L a, ré * RL Sn 7 é rar DE A ce = LM D ON HN WIN Evvopvarnononenmessecunsogeoanaenanenseceunase0e dx HISTOIRE ET MÉMOIRES L’ACADÉMIE ROYA LE FA DES SCIENCES, | INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES DE TOULOUSE. COCO 000066. CSS 0006066606000666660: SIT = ANNÉES 1828, 1829, 1830, 1831, 1832, 1833. TOME TROISIÈME. DER EME " TOULOUSE, IMPRIMERIE DE JEAN-MATTHIEU DOULADOURE , RUE SAINT-ROME, N.° 1, 4834. © , | © © © © {© © © © © © © © © © © © 1,© © © y © © © © © ÿ | © © 4 | © y © © © | © © © © ©. © © © © © H © © © © © cer © © HISTOIRE ET MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES, INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES DE TOULOUSE. HISTOIRE ET MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES, INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES DE TOULOUSE. ANNÉES 1828, 1829, 1830, 1831, 1832, 1893. a TOME TROISIÈME. 1.7 PARTIE. #2 e { £ 5 ? AY ri LR rs TOULOUSE, IMPRIMERIE DE JEAN-MATTHIEU DOULADOURE, RUE SAINT-ROME, N.0 41. 1834. \ 48 KE à Rex An bé , ——— =— x 7 À : ce À Es pen sh SUR ) RC EL r. 4 À A He PA L ot À “ a + L Pen ce : : A nn = LE L D 0 FN Re Rs 4 TC € Le T4 ee AN Dr à mo ra NET pe ES AVR AN : 64 D * ré . dt Fe 1 PL pe L l D AN" \$ : L ” [e Ü L a on à î ren "2 L t ÿ en À r à .. LE: À @ n Qu ue à mn . SE | aetoavor "1 sAUdGE, LICE UANTTTAM-HANE ÊT MIASNEAAUE, ! 18 di LE tata x 4 È ERTTI AVERTISSEMENT. Erasue au mois de juin 1746, en vertu de lettres patentes données par Louis XV, l’Aca- démie de Toulouse a rendu de longs servi- ces aux Sciences mathématiques et physiques, et à l'Histoire ancienne, par les Sujets de prix qu'elle a proposés , et qui ont attiré dans ses concours Clairault, Bossut, Sauvage, Camper, l'abbé de Guasco , et une foule d’autres savans illustres. Elle avait établi, dans l'Hôtel acquis par elle , des Cours de langues hébraïque et grecque : elle cultivait l’Astronomie avec des succès non contestés : la Botanique lui devait en partie ses plus belles découvertes dans les Pyrénées ; son Médailler, son Laraire , offraient de précieux objets d’études ; les Mémoires , lus dans ses assemblées particulières ; formerent en peu d'années , une collection volumineuse et qui peut encore être considérée comme un hono- rable monument pour Toulouse. La publication de tant de travaux , de tant de vérités inédites, de tant de faits utiles , dut d’abord paraître diffi- v} cile à cette Société. Mais elle trouva bientôt dans la générosité de l’un de ses membres de quoi sub- venir à cette dépense. M. l'abbé d'Héliot, fon- dateur de la belle Bibliothèque du Clergé, en laissant presque tous ses biens aux hospices de cette ville , ordonna qu'ils fourniraient une somme à l’Académie , toutes les fois que celle-ci publierait un volume. Cette disposition testamentaire fut rebigieusement exécutée, et la collection des Mémoires allait augmenter d’une maniere sensible chaque année ; mais l'heure de la révolution sonna, et une main spoliatrice s’é- tenditsur les institutions littéraires, ainsi que sur celles qui devaient soulager Finfortune. Bientôt l'Académie elle-même , dispersée , chassée de son Hôtel, fut comprise dans la proscription générale qui frappa tous les corps scientifiques, et lorsqu'elle fat rétablie, en 1807, elle ne dut, comme elle ne doit encore , ses ressources qu’à uñe dotation annuelle votée par Le Conseil mu- nicipal. Ainsi, privée de ses biens, de ses re- venus, qu'elle devait en grande partie à ses membres , repoussée , alors qu’elle forma une demaude pour jouir des clauses testamentaires de M; l'abbé d'Héliot , elle se borna, pendant vingt années , à offrir des sujets de prix , à cou- VI] ronner les auteurs des meilleurs ouvrages qui lui étaient présentés, sans pouvoir donner au public les premiers volumes de ses Mémoires. enfin ses économies lui permirent d’en publier un en 1827; elle en a donné un autre en 185, et aujourd’hui elle présente le troisième , bien que sa dotation n'ait pas augmenté. À l'avenir elle fera imprimer, chaque année, l’Histoire de ses travaux, et les meilleurs Mémoires lus dans ses réunions ordinaires. Ainsi les décou- vertes de ses membres seront connues presque au moment même où elles auront été faites, et, sans doute, la science ne perdra rien à ces promptes et utiles communications. Si quelque- fois , cependant , des Mémoires importans se trouvent réduits, comme plusieurs le sont déjà dans ce volume , à une simple et courte notice, à une sorte de résumé, il ne faudra en accuser que l'impossibilité où se trouve l'Académie de subvenir abondamment aux frais d'impression. Ce troisième volume est, comme ceux qui l'ont précédé , divisé en deux sections qui forment chacune un Recueil particulier. La première est consacrée aux Sciences mathéma- tiques et physiques : la seconde aux Sciences historiques , ou aux Inscriptions et Belles-lettres. Vu] Dans la premiere partie on trouve , aprés l'indication des Changemens arrivés dans la liste des Académiciens , l'énoncé de tous les Sujets de prix proposés par la classe des Sciences depuis l’année 1827. L'Histoire des ouvrages de cette classe vient ensuite, et cette première partie est terminée par les Mémoires qui ont paru susceptibles d’être imprimés en entier. La seconde section offre d’abord quelques Considérations générales sur létude des sciences historiques dans le Midi de la France ; puis les Éloges de MM. Rivet, Larrey, Ferpeau , Car- ney, Boudon de St.- Amans, et Champollion jeu- ne, membres ou correspondans de l’Académie. L'indication des Sujets de prix proposés par la classe vient ensuite, ainsi que l'Histoire ou l4- nalyse des ouvrages ; et le volume est terminé par quelques Mémoires relatifs à la Linguistique et à l'Archéologie. ÉTAT DES MEMBRES DE L’ACADÉMIE EN 1834. OFFICIERS DE L’'ACADÉMIE. M. TAJAN , Avocat, Conseiller de préfecture, Président. M. le Baron DE MALARET %, Directeur. M. D'AUBUISSON x», #, Ingénieur en chef au Corps royal des Mines , Secrétaire perpétuel. M. DUCASSE , Docteur en chirurgie, Secrétaire adjoint. M: ROMIEU , Doyen de la Faculté des Sciences, Tree sorier. ASSOCIÉS HONORAIRES. Monseigneur lArchevêque de Toulouse. M. le premier Président de la Cour royale de Toulouse. M. le Préfet du département de la Haute-Garonne. M. le Baron Lerix , C. #, # > Maréchal de camp d’artil- lerie en retraite , à Salins, M. Araco, Secrétaire perpétuel de l’Institut de France pour les Sciences mathématiques. ACADÉMICIEN-NÉ. M. le Maire de Toulouse. ASSOCIÉS LIBRES. M. le Baron Marcassus DE Puymaurin (Jean - Pierre- Casimir ), C. #. M. Léon (Joseph), Professeur à la Faculté des Sciences. M. Casrran ( Nicolas }, Docteur en médecine. x ÉTAT DES MEMBRES ASSOCIÉS ORDINAIRES. CLASSE DES SCIENCES. 1."MSECTION. SCIENCES MATHÉMATIQUES. Mathématiques pures. M. Romreu , Doyen de la Faculté des Sciences. M. S.T-Guicuex , Ingénieur des Ponts et Chaussées. Mathématiques appliquées. M. »'Auguisson , %, #, Ingénieur en chef des Mines. M. Macués , # (Jean-Polycarpe ) , Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées et du Canal du midi. M. Gaxrier ( Louis-François ) , Professeur à l'École royale d'artillerie. M. Agante ( Jean), Ingénieur-mécanicien. M. Vrray ( Urbain), Architecte de la ville. Physique et Astronomie. M. pe SaGer ( Charles), Propriétaire, M. Dsssozce ( Jean-Gabriel ), O. # , ancien Préfet, M. Borscrraup , # , Professeur de physique à la Faculte des Sciences. M. Vaururer (Jean-Charles-Auguste ) Directeur de l'Ob- servatoire. 2.me SECTION. SCIENCES PHYSIQUES ET NATURELLES. Chimie. M. Parcnés (Jean-Baptiste), Pharmacien. DE L'ACADÉMIE. x] M. Macnes-Lamexs ( Jean-Pierre ), Pharmacien, de l’an- cien Collège de pharmacie de Paris. M. Durac (Xavier), Pharmacien. Histoire naturelle. M. Frizac ( François ) , Conseiller de préfecture. M. Drazer (Etienne - François ) # , ancien Conserva- teur des forêts. | M. le Colonel Dupuy, O. x, #, Médecine et Chirurgie. M. Vicuenie ( Charles-Guillaume )#, Docteur en chi- rurgie , Professeur à l'Ecole de médecine. M. Ducasse (Jean-Marie-Augustin }, Docteur en chirurgie, Professeur à l'Ecole de médecine. M. Larrey (Auguste ), Docteur en chirurgie. M. Durrourc (Guillaume) , Docteur en médecine. CLASSE DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. M. Du Mice (Alexandre-Louis-Charles-André), ex-In- gémieur militaire , Membre de la Société des Antiquaires de France , l’un des Directeurs du Musée de Toulouse, Chevalier de plusieurs Ordres. M. Tarax ( Bernard-Antoine) , Avocat à la Cour royale, Conseiller de préfecture. M. l'Abbé Jamme ( Jean-Gabriel-Xavier-Auguste ) , Pro- fesseur à la Faculté de Théologie. M. le Baron ne Mararer ( Joseph-Fr.-Magdelaine ) # , Propriétaire. M. Bécurcrer (Gabriel-Délie), Directeur des contributions directes. xi] ÉTAT DES MEMBRES M. Fieury Léccuse ( Jean-Marie)# , Professeur de lit- térature grecque et de langue hébraïque , ancien Doyen de la Faculté des lettres. M. le Marquis n'Acuicar ( Melchior-Louis ) #, Chef d’escadron , en retraite. M. Barox DE Moxrgrz (Guillaume-Isidore ) #. M. Pacés , Membre de la Chambre des Députés. M. Carsaxrous # , Professeur de littérature française à la Faculté des lettres. M. Gariex-Arnouzr ( Adolphe-Félix), Professeur de phi- losophie à la Faculté des lettres. M. Ozaxxeaux # , Recteur de l'Académie universitaire. M. Garricou (Sernin ) , Conseiller de préfecture. ASSOCIÉ ÉTRANGER. M. le Baron Larrey , C. #, Chevalier de la Couronne de Fer , à Paris, Membre de l’Institut de France, ete. CORRESPONDANS. CLASSE DES SCIENCES. 1.re SECTION. SCIENCES MATHÉMATIQUES. Mathématiques pures. M. Pauuis , ancien Recteur de l’Académie de Cahors, à Paris * (1). (1) Les Associés correspondans dont les noms sont suivis d'un asté: risque *, sont ceux qui ont été Associés ordinaires. DE L'ACADÉMIE: xl} Tissié , ancien Professeur de mathématiques , à Montpel- pellier *. M. Raywnazr, Professeur de mathématiques , à Estage/ ( Pyrenées-Orientales ). M. Francogur, Professeur à la Faculté des Sciences, à Paris. M. Boucrarzar, Secrétaire général de l’Athénée des Arts, à Paris, Mathématiques appliquées. M. pe SéÉrieNY , Officier supérieur du gémie maritime , à Nantes*. M. Lermier, Commissaire des poudres et salpêtres, à Bordeaux. M. Dussaussoy %, #, Chef de bataillon d'artillerie , : Douai. Î- M. Georges Binoxe , à Turin. Physique et Astronomie. M. Caumont # , Officier supérieur dn génie maritime, à Cherbourg*. M. Basey , Professeur au Collége royal de Besançon. M. Sorzin , Professeur au Collége royal de Tournon. M. pe Puymauris fils #. 2.me SECTION. SCIENCES PHYSIQUES ET NATURELLES. Chimie. M. Resous , Correspondant de l'Institut , à Pezenas *. xIv ÉTAT DES MEMBRES M. le Baron Tnénarp # , Professeur au Collège de France, Membre de l’Institut, à Paris. M. Save, Pharmacien, à Sant-Plancard (M'e-Garonne ). M. Asrieu #, ancien Pharmacien major, à Cintegabelle (Haute-Garonne ). M. LABARRAQUE, Pharmacien , à Paris. Histoire naturelle. M. Joan pe CarPenriER , Ingénieur des Mines de S. M. le Roi de Saxe, Directeur des Mines de Bex en Suisse. M. Lorseceur DE Lonccuamps , Docteur en médecine, à Paris. M. Du Trocuer , Naturaliste , à Parts. M. TourxaL fils , à Narbonne. M. Nérée Bougée , à Paris. Médecine et Chirurgie. M. Larour , Docteur en médecine, Membre de l Acadie des Sciences et Arts d'Orléans. M. HerxANDÈS #, premier Médecin retraité de la marine, à Toulon. M. Scourerren , Docteur en médecine, à Metz. M. Prerquix , Médecin de la Charité, à Montpellier. M. Harris (Jules), Docteur en médecine , agrégé à la Faculté de Paris. CLASSE DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. M. Bornes , Administrateur de l'enregistrement , à Paris*. M. Mazez , Avocat, à Pezenas. M. Jomanneau (Eloi), Membre de la Société royale des Antiquaires , à Paris. DE L'ACADÉMIE. xXŸ M. pr Roquerorr (J.B.B.), Membre de la Société royale des Antiquaires , à Paris. M. le marquis pe Forrra-n'Urgax , Membre de la Société royale des Antiquaires , à Paris. M. Lenoir (Alexandre ) #, Administrateur des monu- mens de l'Abbaye royale de Saint-Denis , à Paris. M. Damix , à Paris. M. Renou , Conseiller au Conseil royal de lInstruction publique, à Paris. M. Caampozrion-Frerac, Officier de l'Université royale , à Paris. M. Weiss , Bibliothécaire de la ville de Besançon. M. Azowzo pe Vrapo , à Madrid. M. Anprieux , Professeur de rhétorique au Collége royal de Limoges. M. Puicéart, ex-Principal du Collège de Perpignan. M. le Baron CHaupruc pE CRAZANNES # ; Maître des requêtes , Officier de l'Université royale, à Figeac. M. Davezac pe Macaya, à Bagnères-de-Bisorre. M. nr Viry , Secrétaire général de la Société des Lettres , Sciences et Arts de Metz. M. pe Gozséry #, Conseiller à la Cour royale de Colmar. M. Foresr, Sous-préfet d’O/oron. M CHARPENTIER DE SAinT-PREsT ( Jean-Pierre ), Pro- fesseur au Collége de Louis-le-Grand , à Paris. M. Bercer pe X1vrai ( Jules), à Paris. M. DE Pasrorer #, Pair de France. M. Rarx, Professeur royal Danois » Secrétaire de la So- ciété des Antiquaires du Nord, à Copenhague. M. pe Caumoxr , Secrétaire de la Société des Antiquaires de Normandie , à Caen. M. Riraup , à Marseille. M. px Lapouïsse-RocxErorr, à Castelnaudary . XY] ÉTAT DES MEMBRES ; €{C. M. le Marquis pe Virreneuve (François) #, ancien Préfet , à Péguilhan* (Haute-Garonne). M. le Baron ne Lamorme-Laxcox ( Etienne-Léon) , an- cien Sous-préfet , à Paris *. M. Poxs , Inspecteur de l’Académie , à Aix *. SUJETS DE PRIX PROPOSÉS PAR LA CLASSE DES SCIENCES : | 5 Classe avait proposé pour sujet du prix à adjuger en 1927 la question suivante : Déterminer la manière dont les réactifs anti- Jermentescibles et anti-putrescibles connus , tels que le gaz acide sulfureux, le peroxide et le perchlorure de mercure , le camphre, Pail, etc., mettent obstacle à la décomposition spontanée des substances végétales ou animales, et pré- viennent ainsi la formation de l’alcohol dans les premières et de l’ammoniaque dans les se- condes , en méme temps qu’ils empéchent tout développement de moisissure et d'insectes, méme micros copiques. Les concurrens devaient porter sur-tout leur attention sur les substances qui agissent à de très- petites doses, et ne pas s'attacher au cas parti- culier où les réactifs anti-fermentescibles et anti- putrescibles étant employés en forte proportion , il s'établit des combinaisons insolubles dont la stabilité suffit pour rendre raison du phénomène ; car on a pensé que le dernier ordre de faits est absolument indépendant du premier, et c’est celur- ci qui faisait le véritable sujet de la question. 2 xvij SUJETS DE PRIX. Les Mémoires que l'Académie reçut pour cet objet n'ayant pas entièrement rempli les conditiüns du programme , elle proposa encore la même question pour le sujet du prix à distribuer en 1830. Elle proposa encore pour le sujet du prix à décerner en 1829: ne THÉORIE PHYSICO-MATHÉ- MATIQUE DES POMPES ASPIRANTES ET FOULANTES, faisant connaitre le rapport entre la force motrice employée et la quantité d’eau réellement élevée ( la hauteur de l'élévation étant connue), en ayant égard à tous les obstacles que la force peut avoir à vaincre , tels que le poids et l’inertie de la colonne d'eau élevée, son frottement contre les parois des tuyaux , son étranglement en pas- sant par les ouvertures des soupapes , le poids et le frottement des pistons , le poids des clapets ou soupapes , l'inégalité entre la surface supé- rieure et la surface inférieure de ces clapets , au moment où la pression va les ouvrir, etc. Cette théorie devait ètre basée sur des expé- riences positives, et les formules à en déduire devaient être faciles à employer dans la pratique. Le prix devait être double , et consister en une . médaille d'or de mille francs. Aucun des Mémoires reçus n’ayant traité la question d’une manière aussi satisfaisante que l'Académie l'avait désiré, elle continua le même sujet de prix pour l’année 1832. En 1830, l’Académie n’ayant reçu aucun Mé- SUJÉYS DE PRIX. xXIX moire sur la question relative aux réactifs anti- fermentescibles et anti-putrescibles , retira ce sujet de prix, et proposa pour l’année 1833, le sujet suivant : Indiquer les circonstances dans lesquelles le minérai de fer extrait des mines de Rancié, et traité dans Les Forges Catalanes des Pyrénées , y produit une sorte d'acier naturel, dit fer cédat , ou fer fort, dans le pays, par opposition au fer doux, ou fer ordinaire, que l’on retire habituelle- ment de ces mêmes forges. Déterminer ensuite les conditions qui assurent la production du fer fort de manière à pouvoir l'obtenir à volonté. La solution des deux parties de la question devait être basée sur des faits observés dans les Forges Catalanes, et constatés d’une manière au- thentique. La question relative à une Théorie des pompes aspirantes et foulantes , proposée de nouveau pour 1832, fut retirée du concours, et celle-ci a été proposée pour 1839 : Déternuner l’effèt mécanique d’une roue o- rizontale à palettes courbes, mue par un cou- rant d'eau dont la dépense et la chute sont connues. Cet effèt doit étre exprimé par une formule basée sur des expériences et d’une ap- plication facile à la pratique. — On déduira de la formule, ou directement des expériences, la forme et la disposition les plus avantageu- 2, XX SUJETS DE PRIX. ses qu'il convient de donner à cette espèce de roue. Pour prévenir toute équivoque, on doit remar- quer que, dans le sens de cette question, déter- miner leflet mécanique d’une machine , c’est indiquer le poids qu’elle peut élever à une cer- taine hauteur dans Punité de temps. La question relative à la production du /er fort dans les forges à la catalane fut retirée en F1833. Enfin, pour Pannée 1836 , l'Académie a proposé le sujet de prix suivant : En admettant les progrès apportés par l’ana- tomie pathologique dans l'étude et la guérison des maladies en général, déterminer les avantages que les médecins peuvent en retirer dans le diagnos- tic, le pronostic et le traitement des affections proprement appelées NERVEUSES. Première Partie. HISTOIRE ET MEMOIRES DE LA CLASSE DES SCIENCES DE L'ACADÉMIE DE TOULOUSE. Section Première. — HiISTORRE, ANALYSE Des Travaux de la Classe des Sciences pendant les années 1828, 1829, 1830, 1831, 1832, 1833. Ex ne donnant ici que des extraits d’un grand nombre de Mémoires de ses membres résidans, ou de ses correspondans, l'Académie a suivi les usages établis dans toutes les associations scientifiques. On choisit ce qu'il y a de neuf, ou d’inédit, dans les opuscules présentés , et lon en compose /’Hs- toire des ouvrages. Sous ce titre , et groupés selon les matières qui y sont traitées, une suite d'articles 22 CLASSE DES SCIENCES. intéressans contiennent des vérités utiles, des pra- tiques avantageuses, des faits peu ou point connus, et forment une partie essentielle des publications académiques. Il n’y a là rien de superflu. Les Scien- ces mathématiques occupent la première place; les Sciences physiques et d'observations viennent en- suite : les recherches sur la Linguistique, les Monu- mens et l'Histoire terminent cette série. Marnémami- C’est à la première de ces divisions qu'appar- QUES ë y : À pures, tiennent les solutions suivantes de deux problèmes M.Romrev. de géométrie par M. Romieu. 1. PROBLÈME. — Étant donné une droite AB qui doit servir de hauteur à un triangle , cons- truire ce triangle de telle manière qu'il soit équivalent à un carré donné C*° et dont le périmètre soit le plus petit possible. « Sozuriox. Cherchez une troisième proportion nelle aux deux droites AB et DE, côté du carré donné ; élevez au point A de la droite AB, une perpendiculaire AE , égale à cette troisième proportionnelle , et prolongez-la jusqu’au point G de manière que AG—AF: joignez ensuite les points G et F au point B, et le triangle GBF sera le triangle demandé. » En effet, ayant construit le rectangle FGHT, Planche E, bis, n.° x, qui sera équivalent au double du carré €?, il demeure évident que letriangle GBF, de même base et de même hauteur que ce rectan- gle, en est la moitié, et par conséquént équivaut au carré C*. HISTOIRE. 23 » On observera que chaque triangle qui aurait pour base GF, et son sommet placé sur la ligne HI, ou sur un point quelconque de son prolongement, satisferait à la première condition , C'est-à-dire qu'il serait équivalent au carré donné; mais le triangle GBF est le seul qui satisfasse à la seconde condi- tion, c’est-à-dire qu'il est celui dont le périmètre est le plus petit possible ; il est isocèle, il a même hauteur et la base commune à tous. Cest done celui dont la somme de deux côtés qui forment langle au sommet B, est moindre que la somme des deux côtés qui formeront l’angle au sommet de chacun des autres triangles. Par conséquent c’est celui dont le périmètre est le plus petit possible. » Quoiqu'on ne puisse pas désigner parmi les triangles qu’on pourrait construire et qui seraient équivalens au carré C?, celui dont le périmètre serait au maximum , on peut néanmoins déduire de ce qui précède , que les périmètres croîtraient à mesure que les sommets des triangles séloigne- raient du pied B de la perpendiculaire AB. » 2.6 PROBLÈME. — Ætant donné la longueur de deux diagonales d’un quadrilatère ; construire ce quadrilatère de telle sorte qu’il soit équi- valent à un carré donné , et déterminer le cas où le périmètre serait le plus petit possible. «Sozurionx. Sur AB, Planche T, bis, n.° 2, que nous supposons être la diagonale donnée , soit éle- vée la perpendiculaire AF troisième proportionnelle Hydraulique. 24 CLASSE DES SCIENCES. à cette diagonale, et au côté du carré donné , soit prolongée cette perpendiculaire jusqu'à E de ma- nière que AE égale AF; soit enfin construit le rec- tangle FEMN. Si l’on joint les deux extrémités de la droite AB à deux des points, dont lun pris sur FN, et l’autre sur EM, tels que les points H et G, le quadrilatère AGBH, ainsi que tout autre construit de la même maniere , satisfera à la première con- dition du problème et sera équivalent au carré donné. Le seul quadrilatère AIBL qui aura été cons- truit en joignant les deux extrêmités À et B aux deux points Let L, milieu des deux côtés EM et FG, sera celui qui aura le plus petit périmètre. » En effet, les deux triangles AHB et AGB, qui forment le quadrilatère AGBH, sont chacun moitié des deux petits rectangles EMBA et ABNF , dont chacun, par construction, est équivalent au carré donné ; donc le quadrilatère AGBL, formé par la réunion de ces deux triangles, sera le quadrilatère équivalent au carré donné. Il en sera de même du quadrilatère AIBL ; mais celui-ci aura le plus petit périmètre puisqu'il sera formé de la réunion de deux triangles isocèles, qui, d’après les motifs déjà exposés, seront ceux qui auront le plus petit périmètre. » Les Mémoires, ou l'Histoire de | Académie , M.p'Auuis- auraient pu s'enrichir de plusieurs Dissertations SON. 1830. sur Phydraulique, par M. d’Aubuisson , tels que celles qui contiennent des Expériences sur l’écou- lement de l’eau par des orifices rectangulaires allongés et sous de petites charges ; ou des obser- HISTOIRE. 25 vations sur l'écoulement de l’eau par des ajuta- ges coniques ; mais ces travaux importans font partie du beau Traité d'Hydraulique qu'il vient de publier (x). « L'été et l'automne de 1829 s'étaient fait remarquer , dit M. Save, par une température peu élevée, et on pouvait prévoir que l'hiver qui les sui- vrait serait rigoureux, parce que la terre n'avait pas été échauffée. Vers la mi-octobre , des gelées , très- fortes pour cette saison peu avancée, firent périr le blésarrasin qui est une des ressources des pays mon- tagneux qui forment l’arrondissement de Saint-Gau- dens dans lequel Saint-Plancard est compris. La terre fut couverte de neige dans les premiers jours de décembre. Les gelées se prolongèrent, par inter- valles, jusqu’au 21 de ce mois, et dans la nuit du 21 au 22, la neige parut de nouveau, et fut le prélude de lhiver le plus cruel et le plus long que la génération actuelle ait éprouvé, sans en excepter même celui de 1788. Pendant les fêtes de Noël, la neige tomba avec tant d’abondance que la terre en fut couverte à la hauteur d’un pied. Les vents l'amoncelèrent dans certains endroits ; les chemins n'étaient pas reconnaissables ,et il n’y avait que ceux qui en connaissaient parfaitement la direction qui pussent voyager avec quelque sûreté. L’atmos- phère se refroidit considérablement dans la journée du 27. Le thermomètre de Réaumur marquait (1) Traité d'hydraulique à l'usage des Ingénieurs , format in 8.°, Paris, A. G. Levrault, 1834. Intensité du froid pendant l'hiver de 1829.—1830« M. SAvE. 1380. 26 CLASSE DES SCIENCES. 16 degrés à dix heures du soir , et il descendit à 17 dans la matinée du 28. » Au commencement du mois de janvier, le temps devint plus doux, et on espérait un dégel. Le 6, le thermomètre commença à baisser , mais le temps s’'adoucit de nouveau jusqu'au 14, où le froid se fit ressentir avec de nouvelles rigueurs jusqu’au 17. Le 18, le dégel tant désiré arriva ; le 27 il avançait rapidement , et le 23, un vent du sud fit fondre presque toute la neige. Le temps fut assez supportable jusque dans la nuit du 31 au 1.97 fé- vrier. Une petite quantité de neige couvrit la terre et disparut bientôt.Le 2, le thermomètre marquait 8 degrésà dix heures du soir. Les végétaux étaient presque généralement découverts à cause du dégel qui avait eu lieu depuis le 18 janvier jusqu’au 23. Les cultivateurs craignaient , avec raison, qu'ils ne périssent entièrement. Cependant la température s’éleva un peu jusqu’au 5, où le thermométremarqua 71/2. Le 6 il neigea encore. Cependant une pluie douce quitomba le lendemain , depuis le matin jus- qu’à 4 heures du soir, fit disparaître cet hiver, le plus rigoureux et le plus constant qu’on ait observé dans les pays méridionaux. Dans la soirée du 7, le ther- momètre marquait déjà 5 degrés au-dessus de 0.» Les céréales et les autres végétaux appartenant à l’économie champêtre se sont heureusement conservés, parce que la terre était couverte de neige pendant les plus grands froids ; et si, dans quelques localités, les seigles et les lins ont souffert, M. Save attribue aux gelées d'automne qui sur- HISTOIRE. 27 prirent les grains naissans, et qui ne permirent pas d’ensemencer d’une manière convenable. Dans les lieux voisins de la ville qu'habite M. Save, les vignes hautes, et principalement celles qui étaient exposées au nord, ont été frappées par le froid. Dans nos plaines , les vignes ont aussi plus ou moins souffert, sans cependant que les vignobles aient nulle part entièrement péri, comme on pouvait le craindre. Les oliviers, particulièrement dans les lieux peu abrités et ouverts au vent du nord, ont éprouvé l'intensité de ce long hiver, et beaucoup ont succombé. M. Save a joint au Mémoire qu'il a envoyé à VAcadémie sur l'intensité du froid durant l'hiver de 1829 à 1830, un tableau des observations ba- rométriques qu'il a faites à Saint-Plancard pendant cette période de temps. DEGRÉS au-dessous JOURS ET HEURES. deo, thermomètre de Réaumur, DÉCEMBRE 1829. Le 29, à midi......ses.e eo its ee visite à dix heures du! soir, . salée sion tasse Le 28, à six heures et demie du matin...,,,.,. après le point du jour....,..,........ pendant la journée. . set pensent à neuf heures du soir...,,......,.,.., Le 29, trois quarts d'heure avant le lever dusoleil . anmeuf du matin. se. semences eeipehiol de à six heures du soir... ..ssseseseeves à neuf heures du soir....ssssssesves Le 30, avant le lever du soleil, .............. à neuf heures du matin........ à six heures du soir....... à neuf heures du soir 28 Le3r, Le CLASSE DES SCIENCES. DEGRÉS au-dessous de 0, thermomètre de Réaumur. JOURS ET HEURES. avant le lever du soleil............... à'dix-heutes/duimatins- +... 4e..1e à sixiheures AU SOIT: 2.540 -20h0 ces à neufiheures AU SOIT» 022 es 0 » o de 0 0 » o Janvier 1830. om 6; à neufheuresdu-soirset ee 02 9 1/2 7, ,àneuf heures: du soir2.. 241.00. 9 14; a'SEpE DELTES AUISOIN. LE 2 0 efe/eieis oipiss ee 12 à dix ‘heures du soir............,.... 12 1/2 15, avant le lever du soleil..,..,.......,., ax 1/2 à huit’heures AU SOir.n. eee ces sieides 11 2 AIX IDEUTES AU SOIT: eme» ee 0 0 ee 010100 0 12 16; avant le lever dusoleil.............., 12 3/4 à huitheures:dui$oirse.. esse. 10 1/2 AIX RENTES AU SOI sas ele» ef see ceisiqe ax 1/2 17, avant le lever du soleil..........,.... 11 3/4 à dix heures du soir..........,,..... 2 1/4 18, avant le lever du soleil.’,,......,..... 1 1/2 à dix heures du soir......4...,4,.v0 3 19 , avant le lever du soleil..........,,,.. 5 arneuf heures/du,soirereer caen lets 1/2 Février 1830. 1. àsept-heures dussoir:.….-..1.07" 4 à dix heures du soir..............,.. 5 1/4 2, à sept heures du matin............... 6 à dix heures du’soir: 2202. mn 8 3, à sept heures du matin..........,,.., 5 à dix heures du soir: . 40,4 3 4, à sept heures du matin............:., 5 à dix heures du soir.........,......, 4 1/2 5, à sept heures du matin..........,.... 4 à sept heures du soir..,,.,.,......... 6 à dix heures dusoir...,..2.1,,,,,.. 7 1/2 À 6, à sept heures du matin................ 1 à sept heures du soir....,,..,....... 1 3/4 à dix heures: duisoir 1,0 ol 3 7, à sept heures du matin...,..,.,,...... (9) HISTOIRE: 29 Il est à remarquer que le froid na pas été en même temps aussi intense dans beaucoup de lieux qu'à Toulouse ; mais les perturbations ont suivi cependant un ordre assez régulier, et l'intervalle de quelques heures a sufhi pour mettre une égalité presque parfaite dans la constitution at- mosphérique. Ainsi , à 7 heures du matin , le ther- momètre de Réaumur marquait o à Saint-Plancard, tandis qu'à Toulouse le mercure était à 4° 2/6 au dessous de ce point, et, une heure après, un verglas épais couvrit toutes les rues et occasionna une foule d’accidens : mais bientôt le mercure monta assez régulièrement , et le soir il était aussi à o, c’est-à-dire au même point qu’à Saint-Plancard. Des essais heureux avaient encouragé sur plu- Puits arté- siens. sieurs points de la France le forage des Puits Ar- M: Carina. tésiens. Le Ministre de l’intérieur en provoquait en quelque sorte l'établissement , et bientôt il se forma dans Toulouse une société, dont le but était d’é- tendre et d'exploiter ce nouveau moyen de donner à nos plaines une fertilité qu’elles ne peuvent es- pérer que d’une irrigation bien dirigée. Mais la haute administration jugea sagement que la pre- mière expérience devait être destinée à éclairer les citoyens, et que la dépense devait être supportée par les fonds spéciaux du département. « En conséquence des votes du Conseil général du département, un traité fut fait avec les frères Flachat, qui avaient déjà entrepris le forage d’au- tres puits artésiens à Agen et à Bordeaux , et qui se chargèrent de creuser celui de Toulouse. 1831: 30 CLASSE DES SCIENCES. Ce puits fut destiné à lEcole vétérinaire, dont on se proposait de construire les bâtimens, en face de la nouvelle allée, près de la rive droite du canal. Le point de forage fut établi sur le prolongement de la ligne médiane de cette allée, à environ 290 mètres, où 760 pieds au delà du canal. » L'ouvrage fut entrepris avec ardeur ; le forage n’éprouva aucune des grandes diffcultés qui se présentent si souvent dans ces opérations, et lon gagna considérablement en profondeur. » En commençant le percement, on avait intro- duit une forte caisse de bois, bien ferrée, dans la bouche du puits, afin d’en prévenir la dégradation. Lorsque la sonde fut parvenue à 100 mètres ou 308 pieds de profondeur , MM. Flachat , dans la vue de prévenir les éboulemens, introduisirent 100 mètres de tuyaux de cuivre soudés et rivés, pis à 4 pouces de diamètre. » Le forage continuait, la profondeur augmentait considérablement, et la manœuvre de la sonde devenait de plus en plus pénible ; elle ne cessait point de rapporter des échantillons d'argile, de marnes et de sables. Enfin, elle était parvenue à 708 pieds de profondeur, comptée du niveau d’ou- verture. Rien n’annonçait la couche imperméable qui devait retenir les eaux captives ascendantes : l'opération fut suspendue, et, selon les probabilités , totalement abandonnée. Le dernier forage eut lieu le 1.7 février 1831 ,lorsque la dépense totale tou- chait à 28,000 francs , sans y comprendre le prix HISTOIRE, 31 des tuyaux de cuivre qui ne pourraient pas être retirés du puits. » Si malheureusement le but louable que l’admi- nistration s'était proposé n’a pas été atteint, dit M. Cabiran, les sciences ont du moins pu moissonner dans ce champ d’expériences.La géognosie y a puisé le seul moyen de connaître la constitution physique de notre sol à une grande profondeur : la physique y a étendu ses recherches sur l'échelle de la cha- leur de notre globe. » À mesure que le forage s’approfondissait, la tarière rapportait des échantillons qui étaient con- servés avec leur numéro d'ordre. À côté d’un sem- blable numéro, sur le journal de forage , était placé le numéro de la couche traversée, lindication de la profondeur , et la description de la couche. Le nombre-des couches traversées , a été de 127 : il y a eu 362 échantillons, dont le dernier a été saisi à 708 pieds de profondeur ( 230%, 12 ), ce qui cor- respond à 257 pieds au-dessous du niveau de la Méditerranée : la série de ces échantillons pré- sente le tableau exact de notre sol jusques à 708 pieds de profondeur, avec une vérité que le pin- ceau et les descriptions les plus exactes ne sau- raient reproduire : aussi seront-ils conservés avec soin, dans des cases particulières , à l'abri des dé- gradations. » Il serait trop long de rapporter ici en détail le caractère de chacune des couches que la sonde a traversées : les composans, en général, sont beaucoup d'argile, des sables très-variés, peu de calcaire, Géognosie. Observations thermomé- triques. 32 CLASSE DES SCIENCES. qui n’est jamais formé en masse , et le mica dissé- miné dans presque toutes les formations : il eri résulte des grès, des marnes argileuses ou calcai- res et autres agrégats qui se présentent en pro- portions très-variables. L'argilé, qui y domine er général, y est souvent dans un état subplastique ; ét quelquefois même dans létat complètement plastique. Le calcaire n’y est jamais en couches fortes , mais presque toujours disséminé, soit en grains épars , soit en mélanges ou en couches minces ondoyantes. Souvent il faut recourir aux acides pour en constater la présence. » À 140 pieds de profondeur, lasonde a rencontré un grès marneux calcaire, très-compacte, dur , peu étincelant, en couches intercalées que le tré- pan a traversées. » À 462 pieds de profondeur , 17 pieds plus bas que le niveau de la Méditerranée , se sont montrées des traces de végétaux en lignite noir. A cela près, la sonde n’a rapporté aucun corps fossile. Du sable caillouteux a été trouvé à 556 pieds de profondeur, 77 pieds au-dessous du niveau de la Méditerranée. » Les sciences physiques doivent de la reconnais- sance à M. Barennes, Préfet de notre département, pour les mesures qu’il adopta lors de la cessation du forage, dans la vue d’obtenir des observa- tions thermométriques exactes faites sur toute la profondeur du puits. Pour cet effet, il invita M. le professeur Boisgiraud , membre de notre Académie , à faire ces observations : il lui adjoignit M. Nérée Boubée , jeune géologiste , corrrespon- HISTOIRE. #3 dant de notre Compagnie, et il pourvut à tous les frais. » C'était assurément une circonstance rare , mais bien embarrassée de difficultés, que celle quiamenait ces observations. Une profondeur fistulaire de 700 pieds , récemment forée, pleine d’eau jusques à 28 pieds de la surface du sol, devait servir à la mesure des températures. Elle exigeait des précau- tions particulières, tant pour la solidité des appa- reils, que pour la célérité des opérations et leur rigoureuse exactitude. L'appareil, sil était porté jusqu'au fond du puits, devait supporter une pression équivalente à celle de plus de 21 atmos- phères , soit une pression approchant de 2000 kilo- grammes par décimètre carré. L'appareil créé par M. Boisgiraud, et exécuté sous sa direction, est un beau modele que lon pourra consulter avec avantage. Solide à l'épreuve de cette forte pression, cet appareil prenait, pendant des séjours de vingt- quatre heures chacun , les températures exactes aux différentes hauteurs : une minute et demie suffisait pour l’amener au dehors et lire les graduations, et néanmoins sa construction était telle, qu’il aurait pu rester exposé pendant quatre minutes à plu- sieurs degrés de variation de température , sans que son thermometre en fût sensiblement affecté. » Les appareilsthermométriques avaient été cons- truits avec une grande célérité , puisque le forage ne fut suspendu que le 2 février, et le 6 du même mois on introduisit dans le puits deux appareils attachés à la même corde, à 50 mèétres l’un de TOME III. J'ART, I. 2 34 CLASSE DES SCIENCES. l'autre; mais quoique les dimensions eussent été bien ménagées , les formes appropriées et les poids considérables , on ne put faire pénétrer le thermo- mètre inférieur au-dessous de la fourrure des tuyaux de cuivre, c’est-à-dire , au-dessous de 100 mètres ou 308 pieds : tous les efforts pour le faire pénétrer à une plus grande profondeur furent inu- tiles. Une autre contrariété vint aggraver celle-là : en relevant ces appareils, la corde , fortement ac- crochée à des rivets de tuyaux, fut cassée, et les appareils tombèrent au fond du puits. » Dans cette position décourageante, les observa- tions ne furent plus faites qu'avec un seul appareil à la fois et à différentes profondeurs, depuis 308 pieds jusque près de la surface du sol : chaque station durait vingt-quatre heures; il y en eut sept dont le résultat en moyenne donnait un degré centigrade en accroissement de chaleur pour en- viron 20 mètres de profondeur , ce qui concorde avec lestimation générale provisoirement admise par les physiciens de notre époque. » Il résulte de l'examen sommaire des forages qui ont été pratiqués dans la vallée de la Garonne, les détails suivans : » Lorsque MM. Flachat entreprirent de forer un puits artésien à Toulouse, ils avaient déjà fait des entreprises semblables à Agen et à Bordeaux. » À Agen , on rencontra successivement des cou- ches d'argile, de sable , de cailloux roulés, du grès sablonneux ; puis de l’argile, des sables , des mar- nes, etc. ; enfin une roche devenant de plus en plus HISTOIRE. 35 calcaire, à la profondeur de 360 pieds ; cette roche était quelquefois assez ferme pour exiger le trépan. À cette époque, on avait l’espérance d’avoir enfin atteint la couche du réservoir de l’eau ; mais, arrivée à 363 pieds, la sonde ne rapportant plus que des marnes semblables aux précédentes , les espérances se sont évanouies , et l’entreprise a été abandonnée. » À Bordeaux, les frères Flachat ont entrepris le forage d’un puits artésien sur la place Dauphine ; la sonde à rapporté des échantillons qui sont assez analogues à ceux qui ont été extraits ici : beaucoup d’argiles , de sables et de marnes, avec des propor- tions variées de calcaire disséminé. Le 1 2 juin 1831, la sonde était descendue à 20133 (Gr2 pieds 8 pouces), et l’entreprise est au moment d’être aban- donnée ( elle la été en effet bientôt après ) » Sur quatre sondages entrepris dansle départe- ment de la Gironde, un seul a fourni de l’eau ascendante chez M. Guettier, à Becheville , encore l’eau ne parvient-elle qu'à 12 pieds au-dessous du niveau du sol. » Les habitans de Toulouse désiraient, depuis plu- Sur la salu- sieurs siècles, que de nombreuses fontaines leur HUE (ue fournissent une boisson abondante et salubre. Ils M. Macs avaient même tenté de conduire dans la ville les LAHENs. eaux qui coulent sur presque tous lés points du coteau situé sur la rive gauche de la Garonne. Quelques fontaines furent alimentées par des eaux séléni- teuses qui découlent d’autres sources. Aussi leur préféra-t-on celle qui était puisée directement dans le fleuve, pour la transporter dans des ton- » VE 36. CLASSE DES SCIENCES. neaux, et la distribuer ainsi aux habitans de la ville. Personne n’ignore dans nos contrées les travaux immenses qui ont été entrepris par nos ingénieurs , ni les sacrifices que la ville s’est imposés pour éta- blir les belles et nombreuses fontaines qui fournis- sent à nos besoins; mais à peine jouissions-nous de ce précieux avantage, que lon craignit d’en perdre une partie par le goût désagréable de Peau que nous fournit le filtre qui a été creusé dans le terrain qui sépare le cours de la Garonne, de la promenade nommée le Quai Dillon. Une exploration faite par une commission nom- mée par l’Académie, a suffi pour en signaler la cause et le remède. C'était à cette époque de l’année où les eaux du fleuve sont très-basses, à cause des fortes chaleurs et de la rareté des pluies. En mettant à l'abri de la lumière le bassin-filtre , on fit périr les végétations marécageuses, les co- quillages et les reptiles qui s’y étaient développés : l’eau des fontaines devint aussitôt pure, saine et potable. Les choses en restèrent là’ jusqu’à l’année sui- vante, à peu près à la mème époque; alors les chaleurs renouvelèrent une partie de ces incon- véniens ; l'autorité municipale fit un second appel à P'Académie ; la commission nommée par elle, après s'être assurée que l’eau du filtre était parfai- tement conservée, trouva la cause de la détériora- tion dans les puisards qui avaient été creusés de- puis peu de mois sur les bords de la Garonne, HISTOIRE. 37 dans un terrain d’alluvion ; alluvion composé d’une quantité considérable de matières organi- ques, d’où sexhalait une forte odeur de gaz hydrogène sulfuré. Le grand filtre n'ayant aucune part au mauvais goût de l’eau, on crut devoir se borner à suppri- mer les puisards; mais en les étudiant dans leur intérieur, on y découvrit une quantité immense de conferves d’une configuration particulière , qui les rapproche beaucoup de cette espèce que Linnéus a le premier appelées conferves à réseaux. Ces cryp- togames se trouvaient aussi , mais en bien plus pe- tites proportions, à la partie supérieure de Château- d’eau, dans le bassin circulaire qui verse l’eau dans les tuyaux de descente , pour la répandre dans les différens quartiers de la ville. Ces singulières pro- ductions se multipliaient à tel point, que les tuyaux de conduite des fontaines établies dans la rue des Couteliers , en ont été plusieurs fois obs- trués. Cest ce qui engagea l'autorité municipale et M. d'Aubuisson , Secrétaire perpétuel de PAca- démie, à demander à M. Magnes de les examiner, tant sous le rapport physiologique que sous le rapport chimique, et de leur faire connaître le résultat de ses essais. Avant de parler de la nature intime des con- ferves dont il est question, M. Magnes nous ap- prend que «Peau de l’une des fontaines de la rue des Couteliers, dont la transparence et l’odeur étaient déjà altérées , présenta ces inconvéniens d’une ma- nière beaucoup plus intense, lorsque dans le but 38 CLASSE DES SCIENCES: de dégorger les tuyaux de conduite , on ÿ exerça une très-forte pression. Il recueillit environ deux cents litres de cette eau , d'apparence bourbeuse. Abandonnée à elle-même pendant une nuit entière, elle déposa un sédiment considérable qui , après avoir été desséché à l'air libre , pesait six cents gram- mes, ou une livre trois onces : ce dépôt , de couleur brune , mêlé de quelques taches jaunes d’oxide de fer , fut lavé à l’eau distillée; celle-ci, clarifiée par résidence et évaporée en plein air , a laissé, au bout d'un mois, des conferves de la même nature que celles qui avaient été recueillies au haut du Chà- teau-d’eau; leur nombre et leur volume s’est accru chaque jour jusqu’à la dessication parfaite, opérée à l'air seulement; il n’est resté que le squelette de ces cryptogames, collé au fond et contre les pa- rois d’une capsule de porcelaine, sous forme de membranes, privées de toute humidité. Mais comment sest opérée cette reproduction de conferves? M. Magnes n’entreprend pas de l'expliquer. Les naturalistes ne nous apprennent rien à cet égard. D’après l'opinion hypothétique de certains d’entreux, outre la matière séminale qui se trouve dans les articulations des conferves, celles-ci poussent des tubercules gélatineux, d’où naissent de nouveaux individus ; les Ceramium , disent-ils , ne se multiplient que de cette manière ; ils ajoutent que le moindre fragment de conferves ou d'algues , suffit pour les reproduire , même très- promptement, et que c’est le seul mode de leur propagation. Le savant Trembley , de l'Académie HISTOIRE. 39 de Leyde, est du nombre de ceux qui ont émis cette opinion. On lit dans ses beaux Mémoires pour servir à l’histoire des polypes d’eau douce, des observations très-curieuses sur cette matière; 1l en résulte que ces polypes, bien différens des polypes de mer, se multiplient à l'infini par la section. Il paraît que non-seulement il en est de même de nos conferves, mais encore qu’une portion de leur principe reproducteur est en quelque sorte soluble dans l’eau. Indépendamment des conferves dont nous ve- nons de parler, M. d’Aubuisson en a signalé encore une variété qui avait pris naissance dans les réser- voirs du Château-d’eau; cette variété lui parut si curieuse, qu'il engagea M. Magnes à l’examiner physiologiquement et chimiquement. D’après létude que notre Collègue fit des cryp- togames qui avaient été trouvés, soit dans les pui- sards et à Ja partie supérieure du Chäteau-d’eau , soit dans la partie souterraine de cet édifice , il reconnaît dans les premiers , le Byssus auran- tiata de De Candolle ; ce naturaliste le décrit ainsi : Byssus flavo-aurantia cespitosa nitida , filis subrigidis divergentibus. — Nascitur in locis obs- curis et humidis. Le second, qui ressemble à des cordes de violon, se rapproche beaucoup du Byssus elongata du même botaniste ; il en fait ainsi la description : Byssus alba filamentis tenuissimis in fasciculos subcylindricos , ramosos contextis. — Nascitur in crypus. 40 CLASSE DES SCIENCES. «Après avoir, dit M. Magnes , considéré ces deux échantillons d’après la méthode des botanistes , dont les connaissances, je le répète, sont, de leur propre aveu, encore très-peu avancées sur la crypto- gamie , j'ai dû chercher à m'éclairer sur quelques- unes des propriétés chimiques qui les caractérisent : or, j'ai vu, » 1.2Quw'ils se dissolvent en partie dans l’eau bouil- lante, à laquelle ils donnent la propriété gélati- neuse, et que l'acide nitrique y développe une _ couleur jaune ; caractères qui appartiennent à pres- que tous les cryptogames , à cause de la matière animale qui les accompagne presque tous. » 2.0 Que l’alcohol et l’éther n’ont aucune action sur leur couleur, tandis qu'ils se chargent de la couleur verte des mousses gazonnées naissantes, et de la couleur rouge du Byssus purpurea ; qui croit sur les fromages et sur la pâte de froment, lors- qu’on les expose dans les souterrains, ou dans des lieux humides et privés de la lumière. » 3.9 Que l’une et l’autre des conferves de nos fontaines se composent d’une quantité indéter- minée de matière animale. En effet, par la distil- lation à feu nu , elles dégagent des vapeurs qui ramènent au bleu le tournesol rougi par lacide sulfurique, et l’eau qui en distille agit dans le A même sens. » Il est inutile, je crois, d’ajouter'que les autres produits gazeux n’étaient que de l'acide carbonique, plus du gaz hydrogène carboné, et que la matière noire qui était demeurée dans le vaisseau distilla- HISTOIRE. 41 toire , était légère et brillante. Je pourrais me dis- penser aussi de dire, qu’en brülant à Pair libre, elle a laissé une cendre jaunâtre , dont le poids était Le tiers de celui des conferves qui avaient été mises dans la cornue; les élémens de cette cendre étaient principalement du phosphate et du carbo- pate de chaux, plus de loxide de fer. » Mais les principes qui constituent ces conferves sont-ils tous réunis dans l’eau du fleuve, avant qu’elle ait traversé le terrain qui forme le filtre ? Dans le but d'éclairer ce doute, M. Magnes a tenu, pendant plus d’un mois d'été, en évaporation dans des vases peu profonds et à grande surface , de l'eau de la Garonne, prise à Braqueville, à demi- lieue, à amont du filtre, en ayant le soin de remplacer tous les jours la quantité qui se dis- sipait dans l'air. Il a fait comparativement la même opération sur celle de nos fontaines , et il est arrivé qu'il ne s’est formé que très-peu de rudimens de conferves dans la première , et que le même résultat a été bien plus prononcé dans la se- conde, car ici les cryptogames étaient bien formés. Revenant à l'analyse de nos conferves, et par- ticulièrement à celle qui se rapporte au Byssus flavo-aurantia , cueilh au haut du Château-d’eau, «Cette analyse, dit encore M. Magnes , a prouvé que la couleur jaune appartient, en très-grande partie, à l’oxide de fer , lequel s’y trouve acciden- tellement. Les fragmens du byssus qu'on avait soumis à cette expérience, sont demeurés presque incolores : d’après cela, il paraît très-difficile de 42 CLASSE DES SCIENCES. classer botaniquement le byssus jaunatre, attendu qu'un très-grand nombre de ces productions mys- térieuses sont jaunes, rouges ou verdâtres de leur propre nature, et sans le concours étranger d’au- cune substance minérale. «Depuis les travaux de Priestley , de Sennebier , d’'Ingenhous, de Girtanner et d’autres savans, sur la nature des cryptogames, et en particulier , sur la Conferva fontinalis, on a dû s'attendre que l'analyse chimique découvrirait de Pammoniaque carbonatée dans tous les végétaux de cette classe ; aussi les ont-ils désignés sous le nom d’azote orga- nisé ; toutefois le fer est-il toujours un de leurs élémens essentiels, comme on le remarque dans tous les autres végétaux; c’est un travail qui, je crois, reste à faire. Ses résultats ne pourront man- quer d’être d’une utilité réelle ; ils justifieront cette pensée ingénieuse d’'Haüy : Quand la nature prend son pinceau , le fer est toujours sur sa palette. » Eneflet , nul n’a su mieux que ce célèbre miné- ralogiste, que le fer est répandu dans les trois règnes , et même dans les aérolites ; il n’est donc pas étonnant que les végétaux en contiennent une si grande quantité, comme leur appartenant en propre, et comme layant absorbé de la terre par les pores de leurs racines. On conçoit aisément que, par l'effet de la décomposition spontanée des végétaux, les cailloux qu’on a trouvés dans le filtre et les puisards , aient été tous, sans distinc- tion , enduits d’une couche ferrugineuse : on la voyait seulement dans la partie qui, n'étant pas HISTOIRE. 43 implantée dans le sable, était en contact avec l’eau qui se renouvelle sans cesse par les courans de la filtration. Chargé d'étudier la nature et les pro- priétés chimiques de la matière qui enveloppe ces cailloux, qu’on avait choisis parmi ceux qui étaient blancs dans toute leur contexture, j'ai remarqué que cette matière, colorée en jaune d’ocre, se détache avec la plus grande facilité par le frotte- ment dans l’eau froide distillée ; elle se compose de phosphate et de carbonate de chaux, plus , de loxidule de fer liés ensemble par le mucus animal qui leur sert en quelque sorte de ciment. Cette com- binaison accidentelle présente la plus grande analo- gie avec celle des lithophites et des madrépores. » La présence du mucus animal dans l’enduit des cailloux a été prouvée par les expériences suivantes : » 1.0 L'eau distillée qui avait servi au lavage des cailloux, ayant été légèrement acidulée par l'acide muriatique pur et soumise ensuite à l'évaporation , est devenue mucilagineuse dans sa consistance ainsi qu'au toucher; pendant la dessication à feu nu, il s’est répandu une odeur de corne brülée , et la matière, qui a fini par se charbonner , était très- légère , spongieuse et brillante ( caractères du charbon animal ). » 2. Les flocons noirâtres et abondans que la teinture de noix de galles a fait naître dans l’eau de lavage non acidulée, est une preuve de plus, parmi tant d’autres, de la présence de la matière azotée. » I! est inutile de rapporter ici quel a été effet des réactifs, pour démontrer l’existence du fer dans 44 CLASSE DES SCIENCES. Penduit des cailloux provenant de l’intérieur de nos filtres. » S'il était permis de douter que les végétaux fournissent une très-grande quantité de fer , il suffirait, pour dissiper toute incertitude, de rap- peler l’origine des mines de fer limoneux, si abon- damment répandues dans les pays marécageux , et celle des couches irisées que l’on remarque à la sur- face des eaux presque stagnantes quiexsudent à tra- vers les prairies situées au pied des collines , très- distantes le plus souvent des mines proprement dites. Nous en avons un exemple très en grand au domaine de Bellevue, dans le quartier de Pou- vourville , près Toulouse; plus, un autre dans Peau de Bourrassol; et d’ailleurs, combien de sources dites ferrugineuses n’a-t-on pas vu disparaître par le défrichement de vieilles prairies habituellement humides ? » Dans tous ces cas, le fer ne peut passer dans l'eau qu’à la faveur du détritus de la racine des végétaux qui croissent dans des lieux de marécage ; il y est dissous par l’acide carbonique, fourni par la décomposition simultanée de Veau et de Pécorce des racines qui se renouvelle annuellement ; des recherches rigoureuses y découvriraient aussi du malate de fer; ces sels sont décomposés ensuite par l’action de la lumière et de Pair, et aussi par Pammoniaque que nous avons signalée depuis long- temps dans l’eau de la Garonne; de là résultent les dépôts ferrugineux que nous voudrions éviter. Mes conjectures à cet égard se réaliseront de HISTOIRE: 45 plus en plus à mesure que lon observera davan- tage les tuyaux de conduite de nos eaux, lesquels , d’après moi, ne cedent que très-peu de fer (1); mon opinion ne paraîtra peut-être point hasardée, si l’on considère qu’il existe habituellement un sédiment ferrugineux dans le bassin circulaire placé à la partie supérieure du Château-d’eau , et en second lieu , si on réfléchit sur l’enduit des cailloux du filtre, en les comparant avec ceux qui se trou- vent placés tout à côté, dans le lit de la rivière. » Voilà deux faitssaillans et que chacun peut vé- rifier. Au reste, tout porte à croire que leau de nos fontaines qui dépose, principalement sur celle dite dela Trinité et dans les carafes, une très- grande quantité de rouille et de matières organi- ques, serait garantie de ces inconvéniens par les précautions suivantes : » 1.° Eloigner tous les dépôts de matières orga- niques en décomposition spontanée qui pourraient se trouver à l’amont du filtre ; » 2.° Supprimer les plantations qui avoisinent le filtre , sans négliger les racines. » (1) Avant que l’eau sortant de nos fontaines soit frappée par l'atmosphère , le fer s’y trouve à l’état de carbonate avec un léger excès d’acide carbonique ; il est reconnu que ce métal ne peut se combiner lorsqu'il n’est qu’à l’état de protoxide ; or , comme il résulte des expériences de MM. Gay-Lussac et Thénard , que l’eau n’oxide pas le fer , s'il n’y a concours de la lumière, les tuyaux de conduite sont d'autant moins oxidables qu'ils se composent de carbure de fer , et que l’eau ne dissout alors qu'une très-faible quantité de métal. Surles eaux des puits, etc. M. Macnes- LAHENS, 1831. 46 CLASSE DÉS SCIENCES. La santé des hommes, et celle même des ani- maux , dépend en grande partie de la qualité des eaux. ‘Ayant l'établissement des fontaines publi- ques à Toulouse , cette ville éprouvait, d’une manière souvent. fatale, combien l’usage de quel- ques-uns des énirees puits creusés dans lin- térieur de son enceimte, était contraire aux pre- mières lois de l'hygiène et à la conservation de la salubrité, Cest ce que M. Magnes expose dans un mémoire intitulé : Considérations sur les eaux des puits en général, et examen chimique d'un puits creusé Lans l'enceinte des bâtimens de l'Ecole d'artillerie à Toulouse. Chargé de faire l'analyse de l’eau de ce puits, situé tout près des écuries, et dont les qualités délétères étaient signalées depuis long-temps , il a reconnu qu’elle contenait , Une matière organique , Du carbonate d’ammoniaque , Du sulfate de chaux, Des hydrochlorates , Et des hydrosulfates. Les recherches que l’auteur a faites avec M. Dis- pan, sur l’eau des puits des boulangers de la ville , et sur celles des puits de nos hôpitaux et de nos prisons, l’autorisent à dire, que les substances re- connues dans celui de l’école d'artillerie, se retrou- vent sur presque tous les points des villes popu- leuses , même sur ceux qui sont éloignés des fosses d’aisance et des écuries. Il est résulté des recherches de M. Magnes, que la mortalité, qui régnait dans les écuries de Par- HISTOIRE. 47 tillerie, a cessé dès que l’eau du puits dont on abreuvait les chevaux a été remplacée par celle de nos fontaines publiques , alimentées par le fleuve. Silex pyro- La manière dont le silex pyromaque se pré- RC sente dans la nature, et les circonstances qui pa- | 1829. | raissent avoir concouru à sa formation , ont de tout temps excité l'esprit d’observation des minéralo- gistes. La présence des corps siliceux d’une appa- rence semi-cristalline, au milieu des couches sédi- menteuses de craie ou de marne; leur distribution par bancs continus ou interrompus, alternans avec les couches terreuses ; leur groupement en rognons irréguliers et de grosseur diverses , disposés sur ces couches, à côté les uns des autres, quelquefois se touchant , quelquefois laissant entr’eux des vides plus où moins considérables ; le caractère enfin de leur texture moléculaire, qui les distingue tout à fait des autres substances siliceuses, et sur-tout du quartz, avec lequel ils ont cependant une même composition chimique, sont autant de particulari- tés qui rendent ces corps très-remarquables, et ont dû fixer sur eux, d’une manière plus spéciale, l'attention des géologues. Leur mode de formation est devenu sur-tout l’objet des principales recherches. D’où est venue la matière de ces silex, dont lexistence se rattache bien évidemment aux circonstances des localités où on les trouve? Comment s’est-elle introduite dans les diverses couches de la craie ? Quelle cause a pu déterminer sa concentration sur des points exclusifs de la plupart de ces couches, ainsi que 48 CLASSE DES SCIENCES. son arrangement le plus ordinaire en cailloux de formes variées et bizarres? «Telles sont, dit M. le colonel Verpeau , les difficultés que cette question offrait à résoudre. A défaut d'expériences directes et d'observations suffisantes, l’on a eu recours à des théories , et lon a cru pouvoir expliquer des phénomènes anciens, et évidemment contempo- rains des terrains où ils se sont passés, par les cau- ses qui agissent encore aujourd'hui à la surface du globe. L'on a donc vu dans les eaux qui traversent journellement les différentes couches de la terre, jusqu’à de grandes profondeurs, lagent dont la nature s’est servie pour réunir les élémens de ces substances minérales ,et dès-lors a été admise la probabilité des dépôts siliceux , introduits par voie d'infiltration à travers les couches calcaires. » Les observations qu'une position heureuse Jui permirent de faire sur les terrains servant de gîtes ordinaires à ces silex, et les documens qu’il puisa dans les travaux d'exploitation , suggérèrent à M. le colonel Verpeau quelques idées sur cette question , et il en a donné le développement dans un Mémoire intitulé, Recherches sur les silex pyromaques. Il donne d’abord d’intéressans détails sur les gi- semens des silex en exploitation. «Les exploitations les plus considérables de la France, celles qui fournissent au commerce et à la guerre, sont situées dans le département de Loir-et Cher , entre les deux petites villes de Saint- Aignan et de Selles, sur les deux rives du Cher ; HISTOIRE. 49 elles embrassent une superficie d'environ 4 myria- mètres carrés , couverts de collines et de coteaux peu élevés, cultivés en vignes, et renfermant les carrières. Celles de la rive gauche sont ouvertes depuis plus de 150 ans, mais les travaux n’ont commencé sur la rive droite que depuis une tren- taine d'années. » La surface de ce terrain est recouverte d’un sable siliceux, mêlé d'argile; l’intérieur se com- pose d’une masse compacte de craie marneuse d'environ 12 à 18 mètres de puissance, divisée par couches parallèles, d'épaisseurs variables , et sépa- rées entr’elles par des bancs horizontaux de silex. Voici le rang, épaisseur et a composition de ces couches et de ces bancs, en suivant leur ordre de superposition du haut en bas, tels que les présen- tent les exploitations du village de Meusne , les plus importantes du département. HCHRENESEEAIE. ee bee eee ne ee lee e tie lee . om30 Couche”d’argile d’un gris de cendre foncé. . . . . . . . 2,18 Cette couche est parsemée de silex épars et superposés dans l’ordre suivant : 1.0 En fragmens de couleur blanchâtre ; 2.0 En fragmens unis au fer hydraté , par un ciment sili- ceux ; 3. En rognons de forme sphéroïdale , légèrement tuber- culés, de 0,067 d'épaisseur, d’un blanc jaunâtre, d’une pâte criblée de nœuds , de caries et de taches ; impropre à la taille. Couche de craie marneuse, blanche , solide et compacte, d'un grain fin; cette couche s’étant fendue dans plu- sieurs parties, des infiltrationsocreuses jaunes et rouges s'y sont introduites. . . . . . . +. PONS SAME “0; 70 TOMM II, PART, I. 4 bel # CLASSE DES SCIENCES. Bancs de silex en rognons de 0,108 d'épaisseur , de forme branchue et tuberculeuse ; pâte tachetée de rouge obs- eur et bordée d’un filet de cette couleur près de l'écorce et autour des nœudset des caries, qui les rendent impropres à la taille. ...........4........... o260 Couche de craie marneuse, de même nature que la pré- . PS EN PET PRE TAN RE MS REA Banc de silex en cailloux aplatis , branchus ou palmés , ue de 0,094 d'épaisseur, parsemés de taches grises et de Dog$ œcR ) 8 petits nuages, d’un jaune roussâtre; bordés de cette couleur à la partie voisine de l'écorce; propres à lataille. Couche de craie de la même nature que la précédente. . . Celle-ci est la dernière dela craie compacte, et renferme à sa partie inférieure quatre lits minces de silex, séparés pär de légères strates de craie, et n’occupant en tout qu'une épaisseur de 0,320 millimètres : 1.0 Un lit de silex en fragmens anguleux, carrés et aplatis, de 0,940 millimètres environ d'épaisseur, ressemblant assez à des galets de rivière, à surface tuberculeuse , un blanc-gris mat, pleins de taches et de nœuds; im- propres à la taille; 2. Un rang de silex , en cailloux , de forme branchue et tuberculeuse, de 0,081 d'épaisseur ; pâte blonde, assez fine, parsemée de taches blanches, sans caries, et pro- pres à la taille ; 3,° Une plaque de silex de 0,054 d'épaisseur , formant un banc continu et recouvrant toute la couche; 4.e Une plaque de silex de 0,108 d'épaisseur , formant un banc continu à surfaces ondoyantes ou légèrement tu- berculées; pâte de couleur plus claire que celle des au- tres cailloux , parsemée de taches blanches et jaunes, peu cariée et propre à la confection des pierres, quoi- que courte à la fente. L'on trouve une grande quantité d’echinites fossiles engagés à sa surface. Couche de craie toujours marneuse, plus fine et plus blanche que la supérieure, légère et très-friable. . . . . On trouve dangcette couche, à 0,320 de lasurface, un lit de silex en fragmens anguleux, carrés etaplatis, à sur- faces tuberculeuses de 0,040 d'épaisseur ; d’un gris Jai- teux mat, pleins de taches et de nœuds ; impropre 2 la taille. 0, 90 1, 00 HISTOIRE. of Banc de silex en rognons de forme un peu ovoïde , légé- rement tuberculés , de 0,094 d'épaisseur , d’un blanc- gris mat, moins défectueux que ceux de la couche du toit, et susceptibles de servir aux pierres à feu. Couche de craie fine parsemée de corps organisés fossiles, assez ressemblans à des orthocératites ; l'enveloppe ex- térieure de ces fossiles est de silex pyromaque, le cen- tre est rempli d’une pâte cristalline, siliceuse, blanche Et jtrespelluleuses ssh. ccectihots il. crime Banc de silex en cailloux de 0,108 d'épaisseur, de forme branchue et tuberculeuse , pâte blanchâtre fine , peu défectueuse; propre à la taille. Couche crayeuse , de la même nature que la précédente. 0, 50 Des boules ovoïdes aplaties de silex corné, de 0,013 à 0,054 millimètres de diamètre, s’y trouvent éparses en grand nombre ; ce silex, d’un gris blanchâtre et par- semé de taches blanches, passe au pyromaque par des nuances insensibles, et l’accompagne presque toujours dans les terrains de sédimens inférieurs; l’on en a fait unesous-variété, à cause de sa plus grande translucidité et de sa cassure écailleuse , ressemblant à celle de cer- taines cornes. Couche crayeuse de la même nature que la précédente. . o, 80 Deux bancs de silex en cailloux, de 0,108 40,135 d’épais- seur. Ces bancs superposés sont séparés par une légère couche crayeuse de 0,300 millimètres ; quelquefois la craie est remplacée par une plaque mince et continue de silex. Les rognons se touchent, et forment'des rangs également espacés ; ils sont aplatis, à surfaces convexes surmontées de plusieurs tubérosités siliceuses , en for- me de cornes de 0,027 à 0,108 dehauteur. Ces rognons, les plus gros de toute la carrière , ont aussi la pâte plus fine, plus homogène et tout-à-fait exempte de défauts ; ce sont les meilleurs pour pierres à feu, et les derniers que l’on trouve en cailloux. CouthEtierapeuser à Ne SALE URL AAMRTUE act Cette couche est la dernière de la craie; après elle vient l'argile marneuse ; au tiers de son épaisseur, l’on trouve encore un dernier lit de silex , mais en fragmens angu- leux et tuberculés, d’un grain blanchâtre, fort défec- lueux, et impropres à la taille. Cette rencontre indique aux ouvriers qu'ils ont dépassé les bons rangs. a , f- 52 CRASSE DES SCIENCES. » Telle est la succession des strates diverses que présente la coupe d’une montagne crayeuse à gites de pyromaques; lépaisseur des couches et des bancs , ainsi que leur nombre, varient suivant les localités, mais leur ordre et leur composition sont toujours à peu près les mêmes. La constance dans le retour et la position de certaines couches est sur-tout remarquable; celle où se trouvent les boules de silex corné, par exemple, précède tou- jours immédiatement le dernier rang de silex py- romaque, de sorte qu’elle est pour les ouvriers l'indice certain du voisinage des rognons les plus recherchés , à cause des avantages qu’ils présentent à la taille, par leurs qualités et leur volume. » Après ces détails importans, M. le colonel Ver- peau entre dans de longs détails sur la formation des silex pyromaques, qu'il attribue à d’autres causes qu’à celles qui sont généralement adoptées. Il s'appuie sur la connaissance particulière des ter- rains où l’on rencontre ces silex, pour créer une autre théorie, tant pour cette formation que pour celle de leur écorce, concrétion siliceuse, com- pacte, adhérente, d’une opacité complète où d’un aspect terreux, et il l'appelle : Théorie de la;for- mation du silex par les précipités. Géoosr. M. Tours a présenté à l'Académie deux Mé- Cavernes à moires, intitulés, l’un : Vote sur les cavernes à ossemens-. M. Tounsaz 05semens de la Vallée de la Cesse ; et le second , fl Observations sur les ossemens humains et les "8% objets de fabrication humaine, confondus avec des ossemens de mammifères terrestres, apparte- nant à des espèces perdues. HISTOIRE. 53 Nous ne pouvons mieux faire que d'insérer , dans cette partie de l'Histoire des ouvrages de l’Académie, la savante analyse que M. »’Ausvis- sox , Secrétaire perpétuel, a faite des deux Mémoires , dans un Rapport présenté au nom de la commission chargée de leur examen. Il établit d'abord Pétat de la question qui va être traitée. « Représéntons-nous, dit-il, une coupe verti- cale de Pécorce minérale du globe terrestre , telle que cette écorce nous est connue. Nous la verrons composée de couches, ou systèmes de couches, placées comme autant de grandes assises, les unes sur les autres; chacune d’elles a été formée et dé- posée immédiatement après Vlassise sur laquelle elle repose , et presque toujours après son entière consolidation. Leur succession indique une suc- cession de temps ; le fait est évident, et personne ne le conteste. Dans les assises inférieures, les granites, gneiss, etc., on ne trouve absolument aucune trace d'êtres organisés ; dans celles qui sont immédiatement au-dessus, on commence à voir des empreintes de plantes aquatiques et terrestres ; plus haut , on rencontre des débris de madrépores, de coraux, êtres qui, fixés au sol, n’y font que végéter, qui semblent tenir un milieu entre les plantes et les produits du règne animal, et que l’on a nommés en conséquence zoophytes (animaux- plantes ). Dans les couches placées immédiatement au-dessus, on a des mollusques ou coquilles , la classe d'animaux dont Porganisation est La plus 54 CLASSE DES SCIENCES. simple , et encore sont-ils d’une espèce entièrement différente des mollusques qui vivent dans les mers actuelles ; ensuite, et successivement d'étage en étage, on trouve de nombreuses coquilles qui se rapprochent de plus en plus des espèces existantes , puis des squelettes de poissons, puis des restes d’amphibies ( tortues et crocodiles), puis des mammifères marins , tels que les phoques , et quel- ques traces d'oiseaux; enfin dans les dernières couches pierreuses paraissent, pour la première fois, des ossemens de mammifères terrestres où quadru- pèdes , mais qui n’ont aucun rapport avec ceux qui existent sur nos continens. — Au-dessus de ces couches minérales est étendue une grande assise de terrain de transport, composée de pierres rou- lées, de graviers , de sables , terres, limons , et qui forme le sol de presque toutes les grandes plaines, des steppes de la Sibérie, par exemple ; on y trouve en plusieurs endroits, notamment dans celui que je viens d'indiquer , une grande quantité d’osse- mens d’éléphans, de rhinocéros, etc., qui ressem- blent, quant au genre, aux éléphans, rhinocé- ros , etc. actuels, mais qui en diffèrent essentielle- ment quant à l’espèce : ces ossemens fossiles sont mêlés, dans ce terrain de transport, et avec des ossemens de Mastodonte, Megatherium , etc. qui w’ont plus aujourd’hui aucun analogue sur la terre, et avec des ossemens de bœufs, de cerfs, de san- gliers , de chevaux pareils aux nôtres. » Au milieu de tous ces débris, on n’a trouvé nulle part, au moins encore, ceux de Pespèce hu- HISTOIRE. 55 maine : l’homme n'aurait donc pas existé à l’épo- que où vivaient les animaux dont les ossemens sont dans ces diverses couches ? Il serait venu après eux ; il serait, ainsi que le Rapporteur Pa dit ail- leurs, le dernier produit, comme il est le chef- d'œuvre de la création. » On sent combien les faits qui pouvaient mener à de telles conséquences, devaient piquér la curio- sité et fixer l’attention des naturalistes et des sa- vans : quelques-uns ÿ ont vu la confirmation des récits de Moïse dans sa Genèse; à leurs yeux, le cataclysme qui a produit la grande assise de ter- rain de transport, qui a enfoui tant d’ossemens, qui a détruit plusieurs races d'animaux, serait le déluge universel de ce même historien. Ce sont sur-tout dés écrivains de la religion protestante, j'en fais la remarque, qui soutiennent cette ma- nière de voir : c’est Deluc de Genève, dans tous ses ouvrages; c’est M. Cuvier dans son beau Discours sur les révolutions de notre globe ; c’est le savant M.Buckland d'Oxford, danssesReliquiæ diluvianæ. D’après eux, l'homme n’aurait paru, ou plutôt ne se serait répandu sur la terre qu'après la grande inondation diluvienne dont l’époque ne serait ef- fectivement éloignée du temps actuel, que des quatre mille ans indiqués par la chronologie sa- crée. Cette inondation serait celle qui a donné à nos continens leur forme actuelle, et qui a fixé l’époque d’où datent les phénomènes que nous y voyons. » De telles assertions peuvent se soulenir , comme 56 CLASSE DES SCIENCES. elles peuvent se combattre. Aller dans la nature observer et étudier les faits qui peuvent éclairer cette question , sera toujours un travail digne d’é- loges et d’encouragemens ; et quel sujet peut offrir un plus grand intérêt, que de constater l’époque où l’homme a pris sa place dans la grande série des êtres. Malheureusement on a dévié de cette marche : les uns n’ont cherché et n’ont voulu voir dans les faits, que ce qui était entièrement con- forme à la narration de Moïse; les autres, ce qui lui était contraire : d’une œuvre scientifique, on a fait une œuvre de controverse... » M. Tournal de Narbonne, dit M. le Rappor- teur, est un jeune géologiste déjà connu d’une manière très-avantageuse, par une Description géognostique du bassin inférieur de l’ Aude et de la Berre , et sur-tout par une observation remar- quable qu'il a faite, il y a deux ou trois ans, dans une caverne à ossemens, située près de Bise, sur les bords de la Cesse, à 20 kilomètres (3, lieues ) au N. O. de Narbonne; il y a découvert des osse- mens humains , mêlés avec des ossemens d'ours, d’antilopes , etc., dont les espèces sont aujour- d’hui éteintes, et l’on n'avait pas encore un exem- ple aussi bien constaté d’une telle ancienneté de lhomme. Le Mémoire qu’il a fait à ce sujet, de concert avec M. Marcel de Serres, est soumis en ce moment au jugement de l'Académie des Sciences de Paris. » Dans sa Notice sur les cavernes de la vallée de la Cesse, il commence par faire connaître la HISTOIRE. 57 constitution minéralogique de cette vallée. La roche qui y domine , et dans laquelle sont les grot- tes, est un calcaire à nummulites, placé sur une roche quartzeuse et recouvert par un terrain à lignites ; les cavernes y sont nombreuses et à des niveaux différens : quelques-unes renferment des couches d’un.gravier absolument pareil à celui sur lequel coule le torrent qui est au pied de Pescar- pement : de nombreuses fentes et fissures commu- niquent de leur intérieur avec la superficie du sol. » Après avoir cité quelques-unes de celles qui contiennent des ossemens , car toutes n’en contien- nent pas, il s'arrête sur la plus grande que lon ait dans la haute Vallée de la Cessé, qu'on nomme dans le pays, la Balmo dAldeno ; elle se trouve à 300 pieds au-dessus du torrent; elle est remar- quable par la hauteur de ses voûtes, la beauté de ses stalactites, la bizarrerie de sa distribution in- térieure, et la longueur de ses couloirs : aussi est- elle souvent visitée par des étrangers. « Le limon qui en occupe le sol et qui renferme » les ossemens, dit M. Tournal , est recouvert dans » quelques parties par une croûte stalagmitique » assez épaisse, mais qui a été brisée. Il pénètre » dans les couloirs les plus éloignés, il est noirâtre, » gras au toucher, et ne renferme point ou pres- » que point de cailloux roulés : les ossemens appar- » tiennent en général à l'Ursus arctoideus , et à » une espèce nouvelle, beaucoup plus grande, et » qui devait atteindre la taille de nos plus forts » chevaux ; ils sont parfaitement conservés, et 28 CLASSE DES SCIENCES. » quelquefois incrustés de stalactiques.…. Rarement » les parties du squelette sont-elles en connexion... » Une fouille, faite dans un espace de quelques » pieds seulement, m'a procuré une quantité im- » mense d’ossemens, parmi lesquels il y avait au moins 80 dents canines d'ours... Il est proba- » ble que ces animaux ont habité pendant long- » temps ces cavernes : elles leur servaient de re- » paire... après leur mort, les cadavres ont été » exposés pendant long-temps sur le sol de ces » souterrains ; et les ossemens, après la destruc- » tion des cartilages, ont dû être entraînés par les » eaux sauvages, et par les eaux d'infiltration, dans » les parties des cavernes où ils sont accumulés. » » On voit, par cet exposé, que le travail de M. Tournal ofire deux faits particuliers : une espèce d'ours d’une taille gigantesque, et lentas- sement des ossemens dans les parties basses des cavernes. Quant au limon qui les enveloppe, pour l'obtenir , il n’a pas recours à des moyens extraor- dinaires, tels qu’à une grande inondation locale , ou au déluge universel : il pense qu'il aura été apporté par les eaux sauvages qui, après de fortes pluies, coulant sur la surface du sol, se seront comme engouffrées dans les fentes qui aboutissent dans les cavernes. Quelque simple et naturelle que soit cette explication, elle n’est cependant pas à l'abri de toute objection : la nature du limon qui entoure les ossemens et qui est imprégné de ma- tiére animale, l’épaisse croûte stalagmitique qui le recouvre; ne semblent-ils pas indiquer qu'il y = LA ; HISTOIRE. 59 a pénétré en une seule époque, peu éloignée de celle de la mort des animaux , et séparée des temps postérieurs par la concrétion calcaire ? Depuis les siècles où elle a commencé à se former, des eaux sauvages se seraient aussi introduites dans les fentes, et auraient apporté de nouveau limon, qui se serait déposé au-dessus, et il n’y en a pas. » Le second Mémoire de M. Tournal, celui sur les ossemens humains et les objets de fabrique humaine confondus avec des ossemens appartenant à des espèces perdues, est d’une plus haute impor- tance. Il a été fait pour servir à /4rchéologie Pyrénéenne de M. Du Mège. » La découverte faite par lauteur dans la ca- verne de Bise, découverte que nous avons déjà mentionnée , l'avait porté à conclure que /’omme aussi se trouvait à l’élat fossile. Cette assertion contrariant des opinions et des systèmes déjà ad- mis, a été attaquée. Les ossemens humains, trouvés dans la caverne de Bise, peuvent y avoir été amenés, a-t-on dit, avec le limon qui enveloppe les débris des quadrupèdes; et ce fait peut être arrivé bien postérieurement à la mort de ces ani- maux; de sorte que, parce que ces deux sortes d’ossemens se trouvent aujourd’hui ensemble, on ne peut en conclure que l’homme a vécu à la même époque que ces espèces détruites. M. Tour- nal défend son opinion; et le Mémoire dont nous allons rendre compte est destiné à cette défense. » L'auteur remarque qu'il faut d’abord bien s'entendre sur lacception à donner aux mots : il 60 CLASSE DES SCIENCES. cherche à préciser celle qu'on doit attribuer aux dénominations de Diluvium et de Fossile. » Le Diluvium est cette grande assise dantique terrain de transport qui recouvre la masse pier- reuse du globe, et qui n’est recouverte que par les alluvions des eaux actuelles. C’est elle qui renferme les nombreux ossemens des anciens éléphans, rhino- céros , etc., ossemens incontestablement fossiles. Cest une des couches régulières du globe ; et tout ossement qui se trouve déposé par la nature dans une telle couche est fossile. « Le limon qui a com- » blé Pintérieur des cavernes, ajoute M. Tournal , » et dans lequel on a des amas prodigieux d’osse- » mens de mammiferes terrestres, fait partie du » Diluvium : » et, par suite, dans ces couches de transport, où se trouvent les débris de Péléphant (Elephas primigenius), tout est fossile. Cette pre- miere moitié de son argument, que tout ossement gisant dans une couche régulière du globe est fos- sile, parait incontestable ; mais il n’en est pas de même de la seconde , que le limon des cavernes fait partie de ces couches. Ici l’auteur entre dans le domaine de la discussion et presque de la polé- mique. Quelques écrivains veulent que le Diluvium ou lantique terrain de transport soit, dans son entier, le produit d’une inondation subite et pas- sagère. M. Tournal au contraire le regarde comme une suite de dépôts qui se sont formés, tantôt brusquement, tantôt par l’eflet des causes qui ont agi lentement et tranquillement pendant une pé- riode de temps extrèmement longue... HISTOIRE. 6: » Il cherche ensuite si analyse chimique ne lui fournirait pas un caractère plus précis que la géo- logie, et il ne le trouve point. En eflet, des os incontestablement fossiles contiennent beaucoup de gélatine animale ( qu’on se rappelle que le rhi- nocéros déterré en 1771, au milieu des plaines de la Sibérie, était recouvert de sa peau, et que Pélé- phant mamouth , jeté en 1800 au milieu d’un bloc de glace, sur la côte voisine de embouchure de la Lena, a nourri pendant quelque temps, par ses chairs, les chiens des Jakutes voisins); d’un autre côté, des os d’une origine assez récente ne con- tiennent que du phosphate et du carbonate cal- caire. » Dans un tel état de choses, M. Tournal établit ainsi son caractère distinctif : « La présence dans » un même dépôt, d’une ou de plusieurs espèces » animales bien caractérisées , et regardées comme » fossiles, doit suffire pour faire admettre aussi » comme fossiles tous les corps organisés ensevelis » dans le même dépôt, lorsqu'il est d’ailleurs bien » prouvé qu'ils sont contemporains , c’est-à-dire, » que leur mélange n’a pas eu lieu accidentelle- » ment.» Il nous semble qu'il est impossible de se refuser à admettre un tel principe. » Après lavoir établi, M. Tournal considérant que , conformément aux faits observés dans diffé- rens lieux des départemens de PAude, de l'Hérault et du Gard, par lui et ses amis ou collaborateurs MM. de Serres et Christol , des ossemens humains se trouvent dans un même gisement avec les 62 CLASSE DES SCIENCES. vestiges des espèces animales qui ont maintenant disparu de la surface du globe , revient avec toute la force que peut donner un bon raisonnement sur son assertion première. Oui! l’homme aussi se trouve à l’état fossile. » Il cite deux exemples: » L'un est sa propre découverte à la caverne de Bise, où des ossemens humains, des poteries, des bois de cerf travaillés ( objets dont il fait lé- numération }, sont mêlés avec des ossemens de cerfs, de chamois, de chevreuils, d’antilopes , d'ours, etc. » Le second, est celui dont on est redevable à M. Christol, professeur de géologie à Marseille. Dans deux cavernes près de Sommières, départe- ment du Gard, il a trouvé des ossemens humains et des poteries associés avec des os de rhinocéros , de cerf et de cheval, et de cette hyène à laquelle M. Cuvier a donné le nom d’Hyena fossilis , fait plus décisif encore que celui de la caverne de Bise. » M. Tournal termine en concluant qu'à une époque antédiluvienne, le midi de la France était habité par des ours, des antilopes, qui n’ont plus de représentant parmi les espèces actuellement existantes : qu'à cette époque Phomme vivait déjà en société, et que les objets de fabrication hu- maine qu'on trouve ensevelis avec les restes de ces anciens animaux, indiquent même un état de civi- lisation assez avancé. » Sans adopter cette conclusion dans son entier, nous devons dire que les observations de MM. Tour- HISTOIRE. 63 nalet Christol ont fait faire un pas réel à la science E avant eux, on savait bien par des ossemens, des pierres taillées en forme de hache, de pointes de flèche, par des poteries grossières trouvées à des profondeurs considérables dans de grands ter- rains d’alluvion, que l’homme était très-ancien sur le globe. Mais on ne savait pas qu'a une épo- que, bien plus reculée, à celle où il existait des ours ; des rhinocéros , des hyènes, dont les races sont aujourd’hui éteintes , l’homme vivait dans nos contrées , et dans un état de civilisation peut-être supérieur à celui de quelques peuplades de lAmé- rique , il y a trois siècles. Les faits que nous avons cités ne laissent aucun doute à cet égard , et il parait qu'à M. Tournal appartient l’honneur d’a- voir signalé les premiers. » Les Mémoires dont on vient de rapporter l’ana- orme lyse, et qui ne sont pas les seuls qu'aient fait fossiles. naître les belles observations de MM. Tournal et M RES dans les cavernes à ossemens , ont fourni à M. nr 1333. Cuesxer. le sujet d’un Mémoire intitulé : Quelques réflexions sur les ossemens humains fossiles. Après avoir présenté des généralités sur les études géologiques, Pauteur rappelle les opinions le plus en crédit sur l'époque de apparition de Phomme sur la terre. Ce n’est qu’à la quatrième, la diluvienne , que lon consent à admettre ce chef-d'œuvre de la création parmi les êtres qui déjà peuplaient le globe. « Cette décision , toute péremptoire qu’on la présente, n’est pas sans ap- pel, dit l’auteur... De ce que nous n'avons pas 64 CLASSE DES SCIENCES. rencontré des ossemens humains dans les lieux explorés , en résulte-t-il rigoureusement qu'il ny en ait nulle part? L’habitude qu'a le savant de diriger ses recherches par de continuelles analo- gies, ne nuit-elle pas à beaucoup de découvertes ? De l’aglomération de débris d’animaux dans cer- taines localités, ne peut-on pas conclure, assez naturellement, qu'il est possible d'arriver, d’un moment à l’autre, à des dépôts d’ossemens hu- mains? Est-il permis enfin de désespérer, au- jourd’hui, de parvenir à ce résultat, puisque, récemment encore , on se refusait à croire à lexis- tence de l’homme fossile, et que lexploration actuelle des cavernes nous oblige à admettre ce fait ? » À défaut d’un meilleur argument , on a attri- bué la non-existence de l'homme antérieurement au sol alluvial, à l’état atmosphérique de cette époque , à la quantité d’acide carbonique répandu dans Pair. Nul doute qu'un changement notable n’ait eu lieu dans la température du globe, qu'un déplacement , peut-être, ne se soit opéré dans sa polarisation ; mais si nous acquiesçons à ce que des plantes, des animaux sur-tout , aient pu suppor- ter cette température, nous ne pouvons refuser la même faculté à l’homme. Dans nos contrées il paraît constaté que la végétation fut, dans les temps reculés, à peu près identique à celle des zones équatoriales. Eh bien! que faut-il en con- clure relativement à l’homme ? Rien autre qu’une différence dans sa conformation physique, c’est-à- HISTOIRE. 65 dire, un changement dans sa race comme dans les tribus végétales ; et, en effet, des têtes trouvées dans diverses cavernes de l’Europe, offrent un rapport remarquable avec les crânes des races africaines. : « La plupart des géologues avaient repoussé avec trop de confiance l'apparition de l’homme avant l’époque diluvienne, pour accueillir, sans la combat- tre, une opinion contraire. Ils ont même assez long-temps , et d’un accord commun, pour ainsi dire, gardé le silence sur quelques ossemens hu- mains trouvés en Allemagne, parce que cette découverte ébranlait d’une manière violente une foule de systèmes qui s'étaient complaisamment prèté un appui récipoque; mais nos cavernes fouil- lées, simultanément , sur un grand nombre de points; mais les Mémoires lancés dans le monde savant par de jeunes adeptes qui ne soupçonnaient même pas le désordre qu'ils allaient causer ; mais cette ardeur nouvelle qui anime aujourd’hui géné- ralement , comme nous l'avons dit, pour une étude que l’on regardait naguère comme inutile et maussade ; tout cela réuni, a donné l’impulsion à une polémique vive, suivie, dont il faut atten- dre un concours fructueux de lumières, et qui, déjà, a fait poser la question des ossemens hu- mains fossiles sous les trois points principaux que voici (tr) : » Ou ces ossemens sont antédiluviens, comme (1) Voyez les Mémoires de la Societé géologique de France. TOME II, PART, Ja J 66 CLASSE DES SCIENCES. ceux des mammifères d'espèces perdues avec les- quelles on les rencontre, telles que les ours, les hyènes, les rhinocéros, etc.; et l’existence de Phomme aurait alors précédé , dans nos contrées, les derniers soulèvemens de montagnes qui ont dispersé le gravier diluvien , et les grands change- mens de température qui paraissent avoir contribué à leur destruction ; » Ou bien ces grandes espèces de mammifères n’ont été détruites que par des causes lentes et naturelles, que depuis les temps historiques, ou du moins depuis l'invention des arts, et depuis l'établissement des hommes sur le sol de notre France méridionale; et les Gaulois, pourrait-on dire , auraient chassé aux rhinocéros , aux hyènes, comme à l’urus, à l’élan et au sanglier ; » Ou bien, enfin, la réunion sur le même sol souterrain de ces différens corps n’est que le ré- sultat de plusieurs causes fortuites, non simul- tanées, et distinctes du phénomène général des cavernes à ossemens. » Chacune de ces trois opinions a trouvé des défenseurs , et chacun de ces défenseurs a contraint les mêmes faits, comme toujours il arrive, à se plier exclusivement à sa doctrine. Nous avons ob- servé avec une méthode contraire. Nous ne repous- sons aucune de ces opinions : loin de là, nous les admettons toutes trois comme des conséquences également naturelles d’actes probables ; mais nous déclarons en même temps que, dans l’état actuel des investigations du géologue , il n’est pas possible HISTOIRE. 67 d'établir une théorie dont Papplication soit géné- rale, c’est-à-dire, qui puisse répondre convena- blement aux objections sans fin que présente Pin- nombrable série des faits. » L'auteur ne reconnaissant aucun témoignage irrécusable qui constate la non-contemporanéité de Phomme avec les espèces d'animaux dont les débris sont enfouis dans les formations qu’il a indiquées, rien alors ne l'empêche d'accueillir Phypothèse que l’homme existait antérieurement aux derniers soulèvemens qui ont dispersé le gravier diluvien, et qu'il a subi, comme d’autres races, soit les grands Changemens de température qui peuvent avoir con- tribué à leur destruction, soit toute autre catas- trophe. En suivant le même raisonnement , l’auteur ajoute : « Nassignant pas exactement à ces faits des causes simultanées, une action générale , il n’y a aussi aucune difficulté à leur en attribuer de lentes, de successives, même de partielles, qui ont cependant concouru à des résultats analogues. Quant à la supposition que les Gaulois ont pu chasser aux hyènes comme à lélan, etc. ; il nous semble que Phistoire la confirme suffisamment. En effet, nous voyons dans les descriptions que les auteurs nous donnent des chasses des Germains et des Gau- lois, qu'il ne s'agissait pas seulement de la pour- suite de cerfs et de chevreuils , mais bien encore de combats à outrance contre des buffles et autres ani- maux de haute taille, aussi féroces que sauvages. Nons remarquons , sur d'anciens meubles et usten- De 08 CLASSE DES SCIENCES. siles , de ces figures d'animaux qui nous sont incon- nus aujourd’hui, et qu'il faut nécessairement rap- porter à ceux qui habitaient les vastes forêts qui couvraient notre Europe; nous savons, en outre , que la tête et les pieds d'énormes mammiferes étaient un trophée dont les chefs décoraient la porte d'entrée de leur demeure, de mème que les Celtes les offraient à leur dieu Cernunnos ; enfin, les historiens et les romanciers nous ont assez entretenus de ces cornes d'animaux sauvages , quelquefois ciselées et enrichies de métaux et de pierreries , qui servaient de coupes aux Saxons et aux Danois, et dont la possession était, dans plu- sieurs familles, comme une sorte de Palladium. Aïnsi, que les grandes espèces dont nous nous en- tretenons aient appartenu à des genres des latitu- des équatoriales, ou qu’elles aient été originaires des climats froids ou tempérés, si nous nous en rapportons plutôt aux inductions puisées dans l'étude de l’histoire qu'aux hypothèses déduites de quelques analogies géologiques, il paraîtrait que la destruction de ces espèces, dans nos contrées, proviendrait sur-tout du défrichement des forêts, et que leur disparition totale ne remonterait même pas à une époque aussi ancienne qu'on le pense généralement , puisqu’au 12.° et au 13.° siècle la grande hyène habitait encore les montagnes du Gévaudan, et que nos chroniques , jusqu’au 16. siècle, signalent les dégâts commis dans quelques provinces par des animaux connus , que la peur et la superstition revêtaient des formes les plus HISTÔIRE. 69 extraordinaires, mais qui n’en appartenalent pas moins à des races indigènes , presque perdues alors , et que tout autorise à rattacher à celles dont les cavernes nous offrent aujourd’hui les osse- mens. » Si l'existence de l’homme, à l’époque du sol alluvial, fut long-temps contestée , la découverte des ossemens humains fossiles a fait naître autant dardeur pour soutenir une opinion non moins hasardée que la première; et de ce que lon a trouvé, sur un même sol, liés, pour ainsi dire, en un agrégat stalagmitique, des ossemens d’hom- me, de quadrupèdes , d’escargots, des fragmens de verre , de poterie, etc., etc., on est arrivé, sans le moindre serupule, à cette conclusion, qu'il y avait contemporanéité dans le dépôt de ces objets divers. Nous osons repousser ouvertement cette assertion. » Les cataclysmes les plus récens qui ont dis- persé le gravier diluvien, et ont charrié son limon dans les fissures et les cavités provenant des der- niers soulèvemens de montagnes, ont pu aglo- mérer dans ces lieux, et simultanément, des débris d'espèces contemporaines ; mais quelques-unes de ces cavités , destinées à être souvent envahies par les eaux , ont vu aussi à chaque inondation , rema- nier , retourner le gravier qui les encombrait , et les corps que ce gravier retenait ; de telle sorte que les parties inférieures revenant à la superficie pour y remplacer des dépôts modernes que l’action du courant refoulait vers le fond, il s’en est suivi un 70 CLASSE DES SCIENCES. certain nombre de mélanges qui a constitué enfin l'agrégat hétérogène qu'on voudrait maintenant attribuer à l’amalgame d’une seule époque. Il peut donc y avoir, dans la même caverne, des osse- mens humains contemporains des cerfs et des ours qu'on leur trouve associés ; comme ces derniers peuvent également se montrer unis à des ossemens d'hommes et d'animaux d’une date récente, puis- que l’état de fossilisation ne tient nullement à une période rigoureuse d’enfouissement, mais bien à une opération chimique qui peut s’accomplir avec plus ou moins de rapidité, selon le concours de certaines circonstances. Il résulte aussi du rema- niement dont nous venons de parler , que les débris d’un vase dont se servait le Druide, peut se ren- contrer auprès d’un fragment de poterie qui n'était en usage que douze ou quinze siècles après ; et que la coquille d’un escargot, dont lanalogue se pro- mène dans nos vignes, peut se montrer cimentée sur une vertèbre d’Ichtyosaurus. Du reste, nous avons encore à nous appuyer sur des faits histori- ques, pour ratifier le mélange qui s’est opéré dans, les cavernes à ossemens , et nous ne prendrons nos exemples que dans nos propres annales. » Depuis les premiers temps de la Gaule jus- qu’au 17° siècle, les cavernes servirent toujours de demeure aux hommes et aux animaux. En temps. de guerre, principalement, des familles entièrès allaient sy mettre à l'abri avec leurs richesses. César poursuivait les défenseurs de l'Aquitaine jus- que dans les entrailles de la terre, et lorsqu'il ne HISTOIRE. 71 pouvait eh arracher les vaincus, 1l faisait murer l'entrée de leur refuge, et les y laissait périr de faim ; les Visigoths, défaits à Vouillé par Clovis, se répandirent dans le Midi, et des bandes de fugitifs vinrent chercher un asile dans les cavernes des vallées d'Aspe et d’Ossau ; les mêmes lieux servi- rent aussi à renfermer les femmes et les enfans des Vascons que menaçait le glaive de Pepin ; enfin, les cavernes du Périgord, des Vosges, du Dau- phiné, du Languedoc, etc., furent toujours peu- plées durant linvasion du territoire, ou pendant les guerres intestines. Il est facile alors, ce nous semble, de concevoir , d’après ce qui précède, laglomérat que lon remarque dans quelques cavernes. Ayant primitivement servi de repaires aux animaux, elles ont reçu d’abord les dépouil- les de ces mêmes animaux et de ceux que quelques- uns d'eux y dévoraient. Des courans d’eau vinrent couvrir ces débris d’un limon qui les empâta. Plus tard, d’autres habitans prirent possession des lieux, et y laissèrent de nouveaux fragmens, témoins de leur séjour , lesquels, par un second remaniement des eaux se mêlèrent aux premiers débris ; et cette opération s'étant plusieurs fois répétée , jusqu’à l'époque actuelle, il en est résulté une sorte de brèche dont les élémens appartiennent à divers dépôts. » Résumant les observations que nous venons d’ébaucher , sur les ossemens humains fossiles, nous dirons que tout porte à penser que l’hom- me fut contemporain de plusieurs espèces dont Terrains de transport. , M TourNaz FILS. 1832, 72 CLASSE DES SCIENCES. les analogues ne se rencontrent plus à l'état vivant; que, dans quelques cavités, les ossemens d’hom- mes et d'animaux peuvent avoir été enfouis à la même époque; tandis que dans d’autres lieux , ceux où les eaux ont plusieurs fois pénétré, où elles ont charrié ce qu’elles ont trouvé sur leur passage, où elles ont remanié ce qui y était déjà en dépôt, il peut se faire aussi qu'on y rencontre des ossemens d'hommes et d'animaux appartenant à des époques fort éloignées les unes des autres, quoique parvenus au même état de fossilisation; et que les débris de verre, de poterie, etc., prove- nant des mêmes effets, ceux des inondations, ne fournissent aucun témoignage authentique pour assigner la date précise des dépôts et en établir la contemporanéité. Au surplus, nous avons nulle- ment la prétention de résoudre le problème dont nous venons de nous occuper : nous avons cher- ché simplement à ramener la discussion sur le terrain le moins hérissé de systèmes , parce que c’est sur celui-là seulement que l’on peut espérer d'arriver jusqu’à la vérité, si la nature consent à nous dévoiler tous ses secrets. » Les travaux de sondage entrepris pour Péta- blissement d’un puits artésien à Toulouse, ont fourni des renseignemens précieux sur la constitu- tion géognostique des environs de cette ville; et, dans une note adressée à PAcadémie, M. Tourxar s’exprime ainsi : «Les matériaux de transport ( mo- lasses ) qui ont comblé le bassin de Toulouse , me semblent avoir été déposés dans un lac d’eau douce HISTOIRE. 73 qui recevait les eaux des Pyrénées et de la Mon- tagne Noire ; les fleuves et les torrens ont charrié dans ce lac des matériaux de transport qui offrent une grande puissance. » M. Noulet a observé dans ce terrain des osse- mens fossiles de mammifères que l’on rencontre également dans les terrains tertiaires du nord et du midi de la France. Le synchronisme de tous ces terrains que l’on aurait pu établir à prio- rl, se trouve donc confirmé par de nouvelles preuves. » Le terrain de transport toulousain se compose presque exclusivement de marnes, de graviers et de sables. Ces matériaux, qui souvent se confon- dent et se nuancent les uns avec les autres, attei- gnent un très-grand développement ; ils ont dû se déposer très-lentement et pendant une période de temps extrêmement longue. » Nous avons observé, près d’Aiguillon , avec M. Reboul, correspondant de l’Institut, des cal- caires d’eau douce intercalés dans ce terrain. Il pa- raît que la mer a fait irruption dans l’ancien lac toulousain, puisque M. Boubée a vu des huîtres intercalées dans les calcaires d’eau douce. Les tra- vaux de sondage, entrepris à Bordeaux , ont de plus prouvé que dans cette ville, les molasses étaient inférieures aux dépôts marins. Des observations précédentes, il résulte que l’ensemble du terrain toulousain doit être considéré comme tertiaire , et par conséquent comme contemporain des terrains du nord et du midi de la France. » BoTANIQUE. ñ4 CLASSE DES SCIENCES. » Les plantes étant , ainsi que les animaux , des Tissus sim- êtres viyans, la texture organique est une con- ples des égé- dition nécessaire de leur existence, L'observation taux. M. IsiporE DE LAPEy- ROUSE. 1831. apprend en eflet qu’un végétal se compose de la réunion d'organes divers, destinés à remplir une fonction déterminée, et concourant chacun par son action propre à la conservation du tout. Les organes, où instrumens de la vie, sont, suivant l'expression d’un savant auteur, autant de machi- nes particulières, employées à former la machine générale, qui n’est autre chose qu’un individu. » Celui qui étudie avec soin la structure d’un organe, ne tarde pas à s’apercevoir qu’il résulte de l'assemblage de parties très-différentes les unes des autres, Ces parties doivent être considérées comme les élémens constitutifs de chacun d'eux. Leur existence est généralement reconnue dans les ani- maux, et on leur a donné le nom de tissus simples ou primitifs ; leur étude est l’objet de l'anatomie générale , tandis que la descriptive s’occupe d’une manière spéciale de chaque organe en particulier. » S'il importe à celui qui veut parvenir à con- naître la structure des corps vivans, et les phéno- mènes qui en sont la conséquence , d'acquérir des notions précises sur Ja manière dont ces corps sont construits , il ne lui est pas moins «æssentiel de se livrer à la recherche des substances diverses qui les composent et qu'on doit regarder comme les maté- riaux de l’organisation. » Nous devons beaucoup , sous ce rapport, aux progrès de la chimie , et les travaux assidus d’un HISTOIRE. 75 grand nombre de savans ont eu pour résultat de préciser nos idées sur la composition des corps vivans. Îls ont démontré, en effet, qu'un petit nombre de principes simples, ou élémens, ont seuls la propriété de constituer les êtres organisés ; que certains de ces élémens chimiques en se combinant entreux, suivant des lois encore ignorées, for- ment les composés animaux et végétaux , et que ces composés sont de deux sortes : les uns, tels que l’eau , l'acide carbonique, etautres semblables, à ceux de la nature inorganique; les autres pro- pres à la vie et ne pouvant se former que sous son influence. Ces derniers concourent essentiellement à la composition des fluides et des solides qui for- ment les organes des êtres qui nous occupent : on les désigne sous le nom de principes immédiats des animaux et des végétaux, Le nombre de ceux qui sont connus aujourd’hui est assez considérable, et il s’accroîtra sans doute à mesure que la chimie organique se perfectionnera. » Sil appartenait à la science de l’analyse de nous fournir des lumières propres à dilucider ce point important de l’histoire des corps vivans, il était réservé à la science de l’organisation de nous faire connaître les élémens constitutifs des instru- mens de la vie. Grâces soient rendues au génie créateur qui a fondé, dans ces derniers temps, l'anatomie générale, En distinguant les différens tissus de l’économie animale, en analysant leurs diverses propriétés , en essayant de les caractéri- ser, Bichat fit une tentative importante, qui jeta 76 CLASSE DES SCIENCES. une vive lumière sur cette partie de nos connais- sances. L’impulsion qu’il lui donna, les recherches des savans qui lui ont succédé , ont fait de l’ana- tomie générale des animaux une science positive , bien qu’elle soit susceptible de quelques perfec- tionnemens. » Malheureusement il n’en a pas toujours été de même pour les végétaux. Si l’on avait décrit , avec assez de précision, les divers organes, on n’é- tait pas encore très-avancé dans la connaissance des parties de chacun d'eux. L’anatomie générale des plantes n’existait pas, et cependant elle était indispensable aux progrès de la physiologie végé- tale. Pénétré de limportance de cet objet, no- tre confrère, M. le baron Isidore Picor ne La- PEYROUSE, $’est livré, pendant plus de vingt ans, à des recherches qui ont eu pour but constant de rassembler des matériaux propres à remplir cette lacune. Il a eu l’occasion d’entretenir plusieurs fois l'Académie du résultat de ses découvertes, en lui présentant l’histoire de quelques tissus végétaux. C'était encore de cet objet qu’il vint occuper, en 1831, dans Quelques considérations générales sur les tissus simples, ayant pour but d'établir leur existence dans les plantes, de déterminer le nombre de ceux qui concourent à former leurs organes, et d'indiquer les points de vue sous lesquels on doit les étudier pour parvenir à les caractériser avec certitude. L'auteur, cet honorable Collègue dont nous re- grettons aujourd’hui la perte, aussi inattendue HISTOIRE: 7 que prématurée, avait devancé par ses décou- vertes en ce genre, celles de beaucoup de savans illustres. Mais toujours renfermé dans les devoirs que lui imposaient les utiles fonctions qu’il rem- plissait, il donnait à l'instruction de ses élèves un temps qu'il aurait pu consacrer à términer un ouvrage qui aurait assuré à son nom une solide gloire. Dans le fragment que nous analysons, il se fait d’abord ces questions : « Les organes des plantes ont-ils, comme ceux des animaux , leurs parties composantes ? Ofrent- ils des élémens constitutifs différant les uns des autres ? Voilà des problèmes dont les botanistes se sont trop peu occupés, et auxquels il serait difi- cile de répondre avec précision, s’il fallait nous borner à rapporter ce qu'on trouve sur ce point dans les ouvrages d'anatomie végétale. » Les auteurs de la fin du 17.° siècle et du com- mencement du 18.2 firent revivre cette science, tombée dans l’oubli depuis Théophraste. Ils nous ont laissé des systèmes plus où moins ingénieux sur la circulation et la respiration des plantes ; mais ils ne nous ont transmis aucun fait, au- cune observation qui püt servir à nous éclairer sur la structure de leur système vasculaire. Ven- tenat, dans ses Principes de botanique , qui paru- rent en 1705 , est le premier, parmi les modernes, qui ait consacré un article à quelques tissus qu'il désigne sous le nom d'organes similaires ; 11 les examine isolément , avant de faire connaître la part qu’ils prennent à la composition des organes. LE] CLASSE DES SCIENCES. Lamétherie, dans ses Considérations sur les corps organisés, signale un grand nombre de tissus végé- taux dont l’existence n’est pas démontrée par lob- servation. Mirbel, dont les savantes recherches ont été si utiles aux progrès de l'anatomie végétale, a donné , d’après ses observations microscopiques , un aperçu d'anatomie générale, en traitant du tissu organique des végétaux. De Candolle à suivi cet exemple dans les élémens placés en tête de la Flore Française, dont le premier chapitre est con- sacré aux organes é/émentaires. Presque tous ceux qui ont publié, depuis, des ouvrages d'anatomie végétale, ont répété ce qu'a dit Mirbel. Ainsi, bien que les parties composantes des organes eussent été aperçues par les créateurs de l’anatomie végétale, bien que plusieurs des modernes aient indiqué quel- ques tissus primitifs, aucun d’eux ne s'était encore spécialement occupé de l'anatomie générale des plan- tes, et leurs recherches n’ont pas eu pour objet d'établir, d’une manière nette et précise, l’existence des tissus simples dans les végétaux. » Cependant des observations faciles, que cha- cun de ceux qui désirent voir par eux-mêmes peuvent répéter aisément, suppléent au silence des auteurs, et fournissent les moyens de résou- dre la question qui nous occupe. » Prenons pour exemple la feuille , organe auquel son peu d'épaisseur donne une apparence membraneuse : en la desséchant avec soin et en employant ensuite les moyens convenables, on parvient à enlever la plupart des parties composan- HISTOIRE. 19 tes de cet organe, de manière à obtenir, par cette sorte de dissection, un réseau solide qui en fait , en quelque sorte, le canevas. Les mailles à réseau paraissent vides après cette opération; elles sont cependant, dans l’état de vie, remplies par une subs- tance pulpeuse. En faisant des sections multipliées le long de la côte et des nervures des feuilles, on én voit suinter en général un suc incolore, et de plus, dans quelques espèces telles que la chéli- doine , l'euphorbe, l’artichaut , etc. , un suc diver- sement coloré. Ces fluides divers ne se mêlent point parce qu'ils sont contenus chacun dans des réservoirs particuliers. Dans l'épaisseur de quelques feuilles, celles de millepertuis entr’autres, on voit des points transparens qui ne sont autre chose que de petits corpuscules tenant en réserve une huile essentielle ou d’autres fluides d’une nature particu- lière. Des corpuscules semblables se retrouvent quelquefois, soit à la base, soit dans les dentelu- res des feuilles ; enfin , une membrane d’une grande ténuité, tantôt lisse, tantôt velue, recouvre les deux surfaces de cet organe. Les chenilles qui, dans quelques végétaux, vont se loger au-dessous, la disséquent avec beaucoup de délicatesse ; et les ampoules qui recouvrent la surface de quelques feuilles , notamment celle de la glaciale, soulèvent cette membrane, et rendent par-là son existence très-manifeste. » Ce n’est point seulement dans la feuille que s’observent ces parties composantes ; on les retrouve dans tous les organes des plantes. Les feuillets 80 CLASSE DES SCIENCES. corticaux et les couches ligneuses des racines, des tiges, des branches sont formés par elles , tant dans les végétaux ligneux que dans les plantes herbacées; on remarque seulement dans ces dernières ; que le composant pulpeux prédomine sur le composant solide, tandis qu’on voit le contraire dans les pre- miers. Les divers organes qui concourent à former la fleur et le fruit offrent aussi les mêmes élémens constitutifs, ainsi qu'on peut s’en assurer par la plus simple observation , et encore mieux par les dissections. Celles-ci fourniront encore à ceux qui voudront faire des recherches sur ces élémens le moyen de se convaincre que chacun d'eux est par- tout de même nature, quel que soit d’ailleurs Por- gane qu'ils concourent à former. La pulpe qui rem- plit les mailles du réseau solide de la feuille, celle qu'on voit dans les pétales, les péricarpes, est identique à celle qui se trouve sous l’épiderme, et à celle qui forme la moëlle, ete., etc. Il en est de même de la partie solide; dans quelque organe qu’on l’observe, on la trouve partout de même nature. » Si l'observation peut seule nous conduire à démontrer l’existence des tissus simples dans les plantes, et la part qu’ils prennent à la composition de leurs organes, elle seule peut encore nous four- nir des lumières suffisantes pour déterminer avec exactitude le nombre de ceux qui existent dans ces êtres. »_ L'organisation très-compliquée des animaux d'ordre supérieur, nécessite, sans doute, une plus HISTOIRE. 81 grande quantité de parties composantes pour leurs organes. Aussi voit-on, en parcourant les auteurs d’anatomie générale, qu’ils en admettent tous un nombre assez considérable, bien qu'ils ne soient pas parfaitement d'accord sur ce point. À mesure que lon descend dans l'échelle des êtres, lorgani- sation se simplifie, et l’on voit successivement dis- paraître quelques-uns des tissus qui existent dans l’homme. Les végétaux sont de tous les êtres vivans ceux dont la structure est la plus simple; d’où il suit que les matériaux qui entrent dans la compo- sition de leurs organes doivent être moins nom- breux. » L'examen que notre confrère fit des parties composantes de la feuille, lui donna le moyen de déterminer les tissus simples qui existent dans les végétaux. Le réseau solide qui constitue le canevas de cet organe n’est autre chose qu’une par- te du système fibreux; on le retrouve dans les racines, les tiges , les branches et autres parties du végétal; mais on remarque que son développe- ment est plus marqué dans les arbres que dans les plantes herbacées , dans les parties consistantes et solides que dans celles d’une texture molle et déli- cate. La pulpe qui remplit les mailles de ce cane- vas n’est évidemment que du tissu cellulaire ; c’est une portion du système de ce nom , système dont l'existence ne peut être révoquée en doute dans les plantes, puisqu'il forme presque à lui seul certai- nes parties, telles que l’enveloppe cellulaire placée au-dessous de lépiderme, la moëlle renfermée TOME Il. PAJT,. Le 0 82 CLASSE DES SCIENCES. dans le centre du corps ligneux, le sarcocarpe des fruits charnus, et qu’on le voit d’ailleurs mêlé aux autres tissus dans presque tous les organes. Les flui- des divers existans dans les feuilles, sur-tout dans celles qui ont été prises pour exemple par notre collègue, l'absorption et la transpiration qui s’opè- rent par leurs surfaces, démontrent la part que les vaisseaux prennent à la structure de ces orga- nes. Ceux qui viennent, aboutir aux pores de la face inférieure , pompent les fluides répandus dans l'atmosphère, et les introduisent dans le tissu végé- tal ; les ramifications des troncs, qui longent la côte et les nervures, distribuent le fluide nourricier dans tous les points de la feuille; ceux enfin dont les orifices s'ouvrent à la face supérieure, laissent échapper les fluides devenus hétérogènes à sa nutri- tion, et dont elle doit se débarrasser. Il n’est pas d’organe où on ne voie des fluides en quantité plus ou moins considérable, et où par conséquent il n'existe des vaisseaux ; leur ensemble constitue le système vasculaire, qui n’est, à la vérité, le plus souvent, qu'un réseau capillaire, susceptible de trois modifications relativement aux fonctions qu'il remplit. « Voilà donc , disait notre confrère, voilà donc l'existence de trois tissus simples rigoureusement démontrée par l’analyse anatomique de la feuille, savoir : le système fibreux, le système cellulaire et le système vasculaire. Mais les feuilles ne sont point les seuls organes dans lesquels ils entrent comme élémens constitutifs; ils sont si généralement ré- HISTOIRE. 83 pandus dans Péconomie végétale , qu’on peut sas- surer aisément qu'ils fournissent une base commune à toute partie organisée. C'est ce qui avait déjà été entrevu par les anciens auteurs que nous avons cités. Ils admettent la fibre ligneuse et le tissu cel- lulaire , appelé par Gren, parenchyme; par Mal- pighi , tissu utriculaire ; par Duhamel et les mo- dernes, du premier nom que nous lui avons donné. Tous admettent aussi des vaisseaux, bien qu’ils ne soient pas d’accord sur leur nature; ce sont là leurs parties similaires , servant à composer les organes. C'est encore de ces tissus que s’occupe Ventenat, en traitant des organes isolés ; c’est de certains d’entr’eux que parlent Mirbelet ceux qui ont adopté ses idées, en exposant les modifications diverses du tissu membraneux et continu qui forme, selon lui, toute la substance des végétaux. » Si les systèmes fibreux, cellulaire et vascu- laire sont les élémens constitutifs de presque tous les organes, en poursuivant toujours lanalyse de la feuille, on en voit encore deux autres dont Pexistence, quoique moins générale que celle des trois premiers , n’en est pas moins réelle : ce sont les systèmes glanduleux et épidermoïde. » Les petits corpuscules qui se montrent comme des points transparens dans les feuilles de mille- pertuis et autres plantes , les corps granuleux qu'on voit à la base et dans les dentelures de cer- taines feuilles, sont de véritables organes sécré- teurs , contenant ou laïssant suinter, à leur sur- face, des fluides de nature diverse qu’ils séparent 6. 84 CLASSE DES SCIENCES. de la sève. Ces corpuscules glanduleux , qu’on peut comparer aux cryptes ou follicules dont sont par- semées les membranes muqueuses des animaux, se trouvent encore dans l'épaisseur des pétales, sur les étamines et autres parties de la fleur; on en rencontre aussi dans le péricarpe de certains fruits, sur-tout dans ceux des diverses espèces d’oranges. L’analogie de fonction qui existe entr’eux et les organes sécréteurs des animaux, leur a fait donner le nom de glandes; leur ensemble constitue le sys- tème glanduleux. » Enfin, la membrane mince qui recouvre les deux surfaces de la feuille , n’est qu’une continua- tion de cette enveloppe générale qui, placée à l’ex- térieur des animaux et des végétaux, sert à garantir les parties qu’elle recouvre de l'impression trop vive des agens extérieurs. Cette membrane a reçu le nom d’épiderme ; son aspect, sa consistance , peuvent varier sur les diverses parties du végétal, mais la nature est partout la même ; c’est l’ensem- ble de cette enveloppe qu’il convient de désigner sous le nom de système épidermoïde. » Tels sont les divers tissus dont l'observation paraît, quant à présent, démontrer l'existence dans les plantes ; ils sont les seuls élémens consti- tutifs de leurs organes, ou du moins les seuls qu’on ait pu encore discerner. Mais par quel moyen peut-on les distinguer les uns des autres? Voilà ce qu'il nous reste à examiner; et c’est ce que nous allons faire, en indiquant les divers points de vue sous lesquels on doit les étudier pour parvenir à les caractériser avec certitude, HISTOIRE. 85 » La premiere idée de considérer abstractive- ment les différens tissus de l’économie végétale, na été suggérée par le raisonnement ; l'expérience est venue ensuite la confirmer, et une longue suite d'observations la convertie en certitude. C’est en- core lobservation qui nous donne le moyen de distinguer les uns des autres ces différens tissus. » En les comparant entr’eux sous divers points de vue, tels que leur forme, leur organisation , la fonction qu’ils remplissent, on ne tarde pas à s’a- percevoir, que non-seulement ils ne se ressemblent pas, mais que la nature a tracé entre chacun d’eux une ligne de démarcation nettement prononcée. » Les formes de ces divers tissus sont très-dif- férentes ; l’un se montre sous l'aspect de faisceaux fibreux, Pautre a une disposition membraneuse , un troisième est un assemblage de conduits d’une extrême ténuité; ailleurs, on voit çà et là de pe- tits corps granulés ; partout on trouve à l'extérieur un fourreau membraneux ; chacun, en un mot, a une forme qui lui est propre ; d’où il suit, qu’ils ne peuvent se présenter à l’œil sous la même apparence extérieure. Mais ces formes, bien qu’elles fournissent le moyen de les distinguer, peuvent être parfois insuffisantes , ce qui force à avoir re- cours pour cela à d’autres moyens. » C’est en effet de l’organisation qu’on doit tirer les différences caractéristiques les plus importantes. Cette organisation résulte, pour chacun de ces Sys- tèmes, d’un tissu propre et de parties communes. Le tissu propre à dans chacun d'eux une contex- 86 CLASSE DES SCIENCES. ture qui, toujours appropriée aux fonctions qu'il doit remplir , le distingue essentiellement de tous les autres. Le fibreux , dont la contexture est in- diquée par le nom, a pour base une fibre, dont la nature n’est identique à celle d’aucun autre tissu végétal, pas plus qu’à celle d'aucun tissu animal. Cette fibre , qui se divise et se subdivise à Pinfini, forme des faisceaux plus où moins volumineux. Le cellulaire présente, là au moins où il peut se développer librement , une multitude de cellules , remplies , dans l’état de vie, de substances diverses, et formées par l’écartement des lames de son tissu membraneux. Le vasculaire résulte, au moins dans les endroits où on peut distinguer ses parties, d’un assemblage de tubes ou de vaisseaux diversement ramifiés ;.les conduits sécréteurs , ou excréteurs, constituent bien certainement la partie essentielle des corpuscules glanduleux , et c’est enfin une membrane d’une nature particulière, qui fait la base du système épidermoïde. Des parties commu- nes concourent avec le tissu propre à l’organisa- tion de chacun de ces systèmes, mais leur nombre, leur quantité respective , leur arrangement ne sont point les mêmes dans chacun d’eux; d’où il résulte qu’ils fournissent aussi, sous ce rapport, des diffé- rences qui peuvent aider à les distinguer. » Quoique la diversité de forme et d’organisa- tion semble différencier d’une manière assez nette les systèmes simples de l’économie végétale, nous ne devons point taire que, malgré cela, tous les auteurs ne sont pas d'accord sur les limites de cer- HISTOIRE. 87 tains d’entr’eux. Mirbel, entr’autres , n’admet point dans les plantes le tissu fibreux, dont l'existence est pourtant reconnue par le plus grand nombre des botanistes. Il regarde ce tissu comme une simple modification du cellulaire, et il le désigne sous le nom de tissu cellulaire à cellules alongées. Le sentiment de se savant, différant sur ce point de celui des auteurs d'anatomie végétale, et de ce que l’observation semble indiquer, il a fallu néces- sairement avoir recours à l'expérience, pour ne lais- ser aucun doute à cet égard. Elle nous a appris que des portions plus ou moins considérables de tissu fibreux et de tissu cellulaire, soumises en même temps à une longue macération, à une ébullition long-temps soutenue, à la dessication, à l’action des acides , etc., donnent des résultats bien dif- férens. Le premier, en effet, s’est montré presque inaltérable lorsqu'il a été soumis à ces diverses épreuves, tandis que le second est non-seulement très-facilement altéré , mais même souvent détruit par les mêmes moyens. On obtient un résultat semblable, en abandonnant les végétaux à l’action des agens atmosphériques. Alors le premier résiste long-temps, tandis que le second est promptement détruit par eux. La manière dont ces deux tissus se comportent lorsqu'ils sont soumis aux mêmes expériences, fournissent donc de nouvelles diffé- rences qui, jointes à celles résultant de leur forme et de leur organisation, ne permettent point de les regarder comme identiques. » Les fonctions que remplissent ces divers tissus 88 CLASSE DES SCIENCES. dans l'économie végétale, renforce la ligne de démarcation qui existe entreux. Chacun d'eux a sous ce rapport des attributs particuliers qui n'ap- partiennent à aucun des autres : le fibreux, for- mant le canevas de tous les organes, étant par sa nature le plus résistant, contribue à leur donner de la solidité ; le cellulaire, mou , délicat , se trouve partout, et paraît destiné à unir et lier entr’elles toutes les parties ; les fonctions du vasculaire sont très-importantes, c’est par lui que les substances du dehors sont introduites dans le tissu des plantes, que les molécules nutritives sont portées à chaque organe, que celles qui sont devenues hétérogènes au végétal, sont rejetées; le glanduleux, en sépa- rant, de la sève, des fluides divers, sert aussi d’é- monctoire à la plante ; lépidermoïde enfin, en re- couvrant la surface extérieure de tous les organes, les protége contre l’action des agens qui les envi- ronnent. » Les propriétés inhérentes à ces divers tissus peuvent aider encore à les distinguer. On remarque dans certains des propriétés physiques très-mar- quées qu’on ne retrouve pas dans d’autres. » C’est en étudiant les systèmes simples des végétaux sous les divers points de vue que nous venons d’énumérer , c’est en les examinant isolés les uns des autres, c’est en les comparant ensuite entr’eux, qu’on parvient à fixer ses idées sur les rapports qui leur sont communs, et sur les attri- buts propres à chacun d’eux. Ce sont ces derniers qui fournissent le moyen de déterminer avec pré- HISTOIRE. 89 cision les limites de chaque tissu végétal. Ce point est d'autant plus important, que leur nature in- time étant encore inconnue, on ne peut jusqu'à présent les différencier que par les résultats divers qu'ils fournissent. Mais, quoique leur nature soit couverte d’un voile épais , nous pouvons cependant présumer qu elle est différente dans chacun d'eux ; c’est du moins ce que paraissent indiquer les attri- buts caractéristiques particuliers aux différens tissus végétaux; ce sont aussi ces attributs carac- téristiques qui nous donnent le moyen de les dis- tinguer avec certitude les uns des autres. » La grande étendue du règne animal a dû porter les naturalistes à étudier avec soin la diversité de structure des êtres qui le composent. Cest aussi de ; cette diversité que les zoologistes ont tiré, dans ces derniers temps, les caracteres anatomiques, à laide desquels ils ont partagé ce règne en plusieurs grandes divisions. Une des plus générales et des plus connues, est celle qu'indique la présence ou l'absence de la colonne vertébrale, qui a donné lieu à la distinction des animaux vertébrés et des in- vertébrés. Dans un Mémoire sur les parties dures des animaux invertébrés, M. le colonel Dupuy cherche à démontrer la différence qui existe entre les parties dures de ces animaux, et les os des animaux vertébrés. Pour y parvenir, il exa- mine, 1. leur disposition et leur consistance dans les différentes classes des animaux invertébrés ; 2.9 leur structure et leur composition chimique ; ZooLocre. Parties dures es animaux nvertébres. M. le colonel Dupuy. 1932, 90 CLASSE DES SCIENCES. 3.0 les phénomènes de leur développement et de leur production. Cest en les comparant aux os, sous ce triple rapport, qu'il arrive à déterminer avec précision les ressemblances et les différences qui existent entr’eux. 1.0 Les parties solides qui entrent dans la com- position du corps des animaux invertébrés , ne for- ment point un squelette intérieur semblable à celui des animaux vertébrés; bien au contraire , ces parties, de forme et de consistance très-variables, sont placées le plus souvent à l'extérieur, et ser- vent d’enveloppe au corps de Panimal. À cet eflet , il passe en revue, d’abord les mollus- ques à coquille extérieure et ceux à coquille inté- rieure; puis les animaux articulés, et enfin les animaux rayonnans, dont les parties durés se rapprochent des coquilles. 2.0 Les parties dures des animaux invertébrés , placées entre lépiderme et le tissu muqueux de la peau , offrent une texture différente de celle des os. Les coquilles, soit externes, soit internes, des mollusques, ont souvent un tissu composé de lames parallèles , semblables aux feuilles de papier qui forment un carton , et assez faciles à séparer ; d’au- tres fois, ce tissu est composé de filets verticaux serrés les uns contre les autres; il en est enfin dans lesquelles on ne voit ni lames, ni filets, dont le tissu est homogène, et devient aussi dur que le marbre. M. le colonel Dupuy cite les exemples de HISTOIRE. gt ces diverses structures ; les céphalopodes, les crus- tacés , les artériés, les polypiers. Quant à la composition chimique, elle est de deux substances, comme les os ; une animale, et l’autre terreuse. La substance animale est gélati- neuse comme celle des os: la substance terreuse est aussi un sel à base calcaire; mais c’est le carbonate de chaux qui tient ici la place du phosphate. 3.° Les parties dures des invertébrés ne passent point, comme les os, par différens états avant que d'arriver à leur parfait développement. Les petites coquilles des jeunes moules qui sont encore dans la matrice de leurs mères, ne sont composées que d’une seule couche, mais qui a ac- quis déjà toute la solidité qu’elle doit avoir. A mesure que les animaux avancent en âge, de nou- velles couches se forment à la face interne de la coquille, de manière à ce que les plus récentes dé- bordent toujours les plus anciennes. Par ce moyen, la grandeur de la coquille augmente en même temps que son épaisseur. Dans les univalves en spirales, chaque tour ou spire qui s’élève au-dessus du précédent , augmente d'autant plus leur grandeur, qu’elles croissent plus long-temps. L'auteur cite expérience de Réaumur qui, après avoir cassé à dessein les coquilles de quelques li- maçons, plaça, dans certaines, des pellicules très- minces entre le corps de l'animal et la partie frac- turée de la coquille, tandis qu’il en laissa d’autres dépourvues de corps étrangers intermédiaires. Au MÉDECINE ET CHIRCRGIE. Devoirs de l'opérateur. M. Ducasse. 1828. 02 CLASSE DES SCIENCES. bout de quelque temps, il s'aperçut que ces cas- sures élaient entièrement réparées dans celles où il n'existait aucun obstacle, tandis qu’elles ne Pé- taient point dans celles où il avait placé une subs- tance quelconque entre la coquille et l'animal. Cela, dit l'auteur, semble done indiquer que la substance solide qui forme les couches et les spires des coquilles , au lieu d’être portée par des vaisseaux nourriciers, transsude seulement au travers de la peau. D’après ces faits, et beaucoup d’autres auxquels sont jointes ses propres observations, M. le colonel Dupuy conclut qu'il est facile de pressentir que les parties dures qu’il vient d’examiner ; au lieu de ressembler aux os, au lieu d’être des organes de même nature, en différent, au contraire, sous tous les rapports; et que la diversité qu’on observe entre eux dans leur disposition , leur organisation et leur développement, fournit autant de caractères dis- tinctifs qui, en rappelant les différences les plus importantes que la nature a établies entre les os et les parties dures, ne permettent, en aucune ma- nière, de les confondre. Dans un discours aussi solidement pensé que bien écrit, M. Ducasse a retracé les Devoirs de l'opérateur en chirurgie. Après un tableau ef- frayant des excès auxquels le désir démesuré de se faire un nom, a conduit de nos jours plusieurs praticiens qui n'avaient, ni le génie de Dessault, ni l’érudition que Sabatier posséda à un degré si émi- nent, notre confrère trace la route à suivre par HISTOIRE. 93 les élèves qui aspirent à devenir de vrais maîtres de Part. Il développe tour à tour la nécessité et les avantages de l'anatomie et de la physiologie, en apprenant à distinguer dans l'étude de ces deux branches, ce qui tient à la curiosité ou à Favan- cement de la science, et ce qui est spécialement applicable dans la pratique. Il fait voir que cette pratique, si nécessaire, ne s’acquiert bien qne par la longue habitude des opérations sur le cadavre, secondée par la fréquentation des hôpitaux. De là passant aux qualités morales de lopéra- teur, notre confrère s'attache à le prémunir et contre linsensibilité et contre la faiblesse. Une prudente fermeté tient le vrai milieu entre ces deux extrêmes également à craindre. Si lopéra- teur sait y joindre une sage défiance de ses forces, se tenir en garde contre la prévention, se diriger toujours par lexpérience , et ne faire jamais un pas sans l'avoir calculé , 11 goûtera le double plaisir d'être utile aux hommes , et en paix avec sa conscience. Dans un Mémoire intitulé, Æ7fèts des passions sur le physique de l’homme, M. Auguste Larrey expose d’abord quelques réflexions générales sur la connexion qui s'établit entre l’état moral et les eflets physiques. Il proclame avec Lettson (à qui beaucoup de grands noms pourraient être associés), que celui qui veut exercer avec honneur l'art de guérir, ne peut se dispenser d'étudier l'anatomie de l’äme, ainsi que celle du corps ; il examine en- suite l’influence que Pimpression des objets produit Effets de certaines pas- sions sur Île physique de l'homme. M. Larrey (Auc.) 1828. 94 CLASSE DES SCIENCES. sur les organes matériels, exerce sur les opérations de l'âme, et réciproquement les changemens et perversions que les affections de l’âme occasionnent dans le jeu des organes, et exercice des fonctions matérielles de la vie. Passant des généralités aux perturbations par- ticulieres , l’auteur décrit les effets sensibles de la colère, soit dans les symptômes que l'observation a recueillis , soit dans les conséquences que sa vio- lence peut entraîner dans l’homme. En énumérant quelques-unes de ces conséquences , il observe que si, suivant Haller, dans quelques cas rares, une violente colère a procuré la solution de certaines maladies , telles que la goutte, la paralysie et la privation de la parole, ces terminaisons favora- bles ne doivent être considérées que comme des exceptions heureuses à une régle générale , suivant laquelle, les suites des violentes colères ont été presque constamment funestes, lorsqu'elles ont entrainé des changemens notables dans l’économie animale. Après ces observations générales , M. Larrey passe au récit d’un événement dans lequel un accès de colère a entrainé des suites aussi rapides que facheuses. « M. B....., âgé de 72 ans ( c'était en 1825), possesseur d’une fortune honnète, fruit de son tra- vail et de ses économies, m'était sujet à aucune incommodité, excepté à de légères douleurs rhu- matismales goutteuses. Difficile dans le choix de ses amis , il avait cependant accordé depuis quarante HISTOIRE. 95 ans sa confiance et son amitié à M. E...; aussi lui avait-il confié une grande partie de sa fortune. Ce faux ami dissipa ou détourna à son usage les sommes que la confiance lui avait livrées, et osa le déclarer lui-même à M. B...., en lui annonçant que tout était perdu sans ressource. « La surprise , » lindignation et la colère, dit l’auteur, s’empa- » rèrent aussitôt de M. B....; il ne put proférer » aucune parole ; il passa d’une päleur extrème à un » rouge écarlate, et devint ensuite tellement livide, » qu’il épouvanta son spoliateur, qui s’enfuit, crai- » gnant de le voir expirer.» Après deux heures de secours empressés, l’usage dessens se rétablit, mais un violent accès de fièvre se développa, il fut pré- cédé d’un grand froid, et se termina par une abon- dante sueur. Le surlendemain , un nouvel accès plus violent décele un imminent danger. Tous les doutes sont levés; c'était une fièvre intermittente pernicieuse. L'état du malade devint des plus alar- mans, la prostration des forces extrème. Jusque- là, tout dans cette maladie n’était que la répétition de ce que le praticien observateur remarque si souvent, Mais une autre série de phénomènes se présentait : l'extrémité charnue du nez et le carti- lage sur lequel elle s’appuie, étaient sphacélés jus- qu'aux os carrés; les quatre premiers orteils du pied gauche , les trois premiers du pied droit et le cinquième doigt de la main gauche , étaient pa- reillement dans un état de mortification. » On s’empressa d'employer des préparations de quinquina à forte dose ; Les accès de fièvre dis- = Sur le can- cer. M. Ducasse. 1829. 96 CLASSE DES SCIENCES. parurent , heureusement pour la conservation de la vie; mais ce bienfait n’était qu'un prolongement d'existence bien afigeant. En effet, par une suite variable des lois de la vie, tout ce qui était gan- grené se sépara des parties vivantes. Le lobe du nez et les cartilages tombèrent ; le gros orteil et les trois phalanges des autres doigts se détachèrent successivement , ainsi que le gros orteil et les deux dernières phalanges de trois autres doists du pied gauche. La gangrène détruisit aussi les tendons des muscles fléchisseurs de Pauriculaire gauche. Ce ne fut qu'après sept mois de souffrances aiguës, que linfortuné M. B... parvint à la cicatrisation de ses plaies. » Depuis plus de neuf ans il vit, mais dans un état de mutilation afigeant ; le nez dévoré, privé de sept orteils, dans l’impossibilité de changer , seul, de position ; réduit à se faire placer, pendant quelques heures de la journée, sur un fauteuil, en proie à des douleurs cruelles, qu’exaspèrent très- souvent des paroxismes du rhumatisme goutteux : telle est la série déplorable des maux qu’a entraînés cette violente perturbation. » Dans un Mémoire sur Le cancer, M. Ducasse s’est attaché à prouver que ce mal n’est pas tou- jours une maladie locale, mais Peflet d’une dispo- sition préexistante dans les humeurs ou les tissus de ceux qui en sont affectés; vice cancéreux qu’un accident peut mettre en évidence, et auquel une opération imprudente peut donner un développe- ment aussi rapide que funeste. Il cite deux exem- HISTOIRE. 97 ples de sa pratique qui mettent ce fait hors de tout doute. «Cest certainement une telle disposition cancéreuse, dit l’auteur, et non le cancer ou la tumeur squirrheuse, non susceptible de résolution, encore recouverte d’une peau plus ou moins saine, et que l’on désigne communément sous le nom de cancer occulte, qu'Hippocrate avait en vue dans Faphorisme où il dit : Quibus cancri occulti fiunt, eos non curare melius est : curati enim citits pereunt et non curati diutites vivuné ægri. » M. Ducasse a développé son opinion à ce sujet, et réfute opinion contraire. Dans un écrit intitulé : Réflexions sur la mens- Menstrua- truation , Mémoire qu’il n’est guère possible d’ana- lyser à cause du grand nombre de réflexions qui se succèdent et s’enchaînent mutuellement, M. Larres a eu principalement pour objet de faire connaître un fait excessivement rare, puisqu'on n’en trouve qu'un exemple dans Morgagni ; c’est absence com- plète de l'utérus chez une femme âgée de 40 ans, et jouissant d’ailleurs d’une très-bonne santé. Mais avant de citer cette observation avec tous les dé- tails qu’elle comporte , M. Larrey pense, contra- dictoirement avec Roussel, Lery, Charleton et Pechlin, que le flux menstruel est une institution naturelle, et non un besoin factice contracté dans l'état social; et que si, au dire de Linnée, il est des pays où les femmes ne sont pas réglées, comme chez les Lapons, les Topinamboux , dans le Brésil et le Groënland, il n’est pas moins vrai que toutes ces exceptions ne peuvent déposer contre la loi TOMK III. PART, I. r LU tion. M. LARREyY (Auc.) 182). 98 CLASSE DES SCIENCES. générale , qui astreint la femme à payer ce tribut mensuel. M. Larrey parle ensuite des conditions indis- pensables auxquelles sont soumis les organes géni- taux pour laccomplissement de la menstruation. Il examine avec Bichat , Chaussier et Mérat, où en est Le siége , et ce que l’on entend par règles déviées. Il s'arrête sur l’époque critique des femmes, et cite, d’après Haller , Bégiat et autres auteurs, plu- sieurs cas d’aberration qui se sont manifestés chez des personnes encore réglées à l’âge de soixante , quatre-vingts, cent ans et au delà ; il s'arrête sur ce phénomène pour combattre lopinion d’Astruc, de Chambon et de Lametrie , qui considèrent comme suspectes les règles qui se font au delà de la cinquantième ou cinquante-cinquième année, et comme les effets de quelque maladie. Enfin , M. Larrey examine la question de savoir, si le défaut de menstruation est nuisible à la con- ception, et si une femme qui n’a jamais connu cette évacuation est apte à devenir mère ? Et cette autre question : La suppression des règles est-elle un symptôme certain de la grossesse ? Il oppose à lopinion de Buffon et de Morand, qui prétendent que le flux des menstrues n’est qu'une matière accessoire à la génération , celle de Derender , de Baudelocque et la sienne propre; et cela, en rap- portant même des faits qui, au premier abord, pourraient paraître contradictoires, mais qui ne sont que des exceptions extrèmement rares aux lois que s’est imposées la nature. HISTOIRE. 99 La difficulté que lon éprouve quelquefois à Sy parti nourrir les enfans après leur naissance, soit que, t‘ment. réunis en grand nombre dans les établissemens qui MORE : leur servent d'asile, les nourrices ne soient pas 1830. suffisantes, soit que, par le manque absolu d’une de ces femmes , la vie de l'enfant se trouve compro- mise, ou bien encore que les parens se refusent à confier à des mains étrangères une existence si précieuse , toutes ces considérations ont déterminé M. Larrey à communiquer à l’Académie un é- moire sur l’allaitement. Il fait d'abord pressentir les avantages immenses qui résultent pour la mère et pour l'enfant de lal- laitement maternel ; il apprécie les cas où il est de toute nécessité que ce genre d'alimentation soit ponctuellement suivi , et ceux, au contraire , où la mère doit, par devoir, et dans l'intérêt de son enfant , s'abstenir de le nourrir. Ceci conduit lau- teur à flétrir la conduite criminelle de la plupart de ces femmes mercenaires qui ne sont mues que par Pappat du gain, qui vendent leur lait au détriment de leur propre enfant, et qui préten- dent porter le plus vif intérêt à leur nourrisson, alors même qu’elles abandonnent à des mains étrangères celui que la nature leur faisait un devoir sacré de nourrir. « Je déplore, ajoute » M. Larrey, avec tant d’honorables familles , » la faute grave de nos législateurs , qui ne se sont » nullement occupés, je ne dirai pas des délits, » mais des crimes que commettent journellement » ces sortes de femmes. » Il prouve ce qu’il avance "1 pie Hernies étranglées. M. Laney (Auc ) 1831. 100 CLASSE DES SCIENCES. en faisant le tableau des infirmités qui assiégent la première enfance, et en citant des faits qu'il a été à même d’observer dans sa pratique; mieux vaut alors avoir recours à l'allaitement artificiel, et c'est ce que M. Larrey développe dans son Mé- moire. Il le termine en donnant la préférence à la méthode préconisée par le célèbre baron Percy, méthode qui valut à son illustre auteur la médaille d’or que lui décerna l'Académie royale de Méde- cine de Paris, en 1789. Les cas de hernies étranglées se présentent assez fréquemment, et l'opération chirurgicale qu’elles nécessitent n'étant pas sans quelques dangers et sans beaucoup de diMicultés dans certaines Circons- tances, on ne saurait assez reconnaître le bienfait de l’homme de l’art qui le premier a signalé la possi- bilité de réduire ces hernies sans avoir recours à l'instrument tranchant. C’est à M. Guerin le père, ancien Chirurgien en chef de lHôtel-Dieu de Bor- deaux, que l’on doit une si précieuse découverte, qui néanmoins, par une modestie mal entendue de son auteur n’a reçu de publication que dans l'année 1824, quoique déjà, en 1787, l’Académie royale de Chirurgie de Paris l'eût accueillie avec distinction. À peine ce procédé fut-il répandu , que M. Lar- Rey eut l’occasion de le mettre en pratique. Les succès qu'il en. obtint, ainsi que son confrère, M. Rolland , alors Chirurgien aide-major à PHôtel- Dieu Saint-Jacques de Toulouse, le déterminérent, dans l'intérêt de humanité, de le faire connaître à l'Académie. Dans ce Mémoire très-intéressant, HISTOIRE. 101 où l’on trouve encore quatre autres observations propres à M. Guerin, il s’agit de l'introduction, dans le canal de l’urètre , d’une bougie opiacée ; manœuvre qui n’est nullement douloureuse, et qui ne peut apporter aucun retard à l'opération, lorsque des circonstances , détaillées dans le Mé- moire de M. Larrey , la nécessitent, car dans cinq ou six minutes l’effet se trouve produit. Mais ce n’est pas dans toutes les hernies que ce procédé peut être efficace, ce serait le déprécier et en faire une mauvaise application en employant dans toute autre circonstance que dans les hernies mguinales avec étranglement ; en eflet, ici c’est ouverture aponévrotique du canal inguinal qui, réagissant par son élasticité propre sur les parties échappées , forme autour d’elles une contraction qui détermine ces accidens facheux. Alors, si lon considère la faculté qu'ont les membranes mu- queuses d’absorber tout ce qui est en contact avec elles, et la rapidité avec laquelle certaines subs- tances médicamenteuses agissent sur léconomie, on concevra facilement les effets que doit pro- duire sur tous ces organes une substance éminem- ment narcotique. Dans le cas dont il s’agit, ce n’est pas seule- ment sur la portion intestinale formant la hernie que l’opium exerce son influence , mais principale- ment sur le système musculaire, et par suite, sur les ligamens, les tendons et les aponévroses qui en dépendent. Aussi voit-on chez tous les ma- lades une prostration générale des forces, une 102 CLASSE DES SCIENCES. détente, un relâchement complet qui permet aux parties fortement contractées de ne présenter au- cune résistance. Surleseaux Dans des Considérations que M. Ducasse à = ae, présentées sur les eaux de l’amnios , pendant la 5832 grossesse et pendant accouchement , notre Con- frère ne cherche pas à approfondir les systèmes qu'on a tour à tour inventés pour expliquer leur existence, leur formation et leur nature intime. Plus borné dans son sujet , il considère ce produit de la conception sous le rapport du rôle que la nature lui a assigné dans cette opération impor- tante , soit pour faciliter la grossesse , soit pour en aider le dernier terme , c’est-à-dire, la sortie de l'enfant. « À mesure que le fœtus renfermé dans la ma- trice grandit et se développe, 1l faut nécessaire- ment que les parois de cet organe acquièrent une étendue plus grande. Ces parois se prêtent insen- siblement à cette dilatation, sans effort , sans tirail- lemens douloureux, sans déchiremens , et cela par l'intermédiaire des eaux amniotiques qui les pres- sent dans tous les sens avec une force égale, car si cette dilatation avait été spécialement confiée à l'enfant, elle ne se serait faite que très-incomplète- ment , avec beaucoup de souffrance ; sa figure étant très-différente de celle de la cavité qui le contient, et cette dernière devant alors être pressée par des puissances bien inégales. » Les eaux étaient encore nécessaires pour que le fœtus pût librement s’agiter dans la cavité'uté- HISTOIRE. 103 rine, qu'il n’y éprouvât pas à chaque instant une compression fâcheuse , et ne füt pas exposé conti- nuellement à des adhérences entre ses membres, qui sont le résultat ordinaire de cette constante compression. Que de prévoyance d’ailleurs et de sagesse dans la production de ce liquide ! L’abdo- men des femmes enceintes , exposé, par le fait même de son développement , à l’action de mille causes vulnérantes, devait seul en supporter les effets, sans en rendre passible la jeune et frèle existence qui y à pris racine, et c’est encore ces eaux qui sont chargées d'accomplir ce vou de la plus tendre sollicitude. Intermédiaires indispensa- bles éntre les objets extérieurs et l’enfant que leur contact serait capable de blesser, elles le défendent contre toute attaque nuisible. Les secous- ses propres à détruire ou à offenser une organisa- tion si légère et si délicate, se perdent au milieu des ondulations qu’elles éprouvent, et vont finir en mourant sur le corps même de enfant, qui à peine en est ébranlé. « Ainsi tout concourt à sa conservation : la dilatation graduelle des parois utérines, le déve- loppement successif de ses membres, l'absence de tout frottement prolongé qui servirait à leur faire contractér des adhérences difformes, labri qui le protége, le rempart fluide qui lui per- met de braver les coups et les violences de Pab- domen desa mère; tous ces avantages de posi- tion, tous ces bienfaits d'existence, toutes ces facilités d’accroissement, de nutrition et de vie, 104 CLASSE DES SCIENCES. il les doit, suivant nous, à la présence des eaux de l’amnios. « Ces eaux ne sont pas seulement destinées a protéger le fœtus renfermé dans le sein ma- ternel, et à seconder son accroissement; elles étendent encore le bienfcit de leur présence jusqu’au terme de la gestation, et rendent ainsi moins dangereux pour lui, le mécanisme de sa naissance. M. Ducasse fait ressortir aussi dans tout son jour la sage prévoyance de la nature, dans les fonctions auxquelles les eaux de Famnios ont été destinées par elle. Dilater peu à peu le col de Fu- térus ; prévenir des déchiremens qu’une dilatation trop rapide entrainerait ; faciliter le passage de l'enfant dont la tête dure, arrondie, occasionnerait, sans cette poche préliminaire, des contusions et des douleurs atroces : tels sont les principaux avan- tages que retirent les femmes de cette heureuse disposition , et qui ont établi parmi les accoucheurs prudens, le précepte de n’ouvrir la poche des eaux que le plus tard possible, précepte malheureuse- ment négligé quelquefois, et auquel tant de mères et d’enfans doivent leur conservation. Notre Collègue reconnaît encore dans la présence des eaux un nouveau bienfait, car à cette époque les organes de la femme , pour être facilement traversés , ont besoin d’être humectés continuelle- ment. Les frottemens dont ils sont l’objet auraient bientôt desséché leur surface ; mais à chaque con- traction , une partie des eaux retenues en réserve se détache, s'échappe par le col largement effacé, HISTOIRE. 109 et coulant sur les parois vaginales, en entretient l’humidité et la souplesse. D’un autre côté, la pré- sence du liquide modère un peu l'effet des contrac- tions utérines par le foetus. Ses membres n’en sont point fatigués; libres et flottans , leur tissu n’é- prouve aucune compression pénible , et le cordon ombilical lui-même reste à labri de toute atteinte. Les difficultés de l'accouchement ne consistent Injection de ; n la veine ombi- pas seulement dans lPexpulsion du foetus. Il faut licale. que la mère se délivre du produit de la conception M. 3. Harrs, en chassant larrière-faix , et cette seconde partie de la parturition n’est pas toujours celle qui s’ac- compagne le moins de danger. Pour éviter ceux qui peuvent résulter, et du trop long séjour du placenta dans la matrice, et des manœuvres jus- qu'à présent employées pour en opérer la sortie , M. Mojon conçut l’idée de porter immédiatement sur la portion interne de l'utérus, correspondante à Varrière-faix, un moyen plus actif que ceux que l’on se contentait d'appliquer sur les parois externes de l’abdomen. La disposition anatomique de la veine ombilicale lui présentait une voie fa- cile, et il n’hésita pas à y faire deux injections avec l’eau froide aiguisée de vinaigre. En confiant au public le résultat de ses expériences , 1l appela sur ce moyen l'attention des accoucheurs. Mais enthousiasme d’une part, de l’autre une préven- tion nuisible, ne donnèrent que des notions fausses ou imparfaites , et il était réservé au temps et à l'expérience, d’assigner à ce procédé la place qu'il 106 CLASSE DES SCIENCES. doit occuper parmi ceux dont la thérapeutique s'enrichit chaque jour. Cest en suivant cette marche philosophique , que M. Hari, accoucheur de Paris, avant d’émet- tre son opinion sur le degré d’utilité que présen- tent ces injections , a voulu la motiver sur les faits; et l'ouvrage qu'il a offert sur cet objet à lAcadé- mie, ne contient que l’histoire de ceux qu'il a observés, ou dont il a emprunté les résultats à une pratique étrangère. Sans nier les bons effets qu’elles produisent , Pauteur se garde bien de les considérer comme infaillibles. Il a été plusieurs fois à même d'observer que, malgré leur usage répété, la délivrance n'avait pu se faire que par lintro- duction de la main : ce qu'il attribue, 1.2 au degré d’adhérence plus ou moins intime du placenta avec les parois de la matrice; 2.° dans le degré de frai- cheur et d’acidulation de l’eau employée ; 3.° dans la manière de sentir, qui n’est pas la même chez toutes les femmes. Mais à côté de ces circonstances facheuses ; l'auteur rapporte d’autres faits incontestables qui justifient l'application des injections, et doivent les recommander aux praticiens dans des cas sem- blables. En recourant à leur usage, il est alors parvenu à arrêter des pertes de sang abondantes , et qui auraient fini par devenir mortelles. Ici on n’a pas eu besoin de recourir à l'intromission de la main , et la délivrance a eu lieu sans ces attou- chemens violens, dont il est aisé de signaler les inconvéniens et les dangers. HISTOIRE. 107 Dès le mois de juin 1831 , les approches du Choléra avaient répandu à Vienne une grande consternation. Les dispositions prises pour isoler Schoenbrünn , le Belvedère et quelques autres éta- blissemens , avaient produit sur la population une sensation pénible. L'effroi m'était pas calmé par des précautions qui tendaient cependant à arrêter le mal, ou du moins à en diminuer les ravages... Dès les premiers jours d’août, on signala des cas de Choléra isolés, qui, assurait-on, ne montraient pas de circonstances contagieuses. Les médecins toute- fois reconnaissaient les symptômes de la maladie asiatique; mais la police évitait avec soin que ces observations divulguées , allassent porter la terreur parmi les habitans. Cet état douteux, au moins pour le vulgaire, se prolongea jusqu'au 14 septembre, époque où le fléau éclata avec une grande activité dans le quartier qu'habitait M. »E Moxreer. Une pluie d'orage très-abondante , tom- bée le 13, et quiavait subitement refroidi l’atmos- phère , parait avoir déterminé cette subite explo- sion... Ce fut alors que M. de Montbel fut atteint, et, dans ses Observations, il raconte avec préci- sion l’histoire de sa maladie. Isolé, n’ayant près de Jui ni amis ni parens, ila pu cependant se soustraire à cette atteinte terrible. À peine guéri de ses longues souffrances , il tourna ses regards vers la patrie. La France était menacée aussi de l’inva- sion du Choléra ; notre honorable collègue voulut prévenir bien des maux, en indiquant la méthode detraitement et Jes précautions à prendre pour écar- Observations sur le Choléra. M. BaroN DE MONTBEL, 1832, 108 CLASSE DES SCIENCES. ter ce fléau destructeur, où pour en diminuer lin- tensité. «Loin de mes concitoyens , écrivait-1l , j'ai désiré pouvoir leur être utile. » En envoyant ces intéressantes Observations , il ajoutait : « Jai été témoin combien, dans toutes les circonstances, l'Académie de Toulouse occupait avec zèle de tout ce qui pouvait intéresser nos concitoyens. Quand j'avais honneur d’être Maire de cette ville, je n’ai jamais consulté l'Académie, sur-tout dans les ques- tions qui intéressaient la santé des habitans , sans trouver en elle des conseils qui éclairaient les me- sures de l'administration. Aujourd’hui, éloigné de mon pays, je puis lui transmettre quelques obser- vations que j'ai recueillies à Vienne, ou que jai faites sur moi-même... J'ai songé à mes chers compatriotes, aux lumières de l'Académie... Je suis privé du bonheur de partager les périls qui les menacent ; mais puissent les maux qui n’ont atteint loin d'eux, ne pas leur être inutiles !.... » La communication des importantes Observations sur le Choléra, eut lieu le 5 avril. Le fléau éten- dait alors ses ravages sur la capitale ; on éprouvait déjà de fortes craintes à Toulouse; et si cette ter- rible maladie ne vint pas déeimer notre popula- tion , siles conseils de M. de Montbel ne furent pas utilisés, Académie et la ville n’en ressentirent pas moins la reconnaissance la plus vive pour lancien Maire de Toulouse, qui, dans les langueurs de Pexil, songeait encore à la santé de ses concitoyens et au bonheur de la patrie absente. MÉMOIRES. Section Deuxième. MÉMOLRES, PROBLÉME DE GÉOMÉTRIE DESCRIPTIVE SUR LA PYRAMIDE TRIANGULAIRE; Par. M. GANTIER. Sx des trois angles d’un triangle sphérique on mène des rayons au centre de la sphère sur la- quelle on suppose qu'il a été tracé, et que par ces rayons, pris deux à deux , on fasse passer des plans, on forme une pyramide triangulaire qui a pour base le triangle sphérique , et son sommet au centre de la sphère. L'on sait que les angles formés par les rayons ou les arêtes de cette pyramide ont pour mesure les côtés du triangle, et que les angles dièdres de la pyramide sont représentés par les angles du même triangle : lon sait encore que toutes les fois que l’on connaît trois des six élémens qui constituent un triangle sphérique, on parvient toujours à connaître les trois autres. La pyramide triangulaire étant composée des mêmes élémens, 112 CLASSE DES SCIENCES. elle sera déterminée dans les mêmes circonstances, c’est-à-dire, chaque fois que l’on connaîtra trois des six choses qui la composent. On donne ordinairement le nom de face aux angles formés par les arêtes de la pyramide, et c’est ce nom que nous conserverons dans la dé- monstration qui va suivre, en réservant celui d’an- gle à ceux formés par les faces. La combinaison trois à trois, des trois angles et des trois faces qui composent la pyramide trian- gulaire sans y comprendre la base, donne vingt combinaisons, qui se réduisent à six problèmes dont voici les énoncés : 1.9 — 3 faces; 2,9 — 2 faces et l'angle compris ; 3.2 — 2 faces et l'angle opposé à l’une £ , d'elles ; Étant donnés à 2 k .° — 2 angles et la face comprise; 16e 5.° — 2 angles et la face opposée à l'un d'eux; 6.° — 5 angles; 1.° — 3 angles; 2,9 — 1 face et 2 angles; 5.9 — 1 face et 2 angles; Trouver Dr 9P .° — 1 angle et 2 faces; 5.9 — 1 SE et 2 faces; 6.° — 5 faces, La solution analytique de ces problèmes cons- titue la trigonométrie sphérique. Quant à leur solution graphique, celle que nous considérons ct, elle s'obtient en employant la méthode des pro- = MÉMOIRES. 112 jections, et quoique l’on puisse résoudre les six problèmes par cette méthode, on peut encore les réduire à trois seulement, en construisant une nouvelle pyramide, dans laquelle les angles des faces seraient les supplémens des angles des arêtes de la première pyramide ; on donne à cette nou- velle pyramide le nom de supplémentaire. . Les cinq premiers problêmes font partie des préliminaires de la géométrie descriptive : le sixième, celui dans lequel, connaissant les trois angles dièdres, on cherche les trois faces, quoique résolu , au moyen de la ligne droite et du cercle, par Hachette et Vallée, re peut faire suite aux cinq autres, à cause de la considération des plans tan- gens aux surfaces coniques, sphériques et cylin- driques que ces deux auteurs introduisent dans la solution de ce problème. Je me suis proposé de résoudre ce dernier cas , en employant des considérations tout-à- fait indépendantes des plans tangens; et pour montrer la différence qui existe entre la solu- tion des auteurs déjà cités, et celle que je vais présenter, je commencerai par exposer rapide- ment la suite des opérations qu'ils sont obligés de faire pour arriver à leur solution. On prend d’abord deux plans formant entr’eux un des angles donnés, et lon considère un point quelconque pris dans l’angle de ces deux plans, comme le sommet commun de deux cônes droits, dont les arêtes font avec chacun des deux plans les deux autres angles donnés. Le problème se TOME III. PART. I. 8 114 CLASSE DES SCIENCES. trouve alors ramené à celui-ci : mener un plan tan- gent à la fois à deux cônes qui ont même sommet. La construction de ce plan tangent, qui est assez compliqué , oblige encore de transformer ce der- nier problème en un autre. On prend dans cha- que cône une sphère inscrite de mème rayon ; on conçoit ensuite une surface cylindrique qui enve- loppe ces deux sphères, et dont laxe est la ligne qui passe par le centre des sphères , et lon est ainsi conduit à mener par un point donné, un plan tan- gent à une surface cyhndrique. Pour résoudre ce dernier cas, 1l faut connaître la base de ce cylindre sur l’un des deux plans, et cette nouvelle opéra- tion , qui serait encore assez longue , se trouve un peu simplifiée par le choix que lon fait des sphères, afin de satisfaire à quelques conditions particu- lières qui tendent à diminuer le travail graphique. Sans entrer dans un plus grand développement, l’on doit voir par la suite des procédés que nous venons d'indiquer, combien la marche suivie par nos deux auteurs, quoique très-ingénieuse d’ail- leurs, est longue et pénible, et lépure qui repré- sente la solution de ce problème est, comme on le pense bien, assez compliquée. Aussi ne l’exécute- t-on qu'après la connaissance des plans tangens. Voici la démonstration que je propose. Soit les trois angles donnés 4, B, C(PI.T); je commence , comme les auteurs cités, par pren- dre deux plans formant entr'eux un des angles donnés, l'angle Z, par exemple, et sans nuire à la généralité du problème, je considere l’un de ces MÉMOIRES. 119 plans comme horizontal , et Pautre perpendiculaire au plan vertical de projection. Je suppose pour un moment que la pyramide soit construite : si d’un point quelconque pris dans son intérieur , j’abaisse des perpendiculaires sur ses trois faces, il est évi- dent que les angles formés par ces perpendiculaires, sont supplémens des angles de la pyramide. Il ne s’agit donc que d’obtenirles projections horizontales de ces lignes, car l’on sait, d’après la méthode des projections, que les traces des faces de la pyramide seront perpendiculaires à ces lignes. D’après cela, le problème est ramené à trouver les projections des trois perpendiculaires aux faces de la pyramide. Je prendsun point quelconque , le point E, situé sur la face horizontale, et dans son intersection avec le plan vertical ; de ce point j’élève une per- pendiculaire EL à cette face, et du même point, j'abaisse une autre perpendiculaire E H sur la se- conde face ; il ne restera plus qu’à trouver la per- pendiculaire à la troisième face ; or, cette perpen- diculaire fait avec la ligne EL un angle égal à angle b, et avec la ligne E H un angle d, supplé- ment de l’anglec, qui est le troisième angle de la pyramide. Il s’agit done, d’après la connaissance de ces deux angles, de construire la projection de cette troisième perpendiculaire. Pour y parvenir, je coupe les trois perpendiculaires par un plan horizontal, dont la trace verticale est représentée par la ligne HF; les trois intersections réunies par des droites, forment un triangle dont je vais cher- cher la projection horizontale ; d’abord le point H 8. 116 CLASSE DES SCIENCES. se projette en I, et comme la droite EF qui fait avec E L l'angle b, n’est pas vue dans sa véritable position, il faut la concevoir tournant autour de EL en faisant toujours avec cette ligne l'angle b jusqu'à ce qu’elle soit arrivée dans une position telle, qu’elle puisse former avec la ligne E H Pan- gle d, supplément de l'angle c; elle se trouve re- présentée alors par la ligne E G. Dans ce mouve- ment, le point F qui se projette en O, a décrit un arc de cercle dont la projection horizontale est représentée par l'arc OK ; et comme la longueur EF n’a pas varié, on rapporte EF sur EG, et la ligne HG représente la distance vraie du point H au point F, quand ce dernier est dans sa véritable position. Donc, si du point I, projection du point H, et avec le rayon HG je décris un petit are qui coupe l'arc OK au point K, j'aurai la projection EIK du triangle en question, et par suite la pro- jection K d’un point de la troisième perpendicu- laire ; et comme elle passe par le point E, la ligne EK sera donc la projection cherchée ; et puisque Ja troisième face de la pyramide est perpendicu- laire à cette ligne, je prends pour sa trace horizon- tale une ligne quelconque MN perpendiculaire à EK , elle déterminera une des faces PMN de la pyramide, et alors leproblème rentre dans un des cinq cas indiqués précédemment. J’observerai que les deux arcs de cercle, si on les continuait, se couperaient en deux points, ce qui donnerait deux solutions; je n’ai marqué sur l’épure qu’une seule des deux solutions. MÉMOIRES. 117 CONSIDÉRATIONS SUR UN SYSTÈME PARTICULIER D’AXES, QUI DONNE LE MOYEN D'OBTENIR , SANS TRANSFORMATIONS DE COORDONNÉES , LE CENTRE ET LES DIAMÈTRES CONJU=« GUÉS RECTANGULAIRES DES COURBES DU SECOND DEGRÉ) SOIT PAR UNE CONSTRUCTION GRAPHIQUE, SOIT PAR LE CALCUL ; Par M. VAUTHIER. L'or sait que l’équation générale du second degré à deux variables, donne ‘trois genres de courbes appelées courbes du second ordre. Le genre d’une courbe du second ordre est bien déterminé par son équation; mais sa forme dépend du système d’axes que l’on prend pour la construire : réci- proquement, lorsqu'une courbe est construite, son équation se modifie selon le système d’axes auquel on la suppose rapportée. Le système rec- tangulaire est celui que l’on emploie ordinaire- ment; mais il en est un qui m'a offert des parti- cularités assez remarquables pour que j'aie cru devoir en faire l’objet d’un Mémoire, qui m’ac- quittera de ma dette académique cette année, En 1824, j'ai eu lhonneur de présenter à l'Académie un travail dans lequel je cherchais 116 CLASSE DES SCIENCES. sil existait un système d’axes obliques tel que Von püt trouver les foyers des courbes du second ordre, comme on le fait quand elles sont rappor- tées à des axes rectangulaires : c’est le même sys- tème que j’ai trouvé alors , qui va encore m'occuper aujourd’hui. Pour ne pas abuser des momens et de l'attention de l’Académie, je vais exposer les propriétés de ce système d’axes, en renvoyant à la fin du Mémoire la démonstration de ce que j'aurai avancé. Si l’on prend deux axes faisant entreux un . . B [2 J angle dont le cosinus soit TR? 2 À étant > Bet A > C, et que l’on résolve l'équation A y°+Bxy +cx°+Dy+Ex +F—=0O par rapporta y, en supposant qu’elle représente une ellipse : le dia- — Bx—D ———— pendiculaire à l’axe des y. La partie de cette droite comprise dans la courbe sera le grand axe, et si par le centre l’on mène une parallèle à laxe des y, la partie de cette parallèle, interceptée dans la courbe, sera le petit axe : ayant obtenu ainsi le demi grand axe et le demi petit axe, on a de suite l'équation la plus simple de lellipse, et en même temps le moyen le plus expéditif de la construire par points, puisqu'on a tous Les élémens nécessaires pour trouver les foyers. mètre dont l'équation est y — sera per Si équation représentait une hyperbole, il ny aurait d'autre modification à faire à la théorie précédente que de décomposer l'expression imagt- MÉMOIRES. : 119 naire trouvée en cherchant la partie de la paral- lèle à l'axe des y comprise dans la courbe, en deux facteurs dont l’un soit VZx, le facteur réel sera le second axe de l’hyperbole. Enfin, si l'équation est celle d’une parabole, le diamètre obtenu, en résolvant par rapport à ÿ, sera Le grand axe, et le point où il coupera la courbe en sera le sommet.On cherchera le point où la para- bole coupe l'axe des y; une troisième proportionnelle à l’abscisse et à Pordonnée de ce point , en prenant le diamètre pour axe des x, donnera le paramètre d'où suit le moyen connu de construire la courbe par points. Si l’on voulait équation de la courbe sous la forme y°=2px, on calculerait la valeur numérique du paramètre, où bien lon passerait du système de coordonnées que je considère , à un système rectangulaire, en prenant le diamètre pour axe des æ, et en conservant le même axe des y (je donne les formules qui servent à cette trans- formation }, le rectangle des variables ainsi que le carré x? disparaîtraient , et le coeflicient de la première puissance de x serait le paramètre. J’ai traité à la fin du Mémoire un exemple numérique pour chacune des trois courbes. DémoxsrrarTion. Soit un système d’axes faisant ] ob entr’eux un angle 0 dont le cosinus soit 2 À > B. Si l’on résout l'équation (1)Ay°+Bxy+cx°+ Dy+Ex+F=—o par rapport à y, l'équation du STE re D MEPAE diamètre Et y=—7—7 désignons par w Pangle 120 CLASSE DES SCIENCES. qu'il fait avec l’axe des x : je dis que ce diamètre est perpendiculaire à laxe des 7» etil faut prouver pour cela que la relation (2)1+ aa! + (a+-a! } cos. Û—oest satisfaite : (cette relation est celle qui doit exister pour que deux droites y = a x+b et J=4a" x+b'rapportées à des axes obliques soient perpendiculaires l’une sur l’autre). Dans le cas qui sin. © nous occupe = sin, (0— ») 2 À d’après l’équa- sin. & sin. (8e) — Vinfini ; la relation (2) devient donc 4 +- cos. 0—0, — B 2 À partie du diamètre interceptée dans la courbe est le grand axe, et que l'axe des J est parallele au petit axe de la courbe; pour le démontrer, je prends le diamètre pour axe des x ; je conserve l'axe des y, et je rapporte la courbe à ces non- veaux axes. Modifions d’abord les formules qui servent à passer d’un système d’axes obliques à un système d’axes rectangulaires , et qui sont tion du diamètre, 6 = @ d’où a! — ou bien += 0. Je dis de plus que la D'Sin (l—a)—y/c05.(6—%) x'Sin.æ+-y/C0. SELLE sin. 4 Di bn sin. 4 Me BAqué RER LU Le Hz ICI Cos. 0=-retsin.0=4 AP, PEN CS 2A 2À ‘Ssin(f—o) 2A hu par conséquent L'4A —B* . TS Er B É 4 A 2 —B° 4 SIN, © = —> et COS. w — ge 34 —: en dévelop- pant dans les formules sin. (ô—w) et cos. (8—w) ét remplaçant sin. 6, cos. 8, sin. w ; COS. & par les d’où tang. © — MÉMOIRES. 121 valeurs ci-dessus, et observant que le point où le diamètre rencontre l’axe des y, point qui est la fe Ê D nouvelle origine a pour coordonnées 4 —0, b— Te ces formules deviennent 2A x! SDL Ame ep RP Men VER la substitution des valeurs de x et de y dans lé- quation (x) la ramène à la forme AC—B) 2AE—BD 3) A ge Ed a + (D—4AF) _ FA 10, On voit ici qu’à chaque valeur donnée à x’ , il vient pour y’ deux valeurs égales et de signes contraires, et comme les axes sont rectangulaires, l'axe des x’ divise la courbe en deux parties qui peuvent coïncider : la partie interceptée est donc un des axes de la courbe. Maintenant je transporte laxe des y’ parallèlement à lui-même, et pour cela je fais disparaître la première puissance de x! en po- sant x’ — k+x" et l’équation (3) prend la forme suivante (4) À y"? +- um a ee 12 des y’ divise la courbe en deux parties égales; par conséquent la partie interceptée dans la courbe sera +F'— 0; l'axe lun des axes de la courbe : or _— <1, puis- HS que nous avons supposé À > C. Donc, La coefficient de x”*° est plus petit que celui de y’*, d’où l’on con- clut que la partie de l'axe des x, comprise dans la courbe, sera Le grand axe, et la partie de l'axe 122 CLASSE DES SCIENCES. des y sera le petit axe. Le raisonnement serait ab- solument le même pour lhyperbole. Si l'équation (1) représente une parabole, léqua- 2AE—BD,, (D—{Af) tion(3)devient A y °+- VAE HAT QI et le paramètre est GD—3AË), savoir , le coeffi- AV/4 AB cient de x’ passé dans le second membre et divisé par le coefficient de y’? : en effet, en transportant l'axe des y’ au point où la courbe rencontre Paxe des x’, point qui n’est autre chose que le sommet de la courbe, le terme tout connu disparait sans rien changer aux autres termes, et l'équation (3) prend la forme y * — er des V4 A:—B; Application de la théorie précédente à des exemples numériques. Soit 1.0 une ellipse dont l'équation est 27° — 2XY+X°—2y +42 x—0,enrésolvantpar rapport à y; on obtient y = E* VE X +1. Ici le cosinus de l'angle des axes doit être — Je prends le point À sur une droite indéfinie X x (PL. I bis, fig. 3 ) de ce point comme centre avec AK=— 1 pour rayon, je décris un arc, du point I milieu de AK jélève une perpendiculaire qui rencontre l'arc au point H; je joins AH, et le sys- tème d’axes sera y A x; je construis le diamètre dont l'équation est =, il coupe laxe des MÉMOIRES. 123 yala distance À E — — et celui des x à la distance AK ——1. Les abscisses À G et AG’ des points où la courbe coupe son diamètre sont— 1 +V2, ce qui donne mp pour le grand axe. La moitié de leur somme sera labscisse du centre ; elle est égale à — 1, je cherche les ordonnées correspondantes à £ } +0 l'abscisse — 1 , et je trouve — Va » €tJ Es , ST sera le petit axe de la courbe ; du ro 2 point T comme centre avec Xp pour rayon je dé- cris un arc qui coupe 72p aux points Feet F”, foyers de la courbe. Pour avoir les valeurs numériques des deux demi-axes, on observera que dans le triangle rec- tangle KpG,GK= V2 et au moyen de la propor- üonKA:KG::AE : pG; oubien: : V2:: —:p6, à Va 6 3 on obtient p G— LoiKp = STE) 2 3 Es mais KT —°— > par conséquent l'équation de EN la courbe USE à son centre et à ses axes 3 1 3 SV HET" —- FA ANIRE 2 4 Soit pour second exemple, l'équation d’une hyperbole : y°—xy—x—27+2x+3—0; en résolvant par rapport à y, on obtient x+-2 1 : Sr de 1/52 —4x—8. Le cosinus de l'angle des axes (ie. 4) est —— Je construis 124 CLASSE DES SCIENCES. comme précédemment deux axes Ax, A y Faire entr'eux un angle dont le cosinus soit — —. Je . . ‘ À , ZT 2 construis le diamètre dont léquation est y — : il coupe l'axe des y à une distance de l’origine marquée par 1, et celui des x à une distance égale à— 23 je prends AE — — 2 et comme AH=—7, je joins le point E au point H, E x’ sera la direction de l'axe transverse. Les abscisses des points où la . \ 2 2 FT courbe coupe son diamètre sont À G— ne BAT PATES - ° us : et AG = — ÿ V/ 11, ce qui donne mp = 24; l’abscisse du centre O est AS — x Je cherche l’or- Q r \ . 2 donnée de la courbe correspondante à l’abscisse LE . 2 . . en substituant 5 pour x sous le radical, et job- tiens Liens Ne _xp/—1, je prends OR OR partie rationelle de ce produit , et RR sera le second axe de la courbe : du point O comme centre avec RP pour rayon, je décris un arc qui coupe Ex’ aux points F et F’, foyers de la courbe. Quant à l'équation de la courbe, on a OR —b =— , et en menant OT parallèle à Ex, on aura le triangle OTp, qui donnera O p°— a" en effet, Gp s'obtient en substituant dans léqua- tion y = “+= du diamètre à la place de x la valeur MÉMOIRES. 125 6+Vir ) dd AC 5 +5 ed a ,cequi donne Gp — » GT ou OS se trouve en mettant _ pour x dans r= +, ce qui donne GT — + d'où Tp = Gp —GT="; d’un autre côté, OT = SG — - & 44 11 33 ae EN DA Li donc op°ou a° 5 — 35 —,5 ttléquation de 33 11 363 ] = A à ON EN ee eV D pme a courbe est 5 J DA — TE Soit enfin Péquation d’une parabole y? — x L 1 . 9 L4 +7x'—2y7—2x=0, qui, résolue, donne : T+2, 5 . . RS == 3xX+4-1, après avoir construit les axes (/ig. 5 ) comme dans les cas précédens, je construis le diamètre Ex’, l’abscisse du point où . ‘ I la courbe coupe son diamètre est À G—— 7 > ce qui donne le point » pour le sommet de la courbe. Pour x—0o le radical devient HS — +, si l’axe des ÿ était transporté parallèlement à lui-même au sommet 72, HS serait une ordonnée ayant pour abscisse Hn2, une troisième proportionnelle aux lignes H m2 et HS donnera le paramètre 2 p ; pour le trouver, on porte HS de H en L, on joint Sym et l’on mène Le parallèle à Sm, Hv— 2p. Le quart de He porté de m en F donnera le foyer F. Si la courbe ne coupait pas l'axe des y comme dans cet exemple, on pourrait toujours obtenir 126 CLASSE DES SCIENCES. l’'ordonnée correspondante à une abscisse prise à volonté et faire la construction précédente. Maintenant pour trouver la valeur numérique de Hy on posera la proportion AE :AG ::EH:m"H 1 E pu 10 Re où 2:-,-:: V3: mH, d’où mH= V3, puis l’on trouvera le paramètre en posant APTE HE ou gr 6 6/3 & Par en = 21/3,et alors l’on obtient pour l'équation de It courbe 7° = 27753 X x. Remarque. Le système d’axes que nous venons 1 poUEgpS 1 A de considérer a pour cosinus + si lon résout on B 6 a cour ar rapport & CES équation de la courbe par rapport à y, it si on la résout par rapport à x; or un cosinus est plus petit que lunité, il faut donc que lon ait où B B ; , ! — < 1 ou —< 1. Lorsque l'équation d’une ellipse 2 À 2 C 1 renferme le produit des variables, ce système daxes existe M car pour lellipse Von à 20 B ? n B: < 4AC d'où < 01 Si > , à plus forte L CG B Al Al raison _ >1e-G< 1. Quant à la Pet et à lhyperbole, il est possible que ce sy stème d’axes n’existe pas, car pot, l’une de ces deux courbes Le] [a voi à Le foi Dent Er )0 B B ? ps — ———— a s. ra — l'autre = EI: Lorsque le rectangle des va riables manque dans l'équation de la courbe, le: système quenous considérons devient rectangulaire. Re) 1] MÉMOIRES. ï OBSERVATIONS SUR LES ROCHES VOLCANIQUES DES CORBIÈRES ; Par M. TOURNAL fils, de Narbonne, Correspondant. Less roches que,nous avons à décrire dans le cou- rant de ces observations, sont toutes situées sur le versant septentrional des Pyrénées, dans le petit groupe de montagnes qui a reçu le nom de Corbières, et se trouvent renfermées dans les limites du département de l'Aude. Ces roches ont une grande analogie par leur position, et par plusieurs autres caractères que nous exposerons plus tard, avec celles que l’on rencontre dans le terrain d’ophite des Pyrénées, décrit par MM. Palassou , Charpentier et Amy Boué. Elles se présentent presque toujours sous la forme de petites buttes coniques, ou bien de petits mamelons liés entreux, et qui semblent adossés au calcaire secondaire, mais qui lui sont évidem- ment inférieurs. En général les forces intérieures ont poussé ces roches dans les points de moindre résistance, de 128 CLASSE DES SCIENCES. sorte qu’elles occupent le centre des cratères de soulèvement , le pied des escarpemens et les ravins profonds des terrains calcaires. Il est même proba- ble que les derniers déchiremens du sol secondaire qui ont donné aux Corbières leur relief actuel , ont été occasionnés par l'issue spontanée de ces roches ignées , et l’on conçoit aisément que la force qui est ainsi parvenue à soulever ces masses puissantes a dû se faire ressentir à de grandes distances , et disloquer ainsi les formations environnantes. C’est ainsi que l’on peut expliquer les accidens nombreux et bizarres qu'offrent la direction du groupe de montagnes qui nous occupe , résultat qui n'aurait pas eu lieu si ces montagnes avaient été soulevées d’un seul coup. L'on ne rencontre jamais les roches ignées sur le faîte des hautes montagnes ; presque toujours elles sont circonscrites et recouvertes par un cal- caire gris secondaire à aspect jurassique , qui, dans les environs des roches ignées , offre des caractères particuliers et passe au grauwacke. Ces roches n’offrent aucune stratification , ne renferment jamais de fossiles, et sont partout accompagnées de marnes rougeâtres, et de grands amas de gypse fibreux renfermant des cristaux de quartz prismé. L’éruption de ces roches ignées nous semble avoir eu lieu au commencement de la période tertiaire, et avoir suivi immédiatement la dislocation du sol secondaire ; or, comme les forces qui ont soulevé ce terrain ne nous semblent pas avoir suivi une direc- tion constante, puisque les crêtes des montagnes MÉMOIRES. 129 environnantes se coupent sous différens angles, et que d’ailleurs 1l est probable qu’elles ont agi à dif- férentes époques et pendant une période de temps assez longue, les éruptions de roches ignées, liées intimement à cette cause, ont dû nécessairement avoir lieu dans une foule de points différens et pendant une période de temps correspondante. D'ailleurs, comme nous lavons dit plus haut, lé- ruption de ces roches a dû augmenter la confusion que l’on remarque dans la disposition physique de ces montagnes. Nous pensons que ces éruptions sont de beaucoup antérieures à l'établissement de Phomme dans nos contrées, et même à l’existence des temps historiques, c’est-à-dire , à l'apparition de l'espèce humaine à la surface du globe. La liaison intime du gypse et des déjections volcaniques nous semblent également pouvoir s’ex- pliquer avec beaucoup de facilité. En effet, en admettant que chaque paroxisme volcanique occa- sionnât l'issue de sources thermales chargées d'acide sulfurique, lon conçoit facilement par Paction de l'acide sulfurique sur les roches calcai- res, comment ont dû se former successivement les vastes dépôts de gypse au milieu desquels lon aper- çoit souvent des blocs plus ou moins volumineux de roches ignées. Dans une note publiée, 11 y a déja deux ans, dans Je Bulletin universel et les Annales des Sciences, nous avions déjà émis cette théorie avec _ beaucoup de réserve, parce que nous n’avions visité alors que les environs de Sainte-Eugénie ; mais, TOME Hi. ART, I. k 9 130 CLASSE DES SCIENCES. depuis, les nombreuses localités que nous avons visitées ne nous ont laissé aucun doute dans les- prit, et nous ont forcé d'attribuer la même origine à tous les gypses secondaires, même à ceux qui ne sont pas associés aux roches ignées. La majeure partie des roches qui composent le terrain igné des Corbières offrent une grande analogie avec celles que les minéralogistes allemands désignent sous le nom de svacke , ou bien avec l’ophite grossier de M. Palassou. Elles ont toujours un aspect mat, se divisent facilement en fragmens polyédriques renfermant de petits globules de différente nature, et paraissant formés en général par du pyroxène, du feldspath altère, de l'argile et de l’oxide de fer. Quelquefois les cavités bulleuses sont tapissées de quartz rose cristallisé, ou d’un enduit drusique de chaux carbonatée. Toutes les variétés de roches que présente ce terrain , passent de l’une à l’autre, et se confondent de mille manières. Outre les minéraux dont je viens de parler, lon trouve encore dans ces roches du fer oligiste, de petites lames de mica, et de petits grains d’un beau vert pomme, que je crois être de l’oxide de chrôme. La description abrégée des différentes localités que nous avons visitées, ne fera que confirmer les différentes propositions que nous avons avancées d'une manière sommaire. Pour faciliter les natu- ralistes qui voudront étudier ce terrain, nous pren- drons Narbonne pour point de départ, et ferons remarquer qu'un voyageur à cheval peut facile- MÉMOIRES. 131 ment le visiter dans un ou deux jours ; le service de voitures qui est établi de Narbonne à Perpi- gnan, offre encore un autre moyen pour parcourir ces localités intéressantes. Lambert. Au midi de Narbonne, à la hauteur de Prat de Cest, à côté de la grande route de Perpignan, deux petits ravins sont ouverts dans des collines peu élevées de calcaire secondaire. Celui qui est situé le plus au sud offre des roches fort singulières. Ce sont en général des argiles grises, schisteuses, non effervescentes, des marnes jaunätres contour- nées dans tous les sens et traversées par des veines spathiques, qui se coupent très-souvent à angle droit. Ces veines résistant beaucoup mieux aux agens atmosphériques que les marnes qu’elles tra- versent, forment un relief fort bizarre et semblable à un grand réseau. En continuant de gravir le ravin, l’on observe à l'extrémité une coulée de roches volcaniques rougeätres, criblées de petites boules de différente nature; ces roches se décom- posent avec une facilité extrème. Il paraît que c’est à leur présence que lon doit attribuer les altéra- tions que présentent les marnes de ce ravin, car la forte chaleur qu’elles ont dû éprouver, a modi- fié leur composition chimique, et les a gercées dans tous les temps. Le deuxième ravin, qui est plus rapproché de la ville, est beaucoup plus intéressant ; il offre sur un 9: 132 CLASSE DES SCIENCES. très-grand développement les roches ignées et le gypse mêlés et confondus de toutes les manières. Les roches ignées offrent plusieurs variétés qui se nuancent les unes avec les autres. Elles renferment en général de petites boules d’oxide de fer, des rognons de quartz cristallisé, et plusieurs autres minéraux disséminés. Le gypse est à couches flexueuses, bariolées de mille couleurs, depuis le rouge le plus vif jusqu’au noir le plus intense. L'on y observe, comme dans tous les gypses de cette époque, des cristaux de quartz prismé bipyra- midal : la variété qui est exploitée à l'extrémité du ravin, est d’un beau blanc azuré, extrêmement compacte, et offre les variétés du gypse micacé saccarroïde et spathique. Bien que le calcaire d’eau douce tertiaire soit très-peu éloigné des deux ra- vins que nous venons de décrire, il est bien diffi- cile de voir le rapport de cette formation avec les roches ignées , parce que la végétation et les ébou- lemens de terre végétale empêchent de voir le point de contact. Là , comme partout ailleurs, ces roches sont entourées et recouvertes par le calcaire secondaire. Si, comme tout me porte à le croire, les gypses doivent leur origine à l'existence des sources thermales chargées d’acide sulfurique , ne se pourrait-il pas que les commotions qui ont dû accompagner les déjections de laves eussent ébranlé et crevassé le sol sous-lacustre du bassin tertiaire qui n’était éloigné que de quelques pas seulement, et que les crevasses, une fois formées, eussent donné issue à des sources acides qui auraient aussi MÉMOIRES. 133 formé les gypses tertiaires. Dans ce cas, des gyp- ses que l’on avait regardé jusques à aujourd’hui, les uns comme secondaires , les autres comme ter- tiaires, se trouveraient être de la même époque. L'aspect différent qu'ils présentent s’expliquerait aisément par leur mode particulier de formation, les uns ayant été déposés au fond d’un lac d’eau douce tertiaire , les autres dans les montagnes voi- sines sous l’influence d’une haute température, et à fur et mesure que les eaux des sources thermales et minérales s'évaporaient. Sainte-Eugénie, Frayssinelle , la Quille. Au sud-ouest de Narbonne, à la hauteur de Peyriac, en laissant la grande route pour suivre le ravin des Pigeonniers, à peine a-t-on quitté les for- mations d’eau douce pour marcher sur le calcaire marneux secondaire, que l’on rencontre subitement un amas de gypse fibreux à couches sinueuses, bariolées de plusieurs couleurs, renfermant quel- ques couches subordonnées de marne rougeâtre et de nombreux cristaux de quartz prismé. Les couches de gypse, quoique flexueuses, sont en général verticales et dirigées au nord-ouest, c’est-à-dire, de la même manière que les roches qui établissent la communication géognostique des Pyrénées avec les Cevennes (défilés d’Argens, vallée de l'Aude), Avant d'atteindre la campagne de Sainte-Eugénie, lon observe un amas de tuflas et de wackes qui ont la plus grande analogie avec 134 CLASSE DES SCIENCES. ceux des volcans éteints de la France méridionale, Ces tuflas ne font pas effervescence avec les acides. Ils sont ordinairement rougeûtres, souvent gris ou verdâtres, traversés par de petites veines de gyp- se, et renferment de petites boules de zeolithe blanche. Quelquefois ces mêmes roches ignées sont extrèmement compactes et renferment du péridot disséminé. Cette formation est recouverte immé- diatement par le calcaire secondaire, et se pro- longe au-delà de Sainte-Eugénie dont les murs sont assis dessus (1). Au delà de Sainte-Eugénie le gypse empäte des amas de wacke renfermant des masses de basalte qui se décompose en couches concentriques, et qui renferme des cristaux de péridot. La présence du basalte dans ce terrain nous semble un fait d’une grande importance, parce qu'il ne laisse aucun doute sur son origine ignée. Aux environs de ce dépôt basaltique, en allant vers le Roc du Chevrier, l’on observe des roches vertes très-compactes, analogues aux mélaires ou à quelques roches serpentineuses, et qui nous semblent être de lamème époque que les wackes etles basaltes. M. Pareto, observateur infatigable , dont les 1m- (1) I est à remarquer que nulle part le calcaire qui est en contact avec les roches ignées , n’a éprouve une chaleur assez forte pour cristalliser ; la seule modification que présentent les roches en contact est une couleur noire ou brune , et une struc- ture cariée et cellulaire. Il est cependant vraisemblable que lon doit attribuer la modification des calcaires du Pech de Sagrelle en dolomies , au voisinage des roches ignées, MÉMOIRES. 135 portans travaux sont connus de tous les géologues, et qui a visité avec nous Sainte-Eugénie , a observé un fait intéressant, et qui donne une nouvelle preuve de l’origine volcanique de ce terrain. Il à vu que quelques-unes des roches secondaires qui avoisinent le gypse et les wackes, étaient recou- vertes d’un enduit igné verdâtre, semblable à une couche de vernis que l’on aurait placée sur la roche. Ce phénomeène sobserve très-bien en suivant le ravin qui conduit à la fontaine. A quelques pas de ce ravin, en se dirigeant vers Pechredon , le gypse et les amas de roches ignées renferment quelques cristaux de fer oligiste. Cet ensemble de dépôts est inséré entre deux sommités calcaires, dont l’une, plus voisine des étangs, et confusément stratifiée, recouvre d’une maniere évidente les roches volcaniques ; l’autre se lie et adhère à la masse des Corbières. Les couches sont inclinées d'environ 45 degrés vers le nord-est. On l'appelle le Roc du Chevrier. Le calcaire qui circonscrit et domine Je dépôt gypseux est généralement marneux, traversé par de petites veines spathiques, et se décompose en marnes rougeätres. Les fossiles y sont très-rares, cependant nous y avons observé des fragmens de Madrépores , YOrbitolite concave et le genre téré- bratule et Podopsis. En suivant le petit vallon de Sainte-Eugénie, lon a toujours à droite les roches calcaires , et l’on traverse, pendant assez long-temps, le gypse et les roches ignées ; l'on arrive ensuite à un terrain 136 CLASSE DES SCIENCES. qui paraît formé alternativement par des grès et des calcaires; mais il est bien difficile de saisir le rapport que ces roches ont entr’elles ; 1l est proba- ble cependant qu’elles alternent, et qu’elles passent insensiblement de l’une à l’autre. Aux environs de Fontfroide, les grès sont évidemment inférieurs au grand dépôt de calcaire gris (1). La végétation est en général beaucoup plus belle sur le grès que sur le calcaire. Ce sont en général des lavandes , des genevriers, des systes, des len- tisques et des camelées qui composent la flore de ces montagnes, les forêts de pins se trouvent aussi dans la région des grès. Il existe un autre dépôt de gypse et de roches ignées à la Quille. Dans cette localité, le gypse est très-riche en cristaux de quartz, l’on y rencontre une foule de belles variétés de cette roche. Quelque- fois le quartz y est même si commun qu'il forme une véritable brèche. Nous devons ici faire remar- quer que bien loin que les couches calcaires qui entourent les foyers volcaniques soient brisées et inclinées dans un sens opposé à la force qui a poussé les roches ignées, elles ont au contraire très-souvent une direction et une inclinaison tout- à-fait opposées, ce qui prouve évidemment qu’a- vant l'apparition des roches ignées le calcaire secondaire avait déjà été disloqué, et que leur éruption n’a fait qu'augmenter le désordre que lon Pr (1) Les grès et les calcaires qui les recouvrent font partie du terrain de craie inférieure ou bien du grès des Chrapathes. MÉMOIRES. 137 remarque dans les couches calcaires. En se dirigeant de la Quille vers Frayssinelle , Von trouve encore un autre dépôt de gypse, complètement séparé de celui que nous venons de décrire par de puissantes couches calcaires. Celui-ci offre absolument les mêmes circonstances que celui de la Quille, aussi nous n’insisterons pas davantage sur sa description ; seulement nous ferons remarquer que dans les environs les couches de calcaires sont presque ver- ticales. Gléon , Villesèque. Les environs de Gléon et de Villesèque parais- sent avoir été le principal foyer des éruptions; les roches volcaniques s'y présentent avec un très- grand développement et sur une très-grande éten- due, comme dans toutes les localités que nous avons décrites dans le courant de ces observations; le calcaire secondaire domine et circonscrit les roches volcaniques. L’on commence à apercevoir ces roches immédiatement après Gléon, sur la route de Dur- ban, aux environs de Villesèque ; elles forment de petites buttes fendillées dans tous les sens, et que l’on distingue de très-loin à leur forme et à leur couleur noire et ferrugineuse. Ces petites buttes, situées en général à côté du gypse, ressemblent à de petits cones volcaniques , seulement ils n’offrent pas de cratère à l'extrémité. Comme nous lPavons fait remarquer ailleurs, le gypse atteint parfois un grand développement et renferme des blocs plus ou moins volumineux de roche ignée, ce qui 138 CLASSE DES SCIENCES. démontre jusqu’à l'évidence le synchronisme de ces deux roches. Ce fait serait au reste prouvé jusqu’à l'évidence par leur seule position respective. Bien souvent les roches ignées et le gypse sont recouverts par du gypse remanié renfermant des blocs de roches de différente nature ; mais, comme l’on peut bien le penser, ce gypse differe complè- tement du gypse ancien. Les roches ignées se divi- sent ordinairement en fragmens polyédriques, et offrent une foule de variétés. L'on en voit de tres- compactes tigrées de vert et de noir, d’autres d’un beau vert pomme, passant au gris de cendre et renfermant des noyaux de quartz de toute sorte de formes ; ces roches se nuancent les unes avec les autres, et n’occupent aucune place fixe ; elles don- nent par l'expiration une odeur forte et amère, particulière à toutes les roches argileuses et amphi- boliques. En examinant en grand le phénomène que pré- sentent les roches ignées de Villesèque, Fon s’a- perçoit que les éruptions ont eu lieu dans un vaste cratère de soulèvement. Il existe encore un terrain analogue aux envi- rons de Roquefort; mais ce terrain differe si peu d’une localité à une autre, que nous croyons pou- voir nous dispenser d'entrer dans de plus grands détails ; la mème description pourrait servir égale- ment à toutes les localités. Tout ce que MM. Char- pentier, Palassou et Amy Boué ont écrit sur le terrain d’ophite des Pyrénées, peut s'appliquer aux roches ignées des Corbières ; seulement dans MÉMOIRES. 139 ces dernières montagnes l’origine ignée de ces roches nous a semblé prouvée jusqu’à évidence, et c’est pour cela que nous y avons ajouté une aussi grande importance. Fitou. La petite note que M. Boué a publiée dans le Journal de Géologie sur cette curieuse localité, nous à engagé à la visiter de nouveau avec détail, afin de voir si nous ne pourrions pas rattacher cet exemple à tous ceux qui existent dans les Corbie- res. Notre espérance n’a pas été trompée, et nous nous sommes assurés que les diorites de Fitou ne diféraient que par leur caractère minéralogique des autres déjections volcaniques des Corbières, mais qu’elles faisaient partie du même système de terrain , et qu’elles étaient de la mème époque. La diorite se trouve dans le cul de sac de Fitou, derrière le village, et supporte un calcaire gris à aspect jurassique, qui, dans la partie inférieure, au point de contact avec la diorite, est noir, bitu- mineux et dans quelques parties rouge et cellulaire à cavités sinueuses. La diorite , généralement grise, cristalline, très- riche en feldspath et analogue à certains granites, se nuance et se confond avec des roches blanches feldspathiques pénétrées de belles dendrites noires ; quelquefois le feldspath est d’un très-beau rose. Ces roches passent de l’une à l’autre, se divisent en fragmens polyédriques , et sont traversées par de nombreuses fissures et par des veines occasionnées 140 CLASSE DES SCIENCES. sans doute par le retrait. Cette roche se décompose très-facilement , et forme, en se désagrégeant , un gravier feldspathique, qui, quelquefois, offre l'as- pect du kaolin, et qui, sans la présence de Pam- phibole, pourrait être utilisé dans les arts ; quel- ques variétés pourraient être employées pour les couvertes des poteries. En se dirigeant de Fitou aux carrières de plâtre, lon trouve un plateau assez étendu de calcaire et de grauwacke, de telle sorte que les diorites de Fitou sont complètement entourées et séparées du gypse par des roches calcaires. Les carrières de plâtre nous ont offert (sur la route à côté des exploitations ) les mêmes roches ignées que nous avons décrites dans le courant de ce travail. Cette particularité n'avait pas été remar- quée par les différens observateurs qui ont visité Fitou; elle nous parait très-importante, parce que leur présence démontre d’une manière positive le rapport intime qui existe entre les roches volca- niques des Corbières et les diorites des Pyrénées. Le gypse de Fitou offre plusieurs variétés ( sac- caroïde, fibreux spathique }, il renferme de très- beaux cristaux de quartz prismé bipyramidal, et des cristaux de fer sulfuré analogues à ceux de Roqueverre en Provence, mais beaucoup plus petits; lon y observe aussi des plaques de quartz opaque. Nous terminerons là ces fastidieuses descriptions de localités, que nous avons abrégées cependant le plus possible, en faisant remarquer que les diffé- rentes propositions que nous avons émises au MÉMOIRES. 141 commencement de ces observations nous semblent suffisamment prouvées; nous aurons d’ailleurs occa- sion de compléter létude de ce terrain en décri- vant les autres formations des Corbières. Deux collections de roches relatives à l’étude de ce terrain ont été déposées dans les galeries du Muséum et de la Société Géologique. mnt 142 CLASSE DES SCIENCES. NOTICE SUR DEUX HIPPURITES ( ORTHOCÉRATITES DE M. DE LAPEYROUSE ); Par M. le Colonel DUPUY. Pancoururs dans tous les sens, étudiées sous les divers rapports de leurs fonctions et des êtres qui y jouirent ou qui y sont encore en possession de la vie, les Pyrénées, leurs différentes ramifications et les contreforts qui les appuient, sont cepen- dant chaque jour l’objet de nouvelles remarques, qui ajoutent quelques pages à l’histoire géognos- tique et à la botanique de ces belles montagnes. Diétrich et ses recherches minéralogiques , Palas- sou et ses savantes observations, Ramond et ses grandes vues, si éloquemment tracées, Picot de Lapeyrouse et ses longues et utiles recherches sur les animaux et les plantes de ces lieux agrestes , tout cela n’a pas épuisé ce qu'il y a à faire pour en compléter l’histoire naturelle. Leurs ramilica- tions et leurs contreforts ont d’ailleurs été moins l'objet d’études suivies que la chaine principale. Les savans les plus illustres ont sur-tout porté leurs regards vers les plus hautes sommités. Ils MÉMOIRES. 143 espéraient trouver là seulement la solution de l’im- portant problème dont chacun d’eux était préoc- cupé. Ramond crut l'avoir découverte sur la cime du Mont-Perdu. Par des calculs trigonométriques, dont l’exactitude ne peut être révoquée en doute, Reboul montra que, dans l’état de la science, c'était sur le granite de la Maladette qu’il fallait la cher- cher. Tandis qu’on s’occupait ainsi de la partie la plus élevée des Pyrénées, nos savans, à l'exception néanmoins de Picot de Lapeyrouse, dédaignaient les vastes ramifications de ces montagnes qui, d’un côté, s'étendent jusqu'aux caps Finistère et Orte- gal, et jusqu'aux embouchures du Douero et du Minho, et qui composent les monts de la Galice , des Asturies, de la Navarre, de la Ribagorzana et quelques autres, et qui, sur le revers septentrio- nal, constituent plusieurs chaînons étendus dans les départemens des Basses-P yrénées , de PAriéce, des Pyrénées-Orientales et de l'Aude, et particulière- ment dans ce dernier, où ils forment les monta- gnes connues sous les noms de Hautes et Basses- Corbières. On sait que ces montagnes surgissent à l’est de Parête qui, commençant au fond de la vallée de la Téta, s’unit aux pics de la Fajole, de Nébias et de Brenac , forme, au sud-ouest de Carcassonne pla chaine de la Malpère, et qui ensuite se porte à Fan- jeaux, et de là se dirige vers Naurouse. Elles cou- rent du sud-ouest au nord-ouest. Les Basses-Cor- bières , limitées au sud par la Boulzane et l’Acly, forment ou couvrent une vaste portion de l’arron- 144 CLASSE DES SCIENCES. dissement de Limoux, et viennent finir près de Carcassonne, vers les montagnes d’Alaric. Les Hautes-Corbières, s'étendant à l’est , composent une portion de l'arrondissement de Narbonne, et vont jusqu’à la côte de la Méditerranée. On sait que quelques-uns de leurs chaïnons s'unissent en- suite aux montagnes de l'arrondissement de Saint- Pons, dans le département de l'Hérault. De nos jours, c'est dans leur sein ou dans leur voisinage qu'ont été faites de nombreuses décou- vertes : les cavernes de Bise ont sur-tout obtenu une haute célébrité depuis les importantes obser- vations de M. Tournal , de Narbonne. C’est dans le sein des Basses-Corbières, dont M. Julia-Fon- tenelle a esquissé la description , que M. Picot de Lapeyrouse a réuni les élémens de son ouvrage intitulé : Description de plusieurs espèces d’os- tracites et d’orthocératites , publié à Erlang. En septembre 1820, étant aux bains de Rennes, situés dans les Basses-Corbières, jai voulu visiter la partie de ces montagnes qu'avait parcourue, en 1775, M. le baron Picot de Lapeyrouse. J'avais sous les yeux le savant ouvrage dont je viens de parler, et j'ai retrouvé, en quantité, les mêmes espèces de corps marins fossiles, dans les mêmes lieux que le célèbre naturaliste désigne, Me dirigeant vers le village de Montferrand, jai recueilli quelques corps pétrifiés, tels que coquilles de plusieurs espèces , fungites, cornes d’'ammon , oursins; passant ensuite vers l’est de ce village, j'ai traversé une brêche , qui m'a fait découvrir un MÉMOIRES. 145 petit lac, au delà duquel je suis arrivé à la mon- tagne dite de Montcal. C'est là que jai pu remarquer les mêmes fos- siles, de plus quelques madrépores , et enfin le nombre prodigieux de ces pétrifications . nomme communément dans le pays, des cornes, cause de leur forme, que M. Picot de RE a classées parmi les orthocératites et ostracites de nouvelles espèces, et auxquelles M. Lamarck et M. de Blainville donnent aujourd’hui, aux pre- mières, le nom d'Hippurites, et aux secondes, ce- lui de Radiolites. Plusieurs excursions n'auraient été nécessaires pour me procurer la collection complète de tous les exemples rapportés dans louvrage précité ; mais le temps pluvieux et le peu de ressources qu’on trouve chez les habitans de ces montagnes, alors qu’on s’occupe de recherches minéralogi- ques, ont entravé mes désirs, et je n’ai fait qu'une petite moisson de quelques échantillons. Voyageant le ciseau et le marteau en main, j'ai eu la curiosité de mutiler plusieurs de ces corps marins ; j'ai remarqué dans l'intérieur de trois ou quatre , une substance métallique, que j’ai recon- nue être du fer sulfuré. J’ai eu lattention d’en conserver un, dont je donne une esquisse à la Plan- che IT, figure 1 , lequel est coupé transversale- ment de la ligne ponctuée BB ; les tuyaux FF sont colorés métalliquement. Les figures 2 et 3 sont les deux divisions de la coupure ; la division inférieure, figure 2, en À et TOME II. PART, I. 10 146 CLASSE DES SCIENCES. C, et celle supérieure, figure 3, en D'etE; pré- sentent des groupes de pyrites martiales. Cest un orthocératite à gouttière, pédiculé, à cannelures profondes, appartenant au 3.° ordre, au 5.e genre et à la 26.° espèce de l'ouvrage de M. de Lapeyrouse. Cette espèce varie beaucoup pour le volume , a dit ce savant. Celui que je décris est de la plus grande dimension. Un autre échantillon ne mérite pas moins d'attention. J’en fournis esquisse, Planche IT, figure 1 ;il est aussi coupé transversalement de AA, et les figures 2 et 3 sont les deux divisions de cette coupure. Dans celle inférieure, figure 3, est renfermée, en C, une petite coquille dite modiole, fossile, et bien conservée; dans celle supérieure, figure 2, en B, est l'empreinte bien nette de cette coquille. Celui-ci est un orthocératite à gouttière pleine, à sillons longitudinaux, plié dans le milieu , seul point où il est coudé. Il appartient au 3.° ordre, au 2. genre, et à la 12.° espèce du même ouvrage. Jai reconnu, comme M. de Lapeyrouse, que le gisement de ces corps marins est un terrain mar- neux, calcaire brun, très-friable. Ce qui explique facilement les pyrites martiales renfermées dans le premier échantillon, et la couleur métallique dont sont empreints quelques-uns de ses tuyaux, puisque tous les minéralogistes ont reconnu que les substances métalliques détachées de leur mi- nière primitive et charriées ensuite par les eaux, se sont précipitées par couches, et ont formé des MÉMOIRES. 147 dépôts de seconde formation, qui sont assez com- muns. Je n’ai conservé cet exemple, que parce qu'il manque dans l’ouvrage si apprécié de feu M. de Lapeyrouse. Quant au second échantillon , il est rare et curieux , et 1l mérite de sérieuses observations. Comment ce modiole a-t-1l été introduit dans cet orthocératite ? Je ne puis supposer que deux moyens : 1.° L'animal aurait-il avalé cette coquille qui serait restée après la mort de Pindividu ? 2.9 L’individu ayant abandonné son habitation, la coquille poussée, à l’époque d’un cataclysme, vers le corps marin qui la recèle aujourd’hui, est- elle entrée dans son intérieur ? et alors ils auraient subi ensemble le changement en matière pier- reuse. Je renonce à la première supposition ; maïs en Vadmettant même comme la seconde, que je crois la plus probable, il est à remarquer que, de nos jours, lon ne trouve plus d’analogues vivans de cette espèce d’orthocératite fossile, tandis que le modiole existe en grande quantité dans les mers et dans les eaux douces. Comment expliquer ici tous les systèmes pro- duits jusqu’à présent, et qui ont même mérité le suffrage de plusieurs savans ? | Certains auteurs ont appliqué lépithète d’ante- diluviens aux animaux perdus, ou du moins à leurs parties solides ; et cependant ces débris d’a- 10. 148 CLASSE DES SCIENCES. nimaux peuvent se trouver , comme on le voit tous les jours, dans de différentes circonstances, dans diverses positions, et dans des formations de na- ture variée. Le classement des terrains a bien eu pour but de faire connaître la série des animaux perdus dans l’ordre chronologique de leur création et de leur destruction ; mais tous les terrains que pré- sente la surface de la terre, ne sont point ainsi en place, dit M. Desmarets. Cette terre a éprouvé des révolutions lentes ou subites dans des temps plus reculés, qui ont donné naissance aux terrains d'alluvion, et ces terrains ne sont pas moins riches que les autres en dépouilles d'animaux inconnus. L’orthocératite que je présente, a été trouvé dans un terrain dalluvion, et paraîtrait appartenir néanmoins à une époque très-ancienne, et à la série des animaux perdus. Mais le modiole , ren- fermé dans son intérieur, contraste singulièrement avec cette époque ; car il est constant qu'il n’a aucun rapport avec cette série, puisque ses analo- gues vivans existent encore. Cest un exemple unique sur lequel je n’oserais prononcer d’une manière certaine, laissant ce soin important et difficile à des personnes plus instrui- tes que moi. Cependant je ne dois point taire le raisonnement qu’il me porte à faire. Je pense que ce corps marin, abandonné par Pindividu qui l’habitait, a pu rester, pendant des siècles, dans son état naturel, et que, dans un temps plus rapproché de nous, et par suite de MÉMOIRES. 149 quelque catastrophe, le modiole ayant été jeté dans son intérieur vide, y a été retenu par un commencement de métamorphose, qui a fait subir à tous deux une pétrification commune , lente et complète. J’avoue que, d’après cette opinion, j’adopterais celle émise par plusieurs naturalistes distingués, et principalement celle du savant et profond Cuvier, qui avait rejeté, pendant longues années, la pos- sibilité d’une catastrophe générale ou déluge uni- versel, quoiqu’en dernier lieu il ait paru se désister de sa première croyance. Je dis paru, car je crois sincèrement qu'il n’a point cédé récemment à la conviction, mais bien à l’entraînement politique. Quoi qu’il ensoit, ce qu'il y a de certain, c’est que l’orthocératite et le modiole sont deux corps marins de formation bien différente, quant à l’é- poque; que, par conséquent, l’un aurait dû exister avant le déluge universel, et être détruit lors de ce grand événement, tandis que l’autre ne peut être venu qu'après; et cependant le dernier est renfermé dans l’intérieur du premier, et tous deux ont été soumis ensemble au même genre de pétri- fication. Vous connaissez, Messieurs, les nombreux et divers systèmes des naturalistes et des géologues ; les uns et les autres ont des partisans ; et quoique tous les jours et toutes les localités nous fournis- sent de précieux documens, ils seront long-temps encore divisés entr’eux, jusqu'à ce que de nou- velles découvertes viennent nous éclairer davan- 150 CLASSE DES SCIENCES. tage et nous fixer, si cela est possible, sur l'in- concevable structure de l'immense ouvrage du Créateur. Telles sont les observations que j'ai cru devoir présenter à l'Académie. Elles peuvent fournir ma- tière à d’autres plus importantes encore. C’est de l’ensemble des faits, de leur enchainement, que se forment les sciences d'observation. Heureux lors- qu'une juste critique les emploie à fixer lhistoire de la nature! ce sont les documens de cette his- toire si variée, si attachante, qu'il faut réunir de toutes parts avant de l'écrire. Ainsi lérudit ra- masse les chartes, les médailles, les vieux mar- bres inscrits, et de ces précieux restes, coordonnés avec art, l'écrivain retire les annales des peuples et la science des temps qui ne sont plus. MÉMOIRES. aôr DE LA RUMINATION CHEZ L'HOMME ; Par M. DUCASSE rizs. Ur classe entière de quadrupèdes doit à la ru- mination des alimens la désignation spéciale sous laquelle ils sont connus des naturalistes. On les appelle animaux ruminans. Le bœuf , la chèvre, le chameau, etc., en constituent les principales espèces. La conformation anatomique de leur tube digestif, la nature des substances qui composent leur nourriture , rendent suffisamment raison de ce phénomène, et expliquent la production des maladies qui se manifestent par sa cessation com- plète ou son dérangement momentané. Dans les animaux ruminans, la mâchoire supérieure est entièrement dépourvue de dents incisives ; un sim- ple bourrelet cartilagineux en tient lieu, sans les remplacer, en sorte que l’appréhension des ali- mens et la mastication sont chez eux nécessaire- ment imparfaites. Aussi la nature a-t-elle suppléé à ce défaut d'organisation , en les douant d’un qua- druple estomac, qui se trouve placé entre l’extré- mité inférieure de l’œsophage et le commencement de l'intestin, et dont les quatre cavités doivent être successivement parcourues par les alimens avant 152 CLASSE DES SCIENCES. d'arriver dans la cavité de ce dernier. Ces alimens, composés presqu'’entièrement d’herbages, sont à peine mastiqués dans la bouche, et sy pénètrent seulement d’une très-petite quantité de salive. Descendus dans le rzmen ou la panse, ils s'y char- gent d’une plus grande proportion de sucs, et re- montent bientôt dans la bouche par un véritable mouvement antipéristaltique. Soumis de nouveau à l’action des sucs salivaires et muqueux qui s’y trouvent en abondance, ils y acquièrent alors un degré de plus d’animalisation , et peuvent plus aisément subir toutes les lois des fonctions diges- tives secondaires. Il est même à remarquer que ce mouvement de rumination est non-seulement indispensable à l’entier accomplissement de la di- gestion, mais qu’encore l'animal paraît lexécuter avec le plus grand plaisir. On le voit broyer long- temps avec ses dents molaires le bol ramené sous elles par cet acte important , le promener dans sa bouche qui s’inonde de salive et d’écume , et achever pour ainsi dire la mastication qui n'avait été que commencée. Ce n’est, en effet, que sur des matières herbacées, sur des substances coriaces et fibreuses , que la rumination peut s’opérer. Elle ne se déve- loppe jamais qu'après que animal a cessé de téter. La digestion alors aurait pu se faire sans elle ; car le lait peut se passer de l’action des sucs salivaires pour arriver rapidement dans le second estomac, et son assimilation n’avait pas besoin, pour s’effec- tuer, d’une rumination devenue par làmême inutile. Mais cette singulière fonction ne se borne pas MÉMOIRES. 13 toujours aux espèces que nous venons de nommer. Par une de ces ressemblances, un peu trop humi- liantes peut-être, qui dégradent quelquefois l’hu- manité, on a vu des hommes en présenter tous les phénomènes , et descendre ainsi tous les degrés de échelle qui les séparent des animaux ruminans. Chezeux , comme dans les quadrupèdes, les alimens descendus dans lestomac par Pacte de la dégluti- tion, en remontent au bout d’un temps plus ou moins considérable ; un véritable mouvement anti- péristaltique s'établit, la pâte alimentaire fraction- née par bols plus ou moins volumineux , franchit toute l'étendue de la cavité cœsophago-pharyn- gienne , revient dans la cavité buccale pour y être encore remaächée et imprégnée d’une dose nou- velle de salive, et redescend par la même voie dans Pestomac, dont la sensibilité est plus en rapport avec les changemens qui s’y sont produits. Bientôt une autre portion remplace la première, sans se mêler avec elle, pour subir à son tour une seconde et inévitable mastication , jusqu’à ce que la quan- tité des alimens solides ingérés dans le gaster, soit totalement épuisée. Une chose bien digne de re- marque, c’est que, comme dans les quadrupèdes, l’homme une fois sujet à la rumination , ne peut plus s’en dispenser sans accident. Toutes les fois qu’une circonstance, soit volontaire, soit fortuite , en a arrêté ou suspendu le cours, une maladie plus ou moins violente en a été la conséquence, et peut- être que cette affection morbifique déjà développée, était elle-même la cause de cette suspension. 154 CLASSE DES SCIENCES. Quelle que soit au reste la qualité des alimens dont on ait fait usage , leur nature et même leur consistance ne sont pas sensiblement altérées. On les reconnait aisément, quand ils sont reportés dans la bouche. Leur saveur, légèrement pervertie, n’a rien de repoussant ni d’incommode. Elle prend au contraire quelquefois des qualités plus agréa- bles, et la rumination devient alors un véritable plaisir. Cest ce que certifait le noble de Padoue, à ceux qui le questionnaient ; c’est aussi ce que j'ai entendu dire au malade dont je rapporterai plus Join l'observation. La singularité de ce phénomène chez l’homme dut nécessairement fixer l'attention des physiolo- gistes , et devenir la source d’une foule de théories, pour en donner une explication satisfaisante; car l'esprit ne se contente pas d'observer les faits, il veut encore remonter à leur première origine, et pénétrer des secrets que la raison lui ordonne sou- vent de respecter. Ainsi cette analogie des fonc- tions entre l’homme et les animaux, a porté quel- ques naturalistes à admettre également une analogie semblable dans un des points de leur organisation, sans songer néanmoins que chez le premier, ce phénomène tient à une disposition maladive , tan- dis qu'il est naturel et universellement répandu dans les seconds. Les uns ont supposé que lestomac avait alors, comme dans les ruminans , plusieurs poches séparées, communiquant ensemble; qu'il était multilobulaire. Mais cette disposition orga- nique observée quelquefois, n’était pas toujours MÉMOIRES. 155 accompagnée de la rumination, et dès-lors il était impossible de la regarder comme la cause essen- tielle et primitive de ce phénomène, puisque le plus souvent 1l a lieu sans qu’elle se rencontre elle-même. D’autres, étendant encore plus loin la manie des ressemblances , ont avancé que les individus atteints de la rumination devaient être nés de parens cornigères, et qu'un noble italien qui ruminait , avait eu pour père, d'après les détails circonstan- ciés fournis par Bartholin et Ettmuller, un homme qui n'avait pu réussir à cacher au public les deux cornes qu’il portait à la tête. Enfin, on est allé jus- qu'à citer, selon Bonnet et Rhodius, l'exemple d’un moine ruminant, qui avait lui-même des cornes. Sans nous arrêter à ces suppositions frivoles et facilement démenties, nous ferons remarquer un caractère général que présentent tous les hommes ruminans : C’est que la mastication se fait chez eux d’une manière très-rapide, et qu’ils divisent plutôt qu'ilsnemâchent les alimens. Semblablesaux quadrupèdes polygasires , ils n'imprégnent qu'im- parfaitement de salive et de mucosités les alimens dont ils font usage, et ceux-ci triturés facilement avec légèreté, parvenus une fois dans l’estomac : remontent bientôt dans la bouche, sans avoir éprouvé, comme nous l'avons dit, un changement bien sensible dans les propriétés physiques. Telle est même l’innocuité de leur séjour dans ce viscere, que leur goût en est plus agréable à la seconde mastication , et qu’on met à profit cette singulière disposition dans les animaux ruminans , lorsque 156 CLASSE DES SCIENCES. par une cause quelconque, la rumination est sus- pendue ou arrêtée. Il suffit alors , pour la rétablir, de mettre dans leur gueule quelque substance ali- mentaire, retirée de celle d’un autre animal de la même espèce, ruminant actuellement. La rumination est un acte particulier, sui gene- ris, et ne doit pas être confondue avec le vomis- sement. Quoique dans lun et l’autre cas estomac joue le principal rôle, on peut cependant établir des différences bien marquées entre ces deux phé- nomènes. Dans le vomissement , il y a non-seule- ment contraction gastrique, mais encore cette contraction existe visiblement dans le diaphragme et dans les muscles abdominaux. Les alimens sont rejetés en masse. Leur nature, leur forme , leur sayeur sur-tout offrent le plus souvent des alté- rations bien évidentes, et les malades éprouvant une horreur invincible à les mâcher de nouveau, ne tardent pas à tomber dans un état de déperdi- tion des forces , par la perte continuelle des subs- tances alimentaires. Rien de semblable n’a lieu dans la rumination. L’homme , comme les animaux, n’éprouve en apparence aucun phénomène morbide. Au bout d’un temps plus ou moins considérable après les repas, on entend seulement dans le pha- rynx, un léger bruit qui devient plus sensible à mesure qu AE descend , et qu’on a nommé le &c. Le bol alimentaire se présente bientôt à louver- ture du cardia. On le voit successivement gonfler de bas en haut le conduit qui le reporte à la bouche, et cela sans eflorts, sans peine, et pres- n MÉMOIRES. 197 qu’à l’insçu des animaux. Bien plus, c'est que la rumination , au lieu de porter un préjudice notable à la santé, en maintient au contraire la conserva- tion , et que le premier soin du médecin serait de la rappeler, dans le cas où elle aurait été arrètée par le fait d’une affection maladive. $ Ce n’est que vers la fin du dix-septième siècle que la rumination chez l’homme a été plus parti- culièrement observée. Depuis cette époque, les exemples de cette bizarre anomalie se sont repro- duits aux yeux des naturalistes et des médecins, quoique cependant ils ne soient pas tres-fréquens. Peyer , dans une longue dissertation latine sur la mérycologie, a recueilli la plupart de ces faits. Le premier, était un noble, habitant de Padoue ; le second , un moine Bénédictin de la même ville ; celui-ci digérait promptement, avait toujours faim, et mourut de pourriture; le troisième, était un pauvre particulier de Gènes, qui, à l’âge de deux mois, ayant perdu sa mère, fut nourri du lait d’une vache qu'iltétait, et il vécut jusqu'à 50 ans en ruminant toujours ; le quatrième, était un homme de Marienbourg, qui était très-vorace. Il avalait tout d’un coup, et ses alimens s'étant cuits dans son ventricule , il les faisait remonter aisé- ment, et les ruminait à la manière des quadru- pèdes. Le cinquième, était un Suédois qui, demi- heure après ses repas, se retirait dans un coin, pour rebroyer et remächer ce qu'il avait pris. Le sixième , était un Anglais qui, une heure ou deux après avoir quitté la table, ruminait, non sans avoir 158 CLASSE DES SCIENCES. aucun mauvais rapport, comme le précédent. Le septième exemple cité par Peyer, est une jeune fille, qui n’éprouvait aucun plaisir à ruminer. Je pourrais grossir ce nombre d’une foule d’autres faits de rumination, rapportés par les écrivains. Mais, sans surcharger ce Mémoire d’une érudition fatigante, puisqu'elle ne servirait qu'a démontrer ce qui n’est contesté par personne , l'existence de la rumination chez l’homme, je vais vous commu- niquer l’histoire de trois cas qui se sont offerts à mon observation ; chose merveilleuse, car Morgagny et Vésale, dans le cours d’une longue carrière, n’ont pas eu lPoccasion d'observer un seul homme rumi- nant, ni par conséquent d'assister à l’ouverture d'aucun cadavre atteint de cette étrangedisposition. Le premier est relatif au nommé €laverie , de la commune de Grenade , que je vis chez feu M.Tarbès, auquel il était adressé , avec plusieurs de mes col- lègues, et notamment avec M. Cabiran. C’est à la suite de la petite vérole , dont Claverie fut atteint à l’âge de six ans (ilen avait alors vingt), que les premiers phénomènes de la rumination s'étaient manifestés. La mastication était rapide et pressée ; Claverie ne buvait que de l’eau, et environ demi- heure après son repas il éprouvait un malaise dans Ja région épigastrique, qui annonçait le com- mencement de cette fonction. Le jour qu'il fut soumis à notre examen , il avait mangé, devant nous , des œufs sur le plat. Bientôt ses alimens, sans avoir subi en apparence la moindre altération, revinrent dans la bouche par une régurgitation MÉMOIRES. 199 peu pénible , et, mâchés de nouveau pendant un temps assez lons , redescendirent dans l'estomac pour ne plus reparaître , et pour faire place à une nouvelle portion. Claverie fut réformé, pour ce motif, au conseil de recrutement de la Haute- Garonne, et reprit sans difficulté les travaux agricoles, auxquels jusqu'alors il s'était constam- ment livré. Mais, au bout de huit ans, ayant con- tracté un mariage, il vit avec étonnement , le len- demain même de sa consommation , la rumination commencer à diminuer , et disparaître tout-à-fait au bout de huit jours, sans que les autres organes en aient été douloureusement éprouvés. Une remar- que importante, et sur laquelle les aveux de ce jeune homme ne peuvent laisser aucun doute, c’est qu'avant son établissement , il n’avait jamais eu de relations intimes avec aucune femme. Preuve unique, mais bien essentielle à noter, de la grande influence que les organes de la génération exercent sur les principales fonctions de l’économie animale, et des indications nombreuses qu'elle présente au praticien qui lobserve et qui est souvent appelé à la diriger. Le second exemple de rumination existait chez un militaire dont j'ai soigné à Toulouse les der- niers instans, il y a environ trois mois, avec le docteur Tellier. Quelques détails donnés sur ce malade, ne seront point déplacés dans ce Mémoire. Dès sa plus tendre enfance, M. G.... avait reçu de la nature la faculté de se débarrasser des ali- mens qui lincommodaient, sans éprouver aucune 160 CLASSE DES SCIENCES. altération sensible dans les fonctions digestives. Après ce vomissement volontaire, il était libre de manger de nouveau , et il avait un tel empire sur estomac , qu'il pouvait, selon ses désirs, ou selon la demande qui lui en était faite, se débarrasser de telle substance alimentaire, mais sur-tout des noyaux des fruits, de préférence à telle autre in- gérée en même temps. De cette facilité de faire remonter les alimens, à la rumination , il n’y avait qu'un pas. M. G.….. parvint à le franchir, et dès- lors cette habitude devint une seconde nature. Elle le suivit partout où le sort des armes conduisait nos armées, en Allemagne, en Angleterre , en Hanovre, en Espagne , en Portugal : ni les fatigues de la guerre, ni les privations d’une longue cam- pagne , ne purent en changer le cours, et la rumi- nation qui, chez lui , était une véritable fonction, devenait tour à tour pour M. G...., la source d’un plaisir ou d’une peine, suivant que les alimens dont il faisait usage étaient plus ou moins à sa conve- nance. Sa santé, jusqu'alors inaltérable, commença à lui donner quelques inquiétudes, à sa rentrée en France en 1814, après la dernière campagne de Portugal. Soit par l'effet d’une disposition parti- culière, soit à la suite des privations d’alimens et de boissons convenables, tous les signes d’une phlegmasie gastro-intestinale se développerent avec intensité. Des affections morales très- vives vinrent encore ajouter à leur violence, et bientôt M. G.... tomba dans un état de langueur, d’abattement, qui avaient principalement pour - MÉMOIRES: 161 cause le passage de cette inflammation à l’état chronique , et qui fut infructueusement combattu dans les villes où il faisait alternativement sa rési- dence. La rumination fut alors suspendue, ou du moins ne se faisait plus avec régularité. Des vo- missemens de matières d’abord blanchâtres, mu- queuses, puis grisätres, brunes, enfin noirâtres , comparables à de la suie détrempée ou à du sang corrompu, semblaient la remplacer, et s'échap- paient dans des proportions extraordinaires, si on avait égard à la quantité d’alimens qui avaient été avalés. Une douleur épigastrique constante, la rareté, ou mieux, l’absence des évacuations alvi- nes , l’amaigrissement extrême et qui croissait chaque jour , la décomposition successive des traits de la face , laissèrent peu de doute sur le vrai ca- ractère et sur l’issue de la maladie , et nous jugeà- mes que M. G.... succomberait bientôt à une affection cancéreuse du pylore. Sa mort survint en effet quelques jours après, dans le mois de dé- cembre 1829, à l’âge de 59 ans. Comme on le pense bien , nous étions bien dé- sireux de connaître l’état des organes gastriques de cet individu. Nous réclamâmes l’ouverture de son corps, qui nous fut accordée, et nous y re- marquämes les caractères suivans : Le foie, de couleur un peu foncée , est parsemé de quelques taches rougeâtres ; son tissu exempt d’ailleurs de toute altération essentielle. La vési- cule biliaire est plus petite, et contient une faible quantité de bile verdâtre, épaisse et filante. TOME III. PART. I. LUS 1 162 CLASSÉ DES SCIENCES. L’estomac, distendu outre mesure, occupe toute Pétendue de la région épigastrique, et se prolonge dans les deux hypocondres, sur-tout à gauche. La surface extérieure de la grande courbure est blanchâtre. L'intérieur laisse apercevoir une grande quantité de cette matière que le vomisse- ment rejetait, et qui semblait y être sécrétée par la membrane muqueuse dont toute l’étendue est dans un état de ramollissement et d’injection sen- sibles. Le pylore est le siége d’une tumeur squir- rheuse, de deux pouces au moins de longueur sur dix lignes de largeur, et fermant cet orifice de telle manière , qu'il était difficile dy faire pénétrer une plume d’oie. Les intestins grêles sont vides ; les gros intestins, fortement diminués de volume, sont remplis de matières dures et de couleur vert foncé. Les autres organes sont dans l’état sain. Du reste, l'estomac, quoique sujet depuis si long-temps à la rumination , n’offrait aucune disposition phy- sique qui püt en expliquer le mécanisme. Sa ca- vité était simple, et on n’y rencontrait pas même ces resserremens qui s’y observent quelquefois, et le rendent alors en apparence multilobulaire. Le sujet de la troisième observation est par- venu à un âge plus avancé, quoiqu’atteint de la rumination depuis son enfance. Pendant le cours d’une carriere de 70 ans, il a présenté une foule de variations relatives à cette nouvelle fonction qui se faisait sans douleur , et dont la suspension ou le ralentissement était toujours une source d’in- commodités plus ou moins graves. Ce n’est même MÉMOIRES. 165 qu'après son parfait rétablissement que la santé devait son retour à l’état normal. Cependant, vers les dernières années de sa vie, M. B...., habitant de Castres, tomba tout à coup dans une espèce d’anéantissement des forces, dont l’âge seul ne pouvait pas expliquer la perte subite. Des douleurs gastriques se manifestèrent, les éva- cuations alvines furent plus rares et moins abon- dantes , les rapports acides, et Ja rumination ne s’opéra plus avec la même régularité : ce qui tenait sans doute à l’altération générale des tissus orga- niques, et sur-tout à l’usage des alimens liquides qui constituaient presque à eux seuls la nourri- ture du malade. Bientôt la déglutition fut impos- sible, C’est alors que je fus consulté sur son état. Je le trouvai très-grave. Je témoignai à son fils les craintes qu'il n'avait inspirées , et les dangers d’une affection dont je ne crus pas devoir lui dis- simuler le vrai caractère. Quelques mois après, la mort mit un terme à tous les accidens, et l’ou- verture du cadavre justifia malheureusement le diagnostic que j'avais porté, en démontrant l'existence d’un squirrhe très-volumineux au pylore, et une ulcération dans la grande courbure de Pes- tomac, adhérente à la rate, dont le lait d’ânesse que j'avais principalement prescrit comme remède et comme aliment, pouvait seul calmer les souf- frances. Telles sont, Messieurs, les trois observations de rumination chez l’homme qui se sont offertes à mes réflexions. Vous remarquerez qu'à Pouver- Ye 164 CLASSE DES SCIENCES. ture du cadavre des deux individus qui en sont l'objet, on a trouvé un squirrhe au pylore, qui a produit la mort dans l’un, et l’a sans doute pré- cipitée de quelques années dans l’autre. On pour- rait demander quel rapport existe entre cette aflec- tion du tissu de l'estomac, cette transformation carcinomateuse des membranes qui en forment l'extrémité pylorique , et les phénomènes de la ru- mination. Le travail qui servirait à résoudre cette question, ne serait pas un travail inutile. On n’ou- blierait pas sans doute de faire observer que chez l’homme ruminant, l'estomac éprouve des irrita- tions plus fréquentes; qu'il s’y fait à chaque repas une double digestion ; que le pylore sur-tout, vers lequel la pâte chymeuse de la première dégluti- tion est dirigée, est obligé de se fermer avec beau- coup d’exactitude pour lui en défendre le passage, et la forcer à reprendre la voie osophagienne par un vrai mouvement antipéristaltique ; que de cette irritation continuelle résulte nécessairement une inflammation atonique , qui prédispose singu- lièrement les parties qui en sont le siége, au squirrhe et au cancer. Mais, dans l’état actuel de la science, ce travail ne peut pas être entrepris avec succès. Il faut encore observer d’autres faits, les com- parer ensemble , multiplier les ouvertures cada- vériques toutes les fois que les circonstances le permettent, et établir alors, sur des preuves maté- rielles et positives, si réellement la rumination expose ceux qui y sont sujets, aux accidens de la transformation carcinomateuse. MÉMOIRES. 165 OBSER VATION SUR LE DRAGONNEAU °); Par M. DUCASSE #15. Less habitans de l'Inde, les naturels des côtes de Guinée et d’autres pays chauds, sont sujets à une maladie particulière , inconnue à l’Europe, et qui consiste dans la présence d’un ver appelé dragon- neau. Ce ver, désigné par Linnée sous le nom de Gordius Medinensis, paraît tantôtaux pieds, tantôt aux jambes, quelquefois au scrotum, mais rare- ment dans les autres parties du corps. Sa longueur est également très-variable ; elle arrive souvent à quatre ou cinq aunes. La douleur qu'il occasionne, tant qu'il n’est pas arrivé à son point de maturité ( expression dont je me sers pour désigner l’époque où il se prépare à sortir ), cette douleur , dis-je, est à peine sensible. Il peut séjourner cinq ou six mois dans Pintérieur des membres sans que les (1) Dracunculus, vena Medina Arabum , Gordius Medr- nensis. L.... 166 CLASSE DES SCIENCES. malades s’en aperçoivent, et ce n’est qu’à leur retour des grandes Indes, que certains Européens, après y avoir contracté cette maladie, en ont été atteints dans leur patrie. Alors seulement on voit la portion de la peau qui doit lui livrer passage, devenir froide ou chaude, rouge et comme affectée d’érysipèle. Il s'écoule un peu d’eau ou une espèce de pus imparfait à travers la petite ouverture qui permet de distinguer bien- tôt la tête de ce ver, dont M. Chapotin a donné ainsi les caractères. L’extrémité antérieure, légère- ment renflée, offre dans le centre un suçoir sur les côtés duquel se voient deux protubérances arrondies. Le corps, d’un blanc opaque, n’est pas parfaitement filiforme. Il a des inégalités dans différentes parties, et est composé d’anneaux très- courts. Son extrémité opposée est terminée assez brusquement par un petit crochet contractile dont on peut voir les mouvemens. À ces détails d’obser- vation, on peut ajouter que le Dragonneau ne présente pas toujours la couleur blanche dont il vient d’être parlé. Dans le cas qui fait le sujet de cette notice, je l'ai vu avoir une couleur rouge de sang très-prononcée, sans que du reste les phéno- mènes qui avaient annoncé sa formation , offris- sent la plus légère différence. La sortie entière de ce ver est ordinairement fort longue. Ce n’est que peu à peu, en le roulant à chaque pansement autour d’un cylindre de sparadrap , et à mesure qu'il s'échappe ou qu’on le tiraille, qu’on en vient à bout ; et encore même faut-il apporter les plus MÉMOIRES. 107 grands ménagemens, la plus sévère attention dans cette manœuvre, car Je tissu du Dragonneau est très-cassant, et l’expérience a démontré qu’en en laissant, par l'effet de la rupture , une partie dans l'épaisseur des chairs, les souffrances étaient, par la suite, plus aiguës; une collection nouvelle de pus se formait le long de son trajet , et le membre aflecté devenait le siéce d’une inflammation et d’un gonflement qui ne cessaient qu'après son abla- tion complète. Dans les observations de médecine de la Société d’Edimbourg , on lit que les Dragonneaux de Gui- née causent quelquefois des ulcères dans les parties qu'ils affectent, qui peuvent avoir des suites fàcheu- ses, et qu'on a tiré de la jambe d’un jeune homme, dans l'ile Bermude, des portions de ver, jusqu’à la Jongueur de 90 pieds. Amatus Lusitanus dit avoir vu une substance en forme de ver, de trois coudées de longueur, tirée peu à peu pendant plusieurs jours du talon d’un jeune égyptien, à quiellecaueait de grandes douleurs. Avicenne , Lind, le docteur Chapotin , en ont observé de nombreux exemples. Enfin, les sept observations de Dragonneau , ren- fermées dans la clinique de M. Clot, directeur et professeur de l'Ecole de Médecine d’Abou-Zabel en Egypte , témoignent suffisamment deleur existence, ét ne permettent pas de douter qu’elle semble plus particulière à certains climats. Cependant il est plusieurs praticiens recommandables qui n’ont pas à ce sujet une conviction entière : et parmi eux M. Richerand n’a pas craint d'annoncer , « que ce \ 168 CLASSE DES SCIENCES. sont ces concrétions fibrineuses , alongées, retirées des veines variqueuses déchirées, qui ont fait croire à l'existence du Dragonneau. Ce prétendu ver, qui, dit-on, s'insinue sous la peau, et par ses circon- volutions imite les replis d’un serpent, dont la couleur est blanchâtre, et qui, long de quelques pieds , ressemble à une corde de violon , terminée en pointe par les deux extrémités, n’est autre chose qu'une strie fibrineuse, formée par le sang arrêté dans les veines variqueuses. » Cest moins sans doute à la mauvaise foi ou au seul plaisir d’une contradiction de polémique , qu'à la rareté des faits analogues observés en Europe, qu'il faut rapporter une telle assertion. Elle nous prouve seulement avec quelle réserve on doit nier ce que d’autres disent avoir vu, et quelle méfiance Pesprit doit mettre dans les écrits, quand il s’agit de lut- ter contre des faits positifs , quelle que soit d’ail- leurs la difficulté que nous éprouvions à en conce- voir la possibilité. Cest pour corroborer encore ce principe, et mettre sous vos yeux un de ces phénomènes insolites, que je vais vous rapporter les détails de celui que le hasard m'a présenté. M. S.... de Toulouse, âgé d'environ 34 ans, avait fait plusieurs voyages dans l'Inde, sans en éprouver la plus légère incommodité. De retour en France, dans les premiers mois de 1850, et après une traversée heureuse, il ressentit , quinze jours avant son arrivée à Bordeaux, une légère douleur à la partie postérieure et supérieure de la cuisse droite ; qui exista pendant un mois. Alors la tumeur MÉMOIRES. 160 devint plus volumineuse ; on eût dit un furoncle qui s’ouvrit de lui-même , et dont Pouverture laissa s'échapper à linstant trois pouces du ver dragon- neau. Le malade, interrogé sur ce phénomène, raconta qu'il avait été obligé de faire un voyage à pied de Cananor à Pondichery, pendant vingt-cinq milles, sans chaussure, à travers un étang, et de passer à la nage une rivière. Pendant le traitement réclamé par la présence du ver et par le dévelop- pement des symptômes inflammatoires, produits par sa rupture répétée, et peut-être par un trop grand exercice auquel se livrait M. S....…. , lextré- mité inférieure du péroné gauche devint le siége d’une démangeaison et d’une tache cutanée violette, entourée d’un cercle rouge. Une vésicule arrondie, transparente, se forma, et par sa déchirure spon- tanée, laissa passer un second ver par son extré- mité buccale. Un troisième Dragonneau, au bord interne du pied droit, ne tarda point à se manifes- ter, et après avoir subi pendant un mois et demi une médication relative à sa situation, M. S.... se rendit à Toulouse ; portant le germe d’un quatrième ver dans le faisceau interne des muscles jumeaux de la jambe droite. Appelé à mon tour pour lui donner des soins, Jappris du malade tous les détails que je viens d'exposer. Je vis s'ouvrir la dernière tumeur , et un ver s’en échappa, comme c'était déjà trois fois arrivé. Seulement ce dernier était bien plus fili- forme, moins aplati , et sa couleur était d’un rouge sanguin. Les accidens précurseurs avaient 170 CLASSE DES SCIENCES. été également moins intenses , et si le repos devint nécessaire pendant environ douze jours, ce ne fut que pour remédier à une inflammation de la jambe , occasionnée par le troisième ver, placé près de la malléole. Il se rompit en effet dans une des tractions indispensables pour sa complète expul- sion. Mais bientôt des douleurs vives parurent accompagnées de phlogose. Un abcès eut lieu vers le milieu de la jambe, et ne voulant pas attendre cette fois que la nature fit seule les frais de cette ouverture, je pratiquai à la peau une incision d’un pouce , et je vis avec un étonnement que le malade partagea, s'échapper tout d’un coup le reste d'un Dragonneau , dont la longueur avait dix-neuf pou- ces. L’extrémité caudale était parfaitement dessi- née. On y remarquait ce crochet d’une demi-ligne d’étendue qui la termine, et auquel on fait jouer un rôle sans doute imaginaire et que je ne puis comprendre. On a prétendu effectivement qu'à la faveur de ce crochet, le ver contractait des adhé- rences dans le tissu cellulaire , dans les muscles et jusque dans les os eux-mêmes; et par-là, on a expli- qué les difficultés que présente son extraction et la résistance qu'il oppose aux tiraillemens qui, quel- quefois, parviennent plutôt à le rompre. Pour trouver, dans cette disposition , l'explication plau- sible de semblables phénomènes, il faudrait suppo- ser une force bien grande de contraction, non- seulement dans le Dragonneau, maisencore dans le point recourbé qui en termine l'extrémité caudale. Or ce ver ne jouit que de très-légers mouvemens : MÉMOIRES. 171 son crochet est mou et trop peu résistant pour prendre sur nos tissus une adhérence assez forte, et l'office de crampon, dont on veut bien le grati- lier, ne me parait justifié en rien par sa structure anatomique. Si le Dragonneau met beaucoup de temps à sor- tir en entier du sein des parties molles qui le ren- ferment; sil faut multiplier les pansemens et les tiraillemens pour en procurer l’entière extraction , cela tient plutôt à sa longueur, qui est quelque- fois de plusieurs aunes, et sur-tout aux nombreux replis qu'il est obligé de subir pour être contenu dans un espace proportionnellement plus court que lui. Je me suis convaincu en effet, et le malade s’en était déjà aperçu, que Le ver faisait souvent une saillie tortueuse à travers la peau, et se perdait ensuite dans l’épaisseur des parties molles, en affec- tant les mêmes tortuosités. Du reste, la guérison fut achevée après le quatrième ver , et le malade, qui était principalement venu à Toulouse dans l'intention de me montrer un phénomène si rare parmi les Européens, a déjà entrepris un autre voyage dans un état de santé parfaite. La méthode curative du Dragonneau est extrême- ment simple. Elle consiste dans l'emploi des cata- plasmes émolliens dès l'instant que la tumeur paraît. Quand l'ouverture est prête, on saisit la tête du ver en lattachant à un petit rouleau de toile enduit d’un emplâtre; et deux fois le jour on essaie de le dévider sur ce rouleau en exerçant sur l'animal des tractions légères, afin d'éviter sa 172 CLASSE DES SCIENCES. rupture; si elle a lieu, Thion de la Chaume con- seille de mettre de l'huile à endroit où le ver s’est fait jour, et d’en favoriser l'expulsion en trem- pant la partie dans l’eau froide. Loefller indique dans son ouvrage un procédé différent. Il pratique une incision sur le ver même, à l’endroit le plus commode et le plus saillant de la peau. Il passe une sonde mousse sous Panimal , le soulève et le coupe en deux lorsqu'il est trop long pour qu’on puisse en atteindre les extrémi- tés. On roule ensuite chacune des deux portions pour les dévider séparément, en les fixant à une petite planche de bois à moitié fendue. Enfin, d’après le docteur Maruchi , qui a observé cette maladie en Egypte, le traitement du Dragon- neau roule sur lemploi du cautère actuel sur la tumeur , et l'extraction du ver sur un cylindre de bois. Si l'existence du Gordius Medinensis n’est plus aujourd’hui un problème; si des observateurs di- gnes de foi ont suffisamment établi, dans différen- tes contrées, la marche des accidens qui annoncent sa présence, les caractères qui le distinguent , la meilleure méthode d’en déterminer la sortie, il n’en est pas de même de son origine et des causes présu- mées de sa manifestation chez l’homme. Quelques naturalistes pensent que le Dragonneau pénètre dans les chairs au moyen d'œufs très- petits, qui y sont portés par les alimens et par les boissons. Ces œufs sont ensuite fécondés par la cha- leur, et linsecte y prend ainsi sa naissance. MÉMOIRES. 173 M. Dussap, chargé, en 1822, du service médical de l’armée d'Egypte , après avoir soigné à l’hôpital de Souan, plus de 400 individus , fut atteint lui- même du Dragonneau, et croit à sa nature évi- demment contagieuse. Îl cite, entr’autres preuves, observation qu’un grand nombre de chiens errans qui se nourrissaient dans l'hôpital des cataplasmes Ôtés à ces malades , et léchaïent la charpie qui avait recouvert leurs plaies, payèrent , eux-mêmes , tri- but à cette aflection. Cependant la plupart des pra- ticiens pensent que le Dragonneau , quand il est très-petit , s’insinue par les pores de la peau, dans le tissu cellulaire , et peut y rester des mois entiers sans y déceler sa présence. Ce ver vit, en eflet, dans les eaux des fontaines stagnantes, des étangs d’eau vive, des rivières tranquilles. [1 fuit les eaux troubles, putrides , et se montre bien plus rarement dans les pays de plaines que dans les pays montagneux. On le voit pendant les grandes chaleurs de Pété, nager à la manière des anguilles et des serpens , contournant le corps alternativement en sens contraire. Pen- dant l'hiver, ilse cache dans des trous très-profonds qu'il se fabrique dans l'argile des bords de l'eau qu'il habite, ou dans la vase qui en tapisse le fond. Aïnsi, l’on peut concevoir qu’en buvant de l’eau où ces animaux sont enfermés , l’un d'eux peut s'arrêter dans la bouche et y déterminer des acci- dens semblables à ceux rapportés dans la troisième observation de M. Clot. Un nègre, âgé de 12 à 13 ans, fifre dans un régiment , entra à l'hôpital 174 CLASSÉ DES SCIENCES. d’Abouzabel, le 12 mai 1825, avec un gonflement douloureux sur la pointe de la langue ; 1l salivait beaucoup et ne pouvait avaler aucun aliment solide ; les gencives étaient gonflées et saignantes. L'examen attentif des différentes parties de la bou- che conduisit à la découverte d’une petite tumeur fluctuante , située près le frein de la langue. M. Clot fit avec la lancette une ponction qui donna issue à une petite quantité de pus séreux; et dans les efforts auxquels le malade se livra pour cracher, une portion de Dragcnneau en sortit, pendante hors de la bouche, sans se détacher. Il la saisit alors, et retira sans eflort le ver dans toute sa longueur, qui était de 4 pouces. Une fois entré dans le tissu cellulaire à travers les pores de la peau, le Dragonneau peut y rester un temps plus ou moins long sans faire soupçon- ner son existence. Il s'accroît, se développe au milieu de nos chairs, les pénètre même très-profon- dément , occupe quelquefois toute la longueur du membre, et y prend jusqu'à plusieurs aunes d’é- tendue , avant de produire cet appareil de phéno- mènes, ce développement d’accidens inflammatoires qui annoncent son besoin de sortir. Ici, je dois en convenir , ma pensée s'arrête étonnée d’un sembla- ble prodige. Je conçois parfaitement la génération, l’accroissementde certainsanimaux dans des organes creux, dans une cavité humectée sans cesse par un fluide quelconque. Des vers dans des ventricules cérébraux, dans les sinus maxillaires, dans le canal digestif, on bien quand il y a dans notre MÉMOIRES. 179 corps une partie putréfiée, ne me paraissent pas incompatibles avec l’organisation de l’homme. Je puis même expliquer leur séjour prolongé, sans souffrance, sans même le sentiment de leur pro- duction. Mais dans le tissu même de nos membres, lorsqu'aucune séparation n'existe entre les diffé- rentes parties qui les forment, quand tous nos tissus se touchent, se tiennent , s'unissent intime- ment entr'eux, voir se développer, grandir, acqué- rir des dimensions immenses, un corps étranger, venu de lextérieur, bien faible, bien tenu, pres- qu'imperceptible; y passer plusieurs mois néces- saires à sa formation et à son développement ; s'échapper enfin, après plusieurs jours de souffrances et commeà regret , du membre qui la si long-temps conservé ; et cela sans que l'individu en ait la conscience, sans qu’il se doute de l'hôte dangereux qu'il nourrit dans son sein, sans qu'aucune dou- leur se soit manifestée à l’époque de son intro- duction ou pendant tout son long séjour : je le répète, on a de la peine à concevoir des phéno- mènes aussi étranges, et l’on pardonne aisément le scepticisme de ceux qui ont révoqué en doute leur possibilité. Et remarquez bien encore les diMi- cultés qui accompagnent son extraction , les len- teurs et les précautions qu’elle exige, et les acci- dens plus violens qui succèdent à sa rupture. Ce n’est pas ainsi que se conduisent ordinairement les corps étrangers ou les parties mortes qui se détachent de notre corps. Aussitôt que l’ouverture du dépôt qu’ils occasionnent a eu lieu, tout sort 170 CLASSE DES SCIENCES. et s'échappe à la fois. Ici, au contraire, vingt ou trente jours suflisent à peine à l’opération. Le ver semble résister aux tentatives exercées sur lui, bien plus par les tortuosités de ses replis et par la profondeur de sa situation que par Pefflet d’un mouvement contractile et d’une force vitale qui lui sont propres. Il vit pourtant, car il prend de laccroissement, et on le voit facilement à loeil nu, se remuer sous les tractions qu'il éprouve en le retirant , et si l'esprit ne peut pas expliquer son existence et son développement, si les secrets de la production du Dragonneau lui sont encore incon- nus, il n’est guère plus heureux quand il cher- che à se rendre raison des causes qui, à une époque déterminée, en exigent impérieusement la sortie. MÉMOIRES. 7 SUR LA NUTRITION DES DENTS ; Par M. LARREY (Aucusrr). La connaissance approfondie des principaux orga- nes qui servent à l'entretien de la vie, ne suffit pas au médecin observateur qui veut se rendre compte d’une foule de phénomènes qu’il rencontre dans sa pratique. Toutes les parties qui entrent dans la composition du corps humain doivent être soigneusement étudiées par lui, car il est un très- grand nombre d’affections dont létiologie lui deviendrait impossible à expliquer sil ignorait la sympathie et les rapports plus ou moins directs qui existent entre ses différens organes. On a beaucoup écrit sur toutes les maladies qui afligent lespèce humaine, cependant il en est certaines auxquelles des auteurs du plus grand mérite ont exclusivement consacré leurs veilles. Le siècle dernier nous présentait encore sous les ütres de chirurgiens oculistes, de chirurgiens her- niaires, de chirurgiens lithotomistes, de chirur- giens dentistes, de chirurgiens accoucheurs, des hommes qui ne cultivaient que ces différentes branches de la Médecine. Aujourd’hui, grâces aux progrès immenses de cette science, dus aux tra- TOME I], PART, I, 12 178 CLASSE DES SCIENCES. vaux immortels des Desault, des Bichat, des Saba- tier, des Petit, des Dubois, des Percy, des Boyer des Dupuytren et de tant d’autres célèbres prati- ciens, la Chirurgie, proprement dite, west plus subdivisée en autant de classes qu'il y a d'opérations à pratiquer sur le corps de l’homme. Ces grands maîtres, en dirigeant de bonne heure leurs élèves dans l'étude de l’art de guérir, en réunissant la pratique de la médecine à celle de la chirurgie, qu'un préjugé, aussi ridicule que fatal à Phuma- nité, avait trop long-temps séparées , et en simpli- fiant les manuels opératoires, ont rendu un service éminent à leurs semblables, et ont bien mérité de leur reconnaissance. Toutefois, une de ces parties de l’art de guérir, que je viens de signaler, est exercée encore aujourd’hui d’une manière spéciale, par des hommes qui dirigent toutes leurs études vers ce seul point, et qui ne leur permet guère, par l’état sédentaire qu'elle réclame , de se livrer à des travaux d’un autre genre ; je veux parler de l'odontechnie où de la chirurgie des dents. Cest donc dans ce champ si fécond en observations, et qu'ont exploité avec un si grand succès, Fauchard, Dubois, Foucou, Gariot, Lemaire, et sur-tout M. Duval , que je vais m’eflorcer de glaner quel- ques instans, uniquement pour remplir envers l'Académie le devoir qu’elle n’a imposé. Je dois, à la vérité, déclarer ici que c’est dans des relations toutes amicales avec le modeste M. Camel , dentiste de cette ville, que j'ai puisé les faits importans dont je vais m'occuper. Les MÉMOIRES. 179 expériences auxquelles nous nous sommes livrés, et que la très-grande pratique de cet homme , pro- fondément versé dans son art, nous a permis de multiplier, m'ont convaincu combien sont erronés certains principes qu'un examen trop superficiel avait fait adopter jusqu’à ce jour. On n’ignore pas que toutes les parties qui cons- tituent le corps de homme présentent un combat perpétuel entre la vie et la mort, dont issue est toujours en faveur de cette dernière. Aussi, quelle que soit leur vitalité, sont-elles sujettes à des mala- dies particulières, et elles résistent d'autant plus à l'élément destructeur qui ne cesse de les atta- quer , que leur organisation est moins compliquée. Les cheveux, par exemple, que leur composition épidermoïde rend insensibles dans Pétat physiolo- gique, jouissent de plusieurs degrés de sensibilité animale, relativement aux causes qui la dévelop- pent. Tout le monde sait qu’ils se hérissent dans certaines circonstances, dans la colère, la frayeur, ou bien lorsqu'on a froid à la tête; que dans la pli- que polonaise, ils deviennent très-douloureux par Vaugmentation du fluide visqueux qu'ils renfer- ment habituellement, et par ia dimension qu’ac- quiert leur diamètre. Les ongles, par une confor- mation vicieuse, peuvent devenir la cause de graves accidens, au point que quelques célèbres chirur- giens (1) ont publié tout récemment des méthodes de traitement qui ont jeté Le plus grand jour sur (1) Le baron Larrey. 180 CLASSE DES SCIENCES. ces sortes de maladies. Les dents, qui présentent tant d'intérêt par leur structure, leurs rapports, leurs usages et l’état pathologique dont elles sont le siége , ou qu’elles déterminent sur d’autres par- ties, et qui vont nous fournir des réflexions qui éclaireront , peut-être , quelques points de la science, ou du moins, serviront à corroborer des opinions qui ne sont pas encore généralement admi- ses ; tous ces corps, en apparence inertes, subissent la loi commune, et leurs différens élémens se décomposent successivement, quelques-uns plus tard que les autres. Mais sans aucune autre digression, je me hâte d'aborder le sujet de ce Mémoire. Les dents, ces corps durs qui bordent les deux mâchoires, ne sont pas seulement utiles pour la mastication et le broiement des alimens , elles ser- vent encore à la prononciation, et font le plus bel ornement de la figure humaine par leur régu- larité et leur blancheur. Elles concourent à indi- quer, dans l'état de santé, la constitution ou le tempérament du sujet; et dans l’état de maladie, elles offrent quelquefois des signes qui déno- tent la nature des affections. Ainsi , les dents épais- ses, fortes, cohérentes avec des gencives vermeilles, bien proportionnées , d’un bel émail blanc d'ivoire, bien poli, et sans aucune trace de mucosité ni de tartre, annoncent une bonne santé, une forte com- plexion.[’émailest-ilterne et se carie-t-il prématuré- ment ? C’est un indice d’une diathèse scrophuleuse ou dartreuse, ou bien le résultat de l'abus des MÉMOIRES. 181 acides, du sucre par exemple. Aussi voit-on rare- ment les confiseurs et les autres personnes obligées par leur profession à déguster souvent ces sortes de substances , avec des dents saines : presque tous les ont noires et privées de leur émail. La même remarque s’observe chez les enfans lorsque dans leur bas âge on leur donne beaucoup de sucreries. Dans les fièvres catarrhales, les fièvres gastri- ques sur-tout, on aperçoit un enduit blanchâtre et glutineux sur les dents. Dans les fièvres adyna- miques ou malignes cet enduit devient gris, brun, noirâtre et enfin fuligineux , et s'attache fortement à leur extérieur. Hippocrate observe que lorsque dans une ophtalmie ou une otalgie, il survient un grand mal de dents, ces maladies cessent ou diminuent considérablement, et vice versé. Il est encore une infinité d’autres remarques que Von pourrait faire sous le rapport de la séméroti- que , mais cela nous écarterait du but proposé... Tous les anatomistes , en s’occupant de la structure des dents, avaient considéré, et de nos jours encore beaucoup d’entr’eux pensent que leurs racines et la partie qui se trouve immédiatement au-dessous de l'émail sont de nature osseuse , et leur conservent ce nom impropre. D’après Hunter et M. Cuvier, les dents contiennent bien , chimiquement parlant, les principes constitutifs de tous les os, le phos- phate calcaire et la gélatine, mais c’est relative- ment à leur développement et à leur nutrition, disent-ils , qu’elles différent des autres os du corps humain. À quelle classe que ceux-ci appartiennent, 182 CLASSE DES SCIENCES. aux os longs, aux os courts ou aux 05 plats, tou- jours voit-on dans leur formation primitive le rudiment du cartilage qui devient ensuite osseux par Le dépôt successif du phosphate de chaux. On peut décomposer les os, séparer la gélatine du phosphate calcaire, et après les avoir ainsi dépouil- lés de leur solidité, il est facile de les diviser par mailles en suivant la direction de leurs fibres, qui étaient primitivement celluleuses; tandis que la par- tie osseuse ou plutôt livoire de la dent est tellement compacte qu’on ne peut obtenir le même résultat. Toujours, d’après l’opinion de M. Cuvier et d’au- tres anatomistes, cette portion de la dent n’a ni pores ni suc médullaire; mais nous reviendrons bientôt sur ce point lorsque nous aurons développé notre opinion sur la nutrition des dents, et nous démontrerons , peut-être, que l’on n’a pas examiné avec assez d'attention la distribution des vaisseaux nourriciers avant d'émettre une telle assertion. Toutes les dents sont divisées en racine, col et couronne. La racine est la partie de la dent implan- tée dans l’alvéole ; le col est une sorte de rétrécisse- ment qui sépare la racine de la couronne ; et celle- ci est la portion de la dent qui est hors la cavité alvéolaire, et qui se trouve recouverte par l'émail. Le nombre des racines, ainsi que la forme des couronnes varient relativement aux classes des dents ; mais comme nous ne faisons pas un traité sur la dentition, et que tous ces os sont identiques quant à leur manière de se nourrir et de se déve- lopper, j'observerai que ce que je vais dire sur les MÉMOIRES. 183 dents simples et à une seule racine; se rapportera à toutes les autres classes de dents. Dans intérieur de chacun de ces os, on aper- çoit une cavité destinée à loger les noyaux pul- peux ou la substance sélatineuse , laquelle se trouve à son tour enveloppée par une tunique mince qui n’adhère pas cependant d’une manière tres-intime à la paroï osseuse, Cest cette substance qui est pénétrée par l'artère, la veine et le nerf, vaisseaux qui se confondent avec elle, et qui passent de lalvéole dans la dent, par le trou de la racine. Voilà, en peu de mots, les généralités qu'il était nécessaire dénoncer , pour être compris dans lex- plication que je vais donner sur la nutrition des dents, objet spécial de ce Mémoire. x Nousvenons dedire , d’après les anatomistes mo- dernes , que les vaisseaux sanguins et le nerf péné- traient par le canal dentaire dans le calice de cha- que dent, et là se confondaient avec le noyau ou la pulpe; que chaque racine ne présentait qu’un trou pour le passage de ces vaisseaux; que l’ivoire de la dent wavait ni pores, ni suc médullaire ; enfin , ajoutent les auteurs, ce sont des couches intimement appliquées les unes sur les autres , formées successivement , et durcies chacune au moment de sa formation , qui caractérisent la partie osseuse des dents. Mais sil en était ainsi, si ces corps n'étaient pas continuellement alimentés par leflet de la circulation , si les artères ne pénétraient dans leur intérieur que pour se confondre avec la pulpe, et 184 CLASSE DES SCIENCES. la nourrir sans former des anastomoses entr’elles ; comment expliquer leur vitalité et tous les phéno- mènes que présente leur état pathologique ? Fau- dra-t-il les mettre au rang de ces minéraux, de ces corps bruts qui augmentent et s’accroissent par juxta-position et par l'influence toute-puissante des lois de laffinité à laquelle ils sont soumis pour leur formation et leur origine ? Ces idées se trouvent entierement renversées par des faits qu'il suffit d'exposer pour se convain- cre de leur futilité. Et d’abord nous avançons, contre l'opinion généralement admise, que les vaisseaux sanguins et le nerf ne pénètrent pas uni- quement par la seule ouverture qui commence le canal dentaire, mais qu'avant l'introduction de leurs troncs principaux ils se divisent en forme de bouquet pour £e distribuer, dans les interstices des lames osseuses , où ils forment des anastomoses qui portent la nourriture nécessaire à toute la dent. Pour se convaincre de cette vérité, il faut exa- miner une dent immédiatement après son extrac- tion , alors sur-tout que l'opération n’a été prati- quée que quelque temps après une forte fluxion. Dans ce cas, on voit très-manifestement, à l’œil nu, l'extrémité de la racine parsemée de petits points rouges et saignans qui indiquent la rupture des vaisseaux au moment où ils pénétraient dans la portion osseuse , et si lon se sert d’un instrument microscopique, cette racine offre une infinité de pores que l’on peut comparer aux ouvertures des MÉMOIRES. 18 conduits excréteurs qui environnent la papille ou le mamelon de la glande mammaire. Dèés-lors il n’est pas difficile d'expliquer com- ment se nourrissent et se développent ces corps durs, quoique beaucoup plus compactes que les autres os du corps humain. Une autre remarque très-importante et qui confirmera ce que nous avançons , c’est la couleur que présente la dent immédiatement après son exérèse de l’alvéole; plus l’engorgement des vais- seaux a été considérable pendant Pinflammation dont ils ont été le siége , et plus cette couleur est d’un rouge vif, et cela par la plus grande quantité de sang qui y pénètre. Si l’on casse ensuite cette dent, son intérieur offre le même phénomène, sur-tout à la circonférence de sa cavité. Mais vingt- quatre heures après , toutes les traces d’une circula- tion capillaire ont disparu,et avecellesles ouvertures qui donnaient passage aux petits vaisseaux. Enfin, si lon met à nu le canal dentaire sur une dent récemment extraite, et que l’on y introduise un stylet de manière à refouler , en les comprimant, les vaisseaux qui sy trouvent , on voit aussitôt des gouttelettes de sang apparaître au sommet de la racine et former une sorte de diapédise ou de transsudation sanguine. Ces expériences dont il est facile de se convain- cre, et auxquelles n’ont pas songé les auteurs qui ont écrit sur la nutrition des dents, prouvent jus- qu’à la dernière évidence que ces os se nourris- sent de dehors en dedans, et que la pulpe ou la 186 CLASSE DES SCIENCES. partie gélatineuse n’est pas ce qui constitue unique- ment le principe vital de la dent. Une seule obser- vation fera mieux comprendre ce que je viens d'avancer. M. B**, un des principaux employés de l'administration générale des hospices de cette ville, était atteint, il y a environ 4 ou 5 ans, de cette maladie des dents que l’on appelle wsure ; c’est-à-dire que par la disposition de ses mâchoi- res et le frottement continuel des incisives et des canines d'en haut avec celles d’en bas, leur cou- ronne présentait un amincissement tel, que cet individu éprouvait des douleurs excessivement aiguës par le contact de l'air froid ou des boissons froides sur le noyau pulpeux. Pour obvier à cet inconvénient sans priver le malade de ses dents L M. Camel, qui a bien voulu me communiquer ce fait, détruisit par le fer rouge toute la partie pul- peuse, et à l’aide de l'ouverture faite par le cautère actuel, il remplit exactement la cavité de la dent, de plomb laminé; de sorte que si la substance gélatineuse eût seule fourni à l'entretien de ces os, ils se seraïent , pour ainsi dire, atrophiés , et deve- nant corps étrangers, ils n'auraient pu continuer à remplir les fonctions auxquelles la nature les a destinés. Mais, bien au contraire , M. B*** se sert, depuis cette époque, de ses dents comme avant sa maladie , seulement leur sensibilité animale a con- sidérablement diminué, comme nous lexpliquerons tout-à-l’heure. Nous disons que dans les odontalgies aiguës , les vaisseaux nourriciers augmentent de calibre; c’est MÉMOIRES. 197 un fait dépendant de toute inflammation, et qui explique la possibilité de ces hémorragies deve- nues mortelles dont parlent quelques médecins , entr’autres Bohnius et Arnaud Gilles. Ces auteurs citent deux cas de mort survenue en peu d'heures chez deux jeunes personnes bien constituées , à la suite d’hémorragies, après l’extraction d’une dent molaire. Mais il faut convenir aussi qu'une négli- gence bien coupable a causé la perte de ces indi- vidus , et qu'aujourd'hui la chirurgie a des moyens efficaces pour prévenir de pareils accidens. Si, d’après tout ce qui précède, on est convaincu que les dents se nourrissent de dehors en dedans, par la pénétration des vaisseaux sanguins dans les interstices de leurs lames, 1l ne faut pas perdre de vue que, semblables aux autres os, leur périoste leur envoie encore d’autres vaisseaux qui, proba- blement avec les premiers, doivent former des anastomoses et concourir à leur nutrition. Revenons un instant sur le tronc principal de ces vaisseaux, pour nous rendre raison de la ma- nière dont se nourrit l’émail ou la substance vitrée, car jusqu'à présent nous n'avons parlé que de la portion osseuse de la dent. En admettant ce prin- cipe incontestable, que toutes les parties du corps humain jouissent d’une vitalité plus où moins marquée, Pémail ne peut pas faire exception à cette règle générale. Nous prouverons effective- ment tout à l’heure par une des propriétés ani- males de cette substance ( la sensibilité), qu'il en est ainsi... Les anatomistes, tant anciens que mo- 1 88 CLASSE DES SCIENCES. dernes, ont considéré la pulpe ou la moelle des dents, comme le lieu où vont aboutir et se con- fondre tous les vaisseaux nourriciers et les autres parties constitutives de ces os, comme mortes et inertes ; aussitôt qu’elles étaient développées. Cette erreur provient de ce qu’ils n’ont pas examiné avec assez dattention les ramifications et les sub- divisions des vaisseaux dentaires. Nous, au con- traire, nous pensons que ces corps, y compris Pémail, quoique d’une nature encore plus com- pacte que Pivoire, vivent et se nourrissent au moyen dune circulation artérielle ; nous croyons que de l’intérieur du canal dentaire sortent des ramuscules qui se dirigent vers la couronne, et alimentent toute cette partie. Si l’on prend, en eflet, une dent incisive ou canine récemment arrachée, que lon donne trois ou quatre coups de lime à la face buccale ou in- terne de sa couronne, de manière à enlever seule- ment la couche la plus superficielle de Pémail , ou voit une infinité de pores qui ne peuvent servir à autre chose qu’à loger les vaisseaux nourriciers ; il en est même qui sont tellement apparens, qu’on peut y introduire de très-fines aiguilles. Mais ce n’est pas assez que l’émail se nourrisse par des vaisseaux qui lui parviennent de dedans en dehors, il en reçoit encore d’autres qui lui vien- nent de dehors en dedans, et qui sont la conti- nuation de ceux qui alimentent la portion osseuse des dents; c’est ce qui explique, dans observation de M. B***, pourquoi il a conservé, non pas la MÉMOIRES. 189 même sensibilité qu'avant l'opération, mais, comme il nous la dit lui-même il y a peu de jours, cette impression qui est bien différente de celle qu’occa- sionnent les dents artificielles , implantées au moyen dun pivot, dans une racine des dents. Cette manière d'expliquer la nutrition de ces os est si bien en rapport avec ce que nous démon- tre chaque jour lobservation, que tous les faits que nous présente celle-ci ne servent qu’à la con- lirmer. Supposons, par exemple, que les auteurs aient dit vrai, que les dents une fois développées soient des corps morts, inertes, et semblables à des clous enfoncés dans une planche : qu’arriverait- il? nécessairement ce qui arrive à tout corps étranger ; elles se trouveraient expulsées bien long-temps avant le terme fixé par la nature, soit par leur propre poids, soit par l’action des organes ; elles ne seraient pas susceptibles de se consolider après leurs fractures, comme les autres os, et les phénomènes pathologiques dont elles sont le siége, et que l’on ne peut révoquer en doute, ne se dé- velopperaient pas. Ceci nous conduit naturellement à dire un mot sur la transplantation des dents, opération qui a eu et qui a encore de nombreux partisans, et qui con- siste à remplacer une dent cariée par une dent saine, prise chez un autre sujet, ou bien à repla- cer dans la même alvéole une dent que par erreur on croyait gâtée. Depuis Ambroise Paré, surnommé, à juste ütre, Le père de la Chirurgie française, jusqu’à 100 CLASSE DES SCIENCES. nos jours, des hommes du premier mérite ont écrit sur cette opération, qui a été préconisée et combattue tour à tour avec des avantages tels , qu’on serait encore dans le doute, si l'expérience n'était venue détruire les échafaudages plus ou moins ingénieux sur lesquels elle s’'étayait. En effet, on trouve dans les ouvrages des anciens auteurs ,: et notamment dans ceux d’Ambroise Paré, de Lamotte, de Carmeline, de Pierre Fauchard, une foule d'observations conformes à l'opinion que ces chirurgiens s'étaient faite de la réussite de la transplantation. Quelques dentistes modernes , en première ligne desquels nous placerons M. Duval, sexpri- ment, à la vérité, avec moins d'assurance, mais laissent entrevoir la possibilité d’une telle opéra- tion , lorsque les conditions suivantes peuvent être remplies. Pour l’entreprendre avec succès , il faut, disent-ils, 1.0 Que lalvéole dans laquelle on veut implan- ter la dent, soit saine, et ne présente aucune frac- ture, ni abcès, ni fistule ; 2.0 Que la racine de la dent que l’on substitue à une autre , soit d’une conformation semblable ; 3.0 Que l’alvéole soit un peu plus large et un peu moins profonde que ne le demande le volume de la racine de la dent qu’on entreprend de placer; 4.° Que la personne qui désire avoir une dent transplantée, ne soit pas trop jeune, ni sujette aux maladies, ni avoir d’autres mauvaises dents ; MÉMOIRES. 101 9. Que celui qui vend la dent soit parfaitement sain ; 6° Enfin , ne rien négliger pour éviter l’irrita- tion et les abcès qui succèdent parfois à la trans- plantation. Nous citerons encore, au nombre des chirurgiens modernes qui croient à la possibilité d’une telle opération , M. Fournier , un des savans collabora- teurs du Dictionnaire des Sciences médicales. Voici de quelle manière il s'exprime à la page 386 du huitième volume de cet ouvrage : «Je m'en décla- » rerals le partisan , si je n'étais profondément af- » figé, indigné même, lorsque je pense qu’elle ne » peut avoir lieu qu'au moyen dun outrage fait » à l'humanité , par le plus détestable égoisme. » Car celui qui, au moyen de la transplantation, » remplace la dent qu’il vient de perdre, ne fait » cette acquisition qu'aux dépens de la mutilation » de son semblable, L'argent et l'or qui servent à » payer le sacrifice, équivalent-ils à la perte de » l’organe dont on prive le malheureux qui consent » à le céder ? De quel droit le riche ose-t-il le Jui » demander? De quel droit le vendeur lui-même » peut-il céder un bien que la nature lui avait » ordonné de conserver en le lui donnant? » Cependant, tout en émettant cette opinion , M. Fournier ne croit pas, comme les anciens, que la nouvelle dent conserve son état de vie , et fasse partie du corps de lindividu chez lequel elle est transplantée , aussi parfaitement que ses dents naturelles. 102 CLASSE DES SCIENCES. Enfin, il est d’autres personnes qui affirment, dans leurs écrits, avoir arraché des dents qui oc- casionnaient de très-vives douleurs, avoir fait dis- paraître la carie dont elles étaient atteintes , les avoir replacées dans la même alvéole, et assurer qu’elles y avaient pris une nouvelle vie, puisque deux ou trois ans après, disent-elles, un second arrachement avait été reconnu indispensable par le développement et les progrès qu'avait faits une nouvelle carie. Tous ces raisonnemens et ces faits mal observés, pour ne pas leur donner une autre qualification, sont estimés aujourd’hui à leur juste valeur. Le célèbre Dionis est le premier chirur- gien qui se soit élevé contre la transplantation des dents, à cause, dit-il, des accidens graves que cette manoeuvre développe tôt ou tard. En ellet, com- ment croire qu’un corps étranger puisse se trouver en contact avec le périoste qui tapisse l’intérieur de l’alvéole, sans déterminer un centre de fluxion continuel qui provoque des abcës, dont la plupart se font jour à travers la membrane muqueuse des gencives : et si l'expérience nous démontre très- souvent que la personne chez laquelle on a em- porté toute la couronne d’une dent, pour ensuite faire servir la racine à limplantation d’un pivot portant une dent artificielle; si, dis-je, cette per- sonne est obligée à renoncer au bout de quelques années à l'avantage que le dentiste lui avait pro- curé, et cela par la mortification de la racine, qui, ne recevant plus de sucs nourriciers , est devenue corps étranger et la cause de tous les symptômes MÉMOIRES: 199 Mmorbides qui se déclarent ; à fortiori , que ne doit- il pas arriver aux sujets qui ont subi la transplan- tation, alors même qu’il serait possible, pour la pratiquer avec avantage, de rencontrer les cinq conditions que recommande M. Duval, et dont je viens de parler ? Ce serait abuser du temps que m’accorde J’Aca- démie, que de réfuter plus longuement une doc- trine que désavouent tous les principes physiologi- ques. Les dents privées de la vie subissent la même loi que les autres os du corps humain frappés de nécrose ; Cest-à-dire, qu'après uh certain temps, elles se trouvent expulsées au dehors, par l’action des organes et des forces vitales dont elles sont ani- mées. Mais comme ces os, dans l’état physiologique, sont assimilés à tous les autres organes, comme eux aussi 1ls jouissent de cette propriété ani- male, connue sous le nom de sensibilité. Aussi les auteurs qui ont nié leur vitalité, pour être consé- quens avec leur raisonnement, ont avancé que les dents, ainsi que leur émail, étaient insensibles. D’après leur théorie, il n’y a que la pulpe ou noyau qui soit doué de cette propriété, et ils ont expliqué Vagacement des dents, une sensation développée d’abord sur les gencives par le contact de quel- ques acides,transmise sympathiquement au noyau pulpeux. Mais, encore ici, expérience vient don- ner un démenti à cette opinion. L’agacement des dents n’est autre chose que le produit de lexal- tation de la sensibilité de l'émail, et, suivant l’ex- pression de M. Duval, le premier degré de la 9 TOME II, PART. I 19 i94 CLASSE DES SCIENCES. douleur ressentie par cette substance. Cela est si vrai, que pour développer ce sentiment incom- mode, il suffit de frotter. les dents avec un acide , en ayant la précaution d'en garantir les gencives, tandis que chez la même personne , et avec le même moyen, on frictionne vainement les gencives; si l'acide ne touche pas les dents, lagacement n’a pas lieu. Une autre expérience bien concluante en faveur de la sensibilité des dents, est l'impression du froid et du chaud sur ces parties. Il n’est per- sonne qui n’ait éprouvé Pune et l’autre de ces sen- sations , soit en prenant, dans lété, des boissons à la glace, soit en mangeant , dans une saison con- traire, des alimens très-chauds. Dans ces cas, l'impression qui résulte de ces causes diverses est bien plus sensible sur les dents que sur la langue et l’intérieur de la bouche; ce qui nous fait croire que ces corps , que l’on voudrait considérer comme inertes, jouissent en réalité d’une somme plus grande de sensibilité que les autres parties mem- braneuses de la bouche. Si lon prend effectivement un dez à coudre , et qu’on le remplisse d’eau bouil- Jante, on le supportera quelques instans sur la langue, sans en ressentir une douleur bien vive, tandis qu’en Pappliquant sur la couronne d’une dent , la sensation sera des plus violentes, pourvu toutefois que la dent sur laquelle on expérimente, soit dans un état physiologique. Mais si la vitalité de cette dent a diminué en raison des vaisseaux nourriciers qui auraient été détruits, comme chez M. B***, alors la sensibilité animale de ce corps MÉMOIRES. 1099 se trouvera émoussée, relativement à la perte de nutrition qu'il aura éprouvée. Cest précisément cette exaltation de la sensi- bilité des dents, qui détermine souvent des mi- graines, des otites ou des ophtalmies, au point que l’on est forcé d’en venir, dans quelques cir- constances, à l'extraction, sans que ces organes présentent aucune apparence de carie. Hilden chez les anciens, et J. L. Petit, en citent plusieurs exemples. Je crois en avoir dit assez sur un sujet qui n’est pas sans intérêt; je terminerai par les corollaires suivans, auxquels ces réflexions ont donné lieu. 1.0 La partie osseuse ou l’ivoire de la dent, quoique d’une substance plus compacte que les autres os, renferme des pores pour laisser circuler les vaisseaux nourriciers. 2.2 Ces organes reçoivent des artères qui leur viennent de dehors en dedans, soit de leur pé- rloste, soit par les trous pratiqués aux racines, et d'autres qui leur viennent de dedans en dehors ; c’est-à-dire , qui partent de l’intérieur du canal dentaire , et se dirigent du centre à la circon- férence. 3.° Les dents se nourrissant comme tous les autres os du corps humain, deviennent de véri- tables corps étrangers lorsque la vie les aban- donne , et ne peuvent pas rester long-temps dans leurs alvéoles , sans occasionner des accidens plus où moins graves. 4° La transplantation des dents doit être aban- 100 CLASSE DES SCIENCES. donnée , comme immorale , nuisible ; et sans aucun résultat avantageux. 5.0 Ces os jouissent , dans leur état physiologi- que, de la sensibilité animale, propriété qui est Vapanage de tous les corps organisés ; l’agacement en est une preuve. 6.° Enfin , cette sensibilité peut être exaltée au point de produire sympathiquement des maladies dont la cure dépend de l'extraction de la dent qui en est le siége, car, caus4 sublaté ; tollitur effectus. FIN DE LA 1.'® PARTIE DU TOME d. en re ee re rs PL.1.bis. “re De ne ee \ JS TABLE DES MATIÈRES. À vERTISSEMENT.. . .................... v Etat des Membres de l’Académie en 1834. ix Sujets de Prix proposés par la Classe des SERGE EEE Romero NAS XVI} PREMIERE PARTIE. HISTOIRE ET MÉMOIRES DE LA CLASSE DES SCIENCES. PREMIÈRE SECTION. HISTOIRE. Analyse des travaux de la Classe pendant les années 1828, 1829, 1830, 1831, 1092:eL09 9. euh Alu augignu soft 21 Solution de deux problèmes de géométrie, par D Rome RE ER ANR Ste nee 22 Dissertations relatives à l'hydraulique, par M. »’Au- DÉOSSONEE Eee er de 24 Intensité du froid pendant l'hiver de 1829 à 1830, par M. Save, Correspondant.............,. 25 Puits artésiens, par M. CagrrAN.............. 29 Observations thermométriques faites dans le puits artésien , creusé à Toulouse, par MM. Borser- RAT) CUIBOUBÉ ES she 4 ose les eue ec sat 3: 108 TABLE Sur les eaux des puits en général, et examen chi- mique d’un puits creusé dans l'enceinte des bäti- mens de l'Ecole d'artillerie, à Toulouse , par le Recherches sur les silex pyromaques, par M. le Colonel VER PEAT. PRE... R ee RAT, Note sur les cavernes à ossemens de la vallée de la Cesse, et observations sur les ossemens humains et les objets de fabrication humaine , confondus avec des ossemens de mammifères terrestres , appartenant à des espèces perdues , par M. Tour- NAL, Correspondant, ..................... 52 Quelques réflexions sur les ossemens humains fossiles , par M. le Marquis DE CHESNEL............. 63 Terrain de transport toulousain, par M. Tourxaz, Correspondant.................. rep Te 72 Sur les tissus simples des végétaux, par M, le Baron Isidore Prcor DE LAPEYROUSE.............. "4 Sur les parties dures des animaux invertébrés, par M. le Colonel Duruy...... PETSDE-e ut e 100 Devoirs de l'opérateur en chirurgie, par M. Du- GASBE "en pates De es picla pp ee ofg aie pie © sisi eir) « 92 Effets des passions sur le physique de l'homme, par M. Auguste LARREY...................... 93 Sur le cancer, par M. Ducassr............... 96 Réflexions sur la menstruation, par M. Auguste LARREV ct. ee else ec sJonupue 197 Sur l'allaitement, par le même................ 99 Hernies étranglées, par le même............:. 100 Sur les eaux de l’amnios, par M. Ducasse...... 102 Injection de la veine ombilicale , par M. J. HariN , Correspondant. ............... A. LAID 109 Observations sur le choléra , par M. ne Moxr8ec. 107 DES MATIÈRES. DEUXIÈME SECTION. MÉMOIRES. Probléme de geométrie descriptive, par DRRCANTIER sels ae de enelo doute RTE Considérations sur un système particulier daxes, par M. VAUTRIER..... tree Observations sur les roches volcaniques des Corbières, par M. Tournan, Corres- poudant. 1-2 2e Poe Notice sur deux hippurites (orthocératites de M. de Lapeyrouse), par M. le Colonel Dévs. 5% LA ee PACE TEE BAIN De la rumination chez l’homme , par M DUCASSE ce etais RSR ae Observation sur le dragonneau, par le méme. Sur la nutrition des dents, par M. Auguste FIN DE LA TABLE. HO J1I 117 127 pl LICE msi on.) É ee fi LA jt me nr nn ans de LUE AS | N EL] . f MA Ve . »'e- ‘ y h #5 C0 =" Fa Fa 4 < . vu DEA HEPNCS PAU AT. LT l PA arts dre est in + AE LA Pate Liu ANR pr 4 D AR TE Le D Œu > PEUR pe M" T11 #1 14 Ên: tes SA HISTOIRE ET MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES, INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES DE TOULOUSE. 7% : : : { { A in LL: LE ss Pi On L N“ r | >: F | | oi nor + amor. sa À saV0au0r Ta à HISTOIRE ET MÉMOIRES DE L'ACADEMIE ROYALE DES SCIENCES, INSCRIPTIONS ET BELLES-LEFTTRES DE TOULOUSE. ANNÉES 1828, 1829, 1830, 1831, 1852, 1833. TOME TROISIÈME. 2.€ PARTIE, TOULOUSE, IMPRIMERIE DE JEAN-MATTHIEU DOULADOURE, RUE SAINT-ROME, N.° #41. 1 85 4. di me 220100 ae Leu de MES Joéur ess sat vanne © + ve 0 AMATÉlONT AMOT ©, C2 . MTAAT 5e m7 CE ee | : » 4.2 LAN Dee # uoavor Metu-n/Ar ka aatetaue à à - es 7 : ‘ LT sens RTE L1E bas SUR L’ÉTUDE DES SCIENCES HISTORIQUES, A TOULOUSE. Lorsqur l'Académie de Toulouse, constituée depuis long-temps en Société libre des Sciences, sollicita la faveur d’une institution royale, les Magistrats municipaux demandèrent au Ministre qu'on adjoignit à ce corps une section qui, sous le titre de Classe des Inscriptions et Belles- Lettres, s’occuperait spécialement de la littéra- ture ancienne, de la recherche des monumens, et qui rédigerait de nouveau et continuerait les Annales dela ville. Le Gouvernement accueillit favorablement le vœu des Capitouls, et une portion de l'Académie cultiva les Langues sa- vantes et les sciences historiques, avec des suc- cès non contestés. Elle offrit des sujets de prix relatifs à l’his- toire et aux antiquités du pays; l'abbé de Guasco, Roudil de Berriac, et quelques autres savans furent couronnés. À cette époque où le sentiment d’une natio- nalité méridionale vivait encore dans tous les cœurs , où quatre Cours souveraines protégeaient v] les peuples du Midi, où nos États provinciaux s’occupaient, chaque année, du bonheur des ci- toyens, de la richesse et de la prospérité du pays, on savait aussi honorer les talens, récompenser les grands services, et conserver la tradition des vieilles gloires du passé. Des hommes illustres avaient d’ailleurs fait naître dans ces belles con- trées Le goût de ces recherches savantes, qui rap- prochent des temps présens les anciennes épo- ques, qui retirent de l'oubli, qui rendent en quelque sorte à la vie tout un monde qui n’était plus. Peiresc, dont l’érudition étaituniverselle, exercasur son siècle une influence remarquable, et ce grand homme n’abandonnant point sa ville natale pour aller rechercher au loin une gloire éphémere , fixa sur la Provence les regards de toute l’Europe. Marca vivait à peu près à la même époque, et, sans avoir mérité une illustration pa- reille à celle de Peirese, il fut l’une des lumières de son siecle, etsa mémoire est encore honorée, Catel l'avait devancé. Dom Bernard de Montfau- con était originaire du Languedoc, etson nom rappelle tout ce que l’érudition a produit de plus grand parmi nous. C’est dans une bourgade, peu éloignée du berceau de Montfaucon, que naquit Dom Martin, autre savant Bénédictin de la con- grégation de saint Maur. L’illustre historien de Nimes , Ménard; Séguier, dont les découvertes vi] archéologiques et les travaux sont célèbres en- core, étaient nés dans le Languedoc , ainsi que Dacier.Sanadon, dans le pays des Escualdunac, Fossa, dans le Roussillon, ont de même, par de profondes et laborieuses recherches, mérité l’es- time des érudits et la reconnaissance de ces pro- vinces. C’est encore au Midi qu'appartient ce docte Benedictin, cet historien si exact du Lan- guedoc, Dom Vaissette, qui a donné le plus bel ouvrage qui existe encore sur nos contrées, Ou- vrage qui, aujourd'hui, est justement estimé par toute l'Europe savante. C’est dans la Provence que naquit le sage auteur d’Anacharsis, écrivain aussi élégant qu'il fut archéologue habile. Enfin, le Midi de la France réclame aussi l'honneur d’avoir produit le créateur de la science Égyp- üenne, l’homme illustre qui nous a rendu la con- naissance de la langue des Pharaons, et qui a su interpréter , avec tant de bonheur, les innom- brables inscriptions hiéroglyphiques que ren- ferme encore la longue vallée du Nil. Ces exemples illustres prouvent que les ha- bitans de cette partie de la France ont, depuis plus de deux siècles, montré une grande aptitude pour toutes les recherches archéologiques. Mais ces dispositions ne sont encouragées, récom- pensées que par les Sociétés savantes , qui existent, en trop petit nombre même, sur ce vii] vaste territoire. Nulle autre marque d'intérêt ne vient d'ailleurs exciter le zèle des savans, ou faire naître le désir de cultiver cette branche importante des connaissances humaines. N'ayant plus les biens dont elle disposait autrefois, ré- duite à une dotation, évidemment trop faible, l'Académie de Toulouse , instituée en partie pour offrir ses palmes à l'érudition et au génie des temps anciens, ne peut remplir cette haute mission avec toute la grandeur qui devrait ca- ractériser le premier corps scientifique du Sud de la France. Formée par des citoyens géné- reux, qui s'imposent un tribut annuel pour veiller à la conservation des monumens, la So- ciêté archéologique a su, il est vrai, enrichir nos collections d’antiquités ; mais combien celles- ci seraient plus importantes, si des fonds suffi- sans étaient alloués pour recueillir tous ces marbres, tous ces bronzes que la terre nous rend chaque année , et pour préserver de la des- truction qui les menace les restes des monumens français, ces nobles débris , religieux moniteurs du moyen âge et de la renaissance, qu'une inconcevable fureur brise et disperse sur notre sol déshérité de ses antiques souvenirs! Néanmoins, dans l’état actuel , 1l serait possi- ble de donner aux études historiques un grand développement dans Toulouse ; mais il faudrait IX se garder de présenter à une jeunesse studieuse, avide desavanteslecons, d’inutiles et froides dis- sertations philosophiques ; c’est la science même des faits qu'on devrait lui enseigner, c’est la connaissance des monumens, des chartes, des médailles, qu'il faudrait répandre. Pour y par- venir, l’Académie avait demandé, il y a plusieurs années, la création d’une chaire d'archéologie. Ses vœux n’ont pas été entendus, et cependant que de découvertes importantes pourraient ré- compenser les soins du professeur et les travaux des élèves! Nos collections archéologiques, qu'ilserait fa- cile d'augmenter à peu de frais, pourraient bien- tôt répandre une instruction solide. L'Académie possede un beau médailler ; le Musée renferme plus de six cents monumens antiques ou du moyen âge : mais tous ces objets demeurent sans utilité pour l'instruction, et Toulouse, décorée par la judicieuse antiquité du titre de Cité Palladienne , ne conserve ce nom qu’a l’aide des Sociétés savantes et littéraires qui existent encore dans son sein, et celles-cine peu- vent pas toujours publier en entier les travaux de leurs membres. Ce n’est même que de loin en loin qu'il leur est permis de faire connaitre en partie ces intéressantes recherches. Ainsi cette seconde section du troisième volume des >< Mémoires de l’Académie, ne renferme qu’une analyse rapide de ce qu'elle à fait durant six années, et seulement quelques opuscules com- plets. Elle aurait, sans doute, été heureuse de pouvoir offrir à la France tous les ouvrages lus dans ses séances durant cette longue période ; mais , en bornant ses publications à un petit nombre de feuilles, elle a moins consulté ses ressources que son zele. En parcourant ces pages, en voyant les sujets de prix proposés par la Classe, on se con- vaincra que les études historiques, dont la Linguistique ancienne fait partie, pourraient être cultivées avec succès dans les provinces du Midi, si elles y recevaient de légers encou- ragemens et des marques constantes d'intérêt et d'estime. SUJETS DE PRIX PROPOSÉS PAR LA CLASSE DES INSCRIPTIONS. LA Classe, qui avait, en 1825, accordé le prix de l'année à M. Delpon de Livernon, pour un Mé- moire sur cette question : Peut-on se flatter , sans l’étude des langues anciennes, d’être mis au rang des bons écrivains ; et dans le cas où l’on soutiendrait la négative, l'étude de la langue latine peut-elle suppléer à l'étude de toute autre , Accorda aussi une mention honorable à M. CAar- pentier de Saint-Prest, et couronna, Pannée sui- vante, le beau travail de M. de Golbéry, sur cette question qu’elle avait proposée comme prix extraor- dinaire : Déterminer l’état politique, civil et religieux de la Gaule avant l’entrée des Romains dans cette partie de l'Europe, et fixer , d’après les auteurs et les monumens , les connaissances que les Gau- lois avaient déjà acquises dans les sciences et les arts. Elle décerna une mention très-honorable à M. Lancelot, qui avait aussi traité cette question avec beaucoup d’érudition et de grands dévelop- pemens. | En 1828, elle décerna le prix de lannée à Xi] SUJETS DE PRIX. M. Charpentier de Saint-Prest, pour un discours sur cette question : A laquelle des deux littératures , grecque et latine, la littérature française est-elle le plus redevable ? M. Jules Berger de Xivray obtint une men- tion honorable. Pour sujet de prix de l’année 1831, la Classe proposa la question suivante : Quel a été l’état politique, civil et religieux de la Gaule, sous la domination romaine , jus- qu'à l’époque où les Wisigots et les Francs en devinrent possesseurs? Quels furent, dans la méme contrée, et pendant la méme période , les progrès des sciences, des lettres et arts. Ce sujet, proposé durant plusieurs années, et présenté comme objet dun prix extraordinaire en 1833, fut traité avec succès par deux auteurs, entre lesquels le prix fut partagé; Pun est M. Doré, avocat à Paris; le second M. 4/exandre de Mor- tarieu, ancien magistrat à Toulouse. Enfin, l'Académie a proposé ce nouveau sujet : Quel a été l’état de la littérature des provinces méridionales de la France, depuis l’an mille, jusqu'à la fin du dix-septième siècle; — et quelle a été l’influence de la littérature du Midi sur la littérature devenue nationale , et de celle-ci sur la preniière ? Seconde Jartic. HISTOIRE ET MÉMOIRES DE LA CLASSE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES DE L'ACADEMIE DE TOULOUSE. Section Jremière, ÉLOBES. ÉLOGE DE M. RIVET ; Par M. D'AUBUISSON. Mrssreurs, G juin 182;. Juzxæx River, architecte, membre de cette Académie et de la Société royale d'Agriculture, naquit à Montpellier, en 1757. Son père, qui faisait le commerce des soieries et jouissait d’une existence honorable, chercha à lui procurer une éducation propre à développer les très-heureuses dispositions qu'il montra dès son enfance ; elles lui faisaient espérer qu'il le seconderait avantageuse- 2 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. ment dans son négoce, et qu'il serait un jour bien dédommagé des dépenses que cette éducation allait lui coûter. Mais il ne lui était pas donné de recueillir le fruit de ses soins, et d’être témoin des succès de ce fils; 1] mourut lorsque le jeune Rivet n’avait encore que treize ans. Celui-ci fut bientôt obligé de quitter ses études et son pays, pour venir à Toulouse, défendre de- vant le Parlement, un patrimoine qu’on lui dis- putait. Fransporté comme dans un nouveau monde, livré à Iui-mème, il ne put résister à sa destinée; et au lieu de s'occuper de procès et de commerce, après avoir agréé un accommodement qui lui laissait le moyen de satisfaire ses désirs , il se mit à suivre les lecons que Pon donnait dans une école que la munificence et le patriotisme de quelques-uns de nos concitoyens venait de fonder, et où lon en- selgnait les élémens des connaissances nécessaires à un ingénieur. Toulouse eut alors son école des ponts et chaussées, et s’il n’en sortait pas de ces élèves éminemment distingués par étendue et la profondeur de leurs connaissances mathémati- ques et physiques au point d'être, avant même leur entrée dans la carrière, de véritables savans , elle produisait des hommes utiles, propres aux travaux qu'ils auraient à faire exécuter, et qui, par ces travaux, avaient concouru à faire de notre province la partie de la France peut-être [a plus remarquable par ses belles routes et ses bonnes constructions. D ÉLOGES. à) Cependant Pinstruction élémentaire qu'on don- nait à cette école fut bientôt épuisée par M. Rivet ; l’activité de son esprit demandait encore plus, et il alla le chercher dans la capitale. La, au milieu de toutes les sciences et de tous les arts, au milieu des cours de toute espèce, il put choisir ce qui était le plus en harmonie avec ses moyens et ses goûts : en matière de sciences, il se décida pour la première d’elles, l'astronomie. Elle lui présentait, en même temps, et cette exactitude mathématique qui satisfait les esprits réfléchis, comme était celui de M. Rivet, au point de les porter quelquefois à dédaigner tout ce qui n’en porte pas l'empreinte, et cet attrait propre aux sciences physiques alors qu’elles nous découvrent les secrets de la nature, ou, plus exactement, qu’elles nous mettent à même de saisir les lois que la nature suit dans la production de ses phénomènes. Enfin, la peine, les soins, les veillées qu’exigent les ob- servations astronomiques ne sont pas sans quelques jouissances pour un jeune homme : elles en avaient beaucoup pour M. Rivet. [Il suivit avec le plus grand zèle les leçons de lillustre Lalande; il sattira son amitié, lassista souvent dans ses calculs et ses observations , et en peu de temps il devint bon astronome et excellent observateur. À cette époque, se préparait cette expédition si célèbre et si malheureuse, où des vaisseaux fran- çais devaient aller porter à des hommes d’outre- mer, à des peuples sauvages, les lumières et les consolations du christianisme. Les jouissances de la À INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. civilisation européenne allaient leur apprendre quelle était la gloire de notre patrie, quelles étaient les vertus de ce bon Roi, qui, ayant pour eux les tendres sentimens qu'on a pour des frères malheureux, leur envoyait tout ce qu'il pensait devoir améliorer leur existence. M. Rivet, indiqué par Lalande, devait être de ce long voyage; il aurait assisté les astronomes de l’expédition, et il en aurait été l’ingénieur-géographe; mais une maladie, qui le retint, au moment du départ des vaisseaux, le préserva d’une fin tragique, et le con- serva encore à SON pays. It revint à Toulouse. Sa science de prédilection, l'astronomie, y était alors cultivée avec succès par deux savans distingués, dont Pun, M. Darquier, en faisait son occupation presqu’exclusive. L'arrivée de M. Rivet fut une bonne fortune pour lui; il se l'attacha, et pendant six années il Va eu pour collaborateur. Si les observations majeures étaient dirigées par M. Darquier, plusieurs étaient entie- rement abandonnées à M. Rivet : c'est M. Darquier lui-même qui le dit dans le Recueil de ses observa- tions. Ce Recueil , Messieurs, est un des plus beaux titres que notre ville ait à la reconnaissance du monde savant; dernièrement encore un des plus habiles astronomes de notre âge, M. Arago, m'en parlait avec un grand éloge. Si l'honneur d’un pareil ouvrage appartient d’abord à son principal auteur, une partie n’en doit pas moins rejaillir sur le savant laborieux qui y a encore beaucoup contribué. _ ÉLOGES. 3 Ce n’était pas dans le seul observatoire de M. Darquier que travaillait M. Rivet; plusieurs de ses observations ont été faites dans celui qui avait été bâti par M. de Garipuy, et dont les États de la Province, après en avoir fait l'acquisition, avaient remis le dépôt et le service à l'Académie ; et celle- ci de son côté n’avait cru pouvoir mieux répondre à cette confiance, qu’en chargeant M. Rivet d’une partie de ce service. Au reste, l'astronomie, quoique prenant beau- coup sur son temps, n’était pour lui qu'une occu- pation presqu’accessoire. Sa principale, celle qui lui donnait un état, était l'architecture. Un homme de son mérite devait naturellement en prendre de préférence, et il en avait effectivement pris, la partie qui exige le plus de connaissances et le plus de moyens, l'architecture hydraulique. Dans les constructions ordinaires, on est dirigé par des règles à peu près fixes; en les observant, en suivant des modèles généralement connus, en en soignant Pexécution, on est à peu près certain de bien faire. Il en est tout autrement des constructions à établir dans l’eau. Ici, le sol sur lequel on doit bâtir est dérobé à la vue, la sonde n’en donne qu’une connais- sance imparfaite; corrodé et aflouillé par un cou- rant, quelquefois il ne sera plus demain ce qu'il est aujourd’hui ; c’est à Pexpérience, au tact, et je pourrais dire au génie de lingénieur , à bien ap- précier les circonstances locales, et à disposer ses travaux en conséquence. Depuis 1788, M. Rivet se livra presqu’entièrement à de tels travaux, et ce TOME Il: PART, II. 2 (© INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES- fut généralement avec succès. Sa réputation fut grande; il est peu d'ouvrages considérables exécu- tés dans nos environs, sur la Garonne, le Tarn et VAriége, auxquels il nait travaillé, où au sujet desquels il n'ait été consulté. Notre ville lui est redevable des deux beaux moulins qu’ellerenferme; ils ont été entièrement rebâtis sur ses plans et sous sa direction; tous ceux qui les visitent en admirent et la bonne construction et la disposition de leurs diverses parties. Si quelques autres de ses travaux n’ont pas pleinement réussi, cela tient aussi à la nature et à la difficulté du sujet. Dans les ouvrages hydrauliques on ne peut guère se décider que sur les probabilités; et vous le savez, Messieurs, ce qui est vraisemblable, mème à un très-haut degré, n’est pas toujours vrai. Qu'il nous sufise de remarquer, à la louange de M. Rivet, que le pays lui doit plusieurs de ses belles constructions , et qu'il a, pendant plusieurs années, passé à juste titre pour le premier de nos ingénieurs en matière hydraulique. Les autres parties de l'architecture civile n’é- taient pas négligées; plusieurs églises, hôtels, châteaux ou maisons, bâtis ou restaurés par lui, à Toulouse et dans les campagnes voisines, montrent combien il s’en occupait, et peu de nos architectes avaient une pratique aussi étendue que lui. A ces travaux, il en joïgnait encore d’une autre espèce; nous l'avons vu désigné comme ingénieur- géographe, et il l'était réellement. Considérons-le maintenant sous ce rapport, occupé de Ja levée de #2 ÉLOGES. 7 plans considérables. L'expérience et les connais- sances qu'il avait dans cette partie engagèrent le Préfet du département, lors des premiers travaux du cadastre qui furent faits dans ce pays, à inviter M. Rivet de s’en charger. En mème temps il fut nommé directeur et professeur à une école établie durant quelque temps à Toulouse, pour former des élèves propres à cette grande entreprise. Il exécuta la triangulation du terrain de plusieurs communes ; mais 1] abandonna ce travail pour se livrer à la levée du plan de notre ville. L'administration municipale venait d’être réor- ganisée et rendue enfin à sa destination, aux tra- vaux qui font d’une cité un séjour agréable et exempt d’accidens malencontreux. Dès ses premiers pas, elle sentit qu’elle avait besoin d’un plan fait sur une fort grande échelle, tant pour asseoir des projets d’alignement, que pour prendre d’autres dispositions de voirie. Le chef de cette administra- tion , qui connaissait particulièrement la capacité et l'aptitude de notre confrère pour un tel ou- vrage, le pressa de s’en charger ; -et, en 1801, M. Rivet passa un traité dans lequel il consulta beaucoup plus son zèle pour le bien de la ville qui l’avait adopté, et son désir d’exécuter un beau travail, que ses intérêts pécuniaires; le prix qu'il en demanda n’était nullement en proportion avec le temps qu’il allait y employer et les frais qu'il y avait à faire, à tel point que si administration supérieure, arrêtée par les règles d’une trop sévère rigueur , s’en tient à la lettre de Pacte passé, il est | 5 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES: certain que l'ouvrage dont la ville jouit déjà depuis plusieurs années, qui a servi et sert journellement de base aux travaux qu’elle fait exécuter, aura tourné au détriment de celui qui Pa fait. Mais revenons au plan même. M. Rivet adopta pour la confection une marche différente de celle qu’on suit généralement aujourd’hui , et même de celle qu'on doit suivre, lorsqu'on tient à ce que Pexactitude porte principalement sur l’ensemble de Pouvrage : mais ici on tenait plus encore à celle des détails, et alors la méthode qui fut adoptée, celle où l’on procède du petit au grand, a aussi ses avantages , au point que plusieurs bons esprits ont long-temps balancé pour savoir si elle ne doit pas être préférée ; et il n’est pas ainsi étonnant qu’elle l'ait été par M. Rivet. Il commença, en conséquence, par lever les rues d’un quartier, et il dressa le plan de ce local. Ces plans partiels ont été faits avec autant de soin que d'intelligence, et une expérience de presque tous les jours en a fait reconnaître la bonté. Mais lorsque l'auteur a voulu ensuite les réunir pour avoir le plan d'ensemble, il lui est arrivé ce qui arrivera presque toujours en pareille circons- tance ; la plus légère erreur, la moindre inadver- tance dans un petit détail, (et quel est l'ouvrage des hommes qui ne présente ou une telle erreur ou une telle inadvertance !) cette erreur, dis-je, exerce une influence sur tout le reste de ouvrage, détruit harmonie du tout, et vicie le plan général. Le fait qui vicia la première rédaction de celui- ÉLOGES. 9 ci est trop remarquable pour n'être pas rapporté. M. Rivet, en transcrivant sur une esquisse du pont. les mesures qui déterminaient sa longueur , plaça à côte d’une d'elles le nombre 10 : c'était un renvoi à une note particulière. Le dessinateur, en opérant sur ces mesures, prit ce nombre pour une lon- gueur, et donna par suite 10 mètres de plus à celle du pont. Alors, toute la partie de la ville située au-delà de la rivière, le faubourg Saint-Cyprien, fut jeté entièrement hors de sa position; et le clocher qui est au milieu de ce quartier se trouva mal placé par rapport à ceux de la ville. Ce vice fut signalé par les premiers vérificateurs qu’on chargea d'examiner le plan général, avant sa réception définitive. Une discussion s’engagea entr'eux et M. Rivet. Il fut fait appel à la personne la plus propre à décider la question , à Pingénieur en chef du cadastre, M. Bellot. Celui-ci fit à ce sujet, cette belle opération de géodésie, qui montre dans son auteur une pleine intelligence de la science, et qui nous a portés à nous associer l’homme de mérite qui avait conçue et exécutée. L'erreur fut constatée. M. Rivet la reconnut à la suite d’une triangulation qu'il fit lui-même, la corrigea sur un second plan qu'il avait à fournir, et tout rentra dans l’ordre. En définitive, la ville lui est redevable d’un grand plan d'ensemble , le plus grand qu’elle ait encore , et aussi exact que le comporte l’échelle sur laquelle il est tracé; elle lui doit de plus des plans de dé- ul, qui ne laissent rien à désirer, qui servent de 10 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. base à toutes les opérations d’alignement , et qui y serviront jusqu'à l’époque où M. Bellot en aura remis d’autres, faits avec toute la perfection que comporte aujourd’hui l’état de la science et de Part. Après avoir vu, dans M. Rivet, l’astronome, Parchitecte et l'ingénieur, considé érons-y un instant Phomme privé. Nous trouverons un homme vertueux et modeste ; d'un caractère prononcé, ayant des pinions à lui, et y tenant avec une force et une persévérance peu communes. Dans ses rapports sociaux, il couvrait ce fonds, d’ailleurs estimable , par des formes polies, par un air doux et affectueux. Mais ce qui le rendait encore plus recomman- dable que son caractère et que son affabilité, c’'é- taient les qualités essentielles du cœur. Ua seul exemple fera connaître ce dont elles le rendaient capable. Il était fort lié âvec un illustre étranger, le prince Potosky, établi dans notre pays quelques années avant 1789. Lorsqu'au fort de nos orages politiques ce seigneur fut dans le cas de quitter la France, il pria M. Rivet d’avoir soin de ses pro- priétés , et de les lui sauver, s’il le pouvait. M. Rivet s’en chargea ; au moment même, abandonnant ses propres affaires, il ne voit plus que celles de l’homme qui avait mis en lui sa confiance. Révolté en outre du spectacle que lui offraient, dans la ville, les excès d’une révolution qu'il improuvait, il se retira sur la terre qu’il devait conserver, et là, avec un rare désintéressement, 1l se voua aux ÉLOGES. 1jE soins qu’elle exigeait ; au milieu des champs, adonné à leur culture, il devint agriculteur , et comme il faisait bien tout ce qu'il entreprenait, il fut aussi bon agriculteur, et c’est peut-être à lui que nous devons Pintroduction de la garance dans nos con- trées : aussi lorsque la Société d'Agriculture se forma à Toulouse, elle crut devoir Py appeler, et elle le nomma même son secrétaire. Quelques années auparavant, et lors du réta- blissement de notre Académie, il fut nommé un de ses premiers membres ; les observations et les travaux dont nous avons déjà parlé justifient assez une telle distinction. Un homme aussi essentiellement bon, d’un ca- ractère aussi estimable, d’un savoir très-distingué, recommandable par de nombreux et utiles travaux, ne pouvait qu'être extrêmement aimé et respecté dans sa famille : peu répandu, c’est au milieu d’elle qu'il passait les courts momens où il n’était pas retenu, soit dans son cabinet, soit sur ses chan- tiers. Trois fils, formés par lui dans son art, l’as- sistaient dans ses travaux; une épouse chérie et quatre filles lui prodiguaient les soins les plus affec- tueux : et quels soins que ceux qui étaient donnés par de vrais anges de charité, dont deux, ne pou- vant résister à ce sentiment et à l’impulsion d’une piété aussi tendre qu’active, sont entrées dans cette société admirable, où l’on se consacre en entier au soulagement de humanité souffrante; dont une autre , plus fortement animée de l'esprit religieux, renonçant plus entièrement encore au monde, a 12 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. revêtu le cilice, et embrassé la plus austère des règles, celle des Carmélites ! Une bonne constitution, un tempérament sain, une vie très-réglée semblaient garantir à cette fa- mille la longue conservation de ce père vénéré. Mais une chute qu'il fit, il y a environ deux ans, et qui fut suivie d’une attaque de nature apo- plectique, affaiblit cette espérance. Depuis, M. Ri- vet ne fit que languir, quelques-uns de ses mem- bres se paralysèrent, et le 13 septembre 1826, plein de résignation, et armé du courage que ve- naient de lui inspirer les derniers secours de cette religion que tout respirait autour de lui, il cessa de vivre. Un si terrible coup porta la consternation au milieu des siens; long-temps encore, et au-delà du terme ordinaire, il y sera un sujet de larmes et de regrets. Et nous aussi , nous regretterons long-temps M. Rivet, cet académicien instruit, cet ingénieur expérimenté, cet homme judicieux qui a si sou vent éclairé nos discussions, et qui a quelquefois fixé nos délibérations. Ainsi, dans ce dernier temps, PAcadémie, à la vue des dégradations du bel Ob- servatoire de la ville et de la cessation des obser- vations qui en était la suite, mue par l’intérèt des sciences qu’elle s'efforce de propager autour d’elle, se rappelant que cet établissement avait été autre- fois sous sa direction immédiate, crut devoir s’a- dresser aux autorités locales pour en obtenir la réparation : M. Rivet, qui savait mieux qu'un autre ÉLOGES. 13 tout ce qu'il y avait été fait de bien, et tout ce qu'on pouvait y faire encore, sil était convena- blement réparé, nous indiqua les réparations à exécuter. D’après le désir qui lui en fut témoi- gné, 1l se chargea d’en dresser le plan et le devis : et la veille d’une mort, que nous étions loin de croire aussi prochaine, je lisais, dans une de nos séances, le travail qu’il venait de rédiger à ce sujet, dans un des instans de calme que lui laissaient ses douleurs. Ainsi le dernier de ses ouvrages a été pour l’Académie ; il a été encore un service rendu aux sciences; car ce plan a été adopté par lauto- rité, et il est en cours d'exécution. La perte d’un tel confrère n’a pu que laisser un grand vide dans nos rangs; nous avons cherché à le rendre moins sensible, en appelant pour le remplir le géomètre habile dont nous avons déjà parlé au sujet dun des travaux de M. Rivet, et qui doit un jour compléter ce grand travail. Un tel successeur lui était naturellement désigné. 15 janv. 1829. 14 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. a NOTICE HISTORIQUE SUR M. ALEXIS LARREY ; Par M. DUCASSE. Msssreurs, C£sr avec le sentiment d’une profonde recon- naissance, que je viens retracer à vos yeux le souvenir d’un de nos collègues que l'Académie comptait depuis long-temps dans son sein. À la considération qui sattache naturellement à tous les hommes d’un mérite supérieur , se joint encore pour moi un motif peut-être plus légitime. Cest en effet sur les bancs de l'école présidée par M. Larrey, que j'ai reçu les premiers élémens de la science et de l'art de guérir ; c’est au milieu des entretiens qu'il se plaisait à avoir avec ses nombreux élèves, que j'ai puisé une partie de ces connaissances qu’il savait si bien communiquer, et sur-tout ce zèle éclairé, cette ardeur infatigable dont il était un si rare modèle lorsqu'il s'agissait de multiplier les foyers d’une instruction vaste et solide. Une main plus habile élèvera sans doute à sa mémoire un monument plus digne d'elle; elle ÉLOGES. 15 saura mieux faire ressortir les traits qui le distin- guaient, et les présenter sous leurs couleurs natu- relles. Quant à moi, je n’ai, dans cette courte notice biographique , que la prétention de payer la dette du cœur , et celle que l'Académie contracte envers chacun de ses membres. Elle a voulu , en eflet, qu'après avoir eu le malheur de les perdre, elle pût encore honorer leurs cendres, et trouver une source nouvelle de regrets dans les détails d’une existence consacrée toute entière à ses travaux. Heureux celui qui peut s’offrir sans crainte à ce tribunal de la vérité, et dont la conduite, après avoir été un exemple d’émulation pendant sa vie, est encore, après sa mort, un sujet de louange et de vénération publiques. Tel fut Phonorable Collèoue dont l'Académie déplore aujourd’hui la perte dans la personne dArexis Larrey, chevalier de la Légion d'honneur, ancien Directeur de l'Ecole de Médecine, Intendant des Hospices civils, membre libre de l'Académie royale des Sciences, Inscriptions et Belles-lettres ; de la Société royale de Médecine, Chirurgie et Pharmacie de Toulouse; membre du Jury médical du département de la Haute-Garonne, et associé correspondant de l’ancienne Académie royale de Chirurgie. Il naquit, en 1950, à Baudéan , dans la vallée de Campan , département des Hautes-Pyré- nées, Je ne suivrai pas le jeune Larrey dans les détails minutieux d’une enfance, qui, comme celle de la multitude, s'écoule le plus souvent sans laisser de souvenirs remarquables. Une éducation de vil- 16 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES: lage; des leçons élémentaires sur la grammaire et sur l'écriture données par le curé du lieu, avec plus de zèle que de profondeur, en signalerent le cours , et sufisaient imparfaitement à l'intelligence précoce de Pélève, qu'un secret pressentiment avertissait déjà qu'il était destiné à un plus grand théâtre. Mais comment lutter avec succès contre les caprices du sort! Ses parens, peu riches, privés des moyens pécuniaires qui contribuent si puis- samment au développement de nos facultés, par la facilité qu'ils nous donnent de multiplier les sources de l’enseignement, ne pouvaient pas lui en procurer les heureux avantages; car la fortune semble quelquefois se jouer des hommes, et éloi- oner de ses faveurs ceux qu’elle réserve à faire briller par leur savoir, comme si, en les aban- donnant à leurs propres forces, elle voulait rendre leur triomphe plus éclatant. Cependant, au milieu de cette incertitude de l'avenir, de ces vagues désirs d'arriver à une plus honorable existence, le jeune Larrey avait atteint sa quinzième année. Placé à cette époque à PHôpital Saint-Joseph de la Grave, sous la protection du baron de Baudéan, qui lui portait le plus vif in- térêt, où qui sans doute avait mieux pénétré sa secrète ambition , il sentit qu’une nouvelle carrière s’ouvrait devant lui. Il en mesura toute l'étendue ; ne se laissa rebuter par aucune des difficultés qui en rendent l’entrée si pénible à la présomption et à la faiblesse, et, certain de réussir, il se livra aux études qu’elle exige, avec une ardçur qui ne s’est ÉLOGES. F7} jamais démentie. Cest là qu'il prit ce goût décidé, et qui ne s’aflaiblit pas avec l’âge, pour les études anatomiques. Son esprit droit et positif se plaisait à demander à la nature morte les secrets de l’or- ganisation, à méditer sur les rapports que les or- ganes conservent entr’eux, et à apprécier l’impor- tance de leur étude dans le traitement des maladies. Aussi, lorsque Pécrivain qui imprima à cette branche de Vart de guérir une secousse si profonde et si philosophique, parut sur la scène médicale, lorsque Pimmortel Bichat eut donné au monde savant son Anatomie générale, notre Collègue en fit presque l'objet exclusif de ses méditations. Il pressentit le nouveau jour que tant d’utiles recherches devaient bientôt jeter sur les points les plus obsurs de la science, et se voua sans réserve à l'étude d’un ou- vrage qui faisait tant d'honneur à la France, et que, dans sa jalouse inquiétude, l'Angleterre nous a si souvent envié, Cest avec le même sentiment de justice, avec la même hauteur de raison, que dans l'éloge histo- rique d’Alexis Pujol, prononcé dans une séance publique de la Société de Médecine, dont il fut plusieurs fois nommé président, il porta son juge- ment sur les divers écrits échappés à sa plume. Pujol fut en effet un des premiers médecins de nos contrées. Sa longue expérience, son coup-d’œil sûr et rapide, ses profondes notions sur les phénomè- nes de la vie, rendirent mille fois sa présence né- cessaire au lit du malade, et peut-être ne lui aurait] fallu qu'un plus grand théâtre pour ‘élever 18 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. au niveau des plus brillantes renommées contem- poraines. C’est sur-tout dans les mémoires nom- breux qu'il publia, et dont plusieurs avaient été couronnés par la Société royale de Médecine , qu'il aimait à déposer les fruits de ses laborieuses mé- ditations. Témoin chaque jour des funestes résultats obtenus par un traitement incendiaire , des désor- dres organiques que des remèdes violens produi- saient sous ses yeux dans les inflammations abdo- minales, qui, sous le nom de carreau, détruisent une partie de la population , le praticien de Castres voulut appeler l’attention des Médecins sur cette affection importante. Il en étudia le vrai caractère, en traça le tableau fidèle, posa les bases générales d’une thérapeutique éclairée, et, si je ne me fais point illusion, si la prévention m’égare pas ma pensée, je vois dans ce bel écrit la première origine d’un ouvrage plus célèbre sans doute, plus étendu, plus riche de faits, et que, sous le titre de P/leg- masies chroniques , Broussais a depuis long-temps donné à la science. Mais revenons à notre Collègue dont cette digression nous a un instant écarté. Bonnet exerçait alors dans l'Hôpital de la Grave les fonctions de Chirurgien en chef. Le zèle du jeune Larrey , sa constante application, son opi- niätre persévérance, son exactitude à remplir ses devoirs, excitérent bientôt son attention et son intérêt. Il sentit qu'avec de si heureuses dispositions ses succès étaient infaillibles; des relations de con- fiance et d'amitié s’établirent entr'eux; la plus douce intimité réunit le maitre et l'élève, comme ÉLOGES. 19 si Bonnet, en lisant dans l’avenir, avait déjà vu dans son jeune ami son gendre et son successeur. Le sort de Larrey semblait définitivement arré- té. Son amour pour le travail se fortifiait encore au milieu des plus flatteuses espérances, et acqué- rait plus de force à mesure qu'il en était récom- pensé. Mais la vie des hommes serait trop douce, si elle n’était jamais marquée par des revers. Peut- être même le talent a besoin d’un peu d’infortune pour grandir, pour se développer, et n’est-il destiné à briller que parmi les orages. Celui qu'éprouva le jeune Larrey faillit in terrompre tout à coup le cours de ses travaux, et Le priver du fruit de ses veilles. La mort vint inopinément frapper son protecteur , et Bonnet descendit au tombeau avant d’avoir pu réaliser la fortune de son élève. Afficé par un événement si funeste, privé du seul appui qui lui restait, quel lien pouvait désormais retenir le jeune Larrey dans cet asile où il avait perdu un ami si rare ? Il Craignit avec raison que son succes- seur ne sût pas apprécier les services qu'il pouvait rendre aux malheureux qui viennent y chercher un refuge, et peut-être aussi de ne pas rencontrer dans le nouveau chef la même complaisance et les mêmes conseils. Il quitta donc la Grave, incertain encore de sa destinée, mais bien résolu cependant à suivre la pratique de quelque Chirurgien de Tou- louse. Parmi les hommes de l’art qui brillaient alors dans cette cité, M. Frizac tenait une place distin- guée : c’est à lui que le jeune Larrey sattacha 20 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. de préférence. A la facilité d'étudier avec fruit les résultats d’une médecine pratique très-étendue ,1l trouvait encore auprès de son maître, chargé de faire aux élèves des cours d'anatomie , une occasion nouvelle de suivre ses occupations favorites. Telle fut, en effet, sur son esprit leur profonde influence, qu'il ne parlait jamais qu'avec enthousiasme des merveilles de notre organisation , et que, rempli de la pensée d’'Hippocrate , il ne concevait pas qu'on püt jamais se distinguer dans l'exercice de la médecine et de la chirurgie, sans en avoir acquis une connaissance parfaite. S'il m'était permis ici d’invoquer le témoignage des nombreux disci- ples qui accouraient pour assister à ses utiles leçons, en est-il un seul qui maimat, comme moi, à en retracer les avantages? Non que dans sa chaire académique Larrey fût doué de ces qualités bril- lantes qui caractérisent le professeur éloquent. La nature, sous ce rapport, lui avait témoigné peu d’indulgence. Mais quand on mettait de côté cette énergique simplicité, cette rudesse, cette apreté de langage , pour ne songer qu'à la méthode de l'enseignement, à l'exactitude des descriptions, à ces mouvemens pittoresques et animés , qui met- taient en action ce que la parole n’aurait qu’im- parfaitement exprimé , admiration succédait alors à l'espèce de répugnance qu'on avait éprouvée ; on était tout étonné d'apprendre en un jour ce que sous d’autres maîtres on n'aurait qu'incomplètement aperçu, et, préférant la solidité de Penseignement à la grace, à l'harmonie d’une phrase vide et sonore, ÉLOGES. 21 nous revenions encore avec plus de zele nous ini- tier, auprès de lui, à des secrets qu'il expliquait avec une si grande exactitude. Ce n’était pas assez cependant pour le jeune Larrey d’avoir consacré dix années entières à l’é- tude de Part de guérir; d’avoir cherché, au milieu des travaux pénibles qu’il exige , les connais- sances variées qui seules peuvent en rendre la pratique profitable :il sentait qu’il manquait encore quelque chose à ses succès, et que, pour lui être utiles et consolider son avenir , il fallait qu’il pût les produire au grand jour. L'occasion ne tarda pas à se présenter. De temps immémorial la place de Chirurgien en chef de lHôtel-Dieu St.-Jacques était donnée au concours. Chaque dix années ce concours était ouvert à une noble émulation, et de toutes parts se réunissait à Toulouse une foule de candidats pour y disputer la couronne. Cette époque, si impatiemment attendue, vint enfin pour le jeune Larrey. Il s’inscrivit un des premiers sur la liste : mais le sort trompa son attente. La place, habilement disputée, ne fut pas son par- tage, et, plus heureux que lui, Viguerie père, dont le nom figura à cette époque , et figure encore avec tant d'éclat parmi les Chirurgiens de cette ville, fut proclamé son vainqueur. Ah ! pourquoi une administration réparatrice n’a-t-elle pas rouvert avec empressement ces luttes honorables où le mérite modeste était sûr de trou- ver dans la publicité la juste récompense de ses travaux, et quelquefois un véritable triomphe ! D] TOME II, PART, 11, J 22 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES: Pourquoi, à limitation des grandes villes de France, ces concours précieux n'ont-ils pas été rétablis ? Sources inépuisables d’une émulation sans cesse renouvelée, qui pourrait calculer les résultats que la science en aurait retirés ? Animé par la douce espérance de parvenir un jour au premier rang de sa profession , en se mesurant avec avantage avec ses nombreux rivaux, l’élève avait sans cesse pré- sens à la pensée les moyens d’y arriver avec gloire. Ni les travaux les plus pénibles , ni les études les plus sévères, ne pouvaient ralentir son zèle ou fatiguer son émulation, Il savait qu'à cette qualité de Chirurgien en chef était encore altaché le titre de la maitrise, sans aucun frais de réception et d'examen, et sa jeune ambition, dévouée toute entière à ce rang élevé, plaçait dans son heureuse jouissance son orgueil, sa prospérité et son désir de fortune. Mais depuis que, par une négligence déplora- ble, cette rivalité de talens a été détruite, depuis que les concours ont été supprimés, et qu’à la faveur seule appartient le droit de disposer d’un rang qui était le patrimoine de tous, l’émulation a cessé danimer cette jeunesse studieuse qui se pressait autour de notre école. Leurs idées, retenues dans des limites plus resserrées, osent à peine séle- ver jusqu’à Pexécution d’une opération sanglante : ils savent que la carrière où peut se dessiner une sage hardiesse, leur est fermée sans retour; que les places accordées à une stérile et peu flatteuse protection, ne doivent jamais leur appartenir, et, ÉLOGES. 29 découragés par une si désolante partialité , ils bri- sent dans leurs mains des armes devenues désor- mais inutiles. Combien de fois, m’entretenant avec notre Collègue de cet abus funeste, je Vai vu rap- peler de toute la portée de ses désirs, de toute la chaleur de son âme, le rétablissement de ces luttes décennales, où il savait que son nom n'avait pas succombé sans gloire! «Qu'on ouvre la barrière, s’écriait-il avec cet accent qui part du cœur, et à Pinstant une foule ambitieuse va se précipiter dans Varène. La Chirurgie toulousaine, trop long-temps obscurcie par l'éclat que répand autour de nous celle de plusieurs villes voisines, se relèvera plus brillante et plus belle, et nous n’aurons plus à supporter le reproche humiliant de n’avoir pas dans nos murs des talens assez nombreux, des écrivains assez distingués, pour fournir à la création d’une nouvelle école spéciale de médecine ! » Ainsi parlait, dans les derniers temps de sa vie, le Collègue vénérable que les souvenirs de sa jeu- nesse venaient charmer encore, en lui rappelant ses triomphes. Quelqu'imparfait que le sien eût été dans sa lutte contre un redoutable adversaire, l'opinion publique, ce dernier juge de nos travaux, woublia pas ses eMorts et son zèle, et l’administra- tion des hôpitaux , en accueillant son suffrage, crut devoir récompenser son dévouement et son mérite, en le nommant Chirurgien en chef de l’hôpital de la Grave, où il avait commencé sa carrière. Larrey sentit: bientôt toùs les avantages qu'il pouvait retirer de sa nouvelle situation. Il reconnut d 24 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. combien son séjour dans cette vaste enceinte, où viennent se rassembler toutes les infirmités hu- maines, devait former sa raison, et lui rendre fa- miliers les cas de pratique les plus rares et les plus embarrassans. On conçoit, en effet, avec quelle attention il dut examiner les anomalies nerveuses, les aliénations mentales qui s’y observent en foule ; combien ces affections, réputées incurables, aux- quelles cet hôpital sert exclusivement d'asile, du- rent frapper son imagination et aiguillonner sa pen- sée. Malheureusement les esprits n'étaient pas assez préparés à ces importantes études; une douce phi- lanthropie n'avait pas indiqué la véritable marche à suivre dans l'application raisonnée des règles de la thérapeutique, et le célèbre Pinel n'avait pas encore enrichi la science du fruit de ses savantes élucu- brations. Mais si le séjour de notre Collègue dans ce vaste hospice fut à peu près stérile sous ce rapport, il lui devint plus favorable dans le traite- ment des autres classes de maladies, où les res- sources d’un art conservateur ne sont pas prodi- guées sans succès. Plusieurs observations recueillies avec soin, rédigées avec précision , publiées sur-tout avec une rare franchise, témoignaient hautement des qualités qu’on exige du bon praticien , et justi- fiaient, aux yeux de ses concitoyens, le choix d’une administration éclairée. Parmi la multitude des faits que je pourrais faire connaître, je me plais sur-tout à rappeler un des plus importans d’anato- mie pathologique, que dans l'intérêt de la science il s'empressa de communiquer à la première Com ÉLOGES. 25 pagnie du royaume, et qui, en lui ouvrant les portes de l’Académie de Chirurgie, devint pour lui une occasion d’entretenir avec son illustre Secré- taire perpétuel une correspondance où chaque phrase de Louis témoigne de l'estime qu'avait su lui inspirer le Chirurgien de Toulouse. En attri- buant les ankyloses générales observées sur un individu qui vécut encore quelque temps dans cet état, à inflammation répétée des surfaces articu- laires, ainsi qu'au repos absolu et trop long-temps prolongé des membres, notre Collèoue semblait pressentir les découvertes que le temps devait ap- porter avec lui dans cette branche des connaissan- ces médicales. Il entra d’avance dans les vues de ce Bichat, dont il médita par la suite les écrits profonds , les travaux positifs, les recherches im- menses, et peut-être son admiration pour ce $rand homme tenait-elle à cette espèce d'harmonie qu’é- tablit la nature dans quelques esprits privilégiés. L'Académie ne se crut pas quitte envers lui par le titre d’Associé correspondant qu’elle lui accorda sans partage. Elle voulut encore récompenser son zèle, en lui décernant une médaille d’or de deux cents francs; et cependant , comme la dit un de ses panégyristes (1), avec le sentiment d’une géné- reuse indignation, lorsqu'il touchait à la fin d’une vie consacrée à la pratique et à l’enseignement , sa nomination à la place de Correspondant de la (1) M. Dufloure, président de la Société de Médecine de Toulouse, 26 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. nouvelle Académie de Médecine , n’a pu, quel- ques années plus tard, obtenir l'approbation d’un Ministre ! Je ne vous parlerai pas, Messieurs , de ses succès dans une carrière qu’il parcourut avec tant d'éclat. [ls sont tous présens à votre souvenir. Les droits qu’il sut acquérir à la confiance publique, ne fu- rent jamais méconnus, et dans toutes les occasions solennelles, dans les circonstances épineuses où ils pouvaient se trouver, les malades et ses collègues s’empressaient à l’envi de réclamer ses conseils. Appelé à siéger dans le sein de la Société royale de Médecine à l’époque de son institution, nommé professeur d'anatomie et de physiologie, dès la première organisation de l’école secondaire de mé- decine, il fut également compris parmi les mem- bres de l'Académie royale des Sciences de Toulouse, lorsqu'elle sortit de ses ruines après le mouvement destructeur qui l'avait dispersée. Quoique déjà fa- tigué par l’âge et par ses pénibles travaux, vous n'avez point oublié Pexactitude qu'il apportait à suivre ses séances, avec quel intérêt il apprenait tous ses succès, et de quelle sagesse il ornait les avis qu'on réclamait de sa longue expérience. Son titre d’Académicien lui imposait encore d’autres devoirs, qu'il remplissait avec le même empresse- ment. Une pratique étendue le mettait à même de recueillir une foule d'observations importantes, et parmi celles qu’il vous a communiquées, je me contenterai de citer une asphyxie produite chez un jeune homme, par des alimens qui, en remontant, pendant le sommeil, de la cavité gastrique, avaient ÉLOGES. 27 été refoulés dans la trachée artère où ils occupaient ce conduit jusqu’à son quatrième anneau : obser- vation piquante, qui intéresse les praticiens et les jurisconsultes, non-seulement par sa rareté, mais sur-tout par sa coïncidence avec un phénomène in- séparable de cette espèce de mort violente, et que notre Collègue a reconnu exister dans tous les cas d’asphyxie soumis à son examen, je veux dire l’en- gorgement et l’inflammation de la membrane mu- queuse qui tapisse la trachée-artère. Cest ainsi que ce chirurgien distingué savait étudier les faits, en saisir l’enchaînement, et les faire servir aux progres et à lutilité de la science. Courbé cependant sous le poids des années, affaibli par tant de travaux, il sentait décroître à la fois ses forces morales et physiques. Malgré la vigueur d’une constitution robuste, une maladie sérieuse, dont le siége était la muqueuse intesti- nale, mit ses jours dans le plus grand danger, et en les épargnant quelque temps encore, lui prépara cette longue et douloureuse agonie, qui le fit des- cendre plus lentement au tombeau. Obligé de re- noncer à l’enseignement, qui fut occupation la plus chère à son cœur, la plus utile à son intelli- gence ; d'abandonner l’exercice de sa profession , -qui avait pour lui tant de charmes, et dont il avait rempli avec.tant de zèle les devoirs rigoureux, il fut forcé de garder un repos absolu, et cette inaction subite accéléra encore la détérioration de toutes ses fonetions organiques. Elle marchait rapidementaux yeux de ceux qui, conservant avec lui quelques rap- ports, cherchaient en vain à s’en dissimuler les pro- 28 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. grès. Bientôt on n’aperçut plus que Pombre de cette vie, qui jadis avait été si active. Les opérations de lintelligencesemblaientéteintes ;lessoinsaflectueux dune famille éplorée, les consolations de lareligion, en rallumaient de temps en temps quelques vives étincelles ; mais le mal était hors de toute ressource, et la mort vint mettre un terme à ses souffrances le 19 décembre 1827, dans la 78.° année de son âge. Ses dernières volontés ont été ponctuellement sui- vies. Il voulutquesa dépouille mortelle devintencore un sujet d'instruction, et qu’on pt vérilier, après sa mort, s’il avait exactement apprécié la nature de la cause qui l'avait produite. Sa prédiction se trouva confirmée par l’autopsie. On trouva environ huit onces de sérosité entre l’arachnoïde et la pie-mère, ainsi que dans les ventricules latéraux : et lépaissis- sement de la cloison qui les sépare, et de quelques parties des méninges , fut justement attribué à l'existence dune inflammation chronique, qui avait successivement déterminé l’épanchement , la para- lysie et la mort. L'Académie apprit avec douleur une perte si grande. Mais, fidèle à ses institutions, ellea cherché à honorer sa mémoire en racontant quelques traits de sa vie, et en accueillant la demande de son fils, M. Auguste Larrey, qui marche avec tant de bon- heur sur les traces de son père, et promet de perpé- tuer les talens héréditaires de sa famille. C’est ainsi qu’elle a rempliun devoir pieux, et qu’elle a conservé dans son sein un nom également vénéré en France, dans la chirurgie civile et dans la chirurgie militure. ÉLOGES. bb O ÉLOGE HISTORIQUE DE M. DE CARNEY: Par M. D»'AUBUISSON. Msssreuns, Tous les ans je suis comme condamné à vous entretenir des pertes que Académie a éprouvées , pertes douloureuses qui nous privent toujours d’un confrère estimé, et qui enlèvent quelquefois aux Sciences un des hommes qui contribuaient à leurs progres. Cette perte est encore plus sensible , le vide qu’elle laisse parmi nous est encore plus grand, lorsque celui qui est l’objet de nos regrets, placé en quelque sorte à la tête de notre Compagnie, la dirigeait dans ses travaux et lui donnait une partie de sa consistance scientifique. Tel fut l'Aca- démicien que la mort vient de moissonner dans nos rangs, et que je vais rappeler à votre souvenir. ALPHONSE DE CARNEY, Professeur de mathéma- tiques à lEcole royale d’Artillerie de Toulouse , Chevalier de la Légion d'honneur, Associé ordinaire de PAcadémie des Sciences, Inscriptions et Belles- Lettres de notre ville, Mainteneur de l'Académie des Jeux Floraux, membre de la Société d’Agri- 31 mai 1830. 30 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. culture, naquit aux environs de Montpellier , le 13 mai 1776. Il était d’origine irlandaise. Ses ancêtres, forte- ment attachés à leurs anciens Souverains, les Stuarts, ne purent se résoudre à les abandonner lorsqu'ils eurent à quitter l'Angleterre ; ils vinrent avec eux, comme un grand nombre de leurs com- patriotes, chercher un asile sur le sol hospitalier de la France : ils s’'établirent dans le Languedoc. M. Carney, le père de notre savant Confrère, fut lui-même un homme ‘de grand mérite. Il occupa long-temps une place distinguée parmi les ingénieurs des travaux ‘publics de la Province; il la quitta ensuite pour en aller prendre une qui supposait des connaissances chimiques : mais C’est sur-tout dans les langues anciennes qu'il était profondément versé. Ses vertus, comme son savoir , lui avaient en outre attiré à un haut point la con- sidération de ses concitoyens. Lorsqu'en 1700 ils furent appelés à nommer les administrateurs de leur pays, ils le portèrent à l'administration du. département de Hérault. Dans une autre circons- tance, une chaire devait être donnée au concours ; lorsque les candidats allèrent se faire inserire et qu'ils virent son nom sur la liste, ils se retirèrent en reconnaissant lincontestable supériorité de ce concurrent. Lors du rétablissemrent des institutions univer- sitaires , il y fut placé au premier rang dans lor- dre de ses connaissances au professorat des langues grecque et latine dans la Faculté des ‘Lettres 9 ÉLOGES. JI de Montpellier , Faculté dont il était en outre le doyen. Il a conservé ces places jusqu’à sa mort, arrivée en 1819. Uniquement occupé à bien remplir ses devoirs, homme austère, il vivait retiré et au milieu de ses livres. Cest dans son cabinet qu'Alphonse fut élevé. Un caractère posé et studieux , une intelligence facile, un jugement sain et solide, une mémoire prodigieuse, présentaient, par leur ensemble, le meïlleur des fonds sur lequel le père put répan- dre et comme semer le germe des nombreuses ét profondes connaissances qu’il possédait. Il les y répandit en abondance; il soïgna avec assiduité leur développement, et les fruits qu'ils portèrent le dédommagèrent amplement de ses peines : ils satisfirent tous ses désirs. Presqu'au sortir de l’en- fance, le jeune Carney était déja érudit, littéra- teur, et initié dans les sciences exactes ; la rec- ütude de son ésprit lPy rendait éminemment propre. Son éducation morale fut tout aussi facile ét fructueuse. La nature lavait doué d’un bon cœur, et les leçons comme lexémple de son père y imprimérént aisément, en caractères indélébiles , les principes d’une extrême délicatesse et d’une grande équité. Il apprit (si toutefois de telles qua- lités s’'acquièrent \ à être condescendant , serviable, et à se faire des amis. IT eut tous les avantages de l'éducation privée. Peut-être que celle qu’il eût reçue dans une école 32 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. publique aurait dissipé cette timidité ou réserve de caractère, cette tendance à lisolement, et cet éloignement pour le tumulte ou le bruyant qu'on remarquait en lui. Mais ce n'étaient point là des défauts; en les perdant, il eût peut-être aussi perdu quelques-unes des qualités qui ont rendu si recommandable. Lorsque cette excellente éducation fut terminée, et qu'il fallut entrer dans le monde, il ne trouva plus celui dont il sétait fait l'image, celui pour lequel il avait été proposé. Le Comité de Salut publie étendait alors sa domination de fer sur la France : ses sanguinaires agens , après avoir pro- mené la faulx de la destruction dans les départe- mens, après avoir, en vrais Vandales , renversé toutes les institutions littéraires, ne considéraient plus dans leurs débris, dans les savans qui res- taient encore, que ce qui pouvait les mettre en état de servir leurs formidables desseins : ils se saisissaient d'eux pour les y faire coopérer ; ils se saisirent du jeune Carney, à peine âgé de dix-huit ans, et lenvoyèrent, comme élève, dans une fabrique de poudres et salpêtres. Dès qu'il put en sortir sans danger, il alla chercher un refuge, et comme cacher son existence dans un atelier d'imprimerie. [l y travailla comme simple ouvrier; il le rappelait quelquefois avec une sorte de plaisir : homme de lettres, il y tenait jusque dans leur partie la plus mécanique. Cette partie lui laissait cependant quelques momens pour l’étude, etil les consacrait principale- ÉLOGES. 39 ment aux sciences. Ce fut vers cette époque où lutilité dont elles peuvent être aussi dans l’art de la guerre, fit accueillir par le terrible Comité l’idée de cette fameuse Ecole d’où sont sortis la plupart des savans illustres de notre âge. M. Carney y fut reçu en 1707 : il y passa trois ans , se perfection- nant dans les hautes mathématiques , et s’y faisant des amis pour lesquels il a conservé un grand atta- chement , et qui de leur côté lui ont toujours témoigné autant d'estime que d’affection. Au sortir de l Ecole polytechnique, il eut à choi- sir entre plusieurs des honorables services auxquels elle fournit exclusivement. Mais un caractère paisi- ble, un goût prononcé pour létude , et plus de propension pour la théorie de la science que pour ses applications, le porterent à préférer et à de- mander la place de Professeur de mathématiques à l'Ecole d’Artillerie de Toulouse ; 1l lobtint en 1801, et il l’a gardée jusqu’en 1829, peu avant sa mort. Je ne nr'arrêterai pas sur la manière distinguée dont il en remplissait les devoirs ordinaires. Mais je remarquerai que sa facilité à bien écrire et l'étendue de ses connaissances l'avaient fait nommer secrétaire des conférences tenues par les officiers d'artillerie, en garnison dans notre ville; élles avaient porté à le charger de plusieurs commis- sions extraordinaires ; ainsi, des expériences de Balistique furent faites au Polygone; il eut à en rédiger les procès-verbaux et à en déduire les conséquences : il eut à faire un cours sur cette 34 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES: branche de la dynamique : il en fit un autre sur la science des machines, de concert avec son plus intime ami, notre Confrère, M. Gantier. Il s’acquit non-seulement l'estime , mais encore l'amitié de ses chefs, et particulièrement celle du Général Levavasseur, qui a commandé, pendant plusieurs années, l'artillerie dansnotre ville, et qui, par la noblesse comme par la générosité de son caractère , y a laissé le souvenir le plus honorable. I était aussi littérateur, et il fut ravi d’en avoir un sous ses ordres : il le retenait des journées entières près de lui, s’occupant, avec son secours, de com menter quelque passage difficile d’un auteur de l’ancienne Rome, ou le priant de faire quelque recherche littéraire. La vivacité du Général con- trastait avec le phlegme du Professeur; et quoique celui-ci fût très-flatté de amitié de son chef, il ne laissait pas de faire quelquefois entrevoir qu’elle le dérangeait de ses habitudes et de ses pro- pres travaux. Ils avaient pour objet tantôt les sciences, tantôt la littérature. Sous ce dernier rapport , il était digne élève de son père : lettres anciennes et modernes, histoire , poésie, tout lui était familier ; sa mémoire Jui rappelant à tout instant ce qu'il avait lu (et il avait beaucoup lu ),en faisait une encyclopédie vivante que lon consultait avec un égal succès , lorsqu'on voulait connaître, par exemple, la biographie de tel membre de la Convention, ou savoir la manière dont Léibnitz avait envisagé une importante ques- ÉLOGES. 35 tion de mathématiques, ou entendre un jugement impartial sur les œuvres de Piron. La nature lui avait aussi donné cet organe qui met à même de bien sentir l'harmonie du langage ; elle Pavait ainsi fait poète : il a ébauché un grand nombre de petites pièces, fables, contes, etc., qui portent toutes empreinte de la facilité et du natu- rel ; des compositions de ce genre, et une grande érudition littéraire lui avaient ouvert les portes de PAcadémie des Jeux Floraux : ilen fut un des membres les plus distingués. Mais il sera loué à cet égard au sein de cette Société. Considérons-le ici comme membre de PAcadé- mie des Sciences. IL y fut nommé en 1810, trois ans après sa res- tauration. Peu de personneslui ont été plus utiles, moins par le nombre des Mémoires scientifiques qu'il a fournis, que par le bon usage qu’il y a fait de son excellent esprit et de son vaste savoir. Je me permettrai une remarque à ce sujet : en voyant combien il étudiait, combien il savait, et, d’un autre côté, combien il était peu porté à entrepren- dre et à finir un vrai travail, il me rappelait ce fameux érudit et sceptique, le P. Hardouin, disant: Je suis au paradis lorsque j'étudie , au purgatoire lorsque je compose, et à l'enfer lorsque je travaille pour limpression. Sans donner dans une telle exagération , car dans le caractère de M. Carney il ne pouvait y avoir rien d’exagéré, je dirai qu'il étudiait avec délices, qu'il jetait sans peine sur le papier, de premières idées, une esquisse ; mais qu'il 36 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. ne pouvait se résoudre à ces longs ouvrages qu'il faut mettre et remettre sur le chantier. Une seule fois il l’a fait, et c’était dans l'intérêt de l’Aca- démie. Le petit nombre décrits qu'il nous a commu- niqués , tel que son opuscule sur le cercle et Les corps ronds, est principalement remarquable par les considérations philosophiques qu'il renferme : la philosophie des mathématiques en était la par- tie qui lui plaisait le plus : il les connaissait d’ail- leurs toutes, et 1l la montré dans nos séances. Qu'on y lüt un Mémoire dalgebre, ou d’astrono- mie, ou d’hydraulique , etc., son caractère réflé- chi lui permettrait d’en suivre la lecture avec attention ; son esprit judicieux lui montrait ce qu'il y avait de bien comme ce qu'il laissait à dé- sirer; et la candeur de son âme le lui faisait dire sans aigreur Comme sans flatterie. Aussi, ses juge- mens étaient-ils d’un grand poids parmi nous, et ses avis y étaient généralement suivis. Lorsque PAca- démie avait quelque importante question à résou- dre , quelque article réglementaire à modifier , elle le chargeait d'ordinaire de préparer sa décision à cet égard. Naturellement les suffrages durent se porter sou- vent sur uu Confrère si considéré : et effectivement ils lont placé et maintenu pendant plusieurs années aux premiers emplois, à celui de Président ou de Directeur (nos réglemens ne permettent pas d’en occuper durant plus de treis ans consécutifs) :il y al- ternait avec son très-honorable ami M. de Malaret. ÉLOGES. 37 I occupait habituellement la place de Direc- teur : le matériel de nos travaux, et par suite les impressions, étaient alors dans ses attributions. Voulant répondre de son mieux à la confiance de Académie, il résolut la publication de ses Mémoi- res : plusieurs tentatives qui avaient été faites sans succès depuis le rétablissement de la Société, ne le découragèrent pas : 11 leva le plus grand des obstacles, il se fit son historien pour les Sciences mathématiques et physiques. Sa Notice sur les travaux de la classe des Sciences de l_ Académie de Toulouse , depuis le mois de novembre 1807 Jusqu'au mois d'avril 1822 , sera conservée dans les archives de la science ; elle assure un rang honorable aux travaux de La Compaonie, et mon- trera que ses membres ont aussi fourni quelques matériaux à l'édifice de nos connaissances. Je n'arrête quelques momens sur cet ouvrage de M. Carney, le plus considérable de ceux qu'il a COMPOsés. Les faits qui y sont exposés, et dont l’ensemble le compose, se trouvaient, ilfest vrai, dans les Mémoires d’où il les a extraits. Mais une multitude d'accessoires et de choses déjà connues les ÿ ca- chaient , les obscurcissaient en quelque sorte ; il les en a dégagés; il les a placés sous le point de vue le plus propre à faire ressortir ce qu'ils pré- sentaient de nouveau où d’important, {] mettait tous ses soins à ses travaux : Je ne veux pas, me disait-il, qu'il y ait un fait remarquable qui ne soit mis en évidence, qu'il y ait un Académicien, TOME III, PART, II. A 38 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. auteur d’untravail recommandable,quine soit cité.» Cest ce grand esprit de bienveillance pour ses Confrères , et le désir de travailler pour la gloire de Académie , qui l'ont dirigé dans son ouvrage , et qui, le sortant de son caractère , lui ont donné la force de le terminer. Ce n’est pas à de simples extraits qu'il s’est borné, il a quelquefois entrepris et exécuté de lon- gues recherches. Par exemple, notre grand obser- vateur, M. Marqué-Victor, était mort laissant sept années de précieuses observations thermomé- triques, sans les avoir mises en ordre, et sans en avoir déduit aucune conséquence. M. Carney se chargea de ce fastidieux travail :il prit etmania les matériaux laissés ; illes résuma dans quatre tableaux d’un véritable intérêt météorologique : comparant ensuite ces observations avec celles qui avaient été faites à la même époque aux observatoires de notre ville et de Paris, il est arrivé à ce résultat final, qu'à Toulouse la température moyenne de l'air, près la surface de la terre, est de r2°6 du ther- momètre centigrade , et que celles des souterrains comme les caves et les puits, est de 1398. Cet article de nos Mémoires, ainsi que plusieurs autres, est aussi l'ouvrage de M. Carney ; une part du mérite qu'il peut avoir lui en revient : dans sa modestie, il n’a rien revendiqué ; dans un esprit de justice et de vérité, nous la réclamons pour lur. Le style de sa composition peut être aussi remar- qué. Une grande simplicité le caractérise, à tel point que lorsqu'il en fit devant nous les premières ÉLOGES. 39 lectures, nous fümes frappés de ne voir qu'un exposé de faits , dénué de tous les ornemens qu’on regardait autrefois comme propres à ce genre, et qui lui avaient fait donner le nom de style acadé- mique ; la surprise était d'autant plus grande que c'était ici l’œuvre d’un littérateur distingué. Mais cette grande simplicité, qu’on me permette d’en faire ici l'observation , est cependant le véritable caractère des ouvrages analogues à celui dont il est ici question : elle se retrouve dans les Æna- lyses des travaux de l’Académie des Sciences de Paris ; et elles sont faites cependant par deux hommes d’un grand mérite littéraire, MM. Cuvier et Fourier : elle doit régner exclusivement dans toute composition scientifique. L'homme à qui la nature a donné le plus d'esprit , Voltaire, a aussi composé des élémens de la philosophie de Newton, et le style de cet ouvrage est extrèmement simple ; pas un mot ambitieux, pas une période emphati- que , pas une de ces subtilités de langage si fort en vogue à cette époque : Voltaire avait assez d'esprit pour prendre entièrement celui de chacun des gen- res qu'il traitait. Après avoir terminé le premier volume de nos Mémoires, M. Carney s’occupait du second; il avait fait des dispositions pour son impression ; ce sont celles qu’on exécute en ce moment. En voyant ce savant comme consacré à l'étude , plein de connaissances si diverses, de moœurs si simples, d’un naturel si modéré et au-dessus des passions qui agitaient la plupart des hommes , on 40 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. croyait voir un sage, un philosophe tel que nous le représentent les anciens ; en éloignant toutefois l'idée de la rudesse ou du cynisme qui en a distin- gué quelques-uns : car M. Carney avait une grande aménité dans le caractère, et jamais atôme de fiel nentra dans son cœur. Ses manières, quoique sim- ples , étaient celles de la bonne société : il y allait quelquefois ; il s’y trouvait à son aise, et on ly “voyait avec plaisir; son mérite était partout connu et honoré : il avait fait inscrire son nom sur les registres de la Légion d'honneur. Dans une telle position, il devait être le plus heureux des hommes, et il ne l'était pas. Le bien le plus précieux, la santé, lui manquait. Quoique d’une belle stature et d’un tempérament fort en apparence, il n’en portait pas moins le germe du mal auquel il vient de succomber. Depuis quel- ques années , un fonds de mélancolie perçait à tra- vers la sérénité de son front : un dégoût intérieur s’emparait de son cœur , et la vie n’avait plus de charme à ses yeux. L’homme n’est pas fait pour la solitude, lui disaient ses amis , et ils engageaient à prendre une compagne celui qui paraissait si propre à la rendre heureuse. Mais il sentait que le mal venait d’ailleurs. IL obtint sa retraite, et il se trouva déchargé d'un grand fardeau , car il voyait ses forces dimi- nuer. Devenu entièrement libre, il hésita sur le parti à prendre : il voulut d’abord rentrer à Mont- pellier où il avait ses propriétés, ses parens , ses premières connaissances : mais ce père chéri, ce ÉLOGES. 45 maitre vénéré n’était plus : perte immense pour le meilleur des fils, car M. Carney fut tel. Pres- que tous les ans il allait faire une visite à l’auteur de ses jours; il se plaisait à se remettre près de lui dans ces rapports de respect et de déférence où il avait été lors de sa première jeunesse : il lui portait scrupuleusement et il mettait à son entière disposition le fruit de ses économies; et il aurait pu lui-même en retirer des avantages ou des jouis- sances. Privé de !son père, privé de sa mère qu’il avait perdue un an après, il ne put se résoudre à quitter les amis au milieu desquels il se trouvait depuis si long-temps : et ces amis, Messieurs , nous le disons avec orgueil, étaient des membres de notre Compagnie : il voulut continuer de vivre avec eux; il voulut n'avoir d'autre travail que la publication de nos Mémoires, Vains projets! même ce peu qu'il se réservait, il allait le perdre; nous étions au moment d’être séparés de celui auquel nous rendions avec usure les sentimens qu’il nous témoignait. La soif inextin- guible qui le tourmentait depuis quelques années augmentait continuellement ; les effets de laffec- tion diabétique qui le minait se développaient de plus en plus, ses facultés intellectuelles commen- çaient à baisser : je ne puis plus que lire, disait-il; et c’est effectivement en tenant dans ses mains un livre, qu'il parcourait plutôt qu'il ne le lisait , assis près de son modeste foyer, qu'il a passé le cruel hiver que nous venons d’éprouver. Il en attendait le terme avec impatience pour 42 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES: aller à Paris , voir , disait-il | encore ses amis et ses camarades d’école , et s’entretenir avec eux d’ob- jets scientifiques. Nous tremblions à la seule idée de ce voyage; lui seul était ou paraissait parfaite- ment tranquille. Lorsqu'on hasardait quelques re- présentations , qu’on manifestait quelques craintes sur les suites qu'il pouvait avoir, se dissimulant peut-être le danger qui le menaçait , il répondait paisiblement : Je me porte maintenant très-bien, les forces seules me manquent encore, et le voyage me les rendra, La veille de son départ, il est allé chez plusieurs de nous, prendre leurs commis- sions, donnant les mêmes assurances sur sa santé, et il pouvait à peine marcher et parler. Le 1.7 mars il monta en voiture , non sans difficulté, avec le projet de s'arrêter, pendant un jour, à moitié chemin , à Limoges : il s’y arrêta en eflet , et quel- ques instans après il ne fut plus. La nouvelle de cette mort ne nous surprit pas, mais elle nous affligea profondément : plusieurs de nous faisaient une perte grande et irréparable ; PAcadémie en éprouvait une qu’elle aura bien de la peine à réparer; et tous déploraient la fin prématurée de l’homme si estimable dont la car- rière était tranchée presqu’au milieu de son cours : il n'avait pas encore cinquante-quatre ans. ÉLOGES. 43 NOTICE SUR M. LE COLONEL VERPEAU ,; Par M. pu MÈGE. Mrssieurs, 2 juin 1830: * CE n’est pas sans raison que le célèbre Price a dit : « Heureux le savant qui, arrivant au terme de sa vie, sent qu'il a fait un bon usage de ses talens et de ses vertus!» Jeté, pour quelques ins- tans, au milieu d’une société politique, c’est à en soutenir les droïts, à en accroître la puissance, que doit se dévouer d’abord l’homme doué d’un grand courage. Mais, Latour-d’Auvergne, ce brave soldat né dans la famille de Turenne, et qui par ses exploits a égalé les preux les plus vantés, ne se contenta point de consacrer son épée à défen- dre le sol de la patrie : il employa ses loisirs à des recherches historiques, persuadé qu'il est encore une autre gloire que celle des armes , et que les conquêtes de la science et du génie ne sont ni moins brillantes ni moins durables que celles de la valeur. Ainsi l’homme de bien dont nous regret- 44 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. tons la perte, ne crut pas devoir borner activité de son esprit aux seuls travaux qu’impose la carrière qu'il avait embrassée. Il aima, il cultiva les sciences et les lettres ; et ces compagnes assidues de sa vie honorent en ce jour sa mémoire ! Souvent elles lui servirent de guides , toujours elles charmèrent ses ennuis ; et, comme le sage dont Price a esquissé le portrait, il a éprouvé qu'il est heureux celui qui , arrivé au terme de la vie, sent qu’il a fait un bon usage desses lumières et de ses vertus. Jeax-Baprisre-Dexis-Manie Verprau, Colonel d'artillerie , Directeur de larsenal de Toulouse , Chevalier de Saint-Louis, Commandeur de l'Ordre royal de la Légion d’honneur , Membre de PAca- démie des Sciences, Inscriptions et Belles-lettres, naquit à Flavigny, petite ville de la province de Bourgogne, le 18 décembre 1772. Sa famille, géné- ralement estimée, ne négligea aucun moyen pour lui procurer les avantages d’une bonne éducation. Il fut envoyé, très-jeune encore, au Collége de Semur, et plus tard à celui de Dijon. Ses progrès dans 4 connaissance des langues anciennes furent rapides ; mais bientôt les roubles auxquels la France fut livrée, et l'annonce d’une guerre géné- rale , vinrent interrompre ses innocentes études et ne montrer à sa jeune ambition d’autre carrière à parcourir que celle des armes. Divisé en plusieurs partis, le peuple Français allait donner au monde un exemple qui ne fut que trop imité. Mais si, dans l'intérieur des provinces, le génie du mal ÉLOGES. 45 étendit son empire , si ces belles contrées furent courbées sous la tyrannie de quelques tribuns audacieux, du moins on vit sur les frontières des exemples constans d’héroïsme et de vertu. Là des Français , marchant sous des bannières différen- tes, signalaient également leur courage , et éle- vaient, de concert , leurs palmes expiatoires, pour racheter aux yeux de la postérité les crimes des factions et les erreurs d’une politique sanguinaire. M. Verpeau n’était âgé que de vingt ans lorsque la guerre fut déclarée à l'Autriche. Il était entré depuis peu à lEcole d'application de Châlons, à époque où le roi de Prusse envahit la Champa- gne. Verdun, Longwi , ouvrirent leurs portes aux vieux soldats de Frédéric; mais les défilés de PArgonne devinrent les Thermopyles dela France, et Dumouriez fut plus heureux que Léonidas. Bien- tôt le sol de la patrie fut délivré de la présence des Prussiens, et les armées Françaises prirent l'offensive. Notre confrère sortit de l'Ecole de Chälons en 1794, avec le grade de Lieutenant en second dans le corps de lArtillerie. Alors commençait cette série de victoires et de conquêtes qui ont pour toujours illustré la France. Le jeune Verpeau fit ses premières armes au siéce de Maëstricht. Il était dans les rangs des légions qui parcoururent les provinces Néerlandaises, et qui rejeterent les Anglais loin des rives de lAmstel et du Zuyderzée. Il passa ensuite à l’armée de Sambre et Meuse, dont le souvenir est pour jamais inscrit dans les fastes de la gloire. Des délégués de la Convention 46 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. étaient alors dans tous les camps ; ils prodiguaient les grades militaires au petit nombre de ceux qui partageaient leurs coupables fureurs ; ils repous- saient ou ils dédaignaient les hommes vertueux qui ne s’appliquaient qu’à l’accomplissement de leurs devoirs , qui ne voyaient les ennemis de la France que sous les bannières de l'étranger. Pendant la domination de ces féroces proconsuls, M. Verpeau ne pouvait obtenir un avancement qu'il aurait fallu acheter au prix des plus basses adulations, et peut-être même du crime. On l’oublia, et ce ne fut qu’en 1802 qu'il reçut le brevet de Capitaine. Quatre ans après, ses chefs lui donnérent le titre dAdjoint à l’'État-major de l'artillerie du r.° corps de la grande armée. Les services éclatans qu’il rendit alors le firent connaître plus avantageuse- ment encore, non-seulement des généraux , mais aussi du Chef suprème de l'Empire, si habile à distinguer les hommes qui pouvaient seconder ses vastes desseins. La part active que M. Verpeau prit alors aux opérations militaires nous oblige à entrer dans quelques détails. Une paix glorieuse avait été le fruit de la vic- toire d’Austerlitz ; mais cette paix, dont la France ne jouissait que depuis peu de mois, devait être bientôt rompue. Depuisle traité de Presbourg, des événemens d’une haute importance avaient créé de nouveaux intérêts et une autre politique. La Prusse , cherchant à cacher ses desseins ulté- rieurs , avait occupé militairement lélectorat de Hanovre , et, feignant d’être en mésintelli- ÉLOGES. 47 gence avec la Suède , paraissait menacer la Pomé- ranie, où, sous le prétexte de défendre Pintégrité de ses états , Gustave rassemblait une armée. Deux Français étaient montés sur les trônes de Naples et de Hollande. Les états du centre et du midi de l'Allemagne commençaient à former , sous la haute protection de la France, une confédération puis- sante, et ne reconnaissaient plus la suprématie du chef de la maison d'Autriche : celui-ci même re- nonçÇait au vain titre dont il était revêtu, et l’em- pire d'Occident, fondé par Charlemagne, termi- nait ses destinées sous le règne de François IT. Les conséquences morales, politiques et militaires de la bataille d’'Austerlitz paraissaient avoir mis la Russie dans limpuissance de troubler l'Europe, ou de trouver des champs de bataille en deçà du Danube et du Niémen. D’ailleurs un diplomate célébre , venu à Paris, au nom de lempereur Alexandre , paraissait impatient de conclure un traité honorable pour les deux puissances. L’An- gleterre aussi avait envoyé des plénipotentiaires. Les plus grandes difficultés étaient surmontées ; déjà, selon le gouvernement français, les troupes avaient reçu l’ordre d’évacuer l'Allemagne ; déjà même quelques régimens arrivaient pour assister aux fêtes triomphales que l’on préparait, lors- qu’une suite de circonstances inattendues fit éva- nouir l'espoir des peuples, et livra le nord de PAI- lemagne à toutes les fureurs de la guerre. La Prusse, dévoilant en entier ses projets et sa sombre politique, prit une attitude menaçante. Réconciliée ' 48 INSCRIPTIONS ET BELLES-LÉTTRES. ouvertement avec la Suède, recevant de Londres des subsides immenses, comptant sur la prompie coopération de la Russie, elle força la Saxe à join- dre ses troupes aux armées qu’elle précipitait sur les frontières de la confédération du Rhin, et mena- çait la liberté de la Germanie sous le spécieux prétexte de la délivrer. La France connaissait depuis long-temps toutes les intrigues de ses ennemis. Néanmoins elle pou- vait penser que le besoin de la conserr vation , qui devait dépendre à Pavenir d’une conduite loyale, dominerait enfin dans le nord. Elle se trompait : les temps de dissimulation cesserent de part et d'autre : aux manœuvres les plus étranges se méêlèrent les insultes les plus graves. En Allemagne une foule d'écrivains s’élevaient contre ce qu’ils nommaient, à tort ou à raison, la tyrannie de la France, et Kotzebue, poëte de la cour de Berlin, publiait une ode dans laquelle on lisait ces strophes que notre CL re traduisit alors, avec élégance sans doute, mais aussi avec Aie « Me-vous, enfans de la Prusse ! de nouveaux » Brennus ont menacé la Rome du nord ! levez- » vous, courez aux armes | » Fiers de quelques succès sans gloire, ils ont » blasphémé contre le Mars de la Thrace, contre » le Mars de la Prusse ! Pombre de F Mdéric en à » frémi... Un héros s’est élancé de la couche de » Vénus; de la Vénus de Strelitz..…. » Mais quel est ce guerrier dont les cheveux * 2, ÉLOGES. 49 » blancs commandent le respect? Guillaume s’est » incliné devant lui, le soldat la salué par des cris » de triomphe ! c’est Brunswick , fils aîné de Mars » et de la Victoire. Salut, salut trois fois ! Reçois » des mains dune reine cette épée ; » Cest l'épée du vainqueur de Rosback..…... Et » vous, présomptueux Gaulois, vous avez entendu » parler du vainqueur de Rosback !..… Nouveaux » Soubises, ramassez le gant !... » Mais quoi, les étendards, les aigles d’or de la » France sont amoncelés devant la tente de Guil- » laume ! Les chants des Borusses qui retentissent » au loin, sont les chants de la victoire ! » Ruchel, cette noble poussière... Et toi, » Schmettau ! Ciel! encore Rosback! Foudres des » Borusses, vos ravages! Cessez enfans de la » gloire, cessez; la Bellone de Strelitz vous lor- » donne; Fhalestris a parcouru vos rangs. » Et vous, infortunés ! les bords de la Seine et » de la Loire vous redemandent en vain; venez, » suivez le char du vainqueur ; entendez-vous les » cris qui retentissent sur les deux rives de la » Sprée ! triomphe !'triomphe ! » «Nos anciens chevaliers, disait M. Verpeau dans ses notes sur cette ode, auraient livré un combat terrible, un combat à mort, à ceux qui auraient ainsi osé les insulter ; on ne peut aujourdhui ré- pondre à une telle audace qu’en frappant au cœur la monarchie de Frédéric ! » Elle Le fut en effet. Iéna fixa ses destins. Eylau ne put ébranler la fortune de la France, et ce fut 5o INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES: vainement qu'Alexandre , rapprochant encore ses braves armées de l’armée victorieuse , rèva la restauration de la monarchie prussienne. Ce fut alors que M. Verpeau, nommé Adjoint à l’État- major de lartillerie du premier corps, put dé- ployersur les champs de bataille cette perspicacité, cette assurance qui décident souvent du sort des opérations militaires. Il fut lun des vainqueurs de Friedland , et peu de jours après il vit, sur le Niémen , le radeau où trois souverains, animés de sentimens divers , parurent s’accorder pour le bonheur du monde. Quelque temps après cette mémorable campa- gne, M. Verpeau, promu au grade de Chef de ba- taillon, fut successivement Inspecteur de la manu- facture d'armes de Charleville, et Directeur du parc général du corps d'observation de la Flandre. Ses services furent dignement apppréciés ; le 14 mars 1811 il reçut le brevet de Lieutenant-colo- nel du 7. régiment d'artillerie. Le titre de Colo- nel fut la récompense de ses travaux, le 14 fé- vrier 1813. La France avait alors perdu l'élite de ses braves, moins par l’habileté ou la bravoure de ses enne- mis que par l’inclémence des saisons : cependant une nouvelle armée s’élança hors de ses frontières ; Lutzen, Bautzen, Dresde, virent la fuite et la honte de l'étranger. Il ne pouvait plus triompher que par des défections adroiïtement ménagées : elles eurent lieu successivement , et les alliés de la France tournèrent leurs armes contre elle, sans déclara- ÉLOGES. 51 tion de guerre, sans qu'aucun signe eût pu faire connaître leurs intentions perfides. M. Verpeau commandait alors en chef Partillerie du corps d'armée Saxon, qui lui-même obéissait au général Régnier. Au combat de Dennewits, il saperçut que les canonniers placés sous ses ordres, au lieu d'envoyer des boulets à l’ennemi, se contentaient de faire de simples salves à poudre. Ce grave incident m'aurait pas eu de suites funestes; le général allait être prévenu ; mais tout à coup le colonel Verpeau est atteint à la cuisse droite par lun des projec- tiles que lance ennemi :il tombe, son sang coule, il ne peut parler. Régnier ignore ce qui se passe; il ne peut l’apprendre au général en chef, et, peu de jours après, la bataille de Léipsick fut livrée... À peine guéri de sa blessure, notre Confrère fut de nouveau placé au poste du péril. Il était dans la magnifique place de Mayence, fortifiée avec tant de soin, avec tant de génie, par les Français, lors- qu’en 1814 la famille royale entra dans Paris. Ainsi que toute la garnison, le colonel Verpeau se soumit de bonne foi aux princes qui remontaient sur le trône de Henri IV, et il reçut à cette époque le titre de chevalier de Saint-Louis. Alors commença une nouvelle ère pour notre Confrère. Jusqu'à ce moment il n’avait guère paru que sur les champs de bataille, dans les manufac- tures d'armes , sous les remparts qu’il devait atta- quer, ou dans les places à la défense desquelles il devait coopérer. Maintenant il préservera, par son courage et son activité, lune de nos plus impor- 52 INSCRIPTIONS ET DELLES-LETTRES. tantes forteresses, de la honte d’ouvrir ses portes 4 l'ennemi ; il fera disparaître la trace des pertes que tant de revers inopinés ont apporté dans le maté- riel de la guerre ; il enrichira lun des plus beaux arsenaux du royaume ; il fournira une nombreuse artillerie à Parmée qu'un Fils de France doit con- duire jusqu'aux extrémités de la Péninsule Hispa- nique, et au milieu de ses travaux, si atta- chans, si multipliés, il trouvera encore le temps de s’occuper avec fruit, de la science des Jussieu et des Linnée, des étonnantes découvertes de Cuvier, de la rédaction de quelques Mémoires remarqua- bles, et ses délassemens mêmes seront des études suivies ; il y interprétera quelques pages des im- mortels écrits d'Homère et de Virgile. L'histoire a déjà répété qu'en 1815 les deux corps d'observation des Pyrénées se dispersèrent entièrement après la rentrée du Roi dans la capi- tale. Chaque soldat, sans attendre le licenciement de son corps , s’achemina vers ses foyers do- mestiques; et cependant, sur cette frontière, deux armées menaçaient encore, d'autant plus empressées d’envahir le Roussillon et la Guienne, que rien ne paraissait devoir s'opposer à leur marche! ! Elles allaient s'emparer, sans coup férir, et des places, et de l'artillerie, et des armes qui y étaient renfer- mées ; elles allaient démanteler nos forteresses, et, assurément, imposer, sur un pays conquis sans danger, de fortes contributions militaires. Le ca- pitaine-général Castaños franchit les Pyrénées, le 22 août ; le passage du Coldu Perthus lui fut livré, ÉLOGES. 53 et 1l y fit passer son artillerie. I voulait se porter par Perpignan et Narbonne sur le canal du Midi, placer son quartier à Béziers, et se mettre en com- munication avec les Autrichiens, Mais sa correspon- dance avec le général Bianchi ayant été interceptée, fit connaître ses projets. M. le duc d'Angoulême s’a- vance alors en toute hâte à la rencontre des Espagnols qui marchaient vers Perpignan ; derrière le Prince se groupent quelques régimens fidèles, et les dé- bris de cette garde, si long-temps invincible, et que des ordres supérieurs ont amenée dans le midi du royaume. Sans doute le neveu du monarque réussira dans son entreprise, et si la raison ne peut rien sur le général Castillan, à un signal, qui sera entendu, les diverses nuances des opinions politi- ques disparaîtront, pour se confondre en un seul sentiment , amour de la patrie. Mais, à l'occident des Pyrénées, le danger est encore peut-être plus imminent qu'au midi. Une armée espagnole se dirige vers Bayonne, qui n’a plus de défenseurs, plus de garnison. Un seul homme est resté dans cette enceinte, peut-être inutilement fortifiée; c’est le brave colonel Verpeau. Mais au moment du danger il ne désespére pas du salut de la place. Par ses ordres, les marins des vaisseaux de l'état sont tirés de leurs bâtimens, formés en compagnies, armés avec promptitude, et bientôt placés sur les points les plus susceptibles de défense, et dans les ouvrages qui couronnent encore les hauteurs voi- sines ; là ils pourront retarder les approches de ennemi. Enflammés par les exhortations de notre TOME III, PART. II, 5 54 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES- Confrère et excités aussi par leurs intérèts Les plus chers, les citoyens de Bayonne prennent les armes, des postes leur sont assignés, une nom- breuse artillerie paraît sur les remparts. Toutes ces ressources, créées en un instant , étonnent le général espagnol : il s'aperçoit qu'il est des dangers à braver, là où il ne voyait que des trésors à re- cueillir. Il renonce à son entreprise; 1l repasse sur la rive opposée de la Bidassoa, et, grâces au dévoue- ment du colonel Verpeau, Bayonne, fidèle à sa vieille devise , Nunquàm polluta, wa pas été souillée par la présence et par l'ivresse de lPé- tranger. S. A. R. ayant , de son côté, obtenu léloigne- ment de Castaños, le Roussillon et le Languedoc étaient aussi à l'abri d’une occupation militaire, toujours désastreuse. La conduite admirable du colonel fut bientôt connue du Prince; celui-ci voulut récompenser dignement M. Verpeau, et en effet, le 22 janvier 1818, notre confrère fut nommé Directeur de arsenal de Toulouse. On ne pouvait lui donner une place plus digne de son dévouement , et sur-tout à cette époque où le ma- tériel de l’armée devait être créé de nouveau, où il fallait rassembler pour lavenir des moyens d'attaque et de défense, et où Pon devait ellacer les traces de deux invasions successives. M. Verpeau a rempli avec une distinction peu commune ces hautes fonctions , toutes de confiance, et qui sup- posent, dans celui qui en est pourvu, une con- naissance théorique et pratique des arts qui sy ÉLOGES. 55 rattachent, unie à cet esprit d'ordre et de suite sans lequel le plus puissant génie ne pourrait rien produire en ce genre de travaux. Nous Pavons tous vu ce monument élevé par notre Confrère; et cer- tes, cetté nombreuse artillerie, ces chars de toute espèce , cés armes brillantes, se dessinant en tro- phées, se pressant dans Penceinte immense de ce pare, où l’avait placé la volonté du Souverain, imdi- quent assez à la reconnaissance publique les travaux assidus de lofficier habile qui fut chargé de si ho- norables soins. Il a pu fournir à une armée de cent mille combattans qui, en 1823, a parcouru toute l'Espagne, une grande quantité de bouches à feu et de projectiles; et c’est encore sous ses yeux qu'ont été forgées les foudres qui, sur des côtes inhospitalières, embrasent peut-être en cet instant le repaire des pirates africains. Les sciences mathématiques et physiques lui fournirent les moyens de remplir, avec des succès non contestés, la tâche qui lui était imposée ; et ce furent ces mêmes sciences et l’étude approfondie de la géog- nosie et de la botanique, ainsi que celle de la langue des Hellènes, qui lintroduisirent dans cette Académie, dont l’histoire se rattache au glorieux souvenir de Fermat, et qui offrit ses palmes à Bossut et à Clairaut. Ami de la vérité et la recherchant avec persé- vérance , M. le colonel Verpeau apportait dans les discussions savantes toute la franchise de son ca- ractère, toute la bonne foi de son âme. L'Académie, qui ne le comptait que depuis peu de temps au SR 56 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. nombre de ses Associés, na recueilli de lui qu'un petit nombre de Mémoires. Dans ces opuscules on retrouve des faits intéressans, des observations précieuses. Il allait présenter un rapport détaillé sur les travaux de ses Confrères pendant cette année; mais on n’entendra plus sa voix dans la paisible enceinte où nous cultivons les sciences (1), et son nom n’y retentit aujourd’hui que pour exprimer notre douleur et nos regrets. Ils dureront , ces regrets, autant que le souvenir de ses services, de ses talens et de sa loyauté. À (1) Il mourut à la suite d’une courte maladie, le 22 décem- bre 1820. ÉLOGES. 97 2 = _—— NOTICE SUR M. BOUDON DE SAINT-AMANS ; Par M. ou MÈGE. Messieurs ; En admettant dans son sein des savans, des gens de lettres, que distinguent de longs succès, ou que signalent déjà de nobles espérances , PAca- démie de Toulouse s'associe en quelque sorte à leur renommée , à leurs travaux, à leurs triomphes. Pendant leur vie elle senorgueillit des titres qu'ils acquièrent à l'estime publique, elle les recueille avec soin : lorsqu'ils ne sont plus, elle compte au nom bre de ses devoirs les plus saints, le soin d’hono- rer leur mémoire; et si les regrets qu’elle consacre à ces disciples de la science pouvaient saflaiblir un jour, ce ne serait qu’en reconnaissant qu'ils ne passèrent point sans honneur sur la terre , et que leurs noms doivent échapper à loubli des tom- beaux. Ah! sans doute, il laissera de longs souvenirs celui dont nous déplorons aujourd'hui la perte. Les peuples de lAgenais se rappelleront leur 22 juin 1832. 58 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. illustre citoyen , celui dont la plume élégante t facile sut décrire, avec tant de bonheur, et leurs mœurs et leur industrie, et la terre qui les vit naître et ses riches productions. Ils n’oublieront pas celui qui consacra ses derniers jours à sous- trare leurs vieux monumens aux coups de ligno- rance et de la barbarie , à recueillir leurs traditions et à retracer l’histoire de leurs pères... En cette occasion, le soin de fouer dignement un mérite si vrai, aurait dû être remis à : a- teur plus habile. Mais vous connaissiez toute ma vénération pour M. de Saint-Amans, toute l’es- time dont 1l m’honorait, et vous avez confié à mon cœur une mission à laquelle un talent supérieur aurait dû seul prétendre. Il faut remonter à l’année 1772 pour retrouver la première inscription du nom de M. de Saint- Amans sur les registres de l'Académie. Déjà connu par son goût pour lhistoire naturelle, par ses découvertes, qui l'avaient mis en rapport avec les savans , il ambitionna l’honneur d’appartenir à votre Compagnie, Quatre ans après, il concourut à la formation d’une Société des Sciences, Belles- lettres et Arts, dans la ville qu'il habitait. M. Jean-Florimond Boudon de Saint-Amans naquit à Agen, le 24 juin 1748. D'abord lieute- nant au régiment de Vermandois , infanterie, alors attaché au service de la marine, il fit partie d’un détachement envoyé en garnison dans les Antilles. L'aspect d’une végétation bien différente de celle de sa patrie, exeita tout son intérêt, et «la Flore ÉLOGES. 59 de ces climats brülans fournit les premiers élémens à ses études de botanique. » Rentré en France à l’âge de 25 ans, il quitta le service pour se livrer en entier à l’étude, et une alliance honorable le fixa pour toujours à Agen. Cette métropole des Celtes Niiobriges est riche de souvenirs. Depuis époque gauloise jus- qu'à nos jours, elle a été illustrée par de grands talens, par des renommées européennes. Jules- César Scaliger y porta, vers la fin du seizième siècle, le goût des lettres et la connaissance des chefs-d’œuvre de antiquité. Son fils fut Pun des hommes les plus savans de son époque. Nous avons vu et Cessac, et Lacuée, et sur-tout Lacépède, répandre une portion de leur gloire sur leur patrie. M. de Saint-Amans fut le compagnon , lémule et l'ami de ces hommes célèbres. En 1785, il prit une place distinguée parmi ceux qui cultivaient alors les sciences naturelles. Il composa un Cours de botanique , ouvrage re- marquable , et qui devait, plus tard, influer avan- tageusement sur linstruction publique dans PAge- nais. L'année suivante, il envoya à l'Académie ses Lettres sur l’histotrenaturelle des petites Antilles. Vers ce temps les Pyrénées, où Tournefort seul s'était montré, avaient enfin été conquises par la science. Picot de Lapeyrouse y recueillait les élé- mens de sa Flore et de son Histoire abrégée des plantes de ces montagnes ; Dolomieu y marchait à côté du savant toulousain, et jetait à la hâte le coup-d’oœil investigateur du génie sur ces monts, 6o INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. que d’autres, plus heureux, devaient explorer en tout sens; Diétrich en inventoriait en quelque sorte les richesses ; Palassou les parcourait en observa- teur profond et consciencieux ; Dussault , en écri- vain éloquent et inspiré. Mais il y avait beaucoup à faire encore...., et d’ailleurs les eimes les plus audacieuses n'avaient pas été mesurées , n'avaient pas même été atteintes. De nombreux passages que parcourt aujourd’hui , sans guide , le voyageur ordinaire, étaient réputés impraticables. Ce fut léloquent traducteur de William-Coxe , qui parut les ouvrir, qui rassura sur les dangers qu’ils présen- tent. M. de Saint-Amans contribua aussi, par son exemple, à montrer que les périls que paraissent offrir aux voyageurs quelques portions de ces montagnes, étaient imaginaires, où pouvaient être facilement surmontés. Le premier, il osa partir pour Héas, et traverser le Coumélie pour revenir par Gavarnie à Barèges. Ramond dit à ce sujet que notre Confrère ne pouvait son- ger, sans un petit mouvement d’orgueil, à tou- tes les inquiétudes qu'il avait causées à sa So- ciété de Barèges, alors qu'il entreprit ce petit voyage. C'était en 1788 que M. de Saint-Amans abordait les Pyrénées. Les Lettres qu'il écrivit alors ajou- tèrent beaucoup à sa réputation d'homme d’esprit et d’observateur. La tournure originale de son style , ses remarques piquantes sur les mœurs et les croyances des peuplades pyrénéennes , tout se réunit pour assurer un vrai succès à ce Ÿ’oyage - ÉLOGES. Gi écrit sur les bords du Bastan, et qui fut imprimé l’année suivante à Metz (1). A la même époque le théâtre Anglais, que des imitations , plus ou moins heureuses, avaient mis à la mode en France, occupait M. de Saint-Amans ; il donna la Médée de Glover, et accompagna cette tragédie d’une préface et de quelques notes; les chœurs qui remplissent les entr'actes furent tra- duits en vers (2). En 17090, il publia lEloge de Linnée : c’est lun des titres de gloire de notre savant Con- frère (3). Lorsque la révolution eut déplacé presque tou- tes les positions, bouleversé toutes les fortunes, M. de Saint-Amans fut assez heureux pour trou- ver un asile dans l'étude de lhistoire naturelle. Nommé professeur à l’école centrale du départe- ment de Lot-et-Garonne, il fit imprimer succes- sivement un Traité élémentaire sur les plantes les plus propres à la formation des prairies artificiel- les (4); une Philosophie entomologique (5) ; une (1) Voyage seïtimental et pittoresque dans les Pyrénées, suivi d'un bouquet de plantes recueillies dans ces montagnes , iu-8.°, Metz. Lamort, 1789. (2) Théâtre Anglais, par Mme la baronne de Vasse, tome vrit. (3) Inséré d’abord dans le Journal des Sciences utiles de Bertholon, 1 fut imprimé de nouveau à Agen, en 1819, in-8.0 (4) In-8.° Agen , 1797. (5) In-8.° Agen ; 1799. 62 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. Description abrégée du département de Lot-et- Garonne (1), et quelques opuscules moins impor- tans. Dirigeant , chaque année, ses pas vers nos montagnes, il y accompagnait dans ses courses aventureuses le célèbre Ramond, devenu comme lui professeur de Botanique, et fixé à Tarbes, près de cette immense chaîne qui traverse l’Isthme, et que pressent les deux mers. C'était en quelque sorte être entré au port du salut que de sètre réfugié dans les bras de la science au moment où éclataient les tempêtes publiques. Quand lorage fut calmé, quand Pad- ministration fut reconstruite sur un plan plus large et plus sage, M. de Saint-Amans fut nommé membre du conseil général de son département, et appelé à le présider pendant tout le temps qu'il en fit partie, c’est-à-dire, pendant trente et un ans. On n’a pas oublié ce qu'il fit alors pour l'Agenais; cette intéressante partie de la France Lui a dû les améliorations les plus avantageuses, Pa- vancement de l’art agricole, la création de quel- ques établissemens importans, et Le développement de plusieurs nouvelles espèces d'industrie. Ce fut durant ces longs jours de paix intérieu- re, où tout son temps était partagé entre Padmi- nistration publique et la culture des sciences et des lettres, que M. de Saint-Amans publia, dans les Annales des voyages, ses Lettres sur les Lan- des, ouvrage réimprimé depuis (2), et où lon (1) In-8.° Agen, 1800. (2) À Bordeaux, in-8.° avec des gravures. ÉLOGES. 65 trouve une foule d'observations neuves, des détails curieux, des tableaux de moœurs tracés avec art, mais toujours vrais, et où, sous les formes d’un style élégant, l’auteur montre des vues aussi Ingé- nieuses que profondes. La société académique d'Agen avait disparu durant la tourmente révolutionnaire ; elle fut ins- tituée de nouveau pendant le consulat, et les volu- mes qu’elle a publiés contiennent plusieurs Mémoï- res écrits par M. de Saint-Amans. Dans le nombre il faut citer ses Votices sur les productions natu- relles , rares ou peu connues du département de Lot-2t-Garonne ; ses Mémoires sur les monnaies anciennes , découvertes près d’ Agen ; son Rapport sur les recherches manuscrites de Beaumesnil , relatives aux antiquités de cette ville, et ses Ob- servations sur les aérolithes , auxquels il donna d’abord, à cause de leur origine apparente, le nom d'Uranolithes. La Flore Agenaise , publiée beaucoup plus tard (1), est lun des meilleurs ouvrages de notre savant Confrère, et aussi lun de ceux qui ont le plus honoré la botanique française. Un autre livre qui montre toute l'étendue des connaissances de M. de Saint-Amans , et sa constante sollicitude pour les lieux ou il était né, est aujourd’hui très-recherché, malgré lexiguité de son format, et le peu d'intérêt que, dans le système où nous entraîne la centralisation , on attache à la connais- (1) In-8.° figures, Agen, Noubel , 1821. 64 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. sance des localités; e’ést son Coup-d'œil sur le département de Lot-et-Garonne, chef-d'œuvre de statistique administrative , agricole et industrielle. Son Étoge de Linnée, ses Notices sur Joseph Debrugua et sur M. de Fivens, montrent avec quel talent il s'élevait à la hauteur de l'éloge aca- démique, et avec quelle gràce il savait raconter les moindres détails. Le dernier ouvrage que je viens d'indiquer , obtint à Paris le prix proposé pour la Biographie, et il méritait cette distinction honorable et flatteuse. Ce fut dans ses Lettres sur l’ Angleterre, ouvrage dont nous ne possédons que de courts fragmens, que M. de Saint-Amans montra d’abord son goût pour Parchéologie. Il y décrivit, et mieux qu’au- cun autre français ne la fait peut-être, le fameux Stonehenge ; ce vaste monument, en pierres bru- tes, dont la fable et des traditions contradictoires , et la science des étymologies, trop souvent en défaut, et des systèmes divers ont voulu tour-à- tour, mais en vain , nous révéler Porigine : antique débris, qui étonne par ses vastes proportions, et qu'environnent comme une ceinture funebre de longues lignes de Barrows où de tombeaux. C'était en 1802 que M. de Saint-Amans visitait les antiquités de lAngleterre. De retour dans PAgenais, il étudia celles que possédait encore sa patrie. Il arracha des mains des iconoclastes mo- dernes, les restes des cloîtres, des châteaux en ruines, des églises profanées, Il appela lattention de lautorité sur ces précieux débris ; il en racheta ÉLOGES. G5 quelques-uns ; 1l voulait en former un musée, qu'il aurait rendu digne de toute attention publique, si on avait mieux compris ses motifs, si on avait senti tout ce qu'il y a de national, de patriotique, à conserver, à environner de respect les vieux monumens de nos pères. Ce n’était pas seulement comme témoins irrécu- sables de l’état des arts à des époques plus ou moins reculées, que M. de Saint-Amans considé- rait ces restes précieux ; C'était aussi comme devant agrandir , multiplier les ressources de l’histoire de son pays, et jeter sur elle un intérêt nouveau, qu'il les étudiait dans leurs moindres détails. Cette histoire, il avait pris l'en gagement de lécrire, et il consacra plus de vingt années à en rassem- bler les matériaux épars. Labenaisie, prieur du chapitre de Saint-Caprais, avait, le premier, conçu le plan d’une histoire de lAgenais : ses recherches furent peu fructueuses. Jacques Argenton, chanoine de la même église, montra de Passiduité, du talent dans les mêmes travaux; mais il ne connut pas tous les documens qui devaient entrer dans sa composition. Joseph Labrunie hérita du goût et des manuscrits de d'Argenton , il écrivit une Chronologie et une Biographie Agenaises. En. mourant, il légua ses ouvrages à M. de Saint-Amans, et celui-ci les reçut comme un dépôt digne d’être transmis à la posté- rité. Mais il fallait ajouter à ce travail tout ce qui est relatif aux antiquités de l’époque romaine, et de cette série de siècles que nous nommons le 66 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. moyen âge, faire disparaître des récits peu impor- tans’, et parer des grâces d’un style élégant et spi- rituel l’aridité de quelques détails. Notre Confrère a complètement réussi; mais, pour parvenir au but qu'il se proposait, il dut se livrer à de sérieuses recherches , qui ont produit plusieurs opuscules importans, insérés dans les Mémoires de la Sociéte royale des Antiquaires. Ces travaux particuliers avaient d'ailleurs valu à M. de Saint- Amans la plus glorieuse récompense. L'Académie des Belles-lettres de l’Institut lui avait accordé l'un des trois prix d’antiquités qu’elle distribue cha- que année. A l’époque où notre Confrère reçut cette palme académique, il avait atteint sa soixante-quinzième année; mais l’âge n'avait pas affaibli son ardeur pour l'étude , et malgré des douleurs aiguës, cau- sées par une goute opiniâtre, 1l se hivrait à des travaux constans. Dans toute l'étendue du dépar- tement dont il habitait le chef-lieu, il entretenait une correspondance active avec les hommes les plus instruits; aucune découverte ne lui était inconnue. Tout ce que le hasard ou des travaux agricoles faisait retrouver dans l'Agenais était ac- quis par lui; qu'un monument encore debout fût menacé , qu'une simple substruction même fût en péril, il en devenait le propriétaire, et il prenait des mesures pour que cet objet füt à jamais con- servé pour fa science et pour la postérité. L'hôtel qu'il possédait à Agen et ses jardins de Saint-Amans renferment de longues suites de ÉLOGES. 67 monumens Romains, de chapiteaux, de sculptures et d'inscriptions du moyen âge. En examinant ces collections importantes, on retrouve et Pantique Aginnum, et cette ville aux temps héroïques de la vieille France. C’est au milieu de ces précieux débris que je lai revu à la fin de Pannée 1830. Il terminait alors son Histoire de l Agenais ; et si des circonstances particulières n’ont pas encore permis la publication de ce beau travail, nous devons espérer que les dignes héritiers de son nom ne négligeront pas ce moyen d’honorér à jamais la mémoire du vénérable auteur de leurs jours. M. de Saint-Amans obtint des succès littéraires dans la capitale, et cependant il ne eéda jamais au désir dy occuper une place parmi les écrivains de son époque. Il avait vu ses amis y briller de tout l'éclat du talent, de tout le prestige de la grandeur et de la puissance. Il applaudissait à leur élévation , et il ne songeait pas à s'éloigner d'Agen. De nos jours une telle réserve n’est pas commune : elle était, chez notre Confrère, la manifestation d’un sentiment patriotique. [l ne recherchait , il ne voulait que le bonheur de son pays. Tandis que ses vieux émules et les compagnons de son enfance participaient au gouvernement de empire , M. de Saint-Amans bornait tous ses désirs, toute son ambition à être utile aux lieux qui l'avaient vu naître. Plutarque, inspiré par l'attachement qu'il portait à Chéronée, disait que, né dans une ville fort petite, il aimait à s’y tenir pour l’empécher de devenir plus petite encore ; ce sentiment si noble et 68 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. si généreux, retint aussi, durant une longue vie, M. de Saint-Amans dans sa petite ville, et lui fit repousser toutes les séductions du pouvoir et de la fortune. Il mourut le 28 octobre 1831, âgé de plus de 83 ans. « Depuis le moment du décès de ce grand citoyen jusqu’à celui de sa sépulture , le beflroi de la mairie, et les cloches de toutes les églises don- nèrent le signal du deuil général. Ses funérailles furent honorées du concours de tous les fonction- naires publics des divers ordres, du clergé de toutes les paroisses, de la Société d'Agriculture, de tous les membres du corps enseignant , de leurs nombreux élèves, dun détachement de troupes de ligne, de la garde nationale, des diverses cor- porations, de tout ce qu’Agen possède d'hommes honorables dans les arts, le commerce, la vie pri- vée ; enfin, de l'entière population d’une cité digne d’avoir été la patrie ou le séjour d'élection de tant d'hommes illustres dans les temps anciens et mo- dernes (1). » Un monument va, dit-on, être élevé en lhon- neur de notre savant Confrère. Son pays lui devait cette marque de vénération, de reconnaissance et de deuil. (1) M. le baron Chaudruc de Crazannes, correspondant de l'Académie. Eloge de M. de Saint-Amans , page 54. ÉLOGES. 69 NOTICE SUR M. J.F. CHAMPOLLION, JEUNE ; Par M. ou MÉGE. Msssirurs, Ce ne sera pas seulement par des révolutions politiques, par le fracas des conquêtes, par cette conflagration européenne dont nous’ éprouvons encore la fatale influence, que les commencemens du dix-neuvième siecle exciteront l’étonnement de Pavenir ; ce sera aussi par les plus utiles découver- tes, par leur application immédiate aux besoins de la société, par les progrès rapides , inespérés, de toutes les sciences d'observation, par l'amour des recherches consciencieuses et par leurs résultats immenses. Pendant que lillustre Laplace détermi- nait les lois de Ja mécanique céleste, un homme s'est trouvé qui, appliquant toute la grandeur de son génie à la recherche de ce qui fut autrefois sur la terre, et à étude des phénomènes d’une vie qui a cessé, nous a rendu les tribus d'êtres ani- més qui peuplèrent notre planète, et dont les fa- milles depuis long-temps éteintes, n'avaient laissé LOMP UT PART, [Ie 6 70 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. d’autres traces que de rares débris de leur antique organisation : et, comme si ce n’était pas assez pour la gloire de cette époque d’avoir reconstitué un monde qui n’était plus, un autre homme , habile aussi dans l’exploration du passé, mais en suivant un ordre différent d'idées, est venu restituer à notre insatiable curiosité cette longue portion de l'histoire des anciens jours, que les livres saints, Hérodote et Diodore n’avaient fait qu'indiquer, cette histoire de la Terre de prodiges, quicommence celle de tous les peuples civilisés, mais dont les pages semblaient se dérober aux regards comme la mystérieuse divinité de Saïs sous les voiles qui recouvralent sa statue. Cet homme célèbre appartenait à notre Acadé- démie ; il était né près de nous, à Figeac, en 1700. La biographie des savans, des gens de lettres, offre en général peu de variété, peu d'intérêt ; elle est bien moins d’ailleurs dans des événemens d’une mince importance que dans les ouvrages qu'ils ont laissés. Quelques anecdotes douteuses sur le chantre d'Achille ne forment point l'histoire d’Homère ; elle est empreinte en caractères ineffaçables dans les productions de son génie, dans l’'Iliade et dans Odyssée. On peut dire de mème que la vie entière de M. Champollion est tracée dans ses Etudes sur l'Egypte. Ce seront donc ces Etudes que nous examinerons dans cette Votice. Les ruines de l'Egypte offrent à lantiquaire et à lhistorien , comme le remarque très - bien ÉLOGES. ni M. Brown (1), une source d'intérêt inépuisable. Malgré des systèmes plus ou moins accrédités , l'empire des Pharaons fut incontestablement le berceau des Arts et des Sciences. La Grèce, lIta- lie et la Gaule étaient encore couvertes de leurs forêts primitives, et parcourues par des peupla- des barbares, alors que la vallée du Nil possédait déjà des habitans qui avaient bâti des temples en l'honneur de leurs Dieux, et élevé des obélisques destinés à transmettre , aux époques les plus loin- taines, les noms et les victoires de leurs rois. A dater de lère de Moïse, dit le savant que j'ai déjà cité , l'Egypte se lie aux plus anciens souve- nirs , ainsi qu'aux premières annales écrites de la race humaine. Cependant, jusqu’à sa conquête par les Perses, c’est-à-dire pendant dix siècles, les auteurs anciens ne nous fournissent que des notions imparfaites ou peu satisfaisantes sur le gouverne- ment de cette contrée. Il est assuré cependant que, soit avant, soit après l'invasion des Perses, les Grecs étaient dans l'habitude de voyager en Egypte pour en apprendre les lois, les sciences et les coutumes. Plus les principes de la civilisation s’étendaient dans la Grèce, et plus, ajoute M. Brown, ses habitans étaient assidus dans leurs excursions vers Vantique dépôt où ils avaient déja puisé avec tant d'avantages, et où ils retrouvaient toujours des sources nouvelles. Thalès, Pythagore, Platon et d'autres, acquirent en Egypte les principes de (1) Aperçu sur les Hiéroslyphes. Edimburgz Rewieo. 6: 72 INSCRIPTIONS ET BÉLLES-LETTRES. leurs enseignemens philosophiques. Les Perses ; conduits par Cambyse, avaient , il est vrai, mu- tilé les ornemens de quelques temples de l'Egypte ; mais la masse indestructible de cesmonumens triom- pha des ellorts des iconoclastes ; et si des rochers inertes , taillés en pylones, en pyramides, en obé- lisques , purent résister aux coups des barbares, ceux-ci eurent encore moins de succès , lorsque pendant leur séjour en Egypte, ils voulurent chan- ger le culte et les mœurs nationales. Plus tard, quand une seconde conquête eut placé sur le trône des Pharaons une dynastie originaire de la Grèce, l'Egypte n’abandonna point ses coutumes antiques, et ses nouveaux maitres se soumirent au culte et aux habitudes nationales ; alors on examina encore d’un oeil attentif les trésors cachés dans ce berceau de l’antique civilisation : enfin, à l'époque où le ca- price du sort eut soumis cette contrée au joug d’une troisième conquête , et l’eut fait descendre au rang d’une province romaine, les maîtres du monde ne dédaignèrent pas les richesses intellectuelles de la savante et silencieuse Egypte. Cependant, comme le dit si bien M. Champol- lion (1) , les publications connues, relatives à cette importante portion de lAfrique, nous laissent encore dans une ignorance presque complète sur tout ce qui concerne spécialement son culte et son histoire dans cette longue série de siècles pendant laquelle l'Egypte , gouvernée par des rois indigènes, (1) Monumens d'Egypte et de la Nubie. Prospectus. ÉLOGES. 15 constitua peu à peu son état social, jeta les fonde- mens de sa grandeur , atteignit le point culminant de sa prospérité, et tomba enfin dans cette ère de décadence qui la livra au joug des étrangers. Une connaissance positive de l’état réel de PE- gypte, antérieurement à son long et triste escla- vage, ne pouvait, en effet, résulter des documens épars dans les anciens auteurs grecs ou latins, sources uniques où les historiens modernes aient pu jusqu'ici puiser quelques documens suivis et dignes d’une certaine confiance ; car il existe tant de désaccord et de telles variations, sur-tout dans l’ensemble et la succession des faits, entre les re- lations d'Hérodote , de Diodore de Sicile , et les auteurs qui ont extrait les livres de Manéthon, que, par le manque total de documens assez authenti- ques pour prononcer entre des témoignages si di- vergens , les annales de cette Egypte, dont l’état social subsista intact pendant tant de siècles , même avant la naissance de tous les grands empires con- nus, occupent à peine quelques pages arides et embarrassées dans nos Recueils d'Histoire univer- selle. Et cependant aucun peuple ancien n’a laissé sur le sol qu'il habita , des monumens aussi multipliés, dun goût plus varié et d’une si haute importance pour les études historiques proprement dites, que ceux qui s'élèvent encore sur les deux rives du Nil, depuis la Méditerranée jusques au cœur de VE- thiopie, ouvrages gigantesques, restés comme des témoins Indestructibles de la puissance et de Ja 74 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. piété des Egyptiens. On savait , ilest vrai, que les vastes tableaux historiques et religieux qui, ac- compagnés d'innombrables inscriptions | couvrent toutes les parois de ces temples et de ces palais, renfermaient, sans aucun doute, les notions les plus authentiques sur l'état civil et politique de la veille Egypte, puisque ces textes et ces bas-reliefs, comme les constructions qu'ils décorent, sont des ouvrages contemporains des événemens dont ils conservent le souvenir ; mais, jusques aucommen- cement de ce siècle , la langue antique des Egyp- tiens et leur système graphique national était à peu près inconnu, et l’histoire ne pouvait encore s’enri- chir de si précieux documens , échappés aux des- tructions opérées par les siècles et aux ravages de tant d’invasions successives (1 ). On avait cependant essayé, et même avec per- sévérance, à expliquer ces tableaux , à lire ces my- riades d'inscriptions. Mais ne voyant dans les au- teurs classiques que l'indication de quelques signes symboliques et des images d'objets, les savans mo- dernes n'avaient pu former que de vains systèmes sur les inscriptions égyptiennes. [] y avait d’ailleurs entre ces savans une sorte d'accord qui tendait à établir que Fécriture hiéroglyphique n’était com- posée que de caractères dont chacun représentait une idée toute entière. «Le nombre de ces sym- boles , comparé avec l’immense variété de caractè- res qu'on observe sur les monumens, était à la (1) Monumens d'Egypte et de la Nubie. Prospectus. ÉLOGES. 75 vérité fort petit ; mais la sagacité trop empressée des modernes suppléa bientôt, dit M. Brown (r), à cette disette de matériaux du premier âge. » Persuadé que lon était que chaque hiéroglyphe représentait une idée distincte, on eut la préten- tion d’en extraire forcément le sens qui devait sy trouver caché. On ne doutait point que les plus profonds mystères de la nature et de Part ne fus- sent inscrits sur les vieux monumens de l'Egypte. Les alchimistes y trouvèrent tous les secrets de l'Art royal; autres y reconnurent l'origine de la Science cabalistique et de la Démonolosie. Le Père Kircher donna sur-tout beaucoup de vogue à ces folies. Selon ses explications , soit qu'il entre- prit l'interprétation d’une inscription égyptienne par le commencement où par la fin , les hiérogly- phes des obélisques , des momies, sont empreints de cette prétendue science cabalistique et des monstrueuses imaginations dun système rafiné de démonisme. Ainsi, dans le cartouche de Pobélis- que Pamphilien qui contient simplement le titre AOTKPTP ( Adroxedrwo ), Empereur , exprimé en caractères phonétiques , Kircher parvint à décou- vrir loracle suivant : «L?auteur de la fécondité et de toute végétation est Osiris , qui a reçu des Cieux la faculté génératrice par l'entremise du saint Mophta ; » ainsi, sur l’autre cartouche de cet obélis- que où on lit en caractères phonétiques les mots KHSPS TMTIANS 3BSTS (Kaïowp Aopiriavos Séfuarès ) DOTE BEJNEVESE SDUOEN DS SAONE OCR (1) Edimburg Rewierv. 76 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. César Domitien Æuguste , il ne découvre pas moins que cette phrase dont on nous dispensera d'entreprendre la traduction : Generationis bene- Jicus præses, cœlesti Dominio quadripotens, aerem per Mophta beneficum humorem aereum committit Æmmoni inferiora potentissimo , qui per simula- crum et Cæremonias appropriatas , trahitur ad potentiam exerendam. » Il y a sans doute un long amas de folies dans ce système du Père Kircher, et cependant il a eu long-temps des admirateurs et des disciples , et ces derniers ont même ajouté à ses absurdités , ont même agrandi le cercle de ses erreurs... L'évèque anglican Warburton n’adopta point les opinions de Kircher. Il chercha avec soin la théorie des caractères graphiques dont se servaient les Egyptiens : il observa que les hiéroglyphes, ou les caractères sacrés , n'étaient pas ainsi nommés pour être exclusivement employés à des objets sacrés , mais qu'ils constituaient un véritable lan- gage écrit, applicable aux besoins de l’histoire et de la vie humaine, aussi-bien qu'aux sujets religieux et mythologiques. Ainsi Warburton avait trouvé une partie de la vérité relativement à l’art graphi- que des Egyptiens ; mais sa découverte, accom- pagnée d’ailleurs de quelques notions peu exactes sur Jés trois sortes de lettres employées dans la vallée du Nil, demeura sans application et mourut sans avoir laissé aucun souvenir. L’honneur de rendre au monde savant la langue , l'écriture et l’histoire de l'Egypte était réservé à la France. ÉLOGES. ir: Vainqueur des Mamelouks, Napoléon voulut joindre les palmes de la science aux lauriers de la conquête : il forma l’Institut d'Egypte, et bientôt la patrie des Pharaons fut explorée par les Mem- bres de cette Académie. Dans tous les lieux où ils purent pénétrer, ils dessinèrent avec une rare per- fection et ils décrivirent avec soin les monumens. La publication des travaux de ces courageux inves- tigateurs est l’un des titres de gloire de empire. On fit beaucoup alors , sans doute, pour la connaissance des arts et des antiquités de PEgypte, mais rien pour ce qui concerne le langage, la litté- rature , les hiéroglyphes et la chronologie des mo- numens de cette contrée. Le hasard seul devait fournir, à ce sujet, plus que toutes les recherches. Des travaux militaires avaient mis à découvert, à Rosette, un bloc de basalte où se trouvaient gravés les restes de trois inscriptions distinctes : la troisième était en grec , et terminée par quelques mots qui indiquaient que le Décret en l'honneur de Ptolémée Epiphanes, qui était gravé sur ce monu- ment , est en trois caractères divers ; en kiérogly- phique , en enchorique , où lettres du pays, et en grec ; de sorte qu’on y voyait un specimen authen- tique des caractères hiéroglyphiques accompagnés d’une traduction. Quant à la langue, Jablonski avait déjà dit, et M.E. Quatremère (1) avait démontré que le Copte était identique avec l’ancien Egyptien. = (1) Recherches sur la langue et la littérature de l'Egypte. n 7 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. M. le baron Sylvestre de Sacy fut le premier savant qui s'occupa de ces études toutes nouvelles. Ayant examiné les portions du texte enchorique qui correspondaient par leur position aux deux passages grecs où se trouvent les noms propres d'Alexandre et d'Alexandrie, il reconnut bientôt deux groupes de caractères d’une ressemblance presque parfaite, et il jugea que c’était la repré- sentation de ces noms. Il fut également heureux dans la découverte du nom de Ptolémée; mais désespérant d'aller plus loin dans la voie qu’il venait d'ouvrir, il abandonna un travail dont il avait trop tôt présagé la stérilité. M. Akerblad reprit l’investigation au point où M. de Sacy l'avait laissée. Il démontra ce que son savant devancier n'avait donné que comme une conjecture; c’est-à-dire, que le texte enchorique contient des noms propres en caractères égyptiens. Ensuite il essaya de construire un alphabet et de déchiffrer la lecture des autres portions du texte ; mais il échoua dans cette tentative. Cependant l'éveil avait été donné aux savans, et lon pouvait espérer que plusieurs d’entr'eux es- saieraient de dissiper les nuages qui couvraient encore les annales écrites de l'antique Égypte. Plusieurs Mémoires parurent, en effet, sur ce su- jet; mais on vit avec étonnement que leurs auteurs ne paraissaient pas même avoir entendu parler de la possibilité de comparer et de connaître la significa- tion des caractères exchoriques ou démotiques ; d'après les élémens qu'offre Yinscription bilingue ÉLOGES. 79 de Rosette. L'écrivain qui publia en 1812, à Paris, le livre intitulé de l'Etude des hiéroglyphes , a cru possible , à laide des traditions et du recueil des symboles employés par les peuples divers , d'arriver à un principe général pour expliquer les inscriptions égyptiennes : il forma une collection qu'il nomma /es Symboles des Peuples, et appli- quant sa théorie au portique de Dendérah, il y découvrit la traduction du centième psaume de David !.... En 1821, on a publié à Gènes une nou- velle explication des hiéroglyphes de Pobélisque Pamphilien , monument qui, d’après lOEdipe de de cessymboles, «conserve le souvenir d’une vic- toire sur les impies, obtenue par les adorateurs de la sainte Trinité et du Verbe éternel, sous la domination des sixième et septième rois d'Egypte, le sixième siècle après le déluge! ».... Persuadé que la langue hébraïque était , à peu de chose pres, celle qu'on parlait en Egypte, à Pépoque où, sous la conduite de Moïse , les Hébreux en sortirent après y avoir séjourné {00 ans, M. Lacour , peintre et graveur habile , donna aussi, en 1821, un Æssai sur les hiéroglyphes égyptiens , où il chercha à démontrer que ces hiéroglyphes n’expriment que des idées analogues à celles de la Bible, et qu'ils ne sont que de simples lettres dont la composition forme des termes hébraïques. Il sappuyait sur autorité de saint Clément d'Alexandrie, qui dit que les Symboles des Egyptiens sont semblables à ceux dès Hébreux. Heureusement deux hommes dun mérite in- * 80 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES: contestable étaient entrés dans une meilleure route, et l’un d’eux devait dévoiler en entier le système graphique égyptien. En publiant, en 1814, Pouvrage intitulé : L'Egypte sous les Pharaons , M. Champollion annonça formellement qu'on re- trouverait enfin sur ces tableaux , où l'Egypte n’a peint que des objets matériels, /es sons de la langue et les expressions de la pensée (1). Ainsi, notre savant Confrère avait déjà la conviction de l’immense et prochaine découverte qui devait à jamais illustrer son nom; et, sans doute, des essais heureux servaient déja de base à ses assertions. J'ai voulu , Messieurs, fixer votre attention sur ce qu'annonçait M. Champollion en 1814, parce que c’est vers ce temps qu’une nation jalouse de toutes nos gloires, a placé Porigine des travaux ou des premières publications du docteur Arthur Young , sur le système graphique de PEgypte. Je suis loin de vouloir ravir au savant anglais la part de gloire qui lui appartient dans ces sortes d’études, et j'avoue que, simultanément, en An- gleterre et en France, deux écrivains , sans se connaître , sans s'être communiqué leurs idées , s’avançaient vers la vérité , mais non d’un pas égal ; en effet , la véritable clef des écritures égyptiennes est dans la découverte de l’alphabeth phonétique , et cet alphabet, c’est M. Champollion qui en a démontré l'existence. En vain le Quaterly Review po (1) L'Egypte sous les Pharaons, Préface , pag. xvü]. ÉLOGES, 81 voulut élever entre les travaux du savant français et ceux du docteur anglais, une sorte de parité ; il ne pouvait en exister «entre un système impar- fait, complexe, fondé par M. Young sur un essai de lecture de deux noms propres seulement , et un système simple, homogène dans toutes ses parties, fondé sur une foule d'applications qui s’enchainent et se prouvent mutuellement; entre un système enfin qui ne s'applique à rien, et un système qui s'applique à tout. » On a cru d’abord que les caractères phonétiques étaient seulement employés à la transcription des noms propres étrangers, où à des mots qui n’ap- partenaient pas à la langue égyptienne. De là vient que l’on a pensé que Pencadrement elliptique , le cartel ou cartouche, qui dans Pinscription de Rosette entoure le nom de Ptolémée, indiquait la présence de ces sortes de caractères ; mais sur les plus anciens monumens de l'Egypte, antérieurs de tant de siècles à la domination des Lagides , on trouve aussi les noms des Pharaons dans des car- touches de même forme : ainsi les caractères pho- nétiques ne furent point employés seulement à transcrire des noms étrangers. Il n’y a point de signe moniteur pourindiquer leur usage, «et comme les cartouches sculptés sur tous les monumens égyptiens connus , soit du premier , soit du second , soit du troisième âge, indiquent, non pas que les caractères qui y sont contenus sont d’une nature phonétique , mais qu'ils renferment, quelle que soit d’ailleurs la nature graphique de ces caractères, 52 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. des noms de Rois, de Reines, d'Empereurs , d’Ini- pératrices, en un mot, de personnages qui ont exercé la souveraineté sur l'Egypte, il est assuré que le cartouche ou encadrement est un signe de su- prématie politique, et non pas un signe graphique. Les noms hiéroglyphiques des personnages privés sont tous, au contraire, écrits en ligne courante, dans les textes, sans aucune distinction qui se rapporte à la nature mème des caractères qui les expriment : et de là on peut conclure que les caractères phonétiques étant groupés, toujours sans aucune distinction particulière, avec dessignes proprement idéographiques, on peut distinguer d’abord deux ordres designes très-différens ; lesuns exprimant des sons, et les autres des idées(r). » Par la comparaisou d’un grand nombre de monumens , M. Champollion a démontré que chaque caractère phonétique avait plusieurs 2omo- phones, c’est-à-dire des signes exprimant les mêmes sons, mais différens de formes ; ce qui réduit à peu près à 25 les articulations de la langue égyptienne, nombre qui déjà avait été indiqué par Plutarque. Il faut étudier dans les ouvrages mêmes de M. Champollion l'application qu'il a faite, dans les commencemens de sa découverte de Palphabet des signes phonétiques, à divers groupes et formes grammaticales hiéroglyphiques, et les succès qu'il obtint en se servant de ces alphabets pour la lec- ture, soit des noms propres égyptiens hiéroglyphi- (1) Champollion. Précis. ÉLOGES. 33 ques de personnages privés, soit pour celle des qualifications et titres. royaux inscrits sur les obélisques et les autres monumens égyptiens de divers styles, soit enfin pour celle des noms des Pharaons, et des textes qui existent sur les murs des temples et dans les nombreux manuscrits funéraires retrouvés dans les tombeaux. Ces lectures ont fait jaillir des lumières inat- tendues sur Phistoire, et ont servi à prouver la véracité des récits de la Bible et de Manéthon, en mème temps qu’elles ont sapé dans leur base le système de Dupuis et de son école, et les travaux infructueux de quelques savans qui s’égaraient en recherchant des époques sur des monumens où ils croyaient voir inscrits des astérismes qui n’y existaient pas. Vous vous rappelez, Messieurs, tout ce que l'auteur de Origine des Cultes avait avancé sur la haute antiquité de la civilisation égyptienne. D’après des monumens publiés par Kirker et dans les Transactions philosophiques, il attribuait lin- vention du zodiaque à un peuple qui habitait sur les bords du Nil. «Cest là que naquit l'astronomie, disait-il, et c’est de là qu’elle se propagea chez les différens peuples du monde , à diverses époques , et l'état du ciel, au temps de la distribution des signes qui est venue jusqu'à nous, était tel, que le solstice d'été devait répondre au Capricorne , et que l’équinoxe de printemps , celui qui chez tous les peuples a été le plus observé, était alors marqué par le signe hiéroglyphique de la Balance. » 84 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. « L'époque de cette invention , disait encore Dupuis , remonte bien au delà du terme fixé par nos chronologistes , pour la création du monde , à laquelle nous sommes bien éloignés de croire; car 1l nous semble éternel... On ne doit pas être embarrassé par l'antiquité des époques : laissons les scrupules à ceux qui croient que la divinité a limité la durée de cette immense machine, qu’elle remplit d'elle-même, à cinq ou six mille tours d’une très-petite planète. Dans l'Univers-Dieu , dans lPunivers éternel , tel que Pline et les plus savans philosophes lont conçu , on ne compte point de date, le temps n’y est pas divisé; il marche en masse, comme la nature qui ne connaît ni passé ni avenir, et dans laquelle tout est pré- sent. Les durées sont proportionnées aux masses, et l'éternité y correspond à l’immensité, Il serait même possible qu’en faisant partir la division pri- mitive, du Capricorne, placé au solstice d'été, il y eût déjà plusieurs périodes de 25,000 ans d’ache- vées ; car nous n’osons répondre que celle-ci soit la première , et que nous ne soyons qu’au huitième mois, ou au huitième signe de la grande période de 25,000 ans, qui date du Capricorne. Néanmoins nous le présumons quant à l’origine du zodiaque, car 1l n’est guère vraisemblable que les sciences se conservent dans un même pays pendant un si long espace de temps. Tout change dans la nature ; les arts et les sciences , comme le soleil, promènent leur lumière autour du globe , durant Pimmensité des siècles. Tel pays, qui jouissait de leur lumière ÉLOGES. 32 bienfaisante , passa ensuite dans la nuit de ligno- rance et de la barbarie. Ce sont ces réflexions qui nous ont fait reculer , sexlement de quatorze à quinze mille ans avant notre siècle, linvention, non pas de l'astronomie, mais celle des figures hiéroglyphiques tracées dans le zodiaque (1). » On connait le succès contesté qu'obtint, sous le gouvernement éphémère du Directoire, le système d'explication de tous les symboles religieux par Dupuis. Le sang des martyrs du catholicisme fumait encore sur les places publiques, et le peuple se sentait entraîné par un penchant invincible vers ses anciennes croyances : le culte de la Raison, celui que la Convention nationale avait établi et dont le farouche Maximilien avait été le premier pontife, celui des Théophilanthropes, qui re- connaissaient pour chef un membre du Directoire, rien m'avait pu détacher les Français de lantique foi de leurs pères ; et les idées de Dupuis n'étaient adoptées que par les adeptes de la philosophie du dix-huitième siècle, heureux de trouver, sous des formes scientifiques, la confirmation de tout ce qu'ils avaient écrit ou pensé contre le Christianisme. Les zodiaques d’Esneh et de Denderah m’étaient pas échappés aux recherches des habiles explora- teurs de la vallée du Nil, et lorsque, de retour en France, l’Institut d'Egypte, fondé par le grand Capitaine , déroula le tableau de ses pacifiques conquêtes, on remarqua, sur-touf , les dessins de {1) Dupuis , Origine des Cultes , tom. 111, édit. in-4.° TOMLIII, PART, II. ÿl 4 86 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. ces zodiaques. Ils furent étudiés par les uns sans acception de système, par les autres, et ce fut le plus grand nombre, dans l'unique pensée d’y re- trouver la confirmation des idées de lauteur de l'Origine des Cultes. Cette pensée est sur-tout développée dans un Mémoire de M. Rémi Raige. Cet opuscule, inséré dans la Description de l'Egypte, publiée par ordre de l'Empereur, tend à démontrer que institution du zodiaque a eu lieu à une époque qui, à cause de la précession des équinoxes et‘du déplacement successif des signes, doit remonter à plus de quinze mille ans. À laide de ce Mémoire et des images des zodiaques, les partisans du système de Dupuis crurent un instant au triomphe de leurs idées. Cependant de vrais savans examinèrent ces des- sins, que l’art de nos graveurs avait singulière- ment embellis, et la plupart aflirmèrent que ces monumens que l’on annonçait comme contempo- rains des temps que les astérismes que lon croit y voir paraissaient indiquer , étaient , ou très-mo- dernes , ou ne remontaient pas à l’époque reculée qu’on leur avait assionée. Testa, combattant les idées de Dupuis, sur Pantiquité du signe de la Balance , que lon observe sur ces monumens, prouva , par lexamen des ouvrages d'’Eudoxe, d’A- ratus, d’Eratosthène , d'Hypparque, de Ptolémée, d’Ovide, de Virgile, de Macrobe, de Martianus Capella , que les Egyptiens ne connaissaient pas ce signe avant l'age d’Auguste. ÉLOGES. 87 M. Biot, recherchant l’époque de la fondation du temple de Dendérah, d’après la supposition que le zodiaque qui y était sculpté , était destiné à l'indiquer , ne crut pas devoir donner à cet édifice leffrayante antiquité qu'on lui accordait , et calculant, à raison de 50 secondes de degré la précession par année , il trouva qu’on ne pouvait (en 1822) fixer pour la fondation de ce temple, que l'an 2178 avant J. C. Dans analyse des Recherches sur les zodiaques Ecyptiens par M. Latreille, le savant Chevalier Delambre crut que Pon devait conclure des figures et des signes gravés sur ces monumens, que le zodiaque du grand temple de Dendérah aurait été construit seulement vers 670 , et le zodiaque circulaire vers Pan 500 avant notre ère. Le savant archéologue Visconti avait encore plus rapproché Pépoque de ces monumens ; il disait à ce sujet : « Je suis presque convaincu que cet ouvrage doit avoir été exécuté dans cet espace de temps, dans lequel le Thoth vague, ou le commencement de année Egyptienne répondait au signe du Lion, c’est-à-dire , de Pan 12 à lan 132 de lère chrétienne. » Nous verrons bientôt que le célèbre antiquaire avait rencontré juste en déterminant ainsi les deux limites entre lesquelles il fallait chercher les années où ces monumens furent élevés: Mais on comptait parmi les savans qui avaient fait partie de expédition, un ardent propagateur du système de Dupuis. M. Fourrier écrivit d’abord le 88 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. du Kaire à Bertholet, que « les monumens astrono- miques récemment découverts en Egypte prou- vaient que la division actuelle du zodiaque re- montait à quinze mille ans avant l'ère chré- tienne , et qu’ainsi étaient réalisées toutes les conjectures de Dupuis. Tout annonce, ajoutait-il, que les édifices actuels ont été construits dans le temps où l’état du ciel était ce qu’ils représentent. Tous les doutes doivent être exclus ici. On peut donc déterminer ainsi l’âge de ces monumens : celui d'Esneh remontant à six mille ans avant J. C. et celui de Dendérah à plus de mille ans avant le siége de Troie. » Cependant de Lalande, que l’on n’oserait soup- çonner d’un grand attachement pour tout ce qui pouvait servir la cause de la chronologie sacrée, ne faisait remonter le portique de Dendérah qu'à trois mille ans : enfin Dupuis lui-même, plus ré- servé que Fourrier, ne voyait dans le zodiaque de Dendérah , qu'un monument dont la date ne remontait qu'a douze ou treize cents ans avant J. C. (x) : il y supposait en effet le solstice d’été au milieu du Cancer, comme Eudoxe le place dans sa sphère. Une foule d'écrivains se mêlaient à cette dis- cussion. Le Mémoire de M. Rémi Raige, bien que combattu avec avantage par plusieurs savans, et même par un ingénieur qui avait fait partie de lPexpédition française en Egypte (2), avait de (1) Revue philosophique , 1806 , 2.me semestre, p- 267-8. (2) Mémoire sur le Zodiaque en faveur de la religion chré- ÉLOGES. 89 nombreux partisans ; Fourrier ne tenait aucun compte de l'opinion si sage et si fondée des savans archéologues Silvestre de Sacy, Quatremère , Visconti, Larcher, qui s’élevaient contre cette effrayante antiquité de la civilisation égyptienne ; il soutenait, avec des succès divers, le système qu’il avait embrassé ; mais il variait souvent dans l’énon- ciation de ses pensées , et on l’a vu (1), oubliant ce qu'il avait dit autrefois , assurer que « La com- paraison des monumens montre que la sphère égypüenne , telle qu’elle est représentée dans tous les édifices subsistans , se rapporte au 25.me siècle avant l’ere chrétienne. » Ainsi il abandonna ce qu'il avait avancé (2), que la division actuelle du zodia- que remonte à quinze mille ans avant cette ère. Cette fluctuation dans les idées était en quel- que sorte laugure de la destruction du système fondé par Dupuis. On accusait l'exactitude des dessins donnés par les sayans ingénieurs qui avaient recueilli les monumens de l'Egypte. On croyait que des détails importans avaient pu leur échap- per; on le désirait sur-tout. Le projet d'aller re- cueillir les monumens eux-mêmes fut formé par un ancien magistrat, et exécuté en partie, avec une grande promptitude et un rare bonheur. Dendérah nous livra son plafond constellé, son AU Pare NUAGE LU, LUN et IS tienne; par M. V. de Dalmas, administrateur d’une pro- oince de l'Egypte , in-8.e (1) Description de l'Égypte ; tome 1, antiquités, 3.° li- yraison. (2) Magasin Encyclopédique , tome vi, p. 191, 7.° annce, 90 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. plamisphère déjà si célèbre. Mais à peine arrivé à Paris, il fut l’objet des contestations Les plus vives: les uns ne voulaient point renoncer aux opinions qu'ils avaient consignées dans plusieurs ouvrages , recherchant toujours, « un thème astronomique, où il ne fallait peut-être retrouver qu'un monu- ment artrologique, duquel il n’y avait rien à con- clure pour antiquité du zodiaque » ; d’autres, parmi lesquels on distinguait l'abbé Halma, MM. de Paravey, Biot, de Saint-Martin , écrivirent sur ce sujet. M. Francœur avait dit dans son Uranogra- phie : « Nous adoptons en grande partie l'opinion de Dupuis; elle nous a paru réunir tous les genres de preuves dont ces assertions sont susceptibles;» et il ne se rétracta point. Néanmoins l'instant était venu où l’immense échafaudage élevé par l'auteur de Origine des cultes , et les opinions de ses par- tisans, hérissées de calculs, et le fatras des étymo- logies forcées sur lesquelles on avait voulu lap- puyer, allaient s’écrouler sans retour devant la simple expression de la vérité. Notre illustre Confrère avait retrouvé l’alphabet phonétique , il était assez naturel qu’il en fit lap- plication à des monumens auxquels Ja philosophie attachait une grande importance, puisqu'elle y trouvait le Palladium de ses opinions. Cette appli- cation eut lieu, et l’on put lire sur le zodiaque cir- culaire de Dendérah un titre impérial Romain; sur le grand édifice au-dessus duquel il est placé , les titres, les noms et les surnoms des Empereurs Tibère, Claude, Néron, Domitien ; sur le porti- ÉLOGES. 91 que d’Esneh, où un autre zodiaque a été sculpté, et qu’on a cru antérieur de plusieurs siècles à celui de Dendérah, des noms propres encore Romains, ceux de Claude et d’Antonin le Pieux: « d’où il est résulté, disait M. Champollion, que ces monu- mens plus astrologiques qu'astronomiques appar- tiennent irrévocablement au temps de la domina- tion Romaine en Égypte (1). » Une foule de faits, incontestables aujourd’hui, ont prouvé ensuite toute l'exactitude de ces lectu- res. Parmi les plus intéressantes pièces justificati- ves qui l’ont démontrée, il faut compter une stèle publiée (2) par l’auteur de l'Histoire des Lagides , M. Champollion-Figeac. Ce monument, qui vient de Dendérah, fait partie du Musée égyptien de Paris ; il est inscrit en grec et en caractères démo- tiques, On y voit de plus, dans un cartouche, les deux hiéroglyphes qui signifient grand temple, et il faut remarquer que lon voit la même indi- cation à la fin de la légende hiéroglyphique de droite qui accompagne le planisphère même du grand temple de Dendérah. La partie grecque de l'inscription nous apprend que, lan 1. de Nerva, César, Trajan, Auguste, Germanique , le 8 du mois de Payni, une femme nommée Isidora, Ten- tyrite, fille de Megistus, avait, par piété, et pour la conservation de empereur, pour celle d’Atbôt son mari et de ses enfans, fait construire, à ses propres (1) Précis ; p. 5. (2) Bulletin des Sciences historiques , mai 1826. 92 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. dépens, le puits et la margelle, pour Pusage dr temple d’Aphrodite, nouvelle déesse. Après cette énonciation vient le Proscynème , où acte d’ado- ration d’Apollonius, frère d’'Isidora, envers la même déesse ; ensuite on trouve une sorte d’attestation donnée par Horos, fils de Labyt, curateur du temple, qui indique qu’en eflet Isidora a fait faire; par dévotion, des travaux au temple d’Aphrodite, nouvelle déesse, sous sa surveillance, et pour la construction du puits et pour lesautres ouvrages(1). Ce qui suit en écriture courante égyptienne, ou en caractères démotiques, peut être considéré comme la signature de l’intendant du temple. Ces . deux lignes signifient en effet :« or, fils de Labé, étant curateur du temple de la déesse Athor. » La date que porte cette stèle, donne, comme le remarque judicieusement M. Champollion-Fi- geac, un intérêt tout particulier à ce monument. Selon le calendrier égyptien, tel qu'Auguste l'avait réglé, et en ayant égard à la manière de compter En mm À i (1) YIIEP AYTOKPTOPOC KAISAPOC TPAIANOY CEBACTOY NEQTEPA (1) @EA (1) METICTHI ICIAQPA METICTOY ANO TEN- TYPON KATECKEAIACEN EK TOY IAIOY TO dPEOP KAI TO IEPIBQAON YIIEP A (*) THC KAI YIIEP ATBOTOC ANBP KAI TON TEKNON. TO TIPOCKYNHMA ANHOAAQNIOY AAEASOC AYTHC. L. A. AYTOKPATOPOC NEPOYA KAICAPOC TPAIANOY CEBACTOY..... K..... (TEPMANIKOY) TIAYNI H° KAI TIOAAA AATIANHCAC (E) IC TO IEPON THC NEOTHPAC @EAC ICI- AQPA EYCEBIAC XAPIN AIA QPOY AABITOC YPONTICE IEPOY A®POAITHC @EAC NEQTHPAC EGPONTICE TOY IEPOY KA TOY SPHTOC KAI TON AYIION EPTON EYCEBIAC XAPIN. ÉLOGES. 99 en Égypte les années des règnes des empereurs romains , le 8 du mois de Payni de la premiere année du règne de Trajan, répond au 2 juin de l'année 98 de Jésus-Christ; le règne de ce prince ayant commencé le 27 janvier de la même année, elle ne devait finir, selon la manière de compter des Egyptiens, que le 29 août suivant. Cette date est un fait capital à l'égard du temple d’Aphrodite ou d’'Athôr, qui était la Vénus égyptienne, à Dendé- rah. M. Letronne (1) a prouvé que le temple de cette déesse, par la position que lui donye Strabon, est, sans aucun doute, celui qu’on appelle le grand temple de Dendérah ; or, c’est dans ce grand temple qu'était le planisphère transporté à Paris; ce pla- nisphère était lui-même accompagné d’un cartouche qui ne peut s'appliquer qu'a Néron : le monument appartient donc à l’époque romaine. Ce résultat étonnant confondit ceux qui, dans Pintérèt dun système, avaient jugé cetemple, d’abord très-ancien, ou au moins du temps des derniers Pharaons, et la stèle d’Isidora a confirmé tout ce que les lectures de notre illustre Confrère avaient déjà démontré. Aïnsi se trouva justifiée lopinion de M. Visconti, qui plaçait ces monumens, auxquels on donnait une si haute antiquité, entre le commencement du premier siècle et la moitié du second. Il résulta de la lecture des caractères égyptiens d'immenses avantages : la chronologie de tous les monumens de la plus célèbre portion de Pancien Monde fut déterminée ; car ces temples, ces palais, r o (1) Recherches pour servir à l’histoire de l'Égypte, p. 190. 94 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. vastes débris d’une grandeur qui n’est plus, sont couverts d'inscriptions où les noms de ceux qui les ont fondés sont tracés. L'histoire retrouva aussi des documens nom- breux ; les dynasties reprirent leurs places respec- tives dans la chronologie; les obélisques les plus élevés, les stèles les plus chétives, l'inscription d'Abydus, comme quelquefois les plus minces figurines, fournirent des révélations nombreuses à notre insatiable curiosité. Jamais découverte plus grande wavait illustré les sciences historiques. M. Champollion avait cru voir dans les Stro- mates de saint Clément d'Alexandrie, lindication de l'alphabet phonétique : d’autres assurérent, et cette opinion a encore des partisans , que dans le texte de cet auteur (1), il ne faut point reconnaître DÉMO R LE PERTE, Ton de Aile NE an PS LE (1) A'urire oi rap Aiyurrious rad'evdmeyor, rpôTey ui ruvru Ty Aiyurriey PAL T a pes lod'er , xpaleveuct ; Tr ENLETO- AOTPADIREN #anougeé nv" d'euTepoy di, T4 IEPATIKHN , # XP@VYTæI oi iepoypauurtis" dorérn d'é mal renevraiey IEPOTAYIKHN , 3e nptr rs did roy mpdTer croi ele #0piohI y ; à dé ruuSonxn. Täs dE ruBonixts À pui ypiohoyeÎTe Lara piunow , n à dTTEp TPOFINDS YPÉQETUI AÔE dyrinpus aANeyopEÎT es LUTTE TIVES diviy peoÛs. IDuoy yoûy ypéÿæi Bounoevos xux 0) roiobri, cena dE cu pnvouides , x@Ta To xupionoyodpeeray Eido5" Tperix os dE nur oixtio- TNTE LATAy0VTES Lai pererievres , ra À ÉfaANMTTONTES , ré de roNUY à pirarynuarilovres MapaTTouTir. Tods yo0y roy Rart- HÉWY ÉTaiYoUs dconcyaumeveis PLU ape d'id'ovTes deypdgévoi die ro? dvey Avguy. Toù dè æard Tous PAPE Tpirov tid'ous d'eiyua £sra Toûe* Ta psy yap TOY MA GY &TTO&Y, dia ra TOpEI&Y rh AoËhy cquor rapuriy GrtixaQ 0, roy de Hauey r@ rov navbæpou, x. 7. À, Suom. V. 647. Potter. ÉLOGES. 9° l’énonciation expresse de ces caractères, dont l’exis- tence d'ailleursnesaurait être révoquée en doute (x). Saint Clément d'Alexandrie indique trois genres d'écriture égyptienne. Le premier était Pepistolo- graphique , le second, l’hiératique , dont se ser- valent les hiérogrammates, et enfin l’Aiéroglyphi- que. Ce dernier se divisait en deux parties , lune exprimant au propre les objets par les caractères alphabétiques, ainsi que le son qu'ils représen- taient; l’autre, symbolique, et se subdivisant en plusieurs espèces, soit cyriologique, ou au propre, d’une manière mimique , ou d'imitation > Soit tropi- quement , soit enfin à l’aide de quelques allégories énigmatiques. Les recherches de M. Champollion l'ont porté aussi à reconnaître chez les Egyptiens trois différentes espèces d’écritures, la démotique où populaire, indiquée par Hérodote , et qui ne diffère pas de celle que saint Clément appelle épis- tolographique ; Yécriture sacerdotale, désignée par ce savant Père de l'Eolise sous le nom d’Aiérati- que ; enfin, l'écriture hiéroglyphique , qui n’est autre chose que l'écriture monumentale. M. Letronne abordant la seule difficulté que présentait le passage de saint Clément » à montré qu’elle pouvait se réduire à l'interprétation des mots dix rüv FRÔTUV Grotyelov, par lesquels l’auteur désigne la première des deux espèces de signes, qui composaient chez les Égyptiens l'écriture hiérogly- Den, LT C1 NU LUS HN (1) M. Dulaurier, Examen d'un passage des Stromates de saint Clément d'Alexandrie. 96 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. phique, et quant au mot Grotyeix, 1] ne peut guère y avoir de doute qu’il ne peut signifier autre chose dans ce passage que les /ettres aphabétiques , et que saint Clément n’a eu en vue que l'alphabet phonétique, dont l'existence est irrévocablement prouvée par les découvertes de notre savant Con- frère, indépendamment de ce passage. Cet alpha- bet, d’ailleurs, était déjà mentionné par Plutar- que (1), Manéthon (2) et Horapollon (3). La discussion du reste de ce passage ne saurait en- trer dans une notice biographique. D'ailleurs, il n'y eut d’abord dans le monde savant d’autre op- position que celle de M. de Goulianof”, qui proposa un système d'explication que tout le monde rejeta, mais que, plus tard , M. Klaproth parut adopter, et à l’aide duquel ilenrichit les Egyptiens d’une sorte de caractères qu'il nomma iéroglypkhes acrologiques ; dénomination qui n’avait pas même le mérite de bien rendre la pensée de son auteur. Ce fut vers ce temps qu'apparurent les recher- ches de Spohn (4), et celles de M. Seyffarth (5). (1) Sympos. 1x, 3, p. 495 ; dans le Traité d'Isis et d'O- siris, p. 374, Plutarque affirme que l'alphabet égyptien était composé de 25 lettres. (2) Maneth., 4p. Joseph, contra Apion., p. 441. (3) Hiérogl. (4) Frid. Aug. Guil. Spohn..…. De lingua et litleris vete- rum Ægyptiorum..……. Accedunt grammatice atque glossa- rium Ægyptiacum. Edidit et absoloit Gustaous Seyffarth , in acad. Lips. Profes. D. Lipsie , 1825, in-4.° (5) Gustavi Seyffarth, rudimenta hieroglyphices. Accedunt explicationes speciminum hieroglyphicorum , glossarium at - que alphabeta, etc. Lipsiæ , 1826 ; in-4.° ÉLOGES. 97 Les élucubrations du premier avaient déjà ac- quis une sorte de célébrité dans PAllemagne, bien que lon n’en connût point les résultats. Mais il mourut (1) sans rien terminer, ne laissant que des matériaux épars et quelquefois presqu’aussi inin- telligibles que les monumens qu'il voulait expli- quer. «Peut-être, dit lun de nos plus illustres orientalistes (2), peut-être, sil lui eût été donné de müûrir davantage le résultat de ses recherches, de le perdre même quelque temps de vue, pour le soumettre lui-même à un nouvel examen et scruter la solidité des bases sur lesquelles il avait pénible- ment élevé quelques portions dun édifice qui était encore bien éloigné de former un ensemble satis- faisant, aurait-il hésité à le produire au grand jour ; et comme il ne cherchait que la vérité, peut- être aussi, délivré du premier enthousiasme au- quel on est si facilement entrainé par lespoir flatteur d’une importante découverte, en aurait-il porté le même jugement que semblent avoir au- jourd’hui adopté unanimement les savans qui d’a- bord avaient conçu de grandes espérances du succès de ses travaux. » M. Quatremère avait démontré que lancienne langue égyptienne était celle que lon connaît encore sous le nom de langue copte. Spohn, après avoir annoncé que l'écriture égyptienne se com (1) Le 17 janvier 1825, à peine âgé de trente-un ans. (2) M. le baron Silvestre de Sacy, Journal des Savans, septembre 1827, page 542, 643. 98 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. pose de lettres, ajoute que la langue dans laquelle sont écrits les monumens égyptiens, n’est ni lhé- breu, ni le copte, ni l’éthiopien, ni enfin un idiome particulier semblable à hébreu, à l'arabe, au sanscrit où au grec; que C’est une langue qu'il lui fallait presque tirer du néant : Spohnio, dit M. Seyfarth (1), Zngua nova ferè è nihilo pro- creanda fuit. Mais bien qu’il eût annoncé avec une grande assurance que, dès Pannée 1819, il était parvenu à déchiffrer lécriture démotique où pro- fane; que, plus tard, il avait aussi réussi à lire l'écriture hiératique ou sacerdotale des Papyrus trouvés dans les momies , nous n'avons rien qui justifie ses prétentions à cet égard, et M. Seyfarth, son savant éditeur, ne nous a point encore donné la dissertation dans laquelle, selon cet écrivain, Spohn devait mettre entre les mains du public la clef, cherchée si long-temps, du sanctuaire égyp- tien. Clavum sacrari Ægyptiaci dudim quesi- tam illam. Il est d’ailleurs digne de remarque , que dans les explications que M. Spohn a données de quelques monumens égyptiens, particulièrement de Pins- cription de Rosette, bien loin de créer une nou- velle langue d’après les monumens, 1l a constam- ment eu recours au Dictionnaire Copte, pour y trouver le sens des mots dont il croyait avoir deviné la lecture. Et cependant on a vu que le Copte n’était point, suivant lui, la langue des anciens possesseurs de V'Égypte. (1) Vit. Sp. 26. ÉLOGES. 99 Borné à ses recherches sur les caractères démo- tiqueset hiératiques, Spohn excluait formellement l'écriture hiéroglyphique de ses travaux et de ses découvertes (1). M. Seyffarth n’a pas cru devoir limiter ; mais les diverses explications qu'il a essayées, n’ont pas servi à faire adopter son sys- tème. Tandis qu'en Allemagne on cherchait ainsi, mais en vain, à rendre à l’histoire les innombrables monumens de l'Égypte , notre Confrère multipliait ses écrits, perfectionnait sa découverte, et voyait l'Europe savante applaudir à ses travaux. La capi- tale du Piémont allait posséder un musée égyp- tien; Rome montrait avec orgueil les obélisques que les Césars y firent transporter et que les Papes, protecteurs des lettres et des arts, ont retirés de oubli; sous la haute protection du Grand Duc de Toscane, la science égyptienne était professée dans le palais des Médicis. Louis XVII sintéressait spé- cialement aux découvertes de M. Champollion, et le Louvre, déjà rempli de débris de tous les âges, rece- vait dans son enceinte des myriades de monumens, moniteurs des anciens jours , et qui nous entretien- nent encore de la gloire de ces vieilles dynasties, dont, presque seul, le prêtre de Sebennis nous avait conservé le souvenir. À une époque moins agitée, les lettres reconnaissantes auraient apprécié plus qu’elles ne le firent, cet immense bienfait du mo- Es heR re ere Re 25 Lo 0 ON UENY" TS (1) Doch fast gantzlich mit ausschluss der hieroglyphen oder Bülderschrift. Seyff. Pit. Spohn, 28. 100 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. narque ; elles auraient dit, selon heureuse expres- sion de notre Confrère, que la vieille Égypte des Pharaons était devenue une annexe des domaines de la couronne de France. Cependant, pour compléter les travaux de la Commission d'Égypte > pour rétablir les textes hiéroglyphiques qu’elle avait recueillis quelquefois avec peu de bonheur, pour ajoutér à ceux-ci, pour voir des monumens dont les événemens militaires l'avaient éloignée, pour parcourir des contrées où elle n'avait pas cru devoir étendre ses investigations , il fallait entreprendre un voyage dans ces contrées. Les savans de tous les pays, sachant que la bar- barie, toujours agissante, détruisait systémati- quement ces vénérables indicateurs, hâtaient de tous leurs vœux le moment où des copies fidèles de ces milliers d'inscriptions et de bas-reliefs his- toriques qui rehaussent les annales de ce pays cé- lébre, seraient recueillies. « Ce n’était pas d’ailleurs seulement à l’histoire de l'Egypte, disait M. Cham- pollion, qu'un tel voyage devait fournir des lu- mieres qu'on chercherait vainement autre part que dans les palais de Thèbes ; c'est là qu’exis- tent des notions aussi désirables qu'étendues sur tous les peuples qui, dès les premiers temps de la civilisation humaine, existaient avec quelque gloire en Afrique et dans Asie occidentale. Les principales actions des Pharaons contre les nations qui pouvaient alors lutter de puissance avec lE- gypte, ou lui inspirer des craintes , sont sculptées sur les monumens érigés par les triomphateurs ; ÉLOGES: : toi on y lit les noms de ces peuples, le nombre des soldats, les noms des villes assiégées, ceux des fleuves et des pays soumis; la quotité des tributs imposés aux vaincus et les noms des objets précieux enlevés à l'ennemi, sont gravés sur des tableaux qui représentent ces trophées de la victoire. Ces bas-reliefs , entremêlés de longues inscriptions explicatives, deviennent d'autant plus curieux à connaître, que les artistes égyptiens ont rendu avec une admirable fidélité la physionomie, le costume et toutes les habitudes des peuples étran- gers. On pourra donç apprendre enfin, par l'étude directe de cette imniense galerie historique, quelles nations pouvaient balancer, à des époques sur les- quelles l’histoire reste encore muette, le pouvoir des Pharaons , en disputant à l'Égypte l'empire de cet ancien ondes que nous n’apercevons encore qu'à travers mille incertitudes, mais dont la réa- lité, déjà démontrée, n’en est pas moins surpre- nante; toutefois, en rapportant le temps de ces grandes scènes à une époque beaucoup plus rap- prochée de nous que ne le voulait un esprit de système plus hardi que raisonné. » Un voyage littéraire en Égypte est donc au- jourd’hui lun des plus utiles qu'on puisse entre- prendre dans lintérêt des sciences historiques. Le plan en est arrêté, et pour l’exécuter moi-même, je n’ai plus qu’à solliciter et à attendre les ordres du Roi (1). » (1) Bulletin des sciences historiques , juin 1827, p. 478 < LOME Ils PART, LT 5 102 INSCRIPTIONS ET DELLES-LETTRES. C'était en 1827 que M. Champollion écrivait ces lignes. L'année suivante, Charles X envoyait notre illustre Confrère en Égypte, à la tête d’une Com- mission d'artistes habiles, parmi lesquels on re- marquait un Architecte Toulousain (1). Une autre Commission, présidée par M. Rosellini, se joignit à la premiére, et, sous les auspices du Grand Duc de Toscane, partagea la gloire et les dangers de cette expédition lointaine. Que manquait-il alors au bonheur de notre Con- frère? Par un travail persévérant de près de vingt années y pénétrant le secret des écritures égyptien- nes, il avait réuni les plus incontestables notions sur la nature élémentaire, la valeur et les combi- naisons variées des caractères dont se composent les textes égyptiens antiques : mais, pour répondre à l'attente générale , il était devenu indispensable de faire application de ses nouvelles connaissances sur l'écriture hiéroglyphique, aux inscriptions gra- vées ou sculptées sur tous les monumens publics ou privés de l'Égypte et de la Nubie; et voilà que, sous abri protecteur du pavillon de France, M. Champollion cingle vers le Nil, chargé d’en explorer la longue vallée. Les pyramides de Mem- phis, Esneh, Dendérah, Ombos , Edfou , Anteopo- lis, Philæ , Syenne, Dakké ou l’ancienne Pselcis, Derry, Ghirsché, Ouadi-Essaboua , Ipsamboul, (1) M. Antoine Pibent, auteur du magnifique Plan de Pompéi. Nous espérons pouvoir publier de nouveau ce Plan, avec un texte explicatif et des détails sur l'état actuel de cette ville antique. ÉLOGES. 103 Ouadi-Alfa, Semné, [brin , lui montrent leurs ri- chesses monumentales !! À Thèbes il habite le palais des Pharaons ; la Nécropolis royale est devenue l’une des parties de son musée. Partout il recueille d'immenses matériaux pour l’histoire. Il est placé en présence des dynasties qui régnérent sur VÉ- gypte et dont lexistence était naguère un problème. Il recueille jusqu'aux moindres détails sur une vie qui a cessé depuis trente siècles : tous ses efforts sont couronnés par des succès incontestés , et en reve- nant sur la terre natale il va rapporter des tro- phées, non moins glorieux que ceux que recueillit l’armée conquérante que le génie de Napoléon avait jetée sur ces rives célèbres. Mais il n’est point de félicité parfaite. Lorsque M. Champollion partit pour l'Égypte, la politique avait déjà tout envahi en France. La littérature était presque entière dans les journaux. Il reçut à Thèbes, dans le majestueux palais de Médinet- Abou , quelques-unes de ces feuilles accusatrices qui semaient partout la méfiance et le germe des dissentions publiq ues. Là , le ministère de CHE X était accusé d’être Pose des sciences et sur-tout de l’histoire. À Alexandrie il retrouva d’autres journaux, qui confirmaient les assertions des pre- miers, qui ajoutaient même que le Secrétaire d'état, chargé du département de Pintérieur, maimait ni les lettres , ni les arts, et que sa faveur n'irait ja- mais chercher ceux qui les eultivaient avec quelque renommée. En arrivant sur le sol français 1l trouva la même opinion établie; et cependant ce Ministre, 8. 104 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES-. vous le connaissiez tous, Messieurs, c'était notre honorable Confrère , M. de Montbel. Je fus assez heureux pour dissiper les craintes de M. Cham- pollion, et la haute protection dont le Ministre honora le créateur de la science égyptienne, montra bientôt que l’ancien Maire de Toulouse savait apprécier tout ce qui est grand , tout ce qui peut honorer la patrie. Des mesures furent adoptées pour faciliter la publication des matér laux historiques que notre Confrère avait rassemblés. Cependant nous touchions à l’un de ces boulever- semens politiques qui agitent long-temps les masses populaires, même après que l'événement a été ac- compli. Les protecteurs deM. Champollion partirent pour l'exil, et pendant quelques mois il fallut sus- pendre toute publication de quelque importance. Enfin, en 1831, un Prospectus annonça Les Monumens de l'É gypte et de la Nubie, considérés dans leurs rapports avec l’histoire, la religion et les usages civils et domestiques de l’ancienne Égypte , décrits d’après les recherches faites dans ces contrées durant les années 1828 et 1829, par les deux Commissions scientifiques , et publiés sous les auspices des gouvernemens de France et de Toscane, par MM. Charmpollion jeune et HI. Rosellini. Une édition italienne devait paraï- tre à Pise (1), en même temps que le texte fran- (1) Z Monumenti dell Egitlo e della Nubia , consideranti in rispetto alla storia, alla religione e alle usanse civili e do-- ÉLOGES. 109 çais serait imprimé à Paris. Mais, soit que la pro- tection nécessaire ait manqué à ce grand ouvrage, soit que des circonstances particulières en aient arrêté la publication , il n’a point paru. M. Cham- pollion est mort, laissant à la France le soin de faire connaître les immenses travaux auxquels il s'était livré (1). Plus heureuse, ltalie jouit du fruit des recherches de notre Confrère et des dé- couvertes dont il voulut bien partager honneur avec des disciples qu'il aimait. [/un d’entr'eux, M. Hippolyte Rosellini, spécialement encouragé par son auguste souverain, S. À. I. le duc de Tos- cane, a déjà donné une partie du bel ouvrage qu'il devait publier avec notre Confrère (2); et il est permis de regretter que la France, déjà veuve d’un savant de cet ordre et de cette renommée, se soit laissé ravir, par l’empressement que des mains étrangères ont mis à procurer ce trésor à la science, cette partie si précieuse de son héritage (3). Espé- mestiche dell antico Egitto; descritti secondo lo studio fat- tone in quelle contrade negli anni 1828 e 1829, delle due commissiont scientifiche Francese e Toscana, e publicati sotto gli auspici dei governi di Francia e di Toscana dai SSri. Champollion minore, e I. Rosellini, (r) Les manuscrits de M. Champollion ont été acquis par le Gouvernement. (2) Monumenti dell Egitto e della Nubia , disegnati dalla spedizione scientifico-litteraria Toscana in Egitto, distribuiti in ordine di materia, interpretati ed ilustrati del Dre. Ippolito Rosellini , etc. (3) M. Raoul-Rochette, Journal des Savans , août 1834 ; page 458. | 100 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. rons cependant que les manuscrits de M. Cham- pollion seront publiés un jour. Le Gouvernement ne les a pas acquis pour les laisser périr dans la poudre dune bibliothèque ; l’histoire les réclame, et sa voix sera sans doute entendue (x). Né, comme je lai dit ,en 1790 , M. Champollion n’avait encore atteint que sa quarante-deuxièeme année, lorsqu'il a été enlevé aux lettres et à l'amitié. L’émeute rugissait encore quelquefois dans les rues de Paris: mais, au milieu même des préoccupations les plus graves, des regrets du passé, des espérances et des craintes du présent, des prévisions de l'avenir, la mort de ce savant , si justement célèbre , fut un événement qui occupa les esprits, qui frappa de stupeur tous les amis de la gloire nationale; et (1) Outre un grand nombre de Mémoires , de Dissertations insérées dans divers journaux , et particulièrement dans le Bulletin des Sciences historiques, M. Champollion jeune a publié les ouvrages dont voici le texte : L'Egypte sous les Pharaons, tome 1 et 2, contenant la description géographique, 2 volumes grand in-8.o Lettre à M. Dacier, sur l Alphabet des hiéroglyphes pho- nétiques , in-8.°, avec 4 planches. Lettres à M. le duc de Blacas , relatives au Musée royal de Turin, 2 vol. in-8.e et un atlas in-4.° Panthéon égyptien, collection de Personnages mythologt- ques de l'ancienne Egypte d’après les monumens , in-4.° Précis du système hiéroglyphique des anciens Égyptiens , 2 vol. in-8.°, deux éditions , l’une de 1824, l’autre de 1828. La Grammaire égyptienne. (Sous presse.) Lettres écriles pendant le voyage en Egypte , 2 vol, in-8.e Les monumens de PEgypte et de la Nubie. Prospectus. L'ouvrage a été achete par le Gouvernement ; il devait avoir 400 planches , format grand atlas , et dix volumes in-8.e de texte, ÉLOGES. 107 lorsque, peu de jours après, un horrible fléau descendit sur cette orgueilleuse cité , qui appelle dans son sein toutes les illustrations, toutes les gran- deurs, et qui ne leur réserve pour récompense que l’honneur d’un froid mausolée , que létroit espace d’un sépulcre chèrement acquis, on ne vit point de plus grandes douleurs que celle qu’excita la perte si prématurée de Champollion. Les hommes placés le plus haut dans estime publique, aperçurent le vide immense qu'il laissait dans leurs ran gs; et cette jeunesse studieuse, accourue de toute l’Europe pour recevoir dans la vieille Lutèce une instruction que l’on chercherait vainement dans d’autres capitales, sentit qu’elle avait perdu lun de ces rares génies qui n'apparaissent que de loin en loin dans le cours des siècles, pour répandre avec profusion des lumiè- res que le temps ne saurait obscurcir. Dans nos provinces méridionales, on parle avec force, on écrit avec un talent remarquable contre ce que l’on nomme le monopole intellectuel, contre la suprématie scientifique qu’alfecte une seule ville ; mais on ne fait rien pour retenir loin de Paris les hommes de génie nés dans ces provinces. Lorsque la mort les a frappés, on les oublie, ou ce n’est qu'après un long intervalle que lon songe à ho- norer leur souvenir. Ce dernier reproche ne saurait cependant être adressé à la ville où M. Champollion avait reçu le jour. La perte de cet illustre explo- rateur de l'Égypte fut pour Figeac le signal d’un deuil public : une proclamation du Conseil munici- pal annonça, et la construction d’un monument 108 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRÉS. fut proposée. Les peuples du Quercy et du Langue: doc , mieux inspirés qu’autrefois, sentirent qu’en cette occasion il s’agissait de leur gloire et de leur nationalité; et notre Académie qui sait si bien apprécier tout ce qui honore la patrie, et la Société Archéologique du Midi de la France, s’empres- sèrent de participer à l’érection du bloc monu- mental sur lequel a été gravé pour Pavenir le nom du créateur de la science égyptienne... Vous m'avez confié, Messieurs, l'honorable soin de rendre un dernier , un solennel hommage à sa mémoire : peut-être aurais-je rempli, non sans succès , cette noble tâche, si l'affection la plus vive, si ladmi- ration la mieux sentie avaient pu suflire, avaient pu suppléer au défaut de lérudition archéologique et au génie de l’orateur. Mais mon âme était trop douloureusement affectée pour me fournir d’heu- reuses inspirations, pour me permettre de préten- dre aux séductions du style et aux triomphes de l’éloquence. Ainsi je n’ai pu que retracer , trop im- parfaitement sans doute, ce que M. Champollion a fait avec tant de bonheur pour Phistoire et pour l'antiquité; ainsi cette Votice, que j'aurais voulu rendre digne de celui qui en est l’objet, ne sera qu’un tribut passager et n'aura qu’un éclat éphémère, comme ces fleurs que des mains pieuses offrent à des cendres chéries, et qui ne brillent que quelques heures sur le marbre éternel du tombeau. HISTOIRE. E ON TITT L | ” LE " > LL LA . ‘ l « : =! v L LES Pure b Ÿ | "y "1 ‘ (4 ln 4 ss k. f " | DTA "1 : : L L.d : | : : TR t - | M mn a : (ii à # , Ù | A , dy vi RCE API ni | dan] dame CE CV TERRES | | CS à TE SEE TN LT \, . + n { ÿ Vie 6 { | "ren BUT FALL : DU NE UN UE DL > US LUC OST EE _ | AC DU LEE Re “"h NES es ON D” ke y! TARA. CONTE STE RTE à AVI Meet 3) MER Lay: :" …" AE LA #4 vi “ De amiotenn à a re entr tél RAD LL ASS. DATE Mer AUTANT PEN PA A AT ere, ATOS ere Ne a Rat Nm 48 Fait so 4 D DR UE Di) OS" LUS PA Pneu AP TAN, ot a EE ré) +7 pe sent A rte ent ANRARRÈRE ET | a DS LUC TR ES ET OR AE il LRU rautstieh lan vd made f AN E Que : 7 eur M RE Bret EL « 4 e-dharcfeh ne | paie ts POLALIE LATE DIET L PAC. | CENT cecr 10 i Ve T VAL « Le * n fe) ENS | Rue. -. ’ Gection Deuxieme, —— HISTOIRE, ANALYSE Des Travaux de la Classe des Inscriptions et Belles-lettres ; pendant les années 1828, 1829, 1830, 1831, 1832, 1933. Ds Discours prononcés par le Président de 'Aca- démie ouvrent ordinairement les séances publiques de cette Société. Ces Discours présentent quelque- fois, sous des formes oratoires, des dissertations profondes sur des sujets scientifiques ou littéraires ; quelquefois aussi on y trouve le développement des doctrines professées par l'Académie , Pappré- ciation de lintérêt qu'offrent les sujets de prix proposés par elle, et des conseils adressés aux con- currens sur la route qu’ils doivent parcourir pour atteindre le but offert à leur émulation. Ainsi ces Discours font une partie essentielle des travaux de la Compagnie et se rattachent à son Histoire. Indiquer les effets de l’action des Académies M. Taran. sur le perfectionnement des arts de l'esprit ; examiner la situation et les caractères de notre système littéraire, pendant les dernières années du dix-huitième siècle , et principalement pendant 112 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. nos troubles civils ; rechercher les causes et signaler les résultats infaillibles des innovations qui se sont introduites dans ce système vers le commencement du siècle actuel : telle fut la tâche que M. Tayan s’imposa dans le Discours d'ouverture dont nous allons rapporter quelques fragmens. «Nul doute, disait-il, que ce ne soit à lin- fluence des corps académiques , aux vives lumières qu'ils ont répandues, aux récompenses éclatantes qu'ils ont décernées, que lon doive attribuer ces expériences et ces découvertes qui ont étendu, dans une proportion si élevée, le domaine des sciences positives, et cet esprit d'investigation et de recherche qui a rendu si attrayante l'étude des monumens historiques et des littératures euro- péennes. » Cette action des corps savans sur le mouve- ment de lesprit humain a été si puissante, qu’elle a dominé même les événemens de la révolution. A cette époque , commença pour la France une société politique toute nouvelle, dont les premières bases furent posées au milieu de Pébranlement général ; et les secousses de cette crise violente que tant de causes avaient préparées, en ruinant avec fracas nos institutions vieillies, donnèrent à la marche des esprits, en général , une impulsion forte, hardie, vigoureuse, qu'aucun obstacle ne pouvait plus désormais arrêter. » Les Académies avaient disparu dans cet im mense bouleversement ; mais les doctrines qu’elles avaient professées leur avaient survécu ; et ces HISTOIRE 119 doctrines salutaires, que tant d'épreuves etde succès avaient enracinées, en quelque sorte, dans les moœeurs du collége, dirigeaient toujours les divers systèmes d'enseignement et d’études. » Chose étonnante ! l'Europe était en feu ; et la France, au milieu de ce vaste incendie qui la consumait , recelait toujours, dans son sein , des savans laborieux , des penseurs profonds qui, étrangers aux excès des passions politiques, mais zélateurs enthousiastes de la science, et peu sou- cieux de la vaine gloire de fronder les vérités établies , adoptaient sans examen les théories consacrées , au lieu de se jeter dans le vaste champ des abstractions philosophiques. » D'un autre côté, des littérateurs pleins de goût , adeptes fervens des Muses classiques aux- quelles ils étaient redevables de leur renommée, jaloux des progrès de la langue dont ils avaient étudié les origines et apprécié les ressources, bra- vant , dans ces jours de stupeur , les emportemens d’une polémique fougueuse , corrigeaient par la critique les écarts de lesprit ; et l’on trouvait, même alors, des poètes de la vieille école qui chantaient, en vers sublimes, les maux ou les triomphes de la patrie, parmi les ruines et les trophées dont elle était chargée. » Une seule fois, un seul auteur, le mème qui plus tard tomba victime d’une proscription san- glante et laissa après lui d’intarissables regrets, avait essayé des innovations qui s’accordaient avec les désordres du moment, et qui auraient introduit 114 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. aussi dans notre littérature des germes d’anarchie et de dissolution. Cet exemple était d'autant plus dangereux , qu'il était donné par un poète dont Pimagination pittoresque et brillante jouait tou- jours avec les fleurs, et qui savait revêtir les sentimens les plus délicats et les plus doux, du charme et de la mélodie des beaux vers: mais, maloré lés séductions de tant d’enchantemens , ce poète infortuné ne fit point de disciples : au con- traire, on considéra ses essais comme les rêves d’un homme esprit, impatient de céder, avec une entière liberté, à toutes ses inspirations; et les : hommes qui parcouraient alors avec lui la noble carrière où il avait paru avec tant d'éclat, ambitieux de se rendre dignes des maîtres habiles qui les avaient précédés , s’étudièrent à suivre pour modè- les, les formes de composition, de style et de langage qui leur avaient valu une si slorieuse célébrité. » Eh ne croyez pas, Messieurs, que cette sou- mission aveugle , cette adhésion absolue aux principes de l’école , imposassent des entraves au génie de ceux qui s’obstinaient ainsi à les respecter. On se tromperait étrangement si l’on pensait que Vimagination des savans et des écrivains qui con- sentaient, avec tant de docilité , à en subir le joug, était, pour jamais, esclave ; et que , sectateurs timides de leurs règles, ils fussent obligés, pour ne pas les eafreindre, de se confondre pour tou- jours dans la foule vulgaire des imitateurs. Cest là une de ces erreurs dont la raison a fait depuis long-temps justice. HISTOIRE. 11 » La fidélité des écrivains soumis aux vieilles traditions, est à la fois une garantie certaine de la durée de leurs ouvrages et un hommage rendu aux principes qui ont produit toutes les merveilles de notre littérature. Ces principes n’ont véritable- ment pour objet que les formes extérieures de la composition, c’est-à-dire, expression de la pensée; car le génie ne reconnaît et ne peut admettre aucune règle : il est toujours ce qu'il doit être; il conserve toujours sa hardiesse , sa mâle vigueur et son indépendance. S'il s’'égare quelquefois , le jugement le ramène et rectilie ses écarts ; et c’est la pensée que le génie a conçue et que le jugement a adoptée, que la langue est chargée de transmettre. La pensée a deux organes pour se manifester, la parole et l’écriture ; mais ces deux moyens de manifestation sont également soumis à des règles. La parole ne serait qu'un vain son, si elle les dédaignait ; car ce n’est qu’en observant ces règles, qu’elle peut remplir sa belle destination. La pre- mière de toutes est celle de rendre intelligible la pensée qu’elle est chargée de traduire ; et pour accomplir cette condition , il faut nécessairement qu’elle emploie des termes dont on puisse claire- ment saisir le sens et la portée : si, au contraire, elle fait usage de termes obscurs où ambigus dont il soit impossible de comprendre les rapports, la pensée n’a pas d'expression. Il en est de même de l'écriture , et l'écriture n’est autre chose que le style. Pour exprimer nettement la pensée , il faut qu'il soit clair, précis et correct. Si pour la peindre 116 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. avec plus d’exactitude et de vérité, il emprunte quelques images , il faut que les figures soient simples , naturelles, gracieuses , sans afléterie, sans eéxagération ; car si les couleurs sont fades , forcées ou bizarres, la pensée disparait sous ces ornemens d'emprunt que le goût désavoue. » Telles sont les premières règles du langage et du style. Elles asservissent seulement l'expression de la pensée, c’est-à-dire, le mode de transmettre , de communiquer les conceptions du génie ; mais élles n’assignent aucune borne à l'intelligence hu- maine : et soutenir que les écrivains qui s’y sou- mettent ne peuvent être que des imitateurs servi- les, est un paradoxe dont la réfutation se trouve principalement dans les écrits des philosophes , des érudits et des poètes de l’époque dont nous parlons. » À cette époque d’épouvantable mémoire , En dépit des factions turbulentes qui, dans l’ordre politique, voulaient tout renouveler, après avoir tout détruit , malgré les séduisantes théories dont le germe commençait à se développer, nos savans et nos littérateurs, debout sur les ruines du por- tique, dissertaient paisiblement sur les hautes matières de leurs études, ou publiaient des pages éloquentes, empreintes de leur génie ; et soit qu'ils fissent retentir leur parole puissante, soit qu'ils confiassent à des écrits les créations de leur ar- dente imagination , ils empruntaient aux maitres illustres dont ils étaient les disciples, le charme entraînant de leur élocution , ou les grâces variées HISTOIRE. i17 de leur style, et concouraient ainsi au perfection- nement de cette langue harmonieuse qui, depuis Malherbe , a révélé toutes ses richesses et toutes ses beautés. » C’est ainsi que, dans les sciences, de Laplace expliquait le système du monde et développait les secrets de la mécanique céleste; que Bossut publiait ses méditations sur le calcul différentiel etintégral, en même temps que M. Degerando indiquait les rapports des'signes et de l’art de penser; que M. Laromiguière hâtait les progrès de l'analyse intellectuelle , étudiait les divers ca- ractères des sensations , essayait de pénétrer dans les obscurités des idées abstraites en même temps que Maine de Biran marquait influence de Pha- bitude sur la faculté de penser. » Cest ainsi que , dans un autre ordre de travaux et d'essais, Lacepède continuait Buflon; en même temps que Foureroy étendait les con- quêtes de la chimie; que Pinel enrichissait la science de sa Nosographie philosophique ; que Dupont de Nemours et Say approfondissaient toutes les parties de l'économie politique , et que Barthés , observateur infatisable et judicieux de la nature , démontrait la nouvelle mécanique des mouvemens de l’homme et des animaux. » C’est ainsi que, dans la poésie, Ducis retraçait avec charme les mœurs patriarchales du désert, ou reproduisait pour nous les héros tragiques de Shakespeare après en avoir adouci la rudesse, et accommodé les sauvages peintures de son modèle TOME III, V'A4RT, II. 9 u 118 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. aux convenances de notre langage et aux exigences de nos habitudes dramatiques. C’est ainsi que Delille, après avoir chanté la paix et le bonheur des champs, parait l’Imagination de toutes les pompes de la poésie ; que Lebrun, rappelant les beaux jours de Pindare, célébrait toutes les gloires de la patrie dans ses vers inspirés ; que l’autre Chénier consacrait le grand souvenir de Timoléon , ou les vertus du cygne de Cambrai, et dessinait avec vigueur la figure imposante du chancelier de l'Hôpital; que Legouvé, exalté par une indigna- tion vertueuse , flétrissait lépouvantable tyrannie de Néron et sa basse lacheté ; enfin, que Pi- card, Colin d'Harleville et M. Andrieux , entraînés sur les pas de Thalie , attaquaient, avec toute la verve de leur talent inépuisable, et la causticité de leur Muse spirituelle et frondeuse, les vices, les travers et les ridicules qui dégradent la société. » Et comme si les principes qui avaient fixé notre langue, et auxquels tous ces auteurs étaient restés fidèles , avaient eu besoin encore d’être protégés par des institutions, on vit sortir du sein de l'anarchie politique qui nous dévorait alors, cette organisation admirable qui, sous le nom d’Institut , devint un dépôt de toutes les connais- sances humaines et le foyer de toutes les réputa- tions classiques ; cette école normale qui jeta une lumière si éclatante , et laissa après elle des traces si profondes et de si honorables souvenirs ; et cette école polytechnique, berceau de tant d'illustrations contemporaines , et qui règne et domine encore HISTOIRE. 119 dans le vaste ensemble de notre enseignement public. » Par un accord merveilleux , toutes ces insti- tutions , et les hommes qu’elles avaient réunis, concouraient également, par leurs préceptes et leurs exemples, au perfectionnement du langage : et loin d'adopter pour leurs compositions des méthodes et des formes de style moins gênantes , plus larges, plus animées que celles que nos plus beaux esprits avaient suivies, ils s’attachaient à les imiter. » Que lon parcoure les ouvrages scientifiques ou littéraires qui furent publiés pendant ces temps orageux, et l’on ne trouvera nulle part les em- preintes du mauvais goût. On n’y découvrira, du moins , aucun des germes de ces déplorables inno- vations dont notre belle langue devait bientôt subir les outrages. » Si de ces spéculations élevées nous passons aux productions variées de la littérature , nous retrouverons le mème respect pour la langue, les mêmes soins et le même goût. Domergue, dans ses solutions grammaticales , Pabbé Sicard dans ses élémens de Grammaire générale, Marmontel dans sa Métaphysique, M. de Tracy dans son Idéologie , en marquant le point de hauteur où ces diverses branches de connaissances étaient parvenues , exposaient le fruit de leurs recherches ou de leurs méditations avec une précision remar- quable et une extrème lucidité ; et si Mercier, hérissé de sophismes et de paradoxes ; s’obstinait à chercher dans ses aberrations philosophiques et Q. 120 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. dans la profession publique de ses hérésies littérai- res, une renommée plus solide que celle que son Tableau de Paris lui avait procurée , il trouvait sur son passage des censeurs judicieux et amers qui réfutaient, avec tout ascendant d’une raison supé- rieure, ses déclamations ambitieuses et ses faux systèmes, ou bien, à l’aide d’une critique moqueuse et pleine de sel, le punissaient, en riant , de ses néologismes et de ses travers. » En même temps, Laharpe composait son Cours de littérature ; le cardinal Maury, son Essai sur l’éloquence de la chaire et du barreau ; Palissot, ses Mémoires; Cailhava , ses Études sur Molière : Ginguené, son Histoire de la littérature italienne ; Dureau de la Malle, sa Traduction de Tacite ; Bernardin de Saint-Pierre, ses Harmonies de la nature ; M. de Séour, son Histoire du grand Frédéric. Je ne nomme pas ici tous les auteurs qui, dans les sciences morales et politiques , dans la critique littéraire, l’art oratoire, l’histoire et les romans , se montrèrent avec une égale distine- tion ; mais les écrivains que je cite, et ceux qui mériteraient de l'être, ne connaissaient et n’em- ployaient d’autres formes de style que celles qui s’accordaient le mieux avec l'expression de la pen- sée, le génie de la langue et la sévérité de leur goût. M." de Staël, elle-même , malgré son pen- chant trop décidé pour le germanisme, son anti- pathie pour les règles générales de la composition et l’extrème mobilité de ses idées, était entrainée , quelquefois , par les beaux exemples des écrivains HISTOIRE. 121 contemporains ; et l’on trouve dans ses œuvres, presque toutes écrites sous la puissance des émotions, plusieurs traits d’une plume habile, des peintures pleines de force ou de suavité, des ta- bleaux variés, riches de couleurs et d'harmonie. » Il faut donc reconnaitre que la révolution politique, au lieu de donner à l'étude des sciences et des lettres une direction forcée et systématique, d’avoir dénaturé et dégradé la langue, en intro- duisant des méthodes nouvelles de composition, et des formes de style inusitées , avait respecté, au contraire, les croyances et les habitudes litté- raires des écrivains voués à la culture des arts de Pesprit. Douze ans de convulsions, ces douze années d'épreuves qui nous ont valu tant de misères et tant de gloire, avaient entièrement changé nos lois et notre existence sociale, mais n'avaient rien changé au magnifique ensemble de notre littéra- ture. Bien loin de là : quoique privées de tous les élémens qui auraient pu en garantir la prospérité, les sciences, les lettres et les arts avaient continué dans le silence leurs paisibles conquêtes, sans se ressentir des tempètes qui avaient tourmenté le pays. ». Cest ainsi que finit le dix-huitième siècle ; et lexaltation qui avait signalé son déclin, parut s'être éteinte avec lui. Riche de toutes les grandeurs et des plus belles créations de la pensée humaine, il semblait n'avoir légué au siècle qui devait le suivre, que le soin de conserver les trésors qu'il avait amassés, et de s'attacher aux causes qui les avaient. 122 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. produits, pour les augmenter encore ; mais il n’en fut pas ainsi. Les changemens qui s'étaient opérés dans l’ordre de la société; les modifications que nos mœurs avaient subies ; les impressions d’un passé terrible, dont les traces étaient encore vivan- tes; le désir avide de répandre au dehors des sentimens trop long-temps contenus : que sais-je ? un malaise indéfinissable; un dégoût qui s’étendait à la fois sur les hommes et sur les choses ; l'espoir inquiet d’un mieux imaginaire qui consolât nos dou- leurs, et nous aidàt à refaire une vie mêlée de tant d’orages, tout annonça une révolution morale qui ne présentait, sans doute, rien d’alarmant pour l'humanité, mais qui menaçait d’entrainer la rai- son dans des écarts, par les égaremens du cœur. » À ces dispositions mélancoliques et sombres, vint se joindre bientôt l'influence des idées reli- gieuses. La Religion, source abondante et divine de toutes les espérances , cette religion sainte, que la perséeution et le sang de ses martyrs avaient rendue plus imposante et plus belle, reparut avec sa croix , ses dogmes consolans et ses pompes sacrées. Une voix puissante, sortie des forêts du nouveau Monde et qui devait bientôt retentir dans les solitudes de la Thébaïde, chanta ses fêtes, ses miracles et ses mystères surhumains avec une éloquence toute nouvelle, avec des formes de style inconnues. Ces accens solennels , accueillis par Padmiration , hâtèrent le développement de cette crise littéraire que de tristes pressentimens avaient déjà prévue. HISTOIRE. 123 » Dès-lors les monumens dont notré littérature est si riche, furent dépouillés des charmes dont ils étaient entourés. La langue nationale, perfection- née par deux siècles d'épreuves , cette langue que Corneille et Bossuet avaient parlée avec tant d’élé- vation, de force et de majesté, dont Racine et Fénélon avaient fait connaître la grâce , la mollesse et la douce mélodie, cette langue, telle que Pa- vaient fixée les grands écrivains dont elle avait fait la gloire, ne fut plus suffisante pour exprimer les tristesses du passé et les joies de avenir, à moins qu’elle ne recouvrât son entière indépen- dance. Tant qu’elle avait été esclave, disait-on, tant qu’elle avait été soumise à des règles, elle w’avait rendu que des sons inarticulés , imparfaits et qui se ressentaient de sa honteuse servitude. Si elle voulait peindre la douleur, c'était avec un art mesuré et timide qu’elle exhalait ses accens : les mouvemens désordonnés du cœur étaient étrangers à ses pinceaux; elle faisait pleurer avec symétrie, et les larmes étudiées dontelle chargeaitses tableaux, ne produisaient que des émotions stériles. Voulait- elle peindre le bonheur, enthousiasme , livresse des sens, la gloire et toutes les passions nobles qui élèvent l’âme et lélectrisent , elle était impuis- sante : ses couleurs étaient fades et monotones; les élans de la joie étaient compassés , ses expres- sions portaient les empreintes du joug , les trans- ports étaient étouffés sous la règle. » Tel était l’aveuglement des partisans des idées nouvelles, que, quelque merveilleux qu'eussent 124 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES: été Les efforts de lesprit humain dans la culture des arts de l’imagination , quelque imposans que pussent être les chefs-d’œuvre des écrivains les plus habiles , il n’était pas impossible de les sur- passer, en se frayant d’autres routes que celles qu'ils avaient parcourues ; en ouvrant un champ plus vaste et plus large aux conceptions du génie ; en inventant des ressorts d'intérêt moins usés ; en adoptant toutes les inspirations, sans en rejeter aucune; en s’écartant, enfin, de cette voie de routine qui nous entraînait , et qui ne pouvait rien produire désormais que d’ennuyeux et de mesquin. » Cette jactance était, sans doute, bien étrange : cependant, quoiqu’elle recelàt beaucoup d’orgueil , elle pouvait être considérée comme leflet d’un enthousiasme irréfléchi qui avait pris naissance dans une noble ambition ; et cette ambition, si elle eût été sagement dirigée, aurait pu amener encore d’heureux résultats. Les corps académiques qui venaient de renaître, et qui, seuls alors, étaient dépositaires de notre fortunelittéraire, vou- lurent en vain élever la voix : leurs conseils ne furent pas écoutés. Toutefois, il faut dire que cette manie des innovations contrastait singulièrement avec l’époque où elle se manifestait. Cette époque était une de ces périodes de calme et d'espérance qui ont suspendu qnelquefois le cours de nos agi- tations et de nos terreurs politiques ; mais le sort en était jeté ; 1 fallut le subir. » Dès ce moment, les idées nouvelles firent de HISTOIRE. 120 rapides progrès ; et ces progrès furent tels, que nous avons rétrogradé jusqu’au moyen âge. » Ah ! sans doute , il serait injuste de censurer les études historiques : c’est là un des besoins les plus actifs de notre époque, et celui que les Corps littéraires ont le plus signalé en fournissant à l’é- mulation publique les moyens de le satisfaire. L'étude de la mythologie du moyen âge sur-tout a des attraits particuliers pour les érudits, parce qu’elle a exercé une très-grande influence sur la civilisation ; mais ce n’est pas par des récits plus ou moins véridiques, paï des peintures plus ou moins pittoresques , par le tableau même le plus exact et le plus animé de la vie extérieure de la société de cette époque , que nous apprendrons à connaître les secrets de cette influence. L'histoire ne consiste pas seulement dans de vaines descrip- tions; le récit des faits peut intéresser la curiosité ; mais lesprit n’est pas satisfait si la philosophie ne l’éclaire pas. Pour apprécier une société, il ne faut pas la juger d’après les apparences :il faut pé- nétrer dans les mystères de son organisation : examiner les ressorts qui la font mouvoir ; étudier les caractères de ses mœurs, de ses institutions et de sa politique ; consulter les origines de ses usages, de ses coutumes, de ses habitudes domes- tiques; approfondir les principes de ses croyan- ces, de sa religion , de son culte ; et ce n’est que par là combinaison de ces divers aperçus philoso- phiques, qu'il est possible de se former un juge- ment. 126 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. » Malheureusement cet esprit d'observation est entierement négligé dans Pétude de l’histoire de ces temps anciens , qu'on nous représente pourtant comme un siècle de merveilles , et dès-lors , tous les écrits que lon a publiés, dans ces dernières années, pour débrouiller les ténèbres du moyen âge, ne sont qu'une galerie de tableaux , et une suite d’esquisses frivoles qui ne peuvent laisser après elles que des impressions fugitives. » D’un autre côté, la manière d’écrire toutes ces frivolités est encore plus affligeante. Est-ce bien sérieusement que l’on entend contribuer au perfectionnement de la langue en imitant les for- mes de style des chroniqueurs, en reproduisant, dans sa naïveté bizarre, le langage des varlets et des damoisels ? Langage obseur ét inintelligible qui s'accorde très-bien avec Pignorance profonde des Conteurs, mais qui ne peut s’accommoder à la pureté de notre goût. Cette imitation , d’ailleurs , ne peut être parfaite. Quel est l'écrivain de nos jours qui pourrait se rendre propres les idées du moyen âge et la manière de les exprimer ? Quelle que fût son habileté, comment pourrait-il se soustraire aux exigences de notre organisation politique , à l'esprit de nos institutions , à l'empire des mœurs actuelles, et s'approprier les impres- sions auxquelles un moine où un annaliste du treizième siècle dut nécessairement obéir ? » Et cependant c’est là ce qu’on exige de nous : c’est là ce qu'ont essayé de faire plusieurs écrivains dont le talent était digne de plus nobles épreuves, HISTOIRE. 127 et cette foule obscure d'imitateurs qui les ont adoptés pour modèles. » Mais ce n’est pas tout : c’est peu de travestir, en les calquant, les auteurs du moyen âge et de singer leur allure : on a voulu aussi que la poésie descendît des hauteurs où elle est parvenue ; qu’elle réprimât ses élans généreux ; qu’elle ré- pudiât les tableaux empreints de ses plus mâles beautés , pour s’exercer d’après les plus tristes ou les plus misérables modèles. Pourquoi sobstiner, en effet , à chanter les nobles passions du cœur , la vertu qui le touche , l'espérance qui le console, la gloire qui le fait palpiter , enthousiasme qui l'enivre , et toutes ces affections élevées qui re- haussent la dignité de la nature humaine et ajou- tent à ses perfections ? Toutes ces choses sont usées. Les pinceaux les plus gracieux ou les plus énergiques ne sauraient les faire revivre : il ne faut plus chercher des inspirations dans cette source tarie : il faut un levier plus vigoureux et plus puissant pour remuer notreimagination blasée. Les passions basses et ignobles, les mœurs dépravées d’un monde corrompu , les maux, les vices, les misères de l’homme, voilà désormais le domaine de la poésie : il faut y ajouter les crimes qui trou- blent et alarment la société, les terreurs qui les suivent , les tortures qui les punissent , les palpi- tations de l’agonie , les horreurs de la mort ; que sais-je? tout ce qui fait frissonner Pâme, tout ce qui Paccable ou la désole , tout ce qui Pavilit ou la dégrade, tout ce qui Pépouvante où Panéantit 128 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. voilà la mission du poète. C’est là ce qu'on appelle développer l’individualité humaine ; c’est-à-dire , représenter l’homme dans ses sensations les plus intimes , dans tout ce que ses actions peuvent avoir de plus méprisable et de plus criminel; et, pour que ces peintures soient parfaites , pour que les émotions qu’elles sont destinées à produire soient véhémentes et profondes , il faut que le poète jouisse d’une entière liberté, c’est-à-dire , qu'il puisse se livrer aux plus abjectes licences, qu'il ait le libre choix des termes et des images pour rendre sa pensée, quels qu'en soient d’ailleurs la trivialité , la rudesse ou le cynisme, et qu'il ne soit pas assé à dissimuler par la pratique de l'art, ce que ses expressions pourraient avoir de vil ou de révoltant. » Tel est le système du jour; telles sont les théories commodes qu'il faut désormais adopter : et les singulières doctrines qu’elles enseignent, ont déjà opéré un grand bouleversement en abolissant toutes les règles et toutes les traditions du goût, Elles ont donné naissance aux créations les plus insipides et les plus étranges , aux productions les plus monstrueuses et les plus insensées : et comme s’il ne suffisait pas que ces œuvres de honte et de scandale fussent renfermées dans les livres, on a osé les transporter sur la scène. » Ah !'si je pouvais donner ici un libre cours au sentiment que j'éprouve, je flétrirais, en les analysant, toutes ces compositions dramatiques qui, dans ces derniers s temps sur-tout, ont excité de si HISTOIRE. 129 Vives censures et une indignation si légitime : mais, obligé de me restreindre, je ne puis que signaler les envahissemens du mauvais goût, et déplo- rer les ravages qu'il a déjà produits. La mission des Sociétés savantes est d’arrêter le cours de ces débordemens. Si des écarts aussi honteux étaient enhardis, si les principes qui les autorisent rece- valent la sanction des Corps académiques , notre France, foyer brûlant de toutes les inspirations du génie , cette France si fière > Si jalouse de sa littérature , et si enviée dans la plus douce de ses illustrations , descendrait , aux yeux de l'Europe , du haut rang où ses grands écrivains l'ont placée ; el nous-mêmes humiliés d’une décadence si rapide et d’une si déplorable déception , nous ne pourrions plus jeter un regard d’orgueil sur notre littérature dégradée... Et cette littérature » telle que les novateurs l'ont conçue , telle qu’ils voudraient la recomposer ; avec leurs pâles imitations, leurs esquisses grossières , leurs rêveries frénétiques , leurs poésies vaporeuses et leurs drames sanglans , comment pourrait-elle être l'expression de la société française , de cette société éclairée , polie, Façonnée à toutes les délicatesses du goût et de la grace, ambitieuse de gloire, envieuse de toutes les supériorités ? Comment pourrait-elle satisfaire ces passions nobles et pures qui ont tant de char- mes pour nous, avec les productions dégoûtantes ou mesquines de ses prosateurs et de ses poètes avilis ? » 130 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES: Dans une autre composition du même genre, M. Tayan, après avoir dessiné à grands traits le tableau de ce que fut le 18.° siècle, montre lesprit de désordre, peu content d’avoir renversé tant de trônes dans la vieille Europe et menacé le monde d'un ébranlement universel, se ruant aussi sur nos monumens littéraires, et essayant de les renverser. « La chute des anciennes institutions sociales n'avait satisfait que très-faiblement les rèveurs d’utopies, et sur-tout cette classe d'écrivains am- bitieux, auxquels la médiocrité de leur génie ne permettait point de s'élever jusqu'aux perfections de notre littérature ; et, pour dissimuler leur im- puissance , ils imaginèrent et répandirent une sin- gulière doctrine. Ils prétendirent que les destinées littéraires de la France étaient intimement liées à celles du corps social qui venait d’être dissous, et que la crise qui s'était développée avec tant de violence depuis 1789, n'avait pas été seulement une révolution politique, mais encore une seconde création de lesprit humain , et cette pensée, qui manifestait assez des projets de bouleversement et de réforme dans le système d’enseignement, d’é- tude et de composition , jusqu'alors suivi avec amour , fut féconde en résultats. ‘» I ne faut pas croire pourtant qu'aucun de ces projets de subversion fût dès-lors arrèté. D’autres préoccupations d’une nature bien plus grave absor- baïent l'attention et réclamaient tous les soins des générations contemporaines. La vieille société hale- tante et désolée, pour me servir des expressions HISTOIRE. 131 d'un publiciste de nos jours, cherchait une parole d'esprit et de vie parmi les ruines sanglantes du naufrage ; mais, malgré les terreurs politiques qui le dominaient, le génie inquiet des réformateurs littéraires n’en rêvait pas moins ses plans d’indé- pendance , et, quelque imposant que pût être l'éclat d’une littérature, riche de toutes les pompes dont le 18.e siècle l'avait parée, lon découvrait avec douleur le germe de cette espèce d’anarchie qui, plus tard , devait abolir les règles et les traditions qui nous l'avaient donnée. » Je n'ai nullement l'intention de retracer de nouveau les déplorables effets de l’influence que l’école moderne a exercée sur les arts de Pesprit; mais quoique les compositions bizarres et les pro- ductions révoltantes qui se multiplient tous les jours, vous aient assez avertis de l'invasion des bar- bares , il faut bien que je dise que cette révolution littéraire, que la médiocrité pressait de tous ses vœux, s’est opérée avec une sorte de délire, et que les lettres françaises, la littérature dramatique sur-tout, sont tombées dans la plus honteuse dégra- dation. » Toutefois, il faut l’avouer, du sein de ces désordres, dont tous les amis de la gloire nationale ont été si profondément afiligés, et qui ont flétri les plus heureuses conceptions de l'intelligence humaine, a suroi une classe d'hommes que les étranges succès des novateurs n’ont pas éblouis , et dont les travaux utiles nous ont consolés de tant d’écarts : écrivains doués d’une pensée forte, d’un 192 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. goût exquis et d’une grande puissance de style, ils se sont passionnés pour les études historiques , et déjà une jeunesse, avide d'instruction et de renom- mée , les a suivis avec transport dans la carrière brillante qu'ils ont ouverte à son ambition. » Il ne faut pas s’en étonner. Cette disposition générale des bons esprits est l'effet naturel de cet état de malaise, d’impatience et de curiosité qui nous tourmente et qui nous pousse vers la recher- che de la vérité. La vérité! objet permanent de nos inquiétudes réelles et de nos vœux, que nous poursuivons dans nos rêves, dans les livres et dans les traditions, et qui, seule, peut servir de règle à nos spéculations politiques , et satisfaire en même temps aux exigences de notre imagination de feu. » D'un autre côté, l'étude de l’histoire est celle de toutes qui présente le plus d’attraits, qui pro- met le plus de charme, et dont on peut retirer le plus de fruit. Rechercher Porigine des sociétés ; éclaircir le mystère de leur organisation ; exami- ner le caractère des institutions qu’elles ont fon- dées; connaître les lois, les usages et les coutumes qui les ont régies; jeter un regard scrutateur et profond sur les mœurs publiques , les croyances et les habitudes religieuses des peuples ; observer avec soin et apprécier les événemens et les faits, les progrès des sciences, les perfectionnemens des arts, les développemens de l’industrie; méditer, enfin , sur les causes de la prospérité ou de la déca- dence des empires : telle est la tâche de celui que son inclination et ses goûts invitent à l'étude de HISTOIRE. 139 Phistoire; telles sont les investigations auxquelles il doit se livrer; et ce travail de la pensée, qu’une suite variée de sujets rend si agréable et si fer- tile, en exerçant le jugement sur une infinité de rapports, jusqu'alors inaperçus, conduit à la vérité. » Ce genre d'étude, autrefois si négligé , devient aujourd’hui un des besoins les plus actifs, une des passions les plus ardentes du littérateur laborieux qui s’y est voué; et les séductions qui y sont-atta- chées sont si entrainantes, les impressions qu’il reçoit, en suivant les traces des nations dont il interroge les monumens, sont si vives et si rapides, qu'après avoir jugé les historiens, il brûle du désir de retracer lui-même les événemens qui lont fait tressaillir ou qui l'ont épouvanté, et d’être historien à son tour. » Mais, il ne faut pas se le dissimuler , dans ce siècle de contrastes, d'irritation et de tumulte où nous vivons, au milieu de ces orages qui grondent sans cesse, et qui sans cesse menacent d’éclater, c’est l’eflort d’un grand courage, et l'effet d’une vocation bien décidée que de se déterminer à écrire l'histoire. A la difficulté d'exécuter, au sein des agitations , des ouvrages d’un ordre si élevé, et qui re peuvent être müûris que dans la solitude, vient se joindre cette autre difficulté, non moins sérieuse, de répondre à tous les désirs d’une génération inquiète du présent, curieuse d’un passé qu'elle a peu connu, et par-dessus tout, avide de vérités positives, pour calculer les chances de son avenir, TOME II, PART. ITe 10 134 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. et régler la mesure de ses craintes ou de ses espé- rances. «Dans notre société actuelle, on ne se contente plus de ces froides narrations , de ces récits plus ou moins véridiques, plus ou moins exacts, que des écrivains scrupuleux ou timides nous ont transmis. Ces esquisses superficielles des mœurs, ces tableaux , tantôt mesquins et décolorés , tantôt pompeux et pittoresques, où les hommes et les choses sont groupés ou entassés, quelquefois avec art, le plus souvent avec désordre, pour peindre les diverses phases de la vie des peuples; toutes ces scènes hé- roïques, ces grandes catastrophes dont le monde a été tour à tour ébranlé, et dont des historiens, peu consciencieux ou menteurs , ont dénaturé les récits, par un mélange bizarre de fictions, de fables et de vérités, n’excitent plus aujourd’hui qu'un intérêt médiocre, parce que le pinceau qui les à retracées nous inspire de justes défiances, et que Pillusion est détruite. » On exige, maintenant, que l'histoire soit de l'histoire, et non une composition fantastique dont Pimagination plus ou moins ingénieuse, plus ou moins féconde de Pécrivain fournisse les élémens. Pour qu’elle nous intéresse vivement , il faut qu’elle inspire notre confiance, il faut qu’elle soit vraie. On veut que l'historien se place lui-même dans le tableau qu'il veut peindre (1), afin d'en bien saisir l’ensemble et les accidens , et de le rendre, om (1) M, de Barante. HISTOIRE. 139 autant qu'il est possible , vivant et animé. Il faut que l’histoire se dépouille de Pesprit de son siècle, qu’elle se transporte par Pérudition, dans le passé, et qu’elle se fasse contemporaine. Il faut que les hommes de chaque époque comparaissent dans ce drame, car l’histoire n’est qu’un drame ou burles- que ou terrible , et qu’au lieu de nous les décrire , Vhistorien les fasse vivre et agir sous nos yeux, avec leurs habitudes, leurs caractères et leurs passions. » Ce sont là, suivant la pensée de M. de Barante et de nos publicistes les plus distingués, les exi- gences de notre époque , et ce sont ces exigences qui rendent si difficile la tâche des écrivains qui veulent s'exercer sur lhistoire de nos jours. Nous sommes trop voisins des faits, nous avons pris une part trop active aux événemens qu'il faut racon- ter, nous nousysommes trop mêlés aux scènes d'enthousiasme ou d'horreur qui nous ont succes- sivement attendris ou désolés, pour qu’il soit pos- sible d'écrire avec indépendance, et sur-tout avec impartialité , l’histoire nationale contemporaine. Comment se placer de sang-froiïd sur le théâtre où nos passions et nos haines politiques sont descen- dues avec tous leurs emportemens et leur fou- gueuse exaltation ? Comment peindre nos joies et nos douleurs, nos alarmes et nos espérances, nos transports et nos désolations , alternative souvent répétée, et toujours affligeante, tour à tour empreinte d'ivresse où d’amertumes ? Com- ment raconter sans orgueil , et sur-fout sans 10, 136 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. exagération, tous ces miracles de gloire qui ont retenti dans le monde avec tant de puissance? Comment assigner, sans prédilection et sans injus- tice, à chacun des guerriers que nos conquêtes ont illustrés , la part qu'il a prise à tant de merveilles? Et si de ces scènes d’héroïsme dont Péclat nous éblouit encore , nous passons à ces révolutions ora- geuses que nos fureurs ont si souvent ensanglan- tées, comment se promettre de porter un juge- ment exact sur les factions diverses qui nous ont déchirés ? Comment saisir avec justesse les traits vigoureux et profonds de tous ces hommes politi- ques que. nous avons tour à tour admirés ou flé- tris, et que nous admirons ou flétrissons encore, selon nos sympathies ou nos répugnances ? » Cest la difficulté d’être vrai dans le récit des faits que nous n’avons vus qu'avec prévention, d’être juste dans le jugement des hommes avec lesquels nous avons vécu, d’être impartial dans l'examen des institutions qui sont nées du sein de nos désordres, institutions que, par un déplora- ble contraste produit par nos divisions , nous avons en même temps bénies et détestées, qui rend presqu’impossible la tâche de Pécrivain forcé de rapporter les faits prodigieux des temps con- temporalns. » Et cependant tel est l'entraînement des esprits, telle est leur admiration pour les merveilles qui placent lhistoire de notre époque au-dessus de toutes les histoires du.monde, et pour les grands caractères qui se sont si largement dessinés depuis HISTOIRE. 197 1789 , que, malgré la difficulté de l’entreprise, il s'est trouvé des écrivains assez courageux ef assez habiles pour essayer de les peindre. » Des succès d'éclat ont couronné plusieurs de ces essais ; mais, quel que soit le mérite de ces pro- ductions, quels qu’aient été les soins que leurs auteurs aient apportés dans leurs récits, pour mani- fester leur impartialité, dissimuler leur propre pensée, et se montrer justes appréciateurs des hommes et des événemens , on remarque, même dans ceux de ces ouvrages qui sont le plus esti- més, cet air de gène et de contrainte qui décèle l'embarras de l’écrivain, et ces artifices de style qui laissent entrevoir $on opinion sans trop l’ex- primer. Observons que la couleur générale de ces compositions participe toujours des intentions secrètes de l’auteur : ici, forte, prononcée, éner- gique , lorsqu'il s’agit de décrire un objet, de peindre une scène, d’esquisser un personnage dont l’ensemble ou les caractères s'accordent avec ses aections privées, ses croyances religieuses et ses sympathies politiques; là, terne, sombre, sans vigueur , empreinte de nuances qui font naître le doute et repoussent la conviction, elle exprime clairement les passions dont historien qui les a tracées a subi l'influence , et Penchantement qu’au raient pu produire des narrations exposées avec fidélité, s’'évanouit entièrement. » Aussi navons-nous que des essais, dans les- quels, il est vrai, de beaux talens se sont révélés, mails qui n'en sont pas moins que des ébauches 138 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. très-imparfaites ; et nos jeunes auteurs, peu jaloux de se soumettre à des épreuves dont ils ne pou- vaient espérer de triompher, ont renoncé, en gémis- sant, à l'honneur de reproduire les événemens mi- raculeux de l’histoire moderne, pour se reporter vers l'origine antique et sauvage de cette belle France, objet sacré de leur amour , et qui, dans son anti- quité même , présente encore à leur imagination ardente le sujet de magnifiques tableaux. » Pour satisfaire cette ambition généreuse, ils ont remué la poussière des siècles , ils ont fouillé dans les archives du moyen âge ; et c’est dans les chroniques contemporaines de ces temps mysté- rieux, qu'ils ont trouvé les plus précieux élémens de l’histoire de la patrie. Cette histoire, racontée avec la naïveté piquante et les formes du style de l’époque, leur a fourni les motifs des plus ravis- santes créations; et ce sont ces créations même qui leur ont fait sentir le besoin de la reproduire sous des couleurs plus animées. Dès ce moment, le 13. siècle tout entier a été exploré avec une sorte d’avidité. Ses annales, que lon dédaignait, qu'on avait peu comprises et qu'on ne lisait plus, se sont déroulées aux acclamations des investiga- teurs enthousiastes qui les ont exhumées ; et, chose étonnante ! l’on a découvert dans ces livres si dé- daignés , une source intarissable de beautés et de merveilleux ! Que dis-je? Les institutions gothi- ques , les corporations libres et les communes , les abbayes et les chateaux, les monastères et les manoirs hospitaliers , en un mot, tous ces établis- HISTOIRE. 139 semens d’orgueil et de piété que la vieille société féodale avait multipliés , ont trouvé une nouvelle vie sous le pinceau pittoresque et gracieux de leurs historiens modernes ; et, grâce à leurs soins infati- gables , nous sommes initiés maintenant dans tous les secrets des mœurs, des usages et des croyances d’une époque si riche de souvenirs, » L'Académie avait remarqué cette tendance qui portait toutes les imaginations vers létude des origines; et ce fut pour favoriser ces disposi- tions que, dès 1822, elle proposa aux littérateurs laborieux que leur inclination avait attachés à ce genre d'étude, un de ces grands sujets, qui, par leur portée et le vaste ensemble de leurs subdivi- sions, sont les plus propres à exciter le zèle pour les recherches historiques, et à exercer le juge- ment. Ce sujet appartenait aussi à l’histoire natio- nale , car il s'agissait de toucher au berceau de la patrie, après avoir déchiré le voile qui lenvelop- pait. L'Académie demandait alors « de Déterminer l'état politique, civil et religieux de la Gaule, avant lentrée des Romains dans cette partie de l'Europe, et de fixer, d’après les auteurs et les imonumens ; les connaissances que les Gaulois avaient déjà acquises dans les sciences et dans les arts. » » Un si beau sujet était une bonne fortune pour les érudits : il était digne aussi d'appeler dans la lice des écrivains d’un ordre élevé. L’attente de l’Académie ne fut pas trompée : après deux années d'épreuves, lun des savans de nos jours dont les 140 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. travaux ont été les plus utiles, et les succès les plus éclatans, vint apporter dans notre concours le fruit de ses longues veilles, son érudition 1m- mense, et cette correction de style qui adoucit , par les grâces du langage, ce que la science peut avoir de trop austère ; et la palme académique lui fut décernée. C'était M. de Golbery , Conseiller à la Cour royale de Colmar , que la gravité et lim portance de ses fonctions n’ont point distrait du commerce des lettres, et dont l’Institut a voulu s'approprier la renommée, en lassociant à ses travaux. » Mais il ne suflisait pas à l'Académie d’avoir fait connaître la Gaule avant la conquête des Romains. En appelant les recherches et les médi- tations des archéologues sur cette partie si négli- gée de notre histoire primitive , elle avait soulevé une question qui, jusqu'alors, n’avait pas été bien approfondie, et qui, même , ne fut pas résolue par les ouvrages présentés au concours dont M. de Golbery sortit vainqueur. Les auteurs de ces com- positions , quoiqu'ils se fussent livrés à des études et des investigations pénibles, avaient manqué de sagacité. Trop confians dans les historiens qu’ils avaient consultés , ils avaient accepté aveuglément leurs versions sans s'assurer de leur authenticité, adopté leurs conjectures , et créé, à Paide de ces élémens erronés, des systèmes qui attestaient sans doute les ressources variées de leur talent, mais qui, dans le fait, donnaient toutes les appa- rences de la réalité à des fables, à des chimeres, HISTOIRE. 141 à des êtres fantastiques, et transformaient ainsi en un roman plus ou moins ingénieux , l’histoire du premier âge du peuple Français. » M. de Golbery ne s'était pas montré si facile ni si crédule; et c’est là ce qui explique la supé- riorité de son ouvrage et le succès dont il fut couronné. Éclairé par le flambeau de la critique, et guidé par son propre jugement , il avait rejeté avec mépris ces contes absurdes et bizarres , ces hypothèses séduisantes qui avaient égaré ses ému- les, et son livre est aujourd’hui le monument le plus véridique et le plus complet que nous possé- dions sur la Gaule avant la conquête. » Mais, je l'ai déjà dit, ce monument ne suffisait pas. La Gaule serait peu connue, si elle n'avait d'autre histoire que celle de son origine et des diverses phases de son existence avant César. Il faut connaître aussi l’état de cette vaste contrée depuis la conquête jusqu’à l'extinction de l'empire romain en occident. Un bon ouvrage sur ce sujet important serait le complément de celui de M. de Golbery , et tous deux, réunis, formeraient l’intro- duction , les prolésomènes indispensables de l’his- toire de France. ». Cest pour réaliser cette intention, que depuis trois ans l’Académie propose aux érudits, et qu’elle leur propose de nouveau aujourd’hui la solution des questions suivantes : » Quel a êté l’état politique, civil et religieux » de la Gaule , sous la domination romaine jus- » qu’à l'époque où les V'isigoths et les Francs en 142 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. » devinrent possesseurs ? Quels furent, dans la » même contrée , et pendant la même période , les » progrès des sciences, des lettres et des arts ? » Peu de sujets sont dignes d’exercer les médi- tations des savans, et susceptibles de recevoir de plus vastes développemens que l'examen de ces questions proposées par l'Académie. Peu de sujets sur-tout sont plus dignes de provoquer les pro- fondes recherches des archéologues , honneur de la France, et qui, par leurs études et leurs tra- vaux persévérans, restituent chaque jour, à ses antiques Annales, des pages que les siècles avaient dispersées, et que lon croyait perdues. » La demi-civilisation , disait lun des plus distingués d’entr’eux, en esquissant le tableau de- mandé par lAcadémie , « la demi-civilisation » des peuples du centre et du nord de la Gaule, » avant César, opposée à l’histoire des moeurs et » des lois romaines, et sintroduisant dans tous » les pagi, dans tous les cantons qui s’'étendaient » des rives du Tarn à celles du Rhin; le culte drui- » dique cédant, mais avec lenteur, aux nouvelles » croyances établiés par la conquête ; les lois cel- » tiques disparaissant devant le code immortel des » législateurs romains; la langue de César, de » Cicéron et de Virgile, devenant la langue parlée, » la langue écrite des Gaulois; les arts du dessin , » la peinture, larchitecture, la statuaire, cou- » vrant de leurs productions ces régions où la » pierre brute, informe , s'élevait seule en monu- » mens; léloquence latine devenant ; jusqu'aux > = HISTOIRE. 143 derniers jours de Pempire, un des attributs dis- tinctifs des Gaulois; leur bravoure formant l’une des parties de la gloire romaine ; des empereurs fixant leur séjour dans les Gaules; les exploits de Julien, des Teétricus, combattant à la tête des Gaulois; Æntonius Primus , donnant à Vespa- sien lempire du monde, que le vou des légions et les droits de la victoire semblaient assurer au guerrier né dans Toulouse; la statistique de la Gaule comparée à celle de l'Italie, et montrant déjà la prépondérance que, quinze siècles plus tard, la France devait obtenir en Europe; le tableau des mœurs celto-romaines, des tradi- tions, des usages domestiques, celui de lim- mense industrie des Gaulois, de leur activité, de leurs richesses : voilà lune des plus intéres- santes portions du sujet proposé par l’Acadé- mie; mais 1l en est une autre que les concurrens ne devront pas négliger. » La Gaule méridionale, c’est-à-dire, cet espace qui, des Alpes, s'étend aux bords du Tarn et aux Pyrénées, navait pas attendu l’époque de la conquête, pour parvenir au degré le plus élevé de la civilisation. Les invasions des Gau- lois du Midi, dans l'Italie, dans la Grèce, dans PAsie Mineure , les avaient mis en rapport avec les nations les plus célèbres de l’ancien Monde, avaient poli leurs mœurs, adouci leurs lois, agrandi leurs idées, et répandu parmi eux l'amour des lettres et des arts. Justin, qui repré- sente une portion des Tectosages rapportant dans 44 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. Toulouse, leur antique patrie, les trésors conquis dans la Grèce, dit que la portion de la Gaule habitée par ces peuples , ou plutôt la Gaule mé- ridionale, où les Grecs avaient fondé des colo- nies, était si polie, qu'on eût dit que ce n’était pas la Grèce qui avait passé dans cette partie des Gaules, mais plutôt que c'était cette con- trée des Gaules qui était passée dans la Grèce. Pline porte le même jugement et l’exprime dans les mêmes termes ; mais il a substitué le nom de VItalie à celui de la Grèce. » Cette supériorité que les Gaulois méridionaux avaient sur leurs compatriotes du centre et du nord, avant la domination romaine, fut tou- jours marquée, même après la conquête. Ainsi, les concurrens devront soigneusement examiner et distinguer les différences qui ont constamment existé entre le midi et les autres portions de la Gaule. » Mais ce que sans doute ils n’oublieront pas, ce sera la valeur gauloise, valeur brillante qui ne se démentit jamais, et dont nous conservons avec orgueil les souvenirs; ce sera le goût de l’'éloquence , de la poésie et des arts, maintenu dans la Gaule, alors que l’Italie succombait sous les barbares, et nos ancêtres conservant ainsi avec soin, jusqu'aux derniers momens de lem- pire, ce qui ennoblit le plus l’homme libre, la valeur qui crée, agrandit et défend les états, le génie et Les arts qui leur assurent une éter- nelle renommée. » HISTOIRE. 145 « Archiéologues , érudits, classe vénérée d’é- crivains dont le cœur s’émeut toujours au sen- timent de la patrie, dont le talent sexalte aux grands souvenirs de sa gloire; accourez, entrez dans la lice que l'Académie ouvre une seconde fois À votre émulation généreuse. Il s’agit de peindre un des plus beaux âges de histoire na- tionale, l’âge brillant dont la Grèce et lIta- lie furent jalouses, et que vos ancêtres ont illustré. Puisez de vives inspirations dans l'aspect des monumens qu'ils ont élevés, et où leur génie respire encore ; interrogez ce sol qu'ils ont foulé , ces foyers domestiques où ils ont vécu et où vous retrouverez encore l'empreinte de leurs pas ! Ra- contez-nous leur héroïsme, leurs exploits, leurs revers, leurs triomphes, leurs institutions, les vicissitudes de leur fortune et leurs prospérités ; expliquez-nous les miracles de leur civilisation au milieu des barbares , leur entrainement vers les arts, les conquêtes de leur industrie sous la domination de leurs vainqueurs !.... Une grande gloire vous est promise , ce sera votre récompense la plus belle... Académie serait fière de vous la décerner, » Dans un autre discours , M. Tayan s’éleve, avec . autant de raison que de force, contre la centralisa- tion intellectuelle, si nuisible aux progrès des connaissances, et contre le monopole littéraire d’une seule ville, décorée du nom de Capitale , bien qu'aucune loi, aucun acte de la volonté na- 146 INSCRIPTIONS ET DELLES-LETTRES. tionale lui ait conféré ce titre imposant, Où ait légitimé cette orgueilleuse suprématie. «Au milieu des graves préoccupations de la politique, dit lorateur, il est beau de voir les sociétés littéraires poursuivre avec un dévouement, qui à aussi sa gloire, la mission qu’elles ont reçue. Cette mission est noble et belle : elle a pour but d'imprimer un grand mouvement à la marche de lesprit humain ; de répandre et de fortifier le goût des sciences utiles et l'amour des arts ; d'accélérer, en un mot, par une action énergique et puissante les progrès de la civilisation. Ces progrès, depuis quarante ans , se sont développés, avec un éclat prodigieux , chez les peuples de la vieille Europe, en proportion des conquêtes du génie ; mais il faut reconnaître qu’ils auraient été plus rapides et d’un effet plus général, chez chaque peuple en particu- lier, et sur-tout dans notre belle France, si ce système de centralisation , contre lequel des voix éloquentes s'élèvent aujourd’hui avec tant de véhémence, n’avait étouflé tous les germes d’une émulation généreuse. » Un préjugé bizarre que, jusqu'à ce jour, aucun écrivain n’avait sérieusement combattu, et quia produit les plus déplorables résultats, semble réserver exclusivement pour la capitale le droit de penser et d'écrire , et le privilége , plus ambitieux encore , de servir de modèle, On consent bien à laisser aux esprits vulgaires de la province, la faculté de se traîner péniblement dans la voie des imitations, au risque encore d’encourir la HISTOIRE. 147 censure de ceux qui se sont arrogé la suprématie du goût ; mais malheur à Pauteur provincial qui oserait essayer une création sans leur aveu. » Cette dépendance intellectuelle des provinces na pas été, il est vrai, érigée en précepte. Il n'existe aucune règle écrite qui attribne à la capi- tale cette suprématie qu’elle exerce sur les arts de l'esprit , et sur toutes les créations de l'intelligence humaine ; mais qu'importe l’absence de la règle , si l'usage et la tradition suppléent à un corps de doctrine , si la docilité des provinces elles-mêmes favorise et consacre cette superbe domination ? » Et cependant, l’histoire des Sciences et des Lettres atteste que cest dans la province que la capitale vient emprunter, en très-grande partie , le luxe de ses institutions scientifiques, et les merveilleux élémens dont se composent ses Aca- démies si renommées , et ses corps littéraires si brillans. Elle atteste enfin, que si Paris était aban- donné aux richesses qui lui sont propres, si à laide de ces promesses de gloire dont il entoure ses séductions, il wattirait dans son sein toutes les réputations naissantes dont il sait pressentir l’ave- unir, cette réunion merveilleuse de savans , de philosophes, de littérateurs et d'artistes qui forme sa couronne et qu'il présente avec tant d’orgueil à l'Europe jalouse, n’aurait jamais existé ; et ces hommes que tant de travaux ont illustrés seraient restés dans la province, qui fut leur berceau , sans qu'ils eussent rien perdu de leur influence et de leur grandeur. 148 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. » Et qu'on ne dise pas que c’est dans la capitale que les plus beaux génies dont la France se glorilie ont pris naissance , et que c’est à l’émulation ar- dente qu’elle excite , que nous sommes redevables de léclat qu'ils ont jeté dans le monde. Sans doute ; Paris a donné le jour à des savans, à des écrivains, à des poètes, dont la juste célébrité forme son plus riche patrimoine. Mais , sans remonter à des temps reculés, les biographies des auteurs les plus remarquables de ce 18." siècle, si fécond en réputations éclatantes , prouvent que les provinces peuvent revendiquer la plus forte portion de la gloire de ce grand siècle. » Dans les sciences exactes , Lagrange, Lalande et de la Place ; Buflon et Lacepède, dans les scien- ces naturelles ; Vauquelin dans les sciences phy- siques ; Montesquieu, Diderot, Condillac, Con- dorcet, Cabanis, Garat et Volney, dans les sciences philosophiques et politiques, n'étaient point de Paris; etsi, des hautes spéculations de la science, nous passons aux études non moins élevées de la littérature, nous trouverons encore des penseurs profonds et des écrivains d’une renommée puissan- te, sur lesquels la province a des droits qui ne peuvent être méconnus. » Si les formes de notre langage et l’art d'écrire se sont si rapidement perfectionnés, si les regles et les ornemens du style ont été plus connus et plus sa- gement appréciés, C’est aux théories et aux doctes leçons de Marmontel, de Domergue et de Pabbé Sicard, et à leurs exemples , que nous en sommes HISTOIRE. 149 redevables. D'un autre côté , Chamfort, Sabatier de Castres, Palissot, Caïlhava et Ginguené, si sévères en matière de goût, appréciateurs si judi- cieux des plus belles productions de Pesprit hu- main , en s’exerçant sur la critique littéraire , en ont étendu le domaine et posé les limites, et tous ces auteurs, objets de tant d’hommages, nous appartiennent sans restriction. » Ce n’est pas tout : si tous les genres d’élo- quence se sont développés avec une magnificence inouie, dans la chaire, par les accens sublimes de Bossuet, la dialectique vigoureuse et pressante de Bourdaloue, la parole harmonieuse et douce de Fénélon, labondance onctueuse et pure de Massillon , et l’élocution entraînante de Fléchier ; au barreau , par la voix indépendante et fière de Bergasse, et la verve spirituelle et frondeuse de Linguet ; à la tribune , par les inspirations im- pétueuses et brülantes de Mirabeau, les impro- visations mordantes et incisives de Pabbé Maury, l'organe véhément de Barnave , et le ton solennel et mélodieux de Vergniaud ; dans les Académies , par le style pompeux et pittoresque de Thomas, et limagination brillante de Garat, c’est encore à la province que la gloire doit en revenir , car C’est la province qui fut le berceau de tous ces hommes éloquens que nous avons tant admirés. » Ce n’est pas tout encore : c’est aussi la province qui produisit ce Corneille, dont limmense génie retraça, avec une visueur de pinceau jusqu'alors inconnue, les souvenirs Les plus imposans de Pan- TOME rrr. PART, II. TI 190 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. cienne Rome et ses plus énergiques caractères ; ce Delille, dont la muse, tour à tour grave et légère, et toujours inépuisable, déploya tous les tresors , toutes les pompes de la poésie , et trouva des chants d'enthousiasme et d'harmonie pour toutes les merveilles de la nature; ce Ducis, qui , après avoir décrit les charmes de la vie patriarcale et les mœurs du désert, transporta dans notre langue, en les dépouillant de leur sauvage rudesse, les beautés mâles et sublimes de Shakespear. Que sais-je, dans tous les arts de Pesprit, dans tous les genres de composition , les enfans de la pro- vince se pressent avec ardeur dans la lice, pour hâter, par leur noble concours, le progrès des lumières; et pourtant telle est l'injustice de nos préjugés, que nous ne consentons à leur tenir compte de leurs efforts généreux, que lorsque la capitale a sanctionné par ses jugemens les œuvres de leur création. » Aussi, c’est à l'effet de ces préventions fatales , que tous les auteurs dont je viens d’esquisser rapidement les titres, ont soumis leurs livres ou leurs écrits aux arrêts de cette juridiction suprè- me, avant de les publier, pour leur imprimer une sorte de consécration, comme si des productions empreintes de tout ce que l'imagination peut avoir de profond, de grand et de beau, avaient besoin d’une sanction autre que celle du génie ; comme si les systèmes politiques de Montesquieu et ses doctrines de législation , les aperçus philoso- phiques de nos premiers penseurs, les théories HISTOIRE. | IOJE élevées de nos plus habiles géomètres, les beaux vers de nos tragiques les mieux inspirés, et les tableaux enchanteurs de nos plus grands maitres, wauraient pas eu , par eux-mêmes , Une puissance d'entraînement assez forte, pour être accueillis avec admiration , sans recourir au prestige, quelquefois si trompeur, et souvent si factice , du suffrage de la capitale. » Néanmoins Pusage existe , et notre déférence pour les traditions qui ont établi à Paris le berceau de toutes les célébrités nous a rendus ses tributai- res, et a condamné la province à subir ses oracles. Mais le temps est venu de secouer un joug qui contraste si durement avec les idées d’indépen- dance qui fermentent dans-la société politique. La centralisation corrompt le germe de toute émula- tion , éteint le zèle le plus ardent, étoulfe le génie ou modère ses élans les plus exaltés , au profit de quelques privilégiés qui n’ont d'autre avantage sur les écrivains de province, que celui d'habiter un pays, dont nous avons servi Porgueil par notre soumission timide , et qui , en se constituant lar- bitre du goût , est devenu le seul dispensateur de la gloire. » Toutefois, pour obtenir lémancipation intel- lectuelle de la province, il faut prouver que la province , livrée à elle-même, peut, sans le secours de la capitale, produire de grandes choseset fournir aussi des modèles ; et pour réaliser cette preuve, il faut aller la chercher dans ces archives du temps, si riches et si négligées , où sont enfouies tant de EL. 152 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. grandeurs aujourd’hui éclipsées, autrefois si écla- tantes ; interroger cette poussière éteinte où respire encore l’âme de nos aïeux; il faut recueillir dans les monumens qu'ilsnous ont laissés, les enseignemens, les croyances et les doctrines de leur äge, profiter de leurs leçons, étudier les institutions qu'ils avaient fondées, méditer sur leurs mœurs , sur leurs lois , sur leurs usages ; marquer les progrès et la décadence des sciences, de la littérature et des arts dans la succession des siècles où ïls vécurent ; approfondir les causes de leur prospérité et de leur dégradation; enfin, rechercher tous les produits de leur génie, pour y surprendre les secrets de lin- fluence qu'ils exercèrent sur les générations con- temporaines; et c’était là la pensée de FAcadémie , lorsque dans ces dernières années, elle a appelé successivement l'attention des érudits sur l’histoire de la Gaule avant et après la domination Romaine. » L'histoire de la Gaule avant et après la con- quête, et surtout celle de la Gaule méridionale , c’est-à-dire , de cet espace qui , des Alpes s'étend aux bords du Tarn et aux Pyrénées , est l’histoire de l’âge le plus brillant de notre beau pays; de cet âge, dont la Grèce et l'Italie furent jalouses , et que nos ancêtres ont illustré autant par leur courage que par leur goût pour léloquence, la poésie et les arts. » Des écrivains exercés dans ces nobles études se sont déjà présentés dans la lice que PAcadémie a onverte à leur émulation : mais le but n’a pas encore été atteint ; 1l faut de nouveaux ellorts HISTOIRE. 13 pour conquérir la palme qui doit en être la récom- pense ; et le rapport que vous allez entendre vous fera connaître en même temps la beauté du sujet que PAcadémie a soumis aux recherches et aux méditations des concurrens, et l’importance qu’elle attache à la composition qu’elle demande. » Cest pour compléter, en qnelque sorte , cet œuvre de patriotisme et d’érudition, que, sans attendre la solution des questions qu’elle a sou- mises sur l’histoire de la Gaule , PAcadémie ouvre un nouveau concours. Après avoir demandé létat politique, civil et religieux des Gaulois sous la domination Romaine , et quels furent les progrès des sciences, des lettres et des arts pendant la même période, elle veut que lon retrace lPétat de la littérature des provinces méridionales de la France, depuis l'an mille, jusqu’à la fin du dix- septième siècle; et comme la littérature du Midi jeta les fondemens de la littérature devenue natio- nale , elle désire connaître le degré de Pinfluence queces deux littératures exercèrent réciproquement lune sur l’autre. » Ce sujet est vaste, mais il peut donner lieu à de magnifiques développemens. Avant d’en con- sidérer l’ensemble , il faut pénétrer dans les origines des langues qui furent les premiers instrumens de la littérature nationale , et remonter sur-tout à la formation de cette langue Romane , qui existait déjà dès le sixièmesiècle, et qui, par des altérations successives , devint le principe des divers idiomes du Midi et du Nord. Ces investigations tendront 194 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. à prouver que le dialecte des provinces méridiona- les de la France fut commun à la France entière, et que la langue Française proprement dite dut son origine à l’altération du langage populaire du Midi. » Ces premières données jetteront un grand jour sur lorigine de la poésie ; et à laide des nombreux monumens historiques que nous possé- dons , il ne sera pas difficile de démontrer que le pays des troubadours qui, même avant la do- mination des Romains, avait des poètes pour célé- brer les exploits de ses guerriers , fut le berceau de cette littérature qui devint dans la suite la littérature nationale de la France, et par consé- quent celui de notre gloire littéraire. » Ainsi se déroulera dans ses larges proportions le tableau demandé par lPAcadémie : on y verra que tandis que le nord de l'Europe était plongé dans les ténèbres de lignorance , l'Europe méri- dionale , fécondée par les rayons du beau soleil de la Grèce et de l'Italie, s’avançait avec une progres- sion rapide dans les sciences et les arts de esprit ; qu’elle avait ses guerriers, ses poètes et ses artistes, qu’elle inspirait ses poètes pour chanter la gloire des combats, les joies du cœur et les triomphes de la beauté ;et si, dans ces siècles reculés , nos con- trées du Midi surent se créer une littérature qui servit de fondement et de type à cette littérature qui devint nationale, comment ne pas reconnaître que nos provinces qui ont recueilli héritage des troubadours , pourraient se ressaisir de cette préé- minence littéraire qu’elles ont perdue? HISTOIRE. 195 » Qu'un zèle ardent pour la gloire du pays, qu'un saint enthousiasme pour le sol natal, exalte l'imagination de nos écrivains ; qu'ils aient le cou- rage de s’écarter des sentiers battus, de dédaigner le préjugé qui maintient au profit de la capitale le monopole des publications. Que toutes les provinces imitent ce grand exemple, et cette ligue , formée par les sentimens les plus nobles , produira d’écla- tans résultats. » Voyez dans quel abime de misères et de dégra- dation notre littérature est tombée ! Tous les principes qui servaient de fondement à ce colosse de gloire élevé par les plus beaux génies de notre France , toutes les doctrines qui le protéseaient , toutes les maximes de goût qu’il avait consacrées , sont abolis ; toutes les traditions qui nous avaient été transmises par nos pères, ont perdu leur em- pire. L'amour du vrai et du beau a été remplacé par une prédilection frénétique pour le mensonge, la laideur et la difformité, par les extravagances d’une imagination pervertie et les compositions les plus honteuses. Notre théâtre, autrefois le reflet de notre société polie et perfectionnée, le tableau de nos mœurs si délicates et si douces, cette école dans laquelle nous allions étudier avec une sorte d'ivresse les leçons du monde traduites en beaux vers, les caractères de nos personnages historiques retracés avec une mâle vigueur , les peintures si attachantes de nos joies ou de nos mécomptes , de nos affections ou de nos antipa- thies ; des passions qui nous assiégent et des vertus 156 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. qui nous consolent ; cette scène où les formes si gracieuses de notre langue se reproduisaient avec un charme toujours nouveau, dans les compositions même les plus frivoles ; cette scène que Molière , Corneille, Racineet Voltaire avaient entourée de tant d’enchantemens , et qui faisait , à la fois, notre admiration et notre orgueil , cette scène a disparu. A sa place on a substitué le spectacle du vice dans toute sa bassesse ; celui des mœurs les plus dépra- vées, des passions les plus désordonnées et les plus fougueuses ; celui de l’homme dans toute sa dé- gradation , de la société dans tout ce qu’elle a de plus vil, de plus abject et de plus licencieux ; celui du crime avec son épouvantable cortége, la sombre horreur du cachot, et l’échafaud ensan- glanté de la justice humaine... Et tout cet appareil de dégoût et d’effroi nous est livré avecun cynisme, qui nest pas même déguisé par les artifices du style et la pudeur du langage. » Une réaction salutaire a commencé de s’opérer dans ces derniers temps, et les apôtres de Ja nou- velle école , naguères si fervens pour leurs fatales doctrines , n’ont plus cette ardeur de prosélytisme qui aété si funeste ; mais le meilleur moyen de combattre les erreurs qu'ils ont si long-temps répandues , nous le trouverons dans l'indépendance intellectuelle des provinces. Que Paris continue, si tel est son destin , de protéger des productions que l'esprit , le goût et nos mœurs désavouent ; mais que la province soit fidèle aux enseignemens de nos maitres, que ces enseignemens soient poux HISTOIRE. 197 nous le feu sacré. Veillons avec sollicitude à sa conservation : malheur à nous sil venait à s’é- teindre! » Platon a dit que les hommes seront heureux Aer alors qu’ils seront gouvernés par des philosophes. Oo Les règnes d’Antonin Pie et de Marc-Aurèle peu- pis 103 vent, à certains égards, justifier lassertion du Es disciple de Socrate : mais combien on a abusé de cet axiome; combien on a trompé les peuples en leur vantant les bienfaits de la philosophie ! L’im- moralité a été quelquefois préconisée sous le nom de sagesse profonde , et des factions coupables ont. invoqué le nom de la philosophie. Mais est-ce bien cette science qu'il faut accuser de tant de forfaits, ou plutôt n’est-ce pas ceux qui en ont corrompu les voies , altéré l’esprit, changé la nature ? On doit le penser. Certes on n’a point vu les créateurs des sectes philosophiques qui ont brillé dans la Grèce, appeler sur leur patrie les maux qui, à diverses époques , l’ont accablée. Seulement ses plus grands ennemis pourraient dire que, cherchant ce qu’elle croit être la vérité, sans acception de croyances , sans assez de respect, peut-être, pour tout ce qui forme les liens des peuples entr’eux , la philosophie à servi, sans le vouloir, à saper les bases de la société et à amener ces déplorables commotions dont ses disciples les plus fervens ont toujours été les victimes. Devenue vulgaire en Grèce et dans presque toutes les parties de l'empire romain, on ne voit 198 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. point que par ses maximes elle ait amélioré Ja condition des peuples. Plusieurs de ceux qui la professaient ; qui lillustraient par leurs écrits, n'étaient souvent philosophes que dans leurs dis- cours ; rentrés dans la vie commune, on ne voyait plus en eux que des hommes ordinaires. Leurs esclaves , car beaucoup d’entr'eux avaient des es- claves , étaient frappés, mis à la torture comme ceux des autres citoyens ; et les vertus si vantées de ces sophistes et de ces rhéteurs n'étaient que des masques de théâtre, qui ne déguisaient que durant quelques heures la vraie physionomie de ces prétendus disciples de la sagesse. Les leçons de ces hommes orgueilleux n’avaient produit aucun résultat avantageux , lorsqu'une lumière inattendue vint briller aux yeux des peu- ples, dissiper de longues erreurs , montrer le bien et le mal pour embrasser Pun et repousser Pautre , et indiquer unique voie qui conduit au sanctuaire de la vérité. Le christianisme offre, en eflet, les plus sublimes préceptes, la morale la plus pure. Etre vraiment chrétien, c’est être vrai philosophe, honnête homme, citoyen dévoué ; c’est posséder toutes les vertus. Il semblerait done que létude de ce qu’on nomme philosophie serait, de nos jours, sinon dangereuse , par les doutes qu’elle fait naître, par les abstractions dont elle se nourrit, par Pesprit de système qu’elle fait éclore , du moins oiseuse et parfaitement inutile en présence des profonds enseisnemens du christianisme. Cependant, on a HISTOIRE. 159 voulu sonder tous les abimes , expliquer ration- nellement tous les mystères de la création et de la pensée, et l’on s’est enfoncé dans des régions souvent ténébreuses : mais après des eflorts pro- longés , les plus sages sont revenus au point d’où ils étaient partis , et le fameux Cogito, ergd sum , n’a rien appris au chrétien. Ce n’est pas toujours pour être compté au nom- bre des hommes qui professent la foi de celui-ci, que de nos jours on étudie la philosophie ; c’est pour aller au-delà , c’est pour donner l'être à de nouveaux systèmes de morale et de civilisation. Chaque pays a son école qui anathématise , avec plus ou moins de force , les opinions des autres, et chaque disciple de ces écoles, modifiant à son gré les leçons de ses maîtres, veut aussi donner le jour à de nouvelles abstractions, à de nouvelles idées : une sorte d’anarchie morale naît de ces études , et se répand dans la société ; tandis qu’une école s’élève contre les définitions , les principes, les assertions de la vieille école de Condillac , que réprouvent aussi, plus ou moins, les écoles alle- mandes, divisées cependant entr’elles et paraissant lune à l'autre étrangère. Cest dans cet état de choses que, pour ceux qui s'intéressent à ces débats, il est bon de déter- miner l’objet et la statistique actuelle de la phi- losophie; et c’est ce que notre Confrère, M. Gare ARNOULT, pouvait faire mieux qu'un autre, et ce qu'il a fait avec cette lucidité, avec ce style animé qui caractérisent toutes ses productions. Il a divisé 160 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. son Mémoire en cinq paragraphes: les deux premiers ne sont en quelque sorte que l'exposition du sujet : dans le troisième , il cherche à déterminer le sens du mot Philosophie, et ce n’est pas un médiocre avantage pour beaucoup de disciples de cette sa- gesse des temps modernes, car beaucoup d’en- tr’eux avaient sans doute besoin de cette définition, et de savoir aussi jusqu’à quel point il y a dissem- blance entre les doctrines professées en Ecosse, et celles qui sont adoptées dans les universités de la Germanie et de la France. Dans son quatrième paragraphe, l’auteur recherche les limites de la science philosophique, et il ne lui en prescrit d’autres que celles de Pesprit humain , considéré sous trois points de vue, savoir : pensée d’homme ou d’individu ; pensée sociale, ou d’esprit ; pensée humaine , ou de genre. Enfin , dans le cinquième article de son mémoire, M. Arnoult fait connaître Vétat actuel de la philosophie. Cet ouvrage, 1m- primé depuis quelque temps, a eu de nombreux lecteurs , et sa publicité nous empêche d’en offrir ici un compte plus détaillé. D’ailleurs de pareils écrits doivent être médités pour être justement appréciés, et celui qui voudrait en présenter Pa- nalyse pourrait peut-être obscurcir ce que Pauteur a écrit avec une grande clarté et un talent de style peu commun. M.Derrox. L'origine de l’action publique et de Pinstitution Origine je du ministère public se perd dans la nuit des temps. Pacti ubli- A À . . F4. FT 3 ; Les Jéoistes et Les érudits qui ont écrit sur ordre HISTOIRE. 16£ judiciaire , se sont beaucoup moins occupés de rechercher cette origine que de signaler les diver- ses influences que la magistrature a progressive- ment exercées sur la civilisation et Padministra- tion de la justice. D’Aguesseau lui-même, que son immense éru- dition aurait pu mettre sur la voie de cette grande découverte , avoue qu'il n’a pu connaître lépoque à laquelle Pinstitution des magistrats du parquet a été établie. Les investigateurs les plus laborieux de l’histoire du Droit Romain, ont cependant cru en aperce- voir des traces dans l’etablissement des ÆRationales ou Procuratores Cæsaris ; et comme les Francs avaient conservé dans les Gaules tout ce qui pouvait leur être utile de l'administration de Rome, on n’a pas eu beaucoup de difficulté à trouver dans les Procuratores Cæsaris ou ÆActores regis, des Procureurs généraux du Roi, et de rattacher ainsi l'établissement du ministère public à Pinstitution des Procureurs de César. Mais il y a bien loin des fonctions des Rationales ou Procuratores Cæsaris , à celles qui sont attri- buées à nos Magistrats du Parquet. À Rome, les Rationales ne furent d’abord que des régissseurs où des intendans établis dans les domaines du Prince. Constantin leur attribua , plus tard , le droit de juger les causes fiscales : c’est-à-dire de prononcer sur les procès des Æationales, où pour mienx dire encore, de juger dans leurs propres causes ; de telle 162 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. sorte qu'ils devinrent à la fois juges et parties : attributions étranges, qui blessaient en même temps tous les principes de la justice , les conve- nances de la société et les intérêts des tiers. On voit, par la nature des fonctions attribuées aux Rationales, qwelles mont rien de commun avec celles qui sont attribuées à notre ministère public. Montesquieu a fort judicieusement observé dans son Esprit des lois, liv. 28, chap. 36, que les formes populaires des Romains , touchant la pour- suite des crimes ne pouvaient s’accorder avec le ministère d’une partie publique. M. Boncenne , dans sa Théorie de la Procédure civile, ouvrage qui tout récemment vient de jeter de si vives lumières sur cette science si importante et si difficile, ne manque pas d'ajouter à lobser- vation si jndicieuse de Montesquieu, que si la poursuite des crimes chez les Romains ne pouvait se concilier avec les attributions actuelles de nos Officiers du Parquet, ilen était de même, pour l'instruction et les formes du jugement de leurs procès civils. « Ce serait s’abuser , dit-il, tom. 1, pag. 524, que de voir dans les fonctions anomales de ces Procuratores ou receveurs transformés en juges fiscaux, des traits de ressemblance avec nos offi- ciers du ministère public. Les Romains ne leur avaient point fait l'honneur de les charger de pro- téger les veuves, les orphelins et les pauvres. On nommait à ces personnes un avocat pour les défen- HISTOIRE. 163 dre, lorsqu'elles en avaient besoin. Accuser et poursuivre, était un droit commun à chaque ci- toyen. L'amour de la gloire et amour de la patrie créaient des accusateurs ; il fallait souvent choisir entre ceux qui se présentaient ; et Cicéron n’obtint la faveur d’accuser Verrès, qu'après lavoir dispu- tée à Cæcilius Niger. » M. Boncenne, dans sa prodigieuse érudition , n'a pu trouver cette vérité historique que tant d'autres auteurs , avant lui, avaient recherchée , pour établir d’une manière incontestable Porigine de ce pouvoir protecteur, qui, sous Le titre de mi- nistère public, est une des plus puissantes garan- ties de l’ordre, de la stabilité et äu bonheur de la société ; mais il émet une opinion dont la justesse sera appréciée par les hommes qui, comme lui , ont réfléchi sur le but, l'influence et les résultats de cette magnifique institution : il pense que l’éta- blissement du ministère public ne date que des jours où l'administration de la justice; prenant un cours plus réglé ,se détacha de la puissance féo- dale ; où la magistrature sédentaire commença de former un ordre dans l'état , fit passer le patronage des hommes d’armes ; aux gens de la loi, et opposa les mœurs graves et studieuses des parlementaires, à la pétulante ignorance des preux. Les Procureurs du Roi servirent merveilleusement à seconder cette régularité naissante, à maintenir l'influence de la couronne dans les tribunaux , à défendre ses droits contre les prétentions des grands vassaux et contre les tentatives du pouvoir ultramontain. 1064 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. La diversité des coutumes, l'adoption du droit Romain dans quelques provinces, toutes ces légis- lations avaient besoin d’un organe qui expliquät les limites de leur empire respectif, et les difficul- tés de leur application, qui présentät aux juges des considérations sur les questions qni leurétaient soumises, et surles rapports qu’elles pouvaient avoir avec le bon ordreet Putilité publique. Cette opinion de M. Boncenne n’est pas appuyée; à la vérité, sur des monumens historiques ; mais elle se Aedui naturellement des perfectionnemens amenés par le temps dans Padministration de la justice ,et des progrès toujours croissans de la civilisation ; et M. Portalis porte le même jugement dans son magnifique éloge de lPAvocat-général Séguier. « Ainsi, dit cet orateur, naquit cette belle insti- tution qui a préservé nos gouvernemens modernes de cette foule de Hdieure , devenus les fléaux des familles et de l’état sous les empereurs de lan- cienne Rome ; cette institution qui, sur tous les points d’un vaste empire, donne un organe à la loi, un régulateur à la jurisprudence, un appui consolant à la faiblesse , un accusateur redoutable au méchant, une sauve-garde à l'intérêt généralcontre les prétentions toujours renaissantes de lintérèt particulier, enfin, une sorte de représentant au corps entier de la société. » M. Derpon n’a adopté ni rejeté cette opinion : en signalant dans Pouvrage de M. Portalis , quel- ques-uns de ces aperçus lumineux que lesprit HISTOIRE: 165 philosophique répand dans sa marche , pour éclairer les objets qu'il parcourt, il exprime le regret que lhistoire d’une magistrature qui sert d’intermédiaire au trône et à la justice, m’ait pas été tracée par l’écrivain, dont le noble talent donne un nouvel intérêt aux importantes questions de morale, de politique, de droit civil, et sut les rattacher aux lois immuables de la nature , et à Vorganisation mobile du corps politique. Ces regrets de M. Delpon font assez connaître qu'iln’a pas voulu marcher dans les sentiers battus, et qu'indépendant de toutes les opinions qui ont été émises jusqu’à ce jour sur l’origine de Paction publique et des magistrats chargés de lexercer, il a voulu constater cette origine, non par des traditions et des jugemens vulgaires , mais par des preuves et des monumens irrécusables. Pour parvenir à ce but, notre Confrère s’est imposé une tâche immense. Elle aurait effrayé tout auteur qui naurait pas eu comme lu, la patience et le courage de fouiller dans les vieilles chroniques qui, seules, peuvent servir à éclairer les textes douteux du moyen âge, et de se com- poser un système à laide des matériaux que l’his- toire des peuples anciens et modernes aurait pu lui fournir ; et c’est là cependant ce que M. Delpon a eule dévouement d'entreprendre et le talent d'exécuter. Afin de découvrir l'origine de Paction publique, il s’est livré aux recherches les plus approfondies, aux investigations les plus laborieuses, et il a réuni TOME NII, PART, II. 12 166 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. en un corps d'ouvrage tous les matériaux qu'il à extraits de ses études, et qui lui ont paru les plus propres à établir, d’une manière positive , lhis- toire du ministère public. Il a divisé son ouvrage , qu'il présente sous le titre modeste d’Æssai , en huit parties. Dans la première, M. Delpon expose comment l'on reconnut la nécessité de laction publique, et par quelle suite de concessions elle fut établie. Dans la seconde , il rappelle comment elle fut exercée chez les divers peuples de Pantiquité, jusques aux Romains. Le troisième et le quatrième livre sont consacrés à l'examen des lois, des usages et des institutions des Romains qui se rattachent à cet objet. Le cinquième sétend depuis l'invasion de l'empire d'Occident par les barbares du Nord ou de l'Orient, jusqu’à l’époque où les établissemens de S. Louis commencèrent à ranener les véritables notions d'ordre public, et permirent enfin à la raison de poser les bases d’une bonne admi- nistration de la justice. Le sixième renferme le temps qui sest écoulé depuis le règne de $S. Louis jusqu'aux célèbres ordonnances de Louis XIV, sur la procédure civile et criminelle. Le septième est consacré au laps de temps qui s’est écoulé depuis la publication de ces ordon- nances jusqu’à la révolution française. Enfin , le huitieme livre comprend tous les chan- gemens qu'a éprouvé l’exemtice de l’action publi- HISTOIRE. L 67 que ; pendant les longs et sanglans efforts de notre patrie , pour concilier Pordre avec la liberté , pour mettre ses institutions en harmonie avec les pro- grès de la civilisation, jusques à la promuloation du Code de Procédure criminelle, On voit, par cette simple indication , combien est vaste le plan conçu par notre Confrère; et il a donné une idée bien plus exacte encore de son étendue ; par son discours préliminaire , qu'il à eu la modestie de soumettre à l'Académie , en lui communiquant le premier chapitre de son intéres- sant ouvrage. Dans ce discours, M. Delpon jette un coup d'œil profond sur tous les auteurs qui ont exercé leurs méditations sur l'institution dont il a voulu écrire l’histoire , depuis Porganisation des sociétés jusqu'à nos jours; etlon trouve dans ces pages savantes les empreintes d’une raison supérieure , lesprit judicieux d’un érudit accoutumé àréfléchir, à comparer et à juger les résultats féconds d’une longue exploration, la méthode etle goût d’un écrivain habile. Ce discours n’est, à proprement parler, que l'analyse des immenses matériaux que l’auteur a rassemblés pour l’exécution de son grand ouvrage. Mais cette analyse, déjà si intéressante par les détails qu’elle embrasse, prouve surabondamment que histoire suivie et complète de l’action publi- que , qui, comme on le sat, a pour attributions spéciales la poursuite des crimes , la défense des intérêts de la société et la protection de ceux de 12. 168 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES- ses membres qui mont que la loi pour égide ; est un sujet absolument neuf et digne de fixer l'attention des publicistes. Cette attention est vivement excitée par la ma- nière large avec laquelle M. Delpon a exécuté le premier livre de son essai , et dont il a eu l'extrême déférence de nous transmettre le manuscrit. IL avait pour objet de faire connaître dans ce chapitre, comment la société était parvenue à se convaincre de la nécessité où elle était de répri- mer les offenses , et de l'intérêt qu’elle avait à cette répression ; et pour cette démonstration , l'auteur retrace avec profondeur, non-seulement l’histoire des sociétés , mais l’histoire de l’homme pris dans l'état de nature , avec ses affections , ses penchans, ses vices et ses passions fougueuses ; il pénètre dans les mystères de son cœur, et le poursuit ensuite dans ses habitudes , dans ses coutumes, plus ou moins barbares , avant l’établissement des sociétés. Passant bientôt à l’état de civilisation ,1il par- court successivement les annales des divers peuples du monde ; étudie leurs usages , leur législation et leur jurisprudence ; signale le développement progressif de leurs coutumes et leurs perfection- nemens ; marque la différence des mœurs publi- ques dans les divers âges des nations ; indique Îles époques auxquelles Paction publique fut établie chez chacune d’elles , et montre l'influence que cette belle institution exerça sur le bien général des peuples, sur la masse des intérêts individuels , et sur Les systèmes de leur législation. HISTOIRE. 169 « Parmi les lois qui régissent le monde physique M, Capan- TOUS, et le monde moral, il en est une plus constante pe l'influence peut-être, plus générale que toutes les autres, et suivant laquelle il faut toujours qu'après la perfec- tion vienne la décadence, où même que la voie qui mène à la première aboutisse comme nécessai- rement à la seconde. C’est une vérité de fait qu’on lit à chaque page, à chaque ligne de toutes les histoires ; que Pexpérience de tous les jours et de tous les momens confirme , à chaque instant , dans tous les individus et tous les êtres collectifs de tous les ordres de la nature, et qu'on conçoit à peine que lesprit de système ait pu faire contester dans le siècle même le plus aveuglé par la folle manie des abstractions et des théories. » L'Egypte, constituée pour la paix, arriva par la paix à ce haut degré de lumières, de bonheur et de gloire qui en fit Padmiration de tous les âges ; mais par la paix aussi, elle devint la proie facile de tous les conquérans jaloux de la soumettre à leur empire ; et malgré ses armées de 400,000 hom- mes formées avec tant d'art , mais loin des batailles , elle tomba, presque sans défense, sous les coups des Arabes, des Ethiopiens, des Perses, des Grecs et des Romains; elle à fini par ne laisser d’elle- même que des monumens de lumières éteintes, de gloire effacée , de bonheur à envier et d’existence à regretter: la paix lavait élevée au plus haut degré de science, de grandeur et de magnificence qu'un peuple püt atteindre à cette époque ; la paix la fit descendre au dernier point d’abrutissement , du commerce et de la com- munication des peuples entr’eux, sur les Lettres et les Sciences. 170 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. de misère et d’esclavage où puisse tomber une nation dégradée. «Carthage, constituée par le commerce, parvint par le commerce à se rendre la reine de l'Afrique, la dominatrice des mers , et presque la maitresse du sort des nations devenues tributaires de son indus- trie. Mais le même commerce qui l'avait fait monter au plus haut faite de puissance et de richesse, La livra bientôt aux troubles de toute espèce, qu’ex- citèrent dans son sein les innombrables ouvriers employés dans ses vastes ateliers; aux séditions, plus dangereuses encore, des mercenaires de tous les pays, qu’elle enrôlait sous ses enseignes , pour ne pas dépeupler ses fabriques ; et enfin au fer d’un peuple méditerranéen, qui n'avait jamais connu la mer, et qui, après avoir défait toutes ses flottes, la détruisit elle-même, maloré le puissant bouclier dont la couvrait le génie d’Annibal. » Rome, constituée par la conquête , réussit par les armes à subjuguer le monde entier. Mais, après avoir triomphé dans tant de guerres, elle devint elle-même, pour elle-même, un horrible champ de bataille, où ses généraux , ses armées et ses citoyens, aux prises les uns avec les autres, se dis- putèrent le plaisir de lui percer le sein, et Paban- donnèrent enfin aux barbares qui ne devaient lui porter le dernier coup qu'après lavoir entretenue, pendant limmense espace de quatre siècles, dans la plus cruelle et la plus honteuse agonie. » Tel est le cours forcé des choses d’ici-bas : de quelque point que nous partions, nous tendons à HISTOIRE. 17E notre insu, et sans sortir de la même voie, vers lextrème contraire : la paix finit par ruiner le bonheur qu’elle enfante ; le commerce, la richesse qu'il produit ; et le fer, la puissance qu’il élève ; la carrière de la vie aboutit à la mort ; la liberté au despotisme; et si le despotisme ne finit pas toujours par la liberté, c’est que, suivant la sage observation de Montesquieu , lon peut tuer les tyrans sans tuer la tyrannie, tandis qu'il est im- possible de blesser mortellement la loi sans tuer la liberté. » Sitel est,comme on n’en saurait douter, l’ordre constant de la nature, comment les lettres et le goût pourraient-ils se soustraire à la loi générale ? les causes qui les favorisent doivent finir par leur nuire ; et le dernier degré de leur perfection ne peut qu'être bientôt suivi du premier de leur décadence.» C'est un fait que M. Casaxrous cherche à expli- quer dansun Discours sur l'influence du commerce et de la communication des peuples entr'eux sur les Lettres et les Sciences, pour rendre raison de l'état présent de la littérature en France et en Europe. Dans la première partie de ce discours, Pauteur montre la nécessité du commerce pour hâter les progrès du goût et des lumières. « L'homme, sousle rapport des facultés mora- les , n’est véritablement homme, dit Buflon , qu'autant qu'il vit et commerce avec les hommes. On peut en dire autant des peuples considérés sous le point de vue du goût et des lettres : uu 172 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. peuple , envisagé sous cet aspect, n’est véritable- ment peuple qu'autant qu'il vit et commerce avec les peuples. » Les Indiens et les Égyptiens affectérent toujours de s’isoler de toutes les nations. Ils recurent de peuples plus anciens , ou trouvèrent par eux-mêmes les procédés de plusieurs arts , les principes de plusieurs sciences, et les notions essentielles du goût au moins dans ses rapports au grand. Mais à peine eurent-ils fait quelques pas dans la carrière, qu'ils s’arrêtèrent immobiles au point déjà atteint, et ne soupçonnérent pas même la possibilité d'aller encore plus loin. Je n’ignore pas que, pour expliquer cet état si long-temps stationnaire, on a coutume d’alléguer l'attention des législateurs de l'Égypte et de lInde à faire du dépôt des arts et des sciences un mystère inaccessible au commun des citoyens, et confié seulement à la garde du collége des prêtres. Mais ce qui prouve évidemment l’in- sufisance de cette explication , c’est que les Chinois, peuple aussi ancien, plus ancien peut-être que les anciens Égyptiens , est toujours demeuré et se trouve encore dans un état également stationnaire, quoiqu'il possède un corps fort nombreux de let- trés , qui , loin de faire mystère de ce qu'il a de goût et de lumières, en donne publiquement les principes à quiconque veut les recevoir. Le seul moyen vI aiment satisfaisant d° expliquer le peu de progrès que les Indiens et les É Égyptiens firent pendant tant de siècles dans les arts et les sciences qu'ils avaient déja portées à un point assez avancé , HISTOIRE. 173 est dans l’absence absolue de tout commerce de chacun de ces deux peuples avec les autres nations de Punivers. Dès qu'Alexandre eut renversé la bar- barie qui rendait l'Égypte innaccessible à tous les habitans du reste de la terre , le goût et les lumiè- res y firent des progrès si rapides, qu’en moins d'un demi-siècle, elle devint à la fois et le centre dun commerce immense et la rivale de la Grèce. Nous voyons quelque chose de semblable dans Vinde , depuis que les habitans de cette contrée si long-temps séparée du reste du monde, sont forcés , malgré toutes leurs répugnances , de communiquer avec le peuple instruit et marchand qui les opprime. » Nous pouvons dire des Juifs ce que nous ve- nons d'observer en parlant des Indiens, des Égyp- tiens et des Chinois. Tant que , fidèles aux sages lois de Moïse, les descendans de Jacob refusèrent de communiquer avec les peuples étrangers , ils demeurèrent stationnaires dans leurs arts et leur littérature , comme les Égyptiens au sein desquels ils avaient commencé à se former en corps de na- tion. Mais lorsque, par leffet de leur transmigra- tion à Babylone, de leur longue lutte avec les rois de Syrie , de la dispersion d’un grand nombre d’entr’eux , attirés par lappat du gain au sein de tous les peuples , et venant tous les ans porter à Jérusalem, avec le tribut de leurs prières, celui des idées que le commerce leur avait fait acquérir, peut-être à leur insu ; lorsque, dis-je, par ces trois causes réunies €t tant d’autres que je passe sous 174 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. silence, les Juifs se trouvèrent en rapport ; quoi- qu'imparfait, avec les principales nations du monde, ils avancèrent assez dans les arts de l'esprit, pour que le savant Calmet n'ait pas hésité à donner leurs trois sectes de Pharisiens, de Scribes et de Saducéens, pour une imitation des sectes grecques du Portique , du Lycée et de l'Académie. « Quand on parle des Athéniens, on a nommé tous les Grecs considérés sous le rapport des lettres et des Inmières ; car la Grèce littéraire et savante ne s’étendit jamais an delà des bornes de PAttique. Les Rapsodes avaient beau parcourir tous les petits états de la terre-ferme et de la presqu’ile, et semer en tous lieux les membres déchirés du grand Homère , comme autrefois Médée avait semé sur ses pas ceux de son frère Absyrte ; les prin- cipes de goût et de science que renfermaient en si grande abondance lIliade et l'Odyssée, tombèrent en vain partout ailleurs, et ne se développèrent que dans laterre d’Attique. Cest que de tous les peuples de la Grèce, le seul vraiment commerçant était celui d'Athènes. Les autres communiquaient à peine avec leurs voisins, tandis que les Athéniens, montés sur leurs vaisseaux , parcouraient en tout sens la Méditerranée , visitant habituellement les côtes occidentales de Asie mineure , et celles de la grande Grèce, et celles de Ta Macédoine et de la Thrace, et celles de la Syrie , et celles même de l'Égypte ouverte aux Loniens depuis Psamimétique, près de huit siècles avant J.C. Dans ces courses continuelles , les Athéniens, aussi bons observateurs HISTOIRE. 179 qu'habiles commerçans , faisaient provision d'idées autant que de marchandises, et reportaient, avec le produit de l’industrie , les productions étran- gères de tous les esprits cultivés, au sein d’une patrie avide de tout saisir et de tout recueillir , et mettant sa principale gloire à tout perfectionner. » Que dirons-nous des Romains? et comment ce peuple put-il acquérir quelque goût et quelques lumières , lui qui fut si long-temps le fléau du commerce et de industrie, lui quiles abandonnait par dédain aux esclaves et aux affranchis ! On ne saurait disconvenir que Rome nait frappé dun coup mortel le commerce et l’industrie en portant le feu dans Carthage et dans Corinthe , et la déso- lation dans l'Egypte et la Syrie : on est forcé d’a- vouer que si Rome se mit en rapport avec la plupart des peuples, ce ne fut presque jamais que par la conquête et les armes : moyen le plus souvent injuste et terrible, et qui ne pouvait qu'éloigner d'elle par la haine ceux dont elle se rapprochait par la victoire. Mais ce qu'on ne peut pas aussi ne point reconnaître , c’est que , malgré leur goût exclusif pour Part de la guerre , les Romains ai- meérent toujours à transporter dans leurs murs les Dieux des nations terrassées pour en peupler leur Panthéon, et les monumens des arts qui faisaient lorgueil des villes conquises, pour en orner les rues , les places, les édifices publics de la cité régnante. La vue continuelle de tant de chefs-d’œuvre de Part ne pouvait que disposer les esprits à recevoir des notions de goût, avant 176 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. même que ces idées se fussent développées ; elles se convertirent en passion dans lâme des hommes puissans ; et nous voyons par l'exemple de Verrès, à quels excès se portaient les Consuls et les Pro- consuls, les Préteurs et les Propréteurs , et tous les hommes établis en autorité dans les provinces, pour en enlever les tableaux, les statues, les vases précieux, tous les ouvrages des artistes célébres , et les employer à embellir dans Rome ou ses environs , leurs palais , leurs jardins , leurs maisons de plaisance. Bientôt ces hommes, las de vaincre et si long-temps étrangers au goût, ne voulurent plus habiter que des palais construits à la grecque, r’eurent d’admiration que pour les arts d'Athènes, dédaignèrent toute éducation qui n’était pas con- forme à celle de la Grèce, ne donnèrent pour maîtres à leurs enfans que des hommes appelés des bords de l’Ilissus, attirèrent enfin tant de Grecs au sein de leur patrie, et modifèrent tellement les idées de leurs contemporains, qu’en moins d’un demi-siècle Rome s’étonna de se trouver toute Grecquie. «On se trompe grandement, quand on croit que les Romains ne se mirent en rapport avec les autres peuples , que par la conquête et les armes. Dans le temps même de leur plus grande barbarie, ils entretinrent des relations continuelles avec la Grèce. Eux-mêmes, pour la plupart, étaient Grecs d'origine ; car presque tous les peuples d'où ils étaient sortis ou qu'ils s’incorporèrent, (Sabins , Etrusques, Latins , etc.) appartenaient aux co- HISTOIRE. 177 lonies de la grande Grèce : Numa, leur second Roi , n’était sage que de la sagesse grecque ; les deux Tarquins étaient Grecs par leur naissance, et Servius Tullius par son éducation. » La politique romaine était si éloignée d’imposer par la seule terreur des armes, que, suivant la sage observation du Président Laya dans son savant Commentaire sur Bodin, Rome contribua puissam- ment à modérer le despotisme dont le sceptre de fer accablait alors presque tout le monde connu. Partout où les légions romaines portaient leurs aigles triomphantes , elles laissaient le germe des idées de liberté qui se développaient tous les jours davantage au sein de la ville éternelle ; vingt fois Rome tendit la main aux peuples opprimés, pour les aider à renverser leurs tyrans; vingt fois, après avoir abattu les souverains despotes, elle daigna les replacer sur leur trône , à condition qu'ils régneraient avec moins d’arrogance et de fureur. .… » Les idées qu’on se fait du commerce romain, ne sont pas moins inexactes que celles qu’on se forme de la domination de ce peuple célèbre. Le port d’Ostie fut creusé par Ancus Martius ; lhis- toire a conservé le traité de commerce conclu sous Tarquin l'Ancien, entre Rome et Carthage. Dans leur lutte à la fois si longue et si opiniätre sur VPun et Pautre élément , les deux nations ne purent que se donner mutuellement d’excellentes leçons, lune de sa tactique sur terre, et l’autre de son habileté sur mer. Quand le monde moffrit plus rien à Pambition romaine qui pût fournir matière 178 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. à de nouveaux triomphes, Rome , suivant la subli- me remarque de Bossuet, transporta , pour ainsi dire, le siége de sa puissance au milieu de la Méditerranée , d’où par ses flottes innombrables , elle régnait en maîtresse absolue, sur l'Europe , PAfrique et l'Asie. C’était sur ses vaisseaux qu’elle transportait ses armées d'Italie en Grèce, de Grèce en Syrie, en Egypte et en Numidie ; de ces der- nières contrées en Espagne ; et de tous les points de sa domination , dans les Gaules , dans la grande Bretagne et sur les côtes de la Germanie. Bientôt l'Italie, arrachée à l’agriculture ; fut abandonnée tout entière au luxe des pares et des jardins, et ne produisit plus que des fleurs et de ombre. Alors, dit Tacite, la subsistance du Peuple Romain flotta au gré des vents et des tempêtes : il fallut faire venir de Sicile, ‘de Byzance, de l'Asie mi- neure, de la Syrie, et sur-tout de l'Égypte, les choses nécessaires à la vie des habitans de Rome et de l'Italie. Or de combien de vaisseaux ne devait pas être couverte la Méditerranée, pour fournir à de si grands besoins ! Voulez-vous en juger, Mes- Se rappelez-vous le recensement de Rome et de l'Italie fait sous Tibère presqu’aussitôt apr ès la mort d'Auguste, c’est-à-dire avant qu'il eût été possible de réparer la dépopulation causée par les guerres civiles et les proscriptions des triumvirs. Ce recensement porte le nombre des citoyens à 15 millions 110 mille ; et les esclaves , les affran- chis et les étrangers Éfie nt plus que décupler ce nombre. Vo donc 150 millions de bouches HISTOIRE. 70 à nourrir par mer : il n’est pas de nos jours une seule marine au monde qui pût fournir au quart de ces besoins. Et que sont, pour un peuple riche et civilisé comme étaient les Romains, que sont les besoins d’absolue nécessité, si nous les compa- rons aux besoins factices qui naissent du luxe et de la corruption générale ! I fallut rouvrir le canal creusé autrefois par Néchos, de Memphis à Suez. Aussitôt , la Mer Rouge et la mer des Indes furent sillonnées en tout sens par les flottes romaines qui portaient en Orient les productions de l’Occi- dent, et qui reportaient en échange les parfums de Arabie, l'ivoire de la côte de Zanguebar , la cannelle de Ceylan, les perles de Coromandel, les aromates des Moluques, le verre, la porcelaine et la soie de la Chine. » Tel fut le peuple qu’on affecte de donner pour étran ger à tout commerce, et sur-tout au commerce maritime. » Mais c’est trop insister sur les peuples an- ciens : voyons si l’histoire des nations modernes sera d'accord avec celle des temps qui ne sont plus. » Après la première croisade et édit d’affran- chissement de Louis-le-Gros et la fameuse bulle d'Alexandre IL, l'esprit français, dégagé des entra- ves qui lui avaient ôté jusque-là toute son énergie, commença de s'exercer -dans une foule de petits Senres en vers et de grands romans en prose. » Mais la France entretenait encore trop peu de relations avec les autres peuples. L'Italie , au 150 INSCRIPTIONS BT BELLES-LETTRES. contraire, en avait de continuelles avec tout POc: cident par la ville de Rome, centre de Punité catholique, et avec tout lOrient par Venise et Gènes, qui faisaient alors tout le commerce de l'ancien continent. Le Dante, Pétrarque et Boc- cace s’emparèrent donc des premières produc- tions de l'esprit français , et leur donnèrent dans une langue et des formes nouvelles, un degré de perfection dont on ne les aurait pas cru suscep- tibles. } » Un siècle s'était à peine écoulé, et déja le crois- sant avait remplacé la croix sur le dôme de Sante- Sophie à Constantinople , et l'imprimerie était dé- couverte, et les Portugais dominaient sur deux mille lieues de côtes dans l’ancien continent , et l'Espagne possédait le Nouveau-Monde, et lltalie, menacée par les deux plus grandes puissances de l'époque , redoutait également l'empire de Pune et de l’autre. » Au milieu de tant de secousses et de change- mens , Rome était toujours le centre des relations nouvelles entre toutes les parties du monde. Flo- rence, assez calme sous les lois d’un marchand ami des lettres, accueillit dans ses murs les Grecs instruits qui fuyaient le fer de Mahomet ; et met- tant en œuvre toutes les idées anciennes et nou- velles qui venaient en quelque sorte se réunir dans son sein, elle brilla comme une autre Athe- nes, où les lettres et tous les arts de goût refleu- rirent presque avec autant d'éclat qu'ils en avaient. eu autrefois dans la Grèce. HISTOIRE. 18 » Pendant que le génie espagnol essayait ses forces avec une hardiesse qui promettait les plus heureux succès, mais qui devait échouer contre un obstacle invincible, François L.®* épuisait ses tré- sors pour attirer en France les arts plus où moins perfectionnés et les artistes célèbres qui faisaient la fortune et la gloire de l'Italie. Mais il ne put que préparer à ses successeurs les moyens de con- duire ses projets à leur fin. » Ses mesures avaient été si bien prises, qu'un siècle et demi de troubles et d’horreurs ne purent en arrêter ni même en retarder l'effet. » Enfin Eouis XTF vint. Sous ce prince à jamais célèbre , le peuple Français effaça tous les autres par ses lumières, son industrie, ses richesses , son goût , sa puissance et sa gloire. Des Académies de toute sorte se formèrent au sein des peuples étrangers , sur le modele de celles que possédait la France. L’imprimerie perfectionnée rendit les découvertes , les inventions, les pensées de chaque peuple communes à tous les autres. Le commerce fut bientôt le principal objet de la politique eu- ropéenne. » Jamais tant de rapports littéraires et commer- ciaux, jamais des rapports si étendus entre tous les peuples du monde ; aussi, à quelle époque de l’histoire du genre humain les arts et les scien- ces ont-ils fait des progrès si rapides ? et faut-il s'étonner si, à la vue d’un si vaste espace par- couru en si peu de temps dans la carrière des lettres, certains esprits ont pensé que la carrière elle-même avait une étendue sans bornes. TOME JYIr, PART, IT, 12 192 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. Mais, l’auteur l’a dit en commençant, «les mé- mes moyens qui ménent à la perfection conduisent à la décadence.» Dans la seconde partie de son Discours, M. Ca- bantous démontre le mauvais effet produit, sous le rapport du goût, par le commerce trop étendu , ou par la trop grande communication des peuples en- tr'eux, et il entre à ce sujet dans des détails impor- Lans que nous supprimons à regret , forcés de ne pas sortir des étroites limites qui nous sont imposées. Les tableaux des progrès et de la décadence du goût chez les Grecs et les Romains, précèdent celui de notre littérature. « Notre langue est un rejeton du latin, qui lui-même était une branche du grec. À quel point ne faut-il pas ignorer le rapport des mots aux idées , l'influence de la langue sur toutes les opé- rations de l'esprit , pour vouloir qu'il n’y ait rien de grec ni de latin dans le goût et le style, quand il n’y a presque pas de signes dans la langue, qui ne soient d’origine grecque ou latine ? » Tant que l’élément barbare domina dans la langue sur l'élément romain, et que la nation, désunie dans toutes ses parties, n’entretint aucun rapport avec les autres peuples, le goût de nos aïeux fut grossier comme la langue, et leur litté- rature imparfaite comme leur goût. » Mais lorsque l’affranchissement progressif des communes, le sentiment tous les jours plus vif de besoins jusqu'alors inconnus, les essais plus ou moins heureux d’une industrie naissante , la réu- HISTOIRE. 183 nion de toutes nos provinces en un seul corps de nation, la reconnaissance de droits jusqu'alors ignorés , la jouissance de plaisirs à peine soupçon- nés avant cette époque, les moyens d'instruction plus nombreux et sur-tout plus utiles, eurent diri- gé les esprits vers des études solides ; lorsque les relations fréquentes avec les nations voisines , et principalement avec les peuples d'Italie, alors les plus industrieux et les plus éclairés de l'Europe, eurent enrichi nos pères d’une foule d'idées, d'arts et de connaissances dont le germe ne se serait peut-être jamais développé chez nous sans ce se- cours étranger ; lorsqu’enfin la protection donnée aux lettres par un denos plus grandsRoiïs, exemple d’une cour brillante, la force de plusieurs édits successifs, un commerce tousles jours plus étendu, et surtout la nécessité imposée par les réformateurs du 16. siècle, eurent rendu général Pusage de parler et d'écrire dans lidiome vulgaire ; Pélément barbare disparut par degrés devant lélément ro- main. Le peu qui resta du premier fut mis en rapport avec le second, le premier lui-même fut modifié comme il convenait d’après le climat, les habitudes et la constitution physique des organes du peuple. Lidiome eut des formes régulières, la nation une Académie, et la langue un diction- naire. » Alors parut Louis XIV. À peine monté sur le trône , ce prince magnanime, jugeant dès abord ses titres les plus durables à l'admiration dé la postérité, entreprit de faire de son peuple la nation 13. 184 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. la plus imdustrieuse, la plus éclairée, la plus polie ; la plus riche et la plus puissante de l'Europe. Dans cette vue, il excita , il éveilla, il développa tous les talens, dont les germes heureux ne man- quérent jamais en France : il voulut , comme Pompée ,et tout d’un coup parurent en plus grand nombre que dans aucun siècle, des hommes du plus rare mérite dans tous les arts, dans toutes les sciences , et sur-tout dans les lettres. En moins de vingt ans, la France, justement enorgueillie de tant de gloire, fut portée , d’un accord unanime de tous les peuples, à la tête de la civilisation européenne ; et par le seul effet de enthousiasme qu’excitait le mérite de nos écrivains, notre langue devint spontanément plus universelle parmi des peuples jaloux , que ne l'avait jamais été, chez des peuples soumis, celle des Romains, imposée du- rant trois siècles par la force des armes. » À quoi pensent donc tant de Zoïles, mal- adroitement déguisés en Aristarques, lorsqu'ils reprochent à une telle langue, à une telle littéra- ture d’avoir manqué de nationalité ? Ne voient-ils pas que leur critique ridicule est loutrage le plus sanglant qu’ils puissent faire à la nation entière ? Quoi donc! faudra-tl croire que la France n’au- rait pu conserver son caractère national qu’en demeurant barbare , ni se civiliser sans cesser d’être elle-même ? Eh qu'ont donc fait la langue et la lirtérature, que se polir par degrés à mesure que la nation se polissait ? qu'ont-elles fait , que revè- tir les formes du caractère national , à chaque mo- dification qu'y apportait le temps ? HISTOIRE. 185 » [l y a, dans certaines doctrines du jour , un fond d’ignorance qui excite le mépris, un fond de mauvaise foi qui choque, un fond d’audace qui indigne , et quelque chose d’anti-français qui ré- volte au plus'haut point. » Aussi, considérez comme ces nouveaux doc- teurs en matière de goût sont conséquens à leurs principes. Ils se plaignent que la littérature du 17.e siècle manque du caractère de nationalité , et pour le donner à la nôtre, ils s’efforcent de lui communiquer celui de Caldéron, de Shakespéar ou de Schiller. Mais pensent-ils donc que la bar- barie espagnole, la barbarie anglaise, la barbarie allemande aient quelque chose de plus français, que la civilisation de nos pères au temps de Pascal, de Racine , de Bossuet et de Fénélon ? » Hommes sans goût comme sans lumières ! ils ne volent pas que nous sommes arrivés au terme inévitable où la même cause qui a conduit notre littérature au plus haut degré de perfection , doit nécessairemeut en amener la décadence. Avant le 17. siècle, nous n’avions pas assez de relations avec les peuples étrangers : aujourd’hui , notre situation politique et commerciale nous force d’en eutretenir de beaucoup trop fréquentes. » Les étrangers accourent de toutes parts chez nous ; de tous les points de la France nous courons chez les étrangers. Tous les jours, notre langue s’'appauvrit d’une foule de mots anglais ou alle- mands , que nous ne prenons pas mème la peine de modifier d’après l’analogie française ; tous les 186 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. jours , la manie sans cesse croissante des langues étrangères gâte davantage l’accent , et corrompt le génie de la nôtre : par notre manière de penser et de nousénoncer, par nos mœurs ; nos goûts, nos sentimens, nous devenons, de jour en jour , plus cosmopolites , et nous réalisons, à notre insu, la trop juste prévision de Jean-Jacques : « Encore » quelque temps, s’écriait cet écrivain célèbre » vers le milieu du dernier siècle, encore quelque » temps , et il n’y aura plus en Europe, ni Fran- » ais, ni Anglais, ni Allemands, ni Italiens ; il ny » aura que des Européens » : c’est-à-dire, qu’au lieu de son caractère propre et individuel , chaque peuple aura pris un caractère mixte et sans couleur qui ne sera plus celui d'aucun, par cela même qu'il sera celui de tous: et comme la littérature ne peut point n'être pas l’expression de la société , VEurope est condamnée par Jean-Jacques à n'avoir bientôt qu'une littérature unique et monstrueuse, mêlée de vingt natures diverses, et propre seu- lement à charmer des barbares ! » Lemème. QChose étonnanté ! dit M. Casanrous dans un ee ane Discours sur le rapport entre le génie d'invention sentionet ce. €£ Celui de découverte : on ne s'était jamais attaché lui dedécou- qu’à marquer des rapports de différence, où même d'opposition , entre les deux genres principaux dans lesquels rentrent tous les autres : entre les #ris d'imagination qu'on nomme beaux , agréables ou pour le plaisir; etles Arts de raison, qu'on désigne sous le nom de Sciences où d'Arts utiles et pour le besoin. HISTOIRE. 187 » Cependant, après une longue réflexion et Vemploi des plus vives lumières, celui des écrivains du dernier siècle qui joignait le plus de littérature aux connaissances les plus vastes et les plus sûres dans la plus exacte des sciences ; le philosophe qui s'était le plas occupé de la classification des con- naissances humaines, et qui tenait un rang si distingué dans PAcadémie française, pendant qu'il occupait le premier dans l'Académie des Sciences, d'Alembert a montré des rapports de ressemblance et même des points de contact immédiat , où tant d’autres affectaient de ne voir que des rapports d'opposition ou des distances incommensurables : «L'imagination, dit-il , dans un Géomètre qui » crée, nagit pas moins que dans un Poète qui » énvente..… Et de tous les grands hommes de » l'antiquité , Ærchimède est peut-être celui qui » mérite le plus d’être placé à côté d’Zomeére.» « N’est-ce pas confondre, en quelque sorte, les arts de raison avec ceux d'imagination, et /e génie du Poète avec celui du Géomètre, ou, pour parler le langage d'Helvétius, le génie d'invention avec celui de découverte ? » Essayons d'entrer däns l'esprit de d’Alembert, et tächons de comprendre celle de ses pensées à laquelle ce philosophe célèbre paraissait tenir plus qu'à toutes les autres, car il y revient cent fois dans ses ouvrages, usant d'expressions variées el de transformations adroites, mais rendant toujours la même idée en termes diflérens ,-et s’'énonçant chaque fois avec un ton de conviction propre à 183 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. persuader les personnes mème de l'opinion la plus contraire. » Après cet exorde, l’auteur recherche en quoi le génie du Géomètre et celui du Poète se rapprochent. « D'abord, cherchant à m'expliquer à moi-même la pensée d'un de nos plus habiles géométres, je dois, dit-il, supposer que de tous les termes qui lexpriment, il n’en est pas un seul qui ne soit exactement propre et parfaitement signilicatif. » On invente ce qui n’est pas ; on découvre ce qui est. Il semblerait donc que le beau titre de créateur conviendrait beaucoup mieux au génie d'invention , qu'à celui de découverte. D’Alembert néanmoins est évidemment d’un avis différent ; car, tout en rapprochant le Géomètre qui crée, du Poète qui invente , il oppose en quelque sorte l'idée de créer à celle d'inventer. » Et qui pourrait ne pas voir en cela , comme lui? Le génie d'invention est, par sa nature, un génie de mensonge, puisqu'il offre ce qui n’est pas. Mais s’il n’était que génie de mensonge, il serait souverunement méprisable et n’obtiendrait aucune foi. Pour mériter quelque estime , s’attirer quelque croyance et procurer un vrai plaisir , il faut qu'il soit génie d’illusionet par conséquent d'imitation ; il faut que ce qui n’est pas ressemble à ce qui est, ou passe pour être: or où trouver deux termes qui impliquent davantage que celui d'imitation et celui de création proprement dite... Il en est bien autrement du génie de découverte : Axchi- mède ne fut pas émitateur dans la solution du HISTOIRE. 189 problème d’'Hiéron ; Galilée ne le fut pas non plus dans la solution äi problème des Jardiniers de Florence ; j'en dirai autant de Pascal résolvant le problème de la Roulette. Ces géomètres célèbres et tant d’autres qui les ont égalés ou suivis de près ou même surpassés, n’ont fait usage que de leur propre génie pour sélever , quelquefois en un clin d'œil et par inspiration comme Ærchimède, quelquefois par une réflexion plus ou moins sou- tenue, à des principes sublimes et d’une fécondité inépuisable, qui toujours avaient été pour eux et pour tous comme sils n'étaient pas, quoiqu'ils eussent été de tout temps dans le sein de la nature. » On ne cesse de vanter la hardiesse du génie d'invention pour lopposer à la prétendue timidité du génie de découverte. Mais pense-t-on qu'il ny ait pas eu autant de hardiesse dans le génie qui entreprit de soumettre au calcul la loi générale des mouvemens célestes, et qui par là remplit, en quelque sorte , l’univers de la présence de Pesprit humain ; que dans celui qui agrandit, au point de les rendre presque méconnaissables , les circonstan- ces d’un événement historique et le jeu des passions humaines, et qui, par ce moyen , remplit de Pab- sence d'Achille les vingt-quatre chants de FIliade ? » Mais puisque la liaison naturelle des idées nous y conduit , à la suite de la pensée de d’Alembert , nous dirons toute la nôtre : quandil s’est agi d’expli- quer la courte durée des siècles de goût comparée à Pétendue beaucoup plus longue des siècles de science , Voltaire a remarqué fort sagement qu'à 190 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. peine un grand génie a entrevu le Beau , qu'il laperçoit dans toute son étendue ; et qu’ainsi Pimi- tation de la belle nature semble bornée à de cer- taines limites qu'une génération ou deux tout au plus ont bientôt atteintes; si bien qu'il ne reste plus à la génération suivante que d’imiter des imitateurs. Les sciences , au contraire , ajoute Voltaire, semblent se renouveler continuellenient par les conséquences plus où moins éloignées, plus ou moins importantes , que les génies du second ordre tirent en plus où moins grand nombre de vérités antérieurement découvertes ; et sur-tout par les principes premiers, auxquels des génies supérieurs enseignent à réduire les faits observés dans une suite plus ou moins longue d'années ou même de siècles. » La première partie de cette observation de Voltaire a paru suflisante à Voltaire lui-même, pour rendre raison de la prompte décadence du goût au sein de tous les peuples éclairés. Elle suflit, sans doute, quand il ne s’agit que des peuples anciens; mais elle ne saurait satisfaire un esprit tant soit peu difficile, quand il faut expliquer lextrème discrédit où sont tombés les vers parmi nous , et l'estime générale dont jouissent les scien- ces. Disons-le donc franchement : le génie d’in- vention n’a jamais eu pour objet d’imiter simple- ment la nature ; il prétendit toujours lembellir et la perfectionner. Il le put en effet, tant que la nature elle-même fut entièrement ignorée ou impunément méconnue; c’est-à-dire ; tant que le HISTOIRE. 191 génie de découverte, égaré par l'esprit de système, se contenta de vaines hypothèses, au lieu de sat- tacher à observer des faits, à les recueillir, et sur-tout à les rapporter à un phénomène principal qui en comprit sous lui un plus ou moins grand nombre d'autres. Alors, les artistes pouvaient rivaliser de zèle et d’audace pour relever le mer- veilleux réel, mais inconnu, de la nature, par le merveilleux absurde d’une imagination insensée. Dans un siècle où la nature physique était assez ignorée pour que le peuple le plus spirituel de Punivers condamnât à l'exil perpétuel un philoso- phe qui avait osé dire que le soleil pouvait bien être une pierre enflammée aussi grande que le Pélopo- nèse ; on conçoit que des poètes, doués à un très- haut point du génie d'invention, mais enveloppés des mêmes ténèbres que leurs contemporains, nous aient peint les étoiles fixes comme autant de géans cloués à la voûte céleste par un coup de tonnerre ; et le firmament lui-même, comme une sphère de cristal de quelques stades de diamètre, portée sur le dos d’un mortel. » Mais depuis que le génie des découvertes s'est lancé dans les cieux avec cent fois plus d’audace que n'en eut jamais le génie d'invention à les abaisser jusqu’à la surface de la terre; depuis qu’il a mesuré, pesé le soleil et tous les grands corps dont se compose notre monde planétaire ; depuis qu'il a supputé mathématiquement la distance de ces corps à eux et des mêmes corps à nous, déter- miné leurs orbites et la loi de leurs mouvemens, 192 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES: compté par approximation le nombre incompré- hensible des étoiles semées par le Créateur dans l'immense espace du firmament , et calculé la dis- tance inconcevable du moins éloigné de ces astres au globe que nous habitons ; depuis que, las de voyager dans les cieux, et fort des moyens que lui avait fournis le hasard ou qu'il avait créés à l'aide d’une imagination aussi heureuse que féconde, ila connu en eux-mêmes, et quelquefois dans leur principe, les météores de air et les phénomènes de la terre et de la mer; étudié, classé, analysé les substan- ces liquides, fluides, animales, végétales et miné- rales, dont un grand nombre n’avaient pas même été soupconnées jusqu’à nous, et, des élémens di- vers de tant de corps analysés, créé par de sa- vantes synthèses, des milliers de substances nou- velles qui nexistèrent jamais dans la nature; depuis que, non content de disputer par le feu , aux vents l'empire de la mer, et, par des moyens presqu'aussi puissans, à l'aigle l'empire de Pair et au ciel son tonnerre, il a parcouru les innombra- brables degrés de l'échelle incompréhensible par laquelle on descend des immenses corps qui roulent sur nos têtes à ces êtres si petits, si long-temps inaperçus , qui sont comme la dernière limite entre Vexistence et le néant, et qui forment un monde entier dont les savans de nos jours peuvent, en quelque sorte, être regardés comme les créateurs ; depuis qu'enfin plongeant du sommet de la voûte céleste dans les abimes de la terre, il y a cherché, trouvé, décrit, au milieu des ruines des âges et HISTOIRE. 103 des travaux du temps, les élémens merveilleux d’une histoire antérieure à toutes les histoires , à toutes les fables, à l’homme lui-même, et, par une poétique cent fois plus hardie, mille fois plus savante que celle d'Homère, a refait le monde primitif, et s’est élevé de conjecture en conjecture à la sublime conception des époques du monde; depuis que, pour tout dire en un mot, le génie des découvertes a levé ou déchiré le voile qui, jusqu’à nos temps modernes, avait caché la nature à tous les yeux, la nature elle-même à paru si grande , si imposante, si majesteuse, que le gérie d'invention, désespérant, je ne dis pas de lem- bellir, mais même de latteindre et de la conce- voir, n’a pas pu ne pas sentir son insufhisance , rougir de sa faiblesse et tomber d’inanité. Je pour- rais faire sur la nature morale une observation semblable à celle qui précède sur la nature physique. » Après les conséquences qu'il a cru devoir dé- duire de la première pensée que d’Alembert lui a fournie, M. Cabantous , se hâte de revenir à ce célebre écrivain. «Jen demande pardon, dit notre géomètre créa- teur, comme l'appelle La Harpe, «Jen demande » pardon à nos beaux esprits détracteurs de la » géométrie : ils ne se croyaient pas sans doute si » près d'elle; et il n’y a peut-être que la métaphy- » sique qui les en sépare...» Pensée des plus pro- fondes , et d’une vérité, d’une justesse égales à sa profondeur. 194 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. » Oui, il n’y a que la métaphysique qui sépare le Poète du Géomètre. L'imagination , en poésie, est le corps de l’âäme : c'est du moins l'idée qu’en donne Delille , et Delille parle avec justesse, car, dans un poème bien fait, limagination donne à tout un corps ; un visage ; d’où vient qu'ainsi que le même auteur, on peut regarder la poésie comme essentiellement matérialiste. Dans la géométrie, au contraire, l'imagination est /’4me de La matière ; car la géométrie spiritualise en quelque sorte les corps, autant et plus encore que la poésie ne n4- térialise les esprits; et la preuve qu’en donne d’Alembert est des plus évidentes : « La raison, » dit-il, par les dernières opérations qu’elle fait » sur les objets, conduit, en quelque sorte, à li- » magination; car ces opérations ne consistent qu'à » créer ; pour ainsi dire, des étres généraux , qui, » séparés de leur sujet par abstraction, ne sont plus » du ressort immédiat des sens.» Autant donc la poésie travaille pour les yeux, en donnant un corps à tout ce qu’elle présente ; autant la géométrie s'exerce pour limagination, en ôtant aux corps tout ce qui pourrait être saisi par les sens : le champ de la pre- mière est celui des sensations, et par conséquent de la matière ; le champ de la seconde est celui des notions, et par cela même de l’esprit : si d'Alem- bert a bien défini la géométrie, la métaphysique des corps, nous ne saurions mieux faire en $ suivant Delille, que de définir la poésie, /« ph iysique des esprits ; et nous serons en droit de conclure avec le géomètre célèbre dont nous tâchons d’expliquer HISTOIRE. 199 la pensée, que, quelle que soit l’idée qu’on-a cru devoir se former jusqu'ici des arts d'imagination et des arts de raison , nulle part l’émagination ne s'exerce davantage que dans la métaphysique et la géométrie. » M. Cabantous examinant ensuite la modification apportée au génie du Poëte ou d'invention , par le génie du Géomètre ou de découverte, s'exprime ainsi : (Nos plaisirs doivent suivre nos besoins et changer avec eux; car les premiers ne sont que dans les seconds satisfaits. Or, les progrès du génie de découverte ont entièrement changé nos besoins moraux ; et, quelque répugnance qu'éprouvent certains esprits étrangers à leur siècle, il faut absolument que le génie d'invention change ou modifie ses moyens de nous plaire. Autrefois le besoin de sentir lemportait sur celui de penser : alors, les philosophes étaient Poètes ou figuraient du moins avec distinction dans quelque classe d’ar- tistes renommés ; Thalès écrivait en vers, Pytha- gore excellait dans la musique, Socrate se faisait remarquer parmi les sculpteurs, Aristote fut établi juge d’'Homère; Platon a beau fermer les portes de sa république au chantre d'Achille, on dirait qu'il lui à ravi sa trompette. Aujourd’hui, le besoin de penser absorbe en nous tous les autres; et les Poètes eux-mêmes doivent renoncer à nous plaire, à moins qu'ils ne soient ou ne deviennent philosophes. » Le besoin de sentir suppose et nourrit dans l'esprit un certain goût du vague, qu'exelut au contraire ou affaiblit considérablement le besoin 196 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES: de pénser : ainsi tel chef-d'œuvre qui fut admiré dans d’autres temps, et que nous voyons encore avec plaisir quand nous nous reportons à l’époque où il fut composé, nous déplairaît aujourd’hui par cela même qui en fit long-temps le principal charme. » Rien ne porte au grave, au sérieux, comme la culture des arts de raison, ou les mœurs publiques modifiées par ces arts. Qu'on ne pense donc pas nous plaire, en nous amusant comme se laissaient amuser nos pères au milieu du dernier siècle : nous voulons qu'on nous instruise même en nous diver- tissant, ou, pour mieux dire, nous ne trouvons de plaisir qu'à être instruits d’une manière agréable.» Après être entré dans des développemens aussi importans qu'ils sont bien écrits, Pauteur ajoute : «Je ne me suis permis les réflexions que je viens de faire, ou plutôt d'indiquer en passant, et aux- quelles il serait aisé d’en ajouter tant d’autres, que pour rendre sensible linfluence nécessaire que le génie de découverte exerce sur celui d'invention. Elle est si grande et les deux espèces de génie ont entr’elles tant de rapport et des rapports si étroits, que d’Alembert a cru pouvoir les confondre. » En cela il heurtait des intérêts et des opinions qui devaient lui attirer de nombreux adversaires. » Il en aurait trouvé moins, il n’en aurait pas trouvé du tout, si ceux qui se mettaient en avant pour le combattre, avaient eu autant de géométrie, qu'il avait de littérature. » Mais pas un m'avait eu la précaution de préciser HISTOIRE « 197 ses idées, avant d'entrer en lutte avec un géome- tre; pas un même n’avait pris la peine de suivre dAlembert, quand celui-ci distinguait avec tant de sagesse le génie de lesprit, et l'esprit du talent. » Le génie considéré d’une vue générale est véri- tablement wn; et, dès-lors, qu'y a-t-il d'étonnant qu'il ait été jugé le même dans Æomère et dans Archimède ? » Mais il n’en est pas ainsi de l'esprit. «L’imagi- » nation , dans le Géomètre, opère bien différem- » ment sur son objet, qu’elle ne fait dans le Poëte : » dun côté, elle le dépouille et l'analyse; de » autre, elle /e compose , et l'accompagne, » comme dit Helvétius, de toutes les idées accessoi- »res qui peuvent exciter le sentiment. Or, cette » manière différente d'opérer nappartient qu'à » différentes sortes d'esprit. » » Quant au talent : 11 sufit de la différence que nous avons indiquée entre l'esprit du Poëte et celui du Géomètre, pour être en droit de conclure que « les talens du grand Géomètre et du grand Poëte » ne se trouveront peut-être jamais ensemble. » Le temps a dévoré les poëmes dont Thalès fut au- trefois l’auteur, sur les côtes de l'Asie Mineure : mais nous connaissons quelques-unes de ces com- positions du même genre par lesquelles Ticho- Brahé cherchait à se délasser de ses travaux astro- nomiques, sur les côtes du Danemarck ; et si nous jugeons des premiers par les seconds, un grand Géomètre peut bien être versilicateur, mais il ne méritera jamais le nom de grand Poëte. Récipro- TOME Il, PART, IT, - 14 108 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. quement , un favori des Muses, tel que Voltaire ; peut bien se plaire à la lecture de Newton , et acquérir par Pétude des connaissances assez éten- dues en géométrie : mais par cela mème que la nature Pa favorisé du talent de grand Poëte, il maura jamais celui de grand Géomètre. » Je ne parle pas du mérite de lécrivain qui excelle dans les lettres, comparé à celui du Géo- mètre qui se distingue au même degré dans les sciences. Toujours, à la suite de cette comparaison , Vintérêt seul prononça le jugement qu'aurait dû rendre la raison. Mais, dans une Compagnie telle que la nôtre, qu'on peut regarder comme sans intérêt dans cette matière, parce qu’elle réunit au même degré les deux intérêts opposés, il me sera permis de finir comme j'ai commencé; je veux dire, par une pensée de d’'Alembert, qui west que la pre- miére déguisée sous une expression différente : » Qui aurait à choisir d’être Newton ou Corneille, » ferait bien d’être embarrassé , ou ne mériterait » pas d’avoir à choisir. » DISSERTATIONS ET MÉMOIRES. PEN és 4 #4 bia Ste Le rt L pp ANR J w dre (As ñ : 1 ‘ ha Va va EL nie RY: À put ta LiOM Li 4 Lie , s { Tr . # Li * LU sr \rA sat , Ne ju rer M FEA, Ê À bysi ME [Re . K PRET { A 1 en W W NAN { VL | ke, M OLA «| de D: ri A D ù MG , L) n |. “ : Li ré { 0 DORA * n DISSERTATION SUR LES LANGUES ÉCRITES, ET NOTAMMENT SUR LE SYSTÈME GRAPHIQUE DES CHINOIS ET DES ÉGYPTIENS ; Par M. Fc. LÉCLUSE. L'Acanémie a accueilli avec bienveillance une Dissertation que j’eus l'honneur de lui soumettre en février 1823 , sur les Langues considérées princi- palement sous le rapport de leur filiation et de leur connexion. J'avais pris pour base de mon travail Le 1.<* verset du XI.%° chapitre dela Genèse : «Alors toute la terre avait un même langage, et une même parole : Erat autem terra labiü unius, et sermonum corumdem. Je noccupais donc principalement des langues parlées. Aujourd’hui je vais n'occuper des langues écrites , ou , en d’autres termes, de l’art ingénieux de peindre la parole et de parler aux Jeux. L'homme , né pour la société, dut pouvoir com- muniquer ses pensées dès qu'il eut une compagne ; c’est un point qu'il nous a été facile de démontrer. Mais la nécessité de peindre la parole était sans doute moins urgente ; et ce hel art, dont on attri- 202 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. bue communément l'invention aux Phéniciens ; ne devait être que le résultat de la distance des lieux et des temps. La première fois qu'il soit fait mention de léeri- ture dans la Bible, est au 32." chapitre de lExode, verset 19. « Moïse descendit de la montagne, ayant en sa main les deux tables du témoignage ; et ces tables étaient l’ouvrage de Dieu , et écriture était de lécriture de Dieu, gravée sur les tables. Etreversus est Moyses de monte , portans duas tabulas testimonii in manu sua, scriptas ex utra- que parte ( hinc et hinc ), et factas opere Dei : scriptura quoque Dei erat sculptaintabulis. Cette écriture était-elle hiéroglyphique, ou alphabétique ? J’examinerai plus tard cette question. Devons-nous entendre scripta ex utraque parte comme l’enten- dent certains Rabbins , qui prétendent que lécri- ture était à jour, c’est-à-dire perçait les pierres de part en part, de manière à pouvoir être lue des deux cotés ? Dans ce dernier cas, on aurait le double mo- dèle des deux manières d'écrire les plus usitées ; de droite à gauche chez la plupart des Orientaux, et de gauche à droite chez les Européens. L'écrivain sacré continue ainsi : « Et Moïse voyant le veau d’or et les danses, la colère s’em.- para de lui, et 1l jeta de ses mains les tables , et les rompit au pied de la montagne, ÿ. 10- LÉ ternel écrivit une seconde fois, sur de nouvelles tables de pierre, les dix commandemens , connus sous le nom de Décalogue; et Moïse déposa ces deux tables dans arche 4 nee. Deutéronome, X,5.» DISSERTATIONS. 203 Après les Livres saints, si nous ouvrons lfliade, nous trouvons deux passages remarquables, relatifs à l'écriture. Le premier est au livre 6.me— La belle Antée, femme de Prœtus, brûlait pour Bellérophon d’une | flamme adultère ; elle ne put fléchir son cœur ver- tueux : furieuse, elle trompa son époux. €TFu mourras , lui dit-elle, si tu ne fais périr Belléro- phon. L’insolent, par un coupable amour, a osé outrager mon honneur et le tien. » Elle dit : le crédule Proctus brûle de se venger. Mais il n’ose porter sur le héros une main meurtrière ; 1l Penvoie en Lycie, et lui donne , pour le Roi son beau-père une funeste tablette, contenant son injure, et l’or- dre de sa mort. Iôpev d'éye SHMATA uypé, Todbus év mivau mruxr® Oupopldox malAd. Deditque is SIGNA perniciosa Scribens in tabella complicata exitialix multa. ( Il. vr. 168.) femarquons que le texte dit positivement cÂuura, des signes , et non pas veép. uara, des lettres , mot dont Homère n’a jamais fait usage. Le second passage est tiré du Hs 7.06 — Le généreux Hector, pour différer la ruine de sa malheureuse patrie, se présente au-devant des camps ennemis. «Enfans de la Grèce , il est parmi vous d'illustres guerriers; que le plus intrépide s’avance, qu'il vienne combattre Hector ! — Sou- dain neuf guerriers se lèvent ; et briguent un dan- 204 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. gereux honneur. Le sort doit en décider. Chacun dépose son billet dans le casque d’Atride. Nestor secoue le casque : un billet en jaillit. Le héraut d'armes le prend, et commençant par sa droite, il va le présenter aux neuf guerriers. Aucun encore n'y a reconnu les traits que sa main a formés. Ajax enfin reconnaît sa marque : Fyvà JÈ x po SHMA id 6v. IE vu. 189. Agnovit autem sortis SIGNUM conspicatus. Ovide peut aussi nous fournir un passage inté- ressant , relatif à l'écriture. Philomele, à qui Térée avait coupé la langue, après avoir assouvi sur elle sa brutalité, veut instruire Progné sa sœur , de lindigne outrage que lui avait fait éprouver son beau-frère. Ecoutons le poète latin : — Grande dolori Ingenium est : miserisque venit solertia rebus. Stamina barbarica suspendit callida tela , Purpureasque NOTAS fils intexuit albis , Indicium sceleris ; perfectaque tradidit unx, Uique ferat Dominæ gestu rogat. Ia rogata Pertulit ad Procnen, nec scit quid tradat in ils. Evoloit vestes swvi matrona tyranni , Germanæque suæ carmen miserabile legit. (Métam. VI. 554 et suiv.) Dans cette expression > PuUrpureas nolas, nous reconnaissons les céuxrzx, (signes), dont se sert Homère ; et peut-être, en comparant les époques précitées , avec celle où Palphabet fut apporté aux Grecs , serons-nous en droit de conclure que les deux poètes ont voulu parler d'une écriture idéo- DISSERTATIONS: 205 graphique. En effet, Proctus, fils d’'Abas, 12.me Roi d’Argos, et Pandion, 5.me Roi d'Athènes, beau- père de Térée, ont régné vers le 15.%° ou le 16. siècle avant notre ère ; et ce n’est que de Pan 1550 avant la même ère, que date l’arrivée de Cadmus en Béotie, De plus , il est à présumer qu'il se sera écoulé une longue série d'années avant que lécri- ture alphabétique ait remplacé lancienne : 2 : Tant de nos premiers ans l'habitude a de force ! Strabon, au 3.° livre de sa Géographie, nous dit que les Turdétans ou Turdules, peuples de la Bétique , conservaient par écrit leurs anciennes histoires, et avaient même des poèmes et des lois en vers, qui dataient , selon eux , (és ous ) de six mille ans. Je ne répéterai pas ici ce que j'ai dit à ce sujet dans ma Grammaire Basque, pages 13 et 14. Îl nous sufhira de savoir qu'aucun de ces antiques et précieux documens n’est parvenu jus- ques à nous. Il n’en est pas de même des monumens littérai- res de deux nations dont l’origine remonte à la plus haute antiquité. 11 s’agit des Chinois et des Égyptiens. Mais laquelle de ces deux nations de- vons-nous regarder comme la plus ancienne ? «Le peuple Egyptien, dit Voltaire, tout posté- rieur qu'il est au vaste empire des Indes et à celui de la Chine, fut si anciennement policé avant tous les autres peuples de notre Occident , qu'il attirera toujours nos regards, füt-1l dans un abaissement encore plus avilissant que celui où il croupit sous la domination turque. » 206 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. Je vais rapporter à ce sujet quelques faits allé- gués par Hérodote, qui avait voyagé en Egypte vers l'an {60 avant notre ère, environ un siècle après la mort du roi Amasis. Depuis Ménès, 1. roi d'Egypte, et fondateur de la ville de Memphis, jusques à Moœris, qui fit creuser le fameux lac qui porte son nom, il y avait eu une succession de 330 rois. Les prètres égyp- tiens lui en lurent les noms dans leurs annales. Dans cette longue série de générations, on remar- quait 18 rois éthiopiens, et une reine égyptienne (liv. 2, $ 100). La mort du dernier de ces rois est déterminée par notre historien, puisqu'il nous apprend qu'il n’y avait pas encore tout à fait 900 ans que Moeris était mort, lorsqu'il voyageait en Egypte. Ainsi Von peut fixer la fin du règne de ce prince à lan 1356 avant notre ère. Hérodote compte ordinai- rement 3 générations dans un siècle. Les 330 gé-: nérations donneraient donc 110 siècles, et par conséquent porteraient le règne de Ménès, 1. roi d'Egypte, à 12,356 ans avant notre ere. Tout incrayable, on peut mème dire tout ab- surde que doit nous paraître ce récit d'Hérodote ; le même historien nous apprend encore que les Egyptiens assurent, comme un fait incontestable, qu'ils avaient eu, avant le règne de Ménès, un gouvernement théocratiqne, qu'ils font remonter jusques à 17,000 ans avant le règne d’Amasis (iv. 2, S 43). Quelle que puisse étre la manie de plusieurs DISSERTATIONS. 207 peuples , et notamment des Indiens et des Chinois, de se donner une origine qui se perd dans la nuit des temps, je doute qu'il soit facile de justifier l'opinion de Voltaire, relative à la postériorité du peuple égyptien. Mais si l'Égypte me semble pouvoir prétendre à lantériorité, la Chine a depuis long-temps sur elle un avantage Hs prononcé, Ona vu finir les anciens empires; ceux des Égyptiens, des Assyriens, des Médes, des Perses, des Grecs et des Romains, après être montés tour à tour au plus haut degré de leur puissance, sont tombés assez promptement, accablés sous leur propre poids ; le seul empire de la Chine, malgré sa haute antiquité, n’a encore rien perdu, ni de son éclat, ni de sa splendeur. Les Égyptiens , après avoir pendant une longue suite de siècles, employé successivement, soit pour peindre des idées, soit pour représenter de simples sons, d’ingénieux hiéroglyphes, dont tant de mo- numens nous ont conservé les précieux débris, empruntant aux Grecs leurs caractères, à l’époque de l'établissement du christianisme en Egypte, ont abandonné pour toujours leurs anciennes écritures nationales. Les Chinois , après s'être servis dans les premiers temps, à l'instar des Quipos Péruviens, de corde- lettes dont les nœuds différens marquaient, par leur distance et leurs divers assemblages, les évé- nemens dont on voulait conserver le souvenir; après leur avoir substitué des trigrammes et des hexagranumes, composés de lignes entières et de 1 208 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. lignes brisées, dont linvention est attribuée à Fo-hi, leur premier empereur, environ 3,000 ans avant notre ère; les Chinois dis-je, ont su se créer une écriture d’une nature singulière, qui consiste à représenter immédiatement les idées par des ca- ractères convenus, au lieu de les rappeler à la mé- moire par l'intermédiaire des sons; et cette écriture leur appartient exclusivement, depuis que les hié- roglyphes égyptiens ont cessé d’être en usage. Ajoutez à cette brillante prérogative, une litté- rature immense, fruit de 40 siècles d'efforts et de travaux assidus; dont on peut prendre une idée par les seuls titres des 5,000 volumes que possède la bibliothèque royale. On y voit d’abord les plus belles éditions des 5 Æïng ou livres classiques. Viennent ensuite des traités de philosophie, de théologie, et de mythologie ; des dictionnaires remplis d’une vaste érudition, des ouvrages de lit- térature et de poésie, des romans, des pièces de théâtre ; des recueils géographiques, chronologi- ques et historiques ; enfin les sciences et arts, plu- sieurs encyclopédies , ete. Si Phistoire de l'Egypte ne paraît acquérir de certitude qu'à dater d'environ 20 siècles avant notre ere, il en est à peu près de même pour lhis- toire de la Chine. C’est au règne de Yao seulement que commence cette certitude. Ce princeæeut pour successeurs Chun et Yu; et une des plus anciennes inscriptions est celle que Ÿz lui-même fit graver sur un rocher près de la source du fleuve Jaune , lorsque Yao le chargea d’en diriger le cours. Tout DISSERTATIONS: 209 porte à croire que la langue des Chinois modernes ne diffère pas sensiblement de celle de Yao. En effet, séparés de tous les peuples du monde par leur constitution politique, par leur écriture, et par les barrières naturelles de leur empire, les Chinois n’ont rien emprunté des langues étran- gères. Leurs King, dépositaires de leur histoire, de leurs lois et de la doctrine des premiers temps, sont les seuls livres auxquels se rapportent toutes leurs études. La conformité que l’on remarque entre la langue écrite des Chinois et celle des anciens Egyptiens, a fait soupçonner que les premiers pouvaient bien être une colonie des seconds. Si lon voulait s’en rapporter à la généalogie des fils de Noé, que Moïse nous a transmise, les Egyptiens descendraient de Mitsraïm second fils de Cham (en effet l'Egypte s’est toujours appelée et s'appelle encore, en langue du pays, Mitsraim ); et les Chinois se trouveraient rattachés à la souche de Canaan fils de Cham et petit-fils de Noé, car nous lisons au chapitre X.° de la Genèse (Y. 6), que les enfans de Cham fu- rent : Cus, Mitsraim , Put et Canaan ; et au même chapitre (YŸ. 17), nous rencontrons les Siniens parmi les descendans de Canaan. Cette dénomina- tion de Synes se retrouve dans Isaïe (49, 12 ) : « D’autres viendront, dit-il, du pays des Sines. » Les Septante ont traduit ëx yñs Hepcv, de la terre des Perses; la vulgate de terra australi, et d'autres traducteurs ont laissé le mot Siniens sans Pexpli- quer. 210 INSCRIPTIONS ET BELLÉS-LETTRES. Cétait aussi l’opinion d’un de nos sinologues les plus érudits. M. Deguignes, dans un Mémoire fort étendu, lu à PAcadémie en 1766 (et qui est im- primé dans le 34.2 volume }), a essayé de prouver que les Chinois étaient une colonie transportée des bords du Nil sur les rives du Hoang-ho (fleuve Jaune), et que la connaissance des hiéroglyphes chinois était le moyen le plus sûr de parvenir à la lecture et à l'intelligence des hiéroglyphes égyp- tiens. Il ne répugne pas à la raison de croire que la eivilisation, arrivant du Midi, et descendant avec le fleuve sacré, se sera établie d’abord dans la Nubie, ensuite dans la partie la plus méridionale de la Thébaïde ; et enfin aura successivement re- monté vers le Nord: Cest ce que nous donne à entendre Diodore de Sicile (au commencement du livré 3e). «Les Ethiopiens, nous dit-il, se re- gardent comme les premiers de tous les hommes, et en donnent des preuves qu'ils croient évidentes. Situés directement sous la route du soleil, ils sont sortis de la terre avant les autres hommes. [ls sont nés dans le pays, et n’y sont point venus d’ail- leurs. Ce sont eux qui ont institué le culte des dieux , les fêtes, les sacrifices.» L'un des plus an- ciens poètes et le plus estimé de la Grèce, leur rend ce témoignage , lorsqu'il introduit dans PIliade, Jupiter et les autres dieux allanten Ethio- pie, pour assister aux festins et aux sacrilices annuels qui leur étaient préparés à tous chez les Ethiopiens. DISSERTATIONS. 211 Zedc Yyap és Exeavèv per’ dpôpovas Ailtoriue XOVoc En xura Jura, Oeoi d Gux Tévres ÉToVTOo* Aowdexdrn dù vou abris Elebcera AUTO NIe. I. L. 423. Aux bords de l'océan l'Ethiopie ardente Dans les festins sacrés d’une fête brillante À reçu Jupiter qu'accompagnaient les dieux ; À la douzième aurore il reyerra les cieux. Rocneronrr. Ce peuple n’a jamais été sous la domination d'aucun prince étranger. Cambyse et Sémiramis ont échoué dans leur attaque. Bacchus et Hercule, après avoir traversé la terre entière , s’abstinrent de combattre les seuls Ethiopiens , soit par la crainte qu'ils conçurent de leur puissance , soit par la vénération qu’ils avaient pour leur piété. Les Ethiopiens ajoutent que les Egyptiens sont une de leurs colonies, qui fut menée en Esypte par Osiris; ils prétendent même que ce dernier pays n’était au commencement du monde qu’une vaste mer ; mais que le Nil, entrainant dans ses crues beaucoup de limon d’Ethiopie , avait enfin comblée, et en avait fait une partie du continent. Les Egyptiens tiennent d'eux, comme de leurs auteurs et de leurs ancêtres , la plus grande partie de leurs loïs. Cest d'eux qu’ils ont appris à honorer leurs rois comme des Dieux, et à ensevelir leurs morts avec tant de pompe : la sculpture et Pécri- ture ont pris naissance chez les Ethiopiens. Le système hiéroglyphique est en usage chez les 212 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. deux peuples. Hérodote nous apprend de plus que dix-huit rois éthiopiens avaient régné én Egypte. Si l’on adoptait cette croyance des anciens Ethio- piens rapportée par Diodore , on serait sur la voie d'adopter aussi lopinion de M. Deguignes, qui regardait les Chinois comme une colonie des Egyptiens; et en propageant dans le même sens la marche de la civilisation , on pourrait soupçon- ner que la Chine aurait peuplé Amérique, à laquelle elle semble devoir $unir par la Tartarie. Les cordelettes des anciens Chinois, antérieurs à Fo-hi, ont en effet assez d’analogie avec les quipos des Péruviens ; et la plante appelée en Chine gin- seng où cuisse d’homme (panax quinque folium) qui ne se rencontre que dans la Tartarie orien- tale, dont elle fait la principale richesse, se retrouve au Canada sous le nom de garent-oguen , dont la signification est analogue à celle de gin-seng. Le rapport qui existe entre le nom chinois et le nom iroquois aura peine à s'expliquer , sans supposer une communication d'idées, et par conséquent de personnes. Un autre sinologue , aussi érudit que M. Degui- gnes, et qui, comme ce dernier, avait été disciple de Fourmont, fit imprimer ses Doutes sur la dissertation de son condisciple. Dès que les lettres alphabétiques eurent été trouvées, dit M. Deshau- teraies, lécriture hiéroglyphique , inventée au- paravant en Egypte, et adoptée par les Phéniciens, les Assyriens et autres peuples, fut entièrement abandonnée, à l'exception des seuls Egyptiens. DISSERTATIONS.: 213 Comme les Chinois n’ont jamais eu connaissance des lettres alphabétiques , il faut conclure de là qu'ils avaient quitté les plaines de Sennaar, ou même qu'ils avaient déja pénétré dans la Chine, avant l'invention de l'écriture alphabétique. Or cette écriture alphabétique est de linvention de Mercure ou Ménès, premier roi d'Egypte, ou du moins de son fils et successeur. La colonie qui peu- pla la Chine est antérieure aux règnes de ces princes, et antiquité des Chinois doit remonter incontestablement vers les temps qui touchent de près au déluge; ce qui est conforme en effet à la chronologie de ces peuples. On peut toutefois douter, continue M. Deshau- teraies, que la peuplade qui pénétra dans la Chine , ait porté avec elle la connaissance des hiérogly- phes , dont elle aurait pu prendre une idée dans les plaines de Sennaar ; 1.2 paree qu'il y a lieu de croire qu’elle était en marche antérieurement à époque de leur invention ; 2. parce que les caractères chinois ont toujours été très-différens des hiéroglyphes égyptiens ; 3.° parce que tous les monumens chinois déposent que les caractères dont on a toujours fait usage dans cet empire, y ont été inventés, et n’ont point été empruntés d'ailleurs ; 4.° enfin, parce qu'il est certain que cette peuplade m'avait pas d’abord Pusage des caractères , puisque les écrivains chinois les plus anciens , et nommément Confucius, assurent qu’on se servait de cordelettes dans les temps antérieurs à Fo-h1, qui les remplaça par les lignes entières TOME II, PART. II, 1 5 214 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. ou brisées, lesquelles composèrent les trigrammes et les hexagrammes dont j'ai parlé ci-dessus. Je ne m’étendrai pas davantage sur cette dis- cussion, et continuant le sujet que je me suis proposé dans ce Mémoire, je vais examiner quels sont les principaux rapports et les principales différences qui semblent exister entre les caractères chinois et les hiéroglyphes égyptiens. Mais 1l faut auparavant parler de létat actuel de cette double connaissance. Théoph. Bayer fit imprimer à Pétersbourg , en 17930, son Museum Sinicum en 2 vol. in-8.° Le premier volume renferme entr'autres articles une grammaire chinoise peu étendue , il est vrai, mais fort simple et sur-tout très-claire. Dans le second , se trouve un petit Dictionnaire de deux à trois mille mots chinois , expliqués en langue latine. Il est seulement fâcheux que les caractères soient si mal gravés. Cest dans ce livre élémen- taire que jai puisé, il y a plus de vingt ans, les premières notions de la langue Chinoise. Quelques années après, avec Le secours d’un jeune Chinois qui était venu à Paris, Etienne Fourmont, professeur d’Arabe au Collége royal de France, fit paraître ses Meditationes sinicæ (Paris, 1737), dans lesquelles on trouve une explication systé- matique des 2 14 clefs chinoises; et sa Grammatica linguæ sinicæ (Paris, 1742), dans laquelle il donne à la langue chinoise, qui n’a ni déclinaison ni conjugaison , tout l'appareil formidable dune grammaire latine. DISSERTATIONS. D Ses deux disciples, MM. Deshauteraies et De- guignes, dont j'ai déjà parlé, étendirent en Europe la sphère de la littérature chinoise, cultivée en Chine avec tant de succès par nos savans mission naires, les Bouvet, les Gaubil, les Prémare , les Amiot. Enfin, en 1813, parut à Paris le premier dic- tionnaire chinois imprimé en Europe avec des caractères mobiles, et ce fut M. Deguignes fils, déjà connu par un séjour de 17 ans en Chine , que le Gouvernement chargea de le publier. En 1814, une chaire de Chinois fut créée à Paris, et depuis ce temps, la langue chinoise s’apprend aussi facilement que lhébraïque ou Varabe. La langue chinoise, étant encore vivante, a dû naturellement offrir, à ceux qui se livrent à Pétude des langues, beaucoup de ressources que ne pouvait leur présenter la langue égyptienne, dont Pécri- ture a cessé depuis long-temps d’être en usage. Plusieurs auteurs grecs fournissaient, il est vrai, quelques secours pour l'étude de cette dernière ; on - pouvait consulter Hérodote, Diodore, Plutarque, Eusèbe, Clément d'Alexandrie, et surtout la traduc- tion grecque des feooyvouxé d’Horapollon. Néan- moins le Père Kirker jésuite, à qui nous devions'déjà une China illustrata, ne voyait dans les hiérogly- phes égyptiens que les signes de la science caba- listique; Pabbé Pluche croyait y reconnaître des emblèmes relatifs à l'astronomie et aux travaux de Pagriculture. En un mot, tousles ellorts des plusar- 19. 216 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES: dens philologues avaient échoué, et l’on désespérait encore, à la fin du dix-huitième siècle , de parvenir jamais à déchiffrer les hiéroglyphes égyptiens. Ce n’est que de la mémorable expédition des Français en Esypte, que l’on peut dater les pre- miers succès en ce genre. Parmi les monumens précieux que nous avons recueillis de cette expé- dition il faut placer en première ligne Pinscription de Rosette , de laquelle M. Marcel, directeur de l'imprimerie orientale, a rapporté trois ectypes , dont une fut déposée à la bibliothèque royale, et une autre à celle de lInstitut. La troisième est restée dans le cabinet de mon ancien condisciple, où j'ai eu plusieurs fois occasion de la voir. Quant à la stèle elle-même, les hasards de la guerre Pont livrée aux Anglais. La pierre de Rosette renferme, r1.° un texte hiéroglyphique ; 2.0 le même texte, exprimé en caractères démotiques, fyéoux yezuuéru. ; 3° une traduction en langue et caractères grecs. Le frag- ment du texte hiéroglyphique , composé de 14 lignes , plus ou moins fracturées, renferme environ 1400 signes, parmi lesquels il n’y en a pas beau- coup plus de 160 de forme différente. Ces 14 lignes répondent à peu près à 18 lignes entières du texte grec, qui contient près de 500 mots. M. Silvestre de Sacy reconnut , le premier, dans le texte démotique ou intermédiaire, les groupes qui représentaient différens noms propres grecs, ainsi que leur nature alphabétique. On savait déjà que les Chinois, pour peindre un mot étranger , DISSERTATIONS. 217 emploient des signes en réalité idéographiques, lesquels néanmoins n’apportent que leur pronon- ciation seule dans la transcription du mot étranger. Voilà donc un premier rapport bien sensible entre les deux écritures. M. Ackerblad étendit ces notions : il sépara la plupart des élémens alphabétiques de ces noms propres. Un peu plus tard , M. le Docteur Young, attaquant avec courage le texte hiéroglyphique, présenta pour la première fois , au monde savant, la valeur véritable d’un grand nombre de signes et de groupes, valeurs obtenues, pour la plupart, de la comparaison des trois textes de la pierre de Fosette. Après inscription de Rosette , parut le bel ou- vrage exéculé par les ordres du gouvernement français , la Description de l'Egypte , magnifique recueil, où de nombreux manuscrits égyptiens sont gravés avec une étonnante fidélité. Enfin, on interrogea aussi la langue copte , qui est la langue égyptienne elle-même, transmise de bouche en bouche , et écrite en caractères grecs , depuis lPéta- blissement du christianisme en Esypte. I n’a donc rien moins fallu que le concours de trois savans d’une nation différente ( Français, Danois et Anglais ), pour trouver la elef des hiéro- glyphes ; et cette clef une fois trouvée, plusieurs concurrens ont fait des eflorts pour pénétrer plus avant dans le sanctuaire hiéroglyphique. A la tête de ces coneurrens il est juste de placer MM. Cham pollion, 218 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. Après avoir fait connaître l'état actuel de nos connaissances relatives aux langues chinoise et égyptienne, je vais exposer en peu de mots Pidée que l’on peut se former de ces deux systèmes d’é- criture. En rapprochant ce que je dirai de Pun et de l’autre , il sera facile d'en apercevoir les prin- cipaux rapports. Les Chinois n’ont point de lettres proprement dites ; les signes de leur écriture sont idéographi- ques ; ils se tracent en colonne de haut en bas, et les colonnes se suivent de droite à gauche. Les plus anciens caractères chinois étaient des dessins grossiers d'objets matériels. On représentait le soleil par un cercle et un point au centre; la lune par un croissant. Le nombre de ces caractères était fort borné ; ilne s'élevait pas au dessus de 5/0. On peut les appeler signes-images , ou caractères liguratifs. D’autres caractères ne servent qu’à indiquer des rapports de position ou de formes. Ainsi une ligne horizontale avec un point au dessus signilie supériorité , et avec un point au dessous, #1/fério- rité. Un rectangle coupé par une ligne perpendi- culaire signifie milieu. Ce sont des signes de rap- port, ou des caractères indicatifs. Pour exprimer des objets abstraits ou des actes de l’entendement , on emploie la combinaison, ou la métaphore. Ainsi soleil et lune réunis signifient lumière. Le cœur se prend au figuré pour Pesprit, Ventendement, les passions. On peut nommer ces caractères métaphoriques. DISSERTATIONS. 219 Enfin il est une dernière catégorie qui consiste à joindre deux caractères, dont l’un donne le sens et l’autre le son : par exemple , on met le mot pe qui signifie blanc (mais en faisant abstraction de sa signification }) à côté de l’image d'arbre , et on a l'arbre pe ou le cyprès. On dit de mème le pois- son /{ ou la carpe. Cette classe est fort étendue, et contient environ la moitié des caractères chinois. On s’en sert pour former les noms des arbres, des oiseaux , des poissons, et d’une foule d’autres objets, qu'il était trop difficile de désigner autre- ment, pour en exprimer le double emploi. On peut les désigner sous le nom d’idéo-phonétiques. Il est facile de concevoir, ce me semble , pour les Chinois , la possibilité d’arriver un jour à r écriture ec ( telle qu’est celle des Ethiopiens, dont je parlerai plus bas), puisqu'il ne s’agirait que d'étendre à toute la langue ce qui a déjà lieu pour la moitié des caractères. IL y a plus , le germe de lécriture alphabétique y existe depuis de temps. En eflet, lorsque les grammairiens colis veulent exprimer la prononciation dun caractère, ils Paccompagnent de deux autres, dont l’un com- mence , dans la langue parlée, par la même con- sonne , et dont l’autre finit par la même voyelle. Et, pour parvenir à analyse des sons, ils y ajoutent image thsieï, qui signifie divisez, c’est-à-dire , prenez la consonne de lun de ces caractères , et joignez-la à la voyelle de autre. Le nombre des caractères chinois ne peut être exactement défini. Un trait de plus ou de moins, 220 INSCRIPTIONS ET BELLÈS-LETTRES. un trait altéré ou effacé , occasionne des variantes qui peuvent les multiplier à Pinfini. On remarquera cependant que le dictionnaire impérial de Kang-hr (cet empereur est mort en 1722) en contient 33,000; et celui qu'a publié récemment M. De- guignes, n’en renferme que 12 à 13,000, nombre plus que suffisant pour Fintelligence des livres classiques. Quant à la forme des caractères chinois, on peut en suivre les variations par siècle, dans les trente-deux volumes de l'Eloge de Moukden , que l’auteur de ce poème, l’empereur Kien-long , a fait imprimer en trente-deux sortes de caractères dif- férens. La bibliothèque du Roï en possède un exemplaire, que le Père Amiot , Missionnaire à Péking, fit passer en France en 1770, accompagné de sa traduction française, laquelle fut publiée la même année, à Paris, par les soins de M. Deguignes. Quel que soit le nombre de caracteres que contienñe un dictionnaire chinois , l'usage le plus ordinaire est de les ranger, selon le nombre de leurs traits, sous la dépendance de 214 racines que l’on appelle clefs, et qui sont elles-mêmes classées entr’elles depuis 1 trait jusqu’à 17. Les caractères des Chinois sont, par leur propre nature, indépendans de leur langue parlée, et, tels que nos signes arithmétiques, peuvent se lire en ioute langue. Néanmoins à chacun d’eux répond un vocable ou mot prononcé. Mais autant la langue écrite est riche et brillante , autant la langue parlée est pauvre et défectueuse. Les sayans ont étendu DISSERTATIONS. 227 successivement le domaine de la première ; la se- conde est restée à peu près telle qu’elle était dans Vorigine, à une époque où les besoins de la société étaient plus bornés. Nous avons dit que les anciens caractères ne s’élevaient pas au-dessus de 5/40 ; le nombre des vocables n’est encore que de 3 à 400, qui, à laide de plusieurs tons ou accens dont chacun est susceptible, forment un total d'environ 1200; et ces 1200 vocables doivent exprimer tous les caractères de la langue écrite, quel qu’en soit le nombre. On voit par là que le nombre des homophones doit être considérable. En voici un exemple : sur les 12,000 caractères dont se compose un diction- naire chinois , suffisant pour l'usage ordinaire, et pour Pintelligence des livres classiques, jen ai compté 300 qui se prononcent échi; ce qui re- vient à 1 sur 40. Ces 300, divisés par les 4 tons doux ou aspirés, dont les nuances sont déjà pres- que imperceptibles pour une oreille européenne , donnent encore, pour chaque nuance, environ 40 mots parfaitement homophones , destinés à expri- mer 40 images différentes, d’une signification tout à fait étrangère : les doigts, les dents, un gobelet, un étang, la colère, un drapeau, un obstacle , la peur , etc. Cette homophonie est un des plus grands re- proches que lon puisse adresser à la langue chi- noise; mais peut-être ceux qui la parlent se- raient-ils en droit de le retorquer contre nous- mêmes, puisqu'un seul et même mot français, 222 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. Hainaut, peut s’écrire de 2304 manières, en se prononçant toujours de même. ( Encycl. in-fol. suppl. Lom. 2, Au IMOË COMBINAISON ds Au surplus ils savent, comme nous, éviter ces inconvéniens, en disant l'arbre pe, le poisson Z, comme nous disons un ver de terre, un verre à boire; et quand ils en seront arrivés à combiner ainsi deux à.deux leurs 3 à 4 cents vocables, ils auront de quoi expri- mer, sans homophonie, plus de 100,000 caractères. Tous les vocables chinois ne sont à proprement parler que des syllabes, puisque tous sont com- posés d’une consonne initiale , et d’une voyelle ou diphthongue finale. Jai dit qu'à l’aide du signe thsieï, divisez, les grammairiens étaient parvenus à donner l’analyse des sons. Les Chinois n’ont point les articulations B. D. R. X. Z, et les remplacent, dans les mots étrangers, par P.T. L. S.S. Veu- lent-ils prononcer crux, Jesus, Maria , ils arti- culent ainsi cu-ru-cu-su Ye-su-su Ma-li-ya ; et, pour peindre ces mots, ils prennent au hasard, parmi leurs homophones, les vocables qui répon- dent à chacune des syllabes du mot étranger. Lorsque les Missionnaires voulaient convertir leurs noms en langue chinoise, ils choisissaient les vo- cables de manière à prêter le moins possible au ridicule; car ces vocables sont autant de centons avec lesquels on peut composer tous les sens ima- ginables. Malgré cette précaution, le ton ou l'accent mal rendu, faisait rire les Chinois dans les céré- monies les plus imposantes. Îl me sufhra d’en rap- porter ici un exemple. DISSERTATIONS. 223 Lorqu'en célébrant POMce divin, ils voulaient articuler ces paroles latines : ÆZoc est corpus meum , un chinois ne pouvait prononcer ou articuler que les sons suivans : //0. Le. gne. su. tu. co. wl. pu. su. me. sum , et ces syllabes ou vocables chinois pouvaient signifier : Fluvius. posse. occiput. res. adsequi, ete., où bien Zonis. hospes. labor. ira. virtus, etc., ou bien encore Quomodo. quomodo. vincere. frons. resurgere, etc. Pour éviter les graves inconvéniens qui devaient nécessairement en résulter, le père Couplet essaya de prouver à la Congrégation des Cardinaux de Ja Propagande, qu'il était nécessaire de célébrer lOMce divin, non en latin, mais en chinois. Voilà ce que j'ai cru devoir exposer, pour faire comprendre le système de la langue chinoise. Il v'entrait pas dans mon plan de n’occuper ici de la grammaire, qui ne peut être qu'extrêmement simple dans une langue qui n’a ni déclinaison, ni conjugaison. Je me contenterai de remarquer que la place des mots indique ordinairement leurs rapports mutuels, et que, pour exprimer le nom- bre pluriel, une des manières est de doubler l’image ou le vocable. Passons maintenant à la langue égyptienne. Hdi (livre 2, 6 36), nous dit que les Égyptiens ont deux De de lettres, dont les unes sont appelées sacrées , et les autres populaires ; duoaciouce dë RAA ARÉEVTAL Au TA LÈv TOY Loù, Tù Jè Jnporixx xakéeron. Diodore de Sicile, au commencement du livre 3.°, LD D ESS INSCRIPTIONS ET BELLES-LRTTRES. s'exprime ainsi : «Les Égyptiens ont des lettres qui leur sont propres. Les unes sont appelées populaires Snuédn ; tout le monde les apprend; les autres appelées sacrées, iso, ne sont connues chez les Égyptiens que des prêtres, qui s’en transmettent de père en fils l'intelligence mystérieuse ; mais Chez les Éthiopiens ces dernières sont à l'usage de tous. » Quelques lignes plus bas, Diodore, continuant son propos : «Parlons maintenant, dit-il, des lettres éthiopiennes, qui chez les Égyptiens sont nommées hiéroglyphiques. Ces caractères, +irot, ressem- blent les uns à différentes espèces d'animaux , d'au- tres aux extrémités dn corps humain, d’autres à des instrumens mécaniques. En ellet, ce n’est pas à l’aide d’un assemblage de syllabes que leur écri- ture rend le texte qu’ils veulent exprimer, mais par une réunion frappante d’emblêmes et de mé- taphores, dont la signification s’est gravée, non sans effort, dans leur mémoire. Le milan, par une métaphore naturelle, annonce la promptitude et la vitesse. Le crocodile est emblème de la méchan- ceté. L'oeil marqueun observateur de la justice, ete.» Horapollon, dans son célèbre ouvrage intitulé lscophuouxé, traduit de légyptien en grec par un certain Pamphile , explique les principaux emblè- mes des Egyptiens, tels que Pibis, loie, le tau- reau, l'abeille, etc. Mais la plupart des images symboliques dont il s'occupe, semble plutôt se rapporter à ces signes allégoriques, propres aux sculpteurs, connus sous le nom d’anaglyphes on bas-reliefs. DISSERTATIONS: 920 Plutarque , dans son traité d’Isis et d’Osiris, parlant du nombre cinq : Ce nombre, dit-il, mul- tiplié par lui-même, fait un carré égal à la somme des lettres Ney nc Ious Jè rerpdyovoy à mevräs ÉavThc, Oo TOY VRALUATEY TO * ALYUTTIOLG ro Tr 066 êcn.( Ldition de Reiske, vu. 4 72.) Résumons nos faits. Hérodote et Diodore recon- naissent chez les Égyptiens deux sortes de carac- tères, les uns appelés populaires ou vulgaires; dnporié où no, et les autres sacrés , tpà ou tep#. Selon Diodore, les premiers sont d’un usage géné- ral, et les seconds ne sont connus, chez les Esyp- tiens , que des prêtres ; mais chez les Ethiopiens, sont à lusage de tout le monde. De plus, leurs caractères, réro , ne forment point des syllabes, mais des symboles. Horapollon donne Pexplication d’un grand nombre de ces symboles; et Plutarque reconnait aux Egyptiens 25 lettres. Un philosophe chrétien , qui vivait au commen- cement du troisième siècle, et qui, plus que tout autre, était en position d’être bien instruit du système graphique des Égyptiens, Clément d'A- lexandrie, va nous en donner ( Stromat. livre v, chap. 4.) une idée claire, précise et complète. Voici le texte même , accompagné de la traduction de M. Letronne. AÛTÉAG où TAp" AUT- Ceux qui, parmi les Egyptens. rious raudeudquevot, TpÈTO reçoivent de l'instrucuon > ap- prennent d’abord le genre d'écri- pEv TÉVTOY TAY AUT- ture égypuenne qu'on appelle TOY VRALÉTOY péodov Epistolographique : [als appren- ékpavidvouct, rhv Etru6r0o- nent] ensecondlieul Hiératique, 26 Aoypapuenv XANOULEVAV* deÿreoov JÈ, Thv lecarixhv € A CC: À LEGVTAL où Lepoypapa- ei dordrny dè xuù Teev- Talav ThY LEO AUEUXAY , ñe à uév éorr dix Tüv : ? TRÔTUVY GTOLYELWV XUPLO- Joy 6 dÈ cupéoixf. Tôe JÈ cuubolxñc à pLèv kvpuohoyeirar HUTA pin Guy, À À Gone Tporx ÈS yeéperor , à ÔÈ dvrixpds a\XnyopeïTou LUTA TAG œivuyLOÛc. Haroy voùv yec- Var fovAduevor xÿxdov Rotoot, ceXAVnv dè cynua pevoed ès, xUTE Td xupto- Royoÿevoy eidoc TooTt- LOS DE LUT OLLELÜTNTA erdyovrec xai LeTourÜév- Tec, TA Ô ÉÉaNAdTTOVTES, rù J'è ro ay GS LETATYN- parilovres yapdrrouau. Tods yodv Tüv facrléov émaivous Oeodo/oupévos plaie rapadidovres , dva- YeÉouoL dix To äavaÿhu- oùy. Toi OÈ xara vob divrynods Tpirou etdovc detyua Écro Tode" Tù LÈv Ve rüv 4XEY AGTOUY , Lx Tv Topélay Tv RoË NV ÜpEUY GOLAGI ATEkACO, rôv dè HAoy T® To av- bxoov, INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES: dont se sevvent les hicrogramma- tes ; et enfin l’Æééroglyphique. - L'Hicroglyphique [est de deux genres], l’un exprimant au pro- pre des objets par les Lettres, l'autre les représentant par des symboles. L'Hiéroglyphique symbolique [se subdivise en plusieurs espè- ces] : l’une représente les objets au propre par imitation ; Yautre les exprime tropiquement ; la troisième , au contraire , les rap- pelle au moyen de certaines allégories énigmatiques. Ainsi, d’après la méthode dereprésenter les objets au propre , les Egyp- tiens veulent-ils écrire le so/er/, ils font un cercle ; la lune, ils tracent la figure d’un croissant. Dans la méthode Zropique , ils représentent les objets au moyen d’analogies ( ou de propriétés semblables ), qu'ils transportent dans l'expression de ces objets , tantôt par des modifications [ de forme | , tantôt et plus souvent par des transformations totales. Ainsi, ils représentent par des anaglyphes [ bas-relicfs allégo- riques |, les louanges de leurs rois , quand ils veulent les faire connaître au moyen de mythes religieux. Voici un exemple de la troisième espèce [ d'écriture hiéroglyphique ] qui emploie des allusions éxigmatiques : les Egyp- tions figurent les astres | plané- taires ] par un sérpent, à cause de lobliquité de leur course, mais le soleil est figuré par un scarabée. DISSERTATIONS. 528 M. Letronne a joint à sa traduction un commen- taire de deux pages, auquel il a postérieurement ajouté huit pages de nouveaux aperçus pour com- pléter sa traduction et son commentaire. Je vais extraire quelques lignes de ces documeus lumineux, en regrettant toutefois de ne pouvoir adopter ses savantes conjectures, sur un mot qu'il a cru devoir omettre dans sa traduction, parce qu’il n’était pas bien fixé sur le sens qu'il devait y attacher. L'écriture égyptienne est divisée par Hérodote, Diodore, et l'inscription de Rosette , en deux genres de caractères, savoir : 1. Les vulgaires appelès Snuorixé et dng6dn par Hérodote et Diodore ; yeux dans inscription de Rosette ; éruorohoypxouxé par Clément d'Alexandrie. 2° Les sacrés, eo, divisés par Clément d’Alexan- drie en hiératiques et hiéroglyphiques. Clément d'Alexandrie, insistant sur les hiérogly- phes, en forme deux subdivisions, savoir : 1° les kiriologiques, dix rüv roérov oroyeiov; 2.° les symboliques, comprenant les kiriologiques par imitation , les tropiques et les énigmatiques. Tout est clair dans cet énoncé , à l'exception des kiriologiques , dix rüv rooruv cropelov, que je me propose d'expliquer un peu plus tard. — Re- prenons : l'écriture démotique, épistolographique ou enchoriale , est l'écriture vulgaire ; elle dérive de lhiératique, ou écriture sacerdotale, à laquelleelle emprunte les signes les plus simples. — L'écriture hiératique ou sacerdotale , n’est qu'une écriture cursive , une simple tachygraphie de Pécriture 928 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. hiéroglyphique , dont elle n’a adopté les forrnes qu’en les abrégeant considérablement. Comme elle paraît avoir été à peu près bornée à la transcription des textes religieux , on pourrait l'appeler hiéro- graphique, pour la distinguer de celle dont la sculpture se servait pour orner les monumens publics’, et qui seule mérite à juste titre le nom d’'hiéroglyphique. Si nous rapprochons le système graphique des Egyptiens de celui des Chinois, nous verrons dans l’un et dans autre, une écriture idéographique ; représentant les idées, tantôt au propre, par des images physiques, tantôt à l’aide de la métaphore, par des tropes, des symboles , des emblèmes, des énigmes , des allégories. Ainsi le cœur sera lem- blème de l'esprit, de l'intelligence, des passions ; l'abeille représentera un peuple obéissant à son roi. (Horapollon, liv. 1.2 Hiérogl. 62.) Le nombre : de ces signes , commençant par 5 à 6 cents, s’éle- vera jusques à 1,000, jusques à 10,000 , selon la fécondité du génie inventif. Cette écriture sera ornée et fleurie, lorsqu'il s'agira de lemployer sur des monumens publics ; un peu moins élégante, quand il ne s'agira que de simples transcriptions d’actes religieux, et enfin abandonnée à la bizarrerie du caprice, dans le commerce épistolaire. En continuant nos rapprochemens, nous re- marquerons que , chez les deux peuples, les images se tracent perpendiculairement , et de droite à gauche; que chez les Chinois chaque idée spécilique DISSERTATIONS. 29 est accompagnée d’un caractère genérique, que lon appelle clef, et que, chez les Egyptiens, les images Lomme, femme , étoile, maison, etc., sont également tracés à côté des images principales, comme signes de genre ou d’espèce ; que chez les deux peuples , une manière de marquer le pluriel, est de doubler l’image, etc. Telle a été, nous en sommes persuadés, la première manière dont tous les peuples ont fait usage pour représenter leurs idées. Mais la ré- flexion , se joignant à l’expérience , esprit humain aura fait des progrès, et le système se sera sim- plifié. On aura analysé le mécanisme de la parole, et la première opération aura été de distinguer les voix, des articulations. L’étendue des cordes vocales aura été divisée d’abord en trois parties, comme la musique en trois tons principaux, comme la lumière en trois rayons primitifs. Aussi voyons-nous que les anciens Hébreux n’avaient que trois voyelles qu'ils appe- laient mères de la lecture, Matres lectionis ; et les Arabes n’en reconnaissent pas d’autres aujourd’hui même ; exprimant par leur fatha notre « et notre è; par leur kesre notre é et notre z ; et par leur dhomma notre o et notre ou. Ces voyelles se sont par la suite subdivisées en cinq et même en sept chez les Grecs ; et quoique notre alphabet n’en comporte que cinq, si nous voulons distinguer les brèves, des longues ou des nasales, nous en trou- verons au moins quatorze, nombre égal à celui que les Massorètes ont assigné à la langue hébraïque. TOME rrr. PART, II. 10 bb 230 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. Les articulations ont dû être proportionnées au nombre des organes qui leur sont nécessaires. La bouche ou les lèvres forment les labiales D. p. v. fm ; les dents, les dentales d.£. z.s; le goster , les gutturales g. À; la langue, la luette, le nez, L.r.n.. etc. Les voix et les articulations sont distinguées el analysées. Voilà déjà un grand pas de fait vers Pécriture syllabique et même alphabétique ; et nous avons vu que les Chinois en étaient eux-mêmes arrivés à ce point, où depuis long-ternps ils restaient stationnaires. Les Esyptiens ont avancé plus loin , car dès le temps de Clément d'Alexandrie , et probablement plusieurs siècles auparavant , ils étaient arrivés à l'écriture alphabétique. Cest ce que nous a démontré l'inscription de Rosette , est ce que Clément d'Alexandrie nous avait dit en termes si clairs, en nous parlant de lécriture au propre ou kyriologique dx +rüv roro crorelwy par les premières lettres. Et c’est ici qu'il faut que jex- plique la véritable signification de ces mots. Suivant M. Letronne, zvouodoywxn duù rüv ro6Tov croyewv signifie : exprimant les objets par les lettres; et pour prouver que 74 rpûra ovotyeix peut ne signilier que prüna elementa, les premiers élé- mens, ou tout simplement les lettres de l'alphabet, il appuie de l'autorité de Quintilien (L r.)et d'Horace : Ut pueris olim dant crustula blandi Doctores , elementa velint ut discere prima. Sat. I, r. 26. DISSERTATIONS. 231 Nous sonimes loin de contester la légitimité de cette signification dans les passages latins indiqués par M. Letronne; mais il nous est impossible de nous en contenter dans la phrase de Clément dA- lexandrie, où +àmpüra arosyeix ne signifient pas seu- lement les lettres, mais les premières lettres. C’est ce que le traducteur lui-même a fort bien compris; en eflet, dans les huit pages additionnelles, consa- crées à éclaircir son premier commentaire , il con- vient qu'il eût suffi à l'auteur grec, s’il n’eût voulu désigner vaguement que les lettres de l'alphabet, de dire dx rüv ororyeiov, au lieu qu'il dit expres- sément di rüv ro6ruv orouyeiwy. Mais que faut-1] donc entendre par ces premières lettres, se demande M. Letronne. Et, après de mûres réflexions, il se décide en faveur des premières lettres, appelées Phéniciennes, à cause de Cadmus. Nous wignorons pas que les 16 lettres Cad- méennes ont rang de priorité sur les 8 autres, dont 4 furent ajontées par Palamède, et 4 autres plus tard par Simonide, comme le dit expressément Plutarque , dans le passage des Symposiaques, sur lequel M. Letronne base sa nouvelle conjecture, ajoutant «qu’elle ne sera pas inutile à Vhistoire, si obscure encore, des caractères alphabétiques. » Mais nous pensons qu'il ne faut pas aller chercher une explication si éloignée , lorsque l’expression la plus simple offre un sens si clair et si précis, et renferme mème la véritable histoire des caractères alphabétiques. Je vais m’eflorcer de faire comprendre la véri- 10. 232 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. table signification qu'il faut attacher à cette ex- pression dix rüv rpéroy croryelwv, qui est La clef du passage de l'écriture idéographique à Pécriture phonétique, clef que nravaient suggérée, 11 y a plus de 30 ans, le nom et la figure des antiques caractères hébraïques, dont les caractères grecs ne sont évidemment qu’une copie. Je suppose, pour un instant, que les Français n’en soient encore qu'à l'écriture idéographique. La bouche, les dents, la langue, le nez, le gosier s’exprimeront graphiquement par des images ana- logues, dont le dessin sera plus ou moins grossier. Arrive enfin le passage de l'écriture idéographi- que à l'écriture phonétique. Comment va s’opérer ce passage ? D’une manière bien simple; la bouche représentera le son B, les dents leson D, la langue le son L, le nez le son N , le gosier le son G, etc. Bref, tout signe phonétique sera l’image d’un objet phy- sique dont le nom, dans la langue parlée, commen- çait par la lettre que le signe lui-même est destiné à exprimer. Ou je me trompe grossiérement, ou telle est la véritable signification des mots de Clément dA- lexandrie Be TOY FRÜTEY cTotyetwv, par les Hvss es lettres. Je suis d'autant plus surpris qu'elle ait échappé à la sagacité du docte académicien, que M. Champollion , à la prière duquel il avait entre- pris son travail sur ce passage, avait lui-même admis l'hypothèse que je viens d'établir en principe. Je vais maintenant appuyer ma théorie sur des faits irrécusables. DISSERTATIONS. 233 La langue Copte, comme nous Pavons dit plus haut, n’est en réalité que Pancienne langue des Égyptiens, tracée en caractères grecs. Et nous pouvons remarquer à ce sujet que, dans la gram- maire de la langue Copte ou Egyptienne, sous ces deux dialectes Memphitique et Thébain, composée par lévèque Raphaël Tuki, et imprimée à Rome en 1778, à l’imprimerie de la Propagande, la pro- nonciation de ces lettres est conforme à celle que les Grecs ont conservée jusques à nos jours, et que, de plus, en jetant les yeux sur un tableau d hiéroglyphes phonétiques, M. Letronne s’est con- vaincu, que les caractères quirépondaient à lfræ des Grecs, étaient les mêmes que ceux de liürx. Mais revenons au point intéressant qui nous occupe. Un aigle qui, en langue égyptienne, se dit (Akhom }, est devenu le signe de la voyelle A. — Une cassolette(Berbe) , lesigne de la consonne .B— Une nain (Dod), le signe de la consonne A. — Une 2ache (Kelebin), le signe de la consonneK. — Un Zion ou une lionne ( Lavo), le signe de la con- sonne À. — Une chouette (Mouladj }, le signe de la consonne U. — Une flüte (Sebindjo ), le signe de la consonne C. — Une bouche (Ro), le signe de la consonne P. Ce ne sont plus ici des suppositions, ce sont des faits consignés dans l'ouvrage de M. Champollion le jeune. Ainsi le lion se trouve et dans le cartou- che de Ptolémée, et dans celui de Cléopatre, comme signes phonétiques du L, lettre initiale du mot lion. Voilà bien le dig roy reoroy oruyaiwy par où 234 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. Clément d'Alexandrie a voulu faire entendre les caractèree phonétiques , ou signifiant au propre, à l’aide des lettres initiales. Si Plutarque n’admet que 25 lettres égyptien- nes , tandis que M. Champollion en a déjà reconnu une centaine, cela n'implique point contradiction. Ce sont des signes homophones , parmi lesquels chacun choisissait à son gré; comme les Chinois choisissent | pour peindre les noms étrangers, parmi leurs syllabes homophones, et comme nous pourrions nous-mêmes varier notre orthographe , en écrivant le même mot d’une infinité de maniè- res, sans avoir pour cela plus de 24 lettres. Un moyen infaillible d'étendre la connaissance de ces diflérens signes phonétiques est, comme le dit fort bien M. Champollion, de chercher dans le Dictionnaire Copte, comment s’appelle en égyptien image dont on cherche la signification phonéti- que; le nom une fois trouvé , la première lettre de ce nom sera la valeur phonétique que l’on cherche. Par exemple, croyez-vous reconnaître l’image abrégée dun jardin ? Cherchez dans un Diction- naire Copte comment se dit un jardin en langue égyptienne; et sitôt que vous avez vu qu'il s'appelle (Chné ou Chni), vous pourrez en conclure que ce signe, qui fut d’abord kyriologique xxrx vrav péunow, C'est-à-dire qui représentait au propre un objet par imitation, est devenu signe kyriologi- que dx rod rpérov craeiou, ou représentant au pro- pre un son par la lettre initiale, l'articulation cz. { résulte de ce que nous venons de dire, que DISSERTATIONS. 239 toute écriture à dû commencer par être 1déogra- phique, et n’est devenue que successivement syl- labique et alphabétique. Mais à quelle époque s’est opéré ce passage ? Il y a bien des siècles qu'il a dû s’opérer chez le peuple Ecyptien, tandis que, chez le peuple Chinois, il west pas encore arrivé. En conclurons-nous que Pun soit plus ancien où plus jeune que Pautre ? Dirons-nous, pour expliquer cette différence, que les Grecs et les Romains, en fréquentant de bonne heure PEgypte, y auront häté linstant de ce passage , tandis que les Chinois, séparés du reste des nations, auront par cela même -conservé leurs habitudes nationales ? Mais on à trouvé des signes phonétiques sur des monumens égyptiens bien antérieurs au siècle d'Alexandre. On ne saurait trop déplorer la perte des 700,000 volumes amassés à grands frais, par les rois d'E- gypte, dans la bibliothèque d'Alexandrie. I est lächeux aussi que Moïse, uniquement occupé du peuple d'Israël, ne nous ait pas dit un seul mot des anciens monumens de l'Egypte, des mœurs, des lois, de la religion, de la langue d’un peuple si antique et autrefpis si renonimé. Le silence qu'il a gardé à cet égard ne nous permet pas de décider si, à l’époque de sa sortie d'Egypte, Pécriture idéographique était encore la seule en usage; et par conséquent de résoudre la question que je nYétais proposée au commencement de ce Mé- moire, sur la nature des caractères qui avaient servi à graver le décalogue sur Les deux tables de pierre. 236 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. Mais sil ne m'est pas possible de résoudre cette question, je me flatte au moins de démontrer clai- rement que lécriture hébraïque a été d’abord, comme toute autre , purement idéographique.Tou- tefois, avant de traiter cette question , je dois dire quelques mots de deux genres d'écriture qu'il est important de mentionner ici. Je veux parler de l'écriture arménienne et de l'écriture éthiopienne. Les Arméniens écrivent comme nous de la gau- che à la droite. Ils ont un alphabet composé de 38 lettres. Il y a quatre sortes d'écriture en usage parmi eux. On en trouve le développement en tête du Thesaurus linguæ Armenicæ , publié à Amster- dam, par Schroder, en 1711, ou 1160 de Père ar- ménienne. Cette quadruple écriture est aussi re- présentée dans le recueil dalphabets , annexé à l'Encyclopédie, dont elle occupe les planches r2 et 13 de l'édition in-4.°. La première écriture, appelée dzaghgakir, mot composé quisignifie lettres fleuries, ou thzakakir let- tres d'animaux, sert pour orner les titres des livres et le commencement des chapitres. Ces lettres repré- sentent des fleurs et des figures d’hommes et d’ani- maux. La première lettre ou VA, sappelle Zip, et, dans limage de cette lettre, figure en tête un homme. Remarquons que la lettre À est la lettre initiale du mot arménien Air, qui signifie komme , et répond au mot latin ir. La seconde s'appelle éergatakir, écriture de fer. Ce nom lui vient de ce que l’on se servait autre- DISSERTATIONS. 237 fois, pour la tracer, d’un stylet de fer. Cest une tachygraphie de la première, dont elle n’a conservé que les traits linéaires. La troisième se nomme polorkir, lettres rondes. On l’emploie dans les manuscrits et dans limpres- sion. Enfin la quatrième que lon appelle noderkir ou lettres cursives, sert dans le commerce ordinaire de la vie. Ces quatre espèces d'écriture dérivent à peu près l’une de l’autre ; comme, chez les Egyptiens, la démotique de l’hiératique, et celle-ci de lhiéro- glyphique linéaire, qui dérive elle-même de lhié- roglyphique pure. L'écriture moderne des Ethiopiens, je ne parle pas de leurs anciens hiéroglyphes, qui, selon Diodore de Sicile, leur étaient communs avec les Égyptiens, se compose de 26 caractères, qui n’ont pas encore atteint la simplicité de Hoe alpha- bétique, c’est-à-dire de 26 caractères syllabiques. Chacun de ces 26 caractères fait fonction de con- sonne, et armé d’un appendice en forme de cro- chet, soit à droite, soit à gauche, en haut, en bas ou au milieu, constitue un syllabaire septuple. Cest peut-être la seule langue ou VA ne marche pas en tête de Alphabet; il n’y occupe que le 13.€ rang. Abordons maintenant l'écriture hébraïque. Grà- ces à l’explication que nous avons donnée à ces mots de Clément d'Alexandrie, Mix rüv pére oroseiev, par les lettres initiales, : que nous croyons avoir 238 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. suffisamment confirmée par Papplication que nous en avons faite aux caractères phonétiques des Egyptiens, notre tâche est bien allégée; car il suffira d'examiner si les caractères hébraiques rem- plissent aussi les mêmes conditions. Jaffirme donc que les 22 lettres hébraïques ont été d’abord des images, de purs hiéroglyphes. Que ces images , sensiblement altérées, sont devenues,signes phoné- tiques dix rôv reorey srotpéiwv, par les premières lettres; et ont produit successivement , 1.° PAI- phabet antique des Hébreux, connu sous le nom d'Alphabet Samaritain ; 2.0 l’'Alphabet Chaldaïque ou hébreu moderne; 3.° PAlphabet cursif appelé Rabbinique; 4.° PAlphabet Grec, d’où est visible- ment dérivé le latin, qui, avec de légères modifi- cations , est devenu celui de toutes nos langues modernes. L’Alphabet Hébraïque se compose de 22 lettres. Sur. ces 22 lettres, plus de la moitié conservent encore des traces visibles des anciennes images, qui etaient exprimées dans la langue parlée par les noms qu’elles portaient; et chaque image ne représente plus que le son initial de chacun de ces noms. Ainsi la première lettre s'appelle Æ/eph. Ce mot en hébreu signifie un boeuf, un taureau; et parce que le taureau est réputé le chef du troupeau, ce même mot Æ/eph signifie, par métaphore, chef, conducteur. Cest peut-être à cette signification qu'il doit l’honneur d’avoir été placé en tête de PAlphabet hébraïque, rang qu'il a conservé dans DISSERTATIONS. 239 tous les Alphabets, excepté dans celui de la langue éthiopienne, où il n’occupe, comme je lai déjà remarqué, que le 13.° rang. Après avoir examiné le nom du caractère, si nous jetons les yeux sur Pimage antique, nous y reconnaîtrons la tête du taureau armée de ses deux cornes; dans l’image moderne, une des deux a disparu , et dans l'image grecque et latine, le trait supérieur qui accompagnait l’image hébraïque a été déplacé, et renfermé entre les deux jamba- ges, À. Il serait superflu d'analyser ainsi chaque image ; bornons-nous à quelques indications. Beth, signifie maison ; Ghimel, chameau ; Daleth , porte; fav, crochet; Zod, main; Lamed, aiguillon; Ngain , œil; Phe, bouche; Resch, tête; Chin, dents, etc. Ghacune des images, je le répète, est analogue au nom qu'elle porte : plusieurs d’entr’elles ont été sensiblement altérées. La main, par exemple, qui dans le caractère antique se compose encore de trois doigts, n’en a plus conservé qu'un dans le moderne, ainsi que dans VI des Grecs et des La- üns ; mais le crochet, laiguillon, loœil, les dents, paraissent n’avoir éprouvé aucune altération sen- sible, Nous avons dit plus haut que les Chinois et les Egyptiens traçaient leurs caractères de haut en bas. Les Hébreux traçaient les leurs de droite à gauche. Les Grecs, en adoptant les lettres cad- méennes où orientales (car en hébreu, cadim , si- 240 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. gnilie orient, et cadmonè, oriental), les tracèrent d’abord de droite à gauche, ainsi que le demandait la contexture de ces lettres. Puis ils écrivirent en boustrophédon, id est, more boüm arantium , comme lattestent d'anciennes inscriptions. Enfin l'usage d'écrire de gauche à droite ayant prévalu , ils furent obligés de retourner la forme de leurs lettres ; et c’est ce que lon aperçoit visiblement en comparant l'E et le P des Grecs, au Hé et au Biesch des anciens caractères hébraïques. MÉMOIRE SUR LE RAPPORT ENTRE LES LUMIÈRES ET L'INSTRUCTION ; Par M. CABANTOUS. Le Bruyère, traçant à sa manière le caractere des ouvrages d'esprit, dit fort ingénieusement , que ce qu'il y a de mieux dans ces sortes d’ouvra- ges, est moins ce que l’auteur y met, que ce qu'il ny met pas. En eflet, quelque plaisir que nous ayons en recevant les pensées d'autrui, nous en trouvons encore davantage à en concevoir nous- mêmes; les idées qui nous viennent d’ailleurs, ne nous plaisent qu'autant qu’elles réveillent les nôtres ; et La Bruyère a raison de faire consister le principal mérite dun écrivain , moins à penser lui-même, qu'a faire penser son lecteur. Il est vrai que plus le premier pense, plus il donne à penser au second ; mais quelle différence entre un ouvrage plein de belles pensées qu’on laisse à fé- conder par lesprit du lecteur, et un autre où les mêmes pensées se montrent au milieu du cortége de toutes les idées qu’elles peuvent produire ! d’un côté, l'esprit, libre d'exercer ses facultés, jouit de 242 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. sa pénétration : de l'autre, réduit à une sorte de stérilité forcée, il s'indigne de la méfiance que lui témoigne l’auteur, ou il rejette avec dégoût un aliment qu'il se voit offrir sans besoin. Au premier abord, le conseil de La Bruyère paraît facile à suivre. Néanmoins 1l n’est que le petit nombre d'écrivains du premier ordre qui s’y conforment d'eux-mêmes, et presque sans y son- ger : tous les autres, ou l’ignorent, ou n’en tien- nent aucun compte, ou font de vains efforts pour le mettre en pratique. Parmi ceux de nos temps modernes , qui ont le mieux réalisé dans leurs écrits l’idée ingénieuse de La Bruyère, M. Barthélemy occupe, sans contre- dit, un rang des plus distingués. Le Foyage du jeune Anacharsis en Grèce offre, à chaque page , quelques-unes de ces pensées qui semblent comme échappées à l’auteur , et sur lesquelles on est forcé de s'arrêter, quelque pressé qu’on soit de poursui- vre , fermant ou laissant tomber le livre pour s’en- tretenir avec soi-même. Cest sur une de ces pensées prise entre une foule d’autres, que je me propose d'appeler au- jourd’hui votre attention. Après le détail le plus intéressant et le mieux circonstancié de tout ce qui peut mettre un lecteur judicieux à même de prononcer sur Pesprit des Athéniens et sur celui des Spartiates, M. Barthé- lemy laisse tomber de sa plume cette réflexion , qu'on prendrait pour un paradoxe dans Pouvrage de tout autre écrivain, mais qui ne fait qu'étonner N MÉMOIRES. 24: et fournir à méditer dans celui dun philosophe moraliste à la fois si grave, si sage, si profond et si consciencieux : «Les Spartiates, ditl, étaient » Le plus instruit et le moins éclairé des peuples. » Il n’ajoute pas : «Et les Athéniens, au contraire, » en étaient /e moins instruit et le plus éclairé; » mais tout indique évidemment qu'il le pense, et qu'il veut le faire penser aux autres. Voilà donc les /wmières opposées à linstruc- tion , et l’énstruction aux lumières. Quoi de plus contraire à nos idées et à celles du siècle auquel écrivait M. Barthélemy ! Tâchons donc d’entrer dans son esprit ; essayons de pénétrer le fond de sa pensée ; et faisons-nous, s'il est possible, une idée nette ou de la grande erreur qui le préoccupe, ou de l’importante vérité qu'il veut nous enseigner. «Nous avons, dit Condillac, deux moyens » d’énstruire les hommes : Vun en ‘les guérissant » des erreurs (cest proprement l’énstruction ) ; » l'autre en les corrigeant des vices et des ridicu-. » les (c’est ce que nous désignons par le terme » éducation ).» Ces deux moyens, dont le premier est tout entier pour lesprit, et le second pour le cœur, ont évi- demment entreux un rapport intime : car il est bien difficile qu'il y ait de Pélévation dans Vesprit, quand il n’y a que bassesse dans lame; plus diMfi- cile encore peut-être qu'il y ait de la noblesse dans âme, quand il n’y a que ténèbres dans Pesprit. 244 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. Cependant, quel que soit le rapport qui semble tendre à unir ces deux moyens d'instruction, une opinion générale , ou , si l’on veut, un préjugé com- mun, les a long-temps fait soupçonner de ne se rapprocher que pour se nuire; et de là, tant de précautions prises par tant de législateurs, pour mettre Pun à l'abri des atteintes des autres. Chez les anciens peuples de l'Orient, où Pins- truction paraît aussi ancienne que l’homme, la science renfermée dans le sanctuaire des temples ou dans le sein des castes privilégiées, y était te- nue religieusement en dépôt sous la clef de doc- trines secrètes et de langues mystérieuses : tout ce qui appartenait pas à la classe savante ou ré- putée telle, était réduit aux idées ou plutôt aux sentimens que pouvait lui donner une éducation nationale plus où moins conforme aux mœurs des individus, à la situation du pays, aux intérêts de VEtat. Dans nos contrées occidentales, sur lesquelles se leva si tard le soleil des lumières , nous avons eu, faute de connaissances réelles, un charlatanisme de science, réservé chez nous, comme en Orient , à des classes privilégiées; aux Druïdes chez les Gaulois, aux Patriciens chez les Romains, aux Prophètes des temples chez les Grecs. Hors les clas- ses autorisées à cultiver la science ou ce qu’on dé- corait de ce beau nom, tout le reste croupissait dans l'ignorance, borné, comme en Orient, à la simple éducation publique. Lorsqu’enrichis du fruit de leurs propres médi- MÉMOIRES. 345 tations, ou des idées acquises au sein des peuples étrangers, des hommes honorés du nom de sages s’érigèrent en maitres de leurs contemporains , ils craignirent, ce semble , de prostituer la science; et de peur de la compromettre ou de se compromet- tre eux-mêmes, tous, jusqu’à ce que Platon eut donné un exemple contraire , eurent à la fois deux doctrines ; une secrète et voilée pour le petit nom- bre des adeptes, l’autre publique et sans mystères pour le commun des disciples ; et toujours le peu- ple fut exclu comme profane. L'Évangile est sans contredit un code parfait de morale pratique; d’où vient que Jean-Jacques et d’Alembert, si peu daccord sur tant d’autres points, . reconnaissent unanimement et presque dans les mêmes termes, que le chrétien, même le moins cultivé, s’il a la foi et connait les préceptes essen- tiels de sa religion, est plus savant en morale que Platon et Socrate et tous les philosophes de Panti- quité ? Dès que le Christianisme fut- monté avec Constantin sur le trône du monde, la morale évan- gélique servit de base à l'éducation de tout ce que l'univers renfermait de chrétiens, sans distinction d'âge, de sexe, d'ordres, de classes, de castes, d'états et de gouvernemens : il n’y eut plus qu'une même religion , une même éducation morale dans toute la chrétienté. Cependant, quelle que fût cette unité de reli- gion et d'éducation, elle n’empècha pas la diversité d'instruction. Celle-ci, long-temps réduite à la science du dogme et à la solution des diverses TOME NI. PART, II. 177 246 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. questions qui s’y rapportaient, fut enfermée chez nous, comme autrefois chez les Égyptiens, dans le sanctuaire ou dans les cloîtres, et n’appartint qu’au corps ecclésiastique. À partir du douzième siècle , elle commença à s'étendre à des objets différens. Mais, pendant trois cents ans encore, elle demeura le patrimoine pres- qu'exclusif de dé sacerdotal ; et pour la rendre plus inaccessible au vulgaire, Re l'enveloppa dans les mots, les tours, les formes d’unelanguemorte depuis plus de mille ans; langue entièrement igno- rée du commun des hommes, et presqu'aussi impé- nétrable au public, que la langue sacrée des prètres d'Égypte pouvait l'être pour n dernière classe des hommes soumis à leur pouvoir sans bornes. Ce ne fut qu'à compter du commencement du seizième siècle, que, chez nous, linstruction se répandit peu à peu dans les diverses classes des citoyens : encore continua-t-elle assez long-temps à mettre entr’elle et le vulgaire, une langue étran- gère aux temps modernes, et dans laquelle s’en- tendaient à peine ceux qui affectaient de la parler, s’arrogeant et presque toujours usurpant le titre de savans. Malgré tant de soins pris avec tant d'attention, pour prévenir la trop grande étendue de linstruc- tion proprement dite, qui ne sait les craintes que téemoignèrent d’abord pour l'éducation publique et le calme du royaume , les hommes et les corps les plus distingués dans l’état? Qui ne sait toute la force de volonté dont Louis XI, vers la fin du MÉMOIRES. 247 quinzième siècle, fut contraint de faire preuve, pour résister aux efforts réunis du clergé, du par- lement et de l’université? Les cris d'alarme pous- sés à cette époque, ont retenti dans tous les règnes suivans ; et notamment sous Louis XIIT, par la bouche du doyen de la Sorbonne ; sous Louis XIV, par celle d'Omer Talon ; sous Louis XV, par celle de La Chalotais ; sous Louis XVI et de nos jours, par mille voix réunies pour faire plus d'effet. Tant il est vrai, comme nous en avons déjà fait Vobservation , que, quelque rapport qu’aient en- tr’eux par leur nature, les deux moyens d’instruc- tion marqués par Condillac, lun a toujours été soupçonné par bien des esprits, d’être ou de pou- voir devenir nuisible à Pautre. Me permettrez-vous d'ajouter, qu’à ne consulter que l’histoire de tous les peuples éclairés sans exception, l’on serait tenté de croire qu’il est de la pature de l'instruction , qu’à force de se répandre, elle se convertisse en lumières ; et de la nature des lumières, qu’elles étouflent l'éducation proprement dite, ou ne lui laissent d'autre réalité que celle d’un vain son qui demeure encore dans la langue quand la chose n’est plus dans Pétat, et dont le se- cond sens ne conserve absolument rien de Pidée qu'offrait le premier. Que signifiait, en effet, le mot éducation, chez les Athéniens, éblouis de leurs vaines lumières? Que signifiait-il chez les Romains, si tard et si mal éclairés ? Que signifie-t-il chez nous, plus éclairés sans contredit qu’on ne l'ait jamais été dans aucun 17. 248 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. siècle ?.…. Chez les Athéniens il était synonyme de délicatesse ; chez les Romains, d’urbarité ; chez nous , il l’est de politesse. Délicatesse athénienne, urbanité romaine , politesse française : quel rap- port ont tous ces mots avec l’idée qu’attache Con- dillac au térme éducation, et que ce mot devait réveiller par lui-mème ? Qu’expriment-ils qui ne se borne à des manières plus ou moins étudiées , plus où moins élégantes , et qu’on regarderait avec raison comme une péritable hypocrisie , sil n’était généralement reçu de ny voir qu'urz mensonge convenu ?.… Caton , avec sa chaleur ordinaire, re- prochait à ses contemporains d’avoir changé le véritable nom des choses : ne pourrait-on pas se plaindre aujourd’hui, qu’er gardant le nom des choses , nous changeons toutes les idées qu'ils avaient exprimées jusqu’à nous. Ce n’est pas tout, et l’auteur d’Anacharsis va bien plus loin encore : dans son esprit frappé des faits nombreu-, dont son ouvrage est le tableau fidèle, et de ceux qu’il avait recueillis dans le corps entier de toutes les histoires, non-seulement Pins- truction convertie en lumières étoufle l’éducation proprement dite, mais elle s’étoufle, en quelque sorte, elle-même et ne conserve plus aucune réa- lité. Pourquoi ? Parce qu’un peuple n’est véritable- ment instruit, qu'autant que les deux moyens d'instruction, fournis par la nature, sont également employés par chacun de ses membres, qu'ils le sont avec succès à un haut degré, et qu'ils demeurent toujours en parfait rapport l’un à l’égard de lau- tre. Or il n’est pas un seul peuple, parmi ceux MÉMOIRES. 249 quon nomme éclairés, dans le sein duquel ces trois conditions se soient trouvées ou même aient pu se trouver remplies : elles ne Pont jamais été, elles n’ont jamais pu lêtre qu'au sein dun seul peuple ; et ce peuple unique à tous égards, est, suivant M. Barthélemy , celui de Lycurgue. C'est ici le point essentiel de la question qui nous occupe : nous n'avons encore fait que prépa- rer la question elle-même; il est temps de Pabor- der avec franchise, et e’est ce que nous allons faire, de manière, sil se peut, à ne laisser aucun. nuage sur la pensée de notre auteur. Avant tout cherchons à nous entendre, et, pour cela, fixons le sens des termes; dégageons-le de tout ce qu’il a de vague dans Pacception commune. Qu'est-ce qu’un peuple instruit? Qu'est-ce qu'un peuple éclairé? Un homme est dit instruit, quand il a Pesprit orné d'idées théoriques et justes , plus ou moins nombreuses, plus où moins étendues, sur un sujet plus ou moins vaste lui-même, plus où moins com- pliqué, plus ou moins difficile : c’est ainsi que nous disons qu'un homme est instruit dans le Droit, dans la Jurisprudence, dans la Médecine , dans la Physique , ete... Ce mot est quelquefois syno- nyme de savant, quelquefois il ne l’est point : mais jamais il ne s'emploie que pour désigner un esprit qui possède un ensemble plus ou moins considérable d'idées théoriques sur un sujet quelconque. S'il ne s’agit que d'opérations pratiques dans les arts 250 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES- même les plus relevés, nous ne donnons pas le nom d’énstruit à l'artiste qui sy distingue, nons le nommons simplement habile. Du Bos, au juge- ment de Voltaire, était lomme de plus instruit dans la peinture et la poésie, parce qu'il possédait au plus haut point la théorie de ces deux arts de goût : mais il n’y était nullement habile, parce qu'il ne s’y était jamais exercé, et que la pratique seule peut rendre habile dans un art quel qu’on le suppose. Nous disons d’un homme qu’il est éclairé quand, par une application successive aux divers objets de connaissances cultivés de son temps, il s’en est fait une idée jugée suffisante pour en parler, moins en homme qui les connaît, qu’en homme qui ne les ignore pas. L'homme zriversel serait celui qui aurait tout étudié, de manière à tout savoir. Cet homme est évidemment zn étre de raison, quoiqu'il ait paru possible à certains esprits des plus éclairés parmi ceux du dernier siècle : Voltaire essaya vainement d’en réaliser l’idée ; c’est dire qu'il y aurait de la folie à le tenter. Appliquons maintenant aux peuples les notions que nous venons de fixer en parlant des individus. Un peuple instruit serait donc celui «qui aurait » des idées théoriques et justes, plus ou moins » nombreuses, plus ou moins étendues, n'importe » sur quels sujets plus ou moins vastes eux-mé- » mes, plus ou moins compliqués, plus ou moins » difficiles. » Mais à quel peuple pourra-t-on faire = MÉMOIRES. 201 honneur dun tel titre ?...… Dans tous, si l’on en excepte celui de Sparte, dans tous (mème dans les plus civilisés, et dans ceux-là plus encore que dans les autres), il y a des riches et des pauvres, des pro- priétaires et des colons, des marchands, des artistes et des artisans ; des hommes de toute espèce, dont la plupart n’ont , ni le temps, ni la volonté, ni les moyens moraux qui seraient nécessaires, je ne dis pas pour acquérir l’ensemble des idées théoriques d’un art ou d’une science, mais mème la notion véritablement exacte d’un objet quelcon- que envisagé par abstraction : trop heureux si quelques-uns, sur le nombre, peuvent se rendre habiles dans la profession , l’art ou le métier qu'ils exercent... Sans doute, il y a des hommes ins- truits en plus ou moins grand nombre, au sein de tout peuple civilisé:mais, si nous commençons par mettre de côté le peuple de Lycurgue, 1l n’est pas un seul homme capable de penser, aux yeux de qui expression peuple instruit ne se compose évidemment de deux termes impliquant par nature. Quant à celle de peuple éclairé, nous sommes loin d’en dire autant; parce qu'il est bien plus facile d'acquérir une foule d'idées superfh icielles sur plusieurs objets différens, que de s’en former d’exactes sur un seul... Avec beaucoup de luxe, beaucoup de produits d’arts de goût étalés à tous les yeux, beaucoup d'écoles, beaucoup de livres élémentaires, beaucoup de bibliothèques, beaucoup d’écrivailleurs, comme parle Montaigne, beaucoup de maîtres avides d'argent et adroits à s’en procu- 252 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. rer en se donnant beaucoup d'élèves, vous forme- rez, en peu de temps, une foule innombrable d’esprits superficiels, qui se croiront capables de prononcer sur tout, qui le feront avec audace, et, par leur exemple, se donneront autant d’imitateurs qu'il y aura d’ignorans dans la classe du peuple. Alors, suivez la conduite de cette nation éclairée : vous n’y trouverez presque personne, qui, sem- blable au Savetier d'Athènes, ne donne son avis en maître consommé sur les chefs-d’œuvre de pein- ture dans l'atelier d’Apelle, sur les chefs-d’œuvre d'Euripide au théâtre, sur les chefs-d’œuvre de Démosthène au Pnix; qui ne prononce en juge, et quelquefois en bourreau, sur la doctrine des philosophes, sur les opérations des généraux, sur les questions les plus difficiles de la politique étrangère ou de Padministration intérieure. Voulez-vous savoir à quoi vous en tenir sur l'instruction réelle de ce peuple éclairé, écoutez Helvétius : « Un esprit favorisé de la nature peut être instruit sur une partie et éclairé sur plusieurs autres : mais s2 a quelqu’instruction , ce west point parce qu’il est éclairé; au contraire, sil était éclairé sur tout, il ne serait instruit sur rien. Supposez, continue l’auteur du Livre de l'Es- prit, supposez réunis cinq ou six hommes instruits, chacun dans sa partie : un géomètre, par exemple, un nilitaire, un peintre, un médecin, un poète , un jurisconsulte. Introduisez dans cette société, un de ces hommes qui se sont fait un nom comme éclairés, Pendant que le militaire est occupé avec MÉMOIRES. 293 le peintre dans un coin de la salle, le nouveau venu parle-t-il guerre ou peinture devant le géomètre, le médecin, le poète et le jurisconsulte, 11 s’énonce avec tant de confiance, de facilité, d'élégance, qu'il passe pour instruit aux yeux de ceux qui l’écoutent. L'erreur sera la même, tant qu'il n'aura pour auditeurs que des hommes étrangers à la partie qu'il se permettra d'aborder. Mais a-t-1l l'audace de parler guerre devant le militaire, mé- decine devant le médecin, poésie devant le poète, jurisprudence devant le jurisconsulte, peinture devant le peintre, il n’est plus qu'un ignorant aux yeux de chacun en particulier...» Voilà lomme simplement éclairé, peint au naturel par Helvé- tius. Qu’en conclure pour les peuples qu’on appelle éclairés ? Je me tais volontiers, et vous êtes trop justes pour me blâmer de mon silence. Le peuple de Sparte n’avait pas le sot orgueil de se dire éclairé ; mais il avait le mérite que lui donne M. Barthélemy , celui d’être Ze plus instruit des peuples. Son législateur, Lycurgue, était lui-même l’omme le plus instruit , ou plutôt Le seul homme instruit que la Grèce propre renfermät alors dans son sein : le premier, il réunit en un seul corps les membres épars d’Homère, préparant ainsi de loin les voies à Pisistrate, comme celui-ci les pré- para plus tard au père du Lycée. Jamais homme ne comprit si bien que lui la liberté ; car jamais homme n’eut tant de génie, de courage, d'adresse, de force et de vertu, pour 2954 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. concevoir et réaliser l’idée complète d’une vérita- ble égalité. Il voulait fonder une ville qui n’eût pour rem- parts que ses propres citoyens : il lui fallait done des âmes inébranlables dans des corps extrème- ment robustes ; et, par cela même, il avait besoin d’une éducation parfaite. Il voulait former des zommes Libres : il lui fallait donc des esprits ornés d'idées saines et bien jugées , car l’ignorance ne convient qu'aux escla- ves ; et, dès-lors, il avait besoin d’une #nstruction excellente. Il était donc forcé de combiner si bien l’éduca- tion et instruction , qu’elles se fortifiassent mu- tuellement, au lieu de se nuire lune à autre ; qu’elles fussent toujours réelles , toujours les mémes au fond, toujours les mêmes pour tous les Spar- tiates en général et pour chacun en particulier. Or, dans la vue d'atteindre une fin si difficile , de quel effort n’eut-il pas besoin! Il entreprit ce que jamais mortel n’avait osé tenter jusqu’à lui ; il exécuta ce que jamais homme n’a pu faire de- puis : Solon s’est fait un grand nom, pour avoir donné aux Athéniens des lois d’après leurs mœurs ÿ Lycurgue s'était déjà montré bien supérieur à Solon, en donnant aux Spartiates des mœurs d'après ses lois. En vain la nature nous fait inégaux, tant au moral qu’au physique... Plus fort que la nature, Lycuroue fit tous les Spartiates égaux entr’eux , sous l’un, comme sous l’autre point de vue. MÉMOIRES. 295 Pour prévenir linégalité de fortune, il fut né- cessaire de détruire la propriété privée, de pros- crire les arts, l’industrie, le commerce : Lycurgue ne recula devant aucun obstacle, et tous tombè- rent devant lui. Un Spartiate ne possédait rien, absolument rien, pas même sa femme, pas mème ses enfans, pas même sa propre personne : il ne pouvait disposer de rien, ni de ses idées, ni de ses penchans, ni de ses affections , ni même d’un seul instant de son existence. À l’aide d’une éducation qui commençait avec la vie, ou même avant la vie ( car personne n’ignore le soin que Lycurgue prenait des enfans dans le sein même de leur mère, par attention scrupu- leuse et délicate qu'il donnait aux mères elles- mêmes, dès que la grossesse était déclarée par le magistrat ); au moyen, dis-je, d’une éducation qui commençait avec la vie ou même avant la vie , et qui ne finissait jamais qu'avec elle, Lycurgue faisait de tous les Spartiates , des hommes aux formes les plus belles, au tempérament le plus sain, au corps le plus robuste. Par-là, il pré- venait à Lacédémone toutes les difformités et toutes les inégalités physiques si communes partout ailleurs. Il n’était pas jusqu’à l'inégalité de force prove- nant de la différence des sexes, qu'il n’efflaçät presqu'entièrement par lhabitude soutenue des mêmes exercices, auxquels il assujetissait égale- ment les hommes et les femmes. Aussi, combien de fois le sexe ailleurs si faible, si timide et tou- 256 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. jours en tutelle, ne rivalisa-t-il pas, à Sparte, de courage et de force avec le nôtre? Quant à l'inégalité des âmes, de toutes la plus frappante dans l'espèce humaine , Lycurgue savait, aussi-bien et mieux que l'auteur d'Emile, qu'en nous l’éme commande à un corps fort, et obéit à un corps faible. C'était donc déjà beaucoup, pour assurer l'empire de lâme , que d’avoir formé des corps sains et robustes. Mais ce n’était pas encore assez; combien, en effet, de soins, de penchans, de besoins, de désirs, d’affections , de sentimens, enfin, de passions , d’habitudes, qui tendent à dé- grader l’âme de sa noblesse, à Pamollir, à Pacca- bler, à l’abattre , à lui ôter toutes ses forces! Jaloux de mettre ses Spartiates à l'abri de ce danger, Ly- curgue les déchargea de tous les soins de détail qu’exige l'entretien de la vie : remplaçant toutes les affections privées par l’amour de la patrie et de la liberté, tous les besoins par celui de la gloire, tous Les désirs par une noble émulation de mérite, toutes les espèces de vanité par l’orgueil national. Il restait à prévenir ou à faire disparaître liné- galité naturelle des esprits. Lycurgue, sans doute, était loin de penser, comme Helvétius, que tous les hommes, sans distinction de sexe, de couleur , de constitution physique et morale, de gouverne- ment, de siècle, de climat, soient également sus- ceptibles d'acquérir les mêmes connaissances. Mais il jugeait avec raison que, sous le même ciel et les mêmes lois, dans l’enceinte d’une même ville, avec une âme également forte, un corps également MÉMOIRES. 357 robuste , des hommes préparés par une même éducation et constamment soumis à une même discipline, pouvaient acquérir la même étendue d'esprit, à Paide dune instruction bornée aux objets nécessaires, dans une société réduite elle- même aux seuls besoins de la nature. A Sparte, cette instruction pouvait être com- mune à tous, et la même pour tous : car il ny avait là, ni riches, ni pauvres, ni nobles, ni plé- béiens, ni propriétaires, ni colons, ni artistes, ni artisans, ni hommes de commerce, ni hommes de profession ; il n’y avait que des citoyens, que des hommes, et des hommes en tout égaux les uns aux autres. Lycurgue ne se contenta donc point doffrir également l'instruction à quiconque vou- drait la recevoir; il ne permit pas qu’elle fût libre, car beaucoup auraient pu la négliger : il la rendit forcée , il Pimposa comme une nécessité, à laquelle nul absolument ne pouvait se soustraire; et, pour en assurer leflet, il voulut qu’elle se continuat pendant toute la vie. Les méthodes, la matière d'enseignement, tout était réglé, fixé par la lot. Quant aux maîtres , il n’y en avait qu’un à Lacé- démone, la loi elle-même représentée par ses ma- gistrats les plus considérés, les plus dignes de l'être. Nulle part, linstruction ne fut jamais si favorisée, si bien dirigée, si bien surveillée : elle était là ce qu’elle devrait être partout, la prin- cipale branche de Padministration et le premier objet du gouvernement. Il n’y avait pas un seul Spartiate qui, des âge 258 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. de 7 ans, ne sût lire et écrire ; pas un qui, dès l’âge de 9, ne sût fort bien sa langue, la seule dont alors on eût besoin en Grèce : et comme l'étude de la langue fut et sera toujours en tout pays la plus essentielle de toutes , l'enfant la commençait au sortir du berceau, et le vieillard la continuait encore sur le bord de la tombe. A Sparte, on avait su de tout temps ce que Locke et Condillac ont prétendu nous enseigner si tard, et que nous semblons ignorer encore ; je veux dire que la source la plus abondante de nos erreurs est dans l’abus des mots, et sur-tout dans le trop grand nombre de termes employés à rendre la pensée. Il n’était rien dans l’analogie, dans le génie , dans l’accent de la langue, dont un Spar- tiate ne fit une étude assidue; et si nous voulons juger des progrès, nous en avons un moyen facile et certain. L'on sait à quel point était délicate Po- reille des Athéniens sous le rapport de la langue : une simple marchande d'herbes jugea Théophraste étranger, à la manière dont ce philosophe prononça quelques mots en passant devant elle; Eschine, en pleine assemblée du peuple, interrompant Démos- thène au milieu d’une de ses plus belles harangues : « Qu’entends-je, s’écria-t-il, ces mots sont-ils do- » rigine barbare où d’origine grecque ? Cette pro- » nonciation est-elle Thrace ou Attique ?..... » Ja- mais on ne fit à Athènes une semblable observation sur aucun mot sorti de la bouche dun Spartiate : et, cependant , combien d'occasions n’en aurait-on pas eues, à cause des rapports continuels que le «t MÉMOIRES. 25 voisinage établissait entre les deux républiques , et des nombreuses députations qu'elles s’envoyaient réciproquement ? Ne pensons pas qu'à Lacédémone l'instruction se bornât à l'étude de la langue. Cette étude , Sans doute, était une des principales : mais, néanmoins, la langue n’était considérée que comme un instru- ment nécessaire pour acquérir les diverses connais- sances qui doivent orner un esprit porté aux gran- des choses ; et quelles connaissances que celles dont s’occupaient les Spartiates ! Au lieu des nouvelles insignifiantes que se demandaient les Athéniens en se promenant sur la place publique, ainsi que le leur reproche Dé- mosthène ; au lieu des vaines subtilités dont on s’occupait dans les diverses écoles, et auxquelles Socrate ne prit jamais part qu’en riant de pitié ; au lieu de ces riens si stériles en eux-mêmes , et sur lesquels se montraient si féconds en paroles les Lonnétes gens d'Athènes , soit dans les bouti- ques de parfumeurs , soit dans les salons de la ville où ils seréunissaient pour s’aider mutuellement à user leur temps en bagatelles harmonieuses : la loi, à Sparte, formait elle-même les réunions de citoyens , n’y souffrait d’autres sujets de conver- sation que ceux qu’elle donnait elle-même par l'organe des magistrats; et ces sujets, toujours graves et sérieux, avaient rapport à ce qu'offraient de plus important la morale , la religion, la poli- tique, la guerre, les intérêts de la famille ou ceux de l'état. Pendant que les hommes mürs, tout 260 INSCRIPTIONS ÊT BELLES-LETTRES. entiers à la discussion de ces grandes questions ; donnaient chacun à leur tour un avis convenable et le motivaient en termes naturels, propres et sur-tout précis , les jeunes gens écoutaient en silen- ce , attentifs à ce qu'ils entendaient , et avides d'en nourrir leur esprit. Mais comme c’était principale- ment leur instruction que se proposait la loi, le magistrat, au moment où ils sy attendaient le moins , les interrogeait au hasard, tantôt lun, tantôt l’autre, sur des points relatifs à la question principale ; et s’il y avait la moindre hésitation, si la réponse n’était pas à la fois, nette, claire, directe, satisfaisante, en style pur, correct et laconique , un châtiment sévère punissait sur le champ le manque de présence d'esprit , de sagacité, de pénétration , de connaissances grammaticales où de concision...…. Il est, dit Condillac , tel problème de morale, de politique, d'utilité sociale, qu'un homme de nos jours, müri par les ans et fort éclairé , ne résoudrait pas ou résoudrait mal en dix jours et quarante pages, et sur lequel un jeune Spartiate de vingt ans aurait satisfait lesprit le plus difficile en deux secondes et quatre mots. Telle était l'instruction que recevaient les Lacé- démoniens..…. Sommes-nous curieux de savoir si elle valait les lumières d'Athènes ? Consultons les Athéniens eux-mêmes. Si, dans leurs démêlés avec Sparte , ils recevaient une députation Lacédémo- nienne , et qu’un de ses ambassadeurs se levät pour réfuter les motifs exposés par ses adversaires : le peuple d'Athènes avait beau être juge et partie, MÉMOIRES. 261 ce qui devait suffire pour donner de la confiance à ses orateurs, ceux-ci demeuraient immobiles de peur ; Phocion lui-même, Phocion, celui de tous les orateurs Athéniens qui avait le plus négligé les vaines théories de sa patrie pour se modeler sur la sage pratique de Lacédémone, Phocion que Démosthène ne vit jamais monter à la tribune pour lui répondre, qu'il ne s'écrit : Voilà la hache qui va trancher mon discours ; Phocion pâlissait comme les autres : tant il est vrai, comme l’a dit un des plus grands écrivains du dernier siècle, que les Athéniens craignaient encore plus l’éloquence et les mots des Spartiates , qu’ils n’en redoutaient le courage et les armes. Oui, l’auteur d’Anacharsis a raison : il y avait plus d'instruction solide à Sparte qu’on ne trouvait de vaines lumières à Athènes. Et qu’on ne s’étonne pas si je traite de vaines les prétendues lumières des Athéniens. D’abord , les vraies lumières ne sont ni ne peuvent être que pour un très-petit nombre d’hommes: tout le reste, au sein même de Ja nation la plus privilégiée, n’en reçoit que quelques rayons mille fois réfléchis, mille fois réfractés , et qui l’égarent le plus souvent au lieu de Péclairer. Mais y avait-il chez les Athé- niens un seul homme véritablement savant? Où en était, je le demande, la physique? où en était l'astronomie ? où en étaient toutes les sciences naturelles sans exception ? Qu'on en juge par la foule” des systèmes ridicules imaginés sur le prin- cipe des choses : qu'on en juge par la sentence TOME III, PART, II 18 262 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES: publique qui fit subir la peine de l’exil perpétuel à astronome qui avait osé dire que le soleil pou- vait bien être une pierre enflammée aussi grande que le Péloponèse....… Voudrait-on se rejeter sur les sciences philosophiques proprement dites? Mais quelle lumière pouvait donc jaillir du choc de tant d'écoles , toujours aux prises les unes avec les autres, et chacune avec elle-même ; abordant tout , sapant tout, réduisant tout à rien, et se résolvant enfin au matérialisme, au fatalisme , au scepticis- me , à l’acatalepticisme même ? Et voilà ce qui légitime l’assertion de M. Barthé- lemy, que /es Athéniens étaient le moins instruit de tous les peuples. Il est, dit Saint-Lambert , une ignorance acquise pire que l'ignorance natu- relle : au moins celle-ci peut se dissiper à la présence de la vérité, si jamais elle la rencontre ; mais la première la nie, Pétouffe , et met, à force de sophismes, dans l'impossibilité de la reconnai- tre , de l’apercevoir même, quand elle soffrirait mille fois avec tout ce qu’elle peut avoir d'éclat propre à frapper les yeux. Or, ne pensons pas qu'il ait fallu long-temps aux lumières tant vantées des Athéniens, pour détruire chez eux toute instruction proprement dite. Ce fut Périclès qui, le premier, introduisit les lumières dans Athènes : il eut pour contempo- rain Socrate ; et Socrate, encore dans la force de l'âge , périt victime des sophistes ; méprisables charlatans de science, qui, sous prétexte de ré- pandre les lumières, faisaient voler à tous les yeux MÉMOIRES. 263 ce qu'il y avait de plus subtil et de plus corrosif dans la poussière étouffante de toutes les écoles. Voulez-vous savoir maintenant combien Jean- Jacques a raison de dire que plus un peuple est raisonneur, moins il est raisonnable ? Voyez com- bien les Athéniens, si raisonneurs, avaient peu de raison, et comme , en peu d'années, ilsse perdirent à force de folies et d’extravagances. Péricles, dit- on, leur ouvrit le premier les yeux: et les yeux ainsi ouverts , ils se privèrent des lumières si utiles de PAréopage ; ils se précipitèrent dans la guerre du Péloponèse , pendant laquelle ils se déshonorë- rent par des fautes et des horreurs qu’on ne par- donnerait point à des sauvages, et qui, en moins de vingt-sept ans, les aurait conduits à leur ruine entière, si, par pitié ou par mépris pour eux, Lacédémone n'avait préféré les laisser vivre sous le joug ignominieux des Trente... Bientôt la guerre des Exilés les fait fondre impétueux les uns sur les autres : le sang coulait à torrens parmi des flots d’écume, et le combat allait finir faute de combattans, quand Socrate se jeta courageusement au milieu de ces tigres affamés de carnage, et parvint à les arracher d’entre les dents les uns des autres : pour récompense d’un tel service, au bout de quelques années , ils condamnent leur sauveur à boire la ciguë ; et, le lendemain, comme des enfans incapables de se modérer dans un seul de leurs mouvemens , ils se vengent de leur propre folie sur l’accusateur et les juges de leur victime... Conon , dont ils n’étaient pas dignes, leur rend, 18. 264 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. sans eux et par les Perses, une patrie qu'ils auraient dû défendre au moins après lavoir recouvrée contre toute attente: ils sont menacés par un nouvel ennemi plus formidable qu'aucun autre ; et ils ne s'occupent que de fêtes, de spectacles et de plaisirs ; il faut que leur premier orateur brave une mort presque certaine, pour leur proposer de ne point prostituer, à payer des places au théâtre, l'argent déposé entre leurs mains pour la défense de la Grèce : ils n’ont d’yeux que pour admirer des acteurs , des tableaux ou des statues ; ils n’ont d'oreilles que pour écouter des poètes, des haran- gueurs et des sophistes ; ils n’ont de voix que pour opiner follement contr'eux-mêmes , en croyant servir leurs plus chers intérêts. Amusés, étourdis, vendus par leurs orateurs, ils ouvrent à Philippe, dans leurs guerres sacrées , le défilé des Thermo- pyles, et, contre l’avis d'Hypéride, le seul général qui leur restât encore, ils osent tenter le sort des batailles, quand il est évident qu'ils n’ont aucun moyen de vaincre. Défaits, mais sauvés par le même guerrier dont ils avaient d’abord méprisé les avis, ils triomphent de lassassinat commis sur la personne de Philippe, et osent mépriser Alexandre , qu’ils avaient eu cependant occasion de connaître dans l’aflaire de Chéronée : ils riaient encore , quand ce jeune héros les força de marcher sous ses enseignes , et les traîna comme en triomphe à la conquête du monde ; ils eurent la bassesse de l’adorer comme un Dieu, tandis que les Macédoniens s’indignaient en frémissant de voir MÉMOIRES. 265 les droits imprescriptibles du Ciel usurpés par leur Roi... Après la mort d'Alexandre, il leur restait encore Phocion , pour adoucir le joug despotique d’Antipater : par un dernier trait de folie, ils se ven- gerent sur Phocion , comme ils avaient fait sur Socrate, des services qu’ils en avaient reçus et detout le bien qu’ils devaient en attendre. Après Phocion, il ne leur reste plus rien (car, en comparaison d’un si grand homme qu’était le rhéteur Démétrius qu'ils condamnèrent aussi à boire la ciguë après lui avoir érigé 360 statues, mais qui n’eut pas le courage de mourir ? ) après Phocion , dis-je , il ne leur reste plus rien , ils ne sont plus rien eux- mêmes ; et depuis cette époque, ils ne figurent plus dans Phistoire , que pour faire rougir d’eux, et presque de lhumanité. — Je ne parle que des folies de ce peuple tant vanté pour ses prétendues lumières ; je me tais sur ses mœurs dépravées , et sur ces vices infâmes dont la calomnie n’a pas craint de faire soupçonner Socrate lui-même, et dont l’idée seule révolte la raison. — Combien de temps fallut-il aux Athéniens pour tomber ainsi du faîte de la gloire et de la puissance au dernier degré de la honte et de la dépravation ? Il s'était à peine écoulé vingt-neuf ans de la mort de Péri- clès à la naissance de Phocion. De toutes les vérités sorties de la plume étin- celante de Voltaire, celle dont Voltaire lui-même paraît le plus frappé, celle qui doit le plus frapper tout esprit capable de réflexions, c’est que {a re- ligion est la raison du peuple. Ox, à moins de 266 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. donner un démenti formel à l’histoire, on ne peut pas ne pas reconnaître que , chez les Arthéniens, le premier eflet des lumières qu’on leur attribue, fut de multiplier à infini les Alcibiade et les An- docide dans la classe qui passait pour éclairée, et d’étouffer ainsi toute croyance dans le peuple. Après cela , devons-nous être surpris de ne trou- ver que folie dans Athènes? Devons-nous être sur- pris que Platon , l’homme en mème temps le plus instruit et le plus éclairé de son siècle , ait fermé la porte de sa république à tout ce qu’on regardait comme la source des lumières d'Athènes, et même au grand Homère auquel il devait la plus grande partie des siennes ? Devons-nous être surpris que Solon , prévoyant lavenir, ait levé son bâton sur la tête de Thespis, et que, plein d’indignation, contre ce créateur du théâtre grec, il ait laissé tomber de sa bouche ces mots prophétiques : «Mal- » heureux! si nous souffrons les fictions et les men- » songes dont tu fais un jeu dans tes pièces, ce » beau jeu passant dans nos contrats et dans toutes » nos affaires, aura bientôt perdu les mœurs pu- » bliques.» Non, la seule chose qui doive nous étonner, cest qu'après avoir tant médité sur les peuples anciens et sur ceux de son temps, l’auteur d'Émile wait pas vu, comme celui d’Ænacharsis , qu’il ne faut jamais confondre l'instruction avec les lumiè- res ; et que, par haine pour les secondes, il se soit déclaré contre la première, au point de ne montrer qu'un étre dépravé dans tout homme qui pense. MÉMOIRES. 267 Il ne craint pas d'évoquer en faveur de sa cause, les mânes révérés de Fabricius. Mais la seule idée de Fabricius aurait dû le tirer de son erreur. A cette époque, sans doute, Rome encore n'avait pas ouvert les yeux aux funéstes lumières qui Paveu- glèrent plus tard. Mais elle était bien loin d’être sans instruction : les deux sciences les plus difi- ciles et les plus importantes, celle du gouverne- ment et celle de la guerre, les seules dont elle eut besoin pour remplir ses hautes destinées, lui étaient plus familières qu’elles ne Paient jamais été à aucun peuple du monde. Il est vrai que Pétude pratique de ces deux sciences avait été long-temps bornée au sénat et aux membres les plus distingués de l’ordre des Patriciens; mais, depuis plus d’un siècle, lusage y admettait les hommes les plus marquans parmi les Plébéïens, et Fabricius lui- même était de ce nombre... Le roi d'Epire, quoi- que formé par les généraux d'Alexandre, et nourri par létude des nombreux ouvrages grecs sur la tactique militaire, ne put cacher son étonnement à la vue du premier camp romain qui s’offrit à ses yeux : «Ah! s’écria-t-il, je ne vois rien de barbare » dans Ja savante disposition de ces Barbares. » Il fut bien plus surpris encore des manoeuvres exécu- tées par les Romains dans la première bataille qu’il osa leur livrer, et qui lui coûta si cher, malgré l'avantage que lui procurèrent ses éléphans, espèce d’ennemis inconnue jusqu'alors en Italie : «Je suis » perdu, dit-il, si j'ai le malheur de remporter une » seconde bataille comme celle que je viens d’oh- 268 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. » tenir...» Il n’eut pas ce malheur ; et néanmoins il fut perdu : car désespérant du succès de la guerre contre des généraux aussi habiles et des troupes aussi bien exercées que celles que lui opposait Rome, il alla chercher de nouveaux ennemis ail- leurs, et périt de la main d’une femme dans la ville d’Argos. — Quant à la science du gouverne- ment, Cynéas, digne disciple de Démosthène, et jugé par Pyrrhus le plus grand homme d’état qu’eussent alors les Grecs, se trouva tellement effacé , sous le rapport de la science politique, par les sénateurs Romains, auprès desquels il avait été député par son maître, qu’au retour de son am- bassade , il n’eut que la force de dire : « La ville de » Rome m’a paru un temple, le sénat une assem- » blée de rois, et le peuple une hydre sans cesse » renaissante.. » Comment Jean-Jacques a-t-il pu ne voir que de l'ignorance au sein d’un peuple alors si peu étendu encore, et dont le gouverne- ment se composait de 300 hommes d’état capables d’exciter un si grand enthousiasme dans l'âme de Cynéas? Est-il une seule nation parmi les plus éclairées et les plus nombreuses de nos jours , qui püt en trouver, je ne dis pas autant, mais même la dixième partie ? Pour quiconque est digne de lire et capable de juger , il est évident que, dupe lui-même d’un pré- jugé commun dans son siècle et dont nous sommes loin d’être guéris dans le nôtre, Jean-Jacques n’a pas su distinguer entre l’éstruction et les lumières , et qu'il ne voyait qu'ignorance où ne brillaient pas MÉMOIRES. | 269 les secondes. Ses adversaires ont tous été dans la même erreur que lui; d’où vient que pas un n’a pu le réfuter que par des lieux communs usés depuis long-temps et propres seulement à exercer un ta- lent inutile à la vérité. Il état temps qu’enfin un homme nourri des faits positifs de l’histoire, vint par une seule observation , fruit d’une étude pro- fonde et heureuse, faire crouler en un instant et l'édifice brillant élevé par léloquence de Jean-Jac- ques, et l'énorme tas de volumes entassés par tant de pygmées contre le premier essai d’un géant. L’ignorance ne convient qu’à des sauvages où à des esclaves : instruction est nécessaire à l’homme, ou, pour mieux dire, elle nous fait hommes ; seule elle peut nous rendre dignes d’une vraie liberté. Peut-être l’auteur d’Anacharsis mavait-il pas seulement en vue de réfuter Rousseau ; peut-être était-il frappé des folles et pernicieuses théories , qui, dans le temps où son ouvrage occupait tous ses momens , égaraient des esprits d’ailleurs très- éclairés, tels que celui de Voltaire, de Diderot, de dAlembert, d'Helvétius, de Saint-Lambert, et tant d’autres dont l'influence attirait à leur suite et faisait tomber sur leurs pas le siècle presqu’entier dans lerreur ; peut-être prévoyait-il l’'épouvanta- ble secousse qu’allait donner au monde le volcan allumé par des passions sans frein, et qui déjà com- mençait à gronder lorsque lui-même mettait la dernière main à son ouvrage. Mais il était tropinstruit, pour ne pas voir qu'au- tant les lumières des Athéniens étaient fausses, 270 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. autant les nôtres sont vraies, soit sous le rapport de la morale, grâces à l'évangile , soit sous le rap- port des sciences physiques, grâces à la marche heureuse que nous ont tracée Galilée, Descartes et Bacon. D I était trop instruit, pour ne pas voir que si usage des fausses lumières avait perdu autrefois la morale et la véritable instruction, l’abus seul des vraies lumières pouvait nuire aujourd’hui sous les mêmes rapports; et que, par la nature même des choses, l'abus du bien trouve tôt ou tard un remède dans le bien même qu'il rend un moment méconnaissable. Il était trop instruit, pour ne pas voir qu'au point de civilisation où est parvenue l’Europe , la situation propre de chaque peuple et ses rapports avec les autres rendent les lumières nécessaires à tous, et que labsence en serait plus nuisible que ne peut l'être Pabus, quelque grand qu’on le sup- pose. Rendons-lui donc hommage pour le service qu’il nous a rendu par la plus sage des vues, et n’éten- dons pas sa pensée au-delà des bornes qu'il lui a données lui-même : il n’est pas d'auteur d’où Pon ne puisse tirer des vérités utiles, n’eût-il eu dessein que de répandre lerreur ; il n’en est pas dont on ne puisse convertir l'ouvrage en poison, n’offrit-1] pour aliment à l’esprit que les vérités les plus im- portantes et Les plus utiles au genre humain. NOTICE SUR QUELQUES MANUSCRITS DE LA BIBLIOTHÈQUE D'ALBI, ET PARTICULIÈREMENT SUR LA PREMIÈRE TRADUCTION LATINE DE LA GÉOGRAPHIE DE STRABON , PAR GUARINI, DE VÉRONE ; Par M. pu MÈGE. Cnaque maison religieuse , chaque cathédrale possédait autrefois des collections de chartes et de manuscrits. Les guerres civiles du 16. siècle détruisirent dans beaucoup de lieux une partie de ces monumens ; plus tard on enleva aux monastères une foule detitres précieux qui furent ensevelis dans les archives du Royaume et dans la Bibliothèque du Roi. La révolution vint ensuite mutiler ou disper- ser une partie de ce qui nous restait de ces vieux documens, où respirait encore l’âme de nos pères , où Pon retrouvait leurs croyances, leurs préjugés, leurs lois et leur histoire. L'institution des biblio- thèques départementales aurait pu offrir des moyens de conservation pour le petit nombre des objets que les flammes et les Barbares avaient épargnés. Mais l'ignorance présida trop souvent à 272 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. la formation de ces bibliothèques; elle livra tantôt à des spéculateurs, tantôt à des bibliomanes, cestitres, ces manuscrits dont la possession aurait honoré les établissemens où ils avaient d’abord été déposés. Cest ainsi que la bibliothèque d'Albi a perdu une partie des manuscrits qui, dans les plus mau- vais jours, y avaient trouvé un asile. Un de ces amateurs infatigables qui consacrent toute leur vie au même genre de recherches, M. le Comte de Mackarty-Reag, habitait Toulouse depuis 40 années ; il y avait formé une bibliothèque célèbre dans toute l'Europe, et qui, perdue pour cette pro- vince, a été vendue à Paris. Il vint à Albi dans une de ses explorations bibliographiques, et il y remarqua plusieurs manuscrits précieux. Bientôtils devinrent sa propriété, et la bibliothèque du chef lieu du département du Tarn reçut, en dédomma- gement , l'Histoire Naturelle de Buflon et quelques autres ouvrages. Le savant irlandais était charmé de sa conquête , mais le bibliothécaire ne l'était pas moins, et l’on assure qu’il crut mème devoir témoi- gner toute sa gratitude pour M. de Mackarty , en consacrant le souvenir de cet échange en tête du catalogue des livres confiés à ses soins. Voici, néan- moins , les titres d’une partie des manuscrits qu’il avait cédés au savant irlandais. Le Pontificale Romanum , composé de 157 feuilles de vélin, orné de 206 miniatures, dont 42 grandes ; il y en avait qui n'étaient qu'ébauchées et d’autres au simple trait, mais toutes étaient dune trèes-belle conservation. MÉMOIRES. 279 Le Second livre de Perce-Forest, Roy de la Grande Bretaigne, in-folio, superbe manus- crit sur vélin, écrit à 2 colonnes, en caractères gothiques, dans le 15.° siècle, et consistant en 262 pages. Il est enrichi, dit M. Debure, que nous copions en partie, de miniatures de la plus grande fraicheur et de la plus belle conservation. Si cet ouvrage était complet, ajoute le célèbre li- braire, on pourrait le regarder comme un des plus précieux manuscrits en ce genre. Un volume de Disciplinalibus in quo continen- tur : Priscianus, de Grammatica. — M. T. Ci- ceronis Rhetoricorum, nempè libri duo de Inven- tone Rhet., et libri quatuor ad Herennium. — A. M. S. Boeti , Dialogus in Porphyrum à Victorino translatum. — Idem, Boetius in præ- dicamenta Aristotelis , in librum Aristotelis de interpretatione. — Interpretatio Analyticorum , Topicorum , Elenchorum. Interpretatio Libri Di- visionum. Topica Boeti. — Idem de Hypotheticis et Cathegoricis sy Uogismis. — Liber M. T. Cice- ronis de Locis. — Geometria Euclidis. — Arith- metica Boetii ; ejusdem Musice. — Almagestum Piolemcæi, seu de Astronomia, grand in-fol. Ce beau manuscrit, sur vélin, était, pour le moyen âge, une sorte d’Encyclopédie. Enrichi de miniatu- res et d’un grand nombre d’ornemens en or et en couleurs, de figures géométriques et astronomi- ques, et sur-tout de bordures d’un genre singulier, chargées de figures d'hommes et d'animaux extraor- dinaires, on pouvait le considérer comme l’un des 274 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. plus curieux monumens de notre calligraphie. Il offrait d’ailleurs un autre intérêt relativement aux personnages auxquels il a appartenu. On lit sur un feuillet blanc, au commencement de ce précieux volume , les mots suivans : ste liber fuit Domino Gregorio , Papæ XT. Ce pontifie gouverna l'Eglise de 1370 à 1378. Plus bas on lit encore : C’est livre de Prescian est à Jehan, fils du Roy de France , duc de Berry et d'Auvergne, comte de Poictou et d’Estampes , de Bouloigne et d’Au- vergne ; signé Flamel. Ce Flamel est, sans doute, Phomme fameux qui vivait à cette époque et qui, de la profession de simple écrivain sous le Charnier des SS; Innocens, parvint à une fortune considérable, et que les alchimistes regardaient comme l’un des plus célèbres adeptes. Au verso du dernier feuillet du volume on voit ces mots :C€ liure est au duc de Berry et d’ Auvergne, comte de Poic- tou, l'an 1392; signé Jehan. — Et plus bas : Ce livre est à Tehan Coignet, qui l’a acquis dudit Monseigneur de Berry ; signé Coignet. Nul recueil ne méritait plus que celui-ci de faire partie d’une bibliothèque publique. Mais on en jugea autrement à Albi, et ce livre est à jamais perdu pour les provinces méridionales et peut-être aussi pour la France. Parmi les monumens bibliographiques qui, au nombre de dix ou douze, devinrent ainsi la pro- priété de M. de Mackarty, je citerai particulière ment le livre intitulé /4 Fleur des Histoires (par Jehan Mansel (de Hesdin), formant 4 volumes , MÉMOIRES. 275 grand in-folio et ayant 2432 pages. Cest, selon M. Debure, un superbe manuscrit exécuté dans le 19.€ siècle, en caractères gothiques. Il est orné dun grand nombre de miniatures de toute gran- deur, peintes avec beaucoup de soin et de la plus belle conservation. L'ancien Bibliothécaire d'Albi (car il ne l'était plus en 1818, temps auquel je visitais la biblio- thèque départementale), me témoigna la peine qu’il avait éprouvée de n’avoir pas sous la main, lors de l'échange fait avec M. de Mackarty, un autre vo- lume manuscrit, fort inutile, me disait-il, et qui ne valait pas grand’chose. Je demandai à voir ce livre, et lon me présenta un petit in-folio , qui a conservé sa vieille relire. Deux belles miniatures sont placées au commencement, et je lus sur la troisième feuille ce titre : Strabonis , de situ orbis terræque descriptione liber X VTT et ultimus, in latinam conversus linguam absolutus est. Anno Christi MCCCCLTTIIT, tertio idus Tulias. Fer- rariæ. Une épître dédicatoire au pape Nicolas V, m’apprit que c'était la traduction, faite par son ordre, de la géographie de Strabon , traduction qui m'était pas terminée lors de la mort de ce souve- rain pontife. Une autre épître adressée à René d'Anjou, roi de Naples et de Sicile, par Jacques Antoine Marcellus , sénateur, me fournit de nou- veaux détails, et je ne vis pas sans enthousiasme que le hasard me faisait retrouver , sur les bords du Tarn, dans un pays assez étranger aux progrès des lettres, un des plus précieux monumens de leur renaissance en Italie. 276 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. Nicolas V, nommé, avant son exaltation, Thomas de Sarzanne , succéda à Eugène le 6 mars 1447, et fut couronné le 19 du même mois. Il rendit la paix à l'Eglise, en faisant consentir lanti-pape Félix IV à renoncer aux droits qu’il pouvait avoir au pon- tificat, Il aimait les lettres et les arts; il éleva des monumens publics dans tous les états de l'Eglise, et, par son ordre, de savans voyageurs furent recueillir partout des manuscrits Orientaux, Grecs et Latins. Il faisait traduire les livres Grecs pour que leur connaissance fût plus répandue. Nicolas V mourut le 24 du mois de mars 1455, et ses suc- cesseurs héritèrent de sa sollicitude pour Pavance- ment des études et pour les progrès des belles- lettres et des arts dépendans du dessin. Parmi les savans qui reçurent le plus de dis- tinctions de Nicolas V, on remarqua sur-tout Gua- rini. Cet écrivain était né à Vérone, vers l’an 1370, de l’illustre famille des Guarini. On ne connait point son prénom et peut-être wen avait-il pas. Maffei dit à ce sujet : « In niuna scrittura di que tempi si è veduto mai con altri nomi che di Gua- rino : non essendo allora usati ancora i cognomi da tutti, ma il suo nome divento cognome ne? discen- denti, reso illustre et da lui , e da loro. » D'abord disciple de Jean de Ravenne, grammai- rien célèbre, il fut plus tard à Constantinople, et étudia la langue grecque sous Manuel Chrysoloras. Il avait vingt ans lorsqu'il arriva dans cette capitale ; il y resta cinq années. De retour dans sa patrie, il fut le premier italien qui depuis la chute MÉMOIRES. M7 de l'empire romain y enseigna la langue grecque : on a de lui plusieurs ouvrages remarquables et quelques traductions. Nicolas IT, marquis de Ferrare, l'attira dans cette ville. Il sy maria, et sa postérité y subsistait encore vers le milieu du 18.° siècle. Il sortit quelquefois de Ferrare; mais il y revint passer ses dernières années, et il y mou- rut le 4 décembre 1460. Son tombeau fut placé dans l’église de San Paolo, et Baptiste Guarini, surnommé lAÆncien, le plus savant de ses fils, com- posa pour lui cette épitaphe : Que per te oixit Musarum cura, Guarine, Græca , latina simul , te moriente dolet. Quam superis tua casta fides , moresque placerent, Lustra tibi vitæ nona bis acta probant. Quod Verona dedit, rapuit mors improbe corpus : Quod virtus peperit , restat in orbe decus. Maflei place Guarini au premier rang parmi ceux qui ont remis en honneur les lettres grecques et latines. Il eut pour disciples et pour émules, cette foule d'hommes illustres qui, à la fin du 15. et durant la première moitié du 16. siècle, furent la gloire de lltalie. Léonard Aretin a fait son éloge , et Janus Pannonius, Evèque des Cinq-Eglises, lui a consacré un Panégyrique en vers. Le Pape Nicolas V avait chargé Guarini du soin important de traduire en latin la géographie de Strabon. Ce travail n’était pas terminé lorsque le pape mourut. Selon Vossius , Guarini aurait seu- lement traduit les dix premiers livres en concur- TOME NII, PART, II, 19 2786 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. rence avec Grégoire Tiphernas, qui avait, dit-il, traduit les sept derniers. Il y a eu plusieurs éditions de cette traduction. La première fut faite à Rome, vers l’an 1470, in-fol. par les soins de Jean André, évêque d’Aléria , qui la dédia au Pape Paul IL , et la deuxième à Venise, par Vindelinus de Spire, Van 1472. L’Evèque d’Aleria , dit dans sa préface, ce que Vossius a repété depuis, que Guarini n’a traduit que les dix premiers livres, et Grégoire Tiphernas les sept autres. Ce point de critique concernant la part que Guarini a eue à la traduc- tion de Strabon, et le sort de celle-ci, est dis- cuté, dit Moréri, avec beaucoup d’exactitude, dans la Disquisitio Nicolai F, Pont. Max. ersa litteratas et litteratos viros patrocinio, par M. D. Georgi, à la suite de la vie du même Pape Ni- colas V, écrite en latin et imprimée à Rome en 1742. Mais je n’ai pu voir cet ouvrage. Le Cardinal Quirini , dans sa Lettre au Sénat et au peuple de Brescia , rapportée dans son livre sur l’histoire littéraire de cette ville, parle à peu près comme Jean André ; mais Scipion Maffei (1), montre que Guarini a réellement traduit les dix-sept livres de Strabon. Nous citerons ici ce passage : «Se noi ci riportiamo allopinion comune,riportata dalVossio, dal Baiïle, e dal Fabrizio, Guarino non ne tradusse che dieci libri, e questi a emulazione di Gregorio da città di Castello, che n’avea prima tradotti (1) Verona illustrata degli Scrittori Veronesi, libro terco, p- 73 et 74. MÉMOIRES. 279 sette. Tanto si premette anche in pit stampe di Strabone : ma & ormai tempo che si sapia, tutto da capo a piede aver Guarino qu’ell autor tradotto , ed a lui aveme data la commissione il sommo Pon- tifice Nicolo quinto, benchè per esser questi morto quando dieci soli libri n’eran condotti a termine , lopera s’interrompesse, ed uscissero quei soli prima, e andasser per le mani da se. Nella libreria de’ SS. Gioan et Paolo in Venezia conservarsi tal versione con queste parole a piè di essa : Liber decimus sep- timus et ultimus à CL. Viro prestantissimoque om- nium præceptore in latinam, etc. Scriptus per me Aoannem Carpersem civem Ferrariensem anno MCCCCEXX Ferrariæ. Ma testimonio ancor piü certo se ne püo vedere nel museo del chiarissimo senatore Giacopo Soranzo, il qual possiede Poriginale istesso di propria mano del Guarino, con tutti hi dicias sette libri chiaramente e seguitamente scritti. Nel fine : Sérabonis de situ orbis terræque descriptione liber XV TT et ultimus in latinam conversus linguam absolutus est. Anno Christi MCCCCLVTIIT, tertio idus julias, Fer- rariæ. Nella coperta di tavola è incollata una carta col ritratto di Guarino in grande colorito e nelPul- tima pagina, che le sta dirimpetto, si hanno questi versi di Rafael Zovenzonio. In prototypam Guarini met effigiem Guarino mihi nomen erat : mea fama sub astris Fixa viget, longo terris sudore coalta Quippe ego Pierides profugas Helicone recepr , În patriamque dedi Sedes habitare lalinas ; 1O+ 280 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. Quæ mihi tunc grate munus te, Strabo , dedere Hospes eras barba impexa , Grecoque galero , Orbis inter mensus, jam confectusque senecla, Quem nondüm norant Itali. Mox ipse togatam Palliolo exuto induxi , vestemque Quirinam Pontifici summo ostendens ; qui Le ilicet ulnis Excipiens, charum sola mihi morte reliquit Inde peto Venetum Romana stirpe nepotem Marcellum, qui te gemmata in veste Renato Dat Regi dono. Totis hic gentibus unum Te gratum efficiet : cunctis tuæ gloria seclis Vivet , et omnivorans lœdet te nulla vetustas. « Nel principio del codice è l'Epistola dedicato- ria di Giacopo Antonio Marcello a Renato d’Angid Re di Napoli, in cui narra come Nicold quinto, incomparabil promotore delle migliori lettere, avea già scelto Guarino per far latino Strabone, e si era molto compacciute della parte, che Guarino gli presente : ma seguita la morte di qual Pontefñce , perchè tant’opera non rimanesse im- perfetta, avea egli preso a stimolar il Guarino accio la terminasse : il che avendo fatto , e dedi- cata a lui quest’altra parte con un secundo proe- mio , egli avea voluto dedicar tutta lopera , quasi fatta sua, ad un Re cosi benemerito delle lettere...… » Les preuves que Maffei fournit dans ce long pas- sage étaient sans doute trop concluantes pour ne pas avoir dissipé toutes les incertitudes. Mais ces preuves n’étaient pas connues de tout le monde, et Von croyait encore assez généralement que Guarini avait traduit que les dix premiers livres de Stra- MÉMOIRES. 281 bon. Le manuscrit d'Albi vient à l'appui de lopi- nion du savant Maffei, et ne laisse même aucun doute à cet égard. Il offre d’abord une préface adressée à Nicolas V, et que ce protecteur des lettres ne reçut peut-être pas, étant mort environ trois années avant la fin de la traduction (1). L’épitre au Roi (1) J'ai cru devoir rapporter ici cette préface, et conserver les abréviations que l’on y remarque; j'aurais désiré même qu’elle fût lithographice , afin d'offrir ici un spécimen de l’art graphique en Italie, à l'epoque où elle fut écrite. Clarissimi viri Guarint V'eronensis proemium in Strabonis translationem ad Beatissimum Papam Nicolaum quintum. Tuarum plerumq; rerum contemplatione adductus beatis- sime pater in e@ ventre soleo contentioëm plus ne tibi litterarum et bonarum artium studia : an tu illis debeas, q;ppe cum il- larum in Le tuiq; in illas ultro citrog; singularia extèt merita. Ille qui tibi fructum , famam decusq; peperut et ingenium mullis et magnis rebus adornatum reddiderunt. Tu nô contra illis splendorem dignitatem : gloriäq; compasti quæ majesta- tis sedem ac pontificale uncte fastigtum sibi ipis triphare : et vere in cœlum : ut dicitur : adsendisse videntur. Quid N. splendidius magnificentius : aut gloriosius vendicare possunt disciplinæ : et hec humanitatis studia : quem ut Romao Pôtr- Jiciet christiani nominis ductori adsistere se cognoscät et jac- tent : tantu nuq; artis extolluntur : et lanti fiunt q;t earum cullores profiessoresq; memoratur et celebrantur. Unde mili- tarem disciplinam juris ; civilis sciam ; Ptriam caeterasq; id genus vel hic maxime comendamus probamus admiramus. Q;a generosos homines, clarissimos principes inclytos, reges in eis versari solilos diximus: eisq; operam dicasse testamur. Quo circa memoriæ proditum est Alexandrum illum mag- num cum ad currendi certamen olÿmpiæ invitaretur id liben- der et strenue se factorum rôndisse : si reges emulos hiturus éêt en stadio. Ut aut Dominum nostrum Jesum Christum et hœc Alex. Maç- Dus. 282 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. René qui vient ensuité est encore plus explica- ve, et l’intérêt qu ’elle présente m’a engagé à en Da fie la partie la plus essentielle, —_—————— oo, dium Pop. sua imileris inpte. Cujus vicarius vestigia ferè sectaris in reli- id scriptores quis : absuntos jam morte scriptores : ut ille Lazarum et revocandos. , : = : AN alios permultos ad vitam revocas. Et mersos in tenebris in lu- cem retrahis : labentesq; per aetatem auctoris qi putrescentia cadavera in juveniles annos renovas : hinc Jactum est ut illi ï Re GE Le prèm recrealoreq; cognoscant preciosissima bibliotheca qù up. Yasa pre DC larissima suppellectile romanam locupletaturum eccle- ou siam : qu tanto reliquis oasis potiora sunt: quanto ar$entea vasa vel aurea alios usus et quid mulos expectant : codices aut ad sapiam ad religionem informandam loguentia sunt instrumenta. Eos tua cura visiluntia sumptibus magnis ad christianam presertim religionem pertinentes è greca lingua in roman& con- versos eloquium éè fama est. In quibus tucæ pariter majestatis nor ind. germinare ac florere posteritas aspiciet. Eo quid amplius : quo magnificentius ip beneficium minores intelli- Utilitaslec- gent. Intellectum amabunt amato fruentur e sanctorum et ous Moro iraq; virorum libris. Lucubrationibus et divinorum mandato- rum lectionibus datum est nobis : ut ad humane fragilitatis auxilium intercessores invitemus angelos,demones propulsemus peccata deleamus oilæ sanctitatem exoremus regni celestis beatitudinem fruendam fide ipsa pollicente speramus et quod sumum et amplissimum est : ipsa interprete lectione Dei veri Jfruimur alloquio pro quibus quid maximis et in mortalibus tuæ sanctitalis merilis omnis aetas tibi laudes , tibi gratias , 'otestas pon- {Di honorem non minus : quam Plolemæo Philadelpho so ficia Deo tri- , Ë : os Joe uta, Alexandriæ Regi decantabit ot persolet : qui divinarum se- creta scriplurarum per septuaginta interpretes ex hebrea lingua convertenda curaoit : et antè incarnati Verbi mysterium annis ducentis ot octoginta in lucem edux. et posteris mani- Jesta reliquit. Atq; legavit postremo commemoria Domini Dei nostri verbum a patribus antiquis in te legitia serie MÉMOIRES. 283 « Au très-sérénissime et très-illustre Roi René, » Antoine Marcellus se recommande en toute hu- » milité. » Cest un usage antique et encore observé, » sérénissime Prince, que chacun s’empresse de » déposer aux pieds des monarques des offrandes de » toute espèce, gages d'amour et de respect. Ce » sont des oiseaux dressés pour la chasse, des » chiens , des coursiers superbes ou des vases » précieux. Pour moi, voulant apporter à Votre » Majesté un tribut d’un nouveau genre, je lui ai » dédié un livre, eten cela je ne crois pas être » demeuré en arrière de mes rivaux. Les présens ———… oo derivatum quicquid ligaveris super terram ligatum erit et in cœlis ut q; late pateat divinitus attributa pontificali solio pitas oñderes terræ ac maris ambilum ; cujus imperium pe= nes te ë& voloit per singulas descriptum regiones mortalibus cognitum ée volvisti et q;q; per nros quo homines mundi for- mam compertam haberemus : grœæcum él teslem adhiber constituisti Strabonem scilicet oirum doctissimum et magna- rum rerum cognitione peritissimus : qui vel omissas vel ne- glectas : aut vetustate abolitas orbis pites adunguë restituil : et diligentissime designaoit populos : nationes : res geslas : flumina : montes : maria terminos ante oculos pomus eum tuæ sanctitatis tractus imperio in latinum vertere conatus sum non tam meo id est tenu ingenio quam mandatis gravitate fretus. More aüt majorum qui preclaras actiones consulart nomine insigrabant : hunc in codicis fronte titulum insculpen- dum esse censui. Strabo recte et acute perspiciens mundi designator acutissimus atq; solertissimus : üt et latinis pera- grandi orbis viam commôstraret. Guarini Veronensis inter- pretamento Italis quog; se aperuit pontificante Nicolao quinlo, eodemq; mandante. Strabo auc« tor orbis de scribendi. 284 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. » vils et fragiles qu’on vous offre le plus souvent, » ou brisés par l'usage, ou détruits par le temps, » s’évanouissent en vos mains, parce qu'ils n’ont » rien qui s'attache aux qualités de l'âme. Mais ce » que j'ose vous présenter ici, rendu chaque jour » plus florissant par la vétusté même, deviendra » pour lesprit une nourriture toujours nouvelle, » et comblera de savoir et de gloire celui qui en » sera possesseur. Voilà les avantages inappréciables » qui n’échappèrent point à l’âme sublime du con- » quérant Macédonien , de ce Prince immortel que » son amour pour les belles connaissances aurait » mis au rang des premiers des hommes, quand ses » autres qualités extraordinaires ne lui auraient » pas assigné la première place parmi les héros. » L'on sait la sentence admirable qu'il ne cessait » de répéter : J’aimerais mieux, disait-il, me » rendre célèbre par des talens supérieurs que » par un pouvoir sans bornes. Sentence sublime , » puisqu'elle servait à prouver, partant de sa » bouche, que le génie, fécondé, embelli par » l’étude, place de bien loin les hommes au-dessus » des autres hommes, les princes au-dessus des » autres princes, et leur donne je ne sais quoi de » supérieur et d’exquis. Ce sont là sur-tout les » vertus qui, dans les siècles qui ont précédé le » nôtre, ont été reconnues dans le livre que je dédie » en ce jour à Votre Majesté. Son histoire, que je » vais reprendre d’un peu haut, vous apprendra » que le très-saint père Nicolas V, de très-pieuse » et très-llustre mémoire, le père de la littérature » » MÉMOIRES. 285 et des beaux arts, le propagateur, le rémunéra- teur des sciences , fit ses soins les plus chers du- » rant qu'il vécut, des lettres latines , et n’eut rien » » » ») tant à cœur que de leur conserver toute leur dignité , d’en encourager la culture et de Porner de nouvelles richesses. Aussi, autant de temps vivra parmi nous la gloire des Muses romaines, » autant de temps la renommée célébrera les sain- » ) ) tes vertus de lillustre Pontife; elle dira que, rempli pour les lettres d’une religieuse recon- naissance , nuit et jour retraçant dans son àme tous les bienfaits dont elles lavaient comblé, élevé dans leur sein, nourri, fortifié par elles, à elles seules il devait sa prodigieuse élévation. Elle dira qu'il ne cessait de s’entourer d’hom- mes savans, d’érudits célèbres, de les exciter par ses louanges , de les récompenser par ses bien- faits. Par leur moyen, il enrichissait sans cesse les arts de nouvelles productions , ou remettait en lumière les anciennes. C’est alors que, du sein de la littérature grecque, on vit s'élever, dans les mains deces hommes privilégiés, une nouvelle littérature qui fut l’honneur du langage mo- derne, et l’on peut dire , avec juste cause, des trésors sans nombre dont alors ils nous enrichi- rent, que ce fut comme la substance des con- naissances anciennes, le suc le plus précieux et tout ce que l’on en pouvait retirer de noble et d'agréable. Il restait à mettre au jour de tous ceux qui se sont occupés de la description de » l'univers, le plus infatigable et le plus pénétrant : 286 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. » Strabon en un mot, dont les travaux paraissaient » ensevelis dans un oubli fatal. Le Saint Père ne » put souffrir plus long-temps ce délaissement in- » jurieux, et pour le tirer de lobscurité, il fit choix » d’un homme aussi recommandable par ses vertus » privées, que célèbre par son éloquence , Guarini » de Vérone, également habile dans la langue » grecque et dans la langue latine , et c’est de lui » qu’il attendit le soin de parer de toutes les grâces » du langage nouveau cet illustre monument d’une » langue morte. De son côté, il ne s’enflammait » pas moins d’un neble zèle en pensant qu'il allait » remettre, sous les yeux de tous les amis des » sciences , tant de pays célèbres , de villes ; de na- » tions dont le tableau fidèle était alors ignoré » aussi-bien que le docte géographe qui les avait » retracés...….. » Le manuscrit d'Albi étant conforme a celui du sénateur Jacques Soranzo, dont parle Maflei dans le passage que j'ai emprunté à sa V’erona illustrata, Il me paraît démontré aujourd’hui que Guarini à traduit seul les 17 livres de Strabon , et que les éditions qui annoncent le contraire et qui partagent entre Guarini et Grégoire Tiphernas, la gloire d’avoir tenté la première version du célèbre géo- graphe, ont trompé le public et trompent encore ceux qui les consultent. Les miniatures placées en tête de ce manuserit sont d’une belle exécution et d’une conservation ad- mirable. La première (r) représente Guarini offrant dupatèube suly al js SP EURE SPRL ES (1) Planche 1v. | MÉMOIRES. 287 son livre à Jacques-Antoine Marcellus. Dans la seconde (1), on voit Guarini à genoux présentant sa traduction au roi René, bien que Guarini fût mort et qu'Antoine Marcellus ait seul présenté le livre au Roi. La singularité des costumes , la vérité des portraits rendent ce petit tableau précieux. René, surnommé le Bon, roi de Naples et de Sicile, comte de Provence et de Poitou, aimait les lettres et les arts et les cultivait avec succès. Il choisit sa re- traite chez ses peuples de Provence, s’occupant de leurs besoins, de leurs plaisirs, de leurs fêtes ; il en fut tendrement chéri, et sa mort, arrivée à Aix le 10 juillet 1480 , fut le signal d’un deuil universel. On peut présumer que cet exemplaire de la tra- duction de Guarini a appartenu à René , et ce qui semble Le prouver c’est qu’on a représenté ce Prince en tête de ce volume, chose que l’on n'aurait point faite apparemment pour un exemplaire qui ne lui eut pas été destiné. Ainsi ce manuscrit, échappé à M. de Mackarty, a pour nous le triple intérèt de terminer une question à la fois historique et litté- raire, de nous offrir Les traits de Guarini, ce savant dévoué, qui fut chercher une solide instruction dans la Grèce pour la reporter en Italie, et de nous pré- senter de même l’image de cet excellent Roï qui fut surnommé /e Bon par ses sujets, épithète préférable à celles que la flatterie prodigue trop souvent aux conquérans et aux mauvais Rois. (1) Planche v. FIN DE LA 2,° PARTIE DU TOME HI. ADDITIONS. Premiere partie, page vij , mettez en note correspondante à la 20.° ligne : Cette impossibilité a force la Compagnie à renvoyer à un autre volume l'impression de plusieurs Me- moires de MM. Saint-Guilhem, Lécluse, Dujac, ete., etc.! Page xj, dans l’Erar DES MEMBRES DE L'ACADÉMIE , au- dessous de la 9.° ligne, placez celle-ci : M. le Marquis Apoz- PHE DE CHESNEL , Lieutenant-Colonel en retraite # %. = K NN — Qi à _ — EEE" TABLE DES MATIÈRES. » ë ; ? Pages. S ur l'Etude des Sciences historiques ; à POUIOLLS ENT, DE PI ENS PEN ARTE vV Sujets de Prix proposés par la Classe des DTSCFTDUONS ta 01e à diese cie thoein mesure x] SECONDE PARTIE. HISTOIRE ET MÉMOIRES DE LA CLASSE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. SECTION PREMIÈRE. ÉLOGES. Eloge de M. Rivet, par M. »’Ausuisso, MÉCRÉDITENERDELUELS STE IN LES" I Notice historique sur M. Alexis Larrey, par M, Ducasse ire ose As A soon 14 ni historique de M. de Carney, par M. »’Aveuisson, Secrétaire perpétuel... 29 Notice sur M. le Colonel Verpeau, de RD MER se ee se oo ta AO Notice sur M. Boudon de Saint-Amans, DA L DURÉE... se - code es «.e 57 Notice sur M. J. F. Champollion jeune, pari ou MÉGERMENMR ie nd D ue 69 200 TABLE DES MATIÈRES. SECTION DEUXIÈME. HISTOIRE. Analyse des Travaux de la Classe des Ins- criptons et Belles-lettres pendant les années 1828, 1829, 1830, 1831, 1932, 1093-+. CE rc Ou ETES III Effets de l’action des Académies sur le perfec- tionnement des arts de l'esprit, par M. Tayan. Jbid. Pages. Extraits d’un autre Discours de M. Tayan.... 130 Autres Extraits d’un Discours d’ouverture pro- noncé par M. Taraw: 0 20. Te 145 Objet et Statistique de la Philosophie, par M. GATIEN-ARNOUET. .ussessosessrseoe 157 Origme de Paction publique, par M. Decron DE Livesnow, Correspondant. ............ 160 De l’influence du Commerce et de la commu- nication des peuples entr’eux, sur les Lettres et les Sciences , par M. Casaxrous........ 169 Discours sur le rapport entre le Génie d’inven- tion et celui de découvertes , par M. Casan- DISSERTATIONS ET MÉMOIRES. Dissertation sur les Langues écrites , et no- tamment sur le système graphique des Chinois et des Egyptiens, par M. Fr. LÉCEUSE cie a PE ST RE 201 Mémoire sur le rapport entre les Lumières et l’Instruction, par M. Casaxrous..... 241 Notice sur quelques Manuscrits de la biblio- thèque d'Albi, par M. pu Mice....... 271 FIN DE LA TABLE, s F de, s dià L LIVE PR TA pes vu A” 7? LEZ GA Et | cec 2000000000000000000600000000060600600000000860000000066080660666000060600060060668666666 + © DO000000000090990999900 has far tq ele : ais La fe CHAONT QTR © © © © © © © 1 | © © © © [1 © x | © | © © © [2 © © © © © © © © © ©. © L | © e de: © © © y |@ © : © © © © © © © 8 °9299999 z (A x IN ID A } \ |