DE (AL'AGADEME ROYALE | DES SCIENCES, ss | INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES DE TOULOUSE. ] i | f (ee F 3 ; Ne f ANNÉES 1857, 1858, 1839. ee sScrnssesreneeoseeeneonenenreneoroenanee e #*, À Co AL 2 Ru de cd ot al AS .. TOME CINQUIÈME. +. ET r. x ? n È TOULOUSE, IMERIE DE JEAN-MATTHIEU DOULADOURE, | RUE She ER n° 41. 0000009000000086060609989888 HISTOIRE ET MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES, INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES DE TOULOUSE. HISTOIRE ET MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES, INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES DE TOULOUSE. ANNÉES 1837, 1838, 1839. TOME CINQUIÈME. I."€ PARTIE. TOULOUSE, IMPRIMERIE DE JEAN-MATTHIEU DOULADOURE ÿ RUE SAINT-ROME, N.° 41. 1839. NE 0 ( ù 0 2 Dar cb ÉTAT DES MEMBRES DE L'AGADÉMIRE AU 20 AOÛT 1859. OFFICIERS DE L’ACADÉMIE. M. TAJAN %#, Avocat, Conseiller de Préfecture, Président. M. BRASSINNE, Professeur à l'Ecole d'artillerie, Drrec- teur. M. D'AUBUISSON %, O. #, Ingénieur en chef Directeur au Corps royal des Mines , Secrétaire perpétuel. M. DUCASSE #, Docteur en Chirurgie, Secrétaire adjoint. M. LARREY , Docteur en chirurgie , Trésorier. ASSOCIÉS HONORAIRES. Monseigneur l’Archevèque de Toulouse. M. le premier Président de la Cour royale de Toulouse. M. le Préfet du département de la Haute-Garonne. M. Araco, O. #, Secrétaire perpétuel de l’Institut de France pour les Sciences mathématiques. ACADÉMICIEN-NÉ. M. le Maire de Toulouse. ASSOCIÉS LIBRES: M. le Baron Marcassus DE PuyMAURIN (Jean-Pierre- Casimir ), C, #. Li « è ÿ] ÉTAT DES MEMBRES M. Léon (Joseph), Professeur à la Faculté des Sciences. M. Bécuirrer (Gabriel-Délie ), ancien Directeur des Contributions directes. ASSOCIÉS ORDINAIRES. Classe i des Breiences. 1." SECTION. SCIENCES MATHÉMATIQUES. Mathématiques pures. M. Sainr-GuirxEem , Ingénieur des Ponts et Chaussées. M. Brassinne , Professeur à l'Ecole d'artillerie. M. Borrez , Ingénieur des Ponts et chaussées. Mathématiques appliquées. M. p’Auguisson %, O. #, Ingénieur-Directeur des Mines. M. Macvués (Jean-Polycarpe) #, Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées et du Canal du Midi. M. Ganrier (Louis-Francois ) #, Professeur à l'Ecole royale d’artillerie. M. Asapte (Jean) #, Ingénieur-mécanicien. M. Vitry (Urbain), Architecte de la ville. Physique et Astronomie. M. pE Sacer (Charles) # , Propriétaire. M. Dsssozze (Jean-Gabriel) , O. # , ancien Préfet. } M. Pnau», Professeur à la Faculté des Sciences. } \ 0: DE L’ACADÉMIE. Vi) 2.° SECTION. SCIENCES PHYSIQUES ET NATURELLES. Chimie. M. Parcués (Jean-Baptiste), Pharmacien. M. Macxes-Lanexs (Jean-Pierre), Pharmacien , de l’ancien Collége de pharmacie de Paris. M. Dusarnin, Professeur à la Faculté des Lettres. Histoire naturelle. M. Frizac ( François) # , Conseiller de Préfecture. M. Drarer (Etienne-François) #, ancien Conservateur des forêts. M. Duruy %, O. #, Colonel en retraite. M. Moquin-Tannon , Professeur à la Faculté des Scien- ces, Directeur du Jardin des Plantes. M. »E Quarreraces, Professeur à la Faculté des Sciences. Médecine et Chirurgie. M. Viceusrte ( Charles-Guillaume) #, Docteur en chirur- gie, Professeur à l'Ecole de Médecine. M. Ducasse (Jean-Marie-Augustin) #, Docteur en chi- rurgie , Professeur à l'Ecole de Chirurgie. M. Larrey ( Auguste), Docteur en chirurgie. M. Durrourc (Guillaume ) , Docteur en médecine. Classe des Inscriptions et Belles-Lettres, M. ou Mècr (Alexandre - Louis- Charles - André), ex- Ingénieur militaire , Membre de la Société des Antiquaires de France, l’un des Directeurs du Musée de Toulouse , Chevalier de plusieurs Ordres. vil) ÉTAT DES MEMBRES M. Tarn (Bernard-Antoine) #, Avocat à la Cour royale ; Conseiller de Préfecture. M. l'Abbé Jamme ( Jean-Gabriel-Xavier-Auguste), Pro- fesseur à la Faculté de Théologie. M. le Baron ne Mararer (Joseph-François-Magdelaine) , O. # , ancien Députe. M. Fceury LécLuse (Jean-Marie ) # , Professeur de lit- térature grecque et de langue hébraïque , ancien Doyen de la Faculté des lettres. M. Baron De Monrez (Guillaume-Isidore ) #. M. Pacés , Membre de la Chambre des Députés. M. Caganrous ( Pierre) # , Professeur de littérature fran- çaise à la Faculté des Lettres. M. Garien-Arnouzr ( Adolphe-Félix), Professeur de philosophie à la Faculté des Lettres. . DE MorTariEu ( Alexandre). . DE LAVERGNE (Louis-Gabriel-Léonce). . CLAUSOLLES. . Hamez , Professeur à la Faculté des lettres. . SaAuvAcE , Professeur à la Faculté des lettres. SR . DE VaAcQuiÉ, ancien Magistrat. ASSOCIÉS ÉTRANGERS. M. le baron Larrey , C. #, Chevalier de la Couronne de fer, à Paris, Membre de l’Institut de France, etc. DE L'ACADÉMIE. 1x CORRESPONDANTS. Classe des Griences. 1.7: SECTION. SCIENCES MATHÉMATIQUES. Mathématiques pures. M. Pauin, ancien Recteur de l’Académie de Cahors, à Paris * (1). M, Tissté , ancien Professeur de mathématiques , à Mont- pellier *. M. Revynarr, Professeur de mathématiques , à ce (Pyrénées-Orientales ). M. Francoeur #, Professeur à la Faculté des Sciences , à Parts. M. BoucxarLar , Secrétaire general de l’Athénce des Arts, à Paris. M. Vasse DE Saint-Ouen #, Inspecteur de l’Académie de Douai *. Mathématiques appliquées. D M. pe Sérieny , Officier supérieur du génie maritime , Nantes *. M. Lermier #, Commissaire des poudres et salpêtres , Bordeaux. M. Dussaussoy %, O. #, chef de bataillon d'artillerie, à Douai. M. George Binoxe , Professeur d’hydraulique , à Turin. (1) Les Associés correspondants dont les noms sont suivis d’un astérisque *, sont ceux qui ont été Associés ordinaires. x ÉTAT DES MEMBRES Physique et Astronomie. M. Cxaumoxr #, Officier supérieur du génie maritime, à Cherbourg *. M. Basey , Professeur au Collège royal de Besançon. M. Soruix , Professeur au Collège royal de Tournon. M. 0e Puymaunis fils #. M. le Baron D'Homeres-FrrMAs, à Saint-Hippolyte de Caton , près Alais (Gard). 2.° SECTION. SCIENCES PHYSIQUES ET NATURELLES. Chimie. M. Resouz, Correspondant de l’Institut, à Pezenas *. M. le Baron THénarp , O. #, Pair de France , Membre de l’Institut, à Paris. M. Save, Pharmacien, à Saint-Plancard ( Haute- Garonne ). | M. LABARRAQUE, Pharmacien , à Paris. M. Bouis, Pharmacien, à Perpignan. M. François , Ingénieur des Mines, à Vicdessos (Ariège). M. Amédée Fonrax , Docteur en médecine, à Bagnères- de-Luchon. Histoire naturelle. M. Jonan DE CrarPenNTiER, Ingénieur des Mines de S. M. le Roi de Saxe } Directeur des Mines de Bex en Suisse. M. Lorseceur ne Lonccmamrs, Docteur en médecine, à Paris. M. ou Trocaer, Naturaliste , à Paris. M. Tourwar fils, à Narbonne. M. Nérée Bougée , à Paris. M. DE Cuesnez. M. Fariness , à Perpignan. M. Nour, Docteur en médecine, à Vencrque. DE L'ACADÉMIE. x) Médecine et Chirurgie. M. Larour , Docteur en médecine , Membre de l’Academie des Sciences et Arts d'Orléans. M. HernanDès # , premier Médecin retraité de la marine, à Toulon. M. Scourerren , Docteur en médecine, à Metz. M. Prerquix , Médecin de la Charite ; à Montpellier. M. Harix (Jules), Docteur en médecine , agrégé à la Faculié de Paris. M. Mare , Docteur en médecine , à Sérasbourg. M. Gawssarz, Docteur en médecine, à Verdun (Tarn- et-Garonne ). Classe des Inscriptions et Belles-Lettres, M. Mazez , Avocat, à Pezenas. M. Jonaxneau (Eloi), Membre de la Société royale des Antiquaires , à Paris. M. pe Roquerorr (J.-B.-B. ), Membre de la Societe royale des Antiquaires, à Paris. M. le Marquis pe Forrra-D’Ursax , Membre de la Société royale des Antiquaires , à Paris. M. Dai, à Paris. M. Renou, O. #, Conseiller au Conseil royal de l’Ins- truction publique, à Paris. M. Caamprorrion-Fierac , Officier de l’Université royale , à Paris. M. Weiss, bibliothécaire de la ville de Besançon. M. Azowzo pe Vrapo , à Madrid. M. Axprteux , Professeur de rhétorique au Collège royal de Limoges. M. Purccart, ex-Principal du Collège de Perpignan. M. le Baron CHaupruc DE CRAZANNES %, Maître des requêtes, Officier de l’Université royale , à Figeac. Xi) ÉTAT DES MEMBRES; etc. M. Davezac DE MacayA, à Bagnères-de- Bigorre. M. pe Viry , Secrétaire général de la Société des Lettres, Sciences et Arts de Mez. M. pe Gorséry # , Conseiller à la Cour royale de Co/mar. M. Forssr, Sous-Préfet d’Oloron. M. CuarrenrTier DE SainT-Presr (Jean-Pierre), Pro- fesseur au Collége de Louis-le-Grand , à Paris. M. Bercer DE X1vrai (Jules) , à Paris. M. le Marquis DE Pasrorer, G. # , Pair de France, M. Rarn, Professeur royal Danois; Secrétaire de la So- ciété des Antiquaires du Nord, à Copenhague. M. DE Caumont , Secrétaire de la Société des Antiquaires de Normandie , à Caen. M. Riraup , à Marseille. M. pe Lasouïssr-Rocmerort , à Castelnaudary. M. Macro (Charles), à Paris. M. le Marquis DE Viczeneuve (François) #, ancien Préfet, à Péguilhan * ( Haute-Garonne ). M. le Baron DE Lamorme-Laxcon (Etienne-Léon ), an- cien Sous-Préfet , à Paris *. M. Poxs, Inspecteur de l’Académie, à Azx. M. Navrar, Juge de paix, à Castres. M. Souquer , Avoué, à Saint-Girons. M. Ozaxneaux #, Inspecteur général des études *. M. DE SArnT-Ferix-MAUREMONT , ancien Préfet. M. DE Mas-Larrie (Louis), de l’Ecole des chartes, à Paris. M. Cros , Secrétaire de la Commission des Sciences et Arts du département de l'Aude, à Carcassonne. HISTOIRE ET MÉMOIRES DE L’ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES, INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES DE TOULOUSE. Premiere Partie. CLASSE DES SCIENCES. 1837. Section Première, HISTOIRE. SUJETS DE PRIX. Le sujet du prix à décerner en 1837, concernait les Inscriptions et Belles-Lettres. Les questions relatives aux Sciences, dont l’Aca- démie demande la solution, sont, Pour 1838 : Fournir les renseisnements les plus utiles ou la théorie la plus satisfaisante TOME V. PART, Ja I 2 CLASSE DES SCIENCES. relativement au halage des bateaux sur les ca- naux et sur les rivières. Pour l’année 1839, l’Académie propose le sujet de prix suivant : En admettant les progrès ap- portés par lanatomie pathologique dans l’étude et la guérison des maladies en général, Déter- miner les avantages que les Médecins peuvent en retirer dans le diagnostic, le pronostic et le traite- ment des affections proprement appelées NER- VEUSES. Le prix, pour chacune de ces deux questions, sera de cinq cents francs. HISTOIRE. 3 ANALYSE DES TRAVAUX DE LA CLASSE DES SCIENCES. ANNÉE 1837. Mathématiques pures. M. Sunr-Guisuen a entretenu VPAcadémie, dans Statique diverses séances, des résultats de ses profondes aus méditations sur différentes parties de la statique M. et de la dynamique, ainsi que de ses nouvelles Dre démonstrations de plusieurs de leurs théorèmes. Il a résumé ces travaux dans une Note sur l’équi- libre et le mouvement d’un système de points liés entr'eux d'une manière quelconque. Ce mé- moire, avec ses extensions et ses accessoires, a donné lieu à la théorie nouvelle de l'équilibre et du mouvement, que M. Saint-Guilhem à livrée à impression. Le public en a la pleine jouis- sance (1); et il serait contre nos usages de revenir sur une note qui n’en est, en quelque sorte, que l'extrait. (1) Théorie nouvelle de l'équilibre et du mouvement , par P. D. Saint-Guilhem , ingénieur des ponts et chaussées. Tou- louse, chez Paya , imprimeur-libraire. 1837. Hydrauli- que. M. Borne, M. CASTEL: A CLASSE DES SCIENCES. Mathématiques appliquées. La connaissance du régime du fleuve qui tra- verse notre cité, du volume d’eau qu'il charrie dans ses différents états de hausse et de baisse, etc., est d’un grand intérêt pour nous ; elle est en outre importante pour ceux qui, dans une position comme celle de M. Borrez., ont à diriger les tra- vaux à exécuter sur ce grand cours d’eau. Aussi cet ingénieur saisit-il avec empressement les occa- sions de constater les diverses circonstances de son régime, surtout dans leurs écarts extraordinaires. L'automne de 1832 lui ayant présenté une baisse telle peut-être que la génération actuelle n’en avait pas vue, il entreprit de jauger le peu d’eau qui coulait dans le lit, et il ne le trouva pas même de quarante mètres cubes par seconde. Les détails de Vopération , ainsi que les conséquences mathéma- tiques qu'il a tirées sur le jaugeage des eaux des rivicres, se trouvent dans l’ÆHrstoire des Travaux de l'Académie, de 1834. Trois ans après, une crue extraordinaire, où la Garonne roulait cent cin- quante fois plus d’eau, lui a fourni l’exemple de Vautre cas extrême. Les observations qu'il a re- cueillies pendant et après cette inondation, sont insérées en entier dans la partie des Mémoires. L'Académie a eu à s’occuper, en 1837, des der- nières expériences que M. Castel, ingénieur des eaux de Toulouse, a faites sur l'écoulement des eaux par les déversoirs. Mais pour ne pas scinder “ HISTOIRE. 5 ce tres-beau travail, leur résultat a été joint à celui des expériences antérieures, et le tout a été imprimé dans les Mémoires de 1836. M. p’Auwsuisson a communiqué à l’Académie diverses Observations relatives à l’action de l’eau sur les constructions faites dans les rivières, ainsi qu’une notice sur les machines à colonne d’eau, et en particulier sur celles que M. Juncker a établies aux mines de Huelgoat en Bretagne. Le fond de ces deux mémoires devant se retrouver dans la deuxième édition que l’on fait du Traité d’hydraulique à l’usage des ingénieurs, nous n’en parlerons pas. Toutefois, la notice sur les machines à colonnes d’eau renferme deux faits trop remarquables et trop peu connus, pour qu’on ne les rappelle pas ici. Le célèbre ingénieur et mécanicien Reichem- bach, de Munich, ayant eu à s'occuper des im- portantes salines que la Bavière possède dans la région inférieure des Alpes tyroliennes, et dont lexploitation , devenant de plus en plus coûteuse, était au moment d’être abandonnée , conçut et exécuta le grand et hardi projet de prendre les eaux salées immédiatement à la sortie des sour-- ces, et de les mener à travers un pays monta- gneux, par des tuyaux de conduite, jusqu’à la dis- tance de 27 lieues (109 kilomètres), dans une contrée où l’on aurait abondamment le bois néces- saire à leur traitement. Onze machines à colonne d’eau , toutes faites d’après un nouveau système, M. D’AUBUISSON. 6 CLASSE DES SCIENCES. furent employées à cet objet. Une d’elles, celle d'Illsang , éleva d’un seul jet les eaux à une hau- teur verticale de 356" ; et elle leur fit ainsi franchir une profonde vallée. Pas une goutte d’eau ne se perdait dans le trajet. Quelques années après que ce bel et gigantesque ouvrage eut été terminé, M. lingénieur Juncker, directeur des mines de Poullaouen et de Huelgoat (Finistère), qui s’occupait de l'établissement d’une machine à colonne, sur cette dernière mine, pour en épuiser les eaux, alla voir celles de Reichem- bach ; et de retour, en 18317 , il en établit deux, les plus grandes et plus belles machines hydrau- liques que nous ayons en France. Il les plaça au tiers de la profondeur d’un grand puits qui des- cendait verticalement jusqu’à 330" au-dessous de la surface du sol. Il jeta dans ce puits un pont en fonte, sur lequel il posa, l’un à côté de l'autre, les deux cylindres, espèces de corps de pompe de 1°03 de diamètre , et 2M75 de hauteur. Les pistons qui sy mouvaient , par l'intermédiaire de lon- gues tiges en fer, allaient mettre en jeu les pom- pes, qui, placées presque au fond du puits, éle- vaient les eaux de filtration qui s'y rassemblaient, et les versaient dans la galerie d’écoulement qui les menait au jour. M. d’Aubuisson décrit en dé- tail ces énormes machines , et les moyens par lesquels on les gouverne à volonté, avec une ex- trême facilité, et il termine ainsi : « En les voyant » comme suspendues au milieu d’un puits, à plus » de deux cents mètres au-dessus du fond de Pa- HISTOIRE. 7 » bîme ; en les voyant élever, sans intermédiaire » aucun de leviers, engrenages, etc., un grand » volume d’eau , et d’un seul jet, à 230" de hau- » teur ; en les voyant opérer leurs grands mouve- » ments avec une douceur et un silence surpre- » nants, on ne peut s’empêcher de dire de ces » machines de M. Juncker, ce que lui-même disait » à [llsang, à la vue de celles de Reichembach : » Tout y est admirable de hardiesse, de simplicité et de précision. » CA 2 Physique. M. Praup ayant soufflé un petit tube de verre , Acoustique. à la lampe de l’émailleur, comme on le fait lors- M: Pnau: qu'il s’agit de faire un thermomètre, et, l’ayant laissé refroidir, la boule étant encore rouge, l’en- tendit émettre un son qui le frappa et attira son attention. Il répéta et varia les expériences; il chercha la loi qui pouvait lier les phénomènes d’un nouveau genre qu’il venait d'observer; et 1l lut, sur get objet, dans la séance de PAcadémie, du 17 juillet 1837, un écrit que l’on trouve en en- tier aux Mémoires de cette année. M. Fouque, directeur de la fabrique de porce- Dessiccation laines à Saint-Gaudens, a adressé à l'Académie le °°" © M. Fovour. tableau suivant : CLASSE DES SCIENCES. ‘SoN|'&oN|'ToN|'£oN toc |çol 969 cLi |G92 zoL 941 |ÿ91 904 1g4 [To gol gLl |ogi rrl Lgl |o91 col 60g |og£ Te oçg |oll LyL ccg |LLL oLL 016 |çcg8 oc8 goL |locç6 |c16 066 |96g e6 |çc6 |9c6 |oÿs |cc6 D ES "ddl TdA Ad . ‘ANAvV ‘ANA 1L9 119 999 099 ÿ99 ÿo9 ÿ99 899 cL9 oçl Ysy|89ÿ cÿg c6p|cLt 9ÿc c6t|oly cyG c6ÿ|L9y ÿÿg 88ÿ| 66} gÿg c6y|ogy 9ÿç c6ÿ|ogÿ 1gG 96p| roy g9g 006| 19 gc #L89|orc gç9 o1g Jocÿ | o9/|çco [ooç |çoi o16 436 | ceG6lcc6 |cc6 |8y6 ‘YAISIHAH9 "8 oN|'T oN['E oN|'SoN|'T oN|'2 oN|'6 oN oçG 149 ÿeg 119 ggg Lg gg 619 gÿG gLg 9ÿg Lg Lÿq 089 6ÿg c69 1GG col gt9 col 89 [c6c |cÿe cg6 ]cc6 |L96 ‘FoNl'EoN|'&oN 569 194 [gel ces |ecg 969 9 |ogi ogg |gcg 069 994 loyl 068 |ÿre oÿg Lol loc 006 |cog 0g9 894 loci go6 |cog 0ç9 LLL lecl 1C6 |cÿe ÿeg 684 |ecl cy6 |çgg 909 gog |oÿl 96 |olg Leg gcg [cl te6 |688 «69 068 locg ggot|cc6 9ÿL JcLo looor|oo6 [cl |çerr|rlor LY6 covr|gbur|cerrfeçr1|8611|corx ‘ToNl'£oN|'& oN|"ToN|'£ oN|'& oN|°FoN A ‘AULAH “ANTHO ‘HAAON *SUIPND)-JUIDG 9p JUIWISSIPUOMD *SIDUDAÂT SJUOU 527 SUDP SJUVSSIOU9K9 S107 9p S00ads0 sourv100 op onbifioods \NZINFS3q "Jpiitst"9cgt rorAuel ç sp “pl ttes Di AUWO09P G o'T °epit tete: DI QUOAOU G 2'T pre senprisres cepart torse: pa ju0e ç at supittererpr JoITl G OT prises “UML G 07 cepiresssepl TU G OT *P1 2440190 G o'T *pr'quoydes ç ag SEPT MIS een HrAe Ç 9"T ‘psod quo sjr “Gegr sieur G ay tttrte tee SOUS U9 JUEAINS SpIod af puuop quo s9p so't *TOLTA9Z G OT S9S9d a s911{9p “GCRT AA T 2[ Snjyeqe 919 AUO s10{ So" ‘ap}jney9 sAn) 9 oun suep s99e[d quos ç ,'u sonbreu sop so'q ‘puy quowoqiedde un suvp quos & ,‘u sonbreut sop sort “2281019 sun INSTPIU nesa50dx2 quos t ‘'u spnbieur spp sort *‘2qn9 21]9WI99p un SUITOF 79 ‘9909 9P S1JAWU99 OT 9P Spp un 759 OTunUu un p onbaeu nvoorxou onbey HISTOIRE. 9 La Commission, chargée d’examiner ce tableau et d’en rendre compte, fit observer que les nombres de ces tableaux représentaient le poids du mètre cube de chaque essence, au moment de la coupe, et que, d’après ces nombres, le chêne et le hêtre pesaient également; que le poids du noyer, de lau- ne, du frêne et même du peuplier, ne différaient pas beaucoup; que le cerisier pesait un peu moins. Mais il n’en est plus ainsi dès que ces bois per- dent tout ou partie de l’eau interposée entre leurs pores ; leur rang, par ordre de plus grand poids, se modifie ainsi : Chêne, frêne, hêtre, cerisier , noyer, aune, peuplier. En admettant que, dans l’étuve, après un mois de séjour, ces bois aient perdu toute l’eau inter- posée dans leurs pores, leur valeur, comme ma- tière.combustible, doit être payée proportionnel- lement aux poids réduits. Toutes ces conséquences se trouvent représen- tées dans le tableau suivant, déduit de celui de M. Fouque. Poids moyen du] cnêxe. | nêrre. | over. | aune. | PP | CERF mètre cube en kilo- RUE NSIERe grammes , après la[————|——) | —— FRÊNE. COUPE. ..s..sssovee| 11 11 56 b1 25 | 806 35 Poids réduit du 75 Hé s N À S mètre cube , après un mois d’étuve....| 765 | 681 | 593 | 504 G27 | 711 La Commission fit remarquer en même temps combien il était important de ne pas faire les trans- ports après la coupe, puisqu'on s’exposait, pour Analyse des matières végétales. M. Mornour. 10 CLASSE DES SCIENCES. le peuplier, à porter double poids, et pour les autres essences, plus de moitié en sus générale- ment de la matière combustible. La pratique d’empiler les bois après la coupe, et de n’effectuer les transports qu'après six à sept mois d'exposition en plein air, lui parut digne d’être recommandée, sous tous les rapports, puis- qu’elle diminue de plus dun tiers les poids à trans- porter, et qu’elle recule l’époque des transports jusqu’au moment où les routes et les chemins sont le plus faciles à parcourir. Après avoir voté des remerciments à M. Fouque sur son intéressante communication , l’Académie linvita, 1.0 À constater si les bois perdaient toute leur eau d'interposition, après un mois d'exposition dans létuve, ou si leur poids continuait à se ré- duire par suite d’une exposition plus prolongée; 2.9 À déterminer au bout de quel temps d’expo- sition dans l’étuve, les pertes de poids avaient at- teint leur maximum ; 3. À étendre à l’orme, au tilleul, à l’acacia, au saule , au châtaignier , et surtout au sapin, ses utiles observations ; 4.° À donner à l'Académie la mesure du retrait de ces bois, à chaque degré de dessiccation, en tenant note du degré de température. Chimie. M. Moroup, directeur de l'Ecole vétérinaire , a présenté à l’Académie un mémoire sur les moyens de dessécher les matières végétales , et de leur faire HISTOIRE. 11 perdre toute leur eau, sans atteindre le degré de chaleur nécessaire pour opérer leur UNE Ce moyen consistait dans emploi de deux ap- pareils dont l'auteur a donné la description et les dessins. Les matières végétales sont enfermées dans des boîtes de fer-blanc, dans lesquelles on établit un courant continu d’air chaud et sec. Dans un des appareils décrits, le courant d’air chaud est produit à l’aide de la vapeur d’eau; dans le second, il est dû à la chaleur produite par le courant d'air que détermine la cheminée d’une lampe ordinaire. M. Moiroud a terminé son mémoire, en faisant remarquer que ces appareils pourraient être d’une grande utilité pour les préparations des pharma- ciens et des chimistes, et seraient susceptibles de nombreuses applications dans les usages domes- tiques. M Durac a lu un mémoire sur la combustion , Combustion. où sont appliqués, à l’explication de ce phéno- M. punc. mène , les principes scientifiques du système que ce chimiste avait adopté. Chimie appliquée. M.Drazer a donnélecture de plusieurs chapitres Traité de son Traité de la pierre à plâtre ; dont il a été on déjà parlé dans les publications de 1836. PTE M. Dralet a livré à la publicité cet ouvrage pra- tique, si important pour nos contrées ; les agricul- teurs et les constructeurs pourront puiser dans ses 12 CLASSE DES SCIENCES. pages des notions utiles qui les éclaireront dans leurs travaux. Histoire naturelle. Monstruosité M. Dupuy a présenté à l’Académie quelques on réflexions sur un ocuf monstrueux, observé par © M. Gabalda , de Villefranche ( Haute-Garonne ). La monstruosité consistait dans la soudure d’un second jaune ( dans lovaire) avec celui de l’œuf. Ce jaune soudé ne s’était pas ‘développé pendant que son voisin était arrivé à l’état normal. M. Dupuy fait remarquer qu’il ne faut pas con- fondre ce cas de monstruosité avec celui qui ré- sulte de l'introduction de corps étrangers dans l’intérieur de œuf. Il cite, en passant, plusieurs cas de ce dernier genre de monstruosité, et signale les observations qui ont été nenfes et Fe lesquelles de petites pierres dures, des épingles, des crins de cheval, des pois, des lentilles , et jus- qu’à des crapauds vivants auraient été trouvés dans l'intérieur de l’œuf. Ces dernières anomalies ont été désignées sous . le nom d’ova-heteryla (œufs à substances étran- gères), dans une classification des monstruosités des œufs des oiseaux, proposée, en 1835, par M. Moquix-Taxon. Botanique. MÉROE Cet Académicien a présenté un rapport sur la M.Duchartre première partie dun travail manuscrit de M. Du- fils. chartre fils. Ce ; jeune naturaliste, dans ses courses M. Moouix- Dome dé ie É Taxwox. dans n0s montagnes, a pris à tâche d'étudier de HISTOIRE. 13 nouveau les plantes sur lesquelles il reste encore des doutes, malgré les beaux travaux du célèbre Lapeyrouse. Son mémoire avait pour objet de dé- montrer que le saxifraga stellaris de Linnée et le saxifraga clusii de Gouan , ne doivent pas for- mer deux espèces séparées. Il prouve que les diffé- rences signalées entre ces deux plantes, dépendent de la station plus ou moins élevée du végétal et du développement plus ou moins grand dont il est susceptible , suivant les circonstances qui favo- risent sa venue ou qui lui sont contraires. M. Duchartre propose de conserver à cette plante le nom de saxifraga stellaris, comme le plus ancien. Adoptant les conclusions du rapporteur , l'Aca- démie a voté des remerciments à M. Duchartre , en encourageant à poursuivre ses études ; les pro- grès de la science consistant autant dans la con- naissance plus approfondie des espèces obscures ou mal décrites , que dans la découverte d’espèces nouvelles. Dans un mémoire intitulé , Considérations sur lindividualité végétale , le même Académicien, après avoir fait connaître la divergence d’opinion qui existe entre les botanistes qui regardent les végétaux comme autant d'individus uniques et distincts, et ceux qui considèrent le végétal comme un être collectif, comme un agrégat d'individus, se prononce pour cette dernière manière de voir, et admet avec Darwin, de Candolle, Turpin, Dunal et autres célèbres botanistes, que les germes M. Moquin- Tanon. 14 CLASSE DES SCIENCES. ou bourgeons doivent être considérés comme #1- dividus élémentaires. Il distingue les bourgeons en foliacés et floraux ; il réfute les objections que l’on a faites contre le rapprochement du bourgeon et de la fleur, que l’on a prétendu être forcé, en prouvant, par des exem- ples, et entr’autres celui du camelia, qu'il existe la plus grande analogie entre les différentes parties des bourgeons proprement dits, et les diverses pièces de lappareil floral ; il prouve que, dans beaucoup de cas, la fleur ou quelques-unes de ses parties prennent un aspect foliacé, et que, de leur côté, les feuilles adoptent un aspect plus ou moins pétaloide. Certaines monstruosités viennent aussi à l'appui de cette théorie. Il réfute également lobjection fondée sur la continuité des branches et du tronc, et fait obser- ver, avec M. de Candolle, que cette continuité prouve seulement que les germes naissent à l’ex- trémité des fibres. Quand on dissèque une branche provenant d’un bourgeon greffé, la continuité est bien aussi grande, et cependant nul doute qu’il n’y ait là deux indi- vidus. Le fait d’ailleurs bien avéré que les plantes ne souffrent pas de l’amputation ou de la mort de plusieurs de leurs parties, la possibilité de faire vivre quelques-unes de leurs parties indépendam- ment de l’ensemble, tout concourt à démontrer l'indépendance vitale des bourgeons, soit foliacés, soit floraux , et confirme la théorie de leur #1di- vidualité. HISTOIRE. 19 Médecine et Chiruroie. Dans la première partie de son mémoire sur le M:Ducase. cancer, M. Ducasse avait considéré cette maladie comme soumise à l’action d’une cause, d’un prin- cipe intérieur dont la présence ne pouvait être soupçonnée par aucun signe, aucune marque exté- rieure, et qui semblait n’attendre qu’une occasion favorable pour se développer, s'étendre et entrai- ner la mort des malades. L'auteur consacre la seconde partie de son mé- moire à l’histoire de ce même cancer, mais dé- pendant seulement d’une altération locale et susceptible de devenir générale par la négligence apportée par le praticien dans lapplication des remèdes , ou par l’imprudence d’une médication irrationnelle. Îl rapporte, à l'appui de ses précep- tes, quatre cas remarquables où l’opération a été suivie d’une réussite complète, et ce succès peut être d'autant moins contesté qu'il est plus ancien, et que les opérations ont été faites depuis longues années ; car, dans une maladie aussi cruelle, rien n’est plus ordinaire que les récidives, et l’altéra- tion des tissus a souvent recommencé avec plus de force au moment où on proclamait l'entière gué- rison des malades. | « J'ai mis, dit M. Ducasse, en terminant, un » grandintervalle entre l’époque où ces opérations » ont été pratiquées, et le récit des guérisons » qui en ont été la suite. Je n’ai voulu laisser, » sous ce rapport, aucun doute sur leur certitude. » Gette affection est , en effet, exposée à des réci- M. pe Qua- TREFAGES, 16 CLASSE DES SCIENCES. » dives fréquentes. On croit souvent avoir opéré » avec bonheur ; tout semble assurer la réussite ; » la cicatrice, obtenue avec facilité, présente les » caractères d’une longue durée, et au bout de » quelques mois, de quelques années même, tout » espoir s’évanouit, les désordres locaux qui sem- » blaïient avoir disparu pour toujours se réveillent, » et les nombreuses végétations qui s'élèvent sur » la partie frappée, viennent réclamer de nouveau » usage de linstrument ou prouver la malheu- » reuse impuissance de l’art. De semblables résul- » tats ne sont pas à craindre pour les individus » dont j'ai racontél’histoire. Un trop grand nombre » d'années se sont écoulées depuis la formation de » la cicatrice, pour avoir à en redouter la rupture. » Plusieurs d’entr’eux ont déjà procréé des enfants » parfaitement sains, et l'harmonie complète de » leurs fonctions dénote bien que chez eux le mal » n’affectait les tissus que d’une manière locale, » que le système général en était entièrement » exempt , et que l’opération, faite dans les circons- » tances les plus favorables , en a détruit à la fois » la cause et les effets. » M. DE QuarrerAces a lu un mémoire sur l’ex- troversion de la vessie. Le nommé X..., âgé de vingt-sept ans, pré- sente à la partie inférieure du bas-ventre , une tumeur d’un rouge brunâtre, mamelonnée, offrant à la surface des espèces de mucosités. À la partie inférieure, et des deux côtés, on distingue, en sou- levant légèrement la tumeur, deux petits mame- HISTOIRE. 17 lons d’où suinte continuellement de lurine. Les pubis, séparés lun de l'autre par un intervalle d’un pouce, sont réunis par une espèce de fibro- cartilage lâche. Au-dessous, un tubercule d’un pouce et demi de large sur un pouce de long, dé- primé et sillonné par une gouttière qui pénètre jusque sous la tumeur, remplace la verge qui existe pas. On distingue dans la gouttière, le verumontanum , et, sur ses côtés, les orifices des canaux éjaculateurs et des conduits sécréteurs de la prostate. Le scrotum réuni en un paquet peu volumineux, profondément ridé, ne contient pas de testicules. Ceux-ci sont renfermés dans de larges replis, situés dans les aînes, où on les distingue très-aisément par le toucher. La cicatrice ombili- cale n’occupe pas sa place ordinaire ; elle est placée immédiatement au-dessus de la tumeur. X..... est dune force musculaire assez prononcée ; sa voix n'offre rien de particulier; il est couvert de villosités d’un brun foncé ; tout annonce que, chez lui, les fonctions viriles existent en entier, en même temps que lPimpossibilité de satisfaire les désirs qu’elles font naître. Aussi est-il sujet à des pollutions nocturnes, et se livre-t-1l à la mas- turbation. | M. de Quatrefages rapproche cette observation des six qu'il a publiées dans la monographie de ce vice de conformation, et reproduit à ce sujet la théorie qu’il a émise dans ce mémoire. TOME V. PART. I, 2 18 CLASSE DES SCIENCES. Philosophie générale des Sciences. M. Bone. En donnant lecture d’une analyse des lettres de M. Michel Chevalier, sur l'Amérique du nord , M. Borrel a fait précéder ce travail de quelques considérations générales sur la marche des sciences, depuis le moment où l'intelligence humaine cher- che à saisir ou plutôt à deviner leurs lois, jusqu’au moment où la masse des observations permet à l’homme de poursuivre ses recherches d’une ma- nière positive, par la vérification rigoureuse et détaillée de tous les faits déduits du principe qui leur sert de lien. Dans le premier état de la science, c'est l'imagination , la synthèse, le génie, qui dominent ; dans le second, c’est /a vérification , l'analyse, le jugement qui prennent le dessus. Melia M. de Lavergne a été frappé de ce que la science SE a, jusqu'à ce jour, dans ses investigations, plutôt embrassé et étudié l’action des agents extérieurs sur l’économie vivante , que l’action de l’économie vivante sur les agents extérieurs. La science de la vie et de ses effets lui a paru une science à peu près vierge, et le moment lui a semblé favorable d'en recommander l'étude dans ses rapports avec le globe et avec les éléments qui le composent. Dans le mémoire dont il a donné lecture à lA- cadémie , il propose un plan d'étude pour se livrer à ces recherches avec méthode et avec succès. Section Deuxième, MÉMOIRES OBSERVATIONS RECUEFILLIES PENDANT ET APRÈS LE DÉBORDEMENT DE LA GARONNE DU 50 MAI 1855; Par M. Fécrx BORREL, INGÉNIEUR DES PONTS ET CHAUSSÉES, Si: Paction des eaux sur la surface du globe a été Considéra- SR par quelques auteurs, personne ne peut Sénéiales nier qu’elles aient eu une grande influence sur, PS l'état actuel de nos vallées : personne ne contes- des eaux tera non plus les modifications nombreuses que js eo leur action incessante produit , de nos jours, sur les ne continents. On ne saurait donc trop étudier les effets des eaux sur les bassins qui les reçoivent, puisque de cette étude ressortiront des faits qui nous per- mettront de prévoir ce que deviendront nos con- trées dans un avenir plus ou moins éloigné de nous, ou qui jetteront quelque jour sur leur état passé. 2, Circonstan- ces qui ont précédé le gonflement extraor- dinaire des eaux. 20 CLASSE DES SCIENCES. Il est des moments où l’action des eaux roulées par les fleuves devient plus sensible; c’est le mo- ment des crues. Leur effet, en un jour , est souvent plus prononcé qu’un effet continu pendant dix ans de basses eaux. C’est aussi le moment des crues qu'il convient d'observer : les résultats de cette observation deviennent d'autant plus importants que les crues extraordinaires sont fort rares, et que la vie d’un homme n’est pas toujours assez longue pour lui fournir l’occasion d’assister à un de ces événements. Le 30 mai 1835, la Garonne s’est élevée, dans nos murs, à une hauteur très-grande. Depuis 1772, elle ne s’était jamais élevée aussi haut. M. le Pré- sident de la Compagnie crut alors utile de consi- gner dans nos annales les principales circonstances que présenta la Garonne dans cette crue remar- quable, et me chargea de recueillir tous les docu- ments qui pourraient présenter de l'intérêt ou de l'utilité. Ce sont ces documents que je viens soumettre à votre jugement. Vos souvenirs pourront les com- pléter , et suppléer à ce que les miens auraient omis. La crue du 30 mai 1835 fut précédée de pluies très-abondantes. Tout le mois de mai fut en général très-pluvieux; il y eut quatorze jours de pluie; il n’y eut que quatre jours beaux; les eaux de la Garonne furent troubles pendant dix-neuf jours. La hauteur totale de la pluie tombée dans le MÉMOIRES. 21 mois , fut de o"1299, quand la moyenne des hau- teurs, pour les quatre mois précédents de l’année, n'avait été que de 0"0331, c’est-à-dire, quatre fois moindre environ. La hauteur de la pluie tom- bée les 28 et 29 mai, fut de 00734; celle tombée le 29 seulement, fut de 0"0480. J’ai puisé tous ces renseignements dans l'excellent recueil d'observa- tions tenues par M. Maguës, Ingénieur en chef du canal du Midi, qui a bien voulu me communiquer ses registres. On conçoit dès lors facilement qu'une si grande masse de pluie, tombée en si peu de temps, dut élever outre mesure le niveau de la Garonne et de tous les affluents qu’elle reçoit. . On conçoit encore que le niveau de la Garonne se fût élevé plus haut, si, à toutes les circonstances de pluie ci-dessus signalées , se fût jointe celle des vents chauds favorables à la fonte des neiges ac- cumulées sur les Pyrénées. Ces deux circonstances heureusement ne se: trouvérent pas complètement réunies. Quelques petits ponts entre Bagnères-de-Luchon et Saint-Gaudens furent emportés. Le pont suspendu de Muret fut également em- porté dans la journée du 30 mai 1835. La pile du milieu qui soutenait les deux travées dont se compose le pont, fut aflouillée par l’action des eaux et s’écroula. Les chaînes de fer tombèrent en même temps au fond de la rivière. Le tablier ne put longtemps résister à la force Désastres publics qui furent la suite de Pinondation du 30 mat 1835. 24 CLASSE DES SCIENCES. du courant. Il fut détaché des chaînes et des tiges de suspension, et entrainé en plusieurs gros lam- beaux. Un de ces lambeaux s'arrêta devant les trois premières arches de gauche du pont de Pinsaguel, fit vanne à l’amont de ces arches, occasionna des affouillements qui amenèrent dans la nuit du 30 au 31 mai la chute de la deuxième et de la troi- sième arche de gauche, à la suite de la chute de la partie d’amont de la deuxième pile, qui ne put résister à l’action affouillante de l’eau. La première arche de gauche était lézardée, mais tenait encore, ainsi que la première pile, le 31 mai; mais, le 1.er juin, la demi-pile d’amont, qui soutenait cette arche , et qui avait été affouillée comme la deuxième pile, céda au poids de la ma- çonnerie, et fut renversée, entraînant avec elle environ le tiers de la première arche du côté d’a- mont, de telle sorte qu’il ne resta debout, des trois premières arches de gauche du pont de Pin- saguel, que les deux tiers de la première arche , et la moitié aval de la deuxième pile. Dans la partie inférieure de la rivière, la levée en terre du pont suspendu de Marmande fut em- portée par les eaux. Les routes royales et départementales de mon arrondissement furent submergées sur plusieurs points. Les eaux de la Lèze sortirent de leur lit habi- tuel, et vinrent couper la route royale n,° 20, près du hameau de Bezac, entre le Vernet et Pin- MÉMOIRES. 23 saguel. La circulation fut interrompue pendant peu de temps , des ordres prompts ayant été donnés pour rétablir la route. Les eaux de lAriéce inondèrent une partie de la même route entre les deux mêmes points, près de l’embranchement de la route départementale nie 6. La même route royale n.° 20 fut inondée aux portes de Toulouse, à la sortie de la barrière de Muret , un peu au-dessus du moulin dit de la porte de Muret. Un bâtardeau en terre, bois et fumier fut im- médiatement établi par les soldats de la garnison ; ce qui préserva le faubourg Saint-Cyprien des effets de linondation. Cette partie de route va être exhaussée, pour mettre le faubourg à l'abri de nouveaux débordements. Toute Pile de Tounis fut inondée; plusieurs rues du Port-Garaud le furent également; les maisons qui bordentla route royale n.° 20, du côté de la Garonne, furent atteintes par les eaux. Onze de ces maisons et plusieurs murs de clôture, le long de cette avenue, s’écroulèrent. Plusieurs maisons de Tounis ne purent échapper au désastre, et l’on voit encore leurs ruines du côté de la prairie des Filtres. Le quartier du Port-Garaud n’eut pas à dé- plorer autant de désastres, soit qu'il fût mieux bâti, soit que le courant de la rivière y fut beau- coup moins fort. Toutes les grandes rivières du département et 24 CLASSE DES SCIENCES. les petites rivières qu’elles reçoivent, la Garonne, VPAriége, le Lhers, le Touch, la Lèze, la Louge, la Save, etc., sortirent de leur lit et inondèrent les plaines au milieu désquelles elles coulent. A pan Le pont de Toulouse paraît ne pas avoir un dé- e loulouse parait bouché assez grand pour assurer l'écoulement de F. para l’eau dans ces moments extraordinaires. ns Le niveau de la rivière s’éleva à l’amont de cet S pour donner édifice, de manière à faire disparaître complète- éconement ment l'effet des chaussées du moulin du Château ; eS. qui ne produisirent plus aucune chute; l’eau se circonstan- nivela complètement de l’amont à l'aval de ces + chaussées. ( Cet effet a lieu dans les petites crues. Celle du 29 avril dernier, qui ne s’éleva au garo- nomètre du pont de Toulouse qu'à 5"ro de hau- teur, avait déjà presque entièrement réalisé ce ni- vellement de l’eau au-dessus des chaussées. ) Le pont de Toulouse faisait barrage , et les eaux débordées dans toute la plaine des Récollets, où elle allait jusqu’à la hauteur de la tête des figures des saints, dans le jardin du Calvaire, couvrait les ramiers du moulin du Château, et s’étendait jusqu’à la route royale n.° 20, sur la rive gauche de la Garonne. Tout ce bassin de la Garonne, au-dessus du pont de Toulouse, formait une vaste retenue, où Peau se trouvait à égal niveau sur les deux rives ( c’est ce qu'ont constaté ‘des nivellements faits avec le pius grand soin ); de telle sorte, que la dériva- tion qui conduit les eaux de la Garonne au Port- MÉMOIRES. 25 Garaud , et qui, en eaux basses, donne des chutes d’eau d’environ 3"00 de hauteur, ne laissait plus aucune trace de son existence, et avait complète- ment disparu sous le niveau élevé du débordement, et le sonflement produit par lobstacle que les ar- ches trop étroites du pont opposaient au libre écou- lement de l’eau. J’ai fait tracer sur un plan les lignes limites de Vinondation , sur les deux rives à atout du Sn de A EE Du milieu du pont, comme centre, j'ai déc trois arcs de cercle, de manière à venir couper ces lignes limites de linondation; le premier, à l’ex- Circonstan- ces nivellement. trémité du Cours Dillon ; le deuxième, au-dessus du moulin de la porte de Muret; le troisième, encore plus loin, en remontant la Garonne. Des coups de niveau ont été donnés sur chacun des points d’intersection de ces arcs de cercle avec les limites de linondation, bien apparentes par des traces laissées sur les murs. Les points extrêmes de chacun de ces arcs ont été respectivement trouvés à peu près au-même niveau. M. Castel, ingénieur des eaux de la ville, a constaté que l’eau d'inondation du 30 mai 1835 s'était élevée au-dessus du garonomètre du pont de Toulouse , à Poe à “partir du zéro Le ce ga- ronomètre. : k J'ai constaté moi-même sur bd amont de la deuxième pile, du côté de Toulouse , un niveau à peu de chose près semblable, 8"19:. 26 CLASSE DES SCIENCES. Au moulin du Château , sur le mur de face d’a- mont, on a gravé, sur une pierre de taille, la trace de l’inondation. Cette trace se trouve à 8"/or au- dessus du zéro du garonomètre du pont de Toulouse. Sur le mur d’aval du moulin de la porte de Muret, où le niveau de l’eau devait se déprimer, comme cela arrive derrière tous les obstacles, la trace de l’inondation n’est qu’à 82267; sur le mur latéral de ce moulin, elle est à 8*487; sur le mur d’amont , à en juger par les traces laissées sur les maisons voisines, elle serait à 8"6o ou 8"70; de telle sorte que la chute de la rivière , au moment de linondation, depuis le moulin de la porte de Muret (côté latéral ) jusqu’au garonomètre du pont de Toulouse, n'aurait été que de 0®380, sur une longueur de 920 mètres environ ; ce qui ne donne qu’une pente moyenne de 0%00033 par mètre, lorsqu'au-dessous du pont de Toulouse, depuis l'arête extrême du quai d’amont du Port de la Daurade jusqu’au moulin du Bazacle, la chute de la rivière était de 1"07, sur une longueur de 660 mètres environ; ce qui donne une pente moyenne de 0200162 par mètre, cinq fois plus forte environ que celle qui existait en amont du pont. La chute de l’eau, au passage du pont, ou la différence de niveau de la rivière de amont à laval de cet édifice , a été trouvée de 124 entre les têtes d’amont et d’aval de la deuxième pile du côté de Toulouse. Tous ces faits de nivellement, et la profondeur MÉMOIRES. Bjr, très-srande de l’eau sous les arches du pont, me confirment dans l’idée que j'ai émise déjà, qu’au moment des grandes inondations les arches du pont de Toulouse n'auraient pas un débouché suf- fisant. Ce manque de débouché ne doit pas, pour le moment, donner des craintes pour la conservation de cet édifice ; mais il n’en est pas moins impor- tant de le constater , afin de s’opposer à tout tra- vail qui aurait pour but de le restreindre encore, et de favoriser au contraire tout projet qui aurait pour but de faciliter le libre écoulement de leau par toutes les arches du pont. Ce que je viens de dire explique l’activité que déploya l'Administration des Ponts et chaussées , immédiatement après la crue, pour faire déblayer le terre-plein que la ville avait formé entre la pre- mire pile et l'ile de Tounis, et dont l'effet, pen- dant la crue, fut de rendre presqu’inutile, pour l'écoulement des eaux, la première arche du côté de Toulouse. La chute produite par la chaussée du Bazacle, qui, en eaux basses, est de 434 entre le niveau des eaux d’amont et d’aval, se trouva réduite, au moment de l’inondation, à 2"13. Si on prenait pour le niveau d'inondation à l’a- mont du Bazacle, la trace gravée sur une pierre de taille, par les soins de l'administration de ce moulin, la chute aurait été de 2m45. J'ai préféré n'en rapporter aux repères que j’a- vais fait placer moi-même au moment de Pinon- Mouvement oscillatoire de la surface de l’eau dans les rivières. 28 CLASSE DES SCIENCES. dation, parce que ces repères ont été placés au milieu de la hauteur dont oscillait le flot de sur- face, tandis que la trace gravée par ladministra- tion du moulin du Bazacle a été mise à la ligne supérieure de l’oscillation , qui n’était pas le niveau réel. Je suis conduit à parler du mouvement oscilla- toire de la surface de l’eau dans les rivières. Ce mouvement est très-prononcé au moment des crues ; le niveau de la surface subit des variations très-fortes. Sur certains points, pendant la crue de 1835, ces variations allaient jusqu’à 50 ou 6o centimètres. Généralement elles étaient de 30 à 35 centimètres. Il faut remarquer encore que ces changements de niveau, s'ils sont soumis à quelques lois, ne sont pas soumis à une loi bien simple ; au niveau le plus élevé ne succède pas le niveau le plus bas. Le même niveau ne se reproduit qu'après un cer- . tain nombre de fluctuations. Cest même sur ce nombre de fluctuations qui Prin la succession des niveaux les plus élevés, qu'un de mes cantonniers de riviere, le sieur Villary , de Fenouillet, a basé une loi fort remar- quable et fort importante, si elle est vraie. Me trouvant un jour en tournée avec lui, après : une crue, je désirais savoir si la rivière était en hausse ou en baisse. Après avoir compté, à sa manière, le nombre de fluctuations qui séparaient les HUE flots suc- : MÉMOIRES. 29 cessifs les plus élevés, il me répondit avec assurance que la rivière était en baisse (ce que je reconnus être vrai après une ou deux heures de temps). Intrigué par sa réponse, je le questionnai de nou- veau , et il me répondit que toutes les fois que le flot le plus élevé arrivait à la cinquième fluctuation après celle qu’on avait observée, la rivière était en hausse; qu’elle ne croïssait ni baissait quand ce flot ne se reproduisait qu’à la sixième fluctuation, et qu’elle était en baisse quand il ne se reprodui- sait qu’à la septième. Ce procédé, toutefois, mérite vérification. Le mouvement oscillatoire de la surface de l’eau semble avoir lieu toutes les fois que Peau se trouve soumise à l’écoulement. Il est sensible dans les rivières, non-seulement pendant les crues, mais presque dans tous les états : les limites entre lesquelles leurs niveaux se rappro- chent sont seulement d'autant plus petites que les eaux sont plus basses. Quand ce mouvement n’est pas sensible à l'œil, oreille le rend manifeste. On n’a qu’à se mettre à côté d’un rapide, et lon dis- tingue parfaitement les renflements de sons produits par l’eau qui s'écoule. Les renflements les plus forts ne se reproduisent que par intervalles, et corres- pondent aux niveaux de fluctuation les plus élevés. Je ne serais pas éloigné de croire que les jeux de lumière qui frappent les yeux quand on regarde couler l’eau qui s'échappe par un orifice, ou qui se déverse par dessus un barrage, soient düs encore au même effet. 30 CLASSE DES SCIENCES. Ces mouvements oscillatoires, qui sont bien sensibles dans les rivières et sur les cours d’eau d’une certaine étendue, sont encore bien sensibles dans les petits canaux d’écoulement, dès qu’on a recours à des moyens d'observation plus parfaits. Je les ai remarqués dans le canal artificiel dont s’est servi M. Castel dans ses belles expériences sur les déversoirs. IL est vrai qu’on pourrait objecter que, dans ce canal, ces effets étaient la conséquence des coups de piston de la machine du Château-d’eau, et que ces fluctuations étaient de même nature que celles qu’on observe dans la cuvette même de distribu- tion, et qui se reproduisent à chaque borne-fon- taine. L’objection serait fondée sans doute, en ce qui concerne le mouvement oscillatoire; mais elle ne le serait pas en ce qui concerne le mouvement ondulatoire de la surface dans le sens du profil en long. Des différences bien sensibles dans les varia- tions successives du niveau de la surface étaient telles, que le niveau le plus élevé ne se répétait, pour chaque point, qu'après un certain nombre de fluctuations : c’est ce qu’il était bien facile d’ob- server à l’aide des tiges graduées qui servaient à déterminer les ordonnées de la surface de l’eau, par rapport à une règle fixe de niveau. Cette va- riation de niveau sur chaque tige était telle, qu'il y a eu, à mon avis, beaucoup de mérite à déter- miner , à l’œil, comme l’a fait M. Castel, la vraie moyenne de ces ordonnées , constamment variables pour chaque point. MÉMOIRES. 31 D’après cela, l’eau, quan& elle s'écoule, ne sé- coulerait jamais d’une manière continue. Son mou- vement serait leffet d’une suite d’ä-coups inégaux entr'eux ; et l’on pourrait s’en faire une idée exacte par l'écoulement que produirait le mouvement d’une pompe dont la course du piston varierait chaque fois et successivement dans certaines limi- tes, et ne reviendrait la même qu'après un certain nombre de pulsations. Cette manière d’envisager le jeu des forces dans l'écoulement de Veau, rend parfaitement compte des eflets du bélier hydraulique, qui semble basé là-dessus. . Au pont de Pinsaguel, la crue du 30 maï Hauteur o de la 1835 s’éleva de 5m70 au-dessus des plus bas- crue de mai me 835 ses eaux d’étiage. Au pont de Toulouse, elle Dies s’éleva de 6%30 environ au-dessus des plus basses dires patate eaux. aux Û niveaux Au moulin du Château ,en amont du barrage, ‘des ; 2 elle s’éleva de 328 au-dessus des eaux basses ; ax Mr ri quai de la Daurade, de 515; à l'échelle de niveaux qui ont été Saint-Pierre, de 412; au Bazacle, le niveau conservés moyen s’éleva de 4"16, et le plus grand flot de à 4248 ; à l'embouchure du canal, le niveau s’éleva de 5250 au-dessus des eaux basses. - La crue du 21 mai 1027 s’éleva au-dessus des eaux basses, az moulin du Château, de 20/4; au garonomètre de Saint-Pierre, de 367 ; à Pem- bouchure , de 5 05. La crue du 17 septembre 1772 séleva au- 32 CLASSE DES SCIENCES: dessus des eaux bass?s, au moulin du Château ; de 347; au quai de la Daurade , de 5"{6. Cette crue de 1772 est la plus élevée dont on ait conservé le souvenir et les traces. En les comparant aux traces récentes de la crue du 30 mai 1835, on s'aperçoit qu’elle fut relati- vement plus Due que cette dernière au quai de la Daurade qu’au moulin du Château. Au moulin du Château , elle ne dépassa celle de 1835 que de 19 centimètres, tandis qu’au quai de la Daurade, elle la dépassa de 31 centimètres. Quoiqu'il ne soit pas étonnant que les différences. des hauteurs des crues ne soïent pas les mêmes à différents points de la rivière, il est probable qu'ici cette différence tient à ce qu’au moulin du Chä- teau, ainsi que pour la crue du 17 septembre 1772. au quai dela Daurade, on a marqué la plus grande. hauteur du flot ou la bee des plus hautes eaux, tandis que moi, j'ai pris le niveau moyen entre les limites extrêmes de l’oscillation. Pour la crue de 1827, comparée à celle + 1835, nous avons également deux points où on les a tracées d’une manière authentique, au moulin du Château et dans l’intérieur du Château d’eau. Au moulin du Château, la différence entre les deux crues a été 54 centimètres. Dans l’intérieur du Château d’eau , elle n’a été que de 36 centimètres. Ces différences tiennent probablement encore au mouvement oscillatoire de l’eau, qui rend très-dif- ficile appréciation exacte du niveau réel de sa surface. MÉMOIRES. 33 Le lit de la Garonne, dans la partie de son cours qui traverse notre département, se trouve tapissé de galets roulés de même nature que les débris des roches des Pyrénées, où prennent leur source notre rivière et ses principaux affluents. D'un autre côté, quand on fait des fouilles dans la plaine de la Garonne, ou qu’on examine ses bords, on s'aperçoit qu’au-dessous de la terre vé- gétale qui sert de base à la culture de cette plaine se trouve une couche d’alluvion plus ou moins épaisse , composée de galets roulés de la même nature que ceux qui tapissent actuellement le lit de notre rivière. Sans nous engager dans la question de savoir à quelle cause est due la formation de cette vaste couche dalluvion au-dessus de laquelle notre pays est établi, une question secondaire et dont la solu- tion est plus facile se présente, savoir : D'où proviennent les galets que roule actuelle- ment notre rivière ? Proviennent-ils des pays qui avoisinent sa source, ou ne sont-ils dûs qu’à la corrosion des berges près des points où on les trouve déposés ? Ces deux opinions se trouvent soutenues et com- battues par les auteurs anciens qui se sont occupés des rivières ; mais que penser de leurs débats ? Cette question devient d’autant plus importante à résoudre que le Gouvernement , après avoir achevé les principaux canaux de notre beau sys- tème de navigation intérieure, veut s’occuper avec sollicitude de amélioration de la navigation par TOME V, PART, I, 3 De la marche des galets pendant les crues. 34 CLASSE DES SCIENCES. les rivières qui les unissent. Or, on sait que les amas de gravier qui se forment dans les rivières , cons- tituent un des principaux obstacles à la facilité et à la continuité de la navigation. Dans un ouvrage publié tout récemment sur la Garonne, un auteur, dont le nom fait autorité, donne pour cause principale de la formation de ces bancs, l'érosion des berges plus où moins voi- sines; et, en conséquence, il admet qu’on peut les dissiper ou les réduire, en garantissant ces berges contre l’action des eaux : de là des travaux consi- dérables d’endiguement et de revêtement des berges qui, à mon avis, n’assureraient pas le ré- sultat qu’on en attend, l’existence des bancs de graviers me paraissant indispensable à l’équilibre établi sur les rivières, et d’une nécessité absolue pour assurer le maintien de leur écoulement actuel et de leur régime. La formation des bancs de gravier peut être due à trois causes que je vais successivement circons- tancier : j 1.2 Les alluvions d’une île ou d’une berge peu- vent être attaquées par le courant ; l’eau peut avoir assez de force pour entraîner lé sable et les matières terreuses, et n’en pas avoir assez pour emporter avec elle les galets de lalluvion; de là, formation sur place d'un banc de gravier par suite de l’action des eaux sur la rive et du déplacement de son lit. 2.9 Le courant peut être assez fort pour entraî- ner à une certaine distance, plus ou moins res- trente, toutes les matières provenant de l'érosion, MÉMOIRES. 35 graviers compris, et agolomérer ces derniers en amas, dans le voisinage, sur le premier point où le courant n’a plus assez de force pour les tenir en suspension. 3.° Enfin, le courant peut être assez puissant pour entrainer à de grandes distances, non-seule- ment les matières provenant de l’érosion des ber- ges, mais les galets qui tapissent le fond du lit qu'il parcourt et les débris des roches que l’action de la gelée et autres causes divisent, et que. les eaux des torrents, au moment des pluies, entraî- nent jusqu’au fond de la vallée. Ces trois causes me paraissent exister simultané- ment : les deux premières n'étant pas contestées et pouvant se vérifier par l'observation de ce qui se passe tous les jours, je vais m’attacher seulement à démontrer lexistence de la troisième, soit en combattant les raisons qu'on a fait valoir pour motiver son impossibilité, soit en étayant mon opinion par les faits nouveaux que la crue de 1835 .est venue porter à ma connaissance. « Et d’abord, a-t-on dit, il est impossible que » le poli des galets roulés soit dû à l’action du » frottement dans le trajet qu'ils ont parcouru » depuis la roche dont on prétend qu'ils sont les »udébris, jusqu’au point où on les observe. Qu'on » prenne en eflet des débris de roche. de même » nature, qu’on les mette dans un tonneau ou un » tambour à axe horizontal ; qu’on donne le mou- » vement à ce tambour , et qu’on le fasse tourner » assez longtemps pour que la longueur du nôm- 3: 36 CLASSE DES SCIENCES. » bre de tours faits par le tambour, soit assez » grande pour représenter la longueur du cours de » la rivière , depuis les bancs de gravier qu’on » observe jusqu'aux roches, dont on prétend qu’ils » sont venus, et l’on s’assurera que les débris des » roches auront conservé leur forme anguleuse , et » que le poli qu’on remarque sur les galets roulés » est loin d’être obtenu. » À cela, je répondrai que les débris des roches dans le tonneau, sont loin de se trouver dans les mêmes circonstances qu’au fond du lit des rivières ; que le poli artificiel des roches s'obtient toujours par l’action de l'eau , d’une forte pression , et V'aide d’une poussière de grains durs, comme certains sables ; que toutes ces conditions se trouvent réu- nies au moment des grandes crues; qu’en ce mo- ment les eaux sont chargées de sables dont quel- ques grains sont durs, que les pierres du fond sont pressées les unes contre les autres par une force égale au poids de la colonne d’eau qui les recouvre, et que ce poids est d’autant plus fort, qu’il ne se trouve réparti que sur les points de contact des galets entr’eux ou avec le fond ; qu’il n’est pas dès- lors étonnant que dans le changement continuel des points de contact et dans toutes les oscillations que subissent ces galets, dans le mouvement de translation opéré par les eaux de la rivière, ils ne se polissent absolument comme ils le feraient s'ils étaient soumis artificiellement aux mêmes moyens d'action. Jai vu sur la rivière du Tarn ( M. d’Aubuisson MÉMOIRES. 37 avait déjà observé les mêmes faits ), les pierres de taille du couronnement des barrages usées et ravi- nées par le passage des galets roulés dans le sens du courant, comme elles le seraient par l’action continue d’une corde de halage. J’ai vu également au Saut-du-Sabo, sur la même rivière, la roche schisteuse qui constitue le fond du lit percée de trous ou petits puits verticaux, partout où un fragment de silex se détachait des rognons siliceux que présente la roche, et par une cause quelcon- que, était retenu dans une dépression, sans être entraîné par le courant. Soumis à la forte pression due au poids de la colonne d’eau qui les recouvre et au mouvement de rotation que le courant leur donne dans la dépression qui Les retient, ces silex forent leur trou en usant peu à peu la roche, et en arrondissant eux-mêmes leurs aspérités. Après l'écoulement de la crue, si l’on enfonce la main dans ces sortes de petits puits, on en retire tou- jours un galet roulé siliceux. Tous ces faits répondent victorieusement à l’ob- jection que j'ai reproduite, et prouvent, à mon avis, que le poli des galets roulés peut très-bien tenir, et tient en effet, à l’action de frottement à la- quelle ils sont soumis dans les rivières , au moment de leur translation; il n’est donc pas impossible que les débris anguleux séparés des roches devien- nent polis et ronds à quelque distance du point où. ils ont été amenés par les torrents dans le lit des rivières. La quantité de galets roulés par les eaux, au 38 CLASSE DES SCIENCES. moment des crues, est très-considérable. On peut en juger à Toulouse par immense quantité des matériaux que lon retire, tous les ans, pour les constructions de la ville et pour l’entretien des pavés et des routes empierrées , du banc de gravier de la porte de Muret qui se reforme après chaque crue, et devient aussi abondant qu'auparavant. On a pu en juger encore par le dépôt considérable qui se forma sur le port circulaire de Saint-Cyprien pendant la crue du 30 mai 1835, à plus de 2 mètres au-dessus des eaux basses; ce qui prouve en même temps que la masse des galets roulés n’occupe pas seulement le fond du lit, mais se trouve à presque toutes les hauteurs sur la section du courant. La formation de ce dépôt de gravier sur toute Pétendue du port demi circulaire dé Saint-Cyprien est un fait digne de remarque. Ces graviers, en effet, ne pouvaient pas provenir des berges voisines, puisque ces berges sont garanties par les quais de Toulouse; ils venaient donc encore d’assez loin , et le courant avait eu assez de force pour leur faire traverser, sans s'arrêter , le pont de Toulouse et la nappe d’eau comprise entre Tounis et le cours Dillon , quoique la vitesse de l’eau fût moindre au- dessus du pont de Toulouse que partout ailleurs sur la rivière, à cause de l'espèce de retenue pro- duite par lobstacle opposé par le pont de Toulouse au libre écoulement de Peau. Comment admettre après cela que le courant de. la rivière, partout ailleurs plus fort, n’ait pas assez de puissance pour faire cheminer loin les graviers MÉMOIRES. 39 qu'il entraine, quand il a d’ailleurs assez de puis- sance pour leur faire franchir des chaussées aussi élevées que celle du Bazacle et les chaussées de la rivière du Tarn ? Voici d'ailleurs un autre fait qui lève toutes les difficultés : Avant la crue de 1835, me trouvant un jour sur les bords dela Garonne avec M. Emile Capella, Ingénieur des ponts et chaussées à Saint- Gaudens, nous cherchâmes longtemps sur ses bancs de gravier, des galets roulés calcaires, espèces de débris de marbre polis, provenant des bancs du grand Lhers qui passe devant Mirepoix et Mazères, et des bancs de la Garonne supérieure et de ses affluents dans le voisinage des roches calcaires d’où se séparent ces débris. Nous cherchäâmes longtemps en vain; mais à force de chercher, nous trouvâmes quelques-uns de ces galets, mais réduits à la grosseur d’une noisette et plus petits encore, Nous en tirâmes la conclusion que la nature de ces roches était tendre, et qu’elles ne résistaient pas au frottement qu’occasionnait leur translation jusqu’à Toulouse. Je pensais que cette translation devait nécessiter un long espace de temps pour que ces galets fussent réduits ainsi. Après la crue du 30 mai 1835, j’eus l’occasion de parcourir au-dessus de Toulouse les bancs de gravier de la Garonne. Quel fut mon étonnement de trouver sur ces bancs une grande quantité de galets calcaires de la nature de ceux qui s’y trou- 40 CLASSE DES SCIENCES. valent si rares avant la crue. Plusieurs même de ces galets étaient fort gros, et il ne me fut plus permis de douter de leur transport à de grandes distances pendant les crues. Cette dernière cause de formation des bancs de gravier me paraît donc très-puissante , au moment des grandes crues : le revêtement des berges, très- utile d’ailleurs sous beaucoup de rapports, ne s’op- poserait donc pas à la formation des amas de gra- viers, et ne parviendrait pas à les dissiper. Dans ce J’ai déjà eu l’occasion de publier dans les Annales monement des Ponts et chaussées les observations que j'avais cor faites sur la fixité des barres de gravier dans le iapissent profil en long des rivières, fixité qui rend à peu le fond s s des rivières, Près constant le nombre et l'emplacement des biefs ne een entre lesquels elles divisent leur chute; mais les Fi nr ; niveaux de ces biefs chan gent-ils par rapport à des repères invariables? c’est ce qu’il est très-impor- tant de savoir. Quand on parcourt les rivières de nos contrées, on voit sur beaucoup de points des débris de ponts autrefois existants sur ces rivières. Toulouse, Muret , Auterrive, Cazères et Saint-Martory, ont possédé des ponts qui ne sont plus. Les maçonne- ries de ces ponts ruinés sont très-bonnes , et quand on les examine de près, il est impossible de ne pas attribuer à l’action affouillante de l’eau la chute de ces édifices. Les trois arches détruites du pont de Pinsaguel, le pont suspendu de Muret, ont dû leur chute à la même cause. MÉMOIRES. 41 Voilà donc des points de la rivière où elle a approfondi son lit. Si , d’un autre côté, on remarque que sur les bancs de roches qui barrent naturellement la rivière, on est obligé, tous les ans, de baisser ces seuils par des escarpements de rocher pour obtenir le tirant d’eau que nécessite la navigation, on est porté à conclure que sur certains points le ni- veau de la surface baisse en même temps que celui du fond. Mais ces variations ne sont-elles que locales, sont-elles périodiques ? Voilà la question. L'observation des échelles garonométriques éta- blies sur plusieurs points de la rivière, en donnera plus tard la solution. Le nombre d'années pendant lequel ces obser- vations ont été faites, ne me parait pas encore assez grand pour la résoudre. Voici toutefois les résultats que l’observation de ces échelles m'a fournis : Jai choisi, pour établir le point de correspon- dance de ces échelles, non pas le jour des plus basses eaux , mais le jour des basses eaux ordinai- res. J’ai tenu à établir cette correspondance pen- dant les eaux basses, parce que les variations des berses supérieures et du lit majeur des rivières pourraient influer considérablement sur les varia- tions du niveau de leur surface si on les prenait dans un autre état. 42 CLASSE DES SCIENCES. Le 28 janvier 1833, L’échelle garonométrique de lembouchure du Canal du Midi marquait............. 1"30 Celle du pont de Toulouse marquait. 2 10 Celle de l'entrée du Canal Saint-Pierre. 2 02 Celle du moulin Baylac. .... +... O O0 Celle-de Blagnac-:23. 40-99. Elesta 25 Celle de Grenade.......... 10408 La correspondance des échelles du pont de Tou- louse et du moulin Baylac s’est assez bien main- tenue depuis 1830 jusqu’en 1837, avant et après la crue du 30 mai 1835. D’après les registres tenus par M. Castel au Capitole, quand le garonomètre a marqué 2.10 au pont de Toulouse, celui du moulin de Baylac a varié en 1830, depuis 0.80 jusqu’à 1.00; en 1831, depuis 0.80 jusqu’à 0.90; en 1833, depuis 0.80 jusqu’à 1.10; en 1834, depuis 0.80 jusqu’à 1.00; en 1839, depuis 0.80 jusqu’à 0.90 ; en 1836, de- puis 0.90 jusqu'à 1.00; en 1837, il a mar- qué 1.00. Si lon fait observer que les garonometres du pont de Toulouse et du moulin Baylac ne sont gradués que de décimètre en décimètre, on en conclura sans doute que la correspondance de ces deux échelles n’a pas changé durant ce laps de temps, en prenant surtout en considération la dif- ficulté qu’il y a et l’impossibilité où l’on a été d’ob- server les deux échelles au moment convenable, MÉMOIRES. 43 c’est-à-dire, après un intervalle de temps néces- saire pour que leurs indications correspondent rigoureusement à un même état de la rivière. Les échelles de l'Embouchure et de Blagnac ont également donné des résultats analogues. . D’après les registres de M. Magués du Canal du Midi, et les observations que j'ai fait recueillir, quand l’échelle de lEmbouchure a marqué 1.30, l'échelle de Blagnac a marqué en 1827 de 0.22 à 0.27; en 1828, de 0.29 à 0.30 ; en 1333, 0.29. Toutes ces cotes se correspondent donc assez bien. - L’échelle de l'Embouchure et celle de Grenade, pour lesquelles je n’ai pu recueillir autant de points d'observations, n’ont pas changé non plus dans la correspondance de leurs indications. Eu eflet , l'échelle de lEmbouchure marquant 2.50, l'échelle de Grenade marquait 1.82 le 21 mai 1833, et le 26 avril 1837, pour la même cote d’eau à l’Em- bouchure, elle marquait 1.88 ; le lendemain, elle ne marquait que 1.93. Enfin l'échelle de Saint-Pierre et celle de PEm- bouchure , pour lesquelles on possède les observa- tions les plus complètes et les plus étendues, grâces aux registres tenus par lIngénieur en chef du Canal du Midi, donnent les mêmes preuves de correspondance. L’échelle de lEmbouchure marquant toujours 1.30, les indications de celle de Saint-Pierre ont varié , 44 CLASSE DES SCIENCES. En 1809, de 1.90 à 2.00. En 1810, de 2.00 à 2.05. En 1820, de 2.00 à 2.05. En 1827, de 1.98 à 2.05. En 1833, de 2.00 à 2.02. En 1835, de 1.80 à 1.98. En 1837, de 2.00 à 2.10. On peut donc conclure de l'indication de toutes ces échelles, que le niveau relatif de la rivière, à: chacune d’elles, n’a pas changé pendant la durée des observations; et comme parmi ces garonomè- tres, ceux du pont de Toulouse et de l'entrée du canal Saint-Pierre , peuvent être considérés comme: des repères absolument invariables, à cause de la fixité de la chaussée du Bazacle , on peut dire que- le niveau absolu de la rivière n’a pas changé du- rant ce laps de temps. Quantité Enfin, il était intéressant de connaître la quan- d'eau roulée tité d’eau roulée par la Garonne, au moment où ar . 0 . 4 7 la Garonne SOn niveau était le plus élevé, pendant la crue du pores 30 mai 1835. C’est dans ce but que je fis tracer des du ou repères indiquant les points où s'élevait l’eau dans 1 . L2 etpendant le bassin compris entre les quais, sur les arêtes 1 : _. ie das qu’ils forment aux différents ports, et qu’assisté de de M. Jules Capella, conducteur des ponts et chaus- / 8 . nm . A _7r qu est . Sées, je constatai qu’une pièce de bois entraînée a plus élevée R dont CR par le plus fort du courant, au moment de la plus 1 EU grande élévation de la crue, mit 55/ à parcourir etles traces. ]a distance de 262 metres, comprise entre le re- MÉMOIRES. 45 verbère du quai aval du port de la Daurade et celui du quai amont du port Saint-Pierre , ce qui donne 476 par seconde pour la vitesse à la sur- face du filet le plus rapide. J'ai fait relever avec beaucoup de soins, par M. Jules Capella, les profils de la rivière à lextré- mité d’aval du port de la Daurade, à l'extrémité d’amont du port Saint-Pierre, et au milieu de la distance qui sépare ces deux points. J’ai fait rap- porter sur ces profils la ligne du niveau de linon- dation du 30 mai 1835, et j'ai calculé la surface de la section de la rivière en chacun de ces points. Comme le profil intermédiaire tombe, du côté de Saint-Cyprien , dans l'intérieur du port demi- circulaire , j'ai supprimé, dans le calcul de la sec- tion mouillée, toute la partie de ce profil comprise dans l’intérieur du port, puisque dans cette partie du profil l’eau était évidemment sans courant utile pour l'écoulement de la rivière. J'ai calculé la sec- tion de ce profil, comme si le port Saint-Cyprien n'existait pas, et que le quai se prolongeàt jusqu’à l'hôpital Saint-Jacques. | La section du premier profil perpendiculaire- ment au quai, est de.......... Lou 4859.75 Idem du 2.° profil ( déduction faite de la partie correspondante au port Saint-Cyprien )........ inihps ia ss355.04 Idem du 3. profil. ............. 1331.07 Profil moyen..,........ 1325.30 46 CLASSE DES SCIENCES. Si on détermine la vitesse moyenne par la for- mule de M. de Prony , on a DE MN 237) RCE RS7)L EE pans — AT6tens —4"29; et le volume roulé est de 5685.54 mètres cubes. J’ai voulu essayer de déterminer ce volume par les formules qui donnent la vitesse moyenne en fonction de la pente à la surface, et des périmètres mouillés ; je n’ai pas tardé à m’apercevoir que la pente à la surface déterminée par les repères était trop forte, soit parce que la fluctuation rendait très-difficile à saisir le niveau moyen ou vrai de Veau , soit parce que la position même des points où étaient pris ces repères devait donner une dif- : férence de niveau trop forte entre les deux repères : en effet, le mur d’aval du port de la Daurade, sur lequel le premier repère fut observé, présentait son front au courant, et devait nécessairement amener un gonflement dans son niveau, tandis que les choses se passaient dans un ordre inverse derrière le mur d’amont du port Saint-Pierre. J’ai dû renoncer à ce moyen de vérification qui me donnait pour la vitesse moyenne une vitesse exagérée. J’ai eu recours à un autre procédé de jaugeage qui m'a donné un résultat à peu de chose près sembla- ble à celui que jai obtenu de l'observation directe de la marche d’un flotteur. La chaussée du Bazacle, depuis l’arête du bâti- ment de ce moulin jusqu’à son extrémité gauche, MÉMOIRES. 47 attenant les murs de l’hospice de la Grave, a 270 mètres de largeur en ligne droite. Au moment de l’inondation , toutes les vannes du moulin étaient fermées, et il ne s’échappait par ces vannes que des eaux de filtration. La chaussée du Bazacle était recouverte tant par les eaux d’amont que par les eaux d’aval , de telle sorte, que si on suppose à la chaussée un cou- ronnement horizontal, et qu’on choisisse pour la hauteur de ce couronnement celle qui correspond à la hauteur de la moise faîtière en face le point où la chaussée du moulin Baylac vient s'appuyer contre celle du Bazacle (cette supposition est très- admissible), l’eau s’'écoulera par la chaussée du Bazacle, comme elle s’écoulerait par un déversoir incomplet qui présenterait la même section sur 270 mètres de largeur. La différence de niveau entre les biefs d’amont et d’aval, était de 2.13, et la hauteur du niveau du bief d’aval au-dessus du seuil, était de 2.2r. Appliquant les formules données par M. d’Au- buisson dans son ouvrage d’hydraulique pour ce cas d'écoulement, on a Q — 1.80 /HV/H+0.115#"° + 2.75 [(a—b) V’H + 0.051 4° faisant /— 270, H=2.13,a—b=—2.21, et supposant w et x égaux à la vitesse 4.76 du filet le plus rapide observée entre les ports de la Daurade et de Saint-Pierre , on a O—180 X 270 x 2.15 2.13 + 0.115 (4.76)° 42.75 X 270 X 2.21 V2.13-+0.05 1 (4.76) —5226. Cette valeur est un peu trop faible, parce que w et x sont plus forts que nous ne l’avons supposé. 48 CLASSE DES SCIENCES. Si on calcule le volume roulé le 17 septembre 1772, en admettant que la vitesse moyenne de Veau entre les mêmes profils était la même qu’en 1835, et qu’on se contente d'augmenter seulement la surface respective des profils , on trouve 5985.11x mètres cubes, en déterminant la vitesse moyenne par la formule U =D de M. de Prony. D’après cela’, on peut dire avec certitude que le volume d’eau roulé par la Garonne dans ses crues extraordinaires, est de 5 à 6 mille mètres cubes par seconde. | À son plus bas étiage connu, en 1832, elle ne roulait que 35w78 cubes. Jauge41885.etdu 17 Sept 1772 CNET PRET \ y 17 septembre e moyenne de a mème qu’en nter seulement rouve 5985.1r tesse moyenne : M. de Prony. ertitude que le dans ses crues : mètres cubes 1832, elle ne 2e PROFIL | RAR en 77 mdahon à. E LE | | | ; | | pis m métre Cd | | Fr | || | PROFIL FE 1e. | | ; ==—— FAR mr | | | || | | fe : | MÉMOIRE SUR UN e NOUVEAU MODE DE PRODUCTION DU SON; Par M. Auc. PINAUD, PROFESSEUR DE PHYSIQUE A LA FACULTÉ DES SCIENCES, Les vibrations sonores des corps élastiques sont liées d’une manière si intime avec la constitution même de ces corps , que tous les phénomènes nou- veaux qui en dépendent, lorsque surtout ils sont soumis à des lois nouvelles, doivent être recueillis avec soin , et méritent d’être étudiés avec intérêt. Aussi dans ces derniers temps les recherches des physiciens ont enrichi le domaine de lacousti- que dun grand nombre de faits et de lois remar- quables. Le hasard m'ayant fait découvrir un mode de production du son que je crois nouveau, bien qu'il ait déjà des analogues , je vais avoir l'honneur de soumettre à l’Académie le résumé des travaux encore incomplets que j'ai entrepris pour en rechercher les lois. Je travaillais à la lampe d’émailleur pour cons- truire un thermomètre différentiel ; je souflais une petite boule. à l'extrémité d’un tube de verre d’en- TOME V. PART, I,  50 CLASSE DES SCIENCES. viron deux millimètres de diamètre. La boule était encore très-chaude quand j’abandonnai le tube à lui-même ; aussitôt j’entendis un son d’une faible intensité , mais très-pur , qui s’affaiblit gra- duellement et s’éteignit par le refroidissement de la boule. Je répétai expérience en employant des tubes de diverses longueurs et de divers diamè- tres, et j'obtins toujours des sons ou plus graves ou plus aigus, suivant les dimensions du petit appareil où ils prenaient naissance. Ce phénomène se reproduisit avec tant de succès et de facilité, que j’eus lieu d’être surpris que ceux qui soufflent habituellement le verre ne l’aient pas observé plus tôt. Cela se conçoit cependant , parce que celui qui souffle une boule à Pextrémité d’un tube de verre, a l’habitude de prolonger son souffle jusqu’à ce que la boule soit refroïdie , afin d’en éviter la déformation ; tandis que dans l'expé- rience que je viens de décrire, il faut cesser de souffler lorsque la boule est encore très-voisine de la température rouge-brun. Je cherchai d’abord à m'expliquer le fait qui venait de s’offrir à mes observations. Je remarquaï que l'intérieur du éwbe résonnant (cest ainsi que je désignerai désormais mon appareil) était tapissé d'humidité , soit que cette humidité y existât déjà avant l’insufflation , soit qu’elle y eût été déposée par le souffle, et je présumai dès ce moment que la vapeur d’eau était la cause essen- elle du phénomène. Pour m’en assurer, je pris un tube de verre dont je desséchai l'air intérieur ; MÉMOIRES. Ent je fondis son extrémité , et je soufflai une boule en y injectant de l'air sec ; il me fut impossible alors d'obtenir aucun son. Je recommençai l’expérience après avoir mouillé l’intérieur du tube et de la boule, et le son se fit aussitôt entendre avec éclat: L’explication de ce fait me parut des lors extré- mement simple. La vapeur. d’eau contenue ow introduite dans la boule de verre se dilate par la chaleur , et vient se condenser sur les parois du tube qui est froid. Par cette condensation subite, il y a un vide formé ; de Pair humide rentre brus- quement pour le remplir; la vapeur amenée par cet air se dilaté aussitôt et se condense en partie dans le tube : il y a alors un nouveau vide pro- duit , une nouvelle rentrée brusque de lair , et ainsi de suite ; c’est donc entre la vapeur qui rem- plit la boule et Pair humide qui remplit le tube, un équilibre sans cesse rompu , d’où résultent des condensations et des dilatations alternatives ;: et par suite des vibrations sonores et un son continu. IL est impossible de ne pas voir une analogie frappante entre le phénomène que je viens de dé- crire , et celui que produit un tube de verre ou de métal dans lequel on dirise un courant d’hy- drogène enflammé. La génération du son dans ces deux genres d'expérience est évidemment due à la même cause. Seulement dans mon expérience la vapeur d’eau existe toute formée dans le tube résonnant qui est fermé à une de ses extrémités ; dans Pautre la vapeur a sa source constante dans la combustion de l'hydrogène, et le tube où le ba CLASSE DES SCIENCES. son se forme est ouvert à ses deux bouts. Aussi les lois de ces deux phénomènes sont-elles très- différentes. D'ailleurs la présence de la boule plus ou moins volumineuse qui est soudée à mon tube offre encore une modification importante , et exerce sur les résultats de expérience une influence di- gne d’être recherchée. Je crus d’abord que le phénomène des 7ubes résonnants serait difficile à étudier , parce que je pensais qu'il ne pouvait se produire qu’à l’ins- tant où la boule venait d’être soufflée. Dans ce cas le son n’a jamais qu’une courte durée; et en outre, il eût été presque impossible de faire des expé- riences comparables, parce qu’en soufflant deux fois de suite une boule à l’extrémité d’un même tube , il est excessivement rare que ces deux boules aient le même volume; or,.je vais faire voir que le diamètre de la boule influe sur la nature du son. Mais je reconnus bientôt que le son ne se pro- duit pas seulement quand la boule vient d’être soufflée. Si, après lavoir laissée refroidir, on la plonge dans la flamme d’une lampe à alcool, le son ne tarde pas à recommencer, et alors il peut être soutenu pendant très-longtemps avec beaucoup d'égalité. Si par hasard le son ne se produisait pas, cela viendrait de ce que les parois intérieures du tube ne seraient pas assez humides. Le tube est dans les conditions les plus favorables à la produc- tion du son, lorsque l’humidité intérieure forme sur les parois une couche de rosée semblable à celle que dépose, sur une surface polie et froide, un + MÉMOIRES. SE souffle lent et prolongé. S'il y a trop d'humidité, et surtout si le tube est relevé, l’eau qui tapisse ses parois intérieures se rassemble en une goutte terminée de part et d’autre par un ménisque con- cave, qui intercepte la communication entre lair intérieur et l'air extérieur, et le son s'éteint aussi- tôt. Qu'on souffle alors fortement ou que lon aspire pour diviser la goutte d’eau et rendre le passage libre à l'air, le son reprend de suite. Je supposerai dans tout ce qui va suivre que l’on fait résonner le tube en plongeant sa boule dans la flamme d’une lampe à alcool, puisque cette méthode est la plus commode et la plus sûre pour obtenir un son égal et soutenu. La remarque précédente rend très-facile Pétude des lois auxquelles le phénomène des tubes réson- nants est soumis, et voici les principaux résultats de mes recherches. La nature du son qui se forme dans le tube résonnant dépend évidemment de trois éléments essentiels , savoir : la longueur du tube, le diame- tre de la boule et le diamètre du tube. Il était donc important d'étudier comment le son varie avec chacun de ces éléments , et voici d’abord les lois générales auxquelles je suis parvenu. 1e loi. — Le son produit dans un tube de verre humide , terminé par une boule chauffée, est d'autant plus grave que le tube est plus long, toutes choses étant égales d’ailleurs. Pour démontrer par expérience cette loi qu’il était facile de prévoir , je fais sur Le tube un trait [Sa] ENS CLASSE DES SCIENCES. as un ez profond avec une lime triangulaire; je le fais résonner en chauffant fortement la boule, et pendant que le son dure, je casse le tube au point où le trait a été fait. Aussitôt le son monte brusquement. J’examinerai bientôt quel rapport il y a entre les nombres de vibrations relatifs à ces deux sons et les longueurs correspondantes du tube de verre. 2. loi. — La longueur et le diamètre du tube res- tant les mêmes, le son est d'autant plus grave que la boule qui termine le tube a un plus grand volume. Voici comment je le démontre. Si les parois de la boule sont assez épaisses pour n’éprouver ni fusion, ni déformation par la chaleur de la flamme où elle est plongée, le son reste le même pendant toute sa durée. Mais si au contraire la boule est très-mince, la chaleur de la lampe lui fait éprou- ver un commencement de fusion, son volume di- minue alors graduellement, et le son augmente d’acuité à mesure que la boule se rétrécit. La loi énoncée se trouve démontrée par-là. 3.e loi. — Enfin, toutes choses égales d’ail- leurs, le son produit est d'autant plus aigu que le tube générateur a un plus grand diamètre. Cette loi, très-remarquable, en ce qu’elle s’é- carte de tout ce que la théorie et l'expérience nous avaient appris jusqu'ici sur les vibrations de Pair dans les tuyaux, se démontre très-aisément de la manière suivante : pour vérifier cette loi dans le sens même de son énoncé, il aurait fallu avoir deux tubes de même longueur soudés à des MÉMOIRES. - 55 boules de même diamètre. Mais comme il est bien plus facile de juger de l'inégalité de deux boules que de leur égalité parfaite, je souffle une petite boule à l'extrémité d’un tube ééroit et court ; je souffle ensuite une boule plus grosse à l'extrémité d’un deuxième tube plus long mais plus large que le premier. D’après les deux lois précédentes, le son fourni par le second tube aurait dû être plus grave que le premier, soit en raison du volume de la boule, soit en raison de la longueur du tube. Or, au contraire, j'ai obtenu un son plus aigu qu'avec le premier tube. C'est.donc une double raï- son pour conclure qu’à égalité de longueur dans les tubes et à égalité de diamètre dans les boules, le son est d'autant plus aigu que le tube est plus large, d'autant plus grave que le tube est plus étroit. On conçoit, d’après cette loi, que si le tube est très-capillaire, comme ceux qui servent à la cons- truction des thermomètres , et que la boule ait un assez grand volume, relativement au tube, le son : sera tellement grave qu’il cessera d’être percepti- ble. Aussi n’ai-je jamais pu obtenir de sons appré- ciables avec de pareils tubes, Il n’est nullement nécessaire, pour que le son se produise dans un tube résonnant, que le tube ait partout le même diamètre. Ayant fait résonner un tube qui paraissait bien calibré, je Pai fondu près de la boule, et lai tiré légèrement pour y former un étranglement. J’ai coupé ensuite une partie du tube afn de le réduire à sa première lon- gueur; en plongeant alors la boule dans la flamme 56 CLASSE DES SCIENCES. de l'alcool , le tube a résonné de nouveau; mais le son qui en est sorti a été plus grave que le pre- mier. Il était facile de le prévoir, puisque l’étran- glement avait diminué Île diamètre intérieur ; on peut aussi considérer cette expérience comme une confirmation de la troisième loi. Dès le moment que j’eus démontré par expé- rience les trois principes précédents, je me pro- posai d'exprimer le nombre des vibrations sonores exécutées par Pair dans l’intérieur du tube réson- nant en fonction, 1.° de la longueur Z du tube; 2 du rayon r de ce tube; 3.° enfin du rayon R de la boule. En appelant c un coëfficient constant, etz2 le nombre de vibrations , on devait avoir la formule ue LEE æ, B, y étant des exposants inconnus qu’il s’agissait de déterminer. Je pensais en outre qu’il en serait du son pro- duit par mon tube résonnant comme de celui que rend un tube ordinaire; c’est-à-dire, qu’en rédui- sant le tube à la moitié de sa longueur, le son ré- sultant serait l’octave du son fondamental. Mais lorsque je voulus en faire l’expérience, je fus d’a- bord surpris d'obtenir un résultat tout différent. Au lieu de loctave, j’obtins la quinte bien pro- noncée. Une oreille tant soit peu exercée ne pou- vait sy méprendre. Je répétai plusieurs fois avec des tubes de diverses longueurs , de divers diamè- tres, soudés à ‘des boules de volumes différents, et loujours en coupant le tube au milieu de sa lon- = 'C MÉMOIRES. 57 gueur, à partir du col de la boule, jobtins la quinte aiguë du son rendu par le tube entier. Il devenait alors nécessaire de mesurer les lon- gueurs d’un même tube, propres à donner toutes les notes de la gamme, en ayant soin de ne faire varier ni le diamètre du tube, ni celui de la boule soufflée à son extrémité. J’entrepris alors la série d'expériences dont les résultats Sont consignés dans les tableaux qui vont suivre. Dans ces expériences, on a eu le soin de prendre des tubes de diamètre variables, d'y souder des boules de diamètres variables aussi; de prendre enfin des verres d’épaisseurs très-différentes. Mais dans les expériences relatives à un même tube, on ne faisait varier que la longueur de ce tube. La boule avait toujours assez d’épaisseur pour ne pas éprouver de déformation par la chaleur de la lampe ; on s'assure que cette condition est remplie en laissant longtemps la boule plongée dans la flamme, afin de voir si le son change d’intonation pendant sa durée. Enfin, la longueur du tube était divisée depuis le col de la boule jusqu’à l’extrémité ouverte, en pouces, et à chaque point de division on faisait un trait avec une lime triangulaire ; de manière qu’il n’y avait qu’à frapper un peu fort sur le tube, à chaque point de division, pour casser le . tube et diminuer sa longueur de 1, 2, 3, 4... pouces. Les sons produits étaient rapportés aux mêmes sons tirés d’un violon ou d’une flûte. Ainsi, dans les expériences que je vais rapporter, je ne parlerai ni du diamètre des tubes, ni de celui des boules ; je 58 CLASSE DES SCIENCES. ne consionerai que leurs longueurs, qui seules ont varié, et les sons Lt ee à FE d'elles. au NOTES RAPPORT LONGUEUR Te ns INTERVALLES DU TUBE. GAMME. LONGUEURS. MUSICAUX. rene À | : 6 pouces. | ut: I unisson, ré douteux 5/6 seconde. 1re EXPÉRIENCE. mi 2/3 tierce majeure. Sol à 1/2 quinte. Si1 1/3 septième. ; : pouces. | sol}: 1 unisson. H|2.e EXPÉRIENCE. Gi 3/4 tierce mineure. : 3 a TÉE 2 1/2 quinte. Lt 12 pouces. | rés unisson. N|3.° EXPÉRIENCE, mi douteux seconde. fa: tierce mineure. 10 A sol: unisson. A|4.e ExPéRIENCE. sol, à octave. un comma près. 6 pouces. | si: unisson. Ù ut à douteux seconde. 5.e EXPÉRIENCE. TÉÀ » tierce majeure. fak, quinie. la: septième. 9 pouces. | far unisson. | 8 fax seconde diminuée. (fee 7 la : tierce majeure. 4 1/2 ute quinte. Mi» septième. On voit par le tableau qui précède, que les rap- MÉMOIRES. 59 ports de seconde, de tierce majeure et de tierce mineure, de quinte, de septième et d’octave, fournis par l’expérience directe, ont eu constamment pour valeurs ‘,, 7, et Ÿ,, 7/,, /. et ”,., en comparant la longueur du tube qui donne le son le plus aigu, à celle qui donne le son le plus grave. Les rapports de tierce majeure, de quinte et de septième ont été vérifiés sur plus de dix tubes dif- férents, et ils n’ont jamais varié d’une quantité appréciable. D'ailleurs, le rapport */, de la tierce majeure peut être vérifié à posteriori par la com- paraison du s0/ et du s£ dans la première expé- rience, et par celle de lé, et du mi, dans la sixième. Le rapport Ÿ, qui caractérise la tierce mineure, peut aussi se vérifier à posteriori, 1.° par les longueurs 4 et 3, relatives au ni et au so/ na- turel dans la première expérience ; 2.° par les lon- gueurs 4 et 3, relatives au ré et au fa* dans la cinquième; 3.2 par les longueurs 6 et 4 7, dans la sixième. Ainsi, je regarde ces intervalles comme bien déterminés. Quant à l’intervalle de seconde , la valeur donnée par expérience ne m’inspire pas lamème confiance. Cet intervalle est marqué par ”, dans la première, la troisième et la cinquième expérience. Ce mêmeinter- valle, pris de ré à mi, dans la première expérience, et de u£* à ré * dans la cinquième, serait caractérisé par “;. Or, on sait que dans la gamme naturelle Vintervalle de z£ à ré constitue un ton majeur; et celui de re à mi, un ton mineur ; que par consé- quent, le premier est représenté par une fraction 6o CLASSE DES SCIENCES. | qui diffère plus de Punité que la fraction qui carac- térise le second intervalle. En adoptant Ÿ; pour le premier intervalle , et 4/; pour le second, on aurait au contraire un ton majeur pour l'intervalle ré-me, et un ton mineur pour l'intervalle wt-ré ; ce qui est contraire à la composition connue de la gamme. J’ajouterai à cette première observation que la valeur du rapport de seconde, calculé par mes expériences, laisse un peu d'incertitude. En dimi- nuant d’un pouce un tube de six pouces, on a sen- siblement la deuxième note de la gamme ; mais il faudrait retrancher du tube si peu de chose de plus pour que le rapport devint {/, au lieu de ‘},; et la variation de ton serait si peu appréciable, que je ne peux pas attribuer au nombre */, la même confiance qu'aux intervalles de tierce, quinte et septième pour lesquels je ne crois pas que l’on puisse avoir de doutes. Ce qui rend encore plus difficile la détermina- tion exacte de l'intervalle ut-ré, c’est que les in- tervalles uf-ré et ré-mi se confondent pour lo- reille; or, la tierce étant bien certainement carac- térisée par ”,, il en résulte que si l’un des deux intervalles en question est 4/;, l’autre est nécessai- rement ”,. Par toutes ces raisons, je crois donc pouvoir corriger les résultats d’une expérience toujours sujette à quelques incertitudes en adoptant la va- leur ; au lieu de ‘/; qui en diffère très-peu du ul , s S reste (35) pour la valeur de lintervalle de seconde. MÉMOIRES. Gi Nous pouvons donc déjà former le tableau suivant : Notes de la gamme. ut, ré, mi, fa, sol, la, si, ut° 2 1 ï Longueur correspondante | 1, er ON ET ET IEL des tubes. 3 2 9 Il reste à connaître les rapports qui caractéri- sent les intervalles de quarte et de sixième qui n’entrent pas dans les tableaux précédents, et l'intervalle d’octave qui n’a été déduit que d’une seule expérience directe. Or ce calcul est facile. En effet : 1.° quarte. = De ré, à sol, dans le tableau précédent il y a exactement une quarte ; 4 L or le rapport des longueurs du tube est: Ou Donc en appelant x la valeur de fa, qui est aussi la quarte de u£, on aura æ:1=- D) équations sont les produits distincts deux à deux des 7 let- tres a,, b,, c,... h! ,etc. Les termes suivants ne différent des premiers que par le nombre d’accents. Les équations précédentes renfermant 2(n—1) ar- bitraires, puisque les valeurs de k', k!, h"". fe ont été assignées ; on pourra donc se donner 71) à ni) de ces quantités, et si on fait un choix convenable, les 2 (n— 1). 2 indéterminées restantes, dépendront de * la résolution d’un système d'équations du premier degré. Ces calculs effectués, on prendra 9: 132 CLASSE DES. SCIENCES. a =L a, a"—La,...a®— =) Ame. - Du ere EN GS = Lie, c'æ=L'c,...c= Déc en faisant = D Bo e ae ee 5] —— Va + a) +aÿ +—0q@) VD HE +. bn qui 1 : En ae de ces hypothèses, les coefficients 4, b'..h, a", b".. h",. a®, D... RM satisferont aux use de condition suivantes : ab + a" "+... Ha 40 = 0 a toire a! c! si + at? c@) — — 9 . vis. 2 95 cu ni (3) a'h + a” h" +... a@) h@) = 0 PATES LPS 15 Dent. LG — 1, caca cu 1... RH... RO, qui sont au nombre de == Les coefficients étant ainsi déterminés, on aura évidemment x°+y°+ 2 +. pu x + y + z'°+... +uet dx + dy +...+du =dx'°+ dy!'°+.. hat; ou bien, ds =4d$/?, et par suite s — 5’. Remplaçons actuellement ER le système fe équations (1), X, y, 2, u par leurs valeurs four- nies par le groupe (2), et après la substitution ajoutons les équations différentielles transformées, en multipliant la première par a’, la deuxième MÉMOIRES. : : 133 par &”, la troisième par a”’… la dernière par a”, ajoutons-les de nouveau après avoir multiplié la première par D’ , la deuxième par b''.…. la dernière par D), on trouvera, en tenant compte des équa- tions de condition (3), les transformées sui- vantes : dx ds dx Hat Ÿ (s' ). Fr FRS dy ds! dy Dm (s)E = 0 (4) &z a DIS mleo Ve Er Trr cn &u ; ds ; ! À NE my(s) Pr 7 tRe( )= 0. Si on peut intégrer ÿ (s’) ds'les (n—1) pre- mières équations du groupe (4) conduiront à des intégrales premières de la forme : dx —mE(s) dy —mE(s'}:...5 F(s AE M, Y2Be a (s} étant l'intégrale de à (s’) ds'. Pour ne pas donner trop d’étendue à des transformations purement apalytiques qui s’'appliqueraient, comme il serait facile de le voir, à d’autres systèmes d'équations différentielles d’un ordre supérieur au second , nous nous contenterons de montrer l'utilité de notre transformation dans deux exemples ; le second sera choisi dans la théorie du, mouvement des projectiles. SORTE à 134 CLASSE DES SCIENCES. N.° 2. Considérons les trois équations; &x ds dx 1, —RS de + m Ta ° PE +K € =0 dy ds dy Ho RS | ao gui gent NE) hoesoo0 0f1 dz ds dz mn , 25 A Cru a Posons : za x+8y +cz 11! LAN (A z =a" x +0 C AM a” à FL CA cz Faisons K'—Rc, K”’—Rc", K!=Re", R étant égal à VK7EK7+K7. Déterminons six quantités a,, b,, a,, b,,a,,b.,, au moyen des trois conditions : a,0,+a,b,+a;b;=0 AC; a, C, + 43 C3 —=0 bc, + b,c, Hbc; —=0o. Si on se donne les quantités à, , a,, b,, les au- 29 390142 tres inconnues a, , b,, b, dépendront RÉ ons du premier degré. On prendra ensuite pour a! , 4”, p a!" , les valeurs Ar PiCieiGe IS Es, _SH LUS D (ei et pour D’, b", b"", 4 b, f ë, bz EE EN Ve En A RENE Cela fait, on parviendra par la subtitution , après les artifices de calcul indiqués ci-dessus, aux trois équations : MÉMOIRES. 135 dx s dx DR A7 UE dy ds dy 7 UE a =. (2) dz! ds! —nS$ de m dé . S+Re = 0. Les deux Lans donnent par l'intégration : — 4 d 4 TR | x ! 2 (3) > TA Fo e TS, d'où dy=cdx" Regardant z' comme fonction de x! seul, puis- que FT les formules (3) y’ peut s'exprimer au moyen de x!, on posera : 1 ou 4 ; E PH tx “dt? dz dx dz =? D en nommant p' le rapport Te La substitution dans la troisième équation du groupe (2) fournit, en ayant égard aux deux premières équations de ce groupe : - . = —Re ect Di visant celle-ci par iS carré de A première des équa- (2m-n)s tions (3)on aura (4)£ Le : ee Var + dy + dé=dx Vi Le+p. Multipliant les deux membres de l’équation (4) par cette va- leur de ds’, on aura : mais ds! = (2m—n)$ dp! Vibes pre ds', qui, in- tégrée, donne : cv 14+ +lo Ceru 4 En]. KR (2m—n)s de On y étant la consfante 136 CLASSE DES SCIENCES. arbitraire. Éliminant, dans cette dernière , l’expo- nentielle au moyen de l'équation (4), on trou- vera : dp' (2m—n)(1+4 0) 1 vs ( Et —)] dy! vaudra ensuite cdx' et dz vaudra p’ dx! , rem- plaçant x’,7', 2! par leurs valeurs; g'=0 x+a"y+a"z J=bax+by+5"z 2 =cx+c"y + cz : + V4 : dz et exprimant ensuite ——,en fonction de — que l’on dx dx ‘appellerait p, lintégration des équations (1) sera ramenée aux quadratures. d'i—= qui sera multiplié par N.° 3. Supposons qu'il s’agisse de trouver le mouvement dun projectile, soumis à la résistance -de Pair et à l’action du vent que nous regarderons comme une force accélératrice constante d’inten- sité et de direction. Si cette force agit dans le plan vertical de la trajectoire , elle se combinera avec la gravité, et en admettant que la résistance de Pair est proportionnelle au carré de la vitesse que le projectile possède à chaque instant, les HQE du mouvement auront la forme : ds ds dy C + "dE 7 +K=0 Re pc. dé Ti +K'=0. Remplaçons dans ces équations , K et K’ par MÉMOIRES. 137 m cos a et m sin «, m étant égal à VK:+K7 et ’ , ue: . tang & étant égal à ; posons ensuite : - G—=— x'sin æ— y COS & et y—=xcose+y'sine, les ‘it (ei deviendront : 2% ds dx: dy ee TE sin a + TE édsar el (= JT; Sinat 7 COS & See mm Cosa— 0; x d'y s' dx! Pay: e ee COS a+ sin & +c. ME COS a + Sin & +msina=0o, puisque ds =V/ 7x + dy =VW dx +dy:= dsl: Maultipliant la première équation par sin &, la deuxième par cos «, et soustrayant, on trouvera : Œx > ds dx FER OT ae Multipliant ensuite la première équation par cos æ&, et la deuxième par sin &, et ajoutant, on trouvera : dy ARE 7, _ VUE Ces deux dernières équations, traitées par les mé- thodes connues (voir Poisson, mécanique, 2.m€ édition , page 402), conduisent à dp' 2) CAL = ————— ——— — —— @ Papi log(p'+V ip) —Y; ‘d et c.dy'= ne MERS GED anne 7777 0 PME PRE log (PE) ve 138 CLASSE DES SCIENCES. ! 5 Ex dy. . a Ici p’ désigne le rapport =,; mais pour expri- mer les coordonnées primitives ou leurs différen- 2 tielles dx, dy en fonction du rapport Te =P- Nous observerons que : dx! = dy cosa— dx sin «& et dy'= dy sin a+ dx’ cos «, et par suite dy __psin «cos z dx pcose—sin & Substituant dans la formule (2) pour p', dx’, dy leurs valeurs, et appellant F (p) dp, f (p) dp ce que deviennent les seconds membres , on aura visiblement : c. dy =cos«aF (p) dp+sinaf(p)dp c. dx=—=cos a f (p) dp —sin «F (p) dp. Dans ce cas, la trajectoire aura une asymptote parallèle à Paxe des y’, et faisant par conséquent avec l’axe de x un angle r—a—. Ces exemples suffisent pour montrer Vutilité de la transformation que nous avons employée. On peut au reste, comme nous le ferons voir dans un autre Mémoire, parvenir à un grand nombre de résultats nouveaux, en faisant usage de trans- formations analogues. MÉMOIRES. 139 FRAGMENTS D'UN MÉMOIRE SUR L’INTÉGRATION DES ÉQUATIONS DIFFÉRENTIELLES ; Par M. BRASSINNE. Dans un grand nombre de cas, la fonction de x qui satisfait à une équation différentielle entre les variables x et y, peut être représentée par les intégrales définies. Voici quelques transformations des intégrales les plus utiles : considérons l’inté- En 75 +by*) Ô —(ax? , grale double : (1) “RS FA — © — 2x a et b, étant des quantités déterminées, réelles et positives. Tant que x et y ne seront pas simulta- , L4 L4 RE ax b ] Ü nément égales à zéro, e Ut , aura une va- leur positive plus petite que lunité. De plus, lin- tégrale (1) peut être considérée comme le-volume d'un solide reposant sur le plan des x, y, et 140 CLASSE: DES SCIENCES. terminé par une surface dont l’équation serait LEE b 2 À ZE rt ) Posons 2=—, les sections de cette surface par des plans horizontaux seront des ellipses qui auront pour équation : a x°+b y°—log u; FT log u leur aire sera , d’après les théorèmes connus, VS a Décomposant le volume du solide de révolution en une infinité de tranches par des plans parallèles au planides x, y, on aura pour l'expression du volume — Fafuut uL. == 6); 5 [ee] 2 b 2 ou an / fe se = (2) d'où on ab déduirait aisément Fran bug e qd L” T (o] Ce procédé conduirait avec une feals facilité à +o f+o la valeur de mue Fr How ) > En SUPpo- e % — D —o 4 I FE Dee sant b ee Di = (ae) VE (a—c), on trouverait ma tre 7 27 | fe fu Pan Vo. — 00 .— 00 La transformation des coordonnées dans cer- MÉMOIRES. . 141 tains cas d’une 2 pee facile conduirait à lin- oo ca [TS TE (ay* che hs Ft) (4 dx d y: On voit même ju on pourrait ,; en observant cer- taines conditions, remplacer lexposant de e par l'équation complète des surfaces du second ordre. ————— Remplaçant dans l'intégrale (3) y par K sin et x par K cos 2 , on aurait l'expression de linté- + co eu/ _K a A à cos? @- à sin @ cos @) doi e on déduirait plusieurs résultats remarquables. L emploi des coordonnées polaires permettrait d’é- valuer dans un gr rand nombre de cas : = (+ Je+ 7 di uns / 1 e Id dy= e e(K:)K.4K.dp. A0 = 00 on trouverait par on que Ps e (x? A ‘dx dy= 27 qui dans le cas —œ —0o particulier m = 2 dame Vintégrale d'Euler (ee) — x? V” = € dx = c © 2 #42 CLASSE DES SCIENCES. _- On peut, au moyen des intégrales doubles , dé- montrer d’une manière très-simple la propriété fondamentale des eulériennes de seconde espèce. + oo + nr . uns n Considérons lexpression s(1+ 2°) æ e amids. dà= ——— - nm O n Sn —# n comme il est aisé de le vérifier en intégrant d’a- bord par rapport à s entre les limites indiquées : ; t A 1 posons Sx*=—1", d’où x = — et différentions en Sa regardant S comme une quantité constante, on m—1 aura : dx 2 et gr Sr Sn donc, enfin; œ fc co co s —s(1+ x) —s —7 ee , e ami.ds.dx=] e s ds} e t"\dt n.Sin—7 o o o 0 Cette dernière forme donne Lis (= )- Lr (=)=——; n—n nr mn n . n n. Sn 7 où,T (= Tr (2) lines qui est l’ex- 3-2 n'Sn— 7 m pression du théorème connu. MÉMOIRES. 143 DÉMONSTRATION NOUVELLE DE LA FORMULE DE L'ACTION CAPILLAIRE ; Par M. DEGUIN. Pruseurs géomètres se sont oc- cupés de la théorie de la capillarité. Clairault essaya le premier de ra- mener les phénomènes qui en dé- pendent , aux lois générales de léquilibre des fluides ; mais, mal- gré la profondeur de son génie, il ne put déduire de ses calculs la > loi de l'élévation et de la dépres- sion que Jurin avait déjà trouvée. Laplace s’occupa des phénomènes capillaires avec plus de succès; sans faire aucune hypothèse sur la loi de lattrac- tion moléculaire, et en admettant seulement, ce qui est conforme à l’expérience, que cette force décroît très-rapidement quand la distance aug- mente pour devenir nulle à toute distance sensible, cet habile géomètre est parvenu à une formule gé- nérale qui représente fidèlement tous les phéno- mènes et qui permet d'en calculer toutes les lois. 144 CLASSE DES SCIENCES. C’est une nouvelle démonstration de cette for- mule que j'ai l'honneur de présenter à l'Académie. On sait que les molécules d’une même file nor- male à la surface d’un liquide en équilibre sont attirées dans l’intérieur de la masse par les molé- cules environnantes; que la résultante des forces élémentaires qui s’exercent sur chacune d’elles est normale à la surface du liquide, et qu’elle varie avec la distance de la molécule à cette surface. Je me propose d’abord de calculer la résultante de ces forces pour une molécule quelconque M située sur la normale MN à la surface RS et à une distance MN=c. Je rapporte, à cet effet, tous les points de la masse liquide à trois plans rectangulaires ZMX, ZMY, XMY dont les deux premiers coïncident avec les sections principales au point N de la surface , et dont le: troisième est perpen- diculaire à la un MN et PASSE par la molé- cule M. Soit ZMP un plan qui fasse un angle égal à 6 avec le plan ZMX, et ZMP’ un 2. plan qui fasse avec ZMP un Fe infiniment petit égal à :d ; soit en oùtre, »# un point pris sur la ligne MP à une distance Mn =, etm un 2.° point distant du point m d’une quantité infiniment petite dc. ns par les points » et m' les lignes m5 et ' 1! parallèles à l'axe MY, puis élevons sur le pa- Ml uune mm u! le prisme droit mn!, et décomposons ce prisme .en éléments infiniment petits.par des plans parallèles au plan XM Y. Dé- signons l’un des éléments par 727 pp', et représen- MÉMOIRES. 145 tons par z sa distance à la base commune #1 à. L'action de cet élément sur la molécule M est proportionnelle à sa masse, à celle de la molécule et à une fonction de la distance Mp=r de la mo- lécule à élément ; elle peut être représentée par K do udu d9 dz@(r) en appelant K un coefficient constant pour un même liquide, @ (r) la fonction inconnue qui re- présente attraction à la distance r, dv le volume de la molécule M, et en remarquant que le volume de l’élément nn" pp' est égal au produit de sa base udu dû par sa hauteur dz. Comme l’action totale du liquide sur la molé- cule M est normale à la surface RS, nous ne de- vons considérer ici que la composante de la force Kdo udu dû dzo (r) dirigée suivant MN; elle s’obtient en multipliant cette force par la quan- tité 2 qui représente le cosinus de l'angle NMP r ou de son égal Mpm , et devient K do udu dé = e(r) On peut déduire de cette expression l’action de la colonne prismatique entière sur lélément M; il suffit d'y regarder les quantités dv, uw, dû comme constantes, et de l'intégrer entre les limites r=MO=r et r =; en d’autres termes, il suffit de calculer la formule ca Kdo u du def} ie (r) dans laquelle r’ désigne la distance du point M au TOME V, PART. I, 10 146 CLASSE DES SCIENCES. point de la surface liquide que rencontre la colonne prismatique. — Les deux variables. qui se trouvent sous le signe d'intégration sont liées par la for- mule r°=u°+2"; or, comme l'intégrale doit être prise dans la supposition de w constant, cette équation peut être différenciée dans la même sup- position ; on a ainsi rdr—zdz, d’où dr. En substituant cette valeur dans la formule précédente, on obtient oo Kdoudu af, @ (r) dr et par suite : Kdo udu d0 4 (r) en représentant par Ÿ (r’) l'intégrale de o (r)dr entre les limites r=7' et r = ©. Il s'agit maintenant de déduire de la dernière expression l’action du liquide compris entreles deux plans ZMP , ZMP'’. On y parvient en faisant la somme des actions de la colonne prismatique de- puis la normale MN jusqu’à linfini, ou, si lon conserve r/ comme variable, depuis r =MN—c jusqu’à r' — ©. Cette action est ainsi représentée par la formule K do auf luau tir) 1] faut pour avoir la forme de l'intégrale exprimer udu en fonction de r’ . Imaginons, à cet effet, un ellipsoïde osculateur au point N de la surface, et supposons , ce qui est toujours permis, que son MÉMOIRES. 147 entre soit au point M de la normale MN; son équation sera x? y? 2? pete en appelant c la longueur de l’axe MN ,eto, p' les deux rayons de courbure maximum et mini- mum de lellipsoïde au point N, ou bien ceux de la surface RS au même point. Cette équation peut être transformée en coordonnées polaires au moyen des relations x=u cosô, 7=u sin 6; elle devient 1 1 z8 u? | —— cos? 8-+- — sin? 0 | H— = 1 CP CP c? ou bien u? Z 2 L L +=: en faisant 2= —— cos’ 0-4: sin° D: Dr Cp cp Si lon différencie cette équation dans la supposi- tion de 0 constant, on trouve udu , zdz Due or on a déjà r/°=u°+2° et par suite r'dr =udu+-2d7 ainsi, il vient La formule qu’il s'agissait d'intégrer prend alors la forme Kdv af pe a+ ) ou bien, puis- que 6 est supposé Pas TA ay (+) , C2 "(D 10. 148 CLASSE DES SCIENCES. L'intégrale pouvant être représentée par F (c) cette expression devient K F(c) do d0 Ter D: telle est l’action du liquide renfermé entre les plans ZMP et ZMP'. Il est facile d'obtenir, en partant de cette for- mule, la valeur de l’action de toute la masse li- quide sur la molécule M; il suffit de l'intégrer par rapport à 6 depuisé = o jusqu’à 4—27%—, c’est-à- dire de calculer la valeur de l'expression da 1— ë 1 si l’on rem place 5 Par sa valeur et qu’on se serve de la relation sin°6+ cos’ 8 = 1, on aura % ds 7 d9 1— NE + cos64(1— + )sinre D L ? =/. d. tang 8 Gars c 6 + A ô 1 re CAT NUS v4 c Ë tang P Te) Nes tang 0—-const ( ? X-5 ) Par, m7 MÉMOIRES. 149 L'action du liquide sur la molécule M sera donc 2rKF(c)do VAE Fr SETE #P Comme la molécule M est infiniment voisine du point N, la quantité c est infiniment petite par rapport aux quantités p et p’, et par suite le 2 terme peut être négligé. D’après cela le radi- cal devient A 1 (+5), et l'expression pré- P , KF(o d ù cédente prend la forme Re AIS bien GE 27KF (c) do (4) re Si l’on déve- loppe en série la quantité entre parenthèses et si Von néglige les puissances de c supérieures à la pre- mière, cette quantité se réduit à (: + (£+5)} ne x dé et la formule devient 27KF (c) do | 1+(2+2)) Telle est l’action que tout le liquide exerce sur la molécule M. On voit, comme nous l'avons dit précédemment, que cette action varie avec la dis- tance de la molécule à la surface. On peut aisément déduire de cette formule la valeur de l’action que tout le liquide exerce sur la file de molécules qui composent le canal cylindri- que MN. Prenons, à cet effet, la section perpen- diculaire à l'axe de ce canal pour unité de surface; le volume dv de la molécule M sera proportionnel x50 . CLASSE DES SCIENCES. à la hauteur dc de cette molécule, et action to- tale du liquide sur la file de molécules sera représen- tée par la formule. 57K se SE (c) 14 (+5) dc : 0 1 I C9 ou bien 25Kf Pode+arK(4)f. F(c)cde En représentant par Met N les valeurs des deux intégrales ; cette expression devient 27 KM-+2 rKN(— += ou bien enfin, en posant 27KM=—A, 27KN=B a+B(— +) PF d Telle est la valeur de l’action de toute la masse liquide sur la file de molécules normale au point N de la surface. Les quantités À et B sont des quantités constantes pour un même liquide, mais variables d’un liquide à un autre. Nous avons supposé, dans la démonstration précédente, que la surface du liquide fut convexe, si elle était concave, on ne pourrait plus mener un ellipsoïde osculateur ayant son centre en M; mais On pourrait mener un hyperboloïde gauche dont le centre serait à ce point et dont la cour- bure serait assimilée à celle de la surface au point N. L’équation de cet hyperboloïde se- . x? A) ZE se bacs Fait — TRES PNEU et l’action du liquide: sur là file normale A—B(— +). MÉMOIRES. 151 RAPPORT SUR UN TRAVAIL DE M. CASTEL CONCERNANT L'ÉCOULEMENT DE L'EAU PAR DES AJUTAGES CONIQUES. (Commissaires, MM. Abadie , Saint-Guilhem , Brassinne , Borrel, d’Aubuisson rapporteur. ) L’Acanémre nous a chargés de lui rendre compte d’un travail que M. Castel , ingénieur des eaux de Toulouse, a fait, en 1837, sur l'écoulement de Peau par les ajutages coniques. Indiquons d’abord les circonstances qui ont donné lieu à ce travail. De tous les ajutages, ou courts tuyaux qu’on adapte à un réservoir ou conduit d’eau pour avoir un jet de grosseur et de direction voulues , ceux de forme conique , c’est-à-dire , ayant à la sortie un orifice plus petit qu’à l'entrée, sont les plus usités : ce sont en outre ceux qui donnent les jets les plus réguliers et qui les lancent à une plus grande distance ou hauteur, ceux dont les ellets 152 CLASSE DES SCIENCES. sont les plus variés ; et cependant ce sont ceux sur lesquels on a le moins de documents. À mesure que leur angle de convergence (angle que forme- raient , par leur prolongement, deux côtés opposés du tronc de cône constituant l’ajutage ) augmente, ils impriment à l’eau plus de vitesse, et ils en donnent une plus grande quantité, mais jusqu’à un certain terme seulement : si, lors de l’établis- sement des fontaines de notre ville, la science eût fourni des notions précises à ce sujet, il eût fallu beaucoup moins de tätonnements pour bien dis- poser les gerbes d’eau qui sont sur quelques-unes de nos places. Un des membres de la Commission, qui s'était vu embarrassé par suite de la lacune que l’hydrau- lique présentait dans cette partie, projeta diverses séries d'expériences propres à la remplir. On au- rait eu plusieurs suites d’ajutages : dans chacune, le diamètre de l’orifice de sortie et la longueur de- meureraient les mêmes; mais le diametre d’entrée et par suite l’angle de convergence augmenterait graduellement. Les suites eussent différé, les unes des autres, par le diamètre de l’orifice extérieur et par la longueur. Chaque ajutage serait adapté à un réservoir d’eau , et l’écoulement y aurait lieu sous des charges qu’on augmenterait successivement. À chaque expérience, on déterminerait la dépense , ou quantité d’eau écoulée par seconde, à l’aide d’un jaugeage direct; pour avoir la vitesse, on mesurerait la distance que le jet atteindrait sur un plan horizontal établi au-dessous de l’ajutage MÉMOIRES. 153 d’une certaine quantité ; de cette quantité et de la distance mesurée, on conclurait la vitesse de projection du jet, par l’équation de la parabole. On comparerait ces dépenses et ces vitesses réelles, avec les dépenses et les vitesses indiquées par la théorie, et on aurait les rapports ou coefficients de réduction des résultats de la théorie à ceux de l'expérience, et par conséquent les moyens de cal- culer les dépenses et les vitesses de projection pour un ajutage quelconque (1). La personne la plus propre à bien exécuter un tel plan, M. Castel, voulut bien s’en charger. Les moyens matériels lui manquaient ; l'Académie, qui (1) Soient : d le diamètre de l’onifice de sortie ; h la charge ou hauteur d’eau au-dessus de cet orifice ; Q la dépense réelle, déterminée par un jaugeage ; » la vitesse réelle avec laquelle l’eau sort ; m le coefficient de la dépense ; n le coefficient de la vitesse ; æ la distance verticale, en contrebas de l’orifice, du plan horizontal sur lequel tombe le jet; c’est l’abscisse de la parabole qu'il décrit ; y la distance horizontale qu'il atteint sur le plan ; c’est l’or- donnée ; h! la hauteur due à la vitesse » de projection. L’équation de la parabole est y? — 4h'x ; De plus, » — V2gh'; d’où, puisque g — 9"809, D = 2, 215 Ÿ VE Comparant les dépenses et les vitesses réelles (Q et») avec 154 CLASSE DES SCIENCES. sentait tout l'intérêt de ce travail, sadressa à PAd- ministration municipale pour les lui procurer, en disposant convenablement à cet effet le local si favorable qu'on avait au Château d’eau. Cette première fois, elle n’obtint que des promesses , et M. Castel fut réduit à opérer dans un coin de la cour du Capitole, avec un petit appareil qu’il pos- sédait déjà, mais dans lequel il ne pouvait pro- duire l'écoulement que sous les faibles charges de 0%30 au plus. Malgré cela, il n’en fit pas moins, en 1831 et 1832, plusieurs séries d'expériences qui répandirent beaucoup de jour sur cette ma- tière, mais dont on ne put tirer des conséquences positives, car on ne savait pas ce qu’il en eût été sous de grandes charges ; ainsi le jugea l’Académie, à laquelle ce premier travail fut communiqué par les dépenses etles vitesses théoriques Œ dy/2ghay/ 2h), on a Q = md 73h = 3,479 mdY/ h, et a,n5==nt/osh —ffignV 7, d’où l’on déduit m=—=0,2874 nr et = y . Vihx n C’est à l’aide de ces deux dernières formules que M. Castel a calculé ses coefficients de la dépense et de la vitesse. MÉMOIRES. 155 M. le Maire(1). Elle réitéra ses instances : elle fit voir comment , avec une faible dépense, on dispo- serait au Château d’eau un bel, appareil expéri- mental donnant des charges dix et trente fois plus considérables que celles qu’on avait eues au Capitole, charges qui pouvaient aller jusqu’à près de 10%, Sa demande fut enfin accordée, et l’appa- reil fut établi. Il est décrit dans le tome 1v (p. 221) de nos Mémoires. Après que M. Castel y eut terminé ses très-belles suites d'expériences sur les déversoirs , il reprit le travail sur les ajutages coniques. Il disposa l’appa- reil de manière à pouvoir le faire avec facilité et exactitude. À la face antérieure de la caisse d’ex- périences, il adapta successivement les vingt-cinq ajutages de 15 1/2 millimètres de diamètre, qui avaient été employés à ses premières expériences ; et puis il en employa treize autres de 20 millimè- tres de diametre à la sortie. Par chacun d’eux, il produisit l'écoulement sous les charges successives de 020, 050, 1"00, 1"50, 2"00 et 300. L'eau qui en sortait était reçue, pendant un cer- tain temps, exprimé en secondes et quarts de seconde, dans un grand cuvier de tôle, qui avait été étalonné avec le plus grand soin (2). De la (1) Ges premières expériences et leurs résultats immédiats ont été publiés dans les Annales des Mines de 1833. (2) Ce cuvier avait o"70 de diamètre et autant de hauteur ; au fond se trouvait une soupape de décharge. Il avait èté éta- lonné par empotement , à l'aide d’un double décalitre dont la 156 CLASSE DES SCIENCES. quantité d’eau écoulée dans ce temps, on concluait la dépense, et de cette dépense on concluait son coefficient. Pour la vitesse de projection , celle avec laquelle eau sortait de l’ajutage, M. Castel récevait le jet dans une rainure pratiquée sur un plancher, bien horizontal, établi en contre-bas capacité avait été bien constatée par diverses pesées de l’eau qu'il pouvait contenir. A chaque versée de l’eau de ce vase, on relevait avec soin la distance entre la surface fluide et un point de repère pris sur le bord supérieur , le cuvier étant bien horizontal : de sorte que lorsque l’eau coulant par un ajutage s’y était élevée à une certaine hauteur , il suffisait, pour en avoir très-exactement le volume , de mesurer la distance eutre sa surface et le point de repère : cette mesure se faisait à l’aide d’une tige terminée en pointe et disposée de manière à indi- quer les dixièmes de millimètre. L’eau sortant de l’ajutage ctait menée au cuvier par un tuyau dont l'extrémité supérieure , disposée en entonnoir , était instantanément mise sous l’orifice au commandement donné. De cette manière il ne saurait y avoir, dans les dépenses , une erreur assez grande pour af- fecter les résultats obtenus. Il en est de même en ce qui concerne la mesure des charges ou distance entre le centre de l’orifice de l’ajutage et le niveau de l’eau dans les tuyaux superposés à la caisse d'expérience. Mais il n’en est pas tout-à-fait ainsi de la détermination du diamètre des orifices intérieurs et extérieurs des ajutages. Quoique ces ajutages faits en cuivre jaune aient été tournés et alésés avec toute l'exactitude possible à Toulouse ; quoique M. Castel en ait mesuré et remesuré les diamètres avec tous les soins dont il était susceptible , il ne saurait en répondre à un demi-dixième de millimètre. En résultat , il ne pense pas pouvoir répondre de ses coefficients de la dépense à un demi- centième de leur valeur : très-rarement l’erreur aura-t-elle été aussi forte. MÉMOIRES. 157 de lajutage d’une quantité ou distance verticale qui était l’abscisse de la courbe décrite par le jet; la distance horizontale qu'il atteignait sur le plan- cher , et qu’on mesurait à aide d’une règle graduée placée sur le bord de la rainure et d’une aiguille en fer qu’on passait au milieu du jet, en était l’ordonnée : à l’aide de ces deux coordonnées , on calculait la hauteur due à la vitesse de projection, et par suite cette vitesse, et par suite son coeff- cient (1). Au reste , il n’a pu être fait presque au- cune observation concernant la vitesse sous les charges supérieures à 2; Le jet dépassait le plan- cher , ou il se déformait avant de l’atteindre. Cest en tenant la marche qui vient d’être ex- posée, que M. Castel a fait les 422 expériences dont les résultats, pour chacune, sont portés dans le tableau joint à ce rapport; on pourrait dire les mille expériences, car chacune des 422, a été ré- pétée une ou deux fois, et on n’en a inscrit que la moyenne sur le tableau. En y voyant la marche régulière et uniforme que suivent les coefficients conclus, quelques per- (1) Voyez la note de la page 153. Le coefficient de la vitesse n’a pu se déterminer avec la même exactitude que celui de la dépense. Le milieu du jet à son arrivée sur le plancher ne pouvait pas se prendre avec rigueur. De plus , malgré tous les soins qu’on s’est donnés pour placer l’axe des ajutages bien horizontal et bien dans la direc- ton de la rainure faite sur le plancher, on ne peut répondre d’une légère déviation , laquelle pourrait avoir donné lieu à une erreur d’un centièmé dans le coefficient. 158 CLASSE DES SCIENCES. sonnes pourraient penser que ce sont des chiffres qu’on a comme imaginés , afin d'obtenir une telle régularité. Pour nous, qui connaissons M. Castel et sa manière d'opérer, qui savons que dans tout ce qu'il fait il met autant de conscience que d’ex- trême exactitude , qui l'avons vu faire peut-être mieux encore dans son travail sur les déversoirs , nous ne verrons ici que la marche régulière de la nature mise en évidence par des expériences faites avec intelligence , avec suite et avec beaucoup de soin : ce ne sont que de telles expériences qui font faire des pas assurés aux sciences physiques. Revenons à notre objet, aux résultats à déduire des faits consignés dans le tableau des expériences. En comparant entre eux, dans les colonnes 5, les coefficients de la dépense obtenus avec un même ajutage, mais sous des charges différentes, on voit qu'ils sont sensiblement les mêmes ( peut- être y a-t-il une très-légère augmentation sous la charge de 3%). Ainsi, dans un ajutage, la dépense est exactement proportionnelle à la racine carrée de la charge et à la section de lorifice. En suivant, dans les colonnes 6, la série des coefficients moyens, pour des ajutages de même diamètre et longueur, on voit le coefficient en partant de 0,83, cas des ajutages cylindriques dont l’angle de convergence est de o° , augmen- ter graduellement avec cet angle, mais jusqu’à 130 1/2 seulement où il atteint 0,95 et 0,96. Au delà, il diminue, d’abord faiblement comme toutes les variables aux environs du maximum , MÉMOIRES, 159 pus de plus en plüs rapidement, et il finirait par n'être plus que 0,64 coefficient des orifices aux minces parois ; ces orifices étant l’autre terme extrême des ajutages convergens, celui où l’angle de convergence est parvenu à sa plus grande va- leur 180°. Les dépenses, à égalité d’orifice et de charge, étant proportionnelles aux coefficients , l’ajutage de la plus grande dépense sera donc celui de 13 à 14° de convergence. Il est très-vraisemblable que les coefficients de la vitesse, comme ceux de la dépense, pour un même ajutage , mais sous des charges différentes, auraient été sensiblement les mêmes, sans la résistance de Pair; mais cette résistance diminuant la portée du jet, après qu’il a été lancé, diminue aussi le coefficient a , quoïqu’en réalité il n’y ait Vh x point eu de diminution dans la vitesse avec la- quelle le fluide sortait ou tendait à sortir. Les coefficients moyens de la vitesse, portés à la colonne ro, croïissent , à partir de l’angle o°, à peu près comme ceux de la dépense jusque vers 10°; puis ils augmentent plus rapidement qu’eux, et, au delà de l’angle de plus grande dépense, pendant que ceux-ci diminuent, ils continuent de croître et de se rapprocher de la limite 1; ils en sont déjà bien près sous les angles de 5o° et même de 40°. Les ajutages coniques forment, par leur convergence , une progression dont le premier terme est l’ajutage cylindrique , et dont le dernier calculé (n — 160 CLASSE DES SCIENCES. est l’orifice en mince paroi : de l’un à Pautre, la vitesse v va progressivement en augmentant , de- puis 0,83 V’28h jusqu'à V28h; et son coefficient croit depuis 0,83 jusqu’à 1. En définitive, les expériences de M. Castel , don- nant les coefficients de la dépense et de la vitesse pour chaque espèce d’ajutage conique, lespèce étant caractérisée par l'angle de convergence , in- diquent quel est l’ajutage propre à assurer une dépense et une vitesse demandées; et finalement, elles mettent à même de résoudre ce Sbième général des jets et gerbes d’eau : Étant donnée la Paitcur d’un réservoir plein d’eau au-dessus d'un point, ou plus directement la charge effec- tive d’eau au-dessus de ce point, y établir un ajutage fournissant un jet qui porte une quan- lité d’eau donnée à une distance et à une éléva- tion aussi données. Cest encore à M. Castel que la science sera redevable de la solution de cette importante question (1). (x) Montrons , par un exemple , la manière d'opérer ; et établissons d’abord les formules dans la” supposition que la trajectoire décrite par le jet est une parabole , et presque toujours elle le sera sensiblement. Conservons aux lettres mentionnées ci-dessus ( pag. 153) leurs valeurs respectives : n° h (=) exprimera la hauteur due à la vitesse réelle de sortie, et il représentera la force de projection. De plus, désignons par z l’angle d’inclinaison de l’ajutage lançant le jet. En prenant pour axe des abscisses l’horizontale menée par MÉMOIRES. 16i D’après cet exposé, votre Commission doit vous proposer de faire imprimer, dans vos Mémoires et à la suite de ce rapport, le grand et beau travail de M. Castel sur les ajutages coniques. Ce travail est aussi en partie, indirectement il est vrai, l'œuvre de l’Académie ; c’est elle qui a insisté pour qu’il fût fait et qui a obtenu les moyens de le faire. Nous croyons encore, dans l'intérêt de la science, devoir prier l'Académie d'inviter M. Castel à poursuivre ses importantes expériences. Disons Porifice de l’ajutage , l'équation de la courbe ( Poisson , Me- canique , Ÿ 208) sera x? 4 n° hcos?i Désignons encore par À l'amplitude du jet, c'est-à-dire la portion de horizontale comprise entre l’orifice et le point où elle. est rejointe par le jet, et où, en conséquence y — 0, lon a, - y =xtangi— A—=Ân°hsinzcosr...,..(2) Pour la plus grande élévation, du jet, ou la plus grande ordonnée, Ÿ , correspondant à l’abscisse qui est moitié de l'amplitude, on aura | Y=n2h sin ri. ...:0(3) ‘ Divisant cette égalité; par la précédente ; 1l vient : &Y sim? jai , = AN ZM NE A cos? 5 (4) * Cela posé, supposons qu'il s’agisse d’établir une rangée circulaire d’ajutages devant porter chacun o0®2#003 d’eau par seconde , à 11 mètres de distance , en l’élevant à 6», dans un lieu où la charge effective d’eau est de 8® (on se rappellera TOME V. PART, Ie 11 162 CLASSE DES SCIENCES. quelques mots à ce sujet. Et d’abord tout ce qui concerne les ajutages coniques convergents n’est pas encore terminé : 1l reste à constater l’effet de leur longueur sur la dépense et sur la vitesse : M. Castel a bien déjà fait plusieurs expériences à ce sujet, ainsi qu'on le voit dans son tableau; mais elles sont loin d’être suffisantes pour fournir une con- clusion positive. Il est ensuite d’autres questions qui sont d’un — qu’une telle charge est la hauteur du réservoir au-dessus de ce lieu, moins la résistance que l’eau a éprouvée dans les tuyaux qui la mènent depuis le réservoir jusqu'aux orifices de sortie ). On aura donc pour La chakge + +. msnsprrmes = 8m L’amplitude du jet.................... Ai" La plus grande élévation à lui donner... .. V — 6= La dépense en'eau: :.1....:..,..444, 1Q = 6,003 La formule (4) donne: .44..,..,4.4, 2,2. 2=166° 21 Le carré du sinus de cet angle mis dans l’é- quation (3), où Ÿ et À sont.conaus, indique... n — 0,953 Le tableau de M. Castel, loue 10, mon- tre que ce coefficient de la vitesse dnitond à un ajutage dont l'angle de convergence est: d'ENVATON eo ee I TANL RE PLEASE RER ORE SANTE Pour un tel ajutage, dans le même tableau colonne 6, on trouye..:,............::. M 0,940, et la for AM ordinaire de la Fe ci- “dessus, à Q—= 3,470 dy} donnçinst = d — 0%0180 Ainsi, on satisfera à la question proposée, en plaçant, aux points indiqués, des ajutages coniques ayant 0"018 de diamètre à Ja sortie, 11° de conyergence, et en les inclinant de 65,231. MÉMOIRES. 163 grand intérêt pour l'établissement des fontaines de Toulouse, telles qu'une appréciation exacte des effets ep De l’évasement à donner à l'entrée des tuyaux de conduite ; Des coudes et des étranglements que ces tuyaux présentent , etc. L’hydraulique offre en outre bien des lacunes, et bien des parties sur lesquelles on ma encore ou que des aperçus, ou que de premières ébau- ches ; entr’autres : L'action très-remarquable des ajutages coniques divergents pour augmenter la dépense des con- duites auxquelles on les adapte ; La dépense, lorsque les orifices sont ouverts dans des parois concaves ou convexes; La force de percussion des veines d’eau lancées, soit subitement soit d’une manière continue, contre des surfaces ou des corps de diverse forme; Les effets de la communication latérale du mou- vement des fluides. Toutes ces questions ne sauraient être résolues définitivement que par des suites d’expériences faites avec une très-grande précision; et fort diffi- cilement, pour en avoir de telles, trouvera-t-on un appareil aussi convenable que celui du Château d’eau de Toulouse, et un expérimentateur aussi exact, aussi scrupuleux , aussi exercé et aussi ha- bile que M. Castel. C’est dans la vue de contribuer aux progrès de la science à l’aide de ce double moyen, que l’Académie est déjà intervenue au- II. 164 CLASSE DES SCIENCES. “près de l'autorité administrative; faisons encore ce qui sera en nous pour que cette intervention porte tous les fruits possibles. Résumant ses conclusions, votre Commission vous propose , De remercier M. Castel de la communication qu’il a faite à l’Académie de son travail sur les ajutages coniques ; De décider que ce travail sera imprimé dans ses Mémoires; Enfin, d'inviter cet observateur à consacrer en- core les moments que lui laissera son service, à la continuation de ses importantes expériences, et à les étendre aux diverses questions de l’hydrau- lique qui peuvent être résolues à l’aide des appa- reils mis à sa disposition. Pour lui faire connaitre les désirs et les espérances de l’Académie à cet égard, copie du présent rapport lui serait adressée. MÉMOIRES. 1,4960 0,9484 0,928 165 1,139612,4440|6 236 0,8926|2 Let 0,927 », AJUTAGE. CHARGE | DÉPENSE COEFFICIENT COORDONNÉES COEFFIGIENT le se de la dépense, de l'arc décrit de la vitesse, TS, : j Din à AE centre | litres “ EE dé iamètre FE de par eu Ç 4 ” 4 L + fe ER erti- ori- L ne. = loriñce. [seconde expé- | Moyen.| Le | nue, | exPé- | Moyen Hu. 3 A 5 LS. 8 9 10 (Longueur Ar 0,3100|0,827 00,828 0,04") 0,483 0,4816 0,829 k Fe + “ 833 050, GB 610, . 3 690 mousio) orar deonéfn ton ag o | 00 1 PDO ED [0,0 2,0040 Fo de 0,8926/2, 22100 0, à 3,0304|11,2065|0,82 Î 4 , ñ [e] » » a 0,3335|0,866 1,1442|0,8500|0,862 0,485310,5041|10,866 11306 /1,°920|0,86 o.01#50| 1-36’. ,986410,718n10,865 |, g6çl' 21396 18340 0, "80 0,867 F 1, ne 9 I ,1396 (2,720 0,868 =) 54h 64 0,896/2,3240|0,868 ,035411,2620|0,867 0,8926|2,8580|0,865 0,2140]0,3456|0,894 1,144210,8820|0,891 AR 0, Fe 0,894 1,1396|1 34 10/0,898 001550! 3 0,9889l0,743:|0,895 1,1396/1 890 0,891 NO Ne Mr 4 1,892 0|0,892 3, ,0349{1,3050|0,897 1 8926 2 29570 0 80? 0,2164[0,3545 0,912 .|r,1442/0,9030|0,907 0,4854[0,5301|0,911 1,1396|1,3580 0,913 0,9895l0,557|0, 0,01550| 4°10/ . Liu on o,gr2| a 1 ‘9380 pts 0,910 2,0064 |1,0800|0,912 0,8926 > 4o10l 0,904 5,0330[1,3300|0,914 : 0,8926| ?,9900 0,908 L Pa let bee à ondes déroloioe7 »4872]0, 110,9: 1,1396|1,381010,927 ; 0.018550! 50264 4 09954 0,7693|0,924 V 1,1396|1,9600|0,921 é le ,494410,942110,922 0,924|;° ,1396/2,4210|0,928 0,919 er 1,0930|0,925 }: 0,8926|?,4350|0,911 ,030411,3470|0,926 0,8926/2,9700|0,905 A nu bmerse bep | 0,487 110,930 |: 11596/1, 3040100 0,01550| dt 0:994410,774710,979\ 0,930| ? 1,1396/1,982010,981 Le ,932 2,0054|1,0990|0,929 3 ,0304/1:3550|0,932/ . CHARGE |[DÉPENSE sur le en D TS, COEFFICIENT de la dépense, 72. centre | litres RS de par Par l’orifice. seconde. expé- Moyen rience. ’ ns | 1 7e 9,01950 1,4960|0,9542|0,934 °:994410,7777 0,933 2,0084|1,1050 0,933 3,0310|1 23610 0,935 0,9935 |0,7813|0,938 1,4930|o 20575 0, :938 2,0084|1,1090 0,957 3,0304 123660 [0,939 / 0,2146|0,3617|9,934 0,486: |0,5434 0,955 8058 fo, 2135|0,3622|0,938 0,4823 0 5440 0,937 0,01550| 10° 20" 0,2155|o son () 9/2 0 4841 0,5471|o 1941 90 0,7856/0,941 0,01550| 12° 04 AJUTAGE. Diamètre Angle > de AE l'orifice. | gence. 3 4 mêt. “904 10:96 17 lo 94? 2 dre. 1,1160/0,942 3,0274|r e 0,943 | 0,2155|0,3687|0,944\ 04834 0,5532|0,946 EU a 0,7915|0,945 0,01555| 13024 node Sue 2,0064|1,1260|0,945 3,0297|1 :3860 0,947 0,2160|0,3658|0,941 0,4821 M 5503 0,942 09939 0,7893 0,941 1,4984 |0,9682|0,940 2,0084|1,1220 0,94 3,0324|x 23800 0,942 0,01555| 14028" 0034 0,7819 0,938 1,4980|0,9578|0,935 2,0060|1,1100 0,938 3 034411. Ein 0,939 0,2150|0,3632|0,937 04806 o 15438 0,939 0,01550| 16°36' 0,934| ,” 0,939 0,942 0,946| ? 0,941 0,938| ? Re DES SCIENCES. COORDONNÉES de l'arc décrit |’de la vitésse, parle jet. n. | — Verti- | Hori- | Par expé- cale. |zontale. ne seu ms | 7 5 9 10 1,1442 0,9310 0,939 1,1396|1,4070|0,945 1,1396|2,0140|0 1946 1,1396 2,450 0,941 0 82e 2,150 0,949 » I »1396 2,0200|0,949 1,1396|2 24850 0,953 0 589 26/2 4e0 22907 1,1442|0,9370|0,948 1,1306|1,4150|0 954 0,991 1,1442|0,9480|0,055\ L 21396 1,4260|0,960 1,1396/2,0360|0,957 1,1396|2,4870|0,gb1 0,8926 25530 QE ds » » 1,1442|0,9060[0,963 1,1306|1,4340|0,966 1,1396|2,0480|0,963 1,1396|2,5190|0,066 0,8926|2,5590[0,956 » » » ê 1,1442[0,9590|0,965 1,1396|1,4380|0,970 1,1396|2,0440|0,960 1,1396/2,5290|0,968 0,5926|2,5840|0,965 » » » 1,1442|0,9590|0,967 1,1396 LéGro 0,974 1,1396|2,0580|0,967 1,1396 2,5430 0,973 (0) ce 4 2 to 02972 COEFFICIENT 0,955 0,963 0,971 AJUTAGE. Diamètre | Angle de ei l’orifice. ———— I conver- gence, 2 O,07 545 19° 28’ o,u15b0| 21° 00, 0,01553| 23° 00! 0,01550| 29°58/ A] o,01560| 40° 20’ 0,01560| 48° bo, ——_——m | | | 2,0090 MÉMOIRES. COEFFICIENT de la dépense, M. LS, Par expé- rience. DÉPENSE en CHARGE sur le litres par . seconde. centre de l’orifice. 3 met. 0,2158 ‘4844 0,9931 1,4980 2,0064 3,0304 0,3567|0,925 0,5342|0,924 0,7636|0,9°3\, 0,9391|0,924 1,0870|0;924 1,3380 0,926 0,924 0,2135 ,4865 :9954 1,004 ,0084 3 10314 0,3548|0,919 0,535110,918 0,7650|0,718 0,939110,917 1,0800|0,919 1,3381|0,920 ‘ 0,919 0,2150 0,4876 ,99$0|0 »49°0 2,0044 3 ,0314 0,3553 0,914\ 0 5346 ee 660|0,914 7 o 19358 0,913 0,914 1,0840|0,713 1,3390|0 0,2145 0,4866 ,9914|0 1,014 2,0064 3,0340 0,3462|0,895 0,5217|0,890 +749 9 ne 0 »895| ? 09178 0,896 1,0590|0 805 1,3040|0,896 0,2175|0,3433|0,870 0,4881 0,5143 0,870 9920 1,4994 0,7324|0,869 0,9003[0,868 1,0440|0, 870) 3,0340|1,2820|0 2870 0,869| ? 0,209510,3281|0,847 0,4876|0,5000[0,846 ,9960|0,7155[0,845 ( 1,4980l0,8780|0 858 °,0084|1,0160|0,847 \3,0344|1 2510 0,848 0,845 COORDONNÉES de l’are décrit parlejet. sl) Verti- cale. Hori- zontale, 1,1442|0,9640 1,1306|1,4450 1,1396|2,0590 1,1306 25410 0.8926 2,910 » » 1,1442/0,9610 1,1396|1,4560 1,13096/2,0550 1,1396/2,5460 o »3926 2,3960 » 1,1442/0,9660|0 1,1396|1,4610 1,1396|2,0700 1,1396/2,5190|0 [0,8926|°,6180 10 » » 1,1442|0,9680|0 1,1396|1,4610|0 1,1396|2,0650|0 1,1396|2,5480 0,8926|2,6020 » » 1,1442|0;9780 1,1396|[0,4710 1,1396|2,0760 1,1396|2,5630 0,8926|2,6190 » » 1,1442/0,9640 1,1396|1,4770 1,1396|2,0860 1,1306|2,5740 0,8926 2,6200 » » COEFFICIENT de la Jieas ; les expé- rience. —— | ————————— |—— |— 0,972 0,968 0:972 0,978 0,965 9 0,974 0,969 0,974 0,980 0,974 0,974 0,972 » 0,978 » 0,985 0,991 0,979 0,985 0,980 0,986 0,976 0,980 0,978 » Moyen. 0,970 9,972 * 0,974} 0,975|4 0,980 0,984 (Longueur A] 0",030°) 0,01530 [ 15044 \ 1,5039,0,9486 ,00441,0060 3,0304|1,3490 0,927 0,927 fe À al o,2r25|0,353r 0,48u1|0,5365 0,9961 10,640 1,4960|0,9362 2,0094|1,0850 3,0314/1,3360 0,941 0,942 0,940 du 0,940 / 0,943 COORDONNÉE À » É 1 e la vitesse, NN —_——_—_— sur le en LA par lejet. jee Diamètre Angle centre | tres |, > — D de La Ù nr es M Verti- | Hori- Es M l'orifice. gence. orifice. . CE oyen.l re CL ee sine oyen. I 2 3 4 5 6 7 8 9 10 F mèt. (Longueur 0,2095 [0,3502|0,928 1,1442|0,930|0,942 0035°) 0,485310,533510,928 1,1396|1,4050|0,945 , , 0,997010,7652|0,929 1:1396/2,0130|0,044 0,01540| g°r4! HE 0 Bet 0,020 0:929| 1 1306 24490 Be 0,940 2,0074|1,0856|0,928 0,8926|2,5000|0,934 3,0304|1,3360[0,930 » ». À 0,2110/0,3652/0,945 1,144210,9330|0,949 0,486110,5532|0,944 1,1396|1,4200|0,954 n,9930[0,789710,942 1,1396/2,0410|0,059 0,01555| 10° 28’ ot 5816 0,945 0,945 1, 1306 2,4800|0,950 0,933 2,0060|1,1/60|0,945 0,8926|2,5450|0,952 3,0304|1,3860|0,947 » » » 0,2095|0,35:610,051 1,144210,9230|0,959 0,4803 Re 0:95" 08 Déro 0,964 ! ]0.990919,7905 10,950 1,1996/2,0430|0,961 0,01550|12°42 Bean Det ne 0,951 | 11306 2,5050 GARD 0,961 2,0024|1,1240[0,951 0,8926|[2,5840|0,966 3,0334 1,3860 0,952 » » » 0,2042|0,3562|0,940 1,1442[0,9370|0,969 0,481310,5459|0,942 1,1396 vAtU oops | 002 )J0,992910,785210,939 1,1396|2,0570|0,967 0,01553[16° 02 PAL 0 9656 Dos 0,940 111306 2 5060 di 0,967 2,004411,115510,939 0,8926|2,5850|0,966 3,031411,3550|0,942 » » » A casa vs) 1,144210,9520 0,971 O, 49 oO, fl 9,92 | o,01550| 19006" /0:9954]0,772410,9°7 1,1396[2,5360|0,069 0,8926|2,6240|0,981 » » 1,139611,4450|0,973 ,1306/2,0:60|0,975 113061 5360[0 760 ( 02974 —_— || ——< me - 1,1442/0,9540l0,91% 11396 1,4500 0,967 1,1396/2,0680|0,970 1,1396/2,5330|0,950 0,8926/2,5700|0,960 » 0,968 MÉMOIRES. AJUTAGE. ES, Diamètre | Angle d e e conver- l'orifice. gence. ———— I 2 ( Longueur 0",025) 0,02000| 2° bo/ 0,02000| 5° 26/ 0,02005| 6° 54" 0,02000|10° 30/ 0,02000|12° 10’ CHARGE | DÉPENSE sur le centre de l’orifice.| seconde. en COEFFICIENT de la dépense, mm. litres par Par expé- rience. ST, COORDONNÉE de l’arc décrit par lejet. AS A +, COEFF de la Par 2 expé- zontale. | rience. Verti- | Hori- cale. — || ——— | ———— | — 1,144210,9570|0,950 1,1396|1,4510|0,970 1,1396|2,5290|0,967 0,8926|2,5830|0,965 » » » 1,1396|2,0560 : ICIENT vitesse, n. CS Moyen. 10 = a — mm ——— —— | —— ——— _ 0,2140 0,4823 0,9964 1,024 2,0064 3,0320 0,2160 0,4857 0,994 1,4940 2,0074 3,0310 0,2145 0,4833 0,9904 1,4984 2,0064 3,0304 0,2145 0,4839 0,9984 1,4984 2,0004 3,0324 0,2077 0,4822 0,9944 1,4974 2,0010 3,0304 0,5878|0,913 0,8823|0,913 1,2680 [0,913 1,5600[0,915 1,8020|0,914 2,2180[0,916 0,600710,9°9 0,9013[0,930 1,2890 [0,930 r,5830|[0,93r 1,8330|0,930 2,2550|0,931 0,6076|0,938 0,9116[0,938 1,3040[0,937 1,6060 [0,938 1,8580|0,938 2,2855|0,939 0,602610,944 0,914610,945 1,3120|0,944 1,6100|0,945 1,8610|0,946 2,2900|0,945 0,6020|0,950 0,9170|0,949 1,3160|0,949 1,6150|0,050 1,8680|0,949 2,3020[0,951 D D Es: 0,91 0,930 0,938 0,94 0,990 1,1442|0,8980|0,907 1.1396|1,3490|0,910 1,1396|1,9390|0,910 1,1396|2,3660|0,904 0,8926|2,4120|0,901 » » » 1,1442|0,9200|0,925 1,1396 1,3800 0,9:-7 1,1396|1,9710]0,927 1,1396|2,4250|0,929 0,8926|2,4880|0,929 » » » 1,1442/0,9260|0,975 1,1396|1,3940|0,939 1,1396|1,9850|0,934 1,1396/2,4610|0,94° 0,8926/2,5150|0,940 » » » 1,1442/0,9330|0,9bt 1,1396|1,4150|0,953 1,1396|2,0100|0,953 1,1396|2,4900[0,953 0,8926,2,5580|0,957 » » » 1,1442/0,9340|0,958 1,1306|1,4250|0,961 1,1396|2,0302|0,954 1,139612,5010|0,957 0,8926|2,5590|0,955 » » » 0,957 170 AJUTAGE. CHARGE | DÉPENSE ! è : a de la dépense | de l’arc décrit de la vitesse, <<, À Sur le mr. par lejet. LA centre | Litres | nn | — ‘ n D nn Diamètre | Angle 4 A CO de de par Par erti ; Par de h 2 Verti- | Hori- conver- | l’orifice. | seconde. | expé- | Moyen. expé- | Moyen. l'orifice. gence. rience. cale. |zontale. | rience. Ë mme (mme | amsn | semence ne nee | scans I 2 3 4 5 6 7 8 9 10 10,2110|0,6109 [0,956 0,486 0,9236 [0,956 0,9954|1,3260|0,955 1.4980|1 6260 0,955 2,0084|r 8840 0,956 3,0304|2,3170|0,957 o 0,02000| 13° 40’ 0,2145|0,6079 Pot 0,487: |0,9164 10,949 0,9954|1,3090|0,948 1,9024|1,6100[0,949 2,0070|1,8610|0,949 3,0324|2,2890 0,950" 0,0199D 15° 02° ,4866|0,9118|0,940 >9969|1,3040 1,4966|1,6000 2.0084|1,8510 3,0354[2,2780 0,939 0,940 0,939 0,940 0,02000|18° 10° 0,2175|0,6006 0,480 |0,8097 0,9959|1,2840 1,5044|r,5790 2 1007 1,8230|0 2450 0,930 9,929 9,930 9,930 0,929 0,931 0,01995 |23° 04" 3,0354|2 0,5927|0,921 0,8909|0,920 1,2760|0,920 1,5680|0,919 1,8130|0,920 1,2320|0,921 dar 0,484 0,9944 1,5024 2,0064 3,0320 dl 0,02000| 33052’ Se £ ,2155 |0,6066|0,939 ( Longueur 07,100) 0,6243|0,964 0,9484 10,965 1,320 |0,966 1,6600|0,966 1,9180|0,964 2,3670|0,967 — 0,02010| 11052" 14068 2,0034 0,2122 0,4891 0,9960 3,0350 | 1,144° |0,9700|0,980 1,13896|1,4580|0,982 1,1396|2,0850|0,979 0,920 11306 |2, 2,5780|o 2085 0,8926|2 5970 0,970 » 1,1442|0 Dont 0,965 ét 14440 02967 1,13096|2,0610|0,9 à 0,965 11396 2 5280 ee 1967 0,8926 |2 P090 0:967 » D ar ns © COEFFICIENT 0,956|,° 0,930 CLASSE DES SCIENCES. COORDONNÉE 1,1442|0,9490 0,966 1,1396|1,4350|0,968 1,1396|2,0550|0 ,965 1,1396/|2 5130 0,962 0,8926|2 25680 0 959 » 1,1442 |0,9580|0,967 1,1396|1,4460|0,970 1,1396|2.07:0|0,973 1,1396|2,5140|0,961 0,8926|2,5780|0,963 » » » 0,9650[0,972 1,4490|0,973 2.0710|0,972 2,5320|0,969 25920 to) 968 » 0,6720 10,974 1,4550|0,975 2,0760 0,074 2,5410|0,970 2,5740|0,962 1,1442 1,1306 1,1396 1,1396 0,6926 COEFFICIENT 0,967 9,971} DOTE = MÉMOIRES. COEFFICIENT de la vitesse, Ê Me centre | litres A, de par Par l’orifice.} seconde.| expé- rience. COORDONNÉE COEFFICIENT de Parc décrit | de la vitesse, par le jet. n. LT, Verti- cale. AJUTAGE. CHARGE |DÉPENSE sur le en et Diamètre Angle de de l'orifice. Par expé- rience. Hori- zontale. conver- gence. Moyen. 2147|0 16107 0,997 0 4836 0,919310,958 0,019g0 14° 12° 0,9964 1,3160 0,97 0,2195|0,6220|0,957 0,4825|0 29278 0,950 0,9955/1,3320)0,950 |, 1,4994|1 6360 0,951 (° 2006! 1 8900 0,950 ,3240|0 0,02010| 16°34/ 1,9014|1,6170|0 2058 (° 2,0080|1,8680 0,957 3 :0334 0,2990 0,958 / 3,0274|2 0,951 1,1396|2,0620 ne 1,1396|2,5300|0,967 o Fan 2 »5990 :972 1,1442|0,9710|0,973 1,1396|2,0820|0,977 À 1,1396|/2,5360|0,969 0,8926|2,6060|0,974 » » » 172 CLASSE DES SCIENCES. EXPÉRIENCES DE M. CASTEL SUR LE PRODUIT DES POMPES DU CHATEAU-D’EAU DE TOULOUSE , Communiquées par M. D'AUBUISSON. Sr une pompe était parfaite, que la garniture du piston contint entièrement l’eau, que les soupa- pes fermassent hermétiquement et instantanément dès que le piston aurait atteint le haut de sa course, on obtiendrait, à chaque relevé, un volume d’eau égal au solide engendré par la base du piston dans son ascension. Mais il n’en est jamais ainsi ; la garniture du piston laisse retomber au-dessous d'elle une partie de l’eau qui était déja passée dessus ; les soupapes sont dans le même cas, et d'autant plus qu’elles baissent plus lentement: Aussi l’on compte qu’il y a toujours une perte ou un déchet dans le volume d’eau élevé, et on l’es- time de un à deux dixièmes dans les pompes ordi- naires : l’on admet encore qu'il est d'autant plus grand que le piston monte plus lentement (1). Cependant une bonne construction et un entre- (1) Traité d’hydraulique à l'usage des Ingénieurs , p. 237. ù MÉMOIRES. 173 tien soigné peuvent réduire considérablement la perte sus-mentionnée : par exemple, dans les pom- pes de la plus belle et la plus grande des machines hydrauliques que nous ayons en France, celle qui sert à l’épuisement des eaux dans les mines de Huelgoat en Bretagne, M. l'ingénieur J;ncker, auteur de cette machine, ayant comparé le pro- duit théorique avec le produit réel, n’a trouvé que 1/3 de différence (1). Il était bien important de constater aussi le produit des belles pompes du Château-d’eau , ouvrage de notre confrère M. Abadie, afin de connaître et leur état et la quantité d’eau qu’elles livraient effectivement au service des fontaines. En conséquence, j'ai prié M. Castel, ingénieur des eaux de la ville, de faire quelques expérien- ces à ce sujet : le grand bassin de jauge qui avait servi à son travail sur les déversoirs, lui don- nait le moyen d’en mesurer très-exactement le produit. L'année dernière, il eut la complaisance de faire quelques observations; cette année (1837), le 12 septembre, il les a réitérées, et avec tout le soin dont il était capable, c'est-à-dire qu’il les a faites à la perfection. Je vais en rendre compte. Je rappelle avant , qu’on a, au Château-d’eau, huit pompes aspirantes et foulantes , dont le pis- ton est un long cylindre métallique montant et (1) Annales des Mines, 1835, tom. vüj, pag. 268. La vitesse du piston pourrait aller jusqu’à o®40. 174 CLASSE DES SCIENCES. 3 descendant dans une boîte à cuirs, et ayant moyennement, En'diametre, 1. 2e AMEL ons En longueur de course......... 1, 144 Aiïnsile volume du solide engendré—0,066 "+? Ces huit pompes sont divisées en deux équipages distincts ; chacun est mu par une roue particu- Bière, il devrait donc élever, par révolution de roue, 264 litres d’eau. Pour savoir ce qu’il en est réellement , M. Castel a séparé les eaux des deux équipages, de ma- nière que celles de lun continuassent à fournir aux fontaines , tandis que celles de l’autre servi- raient aux expériences. J’en présente les résultats dans le tableau suivant : chaque produit réel est un terme moyen entre deux observations. L'eau est élevée à 23" environ au-dessus des soupapes. Das VITESSE. PRODUIT GNATION | —mmm 254) PAR MINUTE. DÉCHET. véqui- purs Vitesse CPE TN AT Gone l page: 7 sue Rapport MESA réel. |absolu.| sur 100. tours. | mètres. litres. | litres. | litres. . 5,08 | 0,194! 100 11341,411280,0] 61,4 !4,58— 1/22 3,81 | 0,145 75 |1005,8| 934,3] 71,5 |7,11—1/14 5,81 | 0,222! 100 |1533,8]1510,71| 23,1 |1,51—1/66 Nord. { 3,48. | 0,133| 60 | 918,7| 892,4] 26,3 |2,86—1/35 | on L'examen de ces résultats montre : 1° Que dans lun des deux équipages, celui qui est vers le sud, le déchet est plus que double; MÉMOIRES. 179 il a dépassé 4 !/, pour 100, tandis qu'il n’a été dans l’autre que d'environ 1 1/,, à vitesse à peu près égale. Au reste, on sayait déjà que dans léqui- page sud, il y avait un petit dérangement à une des soupapes; le mal sera facile à réparer. 2.9 Que lorsque la vitesse a diminué , le déchet a considérablement augmenté : ainsi la vitesse ayant décru dans le rapport de 10 à 6, la perte a augmenté dans celui de 10 à 19; elle a presque doublé. Le premier de ces faits met en évidence le très- rare degré de bonté de nos: pompes : dans celles de Huelgoat, citées avec de grands éloges , le dé- chet a été de 3 13 pour 100, et il na pas été de 1 1/, au Château-d’eau et avec une vitesse bien inférieure. Le second fait est d’un véritable intérêt pour la science. On savait bien que la perte d’eau , dans les pompes, est d'autant plus grande qu’elles sont mues plus lentement; mais on pensait que c’était une suite de leur mauvaise disposition ou tenue, et voici que ce même fait se reproduit dans des pompes presque parfaites. Il est fâcheux que, dans ses expériences, M. Castel soit demeuré presque au-dessous de la vitesse moyenne de ses roues; généralement elles élèvent cent pouces d’eau, et elles n’ont alors à faire qu'environ 5 1/, tours par minute (on a été à 5,81 seulement \: mais elles doivent aussi élever 125 pouces, ce qui exige plus de 6 1/; tours, elles peuvent en faire 7 et 7 ?/, : on eût vu si, dans 196 CLASSE DES SCIENCES. cés hautes vitesses, le déchet aurait été encore eñi diminuant. Mais M. Castel a craint, en portant une très-grande quantité d’eau dans la cuvette placée au haut du Château-d’eau, indépendam- ment de celle qui était nécessaire au service des fontaines, de la faire déborder et d’inonder cet édifice. Espérons qu’une autre année il pourra revenir sur cet objet, et profiter d’une circons- tance particulière, où il lui serait possible de dis- poser de toutes les eaux élevées, d’une heure de la nuit par exemple, pour remplir le vide que laissent les expériences qu’il vient de faire ;, expé- riences au sujet desquelles on lui doit toujours de la reconnaissance, car, même dans leur état actuel, elles éclairent un point important de l'art des machines. MÉMOIRES. br MÉMOIRE SUR LE GENRE HALIMOCNEMIS ; Par M. MOQUIN-TANDON. Ox sait depuis longtemps que la plupart des plan- tes décrites par les auteurs sous le nom de Polyc- nemum , ne présentent pas les caractères de ce genre. Presque toutes les espèces de la Sibérie, de la Russie orientale et de la Perse n’offrent pas une semence avec un double técument. Leurs graines sont pourvues d’une enveloppe mince, en apparence simple et membraneuse. Leur embryon n’est pas courbé annulairement autour dun albumen plus ou moins copieux, mais tordu en spirale et privé de substance albumineuse. Ces différences suffisent pour montrer que les plantes dont il s’agit se rapprochent beaucoup plus des Salsola que des Polycnemum ; aussi quelques auteurs ont-ils eu l’idée de considérer ces préten- dus Polycnèmes comme de véritables Soudes. Mais, TOME V, FART.I,. 12 178 CLASSE DES SCIENCES. dans les Salsola , le calyce devient appendiculé après la fécondation; de petites ailes ou écailles se développent sur le dos de chaque foliole, et d’un autre côté l'embryon paraît tordu horizontalement. Dans nos plantes , au contraire, les sépales ne sont pourvus d'aucune espèce d’appendice et embryon est vertical (1). Ces caractères différentiels ont engagé M. C. A. Meyer à regarder ces plantes comme le type d’un nouveau genre qu'il a désigné sous le nom de Ha- limocnemis. Ce savant Botaniste a décrit ou caractérisé , dans le Flora altaïca , 7 espèces distinctes de ce genre. Îl en indique deux autres (le Polycnemum sclerospermum de Pallas et le Polycnemum malacophyllum de Bieberstein); ce qui porte le nombre total à neuf. Dans l’Essai monographique que je soumets à l’Académie, je compte 15 espèces, dont cinq nou- velles toutes originaires de la Perse; trois de ces dernières plantes ont été recueillies par M. Be- langé, et les deux autres envoyées à M. de Candolle par M. Aucher-Eloy. Je possède en herbier 14 Halimocnemis. La seule espèce qui me manque a été signalée par M. Lessing dans le journal le Linnæa. Faute de renseignements suffisants, j'ai été obligé de consi- dérer cette plante comme douteuse. CREER ERNEST Es (1) D’autres Botanistes en ont fait des Anabasis ; mais dans ce genre, le calice est aussi ailé. MÉMOIRES. 179 HALIMOCNEMIS. C. A. Mey. in Ledeb. FI. Alt. 1, p. 381. — Polycnem. Salsolæ aut Anabasis spec. Auct. Flores hermaphroditi, bibracteati. — Calyx 2, 3, 4 aut 5 sepalus; sepalis demtm induratis, nunquàm appen- diculatis. — Stamina 1-5, receptaculo inserta ; antheris sæpiùs connectivo in appendiculum ligulare vel cucullatum producto superatis. — Squamulæ hypogy næ nulle. Styli 2, basi pierumquè coaliti. — Fructus (utriculus) com- pressus, subchartaceus, calyce clauso protectus; pericarpio membranaceo. Semen verticale, suborbiculare ; integumento simplici, membranaceo. Ælbumen nullum. Embryo co- chleatus; radiculà dorsali. Herbe, rarissimè suffrutices, pubescentia , subincana. Folia alterna vel opposita , sessilia, plûs minùs cylindrica, succulenta. Flores solitarii, axillares. Bracteæ foliis con- formes, sed minores, cum sepalis in fructu induratis, utri- culum siccum arctè includentes. Ogs. Genus apprimè naturale. Præcipuë differt ab Æa- logetone sepalis muticis ; ab Anabasi , Cornulacca et Brachylepide defectu squammarum hypogynarum et cali- cinorum appendiculorum ; à Salsolä et T'ragano, semine verticali. — Halimocnemides plerasque Polycnemi species éxistimant Pallas, Bieberstein , Wildenow , Schultes et Sprengel. Species sola ( . monandra) habitum Polycnemi refert. Cæteræ omnes nec faciem nec characteres hujus generis præbent. 4.° H. JUNIPERINA. (C. A. Mey. in Ledeb. FI, Alt. 1, p. 286.) Fruticosa, glabra; ramis alternis, confertissimis; folis alternis, semiamplexicaulibus, confertis, imbricatis, su- 112. 180 CLASSE DES SCIENCES. bulatis , pungentibus ; floribus 5 sepalis, 5 andris; appendiculis minutis , angustè ovatis , acuminatis, al- bidis. sin Italià? Tatarià. Polycnemum Juniperinum. Bicb. Act. mosq. 1, p. 154, et 4, p. 25. P. Erinaceum. Pall. ill. pl. imp. cogn. p. 56, t. 48. Camphorosma acuta. Linn. spec. 1787? (V. S.) 2.° H. MONANDRA. ( C. A. Mey. I. c. 1, p. 384.) Herbacea , pubescens ; ramis alternis , infimis oppositis ; foliis alternis, numerosissimis, brevibus, approximatis, su- bulatis, mucronatis; floribus 3 sepalis, 1 andris; appendi- culo minuto, albido. © In Sibirà et As med. , Polyenemum Monandrum. Pal], it. in-8.°, app. n.° 265, t. 48. — Ibid. ill. pl. imp. cogn. p. 59, t. 49. (V.S.) 3.° H. TOMENTOSA. (Moq. in Belang. F1. Pers. ) Suffruticosa, tomentosa ; ramis alternis, subpatulis; foliis alternis, semiamplexicaulibus, oblongis, obtusiusculis, cras- siusculis; floribus 5 sepalis, 5 andris; appeudiculis ovato- linearibus , acutis, albidis. 5 In Persi circa Teheran. (V. S. ex itin. Belang. et in herb. Mus. Paris.) 4.° H. SULPHUREA.:(Moq. in DC. Prodr. ) Herbacea , pilosissima ; ramis alternis, gracilibus, diffusis; foliis alternis , semiteretibus , tenuibus, obtusius- culis; floribus 5 sepalis, 5 andris; appendiculis valdè exsertis, vesiculosis, ovatis vel obovatis, acutiusculis, sulphureis. © In Persià. (V. S. in herb. DC.) MÉMOIRES. 181 5.° H. PILIFERA. { Moq. in Belang. F1. Pers. ) Herbacea , pilosa ; ramis alternis, patulis; foliis alternis, semiamplexicaulibus , semiteretibus, mucronulatis, crassis, carnosis ; floribus 4 sepalis, # andris; appendiculis exser- tis, lanceolato-linearibus , longis , acutis, subconcavis, albidis. © In Persià. (Y. S. ex itin. Belang.) 6.° H. MALACOPHYLLA. (C. A. Mey. Verzeichn. Pfl. Cauc. p. 158.) Herbacea , pilosiuscula; ramis alternis, patulis, infimis oppositis ; foliis alternis (infimis oppositis), semiteretibns, longè mucronatis , crassis, carnosis; floribus 5 sepalis, 5 andris ; appendiculis valdè exsertis, angustè ovatis, obtu- siusculis, sulphureis. © In Caucaso. Salsola pilosa. Pall. il. pl. imp. cogn. p. 26, t. 20? Polyenemum Malacophyllum. Bieb. Act. mosq. 1, Pa De S:) 7.2 H. PURPUREA. ( Moq. in D C. Prodr.) Herbacea , tomentosiuscula; ramis alternis, crassiusculis, patulis, inferioribus suboppositis; foliis alternis, semitcreti- bus, mucronatis, subarcuatis; floribus 5 sepalis, 5 andris; appendiculis valdè exsertis, maximis, vesiculosis, inflatis, ovoïdeis, obtusissimis , petaloïdeis, purpurascentibus aut violaceo-purpureis, imà basi sulphureis. © In Persià. (V. S. in herb. DC.) 8.° H. GLAUCA. (C. A. Mey. in Ledeb. FI. Alt., 2IP 585) Herbacea , pubescens ; ramis alternis, infimis oppositis ; folis aliernis, semiamplexicaulibus, semiteretibus, acutius- culis, mucronulatis, crassis, carnosis; floribus à sepalis, 182 CLASSE DES SCIENCES. 5 andris; appendiculis ovatis, subcucullatis , obtusis , albi- dis. © In Asià med. Polyenemum Glaucum. Bieb. Act. mosq. 4, pe 21.=— Pall. ill. pl. imp. cogn. p. 65, t. 53 et 54. (V.S.) 9.° H. CRASSIFOLTA. (C. À. Mey. L. c. 1, p. 385.) Herbacea , subglabra ; ramis et foliis inferioribus oppo- sitis, superioribus alternis; folis semiteretibus, arcuatis , obtusis, crassis, carnosis; floribus 2 sepalis, 5 andris; appendiculis brevissimis , tridentatis, apice coalitis. © In Asià medià. Polyenemum crassifolium. Bieb. Act. mosq. 1, p. 151. — Pal. ill, pl. imp. cogn. p. 64, t. 55 P. Opposititolium. Pall. it. in-8.° app. n.° 267, t. 46, fee Anabasis oppositifolia. Bieb. Fl. Taur. Cauc. p. 154, app. n.° 20. 1(N215:) 10.° H. VOLVOX. (C. À. Mey. I. c. 1, p. 383.) Herbacea, adpressè pilosa ; ramis alternis, infimis oppo- sitis; foliis alternis, filiformibus, acutiusculis; floribus 3 sepalis, 3 andris; appendiculis subnullis? © In Sibirià et Rossià australi. Polycnemum volvox. Bieb. Act. mosq. #, p. 7. — Pall. ill. pl. imp. cogn. p. 160, t. Bo. P. Salsum. Bieb. Act. mosq. 1, p. 153. P. Triandrum. Pall, it, in-8.° app. n.° 266, t. 47, f. 1 et 2. RE triandra. Bieb. FL. Taur. Cauc. p. 154, app. + 27. (V.S.) MÉMOIRES. 183 44.9. SCLEROSPERMA. (C. A. Mey. L. c. 1, p. 387.) Herbacea, glabriuscula ; ramis alternis, subpatulis, infi- mis oppositis; foliis alternis, semiteretibus, mucronatis , carnosis; floribus 5 sepalis, 5 andris ; appendiculis angustè. oblongis, longis , acutis, albidis. © In Sibirià et Asià medià , etiam in Barbari. Polyenemum Scleropermum. Bieb. Act. mosq. 1,p. 152. — Pall. ill. pl. imp. cogn. p. 65, t. 56. P. Diandrum. Willd. Spec. 1, p. 192. (V.S.) 42.° H. GAMOCARPA. (Moq. in Belang. F1. Pers.) Herbacea , subglabra ; ramis patulis, inferioribus opposi- tis, superioribus alternis; foliis semiamplexicaulibus, semi- teretibus, arcuatis, mucronatis, crassis, carnosis, inferio- ribus oppositis, connatis, superioribus alternis; floribus 5 sepalis, 5 andris; appendiculis brevibus, ovatis, subacutis, albidis, © In Persià. (V.S. exitin. Belang.) 43.° H. BRACHTATA. (C. A. Mey. in Ledeb. FI. Alt. 1001.) Herbacea , adpressè pubescens ; ramis oppositis, diffusis; foliis oppositis, semiteretibus, acutiusculis, carnosis, ar- cuatis; floribus 5 sepalis, 5-5 andris; appendiculis minu- tissimis, subtridentatis, albidis. © In Sibirià , Caucaso. Polycnemum brachiatum. Bieb. Act. mosq. 1, p. 152, et #, p. 23. — Pall. ill. pl. imp. cogn. p. 62, t. 52. P. Oppositifolium. Rœm. et Sch. syst. 1, p. 526, et 6, p. 224. Anabasis conjugata. Hoffm Hort, mosq. 1808, n.° 184. (V.S. ex itin. Belang.) 184 CLASSE DES SCIENCES. 44.° H. SIBIRICA. (C. A. Mey. L. c. 1, p. 382.) Herbacea, patentim pilosa ; ramis oppositis, patulis, sub- distantibus ; foliis oppositis, elongatis, filiformibus, acu- tusculis; floribus 5 sepalis, 5 andris; appendiculis minu- tissimis, subnullis. © In Sibirià. Polycnemum sibiricum. Bieb. Act. mosq. #, p. 24. — Pall. ill. pl. imp. cogn. p. 61, t. 51. (V. V. C. et S.) Species non satis nota. 45.° H. CASPICA. (Moq. in DC. Prodr.) D AE ATOS Re appendiculis subulatis, elongatis. In montibus Uralensibus. Nanophyton caspicum. Less. beitr. F1. sudl, Ur. Linn. 96, p. 197. Année 1839. Section Première. HISNORRE, SUJETS DE PRIX. L'acanéme avait proposé pour sujet du prix à donner en 1839, la question suivante : En admettant les progrès apportés par l’ana- tomie pathologique dans l’étude et la guérison des maladies en général, Déterminer les avanta- ges que les Médecins peuvent en retirer dans le diagnostic, le pronostic et le traitement des affections proprement appelées NERVEUSES. Un seul Mémoire ayant été envoyé au con- cours, l’Académie l’a jugé digne d’un encoura- gement, et a accordé une médaille d’or de la valeur de 120 fr., et le titre d’Associé correspondant de l'Académie, à son auteur, M. Gavssair , Docteur en médecine à Verdun ( Tarn-et- Garonne ). L'Académie propose pour sujet du prix à accor- der en 1841, la question suivante : & + : Indiquer les circonstances dans lesquelles le minerai de fer, extrait des mines de Rancié, 186 CLASSE DES SCIENCES: et traité dans les forges Catalanes des Pyrénées, J produit une sorte d’acier naturel, dit fer cedat ou fer fort dans le pays , par opposition au fer doux ou fer ordinaire que l’on retire habituelle- ment de ces mêmes forges. Déterminer ensuite les conditions qui assurent la production du fer fort, de manière à pouvoir lobtenir à volonté. La solution des deux parties de la question doit être basée sur des faits observés dans les forges Catalanes, et constatés d’une manière authentique. Le prix sera une médaille d’or de la valeur de 5oo francs. L'Académie propose pour sujet du prix à accor- der en 1842, la question suivante : Déterminer par une suite d'expériences , 1° Les lois de l’écoulement des fluides par des orifices en minces parois concaves OL COnvexes ; 2.0 Les lois du choc des fluides contre des sur- faces concaves ou convexes, en faisant varier la charge sur Porifice et la distance des surfaces à l’orifice. Le prix sera une médaille d’or de la valeur de 500 francs. HISTOIRE. I 87 ÉLOGES. NOTICE SUR M. MOIROUD ; Par M. ne VACQUIÉ. Msssieurs, Dix années seulement avant notre première ré- volution, un de nos Académiciens les plus célèbres, d’Alembert, ne croyait point pouvoir trouver matière à un éloge académique, dans les nom- breux travaux, couronnés d’ailleurs des plus écla- tants succès , de son confrère Bourgelat. Malgré cette préoccupation, je ne veux pas me servir d’une expression plus sévère : le nom de Bourgelat est haut placé dans l'estime de la posté- rité; et dans leur reconnaissance pour ses services, l'agriculture et la science proprement dite, lui élèvent des statues à la porte de ces écoles vétéri- naires qu'il créa et qu’il semble protéger encore. Je viens aujourd’hui, Messieurs, payer mon tribut à un homme qui naquit dans la patrie de Bourgelat, qui consacra sa vie aux mêmes études, 188 CLASSE DES SCIENCES. et certes de justes sujets et d’éloges et de regrets ne se présentent à moi qu’en trop grand nombre. Je n’avais point, à la vérité, l'honneur d’appar- tenir encore à l’Académie lorsque M. Moiroud lui fut si inopinément ravi; mais, son collègue dans une autre enceinte, j'avais pu apprécier l'agrément et la sûreté de son commerce, et voir rendre témoi- gnage par de bons juges à la capacité et aux travaux qui, seuls, lui avaient fait conquérir une position brillante. — Essayons de tracer une es- quisse rapide d’une carrière sitôt interrompue. M. Louis MOIROUD naquit en 1797, à Sainte- Colombe-les-Vienne , département du Rhône. En- tré, à quinze ans, à l’école vétérinaire de Lyon, la mère de toutes celles qui existent et en France et à l'étranger , il fut bientôt nommé répétiteur du cours de chimie et de pharmacologie, deux scien- ces qui, dès le premier moment, avaient été l'objet favori de ses études. Mais ce n’était qu’à l’école d’Alfort , placée pres- que dans l’enceinte de la capitale, et par cela même plus favorisée, qu’on pouvait obtenir le titre de Médecin -Vétérinaire, et en acquérir la science auprès des hommes les plus célèbres de la capitale. M. Moiroud vient donc à Alfort : à peine s'est-il assis parmi les disciples, qu’on l'élève presqu’au rang des maîtres ; il est nommé répétiteur du cours de chimie et de physique, professé par Dulong , depuis Directeur de l’école polytechnique, et, à la fin de l’année, les prix HISTOIRE. 109 viennent sanctionner cette distinction si flat- teuse. À vingt ans, nommé Vétérinaire en chef au premier régiment d'artillerie, à Strasbourg, M. Moiroud fit aux nombreux officiers de cavale- rie en garnison dans cette ville, un cours d’hip- piatrique qui le fit connaître des professeurs de la Faculté de médecine , et lui valut l'amitié en- trautres du Docteur Fodéré, l’un des oracles de la médecine légale. Pour vous faire connaître l'importance de sem- blables études, me permettrez-vous, Messieurs, de rappeler qu’en 1804, plusieurs officiers de ca- valerie ayant été envoyés à Lyon et à Alfort pour suivre seulement un cours d’hippiatrique , quel- ques-uns trouvèrent tant de charmes dans le cer- cle des études vétérinaires, qu'ils le parcoururent tout entier ; l’un d’eux est devenu depuis Préfet du Rhône, Sous-Secrétaire d'Etat, Pair de France, eta publié un grand nombre de bons ouvrages sur différents sujets. ( M. de G. ) D'une chaire obtenue au concours à Lyon, M. Moiroud passa en 1829 à une chaire à Alfort ; trois ans après, la direction de l'École Féténitaire de Toulouse lui était confiée, et l’état embarrassé dans lequel il la trouva, les finances étant obé- rées, et les liens de la subordination relachés, ne lui fournirent que trop les occasions de dé- ployer les talents d’un administrateur habile , et bientôt, souslui, notre école compta plus d’élè- ves que celle de Lyon. 190 CLASSE DES SCIENCES. Nommé membre résidant de la Société d’A- griculture de la Haute-Garonne, il lui paya un tribut constant et d’assiduité et de travaux. Vous aviez aussi, Messieurs, appelé M. Moiroud dans votre sein; en 1337, hélas! bien près de mourir, il vous communiquait un mémoire sur un appa- reil de son invention, destiné au desséchement des substances organiques à conserver pour l’ana- lyse. Que d’autres communications pleines d'intérêt v’aviez-vous point à attendre de l’auteur de trai- tés devenus classiques sur la médecine vétéri- naire (1), si sa carrière n’eût été brusquement coupée , lorsqu'il finissait à peine son huitième lus- tre, ces années qui viennent, comme les appelle le poëte, et qui sont destinées à porter tant d’a- vantages avec elles , et au moment où les joies de la famille semblaient ne plus lui permettre de désirs ! D’unanimes regrets entourèrent la tombe de M. Moiroud ; et lorsqu’après une année révolue, Péglise offrait de nouveau pour lui ses prières, on put aisément se convaincre que le temps.ne les avait point effacés. (1) Traité de matière médicale et de thérapeutique vétéri- naire, 1 vol in-8.° de 600 pages. HISTOIRE. 19I NOTICE SUR M. ROMIEU; Par M. Du MÈGE. Misssirurs, L'étude des lettres et celle de la législation Romaine, ont toujours été honorées dans Toulouse ; mais si, depuis la fondation de notre Université (1), (1) L'article 7 du traité de paix conclu entre le roi de France et Raymond VII, comte de Toulouse, en 1229 , porte textuellement la condition de payer, par ce dernier, quatre mille marcs d'argent pour entretenir pendant dix ans quatre maîtres en théologie , deux en droit canonique , six maîtres ès arts et deux régents de grammaire , qui professeraient à Toulouse : telle est l’origine de l’Université de cette ville. En 1233 , le pape Grégoire IX , par une lettre écrite au même Comte, confirma l'établissement de l’Université de Toulouse, et lui accorda tous les privilèges dont jouissait celle de Paris. Il y ordonne aux habitants de fournir des maisons pour la demeure des écoliers. Il exempte les professeurs , les étudiants et leurs domestiques de la juridiction des juges séculiers ; les met sous la protection du Comte et de ses officiers , et ordonne à ce prince de payer aux professeurs l’honoraire auquel il s’était engagé par le traité conclu à Paris en 1229. Il écrivit une autre lettre à l'Université des Maîtres et des écoliers de Toulouse , et leur accorda le droit de professer partout. Il commit l'exécution de ces bulles à l'archevêque de Nar- bonne et aux évêques de Toulouse et de Carcassonne. Inno- 192 CLASSE DES SCIENCES. ces études ont fait parmi nous des progrès qui n’ont jamais été interrompus ; si, au seizième siècle, dix mille jeunes hommes, accourus de toutes les parties de l’Europe, recevaient dans nos murs une instruction variée (1), le siècle suivant vit se développer avec encore plus de majesté des ger- mes plus féconds , plus en rapport avec la marche ascendante de l'esprit humain. Ce fut alors que la Société des sciences se forma (2), et qu’en dehors cent IV confirma ces priviléges par une bulle datée de Lyon, au mois de septembre 1245. (x) Jacques de Minut, baron du Castera, atteste ce fait dans sonlivre intitulé : De la Beauté, discours divers, pris sur deux belles façons de parler, desquelles l Hébrieu et le Grec usent: l'Hébrieu , Tor , et le Grec , GALAGON CAGATHON , voulant signifier, ce qui est naturellement beau est aussi naturelle- ment bon; avec la Paure-crAPutE , ou Description des beautés d’une dame Tholosaine, nommée la Berze PauLre. (2) En 1640, MM. Pelisson et Vandages de Malepeyre, établirent à Toulouse des Conférences académiques dans la maison de M. de Garreja. Ces conférences avaient lieu la nuit, les académiciens s’y rendaient à pied , sans équipage, sans suite , et portant en hiver une petite lanterne , ce qui leur fit donner le nom de Lanternistes, qu'ils adoptèrent. Ils choisirent même pour devise une étoile , avec ces mots : Lucerna in nocte. Plus tard, en 1667, cette association prit uvre marche plus active et s’assembla plusieurs fois la se- maine. Pendant longtemps elle distribua , chaque année, un prix au meilleur Sonnet à la louange de Louis XIV. Le prix consitait en une médaille qui représentait d’un côté la devise de la Société , et de l’autre , Apollon jouant de la lyre. On lisait autour de la figure : APOLLINI TOLOSANO. Dans la suite, MM. de Carrière consacrèrent aux réunions de cette Académie, le plus bel appartement de leur hôtel. HISTOIRE. 193 des écoles universitaires, on s’occupa sans relâche de toutes les théories physiques et mathématiques. Le grand Fermat vivait alors, et ce fut sous ses auspices que nos devanciers s’élancérent dans la voie qu'il leur avait ouverte. Le goût général des habitants pour l'art de bien dire et pour la poésie , ce goût exquis qui avait mérité autrefois l’épithète de Palladienne à la vieille capitale du sud-ouest de la Gaule (1), ce goût, qui polit le langage, ————_—_—_——————————"————————.…—_—_———…—…—…——————_————— Ce fut alors que M. Martel, Secrétaire de cette Société , publia le premier volume de ses Mémoires , devenus très-rares au- jourd'hui. L'Académie avait proposé un prix de discours des- tiné à Jouer la modération du Roi. Le prix fut adjugé à M. Compaing ; il consistait en une médaille d'or, qui offrait d’un côté le buste du Roi avec cette inscription , Lupovico Macxo , Semrer Invicro , EuroPæ Pacem Prè OrreRENTtI. Le revers représentait Pallas tenant dans l'une de ses mains une cerne d’abondance , et de l’autre un bouclier chargé des armes de Toulouse. On lisait autour : OLIM FLORES , NUNC FRUCTUS , et à l’exergue étaient ces mots : Restau- ralores cœtuum academicorum dederunt Tolosæ kalendas julii, ann. M. DC. XCIV. Dans la suite , l'Académie se reu- nit peudant quelque temps chez M. l'abbé Maury, poëte latin , et l’un de ses membres , puis chez MM. de Nolet et de Mazade. On continua de distribuer chaque année le prix du Sonnet à la louange du Roi. Après la mort de ce priace, les Conférences ne furent plus remplies que par des travaux scientifiques ou de littérature savante. Cette Compagnie prit le titre de Société des Sciences ,. et elle le conserva jusqu'à-ce qu’elle obtint , en 1746, des lettres patentes qui lui donnèrent celui d' Académie Royale des Sciences, Inscriptians et Belles-Lettres. (x) Martial est le premier auteur latin qui ait donné à Tou- louse l'épithète de Cité Palladienne. TOME V. PART. I. 1e 13 194 CLASSE DES SCIENCES. qui fait naître et qui multiplie les innocentes joies de l'esprit, se modifia sensiblement. On demanda aux sciences naturelles et aux sciences exactes des sujets de recherches plus profondes, des médita- tions plus solides, des vérités incontestables. La Société à laquelle nous avons succédé, imprima dès lors dans les mœurs de nos pères une sorte de gravité qui leur manquait encore, et dans cette ville où, après cependant les succès du barreau, le triomphe auquel aspiraient le plus toutes les imaginations jeunes et ardentes, se bornait à la conquête d’une fleur obtenue dans les jeux poéti- ques institués par les Troubadours , on s’aperçut enfin qu'il est une gloire différente de celle qu’as- sure quelquefois la ire des lettres, et une re- nommée plus durable que les souvenirs incertains d’une facile éloquence. Dans le siècle suivant, la ville contribua à la formation d’un Jardin des plantes ; elle éleva pour nous un Observatoire. Un membre de l’Académie en construisit un autre. La munificence bien entendue d’un riche particu- er en créa un troisième (r}, et ce fut dans celui- ci que le Trismégiste Français (2) commença (1) Ce fut M. de Bonrepos qui éleva ce monument scienti- fique dans la terre dont il portait le nom. 1l y appela près de Ju M. Vidal, en lui offrant une pension de quatre mille francs. Peu de princes montraient à cette époque autant d’amour pour Ja science , surtout autant de générosité. Jusqu’alors M. Vidal , Vun de nos plus grands observateurs , n’avait eu d’autres ins- truments que ceux qu'il avait one lui-même , d’après les figures qu’il avait vues dans les traités dsétro nome) (2) C’est aimsi que M. de la Lande surnomma le directeur HISTOIRE. 109 cette longue série d'observations qui ont ins- crit son nom dans les fastes de l’astronomie. En même temps, les Pyrénées , autrefois entre- vues par Tournefort, furent enfin conquises par la science. Palassou, Pasumot, Reboul, Vidal, Lapeyrouse surtout, en explorèrent toutes les cimes, toutes les déclivités , toutes les vallées. Les Etats de la province de Languedoc secondèrent ce mouvement scientifique, et l’accélérèrent même en multipliant les moyens d'instruction, en faisant publier les travaux de Gensanne, de ne JS 6E en établissant des chaires EME sp pour des enseignements que l’on pouvait considérer comme nouveaux, tant ils avaient reculé les limites qui de l'observatoire de Bonrepos , qui, plus tard, fut placé dans celui de Toulouse. C’est de lui qu'il est dit dans la Con- naïssance des temps, qu'il a fait plus d'observations sur Mer- cure que tous lés astronomes de l’univers ensemble. Ce fut, tant à Mirepoix , sa patrie , que dans l'Observatoire de Tou- louse , qu'il dressa un Catalogue de huit cent quatre-vingt- huit étoiles australes , inconnues avant lui, catalogue qu'il adressa à M. de la Lande. Ce catalogue n'indique que des étoiles depuis la cinquième jusqu’à la septième grandeur inclusive- ment, qui, toutes , ont été observées jusqu’à trois fois, toutes réduites à un lieu moyen, ayant égard à l'effet de la réfraction, de l’aberration de la lumière et de l’axe de la terre. La posi- tion de toutes ces étoiles fut ramenée à une époque connue (celle du 10 nivôse an 9), après ÿ avoir appliqué l'équation de la précession des équinoxes..…. La Lande reçut avec joie ce beau travail, et dans plus de vingt Mémoires il a exalté les talents de l’ancien directeur des observatoires de Bonrepos et de Toulouse , auquel il donna le surnom de Trismégiste que J'avenir lui conservera sans doute. 194 196 CLASSE DES SCIENCES. resserraient naguères dans un cercle donné, les irt- vestigations de lesprit humain. Ce fut à l’époque même où cette ardeur pour la science allait croissant, et devenait en quelque sorte populaire dans nos provinces méridionales , que naquit le confrère dont la perte récente excite encore nos regrets. M. Jean-Francois ROMIEU, Doyen de Ha Faculté des Sciences , Professeur de mathémati- ques transcendantes, Officier de Puniversité, Mem- bre de l’Académie royale des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse, reçut le jour à Muret, le 11 septembre 1767. Ilétait fils de Jean- François Romieu , bourgeois de cette petite ville, et de Marie de Lestang. Ses parents, que distin- guaient une haute piété, le destinèrent à Pétat ecclésiastique, et il entra, bien jeune. encore, dans le séminaire diocésain de Toulouse. Reçu maïtre- ès-arts , il justifia cette distinction par ses travaux et par un essai qui annonça tout ce qu'il serait un jour. L'Académie avait proposé pour sujet de l’un de ses prix : l’{nfluence de Fermat sur son siècle, sujet admirable et plein d’à-propos, car il était alors des esprits qui ne considéraient les découvertes de notre illustre compatriote que dans leur état d’iso- lement , et comwue ne paraissant se rattacher à au- cune grande théorie ni à aucune application utile. T1 fallait montrer, à ces esprits prévenus, «Fermat, marchant d’abord sur les traces des anciens et HISTOIRE. 197 devinant les procédés d’Euclide, étendant en- suite les découvertes d’Archimède et perfection nant les méthodes de Diophante ; puis créant, en même temps que Descartes , l'application de l'algèbre à la géométrie , jetant avec Pascal les fondements de la doctrine des probabilités , ou- vrant à Newton et à Leïbnitz la carrière de l'infini, et enfin s’élevant à une telle hauteur dans la science des nombres, que les théories qu'il a laissées à cet égard sont encore l’objet des mé- ditations des plus illustres géomètres (1). » Excité par le désir de fixer les regards de VA- cadémie , M. Romieu écrivit l’Eloge de Fermat ; et si son ouvrage n’obtint pas la récompense offerte, sil fut vaincu par l’abbé Genty , dont la réputation est surtout basée sur l'ouvrage qu'il consacra au génie de Fermat , c’est qu’il est des travaux qui, pour être parfaits , exigent de lon- gues élucubrations et toute la maturité de Page. Mais lorsque l’on entre dans une arène aussi vaste, il est toujours glorieux d’avoir combattu , et la défaite même est encore honorable. D’ailleurs, par d’autres essais et par son application aux études ecclésiastiques, M. Romieu avait déjà fixé sur lui les regards de ses supérieurs , et 1l avait obtenu, par une faveur bien rarement accordée alors, une dispense d’âge pour être promu aux ordres sacrés. Notre confrère n’ignorait point que dans létat ER ——"— ———."—"—.————— (1) Voyez Biographie Toulousaine , 1. 1 ,. Notice sur Fer- mat , par M. de Carney. 198 CLASSE DES SCIENCES. ‘ qu'il avait embrassé , la science de Dieu et des choses divines était de la plus haute nécessité; il savait qu'un auteur célèbre (1) avait, bien long- temps avant le commencement de notre ère, donné le nom de théologie à cette partie de la philoso- phie qui traite de Dieu et de ses attributs, et cette étude il la poussa très-loin. Maitre de confé- rences dans le séminaire fondé par M. l'abbé de Calvet, il y enseigna les saines doctrines de l’école à un grand nombre de jeunes ecclésiastiques avides de l'entendre. En même temps il se sentait entraîné avec force vers la culture approfondie des mathéma- tiques, et il les professa pendant cinq ans dans le même séminaire. Après cette longue période de tra- vaux, il fut pourvu de la cure de Miremont, par M. de Fontanges , alors archevêque de Toulouse. Ils s'étaient déjà levés sur la France ces jours mêlés de tant de deuil et de tant de gloire, et où se manifestérent tant de crimes odieux et tant de sublimes vertus. Trouvant qu’ils n’avaient pas encore assez fait en semant l’anarchie dans la société politique , les agitateurs de eette époque voulurent l’introduire au sein même de l’église, et ils ne réussirent que trop dans cette œuvre désorganisatrice. Par leurs soins , le clergé Fran- çais fut divisé en deux grandes catégories; l’une, soumise à un régime inusité , servit , sans le savoir , à l’accomplissement de projets occultes et dont les résultats devaient bientôt rendre pro- RE ta qe D ue Lite peu en 22 cn de à 2 Gi rm 7 (1) Arist. Metaph. hb. vr. HISTOIRE. 199 blématique son existence même ; l’autre , fidèle à ses antécédents, était déjà dépossédée , menacée, en attendant l'instant où, proscrite en masse, elle devait périr sur les gabarres de Carrier, sur les échafauds des émules de Fouquier-Tinville, ou dans les lointains déserts de Synamary. M. Romieu fit partie de la première catégorie. Il n’aperçut dans sa soumission entière aux lois de ce temps , que l’accomplissement d’un devoir , qu'un hommage rendu à ce que l’on nommait alors /a volonté générale, qu’un acte qui n’a- vait rien de coupable, rien de dangereux; et bientôt, du modeste presbytère de Miremont , il fut appelé à la cure de Muret. Là, voulant ap- païser les haines , il fit de nombreux efforts pour réunir sous la même bannière, pour rassem- bler au pied du même autel des Français, divisés alors, non-seulement en deux factions politiques , mais, ce qui était plus redoutable encore , en deux sectes rivales. Mais ses soins ne produisirent pas le bien qu’il en avait attendu : les plaies étaient trop récentes , trop profondes , trop douloureu- ses pour être cicatrisées ; et d’ailleurs , tout ce qui se rapportait à des croyances religieuses allait bientôt être frappé. La synagogue de lIsraélite, le temple du Protestant, les églises constitution pelles | les catacombes où se cachaïent les anciens du sanctuaire, tous ces lieux de prière et de recueillement furent interdits à la fois. Les philosophes avaient , pendant un demi-siècle , réclamé le biénfait de la tolérance , et à linstant 209 CLASSE , DES . SCIENCÉS. où leurs disciples étaient en possession du pou- voir, l'exercice de tous les cultes était abrogé. Conserver. les doctrines consolatrices leguées par nos aïeux, fut un crime d'état. Transformés en inquisiteurs ardents, les commissaires de la Con- vention nationale exigeaient des prêtres , non-seu- lement l’abandon des places, des bénéfices que la révolution leur avait départis, mais ils pres- crivaient surtout la plus honteuse, la plus avi- lissante renonciation au caractère sacerdotal. De nombreuses prisons devaient recevoir ceux d’en- treux qui ne voudraient pas se mêler aux sa- turnales de Pimpiété ; des tribunaux avaient été créés seulement pour condamner, et un écha- faud toujours dressé attendait les victimes. Mais, ni cet appareil effrayant, ni les menaces, ne purent triompher de la détermination d’un pe- tit nombre de conformistes. Ils invoquerent les lois , ils se placèrent sous leur égide ; ils ré- sistèrent à la tyrannie. M. Romieu fut de ce nombre. Il brava la colère du représentant Dar- tigoyte; il ne voulut point, en se soumettant aux volontés de cet homme , mentir à sa conscience et se souiller par lapostasie. Cet acte ‘de courage fut remarqué , mais il eut peu d’imitateurs dans le midi de la France. Forcé de quitter alors sa ville natale, M. Romieu vint à Toulouse, où il ne retrouva ni ses amis, ni ses anciens maïtres , ni les institutions scienti- fiques qui faisaient naguère encore la gloire et la richesse de. cette grande cité. La révolution avait HISTOIRE. 201 étendu sa main destructrice sur l’Université , sur les académies, sur les séminaires et les colléges. Cependant, parmi nous , les hommes mêmes qui paraissaient les plus dévoués au nouvel ordre de choses , gémissaient sur l’abandon des études. À Paris, Lavoisier demandant un sursis à l’exécu- tion de son arrêt de mort, pour mettre à fin une expérience importante , recevait pour toute ré ponse ces mots, aussi cruels que stupides : La République n’a pas besoin de savants pour triom- pher de ses ennemis. À Toulouse ; on pensait autrement : on croyait que cette République, qu’on voulait établir, aurait besoin de savants dans tous les genres , et qu'il fallait grouper toutes les gloi- res autour de son berceau. Les autorités civiles organisèrent alors ce que l’on nomma l'Enseigne- ment provisoire. Jamais, il faut l'avouer, on n'avait vu déployer avec plus de luxe, avec plus de grandeur , un Sys- tème général d’études. Toutes les branches de l'arbre encyclopédique étaient représentées dans cet institut ; et telle était la majesté de l’ensemble, la régularité des détails, le bonheur de la pensée générale, qu’on pouvait douter que des idées si saines, si libérales, eussent été conçues à une époque où les chefs de l’état voulaient courber nos popu- lations généreuses sous le double joug de la plus sanglante tyrannie qui ait jamais épouvanté le monde, et de l’ignorance la plus abjecte et la plus brutale. M. Romieu fut nommé professeur de mathéma- 202 CLASSE DES SCIENCES. tiques dans cette institution qui aurait dû servir de modèle à toutes les parties de la France ; et ce fut alors que commencèrent à se réunir autour de lui une foule d'hommes, jeunés encore, et qui de- puis ont rendu d'importants services à l’état. Lorsque les Ecoles centrales furent créées, M. Romieu forma encore de plus nombreuxélèves. ‘On allait chercher dans son cabinet, ce qu’on ne trouvait pas toujours dans le nouvel établissement, dont on l’avait en quelque sorte écarté. La lucidité deses démonstrations, la simplicité de ses méthodes, son aptitude à comprendre, à démontrer les vérités les plus abstraites, à résoudre les questions les plus difficiles, attiraient près de lui tous ceux qui éprou- vaient le besoin d’une connaissance approfondie des mathématiques. Vivement attaché à ses élèves, cher- chant leur avantage bien plus encore que le sien, on le voyait, alors que l’époque des examens pour l'admission à l'Ecole Polytechnique approchaït, redoubler de zèle pour leur instruction. Il leur pro- diguait alors tout son temps, toutes ses facultés, et surtout cette facilité si remarquable avec la- quelle il expliquait ce que la science offre de plus difficile en apparence. Ce n’était plus notre pro- fesseur , c'était un ami dévoué qui voulait assurer, qui assurait presque toujours nos succès. Être élève de M. Romieu, était alors une garantie d’admis- sion dans l’école destinée à perfectionner les jeunes talents de ceux qui se destinaient au service pu- blic , soit dans les armes savantes, soit dans le corps des ponts et chaussées. 03 Tant de succès et de si utiles travaux avaient depuis longtemps fixé l'attention sur M. Romieu; et lors de l’organisation définitive de l'Université impériale, il fut nommé professeur de mathéma- tiques de première classe dans le Lycée de Tou- louse, charge qu’il résigna bientôt, en obtenant celle de professeur de mathématiques transcen- dantes dans le même établissement. Lorsque len- seignement supérieur fut créé, il posséda la même chaire dans la Faculté des sciences. Nous avons parlé de son attachement à ses élèves; ajoutons ici que les intérêts généraux de la science ne lui étaient pas moins chers, et qu'il fit naître souvent les occasions de la mettre en honneur, de la placer sous la protection des hommes en place, de la glorifier en la montrant dans tout son éclat aux masses populaires. Autrefois, dans nos colléges, on dédiait des thèses au Parlement, à l’Université, aux Magis- trats municipaux, aux Académies, et alors le Par- lement, l’Université, les Capitouls, les Académies, assistaient à ces solennités, où de jeunes hommes, plus ou moins habiles, venaient offrir à des auditeurs éclairés le résultat de leurs études. M. Romieu vou- lut rétablir ces fêtes de la science. IL n’y avait plus ni Parlement, ni Université, ni Capitouls, ni Aca- démies ; mais les autorités de cette époque pou- vaient devenir les protectrices de l’enseignement , et il leur fit dédier des thèses par ses élèves les plus distingués. Toulouse, qi ne connaissait plus que ce qu’on nommait des fêtes nationales, vit rétablir HISTOIRE. © 204 CLASSE DES SCIENCES. avec orgueil les pompes scientifiques qui avaient fait sa gloire, et Pespoir d’un meilleur avenir s’of- frit à ses regards trop longtemps attristés. Cet espoir ne fut pas entièrement déçu. Cette ville recouvra en partie ses vieilles institutions; mais elle acheta par le sang d’un grand nombre de ses enfants, immolés sur de lointains champs de ba- taille, le calme qui dans l’intérieur avait succédé aux tempêtes publiques. La paix régnait dans le sein de nos provinces, mais au dehors des combats éter- nels moissonnaient l’élite de nos populations. Sous un chef toujours victorieux, la France était de- venue toute militaire, et le père de famille n’était plus libre dans le choix d’un état pour ses enfants. I fallait, dans leur intérêt le plus pressant, les faire entrer dans les armes spéciales, et pour cela Vé- tude des mathématiques , que rien ne pouvait rem- placer , était devenue une indispensable nécessité. Ce fut alors que M. Romieu vit redoubler pres de lui lempressemenut des parents et des élèves. Il re- doubla lui aussi de zèle et d'aptitude. Les services qu’il rendit furent immenses, et il forma une foule de disciples, parmi lesquels il en est beaucoup qui honorent aujourd’hui par leurs talents le pays qui les a vus naître, et la mémoire du professeur ha- bile dont 1ls reçurent les leçons. Nommé doyen dela Faculté des Sciencesen 1813, M. Romieu se distingua par la sagesse de son ad- ministration et par ses lumières. Sa bienveillance envers ses collègues et une bonté expansive, qui ne descendit cependant jamais jusqu’à la faiblesse, Vont maintenu jusqu’à sa mort dans cette dignité, HISTOIRE. 205 qui n’est pas toujours une sinécure, un titre qui exempte dun travail assidu. Nous avons vu M. Romieu aspirant, en 1783, aux palines de l’Académie des Sciences. Lors du rétablissement de ce corps, en 1807, il fut com- pris au nombre de ses membres. Il lui commu- niqua plusieurs mémoires ; il lui présenta la solu- tion d’une foule de problèmes, offerts aux médi- tations des géomètres, par le savant recteur de PAcadémie de Montpellier. Dans les Commissions chargées de présenter des rapports étendus sur des questions scientifiques, il se plaça toujours au pre- mier rang par la justesse de ses vues, par ses con- naissances profondes, par la bonté de son juge- ment, par son habitude constante de la recherche de la vérité. Il se distingua surtout lorsque , pendant plus de deux années , lAcadémie fut consultée sur divers ouvrages élémentaires, et sur de nouvelles méthodes appliquées à la pratique du jaugeage. Ses mémoires, ses observations à ce sujet, furent généralement appréciés, et mis, à cette époque , au nombre des meilleurs travaux de la classe des Ma- thématiques de cette Académie. M. Romieu comptait quarante-cinq années de professorat, dont plus de trente-deux dans l'Uni- versité ; il était, comme nous l’avons vu, doyen de la Faculté des Sciences ; 1l avait formé un nombre considérable d'élèves distingués; et cependant aucun des ministères sous lesquels il exerça ces impor- tantes fonctions , avec des succès non contestés, ne songea à lui donner cette distinction honori- fique que le grand Capitaine institua pour récom- 206 CLASSE DES SCIENCES. penser tous les mérites, tous les services éclatants. . Maïs ne plaignons que ceux qui ne surent pas di- gnement reconnaitre les longs travaux de notre confrère. La mémoire d’un vain titre s’efface; il n’en est pas ainsi des services éminents rendus à l'état et aux familles. Le bien opéré par un savant professeur ne meurt point; il est inscrit dans les annales de la science comme dans les cœurs de ceux qu’il a servis, qu’il a placés aussi haut , et quelque- fois mème plus haut que lui, dans lestime publique. Qu’il me soit permis, en terminant cette No- tice , de me placer parmi ceux qui conserve- ront religieusement le nom et la mémoire de M. Romieu. Il fut mon professeur et toujours mon ami. Pourrai-je oublier avec quelle joie il croyait apercevoir pour moi, dans un service étranger, un avancement honorable et rapide? Pourrai-je effacer de mon souvenir le vif intérêt qu’il prit à ma conser- vation, au milieu des chances aventureuses que m'offrit quelquefois la Péninsule Hispanique ? Sa mort, arrivée le 18 août 1838, m’a frappé dans Pune de mes plus anciennes, de mes plus chères affections. Maïs les regrets que j’éprouve seraient moins amers, ma douleur moins vive, si j'avais pu louer dignement cet homme de bien, ce savant estimable. Le nom de ce confrère, si justement honoré, serait à jamais conservé dans nos fastes académiques , si ma plume avait su retracer tout ce qu'il a fait pour instruction générale, pour le bien de ses élèves et pour la gloire de son pays. HISTOIRE. 207 RAPPORT SUR LE CONCOURS DE 1859, PAR LA COMMISSION NOMMÉE A CET EFFET. M. DUCASSE , Rapporteur. Mssieurs, L’Acanémre des Sciences de Toulouse avait pro- posé pour sujet du prix à décerner en 1839, la question suivante : « En admettant les progrès apportés par la- natomie pathologique dans l'étude et la guérison des maladies en général , déterminer les avantages que les Médecins peuvent en retirer dans le dia- gnostic, le pronostic et le traitement des affec- tions proprement appelées nerveuses. » Cette question , toute palpitante d'intérêt à l’'é- poque surtout où elle fut posée ( 1836), était sus- ceptible de grands développements. De sa solution dépendait peut-être une révolution complète dans la classification et l’histoire de ces maladies nom- breuses qui, sous le nom de névroses, ont si 208 CLASSE DES SCIENCES. longtemps occupé les écrivains, et qui, par leur fréquence, par linconstance et la bizarrerie de leurs phénomènes , lirrégularité de leur marche, leur soudaine résolution ou leur persistance opi- niâtre, mais surtout par l’insuccès si fréquemment constaté de toutes les médications, ont fait et fe- ront vraisemblablement longtemps encore, le désespoir du Médecin rationnel et consciencieux. L'Académie n’a cependant reçu qu’un seul Mé- moire. Il porte une double épigraphe. La première, empruntée à Van-Swieten , est ainsi conçue : Tafinita certè docuit prudens cadaverum üis- pectio, de quibus ne somniassent quidem medict. La seconde est de M. Cruveilher. Plus j'étudie l’homme malade, plus je suis convaincu que tous les désordres fonctionnels que présentert les lésions organiques les plus graves, soit aiguës, soit chroniques , peuvent également se rencontrer sans ces lésions. En plaçant ces deux épigraphes en tête de son travail, l’auteur a eu l'intention de donner une idée de lesprit qui présidera à sa composition. L'une, dit-il, en effet, nous présente l’anatomie pathologique avec ses richesses immenses ; Pautre avec son insuffisance et sa nullité. Peut-être cha- cune de ces sentences exprime-t-elle une vérité également incontestable! Peut-être existe-t-1l un terme moyen entre ces deux extrêmes! L'ouvrage dont nous sommes chargés de vous présenter l'analyse, est divisé en deux sections séparées. Dans Pune , l’auteur s’est proposé de MÉMOIRES, 209 tracer quelques fragments de l’histoire philoso- phique de lanatomie pathologique, pour appré- cier convenablement son importance. Dans l'autre, abordant le but principal de la question, et se renfermant dans ses limites, il applique la même méthode d'investigation analy- tique, aux faits d'anatomie pathologique qui se rattachent à l’histoire des maladies nerveuses. La Commission, Messieurs, tout en reconnais- sant un grand mérite dans l’exposition synthéti- que de la première partie; en reconnaissant que l'écrivain n’est étranger à aucune des notions ana- tomico-pathologiques anciennes et modernes, n’a pas pu penser que de si nombreux détails se re- liassent directement à la question proposée. Elle était simple et facile à comprendre. Les dévelop- pements qu’elle exigeait, devaient être abordés avec franchise , ou, sil est permis de le dire, sans préambule , et c’est à regret que votre Commission a vu sacrifier ainsi le tiers de cette composition, d’ailleurs bien remarquable, à unesérie de faits dont aucune indication ne semblait réclamer la présence. Sans doute elle rend justice au talent de Pécri- vain, à son érudition positive, à sa manière heu- reuse et lucide d'amener les faits, d’en presser la logique, d’en tirer l'argumentation ; mais toute cette partie n’est pas moins une véritable superfé- tation, qui, sans avantage pour la solution de la question, accroît l’étendue d’un ouvrage déjà très- volumineux par lui-même. Plusieurs propositions d’ailleurs ne nous ont pas semblé devoir être adop- TOME V. PART, I, I 4 210 CLASSE DES SCIENCES. tées sans contestation. Elles s’éloignent un peu dé cet esprit d’impartialité et de non prévention dont l’auteur se fait avec raison un mérite; et comme lespace nous manque pour les discuter une à une, nous nous contenterons de choisir celle que lui fournit l’exposition des travaux anatomico-patho- logiques aux différentes époques de leur histoire. En parlant des anatomo-pathologistes qui après Morgagny continuèrent à rassembler les maté- riaux sans les coordonner, et qui, oubliant que Panatomie pathologique devait être constamment subordonnée à la médecine, firent de cette partie de nos connaissances un objet de curiosité, ül ajoute: « De là cette quantité de faits anatomiques bien précieux sans doute, mais incapables de fournir la moindre donnée thérapeutique. » Ge jugement est sans doute sévère. Nous ne concevons pas comment un fait précieux peut perdre tous ses avantages, parce qu'il n’est pas coordonné; comment une altération de tissu, parce qu’elle n’est point subordonnée à la médecine, doit être ainsi rejetée comme inutile; enfin, nous ne pouvons pas concilier cette pensée avec celle établie par l’auteur lui-même, à la fin de cette première sec- tion deson travail , et consacrée dans son troisième corollaire, qui porte textuellement : «Les démons- trations les plus positives fournies par les recher- ches cadavériques, ont servi à imprimer plus de certitude au diagnostic, et par suite à la £héra- peutique. » Ces deux énoncés ne semblent-ils pas contradictoires ? MÉMOIRES. 2:E Nous avons reproché à l’auteur, dans la première section de son Mémoire, de s’être laissé entraîner loin de la question proposée, en faisant un tableau brillant et rapide de l’état de l’anatomie patholo- gique en général, et du peu d'avantages qu’en avaient retiré l'étude et le traitement des maladies. Nous lui adresserons les mêmes reproches, mais un peu moins sévères cette fois, des qu’il entrera en matière pour traiter le sujet indiqué, et qu'il abordera l’histoire des maladies nerveuses. Les premières pages y sont encore consacrées à un nouveau hors-d’œuvre ; car enfin il ne faut pas considérer comme affections nerveuses proprement dites, quelques phénomènes qui n’en sont qu’une conséquence plus où moins immédiate. Ainsi les vapeurs, les maux de nerfs, les nerfs agacés , le hoquet, le cauchemar, etc., ne sont-ils pas les accidents d’une névrose, plutôt qu’une névrose elle-même ? Devraient-ils former chacun un para- graphe différent, et était-il possible de les faire rentrer dans la question, lorsqu'il était démontré que leur présence plus ou moins passagère ne peut jamais laisser aucune trace dans la dissection cadavérique? L'auteur a parfaitement senti linu- tilité de cette énumération. S'il s’y est décidé, c’est, dit-il, pour ne pas laisser de lacune, excuse peu valable à nos yeux, car elle ne justifie pas la mesure adoptée , et retarde encore de quelque temps la marche du Mémoire vers le but positif qu'il doit atteindre ; car c’est justement vers le milieu de son étendue que l’auteur entre franchement en matière, 14. 312 CLASSE DES SCIENCES. en exposant successivement chacune des maladies comprises généralement parmi les névroses, et l'influence plus ou moins marquée que les recher- ches anatomiques ont exercées sur leur diagnostic et sur leur traitement. Ici nous avons eu fréquemment l’occasion de donner des éloges à sa manière de présenter les faits, de les analyser, d’en coordonner les cir- constances diverses, et par une dialectique sévère, de séparer les richesses acquises déjà à la science par l'observation des praticiens, de celles recueil- lies dans les amphithéâtres, au milieu des débris de notre organisation éteinte. Qu'importe, au milieu de ces faits si concluants, la marche de Pécrivain , et la classification ration- nelle ou systématique des maladies qu'il croit devoir adopter pour létude et lexposition des névroses ? Suivons-le seulement dans le champ immense qu'il va parcourir, dans cette carrière sans fin que la pathologie ouvre devant lui, et voyons-le, toujours fidèle à ses doctrines, réclamer à la fois dans ses jugements la double autorité de Vobservation et des notions anatomiques, et croyant trouver dans la majorité des circonstan- ces, que c’est surtout aux études cliniques, aux essais fréquemment répétés d’une expérience posi- tive , plutôt qu'aux dissections minutieuses de nos organes, que la thérapeutique doit ses véritables progrès. Ainsi l'écrivain parcourt successivement l’amau- rose, la surdité, Vasthme convulsif, Vangine de MÉMOIRES. D18 poitrine , la coqueluche, les palpitations nerveu- ses , la colique spasmodique , Yhystérie , la cata- lepsie , la danse de Saint-Guy , Vépilepsie , Vé- clampsie des enfants et cette foule d’affections nerveuses qui désolent notre existence, boulever- sent nos fonctions, arrêtent le cours de notre vie, et qui, si elles impriment après elles quelques traces de leur passage, nous laissent encore incer- tains de savoir si nous devons les considérer comme la cause directe de leur développement, ou plutôt comme le produit immédiat de leur existence. L'auteur n’élève ici aucun doute à cet égard. Quelle que soit l’aflection nerveuse qu’il examine, quel que soit son siége, sa force , sa durée , c’est principalement dans un accroissement de la sensi- bilité, dans une altération vitale qu’il en place la véritable origine ; et si l’autopsie cadavérique dé- montre d’une maniere essentielle une lésion de tissu , cette lésion n’est le plus souvent pour lui que secondaire , produite par cette aberration de mouvements dont l'organe a été si souvent affecté. La diversité de ces lésions , leur nature quelquefois opposée , leur siége si différent , les longs intervalles des crises morbifiques que leur présence devrait au contraire constamment en- tretenir, le peu de rapports qui existent souvent entre la cause prétendue et les effets produits par elle ; telles sont les considérations pratiques qui le dirigent dans lappréciation des faits, et qui n’ont pas peu servi à modifier dans sa prati- 214 CLASSE DES SCIENCES. que médicale les erreurs nombreuses qu'il avait jadis puisées dans des perquisitions d'anatomie pathologique. Dans Pimpossibilité où nous sommes de suivre VPauteur dans chacune des affections dont il s'occupe dans son grand travail, citons ses réflexions sur lasthme considéré sous le point de vue de la question , car ces réflexions s'appliquent , selon lui, avec la même justesse aux autres sujets de maladie. « S'il est certain que dans bien des cas lasthme est produit par des altérations organiques diverses des bronches, des poumons , du cœur ou des gros vaisseaux , des faits recueillis par des observateurs du premier mérite, mettent hors de doute l’exis- tence d’un asthme indépendant de ces altérations, et auquel il convient de donner le nom de ner- veux, convulsif , spasmodique ou essentiel , par lesquels il se trouve désigné dans les auteurs qui se sont occupés de sa description. » L'observation seule conduirait à admettre cette espèce particulière de la maladie. Ainsi on la voit se manifester à la suite d’impressions mo- rales vives, comme M. Ferrus en rapporte deux exemples dans son article du grand Dictionnaire de médecine. Ces deux cas se terminèrent par la -guérison , et dans l’intervalle des accès , il n’exis- tait aucun signe de lésion du cœur ou du pou- mon. M. Lefevre, dans un mémoire fort remar- quable couronné par la Société de Médecine de Toulouse, a cité deux observations , dont lui- MÉMOIRES. 215 même et un de ses confrères sont les sujets. Dans ces deux faits bien circonstanciés, il n'existait pas de lésion organique ; les malades étaient seu- lement doués d’une irritabilité extrème de la mem- brane muqueuse bronchique. » L’anatomie pathologique elle-même , par ses résultats négatifs, confirme l’existence de l'asthme nerveux essentiel. MM. Blaud , Delens, Bégin , Bricheteau , Andral, Cruveilher, ont rapporté dans divers ouvrages des observations dans lesquelles VPautopsie n’a permis de constater aucune alté- ration matérielle ; mais comme ïl serait trop long d’en offrir successivement l’analyse , nous mentionnerons seulement la suivante, empruntée à M. Delens, à cause de son peu d’étendue. » Une femme âgée de quatre-vingts ans , qui avait toujours joui d’une bonne santé , éprouva un violent chagrin dans les premiers jours de dé- cembre. Dix ou douze jours après, au milieu de la nuit, accès d'asthme d’une heure. La maladie reparaît toutes les nuits sans laisser aucune trace ni dans la respiration , ni dans la circulation, après avoir cessé. L'accès se prolonge d’abord da- vantage et finit par devenir continu. Une anasar- que survient , et la malade meurt six mois après. À l’ouverture du corps, on trouvele cœur et les gros vaisseaux sains , et les poumons d’une cou- leur jaune pâle , mais crépitants. » Malgré ces preuves concluantes , certains au- teurs , et M. Rostan entr’autres , ont soutenu que Pasthme était toujours lié à des lésions organiques 216 CLASSE DES SCIENCES. du cœur ou des gros vaisseaux. Mais d'abord ; quel rapport peut-il exister entre ces lésions et une maladie caractérisée par un état spasmodique ou convulsif des muscles inspirateurs, se reprodui- sant par accès irréguliers, mais souvent séparés par des intervalles de plusieurs mois, pendant lesquels on n’observe aucun dérangement fonction- nel ? Cette assertion n’aurait pas été aussi exclu- sive si elle avait été présentée en sens inverse , c’est-à-dire si l’on avait avancé que certaines alté- rations organiques du cœur ou du poumon ont pour effet la production de l'asthme ; et alors il se serait seulement agi de l'asthme symptomatique , qui, comme l’observe Georget, serait plus conve- nablement désigné sous le nom de dyspnée. Ce qui a pu induire en erreur les observateurs qui ont émis cette opinion, cest que les individus sujets à l’asthme convulsif, présentent souvent des palpitations entre les accès. Mais elles ne sont pas continues ; elles ne sont accompagnées d’au- cun signe qui révèle l'existence d’un changement de structure. On les observe également pendant la durée d’autres névroses sans leur attribuer lexistence de ces dernières : ce sont en un mot des palpitations nerveuses. Une autre circonstance qui a pu encore favoriser cette appréciation in- exacte, c’est que par le fait seul de la reproduc- tion de ses paroxysmes , l'asthme essentiel en- traîne à sa suite des altérations organiques qui se produisent lentement , et qui, loin d’être causes, sont au contraire des eflets secondaires , réagis- MÉMOIRES. 217 sant à leur tour sur la maladie préexistante et augmentant sa gravité. » De ce qui précède , ajoute l’auteur , il résulte que lanatomie pathologique , en signalant les lésions incurables dont l'asthme essentiel s’ac- compagne souvent, éclaire seulement son pro- nostic. Quant au traitement de la maladie elle- même , l'expérience a appris depuis longtemps qu'il fallait surtout compter sur les modifications hygiéniques, dans le but d’éloigner autant que possible les paroxysmes et de prévenir ou de retarder ainsi la manifestation des altérations or- ganiques. Si parmi les nombreux agents médica- menteux , il en est de réellement efficaces , c’est à l’observation qu’on les doit et non aux induc- tions tirées directement de l'inspection cadavé- rique. » | En citant textuellement ce long paragraphe, en rapportant la discussion sur asthme, telle qu’elle est renfermée dans le mémoire, en rappelant avec fidélité les conclusions qui le terminent, votre Com- mission s’est proposé un double but : le premier, de vous montrer la manière de l’auteur , la nature de son style, qui ne manque ni de concision ni de clarté , et les moyens logiques dont il développe sa discussion ; le second, c’est d'indiquer, en une seule fois, l'esprit qui préside à la pensée fondamentale de louvrage , et les conclusions qui, le prin- cipe admis, en sont la conséquence rigoureuse. Quelle que soit, en effet, la maladie placée dans le cadre des névroses que l’écrivain examine; quelles 218 CLASSE DES SCIENCES. que soient les variétés qu’elle est susceptible d’of- frir dans ses nombreuses périodes , sur divers indi- vidus, dans des circonstances différentes ; qu’il s’a- gisse de l'asthme, de la coquelache, de l’apoplexie, de Pépilepsie , n'importe, on voit toujours se re- produire les mêmes inductions, les mêmes théo- ries, relativement aux notions et aux progrès ana- tomo-pathologiques. [L'auteur y tient peu de compte du résultat des autopsies. Si dans ces der- nières le praticien ne découvre aucune altération organique, il triomphe de cette observation néga- tive, et s’écrie que, dès lors, la maladie et la mort de l’individu en sont complètement indépendantes, et qu'on doit chercher la cause spéciale, essentielle, de lune et de l’autre, dans une altération fonc- tionnelle, dans une lésion vitale de l’innervation, ne songeant pas que, même alors, plaçant le siége principal des désordres , soit dans le nerf pneumo- gastrique, soit dans le système nerveux ganglion- naire, il ne fait que changer de tissu, sans ren- verser le système des altérations organiques, qu'ici, il est vrai, on n’a pas encore suffisamment appré- ciées. Si, au contraire, les lésions de tissu appa- raissent dans toute leur évidence, si des kystes apoplectiques, des renflements osseux du crâne, des épanchements énormes de sérosité, des trans- formations organiques sont le résultat des recher- ches cadavériques , l'écrivain ne se laisse pas abattre par de semblablés difficultés; bien loin de trouver dans leur existence la source des phénomènes que les malades ont présentés pendant leur vie, il les MÉMOIRES. 219 regarde comme purement secondaires, et comme le produit inévitable des accidents qui ont amené la mort, et dont la répétition, plus ou moins fré- quente , a déterminé ainsi, plus ou moins rapide- ment, leur formation. Ici cependant une simple assertion ne pouvait pas avoir assez d'autorité pour entraîner tous les suffrages. Votre Commission n’a point été con- vaincue par elle, dénuée qu’elle est de toute es- pèce de preuve, et sans exagérer l’importance des notions anatomo-pathologiques dans l’histoire des maladies, sans penser, avec quelques enthousiastes, que la médecine tout entière repose sur les dis- sections des cadavres, et que c’est seulement dans la nature morte qu’il faut aller chercher tous les secrets de la nature vivante, votre Commission a cru que l’auteur, par un scepticisme contraire, ne pouvait pas échapper à son tour aux reproches d’exagération , et qu’en niant l'importance des faits aujourd’hui acquis à la science, il s’éloignait éga- lement de la vérité. Peut-être que dans cette seconde partie, qui, tout imparfaite qu’elle est, révèle cependant un écrivain d’un talent distingué, un praticien habile, _accoutumé depuis longtemps à létude et à la ré- flexion, on voudrait rencontrer plus souvent ces considérations générales, ces vues d'ensemble qui relient en un faisceau une multitude de faits isolés, et les placent ainsi d’une façon plus utile, sous le point de vue de la science. Mais ce défaut, si c’en est un, accuse moins la puissance de l’auteur que 220 CLASSE DES SCIENCES. la nature même du travail qu’il a entrepris, et que l'état de la question lui faisait une obligation de poursuivre. En conséquence, votre Commission vous pro- pose, non pas de couronner cet ouvrage, qui, revu avec soin, retouché avec calme, exempt des lon- gueurs de cette première section , qu'il serait facile de réduire à quelques pages sans lui rien faire perdre de son importance, serait digne cependant de figurer parmi les travaux académiques les plus remarquables; mais de décerner à l’auteur une double récompense, en lui accordant, 1.0 Une médaille d’or de 120 fr. ; 2.0 Le titre de correspondant de l’Académie des Sciences de Toulouse. FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE DU TOME V. TABLE DES MATIÈRES. Pages. Érar des Membres de l’Académie au 20 PREMIÈRE PARTIE. HISTOIRE ET MÉMOIRES DE LA CLASSE DES SCIENCES. Année 1837. HISTOIRE. SUIESAEPTIR, aise tysaaratete là a pit séronb VE Analyse des travaux de la Classe des Scien- ces pendant l’année 1837..... se 3 Mathématiques pures. Sur l'équilibre et le mouve- ment d’un système de points liés entr’eux d’une manière quelconque; par M. Sainr-Guirmem. 3 Mathématiques appliquées. Sur les machines à colonne d’eau ; par M. »’Ausuisson......... 5 Physique. Expériences de M. Fouque sur la des- SECAHON ES) DOS. 0e DRAM DS q Chimie. Moyens de dessécher les matières végéta- ESA M Mo RoËb Ce Te 10 Sur la combustion; par M. Durac............ II Chimie appliquée. Traité de la pierre à plâtre; Pan NE) DRABEna EAU era ee 11 Histoire naturelle. Monstruosité d’un œuf; par ME Dour PR nd. ee MATE 2292 TABLE DES MATIÈRES. _ Botanique. Mémoire de M. Duchartre fils sur le Saxifraga stellaris ; M. Moquix-Tanpo , rap- porteur..........s.sss.sssseusssranese. Sur l’individualité végétale; par M. Mot LANDoNtE AR LC LERee Doc os 0000 bon CE Médecine et Chirurgie. Sur le cancer; par M:DUCASSE LS. 250 cad MORE LE Sur l’extroversion de la vessie ; par M. ne Qua- TRÉFAGES à. Le Rs ae re à LR See ee Philosophie générale des Sciences. Considérations sur la marche des sciences ; par M. Borrer.. Etude de la science de la vie; par M. ne La- VERGNE. cesse AE HAMANIS AIM :... EN MÉMOIRES. Observations recueillies pendant et après le débordement de la Garonne du 30 mai 1635; par MHHOREEEM. ... .. ...... Mémoire sur. un nouveau mode de produc- tion du son; par M. Pinaun........ Amée 1858. HISTOIRE. DUJELS DO PTI LCI AR el EN. Er Notice historique sur M. le Baron Philippe Picot de Lapeyrouse; par M. nu Mèce. Analyse des Travaux de la Classe des Scien- ces pendant l’année 1838........ sé Mathématiques appliquées. Constructions hydrau- liques; par M. BorRez............... ET 12 13 15 16 18 18 10 49 107 TABLE DES MATIÈRES. Physique. Description de quelques appareils pro- pres à simplifier la démonstration des phéno- mènes electro-dynamiques ; par M. Prxaup. . Chimie. Sur la chaux et quelques-uns de ses com- posés ; par M. Macxes-Lanexs..... Te ne tete Traitement direct du fer à la Catalane ; rapport de M. Macwes-Lanens........ ee ele sets Histoire naturelle. Destruction de la chenille ; rapport de M. Moquix-Taxpow.... ....... Médecine. Stastistique nosologique de lHôtel- Dieu Saint-Jacques ; par M. Durrourc..... Sur la vieillesse considérée dans ses rapports avec l’organisation physique de l’homme; DAPMA DECASS PTE NERE Le ÈS De quelques phénomènes physiologiques ou pa- thologiques considérés comme cause de su- perstition ; par M. DE QUATREFAGES. ......., MÉMOIRES. Mémoire sur la transformation et lintégra- tion d’une classe d'équations difjéren- tielles simulianées à plusieurs varia- bles ; par M. BrassiNNE..........., Fragments d’un mémoire sur lintégration des équations différentielles ; par RM PRIS NN AUOT NL ER Re Démonstration nouvelle de la formule de Paction capillaire; par M. Decuis... Rapport sur un travail de M. Castel, con- cernant l'écoulement de l’eau par des ajutages coniques ; M. n’AusuissoN, rapporteur. ......... ss... 223 110 120 123 129 139 143 ROE 224 TABLE DES MATIÈRES. Expériences de M. Castel sur le produit des pompes du Chäteau-d’eau de Toulouse ; communiquées par I. D’AvBuissoN.. 172 Mémoire sur le genre Halimocnemis ; par M. Moquinx-Tanpon........ Be 77 Année 1839. HISTOIRE. SEL CPS ATEN DIE à Meter ei tele semae elec 00 Notice sur M. Moir nus QE M. DE VACQUIÉ. 187 Notice sur M. Romieu, par M. nu Mëce... 191 Rapport sur le concours de 1839 ; M. Dv- CASSE, rapporteur. ........... +. 207 FIN DE LA TABLE. HISTOIRE ET MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES, INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES DE TOULOUSE. HISTOIRE ET MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES, INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES DE TOULOUSE. ANNÉES 1837, 1838, 1839. TOME CINQUIÈME. 2.° PARTIE. TOULOUSE, IMPRIMERIE DE JEAN-MATTHIEU DOULADOURE, RUE SAINT-ROME, N.° A1. 1839. À Du PRE LAN dÉrer 4 CT CNET HISTOIRE ET MÉMOIRES DE L’'ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES, INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES DE TOULOUSE. Seconde Partie. INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 1837: HISTOIRE, SUJETS DE PRIX. La Classe avait proposé pour le concours de année 1837 la question suivante : Peut-on com- parer les différentes phases de la littérature Ro- maine aux différentes phases de la littérature. Française, et en tirer quelques conséquences pour Pavenir de cette dernière ? Une médaille d’or d'encouragement de la valeur TOME V. PART, IT, I 2 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. de 120 francs a été décernée à M. Héliodore Casrircon, auteur d’un Mémoire sur ce sujet. Pour l'année 1840, la Classe a proposé les sujets suivants : 1.° L'Histoire de la ville de Narbonne ; 2.0 L'Histoire de Lugdunum Convenarum, au- jourd’hui Saint-Bertrand de Comminges (Haute- Garonne ). Le prix sera une médaille d’or de la valeur de 500 francs. HISTOIRE DES OUVRAGES DE LA CLASSE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES PENDANT L'ANNÉE 1037. La Classe des Inscriptions et Belles-lettres, insti- tuée pour réunir les documents de notre histoire, pour décrire nos monuments, pour accroître nos connaissances en tout ce qui est relatif aux pensées, aux systèmes , aûx habitudes et aux coutumes des peuples anciens, s’est acquittée de ce soin impor- tant, sans négliger les études quistiennent de plus près à la constitution et aux besoins des Sociétés modernes. | À une époque où des esprits distingués s'élèvent avec force contre les études qui nous mettent en rapport avec les nations anciennes , il appartenait à la Classe des Inscriptions et Belles-lettres de défendre le passé, de montrer son influence sur le présent, et l'empire qu'il doit exercer sur la- venir. Cest ce que M. Tayan a fait dans un Dis- cours sur l’utilité de l'étude des langies anciennes. Cet ouvrage échappe à Vanalyse. Pour en sentir tout l’à-propos, toute lutilité, il faut le lire en entier , et le Comité de librairie et d'impression en a ordonné la publication. 1, M. Tasan: 4 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. DÉS La faveur avec laquelle beaucoup de personnes ” ont accueilli l'Enseignement mutuel, les craintes d’un très-orand nombre d’autres, ont inspiré à M.Garmex-Arnouzr le sujet d’un opuscule intitulé : Note sur le vrai motif qui fait repousser l’Ensei- gnement mutuel. Mais ce Mémoire ayant déjà été imprimé dans les journaux , n’a pu occuper une place dans les Actes de l'Académie , et elle a dû se borner à en ordonner la mention dans l'Histoire de ses travaux. Mlemarquis Dans des Considérations sur la pensée et l’ex- D’AGUILAR. . ; 11: pression de la pensée, M. »’Acuirar s'élève aux plus hautes considérations. « Ce n’est point, dit-il, par le perfectionnement des arts, des sciences, de l’industrie , que nous parviendrons à une parfaite civilisation ; cest par la morale : et sur quelle base la morale peut-elle être mieux établie que sur les croyances religieuses ? Je dirai plus, je ne me ‘fais d'idée d’une entière et parfaite civilisation que dans l’unité de ces croyances, car les croyances religieuses qui se fractionnent et qui se mettent à la disposition de chacun, pour en faire ce que bon lui semble, laissent le champ libre à toutes les erreurs , à tous les désordres , à toutes les folies, à toutes les extravagances qui peuvent affliger la raison humaine; je laisse aux esprits impartiaux et éclairés, à décider où se trouve cette unité. Je n'irai pas plus loin; je ne chercherai pas non plus à m’élever plus haut ; il y a un point d’élévation auquel l’homme ne peut atteindre ; malheureuse- HISTOIRE. 5 ment il est enclin à descendre trop bas, et c’est de là que naissent tous les crimes , tous les désor- dres, tous les excès qui bouleversent le monde moral. » Continuant ses Recherches historiques sur la ruine de l'empire de Babylone, M. V'Abbé Jaume résume ainsi ses travaux chronologiques : « J’avance, comme un fait incontestable, que le commencement du règne de Cyrus sur les Perses, Fut la 1.re année de la 55.me olympiade, c’est-à-dire, la 560.me avant l’ere chrétienne. Cette époque coïn- cide parfaitement avec celle que tous les anciens chronologistes Grecs ont donnée au règne de Cyrus sur l’empire de Babylone. Jules Africain, cité par Eusèbe, nous assure que Diodore, Thellus, Phlé- gon , Castor, Polybe et tous les autres historiens et chronologistes , sont d’accord sur le commen- cement de cette dynastie. Ainsi, la 1.7 année de la 55.%e olympiade devient une vérité chonolopi- que pour fixer l’année du triomphe de Cyrus : cette année , à la vérité, comprend les six derniers mois de lan 560 avant Jésus-Christ , et les six premiers de Pan 559, parce que les années olympiques duraient d’un solstice d'été à l’autre. » S'il fallait fatiguer votre attention du résultat des calculs astronomiques, je pourrais vous rap- peler les dates des trois éclipses rapportées par Ptolémée. La première éclipse de lune parut dans la septième année du règne de Cambyse, . successeur immédiat de Cyrus, c’est-à-dire, le 17 YTUus ; ; ] M. l’Abhé JANME. 6 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. du mois Phamenot, à une heure 50 minutes avant minuit, l’année 225 de l’ère de Nabonassar, c’est- a-dire, du 16 au 17 juillet de année 523 avant Jésus-Christ. Je dis du 16 au 17, parce que les jours alexandrins dont se servaient les astronomes, commencaient d’un midi à l’autre. » La seconde éclipse de lune arriva le 28 du mois Epiphi, lan 245 de ère de Nabonassar, ou du 19 au 20 novembre de l’année 502 avant Jésus- Christ , et la 20.M€ année de Darius, successeur du Mage qui avait régné cinq mois après Cambyse. La troisième éclipse arriva au mois de 75bi, du 3.me au 4.me jour de lan 257 de l'ère de Nabo- nassar, le 25 avril de l’année 497 avant l’ère vul- gaire, et le 31."e du règne de Darius Hystaspe. » De ces observations astronomiques , il faut nécessairement conclure que le règne de ce Darius ne peut être placé qu'entre le 19 novembre 522 avant Jésus-Christ, et le 25 avril 521; car ce roi n’occupa pas le trône avant le 19 novembre 522, lors de la seconde éclipse, puisqu'il n’aurait pas encore atteint à cette époque la 2.%° année de son règne. Si l’on place le commencement de sa puissance après le 25 avril de lan 525, il serait retardé; de manière qu’au mois d'avril 49, lors de la troisième éclipse, Darius n’aurait pas encore atteint 30 années de royauté, ce qui est contraire aux observations et calculs des astronomes, Donc le Darius fils d'Hystaspe n’a commencé de gou- verner l’empire de Babylone que vers la fin de l'année 522 avant Jésus-Christ, Ce retard ou cette HISTOIRE. 7 lacune a été vraisemblablement occasionné par les suites des bouleversements de l’état, commencés l'année 521. » D’après tous les historiens, entre Cyrus et Darius Hystaspe , il n’a existé que Cambyse, qui a régné sept ans et cinq mois, après le faux Mède, qui occupa le trône de Perse le reste de cette même année. Donc le terme du pouvoir de Cyrus doit être fixé en 529 avant l'ère chrétienne, puis- que les auteurs les plus anciens s'accordent à lui donner trente ans de règne au moins commencés. Ainsi ce prince monta sur le trône des Perses vers 559 ou 560, ce qui nous autorise à placer sa domination sur Babylone, vers lan 538, puisqu'il ne régna que huit ans sur cet empire, suivant le canon astronomique et les «autres monuments. Cette époque répond à l’année 218 de Père de Nabonassar, rapportée dans ce même canon. Ce fat cette même année 538 avant lère chré- tienne, que Babylone fut prise par Cyrus, et que s’'accomplit la prophétie de Daniel sur Balthasar , Van du monde 3636, suivant Xénophon, Jérémie et Hérodote. » Mais, dira-t-on, comment , ce Darius Mède et Cyrus s'étant emparés de Babylone, le premier at-il été préféré au second, et peut-il être le Na- bonide du canon de Ptolémée, ainsi que nous la- vons avancé ; car ce Nabonide, suivant cette même autorité, occupa letrône de Babylone dix-sept ans, et sa domination finit l’an 209 de l’ère de Nabonassar ? (e] INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. » Pour vaincre cette difficulté, il me suffira de transcrire les observations que M. Gibert, membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-lettres de Paris , a fait sur différents exemplaires du canon astronomique, consignés dans le 31.me volume de ce corps savant. Je n’oublierai pas de vous faire part des conjectures qu’il a formées à cette occa- sion. - » Ce célèbre critique dit avoir vu différentes éditions de ce canon, qui variaient sur les temps des règnes particuliers. Il y a des éditions, dit-il, où la somme des règnes se porte à 14, 15, 18, 19, et plus courte de dix-sept ans que dans d’au- tres. Un canon des rois de Babylone, donné par des auteurs ecclésiastiques, fait la somme du pre- mier et du second règne plus longue de dix-sept ans que le canon des astronomes, et sur les règnes 14, 15, 18et 19 , il suit le canon des astronomes qui les fait plus courts de dix-sept ans. Ainsi, ces variations qu’on trouve dans l’intervalle de Nabo- nassar à Cyrus, roulent sur dix-sept etwtrente- quatre ans ; ce qu'il y a de plus remarquable, continue le même auteur, c’est que dans le même intervalle, il y a , immédiatement avant Cyrus, un règne qui, dans une édition, est de dix-sept ans, dans d’autres, de trente-quatre, et dans quelques listes, les nombres sont totalement omis. » La combinaison de ces observations a fait soupçonner à ce savant Académicien , que ce règne qui se rapporte à Nabonide, n’était pas compris dans le corps de la liste, et qu'il y était passé, HISTOIRE. 9 par erreur de quelque copiste, de la marge ou d’une colonne latérale où il était placé avec cette note de dix-sept ans ou de trente-quatre, qu'on assignait à sa durée; que pour gagner ensuite l’excès que ces dix-sept ou trente-quatre ans pro- duisaient dans l’intervalle de Nabonassar à Cyrus, on les avait retranchés sur les règnes précédents. » D’autres observations doivent changer encore nos soupçons en certitude, c’est que depuis le règne de Darius le Mède à Babylone jusqu’à celui de Darius Hystaspe, qui assiégea de nouveau Baby- lone révoltée, il y a précisément dix-sept ans d’in- tervalle, et que les trente-quatre exprimaient sans doute la totalité des années du règne de ce Darius Mède, soit à Babylone, soit à Suze. On conçoit ainsi qu’on ne peut rien conclure du canon astro- nomique contre mon hypothèse, et que les varia- tions même tournent à l'avantage de mes calculs. Ainsi, en prolongeant le règne de Darius Mède, pour me prêter à l'hypothèse du célèbre Bougain- ville qui distingue deux dynasties Mèdes, et les fait cesser l’une et l’autre à l’époque du triomphe de Cyrus à Babylone ; mais en supposant , comme je l’ai déjà fait , que ce Darius était lallié de Cyrus, Pextension que je donne à son système ne peut pas affaiblir mes conjectures. L'opposition dans laquelle je me trouve avec M. Gibert, qui prétend que ce Darius Mède est précisément le Cyaxare de Xénophon , oncle de Cyrus, n’entraîne avec elle aucun inconvénient dans mes suppositions. Du reste, personne ne doit être étonné de la différence 10 INSCRIPTIONS ET BEBLES-LETTRES. des noms de Darius et de Nabonide ; ces différents noms n'étaient que des titres, ou noms communs aux rois de Babylone, tels que celui de Pharaon à ceux d'Egypte, et de César aux empereurs Ro- mains. De là vient que presque tous les noms des rois de Babylone commencent par Labo ou Nabo, parce que les Chaldéens prononçaient lun pour Vautre , ainsi qu’on le voit dans Bérose et les au- tres auteurs qui ont écrit chez les Chaldéens. On voit encore que ce nom désignait une divinité de leur contrée, et devenait patronymique dans la race de leurs rois. Voilà pourquoi les noms Nabopolassarus et Nabocolassarus, du canon de Ptolémée, sont écrits dans quelques éditions , comme le remarque le père Petau, Labopolassarus, Laboucolassarus ; voilà encore pourquoi Hérodote appelle la plupart des rois de Babylone, Labynit ou Eabynitus, parce que cet auteur fait souvent le changement de lomicron à l’epsilon , suivant la coutume des Grecs. Balthasar est aussi appelé Nabon. » Le nom de Darius était aussi un nom com- mun aux princes, et ce vieux mot ne pourrait-il pas venir de Dara, ancienne racine persane , qui est encore en usage, et signifie Seigneur et domi- nateur. Hérodote lui donne une acception moins honorable , mais qui s’adapte encore mieux à notre idée de la subordination de Darius Mède à Cyrus; cet historien célèbre Va traduit par le mot d’Epéeins Coactor, coercitor. » J’aiencore avancé, Messieurs, que le Balthasar, HISTOIRE. La dernier roi des Chaldéens , mis à mort le même jour de la prise de sa capitale par Cyrus, était fils de Nabuchodonosor. Cette hypothèse se trouve conforme au récit de Daniel, se concilie avec le canon astronomique, la chronologie de Bérose et Mégasthel , et les faits incontestables de cette histoire consignée dans nos livres saints. » En effet, Nabocolassar, ou Nabuchodonosor, second fils de Nabuchodonosor I, eut dans le cours de son règne une maladie, qui, pendant sept années, le fit vivre parmi les animaux; il est très- probable que pendant ce temps-là, Balthasar son fils prit d’abord en main les rènes du gouverne- ment; qu’au bout de deux ans, il fut déposé et en- fermé par les menées de Nériglissoor ou Nergel- sereser, son beau-frère, qui se mit à sa place; que ce Nériglissoor ayant régné quatre ans, fut lui-même détrôné et mis en prison par son propre fils Laborosoarchod, encore tout jeune, mais dont la méchanceté avait devancé l’âge; ses inclinations parurent si dangereuses à ses propres amis, qu'ils le déposèrent au bout de neuf mois, et firent re- monter sur le trône Nabuchodonosor, dont la pénitence était accomplie, et qui avait repris son premier état : Eco Nabuchodonosor, dit ce prince lui-même dans Daniel, oculos meos ad cœlum levavi, et sensus meus redditus est mihi, et opti- mates mei, et magistratus mei requisierunt me ; et in regno meo restitutus sum. » Voilà , Messieurs, la source véritable d’où ürent leur origine les successeurs que lhistorien 12 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. Bérose donne à Nabuchodonosor , dans le fragment cité par Josephe. On y voit Evilmérodach occuper le trône pendant deux ans. Après Nabuchodonosor, c’est Balthasar, auquel succéda Nériglissoor, auquel Bérose donne quatre ans de règne, lui faisant suc- céder Laborosoarchodus pendant l’espace de neuf mois seulement, lequel prince a été confondu par le père Pétau , avec le Balthasar vaincu par Cyrus. Il est bon et nécessaire de vous faire observer que ce sont là les successeurs que Nabuchodonosor eut pendant sa maladie, et que Bérose a cru avoir été ses successeurs immédiats. Voyons le canon de Ptolémée; il va nous donner la nomenclature des successeurs de ce prince. À peine Nabuchodonosor fut-il mort, que Nériglissoor, plus habile que Bal- thasar, le prévint, remonta sur le trône, laissant son frère prisonnier. Ce roi est celui que Ecriture appelle Evilmérodach , et le canon 1/voradam. » Après un règne de deux ans, Balthasar, au- quel Bérose donne le nom d’Evilmérodach , re- monte aussi sur le trône de son père, et après avoir régné quatre ans , il est tué au siége de sa capitale, et son royaume divisé entre les Mèdes et les Perses, c’est-à-dire, entre Darius et Cyrus. Rien de plus propre à établir ces conjectures sur ces différences d’époques fixées par Bérose et Pto- lémée, que de réfléchir un instant sur ces règnes divers, qui donnent précisément la somme des années écoulées dans ces intervalles. En effet, les rois désignés dans le fragment de Bérose, réonè- rent pendant l’espace de sept années, et c’est la HISTOIRE. 13 précisément la durée du temps, fixée par nos livres saints, de la maladie de Nabuchodonosor, tandis que les rois inscrits dans les canons, ne régnèrent que six ans, et qu’il ne reste que le même nombre d'années à leur donner , entre la mort de Nabucho- donosor et la prise de Babylone par Cyrus. Bien plus, Daniel nous apprend dans plusieurs en- droits de ses prophéties, que le dernier roi de la Chaldée, fils de Nabuchodonosor , fut tué la même nuit du jour auquel il avait eu le songe qui lui annonçait sa triste destinée. Ce prophète nous fait même reconnaître quelques événements de la troï- sième année de ce prince, au lieu que le dernier des trois rois de Babylone que Bérose place avant Nabonide, et que le père Pétau confond avec Balthasar , n’était que le petit-fils de Nabuchodo- nosor par sa fille, qui n'avait resté sur le trône que neuf mois , lorsqu'il fut tué par ses propres amis. » Dans une Dissertation intitulée : Des Péleri- nages , M. de Mortarieu a rassemblé tout ce que l'antiquité, tout ce que le moyen-âge et les his- toriens modernes racontent sur ces saints voyages. Il fait connaître les opinions des philosophes mo- dernes à ce sujet, surtout celles de Boulanger; mais il rapporte aussi celles de Baronius, de saint Jérôme , et d’une foule d’autres écrivains. Il rap- pelle que les confesseurs imposaient à leurs péni- tents l’accomplissement d’un ou de plusieurs pélerinages en expiation de leurs fautes , et que les M. »E MorTARIEU, M. Du Méce. 14 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. juges les transformèrent en châtimens ; il recher- che chez les chrétiens l’origine de ces pieuses visites des lieux consacrés, et il nous montre sainte Hé- lène accomplissant celui de Jérusalem ; empereur Valentinien, Eudoxe sa femme, Placidie sa mère, Pepin, Charlemagne et une foule d’autres souve- rains, remplissant la même pratique de dévotion, ou la faisant remplir pour eux ; enfin il recueille tout ce qu’on a dit jusqu’à présent contre les péle- rinages. Le même auteur a lu à l'Académie un Mémoire intitulé : De la Condition des étrangers dans la monarchie française. Cet ouvrage est imprimé en entier dans ce volume. La destruction successive de nos grands mo- numents religieux, ou lappropriation , plus ou moins inconvenante , de la plupart d’entreux, a souvent inspiré: à M. du Mège des réclamations contre ce vandalisme de notre âge; il les a renou- velées dans son Mémoire intitulé : Saint-Etienne d’Agen. DISSERTATIONS ET MÉMOIRES. DISCOURS SUR L'UTILITÉ DE L'ÉTUDE DES LANGUES ANCIENNES, Prononci à La seconde Séance publique 5e 1837 ; Par M. TAJAN, Président de l’Académie. Dspvis le commencement du 19.° siècle, l'étude des langues anciennes a fait l’objet d’une vive con- troverse. Des esprits très-élevés, mais peu en- thousiastes des littératures que l'antiquité nous a lécuées, ont accepté, avec conviction, et dans toute son amertume, ce vers de dépit, empreint d’une ironie dédaigneuse, et peut-être trop injuste par sa généralité : « Qui nous délivrera des Grecs et des Romains ? » D’autres écrivains, d’un jugement non moins éprouvé, et certainement plus justes, pénétrés d’un saint respect pour les magnifiques créations qui ont fait la gloire et les délices de tant de siè- cles, n’ont cessé d'appeler toutes les intelligences à l'étude de ces vieilles langues, riches de tant de merveilles. TOME V. PARTe II 2 19 INSCRIPFIONS ET. BELLES-LETTRES. La question est grave : elle a été sérieuse- ment examinée dans les corps scientifiques, dans les réunions littéraires et dans les concours pu- blics. Elle a été, pour la presse, le sujet fécond d'une ardente polémique. Naguëre encore elle a été portée, avec une sorte de solennité, à la tri- bune nationale et mêlée à des débats politiques, comme pour ajouter à son importance; et cepen- dantelle n’a pas reçu jusqu’à présent une solution définitive. Il ne faut pas s’en étonner : cette question est une de celles dont la destinée est d’être débattues sans cesse et de n’être jamais résolues, parce qu’il y a trop d’exagération et de vivacité dans les deux opinions opposées; que chacune d'elles est trop absolue et trop exclusive; que toutes deux ont des arguments puissants pour le combat, et qu’il y a impossibilité réelle de concilier leurs exi- gences. Pour réunir les deux extrêmes, et mettre un terme à cette lutte affligeante , il faudrait trouver un système d’études qui püût être agréé par les deux partis. Mais comment créer ce système, et sur- tout comment létablir ? Le seul qui pourrait per- mettre d'espérer une heureuse conciliation, serait d’assigner à. létude des langues anciennes, des li- mites telles que les maïîtres fussent obligés de se renfermer dans le cercle qui leur aurait été tracé, et que, de leur côté, les élèves fussent condamnés à faire violence à leur jeune ambition, pour borner cette étude, quelque charme d’ailleurs qu’elle pût MÉMOIRES. 19 avoir pour eux, aux proportions restreintes qui au- raient été déterminées. .+On le conçoit davance : il suffit d'indiquer un pareil système, pour reconnaître l’impossibilité de le réaliser ; et c’est cette impossibilité qui a main- tenu , de génération en génération, et qui main- tiendra , longtemps encore, ces méthodes d’études et ces traditions classiques, qui, dans les derniers temps surtout, ont suscité des antipathies si amères et de si violents contradicteurs. Avons-nous donc tant à nous plaindre de cette persévérance dans le culte des classiques ? Y a-t-1l quelque danger à ce que nos enfants forment leur raison et leur goût d’après les principes et les doc- trines littéraires qui nous ont été enseignés ; que leur jeune intelligence soit exercée sur les mo- dèles qui ont servi à notre propre instruction ? Est-il quelqu'un d’entre nous qui soit disposé à désavouer ses maîtres, à rougir des leçons qu’il en a reçues, à répudier enfin les auteurs qui ont charmé sa jeunesse ? Soyons justes pourtant : dans notre société, composée de caractères si divers et si féconds en contrastes, il est vrai que l’on trouve des hom- mes, très-éclairés d’ailleurs, qui, par leur posi- tion actuelle dans le monde et le genre d’exis- tence qu’ils ont adopté, regrettent, de bonne foi, d’avoir consacré leurs plus beaux jours à étudier des langues dont ils ne font maintenant aucun usage, et des auteurs qu’ils ne comprennent plus; mais il faut reconnaître aussi, qu'à côté de ces à: 20 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. hommes il en est un plus grand nombre qui; fidèles à leurs premières impressions, et poussés à la vie littéraire par les dispositions de leur esprit, ou par la profession qu'ils ont embrassée, n’ont jamais cessé d’être en commerce avec ces langues et ces auteurs, dont des études approfondies leur ont révélé les beautés; et leur enthousiasme s’est accru par la comparaison. Je ne blâme pas indifférence des premiers; mais enthousiasme des autres n’a rien que de léoi- time. Il ne blesse aucunement les priviléges de la langue nationale ; il ne refuse à cette ne au- cune des bre qui lui ont valu la prééminence dont elle jouit sur la plupart des langues moder- nes; il ne diminue en rien , surtout, le prodigieux : éclat de la littérature française,telle que nos grands écrivains nous l’ont faite. En effet, Messieurs, les langues sont les instru- ments de la pensée de l’homme; mais chaque langue a son génie particulier. Si tous les hommes avaient été réunis en un seul corps de nation, ils n'auraient eu qu’une langue commune pour ex- primer leurs idées et dass entr'eux tous les rapports de la vie civile; et comme cette langue unique aurait également servi à traduire toutes les créations de l'esprit, il n’y aurait eu qu’une seule littérature. Mais 1l n’en est pas ainsi : le genre humain, dis- persé sur les diverses parties du globe, s’est divisé en plusieurs corps de nation : chaque corps de na- tion a formé un peuple et une société indépen- MÉMOIRES. 21 dante : chaque penple a eu sa langue , ses lois, ses croyances, son culte, ses mœurs, ses usages; et comme la littérature est le reflet, plus ou moins exact, de la société où elle a puisé ses éléments, il est évident que tous les peuples ont une littéra- ture qui leur est propre. Ce n’est pas, Messieurs, que j’admette comme une vérité démontrée le principe absolu, professé par un des écrivains les plus renommés de notre époque, et d'apres lequel la littérature serait lex- pression de la société. Ce principe, que d’autres écrivains, non moins distingués, ont attaqué avec une grande puissance de raison, manque de jus- tesse ; car il est des peuples dont la littérature est en contradiction avec leurs mœurs; mais, quelle que soit la portée de la pensée de M. de Bonald, il est certain, toutefois, que si la littérature n’est pas lexpression de la société, dans un sens ab- solu , elle en exprime quelquefois, d’une manière plus ou moins parfaite, les moeurs, les besoins et les doctrines. Quoi qu'il en soit, il est constant au moins que chaque peuple a sa langue et sa littérature; mais doit-on conclure de ce fait, qu’il ne faut étudier que la langue et la littérature de sa nation, et qu’il faut soigneusement écarter de nos études les langues et les littératures étrangères ? Doit-on en conclure également qu’il faut proscrire avec mépris toutes ces littératures anciennes qui ont traversé les siècles pour parvenir jusqu’à nous, et se borner strictement à l'étude des littératures. modernes ? 22 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. Si de pareilles conséquences étaient admisés , il faudrait donc rejeter d’abord tout ce que les let- tres ont produit de bon et de beau chez toutes les nations qui occupent aujourd'hui la scène du monde ! Il faudrait ensuite répudier le passé, et avec lui, toutes ces magnifiques créations de les- prit humain, toutes ces œuvres de génie que les siècles ont amassées depuis l’origine des sociétés, et réserver exclusivement nos études, nos sympa- thies et nos hommages pour la littérature na- tionale. Ce n’est pas, Messieurs, que notre ambition et notre orgueil ne pussent être également satisfaits en étudiant les monuments impérissables de cette littérature enchantée; mais pourquoi cette pros- cription de toutes les littératures étrangères à la nôtre ? Sans parler ici des diverses littératures de nos jours, qui appartiennent à d’autres peuples, craindrait-on que notre littérature se dégradät en puisant encore dans les trésors des littératures clas- siques, ou en imitant quelques-unes de leurs formes ? Mais si c'était là une dégradation , il y a longtemps que notre littérature serait dégradée. Pourquoi le dissimuler : il est tres-vrai que les langues grecque et latine ont exercé une grande in- fluence sur les lettres françaises ; mais il serait in- juste de ne pas reconnaître que cette influence, loin de leur avoir été funeste, leur a été, au contraire, d’un prodigieux secours; et s’il était possible de comparer notre littérature, telle qu’elle est au- jourd’hui, avec ce qu’elle aurait été sans les imi- MÉMOIRES. 23 tations qu’elle s’est permises , on conviendrait bientôt que c’est à cette influence qu’elle est rede- vable d’une partie de ses beautés. Que l’on parcoure les différentes phases de sa for- mation ; depuis le commencement de la langue fran- caise, c’est-à-dire, depuis le 13.e siècle, signalé par les sermons de saint Bernard, jusqu’à François Ier, et depuis le règne de ce prince, jusqu'au siècle de Louis XIV, et l’on verra qu’à chaque période , la littérature française a progressivement étendu son domaine par le secours des littératures classiques , sans rien perdre de sa nationalité. Cette nationalité, du reste, en remontant à l’ori- gine de nos plus anciens monuments littéraires , est assez équivoque ; car, à ces époques de confu- sion et d’anarchie, elle n’a jamais été très-pure. Malgré les recherches de nos savants et de nos écrivains les plus laborieux, il a été impossible de se former une idée exacte des idiomes dont on faisait usage dans les Gaules, avant que ces con- trées eussent été subjuguées par les Romains. Les historiens sont réduits, à cet égard, à des con- jectures d'autant plus vagues, qu'ils n’ont pu dé- couvrir aucune trace de ces idiomes primitifs; mais ce que l’on sait positivement, c’est que, sous la domination romaine, les diverses races des Gaules, divisées en provinces , adoptèrent où furent forcées d'adopter la langue de leurs vainqueurs , et que, dans la suite, les Francs et toutes les autres po- pülations réunies au grand empire par la conquête, furent également obligées de parler cette langue. 24 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. Il eût été impossible, d’ailleurs, de se soustraire à cette obligation. Indépendamment des volontés du conquérant qui l'avait imposée, une loi, bien plus puissante encore, en prescrivait laccomplis- sement : c'était la loi de la nécessité. On ne pou- vait aspirer à aucune dignité de l'empire , à aucun emploi public, sans savoir le latin. Cette langue était celle de l’état, du culte religieux, des tribu- naux, des savants ; la seule qui fût honorée, pra- tiquée par l'autorité publique, et admise, avec fa- veur dans les usages domestiques. Aussi, à peine eut-elle été introduite dans les Gaules, qu’elle fit de rapides progrès ; et ces progrès furent tels, que tous les peuples vaincus lemployèrent , après leur incorporation à l’empire romain, dans tous les rapports de la vie civile, et dans toutes les tran- sactions de la vie sociale. : Le latin fut donc la seule langue parlée dans les Gaules, sous la domination romaine; mais lors- qu'il fut parvenu à son apogée, il dégénéra , s’al- téra insensiblement et finit par se corrompre tout-à-fait, après l’invasion des barbares : ‘et ce fut par leffet de cette invasion, et de l’état d’a- narchie qui la suivit, que naquit et se forma pro- gressivement cette langue romane, composée des mots latins les plus usuels, et d’autres mots dont la racine, également latine, était dissimulée sous les formes de lidiome’ franc. Ce fut donc la langue romane qui servit d’in- troduction à la langue française; et l’on voit, par ce rapprochement des origines de ces diverses lan- MÉMOIRES. 25 gues , que le français a trouvé ses principales ra- cines dans le latin. Telle fut, au surplus, lin- fluence de la langue latine, alors même que le français était devenu la langue vulgaire, que les ouvrages religieux, les lois, les traités, et même plusieurs contrats d’un intérêt privé, étaient écrits en latin , et que Louis XIT, et après lui FrançoisL.®", furent obligés de prescrire lusage exclusifet absolu de la langue française dans les actes publics. I ne faut donc pas être étonné, Messieurs, si nos bons auteurs ont eu une prédilection particu- lière pour la langue latine; s'ils Pont étudiée avec amour ; s'ils se sont exercés pour en saisir tous les genres de beautés; s'ils ont interrogé son génie; enfin, s'ils y ont cherché des inspirations pour fé- conder celles qui leur étaient propres, et accé- lérer les progrès et les perfectionnements de la langue française. Cétait là la pensée de Marot, Malherbe, Montaigne, Vaugelas et Balzac. Cé- tait aussi celle des principaux écrivains et des plus grands poëtes du siècle de Louis XIV; et quoique tous ces hommes, d’une haute intelligence, aient cultivé la langue latine avec plus ou moins de suite, il serait injuste de prétendre que la littéra- ture qu'ils ont produite n’est qu’une littérature d'imitation. La littérature que nous possédons a, sans doute, conservé, dans quelques-uns de ses éléments, les empreintes de la littérature latine, sous l'influence de laquelle ces éléments ont été créés; mais il ne faut pas oublier que la langue française est d’ori- 26 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. gine latine, et que la littérature dont cette langue a été l’instrument, à dû nécessairement se res- sentir de son origine. Cela n’empêche pas qu’elle nait son caractère distinctif, et que sa nationa- lité, telle que je l’ai déjà signalée, ne soit entière et parfaite. Il en est de même relativement à l’influence que la littérature grecque peut avoir exercée sur la nôtre. Observons d’abord que la langue d’Homère était presque inconnue de nos ancêtres pendant le moyen-âge. On trouve seulement quelques traces de la mythologie grecque dans nos vieux auteurs. Ce ne fut que dans le 12.° et le 13.° siècle que les premières études du grec eurent lieu : il ne se ré- pandit guère, en France, que pendant la seconde moitié du 15.°, époque à laquelle s’accomplit la dispersion de l’élite de la nation grecque, après la prise de Constantinople. Dès ce moment, et sous la protection spéciale de François I.er, les modeles grecs furent étudiés, et devinrent l’objet de quelques imitations. Bientôt cette étude se développa, s'agrandit , s’étendit dans la proportion la plus élevée. Plus elle fut suivie, plus on découvrit de beautés inconnues. La littérature grecque fut explorée dans toutes ses parties avec cette ardeur qui s'attache aux inves- tisations dont on attend de grandes découvertes. Nos historiens, nos orateurs et nos poëtes puisè- rent dans cette source féconde; ils y trouvèrent le récit plein de charmes des événements merveil- MÉMOIRES. 27 leux qui avaient agité la Grèce dans les temps hé- roïques , l’histoire des guerriers et des conquérants qui l'avaient illustrée, les écrits de tous.ces autres grands hommes dont les œuvres sublimes ont fait la gloire et limmortalité; et la passion des lettres grecques devint une des passions dominantes de Pépoque. La littérature grecque, comme la littérature latine, a donc fourni à nos écrivains des modèles, des formes, des images et des sujets d'inspiration dans tous les genres. Mais quelle qu’ait été Pin- fluence de ces deux littératures sur la nôtre, la lit- térature française n’en a pas moins un cachet par- ticulier; et l'éclat dont elle brille n’est pas un éclat d'emprunt. Assez riche de son propre fonds, parée de tous les avantages dont la belle imagina- tion des auteurs français et leur goût exquis l'ont revêtue , elle n’a fait qu'augmenter ses trésors, par l'exploration des auteurs anciens ; et tout ce qu’elle leur a emprunté, elle a su se l’approprier avec habileté, en l’accommodant à nos mœurs, à notre caractère, à notre genre d'esprit, et surtout en ajoutant aux grâces, déjà si pures, du grec et du latin, les délicatesses infinies de la langue fran- çaise. Il est impossible d’ailleurs de contester que le génie de notre langue a été assez puissant pour fournir à ceux de nos philosophes , de nos orateurs et de nos poëtes qui ont été le mieux inspirés, des beautés originales dont on chercherait en vain des traces dans les vieilles littératures, et que ceux des éléments de ces littératures admirables, que 28 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. nos écrivains ont eu la noble audace d’imiter , ont subi cette transformation difficile, sans rien perdre de leur éclat. Reconnaïissons donc, Messieurs, qu'il y a eu pour nous profit et gloire d'étudier et de cultiver les anciens; et puisque cette étude, au lieu de nuire à la littérature nationale , a ouvert, au con- traire, devant elle, une carrière magnifique, qu’elle a honorablement parcourue, puisque les langues classiques ont contribué à lui procurer la splen- deur dont elle jouit, sans affaiblir le caractère de grandeur qui lui est propre, pourquoi craindrions- nous de recommander aux jeunes disciples de nos doctrines , le culte des littératures que ces langues ont formées ? Ah ! sans doute, sil fallait répudier ces œuvres de science, d'enthousiasme et de goût, que nos auteurs ont produites, d’après leurs propres inspi- rations , et sans aucun secours étranger ; s’il fallait proscrire tous les travaux sublimes dont nous sommes redevables à leur génie, pour adopter aveuglément , et sans partage, les modèles que les langues d'Homère et de Virgile ont placés sous nos yeux, je m'élèverais avec véhémence contre un système d'exclusion si dégradant, parce qu’il au- rait pour résultat de déshériter la patrie de la plus pure de ses gloires, et de condamner le génie fran- çais à la plus humiliante servilité. Alors il serait vrai de dire que cette littérature de progrès, que nous nous efforçons de créer, ne serait qu’un pâle reflet des littératures classiques; qu’elle n'aurait MÉMOIRES. 29 d'autre caractère que celui de limitation ; qu’elle serait dépouillée de toute nationalité, et qu’elle n'aurait aucun des charmes de la littérature que nous aurions renlée. Mais ce n’est pas là, Messieurs, ce que deman- dent les partisans des études classiques, même ceux qui sont le plus enthousiastes de ce que les lettres grecques et latines ont produit de plus bril- lant. Ils veulent seulement que ces deux langues soient étudiées comme des auxiliaires puissants de la nôtre; et lorsqu'on sait tout ce que ces belles études ont valu d'illustration aux lettres françaises, il serait difficile de ne pas accueillir ce vœu. (Ici, l’orateur rend un compte sommaire du concours de l’année.) 30 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. DE LA CONDITION DES ÉTRANGERS DANS LA MONARCHIE FRANÇAISE ; Par M. De MORTARIEU. S: quelque trait distingue particulièrement les peuples anciens des peuples modernes, c’est bien sans contredit cet empressement religieux avec lequel le voyageur était autrefois accueilli. L’hos- pitalité, cette vertu si négligée de nos jours, était pour ainsi dire dans tous les cœurs. Presque chez toutes les nations un asile était ouvert aux fugitifs ; et non-seulement ils y trouvaient une généreuse hospitalité , ils y recevaient encore des soins com- patissants et affectueux. Quatre siècles avant notre ère, le prophète Ezéchiel (1) avait dit chez les Hébreux : « Que les étrangers qui viennent à vous, qui se sont établis au milieu de vous, soient pour (1) Advenœ qui accesserint ad vos, et genuerint fulios in medio vesträm, erunt vohis sicut indigenæ. te MÉMOIRES. 31 vous comime s’ils étaient indigènes.» Peu de temps après, Alexandre le Grand avait proclamé à Ma- cédoine le même principe : « Tous les hommes sont frères, avait-il dit; il n’y a d'étrangers que les méchants.» La Perse, que les Grecs traitaient de barbare, offrit toujours aux fugitifs un libre accès sur son territoire. C’est dans son sein que Thé- mistocle , Alcibiade et tant d’autres illustres exilés, avaient cherché un refuge; et malgré le mal qu’ils avaient fait à cette nation , ils y trouvèrent dans la munificence du souverain , une juste réparation des persécutions que leur ‘avait fait éprouver leur ingrate patrie. Les Gaulois avaient aussi, dès l’an- tiquité la plus reculée , rendu hommage à l’hos- pitalité (1). Du plus loin qu’ils apercevaient un étranger, ils couraient à sa rencontre, l’entrat- naient dans leur maison , et le comblaient d’égards et de prévenances. Enfin, les Grecs et les Romains ne se montrèrent pas moins généreux. Chez eux, Phospitalité avait des temples (2), et les devoirs qu’elle imposait, étaient si sacrés à leurs yeux, que personne ne pouvait s’en affranchir. À Rome, de même qu’à Athènes , dans la plupart des mai- sons riches, il y avait des quartiers uniquement destinés aux étrangers (3). Les plus illustres ci- (1) Diod. Sic. — Cæs. de Bell. gall. Gb. vr. — Aristoteles. (2) Pind. Olymp. od. virr. — Plutarq. d’Amyot. Paris, 1575, v. 11, p. 610. Voy. aussi l’abhé Banier. (3) Vitruv. Architect. hb, 1x, c. x. — Tit. Liv. bb. 1x, C. XIV. 32 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. toyens les admettaient à leur table, leur prodi- guaient les soins les plus empressés, et ne les laissaient partir qu'après leur avoir donné les mar- ques du plus vif intérêt. Toutefois, cette sorte de piété que manifestaient les anciens à l’égard des étrangers , ne leur faisait pas oublier les précautions que commandait une sage politique. Autant ils se montraient empréssés envers les voyageurs qui traversaient leurs foyers, autant ils manifestaient de la méfiance envers ceux qui formaient un établissement sur leur-territoire. Une fois la dette de l'humanité payée, ils croyaient avoir accompli leur tâche ; ‘et l'étranger ne devait plus attendre d’eux aucun secours. Pour peu même que son séjour se prolongeaät, ce n’était plus un hôte qu’ils accueillaient , c’était un étranger dans toute la force de l'expression , ou plutôt c'était un ennemi, car dans la plupart des langues, ces deux termes étaient synonymes (1); et l’on peut dire - que s’ils l'avaient vu avec plaisir aborder sur leurs côtes , ils n éprouvaient pas moins de satisfaction à le voir s’éloigner. Ces sentiments divers n'étaient pas néanmoins dénués de fondement : un étranger se présentait il, ce n’était d’abord que la voix de l’humanité qu’on écoutait. Peut-être était-ce un fugitif, une victime injustement persécutée ; peut-être était-il dépourvu des choses les plus nécessaires à la vie : (:) En grec, aAAaguor, æAXotÜveIS | &AAYEVELS | TporyAUXI , téomxoi. En latin, peregrini, exteri, advenæ , hostes. MÉMOIRES. 33 comment lui refuser un asile? comment ne point alléger la fatigue qui Paccable ? Mais, d’un autre côté, devait-on négliger les soins de sa propre conservation ? Celui qui venait ainsi s’asseoir au banquet de l'hospitalité, ne pouvait-il pas être guidé par des projets hostiles? ne pouvait-il pas par ses principes, ses exemples, exercer une per- nicieuse influence? Ce que les anciens appréciaient par-dessus tout, c’étaient leurs lois , leurs mœurs, leur culte , leurs coutumes (1). Toute innovation leur paraissait dangereuse; et leur sang même était moins pur à leurs yeux par cela seul qu’il s'était mélangé. Cet orgueil national qui dominait autrefois dans toutes les républiques, cet amour de la patrie, si souvent invoqué de nos jours, et pourtant si rare, leur faisaient regarder comme au-dessus de toute autre nation le pays qui leur avait donné le jour. Les traditions de leurs ancè- tres étaient pour eux un objet de culte, et ils craignaient surtout de les altérer. Cest par suite de ces principes que la plupart des républiques anciennes étaient dans lusage de prendre vis-à-vis des étrangers des mesures de précaution. Lacédémone s'était fait une loi de r’entretenir avec eux ni commerce, ni rela- tions (2); Athènes leur avait assigné un quartier particulier dans ses murs (3); et Rome deux fois (1) Platon , Traité des Lois, lv. 117. — Strabon, liv. xv. (2) Hérodote. — Plutarchus. (3) Gælius Rhodiginus. Lect. Antig. Ub. 17, cap. 9. 3 TOME V. PART, II. 34 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. les chassa de son sein (1). Enfin, privés partout de toute participation aux affaires publiques , ils ne pouvaient remplir aucune charge, aucune magis- trature, ni exercer même la plupart des droits civils (2). Cette sorte d'incapacité dont la loi frappait les étrangers, était d'autant plus pénible, que ce n’é- tait qu'avec une extrême difficulté qu'on pouvait s’en affranchir. Lacédémone , quelque service qu’on ait pu lui rendre, ne voulut jamais conférer à un étranger les droits de citoyen (3). Corinthe n’ac- corda ce privilége qu’à Hercule et à Alexandre (4). Les Athéniens, quoique moins exclusifs, se mon- trèrent cependant fort avares de ces sortes de concessions. Chez eux, il ne fallait pas moins de six mille suffrages pour faire un citoyen (5). Encore métait-ce presque toujours qu'a des tètes couron- nées qu'on déférait ce titre glorieux. L'histoire cite plusieurs souverains qui reçurent des Athéniens le droit de cité, et de ce nombre Evagoras, Denys de Syracuse, Antigonus , Démé- trius (6) et Cotys enfin, qui pour reconnaître ce (x) V. les lois Patronia et Papia. (2) Arist. — Cælius Rhodiginus. (3) Herodote. ë (4) Plutarch. (5) Demosth. #7 orat. contra Nœæram. — Plutarch. — Cæ- lius Rhodiginus. (6) Plut. &x Demetrio. MÉMOIRES. 35 bienfait, conféra à tous les citoyens d'Athènes le droit de bourgeoisie dans ses états (1). Rome n'avait point à cet égard imité la Grèce. Dès son origine , dans unique but d'augmenter sa population , elle avait ouvert son sein à tous les étrangers. Souvent même , adoptant les peuples qu’elle avait soumis, elle les avait incorporés dans ses murs; et, comme ses propres enfants , ils y participaient à tous les priviléges attachés au nom Romain. Mais ces principes se modifierent insen- siblement à mesure que la république vit augmen- ter sa population. Bientôt les étrangers ne furent admis dans son sein qu’avec difficulté. Les vaincus restèrent dans leurs villes ; et les plus éclatants services purent à peine payer le titre de citoyen Romain. Au temps de Jules-César , les Latins qui, depuis si longtemps combattaient sous la même bannière que les Romains , ne jouissaient pas en- core du droit de cité; et ce ne fut que les armes à la main que lItalie put obtenir ce privilége. Plus Rome s'était montrée généreuse dans le prin- cipe, plus elle se montrait alors jalouse de ses droits (2). Les étrangers vivaient dans une sorte d’esclavage. Ils n’avaient capacité, ni pour con- tracter mariage (3), ni pour tester , ni pour rece- voir par testament (4). Leurs procès étaient portés (3) Valer. Max. lib. 111, cap. var. (2) Sueton. in August. (3) Alciat. Zb. dispunction. 2, c. xxt1. (4) Dig. de Hwæred. instit. 1. 1. 36 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. devant un juge particulier (1); le costume romaïn leur était sévèrement interdit (2); et quiconque osait usurper le titre de citoyen, était puni de mort (3). Mais ces principes d’intolérance ne devaient pas longtemps subsister sous Pempire. Les premiers Césars avaient prodigué le droit de cité à des villes, à des provinces, à des nations entières ; Caracalla létendit à tous les sujets de la république (4). Dès lors tout fut changé dans l'état; toute distinction disparut. Il n’y eut plus d'étrangers, il n’y eut plus de citoyens; il n’y eut plus de vainqueurs, ïl n’y eut plus de vaincus. Tous les droits furent égaux; l'empire ne reconnut plus qu’une seule et même loi. Mais le prestige du nom Romain s’était évanoui sans retour ; et ce beau titre de citoyen, que des rois même s'étaient enorgueillis de porter tant qu'il fut circonscrit dans un coin de FItalie, devint un objet de mépris et de dédain, du mo- ment qu’il fut partagé avec la moitié du genre humain. On vit alors quels fruits amers devait produire oubli des anciens principes. Tout esprit national fut anéanti ; les divers peuples qui com- posaient l’empire, n’ayant plus entr'eux ni lien ni sympathie, se regardaient comme étrangers les uns aux autres. Insensiblement tous les ressorts de (1) Alciat. lib. Parergon. 1.° cap. x1v. Dig. de Jure fisci. 1. x. (2) Suet. in Claudio Cæsare. (3) Ibid. (4) Ulp. L. 17. ff de Statu hominum. MÉMOIRES. 37 Vétat se relâchèrent. Une confusion générale pa- ralysa tous les efforts du gouvernement ; et la république , en proie à des dissensions conti- nuelles, ne présenta plus qu’une masse inerte et sans vie. L’invasion des Barbares mit le comble au dé- sordre. Rome, dans l'impossibilité de se défendre, semblait n’avoir d'espoir qu’en ceux qui étaient venus pour la détruire. Des Germains, des Goths, des Vandales furent enrôlés sous la bannière du peuple Romain ; mais ce n'étaient pas des soldats que la république avait pris à sa solde, c’étaient des maîtres quelle s'était donnés. On vit bientôt des barbares dans toutes les administrations de l’état. Citoyens par le droit de l'épée, ils affluaient dans les tribunaux, dans les finances, dans les magis- tratures civiles et militaires, et jusque dans le sein même de la cour. Inondée d'étrangers (1), Rome ne savait plus à quelle nation elle appar- tenait. L’idiome tudesque et la langue de Virgile semblaient être nés sur le même sol : à côté de la toge romaine, Le barbare étalait sa fourrure sau- vage, et dans le même temple étaient invoqués Jupiter et Irmensul. Cen était fait de l’empire; et l'Occident bou- leversé, en proie à cent peuples divers, n’était plus qu'un monceau de ruines. Mais au sein de (1) Omnes peregrini et advenæ liberè hospitentur ubi vo- luerint ; et hospitali si testari voluerint de rebus suis, etc. (Authentique, Comm. de Success.) 38 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. ces désastres, tout sentiment humain ne devait pas périr. L’hospitalité était, chez les Barbares, une vertu ancienne (1). Ces peuples sauvages, si cruels dans les combats, à l’aspect d’un étranger dépouillaient toute leur férocité. Jamais le fugitif n'avait heurté vainement à la porte de leurs ca- banes. Un ennemi désarmé n’était pour eux qu’un frère; et le malheur, quel qu'il fût, trouvait tou- jours dans leur foyer un refuge assuré. Devenus maîtres de la Gaule, les Francs n’ou- blièrent pas les principes d'humanité qu’ils avaient pratiqués dans leurs forêts. Autant ils s'étaient montrés cruels durant la guerre , autant ils se montrèrent cléments et modérés après la victoire. Sous leur empire, une généreuse tolérance s'établit en tous lieux. Indigènes ou Barbares, Bourgui- gnons ou Visigoths, Saxons, Teïfales, Allemands, Scandinaves , tous, à quelque époque et à quelque titre qu'ils se fussent établis dans les Gaules, trou- verent une égale protection (2). Sous l’égide du souverain, chacun conserva ses lois, ses coutumes, ses biens, son indépendance; et si les vainqueurs et les vaincus ne furent pas traités avec la même faveur , si on laissa subsister encore quelque dis- tinction humiliante pour les Gaulois, il ne dé- pendit que de ces derniers de la faire cesser, et de s’incorporer même à la nation victorieuse, en re- (1) Nicol. Damasc.— Tac. de Morib. Germ. Voy. aussi la loi Gombette. — Diod. Sic. — Procop. (2) Lex Salic, MÉMOIRES. 39 nonçant à leur loi pour se soumettre à celle du vainqueur (1). Par la seule adoption de la loi sali- que, ils devenaient francs; comme eux, ils étaient admis au champ de Mars ; ils concouraient à l’ad- ministration de l’état, à l’exercice de l'autorité souveraine , et participaient enfin à tous les privi- léges des Barbares. Tels furent les principes qui présidèrent à l’éta- blissement de la monarchie des Francs. Pendant quelque temps, ils se maintinrent encore. Les étrangers de toutes les nations purent librement s'établir sur le sol de la Gaule; et, loin que leur qualité fût un titre d'exclusion , il n’était pas de fonctions, il n’était pas de magistrature qu'ils ne fussent capables de remplir. Des Romains oc- cupaient presque tous les évèchés (2); des Ro- mains étaient à la tête de toutes les administra- tions. Les dignités d’ambassadeurs , de patrices , de maires du palais , leur furent prodiguées. Eusèbe, évêque de Paris, était né en Syrie (3). S. Chellin, qui, peu de temps après, occupa le siége d'Arras, était écossais (4). L’irlandais saint Colomban (5), fut abbé du célèbre monastère d'Anegrai, de Fon- taines et de Luxeu (6). Egina, né en Saxe, était (1) Lex salic. üt. 45. (2) Essai sur les Mœurs, chap. xvtr. (3) Gregor. Tur. lib. x, cap. 26. (4) Dict. Moreri, y.° Luxeui. (5) Fredégar. cap. xt, 6 36. (6) Fredegar. cap. xxvir, $ zv. 40 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. un des plus puissants seigneurs du royaume de Clotaire. La naissance n’établissait, pour ainsi dire, aucune distinction. Tous les princes, tous les seigneurs, à quelque nation qu’ils appartins- sent, trouvaient à la cour de France une noble hospitalité ; et c'était presque toujours dans un sang étranger que nos rois choisissaient leurs com- pagnes. Mais les désordres qui éclatèrent sous l'empire des rois mérovingiens, firent bientôt disparaître ce régime de tolérance. On peut à peine se faire une idée des fléaux qui à cette triste époque désolèrent la Gaule. Guerres civiles, guerres étrangères, meurtres, incendies, pillages et dévastations ; tel est le spectacle que, pendant plus de deux siècles, nous offrent ses annales. Pour comble de maux, un affreux brigandage s'était organisé sur tous les points du royaume (1); plus de voyages possibles, plus de communications entre les provinces , tout commerce s’éteignit, et il ne resta plus entre les peuples voisins d'autre relation que la guerre (2). L’hospitalité, jadis si vénérée dans les forêts de la Germanie, l'hospitalité que les Francs et les Bour- guignons (3)inscrivaient naguères dans leurs codes comme une loi sacrée, ne trouve plus d'asile sur le sol de la France. En vain de saints évêques in- (1) Greg. Tur. (2) Hist. de France. Présid. Henault, p. 134, t. 1. — Greg. Turon. (3) Loi Gombette. MÉMOIRES. 4 terposérent leur pieux ministère; en vain recom- mandaient-ils à la piété des seigneurs (1) ceux que la religion , ou un motif quelconque, appelaient en autres lieux. Leur autorité était méconnue, et leur voix impuissante se perdait au sein du tumulte des armes. Alors sans doute prit naissance le droit d’au- baine. Cest effectivement vers cette époque qu’on commença à faire usage du mot a/banus ou al- binus, pour désigner les étrangers. Toutefois, les historiens ne s’accordent ni sur l’étymologie ni sur l’acception qu’on donnait à ce mot. Suivant les uns , le mot albanus était synonyme d’advena, et en tirait même son origine (2). Suivant certains autres , il dérivait de deux mots latins (alibinatus), qui signifient, né ailleurs (3). Enfin, suivant une troisième opinion , cette dénomination était, dans le principe, particulière aux Ecossais ; et ce ne fut que par extension qu’on l’appliqua dans la suite aux étrangers de toutes les nations (4). Quoi qu'il en soit, l'étranger se vit bientôt dé- pouillé des droits les plus précieux (5). Comme (1) Marcus. Mon. Formularum appendix. Form. x. — Formulæ Bisnonianæ , 1. 1V, p. 543. (2) Les Capitulaires de Charlemagne se servent souvent de cette expression pour designer les étrangers. V. Cujas. (3) Boërius 27 consuet. Bitur. tt. de Testam. — Menage. (4) Gerardus Mercator en son Atlas. — George Buchanan. Hist. d'Écosse, liv. v. — Ducange. (5) Montesquieu. Esprit des Lois, liv, xxx, chap. xv. 42 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. dans l’ancienne Rome, il ne put ni recevoir ni . donner par testament. S'il quittait le royaume, où qu’il vint à décéder , ses biens étaient dévolus au fisc (1); et 1l n'obtenait même le droit de con- tracter mariage qu’en acquittant un impôt oné- reux. « Les hommes pensèrent, dit Montesquieu , » que les étrangers ne leur étant unis par aucune » communication du droit civil, ils ne leur de- » vaient, d’un côté aucune justice, de l’autre au- » cune pitié (2). Mais ce ne fut pas seulement sur les étrangers que frappa le droit d’aubaine ; les regnicoles eux-mêmes ne purent sy soustraire. Sans cesse divisée par le partage des princes, la France com- posait presque toujours plusieurs royaumes, qui n’étant plus soumis aux mêmes souverains , se con- sidéraient mutuellement comme étrangers, et s’en appliquaient les conséquences ; en sorte, qu’à cha- que changement de règne, tout était remis en question. Les seigneurs se voyaient sans cesse dé- pouillés des bénéfices qu’ils n’avaient acquis qu’au prix de leur sang; et de même qu’un partage de la monarchie pouvait les élever au faite de la for- tune, de même il suffisait d’un partage pour con- sommer leur ruine. Le traité d’Andelau séleva contre ce régime d’iniquité. Toutes les propriétés (1) Jus est fisci vel domini, cui obveniunt bona peregrino- rum et advenarum..…... Cassiodor. lib. 9. variar. ep. 14. (2) Liv. xxr. chap. xvix. MÉMOIRES. 43 furent restituées à leurs légitimes possesseurs (1); il y fut même stipulé qu'à l'avenir les seigneurs, à quelque souverain qu’ils fussent assermentés (2), pourraient librement voyager d'un partage à l’au- tre, sans qu’en aucune circonstance on püt attenter à lenrs droits. Mais que pouvait un traité en ces temps de désordre et d’anarchie ! Ouvrage de la force, le traité d’Andelau fut bientôt anéanti par la force. Cependant des jours plus sereins devaient bientôt luire sur la France. Pepin était monté sur le trône, et avec lui avait reparu l'empire des lois et de la justice. Sous l'égide de ce prince, les étrangers virent s’alléger le joug qui pesait sur leurs têtes (3). Mais c'était à Charlemagne qu'il était réservé de compléter leur affranchissement (4). On peut voir dans les capitulaires tout ce que ce prince ft en leur faveur (5). L’hospitalité fut prescrite comme une loi; partout l'étranger put se présenter sans crainte sur les terres de l'empire. Le souverain veillait sur lui ; et, non-seulement il y fut accueilli avec humanité, il y trouva, sous la protection des lois, une liberté à abri de tout outrage. FLE EL EE EL ER (1) Traité d’Andelau, art. x1. — Greg. Turon. (2) Traité d’Andelau , art. x. (3) Dom Bouquet. Capit. Pippini reg. $ Xx11, tom. v, p: 641. — Ç xxvr. (4) Dom Bouquet. Capit. Carol. magni. S Vx, tom. V, pag. 677, 663, 659. (5) Ibid. , tom. v, p. 660. 44 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. Toutefois, en proclamant ces généréux prin- cipes , Charlemagne n’avait point négligé les pré- cautions qu’exigeait la sûreté de Pétat. Les étran- gers étaient l’objet d’une police particulière ; l’œil vigilant de l'autorité devait toujours être fixé sur eux. Plusieurs capitulaires prescrivaient aux oM- ciers royaux de prendre le nom de tous les étran- gers qui arrivaient dans le royaume; d'informer le souverain de leur nombre, et de lui faire con- naître les lieux d’où ils venaient, où ils allaient, où ils s’établissaient (1). Les fugitifs et les mal- faiteurs devaient être reconduits dans le pays qu’ils avaient quitté (2). Cest ainsi qu'avec les de- voirs de humanité, Charlemagne avait su conci- lier les principes d’une sage prévoyance : il y a même lieu de croire que les anciennes lois qui ré- gissaient la condition des étrangers , n’avaient pas été abrogées, mais seulement suspendues. On voit par divers titres que, sous les règnes suivants, leurs successions revenaient de droit au prince; et, selon toute apparence, si ces dispositions n'étaient pas exécutées, c'était moins en vertu d’une règle générale, que par l’effet d’une faveur particulière. Les étrangers, en effet, se regardaient comme si peu assurés de la liberté qu’ils avaient trouvée sur les terres de France, qu'à chaque nouvel avéne- ment ils se croyaient obligés de faire sanctionner (1) Dom Bouquet. Cap. Car. magn. anno, 806. Ç rv. (2) Ibid. $ vi. MÉMOIRES: 45 par le nouveau monarque les provisions qu'ils avaient obtenues sous le règne précédent (1). Quoi qu’il en soit, la protection qui, sous lem- pire de Charlemagne, accueillit les étrangers , pro- duisit bientôt ses fruits. La France vit affluer dans son sein des habitants de toutes les nations. Des pélerins , guidés par la piété, des Ecossais , des Hi- berniens , que ne pouvait plus nourrir le sol ingrat de leur patrie, des Espagnols, que loppression des Maures avaient chassés da sol natal, des Israé- lites qu’attirait l’espoir du négoce, accoururent sur nos bords. Les arts se ranimerent au sein de nos cités; des fabriques, des manufactures s’établi- rent; le commerce reprit son essor ; et tandis que d’intrépides navigateurs apportaient dans nos villes les produits de l’industrie orientale, d’autres étran- gers fécondaient notre sol, défrichaient nos landes à la sueur de leur front ; et sur des terres naguères couvertes de ronces et de bruyères, on vit instan- tanément s'élever d’abondantes moissons. Au sein de ce concours , les beaux-arts n’étaient pas restés en arrière. La cour de Charlemagne était le rendez-vous des savants de tous Les pays. Pierre de Pise, Théodulfe d'Italie, Leidrade de Nurem- berg , et surtout le célèbre anglais Alcuin, trouvè- rent dans ce prince un bienfaiteur et un ami. Des (1) Voyez deux capitulaires , l’un en date 815 de Louis-le- Débonnaire , et l’autre de Charles-le-Chauve, rendu en fa- veur des mêmes Espagnols. Voy. aussi Montesquieu, Esprit des Lois, lv. xxx, ch. xv. 46 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. écoles s’établirent ; les ténèbres se dissipèrent ; et la Gaule, comme au temps de la puissance ro- maine, se vit encore une fois le centre des arts, des lumières et de la civilisation. Mais tant de prospérité ne devait pas être de longue durée. Les guerres qui, sous les successeurs de Charlemagne, ensanglantèrent la France, les invasions sans cesse renaissantes des Normands, porterent bientôt le trouble au sein de la monar- chie. L'autorité s’affaiblit ; les seigneurs étendi- rent leurs priviléges ; et la France, morcelée, en proie à mille tyrans, ne connut d’autre régime que celui de la féodalité. Dès lors empire des lois fut détruit. La loi Salique et la loi Gombette, le Droit romain et les Capitulaires cesserent d'exister. Quelques coutumes barbares, que la violence ou le caprice avaient établies, formèrent le seul droit de la France. Toute liberté disparut; et le peuple opprimé n’eut d'autre ressource que lesclavage. Au sein de ce bouleversement général, le sort de l'étranger n’était pas moins déplorable. Sans appui, sans asile, livré à la merci des tyrans qui désolaient la France, il n’était point d’exigence qu'il ne füt obligé de subir. Traversait-il une chä- tellenie? il devait au seigneur le droit de tra- vers (1). Ÿ fixait-il sa résidence ? il était assujetti au droit annuel de chevage (2). Voulait-il con- tracter mariage avec un habitant du pays ? ce n’é- (1) Droits royaux. Ragneau, au mot TRAVERS, p. 714. (2) Voy. Bacquet, tom. 17, pag. 9, 12. MÉMOIRES. 47 tait qu'au prix du tiers, et souvent même de la moitié de ses biens qu'il pouvait en obtenir le droit (1). Décédait-il sans enfants ? la succession était dévolue au seigneur (2). Mais c’était bien plus : sa personne même n’était pas respectée; une fois établi, il devenait la propriété du seigneur, et ne pouvait plus quitter ses terrés sans son agrément. Enfin, tel était le despotisme des barons, qu’il n’é- tait plus possible de voyager. Les habitants même du pays ne pouvaient sortir de leurs hameaux, sans être assujettis aux droits les plus onéreux. À chaque pont, à chaque rivière, on exigeait des péages. Jusque sur les grandes routes, le passage était con- tinuellement intercepté par des chaines, des bar- rières ; et ce n’était qu’à force d'argent qu’on pou- vait les franchir (3) : heureux encore le voyageur, si, à ce prix, il pouvait librement poursuivre sa course ; car, sous l'empire de certaines coutumes, on était aubain par cela seul qu’on avait quitté les terres de son seigneur, et, comme tel, sujet à toutes les exactions auxquelles était en butte lé- tranger (4). (1) Cest ce qu’on appelait le droit de formariage. Voyez Bacquet, tom. 2, pag. 9. Voy. aussi Ragneau, au mot ForR- MARIAGE. (2) Ragneau , Droits royaux , au mot AUBENAGE, p. 69. (3) Ragneau, aux mots BARRAGE , PONTENAGE, PONTS; PORTS et PASSAGES. (4) «Se aucun hons estrange vient ester en aucune chatel- lenie de aucun baron , et il ne fasse seigneur dedans l’an et jour, il en sera exploitable au baron; et se aventure estait 48 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. Mais ce n’était là qu’une faible partie des maux qui menaçaient le voyageur. Le brigandage, qui, sous la première race de nos rois, avait désolé la France, s'était renouvelé avecune nouvelle énergie; ceux même qui, par la puissance dont ils étaient investis, devaient protéger le malheur, dépouillant tout sentiment humain, étaient les premiers à le persécuter. Du haut de leurs forteresses inexpug- nables, des seigneurs se livraient impunément à tous les excès de l’injustice et de la violence. Mal- heur aux voyageurs qui s’aventuraient sur leurs terres. Non-seulement ils étaient impitoyablement dépouillés de tout ce qu'ils portaient , leur liberté même n’était pas respectée; et jusqu’à ce qu’au poids de l'or ils eussent payé le prix de leur ran- çon, captifs dans le donjon d’un château, ils gé- missaient dans la misère et l’oppression. Mais, hâtons-nous de le dire, le temps n’était pas éloigné où ces désordres devaient avoir un terme. Tandis que d’injustes ravisseurs , foulant aux pieds toutes les lois de la nature , répandaient en tous lieux le meurtre et le ravage, des cœurs généreux s’armaient pour défendre le malheur. La chevalerie prit naissance ; une foule de jeunes guerriers se répandirent sur le sol de la France, et, sans autre mobile que la gloire et la piété, s’arrachant aux délices des cours, parcouraient qu’il mourust, et n’eust commande à rendre quatre deniers au baron , tait li meuble , seroient au baron. » Etabkissem. S, Louis , Liv. 1, chap. 87. MÉMOIRES. 49 monts et vallées, affrontaient périls et fatisues, trop heureux si, pour prix du sang qu’ils versaient, ils pouvaient soulager quelque infortune ! Bientôt ces nobles sentiments se propagèrent : les plus ri- ches seigneurs imitèrent ces généreux guerriers , les châteaux devinrent autant d’asiles destinés à secourir le malheur. Chacun pouvait s’y présenter en toute assurance; chacun pouvait y demander lhospitalité. On allait même au-devant des voya- geurs et des chevaliers ; et rien n’était négligé pour les y bien recevoir. «Tous gentilshommes et no- » bles dames, dit l’auteur du roman de Percefo- » rest (1), fesaient mettre au plus hault de leur » hostel ung heaulme en signe que tous gentils- » hommes et gentilles femmes trespassants les che- » mins, entrassent hardyement en leur hostel » comme au leur propre, car leurs biens estaient » davantage à tous nobles hommes et femmes » trespassants le royaulme. » Au sein de cet élan général, la religion ne pou- vait rester indifférente aux maux qui affligeaient l'humanité. Les églises, les presbytères, furent transformés en hospices. Sur tous les points de la France on vit s'élever des cloîtres, des monastères, des maladreries destinés à secourir tous les genres d’infortune. Ce fut un enthousiasme général. Toutes les classes de la société voulurent coopérer à la régénération qui se préparait; et tandis que la noblesse instituait des ordres militaires et religieux 7 (1) Vol. zx, fol. 103. TOME V. PART, II. 4 50 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. dans unique but de protéger les pélerins qui se rendaient en terre sainte, du haut de son rocher inaccessible le pieux anachorète veillait pour le soulagement de l’humanité, et dans son humble cellule, offrait en même temps au voyageur égaré le pain de l’hospitalité et les conseils d’une religion sage et éclairée. Mais les femmes surtout se firent remarquer par leur zèle et leur piété. Rien ne pou- vait arrêter ce sexe sensible et compatissant. Pour servir les malades, pour secourir le pauvre ou le voyageur , elles s’arrachaient aux douceurs du toit paternel, sacrifiaient leur patrimoine, et dans un cloître ou une maladrerie se vouaient avec rési- gnation à toutes les rigueurs d’une vie austère. Dans les châteaux , c'était encore aux femmes qu'était réservé le soin de soulager l’humanité. Elles pansaient les blessés, elles lavaient le sang et la poussière dont ils étaient couverts, et ver- saient enfin sur leurs plaies le baume salutaire qui devait les guérir : elles seules, en effet, étudiaient en ces temps-là la propriété des plantes; et la chi- rurgie même faisait partie de leur éducation (1). Ainsi, sous l’empire même de l’anarchie féodale, les voyageurs trouvèrent en France les secours d’une généreuse hospitalité. Cependant, sous le rapport politique, tant que dura ce régime, le sort des étrangers n’éprouva guère d'amélioration. Toujours soumis au caprice des seigneurs, privés des droits les plus naturels, ils vivaient dans une sorte d'ilotisme. Mais tout se préparait pour un (1) Voy. le roman de Perceforest, MÉMOIRES. 5: changement : les idées d’ordre commençaient à reprendre naissance ; insensiblement lautorité royale recouvrait son empire. Dans presque toutes les villes, des communes s'étaient formées ; partout les chefs secouaient le joug; le peuple se reconsti- tuait ; et les seigneurs , dépouillés de leurs plus beaux priviléges , n’avaient pour ainsi dire plus d'autorité que dans les villages. Ce ne fut pas cependant sans se défendre que les barons se laissèrent ravir des droits dont la possession était sanctionnée par une jouissance de plusieurs siècles. On voit que, sous le règne de Charles VIIT, plusieurs d’entr’eux jouissaient en- core du droit d’aubaine sur tous les étrangers qui s’établissaient dans leurs domaines. Mais tout pous- sait alors à la royauté, comme tout avait concouru jadis pour la détruire. Des le règne de Saint Louis, il était déjà de principe dans plusieurs provinces, qu'au roi seul appartenait le droit d’aubaine : « Mes aubains , dit ce prince dans ses Etablisse- » ments, liv. 1, chap. 30, ne puët faire autre » seigneur que le Roy en son obéissance, ne en » autre seigneurie, ne en son ressort, qui veille » ni qui soit stable selon lusage de Paris, d’Or- » léannois et de la Soloigne. » Depuis lors, cette prérogative de la couronne ne fit que s'étendre. Mais Philippe-le-Bel, et Charles VI surtout , surent reconquérir leurs anciens droits. La féodalité fut ébranlée jusques en ses fondements, et le droit d’aubaine dans tous les pays coutumiers ne fut bientôt après qu’un droit régalien. 0 52 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. Mais l'autorité royale ne s’arrêta pas à ce pre- mier pas : on voulut établir le droit d’aubaine là même où il n’avait jamais existé. Toulouse et tout le Languedoc se glorifiaient alors d’avoir de tout temps joui à cet égard d’une pleine exemption. Tandis que sous la domination des Francs, le nord de la Gaule semblait proscrire de son sein tout ce qui n’y avait pas pris naissance, le midi, et notamment la Septimanie, donnait l’exemple d’une généreuse hospitalité. Malgré invasion des Barbares , la loi romaine s’y était conservée pres- que dans toute sa pureté , même sous le régime de la féodalité (1). Le Code Théodosien, et plus tard le Digeste, y étaient l’unique loi du pays; et l’on y voyait régner encore tous les principes d’huma- nité qu’on professait dans empire envers les étran- gers. Comme dans l’ancienne Rome, ils avaient un libre accès sur le territoire languedocien; et non- seulement ils y goûtaient, sous l’égide des lois, une heureuse sécurité, comme les naturels du pays, ils y jouissaient d’une pleine et entière liberté. Quel que fût le mérite de cette prétention , les officiers du roi n’en avaient tenu aucun compte, et, comme dans tout le reste de la France, ils vou- lurent y exercer Le droit d’aubaine au profit de la couronne (2). Les états généraux de la province (1) Voy. la donation faite par Bertrand , comte de Tou- louse, à Hela, son épouse, en 1095. (2) Cazeneuve, le Franc-alleu du Languedoc, liv. 2 p- 151 et suiv. MÉMOIRES. 53 réclamèrent-sous Louis XI contre cette entreprise, et obtinrent de ce prince, en 14795, une ordon- nañce qui exempta de tout droit les étrangers établis sur son territoire, et les autorisa à tester , ordonner et disposer de leurs biens, meubles et immeubles par testament ou autrement. Maloré cette reconnaissance formelle , les franchises de la province furent encore attaquées sons Charles VIIT. Les états-cénéraux du Languedoc renouvelèrent, en 1483, leurs réclamations, et obtinrent encore une fois la confirmation de leurs franchises; mais ce fut en vain , il fallut céder bientôt après. A tort ou à raison, le droit d’aubaine fut considéré dans toute la France comme un droit inhérent à la couronne, imprescriptible , inaliénable de même que le domaine dont il faisait partie, et qui enfin ne pouvait jamais appartenir aux seigneurs, en eussent-ils joui pendant un temps immémorial (r). Cependant les préventions dont les étrangers étaient l’objet, s'étaient sensiblement affaiblies. Une sorte de révolution s'était opérée à cet égard dans les esprits. On commençait enfin à recon- naître que , loin d’être préjudiciable au bien de l’état , la présence des étrangers était au contraire un élément de prospérité. Aussi ne négligea-t-on. rien pour les attirer. Les droits de chevage et de formariage furent abolis ; leur liberté fut res- pectée; et, sauf qu’ils ne pouvaient disposer de (1) Voy. Bacquet, Droit d’Aubaine, chap. xxVIIT, xX1% et XXX. 54 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. leurs biens qu’en faveur de leurs enfants (1), ils furent reconnus habiles à tous les actes de la vie civile. C’est ce qui fit dire à un ancien jurisconsulte, qu’en France létranger vivait libre et mourait serf (2). Ce principe même subissait plusieurs exceptions. Cest ainsi que de tout temps les ambassadeurs , les ministres des puissances étrangères en relation avec la France, et tous ceux qui les accompa- gnaient, avaient été reconnus propres à tester et à succéder (3). Cette exemption avait été même quelquefois étendue aux princes et souverains étrangers résidant dans le royaume ou y possédant des biens, témoin Charles IT, duc de Mantoue, qui, par arrêt du conseil de 1645, fut déclaré hé- ritier des biens que son aïeul avait possédés sur le territoire français. Les étrangers qui avaient obtenu du roi des lettres de naturalisation , furent aussi toujours considérés comme exempts de tout droit d’aubaine. Par le seul fait de cette concession royale, le vice qui résultait de leur naïssance avait été effacé. Ils étaient devenus citoyens français , et, comme tels, ils pouvaient exercer tous les droits dont jouissaient les habitants même du royaume. Cependant, quoique assimilés aux regnicoles (x) Voy. Bacquet , Droit d’Aubaine , chap. xxxtr. (2) Liber vivit, serous moritur. Bacquet, 2.° partie, Droit d'Aubaine, chap. xvur. (3) Bacquet, tom. 11, 1,re partie, chap. xxx, pag. 41. MÉMOIRES. 55 dans tous les actes de la vie civile, les étrangers n’exercèrent jamais en France qu’une liberté pré- caire. Privés des garanties qui protégeaient les citoyens, ils étaient vis-à-vis du souverain dans une entière dépendance; et de mème que c'était du prince qu’ils tenaient le droit de cité, de même il dépendait du prince de le leur retirer. L’histoire de France nous fournit plusieurs exemples de ces révocations , comme on peut le voir par les ordon- nances de nos rois (1). Indépendamment de cet état d'incertitude où vivaient les étrangers, ils étaient sans cesse exposés aux taxes les plus arbi- traires. Toutes les fois que le trésor de l’état éprou- vait quelque besoin , c'était à eux qu’on s’adressait ; et les impôts les plus onéreux étaient établis sur leurs têtes. Henri IT (2) le premier avait donné cet exemple ; mais il fut dans la suite fréquem- ment renouvelé, notamment sous les règnes de Louis XIII et de Louis XIV (3). Sous le rapport politique, les étrangers natu- ralisés n’étaient pas plus heureux ; comme aupa- ravant, ils restaient incapables de participer aux affaires publiques , et toute magistrature leur était interdite (4). Jamais défense ne fut cependant moins exactement observée : à toutes les époques de la monarchie française, on vit des étrangers (1) Edit de Louis XIT, 1499. (2) En 1587. (3) En 1639, 1646, 1656. (4) Edit de Charles VIT, 2 mars 1431. — Edit de Char- les VILE, 1493. 56 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. remplir les postes les plus éminents de Pétat. Bernard de Vinero, natif d'Aragon, fut grand- maitre de France sous Louis-le-Débonnaire. Jac- ques Duglas, né en Angleterre , Concini de Florence, Gondi de Milan, le comte de Saxe de Dresde, parvinrent à la dignité de maréchal de France. L’Espagnol Jean de la Cerda , l'Anglais Jacques Stuart, reçurent l’épée de connétable. Le duc de Guise, natif de Lorraine, fut lieutenant général du royaume; Réné Birague, chancelier de France; Law, contrôleur général des finances , et Mazarin , premier ministre. La France eut à se louer sans doute des services de plusieurs étrangers. La bataille de Fontenoi, gagnée par le maréchal de Saxe, sera toujours à nos yeux un des plus brillants faits d’armes qui aient honoré la France; mais combien de fois aussi n’avons-nous pas eu à nous repentir de notre con- fiance ! Cest par les intrigues de quelques miséra- bles étrangers que fut tramé le massacre de la Saint-Barthélemi; et sans le duc de Guise, les horreurs de la ligue n’eussent jamais souillé les pages de notre histoire. Aussi les Français ne sup- portèrent-ils jamais qu’avec impatience le joug de l'étranger. Concini, Birague, Mazarin, Law, fu- rent en butte à la haine du peuple. Mayenne, Pidole des ligueurs , ne put parvenir à faire adopter par les états généraux un souverain étranger. Quelques années auparavant, sous le règne désas- treux de l’imbécile Charles VI, la France épuisée, trahie par ses propres enfants, trahie par le chef même de son gouvernement, trouva encore dans MÉMOIRES. 57 ses seules ressources, assez de force et d'énergie pour secouer le joug de l'étranger qui la couvrait déja de ses armes. C’est par suite de ces sentiments, qu'en«1499 Louis XII révoqua tous les étrangers qui, sous son prédécesseur, avaient été introduits dans les différentes administrations de l’état ; que le Parlement de Paris, en 1617, et la reine ré- gente , en 1651, proclamèrent que désormais l'entrée du conseil serait interdite à tous les étrangers et même aux cardinaux français (1). Mais si la France savait repousser de son gou- vernement l'intervention de l'étranger, elle savait aussi lui tendre une main secourable quand il implorait sa protection. L’hospitalité depuis lons- temps semblait une vertu innée sur la terre de France. Là, le fugitif trouvait toujours un asile ; là, l'étranger n’invoquait jamais en vain un géné- reux appui. Dès que son pied avait frappé le sol français, sa personne devenait sacrée; sa vie en- tière était oubliée. Désormais il appartenait à la France , et la France seule avait des droits sur lui. Aussi ce fut presque toujours dans son sein que se réfugièrent les princes victimes d’uné fatale destinée; et s'ils n’y retrouvèrent point la puissance qu’ils avaient perdue, ils y puisèrent du moins toutes les consolations que peut offrir un généreux intérêt. La plupart de nos rois se firent même toujours un devoir d’attirer dans leurs états tous les étran- gers qui s'étaient fait remarquer par un mérite ou des talents supérieurs. Les artistes, les savants (1) Le Prés. Henault, p. 696, t. 1x. 58 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. de tous les pays eurent part à leurs bienfaits; maïs ce fut principalement sur le commerce et Viadies trie qu’ils étendirent leur bienveïllante sollicitude. Dans l'unique but de développer sur le sol fran- çais ces deux sources de la prospérité publique, ce n’était pas seulement quelques particuliers qu'ils exemptaient du droit d’aubaine, c'était toute une classe de citoyens, c'était des villes, c'était des peuples entiers qu'ils affranchissaient. Dès les temps les plus reculés, les négociants et les mar- chands qui fréquentaient les foires de Champagne, furent exempts de tout droit. Sous Charles VIT et Louis XI, ce privilége fat étendu à la ville de Lyon, et sous les règnes suivants, à Marseille et à Dunkerque. En 1550 , Henri IT permit aux Portugais de s'établir dans toute létendue du royaume , et d’y exercer les mêmes droits que ses propres sujets. Henri IV, voulant établir en Flan- dre des manufactures de tapisseries, déclara, en 1607, naturels et regnicoles, tous les étrangers qui viendraient y travailler, sans qu'ils fussent tenus de prendre des lettres de naturalité. On voit aussi, sous Louis XIV, plusieurs exemples de ces concessions collectives, notamment en 1663 et en 1664, à l’occasion de plusieurs fabriques qui fu- rent fondées par ce prince. Les militaires au service de France furent aussi toujours privilégiés. En 1481, Louis XI affranchit du droit d’aubaine les Suisses entretenus à sa solde. Semblable prérogative fut accordée sous Henri IE aux gardes Ecossaises. Louis XIV étendit encore cette franchise , en conférant le titre de regnicoles MÉMOIRES. 59 à tous les marins qui auraient servi en France pendant cinq ans. Enfin, sous diverses considé- rations , l’exemption du droit d’aubaine se multi- plia tellement, qu'à l’époque de la révolution française , plusieurs peuples d'Asie, d'Afrique et même d'Amérique, jouissaient de ce privilége ; et qu’à l'exception de l'Angleterre et de quelques principautés d'Allemagne, il n’existait point de nation en Europe dont les habitants ne fussent capables de tester et d’hériter dans toute Pétendue des possessions françaises. Toutefois , il faut le dire, ce m'était qu’à titre de réciprocité que les étrangers possédaient en France ces priviléges. Ainsi un Espagnol ne suc- cédait dans le royaume qu’autant que les Fran- çais jouissaient en Espagne de la même capacité. Encore cette jouissance était-elle sans cesse envi- ronnée de dangers. Des qu’une rupture éclatait entre les deux peuples, toute relation demeurant suspendue , les habitants des deux pays retom- baïent dans le droit commun; et c’était presque toujours par la saisie de leurs biens que commien- çaient les hostilités (1). Mais une ‘telle violation du droit des gens ne pouvait subsister dans le siècle éclairé où nous vivons. Par un édit de 1787, Louis XVI permit aux Anglais de succéder en France, même sans réciprocité; et quelques années plus tard, las- semblée constituante , marchant sur les traces de ce monarque, étendit cette franchise aux étrangers (1) Voy. Bacquet, Droit d’Aub., chap. 1x. Go INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. de tout pays. Le Code civil, il est vrai, suspendit l'effet de ces sages dispositions ; mais la léoislation française ne tarda pas à rentrer dans les voies d’hu- manité qu'un prince philanthrope lui avait ouver- tes. La loi du 14 juillet 1819 fut rendue, et les étrangers de toutes les nations recouvrèrent en France la faculté d’acquérir et de transmettre. Rien n’est cependant encore changé pour ce qui tient aux droits politiques. Comme autrefois, l'étranger ne peut ni servir dans les armées de Pétat, ni être électeur, député, pair, ni remplir enfin aucune charge ou fonction publique, sans avoir été naturalisé. N’est-ce point encore un pas qu’il nous reste à faire ? Quel que soit le pays qui nous ait donné le jour , ne devrions-nous pas tous nous considérer comme les membres d’une seule et même famille ? Ainsi que nous l’avons déjà vu, trois siècles avant J. C., Alexandre le Grand avait proclamé que tous les hommes sont frères, et que ceux-là seuls sont étrangers, qui ont démérité de la société. À Rome, du temps du bas empire, tout était égal entre les citoyens et les étrangers, et les Barbares même pouvaient exercer toutes les dignités de l’état. Enfin, de nos jours, il suffit d’une année de résidence aux Etats-Unis d’Amé- rique, pour conférer à l'étranger tous les droits de citoyen. MÉMOIRE SAINT-ÉTIENNE D’AGEN; Par M. DU MÈGE, pe La Have. Sur la rive droite de la Garonne, et au delà de la rivière du Tarn relativement à Toulouse, ha- bitait un peuple que les anciens écrivains désignent sous le nom de Vitiobriges. Ce peuple appartenait à la grande famille Celtique. La table Théodo- sienne, ou de Peutinger, le place mal à propos entre les Durocorturi, habitants de Reims, et nommés, ainsi que leur ville, Remi, au déclin de l'empire romain, et Augustobona, ou Troyes, d’a- près Paul Merula. D’autres géographes ont fixé la demeure de ces peuples près de Montpellier. On leur a attribué, sur la rive gauche de la Garonne, un territoire assez étendu : mais cette extension doit appartenir à des temps tres-bas, ou même au moyen-age, et l’on doit se rappeler qu’à l’épo- que où écrivaient César (1), Strabon (2), Pompo- (1) Comment. lib. 1. (2) Sérab. Geogr. lb, 1v. 62 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. nius Mela (1), la Garonne séparait entièrement les peuples de race gallique, des peuples Aquitains. Aginnum, où Agennum , actuellement Agen, fut, selon Strabon (2) et Ptolémée (3), le chef- lieu des Vitiobriges. Le gouvernement de ce petit peuple était monarchique (4). Ollovicon régnait sur lui durant les premières campagnes de César dans les Gaules, et il avait le titre d’Ami du peuple Romain, qui lui avait été donné par le sénat, soit pour récompenser ses services, soit pour le détacher de la ligue gauloise. Teutomatus, fils et héritier d'Ollovicon, entra dans la confédération d’une partie des peuples de la Celtique contre les Romains. Il leva des troupes et se joignit à Vercin- gétorix, après que César se fut rendu maître d’4- varicum. Il était près de Gergovia, lorsque le camp des Gaulois fut surpris en plein jour, et il eut à peine le temps de se sauver, à demi-nu, sur son cheval qui avait été blessé. Après cette guerre, le pays des Vitiobriges fut entièrement soumis aux Romains, et n’eut plus de rois. Dans la nouvelle division des Gaules, Auguste plaça les Mitiobriges au nombre des Aquitains; plus tard, dans la divi- sion de l’Aquitaine en trois provinces, Agen fit partie de la seconde, dont Bordeaux était la mé- tropole. La Notice de l'empire la met immédiate- (1) Pomp. Mel. Gb. z1x, c. 2. (2) Loc. cit. (3) Ptolem. lib. 1v. (4) Cœæsar. de Bell. Gall. Ub. var. MÉMOIRES. 63 ment après cette ville, dans le, dénombrement des cités (1). Elle était traversée par des routes , ou elle en avait de particulières qui conduisaient à Lt Toulouse (2), à Lugdunum Convenarum (3) , à Bordeaux (4), à F’esuna (5), à Cahors (6). Il ne reste que peu de traces du séjour des Ro- mains à Æginnum. On a bien un manuscrit de Beaumesnil, que M. de Saint-Amans nommait Du- (1) Notit. imp. apud Sirm. 1. (2) On connaissait une route d'Agen à Toulouse par Lec- toure : elle est indiquée dans la Table Théodosienne de cette sorte : LAcrorA, SarrTALrI (Sarrant ?) xvi. ToLosa xx. Dans les Mémoires de la Société royale des Antiquaïres de France, t. Il, p. 392, M. le baron Chaudruc de Crazannes dit qu'il ne paraît pas qu'il existât de communication entre Agen et Toulouse sur la rive droite de la Garonne. Ce volume a été publié en 1820 ; je crois être fondé à dire que j'ai, l’année suivante , retrouvé cette route, jalonnée par des monuments, de Toulouse jusqu'aux environs d'Agen. (3) Voici, d’après l’[tincraire d’Antonin, cette autre route : AGiNNuM , LacruramM M. P. XV. — Crimserrum (Auch) M. P. XV. — Bezsinum M. P. XV. — Lucouxum M. P. XXIII. (4) Route d’Agen à Bordeaux. — Acinnum, Fines (Aïguil- lon?) M. P. XV. — Ussusium (Urs ?) M. P. XXIIII. — SIR1ONE ( Port de Siron ?) M. P. XX. — Burpicara XV. (5) La route d’Æginnum à Vesuna ou Périgueux est ainsi tracée dans l’Itinéraire d’Antonin : AciNNum, ExcisumM (Eysses?) M. P. XIII. — Trarecrus (passage de la Dordo- gne , le Pontou ?) M. P. XII. — Vesuna M. P. XVIII. (6) Voici de quelle manière la route est tracée d’Aginnum à Divona, ou Cahors. — AcinwumM, Excrsum XIII, — Dro- LINDUM (la Linde ?) XXI, — Divoxa XXITIT. 64 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. mesnil; mais ce, manuscrit, intitulé, Antiquités . d'Agen, et dans lequel l’auteur a, selon sa mé- thode, mêlé le vrai avec le faux, et pris des talis- mans du 16.° siècle pour des monuments phéni- ciens, offre peu de matériaux importants; son plan de l'ancien Aginnum est une création de cet antiquaire singulier, qui, au défaut de monu- ments existants, envoyait à M. Turgot, intendant de Limoges, et à l'Académie des inscriptions, des copies des planches du Poliphile, et qui, en re- connaissance, recevait une pension de l’état. Il y avait dans Agen un temple consacré à Ju- piter ; ce fait est constaté par une inscription sé- pulcrale qui était placée dans le cloître des Pé- nitents blancs, et qui existe encore : pis maAnrevs IVVENES A FANO IOVIS SIBI ET SVIS Cest-à-dire : « Aux dieux Mânes, les jeunes gens attachés au temple de Jupiter, pour eux et pour les leurs. » On connaissait déjà l’existence de ce temple par la légende de saint Caprais , apôtre des Mitiobriges. On y lit, en effet , que ce personnage apostolique ayant refusé de sacrifier à Jupiter dans le temple consacré à ce dieu, dans Æginnum , eut la tête tranchée par l’ordre de Dacianus , Præses, ou Président de l’Aquitaine. Ce martyre aurait eu lieu de lan 287 à l'an 290. MÉMOIRES. 65 Ce fut sous le consulat de Trajan Dèce (Lucius Messius Quintus Trajanus Decius Augustus ), de 249 à 250, que le pape Fabien envoya quel- ques hommes apostoliques dans les Gaules, et que la foi catholique ÿ fut prêchée, avec un grand succès, malgré de nombreuses persécutions et le meurtre de quelques-uns des missionnaires. Saint Caprais, apôtre des Mitiobriges, fut l’un de ceux qui périrent, comme je l’ai dit, victimes de leur zèle. Puis une église fut construite dans Æginnum, dès qu’il fut possible aux chrétiens de se réunir pour les saintes pratiques de leur culte. Cette église fut placée sous l’invocation de saint Etienne, premier martyr. Mais les diverses invasions des barbares du Nord, débordés comme un torrent dévastateur sur l’empire romain, plus tard les incursions des Sarrasins et des Normands , qui saccagèrent toutes les cités de cette partie de la France, durent causer la ruine de cet édifice, qui fut souvent rebâti et souvent renversé. Vers l’an 1083, l’Evèque Simon I.er fit tout ce que l’on pouvait attendre de son zèle pour rétablir, avec luxe, sa basilique mé- tropolitaine : de riches dons lui furent offerts, afin d'en augmenter encore la splendeur. Mais la mode, qui exerce aussi un grand empire sur l'architecture, apporta de notables changements dans l’art chrétien, et l’on croit qu'ayant été abat- tue presque en entier, elle fut reconstruite dans un autre style, vers lan 1306, par Bernard II de Fargis, aussi évêque d'Agen. Jean d'Arnalt parle avec enthousiasme de lé- TOME V. PART II. 5 66 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. glise de Saint-Etienne et de celle de Saint-Ca- prais , d'Agen. «Ces deux églises principales étant, dit-il, bien pourvues et assorties de châsses de saints et saintes et de reliquaires en or et en ar- gent , aultres ornements somptueux et vases pré- cieux en bon nombre. Simon, évesque d'Agen, apporta beaucoup de saints reliquaires, et les dédia à l’église de Saint-Etienne, qui lui auoient estez donnés par Gervais, abbé Saint-Savin; outre les- quels reliquaires, Rhégino, évesque d'Agen, fit de grands dons et de grands présens à ladite église. Un aultre évesque, nommé Bernard, la restaura et la remit en son premier estat , et la maison épis- copale aussi, qui avoit esté détruite et démolie, et lui conféra plusieurs beaux droits spirituels et tem- porels. Hunaud, vicomte de Brollis, à son exemple et imitation, lui fit de grands dons et largesses, mesmes lui donna le passage de la Fotz ; il y a des orgues d’excellent ouvrage , des cloches d’admi- rable grandeur, etc. » Il paraissait encore, en 1830 , époque à laquelle j'ai vu les ruines de Péglise de Saint-Etienne, et par les différents styles qu’on remarquait dans cet édifice, que, depuis l’épiscopat de Bernard de Fargis, de grands travaux avaient été exécutés dans cette église. Durant la seconde moitié du 15.2 siècle, et au commencement du 16., trois évêques, tous sortis de la même famille, illustre en Italie, occupèrent le siége d'Agen , et consacrèrent une partie de leur immense fortune à reconstruire en partie, et à MÉMOIRES. 67 orner leur cathédrale. Les décorations gracieuses, les sculptures légères de l’époque de larenaissance, qu’on voyait encore dans cet édifice, indiquaient leurs travaux, et auraient dû consacrer le souvenir de leur pieuse magnificence. Leur écu, placé sur les piliers de l’église et du chœur, rappelait, dans ce saint édifice, et leur souvenir et celui de leur puissante maison. Cet écu, d’azur au chêne d’or, ayant quatre branches, passées en sautoir, en- glantées d’or , accompagnées de deux lettres d’or aussi, et qui étaient les initiales de leur nom, di- sait encore, il y a sept ans, ce que ces prélats avaient fait pour leur église. Des anges soute- naient cet écu, surmonté de la mitre épiscopale. Galéas de la Rovère, en 1478, Léonard de la Ro- vère, en 1505, Antoine de la Rovère, en 1519, se plurent ainsi à embellir l’église de Saint-Etienne, à en faire rebâtir le cloître et le clocher. Mais déjà se préparait la révolution qui devait menacer tous les monuments des arts, tous ceux de la reli- gion, tous ceux de l’histoire. Le r.er décembre 1561, les Huguenots, commandés par le capitaine Truelle et le conseiller Roussannes, surprirent la ville d'Agen, et couvrirent de cadavres les rues de cette cité. À peine étaient-ils entrés, qu’une partie d’en- treux accourut vers la cathédrale : les portes fu- rent enfoncées, leurs défenseurs égorgés ; les reli- quaires , les vases sacrés profanés et pillés, les tombeaux brisés et les images abattues; ensuite ils mirent le feu à l'édifice, en chantant les psaumes. de David, et en faisant bruire leurs armes. 68 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. Les toitures avaient été totalement incendiées , mais la masse de l'édifice avait résisté aux efforts des destructeurs. Cependant on dut l’abandonner pendant quelque temps ; puis des réparations per- mirent d’y célébrer loffice divin , lorsque de nou- veaux troubles vinrent ravager encore cet édifice. Alors périrent ses beaux vitraux, qui représentaient les martyrs de l’église d'Agen, saint Caprais, sainte Foi , saint Vincent, saint Félicien et saint Prime. Dans la chapelle de Saint-Martial, au milieu d’un rinceau , dont le dessin indiquait le 16. siècle, on avait représenté saint Loup, avec l'inscription sanctus Lupus et deux autres évè- ques. La Chapelle des apôtres était revêtue d’une brillante mosaïque en verre. Ses vitraux, admira- bles de couleur, représentaient saint Phébade, saint Jean-Baptiste et saint Paul. Du côté de lé- pitre étaient saint Dulcidus, saint Jean l'Évangé- liste et saint Paul; du côté de lévangile saint Etienne, patron de l’église et de la ville, entouré des images de saint Philippe et de saint Jacques. Outre les écus des Rovères, on y voyait, surtout aux clefs des voûtes, les armoiries de quelques autres prélats qui avaient contribué, soit à la construction, soit à la réparation de l'édifice. Dans la chapelle du Purgatoire étaient celles de Bertrand de Got; l’écu de Jean de Lorraine paraissait à la clef de la voüte et à la porte de la sacristie. Sur le jubé, dans le chœur , et sur d’autres points, on voyait celui de Nicolas de Villars. Des signes pareils indiquaient dans cette enceinte religieuse MÉMOIRES. 69 Pépiscopat de Jules de Mascaron, de Claude Joly et de François Hebert. Des mausolées, somptueuse- ment décorés , s’élevaient çà et là. Janus Frégose avait le sien dans la chapelle de Notre-Dame ; sa statue couvrait ce tombeau. Celui de Claude Gélas était placé près du grand autel. Que l’on se représente au milieu de ces monu- ments de l’art chrétien, de ces admirables moni- teurs des temps passés , une nombreuse troupe de fanatiques, ivres de vin et de sang, tirant des coups d’arquebuse aux images, brisant en éclats les vitraux resplendissants des couleurs les plus vives, soulevant les pierres des sépulcres pour y rechercher des trésors , foulant aux pieds les osse- ments arrachés au cercueil, et ne s’arrêtant que pour écouter par intervalles la voix de Denord, chanoine apostat et devenu ministre, qui monte dans la chaire, bénissant Dieu des succès des armes huguenotes contre les idolâtres, et du triomphe d'Israël sur Moab ; puis le chant rauque et discordant des cantiques, se mêlant aux explo- sions de l'artillerie, au pétillements de la flamme, et l’on aura encore une faible idée de la scène qui eut lieu dans la cathédrale d'Agen , le r.e" décem- bre 1561. | Les dégradations éprouvées par cette église, n’empêchèrent pas le clergé réfugié dans celle de Saint-Caprais , de célébrer quelquefois les offices dans ce temple; enfin, après de nombreuses solli- citations, M. de Bonnal , évêque d’Agen , obtint de Louis XVI, en 1778, la somme de 4o mille écus mo INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. ou 120 mille livres, pour réparer cet édifice : les travaux commencèrent. Une nouvelle façade fut construite, des piliers doriques , bâtis alors , con- tribuërent sans doute à la restauration du monu- ment, mais il semblait qu'un goût barbare avait présidé à leur exécution. Ces lourds piliers contras- taient désagréablement avec le reste de l'édifice, oùseretrouvaient surtout le mélange du style du 14. siècle si svelte, avec celui, si gracieux, de la renaissance. L'assemblée du clergé demanda, le 23 mars 1789, l'achèvement de l’église de Saint-Etienne. La révo- lution répondit à ses instances. Trois années ensuite l'édifice fut encore profané, les tombeaux encore violés. Le 1.2 floréal an 7 ( 20 avril 1799), on commença la démolition de ce temple. Les voûtes, les murs d'enceinte jonchèrent le sol de leurs dé- bris. Une partie de ceux-ci fut employée à la réparation d’une digue, une autre à la construc- tion d’une salle de spectacle. Semblable à l’un de ces monuments antiques qui excitent encore l'admiration, Saint-Etienne d'Agen offrait néanmoins encore, en 1830, ses hauts pi- liers, ses ogives élancées, ses ornements mutilés, mais encore admirables. Sous ses ogives, contre ses piliers , s'étaient abritées de chétives demeures. Ainsi, dans la haute Egypte, Arabe attache sa fragile habitation aux colonnes des temples bâtis par les Pharaons, ou place son village sur les corniches des palais de Ramsès. Aujourd’hui tout disparaît. Jésus-Christ chassa les marchands du MÉMOIRES, 71 temple, un marché va être établi sur le sol du temple qui fut consacré au Sauveur. Sur cette terre bénie se sont agenouillés Pepin-le-Bref, en 766; Charlemagne et Hildegarde , en 778; Clé- ment V, en 1305; Charles VIT, ce roi victorieux des Anglais, en 1440; Marguerite de Valois, en 1592; Louis XIII et Anne d'Autriche, en 1621. D'ignobles étalagistes, de grossiers matelots, des animaux immondes le fouleront désormais. Là re- posaient des hommes célèbres; Claude IT, de Joly, les ancêtres de Montesquieu, et le pieux et élo- quent Mascaron, émule de Bossuet et de Fléchier, et auquel Louis XIV disait avec tant de grandeur et d’à-propos : « M. l’Evéque , tout passe , tout change, il ny a que votre éloquence qui ne vieillit pas. » On assure que sa pierre sépulcrale a échappé aux mains des Vandales de notre âge. Mais ses ossements brisés demeureront mêlés et confondus, dans le désordre du commun sépulcre, avec ceux des hommes ordinaires, et peut-être avec ceux des méchants. Mais tel est l'arrêt des révolutions, et ce qui se passe presque sous nos yeux, à une petite distance de nos frontières, doit nous rendre peut-être plus indulgents pour les profanations qui ont attristé et qui attristent en- core la France. Les restes des rois d'Aragon gisaient dans des monuments en marbre, sous des voûtes sancti- fiées par les siècles et par la prière. Il y a peu de temps qu’une troupe de forcenés s’est achemi- née, en poussant d'horribles clameurs, vers ces 72 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. tombes royales. Couchés dans leurs vieux sépul- cres, les souverains de Aragon étaient encore re- vêtus de leurs armures; mais leurs bras étaient desséchés , et ne pouvaient plus lever une épée. La foule se précipite : elle s'empare de ces squelettes, inutilement armés, elle promène dans les rues ces trophées de la mort. Elle court tout le jour, elle court une partie de la nuit : elle prodigue les in- jures à ces princes qui ont fondé jadis les libertés de la contrée, qui l'ont soustraite au joug des secta- teurs de l’islamisme. Puis, lassée, elle jette ces armures et ces squelettes dans un immense bü- cher... Des traits de cette espèce doivent, je le répète, nous rendre plus indulgents envers ceux qui dans nos provinces ont tenté d'effacer tous les souvenirs historiques, toutes les traces du passé. Alors que le nombre des coupables est si grand, alors que la démoralisation s’est emparée de tant de cœurs , l'homme sage gémit, et n’espère pas même, dans un avenir lointain, une amélioration civi- lisatrice. l Année 1858. JE HISTOIRE. TOME V. PART, II, 7 jen © ‘ | HISTOIRE DES OUVRAGES DE LA CLASSE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES PENDANT L'ANNÉE 1838. Ixsrrrvée pour cultiver la Littérature ancienne et celle du moyen-âge, pour retirer de cette étude des notions exactes sur les mœurs, les lois et les coutumes des peuples, et aussi pour réunir, expli- quer et conserver les monuments de l’histoire , la Classe a continué, en 1838, les recherches , les travaux qu’elle a entrepris depuis l’année 1746, époque de Pétablissement légal de l'Académie. Noûs allons analyser les Mémoires qui ne doivent pas être imprimés dans ce volume : nous ne don- nerons que le titre de ceux qui y sont insérés. M. Hamec a lu une Dissertation sur les diffé- m. mur: rences qui existent entre l’Iliade et l'Odyssée. Suivant l’auteur, « ces différences sembleraient an- noncer qu'on doit rapporter à des époques diver- ses l'origine de ces deux poëmés; l’Iliade à la jeunesse, et Odyssée à la vieillesse des temps hé- roïques. » Ces différences sont de deux sortes : elles por- tent d’une part sur les mœurs et les idées dont 6. 76 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. ces poëmes offrent le tableau , et de l’autre, sut le caractère de la poésie. » L'Odyssée, considérée par rapport à l’Iliade, nous présente, 1.° un sentiment plus épuré de la perfection divine, et en même temps une sorte de progres dans la morale; » 2.0 L'origine d’une opposition démocratique contre la domination des rois, ou plutôt des chefs militaires ; » 3.° Le commencement d’une période qui tend à devenir pacifique, et les premiers essais d’une civilisation où le travail succède à la guerre comme moyen d'existence. » Après avoir développé ces idées et apporté des citations à l’appui, l’auteur aborde la seconde par- tie de son Mémoire qui lui offrait un point de vue plus neuf et plus personnel. « Considérées d’une manière générale, l’Iliade et POdyssée répondent à deux besoins différents de l’homme, la première au besoin d’agir, la seconde à celui de connaître. De ce côté encore l'Odyssée est postérieure à PIliade. » Examinée dans les détails, la poésie de l’Odys- sée offre un caractère plus romanesque, suivant encore en ceci la marche de l'esprit humain, qui, après avoir commencé par la poésie épique, finit par le roman. Si par hasard le poëte rappelle quel- ques faits de la guerre de Troie, il a soin de choi- sir ceux où des circonstances merveilleuses et inat- tendues doivent piquer davantage la curiosité... ; dans l’Iliade , le poëte raconte plus qu’il n’invente;. HISTOIRE. 77 et s'il embellit ses récits, sil les exagère, c’est presque à son insu ; il se laisse emporter naturel Jement à l'élan de son imagination : dans l’Odys- sée, Le poëte invente et sait qu’il invente; la fiction pénètre ainsi davantage dans la poésie. Il y a même certaines formules consacrées, certains cadres tout faits, dans lesquels s’arrangent les fables suivant leur nature. » Ici M. Hamel cite un exemple remar- quable de ces formules dans le triple récit que fait Ulysse à Minerve , à Eumée et à Pénélope, sur sa naissance et sur ses parents. « Parmi les fictions qui sont propres à l'Odyssée, il en est une d’un genre fort curieux qui appartient à une civilisation encore plus jeune et poétique, mais pourtant déjà raffinée dans ses inventions. C’est une sorte de jeu de Pesprit qui travaille soit sur des mots, soit sur des circonstances naturelles, pour en faire le sujet d'un développement poétique. Sous ce rapport, Odyssée se trouve placée chronologiquement en- tre l’Iliade et les Hymnes Homériques, comme sous un autre rapport, entre l’fliade et les poëmes gé- néalogiques attribués à Hésiode. » On doit au même Académicien un Mémoire sur Aristophane , considéré comme homme politique et comme poëte. Après avoir présenté quelques notions prélimi- naires sur les origines de la comédie et les di- verses prétentions des peuples de la Grèce à cet égard, M. Hamel esquisse les principaux traits de son développement à Athènes, sa véritable patrie. 78 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. « D'abord réduite aux Dionysiaques des champs, repoussée de la ville, où régnait la tragédie seule, imposante et majestueuse , elle sut enfin en forcer les portes avec les progrès croissants de la démo- cratie. Alors naquit la comédie politique , la seule possible à une époque où tous les modèles posaient sur la place publique ; et le plus illustre représen- tant de cette comédie fut Aristophane. Née du peuple, elle renia son origine et se tourna contre lui. Aristophane se montre l’ennemi le plus déclaré de cette démagogie, qui, de son temps, envahissait la république ; le défenseur le plus intrépide des anciennes moeurs, des ancien- nes idées, des anciennes croyances ; enfin, le plus zélé partisan de cette démocratie sage et modérée qu’avaient créée les institutions de Solon. Cest à ce point de vue que M. Hamel ramène les traits si variés de la satire du poëte. À trois reprises dif- férentes, dans les Æcharniens, la Paix et Ly- sistrate | Aristophane s'élève contre la guerre, parce que le but de cette guerre , toute populaire, était d’abaisser l'aristocratie Lacédémonienne et de livrer la Grèce à la démagogie d'Athènes. Il atta- que la démagogie plus directement encore, lorsque, dans Zes Chevaliers , il met sur la scène le peuple, personnifié sous la figure d’un vieillard imbécile, et que, de chute en chute, il fait tomber aux inf&- mes le gouvernement de la république. Dans /es Guépes , enfin, il attaque ces institutions ridicu- les qui créaient six mille juges pour vingt mille citoyens. Toute innovation, soit dans la société , HISTOIRE. 79 soit dans les arts, irrite sa verve et allume son in- dignation. S'il poursuit avec acharnement Euri- pide, c’est qu'il laccuse de dégrader la tragédie par une morale relächée, par la subtilité d’esprit et le raffinement du langage. C’est encore au nom des anciennes croyances qu'il attaque la philoso- phie dans le personnage de Socrate : aux yeux d'Aristophane , ses doctrines étaient pernicieuses , elles ne tendaient à rien moins qu’à bouleverser l'état en détruisant les fondements sur lesquels 1l reposait. Il ne faut pas d’ailleurs perdre de vue que les Nuées furent jouées vingt-quatre ans avant la mort de Socrate, et alors il pouvait bien ne parai- tre qu’un sophiste plus habile, et par cela même plus dangereux que les autres. Telles sont les graves questions traitées par Aris- tophane dans ses comédies; mais autant le fond est sérieux, autant la forme l’est peu. La gaîté la plus folle, la plus emportée domine l’ensemble de la composition. Le poëte s’abandonne à tous les caprices d’une imagination tour à tour poétique ou bouffonne, élevée ou obscène. Tout cela a été gé- néralement peu goûté chez nous. L'esprit français est trop sage, trop peu poé- tique pour se laisser aller aux écarts de la bouffon- nerie. Ce qui lui convient, c’est la plaisanterie fine et délicate , ou une raillerie mordante , mais rete- nue : dans sa forme, une gaîté réfléchie plutôt qu’abandonnée. La véritable bouffonnerie n’ajamais été bien accueillie et bien comprise que par les peuples à imagination vive , comme les Italiens et. 80 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. les Espagnols. Cest qu'il y a en elle une sorte de verve qui s'allie merveilleusement à la verve poé- tique. Aussi ne faut-il pas s'étonner que la poésie la plus brillante et la plus variée pare la comédie d’Aristophane. Tantôt elle s’élève jusqu’au ton le plus lyrique du chant patriotique et guerrier : quelquefois douce et gracieuse , elle descend jus- qu’à la simple chanson , ou bien , comme dans les Oiseaux , c’est une poésie légère, ailée, bigarrée, suivant l’heureuse expression de Schlegel. Elle de- vient alors toute fantastique ; elle prend un corps et une figure, comme encore dans {es Nuées, les Guépes, etc., etc. Si l’on peut justifier chez Aristophane la bouf- fonnerie , il n’en est pas de même de l’obscénité et. de l’indécence qu’on lui a justement reprochées. Tout ce que l’on peut dire pour sa défense, c’est qu'il subit en cela l'influence forcée des goûts populaires, et qu’il fut encore le moins indécent, le moins obscène des poëtes de son temps. «Ne soyons pas dit en finissant l’auteur du Mémoire, ne soyons pas plus sévères que Socrate lui-même, et ne dédaignons pas de nous entretenir avec cette Muse d’un esprit si varié. Puis, lorsqu’elle nous aura introduits dans la grave et brillante société des historiens, des poëtes et des philo- sophes > Nous pourrons partager sa folle gaîté , sourire aux jeux de son imagination si riche, si vive et quelquefois si bizarre, applaudir même aux traits piquants de sa verve injurieuse , en Jui défendant toutefois d'élever devant nous une HISTOIRE. 81 voix trop libre, et de souiller nos oreilles par des paroles indignes du Banquet de Platon. » La Littérature latine, plus accessible que celle des Hellènes, au commun des lecteurs, a offert une série de Mémoires intéressants. M. ne LAverGnE s’est occupé de l'opinion des QÆr philosophes romains, du temps de Cicéron, sur la vie future, telle qu’elle résulte de plusieurs pas- sages du Songe de Scipion, dans le G.° livre de la République. Dans ce passage, la notion de limma- térialité de l’Ââme est encore un peu obscure, mais celle de son immortalité ne l’est pas. La doctrine déjà célèbre des stoïciens sur le suicide y est combattue par les mêmes raisons que doit donner plus tard le christianisme, et l’on y trouve en même temps ce dégoût de la vie mortelle qui doit être bientôt poussé si loin par les martyrs. Le trait le plus remarquable de ce morceau , c’est que Ci- céron ne croit pas à l'éternité des peines. Selon lui , les âmes des justes s’envolent d'autant plus vite au séjour céleste, qu’elles ont plus cultivé la vertu ; les autres restent plus ou moins sur la terre, et les plus coupables y errent des siècles entiers ; mais tôt ou tard les unes et les autres remontent dans le ciel. Toute la différence est dans le plus ou moins de difficulté qu’elles trouvent à se dégager de leurs liens matériels. M. SauvAGE a lu un Mémoire ayant pour titre : M, sauvaex. De la Censure politique et littéraire chez les Ro- mains. 82 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. On doit au même Académicien un autre Mémoire sur l’exposition des enfants chez les Romains. Ces deux ouvrages sont imprimés en entier dans ce volume. M. Sauvage a fait précéder la lecture du dernier de ces Mémoires par le Tableau des circonstances qui accompagnaient à Rome la naissance d'un enfant. L'auteur établit par plusieurs textes que lavé- nement du nouvel hôte causait une grande joie, et qu’aussitôt les portes de la maison étaient ornées de couronnes de fleurs. Il croit néanmoins que la joie des parents, dans cette circonstance, doit moins s’expliquer par les affections naturelles que par des considérations tirées de l’ordre social. Non que les Romains aient ignoré les douceurs de la paternité dont il y a mille touchantes peintures, dans leurs poëtes surtout, mais parce que la loi qui pronon- çait des peines contre le célibat, attachait, au contraire , de grandes immunités à la procréation des enfants. M. Sauvage entre, à cet égard , dans quelques détails qu'il tire particulièrement de Pline le jeune et de Martial , et il introduit ensuite ses auditeurs dans la chambre de la nouvelle mère. Là se trouve, en première ligne, une sage- femme, sous le nom fort significatif d’obstetrix ( qui se tient auprès ), et dont les attributions sont parfaitement indiquées dans cette curieuse synonymie de Varron : educit obstetrix , educat nutrix, instituit pædagogus , docet magister. À la suite de la sage-femme viennent plusieurs sui- HISTOIRE. 83 vantes, dont chacune, selon son office, aide l’ac- couchée à se mettre au lit. Une scène du Trucu- lentus de Plaute, donne, sous ce rapport, les détails les plus circonstanciés. Un passage de Pline PAn- cien lui sert ensuite à constater, de la maniere la plus énergique, lexistence d’un maillot, tandis qu’il emprunte à une autre scène de la comédie déjà citée de Plaute, tous les détails relatifs à la layette, les langes, les coussins, le berceau , la couchette : fasciis opus est, pulvinis, cunis, incu- nabulis ; petits objets , dit Plutarque , que la mère prépare d'avance pour charmer les longs ennuis de la gestation. Cependant , non loin d’une table qui restera dressée pendant huit jours en honneur de Junon, s’élève un autel où l’on a dû invoquer à grands cris Lucine et Diane pendant les douleurs de l’en- fantement , afin de conjurer tous les sortiléges qui auraient pu le retarder, et retenir l’enfant sur le seuil de la vie. Ovide et Pline font mention de ces usages et de ces croyances puériles, contre les- quels Tertullien s'élève avec une éloquence tout Africaine, en s’écriant. «Eh! quel homme échap- pera aux piéges de l'esprit de ténèbres , lorsque vous l’invitez aux couches mêmes , par mille pra- tiques superstitieuses ! Oui, c’est l’idolâtrie qui ac- couche vos femmes, etc. Idololatrit obstetrice nascuntur , etc.» À côté de ces véhémentes in- vectives , M. Sauvage place Les excellentes plaisan- teries de saint Augustin sur ce nombre infini de dieux qu’on appelait, chacun avec une attribution \ 84 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. particulière, dans la chambre des nouveaux époux, en attendant que d’autres dieux, non moins nom- breux, vinssent présider à la conception , au sen- timent , à la vie, à la naissance, et ainsi de suite. La mythologie avait tellement pourvu à toutes les circonstances de la vie naturelle , morale et intel- lectuelle, qu'une lacune était impossible, tandis que les doubles emplois étaient tres-fréquents. Enfin, lorsque, grâces à tous ces dieux, enfant avait vu la lumière, il fallait encore que la déesse Levana , comme l'appelle l’auteur de la Cité de Dieu, vint à son secours, car on le déposait à terre aussitôt qu’il était né, et on ne le relevait que lorsque le père avait annoncé le dessein de Pélever, tollere, mot sacramentel que M. Sauvage se con- tente de citer, sans autre détail, se réservant de traiter de l'exposition des enfants dans un autre Mémoire. Il parle donc immédiatement des visiteurs qui survenaient pour féliciter l’accouchée et le père, et qui n’épargnaient pas, comme on pense bien, les questions de tout genre ; par exemple : Est-ce un garcon ou une fille?.. L'accouchement a-t-il été laborieux ?.. La mère nourrira-t-elle?.. Au- lugelle a oublié aucune de ces circonstances dans le chapitre de ses Nuits attiques , où se trouve'une célebre allocution à une mère pour l’engager à al- laiter elle-même son enfant. Quand c'était un garçon, il était érop beau, comme dit Plaute, r5- mitum lepidum. Toutefois les mères , comme tou- jours, aimaient mieux les garçons, et les pères, les filles. Plutarque en donne la raison, que M. Sauvage HISTOIRE. 85 trouve plus vraie pour le dernier cas que pour le premier, parce qu’elle est plus délicate, ainsi qu’on peut le voir dans le vieux langage de la traduction d'Amyot. « Il semble que les mères, entre leurs enfants , aiment plus coustumièrement les fils que les filles, comme ceux de qui elles espèrent le plus de secours; et les pères, au contraire, aiment plus les filles, comme celles qui ont plus besoin de se- cours. » Du reste, la fin du passage contient une observation qui a encore plus de délicatesse, peut- être , et qui nous parait rétablir l'équilibre entre les deux époux : «et peut-être que pour l'honneur qu'ils s’entreportent , l’un veut sembler avoir plus d'affection et plus d’amour envers ce qui est plus propre à l’autre. » La question de ressemblance entre l'enfant et le père était fort importante. Cest à des faits de ce genre, devenus plus fréquents sous Auguste, qu'Horace reconnaît que les mœurs se sont amé- liorées : Laudantur simili prole puerperæ. Stace , Martial et Catulle sont tour-à-tour cités à cet égard par l’auteur du Mémoire. Puis, à côté des vœux touchants que les poëtes expriment dans leurs épithalames, pour que cette ressemblance vienne garantir la chasteté de l'épouse, et chatouil- ler doucement l’orgueilleuse faiblesse de l'époux, 1l rapporte un passage de Pline l’Ancien , et de beaux vers de Lucrèce sur les causes présumées de ce phénomène physiologique. 86 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. M. Sauvage cherche à compléter son tableau en introduisant dans la chambre de Paccouchée , la foule des esclaves et des clients qui viennent, non- seulement présenter leurs salutations, mais aussi offrir des cadeaux à l’accouchée. Un esclave , dans la première scène du Phormion de Térence , dé- plore d’une manière fort plaisante cette triste né- cessité. De ce passage et de plusieurs autres, M. Sauvage tire la conséquence que la mendicité était en quelque sorte légalement organisée à Rome, et, pour ainsi dire, échelonnée d’une classe à l’au- tre. La société lui semble s’y résumer en mendiants proprement dits, en parasites, classe nombreuse à Rome , et en mendiants officiels sous le nom de clients et de patrons qui sont tous, plus ou moins, des coureurs de sportule, des chercheurs de diners ou des quêteurs de cadeaux; il paraît même que quelques patrons, par spéculation, faisaient inter- venir leur anniversaire plus souvent que tous les douze mois. « Pour obtenir de moi des cadeaux, dit Martial à un certain Clytus, tu naïs huit fois dans l’année. Il n’y a guères que trois ou quatre mois dans les- quels ne se trouve pas ton jour natal. À l’heure qu'il est, tu devrais être bien vieux. Je suis sûr que Priam et Nestor n’ont pas vu aussi souvent que toi leur jour de naissance; si tu continues à te mo- quer ainsi de moi, et qu'il ne te suffise pas de nai- tre une fois par an, je finirai par me figurer que tu nes pas hé du tout : Natum te, Clrte, nec semel putaho.» | HISTOIRE. 87 M. Sauvage a aussi présenté à l'Académie la première partie d’un Mémoire dont l'ensemble a pour objet de rechercher les causes de la passion des Romains pour les Jeux du cirque, notamment pour les courses de chars, qui en étaient le premier et le plus important. Cette passion s’explique, selon lui, par des considérations de politique, de reli- gion, de galanterie, et enfin par l'attrait naturel- lement attaché aux exercices olympiques : ce qui donnera occasion à cet Académicien de décrire suc- cessivement autant de scènes qu'il a aperçu de causes principales. Dans cette première partie il ne s’occupe que du développement des causes politiques, et 1l montre que, depuis Romulus, qui fut en quelque sorte le fondateur de ces solennités , les rois, les consuls , les empereurs, ont fait des Jeux du cirque, pen- dant près de douze siècles, un moyen de gouver- nement : sous la république, pour délasser et en- courager le peuple; sous l'empire, pour Pabrutir. Le peuple préférait les Jeux du cirque à ceux de la scène ou de lamphithéâtre, parce qu’au dehors comme au dedans de cette vaste enceinte, une foule de monuments lui retraçaient son his- toire, lui présentaient les souvenirs et les témoi- gnages de sa valeur. Là se trouvaient racontés ses fastes civils, religieux et militaires. C’était dans ee livre national'que les hommes qui avaient gou- verné, avaient écrit successivement les plus belles pages de leur règne et de leur administration. Il les préférait encore, parce que sur les gradins à 88 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. du cirque, au moins jusqu’à Claude, les places étaient point distinguées : « Là, dit M. Sauvage, aucun insolent appariteur ne venait, comme dans les autres Jeux, chasser le peuple des quatorze premiers rangs, le refouler ignominieusement dans les combles, flétris du nom de popularia , et lui reprocher sa bassesse en présence des monuments de sa gloire. Il n’y avait là aucune honte à être pauvre, à ne pas posséder quatre cent mille ses- terces, à n’être ni chevalier, ni sénateur; il suffi- sait d’être citoyen pour avoir tous les priviléges et toutes les émotions du spectacle. » Il les préférait encore, non-seulement parce qu'ils étaient natio- naux , mais parce qu’ils étaient exclusivement Ro- mains. Les provinces de l'empire n’eurent des cirques que bien tard. La vie publique du peuple, quand on l’eut chassé du Forum et du Champ-de-Mars, s’était réfu- giée dans l’enceinte du cirque. C'était là que , sous d’autres noms, il faisait encore de lopposition à ses maîtres, aux empereurs eux-mêmes, et quel- quefois avec une témérité qui lui coûta souvent bien cher. M. Sauvage en cite plusieurs exemples, empruntés à Suétone, à Dion, à Hérodien , à Cas- siodore. « Ainsi, continue cet Académicien , le peuple, privé tout-à-fait, depuis Tibère , de ses droits politiques, n’avait cependant pas abdiqué toute personnalité. Sous Théodose et Arcadius, comme du temps de Juvénal, il ne demandait, il est vrai, que du pain et les spectacles du cirque; mais les HISTOIRE. 89 spectacles avant tout, parce que là il avait encore des velléités ou du moins des souvenirs de domi- nation.» M. Sauvage justifie cette dernière obser- vation par un passage d’une lettre du préfet Sym- maque aux empereurs que nous venons de citer, et il termine ainsi cette première partie de son travail : « Peuple enfant, qui demandait d'avance l’as- saisonnement pour le pain qu’on allait lui donner ! Peuple dégénéré et décrépit, mais qui avait encore cependant quelque peu de mémoire et d’imagina- tion ! Outre l'aliment du corps, il lui fallait en- core celui de l’âme; et quand il avait obtenu tout cela, il simaginait qu’il ne lui manquait plus rien. Peuple travesti, qui se nourrissait d'illusions de- puis qu'il n'avait plus de réalités! On lui avait enlevé, il est vrai, ses franchises, ses droits, ses priviléges ; mais on lui avait laissé ses enseignes. Il ne se regardait pas comme tout-à-fait mort à la vie publique, parce que, au lieu d’un tribun, il pouvait se rallier autour d’un cocher; et les bruyan- tes solennités du cirque, ses mêlées quelquefois sanglantes, images de celles du Forum et du Champ- -de-Mars, étaient pour lui comme un Ely- sée politique, où l’ombre d’un plébéien sinsur- geait encore contre l’ombre d’un sénateur. » M. pe LAVERGKE a lu un perçu de l’histoire de PEsclavage dans l'antiquité. Suivant lauteur , légalité des races humaines n’existe pas par elle- même, cest une conquête de la civilisation. Les TOME Y. PART, II. : 7 M. »e LAVERGNE” go INSCRIPTIONS ET. BELLES-LETTRES. races d'hommes sont plus ou moins développées ; ce qui établit une supériorité des unes à légard des autres; comme, par exemple, en ce moment, des Européens à l'égard des Papous. Or, la supério- rité d’une race sur l’autre donne à la première un droit de commandement sur la seconde, et c’est ce qui justifie jusqu’à un certain point létablisse- ment primitif de esclavage. Mais ce droit de com- mandement n’est réellement légitime qu’autant qu’il est exercé au profit de ceux qui servent : il doit être entre les mains des maîtres un moyen de perfectionnement et mon d’oppression. Cest ce qui n’a pas eu lieu dans Pantiquité : au lieu de se servir du puissant levier de l’esclavage pour civi- liser les races inférieures, les anciens ont, au con- traire, travaillé à maintenir ces races dans leur abrutissement. Or, comme cest une loi providen- tielle que toute race inférieure mise en communi- cation avec une autre plus civilisée, doit néces- sairement s'élever, les esclaves de antiquité ont accompli leur perfectionnement, en dehors de la société établie et contre elle. Dans les derniers temps de la république romaine , la population libre s'était pervertie et dégradée, tandis que la population esclave s’était développée et améliorée. Les plus grands poëtes et les plus grands philoso- phes de Rome sont des esclaves ou des fils d’escla- ves; des gladiateurs révoltés battent des soldats romains, et la société antique s'écroule sous l’in- vasion des affranchis : juste punition de ses cruautés égoiïstes et de ses aveugles préjugés. HISTOIRE. 91 M. ou Mèce a lu deux Mémoires. Lun est intitulé : Recherches sur les Epopées _ méridionales. L'autre : Premier Mémoire sur les poèmes Car- lovingiens , qui par leur ajfjabulation se ratta- chent aux traditions populaires du Midi de la France. Ces deux opuscules sont imprimés dans ce volume. M. ne VacquiÉ a présenté à lPAcadémie une Dissertation sur l'invasion des Maures en Espa- gne : cet événement important par lui-même, se rattache d’ailleurs en quelque sorte à l’histoire de notre patrie, exposée un moment à être soumise à l’islamisme. Le plus grand nombre des écrivains et les plus accrédités d’entr’eux attribuent Vlinvasion des Maures en Espagne, à la perfidie du comte Julien, prince du sang des Goths. Celui-ci, pour venger Voutrage fait à sa fille, d’autres disent sa femme, par le roi Roderic, aurait livré sa patrie aux imfi- dèles. — Mariana , et avec lui la foule des auteurs espagnols, racontent ainsi le fait et dans tous ses détails, dans ses moindres circonstances; mais leurs récits ne peuvent soutenir le plus léger exa- men ; plusieurs traits même en sont évidemment fabuleux ; par exemple , Pouverture téméraire du palais enchanté de Tolède, malgré la tradition constante qui menaçait l'Espagne des plus grands malheurs dès qu’on aurait forcé Penceinte fatale ; 7: M. ou Mècx, M. ne VAacQuiE, 92 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. les choses prodigieuses qu’on découvrit dans le palais, telles qu’un cadavre bien conservé , ayant les traits et le costume d’un maure, et sur son suaire une inscription en langue arabe annonçant Vinvasion et la conquête ; ces faits, à la vérité, paraissent un peu hasardés au traducteur de Ma- riana, le Père Charenton, qui vivait dans le 18.e siècle. Remontant aux sources, on trouve que limagi- nation des auteurs arabes a fait tous les frais de l'aventure ; leurs récits, mis en chansons, se répè- tent encore dans les villes de lAndalousie. Le premier auteur du roman est Abulcassim- Tarriff-Aben-Tarrick , un des capitaines de lexpé- dition; c’est le modèle d’après lequel ont travaillé tous ceux qui l’ont suivi ; il donne à son héroïne le nom de Florinde, mais elle est plus générale- ment connue sous le nom de la Cava ; don Miguel de Luna, bibliothécaire de Philippe IT, a traduit en espagnol l’ouvrage d’Abulcassim ; la traduction française que nous avons lue est suivie d’une an- cienne Dissertation fort curieuse où l’on essaie de prouver, et, à notre avis, avec succès, que les fables des Arabes ne sont que des allégories ; que ces féeries dont les Mille et une Nuits sont en quel- que sorte le type, au moins pour nous, renferment, comme les mythes des Grecs , un sens moral sous des images tantôt riantes, tantôt sévères, et tou- jours un peu folles. Il faut donc tenir pour certain, et les savants Bénédictins, auteurs de l’histoire du Languedoc, HISTOIRE. 03 la meilleure histoire de France que nous ayons, d’après M. de Châteaubriand , l'avaient déjà dit en passant , que le crime de Rodrigue et la vengeance du comte Julien, sont des événements controuvés. Le même Académicien a lu , dans la séance du 5 juillet, une MVotice sur le Vieux de la Mon- tagne. Suivant l’auteur , il paraît résulter des dé- couvertes de nos orientalistes modernes, que ces fanatiques si fameux, sous le nom d’Æssassins, que nos langues de l’Occidènt ont emprunté, formaient une espèce d'ordre militaire et religieux, ayant ses croyances particulières , ses initiations , ses degrés, et présentant, au moins dans ses formes extérieures, des rapports marqués avec l’organisation des Che- valiers du Temple. Après Mahomet , les Abassides eurent longtemps le pouvoir politique et religieux ; mais des sectes nombreuses , aux doctrines plus ou moins corrom- pues , leur faisaient sourdement la guerre. Vers le commencement du 10.° siècle de notre ère, l’une: d’elles parvint à faire monter sur le trône d'Egypte un prince obscur qu’elle disait descendre de Fa- time , d’où le nom de Fatimites. Maîtresse du pou- voir, elle s’organisa au Caire; l'assemblée de ces. fidèles eut le nom de grande Loge ; les réunions étaient appelées Mejalis-al-Hiemet, sociétés de la. Sagesse. Des professeurs , revêtus de costumes qu’ils nous, ont transmis avec leurs sciences, enseignaient les, diverses branches des connaissances humaines ;: 94 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. mais 1l ÿ avait un enseignement caché dont la base était une grande foi à un sens mystique du Coran, contraire à sa lettre ; sens mystique et qui ame- nait au plus complet scepticisme, à l'indifférence la plus absolue. Un ambitieux, nommé Hassan, prêcha ouverte- ment ces doctrines déjà fort répandues ; ses parti- sans sarmèrent; plusieurs forteresses tombèrent en son pouvoir ; il se créa un état. Après lui ve- naient les Dais ou missionnaires; puis les Compa- gnons ( refékes); au-dessous de ceux-ci, les Dévoués ou Fédavis; ils étaient chargés d’aller poignarder _ les adversaires du Seigneur de la Montagne (de senior nous avons fait veux ); et leur fanatisme, exalté par les délices des jardins d’Alamont, dans la Perse septentrionale, ne connaissait plus d’obs- tacles. Hassan prèchait d’ailleurs d'exemple à ses disciples ; il fit périr ses deux fils, et laissa son pouvoir à deux de ses ministres. Les Templiers firent une rude guerre aux 4s- sassins et les assujettirent à un tribut. Pour s’en affranchir, ils offrirent au roi de Jérusalem de re- cevoir le baptème ; mais les Templiers ayant fait massacrer les ambassadeurs à leur retour, cette négociation n’eut pas de suite. Les sheiks d’Alamont se succédèrent jusqu’à Hassan IT, dont toute la gloire se borna à abolir les abstinences du Ramadan : sous son fils , le Dai al Kebir ou Grand Prieur, qui administrait ordre en Syrie, prit l’engagement de faire respecter les jours du grand Salah-Eddin et sy montra fidèle. HISTOIRE. 9 Le Sheik Yella-Eddin s'étant rapproché des puis- sances orthodoxes de l’islamisme, en reçut le titre de prince; mais le mécontentement de ses sujets qui le firent périr l'empêcha de jouir longtemps de cet honneur. Bientôt les Tartares, venant en aide au calife de Bagdad, s'emparent du château fort d’Alamont, et font un massacre général des Assassins. Vers la même époque, les Mameluks font subir le même sort à la branche Syrienne. Malgré cette destruction sans appel, on retrouve encore en Orient des débris de la grande Loge du Caire, désignés sous le nom de Sufites. On les accuse d’être matérialistes et athées, mais sans action extérieure, quoiqu’appartenant aux classes élevées, ils n’arment plus pour leurs querelles le poignard des Fédavis. DISSERTATIONS ET MÉMOIRES. DE LA CENSURE POLITIQUE ET LITTERAIRE CHEZ LES ROMAINS, Par M. SAUVAGE. L'Hisromr Romaine s'ouvre en quelque sorte par la lutte de deux principes, par la querelle, qui fut depuis incessante , de l'aristocratie et de la démo- cratie. À peine le combat est-il engagé, que la satire commence à naître ; mais, presque en même temps aussi, une loi terrible, punissant de mort l'ironie plébéienne, vient couper court à toutes les tentatives. «La loi des Douze tables, dit » Montesquieu, est pleine de dispositions très- » cruelles; mais celle qui découvre le mieux le » dessein des décemvirs, est la peine capitale pro- » noncée contre les auteurs des libelles et des poë- » mes satiriques. Cela n’est guère du génie de la » république, où le peuple aime à voir les grands » humiliés; mais des gens qui voulaient renverser 100 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. » la liberté, craignaient des écrits qui pouvaient » rappeler lesprit de la liberté. » Cette disposition ne fut pourtant pas expressément abrogée après la ‘ courte tyrannie des décemvirs, non plus que les autres lois pénales qu’ils avaient établies. On peut dire seulement qu'elle ne fut point appliquée, grâce à la loi Porcia qui parut bientôt après, et qui dé- fendit de mettre à mort un citoyen romain. Voici, du reste, dans quels termes la loi décemvirale était conçue : «Si quis occentassit malum carmen , » sive condidissit , capital esto. Quiconque aura » composé ou récité publiquement des vers inju- » rieux, sera puni de mort, » Horace raconte dans une de ses épîtres, la pre- mière du second livre, comment cette loi était devenue nécessaire, et dans cette narration extré- mement remarquable , soit comme monument his- torique, soit comme morceau de style, il ne lui échappe pas un mot qui implique le blâme d’une aussi excessive sévérité. La force de certaines ex- pressions , le ton léger de quelques autres, sem- blent, au contraire, insinuer une apologie. « Nos » aieux, dit-il, cultivateurs robustes et sobres, » quand leurs grains étaient serrés, passaient les » jours de fête à se délasser des peines que l’es- » pérance d’en voir la fin leur faisait supporter. » On s’adressait, on se renvoyait des bons mots » rustiques, et Fi Le liberté que ramenait cha-. » que année, ne fut d’abord qu'un badinage » innocent , {sit amabiliter; mais le jeu devint » cruel et se tourna même en rage. Menaçante, MÉMOIRES. IO1 » impunie, la satire attaqua les familles les plus » estimées : In rabiem verti cœpit jocus , et per honestas Ire domos , impunè minax. » Ceux qu'avait entamés sa dent meurtrière se » plaignirent; ceux qu’elle épargnait encore se » rallièrent à l'intérêt commun. Enfin une loi fut » portée qui prononça des peines contre quiconque » déchirerait la réputation d’un autre par des vers » satiriques. La peur du bâton força les poëtes à » changer de style : T’ertére modum formidine fus- » dis ; il fallut se contenter de plaire sans médire. » Ab benè dicendum delectandumque redacti. » L’apologie de cette loi n’est qu'indiquée dans Horace, mais elle est tout-à-fait explicite dans un beau passage de la République de Cicéron que Saint Augustin nous a conservé (liv. 2, chap. 9, Cité de Dieu). «Nos Douze tables, dit Cicéron, » quoique très-réservées sur les peines capitales, » en ont cependant prononcé une contre ceux qui réciteraient publiquement ou composeraient des » vers injurieux ou diffamatoires. Rien de plus » sage, præclarè , ajoute-t-il , car notre vie, sou- » mise à l'examen légitime des juges et des magis- » trats, ne doit point l'être aux caprices des poëtes, et il n’est permis de nous accuser que devant un » tribunal où nous puissions répondre (1). » IL est à remarquer que cette liberté satirique , S Ÿ 2 Ÿ RE PE RP ut ie (1) De la Répub. 4-10. 102 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. d’abord tolérée en Grèce , avait aussi dégénéré en licence, et appelé la vindicte des lois. C’est encore Horace qui nous l’apprend dans quelques vers de VArt poétique, où 1l raconte l’histoire de la poésie dramatique chez les Grecs. Aïnsi partout l'abus touche de près à l’usage; telle est la loi de lesprit humain. Environ cinquante ans après que la peine de mort était portée à Rome contre les écrits sa- tiriques, une loi réformait la licence du théâtre à Athènes : -....... Lex est accepta, chorusque Turpiter obticuit, sublato jure nocendi. Je suis loin assurément de blâmer cette censure dramatique ; c’est peut-être la plus importante de toutes, si l’on songe à l’influence que peut exercer le poëte sur les grandes assemblées, influence si bien marquée dans un autre passage du même traité de la République que je citais tout à l’heure, et qui nous a encore été conservé par l’auteur de la Cité de Dieu. « Quand les poëtes ont pour eux » les applaudissements et les cris du peuple, quel- » les ténèbres ils répandent dans les esprits! de » quelles terreurs ils les frappent ! comme ils y al- » lument le feu des passions! Quos invehunt metus! » quas inflammant cupiditates ! » Ces réflexions ne sont pas moins pleines de force que de sagesse; . mais il importe de faire remarquer, quant au sujet qui nous occupe en ce moment , que l'établissement des lois pénales contre les écrits , coïncide à Rome avec le règne de Paristocratie des décemvirs , ét, à Athènes, avec la domination des trente tyrans qui MÉMOIRES. 103 lui furent imposés par Lysandre, après la prise de cette ville. Quoi qu’il en soit, je n’ai trouvé nulle part que la peine capitale, en matière décrits, ait été appliquée sous la république, même pendant la courte durée de la tyrannie décemvirale. Je vois bien que Névius expia par l'exil Paudace de ses satires, et il est probable que Lucilius, qui atta- qua, en les nommant, les personnages les plus considérables , aura eu quelquefois besoin de lap- pui de Scipion et de Lælius dont il avait mérité Vestime et Pamitié. IL faut croire que la loi Por- cia, dont j'ai déjà parlé, cette loi qui fit plus qu'aucune autre, dit Tite-Live, pour la liberté romaine, servit de bouclier, sans doute, aux poëtes comme aux autres citoyens, et les garantit du moins de Pignominie du bâton , et de la main du bourreau. Mais la pénalité reparut avec les ten- dances aristocratiques de Sylla; animé du même esprit que les décemvirs , il-augmenta comme eux les peines contre les écrits satiriques ; sous lui, ce fut un crime de majesté , dit Cicéron, d’attaquer autrui par de vaines déclamations. ’erumtamen est majestas, ut Sylla voluit ne in quemvis im- punè declamare liceret (Cicero ad diversos, 3-XT). Il paraît aussi que la disposition des Douze tables était encore, du temps d'Horace, dans toute sa vi- gueur , car il y fait manifestement allusion dans un passage de la première satire du second livre. Le poëte déclare à Trébatius qu'il ne peut dormir sil ne fait des satires. Alors son interlocuteur, après des conseils fort plaisants , qui ne produisent 104 INSCRIPTIONS ET BÊLLES-LETTRES. aucun effet, croit devoir lui rappeler le danger de cette profession, et en habile jurisconsulte, qui sait parfaitement son code pénal, il lui cite la loi des Douze tables, dont il reproduit le texte, autant que le permet l'exigence de la mesure. - Si mala condiderit in quem quis carmina , jus estjudiciumque, et, en effet, histoire est ici d’ac- cord avec le récit du poëte. Suétone et Tacite ne laissent aucun doute à cet égard. Le premier (Aug. 55), après avoir dit qu'Auguste ne craignit point les libelles diffamatoires répandus contre lui, et ne prit aucun soin de les réfuter, ne s’inquiétant pas même de savoir quels en étaient les auteurs, ajoute cependant qu’il ordonna pour l'avenir qu’on poursuivit, cognoscendum posthàc, ceux qui, sous un nom emprunté, publieraient des pamphlets ou des vers attentatoires à la réputation de qui que ce fût... Cependant il s’opposa à ce qu'il fût pris au- cune mesure pour réprimer la licence du langage employé dans les testaments : de inhibendé testa- mentorum licentiä. Ce trait fait assez voir où en était alors la liberté d'écrire, puisque l'esclavage de la pensée ne cessait qu'avec la vie, et que la vérité ne semblait pouvoir s'échapper qu’à travers les pierres d’un tombeau. ( V. Tacite, Ann. 6-38.) Tacite vient confirmer le récit de Suétone. Après avoir rappelé l’ancienne loi contre les crimes de lèse-majesté, il ajoute : « Auguste fut le premier » qui soumit les libelles aux recherches de cette loi ; » primus Augustus cognitionem de famosis libel- » lis specie legis éjus tractavit. » (Annal. 1-72.) MÉMOIRES. 105 Du reste, cette peine de mort contre les écrits sa- tiriques assimilés aux crimes de lèse-majesté, ne disparaîtra plus maintenant de la législation pé- nale , et elle sy présentera quelquefois avec des circonstances atroces qui prouveront que la liberté d'écrire est le crime que pardonne le moins la ty- rannie ; témoin l’horrible supplice dont parle Juvé- nal dans sa première satire. Ce poëte ne croit pas, comme Cicéron, que la loi suffise pour accuser, et que la vindicte publique ne puisse et ne doive s’exercer que par des tribunaux régulièrement établis : il pense , au contraire , que la justice ordinaire est trop souvent impuissante ; qu'il est des crimes, des vices surtout plus funestes en- core que les crimes à l'existence des sociétés, que cette justice ne saurait atteindre; que la morale publique appelle quelquefois à son secours la voix d’un homme courageux qui ait pour mission de condamner ce que le code est forcé d’absoudre, et que le ministère de la satire doit commencer là où s'arrête celui de la loi. — Soit, répond un ami au courageux poëte : mais nomme seulement Tigelli- nus, ton cadavre empalé servira de fanal , et traîné sur l’arêne il y tracera un large sillon. Pone Tigellinum, tæda lucebis in illé Qué stantes ardent fixo qui gutture fumant, Et latum medi@ sulcum diducis arend. Tacite et Aulugelle confirment lexistence de cet affreux, supplice, qui fut surtout appliqué aux premiers chrétiens sous Néron; et Juvénal fait en- tendre , avec son énergie accoutumée , que tel avait TOME V. PART. II, 106 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. déja été, ou du moins pouvait être, le châtiment d’un poëte qui, dans le silence des lois et de toute justice, aurait eu le courage de traduire quelque infame affranchi devant le tribunal de l'opinion pu- blique. Aïnsi le supplice des verges, même jusqu’à la mort, ne suffisait déjà plus ; il fallait que l’auteur d’un généreux écrit, enfoui en terre jusqu’au milieu du corps, füt entouré de feu, et qu’enduit de ré- sine , il éclairât, en guise de flambeau, les spec- tacles ou les orgies du prince. (Tacite, Annal. 15-44.) | On pense bien que Tibère ne laissera point tom- ber en désuétude cette peine capitale renouvelée par Auguste contre de prétendus libelles; et si le courage manque, par hasard, aux écrivains de l’é- poque, on fouillera dans les écrits du passé, pour y trouver des crimes dont personne encore n’avait entendu parler : novo et tèm primüum inaudito crimine. En effet , Crémutius Cordus fut poursuivi sous Tibère, pour avoir loué Brutus, et appelé Cassius /e dernier des Romains. Quand on songe que les Annales où se trouvent ces paroles si sim- ples et si belles, avaient été approuvées plusieurs années auparavant, et récitées devant Auguste : Quamvis probarentur ante aliquot annos , etiam Augusto audiente recitata ; quand on considère surtout qu'il y avait plus de soixante ans que Cassius et Brutus étaient morts, il faut, pour croire à la réalité d’une pareille accusation, que Suétone en fasse mention (Tibère Gr ) avec sa précision et son indifférence ordinaire, et qu’elle ÿ MÉMOIRES. 107 soit consignée dans quelques-unes des plus belles pages de Tacite : pages sublimes, dont je me sens d'autant plus entraîné à reproduire quelques fragments, que la noble défense de Crémutius Cordus contient, en quelque sorte, ce qu’on pour- rait appeler chez les anciens , avec une expression moderne, l’histoire et la philosophie de la liberté de la presse. Voici comment l’auteur inculpé re- poussa l’accusation intentée contre lui , résolu d’ailleurs, pour en prévenir l'issue, à abandonner la vie. (Annal. 4-34.) «Pères conscrits,on accuse mes paroles, tant mes » actions sont innocentes : adeù factorum innocens » sum. Mais ces paroles n’attaquent ni le prince, » ni sa mère, les seules personnes qu’embrasse la » loi de majesté. On me reproche d’avoir loué » Cassius et Brutus, dont aucun écrivain n’a parlé » que dans les termes les plus honorables. Le plus » éloquent et le plus intègre de nos historiens , » Tite-Live, a parlé de Pompée avec tant d’éloge, » qu'Auguste l’appelait le Pompéien , et il ne pa- » raît pas que leur amitié en ait été altérée. Afra- » mius Scipion, ce même Cassius, ce même Bru- » tus, qu'on traite aujourd’hui de brigands et de » parricides, n’ont jamais reçu de lui ces noms » odieux, et souvent il les qualifie de grands hom- » mes. Les écrits de Pollion consacrent encore la » mémoire de ces mêmes Romains ; Messala Cor- » vinus appelait hautement Cassius son général , » et cependant Messala et Pollion furent comblés » de richesses et d’honneurs. Cicéron dans un de ses 8. 108 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. » ouvrages éleva Caton jusqu'aux cieux. Que fit le » dictateur César ? Il réfuta l’ouvrage ; il rendit le » publicjuge entre Cicéron et lui. Les lettres d’An- » toine, les harangues de Brutus, ne sont que des » satires d’Auguste, assurément injustes, mais san- » glantes; et dans les vers de Bibaculus et de Ca- » tulle, on lit, à chaque page, des invectives contre » les Césars. Cependant Jules et Auguste ont en- » duré, ont dédaigné ces outrages ,et je ne sais s’il » faut louer en cela leur modération plus que leur » politique : kaud facilè dixerim moderatione ma- » gis an Sapientid, car le mépris fait tomber la » satire, et le ressentiment l’accrédite. Je ne parle » pas des Grecs, dont la liberté, dont la licence » même fut impunie, et chez lesquels l’on ne s’est » vèngé d’un mot que par un mot, dictis dicta ul- » us est. Mais certes on n’a jamais contesté nulle » part le droit de parler librement de ceux quë » la mort avait affranchis de la faveur ou de la » haïne. Croit-on que mes écrits aillent rallumer » la guerre civile, et ramener Cassius et Brutus en » armes dans les champs de Philippe ? ou veut-on » empêcher que, morts depuis plus de soixante ans, » une partie de leurs traits ne soit conservée dans » les récits de lhistoire, comme elle l’est dans » leurs images que le vainqueur même n’a pas dé- » truites. Oui, Pères conscrits, la postérité assigne » à chacun sa portion de gloire, suum cuique » decus posteritas rependit; et croyez, si je suis » condamné, qu’on ne s’en souviendra pas moins » de Cassius et de Brutus, et même de moi. MÉMOIRES. 109 » Crémutius, ajoute Tacite , sortit ensuite du » sénat, et se laissa mourir de faim. Les Pères » condamnèérent son ouvrage à être brülé par les » édiles , mais il fut conservé en secret, et depuis » il a reparu. Qu'on rie donc maintenant, continue » le même écrivain , de l’aveuglement de ceux qui » pensent que leur pouvoir éphémère étouffera la » voix des siècles, et la justice de lincorruptible » avenir. Au contraire , les ouvrages opprimés en » deviennent plus imposants : Punitis ingenüs , » gliscit auctoritas , et les rois , et tous ceux qui » ont employé de pareilles persécutions , n’ont fait » que préparer la gloire des auteurs et leur op- » probre à eux-mêmes. Dedecus sibi, illis gloriam » peperére. » Permettez-moi , Messieurs, pendant que vous êtes encore sous l’impression de ces nobles et tou- chantes paroles, de rapprocher de ce beau passage une autre réflexion du même écrivain sur le même sujet. Néron ayant banni l’auteur d’un poëme sa- tirique , et ordonné que l’ouvrage fût livré aux flammes, on rechercha cet écrit, dit Tacite; on le lut avidement tant qu'il y eut du péril à se le procurer ; sitôt qu’on eut levé la défense, Pouvrage fut oublié. Conquisiti lectitatique , donec cum pe- riculo parabantur ; mox licentia habendi oblivio- nem attulit. Du reste, la belle défense que Tacite a placée dans la bouche de Crémutius Cordus remplit une des lacunes de ma Dissertation; elle consacre Pin- dulgence de César en matière d’écrits ou de paroles: 110 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. Il est vrai que si César, comme la dit un grand orateur parmi nous, fut clément jusqu’à s’en re- pentir, ce fut surtout en pareille rencontre qu’il montra le plus de cette indulgence. Elle se trou- vait sans doute au fond de son caractère, mais elle fut certainement aussi un des secrets de sa politi- que. Ni les propos injurieux, en effet, ni les écrits satiriques ne lui furent épargnés. Ses soldats eux- mêmes mêlaient impunément aux chants de triom- phe les injures les plus grossières ; Catulle, dans une épigramme célèbre, lui reprochait d’horribles infamies, et ce même homme qui se montrait si chatouilleux, je ne veux pas dire si délicat, sur honneur de sa femme, retenait à diner le poëte qui l'avait si scandaleusement outragé. Tacite rend également justice à Auguste sous ce rapport, et ici l'embarras de la postérité est beaucoup plus grand qu’en ce qui touche César. Mais il a Tacite pour lui, et il faut convenir que cette autorité est d’un bien grand poids. « Je suis » bien fort dans mes maximes, dit Montesquieu, » quand jai pour moi les Romains.» Un César, quel qu’il soit, doit être moralement bien fort, quand il a Tacite pour lui. Or, cet écrivain qui ne croyait pas, il est vrai, à la possibilité du gouver- nement représentatif, qui le regarde même comme une brillante chimère dont il est plus facile de dire du bien que de la réaliser, Zaudari facilins quäm evenire potest ( Ann. 4-33); cet écrivain , disons- nous , marque le passage de la république à Vempire , sans approbation , mais avec plus de MÉMOIRES. ii bienveillance que de blâme. On se lassa de discor- des civiles, dit-il, et Auguste fut accepté pour maître sous le nom de prince : Cuncta discordiis civilibus fessa, nomine principis, sub imperium ac- cepit. Tout le reste du chapitre et de cette belle in- troduction des Annales tourne à la louange d’'Au- guste,bien plus qu’à la censure deson gouvernement. Vous avez pu remarquer aussi, dans le discours de CrémutiusCordus,quelle fut la tolérance de ce prince pour les écrits ou les paroles qui ne regardaient que sa personne. Du moins tout semble témoigner qu'il ne condamna jamais les regrets du passé. Ho- race et Virgile, que l’on a si souvent qualifiés de lâches courtisans, ont pourtant écrit leurs plus belles pages sous l'émotion des idées républicaines et avec le souvenir de leurs plus glorieux représen- tants. Pour tous les deux, Caton est l’idéal de la vertu et de la piété patriotique. Il est vrai qu'Au- guste eut la faiblesse, ou , pour mieux dire, lingra- titude de livrer à la vengeance d'Antoine la tête de Cicéron; mais il paraît en avoir éprouvé de profonds regrets, et l’histoire atteste que dans un de ces épanchements où le cœur se trahit, il honora un jour d’une manière non équivoque le souvenir du célèbre orateur et de l'excellent citoyen. Les chan- gements politiques, qui ne sont pas toujours des lâchetés ni de honteuses capitulations, se firent même , sous lui, avec une certaine noblesse. Mes- sala , qui avait servi sous la république, rappelait volontiers avec éloge, comme l’a dit encore Tacite, le nom de Cassius son ancien général, et un mot 112 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. de lui, non moins adroit, il est vrai, que hardi, ne fait pas moins d'honneur à l’homme qui le pro- nonça, qu’à celui qui le laissa dire. Après la ba- taille d’Actium, où il avait combattu pour Octave, Messala s’avance yers le vainqueur d'Antoine, et lui dit avec une noble liberté : « Octave, il est de » ma destinée d’être toujours dans le meilleur » parti.» Sous Néron , la peine de mort fut demandée contre l’auteur d’un poëme satirique qui attaquait ce prince. Le consul désigné était d’avis qu’on miît à mort le poëte, suivant l’usage des premiers temps, necandum more majorum. Mais, grâce au courage du célèbre Thraséas, encore impuni, qui opina dans un sens contraire, la peine fut commuée en celle de Pexil. (Annal. 14-48.) Ce beau nom de Thraséas qui est venu sous ma plume, me rappelle que les libres écrits n'étaient pas alors les seules protestations contre le pouvoir d’un seul, ni les seules aspirations vers le retour de l’ancienne li- berté. Quelques beaux vers de Juvénal font allu- sion à de patriotiques banquets où les convives, couronnés de fleurs, buvaient du meilleur vin au souvenir des deux Brutus et de Cassius dans les jours de leurs glorieux anniversaires. .….. Quale coronaii Helvidius , Thraseaque bibebant Brutorum et Cassf natalibus. Il faut dire cependant, non pour adoucir l’hor- reur qu'inspirent des noms tels que ceux de Néron (1) Voir Suétone de Pankoucke , pag. 10 des Recherches. MÉMOIRES. 113 et de Tibère, mais pour établir cette consolante vérité, que la tyrannie elle-même ne peut pres- crire contre la libre émission de la pensée et de la parole ; il faut dire que ces deux empereurs laissè- rent quelquefois passer impunies les plus san- glantes allusions descendues même du théâtre. Etait-ce fatigue de punir ? était-ce un hochet que la politique du prince laissait au peuple pour le distraire de la servitude? Tacite, il est vrai (Ann. 6-29), parle d’une allusion dénoncée et punie; mais Suétone nous a laissé une anecdote célèbre ( Tibère 45 ) qui confirme notre observation à l'égard de Tibère ; et quant à Néron, indépendamment de plusieurs autres traits, voici comment s’exprime ce même biographe : «Ce qui est étonnant et digne de remarque, » c’est qu'il n’est rien que Néron supportät mieux » que les malédictions et les reproches, et que ja- » mais il ne se montra plus doux qu’envers ceux » qui l'avaient attaqué dans leurs discours ou dans » leurs vers.» (Néron, 30.) Ainsi les monstres ont aussi quelquefois leurs moments d'humeur libérale, et quand il leur est arrivé d’être débonnaires , ils pourraient dire par une horrible parodie d’un mot justement célèbre : « Et moi aussi, j'ai perdu ma » journée. » Je n’ai pas la prétention de tout dire dans la recherche à laquelle je me livre en ce moment. Il me suffira d’avoir prouvé que la peine capitale fut établie chez les Romains, presque à l’origine de la . république, contre la libre expression de la pensée I1A INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. et même de la parole; que jamais, dans les plus beaux temps de cette glorieuse période, elle ne fut expressément abrogée ; qu’on la retrouva toujours dans le code comme une épée dans son fourreau, lorsqu'il fut nécessaire de Pinvoquer ; et qu’enfin elle se montra encore à la fin de l'empire comme elle avait apparu au comméncement et au milieu. En effet, la peine capitale se trouve reproduite dans un édit de libellis famosis, de Valentinien et Valens , non-seulement contre les auteurs des li- belles injurieux, mais contre celui qui, les ayant trouvés par hasard, ne les aura point lacérés ou brü- lés, ou les aura fait connaître à d’autres. Sciat se quasi auctorem hujus delicti capitali sententiæ subjugandum. Du reste, le même édit invite qui- conque aura de salutaires avis à donner à l’autorité, à s'approcher d’elle avec confiance en citoyen dé- voué à la chose publique, au lieu de recourir à la voie des libelles, et à compter sur un accueil bien- veillant, même sur des récompenses. Ore proprio dicat quæ pér famosum libellum persequenda putaverit , elë. : il y aurait de quoi se laisser sé- duire par le caractère de loyauté qui semble res- pirer dans ces termes de l’édit; mais voilà que tout à coup, et sans qu’on ait lieu de sy attendre, le donneur d’avis est menacé de mort , s’il ne parvient pas à établir la vérité de ses assertions. Sir verd minime hœc vera ostenderit, capitali pœnt plec- tetur. [n’est pas probable que, sous le règne d’une pareïlle législation, les empereurs Valentinien et Valens aient reçu beaucoup d’avertissements. Quel- MÉMOIRES. 115 ques princes toutefois, vers la fin de l'empire, tels que Théodose , Arcadius et Honorius, en main- tenant la sévérité de la loi contre les écrits , se sont montrés noblement indulgents pour les paroles. Sachant combien la langue a de promptitude , /u- bricum linguæ , et qu'il est plus difiicile, même pour l’homme sage, d’éteindre des charbons ar- dents dans sa bouche, que de garder un bon mot, ils recommandent à Ruflin, préfet du prétoire, de ne pas regarder les paroles comme un crime capi- tal. QSi quelqu'un parle mal de notre personne ou » de notre gouvernement, nous ne voulons point » le punir : s’il a parlé par légereté , il faut le mé- » priser ; si c’est par folie, il faut le plaindre; si c’est » une injure, il faut lui pardonner. Sz id ex levi- » tate processerit , Contemnendum ; siex insanid, » miseratione dignissimum ; si ab injurid , ignos- » cendum. ( Leg. unica , Cod. Si quis imperat. ma- » led. )» 116 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. —————_ DE L’EXPOSITION CHEZ LES ROMAINS ; Par M. SAUVAGE. Ox sait que la loi romaine donnait au père de famille le droit de vie et de mort sur ses en- fants, et que cette autorité se maintint dans toute sa vigueur jusque vers les derniers temps de la république, à l’époque même de sa plus grande corruption. On sexplique aussi tout ce que cette puissance avait d’exorbitant, quand on songe aux avantages que la république en retira dans plusieurs circonstances critiques , les seules, du reste, où l’histoire ait mentionné lexer- cice d’un droit aussi rigoureux. Mais cette au- torité, dont la loi avait investi le père dans l'intérêt de l’état, n’allait pas jusqu'à lui per- mettre de rejeter loin de lui l’enfant auquel il avait donné le jour. En le rendant juge de ses enfants, cette loi avait prétendu , au contraire, lui imposer l’obligation de les élever; elle avait voulu en faire un magistrat et non pas un bour- reau. Îl faut donc remonter jusqu'aux premiers : MÉMOIRES. 117 temps de Rome, c’est-à-dire jusqu'à Romulus lui-même, pour trouver lunique disposition qui déroge à cet esprit de la loi et aux prescriptions de la nature. « Romulus, dit Denys d’'Halicar- » nasse, imposa à tous les citoyens lobligation » d'élever tous les enfants mâles et les aïnées » des filles. Si les enfants étaient difformes et » monstrueux, il permettait de les exposer, après » les avoir montrés à cinq des plus proches voi- » sins, qui devaient, dans ce cas, donner leur » approbation.» Il résulte de ce passage, que le père avait réellement le droit d'exposer les filles cadettes. Mais ce qui prouve que ce n’était là qu’une concession faite, à regret, à l’usage établi sans doute de temps immémorial, et que la loi de Romulus avait moins pour objet d’autoriser l'exposition que d’en réprimer Pabus, c’est la clause pénale qui accompagne cette disposition, et qui assigne au fisc, entr’autres peines, la moi- tié des biens de quiconque ne se renfermerait point dans les limites qu’elle avait fixées. In eos verd qui contra leges istas fecissent, mulctas sta- tuit, cùm alias, tüm etiam hanc, qué dimi- dium bonorum, quæ ipsi possiderent, ærario addixit. Quand on songe , d’un autre côté, que le même législateur, en accordant au père le droit de vie et de mort, ne lui permettait toutefois d'en user qu'à l'égard des enfants qui avaient trois ans accomplis, on reconnaît, avec émo- tion, une de ces délicatesses qui n’appartiennent qu'aux siècles polis, et qui devrait nous rendre 118: INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. bien réservés dans les jugements que nous por- tons avec tant de légèreté sur de prétendues époques de barbarie. Quoi qu’il en soit, cette exclusion des filles cadettes tomba sans doute bientôt en désuétude, car on retrouve encore dans le même Denys d'Halicarnasse, que la loi qui ordon- nait aux citoyens de se marier et d'élever tous leurs enfants, était en vigueur l’an 277 de Rome. Il ne faut donc pas s'étonner que la loi des Douze tables, qui parut quelques années après, c’est-à-dire l’an de Rome 307, n'ait rien statué sur lexposition des enfants. Elle reproduisit, il est vrai, celle de Romulus qui concerne len- fant monstrueux ; mais chez un peuple aussi susperstitieux, et où la rencontre d’un homme contrefait était regardée comme un mauvais présage, on conçoit que la loi ait dû condamner les monstres , et que le sentiment religieux lait emporté sur le sentiment naturel. « Félicite-toi, » dit Juvénal à l’époux d’une femme qui se fait » avorter pour échapper aux risques de l’enfante- » ment, félicite-toi, malheureux; car si ta femme » consentait à porter dans ses flancs élargis le » fruit tressaillant de sa fécondité, tu serais peut- » être le père d’un Ethiopien , que , malgré sa cou- » leur, il te faudrait inscrire sur ton testament, » et dont tous les matins tu serais forcé d'éviter » la rencontre. » EC ces Æthiopis fortassé pater ; mox decolor hœæres Impleret tabulas , nunquàm tibi manè videndus. MÉMOIRES. 119 Il est donc vrai de dire, que depuis Romu- lus on ne trouve dans les lois romaines aucune disposition qui permette aux pères d’exposer leurs enfants. On doit présumer, au contraire, d’après un passage de Tacite, qu'il y avait, de son temps , des lois qui le défendaient , mais qui étaient tombées en désuétude. « Les Germains, » dit cet auteur, ne craignent pas d’avoir trop » d'enfants; ils ne tuent pas ceux qui dépassent » un certain nombre; ils regardent cela comme » une infamie, et les bonnes mœurs ont plus » de force chez eux, qu'ailleurs les bonnes lois : » Plusque ibi boni mores valent quüm alibi bonæ leges. Du reste, ce qui n’est qu’une conjecture par rapport aux temps de Tacite, se tourne plus tard en certitude. Les Empereurs chrétiens ne se contentèrent pas de fonder des établissements en faveur des enfants trouvés, sous le nom de brephotrophies ; ils déclarèrent punissable celui qui exposerait ses enfants. On trouve au livre 8 du Code, titre 2, de infantibus expositis, plusieurs dis- positions du plus haut intérêt , notamment celle qua déclare libre, par le seul fait de son exposition , tout enfant abandonné, nonobs- tant les titres de propriété qui pourraient être établis par une réclamation ultérieure, et sans préjudice des peines encourues par les auteurs de l'exposition , dont linhumanité, pire qu’un homi- cide quelconque, dit Justinien, est d'autant plus affreuse qu’elle s'exerce sur des êtres plus mal- 120 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. heureux. Enim verd hberos esse sancimus, ne illis quidem, qui hæc faciunt, irrogandas ex legibus nostris pœnas effugientibus, velut omni refertis inhumanitate et crudelitate, quæ tantd quovis homicidio pejor est, quantd miserioribus eam inferunt. Noble et touchante réaction de la loi, qui, en déshonorant le coupable, ennoblit la victime, et fait de l’infortune un titre à la li- berté ! Il y a une coutume en Espagne qui me semble inspirée par ces belles paroles. On dit que les enfants trouvés y sontréputés nobles. La liberté, en effet , n’était-ce pas la noblesse de l’esclave ? Maintenant que je crois avoir établi, Messieurs, contre l'opinion vulgairement reçue, que posté- rieurement à Romulus, le père qui avait droit de vie et de mort sur ses enfants, n'avait pourtant pas celui de les exposer ; que le second de ces droits ne pouvait être surtout une conséquence du pre- mier, puisque l'autorité paternelle, par son éten- due même, impliquait au contraire le devoir de les élever; je vais m'occuper du fait même de exposition, soit qu’elle ait été pratiquée avec la tolérance de la loi, soit qu’elle ait échappé à son action. Pour le développement de ce double point de vue, j'invoquerai successivement le té- moignage de la philologie et celui de la littérature. Quand nous ne saurions pas, d’après le pas- sage de Denys d'Halicarnasse rapporté plus haut, que du temps de Romulus, et certainement avant lui, l'exposition libre était pratiquée dans cer- taines limites, nous en trouverions les preuves MÉMOIRES. 121 dans quelques-uns des termes de la langue latine. Même quand les usages ne sont plus, les mots qui les exprimaient subsistent encore, sinon avec une valeur réelle et littérale, du moins avec une valeur symbolique semblable à ces médailles qui consacrent un souvenir. Aussi ne peut-on séparer l'étude des mœurs de l’étude des langues ; ce sont deux choses qui s’illuminent réciproquement. On trouve, en effet, dans la légende mythologique, une déesse qui s'appelait Levana, qui avait des autels à Rome, et qu’on invoquait à l’occasion de la naissance des enfants, /evandis de terr4 pueris, dit saint Augustin. Il est impossible de ne pas reconnaître que le culte de cette déesse avait dû naître à une époque où le père pouvait délibérer entre la reconnaissance et l'exposition, et qu’il ne subsista que pour mémoire et comme tradi- tion, alors que la loi ne laissant plus l’alterna- tive au chef de la famille, lui imposait l’obliga- tion d'élever et de nourrir tous ses enfants. Cest ainsi que le mot tollere, primitivement employé pour exprimer laction réelle par laquelle le père ou son représentant relevait de terre l’en- fant qui y avait d’abord été déposé, resta plus tard dans la langue pour signifier, non plus ma- tériellement , mais moralement, l’action qui con- siste à élever des enfants. Mais , indépendamment du témoignage des mots, il est certain que, sans tirer à conséquence, et sans avoir désormais au- cune signification sérieuse , l’usage s'était maintenu de déposer l'enfant à terre aussitôt qu'il était né, KOME V, PART, IT, 9 129 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. et d'attendre l’ordre du père ou de son représen- tant pour le relever. Ce n’était plus sans doute alors qu'un simple hommage rendu à lautorité paternelle, ou à la divinité sous les auspices de laquelle on plaçait l'enfant au début de la vie. Quoi qu'il en soit, usage dont il s’agit est cons- taté par plusieurs passages dont je vais rapporter quelques-uns. &Il résulte des actes du sénat , dit Suétone » dans la vie d'Auguste, que C. Létorius, jeune » patricien, cherchant à se soustraire à la peine » sévère qui frappe l’adultère, invoqua et son » âge et sa naissance, mais que surtout il allécua » qu'il était le possesseur, et en quelque sorte » le gardien du sol qu'Auguste, en naissant, » avait touché d’abord. Ésse possessorem D » quod”‘primüm divus Augustus "nascens atti- » gisset..…. » Néron naquit, dit le même biogra- phe, au lever du soleil, si bien qu'il fut frappé de ses rayons avant que de toucher la terre. Nero natus est exoriente sole, penè ut radis prius quüm terr4 contingeretur. Rappelons quel- ques mots de Pline qui peuvent faire penser que Vusage de déposer les enfants à terre, au sortir du sein maternel , était encore comme une signi- fication philosophique de son misérable début dans la vie, et de son impuissance complète sil se trouvait jamais réduit à lui-même. « L’homme, » dit-il, est, en naïssant, jeté nu sur une terre » nue : Hominem tantüm nudum et in nudä humo » natali die abjicit. » MÉMOIRES. , 123 Ainsi la langue , l’histoire et la philosophie cons- tatent concurremment qu'il y eut une époque, à Rome, époque sans doute très-reculée, où la pra tique d’un certain cérémonial était nécessaire pour légitimer la naissance d’un enfant , et où l'absence de cette pratique équivalait à un ordre d’exposi- tion ; elles établissent de plus que, lorsque le droit d'exposition fut retiré au père de famille, le cé- rémonial subsista encore comme une lettre morte, ou si l’on veut, pour être la vivante archive d’un droit que le progrès de la civilisation avait anéanti. C'était une sorte d’assaisonnement à la joie de la famille ; et le père, rendu par la loi à toute la vé- rité de la nature, aimait à renchérir sur le bonheur présent par un vague souvenir du passé. Je n’insiste pas sur ces preuves, qu'il serait facile de multiplier, et je me hâte d’arriver aux témoignages littéraires. Je pourrais en tirer un grand nombre de la comédie latine, où l’on rencontre fréquemment une exposi- tion dans l’avant-scène, et une reconnaissance au ‘dénouement. Mais comme les mœurs du théâtre de Plauteet de Térencesont presquetoujours grecques, ou au moins très-anciennes, jaime mieux recueillir dans des auteurs latins plus récents , quelques dé- tails relatifs à la fréquence des expositions, alors qu’elles se pratiquaient en dehors de la loi, avec audace et impunité , et venaient ajouter aux preu- ves déjà si nombreuses de la corruption des fem- mes chez les Romains. Elles faisaient d’abord tout ce qui était en elles pour éviter de devenir mères. « Livrées de préférence, dit Juvénal, au com- 9: 124 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. » merce des eunuques , elles trouvent ce commerce » d'autant plus délicieux, qu’elles n’appréhendent » point une barbe importune, et n’ont pas besoin » de se faire avorter. Mais afin que la volupté n’y » perde rien, elles ne les livrent au fer que Jors- » que les organes, ombragés d’un poil déjà noir, » se sont bien développés : alors Héliodore les » opère au seul préjudice du barbier, et ils peu- » vent braver-Priape lui-même. » Testiculos , postquäm cœperunt esse bilibres , Tonsoris damno tantum rapit Heliodorus. ..... Nec dubiè custodem vitis et horti Provocat. Dans ce même but de stérilité, elles pratiquaient aussi l'avortement, comme l'indique une circons- tance de ce passage, et comme Juvénal le dit expres- sément dans un autre de cette même satire que jai déjà eu occasion de citer. Mais lorsque , à leur grand regret, elles n’avaient pu SRPSERRS leurs entrailles d’être fécondes, alors il n’y avait qu'un moyen de se soustraire aux devoirs de la maternité et aux ennuis de l’allaitement, de con- server tous les plaisirs du luxe, et tous les avan- tages de la liberté. C'était de faire exposer leurs enfants. Pour se dédommager de cette viduité volontaire, pour charmer leur solitude dans les moments qu’elles ne donnaient point à des nains à grosse tête, achetés à grand prix, et dont elles faisaient aussi leurs délices , elles élevaient des singes, des rossignols, des perroquets et de petits poussins, comme dit saint Clément d’A- MÉMOIRES. 125 _lexandrie dans son Pédagogue ; filios domi natos exponunt, gallinarum autem pullos excipiunt. Alors ces malheureux enfants étaient portés sur la place du marché aux herbes, À foro olitorio , et déposés pendant la nuit, comme nous le ver- rons plus bas, auprès d’une colonne appelée Lac- taria, dont Publius Victor marque emplacement, et dont Festus nous apprend la destination. Lac- taria columna in foro olitorio dicta , quod ibi in- Jantes lacte alendos deferebant. Quelle était cependant la chance de ces enfants abandonnés, avant l’époque où, comme je ai dit plus haut, quelques empereurs chrétiens fondèrent pour eux des asiles de charité ? C'était là que la for- tune exerçait ses plus singuliers caprices , s’il faut en croire Sénèque et Juvénal, et qu’elle se plaisait à leur donner des rangs dans un ordre tout-à-fait op- posé à celui de leur naïssance. Quelquefois un ba- teleur , comme on en vit, dans de semblables cir- constances, au moyen âge, recueillait un certain nombre de ces enfants exposés, les mutilait, l’un d’une façon, l’autre d’une autre, et cherchant à vain- cre la lassitude de la pitié par la variété des émotions, exerçait la mendicité en grand, et ne craignait pas de décorer son industrie du nom d'humanité. Une des controverses de Sénèque porte pour titre : Quidam expositos educabat, et debilitatos mendicare cogebat, ut sibi merce- dem referrent. Accusatur læsæ reipublicæ. Je vous épargnerai les raisonnements de laccusation et de la défense, qui ne laissent pas que d’être fort: 126 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. singuliers, et je me borne à quelques lignes qui sufliront pour vous donner une idée de ces sortes . d'ouvrages qu’on a si justement appelés déclama- tions ; cest l’accusateur qui parle. « Pénétrons ‘» dans cette officine de calamités humaines. Cha- » cun a pour industrie une infirmité particulière. » Celui-ci a les yeux arrachés, celui-là les pieds » brisés. Quoi! vous êtes saisis d’un mouvement » d'horreur? Mais ce sont des actes de sa pitié ! » Îls seraient morts, dit-il, sans lui : est-ce qu’ils » ne sont pas plus malheureux de vivre ainsi ? Ils » seraient morts, dis-tu ; demande à tous les pères » s’ils ne aimeraient pas mieux. Combien d’hom- » mes courageux, combien de tyrannicides , com- » bien de prêtres pouvaient s'élever du milieu de » ces enfants! Remontez plutôt au berceau de » notre histoire ; n'est-ce pas un enfant exposé qui » a commencé l’ouvrage de la grandeur romaine ? » Nüm ex häc fortuné origo romanæ genus » apparut ? ». __ Quelquefois la chance était meilleure ; et tan- dis que lenfant du noble, horriblement mutilé, . servait peut-être d’instrument à un infâme trafic, celui dun prolétaire, ou même d’un esclave, en- trait inaperçu dans les plus nobles Po, in- troduit cette fois par des épouses auxquelles il ‘ importait d’être mères. Cet autre jeu de la for- tune a fourni à Juvénal l’un de ses plus éloquents morceaux. Presque à la fin de sa célèbre satire contre le mariage, devenu plus vigoureux à mesure qu’il avance, comme un dense est plus MÉMOIRES. 127 majestueux près de son embouchure, voici avec quelle verve heureuse et féconde il retrace lune des plus tristes déceptions du mariage, en même temps qu'il inflige à l’orgueil humain lune de ses plus sanglantes ironies. «Je n'insiste ni sur les suppositions d'enfants, » ni sur la perfidie de ces femmes, qui, se jouant » des vœux et de la joie d’un époux, lui rappor- » tent, des bords de l’infâme Vélabre, des héri- » tiers dont il se croitle père. Cest là qu’elles » ramassent ces êtres délaissés, qui seront admis » au rang des prêtres Saliens, et porteront les » noms des Scaurus en dépit du sang qui coule » dans leurs veines. La fortune bizarre veille pen- » dant la nuit sur ces enfants tout nus; elle leur » sourit, les réchauffe dans son sein, et glisse » dans les palais ces acteurs mystérieux réservés » pour son théâtre. ..... Stat fortuna improba noctu , Arridens nudis infantibus ; hos fovet ulnis Invoboitque sinu : domibus tunc porrigit allis, Secretumque sibi mimum parat. En résumant ce petit travail fait avec tout Pempressement que je devais à la demande dun honorable confrère, mais beaucoup trop vite pour cette compagnie et pour limportance d’un pareil sujet, je crois pouvoir toutefois tirer les con- clusions suivantes des recherches auxquelles je me suis livré: 1.0 Qu'il faut remonter bien au delà de la loë des Douze tables , pour retrouver quelques traces 128 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. d’une législation qui aurait toléré l’exposition des enfants; qu’à partir de l’an de Rome 277, au plus tard , cette tolérance n’a plus existé, et qu'aucune loi ne la depuis fait revivre; 2.0 Que plusieurs lois, au contraire, notamment sous les empereurs , Pont formellement condamnée dans les termes les plus explicites, et par les plus hautes considérations de religion et d'humanité; que le droit de vie et de mort, donné au père sur les enfants par la loi, n'implique pas celui de les exposer, et procède, au contraire, d un prin- cipe diamétralement opposé ; 5 3.2 Que la cérémonie indiquée par le verbe tollere , et pratiquée à l’occasion de la naissance des enfants, comme le témoignent des passages de Suétone , était purement symbolique , et n’avait plus aucune valeur ni aucune conséquence civile; 4.2 Que toutefois les expositions furent très- fréquentes, maloré la défense des lois, surtout dans les temps D corruption; qu’elles vinrent augmenter le chaos, la confusion et le pêle-mêle d’une société composée d’ailleurs de tant d’élé- ments hétérogènes, et que la littérature, tant sacrée que profane, en s’emparant aussi de ce côté des mœurs romaines , a flétri par d’éloquents tableaux cette violation des premiers devoirs qu'impose la société et des premières lois de la nature. \ MÉMOIRES. F301: RECHERCHES SUR LES ÉPOPÉES MÉRIDIONALES. 1. Mémotre. Par M. ou MÈGE. La Muse de la Poésie épique précède dans l’ordre des temps la Muse de l'Histoire. L’épopée n’était sans doute d’abord qu’un récit des événements arrivés dans un autre âge. Homère ne fut point le contemporain des héros qu’il a célébrés; mais au- cune chronique n’avait encore redit leurs exploits lorsqu'ils furent chantés par ce poëte. L’épopée doit être, dans les premiers temps, l’expression du génie des peuples qui ne sont pas encore entrés dans les voies de la civilisation. Plus tard , elle a moins de vérité, de vie. Sans doute , il y a plus d'élégance dans ses formes, son langage est plus épuré ; mais on s'aperçoit que l’art a remplacé la nature , que le travail et l’esprit ont succédé à la faculté créatrice. J’ai dit que l’épopée ne fut que le récit des événements; j'aurais pu ajouter qu’elle ne présenta L 130 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. souvent qu’un recueil de fables , ou de traditions populaires , tantôt n’embrassant qu’une action unique , tantôt présentant la réunion de plusieurs mythes, qui sont aussi des événements, si on leur accorde quelque confiance : souvent ne s’occupant que d’un seul héros, plus souvent encore mon- trant toute la série des aventures, vraies ou suppo- sées, de plusieurs. Et qu’on ne croie pas qu’une épopée, pour être digne de ce nom, doive ressem- bler au plus ancien poëme connu; qu’il y aitune loi rigoureuse qui prescrive à toute composition de ce genre d’être soumise à des règles établies d’après des critiques qui ne sont pas poëtes. Nous n’ad- mettrons pas non plus, avec le P. le Bossu, que le sujet d’un poëme épique doive être constamment une vérité morale , présentée sous le voile de lallégorie , en sorte qu’on n’invente la fable qu’a- près avoir trouvé la moralité, et qu’on ne choisisse les personnages qu'après avoir inventé la fable : ce serait rendre peut-être toute épopée impossi- ble. Nous ne dirons pas cependant, d’une manière absolue , comme l’abbé Terrasson, que, sans avoir égard à la moralité, on doit seulement prendre pour sujet d’une épopée l’exécution d’un grand des- sein... Il nous semble que Epopée ne doit pas être resserrée dans des bornes si étroites , et que celui qui a redit, avec talent, un ou plusieurs faits his- toriques , en les embellissant par le charme de la fiction et des vers, peut avoir fait une épopée ; nous croyons même que des récits historiques , mais où le merveilleux se mêle à la vérité , où MÉMOIRES. 131 l'invention le dispute à la sévérité de l’histoire, peut, même en prose , constituer aussi une épo- pée. Enfin , pour nous , une légende semée de faits surprenants , alors qu’elle n’embrasserait que la vie d’un seul personnage , soit réel soit mythique , pourrait former une épopée. Ainsi la réunion des diverses romances espagnoles, dont le Cid est le héros ,; forme un véritable poème épique, aussi bien que l’Héracléide, PAchilléide , les Dionysiaques , chez les peuples de l'antiquité. Ainsi nous reconnaîtrons encore plusieurs épopées dans les récits, soit tronqués , soit complets , des aventures , des combats et de l’héroïque mort de Roland. J'ai nommé à dessein ce paladin si fameux , parce que son souvenir ou sa légende a euparmi nous toute la renommée populaire qu’Achille , Agamemnon , Hector et Ulysse eurent jadis chez les Grecs , et que son nom est conservé dans les traditions , dans les fragments épiques qui exis- tent encore dans la bouche des habitants des Pyrénées. Les divers poëmes dont Roland a été le sujet appartiennent essentiellement au Midi de la France, et sans entrer dans des discussions, au moins inutiles, au sujet de l’origine des épopées du cycle carlovingien , il nous paraît hors de doute que c’est dans nos contrées qu’il faut recher- cher le type de la plupart de ces compositions, qui, conservées aujourd’hui en vieux français, ne sont cependant que des traductions plus ou moins fidèles des ouvrages écrits dans cette partie de 132 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. la Gaule qui, de embouchure de la Garonne, s'étend jusqu'aux frontières de l'Italie. Abandonnée par les Romains aux Visigots qui Sy établirent, cette portion de la France actuelle demeura tôbte Romaine , et le joug de ses nou- veaux possesseurs ne fut pas assez fort pour y effacer toutes les traces d’une civilisation qui du- rait depuis près de cinq cents années. La Gaule méridionale était encore fière de ses orateurs, de ses avocats , de ses poëtes. Ses orateurs dé- clamaient encore et faisaient des harangues et des panégyriques ; ses avocats montraient toutes les ressources de leur dialectique , toute leur profonde connaissance des lois, laissées, avec tant de générosité, aux vaincus : ses poëtes faisaient en- core des vers : on chantait leurs joyeuses chansons latines à Narbonne , à Toulouse, à Béziers. Ils cadençaient avec grâce des distiques, des épigram- mes, des jeux de mots même, en l’honneur des belles épouses de leurs nouveaux maïtres.... En ce temps Sidonius Apollinaris faisait des inscriptions délicates pour la reine de Toulouse. Insoucieuse, moqueuse , et galante et pieuse à la fois , la Gaule approchait, sans peut-être trop sans apercevoir, car la transition ne s’'accomplit qu'avec lenteur, de l’époque où la langue Romaine, dégénérée, cor- rompue, allait par lé mélange de does die mes et par des transformations grammaticales , n'être plus que la langue Romane , langue qui devait, avec quelques tésères différences locales, devenir celle de presque tous les peuples de Pan- MÉMOIRES. 133 cienne Europe latine. Nous trouvons des traces de cette langue dès le VL.e siècle, ou plutôt des pieuves de la corruption irréparable de la langue des Romains. Déjà des transmutations de voyelles changeaient le son des mots, et oubli des règles allait chaque jour croissant. On croit trouver des preuves (1)que vers la seconde moitié du VIL.° siè- cle , la langue Romane était distinguée de la lan- gue Teutonique (2). On en trouve , comme le dit M. Raynouard, des vestiges sous le règne de Char- lemagne (3); on croirait même en reconnaitre des traces à une époque bien antérieure au règne de ce grand homme, et, selon les ingénieuses remarques de M. Raynouard , ces traces nous rameneraient, vers la fin du VI. siecle, dans le Nord de l'Espagne et le Midi de la France. Une charte donnée par Alboacem , émir de Coimbre , en lan 734, charte qui fut rédigée en latin , ren- ferme plusieurs mots romans. Luitprand (4), rap- portant des faits relatifs à l’année 728 , montre que déjà à cette époque , parmi les dix langues parlées alors en Espagne , il fallait compter la V'alencienne et la Catalane ; qui sont, comme on le sait, des dialectes de la langue once Saint Adhalard , évêque de Corbie, a été loué par un de ses disciples , Paschase Ratbert , qui a dit de (1) Meyer. Annal. Flandr. 6. (2) Mabill. Analecta vetera. 170. (3) Recherches sur l'ancienneté de la langue Romane. (4) Luitprand. Ticin. Episcop. chronicon. 372. 134 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. ce prélat que lorsqu'il parlait la langue vuloaire , ses paroles coulaient avec douceur, et que lorsqu'il parlait la /angue barbare , nommée Théotisque, il brillait par la charité. Gerard de Corbie , qui a écrit aussi la vie d'Adhalard , assure que lorsque ce saint personnage parlait en langue vulgaire, c’est-à-dire Romane , qui si vulgari , id est, Roman lingué ; on eût dit qu'il n’en connaissait point d'autre (1). Adhalard était né vers l'an 790. M. Raynouard a montré que l’histoire fournit plusieurs faits qui permettent d'assurer que , sous _ le règne de Charlemagne , l’idiome roman avait prévalu comme idiome vulgaire. Les serments pro- noncés en 842, à Strasbourg, par Louis le Ger- manique , et par les Français soumis à Charles le Chauve, prouvent que les uns se servaient de la lan- guethéotisque, les autres de la langue Romane, c’est- à-dire, suivant Fauchet (2), d’une langue pareille à celle dont se servent à présent les Provençaux , Catalans ou Languedociens. Cette langue était déjà toute formée vers le milieu du IX. siècle, comme le disent dom de Vic et dom Vaissete (3). On au- rait une preuve bien précieuse de la culture de cette langue au IX:° siècle , si Pépitaphe en vers du duc Bernard, tué dans l’abbaye de Saint-Saturnin , (1) Bolland. Acta Sanct. januar. I. 109, 116. (2) Recueil de l’origine de la langue et poésie françoise , Ryme et Romans. c. 4. (3) Histoire générale de Languedoc. 1. 327. MÉMOIRES. 135 en 844, par Charles-le-Chauve lui-même, n’é- tait pas une pièce fabriquée plus tard. Comme il est démontré qu'au VIILE et au IX. siecle la langue Romane était la langue vul- gaire des contrées méridionales , qu’on nomme quelquefois Aquitaine , dans les vieux auteurs , il semble qu’on pourrait en conclure que cette lan- gue a eu dès lors des poëtes, et qu’ils ont pu chanter des faits presque contemporains ou peu éloignés de l’époque où ils vivaient. Cependant comme Vune des premières épopées est composée sur un personnage dont on conteste l’existence historique, et que ce personnage est placé parmi les paladins qui accompagnaient Charlemagne , on ne peut croire que les épopées dont il est le héros , aïent été écrites durant le règne de ce grand prince, ou pendant celui de ses successeurs immédiats. Il faudrait donc reporter vers le commencement de la troisième race l’origine de ces poëmes, à moins qu’on ne voulüt reconnaître dans ce héros l'amiral Ruthland ou Roland, dont parle Egcinhart, et dont on aura embelli la vie par des traits extraordi- maires dont le souvenir , encore subsistant chez les peuples , aura été emprunté à une antique mytho- logie. Un écrivain moderne n’a pas été embarrassé à ce sujet (1). Suivant lui, « épée était autrefois, aux yeux du vulgaire, un vengeur , un protec- teur , le Seigneur et le Maitre du pays, et Von (1) M. L. de Musset. Mémoires de l’Académie celtique. 111, 367, 368. 136 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. a pu dans la langue des anciens Germains, ou des Teutons , l'appeler Herr of land, et de cette expression , les Français auraient fait, par con- traction , Erovland, Rovland, Roland... Clovis, dont nous avons fait Lous , Comes stabuli , dont nous avons fait Connestable , offrent rien de plus extraordinaire. Dans le XI.‘ ou XILe siè- cle, lorsqu'on composa sur Charlemagne et ses douze pairs, les fables que le génie de lArioste a rendues si aimables , on remit dans la main d’un jeune seigneur , le plus brave entre les braves, l'épée par laquelle le magnanime empereur com- mandait à tant de peuples. On donna à ce jeune seigneur un nom qui rappelle celui de épée, Sei- gneur où Maitre du pays. On composa au paladin une légende des plus singulières... , et sa propre épée, à laquelle on donna un nom particulier, fut conservée comme une relique.» Ce système sera considéré, peut-être, comme plus ingénieux que solide, et il serait en effet assez difficile de prouver que ce sont les Francs qui ont imposé à l’un des points les plus élevés des monts Pyrénéens le nom de Brèche de Roland, et qu’on leur doit aussi la dénomination du Pas de- Roland près d'Itzaxou dans la Basse-Navarre , et celle des Ferradures dell Cavall de Roland dans le Roussillon. Cependant, comme dans plusieurs villes de Saxe et d’autres parties de l'Allemagne, on voit dans les marchés publics, des colonnes sur lesquelles on a sculpté une épée , ou que quelquefois ces colonnes sont surmontées de la statue d’un homme armé MÉMOIRES. 137 d’une épée, et qu’en général on croit que ces co- lonnes ornées d’une épée sont consacrées à Roland, et que ces statues sont celles du vaillant paladin , on pourrait trouver là une confirmation de léty- mologie que nous avons fait connaître. Il est vrai qu’on a voulu y voir des symboles de la haute justice, et l’on a dit que ce nom de colonnes de Roland, venait de Rugen , ancien mot saxon , qui signifie dénoncer en justice , et de land, pays. Mais cette étymologie n’est pas aussi heureuse que celle que nous avons rapportée. Sans rechercher néan- moins à pénétrer dans ces ténèbres mythologiques, nous nous bornerons à remarquer que les principales circonstances de l’épopée de Roland se rapportent à nos provinces, et que c’est apparemment aussi dans nos provinces que ces circonstances si poétiques fu- rent d’abord chantées. Ainsi les premières épopées où le paladin a été célébré nous appartiendraient. Plus tard, des traductions , des imitations de nos poëmes en langue Romane auraient été faites en Français, et, comme il est quelquefois arrivé, ces copies , assez informes , auront contribué à faire perdre les originaux. Je wignore pas qu’on peut chercher à réfuter cette origine , en montrant que le premier ouvrage sur Roland, ou plutôt sa véritable chanson de Gestes , est toute française, et que ce Carmen Ro- landi a été chanté dans l’armée de Guiliaume le Conquérant, avant le combat qu’il livra à Harold IH. Tunc cantilena Rolandi inchoata, ut martium virt exemplum pugnaturos accenderet. Mais, à cela , TOME V. PART, LI. 10 138 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. on a répondu que ce Carmen était, non pas l’his- toire du prétendu neveu de Charlemagne, mais plutôt un chant guerrier des anciens compagnons d'armes de Ro! ou Rollon , premier duc de Nor- mandie. « Qu'aurait eu de bien encourageant pour des soldats Normands prêts à s’élancer sur leurs ennemis, dit un critique (x), la désastreuse aven- ture d’un Français, trahi par un autre Français, en combattant sur les frontières d’Espagne contre les Sarrasins? Tout ce qui concerne Charlemagne, était encore comme étranger aux hommes du nord, qui, devenus chrétiens, parce que la politique de Rollon l'avait porté, en 912, à se faire bapti- ser , étaient bien éloignés, en 1066, d’avoir ou- blié les anciens usages de leurs aïeux. On sait que les disciples d’Odin, les Scythes, transplan- tés dans les contrées septentrionales de Europe, chantaient des hymnes en allant au’ combat. » Et comme, selon Hérodote, ces Scolotes ou Scy- thes adoraient la Divinité sous la forme d’une épée, le Chant de Rol aura pu bien être consacré à célébrer l’épée comme dominatrice, mais non pas le paladin que les légendes donnent pour neveu à Charlemagne. Que sil y a eu une chanson de Gestes pour celui-ci, un Carmen Rolandi, il n’aura été qu’une traduction d’un poëme en langue Romane, comme en grande partie ouvrage attri- bué à PArchevèque Turpin, sous le titre de 7ita (1) M. L. de Musset. Mémoires de la Société royale des Antiquaires de France. 1. 166. MÉMOIRES, 139 Caroli Magni et Rolandi. Cette chanson de Roland maurait même été composée qu’à l’époque de la première croisade. Il y aurait eu en eflet alors de l’à-propos à la chanter, pour rappeler aux Français leurs anciens combats contre les Musulmans, leurs succès , et aussi la mort glorieuse du plus brave des chevaliers. J'ai, comme beaucoup d’autres, recherché en vain la chanson de Gestes de Roland en langue Romane ; seulement quelques indications fugitives, recueillies en 1823, ont pu me donner des espéran- ces qui dans la suite ont été trompées, et je n'ai retrouvé sur ce sujet que des légendes populaires et une chanson, assez moderne, sans doute , mais qui, composée dans l’un des nombreux dialectes en usage dans nos contrées, n’est peut-être que la traduction d’une pièce bien plus ancienne et qui aura totalement disparu. Je m’occuperai de ce chant héroïque et élégiaque à la fin de ce Mémoire, consacré seulement à recueillir ce qui est relatif aux épopées relatives à Roland. L'ouvrage en prose latine, intitulé 7/ita Caroli Magni et Rolandi est bien, par le merveilleux qui y règne et par la marche qui y est suivie, une sorte de poëme épique. L'auteur des Grandes Chro- niques de France, n’a pas moins jeté d'intérêt sur la mort du noble guerrier, et l’on remarque que de grands poëtes n’ont pas dédaigné d’imiter son récit. Dans cet ouvrage, après avoir, de son épée Durandal, pourfendu un Sarrasin , le valeureux Roland se fait jour jusqu’au lieu où est Mar- 10. 140 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. sille et il le tue. « En ceste bataille, dit l’auteur , tous les compaignons de Roland furent tués , et lui navré de quatre lances et griefvement féru de perches et pierres; mais toutesfois par laide de nostre Seigneur , il échappa vif d’entre les Sar- rasins. » Quant Belligant sçut la mort de son frere Marsillan, s'enfuit luy et ses Sarrasins. Beaudoin et Thierry estoient dedans le bois et se mussoient pour la paour des Sarrasins, et Charlemaigne et ses gens qui rien ne sçavoient de loccision des chres- tiens, passoient les ports de Césarée. Lors com- mença Roland, ainsi blessé qu'il estoit a aller parmi le champ de bataille , dolent de la mort de tant de nobles hommes qu'il voioit, et s’en alla droict a la voye tirant aprez Charlemagne parmi le bois. Tant alla qu'il vint jusqu’au pied de la montaigne de Césarée , au-dessoubs de la vallée de Roncevaulx ou il treuva ung beau preau d'herbe vert auquel avoit ung bel arbre et grand perron de marbre. Là descendit de cheval et s’assit pour soy reposer, car ilestoit si las des grans coulps qu’il avoit donnés et receus qu’il se treuva si malade que plus ne se pouvoit soustenir , et se mist le visaige vers Espaigne en faisant de griefves complainctes et surtout regrettoit son oncle Char- lemaigne et dist que, pour le reconforter , il vou- loit qu'il le trouvast mort, le visaige devers les ennemis, affin qu'il ne dist pas qu'il eust fuy, et lors tira son espée Durandal toute nue, et apres qu'il leust longuement regardée, il commença a MÉMOIRES. 141 la recretter comme en plorant et disant : « Espée trez-belle, claire et flamboyante, remplie de bien et de vertus, celuy qui te portera ne sera deçeu par fantosmes ni illusion , et aura en son ayde la divine vertu : par toy maints Sarrasins ont esté vaincus et la foy chrestienne exaulcée. O quantes fois ais-je par toi vengé le sang de J. C. ! et combien d’ennemys de la foy aie-je par toi occis, tant Sar- rasins que Juifs! j'aurois trop grand doleur si maulvais paresseux chevalier te possedait après moi. Je serroye trop courroussé se Sarrasin, Juif ou aultre ennemy de la foi de J. C. Cavoist en sa possession. Et en ce disant, la leva contre mont et en frappa trois coups sur le perron qui là estoit pour la cuyder briser et rompre de paour qu’elle ne vinst es mains des infideles, et frappa de telle puissance, qu’il brisa ledist perron tout au travers, et demoura son espée saine et entiere. Quant il vist qu'il ne la peut briser, son cor d’yvoire mist en sa bouche , et commença a corner de si grand force comme il peust, affin que s’il y avoit illec près aulcuns chrestiens mus- sez qu'ils allassent a luy et que ceux qui avoient ja passé les ports retournassent et prinssent son espée et son cheval, et sonna son dist cor de si grant force et vertu , qu'il se fendist par la force du vent, et tant s’esforça de souffler qu'il se rom- pit les nerfs et les veines du col. Le son et la voix du cor de Roland alla miraculeusement jus- qu'a louye de Charlemaigne , et avoit ledist Charlemaigne ja logé son ost en une vallée deca 142 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. les ports qui encore est appelée le Vau de Charle- maigne. » Tantost que Charlemaigne eust entendu le cor de Roland , il doubta bien qu'il avoit aulcun inconvénient , et besoin d’ayde et voulut retour- ner ; mais le traistre Gannes qui estoit cause de cette malle adventure , et entendoit bien le cas, dict à Charlemaigne : — Sire , il n’est ja besoing que vous retourniez pour paour que vous ayiez de Roland ; car il a de coustume de sonner son cor a petite occasion , et croy qu'il va de ceste heure chasser et corner après aulcune beste en ce boys. » Quand Roland eust ainsy sonné son cor et que les nerfs et veines luy furent rompues , il commença a affoiblir, et avoit merveilleusement grand soif pour le grand travail qu'il avoit pris et le sang qu'il avoit perdu par les playes qu'il avoit reçues ; et à Beaudouin son frère qui a luy estoit survenu au son du cor fait signe ( parce qu'il estoit si altéré de la peine, chaleur et tra- vail qu’il avoit soubstenu et perdu son sang qu'il ne pouvoit plus parler), qu'il luy donnast a boire. En grant peine se mist d’en chercher, mais treuver n’en peut, et quant il retourna a luy, il le treuva presque mort. Il benist lame de Luy , son cor, son cheval et son espée print, et s’en alla droict a lost de Charlemaigne. Thierry sembla- blement survint la ou Roland estoit avant qu'il mourust. Fermement le commença a plaindre et regretter, et luy dist qu’il garnist son corps et son MÉMOIRES. 143 ame de confession à Dieu. Ce jour mesme , avant la bataille, sestoit le bon Roland confessé et reçeu le corps de Jesus-Christ , ainsi que de cous- tume estoit lors aux vaillants batailleurs. Lors Ro- land leva les yeux vers le ciel, a Dieu se confessa et cria mercy, et sa henoiste ame partist de son corps, et les anges l’emportèrent en perdurable repos ou elle a joie sans fin, par la dignité de ses mérites, en la compaignie des glorieux Martyrs. » Je puis me tromper, mais il me semble que dans les compositions antiques qui ont formé notre goût, nous chercherions en vain un mor- ceau plus simple , plus héroïque que cette belle invocation de Roland à son épée, que cette crainte qu’elle ne passe en des mains indignes de la porter, que cette précaution de se tourner en mou- rant vers l'Espagne , afin que le grand Empereur ne pût concevoir la pensée que Roland avait fui devant les ennemis. Que lun de nos meilleurs poëtes français mette en beaux vers et cette invo- cation et le récit si noble et si simple de la mort de Roland, et nous aurons un chef-d’œuvre de sentiment et de grandeur. Antérieurement au récit en prose que je viens de rapporter, un poëte Français, traduisant ou imitant les poëmes en langue Romane que nous devions posséder, a, dans un ouvrage intitulé : Li Romans de Roncisvals , raconté longuement les derniers exploits et la mort du neveu de Char- lemagne. Ce poëme n’avait pas encore été publié en entier lorsque M. Francisque Michel nous en à 144 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. donné une édition. Déjà, depuis deux années, M. Mo- nin avait fait de l'examen de cet ouvrage le sujet d’une dissertation. Il existe deux copies du Romans de Roncivals ; toutes deux sont à la Bibliothèque royale. L'une, sousle n.°7227/5, est du XIIL:° siècle, mais elle est incomplète, le commencement n’existe plus. La seconde n’est qu’une transcription récente d’un ancien manuscrit. — Le nombre de vers est de huit mille. Les quinze cents premiers forment en quelque sorte l’exposition : le récit de la bataille vient ensuite. On y voit d’abord le message de Ganelon , qui, pour se venger de Roland, enseigne à Marsille le moyen de faire périr ce Paladin et les autres Pairs. Puis il revient , et annonce à Charle- magne que Marsille accepte ses conditions ; aussi- tôt le vieil Empereur, à /a barbe meslée , Vers doulce France à sa grant ost tornée… Roland reste à l’arrière-garde, avec vingt mille hommes. Il reconnaît la trahison qui le livre aux Sarrasins; mais il a sous lui les plus braves guerriers, Olivier, Turpin, Garnier, Baudouin, Thierry. Le lendemain fut le jour fatal de la bataille de Roncevaux : Biaus es li jor , clere est la matinée. Li solaus lieve qui abat la rousée ; Cil ousel cantent parmi cele ramée ; Li arcivesque bers a la messe cantée ; Li coms Rollans la di cuer escoutée , D'une once d’or la li coms honorée. Les Français prennent les armes : les Sarrasins MÉMOIRES. 145 s’approchent : Olivier qui voit que les ennemis sont trop nombreux pour pouvoir les vaincre, engage Roland à sonner de son cor pour appeler du secours. Roland sy refuse. On lui mène son cheval : Li cuens Rollans ne fu pas effraez , Devant lui fut Veillantins amenez. Li cuens i monte com vassaux adurez ; Dist Oliviers li preus et li senez : « Sire compains , envers moi entendez : Vostre olifans , se il estoit sonez, Karles l’orroit , li fort rois coronez. Je vous plevis ( garantis ) ja serroit retornez Secorroit nous par vives poestez. » Respont Rollans : « Ce seroit folletez. Ja Dieu ne place, qui en crois fut penez Et ou sepulcre et couchiez et posez , Æt au tiers jor de mort resuscitez , Droit a enfer fu ses chemins tornez, Por ses amis traire de dolentez , Que mes parrastres soit ja par moi grevez. Ainsi ferrai de Durandart assez , Ma bonne espée qui me pent à mon lez. Tous en seront mes braus ensanglantez. Felons paiens tous nous ont enchantez : Miex ains morir que face tex viltez ! » Néanmoins, après avoir longtemps résisté aux instances d'Olivier, qui le prie de faire entendre les sons prolongés de son cor, il cède à la prière de PArchevèque : Charles l'entend : mais il est bien loin, et il ne reste plus autour de Roland que cinquante chevaliers. Il les engage à le suivre et à se précipiter comme lui sur l'ennemi : 146 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. Barons François , pensez de Dieu servir , Toutes nos armes ( 4mes ) , mettra en paradis, En saintes flors nous fera tous florir…, ; Puis se tournant vers Olivier, le frère de sa fiancée , il lui dit : Compains , par Deu et par sa Mere, Ensemble certes devons morir biaux frère... Ils s’élancent , Roland coupe le bras du roi Marsille. Les Sarrasins sont repoussés : cent mille d’entr'eux ont été mis en fuite par cinquante chevaliers français. Mais bientôt de plus nom- breux ennemis se présentent. Olivier et Garnier tombent parmi les morts. Les adieux de Ro- land et d’Olivier sont extrêmement touchants , et si pour la plupart des lecteurs le langage des vieux poëtes n’était pas à peu près inintelligible, il est assuré que ce morceau serait souvent ci- té. — Enfin, les paiens triomphent; de tous ceux qui avaient combattu , il ne reste plus que Turpin , déjà blessé, Roland et son cheval. Mais on entend dans le lointain les trompettes de lar- mée de Charlemagne. Les Sarrasins sont en fuite. Le poëte fait gémir Roland sur le sort ré- servé à son épée. Il veut la briser sur un ro- cher , mais le rocher est fendu et l’épée reste entière. Dex ! dits li cuens , sainte Marie ajue. Hé! Durandard , de bonne convéue , Quand je voz laisse grans dolors m'est creue. Toute bataille aurais de voz vaincue MÉMOIRES. 147 Et toute terre en aurais assaillue. Que or tient Karlles à la barbe chenue Ja Dieu ne place qui se mist en la nue Que mauvais hom voz ait au flanc pendue , À mon vivant ne me serez tolue , Qu’au mon vivant voz ait lons tors éue. Tex n’iest jamais en France l’absolue. Roland meurt. Mais on n’est encore parvenu qu’à la moitié du poëme. Il faut venger le héros : la guerre continue. Enfin , Saragosse est prise. Sa citadelle et les cinquante tours qui défendent ses murailles , se rendent. Charlemagne revient à Roncevaux, et là, comme le dit M. Monin, éclate de nouveau l’inconsolable douleur de l’em- pereur et de son armée. Il veut faire ensevelir ho- norablement les martyrs; mais comment distinguer les corps des chrétiens parmi les horribles mon- ceaux de cadavres qui couvrent ces lieux désolés? Charles ordonne à son armée de prier , et le len- demain matin , tous les paiens ont été trans- formés en épines grossières et qui ne fleurissent jamais ; les chrétiens sont honorablement enterrés par leurs compagnons d'armes. Les corps d’Oli- vier et de Roland sont transportés en France ; une abbaye est fondée sur le lieu où ils ont cessé de vivre ; c’est la célèbre abbaye de Roncevaux. On croirait le poëme fini : mais Ganelon n’est pas puni, lui, l’auteur du désastre, lui qui a, en quelque sorte, vendu les chrétiens aux infidèles. Il est arrêté : on l’amène, sans armes, au camp de Charlemagne. On est alors à Blaye, lieu fixé pour la sépulture 148 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. de Roland. L'empereur envoie quelques chevaliers pour dire à la belle Aude que Charlemagne Pap- pelle au camp des Français. On lui laisse ignorer la terrible catastrophe qui lui a enlevé Roland, elle vient. Elle croit revoir bientôt Olivier son frère, et se marier avec son fiancé. Sa bonne tante Gui- bor la pare de ses plus riches atours : il n’y avait pas alors de plus belle Française : Mot fut bele Aude quant el fu acesmée (parée) La grands clartez li fu as vis montée. Soz ciel n’a rose qui si soit colorée Que sa beauté n’ait tote trespassée. Dame Guibors l’a el palais menée Toute la salle en fu enluminée. Cependant de tristes pressentiments , des songes sinistres annoncent à Aude qu'un grand malheur Pattend. Ellearriveau près de Charlemagne. Celui-ci veut lui persuader que Roland et Olivier sont seu- lement absents, ou même qu'ils ont fui chez les Sarrasins : mais elle reconnait qu'ils sont morts, et sa douleur ne peut être décrite. Elle dit à Char- lemagne S Droiz empereres, por les sains Deu merci ! Car me montrez le cor de mon ami Et d'Olivier mon frère le hardi. Li cuens Rollans m’avoit sa fot plevi Qu'il me penroit, cet je li atressi. Iceste amor se départist ainsi Ains me sera li cuers al cors parti. Puis m'en irai avecques mon mari Et a mon frere qui la dolor soffri. Elle obtient la permission de voir les deux ca- MÉMOIRES. 149 davres dans la salle où ils ont été mis, et d’y de- meurer seule. Là, elle prie son frère de lui faire connaître ses volontés. Un ange descend du ciel, : lui parle par la bouche d'Olivier, et lui annonce qu’elle jouira bientôt du bonheur promis aux jus- tes. La voix se tait : Aude revient près de Charle- magne et de son oncle, et elle expire entre leurs bras. Tel est le poème, ou Z Romans di Roncisvals ; car je ne compte pas les quelques vers qui le ter- minent, et qui nous font connaître le supplice de Ganelon. Il y a cependant là un mot qu’il ne faut pas oublier : les barons demandent à Charlemagne la permission de se retirer ; il y consent, mais il soupire, car il songe à Rolana : Li Roi sospire. De Rollans s’est membrez. Ce poëme n’est pas, nous le croyons du moins, tiré de la chronique de Turpin. Nous sommes portés à croire qu'il doit son origine aux tradi- tions Pyrénéennes, traditions qui subsistent encore dans nos montagnes, et qui n’y ont été portées n1 par cette chronique ni par ce Roman de Roncisvals. La première rédaction, car il est bien démontré par le texte même des deux manuscrits, qu'il a été retouché plusieurs fois, la première rédaction doit dater, selon M. Monin, du commence- ment du 13.%e siècle. Il croit y reconnaître la chanson même de Roland, si fameuse en France. Car, par le mot chanson, il ne faut pas entendre, comme aujourd’hui , quelques stances légères. Nous 150 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. avons des poëmes fort longs sous le nom de chan- sons ; celui de la guerre des Albiseois, Cansos dels Eretges d’Albèges, a plus de neuf mille vers, et on en connaît qui en renferment plus de vingt mille. On ne chantait pas sans doute tout un ouvrage , mais seulement quelques parties choisies ; et c’est apparemment quelques-uns de ces morceaux que répétaient les soldats de France au temps du roi Jean, au milieu du 14.%° siècle. Pourquoi chanter Roland ? disait ce prince ; 7 n’y a plus de Roland. — Il y en aura plus d’un quand nous aurons un Charlemagne, répondit un soldat. Dans nos épo- pées Romanes on trouve, dans la forme poétique, des indices qu’on les chantait. Celle des Eretges d’Albèges, composée en longues stances, sur une même rime, montre qu’on pouvait en prendre telle partie qu’on voulait, et la chanter sur un air dé- terminé à peu près pour tout l'ouvrage. C'était, si l’on veut, un récitatif monotone, mais c'était toujours une canso, une chanson. Nous avons beaucoup insisté sur l’origine Ro- mane de l’épopée de Roncevaux. Les traditions relatives à Roland, et que l’on retrouve dans plu- sieurs poëtes italiens, ne paraissent pas avoir pris leur source dans l’ouvrage intitulé : Fita Caroli magni et Rolandi, ni dans les Grandes Chroniques ou dans le Roman de Roncevaux. Aussi l’auteur du poëme de La Spagna, qui n’a pas moins de quarante chants , et qui fut publié en 1519, à Milan, a tout autrement conçu la marche de son ouvrage. Il y a bien là un traîtrenommé Ganelon : on y voit bien MÉMOIRES. 151 les diverses circonstances des derniers combats et de la mort de Roland; mais, malgré l'autorité de M.Ginguené(1), nous ne saurions y retrouver qu’un récit calqué sur ceux qui se répétaient, comme ils se répètent encore , de génération en génération, dans les Pyrénées. Dans le Morgante maggiore, Pulci s’est écarté de ce qu’on est convenu de nom- mer, assez mal à propos, les sources des poésies épiques du cycle carlovingien. Dans le Morgante, presque tous les chevaliers français ayant péri, Roland, après avoir sonné trois fois de son cor d'olifant , accablé de soif et de fatigue, et dange- reusement blessé, se traîne vers une fontaine peu éloignée du champ de bataille. Là il voit périr son cheval Veillantin, et il adresse de derniers adieux à cet ancien compagnon de ses dangers et de sa gloire. Il sent lui-même que sa fin approche; il ne veut pas laisser son épée en trophée à ennemi ; il essaie de briser Durandal sur les rochers, mais ce sont les rochers qui volent en éclats. Tous ceux qui sont échappés au carnage, et qui ont re- poussé les Sarrasins, arrivent ; il les embrasse. Turpin reçoit sa confession et l’absout. Roland prie; l'ange Gabriel apparaît, et Roland enfonce son épée en terre. La poignée est en forme de croix; c’est le signe du salut : il le presse, il Pembrasse, il lève les yeux vers le ciel et expire. « Cela est beau, dit M. Ginguené, cela est pathétique et sublime.» Ajoutons que cela est vrai; je voulais dire que la tra- (1) Histoire littéraire d'Italie. 152 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. dition montrait encore, au temps de MM. Ramond et de Lapeyrouse, c’est-à-dire, à l’époque où nos montagnes furent explorées avec le plus de succès, une cavité, non loin de la Brèche de Roland, cavité que des pâtres faisaient voir dans ces déserts, à plus de 1300 toises au-dessus du niveau de la mer, et qu’ils nommaient /e trauc de l’espazo de Rol- lant. Aux deux extrémités, comme au centre de la chaine, le souvenir de Roland est encore conservé, et partout, sur les deux versants, existent encore des légendes, qui paraissent être les débris d’une même épopée. J'avais essayé d’en réunir les frag- ments épars; mais, pour réussir dans cette entre- prise, il aurait fallu ajouter, recomposer, sou- mettre le tout à un travail uniforme; et je n’ai pas eu le courage, le talent, oserai-je le dire, au- dace de Mac-Pherson. Un seul morceau s’est offert assez complet à mes recherches. Mais faut-il lui at- tribuer une grande ancienneté, et ne voir en lui qu'une traduction ou une imitation d’une très- antique Ballade ? Je ne le crois pas ; et je ne puis en faire remonter la date qu’au 14.%e ou au com- mencement du 15. siècle. Je l'ai retrouvée dans la vallée d’Ausson et dans celle de Lauribarhe, près des Eaux-bonnes, et dans les vallées d’Aure et de Barousse, ainsi qu'a Saint-Bertrand. Ce qui, en outre du sentiment délicat et mélancolique qui semble avoir présidé à sa composition, rend cette pièce remarquable, c’est qu’elle n’est point écrite dans les dialectes en usage dans les lieux que jai MÉMOIRES. 153 nommés; on pourrait la considérer comme une composition Béarnaise. La forme en est incorrecte, les stances irrégulières , et les vers ne sont point rimés. Je ne rapporterai dans ce Mémoire que les premières stances et la traduction de toute la pièce : Honrats los Sans e la Verges, Per gandir vos de pecas e malancia. Atal seres tostems huros Desuens este mon e dins l’aute. Un cavallers qu’ero home de guerra Venguec en los mons de Byren, Le clamavan Rolant , era de gran noblessa E se disia nebot del emperor Karles. Que s’en volia transir en la terra d’Espagna Per cruchir los malvats Josius e Sarrazis, Mes no podia o far perso que los passatges Eron gardats per tot sans les poder issir. En aquet temps bibio üo jouineto santo Deguens una hermila, so pay quera plan riche E qu’era Rey, mas los infiels Sarrasis L’abian aucit et sa filha era en Francia On pregava tostems , on donnava lismona On veillava malaus, on mostraba as romius Lo camis de san Jacques e de Jerusalem, On sanisio los cops e los blaus dels nafratz Ê qu’era del tot mon la vergès plus gentilz.... etc. « Honorez la Vierge et les Saints, pour vous préserver de mal et de péchés; vous serez par là heureux dans ce monde et dans l’autre. » Un chevalier , homme de guerre, vint dans les TOME V. PART, II. II 154 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. monts de Byren ; on le nommait Roland ; il était d’une grande noblesse, et se disait neveu de l’em- pereur Carlos. » Il voulait passer en Espagne pour frapper les méchants Juifs et Sarrasins ; maïs il ne pouvait le faire, parce que les passages étaient trop bien gardés. : » En ce temps vivait une jeune saïnte, dans un hermitage; son père était très-riche, et avait été roi, mais les Sarrasins infideles avaient tué et sa fille était venue en France, » Où elle priait toujours, où elle donnait l’au- mône, où elle veillait près des malades, où elle montrait aux Pélerins le chemin de Saint-Jacques et de Jérusalem, où elle guérissait les coups et les meurtrissures des blessés. » C'était bien la plus jolie vierge du monde, et elle ne le savait pas, ne s’occupant qu’à faire du bien à son prochain , et à prier pour son salut. » On la nommait Angèle , et assurément c'était bien un ange sur la terre. » Elle était blanche comme la neige de Mendi- gorria ; ses lèvres avaient la couleur des roses ; ses cheveux étaient dorés et ses yeux étaient noirs. » Roland entendit parler de la jeune sainte et du pouvoir de ses prières. Il fut implorer sa protection et lui demander les moyens d'entrer en Espagne; » Et Roland était issu d’un sang illustre; il était jeune, et c'était le plus beau chevalier de France; » Quand il vit Angèle, il sentit qu'il ne pourrait MÉMOIRES. 155 jamais aimer une autre vierge, et il fut saisi par un tremblement si fort qu’il ne pouvait parler. » Enfin il demanda des prières et des avis à Angèle, la jeune sainte des montagnes de Byren; » Et elle lui dit : Confessez-vous ; ayez du re- gret de vos fautes; demandez à la sainte Vierge qu’elle obtienne pour vous le don de la force, » Et que votre épée brise les épées et les cas- ques de vos ennemis et fende les rochers , et que votre cheval ait plus de vigueur et soit plus léger à la course que tous ceux des Sarrasins. » Roland obéit, et son épée brisa tous les cas- ques , perça tous les boucliers et fracassa tous les rochers, et il fraya de nouveaux ports pour les soldats de France ; et Carlos le Grand l’aima comme son fils ; » Et Angèle one pour les MSEUE de France et pour re le Grand leur empereur, et l’on dit même qu'un jour elle pria pour Roland, le beau chevalier. » Il revenait alors Roland à la suite de Carlos et des Français ; il passait les ports de César Auguste, et il songeait à Angèle et à sa beauté ; » Et le démon lui inspira en ce temps une mau- vaise pensée, et il en fut puni, car il reçut bientôt une blessure mortelle. » Mais Roland sentit sa faute et s’en repentit ; il s’endormit dans la mort et se réveilla dans le ciel... Angèle priait alors pour Roland, le beau chevalier. » Un messager vint de la part de Carlos le XF: 156 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. Grand remercier la jeune sainte du secours que ses conseils avaient donné aux Français , et aussi pour lui annoncer la mort de Roland, le beau chevalier. » Angèle, la jeune sainte, ne pleura point ; mais elle se flétrit comme la fleur arrachée de sa tige dans la prairie d'Armendaritz. Elle aussi s’endor- mit dans la mort, et elle se réveilla dans le ciel, assise près de Roland , le beau chevalier. » Honorez la Vierge et les Saints pour vous pré- server de mal et de péchés ; par là vous serez heu- reux dans ce monde et dans l’autre. » Cette naïve Ballade, jointe à huit ou dix légen- des, toutes relatives au neveu du grand Empereur, _ auraient pu, comme je l'ai dit, reproduire tout un poëme héroïque sur Roland, si l’on avait su remplir les immenses lacunes que laissent entr’elles ces compositions ignorées. Nous allons analyser dans un autre mémoire, une autre épopée carlo- vingienne. Celle-ci est toute nationale, c’est-à-dire, qu’elle existe en Langue Romane, et elle est encore inédite en cette langue. Charles le Grand en est le héros. Philomène, qui se dit le Waëstre de la historia , en est l’auteur. Cette composition va nous offrir le sujet de notre second Mémoire sur les Épopées méridionales. MÉMOIRES. 197 RECHERCHES SUR LES ÉPOPÉES MÉRIDIONALES. 2,e Mémotre, Par M. pu MÈGE. L'époque la plus noble, la plus poétique de notre vieille histoire, est, sans aucun doute, la grande époque carlovingienne. Un héros lui donneson nom : les ténèbres de la barbarie se dissipent. Dans le centre et dans le nord du royaume, l’université, fondée par celui qui a relevé la couronne de l’em- pire d'Occident, répand d’heureuses clartés. Dans le midi, où les traces du vrai beau n’ont pas été effacées sous les pas des conquérants, la littérature doit reprendre son éclat. Plus tard, Pierre le Vé- nérable parlera avec estime des poëtes latins de Toulouse; et la langue Romane perfectionnée, cul- tivée avec succès, et enrichie par les Troubadours, sera non-seulement la langue de ces chantres ins- 198 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. pirés, mais souvent aussi celle de la religion, de la philosophie et de l’histoire (1). Le cycle carlovingien devait être surtout poé- tique. Nul ne ressemble mieux à celui d’Aga- memnon et d'Achille. La fable y lutte presque toujours avec la vérité. Les héros y apparaissent le plus souvent comme des créations mythiques. Roland, cet Achille des Français , n’est que le type de la valeur, de la générosité, de l’esprit national de nos pères. Le grand Charles lui-même, malgré ses incontestables exploits, nous est quelquefois représenté sous des formes incertaines ou mal ar- rêtées. Les chroniqueurs, les poëtes ,lesromanciers, ont jeté sur les actions de sa vie, le vague, le mer- veilleux, qui caractérisent leurs compositions. La naissance de ce monarque, qui a peu occupé son historien Eginhard , est même enveloppée, dans leurs écrits, de circonstances fabuleuses ; et il ne sera pas hors de propos de les faire connaître ici. Nous n’affirmerons pas cependant , comme M. Jo- hanneau , que ces écrits ne sont qu’une ancienne légende mythologique de la naissance d’un dieu des Francs, nommé Karl, légende imaginée dans (1) Les pièces de vers en langue Romane , envoyées ou lues lors des concours poétiques de Toulouse , offraient toujours une allégorie dévote. Las Flors del Gay Saber , manuscrit conservé par l’Académie des Jeux Floraux , contient une sorte de traité de philosophie : la chronique en prose sur la guerre des Albigeois, les vies des Troubadours , écrites aussi en lan- gue Romane, montrent que l’histoire et la biographie se ser- vaient volontiers de cet idiome élégant et sonore. MÉMOIRES. 199 des temps où il n’y avait pas d’autres annales que des hymnes, et d’autres archives que la tradition et la mémoire, et attribuée ensuite à Charlemagne, comme au dernier et au plus célèbre personnage de ce nom, mais au temps où les Germains et les Gaulois ont connu l'écriture et lui ont confié leurs fables et leurs chroniques. Il est probable cepen- dant qu’une ressemblance de noms a pu faire don- ner au grand Charles des légendes qui ne lui appartenaient pas, et accumuler sur sa vie ces événements si étranges qui en forment en partie le merveilleux tissu. Henri de Wolter , chanoine de Saint Anschaire, à Brême , auteur d’une chronique en latin, qui nest, suivant lui, qu’un abrégé de chroniques plus anciennes, nous a donné une histoire de la naissance de Charlemagne. Il vivait au 15.6 siècle, et Meibomius a publié cet ouvrage dans le tomeIl de ses Scriptores rerum Germanicarum. Voici, dit-il, comment on raconte la naissance de Ghar- .lemagne.— Un roi, nommé Pepin, m'était pas marié, et était très-luxurieux. On lui conseilla de prendre une femme, de peur que le royaume ne demeurât sans héritiers. Il suivit ce conseil. La re- nommée l'ayant entretenu de la beauté de la fille de Théodorick, roi de Souabe, de Bavière et d’Au- triche, il envoya une ambassade solennelle à ce roi, pour la demander en mariage. Théodorick donna son consentement. Les fiançailles eurent lieu. Peu de temps après, Pepin envoya chercher, par trois anciens, ‘et avec un grand appareil, la 100 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. jeune vierge. Ces nouveaux ambassadeurs étant partis, formèrent le dessein de tuer la fille de Théodorick , de lui substituer la fille de lun d’en- treux, de la faire ainsi monter sur le trône, et de se rendre maîtres par ce moyen de toute la puis- sance que le roi Pepin accorderait à sa royale compagne... Théodorick allait envoyer sa fille avec une nombreuse suite ; mais les ambassa- deurs dirent au Roi : « Il n’est pas nécessaire que des personnes de votre famille: viennent avec nous. Nous avons une suite ( fumiliam) suf- fisante. Nous n’avons besoin pour cette fois que de la jeune fille; lorsque le temps des noces sera arrivé, nous vous lannoncerons, et alors vous vien- drez. » Le roi y consentit, et la jeune vierge leur fut livrée toute seule. Ils s’acheminerent, et, parvenus près d’une forêt , au lieu où s'élèvent aujourd’hui les murs de Karlstat, ils jugèrent qu’il était temps d’accom- plir leur dessein. Alors, s’écartant de la route, ils . pénétrèrent dans l’intérieur de la forêt, et allaient tuer la jeune fille, lorsqu'un d’eux, saisi d’un vio- lent remords, s’écria : « Gardons-nous de faire mourir la jeune vierge confiée à notre fidélité : c’est un dépôt sacré qu'il faut rendre.» Mais les deux autres persistaient dans leur mauvais des- sein. Alors celui qui était si bien inspiré, dit à ses compagnons : «Celui qui voudra la frapperme tuera aujourd’hui avec elle; et il la prit entre ses cuisses (inter crura), et tirant son épée, jura qu'il la défendrait. Les autres alors se contentèrent de la MÉMOIRES. 161 laisser seule dans la forêt. Elle y fit la rencontre d’un meunier qui la conduisit chez lui et qui en eut soin. Pendant ce temps, une des filles de l’un des ambassadeurs était présentée au roi Pepin , comme étant la fille de Théodorick ; il Pépousa , et en eut des fils et des filles. — Il arriva dans la suite que Pepin fut chasser dans les lieux mêmes qu’habitait le meunier. La nuit approchant, il entra dans la maison de celui-ci. Il y fut reçu avec respect. Sans le connaître, la fille de Théodorick dénoua ses éperons , attacha son cheval, et lava ses ocrées et même ses pieds ; elle prit son épée et la serra ; elle fit cuire pour lui un pain sous la cendre, elle le servit à table, et lui tendit undit. Le roi voyant deux jeunes filles près de lui, en demanda une au meunier, lui assurant qu’il était puissant, et qu’il ferait la fortune de son hôte, Ce dernier lui livra la fille de Théodorick. Elle gémit, elle pria en vain. Elle conçut du roi dans la nuit même. Le matin, le roi se fit connaitre, dit au meunier de prendre soin de la jeune fille, et lui donna tout l'argent qu’il avait sur lui; il lui commanda en outre, que si elle accouchait d’une fille, il vint le lui annoncer en portant un fuseau et une quenouille, et que si elle accouchait d’un garçon , il vint avec un arc et une flèche. Le meu- nier promit tout ce que le roi voulut, et celui-ci retourna sur ses frontières (ad fines suos ). Le temps de l’accouchement étant arrivé, le roi s’assit à table avec sa femme. Le paysan vint avec Jarc, tira une flèche contre la coupe qui était de- 162 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. vant lui sur la table, et la répandit sur les vête- ments de cette princesse. Aussitôt la reine indi- gnée, dit : «Faites retirer ce Karl (1), qui ne peut porter ni profit ni bonheur.» Tempore partus completo, sedit Rex cum conjuge sud in mens, et rusticus venit cum arcu et sagittat Scyphum in mensé coram Regina et fudit super vestes ejus. Undè ipsa indignata ait : Amovete istum KARL, nunquèm formosus est Mais l’empereur enchanté, s’écria : il sera nommé KARL |» Dans la suite, Karl vient à la cour, et il est élevé avec les autres fils de Pepin. Il ménage la reconnaissance de sa mère. L’usurpatrice du lit du monarque est mise à mort avec ses fils. Le roi prend la mère de Karl pour épouse, et fait celui-ci chevalier. Ce Aarl, ajoute la chronique, fit plu- sieurs guerres. On dit qu’il a combattu, tout ré- cemment, avec les Danois, les Saxons, les Hon- grois et les Espagnols. Hic Karolus multa fecit bella : novissimè cum Danis, Saxonibus, Un- garüs et Hispanis bellum habuisse dicitur. Ce mot novissimè semble indiquer , qu’ainsi qu'Henri de Wolter l'annonce, sa chronique n’était qu’un abrégé de plus anciennes, et qu’il aurait pris dans celles-ci le passage qui vient d’être cité. Il existe une variante dans les récits sur la naïs- sance de Charlemagne. Elle est tirée d’un ma- nuscrit du XIIe siècle , de Pabbaye de Wechent, près Fresengen , et a été publiée à Munich, en 1805, (1) Synonyme de paysan, rustre, rusticus. MÉMOIRES. 163 par le baron d’Aretin. Selon ce manuscrit, Pepin, après avoir été appelé au trône par le vœu na- tional , déclara l'intention où il était d’extirper le paganisme de Allemagne. Il fixa ensuite sa résidence au château de Wechent, comme étant le centre de son empire. Peu après, Koœærling, roi de Brittaia , lui offrit sa fille en mariage. Pepin voulut avoir le portrait de la princesse : il en fut enchanté. Son premier intendant conçut aussitôt le projet de substituer sa propre fille à celle du xoi Koœrling ; il fut trouver celui-ci, obtint que la suite de la princesse ne l’accompa- gnerait que jusqu’à moitié chemin , et que la prin- cesse lui serait remise ainsi qu’à la nombreuse compagnie à la tête de laquelle il irait la rece- voir. À peine la jeune vierge fut en sa garde qu’il la fit conduire dans une forêt voisine , avec ordre de la massacrer. Mais les bourreaux furent atten- dris par sa jeunesse et sa beauté : ils lui laissérent la vie, abandonnant seule dans ce désert. Pour se justifier, ils firent croire à l’intendant qu’ils avaient exécuté ses ordres. Celui-ci présenta alors sa fille au roi, comme étant celle de Koœrling. Pepin l’épousa et en eut deux fils, dont lun fut pape dans la suite et couronna Charlemagne empereur d'Occident. Cependant la jeune princesse, après avoir erré quelque temps dans la forêt , trouva un asile chez un meunier. Elle y passa sept années. Un jour en suivant la chasse , Pepin arriva dans cette retraite. Il n’était accompagné que de son méde- 164 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. é cin, qui, selon l’usage du temps , était un très- savant astrologue. Ce devin dit.au roi que cette : maison recélait sa légitime épouse , celle qui de- vait partager sa couronne. Mais il était difficile de la distinguer, car le meunier avait deux de ses filles dans la maison. Pour ne pas se tromper en cherchant à la connaître et en attendant que quel- que signe céleste vint à son secours, Pepin crut devoir séduire les deux filles ; puis il demanda au meunier sil n’en avait pas d’autres. Celui-ci fit venir alors la princesse. Elle raconta ses mal- heurs. Elle se nommait Berthe ; Pepin en eut un fils, et ce fils fut Charles le Grand. L'auteur du Poëme de Berthe aux grands pieds (1), a sans doute puisé aux mêmes sources (x) Li Romans de Berte aux grans piés. M. Paulin Paris a donné en 1832 une édition de cet ouvrage. Dans sa lettre à M. de Monmerqué , lettre qui sert de préface au poëme, M. Paris avance que Berthe est la même princesse que celle qu’on nomme la Reine Pédauque ; et à l'appui de cette: opi- nion , il rapporte qu’à Toulouse , selon l’auteur des Contes d'Eutrapel , le peuple a l'habitude de jurer pur la quenouille de la Reine Pédauque, et que nous disons volontiers et comme proverbe : du temps que Berthe filait , et que les Ita- liens disent dans le même sens : 20n è più il tempo che Berta filava. Nous ne savons pas si jadis on jurait à Toulouse par la quenouille de la Reine Pédauque , maïs il est assuré qu’au- jourd’hui il n’existe aucune trace de cette habitude. Rabelais, autorité tout aussi respectable en cette matière que celle de l'auteur des Contes d'Eutrapel , parle, non des personnes qui ont de grands pieds , mais de personnes « largement pattées , comme sont les oies , et comme jadis à Tolose les portait la MÉMOIRES. 165 que les chroniqueurs dont nous avons ana- lysé les récits. Cet écrivain florissait vers la fin du XIILe siècle. Il appela dans ou Adenès. Dans son poëme, Berthe est fille du roi de Hon- grie. Pepin, veuf d’une femme qui ne lui avait point donné d'enfants, veut se marier de nou- veau ; il assemble tous ses barons Pour regarder quel feme li pourront aviser… Premier en a parlé Engerrans de Moncler. « Sire , je en sai une , par le cor saint Omer , » Fille au roi de Hongrie , moult l'ai oy locr, » Ïl na si bele fame deça ne dela mer ; » Berte la débonnaire ainsy l’oy nommer, » — Seigneur , ce dist Pepins , n’i a fors du haster , » Car celle veuil avoir a moiller et à per. » Une ambassade est envoyée en Hongrie pour demander Berthe au roi son père ; celui-ci lac- corde : on conduit la princesse en France. Elle arrive à Paris. Après la mi aoust, ne quiers que vous en mente, Par un jour si tres bel qu'il ne pleut ni ne vente, Espousa rois Pepins Berte la bele et gente. * Reine Pédauque. » Nous devons ajouter que les traditions locales sur cette Reine différent entièrement de celles relatives à Berthe. On montre encore dans les Pyrénées les emprein- tes des longs pieds de celle-ci, et l’on raconte que ces em- : preintes remontent à l’époque où cette princesse , destinée à Pepin , s'enfuit non dans les bois du Mans , mais dans les forêts de nos montagnes, où elle fut retrouvée quelques années après par Pepin , à l'instant où il s’avancait avec son armée contre les Sarrasins. 166 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETLRES, Mais Margiste ayant fait croire à Berthe que Pepin pourrait la tuer, Quant lis rois vous devra en connuit compaigner.… Paour ai ne vous tue , si me puist Diex aidier ! Pour la soustraire à ce danger, elle offre à Ber- the de mettre à sa place , dans le lit nuptial, Aliste sa fille, qui, dit le poëte, Miex ressemble Bertain (Berthe) que ne peindroit peignière. Berthe effrayée consent à ce qu’Aliste prenne sa place. Margiste lui fait croire qu’elle doit s’éloigner promptement , Que droit au point du jour convient qu’elle s’atire, Et que mout sagement de lez le roi se vire. Le matin elle est conduite par Margiste dans la chambre nuptiale. Aliste, qui a pris sa place, se blesse et remet à Berthe le couteau dont elle Le. FRANS , s’est légèrement frappée , En sa senestre cuisse a tel cop asseneé Que li clers sans enraie et de lorc et de lé. ÂAliste pousse un grand cri, le roi s’éveille. Elle lui dit : « Ha! rois Pepins , dist elle , je croi por vous oï né, » Quant on me veut meurdrir de lez vostre costé. » Pepin s’éveille , il voit Berthe qu’il prend pour la fille de Margiste , tenant le couteau ensan- glanté. Tybers , cousin de Margiste, s'empare de Berthe. On lui met un bäillon, on la place sur un cheval ; trois sergents accompagnés de Tybers MÉMOIRES. … 416 Pemmènent , on marche pendant cinq jours : enfin on arrive dans la forêt du Mans. Tybers veut tuer la princesse ;-mais Morans soppose à ce crime. Il ôte à Berthe les liens qui la retenaient, et lui dit : « Belle , fuiez vous en , ni soit plus délaié ; » Dame Dieu vous conduise par la sive amistié. Berthe s'enfuit. Après avoir passé la nuit dans la forêt, elle arrive chez un hermite qui lui conseille d'aller demander un asile à Symon et à Constance sa femme. Elle trouve Symon dans la forêt ; il la conduit dans sa maison où elle de- meure inconnue pendant plusieurs années. Mais Blanchefleur , reine de Hongrie , vient à Paris pour voir sa fille : elle trouve Aliste au lieu d'elle ; la tromperie est reconnue. Pepin retrouve enfin Berthe. Floïre , son père , et Blanchefleur arrivent en France pour embrasser de nouveau leur fille bien-aimée. Le poëte termine son ou- vrage par cette strophe , où la naissance de Char- lemagne est racontée. Li premier des enfans , de ce ne doutez mie, Que Pepins ot de Berte la blonde , l’eschevie, Orent ils une fille sage et bien enseignie , Feme Milon d’Ayglent , molt ot grand seignorie , Et fu mere Rollant qui fut sans couardie , Ains fu preus et hardis , plains de chevalerie, Après orent Constance , en qui fu courtoisie, Et noblesse et valeur, sans nule vilonie. Après ot Charlemaine à la chiere hardie , Qui puist fist sur païens mainte grande envaie ; Por luy fust la loy Dieu levée et essaucie, 168 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES, Maint hiaume descoupé, mainte targe percie Maint haubert derompu, mainte teste tranchie. Moult guerroya de cuer sur la gent paienie, Si qu’encore s’en deulent ceux de cele lignie.…. Alors que la fable et la poésie s’attachent à la naissance d’un homme célèbre pour la revêtir de leurs couleurs , on ne peut s’étonner de voir tout le reste de sa vie empreint de cette teinte roma- nesque qui en a marqué les premiers instants. Pres- que tous les historiens de cet homme seront des légendaires , des chroniqueurs crédules , des ro- manciers. Tels sont en effet la plupart de ceux qui ont écrit sur Charlemagne , et si quelques critiques n'avaient pas déterminé les époques des diverses actions de ce prince, si des actes, des diplomes authentiques , des capitulaires, et le fidèle Eginhard n'étaient pas là, on pourrait croire que ce héros n’est qu’un être imaginaire , et qu'il faut le considérer comme une création poétique , comme un personnage dont l'existence n’a-pas eu plus de réalité que celle d'Arthur et des chevaliers de la table ronde. Le premier poëme que nous al- lons examiner et qui a pour héros le grand Charles, est en prose Romane. C’est l’un de ces écrits dans lesquels Charlemagne accomplit des actions en- tiérement inconnues à l’histoire , et cet écrit est lun des plus rares de ceux qui ont été consacrés à cet empereur. On le connaît sous le titre de Philomena. Mais Philomène est le pseudonyme de l’auteur qui devait être un moine. Il se nomme dans plusieurs endroits de l'ouvrage, et prend le MÉMOIRES. 169 titre de Maëstre de la Hystoria. Quelques exem- plaires manuscrits de cet ouvrage sont écrits en latin ; d’autres le sont en langage Roman. Le texte latin a été publié en Italie ; le texte Roman , qui doit être le plus ancien , est encore inédit. La bibliothèque de Carcassonne possède un exemplaire latin du Philomena. Cet exemplaire est en mauvais état, presqu'illisible dans plu- sieurs de ses parties , et il manque quelques pages vers la fin. Il provient des archives de l'abbaye de la Grasse, où lon croit que Philo- mena, ou plutôt celui qui a pris ce nom, était religieux. Le seul exemplaire ancien, connu à Paris, du Philomena , en langue Romane, est conservé dans la bibliothèque royale, n.° 10307, fonds de Ba- luze. Les premières et les dernières pages man- quent ; mais cette partie du texte a été rétablie d’après la copie que le Président Doat avait fait faire sur un autre exemplaire Roman, trouvé à Narbonne. Cette dernière leçon est d’ailleurs peu estimée, parce que les expressions en ont été ra- jeunies. Le manuscrit du fonds de Baluze, est de tout point bien préférable ; on croit qu’il est à peu près de la fin du 13.° siècle, ou du commence- ment du 14.° L’argument du poëme est placé en tête. Il indi- que comment Charlemagne, après avoir pris la cité de Carcassonne, partit de cette ville, dans quels lieux il fut, comment il bâtit le monastère de la Grasse, comment il fit avec son armée la TOME V. PART, II, 12 170 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. conquête de la cité de Narbonne , et d’autres lieux importants. « Ayssi se conte en cal maniera Karles, can ac pres Carcassona , cos partit de la ciutat ni vays, cals parts anec, et com hedifiquec le monestier de la Grassa : item com conqueric la ciutat de Nar- bona , et d’autres nobles locs.… » L'auteur entre ainsi en matière : « Lorsque Charlemagne prit la cité de Car- cassonne , où il souffrit de grands dommages, où il perdit beaucoup de nobles Barons , il resta là bien lonstemps, jusqu’à ce que, par le pou- voir de Notre-Seigneur, il vit les tours s’incli- ner devant l’armée , et il connut, par la grâce de Dieu, qu’il prendrait la cité , et cela ayant eu lieu . en son temps, il la peupla de nombreux chré- tiens et il y construisit beaucoup d’églises, c’est à savoir, celles de Saint-Nazaire , de Saint-Jean et Saint-Marcel; il y plaça pour Evêque un noble Baron et bon clerc, qui avait nom Roger, et que le saint Pape Léon sacra. » Can Karles magnes pres la ciudad de Carcas- sona adonc el sofri e pres aqui grans damnages e mots baros aqui perdec, e tant longament a qui stec entroque per lo poder de Nostre Senhor vi las tors enclinar en vays la ost e conog que per la gracia de Dieu la ciutat penria , e per sos temps pres la e poblec la de gran re de Chrestias et he- difiquec motas glieysas aqui so es a saber de Sanct Nazari, de Sanct Johan e de Sanct Marcel, e un MÉMOIRES. 171 noble baro que avia nom Rogier bon clergue a qui pausec per Auesque loqual sagrec lo Sanct Papa Leo... » « Cela fait, le grand Empereur Charles ne vou- lut plus retarder le moment de confondre la gent Sarrasine, et d’exhausser la foi catholique. Et il fit Me dans la cité que tous vinssent à Pechmari, que là on tiendrait conseil, et qu il s’y rendrait. Et là tous vinrent, et là fat aussi le Saint Baron Pape Léon , la ati partie des Cardinaux, le Patriarche de Jérusalem , l’Arche- vêque Turpin, d’autres Archevêques et Abbés, Prieurs et d’autres Clercs sans nombre: là furent Rattan, Olivier, Raynieres d’Albespine , Anselme de Proyes, Angelier , Escout, fils d’Odon Sini- fred, Augier d’Anes, Gayfre, Banes Sans Barbe, qui était de Normandie, Engelier, qui était de Gascogne, Salamon de Ba Totestan son frere, et ie les autres , Ducs, Vicomtes , Barons, déboires. et beaucoup d’autres Chevaliers qu'il serait trop long d'indiquer. Et quand ils fu- rent tous assemblés, Charlemagne prononça ce dis- cours : « Nobles Barons, bien que nous ayons beau- coup souffert pour Jésus-Christ, et pour élever la foi catholique, en confondant la gent Sarrasine, cependant nous ne pourrions dire que nous avons souffert, pour Dieu, la millième partie de sa sainte passion, lorsqu'il répandit son sang divin pour nous délivrer du pouvoir du démon , et que, suspendu à la croix, abreuvé de vinaigre et de fiel, cou- 12. 172 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. ronné d’épines , le flanc ouvert , les pieds et les mains douloureusement cloués, la figure salie de crachats, les joues frappées, il souffrit tant de supplices pour nous que c’est une chose affreuse à entendre et plus douloureuse à raconter. Ces sup- plices, ces tourments furent éprouvés pour nous garder des peines de l’enfer et pour nous arracher au pouvoir de l'ennemi de Dieu et des hommes, et nous placer dans la sainte gloire. C’est pourquoi, nous devons de notre côté souffrir pour Jésus-Christ, afin d'élever la foi catholique, en confondant la gent Sarrasine, et pour qu'il nous fasse jouir de ses saintes délices. Et afin que nous l’aidions, nous nous proposons d’entrer en Espagne; mais, près d'ici, est une noble cité que l’on appelle Narbonne, et qui nous cause beaucoup de troubles, et si nous nous emparions de cette ville, sachez, Seigneurs, que notre entrée en Espagne serait entièrement as- surée.» Après ce discours, tous les avis se réu- nissent, pour que Narbonne soit immédiatement attaquée. On se consulte sur le chemin qu’il faut suivre, et on marche vers le lieu où existe au- jourd’hui la petite ville de la Grasse. «Aysso fayt, lo sanct Emperador K. no volc aqui pus remaner mays ad adonplir le prepau- sament de confondre la gent Sarrasina et eshaus- sar la fe catholical. E adonc et fe cridar per tota la ciutat que tots venguesson a Puegmari, e aqui auria son cosselh vays cals parts iria , e aqui vengron tots. E fo aqui lo sanct Baro Papa Leo é la maior partida dels Cardenals e Patriar- MÉMOIRES. 173 cha de Jerusalem, IArsseuesque Turpi, autres Arceuesques et Abats Priors e d’autres clergues trops ses nombres. Fo aqui Rattan, Olivier, Raynieres d’Albespina, Ancelmes de Proyes, Angelier , Escouts , filh de Odon Sinifre , Augier d'Anes, Gayfre, Bones Senes Barba, le cal fo de Normandia, Engelier, que fo de Vascuenha, Salamo de Bretanhia, Totestan frayre de luy e tots los dont se parts cavaliers que seria trop long per racontar; e can foron tots aiustats, Karles Magnes commensec aquesta oraso : « Baros nobles, ja sia aysso que mots aiam suffert per Jesu Christ ad essausar la sancta Fe ca- tholical e la gent Sarrasina a confondre no poyrian sostenir per Dius que fos semblant à la milliena part de la sua sancta passio local escampe lo siu sancte sanc per so quens delivrez del poder del diable , suspenduts en la crots e abeurat de fel e de viagre, coronat d’espinas et costat naffrats, els pes e las mas clauelats, escopits en la cara e batuts en las gautas, e per mots de suplicis sufertats que espauentabla causa es per ausir e per comtar, donc es per amor dayso el aja tots turments per nos sufertats per tal quens gardes de las penas difern e qui nos ressembles del poder del diable e quens calogara en la sua santa gloria, en per amor daysso devem sufert tot per Jesu Christ, eysaussan la fe catholical e confonden la gent Sarrasina per so quen fassa parssoniers dels sieus sanctes delieyts et ara es aysshi que el aiudan prepausam intrar en Espanha, et es aysshi una nobla ciutat que hom 474 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. apela Narbona e autras motas de sa Espanha quens treballo mot fort e si podiam Narbona penre senhors sapiats que lintrament d’Espanha seria mot ubers e las autras ciutats en la tenguda pus leu serian vincidas e si acosselhats que vays Narbona anem sia de part Dieu si no intran en Espanha et si eligat so que pus ne volrets. » Le lendemain matin, après avoir entendu la messe, Charles fit venir ceux qui connaissaient les chemins , et il leur demanda par quelle voie on pourrait aller vers Narbonne, et ils lui dirent qu’il le pourrait par la plaine; que par la montagne il trouverait un lieu convenable pour la chasse, et que par là il pourrait aller mieux et d’une ma- nière plus courte... A peine est-on en marche, que larchevèque Turpin s’avance ; il fait trois ou quatre lieues ainsi, puis il monte sur une colline, et il trouve là un Sarrasin qui chassait ; il lin- terroge, et celui-ci répond qu'il est chasseur et qu'il vit du produit de la chasse; qu’il est Sar- rasin et qu'ilhabite à Pierre Colobra ( Escoulou- bre ? \ lieu situé sur une hauteur où il y a beau- coup de marbres: Cassador son, e de ma cassa vivi, e son Sarrasis e ma estriba es a Peyra Colo- bra, en un paty on ha marmets trop. Pendant qu’il parlait avec cet infidèle, PArchevêque voit une fumée s'élever dans un vallon voisin , et le Sarra- sin lui apprend que là sont de saints solitaires , qui ne se nourrissent que de millet, de fèves, de choux et d'herbes sauvages. Cette vallée , à cause de sa pauvreté , a été appelée le 77a/ mai- MÉMOIRES. 179 gre. L’Archevèque rend grâces à Dieu de cette découverte. Charles ayant laissé l’armée dans une plaine, et étant venu avec Roland , les douze pairs , des archevêques , évêques et abbés, au nombre de quarante, Turpin leur apprend ce qu'il avait su du Sarrasin. Tout le monde met pied à terre à cause des difficultés qu’offre le sol, et l’on tire les chevaux par la bride. Turpin arrive le premier à l’habitation , composée de deux mai- sonnettes. Il y trouve un ermite, il entre dans l’o- ratoire : l’ermite lui crie miséricorde , tant pour lui que pour ses compagnons. 1’Archevèque le somme, en vertu de la sainte obédience, de lui dire quel est son lignage et de quelle terre 1l est, et l’ermite répond qu’il le fera volontiers. « Sachez, dit-il, que nous sommes sept, et qu’au- cun n’est de la province de l’autre ; je me nomme Thomas et suis de Normandie , de la ville qu'on appelle Rouen, et je suis plus vieux qu'aucun de mes compagnons. L'un d’entre nous est de Lom- bardie, de la cité de Pavie, qui est bâtie près du Tesin , et il est plus noble que moi de lignage, de bonnes manières et de science , et on le nomme Ricard, Le troisième est de Hongrie, fils du roi de ce pays, et il porte le nom de Robert. Sa bonté et sa courtoisie seraient longues à raconter. Le qua- trième est d’Ecosse : on le nomme Germain. Il est noble de parenté , et sa dilection est en Dieu et plus noble encore, comme nous l’avons reconnu. Le cinquième est de Flandres : on l'appelle Alayra : son humilité est grande , et son ardeur pour le 176 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. Saint-Esprit montre qu’il est plus noble qu'aucun roi. Le sixième , The-Othoman, est natif de Cologne , fils d’un noble baron. Le septième est de la province d'Egypte et a nom Barthele- mi, le plus noble entre tous, de douceur et de patience, et d’ailleurs bon clerc. Mais pourquoi sommes-nous venus ici? vous allez lentendre. Nous étions écoliers à Paris, et nous avions été compagnons près de quatre années, lorsque Dieu nous inspira par sa grâce d'abandonner tout , en suivant Jésus-Christ, de mépriser les terrestres et passagères choses, et de souffrir pour lui qui a tant souffert pour nous et jusqu’à la mort. Il voulut bien par ses anges nous faire indiquer le lieu où nous sommes depuis près de vingt ans occupés à le ser- vir. Nous mangeons de l'orge, du mil, des choux et autres herbes sauvages que nous semons, selon que Dieu nous les donne. Les oïseaux du ciel et toutes les autres créatures , lions , ours et autres animaux que nous trouvons dans le bois, nous ne les chassons point, ni elles ne nous poursuivent pas, et elles ont vécu et vivent avec nous , et dans le bois elles nous obéissent sans que nous leur ayons fait aucun mal et sans qu’elles nous en aient fait. » Voici le texte, jusqu’à présent inédit, du passage que nous venons d'analyser. « Lendema mayti ausidas las messas Karles apelet alscus que sabian las carrieras e demandet lor per qual via poyran anar vays Narbona et els disseron li que sis volia poyria anar per via plana, o per montanha, et trobaria un pauc loc conuinant ad plaser de cassar MÉMOIRES. pl e per aquesta poyrets anar miels e pus breu. E lArsseuesque Turpi dis : Senhor , per aquesta anam cardonarem nos solas e deport et repausa- rem nos cassan et prenen las salvazinas dar san gaug nostres corsses et y en meteys ab los cassa- dors , e vos venrest suau am lo senhor Papa et ab tota la ost en ayshi cos coue de gran ost: et aysso dit mogro se daqui e IArsseuesque Turpi davant els ab los cassadors. E can agro anadas quatre legues lArsseuesque Turpi se fo partits dels cassadors e montet sus un puey et atrobet aqui un Sarrasi cassan et pres lo e pueys demande li quins homs era ni de cal loc era, local li respon- dec. — Cassador son e de ma cassa vivi, e son Sarrazis et ma estriba es a Peyra Colobra en un pueg on ha marmets trops. E dementre que lArs- seuesque parlaua ambel vic fum en una valh dauant si e demandec al Sarrazi sia nul habitador en aycel loc on era lo fun et lo Sarrazi respondec li que aycels valh auia nom Magra, calcus de Narbona liu auian mes nom, may autres lape- lauam abans Jalh Talhica per aysso , car passat a vingt ans que sept homes an aqui estat paubra- ment tots negres et peloses bestits et ayssi magres que apena an figura dhomes e no manio si ne milh e fauas e cauls e autros herbas saluaias et ad hom no fan ni be ni mal, e cor son aytals per so aycela valh es apelada ’ all Magra e en lors mayso es lo fum. LArsseuesque can ausic aysso dec se gran gaug et fec gratias a Dieu, et entre- tant Karles layshada la ost en un pla et ambel 178 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. Rollant, els dotze pars , arsseuesques , auesques, abats en torn quaranta vengron aqui e lArsseues- que Turpi contec lor tot lo quel Sarrazi li auia dit, e tots agron gran gaug e feron grans gratias à Dieu, et dis Rollant a lArsseuesque : — Senhor pusc ayssi es anats la etciats si es en ayssi. Et el respondec : — Li tots hi irems e commensseren a dessendre tenan los cavals par las regnos car per la mala carrieyra C’atrobavan los convenio anar a pé et foron entorn cinq mil a lintran de la valh mays lArsseuesque Turpi tots premiers sols vens a labitacol et no vic aqui mays doas maysonetas mot paubras e intrec pertot e vic un oratori de costal cal atrobet un dels sept heremitas lo- qual ac grand paor que a penas ausec gardar lArsseuesque mays IArsseuesque demanda ad et ad onor de qual sant era hedificats aquel oratori e lhermita no li poc respondre mays fe li senhal en honor de Madona Sancta Maria et intrec lArs- seuesque am gran gaug et mentre orava girec se al hermita e saludec lo en lati et el inclinet son cap e respos li : —Tot Poderos Dieu, Filh de la Vierges vos benasigua , et IArsseuesque senhet lo et demandec li si era sols o si avia companhia , et el respon li : — Depus que erots fayts en vos- tre front mi benasen et daythal senhal metteys be puest parlar am vos dayssi enan ayssi com ab Crestia et sirvent de Dieu. — El dis li be: O pots far segurament sapias per cert que y en soy Crestia, Arsseuesques, et odes veyras Karles Cres- tias emperador am gran .montera de Crestias et MÉMOIRES. 179 absi es Papa Leo et Patriarcha de Jerusalem , cardenals arsseuesques auesques abats mays de sept cens et Rollant et tots los dotze pars dux et comtes et baros mots et autres cauayers et mot homes a pé que liuron lors corsses a tot trebal per eyshausser la fe crestiana e no teimo perilh ni mort. » El hermita aysso ausit casec rith ni mort als pes de lArsseuesque ploran e queric li perdo et comenssec sas paraulas aldit senhor arsseuesque : — Depus sirvens ests de Dieu amic misericordia ajats daquest peccador e de mos companhos. Sapias certanement que sept companhos ens a depus que farent ayssi la voluntat de tots fo una. — Hyeu dis IArsseuesque te coman en vertut de sancta obedienssa que diguas de qual linhage ests nadi ni de cal terra et en cal guisa venguts aysshi. — Et el dits li que voluntiers o faria. — Sapias que sept em et degu noes de la provincia de lautre. Hyeu ey nom Thomas et suy de Normandia de la villa com apela Roams, et son pus vielhs que negun dels autras.— Lautre fo de Lombardia de la ciutat com apela Papia queys costat flaui que a nom Tozin et es pu noble que yeu de linhage et de bonas costumas et de’ scientia e a nom Ri- cart. — Lo ters fo Dongria filh del rey daquel regne e a nom Robert. — La bonesa daquel e las costumas long seria per contar. — Lo quart es d’Escossia e a nom Girma nobles de parentat et de amor et ha dilectio en Dieu segon que nos avem conogut. — Pus nobles lo quint es de 180 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. Flandres del loc de Sant Omer per nom et ha nom ÂAlayra. La humilitat dequal es grans e en- flamament de l’amor de Sant Esperit le demostra esser pus nobles que nulh rey. — Lo size es The- Othoman e nase en Coluenha filh dun noble baro. — Lo sept es de Esypto provincia filh dun noble rey et a nom Bertholomieu , entre lots de pacientia et de bonesa pus nobles et es bos cler- gues. — Mays en qual guisa em ayssi aujats ho. — Scolars eram de Paris et forem companhos prop ‘de quatre ans peceys Dieus quens spirec de la sua gratia desamparens totas causas e seguen Jesu Christ las terrans causas coma vits e trespassa- doras menespresans e que sufrisent por el car per nos suffrit tro a la mort loqual a nos per los sieus angels aquest loc ensenhet ayssi.— Aucus estat prop de vingt ans aiustats a servisi de lui. — Ordi et milh avem maniat, cauls et autras her- bas saluaias que semenen et recuilhem seson que Dieus nos aparelhec. — Els aucels del cel et a totas creaturas leos orses et autras totas salua- sinas que el bosc attrobem nos no las en cassam ni elas nos e ans amigablement an viscut am nos e vivon el bosc era nos obeseysson ses mal que no lor fam ai elas a nos e en ayssi avem viscut. Thomas so ditz lArsseuesque entro ara fazets venir vostros frayres : — Senhor voluntiers mays gran paor auran que salvages son com Jas bestias del bose. — Et adoncx Thomas las campanas sonet el ausiron las que eron a Rocaguliera et commens- saron à deyssendre can foron costa un loc que a MÉMOIRES. 181 nom Lo Cortal ausiron lo transpol et trincadis que fasia la ost am las espassas et amb autres ferra- mens trencan los aybres per far carrieus entro al loc on ero las ermitas adoncx agron gran paor que fos morts lor frayre Thomas per Sarrasis quey fosson avengudi et adonex feron gratias à Dieus pregans el quels fases morir ad aytal mort com lor frayre Thomas era morts et quels coronés de corona perdurable et après aysso viron la ost e vengron tost à l’aygua d'Orbio.…. Après ce récit naïf et dans lequel on retrouve lantique simplicité, qui ajoute, chez les Grecs, à la grandeur épique, les religieux arrivent à l’ermitage. Bientôt le Pape, Charles le grand, Roland, les douze pairs et les grands, /os Majoralhs, arrivent; et quand cesillustres personnages eurent vu les sept ermites , 1ls s'émerveillèrent de la noirceur de leur teint. L'Empereur les salua humblement , et après lui le Saint Pape Léon , ensuite les autres Barons.… E quam elhs viron los Hermitas meravelaros fort de los esgurodament tant eran negres e l’Emperador quant los ac vist, commensec los humiliamen a saludar, et en a prop elh sanct Papa Leo e pueys tots los autres Baros.......… L’attendrissement le plus vif se manifeste. On loue Dieu d'avoir fait trouver des hommes si saints dans un si saint lieu. Le Pape veut prècher , PAr- chevèque Turpin linvite à remettre cette action au lendemain; mais il le prie de conseiller à Char- 182 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. les d'établir un couvent de moines noirs dans ce lieu , avec un abbé pour le service de Dieu et de la Vierge-Marie. Le Pape approuve ce projet, et Lors- que Charles le connaît, il répond en annonçant que volontiers il ferait construire ce couvent et lui donnerait de grands biens... Après ces paroles, Charles a soif, et l’'Archevèque Turpin lui ap- porte du vin dans un très-bel hanap. Alors qu'il va boire, Thomas lui dit : Seigneur, si vous vouliez de notre pain, nous vous donnerions volontiers de celui que nous avons : et Charles dit : portez-le, et Thomas lui présente du pain de mil dur et moisi... [ci commence la série des miracles qui accompagnèrent la fondation de l’abbaye de La Grasse. Le prodige de la multiplication des pains se renouvelle ; le Pape, les Barons et sept mille autres en sont rassasiés, et toute Tarmée veut en manger. Voici le texte encore inédit, en langue Romane de ce passage intéressant : « Elhs vengro a l’aiga d’Orbio e aqui elhs pas- sero otra e vengro vays lor habitacol e aqui atro- bero lor frayre T'homas.e IArsseuesque Turpi ambel et quan intrero per Ihabitacol Thomas anec los totz baysar e saludar e contec lor co li era pres ni co eram aqui vengutz aquelhs crestias et elhs eysxa- ment comtero li qualh pavor agro que elh fos mortz in de la venguda de la ost et ploram de gaug que avian et disxero à Thomas : — Pusque Dieus nos a faita tanta donor que tan ondrast Baros nos ha faits venir ayssi covitats lor e donats lor delhs bes que Dieus nos a donats. E Thomas au- MÉMOIRES. 183 sidas aquestas paraulos commenshec à rire et disec: — Frayres mieus ho sabets que non avem mays for un galh quens canta las horas si laussiama abastaria entre tots baros — et aysso fait Karles fo aqui elh Papa Leo e Rollant e tots los xij pars e tots los majo- rals ayssi quo avets aussit davant.— E quant elhs viron los hermitas meraveleros fort de lor essuroda- ment tant eron negres. E 1IEmperador quant los hac vists comensec los humilment a saludar. Et en aprop elh sant Papa Leo e pueys tots los autres Baros. Pueys IArsseuesque Turpi comensec à dire tota la raso e a comtar de mot e mot so que Thomas li auia dit en comtat et aysso ausit Karles elh Papa et tots los autres escomanguts de pietat elhs plo- reron e feron grans lausors a Dieus quar avian tro- bats tant sans homes nilhs auian layssats venir en tant sancte loc elh Papa quan los vic vol far ay tantost son sermon e lArsseuesqueTurpi preguec lo quentro lendema nol fel mais que cosselhesso à Kar- les quey fes j.monestier de monges negres am lor Abbat a servissi de Dieus e de la Verge Maria. —El Papa ausida la razo delh lauset ot tota la derssia e quant Karles hac ausit aysso dix que volentiers lay bastiria ei faria monestier e quelhs daria rendas e gran res de bes en talh manieyra que poguesso estan onradament e viure quar be conoyssian que elh lo era sant e devot elhs vij. hermitas ero sans. homes et amats de Dieus. —— E mentre menavan aquestas Karles ac set e l’Arsseuesque Turpi anec li aportar de vi ambun bel enap et quant vole beure Thomas li dicx : — Seynher ssi voliats de nostre pa 184 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. volentiers vos dariam day talh co lavem e Karles dix quen portes e Thomas aportec li mieg pa de mil dur e arre quar avia be xj. jorns quera queits(1) et Thomas quant hac pres lo pa elh lo benesic pueys presentec lo a Karles et Karles pres lo e trenquec lo e maniec ne e lApostoli eyssament els clergues et dautres pus de sept mille e tots forom ayshi be sadolhats quo si aguesso manjat en cort de rey et aysso fait tan gran plor et tan gran feriment de pieyts ausirets aqui en la ost que tota la valh resondia e celh que podia maniar daquel pa cresia esser mots et nets de sos pecats et Turpi ans clara vots cridec e dis : — Baros, payres et frayres, le senhor creayre de tot lo mon vos a asadolhats de la sua mana e despus que tants sans baros quem trobats anats tots dayssi e portets vos net esta valh e apparelhats vostras tendas e qui no a tendas fassan de fuelhas daybres maysos on puscats re- pausar car le senhor Karles remendra ayssi pri- vadament am aquets sants Baros et partiron sen tots estiers lo senhor Papa el Patriarcha e sexante entre arsseuesques e auesques € abbats et dautres ondrats clergues et quinze entre comtes et dux. » Après avoir été témoin de la nouvelle multipli- cation des pains, Charlemagne ne balance plus : il donne des ordres pour que le monastère de la Grasse s’élève. Roland est envoyé en avant pour (1) Toi la copie de Doat contient quelques pages qui man- quent au manuscrit de Baluze. MÉMOIRES. 185 empêcher les courses des Sarrasins; puis chaque prélat veut travailler à l’édifice de la nouvelle abbaye et construire des chapelles. On fait venir Je maître maçon ou tailleur de pierre, et le maître charpentier. On avait déjà déterminé le lieu où le couvent devait être bâti. «Elh senhor Naymes de Bavieyra mesurec xxx. brassas ad obs delh front de la capela. E 1Abat de sant Deuni mesurec la claus- tra on fora aisso fayt. Karles apelec le maestre de la peyra, Robert que avia nom, et avia ij. filhs aqui e ssa molher, e dix ad elh : Amic Robert aquesta obra coyta aitant que poyras e ssia tot be fayt e covinentement. Aquo meteys mandec als maestres de la fusta..….. » De nouveaux miracles viennent signaler la pro- tection divine. Des aveugles recouvrent la vue... Mais cependant, comme on peut craindre que l’armée manque bientôt de vivres dans ce lieu sté- rile, le Pape Léon demande que Roland, accom- pagné de ceux qui voudront le suivre, se jette sur les terres ennemies, entre Barcelonne et Gironne, afin dy ramasser des provisions. Le Pape ajoute qu'il prie et requiert Roland, et ceux qui le sui- vront, de donner à Dieu et à Madame sainte Marie, la dixième partie de leur butin, pour servir à la construction de l’abbaye de Lagrasse. Charle- magne ordonne ensuite, pour empêcher les Sar- rasins de venir déranger les ouvriers, de fortifier les lieux voisins. « Vers es per sert sadix lo comte de Flandres que yeu ley quelh rey de Narbona e d’autres trops sso ajustats per que es bo que fas- TOME V. PART, II. 13 186 INSCRIPTIONS ET BELLES-LEETRES. satz estrenher cota la ost e bastir forsas alhs puegs la ou mielhs sera fassedor per talh com no nos pes- qua far vergonha , et fay las establir de sirvens e pueys poyrem segurament hedifiquar le mones- tier. E Karles dix que aquest cosselh tenia elh per bo. Et adonx Karles mandec à sos Baros que fessan las forsas tost e delivre. E fe far j. tor alh pueg de Vilabersas am üj. mirandas. Et autra a Roquagui- Iheyra ab v. mirandas fe nautra sobre sant Xristol ab ij. mirandas, autra a Miralas, a la intrada de la valh. À sant Deuniautra. À la rocha de Boychia autra quey hac grans obs e pla establir. » Quan las forsas foro faytas plac trop a Karles et a tota la ost et dix ad elhs huey mays se cove quens cochiem nostra obra. E Karles apelec Robert maes- tre que era de la obra e dix li : Vet que tey donats M. homes e ccc. bestias ad acabar la obra et ap- portar so quey sera mestiers e piquas e palas ed autres feramens trops e vu. M. pareilhs de gans e pro vianda a üij. meses. E si alhs te fa mestiers ara o demanda. Seynher, sa dix Robert, tot sso auem quens fa mestiers. E IArsseuesque Turpi dix à Ro- bert : Maestre vos auets à far xx. pilars de marmes et as a far lo fonsament delh cor. E fayr xiij. fe- nestras et j. trauc redon alh cor delhs seinhors e x. arx alh cor v. de quada part. E pueys fayne xl). per tota l’autra glieysa ey gardat que tots los ca- pitols sian crus quar metrem hi relequias per talh que aquest loc sia gardats de tota tempestat et de tot laz per la voluntat de Dieu. E Ro- bert dix à IArsseuesque : Seynher quens Capitols MÉMOIRES. 187 farem ad obs d’autars ? E 1Apostoli : Robert üij. ni fayts tan solament per la estrechura delh loc, mays las finestras non seran a l’autar de Nostra Dona sian grandas e sobre cascuna vos layserats j. trauc per on pusqua intrar j. copa plena de reli- quias et aquelh trauc pusquats clauser ab j. peyra que iesqua de fora en maniera de clau et a qasquna de las autras finestras tu laysseras j. trauc e ce- chats la obra. E metets hi covinentement xx. pilars. * E Karles dix al maestre : Robert, tot aysso ret per eschrich per talh que res noy laychies a fayr ni re noy mermes. Seynher, sa dix Robert, la vostra vo- luntat e de totz los autres sera tot fait. Et aitantost els se partiro daqui e anero manjar. E quant Karles ni tots los autres foror riunats intrero per la valh vij. M. bestias cargadas de vianda que venian de Tholosa de las quals Robert et tots los autres foro fort alegres e nagro grand plasert. E mentre elhs salegravo daquesta venguda lo Gasc Engelier venc ab vij. M. cavayers armats et amenec entre bueus e vachas pu de xxx. M. e venc à Karles Magnes e saludec lo e tots los autres Baros : Vos saludam et tota la ost, e segon que aviam promes elhs trameto alhs sans hermitas et alh monestier de Ma Dona Sancta Maria la desena part de lur gasaynh e veus quens ameni entre bueus e vaquas et entre cavalhs e muls cecc, e xv. M. besans d’aur e xc. draps d’aur e de ceda ad ornar elh monestier. E Karles dix ad elhs : Es viu Roland ? Seyuher, sadix elh Gasc, sas e salhs et alegcres es. » Il lui raconte ensuite l'expédition en Espagne. 13 188 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. « En aprop Karles apelec Filomena, lo maestre de la historia, et dits li que tot aysso mets en la historia ses mesorga si volia estar en son amistat. » Andars aquestas novas entrelhs , lo Comte de Flandres vi que tota la valh era plena de viandas, e daysso que mestiers era en la ost, e dix à Karles : Seynher pusque tota vostra compaynha em ayssi ajustats dauant vos plassia a vos que mudets lo nom en aquesta valh, car no es causa conuinabla que huey mays aia nom Magra. E IArsseuesque Turpi dix à Karles : Justa causa es so que dits lo Comte. E donc sadix Karles à IArsseuesque : Mudats li elh nom : Seynher sadix elh volentiers. E mes li nom de Grassa, sia apelada d’ayssi auant. E aquest nom plac à Karles et a tota la ost et ayssi fo ape- lada daqui en avant. E mentre que elhs estavan en aquest parlamen de la valh vec vos un messager a Karles »..…… | Cet envoyé lui annonce que seize rois sarrasins, qu'il lui nomme, viennent l’attaquer et détruire le monastère que l’on construit. Un combat a lieu; Charlemagne est vainqueur. Il poursuit les Sarra- sins vers Narbonne; ils sont défaits de nouveau par les chrétiens. Il revient à la Grasse; l’église de cette abbaye est consacrée ; on place les reliques dans les lieux indiqués. Thomas refuse le titre d’abbé. Au moment de l'élection, Robert arrive de Roussillon avec trente cavaliers; dix d’entr’eux sont grièvement blessés. Il apprend à Charles que le roi Marsille les a chassés du Roussillon, et a mis à mort tous les autres chrétiens. Les Sarrasins MÉMOIRES. 189 approchent; on combat : Roland marche contre le roi Baldrac, et il le coupe en deux d’un coup desa redoutable épée. On s'occupe ensuite de la conti- nuation de la bâtisse du monastère. L'architecte, ou maître maçon, Robert, demande à Charlemagne un lieu propre à faire un moulin. [Empereur lui accorde Le don de ce lieu, et lui dit que lorsqu’il aura terminé la construction du moulin, il faut qu'il re- vienne pour finir le monastère, et qu'il aille ensuite rejoindre l’armée sous les murs de Narbonne. Puis, toujours animé du désir d'accroître le nombre des chrétiens, il envoie ses messagers vers Matran, roi de Narbonne, pour lui dire que s’il veut recevoir le baptème et rendre la ville, il lui donnera plus de terres qu’il n’en possède. Matran , pour toute ré- ponse, donne l’ordre de couper la tête aux ambassa- deurs ; sa femme l’en empêche. Les chrétiens cou- rent aux armes. Charlemagne assure à ses messa- gers que tout ce que Matran a dit retombera sur lui : « Tot aysso que elh vos ha dit li tornara su son cap si à Dieu platz. Aprop aquestas novelhas que hac andas elh va apelhar et ajustar sos nobles Baros e dis lor aquestas paraulhas : Belhs seynhers, pusquelh monestier de la Verges Maire de Dieu de la Grassa es acabats mestiers es que pas no de- morem aqui mais que anem asetjar Narbona e que issxaussem la santa fe catholicalh. E Rollant dix a Karles : Mays valria, si a vos plasia, que prumiey- rament pressessam Menerba et Bezers et Acde que es ciutat e totas las forsas que so entorn Narbona pueys poyrem mielhs assetjar Narhona 190 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. estan seour en torn. E Karles dix que fort li plasia..…. » Charles, arrivé à Coursan, envoie des ambassa- deurs à Matran, pour linviter à venir lui parler. Le Prince méprise cette invitation. Roland s'approche de la porte royale; Matran s’avance contre lui; on combat , et la perte des Sarrasins est beaucoup plus forte que celle des chrétiens. L’armée prend des positions autour de la ville. Ici la narration du siége est suspendue par un épisode. L'auteur ramène le lecteur à la Grasse. La femme de Robert est chassée de son moulin par l'Abbé et le Prieur. Cette femme va, avec ses deux enfants , se plaindre à Charlemagne, qui lui donne des lettres pour obliger PAbbé à la réintégrer dans la possession du moulin. Au lieu dobéir, l'Abbé maltraite cette femme, et par le conseil du Prieur, met le jeune fils de Robert, /o Massip, en prison, et détruit les lettres, afin de dire plus tard qu’il ne les a pas vues. La femme de Robert, revient vers Charle- magne, qui, fort irrité, lui donne de nouvelles lettres pour l'Abbé. Celui-ci rend à la femme ce qu’il lui avait enlevé; mais ensuite, il va en reprendre la valeur. La femme accourt de nouveau vers l’'Em- pereur , qui bientôt arrive à la Grasse avec quatre cents cavaliers. Il trouve l'Abbé à l'autel, et lui coupe la tête. Il cherche le Prieur, le rencontre dans une maison et lui arrache les yeux. Il met ensuite un nouvel Abbé en place, rend à la femme de Robert ce qu’on lui avait pris, et revient sous les murs de Narbonne. Charlemagne raconte 3 Li MÉMOIRES. 191 alors au Pape, à l’Æpostoli, ce qu'il a fait. Il veut traiter encore avec Matran, et le baptiser. Celui- ci vient trouver l'Empereur, et il répond à ses pressantes sollicitations , qu’il ne peut les accepter, et que d’ailleurs , Tamissus et Bruaventum sont maîtres des deux portes principales. L'entretien est rompu : Matran rentre dans Narbonne. La nuit suivante , les deux frères amènent dans la cité de nombreuses troupes, que le roi Marsille leur a données pour secourir Matran. Au point du jour, ils sortent de la ville. Bruaventum est tué par An- gelier. Les Sarrasins perdent, en outre, onze mille hommes. Ils rentrent dans la ville, l’effroi dans le cœur ; ils ferment les portes. Mais l’Evêque de Saint-Lis, nommé Grégoire, ayant fait armer ses gens, et s'étant avancé, Tamissus sort à la tête d’un corps considérable de troupes. Il tue PEvèque, qui venait de renverser morts deux Sar- rasins. Charlemagne et Roland vengent le prélat, tuent quatre cents ennemis, et mettent le reste en fuite; puis ils font ensevelir honorablement le corps de l’Evèque. Mais ici Dieu opère un miracle, en rendant tout à coup la vie et la santé à ce martyr. « Lendema mati IAuesque de Sant Lis fe armar sas gens et foro iij. M. en cavals e cavalguec à Narbona e Tamisso fo dedins armatz ab xx. M. et ay tantost isxic fora e alhs prumiers cops IAues- que anec ausir ij. cavayers sarrasis. E aqui fo grand batalha entrelhs e Tamisso va ssen vays lAuesque et anec lausir loqualh Auesque auia nom Gregori. E Karles et Rollant que viro la mort de IAuesque 192 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. foro fort dolens et iratz et ay tantost donero sobre elhs et ausiro cccc. cavayers sarasis et elhs que viro que malh anava intrero sen per forsa à la ciutat. Intrats que sen foro Karles fe sebelir honradament lo cors delh Auesque ad honor de Dieu et aqui Nostre Seynher fe miracles per amor delh Auesque que li randec salut e sanetat. E la ost que vic aquest miracle jugerol per sant home. » D’autres combats sont livrés sous les murs ou dans les en- virons de Narbonne. Des héros chrétiens se distin- guent dans toutes ces sanglantes luttes : du côté des Sarrasins, c’est surtout Tamissus qui paraît le plus redoutable. Ce héros est évidemment le type d’autres héros célébrés par les poëtes italiens; et si le Tasse n’avait pas rencontré ailleurs cette grande figure, on pourrait croire qu'il a trouvé dans les poëmes des Gestes de Charlemagne, l’idéal du terri- ble Argant, Roland le fait appeler en champ clos. Tamissus se présente ; il attaque Roland, il le presse, il le frappe; mais le guerrier chrétien désire que tant de valeur soit mieux employée. Loin de lever le glaive contre Tamissus, il lui parle, il le prie d’embrasser la foi chrétienne, de recevoir le bap- tème. Mais le Sarrasin lui répond , qu’il lui adresse ces exhortations , plus par peur, que mu par ur doux intérêt, puisqu'il sait certainement qu'il ne se fera point baptiser. Il se précipite ensuite sur le noble chrétien : d’un coup d'épée il fend le bou- clier de Roland, et blesse le cheval de celui-ci à l'épaule. Le vaillant neveu de l'Empereur, tire alors son épée si célebre, sa victorieuse Durandal, et le MÉMOIRES. 193 coup qu'il porte est si fort, qu’il coupe en deux et l’homme et son cheval. Voici le texte Roman de ce passage : « Tamisso isxic defora e aussic de venguda ij. cavayers crestias, e pueys blasfemec nostra ley e dix de grands antas à Karles et à Rollant e me- nassec los fort et tota lor compaynha. Rollant que aysso alc vist anec se arma et pugec sobre son ca- valh e dix que elh se volia combattre am Tamisso e que degu no li ajudes mays quelhs laysses com- battre tots sols e va sen issxir de fora la ost et Augier anec appellar Tamisso e dix li siz volia combattre tot sol ab Rollant ni sil volia empazer ; e Tamisso anec respondre que volontiers et ay tan- tost elh va issxir fora e vas aissinar de lha et Rol- lant de sa. E va venir la 1. vays l’autre e Tamisso va ferir Rollant si que lescut li trauquet e lasta li tren- quet desus. Rollant nol vole toquar.Mays que li pre- guec que bateges e que so ho volia fayr que elh li faria donar mays de terra que no navia à Karles son oncle. Ausidas Tamisso aquestas novellas anec li respondre que mays o dissia per paor que per amor per que us fosaber per sert que non batejaria e ay tantost dit que hac aquo Tamisso va trayre laspasa e va ferir Rollant per miey lescut si que tot lo y va fendre per miey et va nafrar lo cavalh à lespalha et Rollant que vit quelh cavalh li hac na- frat fo fort irats e va trayre lespasa Durendarda e feric lo per talh poder que tot lo va fendre per miey lome e elh cavalh..... » Voici la traduction latine de ce passage. Nous 194 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. Pempruntons au manuscrit conservé autrefois dans Pabbaye de la Grasse, et qui est aujourd’hui sous nos yeux: « Tamisus exivit et interfecit duos milites chris- tianos , postea blasphemavit legem christianam et nunciatum fuit Karolo et Rolando eos et alios per plurimum vilipendare , et Rolandus armatus pro- hibuit ne aliquis eis adjuvaret quia ipse solus cum solo volebat cum eo præliari; et exivit Rolandus solus, et Augerius vocavit Tamissum quærenis ab eo si expectaret Rolandum. Respondit quod ex- pectaret libenter si veniret solus et sic fuit cons- titutum et uterque venit apud alium prout melius potuit, ét Rolandus noluit eum tangere. Tamisus autem perforavit scutum Rolando. Postea dixit ei Rolandus si vellet baptizari, quoniam si vellet, ho- noraret eum, et Karolus daret ei plusquam de terra quam ipse frater suus haberent. Alter dixit quod timore hoc dicebat et quod nullo modo baptizaretur, et evaginavit ensem et scutum Rolandi ferè per medium fregit, atque equum Rolandi in spacula fortiter vulneravit. Rolandus hoc videns iratus valde percussit Tamissum cum Durandarda per medium verticis galæe et eum scindit per medium sicut glans dividitur. » À ces peintures chevaleresques va succéder un tableau , sinon d’un genre aussi sévère, du moins plus touchant. Les Rois ou les Émirs de Catalogne forment le dessein de détruire l’abbaye de la Grasse. Leurs soldats arrivent à l’ermitage : Thomas et les autres anachorètes, anciens habitants de la val- MÉMOIRES. 105 lée, tombent sous le cimeterre des Sarrasins; mais ils sont bientôt vengés. Les moines du cou- vent de la Grasse, armés par Hélias, leur abbé, et commandés par Pun de leurs frères, nommé Ras- soles, repoussent lennemi. Il recueillent ensuite les corps ensanglantés des ermites et les portent dans leur église : puis Rassoles et Hélias vont ra- conter à Charlemagne ce qui leur est arrivé. Le puissant Empereur est encore sous les murs de Narbonne. Dans la nuit, le roi Marsille a envoyé des secours à Matran : on l’ignore dans le camp chrétien; une sortie est résolue. Le Roi Sarrasin et Borrel commandent les infideles ; ils surprennent les Français et en font un horrible carnage, après quoi ils rentrent dans la ville. Ici la reine, femme de Matran , commence à avoir une place dans Pac- tion. Un de ses écu yers est pris par Augier le Danois : on le conduit devant l'Empereur. Roland lui donne un bel habit, et le charge de remettre de sa part un anneau d’or à la Reine, qu’il aimait beaucoup ; de son côté la Reine était fort attachée aux chrétiens, et désirait le baptême. Une autre sortie faite par Borrel, est suivie d’un long et sanglant combat. «Œ a qui, dit l’auteur, hac tan grand mortandat entre dessa et delha que no poyria esser per hom albirat.» Enfin les Sarrasins rentrent daws la cité et ferment leurs portes. La reine les blîme beaucoup, et leur dit qu'il vaudrait mieux rendre la ville à Charles, que souffrir des maux si grands. S’adressant ensuite à Borrel, elle lui dit qu’il était venu mal à propos à Narbonne, et que les menaces qu’il avait faites en 106 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. entrant dans cette ville , se sont tournées contre lui et à son grand dommage. Borrel n’ose répondre à la Reine, parce qu’elle est la fille d'Almansor, souve- rain de Cordoue. Mais Matran lui reproche amour qu’elle porte à Roland , et lui annonce que quelque jour elle en sera punie. Elle lui répond, et le prie de la laisser aller. «Si j'aime, dit-elle, un si noble ba- ron, et si expert aux armes que Roland, neveu de Charlemagne, c’est de chaste amour; et si ce n’était à cause de moi, Narbonne serait déjà prise, et vous et les vôtres morts.» Le texte est digne d’être rap- porté : « La Regina quan los vic blastomec los fort e dix lor que mays lor valia que rendesso la ciutat à Karles, que morir ni sostenir tant grans autas ni tan grands vituperis. Ditas que hac aquestas novas elha va dir à Borrelh que mal era venguts a Narbona o so obs et las menassas que aviats faytas à la intrada per mon cap lour son tornadas in dam- nage e en gran vituperi. Ditas que hac la Regina aquestas paraulhas Borrelhs sol no li volc respondre causa que li desplagues mays que la sostenc quar era filha delh Almassor de Cordoa et per aquo podia dir tot so ques volia. E Matran quand lac pro escotada elh li va dir que malh o dizia e que per els elha ho disia mays per amor de Rollant dont ne seria qualhque ora punida e la Regina conoc que Matran no o disia mays per jilosya, et dix le : Seynher entar mateus de vostra guerra e laysxats me anar car nulha auta no y avets si jeu ami tan noble baro ni tant espert darmas que Rol- lant nebot de Karles maynes, e jeu que lami de MÉMOIRES. 197 Casta amor per quens dix que si no fos per amor de mi pessa fora presza Narbona e vos elhs vostres forats tots morts. » L'auteur, qui se plaît à multiplier les récits de combats, nous montre ensuite l’archevèque Tur- pin prenant les armes et s’avançant vers la ville. Matran et Borrel vont à sa rencontre. Turpin ren- verse et tue l’un des cavaliers de Borrel. L'abbé de la Grasse demande à Turpin la permission de se mêler avec les siens à ces sanglants débats. Il en obtient la licence; il s’arme et vient sur le champ de bataille avec Rasols, qui, en arrivant, frappe Cabret, compagnon de Borrel, et le jette mort sur le sol ensanglanté, faisant entendre pour cri de guerre, {a Grasse ! En poussant le même cri, abbé Hélie se précipite sur Matran, et le jette dans un fossé. Celui-ci se relève avec peine, et, rentrant dans la ville, il va dans la salle royale, au lieu où il ado- rait Mahomet , et où l’on voyait une image de ce faux prophète : il la frappe du pied, il la brise. Ses soldats s’'irritent. Matran dit que, puisqu’il a été vaincu par les moines de la Grasse, il ne posera plus les armes, qu’il n’ait détruit leur couvent. La reine lui dit : « Roi jeté de sa selle par un moine, ne doit plus être pressé dans les bras de la fille du roi de Cordoue, Almanzor. » Nous rapporterons ici ce singulier passage : « Lendema mati lArsseuesque Turpi armec se ab los sieus e trops d’autres e per ïiij. parts elhs ca- valquero à Narbona. Matran et Borrelh quelhs viro van isxir am tota lor compaynha e lArsseuesque 198 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. Turpi ne sent demest tots a la venguda va ausir j. cavayer de Borrelh que elh elh cavalh dona en terra, e adonquas hac aqui gran torneyhament et Helias et Rasols caysso viro demandero lessensia à Turpi et anero ay tantost armar à la tenda. Armats que foro elhs vengro ab Îur compaynha al tor- neyhament e Rasols de venguda va ferir Cabret compaynho que era de Borelh. Et getec li mort in terra cridan /a Grassa ! et evans que tires las re- gnas vays si delh cavalh elh ausis v. cavayers Sar- rasis. Helias que vic que tabe fasia Rasols sas fas- sendas hac ne trop grand plasser et aytantots elh broqua vays Matran quelh vic estar alh bruelh cridan la Grassa ! e dec li tan gran colp que elh elh cavalh va gitar en j. valhat. Empero la Regina lo vic casser e toits los autres de cada part et Karles quant ho vic dix: Pros es nostre Abbat e quar es de noble lihnage fay a trayt et per elh lo monestier de la Grassa sera mi lorats sesgon que apar. Matran levec se delh valhat et tot vergoynhos et ple dira e de tristissia que hac va sen intrar a la ciutat per Porta Res e va sen a la salha rialh et alh loc on elh adhorava Maometh. Un emagena que era gran tota daurada et aquelha va penre e feric la am lo pe et en despieyt de Maometh elh la va trenquar tota disem que pusque j. vilh morgue lavia gitat del cavall Maometh no era dignes dasorar in son poder ni sa deytat res no era. Elhs Sarrasis que asso viro van lo rejetar trop quar avia batut Maometh e disxeroli cos podia elh pessar que Maometh po- gues mays quelh creator ni contra la siena voluntat. MÉMOIRES. 109 E Matran tots felhs dix e menassec que pusque elh avia pressa ta gran anta per los monges de la Grassa que elh no pausera ni armera entro que elh agues destruit elh monestier si elh vivia e que no volia ajuda nul temps mays de Maometh. E la Regina quant ac ausidas aquestas novas las qualhs hac ditas Matran et elha va respondre e dix li aquestas novelhas : Rey gitat de celha per j. morgue no devo per los brasses de la filha del Rey Almassor de Cordoa esser abrassats ni no deu esser apelhats daissy avant Rey. Et enans si vos me cressets ni que pieyts, non vengra am mon vol rendriets Narbona a Karles si no o fayts vostre prepausa- ment sera mudats empieyts cada dia. Matran que ausic aquelhas novelhas partic se dauant elha tor- felh e irats. » De nouveaux combats succèdent aux combats déjà racontés. Dans l’un des derniers, le nombre des morts fut si grand, il coula tant de sang, dit Vauteur, qu’on aurait pu croire qu’il avait forte- ment plu pendant deux jours : « Et adonc foc fayt tan gran mortandat e tan gran trenquament de membres e tan gran escampament de sanc que semblec que agues plaugut fortment ij. jorns.….. » Chacun des barons chrétiens, croyant que la prise de Narbonne est peu éloignée, en demande l’investi- ture à Charlemagne : ils pressent ce monarque , qui ne croit devoir l’accorder à aucun d’eux. En ce mo- ment arrive Aymeric de Berlanda , neveu de Gui- raud de Vianeet deRaynier de Lausane ; il vient des environs de Barcelone et de Lérida, et amène avec 200 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. lui sept mille cavaliers et quatre cents arbaletriers. On l’engage à se mettre au nombre de ceux qui demandent à Charlemagne la possesion de Nar- bonne. Il refuse, en disant qu’il n’a rien fait pour mériter un si magnifique don. L'Empereur l'entend, et, satisfait de la modestie de ce guerrier, il lui promet la seigneurie de la cité où règne encore Matran; et Aymeric abandonne dès lors le surnom de Berlanda, pour celui de Narbonne. Un secours de dix mille cavaliers arrive dans la ville assiégée; ce secours est conduit par Ame- don, fils d'Almansor, et frère de la reine. Ayme- ric, qui s'approche de la ville, fait entendre son cri de guerre, Narbonne ! Matran lui demande ce que signifie ce cri. Aymeric lui répond que Char- lemagne lui a donné cette ville; mais que sil veut recevoir le baptème, il lui en laissera la pos- session, et que l’empereur lui fera en outre de riches dons. Matran rejette avec mépris cette pro- position, et, dans un combat singulier, Aymeric est vainqueur de Corbelh de Tortose, lun des plus braves chevaliers de l’Émir de Narbonne. La reine voit Amedon son frère. Elle lui té- moigne la peine que lui cause sa présence. Elle craint pour lui une fin tragique. «Enfant , si tu veux me croire, lui dit-elle , retourne à Cor- doue. Narbonne a été donnée à Aymeric, lun des plus nobles barons de France, et des plus vaillants aux armes, suivant que je l’ai entendu dire ; et si Matran, mon mari, voulait recevoir le baptème..…. mais il ne le veut pas... Cepen- : MÉMOIRES. 201 dant le pouvoir ni la Déité de Mahomet ne sont rien en comparaison du Créateur ; et je vous le dis pour certain , je veux être baptisée, embrasser la loi chrétienne, et je l’observerai en l’honneur de la bienheureuse Vierge mère de Dieu et de son cher Fils, lequel est tout-puissant »….. Amedon n'entend qu'avec colère expression des sentiments de sa sœur... Il la quitte, et va se joindre à Matran et à Borrel, qui marchent vers Salces, qu'Aymeric, Roland et Olivier ont attaqué. Un violent combat s'engage. Les Sarrasins sont repoussés ; l’abbé Hélias et Rasols font des prodiges ; puis ils vont à la Grasse célébrer les obsèques de Thomas et des autres ermites. Les évêques de Paris, de Castres, de Poitiers , d’'Angoulème et de Saintonge, accom- paghent l'Abbé , et reviennent au camp avec lui. En ce moment un messager , envoyé par Olivier, annonce que la seconde nuit prochaine il doit arri- ver à Narbonne une armée entière, composée de soixante-dix mille soldats de la Talk Furena, d’Almerie et de Valence. Les Chrétiens, en appre- nant cette nouvelle, furent saisis d’une grande joie parce qu'ils voyaient naître pour eux de nouveaux dangers qui pouvaient leur acquérir une gloire nou- velle. Tous vont s’armer. On prend poste à Saint- Crescent. Un convoi est attaqué pendant la nuit , et les Chrétiens s’en emparent. Le Roi de Valence est au nombre des prisonniers. Il offre, pour être pré- servé de la mort, cent mulets chargés d’or et d’ar- gent ; mille pièces de satin , mille étendards, mille chevaux, etc... Charles refuse ces richesses. Mais le TOME V. PART, II. 14 202 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. Roi de Valence est l'oncle de Matran ; s’il peut per- suader à celui-ci de rendre Narbonne, on le remet- tra en liberté. S'il n’obtient pas la capitulation dela place, on doit lui couper et la tête et les membres, et les jeter dans la ville, à l’aide des mangoneaux : « No plassia a Dieu, dit Charles, que jeu laisse escapar deou rey sarrasi que jeu aia viu reyre mi per resensa car esperanza ey en Dieu e a siena Mayre que ÿ a aber ni autres bes nos faliran mentre Dieus me done vida. Empero aquest es oncle de Matran e si vol retre Narbona ja no penra mort e laisxarem lo anar e si no ho vol far faits li tolre elh cap e membres e ab lo manganels gita- rem los la ins la ciutat...… » Matran, sommé de rendre Narbonne, refuse, et l’ordre de Charlemagne est exécuté. Ta vue de la tête et des restes hacniée de l’'Émir de Va- lence, effraie les assiegés. Le découragement s’em- pare des cœurs. Amedon dit qu’il vaudrait mieux sortir , fuir de nuit ou de jour, que de s’exposer à un sort pareil à celui de l'Émir. Mais Matran lui rend le courage, qui semblait abandonner. Il espère de puissants secours du roi Marsille. Sa fem- me, qui la entendu, dit aux chefs des Sarrasins : « Barons, les paroles que Matran, mon mari, vous a adressées, sont vaines ; et puisqu'il dit qu’il est nécessaire que vous fassiez un choix, de deux cho- ses l’une aura lieu : ou vous recevrez le baptême, ou assurément vous recevrez la mort, par Charles ou par les siens, et cela en peu de temps, si vous n’ajoutez point de foi à ce que je vous annonce. »' MÉMOIRES. 203 Le lendemain, Matran, Borrel et Amedon font prendre les armes au petit nombre de soldats qui leur reste. Borrel va trouver Lambert, évêque de Limoges , accompagné seulement de cinq cavaliers. Il le trouve mort, et revient à la ville. Roland se présente à la porte; il y rencontre Borrel et lui dit : « Tu nous a causé très-souvent de grands maux. L'heure est venue où tu dois en recevoir le prix. Mais néanmoins, si tu voulais recevoir le baptème, tu ferais plaisir à Charlemagne, qui te verrait, avec peine, tant il estime ta valeur, mourir infecté des erreurs des Sarrasins. — Roland, lui répond Borrel, alors que tu me donnerais cent puissantes villes, je n’accepterais point le baptême. Mais ac- corde-moi cette courtoisie : On dit que tu es le plus noble chevalier chrétien qui soit au monde parmi vous. On dit aussi que je suis le plus noble cavalier Sarrasin qui existe parmi nous; combat- tons ensemble. » Roland accepte le défi. Ils vont sur le champ de bataille ; mais Aymeric querelle Borrel. Il demande à Roland la permission de tirer le glaive contré le héros Sarrasin. Les lances de ces guer- riers se croisent; les boucliers sont percés, et le coup est si fort, que les deux adversaires tombent de dessus leurs palefroïs. Alors le nombre des com- battants s’accroit ; Amedon est tué. La Reine adresse à son mari d'inutiles exhortations, pour que, cé- dant à la destinée, ét tournant ses yeux vers les clartés éternelles, il embrasse la foi des Chrétiens. Tandis que tant de pertes remplissent Narbonne de deuil et de regrets, les Juifs de cette ville, qui 14. 204 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. ont appris par /es sorts que Charles s’en rendra maître, et sera seigneur de la terre et de la mer, vont trouver Matran et l’engagent à se rendre, Mais Matran, qui croit à un avenir plus pros- père, répond qu’il recevra bientôt de si grands secours de Marsille, qu’il pourra détruire et Char- les et les siens : et je suis assuré de cela, dit-il, par les messages d’Almansor de Cordoue. «Jeu speri aver en breu ten gran secors e tan gran cos- selh de Marsseli quels vensirey elhs e destruirey Karles et totas sas gens. E daïisso so serts par messages delh Almassor de Cordoa.» Les Juifs qui veulent conserver et la vie et les richesses qu'ils possèdent, déclarent à Matran que ce qu'il leur répond n’a pas de sens, et ils ajoutent qu’ils vont se rendre à Charles, et se conduire envers lui comme envers leur seigneur. Matran leur com- mande de n’en rien faire, mais les Juifs ne lui obéissent pas. Son entière défaite est certaine, et Israël va se prosterner devant le vainqueur. L’un des chefs, nommé Isaac, sort de Narbonne avec dix autres Juifs, et se présente aux tentes de Charles, auquel il apporte en tribut soixante-dix mille marcs d'argent. On accueille avec bienveil- lance leur soumission, et surtout leur présent. Ils disent à l'Empereur que sachant bien par leurs sorts que Narbonne doit être soumise par lui, ils viennent , au nom de tous les Juifs de la cité, lui présenter ce trésor, en le priant de “les Es à miséricorde. Charles, auquel leur of- frande fit grand plaisir, dit l’auteur, leur répond : MÉMOIRES. 205 « Barons, je vous remercie du don que vous m’avez présenté. Celui qui demande merci, merci doit trouver ; et dès ce moment, je vous prends sous ma garde.» Les Juifs disent ensuite, qu’il ne faut pas que Charles pense que ce qu'ils font soit une tra- hison , car il est assuré qu'ils ne tiennent rien de Matran. Ils demandent ensuite d’avoir toujours un Roi des Juifs à Narbonne; «il doit être ici, et c’est de sa part que nous venons vers vous. Il des- cend de la race de David et de Baldackh , et il vous envoie par nous ces soixante-dix mille marcs d’ar- gent, et vous informe que si vous en voulez da- vantage, il vous en enverra; et tout ce que nous possédons, seigneur, vous appartient.» « [saach va respondre e dix a Karles : Seynher no cresets pas que nos fassam traisir quar per sert nos no tenen res de Matran septat que li faren alcuna cantitat dauer per emparasa per estiers. Seynher preguam vos que tostemps aia Rey de Jusieus a Narbona de nostra gens quar ayssi dun esser e de part de elh em nos venguts a vos loqualh es delh linhage de David e de Baldachi e tramet vos seynher mes- sage que si mays ne volets mays no trametra à tot vostra plasser, et tot seÿnher quant nos avem es vostre.» Apres avoir ainsi, et avec toute l’a- dresse qu’on leur attribue, fait la demande d’a- voir à Narbonne un Roi de leur nation et du li- gnage de David, les Juifs conseillent à Charles d'attaquer la cité par le côté qu’ils habitent, comme étant le moins en état de résister à ses armes. Ils rentrent, et Charles raconte au Pape, au Patriarche 206 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. de Jérusalem et à tous ses Barons, ce que les Juifs viennent de lui dire. On allait Here ensuite la résolution de monter à cheval pour ensevelir lEve- que de Limoges à la Grasse, lorsqu’un carreau, parti de la ville, frappe le Patriarche, qui tombe aux pieds de Charlemagne. Mais bientôt il se relève pour demander à l'Empereur et au Pape d’être aussi enseveli à la Grasse. Roland veut venger aussitôt la mort du Patriarche. Il marche avec Parmée et attaque la ville. Matran , qui se défie des Juifs, accourt de leur côté avec des troupes si nombreuses, que ceux-ci ne peuvent introduire encore Charles dans la cité... Mais ils préviennent Roland de ne pas entrer du côté qu’il attaque en ce moment. La Reine, femme de Matran , la belle Orionde, voyant son mari engagé dans + mêlée, sort avec une suite de donzels et de donzelles, et va droit à la tente de Charles, qui la reçoit avec une grande joie. Elle lui dit : Seigneur, je suis venue vers vous avec toute cette suite; nous quit- tons notre loi et notre nation, et tout ce que nous possédons, et nous demandons à être baptisés, tous, tant que nous sommes venus devant vous, à l'honneur de Dieu et de sa Mère bénie, et de toute sa céleste cour du paradis, et je prie votre noble personne, que lorsque je serai baptisée, ainsi que ces vierges qui sont venues ici avec moi, vous nous donniez des maris. » Cette partie de la ha- rangue n’est pas assurément la moins remarqua- ble; mais il est vrai que la Reine insiste pour être préservée de toute insulte, et baptisée à la Grasse. MÉMOIRES. 207 Charles, ému de grand’pitié, dit l’auteur, lui promet d’accomplir tous les désirs qu’elle a formés. Ce passage nous a paru bien digne d’être rapporté. « La Regina que auia nom Horiunda, que era molher de Matran Rey de Narbona, quant elha vic que so marit fo occupat a la bregua elha ay- tantost se va aysinar. Emeretan loqual era noble baro Sarrasi et embelh per nombre 1. donzelhs e gran re de donzelhas que eram am la Regina et ambaytant daur e dargent co poyro portar la Re- gina am tota sa compagnha sen va isxir de la ciutat et anec sen via dreyta à la tenda de Karles et elh com la vic reseup la am gran gaug. Cant elha li fo davant elha li va dir aquestas novas : Seynher en Rey a vos so venguda am tot aquesta compay- nha e desemparam nostra ley e tota nostra gent et tot quant auem en just et en querent e volem esser batejats tots ayssi quo em venguts deuant vos ad honor de Dieu et de la Mayre siuna bene- seyta et de tota la cort celestialh de paradis don pregui la vostra nobla persona que cant ieu serey batejada et aquestas verges que aissi so am mi que nos donets marits. E prec nos Seynher que en aquest mieg nos guardets de versoynha e de penre anta. Encara Seynher vos pregui que siam tots aissi quo em deuant vos venguts batejats à la Grassa. Cant Karles hoc ausidas aquestas parau- Ihas que la Regina li hoc ditas fo escomangut de grand pietat..….. » Matran qui, bien qu'avec impatience, avait en- tendu, sans se porter à aucun excès, les exhorta- . 208 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. tions de sa femme, alors qu’elle l’engageait à se rendre à Charlemagne, et à devenir chrétien, éprouve une si vive colère, une rage si grande, qu’il jure par Mahomet qu'il ne prendra aucun repos avant de s’être vengé. Il envoie demander Orionde à Charles ; et celui-ci répond qu’il ne lui a pas en- levé sa femme; que c’est Dieu qui l’a appelée à sa loi, et que sil veut recevoir lui aussi le baptème, il lui donnera plus de terres qu'il n’en possède ou qu'il peut en espérer pendant sa vie. Peu après, Matran rencontre Charles, et il lui dit : qu’il sera mauvais (aulh}, faux et traître sil ne lui rend pas sa femme. L'Empereur retient d’abord sa juste indignation, même lorsque Matran dit qu’il veut se battre avec lui. Mais PÉmir Sarrasin se précipite sur l'Empereur et perce son bouclier. Alors celui-ci tire sa redoutable épée, si connue sous le nom de Joyeuse : il la laisse retomber sur le heaume de Matran ; lÉmir est coupé en deux jusqu’à la selle, et son âme est portée dans l’enfer par les démons. Il paraïtrait assez naturel que, la mort de Ma- tran devant amener la reddition de Narbonne, le poëme finit par cet événement ; mais l’auteur pro- longe l’action. Il montre la résistance désespérée de ce qui reste de Sarrasins armés dans la ville ; Roland entrant par la Porte Reg, (apparemment la Porte Royale), et les Juifs, qui étaient là, n’op- posant aucune résistance, La cité est enfin soumise : Charles y fait son entrée; il empêche le pillage ; il fait annoncer que tout ennemi qui voudra rece- MÉMOIRES. 209 voir le baptème sera respecté. Il y avait cinq mois que la ville était assiégée. Charles divise en trois partsle domaine de Narbonne. La première est don- née à l’Archevêque, la seconde aux Juifs qui en ont livré l’entrée, et l’autre à Aymeric. Mais en annonçant à celui-ci le partage qui vient d’être fait, il lui demande sil le trouve bon, et Aymeric répond avec tant d’humilité, que Charles lui donne, en dédommagement de la première partie de Nar- bonne, la ville de Béziers, et pour la seconde, celle d'Agde; il y ajoute Maguelone , Usés, Nimes, Arles , Avignon , Orange, Toulouse , Albi, Carcas- sonne, Reguas (1), Empories, Collioure, Gironne, Barcelonne, Tarragone , et vingt royaumes de Sarrasins..... Après ces dons si riches, et dont la parenté d'Aymeric vient rendre grâce à l'Empereur , celui- ci veut tenir ses promesses à Orionde. Elle deman- dait un mari, alors que Matran vivait encore. Maintenant qu’il n’est plus, on la consulte sur le chevalier auquel elle veut donner sa main. Ce nest point sur Roland, qu’elle aimait cependant, comme on l’a vu plus haut, qu’elle arrête son choix; elle ne l’aime que de chaste amour. Cest Foulques de Montclar qu’elle désigne. Ce choix est approuvé par l'Empereur, qui donne à Foulques la cité “d'Albi. Mais il faut, avant de songer aux noces, ensevelir et l’Evêque de Limoges et le Patriarche de Jérusalem : Orionde d’ailleurs n’a pas encore (1) Reguas ou Redas, la capitale du Rasez. 21Q INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. reçu le baptême : pour accomplir toutes ces solen- nités on revient à la Grasse. C’est le Pape qui bap- tise Orionde, vétue d’une robe de soie blanche, et placée dans une cuve pleine d’eau. « Vestida d’un drap de seda trop blanc, en una tina plena d’ay- gua. » Au milieu des pompeuses cérémonies qui ont lieu, on apprend que le roi Marsille et Al- mansor assiégent Narbonne, et que les monastères de Saint-Crescent, de Saint-Paul et de Saint-Félix ont été détruits par les Maures. Charles donne aussitôt l’ordre de réunir ses troupes dispersées. Il envoie partout des messagers pour faire avancer des forces considérables. Il fait fortifier le mo- nastère de la Grasse, pour que les ennemis du nom chrétien ne puissent s’en emparer. Il s’a- vance vers Narbonne, où déjà Aymeric et Roland étaient entrés. Un combat acharné a lieu près dun ruisseau , entre Montlaur et Narbonne. La guerre continue : Foulques tue, dans un combat singulier, Tornabel, oncle d’Orionde, et par con- séquent le sien. Le reste du poëme offre peu d'intérêt. Charles est vainqueur. Marsille, qui est renfermé dans le château de Montaigu, est invité par Charles de venir combattre avec lui; il s’excuse, en disant à Charles qu’il n’a point de chevaux, mais qu'avant une année, sa joie se changera en colère et en pleurs... «ÆE Marseli anec se escusar e dix li que no avia cavalhs, mais quelh li fasia saber que ans que vengues j. an que son gaug tornaria en plor et en ira ses dups. » MÉMOIRES. 211 Le roman, ou le poëme dé Philomena, étant surtout écrit en l’honneur du monastère de la Grasse, on retrouve , presque à chaque page, le nom de celui-ci. Charles, prêt à partir pour de loin- taines conquêtes , fait ses adieux aux moines qu’il a établis dans cette abbaye. Il leur donne toute sa chapelle et ses livres. Ici nous copierons encore le texte original. « Aprop elh hi va donar et ufrir tota sa capella complida de libres e de draps de seda. Pueys elh hi va donar sos gants en seynalh d’amistat e de dilectio que avia al monestier pro- meten que si Dieus li donava vida ni conqueria Espagha que elh loc creysxiria de riquessa et de possessios. En aprop elh hi va donar ij. libres, la j. cubert ampost de Nori en lo cal era duna part le Crusific entretalhat et de l’autre part de la ma- jestat del sobiran Rey, so es un sauteri, et autres de Cipres e doas capas de sede e donec ij. capas daur e de seda meravelosament obradas. Pueys donec x. draps entiers de seda preciosas. L'autre libre que dinec fo j. sauteri am post de Cipres local era cubert tot de peyras preciosas meravelosament fort noblas et virtuosas….. » Après avoir offert ces riches dons, et les avoir déposés sur l'autel de la Mère de Dieu , le grand Charles la prie humblement de mettre le monas- tère de la Grasse sous sa garde. Ensuite il lui de- mande , pour lui, que quand son âme sortira de sa dépouille mortelle, elle daigne la présenter à son Fils, afin qu’elle soit placée dans le paradis. Tel est le poëme ou le roman Carlovingien , qui 212 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. porte le nom Philomena. Cet ouvrage est au moins du milieu du douzième siècle. On y retrouve les légendes, les fables populaires, conservées encore dans le pays par une tradition non interrompue. Mais ces fables ont-elles une origine plus ancienne que l’ouvrage attribué à Philomena, ou bien, inven- tées par l’auteur, caché sous ce nom, ne remontent elles pas à une époque plus reculée ? Cest ce que nous ne chercherons pas à expliquer ici. D’autres poëmes, appartenant au midi de la France, d’autres épopées chevaleresques, vont fixer toute notre at- tention. Nous suivrons souvent dans nos recher- ches , celles de M. Fauriel, qui nous a rendu avec bonheur tant de monuments de notre vieille litté- rature, qui a recueilli nos gloires oubliées, nos souvenirs dédaignés. Heureux si nous pouvions, sur ses traces, acquérir quelques droits aux sou- venirs de la postérité. Année 1839. DISCOURS D'OUVERTURE PRONONCÉ Par M. TAJAN, PRÉSIDENT DE L'ACADÉMIE, À [a Bancs publique 5n 16 uit 1839. Mzssieurs, Dans ce siècle d’agitation et de controverse, où les intérêts matériels et les intérêts politiques sem- blent absorber toutes les idées, il est beau de voir les corps savants se faire jour à travers tant de passions exaltées, pour accomplir la mission qu’ils ont reçue, en secondant par un zèle infatigable les progrès de l’esprit humain. La société, avec sa merveilleuse organisation, trouve sans doute d’im- menses avantages dans les conquêtes de l’industrie, dans la rapidité des communications et des rela- tions privées, dans le développement le plus large et le plus étendu de ces établissements commer- ciaux qui enrichissent les deux mondes; mais le bien-être matériel, qui résulte de ces nombreux 214 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. éléments de prospérité, ne pourrait s’accroître, ni même se maintenir, si le génie, qui a ouvert les sources de tant d'innovations et de richesses, res- tait stationnaire, s’il n’était excité à de nouvelles conceptions d’un ordre encore plus élevé. L'action de la vapeur sur l’industrie manufac- turière , sur la navigation et sur l’économie do- mestique, la belle découverte des chemins de fer, en un mot, toutes les merveilles que le génie de l’homme est parvenu à réaliser, et qui excitent si justement notre enthousiasme, ont exercé, il est vrai, la plus utile influence sur l'amélioration de la condition humaine; mais, il faut le dire, les bienfaits qu’elles ont procurés ne pourraient nous dédommager de ceux que nous perdrions, si Lé- tude des sciences était” délaissée et entièrement sacrifiée à la jouissance de ces intérêts purement matériels. Ce délaissement , d’ailleurs, serait à la fois une coupable ingratitude et une imprévoyance funeste : ingratitude! parce que c’est en cultivant son esprit que l’homme a pu concevoir et exécuter ces éton- nantes créations. Imprévoyance! parce que ce nest que par d'autres études que nous pouvons apprendre à les conserver, à les perfectionner , à les étendre, à les appliquer à des élements, encore plus féconds que ceux qui, jusqu’à ce jour , ont été employés. Assurément , le génie de l’homme a fouillé avec ardeur dans les mystères des sciences ; mais est-1l parvenu à surprendre leurs secrets les plus intimes? Qui pourrait se promettre de des- MÉMOIRES. 215 cendre dans toutes les profondeurs des mgthéma- tiques, et de résoudre tous les problèmes qu’elles présentent à la raison humaine ? Quel est celui qui pourrait nous expliquer maintenant tous les phé- nomènes de la nature, que l'étude de la physique, de la chimie et de l’histoire naturelle, peut seule nous révéler ? | Je puis ajouter qu’il en est de même pour les lettres. Les littératures anciennes ont été et sont encore Pobjet des études les plus graves, et des travaux les plus consciencieux de nos érudits; mais quel est celui d’entr’eux qui, quoique familiarisé avec le génie des langues, ait eu le bonheur de décou- vrir dans les écrits des historiens, des orateurs et des poëtes grecs et latins, tout ce que les œuvres immortelles de ces auteurs renferment de bon et de beau? On y a trouvé sans doute des pages admi- rables, les traces profondes du génie qui les ins- pira, et du feu sacré dont leurs auteurs étaient animés : on a mis en relief ces pensées fortes et hardies , ces traits vigoureux qui saisissent l’âme et la font tressaillir , ces images empreintes de tant de grandeurs et de majesté, en un mot, toutes ces beautés sublimes qui font le désespoir de notre faiblesse; mais vous le savez, Messieurs, la mine n’est pas encore épuisée. Il y a donc pour nous un immense intérêt à cul- tiver les sciences et les lettres, puisqu'elles peuvent nous porter à des inventions nouvelles et au perfec- tionnement de celles dont nous jouissons ; mais pour 216 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. que cette étude soit plus profitable et plus fertile en enselsnements, lexpérience a prouvé qu'il fal- lait qu’elle fût faite en commun, c’est-à-dire, que les hommes, entrainés vers ce genre d'étude par les dispositions de leur esprit, se réunissent en société pour se communiquer réciproquement le fruit de leurs recherches et de leurs méditations. Ce sont, Messieurs, ces communications fré- quentes, c’est cet échange mutuel des connaissances et des lumières acquises dans des lectures réflé- chies, qui attachent une haute importance aux tra- vaux des Académies, et démontrent l'utilité de ces institutions. Dans ces réunions d'hommes voués au culte de l'intelligence, tous animés du même esprit, se dirigeant tous dans le même but, chacun apporte le tribut de ses veilles. La vie du savant est une vie de concentration et de solitude ; mais elle aime à se répandre dans ces sociétés inti- mes, où les amis de la science sont sûrs de trouver des conseils éclairés et d’ardentes sympathies. La, le savant modeste qui, dans sa retraite studieuse, et sérieusement réfléchi sur les systèmes divers que son imagination a créés, vient exposer ses opinions et ses doctrines, et les soumettre à la critique, avec une abnégation absolue de tout sentiment personnel. Si ces doctrines et ces opinions sont acceptées, il se réjouit d’une sanction qui flatte son amour-propre, atteste la rectitude de son esprit, et fait en même temps sa récompense; si, au con- traire, il lui est démontré, par une discussion raisonnée , dans laquelle éclatent le plus souvent MÉMOIRES . 217 des lumières qui jettent un grand jour sur les questions les plus ardues, sil lui est démontré, dis-je, qu'il s’est trompé; loin de saffliger des conseils qu’il a reçus, il sy soumet avec docilité, en rectifiant les erreurs qui ont échappé à son juge- ment. C’est ainsi, Messieurs, que les théories les plus abstraites sont éclaircies, que les systèmes les plus confus ou les plus obscurs sont claire- ment développés, que les problèmes les plus diffi- ciles sont résolus, que les phénomènes les plus étonnants sont expliqués; et l’on concevra facile- ment qu'il n’est possible d'obtenir des résultats si heureux, et quelquefois si brillants, que dans une agrégation d'hommes consacrés aux mêmes études. Aussi, il ne faut pas s'étonner si, dans tous les temps, chez tous les peuples, et surtout, dans notre belle France, les savants, les littérateurs et les artistes se sont constitués en société pour pro- pager l'amour des lettres, pour aider au perfec- tionnement de la langue, pour assurer à notre littérature la prépondérance qu’elle doit avoir, pour favoriser le goût des arts et accélérer leur progrès. Il faut reconnaître, pourtant, que ces sortes de sociétés ne se sont formées que lentement, parce que lesprit d'association ne s’est introduit aussi qu'avec lenteur dans les mœurs publiques , et que, avant les modifications qu’a subies notre ordre so- cial, on n’avait pas assez observé les conséquences qui étaient résultées, déjà, pour la société civile, de TOME V, PART, II, I 5 218 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. ces utiles réunions. Dans le siècle dernier , on ne comptait qu’un très-petit nombre d'Académies dans quelques villes privilégiées ; maïs depuis que l'Europe a été agitée par la violence de nos révo- lutions politiques , et.que l'esprit humain , exalté par les idées nouvelles qui ont surgi du sein de tant d’orages, a reçu un si prodigieux développement, elles se sont multipliées dans presque toutes nos provinces, et fleurissent à l'abri des lois qui les protégent. Cette amélioration rapide est due principale- ment à ce besoin de progrès qui tourmente le siècle, à cette impatience d’un avenir plein de gloire et de prospérité, qui se manifeste dans les générations qui commencent, et surtout à cet esprit d'association dont je viens de parler, esprit dont nos ancêtres ne comprirent pas toute la portée, et qui déjà a réalisé parmi nous tant de prodiges. En effet, Messieurs, ce n’est pas seulement pour des spéculations industrielles que des asso- ciations se sont formées sur tous les points : elles se sont étendues avec une incroyable activité, et presque sans limites, sur les divers objets qui peuvent tenter l’ambition humaine, et peut-être doit-on attribuer aux agrégations scientifiques qui existaient dans l’ancienne société civile, l’idée toute moderne de généraliser et d'appliquer le principe de l'association à tout ce qui peut se rat- tacher aux intérêts de l’homme , à ses besoins, à sa grandeur , ou à sa dignité. Nul doute que les corps académiques, par les MÉMOIRES. 219 grands succès qu’ils avaient obtenus, et le bien qu'ils avaient produit, n’aient pu donner une idée élevée de tous les avantages qu'il était possi- ble de retirer de la réunion de plusieurs intelli- gences dans un seul foyer; et c’est peut-être à cette considération puissante que lon doit attri- buer le mouvement extraordinaire qui s’est opéré en faveur des associations. L'on a pensé avec rai- son que, puisque les hommes qui cultivent les sciences avaient pu réaliser, en se réunissant, toutes ces choses que nous admirons, il était pos- sible d'appliquer le principe de l'association avec Pespoir du même succès, à toutes les autres par- ties de l’économie sociale. Aussi , cette application a-t-elle été essayée dans tous les genres de spéculation et d’entreprise; et sans sortir de notre spécialité, ce n’est pas dans un espace rétréci que expérience a été cir- conscrite. Il est facile, sans doute, de composer dans une seule cité, une réunion de personnes ayant toutes les mêmes goûts, et formant les mêmes vœux pour étudier en commun les sciences, les lettres et les arts, et de faire sortir de cette société. des lumières qui doivent éclairer la population au centre de laquelle elle est établie; mais réunir en un seul corps les intelligences disséminées dans plusieurs provinces, former un seul faisceau du résultat des études, des investigations, des expé- riences et des découvertes qui ont eu lieu dans ces diverses directions, enfin, composer avec tous 15. 220 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. ces éléments épars un ensemble homogène, qui, par son importance, puisse lutter sans désavan- tage avec les institutions dont la capitale est si jalouse, c'était là, certainement, une difficulté qui paraissait insurmontable, et dont l’esprit d'association est cependant parvenu à triompher. Vous le savez, Messieurs , indépendamment des corps savants et littéraires .qui se sont organisés dans nos principales cités, il s’est formé , sur- tout dans le Midi , une ligue puissante pour pro- curer à nos provinces humiliées cette émancipa- tion intellectuelle qui, seule, peut faciliter les opérations du génie. Si les productions les plus remarquables de la pensée ne pouvaient être ac- créditées dans le monde que par la sanction de la capitale, si les plus hardis monuments des arts, si les découvertes les plus inespérées de la science, si les chefs-d’œuvre de nos écrivains les plus éloquents et de nos poëtes les mieux inspirés, ne pouvaient avoir quelque autorité que par le juge- ment suprême de Paris, le découragement pro- fond qui résulterait de ce système décevant, écarterait des études sérieuses les esprits les plus disposés à sy livrer, et briserait tous les ressorts de lémulation. Cest, Messieurs, pour combattre ce désolant abus qui, si longtemps a pesé sur la province, sans aucune compensation pour elle, que des hommes pleins de savoir et de zèle conçurent, il y a quelques années, l’heureuse idée de former cette association intellectuelle dont nous admirons tous MÉMOIRES. 22 les jours les courageux eflorts ; et une jeunesse enthousiaste s’est précipitée dans la lice avec une sorte d'ivresse soutenue par lespoir dun triomphe qui certainement sera tôt ou tard le prix de sa persévérance. Aussi, voyez quels glorieux résultats ont déjà couronné ses premières agressions dans notre Midi? De jeunes hommes jusqu’alors ignorés , et dont le talent sétait nourri et développé dans Vombre et le silence , se sont produits au grand jour avec des œuvres étincelantes d’esprit et de beautés, élaborées avec goût, disposées avec art, écrites avec grâce, et d’autres œuvres non moins remarquables par la profondeur et la justesse des pensées , lexcellence des doctrines, et la rare facilité de expression. Chacun des membres de cette association in- téressante a rassemblé dans un recueil commun les produits de ses élucubrations laborieuses, ou de ses inspirations poétiques; et la presse, puis- sant auxiliaire du génie, a secondé ses sublimes élans. J'ai dit la presse! Mais ne croyez pas, Mes- sieurs, que j'entende parler ici de cette presse politique, si amère dans ses censures, si passionnée dans ses jugements, si fougueuse dans ses haines, si injuste et si ardente dans ses violences, si dé- sordonnée dans ses écarts. J’ai voulu parler de cette presse généreuse, qui reçoit et conserve pour les répandre, sans les dénaturer et les corrompre, toutes les conceptions du génie; qui verse avec 222 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. profusion au sein des populations ignorantes, les trésors de science qu’elle a recueillis, et contri- bue ainsi aux bienfaits de la civilisation, et à l'éducation du genre humain. Cest cette presse qui, par les idées qu’elle communique , les théo- ries qu’elle enseigne, les systèmes qu’elle met en évidence , les méthodes qu’elle indique, les saines doctrines qu’elle répand, les enseignements de tous les genres qu’elle prodigue , les vérités qu’elle révèle, enflamme et grandit la pensée, forme à la fois le cœur et l’esprit, fait éclore les ger- mes les plus inertes de l’intelligence, parle avec éloquence à l’imagination, et exerce sur toutes les facultés de l’âme une influence irrésistible. Cette presse, Messieurs , est bienfaisante et salutaire; elle éclaire vivement, mais elle ne brüle pas. Cest par son concours que l'émancipation in- tellectuelle doit saccomplir ; elle s’accomplira certainement par les soins répétés de cette jeu- nesse studieuse, qui se livre avec une constance si louable à l'étude des grands modeles, et qui a déjà révélé aux provinces le secret de leur force; secret qu’elles auraient peut-être toujours ignoré sans le contrat d'alliance qui les a réunies. Sans doute il sera impossible de détruire la suprématie que la capitale exerce sur les.travaux de Pesprit , parce que c’est de son sein que découlent toutes les grâces | parce que cest elle qui sanctionne toutes les réputations, et dispense tous les genres de gloire ; mais on parviendra du moins à éta- blir que ce n’est pas seulement dans les institu- MÉMOIRES. 223 tions dont elle est enrichie que sont renfermés tous les trésors de l’intelligence , et que la pro- vince a aussi des richesses qui contribuent avec une égale puissance aux progrès de la raison hu- maine et à la grandeur de la patrie. Les Sociétés savantes ont, en ce qui les tou- che, un moyen non moins heureux de fortifier cette lutte, en imprimant une impulsion grande et forte aux études scientifiques ; et ce moyen, l'Académie des Sciences de Toulouse ne la pas négligé, c’est celui des concours publics. Chaque année elle ouvre la lice. Toutes les branches des connaissances humaines deviennent tour -à -tour Pobjet d’études particulières ; et les jeunes hom- mes qui sont jaloux d'essayer leurs forces dans ces nobles combats , peuvent se présenter dans Parène avec toute l’ardeur de leur âge, certains d'y trouver des encouragements et des récom- penses. Ce n’est pas, du reste, pour les jeunes disciples des sciences et des lettres, seulement , que les concours sont ouverts. Les hommes déjà avancés dans les études scientifiques et littéraires, et qui jouissent des prémices d’une réputation acquise par des succès d'éclat, ne dédaignent pas de se soumettre encore à ces épreuves qui leur assurent un surcroit de gloire , et qui peuvent mettre le sceau à leur renommée. Ne sait-on pas que la plupart des savants et des écrivains illustres qui font l'honneur et l’orgueil de la France , ont jeté les premiers fondements de leur célébrité dans 224 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. ces concours publics dont ils sont sortis vain- queurs. Plus les questions proposées à leur ému- lation avaient été graves, plus les sujets soumis à leur examen avaient été profonds , plus leur triomphe a été beau ; car c’est la difficulté vaincue qui ajoute à l'éclat de la victoire. Entrez donc dans cette voie brillante, vous dont le génie impatient brüle de répandre ses éclairs ; vous qui parcourez déjà avec honneur cette carrière des sciences et des lettres , si fertile en illustrations ; vous surtout qui, jeunes encore, ambitionnezces nagnifiques couronnes que la gloire réserve pour ses plus chers favoris. Présentez-vous avec confiance dans ces concours, source pre- mière de cet avenir glorieux que vous avez rêvé. Vous y trouverez de nobles émules et des rivaux inspirés par le même enthousiasme ; et dans cette lutte animée , qui honorera à la fois l’Académie qui en aura donné le signal , et les athlètes qui auront combattu , vous prouverez par vos géné- reux efforts que si la province ne peut point as- pirer à cette prééminence dont la capitale seule peut s’enorgueillir, elle n’est pas au moins déshé- ritée des talents qui pourraient la lui donner. FIN DE LA 2.° PARTIE DU TOME V. TABLE DES MATIÈRES. SECONDE PARTIE. INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. Année 1857. HISTOIRE. ne Brie) RE EN PA LAN EEE Analyse des AE de la Classe des Ins- criptions et Belles - Lettres pendant Pannéeé nee 3 cab Sur le vrai motif qui fait repousser l'Enseignement mutuel; par M. GATIEN-ARNOULT.......... Considérations sur la Pensée et l’expression de la Pensée ; par M. le Marquis D»’AcuiLar...... Recherches historiques sur la ruine de l’empire de Babylone ; par M. l'Abbé Jamme........... Des Pélerinages ; par M, DE MorTaRIEU. ........ DISSERTATIONS ET MÉMOIRES. Discours sur l’utilité de l’étude des Langues anciennes ; par I. Tasan........... Pages. pi © +R 226 TABLE DES MATIÈRES. De la Condition des Etrangers dans la Mo- narchie française ; par M. ns Morra- RU ve Cadre te à re NUE CR Mémoire sur Saint-Etienne d'Agen; par Mu Mécer Reese POSE. Gi Année 1838. HISTOIRE. Analyse des Ouvrages de la Classe des Ins- cripüons et Belles - Lettres pendant années eteL PE PPEEES 75 Dissertation sur les différences qui existent entre lIliade et l'Odyssée; par M. Hamez........ 75 Mémoire sur Aristophane considéré comme homme politique et comme poëte; par M. Hamez.... 797 De l'opinion des Philosophes romains sur la vie future ; par M. DE LAvVERGNE. . .... PAR. "OI Tableau des circonstances qui accompagnaient , à Rome , la naissance d’un enfant ; par M. Sau- VO GE RNA ROUTE RP OCR colo 0 OMR) Aperçu de l’histoire de l'esclavage dans l'antiquité; par Mine DAVERGRE Se... PPT CNO) Dissertation sur l’invasion des Maures en Espagne ; PATAMPE NA CQUIES ee SE UNE docigeee CI Notice sur le Vieux de la Montagne ; par M. DE Vac- OUIE à ep SUR RAS MER, een cesser O0 DISSERTATIONS ET MÉMOIRES. De la Censure politique et littéraire chez les Romains ; par M. SAvvace.......... 09 TABLE DES MATIÈRES. 227 De l'Exposition des enfants chez les Romains; Par UM Sihinaenee......4:.:.... 110 Recherches sur les Epopées méridionales (1. Mémoire); par M.nu Mice.... 129 Recherches sur les Epopées méridionales (2.° Mémoire); par le même. ....... 157 Année 1839, Discours d’ouverture de la Séance publique du 16 juin 1839; par M. Tasan..... 213 FIN DE LA TABLE, 6 DO600000060600000600006000600000600060060 09290 LE 00000000000000000000000900222022000002090 9000000000060008000000800000020200602000080260000000000000000020n0ep0n20n0n20sannano0t