit sur la peau des ampoules comme le ferait un charbon ardent, les travailleurs prennent la précaution de 17(5 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. se couvrir les yeux et le visage d'une gaze préservatrice. Le fruit vert produit un suc pareil, mais moins actif; mûr, il exhale une odeur de citron qui parfume l'air et semble inviter le voyageur poussé par la soif à s'en rafraîchir. Cependant ce fruit vénéneux peut devenir une sub- stance alimentaire, lorsqu'il est convenablement préparé. Pour le transformer ainsi , les indigènes l'écrasent , le dé- layent dans l'eau , l'expriment dans un linge , et en sépa- rent la fécule , qu'ils lavent et font sécher pour en faire une bouillie. On peut conjurer les accidents de l'empoisonnement en administrant immédiatement un vomitif, auquel on fait succéder des boissons adoucissantes, mucilagineuses, huileuses et délayantes. Les voyageurs ont beaucoup exagéré les dangers des émanations du mancenillier, et de l'eau qui a coulé sur ses feuilles; il est vrai cependant que les individus qui sont restés longtemps sous l'ombrage de cet arbre peu- vent en éprouver de l'incommodité et ressentir des ar- deurs à la peau. Les féroces insulaires connus sous le nom de Caraïbes et quelques tribus du continent employaient spéciale- ment pour empoisonner leurs flèches le suc du mance- nillier, dont le fruit est appelé avec tant de justesse pomme de la mort par Cardan. Quand l'histoire fait mention de cette coutume pour la première fois, elle nous parle du venin des vipères employé pour rendre mortelles les blessures causées par des armes qui sans cette addition auraient été presque LE MANCENILLIKIl. 177 inoffensives. Pline rapporte que les Scythes se servaient de ce venin pour empoisonner leurs flèches. Fig. 59. — Indien africain armé de flèches empoisonnées. Sous le nom de curare, de voorara, urali, ourary, etc., on désigne dans les diverses hordes de sauvages les poisons employés pour envenimer les flèches (fig. 59). l'a 178 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. Tous ces poisons proviennent d'une seule et même plante, ou de plantes différentes, mais qui contiennent un principe actif identique , dont le caractère le plus saillant est de n'être absorbé que lorsqu'il se trouve en contact avec le sang, et d'être tout à fait inoffensif lorsqu'il est introduit dans le tube digestif. M. de Humboldt donne une intéressante description de la préparation du curare, dans son Voyage aux régions équihoxiales du nouveau continent : « Lorsque nous arri- vâmes à l'Esmeralda, la plupart des Indiens venaient d'une excursion qu'ils avaient faite à l'est , au delà du Rio-Padamo, pour recueillir des /urrâ, ou fruits du ber- tholletia, et la liane qui donne le curare... « L'Indien qui devait nous instruire est connu dans la- mission sous le nom de maître du poison ( amo del cu- rare ) ; il avait cet air empesé et ce ton de pédanterie dont on a accusé jadis les pharmaciens en Europe. « Je sais, disait-il, que les blancs ont le secret de fa- ce briquer du savon et de cette poudre noire qui a le dé- « faut de faire du bruit et de chasser les animaux si on les « manque. Le curare que nous préparons de père en fils « est supérieur à tout ce que vous savez faire là-bas au « delà des mers). C'est le suc d'une herbe qui tue tout « bas ( sans que l'on sache d'où le coup est parti ) . » « Cette opération chimique, à laquelle le maître du cu- rare mettait tant d'importance, nous paraissait d'une grande simplicité. On donne à la liane (bejuco) dont on se sert à l'Esmeralda , pour la préparation du poison , le même nom que dans les forêts de Javita. C'est le bejuco de mavacure, que l'on recueille abondamment à l'est de la LE MANCESILLIER. 179 mission, sur la rive gauche de l'Orénoquc, au delà du RioAnnaguaca, dans les terrains montueuxet granitiques de Guanaya et de Yumariquin... On emploie indifférem- ment le mavacure frais ou desséché depuis plusieurs se- maines. Le suc de la liane récemment recueillie n'est pas regardé comme vénéneux; peut-être n'agit-il d'une manière sensible que lorsqu'il est fortement concentré. C'est l'écorce et une partie de l'aubier qui renferment ce terrible poison. On racle avec un couteau des branches de mavacure de 4 à 5 lignes de diamètre; l'écorce enlevée est écrasée et réduite en filaments très-minces, sur une pierre à broyer de la farine de manioc. Le suc véné- neux étant jaune, toute cette masse filandreuse prend la même couleur. On la jette dans un entonnoir de 9 pouces de haut et de 4 pouces d'ouverture. Cet entonnoir est de tous les ustensiles du laboratoire indien celui que le maître du poison nous vantait le plus. Il demandait à plusieurs reprises si par alla (là-bas, c'est-à-dire en Eu- rope) nous avions vu jamais quelque chose de compa- rable à son embudo. « C'était une feuille de bananier roulée en cornet sur elle-même, et placée dans un autre cornet plus fort, de feuille de palmier. Tout cet appareil était soutenu par un échafaudage léger de hachis de palmier. On com- mence à faire une infusion à froid en versant de l'eau sur la matière filandreuse, qui est l'écorce broyée du mavacure. Une eau jaunâtre filtre pendant plusieurs heures goutte à goutte, à Yembudo, ou entonnoir de feuillage. Cette eau filtrée est la liqueur vénéneuse; mais elle n'acquiert de la force que lorsqu'elle est concentrée 180 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. par L'évaporation , à la manière des mélasses, dans un grand vase d'argile. L'Indien nous engageait de temps en temps à goûter le liquide; on juge d'après le goût, plus ou moins amer, si la concentration par le feu est poussée assez loin. Il n'y a aucun danger à cette opération , le curare n'étant délétère que lorsqu'il entre immédiatement en contact avec le sang. Aussi les vapeurs qui se dégagent de la chaudière ne sont-elles pas nuisibles, quoi qu'en aient dit les missionnaires de l'Orénoque. Fontana, dans ses belles expériences sur le poison des Ticumas de la rivière des Amazones, a prouvé depuis longtemps que les vapeurs que répand ce poison lorsqu'on le projette sur des charbons ardents peuvent être respirées sans crainte, et qu'il est faux, comme l'a annoncé M. de la Condamine, que les femmes indiennes condamnées à mort aient été tuées par les vapeurs du poison des Ticumas. « Le suc le plus concentré du mavacure n'est pas assez épais pour s'attacher aux flèches. Ce n'est donc que pour donner du corps au poison que l'on verse dans l'infusion concentrée un autre suc végétal extrêmement gluant , et tiré d'un arbre à larges feuilles, appelé kiracaguero. « Au moment où le suc gluant de l'arbre kiracaguero est versé dans la liqueur vénéneuse bien concentrée et tenue en ébullition, celle-ci se noircit et se coagule en une masse de consistance de goudron ou d'un sirop épais. C'est cette masse qui est le curare du commerce Le changement de couleur qu'éprouve le mélange est dû à la décomposition d'un hydrure de carbone. L'hydrogène est brûlé, et le carbone se met à nu. On vend le curare dans des fruits de crescentia. » LE M WCIMLLIER. 181 Si l'identité des effets du curare et du venin des crotales, leur même odeur et l'influence de l'iode sur leur action, donnent beaucoup de poids à l'opinion , déjà assez ré- pandue, (pie le principe actif du curare et des prépara- tions analogues n'est autre chose que le venin des cro- tales conservé d'une manière particulière, il estdes preuves qui établissent le contraire : M. Boussingault a affirmé à l'Académie des sciences que le curare qu'il a rapporté des bords d'un des affluents des Amazones ne renferme pas de venin de serpent. Les Indiens l'avaient obtenu en trai- tant par l'eau froide l'écorce d'une liane fort commune dans les forêts qui traversent les grands fleuves de l'A- mérique équatoriale. C'est avec ce même curare, remis en 1833 à M. Pelouze par M. Boussingault, qu'on a fait presque toutes les expériences qui ont été depuis publiées à Paris sur ce sujet. Fig. 00. — Souci d'eau à (leurs pleines. LE MYOSOTIS. Ses diverses espèces; lieux qu'il préfère; légende touchante. Le myosotis, du grec mus, souris, etous,ôtos, oreille, a été ainsi nommé par allusion à la forme de ses feuilles. C'est une charmante petite plante , aux fleurs élégantes, tantôt d'un bleu pale, tantôt roses ou blanches. Les deux principales espèces sont : le myosotis des marais, commun dans les prairies et les lieux humides de l'Europe ; ses fleurs sont assez grandes , d'un beau bleu, jaunes à l'orifice du tube et disposées en grappes; Le myosotis des champs, dont les fleurs, très-petites, se montrent dès le printemps et se succèdent pendant tout l'été. Outre. ces deux principales espèces, on distingue un très-grand nombre de variétés intermédiaires. On trouve le myosotis dans presque toutes les contrées de l'Europe; dans les pâturages, les plaines, les marais, sur les montagnes et les collines, dans les champs et les bois. Le myosotis produit le plus ravissant effet au milieu des gazons verts; on peut en orner les endroits frais et hu- mides des jardins , le bord des ruisseaux et des pièces (Veau. On l'élève également clans des jardinières et des vases pour l'ornement des salons. On donne à cette délicieuse petite plante les noms les 184 PLAINTES UTILES ET CURIEUSES. plus gracieux et les plus tendres : Plus je vous vois, plus je vous aime ; Souvenez-vous de moi; et chezles Allemands, où elle est emblématique comme la pensée l'est chez nous , on l'a nommée Ne m'oubliez pas?. « Cette petite fleur, dit M. Aimé Martin , eût été chez les anciens le sujet d'une touchante métamorphose , peut- être moins touchante que la vérité. J'ai entendu raconter en Allemagne que deux jeunes fiancés à la veille de s'unir se promenaient sur les bords du Danube ; une fleur, d'un bleu céleste, se balance sur les vagues, qui semblent prêtes à l'entraîner ; la jeune fille admire son éclat, et plaint sa destinée : aussitôt le fiancé se précipite , saisit la tige fleurie, et tombe dans les flots. « On dit que, par un dernier effort, il jeta cette fleur sur le rivage, et qu'au moment de disparaître pour ja- mais, il s'écriait encore : Aimez-moi, ne in oubliez pas. LE NÉNUPHAR. Ses diverses espèes; leurs propriétés; le nénuphar chez les anciens Égyptiens; le nénuphar et l'astre du jour; le nymphéa ; charmante description. On distingue plusieurs espèces de nénuphars, dont voici les principales : le nénuphar jaune (fig. 63). Les feuilles et les fleurs de cette plante ornent nos lacs et nos étangs par leur grandeur et leur forme agréable. Les racines sont longues, épaisses, noueuses, couvertes d'écaillés brunes; elles poussent des tiges ou plutôt des pétioles très-longs , lit. 03. Nénuphar jaune. qui s'élèvent jusqu'à la surface de l'eau, où ils s'épanouis- sent en une feuille en cœur, très-large, arrondie, lisse, épaisse , luisante , attachée à son pétiole latéralement dans l'échancrure. Les fleurs sont portées sur des pédoncules de même longueur que les pétioles. Elles sont solitaires, composées d'un calice à cinq grandes folioles, de beau- coup plus grandes que les pétales, qui sont fort petits, ovales, disposés sur un seul ou sur plusieurs rangs. On 188 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. regarde sa racine comme rafraîchissante, tempérante et un peu narcotique Le nénuphar blanc ne le cède pas pour la beauté à l'es- pèce précédente. Les Heurs sont beaucoup plus grandes, le calice a quatre divisions; elles offrent dans l'intérieur un certain ton de blancheur contrastant avec les an- thères qu'il est difficile de définir, mais qui flatte telle- ment la vue, que l'on ne peut se lasser de le considérer. Ses racines sont épaisses et charnues comme dans le né- nuphar jaune; ses feuilles sont plus ovales, moins larges, flottantes à la surface de l'eau. Elle croît dans les eaux tranquilles, les étangs, les lacs, etc. Le nénuphar lotus est le fameux lotus, dont les fleurs sont tant renommées dans la mythologie des anciens. Il ressemble beaucoup au nénuphar blanc; sa fleur est à peu près la même, également blanche, mais un peu plus grande; il en diffère particulièrement par ses feuilles den- tées. Les racines diffèrent également des espèces précé- dentes; elles sont grosses, oblongues, charnues, noires en dehors, jaunes en dedans, d'une saveur douce, un peu astringentes , de la grosseur d'un œuf de poule , chargées d'un grand nombre de filaments blancs et très-fins. On les mange, pendant près de trois mois de l'année, soit crues, soit cuites à l'eau ou dans du bouillon. Prosper Alpin prétend qu'avec les semences de cette plante on faisait du pain dans certains cantons de l'Egypte; Héro- dote et Théophraste citent le même fait. Le lotus croit en Egypte, dans les ruisseaux formés par le Nil et qui tra- versent les terres; il vient également en Amérique et dans les Indes. 1,1. M.MHIVn. 180 Les anciens Egyptiens, pour qui tout était merveille, avaient remarqué que la fleur de cette plante , jusqu'à son entier épanouissement, sortait de dessous l'eau au lever du soleil et qu'elle s'y replongeait à son coucher. Ils ima- ginèrent en conséquence qu'il y avait entre elle et l'astre du jour des rapports mystérieux. Ils la lui consacrèrent, et le représentèrent souvent assis sur cette fleur. De là vint aussi la coutume de la mettre sur la tète d'Osiris et de plusieurs autres divinités, de même que sur celle des prêtres qui étaient à leur service. i ig. 6'j. — Nymphéa commun ou lis d'eau. Lesrois d'Egypte, affectant le symbole de la Divinité, se sont fait des couronnes de cette fleur. On la voit avec sa tige, comme un sceptre royal, dans la main de quel- ques idoles ; elle est aussi représentée sur les monnaies tantôt naissante, tantôt épanouie. La Nymphéa ressemble parfaitement aux nénuphars parle port; mais elle en diffère par ses fleurs, générale- ment plus grandes , par ses corolles , plus fournies , aux pétales plus allongés, et surtout par la couleur des fleurs, qui est le blanc , le rose, le rouge carmin ou le bleu, rare- ment le jaune (fig. 64 ). 190 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. Insignifiant peut-être aux yeux du vulgaire, le nénu- phar sait arrêter les regards du poëte ; il a inspiré à un de nos critiques les plus renommés de bien beaux vers. M. Barbey d'Aurevilly nous a permis d'extraire d'un écrin précieux, connu de quelques amis seulement , les char- mantes strophes suivantes : Nénuphars blancs, ô lis des eaux limpides, Neige montant du fond de leur azur, Qui, sommeillant sur vos tiges humides, Avez besoin pour dormir d'un lit pur ; Fleurs de pudeur, oui , vous êtes trop hères Pour vous laisser cueillir... et vivre après; Nénuphars blancs, dormez sur vos rivières , Je ne vous cueillerai jamais î Nénuphars blancs, fleurs des eaux engourdies, Dont la blancheur fait froid aux cœurs ardents , Qui vous plongez dans vos eaux détiédies, Quand le soleil y luit, nénuphars blancs, Restez cachés aux anses des rivières, Dans les brouillards, sous les saules épais... Des fleurs de Dieu vous êtes les dernières ! Je ne vous cueillerai jamais ! L'ŒILLET. Son origine; L'œillet et les soldats *:;..: 70. — Pivoine ;ulonis. LE PIN. Ses propriétés; ses diverses espèces ; fruits du pin ; huiles do pignon et manne de pin; la laine des forêts; ouate et flanelle végétales; magnifiques résultats; l'ambre jaune. I Les pins sont des arbres toujours verts, généralement fort grands. Les fruits du pin, appelés proprement pi- (jnes et vulgairement pommes de pin, forment un cône constitué par des écailles dures et ligneuses étroitement appliquées les unes contre les autres. A la base de chaque écaille se voient deux noix osseuses, renfermant chacune une graine entourée d'une aile membraneuse ; ces graines portent le nom de pignons. Les pins sont des arbres du Nord ; ils préfèrent les ter- rains secs, arides et sablonneux. Leur bois est plus ou moins résineux, d'un excellent usage, et dure très-longtemps employé en charpente, en planches , en tuyaux pour la conduite des eaux , en bor- dages pour les ponts des vaisseaux, etc.; de tout temps il a fourni la mâture des vaisseaux. Plusieurs espèces donnent en abondance de la résine sèche ou liquide, de la poix, du goudron, etc. Un pin or- dinaire peut fournir 6 à 8 kilogrammes de résine par an, pendant vingt ans. On fait, avec les pins du Canada, une bière qui passe 224 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. pour excellente ; on emploie les copeaux de tous les pins à faire des torches et des flambeaux; on fabrique une es- pèce de bougie avec la résine jaune que l'on en retire. Les pommes de pin s'emploient comme combustible , sur- tout pour allumer le feu. Les sapins sont éga- lement de beaux et grands arbres rési- neux, toujours verts et très-voisins des pins. Ils n'en diffèrent que par les feuilles, qui ne sont jamais réunies par faisceaux dans des gaines, etparlescônes, qui sont composés d'é- cailles coriaces, mais non ligneuses, amin- cies au sommet. Ce sont des arbres très- rustiques , croissant naturellement dans les pays froids et sur les hautes montagnes, et se plaisant partout , excepté à l'exposition des vents de mer ( fig. 77 ). On compte un grand nombre d'espèces de pins , plus de quarante, dont une dizaine viennent naturellement en France. Fig. 77. — Sapin du Mord. LE PIN. 225 Le pin pinier ou pignon (fig. 78), dit aussi pin para- sol, est un grand et bel arbre, dont les branches forment une tête arrondie et étendue comme un parasol, ornée d'un beau feuillage vert glauque. Il croît spécialement sur les montagnes des contrées méridionales , en France , en Italie, et sur les côtes de Barbarie. Les fruits de ce pin , fort gros , ne se détachent qu'a- près trois ans, tandis que ceux de toutes les autres espèces tombent à la fin de la deuxième année ; ils renferment des amandes connues sous le nom de pignons doux , qui ont à peu près le même goût que les noisettes et dont on extrait une huile très-fine ; on en fait aussi des dragées ; en Italie on les mange fraîches ou cuites. Comme on cultive cet arbre pour son fruit, on l'appelle quelquefois pin cul- tivé. Le pin cembro, appelé aussi alviez-, courre et tinier, s'élève peu et croît lentement; ses graines sont assez agréa- bles au goût , ainsi que l'huile que l'on en retire , quand elle est fraîche. Son bois est mou, odorant et facile à travailler. Les bergers du Tyrol et de la Suisse en fabriquent de petites figures d'animaux et. d'autres objets, qu'ils vendent comme souvenirs aux voyageurs. Le pin sylvestre, appelé aussi pin suisse, pin de Genève, pin de Russie, etc., est un arbre d'une belle forme, qui s'élève à une grande hauteur et qui croît sur la plupart des hautes montagnes de l'Europe. C'est l'arbre de la Suisse, de la Savoie, des Pyrénées, des Vosges et de l'Auvergne. C'est avec le bois de ce pin, qui est blanc, que l'on fa- is 226 PLAXTES UTILES ET CURIEUSES. brique les baquets, les seaux, et autres ustensiles de ménage en usage dans les pays où il croit. On en fait éga- lement d'excellents ouvrages de menuiserie et de char- pente. Les Lapons font avec son écorce une espèce de pain , tandis que dans d'autres contrées du Nord, elle sert à engraisser les porcs. On l'emploie aussi pour tanner, comme l'écorce du chêne. Le pin de Corse ou Laricio (fîg. 79 ) atteint une hauteur considérable; sa tête forme une pyramide régulièrement étagée et recouverte d'une écorce roussâtre, qui est garnie de feuilles longues très-menues, sans roideur sensible. Cet arbre réussit en France. Il peut servir à la mâture, mais il n'a pas la force du pin sylvestre. Le pin Weymouth ou pin du lord est le géant de la fa- mille; il doit son nom à lord Weymouth, qui l'introduisit le premier en Angleterre. En Amérique, son pays natal, il atteint jusqu'à soixante mètres de haut, sur six de circonférence. Il est commun aux États-Unis, où son bois est d'un usage gé- néral pour la construction des maisons et l'exécution des grandes charpentes ; cependant , il est souvent attaqué par de gros vers, qui le perforent en tous sens. Le pin larix ou mélèze croît dans les hautes monta- gnes des Alpes, auprès des glaciers, bien souvent au- dessus des sapins, mais isolé et non réuni en forêt; il vient également sur les montagnes inférieures et dans les vallons élevés, pourvu qu'il ait une exposition au nord, bien aérée. Il découle de cet arbre une résine abondante, que l'on LE PIN. 227 recueille avec soin, et qui se vend sous le nom de téré- benthine de Venise. Dans les mois de mai et de juin, il suinte de ses feuilles, sous la forme de petites graines un peu gluantes s'écrasant facilement sous les doigts, une sorte de manne qui approche de celle de la Calabre , et qui purge égale- ment, mais il en faut une plus forte dose ; on la connaît sous le nom de manne de Briançon ou de mé- lèze. Le bois du mélèze l'emporte en bonté et en durée sur celui de tous les autres pins. Il résiste longtemps à Faction de l'air et de l'humidité ; on en fait des gouttières , des conduits d'eaux sou- terraines, de bonnes charpentes ; il entre dans la construction des bâtiments de mer ; les peintres en font des cadres pour leurs tableaux, etc. Son écorce est propre au tannage des cuirs. Le pin maritime porte la fertilité dans les terrains sté- riles et sablonneux des rivages de la mer; il s'oppose à Fig. 78. — Pin pignon ou pin parasol. 228 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. l'impétuosité des vents et fixe les sables mobiles. Ses feuilles sont longues de 12 à 15 centimètres; il est d'un beau port et parvient à une grande hauteur. On le cultive spécialement aux environs de Bordeaux et dans les Landes (fig. 80); il croît sur les montagnes des Pyrénées et du Dauphiné, etc. Outre les propriétés communes qu'il partage avec les autres espèces de pins , on a su en tirer un parti vraiment merveilleux dans l'industrie et qui mérite une exposition un peu étendue. Il On est parvenu à extraire du pin maritime non- seule- ment des liqueurs, des huiles, des résines, mais aussi de la ouate, de la laine à tricoter, des fils qui se trans- forment en tissus les plus variés , imprégnés d'essences balsamiques, suaves et régénératrices. La laine végétale, connue en Allemagne sous le nom de waldwolle( laine de forêt), est tirée des feuilles acicu- laires du pin maritime; c'est le produit d'une industrie nouvelle, parvenue dans ces dernières années à un très- haut degré de prospérité. La belle substance filamenteuse qu'on obtient des feuilles du pin , au moyen d'un procédé chimique , a été nommée laine de forêt parce qu'elle a beaucoup de ressem- blance avec la laine ordinaire, qu'elle est comme elle crépue et feutrée, et qu'elle peut également être filée et tissée. LE PIN. 229 La feuille droite et en forme d'aiguille du pin, du sapin et des conifères en général se compose d'un réseau extrêmement fin et tenace de fibres, entourées et mainte- nues unies par une légère pellicule de substance résineuse. En dissolvant cette substance par un procédé de cuisson, avec addition de certains réactifs chimiques, on parvient à mettre les fibres en liberté, et, suivant le mode particulier du traitement dont on fait usage, la matière laineuse qu'on en obtient est fine ou grosse, et s'emploie soit comme coton, soit comme laine à matelas. L'hôpital de Vienne est le premier établissement qui ait essayé en grand l'usage de cette laine et des étoffes de waldwolle. On remarquait que la laine de pin écartait des lits les insectes parasites, et que son odeur aromatique était aussi salutaire qu'agréable. Il fut en même temps démontré qu'après un usage de cinq années un matelas de laine de pin coûtait moins qu'une paillasse, attendu qu'il faut renouveler la paille chaque année et quelque- fois même tous les six mois. Aujourd'hui, la literie de la plupart des établissements publics d'Allemagne est confectionnée et préparée avec le waldwolle. La ouate végétale, extraite du même arbre, est tou- jours sèche; elle dégage un arôme éminemment bien- faisant et a une foule d'applications hygiéniques. La flanelle Schmidt-Misselèr, fabriquée avec la laine du pin maritime , a le plus grand avenir ; les essences qu'elle renferme aident merveilleusement à l'exercice des grandes fonctions de la respiration, de l'absorplion et de la transpiration , à laquelle elle donne un ca- ractère balsamique remarquable , après avoir péné- 230 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. tré l'organisme tout entier d'un principe régénérateur. Dans la préparation de la laine végétale , il se forme une huile éthériforme , d'une odeur agréable et de cou- leur verte, qui s'emploie dans les affections goutteuses et rhumatismales, pour les blessures, et dans certains cas de tumeurs cutanées. L'essence extraite également des feuilles du pin mari- time est recommandée comme un fortifiant par excellence pour les soins de la toilette. Quelques gouttes, versées sur un fer chaud , s'évaporent et répandent dans un apparte- ment un parfum des plus suaves, éminemment salu- taire aux poitrines faibles. Le savon de pin tire directe- ment ses propriétés détersives et adoucissantes de l'huile étliérée qui entre dans sa composition, et en fait un précieux cosmétique. Il a été également reconnu que le liquide ayant servi à la cuisson des feuilles jouissait aussi de propriétés curati- ves. On le fait épaissir par concentration, et on l'expé- die dans des vases bien clos aux personnes qui désirent prendre des bains à domicile. L'extrait solide, dissous dans de l'eau , forme de même un bain doué de toutes les vertus médicinales des eaux célèbres de Franzensbad, tant recommandées contre la goutte et certaines affec- tions de la peau. Le créateur de cette nouvelle branche'd'industrie fut un fabricant de papier nommé Joseph Weiss, de Zuck- mantel, à l'est de la Silésie. Cet industriel voulait d'abord employer les aiguilles du pin noir au lieu de la paille pour la fabrication du papier de pliage. Mais bientôt ses recher- ches le conduisirent à une découverte qu'il n'avait point LE PIN. 231 en n ue : il reconnut que 'ces feuilles, dont on faisait peu de cas, renfermaient des richesses précieuses, des résines, de l'huile, du tannin, des filaments fins dont l'industrie devait tirer un parti avantageux. Encouragé, d'ailleurs, parla réussite de quel- ques essais tentés sur une petite échelle, Jo- seph Weiss transfor- ma , en 18i6, sa fa- brique de papier en une fabrique de icald- wolle. Malheureuse- ment, il fut appelé, en 1848, à siéger à Vien- ne comme membre du Reichstadt, et son ab- sence prolongée de- vint funeste à son en- treprise, qui ne tarda pas à languir. Cependant, ne voulant pas abandonner des expériences auxquelles un si bel avenir semblait promis, Joseph Weis transporta son industrie sur le sol prussien, et sous la direction d'une société par actions. La fabrique fut établie de nouveau sous le nom de Pré-Humboldt , et on y joignit un établissement de bains d'aiguilles de pin. C'est à l'imitation et sur le modèle de cet établissement Fis. 79. — Pin hiricio. 232 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. qu'il s'en est formé tant d'autres répandus aujourd'hui dans les contrées forestières de l'Allemagne , et jouissant pour la plupart d'une réputation bien méritée. Le Pré-Humboldt ne fut pas à l'abri des difficultés qu'a- vait rencontrées la première fabrique de Joseph Weiss , et bien des tracasseries furent suscitées à l'entrepreneur. Cet homme intelligent n'avait plus alors son énergie pre- mière; devenu faible sous le poids des années, et plus en- core sous le poids des rudes épreuves qu'il avait à subir, il dut passer dans la retraite les dernières années de sa vie. S'il ne réussit pas à conquérir la richesse dont l'es- poir l'avait sans doute animé à son début, il est mort du moins avec la satisfaction d'avoir doté son pays d'une industrie nouvelle et l'humanité souffrante d'un véritable bienfait. Les maladies, les infirmités de tous genres se multi- plient dans notre génération d'une manière effrayante; les jouissances nouvelles que le progrès amène , la vie à toute vapeur qu'il introduit dans la société énervent, épuisent, affaiblissent les constitutions et les disposent à mille douleurs ; que serait-ce si dans un pareil état de choses le progrès ne faisait trouver le remède à côté du mal ? On peut donc dire avec vérité que les plantes en gé- néral, les forêts surtout, renferment pour nous de vraies panacées; que ce sont des pharmacies naturelles que la Providence a établies sur le globe pour prévenir nos maux ou pour les guérir. Hélas ! quel dommage que nous sachions si peu en tirer parti ! Espérons cepen- dant que les magnifiques résultats que l'on vient d'obte- LE PIN. 233 |»i nir en étudiant spécialement un seul arbre, le pin ma- ritime , engageront les investigateurs à puiser dans ces tré- sors presque incon- nus. C'est une admira- ble allégorie naturelle que celle que nous présente le pin ma- ritime, et tous les ar- bres de cette famille, qui bravent les ri- gueurs des hivers et conservent leurs feuil- les resplendissantes sous la neige et les frimas, comme pour indiquer aux hom- mes qu'il y a moyen de braver tous les temps et de se pro- curer une belle vieil- lesse. Fig 80> _ Le pin des LandeSa III. L'ambre jaune est probablement le produit d'une es- pèce antédiluvienne d'arbres analogues au pin. Tout le 234 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. monde connaît cette substance onctueuse, ressemblant à de l'or limpide et transparent. L'ambre jaune, que l'on nomme également succin et carabe , appartient au règne végétal ; c'est une résine fos- sile, d'un jaune plus ou moins foncé, diaphane, d'une odeur agréable, et qui est susceptible de recevoir un beau poli. Les poètes anciens supposaient que les grains d'ambre provenaient des larmes des sœurs de Phaéton; mais la science , qui n'est pas du tout sentimentale , nous apprend qu'il est le produit d'une espèce antédiluvienne de co- nifères, dont on ne rencontre plus que les graines et les cônes; il était primitivement fluide, comme le prouvent les insectes et les brins de plantes, les feuilles, les pétio- les, etc., qu'il contient quelquefois. L'Institut impérial de géologie de Vienne , en 1 863 , en a fait connaître un morceau vraiment bien extraordinaire , long de 79 millimètres, large de 32, de forme ovale al- longé , d'un jaune de miel , foncé à l'extérieur et com- plètement durci à sa surface , mais encore mou à l'inté- rieur. Il a été trouvé à environ six mètres au-dessous du sol, dans les sables tertiaires de la Silésie. Les insectes que l'on trouve comme embaumés dans cette matière résineuse sont ordinairement ceux qui se tiennent sur les troncs des arbres ou dans les fissures de leur écorce, et qui vivent dans les climats chauds. Ils nous sont généralement inconnus, et paraissent ap- partenir à des espèces qui n'existent plus. Les Grecs appelèrent l'ambre jaune électron, d'où l'on a fait le mot électricité, car c'est dans cette substance que LE PIN. 235 pour la première fois les phénomènes électriques ont été observés. On peut ramollir l'ambre , lui donner des teintes fac- tices, y incruster des corps étrangers, qui en rehaussent le prix aux yeux des amateurs. On l'emploie dans la fa- brication de gracieux ornements : on en fait des boucles d'oreilles, des colliers, des chapelets, des bracelets, des peignes , des pommes de canne , en un mot mille objets charmants recherchés par le bon goût. On peut le tourner et le st-ulpter, en faire des instruments de physique, des miroirs, des prismes, des verres ardents, etc.; on a pu voir de tout cela à l'Exposition universelle, mais il n'y a que fort peu d'échantillons d'ambre brut, échantillons qui intéresseraient cependant beaucoup les amateurs. Fig. 81. — Orne commun ou [rêne à fleurs. LE POIRIER. Ses variétés ; diverses préparations ; origine des principales espèces ; propriétés et usage du bois de poirier. Le poirier commun croît naturellement dans les régions tempérées de l'ancien continent. Sa hauteur atteint 10 à 12 mètres, et se termine par une belle tête. Dans les jar- dins potagers on étale ses branches en espa- lier, ou bien on le fait pousser en quenouille et on lui donne une for- me pyramidale. Le tronc des vieux poiriers est recouvert d'une écorce rugueuse et gercée, et ses jeu- nes pousses d'une peau lisse d'un brun verda- tre ; souvent les jeunes rameaux se terminent par une épine. Les feuilles du poirier sont ovales, un peu coriaces, d'un vert luisant en dessus et un peu cotonneux en dessous ; ses fleurs , blanches , réunies en bouquets le long des ra- meaux ; ses fruits, très-petits et très-âpres à l'état sauvage, Fig. 82 238 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. ont été considérai dément améliorés par la culture. C'est par eux que l'on distingue les nombreuses variétés de ce genre, qui s'élèvent aujourd'hui à près de six cents. On compte autant d'espèces de poires que de poiriers; mais comme fruits comestibles, on les range vulgairement en deux classes : 1° Les poires à couteau, tendres, savoureuses, d'une conservation difficile; 2° Les poires à cuire, dont la chair est plus ferme, un peu acerbe, et qu'on ne mange guère que cuites. Elles servent à faire des compotes; en leur faisant subir une certaine préparation au four, on obtient des poires séchées ou tapées, qui se conservent longtemps, surtout si on les tient dans un lieu sec. On retire des poires une liqueur fermentée que l'on ap- pelle poiré, et que l'on mêle souvent au cidre ; elle est en grand usage dans le nord-ouest de la France. Le poiré est d'une saveur agréable, un peu capiteux, très-apéritif; il est excellent, dit-on, pour les personnes qui ont beaucoup d'embonpoint. Quant il est clair, il res- semble beaucoup au vin blanc, et pétille comme le vin de Champagne. On en retire du vinaigre et de l'eau- de-vie.Le marc des poires qui reste dans les pressoirs peut, après avoir été séché, servir à faire des mottes à brûler. On fait encore avec ces fruits une espèce de confiture, connue sous le nom de résiné , qui se compose de poires et de vin doux. Les poires les plus délicates furent tirées d'Alexandrie, de la Numidie et de différentes parties de la Grèce. On prétend que la poire de Saint-Germain a été trouvée LE POIRIER. 239 dans la forêt de Saint-Germain. La virgoulée a été ainsi nommée du village de Virgoulée, près de Limoges, d'où elle nous est venue ; le martin-sec nous fut donné par un nommé Martin ; la poire de Colmar est née apparemment sur le territoire de la ville de ce nom ; le bon-chrétien nous a été donné par saint François dePaule, que l'on surnom- mait le bon chrétien : L'humble François de Paule était, par excellence, Chez nous nommé le bon chrétien ; Et le fruit dont le saint fit part à notre France De ce nom emprunta le sien. Le bois du poirier est dur, pesant, d'un tissu très-uni, très-serré, d'une couleur un peu rougeâtre; les vers ne l'attaquent pas. Il prend très-bien la couleur noire, et alors il ressemble beaucoup à Tébène; c'est un des meil- leurs bois que l'on puisse employer pour la sculpture et la gravure sur bois. Il acquiert un beau poli ; on en fait des ouvrages de tour et de menuiserie. Les ébénistes l'emploient pour la marqueterie. Les luthiers en font des flûtes et autres ins- truments; enfin, c'est un excellent bois de chauffage. Érantbis d'hiver. LE POIVRIER. Le poivre; les poivriers ; proverbe; poivre noir et poivre blanc ; récolte du poivre; ses propriétés. Tout le monde sait que le poivre est une petite graine d'une saveur piquante et aromatique, un peu moins grosse qu'un pois ordinaire. Il doit la saveur qui lu est propre à une huile concrète, peu volatile, lapipérin Le poivre est de toutes les épices celle qui de tous temps a été le plus employée comme assaisonnement; il y eut même une époque où les épices en général por- taient le nom de poivre : alors les épiciers n'étaient connus que sous la dénomination de poivriers. Avant les voyages des Portugais aux Indes, le poivre était très-cher; une livre valait au moins deux marcs d'argent; de là le proverbe : Cela est cher comme poivre. Il s'offrait en présent , et c'était quelquefois l'un des tributs que les seigneurs exigeaient de leurs vassaux. La graine du poivre est légèrement charnue à l'état frais; d'abord verdâtre, puis rouge, elle devient noire en séchant; on l'expose au soleil aussitôt après la récolte, afin de la noircir davantage , et en même temps pour la sécher et la rider. Les graines du poivre sont réunies au nombre de vingt à trente sur une même grappe. On distingue dans l'usage le poivre noir et le poivre blanc; tous deux proviennent d'une même plante sarmen- 16 242 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. teuse de Java et de Sumatra. Ce qui donne au premier un aspect d'un vert noirâtre , c'est qu'il conserve la peau brune qu'il prend en arrivant à sa parfaite maturité ; l'as- pect blanchâtre du second vient de ce qu'on l'a dépouillé de cette enveloppe ; il est plus doux que le poivre noir. C'est vers la troisième année de sa plantation que le poivrier produit des fruits, dont la récolte se fait ha- bituellement quatre mois après la chute des fleurs. Les mêmes plants, lorsqu'ils sont convenablement soignés, peuvent fournir d'abondantes récoltes pendant près de vingt années consécutives. Comme toutes les grappes ne mûrissent pas en même temps, on ne les récolte qu'au fur et à mesure de leur ma- turité, et on a même bien soin de ne pas les prendre trop vertes, car alors elles tombent en poussière pendant la dessiccation. A l'aide de l'alcool, on retire de cette semence une résine d'un jaune verdâtre, qui jouit d'une saveur telle- ment forte qu'elle est presque caustique. On fait une immense consommation de poivre pour l'assaisonnement des aliments dans toutes les parties du monde ; mais les peuples qui paraissent en faire le plus grand usage sont les Asiatiques. L'abus de cette substance, comme celui de toutes les épices fortes , irrite l'estomac, et pourrait déterminer une dangereuse inflammation. LA POMME DE TERRE. Son origine ; étranges préjugés ; faits curieux; essai dans la plaine des Sablons: la pomme de terre devient enfin populaire; ses usages. Tout le monde connaît la pomme de terre; elle offre extérieurement une tige herbacée , des feuilles presque ailées, des fleurs blanchâtres ou purpurines disposées en corymbe ; son fruit est une baie molle ,- de la forme et de la grosseur d'une cerise; ses racines donnent des tu- bercules alimentaires, qui sont proprement les pommes de terre. La pomme de terre fut apportée en Angleterre, vers 1586, par les colons que sir Walter Raleigh avait en- voyés, en vertu d'une patente de la reine Elisabeth, pour découvrir et cultiver en Amérique de nouvelles contrées non possédées par les chrétiens. Il parait cependant très-probable que la pomme de terre a été apportée en Europe pour la première fois par les Espagnols, des parties montueuses de l'Amé- rique méridionale du voisinage de Quito, pays dont ils étaient alors les seuls possesseurs. Dans l'Amérique méridionale, on l'appelait papas; en Virginie, openank; les Anglais lui ont donné le nom de potato, à cause de sa ressemblance avec la patate, ou pomme de terre douce. Cette plante ne fut d'abord conservée dans quelques 244 rLANTES UTILES ET CURIEUSES. jardins que comme un objet de curiosité; mais après deux siècles d'insouciance les nations du Nord, éclairées par la raison et par l'expérience , cultivèrent à l'envi ce précieux végétal. Cependant , de nombreux préjugés s'élevaient contre la pomme de terre; comme elle appartient à la famille des solanées , presque toutes douées de propriétés véné- neuses, les savants disaient que de quelque manière que l'on apprêtât cette racine, elle serait toujours dangereuse et fade, et qu'on ne pourrait jamais la compter au rang des aliments agréables. Le peuple n'était pas moins prévenu contre elle; un cuisinier eût cru déshonorer son maître s'il en eût servi sur sa table. Au fort de la révolution, cette prévention n'était point encore tout à fait dissipée. Dans une assem- blée populaire, on allait au scrutin pour une place à la- quelle l'estime publique semblait porter M. Parmentier : « Ne la lui donnez pas, s'écrie un orateur de fau- bourg ; il ne nous ferait manger que des pommes de terre : c'est lui qui les a inventées. » C'est en effet Parmentier, par ses nombreux écrits et par ses efforts soutenus, qui vint à bout de répandre la culture de cette plante précieuse dans toute la France. Il prouva , par des expériences répétées , que la pomme de terre n'avait aucune des propriétés nuisibles de la famille des plantes à laquelle elle appartenait, qu'elle pouvait flatter les goûts les plus délicats, et, enfin, qu'on pouvait la cultiver dans les terrains les plus stériles , et même où la charrue n'avait jamais pénétré. La plaine des Sablons était jusqu'alors inculte; elle lui LA POMME DE TERRE. 245 fut accordée pour faire ses essais. Louis XVI accorda sa protection à la nouvelle culture ; il parut le jour d'une fête solennelle, devant toute sa cour, portant à sa bouton- nière un bouquet de fleurs de pomme de terre; dès ce moment la vogue du nouveau végétal fut assu- rée. Des semis furent envoyés dans les provinces les Pig. 84 La pomme de terre. plus éloignées, et bientôt les terres incultes furent en- richies de ce précieux tubercule. Aucun tubercule n'est plus utile que la pomme de terre, non -seulement pour la nourriture propre de l'homme, mais aussi pour celle des animaux domestiques. En outre, on en retire de la fécule i soit pour la livrer en nature aux arts , soit pour la convertir en un_ sirop destiné à améliorer les vins pendant qu'ils cuvent en- 246 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. core ; ou bien , on la fait fermenter pour en obtenir l'al- cool qu'elle contient. Cependant cet alcool ne donne qu'une eau-de-vie d'une qualité inférieure, dont on se sert surtout pour préparer des liqueurs. On compte un grand nombre de variétés de pommes de terre, qui toutes semblent découler des trois types suivants : 1° La grosse blanche, dite patraque, qui donne trente fois et plus un produit égal à sa semence ; elle n'est pas toujours très-farineuse, mais elle est parfaite pour les bestiaux; 2° La grosse jaune, dite la chave, qui est très-farineuse et de bon goût; 3° La rouge longue, dont la chair est ferme, et qui ne s'écrase point en cuisant. Fig. 85. — Stalicù de Sibérii LA RENONCULE. Son origine; les renoncules et le sultan Mahomet IV; diverses espèces de renoncules leurs] propriétés. Renoncule vient du latin rana, qui veut dire grenouille; ce nom lui a sans doute été donné parce qu'elle croît au milieu des marais. On pense généralement que ce fut saint Louis, qui, de retour du voyage d'outre- mer, apporta en France les pre- mières renoncu- les. Cependant plusieurs leur donnent une ori- gine moins an- cienne : suivant eux, cefutKara- Mustapha, le mê- me qui échoua devant Vienne avec une formi- dable armée, qui mit les renoncu- les a la mode. p-lg, go. — Renoncule des fleuristes. Ce visir, pour amuser son maître Mahomet IV, qui ai- 248 PLANTES UTILES ET CURIEUSES. mait extrêmement la chasse, la retraite et la solitude, lui donna insensiblement du goût pour les fleurs ; et comme il s'aperçut que les renoncules étaient celles qui lui faisaient le plus de plaisir, il écrivit à tous les pa- chas de l'empire de lui envoyer les racines et les graines des plus belles espèces qu'ils pourraient trouver dans leurs départements. Ceux de Candie, de Chypre, de Rhodes , d'Alep , de Damas firent mieux leur cour que les autres. Les graines que l'on envoya au visir et celles que les particuliers élevèrent produisirent beaucoup de variétés. C'est de là que sont venues ces espèces admi- rables de renoncules qu'on peut voir dans les plus beaux jardins de Constantinople et de Paris. Les plus estimées sont les noires, les brunes, et celles de nuance rouge-feu, pourpre, violette et gris de lin. La graine germe cinquante jours environ après qu'on l'a mise en terre. Les fortes racines de renoncule se plantent à l'automne, dans les contrées où l'hiver est doux, ou après les grandes gelées dans les pays plus froids. La renoncule scélérate est une espèce très-dangereuse, dont les seules émanations excitent l'éternuement et les larmes. Prise à l'intérieur, elle produit la contraction de la bouche et des joues, un rire sardonique. On la reconnaît à ses fleurs jaunes, petites et terminales. Nos espèces indigènes sont très-caustiques et la plupart vénéneuses; mais elles perdent cette causticité par leur ébullition dans l'eau ou par la simple dessiccation ; aussi celles qui se trouvent dans les foins secs ne sont-elles pas nuisibles aux bestiaux; il en est autrement des autres, qui produisent quelquefois de funestes empoisonnements. LE ROSIER. Ses diverses espèces; la rose chez les Grecs; origine de la rose; légendes; symbolismes de la rose; la rose chez les anciens; culture des rosiers; essence et conserve de rose. A l'état sauvage la rose n'a que cinq pétales; ce n'est que par la culture que l'on en obtient ce nombre considé- rable, qui fait la beauté de cette fleur. On connaît aujour- d'hui plus de cent es- pèces du genre ros ier, toutes originaires de l'hémisphère boréal , qu'elles occupent de- puis le Kamtchatka et le Japon, jusqu'aux cotes occidentales de l'Europe. On en trou- ve aussi quelques - unes dans l'Amérique du Nord. Aucune ne descend, au midi jus- qu'à l'équateur; et il en est môme très-peu 1-'ig' s7> " Rose des peintres' qui dans cette direction dépassent le 25e degré. Toutes sont rustiques dans le midi de l'Europe. Nos gravures re- présentent les espèces les plus belles. 250 PLASTES UTILES ET CURIEUSES. De tous temps et chez tous les peuples, la rose a été considérée comme la reine des fleurs. Les Grecs l'avaient consacrée à Vénus : Lorsque Vénus, sortant du sein des mers, Sourit aux dieux charmés de sa présence , Un nouveau jour éclaira l'univers : Dans ce moment, la rose prit naissance. Suivant la Fable, elle était blanche d'abord, et elle fut colorée par le sang d'Adonis ou par celui de Cupidon ou même par celui de Vénus, qu'une épine avait blessée. D'autres font honneur de la rose à Bacchus. Écoutons Gessner. « Alors il vide la coupe (Bacchus), puis il rit, et recommence à raconter comment il a donné naissance à la rose. « Je voulais, dit-il, arrêter une jeune nymphe; la belle fugitive volait d'un pied léger sur les fleurs, et regardait en arrière; elle souriait malignement en me voyant chanceler et la poursuivre d'un pas mal assuré. Par le Styx! je n'aurais jamais atteint cette belle nym- phe, si un buisson d'épines ne s'était embarrassé dans un pan voltigeant. Enchanté, je m'approche d'elle. Belle, lui dis-je, je suis Bacchus, dieu du vin et de la joie, éternellement jeune. « Je touchai alors de ma baguette le buisson d'épines, et j'ordonnai qu'il se couvrit de fleurs, dont l'aimable rougeur imiterait la nuance que la pudeur étendait sur les joues de la nymphe. « J'ordonnai, et la rose naquit. » LE ROSIER. 2.51 « Au commencement était le rossignol, dit une légende, et il chantait le verbe Tsu- kut! Tsukut! Et pendant qu'il chantait, partout s'é- panouissaient et le gazon, et la violette, et la margue- rite. « Il se donna un coup de bec dans la poitrine, le sang rouge coula, et. du sang, sortit un beau rosier; c'est à ce rosier qu'il chante son amour. » La rose est , en général , le symbole de la beauté, de la grâce, de la fraî- cheur et de la ten- dresse . La rose blanche est l'em- blème de la virgi- nité et de l'inno- cence; la rose rou- ge } celui de l'a- mour; la rose des quatre saisons, de la beauté toujours nouvelle; la rose moussue , de la prétention ou de la volupté ; la rose Fig. 89< _ Rose du Bcng! le. Fig. SS. — r.ose pompon de suint François. X-