HISTOIRE NATURELLE. TOME #lif. nat, Tome V. À HISTOIRE NATURE PTIE GÉNÉRALE HT PARDICQULIÈRE, Par M. LE COMTE DE BUFFON, INTEN« DANT DU JARDIN DU ROI, DE L'ACADÉ- MIE FRANÇOISE ET DE CELLE DES SCIEN- CES ; @C. Tome F. = 7 AUX DEUX-PONTS, Cuez SANSON & COMPAGNIE M, DCC, LXXXV, SU TE. HISTOIRE NATURELLE. HISTOIRE DE L'HOMME. Warières dans l'Efhèce humaine, FOUT ce que nous avons dit jufqu'ici de R la génération de l'homme , de fa forma- tion , de fon développement , de fon état dans les différens âges de fa vie, de fes fens & de la ftruéture de fon corps, telle qu’on la connoît par les difleétions anatomiques, ne fait encore que l’hiftoire de l'individu; ceHe de l’efpèce demande un détail particu- lier , dont les faits principaux ne peuvent fe tirer que des variétés qui fe trouvent entre les hommes des différens climats. La premie- re & la plus remarquable de ces variétés eft elle de la couleur, la feconde eft celle de À 3 6 Æifloire naturelle la forme & de la grandeur , & la troifième ef celle du naturel des différens peuples : cha- cun de ces objets confidéré dans toute fon étendue, pourroit fournir un ample traité; mais nous nous bornerons à ce qu'il y a de plus général & de plus avéré. En parcourant dans cette vue la furface de la terre & en commençant par le nord, on trouve en Lapponie & fur les côtes fep- tentrionales de la Tartarie , une race d’hom- raes de petite ftature , d’une figure bizarre, dont la phyfonomie eft auf fauvage que les mœurs. Ces hommes qui paroïifient avoir dégénéré de l’efpèce humaine , ne laiflent pas que d’être. aflez nombreux & d'occuper de très vañtes contrées : les Lappons Danois, Suédois, Mofcovites & Indépendans , les Æembhens, les Borandiens, les Samoïeces, Îles Tartares feptentrionaux , & peut-être les Offiaques dans l’ancien continent , les Groën- Jandois & Îles Sauvages au nord des Efqui- maux dans l’autre continent , feriblent ètre tous de la même race qui s’eft étendue & multipliée le long des côtes des mers fepten- trionales dans des déferts & fous un climatin- habitable pour toutes les autres nations. Tous ces peuples ont le vifage large & plat (a), le nez camus & écrafe , l'iris de l'œil jaune- (a) Voyez le voyage de Regnard, tome ler. de fes Œuvres, page 169. Voyez aufh il Genio vagante del conte Aurelio degli Anzi. 1h Parma 1691 , & Les voya- ges du Nord faits par les Hollandois, ne dé l'Homnie. 7 brun & tirant fur le noir (2), tes paüpieres retirées vers les tempes (c), les joues ex- trêmement élevées, la bouche très. grande, le bas du vifage étroit, les lèvres grofles &c relevées , la voix grêle , là fête groffe , les cheveux noirs & lifles, la peau bafanée ; ils font très petits, trapus ; quoique maigres la plupart n’ont que quatre pieds de hau- teur, & les plus grands n’en ont que quatre & demi. Cette race eft , comme l’on voit, bien différente des autres; il femble que ce foit une efpèce particuliere dont tous les in- dividus ne font que des avortons ; car s'il y a des différences parmi ces peuples , elles ne tombent que fur le plus ou ie moins de dif- formité : par exemple ; les Borandiens font encore plus petits que les Lappons , ils ont Piris de l'œil de la même couleur; mais le blanc eft d’un jaune plus rougeätre ; ils font aufh plus bafanés , & ils ont les jambes grof- “fes, au lieu que les Lappons les ont menues, Les Samoïedes font plus trapus que les Lap- ons , ils ont la tête plus grofle , le nez plus arge & le teint plus obfcur ; les jambes plus courtes, les genoux plus en dehors , les cheveux plus longs & moins de barbe. Les Groënlandois ont encore la peu plus bafa- née qu'aucun des autres , ils font couleur d'olive foncée ; on prétend même qu'il y et a parnu eux d’aufh noirs que les Ethiopiens. RSR nnonenneneenr mme À (6) Voyez Linnai Faura Suecica. Stockolm , 1746, Age 1, ; {c) Voyez la Martiniere, page 39. A 8 Hifloire nattrelle, Chez tous ces peuples les femmes font auf laides que les hommes, & leur reflemblent {1 fort qu'on ne les diftingue pas d’abord : celles de Groënland font de fort petite tail- le, mais elles ont le corps bien proportion- né ; elles ont auf les cheveux plus noirs &c la peau moins douce que les femmes Samoiïe-- des ; leurs mamelles font molles & fi lon- gues, qu’elles donnent à tetter à leurs en- fans par-deffus l’épaule ; le bout de ces ma- melles eft noir comme du charbon , & la. peau de leur corps eft couleur olivâtre très: foncé : quelques voyageurs difent qu’elles. m'ont de poil que fur la tête, & qu’elles ne- font pas fujettes à l'évacuation périodique: qui eft ordinaire à leur fexe ; elles ont le vi- | jage large, les yeux petits, très noirs & très: vifs , les pieds courts aufhi-bien que les mains, ëx elles reflemblent pour le refte aux fem- mes Samoiedes. Les Sauvages qui font-aw nord des Efquimaux , & imèême dans la partie: {eptentrionaie de lifle de Terre - neuve refflemblent à ces Groënlandois ; ils font com- me eux de très petite ftature , leur vifage ef large & plat , ils ont le nez camus , mais; les veux plus gros que les Lappons (4). Non-feulement ces peuples fe reffemblent par la laideur , la petitefle de la taille , I& couleur des cheveux & les veux, mais ils. ont auffi tous àa-peu-près les mêmes inclina- tions & les mêmes mœurs ; ils {ont tous. (d) Voyez le Recueil des voyages du Nord 1716, Tome I, page 130 3 & tome IT, page 6. t de l'Homme 9 également groffiers , fuperftitieux , ftupides. Les Lappons Danois ont un gros chat noir auquel ils difent tous leurs fecrets, & qu'ils confultent dans toutes leurs affaires, qui fe réduifent à favoir s’il faut aller ce jour-là à la chafe ou à la pêche. Chez les Lappons Suédois il y a dans chaque famille un tam- bour pour confulter le diabie ; & quoiqu'ils foient robuftes & grands coureurs , ils font fi peureux qu’on n’a jamais pu les faire al- ier à la guerre. Guftave-Adolphe avoit en- trepris d'en faire un régiment , mais il ne put jamais en venir à bout; il femble qu'ils ne peuvent vivre que dans leur pays & à leur façon. fls fe fervent, pour courir fur la neige , de patins fort épais de bois de fapin. longs d'environ deux aunes & larges d’un: gemi-pied ; ces patins font relevés en pointe fur le devant & percés dans le milieu pour y pafler un cuir qui tient le pied ferme &r im- mobile ; ils courent fur la neige avec tant de vitefle qu’ils attrapent aifément les ani- maux les plus légers à la courfe ; ils portent un bâton ferré, pointu d’un bout & arrondi de l’autre : ce bâton leur fert à fe mettre en mouvement, à fe diriger, {e foutenir , s’ar- rèter . & aufñ à percer les animaux qu'ils pourfuivent à la courfe; ils défcendent avec ces patins les fonds les plus précipités, -& montent les montagnes les plus efcarpées. Les patins dont fe fervent les Samoïedes, font bien plus courts & n’ont que deux pieds de longueur. Chez les uns & les autres les femmes s’en fervent comme les hommes ; ils. writ aufh tous l’ufage de l'arc, de l’arbalète 30 Hifioire naturelle. & on prétend que les Lappons Mofcovites lancent un javelot avec tant de force & de dextérité , qu'ils font sûrs de mettre à trente pas dans un blanc de la largeur d’un écu , &c qu’à cet éloignement ils perceroient un hom- me d’outre en outre ; ils vont tous à la chaffe de l’hermine, du loup cervier , du renard, de la martre, pour en avoir les peaux , & ils changent ces pelleteries contre de l’eau-de- vie & du tabac qu'ils aiment beaucoup. Leur nourriture eft du poiflon fec, de la chair de renne ou d'ours ; leur pain n’eft que de fa farine d’os de poiflon broyée & mêiée avec de l'écorce tendre de pin ou de bouleau: la plu- part ne font aucun ufage de fel ; leur boiïffon eft de l’huile de baleine & de l’eau, dans la- quelle ïls laiflent infufer des grains de ge- nièvre. Ils nent , pour ainfñ dire, aucune idée de religion ni d’un Etre fuprème ; la plupart font idolâtres, & tous font très fu- perftitieux ; ils font plus groffiers que fau- vages, fans courage, fans refpeft pour foi- même : ce peuple abje& n’a de mœurs qu'af- fez}pour être méprifé. Ils fe baignent nus & tous enfemble , filles & garcons ; meres & fils , freres & fœurs, & ne craignent point qu’on les voie dans cet état ; en fortant de ces bains extrêmement chauds, ils vont fe jeter dans une riviere très froide. Ils offrent aux étrangers leurs femmes & leurs filles, 8 tiennent à grand honneur qu’on veuille hien coucher avec elles : cette coutume eft également établie chez les Samoiïedes , les Borandiens , les Lappons & les Groënlan- eois. ,Les Lappones font habillèes l'hiver de de l'Homme, LL ! peaux de rennes ,& l'été de peaux d’oifeaux qu’elles ont écorchées : l’ufage du linge leur eft inconnu. Les Zembliennes ont le nez & les oreilles percés pour porter des pendans de pierre bleue ; elles fe font aufh des raies bleues au front & au menton : leurs maris. fe coupent la barbe en rond, & ne por- tent point de cheveux. Les Groënlandoi- fes s’habillent de peau de chien de mer: elles fe peignent auf le vifage de bleu & de jaune , & portent dés pendans d'o- reilles. Tous vivent fous terre ou dans es cabanes prefqu’entiérement enterrées & couvertes d'écorces d’arbres où d'os de poiflon : quelques-uns font des tranchées fouterraines pour communiquer de cabane en cabane chez leurs voifins pendant l'hiver. Une nuit de plufieurs mois les oblige à conferver de la lumiere dans ce féjour par des efpèces de lampes qu’ils entretiennent avec la même huile de baleine qui leur fert de boïiflon. L'été ils ne font guere: lus à leur aïfe que lhiver, car ils font obligés de vivre continuellement dans une: épaifle fumée ; c'eft le feul moyen qu'ils: ayent imaginé pour fe garantir de la piaûre des moucherons plus abondans peut-être dans ce climat glacé qu'ils ne Le {ont dans les pays les plus chauds. Avec cette ma- niere de vivre fi dure & fi trifte, ils ne font prefque jamais. malades, & ils par- viennent tous à une vieillefle extrême : les vieillards font même fr vigoureux qu’on: a peine à les diffinguer d'avec les jeunes = la feule mcommodité à laquelle ils foient 22 Hifiorre naturelle, . fujets & qui eft fort commune parmi eux; eft la cécité ; comme ils font continuelle- ment éblouis par l'éclat de la neige pen- dant l'hiver, l'automne & le printemps , & toujours aveuglés par la fumée pendant l'été , la plupart perdent les yeux en avan- çant en âge. R Les Samoiïedes , les Zembliens , les Bo- randiens , les Lappons, les Groënlandois & les Sauvages du nord au-deflus des Efqui- maux , font donc tous des hommes de même efpèce, puifqu'äls fe refflemblent par la for- me, par la taille , par la couleur, par les mœurs, & même par la bizarrerie des cou- tumes ; celle d'offrir aux étrangers leurs femmes , & d’être fort flattés qu’on veuil- le bien en faire ufage, peut venir de ce qu’ils connoiffent leur propre difformité & la laideur de leurs femines ; ils trouvent ap- paremment moins laides celles que les étran- sers n'ont pas dédaignées : ce qu’il y a de certain , c’eft que cet ufage eft général chez tous ces peuples qui font cependant fort éloignés les uns des autres, &: même féparés par une grande mer, & qu'on le retrouve chez les Tartares de Crimée, chez les Cai- muques & plufieurs autres peuples de Sibé- rie & de Tartarie, qui font prefqu'auffi laids que cès peuples du nord , au lieu que dans toutes les nations voifines, comme a la Chi< ne , en Perfe fe), où les femmes font belles, ies hommes font jaloux à l’éxcès. {e) La Boulaye dit qu'après la mort des femmes du $chach, l’on ne fait où elles font enterrées ;, afin de de l'Homme, F2 En examinant tous les peuples voifins de cette longue bande de terre qu'occupe la ra- ce Lapponne , on trouvera qu'ils n’ont au- cun, rapport avec cette race ; il n’y a que les Oftiaques & les Tongufes qui leur reflem- blent : ces peuples touchent aux Samoiedes du côté du midi & du fud-eft. Les Samoiedes & les Borandiens ne reflemblent point aux Ruffiens ; les Lappons ne reflemblent en au- cune facon aux Finnois, aux Goths , aux Danois , aux Norvésiens ; les Groënlandois font tout aufli différens des Sauvages du Canada ; ces autres peuples font grands , bien faits, & quoiqu'ils foient aflez différens en- treux , ils le font infiniment plus des Lap- pons. Mais les Oftiaques femblent être des Samoiedes un peu moins Jaids & moins rac- courcis que les autres, car ils font petits & mal faits (f\, ils vivent de poiffon ou de viande crue , ils mangent la chair de toutes les efpèces d'animaux fans aucun apprêt, ils boivent plus volontiers du fang que de l’eau, ils {ont pour la plupart idolätres & errans comme les Lappons & les Samoiedes ; enfin ils me paroiïflent faire la nuance entre la race - Lappone & la race Tartare ; ou pour mieux dire , les Lappons , les Samoïedes , les Boran- lui ôter tout fujet de jaloufe ; de même que les an< ciens Egyptiens ne vouloient pas faire embaumer leurs femmes que quatre ou cinq jours après leur mort, de crainte que les chirurgiens n’euflent quelque tentation, Voyage de la Boulaye , page 110. (f) Voyez le voyage d’Evertishbrand , pages 212, Sr7, Cc. & les nouveaux Mémoires fur l'état de la Ruffie, 5725, tome 1, page 270. £4 Hifoire naturelle diens , les Zembliens , & peut-être les Groën- landois &c les Pigmées du nord de l’Améri- que, font des Tartares dégénérés autant qu’il eft poflhble ; les Oftiaques font des Tarta- res qui ont moins dégénéré; les Tongufes encore moins que les Oftiaques, pe qu'ils font moins petits & moins mal faits, quoi- que tout aufhi laids. Les Samoïedes & les Lappons font environ fous le 68 ou égme degré de latitude, mais es Oftiaques & les Tongufes habitent fous le 6ome degré ; les Tartares qui font au s5me degré le long du Volga, font grofñers , ftupides & brutaux , ils reflemblént aux Ton- guies qui n’ont comme eux prefque au- cune idée de religion, ils ne veulent pour femmes que des filles qui ont eu commerce avec d’autres hommes. La nation Tartare prife en général , occu- pe des pays immenfes en Afie : elle eft répandue dans toute l'étendue de terre qui eft depuis la Ruffie jufqu'a Kamtfchatka, c'eft-à-dire , dans un efpace de onze ou douze cents lieues en longueur fur plus de fept cent cinquante lieues de largeur, ce qui fait un terrein plus de vingt fois plus grand que celui de la France. Les Tar- tares bornent la Chine du côté du nord & de l’oueft . les royaumes de Boutan, d'Ava, l'empire du Mogol & celui de Perfe jufqu’à la mer Cafpienne du côté du nord ; ils fe {ont aufñ répandus le long du Volga & de la côte occidentale de la mer Cafpienne juf- qu'au Dagheftan , ils ont pénétré jufqu’à la. côte feptentrionale de la mer Noire , & ils 5 de l'Homme, 1$ fe font établis dans la Crimée & dans la pe- tite Tartarie près de la Moldavie & de l’'Uk- raine. Tous ces peuples ont le haut du vi- fage fort large Ë ridé, même dans leur jeu- nefle , le nez court & gros, les yeux petits & enfoncés (g), les joues fort élevées , le bas du vifage étroit , le menton long & avancé , la mâchoire fupérieure enfoncée ; les dents longues & féparées, les fourcils gros qui leur couvrent les yeux , les pau- pieres épaifles, la face plate , le teint bafa- né & olivâtre , les cheveux noirs ; ils font de ftature médiocre , mais très forts & très robuftes ; ils n’ont que peu de barbe, & elle eft par petits épis comme celle des Chinois; ils ont les ae groffes & les jambes cour- tes : les plus laïds de tous font les Calmu- ques , dont l’afpeët a quelque chofe d’ef- froyable ; ils font tous errans & vagabonds , habitant fous des tentes de toile, de feutre, de peaux ; ils mangent de la chair de che- val, de chameau, &c, crue ou un peu mor- tifiée fous la felle de leurs chevaux, ils man- gent auffi du poiflon defféché au foleil. Leur boiflon la plus ordinaire eft du lait de jument fermente avec de la farine de millet ; ils ont prefque tous la tête rafée , à l'exception du toupet qu'ils laifflent croître aflez pour en faire une trefle de chaque côte du vifa- e. Les femmes , qui font auffi laides que es hommes , portent leurs cheveux , elles les treffent & y attachent de petires plaques de cuivre & d’autres ornemens de CT, PR (g) Voyez les Voyages de Rubrufqnis, de Marc Paul; de Jean Struys, du Pere Avril, &c, +6 Hifloire naturelle, cette efpèce ; la plupart de ces peuples m'ont aucune religion , aucune retenue dans leurs mœurs, aucune décence , ils font tous .vo- leurs ; & ceux du Dagheftan qui font voi- fins des pays policés , font un grand com- merce d’efclaves & d'hommes, qu'ils enlè- vent par force pour les vendre enfuite aux Turcs & aux Perfans. Leurs principales richefles confiftent en chevaux ; il y en a peut- être plus en Tartarie qu’en aucun autre pays du monde. Ces peuples fe font une habitude de vivre avec leurs chevaux ; ils s’en oc- cupent continuellement: ils les dreflent avec tant d’adrefle & les exercent fi fouvent, qu'il femble que ces animaux n’ayent qu’un même efprit avec ceux qui les manient; car non-feulement 1ls obéiflent parfaitement au moindre mouvement de la bride , mais ils fentent, pour ainfidire, l'intention & la pen- fée de celui qui les monte. Pour connoitre les différences particulie- es qui fe trouvent dans cette race Tartare, il ne faut que comparer les defcriptions que les voyageurs ont faites de chacun des dif- férens peuples qui la compofent. Les Cal- muques qui habitent dans le voifnage de la mer Cafpienne , entre les Mofcovites & les grands Tartares, font, felon Tavernier, des hommes robuftes, mais les plus laids & les plus difformes qui foient fous le ciel ; ils ont le vifage & plat & fi large , que d’un œil à l’autre il y a l’efpace de cinq ou fix doigts ; leurs yeux font extraordinairement petits, & le peu qu'ils ont de nez eft fi plat qu'on n'y voit que deux trous au lieu de narines » de l’'Homine É7 marines , ils ont les genoux tournés en-de- hors & les pieds en-dedans. Les Tartares du Dagheftan font , après les Calmuques , les plus laïids de tous les Tartares : les petits _ Tartares ou Tartares Nogais qui habitent près de la mer Noire , font beaucoup moins laids que les Calmuques ; mais ils ont ce- pendant le vifage large , les yeux petits, &c la forme du corps femblable à celle des Cal- muques ; & on peut croire que cette race de petits Tartares a perdu une partie de fa laï- deur parce qu'ils fe font mélés avec les Cir- cafliens , les Moldaves & les autres peuples dont ils font voifins. Les Tartares Vagoliites en Sibérie ont le vifage large comme les Calmuques , le nez court & gros, les yeux petits ; & quoique leur langage foit différent de celui des Calmuques, ils ont tant de ref- femblance qu’on doit les regarder comme etant de la même race. Les Tartares Bratski {ont , felon le Pere Avril, de la même race que les Calmuques. À mefure qu’on avance vers lorient dans la Tartarie indépendante, les traits des Tartares fe radouciflent un peu; mais les caraéteres effentiels à leur race ref- tent toujours : & enfin les Tartares Mon- goux qui ont conquis la Chine , & qui de tous ces peuples étoient les plus policés,. font encore aujourdjhui ceux qui font les moins laids & les moins mal faits, ils ont cependant , comme tous les autres , les yeux petits, le vifage large & plat, peu de barbe ; mais toujours noire ou roufle (4),le nez (h) Voyez Palafox , page 444. B 15 H [loi re naturelle écrafe & court, le teint bafané, mais mous olivätre. Les peuples du Thibet & des au- tres provinces méridionales de la. Tartarie, font , aufli-bien que les Tartares voifins de la Chine , beaucoup moins laids que les au- tres. M. Sanchez, premier Médecin des ar- mées Ruffiennes , homime diftingue par fon mérite & par l’étendue de fes connoïfances, a bien voulu me communiquer par écrit les remarques qu'il a faites en voyageant en Tartarie. ; Dans les années 1735 , 1736 & :737,ile parcouru l'Ukraine , les bords du Don juf- qu'a la mer de Zabache , & les confins du Cuban jufqu'à Afoff ; il a traverfé les déferts qui font entre les pays de Crimée & de Back- mut;ila vu les Calmuques qui habitent fans avoir de demeure fixe, depuis le royaume de Cazan jufqu’aux bords du Don; il a auf vu les Tartares de Crimée & de Nogai, qui errent dans les déferts qui font entre ia Crimee & l'Ukraine, & auiñi les Tartares Kergifi & Tcheremifh qui font au nord d’Af- tracan depuis le some jufqu’au 68me degré de latitude. El a obfervé que les Tartares de €rimée & de la province de Cuban jufqu’à ÂAfiracan, font de taille médiocre, qu'ils ont les épaules larges, le flanc étroit , les mem- bres nerveux, les yeux noirs & le teint ba- fané : les Tartares Kergifh & TFcheremifli font plus petits & plus trapus , ils font moins agiles & plus groïhers , ils ont auf les veux noirs, le teint bafané, le vifage encore plus arge que les premiers. Il obierve que par- an ces Fartares on trouve plufieurs hom- de l'Homme. 19 mes & fenfmes qui ne leur reffemblent point du tout ou qui ne leur reflemblent qu'im- parfaitement , & dont quelques-uns font auffr: blancs que les Polonois : comme il y a par- mi ces nations plufieurs efclaves , hommes & femmes, enlevés en Pologne & en Rufñe ;. que leur religion teur permet la polygamie & la multiplicité des concubines , & que: leurs Suitans ou Murzas qui font les nobles de ces nations, prennent leurs femmes en Circafie & en Géorgie , les enfans qui nuif- fent de ces alliances , font moins laids & plus blancs que les autres; il y a même par- mi ces Tartares un peuple entier dont les: hommes & les femmes font d’une beauté: fnguliere , ce font les Kabardinski. M. San- chez dit en- avoir rencontré trois cents à cheval qui venoient au fervice de la Ruffñe. &: 1l aflure qu'il n’a jamais vu de plus beaux homries, & d'une figure plus noble & plus raâle ; ils ont le vifage beau , frais & ver- meil, les yeux grands, vifs & noirs, la taille: haute & bien prife ; il dit que le Lieutenant- Général de Sérapikin qui avoit demeuré: long-temps en Kabarda, lui avoit affuré que les femmes étoient auffi belles que les hom- mes; mais cette nation fi différente des Tar- tares qui lenvironnent , vient originairement de l'Ukraine , à ce que dit M. Sanchez, & a été: tranfportée en Kabarda il y a environ 150 ans. Ce fang Fartare s’eft mêlé d’un. côté avec: les Chinois , & de l’autre avec les Rufles: Orientaux ; & ce: mélange ra pas fait difpa- roitre en entier les traits de cette race ; car # y a parmi les Mofcovites beaucoup de vi- #- 20 Hiffoire naturelle, fages Tartares ; & quoiqu’en général cette nation foit du même fang que les autres na- tions Européennes , on y trouve cependant beaucoup d'individus qui ont la forme du, corps carrée , les cuifles groffes & les jam- bes courtes comme les: Fartares : mais les. Chinois ne font pas à beaucoup près aufii différens des Tartares que le font les Mof- covites , 1l n’eft pas même sûr qu'ils foient d’une autre race ; la feule chofe qui pour- roit le faire croire , c’eft la différence totale du naturel , des mœurs & des coutumes de ces. deux peuples. Les Tartares en général. font naturellement fers, belliqueux , chaf- feurs ; ils aiment la fatigue , l’indépendance ; ils font durs. & grofliers juiqu’à la brutalité. Les Chinois ont des mœurs tout oppoiées ,. ce font des peuples mous , pacifiques , indo- lens, fuperftitieux , fourmis, dépendans jui- : qu'à l’efciavage , cérémonieux , complimen- teurs jufqu’à la fadeur & à l'excès ; mais fi. on les compare aux Tartares par la figure. & parles.traits,, on y trouvera des caraéte- res d’une reflemblance non équivoque. Les Chinois, felon Jean Hugon, ont les; membres bien proportionnés , & font gros à gras ; ils ont le vifage large & rond , les. yeux petits, les fourcils grands, les paupie- res élevées , le nez petit & écrafe ; ils n’ont: que fept ou huit épis de barbe noire à cha-. que lèvre, & fort peu au menton: ceux qui: habitent. les provinces. méridionales , font. plus bruns. & ont le teint plus bafané que: les autres ; ils reffemblent par la couleur aux. peuples de la Mauritanie & aux Efpagnois de l'Homme. 21 - Tes plus bafanés ; au lieu que ceux qui ha- bitent les provinces du milieu de l’Empire, font blancs comme les Allemands. Selon Dam- pier & quelques autres voyageurs , les Chi- nois ne {ont pas tous, à beaucoup près, gros. & gras, mais il eft vrai qu’ils font grand cas: de la grofe taille & de l’embonpoint. Ce voyageur dit même, en parlant des habitans. de l’ifle Saint-Jean fur les côtes de la Chine. que les Chinois font grands , droits & peu. chargés de graife , qu'ils ont le vifage long & le front haut, les yeux petits , 1e nez. aflez large & élevée dans le milieu , la bou- che ni grande ni petite , les lèvres aflez de- liées , le teint couleur de cendre, les che- veux noirs, qu'ils ont peu de barbe, qu'ils: Parrachent, & n’en laïflent venir que quel- ques poils au menton & à la lèvre fupérieu-" re. Selon Le Gentil, les Chinois n’ont rien: de choquant dans la phyfonomie , ils font naturellement blancs, furtout dans les pro- vinces feptentrionales : ceux que la nécefhte oblige de s’expofer aux ardeurs du foleil, font bafanés, furtout dans les provinces du. midi; ils ont en général les yeux petits & ovales, le nez court , la taille épaifle & d’une hauteur médiocre : ilaflure que les fem- mes font tout ce qu’elles peuvent pour faire paroître leurs yeux petits , & que les jeu- nes filles inftruites par leurs nieres , fe tirent continuellement les paupieres afin d’avoir les yeux petits & longs ; ce qui, joint à un. nez écrafé & à des oreilles longues , larges, ouvertes & pendantes, les rend beautés par- faites : il prétend qu'elles ont le teint beau: 32 Hifioire naturelle, les lèvres fort vermeilles , la bouche bier faite, les cheveux fort noirs , mais que l’u- fige du bétel leur noircit les dents; & que celui du fard dont elles fe fervent, leurgate f. fort la peau , qu’elles paroïiflent vieilles avant l’âge de trente ans. Palafox affure que les Chinois font plus: blancs que les Tartares orientaux leurs voi- fins, qu'il ont auf moins de barbe, mais: qu'au refte 1l y a peu de différence entre les vifages de çes deux nations : il dit qu’il eft très rare de voir à la Chine ou aux Philip- pines , des yeux bleus , & que jamais on: m'en a Vu dans ce pays qu'aux Européens ow à des perfonnes nées dans ces cmats de pa- rens. Européens. Innigo de Biervillas prétend que les fem- mes Chinoifes font mieux faites que les kom- mes ; ceux-ci, felon lui, ont le vifage large: & le téint aflez jaune, le nez gros & fait a- peu-près comme une neffle ; & pour la plu- part écrafé, la taille épaiffz à-peu-près com- me celle des Holländois ; les femmes au con- traire ont la taille dégagée , quoiaw’eiles ayent prefque toutes de l’embonpoint , le: teint & la peau admirables , les yeux Îes plus. beaux du monde ; mais à la vérité il y en æ peu, dit-il, qui agent le nez bien fait, parce: qu'on le leur écrafe dans leur jeunefle. Les voyageurs Hollandois s'accordent tous: ä dire que les Chinois ont en général le: vifage large, les veux petits , le nez camus & preique point de barbe; que ceux qui font nés à Canton & tout le long de la côte méridionale {ont aufh bafanés que les habi- de Ê Homme, 2% tans de Fez en Afrique; mais que ceux des- provinces intérieures font blancs pour la plupart. Si nous comparons maintenant les: defcriptions de tous ces voyageurs que nous venons. de citer . avec celles que nous avons faites des Tartares, nous.ne pourrons guere douter que quoiqu'il y ait de la variété dans la forme du vifage & de la taille des Chinois, ils n’ayent cependant beaucoup plus de rapport avec les Tartares, qu'avec au- cun autre peuple, & que ces différences & cette variété ne viennent du climat & du mélange des races; c’eft le fentiment de Chardin : « Les petits Tartares, dit ce vo- » yageur, ont communément [a taille plus » petite de quatre pouces que la nôtre & » plus groffe à proportion; leur teint eft » rouge & bafané; leurs vifages font plats , » larges & carrés; ils ont le nez écralé & » les yeux petits. Or comme ce font-là » tout-à-fait les traits des habitans de la » Chine, j'ai trouvé, après avoir bien cbfer- » vé la chofe durant mes voyages, qu'il ya » la même configuration de vifage & de » taille dans tous les peuples qui font àPorient » & au feptentrion de ia mer Cafpienne &c » à l’orient de la prefqu'ifle de Malaca, ce » qui depuis m'a fait croire que ces divers » peuples fortent tous d’une même fouche ; » quoiqu'il paroiffe des différences dans leur” » teint & dans leurs mœurs; car pour ce ».qui eft du teint, la différence vient de » la qualité du climat & de celle des ali- » mens; & à l'égard des mœurs la dife- » rence vient aufh de la nature du terroir 24 Hifioire natureile » & de l'opulence plus ou moins gran- n de (i)». L Pere Parennin, qui, comme l’on fait, a demeuré fi long-temps à ia Chine, & ena a {1 bien obfervé les peuples & les mœurs; dit que les voifins des Chinois du côté de. l'occident depuis le Thibet en allant au nord: _juiqu'à Chamo, femblent être différens des: ‘ Chinois par les mœurs , par le langage, par les traits du vifage & par la configuration extérieure ; que ce font gens ignorans s groffiers, fainéans , défaut rare parmi les. Chinois; que quand il vient quelqu'un de ces Tartares à Pékin , & qu'on demande aux Chinois la raifon de cette différence, ils difent que cela vient de l’eau & de la: terre, c’eft-à-dire , de la nature du pays. qui opère ce changement fur le corps & même fur l’efprit des habitans. Il ajoute que cela paroît encore plus vrai à la Chine que: dans tous les autres pays qu'il ait vus; & qu'il fe fouvient qu'ayant fuivi l’Em- pereur jufqu'au 48me degré de latitude nord, dans la Tartarie, il y trouva des Chinois. de Nanquin qui s’y étoient établis, & que. Jeurs enfans y étoient devenus de vrais Mongoux, ayant la tête enfoncée dans les: épaules, les jambes cagneufes & dans tout. ,V'air une groffiereté & une mal-propreté qui. rebutoit. Woyez la Lettre du P. Parennin, du- (2) Voyez.les voyages de Chardin , Amfferdam, 1713. £orie ZIT,. page 6. ARTS tée. de L Homme, 25 see de-Pekin le 28 Septembre 1725, Recueil 24 des Lettres édifiantes. Les Japonnois {ont aflez femblables aux Chinois peur qu’on puifle les regarder comme ne faifant qu'une feule & même race d'hommes ; ils font feulement plus jaunes ou plus bruns , parce qu'ils habitent un climat plus méridional ; en général ils font de forte complexion, ils ont la taille ra- maflée , le vilage large & plat, le nez de même, les yeux petits (4), peu de barbe, les cheveux noirs; ils font d’un naturel fort altier, agüerris, adroits, vigoureux , civils & obligeans, parlant bien, féconds en cora- plimens, mais inconftans & fort vains : ils {upportent avec use confiance admirable Îa faim , la foif, le froid, le chaud, les veil- les, la fatigue & toutes les incommodités de la vie, de laquelle ils ne font pas grand cas; ils {e fervent, comme les Chinois, de aie bâtons pour manger, & font aufñ plu- ieurs cérémonies ou plutôt plufieurs grima- ces & plufieurs mines fort étranges pendant le repas : ils font laborieux & trés habiles dans les arts &dans tous les métiers; iisont. en un mot, a très peu près le même naturel, les mêmes mœurs & les mêmes coutumes que les Chinois. L'une des plus bizarres & qui ef commune à ces deux nations , eft de rendre les pieds des femmes fi petits, qu'elles ne peuvent (&) Voyez les voyages de Jean Struys, Roue, 1719, tone Ï, page 112. Hi. Aat, Tor. Fi €. 26 Hi/oire naturelle, prefque fe foutenir. Quelques voyageurs di- ‘ent qu'à la Chine, quand une fille a pañlé Pâge de trois ans, on lui cafe le pied, en forte que les doigts font rabattus fous la plante , qu'on y'applique une eau forte. Qui brüle les chairs , & qu’on l'enveloppe de lufeurs bandages jufqu’a ce qu'il ait pris fon pli; 1ls ajoutent que les femmes reflen- tent cette douleur pendant toute leur vie, qu'elles peuvent à peine marcher, & que rien n’eft plus défagréable que leur démar- che ; que cependant elles fouffrent cettein- commodité avec joie, & que comme c'eft un moven de plaire, elles tâchent de fe rendre le pied aufi petit qu’il leur eft pof- fible. D’autres voyageurs ne difent pas qu’on leur cafle le pied dans leur enfance, mais feulement qu'on ie ferre avec tant de vio- lence qu'on l’empèche de croitre, & ils con- viennent aflez unanimement qu'une femme: de condition, on ieulement une jolie femme a la Chine, doit avoir le pied aflez petit pour: trouver trop aifée la pantoufle d’un enfant de iix ans. DSC EL 1 Les Japonnois & les Chinois font donc. une feule & mème race d'hommes qui fe font très anciennement civilifés, & qui dif- fèrent des Tartares plus par les mœurs que par la figure; ia bonté du terrein, la dou- ceur du climat, le voifiaage de la mer ont pu contribuer à rendre ces peuples policés, tandis que les Tartares éloignés de la mer &: du commerce des autres nations , & féparés des autres peuples du côté du midi par de hautes montagnes , font demeures. errans de l'Homme, 27 dans leurs vaftes déferts fous un ciel dont la rigueur, furtout du côté du nord, ne peut être fupportée que par des hommes durs & groflers. Le pays d'Yeço qui eft au Nord du Jappon, quoique fitué fous un climat qui devroit être tempéré , eft cepen- dant très froid, très ftérile _& très mon- tueux ‘ aufli les habitans de cette contrée font-ils tout différens des Japonnois & des Chinois ; ils font groffiers, brutaux, fans mœurs, fans arts; ils ont le corps court & gros , les cheveux longs & hériflés , les yeux noirs, le front plat, le teint jaune, mais un peu moins que celui des Japonnosïs ; ils font fort velus fur le corps & même fur le vifage : ils vivent comme des Sauvages ; &: fe nourriflent de lard de baleinè & d'huile de poiflon; ils font très pareffleux, très mal: propres dans leurs vêtemens : les ‘enfans vont prefque nus , les femmes n’ont trou- vé pour fe parer d’autres moyens que de fe peindre de bleu les fourcils & les lèvres : les Hommes n’ont d'autre plaïfir que d'aller a la chaîle des loups marins, des ours, des élans , des rennes, & à la pêche de la ba- leine : il y en à cependant qui ont quelques coutumes Japonnoïles , comme celle de chanter d’une voix tremblante; maïs en général ils reflemblent plus aux Tartares feptentrionaux ou aux Samoiïedes qu'aux Japonnois. ge Maintenant, fi l’on examine les peuples voifins de la Chine au midi & à l'occident, on troûvera que les Cochinchinois, qui ha- bitent un pays montueux & plus méridionak = » _— 28 Hifloire natirelle, que la Chine, font plus bafanés & plus laids que les Chinois, & que les Tunquinois dont le pays eft meilleur, & qui vivent. fous un climat moins chaud que les Cochin- chinois , font mieux faits & moins laids. Selon Dampier, les Tunquinoiïs font en gé- néral de moyenne taille, ils ont le teint bafané comme les Indiens, mais avec cela la peau fi belle & fi unie qu'on peut s’apper- cevoir du moindre changement qui arrive fur leur vifage lorfqu'ils pâliflent ou qu'ils rougiflent, çe qu'on ne peut pas reconnoitre fur le vifage des autres Indiens. Ils ont com- munément le vifage plat & ovale, le nez & tes lèvres affez bien proportionnés, les che- veux noirs, longs & fort épais, ils fe ren- dent les dents aufli noires qu’il leur eft pof- fible. Selon les relations qui font à la fuite, des voyages de Tavernier, les Tunquinois {ont de belle taille & d’une couleur un peu olivâtre , ils n'ont pas le nez ni le vifage fi. plat que les Chinois , & ils font en général mieux faits. Ces peuples, comme l'on voit, ne diffé- rent pas beaucoup des Chinois, ils reflem- blent par la couleur à ceux des provinces méridionales ; s'ils font plus bafanés, c’eft parce qu'ils habitent fous un climat plus chaud; & quoiqu'ils ayent le vifage moins plat & le nez moins écrafé que les Chinois, on peut les regarder comme des peuples de même origine, Il en eft de même des Siamois, des Pe-. guans , des habitans d’Aracan, de Laos, &c; teus ces peuples ont les traits aflez reflem- de l'Homme. 29 blans à ceux des Chinois; & quoiqu'ils en diffèrent plus ou moins par la couleur, ils ne diffèrent cependant pas tant des Chinois que des autres indiens. Selon La Loubère les Siamois font plutôt petits que grands, ils ont le corps bien fait, la figure de leur vi- fage tient moins de lovale que du lofange, il eft large & élevé par le haut des joues, & tout d'un coup leur front fe rétrècit & {e termine autant en pointe que leur men- ton ; ils ont les yeux petits & fendus obli- quement , le blanc de l’œil jaunâtre, les joues creufes, parce qu'elles font trop élevées par le haut, la bouche grande, les lèvres groffes & les dents noircies; leur teint eft groffier & d’un brun mêlé de rou- ge, d'autres voyageurs cifent d'un gris-Cen- dré, à quoi le hâle continuel contribue au- tant que la naiflance ; ils ont le riez eourt & arrondi par le bout , les oreilles plus grandes que les nôtres, & plus elles font ne , plus ils les eftiment. Ce goût pour es longues oreilles eft commun à tous les peuples de l'Orient, mais les uns tirent leurs oreilles par le bas pour les alônger fans Îles percer qu’autant qu’il le faut pour ‘y attacher des boucles; d'autres, comme au pays de Laos, en agrandiflent le trou f1 prodigieufement , qu’on pourroit prefque y pañler le poing, en forte que leurs oreil- les defcendent jufque fur les épaules ; pour les Siamois ils ne les ont qu’un peu plus grandes que les nôtres, & c’eft naturelle- ment & fans artifice. Leurs cheveux font gros , noirs & plats; les ne & les FT j 39 Hifloire näturelle. femmes les portent fi courts, qu'ils ne leur defcendent qu’à la hauteur des oreilles tout autour de la tête. Ils mettent fur leurs lè- vres une pommade parfumée qui les fait paroître encore plus pales qu’elles ne le . ieroient naturellement; ils ont peu de bar- be, &z 1Îs arrachent le peu qu'ils en ont; ils ne coupent point leurs ongles , &c. Struys dit que les femmes Siamoïles portent des pendans d'oreilles fi mafñfs & fi pefans, que les trous où ils font attachés deviennent affez grands pour y pafler le pouce ; il ajoute que le teint des hommes & des feim- mes.eft bafané, que leur taille n'eit pas avantageuie, mais qu'eile eft bien prife & dégagée , & qu'en général les Siamois font doux & polis. Selon le Pere Tachara les Siamois font très’ difpos, ils ont parmi eux d'habiles fauteurs & des faifeurs de tours d'équihbre aufi agiles que ceux d'Europe: il dit que la coutume de fe noircir les dents vient de l’idée qu'ont les Siamois, qu'il ne convient point à des hommes d’avoir les dents blanches comme les animaux, que c’eft pour cela qu'ils fe les noirciflent avec une efpèce de vernis qu'il faut renouveller de temps en temps, & que quand ils appli- quent ce vernis, ils font obligés de fe paf- {er de manger pendant quelques jours, afin de donner Îe temps à cette drogue de s'attacher. Les habitans des royaumes de Pégu & d'Aracan, reflemblent aflez aux Siamois ,:& ne diffèrent pas beaucoup des: Chinois, par Ja forme du corps ni par ia phyfonomie : ils de l'Homme, 31 font feulement plus noirs (/); ceux d’Âra- can eftiment un front large & plat , & pour le rendre tel, ils appliquent une plaque de plomb fur le frcz+ des enfans qui viennent de naître. ls ont les narines larges & ou- vertes; les yeux petits & vifs , & les oreil- les fi alongées qu’elles leur pendeñft jufque fur les épaules : ils mangent fans dégoût des fouris, des rats, des ferpens & du poiflon corrompu (m). Les femmes y font paflablement blanches, & portent les oreil- les auffi alongées que celles des hommes (2). Les peuples d’Achen qui font encore plus au nord que ceux d'Aracan, ont aufh le vifage plat & la couleur olivâire; ils font grofliers, & laifient aller leurs enfans tous nus , les filles ont feulement une plaque d'argent fur leurs parties naturelles. Yoyez le Recucil des voyages de la Compagnie Holl. tom IV, pag. 63 ; & le voyage de Mandelflo, t. IT , pag. 326. £ Tous ces peuples, comme l’on voit. ñe différent pas beaucoup des Chinois, & tien- nent encore des Tartares les petits yeux, le vifage plat, la couleur olivâtre; mais en defcendant vers le midi, les traits commen- cent à changer d’une maniere plus fenfible, ou du moins à fe diverfifier. Les habitans de (2) Wide primam partem Indie orientalis per Piga- fettam. Francofurti, 1598, page 46. (7) Voyez les voyages de Jean Ovington. Paris, 1725; tome IT, page 274. (2) Voyez le Recueil des voyages de la Compagnie Holl, Amfkrdam, 1702, tome WI, page 251. C 4 32 Hifloire naturelle, la prefqu'ifle de Malaca & de Pifle de Suma- tra font noirs, petits, vifs & bien propor- tionnés dans leur petite taille ; ils ont même l'air fier : quoiqu'ils foient nus de la cein- ture en haut, à lexception d’une petite écharpe qu'ils portent tantôt fur l'une & tantôt hr l’autre épaule (o). Ils font natu- rellement braves, & même redoutables lor£ qu'ils ont pris de l’opium, dont ils font fou- vent ufage, & qui leur caufe une efpèce d'ivrefle furieufe (p}. Selon Bampier, les habitans de Sumatra & ceux de Malaca font de la même race, ils parlent à-peu-près la même langue; ils ont tous l'humeur fiere & bautaine ; ils ont la taille médiocre , ie vifa- ge long , les yeux noirs, le nez d'une gran- deur médiocre , les lèyres minces & les dents noircies par le fréquent -ufage du bétel (41. Dans Pifle de Pugniatan ou Pifagan à 16 lieues en deçà de Sumatra, les naturels {out de grande taille & d’un teint jaune , comme celui des Brefiliens , ils portent de longs cheveux fort lifes, & vont abfolument nus (r). Ceux des ïfles Nicobar au nord de Sumatra font d’une couleur hafanée &c jau- nâtre ils vont aufli prefque nus (5). Dampier (o) Voyez les voyages de Gherardini, Paris ,1700, page 46 & [uis. (p) Voyez les Lettres édifrantes, Recueil IT, p. 68, (g) Voyez les voyages de Guill Dampier. Rouen, 1715, tome ÏIF, page 156. ÿ (r) Voyez le Recueïl de Ja Comp. de Holl. A#rmjfer, 3702, tome À , page 281. (s) Voyez les Lettres édifiantes , Reeueil IF, page 172. \ de l'Homme. 33 dit que les naturels de ces ifles Nicobar font grands & bien proportionnés, qu’ils ont le vifage afflez long , les cheveux noirs & lif- fes , & le nez d’une grandeur médiocre : que les femmes n’ont point de fourcils, qu’appa- remment elles fe les arrachent , &c. Les ha- bitans de l’ifle de Sombreo_ au nord de Nico- bar font fort noirs, & ils fe bigarrent le vifa- ge de diverfes couleurs, comme de vert, de jaune , &c. Voyez l’hifloire générale des Voyages. Paris , 1746, tome I, page 387. Ces peuples de Malaca , de Sumatra, & des petites ifles voi- fines, quoique différens entr'eux , le {ont encore plus des Chinois, des Tartares, &c. & femblent être iffus d’une autre race; ce- pendant les habitans de Java qui font voi- fins de Sumatra & de Malaca, ne leur ref- {emblent point, & font aflez femblabies aux Chinois , à la couleur près, qui eft, comme celle des Malais , rouge mêlée de noir; ils . {ont aflez femblables, dit Pigafetta (r), aux _habitans du Bref! , ils font d’une forte com- plexion & d’une taille carrée, ils ne font ni trop grands n1 trop petits, mais bien mufi- clés : ils ont le vifage plat, les joues pen- dantes & gonflées, les fourcils gros & in- clinés, les yeux petits, la barbe noire; ils en ont fort peu, & fort peu de cheveux , qui font très courts & très noirs. Le P. Tachard dit que ces peuples de Java font bien faits & robuftes, qu'ils paroïflent vifs & réfolus, & que l’extrème chaleur du climat les oblige > (:) Vide Indie orientalis partem primam, p. $2. 34 _ Hifloire naturelie. à aller prefque nus(z). Dans les Lettres édifiantes, on trouve que ces habitans de Java ne font ni noirs ni blancs, mais d'un rouge pourpré, & qu'ils font doux, familiers & carefflans (x). François Legat rapporte que les femmes de Java qui ne font pas expofées comme les hommes aux grandes ardeurs du foleil, font moins bafanées qu’eux., & qu’elles ont le vifage beau, le fein élevé & bien fait , le teint uni & beau quoicue brun, la main belle, l’air doux, les yeux vifs, le rire agréable, & qu'il y en a qui danfent fort joliment (y). La plus grande partie des voyageurs Hollandoïs s'accordent à dire que Îles habitans naturels de certe ifie, dont ils font atuellement les poflefleurs € les maitres , font robuftes , bien faits, ner- veux & bien mufclés ; qu'ils ont le vifage plat, les joues larges & élevées , de grandes paupieres, de petits yeux, les mâchoires grandes , les cheveux longs, le teint bafané, & qu'ils n’ont que peu de barbe, qu’ils por- tent les cheveux & les ongles fort longs, & qu'ils.fe font limer les dents (7). Dans une petite ifle qui eft en face de celle de (z) Voyez le premier voyage du Pere Tachard. Pa- ris ;, 1686, page 134. (x) Voyez les Lettres édifiantes , Recueil XVE ; page 13. tien (y) Voyez les voyages de François Legat.. Am/fter, 1708, tome Il, page 130. ni (x) Voyez le Recueil des voyages de la Compagnie de Hollande. Amfterdam 1702, tome F, page 392. Voyez auf les voyages de Maudelslo, some 11, page 344. de Homme, 35 Java, les femmes ont le teint bafané, les yeux petits, la bouche grande , le nez écra- {é ,les cheveux noirs & longs (a). Par toutes ces relations on peut juger que les habitans de Java reflemblent beaucoup aux Tartares & aux Chinois , tandis que les Malais & les peuples de Sumatra & des petites ifles voi- fines en diffèrent & par les traits & par la : forme du corps , ce qui a pu arriver très na- turellement ; car la prefqu'ifle de Malaca & les ifles de Sumatra & de Java, aufli-bien que toutes les autres ifles de l’Archipel in- dien, doivent avoir été peuplées par les na- tions des continens voifins, & même par les Européens qui s’y font habitués deouis plus de deux cent cinquante ans, ce qui fait qu’on doit y trouver une très grande variété dans les hommes , foit pour les traits du vifage. & la couleur de la peau, foit pour la forme du corps & Îa proportion des mer- bres : par exemple, il y a dans cette ifle de Java une nation qu'on appelle Chacreles , qui eft toute diferente, non-feulement des au- tres habitans de cette ïfle , mais méme de tous les autres Indiens. Ces Chacrelas font blancs & blonds, ils ont les yeux foibles, & ne peuvent fupporter le grand jour; au contraire ils voyent bien la nuit, le jour ils marchent les yeux baiflés & prefque fer- més (b). Tous les habitans des ifles Molu- PR MR CPR EE TE NN EURE UT NUE UE PEEPIE (a) Voyez les voyages de Lé Gentil. Paris 1725, tome III, page 92. J : (&) Voyez les voyages de François Legat. Amÿffer- dam ,-1708 , tome IT, page 127, 36 Hifioire naturelle, ques font, felon François Pyrard , fembla- bles à ceux de Sumatra & de Java pour les mœurs , la façon de vivre , les armes, les habits, le langage , la couleur, &c. (c). Se- lon Mandelflo , les hommes des Moluqués {ont plutôt noirs que bafanés , & les femmes le font moins; ils ont tous les cheveux noirs & liffes, les yeux gros, les fourcils & les paupieres larges , le corps fort & robufte ; ils font adroits & agiles, ils vivent long-femps, quoique leurs cheveux deviennent blancs de bonne heure. Ce voyageur dit aufñi que cha- que ifle a fon langage particulier, & qu’on doit croire qu’elles ont été peuplées par dif- férentes nations (4). Selon lui, les habitans de Bornéo & de Baly ont le teint plutôt noir que bafané (e\; mais felon les autres voyageurs ils font feulement bruns comnie les autres Indiens(f). Gemelli Careri dit que les habitans de Fernate font de la même couleur que les Malais, c’eft-à-dire , un peu plus bruns que ceux des Philippines ; que leur phyfonomie eft belle , que les hommes font mieux faits que les femmes, & que les uns & les autres ont grand foin de leurs cheveux (9). Les voyageurs Hollandois rap- (c) Voyez les voyages de François Pyrard. Paris, . #619 , tome IT, page178. (d) Voyez les voyages de Mandelslo , rome Il, page 8 de Voyez ibid. tome IT , pages 363 & 366. (f) Voyez le Recueil des voyages de la Comp. de Hollande , rome II, page 120. 1 (g) Voyez les voyages de Gemelli Careri, come F, Page 224 de l'Homme. 27 portent que les naturels de l’ifle de Banda vivent fort long-temps, & qu'ils y ont vu un homme âgé de 130 ans, & plufieurs au- tres qui approchoient de cet “eo qu’en gé- néral ces infulaires font fort fainéans , que les hommes ne font que fe promener, & que ce font les femmes qui travaillent (4). Selon Dampier, les naturels originaires de l’ifle de Timor, qui eft l’une des plus voi- fines de la Nouvelle Hollande, ont la taille médiocre, le corps droit, les membres dé- liés, le vifage long, les cheveux noirs & pointus , & la peau fort noire ; ils font adroits & agiles, mais parefleux au fuprême degré (à). I] dit cependant que dans la même ïfle les habitans de la baie de Lapaho font pour la plupart bafanés & de couleur de cuivre jaune , & qu’ils ont les cheveux noirs & tous plats {k). Si l’on remonte vers le nord, on trouve Manille & les autres ifles Philippines, dont le peuple eft peut-être le plus mêlé de l’uni- vers, par les alliances qu'ont faites enfem- ble les Efpagnols, les Indiens, les Chinois, les Malabares , les Noirs, &c. Ces Noirs qui vivent dens les rochers & les bois de cette fle, diffèrent entiérement des autres habi- -tans ; quelques-uns ont les cheveux crêpus, comme les Nègres d’Angola, les autres les (h) Voyez le Recueil des voyages de la Compagnie &e Hollande , romel, page ÿ66. + (4) Voyez les voyages de Dampier, Rouen 17153. teme V, page 361. + (k) Voyez ibidem, some 1, page 5e, 38 Hiffoire naturelles ont longs : la couleur de leur vifage eft com- me celle des autres Nègres , quelques-uns font un peu moins noirs ; on en a vu plu- feurs parmi eux qui avoient des queues longues de quatre ou cinq pouces, comme Jes infulaires dont parle Ptolémée. Voyez Les Voyages de Gerrelli Careri. Paris , 1719, tom. V, pag. 68. Ce voyageur ajoute que des Jéfuites très dignes de foi, lui ont afiuré que dans l'ile de Mindoro, voifine de Manille, il y a une race d'hommes appellés Manghiens, qui tous ont des queues de quatre ou cinq pouces de longueur, & même que quelques- uns de ces hommes à queue avoient embraflé la foi catholique. Voyez id. tome VW, page 92, & que ces Manghiens ont le vifage de cou- leur olivâtre & les cheveux longs. Voyez idem. tome W, page 298. Dampier dit que les habitans de l’ifle de Mindanao, qui eft une des principales & des plus méridionales des Phihippines, font de taille médiocre, qu'ils ont les membres petits, le corps droit, & la tête menue, le vifage ovale, le front plat, _ les yeux noirs °& peu fendus, le nez court, la bouche affez grande, les lèvres petites & rouges , les dents noires & fort faines, les cheveux noirs & lifles, le teint tanné , mais tirant plus fur le jaune-clair que celui de certains autres Indiens ; que les femmes ont le teint plus clair que les hommes ; qu’elles font auf mieux faites, qu’elles ont le vifage plus long, & que leurs traits font aflez ré- euliers, {ice n’eft que leur nez eft fort court & tout-a-fait plat entre les yeux; qu'elles ont les membres très petits, les cheveux de l'Homme. 39 noirs & longs , & que les hommes en géné- ral font fpirituels & agiles, mais fainéans &c larrons. On trouve dans les Lettres édifian- tes que les habitans des Philippines reflem- blent aux Malais, qui ont autrefois conquis ces ifles ; qu’ils ont comme eux Île nez petit, les yeux grands, la couleur olivätre-jaune, & que leurs coutumes & leurs langues font à-peu-près les mêmes (/}. z - Au nord de Manille on trouve l'ifle For. _mofe qui n’'eft pas éloignée de la côte de la province de Fokien à la Chine; ces infulai- res ne reflemblent cependant pas aux Chi- nois. Selon Struys, les hommes y font de petite taille, particuliérement ceux qui ha- bitent les montagnes ; la plupart ont le vifage large: les femmes ont les mamelles grofles & pleines, & de la barbe comme les’ hom- mes ; elles ont les oreilles fort longues, & elles en augmentent encore la longueur par: certaines grofles coquilles qui leur fervent de pendans; elles ont les cheveux fort noirs! & fort longs, le teint jaune-noir ; il y en a aufi de jaunes-blanches & de tout-a-fait jau- nes : ces peuples font fort fainéans ; leurs: armes font le javelot & l'arc dont ils tirent très bien, ils font aufli excellens nageurs, & ils courent avec une viteñle incroyable, . C'eft dans cette ifle où Struys dit avoir vu de fes propres yeux un homme aui avoit une queue longue de plus d’un pied, toute (2) Vayez les Lettres édifiantes , Recueil Il, page 148 40 Hifioire naturelle. couverte d’un poil roux, & fort femblable à celle d'un bœuf ; cet homme à queue afluroit que ce défaut, fi c'en étoit un , venoit du climat, & que tous ceux de la partie méri- dionale de cette ïifle avoient des queues comme lui (m). Je ne fais fi ce que dit Struys des habitans de cette ifle mérite une entiere confiance, & furtout fi le dernier fait eff vrai; il me paroît au moins exageère & dif- férent de ce qu'ont dit les autres voyageurs au fujet de ces hommes à queue, & même de ce qu’en ont dit Ptolémée, que j'ai cité ci-deffus , & Marc Paul dans fa defcription géographique , imprimée à Paris en 1556, où 1} rapporte que dans le royaume de Lambry il y a des hommes qui ont des queues de la longueur de la main , qui vivent dans les montagnes. Îl paroit que Struys s'appuie de l'autorité de Marc Paul, comme Gemelli Careri de celle de Ptolémée; & la queue qu'il dit avoir vue, eft fort différente pour les dimenfions de celies que les autres voya- geurs donnent aux Noirs de Manille, aux habitans de Lambry, &c. L'éditeur des mé- moires de Plafmanafar fur l’ifle de Formofe, ne parle point de ces hommes extraordinai- res & f1 différens des autres; il dit même que, quoiqu'il faffe fort chaud dans cette ifle, les femmes y font fort belles & fort blanches , furtout celles qui ne font pas obli- gées de s’expofer aux ardeurs du foleil; fm) Voyez les voyages de Jean Struys, Romen,1719, some 1, page 106, : : au’elles de l'Homme. AY qu'elles ont un grand foin de fe laver avec certaines eaux préparées pour fe confervef le teint; qu’elles ont le même foin de leurs dents , qu’elles tiennent blanches autant qu’elles le peuvent, au lieu que les Chinois & les Japonnois les ont'noires par l’ufage du bétel; que les hommes ne font pas de grande taille, mais qu'ils ont en grofleur ce qui leur manque en grandeur; qu'ils font communément vigoureux , infatigables , bons foldats , fort adroits , &c (7). Les voyageurs Hollandois ne s'accordent point avec ceux que je viens de citer au fujet des habitans de Formofe : Mandelflo, aufli bien que ceux dont les relations ont été publiées dans le recueil des voyages qui ont fervi à l’établif- fement de la compagnie des Indes de Hol- lande, difent que ces infulaires font fort grands & beaucoup plus hauts de taille que les Européens ; que la couleur de leur peau eft entre le blanc & le noir , ou d’un brun tirant fur le noir ; qu’ils ont le corps velu; que les femmes y font de petite taille, mais u’elles font robuftes, grafles & aflez bien aites. La plupart des écrivains qui ont parlé de l’ifle Formofe, n’ont donc fait aucune mention de ces hommes à queue, & ils dif- fèrent beaucoup entr'eux dans la deicription qu'ils donnent de la forme & des traits de : {n) Voyez la defcription de l’isle Formofe, dref- fée fur les Mémoires de George Plafmanafar , par le Sieur N. F, D. BR. Amfkrdam , 1705, page 103 # fuivantes, Ÿ D A? Hiffoire natureële ces infulaires; mais 1ls femblent s’accorder fur un fait qui n’eft peut-étre pas moins extraordinaire que le premier, c’eft que dans cette ïfle il n’eft pas permis aux femmes d’accoucher avant trente-cinq ans , quoi- qu'il leur foit libre de fe marier long-temps avant cet âge. Rechteren parle de cette coutume dans les termes fuivans : » D'abord » que les femmes font mariées, elles ne met- > tent point d’enfans au monde ; il faut au » moins pour cela qu’elles ayent 35 ou 37 » ans; quand elles {ont groffes, leurs pré- » trefles vont leur fouler le ventre avec les » pieds s’il le faut, & les font avorter avec » autant ou plus de douleur qu'elles n’en » foufiriroient en accouchant; ce feroit non- D {eulement une honte, mais même un gros 5 péché de laifler venir un enfant avant » Pâge prefcrit. Jen ai vu qui avoient dejà » fait quinze ou feize fois périr leur fruit, » &r qui étoient groffes pour la dix-feptième » fois, lorfqu'il leur étoit permis de mettre » un enfant au monde (o)«. Les ifies Marianes ou des Larrons qui font , comme l’on fait, les ïfles les plus éloignées du côte de l’orient & , pour ainfs dire , les dernieres terres de notre hémif- phere, font peuplées d'hommes très grof- fers. Le Pere Gobien dit qu'avant lar- rivée des Européens ils n’avoient jamais {oi Voyez les voyages de Rechteren dans le Re- cueï des voyages de la Compagnie Hollandoile , some #7, page 5€. s EALS de l'Homme. 43 vu de feu, que cet élément fi néceffaire Jeur étoit entiérement inconnu , qu'ils ne furent jamais {1 furpris que quand ils en virent pour la premiere fois , lorfque Ma- gellan defcendit dans l’une de leurs ifles ; ils ont le teint bafané , mais cependant moins brun & plus clair que celui des habitans des Philippines ; ils font plus forts & plus robuftes que les Européens; leur taille eft haute, & leur corps eft bien pro- portionné ; quoiqu'ils ne fe nourriflent que de racines , de fruits & de poiflon , ils ont tant d’embonpoint qu'ils en paroiflent en- flés , ‘mais cet embonpoint ne les empêche pas d'être fouples & agiles. Ils vivent. Jong-temps , & ce n’eft pas une chofe ex- traordinaire que de voir chez eux des perfon- nes agées de cent ans, & cela fans avoir jamais été malades (p). Gemelli Careri dit que les häbitans de ces ifles font tous d’une figure gigantefque , d’une groffe corpulence & d’une grande force, qu'ils peuvent ai- fément lever fur leurs épaules un poids de, cmgicénts livres [7]. Ils ont pour la plu- part les cheveux crépus (r), le nez gros , de grands yeux & la couleur du vifage comme les Indiens. Les habitans de Guan. l’une de ces ifles, ont les cheveux noirs & longs, (p) Voyez l'hifioire des isles Marianes, par le Pere Charles Le Gobien, 1700. } (g) Voyez les voyages de Gemelli Carreri, rome VW, page 298.1 à” ( r, Foyer les Lettres édifantes, Recueil XVIII, p.198, As 44 Hifloire narnrelle les yeux ni trop gros ni trop petits, Île nez grand , les lèvres grofles , les dents aflez blanches , le vifage long , Fair féro- ce , ils font très robuftes & d’une taille fort avantageufe , on dit même qu’ils ont jufqu'à fept pieds de hauteur (5). Au midi des ifles Marianes & à l’orient des ifles Moluques, on trouve la terre des Papous & la nouvelle Guinée , qui paroif- {ent être les parties les plus méridionales des terres auftrales. Selon Argenfola , ces Papous font noïrs comme les Cafres , ils ont les cheveux crépus, le vifage maigre & fort défagréable , & parmi ce peuple f noir on trouve quelques gens qui font aufi blancs & aufli blonds que les Allemands ; ces blancs ont les yeux très foibles & très délicats. (r). On trouve dans la relation de la navigation auftrale de Ee Maire , une defcription des habitans de cette contrée, dont je vais rapporter les principaux traits, Selon ce voyageur , ces peuples font fort noirs, fauvages &c brutaux ; ils portent des anneaux aux deux oreilles, aux deux nari- nes , & quelquefois auf à la cloifon du nez, & des braflelets de nacre de perle au-deflus des coudes & aux poignets, &r ils fe ccu- vrent la tête d’un bonnet d’écorce d'arbre peinte de différentes couleurs: ils font puit- (5) Woyex les voyages de Dampier, rome f, pags. 37%. Voyez auff le voyage autour du monde de Cowley. (2) Voyez Vhift. de la: conquête des isles Moluques; Armfierdam , 1706, tome L, page 148. = de l'Homme, 45 fans & bien proportionnés dans leur’taille, ils ont les dents noires , aflez de barbe, & les cheveux noirs, courts & crépus, qui n’appro- chent cependant pas autant de la laine que ceux des Nègres ; ils font agiles à la courfe, ils fe fervent de maflues & de lances , de fabres & d’autres armes faites de bois dur , Pufage du fer leur étant inconnu ; ils fe fervent aufli de leurs dents comme d'armes offenfives , & mordent comme les chiens. {ls mangent du bétel & du piment mêlé avec de la chaux, qui leur fert auf à poudrer leur barbe & leurs cheveux. Les femmes font affreufes , elles ont de lon- gues mamelles qui leur tombent fur le nom- bril, le ventre extrémement gros, les jam- bes fort menues , les bras de même , des phy- fionomies de finges , de vilaïns traits, &c (x). Dampier dit que les habitans de lifle Sa- bala dans la nouvelle Guinée , font une forte d’Indiens fort bafanés , qui ont les cheveux noirs & longs , & qui par les manieres ne diffèrent pas beaucoup de ceux de lifle Mindanao & des autres na- turels de ces ‘fles orientales ; mais qu’ou- tre ceux-là, qui paroiflent être les princi- paux de Pifle, il y a auffi des Nègres , & que ces Nègres de Ia nouvelle Guinée, ont les cheveux crépus & cotonnés (x); (u) Voyez la navigation anftrale de jacques Le Mai- re , tome [IV du Recueil des Voyages qui ont fervi à l'établiffement de la compagnie des Indes de Hollande, page 648. ; (x) Voyezle voyage de Dampier , come F, p: 82, 46 Hifloire naturelle, que les habitans d’une autre äïfle qu'il ap: pelle Garret- Denys , font noirs, vigoureux & bien taillés ; qu'ils ont la tête grofle & ronde , les cheveux frifés & courts ; qu'ils les coupent de différentes manieres , & les, teignent auili de différentes couleurs, de rouge, de blanc, de jaune ; qu'ils ont le vifage rond & large avec un gros nez plat; que cependant leur phyfonomie ne {eroit pas abfoelument défagréable s'ils ne fe dée- figuroient pas le vifage par une efpèce de cheville de la grofieur d’un doigt & longue de quatre pouces, dont ils traverfent les deux narines, en forte que les deux bouts touchent à l'os des joues, qu'il ne paroit qu'un petit brin de nez autour de ce bel ornement ; & qu'ils ont aufñ de gros trous aux oreilles oùiis mettent des chevilles com- me au nez (y). Les habitans de la côte de la nouvelle Hollande, qui eft à 16 degrés 15 minutes de latitude méridionale & au midi de life de Timor , font peut-être Îles gens du mon- de les plus miférables, & ceux de tous les. humains qui approchent le plus des brutes > ils font grands, droits & menus, ils ont les membres iongs & deliés, la tête grofle, le front rond, les fourcils épais ; leurs pau- pieres font toujours à demi-fermées , üls prennent cette habituc2 dès leur enfance, pour garantir leurs yeux des moucherons qui les incommodent beaucoup; & comme (y) Ibid. some PV, page 102, de l'Homme, 47 ils n'ouvrent jamais les yeux, ils ne fau- roient voir de loin à moins qu'ils ne le- vent la tête , comme s'ils vouloient re- garder quelque chofe au-deflus d'eux. Iis ont le nez gros, les lèvres grofles & la bouche grande; ils s’arrachent apparemment les deux dents du devant de la mächoire fupérieure , car elles manquent à tous , tant aux hommes qu'aux femmes , aux jeunes & aux vieux ; ils n’ont point de barbe : leur vifage eft long , d’un afpe& très défagreable , fans un feui trait qui puifle plaire ; leurs cheveux ne font pas longs & liffes comme ceux de prefque tous les Indiens , mais: ils font courts , noirs &@: crépus, comme ceux des Nèyres ; leur peau eft noire comme ceile des Nègres de Guinée. Ils n’ont point d'habits, mais feulement un morceau &é- corce d'arbre attaché au milieu du corps en forme de ceinture, avec une poignée d'herbes longues au milieu; ils n’ont point de maiïfons , ils couchent à l'air fans au- cune couverture, & n’ont pour lit que la terre ; ils demeurent en troupes de vingt - outrente , hommes, femmes & enfans, tout cela pêle-mêie. Leur unique nourriture eft un petit poiflon qu'ils prennent en faifant des réfervoirs de pierre dans de petits bras de mer, ils n'ont ni pain, ni grains, ni légumes, &c, (7). | Les peuples d'un autre côté de la nou- velle Hoïllande , à vingt-deux ou vingt-trois [x] Voyezle Voy age de Dampier, tom. HE, pas. pal 45 Hifloire naturelle. degrés latitude fud , femblent être de fæ même race que ceux dont nous venons de parler : ils font extrêmement laids , ils ont de même le regard de travers, la peau noire , les cheveux crépus, le corps grand & délié (4). Il paroît par toutes ces defcriptions, que les ifles & les côtes de l’océan Indien font peuplées d'hommes très différens entr'eux. Les habitans de Malaca, de Sumatra & des ifles Nicobar, femblent tirer leur origine des Indiens de la prefqu’ifle de l’Inde ; ceux de Java, des Chinois , à l’exception de ces hommes blancs & blonds qu'on appelle Chacrelas, qui doivent venir des Européens ; ceux des ifles Moluques paroiïfflent auf ve- nir pour la plupart, des Indiens de la pref- qu'ifle ; mais les habitans de l’ifle de Tt- mor qui eft la plus voifine de la nouvelle Hollande , font à-veu-près femblables aux peuples de cette contrée. Ceux de l’ifle For- mofe & des ïifles Marianes fe reflemblent par la hauteur de la taille, la force &r les traits ; ils paroiïflent former une race à part différente de toutes les autres qui lPavoifr- nent. Les Papous & les autres habitans de la nouvelle Guinée , font de vrais noirs, & refflemblent à ceux d'Afrique , quoiqu'ils en {oient prodigieufement éloignés , & que cette terre Lu féparée du continent de l'Afrique par un intervalle de plus de 2200 lieues de {s) Idem , some IV , page 134 fer: de l'Homme. | 49 imner. Les habitans de la nouvelle Hollande reflemblent aux Hottentots. Maïs avant que de tirer des conféquences de tous ces rap- ports, & avant que de raifonner fur ces différences , il eft néceflaire de continuer notre examen en détail des peuples de l’A- fie & de l'Afrique. Les Mogols & les autres peuples de Iæ prefqu'ifle de l'Inde, refflembient aflez aux En io pu la taille & par les traits, mais ils en diffèrent plus ou moins par la couleur. Les Mogols font olivätres, quoi- qu’en langue Indienne Mogol veuille dire blanc ; les femmes y font extrêmement pro- pres, & elles fe baïignent très fouvent ; elles font de couleur olivatre comme les hom- mes , & elles ont les jambes & les cuiffes fort longues & le corps aflez court, ce qui eft le contraire des femmes Européennes (4). Tavernier dit que lorfqu'on a pañlé Lahor & le royaume de Cachemire , toutes les femmes du Mogol naturellement n’ont point de poil en aucune partie du corps ; & que les hommes n’ont que très peu de barbe |c]. Selon Thevenot les femmes Mogoles font affez fécondes, quoique très chañtes; elles accouchent auffi fort aifément , & on en voit quelquefois marcher par la ville dès le lendemain qu'elles font accouchées ; il Re ee a (B) Voyezies voyages de la Boulaye-le:Gouz, Pa= FES , 1057 » page 153. (c) Voyez les voyages de Tavernier, Rouer, 1713, tome Ill, p. 80. Ælift. nat, Tom, V, E 60 | Hifloire naturelle ajoute qu'au royaume de Décan on marie les enfans extrêmement jeunes ; dès que le mari à dix ans & la femme huit, les pa- rens les laiflent coucher enfemble, & il y en a qui ont des enfans à cet âge; mais les femmes qui ont des enfans de f. bonne heure, ceflent ordinairement d'en avoir après l’âge de trente ans, &c elles deviennent ex- trèmement ridées [2]. Parmi ces femmes, il y en a qui fe font découper la chair en fleurs, comme quand on applique des ven- toufes ; elles peignent ces fleurs de diver- {es couleurs avec du jus de racines, de ma- niere que leur peau paroït comme une étoffe à fleurs fe). Les Bengalois font plus jaunes ‘que les Mogols : ils ont aufli des mœurs toutes dif- férentes ; les femmes font beaucoup moins chaftes, on prétend même que de toutes les femmes de l'Inde ce font les plus lafcives. On fait a Bengale un grand commerce d’ef claves mâles & femelles ; on y fait auffi beaucoup d’eunuques , foit de ceux auxquels on n’ôte que les tefticules , foit de ceux à qui on fait l’amputation toute entiere. Ces peuples font beaux & bien faits , ils aiment le commerce & ont beaucoup de douceur dans les mœurs (f). Les habitans de la c6- te de Céremandel font plus noirs que les Bengalois ; ils font auffi moins civilifés ; les 20 EE AC EE PER EE A PR (4) Voyez les voyages de Thevenot, t. IT, p, 246, (e) Voyez les voyages de Tavernier, t. HT, p, 34. {f) Vovez les voyages de Pyrard, p; 354 de l’'Horirre. & gens du peuple vont prefque nus. Ceux de la côte de Malabat {ont encore plus noirs, ils ont tous les cheveux noirs , liffes & fort longs, ils font de la taille des Européens ; les femmes portent des anneaux d’or aunez; les hommes, les femmes & les filles {e bai- gnent enfemble & publiquement dans des baflins au milieu des villes ; les femmes font propres & bien faites, quoique noîïres ou du moins très brunes; on les marie dès l’äge de huit ans (2). Les coutumes de ces différens peuples de l’Inde font toutes fort fingulie- res, & même bizarres. Les Banianes ne man- gent rien de ce qui a eu vie; ils craignent même de tuer le moindre infeéte, pas mé- me les poux qui les rongent ; ils jettent du riz & des fèves dans la riviere pour nour- tir les poiffons , & des graines fur la terre pour nourrir les oifeaux & les infe@tes: quand ïils rencontrent un chafieur ou un pêcheur, ils le prient infamment de fe dé- {ifter de fon entreprifle ; & fi l’on eft {ourd à leurs prieres , ils offrent de largent pour le fufñl & pour les filets ; & quand on refufe leurs offres , ils troublent l’eau pour ‘ épouvanter les poiflons, & crient de toute leur force pour faire fuir le gibier & les oifeaux (4). Les Naïires de Calicut font des militaires qui font tous nobles , & qui n'ont d'autre profeflion que celle des ar- sy ee PS EUR ER (2) Voyez le Recueil des voyages, Arfferdem , 1702, tome VI, D. 461. {ä) Voyage de Jean Struys ; teme LT, He 22f, s D 27 s2 Hifoire naturelle. mes; ce font des hommes beaux & bien faits, quoiqu'ils ayent le teint de couleur olivâtre , ils ont la taille élevée & ils {ont hardis, courageux , & très adroits a ma- nier les armes ; ils s’agrandiflent les oreilles au point qu’elles defcendent jufque fur leurs épaules, & quelquefois plus bas. Ces Naires ne peuvent avoir qu’une femme , mais les femmes peuvent prendre autant de maris qu'il leur plait. Le Pere Tachard dans fa lettre au Pere de la Chaife, datée de Ponticheri du 16 .février 1701, dit que dans les Caïtes ou Tribus nobles, une fem- me peut avoir légitimement plufieurs maris, qu'il s’en eft trouvé qui en avoient eu tout-à-la-fois jufqu'’à dix , qu'elles regar- doient comme autant d'efclaves qu’elles s’é- toient foumis par leur beauté (2). Cette liberté d’avoir plufieurs maris eft un privilége de nobleffe que les femmes de condition font valoir autant qu’elles peuvent ; mais les bourgeoifes ne peuvent avoir qu'un mari: il eft vrai qu'elles adouciflent la dureté de leur condition par le commerce qu’elles ont avec les étrangers , auxquels elles s’aban- donnent fans aucune crainte de leurs ma- ris & fans qu'ils ofent leur rien dire. Les meres proftituent leurs filles le plus jeunes qu'elles peuvent. Ces bourgeois de Calicut eu Moucois femblent être d'une autre race que les nobles ou Naires ; car ils font, hom- mes & femmes, plus laids, plus jaunes, plus mal Bus {i) Voyez les Lettres édifiantes , Recueil IT, page 1884 de l'Homme, 3 faits & de plus petite taille ( k). Il y a par- mi les Naires de certaines femmes qui ont les jambes auf groffes que le corps d’un autre homme ; cette difformité n’eft point une maladie , elle leur vient de naiflance : il y en a qui n'ont qu’une jambe, & d’autres: toutes les deux, de cette grofleur monftrueu- fe ; la peau de ces jambes eft dure & rude comme une verrue; avee cela ils ne laiffent pas d’être fort difpos. Cette race d'hommes - à grofles jambes s’eft plus multipliée parmi les Naires que dans aucun autre peuple des Indes; on en trouve cependant quelques- uns ailleurs , & furtout à Ceylan (7), où l’on dit que ces hommes à grofles jambes font de la race de Saint Thomas. Les habitans de Ceylan reffemblent aflez à ceux de la côte de Malabar ; ils ont les oreilles auf larges, aufli bafles & aufli pen- dantes , ils font feulement moins noirs (x). quoiqu’ils foient cependant fort bafanés ; ils: ont l'air doux & font naturellement fort agiles , adroits & fpirituels ; ils ont tous les. cheveux très noirs, les hommes les portent fort courts ; les gens du peuple font prefque nus ; les femmes ont le fein découvert : cet (k) Voyez les voyages de François Pyrard , page A1 & fuiv. (Z) Voyez idem , page 416 & fuir. Voyez auf le Recueil des voyages qui ont fervi à l’étäbliflement de la Compagnie des Indes de Hollande, tome FV , page: 362 : & le voyage de Jean Huguens. : (2) Voyez Phil. Pigafettæ Indie orientalis partem pr& Man ; 1598 , page 39: E L .% s4 Hi/loire naturelle, ufage eft même aflez général dans l'Inde (n} 41 y a des efpèces de fauvages dans l’ifle de Ceylan qu'on appelle Bedas , ils demeurent dans la partie {éptentrionale de l’ifle , & n’occupent qu'un petit canton ; ces Bedas ‘femblent être une efpèce d'hommes toute différente de celle de ces climats : ils habi- tent un petit pays tout couvert dé bois f« épais qu'il eft fort difficile d’y pénétrer , & us s’y tiennent fi bien cachés qu’on a de l& peine à en découvrir quelques-uns ; ils font blancs comme les Européens , il y en a mé- me quelques-uns qui font roux; ils ne id lent pas la langue de Ceylan, & leur lan- gage n'a aucun rapport avec toutes les lan gues des Indiens ; ils n’ont ni villages , ni maifons, ni communication avec perfonne ;. leurs armes font l’arc & les flèches avec Jeiquelles ils tuent beaucoup de fangliers, de cerfs , &c. Ils ne font jamais cuire leur viande, mais ils la confifent dans du miel qu'ils ont en abondance. On ne fair point l'origine de cetfe nation qui n’eft pas fort mnombreufe , & dont les familles demeurent féparées les unes des autres (0). Il me pa- roit que ces Bedas de Ceylan, auffñi-bien que les Chacrelas de Java, pourroient bien étre de race Européenne, d'autant plus que ces hommes blancs & Elonds font en très petit (r) Foyer Le Recueil des voyages, Ge. tome VII, page 19. pe ._ {c) Voyez l'Hifoire de Ceïlan; par Ribeyre,170r, page 177 & fuiv. / | de Homme s5 iümbre. Îl eft très pofñlible que quelques iommes & quelques femmes Européennes vent été abandonnés autrefois dans ces Îles ou qu'ils y avent abordé dass un nau- rage, & que dans la crainte d’être maltrai- és des naturels du pays, ils foient demeu- és eux & leurs defcendans dans les bois & ans les lieux les plus efcarpés des monta- nes, où ils continuent à mener la vie dé sauvages, qui peut-être a fes douceurs lorf- g'on y eft accoutumeé. On croit que les Maldivois viennent des Hbitans de l'ifle de Ceylan ; cependant ils , nieur refemblent pas, car les habitans de Cylan font noirs & mal formés, au lieu ge les Malgivois font bien formés & pre- prtionnés , & qu'il y a peu de différence dux aux Européens , à l’exception qu'ils {ot d’une couleur olivätre ; au refte , c’eft uipeuple mêlé de toutes les nations. Ceux guhabitent du côté du nord font plus ci- viés que ceux qui habitent ces ifles au fus ces derniers ne font pas même f bien fai & font plus noirs; les femmes y font afic belles, quoique de couleur olivâtre , il y € a aufl quelques-unes qui font auf blarhes qu’en Europe ; toutes ont les che- veunoirs, ce qu'ils regardent comme une beaë ; l’art peut bien y contribuer , car ils tâchit de les faire devenir de cette cou- leur: tenant la tête rafe à leurs filles juf- qu'à âge de huit ou neuf ans. Ils rafent aufh urs garçons , & cela tous les huit jourSce qui, avec le temps, leur rend à tous ;: cheveux noirs ; car il eft probable E 4 56 Hifloire naturélle. que fans cet ufage ils ne les auroient pa! tous de cette couleur , puifqu’on voit dé petits enfans qui les ont à demi-blonds. Un autre beauté pour les femmes , eft de le! avoir fort longs & fort épais. Ils fe frotten la tête & le corps d'huile parfumée ; au refte. leurs cheveux ne font jamais frifés , mail toujours liffles ; les hommes y font velu! par le corps plus qu’on ne l’eift en Europe Les Maldivois aiment l'exercice & font in duftrieux dans les arts; ils font fuperftitieu & fort adonnés aux femmes ; elles cachet foigneufement leur fein, quoiqu’elles foiet extraordinairement débauchées & qu'elles s:- bandonnent fort aifément ; elles font fæ oïfives & fe font bercer continuellemens elles mangent à tout moment du bétel di eft une herbe fort chaude, & beaucoup d- pices à leurs repas : pour les hommes ,!s font beaucoup moins. vigoureux qu’il ne ca- viendroit à leurs femmes. Woyez les Voyes de Pyrard, pag. 120 & 324. Les habitans de Cambaye ont le tat gris ou couleur de cendre, les uns plus € autres moins; & ceux qui font voifnsde ia mer font plus noirs que les autres»); ceux de Guzarate font jaunâtres (q). Les Canarins qui font les Indiens de Ga des ifles voifines , font olivâtres (r) GP à mg ES (p) V. Pigafette Indiæ orientalis partem plan, page 34: (q) V. les voyages de la Boulaye-le Gouz, pl 22f< (r) V. idem, ibid. | de l'Homme. ÿ7 Les voyageurs Hollandoiïs rapportent que les habitans de Guzarate font jaunâtres , les uns plus que les autres; qu’ils font de mème taille que les Européens ; que les femmes qui ne s’expofent que très rare- ment aux ardeurs du foleil , font un peu plus blanches que les hommes , & qu'il y en à quelques-unes qui font à-peu-près auf blanches que les Portugaifes (s\. Mandelflo en particulier dit que les ha- bitans de Guzarate font tous bafanés ou de couleur olivätre plus ou moins foncée , fe- lon le climat où ils demeurent; que ceux du côté du midi le font le plus, que les hommes y font forts & bien proportionnés, qu’ils ont le vifage large & les yeux noirs; que les femmes font de petite taille, mais propres & bien faites, qu'elles portent les cheveux longs, qu’elles ont auffi des ba- gues aux narines & de grands pendans d’o- reilles , page 195. Il y a parmi eux fort peu de boffus ou de boiteux ; quelques-uns ont le teint plus clair que les autres, mais ils ont tous les cheveux noirs & lifles. Les anciens habitans de Guzarate font aifés à reconnoïtre , on les diftingue des autres par jeur couleur qui eft beaucoup plus noi- re , ils font auffi plus ftupides & plus grof- fiers. Idem , tome Îl. page 222. La ville de Goa eft, comme l’on fait, Es < (5) Voyez le Recueil des voyages qui ont fervi à Pétabliffement de la Compagnie des Indes de Hollande ;. tone VI, page 405, 1! 8 Hifioire naturelle. ‘le principal établifement des Portugais dans les Indes ; & quoiqu'elle foit beaucoup dé- chue de fon ancienne fplendeur , elle“ ne laifle pas d’être encore une ville riche & commerçante : c’eft le pays du monde où il fe vendoit autrefois le plus d’efclaves, on y trouvoit à acheter des filles & des femmes fort belles de tous les pays des Indes ; ces efclaves favent pour la plupart jouer des infirumens , coudre & broder en perfettion; il y en a de blanches, d’o- hwâtres, de bafanées , & de toutes cou- leurs ; celles dont les Indiens {ont le plus amoureux , font les filles Caffres de Mo- fambique , qui font toutes noires. » C’eft , » dit Pyrard, une chofe remarquable entre tous ces peuples Indiens , tant mâles que » femelles , & que j’ai remarquée , que » leur fueur ne pue point , où les Nèygres » d'Afrique , tant en deçà que. delà le cap » de Bonne-efpèrance , fentent de telle forte _» quand ils font échauffés, qu’il eft impof- » fible d'approcher d'eux , tant ils puent » & fentent mauvais comme des poireaux » verds «. Il ajoute que les femmes In- diennes aiment beaucoup les hommes blancs d'Europe , & qu'elles les préferent aux blancs des Indes & à tous les autres Indiens (#). Les Perfans font voifins des Mogols & ils leur reffemblent aflez; ceux furtout qui ha- bitent les parties méridionales de la Perte, ÿ (2) Voyez la le partie du voyage de Pyrard, tome Ï, page 64 & fuiv. a de l'Homme. 5 ne diffèrent prefque pas des Indiens; les ha- 9 _bitans d’Ormus, ceux de la province de Baf- cie & de Balafcie font très bruns & très ba- fanés ; ceux de la province de Chefimur & des autres parties de la Perfe où la chaleur n’eft pas auf grande qu'a Ormus , font moins bruns ; & enfin ceux des provinces feptentrionales font aflez blancs (4). Les fem- mes desifles du golfe Perfique font , au rap- port des voyageurs Hollandoiïs , brunes ou jaunes & fort peu agréables , elles ont le vifage large & de vilains yeux; elles ont des modes & des coutumes femblables x celles des femmes Indiennes , comme celle de fe pafler dans le cartilage du nez des an- neaux , & une épingle d’or au travers de la peau du nez près des yeux (x); mais il eft vrai que cet ufage de fe percer le nez pour porter des bagues & d’autres joyaux , s’eft étendu beaucoup plus loin; car il y a beau- coup de femmes chez les Arabes qui onr uae narine percée pour y pañler un grand anneau ; & C’eft une galanterie chez ces peu- - ples de baïfer la bouche de leurs femmes à { travers ces anneaux , qui font quelquefois affez grands pour enfermer toute Ja bouche dans leur rondeur (y). (4) Voyez la defcription des Provinces orientales. par Marc Paul, Paris, 1ÿ56, pages 22 6 39. Voyez: auffi le voyage de Pyrard, tome Il, page 256. (x) Voyez le Recueil des voyages de la Compagnie de: Hollarde , Amfterdam, 1702, tome V, page. 191. - {y) Voyez le voyage fait par ordre du Roi dans Î& Suieline , pars M. D.L.R. Poris , 1717 , page 260 60 Hifloire naturelle, Xénophon, en parlant des Perfans, dit qu'ils étoient la plupart gros & gras; Mar- cellin dit au contraire que de fon temps ils étoient maigres & fecs. Olearius qui fait cette remarque, ajoute qu'ils font aujour- d’hui, comme du temps de ce dernier au- teur, maigres & fecs, mais qu'ils ne laiflent pas d’être forts & robuftes; 1elon lui ils ont le teint olivatre, les cheveux noirs & le nez aquilin (7). Le fang de Perfe, dit Char- din, eft naturellement groffier; cela fe voit aux Guèbres qui font le refle des anciens Perfans : ils font laids, mal faits, pefans, ayant la peau rude & le teint coioré; cela fe voit auf dans les provinces les plus. proches de l'Inde où les habitans ne {ont guere moins mal faits que les Guèbres parce qu'ils ne s’allient qu'entre eux; mais dans le refte du royaume le fang Perfan eft pre- fentement devenu fort beau, par le mélange du fang Georgien & Circaffien, ce font les deux nations du monde où la Nature forme de plus belles perfonnes : auf # n’y a. prefque aucun homme de qualité en Perfe qui ne foit né d'une mere Géorgienne ou. Circaffienne ; le Roi lui-même eft ordinai- rement Géorgien ou Circaflien d'origine du coté maternel; & comme il y a un grand nombre d'années que ce mélange a com- mencé de fe faire, le {exe féminin eft em- belli comme l'autre, & les Perfannes font © (4) Voyerle voyage d'Oléarius, Paris, 1656 , tome À, pige 501. 2° de l'Homme. 61 devenues fort belles & fort bien faites, quoi- que ce ne foit pas au point des Géorgien- nes. Pour les hommes ils font communé- ment hauts, droits, vermeils, vigoureux , de bon air & de belle apparence. La bonne température de leur climat & la fôbriété dans laquelle on les élève, ne contribuent pas peu à leur beauté corporelle; ils ne la tiennent pas de leurs peres, car fans le mé- lange dont je viens de parler, les gens de qualité de Perfe feroient les plus laids hom- mes du monde, puifqu'ils font originaires de la Tartarie dont les habitans font, com- me nous l’avons dit, laïids, mal faits & grof- fers: ils font au contraire fort polis & ont beaucoup d’eiprit , leur imagination eft vive , prompte & fertile, leur mémoire aifée & féconde; ils ont beaucoup de dif- poñtion pour les fciences & les arts libe- raux @ mécaniques, ils en ont aufli\ beau- coup pour les armes ; ils aiment la gloire. ou la vanité qui en eft la fauñfle image ; leur naturel eft pliant & fouple, leur e!prit fa- cile & intrigant, ils font galans, même voluptueux ; ils aiment le luxe, la dépenfe, & ils s’y livrent jufqu’à la prodigalité; auff n’entendent-ils ni l’économie , ni le com- merce. Woyez les voyages de Chardin, Amfier- dam, 1711, tom. Il, page 34 Ils font en général affez fobres, cependant ‘immodérés dans la quantité de fruits qu'ils mangent; il eft fort ordinaire de leur voir manger un #47 de melons, c’eft-a-dire , douze kvres pefant; il y en a même qui en man- 62 Hifioire naturelie. gent trois Ou quatre mans ; aufh en meurt t-il quantité par les excès des fruits (a ). On voit en Perfe une grande quantité de bel- les femmes de toutes couleurs : car les mar- chands qui les amènent de tous les côtés, choififfent les plus belles. Les blanches vien- nent de Pologne , de Mofcovie, de Circañie, de Géorgie & des frontieres de la gr:nde Tar- tarie ; les bafanées des terres du grand Mo- pol & de celles du Roi de Golconde & du Roide Vifapour; & pour les noires elles viennent.de la côte de Melinde & de celles de la mer Rouge (b}). Les femmes du euple ont une finguliere fuperftition : celles qui font ftériles s’imaginent que pour devenir iécondes il faut païñler fous les corps morts s criminels qui font fufpendus aux four- atrendent le temps où il y a dans ces bains un grand nombre \d’hommes , alors elles tra- verfent plufieurs fois l’eau qui en fort; & jorfque cela ne leur réuflit pas mieux que la premiere recette , elles fe déterminent enfin à avaler la partie du prèépuce qu'on {a) Voyez les voyages de Thevenot, Paris , 1664, tome Il , page 161. (b) Voyez les voyages de Tavernier , Rouen, 1713; n come ÎT, page 368. de l'Hornme. 63 retranche dans la circoncifon; c’eft le fou- verain remède contre la ftérilité (c). Les peuples de la Perfe, de la Turquie, de l'Arabie, de l'Egypte & de toute la Bar- barie peuvent être regardés comme une méme nation qui, dans le temps de Mahomet & de fes fucceffeurs , s’eft extrêmement éten- due , a envahi des terreins immenfes, &z s'eft prodigieufement mêlée avec les peuples naturels de tous ces pays. Les Perfans, les Turcs , "les Maures fe font policés jufqu’àa un certain point: mais les Arabes font de- meurés pour la plupart dans un état d’in- dépendance qui fuppofe le mépris des loix ; ils vivent comme les Tartares, fans règle, fans police, & prefque fans fociété : le larcin, le rapt, fe brisandage font au- torifés par leurs chefs; ils fe font honneur de leurs vices, ils n’ont aucun refpe& pour Ja vertu, & de toutes Îles conventions “humaines ils n'ont admis que celles qu’ent produit le fanatifine & la fuperftition, Ces peuples fcnt fort endurcis au travail, ils accoutument aufli leurs chevaux à la plus grande fatigue, ils ne leur donnent à boire & à manger qu'une feule fois en vingt-qua- tre heures ; aufli'‘ces chevaux fontils très maigres, mais en même temps ils font très prompts à la courfe, &, pour ainfi dire, infatigables. Les Arabes pour la plupart vivent miférablement, ils n’ont ni pain ni 20 (c) Voyez les voyages de Gemelli Careri, Paris, 2719 , tome Îl, page 200. Es 64 Hifloire naturelle. vin, ils ne prennent pas la peine de culti- ‘ver la terre; au lieu de pain ils fe nour- rifient de quelques graines fauvages qu'ils détrempent & paitriflent avec le lait de leur bétail ( Z). [ls ont des troupeaux de cha- meaux , de moutons & de chèvres qu'ils mènent paîitre ça @& là dans les lieux où ils trouvent de l’herbe; ils y plantent leurs tentes qui font faites de poil de chèvre, & ils y demeurent avec leurs femmes & leurs enfans, jufqu'à ce que l'herbe foit mangée , après quoi ils décampent pour aller en chercher ailleurs (e). Avec une maniere de vivre aufli dure & une nourriture auf fimple , ies Arabes ne laïflent pas d’êrre très robuftes & très forts, ils font même d’une aflez grande taille & aflez bien faits, mais ils ont le vifage & le corps brülés de l’ar- deur du foleil, car la plupart vont tous nus ou ne portent qu'une mauvaife chemife { f). Ceux des côtes de l’Arabie heureufe & de l’ifle de Socotora font plus petits, ils ont le teint couleur de cendre ou fort bafaneé, & ils reflemblent pour la forme aux Abyflins (g}). Les Arabes font dans l'ufage de fe faire appliquer une couleur (d) Voyez les voyages de Villamon. Lyon, 1620, page Co7. (e) Voyez les voyages de Thevenot. Paris 1664 ; tome Ê, page 330. {f) Voyez les voyages de Villamon, page 604. (g) Wide Philip. Pigafettæ Ind. Orientalis partem pri= mem. Francufurti, 1598 , page 25. Voyez aufh la fuite des voyages d'Oléarius, tome 11, page 108. bleue : de P Homme. 6$ Bleue foncée aux bras, aux lèvres & aux parties les plus apparentes du corps; ils: mettent cette couleur par petits points & la font pénétrer dans la chair avec une aiguille faite exprès ; la marque en eft inef- façable (2). Cette coutume finguliere fe: trouve chez les Nègres qui ont eu com- merce avec les Mahometans. _ Chez les Arabes qui demeurent dans les: déferts fur les frontieres de Tremecen &. de Tunis, les filles pour paroître plus bel-- les fe font des chiffres de couleur bleue fur. tout le corps avec la pointe d’une lancette & du vitriol , & les Africaines en font au- tant à leur exemple , mais non pas celles- qui demeurent dans les villes, car elles. confervent la même blancheur de vifage avec laquelle elles font venues au monde ;. quelques-unes ieulement fe peignent une: _ petite fleur ow quelque autre chofe aux. joues, au front ouau menton, avec de lafumée de noix de galle & du fafran, ce qui rend: la marque fort noire ; elles fe noirciffent: aufh les fourcils. Voyez l'Afrique de Marmol .. tome I, page 88. La Boullaye dit que les- femmes des Arabes du défert ont les mains .. les lèvres & le menton peints de bleu. que Îa plupart ont des anneaux d’or ou: d'argent au nez, de trois pouces de diamè- tre, qu’elles font affez laides parce qu’elles: font perpetusllement au foleil, mais qu’elles: {*) Voyez les voyages de Pietro della Valle. Roues. 5745, tome ÎI , page 269, 5 66 Hifloire naturelle. \ naiflent blanches ; que les jeunes filles font: très agréables, qu’elles chantent fans cefle.. & que leur chant n’eft pas trifle comme celui des Turques ou des Perfannes, mais. qu'il eft bien plus étrange, parce qu'elles pouflent leur haleine de toute leur force, & qu’elles articulent extrêmement vite. Voyez ‘les voyages de la Boullaye-le-Gouz , pag. 316. » Les Princefles & les Dames Arabes . » dit un autre voyageur, qu'on m'a mon= » trées par le coin d’une tente, m'ont paru » fort belles & bien faites ; on peut juger par: » celles-ci & par ce qu'on m'en a dit, que » les autres ne le font guere moins: elles: » font blanches, parce qu'elles font toujours » à couvert du foleil. Les femmes. du com- »” mun {ont extrêmement halées ; outre la: » couieur brune & bafanée qu’elles ont na- » turellement , je les ai trouvées fort lai- » des dans toute leur figure, & je n'ai rien » vu en elles que les agrémens ordinaires: » qui accompagnent une grande jeunefle. » Ces femmes fe piquent les lèvresavec des: » aiguilles , & mettent par-deffus de la pou- » dre à canon mêlée avec du fiel de bœuf: qui pénètre la peau &c les rend bleues & » Jlivides pour tout le refte de leur vie; el- » les font des petits points de la même fa- » con aux coins de leur bouche , aux côtés. + du menton & fur les joues; elles noir- » Ciflent le bord de leurs paupières d'une » poutre, noire compoiée avec de la tutie. » @& tirent une ligne de ce noir au dehors: ». du coin de Fœil pour le faire paroitre: « plus fendu ; car en général la principale 2 de l'Hornme, | 67 y beauté des femmes de l'Orient eft d'avoir » de grands yeux noirs, bien ouverts & n relevés à fleur de tête. Les Arabes ex- » priment la beauté d’une femme en difant » qu'elle a les yeux d’une gazelle : toutes » leurs chanfons amoureufes ne parlent que » des yeux noirs & des yeux de gazelle, » & c'eft à cet animal qu'ils comparent » toujours leurs maîtrefles ; effeftivement » il n’y a rien de fi joli que ces gazelles, » On voit furtout en elles une certaine » crainte innocente qui reflemble fort à la » pudeur & à la timidité d'une jeune fille. » Les dames & les nouvelles mariées noir- » cifient ieurs fourcils & les font joindre » fur le milieu du front; elles fe piquent » aufli les bras & les mains, formant plu- » fieurs fortes de figures d'animaux , de » fleurs , &c. Elles fe peignent les ongles ». d'une couleur rougeâtre. & les hommes » peignent aufll de la même couleur les »-Crins & la queue de leurs chevaux; elles » Ont Îes oreilles percées en plufieurs en- » droits avec autant de petites boucles & » d’anneaux ; elles portent des bracelets » aux bras & aux jambes «, Voyez le voyage fait par ordre du Roï dans la Palefline par M. D. £. R. page 260, DE Au refte’ tous les Arabes font jaloux de leurs femmes, & quoiqu'ils les achet- tent ou qu’ils les enlèvent, ils les traitent avec douceur ,; & même avec quelque refpett. | Les Egyptiens qui font fi voifins des Ara- , Bes , qui ont la même religion , & qui font. ; F 2 68 Hiffoire raturelle. comme eux foumis à la domination des Turcs, ont cependant des coutumes fort dit- férentes de celles des Arabes ; par exem- ple, dans toutes les villes & villages le long du Nil on trouve des filles deftinées. aux plaifirs des voyageurs, fans qu’ils foient obligés de les payer; c’eft lPufage d’avoir es maïfons d’hofpitalité toujours remplies. de ces filles , & les gens riches fe font en mourant un devoir de piété de fonder ces maifons & de les peupler de filles qu'ils font acheter dans cette vue charitable ; lorfqu’elles accouchent d’un garçon, elles font obligées de l’élever jufqu'a l’âge de trois ou quatre ans, après quoi elles le por- tent au patron de la maïfon ou à fes he- ritiers, qui font obligés de recevoir l'enfant, & qui s’en jervent dans la fuite comme d’un efclave ; mais les petites filles reftent toujours avec leur mere, & fervent enfuite à les remplacer (:). Les Egyptiennes font fort brunes, elles ont les yeux vifs (k); leur taille eft au-deflous de la médiocre: la maniere dont elles font vêtues n’eft point du tout agréable, & leur converfation eit fort ennuyeufe ( / ) ; au refte elles font beaucoup d'enfans , &: quelques voyageurs prétendent que la fécondité occafonnée (2) Voyez les voyages de Paul Lucas. Paris, 1704, page 363 , dc. # (E) Voyez Les voyages de Gemelli Careri, tome FE, pige 190. : (£) Voyez les voyages du Pere Vansleb. Paris, 1677, PASe 4: | de l'Homme, 69 par l'inondation du Nil ne fe borne pas à Ja terre feule , mais qu’elle s'étend aux hommes & aux animaux; ils difent qu'on voit par une expérience qui ne s’eft jamais démentie, que les eaux nouvelles rendent les femmes fécences, foit qu'elles en boi- vent , foit qu’elles fe contentent de sy baigner; que c’eit dans les premiers mois qui fuivent l’inondation, c’eft-a-dire, aux mois de juillet & d'août, qu’elles conçoivent ordinairement, & que les enfans viennent au monde dans les mois d'avril & de mai:: qu'a l'égard des animaux, les vaches por- tent preique toujours deux veaux à la fois. les brebis deux agneaux , &c. (m). On ne fait pas trop comment concilier ce que nous venons de dire de ces bénignes influences: du Nil, avec les maladies fâcheufes qu'if | produit ; car M. Granger dit que l’air de- l'Egypte eft malfain, que les maladies des yeux y font très fréquentes, & fi difficiles. à guérir que prefque tous ceux qui en font attaqués perdent la vue; qu'il y a plus. d’'aveugies en Egypte qu'en aucun autre . ays , & que dans le temps de la crüe du Ni la plupart des habitans font attaqués de diffenteries opiniâtres, caufées par les ezux de ce fleuve, qui dans ce temps-là font. fort chargées de fels (7 ).. | (rm) Voyez Les voyages du fieur Lucas. Rouen, 1619, page 83. (z) Voyez le voyage de M. Granger. Paris , 1745, page 214 70 Hifioire naturelle, Quoique les femmes foïent communément aflez petites en Egypte, les hommes {ont ordinairement de haute taille { o ). Les uns & les autres font , généralement parlant , de couleur olivâtre ; & plus on s'éloigne du Caire en remontant, plus les habitans font bafanés, jufque -là que ceux qui font aux confins de la Nubie, font prefque auf noirs que les Nubiens mêmes. Les défauts les plus naturels aux Egvyptiens, font l'oifiveté. & la poltronnerie ; ils ne font prefque autre chofe tout le jour que boire du: café, fu- mer, dormir , ou demeurer oïififs en une place , ou caufer dans les rues ; ils font fort sonorans, & cependant pleins d’une vanité: ridicule. Les Coptes eux- mêmes ne font pas exempts de ces vices; & quoiqu'ils ne puiflent pas nier qu'ils n’ayent perdu leur noblefte , les fciences, l’exercice des armes, leur propre hifloire & leur langue même, & que d'une nation illuftre & vaillante ils ne foient devenus un peuple vil & eiclave . eur orgueil va néanmoins jufqu’à méprifer les autres nations, & à s’ofenfer Ioriqu'on leur propofe de faire voyager leurs enfans. en Europe , pour y être élevés dans les fciences & dans les arts ( p \. Les nations nembreufes qui habitent les CEE DD ETES (o) Voyez les voyages de Pietro della Valle, tome, page 401. (p) Voyez Les voyages du fieur Lucas, tome I, page Y943 & ja relation d’un voyage fait en Egypte par le: Fere Vansleb, page 42.- | \ x { de l'Homine, ït côtes de la Méditerranée depuis l'Egypte jufqu'à l'Océan, & toute la profondeur des terres de Barbarie jufqu'au Mont Atlas & au+delà, font des peuples de différente ori- gine ; les naturels du pays, les Arabes, les Vandales, les Efpagnols, & plus ancienne- ment les Romains &r les Egyptiens ont peu- plé cette contrée d'hommes aflez différens: entr'eux ; par exemple les habitans des mon- tagnes d'Aureff ont un air & une phyfono- mie différente de celle de leurs voifins ; leur teint , loin d’être bafané, eft au contraire: blanc & vermeil , & leurs cheveux font d'un: jaune foncé, au heu que les cheveux de tous les autres font noirs , ce qui, felon. M. Shaw, peut faire croire que ces hom- mes blonds defcendent des Vandales, qui après avoir été chaflés, trouvèrent moyen de fe rétablir dans quelques endroits de ces montagnes ( 4 ). Les femmes du royaume de Fripoh ne refemblent point aux Egyptien- nes dont elles font voifines ; elles font gran- des , & elles font même confifter la beauté a avoir la taille exceflivement longue; elles: fe font, comme Îles femmes Arabes, des pi- qüres fur le vifage , principalement aux joues & au menton; elles eftiment beauçoun: les cheveux roux, comme en Turquie, & elles font même peindre en vermillon les. cheveux de leurs enfans ( r ). {g) Voyez Les voyages de M. Shaw. La Haye 1742, tome I, page 168. (r) Voyez l’état des royaumes de Barbarie, La Haye, 4704, > Fifioire naturelle En général, les femmes Maures affeétert: toutes de porter les cheveux longs jufque fur les talons ; celles qui n’ont pas beaucoup: de cheveux ou qui ne les ont pas fi longs. que les autres, en portent de poftiches, à toutes les treflent avec des rubans; elles fe: teignent le poil des paupières avec de la. poudre de mine de plomb; elles trouvent que la couleur fombre que cela donne aux yeux eft une beaute finguliere. Cette cou- tume eft fort ancienne & aflez générale. puifque les femmes Grecques & Romaines. fe brunifloient les yeux comme les femmes: de l'Orient. ( Voyages de M. Shaw ,.tom. I. page 382). tous La plupart des femmes Maures pafferoient. pour belles , même en ce pays-ci; leurs: enfans ont le plus beau teint du monde &. Le corps fort blanc; il eft vrai que les gar- çons qui font expofés au foleil bruniflent- bientôt, mais les filles qui fe tiennent à la maifon, confervent leur beauté jufqu’à l’âge: de trente ans qu’elles ceffent communément d'avoir des enfans ; en récompenlfe elles en. ont fouvent à onze ans ,.&c fe trouvent quel- quefois grand'meres à vingt-deux ; & comme. elles vivent auf long - temps que les fem- mes Européennes, elles voient ordinairement plufieurs générations. (Idem ,tom. 1 pag. 395). On peut remarquer en lfant la defcrip- tion de ces différens peuples dans Marmol, que les habitans des montagnes üe la Barba- rie font blancs, au lieu que les habitans des côtes de la mer & dès plaines" font bafanés & très bruns. il dit exprefflément que les ha-- are bitans de l'Homme. 73 Fitans de Capez, ville du royaume de Tunis fur la méditerranée, font de pauvres gens Fort noirs ( s )}; que ceux qui habitent Île long de la riviere à= Dara dans la province d’'Eicure au royaume de Marec, font fort bafanés (sr ); qu’au contraire les habitars de Zarhou & des montagnes de Fez du côté du mont Atlas, font fort blancs; & il ajoute que ces derniers {ont fi peu fenfbles au froid, qu'au milieu des neiges & des glaces ae ges montagnes ils s’habiilent très légére- ment & vont tête nue toute l’année { w ); &r à l'égard des habitans de la Numidie , 11 it qu'ils fent plutôt bafanés que noirs que les femmes y {ont même aflez blanches & ont beaucoup d’embonpoint , quoique les hommes foient maigres ( x )}; mais que les habitans du Guaden dans le fond de la Nu- midie fur les frontieres du Sénégal, font plu- tôt noirs que bafanés ( y ), au lieu que dans la province de Dara les femmes {ont belles, fraîches, & que par-tout”il y à une grande quantité d’efclaves Nègres de l’un & de l’autre fexe { z ). Tous les peupies qui habitent entre le zome & le 3ome ou le 3ÿme degré de la- (s) Foyer l'Afrique de Marmol, tome Il, page 536 (2) Idem, tome IF, page 125. () Idem, tome I, pages 198 & 365. {x) Idem , tome I, page 6. (y) Idem, tome Il, page 7. x) Idem , tome IT, page 12, Z° 4 ; , #. 77 Fifi nai, Tom. F. G FA - Hifloire naturelle, titude nord dans l'ancien pubs depuis l’empire du Mogol jufqu'en Barbarie, & même depuis le Gange jufqu’aux eôtes oc- cidentales du royaume de Maroc, ne font donc pas fort différens les uns des autres , fi l’on excepte les variétés pärticulieres occa- fionnées par le mélange d’autres peuples plus feptentricnaux, qui ont conquis ou peuplé quelques-unes de ces vaftes contrées. Cette étendue de terre fous les mêmes parallèles, eft d'environ deux mille lieues ; les hommes en général y font bruns & bafanés, mais ils font en même temps aflez beaux & aflez biens faits. Si nous examinons maintenant ceux qui habitent fous un climat plus tem- péré , nous trouverons que les habitans des provinces feptentrionales du Mogol & de la Perte, les Arméñiens, les Turcs, les Geor- giens , les Mingréliens, les Circaffiens , les Grecs & tous les peuples de l’Europe, font les hommes les plus beaux, les plus blancs & les mieux faits de toute la terre; & que quoiqu'il y ait fort loin de Cachemire en Éfpagne, ou de la Circafhe à la France, il ne laifle pas d'y avoir une finguliere ref- femblance entre ces peuples f. éloignés les uns des autres, mais fitués à-peu-près à une égale diftance de l’Equateut. Les Ca- chemiriens , dit Bernier, font renommés pour Ja beauté; ils font aufli-bien faits quesles Européens & ne tiennent en rien. du vifage Tartare ; ils n’ont point ce nez écaché & ces petits yeux de cochon qu'on trouve chez leurs voifins ; les femmes furtout {ont très belles, auffi la plupart des étrangers noôu- de Homme. 75 veaux-venus à la cour du Movoi, fe fournif. ent de femmes Cachemiriennes , afin d’avoir -des enfans qui foient plus blancs que les In- diens , & qui puiflent aufh pafler pour vrais Mogols (a ). Le fang de Géorgie eft encore plus beau que celui de Cachemire; on ne trouve pas un laid vifage dans ce pays, & la Nature a répandu fur la plupart des femn- mes, des graces qu'on ne voit pas ailleurs; elles font grandes, bien faites, extrêmement déliées à la ceinture ; elles ont le vifage charmant ( à }. Les hommes font auf fort beaux (c }); ils ont naturellement de l’efprit, & ils feroient capables des fciences & des. arts, mais leur mauvaife éducation les rend très ignorans & très vicieux, & il n’y a peut-être aucun pays dans le monde ou le dibertinage & l’ivrognerie foient à un fi haut point qu'en Géorgie. Chardin dit que les sens d'églife, comme les autres, s’enivrent irès fouvent & tiennent chez eux de belles efclaves dont ils font des concubines; que perfonne n’en eft fcandalifé, parce que la coutume en eft générale & même autorifée, & il ajoute que le Préfet des Capucins lui a affuré avoir oui dire au Catholicos ( on ap- pelle ainfi le Patriarche de Géorgie ) que ce= De CS ST SG | (a) Voyez les voyages de Bernier, Am/ferdam , 1710, some IT , page 281. (b) Voyez les voyages de Chardin , premiere partie, : Londres 1686 , page 204. (c) Voyez il Genio vagante del conte Aurelio degli Anzi, {n Parma 1691, tome 1, page 170. ñn #4 . 6 Hifloire naturelle. Jui qui aux grandes fêtes, comme Pâques & Noël, ne s’enivre pas entiérement ,ne pafle pas pour Chrétien & doit être excommunié ( 4). Avec tous ces vices les Géorgiens ne laif- fent pas d'être civils, humains , graves & modérés ; ils ne fe mettent que très rare- ment en colere, quoiqu'ils foient ennemis irréconciliables lorfqu’ils ent conçu de la haine contre quelqu'un. Les femmes, dit Struys, font auf fort belles & fort blanches en Circaflie, & elles ont le plus beau teint & les plus belles cou- leurs du monde; leur front eft grand & uni, & fans le fecours de l’art elles ont fi peu de fourcils qu’on diroit que ce n’eft qu'un filet de foie recourbé; elles ont les yeux #rands , doux & pleins de feu, le nez bien fait, les lèvres vermeilles , la bouche riante & petite, 6 le menton comme il doit être pour achever un parfait ovale; elles ont le cou & la gorge parfaitement bien faits, la peau blanche comme neige, la taille grande & aifée, les cheveux du plus beau noir; elles portent un petit bonnet d’étoffe noire, fur lequel eft attaché un bourlet de même couleur ; mais ce qu'il y a de ridicule, c’eft que les veuves portent à la place de ce boùr- tet une veflie de bœuf ou de vache des plus enflées, ce qui les defigure merveilleufe- ment. L'été les femmes du peuple ne por- tent qu’une fimple chemife qui eft ordinaire- ment bleue, jaune ou rouge, & cette che- (d) V. les voy. de Chardin, page eos. de l'Homme. af mile eft ouverte jufqu’à mi - corps ; elles on£ le fein parfaitement bien fait, elles font affez libres avec les étrangers, mais cependant fidelles à leurs maris qui n’en font: point ja- loux. ( Voyez les Voyages de Struys, tome IT, page 75 }). . . dit aufh que les femmes de Ia Comanie & de ia Circañie font, comme celles de Géorgie, très belles & très bien faites, qu'elles paroïfient toujours fraiches jufqu'’à l'âge de quarante-cinq ou cinquante ans ; quelles font toutes fort laborieules, & qu'elles s'occupent fouvent des travaux les :plus pénibles. Ces peuples ont conferveé la plus grande liberté dans le mariage ; car s'il arrive que le mari ne foit pas content de fa femme, & qu'il s’en plaigne le premier, le Seigneur du lieu envoye prendre la femme & la fait vendre, & en donne une autre à l’homme qui s’en plaint; & de même fi la femme fe plaint la premiere, on la laifle li- bre , & on lui ôte {on mari (e). Les Mingréliens font, au rapport des voyageurs, tout aufh beaux & an bien faits que les Géorgiens ou les Circafliens ; & il femble que ces trois peuples ne faffent qu'une feule & même race d'hommes.» I] y a en » Mingrèlie, dit Chardin, des femmes mer- » veilleufement bien faites, d’un air majef- » tueux, de vifage & de taille admirables; » elles ont outre cela un regard engageant (c) Voyez les voy. de Tavernier, Rouen, 1713, to mel, page 469, G 3 39 P2) "78 . Fifloire naturelle qui carefle tous ceux qui les regardent: ies moins belles & celles qui font âgées ie fardent grofliérement, & fe peignent: tout le vifage, fourcils, joues, front ,nez, menton ; les autres fe contentent de fe peindre les fourcils ,'elles fe parent le plus qu’elles peuvent. Leur habit eft femblable a celui des Perfannes ; eiles portent un voile qui ne couvre que le deflus & le derriere de la tête : elles ont de l’efprit, elles jont civiles & affeétueufes, mais en inème temps très perfides , & il n’y a point de méchanceté qu’elles ne mettent en ufage pour fe faire des amans, pour les conierver ou pour les perdre. es hommes ont aufh bien de mauvaifes qualités, ils font tous élevés au larcin, ils l’étudient, ils en font leur emploi , leur plaifir & leur honneur ; ils content avec une fatisfaction extrême les vols qu'ils ont faits, ils en font loués, ils en tirent leur plus grande oloire ; l’affafinat , le vol, le menfonge, c’eft ce qu’ils appellent de belles aétions ; le concubinage, la bigamie, l’incefte , font des habitudes vertueufes en Mingrélie: l’on s’y enlève les femmes les uns aux autres, on y prend fans fcrupule fa tante, fa nièce, la tante de fa femme, on épouie deux ou trois femmes à La fois, & chaçeun entretient autant de concubines qu’il veut. Les maris font très peu jaloux; & quand un homme prend fa femme fur le fait avec fon galant, il a droit de le contraindre à payer un cochon, & d'ordinaire il ne prend pas d'autre vengeance; le cochon fe man: de l'Homme 70 » ge entre eux trois. [ls prétendent que c’eft » une très bonne & très louable coutume » d'avoir plufieurs femmes & plufieurs con- »” cubines, parce qu'on engendre beaucoup » d’enfans qu’on vend argent comptant, ou » qu'on échange pour des hardes ou pour » des vivres. Woyez les voyages de Chardin, page 77 6 fuiv. Au refte, ces efclaves ne font pas fort chers, car les hommes âgés depuis vingt- cinq ans jufqu’à quarante ne coûtent que quinze écus; ceux qui font plus âgés huit ou dix; les belles filles d’entre treize & dix- huit ans, vingt écus, les autres moins; les femmes douze écus, & les enfans trois ou quatre. dem, page 105. : Les Turcs qui achettent un très grand nombre de ces efclaves, font un peuple com- pofé de pluñeurs autres peuples; les Armé- niens , les Géorgiens, les Turcomans fe font mêlés avec les Arabes, les Egyptiens, & même avec les Européens dans le temps des croifades ; 1l n’eft donc guere poffible de re- connoître les habitans naturels de l’Afie mi- neure, de la Syrie, & du refte de la Tur- quie : tout ce qu’on peut dire, c’eft qu'en général les Turcs font des hommes robuftes & affez bien faits ; il eft même aflez rare de trouver parmi eux des boflus & des boi- _ teux(f). Les femmes font auf ordinaire- ment belles, bien faites & fans défauts ; elles (f)_ Voyez le voyage de Thevenot, Paris, 1664 3 some T, page ÿÿ, G4 80 Hifloire naturelle, tont fort blanches parce qu’elles fortent peu, & que quand elles fortent elles font toujours voilées {o). 1e : ».Îl n'y a femme de laiboureur ou de pay- » {an en Afie, dit Belon, qui n’ait le teint » frais comme une rofe, la peau délicate & » blanche, f polie & f1 bien tendue qu'il » femble toucher du velours ; elles fe fer- » vent de terre de Chio qu’elles détrempent » pour en faire une efpèce d’onguent dont. » elles fe frottent tout le corps en entrant » au bain, aufhi-bien que le vifage & les » cheveux. Elles fe peignent auf des four- » cils en noir, d’autres fe les font abattre : » avec du rufma, @ fe font de faux fourcils » avec de la temture noire , elles les font » en_forme d'arc &c élevés en croiflant, » -cela eft beau à voir de icin, mais laid lor£ » qu'on regarde de près; cet ufage eft pour- » tant de toute ancienneie « Woyez les obfer- vations de Pierre Belon. Paris, 1555, pag. 199. M ajoute que les Turcs, hommes & feitimes, -ne portent de poil en aucune partie du corps, excepté les cheveux & Ia barbe; qu'ils fe fervent du rufma pour l’ôter , qu'ils mêlent moitié autant de chaux vive qu'il y a de rufma, & qu'ils détrempent le tout dans de l’eau; qu’en entrant dans le baïn ‘on ap- plique cette pommade, qu’ôn la laiffe fur la peau à-peu-près autant de temps quil en faut pour cuire un œuf; dès que l’on com- mence à fuer dans ce bain chaud, le poik (g) Idem, tome 1, page 10%, de L'Homme. 81 tombe de lui-même en le lavant feulement d’eau chaude avec la main , & la peau dé- meure lifle & polie fans aucun veftige de poil. Zdem , page 198. I] dit encore qu'il y a \ en Egypte un petit arbriffleau nomme Ælcann: , dont les feuilles defléchées & mifes en pou- dre fervent à teindre en jaune ; les femmes de toute la Turquie s’en fervent pour fe tein- dre les mains, les pieds & les cheveux en couleur jaune ou rouge, ils teignent'aufi Ge la même couleur les cheveux des petits enfans , tant mâles que femelles, & les crins de leurs chevaux, &c. Idem , page 136. Les femmes Turques fe mettent de la tutie brülée & préparée dans les yeux pour les rendre plus noirs; elles fe fervent pour cela d’un petit poinçon d’or ou d'argent qu’elles mouillent de leur falive pour pren- dre cette poudre noire , & la faire pañler doucement entre leurs paupieres & leurs . prunelles (4) ; elles fe baignent auf très fou- vent, elles fe parfument tous les jours, & il n'y a rien qu’elles ne mettent en ufage pour conferver ou pour augmenter leur beauté; on prétend cépendant que les Per- fannes fe recherchent encore plus fur la ts que les Turques : les hommes font auffi de différens goûts iur la beauté, les Perfans veulent des brunes & les Turcs des rouiles (:) | * (*) Voyez la nouvelle Relation du Levant , par M, P. A. Paris 1667 , page 355. (1) Voyex Le voyage de La Boulaye , page 14, 82 Hifloiré naturelle, On a prétendu que les Juifs , qui tous fortent originairement de la Syrie & de la. Paleftine, ont encore aujourd'hui le teint brun comme ils l’avoient autrefois; mais, comme Île remarque fort bien Miflon, c’eft une erreur de dire que tous les Juifs font bafanés, cela n’eit vrai que des Juifs Portu- gais. Ces gens-là fe mariant toujours les uns | avec les autres ,- les enfans refflemblent à leurs pere & mere, & leur teint. brun fe perpètue auïli avec peu de diminution par- tout où ils habitent, même dans les pays du Nord; mais les Juifs Allemands, comme par exemple, ceux de Prague n'ont pas le teint plus bafané que tous les autres Alle- mands (&). Aujourd’hui les habitans de la Judée ref- femblent aux- autres Turcs : feulement ils font plus bruns que ceux de Conftantinople, ou des côtes de la mer noire, comme les Arabes font auffi plus bruns que les Syriens, parce qu'ils font plus méridionaux. Il en eft de même chez les Grecs : ceux de la partie feptentrionale de la Grèce font fortblancs, ceux des ifles ou des provinces méridionales font bruns : généralement par- lant , les femmes Grecques {ont encore plus belles & plus vives que les Turques, & elles ont de plus l’avantage d’une beaucoup plus grande liberte. Gemelli Careri dit que les emmes de l’ifle de Chio font blanches , bel- (k) Voyez les voyages de Mifon , 1717, tome El, page 225. de l'Homme. 83 des, vives & fort familieres avec les hom- mes ; que les filles voyent les étrangers fort librement, & que toutes ont la gorge entié- rement découverte (7). Il dit auf que les femmes Grecques ont les plus beaux che- veux du monde , furtout dans le voifinage de Conftantinople ; mais” il remarque que - ces femmes dont les cheveux defcendent juiqu’aux talons , n’ont pas les straits auf réguliers que les autres Grecques {”}. * Les Grecs regardent comme une très gran- de beauté dans les femmes, d’avoir de grands & de gros yeux, & les fourcils fort élevés, & ils veulent que les hommes les ayent en- core plus gros & plus grands (7). On peut remarquer dans tous les buftes antiques les médailles, &zc. des anciens Grecs, que les yeux font d’une grandeur exceffive en com- araifon de celle des yeux dans les bufies & es médailles Romaines. Les habirans des ïfles de FArchipel font prefque tous grands nageurs & très bons plongeurs. Thévenot dit qu'ils s’exercent à tirer les éponges du fond de la mer, & même leshardes & les marchandifes dés vaiffeaux qui fe perdent , & que dans l’ifle de Sa- mos on ne marie pas les garçons qu'ils ne puifent plonger fous l’eau à huit braffes (Z) Voyez les voyages de Gemelli Careri , Paris 1719, tome Î, page 110. (mn) Idem, tome, page 373. (x) Voyez les obfervations de Belon, p. 200, 84 Hifloire naturelle au moins [o]; Daper dit vingt brafles (p), & 1l ajoute que dans quelques ifles, com- me dans celle de Nicarie, ils ont une cou- tume aflez bizarre qui eft de fe parler de join, furtout à la campagne , & que ces Infulaires ont la voix fi forte qu'ils fe parlent ordinairement d’un quart de lieue , & fouvent d'une lieue , en forte que Îa converfation eft coupée par de grands in- tervalles , Ïä réponie n'’arrivant que plu- fleurs fecondes après la queftion. Les Grecs, les Napolitains, les Siciliens , les habitans de Corfe , de Sardaigne , & les Efpagnols, étant fitués à-peu-près fous le même parallèle, font affez femblables pour le teint; tous ces peuples font plus bafa- nés que les François, les Anglois , les Ai- lemands, les Polonois, les Moldaves , les Circaffens , & tous\les autres habitans du Nord de l’Europe jufqu’en Lapponie , où, comme nous l’avons dit au commencement, on trouve une autre efpèce d'hommes. Lori- qu’on fait le voyage d’Efpagne , on commence à s’appercevoir dès Bayonne de la différence ce couleur ; les femmes ont le teint un peu plus brun , elles ont aufli les yeux plus brillans (4). à Les Efpagnols font maigres & aflez pe- (o) V. le voyage de Thevenot, tome Ï, p. 206. F (p) V. la defcription des isles de l’Archipel , par Daper, Amflerdam , 1709, page 163. (a) V. la Relation du voyage d’Efpagne, Paris, 1691, P3B€ 4e de l'Homme, 85; tits; ils ont la taille fine , la tête belle , les traits réguliers , les yeux beaux, les dents affez bien rangées , mais 1ls ont le teint jau- ne & bafané : les petits enfans naïffent fort blancs, & font fort beaux ; mais en gran- diffant leur teint change d’une maniere furprenante , l’air les jaunit , le foleil les brüle ; & il eft aifé de reconnoitre un Efpa- gnol , de toutes les autres nations Euro- péennes (r). On 2 remarqué que dans quel- ques provinces d'Efpagne , comme aux en- virons de la riviere de Bidafloa , les habi- tans ont les oreilles d'une grandeur déme- furée (s). Les hommes à cheveux noirs & bruns commencent à être rares en Angleterre , en Flandre, en Hollande & dans les provinces feptentrionales de PAllemagne ; on n'en trouve prefque pointen Danemarck, en Suè- de , en Pologne. Selon M. Linnæus , les Goths font de haute taille , ils ont les cheveux lif- es, blonds, argentés, & l'iris de l’œil bleuâ- tre : Gothi corpore proceriore , capillis albidis re&is , oculorum iridibus cinereo - cœærulefcentibus, Les Finnois ont le corps mufculeux & char- nu , lies cheveux blond-jaunes & longs, l'i- ris de l'œil jaune-foncé : Fennones corpore t1o- rofo , capillis flavis prolixis , oculorum iridibus . fufcis (GE EEE (r) Idem, page 187. (s) V. la Relation du voyage d'Efpagne, Paris, 1691 ; page 326. (:) Vide Linneï Faunam Sueçicam , Stockolm , 174$, page 1: 86 Hifloire naturelle. " Les femmes font fort fécondes en Suède: . Rudbeck dit qu’elles y font ordinairement huit, dix ou douze enfans , & qu’il n’eft pas rare qu'elles en faflent dix-huit , vingt, vingt-quatre , vingt-huit & jufqu’à trente; il dit de plus qu'il s’y trouve fouvent des hom- mes qui paflent cent ans, que quelques-uns vivent juiqu’à cent quarante ans, & qu'il y en a même eu deux dont l’un a vécu cent cinquante - fix , & l’autre cent foixante-un. ans (7). Mais il eft vrai que cet auteur eft un enthoufiafte au fujet de fa patrie, & que felon lui, la Suède eft à tous égards ie pre- mier pays du monde. Cette fécondité dans les femmes ne fuppofe pas qu’elles ayent plus de penchant à l'amour; les hommes mêmes font beaucoup plus chaîftes dans les pays froids que dans les climats méridio- naux. On eft moins amoureux en Suède qu'en Efpagne ou en Portugal , & cependant les femmes y font beaucoup plus d’enfans. Fout le monde fait que les nations du Nord ont inondé toute l’Europe au point que les Hif- toriens ont appellé le Nord Officina gentrum. L'auteur des voyages hiftoriques de l’Eu- rope dit auîli , comme Rudbeck , que les hommes vivent ordinairement en Suède plus long-temps que dans la plupart des autres royaumes de l’Europe, & qu'il en a vu plu- fieurs qu’on lui affuroit avoir plus de cent (z) Vide Olaïi Rudbekii Atlant'ca, Upfal, 1684 de l'Homme, 87 cinquante ans (x). Il attribue cette longue durée de vie des Suédois à la falubrité de Jair de ce climat :il dit à-peu-près la même chofe du Danemarck. Selon lui, les Danois font grands & robuftes, d’un teint vif & co- loré , & ils vivent fort longtemps à caufe de la pureté de lair qu'ils refpirent; les femmes font auf fort blanches , affez bien faites 8: très fécondes (y). Avant le Czar Pierre [I , les Mofcovites étoient, dit-on, encore prefque barbares; le peuple né dans l’efclavage étoit groflier, brutal, cruel, fans courage & fans mœurs. Ils fe baignoïient très fouvent , hommes & | femmes pêle-mêle, dans des étuves échauf- ées à un degré de chaleur infoutenable pour tout autre que pour eux ; ils alloient enfuite comme les Lappons fe jeter dans l’eau froide au fortir de ces bains chauds. Ils {e nour- rifloient fort mal , leurs mets favoris n’é- toient que des concombres ou des melons d’Aftracan qu'ils mettoient pendant l’été con- fire avec de l’eau, de la farine &c du fel (?\. Els fe privoient de quelques viandes, com- me de pigeon ou de veau, par des fcrupu- les ridicules : cependant dès ce temps -là même les femmes favoient fe mettre du rouge, s’arracher les fourcils , fe les pein- (x) V. les voyages hiftoriques de l’Europe, Paris, . 3693, tome VIEIL, p. 220. (y) Idem, pages 239 6 280, (x) V. a Relation curieufe de Mofcovie , Paris; 5695 , P, ISIs ce 88 “‘Hifloire naturelle, dre ou s’en former d'artiñciels : elles fa- voient aufh porter des pierreries, parer leurs coiffures de perles, fe vêtir d’étoffes riches & précieufes ; ceci ne prouve-t-il pas que la barbarie commençoit à finir , & que leur Souverain n'a pas eu autant de peine à les policer que quelques auteurs ont voulu l’in- finuer ? Ce peuple eft aujourd'hui civilifé, commerçant, curieux des arts & des {cien- ces , aimant les fpe&tacles & les nouveau- tes ingénieufes. Il ne fufñit pas d'un grand homme pour faire ces changemens , il faut encore que ce grand homme naifle à pro- pos. : Quelques auteurs ont dit que l’&r de Mofcovie eft fi bon qu'il n’y a jæmais eu de pefte ; cependant les annales du pays rap- portent qu'en 1421 , & pendant les fix an- nées fuivantes , la Mofcovie fut tellement affigee de maladies contagieufes , que la conftitution des habitans & de leurs defcen- &ans en fut altérée, peu d'hommes depuis ce teraps arrivant à l’âge de cent ans, au lieu qu'auparavant il y en avoit beaucoup qui alloient au-delà de ce terme (a). Les Ingriens & les Caréliens qui habitent les provinces feptentrionales de la Mofco- vie , & qui font les naturels du pays des environs de Pétersbourg , font des hommes vigoureux & d’une conftitution robufte; ils ont pour la plupart les cheveux blancs ou (a) V. le voyage d’un Ambaffadeur de l'Empereur Léopold au Czar Michaëlowits , Leyde , 2688 , page 200. blonds de l'Homme. 89 blonds (6) : ils reflemblent affez aux Finnois, & ils parlent la même langue, qui n’a au- cun rapport avec toutes les autres langues du Nord. “ | En réfléchiffant fur la defcrintion hiftori- que que nous venons de faire de tous les peuples de l’Europe & de l’Afe , 1l paroît que la couleur dépend beaucoup du climat, fans cependant qu'on puifle dire qu’elle en dépende entiérement : il y a en effet plu- fieurs caufes qui doivent influer fur la cou- Teur & même fur la forme du corps & des traits des différens peuples; l’une des prin- cipales eft la nourriture, & nous examine- rons dans la fuite les changemens qu'elle peut occafonner. Une autre , qui.ne laiffe pas de produire fon effet, font les mœurs ou la maniere de vivre ; un peuple policé qui vit dans une certaine aifance , qui eft ac- coutume à une vie réglée , douce & tran-. quille , “qui par les foins d’un bon gouverne- ment eft à l'abri d’une certaine mifere , & ne peut manquer des chofes de premiere né- ceflité, fera par cette feule raifon compofé d'hommes plus forts , plus beaux & mieux faits, qu'une nation fauvage & indépendan- te , où chaque individu ne tirant aucun fe- cours de la fociété , eft obligé de peurvoir à fa fubfiftance, de fouffrir alternativement la faim ou les excès d’une nourriture fou- vent mauvaife, de s'épuiler de travaux ou TER ET EDR 2 EDR RE PRE LATE LE ES ECS ESENENUEE On (b) V. les nouveaux Mémoires fur l'état de la grandæ Rule, Parisig25 , tome IL, page C2. : 90 H loire naturelle, 42 de laffitude, d’éprouver les rigueurs du cli- mat fans pouvoir s’en garantir , d'agir en un mot plus fouvent comme animal que com- me homme. En fuppofant ces deux différens peuples fous un même climat, on peut croire que les hommes de la nation fauvage fe- roient plus bafanés, plus laids, plus petits, plus ridès, que ceux de la nation policée. S'ils avoient quelque avantage fur ceux-ci, ce feroit par ja force ou plutôt par la du- reté de leur: corps ; il pourroit fe faire auff qu'il y eüt dans cette nation fauvage beau- coup moins de bofflus , de boiteux, de fourds, de louches, &c. Ces hommes défeétueux vi- vent & même fe multiplient dans une na- tion policée où l’on fe fupporte les uns les autres , Où le fort ne peut rien contre le foible, où les qualités du corps font beau- coup moins que celles de l’efprit ; mais dans un peuple fauvage, comme chaque individu ne fubffte , ne vit, ne fe défend que par fes qualités corporelles , fon adrefle & fa force , ceux qui font malheureufement nés foibles , défeîtueux ou qui deviennent in- commodés:, ceflent bientôt de faire partie de la nation. J'admettrois done trois caufes qui-toutes trois concourent à produire les variétés que nous remarquons dans les différens peuples de la-terre. La premiere eft l'influence du climat ; la feconde quitient beaucoup à la premiere , eft la nourriture ; & la troifième qui tient peut-être encore plus à li pre- miere & à la feconde , font les mœurs. Mais avant que d’expofer les raifons fur de l'Homme, O1 lefquelles nous croyons devoir fonder cette opinion, il eft néceflaire de donner la def- cription des peuples de l’Afrique & de PA- mérique , comme nous avons donné celle des autres peuples de ja terre. Nous avons déjà parlé des nations de toute la partie feptentrionale de l’Afrique, depuis la mer Méditerranée juiqu’au tropi- que ; tous ceux qui font au-delà du tropi- que depuis la mer Rouge jufqu’à l’océan, fur une largeur d'environ cent ou cent cin- quante lieues , font encore des efpèces de Maures , mais fi. bafanés qu'ils paroifient prefque tout noirs : les hommes furtout {ont extrêmement bruns ; les femmes font un peu plus blanches, bien faites & aflez belles; il y a parmi ces Maures une grande quantité de Mulâtres qui font encore plus noirs qu'eux, parce qu'ils ont pour meres des Nècrefles que les Maures achettent , & defquelles ils ne laiflent pas d’avoir beaucoup d’enfans (c). Au-delà de cette étendue de terrein , fous le 17me ou 18me degré de latitude nord & au même paral- lèle, on trouve les Nègres du Sénégal & ceux de la Nubie, les uns fur la mer Océane & les autres fur la mer Rouge; & enfuite tous les autres peupies de l'Afrique qui habi- tent depuis ce 18me degré de latitude nord jufqu'au 18me degré de latitude fud , font noirs , à l’exception des Ethiopiens ou {c) V. PAfrique de Marmol, tome IIT, pages 29 & 37, 2 æ2 Hifloire naturelle, Abyfins ; il paroïît donc que la portion du globe qui eft départie par la Nature à cette race d'hommes , eft une étendue de ter- rein parallèle à l'équateur, d'environ neuf cents lieues de largeur fur une longueur bien plus grande , furtout au nord de l'é- quateur ; @& au-delà des 18 ou 20 degrés | de latitude fud, les hommes ne font plus des Nègres, comme nous le dirons en par- lant des Caffres & des Hottentots. On a été long-temps dans l'erreur au fu- jet de la couleur & des traits du vifage des Ethiopiens , parce qu'on les a confondus avec les Nubiens leurs voifins ; qui font cependant d’une race différente. Marmol dit que les Ethiopiens {ont abfolument noirs ., _qw'ils ont le vifage large & le nez plat (d), les voyageurs Hollandois difent la même chofe (e) ; cependant ia vérité ef qu'ils font différens des Nubiens par la couleur & par les traits : la couleur naturelle des Ethiopiens eft brune ou olivätre , comme celle des Arabes méridionaux , defquels ils ont probablement tiré leur origine. Ils ont la taille haute , les traits du vifage bien marqués, les yeux beaux & bien fen- dus , le nez bien fait, les lèvres petites , . & les dents blanches ; au lieu que les ha- bitans de la Nubie ont le nez écrafé, les ièvres grofles & épaifles, & le vifage fort =. (4) Idem , tome ET, p. 68 & 69. (e) Voyez le Recueil des voyages de la Compagnig des Indes de Hollande , come IP , page 32. 7 de PHomme, 93 noir (f). Ces Nubiens, aufli-bien que Îles Barberins leurs voifins du côté de l’occi- dent , font des efpèces de Nègres affez fem- blables à ceux du Sénégal. Les Ethiopiens font un peuple à demi- policé : leurs vêtemens font de toile de coton , & les plus riches en ont de foie ; leurs maïifons font bafles & mal bâties , leurs terres font fort mal cultivées, parce que les nobles méprifent, maltrairent & dépouil- lent, autant qu'ils le peuvent, les bour- geois & les gens du peuple ; ils demeu- rent cependant féparément les uns des au- tres dans des bourgades ou des hameaux différens , la nobleffe dans les uns, la bour- geoïfe dans les autres, &c les gens du peuple encore dans d’autres endroits. Ils manquent de fel, & ils l’achettent au poids de l'or; ils aiment affez la viande crue , & dans les feftins le fecond fervice, qu'ils regardent comme le plus délicat, eft en effet de viandes crues ; ils ne boivent point de vin, quoiqu'ils ayent des vignes, leur boiflon ordinaire eft faite avec des Tama- rins & a un goût aigrelet. Îis fe fervent de chevaux pour voyager & de mulets pour porter leurs marchandifes ; ils ont très peu de connoiffance des fciences & des arts , car leur langue n'a aucune règle , &t leur maniere d'écrire eft très peu perfec- tionnée : il leur faut pluñeurs jours pour RSR AUBR R NU S Pn f GER ER QUE eR Qe e Ee (f) Woye les Lettres édifiantes , Recueil IF, page 349: 04 Hifioire naturelle.” - écrire une lettre , quoique leurs caraétères {oient plus beaux que ceux des Arabes (g). Ils ont une maniere finguliere de faluer , ils fe prennent la main droite les uns aux autres & fe Ia portent mutuellement à la bouche , ils prennent aufi l'écharpe de celui qu'ils faluent &ils fe l'attachent au- tour du corps ; de forte que ceux qu’on falue demeurent à moitié nus, car la plu-_ part ne portent que cette écharpe avec un Caleçon de coton (4). | On trouve dans la relation du voyage autour de monde, de l’Amiral Drak , un fait qui, quoique très extraordinaire, ne me paroit pas incroyable ; il y a, dit ce voyageur, He les frontieres des déferts de FEthiopie un peuple qu’on a appellé Acri- dophages , Ou mangeurs de fauterelles , ls font noirs, maigres , très légers à la courfe & plus petits que les autres. Au printemps, certains vents chauds qui viennent de l’oc- cident leur amènent un nombre infini de fauterelles ; comme ils n’ont ni bétail ni poiflon, ils font réduits à vivre de ces fau- terelles qu'ils ramaflent en grande quantité, ils les faunoudrent de fel & ils les gardent pour fe nourrir pendant toute l’année : cette mauvaife nourriture produit deux effets fin- guliers, lé premier eft qu'ils vivent à pei- PA à D DO AE AT RL AE RUE ER PER EU (g) Voyez le Recueil des voyages de la Compagnie des indes de Hollande. , rome IW, page 34. É (A) Voyez les Lettres édifantes ,; Recueil JV, page 349. de l'Homme, g5 ne jufqu’a l’âge de quarante ans , & le fe- cond c’eft que lorfqu'ils approchent de cet âge , il s’engendre dans leur chair des in- {etes ailés qui d’abord leur caufent une dé- mangeaifon vive, & fe multiplient en f erand nombre qu’en très peu de temps toute leur chair en fourmille ; ils commencent par leur manger le ventre, enfuite la poi- trine & les rongent jufqu’aux os, en forte que tous ces hommes qui ne fe nourriffent que d’infeétes , font à leur tour mangés par des infeêtes. Si ce fait étoit bien avéré, il fourniroit matiere à d'amples re- flexions. | ot Il y a de vaftes déferts de fable en Ethiopie, & dans cette grande pointe de terre qui s'étend juiqu'au Cap-Gardafu. Ce pays qu'on peut regarder comme la partie orientale de l'Ethiopie , eft prefque entié- rementinhabité; au midi l'Ethiopie eft bor- née par les Bédouins, &'par quelques au- tres peuples qui fuivent la loi Mahomètane, ce qui prouve encore que les Ethiopiens font originaires. d'Arabie, ils n’en font en efet féparés que par le détroit de Babel-Mandel : il eft donc afflez probable que les Arabes auront autrefois envahi l'Ethiopie, & qu'ils en auront chañé les naturels du pays qui auront éte forcés de fe retirer vers le Nord dans la Nubie, Ces Arabes fe font même étendus le long de la côte de Melinde, car les habitans de cette côte ne font que ba- fanés & ils font Mahométans de religion 96 Hifloire naturelle (5). Ils ne font pas non plus tout-à-fait noirs dans le Zanguebar , la plupart parlent Arabe & font vêtus de toile de coton. Ce pays d’ailleurs, quoique dans la zone torri- de , n’eft pas exceflivement chaud, cepen- dant les naturels ont les cheveux noirs & crépus comme les Nègres (k); on trouve même fur toute cette côte , aufli-bien qu'a Mofambique & à Madagafcar , quelques hommes blancs , qui font, à ce qu’on pré- tend, Chinois d'origine , & qui s’y font ha- bitués dans le temps que les Chinois voya- geoient dans toutes les mers de lorient, comme les Européens y voyagent aujour- d’hui ; quoi qu'il en, foit de cette opinion qui me paroit hafardée, il eft certain que les naturels de cette côte orientalé de l'Afrique font noirs d'origine, & que les hommes bafanés ou blancs qu’on y trouve viennent d'ailleurs. Mais pour fe former une idée jufte des différences qui fe trou- vent entre ces peuples noirs, il eft ne- ceflaire de les examiner plus particulie- rement. T1 paroït d’abord , en raffemblant les témoi- gnages des voyageurs, qu'il y a autant de variété dans la race des noirs, que dans celle des blancs; les noirs, ont, comme les blancs , leurs Tartares & leurs Circafñiens : ceux de Guinée {ont extrêmement laids & (ë) Vide priram partem Indie orientalis per Piga- Jettam. Francofurti, 1598, page 56. {&) Voyez l’Afrique de Marmol, page 107. ont äe l'Homme. ke ont une odeur infupportable, ceux de Se- fala & de Mofambique font beaux & n’ont aucune mauvaife odeur. Il eft donc néceffaire de divifer les noirs en différentes races, & il me femble qu’on peut les réduire à deux principales , celle des Nègres & ceile des . Caffres ; dans la premiere , je comprends les noirs de Nubie, du Sénégal, du Cap- verd, de Gambie, de Serra-liona, de la côte des Dents, de la côte d'Or, de celle de Juda, de Bénin, de Gabon, de Eowango, de Congo, d'Angola & de Benguela, juf- qu’au Cap - nègre ; dans la feconde je mets les peuples qui font au-delà du Cap-nègre juiqu’à la pointe de l’Afrique , où ils pren- nent le nom de Hottentots., & aufli tous les peuples de la côte orientale de lAfri- que, comme ceux de Îa terre de Natal, de Sofala, de Monomotapa, de Mofambique, de Mélinde ; les noirs de Madagafcar & des ifles voiñnes feront auf des Caffres & non pas des Nèsres. Ces deux efpêces d'hommes noirs fe reïlemblent plus par la couleur que par les traits du vifage; leurs cheveux, leur peau, l'odeur’ de leur corps, leurs mœurs &: leur naturel font auf très différens. Enfyite en examinant en particulier les différens peuples qui compofent chacune de ces races noires, nous y verrons autant de variétés que dans les races blanches , & nous y trouverons toutes les nuances du brun au noir, comme nous avons trouvé dans les races blanches toutes les nuances du brun au blanc. Hifi. nat, Tom. Va ) L 6%. Hifloire naturelle, Commençons donc par les pays qui font au nord du Sénégal, & en fuivant toutes les côtes de l'Afrique , confidérons tous les différens peuples que les voyageurs ont re- connus, & delquels ils ont donné quelque defcription ; d’abord il eft certain que les naturels des ifles Canaries ne font pas des Nè- gres , puifque les voyageurs aflurent que les anciens habitans de ces ifles étoient . bien faits , d’une belle taille, d’une forte complexion; que les femmes étoient belles & avoient les cheveux fort beaux & fort fins , & que ceux qui habitoient [a partie méridionale de chacune de ces ifles, étoient plus olivâtres que ceux qui demeuroient dans la partie feptentrionale (7). Duret, page 72 de la relation de fon voyage à Lima, nous apprend que les anciens habitans de l’ifle- de Ténériffe étoient une nation robuite & de haute taille, mais maigre & bafanée, ue la plupart avoient le nez plat ( m). Ces peuples, comme l’on voit, n’ont rien de commun avec les Nègres, fi ce n'eft le nez plat; ceux qui habitent dans le con- tinent de l’Afrique à la même hauteur de ces ifles font des Maures aflez bafanés, mais qui appartiennent , aufli-bien que ces infulai- res, a la race des blancs. per (2) Voyez l'hiftoire de la premiere découverte des Canaries, par Bontier & Jean Le Verriere, Paris, 1630, page 251. (7) Woyez l'hifioire générale des voyages par M, L L4 # T3 7 FALL S LE 2VQE re 4 G'LRGX Lg 2 IF Ye HIS DOEUE SELS 174 D, HAE 29 e I], page 230, 2} de L'Homme, G9 Les habitans du Cap-blanc font encore des Maures qui fuivent la Ii Mahométane, ils ne demeurent pas long-temps dans un même lieu, ils {ont errans comme les: Ara- bes, de place en place , felon les pâturages qu'ils y trouvent pour leur bétail dont Île lait leur fert de nourriture ; ils ont des che- vaux , des chameaux , des bœufs , des che- vres, des moutons ; ils commercent avec les Nègres qui leur donnent huit eu dix efclaves pour un cheval, & deux ou trois pour un chameau (7); c’eift de ces Maures que nous tirons la gomme arabique, ils en font difloudre dans le lait dont ils fe nour- riflent, ils ne mangent que très rarement -de Ja viande, & ils ne tuent guere leurs befliaux que quand ils les voient près dé mourir de vieillefle ou de maladie (0). Ces Maures s'étendent jufqu'à la riviere du Sénégal, qui les fépare d'avec les Nècres; les Maures, comme nous venons de le dire, ne font que bafanés, ils habitent au nord du fleuve, les Nègres font au midi & font abfolument noirs ; les Maures font errans dans la campagne, les Nèvres font fédentai- res & habitent dans des villages ; les pre- miers font libres &: indépendans , les feconds ont des Rois qui les tyrannifent & dont ils font efclaves ; les Maures font affez petits, maigres & de mauvaife mine avec de r’ef- = Le] Tancourt, Paris, 1695, pages 46 & 47+ j (o) Zdém, page 66, à I 2 {n) Voyez le voyage du fieur Le Maire fous M; \ Ah < 100 Hifiotre natrrelle. prit & de la finefle ; les Nègres au contraire font grands, gros, bien faits, maïs niais & fans génie; enfin le pays habité par les Maures n'eft que du fable fi flérile qu’on n'y trouve de la verdure qu’en très peu d’en- droits , au lieu que le pays des Nègres eft gras, fécond en pâturages en millet & en arbres toujours verts , qui a la vérité ne portent prefque aucun fruit bon à: manger. | On trouve en quelques endroits, au nord &: au midi du fleuve, une efpèce d'hommes qu’on appelle Foules, qui femblent faire la nuance entre les Maures & les Nègres, & qui pourroient bien n'être que des: Mulà- tres produits par le mélange des deux Na- tions ; ces Foules ne font pas tout-à-fait noirs comme les Nègres, mais ils font bien plus bruns que les Maures & tiennent le milieu entre les deux ; ils font auf plus civilifés que les Nègres , ils fuivent la loi de Mahomet comme les Maures, & reçoivent af- fez bien les étrangers (p ). Les ifles du Cap-verd font de même tou- tes peuplées de Mulâtres venus des premiers Portugais qui s’y établirent , & des Nègres qu'ils y trouvèrent ; on les appelle Nèpres couleur de cuivre, parce qu’en effet, quoiqu'ils reflemblent aflez aux Nègcres par les traits, ils font cependant moins noirs, ou plutôt (p) Voyez le voyage du fieur Le Maire fous M, Dancourt, Paris 169$ , p. 75 ; voyez aufh l’Afrique de Marmol, tomel,p, 34 en 12 de l'Honwne, 10: ils font jaunâtres ; au refte ils font bien faits & fpirituels, mais fort parefleux ; ils ne vivent, pour ainfi dire , que de chafle & de pêche ; ils dreflent leurs chiens à chaf- {er & à prendre les chèvres fauvages; ils font part de leurs femmes & de leurs filles aux étrangers, pour peu qu'ils veuillent les payer; ils donnent aufli pour des épin- gles ou d’autres chofes de pareile valeur , de fort beaux perroquets tres faciles à ap- privoifer, de belles coquilles appellées Porce- laines & mème de l'arbre gris &c. (g). Les premiers Nègres +0 trouve, fon… donc ceux qui habitent le bord méridional du Sénégal; ces peuples, aufüi-bien que ceux qui occupent toutes les terres comprifes entre cette riviere & celle de Gambie, s’ap- pellent Jalofes ; ils font tous fort noirs, bien proportionnés, & d’une taille ‘afez avanta- geufe , les traits de leur vifage font moins durs que ceux des autres Nègres; il y en a, furtout des femmes, qui ont des traits fort réguliers ; ils ont auf les mêmes idées que nous de la beauté, car ils veulent de beaux yeux, une, petit bouche, des lèvres proportionnées, & un nez bien fait; il n’y a que fur le fond du tableau qu'ils penfent différemment, il faut que la couleur foit trés noire & très luifante : ils ont auf x peau très fine & tres douce, & il y a parmi — (4) Voyez les voyages de Robert , page 387; ceux. de Jean Struys, rome I, page Ir ; & ceux d’Innigo de Biervillas, page 75, L + 302 Hifioire nanrelle, eux d’auff belles femmes, à la couleur prés ; que dans aucun autre pays du monde ; elles ont ordinairement très bien faites, très aies , très vives & très portées à l'amour; les ont du goût pour tous les hommes, X. particulièrement pour les blancs qu’elles herchent avec empreflement, tant pour fe fatisfaire , que pour en obtenir quelque pré- ent ; leurs maris ne s’oppofent point à leur penchant pour les étrangers, & ils n’en font jaloux que quand elles ont commerce avec des hommes de leur nation; ils fe battent méme fouvent à ce fujet à coups de fabre cu de couteau, au lieu qu'ils offrent fouvent aux étrangers leurs femmes, leurs filles ou laurs fœurs, & tiennent à honneur de n'è- tre pas refufés. Au refte ces femmes ont toujours la pipe à la bouche, & leur peau ne jaiffe pas’ d'avoir auf une odeur- défs- gréabie lorfqu’elles font échauñées, quoique eur de ces Nègres du Sénégal foit beau- coup moins forte que celle des autres Ne- ; elles aïment beaucoup à fauter & à er au bruit d'une calebafle, d'un tam- bour ou d'un chaudron; tous les mouve- we arr GC Ce het 8, re mat Lo ent fouvent & elles fe liment les dents les rendre plus égales ; la plupart es filles avant que de fe marier fe font broder la peau de différentes figures d’ani- inaux , de fleurs , &c. Les Négrefles portent prefque toujours leurs petits enfans fur.le dos pendant qu’el- les travaillent; quelques voyageurs prèten- Les PA oo DE 159) (hs) Pa Len Len} € | de l'Homme. 103 dent que c’eft par cette raifon que les Nè- gres ont communément le ventre gros & le hez applati; la mere en fe hauffant & baif: fant par fecoufles, fait donner du nez con: tre {on dos à l'enfant, qui pour éviter le coup fe retire en arriere autant qu'il le peut, en avançant le ventre ( r ). Es ont tous les cheveux noirs & crépus comme de la laine frifée; c’eft aufli par les cheveux &z par la couleur qu'ils différent principale- ment des autres hommes, car leurs traits ne font peut-être pas fi différens de ceux des Européens que le vifage tartare l'eft du vifage françois. Le Pere du Tertre dit ex- preflément que fi prefque tous les Nègres {ont camus, c'eft parce que les peres & meres écrafent le nez à leurs enfans; qu’ils leur preflent aufñ les lèvres pour les rendre plus grofles ; & que ceux auxquels on ne fait ni l’une ni l’autre de ces opérations, ont les traits du vifage auffi beaux, le nez aufhi élevé , & les lèvres auffi minces que les Européens; cependant ceci ne doit s’en- tendre que des Négres du Sénégal, qui font de tous les Nègres les plus beaux & les mieux faits; & il paroit que dans prefque tous les autres peuples Nègres, les grofles [r] Voyez le Voyage du fieur Le Maire fous M. Dan- court, Paris, 1695, page 144 jufqu’à 155. Voyez auf la ‘troifième Partie de l’hiftoire des chofes mémorables zdvenues aux Indes, &<, par le Pere Du Jaric, Bor- deaux , 1614, page 364 ; & l'hifioire des Antilles, par le Pere Du Tertre, Paris 1667, page 493 jufqu'à 537, : ï 4 104 Hifloire naturelle. lèvres & le nez large & épaté font des traits donnés par la Nature , qui ont fervi de modele à l’art qui eff chez eux en ufage d’applatir le nez & de groflir les lèvres à ceux qui {ont nés avec cette perfeétion de moins. Les Négrefles font fort fécondes &r ac- couchent avec beaucoup de facilité & fans aucun fecours ; les fuites de leurs couches 2e font point fâcheufes, & il ne leur faut qu'un jour ou deux de repos pour fe rèta- blir ; elles {onttrés bonnes nourrices ; & elles. ont une très grande tendrefle pour.leurs enfans ; elles {ont auffñi beaucoup plus fpiri- tuelles & plus adroires que les hommes, elles cherchent même à. fe donner des vertus, * comme celles de la difcrétion & de la tem- pérance. Le Pere du Jaric dit que pour s’ac- coutumer à manger &c parler peu, les Ne- greffes Jalofes prennent de l’eau le matin & 4a tiennent dans leur bouche pendant tout le temps qu'elles s'occupent à leurs affai- res domeftiques , & qu'elles ne la rejéttent que quand l'heure du premier. repas eft ar- rivée (s). Les Nècres de lifle de Gorée & de la côte du Cap-verd font, comme ceux du bord du Sénégal , bien faits & très noirs: ils fent ur fi grand cas de leur couleur, qui eft eneffet d'un noir d’ébène profond & éclatant. qu'ils méprifent les autres Nèores qui ne font pas (s) Voyez la troifième partie de l'hifoire, par le Pere: Du Jaric, page 365, ! de l’Horme, 103 f. noirs, comme les blancs méprifent les ba- . fanés ; quoiqu'’ils foient forts & robuftes, ils font très pareffleux , ils n’ont point de blé, point de vin, point de fruits, ils ne vivent que de poiffon & de millet, ils ne mangent que très rarement de la viande ; & quoiqu'ils ayent fort peu de mets à choiïfir , ils ne veu- lent point manger d'herbes, & ils compa- rent les Européens aux chevaux, parce qu'ils mangent de l'herbe ; au refte ils aiment paf- fionnément l’eau-de-vie , dont ils s’enivrent fouvent; ils vendent léurs enfans , leurs pa- rens, & quelquefois ils fe vendent eux-mé- mes pour en avoir (t). Ils vont prefque nus; leur vêtement ne confifte que dans une toile de coton qui les couvre depuis la ceinture jufqu'au milieu de la cuiffe,; c'eft tout ce que la chaleur du pays leur permet, aifent- ils, de porter fur eux (x); la mauvaife chère qu'ils font & la pauvreté dans laquelle ils vivent,ne tes empêchent pas d’être contens Êz très gais ; ils croyent que leur pays eft le meilleur & le plus beau climat de la terre. qu'ils font eux-mêmes les plus beaux hom- mes de l'Univers , parce qu'ils font les plus noirs ; & fi leurs femmes ne marquaient pas du goût pour les blancs, ils en feroient fort peu de cas à caufe de leur couleur. ; Quoique les Nègres de Serra - Liona ne foient pas tout -à-fait auf neirs que ceux (£) Voyez le voyage de M. Gennes, par M. Froger . Paris ,169 , page 15 & fuiv. (4) Voyez les Lettres édifiantes, Recues/ XI, p. 48 & 45» 106 Hifioire naturelle du Sénégal, ils ne font cependant pas , corti: me le dit Struys, tome I, page 22, d'une cou- leur rouflâtre & bafanée, ils font, comme ceux de Guinée, d’un noir un peu moins foncé que les premiers ; ce quia pu tromper ce voyageur, c’eft que ces Nègres de Serra- Liona & de Guinée fe peignent fouverit tout le corps de rouge & d’autres couleurs; ils fe peignent aufli le tour des yeux de blanc, de jaune , de rouge, & fe font des marques | & des raies de différentes couleurs fur le vifage ; ils fe font auf les uns & les autres déchiqueter Îa peau pour y imprimer des figures de bêtes “ou de plantes ; les femmes font encore plus débauchées que celles du Sénégal, il y en a un très grand nombre qui font publiques , & cela ne les déshonore en aucune façon. Ces Nègsres, hommes & fem- mes, vont toujours la tête découverte, ils fe rafent ou fe coupent les cheveux, qui” font fort courts, de plufeurs manieres dif- férentes, ils portent des pendans d'oreilles qui pefent jufqu’à trois ou quatre onces; ces pendans d'oreilles {ont des: dents, des co- quikles , des cornes , des morceaux de bois, cc ; il y en a aufh qui fe font percer la lè- vre fupérieure ou les narines pour y fufpen- dre de pareils ornemens ; leur vêtement con- fifte en une efpèce de tablier fait d’écorce . d'arbre, &@r quelques peaux de finge qu'its portent par-defius ce tablier, ils attachent à ces peaux des fonnailles femblables à celles que portent nos mulets ; ils couchent fur des nattes de jonc, &c ils mangent du poiflon ou de la viande lorfqu'ils peuvent en avoir; de l'Homme, 107 fais leur principale nourriture font des ignaä- nes ou des bananes (x). Îls n’ont aucun goût que celui des femmes, & aucun defir que celur de ne rien faire ; leurs maïfons ne font que de miférables chäaumieres , ils demeurent très fouvent dans des lieux fauvages , & dans des terres flériles, tandis qu'il ne tiendroit au’à eux d'habiter de belles vallées, des collines agréables & couvertes d'arbres, & des campagnes vertes, fertiles & entrecou- pées de rivieres & de ruifleaux agréables ; mais tout cela ne leur fait aucun piaifir, ils ont la même indifférence prefque fur touts. les chemins qui conduiient d’un lieu à un autre font ordinairement deux fois plus longs eu'il ne faut; ils ne cherchent point à Îles rendre plus courts; & quoiqu’on leur en in- dique les moyens, ils ne penfent jamais à pafler par le plus court, ils fuivent machi- nalement le chemin battu (y), & fe foucient f: peu de perdre ou d'employer leur temps. qu'ils ne le mefurent jamais. Quoique les Nègres de Guinée foient d'une fanté ferme & très bonne , rarement arrivent-ils cependant à une certaine vieil- leffe ; un Nègre de cinquante ans eft dans fon says un homme fort vieux, ils paroïiflent être dès l’âge de quarante : l’ufage préma- (x) Vice Indie crientalis partem fecundam , in qu& Joannis Hugcnis Linficotani navigatio , &c. Francofurti, 3599, p. 11 & 12. (y} Voyez le voyage de Guinée, par Guillaume Bof men, Uirecht, 170$ , page 142. 108 Hifloire naturelle, turé des femmes eft peut-être la caufe de fa briéveté de leur vie; les enfans font fi dé- bauchés & fi peu contraints par les peres & meres, que dès leur plus tendre jeuneffe ils fe livrent à tout ce que la nature leur fug- gère (x); rien n’eft fi rare que de trouver dans ce peuple quelque fille qui puifle fe fouvenir dû temps auquel elle a ceflé d’être vierge. | Les habitans de l’ifle Saint- Thomas, de lifle d'Anabon, &e, font des Nègres fembla- bles à ceux du continent voifin ; ils y font feulement en bien plus petit nombre, parce que les Européens les ont chañfés, & qu'ils n'ont gardé que ceux qu'ils ont réduits en efclavage. Els vont nus hommes 6: femmes, a l'exception d'un petit tablier de coton (2). Mandelfo dit que les Européens qui fe font habitués ou qui s’habituent atuellement dans cette ile de Saint- Thomas, qui n'eft qu'a ur degré &r demi de l'équateur, confervent leur couleur, & demeurent blancs jufqu'à la troi- fième génération; & il femble infinuer qu’a- près cela ils deviennent noirs; mais il ne me paroit pas que ce changement puife fe faire en aufli peu de temps. . eat Les Nègres de la côte de Juda. & d’Arada font moins noirs que ceux du Sénégal & de Guinée, & même que ceux de Congo: ils aiment beaucoup la chair de ch'en, & la préferent à toutes les autres viandes ; ordi- 7) Idem , page 18. {a) Voyez les voyages de Pyrard, page 16 de L’'Honrrrre, 109 mairement la premiere pièce de leur fefin eft un chien rôti; le goût pour la chair de chien n'eit pas particulier aux Nègres; les Sauvages de lAmérique feptentrionale &z quelques nations Tartares ont le même goût; on dit même qu’en Tartarie on châtre les chiens pour les engraïifler & les rendre meilleurs à manger. Voyez les nouveaux voya- ges aux ifles. Paris , 1722, tome IW , page 165. Selon Pigafetta , & felon l’Auteur du voyage de Drack qui paroïît avoir copié mot a mot Pigafetra fur cet article, les Ne- gres de Congo font noirs, mais les uns plus que les autres, & moins que les Sénégalois; ils ont pour la plupart les cheveux noirs & crépus , mais quelques-uns les ont roux; les hommes font de grandeur médiocre : les uns ont les yeux bruns, & les autres couleur de vert de mer ; ils n’ont pas les lèvres fi grof- fes que Îles autres Négres, & les traits de leur vifage font aifez femblables à ceux des Européens (b). | Ils ont des ufages très finguliers dans cer- taines provinces de Congo : par exemple, lorfque quelqu'un meurt à Lowango, ils pla- cent le cadavre furune efpèce d'amphithéa- tre élevé de fix pieds, dans la pofture d’un homme qui eft affis les mains appuyées fur les genoux, ils lhabillent de ce qu'ils ont de plus beau, & enfuite ils allument du feu devant & derriere le cadavre ;à mefure qu'il (3) Vide Indie orientalis partem primam ,p.s. Voyez auf le voyage de l'amiral Drack, page 110, 110 H ffoire naturelle, fe deffèche & que les étoffes s’imbibent, ils ie couvrent d’autres étoffes jufqu’à ce qu’il foit entiérement defléché, après quoi ils le portent en terre avec beaucoup de pompe. Dans celle de Malimba, c’eft la femme qui anoblit le mari; quand le Roi meurt & qu'il ne laifle qu’une fille, elle eft maîtrefle ab- folue du royaume, pourvu néanmoins qu'elle ait atteint l’âge nubile, elle commence par fe mettre en marche pour faire le tour de fon royaume : dans tous les bourgs & vil- lages où elle pañle, tous les “hommes font obligés à fon arrivée de fe mettre en haie pour la recevoir; & celui d’entreux qui lui plait le plus, va pañler la nuit avec elle; au retour de fon voyage elle fait venir celui de tous dont elle a été le plus fatisfaite, & elle l’époufe, après quoi elle cefle d’avoir aucun pouvoir fur fon peuple, toute l’au- sorité étant dès-lors dévolue à fon mari: j'ai tiré ces faits d’une relation qui m'a été com- suniquée par M. de la Broffle, qui a écrit les principales chofes qu'il à remarquées dans un voyage qu'il fit à la côte d’'Angola en 1738 ; il ajoute un fait qui n’eft pas moins fingulier : » Ces Nègres, dit-il, font extré- 5 mement vindicatifs, je vais en donner une » preuve convaincante : ils envoyent à cha- » que inftant à tous nos comptoirs demander » de l’eau-de-vie pour le Roi & pour les 5» principaux du lieu; un jour qu’on refufa » de leur en donner, on eut tout lieu de » s’en repentir, car tous les Oficiers Fran- » çois & Anglois ayant fait une partie de » pêche dans un petit lac qui eft au bord de l'Homme, t!f » de la mer, & ayant fait tendre une tente » fur le bord du lac pour y manger leur pé- » Che, comme ils étoient à fe divertir à la » fin du repas, il vint fept à huit Nègres en » Palanquins, qui étoient les principaux de » Lowango, qui leur préfenterent la maïs » pour les faluer felon [a coutume du pays ; » ces Nègres avoient frotté leurs mains avec » une herbe qui eft un poifon très fubtil, & 5 qui agit dans l’inftant lorfque malheureu- » fement on touche quelque chofe ou que » l’on prend du tabac fans s'être auparavant » lavé les mains; ces Nègres réufürent f: » bien dans leur mauvais deffein qu’il mou- » rut fur le champ cinq Capitaines & trois » Chirurgiens , du nombre defquels étoit » mon Capitaine , &c «. : Lorfque ces Nègres de Congo fentent de la douleur à la tête ou dans quelqu’autre partie du corps, ils font une légere blefure à l'endroit douloureux, & ils appliquent fur cette bleflure une efpèce de petite corne percée , au moyen de laquelle ïls fucent comme avec un chalumeau le fang, jufqu’à ce que la douleur foit appaifée (c). ù Les Nègres du Sénégal , de Gambie, du Cap-verd, d’ Angola & de Congo font d'un plus beau noïr que ceux de la côte de Juda, d'Iffigni, d’Arada , & des lieux circonvoi- fins ; ils font tous bien noirs quand ils fe . portent bien , mais leur teint change dès (c) Voyez Phil, Pigafeutœ Indie orientalis partem pri ing ; page ÿls T7? Hifioire naturelle, qu'ils font malades , ils deviennent alors couleur de biftre, où même couleur de cui-: vre (d). On préfere dans nos ifles les Nègres d'Angola à ceux du Cap-verd pour la force du corps ; mais ils fentent fi mauvais lorf- qu'ils {ont échauffés, que l’air des endroits par où ils ont pañlé en eft infeté pendant plus d’un quart d'heure ; ceux du Cap-verd n'ont pas une odeur fi mauvaife à beaucoup près que ceux d’Angola, & ïils ont aufh la. peau plus belle & plus noire , le corps mieux fait, les traits du vifage moins durs, le na- surel plus doux & la taille plus avantageu- fe (e). Ceux de Guinée font aufli très bons pour le travail de la terre &c pour les autres -gros ouvrages; ceux du Sénégal ne font pas #1 forts, mais ils font plus propres pour le fervice domeftique, &c plus capables d’ap- prendre des métiers (f). Le Pere Charlevoix dit que les Sénégalois font de tous les Nè- gres , les mieux faits, les plus aifés à difci- pliner, & les plus propres au fervice do- meftique ; que les Bambras font les plus grands , mais qu'ils font frippons; que le Aradas font ceux qui entendent le mieux la culture des terres ; que les Congos font les CS 5. 2 ol A plus petits, qu’ils font fort habiles pècheurs, (d) Voyez les nonveaux voyages aux isles de l’Amé- rique , Paris, 1722, tome IV , page 128. (e) Voyez l’hiftoire des Antilles du Pere Du Tertre, Paris , 1667, page 499» 1 (f) Voyez les nouveaux voyages auxisles, tome IV, Page 116% | 4 de l'Homme. 113 mais qu'ils défertent aifément; que les Nagos font les plus humains, les Mondongos les plus cruels , les Mimes les plus réfolus, les plus capricieux & lés plus fujets à fe défef- pérer ; & que les Nègres crécies, de quelque nation qu'ils tirent leur origine, ne tiennent -de leurs peres & meres que l’efprit de fer- vitude & la couléur, qu'ils font plus fpiri- tuels, plus raifonnables, plus adroits, mais plus fainéans & plus libertins que ceux qui font venus d’Afriuue. Îl ajoute que tous les Nègres de Guinée ont Pefprit extrèmement borné, qu'il y en a même plufeurs qui pa- roiflent être tout-a-fait ftupides, qu'on en voit qui ne peuvent jamais compter au-delà de trois, que d'eux-mêmes ils ne penfent à rien, qu'ils n’ont point de mémoire , que le pañlé leur eft aufli inconnu que l'avenir; que ceux qui ont de l’efprit font d’aflez bonnes plaifanteries , & faififlent affez bien le ridi- cule; qu'au refte ils font très diffimulés, & qu'ils mourroient plutôt que de dire leur fe- cret, qu'ils ont communément le naturel fort doux , qu'ils font humains. dociles, fimples, crédules, & mème fuperftitieux ; qu’ils font aflez fidèles , aflez braves , & que fi on vou- loit les difcipliner & les conduire, on en feroit d’aflez bons foldats (?). | Quoique les Nègres ayent peu d’efprit ils ne laiflent pas d’avoir beaucoup de fen- timent ; ils font gais ou mélancoliques , la- - (g) Voyez l’hiftoire de Saint-Domingue, par le Pere: Charlevoix, Paris, 1730, | K 114 Hifloire naturelle borieux ou fainéans , amis ou ennemis ; feloà la maniere dont ou les traite : lorf- qu'on les nourrit bien & qu’on ne les mal- traite pas, ils font contens , joyeux, prêts à tout faire , & la fatisfaction de leur ame eft peinte fur leur vifage; mais quand on les traite mal, ils prennent le chagrin fort à cœur & périflent quelquefois de mélan- colie ; ils font donc fort fenfibles aux bien- faits & aux outrages , &c ils portent une baine mortelle contre ceux qui les .ont maltraités ; lorfqu’au contraire ils s’afeétion- nent à un maître, il n’y a rien qu'ils re. fuflent capables de faire pour lui marquer leur zèle & leur dévouement. Ils font na- turellement compatiffans, & même tendres, our leurs enfans, pour leurs amis , pour leurs compatriotes (x); ils partagent vo- Iontiers le peu qu'ils ont avec ceux qu'ils votent dans le befoin, fans même les con- noître autrement que par leur indigence. Ils ont donc, comme l’on voit , le cœur excellent, 1ls ont le germe de toutes les vertus. Je ne puis écrire leur hiftoire : fans m'attendrir fur leur etat, ne font-ils pas aflez malheureux d’être réduits à la fervitude, d’être obligés de toujours travail- ler fans pouvoir jamais rien acquérir ? faut-ik encore les excéder, les frapper & les traiter comme des animaux ? l’humanité fe révolte contre ces traitemens odieux que l’avidité du 27 07 20) DQ ETS PEER DEL PRG DIT LAURE ME PE PES STE QU "ÉD nEr MDE CSN (a) Voyez l'hifloire des Antilles, p. 483 jufqu'à 533 de L'Homme, 115 gain a mis en ufage , & qu’elle renouvelleroit peut-être tous les jours, fi nos loix n'a- voient pas mis un frein à la brutalité des maîtres ; & reflerré les limites de la mifere de leurs efclaves. On les force de travail, on leur épargne la nourriture , même la plus commune : ils fupportent, dit-on, très aifément la faim, pour vivre trois jours ii ne leur faut que la portion d’un Euro- péen pour un repas ; quelque peu’ qu'ils mangent & qu'ils dorment , ils font tou- jours également durs, égalements forts au travail (:). Comment des hommes à qui il refte quelque fentiment d'humanité peuvent- ils adopter ces maximes, en faire un pré- juge, & chercher à légitimer, par ces rai- {ons , les excès que la foif de l’or leur fait commettre ? mais laïifons ces hommes durs & revenons à notre objet. On ñe connoit guere les peuples qui ha- bitent les côtes & l’intérieur des terres de l'Afrique depuis le cap-Nègre jufqu’au cap des Voltes , ce qui fait une étendue d’en- viron quatre cents lieues : on fait feulement que ces hommes font beaucoup moins noirs que les autres Nègres , & ils reflemblent af- fez aux Hottentots, defquels ils font voifins du côté du midi. Ces Hottentots au con- traire font bien connus , & prefque tous les voyageurs en ont parlé : ce ne font pas des Nègres , mais des Caffres, qui ne feroient (ë) Voyez l'hiftoire de Saint - Domingue, page 49$ £ fuivantes. : K 2: 316 Hifioire naturelle. que bafanés s’ils ne fe noircifloient pas le peau avec des graifles & des couleurs. M. Kolbe, qui a fait une defcription fi exaëte de ces peuples,- les regarde cependant com- me des Nègres; il aflure qu’ils ont tous les. cheveux courts, noirs, frilés & laineux comme ‘ceux des Nègres (#) , & qu'il n’a jamais vu un feul Hottentot avec des cheveux longs. Cela feul ne fufit pas , ce me femble , pour qu'on doive les regarder comme de vrais, Nègres;, d’abord ils en diffèrent abfolument par la couleur, M. Kolbe dit qu'ils font eou- leur d'olive, & jamais noirs, quelque peine: qu'ils fe donnent pour le devenir; enfuite il me paroît aflez diflicile de prononcer fur ieurs cheveux, puifqu'ils ne les peignent ni. ne les lavent jamais, qu'ils les frottent tous. les jours d’une très grande quantité de graifle &: de fuie mêlées enfemble, & quil s’y: amae tant de pouffiere & d'ordure , que {e collant à la longue les uns aux autres, ils: seflemblent à la toifon d'un mouton noir remplie de crotte (/). D'ailleurs leur naturel. eft différent de celui des Nègres ; ceux-ci. aiment la propreté, font fédentaires, & s’ac-- coutument aifément au joug de la fervi-- tude : les Hottentots au contraire font de la plus affreufe mal-propreté ;: ils font errans,. indévendans & très jaloux de leur liberté :. ces différences font, comme l’on voit, plus: . £k) Defcription du cap de bonne-Efpérance, par. Kols be, Amferdam, 1741, page 9f: - (2) Zéerr, page. 92, F de l'Homme, 227 que fuffifantes pour qu’on doive Îles regar- der comme un peuple différest'des Nègres. que nous avons décrits. - Gama, qui le premier éoubla le cap de Bonne-efpérance , & fraya la route des Indes. aux nations Européennes , arriva à la baie de Sainte-Hélène le 4 Novembre 1407, it trouva que les habitans étoient fort noirs, de petite taille & de fort mauvaife mine ("#) ;. mais il ne dit pas qu'ils fuflent naturelle- ment noirs comme les Nègres, & fans doute ils ne lui ont paru fort noirs qué par la gra fle & la fuie dont ils fe frottent pour tâcher de fe rendre tels ; ce voyageur ajou- te que l'articulation de leur voix reffembloit a des foupirs, qu’ils étoient vêtus de peaux de bêtes , que leurs armes étoient des bärons durcis au feu , armés par la pointe d’une corne de quelque animal, &c. fn). Ces peu- ples n’avoient donc autun des arts en ufage chez les Nègres. . Les voyageurs Hollandois difent que les fauvages qui font au nord du Cap, font des hommes plus petits que les Européens , qu'ils ont le teint roux-brun , quelques - uns plus. -roux &c d'autres moins, qu’ils font fort laids,. &z qu'ils cherchent à fe rendre noirs par la couieur qu'ils s'appliquent fur le corps & fur le vifage ; que leur chevelure eft {em- blable à celle d’un pendu qui a demeuré quel- _ (mn) Voyez l'hifloire générale des voyages, par M, Pabbé Prevôt, tome. 1, page 22. 118 Hifloire naturelle, que temps au gibet (0). Ils difent dans un autre endroit, que les Hottentots font de là couleur des Mulâtres, qu'ils ont le vifage difforme, qu'ils font d’une taille médiocre , maigres & fort légers à la courfe ; que leur langage eft étrange, & qu'ils gloufent com- me des coqs d'inde (p). Le Pere Tachard dit que quoiqu’ils ayent communément les che- veux preique aufhi cotonneux que ceux des Nègres, il y en a cependant plufieurs qui les ont plus longs, & qu'ils les laiflent flot- ter fur leurs épaules ; il ajoute même que arimi eux 1l s’en trouve d’aufh blancs que es Européens, mais qu'ils fe noirciffent avec de la graifle & de fa poudre d’une certaine pierre noire, dontils fe frottent le vifage & tout le corps ; que leurs femmes font na- turellement fort blanches , mais qu’afin de plaire à leurs maris elles fe noirciffent com- me eux (4). Ovington dit que les Hottentots font plus bafanés que les autres Indiens , qu’il n'y a point de peupie qui refflemble tant aux Nègres par la couleur & par les traits, que cependant ils ne font pas f noirs, que leurs cheveux ne font pas fi crépus ni leur nez fr plat (r). +. (o) Voyez le Recueil des voyage: de la Compagnie &e Hollande , page 218. (p) Id:m, Vuyez le voyage de Spitzhberg , page 443: (4) Voyez le premier voyage du Pere Tachard. Pa- sis , 1686, page r08. - (r) Voyez les voyages de Jean Ovington, Paris ; 5725 5, FA£E 194e de PHomme. 119 Par tous ces témoignages il eft aifé de voir ue les Hottentots ne {ont pas de vrais Nègres, mais des hommes qui dans fa race des noirs commencent à fe rapprocher du blanc, comme les Maures dans la race blanche commencent à s'approcher du noir : ces Hottentots font au refte des efpèces de Sauvages fort extra- ordinaires ; les femmes furtout, qui font beaucoup plus petites que les hommes, ont une efpèce d’excroiflance ou de peau dure & Jarge qui leur croit au-deffus de l’os pubis , & qui defcend jufqu’au milieu des cuifles en forme de tablier (5) : Thevenot dit la mée- me chofe des femmes Egyptiennes , mais qu’elles ne laiflent pas croître cette peau & qu’elles la brülent avec des fers chauds : je doute que cela foit aufñ vrai des Egyptien- nes que des Hottentotes ; quoi qu'il en foit, toutes les femmes naturelles du Cap font fu- jettes à cette monftrueufe difformité, qu’el- les découvrent à ceux qui ont affez de cu- riofité ou d'intrépidité pour demander à la voir ou à la toucher. Les hommes de leur côté font tous à demi-eunuques, mais il eft vrai qu'ils ne naïiflent pas tels, & qu'on leur ôte un tefticule ordinairement a l’âge de huit ans, & fouvent plus tard. M. Kolbe dit avoir vu faire cette opération à un jeune Hottentot de dix-huit ans; les circonftances dont cette cérémonie eft accompagnée font (s) Voyer la defcription du Cap, par M. Kolbe, tome [, page 91 ; voyez auf le voyage de Çourläi, page 29F, 220 Hifloire naturelle. fi fingulieres , que fe ne puis m'empêcher de les rapporter ici d’après le témoin ocu- laire que je viens de citer. Après avoir bien frotté le jeune homme de la graïfle des entrailles d’une brebis qu’on vient de tuer exprès , on le couche à terre fur le dos, on lui lie les mains & les pieds, & trois ou quatre de fes amis le tiennent ;, alors le prêtre [ car c’eft une cérémonie re- Hgteufe | armé d’un couteau bien tranchant, fait une inciñon , enlève le tefticule gauche (!\ & remet à la place une boule de graifle de la même groffeur , qui a été préparée avec quelques herbes médicinales ; il coud enfuite la plaie avec l'os d’un petit oïfeau, qui lui fert d’aiguille, & un filet de nerf de mouton: cette opération étant faite, on dé- He le patient ; mais le prêtre avant que de le quitter, le frotte avec de la graifle toute chaude de la brebis tuée, ou plutôt il lui en arrofe tout le corps avec tant d’abondance, que loriqu’elle eft refroidie elle forme ‘une efpèce de croûte , 1l le frotte en même temps f rudement , que le jeune homme qui ne fouffre déjà que trop , fue à groffes gouttes, & fume comme un chapon qu’on rôtit; en- fuite l'opérateur fait avec fes ongles des fil- Ions dans cette croûte de fuif d’une extré- : mité du corps à l’autre, & pifle deflus aufh copieufement qu’il le peut ; après quoi il recommence à le frotter encore , & il re- EL I OR EDP OS RE SRE (:) Tavernier dit que c'e le tefticule droit, tome LV , p. 297: | | couvre de l'Hcrime. E2f£ couvre avec la graifle les fillons remplis d’u- rine. Aufli-tôt chaçun abandonne le patient, on le laiffe feul plus mort que vif; il eft obligé de {e trainer comme il peut dans une petite hutte qu'on lui a bâtie exprès tout proche du lieu où s’eft faite l’opération , ii y périt ou il y recouvre la fanté fans qu’on lui donne aucun fecours , & fans aucun au- tre rafraichiflement ou nourriture que la graifle qui lui couvre tout le corps & qu'il peut lécher s'il le veut:au bout de deux jours il eft ordinairement rétabli, alors ïl peut fortir & fe montrer; & pour prouver qu'il eft en effet parfaitement guéri, il fe met à courir avec autant de légéreté qu’un cerf [x]. Tous les Hottentots ont le nez fort plat & fort large , ils ne l’auroïent cependant pas tel fi les meres ne fe faifoient un de-. voir de leur aplatir le nez peu de temps après leur naïflance , elles regardent un nez proéminent comme une difformité ; ils ont auf les lèvres fort grofles, furtout la {u- périeure.,, lès dents fort blanches , les four- cils épais , la tête grofle , le corps maigre , les membres menus ; ils ne vivent guere _paffé quarante ans: la malpropreté dans la- - quelle ds fe plaifent & croupiffent, & Îles viandes infeétées & corrompues dont ils font leur principale nourriture , font fans {u) Voyez la defcription du Cap, par M. Kolke, Page 275. à Hifi, nat, Tom. F. ECTS 122 Kifloire naturelle, doute les caufes qui contribuent le pius au peu de durée de leur vie. Je pourrois m'étendre bien davantage fur la defcription de ce vilain peuple ; mais comme prefque tous; les voyageurs en ont écrit fort au long , je me contentetai d'y renvoyer (x). Seulement je ne dois pas pafler fous filence un fait rapporté par Tavernier, c’eft que les Hollandois ayant pris une petite file Hottentote peu de temps après fa naïiflance & l'ayant élevée parmi eux, elle devint auf blanche qu’une Européenne, & il prè- fume que tout ce peuple feroit aflez blanc s’il n'étoit pas dans lufage de fe barbouiller continuellement avec des drogues noires. En remontant le long de la côte de l'A- frique au-delà du Cap de Bonne-efpérance, on trouve la terre de Natal ; les habitans {ont déja différens des Hottentots, ils font beaucoup moins malpropres & moins laids, ils font aufi naturellement plus noirs, ils ont le vifage en ovale , le nez bien pro- portionne, les dents blanches, a mine agréa-. ble, les cheveux naturellement frifés ; maisils ont aufli un peu de goût pour la graifle , car'ils (x) Idem ; le recueil des voyages de la Compagnie Holiandoife ; le voyage de Robert Lace, traduit par M. l’abbé Prevôt, some I, page 88 ; le voyage de Jean Ovington; celui de La Loubere , rome II, page 1343 le premier voyage dù Pere Tachard, page 95 ; celui d'Innigo de Biervillas, Îre Partie , page 34; ceux de Tavernier , tome IV , page 296; ceux de François Le- guat, tome IT, page 154 3 ceux de Dampier, rome I, page 255 ; 6 de l'Honine, 127 portent des bonnets faits de fuif de bœuf, & ces bonnets ont huita dix pouces de hauteur; ils emploient beaucoup de temps à les fai- re, car il faut pour cela que le fuif foit bien épuré:ils ne l’appliquent que peu-à- peu , & le mêlent fi bien dans leurs che- -veux qu'il ne fe défait jamais [y]. M. Koïbe prétend qu'ils ont le nez plat, même de naïflance & fans qu'on le leur aplatifle, & qu'ils différent aufli des Hottentots en ce qu'ils ne bégayent point, qu’ils ne frappent point leur palais de leur langue comme ces derniers, qu'ils ont des maifons , qu'ils cultivent la " terre, y sèment une efpèce de mays ou blé de Turquie dont ils font de la biere , boïfon inconnue aux Hottentots [7]. Après la terre de Natal, on trouve celle de Sofala & du Monomotapa ; felon Piga- . fetta, les peuples de Sofala font noirs, mais plus grands & plus gros que les autres Caf- fres ; c'eft aux environs de ce royaume de Sofala que cet Auteur place les Amazo- nes [2], mais rien n’eft plus incertain que ce qu'on a débité fur le fujet de ces femmes guerrieres. Ceux du Monomotapa font, au rapport des voyageurs Hollandois , aflez srands, bien faits dans leur taille, noirs, &: de bonne complexion ; les jeunes filles vont nues & ne portent qu’un morceau (y) Voyez les voyages de Dampier , romelI, page 393: (7) Defcription du Cap, tome I , page 156. (a) Wide Tadiæ orientalis partem primam, p. 54, l ; L2 124 Hifloire naturelle, de toile de coton ; mais dès qu'elles font mariées , elles prennent des vêtemens (b). Ces peuples , quoiqu’affez noirs, font dit- férens des Nèsres , ils n’ont pas les traits f durs ni fi laids , leur corps n’a point de mauvaife odeur , & ils ne peuvent fup- porter la fervitude ni le travail ; le Pere Charlevoix dit qu’on a vu en Amérique de ces noirs du Monomotapa & de Madagaf- car, qu'ils n’ont jamais pu fervir & qu'ils y périflent même en fort peu de temps [c]. _ Ces peuples de Madagafcar & de Mo- fambique font noirs , les uns plus & les autres moins ; ceux de Madagafcar ont les cheveux du fommet de la tête moins crépus que ceux de Mofambique : ni les uns ni les autres ne font de vrais Nègres ; & quoi- que ceux de la côte foient fort foumis aux Portugais, ceux de l’intérieur du continent {ont fort fauvages & jaloux de leur liberte, ils vont tous abfolument nus , hommes & femmes ; ils fe nourriflent de chair d'élé- phant & font commerce de l’ivoire (4). IL° a des hommes de différentes efpèces à Madagafcar, furtout des noirs & des blancs qui, quoique fort bafanés, femblent être (b) Voyez Le Recueil des voyages de la Compagnie Hollandoife , tome IL, page 625 ; voyez auffi le voya- ge de l’Amiral Drack, feconde partie, page 99 ; & ce iui de Jean Mocauet , page 266. © (c) Voyez l’hiftoire de Saint-Domingue, page 499. (d) Voyez Le Recueil des voyages, tome il, page 623; le voyage de Mocquet , page 265 ; & la Navigas sion de Jean Hugues Lintfcot, page 20, _ de l'Homme. 125 d’une autre race ; les premiers ont les che: veux noirs & crépus ; les feconds-les ont moins noirs, moins frifés & plus longs : l'opinion commune des voyageurs eft que les blancs tirent leur origine des Chinois ; . mais , comme le remarque fort bien Fran- çois Cauche, il y a plus d'apparence qu'ils font de race Européenne , car il affure que de tous ceux qu'il a vus, aucun n’avoit le nez ni le vifage plat comme lés Chinois ; il dit aufli que ces blancs le font plus que les Caftillans , que leurs cheveux font longs, & qu'à l'égard des noirs ils ne font pas ca- mus , comme ceux du continent , & qu'ils ont les lèvres aflez minces : il y a aufi dans cette ifle une grande quantité d’'hom- mes de couleur olivatre ou bafanée , ils pro- viennent apparemment du mélange des noirs & des blancs ; le voyageur que je viens de citer , dit que ceux de la baie deSaint- Auguftin font bafanés , qu'ils n’ont point de barbe , qu'ils ont les cheveux longs &z liffes , qu'ils font de haute taille & bien _proportionnés; & enfin qu'ils font tous cir- concis , quoiqu'il y ait grande apparence qu'ils n’ont jamais entendu parler de la loi de Mahomet , puifqu'ils n’ont ni temples , ni moiquées , ni religion (e). Les François ont été les premiers qui ayent abordé &@r fait un établifflement dans cette ifle, qui ne fut PEINE TRE EE ERA es (e) Woyez les voyages de François Cauche , Paris, 1071 ; page 4$e L 3 126 Hifloire narurelle. . pas foutenu Ff]; lorfqu'ils y defcendirent ; ils y trouverent les hommes blancs dont nous venons de parler, & ils y remarque- rent que les noirs qu’on doit regarder comme les naturels du pays , avoient du refpett pour ces blancs (9). Cette ifle de Madagaf- car eft extrémement peuplée &c fort abon- dante en pâturages & en bétail : les hom-. mes -& les femmes font fort débauches, & celles qui s’abandonnent publiquement ne font pas déshonorées ; ils aiment tous beau- coup à danfer , à chanter & à fe divertir & quoiqu'ils foient fort parefleux , ils ne faifient pas d’avoir quelque connoiïflance des arts mécaniques: ils ont des. laboureurs ;. des forgerons, des charpentièrs, des potiers ;. êz même des orfèvres ; ils n’ont cependant aucune commodité dans leurs maifons aucuns meubles, ils couchent {ur des nattes.. ils mangent la chair prefque crüe, & dévo- ‘ent même le cuir de leurs bœufs après en avoir fait un peu griller le poil ; ils man- gent aufli la cire avec le miel ; les gens du peuple vont prefque. tout nus , les plus riches ont des caleçons ou des jupons de coton & de foie (4). Les peuples qui habitent l’intérieur de l'Afrique ne nous font pas affez connus pour pouvoir les décrire ; ceux que les Arabes { f) Voyez le voyage de Flacour, Paris, 1667. (3) Voyez la relztion d'un voyage fait aux Indes par M. Delon, Am/l:rdam, 1699. (4) Foyez le voyage de Flacour, page 90 ; celui- de Struys, tome Î, page 32; celui de Pyrard, page 36° de l'Homme, 127 appellent Zingues , font des noirs prefque fau- vages ; Marmol dit qu'ils multiplient prodi- gieufement , & qu'ils inonderoient tous les _pays voifins fi de temps en temps il n’y avoit pas une grande mortalité parmi eux, caufée par des vents chauds. 1e Il paroït par tout ce que nous venons de rapporter , que les Nèyres proprement dits font différens des Caffres , qui font des noirs d'une autre efpèce; mais ce que ces defcriptions indiquent encore plus clai- rement, c'eft que la couleur dépend prin- cipalement du climat , & que les traits dé- pendent beaucoup des ufages où font les ifférens peuples &e s’écrafer le nez, de: fe retirer les paupieres, de s’alonger les oreilles ; de fe grofir les lèvres ; de, s’a- platir le vifage , &c. Rieñ ne prouve mieux combien le climat influe fur la couleur , que de trouver fous le même parallèle, a plus de mille lieues de diflance , des peuples aufi femblables que le font les Sénégalois & les Nubiens , & de voir que les. Hottentots qui n'ont pu tirer leur origine que de nations noires , font cependant les plus blancs de tous ces peuples de l’A- frique , parce qu’en effet ils font dans le climat le plus froid de cette partie du mon- de ; & f l’on s'étonne de ce que fur les bords du Sénégal on trouve d’un côté une nation bafanée , & de l’autre côté une nation en- tiérement noire, on peut fe fouvenir de ce que nous avons déja infinué au fujet des effets de la nourriture, ils doivent in- fluer {ur la couleur comme fur les autres L 4 128 : Hifloire naturelle. habitudes du corps; & fi on en veut ur exemple , on peut en donner un tiré des animaux , que tout le monde eft en état de vérifier ; les Tièvres de plaine & des endroits aquatiques ont la chair bien plus blanche que ceux de montagnes & des ter- reins fecs, & dans le même lieu ceux qui habitent la prairie font tous différens de ceux qui demeurent fur les collines; la couleur de la chair vient de celle du farg & des autres humeurs du corps fur la quali- té defquelles la nourriture doit néceflairement influer. L'origine des noirs a dans tous les temps fait une grande queftion ; les Anciens qui ne connoïfoient guere que ceux de Nubie, les regardoient comme faifant la derniere nuance des peuples bafanés , & ils les confon- doient avec Îes Ethiopiens &c les autres nations de cette partie de l'Afrique, qui, quoique extrémement bruns, tiennent plus: de la race blanche que de la race noire ; is penfoient donc que la différente cou- leur des hommes ne provenoit que de la différence. du climat, & que ce qui produi- foit la noirceur de ces peuples, étoit la trop grande ardeur du foleil à laquelle ils font perpétuellement expofés : cette opinion, au eft fort vraifemblable, a fouffert de erandes difhcultés lorfqu’on reconnut qu'au- dela de la Nubie dans un climat encore plus méridiona}, & fous l'équateur même , comme a Mélinde & à Mombaze , la plupart des hommes ne font pas noirs comme les Nu- biens, mais feulement fort bafanés, & lorf- de l'Homme, p209 © qu'on eut obfervé qu’en tranfportant des noirs de leur climat brülant dans des pays tempérés , ils n’ont rien perdu de leur cou- leur & l’ont également communiquée à leurs efcendans. Mais fi l’on fait attention d’un côté à la migration des différens peuples , & de l’autre au temps qu'il faut peut-être Pour noircir ou pour blanchir une race , on verra que tout peut fe concilier avec le fentiment des Anciens; car les habitans naturels de cette partie de l’Afrique font les Nubiens, qui {ont noirs & originaire- ment noirs, & qui demeureront perpétuel- lement noirs tant qu'ils habiteront le même climat , & qu'ils ne fe méleront pas avec les blancs; les Ethiopiens au contraire , les Abyflins & même ceux de Mélinde , qui tirent ieur origine des blancs , puifqu'ils ont la même religion & les mêmes ufages que les Arabes, & qu'ils leur reflemblent par la couleur, fant à la vérité encore plus ba- fanés que les Arabes méridionaux ; mats cela même prouve que dans une même race d'hommes , le plus ou moins de noir dé- pend de la plus ou moins grande ardeur du climat : il faut peut-être plufeurs fiécles & une fucceflion d’un grand nombre de générations pour qu'une race blanche prennz par nuances la couleur brune 8 devienne enfin tout-à-fait noire ; mais il y a apparence qu'avec le temps un peuple blanc tranf- porté du nord à l'équateur, pourroit deve- nir brun & même tout-à-fait noir, furtout fi ce même peuple changeoit de mœurs &c ne fe fervoit pour nourriture que des pre- 130 Hifloire naturelles duétions du pays chaud dans lequel il auroit été tranfporté. L'objetion qu’on pourroit faire contre cette opinion & qu'on voudroit tirer de la différence des traits , ne me paroît pas bien forte ; car on peut répondre qu'il y a moins de différence entre les traits d'u. Nègre qu'on n'aura pas défiguré dans fon enfance & les traits d’un Européen, qu’en- tre ceux d'un Tartare ou d’un Chinois & ceux d’un Circafñien ou dun Grec ; & à l’égard des cheveux, leur nature dépend fi fort de celle de la peau, qu’on ne doit les regarder que comme faifant une dife- rence très accidentelle , puifqu'on trouve dans le même pays & dans la même ville des hommes qui, quoique blancs, ne laif fent pas d’avoir les cheveux très différens les uns des autres, au point qu’on trouve mème en France, des hommes qui les ont auf courts & aufli crêpus que les Nègres , & que d’ailleurs on voit que le climat . ie froid & le chaud influent f fort fur la couleur des cheveux des hommes & du oil des animaux, qu'il n’y a point de che- veux noirs dans les royaumes du nord, & que les écureuils, les lièvres, les belettes &z plufñeurs autres animaux y font blancs ; ou prefque blancs , tandis qu’ils font bruns ou gris dans les pays moins froids ; cette diffé- rence qui eft produite par l'influence du froid ou du chaud, eft nième fi marquée , que dans. la plupart des pays du nord, comme dans la Suède, certains animaux , comme les liè- de l'Homme. 13%. vres , font tout gris pendant l'été & tout blancs pendant l'hiver (5). Mais il y a une autre raifon beaucoup plus forte contre cette opinion, & qui d'abord paroit invincible , c’eit qu'on a découvert un continent entier, un nouveau monde, dont la plus grande partie des terres habitées fe trouvent fituées dans la Zone torride, & où cependant il ne fe trouve pas un homme noir, tous les habitans de cette partie de Îa terre étant plus ou moins rouges , plus ow . moins bafanés ou couleur de cuivre ; car on auroit dùü trouver aux ifles Antilles, au Mexique , au royaume de Santa-Fé, dans la Guiane, dans le pays des Amazones & dans le Pérou, des Nègres ou du moins des peu- ples noirs, puifque ces pays de l’Amérique font fitués fous la même latitude que le $é- négal, la Guinée & le pays d'Angola en Afrique ; on auroit dû trouver au Brefl,au Paraguai , au Chili, des hommes femblables -aux Caffres, aux Hotténtots , fi le climat ou la diftance du pôle étoit la caufe de la couleur des hommes. Mais avant que d'ex- pofer ce qu'on peut dire fur ce fujèt, nous croyons qu'il eft néceflaire de confidérer tous les diférens peuples de l’Amérique, commme nous avons confidere ceux des au-. tres parties du monde, après quoi nous fe- rons plus en état de faire de juftes compa- raifons & d'en tirer des réfultats généraux, “(i) Lepus apud nos œflate cinerens, hieme femper aëz Bus. Lianæi Fauna Suecica, page 8. 132 Hifloire naturelle En commençant par le nord, on trouve; comme nous l’avons dit, dans les parties les plus feptentrionales de l’Amérique ,.des ef- pèces de Lappons femblables à ceux d'Euro-: pe ou aux Samoiedes d'Afie ; & quoiqu'ils foient peu nombreux en comparaifon de ceux-ci, ils ne laifflent pas d’être répandus dans une étendue de terre fort confidérahle. eux qui habitent les terres du détroit de Davis font petits, d’un teint olivâtre, ils ont les jambes courtes & grofles, ils font habiles pêcheurs, ils mangent leur poiflon & leur viande cruds ; leur boiffon eft de l’eau pure ou du fang de chien de mer, ils font fort robuftes & vivent fort long-temps(k). Voiià, comme l’on voit, la figure, la couleur &les mœurs des Lappons ; & ce qu'il y a de fin- gulier, c’eft que de même qu'on trouve au- près des Lappons en Europe les Finnois ‘qui font blancs , beaux, affez grands & ffez bien faits, on trouve aæ1ffi auprès de ces Eappons d'Amérique une autre efpèce d'hommes qui font grands, bien faits & aflez blancs, avec les traits du vifage fort réguliers(/). Les Sauvages de la baie de Hudfon & du nord de la terre de Labrador ne paroïfient pas être de la même race que les premiers, quoiqu'ils foient laïids, petits, mal faits; ils ont le vilage prefque entiérement couvert de poil comme les Sauvages du pays d’Yeco SP TE SEE # ; (k) Voyez l’hiftoire naturelle des Isles. Rorerdam, 1658. page 189, ; (2) Ibidem, - de l'Homme | 133 au nord du Japon; ils habitent l'été fous des tentes faites de peaux d’orignal ou de cari- bou (=), l'hiver ils vivent fous terre comme les Lappons & les Samoïedes, & fe cou- chent comme eux tous pèle-mêle fans aucune diftinétion ; ils vivent aufli fort long-temps, quoiqu’ils ne fe nourriflent que de chair ou de poiflon cruds (2). Les Sauvages de Terre- neuve reflemblent aflez à ceux du détroit de Davis: ils font de petite taille , ils n’ont que peu ou point de barbe, leur vifage eft large & plat, leurs yeux gros, & ils font géné- ralement aflez camus; le voyageur qui en donne cette defcription, dit qu'ils reflem- blent aflez bien aux Sauvages du continent {2ptentrional, & des environs du Groën- land (0). Au-deflous de ces Sauvages qui font ré- pandus dans les parties les plus feptentrio- nales de l’Amérique , on trouve d’autres Sauvages plus nombreux & tout différens des premiers :ces Sauvages font ceux du Canada & de toute la profondeur des terres jufqu’aux Affiniboils ; ils font tous afflez grands, ro- buftes, forts & aflez bien faits; ils ont tous les cheveux & les yeux noirs, les dents très blanches , le teint bafané, peu de barbe, (x) C'eñ le nom quon donne au Renne en Amé- rique. (n) Voyez le voyage de Robert Lade, traduit par Pabbé Prevôt. Paris, 1744 , tome II, page 309 & fui- VANLLES k * (o) Voyez le Recueil des voyages au Nord. Rouen, 1716, tome ÎÎE, page 7. F4 nn 134 Hifioire naturelle, ; & point ou prefque point de poil en aucune partie du corps; ils font durs & infatigables a la marche, très légers à la courte , ils fupportent aufli aifément la faim que les plus grands excès de nourriture, ils font hardis, courageux, fiers, graves & modérés; enfin ils reflemblent fi fort aux Tartares orientaux par la couleur de la peau, des cheveux & des yeux, par le peu de barbe & de poil, & auf par le naturel & les mœurs’, qu’on les croiroit iflus de cette nation, fi on ne les regardoit pas comme féparés les uns des au- tres par une vañfte mer; ils font aufh fous la même latitude, ce qui prouve encore com- bien le climat influe fur la couleur & même fur la figure des hommes. En un mot, on trouve dans le nouveau continent, comme dans l’ancien , d’abord des hommes au nord femblables aux Lappons, & aufi des hom- mes blancs & à cheveux blonds femblables aux peuples du nord de l’Europe, enfuite des hommes velus femblables aux fauvages d'Yeco, & enfin les Sauvages du Canada & de toute la terre ferme , jufqu’au golfe du Mexique, qui reflemblent aux TartareS par tant d’endroits qu’on ne douteroit pas qu'ils ne fuflent Tartares en effet, fi l’on n’étoit embarraflé fur la pofbilité de la migration. Cependant fi l’on fait attention au petit nom- bre d'hommes qu’on a trouvé dans cette étendue immenfe des terres de l'Amérique feptentrionale , & qu'aucun de ces hommes n'étoit encore civilifé, on ne pouria guere fe refufer à croire que toutes ces nations fauvages ne foient de nouvelles peuplädes 2 de l'Homme, 135 produites par quelques individus échappes d'un peuple plus nombreux. Il eft vrai qu'on prétend que dans l’Amérique feptentrionale, en la prenant depuis le nord jufqu’aux ifles Lucayes &.au Mififipi , il ne reïte pas _ a&tuellement la vingtième partie, du nombre des peuples naturels qui y étoient lorfqu'on _enfit la découverte, & que ces nations fau- vages ont êté ou détruites ou réduites à un f. petit nombre d'hommes, que nous ne de- _vons pas tout -a-fait en juger aujourd’hui comme nous en aurions jugé dans ce temps ; mais quand même on accorderoit que l’Amé- rique feptentrionale avoit alors vingt fois plus d’habitans qu'il n’en refte aujourd’hui, cela n'empêche pas qu'on ne dût la confi- dérer dès-lors comme une terre déferte ou fi nouvellement peuplée , que les hommes n’avoient pas encore eu le temps de s’y multiplier. M. Fabry que j'ai cite (p}, & qui a fait un très long voyage dans la pro- fondeur des terres au nord-oueft du Mififfipi où perfonne n’avoit encore pénétré, & où par conféquent les nations fauvages n’ont pas. été détruites, m'a afluré que cette par- sie de l'Amérique eît fi déferte, qu'il a fou- vent fait cent &c deux cents lieues fans trou-! ver une face humaine ni aucun autre veftige qui püt indiquer qu'il y èüt quelque habita- tion voifine des lieux qu’il parcouroit ; & lorfqu’il rencontroit quelques-unes de ces _(p) Voyez l'Hiftoire naturelle, générale & particue here, Paris, 1749 , tome, Pas 349: _e 136 Hifioire naturelle. habitations , c’étoit toujours à des diftances xtrèmement grandes les unes des autres, & dans chacune il n’y avoit fouvent qu’une feule famille, quelquefois deux ou trois, mais rarement plus de vingt perfonnes en- ‘ femble, & ces vingt perfonnes étoient éloi- gnées de cent lieues de vingt autres perfon- nes. Il eft vrai que le long des fleuves & des lacs que l’on à remontés ou fuivis, on a trouvé des nations fauvages compofées d’un bien plus grand nombre d'hommes, & qu’il en refte encore quelques-unes qui ne laiflent pas d’être aflez nombreufes pour in- quiéter quelquefois les habitans de nos Co- lonies ; mais ces nations les plus nombreufes fe réduifent à trois ou quatre mille perfon- nes, & ces trois ou quatre mille perfonnes font répandues dans un efpace de terrein fouvent plus grand que tout le royaume de France ; de forte que je fuis perfuadé qu’on pourroit avancer, fans crainte de fe trom- per, que dans une feule ville comme Paris, 1l y a plus d'hommes qu'il n’y a de fauva: ges dans toute cette partie de l'Amérique feptentrionale comprife entre la mer du nord & la mer du fud, depuis le golfe du Mexi- que jufqu’au nord, quoique cette étendue de terre foit beaucoup plus grande que toute l’Europe. on La multiplication des hommes tient encore plus à la fociété qu'à la nature, ê les hom- mes ne font fi nombreux en comparaifon des animaux fauvages que parce qu'ils fe font réunis en focièté, qu'ils fe font aidés, æéfendus , fecourus mutuellement. Dans cette partie de l'Homme. 137 partie de l’Amérique dont nous venons de parler, les Bifons (4) font peut-être .plus abondans que les hommes ; mais de la même façon que le nombre des hommes ne peut | augmenter confidérablement que par leur réunion en fociété, c’eft le nombre des hom- mes déjà augmenté à un certain point qui produit prefque néceflairement la iocièté ; 11 eft donc à préfumer que comme l’on n’a trouvé dans toute cette partie de l'Amérique aucune nation civilifée , le nombre des hom- mes y étoit encore trop petit, & leur éta- bliflement dans ces contrées trop nouveau pour qu'ils ayent pu fentir la néceflité ou même les avantages de fe réunir en fociété; car quoique ces nations fauvages euflent des efpèces de mœurs ou de coutumes particu- lieres à chacune, & que les unes fuflent plus ou moins farouches , plus ou moins cruelies, plus ou moins courageufes , elles étoient toutes également flupides , également igno- rantes , également dénuées d'arts & d'’in- duftrie. | Je ne crois donc pas devoir m'étendre beaucoup fur ce qui a rapport aux coutumes . de ces nations fauvages ; tous les auteurs qui en ont parlé n'ont pas fait attention que ce qu'ils nous donnoient pour des ufages conftans &c pour les mœurs d’une focièté d'hommes, n'étoit que des aétions particu- lieres à quelques individus fouvent déter- minés par les circonftances ou par le capri- (3) Efpèce de bœufs fauvages différens de nos bœufs, M 238 Hifloire naturelle ce : certaines nations, nous difent:ils, mart- gent leurs ennemis , d'autres les brülent d’autres les mutilent ; les unes font perpé- tuellement en guerre, d’autres cherchent à vivre en paix; chez les unes on tue fon pere lorfqu'il a atteint un certain âge, chez. les autres les peres & meres mangent leurs enfans : toutes ces hiftoires fur lefquelles les voyageurs fe font étendus avec tant de com-- plaifance , fe réduifent à des récits de faits. particuliers, & figniñient feulement que tel fauvage a mangé fon ennemi, tel autre l’a brûlé ou mutilé, tel autre a tué ou mangé fon enfant , & tout cela peut fe trouver dans une feule nation de fauvages comme dans plufieurs nations; car toute nation où iln’y a ni règle, ni loi, ni maître, ni fociété ha- bituelle, eff moins une nation qu’un aflem- age tumuitueux d'hommes barbares & in- dépendans , qui n’obciffent qu’à leurs paflions particulières, & aui ne pouvant avoir un intérêt commun, {ont incapables de fe diri- ger vers un même but, & de fe foumettre à des ufages conftans, qui tous fuppofent une fuite de deffeins raifonnés & approuvés par le plus grand nombre. - La même nation, dira-t-on, eft compolée d'hommes qui fe reconnoiffent, qui parlent ia même langue, qui fe réunifient lorfqu'il le faut {ous un chef, qui s’arment de même, qui heurlent de la même façon, qui fe bar- bouillent de la même couleur : oui, fi ces ufages étoisnt conftans, s'ils ne fe réunif- fcient pas fouvent fans favoir pourquoi, sis ne 1e {éparoient pas fans raifon, fi leur _- de l'Homme, 139 chef ne cefloit pas de l’être par fon caprice ou par le leur, fi leur langue même n'étoit pas f. fimple qu’elle leur eft prefque com- mune à tous. Comme ils n’ont qu’un très pétit nombre d'idées, ils n’ont aufli qu’une très petite quantité d’expreflions , qui toutes ne peuvent rouler que fur les choies les plus générales & les objets les plus communs ; & quand - même la plupart de ces expreflions feroient différentes, comme elles {e réduifent à un fort petit nombre de termes, ils ne peuvent manquer de s'entendre en très peu de temps; &z 11 doit être plus facile à un fauvage d’en- tendre & de parler toutes les langues des autres fauvages , qu'il ne left à un homme d’une nation policée d'apprendre celle d’une autre nation également policée. Autant 1l eft donc inutile de fe trop éten- dre fur les coutumes & les mœurs de ces prétendues nations, autant il feroit peut- être néceflaire d'examiner la nature de l’in- dividu ; Fhomme fauvage eft en effet de tous les animaux le plus fingulier , Ie moins con- nu , & le plus difhcile à décrire; mais nous difinguons fi peu ce que la naturé feule nous a donné de ce que l'éducation, l’imi- tation , l’art & l'exemple nous ont commu- niqué, ou nous le confondons fi bien, qu'il ne feroit pas étonnant que nous nous mécon- nuffions totalement au portrait d’un fauvage, s'il nous étoit préfenté avec les vraies cou- leurs & les feuls traits naturels qui doivent en faire le caraétere. | Un fauvage abfolument se tel que NONON ENS NS ne 140 Hifloire naturelle, lenfant élevé avec les ours, dont parle Conor (r), le jeune homme trouvé dans les forêts d'Hanower, ou la petite fille trouvée dans les bois en France, feroient un fpec- tacle curieux pour un philofophe: il pour- roit, en obfervant fon fauvage , évaluer au jufte la force des appétits de la nature, il y verroit l'ame à découvert, il en diftingueroit tous les mouvemens naturels, & peut-être y reconnoiîtroit-il plus de douceur , de tran- quillitée & de calme que dans la fienne , peut- être verrait-il clairement que la vertu ap- partient à l’homme fauvage plus qu’à lhom- me civilifé , & que le vice n’a pris naïffance que dans la fociété. . Mais revenons à notre principal objet: fr Pon n'a rencontré dans toute lAmérique feptentrionale que des fauvages, on a trouvé au Mexique & au Pérou des hommes civi- lifés, des peuples policés, foumis à des loix & gouvernés par des Rois: ils avoient de Pindufirie , des arts, & une efpèce de reli- gion, ils habitoient dans des villes où l’ordre la police étoient maintenus par l'autorité du Souverain : ces peuples , qui d’ailleurs étoient aflez nombreux, ne peuvent pas être _regardés comme des nations nouvelles ou des hommes provenus de quelques indivi- dus échappés des peuples de l’Europe ou de PAfie dont ils font & éloignés ; d'ailleurs, & les fauvages de l'Amérique feptentrionale .reflemblent aux Tartares parce qu'ils font Li H {r) Evang. Med, page 137, Gt. de l’Homme.. 141 fitués fous la même latitude , ceux - ci qui font, comme les Négres, fous la zone tor- ride, ne leur reflemblent point; quelle eft donc l’origine de ces peuples, & quelle ef auf la vraie caufe de Îa différence de cou- leur dans les hommes , puifque celle de l’in- fluence du climat {e trouve ici tout - à -fait démentie ? Avant que de fatisfaire, autant que je le pourrai , a ces queftions, il faut continuer notre examen, & donner la defcription de ces hommes qui paroiflent en effet fi diffé- rens de ce qu'ils devroient être, f la diftance du pôle étoit la caufe principale de la va- rièté qui fe trouve dans l’eipèce humaine. Nous avons déja donné celle des fauvages du nord &c des fauvages du Canada (s); ceux de la Floride, du Mififipi, & des autres parties méridionales du continent de l’Amé- rique feptentrionale font plus bafanés que ceux du Canada, fans cependant qu’on puife dire qu'ils foient bruns; l’huile & les cou- (s) Voyez à ce fujet Îles voyages du Baron de la Hontan. La Haïe, 1702; la relation de la Gafpéfie, par le Pere Le Ciercq, Récolet. Paris , 1691, pages 44 & 392 ; la defcription de ia nouvelle France , par le Pere Charlevoix. Paris, 1744, tome I , page 16 & fuivantes ; tome Mi, pages 24, 302, gre & 323 ; les Lettres édi- fiantes, Recueil XXIIL, pages 203 6 242; & le voya- ge au pays des Hurons, part Gabriel Sabard Théodat, Récolet. Paris, 1632, pages 128 & 178 ; le voyage de la nouvelle France , par Dierville. Rouen, 1708, page 322 jufqu'a 1913; & les découvertes de M. de La Salle, publiées par M. le chevalier Tonti, Paris, 1697 , pa= ges 243 583 GC F42 Hifloire naturelle. leurs dont ils fe frottent le corps les font paroïtre plus olivâtres qu'ils ne le font en: effet. Coréal dit que les femmes de la Flo- ride font grandes, fortes, & de couleur oli- vâtre comme les hommes, qu’elles ont les bras , les jambes &r le corps peints de plu- fieurs couleurs qui font ineffaçables parce qu’elles ont été imprimées dans les chairs par le moyen de plufeurs piqûres , & que la couleur olivâtre des uns & des autres ne vient pas tant de lardeur du foleil que de certaines huiles dont, pour ainfr dire, ils fe verniflent la peau ; il ajoute que ces femmes ‘font fort agiles, qu’elles pafient à la nage de grandes rivieres en tenant même leur enfant avec le bras, & qu’elles grimpent avec une pareille agilité fur les arbres les plus élevés {(:); tout cela leur eft commun avec les femmes fauvages du Canada & des autres contrées de l'Amérique. L’Auteur de Phiftoire naturelle & morale des Antilles dit que les Apalachites, peuples voifins de la Floride , font des hommes d’une aflez grande ftature , de couleur olivatre , & bien propor- tionnés ; qu’ils ont tous les cheveux noirs & longs; & il ajoute que les Caraïbes ou Sau- vages des ifles Antilles fortent de ces Sau- vages de la Floride , & qu’ils fe fouvien- . nent même par tradition du temps de leur migration (z\. (z) Voyez le voyage de Coréal , Paris , 1722, tome ZT, pag 36. (u) Voyez lhifloire naturelle & morale des An tilles, Rorerdam, 1655, pages 351 & 356: de l'Homme. 143 Les naturels des ifles Lucayes font moins bafanés que ceux de Saint-Domingue & de Vifle de Cube; mais il refte fi peu des uns & des autres aujourd’hui qu’on ne peut guere vérifier ce que nous en ont dit les premiers voyageurs qui ont parlé de ces peuples; ils ont prétendu qu'ils étoient fort nombreux 8 gouvernés par des efpèces de chefs qu'ils -appelloient Caciqueñ, qu'ils aveient aufli des: efpèces de prêtres, de médecins ou de de- vins; mais tout cela eff aflez apocryphe. & importe d'ailleurs affez peu à notre hif- toire. Les Caraïbes en général font, felon le Pere du Tertre , des hommes d’une belle: taille & de bonne mine; ils font puiflans. forts & robuftes , très difpos &r très fains; 1l y en a plufeurs qui ont le front plat & le nez applati; mais cette forme du vifage & du nez ne leur eft pas naturelle , ce font les- peres & meres qui applatiflent ainfi la tête | de l'enfant quelque temps après qu'il eftné ; cette efpèce de caprice qu'ont les Sauvages d'altèrer la figure naturelle de la tête, et aflez générale dans toutes les nations fauva- ges : prefque tous les Caraïbes ont les yeux noirs & aflez petits; mais la difpofition de leur front & de leur vifage les fait paroitre aflez gros : ils ont les dents belles, blanches & bien rangées, les cheveux longs & liffes , & tous les ont noirs, on n’en a jamais vu un feul avec des cheveux blonds; îils ont fa pcau bafanée ou couleur d'olive. & mème Le blanc des yeux en tient un peu, cette couleur bafanée leur eft naturelle, & ne _ provient pas uniquement, comme quelques 144 Hifloire naturelle, auteurs l'ont avancé , du rocou dont ils fe frottent continuellement, puifque l’on a re- marqué que les enfans de ces fauvages qu’on a élevés parmiles Européens , & qui ne fe frottoient jamais de ces couleurs, ne laif- foient pas d’être bafanés & olivâtres comme leurs peres & méres; tous ces Sauvages ont l'air rêveur , quoiqu'ils ne penfent à rien, . lis ont auf le vifage trife, & ils paroïfient être mélancokiques ; ils {ont naturellement doux & compatiffans, quoique très cruels à leurs ennemis :ils prennent aflez indiflérem- ment pour femmes leurs parentes ou des étrangeres ; leurs coufines germaines leur appartiennent de droit ; & on en a vu plu- fieurs qui avoient en même temps les deux fœurs, ou la mere & la fille, & même leur propre fille; ceux qui ont plufieurs femmes les voyent tour-à-tour chacune pendant un mois , ou un nombre de jours égal, & cela fuñit pour que ces femmes n’ayent aucune jaloufe ; ils pardonnént affez volontiers l'a- dultere à leurs femmes, mais jamais à celui qui les a débauchées. Ils fe nourrifient de burgaux, de crabes, de tortues , de lézards, de ferpens & de poifflons qu'ils affaifonnent avec du piment & de la farine de manioc {x}. Comme 1ls font extrêmement parefleux & accoutumés à la plus grande indépendance, ils déreftent la fervitude ; & on n’a jamais (x) Voyez lhifloire générale des Antilles , par le Pere Du Tertre, tome II, page 353 jufqu'à 482; voyez auf les nouveaux voyages aux isles, Paris, 1722. pu de l'Homme. 14; pu s’en fervir comme on fe fert des Nègres : il n’y a rien qu'ils ne foient capables de faire pour fé remettre en liberté; & lorf- qu'ils voyent que cela leur eft impoflible, ils aiment mieux fe laifler meurir de faim & de mélancolie que de vivre pour travailler : on s’eft quelquefois fervi des ‘Arrouages qui font plus doux que les Caraïbes ; mais ce n'eft que pour la chafle & pour la pêche, exercices qu'ils aiment, & auxquels ils font accoutumés dans leur pays; & encore faut- il, fi l’on veut conferver ces efclaves fau- vages, les traiter avec autant de douceur au moins que nous traitons nos domefliques en France, fans cela ïls s'enfuient ou périffent de mélancolie. Il en eft à-peu-près de même des efclaves Brefiliens, quoique ce foient de tous les Sauvages ceux qui paroïifient être les moins ftupides , les moins mélancoliques Gr les moins parefleux ; cependant on peut en les traitant avec bonté les engager à tout faire , fi ce n’eft de travailler à la terre, parce qu'ils s'imaginent que la culture de la terre eft ce qui caraétérile l’efclavage. Les femmes fauvages font toutes plus pe- tites que les hommes ; celles des Caraïbes {ont grafles & aflez bien faites, elles ont es yeux & les cheveux noirs, le tour du vifage rond, Îa bouche petite, les dents fort , blanches, l’air plus gai, plus riant & plus ouvert que les hommes; elles ont cependant de la modeftie & font aflez refervées ; elles fe barbouillent de rocou, mais elles ne fe font pas des raies noires fur le vifage & fur Hif, rar, Tom. V. N 146 Hiffoire naturelle. le corps comme les hommes; elles ne por- tent qu’un petit tablier de huit ou dix pou- ces de largeur fur cinq à fix pouces de hau- teur; ce tablier eft ordinairement de toile de coton couverte de petits grains de verre; ils ont cette toile & cette raffade des Euro- péens, qui en font commerce avec eux; ces femmes portent auf plufeurs colliers de raflade, qui leur environnent le cou & def. cendent fur leur fein ; elles ont des braflelets de même efpèce aux poignets & au - deflus des coudes, & des pendans d'oreilles de pierre bleue ou de grains de verre enfilés: un dernier ornement qui leur eft particu- lier, & que les hommes n’ont jamais, c’eft une efpèce de brodequins de toile de coton, garnis de raflade, qui prend depuis la che- ville du pied jufqu'au-defius du gras de jam- be; dès que les filles ont atteint l’âge de puberté, on leur donne un tablier , & on leur fait en même temps des brodequins aux jambes qu’elles ne peuvent jamais Ôter; ils font fi ferrés qu’ils ne peuvent ni monter ni defcendre ; & comme ils empêchent le bas de la jambe de groflir, les molets deviennent beaucoup plus gros & plus fermes qu'ils ne le feroient naturellement (y). a Les peuples qui habitent a@tuellement le Mexique & la nouvelle Efpagne, font fi mé- lés, qu'a peine trouve-t-on deux vifages qui (y) Voyez les nouveaux voyages aux isles, tomeiïl, page 8 & fuivantes. de l'Horrime. 147 foient de la même couleur :il y a dans la ville de Mexico des blancs d'Europe, des Indiens du nord & du fud de l’Amérique, des nègres d'Afrique, des mulâtres, des mé- tis, en forte qu'on y voit des hommes de toutes les nuances de couleurs qui peuvent être entre le blanc & le noir (z). Les natu- rels du pays font fort bruns & de couleur d'olive, bien faits & difpos , ils ont peu de poil, même aux fourcils ; ils ont ce- pendant tous les cheveux fort longs & fort noirs (4). » Selon Wafer, les habitans de l’ifthme de TA mérique font ordinairement de bonne taille &c d’une jolie tournure ; ils ont la jambe fine, les bras bien faits, la poitrine large, ils font aétifs & légers à la courfe ; les femmes font petites & ramafñlées, & n’ont pas la vivacité des hommes, quoique les jeunes ayent de l’embonpoint , la taille jolie &c l'œil vif ; les uns & les autres ont le vifage rond, le nez gros &: court, les yeux grands, & our la plupart gris, pétillans & pleins de eu, furtout dans la jeunefle, le au éle- vé, les dents blanches & bien rangées, les lèvres minces , la boucïe d’une grandeur médiocre , & en.gros, tous les traits affez réguliers. Ils ont auffi tous , hommes & fein- mes , les cheveux noirs, longs, plats & ru- des, & les hommes auroient de la barbe s'ils ne fe la faifoient arracher ; ils ont le (x) Voyez les Lettres édifiantes , Recueil IX, page 119 {a) Voyez les'voyages de Ceréal, page 116, * 2 148 Hifioire naturelle, teint bafané, de couleur de cuivre jaune ; ou d'orange, & les fourcils noirs comme du jais. À Ces peuples que nous venons de décrire, ne font pas les feuls habitans naturels de lifthme ; on trouve parmi eux des hommes tout différens ; & quoiqu'ils foient en très petit nombre, ils méritent d’être remarqués : ces hommes {ont blancs, mais ce blanc n’eft pas celui des Européens, c’eft plutôt un blanc de lait, qui approche beaucoup de la couleur du poil d'un cheval blanc ; leur peau eft aufll toute couverte, plus ou moins, d’une efpèce de duvet court & blanchâtre, mais qui n’eft pas fi épais fur les joues & {ur le front, qu'on ne puifle aifément difün- guer la peau; leurs fourcils font d’un blanc de lait, aufli-bien que leurs cheveux qui font très beaux, de la longueur de fept à huit pouces & à demi-frifés. Ces Indiens, hommes & femmes, ne font pas fi grands que les autres; & ce qu'ils ont encore de très fingulier, c’eft que leurs paupieres font d’une figure Oblongue, ou plutôt en forme ce croiflant dont les pointes tournent en bas: ils ont les yeux fi foibles qu'ils ne voyent prefque pas en plein jour, ils ne peuvent fupporter la lumiere du foleil , & ne voyent bien qu'à celle de Ia lune; ils {ont d'une complexion fort délicate en comparaifon des autrés Indiens; ils craignent les exercices pénibles , ils dorment pendant le jour, & ne fertent que la nuit; & lorfque la lune luit, ils courent dans les endroit les plus fombres des forêts aufh vite que les autres Le peu- de l'Homme. 149 Verit faire de jour, à cela près qu’ils ne font ni auf robuftes ni aufh vigoureux. Au refte, ces hommes ne forment pas une race parti- culiere & diftinéte ; mais il arrive quelque- fois qu’un pere & une mere qui font tous deux couleur de cuivre jaune , ont un en- fant tel que nous venons de le décrire. Wafer qui rapporte ces faits, dit qu’il a vu lui-me- me un de ces enfans qui n’avoit pas encore un an (b). Si cela eft ; cette couleur & cette habitude finguliere du corps de ces Indiens blancs , ne feroient qu'une efpèce de maladie qu'ils tien- droient de leurs peres & meres ; mais en fuppofant que ce dernier fait ne fût pas bien avéré, c'’eft-a-dire , qu'au Heu de venir des Indiens jaunes ils fiflent une race à part, alors ils reflembleroient aux Chacrelas de Java, &r aux Bedas de Ceylan , dont nous avons parlé; ou fi ce fait eit bien vrai, & que ces blancs naïflent en effet de peres & meres couleur de cuivre, on pourra croire que les Chacrelas & les Bedas viennent aufñ de peres & meres bafanés, & que tous ces hommes blancs qu’on trouve à de fi gran- des diftances les uns des autres, font des in- dividus qui ont dégénéré de leur race par quelque caufe accidentelle. J'avoue que cette derniere opinion me paroit la plus vraifemblable , & que Yi les voyageurs nous euflent donné des defcrip- (6) Voyez le voyage de Dampier, tome IV, page 252. N 3 150 Hifloire naturelle. tions aufh exaétes des Bedas & des Chacre- las que Wafer l’a fait des Dariens, nous euf- fons peut-être reconnu qu’ils ne pouvoient pas plus que ceux - ci être d’origine Euro- péenne. Ce qui me paroït appuyer beaucoup cette maniere de penfer, c’eft que parmi les Nègres 1l naît aufli des blancs de peres & meres noirs: on trouve la defcription de deux de ces Nègres blancs dans l’hiftoire de l’A- cadémie ; j'ai vu moi-même l’un des deux; & on affure qu'il s’en trouve un aflez grand nombre en Afrique parmi les autres Nè- gres {c). Ce que j'en ai vu , indépendamment de ce qu'en difent les voyageurs , ne me aifle aucun doute fur leur origine : ces Ne- gres blancs font des Nèégres dégénèrés de leur race; ce ne {ont pas une efpèce d’hom- mes particuliere & conftante , ce font des individus finguliers qui ne font qu’une va- rièté accidentelle; en un mot, ils font par- mi les Nègres ce que Wafer dit que nos Indiens blancs font parmi les Indiens jau- nes , & ce que font apparemment les Cha- crelas & les Bedas parmi les Indiens bruns: ce qu'il y a de plus fingulier , c’eft que cette variation de la nature ne fe trouve que du noir au blanc, & non pas du blanc au noir ; car elle arrive chez les Nègres, chez les In- iens les plus bruns & aufhi chez les Indiens les plus jaunes, c’eft-à-dire , dans toutes les races d'hommes qui font les plus éloignées du blanc, & il n'arrive jamais chez les In- # {:) Voyez la Véaus phyfique, Paris 17AËe. de L'Homme. St diens qu’il naïifle des individus noirs : une autre fingularité, c’eft que tous ces peuples des Indes orientales , de l’Afrique & de l’A- mérique, chez lefquels on trouve ces hom- mes blancs, {ont tous fous la même lati- tude ; l’Ifthme de Darien, le pays des Nè- - gres & Ceylan, font abfolument fous le mé- me parallèle, Le blanc paroît donc être la Couleur primitive de la nature , que le cli- rat , la nourriture & les mœurs , altèrent & changent , même jufqu’au jaune , au brun ou au noir , & qui reparoît dans de certaines circonftances , mais avec une f grande alté- ation , qu'il ne refflemble point au blanc primitif qui en effet a été dénaturé par Les caufes que nous venons d'indiquer. En tout , les deux extrêmes fe rappro- chent prefque toujours : la nature aufh par- faite qu'elle peut l’être, a fait les hommes blancs ; & la nature altérée autant qu'il ef poflible , les rend encore blancs ; mais le sianc naturel ou le blanc de l’efpèce et fort différent du blanc individuel ou ac- cidentel. On en voit des exemples dans les plantes aufli-bien que dans les hommes & les animaux : la rofe blanche , la géroflée blan- cie , &c , font bien différentes , même pour le blanc , des rofes & des géroflées rouges, qui dans l’iutomne deviennent blanches lor{- qu'elles ont foufrert le froid des muits & Îles petites gelées de cette faifon. Ce qui peut encore faire croire que ces hommes blancs ne font en effet que des in- cividus qui ont dégénéré de leur efpèce,, c'eft qu'ils font tous beaucoup to forts &c 4 152 Hiffoire rrarurelle moins vigoureux que les autres ; & qu’ils ont les yeux extrêmement foibles ; on trou- vera ce dernier fait moins extraordinaire lorfqu’on fe rappellera que parmi nous les hommes qui font d’un blond blanc , ont or- dinairement les yeux foibles : j'ai auf re- narqué qu’ils avoient fouvent l'oreille dure ; x on prétend que les chiens qui {ont abfolu- ment blancs & fans aucune tache, font fourds; je ne fais fi cela eft généralement vrai, je puis feulement aflurer que j'en ai vu plu- fieurs qui l’étoient en effet. Les Indiens du Pérou font aufi couleur de cuivre comme ceux de l’Ifthme , furtout ceux qui habitent le bord de la mer & les terres bafles ; car ceux qui demeurent dans les pays élevés, comme entre les deux chai- nes des Cordilières , font prefque auñi blancs que les Européens ; les uns font à une lieue de hauteur au-deflus des autres; & cette dir férence d’élévation fur le globe, fait autant qu'une différence de mille lieues en latitude pour la température du climat. En effet, tous les Indiens naturels de la terre ferme. qui h4- bitent le long de la riviere des Amazones & le continent de la Guiane, font bafanés & de couleur rougeâtre plus ou moins claire : Ja diverfité de la nuance, dit M. de la Conda- mine , a vraifembiablement pour cauie prinr- cipale la différente température de Pair des pays qu'ils habitent, variée depuis la grande chaleur de la zone torride juiqu'au froid caufé par lé voifinage de la neige (9). Quel- {d) Voyez le voyage de l'Amérique méridionale en de l'Homme, _E53 ques-uns de ces Sauvages , commes les Oma- guas , Applatifient le vifage de leurs enfans en leur ferrant la tête entre deux plan: ches(e); quelques autres fe percent les na- rines , les lèvres ou les joues pour y pañer _des os de poiffons , des plumes d’oifeaux & d’autres ornemens ; la plupart fe percent les oreilles, fe les agrandiffent prodigieufement , & remplifient le trou du lobe d’un gros bou- quet de fleurs ou d’herbe qui leur fert de pen- dans d'oreilles ( f).Je ne dirai rien: des Ama- zones dont on à tant parlé, on peut con- fulter à ce fujet ceux qui en ont écrit; & après les avoir lus , on n’y trouvera rien d’aflez pofitif pour conitater l’exiftlence ac- tuelle de ces femmes (g). Quelques voyageurs font mention d’une nation dans la Guiane , dont les hommes font plus noirs que tous les autres Indiens : les Arras , dit Raleigh , font prefque auf noirs que les Nègres ; ils font fort vigoureux & ils fe fervent de flèches empoilonnées : cet auteur parle aufh d'une autre nation d’Ir- defcendant la riviere des Amazones, par M. de la Con- damine, Paris, 174$, page 49. (e) Idem, page 72. (f) Idem, page 48 € Jui. g) Voyez Idem, page 101 jufqu?à 113 3 la relation de Ja Guiane, par Walter Raleigh; tome II des voyages de Coréal, page 25; la relation du Pere d'Acuna, tra- duite par Gomberville, Paris, 1682 , volume I, page 237 5 es Lettres édifiantes , Recueil X , page 241, & _ Recueil XIT, page 213 ; les voyages de Mocquet. page 101 jufqu'à 105 , &c 154 Hifloire naturelle diens qui ont le cou fi court & les épaules fi élevées , que leurs yeux paroifflent être fur leurs épaules, &: leur bouche dans leur poitrine (2); cette difformité fi monftrueufe n’eft sûrement pas naturelle ; & il y a grande apparence que ces Sauvages qui fe plaifent tant à défigurer la nature en Se 2 en arrondiffant, en allongeant la tête de leurs enfans , auront auili imaginé de leur faire rentrer le cou dans les épaules; il ne faut pour donner naiflance à toutes ces bizarre- ries, que l’idée de ie rendre , par ces diffor- mités, plus effroyables & plus terribles à leurs ennemis. Les Scythes , autrefois auffi fauvages aue le font aujourd’hui les Ame- ricains , avoient apparemment les mêmes idées qu'ils réalifoient de la même façon; & c'eit ce qui a fans doute donné lieu à ce que les Anciens ont écrit au fujet des hommes acéphales, cynocéphales, &c. Les Sauvages du Bréfl font à - peu - près de la taille des Européens , mais plus forts, plus robuftes & plus difpos ; ils ne font pas fujets à autant de maladies, & ils vivent communément plus long - temps : leurs cheveux, qui font noirs , blanchifient rarement dans la vieilleffle ; ils font bafanes & d’une couleur brune qui tire un peu fur le rouge ; ils ont la tête grofle , les épaules larges & les cheveux longs ; ils s’arrachent * la barbe, le poil du corps, & même les four- (4) Voyez le fecond tome des voyages de Coréal, pages 58 & 59. He de PH 155 cils & les cils, ce qui leur donne un re- gard extraordinaire & farouche ; ils fe per- cent la lèvre de deflous pour y pañler un petitos poli comme de l’ivoire ou une pierre verte aflez grofle ; les meres écrafent le nez de leurs enfans peu de temps après la naif- - fance ; ils vont tous abfolument nus , & fe peignent le corps de différentes couleurs (5). Ceux qui habitent dans les terres voifines des côtes de la mer, fe {ont un peu civi- lifés par le commerce volontaire ou force qu'ils ont avec les Portugais; mais ceux de l’intérieur des terres font encore , pour la plupart, abfolument fauvages : ce n’eft pas ême par la force & en voulant les réduire a un dur efclävage , qu’on vient à bout de les policer ; les Miffions ont formé plus d’hom- mes dans ces nations barbares que les ar- mées viétorieufes des Princes, qui les ont {ubjuguées : le Paraguai n’a été conquis que de cette façon ; la douceur, le bon exem- pie , la charité & l'exercice de la vertu conf- tamment pratiqué par les Mifionnaires , ont touché ces Sauvages, & vaincu leur défian- ce & leur férocite ; ils font venus fouvent d'eux-mêmes demander à connoître la loi qui “ (:) Voyez le voyage fait au Bréfil, par Jean de Lery, Paris , 1578, page 108; le voyage de Coréal, tomel, page 103 & fuivantes ; les Mémoires pour fervir à lhiftoire des Indes, 1702, page 287; l’hifloire des In- des de Maffé, Paris, 1665, page 71 ; la feconce par- tie des voyages de Pyrard , tome II, page 337; Îles Lettres édifiantes , Recueil XV, page 351, &c, 154 Hifloire naturtlle, rendoit les hommes fi parfaits ; ils fe fort foumis à cette loi & réunis en fociété : rien ne fait plus d'honneur à la religion que d’a- voir civilifé ces nations , & jeté les fonde- mens d'un empire fans autres armes que celles de la vertu. Les habitans de cette contrée du Paraguai ont communément la taille afflez belle & aflez élevée, ils ont le vifage un peu long & la couleur olivâtre (k). Il regne quelque- fois parmi eux une maladie extraordinaire ; c’'eft une efpèce de lèpre qui leur couvre tout le corps, & y forme une croûte fem- blable à des écailles de poiffon ; cette in- commodité ne leur caufe aucune douleur, ni mème aucun autre dérangement dans Îa fanté (2). +54 | | Les Indiens du Chili font, au rapport de M. Frezier, d’une couleur bafanée qui tire un peu fur celle du cuivre rouge , comme celle des Indiens du Pérou : cette couleur eft différente de celle des mulatres ; comme ils viennent d’un blanc & d’une nègrefle ou d’une blanche & d’un nègre , leur couleur eft brune , c’eft-à-dire , mêlée de blanc & de noir ; au lieu que dans tout le continent de l'Amérique méridionale , les Indiens font jaunes ou plutôt rougeàtres. Les habitans (X) Voyez les voyages de Coréal , rome Î , papes 240 6 259 ; les Lettres édifiantes , Recueil XI , page 391; Recueil XIT, p. 6. (4) Voyez les Lettres édifiantes, Recueil XXV, page 422, e de l'Homme, 157 &u Chi font de bonne taille : ris ont.les membres gros , la poitrine large, le vifage peu agréable & fans barbe , les yeux petits, les oreilles longues , les cheveux noirs , plats & gros comme du crin; ils s’allongent les oreilles, & iis s’arrachent la barbe avec des pinces faites de coquilles ; la plupart vont nus , quoique le climat foit froid ; ils portent feulement fur leurs épaules quel- ques peaux d'animaux. C'eft à l'extrémité du Chili, vers les terres Magellaniques, que fe trouve, à ce qu'on prétend , une race d'hommes dont la taille eft gigantefque ; M. Frezier dit avoir appris de plufeurs Efpa- onols qui avoient vu quelques-uns de ces hommes , qu'ils avoient quatre varres de hauteur, c’eft-a-dire , neuf ou dix pieds ; ielon ui , ces- géans , appellés Parasons , habitent le côté de l'eft de la côte dé- ferte dont les anciennes relations ont par- I , qu'on a enfuite traitées de fables, parçe que l’on a vu au détroit de Magellan, des Indiens dont la taille ne furpañloit pas celle des autres hommes : c’eft , dit-il , ce qui a pu tromper Froger dans fa relation du voya- ge de M. de Gennes , car quelques vaiffleaux ont vu en même temps les uns & les au- ires : en 1709, les gens du vaifleau le Jacques, ce Saint - Malo, virent {ept de ces géans dans la baie Grégoire ; &: ceux du vaifleau le Suint-Pierre , de Marfeille , en virent fix , dont ils s’approcherent pour leur offrir du pain, du vin & de l’eau-de-vie qu’ils refuferent, quoiqu’ils euflent donné à ces matelots quel- ques flèches , & qu'ils les euffent aidés à 158 Hifloire naturelle, échouer le canot du navire (m). Au refte, comme M. Frezier ne dit pas avoir vu lui- même aucun de ces géans , & que les rela- tions qui en parlent font remplies d’exage- rations fur d’autres chofes , on peut encore douter qu’il exifte en effet une race d'hom- mes toute compofée de géans , furtout lorf- qu'on leur fuppofera dix pieds de hauteur; car le volume du corps d’un tel homme fe- roit huit fois plus confidérable que celui d’un homme ordinaire : il femble que la hauteur ordinaire des hommes, étant de cinq pieds, les limites ne s'étendent gueres qu’à un pied au-deflus & au-deffous ; un homme de fix pieds eft en effet un très grand homme, & un homme de quatre pieds eft très petit; les géans & les nains qui font au-deflus & au- deflous de ces termes de grandeur , doivent être regardes comme des variétés indivi- duelles & accidentelles , & non pas comme des différences permanentes qui produiroient des races conftantes. Au refte, fi ces géans des terres Magella- niques exiftent , ils font en fort petit nom- bre ; car les habitans des terres du détroit & des ifles voifines , font des fauvages d’une taille médiocre ; ils font de couleur oliva- tre, ils ont la poitrine large , le corps aflez quarré , les membres gros, les cheveux noirs & plats (z) ; en un mot, ils reflemblent pour la {m) Voyez le voyage de M. Frezier, Paris 1732, page 75 & fuiv. (7) Voyez le voyage du cap Narbrugh, fecond vo- — de l'Homme. 159 taille à tous les autres hommes , & par la cou- leur & les cheveux: aux autres Américains. Il n’y a donc, pour ainfi dire, dans tout le nouveau continent, qu’une feule & même race d'hommes qui tous font plus ou moins bafanés ; & à l’exception du nord de l’Amé- rique où il fe trouve des hommes fembla- bles aux Lappons, & auf quelques hom- mes à cheveux blonds femblables aux Eu- ropéens du Nord , tout le refte de cette vafte partie du monde ne contient que des hom- mes parmi lefquels il n’y a prefque aucune diverfté ; au lieu que dans l’ancien conti- nent nous avons trouvé une prodigieufe va- riété dans les différens peuples : il me paroît que la raifon de cette uniformité dans les hommes de l’Amérique , vient de ce qu'ils vivent tous de la même façon ; tous les Ameé- ricains naturels étoient ou font encore fau- vages ou prefque fauvages , les Mexicains & les Péruviens étoient fi nouveilement po- licés qu’ils ne doivent pas faire une excep- tion. Quelle que foit donc l’origine de ces nations fauvages , elle paroïit leur être com- mune à toutes : tous les Américains fortent d'une même fouche, & ils ont confervé juf- lime de Coréal , pages 231 & 284 ; l'hiftoire de la conquête des isles Moluques, par Argenfola , tome I, pages 35 & 255 ; le voyage de M. de Gennes, par Froger , page 97 ; le Recueil des voyages qui ont fervi à l’établiffement de la compagnie de Hollande , tomelI, page 651 ;les voyages du Capitaine Vood, cinquième voiume de Dampier, p. 179, &c, r60 Hifleire naturelle, qu’à préfent les caraéteres de leur race fans grande variation, parce qu’ils font tous de- meurés fauvages , qu’ils ont tous vécu a-peu- près de la même façon que leur climat n’eft pas à beaucoup près aufli inégal pour le froid & pour le chaud, que celui de l’ancien con- tinent, & qu'étant nouvellement établis dans leur pays, les caufes qui produifent des va- riétés n'ont pu agir aflez long -temps pour opérer des effets bien fenfibles. Chacune des raïfons que je viens d’avan- cer mérite d'être confidèrée en particulier: es Américains font des peuples nouveaux, il me femble qu’on n’en peut pas douter lorfqu’on fait attention à leur petit nombre, à leur ignorance & au peu de progrès que les plus civilifés d’entr'eux avoient fait dans les arts ; ear quoique les premieres relations de la découverte & des conquêtes de l’'Ame- rique, nous parient du Mexique, du Pérou, de Saint-Domingue , &c, comme de pays très peuples, & qu'elles nous difent que les Efpagnols ont eu à combattre par-tout des armées très nombreufes, 1l eft aifé’ de voir que ces faits {ont fort exagérés ; premiere- ment par le peu de monumens qui reftent de la prétendue grandeur de ces peuples ; fe- condement par la nature mème de leur pays qui, quoique peuplé d'Européens plus induf- trieux fans doute que ne leétoient les natu- rels, eft cependantencore fauvage, inculte, couvert de bois, & n’eit d'ailleurs qu’un erouppe de montagnes inacçcefhibles , irhabi- tables, qui ne laflent par conféquent que ge petits efpaces propres à être cultivés & hzhités : id lii LES & de l'Homme. 161 habités ; troifiémement par la tradition même de ces peuples fur le temps qu'ils fe font réunis en focièté , les Péruviens ne comp- toient que douze Rois , dont le premier avoit commencé à les civilifer (o) ; ainñ 11 n'y avoit pas trois cents ans qu'ils avoient ceflé d'être comme les autres entiérement fauva- ges ; quatriémement , par le petit nombre d'hommes qui ont été employés à faire la conquête de ces vaftes contrées : quelqu’a- vantage que la poudre à canon püt leur don- ner, ils n’auroient jamais fubjugué ces peu- ples s'ils euflent été nombreux : une preuve de ce que j'avance , c’eft qu’on n’a jamais pu conquérir le pays des Nègres ni les af- lujettir, quoique les effets de la poudre fuf- fent auffi nouveaux & aufli terribles pour eux que pour les Américains ; la facilité avec laquelle on s’eft emparé de l’Améri- que , me paroit prouver qu’elle étoit très peu peuplée , & par conféquent nouvelle- ment habitée. Dans le nouveau continent la tempéra- ture des différens climats eft bien plus égale que dans l’ancien continent , c’eit encore par l'effet de plufieurs cautes ; il fait beaucoup moins chaud fous la Zone torride en Amérique , que fous la Zone torride en Afrique : les pays compris fous cette zo- ne en Amérique, font le Mexique, la nou- velle Efpagne , le Pérow,la terre des Ama- a. (o) Voyez l'hifloire des Incas, par Garci'affo, &ec, Paris, 17440 Ô 162 Hifloire naturelle zones , le Brefil & la Guiane. La chaleur n’eft jamais fort grande au Mexique , à la nouvelle Efpagne & au Pérou, parce que ces contrées font des terres extrêmement élevées au-deffus du niveau ordinaire de la furface du globe ; le thermomètre dans les grandes chaleurs ne monte pas fi haut au Pérou qu'en France ; la neige qui couvre le fommet des montagnes, refroïdit l'air, &c cette caufe , qui n’eft qu’un effet de la premiere, influe beaucoup fur la tempéra- ture de ce climat ; auf les habitans , au lieu d’être noirs ou très bruns, font feu- lement bafanés : dans la terre des Amazones il y a une prodigieufe quantité d'eaux ré- pandues , de fleuves & de forêts, l'air y eft donc extrêmement humide, & par con- féquent beaucoup plus frais qu'il ne le fe- roit dans un pays plus fec : d’ailleurs on doit obferver que le vent d’eft qui foufle conftiamment entre les tropiques , n'arrive au Brefil, à la terre des Amazones & à la Guiane, qu'après avoir traverfé une vafte mer fur laquelle ïl prend de Ka fraicheur au’il porte enfuite fur toutes les terres orien- tales de l'Amérique équinoxiale : c’eft par cette raifon, aufhi-bien que par la quantité des eaux & des forêts, & par Pabondance & la continuité des pluies, que ces parties de l'Amérique font beaucoup plus tempérées au'elles ne le feroient en effet fans ces cir- conftances particulieres. Mais lorfque le vent d’eit a traverfé les terres bafles de l’Ame- rique , & qu'il arrive au Pérou, il a ac- quis un degré de chaleur plus confidérable ; de l'Homme. 162 eufñ feroit-il plus chaud au Pérou qu’au Brefl ou à la Guiane fi l'élévation de cette contrée & les neiges qui s’y trouvent, ne refroidifloient pas l'air, & n'ôtoient pas au vent d’eft toute la chaleur qu’il peut avoir acquife en traverfant les terres : il lui en refte cependant aflez pour influer fur la couleur des habitans , car ceux'qui par leur fituation y font le plus expofés , font les plus jaunes , & ceux qui habitent les vallées entre les montagnes & qui font à abri de ce vent, font beaucoup pius blancs ue les autres. D'ailleurs, ce vent qui vient rapper contre les hautes montagnes des Cordillères , doit fe réflechir à d’aflez grandes diftances dans les terres voifines de ces montagnes, & y porter la fraicheur qu'il a prife fur les neiges qui couvrent leurs fommets ; ces neiges elles-mêmes doivent produire des vents froids dans les temps de leur fonte. Toutes ces caufes concourant donc à rendre le climat de la Zone torride en Amérique beaucoup moins chaud , il n’eft ‘point étonnant qu'on n'y trouve pas des hommes noirs, ni même bruns, comme on en trouve fous la Zone torride en Afrique & en Afie, où les circonftances font tort différentes, comme nous le dirons tout-a- l'heure ; foit que l’on fuppofe donc que les habitans de l'Amérique foient très an- ciennement naturalifés dans leur pays cu qu'ils y {oient venus plus nouvellement, on ne doit pas y trouver des hommes noirs , puifque leur Zone torride eft un climat tem- "Prés 1 : 5 O 2 +64 Hifloire naturelle. La derniere raifon que j'ai donnée de ce qu'il fe trouve peu de variétés dans les hommes en Amérique , c’eft l’uniformité dans leur maniere de vivre ; tous étoient fau- vages ou très nouvellement civilifés, tous vivoient où avoient vécu de la même fa- con : en fuppofant qu'ils euflent tous une. origine commune, les races s’étoient dif- perfées fans s'être croïfées, chaque famille faifoit une nation toujours femblable à elle- même , & prefque femblable aux autres , parce que le climat & la nourriture étoient ufh à-peu-près femblables ; ils n’avoient au- cun moyen de dégénerer ni de fe perfec- ticnner , ils ne pouvoient donc que demeuret toujours les mêmes, & par-tout à-peu-près les mêmes. Quant à leur premiere origine, je ne doute pas, indépendamment même des raifons théo- icgiques , qu'elle ne f6it la même que la nôtre ; la refflemblance des Sauvages de l'A- mérique feptentrionale avec les Tartares Orientaux , doit faire foupçonner qu'ils for- tent anciennement de ces penples : les nou- velles découvertes que les Rufles ont faites au-delà de Kamtfchatka , de plufieurs terres & de pluñeurs ifles qui s'étendent Jui- qu'à la partie de l’oueft du continent de l'Amerique, ne laifferoient aucun doute fur la poffbilité de la communication , fi ces découvertes étoient bién conftatées , & que ces terres fuflent à-peu-près contiguës ; mais en fuppofant même qu'i y ait des inter- valles de mer affez confidérables, n'eft-1l pas 1rès pofhble que des hommes ayenttræ- de l Homme. 16 ; verfé ces intervalles, & qu'ils foient allés d'eux-mêmes chercher ces nouvelles terres ou qu'ils y ayent ête jetés par la tempète? Il y a peut-être un plus grand intervalle de mer entre les ifles Marianes & le Japon, qu'entre aucune des terres qui font au-delà de Kamtfchatka & celles de l'Amérique , & cependant les ifles Marianes fe font trov- vé peuplées d'hommes qui ne peuvent ve- nir que du continent oriental. Je ferois done porté à croire que les premiers hommes qui font venus en Amérique, ont abordé aux terres qui font au nord-oueft de la Ca- lifornie ; que le froid exceflif de ce climat es obligea à gagner les parties plus méri- dionales de leur nouvelle demeure , qu'iis fe fixèrent d’abord au Mexique & au Pé- rou, d'où iis fe font enfuite répandus dans toutes les parties de l'Amérique feptentric- nale & méridionale ; car le Mexique & le Pérou peuvent être regardés comme les ter- res les plus anciennes de ce continent & les plus anciennement peuplées , puifqu’elles font les plus élevées & les feules où l’on ait trouvé des hommes réunis en fociéte. On peut aufi préfumer avec une très grande vraifemblance , que les habitans du nord de l'Amérique au détroit de Davis , & des par- ties feptentrionales de la terre de Labrador, font venus du Groënland qui n’eft féparé de l'Amérique que par la largeur de ce dé- troit qui n’eit pas fort confidérable ; car , comme nous l'avons dit, ces fauvages du détroit de Davis & ceux du Groënland fe reflemblenr parfaitement ; € quant à la ma- 166 Hifoire naturelle. niere dont le Groënland aura été peuplé, on peut croire avec tout autant de vrai- femblance que les Lappons y auront pañé depuis le Cap-nord qui n’en eft éloigné que d'environ cent cinquante lieues ; & d’ailleurs, comme l’ifle d’'Iflande eft prefque contiguë au Groënland , que cette ifle n’eft pas éloignée des Orcades feptentrionales , qu’elle a été très anciennement habitée & même fréquen- tée des peuples de l’Europe , que les Da- nois avoient même fait des établiflemens & formé des colonies dans le Groënland, il ne feroit pas étonnant qu’on trouvât dans ce pays des hommes blancs & à cheveux blonds , qui tireroient leur origine de ces Danois : & il y a quelqu’apparence que les hommes blancs qu’on trouve aufi au détroit de Davis viennent de ces blancs d'Europe qui fe {ont établis dans les terres du Groën- land, d’où ils auront aifément pafié en Amé- rique , en traverfant le petit intervalle ce de mer qui forme le détroit de Davis. Autant il ya d’uniformité dans la couleur & dans la forme des habitans naturels de J'Amérique, autant on trouve de variété dans les peuples de Afrique ; cette partie du monde eft très anciennement êr très abon- damment peuplée , le climat y eft brûlant, & cependant d'une température très inégale fuivant les différentes contrées; & les mœurs des différens peuples font aufhi toutes diffe- rentes, comme on a pu le remarquer par les defcriptions que nous en avons données : toutes ces caufes ont donc concouru pour produire en Afrique une varièté dans les de l'Homme. | 167 hommes plus grande que par-tout ailleurs ; car en examinant d’abord la différence de la température des contrées Afrieaines, nous trouverons que la chaleur n'étant pas ex- ceflive en Barbarie & dans toute l'étendue des terres voilines de la mer Méditerranée, les hommes y font blancs, & feulement un peu bafanés : toute cette terre de la Barbarie eft rafraichie, d’un côté par l’air de la mer Méditerranée , & de l’autre par les neiges du mont Atlas; elle eft d’ailleurs fituée dans la zone tempérée en-deça du tropique : auf tous les peuples qui font depuis l'Egypte juiqu'aux ifles Canaries , font feulement un peu plus ou un peu moins bafanés. Au-delà du tropique, & de l’autre côté du mont Âtlas , la chaleur devient beaucoup plus grande & les hommes font très bruns, mais is ne font pas encore noirs; enfuite au 17 ou ième degré de latitude nord, on trouve le Sénégal & la Nubie dont les habitans font tout-à-fait noirs, auf la chaleur y eft-elle exceflive : on fait qu'au Sénégal elle eft f grance que la liqueur du thermomètre monte jufqu'à 58 degrés, tandis qu’en France elle ne monte que très rarement à 30 degrés, & qu'au Pérou, quoique fitué fous la zone _ torride, elle eft prefque toujours au même degré, & ne s'éleve prefque jamais au-deflus de 25 degrés. Nous n’avons pas d’obferva- tions faites avec le thermomètre en Nubie; mais tous les voyageurs s'accordent à dire que la chaleur y eft exceflive : les déferts fablonneux qui-font entre la haute Egypte & la Nubie , échaufent Pair au point que le 163 Hifloire naturelle, vent du nord des Nubiens doit être un vent brülant ; d'autre côté le vent d’eft qui regne le plus ordinairement entre les tropiques, n'arrive en Nubie qu'après avoir parcouru les terres de l'Arabie, fur lefquelles il prend une chaleur que le petit intervalle de la mer Rouge ne peut guere tempérer ; on ne doit donc pas être furpris d’y trouver les hommes tout-à-fait noirs ; cependant ils doivent l'être encore plus au Sénégal, car le vent d’eft ne peut y arriver qu'après avoir parcouru tou- tes les terres de l’Afrique dans leur pius orande largeur, ce qui doit le rendre d’une chaleur inioutenable. Si l’on prend donc en général toute la partie de l’Afrique qui efk comprife entre les tropiques, où le vent d’eft fouffe plus conftamment qu'aucun autre, on concevra aifément que toutes les côtes oc- cidentales de cette parie du monde doivent éprouver & éprouvent en effet une chaleur bien plus grande que les côtes orientales, parce que le vent d’eft arrive fur Les côtes orientales avec la fraicheur qu'il a prife en parcourant une vafte mer, au lieu qu’il prend une ardeur brûlante en traverfant les terres de l’Afrique avant que d'arriver aux côtes occidentales de cette partie du monde; auñli les côtes du Sénégal, de Serra-Liona, de la Guinée, en un mot, toutes les terres occi- dentales de l'Afrique qui font fituées fous la zone torride, font les climats les plus chauds de la terre; & il ne fait pas à beaucoup près auf chaud fur les côtes orientales de PA- frique , comme à Mozambique , à Momba- ze, &c. Je ne doute donc pas que cer ; OIt de lHormine. 169 foit par cette raifon qu’on trouve Îles vrais Nègres, c’eftà-dire , les plus noirs de tous les Noirs, dans les terres occidentales de l'Afrique, & qu’au contraire on trouve les Caffres , c’eft-a-dire, des Noirs moins noirs, dans les terres orientales ; la différence mar- quée qui eft entre ces deux efpèces de Noirs, vient de celle de la chaleur de leur climat, qui n’eft que très grande dans la partie de l’orient, mais exceihive dans celle de l’occi- dent en Afrique. Au-delà du tropique du côté du fud la chaleur eft confidérablement diminuée , d'abord par la hauteur de la lati- tüde, & aufli parce que la pointe de l’Afri- que fe rétrécit, & que cette pointe de terre étant environnée de la mer de tous côtés, Fair doit y être beaucoup plus tempéré qu'il ne le feroit dans le milieu d’un continent; auf les hommes de cette contrée commen- cent à blanchir, & font même naturellement plus blancs que noirs, comme nous l’avons dit ci-deflus. Rien ne me paroiît prouver plus clairement que le climat eft la principale caufe de la variété dans l’efpèce -humaine, que cette couleur des Hotrentots dont la noirceur ne peut avoir été affoiblie que par ‘la température du climat; & f l’on joint à cette preuve toutes celles qu’on doit tirer des convenances que je viens d’expofer , il me femble qu’on n’en pourra plus douter. . Si nous examinons tous les autres peuples qui font fous la zone torride au-delà de lA- frique , nous nous confirmerons encore plus dans cette opinion: les habitans des Maldi- Hifi, nat, Tom, V, P 170 Hifloire naturelle ves, de Ceylan, de la pointe de la pref- qu'ifle de l’inde , de Sumatra, de Malaca, de Borneo, de Célèbes, des Philippines , &c. font tous extrêmement bruns, fans être ab- folument noirs, parce que toutes ces terres font des ifles ou des prefqu'ifles ; la mer tem- père dans ces climats l’ardeur de l'air, qui d’ailleurs ne peut jamais ètre auf grande que dans l’intérieur ou fur les côtes occi- dentales de l'Afrique , parce que le vent d’eft ou d'oueft qui regne alternativement dans cette partie du globe, n'arrive fur ces ter- res de l’Archipel Indien qu'après avoir pañle {ur des mers d’une très vafte étendue : toutes ces ifles ne font donc peuplées que d'hommes bruns, parce que la chaleur n’y eft pas ex- ceffive ; mais dans la nouvelie Guinée ou terre des Papous, on retrouve des hommes noirs & qui paroïiflent être de vrais Nègres par les defcriptions des voyageurs, parce que ces terres forment un continent du côté de l’eft, & que le vent qui traverfe ces ter- rés eft beaucoup plus ardent que celui qui regne dans l’océan Indien. Dans la nouvelle Hollande où l’ardeur du climat n'eft pas fi rande , parce que cette terre commence à s'éloigner de l'équateur , on retrouve des peuples moins noirs & aflez femblables aux Hottentots; ces Nègres & ces Hottentots que l’on trouve fous la même latitude, à une fi grande diftance des autres Nègres & des autres Hottentots, ne prouvent-ils pas que leur couleur ne dépend que de l’ardeur du climat? car on ne peut pas foupçonner de l'Homme. 171 œu'il yait jamais eu de communication de VAfrique à ce continent auftral; & cepen- dant on y retrouve les mêmes efpèces d'hom- mes parce qu'on y trouve les circonftances quipeuvent occafonner les mêmes degrés de chaleur. Un exemple pris des animaux pourra confirmer encore tout ce que je viens de dire : on a obfervé qu’en Dauphiné tous les cochons font noirs, & qu’au contraire de l’autre côté du Rhône en Vivarais, où il fait plus froid qu'en Dauphiné, tous les cochons font blancs; il n’y a pas d’appa- rence que les habitans de ces deux provin- ces fe foient accordés pour n’elever les uns que des cochons noirs, &c les autres des cochons blancs; & il me femble que cette différence ne peut venir que de celle de la température du climat, combinée peut- être avec celle de la nourriture de ces animaux. Les Noirs qu'on a trouvés , mais en for petit nombre, aux Philippines & dans quel- ques autres ifles de l’ecéan indien, viennent apparemment de ces Papous ou Nègres de la nouvelle Guinée , que les Européens ne connoiflent que depuis environ cinquante ans : Dampier découvrit en 1700 la partie la plus orientale de cette terre, à laquelle il donna le nom de nouvelle Bretagne, mais on ignore encore l'étendue de cette contrée; on fait feulement qu’elle n’eft pas fort peu- plée dans les parties qu’on a reconnues. On ne trouve donc des Nègres que dans les climats de la terre où toutes les cir- confiances font réunies pour produire une P 2 172 Hifloire naturelle chaleur conftante &c toujours exceflive ; cette chaleur eft fi néceflaire , non-feulement à la produétion, mais même à la confervation des Nègres, qu’on a obfervé dans nos ifles où la chaleur, quoique très forte, n’eft pas comparable à celle du Sénégal, que les en- fans nouveaux-nés des Nègres font fi fuf- ceptibles des impreflions de l’air, que l’on eft obligé de les tenir pendant les neuf pre- miers jours après leur naiflance dans des chambres bien fermées & bien chaudes; f Von ne prend pas ces précautions, & qu’on les expofe à l'air au moment de leur naif- fance , il leur furvient une convulfion à la mâchoire, qui les empêche de prendre de la nourriture, & qui les fait mourir. M. Littre, qui fiten 1702 la difleétion d’un Nègre, ob- ierva que le bout du gland qui n’étoit pas couvert du prépuce, étoit noir comme toute la peau, & que le refte qui étoit couvert étoit parfaitement blanc (p):cette obferva- tion prouve que l’aétion de l’air eft nécef- faire pour produire la noirceur de la peau des Nègres ; leurs enfans naïflent blancs , ou plutôt rouges, comme ceux des autres hom- mes ; mais deux ou trois jours après qu'ils font nés, la couleur change, ils paroïffent d’un jaune bafané qui fe brunit peu-à-peu, & au feptième ou huitième jour ils font déjà tout noirs. On fait que deux ou trois jours après la naiflance tous les enfans ont (p) Voyez l’hifloire de l’Académie des Sciences ; BANÉE 1702, De 32e de l'Homme. 173 une efpèce de jauniffe ; cette jauniffe dans Jes blancs n’a qu’un effet paflager , & ne laifle à la peau aucune impreflion; dans les Nègres au contraire, elle donne à la peau une couleur ineffaçable , & qui noircit tou- jours de plus en plus. M. Koïbe dit avoir remarqué que les enfans des Hottentots qui naiflent blancs comme ceux d'Europe, de- venoient olivâtres par l'effet de cette jau- nifle qui fe répand dans toute la peau trois ou quatre jours après la naiffance de l’en- fant, & qui dans la fuite ne difparoit plus : cependant cette jaunifie & l'impreffon ac- tuelle de l’air ne me paroiffent être que des caufes occafionnelles de la noirceur, & non pas la caufe premiere ; car on remarque que es enfans des Nègres ont dans le moment mème dæleur naiffance du noir à la racine des ongles & aux parties génitales : l’aétion de l’air & la jaunifle ferviront, fi l’on veut, à étendre cette couleur ; mais il eft certain que le germe de la noirceur eft communi- qué aux enfans par les peres & meres; qu’en quelque pays qu’un Nègre vienne au monde , il fera noir comme s’il étoit né dans fon propre pays, & que s’il y a quelque différence dès la premiere génération, elle eft f: infenfible qu'on ne s’en eft pas apper- cu. Cependant cela ne fufit pas pour qu’on {oit en droit d’aflurer qu'après un certain nombre de générations , cette couleur ne changeroïit pas fenfiblement : il y a au con- traire toutes les raifons du monde pour pré- fumer que comme elle ne vient originaire- ment que de l’ardeur du 4e & de lation AA 174 Hifioire naturelle long-temps continuée de la chaleur, elle s’effaceroit peu-à-peu par la température d'un climat froid, & que par conféquent fi l’on tranfportoit des Nègres dans une pro- vince du nord, leurs defcendans à la huitiè- me, dixième ou douzième génération fe- roient beaucoup moins noirs que leurs ancètres , & peut-être aufli blancs que les peuples originaires du climat froid où 1ls habiteroïient. | Les Anatomiftes ont cherché dans quelle pu de la peau réfdoit la couleur noire des Négres ; les uns prétendent que ce n'eft nt dans le corps de la peau ni dans l’épiderme, mais dans. la membrane réticulaire qui { trouve-entre lépiderme & la peau (4); que cette membrane lavée & tenue dans l'eau tiède pendant fort long-temps , ne change pas de couleur, & refte toujours noire, au lieu que la peau & la furpeau paroïffent être a-peu-près aufli blanches que celles des autres hommes. Le Dofteur Fowns, & quel- ques autres ont prétendu que le fang des Ne- gres étoit beaucoup plus noir que celui des blancs; je n'ai pas été à portée de vérifier ce fait, que je ferois aflez porté à croire, car J'ai remarqué que les hommes parmi nous qui ont le teint bafané, jaunätre & brun , ont le fang plus noir que les autres; & ces auteurs prétendent que la couleur des - €q) Voyez l’hifioire de l’Académie des Sciences , a RÉE 1702, Page 32 de l'Homme, 175$ Nègres vient de celle de leur fang (r). M: Barrère, qui paroît avoir examiné la chofe de plus près qu'aucun autre (5), dit, auff- bien que M. Winflow (:), que l’épiderme des Nègres eft noir , & que s’il a paru blanc à ceux qui l'ont examiné, c’eft parce qu'il eft extrémement mince &c tranfparent, mais qu’il eft réellement auffi noir que de la corne noire qu'on auroit réduite à une aufl petite épaifleur : ils aflurent aufli que la peau des Nèores eft d’un rouge-brun approchant du noir ; cette couleur de l’épiderme & de la- eau des Nègres eft produite, felon M. arrère, par la bile qui dans les Nègres n'eft pas jaune, mais toujours noire comme de l’encre, comme il croit s’en être afiure fur pluñeurs cadavres de Nègres qu'il a eu occafon de difléquer à Cayenne : la bile teint en effet la peau des hommes blancs en jaunes lorfqu’elle fe répand; & il y a apparence que fi elle étoit noire , elle la teindroit en - noir, mais dès que l’épanchement de bile cefie , la peau reprend fa blancheur natu- relle : il faudroit donc fuppoñfer que la bile .eft toujours répandue dans les Nègres, ou bien que , comme le dit M. Barrère , elle für fi abondante, qu’elle fe féparât naturellement - (r) Voyez l’écrit du doéteur Towns, adreflé à la So- ciété Royale de Londres. (s) Voyez la Difiertation [ur la couleur des Nègres, par M. Barrere. Paris, 1741. \_ Û (£) Voyez Expoltion anatomique du corps humain, par M. Winslow , page 489, #76 Hifloire naturelle. Gans l'épiderme en affez grande quantité pour lui donner cette couleur noire. ‘Au refte il eft probable que la bile & le fang {ont plus bruns dans les Nègres que dans les. blancs , comme la peau eft auf plus noire; mais l’un de ces faits ne peut pas {ervir à expliquer la caufe de l’autre, car fi l’on pré-. tend que e’eft le fang ou la bile, qui par leur noirceur donnent cette couleur à la peau, alors au lieu de demander pourquoi ies Nègres ont la peau noire , on demandera. pourquoi ils ont la bile ou le fang noir; ce _n’eft donc qu'éloigner la queftion, au lieu de la réfoudre. Pour moi j'avoue qu'il m'a toujours paru que la même caufe qui nous brunit lorfque nous nous expofons au grand air & aux ardeurs du foleil, cette caufe qui. fait que les Efpagnols font plus bruns que. les François ; & les Maures plus que les Ef- pagnols, fait auffi que les Nègres le font plus, que les Maures: d’ailleurs nous ne voulons: pas chercher ici comment cette caufe agit. mais feulement nous afiurer qu’elle agit, & que fes effets font d'autant plus grands & plus fenfbles, qu’elle agit plus fortement &. plus long-temps. La chaleur du climat eft la principale caufe: de la couleur noire : lorfque cette chaleur: eft exceflive, comme au Sénégal & en Gui- née, les’ hommes font tout - à - fäit noirs, lorfqu’elle eft un peu moins forte, comme fur les côtes orientales de l'Afrique, les - hommes font moins noirs ; lorfqu'elle com-. mence à devenir un peu plus tempérée , com-. me en Barbarie, au Mogol,en Arabie, &cc. N œ LE }: e L 4 de l'Homme, 177 les hommes ne font que bruns ; & enfin lorf- qu'elle eft tout-a-fait tempérée, comme en Europe & en Afie , les hommes font blancs: on y remarque feulement quelques variétés qui ne viennent que de la maniere de vivre ;, par exemple , tous les Tartares font bafanés, tandis que les peuples d'Europe qui font fous la même latitude font blancs : on doit, ce me femble, attribuer cette difference à ce que les Tartares font toujours expoiés à Pair, qu'ils n’ont ni villes ni demeures fixes, qu'ils couchent fur la terre, qu'ils vivent d'une maniere dure & fauvage; cela feul {ufät pour qu'ils foient moins blancs que Îes. peuples de l’Europe auxquels il ne manque tien de tout ce qui peut renare la vie douce : pourquoi les Chinois {ont-ils plus blancs que. les Tartares, auxquels ils reflemblent d’ail- ieurs par tous les traits du vifage ? c’eft parce qu'ils habitent dans des villes, parce qu'iis {ont polices, parce qu'ils ont tous les moyens. de fe garantir des injures de l'air & de la terre , & que les Tartares y font perpétuel- lement expofés. | Mais lorfque le froid devient extrême, il produit quelques efets femblables à ceux de la chaieur exceffive ; les Samoïedes , les Lap- pous, les Groënlandois font fort bafanés ; or aflure même, comme nous l'avons dit, qu'ik fe trouve parmi les. Groënlandois des hom- mes aufli noirs que ceux de PAfrique : Îles deux extrêmes, comme l’on voit, fe rap- prochent encore ici, un froid très vif & ure chaleur brûlante produifent le même eftet fur Ja peau, parce que l’une & l’autre de 178 Hifloire naturelle, ces deux caufes agiflent par une qualité qui leur eft commune ; cette qualité eft la fé-. cherelie qui, dans un air très froïd , peut être auf grande que dans un air chaud ; le froid comme le chaud doit deflécher la peau, l’aitérer & lui donner cette couleur bafanée que l’on trouve dans les Lappons. Le froid reflerre , rapetifle & réduit à un moindre volume toutes les produétions de la N:ture; auf les Lappons qui font perpétuellement expoiés à la rigueur du plus grand froid, {ont les plus petits de tous les hommes. Rie ne prouve mieux l'influence du climat que cette race Lapponne qui fe trouve placée tout le long du cercle polaire dans une très iongue zone , dont la largeur eft bornée par l'étendue du climat exceflivement froid, & finit dès qu’on arrive dans un pays un peu plus tempéré. | Le climat le plus tempéré eft depuis le 4ome degré jufqu’au some; c’eft auffi fous cette zone que fe trouvent les hommes les plus beaux & les mieux faits, c’eft fous ce climat qu’on doit prendre l’idée de la vraie couleur naturelle de l’homme, c’eft-là où - l'on doit prendre le modèle ou l'unité à la- quelle il faut rapporter toutes les autres nuances de couleur ou de beauté ; les deux extrêmes font évalement éloignès du vrai & du bèau : les pays policés fitués fous cette zone ; {ont la Géorgie ; la Circaflie, l'Ukrai- ne, la Turquie d'Europe, la Hongrie, l’Al- lemagne méridionale , l’Italie , la Suiffe, la France, & la partie feptentrionale de lEf- pagne , tous ces peuples font aufh les plus de l'Homme. 179 beaux & les mieux faits de toute la terre. On peut donc regarder le climat comme la caufe premiere & prefque unique de la couleur des hommes; mais la nourriture, qui fait à la couleur beaucoup moins que le climat, fait beaucoup à la forme. Des nour- ritures grofheres , mal faines ou mal prépa- rées, peuvent faire dégénérer l’efpèce hu- maine :tous les peuples qui vivent miféra- blement font laids & mal faits; chez nous- mêmes les gens de la campagne font pius laids que ceux des villes; & j'ai fouvent remarque que dans les villages où la pau- vrete eft moins grande que dans les autres villages voifins , les hommes y font auñi mieux faits & les vifages moins laids. L'air & la terre influent beaucoup fur la forme des hommes, des animaux, des plantes : qu’on examine dans le même canton les hommes qui habitent les terres élevées, comme les côteaux ou le deflus des collines, & qu'on les compare avec ceux qui occupent le mi- lieu des vallées voifines , on trouvera que les premiers font agiles, difpos, bien faits, {pirituels , & que les femmes y font com- munément jolies; au lieu que dans le plat- pays, où la terre eft grofle, l'air épais, & l’eau moins pure, les payfans font grofhers, pefans , mal faits, fupides, & les payfannes prefque toutes laides. Qu’on amene des che- vaux d'Éfpagne ou de Barbarie en France, il ne fera pas pofhble de perpétuer leur race, ils commencent à dégénerer dès la premiere génération, & a la troifième ou quatrième çes chevaux de race barbe ou eipagnole, 380 Hifloire naturelle fans aucun mélange avec d’autres races, ne laifleront pas de devenir des chevaux fran- çois : en forte que pour perpétuer les beaux chevaux, on eft obligé de croifer les races en faifant venir de nouveaux étalons d’Ef- pagne ou de Barbarie : le chimat & la nour- riture influent donc fur la forme des animaux d’une maniere f marquée, qu’on ne peut pas douter de leurs effets ; & quoiqu’ils foient moins prompts, moins apparens & moins fenfbles fur les hommes , nous devons con- clure par analogie que ces effets ont lieu dans l’efpèce humaine, & qu’ils fe manifef- tent par les variétés qu'on y trouve. Tout concourt donc à prouver que Îe genre humain n’eft pas compofé d’efpèces efflen- tiellement différentes entr’elles, qu’au con- traire il n’y a eu originairement qu’une feule efpèce d'hommes, qui s'étant multi- pliée & répandue fur toute la furface de la terre, a fubi différens changemens par l'in- fuence du climat, par la différence de Îla nourriture, par celle de la maniere de vi- vre , par les maladies épidémiques , & auñi par le mêlange varié à l'infini des individus. plus ou moins reflemblans; que d’abord ces altérations n’étoient pas fi marquées, & ne produifoient que des variétés individuelles ;. qu'elles font enfuite devenues variétés de lPefpèce, parce qu’elles font devenues plus générales , plus fenfbles & plus conftantes ar l’aétion continuée de ces mêmes caufes ; qu’elles fe font perpétuées & qu'elles fe per- pétuent de génération en génération, comme les difformités ou les maladies des peres & / de l'Homme; 191 meres paflent à leurs enfans ; & qu’enfin, comme elles n’ont été produites originaire- ment que par le concours de caufes exté- rieures & accidentelles , qu’elles n’ont été confirmées & rendues conftantes que par le temps &z l’aétion continuée de ces mêmes caufes, il eft très probable qu’elles difpa- roitroient aufli peu-à-peu & avec le temps, ou même qu’elles deviendroient différentes de ce qu’elles font aujourd’hui, fi ces mé- mes caufes ne fubfiftoient plus, ou fi elles venoient à varier dans d’autres circonftances & par d’autres combinaifons. SA PA # 4 pa LA 26] HISTOIRE NATURELLE. DIS CG OURS fur la Nature des Animaux. HISTOIRE NATURELLE. HISCOURS SUR LA | NATURE DES ANIMAUX. SUN OMME ce n'eft qu'en comparant que nous &upouvons juger , que nos connoiffances roulent même entiérement {ur les rapports que les chofes ont avec celles qui leur ref- femblent ou qui en différent , & que s’il n'exiftoit point d'animaux , la nature de Fhomme feroit encore plus incompréhenf- ble ; après avoir confidéré l'homme en lui- même , ne devons-nous pas nous fervir de cette voie de comparaifon ? ne faut-il pas examiner la nature des animaux, comparer Jeur organifation . étudier l’économie ani- male en général afin d'en faire des applica- 186 Difcours tions particulieres , d'en faifir les refflemblan- ces, rapprocher les différences, & de la réu- nion de ces combinaifons tirer aflez de lu- mieres pour diftinguer nettement les princi- paux effets de la mécanique vivante , & nous conduire à la fcience importante dont l’hom- me même eft l’objet ? an Commençons par fimplifier les chofes , refferrons l'étendue de notre fujet, qui d’a- bord paroït immenfe , & tächons de le ré- duire à fes juftes limites. Les propriétés qui appartiennent à l'animal, parce qu’elles ap- partiennent à toute matiere , ne doivent point être ici confidérées du moins d'une ma- riere abfolue [ai. Le corps de l'animal et étendu, pefant, impénétrable, figuré, ca- pable d'être mis en mouvement , ou con-° traint de demeurer en repos par l’a&ion ow par la réfiftance des corps étrangers ; toutes: ces propriétés , qui lui font communes avec le refte de la matiere, ne font pas celles: qui caraétérifent la nature des animaux , & ne doivent être employées que d'une ma- niere relative , en comparant, par exem- ple, la grandeur, le poids, la figure, &c, d'un animal, avec la grandeur , le poids ,. la figure, &c, d'un autre animal. j De même nous devons fépärer de la na- ture particuliere des animaux , les facultes: qui font communes à l'animal & au vège- D 2 2e AC CE DT IS PAR RDV PRIT A D I A ER NAS RE fa) Voyez ce que j’en ai dit au commencement du premier chapitre du fecond volume de cette Hikoire Naturelle. | fur la nature des Animaux, 187 tal : tous deux fe nourriflent, fe développent & fe reproduifent ;nous ne devons donc pas comprendre dans l’économie animale pro- prement dite, ces facultés qui appartiennent auf au végétal ; & c’eft par cette raifon que nous avons traité de la nutrition, du développement , de la reproduétion , & mé- me de la génération des animaux avant que d’avoir traité de ce qui appartient en pre- pre à l’animal ou plutôt de ce qui n’appar- tient qu'a lui. Enfuite comme on comprend dans la clafle des animaux plufieurs êtres animés dont l’organifation eft très différente de la nôtre & de celle des animaux dont le corps eft a-peu-près compofé comme le nôtre, nous devons éloigner de nos confidérations cette efpèce de nature animale particuliere , & ne nous attacher qu’à celle des animaux qui nous reflemblent le plus : l’économie ant- male d’une huitre , par exemple , ne doit pas faire partie de celle dont nous avons à traiter. Mais comme l’homme n’eft pas un fim- ple animal, comme fa nature eft fupérieure a celle des animaux , nous devons nous at- tacher à démontrer la caufe de cette fupé- riorite , & établir par des preuves claires & folides , le degré précis de cette infériorité de la nature des animaux , afin de diftin- guer ce qui n'appartient qu'à l’homme , de ce qui lui appartient en commun avec l’a- nimal. : Pour mieux voir notre objet , nous ve- nons de le circonicrire, nous en avons re- O2 R8S Diftours tranché toutes les extrémités excédentes, & , sous n'avons confervé que les parties nè- ceflaires. Divifons-le maintenant pour le con-: Hidérer avec toute fattention qu'il exige. mais. divifons-le par grandes maïles ; avant d'examiner en détail les parties de la ma- chine animale & les fonétions de chacune de: ces parties, voyons en général le réfultat de cette mécanique ; & fans vouloir d’abord. raifonner fur les caufes , bornons - nous à: conftater les effets. | ; L'animal à deux manieres d’être, l’état de: mouvement, & l’état de repos, la veille & le fommeil , qui fe fuccèdent alternative- ment pendant toute la vie : dans le premier: état, tous les. reflorts de la machine animale. font en aétion; dans le fecond, ik n’y en a. qu’une partie, &c cette partie qui ef£ en ac-. tion pendant le fommeil, eft aufh en ation. pendant la vetile :cette partie eft donc d’une néceflité abfolue , puifque l’animal ne peut. exifter d'aucune façon fans elle ; cette partie: eit indépendante de l'autre puifqu’elle agit: feule ; l'autre au contraire dépend de celle-. ci puifqu’elle ne peut feule exercer fon ac- tion. L'une eft là partie fondamentale de l’é-. conomie animale puiiqu’elle agit continuelies. ment. & fans interruption ;- l’autre eft une. partie moins efflentielle-puifqu’elle n’a d'exer-. cice que par intervalles. & d’une maniere al-. iernatives Cette premiere divifion de l'économie ani-- male me paroit naturelle, générale & bien foncée : l'animal qui dort du qui ef en re- pos. ef une machine moins compliquée &' für la nature des Animaux, 189 plus aifée à confidérer que l’animal qui veille: ou qui eft en mouvement. Cette différence eft effentielle , & n’eft pas un fimple chan- gement d'état comme: dans un: Corps inani- mé qui peut également & indifféremment être en repos ou en mouvement ; Car un Corps. inanimé qui eft dans l’un ou l’autre de ces: états, reftera perpétuellement dans cet érat, à moins que des forces cu des réfiftances. étrangeres ne: le contraignent à en chan-- ger : mais c’eft par fes propres forces que ‘animal change d'état ; il pafle du repos à laétion , & de l’ation au repos , naturelle-. ment & fans contrainte ; le moment de l'éveil revient aufh néceffairement que celui du fom- meil , & tous deux arriveroient indépendam- ment des caufes étrangeres., puifque l’animal. ne peutextiter que pendant un-certain temps: dans l’un ou dans l’autre-érat, & que la con-- #inuité non interrompue de la veille ou du: fommeil , de lation ou du repos, amene- roit également: ja ceffation de la continuité: du mouvement vital. | | Nous pouvons donc diftinguer dans léco-- nomie animale deux parties , dont la premiere. agit perpétueilement: fans aucune interrup-. tion , & la feconde n’agit que par interval- les. L'action du cœur & des poumons dans: l'animal qui refpire , Fa@ion du cœur dans: le fœtus, paroifflent être cette premiere par-. tie de l’économie animale : lation des fens: & le mouvement du corps & des membres, femblent: conftituer la feconde. Si nous imaginons donc des êtres auxquels. la Nature n'eñt accordé que cette premiere. 199 Difcours partie de l’économie animale, ces êtres, qui feroient néceflairement privés de fens & de mouvement progrefhf, ne laïfleroient pas d'être des êtres animés qui ne différeroient. en rien des animaux qui dorment. Une hui- tre, un zoophyte , qui ne paroit avoir ni mouvement extérieur fenfible ni fens exter- ne, eft un être formé pour dormir toujours ; un végétal n’eft dans ce fens qu’un animal qui dort; & en général les fonétions de tout être organiié qui n’auroit ni mouvement ni fens , pourroient :être comparées aux fonc- tions d’un animal qui feroit par fa nature contraint à dormir perpétuellement. Dans l’animal , l’état de fommeil n’eft donc pas un état accidentel occafonné par lé plus ou moins grand exercice de fes fonétions pendant la veille , cet état eft au contraire une maniere d’être eflentielle , & qui fert de bafe à l'économie animale. C’eft par le fom- meil que commence notre exiftence, le foæ- tus dort prefque continuellement , & l'enfant dort beaucoup plus qu'il ne veille. Le fommeil , qui paroït être un état pu- rement pafhf, une efpèce de mort, eft donc au contraire le premier état de l'animal vi- vant & le fondement de la vie ; ce n'eft point une privation, un anéantiflement , c'eft une maniere d'être , une façon d’exif- ter tout auih réelle & plus générale qu'au- cune autre; nous exiftons de cette façon . avant dexifter autrement : tous les êtres or- ganifés qui n’ont point ce fens , n’exiftent que de cette façon, aucun n’exifte dans ur état de mouvement continuel, &c l'exifience # fur la nature des Animaux. 10% de tous participe plus ou moins à cet état de repos. Si nous réduifons l'animal , même le plus parfait, à cette partie qui agit feule & con- tinuellement , il ne nous paroïitra pas différent de ces êtres auxquels nous avons peine à accorder le nom d’animal : il nous paroitra, quant aux fonétions extérieures , prefque femblable au végétal ; car quoique l’organi- {ation intérieure foit différente dans l’ani- mal & dans le végétal, l’un & lautre ne nous offriront plus que les mêmes réfuitats, ils fe nourriront , ils croitront, ils fe déve- lopperont, ils auront les principes d’un mou- vement interne, ils pofléderont une vie vé- gétale ; mais ils feront également privés de mouvement progreflif , d'aétion, de fenti- ment, & ils n’auront aucun figne exterieur, aucun çcaratere apparent de vie animale. Mais revétons cette partie intérieure d’une enveloppe convenable , c’eft-a- dire , don- nons-lui des fens & des membres , bientôt la vie animale fe manifeftera ; -& plus l’en- velcppe contiendra de fens, de membres & d'autres parties extérieures , pius la vie ani- male nous paroîtra complète , & plus l’ani- mal fera parfait. C'’eft donc par cette enve- Icppe que les animaux diffèrent entr'eux ; la partie intérieure qui fait le fondement de l'économie animale appartient à tous les ani- maux fans aucune exception, &c elle eft a- peu-près la même , pour la forme , dans l’homme &z dans les animaux qui ont de la chair & du fang ; mais l’envelcppe extérieu- re eft très différente ,; & c'eft aux extréaui- 192 - Hifoire nasurelle, tés de cette enveloppe que font les plus grandes différences. _Comparons, pour nous faire mieux enten- dre ; le corps de l’homme avec celui d'un: animal, par exemple avec le corps du che- val, du bœuf, du cochon, &c: la partie in- térieure qui agit continuellsment , c’eft-à- dire, le cœur & les poumons ou plus géné- ralement les organes de la circulation & de la refpiration $ font à - peu- près les mêmes dans l’homme & dans l'animal ; maïs la par- fie extérieure , l'enveloppe , eft fort difé- rente. La charpente du corps de l'animal. quoique compoiée de parties fimilaires à celles du corps humain, varie prodigieufe- ment pour le nombre, la grandeur & la po- fition ; les os y font plus ou moins alongés.. plus ou moins accourcis, plus ou moins ar- rondis , plus ou moins aplatis , &c; leurs: extrémités font plus ou moins élevées ; plus: Qu moins cavées-; plufeurs font foudés en- femble , 1l y en a même quelques -uns qui: manduent abfolument , comme les elavicu-- les ; il y en a d’autres qui font en plus grand nombre ,. comme les cornets du nez, les ver-: tèbres, les cotes, &c;. d’autres qui font en: plus petit nombre, comme les os du çarpe,. du métacarpe ,. du tarfe, du métatarfe, les. phalanges , &c. ce qui produit des différences très confidérables dans la forme du corps de ces animaux , relativement à la forme du corps de l’homme. De plus, fi nous y faïfons attention ,: nous verrons que les plus grandes diffé- rences font aux. extrémités ,. & que c'eft par Jur la nature des Animaux. 193 par ces extrémités que le corps de l’hom- me diffère je plus du corps de l’animal : car divifons le corps en trois parties prin- cipales , le tronc , la tête & les membres ; la tète & les membres , qui font les ex- trémités du corps, font ce qu'il y a de plus différent dans lPhomme & dans l’ani- mal ; enfuite , en confidérant Îles extrémi- tés de chacune de ces trois parties princi- pales , nous reconnoitrons que la plus gran- de différence dans la partie du tronc fe trouve à l'extrémité fupérieure & inférieure de cette partie; puifque dans le corps de l'homme 11 y a des clavicules en haut, au lieu que ces parties manquent dans [a piu- art des animaux : nous trouverons pareil- lement à l’extrémité inférieure du tronc, un certain nombre de vertèbres extérieures qui forment une queue à l'animal ; & ces ver- tèbres extérieures manquent à cette extré- mité inférieure du corps de l’homme. De même l'extrémité inférieure de la tête, les mâchoires & l'extrémité fupérieure de la tête , les os du front, diffèrent prodigieufe- ment dans l’iomme & dans l'animal: les mâchoires dans la plupart des animaux font fort alongées , & les os frontaux font au contraire fort raccourcis. Enfin , en coms parant les membres de l’animal avec ceux de l’homme, nous reconnoïitrons encore aifé- ment que c’eft par leurs extrémités qu'ils diffèrent le plus , rien ne fe reflemblant moins au premier coup - d'œil que la main humaine & le pied d'un cheval ou d’un bœuf. Hift nat, Tom. V, R 4 194 Difcours En prenant donc le cœur pour centre dans-la machine animale , je vois que l’hom- me refflemble parfaitement aux animaux par l’économie de cette partie & des autres qui en font voifines : mais plus on s'éloigne de ce centre, plus les différences devien- nent confidérables , & c’eft aux extrémi- tés. où elles font les plus grandes ; & lorf- que dans ce centre même il fe trouve quel- que différence , l'animal eft alors infiniment plus différent de l’homme , il eft, pour ainfi dire , d’une autre nature, & n’a rien de commun avec les efpèces d'animaux que nous confidérons. Dans la plupart des In- feétes , par exemple, l’organifation de cette principale partie de l’économie animale eft finguliere ; au lieu de cœur & de poumons on y trouve des parties qui fervent de même aux fonétions vitales , & que par cette railon l’on a regardé comme analo- gues à ces vifcères , mais qui réellement en font très différentes, tant par la ftruc- ture que par le réfultat de leur a&ion : aufh les Infe&tes diffèrent-ils , autant qu'il eft poffible, de l’homme & des autres ani- maux. Une légère différence dans ce centre de l’économie animale eft toujours accom- pagnée d’une différence infiniment plus gran- de dans les parties extérieures. La tortue, dont le cœur eft finguliérement conforme, -eft auf un animal extraordinaire quine refflemble à aucun autre animal. Que l’on confidere l’homme, les animaux quadrupèdes , les oifeaux , les cétacées, les poiffons , les amphibies , les reptiles, quelle furla nature des Animatx, 109$ yrogieufe variété dans la figure, dans la proportion de leur corps, dans le nombre & dans la pofition de leurs membres, dans la fubftance de leur chair , de leurs os , de leurs tégumens ? Les quadrupèdes ont aflez gé- néralement des queues, des cornes, & tou- tes les extrémités du corps différentes de celles de l'homme : les cétacées vivent dans un autre élément, & quoiqu'ils fe multi- plient par une voie de génération fembla- ble à celle des quadrupèdes , ils en font très difiérens par la forme, n'ayant point d’ex- trémités inférieures : les oiïifeaux fembient en différer encore plus par leur bec, leurs plu- mes , leur vol, & leur génération par des œufs : les porffons & les amphibies font enco- re plus éloignés de la forme humaine: les reptiles n’ont point de membres. On trou- ve donc la plus grande diverfité dans toute enveloppe extérieure : tous ont au con- traire à-peu-près la même conformation in- térieure ; ils ont tous un cœur, un foie , un eftomac , des inteftins, des organes pour la génération : ces parties doivent donc être regardées comme les plus eflentielles à l’é- conomie -animale , puifqu'’elles font de tou- tes les plus conftantes &: les moins fujettes à Ja variété. - Mais on doit obferver que dans l’enve- loppe même il y a aufli des parties plus conftantes les unes que les autres ; les fens, furtour certains fens , ne manquent à aucuns , de ces animaux. Nous avons explique dans Particle des fens (704. IF), quelle peut ètre leur efpèce de toucher : nous ne favons R 2 396 Difcours as de quelle nature eft leur odorat & leur goût , mais nous fommes affurés qu'ils ont tous le fens de la vue , & peut-être auffi celui de l’ouie. Les fens peuvent donc être regardés comme une autre partie effentielle de l’économie animale , auffi-bien que le cer- veau & fes enveloppes , qui fe trouve dans tous les animaux qui ont des fens, & qui en effet eft la partie dont les fens tirent leur origine , & fur laquelle ïis exercent leur premiere aétion. Les Infeftes mêmes , qui diffèrent fi fort des autres animaux par le centre de l'économie animale, ont une par- tie dans la tête, analogue au cerveau, & des fens dont les fonétions font femblabies à celles des autres animaux; & ceux qui, comme les Huîtres, paroïflent en être pri- vés, doiverit être regardés comme des demi animaux , comme des êtres qui font la nuan- ce entre les animaux & les végétaux. Le cerveau & les fens forment donc une feconde partie efflentielle à l’économie ani- male ; le cerveau eft le centre de l’enve- loppe , comme le cœur eft le centre de la partie intérieure de Farimal. C'eft cette artie qui donne à toutes les autres parties extérieures le mouvement & l'aétion, par le moyen de la moëlle , de l’épine & des nerfs , qui n'en font que le prolongement ; & de la même façon que le cœur & toute la partie intérieure communiquent avec le cerveau & avec toute l'enveloppe extérieure par les vaifféaux fanguins qui s’y diftribuent, le cerveau communique auf avec le cœur & toute la partie intérieure par les nerfs ur la nature des Animaux. 197 gui s’y ramifient. L'union paroît intime & ré- ciproque ; & quoique ces deux organes ayent : des fonétions abfolument différentes les unes des autres lorfqu’on les confidère à part, ilsne peuvent cependant être féparés fans que l’a- nimal périfle à l’infrant. | Le cœur & toute la partie intérieure agif- fent continuellement, fans interruption, & , pour ainfi dire, mécaniquement & indépen- damment d'aucune cauie exterieure ; les fens au contraire & toute l’enveloppé n’agifflent que par intervalles alternatifs, & par des ébranlemens fucceflifs caufés par les objets extérieurs, Les objets exercent lèur aétion fur les fens , les fens modifient cette aétion des objets ; & en portent l’impreflion mo- difiée dans le cerveau, où cette imprefhon devient ce que l’on appelle fexfarioi ; le cer- veau , en eonféquence de cette imprefñon, agit fur les nerfs & leur communique je: branlement qu’il vieñt de recevoir , & c’eit cet ébranlement qui produit le mouvement progrefhif, & toutes les autres aétions ex- térieures du corps & des membres de l’ani- mal. Toutes les fois qu’une eaufe agit fur un corps, on fait que ce corps agit lui-mé- me par fa réaétion fur cette caufe : ici les objets agiflent fur l'animal par le moyen des fens, & l'animal réagit fur les objets par fes mouvemens extérieurs; en général lation eft la caufe, & la réaction l'effet. | On me dira peut-être qu'ici l'effet n’eft point proportionnel à la caufe ; que dans les corps folides qui fuivent les loix de la mé- canique , la réaétion eft toujours de à l’ac- | 3 199 Difcours | tion ; mais que dans le corps animal il pa= toit que le mouvement extérieur ou la réac- tion eft incomparablement plus grande que Paëtion , & que par conféquent le mouve- ment progrefiif & les autres mouvemens ._ extérieurs ne doivent pas être regardés com- me de fimples effets de l’imprefion des ob- jets fur les fens. Maïs il eft aifé de répondre que fi les effets nous paroïffent proportion- _nels à leurs caufes dans certains cas & dans certaines circonftances , il y a dans la Na- ture un bien plus grand nombre de cas & de circonftances où les effets ne font en aucune façon proportionnels à leurs caufes apparen-. tes. Avec une étincelle on enflamme un ma- gafin à poudre & l’on fait fauter une cita- delle ; avec un léger frottement on produit par l’éleétricité un coup violent , une {ecoufle vive, qui fe fait fentir dans l’inftant mème à de très grandes diftances , & qu’on n’affoiblit point en la partageant , en forte que mille per- fonnes qui fe touchent ou fe tiennent par la main, en font également affeë&tées &: preique auf violemment que fi. le coup n’avoit porté que fur une feule : par conféquentil ne doit pas paroître extraordinaire qu’une légere impref- fon fur les fens puiffe produire dans le corps. animal une violente réaction qui fe mani- fefte par les mouvemens extérieurs. Les caufes que nous pouvons mefurer, & dont nous pouvons en conféquence efti- mer au jufte la quantité des effets , ne. font pas en aufhi grand nornbre que celles dont les qualités nous échappent, dont la maniere d'agir nous cit inconnue, & dont nOUS I9n0= Jur la nature des Animaux, 199 rons par conféquent la relation proportion. - nelle qu’elles peuvent avoir avec leurs ef- fets. Il faut, pour que nous puiflions mefu- rer une caufe, qu’elle foit fimple , qu’elle {oit toujours la même , que fon aëtion foit conftante , ou ce qui revient au même, qu’elle ne foit variable que fuivant une loi qui nous foit exatement connue. Or dans la Nature, la plupart des effets dépendent de plufieurs caufes différemment combinées , de caufes aont lation varie, de caufes dont les de- grés d'aétivité ne femblent fuivre aucune rè- gle , aucune loi conftante, & que nous ne pouvons par conféquent ni mefurer ni même eftimer que comme on eftime des probabi- lités , en-tâchant d'approcher de la vérité par le moyen des vraifemblances. Je ne prétends donc pas affurer comme une vérité démontrée, que le mouvement progrefñf & les autres mouvemens extérieurs de l’animal ayent pour caufe , & pour caufe unique, limprefñion des objets fur les fens: je-le dis feulement comme une chofe vrai- femblable , & qui me paroït fondée fur de bonnes analogies ; car je vois que dans la Nature tous les êtres organifés qui font dé- nués de fens, font aufli privés du mouve- ment progreflif, & que tous ceux qui en font pourvus, ont tous aufh cette qualité aë&tive de mouvoir leurs membres & de changer de lieu, Je vois de plus qu’il arrive fouvent que cette aétion des objets fur les fens met à Finftant l'animal en mouvement, fans même que la volonté paroïfle y avoir part, & qu'il arrive toujours , lorfque c’eft la ni à qui 4 100 Difcours détermine le mouvement , qu’elle a été ellez même excitée par la fenfation qui réfulte de l’impreffion aétuelle des objets fur les fens,, ou de la réminifcence d’une impreflion an- térieure. Pour le faire mieux fentir , confidérons- nous nous-mêmes , & analyfons un peu le phyfique de nos aétions. ELorfqu’un ebjet nous frappe par quelque fens que ce foit, que la fenfation qu’il produit eft agréable, & qu'il fait naître un defir, ce defir ne peut être que relatif à quelques-unes de nos qua- lités & à quelques-unes de nos manieres de jouir ; nous ne pouvons defrer cet objet que pour le voir , pour le goûter, pour len- tendre , pour le fentir , pour le toucher ; nous né le defirons que pour fatisfaire plus pleinement le fens avec lequel nous avons apperçu ou pour fatisfaire quelques-uns de nos autres fens en même temps, c'eft-à-dire, pour rendre la premiere fenfation encore plus agréable , ou pour en exciter une au- tre , qui eft une nouvelle maniere de jouir de cet objet : car fi dans le moment même que nous l’appercevons , nous pouvions en jouir pleinement & par tous les fens à la fois, nous ne pourrions rien defirer. Le de- fir ne vient donc que de ce que nous fom- mes mal fitués par rapport à l’objet que nous venons d’appercevoir, nous en fommes trop loin ou trop près : nous changeons donc na- turellement de fituation , parce qu’en même temps que nous avons apperçu l'objet, nous avons aufli apperçu la diftance ou la proxi- mité qui fait l'incommodité de notre fituaz Jar la nature des Animaux: 01 tion, & qui nous empêche d’en jouir plei- fiement. Le mouvement que nous faifons en conféquence du defir, & le defir lui-même, ne viennent donc que de l’impreffion qu'a fait cet objet fur nos fens. Que ce foit un objet que nous ayons ap- perçu par les yeux & que nous defirons de toucher , s’il eft à notre portée, nous éten- dons le bras pour l’atteindre ; & s’il eft éloi- gné , nous nous mettons en mouvement pour nous en approcher. Un homme profondément occupé d’une fpéculation , ne faifira-t-il pas , s’il a grand faim, le pain qu'il trouvera fous fa maïn? il pourra même Îe porter à fa bouche cle manger fans s’en appercevoir. Ces mou- vemens fontune fuite néceffaire de la premiere impreflion des objets ; ces mouvemens ne man- queroient jamais de fuccéder à cette impref- fion , fi d'autres impreflions qui fe réveil- lent en même temps ne s’oppofoient fouvent a cet effet naturel, foit en affoibliffant, foit en détruifant l’a&ion de cette premiere im- prefion. Un être organifé qui n'a point de fens, une huître, par exemple , qui probablement n’a qu'un toucher fort imparfait , eft donc un être privé non-feulement de mouvemert, progrefhf, mais même de fentiment & de toute intelligence , puifque l’un ou l'autre produiroit également le defir , & fe mani- fefteroit par le mouvement extérieur. Je n’affurerai pas que ces êtres privés de fens, foient ne) privés du fentiment même de leur exiftence , mais au moins peut-on dire | 20% Difcours qu'ils ne la fentent que très imparfaitement; puifqu'ils ne peuvent appercevoir ni {entir l’exiftence des autres êtres. C’eft donc l’aétion des objets fur les fens qui fait naître le defir , & c’eft le defr qui produit le mouvement progrefif. Pour le faire encore mieux {entir, fuppofons un hom- me qui dans l’inftant où il voudroit s’appro- cher d’un objet , fe trouveroit tout à-coup privé des membres néceflaires à cette attion,, cet homme auquel nous retranchons les jambes tâcheroit de marcher fur fes ge- noux ; Ôtons-lui encore les genoux & les. cuiffes , en lui confervant toujours le defir de s’approcher de l’objet , il s’efforcera alors de marcher fur fes mains ; privons-le encore des bras &c des mains, il rampera, il fe trainera.. il employera toutes les forces de fon corps & s’aidera de toute la flexibilité des. vertebres pour fe mettre en mouvement, il s’accro- chera par le menton ou avec les dents & queique point d'appui pour tâcher de chan- . ger de lieu; & quand même nous réduirions {on corps à un point phyfique, à un atôme- globuleux, fi le defir fubfifte , il employera. toujours toutes fes forces pour changer de fituation : mais comme il n’auroit alors d’au- tre moyen pour fe mouvoir que d'agir con- tre le plan fi lequel 1l porte ,1l ne manque- roit pas de s'élever plus ou moins haut pour atteindre à l’objet. Le mouvement extérieur & progreflif ne dépend donc pas de Porga- nifation & de la figure du corps & des mem- br2s, puifque de quelque maniere qu’un être Jér la nature des Animaux, 203 füt extérieurement conformé , il ne pourroit manauer de fe mouvoir , pourvu qu'il eüt des {ens & le defr de les fatisfaire, -C’eft à la vérité de cette organifation ex- térieure que dépend Ia facilité, la vitefle, la dire&tion, la continuité, &c. du mouve: ment ; mais la caufe , le principe, l'aétion, la détermination, viennent uniquement du defir occafionné par l’impreffion des objets. fur les fens:'car fuppofons maintenant que la conformation extérieure étant toujours Ja même, un homme fe trouvât privé fucceffi- vement de fes fens, il ne changera pas de lieu pour fatisfaire fes veux, s’il eft privé de la vue; il ne s’approchera pas pour en- tendre, file fon ne fait aucune impreflion fur fon organe ; il ne fera jamais aucun - mouvement pour refpirer une bonne odeur, ou pour en éviter une mauvaife, fi fon odo- rat eft détruit ; il en eft de même du toucher & du goût : fr ces deux fens ne font plus lufceptibies d'impreflion, il n’agira pas pour les fatisfaire : cet homme demeurera donc em repos, & perpétuellement en repos ; rien ne pourra le faire changer de fituation & lui imprimer le mouvement progreflif, quoique par fa conformation extérieure il füt parfai- tement capable de fe mouvoir & d'agir. Les befoins naturels, celui, par exemple, - de prendre de la nourriture, font des mou- vemens intérieurs dont les impreffions font naître le defir, l'appétit, & même la nécef- fité ; ces mouvemens intérieurs pourront. donc produire des mouvemens extérieurs é2us l'animal ; & pourvu qu'il ne foit pas. 264 Difcours privé de tous les fens extérieurs, pourvit qu'il y ait un fens relatif à fes befoins , il agira pour les fatisfaire, Le befoin n’eft pas le defir , il en différe comme la caufe diffère de l'effet, & ilne peut le produire fans le concours des fens. Toutes les fois que lani- mal apperçoit quelque objet relatif à fes befoins , le defir ou l’appetit nait, & lac- tion fuit. Les objets extérieurs exerçant leur ation fur les fens, il eft donc néceflaire que cette ation produife quelque effet; & on conce- vroit aiiément que l'effet de cette ation fe- roit le mouvement de l’animal, fi toutes tes fois que fes fens font frappés de la même facon , le même effet, le même mouvement fuccédoit toujours à cette imprefhon : mais comment entendre cette modification de l’action des objets fur l'animal, qui fait naï- tre lappérit ou la répugnance ? comment concevoir ce qui s'opère au-delà des fens à ce terme moyen entre lation des objets & Paétion de j’animal ? opération dans laquelle cependant confifte le principe de la détermi- nation du mouvement, puifqu’elle change & modifie l’attion de l'animal, & qu’elle la rend quelquefois nulle malgré limpreflion des objets. Cette queftion eft d'autant plus difficile à réfoudre , qu’étant par notre nature différens des animaux, l'ame a part à prefque tous nos mouvemens, @& peut-être à tous; & qu'il nous eft très difficile de diftinguer les effets de l’aétion de cette fubftance fpiri- suelle , de ceux qui font produits par les fur la nature des Animaux. 205 feules forces de notre être matériel ; nous ne pouvons en juger que par analogie & en comparant à nos aétions les opérations na- Miles des animaux : mais comme cette fubftance f{pirituelle n’a été accordée qu’à l’homme, & que ce n’eft que par elle qu’il penfe & qu'il réfléchit, que l’animal eft au contraire un être purement matériel, qui ne penfe ni ne réfléchit, & qui cependant agit & femble fe dérerminer , nous ne pouvons pas douter que le rie de la détermina- tion du mouvement ne foit dans l’animal un effet purement mécanique & abiolument de- pendant de fon organifation. Je conçois donc que dans l'animal l’aétion des objets fur les fens en produit une autre fur le cerveau , que je regarde comme un #ens intérieur & général qui reçoit toutes les impreflions que les fens extérieurs lui tranfmettent. Ce fens interne eft non-feule- ment fuiceptible d'être ébranlé par l’a@ion des fens & des organes extérieurs , mais il eft encore par fa nature capable de confer- ver longtemps l’ébranlement que produit cette aétion; & c’eft dans la continuité de cet ébranlement que confifte l'impreflion, qui eft plus ou moins profonde à propor-. tion que cet ébrankement dure plus ou moins de temps. | Le fens intérieur diffère donc des fens ex- térieurs, d’abord par la propriété qu'il a de recevoir généralement toutes les impreffions, de quelque nature qu’elles foient ; au lieu que les fens extérieurs ne les reçoivent que d’une maniere particuliere & relative à leur con: 206 Difcours | formation, puifque l'œil n’eft jamais ni pas plus ébranlé par le fon,que l'oreille par la lumiere. Secondement, ce fens intérieur dif- fère des fens extérieurs par la durée de l’é- branlement que. produit l’a@ion des caufes æxtérieures, mais pour tout le refte, il eft de la même nature que les fens extérieurs. Le fens intérieur de l’animal eft ; aufi-bien que fes fens extérieurs, un organe, un ré- fultat de mécanique, un fens purement ma- tériel. Nous avons, comme l'animal, ce fens intérieur matériel, & nous poflédons de plus un fens d’une nature fupérieure & bien cif- férente, qui réfide dans ia fubftance fpiri- tuelle qui nous anime & nous conduit. Le cerveau de l’animal eft donc un {ens interne, général & commun, qui reçoit éga- lement toutes les impreflions que lui tranf- mettent les fens externes, c’eft-à-dire., tous les ébranlemens que produit la@tion des objets, & ces ébranlemens durent & fub- fftent bien plus lorg- temps dans ce fens interne que dans les fens externes : on le concevra facilement, fi l’on fait attention que même dans les fens externes il y a une différence très fenfble dans la durée de leurs ébraniemens. L’ébranlement que la lumiere produit dass l’œil, fubfifte plus long-remps que l’ébranlement de l’oreille par le fon; il ne faut, pour s’en aflurer, que réfléchir fur des phénomènes fort connus. Lerfqu’on tour- ne avec quelque viteffe un charbon allume, ou que l’on met le feu à une fufée volante; ce charbon allumé forme à nos yeux un cercle de feu, & la fufée volante une longue fur la nature des Animaux, 207 trace de flamme; on fait que ces apparen- ces viennent de la durée de l’ébranlement que la lumiere produit fur l’organe, & de ce que l’on voit en même temps la premiere & la derniere image du charbon ou de la fufée volante ; or lé temps entre la premiere_ & la derniere impreffion ne laifle pas d’être {enfible. Mefurons cet intervalle, & difons qu'il faut une demi - feconde, ou, fi l’on veut, un quart de feconde pour que le char- bon allumé décrive fon cercle & fe retrouve au même point de la circonférence ; cela étant, l’ébranlement caufé par la lumiere, &ure une demi-feconde, ou un quart de fe-