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HARVARD UNIVERSITY
LIBRARY
OF THE
MUSEUM OF COMPARATIVE ZOOLOGY
LiBRARY OF
SAMUEL GARMAN
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(UAiLt, l'jgLi
JUN8 t929
HISTOIRE
NATURELLE,
GÉNÉRALE ET PARTICULIÈRE.
DES POISSONS.
TOME SECOND.
ON SOUSCRIT
A TARIS,
r DuFART, Imprimeur-Libraire et éditeur,
1 rue des Noyers , N° 22 ;
Chez <
I Bertrand, Libraire , qviai des Augustins,
l N° 35.
A ROUEN,
Cîiez Vallée , frères, Libraires , rue Beffroi , N** 22.
A STRASBOURG,
Chez L E V K A u L T , frères , Imprimeurs- Libraires.
A LIMOGES,
Chez B A R G E A s , Libraire.
A MONTPELLIER,
Chez Vidal, Libraire,
£t chez les principaux Libraires de l'Europe.
HISTOIRE NATURELLE,
GÉNÉRALE ET PARTICULIÈRE
DES POISSONS;
Ouvrage faisant suite à THisfoire natarelle, générale et
particulière , composée par Leclerc de Buffon , et
mise dans un nouvel ordre par C. S. Sojsmm, avec
des Noies et des Additions.
PAR C. S. SONNINI,
MEMBRE DE PLUSIEURS SOCIÉTÉS SAVANTES
ET LITTÉRxlIRES.
TOME SECOND.
A PARIS,
DE L'IMPRIMERIE DE F, DUFART.
A N XI,
HISTOIRE
NATURELLE
DES POISSONS.
Des effets de Vart de VHorame sur la
nature des Poissons.
PAR LACÉPÈDE.
Vj'est nn beau spectacle que celui de l'in-
telligence humaine, disposant des forces de
la Nature , les divisant , les réunissant , les
combinant, les dirigeant à son gré, et, par
l'usage habile que l'expérience et l'observa-
tion lui en ont appris, modifiant les subs-
tances, transformant les êtres, et rivalisant,
pour ainsi dire , avec la puissance créatrice.
L'amour propre, l'intérêt, le sentiment et
la raison applaudissent sur- tout à ce noble
spectacle , lorsqu'il nous montre le génie de
l'homme exerçant son empire, non seule-
ment sur la matière brute qui ne lui résiste
que par sa niasse, ou ne lui oppose que ce
pouvoir des affinités qu'il lui suffit de con-
A3
k.
6 EFFETS DE L'ART
noîire pour le niaîdiser, mais encore sur la
rHalière organisée et vive, sur les corps ani-
més , sur les êtres sensibles , sur les propriétés
des espèces, sur ces attributs intérieurs, ces
facultés secretles, ces qualités profondes qu'il
domine , sans même parvenir à dévoiler leur
essence.
De quelques êtres organisés et vivans que
l'on veuille dessiner l'image, on voit presque
toujours sur quelques-uns de leurs traits
l'empreinte de l'art de l'homme.
Sans doute l'histoire de son industrie n'est
pas celle de la Nature: mais comment ne pas
en écrire quelques pages, lorsque le récit de
ses procédés nous montre jusqu'à quel point
la Naîure peut être contrainte à agir sur elle-
même, et que cette puissance admirable de
l'homme s'applicjue à des objets d'une haute
impoli ance pour le bonheur public et pour
la féliciié privée?
Parmi ces objets si dignes de l'attention
de l'économe piivé et de l'économe public,
comptons avec les sages de l'antiquité, ou,
pour mieux dire, avec ceux de tous les siècles
qui ont le plus réuni l'amour de Thumanité à
la connoissance des productions de la Nature,
la possession des poissons les plus analogues
aux besoins de l'homme.
SUR LES POISSONS. 7
Deux grands moyens peuvent procurer
ces poissons que Ton a toujours recherchés,
mais auxquels, dans certains siècles et dans
certaines contrées, on a attaché un si grand
prix.
Le premier de ces moyens , résultat remar-
quable du perfectionnement de la naviga-
tion, multipliant chaque jour le nombre des
marins audacieux , et accroissant les progrès
de l'admirable industrie sans laqu*elle il n'au-
roit pas existé, obtiendra toujours les plus
grands encouragemens des chefs des na-
tions éclairées : il consiste dans ces grandes
pêches auxquelles des hommes entreprenans
et expérimentés vont se livrer sur des mers
lointaines et orageuses.
Mais l'usage de ce moyen, limité par les
vents, les courans et les frimats, et troublé
fréquemment par les innombrables acci-
dens de l'atmosphère et des mers, exige sans
cesse une association constante, prévoyante
et puissante , une réunion difficile d'inslru-
mens variés, une sorte d'alliance entre un
grand nombre d'hommes que l'on ne peut
rencontrer que très -rarement et rapprocher
qu'avec peine. Il ne donne à nos ateJiers
qu'une partie des produits que l'on pour-
A 4
8 EFFETS DE L'ART
roit letirei des animaux poursuivis dans ces
pêches éloignées et fameuses, et ne procure
pour la nourriture de Thomnie que des pré-
parations peu substantielles, peu agréables,
ou peu salubres.
Le second moyen convient à tous les tems ,
à tous les lieux , à tous les hommes. 11 ne de-
mande que peu de précautions , que peu d'ef-
forts, que peu d'instans et peu de dépenses.
Il ne commande aucune absence du séjour
que Ton affectionne , aucune interruption
de ses habitudes, aucune suspension de ses
affaires; il se montre avec l'apparence d'un
amusement varié, d'une distracl ion agréable,
d'un jeu plutôt que d'un travail; et cette ap-
parence n'est pas trompeuse. Jl doit plaire à
tous les âges; il ne peut être étranger à aucune
condition. Il se compose des soins par lesquels
on parvient aisément à transporter, dans les
eaux que Ton veut lendre fertiles, les pois-
sons que nos goûts ou nos besoins réclament,
à les y acclimater , à les y conserver- , à les y
multiplier, à les y améliorer.
Nous traiterons des grandes pêches dans
un discours jmrticulier.
Occupons-nous dans celui-ci de cet en-
semble de soins qui ^lous rappelle ceux que
les Xé^xopl^ouj les Oppien, les Varroij, Jes.
SUR LES POISSONS. 9
Ovide, les Columelle, les Ausone se plai-
soient à proposer aux deux peuples les plus
illustres de Tanliquité, que la sagesse de leu? s
préceptes, le charme de leur éloquence,!»
beauté de leur poésie et Fautorité de leur
renommée inspiroient avec tant de facilité
aux grecs et aux romains, et qui étoient en
très-grand honneur chez ces vainqueurs de
TAsie et de l'Europe , que la gloire avoit cou-
ronnés de tant de lauriers.
L'homme d'état doit les encourager comme
une seconde agriculture : l'homme des champs
doit les adopter comme une nouvelle source
de richesses et de plaisirs.
En rendant en elFet les eaux plus produc^^
tives que la terre, en répandant les semences
d'une abondante et utile récolte dans tous
les lacs, dans les rivières , dans les ruisseaux ,
dans tous les endroits que la plus foible source
arrose, ou qui conservent sur leur surface le
produit des rosées et des pluies, ces soins que
nous allons tâcher d'indiquer n'augmenle-
ront-ils pas beaucoup cette surface fertile et
nourricière du globe , de laquelle nous tirons
nos véritables trésors? et l'accroissement que
nous devrons à ces procédés simples et peu
nombreux, ne sera-t-il pas d'autant plus con-
sidérable, que ces eaux dans lesquelles on
10 EFFETS DE L^ART
portera, eiitrelieiiclra et multipliera le mou-
vement et ]a vie, offriront une profondeur
bien plus grande que la couche sèche fécon-
dée par la charrue , et à laquelle nous confions
les graines des végétaux précieux?
Et dans ses momens de loisir, lorsque l'ami
de la ^Jature et des champs portera ses espé-
rances, ses souvenirs, ses douces rêveries, sa
mélancolie même, sur les rives des lacs, des
ruisseaux ou des fontaines, et que, molle-
ment éLendu sur une heibe fleurie, à l'ombre
cFarbres élevés et touffus, il goûtera cette
sorte d'extase, cette quiétude touchante , cette
volupté du repos, cet abandon de toute idée
trop forte, cette absence de toute affection
trop vive, dont le charme est si grand pour
une ame sensible, n'éprouvera- t-il pas une
jouissance d'autant plus douce qu'il aura sous
ses yeux, au lieu d'une onde stérile , déserte ,
inanimée , des eaux vivifiées , pour ainsi dire,
et embellies par la légèreté des formes, la
vivacité des couleurs, la variété des jeux, la
nipidité des évolutions ?
Voyons donc comment on peut transpor-
ter, acclimater, multiplier et perfectionner
les poissons j ou, ce qui est la même chose,
montrons comment l'art modifie leur nature.
Tâchons d'éclairer la route élevée du
SUR LES POISSONS ii
physioloi^jste par les lumièies de l'expé-
rience, et de diriger l'expérience par les vues
du physiologiste.
Disons d'abord comment on transporte les
poissons d'une eau dans une autre.
De toutes les saisons, la plus favorable au
transport de ces animaux est l'hyver , à moins
que le froid ne soit très-rigoureux. Le prin-
tems et l'automne le sont beaucoup moins
que la saison des frimats; mais il faut toujours
les préférer à Tété. La chaleur auroit bientôt
fait périr des individus accoutumés à une
température assez douce; et d'ailleurs ils ne
résisteroient pas à l'influence funeste des
orages qui régnent si fréquemment pendant
l'été.
C'est en eiïet un beau sujet d'observation
pour le physicien que l'action de l'électricité
de l'atmosphère sur les habitans des eaux,
action à laquelle ils sont soumis non seule-
ment lorsqu'on les force à changer de séjour ,
mais encore lorsqu'ils vivent indépendans
dans de laiges fleuves, ou dans des lacs im-
menses , dont la profondeur ne peut les dé-
rober à la puissance de ce feu électrique.
Il ne faut exposer aux dangers du trans-
port que des poissons assez forts pour résister
à la fatigue ; à la coutxaiiite, et aux autres
tf EFFETS DE L'ART
înconvéniens de leur voyage. A un an , ces
animaux seroient encore tro}> jeunes; Tâge le
plus convenable pour les faire passer d'une
eau dans une autre, est celui de trois ou
quatre ans
On ne remplira pas entièrement d'eau les
tonneaux dans lesquels on les renfermera.
Sans cette précaution, les poissons, niontant
avec rapidité vei s la surface de l'eau , bles-
seroient leur tête contre la partie supérieure
du vaisseau dans lequel ils seront placés. Ces
tonneaux devront d'ailleurs présenter un
assez grand espace. Bloch , qui a écrit des
observations très-utiles sur l'art d'élever les
animaux dont nous nous occupons , demande
qu'un tonneau destiné à transporter des
poissons du poids de cinquante kilogiammes
(cent livres, ou à peu près) contienne trois
cent vingt litres ou pintes d'eau.
Il est même nécessaire que vers la fin du
printems , ou au commencement de l'au-
tomne, c'est-à-dire, lorsque la chaleur est
vive au moins pendant plusieurs heures du
jour, cette quantité d'eau soit plus grande,
et souvent double; et quelle que soit la tem-
pérature de l'air, il faut qu'il y ait toujours
une coninumication libre entre l'atmosphère
et l'intérieur du tonneau, soit pour procurer
SUR LES POISSONS. 13
aux poissons , suivant l'opinion de quelques
physiciens , lair qui peut leur être néces-
saire, soit pour laisser échapper les miasmes
mal- faisans et les gaz funestes qui se forment
en abondance dans tous les endroits ou les
habitans des eaux sont réunis en très-grand
nombre, même lorsque la chaleur n'est pas
très-forte, et leur donnent la mort sQuvent
dans un espace de tems extrêmement couj '.
Mais comme ces soupiraux si nécessaires aux
poissons que Ton fait voyager pourroient ,
s'ils étoient faits sans attention , laisser à
l'eau des mouvemens trop libres et trop
violens qui la feroient jaillir, pousseroient
les poissons les uns contre les autres , les
froisseroient et les blesseroient mortellement,
il sera bon de suivre à cet égaid les conseils
de Bloch, qui recommande de prévenir la
trop grande agitation de l'eau par une cou-
ronne de paille ou de petites planches minces
introduites dans le tonneau , ou en adaptant
à l'orifice qu'on laisse ouvert un tuyau un
peu long , terminé en pointe et percé vex s
le haut de plusieurs trous qui établissent une
communication suffisante entre l'air exté-
rieur et l'intérieur du vaisseau (i).
(i) Introduction à l'Histoire naturelle des poissons,
par Bloch.
i4 EFFETS DE L'ART
Toutes les fois que la distaucele permettra,'
on eniploîi a aussi des bèîes de somme tran-
quilles , ou même des poiteurs attentifs ,
plutôt que des voitures exposées à des cahots
rudes et à des secousses brusques et fré-
quentes.
On prendra encore d'autres précautions,
suivant les circonstances dans lesquelles on
se trouvera , et les espèces dont on voudra
porter des individus vivans à un assez grand
éloignemeut de leur premier séjour.
Si l'on veut, par exemple, conserver en
vie 5 malgré un long trajet, des truites, des
loches , ou d'autres poissons qui périssent
facilement, et qui se plaisent au milieu d'une
eau courante , on change souvent celle du
tonneau dans lequel on les renferme , et on
ne cesse de communiquer à celle dans la-
quelle on les tient plongés un mouvement
doux, mais sensible, qui subsiste lors même
que la voilure qui les porte s'arrête , et qui ,
bien inférieur à une agitation dangereuse,
représente les courans naturels des rivières
ou des ruisseaux.
Pour peu que Ton craigne les effets de la
chaleur, on voyagera la nuit ,* et l'on évitera
avec le plus grand soin, en maniant les pois-
SUR LES POISSONS. i5
sons , de les presser , de les froisser , de les
heurter.
On ne les laissera hois de Teau que pen-
dant le tenis Je plus court possible, sur-tout
lorsqu'un soleil sans nuages poiuroit , en
desséchant promptement leurs organes , et
particulièrement leurs branchies , les faire
périr très-promptement. Cependant, lorsque
le tems sera froid , on pourra transporter des
anguilles , des carpes, des brèmes, et d'autres
poissons qui vivent assez long-tems hors de
Feau, sans employer ni tonneau ni voiture,
en les enveloppant dans de la neige et dans
des feuilles grandes , épaisses et fraîches ,
telles que celles du chou ou de la laitue. Un
moyen presque semblable a réussi sur des
brèmes que Ton a portées vivantes à plus
de dix myriamètres (vingt lieues). On les
avoit entourées de neige , et on avoit mis
dans leur bouche un morceau de pain trempé
dans de l'eau de vie.
C'est avec des précautions analogues que ,
dès le seizième siècle, on a répandu dans
plusieurs contrées de l'Europe des espèces
précieuses de poissons dont on y étoit privé.
C'est en les emploj^ant , qu'il paroît que
Maschal a introduit la carpe en Angleterre,
eu i5i4,- que Pieri-e Oxe l'a donnée au
i6 EFFETS DE L'ART
Dauemarck en i55o; qu'à une époque plus
jxipf.Mochceona ualuialisé Facipensèreslrelet
eu Suède , ainsi qu^en Pouiérauie , et qu'où
a peuplé de cypiins dorés de la Chine les
eaux non seulement de Fiance, mais encore
d'Angleterre, de HoiJaude et d'Allemagne.
Mais ii est un procédé par le moyen
duquel on parvient à son but avec bien plus
de sûreté, de facilité et d'économie, quoique
beaucoup plus lentement.
Il consiste à transporter le poisson , noïl
pas développé et pai venu à une taille plus
ou moins grande , mais encore dans l'état
d'embryon el renfermé dans son œuf. Pour
réussir plus aisément, on prend les herbes
ou les pierres sur lesquelles les femelles ont
déposé leurs œufs , et les mâles leur laite ,
et on les porte dans un vase plein d'eau ,
jusqu'au lac , à l'étang, à la rivière, ou au
bassin que l'on désire de peupler. On apprend
facilement à distinguer les œufs fécondés
d'avec ceux qui n'ont pas été arrosés de la
liqueur prolifique du mâle, et que l'on doit
rejeter : les premiers paroissent toujours plus
jaunes, pliis clairs, plus diaphanes. On re-
marque cette différence dès le premier jour
de leur fécondation , si l'on se sert d'une
loupe; et dès le tioisième ou le quatrième
jour
SUR LES POISSONS. 17
Jour on n'a plus besoin de cet instrument
pour voir que ceux qui n'ont pas été fécondés
par le mâle deviennent à chaque instant
plus troubles , plus opaques, plus ternes : ils
perdent tout leur éclat, s'altèrent, se décom-
posent; et dans cet élat de demi-putréfac-
tion , ils ont été comparés à de petits grains
de grêle qui commencent à se fondre (1).
Pour pouvoir employer ce transport des
œufs fécondés, d'uue eau dans une autre,
il faudra s'attacher à connoitre dans chaque
pays le véritable tems de la ponte de chaque
espèce, et du passage des mâles au dessus
des œufs; et comme dans presque toutes les
espèces de poissons on compte trois ou quati e
époques du frai, les jeunes individus pondant
leurs œufs plus tard que les femelles plus
avancées en âge , et celles-ci plus tard que
d'autres femelles plus âgées encore; que ces
époques sont ordinairement séparées par un
intervalle de neuf ou dix jours, et que d'ail-
leurs il s'écoule toujours au moins près de
neuf jours entre l'instant de la fécondation
et celui où le fœtus brise sa coque et vient
à la lumière, on pourra chaque année, pen-
(1) Blocli, Introduction à l'Histoire naturelle des
poissons.
Foiss, Tome IL B
i8 EFFETS DE L'ART
dant un mois ou environ, chercher avec
succès des œufs fécondés de Fespèce qu'on
voudra introduire dans une eau qui ne l'aura
pas encore nouriie.
Si le trajet est long, on change souvent
l'eau du vase dans lequel les œufs sont
transportés. CeLle précaution a paru néces-
saire, même dans les premiers jours de la
ponte, où l'embryon contenu dans l'œuf
ne peut être supposé respirer en aucune
manière, puisque, dans ces premiers jours,
non seulement le petit animal est renfermé
dans ses enveloppes et dans la membrane
qui entoure l'œuf, mais encore montre au
microscope le cours de son san^, dirigé de
manière à cii culer sans passer par des bran-
chies qui ne sont ni développées ni visibles.
Elle ne sert donc, dans ce prenjier tems ,
qu'à préserver les œufs et les embryons de
l'action des gaz ou miasmes qui se piodui-
roient dans une eau que l'on ne renouvel-
leroit pas, et qui, pénétrant au travers de
la membrane de l'œuf, agiroient d'une
manière funeste sur les nerfs ou sur d'autres
organes encore extrêmement délicats des
jeunes poissons. La nécessité de ce change-
ment d'eau est donc une nouvelle preuve
de ce que nous avons dit dans ce discours.
SUR LES POISSONS. iç)
et dans celui que nous avous publié sur la
nature des poissons , au sujet du besoin que
Ton a, pour conserver ces animaux en vie,
d'eni retenir une communicalion très- libre
entre Fatmosphère et le fluide dans lequel
ils sont plongés.
On Favoj'ise le développement de l'œuf
et la sortie du fœtus, en les plaçant après
le tjanspoit dans un endroit éciaiié par le
soleil. On les hâte même par cette atlention;
et Bloch nous apprend , dans rintroduction
que nous avons déjà citée, qu'ayant fait
quatre paquets d'herbes chargées d'œufs de
la même espèce, ayant exposé le piemier au
soleil du midi, le second au soleil levant, le
troisième au couchant , et ayant fait mettre
le quatrième à Fabii du soleil, les œufs du
premier paquet furent ouverts par le fœtus
deux jours avant ceux du quatrième, et les
œufs du second et du troisième un jour
plutôt que ceux du quatrième paquet, que
la chaleur du soleil n'avoit pas pénétrés.
Cependant les eaux dans lesquelles vivent
les poissons peuvent être salées ou douces,
troubles ou limpides , chaudes ou froides ,
tranquilles ou agitées par des courans plus
ou moins rapides. Elles doivent toujours
présenter ces qualités combinées quatre k
so EFFETS DE L'ART
quatre , la même eau devant être nécessaî-^
rement courante ou tranquille, froide ou
chaude, claire ou limoneuse, douce ou salée.
Maii ces huit modifications réunies quatre
à quatre peuvent produire seize combinai-
sons : l'eau qui nourrit les poissons peut
donc offrir seize manières d'être très- diffé-
rentes l'une de l'autre, et très-faciles à dis-
tinguer. Nous en trouverions un nombre
immense si nous voulions faire attention à
toutes les nuances que chacune de ces mo-
difications peut montrer , et à toutes les
combinaisons qui peuvent résulter du mé-
lange de tous ces dégrés. Néanmoins ne
tenons compte que de seize caractères bien
distincts qui peuvent appartenir à l'eau; et
voyons l'influence de la nature des diffé-
rentes eaux sur la conservation des poissons
que l'on veut acclimater.
Il est évident que , si Ton jette les j^eux
au hasard sur une des seize combinaisons
que nous venons d'indiquer , on ne la verra
pas séparée des quinze autres par un égal
nombre de différences.
Que l'on dépose donc les poissons que
l'on viendra de transporter , dans les eaux
]es plus analogues à celles dans lesquelles ils
auront vécuj et lorsqu'on sera embarrassé
SÛR LES POISSÔlSTS. ât
pour trouver de ces eaux adaptées aux in-
dividus que ['on voudra conserver, que Tori
préfère de les planer dans les lacs, où ils
jouiront à leur volonté des eaux courantes
qui s'y jettent ou en sortent, et des eaux
paisibles qui y séjournent , où ils rencon-
treront des touffes de végétaux aquatiques
et des rochers nus , des fonds de sable et
des terrains vaseux , où ils jouiront d'une
température douce en s'enfonçant dans les
endroits les plus profonds, et où ils pourjt'onl:
se réchauffer aux rayons du soleil ^ en
s'élevant vers la surface.
Que Ton choisisse néanmoins les lacs don§
les rives sont unies, plutôt que ceux dont
les rivages sont très -hauts; et si Yon est
obligé de se servir de ces lacs à bords très-
exhaussés, et où par conséquent les œufs
déposés sur des fonds trop éloignés de Fat-
niosphère ne peuvent pas recevoir Theureuse
inHuence de la lumière et de la chaleur ,
qu'on supplée aux côtes basses et aux pentes
douces, en faisant construire , dans ces lacs?
et auprès de leurs bords , des espèces do
parcs ou de viviers en bois, qui présenteront
des plans inclinés très-voisins de la surface
de l'eau, et que l'on garnira, dans la saison
convenable, de branches et de rameaux siu'
B 5
i3 EFFETS DE L'ART
lesquels les femelles puissent frotter leur
ventre et se débarrasser de leurs œufs.
Aura-t-on à sa disposition des eaux ther-
males assez abondantes pour remplir de
yastes réservoirs, et y couler constanuneut
en si grand volume, que dans ton i es les
saisons la chaleur y soit très-sensible? Oa
en profitera pour acclimater des espèces
étrangères, utiles par la bonté de leur chair,
ou agréables aux yeux par la vivacité de
leurs couleurs, la beauté de leurs formes et
Tagilité de leurs mouvemens, et qui n'au-
ront vécu jusqu'à ce moment que dans les
* contrées renfermées dans la zone torride ou
très- voisin es des tropiques.
Lorsque les poissons ne sont pas délicats,
ils peuvent néanmoins supporter très-facile-
ment le passage d'une eau à une eau très-
différente de la première. On l'a remarqué
particulièrement sur l'anguille ; et M. De
Seplfontaines, observateur très-éclairé , que
nous avons eu le plaisir de citer très-souvent
dans nos ouvrages, nous a écrit dans le tems
qu'il avoit fait transporter des anguilles
d'une eau bourbeuse dans le vivier le plus
limpide, d'ime eau froide dans une eau
tempérée, d'une eau tempérée dans une
eau froide, d'un vivier très -limpide dans
SUR LES POISSONS. 23
une eau limoiiease , etc. ; qu'il avoit fait
supporter ces transmigralious à plus de trois
cents individus ; qu'il les y avoit soumis
dans différentes saisons; qu'il n'en étoit pas
mort la vingtième partie; et que ceux qui
a voient péri n'a voient succombé qu'à la
fatigue et à la gêne que leur avoit fait
éprouver un séjour très-long dans des vais-
seaux très-étroits.
On pourroit croire , au premier coup
d'oeil , qu'une des habitudes les plus diffi-
ciles k donner aux poissons seroit celle d&
vivre dans l'eau douce après avoir vécu
dans l'eau salée, ou celle de n'être entourés
que d'eau salée après avoir été continuelle-
ment plongés dans l'eau douce.
Cependant on ne conservera pas long-
tems cette opinion , si l'on considère qu'à
la vérité l'eau salée , comme plus pesante ,
soutient davantage le poisson qui nage , et
dès-lors lui donne, tout égal d'ailleurs , plus
d'agilité et do vitesse dans ses mouvemens ,
mais que, lorsqu'elle se décompose dans les
branchies pour entretenir par son ox^^gène
la circulation du sang, ou seulement dans
le canal intestinal pour servir , par son hy-
drogène , à la nourriture de l'animal , le
sel dont elle est imprégnée n'altère ni l'un
B 4
54 EFFETS DE L'ART
ni Tautre produit de celte décomposition:
1/oxy gène et l'hydrogène retirés de Teau
salée , ou obtenus par le moyen de l'eau
douce, olïrent les mêmes propriétés, pro-
duisent les mêmes elïets. Si le poisson est plus
gêné dans ses moiivemens au milieu d'un
lac d'eau douce que dans le sein de r Océan,
il lire de l'eau de la mer et de celle du lac la
même nourriture,- et il peut, au milieu de
l'eau douce, n'être privé que de cette sorte
de modification qu'impriment la substance
saline et peut-être une matière particulière
bitumineuse ou de toute autre nature, con-
tenues dans Feau de l'Océan, et qui l'en-
vironnant sans cesse , lorsqu'il vit dans la
la mer , peuvent traverser ses légumens ,
pénétrer sa masse et s'identifier avec ses
organes.
De plus, un très-grand nombre de pois-
sons ne passent-ils pas la moitié de l'année
dans l'Océan , et l'autre moitié dans les
rivières ainsi que dans les fleuves ? et ces
poissons voyageurs ne paroissent-ils pas avoir
absolument la même organisation que ceux
qui, plus sédentaires, n'abandonnent dans
aucune saison les rivières ou la mer ?
Quant à la température , les eaux , au
moins les eaux profondes ^ présentent, près-:;
SUR LES POISSONS. ^5
que la même , dans quelque contrée qu'on
les examine. D'ailleurs les animaux s'accou-
tument beaucoup plus aisément cju'on ne
le croit , à des températures très-diiïéjontes
de celle à laquelle la Nature ies a voit sou-
mis. Ils s'y habituent même lorsque , vivant
dans une très -grande indépendance, ils
pourroicnt trouver, dans des contrées plus
chaudes ou plus froides que leur nouveau
séjour , une sûreté aussi grande , un espace
aussi libje , une habitation aussi adaptée à
leur organisation , une nourriture aussi
abondante. Nous en avons un exemple
frappant dans l'espèce du cheval. Lois de
la découverte de l'Amérique méridionale,
plusieurs mdividus de cette espèce , amenés
dans cette partie du nouveau continent ,
furent abandonnés , ou s'échappèrent dans
des contrées inhabitées voisines du rivage
sur lequel on les voit débarquer : ils s'y
multiplièrent ; et de leur postérité sont des-
cendues des troupes très -nombreuses de
chevaux sauvages , qui se sont répandus à
des distances très-considérables de la mer,
se sont très-éloignés de la ligne équinoxiale ,
sont parvenus très-près de l'extrémiié aus-
trale de l'Amérique , y occupent de vastes
déserts, n'y ont perdu aucun de leurs altii--
26 EFFETS DE L'ART
buts, ont été plutôt améliorés qu'altérés
par leur nouvelle manière de vivre, y sont
exposés à un froid assez rigoureux pour
qu'ils soient souvent obligés de chercher
leur nourriture sous la neige , qu'ils écar-
tent avec leurs pieds; et néanmoins on ne
peut guère disconvenir que le cheval ne
soit originaire du climat brûlant de l'Arabie.
Il n'y a que les animaux nés dans les
environs des cercles polaires, qui ont, dès
leurs premières années , supporté le poids
des hyvers les plus rigoureux , et dont la
Nature , modifiée par les frimats , non seu-
lement dans eux , mais encore dans plusieurs
des générations qui les ont précédés , est
devenue , pour ainsi dire , analogue à tous
les effets d'un froid extrême , qui ne pa-
roissent pas pouvoir résister à une tempé-
rature très-différente de celle à laquelle ils
ont toujours été exposés. Il semble que la
raréfaction , produite dans les solides et dans
les liquides , par une grande élévation dans
la température , est pour les animaux un
changement bien plus dangereux que l'ac-
croissement de ton , d'irritabilité et de force,
que les solides peuvent recevoir de l'aug-
inentation du froid,* et voilà pourquoi on
n'a pas encore pu parvenir à faire vivre
SUR LES POISSONS. 27
pendant long-tems, dans le climat tempéré
de la France , les rennes qu'on y av'^oit
amenés des contrées boréales de l'Europe.
On doit donc, tout égal d'ailleurs, essayer
de transporte!' les poissons du midi dans les
lacs ou les rivières du nord, plutôt que ceux
des contrées septentrionales dans les eaux
du midi. Lors méine que les rivières ou les
lacs dans lesquels on aura transporté les
poissons méridionaux , seront situés de ma-
nière à avoir leur surface glacée pendant
une partie plus .)u moins longue de l'année,
ces animaux pourront y vivre, lis se tien-
dront dans le fond de leurs habitations
pendant que Thyver régnera ; et si dans
cette retraite profonde ils manquent d'une
communication suffisante avec l'air de l'at-
mosplière , ou si la gelée , pénétrant trop
avant , leur fait subir son influence, descend
jusqu'à eux et les saisit, ils tomberont dans
cette torpeur plus ou moins prolongée , qui
conserve! a leur existence en en ralentissant
les principaux ressorts (1). Combien d'indi-
vidus et même combien d'espèces cet en-
gourdissement reraarquabie ne préserve-t-il
pas de la destruction, en concentrant la vie
■ I , , . Il M
(i) Voyez l'article du scombre maquereau»
28 EFFETS DE L'ART
dans Imtérieur de ranimai, en l'éloignant de
la surface où elle seioil trop fortement atta-
quée, en la renfermant, pour ainsi dire,
dans une enveloppe qui ne conserve de la
vitalité que ce qu'il faut pour ne pas éprouver
de grandes décompositions , et en la rédui-
sant en quelque sorte à une circulation si
lente et si limitée , qu'elle peut être indé-
pendante des objets extérieurs (i) ! S'il ne
répare pas , comme le sonmieil journalier ,
des organes usés par la fatigue , il maintient
ces organes; s^il ne donne pas de nouvelles
forces , il garantit de l'anéantissement ; s'il
ne ranime pas le souffle de la vie , il brise
les traits de la mort. Quelles que soient la
cause , la force ou la durée du sommeil ,
il est donc toujours un grand bienfait de la
Nature ; et pendant qu'il charme les ennuis
de Têtre pensant et sensible, non seulement
il guérit ou suspend les douîems , mais il
prévient et écarte les maux de l'animal,
qui , réduit à un instinct borné , n'existe
que dans le présent , ne rappelle aucun
souvenir, et ne conçoit aucun espoir.
(i) Voyez ie Discours sur la nature des quadru-
pèdes ovipares, dans mon Histoire naturelle de ces
animaux.
SUR LES POISSONS. sg
La qualité et Tabondance de la iioumlure,
ces grandes causes des migrât ious volontaires
de tous les aniniaux qui quittent leur pays,
sont aussi les objets auxquels on doit faire le
plus d'attenlio!! , lorsqu'on cherche à con-
server des animaux en vie dans un autre
séjoui- que leur pays nalal, et par conséquent
lorsqu'on veut acclimater des espèces de
poissons.
L'aliment auquel le poisson que l'on vient
de dépayser est le plus habitué, est celui
qu'il faudra lui procurer : il retiouvera sa
patiie par- tout où il aura sa nounilure fa-
milière. Par le moyen d'herbes, de feuilles,
d'amas de végétaux, de fumiers de toutes
sortes , on donnera un aliuient très-conve-
nable aux espèces qui se nourrissent de débris
de corps organisés; on cherchera, on rassem-
blera des larves et des vers pour celles qui
les préfèrent ; et lorsqu'on aura transporté
des brochets ou d'autres poissojis voiuces, il
faudra mettre dans les eaux qui les auront
reçus ceux dont ils aiment à foire leur proie,
qui se plaisent dans les mêmes habitations
que ces animaux carnassiers , ou qui sont
peu recherchés par les pécheurs, comme des
éperlans , des cyprins goujons , des cyprins
gibèles , des cyprins bordelières , etc.
5o EFFETS DE L'ART
On trouvera, en paicoiirant les difFérens
articles de cette Histoire, un grand nombre
d'espèces remarquables par leur beauté, par
leur grandeur et par le goût exquis de leur
chair, qui manquent aux eaux douces de
notre patiie, et qu'on pourroit aisément ac-
climater en Fiance avec les précautions ou
parles moyens que nous venons d indiquer,
ou en employant des procédés analogues à
ceux que nous venons de décrire, et qu^on
préféieroit d'après la longueur du trajet, la
nature du voyage, le climat que les poissons
auroient quitté , la saison que l'on auroit été
obligé de choisir, et plusieurs autres circons-
tances. De ce nombre seroient, par exemple,
le centropome sandat de la Prusse , l'holo-
centre post des contrées septentrionales de
TAUemagne; et on ne devroifc même pas
être efhayé par la grandeur de la distance,
sur-tout lorsque le transport pourroit avoir
heu par mer, ou par des rivières, ou des
canaux. On peut en eltet, lorsqu'on navigue
sur rOcéan , sur des canaux ou sur des fleuves,
attacher à l'arrièie du bâtiment une sorte de
vaisseau, ou, pour mieux dire, de grande
caisse , que Ton rend assez pesante pour
qu'elle soit presque entièrement plongée dans
l'eau , et dont les parois sont percées de ma-»
SUR LES POISSONS. 5i
nière que les poissons qui y sont renfermés
reçoivent tout le fluide qui leur est néces-
saire, et communiquent avec Tatmosphère
de la manière la plus avantageuse, sans pou-
voir s'échapper et sans avoir rien à craindre
de la dent des squales ou des autres animaux
aquatiques et féroces. Nous indiquons donc
à la suite du post et du sandat, et entre
plusieurs autres que les bornes de ce discours
ne nous permettent pas de rappeler ici, Fos-
phronème goramy , déjà apporté de la Chine
à nie de France , le bodian aya des lacs du
Brésil , et riiolocentre sogo des grandes Indes ,
de l'Afrique et des Antiîles.
Quand on n'aura pas une eau courante
à donner à ces poissons arrivés d'une terre
étrangère, et principalement lorsque ces nou-
veaux hôtes auront vécu, jusqu'à leur mi-
gration, dans des fleuves ou des rivières, on
compensera le renouvellement perpétuel du
fluide environnant que le courant procure,
par une grande étendue donnée à r*ha]3i da-
tion. Ici , comme dans plusieurs autres phé-
nomènes 5 un grand volume en repos tiendra
lieu d'un petit volume en mouvement ; et
dans un espace de tems déterminé , ranimai
jouira de la même quantité de molécules de
52 EFFETS DE L'ART
fluide, difîerentes de celles dont il aura déjà
reçu rinflaence.
Sans celte précaution, les poissons que Ton
voudioit acclimater éprouveroient les mêmes
accidens cjne ceux de nos contrées que Ton
enlève aux petites rivièies, et particulière-
ment à la partie de ces rivières la pi us. voisine
de la source, et qu'on veut conserver dans
des vaisseaux ou même dans des bassins très-
étroits. On est obligé de renouveler très-
souvent Teau qui les entoure,* sans cela, les
diverses émanations de leur corps, et l'eifet
nécessaire du rapprochement d'une grande
quantité de substance animale, vicient Teau,
la conompent par la producîion de gaz que
Ton voit s'élever en petites bulles, et la rendent
si funeste pour eux , qu'ils périssent s'ils ne
viennent pas à la surface de l'eau chercher
le voisinage de laîmosphère , et respirer ,
pour ainsi dire , des couches de fluide plus
puies.
Ces faits sont conformes à de belles expé-
riences faites par mon confrère Silvestre fils,
et à celles qui fiaent dans le tems commu-
niquées à Bulïbu , par une note que ce grand
naturaliste me remit quelques années après,
et qui avoient été tentées sur des gades lotes^
des
SUR LES POISSONS. 35
des cottes chabots, des cyprins goujons, et
d'autres cyprins, tels que des gardons, des
vérons et des vaudoises.
Les poissons que Ton veut acclimater sont
plus exposés que les anciens habitans des
eaux dans lesquelles on les a placés , noix
seulement aux altérations dont nous venons
de parler , mais encore à toutes les maladies
auxquelles leurs diverses tribus sont sujettes.
Ces maladies assaillent ces tribus aqua-
tiques, même lorsque les individus sont
encore renfermés dans Fœuf. On a observé
que des embryons de saumon , de truite et
de beaucoup d'autres espèces , périssoient
lorsque des substances grasses , onctueuses,
et celles que l'on désigne par le nom de
saletés et ai ordures , s'atlachoient à Fenve-
loppe qui les contenoit,et qu'une eau cou-
rante ne nettoyoit pas promptenient cette
membrane.
On suppléera facilement à cette eau cou-
rante par une attention soutenue, et divers
petits moyens que les circonstances suggé-
reront.
Lorsque les poissons sont vieux , ils
éprouvent souvent une altération particu-
lière qui se manifeste à la surface de l'animal;
les canaux destinés à eiitji'eteuir ou renou-^
Foiss. Tome IL G
54 EFFETS DE L'ART
vêler les écailles s'obstruent ou se déforment;
les organes qui filtrent la substance nour-
ricière et réparatrice de ces lames s'oblitèrent
ou se dérangent ; les écailles changent dans
leurs dimensions; la matière qui les compose
n'a plus les mêmes propriétés ; elles ne sont
plus ni aussi luisantes, ni aussi transparentes,
ni aussi colorées ; elles sont clair-semées sur
la peau de l'animal vieilli : elles se détachent
avec facilité ; elles ne sont pas remplacées
par de nouvelles lames , ou elles cèdent la
place, en tombant, à des excroissances dif-
formes produites par une matière écai lieuse
de mauvaise qualité , mélangée avec des elé-
mens hétérogènes, et mal élaborée dans des
parties sans force, et daus des tuyaux qui
ont perdu leur première figure. Cette alté-
ration est sans remède ; il n'y a rien à op-
poser aux effets nécessaires d'un âge tiès-
avancé. Si dans les poissons , comme dans les
autres animaux, l'art peut jeculer l'époque
de la décomposition des fluides, de Falloi-
blissement des solides, de la diminulion de
la vitalité , il ne peut pas détruire l'influence
de ces grands cliaugemens lorsqu'ils ont été
opérés. S'il peut retai der la rapidité du cours
de la vie , il ne peut pas la faire remonter
vers sa source.
SUR LES POISSONS. 5l>
Mais les maux irréparables de la vieillesse ^
ne sont pas à craindre pour les poissons que;
Ton cherche à accUmater ; dans la plupart:
des espèces de ces animaux , ils ne se font
sentir qu'après des siècles, etTéducation de^
individus que Ton transporte d'un pays dans
un autre est terminée long-tems avant la fîa^
de ces nombreuses années. Leurs habitudes
sont d'autant plus modifiées, leur nature est
d'autant plus changée avant qu'ils approchent
du terme de leur existence, qu'on a com-
mencé d'agir sur eux pendant qu'ils étoient
encore très-jeunes.
C'est d'autres maladies que celles de la
décrépitude qu'il faut chercher à préserver
ou à guérir les poissons que l'on élève. Et
maintenant nous agrandissons le sujet de nos
pensées; et tout ce que nous allons dire doit
s'appliquer non seulement aux poissons que
l'on veut acclimater dans telle ou telle con-
trée , mais encore à tous ceux que la Nature
fait naître sans le secours de l'art.
Ces maladies , quij endentles poissons lan-
guissans et les conduisent à la mort, pro-
viennent quelquefois de la mauvaise qualité
des plantes aquatiques ou des autres végé-
taux qui croissent près des bords des fleuves
ou des lacs , et dont les feuilles , les fleurs
C a
S3 EFFETS DE L'ART
ou les fruits sont saisis par l'animal qui se
dresse , pour ainsi dire , sur la rive , ou tom-
bent dans l'eau , y flottent , et vont ensuite
former au fond du iac ou de la rivière un
{sédiment de débris de corps organisés. Ces
'plantes peuvent être, dans certaines saisons
de Tannée, viciées au point de ne fournir
qu'une substance mal-saine , non seulement
aux poissons qui en mangent, mais encore
à ceux qui dévorent les petits animaux
dont elles ont composé la nourriture. On
|)révient ou on arrête les suites funestes de
Ha décomposition de ces végétaux , en dé-
!t misant ces plantes auprès des rives de
riiabitation des poissons, et en les rempla-
çant par des herbes ou des fruits choisis
que Ton jette dans Feau peuplée de ces
animaux.
La plus terrible des maladies des poissons
est celle qu'il faut rapporter aux miasmes
produits dans le fluide qui les environne.
C'est à ces miasmes qu'il faut attiibuer
la mortalité qui régna parmi ces animaux
dans les grands et nombreux étangs des en-
virons de Bourg, lors de l'hyver rigoureux
de la fin de 1788 et du commencement
de 1789 , et dont l'estimable Varenne de
Feuille donna une noticç très-bien faite dan§
SUR LES POISSONS. 5^
le Journal de physique de novembre 1789.
Dès le 26 novembre 17H8, suivant ce très-
bon observateur , la surface des étangs fut
profondément gelée; la glace ne fondit que
vers la fin de janvier. Dans le moment du.
dégel 5 les rives des étangs furent couvertes
d'une quantité prodigieuse de cadavres de
poissons, rejetés par les eaux. Parmi ces
animaux morts, on compta beaucoup plus
de carpes que de perches , de brochets et
de tanches. Les étangs blancs, c'est-à-dire,
ceux dont les eaux reposoient sur un sol
dur 5 ferme et argileux , n'offrirent qu'un
petit nombre de signes de cette mortalité;
ceux qu'on avoit récenament réparés et net-
toyés montrèrent aussi sur leurs bords très-
peu de victimes : mais presque tous les pois-
sons renfermés dans des étangs vaseux ^
encombrés de joncs ou de roseaux , et sur-
chargés de débris de végétaux , périrent
pendant la gelée. Ce qui prouve évidem-
ment que la mort de ces dei-niers animaux
n'a pas été l'efïet du défaut de l'air de l'at-
mosphère, comme le penseroient plusieurs
physiciens, et qu'elle ne doit être rapportée
qu'à la production de gaz délétères qui n'ont
pas pu s'échapper au travers de la croûte
de glace , c'est que la §elée a été aussi forte
C5
38 EFFETS DE L'ART
à la superficie des étangs blancs et des étangs
iiouvellement nettoyés, qu'à celle des étangs
iVaseux. L'air de l'atmosphère n'a pas pu
pénétrer plus aisément dans les premiers
que dans les derniers ; et cependant les
poissons de ces étangs blancs ou récemment
réparés ont vécu , parce que le fond de leur
séjour , n'étant pas couvert de substances
végétales , n'a pas pu produire les gaz fu-
nestes qui se sont développés dans les étangs
vaseux. Et ce qui achève, d'un autre côté,
de prouver l'opinion que nous exposons à
ce sujet, et qui est importante pour la phy-
sique des poissons, c'est que des oiseaux de
proie , des loups , des chiens et des cochons
mangèrent les restes des animaux rejetés
après le dégel sur les rivages des étangs
remplis de joncs , sans éprouver les incon-
véniens auxquels ils auroieut été exposés
s'ils s'étoient nourris d'animaux morts d'une
maladie véritablement pestilentielle.
Ce sont encore ces gaz mal-faisans que
nous devons regarder comme la véritable
origine d'une maladie épizootiqne qui fit
de grands ravages, en 1767, dans ]es en-
virons de la forêt de Crécy. M. de Chaigne-
brun , qui a donné dans Je tems un très-bon
Traité sur cette épizootie^ rapporte quelle
SUR LES POISSONS. Zcy
se manifesta sur tous les animaux; qu'elle
atteignit les chiens, les poules, et s'étendit
jusqu'aux poissons de plusieurs étangs. 11
nomme cetle maladie fièi^re épidéniique con-
tagieuse 5 inflammatoire , putride et gan^re^
neuse. Un médecin d'un excellent esprit ,
dont les connoissances sont très-variées, et
qui sera bientôt célèbre par des ouvrages
importans, Chavassieu-Daudebert lui donne,
dans sa Nosologie comparée , le nom de
charbon sy mplomatique , Je pense que cette
épizootie ne seroit pas parvenue jusqu'aux
poissons , si elle n'a voit pas tiré son origine
de gaz délétères. Je crois , avec Aristote ,
que les poissons revêtus d'écaillés, se noiii-
rissant presque toujoui^s de substances lavées
par de grands volumes d'eau , respiiant par
un organe particulier , se servant , pour cet
acte de la respiration , de l'oxygène de l'eau
bien plus fréquemment que de celui de
l'air , et toujours environnés du fluide le
plus propre à arrêter la plupart des conta-
gions, ne peuvent pas recevoir de maladie
pestilentielle des animaux qui vivent dans
l'atmosphère. Mais les poissons des environs
de Crécy n'ont pas . été à l'abri de l'épizootie
au dessous des couches d'eau qui les recou-
viroient , parce qu'en xnèvn^ tems que les
C 4
^o EFFETS DE I/ART
marais voisins de Ja foret exhaloient les
miasmes qui doniioient la mort aux chiens ,
aux poules, et à d'an 1res espèces terrestres,
le fond des étangs produisoit des gaz aussi
funestes que ces miasmes. 11 n'y a pas eu
de commanication de maladie ; mais deux
causes analogues , agissant en même tems ,
Tune sous T'eau ^ et fautre dans Fatmos-
plière, ont produit des effets semblables.
. On peut prévenir presque toutes ces mor-
talités que causent des gaz destructeurs , en
ne laissant pas dans le fond des étangs ou
des rivières des tas de corps organisés qui
puissent , en se décomposant , produire des
émanations pestilentielles, en les entraînant
par de l'eau courante que Ton introduit
dans ces étangs , et par de l'eau très-pure
et très - rapide que l'on conduit dans ces
rivières pour en renouveler le fluide , de
la même manière que l'on renouvelé celui
des temples, des salles de spectacle et d'autres
grands édifices par les courans d'air que l'on
y dirige, et enfin en brisant, pendant Tliyver j
les glaces qui se forment sur la surface des
étangs et des rivières , et qui retiendroiénfe
ies gaz pernicieux dans l'habitation des
poissons.
11 paroît que, lorsque la chaleur est ixès^
SUR LES POISSONS. 41
grande , elle agit sur les poissons indépen-
damment des fermentations , des décom-
positions et des exhalaisons qu'elle peut
faire naître. Elle influe directement sur
ces animaux , sur-tout lorsqu'ils sont ren-
fermés dans des réservoirs qui ne contien-
nent qu'un petit volume d'eau. Elle parvient
alors jusqu'au fond du réservoir, qu'elle
pénètre , ainsi que les parois ; et réfléchie
ensuite par ce fond et ces parois très-
échaulTées , elle attaque de toutes parts les
poissons qui se trouvent dès -lors placés
comme dans un foyer, et elle leur nuit
au point de leur donner des maladies
graves. C'est ainsi qu'on a vu des anguilles
mises pendant l'été dans des bassins trop
peu étendus , gagner une maladie qu'elles
se communiquoient , et qui se manifestoit
par des taches blanches. On dit qu'on les
a guéries par le moyen du sel et de la
plante nommée stratioïdes aloïdes. Mais,
quoi qu'il en soit, il vaut mieux empêcher
cette maladie de naître , en préservant les
poissons de l'excès de la chaleur , en pra-
tiquant dans leur habitation des endroits
profonds où ils puissent trouver un abri
contre les feux de l'astre du jour , en plan-
tant sur une partie du rivage des arbies
43 EFFETS DE L'ART
touffuâ qui leur donnent une ombre salu-
taire.
Et comme il est très-rare que tous les
extrêmes ne soient pas nuisibles , parce
qu'ils sont le plus éloignés possible de la
combinaison la pJus commune et par con-
séquent la plus naturelle des forces et des
résistances ; pendant que les eaux trop
échauffées ou trop impures donnent la mort
à leurs habitans, celles qui sont trop froides
et trop vives les font aussi périr , ou du
moins les soumettent à diverses incom-
modités , et particulièrement les rendent
aveugles. Nous ti^ouvons à ce sujet , dans
les Mémoires de l'académie des sciences ,
pour 1748, des observations curieuses du
général Monta lembert , faites sur des bro-
chets ; et le comte d'Achard en adressa
d'analogues à Buiïon, en 1779, dans une
lettre, dont mon illustre ami m'a remis dans
le te m s un extrait. « Dans une terre que
j'ai en Normandie , dit le comte d'Achard ,
il existe une fontaine abondante dans les
plus grandes sécheresses. Je suis parvenu ,
au moyen de canaux de terre cuite , à
amener l'eau de cette source dans trois
bassins que j'ai dans mon parterre. Ces bas-
sins sont murés et pavés à chaux et à sable ;
SUR LES POISSONS. 43
maïs on n'y a mis l'eau qu'après qu'ils ont
été parfaitement secs. Après les avoir bien
nettoyés et fait écouler la premièie eau ,
on y a laissé séjourner celle qui y est venue
depuis , et qui coule continuelîemeut. Dans
les deux premic^rs bassins, j'ai mis des carpes
de la plus grande beauté, avec des tanches;
dans le troisième, des poissons de la Chine
( des cyprins dorés ) : tout cela existe depuis
trois ans. Aujourd'hui les carpes , précieuses
par leur beauté et leur grandeur vraiment
prodigieuse , sont attaquées d'une maladie
cruelle et dont elles meurent journellement.
Elles se couvrent peu à peu d'un limon sur
tout le corps, et sur-tout sur les yeux, ou
il y a en sus une espèce de taie_ blanche
qui se forme peu à peu , comme le limon ,
jusqu'à l'épaisseur de deux ou trois lignes.
Elles perdent d'abord un œil, puis l'autre,
et ensuite crèvent Les tanches et les
poissons chinois ne sont pas attaqués de
cette maladie. Est - elle particulière aux
carpes ? quel en est le remède ? d'où cela
peut-il venir? de la vivacité de l'eau, etc.
Cette dernière conjecture nous paroît très-
fondée ,• et ce que nous venons de dire
devra faire trouver aisément le moyen de
44 EFFETS DE L^ART
garantir ces poissons de cette cécité que la
mort suit souvent.
Ces poissons sont aussi quelquefois me-
nacés de péiir, parce qu'un de leurs organes
les plus essentiels est attaqué. Les branchies
par lesquelles ils respirent , et que com-
posent des membranes si délicates et des
vaisseaux sanguins si nombreux et si déliés ,
peuvent être déchirées par des insectes ou
des vers aquatiques qui s'y attachent, et
dont ils ne peuvent pas se débarrasser. Peut-
être 5 après avoir bien reconnu Tespèce de
ces vers ou de ces insectes, parviendra-t-on
à trouver un moyen d'en empêcher la mul-
tiplication dans les étangs , et dans plusieurs
autres habitations des poissons que l'oa
voudra préserver de ce fléau.
. Ees poissons étant presque tous revêtus
d'écaillés dures et placées en partie les unes
au dessus des autres, ou couverts d'une
peau épaisse et visqueue, ne sont sensibles
que dans une très -petite étendue de leur
surface. Mais, lorsque quelque insecte ou
quelque ver s'acharne contre la portion de
cette surface qui n'est pas défendue, et
qu'il s'y place et s'y accroche de manière
que le poisson ne peut, eu se frottant contre
SUR LES POISSONS. 4^
des végétaux, des pierres, du sable ou de
la vase, Fécraser ou le détacher et le faire
tomber, la grandeur, la force, ragilité, les
dents du poisson ne sont plus qu'un secours
inutile. En vain il s'agite , se secoue , se
contourne, va, revient , s'échappe , s'enfuit
avec la rapidité de l'éclair; il porte toujours
avec lui l'ennemi attaché à ses organes; tous
ses efforts sont impuissans; et le ver ou
l'insecte est pour lui au milieu des flots ce
que la mouche du désert est, dans les sables
brûlans de l'vVfrique , non seulement pour
la timide gazeJle , mais encore pour le tigre
sanguinaire et pour le fier lion, qu'elle perce,
tourmente et poursuit de son dard acéré ,
malgré leurs bonds violens , leurs mou-
vemens impétueux et leur rugissement
terrible.
Mais ce n'est pas assez pour l'intelligence
humaine de conserver ce que la Nature
produit : que , rivale de cette puissance ad-
mirable, elle ajoute à la fécondité ordinaire
des espèces ; qu'elle multiplie les ouvrages
de la Nature.
On a remarqué que , dans presque toutes
les espèces de poissons, le nombre des mâles
étoit plus grand et même quelquefois double
de celui des femelles 3 et comme cependant
46 EFFETS DE L'ART
un seul mâle peut féconder des millions
d'œufs , et par conséquent le produit de la
ponîe de plusieurs femelles, il est évident
que l'on favorisera beaucoup la multiplica-
tion des individus, si on a le soin, lorsqu'on
péchera, de ne garder que les mâles, et de
rendre à l'eau les femelles. On distinguera
facilement , dans plusieurs espèces , les fe-
melles des mâles , sans risquer de les blesser
ou de nuire à la repioduction , et sans
clierclier, par exemple, dans le tems voisin
du frai, à faire sortir de leur corps quelques
œufs plus ou moins avancés. En effet, dans
ces espèces, les femelles sont plus grandes
que les mâles; et d'ailleurs elles ofiient dans
les proporiions de leurs parties , dans la
disposition de leurs couleurs , ou dans la
nuance de leuis teintes, des signes distinc-
tifs qu'il faudî-a tâclier de bien connoître ,
et que nous ne négligerons jamais d'indi-
quer en écrivant Tliistoire de ces espèces
particulières.
Lorsqu'on ne voudra pas rendre à leur
séjour natal toutes les femelles que l'on
pêcliera, on préférera de conserver pour
la reproduction les plus longues et les plus
grosses, comme pondant une plus grande
quantité d'œufs.
SUR LES POISSONS. 47
De plus, et si des circonstances impé-
rieuses ne s'y opposent pas, que Ton enioare
les étangs et les viviers de ciaies ou de filets,
qui , dans le tems du fiai , retiennent les
herbes ou les branches chargées d'œuis, et
les empêchent d'être entraînées hors de ces
réservoirs par les dé boi démens fréquens à
l'époque de la ponte.
Que Ton éloigne, autant qu'on le pourra,
les friganes et les autres insectes aquatiques
voraces qui détruisent les œufs et les pois-
sons qui viennent d'éclore.
Que l'on construi'^e quelquefois dans les
viviers dilïerentes enceintes, l'une pour les
œufs, et les aulres pgfur les jeunes poissons,
que l'on sépai'era en plusieurs bandes, for-
mées d'après Ja diversité de leurs âges, et
renfermées chacune dans un réservoir par-
ticulier.
Il est des viviers et des étangs dans les-
quels des poissons très- recherchés, et, par
exemple, des truites, vivioient très -bien,
et parv^endroient à une grosseur considé-
rable : mais le fond de ces étangs étant très-
vaseux , c'est en vain que les femelles le
frottent avec leur ventre avant d'y déposer
leurs œufs; la vase reparoit bientôt, salit
48 EFFETS DE L'ART
les œufs, les altère, les corrompt, et les
foetus périssent avant d'éclore.
Cet inconvénient a fait imaginer une ma-
nière de faire venir à la lumière ces pois-r
sons, et particulièrement les saumons et les
truites, qui d'ailleurs ne servira pas peu,
dans beaucoup de circonstances, à multi-
plier les individus des espèces les plus utiles
ou les plus agréables. M. de Marolle, capi-
taine dans le régiment de la Marine, tempé-
rant les austérités des camps par le charme
de fétude des sciences utiles à Fliumanité,
écrivit la description de ce procédé à Ha-
meln en Allemagne , pejidant la guerre de
sept ans. Il rédigea cette description sur les
Mémoires de M. J. L. Jacobi, lieutenant
des milices du comté de Lippe -Detmold,
et l'envoya à Buffon, qui me la remit lors-
qu'il voulut bien m'engager à continuer
ITÏistoire naturelle.
On construit une grande caisse à laquelle
on donne ordinairement douze pieds de lon-
gueur, un pied et demi de largeur, et un
demi-pied environ de hauteur.
A un bout de cette longue caisse on pra-
tique un trou carié , que l'on ferme avec
un treillis de fer dont les fils sont éloignés
les
StJR LES POISSONS. 4c)
les uns des autres d'environ quatre ou cinq
lignes.
On ménage un trou à peu près semblable
dans la planche du bout opposé , et vers le
fond de la caisse.
Et enfin on en perce un troisième dans le
couvercle de la caisse, et on le garnit, ainsi
que le second, d'un treillis pareil à celui du
premier.
Ces trous servent à soumettre les foetus
ou les jeunes poissons à riofluence des rayons
du soleil , et à les préserver de gros insectes
et des campagnols aquatiques, qui mange-
roient et les œufs et les poissons éclos.
Un petit tU3^au fait entrer Teau d'un ruis-
seau ou d'une source par le premier treillis;
et cette eau courante s'échappe par la seconde
ouverture.
On couvre tout le fond de la caisse d'un
gravier bien lavé de la hauteur de huit à
douze lignes , et on étend sur ce gravier de
petits cailloux bien serrés, de dimensions
semblables à celles d'une noisette , et parmi
lesquels on place d'autres cailloux de la gros-
seur d'une noix.
A l'époque du frai de Tespèce dont on
veut multiplier les individus , on se procure
Poiss, Tome IL D
5o EFFETS DE L'ART
un mâle el une femelle de cette espèce , el
par exemple, de celle du saumon.
Ou pjend un vase bien net, dans lequel
on met deux ou trois pintes d'eau bien claire.
On tient le saumon femelle dans une situa-
tion verlicaîe, et la tête en haut au dessus
du vase. Si les œufs sont déjà bien déve-
loppés, ou bien mûrs^ ils coulent d'eux-
mêmes , sinon on facilite leur chute en frot-
tant le ventre de la femelle doucement de
haut en bas, et avec la paume de la main.
Dans plusieurs espèces de poissons on peut
voir un organe particulier que nous avons
remarqué avec soin, qui n'a été observé que
par un petit nombre de naturalistes, dont
très-peu de zoologues ont connu le véritable
usage , et que le savant Bloch a nommé nom-
bril. Cet organe est une sorte d'appendice
d'une forme alongée et un peu conique, et
dont la place la plus ordinaire est auprès
et au delà de l'anus. Cette appendice creuse
et percée par les deux bouts, communique
avec les réservoirs de la laite dans les mâles,
et les ovaires dans les femelles. Ce p( tit
tuyau est le conduit par lequel les œufs
sortent et la liqueur séminale s'échappe :
jious le nommons en conséquence appendice
génitale* L'urine du poisson sort aussi par
SUR LES POISSONS. 5i^
<îette appendice , ce qui donne à cet organe
une analogie de f)lus avec les pa»ties sexuelles
et extérieures des mammifères. Il ne peut pas
servir à distinguer les sexes , puisqu'il appar-
tient au mâle aussi bien qu'à la fetuelle:
mais sa présence ou son absence , et ensuite
ses proportions et sa figure particulière
peuvent être employées avec beaucoup
d avantage pour établir une ligne de démar-
cation exacte et constante entre des espèce»
voisines, ainsi que nous le montrerons dans
]a suite de l'histoire que nous écrivons.
C'est par cette appendice génitale que, dans
la méthode de reproduction , en quelque
sorte artificielle , que nous décrivons , les
femelles , qui sont pourvues de cet organe
extérieur, laissent couler leurs deufs.
Lorsque les œufs sont tombés dans Teau,
on prend le mâle , on le tient verticalement
au dessus de ses œufs; et pour peu que cela
soit nécessaire , on aide par un lé^er frotte-
ment Tépanchement de la liqueur pioli-
fique, dont on peut airéter Técoulament
au moment où l'eau est devenue blanchàti e
par son mélange avec cette liqueur sper-
matique.
Il est des espèces de poissons, et notam-
xnent de cyprins , comme le nase , le roe-
52 EFFETS DE L'ART
thens, dans lesquelles on peut choisir avec
facilité un mâle pour la fécondation des
œufs que Ton a oblenus. Dans ces espèces,
les mâles, sur--tout lorsqu'ils sont jeunes,
présentent des taches, de petites protubé-
rances , ou d'autres signes extérieurs qui
annoncent qu'ils sont déjà surchargés d'une
laite abondante.
On met dans la grande caisse les œufs
fécondés; on les 3^ distribue de manière qu'ils
soient toujours couverts par Feau courante;
on empêche c[ue le mouvement de cette eau
ne soit trop rapide, afin qu'il ne puisse pas
entraîner les œufs. On écarte soigneusement
avec des plumes, ou par tout autre moyen,
les saletés qui pourroient s'introduire dans
la caisse ,*iet au bout d'un tems, qui varie
suivant les espèces, la température de l'eau
et la chaleur de Tatmosphère, onvoitéclore
les poissons que l'on desiroit.
Au reste , la sorte de fécondation artifi-
cielle opérée avec succès par M. Jacobi peut
avoip lieu sacs la présence de la femelle :
il suffit de ramasser les œufs qu'elle dépose
dans son séjour naturel; il seroit même pos-
sible de connoitre , à l'instant où on les re-
cueilleroit , s'ils auroient été déjà fécondés
par le maie , ou s'ils n'auroient pas reçu sa
SUR LES POISSONS. 63
liqueur prolifiviuc. M. Jacobi assure en effet
que , lorsqu'on observe avec un bon micros-
cope clés œufs de poissons arrosés de la liqueur
séminale du mâle , on peut apercevoir très-
distinctement dans ces œufs une petite ouver-
ture qui ne paroissoit presque pas, ou étoit
presqiie insensible avant la fécondation , et
çlont il rapporte Textension à l'introduction
dans Tœuf d'une portion clu fluide de la
laite.
Quoi qu'il en soit, on peut aussi , en suivant
le procédé de M. Jacobi, se passer de la pré-
sence du mâle. On peut n'employer la liqueur
prolifique que quelque tems après sa sortie
du corps de l'animal, pourvu qu'un froid
excessif ou une chaleur violente ne des-
sèchent pas promptement ce fluide vivifiant;
et même la mort du mâle, pourvu qu'elle
soit récente, n'empêche pas de se servir de
sa laite pour la fécondation des œufs.
On a écrit que les digues par le moyen
desquelles on relient les eaux des petites
rivières diminuoient la multiplication des
poissons dans les contrées arrosées par ces
eaux ; cela n'est vrai cependant que pour les
poissons qui ont besoin, h certaines époques,
de remonter dans les eaux courantes jusqu'à
une distance tiès-grande des lacs ou de la
D 3
54 EFFETS DE L'ART
mer , et qui ne peuvent pas , comme les
saumons, s^éîancer facilement à de grandes
hauteurs , et franchir Tobstacle que les digues
opposent à leur voyage périodique. Les
chaussées transversales doivent au contraire
être très- favorables à la multiplication des
poissons sédentaires, qui se plaisent dans des
eaux peu agitées. Au dessus de chaque digue,
la rivière fojme* naturellement une sorte de
vivier ou de réservoir , dont Teau tranquille,
quoique suffisamment renouvelée , pourra
donner à un grand nombre d'individus d'es-
pèces très-utiles le volume de fluide , Fabri,
Taliment et la température les plus conve-
nables.
Quelle est en effet la pièce d'eau que l'art
ne puisse pas féconder et vivifier ?
On a vu quelquefois des poissons remar-
quables par leur grosseur vivre dans de pe-
tites mares. M. De Septfontaines s'est assuré
qu'une grande anguille avoit passé un tems
assez long sans perdre non seulement la vie,
mais même une partie de sa graisse , dans
une fosse qui ne contenoit pas une moitié
de mètre (environ deux pieds) cube d'eau;
et il est des contrées où des cyprins , et
particulièrement des carassins, réussissent
assez bien dans de petits amas d'eau dor^
SUR LES POISSONS. 55
ïnanle pour y donner une nourriture abon-
dante aux liabilans de ]a campagne.
On a bien senti les avantages de cette
grande muUiplicalion des poissons utiles
dans presque tous les pays où le progrès
des lumières a mis réconomie publique en
honneur, et où les gouverneniens, profitant
avec soin de tous les secours des sciences
perfeclionnées 5 ont cherché à faire fleurir
toutes les branches de l'industrie humaine.
C'est pi'incipalement dans quelques états du
nord de l'Europe, et notamment en Prusse
et en Suède, qu'on. s'est attaché à augmenter
le nombre des individus dans ces espèces
précieuses ; et comme un gouvernement
paternel ne néglige rien de ce qui peut
accroître la subsistance du peuple dont le
bonheur lui est confié, et que les soins en
apparence les plus minutieux prennent un
grand caiactèie dès le moment où ils sont
dirigés vers l'utilité publique, on a porté en
Suède l'attention pour l'accroissement du
nombre des poissons jusqu'à ne pas sonner
les cloches pendant le tems du frai des cyprins
brèmes , qui y sont très-recherchés , parce
qu'on avoit cru s'apercevoir que ces ani-
maux, effrayés par le son de ces cloches,
ne se livroient pas d'une manière convenable
D 4
56 EFFETS DE L^ART
aux opérations nécessaires à la reproduction
de leur espèce. 7\ussi 3/^ a-t-on souveni: re-
cueilli de grands fruits de cette vigilance
étendue aux plus petits détails; et , par
exemple, en 1749, a-t-on pris d'un seul
coup .de filet , dans un lac voisin de Nord-
kiseping , cinquante mille brèmes qui pe-
soient plus de neuf mille kilogrammes ( dix-
huit mille livres ).
Et comment n'auroit-on pas cherché,
dans presque tous les tems et dans presque
tous les pays civilisés, à multiplier des ani-
maux si nécessaires aux jouissances du riche
et aux besoins du pauvre, qu'il seroit plus
aisé à riiomme de se passer de la classe
entière des oiseaux et d\me grande partie de
celle des mammifères, que de la classe des
poissons ?
En effet , il n'est pour ainsi dire aucune
espèce de ces habitans des eaux douces ou
salées, dont la chair ne soit une nourriture
saine et très-souvent copieuse.
Délicate et savoureuse lorsqu'elle est
fraîche , cette chair , recherchée avec tant
de raison, devient, lorsqu'elle est tranformée
en garum , un assaisonnement piquant; fait
les délices des tables somptueuses , même
très-îoia du rivage oii le poisson a été péché ^^
SUR LES POISSONS. 67
quand elle a été marinée; peut élre trans-
portée à cle plus grandes distances , si on a
eu le soin de Fimbiber d'une grande quan-
tité de sel ; se conserve peiidant un tems
très-long après qu'elle a été sécliée, et, ainsi
préparée , est la nourriture d'un très-grand
nombre d'hommes peu fortunés qui ne sou-
tiennent leur existence que par cet aliment
abondant et très-peu cher.
Les œufs de ces mêmes habitans des eaux
servent à faire ce caviar qui convient au
goût de tant de nations; et les nageoires des
espèces que l'on croiroit les moins propres
à satisfaire un goût délicat sont regardées à
la Chine et dans d'autres contrées de l'Asie
comme un mets des plus exquis (1).
Sur plusieurs rivages peu fertiles , on ne
peut completter la nourriture de plusieurs
animaux utiles , et par exemple celle des
chiens du Kamtschatka , que la nécessité
force d'atteler à des traîneaux , ou des vaches
de Norvège, destinées à fournir une grande
quantité de lait, que par le moyen des ver-
tèbres et des arêtes de plusieurs espèces de
poissons.
(i) Relation de l'ambassade de lord Macartney h
la Chine.
58 EFFETS DE L'ART
Avec ]cs écailles des animaux dont nou^
nous occupons, on donne le brillant de la
nacre au ciment destiné à couvrir les murs
des palais les plus magnifiques, et on revêt
des boules légères de veiTe de Téclat argentin
des perles les plus belles de l'Orient.
La peau des grandes espèces se métamor-
phose dans les ateliers en fortes lanières , en
couvertures solides et presque imperméables
à l'humidité, en garnitures agréables de bi-
joux donnés au luxe par le goût (i).
Les vessies natatoires et toutes les mem-
branes des poissons peuvent être converties ,
dans toutes les contrées , en cette colle pré-
cieuse sans laquelle les arts cesseroient de
produire le plus grand nombre de leurs
ouvrages les plus délicats.
L'huile qu'on retire de ces animaux
assouplit, améliore et conserve dans presque
toutes les manufactures les substances les
plus nécessaires aux produits qu'elles doivent
fournir; et dans ces contrées boréales ou
régnent de si longues nuits, entretenant seule
la lampe du pauvre, prolongeant son travail
au delà de ces tristes jours qui fuient avec
(î) Voyez les articles de la raie sepJien , da squale
requin f du squale roussette ^ des acipe/isères , elCi,
SUR. LES POISSONS. 69
tant de rapidité, et lui donnant tout le tems
que peuvent exiger les soins nécessaires à
sa subsisJance et à celle de sa taniille; elle
tempère pour lui Iliorreur de ces climats
ténébreux et ^elés , et l'afFranchit , lui et
ceux qui lui sont cliers, des horreurs plus
grandes encore d'une extrême misère.
Que Ton ne soit donc pas étonné que
Belon 5 partageant Fopinion de plusieurs
auteurs recommandables , tant anciens que
modernes, ait écrit que la Propontide éloit
plus utile par ses poissons^ que des champs
fertiles et de gras pâturages d'une égale
étendue ne pourroient l'être par leurs four-
rages et par leurs moissons.
Et douteroit-on maintenant de l'influence
prodigieuse d'une immense multiplication
des poissons sur la population des empires?
On doit voir avec facilité comment cette
merveilleuse multiplication soutient , par
exemple sur le territoire de la Chine , l'in-
nombrable quantité d'habitans qui y sont,
pour ainsi dire , entassés. Et si des tenis
présens, on remonte aux tems anciens, on
peut résoudre un giand problême historique;
on explique comment l'antique Egypte nour-
rissoit la grande population sans laquelle les
admirables et immenses monumens qui ont
6o EFFETS DE L'ART
résisié au lavage de (aat de siècles, et sub-
sistent encore sur celte terre célèbre, n'au-
roient: pas pu être élevés, et sans laquelle
Sésostiis n'auroit conquis ni les bords de
TEuphrate, du Tigre, de TJndus et du
Gange, ni les rives du Pont-Euxin, ni les
monts de la Thrace. Nous connoissons
rétendue de FEgyple : lorsque ses pyramides
ont été construites , lorsque ses aimées ont
soumis une grande partie de l'Asie, elle éloit
bornée, presqu'autant qu'à présent, par les
déserts stériles qui la circonscrivent à l'orient
et à l'occident ; et néanmoins nous apprenons
de Diodore que dix -sept cents égyptiens
étoient nés le même jour que Sésostris : on
doit donc admettre en Egypte, à l'époque
de la naissance de ce conquérant fameux ,
au moins trenfe-quatre millions d'habitans.
Mais quel grand nombre de poissons ne ren-
fermoient pas alors et le fleuve et les canaux
et les lacs d'une contrée où l'art de multi-
plier ces animaux étoit un des principaux
objets de la sollicitude du gouvernement et
des soins de chaque famille ? Il est aisé de
calculer que le seul lac de Myris ou Mœris
pouvoit nourrir plus de dix-huit cent mille
millions de poissons de plus d'un demi-mètre
( un pied et demi ) de longueur.
SUR LES POISSONS. Gi
Cependant, (jue l'hoiiime ue se contente
pas de transporter à son gré, d'acclimater,
de conserver, dé multiplier les poissons qu'il
préfère; que Tait prétende à de nouveaux
succès; qu'il se livre à de nouveaux efforts;
qu'il tente de remporter sur la Nature des
victoires plus brillantes encore ; qu^il per-
fectionne son ouvrage; qu'il améliore les
individus qu'il se sera soumis.
On sait depuis long-tems que des poissons
de la même espèce ne donnent pas dans
toutes les eaux une chair également déli-
cate. Plusieurs observations prouvent que,
par exemple , dans les mêmes rivières , leur
chair est très-saine et très-bonne au dessus
des villes ou dc^s toirens fangeux , et au
contraire insalubre et très -mauvaise au
dessous de ces torrens vaseux et des amas
d'immondices , souvent inséparables des
villes populeuses. Ces faits ont été remar-
qués par plusieurs auteurs, notamment par
Rondelet. Qu'on profite de ces résultats;
qu'on recherche les qualités de l'eau les
plus propres à donner un goût agréable ou
des propriétés salutaires aux différentes
espèces de poissons que l'on sera parvenu
à multiplier ou à conserver.
Qu'on n'oublie pas qu'il est des moyens
62 EFFETS DE L'ART
faciles et bien peu dispendieux d'engraisser
promplenient plusieurs poissons, et particu-
lièrement plusieurs cyprins. On. augmente
en très -peu de lems leur graisse, en leur
donnant souvenl du pain de chêne vis , ou des
fèves et des pois bouillis , ou du fumier, et
notamnjcnt de celui de biebis. D'ailleurs
une nourriture convenable et abondante
développe les poissons avec rapidité, fait
jouir beaucoup plus tôt du fruit des soins
que l'on a pris de ces animaux , et leur
donne la faculté de pondre et de féconder
une très - grande quantité d'œufs pendant
un très-grand nombre d'années.
On a observé, dans tous les tems, que le
repos et un aliment très -copieux engiais-
soient beaucoup les animaux. On s'est servi
de ce moyen pour quelques poissons ; et ou
Ta employé d'une manièie remarquable
pour les carpes : on les a sus[)endues hors
de l'eau, de manière à leur inteidire le plus
foible mouvement de nageoires, et elles ont
été enveloppées dans de la mousse épaisse
qu'on a fréquemment arrosée. Par ce pro-
cédé , ces cyprins ont été non seulement
réduits à un repos absolu , mais plongés
perpétuellement dans une sorte d'humidité
ou de fluide aqueux qui, parvenant très-:
SUR LES POISSONS. 63
divisé à leur surface , a été facilemeut
pompé, absorbé, décomposé, combiné dans
l'intérieur de Tanimal , assimilé à sa subs-
tance , et métamorphosé par conséquent en
nourriture très-abondante. Aussi ces carpes
maintenues en Tair, mais i^tenues au milieu
d'une mousse humectée presque continuel-
lement , ont-elles bientôt acquis une graisse
copieuse , et de plus un goût très-agréable.
Dès Iç tems de W^illughby , et même de
celui de Gesner , on savoit que Ton pouvoit
ouvrir le ventre à certains poissons , et sur-
tout au brochet et à quelques autres ésoces ,
sans qu'ils en périssent, et même sans qu'ils
en parussent long - tems incommodés. 11
suflBLt de séparer les muscles avec dextérité,
de rapprocher les chairs et les tégujTiens
avec adresse , et de les recoudre avec pré-
caution, pour qu'ils puissent plus facilement
se i-éunir. Cette facilité a donné l'idée d'em-
ployer, pour engraiser ces poissons, le même
naoyeu dont on se sert pour donner un très-
grand surcroit de graisse aux bœufs , aux
moutons, aux chapons, aux poulardes, etc.
On a essayé , avec beaucoup de succès ,
d'enlever aux femelles leurs ovaires , et aux
mâles leurs laites. La soustraction de ces
organes, faite avec habileté et avec beau-
64 EFFETS DE L^ART
coup d'alteniioii 5 n'a dérangé que j>enclanfe
un tems irès-couri: la sanlé des poissons qui
Font éprouvée ; et toute Ja paiùe de leur
substance qui se [)ortoit vers leurs laites ou
vers leurs ovaires, et qui 3^ donnoit nais-
sance ou à des centaines de millieis d'œufs,
ou à une quantité très -considérable de
liqueur fécondante, ne trouvant {^lus d'or-
gane particulier pour l'élaborer ni même
pour la recevoir , a reflué veis les autres
portions du coips^ s'est jetée principalement
dans le tissu cellulaire, et y a produit une
graisse non seulement d'un goût exquis,
mais encore d'un volume extraordinaire.
Mais que roo ait sur-tout recours, pour
l'aînélioratiou des poissons , à ce moyen
dont on a retiié de si grands avantages pour
accroître les bonues qualités et les belles
formes de tant d'autres animaux utiles, et
qui produit des phénomènes physiologiques
dignes de toute l'attention du naturaliste :
c'est le croisement des races que nous re-
commandons. On sait que c'est par ce croi-
sement que l'on est parvenu à perfectionner
le bélier, le boeuf, l'âne et le cheval. Les
e>'oèces de poisson, et piincipalement celles
qui vivent très-près de nous , qui préfèrent
à la haute mer les rivages de l'Océan , les
fleuves ,
SUR LES POISSONS. 65
fleuves , les rivières et les lacs , et qui , par
la nature de leur séjour, sont plus soumises
à rinfluence de la nourritme , du climat ,
de la saison , ou de la qualité des eaux ,
présentent des races très-distinctes , et sé-
parées Tune de l'autre par leur grandeur ,
leur force , leurs propriétés ou la nature de
leurs organes. Qu'on les croise , c'est-à-dire,
qu'on féconde les œufs de l'une avec la laite
d'une autre.
Les individus qui proviennent du mélange
de deux races , non seulement valent mieux
que la race la moins bonne des deux qui
ont concouru à les former , mais encore
sont préférables à la meilleure de ces deux
races qui se sont réunies. C'est un fait très-
remarquable, très-constaté 5 et dont on n'a
donné jusqu'à présent aucune explicalioa
véritablement satisfaisante , parce qu'on ne
l'avoit pas considéré dans la classe des pois-
sons, dont l'acte de la génération est beau-
coup plus soumis à Texamen dans quelques-
unes de ses circonstances, que celui des
mammifères et des oiseaux qui a voient été
les objets de l'étude et de la recherche des
zoologues.
Rapprochons donc ce qu'on peut dire de
ce curieux phénomène.
Foiss. Tome IL E
66 EFFETS DE L^\RT
Premièrement, une race qui se réunit à
une seconde éprouve , relativement à Tin-
fluende qu'elle tend à exercer, une sorte de
résislance que produisent les disparités et les
disconvenances de ces deux races : celte ré-
sistance est cependant vaincue , parce qu'elle
est très-limilée. Et l'on ne peut plus ignorer
en physiologie , qu'il n'en est pas des corps
organisés et vivans comme de la matière
brute et des substances mqrtes. Un obstacle
tend les ressorts du corps organisé, de ma-
nière que son énergie vitale en est aug-
mentée, au point que, lorsque cet obstacle
est écarté 5 non seulement la puissance du
corps vivant est égale à ce qu'elle é toit avant
la résistance , mais même qu'elle est supé-
rieure à la force dont il jouissoit. Les dis-
convenances de deux races qui se rappro-
chent font donc naître un accroissement
de vitalité , d'action et de développement
dans le produit de leur réunion.
Secondement , dans un mâle et une fe-
melle d'une race , il n'y a que certaines
portions analogues les unes aux autres qui
agissent directement ou indirectement pour
la reproduction de l'espèce. Lorsqu'une
nouvelle race s'en approche , elle met en
mouvement d'autres portions qui, à caus^
SUR LES POISSONS. 67
de leur repos antérieur, doivent produire
de plus grands effets que les pre.'Tiières.
Ti'oisièmenient , les deux races mêlées
l'une avec l'autre ont entre elles des rap-
ports desquels résulte un grand développe-
ment dans les fruits de leur union , parce
que ce développement ne doit pas être
considéré comme la somme de l'addition
des qualités de Tune et de l'autre des deux
i'aces, mais comme le produit d'une mul-
tiplication , et ^ ce qui est la même chose ,
comme l'effet d'une sorte d'intussuscepiioii
et dé combinaison intime , au lieu d'une
simple juxtaposition et d\ine jonction su-
perficielle.
C'est un fait semblable à celui qu'obser-
vent les chimistes , lorsque , par une suite
d'une pénétration plus ou moins grande ,
le poids de deux substances qu'ils ont com-
binées l'une avec l'autre est plus grand
que la somme des poids de ces deux subs-
tances avant leur combinaison.
Le résultat du croisement de deux races
n'est cependant pas nécessairement , et dans
toutes les circonstances, le perfectionnement
des espèces : il peut arriver et il arrive
quelquefois que ce croisement les détériore
au lieu de les améliorer. En effet , et indé-
E â
68 EFFETS DE L^ART
pendamnient d'autre raison , chacun des
deux in^iividus qui se rapprochent dans
l'acte de la généiation peut être regardé
comme inipjimant la- forme à Têtre qui
provient de leur union , ou comme four-
nissant la matière qui doit être façonnée,
ou comme influant à la fois sur le fond et
sur la forme : mais nous ne pouvons avoir
aucune raison de supposer qu'après la réu-
nion de deux races il y ait nécessairement,
entre la matière qui doit servir au déve-
loppement et le moule dans lequel elle doit
être figurée, plus de convenance qu'il n'y
en avoit avant cette même réunion , dans
les individus de chacune de ces deux races
considérées séparément.
11 y a donc dans l'éloignement des races
l'une de l'autre , c'est-à-dire, dans le nombre
des différences qui les séparent, une limite
en deçà et au delà de laquelle le croisement
est par lui-même plus nuisible qu'avan-
tageux.
L'expérience seule peut faire connoître
cette limite : mais on sera toujours sûr
d'éviter tous les inconvéniens qui peuvent
résulter du croisement considéré en lui-
même, si dans cette opération on n'emploie
jamais que les meilleures races, et si, par
SUR LES POISSONS. 69
exemple, en mêlant les races des poissons,
on ne cesse de rechercher celles qui offrent
le plus de propriétés utiles, soit pour obtenir
les œufs que l'on voudra féconder , soifc
pour se procurer la liqueur active par le
moyen de laquelle on désirera de vivifier
ces œufs.
Voilà à quoi se réduit ce que nous pou-
vons dire du croisement des races , après
avoir réuni dans notre pensée les vérités
déjà publiées sur cette partie de la ph^^sio-
logie, les avoir dégagées de tout appareil
scientifique , les avoir débarrassées de toute
idée étrangère , les avoir comparées , et y
avoir ajouté le résultat de quelques ré-
flexions et de quelques observations nou-
velles.
Considérons maintenant de plus haut ce
que peut rhomme pour ramélioratiori des
poissons: Tâchons de voir dans toute son
étendue l'influence qu'il peut exercer sur
ces animaux par l'emploi des quatre grands
moyens dont on s'est servi , toutes les fois
qu'il a voulu modifier la Nature vivante»
Ces quatre moyens si puissans sont , la
nourriture abondante et convenable qu'il
a donnée , l'abri qu'il a procuré , la con-
trainte qu'il a imposée , le choix qu'il a fait
E 3
70 EFFETS DE L'ART
des mâles et des femelles pour la propa^
gation de Tespèce.
En réunissant ou en employant séparé-
menl: ées quatre insi rumens de son pouvoir ,
riiomnie a modifié les poissons d'une ma-
nière bien plus profonde qu'on ne le Croiroit
au ])remier coup d'œil. En rapprochalit un
grand nombre de germes , il a resserré dans
un espace àsse^î érroit les œufs de ces ani-
maux 5 pour que plusieurs de ces œufe né
se soient colJés l'un à Fautre , comprimés ,
pénétrés , entièrement réunis , et , pour ainsi
dire , identifiés ; et de cette introduction d'un
œuf dans un autre , si je puis parler ainsi ,
il est résulté une confusion si grande de
deux fœtus, que Foil* a vu éclore des pois-
sons monstrueux , dont les uns avoient deux
létes et àeu:^. avant-corps , pendant que
d'autres présentoient deux tètes , deux corps
et déur queues liés'eiisemble par le ventre
ou par un côté qui appartenoit aux deux
corps , et attachés même quelquefois par
cet organe commun ^ de manière à repié-
senler une croix.
Mais laissons ces écpfrts que la Nature ,
contrainte d'obéir à l'art de l'homme, peut
présenter, comme lorsqu'indépendante de
cet ait eWo n'est soumise qu'aux hasards des
SUR LES POISSONS. 71
accidens : les produits de celte sorte d'ac-
couplement exlraoj'diiiaire ne constiliient
aucune amélioration ni de l'espèce, ni aiéme
de l'individu; ils ne se perpétuent ])cis par
la génération; ils n'ont en généra] qu'une
courte existence : ils sont étrangers à notre
sujet.
Examinons des effets bien différens de ces
phénomènes, et par leur durée , et par leur
essejice.
Voici tous les attributs des poissons que la
domesticité a déjà pu changer :
Les couleui-s : elles ont été variées el dans
leurs nuances et dans leur distribution.
Les écailles : elles ont acquis ou perdu de
leur épaisseur et de leur opacité ; leur figure
a été altérée, leur surface étendue ou ré-
trécie , leur adhésion à la peau affoibîie ou
fortifiée, leur nombre diminué ou augmenté.
Les dimensions générales : elles ont été
agrandies ou rapetissées.
Les proportions des principales parties de
la tête , du corps ou de la queue : elles ont
montré de nouveaux rapports.
La nageoire dorsale : elle a disparu.
La nageoire de la queue : elle a offert une
nouvelle forme , et de plus elle a été ou
doublée ou triplée, comme on a pu le voir,
E 4
72 EFFETS DE L'ART
par exemple , en examinant les modifications
que le cyprin doré a subies dans les bassins
d'tiiurope, et sur- tout dans ceux de la Chine,
où il est élevé avec soin depuis un grand
nombre de siècles.
L'art a donc déjà remanié, pour ainsi dire,
non seulement les tégumens des poissons ,
et même un des plus puissans instrumenrde
leur natation , mais encore presque tous leurs
organes, puisqu'il en a changé les propor-
tions ainsi que l'étendue.
C'est par ces grandes modifications qu'il
a produit des variétés remarquables. A me-
sure que l'influence a été forte, que l'im-
pression a été vive , qu'elle a pénétré plus
avant , le changement a été plus profond ,
et par conséquent plus durable. La nouvelle
manière d'être , produite par l'empire de
l'homme, a été assez intérieure, assez em-
preinte dans tous les organes qui concourent
à la gêné ta lion , assez liée avec toutes les
forces qui contribuent à cet acte, pour qu'elle
ait été transmise, au moins en grande partie,
aux individus provenus de mâles et de fe-
melles déjà modifiés. Les variétés sont de-
venues des races plus ou moins durables ;
et lorsque, par la constance des soins de
l'homme , eUes auront acquis tous le& ca-
SUR LES POISSONS. 70
racfères de ]a stabilité, c'esl-à-dire, lorsque
toutes les parties de ranimai qui , par une
suite de leur dépendance mutuelle , peuvent
ai^ir les mies sur les autres, auront reçu «ne
niodilication proportionnelle , et que par
conséqnent il n'existera plus de cause inté-
rieure qui tende à ramener les variétés vers
leur état primitif, ces mêmes variétés, au
moins si elles sont séparées pai d'assez grandes
diiférences de la souche dont elles auront été
détachées, constitueiont de véritables espèces
permanentes et distinctes.
C'est alors que Thomme aura réellement
exercé une puissance rivale de celle de la
Nature , et qu'il aura conquis l'usage d'un
mode nouveau et bien important d'améliorer
les poissons.
Mais il peut déjà avoir recoures à ce mode
d'une manière qui marquera moins la puis-
sance de son art , mais qui sera bien plus
courte ei bien plus facile.
Qu'il fasse pour les espèces ce que nous
avons dit qu'il de voit faire pour les races ;
qu'il mêle une espèce avec une autre,* qu'il
emploie la laite de l'une à féconder les œufs
de l'autre, il ne craindra dans ses tentatives
aucun des obstacles que l'on a dû vaincre ,
toutes les fois qu'on a voulu tenter l'accou-
74 EFFETS DE L'ART
plemeiit d'un mâle ou d'une femelJe avec
une femelle ou un mâle d'une espèce étran-
gère 5 et que Ton a choisi les objets de ses
essais parmi les mammifères ou parmi les
oiseaux. On dispose avec tant de facilité de
la laite et des œufs !
En renouvelant ses efforts^ non seulement
on obtiendra des mulets, mais des mulets
féconds 5 et qui transmettront leurs qualités
aux générations qui leur devront le jour.
On aura des espèces mélives , mais durables,
distinctes et existantes par elles-mêmes.
On sait que la carpe produit facilement
des métis avec la gibèle ou avec d'autres
cyprins. Qu'on suive cette indication.
Pour éprouver moins de difficultés, qu'on
cherche d'abord à réunir deux espèces qui
fraient dans le même tems , ou dont les
époques du frai arrivent de manière que le
commencement de l'une de ces deux époques
se rencontre avec la fin de l'autre.
Si l'on ne peut pas se procurer facilement
de la liqueur séminale de Tune des deux
espèces, et l'obtenir avant qu'elle n'ait perdu,
en se desséchant ou en s'altérant, sa qualité
vivifiante, qu'on place des œufs de la seconde
à une profondeur convenable , et à une ex*-
position favorable, dans les eaux fréquentées
SUR LES POISSONS. 76
par les mâles de la première. Qu'on les y
arrange de manière que leur odeur attire
facilement ces mâles, et que leur position
les invite, pour ainsi dire, à les arroser de leur
fluide fécondant. Dans quelques circons-
tances , on pourroit les y ccmtraindre en
quelque sorte en détruisant autour de leur
habitation ordinaire , et à une distance assez
grande, les œufs de leurs propres femelles.
Dans d'autres circonstances , on pounoit
essayer de les faire arriver en grand nombre
au dtîssus de ces œufs étrangers que Fou
voudroit les voir vivifier , en mêlant à ces
œufs une substance composée , factice et
odorante, que plusieurs tentatives feroient
découvrir, et qui, agissant sur leur odorat
comme les œufs de leur espèce, les déier-
mineroit aussi efficacement que ces derniers
à se débariasser de leur laite et à la répandre
abondamment.
Voudra -t- on se livrer à des essais plus
hasardeux, et réunir deux espèces de poi-
sons dont les époques du frai sont séparées
par un intervalle de quelques jours ? Que
l'on garde des œufs de l'espèce qui fraie le
plus tôt ; que l'on se souvienne que l'on peut
les préserver du degré de décomposition qui
s'opposeroit à leui^ fécondation , et qu'on les
76 EFFETS DE L'ART
répande , avec les précautions nécessaires , à
la portée des mâles de la seconde espèce ,
lorsque ces derniers sont arrivés au ternie
de la maturifé.
Au reste, les soins multipliés que l'on est
obligé de se donner pour faire réussir ces
unions que l'on pourroit nommer artificielles,
expliquent pourquoi des réunions analogues
sont très - peu fréquentes dans la Nature,
et par conséquent pourquoi cette Nature ,
quelque puissante qu'elle soit, ne produit
cependant que très - rarement des espèces
nouvelles par le mélange des espèces an-
ciennes. Cependant, depuis que Ton observe
avec plus d'attention les poissons, on re-
marque dans plusieurs genres de ces animaux
des individus qui, présentant des caractères
de deux espèces différentes et plus ou moins
voisines , paroissent appartenir à une race
intermédiaire que l'on devra regarder comme
une espèce métive et distincte , lorsqu'on
l'aura vue se maintenir pendant mi tems
très-long avec toutes ses propriétés particu-
lières, et du moins avec ses attributs essen-
tiels. Nous avons commencé de recueillir des
faits curieux au sujet de ces dspèces , pour
ainsi dire, mi -parties, dans les lettres de
plusieurs de nos sa vans correspondaus , et
SUR LES POISSONS. 77
notamment de M. Noël de Rouen. Ce dernier
naturaliste pense par exemple que les nom-
breuses espèces de j aies qui se rencontrent
sur les rives françaises de la Manche , lors
du tems de la fécondation des œufs doivent,
en se mêlant ensemble , avoir donné ou
donner le jour à des espèces ou races nou-
velles. Cette opinion de M. Noël rappelle
celle des anciens au sujet des monstres de
l'Afrique. Ils croyoient que les grands mam-
mifères de cette partie du monde, qui ha-
bitent les environs des déserts , et que la
chaleur et la soif dévorantes contraignent de
se rassembler fréquemment en troupes très-
nombreuses autour des amas d'eau qui ré-
sistent aux rayons ardens du soleil dans ces
régions voisines des tropiques, doivent sou-
vent s'accoupler les uns avec les autres , et
que de leur union résultent des mulets fé-
conds ou inféconds , qui , par le mélange
extraordinaire de diverses formes remar-
quables et de difïérens attributs singulieis,
méj'itent ce nom imposant de monstres
africcLins.
Cependant ne cessons pas de nous occuper
de ces poissons mulets que Tart peut pro-
duire ou que la Nature fait naître chaque
jour par l'union de la carpe avec la gibèle.
78 EFFETS DE L'ART
ou par celle de plusieurs autres espèces ;
sans faire une réflexion importante relatif
vement à la génération des animaux dont
nous écrivons Fliistoire, et iuême à celle
de presque tous les animaux.
Des auteurs d'une grande autorité ont
écrit que , dans la reproduction des pois^
sons, la femelle exerçoit une si grande
influence, que le fœtus étoit entièrement
formé dans fœuf avant lémission de la laite
du mâle, et que la liqueur séminale dont
Toeuf étoit arrosé, imbibé et pénétré, ne
devoit être considérée que comme une sorte
de stimulus propre à donner le mouvement
et la vie à l'embryon préexistant.
Cette opinion a été étendue et généralisée
au point de devenir une tliéoi ie sur la géné-
ration des animaux, et même sur celle de
riiomme. Mais l'existence des métis ne dé-
truit-t-elle pas cette hypothèse? ne doit-ori^
pas voir que, si la liqueur fécondante du
ïnà]e n'étoit qu'un fluide excitateur, n'in-
fluoit en rien sur la forme du fœtus,, ne
donnoit aucune partie à Fembryon, les œufs
de la même femelle, de quelque laite qu'ils
fussent arrosés, feroient ton joui s naître des
individus semblables? Le stimulus pourroit
être plus ou moins actif; Tembryon seroit
SUR LES POISSONS. 79
plus fort ou plus foible; le fœlus écloroit
plus Lot ou plus tard ; Fanimal jouiroit d'une
vitalité plus ou moins grande; mais ses
formes seroient toujours les mêmes ; le
nombre de ses organes ne varieioit pas;
les dimensions pourroient être grandies ou
diminuées; mais les proportions, les attri-
buts, les signes distinctifs ne montreroient
aucun changement , aucune modification ;
aucun individu ne présenteroit en même
tems et des traits du mâle et des traits de
la femelle; il ne pourroit, dans aucnne cir-
constance, exister un véritable métis.
Quoi qu'il en soit , les espèces que lliomme
produira , soit par l'iniluence qu^il exercera
sur les individus soumis à son empire, soit
par les alliances qu'il établira entre des
espèces voisines ou éloignées , seront un
grand moyen de comparaison pour juger
de celles que la Nature a pu ou pourra
faire naître dans le cours des siècles. Les
modifications que l'homme imprime ser-
viront à déterminer celles que la Nature
impose, La connoissance que l'on aura du
point où aura commencé le développement
des premières, et de celui où il sera arrêté,
dévoilera l'origine et l'étendue des secondes.
Les espèces artificielles seront la mesure des
8o EFFETS DE L'ART
espèces naturelles. On sait, par exemple,'
que le cyprin doré de la Chine perd dans la
domesticité , non seulement des traits de
son espèce par Faltératiôn de la forme de
sa nageoire caudale, mais encore des signes
distinclifs du gjoupe principal ou du genre
auquel il apparlient, puisque la nageoire du
dos lui est ôtée par l'art, et même des carac-
tères de la grande famille ou de Tordre dans
lequel il doit être compris , puisque la main
de rhomme le piive de ses nageoires infé-
rieures dont la position ou l'absence indiquent
les ordres des poissons.
A la vérité, Faction de l'homme n'a pas
encore pénétré assez avant dans l'intérieur
de ce cyprin doré, pour y changer ces pro-
portions générales de l'estomac, des intestins,
du foie, des reins, des ovaires, etc., qui
constituent véritablement la diversité des
ordres, pendant que l'absence ou la position
des nageoires inférieures n'est qu'un signe
extérieur qui, par ses relations avec la forme
et les dimensions des organes internes, an-
nonce ces ordres sans en produire la diver-
sité.
Mais que sont quelques milliers d'années,
pendant lesquels les chinois ont manié ,
pour aiusi dire, leur cyprin doré, lorsqu'on
les
SUR LES POISSONS. 8i
les compare au tenis dont la Nature dispose?
C'est cette lenteur dans le travail, c'est cette
série infinie d'actions successives , c'est cette
accumulation perpétuelle d'efforts dirigés
dans le même sens, c'est cette constance et
dans Tintensilé et dans la tendance de la
force, c'est cet enjploi de tous les instans
dans une durée non interrompue de milliers
de siècles, qui, survivant à tous les obstacles
qu'elle n'a pu ni dissoudre ni écaiter, est le
véiitabîe ])rincipe de la puissance ii résistible
de la Nature. En ce sens, ]a Nature est le
tems qui règne sans conti ainte sur la matière
qu'elle façonne et sur l'espace dans lequel
elle distribue les ouvrages de ses mains
immortelles.
Ce sera donc toujours bien au delà de la
limite du pouvoir de l'homme qu'il faudra
placer celle de la force victorieuse qui appar-
tient à la Nature. Mais les jugemens que
nous porterons de cette force d'après l'éten-
due de l'art, n'en seront que plus fondés;
nous n'aurons que plus de raison de dire que
les espèces artificielles , excellentes mesures
des espèces naturelles produites dans la suite
des âges, sont aussi le mètre d'après lequel
nous pourrons évaluer avec précision le
Foiss. Tome IL F
S^ EFFETS DE L'ART
nombre des espèces perdues , le nombre de
celles qui ont disparu avec les siècles.
Deux grandes manières de considérer
Funivers animé sont dignes de toute l'at-
tention du véritable naturaliste.
D'un côté on peut voir, dans les tems
très-anciens , tous les animaux n'existant
encore que dans quelques espèces pi imitive.^,
qui, par des moj/ens analogues à ceux que
l'art de l'homme peut employer, ont pro-
duit , par la force de la Nature , des espèces
secondaires, lesquelles par elles-mêmes, ou
par leur union avec les primitives, ont fait
riaître des espèces tertiaires, etc. Chaque
degré de cet accroissement successif offrant
un plus grand nombre d'objets que le degré
précédent , les a montrés séparés les uns des
autres par des intervalles plus petits, et dis-
tingués par des caractères moins sensibles;
et c'est ainsi que les produits animés de la
création sont parvenus à cette multitude
innombrable et à cette admirable variété
qui étonnent et enchantent l'observateur.
D'un autre côté on peut supposer que;
dans les premiers âges, toutes les manièies
d'être ont été employées par la Nature ,
qu'elle a réalisé toutes les formes , déve-
loppé tQUS le$ orgauçs, mis en jeu toutes
SUR LES POISSONS. 85
les facultés, donné le jour à tous les êtres
vivans que rimagination la plus bizarre
peut concevoir; que dans ce nombre infini
d'espèces , celles qui n'avoient reçu que des
moyens imparfaits de pourvoir à leur nour-
riture , à leur conservation , à leur repro-
duction, sont tombées successivement dans
le néant; et que tout s'est réduit enfin à
ces espèces majeures , à ces êtres mieux
partagés , qui figurent encore sur le globe.
Quelque opinion qu'il faille préférer sur
le point du départ de la Nature créatrice,
sur cette multiplication croissante, ou sur
cette réduction graduelle , l'état actuel des
choses ne nous permet pas de ne pas con-
sidérer la nature vivante comme se balan-
çant entre les deux grandes limites que
lui opposeroient à une extrémité un petit
nombre d'espèces primitives , et à l'autre
extrémité l'infinité de toutes les espèces que
l'on peut imaginer. Elle tend continuelle-
ment vers l'une ou vers l'autre de ces deux
limites, sans pouvoir maintenant en appro-
cher, parce qu'elle obéit à des causes qui
agissent en sens contraire les unes des autres,
et qui, tour à tour victorieuses et vaincues,
ne cèdent, lors de quelques époques, quç
84 EFFETS DE L'ART
pour reparoître ensuite avec leur première
supériorité.
Quel spectacle que celui de ces alterna-
tives ! quelle étude que celle de ces phéno-
mènes ! quelle recherche que celle de ces
causes ! quelle histoire que celle de ces
époques !
Et pour les bien décrire , ou plutôt pour
les connoître dans toute leur étendue , il
îiiat les contempler sous les dilférens points
de vue que donnent trois suppositions ^
parmi lesquelles le naturaliste doit choisir,
lorsqu^il examine Tétat passé, présent et
futur du globe sur lequel s'opère ce balan-!
cément merveilleux.
La température de la terre est-elle cons-
tante, comme on Ta cru pendant long-tems,
ou la chaleur dont elle est pénétrée va-t-
elle en croissant , ainsi que quelques phy-
siciens Font pensé ? ou cette chaleur dé-
croît-elle chaque jour, comme Tout écrit de
grands naturalistes et de grands géomètres,
les Leibnitz, les Buffon, les Laplace?
Présentons la question sous un aspect plus
direct. La Nature vivante est-elle toujours
animée par la même température ? ou la
chaleur, ce grand principe de son énergie.
SUR LES POISSONS. 85
diminue-t-elle ou s'accroît -elle à mesure
que les siècles augmentent ?
Quels sujets sublimes pour la méditation
du géologue et du zoologiste ! quelle immen-
sité d'objets ! quelle noble fierté l'homme
devra ressentir, lorsqu'après les avoir con-
templés, son génie les verra sans nuage,
les peindra sans erreur, et, mettant chaque
événement à sa place, fera la part des tems
écoulés et des tems qui s'avancent !
F 5
86 DENOMINATIONS
DES DÉNOMINATIONS
Par lesquelles les Naturalistes distinguent
les diverses parties des Poissons,
JliN lisant les ouvrages qui traitent de
riiistoire naturelle des poissons, et particu-
lièrement ceux qui , par trop de concision ,
deviennent quelquefois obscurs, l'on est sou-
vent embarrassé pour trouver la vraie signi-
fication des termes caractéristiques, mais de
pure convention entre les naturalistes. Les
livres systématiques sur-tout abondent en
expressions qui ne sont point usités dans le
langage ordinaire, et aucun dictionnaire ne
les explique de la manière dont les savans
les entendent. 11 m'a donc paru utile de
donner ici un court Vocabulaire du langage
ichthyologique , tel que le parlent la plupart
des auteurs modernes, et par là de mettre
à portée de comprendre leurs ouvrages ; ce
qui seroit impossible sans cette espèce de clef
de mots récemment inventés, et assurément
trop multipliés. A chacun de ces mois, dont
la plus grande partie n'est point reçue eu
D I s T I N C T I V E S; 87
français, je joindrai le mot correspondant en
latin de nomenclature; ce qui donnera la
facilité d'entendre aussi les livres latins qui
traitent de l'histoire naturelle des poissons,
et de connoître les dénominations par les-
quelles ils désignent les formes variées des
diverses parties dans les différentes espèces.
LE CORPS; corpus.
Le corps des poissons, considéré à l'exté-
rieur, est :
1. OvÉ, ovatum^ quand il approche de la
forme d'un œuf, c'est-à-dire, lorsqu'il a
plus de longueur que de largeur, et que
l'un des bouts est plus pointu que l'autre.
2. Arrondi ou rond, orbiculatum^ lors-
qu'étant aplati, il a autant de diamètre en
hauteur qu'en longueur.
3. Oblong, oblongum^ s'il est plus long
que large, n'ayant cependant pas, comme
Yové^ l'une de ses extrémités plus pointua
que l'autre.
4. Lancéolé , lanceolatum , ici la lon-
gueur surpasse sensiblement la hauteur, et
une des extrémités est alongée en pointe.
5. OvÉ - LANCÉOLÉ , ovato -lanceolatum ,
lorsque la forme tient de celle de Yovée et
de la lancéolée.
F 4.
88 DENOMINATIONS
6. Linéaire-lancéolé , lineari-lanceo^
latum , quand la forme alongée ou lancéolée
offre la figure d'une ligne.
7. Atténué, attenuatum , quand il pa-
roît déprimé par la maigreur.
8. Ensiforme , ensiforme , ou en forme
d'épée , c'est-à-dire , lorsque le milieu est
tin peu enflé, tandis que le dos et le ventre
se terminent eu carène tranchante , de ma-
nière à avoir quelque ressemblance avec
une lame d'épée.
9. -DÉPRIMÉ , plagioplateurn vel depres^
sum , quand la largeur surpasse la hauteur.
Ea difféj'ence qui se trouve entre, déprimé et
comprimé ^ c'est que le premier est l'efï'et de
la pression verticale , tandis que le second
est celui de la pression latérale.
10. Comprimé , catetoplateum vel corn-
pressum , lorsque la hauteur surpasse la lar-
geur. (Voyez ci-dessus le mot déprimé.)
11. Anceps, en français et en latin; cette
dénomination est la même , dans notre
langue, que ensiforme ou à deux tranchans ,
et nous n'avons d'autre moyen de l'exprimer
en français que de dire : en forme d'épée,
12. En couteau, cultratum , quand la
partie supérieure du dos est large et aplatie ^
DISTINCTIV ES. 89
tandis que la partie inférieure du corps est
conime tranchante.
i5. Ent carène ou caréné, carinalum ^
quand la partie supérieure du dos est ar-
rondie, tandis que l'inférieure du corps est
tranchante , c'est-à-dire , en quille de vais-
seau.
14. A TRTANGLES OU TRIGONE, trlgonum ^
lorsqu'il se trouve trois saillies ou élévations
sur toute la longueur du corps.
15. A QUATRE ANGLES, tctragOTlum ^
quand sur toute la longueur du corps il se
trouve quatre saillies.
16. A PLUSIEURS ANGLES , polygOnUTTl ,
quand sur la même longueur du corps il se
rencontre plus de quatre saillies.
17. En FORME DE COIN OU CUNÉIFORME,
cuneatum aut cunéiforme : quand le corps va
^n diminuant d'épaisseur , de la tête à la
queue , et que cette dernière partie se ter-
mine en une espèce de lame mince , comme
un coin, dont on fait usage pour fendre le
bois.
18. Cylindrique, cjlindricum , c'est-à-
dire, également rond dans toute sa longueur.
19. Rond en longueur; teres ,
c'est-à-dire, lorsque le coi'ps étant rond,
<90 DENOMINATIONS
va en diminuant insensiblement vers son
extrémité.
20. En forme de fuseau ou fusiforme,
fusiforme , plus long que large , et ses deux
extrémités se terminant en pointe.
2 1 . Conique , conicum , arrondi dans toute
sa longueur ;, se terminant en pointe , en
diminuant insensiblement de la tête à la
queue.
23. Ventru, ventricoswn , quand la partie
inférieure est renflée.
20. B0S8V , gibbum , quand la partie supé-
rieure du dos est relevée et saillante , en
forme de bosse.
24. Alépidote ou NU , alepidotum aut
nuduiriy c'est-à-dire, sans écailles.
25. EcAiLLEUx , squamosum , recouverte
d'écaillés.
26. Macrolépidote , macrolepidotum ,
couverte de grandes écailles.
27. EcAiLLEUX- OCCULTE 5 occultè squa-
rnosurn , lorsque de petites écailles sont en-
veloppées par une pellicule.
28. Lisse ou poli , glahrum , lorsque les
écailles ou la peau ne sont ni rudes ni
raboteuses.
, 39. Glissant , lubricum ^ lorsqu'enduit
DISTINCTIVES. 91
d'une liqueur visqueuse , le corps glisse dans
la main , sans qu'on puisse l'y retenir en
le seirant.
00. HÉRISSÉ ou MURIQUÉ DE POINTES;
muriatum , quand la peau est toute armée
d'espèces d'épines ou de piquans.
5i. Cataphracte, cataphractum , cui-
rassé, armé de toutes pièces; quand la peau
est très-dure ou couvertes d'écaillés , très-
serrées et unies entre elles, de sorte qu'elles
ne paroissent former qu'une seule pièce.
32. Cuirassé, loricatum ^ ou revêtu d'une
enveloppe osseuse.
33. Articulé , articulatum , ou composé
d'anneaux qui s'emboitent les uns dans les
autres.
54. Epineux , aculeatum , quoiqu'en îatia
cette dénomination diffère de celle de mu-
ricatum , nous ne pouvons néanmoins la
rendre en français que par hérissé de pi^^
quans ou d'épines,
35. DiACANTHE , diacantJiwn , qui a deux
aiguillons ou épines.
36. Triacanthe, triacanihum , qui a trois
aiguillons ou épines.
57. Tetracanthe, tetracanthum y qui a
quatre aiguillons ou épines.
92 DENOMINATIONS
38. PoL Y ACANTHE , poljcanthum : qui a
plusieurs épines ou aiguillons.
59. Poli, doux; lepe : c'est-à-dire, à
surface lisse , et qui n'est point rude au
toucher.
40. Jaspe ou marbré, variegatum : varié
de plusieurs couleuis.
4i. De deux couleurs, hicolor \ qui a
deux couleurs dislinctes et séparées.
4ii. Piqueté, pictum: marqué de très-
petits points.
45. Rayé, lineatum : marqué d'une mul-
titude de petites lignes de couleur différente
de celle du fond.
44. Maillé ou émaillé , reticulatum seu
cancellatum : on emploie cette dénomina-
tion lorsque les lignes ou raies se croisent
de manière à former des espèces de mailles
ou un réseau.
45. Ponctué , punctatum : la différence
entre ponctué et piqueté , c'est que la pre-
mière expression indique de gros points,
de couleur différente de celle du fond , au
lieu que par la seconde on entend des points
presque imperceptibles.
^46. CiiiRciiÉoucEiNXUE.É;/a5cia^w/72;
DISTINCTIVES. gS
couvert de bandelettes transvei'sales, longi-
tudinales ou obliques.
47. RuBANÉ , vittatum : lorsque les ban-
delettes s'étendent liorisontalenient de la
tête à la queue.
48. Brillant , nitens , dont la surface
paroît luisante comme si elle étoit vernie.
49. Taché, maculatum , couvert de
grandes taches.
50. (EiLLÉ, ocellatum : marqué de taches
circulaires en forme d'anneaux.
5i. Argenté, argenteum : de couleur
d'argent bruni.
hi. Doré, aureum: de couleur d'or.
53. Malacoptérygien, malacop-
ierygium : lorsque toutes ses nageoires sont
formées par des rayons , sans aiguillon.
54. AcantoptÉrygien , acantopterigium :
quand chacune des nageoires , ou seulement
quelqu'une d'entre elles est soutenue dans
toute sa longueur, ou dans quelque partie
par des aiguillons.
55. Monoptéry^gten, uni-pinne aut
monopterygium , à une seule nageoire sur
le dos.
56. DiPTÉRYGiEN, (lipterygluni aut
Bipinne: qui a deux nageoires dorsales..
ç)4 DENOMINATIONS
57. TriptÉrygien, tripterygium vel
tripinne , qui a trois nageoires sur le dos.
58. Tetraptérygien , tetrapterygium
vel quadripinne , à quatre iiageoiies dorsales^
69. Pentaptérygien 5 pentapterygium
aut quinquepinne , pourvu de cinq nageoires
dorsales.
60. HexaptÉRYGIEN, hextapterygium
sive sexpinne ; qui présente six nageoires
sur le dos.
DES NAGEOIRES.
Les nageoires , pinnœ , que Ton pourroit
nommer les membres des poissons , sont
parfaites ou imparfaites , ou adipeuses.
Les nageoires pai faites , perfectœ , sont
composées d'osselets mobiles contenus dans
une membrane, tantôt transparente et tantôt
parsemée de taches , de points ou de lignes
qui la rendent opaque ; cette membrane est
toujours la continuité de la peau du corps
de l'animal.
Les nageoires imparfaites , mancœ , sont
composées de rayons mobiles ou séparés les
uns des autres , ou étroitement unis , sans
aucune membrane qui les lie entre eux»
DISTINCTIVES. ^5
Les nageoires adipeuses , ou fausses na-
geoires , spuriœ , semblent n'èl re formées que
par un prolongement de la peau , et sont
dépouivues de rayons.
On divise les nageoires parfaites en simples
et en composées.
Les nageoires simples , simplices , ont tous
leurs osselets du même genre , ou tous rayons,
ou tous aiguillons.
Les nageoires composées , compositœ , ont
leurs premiers osselets en aiguillons, et les
suivans en rayons.
Les nageoires prennent des dénominations
différentes , suivant les différentes parties du
corps auxquelles elles sont attachées.
On appelle nageoires dorsales celles qui
sont placées sur le dos ; pectorales , celles de
la poitrine placées sous l'ouverture des ouïes
de chaque côté : on les nomme aussi nageoires
latérales; ventrales, celles du ventre; anale,
ou de Tanus, celle qui est près de l'orifice
de l'anus; caudale, caudalis , celle qui ter-
mine la queue ; enfin , branchiales , bran-
chiales ^ les nageoires placées près de l'oper-
cule des ouïes.
Indépendamment de ces dénominations ;
que les nageoires prennent à raison de leur
position, on les distingue encore par d'autres
96 DENOMINATIONS
épithètes qui se tirent ou de leur figure, ou
de leur place, ou de la substance dont elles
sont composées, ou enfin de leur nombre.
La nageoire dorsale considérée : 1^ Sous
îe rapport de conformation se nomme égale;
œqualis , quand tous les osselets dont elle
est composée sont de la même longueur , et
qu'elle est par conséquent coupée parallèle-
ment à sa base.
Déclinée ou décroissante , declinata sive
dccrescens ^ quand le premier ra}' on du côté
de la tête est plus long, et que les autres
vont en décroissant du côté de la queue.
Interrompue, interruiUa^ lorsque les pre-
miers et les derniers osselets sont plus longs
que ceux du milieu.
Triangulaire , triangularis , quand les
rayons du milieu sont plus longs que ceux
des côtés, et que ceux-ci vont en décroissant
vers chacune des extrémités.
Trapezoïde , traiJezoides , lorsque la na-
geoire prend la forme d'un trapèze.
Rhomboïde, ou rhomboïdale, rhomhoïdeay
quand la forme de la nageoire est celle d'un
rhombe.
2^. Relativement à la place qu'elle occupe ,
on la nomme longitudinale, longltudinalisy
si
D I s T I N C T I V E s. 97
si elle s'étend sur toute la longueur du dos^
de la tête à la queue.
Demi-ioagitudiiiale, ou raccourcie, semi-
longitudinalis , quand elle n'occupe qu'une
moitié de la longueur du dos.
Occipitale, occipitalls , quand elle com-
mence à Tinsertion du corps avec la tête, ou
sur la nuque, sans devenir longitudinale.
Scapulaire , scapularis , quand elle est
placée entre la nuque et le milieu du dos.
En équilibre , ûP^z/i'/f^m , quand le milieu
de la nageoire se trouve précisément au
milieu du dos, sur le point de l'équilibre.
Deux à deux , trois à trois , binnœ pel
ternœ distinctœ.
Unies , connatœ,
Contiguës , coniiguœ.
S"*. La nageoire dorsale , considérée sous
le rapport de sa substance , est appelée pi-
quante, aculeata^ quand les osselets qui la
composent sont durs et terminés en pointe
aiguë.
Molle , pliante , rayonnée , mollis ,. mutica
seu radiata, lorsque ses osselets sont foibles,
très-fîexibles et sans aucun aiguillon.
Ecailleuse , squamosa , quand elle est
}'ecouverte d'écaillés.
Ramentacée, ou raclée, ramenlacea : on
Foiss. Tome II. G
98 DENOMINATIONS
dit qu'une nageoire est ramentacée, ou ce
qui est synonyme , qu'elle est raclée ^ lorsque
l'extrémité de ses osselets porte de petites et
légères appendices qui paroissent être une
portion de la membrane qui les recouvre,
comme si on les avoit raclées.
Couverte de soies, ou soyeuses, setigera ,
quand des soies ou des poils sont implantés
dans la membrane de la nageoire.
40. Les nageoires dorsales, considérées par
leur nombre, sont :
Solitaire, solitaria, lorsque le dos n'en
porte qu'une seule.
Géminée, ou binnée, binœ^ lorsqu'il y en
a deux.
Ternées, ternœ , quand il y en a trois.
Nulles, nullœ ^ quand le dos est absolu-
ment dépourvu de nageoires.
Nageoires pectorales.
Les nageoires pectorales diffèrent entre
elles pour la figure, la grandeur, les pro-
portions , la position , la direction et le
nombre.
i'^. D'après leur figure, on les nomme :
Rondes, ou circulaires, rotundœ , quand
DISTINCTIVES, 99
elïés sont arrondies à leur exlrémité, c'est-
à-dire, quand les osselets qui les composent
sont disposés en demi-cercle.
En pointe, acuminatœ , ce qui s'entend de
l'angle postérieur.
En fornue de faulx , falcatœ , quand ces
nageoires sont recourbées comme xxm^ lame
de faulx.
En forme de soc de charrue , vomeriformes ^
ce qui représente l'angle impai fait que forme
cet instrument avec son manche.
Unies, jointes ensemble, connatœ , lors-
qu'étant rapprochées , elles semblent ne faire
qu'une seule nageoire.
2°. Quant à la grandeur, on les nomme:
Médiocres, ou proportionnelles, médiocres
sive proportinnales , lorsqu'elles sonl: égales
en longueur à la quatrième partie du corps.
Très-petites 5 minimœ ^ quand elles n'ont
que très -peu d'étendue en proportion du
corps.
Très - grandes , maximœ , lorsqu'étant
étroites elles paroissent grandes à proportion
du corps.
3«. Relativement aux dimensions , elles
sont :
Longues , longœ , quand elles ont la lon-
gueur de la moitié du coi^ps.
G %
1 oo DENOMINATIONS
Très - longues , longissimœ^ quand élle^
sont extrêmement aîongées.
Plus lai'ges que longues, latiores qiicun
iofigœ y quand la hauteur excède la lon-
gueur.
Etroites , angiistœ ^ lorsqu'elles ont peu
d'épaisseur.
4°. Relativement à la situation , on les
nomme :
Hautes , supreniœ , quand elles occupent
la partie la plus haute près des ouïes.
Moyennes, mediœ, lorsqu'elles sont situées
vers le milieu du corps.
Inférieures, ou basses, mfimœ , lorqu'elles
sont piesque placées au thorax.
5^. Relativement à leur direction, on les
appelle :
Obliques, adscendentes ^ quand elles sont
dirigées obliquement,
J3i'oiles , rectœ , quand elles se trouvent
/a/2a , quand sa surface est lisse.
Relevée , adscendens , quand elle fait saillie
par dessus le crâne.
Courbée , arcuata , quand elle en forme
un arc.
Le DOS, dorsum.
Le dos est la partie supérieure du corps
qui s'étend depuis la nuque jusqu'à la queue.
Le dos prend différentes dénominations à
raison de sa figure, de ses proportions et du
nombre des nageoires dont il est pourvu.
1°. A raison de sa figure , il est :
Droit j rectum , quand il ne forme aucune
inflexion.
Arqué, arcuatum , quand il est fait en
croissant.
Bossu , gibbosum , quand il est relevé ea
bosse.
Aplati , planmn , quand il est affaissé.
Convexe, convexurn, quand il est bombé
en dessus.
Caréné, carinatum y quand la saillie est
amincie
DISTTNCTIVES. 129^
amincie et coainie tranchante , ou plutôt
qu'il est fait eu quille de vaisseau.
Caualiciilé, canaliculatum ^ quand sa sur-
face supérieure est creusée en gouttière.
2". A niison de ses proportions , il est :
Plus ou moins gros que l'abdomen , cras-
sius vel tenuius abdomine ^ quand il est plus
ou moins large que le ventre.
Plus ou moins arqué que Tabdomen ,'
mnjus vel minus arcuatum ahdomine.
3". A raison du nombre de ses nageoires^
il est :
Monoptérygien , monoptery gium seu uni--
pinne , quand il ne porte qu'une seule na-
geoire.
Diptérygien , dipterygium vel bipinne ,
quand il a deux nageoires.
Triptérygien , triple ry gium si va tripinne ;
quand il a trois nageoires.
Aptérygien, apterygium sive apinne^ lors-
qu'il est dépourvu de nageoires.
Les cotés, latera.
Les côtés s'étendent depuis l'ouverture des
ouïes jusqu'à l'anus; ils sont :
Plats, plana, quand on n'y aperçoit ni
saillies , ni enfoncemens.
Poiss, Tome IL I
i5o DENOMINATIONS
Convexes , cont^exa , lorsqu'ils sont bombéîî
de chaque côté.
A demi - convexes , démisse convexa sive
subconvexa a ut coiwexluscula , quand leur
convexité est moins saillante.
Anguleux , angulata , lorsqu'ils forment
deux angles opposés par leur base.
Caiénés, carinata , lorsqu'ils imitent par
leur forme la quille d'un vaisseau.
Armés d'aiguillons, aculeata^ quand, sur
leurs surfaces , il se trouve des piquans.
Tuberculeux , tuherculaia , lorsqu'il se
trouve des tubercules sur leurs surfaces.
Dentelés , serrata , quand les écailles qui
les recouvrent sont disposées en forme de
dents de scie.
La g o r g e 5 gula,
La gorge est située entre les ouvertures
des ouïes ; on lui donne les dénominations
suivantes :
Ventrue, ventricosa ^ quand elle est plus
grosse que la tête ou que le corps.
Convexe, corwexn^ quand elle est bombée
de chaque côté, et qu'elle excède la largeur
du tronc et de la tète.
En carène, carinnta^ quand elle offre une
saillie triangulaire à son extrémité.
I
DISTINCTIVES. i3i
Plane , plana , quand elle est au même
niveau que la tète et le commencement du
tronc.
La poitrine et le ventre.
La poitrine ^pectub , que l'on nomme aussi
thorax , prend son origine à la base des
niàclioires, et s'étend jusqu'à l'insertion des
nageoires [rectorales.
Le ventre , venter , est cette cavité qui
règne depuis la poitrine ou le thorax, jus-
qu'à l'origine de la queue ou de l'anus» Oii
nomme abdomen, abdomen^ la partie exté-
rieure du ventre qui prend différentes déno-
minations , suivant sa figure.
Caréné , carinatum , lorsqu'il est aminci
en tranchant par le bas.
Plat 5 planam , quand il n'offre ni enfon-
cement, ni saillie.
Proéminent , proeminens , quand il fait
saillie de chaque côté.
Arqué , arcuatum , quand il forme deux
arcs opposés.
Enflé, tumidum^ lorsqu'il paroît bour-
souflé.
Dentelé, serratum, quand son bord infé-
rieur est dentelé comme la lame d'une scie.
l2
iSâ DENOMINATIONS
L' ANU s.
L'anus , anus , est situé entre rextrémité du
ventre et l'origine de la queue ,* il s'appelle :
Eloigné, remotus, quand il est plus près
de la queue que de la tête.
Gui aire , gularis , quand il est sous la
gorge et près de l'ouverture des ouïes.
Pectoral , pectoralis , quand il est sous les
ouïes , près de la poitrine.
Au milieu du corps , médius , lorsqu'il
occupe le milieu entre les ouïes et l'extrémité
de la queue.
Latéral , latemlis , quand son orifice est
placé sur l'un des côtés.
La queue, cauda.
C'est la partie posiérieure du corps qui est
charnue; elle prend son origine à l'anus, et
termine le tronc. Elle est plus ou moins
grosse , plus ou moins longue, et son extré-
mité afïecte une forme différente dans les
diverses espèces de poissons. C'est d'après ces
différentes formes qu'elle prend des noms
différens. On la nomme :
1°. Relativement à sa grosseur :
Cylindrique , ou ronde en long , tere^
DISTINCTIVES. i55
sîve suhcylinclrica y quand elle ne présente ni
angles , ni saillies , ni cavité.
Comprimée, catctoplatea sive compressa y
quand ses côtés sont aplatis.
Déprimée , plagioplatea sive depressa ,
quand elle a plus de largeur que de hauteur.
En carène , carinata , quand sa partie
inférieure offre la forme de la quille d'un
vaisseau.
Anguleuse ^ angulosa , quand elle forme
un angle.
Tétragone, tetragona^ quand elle présente
une figure à quatre angles.
Hérissée d'aiguillons, muricata, quand sur
sa surface il se trouve un grand nombre
d'aiguillons.
2°. Relativement à sa longueur :
Longue , longa , lorsque sa longueur ex-
cède celle de la moitié du tronc.
Médiocre , mediocris, quand sa longueur
est égale à celle de la moitié du tronc.
Courte , brepis , quand elle est bien
plus courte que la moitié de la longueur
du tronc.
3^. Relativement à sa forme :
Pointue , acuta , quand de sa base à l'extré-
mité elle diminue insensiblement en pointe.
I 3
i34 DENOMINATIONS
En alêne, subulata , lorsqu'arrondie à sa
base elle se termine en pointe aiguë.
Tronquée, tnmcata , quand dans sa lon-
gueur elle paroît tranchée net.
Ronde , rotunda , quand elle est parfaite-
ment arrondie.
Spatulée , spatulata , quand elle est aplatie
à son extrémité comme une spatule.
Aptérygienne , apterjgia , quand elle est
dépourvue de nageoire.
Diptéjygienne , dipterygia , quand sa na-
geoire se partage en deux jusqu'à son extré-
mité.
Les écailles, squamœ.
Les écailles sont des lames aplaties , de
substance cornée et à demi - transparente ,
dont le corps des poissons est recouvert en
tout ou en partie; elles sont arrangées les
unes sur les autres, comme les ardoises des
toits, et ne sont pas adhérentes entre elles,
du moins dans la plupart des poissons; car
il y a quelques espèces de ces animaux dont
les écailles très-serrées et unies semblent ne
former qu'une seule pièce. On a donné à
cette espèce de revêtement osseux le nom
de cuirasse, /or/ca. D'autres sont couverts de
ces mêmes écailles osseuses ^ mais distinctes ,
DISTINCTIVES. i35
et cependant se tenant collées les unes aux
autres : c'est ce qu'on appelle armure , cata-
phrasta. Il y a clés écailles très-minces , et
qui, en tout ou en partie, sont d'un brillant
doré ou argenté ; d'autres sont tellement
épaisses que leur dureté approche de celle
des os.
1°. A raison de leurs formes , on les
nomme :
Arrondies, suhroturidœ ^ quand leur ex-
trémité décrit un demi-cercle.
Ovales , ovales , quand leur extrémité
décrit une portion de cercle plus longue que
large.
Oblongue , oblongœ , quand la portion de
cercle que leur extrémité décrit est encore
plus alongée que la précédente.
Hémisphériques , semiorbiculatœ , quand
elles ont la forme d'une boule coupée par
le milieu.
Anguleuses, angulatœ , quand leur extré-
mité est taillée en angle aigu.
Carrées , subquadratœ , quand cette même
extrémité est coupée carrément.
Crénelées , crenatœ , quand elles ont des
échancrures à leur extrémité.
Dentées , denialœ , quand elles ont da
petites dents.
14
336 DENOMINATIONS
Hérissées de pointes , aculeatœ , quand
leur surface est garnie de pointes aiguës.
Ciliées, ciliatœ , quand elles sont recou-
vertes de pointes fines et semblables à de
la soie.
2°. A raison de leur superJGcie , on les
nomme :
Glabres , glnbrœ , quand elles sont lisses
et vsans piquans.
Rudes , asperœ , lorsque leur surface est
raboteuse.
Striées en rond , circinnato-striatœ , quand
elles sont rayées de petits sillons circulaires.
Rayonuées^ radiatœ ^ quand leur suiface
est sillonnée de rayons divergens.
Inégales, inœquabiles , lorsque leur sur-
face est inégale.
Tuberculeuses 5 tuhercalaiœ ^ quand elles
sont parsemées de petits tubercules.
Ponctuées , />?/72c^d2^oe , quand leur surface
est parsemée de petits points.
5°. A raison de leur disposition , on les
nomme:
Imbriquées ou tuilées , imhricatœ , lors-
qu'elles sont disposées en recouvrement les
unes sur les autres , comme les tuiles d'ua
toit.
DISTTNCTIVES. 1^7
Obliquement imbiiquées, obliqué imbri-
catœ ^ lorsque, disposées par rangées dis-
tinctes, elles sont en recouvrement les unes
sur les autres dans cliaque rangée seulement.
Contiguës , conti^iiœ ^ quand elles sont
placées à côté Tune de l'autre sans être en
recouvrement Tune sur l'autre.
Rares, remotœ vel rarœ , quand elles sont
un peu écai'tées les unes des autres.
Ti-ès-petites , minimœ , quand elles sont
si petites qu'on peut à peine les distinguer
à la vue.
Cachées, occultœ ^ quand elles sont recou-
vertes par répiderme.
4". A raison de leurs dimensions, on les
nomme :
Grandes , magnœ ; petites , parvœ ; très-
petites, minimœ ; imperceptibles , vix cons-
picuœ , relativement à la grosseur du corps.
5°. A raison de leur connexion, on les
nomme :
Tombantes, deciduœ ^ lorsqu'elles se dé-
tachent facilement de la peau.
Fixes ,fixœ , quand elles se séparent diffi-
cilement du corps.
i58 DENOMINATIONS
Ligne latérale; linea lateralis
On donne le nom de latérale à celte ligne
qui s'étend sur les côtés des poissons , et fait
la séparation entre le dos et le ventre; elle
s'étend depuis les ouïes jusqu'à la nageoire
de la queue. Elle est formée par une série
continue de points et quelquefois de petits
tubercules, qui sont les orifices d'une mul-
titude de vaisseaux excréteurs qui y abou-
tissent, et d'où suinte une humeur visqueuse
propre à entretenir la souplesse de la peau
du poisson , et le défendre contre le froid
et la compression de Feau.
1^. Par rapport à la situation , la ligne
latérale est :
Très-élevée, suprema^ si elle se rapproche
beaucoup du dos.
Moyenne , média , si elle est à peu près
au milieu des côtés du corps.
Basse, infima, si elle se rapproche plus
du ventre que du dos.
2°. Par rapport à sa figure, elle est :
Ponctuée , punctata , si e\\e est formée de
points.
Linéaire , lineata , si elle est formée par
de petites lignes interrompues.
DISTINCTIVES. iSg
Annul'diie , annulata , si elle est composée
cTLine suiLe de petits anneaux ovales.
Dentée, dentata^ si elle est marquée par
une série de petites dents.
3°. Par rapport à sa direction , elle est :
Droite , recta , si elle s'élend de la le te à
la queue sans aucune inflexion.
Courbe, curva^ si, dans sa direction , elle-
s'incline ou vers le ventre ou vers le dos.
Flexueuse ou mixte , //é'.rwo^a , si, dans
l'espace qu'elle parcourt, elle est en partie
droite et en partie courbe.
Interrompue, ïnterrupta ^ si elle se partage
en deux ou en plusieurs parties qui ont des
directions différentes.
Descendante, descendens ^ si de la nuque
elle descend à la queue en ligne oblique.
Oblitérée ou elïacée , obliterata , si eW^
est apparente.
4°. Par rapport à sa superficie , elle est :
Lisse, glabra , si elle ne présente ni éléva-
tions , ni aspérités.
Epineuse , spinosa , si sa direction est
marquée par des épines.
Imbriquée , imbricata , si ^e est formée
par une espèce particulière d'écaillés placées
en recouvrement les unes sur les autres.
i4o DENOMINATIONS
Imprimée en creux , impressa , si elle esÉ
en sillon un peu enfoncé.
Imprimée en relief, eminens, si elle est
en ligne saillante.
Poreuse , pcrosa , si elle est formée par
une séi'ie de petits trous placés les uns à la
suite des autres.
Cuirassée , loricata , si le reste du corps
étant lisse , elle est seule armée de pointes ,
d'os ou de tubercules.
Lignes interstitiales; Uneœ
interstitiales.
Ce sont des raies transversales, ou lon-
gitudinales 5 que Ton remarque sur la peau
nue de quelques espèces de poissons aux
endroits où les muscles se joignent.
Matière visqueuse; mueus
externus.
Cette matière gluante et visqueuse, dont
le corps de la plupart des poissons est enduit
et qui les rend glissans dans la main , ne
suinle pas seulement des pores de la tête
et du corps , ni des orifices des vaisseaux
de la ligne latérale ; mais il paroît qu'elle
est produite par des glandes excrétoires
D I s T I N C T I V E s. 141
répandues sur toute la surface du corps, et
qui la poussent à Texte rieur par des pores
particuliers : on doit regarder cette sécrélion
comme une espèce de tranpiration que la
Nature a destinée , soit à empêcher les
écailles de se coller les unes contre les au-
tres , ou de trop se dessécher , soit à s'op-
poser à l'entrée de Teau , par les pores,'
dans l'intérieur des poissons ,• soit enfin à
les rendre plus souples et plus susceptibles
d'exécuter leurs divers mouvemens dans
l'eau.
Ouverture des branchies;
foramina hrancliiarum , apertura bran-,
chialis,
1°. La différence dans la situation des
ouvertures des branchies, ou ouvertures
branchiales, leur a fait donner les épithètes
suivantes :
Gulaire , gularis , si l'ouverture est au
dessous de la gorge.
Latérale , lateralis , si elle est sur les
côtés.
Cervicale , cervicalis , si elle se rapproche
du derrière de la tête.
Occipitale, occipitalis ^ si elle est située
yers la nuque.
142 DENOMINATIONS
2«. Sa forme Ta fait appeler :
Arquée , arcuata , si elle a la forme d'un
croissant.
En tube, tuhulosa^ si elle est formée en
tuyau.
Tortueuse, repanda , si elle fait plusieurs
sinuosités.
Ovée, ovata , si elle a la forme d'un œuf.
Droite , recta , si elle ne s'incline d'aucun
côté.
Linéaire , îincaris , si elle se montre
comme une ligne étroite.
Oblique, obliqua, si elle s'incline un peu
de côté.
5°. Ses dimensions Font fait nommer :
Médiocre , mediocris , si elle est en pro-
portion avec le volume du corps.
Grande , trés-ample , magna et amplis-
sima , si elle est disproportionnée par son
ampleur, relativement à la tête.
4". Ses tégumens lui font donner les dé-
nominations suivantes :
Operculée , operculata , si elle est recou-
verte en entier par les opercules.
Sémi-operculée, seminudata ^ si elle n^est
recouverte qu'à moitié par fopercule.
DISTINCTIVES. i45
Découverte , nue , intecta vel nuda , si
l'opercule est bâillante.
Ouverte , aperta , si elle est dépourvue
d'opercule.
Aiguillons et tubercules
RUDES, qui s'élèvent sur la peau des
poissons; aculei et tubercula aspera.
Outre les aiguillons , ou rayons osseux,
durs et piquans des nageoires , il y en a
d'autres qui sont des tubercules osseux,
implantés dans la peau du corps de quel-
ques espèces de poissons. Ils sont difïérens
des pointes dont la tête de quelques autres
espèces est hérissée , et qui ne sont que des
apophyses saillantes des os de la tête.
Appendices, additamenta.
Les barbillons ou les cirrhes sont des
appendices des mâchoires dont il a déjà été
question précédemment.
Les pinnules , pinnulœ , sont de petits
rebords ou proéminences externes , res-
semblant en quelque sorte aux petites na-
geoires adipeuses en aux barbillons , et qui
sont placées tantôt près des yeux , tantôt
près des narines , et d'autres fois sur la
144 DENOMINATIONS
queue de quelques espèces de poissons.
JElles ne différent des cinhes ou des bar-
billons que par la place qu'elles occupent.
Il y en a de se lacées , d'aplaties , de den-
telées et de triangulaires.
La crête, cris ta , est une petite pinnule
placée sur le sommet de la tête.
Les tentacules , tentacula , sont de longs
cartilages sétacés , longs et mobiles , qui sont
implantés sur le museau ou sur le front de
certains poissons.
Les raclures , ramcnta , sont de petites
appendices fibreuses et molles, qui se trou-
vent à l'extrémité et au bord postérieur
des osselets, comme si la membrane dont
ils sont recouverts avoit été raclée.
Les épines , spinœ , prolongemens très-
aigus , nus et immobiles de l'os de la tète
et du front dans quelques espèces de pois-
sons.
Les aiguillons 5 aculei , sont, comme les
épines, des corps durs, osseux et pointus;
mais ils en diffèrent en ce qu'ils sont mo-
biles à droite ou à gauche , en avant ou
en arrière , par des muscles particuliers ,
tandis que les épines sont fixes et ue sont
susceptibles d'aucun mouvement. Il ne faut
pas confondre ces aiguillons avec ceux des
jna^eoii es '
DISTINCTIVES. i45
nageoires. ( Voyez ci- devant rarticle des
nageoires.)
Les doigts , digiti , osselets flexibles , sé-
tacés, séparés et libres, placés, dans quel-
ques poissons , entre les nageoires pectorales
et les ventrales.
Le bouclier, clypeus vel scutum , est une
espèce de disque ovale, plat, dur et rude
au toucher,* il couvre la tête et la poitrine
de quelques poissons.
La suture , sutura , ligne rude ou à
pointes , qui s élève sur le dos et l'abdonieu
de quelques poissons.
Parties intérieures des Poissons.
La langue, lingua.
Tous les poissons ont une langue; ils en
ont, du moins, la base ou la racine. Elle
n'est point d'un usage aussi indispensa ble-
nient nécessaire aux poissons qu^aux qua-
drupèdes et aux cétacés; car les premiers
l'ont ou imparfaite ou cartilagineuse , et
presque toujours immobile.
La langue des poissons varie par sa figure,
sa substance , sa surface et par les mouve-
mens dont elle est susceptible.
1". Par sa figure, on la nomme :
Fûiss. Tome IL K
i4G DENOMINATIONS
Aiguë , acuta , lorsque son extrémité se
termine en pointe.
En aîéne , sulmlata ^ lorsqu'elle est ar-
rondie à sa base, et qu'elle se termine en
pointe longue comme l'aiéne des coidon-
ïiiers.
Obtuse , ohtusa , lorsque son extrémité
est tronquée et comme coupée.
Entière , intégra , quand elle n'a aucune
espèce d'écliancrure.
Echanci'ée , emarginata , quand son ex-
trémité est fendue en deux parties.
Frangée , ciliata , quand ses côtés sont
déchiquetés en frange.
Carénée , carinala , quand il se trouve
une saillie soit en dessus , soit en dessous.
Convexe, convexa ^ quand son plan su-
périeur est arrondi, et que l'inférieur est
aplati.
Plane , plana , quand ses deux plans sont
aplatis.
2^. Par sa substance , on la nomme :
Charnue , carnosa , quand elle est toute
(Je chair.
Cartilagineuse , cartilaginea , quand elle
est d'une substance plus dure , épaisse et
grasse , crassa.
D I s T I N C T I V E s. 147
5®. Par sa surface , on la iX)nime :
Lisse , glabra , quand sa surface n'a ni
dents , ni aspérités , ni papilles.
Papillonnée ou mamelonnée , /?<2/?i7/o5a,
quand elle est couvejle de pap lies ou de
petites éminences molles et rondes.
Rude , scabra , quand sa surface est comme
du chagrin.
Dentelée ou denticulée , denliculata ;
quand sa surface est couverte de très-petites
dents égales.
Dentée , dentata , quand sa surface est
armée de dénis différentes entre elles, soit
par leur forme , soit par leurs proportions.
4**. Par sesmouvemens, on la nomme:
Libre , mobile , soluta , quand rien ne
rem[)éche d'exécuter ses mouvemens.
Attachée , immobile , annexa , immobilis,
quand des ligamens Fempéchent d'exécuter
ises mouvemens.
Engainée, vjglnata, quand elle est recou-
verte d'une membrane qui forme une voûte
dans les mâchoires de quelques poissons.
Les branchies , ou les ouïes , branchiœ:
Ce sont les organes par lesquels les pois-
sous respirent, et elles sont situées entre la
tête et le tronc.
^2
148 DENOMINATIONS
Les branchies varient soit à raison de leur,
situation , soit par rapport à leur figure.
1^. Par rapport* à leur situation, on les
appelle :
Première , prima , seconde , secunda , troi-
sième, teriia, quatrième ou dernière, quarta
vel ultlma , suivant qu'elles sont plus près
ou plus éloignées de Fopercule.
Voisines, picinœ, quand toutes aboutissent
à leur ouverture.
Reculées ou enfoncées, retroactœ^ quand
elles sont plus près de la bouche que de
leur ouverture.
Operculées , ou couvertes , operculatœ ,
quand elles sont entièrement recouvertes
par les opercules.
Cachées , occultœ , quand Topercule, étant
collé au tronc, ne peut s'ouvrir.
Nues , denudatœ , quand elles n'ont point
d'opercules.
Latérales, latérales^ quand elles sont pla-
cées sur les côtés, et c'est la position la plus
commune.
Occipitales, occipitales^ lorsqu'elles sont
placées sur le cou ou sur la nuque.
2«, Par rapport à leur figure , on les
appelle.
DISTINCTIVES. i4()
Semblables, si/ni les , quand elles sont con-
formées Tune comme Tautre.
Dissemblables , dissimiles, quand leur con-
formation est difïërente.
Inégales , inœquales , lorsque Tune est
grande et Taulre petite.
Courbées, arcuatœ , quand elles sont cour-
bées en arc.
Compliquées , cojnplîcatœ , quand les deux
bras d'un arc un peu courbé se rapprochent ,
sous un angle trés-aigu , de la bouche fermée.
En crochet, uncinatœ , quand le bras infé-
rieur presque droit est deux ou trois fois
plus long que le supérieur courbé.
Monophyles , monophyllœ^ diphyles , di-
phjllœ , quand elles sont garnies d'un ou
de deux rangs d'osselets.
Tuberculées, infra tuberculatœ , quand la
partie arquée de Fosselet est chargée en
dessous de tubercules.
Armées de pointes , aculeatœ , quand la
partie concave de l'osselet est hérissée de
piquans.
Dentées , serrât œ , quand la partie concave
de l'osselet est dentée comme une scie.
Glabres ou unies, glabrœ, quand la partie
concave de l'osselet est lisse et sans aucune
aspérité.
K.5
i5o DENOMINATIONS
Pectinées , pectini formes , quand la partie
convexe de TosseleL est garnie de barbes,
semblables aux dents d'un peigne.
En crible, cribriformes ^ quand elles sont
percées d'une multitude de petits trous,
comme un crible.
Le c (H u r , cor.
Le cœur des poissons est placé presque sur
le sternum, au dessous des branchies; il est
souvent renfermé dans un péricarpe , eu
partie libre, et en partie adhérent. Le cœur
et son péricarpe sont placés dans une grande
cavité ; le cœur dont les parois sont ridées
présente une multitude de petites cellules;
dans sa partie supérieure il se trouve un
orifice qui répond à Faorte, et sur le côté,
il s'en trouve un autre qui communique à
l'oreillette ; sa situation est longitudinale ,
comme dans les quadrupèdes. Sa forme
n'est point constante ; il est aplati , corn-
jpressum , dans plusieurs espèces de poissons ;
triangulaire ou pyramidal , prismaticum vel
pyramidale ; dans d'autres , il est rétréci
en devant , ante arctius ; dans quelques
espèces enfin , tronqué obliquement ea
^P'ière , ponè çbliguè trunçatuni.
DISTINCTIVES. i5i
L'oREiLiiETTE DU COEUR, audcula cordis.
Le cœur des poissons n'a qu'une seule
oreillette, mais qui est très-grande; c'est un
sac musciilenx très - mince , de la même
couleur que le cœur , et qui est situé au
côté gauche de ce viscère. A son insertion
avec le cœur, elle est pei-cée de deux trous,
l'un supérieur, et l'autre inférieur. Parle
premier, elle communique avec le trou
latéral gauche du cœur, et par le second,
avec le sinus veineux.
L'aorte, aorte.
Suivant les observations de Gouan, qui
de tous les ichthyologistes a examiné avec
le plus de soin les parties intérieures des
poissons, l'aorte est attachée à la pointe du
cœur, et repiésente un petit cône; intérieu-"
renient elle est garnie de petites colonnes
OtX cordes; ensaii:e eWe se rétrécit, et donne:
a'\ De chaque côté un tronc latéral fort
court, qui se divise d'abord en deux vaisr
seaux laiéraux , dont l'inférieur ou posté-
rieur décrit une courbe de devant en arrière,
et va se loger dans la branchie postérieure;
et le second , s'éloignant du premier par un
K4
i52 DENOMINATIONS
angle oblique , va en droite ligne dans la
troisième ou pénullième branchie;
2°. Le Ironc de Taorte se divise ensuite
d'une manière p'nis régulière ; les lameaux
qui vont à la seconde et ceux qui vont à la
première branchie étant accouplés et éloignés
les uns des autres , logés chacun dans un
sillon , creusé sur la convexité de l'arcade
des ouïes, et formant, par leur union vers
la base du crâne et avant la poitrine , un
tronc presque semblable à celui dont ils
tirent leur origine. L'aorle descend ensuite
jusqu'à l'extrémité du corps; e]le est appli-
quée contre les vertèbres , et adossée à la
veine cave. Le sang que Tartère a porté dans
le ventre et dans les parties inférieures est
repris par des i^ameaux veineux, qui, à leur
tour, se réunissent et forment un seul tronc
veineux ou veine cave (i).
Le diaphragme, diaphragma.
Le diaphragme consiste dans une mem-
brane blanche assez forte, en partie charnue
et en partie tendineuse ; elle est attachée par
sa partie supérieure, vers la nuque et aux
(i) Histoire des poissons, par Antoine Gouan j
page 92.
DISTINCTIYES. i55
premières vertèbres ; elle traverse oblique-
ment la poitrine et la sépare de Tabdomen,
comme elle sépare le cœur des autres vis-
cères; elle est percée par l'œsophage, et c'est
elle qui forme la face postérieure de la ca-
vité de la poitrine. Celte membi ane est très-
appa renie dans les grandes espèces de pois-
sons.
Viscères de l'abdomen et l'œsophage,
uiscem abdominis et gula,
Les^ poissons ont les mêmes viscères que
les quadrupèdes, mais ils sont souvent moins
nombreux.
L'œsophage est ce canal étroit qui est situé
depuis le fond de la bouche jusqu'au ven-
tricule. Il ne se distingue du ventricule que
parce qu'il est plus étroit , d'une couleur
différente , et lisse sur sa surface interne.
Le ventricule ou l'estomac, ventriculus.
Le ventricule ou l'estomac des poissons
est un sac membraneux qui n'a presque
aucune» chaleur. Sa situation est le plus sou-
vent longitudinale, et il n'est pas semblable
dans tous les poissons. Dans les uns il est
plus grand ou plus épais que dans les autres.
11 est dans ceux-ci ové ou cylindrique, et
i54 DENOMINATIONS
dans ceux-là il est sphériqiie ou partagé en
deux lobes; mais dans tous il n'y a qu^un
seul ventricule.
Les petits instestins ou appendices
DU PYi^oRE , appendices seu inteslina
cœca pjlori.
Dans la plus grande partie des poissons^
le p3^1ore est garni de plusieurs appendices
creuses , semblables à de petits intestins
cœcum , et qui paroissent concourir à la
digestion. Ces mêmes appendicps diffèrent
enfi'eiix soit pour le nombre, pour la figure
et pour la longneur.
i^. Par le nombre, ils sont nuls quand ils
n'existent point, comme dans la plupart des
poissons cartilagineux,* ou il n'y en a qu'un,
ou deux fort couiLs, ou trois, quatre, cinq,
six et sept grands, ou de luiit à douze, ou
de dix-sept à dix- huit , ou vingt et au dt^lk,
ou trente et au delà, ou soixante et au delky
ou environ ([ualre- vingts, ou cent et au delà,
ou enfin une quantité presque innombrable.
2*^. Par la forme, ces petits intestins ou
appendices sont longs et étroits, ou très-
courts et larges.
3°. Par leurs proportions , ils sont ou beau-
coup plus étroits que l'intestin, conmiedans
DISTINCTIVES. i55
1(^ plus grand nombre des poissons , ou ils ont
à peu près la moine capacité que Tinteslin,
li'iNTESTiN RECTUM , intesUnum inferius
seu rectum.
Le paquet intestinal des poissons est placé
an long. Le rectum est situé sous la vessie
urinaire. Sa tunique intérieure est quelque-
fois garnie de valvules ou soupapes , et
plissée en volute. 11 est i" par sa forme,
ou droit ou simple , lorsqu'il va en ligne
droite du ventricule k Tanus; ou à vme seule
circonvolution à sa partie supérieure , ou
faisant plusieurs sinuosités ou circonvolu-
tions ; '2^ par ses dimensions , comparées au
volume du corps, il a moins de longueur
que le corps, ou il a environ la même lon-
gueur y ou il est beaucoup plus long.
Le foie, hepar, .
La couleur du foie des poissons est ordi-
nairement jaunâtre,' il est presque toujours
fort grand en comparaison du corps, et placé
du côté gauche de Fabdomeu , rarement du
côté droit, ou sur le devant du ventre,
dont il remplit presque toute la capacité ;
mais toujours il est sous les intestins et sous
i56 DENOMINATIONS
l'estomac. Ce viscère est quelquefois simple
ou formé par un seul lobe; d'autres fois il
est partagé en deux, trois lobes, et même
davantage; il est tantôt beaucoup plus court
que l'abdomen, tantôt il a presque la même
longueur.
La vésicule du fiel. , pesica fellls.
Il n'est aucune espèce de poissons dans
laquelle on ne trouve une vésicule du liel :
cette vésicule , qui est située sous le côté
droit du foie, communique avec l'estomac
et avec les intestins par deux conduits , dont
l'un se nomme cystique^ et l'autre coledoque.
Sa forme est ovée ou oblongue. Elle est
tantôt enveloppée dans le foie , tantôt elle
y est fixée en dessous ; tantôt enfin elle en
est séparée par un col alougé.
La r ate , lien.
Beaucoup plus petite que le foie, et d'une
couleur plus foncée ; la rate est presque
toujours au côté gauche de l'abdomen. Elle
est oïdinaiiement d'une seule pièce , et ra-
rement partagée en plusieurs lobes , qui
n'adhèrent les uns aux autres que par des
ligamens assez foibles. Sa forme est oblongue
et aplatie.
DISTINCTTVES. 167
Le pancréas, pancréas.
Plusieurs espèces de poissons cartilagineux
ont un pancréas; mais il est douteux qu'il
y en ait dans les autres. Dans un grand
nombre de poissons les appendices du pylore
tiennent lieu du pancréas.
Les ovaires, oçaria.
Tous les poissons ont des ovaires, de même
que des œufs, qui diffèrent par le nombre,
par la silualion, par la figure et par la
conformation.
1^. Par le nombre, les ovaires sont doubles
où il y eu a deux.
Ou il n'y a qu'un ovaire simple.
2°. Par la situation, l'ovaire occupe toute
la longueur ou seulement la partie supé-
rieure de l'abdomen.
3". Par la figure , l'ovaire est oblong et
comprimé de chaque côté. Il est oblong et
cylindrique. 11 est arrondi.
La vessie urinaire , i^esica urinaria.
Il n'y a pas un seul poisson qui n'ait
une vessie urinaire. Cette vessie , placée
sur l'intestin rectum , est ordinairement de
forme ovale.
i58 DENOMINATIONS
Le péritoine ; peritonœum,
lie périloine est une membrane fine qui
eiîtoïire l'abdomen des poissons; elle est de
différcnlps couleurs; mais le plus souvent
elle est d'un brillant argenté fort agréable.
Je ne pousserai pas plus loin celte no-
inenclaltire des parties internes des poissons ,
parce que ces parties ne portent pas, dans
la classe des animaux dont je m'occupe ,
d'autres noms que dans la classe des qua-
drupèdes et des oiseaux. Il en est de même
du squelette des poissons, dont les os n'ont
point de dénominations particulières. D'ail-
leui^ CCS longs délails anatomiques ne font
point partie du plan de cet onviage, et y
deviendroient un liors-d'œuvre , dès qu'ils
y prendroient trop d'espace. Cependant ^
comrae les poissons respirent d'une toute
autre manière que les quadrupèdes et les
oiseaux, et que le sang circule chez eux
par UQ mécanisme diiFérent , il ne sera pas
inutile d'expliquer . ce mécanisme avec
quelque étendue. Ce que je dirai à ce sujet
intéressant est extrait du Mémoiie sur la
circulation du sang des poissons qui ont des
DISTINCTIVËS. i5(|
ouïes, par un de nos plus célèbres anato-
mis tes , M. D'.iverney (i).
M. Duveniey choisit , pour ses observa-
tions , la carpe , poisson q ue Ton trouve plus
cominodétneot , et sur lequel on peut avec
facilité suivre et vérifier les remarques de
l'anatomiste.
Le cœur de tous les poissons n'a, comme
il a été dit, qu'une cavité et par conséquent
qu'une oreillette à l'embouchiu^e du vaisseau
qui y rapporte le sang. Celle du cœur de la
carpe est appliquée au côté gauche.
La chair du cœur est fort épaisse , par
rapport à son volume, et ses fibres sont
très-compactes : aussi a-t-il besoin d'une
forte action pour la circulation.
Oo çait que les ouïes servent de poumons
aux poissons. Leur charpente est composée
de quatre côtes de chaque côtés , qui se
meuvent tant sur elles-mêmes en s'ouviant
et se resserrant, qu'à l'égard de leurs deux
appuis supérieur et inférieur, en s'écartant
de l'un et de l'autre , et en s'en rapprochant.
Le côté convexe de chaque côte ( 2 ) est
(i) Ce Mémoire est inséré dans l'Histoire de l'aca-
démie des sciences , ainiée 170 1.
(2.) Duverney appelle les côtes des ouïes les arcs,
arcus hranchiarum.
i6a DENOMINATIONS
chargé sur ses deux bords de deux espèces
de feuillets; cliacuii desquels est composé
d'uu rang de lames étroites , rangées et ser-
rées Tune contre l'autre, qui forment comme
autant de baibes ou franges semblables à
celles d'une plume à écrire; et ce sont ces
franges que l'on peut appeler proprement
le poumon des poissons.
Il résulte de cette conformation , que la
poitrine est dans la bouche aussi bien que
le poumon; que les cotes portent le pou-
mon, et que Fanimal respire Feau. Les ex-
trémités de ces côtes, qui regardent la gorge,
sont jointes ensemble par plusieurs petits os
qui forment une espèce de sternum (i); en
sorte néanmoins que les côtçs ont un jeu
beaucoup plus libre sur ce sternum, et
peuvent s'écarter l'une de l'autre beaucoup
plus facilement que celles de l'homme , et
que ce sternum peut être soulevé et abaissé.
Les autres extrémités, qui regardent la base
du crâne , sont aussi jointes par quelques
osselets, qui s'articulent avec cette même
base, et qui peuvent s'en éloigner ou s'en
approcher.
(ï) C'est un prolongement de l'os liyoïdeJ
Chaque
DISTINCTIVES. 1613
Chaque côte ( 1 ) est composée de deux
pièces, jointes par un cartilage souple, qui
est dans chacune de ces parties ce que sont
les charnières dans les ouvrages des artisans.
La première pièce est courbée en arc , et
sa longueur est environ la sixième portion
du cercle dont elle feroit partie; la seconde
décrit à peu près une S romaine majuscule:
La partie convexe , de chaque côté , est
creusée en gouttière ; et c'est le long de ces
gouttières que coulent les vaisseaux dont il
sera parlé ci-après.
Chacune des lames, dont les feuillets sont
composés , a la figure du fer d'une faulx /
et à sa naissance elle a comme un pied ou
talon, qui ne pose que par son extrémité
sur le bord de la côte.
Chacun de ces feuillets est composé de
cent trente - cinq lames ; ainsi , les seize
contiennent huit mille six cent quarante
surfaces , que je compte ici parce que les
deux surfaces de chaque lame sont re-
vêtues , dans toute leur étendue , d'une
membrane très -fine, sur laquelle se font les
ramifications presque innombrables des vais-
seaux capillaires de ces sortes de poumons.
n
j(i) Il faut toujours entendre l'arc des ouïes.
Foiss. TOMB IJç L
tr,2 DENOMINATIONS
Il y a quarante-six muscles qui sont em-
ployés aux mouvemens de ces côtes ; il y en
a huit qui en dilatent l'intervalle , et seize
qui le resserrent,- six qui élargissent le centre
de chaque cote ; douze qui le rétrécissent et
qui en même tenis abaissent le sternum, et
quatre qui le soulèvent.
Les ouïes ont une large ouverture sur la-
quelle est posé un couvercle (i), composé de
plusieurs pièces d'assemblage , qui aie même
usage que le panneau d'un soufflet; et chaque
couvercle est formé avec un tel artifice ,
qu'en s'écartant l'un de l'antre, ils se voûtent
en dehors pour augmenter la capacité de la
bouche; tandis qu'une de leurs pièces , qui
joue sur une espèce de genou , tient fermées
les ouvertures des ouïes , et ne les ouvre que
pour donner passage à Feau que l'animal a
respiré ; ce qui se fait dans le tems que le
couvercle s'abat et se resserre.
11 y a deux muscles qui servent à soulever
le couvercle, et trois qui servent à l'abattre
et à le resserrer.
On vient de dire que l'assemblage qui
compose la charpente des couvercles les
(i) C'est ce que l'on appelle opercules , operculà
hranchiarum»
DISTINCTIVES. i65
rend capables de se voûler en dehors. On
ajoutera deux autres circonstances. La pre-
mière est que la partie de ce couvercle, qui
aide à former le dessous de la gorge , est pliée
en éventail sur de petites lames d'os, pour
servir , en se déployant , à la dilatation de
la gorge dans l'inspiration de l'eau ( i ). La
seconde, que chaque couvercle est revêtu
par dehors et par dedans d'une peau qui
lui est fort adhérente. Ces deux peaux ,
s'unissant ensemble, se prolongent au delà
de la circonférence du couvercle d'environ
deux à trois lignes , et vont toujours eu
diminuant d'épaisseur. Ce prolongement est
beaucoup plus ample sous la gorge que vers
le haut de la tète; il est extrêmement souple
pour s'appliquer plus exactement à l'ouver-
ture sur laquelle il porte, et pour la tenir
fermée au premier moment de la dilata-
tion de la bouche pour la respiration.
Voilà pour ce qui regarde la structure
des ouïes : passons à présent à la distribu-
tion de leurs vaisseaux.
L^artère qui sort du cœur se dilate de telle
manière qu'elle en couvre toute sa base ;
(i) C'est la membrane branchiostège , memhrana
brancJiiostega.
L a
i64 DENOMINATIONS
ensuite se rétrécissant peu à peu, elle forme
une espèce de cône. A l'endroit où elle est
ainsi dilatée , elle est garnie en dedans de
plusieurs colonnes charnues , qu'on peut
considérer comme autant de muscles, qui
font de cet endroit de l'aorte comme un
second cœur, ou du moins comme un second
ventricule, lequel , joignant sa compression à
celle du cœur , double la force nécessaire à la
distjîbution du sang pour la circulation.
Cette artère , montant par l'intervalle
que les ouïes laissent entre elles, jette vis
à vis de chaque paire de côtes, de chaque
côté, une grosse branche qui est couchée
daus la gouttière, creusés sur la surface
extérieure de chaque côté, et qui s'étend
le long de cette gouttière d'une extrémité
à l'autre du feuillet (i). Voilà tout le cours
de l'aorte dans ce genre d'animaux (2);
l'aorte, qui dans les autres animaux porte
le sang du centre à la circonférence de tout
le corps , ne parcourt de chemin dans ceux-
(i) C'est l'arlère branchiale, arteria hranchialis»
(2) Daverncy veut dire dans cette classe d'ani-
maux. Au tems où cet aiiatomiste écrivoit l'on n'avoit
pas poussé l'art des divisions , des subdivisions , des
coupures , des souscoupures , etc., au point oii il est
parvenu de nos jours^
DISTINCTIVES. i65
cî que clcpiiis le cœur jusqu'à Fextrémité
des ouïes, où olîe finit.
Celle branche fournit autant de rameaux
qu'il y a de lames sur l'un et sur l'autre
l)oid de la côte. La grosse branche se ter-
mine à l'extrémité de la côte , ainsi qu'il
a été dit , et les rameaux finissent à l'extré-
mité des lames , auxquelles chacun d'eux
se distribue (i). Pour peu cjue l'on soit ins-
truit de la circulation et des vaisseaux qui
y servent, on sera en peine de savoir par
quels autres vaisseaux on a trouvé un expé-
dient pour animer et nourrir tout le corps,
depuis le bout d'en bas des ouïes jusqu'à
l'extrémité de la queue. Cet expédient
paroîtra clairement, dès qu'on aura con-
duit le sang jusqu'à l'extrémité des ouïes.
Chaque rameau d'artère monte le long
du bord intérieur de chaque lame des deux
feuillets posés sur chaque côté, c'est-à-dire,
le long des deux tranchans des lames qui se
regardent : ces deux rameaux s'abouchent
au milieu de leur longueur; et continuant
leur route parviennent, comme j'ai dit, à
la pointe de chaque lame ; là , chaque
(i) Ce sont les petites artères dos lames , art erice
laminarum,
L 3
i66 DENOMINATIONS
rameau cle rextrémité de Takère trouve
rembouchure d'une veine (j), et ces deux
embouchures , appliquées Tune à Taulre
immédiatement , ne faisant qu'un même
canal, malgré ]a différente consistance des
deux vaisseaux , la veine s'abat sur le
tranchant extérieur de chaque lame, et
parvenue au bas de la lame , elle verse
son sang dans un gros vaisseau veineux ,
coucfié près de la branche d'artère , dans
toute l'étendue de la gouttière de la côte (2).
Mais ce n'est pas seulement par cet abou-
chement immédiat des deux extrémités de
l'artère et de la veine , que l'artère se
décharge dans la veine, c'est encore par
toute sa route.
Voici comment le rameau d'artère , dressé
sur le tranchant de chaque lame , jette dans
tonte sa route sur le plat de chaque lame,
de part et d'autre, une multitude infinie de
vaisseaux, qui, partant deux à deux de ce
rameau, l'un d^un côté, l'autre de l'autre,
chacun de son côté va droit à la veine qui
descend sur le tianchant opposé de la lame,
et s'y abouche par un contact immédiat.
(i) Les petites veines des lames, venulœ laminarum,
(2) La \eine branchiale ; venu hranchiaiis.
DISTINCTIVES. 167
C est ainsi que le sang passe, dans ce genre
d animaux , des arlères de leur poumon ,
dans leurs veines, d'un bout à l'autre ; les
artères y sont de vraies artères , et par leurs
corps , et par leur fonction de porter 1©
sang. Les veines y sont de vraies veines,
par leur fonction de recevoir le sang desr
artères , et par la délicatesse extrême de
leur consistance. Il n'y a jusques là riea;
qui ne soit dans Téconomie ordinaire; mais
ce qu'il y a de singulier, est premièrement
Tabouchement immédiat des artères aveo
les veines, qui se trouve à la vérité dans
les poumons d'autres animaux , sur- tout
dans ceux des grenouilles et des tortues ,"
mais qui n'est pas si manifeste que dans les
ouïes des poissons. 2° La régularité de 1^
distribution qui rend cet abouchement
plus visible dans ce genre d'animaux , car
toutes les branches d'artères , montant le
long des lames dressées sur les côtes, sont
aussi droites et aussi également distantes
l'une de l'autre que les lames : les rameaux
transversaux capillaires, qui partent de ces
branches à angles droits , sont égaleoieut
distans l'un de l'autre, de sorte que la direc-
tion et les intervalles de ces vaisseaux, tant
montans que transversaux , étant aussi
L 4
i68 DENOMINATIONS
réguliers que s'ils avoieiit été dressés à la
règle, et espacés au compas, on les suit à
l'œil et au microscope. On voit donc que
les artères transversales finissent immédia-
tement au corps de la veine descendante ,
et chacune de ces veines descendantes avant
reçu le sang des artères capillaires trans-
versales, de part et d'autre de la lame,
s'abouche à -plomb avec le tronc de la
veine couchée dans la gouttière.
Il faut avouer cjue cette distribution est
fort singulière : ce qui suit l'est encore da-
vantage. On est en peine, comme j'ai dit,
de la distribution du sang pour la nourri-
ture et la vie des autres parties du corps de
ces animaux. Nous avons conduit le sang du
cœur, par les artères du poumon , dans ]es
veines du poumon. Le cœur ne jette point
d'autres artères que celle du poumon. Que
deviendront les autres parties, le cerveau,
les organes des sens, et tout le reste du corps?
Ce qui suit le fera voir. '
Ces troncs de veines (i) pleins de sang
artériel, sortant de chaque côté par leur
extrémité qui regarde la base du crâne,
prennent la consistance et l'épaisseur d'ar-
(i) Des veines braiicliiales, penœ branchiales.
DISTINCTIVES. 169
tères, et viennent se réunir deux à deux de
chaque côté. Celle de la première côte fournit
avant sa réunion des branches qui distribuent
le sang aux organes des sens , au cerveau et
aux parties voisines, et fait par ce moyen
les fonctions qui appartiennent à l'aorte as-
cendante dans les animaux à quatre pieds.
Ensuite elle se rejoint à celle de la seconde
côte; et ces deux ensemble ne font plus
qu'un tronc ,, lequel coulant le long de la
base du crâne reçoit encore de chaque côté
une autre branche formée par la réunion
des veines des troisième et quatrième paires
de côtes , et toutes ensemble (1) ne font plus
qu'un tronc.
Après cela, ce tronc, dont toutes les
racines étoient veines dans le poumon, de-
venant artère (2) par sa tunique et son office,
continue son cours le long des vertèbres; et
distribuant le sang artériel à toutes les autres
parties, fait la fonction à^ aorte descendante ^
et le sang artériel est distribué par ce moyen
également à toutes les parties pour les nourrir
et les animer, et il rencontre par- tout des
(i) Ce sont les racines de l'aorte descendante y
radices aortœ descendentis.
(2) C'est l'aorte descendanle, aorta du scande nsi,
370 DENOMINATIONS
racines de veiues qui reprennent le résidu et
le repoj'tent par plusieurs troncs formés de
l'union de toutes ces racines au réseivoir
commun qui doit le rendre au cœur : c'est
ainsi que s'achève la circulation dans ces
animaux.
Voilà comment les veines du poumon de
ce genre de poisson deviennent artères pour
animer et nourrir la tête et le reste du corps.
Mais ce qui augmente la singularité , est
que ces mêmes veines des poumons, sortant
de la gouttière des côtes par leur extrémité
qui regarde la gorge, conservent la tunique
et la fonction de veines, en rapportant dans
le réservoir de tout le sang veinai une por-
tion du sang artériel qu'elles ont reçue des
artères du poumon (i).
Comme le mouvement des mâchoires
contribue aussi à la respiration des poissons,
il ne sera pas hors de propos de faire re-
marquer que la supérieure est mobile; qu'elle
est composée de plusieurs pièces qui sont
naturellement engagées les unes dans les
autres, de telle manière qu'elles peuvent,
en se déployant , dilater et aionger la mâ-
choire supérieure.
' (i) Il s'agit de la veine déférente, vena deferens.
DISTINCTIVES. 171
Toutes les pièces qui servent k la respi-
ration de la carpe montent à un nombre si
surprenant 5 qu'on ne sera pas fâché d'en
voir ici ?e dénombrement.
Les pièces osseuses sont au nombre de
quatre mille trois cent quatre-vingt-six. 11
y a soixante-neuf muscles.
Les artères des ouïes , outre leurs huit
branches principales , jettent quatre mille
trois cent vingt rameaux, et chaque rameau
jette de chaque lame une infinité d'artères
capillaires transversales, dont le compte ne
sera pas difficile, et passera de beaucoup tous
ces nombres ensemble..
Il y a autant de nerfi que d'artères. Les
ramifications des premiers suivent exacte-
ment celles des autres.
Les i^eines , ainsi que les artères, outre
leurs huit branches principales, jettent quatre
mille trois cent vingt rameaux , qui sont de
simples tuyaux , et qui , à la différence des
rameaux des artères, ne jettent point de
vaisseaux capillaires transversaux.
Voilà une légère idée de la structure des
ouïes de la carpe. 11 s'agit à présent d'exa-
miner les usages de ces parties.
Le sang, qui est rapporté de toutes les
parties du corps des poissons, entre du réser-
172 DENOMINATIONS
voir où se dégorgent toutes les veines dans
roreillette, et de là dans le cœur, *qui, par
sa contj'acfion, le pousse dans l'aorte et dans
toutes les ramifications qu'elle jette sur les
lames des ouïes; et comme à sa naissance
elle est garnie de plusieurs colonnes charnues
fort épaisses, qui se resserrent immédiate-
ment après 5 elle seconde et fortifie par sa
compression l'action du cœur , qui est de
pousser avec beaucoup de force le sang
dans les rameaux capillaires transversaux ,
situés de part et d'autre sur toutes les lames
des ouïes.
On a fait observer que cette artère (i)
et ses branches (2) ne parcouroientde chemin
que depuis le cœur jusqu'à l'extrémité des
ouïes où elles finissent. Ainsi ce coup de
piston redoublé doit suffire pour pousser le
sang avec impétuosité dans ce nombre infini
d'artérioles si droites et si régulières, où le
sang ne trouve d'autre obstacle que le simple
contact , et non le choc et les réflexions ,
comme dans les autres animaux , où ]es
artères se ramifient en mille manières , sur-
tout dans leurs dernières subdivisions.
(i) L'aorte descendante.
(2) Les artères branchiales.
DISTINCTIVES. 175
Voilà pour ce qui concerne le passage du
sang clans le poumon. Voici comment s'en
fait la préparation (1).
Je suppose que les particules d'air qui sont
dans Teau, comme l'eau est dans une éponge,
peuvent s'en dégager en plusieurs manières.
Premièiement par la chaleur , ainsi qu'on
le voil dans l'eau qui bout sur le feu; 2" par
raffoiblissement du ressort de Tair , qui
presse l'eau où ces particules d'air sont en-
gagées , comme on le voit dans la machine
du vuide; 5^ par le froissement et l'extrême
division de Feau , sur - tout quand elle a
quelque degré de chaleur.
On ne peut pas douter qu'il n y ait beau-
coup d'air dans tout le corps des poissons ,
et que cet air ne leur soit fort nécessaire.
La machine du vuide fait voir l'un et
l'autre.
On a mis une tanche fort vive dans uil
vaisseau plein d'eau, qu'on a placé sous le
récipient; et après avoir donné cinq ou six
coups de piston , on a remarqué que celte
tanche étoit toute couverte d'une infinité de
petites bulles d'air qui sortoient d'entre les
écailles , et que tout le corps paroissoit perlé.
■ ■ ' ■ ■ I I I I III I I ^M—
(i) C'est-à-dire , la respiration.
174 DENOMINATIONS
Il en sortoit aussi un très-grand nombre par
les OLiïes, beaucoup plus grosses que celles
cle la surface du corps; enfin, il eu soVloit
par la bouche , mais en moindre quanlifé.
En recommençant à pomper tout de nou-
veau deux ou trois fois de suite, ce qui fut
fait à plusieurs reprises, on remarquoit que
le poisson s'agiloit et se tourmentoit exiraor-
dinairemeht, el qull respiroit plus fréquem-
ment. Après avoir passé un gros quart d'heure
dans cel état, il tomba en langueur, tout le
corps et même les ouïes n'ayant plus aucun
mouvement sensible. Pour lors ayant tiré le
vaisseau de dessous le récipient, on jeta le
poisson dans de l'eau ordinaire , où il com-
mença à respirer et à nager, mais foiblement ,
et il fut long-tems à revenir à son état
naturel.
La même expérience a été répétée sur
une carpe. On l'a mise dans la même ma-
chine, et ayant pompé l'air trois ou quati e
fois, comme on Favoit fait à la tanche, le
poisson commença d'abord à s'agiter : toute
la surface du corps devint perlée. Il sortit
î)ar la bouche et par les ouïes une infinité
de bulles d'air fort grosses , et la région de la
vessie d'air s'enfla beaucoup. Quoique cette
carpe fût plus grosse que la tanche, le batte-
DISTINCTIVES. 175
ment des ouïes cessa plus tôt. Lorsqu'on
recomniençoit à pomper, les ouïes recon.-
niençoient aussi à battre, mais très-peu de
tems et fort foiblement; enfin elle demeura
sans aucun mouvement, et la région de la
vessie devint si gonQée et si tendre, que la laite
sortoit en s'effilant par l'anus. Cela dura
environ trois quarts d'iieure, au bout des-
quels elle mourut , étant devenue fort
plate. L'ayant ouverte , on trouva la vessie
crevée.
On a aussi expérimenté qu'un poisson mis
dans de Feau purgée d'air n'y peut vivre
long- tems.
Outre ces expériences, qu'on peut faire
dans la machine du vuide, en voici d'autres
qui prouvent aussi que l'air qui est mêlé
dans l'eau a la principale part à la respiration
des poissons.
Si vous enfermez des poissons dans un
vaisseau de verre plein d'eau , ils y vivent
quelque tems, pourvu que l'eau soit renou-
velée; mais si vous couvrez le vaisseau et le
bouchez en sorte que l'air n'y puisse point
entrer , les poissons seront étouffés : cela
prouve bien que Feau ne sert à leur res-
piration qu'autant qu'elle a la liberté de
^'imprégner d'air.
176 DENOMINATIONS
Mettez plusieurs poissons dans un vaisseau
qui ne soit pas entièrement rempli d'eau; si
vous le fermez , ces poissons, qui auparavant
nageoient en pleine liberté et s'égayoient,
s'agitei'ont et se presseront à qui prendia le
dessus pour respirer la portion de l'eau qui
est la plus voisine de l'air.
On remarque aussi que , lorsque la surface
des étangs est gelée , ]es poissons qui sont
dedans meurent plus ou moins vite, suivant
que Fétang a plus ou' moins d^étendue et de
profondeur; et on observe que, quand oa
casse la glace en quelque endioit , les pois-
sons s'y présentent avec empressement pour
respirer cette eau imprégnée d'un nouvel
air. Ces expériences prouvent manifestement
la nécessité de l'air pour la respiration des
poissons. Voyons maintenant ce qui se passe
dans le tems de cette respiration.
La bouche s'ouvre, les lèvres s'avancent :
par là la concavité de la bouche est alongée;
la gorge s'enfle ; les couvercles des ouïes ,
qui ont le même mouvement que les pan-
neaux d'un soufflet , s'écartant l'un de l'autre,
se voûtent en dehors par leur milieu seule-
ment ; tandis qu'une de leurs pièces , qui
joue sur une espèce de genou, tient fermées
les ouvertures des ouïes , en se soulevant
toutefois
I
BISTINCTIVËS. 177
toulxîfois un peu , sans permeltre cependant
à Teau d'entrer, parce que la petite peau qui
borde chaque couv^ercle ferme exactement
l'ouverture des ouïes.
Tout cela augmente et élargit en tous sens
la capacité de la bouche, et détermine l'eau
à entrer dans sa cavité , de même que lair
entie par la bouche et les narhies , dans la
traclîée-artére et les poumons , par la dila-
tation de la poitrine ,• dans ce même tems
les côtes des ouïes s'ouvrent en s écartant les
unes des autres; leur ceintre est élargi; le
sternum est écarté, en s'éloignant du palais;
ainsi tout conspire à faire entrer Teau en
plus grande quantité dans la bouche. C'est
ainsi que se fait l'inspiration des poissons*
Ensuite la bouche se ferme; les lèVres, au-*
paravant alongées , se raccourcissent, sur-
tout la supérieure, qui se plie en éventail.
La lèvre inférieure vSe colle à la supérieure
par le moyen d'une petite peau en forme dé
croissant , qui s'abat comme un rideau de
haut en bas, et qui empêche l'eau de sortir.
liC couvercle s'aplatit sur la baie de Fouver^
tare des ouïes. Dans le même tems , les côtes
se serrent les unes contre les autres , leur
ceintre se rétrécit, et le sternum s'abat sur
le palais.
Poiss, Tome IL M
ayS DENOMINATIONS
Tout cela contribue à comprimer FeaU
qui est entrée parla bouche. Elle se présente
alors pour sortir par tous les intervalles des
côtes et par ceux de leurs lames, et elle y
passe comme par autant de filières , et par
ce mouvement la bordure membraneuse
des couvercles est relevée, et l'eau pressée
s'échappe par cette ouverture. C'est ainsi que
se fait l'expiration dans les poissons. On voit
donc par là que l'eau entre par la bouche,
et qu'elle sort par les ouïes par une espèce de
circulation entrant toujours par la bouche,
et sortant toujours par les ouïes, tout le con-
traire de ce qui arrive dans les animaux à
quatre pieds, dans lesquels l'air entre et sort
alternativement par la même ouverture de
la trachée-artèie.
Voilà tout ce qui concerne les mouve-
mens de la respiration des poissons. Suivons
à présent la route du sang dans les ouïes,
et voyons quelle préparation il y reçoit.
Le sang qui sort du cœur de la carpe se
répand de telle manière sur toutes les lames
dont les ouïes sont composées, qu'une très-
petite quantité de sang se présente à l'eau
sous une très-grande superficie, afin que par
ce moyen chacune de ses parties puisse plus
facilement et en moins de tems eue pénétrée
DISTINCTIVES. 179
par ces petites parties d'air qui se dégagent
de Teau par l'extrême division qu'elle souffre
entre ces lames. C'est pour cela qu'il a fallu
non seulement que chaque feuillet en eût
un si grand nombie, mais aussi que toutes
leurs surfaces fussent couveites de rameaux
capillaires transversaux de l'aorte.
On observe en quelque manière la même
mécanique dans les poumons des autres
animaux ; car ils sont formés d'un nombre
prodigieux de petites vésicules membra-
neuses qui tiennent lieu de lames, et ils sont
tapissés d'une infinité de petits vaisseaux ;
ce qui fait que le sang se répand de telle
manière dans la substance des poumons ,
qu'il se présente aussi à l'air souvent une
très-grande superficie.
Mais le nombre de ces vaisseaux , dans
les vésicules du poumon , n'approche point
du nombre de ceux des lames. Aussi est-il
plus difficile de tirer l'air de l'eau , que de
respirer l'air pur tel qu'il entre dans les
poumons vésiculaires.
Si l'on fait attention au froissement et h la
division extraordinaires que souffrent les
parties d'eau dans le tems de l'expiration ,
on sera porté à croire que c'est alors que l'air
eio^ïe dans les vaisseaux capillaires des ouïes.
M a
i8c) DENOMINATIONS
Il est donc probable que la même cliose se
passe dans les ponnmns des autres animaux^
car comme il faut à Fair quelque force pour
s'insinueir dans les vaisseaux, il ne paroît pas
qu'il y puisse entj^er dans le tems de l'ius-
piraiion, c'est-à-dire, lorsqu'il entre natu-
rellement dans les poumons. Au contraire,
lorsqu'il est repoussé par l'expiration , il
cherche à s'échapper de toutes parts; et ^
foi çant tous les obstacles qu'il rencontre ,
il passe au travers des membranes fines et
déliées qui composent les vaisseaux, tandis
qciê îa plus grande partie de cet air ressort
par la trachée-artère.
La diilicuîlé avec laquelle ces petites
parties d'air passent par les pores de ces
vaisseaux comprime leur ressort , d'où il
8'ensuit qucv, lorsqu'elles y sont entrées, ce
ressort doit se débander avec impétuosité
contre les particules du sang qui sont alors
abattues, agitées , et bro3^écs avec violence ,
ce qui fait qu'elles s'entrechoquent en tous
sens, et c'est par là qu'elles acquièrent un
nouveau mouvement de liquidité et de
chaleur.
bi cela est vrai dans les animaux qui
respirent l'air, cela doit éti^ encore plus
wreà dans les animaux qui a espireut réau «
DISTINCTIVES. i8i
parce qu'ici 1 air est tout autrement com-
primé que ne Test l'air libre que ]es premiers
respirent ; de sorte que le grand écart de.ce$
paj'ticules d'air si comprimé doit suppléer
en quelque manière à la moindre quantité
d'air qui entre dans les vaisseaux des ouïes.
Quand on considère que le sang des veines
des ouïes est d'un rouge plus vermeil que
celui de l'aorte, on juge aisément qu'il s'y
est cliai'gé de qu( Iques particules d'air. Oii
remarque dans les autres animaux la même
différence entre le sang de l'artère du pou-
mon , qui est toujours d'un rouge obscur ^
et celui de la veine du poumon , qui est
toujours d'un rouge fort éclatant.
Le sang ainsi imprégné des particules
d'air , et par là devenu vraiment artériel,
entre dans les veines des ouïes ; et ces veines,
sortant de la gouttièie des côtes par fexti'é-
mité qui regarde la base du crâne, prennent
la consistance d'artères , et distribuent ce
sang à toutes les parties. Il est ensuite repris
par les veines qui le portent au cœur (i).
Il ne faut pas oublier que l'artère qui
sort du cœur a un battement, nu lieu que
les vaisseaux qui font la fonction d'aorte
(i) C'est la circulation du sang.
M 5
i83 DENOMINATIONS
nVn ont point; au moins qui soit sensible :
premièrement paicè qu'ils n'ont point de
communication immédiate avec le cœur;
secondement parce que ce sang passe d'un
petit tuyau dans un grand. Mais il faut aussi
considérer que les poussées du sang ne sont
nullement nécessaires à la nutrition des par-
ties , pour laquelle il suffit que le sang coule
d'un cours paivsible ; de même qu'il n'est pas
nécessaire qu'il coule autrement pour sa dis-
tribution et sa circulation , sur-tout dans les
animaux où elle est beaucoup plus lente , et
qui par là transpirent peu , et peuvent vivre
long-tems sans aucune nourriture.
Il est aisé de juger, par tout ce qu'on
vient de dire, que la situation et la con-
formation des poumons, et leur commerce
avec le cœur sont bien diiFérens dans les
différentes espèces d'animaux , ce qui n'avoit
pas été inconnu à M. Malpighi.
Dans le fœtus il y a des conduits par-
ticuliers qui ont une communication si
prochaine avec les ventricules du cœur et
la tète des vaisseaux du poumon , qu'ils font
passer presque tous les sucs nourriciers de
la ujère immédiatement dans l'aorte , qui
}es distribue à tout le reste du corps; au
lieu qu'après la naissance tout le sang des
DISTINCTIVES. i83
yeiiies entre clans le ventricule droit , lequel
le pousse immédiatement dans les poumons ,
d'où , après que par un long circuit il s'est
imprégné des particules d'air , il passe dans
le ventricule gauche , qui le répand ensuite
par l'aorte dans toutes les parties.
Dans les tortues , les grenouilles et les
autres animaux qui leur sont analogues, un
tiers du sang passe par le poumon à chaque
circulation , et il y reçoit toutes les prépa-
rations nécessaires aux fonctions de la vie.
Ce sang , qui revient du poumon , se mêle
ensuite avec celui des veines dans la cavité
du cœur, où ce dernier, étant imprégné des
parties actives de l'air y dont le premier
s'étoit chargé dans le poumon, est ensuite
distribué par l'aorte à tout Je corps.
Dans les poissons , tout le sang qui sort
du cœur passe par le poumon, où, s'étant
aussi imprégné des parties actives de l'air,
il va ensuite se distribuer à tout le corps,
et jusques là cette circulation est conforme
à celle de Thomme. Cependant les poissons
n'ont qu'un seul ventricule ; mais cette cir-
culation si singuhère vient de ce que l'aorte
fait la fonction de l'artère du poumon , et
que les veines du poumon , devenues artères,
font la fonction de l'aorte.
JNI 4
ï84 DENOMINATIONS
Dans les insectes, les trachées qui leur
servent de poumon sont répandues dans
t(juies les parties où elles se ramifient à la
manière des bronches dans les poumons
vésiculaij es ; de sorte qu'au lieu que dans
les autres animaux l'air emprunté des
branches est distiibué dans toutes les parties
par les artères , ici il est immédiatement
distribué dans les sucs qui sont actuellement
dans chaque partie.
La raison d'une distribution si surpre-
nante vient de la nature des liqueurs con-
tenues dans les tuyaux de ces animaux ,
lesquelles , pour être extrêmement gluantes
et visqueuses , et par conséquent très-propres
à se lier entre elles et à se coller à la super-
ficie de leurs vaisseaux , ont dû être im-
prégnées, dans tout leur cours, des parties
actives de l'air , qui facilitassent leur circu-
lation , et les rendissent propies à la nour-
riture.
On voit, par cette énumération, que les
fonctions des poumons n'ont pas toujours
■une étroite liaison avec celles du cœur, et
que chacune de ces parties a des usages fort
diifeiens par rapport au sang.
Le cœur n'est que pour le mouvement
qu'où nomme circulaiion. Le poumon la
DISTINCTIVES. î85
favorise par l'introduction des î>artiGules
d'air , et encore par l'impulsion de Feau
dans les animaux dont il s'agiL Mais sa
ptincipale fonction est d'imprégner le sang
d ail- et de le rendre par là capable de porter
par-tout l'aliment, la vie et la chaleur. C'est
pour cetle raison qu'on vient de montrer,
1° que dans tous les animaux, hors les in-
sectes , le sang ne passe jamais du cœur dans
l'aorte qu'il n'ait passé par les poumons ,
même dans le fœtus , de la manière dont
nous l'avons expliqué ; 2° que dans la plupart
il faut qu'il y passe nécessairement tout
entier comme dans l'homme , les animaux
à quatre pieds, les oiseaux et les poissons;
5° ou qu'il y passe en partie, comme dans
les tortues , les grenouilles , etc ; et il est
^nécessaire qu'au moins le tiers du sang passe
par les poumons de ces animaux , pour
être vivifié autant que le demandent leurs
fonctions.
Enfin on a montré que , si dans les in-
sectes il n'y a point de poumons par ou
le sang puisse passer, c'est que l'air se mêle
nécessairement dans toutes leurs parties avec
les sucs nourriciers; de sorte que, par cette
mécanique , chaque partie se tient lieu de
poumon à elle-même.
i86 EXPLICATION
EXPLICATION
Des Planches I, II et III de ce volume.
PLANCHE L
JLi A figure 1 représente im rameau d'une
plante aquatique, chargée de globules par-
faitement ronds , qui y adhérent par la
matière gluante dont ils sont imprégnés; ce
sont des œufs de poissons, fécondés; et la
figure 2 montre de ces mêmes œufs qui ne
sont pas fécondés.
Il est toujours facile de s'assurer si les
œufs des poissons ont été fécondés; car dans
ce cas , ils paroissent toujours plus clairs ,
phis transparens et plus jaunes. Avec une
îoupe on les reconnoit distinctement pen-
dant les quatre à cinq premiers jours qui
suivent celui auquel ils ont été déposés par les
femelles; ensuite, comme les mêmes signes
deviennent chaque jour plus sensibles, ils
peuvent être saisis même à la vue simple.
Lags œufs qui ne sont pas fécondés de-
viennent successivement plus troubles, plus
/).' .'Wv ,/e^
if^ T,rr./i^» =/
DES PLANCHES. 187
épais et plus opaques; ils perdent tout leur
éclat, et, suivant l'expression de Bloch, ils
ressemblent bientôt à un petit grain de
grêle qui commence à fondre.
La distinction entre les œufs de poissons,
fécondés ou non fécondés, est une des plus
importantes en économie. Elle facilite les
moyens de peupler, sans frais et sans em-
barras , les étangs , les pièces d'eau , les
ruisseaux et même les rivières ; il suffit d&
prendre , dans les eaux poissonneuses , des
plantes chargées d'oeufs fécondés et de les
mettre dans les eaux où l'on veut multiplier
les poissons, et où ils.éclosent bientôt par
milliers , si l'on choisit celles qui con-
viennent le mieux par leur nature , leur
exposition , leur température et le fond sur
lequel elles coulent ou reposent. Les anciens
connoissoient mieux que nous ces détails,
auxquels l'abondance générale et la pros-
périté publique ne sont point étrangères;
ils avoient même poussé leurs remaïques à
cet égard, jusqu'à connoître les mers les
plus favorables h la reproduction des pois-
sons; et Aristote a consigné dans son His-
toire des animaux, comme un fait constaté j.
que les poissons croissent plus promptenient
î88 EXPLICATION
qu'ailleurs dans la mer du Pont, à cause
de la bonne qualité de ses eaux (i).
A la figure 3 est ini œuf de poisson vu
au microscope; a montre le jaune, et h le
blanc. Entre Fun et l'autre est un espace
clair, en forme de croissant. Le jaune, que
le blanc environne ordinairement, est rond,
mais il n'occupe pas le milieu de l'œuf,
comme dans les œufs des oiseaux, et il est
toujours placé vers un côté. L'on n'aper-
çoit aucune différence dans la situation et
la forme de ces parties , soit que les œufs
aient été fécondés ou non par la liqueur
spermatique du mâle; seulement la teinte
du jaune des œufs non fécondés est moins
foncée. Du reste , il est impossible de dé-
couvrir à l'extérieur de l'œuf aucun indice
de fécondation.
Les grecs de l'antiquité avoient donné
aux œufs des poissons l'épitliète de psaihyrcty
que les interprètes latins ont traduit par
facile comminubilia , c'est-à-dire, foibles,
ou qui se brisent aisément. Leur enveloppe
est en effet d'une substance mo3^enne entre
la coque des œufs d'oiseaux et la mem~
i^ ___ _
(i) Liv. 6 , chap. 7.
DES PLANCÎTES. 189
brane , et cela est nécessaii e , pour que
l'humeur fécondante puisse, pénétrer à Fia-*
térieur.
Voici la manière dont le poisson se déve-
loppe dans l'œuf: le second jour, l'espace
en forme de croissant, qui est entre le blanc
et le jaune, devient un peu trouble; Ton y
remarque de tenis en tems \in point qui se
meut. Une masse plus épaisse se mon Ire
au même endroit, le troisième jour; elle
est libre d'un côté, de l'autre eA\e s'attache
fortement au jaune {figures 5 et 7 ). A l'une
des extrémités de la partie qui louche au
jaune, on aperçoit le contour du cœur,
dont le mouvement s'auguienle alors; la
masse elle-même , ou l'embjyon , se remue
de tems en tems du côté qui est libre, c'est-
à-dire, de la queue; le quatrième jour,
'ces mouvemens augmentent , aussi bien
que les battem^ns de l'artère; on voit, au
cinquième joiu' , dans certaines positions
que le poisson prend quelquefois par ses
mouvemens répétés; on voit, dis-je, la cir-
culation des humeurs; on distingue , au
sixième jour, l'épine du dos et les côtes qui
y sont attachées; le septième, on découvre
dans Fœuf, à la vue simple, deux points
noirs, qui sont les yeux {Jigiu'es 6 et 7).
igo EXPLICATION
La forme du poisson se montre alors toute
entière, et les vertèbres et les côtes sont si
distinctes , qu'on peut les compter sans
beaucoup de peine, à laide d'une loupe
ordinaire. Quoique le jaune de Tœuf dimi-
nue à mesure que l'embryon augmente de
volume , celui-ci n'a pas néanmoins assez
de place pour se tenir en ligne droite ,
et il fait une courbure avec sa queue
{figure j).
L'on voit ^ à la figure 4 , un œuf dans
lequel le mouvement du poisson se fait
remarquer le quatrième jour.
A \di figure 5, est un œuf vu au micros-
cope , et dans lequel on aperçoit déjà
l'épine du dos.
La figure 6 représente l'œuf, qui, au
septième jour, laisse voir les yeux du poisson.
L'œuf de \^ figure 7 est le même que celui
de la figure 6 , mais vu au microscope.
Les mouvemens du poisson deviennent
si vifs au septième jour, que, lorsqu'il se
tourne en tous sens, le jaune tourne en
même tems; ces mouvemens augmentent
visiblement jusqu'à Ja naissance du poisson,
laquelle a lieu entre le septième et le neu-
vième jour, selou que la chaleur du soleil
/Y..
r^/'
i^gi.
7)e J't'iw ,/i-/ ■
Jr^ rar,/«-a <>
wt^ r.zr./feu ./•
^f
DES PLANCHES. 191
pénètre plus ou moins dans Feau qui contient
les œufs. Les coups et les frottemeiis presque
continuels de la queue du poisson contre
l'enveloppe de Toeuf, la rendent si mince
qu'elle se crève ; alors le poisson sort de
l'œuf, la queue la première ; voyez lajig' 8,
où le poisson est représenté la queue hors
de Fœuf,- il redouble ses mouvemens et
ses elForts, afin de. détacher sa tête et de se
mettre en liberté. Bientôt après , on le voit
courir avec beaucoup de vivacité dans le
nouvel élément qui devient sa demeure
habituelle.
PLANCHE II ET IIL
C'est un spectacle fort agréable de voir
se jouer au milieu des eaux les petits
poissons nouveaux nés , dont le corps est
extrêmement petit et délicat; voyez pi. 11 ,
figii^re 1 , a. Dans les huit premièies heures,
il acquiert la grosseur marquée en b) mais
ensuite son accroissement devient si lent,
qu'au bout de trois semaines il n'est pas
plus gros qu'en c, Ynème figure. Nota^ que
c'est une brème de grandeur naturelle que
cette figure représente.
, Outre les deux points noirs qui se font
192 EXPLICATION
remarquer le neuvième jour , on en dé-
couvre un tioisième à l'aide du microscope,
lorsque le poisson est couché sur le venti^;
c'est Testomac avec la nourriture qu'il con-
tient ; voyez la figure 2 , en a.
Dès le premier jour de la naissance, on
reconnoît les nageoires pectorales; mais les
autres nageoires sont invisibles, aussi bien
que les intestins. Ce n'est que le troisième
jour qu'on aperçoit la nageoire delà queue,
qui est encore droite; fig, 2, ^. La nageoire
du dos paroit le cinquième jour; celles du
ventre et l'anale s'aperçoivent au micros-
cope le huitième jour.
C'est à peu près à la même époque que le
microscope fait découvrir , sur le coips du
poisson , de petits points noirs , figure 3 de
la planche II, 6^; a est la majque de Tes-
tomac. De ces petits points noirs les uus sont
ronds, et les autres alougés en augle^i comme
des- étoiles 'irrégulières. (Vo3'ez la /?^/7r£' 2 de
la planche III, a, h^ c\) Ce sont \es pre-
miers contoui^ des écailles dont le poisson
doit être couvert. Ceux de la tète, a, sont
les plus peiits ; ceux du dos, 6, les plus
grands, et ceux des côtés, c,d\me graudeur
moyenne entre les premiers et les seconds.
On
BES PLA>7CHES. igS
On remarque aussi à la queue une échan-
crure en forme de croissant ,* ^^^ 5, c.
Près de la tète ou aperçoit le cœur, qui
cousiste en un sac mince et membraneux.
Voyez Vdfig, 4, a, de la planche Jl, et la
Jîg, 1 de la pi. JJI, a; il verse le sang dans
une artère en forme de poche , ^^. 4 , a,
j^lanche li, et Jï^. 1 , planche 111, b. Dès
que cette artère a reçu le sang, elle se res-
serre poui- le faire passer dans Taorte,^^. 1,
planche iil, c. Pendant que i'arlère se com-
prime, la veine cave porte de nouveau sang
au cœur quietoit sans action .^^. i,[)l. IM^i;
et ensuite le cœur le fait jaillir dans les
veines , qui pour lors sont aussi sans action.
lues ouïes n'étant pas encore visibles dans
les trè«-}<^iines poissons , on suit les artères
qui montent immédiatement à la tète , re-
viennent derrière l'œil, et descendent ensuite
le long de l'épine àii.êfi^'^ ft^ure 1 , c. Un^
autre descend le long du ventre jusqu'à la
queue, ^o-. 1 , dd; eWe commence près de
la téle et tii-e son origine de l'aorte. De la
première sort encore à diaque vertèbre
et à angre dioit une artère qui pî'end sa
diieotioH le long de Y^^rie , ficç. 1 , ff. Le
sang, qui passe dans ces aitèi'es extrêmement
Foiss, ToûiE IL N
194 EXPLICATION, etc!
délicates , se rassemble en partie dans la
veine cave ascendante ^figure i , ^, et en
partie dans la descendante , h. Ces deux
veines se touchent et forment un angle obtus
en i, derrière la vésicule aérienne , et con-
duisent de nouveau le sang vers le cœur.
La vésicule aérienne est fort grosse dans
les poissons nouveaux - nés , k , figt-ire i ;
planche III, tandis que leur tête est petite ;
cette conformation tient Tanimal en équi-
libre, quand il est dans une situation droite.
Des œufs de truite formés sont représentés
à la figure 5 de la })]anche IL
Hi'à figure 5 de la planche III est un mor-
ceau d'ovaire de saumon , dont les œufs
sont enfermés par couches dans des niem-
bianes particulières et arrangées les unes
sur les autres en forme de plis.
On voit à la figure 4 une petite masse
de six œufs de perche , unis ensemble , for-
mant une figure à six côtés , ainsi qu'on
Fobserve distinctement au microscope.
A \^ figure 5 sont des œufs de perche,
attachés en forme de filet.
Enfin la figure 6 , planche II, montre
les animaux sperma tiques de la carpe.
OBSERVATIONS
Sur les Ecailles de plusieurs espèces de
Poissons qu^oîi croit communément
dépourvus de ces parties.
Par BROUSSONET, de l'académie des sciences^
JN o u S ne connoissons qu'un très - petit
nombie de poissons piivés entièremenfe
il'écailles ; peut-être même ces parties sub-
sistent-elles dans tous, et n'ont-elles échappé
jusqu'à présent aux reclierches des ichthyo-
logisLes que faule d'observations plusexacles^
le but de ce Mémoire est de donner la des^
cription de quelques-unes de ces parties sur
des espèces où l'on avoit assuré qu'elles n^
se trouvoient point.
La position des écailles varie suivant les
différentes manières de vivre et la forma
de chaque espèce de poissons ; dans quel-
ques-uns elles sont enlièrement à découvert;
dans d'autres elles sont en partie recouvertes
par la peau, quelquefois elles sont cachées
au dessous de l'épi derme. Leur insertion
présente aussi des difféiences relatives à la
diversité des espèces ; il en est où les écailles
N a
i9« OBSERVATIONS
sont très-unies à la peau et paioissent n'en
être qu'un prolongement ; quelquefois elles
sont légèrement attachées au corps par des
yaisseaux très-déliés qui partent du milieu ,
ou des bords de çluique écaille, dont la forme
varie aussi suivant les espèces ; on en voit de
cylindiiques, de rondes, de carrées , d'unies,
de crénelées, etc.^ comme aussi d'osseuses
et de flexibles.
Les poissons, dont les écailles sont à dé^
couvert et seidenient retenues par des vais-
seaux , appartiennelît à la classe de ceux
qui nagent dans de grands fonds , qui ne
s'approchent jamais du rivage , et qui par
èonséqueàt sont moins exposés à perdre ces
parties , que le nVôindie choc contre les^
rochers ou les plantes marines poilrroient
détacher. Plusieurs espèces de dupés , d'ar-
gentines , etc. , peuvent être rangées dans
cette' -classe. L'usage des écailles paroît se
borner dans ceux-ci à rendre la suiface de
îeurâ' corps unie et lisse, pour fendre l'eâu
avec plus de facilité : ce qui est d'autant
plus probable que ces poissons font des
•^oyagë^ de long cours , et que la confar-
ïnation des autres organes concourt aussi
à augmenter la promptitude de leurs niou-
yemens. • ' ■
SUR LES ECAILLES. 197
A mesure que les poissons sont deslinés
à s approcher un peu plus du rivage, leurs
écailles sont recouvertes en partie par la.
peau; leur épaisseur devient aussi plus con-
sidérable , et leur adhérence est plus forte
que dans les espèces dont nous venons de
parler. Cette conformation leur est d'autant
plus nécessaire qu'elle piéserve ces animaux
des impressions trop brusques qu'ils renver^
roient étant exposés à se heurter sur les
rochers au milieu desquels ils nagent conti-
nuellement. La forme de leurs écailles varie
suivant leur genre de vie; quelquefois elles
sont très- grandes , comme on peut le voir
dans plusieurs espèces de perches , de labres
et sur - tout de scares , qui ont^ les écailles
plus grosses , proportionnellement à leur
cor}3S. J'en ai vu qui avoient appartenu à
un poisson de ce genre pris dans les mers
des Indes ; elles avoient près de trois pouces
de diamètre.
Les poissons dont les écailles sont en
partie recouvertes par la peau , sont destinés
à vivre dans la vase et près du rivage ; plus
ces parties sont petites, plus la membrane qui
les fixe est épaisse; ce qu'on peut obseiver,
en comparant un brochet avec une lanche:
je me. bornerai pour cet objet à ) envoyer
N 3
398 OBSERVATIONS
à l'ouvrage de Baster , qui a donné la figure
d'un très -grand nombre de ces écailles. Je
vais décrire ces organes sur quelques espèces
où on ne les a pas observés.
La flamme se trouve dans la Méditer-
ranée ; c'est un poisson fort effilé ; sa queue
se termine en pointe. Les premiers ichtbjo-
logistes la connoissoient sous le nom de
tœnia , comme s'ils eussent voulu la com-
parer à un niban : Linnaeus Fa désignée sous
la dénomination générique de cépola, en y
ajoutant le nom spécifique do tœnia ; sa
couleur de feu et la manière ^dont elle nage
en serpentant lui ont fait donner, dans notre
langue , le nom de flamme ; presqu'aucun
auteur n'a donné une bonne description de
ce poisson. Je n'en connois point qui ait
parlé de ses écailles ; M. Gouan , dans le
caractère qu'il assigne au genre du cépola
d'après l'espèce dont nous parlons, dit qu'il
n'y a point d'écaillés; il est cependant facile
de voir ces paj'iies, qui sont retenues sur le
corps de l'animal par une enveloppe très-
fine et très -déliée. Elles sont rangées de
manière qu'elles forment des lignes obliques
qui se croisent en façon d'échiquier. La
trace qu'elles laissent sur la peau en tom^
bant est presque carrée ; quoiqu'elles soient
SUR LES ECAILLES. iç)ci
assez pelîtes, on les voit cependant à l'œil
nu très-distinctement; au microscope , elles
paroissent ovales , plus obtuses à Tune des
extrémités qu'à l'autre; vers le bout le plus
large on voit partir du centre des rayons
divergens assez distans les uns des autres ;
ils sont formés par une séiie de petites
écailles , se recouvrant les unes les autres
en manière de tuiles. De l'autre côté de
l'écailie on voit des arcs de différentes
grar.deui's , également éloignés les uns des
autres , et décrivant une combe semblable
à celle du bord de ce même côté ; ces arcs
sont aussi formés par de pedtes écailles; les
écailles principales forment un renflement
dans leur milieu ; elles tiennent au corps
au moyen de plusieurs vaisseaux très-déliés,
qui s'insèrent au dessous dans leur partie
concave. On n'en trouve point sur la tète.
Loin de gêner les mouvemens de ce poisson ,
elles servent au contraire à les faciliter ;
aussi est-il très-agile, et nage-t-il fort vite
au milieu des plantes marines où il vit ordi-
nairement.
J'ai reconnu des écailles petites rangées ,
comme dans cette espèce , en quinconce ,
sur deux poissons appartenans à un genre
que Gronovius a décrit sous le nom de mas-
N 4
soo OBSERVATTIONS
tacemhelus : j'en ai décrit un dans le niTTseum
Brilaunicum, où il a élé apporlé par Russell,
qui la fait connoitre le premier dans soo
Voyage d'Aiep ; l'autre , qui n'a élé décrit
par aucun auteur , et dont les écailles sont
un peu plus petites que celles de Tespèce
précédente, m'a été communiqué par M. le
chevalier Banks, qui l'a apporté de la mer
du Sud.
Plusieurs auteurs ont prétendu que la
rémora n'avoit point d'écaiiles; Linuceus
et M. Gouan ont donné ce caractère à ce
poisson. Je ne relèverai point ici cette
omission qui est démontrée d'une manière
d'autant plus frappante que ces parties sont
très-apparentes dans l'espèce dont il s'agit.
Li^aramodyte se trouve assez communé-
ment sur les côtes de l'Océan, en Hollande ,
en Angleterre; on le trouve aussi en Amé-
rique , à Terre-Neuve , etc. Nous remar-
querons en passant que j^resque tous les
auteurs qui ont donné une figure de ce
poisson , ont copié celle qu'en avoit publiée
le premier Salviani; ils l'ont icprésenté avec
deux nageoires sur le dos , quoiqu'il n'en ait
réellement qu'une. Son museau est très-
effilé, sa chair est ferme; il s'enfouit presque
toujours dans le sable : on le déterre en
SUR LÉS ECAILLES. 201
Hollande avec une herse faite exprès ,
traînée par des bœufs ; comme il est des-
tiné k vivre sous le sable , et presque tou-
jours hors de son élément, ses écailles ont
dû avoir une conformation particulière.
Aussi sont - elles très - petites , et ont - elles
échappé à Texamen de tons les ichthyolo-
gistes, de Willnghby lui-même, si recom-
mandable par son exactitude 5 et qui cepen-
dant dit expressément que ce poisson est
privé d'écaillés; elles sont presque semblables
à celles que je viens de décrire sur la flamme ;
seulement les lignes obliques qu'elles for-
ment sont distinctes entre elles. Fabricius,
dans sa /^«//77 (2 Groenlandica, pag. 141 ? parle
de ces lignes , mais il ne dit pas qu'elles
soient formées par des écailles; il observo
seulement que la peau est unie et marquée
de stries obliques qui entourent le corps ;
je crois qu'Artedi est le seul auteur qui en
ait fait mention , sans cependant en donner
la description : je ne sais pourquoi long-tems
après Artedi, M. Gouan indique la privation
des écailles comme un caractère du genre
de l'ammodyte qui ne consiste que dans cette
seule espèce.
Nous venons de parler des écailles de
quelques espèces de poissons destinés à vivre
202 OBSERVATIONS
souvent claos la vase : eiles sont très -petites
et se recouvienfc en partie les unes les
aufres. Nous allons passer à d'autres espèces
destinées au nvme genre de vie, mais
obligée-, d exécuter beaucoup plus de mou-
vemens d'ondulalion, dont le corps est long
et dans lesquelles les écailles ont dû. être
séparées par de petits intervalles, pour que
les mouveniens du corps ne fussent point
gènes; on les trouve sur les anguillifoimes :
je vais les déci-ire d'abord sur l'anguille ,
parce que c'est le poisson de cette classe
le plus commun , et que ces écailles ont
d'ailleurs été déjà connues de plusieurs
auteuis.
Le corps, la tète, et même les j^eux de
l'anguille sont recouverts d'une peau d'un
tissu serré , blanchâtre et parsemée d'une
infinité de petits points noijâtres, qui, vus
à la loupe , présentent un grand nombre
de mouchetures; elle est recouverte d'un
épiderme très - fin , noirâtre. On trouve
entre ces deux enveloppes de petites poches
oblongues , quelquefois rondes, ordinaire-
ment d'une ou même deux lignes de long,
et foimées par une adhéience de Fépiderme
à la peau tout autour de ses vésicules, qui
sont en partie lemplies d'une humeur qui
SUR LES ECAILLES. 2o5
lubréfie tonte la surface du corps au moyen
d'une grande quantité de pelits tuyaux. Les
écailles sont logées dans les petites poches
dont je viens de parler, une dans chaque
poche qu'elle remplit exactement : la con-
vexité en est tournée en dehors ; elles sont
fixées au corps par plusieurs vaisseaux qui
s'insèrent à la partie concave. Leuwenhoeck
en a donné une bonne description et une
bonne figure. Roberg , dans la description
qu'il a publiée de l'anguille , en a fait men-
tion , et a copié la figure de Leuwenhoeck.
On peut en voir aussi une très-bonne figure
dans les Opuscula successwa de Baster. Au
microscope , ces parties paroissent formées
de plusieurs rayons divergens , composés
eux-mêmes d'une rangée de petites écailles
posées les unes sur les autres en manière de
tuiles. Les écailles principales d'ailleurs sont
répandues sur tout le corps sans se toucher;
on les voit très - bien à l'œil nu , et mieux
encore sur une peau sèche : c'est le moyen
qu'Artedi a indiqué pour les distinguer fa-
cilement.
Un des avantages les plus précieux, sans
doute , de l'étude de l'histoire naturelle est
de nous éclairer sur les erreurs les plus ^éiié-
204 OBSERVATIONS
ralement accréditées , et qu'il est toujours si
important de détruire , sur-tout lorsqu'elles
intéressent la diétélique. Ainsi les juifs d'au-
jourd'hui, qui habitent souvent des pays
où l'anguille est très-commune, mais (ju'ils
croient comprise dans la défense faite par la
loi de manger des poissons sans écailles , ne
s'abstiendroient point d'un aliment si fin ,
s'ils eu Iti voient l'histoire naturelle avec au-
tant d'ardeur qu'ils mettent d'aveuglement
dans un précepte qui n etoit réellement pas
compris dans le sens de la loi. On peut dire
la même chose des Romains, à qui, suivant
Pline , une loi de Numa défendoit de sacri-
fier des poissons sans écailles.
Un hasard heureux procure souvent au
peuple des découvertes dont les observateurs
ne se doutent pas , même plusieurs siècles
après qu'elles sont regardées ailleurs comme
des choses triviales. C'est ce qui est arrivé
aux paysans de plusieurs pays du Nord ,
qui, long-tems avant Leuwenhoeck , con-
noissoient les écailles de l'anguille , qu'ils
ramassoient avec soin pour les mêler avec
le blanc destiné à blanchir les murs de leurs
maisons, qui acquéroient par là un brillant
très-agréable , particulièrement lorsqu'elles
SUR LES ECAILLES. noS
(étoîent éclairées par le soleil : ne pourroit-on
pas appeler ceci blanc à l'écaillé , comme
on (lit blanc en bourre ?
Plusieurs auteurs ont cependant écrit
qu'on ne trouvoit point d'écaillés sur Fan-
guille. Rondelet et quelques autres ichthyo-
logistes Font assuré, et parmi les- modernes
M. Gouan a indiqvié la privation des écailles
comme un caractère propre aux genres de
murène auxquels ce poisson appartient. Cet
auteur dit cependant , dans un autre endroit
du même ouvrage , que les écailles des
poissons sont quelquefois séparées les unes
des autres, et il cité pour exemple Tanguille^
Hasselquist a décrit ces écailles- dans soii
Voyage ; mais il les prenoit pour des parties
bien différerite^s.
Les écailles ne sont pas les seules parties
que les auteurs aient méconnues dans ce
poisson. Les organes de la génération leur
©nt été inconnus , et sa reproduction a été
regardée comme mystérieuse. Parmi le gran(J
nombre d'auteurs qiii ont donné la descrip-
tion anatomique de Tanguille , Vaîisnieri
est le seul qui ?tii[? donné tiK^e bonne ^gnrë^
avec une- description des organes des deux*
sexes, qui sont sîHiés hors du péritoine éf-
disposés en grappe comme dftns les latiiproiesi
2o6 OBSERVATIONS
Il est rare qu'on prenne une anguille œuvée ;
il paroît que les œufs prennent un accroisse-
ment très - prompt dans ces animaux , et
qu'ils se cachent dans la vase au moment
où ils doivent les jeter.
Plusieurs espèces de murènes des mers
des Indes ont des écailles de la ïnéme forme
de celles de l'anguille : ces poissons appar-
tiennent au même genre. Le loup marin a
des écailles rondes plus grandes que celles
de Tanguille , et pareillement recouvertes
par l'épiderme. Tous les auteurs qui ont
parlé de cette espèce , "Willugîiby même et
Gronovius, qui eu ont donné les meilleures
descriptions, ont assuré qu elle n'a voit point
d'écaillés.
Un poisson du genre des blennies , qui a
beaucoup de rapports avec le loup mai in,
et qui est connu sous le nom de vipiparus ,
à cause de la manière dont ses petits sortent
tout formés de son corps, est couvert d'écaillés
de la même forme; elles sont seulement un
peu plus petites que dans les espèces précé-
dentes, relativement à sa grosseur. Ce poisson
remonte les rivières. Je l'ai vu assez souvent
dans les marchés de Paris et de Londres :
son squelette est verd. Cet exemple n'est
point unique ; on re-trouve la mt me singu-^
SUR LES ECAILLES. 207
larilé dans deux autres espèces de poissons,
savoir, l'aiguille (esox ùelone), el une autre
variété du brochet, qu'on pèche quelquefois
aux environs de Malesherbes.
La donzelle , dont j'ai publié l'histoire dans
les Transactions philosophiques, année 1781,
a des écailles du même genre; mais , comme
la peau qui les retient sur le corps est ti'ès-
mince, elles tombent aisément, et pour lors
le poisson paroît si différent de ce qu'il étoit
aupajavant, que quelques auteurs qui l'ont
vu figuré dans les deux états en ont fait
deux espèces distinctes. Je n'entrerai point
dans un plus long détail sur ces parties, en
ayant déjà donné la description et la figure
dans les Tjansactions philosophiques.
Les écailles que nous venons d'examiner
sont cachées sous l'épiderme,* elles sont
éloignées les unes des autres, et les poissons
qui en sont pourvus sont privés de nageoires
ventrales, ou du moins ces parties sont très-
petites dans, quelques-uns, et incapables de
les soutenir. Toutes les espèces de cet ordre
ont le corps alongé pour être en état d'exé-
cuter des mouvemens d'ondulation , et de se
soutenir ainsi à une certaine hauteur; elles
ne s'éloignent jamais des bords; elles y vivent
presque toujours dans la v^se. Les cuver-
208 O B s E R V AT I O N S
tures de leurs ouïes sont petites , et la peau qui
sert dVnveloppe à toute la tête devient trans-
parenle sur les yeux. Si les ouvertures de
leurs ouïes avoieiit été grandes, si leurs
écailles étoient contiguës et à découvert, le
limon seroit entré avec Teau dans les organes
de la respiration , et se seroit insinué sur les
écailles.
Parmi les poissons qui ont des écailles
presque tout à fait cachées, il nous reste à
examiner deux espèces particulières ; Tune
est un scomber décrit pai* Browne dan^
Î^Histoire naturelle de la Jamaïque; son corps
est lisse , argenié et effilé ; la peau est d'un
festi, serré et ferme : elle a presque la ç&ri.^
sistance du cuir; toute la surface du corp^
est marquée de lignes saillantes interrompues,
dirigées de la tête à la queue, et qui se touchent
par les côtés. Ces lignes sont formées par des
écailles alongées, très - étroites , pointues.,'
fixées sur la peau , et recouvertes d'un épi-^
demie argenté ; leur longueur est ordinal-^
iH>ment dé trois- ou quatre lignes : elles son t
retenues sur le corps par un pelit vaisseatt
qui s'insère à l'extrémité la plus v*:)isine de la
têle^ et en même tems la plus effilée : il est
difficile de les détacher. Elles procurent à
la peau ce degré de fei^meté qu'on y trouve.
Oa
SUR LES ECAILLES. 20g
Ou pèche ce poisson dans les mers d'Amé-
rique. L'autre espèce est figurée par Marc-
grave, sous le nonide guebum.EWe conslitu©
un uouv^eau genre très - voisin de celui dé
scomher,y?à cru devoir lui laisser en français
le nom de voilier^ sous lequel on le trouve
assez mal figuré dans l'ouvrage de Renard.
Sur un individu de plus de sept pieds de
long , dont M. le chevalier Banks a bien
voulu me laisser prendre la description dans
sa collection, les écailles étoiewt de huit oU
neuf lignes de long, lancéolées, aplaties,
fixées dans la peau, et preque tout à fait
recouvertes par l'épiderme ; elles étoient
moins rapprochées que celles de l'espèce de
scombre que je viens de décrire. L^n vais--
seau , qui s'inséroit à leur base , les letenoit
sur le corps. Marcgrave avoit vu ces parties;
mais il les avoit' prises pour dès arêtes, et
avoit dit que ce poisson n'a voit point d'écaillés.
Il paroifc que ces sortes d'écaillés procurent
à la peau un très- grand degré de fermeté ,
en même tems qu'elles facilitent les mou-
vemens des poissons qui en sont couverts î
en rendant plus lisse la surface de leur corps.
Les deux espèces sur lesquelles je les ai
observées nagent très- vite; le voilier sur-
tout, qui est armé, commç l'espadon , d'ua
Foiss, Tome II. O
sio OBSERVATIONS
long bec dur, nage avec une telle rapidité
qu'il perce souvent plusieurs pouces du bois
des vaisseaux contre lesquels il se porte ;
c'est ce qu'on peut voir dans les Ephémérides
des curieux de la Nature, dans les Transac-
tions piûlosopliiques , et dans les Mémoires
de racadérnie de Stockholm. On le trouve
au Brésil et dans les mers des grandes Indes.
■:< Xies écailles osseuses, alongées, que nous
venons de décrire , ont une certaine ana-
logie avec celles qui recouvrent le corps des
chiens de mer,* mais celles-ci sont entière-
îr^ent à découvert. Elles sont rangées régu-
lièrement en quinconces, et fixées très- for-
tement à la peau. Celles de Fanguille dont
Bastei^; a donné la figure sont très-petites;
mais vues au microscope, elles paroissenfc
aplaties, étranglées à leur base, et presque
en forme de fer de lance. On voit sur leur
surface deux ou tr-ois lignes longitudinales
et saillantes. On peut observer, sans le se-
cours d'aucuns instrumens qui . grossissent
les objets, des écailles de la même structure
et sur une nouvelle espèce de chien de mer
que j'ai décrite dans les Mémoires de l'aca-
démie, année 1780, sous le nom d'écailleax.
Quelques poissons de ce genre ont les écailles
iipjaties, lisseS; presque rondes et très-rap-
SUR LES ECAILLES. 211
prochées. La peau de ceux-ci sert à couvrir
les ouviages qu'on nomme en gnlluchat ;
celle des autres fournit le chagrin pour le
commerce.
Toutes ces écailles sont fixées solidement
sur la peau. Cette adhérence étoit nécessaire
pour qu'elles ne puissent point se détacher
dans les mouvemens compliqués que ces
poissons sont obligés d'exécuter; elles leur
fournissent d'ailleurs une sorte de défense
contre les plus petits poissons , en rendant leur
peau ferme et rude au toucher.
Les poissons bourses ( tetmodon ) ont des
écailles très- fines et semblables à des épin-
gles ; leur pointe s'éloigne du corps. Cette
direction devenoit indispensable dans ces
poissons, qui enflent à volonté leur corps
et le réduisent tout de suite à un petit
volume. Plusieurs espèces ont des écailles
osseuses très-dures et très-liées entre elles :
les loricarias et les poissons coffres sont dans
ce cas; d'autres en?in , tels que lessingnalhus
et les baptisters , ont des écailles cartilagi-
neuses un peu flexibles, larges et fixées d'une
manière invariable sur une peau épaisse.
Les écailles paroissent être communes à
toutes les espèces de poissons, et leur usage
principal semble être de fournir à ces ani-
O 2
ûi2 OBSERVATIONS, etc:
itiaux une arme défensive en procurant à
leur peau , continuellement ramollie par
Télément qui l'environne , un plus grand
degré de fermeté. Les poissons sont encore
pourvus (le tubercules osseux , d'épines ^
d'appendices cjiarnues , et même d'espèces
de poils : ce dernier cas est à la vérité très-
rare; on ne Fobserve que sur un très-petit
nombre d'espèces, et notamment sur un
poisson du genre des saumons , désigné par
M. Duhamel, sous le nom de capelan d' Amë'
riquc,
La manière dont les écailles se forment,
celle dbnt elles prennent leur accroissement,
l'usage dont elles peuvent être pour décou-
vrir Tâge des poissons , sont autant d'objets
t\\xe je me propose d'examiner dans un autre
Mémoire,* il me suffit dans celui-ci d'avoir
fait Voir Ces parties sur plusieurs espèces
où elles n'aVoient point été observées aupa-
l'àvant.
.j"
PRÉCIS
De la Législation sur la Pêche (i).
JiiN vain la terre est-elle enrichie et parée
des dons miiltipliés de la sage et bienfaisante
Nature , si Tégoïsme imprévoyant de riiomnie
tend sans cesse à tarir la source de tant de
bienfaits par des jouissances irréfléchies et
dévastatrices. C'est pour éviter ce malheur
que , dans toutes les sociétés policées , le lé-
gislateur a toujours dirigé son attention sur
les abus qu'entraîne le calcul trop souvent
erroné de l'intérêt particulier ; et s'il est
vrai de dire que la meilleure législation est
celle qui, en éclairant le citoyen, sait diriger
cet intérêt particulier vers le bien général,
il faudra convenir que la nôtre laisse très-
peu de chose à désirer sur les moyens
d'arrêter la main indiscrette et rapace qui ,
plongeant sans cesse dans l'élément des ani-
(i) Je dois cet article à un de mes amis , homme d.e
beaucoup d'esprit et très- versé dans la connoissance
des lois -y il a bien voulu le composer pour le placer
à la tète de mon ouvrage.
O 3
5i4 LEGISLATION
maux paisibles dont nous allons tracer l'his-
toire naturelle , parviendroit bientôt à en
faire disparoître les espèces les plus nom-
breuses et les plus utiles , si elles n'étoienfc
protégées par de bons réglemens. Ces régle-
mens existent , et nous avons pensé qu'avant
de parcourir les détails intéressans de l'his-
toire des poissons , nos lecteurs verroient
avec plaisir quelles sont les précautions prises
jusqu'à présent pour prévenir l'entière des-
truction de ceux qui , habitant nos fleuves ,
nos rivières , nos lacs et nos étangs, y croissent
et y multiplient, pour nous fournir des ali-
mens sains dont l'abondance devient chaque
jour plus désirable.
La pèche est à la vérité une des manières
d'acquérir, et le premier des arts que la
Nature enseigna aux hommes pour fournir
à leur nourriture.
Dans l'état de société , elle fut permise
par le droit des gens; mais dans le droit civil
elle dut être considérée comme un accessoire
adhérent à la seule propriété des étangs et
des viviers, et elle ne fut plus permise que
dans la mer , les fleuves et les rivières dont
l'usage étoit public.
Elle est restée libre en pleine mer et sur
les grèves; mais dans les mers qui baignent
SUR LA PECHE. 2i5
les côtes de France, elle fut assujettie à des
règles qui déterminent l'espèce de filels dont
on doit se servir pour ménager les difiérenles
espèces qui les fréquentent plus constam-
ment; et si l'autorité conservatrice des droits
de tous dut veiller à ce que les intérêts par-
ticuliers ne s'entrenuisissent pas au préju-
dice de la société , dans la vaste étendue
où il seroit difficile de détruire des espèces
entières qui y trouvent tant de facilité
d'échapper aux pièges^ à plus forte raison
dut- on prend le des précautions centre les
abus de la pèche dans les eaux limitées des
fleuves et des rivières navigables , dont la
propriété étant de droit de public fût le
partage de celui qui avoit la puissance sou-
veraine. Il n'y permit la pèche que sous
des réserves et avec des limitations qui
avoient pour objet la conservation de diffé-
rentes espèces de poissons qui se tiennent
plus ordinairement dans les grandes eaux;
mais ce n'étoit pas assez faire pour l'intérêt
public; et comme dans les petites rivières,
les lacs et les étangs, les particuliers qui en
étoient devenus propriétaires, par restriction
du droit public et à titre quelconque, pou-
voient abuser de cette sorte de propriété ,
au préjudice de la société, en péchant sans
O é
5i6 LEGISLATION
mesure et sans les précautions nécessaires
pour protéger le premier âge des poissons
et leur multiplication , ce fut sans doute ce
qui détermina Louis XIV à réunir , dans
son Ordonnance de 1669, les dispositions des
anciens réglemens sur la pêche dans les
fleuves , rivières , étangs et autres retenues
d'eau 5 et à ajouter sur cette matière de
nouvelles dispositions plus claires , plus po-
sitives et plus conservatrices. C'est ainsi que
lorsqu\ine commune étoit , en tout ou en
partie, propriétaire d'une rivière, étang, etc.
l'article 17 de cette Ordonnance a ordonné
que la pèche en seroit affermée , et que par
l'article suivant il est défendu à tous ha-
bitans , autres que ]es adjudicataires , d'y
pécher, même à la ligne ou à la main.
L'article 5 et les suivans du titre 3 1 de la
même loi défendent de pêcher à autre heure
que dejHiis le lever jusqu'au coucher du
soleil ; clans les tems de frai avec des filets
et harnois de pêche à prendre les poissons
du premier âge; de chasser le poisson de
ses retraites en l'y bourrant; de jeter le filet
dans les noues où les débordemens des ri-
vières ont pu porter du poisson et du frai.
L'article 12 ordonne de rejeter à l'eau les
truitesj carpes, bai beaux, brèmes et muniers
SUR LA PECHE. 217
qui ont moins de six ponces de long entre
Tœil et la queue. Le suivant veut que les
haï nois des pèrlieui s soient scellés en plomb.
Les deux suivans défendent de jeter dans
les rivières ni chaux , ni noix voniique, ni
coque du levant, ni autre drogue propre à
endormir ou à tuer le poisson, et aux ma-
riniers et bateliers d'avoir dans leurs ba-
teaux aucun ustensile de pêche; et enfin le
18® défend d'aller sur les mares , étangs et
fossés lorsqu'ils sont glacés, pour en rompre
la glace , y faire des trous et y porter des
flambeaux , brandons et autres feux. La
contravention à chacune de ces différentes
dispositions entraîne contre les contrevenans
des peines pécuniaires plus ou moins fortes,
et même des punitions plus ou moins graves.
Il est inutile sans doute d'entrer dans le
détail des motifs de toutes ces prohibitions;
le lecteur intelligent aperçoit aussitôt qu'elles
n'ont d'autre objet que de protéger le frai
et le piemier âge du poisson , et de mettre
un frein à la rapacité de ces pêcheuxs de
profession.
Ce règlement, qui portoit aussi sur Fad-
ministration des forêts , quoique souvent
éludé par les pêcheurs sans titre et sans
permission , avoit cependant assez bien
2i8 LEGISLATION
conservé la pêche des rivières , des lacs et
des étangs; mais Ja permission de détruire
cette dernière espèce d'amas d'eau , et la
licence efïiénée qu'une certaine classe de
mauvais citoyens prenoit ou feignoit de
prendre pour la liberté, en attachant à
Tabolition des privilèges un sens que ne
présente pas la loi qui les supprime , ont
considérablement diminué le moyen fécond
de subsistance que produisoit la pèche.
Pendant la crise révolutionnaire , on s'y
est livré , ainsi qu'à la chasse , sans frein ,
sans mesure , et sans aucun respect pour
les propriétés ; en sorte que les rivières et
les iHiisseaux poissonneux ont été en proie
à un tel brigandage , qu'on a pu craindre la
destruction en France de plusieurs espèces
de poissons et de gibiers. Mais enfin le calme
ayant succédé à l'orage politique , la puissance
publique a senti la nécessité de mettre un
terme à la déprédation la plus déplorable, et
un Arrêté du Directoire exécutif du 28 mes-
sidor an 6, en rappelant toutes les dispositions
que nous venons d'extraire de l'Ordonnance
de 1669, en a ordonné l'exécution, en sup-
primant cependant les peines afllictives et
infamantes qu'elles prononcent contre les
coupables de certains délits qui y sont
SUR LA PECHE. 21g
prévus. Le titre 5 d'une loi du 14 floréal
an 10 a ajouté, aux dispositions de l'Arrêté
du Directoire du 28 messidor an 6, la dé-
fense de pécher dans les fleuves et rivières
navigables sans une permission , si Ton n'est
pas adjudicataire de la ferme de la pêche.
Cette défense et tous les textes de ce titre 5
rétablissent le principe consacré par Fart. 41
du litre 27 de l'Ordonnance de 1669 , suivant
lequel les fleuves et les rivières navigables
étant une propriété publique , l'exercice de
ce droit de propriété n'appartient qu'au
gouvernement en qui réside l'exercice du
pouvoir souverain. 11 eût été à désirer qu'en
ajoutant à l'Arrêté du 28 messidor an 6 ,
la loi que nous venons de citer eût con-
tenu quelques textes préservatifs , tels , par
exemple , que ceux qu'on trouve dans un
règlement sur les eaux et forêts donné en
1707 par l'avant -dernier duc de la maison
de Lorraine. Ce règlement fait défense,
entre autres précautions , de barrer les
rivières pour y faire de grandes pêches , d'y
faire rouïr le chanvre, d'abreuver et faire
paître les bestiaux dans les étangs pendant
les mois de mai et de septembre. Les cir-
constances, la suppression des droits féodaux,
les grands changemens dans les propriétés
Sâo LEGISLATION
et le nouveau point de vue sous lequel elle$
doivent être considérées relativement au
droit de péclie^ suggéreront, avec le tems,
dans cette partie de Tadministration publique,
des idées d'améliorations qu'on doit attendre
de la sagesse du gouvernement.
Maintenant que nous venons de donner
à nos lecteurs un extrait de notre législation
sur la pêche dans les fleuves, les rivières,
les étangs et dans toutes les espèces de re-
tenues d'eau, il n'est pas hors de propos de
dire quelque chose de nos lois sur la pêche
maritime.
Par l'article i^^ du titre 5 de l'Ordonnance
du mois d'août 1681 , la pêche en mer étoit
libre pour tous les français, et il étoit permis
de la faire tant en pleine mer que sur les
grèves ; mais , pour empêcher l'abus qu'on
pouvoit faire de cette permission , soit en
se servant de filets à maille trop serrée, qui
détruisoit trop de poissons du premier âge et
même le frai , le législateur avoit voulu que
les rets et les filets appelés solles , dont les
pêcheurs dévoient se servir , eussent au
moins cinq pouces en carré. Cette piécau-
tion ne parut pas suffisante, et un cri uni-
versel s'étant élevé contre l'usage abusif de
la drège ou drague , espèce de filet traînant
SUR LA PECHE. 221
qui étoit permis alors , mais qui , en dé-
truisant le frai, portoit un grand préjudice
à la pêche maritime , par une déclaration
du 18 avril 1726, il fut défendu de se servir
de la drège ou drague , et de tout autre filet
tramant le long des côtes et aux embou-
chures des rivières, excepté pour la pêche
de riiuîfcre. Cette loi contient plusieurs dis-
positions très-irritantes contre la pêche du
frai, avec quelque filet ou ustensile de pêche,
et sous quelque prétexte que ce soit; une
autre déclaration du 24 décembre de la
même année 1726 , ajoute à la première
nombre de dispositions pour en assurer
rentière exécution. Par une autre déclara-
tion du 18 mars 1727, le législateur a réglé
les dimensions de différens filets employés
à la pêche maritime , et la manière de les
tendre. 11 faut voir cette loi, divisée en 11
titres , et contenant 69 articles , pour con-
noître quels pouvoient être les abus de la
pêche maritime, et quelles précautions le
législateur avoit prises pour les empêcher.
Une autre loi du j8 décembre 1728 a réglé
en 18 articles tout ce qui concerne la pêche
des moules. L'ordonnance du mois d'août
1781 , porte aussi d'excellens réglemens
pour la pèche du hareng et de la morue ;
322 LEGISLATION
niais 5 comme ils renfeiinent trop de détails
et que de même que les différentes décla-
rations que nous venons de citer, ils con-
tiennent beaucoup d'articles dont l'objet est
de prévenir les difficultés entre les pécbeurs,
et de les empêcher de se nuire entie eux
et à la navigation , nous renvoyons nos
lecteurs à ces différentes lois et à T arrêt da
conseil du 3 mars 1784. Us y prendront une
haute idée de la sagesse du gouvernement
qui les a faites , et ils feront avec nous des
vœux pour qu'ils soient renouvelés, et que
la stricte exécution en soit ordonnée par la
puissance publique , qui , après avoii* donné
la paix sur mer comme sur terre, veut faire
cesser tous les genres d'abus , toutes les
sortes d'anarchies. Ces vœux, qui sont ceux
de tous les bons citoyens , sont d'autant plus
ardens que le dessèchement de beaucoup
d'étangs , en veitu de la loi du i4 frimaire
an 2 , a considéra}>iement diminué en France
la ressource que fournit le poisson pour la
nourriture de toutes les classes de la société.
Dans certains cantons de la France, l'agri-
culture a pu gagner quelque chose à la
conversion des étangs en prairie ou en
pleine culture ,* mais il est peut-être plus
certain qu'en général on ny a rien ga^né
SUR LA PECHE. 223
pour le revenu , tandis qu'on y a bien cer-
tainement perdu sous le rapport des sub-
sistances et du commerce. Si la table des
riches n'est pas moins bien couverte de
poissons aujourd'hui qu'autrefois^ la classe
nombreuse des citoyens qui ne sont qu'aisés
souffre de la cherté du poisson devenu bien
moins abondant par l'effet du dessèchement
des étangs et des abus de la pêche. Cette
considération est sans doute assez impor-
tante pour que le gouvernement ne dédaigne
pas de s'en occuper, et l'on doit attendre de
la sagesse de ses vues sur toutes les parties de
l'administration publique , qu'il examinera,
avec une nouvelle attention , la question de
savoir si les dispositions de la loi du 14 fri-
maire an 2 n'ont pas fait plus de mal que
de bien : en attendant on peut compter sans
doute qu'il veillera plus que jamais on ne
l'a fait , à ce que tous les réglemens anciens
sur la pèche, compatibles avec l'ordre actuel
des choses , soient observés rigoureusement ,
puisque c'est le plus sûr moyen d'empêcher
le brigandage qui a dévasté les rivières , et
de ramener par la suite l'abondance d'une
des subsistances les plus saines.
224 TROISIEME VUE
TROISIÈME VUE
DE LA NATURE,
PARLACJÈPEDE.
V^UE la Nature est belle! que son spec-
tacle est magnifique ! que sa puissance est
admirable! Dans sa fécondité sans bornes,
elle a semé les mondes dans l'espace ( i ).
Dans sa simplicité sublime, elle ne leur a
imposé qu\me loi (2).
Les rapports et par conséquent les des-
tinées de tout ce qui existe, découlent de
cette force unique et irrésistible que le tems
ne peut altérer, et qui, décroissant par la
distance, mais s'accroissant avec les masses,
en pénètre toutes les profondeurs, en régit
tous les élémens. Les corps immenses et
innombrables qui circulent dans les cieux,
les matières brutes qui composent la planète
que nous habitons , les fluides qui Tarrosent,
réchauffent , l'environnent ou l'éclairent ,
(1) Première vue de la Nature , par Buffon.
{2) Seconde vue de la Nature , par Buffon.
les
DE LA NATURE. saS
les subslaiices organisées qui la revêtent ,
les êtres vivans et sensibles qui la peuplent
ne montrent aucune forme, aucune qualité,
aucune modificalion, aucun attribut, aucun
mouvement qui ne dérive de ce grand acte
du pouv^oir souverain et créateur.
L'élude de la Nature n'est que l'étude des
lois secondaires qui émanent de la grande
loi fondamentale.
Les animaux, par leurs organes, par
leurs sens, par leur mobilité, par leurs
affections, par la succession de leurs déve-^
îoppemens offrent, bien plus que tous les
autres produits de la création, les diverseà
applications de cette loi suprême , les diffé-
rens résultats de ce principe immuable.
Parmi ces êtres animés , deux classes
très-nombreuses, dont la première a reçu
les airs pour son domaine, et dont les eaux
sont le partage de la seconde, peuvent, par
les contrastes apparens de leurs habitudes
et par les analogies secrettes qui lient leurs
mouvemens, nous dévoiler peut-être plus
que toutes les autres quelques faces de cet
ensemble de relations merveilleuses et néces^
saires qui dérivent de la prenuère des lois
dictées par la Nature. L'une de ces classes,
celle des poissons, est d'ailleurs maintenant
Fois. Tome IL P
226 TROISIEME VUE
le sujet principal de nos recherches. Com-
parons donc Tune à Tautre ; plaçons leurs
principaux tmits dans un même tableau,
et qu'elles soient Tobjet d'une troisième vue
de cette Nature dont la contemplation a
tant de charmes et fait naître de si utiles
vérités.
Dans toutes les classes d'animaux il est
une habilode principale qui influe sur toutes
les auLres, les produit, les modifie, ou les
régit de manière que chacun des actes par-
ticuliers de l'espèce présente l'empreinte de
cet attribut général et prédominant qui dis-
tingue la classe. La manière de se mouvoir
est le plus souvent cette habitude domina-
trice à laquelle les autres sont liées et sou-
mises. Nous le voyons évidemment dans la
classe des oiseaux et dans celle des poissons,
que nous allons comparer l'une à l'autre,
pour mieux juger de leurs propriétés, et
sur-tout pour mieux connoître les facultés
dislinctives des ha bilans des rivières et des
mers.
Le vol influe sur toutes les actions des
oiseaux ; la natation modifie toutes celles
des poissons. Par ces deux- attributs , les
uns et les autres paroissent séparer leurs
habitudes de celles des quadrupèdes et des
DÉ LA NATURE. 237
«uti-es animaux qui vivent sur la surface
sèche du globe, autant que les premiers
s'éloignent de l'empire de^ animaux ter-
restres en s'élevant au plus haut des airs,
et les seconds en s'enfonçant dans les pro-
fondeurs de l'Océan. On cliroit du moins
que, par le vol et la natation, les oiseaux
et les poissons laissent , pour ainsi dire ,
entre leurs actions une telle distance ,
qu'on ne pourroit en donner une idée
qu'en la comparant à celle qui sépare le
fond des mers des plus hautes régions de
Tatmosphère ,* et cependant , malgré cette
grande dissemblance apparente, les habi-
tudes les plus générales et les plus remar-
quables des poissons et des oiseaux montrent
les rapports les plus frappans. La natation
et le vol ne sont, pour ainsi dire, que le
même acte exécuté dans des fluides diffé-
rens. Les instrumens qui les produisent,
les organes qui les favorisent, les mouve-
inens qui les font naître les accélèrent, les
retardent ou les dirigent, les obstacles qui
les diminuent, les détournent ou les sus-
pendent, sont semblables ou analogues; et
d'après ce rapport si remarquable, nous ne
serons pas élonjûés de toutes les analogies
P a
â^S TROISIEME VUE
seconcltiires que nous Iroiiverous entre les
mœurs des oiseaux et celles des poissons.
En effet;, l'aile de Foiseau et la nageoire
du poisson diilèrent l'une de l'auhe bien
moins qu'on ne le croiroit au premier coup
d'œil; et voilà pourquoi, depuis les anciens
naturalistes grecs jusqu'à nous , le nom
d'aile a été si souvcnl donné à celle nageoire.
Xi'une et l'autre présentent une surface assez
grande relativement au volume du corps ,
et que l'animal peut, selon ses besoins,
accroître ou" dimiuuer, en l'étendant avec
force, ou en la resserrant en plusieurs plis.
La nageoire, comme l'aile, se prête à ces
différens dépîoiemens, eu à ces diverses
contractions, parce qu'elle est composée,
comme laile , d'une substance membra-
iieuse, iriolle et souple; et lorsqu'elle a
i*eçu la dimension qui convient momenta-
nément à l'animal, elle présente, comme
l'aile, une surface qui résiste, elle agit avec
précision , elle frappe avec force , parce
que, de même que l'inslrument du vol,
ielle est soutenue par de petits cylindres
réguliers ou in-éguliers , solides , durs ,
presque inflexibles; et si elle n'est pas
fortifiée par des plumes, elle est quelque-
fois consolidée par des écftilles doxit nous
DE LA NATURE. 229
avons montré que la substance éloit la
même que celle des plumes de Foiseau.
La pesanteur spécifique des oiseaux eçt
ti'ès-rapprochée de celle de Fair,* celle des
poissons est encore moins éloignée de la
pesanteur de Teau , et sur-tout de celle de
Teau salée cjue contiennent les bassins des
mers.
Les premiers ont reçu une organisation
très-propre à lendre un grand volume trè^
léger: leurs poumons sont très- étend us; de
grands sacs aériens sont placés daiis leur
intérieur; leurs os sont creusés et percés de
manière à recevoir facilement dans leurs
cavités lesi fluides de Talmosphère. Les
seconds ont presque tous une vessie par-
ticulière qui, en se gonflant à leur volonté,
peut augmenter leur volume, et bien loin
d'accroître en même tems leur masse, la
diminue en se remplissant de fluides ou de
gaz d'une légèreté très-remarquable.
La queue des oiseaux leur sert de gou-
vernail, et leurs ailes sont de véritables rames.
Les nageoires du dos et de l'anus peuvent
être aussi comparées à une puissance qui
gouverne et dirige , pendant que la queue
proprement dite, prolongée par la nageoire
caudale, frappe Teau comme une rame, el;
P 5
53o TROISIEME VUE
communiquant à Tensemble de Tanimal
l'impulsion qu'elle reçoit , lui imprime le
mouvement et la vitesse.
Les oiseaux précipitent ou retardent les
battemens de leurs ailes,* mais, lorsqu'ils leur
laissent toute l'étendue qu'elles peuvent pré-
senter, et qu'ils veulent s'en servir pour chan-
ger de place , ils ne leur font jamais éprou-
ver deux mouvemens égaux de suite; ils les
relèvent avec une vitesse bien moindre que
celle avec laquelle ils les abaissent; ils donnent
alternativement un coup très - fort et une
impulsion très - foible , afin que, lorsqu'ils
montent , par exemple , les couches supé-
rieures de l'atmosphère, frappées moins vi-
vement que les inférieures, opposent moins
de résistance que ces dernières, et que l'ani-
mal soit repoussé de bas en haut.
Plusieurs nageoires des poissons donnent
aussi très-souvent des coups alternativement
égaux et inégaux; et si la queue frappe avec
la même rapidité à (h'oite et à gauche, c'est
parce que les résistances égales des couches
latérales, contre lesquelles l'animai agit obli-
quement , le poussent dans une diagonale ,
qui est la véritable direction qu'il désire dé
recevoir.
On pourroit dire que les oiseaux nagent
DE LA NATURE. sSi
dans l'air , et que les poissons volent dans
Teau.
I/atmosphère est la mer des premiers : la
mer est Fatmosphère des seconds. Mais les
poissons jouissent bien plus de leur domaine
que les oiseaux. Ceux de ces derniers dont
le vol est le plus hardi, les aigles et les fré-
gates, ne s'élèvent que rarement dans les
hautes régions aériennes ; ils ne parviennent
jamais jusqu^aux dernières limites de ces
régions éthérées, où un fluide trop rare ne
pourroit pas suffire à leur respiration, et où
une température trop froide leur donneroit
bientôt Tengourdissement et la mort. Le
besoin de la nourriture , du repos et d'un
asyle les ramène sans cesse vers la terre.
Les poissons parcourent perpétuellement
et traversent dans tous les sens Fimmensité
de l'Océan , dont le fluide , presque égale-
ment dense et également échauffé à toutes
les hauteurs , ne leur oppose d'obstacle ni
par sa rareté, ni par sa température. Ils en
pénétrent tous les abîmes; ils en sillonnent
toute la surface : et trouvant leur nourriture
dans une grande partie de l'espace qui sé-
pare les profondeurs des mers, des couches
aériennes qui i^eposent sur les eaux , si la
nécessité de suspendre tous leurs efforts et
P4
aZ2 TROISIEME VUE
de se livrer à un calme parfait les eutraine
jusqu'au fond des vallées soumaiines, leurs
rapports avec la lumière les lamènent fré-
quemment veis les eaux supérieures, qu'un
soleil bienfaisant inonde de ses rayons.
Les vents réguliers favorisent, relardent,
arrêtent ou dirigent vers de nouveaux points
]es voyages des oiseaux : les courans réguliers
des eaux accélèrent, diminuent, suspendent
ou détournent les courses si variées et si
souvent renouvelées des habitans des mers.
Les oiseaux que lem- vol puissant a fait
nommer grands poiliens , et qu'il faudroit
plutôt nommer grands rameurs , résistent
seuls aux grands raouvemens de l'atmos-
phère, bravent les orages, et surmontent les
autans déchaînés : les poissons que leurs
nageoires, leur grande cjueue, leurs muscles
vigoureux doivent faire appeler nageurs ou
rameurs par excellence , luttent seuls contre
les flots soulevés, opposent leur force à celle
des tempêtes, et poursuivent leur route au-
dacieuse au travej's de ces tourmentes hor-
ribles qui bouleversent, pour ainsi dire, la
masse entière des eaux.
Les oiseaux foibles ou mal armés tremblent
devant le bec redoutable ou la serre cruelle
des tyrans de Tair ; les poissons dénués
DE LA NATURE. Qoâ
d'armes, ou de grandeur, ou de puissance,
fuient devant les dents sanglantes des squales
et des autres animaux de leur classe qui
infestent les rivières ou les mers.
Auprès de la surface de la terre, au dessus
de laquelle s'élève son domaine aérien ,
l'oiseau reçoit souvent la mort des armes
du chasseur, ou la trouve dans les pièges
que tout son instinct ne peut parvenir à
éviter.
Au plus haut de son empire aquatique ,
le poisson périt retenu par un hameçon
trompeur, ou enveloppé dans les filets que
le pêcheur a tendus.
Le besoin de trouver l'aliment le plus
convenable , ou le désir d'échapper à la
poursuite d'un ennemi dangereux , déter-
minent les v^oyages inégulieis des oiseaux.
La nécessité de se dérober à la vue on à
l'odorat des féroces géans des mers , eu celle
d'appaiser une faim plus cruelle encore ,
produisent les mouvemens irréguliers des
poissons.
Lorsque la saison rigoureuse commence
de régner dans les zones tempérées, et j)ar-
ticulièrement dans les portions de ces zones
les moins éloignées du cercle polaire , les
oiseaux recommencent leurs voyages ré-
234 TROISIEME VUE
guliers et périodiques. Us ne peuvent plus
rester sur une terre que le froid envahit ,
où la surface des eaux se durcit en croûte
glacée, où les insectes meurent ou se cachent,
où les champs sont dénués de moissons et
les arbres de fruits : ils partent ; ils vont
chercher vers les tropiques un séjour plus
doux et plus heureux. Us suivent la direc-
tion des méridiens ; ils parcourent par con-
séquent la longueur des grands continens.
lîs se réunissent en troupes nombreuses; et
mâles, femelles, jeunes ou vieux, tous ras-
semblés sans distinction ni de sexe ni dage,
désertent l'empire des frimas pour aller vers
celui du soleil, jusqu'au moment où la cha-
leur, revenue dans leur patrie, les y ra-
mène dans le même ordre et par la même
route.
La diversité des saisons ne paroît pas
produire dans la température des différentes
parties de l'Océan des cliangemens assez
grands pour obliger les poissons k se livi^er
chaque année à des migrations régulières ;
mais le besoin de se reproduire , qu'ils ne
satisfont qu'auprès des rivages, ]es contraint ,
toutes les fois que le printems est de retour,
à quitter la haute mer pour s'approcher des
côtes. Us ne nagent pas alors dans le sens
DE LA NxlTURE. 235
des méridiens ; mais , par une suite de la
position des continens au milieu du grand
Océan, ils lâchent de suivre presque tou-
jours une des parallèles du globe pour par-
venir plus facilement et plus promptement
à la terre dont les bords doivent recevoir ou.
leurs œufs ou leur laite. Les femelles ar-
rivent les premières, comme plus pressées
de déposer un fardeau plus pesant; les mâles
accourent ensuite. Ils suivent le plus souvent
ces mêmes parallèles, lorsqu'ils remontent
les uns et les autres dans les fleuves et dans
les grandes rivières , ou lorsqu'ils s'aban-
donnent à leurs couiaus pour regagner le
séjour des tempêtes , parce que , à l'excep-
tion du Mississipi, de quelques rivières de la
terre ferme d'Amérique, du Rhône, du Nil,
du Borysthène , du Don , du Volga , du
Sinde , de FA va , de la rivière de Cam-
boge , etc. , les fleuves coulent d'orient en
occident, ou d'occident en orient.
Les oiseaux sont d'autant plus nombreux
qu'ils fréquentent des continens plus vastes:
les poissons sont d'autant plus multipliés
qu'ils habitent auprès de rivages plus étendus.
Il n'est donc pas surprenant que de même
qu'il y a plus d'oiseaux dans l'hémisphère
boréal que dans l'austral, à cause de la plus
iJoG TROISIEME VUE
grande quantité de terre que présente la
première de ces deux moitiés du globe , il
y ait aussi beaucoup plus de poissons dans
cet hémisphère du Nord, parce que si les
habitans de l'Océan ont un séjour plus vaste
dans riiémisphère austral , dont les mers
très - étendues , et les continens ou les îles
très-peu nombreux , il y a peu de rivages
où ils puissent aller déposer la laite ou les
œufs destinés à leur multiplication. L'espace
n'y manque pas aux individus, mais les côtes
y manquent aux espèces.
Si l'on admet, avec plusieurs naturalistes,
qu'à une époque plus ou moins reculée les
eaux do la mer , plus éJevécs que de nos
jours, couvroient une partie des continens
actuels , de manière à les diviser dans une
très -grande quantité d'iles, sans diminuer
cependant beaucoup la totalité de leur sur-
face, il faudia supposer, d'après les obser-
vations que nous venons de présenter, que
lors de cette séparation des continens en
plusieurs parties isolées par les eaux de
l'Océan, il y avoit beaucoup moins d'oiseaux
qu'à présent , ainsi qu'on })eut s'en convaincre
avec facilité, et que néanmoins il y avoit
beaucoup plus de poissons qu'aujourd'hui ,
parce que toutes les divisions opérées par
DE LA NATURE. 257
la mer dans les terres augmentoient néces-
sairement le nombre des rivages |)r()pres à
recevoir les ^eimes de leur reproduclion.
Mais remontons pins avant dans le cours
du tems. Croj^ons pour un moment, avec
plusieurs géologues, que, dans les premiers
âges de noire planète, le globe a été entière-
ment recouvert par les eaux de l'Océan.
Alors les oiseaux n'existoicnt pas encore.
Alors aucune partie de la surface de notre
planète ne présentoit de Feau douce séparée
de Feau salée : tout étoit Océan.
Mais cet Océan étoit désert; mais cette
ruer universelle n'étoit encore que Fempiré
de la mort, ou plutôt du néant. Comment
les germes des poissons, qui ne peuvent
éclore qu'aupiès des côtes, se seroient-ils
en effet développés dans un Océan sans
rivages ?
Bientôt les sommets des plus hautes mon-
tagnes dominèrent au dessus des eaux, et
quelques côtes parurent ; elles furent en-
tbuiées de bas fonds : les poissons naquirent.
Ils se multiplièrent. Mais leur nombre , li-
mité par des rivages tiès-circonscrits, étoit
bien éloigné de celui auquel ils sont par-
venus , à mesure que les siècles se sont
a38 ^TROISIEME VUE
succédés, et que les coniours des continens
ou des îles sont devenus plus grands.
A celte époque cependant, les poissons
que la Natuie a relègues dans des mers
particulières, les pélagiens , les littoraux,
ceux que nous voyons chaque année re-
monter dans les fleuves, ceux qui ne quittent
jamais l'eau douce des lacs ou des rivières ,
les grandes espèces qui se nourrissent de
proie , les petits ou les foibies qui se con-
tentent des débiis de corps organisés qulls
trouvent dans la fange, vivoient, pour ainsi
diie, mêles et confondus dans cet Océan
encore presque sans bornes , qui baignoit
uniquenieui quelques chaînes de pics élevés.
Où il n'y avoit pas de diversité d'habitation,
il ne pou voit pas y avoir de différence de
séjour. Où il n'y avoit pas de limites véri-
tablement déterminées, il ne pouvoit pas y
avoir d'espèce reléguée, ni d'espace interdit.
Lors donc qu'une catastrophe terrible
donnoit la mort à une grande quantité de
ces animaux, ceux que nous appelons au-
jourd'hui marins, et ceux que nous nommons
fîuviatiles , périssoient ensemble, et gisoient
entassés sans distinction sm* le même fond de
rOcéan.
Seroit-ce à cette époque de submersion
DE LA NATURE. aSg
presque universelle , qu'il faudroit rapporter
les bouleverseniens sous lesquels ont suc-
combé les poissons que l'on découvre de
tems en tems , enfouis à des profondeurs
plus ou moins considérables , recouverts
par des couches de diverse nature, pressés
quelquefois sous des débris volcaniques (i),
et qui forment ces amas remarquables, ces
réunions extraordinaires, où les chétodons
et d'autres espèces des mers équinoxiales
des deux Indes ont laissé leurs empreintes
ou leurs dépouilles au milieu de celles des
}ia])itans des mers tempérées et du voisinage
du cercle polaire, et où les restes et les traits
des lluviatiles paroissent confondus avec
ceux des pélagiens ?
Si Ton devoit admettre cette idée, on
pourroit assurer que depuis le moment où
les hautes montagnes et les pics élevés étoient
les seules portions de la surface sèche du
globe qui ne fussent pas inondées, plusieurs
(i) On doit distinguer , dans les éruptions volca-
niques , cçlles qu'il faudroit rapporter à des époques
très-reculées , où la face de la terre pouvoit êfre
très-différente de celle qu'elle a aujourd'hui , et celles
qui n'ont eu lieu que beaucoup plus récemment , et
lorsque le globe avoit déjà reçu presque en entier
sa configuration actuelle.
340 TROISIEME VUE
espèces dont on trouve l'image ou les partie*
solides dans ces agrégations de poissons de
nier et de poissons d'eau douce ^ n'ont été
modifiées dans aucun de leurs organes es-
senliels , ni même altérés dans aucune de
kurs formes les plus délicates ; et ce seroit
lin fait bien important pour le yéritable
naturaliste (i).
A cette époque les cétacés , les laman-
tins, les dugons et les morses ont pu par-
tager avec les poissons l'empire de lOcéan.
A mesure que les eaux de la mer , en
se retirant, ont laissé à découvert de plus
grandes portions des coniinens et des îles,
que de nouveaux rivages ont paru , et que
des grèves plus doucement inclinées les ont
environnées , les phoques , les tortues ma-
rines , les crocodiles se sont multipliés sut
ces bords favorables à leur reproduction ,
à leurs besoins , à leurs habitudes.
Alors les premieis oiseaux ont pu animer
ratmospiière. ils ont trouvé sur la terre déjà
abandonnée par les eaux l'asyle nécessaire
à leur repos , à leur accouplement , à leur
nidificahon , h leurs poules, à leur incuba-
tion, à l'educaiion de leurs petits; et ces
(i) Voyez notre Discours sur la durée ci es espèces.
premiers
DE T. A NATURE. 241
premiers oiseaux ont dû êlre ceux que ik^us
avons nommés oiseaux d'eau el laùrènies (i ) ,
qui , pourvus, d'ailes puissaules, de lai'ges
pieds palmés, d'armes assez fortes pour saisir
les poissons, et d'oiganes pjopies à les assi-
miler à leur substance, ne se nounissenl que
des liabitans des mers , peuvent voler très-
long-tems au dessus de la surface de f Océan,
se précipiter avec lapidilé sur leur proie ,
l'enlever au plus haut des airs , nager à
d'immenses dislances de la rive, lutter avec
constance contre les vents déchaînés , et
braver les vagues soulevées. Alors les alba-
tros, les frégates, les pélicans, les cormo-
rans, les mauves ont commencé d'exercer
sur les poissons leur empire redoutable. Leur
apparition a pu être bientôt suivie de celle
des oiseaux de rivage , parce que , sur les
côtes abandonnées par les eaux de la mer,
il a pu se former aisément des marais , des
amas d'eaux stagnantes , des savannes à
demi -noyées.
Cependant les vapeurs se condensoient
contre les montagnes élevées, retomboient
(i) Dans le Tableau inéLliodiqne des oiseaux que
j'ai publié , et d'après lequel j'ai fait arranger la belle
collection d'oiseaux du muséum d'histoire naturelle.
Foiss, Tome IL O
B42 TROTSîE?vIE TUE
ien pluies , se précipitoient en torrens , se
îépandoient en ruisseaux , couloient en ri-
vières, et parvenoienfc jusqu'à la mer. Dès
ce momeiit la séparation des poissons péla-
giens, des littoraux, de ceux qui remontent
dans ]es fleuves, de ceux qui vivent cons-
tamment dans Teau douce des lacs et des
rivières, a pu se faire, et les distribuer en
quatre grandes tiibus très- analogues à celles
que Ton connoît maintenant.
Les ours marins, les tapirs, les cochons ,"
les hippopotames , les rhinocéros , les élé-^
phans, et les autres quadrupèdes qui aiment
les rivages , qui recherchent les eaux , qui
ont besoin de se vautrer dans la fange , ou
de se baigner dans Fonde, se sont répandus
à cette époque vers tous les rivages , et leur
apparition a dû précéder celle des autres
mammifères et des oiseaux qui , craignant
beaucoup l'humidité , redoutant les flots de
îa mer ainsi que les couians des rivières,
désirant la sécheresse, liés par tous les rap-
ports de Torganisation avec une chaleur
1 lès-vive, ne se nourrissent d'aiileui's ni de
poissons, ni de mollusques, ni de vers, ni
d'aucun animal qui vive dans FOcéan, ou
se ])laise dans les rivières, ou pullule dans
les marais. Elle est donc antérieure à Far-
DE LA NATURE. 245
rivée de Fliomme >, qui n'a pris le sceptre
de la terre que lorsque son domaine , déjà
paré de toutes les productions de la puis-
sance créati ice , a été digne de lui.
Lors donc qu'on écartera Tidée de toutes
les causes générales ou particulières qui ont
pu bouleverser la surface de la terre depuis
l'abaissement de la mer au dessous des pre-
miers pics , on reconnoîtra que les fragmens
et les empreintes le plus anciennement et le
plus profondément enfouis sous les couches
terrestres ou sou marines , sont ceux des
poissons y des cétacés , des lamantins , des
dugons et des morses ; ensuite viennent ceux
de ces morses , de ces dugons , de ces la-
mantins 5 de ces cétacés , de ces poissons
et des phoques , des tortues de mer , des
crocodiles , des oiseaux palmipèdes et des
oiseaux latirèmes; on placera au troisième
rang ceux de tous les animaux que nous
venons de nommer , et des oiseaux de ri-
vage,* on mettra au quatrième ceux de ces
mêmes animaux , des oiseaux de rivage ,
des ours marins , des tapiis , des cochons ,
des hippopotames , des rhinocéros , des élé-
phans ; et enfin on pourroit trouver les
images ou les débris de tous les animaux ,
S44 TROISIEME VUE
et de riiomme qui les a domptés par son
intelligence.
Cependant si , au lieu d'admettre Th} po-
thèse d'après laquelle nous venons de rai-
sonner 5 Ton prétère de croire que la mer
a parcouru successivement les dilïérentes
parties du globe, laissant les unes à décou-
vert, pendant qu'elle envaliissoit les autres,
il faudra nécessairement avoir recours à une
catastrophe presque générale , qui , agissant
sur des poin(s de la suiface de notre pla-
nète diamétj alement opposés , entraînant
hors de leurs habitations ordinaires les pois-
sons pélagiens , les littoraux, les fluviatiles ,
les cétacés , les lamantins , les phoques ,
les ours marins, les hippopotames, les élé-
phans et plusieurs autres animaux terres-
tres , les arrachant à toutes les parties du
globe, les réunissant, les mêlant, les con-
fondant , les soumettant au même sort , les
a entassés dans les mêmes cavités, recou-
verts des mêmes débris , écrasés sous les
mêmes masses, et immolés du même coup.
Au reste , c'est au naturaliste entièrement
consacré à l'étude de la théorie de la terre ,
qu'il appartient principalement de rechercher
les causes auxquelles on devia rapporter le§
fjèsultats que nous venons d'indiquei*.
DE LA NATURE. 245
Les zoologistes lui présentent les faits qu'ils
ont pu recueilJir dans Tobservalion des or-
ganes des animaux, et des habitudes qui en
découlent ; ils lui exposent les conséquences
que l'on doit tirer de ces forces , de ces mœurs,
de ces analogies, de la nature des habitations,
des gisemens des débris, de la séparation ou
du mélange des espèces, de l'altération ou
de la conservation de leurs traits principaux ,
du changement ou de la constance de leur
manière de vivre , de la température du
climat qu'elles préfèrent aujourd'hui, de la
chaleur des eaux hors desquelles on ne les
trouve plus.
Nous tâchons de découvrir les inscriptions
et les médailles relatives aux difïérens âges
de notre planète; c'est aux géologues à écrire
l'histoire de ses révolutions.
Q
246 SUR LA STRUCTURE
OBSERVATIONS
Sur la structure du cœur des Poissons ^
PAR DU VERNE Y,
DE l'académie des SCIENCES DE PARIS.
v>ES observations ont été faites sur une
carpe.
Le cœur de ce poisson est situé sous les
mâchoires qui sont au dessous des ouïes ,
au fond du gosier, et que j'appellerai mâ-
choires internes pour les distinguer de celles
qui sont au dessus, et qui forment l'entrée
de la bouche. I^a cavité où le cœur se trouve
renfermé est revêtue d'une membrane fort
polie, qui tient lieu de péricarde dans plu-
sieurs autres poissons , mais qui ne peut pas
être ainsi nommée dans celui - ci , puisque
le cœur est encore enfermé dans un sac
formé d'une pellicule très-mince , qui est
proprement son péricarde.
Le bas de cette même cavité est fermé
par une membrane qui sépare le cœur d'aveq
DU C (E U R. 247
tous les autres viscèies, et qui est une con-
tinuation de kl précédente.
On voit sous le cœur un réservoir formé
par le concours de plusieurs veines; trois
desquelles sortent du foie , et servent seu-
lement à rapporter le sang de la veine-porte
et d'une partie des ovaires. De ces trois, il
y en a deux qui s'ouvrent de chaque côté
dans le bas de ce réservoir, et la troisième
s'y décharge aussi par une embouchure très-
large (1). Deux autres veines (2) remontent
à chaque côté de l'épine, en accompagnant
l'aorte, et s'unissent à chaque côté du ré-
servoir avec les veines qui sortent des deux
côtés du foie; ainsi ces deux vaisseaux n'ont
de chaque côté, en cet endroit, qu'une
même embouchure. Le tronc de la veine
qui rapporte le sang des ouïes est couché
au dessus de l'aorte ; il descend au côté droit
du cœur; il est collé aux parois de la ca^
vite où le cœur est renfermé; et faisant ua
contour, il vient s'ouvrir au côté du réser-
voir (3).
(i) Ce sont les veines liépatiques -, pejiœ hepaticœ.
{2) La veine cave inférieure qui est double.j vertes
eava inferior duplex.
(3) C'est la veine déférente j vena deferens,
. Q4
248 SUR LA STRUCTURE
Ce résejvoir (i) s'ouvre en dessus vers lé
milieu de Ja partie inférieure de Toreilleite.
A son embouchure il a deux valvules en
foi me de paupières, comme celles qui sont
à Tembouchure de la veine cave inférieuie
des oiseaux.
Ce cœur n'a qu'une oreillette, mais d'une
grande capacité : elle est appliquée au côté
gaucîie ; et dans sa partie supérieure , en
s'enfonçani , elle forme de chaque côté une
avance ou corne , dont la gauche est plus
grande que la djoite. Son embouchuie est
dans la pai tie supérieuie du côté gauche du
cœur.
Il y a deux valvules à l'embouchure de
l'oreilietle dans le cœur, l'une dessus et l'autre
dessous, aliachées par tout le demi -cercle
qu'elles forment, et ouvertes du côté de la
poinîedu cœur; ce qui fait que le sang, qui
leflue par Ja contrachon du cœur, les sou-
lève et les joint l'une à l'autre , comme dans
la grenouille.
Le cœur est de figure demi-circulaire , et
aplati à peu près comme une châtaigne de
mer. 11 est posé de champ par rapport à la
tête , en sorte que les deux côtés plats
(i) Receptaculum»
D U C (E U R. 249
regarderjt les ouïes ; il s'emboîte parla base
avec Taorte par une espèce de giugl} nie ,
ces deux parties a} ant des éniinences et des
cavités qui se reçoivent mutuellement.
Les parois de ce cœur sont fort épaisses,
à proportion de son volume, et ses libres
d'une tissu je fort compacte.
Four bien enlendie la distribution des
vaisseaux dans ce poisson , il faut avoir
quelque notion de la structure des ouïes:
c'est pourquoi nous dirons que les ouïes ,
qui, comme 04 sait, servent de poumons
aux poissons, sont pour ainsi dire partagées
en deux lobes , dont chacun est composé de
quatre feuillets posés presque de champ Yiin.
près de l'autre suivant leur contour, et sou-
tenus par quatre arcs osseux. Nous nomme-
rons premier arc celui de chaque côté qui
est le plus proche du cœur (1).
La partie convexe de ces arcs est creuse
en forme de gouttière, le long de laquelle
coulent les vaisseaux, dont il sera parlé ci-
après. Les feuillets soutenus pai; cee arcs
occupent tout Fespace qui est entre les
mâchoires externes et les internes : ils sont
(1) Ce premier arc est appelé par d'antres auteurs
le dernier ou le quatrième.
25o SUR LA STRUCTURE
composés d'un double lang de lames osseuses
ou barbes. Cliacuue de ces lames est faite
en forme de petite faux, et à sa naissance,
a comme un pied ou talon , qui est plus
épais que le reste , et creux par dessous en
forme de goultière : ce pied, étant debout,
ne pose que par son extrémité sur le bord
de Tare , auquel il n'est attaehé que par
le moyen de la membrane fort épaisse qui
enveloppe Tare. Le côté convexe de cette
lame est garni, jusqu'à la pointe , de filets
qui vont en diminuant de longueur, à me-
sure qu'ils s'approchent de cette pointe; et
le côté concave en a de beaucoup plus courts,
et n'en est garni qu'environ jusques vers le
milieu.
Ces filets sont liés entre eux, de chaque
côté , par une membrane osseuse très-fine ,
qui les assemble par le milieu presque dans
toute leur longueur ; mais , comme les ex-
trémités ne sont pas jointes , elles repré-
sentent les dents d'une scie.
On a dit que chaque feuillet est composé
d'un double rang de lames ; il faut ajouter
que le concave de chacune de ces lames
s'applique sur le convexe de celle qui lui
est opposée , et qu'elles sont toutes liées
ensemble par une membrane , qui prend
DU C (K U R. 35i
depuis leur naissance jusqu'au milieu de
leur hauteur, où, devenant plus épaisse,
elle forme une manière de cordon, au dessus
duquel elle est attachée aux lames par les
bouts d'autant de petits croissans qu'il y a
d'espaces entre elles. Le reste de la lame
est libre , et finit en une pointe très-fine et
très-souple.
L'empâtement de ces lames sur les bords
de l'arc se faisant par l'extrémité de leur
talon , comme il a été dit, il reste dans leur
milieu un petit vuide en forme de canal
triangulaire , qui règne tout le long de l'arc ,
et sert à loger les vaisseaux.
Ces lames sont revêtues d'une membrane
très-fine , et ne servent qu'à soutenir les
ramifications de tous les vaisseaux des ouïes.
Ces vaisseaux , qui coulent dans la gouttière
de chaque arc , sont une artère , une veine
et un nerf.
Avant que de parler de la distribution
des artères , on remarquera que la partie
de l'aorte qui nait du cœur , et qui a deux
valvules sigmoïdes comme celle de la tor-
tue , n'est pas d'un grand volume , à pro-
portion de celui qu'elle a un peu au dessus ;
car d'abord elle s'évase , en sorte qu'elle
couvre toute la base du cœur : puis se ré-:
a52 SUR LA STRUCTURE
trécissant peu à peu, elle forme une espèce
de cône, de la poinîe duquel sort le vaisseau
qui est ia confinuation de Taorte. Le dedans
de sa partie dilatée est remplie de plusieurs
colonnes charnues , qui vont toujours eu
diminuant jusqu'au sommet, et elles ont
enîre leurs bases des interstices , qui forment
des cavités où est reçu le sang qui reflue , ce
qui fortifie l'action des valvules dont on vient
de parler, et produit le même effet que les
valvules qui se voient dans la partie muscu-
leuse de Faorte de îa raie et de la grenouille.
Le canal , qui sort de la pointe du cône
de Taorte , coule entre les deux lobes des
ouïes (i). Vis-à-vis de la première paire
d'arcs de ces lobes, il jette de chaque côté
une grosse branche , qui se subdivise encore
en deux autres , dont la première coule de
chaque côté dans la gouttière de cette pre-
mière paire d'arcs , et la seconde dans la
gouttière de Ja seconde paire (2). Ce même
tronc, dans son cours, se partage encore
en deux branches , dont chacune va de son
(i) Il paroît que les parties que Duverney appelle
les lobes des ouïes , sont les quatre ouïes de chaque
eôté.
(2) Les artères brancliiales j arteriœ branchiales.
DU C (S U R. :^53
côté à la troisième paire , et plus avant
encore, en deux au Ires, qui voul à la der-
nière paire de ces arcs.
Chaque artère, en coulant le long de la
baie de chaque feuillet, jette autant de
paires de branches qu'il y a de paires de
lames (i), et se perd entièrement à Tex-
irémité du feuillet, en sorte que l'aorte et
ses branches ne parcourent de chemin que
depuis le (^œur jusqu'à Textrémité des ouïes
où elles finissent.
Sur le bord de chaque lame il y a une
veine , et chaque veine vient se décharger
dans un tronc (2) qui coule dans la gout-
tière de chaque arc, et dont les différentes
i^amifications se voient clairement dans les
figures. Ces veines, sortant de Textrémité de
chaque arc , qui regarde la base du crâne ,
prennent la consistance d'artèi'es, et viennent
se réunir deux à deux de chaque côté; celle,
par exemple, qui sort du quatrième arc,
après avoir fourni des rameaux qui distri-
buent le sang aux organes des sens, au
cerveau et h toutes les autres parties de la
(i) Ce sont les petites artères des lames des
branchies ; arteriœ laminarinn.
(2) La veine branchiale *, vena branchialis.
254 SUR LA STRUCTURE
tête, vient se joindre avec celle du troisième
arc; ainsi elles ne font plus qu'une branche;
cette branche, après avoir fait environ deux
lignes de chemin, s'unit à celle du côté
opposé, et les deux ne forment plus qu'un
tronc , lequel, coulant sous la base du crâne,
reçoit aussi peu de tems apiès de chaque
côté une auire branche, forpiée par la
réunion des veines de la seconde et de la
première paire d'arcs (i). Ce tronc continue
son cours le long des vertèbres, et distii-
buant le sang à toutes les autres parties, fait
la fonction d'aorte descendante. Ces mêmes
veines , par leur autre extrémité qui regarde
la naissance des arcs , viennent se décharger
dans un tronc qui va s'insérer dans le réser-
voir (2).
I>a conformité qui se trouve dans la struc-
ture du cœur de ces animaux, a obligé de
les décrire en même tems.
Mais, avant que d'eu expliquer les usages,
il ne sera pas inulile d'avertir, 1" que par le
terme de réserçoir , on n'entend autre chose
qu'un tronc de veines, formé f)ar le coa-
(1) Les racines de l'aorte ascendante ; aortœ as-
eendentis radices.
(2) La veine déférente 5 vena déferons»
DU C (E U R. 255
cours de plusieurs autres, et qui tient lieu
de veines eavcs supérieure et inférieure ,
dans la tortue et dans la carpe; et dans la
grenouille, ce n'est autre chose que le tronc
de la \eme cave inféjieure qui reçoit lès
deux axiJlaires,* car bien que le réservoir
ou tronc soit garni de libres charnus , on
ne prétend pas dire qu'il ne soit pas du
genre des veines, puisque celles qui s'em-
bouchent dans les oreillettes et dans les
cavités du cœur des autres animaux, soat
aussi revêtues en cet endroit de semblables
libres ; 2"^ que la raison qui a obligé d'entrer
dans le détail de la distribution des artères
de la grenouille et des poissons, est qu'il a
fallu faire voir que l'aorte descendante e^t
toujours composée de deux troncs, et quel-
quefois d'un plus graiid nombre, comme
dans les poissons. )
256 RESPIRATION
OBSERVATIONS
Pour servir à P histoire de la re:>piration
des Poissons y
PAR BROUSSONET.
JLJA respiration est une de ces fonctions
essentielles , un moyen d'existence dont la
Nature a doué tous les êtres vivans; on en
reirouve des traces jasques dans les j)ianles;
mais, quoique son but, dans celte fonction
importante, soit par -tout le même , \^s
moAens qu'elle a mis en œuvre pour le
remplir sont vnriés à Finfini.
Parmi les dilférens ordres d'animaux il
en est qui ne reçoivent que de l'air dans
les organes de la respirai ion , d'antres qui
n'y font passer que de l'eau ; et cette con-
s dération oiïre les caractères d'une division
très-sensible dans le règne animal.
La différence des organes de la circulation
est toujours en raison de celle qu'on observe
dans ceux de la res|piration ,* l'une et l'autre
de ces fonctions subissent en quelque sorte,
dans les différentes classes d'animaux , une
dégénératioa
DES POISSONS. 257
^égénéralion graduelle ; ainsi les poumons,
dans les oiseaux , sont très - élendus ; ils
communiquent à plusieurs cavités parti-
culières, et l'air pénètre dans Imlérieur
des os. Le cœur est divisé en deux ventri-
cules, munis chacun d'une oreillette, et leur
sang est plus chaud que celui des quadru-
pèdes et des cétacés. Ceux-ci ont les pou-
mons moins étendus ; ces parties ne se
portent pas au delà du thorax; leur cœur,
comme dans les premiers, est divisé en deux
ventricules et deux oreillettes , mais leur
sang est moins chaud ; il Test cependant
beaucoup plus que celui des reptiles et des
quadrupèdes ovipares , dont les poumons
sont membraneux, formés par des espèces
de vessies, et garnis de fibres musculaires;
il n'y circule qu'une petite portion du sang,
le reste passe immédiatement d'un ventri-
cule à l'autre. Les insectes présentent ensuite
des différences plus sensibles ; leur cœur est
membraneux , à peine susceptible de mou-
vement ; ils ont , au lieu de poumons , des
vaisseaux particuliers répandus dans diffé-
rentes parties du corps ; leur sang , si on
peut donner ce nom à la liqueur qui paroît
^n tenir lieu , n'a point acquis de degré de
JPoiss, Tome II. R
iî58 RESPIRATION
couleur et de chaleur qui caractérise ce
fluide dans les aulres animaux. Ici le rap-
prochement devienl sensible avec les mol-
lusques , les coquillages aquatiques et les
crabes qui respirent de Teau comme les
poissons.
Les physiciens modernes ont donné Tex-
plication des phénomènes de la respiration ;
ils ont fait voir , d'une manière très-lumi-
neuse 5 comment Tair vital lépandu dans
Fatmosphèie se change en air iixe , en le
com])inant avec le principe phlogistique ou
la base de l'air fourni par le sang.
Il paroit que la respiration s'exécute d'une
manière analogue dans tous les animaux qui
respirent de l'eau el particulièrement dans
les poissons; mais, avant d'enirer dans aucun
détail, j'établirai les dégrés de^ ressemblance
qu'ont entre eux les organes qui , dans les
animaux de ces deux ordres , concourent
également au même but.
Les organes de la respiration, dans tous
les animaux qui ne respirent que de l'air,
sont placés à l'intérieur : on ne sauroit les
apercevoir sans déchijer les paities qui les
environnent : les organes analogues à ceux-
ci , dans les animaux qui ne respirent que
de l'eau , sont au contraire presque à dé--
DES POISSONS. 259
couvert ,* on peut ]es voir sans détruire
aucune partie. Cette diffeience est sur-tout
remarquai^le dans quelques quadrupèdes
ovipares , dont les organes de la respiiatioii
sont placés extérieurement dans le premier
période de leur vie , où ils demeurent sous
l'eau , et qui , destinés h vivre dans l'air ,
acquièrent des poumons situés k l'intérieur.
Une autre différence , qui dépend de la
précédente , est que plus la respiration est
parfaite dans les difféientes classes d'ani-
maux , plus les organes en sont cachés. Dans
les oiseaux, en qui la respijaûon s'exécute
de la manière la plus parfaite , l'air est porté
dans les cavités de la plupart des os, et
bien plus à l'intérieur par conséquent que
dans les quadrupèdes dont les poumons sont
plus cachés que ceux des repliles et des
quadrupèdes ovipares , qui n'ont point de
diaphragme , ou qui n'en ont qu'un très-
mince. Les insectes enfin , dans lesquels cette
fonction dégéuère encore , respirent par un
grand nombre d'ouvertures.
Plusieurs caractères nous montrent que ,
parmi les animaux qui vivent dans l'eau ,
les poissons respirent d'une manière plus
parfaite que les mollusques et les coquillages
R 2
36o RESPIRATION
aquatiques; aussi les organes des premiers^
sont-ils plus cachés que ceux de ces derniers
qui les ont le plus souvent à Textérieur et
entièrement à découvert : c'est dans ces
animaux que paroît s'évanouir totalement
cette fonction ; et pour s'y reconnoître , il
faut être guidé par l'analogie.
Les poissons présentent , relativement à
la conformation des organes de la respiration,
deux grandes divisions, dont Tune comprend
les cartilagineux , et l'autre les épineux. Les
ouïes des premiers sont soutenues sur un
arc cartilagineux; elles sont plus multipliées
que dans les épineux , où ces parties sont
supportées par des osselets recourbés , dont
le nombre est rarement au dessous de quatre,
et n'excède jamais ce nombre.
Le cœur, dans les poissons épineux, est
l'enfermé dans un péricarde , qui forme une
poche membraneuse attachée postérieure-
ment au diaphiagme.Dans quelques espèces,
et particulièrement dans le loup marin , j'ai
observé de petites fibres très - déliées , qui
unissent le cœur au péricarde. Les poissons
cartilagineux n'ont point , à proprement
parler, de péricarde, du moins la mem-
brane qui paroît en tenir lieu n'est point
libx-e ; elle revêt l'intérieur de la poitrine »
DE S P O I S S O N S. 261
et elle est aclliéreiile aux muscles qui Yen-
toureut. L'usage du péricarde dans l'homme
et dans les quadrupèdes est, suivant les
anatomistes , d'empêcher que le cœur ne
s'aLlache aux poumons , et qu'il ne soit com-
primé quand ceux-ci sont remplis d'air,
ou qu'il ne souffre lorsque les poumons sont
affectés; il étoit nécessaire que cet organe
fût membraneux , d'un tissu serré et capable
de soutenir les viscères qu'il renfejine. Dans
les poissons au contraire , qui n'ont point
ces accidens à craindre, le cœur, dans ceux
dont la poitrine est étroite et formée de
parties assez dures, est renfermé dans un
péricarde simple, mince et presque trans-
parent ; dans ceux au contraire dont la
cavité thorachique est plus considérable , où
ce viscère ne sauroit être gêné par aucune
partie, la Nature, qui a toujours travaillé
sur le plan le plus économique , n'a point
distingué le péricarde de la plèvre; une seule
membrane , qui tapisse l'intérieur de la
poitrine , remplit les fonctions de l'un et
de l'autre.
La forme du cœur offre de plus grandes
variétés dans les différentes espèces de pois-
sons que dans celle des animaux à sang
chaud. M. Vicq - d'Azyr a fait voir les plus
R 3
262 RESPIRATION
remarquables de ces variélés , dans les Mé^
moires où il a tracé le plan d'une anatomie
compJette des poissons. En généial le cœur ,
dans les es})èces de cette classe , est, propor-
tionnellement à leur corps 5 plus petit que
celui des autres animaux. Dans les oiseaux,
par exemple , cet organe est huit ou neuf
fois plus gros qu'il ne Test dans les poissons
d'un égal volume. On sait que le cœur d'un
Iiomnie pèse ordinairement lo onces, si le
poids total de son corps est de cent cinquante
livres. Haller a trouvé que , dans une carpe
du poids de 49120 grains , le cœur ne
pesoit que 9 grains. Le poids du cœur de
l'homme est donc deux cent quarante-sept
lois plus petit que le poids du corps, tandis
que celui de la carpe l'est cinq cent qua-
rante-six fois. Ce calcul , qui vient à l'appui
de notre assertion , lui auroit été encore
plus favorable si l'expérience avoit eu lieu
sur une carpe moins petite; le cœur, dans
tous les animaux, étant toujours plus gros
proportionnellement au corps , lorsqu'ils sont
jeunes. Dans une carpe du poids de JobjQ
grains, j'ai trouvé que le cœur pesoit i5
grains : elle étoit , comme on le voit, deux fois
plus grosse que celle que Haller avoit pesée;
aussi le poids du cœur étoit-il couteau huit
D E s PO I s s ON s. 263
cent soixante -douze fois clans celui de son
corps. Dans plusieurs petits poissons de la
Seine, dont Tun pesoit 66 grains, Tautre
164, et le troisième 2o3, j'ai vu que le j)oids
du cœur étoit renfermé cent trente -deux
fois dans le premier , cent cinquante-quatre
dans le second , et cent quatre-vingt-quatre
dans le troisième; le cœur, dans le premier,
pesoit 1 giain ,• dans le second , un demi-
grain, et 1 grain 7^ dans le troisième; ce qui
prouve évidemment que, plus les poissons
sont petits, plus leur cœur est gros propor-
tionnellement à leur volume.
La férocité des animaux terrestres suit la
même gradation que le volume du cœur.
Cette loi se retrouve dans les poissons. Les
cartilagineux , parmi lesquels on compte les
chiens de mer , les requins , les raies , etc.
qui surpassent par leur voracité les autres
poissons, ont aussi le cœur bien plus volu-
mineux ; ce qui est très - remarquable dans
la baudroye , où cette voracité est si ma-
nifestée par la grandeur de la gueule et
le nombre de ses dents , et dont le cœur
est très-gros en proportion du corps. Plu-
sieurs observations m'ont confirmé dans
cette opinion. J'ai pris un brochet que tout
le monde sait être le mieux armé et le plus
R 4
564 RESPIRATION
vorace des poissons de rivière, comme aussi
tm des plus agiles; je me suis procuré nue
tanche dont ]a gueule est toujours très-
petite , privée de dents, et qui se tient
presque toujours dans la vase. Le poids de
ces deux individus s'est trouvé par hasard
le même,* il se portoit pour chacun à 5202
grains ; mais le cœur du brochet pesoit
6 grains , tandis que celui de la tanche n'en
pesoit que 4; ainsi, dans le plus vorace de
ces deux poissons , le poids du cœur étoit
contenu huit cent soixante -douze fois dans
le poids total de son corps, et il s'y trouvoit
mille trois cent huit fois dans celui de la
tajiche.
J'ai observé que , dans les poissons dont les
ouïes étoient les plus grandes , le cœur étoit
aussi le plus gros, toujours proportionnelle-
ment à la grosseur du corps; je m'en suis
assuré plus particulièrement sur le hareng.
J'en ai pesé un qui m'a donné 1992 grains
pour poids total ; son cœur étoit de 3 grains,
qui équivaloient à la six cent soixante-
quatrième partie de son corps. Un merlan ,
dont les ouïes sont beaucoup moins éten-
dues et présentent une ouverture assez pe-
tite, m'a fourni un résultat bien différent;
son corps pesoit 2004 grains , et son cœur
DES POISSONS. 265
ppsoit seulement i grain ~; ce viscère n'éLoit
donc que la douze cent deuxième partie de
son corps, et étoit conséquemment presque
moitié plus petit que celui du hareng.
Les poissons qui se tiennent dans la vase,
qui font peu de mouvemens, dont la chair
est plus molle, plus remplie de gluten, ont
le cœur très - petit. Celui d'une limande ,
dont le corps entier pesoit 2844 grains, n'en
pesoit que 2; ce qui fait voir que le poids de
ce viscère étoit contenu quatorze cent vingt-
deux fois dans celui de son corps. Non seu-
lement cet organe est plus pelit dans les
poissons de cette classe que dans les autres,
mais il est encore moins irritable. La quan-
tité du sang est aussi moindre dans ceux-ci.
J'ai séparé, en même tems, du corps d'une
anguille et de celui d'un brochet , le cœur
qui , dans le premier , a donné peu de signes
d'irritabilité lorsque je l'ai piqué ; celui du
brochet en a donné beaucoup et long-tems
après que son corps ne manifestoit plus
aucun signe de vie; ce qui a eu lieu en sens
contraire dans l'anguille , qui remuoit encore
avec assez de force, quoique son cœur, que
j'irritois avec la pointe du scalpel , ne donnât
plus la moindre marque d'irritabihté.
La situation du cœur dans les poisson»
2m RESPIRATION
n'est pas la même que dans Thomme. Ce
viscère occupe clans les premiers le milieu
de leur poitrine. Comme son usage se boine
ici à transmettre le sang aux ouïes, et que
ce fluide y est porté par ime seule artère,
une position , au moyen de laquelle il est
également éloigné des ouïes de chaque côté,
est sans doute la plus avantageuse.
Les oreillettes, dans l'homme, sont situées
à la partie supérieure du cœur : dans les
poissons y Foreillette est placée en sens con-
traire ; la base du cœur touche le dia-
phragme, et la pointe est tournée vers la
tête. Cette différence dépend sans doute de
celle qu'on observe dans le trajet que suit
le sang , dont la plus grande partie , dans
les poissons , est rapportée au cœur des
parties postérieures du corps , tandis que
dans l'homme une portion considérable est
renvoyée au cœur des parties supérieures.
L'oreillette est située un peu sur la gauche;
le sang lui est fourni par lin sinus particulier,
formé par la réunion de plusieurs veines.
Ce sinus est beaucoup plus volumineux que
l'oreillette ; la communication entre ces deux
cavités est fermée en partie par des valvules.
Quelques auteurs ont regardé ce sinus comme
une seconde oreillette ; il en a du moins
D E s P O I s s O N s. 267
l'apparence. Diiverney , qui le premier a
disséqué ces parties avec soin , a détaillé
l'usage de ce sinus veineux qu'on retrouve
dans les reptiles et les quadrupèdes ovipares.
Le sang est poussé de cette cavité dans
l'oreillette par la contraction du diaphragme,
que j'ai toujouis vu garni de Hbi es muscu-
laires dans un très-grand nombre d'espèces.
Il adhère , t'omme dans l'homme , au péri-
carde; son usage est cependant ici bien diffé-
rent. Les aiiatomistes ont cru , dans le pre-
mier cas , devoir attribuer cette adhésion k
la pression continuelle du cœur sur le dia-
phragme , et que la situai ion droite de
l'homme rend nécessaiie. Leur sentiment
étoit confirmé par l'observation contraire ,
qui avoit été faite sur les quadrupèdes, où
cette adhérence n'a presque pas lieu, parce
que, disent ces auteurs, le corps des qua-
drupèdes est dans une situation horisonlale;
mais l'adhérence du péricarde au diaphragme
a lieu sur les poissons , ce qui démontre
l'insuffisance de cette explication.
Les anatomistes ont comparé avec raison
la seule oreillette et le seul vejitricule qui
constituent le cœur des poissons à 1 oreillette
droite et au ventricule droit dans rhomme.
Comme ceux-ci, ils sont destinés à recevoir
268 RESPIRATION
le sang des veines caves; ils ont cependant
tous donné le nom ^ aorte ou di aorte ascen-
dante à la seule artère destinée à porter le
sang du cœur aux ouïes , qui font l'office de
poumons dans ces animaux. Le nom ^artère
pulmonaire étoit le seul qui dût être donné
à ce vaisseau. La structure de ces organes
est entièrement analogue à celle des mêmes
parties considérées dans Ttiomme. Le ven-
tricule du cœur des poissons est comme le
ventricule droit dans l'homme , formé par
des parois épaisses relativement à son volume,
et sa cavité ne s'étend pas tout à fait jusqu'à
la pointe du cœur. L'oreillette droite, dans
l'homme , est , comme celle du cœur des
poissons , volumineuse relativement à la
grosseur de ce viscère , et le sang qu'elle
contient est également noirâtre. L'artère ,
au sortir du ventricule, ne se recourbe pas
comme l'aorte dans l'homme ; sa direction
est droite, et c'est une ressemblance qu'elle
a avec l'artère pulmonaire de plus qu'avec
Faorte. Je crois donc, d'après sa structure
et son usage, pouvoir donner à ce vaisseau
le nom ai artère branchiale , du mot latin
hranchiœ ( ouïes ) , bien persuadé que celui
d'aorte ne sauroit lui convenir.
Ou voit , à la base de l'artère branchiale ,
D E s P O I s s O N s. sGg
nn renflement conique avec un étrangle-
ment à la partie inférieure. Ce renflement
est fortifié intérieurement par des fibres lon-
gitudinales qui , en rapprochant par leur
contraction Fartère de la base du cœur ,
doivent accélérer le mouvement du sang.
Quelques auteurs ont comparé cette cavité
à l'oreillette gauche dans riiorame; d'autres
se sont contentés de lui donner le nom
^oreillette artérielle, Cœsalpin Fa même
prise pour un troisième ventricule.
Je me dispenserai de décrire le trajet de
Tartère branchiale sur les ouïes : Needham
et Duverney n'ont rien laissé à désirer sur
cet objet. Je me bornerai à rappeler que
cette artère est la seule dans les poissons
dont le battement soit sensible ; ce qui prouve
bien que le cœur est la principale cause de
la pulsation des artères, et qu'elle ne sauroit
avoir lieu que dans les vaisseaux où le cours
du sang est dirigé d'un petit vers un plus
grand diamètre.
La structme des ouïes est telle que les
vaisseaux sanguins qui les parcourent font,
comme dans les poumons des quadrupèdes,
un très-long trajet dans un très-petit espace;
mais elle offre des différences très-remar-
quables dans diverses espèces de poissons.
270 RESPIRATION
Le genre de vie auquel la Nature a destiné
ces aiiiaiaux est ]a piincipale cause de ces
variétés, qui ont plus rajement lieu dans
les organes des divers quadrupèdes ou des
oiseaux. Ne seroit-on pas en droit d'en con-
clure que , plus une fonction est parfaite dans
line classe quelconque , moins les organes qui
Texécutent présentent de diixérences dans
les diverses espèces qui la constituent ?
Les poissons qui se tiennent ordinairement
dans la vase et dans les endroits où Feau
est rarement renouvelée, telles que les an-
guilles , ont les ouïes soutenues sur des arcs
osseux courts • la cavité de leurs ouïes esî:
fort grande, et elles peuvent conserver plus
long-tems que les autres espèces Teau dans
leurs organes. On pourroit en quelque sorte
les comparer aux reptiles et aux quadru-
pèdes ovipares qui ont des poumons cel-
luleux garnis de fibres , et tels que ces
animaux paroissent y tenir en réserve une
certaine quanfité d'air pour sen servir au
besoin. Dans les espèces, au contraire, qui
fréquentent la haute mer, qui nagent tou-
jours dans de grands fonds , et qui sont
destinées à exécuter, pendant de longues
émigrations, des mouvemens très -rapides,
les ouïes sont posées sur des osselets très-
DES POISSONS. 271
grands, et leurs feuillets sont Irès-alongés.
Plusieurs sont pourvus d'un organe parti-
culier destiné , comme les ouïes , à la res-
piration. Cette partie, qui n'a été décrite
par aucuii auteur , peut être regardée conioie
une i>eti te ouïe, et elle a rapport en quelque
sorte à un lobule de poumons. Elle est
distincte des ouïes , et située dans leur ca-
vité de chaque côté vers la base des oper-
cules , et immédiatement après l'élévation
que forment les orbites. Le plus souvent elle
décrit un arc. Sa longueur varie suivant
les différentes espèces : j'en ai vu de plus
d'un pouce de long dans plusieurs espèces
de spares et de perches de grandeur liié-
diocre ; elle est , ainsi que les ouïes , com-
posée de lames rangées en file , mais qui
vont en décroissant veis les deux extré-
mités. Ces lames ne sont point, comme dans
les ouïes, placées deux à deux , mais si 01 pies;
leur nombre varie suivant les difféientes
espèces de poissons. Dans la limande , par
exemple, j'en ai compté jusqu'à vingt et
une; elles ne sont jamais fixées sur un arc
osseux,- eiles forment à leur hase une espèce
de bourrelet, et la membrane qui tapisse
l'intérieur de la cavité les recouvre en par-
tie. Les trois branches internes de chaque
572 RESPIRATION
côté de Tartère branchiale se distribuent aux
trois ouïes internes sans fournir aucun ra-
meau considérable. La quatrième, qui est
la plus externe, donne naissance, vers son
extrémiîé, à un rameau qui , rétrogradant
d'abord un peu, va joindre sur le côté opposé
aux ouïes la petite ouïe que je viens de
décrire,- elle est sur-tout très-apparente dans
les poissons dont Artedi a formé une classe
particidière sous la dénomination d'acan-
thoptérygiens ^ et qull a caractérisée par la
présence de quelques rayons épineux aux
nageoires. J'en ai fait mention , sous le nom de
pseudobranchia^ dans les descriptions d'une
espèce de sole, de chétodon et de clupéa,
que j'ai données dans la première décade de
mon histoire générale des poissons.
Le canal f)ar lequel les quadrupèdes et
tous les animaux à sang chaud transmettent
l'air dans les poumons, est le même dajis
tous; ce qui ne s'observe pas dans les pois-
sons qui reçoivent l'eau dans les organes
analogues par différentes ouvertures. Quel-
ques-uns, tels que les lamproies, ont sur
le haut de la tète une seule ouverture, par
laquelle l'eau est conduite aux ouïes. Cette
structure étoit nécessaire à ces poissons ,
qui , se fixant au moyen de la succion ,
aux
DES POISSONS. 275
aux pierres, ou contre les gros poissons,
ne poiirroient point eu même lems rece-
voir Feau par la gueule. D'aulies , comme
les raies, ont à chaque côté de la lète une
ouverture qui sert de passage à l'eau. Le
plus grand nombre des poissons jeçoit
cependant Teau par la gueule, et elle sort;
par Jes ouïes. Pour s'en convaincre il sufEt
d'examiner avec quelque attention J'eau
qu'ils respirent ; elle entraine avec elle,
dans la gueule, les petits corps qui sur-
nagent dans ce iluide, tandis qu'ils sont
repoussés aux ouvertures des ouïes.
Dans les cartilagineux, les oiganes de la
respijation , comme nous l'avons déjà dit,
sont beaucoup plus étendus que dans les
autres poissons,- la plupart rejettent aussi
l'eau par plusieurs ouvertures , qui sont au
nombre de sept, dans toutes les espèces
de lamproies , et dans un chien de mer,
que j'ai décrit sous le nom de ô/uet dans
les Mémoires de l'académie de 1780. Un
autre poisson du même genre , dont j'ai
parlé sous la dénomination de griset dans
le même Mémoire, en a six; toutes les
raies et la plupart des chiens de mer en
ont cinq; quelques-uns n'en ont que quatre;
Je quatrième est alors divisé intérieurement
rolss. Tome IL ISI
27^ RESPIRATION
en deux parties. Les chimerae , les esturgeons
et la feuille n'en ont qu'une seule, formant
quelquefois plusieurs divisions. Tous les
autres poissons ne sont pourvus que d'une
seule ouverture,* mais sa forme varie sui-
vant féconomie animale de chaque espèce.
Ceux qui sont destinés à vivre dans des
eaux peu profondes, qui ne s'éloignent
jamais du rivage, et qui sont quelquefois
ensevelis dans le sable, tels que l'ammo-
dyte, plusieurs espèces de silures, et la
plupart des anguilliformes, ont cette ouver-
ture petite, formant une espèce de canal,
environné de membranes épaisses. Les pois-
sons coffres vivent très-près du bord de la
mer, qui, en se retirant, les laisse souvent
dans des lieux où il y a une très-petite
quantité d'eau que le soleil fait bientôt
évaporer; ils ont aussi les ouvertures de la
gueule et des ouïes très-petites; leur corps
est de plus recouvert d'une écaille dure et
d'une seule pièce. Les poissons bourses, les
vieilles de mer, qui, en s'enflant, restent
presque toujours à la surface de l'eau, ont
ces mêmes ouvertures très -étroites. Les
poissons qui sont forcés d'exécuter de
grands mouvemens, ont les ouïes les plus
étendues; leur gueule et l'ouverture de»
D E s P O I s s O N s. 275
ouïes sont très-larges; ils reçoivent une
gianfle quantité d'eau, et la renouvellent
plus souvent que les autres; ils meurent
presqu'aussitôt qu'ils sont hors de l'eau,
taudis que les carpes, les anguilles, etc.,
qui ont ces ouvertures plus petites, vivent
assez long-tems dans Fair. On pourroit en
quelque sorte comparer les premiers aux
oiseaux de haut vol , dont la plupart des
os sont pénétrés par Tair: le hareng, 'les
aloses, le biochet , etc., doivent être com-
pris dans la première division.
Dans les animaux qui respirent de Tair ;
il n'y a qu'une seule ouverture par où cet
élément est reçu et est rejeté dans , les
poissons; comme nous venons de l'obser-
ver, l'eau entre par une ouverture et sort
par une issue différente. Le mécanisme , au
mo3'^en duquel cette opération s'exécute, est
aussi bien différent de celui qui sert à la
fonction analogue à celle-ci dans les qua-
drupèdes ; les opercules servent de parois à
Ja cavité qui renferme les ouïes, et font
l'office des côtes ; leur mouvement est sem-
blable à celui de ces parties dans l'homme
et les quadrupèdes. Quand le poisson veut
prendre de Feau, la mâchoire infériem^e
s'abaisse, et les deu;x: 03 qui la composent
S 2
^76 RESPIRATION
élant joints antérieurement par des liga-
niens, elle est en même tems dilatée. Les
os de la mâchoire supérieure sont portés par
leur extrémité postérieure en en bas ; et
comme ils se trouvent articulés avec les os
latéraux de la tête, qui forment la base des
opercules, ils font exécuter à ceux-ci un
mouvement de bascule qui porte leur angle
antérieur un peu en dedans et en en bas ,
tandis que la mâchoire inférieure les porte
en dehors et en en haut. Par ces mouve-
mens combinés , chaque fois que le poisson
ouvre la gueule, les opercules s'écartent par
leur bord du corps de l'animal, et laissent
échapper Fcau qui étoit contenue dans la
cavité des ouïes ; leur mouvement est exac-
tement le même que celui des côtes dans la
respiration. Dans le même instant où Fani-
mal ferme la gueule, le bord des opercules
est ramené sur le corps; la membrane des
ouïes qui le borde en ferme exactement les
ouvertures, et l'eau qui étoit entrée dans les
cavités lors de la dilatation de toutes les par-
ties, est, pour ainsi dire, pressée contre les
feuillets des ouïes qui se sont rapprochées
au même moment ; et c'est alors que la
fonction de la respiration est entièrement
ièémpiie : les poissons ne la parachèvent
D E s P O I s s O N s. 577
dôncv que dans rexpiration. N'est-on pas eq
droit de conclure avec Daverney, guid^
par Fanaîogie , que les animaux qui i-es-
pirent de Fair ne donnent point le prinr
cipe phîogistique de leur sang à cet élémen|;
dans le moment de l'inspiration, mais seu-
lement lorsque le thorax s'affaisse, que les
poumons tendeut à chasser l'élément qu'il$
contiennent, et que toutes les parties, eï\
se rapprochant, forcent l'air à s'unir plus
intimement avec les fluides qu'elles cha-
rient.
Les poissons ont des inspirations pluç
fi-équentes que les animaux qui vivent:
dans l'air, parce que le principe qui doit
être extrait de l'eau par leurs organes est
répandu bien moins abondamment dans ce
dernier fluide que dans l'air, et qu'il est
plus difîicile de le séparer de l'un que de
l'autre.
L'usage do la membrane des ouïes paroît
se borner à vformer exactement l'ouver-
ture des ouïes , et à augmenter dans cer-^
taines espèces leur cavité; cette membrane
manque dans un grand nombre de poissons,
comme je Tai déjà observé : les ouvertures
des ouïes sont alors très-étroites.
Dans quelques-uns où cette ouverture
S 5
S78 RESPIRATION
se trouve très -petite , la membrane des
ouïes n'est soutenue que par un seul rayon ,
qu'on pourroit même regarder comme une
lame des oj^ercules. Les espèces du genre
des morm3^res en fournissent un exemple;
quelques autres ont l'ouverture des ouïes
très-étroites , mais formant une espèce de
canal, comme on le voit dans les poissons
du genre des murènes et des cailyonimus;
dans ces espèces , la membrane ne paroît
pas distincte des opercules, et les osselets
qui la soutiennent peuvent être aisément
comparés aux côtes dans riiomme et les
quadrupèdes. Dans les poissons enfin, dont
l'ouverture des ouïes est très-considérable,
il étoit nécessaire que la membrane fût
affermie par un grand nombre d'osselets, et
c'est aussi ce qu'on observe dans toutes les
espèces de brochets , de saumons , et sur
Félop , qui a trente -quatre osselets de
chaque côté.
Lorsque le sang a passé au travers des
ouïes, il entre dans des vaisseaux dont le
' diamètre va en augmentant , dont les parois
sont moins épaisses que celles de l'artère
branchiale , qui ont ^ en un mot , tous les
caractères des veines, et qui doivent en
tout être comparés aux veines pulmonaires
DES POISSONS. 279
dans riiomme et les quadrupèdes,- elles ne
portent cependant pas le sang à nn ventii-
cule, mais elles forment par leur réunion
un gros vaisseau qui a toutes les qualités
des artères. Ce vaisseau a été connu des
anatomistes sous le nom d'aorte descen-
dante ; je crois devoir seulement lui donner
celui d'aorte, ayant déjà fiiit voir que les
poissons n'avoient point d'aorte ascendante.
Le sang est distribué dans tout le corps par
Taorte ; le cours de ce fluide n'est point
retardé, comme dans riiomme , par un
grand nombre de piis ou d'angles, formés
par les vaisseaux sanguins, et qui sont
déterminés par la conformation des vis-
cères et des extrémités : il n'a donc pas
besoin d'être poussé dans les artères des
poissons avec autant de force que dans
celles de l'homme. 11 est aisé, d'après cette
considération, de rendre raison de la direc-
tion que suivent les veines pulmonaires;
quant aux artères , elles décnvent une
ligne droite , et le sang y circule avec
moins de rapidité que dans les vaisseaux
des animaux à sang chaud. Leuwenhoeck
a observé que le sang d'une anguille ne
parcouroit à peu près que l'espace de cinq
pouces dans une minute; et je me sui^
S 4
55o RESPIRATION
assuré par un grand nombre d'expéiiciices
faites sur des poissons du genre des carpes ,
que leur cœur baltoit, dans le même espace
de tems , Irenfce-cinq fois, quelquefois
trente-six, et même Irente-liuit, rarement
quaranie.
Il e^t très-probable que le sang, en passant
à travers les ouïes, s'y dépouille, comme
dans les quadrupèdes à ira vers les poumons,
du principe phiogistique dont il est sur-
chargé; mais je laisse aux cliimlsies à nous
éclairer sur la manière dont l'air dépîilogis-
tiqué vmi à Feau, et qui en est peut-être
une partie constituante, absorbe ce principe :
je me bornerai à rapprocher quelques obser-
vations qui peuvent éclaircir la théorie des
phénomènes de la respiration.
' Les poissons ont, proportionnellement à
leur volume, moins de sang que les qua-
drupèdes ; ce qui s'accot de pai faitement
avec la manière imparfaite dont le méca-
nisme de la respiration s'exécute dans les
premiers; plusieui^s anguilles ont à peine
fourni quelques onces de sang , suivant
Menghinus; et l'on trouve, dans les Corn-
mentarii hononicns.es , qu'on n'en a retiré
qu'une seule once de cent de ces poissons.
La quantité de sang dans les aniniiiux
D E 8 P O I s s O N s. 281
f)st toujours en laisoii de la perfeclioii de
leur Inspiration; cette obsei-^^ation peut être
faite jjou senlemeut sur les giandes classes,
mais encore sur les espèces des poissons
qui ofïrent, relativement aux organes de la
respiration, bien plus de variétés que ]es
animaux (pii vivent dans Faii*. Ainsi les
cartilagineux, qui ont ces organes les plus
étendus, ont aussi plus de sang qu'aucua
autre poisson ; de même le brochet , dont
les 01 ganes de la respiration sont plus com-
plets, pour ainsi dire, que ceux de la carpe,
a plus de sang que celle-ci, qui, respiiant
d'une manière plus parfaite que Fanguiile,
a aussi plus de sang que cette dernière.
Les poissons ne peuvent supporter dans
l'eau un degré de chaleur égal à celui que
les quadrupèdes supportent dans l'air ; la
différence est même à cet égard très-con-
sidérable, puisque ceux-ci ne paroissent
soufïiir en aucune manière dans une atmos-
phère dont la chaleur, transmise à l'eau,
feroit infailliblement périr les poissons qu'on
y plongeroit.
L'homme est susceptible aussi de sup-
poi'ter sans inconvénient une chaleur très-
considérable.
Plusieurs savans anglais, placés pendant
282 RESPIRATION
quelque tems dans une atmosphère où le
thermomètre se soutenoit au 109^ degré ,
ne pouvoient pas dans le même moment
tenir leurs mains dans de l'eau dont la cha-
leur n'étoit qu'au 67^ degré, et qui auroit
suffi sans doute pour détruire l'organisation
des poissons. Il existe cependant quelques
observations sur des poissons trouvés vivans
dans des eaux assez chaudes. Les anciens
avoient remarqué cette singularité ; Elien
parle d'un lac de Lybie dont l'eau est très-
chaude, et où l'on trouve des poissons qui
meurent si on les transporte dans une eau
moins chaude. On trouve des observations
semblables dans Saint- Augustin et Cardanus..
Shaw, dans son Voyage en Barbarie , parle
de quelques sources thermales, dans les-
quelles il avoit trouvé plusieurs poissons du
genre des perches. Tout récemment Des-
fontaines, de l'académie des sciences, a fait
la même observation aux environs de Cafra.
Le thermomètre de Réaumur qu'il y a
plongé est monté au 3o^ degré : je ne doute
point que l'observation d'Elien n'ait eu
lieu dans ces mêmes souices. On trouve ,
dans l'Histoire des eaux minérales de Lucas,
des observations sur des carpes vivantes ,
trouvées dans une eau thermale dont la
DES POISSONS. 285
chaleur égaloit celle du sang de rhomnie.
Valisnieri dit aussi avoir vu des poissons
vivans dans des eaux thermales; Couringius
fait mention du même phénomène. Ander-
sen rapporte un fait semblable dont il a été
témoin en Islande. Je ne citerai pas sur cet
objet un plus grand nombre d'autorités ,
parce que presque aucun de ces auteurs n'a
déterminé exactement le degré de chaleur
des eaux dont ils font mention. Parmi toutes
les observations rapportées sur ce phéno-
mène, celle qu'a faite Sonnerat est assuré-
ment la plus surprenante , puisqu'il dit avoir
trouvé à Manille des poissons dans une
eau qui faisoit monter le thermomètre de \
Réaumur jusqu'au 69® degré. Mes expé-
riences m'ont fourni de bien moindres résul-
tats. Musschembroeck avoit déjà écrit que
les poissons périssoient au 111^ degré du
thermomètre de Farenheit; il a vu même
une perche trés-vi goure use mourir en trois
minutes , dans une eau au 96^ degré ; il
ajoute que ces animaux vivoient très-bien
au 72®. Il est très -difficile de déterminer
positivement les divers dégrés de chaleur
que chaque espèce peut supporter; ils dif-
fèrent; noa seulemeut suiyaut la saison, mais
284 RESPIRATION
encore suivant la forme des organes de la
respiration.
Le i2o juin 1784, j'ai mis deux épinoches
dans im grand vase plein d'eau, dont la
température éloit de 14 dégrés; je l'ai fait
cîiaulïor graduellement , et au bout de deux
heures et demie, le thermomètre est monté
au 28® degré ; ces poissons se sont alors
beaucoup agités; ils étoient sur le point de
mourir , lorsque je les ai retirés pour les
jeter dans de Feau fraiche, où ils sont reve-
nus à la vie au bout de quelgues minui^es.
Le 10 novembre 1784, j'ai mis dans un
vaisseau contenant une voie d'eau , une
carpe, dès ablettes, des goujons et quelques
poissons de la famille des perches : l'eau
avoit été prise dans la Seine ; le thermo-
mètre y marquoit 5 dégrés j le fond du
vaisseau étoit recouvert de sable. A midi
25 minutes, le thermomètre étoit à 6 dégrés
et demi,- à 3o minutes, à 8 dégrés, etc. Je
joins ici la table de mon expérience qui a
duré jusqu'à quatre heures 45 minutes ; j'ai
eu soin de marquer le degré de chaleur de
cinq en cinq minutes,* j'ai versé de tems en
tems de l'eau fraîche en petite quantité. Au
12® degré, les plus petits poissons ont com-
D E s P O I s s O N s. 285
mencé à mouler à la surface de IVau ; ils
s'agitoieni: déjà beaucoup et donnoieiit des
signes de mal -aise : l'eau de la Seine est
cependant bien plus chaude dans Tété. Au
21^ degré, les plus petits (les ablettes) ont
perdu leur équilibre et étoient déjà presque
morts; au 22^, les perches surnageoient sans
mouvement et le corps renversé; les gou-^
jons, qui étoient un peu plus gros, n'ont
paru manifestement souffrir qu'au 23^ de-
gré; cependant la carpe ne s'agitoit encore
presque point; sa respiration étoit seulement
plus fréquente. Au 28® degré où j'ai tenu
l'eau pendant quinze minutes, la carpe a
commencé à donner des signes de mal-aise
et a perdu l'équilibre ; elle a ensuite paru
morte ou du moins asphixiée; l'ayant retirée
pour la mettre dans de l'eau fraîche, elle
n'est revenue qu'au bout d'un assez long
espace de tems : j'ai employé quatre heures
et demie à amener l'eau au 28® degré. Je
suis bien persuadé qu'avec certaines pré-^
cautions on parviendroit à faire vivre des
poissons dans une eau échauffée au delà de
ii8 dégrés; mais îe doute qu'ils vécussent si
elle l'étoit seulement jusqu'au 40^. 3e me
propose de suivre ces expéiiences et de les
Varier de différentes manières.
sae RESPIRATION
En supposant que les poissons , ainsi que
j'ai lie a de le présumer d'après les expé-
riences dont je viens de rendre compte , ne
puissent pas supporter une eau échauffée
au delà de 5o dégrés , en se rappelant en
même tems qu'il leur est impossible de vivre
dans une eau dont la température seroit
quelques dégrés au dessous de zéro , il s'en-
suivroit que ces animaux ne pourroient se
soutenir que dans une éclielîe tout au plus
de 5o dégrés , échelle qui , comparée avec
celles que peuvent parcourir les animaux
à sang chaud, paroîtra sans doute très-
courte ; elle sera cependant toujours en
raison de la chaleur vitale , qui dans les
poissons est même au dessous de celle des
reptiles et des quadrupèdes ovipares. Martine
a observé sur plusieurs poissons d'eau salée,
que la chaleur du sang n'excédoit pas de
plus d'un degré celle de l'eau où ils étoient
plongés. La même expérience , répétée sur
une truite et sur d'autres poissons de rivière,
lui a donné le même résultat. M. Jean
Hunter a vu le theiniomètre de Fahz , in-
troduit dans l'esLomac d'une carpe , monter
de 65 dégrés et demi, terme de tempéra-r
ture de Feau , au 69^ degré, c'esl-à-dire^
3 dégrés et demi de plus ; mais il faut
D E s P O I s s O N s. 287
observer que le poisson étoil alors hors de
Teau , circonstance bien essenliollo et qui
doit influer beaucoup sur le résultat de
l'expérience.
J'ai plongé dans le corps de plusieurs
petits poissons de la Seine , que je tenois
dans Feau pendant Texpérience , un ther-
momètre qui n'est jamais monté plus de
trois quarts de degré au dessus de la tem-
pérât u«re de l'eau ; l'augmentation n'étoit
même quelquefois que d'un demi -degré,
particulièrement dans ceux qui étoient
malades. Une anguille assez grosse, mais
foible 5 n'a fait monter la liqueur que de trois
quarts de degré. Les carpes ont donné cons-
tamment un degré d'excédent de chaleur,
quelques - unes un degré et demi : en gé-
néral la chaleur des poissons est très- peu
considérable, et je crois qu'on peut révoquer
en doute l'observation d'Olassen , qui pré-
tend avoir remarqué une chaleur sensible
dans le sang d'une espèce de chien de mer
( le glauque ).
Les poissons font une grande déperdition
de chaleur animale ; Feau leur en soutire
continuellement une grande quantité; la
portion de ce fluide , qui les environne
immédiatement, est aussi plus chaude que
288 RESPIRATION
pai -tout ailleurs. On a obsejvé qu'une carpe,
plongée dtins un mélange qui se geloit très-
proniplement, conservoit autour d'elle une
certaine quantité d'eau fluide , quoique le
reste du liquide fût totalement gelé.
Oji ne sanroit rapporter qu'à la respiration
le développement de la chaleur des poissons.
Les phénomènes d'après lesquels MM. La-
voisier et De la Place ont expliqué la pro-
duction de la chaleur dans les animaux qui
vivent dans l'air, s'observent aussi dans les
poissons, mais ils sont bien moins sensibles :
les différences de la chaleur entre les ani-
maux qui respirent de Fair et ceux qui
respirent de Teau , sont sur - tout remar-
quables , en comparant les poissons avec les
cétacés, qui ont d'ailleurs tant de rapports
avec ces animaux , que tous les naturalistes ,
avant M. Brisson , les avoient rangés dans
la même classe. Les uns et les autres habi-
tent le même élément; cependant ceux qui
ont des ouïes et respirent de l'eau , n'ont
qu'un degré ou un degré et demi de chaleui'
de plus que l'eau ; les cétacés au contraire
qui respirent de l'air, ont le sang aussi chaud
que celui de l'homme. J'ai plongé le ther-
momètre dr.ns le corps d'un marsouin , à
travers une blessure qu'il venoit de recevoir
k
D E s P O I s s O N s. 28c)
à coté du cou , et qui readoil beaucoup de
sang; il éloil: déjà mort; cependant le ther-
moniètj^ monta jusqu'au 28*^ dégié et demi,
et se soutint au 28^' degré lorsque je le plaçai
dans les parties de Ja génération. La tem-
pérature de Tatmosphère étoit ce jour-là de
14 dégi^s, et celle de l'eau de la mer près
du bord de i3 et demi.
Les poissons n'éprouvent point dans Teau
d'aussi giaudes variations de froid ou de
chaleur que les quadrupèdes dans l'air. La
température de l'eau , à une certaine pro-
fondeur ^ paroît être presque toujours la
même; ce qui est prouvé, quant à celle
de la mer, par les expériences du comte
de Marsigli, et plus récemment de M. de
Saussure^ Celle des rivières, qiiand la surface
est ge]ée , est dans le milieu quelques dégrés
au dessus de zéro. Dans les grandes chaleurs,
la température de Feau est toujours au
dessous de celle de l'air.
Cependant il paroît que ces animaux sont
plus afîéctés par un grand degré de chaleur
que de froid.
Les poissons sont cependant affectés par
les variations de l'atmosphère : on sait que,
dès que le tems est à la pluie, ils remontent
à la surface. Ce fait n'a voit point échappé
Folss, Tome IL T
290 RESPIRATION
H Bacon ; il le citoit comme mie preuve de
la grande influence de Fair sur les animaux
qui vivent dans l'eau. Ne seroit-il pas plus
simple d'attribuer ce phénomène au tems
qui détermine alors la cliûte des insectes
que les poissons viennent prendre à la sur-
face de l'eau? ce qui est d'autant plus vrai-
semblable, que c'est presque la nourriture
de tous les poissons de rivière.
C'est aux grandes variations de l'atmos-
phère qu'on doit attribuer l'émigration de
cette quantité prodigieuse de harengs que
le froid force chaque année à chercher des
mers plus tempérées que celles du pôle ;
mais nous n'avons malheureusement encore
presque aucune observation sur ces voyages
périodiques. Les poissons destinés à ne jamais
s'éloigner des bords , sentent aussi le refroi-
dissement de l'air ; et pour s'en garantir ,
ils s'enfouissent dans la vase, où la plupart
d'entre eux restent dans un état d'engour-
dissement , semblable à celui qu'éprouvent
pendant Thyver les ours , les loirs , les mar-
mottes 5 etc. Les anciens ont parlé de ce
sommeil périodique ; les modernes n'ont
point fait d'observations relatives à ce phé-
nomène , qui mérite cependant une attention
particulière. 11 est aisé de reconnoître les
DES POISSONS. 291
poissons de cet ordre, k leur corps qui est
alongé , à Tabsence des nageoires ventrales ,
et aux mouveniens d'ondulation qu'ils sont
obligés d'exécuter pour se soutenir dans
l'eau.
Je ne regarde pas comme un engourdis^
sèment proprement dit , celui que plusieurs
auteurs ont prétendu avoir observé sur des
poissons entièrement gelés et rappelés en-
suite à la vie. Peut-être se sont-ils fondés
sur ce qui arrive quelquefois à plusieurs
parties des animaux à sang chaud , lesquelles
reprennent vie après avoir été gelées; mais
il faut observer que leur sang est bien plus
chaud, et qu'il est poussé avec plus de force
dans ceux-ci que dans les poissons. Quoi qu'il
en soit , M. J. Hunter , qui a tenté la même
expérience sur ces derniers, ne l'a jamais
vu réussir ; les poissons dont il a fait geler
la queue n'ont jamais pu recouvrer l'usage
de cette partie. L'eau ajffecte d'un plus grand
nombre de manièi^s les organes de la respi-
ration des poissons , que l'air n'agit sur ceux
des animaux à sang chaud. Plusieurs indi-
vidus, après avoir respiré pendant quelque
tems dans une certaine quantité d'eau, la
dénaturent au point qu'elle n'est plus propre
À la respiration . comme les animaux à sang
T 2
^^^é n E S P T P. A T î O N
chaiid dénaturent Fair lorsqu'ils sont ras-^
semblés dans le même endroit. I/eau tient
en dissolution un plus grand nombre de
substances que Fair ; et parmi ces substances
il s'en trouve beaucoup qui deviennent
nuisibles aux poissons; leur vertu délétère
agit le plus souvent^ dans ces animaux, sur
les organes de la respiration ; ce qui a plus
rarement lieu dans les animaux qui vivent
dans l'air. La Nature a cependant doué les
poissons d'une force assez grande pour ré-
sister à quelques-uns des cîiangemens que
r^âu peut éprouver; ils passent, par exemple ,
librement des eaux salées dans les eaux
douces , ou de celles-ci dans les eaux salées^
On sait combien est grand le nombre des
saumons, des aloses, des lamproies, etc.,
qui abandonnent chaque année la mer pour
remonter les rivières ; les carpes au contraire
quittent souvent les rivières pour gagner
les eaux de la mer. Si l'on fait attention
à la différence qu'il doit y avoir pour un
poisson , de respirer de l'eau douce ou de
Feau salée , on aura: une idée de la force
dont nous avons dit qu'ils étoiènt doués
pour i'ésister aux changemens que Feau
peut éprouver ; force qui , dans cette cir-
constance , est au dessus de celle qu'on
DES POISSONS. 293
observe dans les autres animaux q.tii ne
supporteroient ])as un changement aussi
^rand et aussi subit dans riiir. Ceci peut
servir à jendre raison de rorgaiiigaiion
nioiiis parfaite que présentent les jparties
destinées à la respiration des poissons 5 struc-
ture qui les met à Tabii de la trop grandie
influence que les dégénéra lions multipliées
de ce fluide auroient sur leurs organes.
Les poissons que j'ai mis dans de Keau
distillée y ont vécu ; ils ont , à la- vérité ,
donné d'abord des signes de mal-aise ; mais*,
après avoir nagé quelque tems , iis n'ont
plus paru souffrir, lis avoient pjobablement
déterminé 5 par leur mouvement, Teau à
s'unir à la portion d'air ^nécessaiie à l'a res-
piration. Cependant un petit poisson en-
fermé dans un flacon bouché, cjui contenoit
une pinte d'eau distillée , y a vécu plus de
trente heures. Le sirop de violette , versé
en petite quantité sur de l'eau distillée où
étoient des poissons vivans , n'a donné d'abord
aucun signe de changement de couleur, il
a seulement un peu verdi dans] H\«ii4e,oe
qui peut être attribué à la partie alkalescente
de la mucosité dont ic corps des poissons
est enduit , et qui se mêle toujoui^s à
l'eau ; Ils y oat Liés- bien vécu. Une goutte
T 3
294 RESPIRATION
d'acide arsenical jetée dans une assez grande
quantité d'eau , où ) avois mis un poisson
vigoureux , a suffi pour le faire mourir dans
le moment. Sa gueule étoit fermée, et les
opercules des ouïes ramenés sur le corps.
Un autre poisson a vécu six minutes dans
du suc de citron ; les ouvertures des ouïes
éloient fermées quand il est mort. L'eau,
légèrement acidulée au moyen de l'air fixe ,
a fait mourir dans quelques minutes un
poisson vigoureux ; sa gueule et l'ouverture
de ses ouïes étoient très-béantes; ceux que
i'ai plongés dans de l'eau de chaux , ont ,
au bout de quelques minutes , rejeté par
les ouvertures des ouïes une sanie assez
abondante; ils ont donné quelques signes
de vie après cette évacuation , et sont morts
bientôt après. On sait que la chaux est
emploj^ée à prendre les poissons dans les
étangs, et les anguilles dans les ruisseaux
où il y a peu d'eau , et où il suffit de jeter
quelques pierres de chaux pour les faire
mourir. Les pêcheurs emploient plusieurs
autres moyens analogues pour prendre, s'il
est permis de s'exprimer ainsi, les poissons
par la respiration. Dans les Indes on emploie
à cet usage le suc de plusieurs plantes. Dans
nos provinces méridionales on se ^ert, pour
DES POISSONS. 295
le même objet , du suc d'une espèce de
thytimale ( euphorbia characias , L. ) qui
croît abondamment dans les lieux incultes ;
on en coupe les tiges en plusieurs morceaux,
qu'il suffit de jeter sur Teau pour faire mourir
un grand nombre de poissons. On sait que ce
suc laiteux peut être répandu sur une grande
surface.
T4
i^9ê O.BSERVATIONS
OBSERVATIONS
SUR L E Çf, É T A N G S^
jflpRÈs avoir donné et rassemblé, ton l;es
les observations les plus propres à faire
connoître la nature des poissons, et avant
d'entrer dans les détails relatifs à cliaqtie
espèce , je vais les considérer un moment
sous un de leurs nombreux rapports avec
réconomie publique; c'est-à-dire, examiner
leur réunion dans les amas d'eau connus
sous le nom d'étangs.
Très -multipliés en Allemagne et dans
plusieurs autres contrées du nord de TKu-
rope , les étangs ont presque tous dis})aiu ,
de nos jours mémej du sol de îa France,
quoiqu'ils y fussent en assez grand nombre.
A i époque où cliacun se cjut appelé à la
réforme des abus , qui , pour le malheur
des sociétés humaines, sont inséparables des
grandes administrations , les étangs furent
présentés comme une source de contagion,
comme un obslacle aux progrès de l'agri-
culture, comme un principe de destruction
SUR LES ETANG5. 097
pour les piailles semées dans leuF voisinage.
Ce fut en 1791 que des écrits furent répan-
dus et des discours prononcés pour provo-
quer leur anéantissement, lies hommes sages
qui savent que le bien même devient un
mal quan avec
raison , relativement à la salubrité de l'air;
mais presque tous les étangs de cette nature
étoient silués> loin des liabil allons., . et per-
298 OBSERVATIONS
sonne n'étoit tenté de s'établir sur leurs bordsJ
De vastes marais, proprement dits, subsistent
encore sans utilité sur plusieurs points de la
France, remplissent Talmosphère de leurs
exhalaisons pernicieuses, et répandent sur
les générations qui se succèdent dans leur
voisinage une pâleur et une bouffissure ha-
bituelles, les épidémies, et tous les symp-
tômes d'une mort anticipée. Le dessèchement
de ces espaces fangeux , de ces fondrières
pestilentielles , réservoirs intarissables de
maux, paroissoit devoir précéder celui des
étangs qui rachetoient quelques inconvé-
niens par des avantages certains.
Ces avantages étoient plus sensibles encore
à regard des étangs non marécageux , et
aucune qualité nuisible ne venoit les ba-
lancer; car il est inutile de réfuter l'objection
que l'on a faite contre les possesseurs d'étangs,
de ravir à la culture des terrains précieux ;
comme si les ressources alimentaires pour
les hommes dévoient se borner aux plantes
céréales ; comme si les poissons que l'on
retiroit des étangs ne multiplioient pas au
contraire ces ressources, en les rendant plus
agréables par leur diversité; comme si cette
sorte d'agriculture vivante ne donnoit pas
d'aussi grands produits que la culture Yégé-
SUR LES ETANGS. 299
^le; comme si nous manquions de terres à
cultiver; comme si enfin une exploitation
bien dirigée sur un terrain borné n'étoit pas
plus profitable que celle qui s'égare, pour
ainsi dire, sans discernement et sans moyens
sur une grande étendue.
Un autre service incontestable que les
d'étangs rendoient à l'agriculture , étoit de
fournir aux irrigations des terres qui les en-
tourent, d'y entretenir une humidité fécon-
dante , de leur préparer un engrais par le
limon qui s'y amasse , les débris des vé-
gétaux qui y croissent et les restes de leur
pêche.
L'atmosphère, retenue par les forêts dont
la plupart des étangs étoit environnée , et
qui pour la plupart aussi sont tombés sur
un fonds desséché , l'atmosphère se char-
geoit d'humidité, s'épaississoit en nuages qui
versoient dans le canton des pluies plus rap-
prochées et moins souvent désirées qu'elles
ne le sont à présent.
Une foule d'oiseaux aquatiques peuploient
les bords des étangs, sillonnoient la surface
de leurs eaux, et, en s'y réunissant pour y
trouver une pâture abondante , sembloient
s'empresser d'offrir à l'homme le double
avantage de la chasse et de la pêche.
5oo OBSERVATIONS
Il est facile de seiilir combien l'on peut
étendre ce tableau rapide des biens que pré-
sentoient les étangs qui, par leur nature et
leur situation, ne })ortoient pas les caractèj es
de la m al -faisan ce-. Peutrêtre un jour nf occu-
perai-je d'un travail qui oflie de rintérét
sous plusieurs points de vue ; mais f on trou-
vera dans cet ouvrage, que je me suis engagé
à rendre d'une utilité générale, la meilleure
nianièi e de former les étangs , de les em-
poissonner , de les conserver , de les pé-
cher, etc. Cependant , ces deux premiers
volumes étant plus particulièrement con-
sacrés aux généralités de riiistoire naturelle
des poissons, je n'y parlerai que des effets
du froid sur ces animaux renfexmés dans les
étangs , et du moyen de les préserver de la
mortalité que certains hyvers y occasionnent.
Ce que je dirai à ce sujet sera extrait d'un
fort bon Mémoire composé en 17B9 , par
Varenne de Feuille, membre de fancienne
société d'agi'iculture de Paris , et éciivain
célèbre en agriculture et en économie rurale,
Varenne de Fenille a fait ses observations
en Bresse, sa patrie. La superiicie des étangs
de cette contrée a été gelée en entier le
26 novembre 1788, et c'est seulement à la
ûii de janvier que la glace a été entièremeiife
SUR LES ETANGS. 5oi
fondue. Elle a eu conimunément depuis
seize à dix-sept pouces d'épaisseur, à raison
de ce que sur une première couche de glace
d environ cinq à six pouces sont survenus
de la neige , puis du verglas , puis de la
neige encore, puis un faux dégel, et enûn
une gelée, telle que les tkermomètres, après
s'être soutenus pendant quelque tems entre
quinze à dix-sept dégrés, sont descendus à
Bourg à vingt dégrés et demi la nuit du 5
au 6 janvier; en^a la dernière couche de
glace a été couverte d'environ seize pouces
de neige.
Ee dégel a commencé assez doucement
le i5 janvier; ses effets ont d'abord été peu
sensibles; 'mais un vent violent, accompagné
de pluie, s'étant élevé le i8 dans la partie
du sud y les glaces se sont fondues brusque-
ment, et les rives des étangs ont été cou-
vertes d'une prodigieuse quantité de poissons
poussés par le vent et par les flots.
La mortalité paroissoit s'augmenter de
jour en jour, et causoit de vives alarmes,
parce que , indépendamment de la perte
qui avoit été fort considérable, on avoit
encore à craindre que le poisson se corrom-
pant, Tair ïien fut infecté.
Le bailliage de Bourg a rendu une Ordou-
3o2 OBSERVATIONS
mance , k la date du 29 janvier , pour faire
enterrer le poisson mort; elle a été exécutée
av^ec assez d'exactitude en plusieurs endroits;
mais des nuées de corbeaux, affamés depuis
long-tems, les loups, les renards et les chiens
ont dévoré la majeure partie de ces cadavres.
D'un autre côté, plusieurs fermiers, eu
particulier ceux desBIanclières, appartenant
à M. de Bellevey , y ont conduit leurs trou-
X^eaux de cochons. Pendant huit jours, ces
animaux y ont trouvé une nourriture abon-
dante, sans qu'on se soit aperçu qu'elle ait
produit aucun mauvais eifet sur eux.
On a d'abord altiibué la mortalité du
poisson uniquement à l'intensité du froid et
à sa longue durée. 11 est vrai que quelques
poissons égarés, engourdis, surpris et privés
de la clarté du jour sous une voûte épaisse
de glace et de neige , ont pu se trouver
encroûtés dans la glace ; mais ce n'a jamais
été le plus grand nombre; et l'on verra par
la suite que la rigueur du froid n'y a con-
tribué qu^en laissant à une cause plus im-
médiate la faculté de déployer toute son
énergie.
D'autres personnes , qui ne se sont aper-
çues de la mortalité qu'à l'époque du dégel,
ont pensé que le changement subit de tem-
SUR LES ETANGS. 3o5
pérature avoit pu roccasionner. Il semble
que ce soit le sentiment de M. Cretté, cor-
respondant de la société d'agriculture , au
Bourget. Dans une lettre, qu'il a écrite à
cette société pour la consulter sur ce désastre,
il expose qu'il possède au Bourget un étang
d'environ six arpens, profond de quinze ou
dix-huit pouces à son entrée , et d'environ
quatre pieds à sa bonde; que le fond en est
gras et bourbeux; que néanmoins les eaux
en sont claires , parce qu'elles sont rafraîchies
par des sources et un ruisseau, a La glace,
dit - il , avoit quatorze à quinze pouces
d'épaisseur ; elle a commencé à fondre à la
queue de l'étang; le poisson s'y est porté en
abondance pour respirer. Un cent ou deux
de carpes très-vives , que j'y ai observées ,
ont disparu aussitôt qu'elles m'ont aperçu ».
Le lendemain y étant retourné, M. Cretté
n'en a pas trouvé une seule au niêïne en-
droit; mais, en parcourant les bords de son
étang, il en a vu successivement f rente ou
quarante mortes sous la glace; on l'a cassée :
les carpes étoient parfaitement saines et
fraîches, et les ouvriers qui en ont mangé
n'en ont pas été incommodés. Le lendemain ,
le nombre des carpes mortes a augmenté ;
M. Cretté en a fait retirer im cent , ou
5o4 OBSERVATIONS
envii oi] , de dessous la glace , et soixante ou
quatre-vingts anguilles qui avoient essuyé le
même sort. Cette mortalité a continué pen-
dant quatre ou cinq jours de suite sur les
carpes et les anguilles seulement ; il n^a péri
qu'un seul brochet , et pas une seule perche
ni un poisson blanc.
Jusqu'à ce que M. Cretté ait achevé la
pèche de son étang, on peut douter qu'au-
cune des cent ou deux cents carpes très-
vives qu'il a vues aient été au nombre de
celles qu'il a fait retirer de dessous la glace ,
et la pèche entière est le seul moyen de
décider en pleine connoissance , si l'époque
de la mortalité a précédé ou suivi celle du
dégel. D'ailleurs , l'opinion que M. Cretté
semble adopter diffère absolument de celle
des autres propriétaires et fermiers d'étangs.
Quel est donc le principe destructeur qui,
à faide de la gelée , a été la cause immé-
diate de la mortalité?
Avant de répondre, il convient de rendre
nn compte exact des circonstances qui l'ont
accompagnée; la comparaison d'un grand
nombre de faits , leur rapprochement , et
quelques expériences particulières permet-
tront d'asseoir une théorie sur cet objet , et
d'indiquer un préservatif.
En
SUR LES ETANGS. 5o5
Eu Bresse, les étangs sont situés ou sur ua
leriain d'argile blanche;
Ou sur une couche de terre végétale ou
limoneuse, sous laquelle se rencontre un
banc, soit d'argile^ soit de marne argileuse,
sans quoi l'eau se perdroit par infiltration;
Ou sur un texiain fangeux, bourbeux et
anciennement marécageux.
On concevra aisément qu'entre ces trois
classes principales , il doit se ti^ouver beau-
coup de sous- divisions qui y participent plus
ou moins.
11 croît très-peu d'herbe dans les étangs
situés sur Fargile : on les appelle étangs
blancs, ^
Le labourage la détruit en partie sur les
étangs de la seconde classe, lorsque ceux-ci
sont mis en culture à la troisième année.
Il n'est même pas douteux que l'herbe ne se
détruisit presque entièrement si on laissoit
les étangs en assec pendant deux années de
suite.
Les joncs , les roseaux , et une espèce
de gramen auquel on donne le nom de
brouille (i), couvrent quelquefois en entier
(i) Ce gramen a été reconnu pour \e festuca Jlui'
tans , paniculâ ramosa erectâ , spiculis subsessilibus
Poiss. Tome II. y,
5o6 OBSERVATIONS
les étangs de la troisième classe, à moins
que Fextrême profondeur de l'eau n'em-
pêche ces végétaux de croître près de la
chaussée.
î Voici maintenant les observations dont
le rapport est unanime de la part des per-
sonnes interrogées sur la mortalité dont il
est question.
i'\ On ne s'est point aperçu que propor-
tioimelîement il y ait eu plus ou moins de
perte dans les grands que dans ceux d'une
médiocre étendue.
sP. Plusieurs étangs , n^ayant que trois à
quatre pieds de profondeur, ont été entière-
ment préservés, tandis que la perte a été
totale dans des étangs de huit à dix pieds
d'eau près de la bonde , et réciproquement.
•Ainsi le plus ou le moins de profondeur n'a
été qu'une circonstance indifférente.
3". La perte a porté sur les gros poissons
comme sur les petits indistinctement.
4^. En général, il paroit que la carpe est
teretihus jautlcis de Linnosus. La brouille est un mot
ancien et lecîi nique dans le pa5''s ; les vieux titres
portent : le droit de champéage , nczage et brouillage
en faveur des propriétaires d'une pie ^ ou portion
d'assec dans les élanî;s.
SUR LES ETANGS. 5o7
l'espèce qui a le plus souffert. Les brocliets,
les perches, et sur -tout les tanches out
milieux résisté. Cependant la perte a été
générale dans quelques étangs de la Char-
treuse de Montnierie, ainsi que dans quelques
étangs de la Dombes.
5^. La précaution de faire des trous dans.
la glace pour donner de l'air au poisson a
été inutile (i).
6"^. Les étangs situés sur un sol dur et
ferme , qu'on nomme étangs blancs , u'ont
pas souffert, ou fort peu.
7°. Le poisson a presqu'entièrement péri
dans les étangs vaseux, chargés de brouilles,
lèches et roseaux.
8°. Les étangs nouvellement construits et
réparés, et ceux dont le bief et la pêcherie
étoient bien nettoyés, ont incomparablement
moins souffert que les autres.
(i) Cette proposition me semble trop générale ; j'ai
peine à me persuader que la précaution fût inutile,
lorsque par un froid modéré la glace n'a que deux à
trois pouces d'épaisseur ; mais je conçoi.s qu'avec uu
froid de \5 à i8 dégrés, ces soupiraux ont dû se
refermer très-promptement , et qu'alors, loin d'être
utiles, ils ont été nuisibles , en ce qu'ils ont favorisé
la max'aude. Aussitôt que l'on fait une ouverture à 1*.
glace , le poisson y afflue ) on l'y prend aisément.
Y a
So8 OBSERVATIONS
On nomme pêcherie une enceinte «issez
profonde, placée en avant de la chaussée,
où le poisson se retire dans les tems de la
pêche , à mesure que l'eau de Fétang s'écoule
par la bonde. Le bief principal , ou le fossé
dirigé depuis la queue de Tétang jusqu'à la
bonde, y aboutit. La pêcherie doit être
proportionnée à l'étendue de l'étang. On
verra ci-après que, dans quelques étangs où
il n'y avoit plus d'eau que dans la pêcherie,
le poisson s'est parfliitenient conservé (i).
(i) Le propriétaire ou fermier d'étang doit avoir
grand soin de tenir la pêclierie et le bief eu bon état.,
malgré qu'ils eussent sept h liuit pieds de profondeur
auprès de la cliaussée. Plusieurs étangs ont perdu leur
poisson , parce qu'ils avoient une pêcherie et un bief
pleins de boue Les étangs chargés d'herbes ont
plus souffert que ceux d'un terrain blanc, à moins
que les premiers n'aient eu un bon bief, et une pêcherie
curée nouvellement.
Il est intéjessant de faire aux étangv^ de vastes et
tonnes pêcheries et de larges biefs , et de les entre-
tenir bien curés. On sait par une expérience de tous
les tems , que si les étan;,';s bourbeux sont m:il entre-
tenus , s'il survient de fortes gelées et beaucoup de
ïieige , les poissons sont en danger de périr. Quelque
peu d'eau qu'il y ait dans un étang , si la pêcherie et
le grand bief sont nouvellement curés, les poissons
Vy retirent , se trouvent sur un terrain ferme, et sa
garantissent d'être étouffés. Aussi dit- on proverbia-
lement , pêcherie neuve faiù sûreté d'élan^.
SUR LES ETANGS. Soq
90. L'opinion générale est que la mortalité
a précédé le dégel (1).
Il ne sera pas hors de propos de joindre
à ces faits généraux le récit de quelques faits
particuliers qui les confirment. Puisqu'il
s'agit ici d'un objet qui tend à établir une
théorie sur l'administration des étangs penr
dant les hyvers rigoureux, les plus petites
observations ne doivent pas être négligées,
quand même leur longue énuméiation et
leur ressemblance deviendroient un peu
fatigantes.
M. de Montrevel avoit fait construire
nouvellement dans son parc de Châles unç
fort belle pièce d'eau, alimenlée par un
ruisseau limpide qui s'y jette après avoir
(i) Les poissons étoient morts à l'époque du dégeî,
qui n'a point contribué à leur perte ; quelques - uns
viennent sur Veau , d'autres demeurent sur la boue ,
ce qui dépend du tems depuis lequel ils sont noyés.
Des observateurs, peu familiarisés avec de pareils
accidens , ont pu croire en visitant leurs étangs , où
ils n'ont trouvé dans les premiers jours du dégel
qu'une médiocre quantité de poissons morts sur les
rives , que ceux qu'ils y ont vus depuis en bien plus
grand nombre étoient morts à la suite du dégel , mais
cela n'est pas exact. Tout le poisson a péri dans le»
glaces, ou a été étouffé dans les fonds vaseux.
V 3
5io OBSERVATIONS
serpenté dans son parc. La pièce d'eau est
empoissonnée et n'a guère que cinq pieds
de profondeur : on ne souffre pas qu'il y
croisse ni joncs, ni herbes. Le ruisseau a
tari pendant la gelée : il n'a pas péri un seul
poisson. A la vérité on a cassé la glace de
tems en tenis.
M. de Jalarnondes a fait construire à la
Sardières, près de Bourg, un réservoir d'en-
viron vingt mille pieds carrés en superficie ,
sur cinq pieds de profondeur, et dans un
fond argileux. L'eau de ce réservoir n'est
entretenue que par l'égoût des terres voi-
sines : il a conservé tout son poisson.
M. Gaulhier de la Chapelle est proprié-
taire de cinq étangs près de la petite ville
de Lent en Dombes 5 l'un des cinq étoit
nouvellement réparé, et au moment d'être
péché. Lorsque la gelée est survenue , il
s'est hâté de faire fermer la bonde; elle
n'avoit pu l'être assez exactement pour em-
pêcher qu'il ne s'écoulât un peu d'eau. Le
poisson s'est retiré dans la pêcherie^ et s'y
est entièrement conservé. 11 eu a péri xme
immense quantité dans les quatre autres
étangs , qui sont profonds et situés dans un
fond vaseux.
M. de Bellevey avoit déposé une quantité
SUR LES ETANGS. 3ii
très - considérable de fort beaux poissons
dans un réservoir près de son château de
Bellevey,- il ny croît point d'herbes, mais
le fond en est très- vaseux; les carpes e^t les
brochets y ont été suffoqués; il n'a conservé
que les tanches. Le même accident est arrivé
dans un réservoir situé au milieu d'un pré,
sur un fond où il ne croît point d'herbes ,
mais qui contient beaucoup de vase.
Don Armely , prieur de la Chartreuse de
Moutmerle , et syndic général du clergé de
Bresse, consulté par Varennes de Fenille,
lui répondit en ces termes :
Monsieur,
« Je n'ai pu répondre plus tôt à la lettre
que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire
le 23 février, ayant eu besoin de consulter
le frère préposé au soin de nos étangs, et
qui n'est arrivé à la maison que le samedi
soir Voici ce que j'ai pu recueillir
sur la mortalité des poissons, et ce qui s'est
passé dans nos étangs en cette année désas-
treuse.
(( Sur un nombre d'étangs , nous n'en
avons proprement que trois qui soient un peu
considérables, et ce n'est que dans ces trois
V 4
3i^ OBSERVATIONS
seuls que le poisson n'a pas péri : il a pcrî
dans tous les autres.
)) Qu'on n'attribue point la conservation
du poisson à la profondeur des étangs , le
frère dont j'ai parlé a voit fait écouler un
de ces trois étangs , que nous nommons
pesa y , un peu avant les grandes gelées ,
ne se doutant pas de ce qui de voit arriver;
il ne restoit que trois pieds d'eau, et cepen-
dant le poisson iiy a pas péri ; tandis que,
dans un autre ar)peîé les domhiers , qui a
neuf pieds de profondeur, il ne s'en y est
pas conservé un seul.
» Si l'introduclion de l'air dans les étangs
glacés pou voit seul conserver le poisson ,
nous n'en aurions perdu aucun, a^-ant eu
le soin de rompre la glace en plusieurs en-
droits de chacun de nos étangs; mais puis-
qu'il n'a pas laissé que de périr, même
dans les étangs de peu d'étendue , malgré
cette précaution, c'est une preuve que ce
procédé ne suffit pas pour le garantir malgré
son utilité apparente.
» Jusques-là voilà des faits , maintenant
voici des conjectures : j'ai hésité si je vous
les communiquerois, attendu que c'est le
résultat des observations de ce bon fière,
et qu'elles oiTrent quelque chose de singulier.
SUR LES ETANGS. 5i3
» Il prétend que c'est la brouille, plante
fort commune dans les étangs , qui a donné
Ja mort au poisson. Selon lui, là où cette
herbe a demeuré sous la glace, elle n'a pu
exhaler sa qualité maligne et sulphureuse,
elle a tué le poisson; il a remarqué que, dans
les trois étangs où le poisson s'est conservé,
dans l'un on a voit arraché l'heibe avant d'y
mettre Feau, dans les deux autres l'eau se
trouvant assez basse, puisqu'il n'y en avoil;
que trois pieds, la brouille est demeurée
au dessus de la glace, et n'a pu infecter le
poisson.
» A l'appui de sa conjecture, il cite un
phénomène assez singulier; il m'a rapporté
qu'un jour de cet hj^^ver où il geloit bien
fort , ayant été à l'étang dont j'ai parlé plus
haut, appelé les dombiers, qui a neuf pieds
de profondeur , il s'aperçut qu'il y avoifc
vers le milieu de cet étang une ouverture
d'environ cinq pieds de circonférence où il
s'étoitfait un dégel; il examina la chose de
plus près, parce que la glace portoit jusqu'à
la circonférence de ce trou. Aucun vestige
de pied d'homme ne se trou voit imprimé
sur la neige qui couvroit Fétaug dans ce
moment, ce qui écartoit l'idée que ce trou
fût l'ouvrage de quelqu'un ; en rapprochant
3i4 OBSERVATIONS
donc ses idées , il ne douta point que ce
ne fût reflet de Ja matière sulpfiureuse de
la brouille, dont le fond de cet étang est
couvert, qui auroit fondu la glace dans cet
endj'oit, et s'étoit fait par là un passage.
)) La malignité de la brouille m'a été
confirmée par les gens du pays. Le bétail
qui en mange en certains tems, et sans doute
en certaine quantité (car il en est avide),
en meurt. Elle devient plus haute que celle
que je vous envoie pour la reconnoître; ses
feuilles flottent sur la surface des eaux
» Je suis, etc., signé Armely, prieur.
» J'ouvre ma lettre à Seillons ( autre
Chartreuse près de Bourg) pour y ajouter
que ce que je regardois comme un système
hasardé et une idée de notre frère, est pour-
tant Topinion commune. Ici et dans la
Bombes on attribue la mortahté du poisson
à la brouille ».
Le bon frère a rapporté les choses h son
prieur comme il les a vues ,* mais a-t-il bien
vu? Vraisemblablement la neige tombée
pendant la nuit précédente avoit effacé la
trace des maraudeurs ; un trou de cinq pieds
étoit tout ce qu'il leur en falloit pour
prendre , avec un piège ou à la lîiain , des
SUR LES ETANGS. 5i5
poissons qui, vivant depuis long-tems dans
une obscurité profonde, accourent dès qu'ils
voient la lumière, et viennent respirer un
air frais. La même cause auroit produit le
même phénomène dans d'autres étangs aussi
brouilleux que lesdombiers, et néanmoins
le frère chartreux est le seul qui s'en soit
aperçu. Si le trou avoit été l'effet d'une
chaleur souterraine, la glace auroit eu peu
d'épaisseur sur les bords , et cependant il
en a approché; la glace portoit jusqu'à l'ori-
fice , etc. etc. D'ailleurs ce gramen n a par
lui - même aucune qualité mal - faisante ;
mais, sans être vénéneux ni sulphureux ,
comme le dit le frère chartreux , il peut
vicier l'air et l'eau, ainsi que nous le ver-
rons dans la suite.
Le trèfle donne la mort au bétail lorsqu'il
en mange en trop grande quantité, et il en
est également avide; on ne doit point ce-
pendant en conclure que le trèfle porte un
caractère de malignité. La brouille a aug-
menté la mortalité; cela n'est pas douteux,
mais c'est en concourant , ainsi que la gelée,
à l'action d'une cause plus immédiate , dont
l'une et l'autre ont favorisé le développe-
ment.
Du rapprochement et de la comparaison
5i6 OBSERVATIONS
de ces faits, on peut tirer, ce semble, les
conclsisioiis suivantes.
Il y a eu des étangs où, sous un volume
d'eau peu profond, le poisson s'est entière-
ment conservé ; donc ce n'est pas la gelée
qui, dans d'autres étangs. Ta fait périr.
Le poisson vit et prospère pendant Tété
dans des étangs où la brouille croît en
abondance; donc la brouille n'a, par elle-»
inéme, aucune qualité vénéneuse.
Pendant cet liy ver , la perte a été totale
dans des réservoirs sans brouille , mais va-
seux; donc, indépendamment de la brouille,
il y a eu une cause de mortalité. Quelle
est-elle ? et la réunion de tant de faits ne
conduit -elle pas naturellement à conclure
que c'est uniquement à la qualité de l'air
que le poisson a été forcé de respirer, qu'il
faut attribuer cette épidémie?
On sait que les ouïes remplissent, à l'égard
des poissons, les mêmes fonctions que les
poumons à l'égard des animaux terrestres.
Les poissons aspirent Feau par la bouche ,
l'expirent par les ouïes. Ce viscère est com-
posé de parties innombrables, mais néan-
moins distinctes. C'est dans le tems de l'ex-
piration et au moyen du froissement et de
IçL division extraordinaires que soutirent les
SUR LES ETANGS. Zij
parties de Teau, que l'air, qui y est mélangé,
se détache pour entrer dans les vaisseaux
capillaires des ouïes , et aider à la circu-
lation du sang (i).
Le poisson a donc besoin que l'air, dont
Teau est imprégnée , soit d'un degré de
pureté comparable à celui que respirent les
animaux terrestres : mais dans les étangs
vaseux, marécageux et brouiileux, et sous
une croûte de glace de quinze pouces d'é-
fiaisseur, qui a duré plus de six semaines,
l'air, partie constituante de l'eau, et qui y
est en quelque sorte dissous, n'a -t- il pas
dû se corrompre à la longue , causer enfui
«ne sorte d'asphixie au poisson, non pas k
la vérité aussi prompte que celle que l'on
parvient à lui donner par artifice , mais
capable de le rendre malade et de le faire
^rir ?
On avoit déjà reconnu depuis long-tems
qu'il s'exhale continuellement du fond des
îmarais un air fétide et corrompu, qui n'en-
gendre que trop souvent des épidémies mor-
(i) Voyez dans ce volume le Mémoire de Duverney
sur la circulation du sang des poissons qui ont des
ouïes , et sur leur respiration j et le ISIémoire sur la
^•espiration des poissons , par iiroussonei* .
3i8 OBSERVATIONS
telles, A la vérité ces émanations sont plus
nombreuses quand la chaleur en favorise
Textraction et le développement , et voilà
pourquoi les pays marécageux sont plus
mal -sains pendant l'été. Mais il en sort
dans tous les tems, et il suffit de remuer
le fond des maiais pendant Tliyver pour
s'en convaincre, par la quantité de bulles
d'air qui s'élèvent et viennent crever sur la
surface.
Les magnifiques expériences faites de nos
jours sur Fair et sur les substances aériformes
nous ont appiis la naluie de celui qui s'é-
chappe des marais : on lui a donné indiffé-
remment le nom de gaz inflammable mofé-
tisé , et d'air inflammable des marais; on y
a aussi reconnu ja présence de lair crayeux
ou air fixe (i). Ce gaz de marais est produit
(i) Voyez les Elémens d'histoire naturelle et do
cliimie , par Fourcroy, pag. 40 du Discours prélimi-
naire , et l'Essai analytique sur différentes espèces
d'air , par DelameLherie , pag. 78. La présence de
l'air fixe , dans le gaz des marais , paroît encore indi-
quée par ces vapeurs blanches , plus épaisses que le
brouillard , qui ne s'élèvent qu'à un ou deux pieds
sur la surface des marais à la fin d'un beau jour d'été,
et qui ressemblent à la fumée des corps enflammé*
qu'on éteint en les plongeant dans l'air fixe d'une
SÛR LES ETANGS. Siq
par les matières végétales et les substances
animales qui pourrissent dans Feauj il se
dégage des marais, des étangs, des égoûts,
des latrines. 11 paroît qu'il est composé de
trois substances aériformes mélangées à diffé-
rentes doses : savoir, Fair fixe, la mofète
et l'air inflamtnable ; quoi qu'il en soit , et
sans entrer dans une dissertation sur la
théorie des airs, qui n'est point de ce sujet,
il suffit de savoir que ni l'air inflammable,
ni la mofète , ni l'air fixe ne sont pas respi-
rables, et que le poisson a besoin de respirer.
Maintenant, si Fou rapproche les circons-
tances dans lesquelles le poisson a péri dans
les étangs, de celles où il a été conservé,
on recounoîtra que la mortalité a été d'au-
tant plus grande, qu'il a du se rencontrer
cuve en fermentation. Si cette vapeur s'élève un
peu , on sent qu'elle picotte les yeux ; c'est alors que
l'odeur des marais est plus fétide et plus dangereuse
à respirer ; à peine au contraire la sent-on pendant la
clialeur du jour , sans doute parce que pendant le jour
les plantes des marais aspirent de l'air fixe, expirent
de l'air pur , et que le contraire arrive pendant la
nuit ; et tout porte à croire que cette propriété des
végétaux , en général , est plus prononcée dans les
plantes aquatiques que dans celles qui croissent sur
au terraiu seo.
520 OBSERVATIONS
plus de matière propre à produire du gaz
iailam niable , mofétisé, et de Fair fixe.
, La vase iresl que le résidu de la stercora-
tion et de la transpiration abondante des
poissons, du suc des terres qui s'égouttent
dans les étangs, et de cette innombrable
quantité d'insectes qui naissent, croissent,
nmltipîient et périssent dans les eaux sta-
gnantes.
Pius il y a eu de vase rassemblée, plus
la fermentation a été excitée, plus il a dû
se former de gaz inflammable mêlé de mo-
iète. A regard de Tair fixe, comme l'eau
en est avide , elle s'en est emparée ; mais
on verra bientôt à quel point Feau impré-
gnée d'air fixe est mortelle au poisson.
La brouille a augmenté la corruption.
Cette plante, ne se trouvant plus en contact
avec l'air extéideur^ est tombée en pourri-
ture , et la pouriiture a produit un gaz qui
li'étoit plus respirable. Cette substance aéri-
forme s'est élevée au dessus de feau , d'où
eJle n'a pu se dégager sous une croûte glacée
de quinze à seize pouces d'épaisseur.
Le poisson n'a donc plus eu que de l'air
en ])arlie méphitique à respirer; il a com-
mencé par souffrir, puis il a été malade ,
enim il a péri. Suivant toute apparence sa
mort
SUR LES ETANGS. 5^1
piorh a été d'autant plus piompfe, et l'cpi-
demie d'aiitauL plus générale , que les causes
de niortalilé ont été plus abondantes et plus
actives. On n'a pu faire à cet égard d'obser-
vations , tant que la gelée a duré; mais iL
est certain que les poissons, avant de périr,
ont été très- languissans : ils avoient perdu
leurs forces , et la qualité de l'air qu'ils
Yen oient chercher à la surface de l'eau , a^
augmenté leur engourdissement au point
qu'on en a trouvé dont les nagepijes dor-
sales étoient collées contre la glace, quoique
le corps flottât dans l'eau (i).
(i) C'est ainsi que Vaienne de Fenille a perdu ses
dorades de la Chine. Depuis plusieurs années il avoit
coutume de les traiisporler avant l'Iiyver des liassiiiS;
ooo ; divisez r),554j000 par 60 , le quotient sera ,
comme il est dit ci-dessus , 108,900.
SUR LES ETANGS. 333
Pr ÉsERrATiFS cojitve la mortalité
. du Poisson dans les étangs pendant
les grands hypers.
Ces préservalifs s'indiquenl:, pour ainsi
dire, d'eux-mêmes, avec d'autant plus de
justesse qu'ils tirent leurs principes des ex-
ceptions particulières au désastre commun
dont la cause a* été l'objet des recherches ,
Les précautions à prendre exigent plus de
soins que de dépenses.
' Si l'étang est naturellement vaseux, don-
nez au bief huit à dix pieds de largeur , et
approfondissez-le jusquà ce que vous trou-
viez le terrain ferme ; donnez au moins
l'angle de quarante-cinq dégrés aux pentes
riveraines, afin que la terre des bords ne
retombe point dans le bief, et élablissez près
de la chaussée urle vaste et large pêcherie,
proportionnée à la grandeur de Fétang ;
enlevez -en soigneusement toute la vase;
formez-en des tas sur les bords; laissez-les
s'égouter. Lorsque le sol de l'étang seia
assez sec pour permettre le transport de
cette vase, vuidez-en l'étang, rassemblez-la
en un monceau , laissez - la fermenter et
reposer pendant un an , sans y touchei^/
334 OBSERVATIONS
remuez-la ensuite une couple de fois, pour
qu'elle se façonne à la gelée et au soleil.
Au bout de dix -huit mois ou deux ans,
répandez-la suj- les guérets. C'est Vun des
plus ptsissans engrais et des plus durables
qui existent, sur-tout pour les terres sablon-
neuses; on en a rexpérience. Si Ton se presse
de répandre cette vase avant qu'elle ait
fermenté, on trouvera qu'elle refroidit le
terrain ; il faut lui donner le tems nécessaire
pour que les parties graisseuses qu'elle con-
tient en abondance soient changées en mo-
lécules savonneuses. On hâtera sa jouissance
en y faisant éteindre de la chaux, lit sur
lit,* environ une partie de chaux sur huit
a dix parties de vase. Ce mélange portera la
fertilité par-tout où il sera répandu , mémo
en assez petite quantité.
Si l'étang est brouilleux , laissez - le an
moins deux ans de suite en culture; le
poisson en prontera mieux , et ce gramen
se détruira insensiblement , puisque, pour
croître, il demande d'étie baigné d'eau:
Comment veut-on qu'il se détiuise par une
seule année d'assec? On auroit beau l'arra-
cher, il se multiplieroit par les graines, efe
la graine est encore adliérente à l'épi au
tems de la pêche. Iujcî.ii'j
SUR LES ETANGS. 355
Si , malgré les précaulions qu'on auroit
prises, ou faute de les avoir piises, un éLang
étoit couvert de brouille, et qu'il survînt
une violente gelée, levez la bonde et laissez
couler Teau jusqu'à ce qu'elle ne baigne
plus la brouille , qui pour Tordinaire se
trouvée en plus grande quantité à la queue
de l'étang; le poisson se retirera dans le bief
et dans la pêcherie, que je suppose avoir
été bien curés, et d'où il ne s'élèvera ni air
inflammable ni mofète. D'ailleurs l'eau ne
peut s'écouler sans qu'il n'entre sous la glace
un égale volume d'air, qui empêchera que
le poisson ne vicie la portion d'eau dans
laquelle il se sera retiré.
On ne doit pas craindre que l'étang
manque d'eau par la suite. Il est fort rare
qu'une gelée de longue durée se passe sans
neige, ni que le dégel se passe sans pluie.
De plus, ordinairement une crue d'eau suit
le dégel.
Les faits généraux qui viennent "d'être
tracés , et dont la description mérite plus
d'étendue qu'on ne leur en a donné, ont
été confirmés par de nouvelles observations
fort importantes. ./;u*v.
A l'excepiion des étangs dont le bieff et
la pêcherie avoieut été nouvellement et
356 O B S E R V AT I O N S
soigneusement curés, jusqu'à ce qu'on eût
al teint Fargile , et de ceux qu'on a péchés
pendant la gelée , en suivant un procédé
qui sera décrit, tous les étangs brouiJIeux de
Villars ont été presque entièrement dévas-
tés : dans plusieurs il ne s'est pas trouvé
un seul poisson, sans que le plus ou le
moins de profondeur ait à cet égard pro-
duit aucune différence. Mais il n'en est pas
de même des étangs seLdemeut vaseux, et
qu'on met rarement eu culture ; la pei te a
été totale dans ceux qui avoient peu d'eau;
les plus profonds ont le moins souffert.
On confond quelquefois les ékmgs situés
sur une argile blanche avec les étangs va-r
seux qui ne sont pas chargés de brouille ;
et lorsqu'ils sont inondés, quelques per^?
sonnes leur donnent également le nom
à' étangs blancs. Cependant il est essentiel
de les distinguer. Les premiers n'ont essuyé
aucun échec cet hyver. Un propriétaire a
fait pêcher devant lui deux réservoirs , d'en-
viron quinze coupées ou trois arpens , situés
sur argile blanche et très-peu profonds ; il
y avoit entreposé douze milliejs d'empois-
sonnage qui s'y sont parfaitement conservés,
et il en a perdu plus de vingt milliers dans
de
SUR LES ETANGS. 537
cle petits étangs beaucoup plus profonds ,
mais vaseux sans brouille.
Plus le<> étangs ont été chargés à la fois
et de brouille et de vase, plus la mortalité
a élé hâtive. Elle a commencé en certains
étangs avant la fin de décembre; dans plu-
sieurs elle étoit complette des le premier
janvier; dans quelques autres elle a com-
mencé au moment du dégel , et elle a con-
tinué, même après que toutes les neiges et
les places ont été fondues. Ce fait est incon-
testable; mais il étoit facile de recomioître
l'époque de la mort par le plus ou le moins
de fraîcheur des ouïes, et de juger de la
perte qu'on al loi t encore essuyer par Fétat
maladif de quantité de poissons qu'on voyoit,
après le dégel , na^^er lan^ui^saniment et
renversés sur la surface de l'eau.
L'épaisseur de la glace n'a pas été à beau-
coup près uniforme dans le même étang.
Quelquefois près de la bonde, contre la
chaussée, ou au dessus de la pêcherie, il
s'en, est trouvé qui n'a voit guère que trois
pouces d'épaisseur (i).
(i) Li'extiême différence dans l'épaisseur de la gtace
d'un même étang donne quelques degrés de probabilité
à l'observation du frère Chartreux: de Montmerle. Ï!
Foiss, Tome IL Y
538 O B S E R V AT I O N S
La précaution de faire des ouvertures â
la i;lace a été non seulement inulile au
poisson , mais elle a failli devenir funeste
au propriétaire dont il est question. Ayant
voulu briser lui-mèrne la glace d'un de ces
étangs, il sortit du soupirail ime mofète si
subite, si infecte, si pénétrante, qu'elle le
fit presque tomber à la renverse. L'étang
étoit extrêmement brouilleux; mais il assure
que , dans le tems où il fit cette ouverture,
il n'y avoit encore aucun poisson mort,* ou
du moins que l'exhalaison ne pouvoit être
attribuée à la putréfaction d'aucun d'eux,
puisqu'au moment du dégel il n'en trouva
point qui fût encore gâté.
11 répéta la même opération le lendemain
sur un autre étang, en évitant de s'exposer
d'aussi près à l'exhalaison. 11 la sentit encore ,
mais avec moins de force ; et cependant le
poisson s'étoit conservé dans cet étang , qui
est certain que le poisson se rassemble pendant l'iiyver
dans les parties les plus profondes de l'étang; mais,
qnoique rénni, il doit communiquer peu de sa chaleur
propre à la masse de l'eau qui l'environne. L'on a
peine à croire que cette cîialeur soit assez forte pour
produire un effet aussi marqué, à moins qu'elle ne soit
encore aidée par l'exposition favorable de la chaussée,
el par quelque source intérieure.
SUR LES ETANGS. 55ç)
fut pcclié peu de jours après. Enfin plu-
sieurs de ses pécheurs l'ont assuré qu'ils
a voient éprouvé les mêmes vapeurs suffo-
cantes en cassant la glace.
Voici, sur un fait à peu près semblable,
ce que M. Marmet, aubergiste au Guillet,
entre Bourg et Neuville-les-Dames , a écrit
à Varennes de Feuille :
« Quand j'ai fait faire les premiers trous
à mon étang, je ne me suis aperçu d'au-
cune mauvaise odeur, et ne connus aucun
danger pour mon, poisson. La glace avoit
dans ce tems-là onze à douze pouces d'épais-
seur. Quelques jours après il tomba de la
neige ; ensuite il survint un petit dégel qui
fit fondre en partie cette neige ; ensuite une
forte gelée qui forma une seconde glace ,
qui fut couverte par une seconde neige.
Quelques jours après je fis rouvrir les mêmes
trous : il en sortit comme une fumée d'eau
chaude, qui avoit une odeur marécageuse,
mais qui n'incommode pas plus que celle
qu'on respire quelquefois près d'un marais.
Ce fut dans ce moment que je m'aperçus
que mon poisson étoit malade, seulement
les carpes : je ne vis ni brochets ni tanches.
Je ne me suis point aperçu qu'il soit sorti
de l'air en faisant les trous ».
Y 5.
340 OBSERVATIONS
A Villars, dans les étangs vaseux, quelle
qu'en ait été la profondeur , on a trouvée
constamment les ouïes du poisson mort
pleines de boue , quoiqu'il fût encore fiais ,
puisque après les avoir lavées elles étoient
rouges.
Les étangs raaléficiés paroissoient, même
avant la putréfaction du poisson , d'un noir
sombre , quoique le fond ne fut pas bour-
beux , ni Feau troublée. D'autres étangs
présentoient en quelques parties une cou-
leur rougeâtre et dégoûtante. Mais ces cou-
leurs accidentelles t)ouvoient provenir du
reflet causé par l'aiFaissement de la brouille,
ou avoir été produites par la neige fondue ,
après avoir long-tems séjourné sur des feuilles
d'aune ou de chêne.
Le propriétaire précédemment cité ne
croit pas que la précaution de laisser couler
l'eau des étangs brouilleux , jusqu'à ce que
riierbe cesse d'en être baignée , soit un pré-
servatif suffisant contre la mortalité. On l'a
essayé cette année, dit-il, dans quelques étangs
de Villars : l'expérience n'a réussi qu'impar-
faitement. En effet , il entre peu d'air par la
bonde , car à mesure que l'eau fuit la glace
s'affaisse , et perd son ancien niveau pour
suivre celui du terrain ; de sorte que Teau ,
SUR LES ETANGS. 54i
quoique no couvrant plus l'élang qu'en par-
tie , n'en demeure pas moins imprégnée
comme auparavant des premières émana-
tions de la brouille ; il est persuadé que Feau
reste constamment en contact avec la glace,
et fonde son opinion sur ce que , dès qu'on
fait une ouverture , Feau s'élève et dégorge
par le soupirail. Mais il semble qu'elle dé-
goj'geroit également, quand même il se
seroit introduit de l'air entre la glace et l'eau,
si cet air s'y trouve comprime.
Le même propriétaire présume aussi que
les étangs qu'on aura empoissonnés , immé-
diatement après la grande gelée, sans en
avoir renouvelé l'eau , ne donneront qu'une
chétive pèche. Ce n'est pas , dit-il , que l'eau
ait été corrompue par la putréfaction de
l'ancien poisson , au point d'influer sensi-
blement sur le nouveau, et de nuire à sou
accroissement. Mais il a été reconnu que la
brouille, affaissée par la glace, forme au
fond des étangs un enduit épais et assez
compacte pour empêcher que le poisson ne
s'y insinue, et puisse aller chercher sa nour-
riture ou traçaille^ comme s'expriment les
pêcheurs.
On en cite un exemple, arrivé en 1766,
où riiyver, quoique moin? rigoureux, fit
Y 5
342 OBSERVATIONS
périr beaucoup de poisson. Celui d'un étang
de Villars, extrêmement brouilleux, ayant
été totalement détruit, le propriétaire rem-
poissonna de nouveau^ sans avoir pris la
précaution de faire écouler Feau. Dans l'in-
tervalle de rempoissonnement à la pêche,
l'eau se renouvela plusieurs fois , parce
qu'un courant presque continuel tiaverse
cet étang à volonté. Néanmoins la pêche
fut nulle j le poisson se trouva maigre et
petit , et l'on reconnut que la brouille ,
affaissée dès l'année précédente, tapissoit
encore le fond de l'étang.
La méthode de pêcher un étang sous la
glace n'est pas fort ancienne dans le canton
de Yillars. Le procédé en est très-simple:
le voici.
11 faut se rappeler que la pêcherie ,
qu'ailleurs on nomme la poêle ^ est une
fosse a3^ant la forme d'un carré long, dont
l'un des deux côtés étroits, parallèle à la
chaussée , est placé à fort peu de distance
de la bonde. On donne à la pêcherie une
étendue proportionnée à celle de l'étang.
Supposons -la de trente pieds de largeur
sur soixante de longueur, et de deux pieds
et demi à trois pieds de profondeur. Telle
est la dimension ordinaiie de la pêcherie
SUR LES ETANGS. 345
d'uu élang de quinze cents d'enipoisson-
«emcnl.
On a déjà dit que le bief principal aboii-
tissoit au milieu de la pêcherie,- mais c'est à
tort qu'on ne lui a supposé que dix pieds de
largeur. A Villars , où il paroît qu'on a
porté l'aménagenient des étangs à sa perfec-
tion, on n'iiésiie pas de lui donner quinze
pieds de largeur, quelquefois davantage.
Plusieurs autres biefs ou fossés, qui
coupent l'étang dans les parties les plus
basses, viennent aboutir au bief principal,
et facilitent au poisson répandu sur toute
la surface de l'étang un passage pour se
rendre dans la pêcherie à mesure que l'eau
leur manque. La pêcherie doit être plus pro-
fonde au moins- d'un pied et demi que la
partie du bief principal qui y aboutit.
Lorsqu'on veut pêcher pendant la gelée,
on baisse le pilon,* k mesure que l'eau
s'écoule, la glace s'affaisse ; et loisque l'eau
est assez diminuée pour ne plus inonder
que la pêcherie, on baisse le pilon.
Des ouvjîers, armés de haches et d'autres
instrumens de fer, cassent la glace du bief
à l'endroit où il aboutit à la pêcherie; et
on y place un barrage afin d'empêcher le
poisson de remonter.
Y 4
344 OBSERVATIONS
L'on rompt ensuite !a gîace de Van des
côtés longs de la pêcherie, sur la largeur
de sept à, huit pieds. Ju'on a soin d'en enle-
ver tous les glaçons. Le poisson, inliniidé
par cette manœuvje, se retire sous la por-
tion de glace qui reste encore , et sur
laquelle on a l'attention de ne pas faire de
bruit.
L'on déploie le filet de péclie sur léi partie
de la pêcherie nettoyée de glaçons, et on
l'approche, le plus qu'il est possible^ de la,
partie dont la glace est entière.
Cela fait , on coupe avec la hache tout le
surplus du tour de la pêcherie, sur à peu
près un pied de largeur, La glace, ainsi
délachée des bords, reste à flot; on enlève
soigoeusemeot ces nouveaux glaçons.
Deux pêcheurs font passer les deux
exù émîtes du filet sous les deux extrémités
de ]{i grande glace flottante ; et tandis que
le filet, garni de liège à sa partie supérieure,
passe sous la glace, d'autres pêcheurs la
})oussent en avant, et lui font prendre h,
place de celle qu'on avoit enlevée dans la
première opération : insensiblement le liègQ
du filet parvient à se trouver à flot, débar-r
ii'assé de toutes les glaces, et chargé de tout
le polssoa de l'étang, On le prend alors aussi
SUR LES ETANGS. 545
coinmoclémeiit, et même avec plus de faci-
lité que dans les tems ordinaires, parce
qu'il est fort engourdi. 11 arrive assez rare-
ment qu'il en échappe un seul, et que le
second coup de filet que Ton donne ne soit
pas inutile.
Pour bien faire cette opération, il faut
que la glace soit épaisse, et qu'elle ne
puisse se rompre lorsque le filet passe par
dessous. Ainsi, quelque forte que soit la
gelée , si l'étang a une bonne pêcherie , il
peut être péché.
11 arrive quelquefois que la partie du
bief qui aboutit à la pêcherie est aussi pro-
fonde que la pêcherie elle-même. Alors
l'opération est plus longue; mais elle est
également possible, à moins qu'il ne fallût
remonter trop avant , et que la pêcherie fût
mal nettoyée.
Dans le premier cas, on manœuvre sur
le bief à peu près comme sur la pêcherie.
On commence par casser transversalement
et par nettoyer la glace dans la partie du
bief où se commence l'opération. On bane
avec un filet. A mesure que les glaçons se
brisent, on les fait flotter et passer par-
dessus le filet, qu'on avance insensible-
ment jusqu'à la pêcheiie. La manœuvre
Zijo OBSERVATIONS
est ensuite la même que celle que Ton a
décrite.
Quand la gelée est très-forte, aussitôt que
le poisson prend l'air, il est saisi par le
fioid, il devient roide, et paroît mort. Mais
il reprend le mouvement dès qu'on le plonge
dans Teau; et même on a remarqué que le
transport pendant la gelée le fatigue beau-
coup moins que lorsqu'on le voiture par un
tems un peu chaud.
Les nouveaux faits qui viennent d'être
rapportés achèvent de prouver, et d'une
manière invincible , l'existence du gaz in-
flammable, mêlé de mofète , reconnu pour
être l'une des causes principales de la mor-
talité du poisson en 1789.
Quoique la brouille ait dû produiie de
l'air fixe pendant la longue absence de la
lumière, et que cet air soit le plus délétère
de tous pour le poisson qui le respire; cepen-
dant , comme l'eau s'en empare, et qu'il est
plus pesant que l'air atmosphérique, il 3^ a
toute a];)parence que le propriétaire, dont
on a rapporté les essais, n'avoit respiré que
de l'air inflammable mofétisé, lorsqu'il a
failli d'être renversé.
Ce gaz a été seulement produit par le
bouleversement que le poisson a excité
SUR LES ETANGS. 347
dans la vase, el: en partie par sa respira-
tion; car il n'y a pas d'apparence que la
fermentation putride y ait eu aucune part,
puisqu'avant le dégel il n'y avoit pas de
corruption.
La présence de Tair fixe n'est pas aussi
rigoureusement démontrée que celle de la
niofete. Cependant on ne peut guère se
refuser à l'y reconnoître, si l'on fait atten-
tion que les étangs brouilleux ont été pré-
cisément ceux où la mortalité a paru plus
prompte, plus active et presque universelle.
Le procédé de pêcher sous la glace offre,
comme on voit , un moyen de plus de pré-
server de la mortalité les étangs mal-sains ,
puisqu'il ne s'agit que de transporter le
poisson dans un étang blanc , et de l'y tenir
jusqu'à ce que l'intempérie de la saison soit
passée. Certainement il vaut beaucoup mieux
supporter les frais d'une double péclie que
de risquer de tout perdre.
348 METHODES
METHODES
De préparer les différentes espèces de
Poissons pour les cabinets d'histoire
naturelle.
vJn ne doit pas s'attendre à réussir , comme
pour les quadrupèdes et les oiseaux, à orner
nos collections des dépouilles de poissons bril-
lantes de la fraîcheur, de la vivacité et de
l'éclat de leurs couleurs,- leur forme et une en-
veloppe presque toujours d'une teinte livide
tannée sont tout ce que nous avons à espérer
de leur conservation, et ils ne présentent plus
cette apparence de vie qui paroi t animer en-
core quelques autres animaux. Les couleurs
et les reflets, dont ils brillent dans l'élément
qui leur est propre , s'effacent dès qu'ils en
sortent ; et pour que le pinceau pût les saisir
et les rendre, il faudroit qu'il ne s'exerçât
que sur les poissons retenus dans le fluide
même au milieu duquel ils vivent; l'instant
où on les en tire est déjà un commencement
de décoloration, et elle augmente sensible-
ment en un court espace de tems. La mort
DE PREPARATION. S49
de ces animaux achève souvent de les dé-
pouiller de toute leur parure , et il n'en.
existe plus de trace lorsque leur peau est
desséchée.
Il est donc inutile de chercher à retenir,
sur la dépouille , des poissons des teintes
si fugitives 5 et qui ont besoin pour exister
et de la vie de Tanimal et de l'humide dont
ils ne peuvent se passer. On peut y suppléer
en peignant , sur le poisson préparé , les
couleurs qu'on lui coiinoit dans Feau; mais
quel que soit l'art du coloriste , Timage sera
toujours foible et sèche si on la compare
au pinceau inimitable de la Nature. Tout
ce qu'il m'a paru possible d'obtenir de moins
mauvais en ce genre , je Tai vu , il y a plus
de vingt ans, chez un médecin de Cette,
le docteur Boriès , qui s'occupoit de l'his-
toire naturelle et de la préparation des
poissons ; les échantillons que je trouvai
chez lui avoient encore , sinon l'éclat , du
mioins une partie des couleurs de la nature
vivante. Rien d'aussi beau en ce geme ne
s'est olïert nulle part à mes recherches.
M. Boriès faisoit un secret des moyens qu'il
employoit pour la conservation de ses pois-
sons. 11 me promit néanmoins de le com-
muniquer à BulFon, à qui je li* part de ce
55o M E T H O D E S
que j avois vu; mais comme il attachoifc une
haute valeur à sa méthode, il paroît que les
arrangemens qu'il proposa ne convinrent
pas 5 et que son secret fut enseveli avec lui.
Lorsque, dans le cours d'un voyage on
veut rassembler et envoyer les poissons de
contrées lointaines, il faut se souvenir que
ces animaux ont, plus que les quadrupèdes
et les oiseaux , la fibre lâche , le sang fluide y
les humeurs et toute la substance aqueuse ,
et qu'ils se corrompent plus aisément que
les autres ii*nimaux; ainsi, quelle que soit la
liqueur dans laquelle on les trempe , il est
nécessaire de la changer jusqu'à ce qu'elle
ne se trouble plus.
On envoie les poissons tout entiers , ou
Ton se contente d'en prendre la dépouille.
Dans le premier cas on les plonge dans
quelque liqueur spiritueuse, de l'esprit de
vin , de l'eau de vie , du tafia, etc. ; et , comme
je viens de le dire, on ne ferme le vaisseau
qui les contient que quand la liqueur re-
nouvelée plusieurs fois , suivant ]a grandeur
des animaux, ne perd plus rien ni de la lim-
pidité ni de l'odeur qui lui sont propres;
alors le coi-ps des poissons s'est dépouillé
des parties flegmatiques et lymphatiques,
qui pouvoient tendre à la corruption ; et
DE PREPARATION. 55i
l'on peut alors sceller le vase pour en faire
renvoi.
La liqueur chargée des parties des pois-
sons , disposées à se corrompre , n^est pas
perdue; en la distillant de nouveau , elle
reprend toute sa limpidité et toute sa force.
Si la situation du voyageur ne lui permet
pas d'user de la précaution de changer plu-
sieurs fois la liqueur spiritueuse dans la-
quelle il aura mis des poissons , il se bornera
à observer que la masse des poissons plongés
dans le liquide n'occupe qu'un quart envi-
ron du vaisseau qui les contient, et que le
reste soit rempli par la liqueur. Au moyeu
de cette attention , quoique la liqueur se
trouble et qu'elle commence à exhaler une
odeur qui lui est étrangère , la putréfaction,
quoique commencée , n'aura pas lieu. L'on
augmentera ou Ton diminuera la proportion
entre la masse des poissons et la quantité
de la liqueur conservatrice, suivant son plus
ou moins de force.
11 est encore d'autres attentions de détails
pour l'envoi des poissons et des autres ani-
maux dans des bocaux ou des barils ; je
les laisserai prescrire par un naturaliste qui
toute sa vie s'est occupé de faire venir des
animaux des pays les plus éloignés pour en
552 METHODES
former une belle collection. Voici ce que
Maucluyt recommande à ce sujet:
(( L'esprit de vin et l'eau de vie sont
des huiles subliles ^ pures , éthérées. Elles
brûlent sans répandre de fumée , et ne
laissent de résidu après rinflammation qu'un
phlegme limpide , tenu purement aqueux.
Le tafîa et l'eau de vie de grain sont moins
subtils ; ils répandent de la fumée en brûlant,
et laissent après finflammation un résidu
gras, jaunâtre ou noirci par faction du feu.
» La subtilité, la pureté, la limpidité de
l'esprit de vin et de l'eau de vie les rendent
les liqueurs les plus propres à la conservation
des animaux. Le tafia et l'eau de vie de grain
laissent sur les corps qu'ils ont baignés un
vernis gras qui est le dépôt de la substance
onctueuse qu'ils contiennent. Ce défaut est
sur- tout celui du tafia ,* on pourroit l'en
corriger et le rendre plus propre à l'objet
dont je traite, en mêlant à la quantité de
tafia qu'on deslineroit à conserver des ani-
maux, avant de les distiller, une certaine
quantité d alkali , ou simplement des cendres.
On pourroit , si l'on ne vouloit pas recom-
mencer la distillation , faire bouillir seule-
ment le tafia après y avoir mêlé des cendres;
il se formeroit une écume qu'on rejetterait
ovi
DE PREPARATION. 553
on laisseroit reposer la liqueur , et on la
verseroit par inclinaison dans le vase où Ton
Youdroit ]a conserver. L'alkali s'empareroit
de la plus grande partie de la substance
grasse , et le talia scroit meilleur pour l'usage
que nous nous proposons.
)) Un autre défaut du tafia et de l'eau de
vie de grain , c'est d'être excessivement des-
sicalifs. Les corps des animaux , qui y sont
demeurés plongé-, pendant quelque tems ,
perdent beaucoup de leur substance. Ces
liqueurs extraient les graisses , la l^aiiphe, le
sang et tous les fluides ; elles jéduisent les
chairs , les cartilages, les membranes à l'état
de simples faisceaux de fibres sans suc. Cette
action des liqueurs est cause que les animaux,
au bout d'un tems d'immersion, ont perdu
peut-être plus du tiers de leur volume. Leur
peau est aussi corrodée, et leurs membres
sont décharnés ; la substance de leiu^ bec est
usée , et celle même des plumes ou des poils
se trouve altérée. La peau est en même
tems si usée, qu'on doit la traiter avec beau-
coup de précaution pour ne pas la déchirer ;
il faut et de l'art et de la patience pour dé-
pouiller l'animal, et remplir ensuite sa peau
sans l'endommager. Si le but est d'observer
les viscères , on les trouve rétrécis , racornis ,
Poiss. Tome XL Z
354 METHODES
sans souplesse ^ sans flexibilité. On en dis-
tingue à la vérité la niasse , mais on a bien
de la peine à en développer le tissu; il est
très-difficile de séparer les membranes, de
découvrir les canaux fins et déliés, dont la
recherche est l'objet le plus important. Il
est cependant un moyen de remédier à
Tintempérie dessicative du tafia et de Teau
de vie de giain; c'est de les aiïoiblir en y
mêlant un quart ou un tiers de leur masse
d'e^au douce distillée , ou au moins d'eau
très-claire. La liqueur devient en total moins
limpide; elle prend un œil laiteux, mais le
tout est sans inconvénient. Celui qu'on doit
craindre , c'est de diminuer la vertu con-
servai rice des liqueurs. Voici comment on -
peut remédier à tous les obstacles c]ui se
présentent. Lorsqu'on veut envo3er des
animaux dans le tafia ou dans l'eau de vie
de grain, il faut auparavant laisser dégorger
ces anima ux dans les mêmes liqueurs , les
changer jusqu'à ce qu'elles ne se troublent
plus, et alors mettre les animaux dans des
barriques remplies de tafia ou d'eau de vie
de grain, afîbiblis d'un tiers d'eau. Les ani-
maux ayant élé dépouillés dans les premières
immersions des parties putrides , le tafia ou
l'eau de vie de grain, quoiqu'affoiblis, con-
DE PREPARATION. 555
serveront les animaux aussi long-tems qu'où
le voudra , et ils n'auront plus assez de force
pour les dessécher outre mesure.
)) Je résume et je dis : il faut employer par
préférence l'esprit de vin et l'eau de vie;
on peut se servir du tafia et de l'eau de vie
de grain , mais il ne faut les employer qu'en
les aifoiblissant par le mélange d'un tiers
d'eau ; il ne faut faire ce mélange qu'en
traitant la dernière liqueur où l'on plonge
les animaux, et il faut auparavant les avoir
fait dégorger daus le tafia ou l'eau de vie de
grain pur.
)) 11 me reste à parler-des précautions qu'on
doit prendre en plongeant les animaux dans
les liqueurs conservatrices^ ou de la manière
de les arranger dans les barriques. Si l'on
n'a que l'anatomie en vue , les précautions
dont j'ai parlé sont suffisantes; mais, si l'on
se propose d'envoyer des animaux qu'on
puisse un jour remonter, il faut se donner
d'autres peines , et apporter des attentions
que je n'ai pas encore fait connoitre. Les
animaux plongés au hasard dans la liqueur
y flotteront; ils y seront poussés de côté et
d'autre ; ils s'agiteront les uns contre les
autres dans le tems que le vaisseau où les
barriques seront chargées sera battu , trou-
Z 2
356 METHODES
nienté , élevé , précipité par les flots. Les
poils 5 les plumes, les écailles s'hérisseront,
se désuniront, s'useront, seront arrachés,
ou prendront de faux plis , et des positions à
contre-sens, que Fart le plus ingénieux ne
pourra leur faire perdre par la suite. Il ne
faut donc pas se contenter de plonger les
anioiaux dans la liqueur, les y abandonner
au hasard de ce qu'ils pourront devenir ;
mais on doit placer, en travers des barriques
défoncées par un bout et posées sur l'autre ,
des traverses de bois assujetties avec des clous
qui passent à travers le bois de la barrique ,
pour gagner des traverses ; il faut envelopper
chaque animal dans une toile qui le serre ,
en prenant garde de chiffonner sa robe , soit
qu'on couse la toile ou qu'on l'assujetlisse par
un fil qu'on tortille autour , et qu'on noue
aux deux bouts. Ensuite on passe au bout
de la toile , où répond la tête de l'animal ,
un fil ou une corde suivant le poids , et on
attache ce ft] ou cette corde à une des tra-
verses. Par ce moyen, quelle que soit l'agi-
tation de la barrique , les animaux flottent
toujours au milieu du fluide qui amortit les
coups ; les linges empêchent que les poils
ou les plumes ne se dérangent , ne soient ni
froissés, ni usés et airachés. Il faut,, autant
DE PREPARATION. 5Sj
qu'on le peut , que les banques soient assez
longues pour que les animaux y aient toute
leur étendue. On remet ensuite le fond de
la barrique , après l'avoir bien remplie ; car
c'est encore une attention qu'il faut avoir
de ]a remplir autant qu'il est possible. On
prend ensuite les précautions nécessaires
pour que les matelots , espèce de gens à
qui la misère et la grossièreté rendent tout
propre, et dépouillent de toute espèce de
délicatesse , ne percent pas les barriques et
ne boivent pas la liqueur qu'elles contien-
nent. On y parvient en mettant la barrique
dans un toimeau plus grand , ou en l'en-
tourant de beaucoup de paille , et l'enve-
loppant d'une toile goudronnée. Malgré ces
précautions , il arrive quelquefois que les
matelots percent les barriques , et trouvent
le moyen d'en boire la liqueur. Cela seul
devToit empêcher l'usage que quelques-uns
recommandent, de mêler des poisons aux
liqueurs dans lesquelles on envoie des ani-
maux , quand même ces conseils ne seroient
pas d'ailleurs pernicieux et inutiles.
)) Jusqu'ici je ne me suis occupé que des
moj^ens propres à conserver les au i maux
qu'on veut envoyer de pays éloignés, qui
Z 5
358 METHODES
ont un long trajet à parcourir, et beaucoup
de teuis à passer dans les barriques avacl de
parvenir à leur destination. Si au contrairo
on ne veut que faire passer des animaux
d'une province à une autre ; s'ils doivent
airiver à leur destination dans l'espace de
quinze jours , ou même d'un mois , il est
inutile de les plonger dans les liqueurs con-
servatrices spiritueuses. Si c'est en hyver 5 ou
depuis le mois de novembre jusqu'au mois
d'à V {il , il ïïy aura aucune précaution à
prendre , sur-iout si le tems est sec et froid;
mais si c'est en élé, ou qu'en liyverle tems soit
humide, les animaux pourront encore sup-
porter un délai de quinze jours et plus sans
se corrompre, et sans qu'on ait recours aux
liqueurs spiritueuses , en usant du moyen
suivant. Il consiste à employer des plantes
aromatiques desséchées et réduites en poudre
grossière ; telles que le laurier franc, la sauge ,
les fleurs de lavande , le ihjm , le basilic ,
le pouliot, et des plantes amères; telles que
l'absyntlie, la rliue, la tanaisie , fauj'one ,
les santolines, etc. Il n'est pas nécessaire de
réunir toutes ces plantes ; deux ou trois, une
seule même, si elle est très - aromalique ^
suffit. On fait sécher ces plantes à l'ombre;
on les réduit en grosse poussière, et on les
é
DE PREPARATION. 55ç^
conserve pour le besoin dans des boîtes bien
fejniées, où elles iie perdenL rien de leur
principe aromatique , ou amer et volalil.
On fait un lit de ces poudres au fond de la
boîte où Ton veut envoyer un animal ; on
le couche sur ce lit; on le recouvre en-
suite de la même poudre, qu'il ne faut pas
épargner. On a soin d'en introduire entre le
coi'ps et les cuisses , le corps et les ailes des
oiseaux, et d'observer que l'animal entier
en soit tout à fait couvert. Ces poudres re-
tardent la putréfaction; elles l'empcclieroient
même totalement si les animaux n'aboient
que peu de volume, et ils se dessécheroient
sans se corrompre. On peut, en usant de ce
mo} en , envoyer des animaux de cent et
deux cents lîeues par les messageries et les
voitures ordinaires , comme je m'en suis
assuré par des expériences réitérées.
» 8i l'on est au fort de l'été , ou que les
animaux que l'on veut envoyer soient fort
grands , ou de nature à se corrom[)re ou à
se dessécher promptement, tels que sont les
poissons, les reptiles, tous les oiseaux qui se
nourrissent de vers ou d'insectes, alors il est
indispensable d'avoir recours aux liqueurs
conservatrices. Cependant il en est une dont
je n'ai pas encore parle, parce que je ne suis
2j 4
56o M E T H ODES
pas assuré qu'elle soit efficace pour un loug
espace de terns, qui })eut suffire pour con-
server les animaux qu'on y plonge un mois
et plus, et qui n'est pas dispendieuse comme
l'esprit de vin et Teau de vie , les seules li-
queurs dont on soit à portée de faire usage
dans nos climats. Celle dont je parle n'est
que de l'eau ordinaire saturée d'alun. Ce
sel lui communique une qualité stiptique ,
anti-putride et acide , qui résiste puissamment
à la fermentation. J'ai conservé dans de l'eau
ainsi saturée d'alun , pendant cinq et six se-
maines, des animaîjx que je n'avois pas le
teras de disséquer au moment où je les avois
reçus, et pour lesquels je ne voulois pas
faire la dépense de les plonger dans l'esprit
de YLii ou dans Feau de vie : ils s'y sont
parfaitement conservés. Je n'ai eu d'autre
attention que de renouveler l'eau une ou
deux fois, quand j'ai vu qu'elle commençoit
à trop se charger du sang qu'elle avoit dissous,
enfin à se troubler. Je crois donc qu'en plon-
geant , dans de l'eau aluminée , des animaux
qu'on voudroit faire passer d'une province
à une autre , en les gardant cinq à six jours
et les changeant d'eau deux fois dans cet
espace de tems, les enfermant ensuite dans
une barrique pleine d'une pareille eau, ils
DE PREPARATION. 36i
ariiveroieiit en bon état au bout de trois
semaines, et même d'un mois de route.
» Il faiidroit déterminer la quantité d'alun
par rapport au volume d'eau : c'est ce que
j'avoue que je n'ai pas fait; mais, dans les
essais que j'ai tentés , l'eau étoit saturée
d'alun au point qu'il comniençoit à cristal-
liser sur les bords du vase au bout de 20 k
24 heures ; ce qui prouve que l'eau que
j'employois étoit saturée autant qu'elle peut
l'être à froid. Je crois que cet essai mériteroit
d'être suivi, que ce seroit peut-être un moyen
de plus pour conserver les animaux et dimi-
nuer beaucoup la dépense. Je ne me suis pas
aperçu, dans les essais que j'ai faits, qu'il
en jésultât aucun mauvais effet.
)) Si l'on vouloit épargner la dépense dans
l'usage que je propose de l'alun , on pourroit
ne pas perdre celui qui auroit été dissous
dans les premières eaux où on auroit plongé
les animaux. 11 n'y auroit qu'à faire éva-
porer l'eau,* opération qu'on accélère roit en
la mettant sur le feu ; on trouveroit l'alun
cristallisé au fond et autour du vase. Mais
il faudroit, dans cette expérience, se servir
de terrines de grès ou de terre , et non pas
de vaisseaux de cuivre. J'exhorte les per-
sonnes qui en auront le loisir à déterminer
362 M E T H O D E S
les propriétés de l'eau suturée d'alun , et à
nous apprendre si ce moyen ne seioit pas
très- bon pour conserver les animaux , les
rendre pendant long-tems incoiTuptibles, et
les envoyer de très-loin à fort peu de frai^.
» Ou pourroit encore essayer les propriétés
de Teau saturée de vitriol, de niire el de sel
commun ou sel marin. Il y a quelques per-
sonnes qui sont dans l'habitude de conserver
les animaux desséchés en les vuidant , en
soulevant la peau en différens endroit* du
corps, et en introduisant à la place des
viscères , et entre la chair et la peau , de
l'alun, du vitriol et de la chaux en poudre.
Cette méîhode ne vaut rien , parce qu^oa
ne parvient, en l'employant, qu'à avoir des
animaux déformés , maigres , décharnés ;
mais elle indique combien Falun et le vitriol
ont de force pour résister à la putridifé.
)) Je ne me suis encore occupé que des
moyens crenvoyer les animaux dans les li-
queurs conservatrices. Les personnes dont
l'anatomie est le but me pardonneront le
tems que j'ai employé; mais celles qui n'ont
en vue que de recevoir des animaux propres
à être montés, à orner une collection, et h
faire spectacle, le regarderont comme peidu.
Eu elïet, les animaux qu'on envoie dans îa
DE PREPARATION. 363
liqueur, quelque soin qu'on ait pris, perdent
tot:joius quelque chose de leur beauté; et
si l'on veut que ceux qu'on ramasse soient
aussi propres à être remontés qu'ils peuvent
l'èlie, il faut n'en envoyer que les peaux (i) ».
Un bon et peul-èlre le meilleur, comme
le plus simple des moyens de conserver les
poissons, pour les avoir bien entiers, est
d'enlever par leur bouche tous les viscères
et le plus de chair qu'il sera possible sans
entamer la peau; ensuite on remplit de sable
les poissons ainsi vuidés, afin d'en conserver
parfaitement la forme; on les fait sécher
dans cet état , puis on passe en dehors et
en dedans une couche de veinis blanc pour
les préserver des attaques des insectes. Cette
opération est longue à la vérité , mais elle
est facile et son résullat est satisfaisant.
Mauduyt a proposé des procédés plus
longs, dont je tne contenterai de présenter
l'extrait. On soulève une des valvules os-
seuses et mobiles qui couvrent les ouïes; on
anache et enlève ces ouïes, et lorsqu'on
s'est fait jour, on détache avec la lame d'un
scalpel la peau d'avec les chairs, en tra-
vaillant en dessous de la peau ; Ton passe
(i) Journal de pbysiiiiie , décembre 1775.
564 METHODES
ensuite du côté de l'autre ouïe , et Ton
opère de la même manière ; alors avec de
forts ciseaux ou avec un couteau on sépare
Tépine dorsale à sa jonction avec la tête.
Si Ton a séparé circulairement la peau des
chairs, si la bouche du poisson est très-large,
en refoulant la tête en dedans, poussant le
corps en dehors et détachant la peau à me-
sure que le corps sort par la bouche , on
parvient à doubler toute la peau, à la re-
plier sur elle-même et à faire sortir tout
le corps par la bouche , sans avoir fait au-
cune ouverture. Mais, si la bouche est trop
étroite pour que le corps puisse y passer,
on coupe la peau en travers au dessous des
ouïes, après avoir détaché les chairs qui
sont près de la tête, et séparé Fépine dor-
sale; on rejette alors la tête sur le dos, et
l'on fait sortir tout le corps par l'ouverture
transversale pratiquée au dessous des ouïes,
en repliant la peau sur elle-même en ar-
rière, poussant le corps, le tirant en avant et
en détachant, soit avec la lame , soit avec le
dos du scalpel, la peau d'avec les chairs.
Cette opération , convenable pour les
poissons de forme oblongue et à peu près
cylindrique, ne peut avoir lieu pour les
poissons plats, dont l'ouverture de la bouche,
DE PREPARATION. 365
ni celle que Ton feroit ed coupant la peau
transversalement au dessous des ouïes , ne
seroit assez am[)le pour donner passage au
corps. 11 y a beaucoup de difficultés à écor-
cher ces poissons saus fendre la peau; on y
parvient néanmoins avec de l'adresse et de
la patience,* il faut soulever une des ouïes,
enlever par le moyen de pinces ou déta-
cher avec le scalpel les premiers objets qui
se présentent, séparer avec des ciseaux la
colonne épinière à sa jonction avec la tête ,
introduire d'un côté , puis de l'autre , en
retournant le poisson , entre la peau et les
chairs, un morceau de bois aplati, tran-
chant et arrondi en forme de spatule par
son extrémité 5 et le pousser jusqu'à l'origine
de la queue. Lorsqu'on a opéré de cette
manière sur les deux côtés , la peau est
par-tout séparée d'avec le corps ; alors on
coupe en dedans avec des ciseaux , aussi loin
qu'on le peut, de l'un et l'autre côté, les
nageoires qui les bordent , et dont les franges
sont en dehors et l'insertion en dedans; puis
avec des pinces ou un crochet on ari^ache les
chairs; on brise l'épine dorsale et les arêtes
à mesure que l'on avance dans l'opération.
Quand les parties , qui répondoient à la lon-
jgueur de cq qui a été coupé de droite et d«
366 METHODES
gauche > sont ealevées , on passe la main par
le vuide que laissent Jes parlies ôLées ; on
continue de couper à droite et à gauc-lie,
avec des ciseaux, l'origine des nageoires; on
brise l'épine et les arêtes, et on parvient
ainsi jusqu'à la queue.
Les poissons étant écorchés , si l'on a fait
une incision aux ouïes, on rapproche et on
recoud la peau le plus promptement possible ;
on entoure ensuite les membranes des ouïes
avec un ruban qui les tienne fermées. On
suspend les poissons par le moyen de cro-
chets obtus, en sorte que leur bouche reste
ouverte autant qu'elle peut l'être. Alors on
tire la peau, en pinçant et pesant sur la
queue; on l'étend avec l'autre main en glis-
sant dans le sens des écailles; puis on verse,
par la bouche ouverte, du sable bien fin ,
d'un grain égal et sec, qui par son poids
distend la peau, s'introduit et se répand éga-
lement par-tout. Quand la peau est remplie
de sable Jusqu'à la bouche, on en ferme
l'ouverture et Fassujettit avec un ruban ou
des bandelettes de toile ; on passe cette dé-
pouille ainsi remplie sur une table; on étend
ses nageoires; on les lixe et on les contient
avec des crochets de fil de fer; enfin on
expose la peau à l'air ? mais à Fabri d'un
DE PREPARATION. 567
soleil trop aident; elle se des-jèclie bientôt.
Loisque la peau est parfaitement sèciie , oa
défciit les bandelelles qui tenoient la bouche
fermée, on rouvre de force et on fait écou-
ler le sable; la peau se soutient d'elle-même
et elle oUre à la fois un corps volumineux
et très-léger; il ne reste plus qu'à l'animer
par une couche de vernis dessicatif , qui sert
et à sa conservation et à lui len dre une
foible poition du lustre qui briiloit sur l'ani^
mal vivant. Enfm on pose les yeux d'émail,
de forme et de couleur convenables, et 011
les assujettit dans les orbites avec un peu
de mastic.
Si l'on ne veut conserver les poissons que
par la moitié seulement , on les pose le dos
sur une table garnie d'un huge ; on fend
avec des ciseaux la lèvve supérieuî'e à peu
près dans son milieu; puis avec un scalpel
à dos, ou, selon le besoin, avec un instru-
ment tranchant plus fort, on fend la tète
en deux et l'on continue d'inciser la peau,
en long jusqu'à l'origine de la queue, en
passant au bas et à côté de la nageoire du
dos. L'on sépare ensuite la peau avec le
scalpel ou un morceau de bois aplati ; Fou
coupe avec des ciseaux la racine de la na-
geoire du dos, et lorsqu'on est parvenu à
368 METHODES
la nageoire de ]a queue, on rompt ]a co-
lonne vertébrale; rien n'en i pêche plus alors
de rejeter la peau du côté où Ton est placé ;
on la sépare dWec celle de l'autre côté par
une incision longitudinale , et Fon aura un
côté de la peau du poisson, à laquelle tien-
dront une moitié de la tête , la queue , la
nageoire du dos et Tune des deux ventrales.
La moitié de la peau d'un poisson , pré-
parée de cette manière, on Tétend sur une
table, de façon que l'intérieur soit en des-
sus ; et après l'avoir remplie de coton ou
d'étoupes, on la retourne , en prenant garde
qu'il n'écliappe que le moins possible de ces
matières.
On fixe la peau et les nageoires avec de
fortes épingles ou des pointes enfoncées dans
la table de distance en distance.
Si l'on commence par assujettir le côté de
la queue, ce qui est le plus facile, on intro-
duit à mesure du coton ou des étoupes entre
la table et la peau, par-tout où il en est
besoin. On laisse sécher la peau; on retire
les pointes qui la contenoient; on la vernit
en dehors et en dedans; on la place sur le
fond d'une armoire ou d'un cadre, et l'on
aura la représentation d'un poisson , qui
tiendra le moins de place qu'il est possible,
et
DE PREPARATION. 5Gç)
el dont la peau, étant vernie des deux côtés,
sera moins exposée que de ioute autre ma-
nière aux ravages des insectes.
L'opération pour conserver par moitié les
poissons plats est la même que pour les
poissons de forme C3dindrique. Mais , si Ton
veut voir les deux côtés d'un poisson plat,,
lesquels ont des couleurs différentes, il faut
préparer deux poissons de la même espèce
et de la même grandeur, afin d'avoir chaque
moitié avec ses nageoires. Cependant , comme
Tune des faces de la plupart de ces poissons
est blanche, on pourroit se contenter de
celle qui est colorée.
Gronovius a décrit une niélhode très-
simple de préparer les poissoas, eii ne con-
servant que la moitié de leur peau.
■> 11 faut pour cet effet une paire de ciseaux
à pointe aiguë, de petites planches de bois
de tilleul ou des assiettes de bois, une
aiguille très-fine , des bandes dé parchemin
aussi larges que les poissons , et des camions
ou petites épingles. ■ i. l.;..
Prenez le poisson par votre imain gauche ,
de sorte que soii ventre soit vers le creux
de votre main ^ et sa tête vei^s votre poi-
trine : faites ensuite avec l'aiguille une petite
ovivert'me dernière la tête, introduisez-y la
jPoi.s.9. Tome II. A a
370 METHODES
pointe des ciseaux , et coupez doucement
de ]à jusqu'à la queue. Si vous voulez con-
server le côl^ droit, il faut conduire les
ciseaux du côté gauche de la nageoiie. Cela
étant fait, pointez vos ciseaux plus profon-
dément, et divisez la chair jusc(u'à Tépine
du dos ; ensuite tournez le poisson le ventre
en haut, et procédez de même en coupani
avec les ciseaux k travers la tête et les mâ-
choires. Enlevez la cervelle et les ouïes ; le
poisson alors se sépare aisément ; les intes-
tins paroissent et on les enlève sans peine.
Il faut ensuite emporter Fépine du dos ,
laver le poisson, le frotter avec un linge
jusqu'à ce qu'il soit sec , et le placer sur
une planche , de manière que la peau cou-
verte de ses écailles soit au dessus, et tenir
toutes les nageoires et la queue étendues
avec des épingles. Il faut l'exposer après cela
au soleil en été, ou au feu en hyver, jus-
qu'à ce que la peau soit tout à fait sèche et
dure; ensuite il faut le tourner, et exposer
de même la chair au soleil ou au feu jusqu^à
ce qu'elle soit sèche aussi. On peut alors
séparer la peau de la chair avec très -peu
de peine, et l'ayant mise entre deux papiers,
il faut l'aplatir à la presse; mais, comme la
pression fuit toujours sortir une espèce d#
DE PREPAR7VTION. 371
matière glutineuse entre les écailles et la.
peau, il faut mettre sous le poisson un mor-
ceau de parchemin qu^on sépare aisément
des écailles, au lieu que le papier s'y attache
toujours. 11 est nécessaire , par la même rai-
son, de renouveler le parchemin au bout
d'une heure ou deux. Par ce moyen, dans
l'espace de vingt-quatre heures, le poisson,
est préparé (1).
Les opérations, décrites par Mauduyt, ne
laissent pas d'exiger une main adroite et
exercée. En voici une autre plus facile et
plus commode , particulièrement pour dé-
pouiller les poissons plats, qui sont, comme
l'on sait, fort nombreux dans cette classe
d'animaux. Nicolas, professeur de chimie,
a publié ce procédé dans un petit ouvrage
intitulé : Méthode de préparer et consen^er
les animaux de toutes les classes, pour les
cabinets d'histoire naturelle ; Paris , chez
Buisson , rue Hautefeuille , an 9.
c( On fait d'abord une incision longitudi-
nale, avec des ciseaux, sous le ventre du
poisson , depuis l'anus jusqu'à sa mandibule
inférieure ; et puis , pour commencer à dé-
" ' I . -11» ■ I- -1 . u I u .1 I ,, ^
(1) Transactions philosophi(jue3 de la société <1#
Londres, année 1742 ; n*' 463.
A a a
572 METHODES
pouiller le poisson, on saisit d'abord la peau
avec de petites pinces à Toi igine de Tinci-
sion 5 et on la détache peu à peu des chairs
avec la lame du scalpel , et ensuite avec
son manche aplati ; ce que Ton continue de
faire sur toute la longueur de Tincision lon-
gitudinale 5 et ce jusqu'à ce que Ton soit
parvenu à mettre à découvert un des côtés
de ranimai.
)) On le retourne ensuite de l'autre côté ,
et on procède de la même manière à Tenlè-
vement de la peau de cette partie ; après
quoi on coupe , avec des ciseaux, l'épine
dorsale à son insertion avec la tète , ainsi
que toutes les parties charnues qui y sont
adhérentes.
» La tête étant dégagée, on la laisse tom-
ber le long du corps, et on achève de détacher
la peau du dos jusqu'à l'anus; arrivé en cet
endroit , on pose le poisson sur une table ,
et on fait pénétrer entre la peau qui recouvre
la queue et les chairs, le manche du scalpel,
pour la détacher complettement. Cela fait,
on pousse la queue de dehors en dedans pour
la retourner en totalité , ce à quoi on par-
vient à l'aide d'un scalpel et en refoulant
continuellement la peau , mais avec peu
d'efforts, jusqu'à ce qu'elle soit descendue
DE PREPARATION. 373
vers les dernières arêtes, qui ont une forme
d'éventail. On coupe avec des ciseaux les
arêtes et les chairs, tout près de l'extréjnité
de la queue; ce qui sépare entièrement le
corps de sa peau, et on arrache ensuite les
ouïes et les yeux , et on nettoie proprement
la tête.
» La peau étant ainsi dégagée du corps
charnu , il faut la mettre* en macération
pendant quelques jours dans la liqueur
tannante ; on l'en retire ensiiite pour lui
i^endre sa forme naturelle ; ce à quoi on
parvient de la manière suivante : On étend
cette peau sur une table ; et après avoir
bien arrangé la tête dans sa position , on
remplit un des côtés de la peau , de terre
argileuse molle , mêlée à beaucoup de sable
fin; on lui fait prendre, en la pétrissant avec
les doigts , la forme du corps de l'animal ;
on recouvre ensuTfë cette espèce de manne-
quin de l'autre partie de la peau ; on rap-
proche les bords des incisions les uns des
autres, le plus près possible; et après avoir
assujetti le tout avec de petites bandes de
linge , on le laisse sécher. La peau prend
<\e la consistance par la dessication , et con-
serve parfaitement sa forme : mais l'animal
en cet état n'est point k l'abji des insectes
Aa 3
374 METHODES
rongeurs; il faut encore à leur égard prendre
d'autres précautions. On retire d'abord avec
de petites pinces, par l'incision longitudinale,
en soulevant un peu la peau , toute la terre
argileuse renfermée dans le corps ; ce qu'il
est facile de faire en rompant cette terre en
petits fragmensj avec la lame d'un couteau.
» Cela fait, on enduit tout l'intérieur de
la peau et de la tête, au moyen d'un petit
pinceau , de pommade savonneuse cam-
phrée ; et après avoir entièrement rempli
le corps de fîksse hachée , on recoud pro-
prement et à points serrés l'incision longi-
tudinale , pour que la couture soit le moins
visible possible ; après quoi on pose les yeux
artificiels dans les orbites, et on les y fixe
avec un peu de cire molle , et on passe
ensuite , sur toute la surface de la peau ,
une couche de vernis blanc, fait avec quatre
onces de térébenthine claire , trois onces de
sandaraque , une once de mastic en larmes ,
huit onces d'essence ou huile de térében-
thine, et quatre onces d'alcohol, ou esprit
de vin à 3o ou 02 dégrés ; le tout mis
en digestion dans une bouteille au bain
marie, c'est-à-dire , dans de l'eau bouillante ;
mais il vaut encore mieux n'employer
qu'une dissolution de gomme arabique.
DE PREPARATION. 575
» On peut, si l'on veut, se dispenser de
faire un no} au de terre glaise pour donner
la forme aux poissons. Les peaux , en sor-
tant du bain de macération , étant bien
enduites de pommade savonneuse , peuvent
être rembourrées de suite ; mais il est à
craindre qu'elles ne coutractent quelques
rides en se desséchant.
» Pour conserver aux peaux des poissons
leur couleur naturelle , ou au moins éviter
qu'elles ne se noircissent trop par la dessi-
cation , il faut les faire tremper quelque
tems dans une liqueur chargée d'acide mu-
ria tique oxygéné , en sortant de la macé-
ration dans la liqueur tannante; cette ma-
nipulation blanchit singulièrement bien les
peaux et leur rend , pour ainsi dire , leur
fraîcheur naturelle.
)> La liqueur propre à blanchir les peaux
des poissons se prépare en faisant distiller
de l'acide muriatique ordinaire sur de
l'oxyde de manganèse , dans une cornue de
verre , ayant un tube recourbé , luté à son
bec. On place la cornue dans un bain de
sable ; et après avoir fait plonger l'extrémité
recourbée du tube de verre dans une cer-
taine quantité d'eau, on allume le fourneau ,
et on procède ensuite à la distillation. Huit
Aa4
376 METHODE S, etcl
onces d'acide et quatre onces d'oxyde de
manganèse du commerce , suffisent pour
oxygéner environ vingt pintes d'eau ».
Enfin , si l'on veut préparer les squelettes
des poissons, il est une melliode fort simple
que 1 on doit à DaubenLon; elle est consignée
daus un Mémoire que cet illusk^e natura-
liste lut à rinslitut de Paris en J797. Ce
procédé consiste à faire cuire le poisson dans
de IVau 5. jusqu'au point de pouvoir en dé-
tacher les chairs à l'aide du scalpel. Lors-
qu'elles sont enlevées , on fait avec un
poinçon , à mesure que l'on découvre une
jointure, un peiit trou pour y passer un fil
de laiton ou d'argent , et l'y nouer. Cette
opération n'est pas difficile , et ne demande
nulle connoissance d'anatomie. Des femmes
même pourroient s'occuper de ce travail,
qui n'exige que de ia patience et de la
dextérité. Il n'a rien de répugnant ; c'est ,
dit Daubenton, comme si l'on dépéçoit uh
poisson dans un repas , pour en servir aux
convives.
DES FILETS,
De leur fabrique y de leur entretien , et
de leurs différentes espèces.
Xjes filets qu'on emploie dans nos mers
sont fails généralement avec de bon fil
retors du meilJeui; brin de chanvre ou de
lin. Cependant on fait en Provence quelques
gros filets avec de l'auffe (i), et les groen-
landais avec des barbes de baleine (2) ou
des nerfs de daim. Lionel "Waffer dit aussi
que les indiens de Tistlime de l'Amérique
pèchent avec de grands filets d'écorce de
mahot, etc.
Quelques pêcheurs établis dans les villages
sèment un champ en chenevis; ils font la
récolte du chanvre ; ils le rouissent , le
teillent , le sérancent eux-mêmes, et se
dispensent par - là d'en acheter. Mais ces
travaux s'associent difficilement avec les
occupations continuelles de la pêche, et ils
(i) Stipa tenacissima , Lin.
(2) Celte sorte de filets vaut mieux que ceux de
chanvre.
578 SUR LES FILETS
sont absolument impraticables pour les pê-
forme toutes les demi -mailles c[ai doivent
faire la levure sur uue corde qui est tendue
sur une règle de bois qu'on suspend en
équilibre par les cordes à un crochet , afin
de pouvoir aisément tourner le filet à toutes
les rangées.
Ayant fait la fausse maille dans laquelle
passe une cheville, et qui sert à arrêter les
demi r- mailles qu'on fera dans la suite sur
toute la longueur de la corde, on garnit ces
demi - mailles.
Ces demi-mailles, qui sont faites sur uu
moule-, paroissent arrondies par en bas ;
mais, quand on fera les mailles du premier
rang qui 's'attachent au milieu des demi-
mailles, ces demi- mailles, qui étoient arron-
dies , seront devenues triangulaires , ainsi que
toutes les suivantes. De même les mailles qui
sont arrondies par en bas deviendront an-
guleuses , et formeront des losanges quand
on aura fait le second rang de mailles. Il est
clair qu'en continuant de travailler les autres
rangs de mailles, comme nous venons de
l'expliquer, on fera toute l'étendue du filet
en mailles losangées.
Mais il est bon de faire remarquer qu'on
fait toujours les filets de maille de gauche à
droite. Ainsi , quand une rangée est^ faite.
4io SUR LES FILETS
dans toute îa largeur du iilet, on doit re-
tourner pour revenir sur ses pas^, et faire la
seconde rangée, toujours de gauche à droite,
et les suivantes de même jusqu'à ce que le
filet soit achevé.
Pour exécuter le travail que iious venons
d'exposer d'une façon générale , il faut ,
quand on a fait la levure ou le premier rang
de demi- mailles dans toute l'étendue que
doit avoir la tête du filet, retourner le filet,
de sorte que ce qui étoit du côté de la main
droite se trouve du côté de la gauche , pour
faire le premier rang de mailles; commen-
çant ce rang par le bout, qui alors est du
côté de la main gauche, et le finissant par
le bout qui, lorsque le filet est retourné, se
trouve du côté de ki main droite. Quand
cette rangée sera finie, on retournera le filet
pour commencer la troisième rangée par le
bout , qui alors sera du côté de la main
gauche, et le finir par le bout qui répondia
à la main droite. Quand cette rangée sera
finie , on retournera encore le filet pour
commencer la troisième rangée.
Nous ne poursuivrons pas plus Ion g- te ms
le filet ,• ce que nous venons de diie feja
comprendre où sont les attaches des diiïé-
rentes mailles; comment les mailles, qui sont
DE P E C H E. 411
arrondies au sortir du moule , deviennent
losanges; et comment, à cause des attaches,
il y a au bord du filet des mailles longues ,
et des demi-mailles qui forment une espèce
de bordure.
La plupart des laceurs arrêtent la pre-
mière fausse maille par un nœud sur le
pouce , et ils font toutes les autres avec le
nœud sous le petit doigt. Cela ne doit point
faire une règle générale; chacun est maître
d'employer un nœud ou un autre.
Comment on bride un filet à mailles en
losange , pour qu'il ne paisse salonger
aux dépens de sa largeur.
Un inconvénient des filets à mailles en
losange , est qu'ils changent beaucoup de
forme , suivant qu'on les tire dans un sens
ou dans un autre. Si on les tire dans une
certaine direction , les mailles s'étendront
beaucoup ; elles deviendront si étroites , que
les fils se toucheront presque , et les mailles
perdront presque toute leur ouverture ; ce
seroit , en beaucoup de circonstances , un
inconvénient considérable.
On pourroit le prévenir et faire en sorte
que les mailles conservassent leur forme
4i2 SUR LES FILETS
régulière , en passant une corde dans toutes
les mailles , et les assujetlisant sur cette
corde avec un bon fil relors : c'est ce qu'on
appelle border un fiîet. Mais les mailleurs
pjoduisent le même effet d'une façon plus
expéditive , et qui leur coule moins : pour
cela , quand on a fait le dernier rang de
mailles , on pose sous les dernières mailles
un moule qui doit être beaucoup plus menu
que celui qui a servi à faire les mailles. On
fait au milieu du bas de la première maille
une petile maille qui ne sert qu'à assujettir
3e moule , ensuite on passe le fil par devant
le moule , et opérant à l'ordinaire pour
mailler sous le petit doigt , on se trouve
obligé de faire une révolution alongée, afin
de gagner le milieu de la maille où l'on
fait- un second nœud; puis, sans changer
Ja position du moule, et y conservant les
nouvelles mailles, on fait les révolutions et
les nœuds. Quand on a ôté le moule , il
doit rester un fil qui assujettit les demi^
mailles dans l'ouverture qu'elles doivent
avoir.
Si Ton employoit un moule trop gros ,
ou si, en faisant les nœuds, ou tenoit les
mailles trop ouvertes, les fils, au lieu de
forigaer une ligne droite d'un nœud k
DE PECHE. 4i5
l'autre , feroient une courb(3 en dehors : ce
seroit un défaut; les mailles ne seroient pas
bien assujetties. Si le moule étoit trop menu,
ou qu'en travaillant on tire les mailles trop
près les unes des autres , les bords du filet
seroient froncés , et le lilet feroit bourse.
Lorsqu'on aura ainsi formé des mailles tout
au pourtour du filet , il ne pourra plus
changer de forme.
Manière de joindre ensemble deux filets au
moyen des mailles dont il vient d'être
question. *
Il est évident que, si Fou met l'un sur
Fautre deux filets de même grandeur et qui
aient des mailles pareilles , on pourra , en
suivant ce qui vient d'être dit, réunir très-
exactement ces deux filets, pourvu que Foa
comprenne dans chaque nœud deux fils, un
de chaque filet.
Ce que c'est qu^enlarmer un filet.
L'on a dit plus haut qu'enlarmer unfilet (i)
c'est le border de grandes et fortes mailles
faites avec de la ficelle, ou au moins avec
(i) En allemand, ein netz saumen.
4i4 SUR LES FILETS
un fil retors beaucoup plus fort que celui
qui forme le filet, et crempéclier qu'il ne
rompe quand on le traîne.
Quelquefois , mais cela arrive rarement ,
on passe une corde dans les mailles de Yen-
larmure; et celle Corde tendue faisant Toffice
d'une tringle de rideau , pendant que les
mailles servent d'anneaux, on peut plier le
filet sur lui-même, comme l'on fait d'un ri-
deau ; en ce cas , il paroît préférable de garnir
les bords du filet avec des anneaux de métal,
ce qu'on appelle des bouclettes ; mais il est
bien rare qu'on fasse usage de filets ainsi
montés.
Pour enlarmer un filet, il faut avoir du
fil retors ou do la ficelle , deux , trois ou
quatre fois grosse comme Je fil qui a servi
à faire le filet. On en. charge une grosse
aiguille. Si la ficelle est assez une , on peut
s'en servir pour faire deux rangs de mailles
au bord du filet, la passant dans toutes les
mailles inférieures, et l'assujettissant dans
chacune par un nœud. Mais communément
la ficelle qui sert pour enlarmer est grosse,
et on fait les mailles fort grandes. Pour cela,
on ne prend dans la ficelle les mailles que
de deux en deux; assez souvent même oh
passe deux mailles.
DE P E C H E. 4i5
On forme des anses on œillets aux angles
du filet qui servent à attacher les cordes
pour le tendre ou le traîner.
Poiu^ faire commodément les mailles de
Fenlarmure, ainsi que les brides, on passe
dans les maillés du bord opposé à celui où
Ton va travailler une corde qu'on attache
à deux crochets , ou dont on réunit les
bouts par un nœud , pour faire une anse
qu'on passe dans un crochet. Quand l'enlar^^
mure est faite, on retire cette corde.
Des accrues.
Les mailleurs font, en plusieurs circons-
tances , des boucles , fausses mailles , ou
mailles volantes , qu'ils nomment accrues ,
parce qu'elles leur servent à augmenter
rétendue de leur filet dans un sens ou dans
un autre , à volonté ( i ). Nous croyons
devoir expliquer ici la façon de les faire,
parce que les accrues sont absolument néces-
saires pour faire les Blets à mailles carrées
que nous avons promis de décrire.
Nous choisissons, po'ur expliquer comment
(i) Le terme des pêcheurs allemands, c'est :;^//2e////ze^,
et les mailles ainsi ajoutées s'appellent einhœnge-
maschen.
4i6 SUR LES FILETS
on fait des accrues, un iilefc à mailles car-
rées, pai'ce que la démonstration en sera
plus sensible; cependant on jette des accrues
aux filets à mailles en losange, comme à
ceux à mailles carrées.
Quand on a fait la levure .et le premier
rang de mailles, si l'on veut faire une accrue
après avoir fait le nœud qui assure une maille,
on continue de mailler , mais en passant
lencore le fil dans une autre maille pour
former à l'angle de cette maille un second
nœud. Lorsqu'on aura bien serré le nœud
et retiré le moule , on aura l'anse qu'on
nomme une accrue.
Dans le tems qu'on fera la file de mailles ,
les mailles se termineroient s'il ny avoit
point d'accrue; mais attendu que Ton passera
le fil dans l'accrue comme dans une maille ,
et qu'on fera le nœud , la rangée des mailles
sei^a prolongée.
On peut concevoir comment, au moyen
des accrues, on peut élargir un filet tant
qu'on veut , car on peut former plusieurs
accrues dans une ^Aq de mailles, et augmenter
le nombre des mailles proportionnellement
à celui des accrues.
Il y a une autre façon de faire des accrues ,
a.u moyen de laquelle on augmente le nombre
des
DEPECHE. 4i7
des mailles, et par conséquent la largeur du
filet à la rangée même où Ton forme l'accrue.
Pour cela , on fait à l'ordinaire les mailles ,
et Ton porte le fil qui part d'une maille jus-
qu'au nœud d'une maille du rang plus haut;
on n'y fait ])oint de nœud : on passe seule-
ment le fil dans une des jambes de la maille;
on le descend, et l'on fai^ un nœud sur le
pouce. Les autres mailles se font à l'ordl-
waire : on voit que la file des mailles est
augmentée d'une maille, ainsi que tous les
rangs qui suivront.
Comment on diminue la largeur du filet (i).'
11 est bien plus aisé de diminuer la largeur
des filets que de l'augmenter , puisque le
rétrécissement se fait en comprenant deux
mailles dans un même nœud. Alors les fils
des mailles seront doubles, ce qui n'est sujet
à aucun inconvénient; mais le nombre des
mailles de la file où l'on aura réuni deux
mailles sera diminué d'un. Il est clair qu'on
parviendra aussi à diminuer peu à peu la
largeur d'un filet sans faire de difformité
(i) En allemand, ahnehmen.
Poiss. Tome II. Dd
4i8 SUR LES FILETS
sensible; car on peut réunir des mailles au
milieu des rangées comme sur les bords.
Façon de travailler les filets à mailles
carrées.
Quoiqu'on fasse beaucoup plus de filets
à mailles en losanges qu'à mailles carrées,
il y a des ouvriers accoui unies à travailler
les mailles carrées , qui prétendent que ces
filets coûtent moins et qu'ils sont plus aisés
à travailler.
Ces filets ne se commencent pas comme
ceux à mailles en losanges : on ne fait point
une levure qui ait toute la largeur du filet.
On commence les filets à mailles carrées
par un angle.
Ainsi 5 ayant une aiguille chargée de fil ,
et un moule proportionné à la grandeur que
doivent avoir les mailles, on tourne une ou
deux fois le fil autour du moule; on noue
ensemble les deux bouts; et ayant retiré le
moule, on a une anse de fil qui servira, si
Ton veut , à faire la première maille , et
qu'on passera dans le clou à crochet; ensuite
on posera le moule sous cette maille pour
en faire une autre , qui sera la première
maille du rang ; et sans Tôter du moule , on
DEPECHE. 4i9
fera une accrue , comme on l'a expliqué plus
liant. Celle accrue lienclra lieu d'une seconde
maille au second rang*
On tire le moule de ces deux mailles, et
on retourne le filet pour faire le troisième
rang. On pose le moule sous Faccrue, et on
forme une maille qui a deux branches fort
inégales, allendu que, partant du nœud qui
est au dessus de Faccrue, et ayant enveloppé
le moule, le fil remonle el forme la branche
courte qui va s'attacher par un nœud au
dessous de Faccrue. Sans changer la position
du moule j on procède à une autre maille,
qui va s'attacher au bas de la maille du
second rang; et le moule restant toujours
dans la même position , on fait ensuite une
accrue.
Ayant retiré le moule de ces mailles, ou
retourne le filet ; et pour former les mailles
du quatrième rang , on pose le moule sous
l'accrue. On y fait une maille à branches
inégales; plus^ une seconde > une troisième^
el une accrue*
On continue de faire les mailles dans le
même ordre ^ terminant toutes les rangées
par une accrue sur la droite, ce qui aug--
mente d'une maille la largeur du filet. Quand
©n est parvenu à la moitié de la large un
Dd â
420 SUR LES FILETS
que ]e filet doit avoir, au lieu d'augmen-^
ter la largeur du filet, il faut la diminuer; ce
qu'on fait en comprenant , à la fin de chaque
rangée , deux mailles dans un même nœud.
Lorsqu'on aura fait en rétrécissant autant
de rangées qu'on en avoit fait en élargissant,
le filet sera réduit à une maille, qui sera à
un angle opposé à celui de la première maille
par laquelle on avoit commencé le filet , et
qui est accrochée dans le clou.
Jusqu'à présent cette pièce de filet, qui
doit être carrée, a une forme losange ,* et les
mailles qui doivent être carrées ont aussi
cette même forme. Mais quand on le tendra
par ses angles, de sorte qu'un des côtés soit
horisontal , la pièce entière et les mailles
auront la forme carrée qu'on désire.
Pour rendre plus précises et plus claires
les idées générales que nous venons de pré-
senter, il faut suivre pied à pied la façon de
travailler ces sortes de filets.
On commence par entourer le moule
d'une ou deux révolutions du fil dont on
veut faire le filet ; et ayant arrêté ce ûl par
un nœud , on a une anse ou une maille
qu'on passe dans un clou à crochet. On
pose le moule sous cette maille ; on passe
le fil sur le moule et dans la maille pour
DE P E C H E. 421
faire une autre maille; on passe encore le
fil dans la première maille pour faire à la
droite une accrue.
Ou dégage le moule de ces deux mailles ,
qui forment le second rang, et Ton fait une
autre rangée quand on aura retourné le
filet.
Pour faire le troisième rang des mailles
on retourne le filet ; alors l'accrue , qui étoifc
du côté droit , se trouve du côté gauche :
on pose le moule sous cette accrue , et avec
le fil , qui part du bas de la première maille,
on fait une autre maille qui s'attache au bas
de l'accrue. Les branches de cette maille
sont inégales, puisqu'elle part du dessus de
l'accrue, et qu'elle va s'attacher au dessous
de cette 'même accrue. Tenant le moule
dans la même position , on flvit une autre
maille , qui part du dessous de l'accrue ,
et va s'attacher au dessous de la seconde
maille ; enfin on fait l'accrue. Le troisième
rang de mailles étant fini, on tire le moule
des mailles, et l'on passe auquatrièaie rang.
Enfin , jusqu'à ce qu'on soit arrivé à la partie
du filet la plus large, on commence toutes
les rangées par une maille longue, et on
les termine par une accrue.
Quand on est parvenu au plus large , c'est
Dd 3
4'2t SUR LES FILETS
tout le contraire ; car, pour achever la por-
tion inférieure du filet, il faut le rétrécir :
ainsi , au lieu de faire des accrues au bout
do toutes les rangées de mailles, on com-
prend les deux dernières mailles du rang
supérieur dans un même nœud. Par ce
moyen , la longueur de chaque rangée est
diminuée d'une maille ; et enfin le filet est
terminé par une maille , comme il avoit été
commencé.
Comment on fait un filet à mailles carrées y
qui soit plus long que large ^
On est souvent dans le cas de faire à
mailles carrées des filets qui ont beaucoup
plus de longueur que de largeur. Pour y
parvenir , on prend d'abord avec une ficelle
la mesure de la longueur et de la largeur
qu'on se propose de donner au hameau
qu'on va travailler.
11 faut commencer par former la pre-
mière maille , et continuer à former les
mailles comme on l'a dit , jetant une accrue
du côté de la droite à toutes les rangées :
on continuera à jeter des accrues à toutes
les rangées du côté de la droite ; mais aussi
à toutes ces mêmes rangées on rassemblera
DE P E C H E. 425
dans un même nœud deux mailles du côlé
de la gauche , c'est-à-dire , qu'au bout de
chaque rangée de mailles on jettera une
accrue , et à l'autre bout on réunira deux
mailles dans un même nœud.
On continuera ainsi jusqu'à ce qu'il faille
terminer le hlet en pointe; alors on ne jettera
plus d'accrue , mais on continuera à prendre
à toutes les rangées deux mailles dans un
même nœud , jusqu'à ce que le filet soit
réduit à n'avoir plus qu'une maille , et cette
maille se terminera comme elle a été com-
mencée. Quand ce filet sera tendu, il sera
carré long , et ses mailles carrées.
Manière de faire un trémail , tramail (i),
ou filet contre-maillé .
Nous avons déjà dit quelque chose des
filets contre-maillés , qu'on appelle t rémails
ou iramails^ et souvent, parmi les pêcheuis,
tramaux. 11 nous reste à exposer la manière
de les faire.
Cette espèce de filet est formée de trois
rets posés les uns devant les autres. Les deux
rets extérieurs, qui sont à grandes mailles,
(i) £ji allemand , dreymaschigtes garn,
D d 4
424 SUR LES FILETS
se nomment les aumées ou hamaux ; et celui
qui est renfermé entre deux s'appelle la
nappe , la toise ou la flue.
On fait souvent les aumées en mailles
carrées; cependant on peut sans beaucoup
d'inconvéniens les faire en mailles à losanges,
et quantité de mailleurs suivent cet usage.
Comme il faut que ces aumées soient fortes,
on y emploie de la ficelle faite de quatre
fils forts et bien travaillés. On doit choisir
de la ficelle plus grosse pour les grands filets
que pour les petits; mais if est toujours
important qu'elle soit faite de bon fil bien
fort. Les mailles des aumées sont toujours
grandes, et on en voit qui ont depuis six
pouces en carré jusqu'à presque un pied. Jî
faut qu'elles soient assez grandes pour que
les poissons , qu'on se propose de prendre ,
puissent passer à travers; car ce ne sont
point les aumées qui doivent les arrêter,
mais la flue , qui doit prêier à l'action du
poisson , et faire une bourse dans laquelle
le poisson se trouve embarrassé. Les aumées
servent à soutenir la flue : et elles se font
mieux quand leurs mailles sont moins ou-
vertes , que lorsqu'elles ont beaucoup d'ou-
verture.
La toile ou la flue se fait toujours ei\
DE PECHE. 425
mailles h losanges, qui ont depuis un pouce
jusqu'à deux pouces et demi d'ouverture,
avec- du RI "retors en deux, qu'on choisit
plus ou moins iin, suivant l'espèce de péclie
qu'on se propose de faire.
Ce rets doit avoir deux fois ou deux fois
et demie l'étendue des aumées , afin qu'il
soit toujours flottant entre elles , et qu'il
puisse aisément faire les bourses où le pois-
son s'engage.
Nous ne dirons rien sur la façon de
mailler ces deux sortes de rets, parce que
nous n'aurions rien à ajouter à ce que nous
avons dit pi us haut. Mais , supposant ces trois
rets maillés, il faut expliquer comment on
doit les monter pour faire le filet qu'on
nomme tramail.
On s'établit dans une grande place bien
unie et nette de feuilles, de brins de bois,
de pierre et de grandes herbes ; on étend
une des aumées, et on l'attache bien ten-
due par les quatre coins , au moyen de
piquets qu'on passe dans les boucles des
angles ; ensuite on passe dans le dernier
rang de mailles de la flue , en suivant tout
son pourtour , une ficelle bien travaillée et
qui n'ait point de nœuds.
On attache cette ficelle , ainsi que les
426 SUR LES FILETS
angles de Ja fine , aux mêmes piquets où
l'on a at lâché précédemment l'aumée; les
ficelles doivent être bien tendues; mais la
flue ne l'est pas beaucoup, étant plus grande
que l^'auniée. Ainsi, en conduisant la corde
de la Hue avec les bords de l'aumée dans les
mains, pour que cette corde et le bord se
suivent exactement, on attache la corde aux
mêmes piquets qu'on a passés dans les anses
qui sont au coin de Tau niée.
Comme la fïue est beaucoup plus éten-
due en tous sens que J'aumée, il faut lui
faii'e faiie des plis sur sa corde , de façon
cependant qu'ils soient répartis le plus régu-
lièrement qu'il est possible, afin qu^'elle
fronce et fasse poche assez uniformément
dans toute l'étendue du filet.
Tout étant ainsi disposé, on met par
dessus la flue la seconde aumée , et on la
tend comme la première par les boules des
angles qu'on passe dans les hiêmes piquets.
Les trois rets étant ainsi placés bien régu-
lièœment les uns sur les autres, pour em-
pêcher qu'ils ne se dérangent , on forme
quelques révolutions d"uu ûi retors , qui
comprend les boixls des deux aumées et
la corde de la flue , et on fait un nœud à
chaque endroit où l'on rencontre les mailles
DEPECHE. 427
des aumées ; il faut encore , environ de trois
en trois pieds, dans toute l'étendue du filet
auprès des angles des aumées, lier les deux
aumées Tune avec l'autre par un fil ré*tors,
afin de maintenir la flue en état, et empê^
cher que , quand on tendra verticalement le
tramail, la flue ne se porte toute d^un côté;
alors le tramail est en état de servir : il ne
s'agit plus que de le fortifier , en le bordant
avec une corde grosse comme le doigt , ainsi
que nous l'avons expliqué ci- dessus. Cepen-
dant il est encore fréquemment nécessaire
de garnir de flottes de liège le tramail , et de
le plomber; ce que nous détaillerons dans
la suite.
Comment on fait les filets ronds ^ soit cylin-
driques^ soit coniques.
Il s'agit ici des filets qui, étant tendus,
ont une forme arrondie sur leur longueur;
dans les uns , cette forme répond à celle
du corps d'un bluteau ou d'une barrique;
nous les nommons cylindriques. Ceux que
nous appelons coniques, ont plus de dia-
mètre par un bout que par l'autre: de ce
genre est le verveux , et la suite de cette
section offrira plusieurs espèces de Tun et
l'autre genre de filets ronds.
42» SUR LES FILETS
On se rappellera qu'en faisant un filet en
nappe, il faut à chaque rangée de mailles
retourner le filet, pour former une autre
rangée en revenant sur ses pas. Pour faire
un filet rond , il faut joindre les mailles par
une maille intermédiaire, qui doit former
le premier ou second rang. Il est évident
que cela ne pourroit pas s'exécufer, si on
avoit fait la levure sur une corde tendue;
mais la réunion devient possible quand on
a fait la levure en paquet dans une anse de
corde; c'est aussi ce que font les mailleurs.
Il est évident que les filets cylindriques
peuvent être commencés indifféremment par
un bout ou par un autre, puisque les deux
bouts sont semblables.
On est maître aussi <^le commencer les
filets coniques par le bout qu'on veut; car,
si l'on commence par le bout étroit , on
élargit le filet au moyen des accrues; et si
l'on commence par le bout le plus large, on
rétrécit le filet en joignant deux mailles dans
un même nœud. Ordinairement on com-
mence par le bout étroit, et l'on jette des
accrues.
DE PECHE. 42(j
3iamère de travailler un fdet rond qui ait
une ou plusieurs entrées semblables à celle
d'un verveux , et que quelques-uns nomment
des goulets.
Je prends pour exemple un verveux qui
a dans son intérieur une entrée ou gouJet.
11 faut commencer le filet en rond , et
le poursuivre de même jusqu'à ce qu'on soit
parvenu à l'endroit où l'on veut commencer
le gouJet ; alors , comme il faut faire deux
filets distincts, un pour le corps du filet,
l'autre pour le goulet; ou plutôt comme il
faut à l'endroit où doit conunencer le goulet
détacher un filet dans Tintérieur de celui
qui forme le corps du verveux , cela se fait
aisément et d'ime façon très-ingénieuse, au
moyen des mailles doubles; on travaille donc
le filet tout en rond et en mailles simples,
jusqu'à ce qu'on soit parvenu à l'endroit
où doit commencer l'ouverture du goulet;
alors on charge une aiguille avec deux fils
qu'on prend sur deux pelotons, et Ton fait
avec cette aiguille un rang des mailles qui
se trouvent doubles.
Lorsque cette rangée sera faite , on cou-
pera les deux fils^ et on i-ecommencera à
43o SUR LÉS FILETS
travailler avec une aiguille chargée d'un fil
simple ; mais à chaque maille il faudra avoir
Tattention de ne prendre qu'un des deux
fils de la maille double , c'est-à-dire , qu'il
faudra à chaque maille double ne prendre
qu'un iîl pour former le corps du filet, et
réserver l'autre pour la tête du goulet qu'on
fera ensuite.
Si l'on veut ménager dans l'intérieur du
filet plusieurs goulets les uns au dessus de^
autres, comme cela se pratique quelquefois;
il faudra faire autant de rangées de mailles
doubles qu'il y aura de goulets (i).
11 y a des mailleurs qui travaillent diffé-
remment les verveux; ils les commencent
par la pointe du goulet, où ils font des
pigeons qui serviront à attacher cette pointe
au bout du verveux, au moyen de plusieurs
lignes déliées. Quand ils ont fait les pigeons
et la levure, ils augmentent continuellement
(i) Dans le nord on ménage deux goulets, dont
le second a des mailles plus étroites, afin que si le
poisson échappe aux premières mailles ^ il soit arrêté
par les secondes. M. Schreiber assure qu'en 1760 un
pêcheur saxon prit deux loutres dans un filet de cette
forme; elles étoient mortes avant qu'on les tirât de
Tenu ; ce qui prouve que ces animaux ne peuvent pas
irivre long-tems au fond de l'eau.
DEPECHE. 45i
le diamètre du filet en jelanfc des accrues,
et iJs donnent à la partie qui doit faire le
goulet la forme d\m entonnoir, qui doit
ne s'étendre que jusqu'au bord du goulet;
il faut que le reste aille un peu en rétré-
cissant pour faire le corps du filet. Quand
on a poursuivi ce travail jusqu'à la longueur
du corps du verveux, on en replie en de-
dans une partie, ce qui forme le goulet; et
l'autre partie fait le corps du verveux qu'oa
ferme par une pointe, et on forme une anse
de corde, laquelle tient tendues des lignes
assez fines qui communiquent avec la pointe.
Dans l'endroit du pli, on passe entre les
mailles une baguette menue et pliante, dont
on fait un cerceau qu'on nomme trouelle (i);
elle sert à tenir le verveux ouvert. Quelque*
fois on en met une petite dans le goulet,
et il y en a d'autres en différens endroits
de la longueur du verveux.
Comme les endroits où sont les trouelles
fatiguent plus que le reste du filet , on y
fait deux rangs de mailles doubles , entre
lesquelles on passe les baguettes qui doivent
former les trouelles.
(i) En allemand, biegel. On les fait d'épine blanche
•u noire.
432 SUR LES FILETS
Voilà le verveux fini; cependant, pouE
engager le poison à entrer dans le goulet ^
on fait en grandes mailles, au devant de son
embouchure, un évasement qu'on nomme
la coiffe , et que Ton soutient par une por-
tion de cercle que les pêcheurs appellent
l'archet. Les deux bouts sont tenus écartés
pour faire une ouverture convenable par
une corde tendue , laquelle est lacée dans
les mailles du bord d'en bas de la coiffe,
depuis le bord du verveux jusqu'à l'archet.
JXaccommodage des filets.
Bien des gens qui savent faire des filets
Ignorent la manière de les raccommoder^
cependant il esî: plus important aux pêcheurs
de raccommoder, (i), radouber ou ramender
par eux - mêmes leurs filets que de savoir
en faire de neufs, puisque l'entretien des
(i) En allemand , aufbûssen. L'art de raccom-
moder un filet est te chef-d'œuvre qu'on exige dans
quelques provinces d'Allemagne de ceux qui veulent
devenir maîtres pêcheurs. On coupe les mailles d'un
filet neuf, dans na espace à peu près de la grandeur
de la main, et on le remet au candidat, qui doit
rétablir le tout de manière que l'on n'aperçoive pas
l'endroit où il y a eu du dommage.
filets
DEPECHE, 455
filets en prolonge la durée de plus de moitié.
Un filet qui a quelques mailles rompues ama
bientôt un grand trou , si on ne le raccom-
mode pas au plulôt.
Pour expliquer le plus clairement pos-
sible comment on doit racconnnoder un
filet, nous supposerons qu'il a un trou au
milieu des mailles ; il faut commencer ,
comme disent les rhabilleurs, par couper
le filet, c'est-à-dire, qu'il faut augmenter
le trou, non seulement en coupant ou re-
tranchant tout ce qui est endommagé, mais
de plus en entamant sur ce qui ne Test pas;
de façon que toute la circonférence du trou
soit terminée par des angles de mailles, à
la pointe desquels on ménage le nœud qui
retient la maille du vieux filet. On y con-
sei-ve tant soit peu des branches qui en sor-
toient pour former une autre maille.
11 est évident que cet endroit ne peut
être bien rétabli sans c[ue les mailles qu'on
formera ressem!)îent , le plus paifaitement
qu'il sera possible, à celles qui ont été dé-
clinées ou coupées.
Supposons que l'on commence à droite,
on arrête d'abord le fil au dessus du nœud
de l'une des mailles qu'on a coupées; eu-
Poiss. Tome IL Ee
4S4 SUR LES FILETS
suite on fail une maille , puis une seconde,
puis une troisième.
A tous les angles il y a pour lors deux
nœuds, dont Tun est celui qui fornioit la
maille du vieux filet ; et par dessus est
celui qu'on a fait pour la nouvelJe maille;
cela doit être de même à tous les angles de
celles qui aboutissent à la circonférence du
trou. Il n'en sera pas ainsi pour les mailles
qu'on formera au milieu; celles-ci n'auront
qu'un nœud, comme les mailles ordinaires
de tous les filets.
Toutes les mailles qu'on vient de faire
sont rondes; mais, après ce qui vient d'être
dit, on doit concevoir c|ue , quand on aura
fait au dessous un autre rang de mailles,
ces premières deviendront anguleuses.
On gagne le niveau du second rang de
mailles; pour cela on fait une simple jambe;
ensuite revenant sur ses pas, ou de la
gauche à la droite, parce qu'on ne peut pas
retourner le filet, on fait une maille, un©
seconde , une troisième , enfin une autre
jambe, comme on en a fait une à gauche.
Si le trou avoit beaucoup de largeur, on.
feroit un troisième rang de mailles de droite
à gauche , puis une jambe , un quatrième
rang de mailles de la gauche à la droite ^^
DE PECHE. 435
et ainsi toujours alternalivement jusqu'à ce
que toute l'étendue du trou fui remplie de
inailles. Dans Fun et l'autre cas , il s'agit
de fermer ensuite le tjou par en bas, et y
joindre les nouvelles mailles qu'on vient de
faire avec celles du vieux filel. Pour cela
on fait une jambe en descendant, puis une
autre en montant, qui s'attache au milieu
d'une ancienne maille, et on continue à
joindre les nouvelles mailles aux anciennes
par des jambes semblables. Le trou qui
étoit au filet se trouve ainsi, fermé par des
mailles régulières.
Il est sensible que, s'il ne manquoit à un
filet qu'un brin qui fût rompu, on le réta-
bliroit en remplaçant le fil par une jambe:
€'il y avoit deux fils rompus, on rétabliroifc
ce petit accident en faisant une jambe, puis
une autre. Ces exemples suffisent pour faire
apercevoir qu'il n'est pas toujours nécessaire
de couper le filet et d'ai.igmenler le trou ,
comme on l'a dit plus haut. Quelques mail-
leurs, qui trouvent de la difficulté à bien
couper d'abord le filet, commencent par
former des mailles; et à mesure qu'ils sentent
avoir besoin d'un nœud pour former les
autres mailles , ils coupent du fxlet ce qui
les embarrasse.
Ee 2
436 SUR LES FILETS
Comme on ne se sert point de moule
pour rhabiller, on fait tous les noeuds sur
le pouce; et afin que les mailles soient d'une
égale grandeur , on passe deux doigts de la
main gauche dans les mailles qui sont faites ,
et le doigt du milieu dans celle qu'on fait
actuellement , appuyant avec les doigts dans
Imtérieur des mailles. Celle qu'on fait de-
vient de la grandeur des autres quand les
trois doigts forment une ligne droite et hori-
sontale; et, pour peu qu'on soit habitué à
C3 travail, toutes les mailles sont régulières.
Voilà en gros la marche qu'on doit suivi'e
pour liiabiller les filets.
Nous avons dit qu'il falloit commencer
par arrêter le fil. Quelques-uns y font un
nœud simple, et ensuite celui qui forme kt
maille ; mais d'autres passent l'extrémité de
la ficelle ou du fil entre les deux branches
par dessus le nœud du vieux filet. On saisit
entre le pouce et l'index les deux branches
et le nœud ; puis on fait avec le fil un nœud
sur le pouce, comme nous l'avons expliqué.
Comme on n'emploie point de moule pour
régler l'ouverture des mailles , on passe les
deux derniers doigts de la main gauche dans
les anciennes mailles , et le doigt du milieu
dans l'anse; on l'appuie suffisamment pour
DE PECHE. /p7
donner à ]a maille une oiiverlure conve-
nable. Alors , sans déplacer le doigt du
milieu , on pince avec le pouce et l'index
de la même main le nœnd du vieux filet et
rexti'émité des bianclies ; on fait le nœud
sur le pouce; et afin qu'il se place immé-
diatement au dessus du nœud du vieux
filet, il faut toujours tenir bien ferme le
nœud et l'extrémité des deux branches
jusqu'à ce que le nœud soit tout à fait serré.
Comment on gairiit de lest et de flottes les
bords des filets,
Uon a expliqué précédemment comment
on borde et on eniarme les filets; mais dans
quantité d'occasions il fiiut faire en soiie que
les filets se tiennent verticalement dans Teau.
On produit cet effet en allachant des corps
légers au bord du filet qu'on veut fixer en
haut , et des corps pesa n s au bord qui doit
être en bas. Les corps , plus légers que le
volume d'eau qu'ils déplacent, tirant le filet
vers la surface de l'eau, tandis que les corps
pesans ou le lest les tirent vers le fond, on
se procui'e deux forces contj aires qui agissent
pour maintenir le plan du filet dans une
position verticale.
Ee 3
438 SUR LES FILETS
Comment on garnit de corps légers ou de
flottes le bord du filet qui doit tendre vers
la surface de Veau,
Quand les filets sont imbibés d'eau, ils
tombent en paquet au fond ; pour qu'ils se
tiennent dans Teau verticalement , il faut
garnir le bord qui doit tendje vers la sur-
face de Teau , avec des corps spécifiquement
plus légers que le fluide : c'est ce qu'on
appelle des flottes (i).
Quand il s'agit de soutenir des filets très-
pesans , on se sert de barils exactement
fermés pour que l'eau n'y puisse entrer.
Quelquefois des raisons d'économie engagent
les pêcheurs à former leurs flottes avec de
petits faisceaux de roseaux bien secs; mais,
communément on les emploie pour former
des bouées ou des signaux.
Assez souvent les pécheurs forment leurs
flottes avec de petites planches de bois fort
légers et très - secs , du sapin , du tremble ,
du tilleul, etc.
Mais le mieux est de former les .flottes
avec du liège. Cette substance a l'avantage
d'être beaucoup plus légère que le volume
d'eau qu'elle déplace , sur - tout quand le
(i) Ea allemand , flœssen.
DE PECHE. 439
liège est de bonne qualité, souple sous les
doigts , eL qu'il n'a point de grands porcs ,
comme sont les mauvais lièges durs et
ligneux (i).
Un autre avantage du liège est de se
pénétrer bien plus dilllcilement d'eau que
toutes sortes d'espèces de bois , ce qui fait
qu'il conserve très - long -lems sa légèreté
étant submergé. Ces propriétés font qu'on
l'emploie préférablement à toute autre ma-
tière , pour former ce qu'on nomme les
flottes.
On suit différentes méthodes pour atta-
cher les corps légers à la corde qui bcrde
le haut du filet. Quelquefois on perce les
petites planches ou les tables de liège , et
réunissant les deux bouts de la petite corde
qui traverse le liège , on la lie à la corde du
filet ; ou bien , ayant taillé les lièges en rond
ou en carré , on les perce d'un trou dans
lequel l'on fait passer la corde, et on assu-
jettit ces flottes entre deux nœuds.
Mais le mieux est d'embrasser la corde
par deux morceaux de liège , qui , élant
(i) Le liège est fojt bon sans doute , mais il est cher
presque par -tout. En Allemagne on a trouvé que
récorce des vieux peupliers fait précisément le même
eflct , et elle ne coule rien.
E e 4
440 SUR LES FILETS
réunis par un enlacement de bitord, fonnent
comme des boutons en olive.
De quelque façon qu'on attache les flottes à
la coj de qui borde le haut du filet, il convient
de proportionner le volume et le nombre
des flottes à l'éiendue et à la pesanîeur du
fi'et ; car il faut beaucoup plus de flottes pour
soutenir un grand filet à mailles serrées et
fait de ficelle, que celui qui seroit fait d'un
fil fort délié , dont les mailles seroient giandes
et qui auroit peu de chute.
Comment on garnit de lest le bord inférieur
dhin filet.
11 est évident que , si Ton ne chargeoit
pas de quelques corps pesans le bas d'un
filet dont le haut seroit garni de flottes,
les flottes l'entraîneroicnt vers la surface de
Teau , et la moindre agitation du fluide
empécheroit qu'il ne se (int dans une posi-
tion vxMticale (i). 11 faut donc, pour que
le filet soit bien tendu, en lester le bas, ou
le chaiger de quelques poids qui tendent à
(i) On char^je aussi les tilets pour cmpêclier que
les grands poissons ne les sonîèvenl pour s'écliapper.
Les pi)i.ssons d'étangs , qui ont été souvent dans ce cas,
savent faire cette nianœuvre , et elle leur réussit
lorsque le filet n'est pas assez cliargé pour pénétrer
dans i'eau. •
J
DE P E C II E. 441
IVntraîner vers le fond de Teau. On forme
quelquefois ce Jest (1) avec des cailloux
qu'on amarre, comme nous l'avons «ufli-
samment expliqué dans la première section,
en parlant des cordes; mais communément
le lest qu'on met au bas des filets se fait
avec du plomb; c'est ce qu'on appelle la
plombée. Les pêcheurs suivent différentes
méthodes pour former cette plombée. Pour
de petits filets légers, des balles de plomb,
percées comme des grains de cliapelet, sont
suffisantes; mais pour de grands filets, qu'il
faut beaucoup charger de lest, on a un
moule formé de deux pierres qui s'ajustent
exactement l'une sur l'autre; chacune de
ces pierres est creusée d'une goutlière, et
étant jointes Tune à l'autre, elles forment
un cylindre , dans Faxe duquel on place
une broche de fer qui est un peu plus grosse
d'un bout que de l'autre, pour qu'on puisse
la retirer plus aisément du cylindre de plomb
qu'on aura fondu. On coule du plomb fondu
dans ce moule ainsi ajusté, et quand on a
(1) Le mot teclinique en allematid , c'est das
gesenhe. Les pécheurs des provinces septentrionales
d'AUem.Tgne ne se servent jamais de cailloux , que
l'on a beaucoup de peine à att ictier solidement ; maïs
ils ont des anneaux de fer, qui sont plus duiabîcs.
U^ SUR LES FILETS
retiré la broche de fer , on a un petit tuyau,"
En eniîlant une corde dans ces tuyaux, on
forme la plombée. Plus communément on
a de petites plaques de plomb qu'on creuse
en gouttière dans le milieu, pour y loger la
corde sur laquelle on roule le plomb à petits
coups de marteau; et pour assujettir encore
mieux les plaques de plomb , on rabat les
languettes sur la corde. Enfin on peut se
contenter d'envelopper la corde avec une
bande de plomb , et l'assujettir à petits coups
de marteau, comme on fait un ferret au
bout d'un lacet.
Quelque méthode qu'on suive pour atta-
cher le plomb à la corde, il faut propor-
tionner le poids du lest à la grandeur du filet
et à l'usage qu'on en veut faire. Quelquefois,
par exemple, il convient que le filet se tienne
entre deux eaux (i) ; alors il ne faut que peu
de lest , et seulement ce qui convient pour
tenir le filet tendu. Si Ton mettoit trop de
lest, il entraiocroit le filet au fond de l'eau,
ou bien il faudroil augmenter beaucoup la
flottée; au contraire, si l'on veut que le filet
se porte au fond de l'eau , il faut fortifier la
plombée , et ne mettre de flottes que ce qu'il
en faut pour soutenir verticalement le ?ï\qL
(i) Dans les eaux courantes; il doit alior au fond.
DE PECHE. 443
Vu tannage et de la conservation des
filets.
Il est probable que le tan n'agit pas sur
les filamens des végétaux comme sur les
fibres de toutes les espèces qui composent
la peau des animaux. Cependant c'est une
chose reconnue que les cordes, les filels et
les toiles qui sont exposés à Teau durent
plus long-tems quand ils ont été tannés que
ceux qui n'ont pas reçu cette préparation.
Si l'expérience journalière des pécheurs ne
les en avoit pas persuadés, ils s'épargneroient
une opération qui leur est pénible, et qiii
leur occasionne une dépense considérable;
mais , pour qu'elle produise le bon effet
qu'on en attend , il faut la faire avec des
soins et des attentions qui sont indispensa-
blement nécessaires, et que Ton va détailler
dans cet article.
Le tan est fait avec des écorces de jeunes
branches d'arbres desséchées et réduites en
poudre. La bruyère, encar{\); le fuslet ,
cotinus coriaria (2); les sunmacs, i-Jius ^ de
plusieurs espèces; l'aune , aînus (5); le no} er,
(i) En allemand , lieide.
(2) Eii allemand , geherstrauch.
(3) En allemand , die erle.
444 ^^UR LES FILETS
nux; le saule, salix (i), sont eniployés à
cet usaiJe; mais aucune écorce n'est autant
estimée que celle du jeune chêne. Pour faire
le meilleur tan, on enlève, durant Ja saison
de ]a sève , vers la fin d'avril ou au com-
mencement de mai, l'écorce claire et vive
ùes jeunes chênes qui sont vigoureux; car
les écorces brunes , gercées et chargées de
lichen ne fournissent qu'un tan de médiocre
quahté (2).
Quand ces arbres sont en pleine sève, et
que leur écorce se détache aisément du bois,
on fait avec une serpe, au bas du tronc, et
immédiatement sous les branches, une en-
taille circulaire qui coupe Técorce , et qui
s'élend jusqu'au bois. On joint ensuite les
deux entailles par une autre coupe longi-
tudinale qui s'étend depuis l'entaille du haut
jusqu'à celle du bas; et en introduisant entre
Técorce et le bois un coin fait de quelque
bois dur ou d'un gros os , on enlève toute
Fécorce, qui, à mesure qu'elle se détache ,
se roule sur elle-même , et ressemble assez
(i) En allemand , die weide.
(2) liCs naturalistes reconnoissent pour lichen les
plantes parasites qui subsistent aux dépens de l'écorce,
et qu'on nomme vulgairement mousses , etc.
D # PECHE. 445
à des bâtons de cotterets. Ou abat sur le
champ les aibres écorcé^ poui- eu faire cette
espèce de bois qu'on nomme pclard ; et
quand les ccorces se sont desséchées à un
certain point, on en forme des bottes qu'on
peut conserver long-tems à couvert de la
pluie, sans crainte que le tan perde de sa
quaUté.
Pour disposer ces écorces à être employées
en tan , il faut les réduire en poudre assez
fine. Quelques pêcheui^s, qui tannent eux-
mêmes leurs filets , se contentent de battre
ces écorces avec des fléaux ,* mais ils n'en
tirent qu'un parti médiocre : ils perdent
ainsi beaucoup de poussière fine qui s'éva-
pore, et le reste est pulvérisé trop grossière-
ment. Le mieux est de les porter à des
m.oulins. Il y eu a de deux sortes : les uns
sont de grosses meules verticales , comme
celles dont on se sert pour faire le cidre et
pour broyer les graines et amandes qui
fournissent de Thniie. Après avoir rompu
grossièrement les écorces sur une pièce de
bois qui forme comme un tranchant , on
les met sons la meule , qu'on fait tourner ,
et qui écrase assez bien Fécorce sans qu'il
s'évapore beaucoup de poussière.
• L'autre moulin, qui est le meilieur, quoi-
446 SUR LES FIÊETS
qiriî cause un peu plus crévaporalion , est
fo nné d'un nombre de pilons qui relombent
dans une grande auge , où Ton njet les écorces
grossièrement rompues. Quand les écorces
ont; été assez bien pulvérisées , on les passe
par une espèce de crible qui est fait avec
du fil d'arclial , et qu'on établit sur un grand
cuvier. Ce qui passe par le crible est mis
dans des tonnes , et vendu aux tanneurs;
ce qui est resté sur le crible repasse au
moulin.
Le tan des autres écorces , dont nous
avons parlé, imprime aux filets une couleur
quelquefois plus satisfaisante que celle du
tan de chêne. Ces tans produisent en général
un bon effet , mais jamais aussi avantageux
que le lan du jeune chêne; au moins est-ce
le senh'menl des pêcheurs. Ce[3endant il con-
viendroit peut-être d'en faire des épreuves
avec soin; car j'ai vu des cuirs qui parois-
soient assez bien préparés , quoiqu'on eût
substitué de la bruyère réduite en poudre
au tan de chêne.
L'on a dit qu'il y a des pêcheurs qui
tannent eux-mêmes leurs filets; mais, comme
aucuns n'ont de chaudières assez grandes
pour cette opération, ils en louent pour
deux fois vingt-quatre heures ^ ou plus de
DE PECHE. 44^
teilis , de ceux qui ont ckes tanneries en
règle, dont nous allons parler.
Les tanneries sont ordinairement voûtées
et établies au rez-de-chaussée, où sont monr-
tées trois grandes chaudières sur des massifs
de maçonnerie qui excèdent la hauteur des
chaudières, de même que le sont celles des
brasseurs. Les fourneaux sont sous les chau-
dières , et ils s'allument par des bouches qui
répondent à un caveau construit derrière
et plus bas que les chaudières. Les tanneurs
ont des chaudières de différentes grandeurs
pour se servir des unes ou des autres , sui-
vant la (quantité de filets qu'ils ont à pré-
parer.
Pour faire ime bonne tannée , on met
ordinairement deux parties et demie d'eau
sur une de tan , ou cinq parties d'eau sur
deux de tan ; c'est-à-dire , deux barils et
demi d'eau sur un de tan ; et les barils de
tan se mesurent comble. Ainsi , dans une
chaudière qui tient trente barils d'eau, on
met douze barils de tan.
Quand on a jeté l'eau et le tan dans la
chaudière , on allume le feu du fourneau
qui est dessous. Comme il faut beaucoup
d'eau, on la tire avec une pompe, et on la
conduit dans les chaudières par des dalles
^n gouttières.
448 SUR LES FILETS
Les cliaudières sont ordinairement cinq
à six heures, depuis que le feu est allumé,
sans commencer à bouillir, quoique Ton ait
soin de les couvrir avec des planches pour
augmenf^er la chaleur.
Quand le bouillon commence à se former,
le lan se gonfle el. s'élève avec tant de force,
qu'un seul bouillon pourroit en faii"Ç perdre
un ou deux barils, qui contiennent chacun
environ cent trente pintes , mesure de Paris.
Pour prévenir cet accident, les tanneurs
tirent, avec des espèces de cuillers, une
partie de la liqueur, qu'ils niellent dans des
tonnes, et ils soutiennent le bouillon pen-
dant quatorze, seize ou dix-huit heures. A
mesure que la tannée diminue, ils remettent
dans la chaudière celle qu'ils ont déposée
dans les tonnes.
Après que Teau a bien tiré la substance
du tan , et que le tanneur juge que sa tan-
née est bien faite , il letire avec un lanet
tout le tan qui est dans la chaudière. L'ou-
"vrier qui est occupé à ce travail met ce tan
dans une manne. Quand elle est pleine , il
la transporte sur la tonne , pour ne pas
perdre la liqueur, qui est la pajtie précieuse.
Pendant cette opération , l'on continue ton-
jouis le feu sous la chaudière, aiin d'entre-
tenir
DEPECHE 449
tenir la tannée bouillante, jusqu'à ce qu'on
y plonge les filets : ce qu'on juge nécessaire
pour qu'ils se pénètrent bien de cette
tannée.
On place dans le fond les filets neufs , et
les autres par dessus , jusqu'à enfaîter les
filets les uns sur les autres. Mais le tanneur
a soin de former , sur le devant de la chau-
dière , une cloison de planches , pour pou-
voir puiser continuellement de la tannée,
qu'il verse sur les filets ; ce qu'il continue
jusqu'à ce que toute la tannée soit con-
sommée.
On tanne différemment les cordages.
Quand la tannée a bouilli quelques heures ,
on met avec une gafïe les pièces de cordages
roulées dans la chaudière, où on les tient
une couple d'heures dans la tannée bouil-
lante. On les tire ensuite avec la gaffe pour
en mettre d'autres à leur place ; ce que l'on
continue jusqu'à ce que la tannée soit épui-
sée. On passe aussi les cordages dans le gou-
dron ; et cela peut se faire de différentes
manières : mais ceci étant du ressort du
cordier, nous nous dispenserons d'entrer
dans d'autres détails.
On peut faire bouillir dans de nouvelle
eau le tan qu'on a retiré de la chaudière ,
Poiss. Tome II. Ff
45o SUR LES FILETS
et qu'on a mis égoutter dans des mannes
sur des fuLailles. Cette seconde tannée peut
servir à donner une petite impression de tan
aux filets et aux cordages neufs qu'on se
propose de tanner, ce qu'on nomme débouil-
lir. On se sert encore de cette foible tannée
pour redonner une impression de tan aux
filets précédemment tannés , et qui ont
blanchis par le service. Enfin ces foibles
tannées , qu'on fortifie quelquefois avec du
tan neuf 5 servent à tanner de la toile pour
les voiles.
On étend et l'on fait sécher les filets, les
cordes et les toiles qui ont été tannés. 11 est
impoi-tant de les garantir de ]a pluie, jus-
qu'à ce qu'ils soient secs, et encore plus de
la gelée , qui les endommageroit beaucoup.
Mais heureusement on peut les conserver
long - tems en tas , lorsqu'ils sont imbibés
de tan , sans craindre qu'ils s'échaufïént et
qu'ils se corrompent. On assure même que
des filets bien tannés ont resté des tems con-
dérables , comme six mois, au fond de la
mer, sans avoir été beaucoup endommagés.
Les instrumens dont se servent les tan-
neurs , sont des cuves de cuivre , des barils
pour contenir le tan en poudre, lesquels
doivent contenii^ environ cent vingt-huit ou
DE PECHE. 45i
cent trente pintes , mesure de Paris ; des
tonnes , qu'ils nomment gonnes , pour y
mettre Feau qu'on retire des chaudières ;
les mannes (i) pour égoutter le tan qu'on
tire des chaudières; des lanets qui sont des
filets de ficelle montés sur un cercle de fer,
où est soudée une douille qui reçoit un
manche de bois; un pucheux ou puiseux (2),
qui tient cinq à six pintes d'eau ; une gaffe
ou crochet , pour mettre dans la chaudière
les pièces de cordages , et pour les en reti-
rer ; des fourgons de différentes formes, pour
attiser le feu ou pour changer la situation
des filets dans la chaudière : ils sont de fer ,
avec des manches de bois reçus dans des
douilles.
Les pêcheurs portent leurs filets à la
tannerie , et ils aident aux tanneurs à les
étendre pour les faire sécher; les uns les
portent à dos sur le sable ; d'autres les
chargent sur des brouettes , et on les étend
sur le sable, ou bien on les tend sur des
perches. Les catalans, pécheurs de sardines^
il) Espèce de corbeilles.
(2) Sorte de grande cuiller de bois fortement cerclée
de gros cercles , et emmanchée au bout d'un bâton
assez long , et d'uue grosseur proportionnée.
Ff 3
452 SUR LES FILETS
achètent leurs filets de la couleur du fil , qui
est de lin; et ils les teignent d'une couleur
tannée ou rougeâtre, en les faisant bouillir
dans de grandes chaudières, avec de l'écorce
de pin sauvage ( pinus maritima altéra ,
Math. ) On ne se sert point de l'écorce du
pin cultivé (pinus satwa. C. B. P.) On réduit
donc en poudre Fécorce de pin sauvage :
sur une partie d'écorce on- met six parties
d'eau, qu'on fait bouillir jusqu'à la réduc-
tion de moitié; ensuite on ôte le marc, et
on verse la décoction dans une tonne.
Quand elle est refroidie, au point de pou-
voir y tenir la main , on met les filets dans
cette teinture , en les faisant entrer par uu
bout, et les tirant par l'autre, comme font
les teinturiers : on les arrange tout de suite'
en rond» dans une futaille qui est percée
de quelques trous; au bout de quinze jours,
ils sont encore chauds; et quoiqu'on les y
laisse long-tems, ils n'y souffrent aucune
altération; de sorte que quelquefois on ne
les en retire que lorsqu'on veut s'en servir;
alors on les lave dans de l'eau douce, et on
les fait sécher à l'air ou au soleil. On passe
tous les mois des sardinaîes dans cette tein-
ture ; et comme la couleur devient à chaque
fois de plus eu plus brune, à la fin ces filets
DE PECHE. '453
semblent teints en noir; moyennant ces,
attentions, ils durent plusieurs années.
Si Ton vouloit teindre les filets en couleur
d'eau, on pourroit suivre le procédé que
nous avons indiqué dans la première sec-
tion pour teindre les lignes; mais on n'en
fait point usage pour les filets.
Dans les pays où l'on ne peut pas se pro-
curer du tan de chêne , on prend de l'écorce
verte et fraîche, de racine de noyer; on la
coupe par morceaux , qui peuvent avoir
un pouce en carré ; on les met dans une
cuve, et sur deux boisseaux de cette écorce,
on verse deux seaux d'eau , qu'on fait bouillir
pendant une heure ; on retire ensuite Té-
coixe, on met les filets au fond de la cuve,
et on les recouvre avec l'écorce qu'on avoit
tirée de la cuve : les ayant laissé tremper
pendant vingt - quatre heures dans cette
teinture, on les en retire, on les tord, et
on les étend pour les laisser sécher.
Comme les filets sont un objet considé-
rable de dépense, les pêcheurs prennent
une singulière attention à les conserver ;
pour cela ils les lavent autant qTi'ils peuvent
dans de l'eau douce, toutes les fois qu'ils
reviennent de la mer; ensuite ils les étendent
ou sur la grève , ou sur des perches , poiu»
454 SUR LES FILETS, etc.
les faire sécher; et avant de s'en servir, ils
les visitent pour rétablir les trous qui pour-
roient s'y trouver : article très-important ,
puisque, comme nous avons déjà eu occa-
sion de le dire, quelques mailles rompues
deviennent bientôt un grand trou, si on
néglige de les rétablir ; enJSn , quand on
s'aperçoit qu'un filet perd sa teinture, on
le repasse dans la tannée: avec de pareilles
attentions , les jx-cheui^ font quelquefois
durer ti-^s-long tems leurs filets (i).
(i) On ne conuoit point en Saxe ni dan? le Nord
i'asage de tanner les filets. Cette méthode , qui paroit
aToir des avajitages . mérite l'attention de ceux qui
a'appli'îuent à avancer le progrès des arts.
lïn du second volume.
TABLE
Des matières contenues dans ce
second Volume.
J_J ES effets de fart de V Homme sur la
nature des Poissons , par Lacepède^ P^r- ^
Des dénominations par lesquelles les Natu-
ralistes distinguent les diverses parties des
Poissons , 86
Explication des planches /, II et III de
ce volume ^ 186
Observations sur les écailles de plusieurs es-
pèces de poissons çuon croit communément
dépourvus de ces parties, par Broussonet,
de r académie de.^ sciences , iq5
Précis de la législation sur la pêche, si5
Troisième vue de la Nature , par Lactpède^
Observations sur la structure du cœur d^s
Poissons , par Duverney , de V ^icademie
des sciences de Paris , 2^6
OBsenations pK)ur sen'irà f histoire de la res-
piration des Poissons , par Broussonet ,
2D^
Observatie^ns sur les étangs^ 296
456 TABLE.
Préservatif contre la mortalité du Poisson
dans les étangs pendant les grands hyvers ,
333
Méthodes de préparer les différentes espèces
de Poissons pour les cabinets d'histoire
naturelle , 548
Des filets , de leur fabrique^ de leur entre-
tien ^ et de leurs différentes espèces y 377
Fin de la Table.
&t ^
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'A
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