0-.j3^"^^^ ;-'■ . ▼^nn W "'*«& 'xCMflBfluvffCaJuUnïmiv ■'•*.' M % Sél^ÉsiÉ m .• ■-• » > fi- HISTOIRE NATURELLE DES CETACEES. HISTOIRE NATURELLE DES CÉTACÉES, DÉDIÉE A ANNE-CAROLINE LA CEPÈDE: PAR LE CITOYEN LA CEPEDE, Grand-Chancelier de la Légion d'honneur; membre du Sénat, et de l'Institut national de France ; l'un des Professeurs du Muséum d'Histoire naturelle ; membre de l'Institut national de la République Italienne ; de la société d'Arragon; de celle des Curieux de la Nature, de Berlin; de la société royale des Sciences de Gottingue; des sociétés d'Histoire naturelle, des Pharmaciens, Philotechnique, Philomatique , des Observateurs de l'homme, et Galvanique, de Paris; de celles d'Agriculture d'Agen, de Besançon, et de Bourg; des sociétés des Sciences et Arts de Montauban, de Nîmes, des Deux-Sèvres, de Nancy, et de Dijon; du Lycée d'Alençon; de l'Athénée de Lyon, etc. etc. A PARIS, CHEZ PLASSAN, IMPRIMEUR-LIBRAIRE, Rue de Vaugirard , N° 1195. L'AN 3.H DE LA REPUBLIQUE. DÉDICACE. A ANNE-CAROLINE LACEPEDE * Voyez , dans cette Histoire, la fin du Discours intitulé Vue générale des cétacées ; et, dans l'Histoire des poissons, la dédicace du cinquième volume in-40, et les articles gui y sont cités. -I— I -■■--■ - 1 — TABLE DES ARTICLES CONTENUS DANS CE VOLUME. Avertissement , et Expli- cation de quelques planches, page ix. Vue générale des cétacées,xj. Tableau des ordres, genres et espèces des cétacées , xxxv. Les Baleines, page i. La baleine franche, ibid. La baleine nordcaper, io.3. La baleine noueuse, in. La baleine bossue , n3. Les Baleinoptères, ii4« La baleinoptère gibbar , ibid. La baleinoptère jubarte, 120. La baleinoptère rorqual, 126. La baleinoptère museau-pointu, 134. Les Narwals, i42« Le narwal vulgaire, ibid. Le narwal microcéphale , i5q> Le narwal Anderson, i63. Les Anarnaks, 164. L'anarnak groenlandois , ibid. Les Cachalots, i65. Le cachalot macrocéphale, ibid. Le cachalot trumpo, 212. Le cachalot svineval, 216. Le cachalot blanchâtre, 218. Les Physales, 21g. Le physale cylindrique, ibid. Les Physétères, 227. Le physétère microps, ibid. Le physétère orthodon, 236, Le physétère mular, 23g. Les Delphinaptères, 243. Le delphinaptère béluga, ibid. Le delphinaptère sénedette, 249= Les dauphins, 25o. Le dauphin vulgaire, ibid» Le dauphin marsouin, 287. Le dauphin orque, 298. Le dauphin gladiateur, 3os, Le dauphin nésarnack, 307. Le dauphin diodon, 309. Vil) TABLE DES Le dauphin ventru, 3n. Le dauphin férès, 3i2. Le dauphin de Duhamel, 314. Le dauphin de Péron , 3i6. Le dauphin de Commerson , 317. Les hypéroodons, 3ig. L'hypéïoodon butskopf , îbid. ARTICLES. Table alphabétique des noms donnés aux Cétacées, et dont il est fait mention dans l'Histoire naturelle de ces animaux, 325. lÉMfÉKH — Mi— M—— mu m mmmmmmmmfÊ^m AVERTISSEMENT, K T EXPLICATION DE QUELQUES PLANCHES. (jette Histoire, destinée à remplacer celle que Buffon s'étoit réservé d'écrire , lorsqu'il m'engagea à continuer Y Histoire naturelle , doit être placée à la suite de celle des quadrupèdes, et par conséquent avant l'histoire des oiseaux. Le professeur Gmelin , dans la treizième édition du Système de la nature de Linné, a décrit quinze espèces de cétacées, distribuées dans quatre genres. Le professeur Bonnaterre, dans la description des planches de l'Encyclopédie méthodique , a traité de vingt- cinq espèces de cétacées, réparties dans quatre genres. On trouvera, dans l'ouvrage que nous publions, l'histoire de trente-quatre espèces de cétacées , placées dans dix genres difFérens. B X AVERTISSEMENT. Planche VI. Les parties osseuses de la tête d'une baleinoptère rorqual. Planche VII. Les vertèbres et les fanons du même individu. Planche XI. La portion osseuse de la tête d'un cachalot ma- crocéphale. Planche XII U ,es vertèbres d'un cachalot macrocéphale. Les côtes d'un individu de la même espèce. La partie osseuse de la tête d'un dauphin Planche XIV. ^vulgaire. Le squelette d'un dauphin marsouin. ILes portions osseuses de la tête d'un dauphin orque. . La mâchoire inférieure du même individu. Ces six planches ont été dessinées, d'après nature, dans le Muséum national d'histoire naturelle. ; HISTOIRE NATURELLE DES CET A CEE S. VUE GÉNÉRALE DES CÉTACÉES. Qv e noire imagination nous transporte à une grande élévation au-dessus du globe. La terre tourne au-dessous de nous : le vaste océan enceint les continens et les îles ; seul il nous paroît animé. A la distance où nous sommes placés, les êtres XI) VUE GÉNÉRALE vivans qui peuplent la surface sèche du globe, ont dis- paru à nos jeux; nous n'appercevons plus ni les rhino- céros , ni les hippopotames, ni les éléphans, ni les crocodiles, ni les serpens démesurés : mais, sur la sur- face de la mer, nous vojons encore des troupes nom- breuses d'êtres animés en parcourir avec rapidité l'im- mense étendue , et se jouer avec les montagnes d'eau soulevées par les tempêtes. Ces êtres que de la hauteur où notre pensée nous a élevés , nous serions tentés de croire les seuls habitans de la terre, sont les cétacées. Leurs dimensions sont telles, qu'on peut saisir sans peine le rapport de leur longueur avec la plus grande des mesures terrestres. On peut croire que de vieilles baleines ont eu une longueur égale au cent-millième du quart d'un méridien. Rapprochons-nous d'eux; et avec quelle curiosité ne devons-nous pas chercher à les connoître? Ils vivent, comme les poissons, au milieu des mers; et cependant ils respirent comme les espèces terrestres. Ils habitent le froid élément de l'eau; et leur sang est chaud , leur sensibilité très-vive, leur affection pour leurs sem- blables très-grande , leur attachement pour leurs petits très-ardent et très -courageux. Leurs femelles nour- rissent du lait que fournissent leurs mamelles , les jeunes cétacées qu'elles ont portés dans leurs flancs, et qui viennent tout formés à la lumière, comme l'homme et tous les quadrupèdes. Ils sont immenses, ils se meuvent avec une grande DES CÉTACÉES. xiij vîleése ; et cependant ils sont dénués de pieds propre- ment dits, ils n'ont que des bras. Mais leur séjour a été fixé au milieu d'un fluide assez dense pour les soutenir par sa pesanteur, assez susceptible de résistance pour donner à leurs mouvemens des points d'appui pour ainsi dire solides, assez mobile pour s'ouvrir devant eux et n'opposer qu'un léger obstacle à leur course. Élevés dans le sein de l'atmosphère, comme le condor, ou placés sur la surface sèche de la terre, comme l'élé- phant, ils n'auroient pu soutenir ou mouvoir leur énorme masse que par des forces trop supérieures à celles qui leur ont été accordées, pour qu'elles puissent être réunies dans un être vivant. Combien de vérités importantes ne peut donc pas éclairer ou découvrir la considération attentive des divers phénomènes qu'ils présentent î De tous les animaux , aucun n'a reçu un aussi grand domaine : non seulement la surface des mers leur appar- tient , mais les abîmes de l'océan sont des provinces de leur empire. Si l'atmosphère a été départie à l'aigle, sii peut s'élever dans les airs à des hauteurs égales aux profondeurs des mers dans lesquelles les cétacées se pré- cipitent avec facilité, il ne parvient à ces régions éthé- rées qu'en luttant contre les vents impétueux, et contre les rigueurs d'un froid assez intense pour devenir bien- tôt mortel. La température de l'océan est, au contraire, assez douce, et presque uniforme dans toutes les parties de XIV VUE GÉNÉRALE cette mer universelle un peu éloignées de la surface de l'eau et par conséquent de l'atmosphère. Les couches voisines de cette surface marine, sur laquelle repose, pour ainsi dire, l'atmosphère aérienne, sont, à la vérité, soumises à un froid très-âpre, et endurcies par la con- gélation dans les cercles polaires et aux environs de ces cercles arctique ou antarctique : mais même au-des- sous de ces vastes calottes gelées et des montagnes de glace qui s'y pressent, s'y entassent, s'y consolident , et accroissent le froid dont elles sont l'ouvrage, les céta- cécs trouvent dans les profondeurs de la mer un asyle d'autant plus tempéré, que, suivant les remarques d'un physicien aussi éclairé qu'intrépide voyageur, l'eau de l'océan est plus froide de deux, trois ou quatre degrés , sur tous les bas-fonds, que dans les profondeurs voi- sines1. Et comme d'ailleurs il est des cétacées qui remontent dans les fleuves2, on voit que, même sans en excepter l'homme aidé de la puissance de ses arts, aucune famille vivante sur la terre n'a régné sur un domaine aussi étendu que celui des cétacées. Et comme, d'un autre côté, on peut croire que les grands cétacées ont vécu plus de mille ans3, disons que le temps leur appartient comme l'espace; et ne ' Lettre de M. de Humboltz au citoyen Lalande, datée de Caraccas en Amérique, le z3 frimaire an»8. » Voyez, dans cette Histoire , l'article des bélugas. 3 Consultez l'article des baleines franches. DES CÉTACÉES. XV soyons pas étonnés que le génie de l'allégorie ait voulu les regarder comme les emblèmes de la durée , aussi- bien que de l'étendue, et par conséquent comme les symboles de la puissance éternelle et créatrice. Mais si les grands cétacées ont pu vivre tant de siècles et dominer sur de si grands espaces, ils ont dû éprou- ver toutes les vicissitudes des temps, comme celles des lieux: et les voilà encore, pour la morale et la philosophie, des images imposantes qui rappellent les catastrophes du pouvoir et de la grandeur. Ici les extrêmes se touchent. La rose et l'éphémère sont aussi les emblèmes de l'instabilité. Et quelle diffé- rence entre la durée de la baleine et celle de la r se ! L'homme même, comparé à la baleine, ne vit quage de rose. Il paroît à peine occuper un point dans la durée, pendant qu'un très-petit nombre de générations de cétacées remonte jusqu'aux époques terribles des grandes et dernières révolutions du globe. Les grandes espèces de cétacées sont contemporaines de ces catas- trophes épouvantables qui ont bouleversé la surface de la terre; elles restent seules de ces premiers âges du monde; elles en sont, pour ainsi dire, les ruines vivantes ; et si le voyageur éclairé et sensible contemple avec ravissement, au milieu des sables brûlans et des montagnes nues de la haute Egypte, ces monumens gigantesques de l'art, ces colonnes, ces statues, ces temples à demi détruits, qui lui présentent l'histoire consacrée des premiers temps de l'espèce humaine, XVJ VUE GÉNÉRALE avec quel noble enthousiasme le naturaliste qui brave les tempêtes de l'océan pour augmenter le dépôt sacré des connoissances humaines, ne doit-il pas contempler, auprès des montagnes de glace que le froid entasse vers les pôles, ces colosses vivans, ces monumens de la Nature , qui rappellent les anciennes époques des métamorphoses de la terre ! A ces époques reculées, les immenses cétacées ré- gnoient sans trouble sur l'antique océan. Parvenus à une grandeur bien supérieure à celle qu'ils montrent de nos jours , ils voyaient les siècles s'écouler en paix. Le génie de l'homme ne lui avoit pas encore donné la domination sur les mers ) l'art ne les avoit pas dispu- tées à la Nature. Les cétacées pouvoient se livrer, sans inquiétude, à cette affection que Ton observe encore entre les indi- vidus de la même troupe , entre le mâle et la femelle, entre la femelle et le petit qu'elle allaite, auquel elle prodigue les soins les plus touchans , qu'elle élève , pour ainsi dire, avec tant d'attention, qu'elle protège avec tant de sollicitude, qu'elle défend avec tant décourage. Tous ces actes, produits par une sensibilité très-vive, l'entretiennent, l'accroissent, l'animent. L'instinct, résultat nécessaire de l'expérience et de la sensibilité, se développe , s'étend, se perfectionne. Cette habitude d'être ensemble, de partager les jouissances, les craintes et les dangers , qui lie par des liens si étroits , et les céta- cées de la même bande, et sur-tout le mâle et la femelle, DES C É T A C É E S. XVlj la femelle et le fruit de son union avec le mâle, a dû ajouter encore à cet instinct que nous reconnoîtrons dans ces animaux, ennoblir en quelque sorte sa nature, le métamorphoser en intelligence. Et si nous cherchons en vain dans les actions des cétacées, des effets de cette industrie que Ion croiroit devoir regarder comme la compagne nécessaire de l'intelligence et de la sensibi- lité, c'est que les cétacées n'ont pas besoin, par exemple, comme les castors, de construire des digues pour arrê- ter des courans d'eau trop fugitifs, d'élever des huttes pour s'j garantir des rigueurs du froid, de rassembler dans des habitations destinées pour l'hiver une nour- riture qu'ils ne pourroient se procurer avec facilité que pendant la belle saison : l'océan leur fournit, à chaque instant, dans ses profondeurs, les asyles qu'ils peuvent désirer contre les intempéries des saisons, et, dans les poissons et les mollusques dont il est peuplé, une proie aussi abondante qu'analogue à leur nature.' Cette habitude, ce besoin de se réunir en troupes nombreuses, a dû naître particulièrement de la grande sensibilité des femelles. Leur affection pour les petits auxquels elles ont donné le jour, ne leur permet pas de les perdre de vue, tant qu'ils ont besoin de leurs soins, de leurs secours, de leur protection. Les jeunes cétacées ne peuvent se passer d'une association qui leur a été et si utile et si douce : ils ne s'éloignent ni de leur mère, ni de leur père, qui n'abandonne pas sa compagne. Lorsqu'ils forment des unions plus particu- c Xviij VUE GÉNÉRALE lières, pour donner eux-mêmes l'existence à de nou- veaux individus, ils n'en conservent pas moins l'asso- ciation générale; et les générations successives, ras- semblées et liées par le sentiment, ainsi que par une habitude constante, forment bientôt ces bandes nom- breuses que les navigateurs rencontrent sur les mers, sur-tout sur celles qui sont encore peu fréquentées. Ces troupes remarquables présentent souvent , ou les jeux de la paix, ou le tumulte de la guerre. On les voit, ou se livrer, comme les bélugas, les dauphins vulgaires et les marsouins, à des mouvemens rapides, à des élans subits, à des évolutions variées, et, pour ainsi dire, non interrompues; ou, rassemblés en bandes de combattans, comme les cachalots et les dauphins gladiateurs, ils concertent leurs attaques, se précipitent contre les ennemis les plus redoutables * se battent avec acharnement, et ensanglantent la sur- face de la mer. Il est aisé de voir, d'après la longueur de la vie des plus grands cétacées, que, par exemple, deux baleines franches, l'une mâle et l'autre femelle, peuvent, avant de périr, voir se réunir autour d'elles soixante-douze raille millions de baleines auxquelles elles auront donné le jour, ou dont elles seront la souche. La durée de la vie des cétacées, en multipliant, jus- qu'à un terme qui effraie l'imagination, les causes du grand nombre d'individus qui peuvent être rassemblés dans la même bande, et former, pour ainsi dire r la. DES CliTACÉES. XIX même association, n accroît-elle pas beaucoup aussi celles qui concourent au développement de la sensi- bilité, de l'instinct et de l'intelligence? La vivacité de cette sensibilité et de cette intelli- gence est d'ailleurs prouvée par la force de l'odorat des cétacées. Les quadrupèdes qui montrent le plus d'instinct, et qui éprouvent l'attachement le plus vif et le plus durable, sont en effet ceux qui ont un odorat exquis, tels que le chien et l'éléphant. Or, les cétacées reconnoissent de très-îoin et distinguent avec netteté les diverses impressions des substances odorantes ; et si l'on ne voit pas dans ces animaux des narines en- tièrement analogues à celles de la plupart des qua*- drupèdes , d'habiles anatomistes , et particulièrement Hunter et Albert, ont découvert ou reconnu dans les baleines un labyrinthe de feuillets osseux, auquel aboutit le nerf olfactif , et qui ressemble à celui qu'on trouve dans les narines des quadrupèdes. Nous exposerons dans divers articles de cette His- toire, et notamment en traitant de la baleine franche, comment les cétacées ont reçu l'organe de la vue le mieux adapté au fluide aqueux et salé, et à l'atmos- phère humide, brumeuse et épaisse, au travers desquels ils doivent appercevoir les objets; et ils peuvent l'exer- cer d'autant plus, et par conséquent le rendre succes- sivement sensible à un degré d'autant plus remar- quable, qu'en élevant leur tête au-dessus de l'eau, ils peuvent la placer de manière à étendre sur une calotte XX VUE GÉNÉRALE immense, formée parla surface d'une mer tranquille, leur vue, qui n'est alors arrêtée par aucune inégalité semblable à celles de la surface sèche du globe, et qui ne reçoit de limite que de la petitesse des objets, ou de la courbure de la terre. A la vérité, ils n'ont pas d'organe particulier con- formé de manière à leur procurer un toucher bien sûr et bien délicat. Leurs doigts eu effet, quoique divisés en plusieurs osselets , et présentant , par exemple , jusqu'à sept articulations dans l'espèce du physétère orthodon , sont tellement rapprochés, réunis et recou- verts par une sorte de gant formé d'une peau dure et épaisse, qu'ils ne peuvent pas être mus indépen- damment l'un de l'autre, pour palper, saisir et em- brasser un objet, et qu'ils ne composent que l'extrémité d'une rame solide, plutôt qu'une véritable main. Mais cette même rame est aussi un bras, par le mojen duquel ils peuvent retenir et presser contre leur corps les différens objets ; et il est très-peu de parties de leur surface où la peau, quelqu'épaisse qu'elle soit, ne puisse être assez déprimée, et en quelque sorte fléchie, pour leur donner, par le tact, des sensations assez nettes de plusieurs qualités des objets extérieurs. On peut donc croire qu'ils ne sont pas plus mal partagés relativement au toucher, que plusieurs mammifères, et, par exemple, plusieurs phoques, qui paroissent jouir d'une intelligence peu commune dans les ani- maux, et de beaucoup de sensibilité. DES CL T ACÉE S. XXJ L'organe de l'ouïe, qui leur a été accordé, est ren- fermé dans un os qui, au lieu de faire partie de la boîte osseuse, laquelle enveloppe le cerveau, est atta- ché à cette boîte osseuse par des ligamens, et comme suspendu dans une sorte de cavité. Cette espèce d'iso- lement de l'oreille, au milieu de substances molles qui amortissent les sons qu'elles transmettent, con- tribue peut-être à la netteté des impressions sonores , qui, sans ces intermédiaires, arriveroient trop multi- pliées , trop fortes et trop confuses à un organe presque toujours placé au-dessous de la surface de l'océan, et par conséquent au milieu d'un fluide immense , fré- quemment agité, et bien moins rare que. celui de l'at- mosphère. Remarquons aussi que le conduit auditif se termine à l'extérieur par un orifice presque imper- ceptible , et que, parla très-petite dimension de ce passage, la membrane du tympan est garantie des effets assourdissans que produiroient sur cette mem- brane tendue le contact et le mouvement de l'eau de la mer. Mais, comme l'histoire des animaux est celle de leurs facultés, de même que l'histoire de l'homme est celle de son génie , tâchons de mieux juger des facultés des céiacées ; essayons de mieux conuoître le caractère particulier de leur sensibilité, la nature de leur ins- tinct, le degré de leur intelligence; cherchons les liaisons qui, dans ces mêmes cétacées , réunissent un sens avec un autre, et par conséquent augmentent la XXl'j VUE GÉNÉRALE force de ces organes et multiplient leurs résultats. Comparons ces liaisons avec les rapports analogues observés dans les autres mammifères; et nous trou- verons que l'odorat et le goût sont très-rapprochés , et, pour ainsi dire, réunis dans tous les mammifères; que l'odorat, Je goût et le toucher sont, en quelque sorte, exercés par le même organe dans l'éléphant; et que l'odorat et l'ouïe sont très-rapprochés dans les cétacées. Nous exposerons ce dernier rapport , en faisant l'histoire du dauphin vulgaire. Mais observons déjà qu'une liaison analogue existe entre l'ouïe et l'odorat des poissons , lesquels vivent dans l'eau , comme les cétacées; et de plus, considérons que les deux sens que l'on voit, en quelque sorte, réunis dans les cétacées, sont tous les deux propres à recevoir ]es impressions d'objets très-éloignés; tandis que, dans la réunion de l'odorat avec le goût et avec le toucher, nous trouvons le toucher et le goût qui ne peuvent être ébranlés que par les objets avec lesquels leurs or- ganes sout en contact. Le rapprochement de l'ouïe et de l'odorat donne à l'animal qui présente ce rapport, des sensations moins précises et des comparaisons moins sûres, que la liaison de l'odorat avec le goût et avec le toucher ; niais il en fait naître de plus fré- quentes, de plus nombreuses et de plus variées. Ces impressions, plus diversifiées et renouvelées plus sou- vent, doivent ajouter au penchant qu'ont les cétacées pour les évolutions très-répétées , pour les longues DES CÉTACÉES. XXlij natations, pour les vojages lointains; et c'est par une suite du même principe que la supériorité de la vue et la finesse de l'ouïe donnent aux oiseaux une ten- dance très-forte à se mouvoir fréquemment, à franchir de grandes distances, à chercher au milieu des airs la terre et le climat qui leur conviennent le mieux. Maintenant si, après avoir examiné rapidement les sens des cétacées, nous portons nos regards sur les dimensions des organes de ces sens, nous serons éton- nés de trouver que celui de l'ouïe, et sur-tout celui de la vue, ne sont guère plus grands dans des cétacées longs de quarante ou cinquante mètres, que dans des mammifères de deux ou trois mètres de longueur. Observons ici une vérité importante. Les organes de l'odorat, de la vue et de l'ouïe, sont, pour ainsi dire, des instrumens ajoutés au corps proprement dit d'un animal ; ils n'en font pas une partie essen- tielle : leurs proportions et leurs dimensions ne doi- vent avoir de rapport qu'avec la nature, la force et le nombre des sensations qu'ils doivent recevoir et transmettre au système nerveux, et par conséquent au cerveau de l'animal; il n'est pas nécessaire qu'ils aient une analogie de grandeur avec le corps proprement dit. Etendus même au-delà de certaines dimensions ou resserrés en-deçà de ces limites , ils cesseroient de remplir leurs fonctions propres; ils ne concentreroient plus les impressions qui leur parviennent; ils les trans- mettroient trop isolées; ils ne seroient plus un ins— XXlV VUE GÉNÉRALE trument particulier ; ils ne feroient plus éprouver des odeurs; ils ne formeroient plus des images; ils ne feroient plus entendre des sons; ils se rapprocheroient âes autres parties du corps de l'animal, au point de n'être plus qu'un organe du toucher plus ou moins im- parfait , de ne plus communiquer que des impressions relatives au tact, et de ne plus annoncer la présence d'objets éloignés. Il n'en est pas ainsi des organes du mouvement, de la digestion , de la circulation , de la respiration : leurs dimensions doivent avoir un tel rapport avec la gran- deur de l'animal, qu'ils croissent avec son corps pro- prement dit, dont ils composent des parties inté- grantes, dont ils forment des portions essentielles , à l'existence duquel ils sont nécessaires; et ils s'agran- dissent même dans des proportions presque toujours très-rapprochées de celles du corps proprement dit, et souvent entièrement semblables à ces dernières. Mais l'ouïe des cétacées est-elle aussi souvent exercée que leur vue et leur odorat? Peuvent-ils faire entendre des bruissemens ou des bruits plus ou moins forts, et même proférer de véritables sons, et avoir une véri- table voix? On verra dans l'histoire de la baleine franche, dans celle de la jubarte, dans celle du cachalot macrocé- phale, dans celle du dauphin vulgaire, que ces animaux produisent de véritables sons. Une troupe nombreuse de dauphins férès, attaqués DES C É T A C É É S. X\V en 1787, dans la Méditerranée, auprès de Saint-Tropès , fit entendre des sifflemens aigus, lorsqu'elle commença à ressentir la douleur que lui firent éprouver des bles- sures cruelles. Ces sifflemens avoient été précédés de mugissemens effrayans et profonds. Un butskopf , combattu et blessé auprès de Honfleur en 1788, mugit comme un taureau, suivant les expres- sions d'observateurs dignes de foi. Dès le temps de Rondelet on connoissoit les mugis- semens par lesquels les cétacées des environs de Terre- Neuve exprimoient leur crainte, lorsqu'attaqués par une orque audacieuse, ils se précipitoient vers la côte, pleins de trouble et d'effroi. Lors du combat livré aux dauphins férès vus en 1787 auprès de Saint-Tropès, on les entendit aussi jeter des cris très-forts et très-distincts. Un physétère mular a pu faire entendre un cri ter- rible , dont le retentissement s'est prolongé au loin, comme un immense frémissement. L'organe de la voix des cétacées ne paroit pas cepen- dant, au premier coup-d'œil , conformé de manière à composer un instrument bien sonore et bien parfait : mais on verra, dans l'Histoire que nous publions, que le larynx de plusieurs cétacées non seulement s'élève comme une sorte de pyramide dans la partie inférieure des é vents, mais que l'orifice peut en être diminué à leur volonté par le voile du palais qui l'entoure et qui est garni d'un sphincter ou muscle circulaire. La D XXVJ VUE GÉNÉRALE cavité de la bouche et celle des ëvents sont très- grandes. La trachée artère, mesurée depuis le larynx jusqu'à son entrée dans les poumons, avoit un mètre de longueur, et un tiers de mètre de diamètre, dans une baleine néanmoins très-jeune, prise sur la côte d'Islande, en 1760 *. Or il seroit aisé de prouver à tous les musiciens qui commissent la théorie de leur art, et particulièrement celle des instrumens auxquels la musique peut avoir recours, que la réunion des trois conditions que nous venons d'exposer, suffit pour faire considérer l'ensemble de l'organe vocal des cétacées, comme propre à produire de véritables sons, des sons très-distincts, et des sous variés, non seulement par leur intensité , mais encore par leur durée et par le degré de leur élévation ou de leur gravité. On pourroit même supposer dans les cris des céta- cées , des différences assez sensibles pour que le besoin et l'habitude aient rendu pour ces animaux plusieurs de ces cris, des signes constans et faciles à reconnoître, d'un certain nombre de leurs sensations. De véritables cris d'appel, de véritables signes de détresse , ont été employés par les dauphins férès réunis auprès de Saint-Tropès. Le phvsétère mular qui fît entendre ce son terrible , dont nous venons de 1 ■ * Voyage en Islande 3 fait par ordre de sa Majesté Danoise } par MM. Olafsen , Islandois , et Pot>elsen3 premier médecin d'Islande; rédigé sous la direction de V académie des sciences de Copenhague , et traduit en françois par M, Gauthier de la Peyronie j volume V, page 26g. DES CÉTACÉES. XX\ij parler, étoit le plus grand, et comme le conducteur ou plutôt le défenseur d'une troupe nombreuse de phy- sétères de son espèce; et le cri qu'il proféra, fut pour ses compagnons comme un signal d'alarme, et un aver- tissement de la nécessité d'une fuite précipitée. Les cétacées pourroient donc, à la rigueur, être con- sidérés comme ajant reçu du temps et de la société avec leurs semblables, ainsi que de l'effet irrésistible de sensations violentes , d'impressions souvent renouvelées et d'affections durables, un rudiment bien imparfait, et néanmoins assez clair, d'un langage proprement dit. Mais les actes auxquels ce langage les détermine, que leur sensibilité commande, que leur intelligence dirige, par quel ressort puissant sont-ils principalement produits? Par leur queue longue, grosse, forte, flexible, ra- pide dans ses mouvemens, et agrandie à son extrémité par une large nageoire placée horizontalement. Ils l'agitent, et la vibrent, pour ainsi dire, avec d'au- tant plus de facilité et d'énergie, qu'ils ont un grand nombre de vertèbres lombaires, sacrées et caudales j que les apopliyses des vertèbres lombaires sont très- hautes; et que par conséquent ces apophyses donnent un point d'appui des plus favorables aux grands muscles qui sj attachent, et qui meuvent la queue qu'ils composent. C'est cette queue, si puissante dans leur natation, si redoutable dans leurs combats, qui remplace les XXVÎij VUE GÉNÉRALE extrémités postérieures, lesquelles manquent absolu- ment aux eétacées. Ces animaux sont de véritables bipèdes j ou plutôt ils sont sans pieds, et n'ont que deux bras, dont ils se servent pour ramer, se battre et soigner leurs petits. Dans plusieurs mammifères , les extrémités anté- rieures sont plus grandes que les postérieures. La dif- férence entre ces deux sortes d'extrémités augmente dans le même sens, à mesure que l'on parcourt les diverses espèces de phoques, de dugons, de morses et de lamantins , qui vivent sur la surface des eaux $ et elle devient enfin la plus grande possible, c'est-à- dire que l'on ne voit plus d'extrémités postérieures lorsqu'on est arrivé aux tribus des eétacées, qui non seulement passent leur vie au milieu des flots , comme les phoques, les dugons, les morses et les- lamantins , mais encore n'essaient pas de se traîner, comme les phoques, sur les rochers ou sur le sable des rivages des mers. Si , au lieu de s'avancer vers les mammifères na- geurs, lesquels ont tant de rapports avec les poissons r on va vers les animaux qui volent ; si l'on examine les familles des oiseaux, on voit les extrémités antérieu- res déformées, étendues, modifiées, métamorphosées et recouvertes de manière à former une aile légère, agile, d'une grande surface, et propre à soutenir et faire mouvoir un corps assez lourd dans un fluide très-rare. DES CÉTACÉES. XXIX Et remarquons que dans les animaux qui volent, comme dans ceux qui nagent, il j a une double réu- nion de ressorts, un appareil antérieur composé des deux bras, et un appareil postérieur formé par la queue : mais, dans les animaux qui fendent l'air, ce fluide subtil et léger de l'atmosphère, l'appareil le plus éner- gique est celui de devant; et dans ceux qui traversent l'eau , ce fluide bien plus dense et bien plus pesant des fleuves et des mers , l'appareil de derrière est le plus puissant. Dans l'animal qui nage , la masse est poussée en avant; dans l'animal qui vole, elle est en- traînée. Au reste , les cétacées se servent de leurs bras et de leur queue avec d'autant plus d'avantage, pour exécuter, au milieu de l'océan, leurs mouvemens de contentement ou de crainte, de recherche ou de fuite, 'd'affection ou d'antipathie, de chasse ou de combat, que toutes les parties de leur corps sont imprégnées d'une substance huileuse, que plusieurs de ces portions sont placées sous une couche très-épaisse d'une graisse légère, qui les gonfle, pour ainsi dire, et que cette substance oléagineuse se retrouve dans les os et dans les cadavres des cétacées les plus dépouillés, en appa- rence, de lard ou de graisse, et sj dénote par une phosphorescence très-sensible. Ainsi tous les animaux qui doivent se soutenir et se mouvoir au milieu d'un fluide, ont reçu une légèreté particulière, que les habitans de l'atmosphère tiennent XXX VUE GÉNÉRALE de l'air et des gaz qui remplissent plusieurs de leurs cavités et circulent jusque dans leurs os , et que les habitans des mers et des rivières doivent à l'huile qui pénètre jusque dans le tissu le plus compacte de leurs parties solides. On a cru que les cétacées conservoient , après leur naissance, le trou ovale qui est ouvert dans les mam- mifères avant qu'ils ne voient le jour, et par le moyen duquel le sang peut passer d'une partie du cœur dans une autre, sans circuler par les poumons. Celte opi- nion est contraire à la vérité. Le trou ovale se ferme dans les cétacées comme dans les autres mammifères. Ils ne peuvent se tenir entièrement sous l'eau que pen- dant un temps assez court : ils sont forcés de venir fréquemment à la surface des mers pour respirer l'air de l'atmosphère; et s'ils ne sont obligés de tenir hors de l'eau qu'une très-petite portion de leur tête, c'est parce que l'orifice des évents, ou tuyaux par lesquels ils peuvent recevoir l'air atmosphérique, est situé dans la partie supérieure de leur tête, que leur larynx forme une sorte de pjramide qui s'élève dans l'évent, et que le voile de leur palais, entièrement circulaire et pourvu d'un sphincter , peut serrer étroitement ce larynx, de manière à leur donner la faculté de respirer, d'avaler une assez grande quantité d'alimens, et de se servir de leurs dents ou de leurs fanons, sans qu'aucune substance ni même une goutte d'eau pénètrent dans leurs poumons ou dans leur trachée artère. DES CÉTACÉES. xx\j Mais cette substance huileuse, ces fanons, ces dents, les longues défenses que quelques cétacées ont reçues ', cette matière blanche que nous nommerons adipocire avec Fourcroj a, et qui est si abondante dans plusieurs de leurs espèces, l'ambre gris qu'ils produisent3, et jus- qu'à la peau dont ils sont revêtus, tous ces dons de la Nature sont devenus des présens bien funestes, lorsque l'art de la navigation a commencé de se perfectionner, et que la boussole a pu diriger les marins parmi les écueils des mers les plus lointaines et les ténèbres des nuits les plus obscures. L'homme, attiré par les trésors que pouvoit lui li- vrer la victoire sur les cétacées, a troublé la paix de leurs immenses solitudes, a violé leur retraite, a im- molé tous ceux que les déserts glacés et inabordables des pôles n'ont pas dérobés à ses coups ; et il leur a fait une guerre d'autant plus cruelle, qu'il a vu que des grandes pêches dépendoient la prospérité de son commerce, l'activité de son industrie, le nombre de ses matelots , la hardiesse de ses navigateurs , l'expé- rience de ses pilotes, la force de sa marine, la grandeur de sa puissance. C'est ainsi que les géans des géans sont tombés sous ses armes; et comme son génie est immortel, et que ' Voyez l'histoire des narwals. 3 Article du cachalot macro céphale, 3 Idem, XXXÎj VUE GÉNÉRALE sa science est maintenant impérissable, parcequ'il a pu multiplier sans limites les exemplaires de sa pensée, ils ne cesseront d'être les victimes de son intérêt, que lorsque ces énormes espèces auront cessé d'exister. C'est en vain qu'elles fuient devant lui : son art le transporte aux extrémités de la terre ; elles n'ont plus d'as vie que dans le néant. Avançons vers ces êtres dont on peut encore écrire rhistoire , et dont nous venons d'esquisser quelques traits oénéraux. Ah! pour les peindre, il faudroit le pinceau de BufFon. Lorsqu'il m'associa à ses travaux, il s'étoit réservé d'ex- poser l'image de ces cétacées, auxquels la Nature pa- roissoit avoir destiné un meilleur sort que celui qui les opprime : mais la mort Fa surpris avant qu'il n'ait pu commencer son ouvrage; mais Daubenton et Mont- belliard ne sont plus; et c'est sans le secours de mes maîtres, sans le secours de mes illustres amis, que j'ai travaillé au monument qui manquoit encore pour compléter l'ouvrage immense élevé pour la postérité par BufFon , par Daubenton, par Montbelliard , et dont j'ai tâché de poser le faîte en terminant il j a un an l'Histoire des poissons *. Lorsqu'à cette dernière époque j'ai commencé de publier l'Histoire des cétacées, que j'avois entreprise * Voyez, dans V Histoire naturelle des poissons, le Discours intitulé Sur la pêche , sur la connoissance des poissons fossiles , et sur quelques attributs généraux des poissons. DES CÉTACÉES. XXXiij pour remplir les honorables obligations contractées avec Buffon , le malheur avoit déjà frappé ma tète et déchiré mon cœur; j'avois déjà perdu une compagne adorée. La douleur sans espoir, la reconnoissance , la vénération, ont inscrit le nom de ma Caroline à la tête de l'Histoire des poissons*; elles lui dédient ce nouvel ouvrage; elles lui consacreront tous ceux que je pourrai tenter jusqu'à la fin de mon exil affreux. Son nom , cher à toutes les âmes vertueuses et sensibles, recomman- dera mes foibles efforts aux amis de la Nature. Le 24. nivôse an 12. - * Voyez la dédicace du cinquième volume in-40 de V Histoire naturelle des poissofis j et les articles indiqués à la suite de cette dédicace. £ TABLEAU DES ORDRES, GENRES ET ESPÈCES DE CÉTACÉES. CÉTACÉES. Le sang rouge et chaud; deux ventricules et deux oreillettes au cœur ; des vertèbres ; des poumons ; des mamelles ; des é vents ; point d'extrémités postérieures. PREMIER ORDRE. Point de dents. PREMIER GENRE. Les Baleines. (Balœnœ. ) La mâchoire supérieure garnie de fanons ou lames de corne ; les orifices des évents séparés , et placés vers le milieu de la partie supérieure de la tête ; point de nageoire dorsale. XXXV] TABLEAU DES ORDRES, • PREMIER SOUS-GENRE. Point de bosse sur le dos. ESPÈCES. CARACTÈRES. i. La baleine franche, f (Balœna mysticetus.) ^ C°lpS ^ros et co"rt 5 la , , , . . ^ haute et très - large j le corps alongé ; {La mâchoire inférieure tr< haute et très - large j 1 la queue alongée. SECOND SOUS-GENRE. Une ou plusieurs bosses sur le dos. ESPÈCES. CARACTÈRES. 3. La baleine noueuse. (Une bosse sur le dos; les nageoires pecto- [Balœna nodosa.) (. raies blanches. jA. baleine bossue. (Cinq ou [Balcena gibbosa.) (, blancs. 4. La baleine bossue. (Cinq ou six bosses sur le dos ; les fanons 1.) 1 bl SECOND GENRE. Les Baleinoptères. ( Balanoplerœ. ) * La mâchoire supérieure garnie de fanons ou lames de corne ; les orifices des évents séparés , et placés vers le milieu de la partie supérieure de la tête ; une- nageoire dorsale. PREMIER SOUS-GENRE. Point de plis sous la gorge ni sous le ventre. ESPÈCE. CARACTÈRES. I. LaBALEINOPTÈRE(t A , . . . , Les mâchoires pointues et également avan- cées ; les fanons courts. G I BB A R. [Balœnoptera g/bbar.) * Baleinoptère signifie baleine à nageoires ; le mot grec pteron veut dire nageoire. GENRES ET ESPECES. XXXYlj SECOND SOUS-GENRE. Des plis longitudinaux sous la gorge et sous le ventre. ESPÈCES. CARACTERES. La nuque élevée et arrondie ; le museau avancé , large , et un peu arrondi ; des tubé- rosités presque demi-sphériques au-devant des évents ; la dorsale courbée en arrière. La mâchoire inférieure arrond.ie , plus avancée et beaucoup plus large que celle d'en-baut; la tête courte, à proportion du corps et de la queue. 4. La baleinoptÈre Les deux mâchoires pointues; celle d'en- mtjseau-pointu. I haut plus courte et beaucoup plus étroite (Balœnopteraaculo-rostrala.), que celle d'en-bas. 2. LA BALEINOPTÈRE JBBARTE. [Balœnoptera jubartes.) 3. La BALEINOPTÈRE RORQUAL. [Tîalœnoptera rorqual.) ECOND ORDRE. Des dents. TROISIÈME GENRE. Les Narwals, (Narwali.) Une ou deux défenses très -Ion gués et droites à la mâchoire supérieure ; point de dents à la mâchoire $ en-bas ; les orifices des évents réunis , et situés au plus haut de la partie postérieure de la tète ; point de nageoire dorsale. ESPÈCES. CARACTÈRES. !La forme générale ovoïde; la longueur de la tête, égale au quart ou à peu près de la longueur totale; les défenses sillonnées- en spirale, XXXVllj TABLEAU DES ORDRES, ESPÈCES. CARACTÈRES. /Le corps et la queue très-alongés; la forme 2. Le narwAL I générale presque conique; la longueur de microcéphale. / la tête égale au dixième ou à peu près de (Narwalus microcephalus.) j la longueur totale ; les défenses sillonnées V en spirale. 3. Le narwal andersonien. -Les défenses unies et sans spirale ni sillons. [Narwalus Andersonianus.) QUATRIÈME GENRE. Les Anarnaks. [Anarnaci. ) Une ou deux dents petites et recourbées à la mâchoire supérieure j point de dents à la mâchoire d'en- bas ; une nageoire sur le dos. ESPÈCE. CARACTÈRE. I. L'anarnak groenlandois. .[Le corps alongé. ( Anamali Groenlandicus.) CINQUIÈME GENRE. Les Cachalots. (Catodontes. ) La longueur de la tête égale à la moitié ou au tiers de la longueur totale du cétacée ; la mâchoire supérieure large 9 élevée , sans dents , ou garnie de dents courtes et cachées presque entièrement par la gencive ; la mâchoire inférieure étroite, et armée de dents grosses et coniques; les orifices [des èvenis réunis , et situés au bout de la partie supérieure du museau ; point de nageoire dorsale. GENRES ET ESPECES. XXXIX PREMIER SOUS-GENRE. Une ou plusieurs éminences sur le dus. ESPÈCES. i. Le cachalot MACROCÉPHALE. [Catodon înacrocephalus.) 2. Le CACHALOT T R U M P O. (Catodon trunipo.) 3. Le cachalot • svineval. [Catodon s vin et près du sommet de la tête ; une nageoire dorsale. ESPECES. i. Le dauphin vulgaire. (Delphinus vulgaris.) 2. Le dauphin marsouin. (Delphinus pJiocœna.) 3. Le dauphin orque. [Delphinus orca.) 4. Le dauphin gladiateur. [Delphinus gladiator.) CARACTERES. Le corps et la queue alongés ; le museau très-distinct, très-aplati , très-avancé, et en forme de portion d'ovale; les dents pointues ; la dorsale échancrée du côté de la caudale , et recourbée vers cette na- geoire. Le corps et la queue alongés ; le museau arrondi et court; les dents pointues; la dorsale presque triangulaire et rectiligne. Le corps et la queue alongés; le crâne très- peu convexe ; le museau arrondi et très- court ; la mâchoire supérieure un peu plus avancée que celle d'en-bas ; l'inférieure renflée dans sa partie inférieure, et plus large que celle d'en-liaut; les dents iné- gales , mousses, coniques, et recourbées à leur sommet ; la hauteur de la dorsale , su- périeure au dixième de la longueur totale du cétacée ; cette nageoire placée vers le milieu de la longueur du corps proprement dit. Le corps et la queue alongés ; le dessus de la fête très-convexe ; le museau très-ar- rondi et très-court; les deux mâchoires également avancées ; les dents aiguës et recourbées ; la dorsale placée très-près de la nuque , et supérieure , par sa hauteur , au cinquième de la longueur totale du, cétacée. ESPECES. GENRES ET ESPECES. xliij caractères; 5. Le dauphin nésarnack. {Delphinus nésarnack.) 6. Le dauphin diodon. (Delphinus diodon.) 7. Le dauphin ventru. (De/phinus ventricosus.) 8. Le dauphin férès. {Delphinus feres.) 9. Le dauphin de Duhamel. [Belphinus Duhamelii.) jo. Le dauphin de PÉRON. ( Delphin us Pero n ii, ) Le corps et la queue alongés ; le dessus de la tête très-convexe; le museau alongé et très-aplati j la mâchoire inférieure plus avancée que celle d'en-haut ; les dents pres- que cylindriques , droites et très éroous- sées ; la partie antérieure du dos très- re- levée ; la dorsale courbée, échancrée et placée très-près de la queue. Le corps et la queue coniques et alongés ; le dessus de la tête convexe; le museau alongé et très-aplati ; la mâchoire d'en-bas ne présentant que deux dents pointues, placées à son extrémité ; la dorsale lancéo- lée , et située très-près de la queue. Le museau très-court et arrondi ; la mâchoire inférieure sans renflement , et aussi avancée que celle d'en-haut; le ventre très gros; la dorsale située très-près de l'origine de la queue , assez basse et assez longue pour former un triangle rectangle. Le museau très-court et arrondi; les dents inégales, ovoïdes, bilobées et arrondies dans leur sommet. Le corps et la queue très-alongés; les dents longues; l'orifice des évents très-large; l'œil placé presque au-dessus de la pecto- rale ; la dorsale située presque au-dessus de l'anus; la mâchoire inférieure, la gorge et le ventre blancs. Le dos d'un bleu noirâtre ; le ventre , les côtés , le bout du museau et l'extrémité des nageoires et de la queue, d'un blanc très-éclatant. xli IV TABLEAU DES ORDRES, €tC. ESPECES. CARACTÈRES. n. Le dauphin de CLe dos et presque toute la surface de l'anî- Commerson. < mal, d'un blanc d'argent j les extrémités (Delphinus Commersonii.) \ noirâtres. DIXIEME GENRE. Les Hypéroodons. ( Hyperoodontes. ) Le palais hérissé de petites dents ; une nageoire dorsale, ESP ECE. I. L'H YP É ROODON BUTSKOPF. ( Hyper oo don buiskopf.) CARACTERES. Le museau arrondi et aplati j la dorsale re- courbée. il I S T O I R E jPIjl.Po?»*- /.B^LEZME ErwAe. 2.£^LEIl\rOJPrEIÏE ÛzHar. 3.J3^LEEVOPrERElïvryiui/. HISTOIRE NATURELLE DES CÉTACÉES. LES BALEINES'. LA BALEINE FRANCHE*. En traitant de la baleine, nous ne voulons parler qu'à la raison; et cependant l'imagination sera émue par l'immensité d^s objets que nous exposerons. 1 Voyez, à la tête de ce volume, le Tableau des ordres, genres et espèces de cétacées. 3 Balaena mysticetus. Baleine de grande baie. Whalffisch, par les Allemands. Whallvisch , par les Hollandais. Sîichteback , par les Danois. San d lui al , îd. Hvalfisk , par les Suédois. Hvafisk , par les Norvégiens. Sietback, id. Vatushalr, par les Islandois. At'bek , par les Groenlandois. Arbavirksoak, id. Whale , par les Anglois. 2 HISTOIRE NATURELLE Nous aurons sous les jeux le plus grand des animaux, La niasse et la vitesse concourent à sa force : l'Océan Vallena , par les Espagnols. Tkaka? , ;par les Hottentots, Serbio, par les Japonois, Balsena mysticetus. Linné , édition de Gmelin. Baleine franche. Bonnaterre, planches de l'Encyclopédie méthodique. Ici. S. R. Castel3 édition de Bloch, Fauna Suecic. 49. Balsena naribus fî'exuosis , etc. Arledî, gen. 76 , spec. 106 , syn. 106/ Balsena major, laminas corneas in superiore maxilla liabens, fistulâ do-* Data, bipinnis. Sibbald. Id. vel balsena vulgaris edentula , dorso non pinnato. Ràj. p. 6 et 16. Baleine vulgaire. Rondelet 3 Histoire des poissons , première partie, liv. 16, chap. 7 (édition de Lyon, i558). Balsena vulgo dicta, sive mysticetus Aristotelis, musculus Plinii. Gesner,. p. 114. Balsena vulgi. Aldrovand. Cet. cap. 3, p. 688, t. 782. Id. Jonston.jt. 216. Balsena vulgaris. Charleton 3 p. 167. Balsena. Schoneveld } p. 24. Balaena Rond. Willughby , p. 35. Balsena Spitzbergensis. Martens , Spitzb. p. 98, tab. Q3 fig. a. b. Balsena vulgô dicta, et musculus mysticetos, etc. Gesner, A quai, p. i32 ; et (germ.) fol. 99 b. Balaena Groenlandica. Mus. Ad. Frider. r , p. 5l. Balsena dorso impinni , fistulâ in medio capite, etc. Gronov. Zooph* 13g. Balsena (vulgaris, Groenlandica) bipinnis, etc. Brisson , Regn. aninu- p. 347, n. 1. Balsena vera Zorgdrageri. Klein 3 Miss. pisc. II, p. 11. Balsena vulgi. Mus. Wormi. p. 281. Hvalfisk. Egede , Groenl. p. 48. Der recbte Groenlandische walfisch. Anderson , Tsl. p. 212. Baleine franche. Valmont-Bomare , Dictionnaire d'histoire naturelle*. DES BALEINES. 3 lui a été donné pour empire; et en le créant, la Nature paroît avoir épuisé sa puissance merveilleuse. Nous devons , en effet, rejeter parmi les fables l'exis- tence de ce monstre hyperboréen, de ce redoutable habitant des mers, que des pêcheurs effrayés ont nommé krahen , et qui, long de plusieurs milliers de mètres, étendu comme un banc de sable, semblable à un amas de roches, colorant l'eau salée, attirant sa proie par le liquide abondant que répandoient ses pores , s'agitant en polype gigantesque, et relevant des bras nombreux comme autant de mâts démesurés, agissoit de même qu'un volcan soumarin, et entr'ouvroit, disoit-on, son large dos, pour engloutir, ainsi que dans un abîme, des légions de poissons et de mollusques. Mais à la place de cette chimère, la baleine franche montre sur la surface des mers son énorme volume. Lorsque le temps ne manque pas à son développement, ses dimensions étonnent. On ne peut guère douter qu'on ne l'ait vue , à certaines époques et dans certaines mers, longue de près de cent mètres 5 et dès-lors, pour avoir une idée distincte de sa grandeur, nous ne devons plus la comparer avec les plus colossaux des animaux ter- restres. L'hippopotame, le rhinocéros, l'éléphant, ne peuvent pas nous servir de terme de comparaison. Nous ne trouvons pas non plus cette mesure dans ces arbres antiques dont nous admirons les cimes élevées : cette échelle est encore trop courte. Il faut que nous ayons recours à ces flèches élancées dans les airs, au-dessus 4 HISTOIRE NATURELLE de quelques temples gothiques; ou plutôt il faut que nous comparions la longueur de la baleine entièrement développée, à la hauteur de ces monts qui forment les rives de tant de fleuves, lorsqu'ils ne coulent plus qu'à une petite distance de l'Océan , et particulièrement à celle des montagnes qui bordent les rivages de la Seine. En vain, par exemple, placerions-nous par la pensée une grande baleine auprès d'une des tours du prin- cipal temple de Paris ; en vain la dresserions-nous contre ce monument : un tiers de l'animal s'éieveroit au-dessus du sommet de la tour. Long-temps ce géant des géans a exercé sur son vaste empire une domination non combattue. Sans rival redoutable, sans besoins difficiles à satis- faire, sans appétits cruels, il régnoit paisiblement sur la surlace des mers dont les vents ne bouleversoient pas les liots , ou trouvoit aisément , dans des baies entourées de rivages escarpés, un abri sûr contre les fureurs des tempêtes. Mais le pouvoir de l'homme a tout changé pour la baleine. L'art de la navigation a détruit la sécurité , diminué le domaine, altéré fa destinée du plus grand des animaux. L'homme a su lui opposer un volume égal au sien , une force égale à la sienne. 11 a construit, pour ainsi dire, une montagne flottante; il l'a animée, en quelque sorte, par son génie; il lui a donné la ré- sistance des bois les plus compactes ; il lui a imprimé la vitesse des vents, qu'il a su maîtriser par ses voiles; DES BALEINES. 5 et, la conduisant contre le colosse de l'Océan, il la contraint à fuir jusque vers les extrémités du inonde. C'est malgré lui néanmoins que l'homme a ainsi re- légué la baleine. Il ne Ta pas attaquée pour l'éloigner de sa demeure, comme il en a écarté le tigre, le condor, le crocodile, et le serpent devin : il Ta combattue pour la conquérir. Mais pour la vaincre il ne s'est pas con- tenté d'entreprises isolées et de combats partiels : il a médité de grands préparatifs, réuni de grands mojens, concerté de grands mouvemens, combiné de grandes manœuvres; il a fait à la baleine une véritable guerre navale ; et la poursuivant avec ses flottes jusqu'au milieu des glaces polaires, il a ensanglanté cet empire du froid, comme il avoit ensanglanté le reste de la terre; et les cris du carnage ont retenti dans ces montagnes flottantes, dans ces solitudes profondes, dans ces asyles redoutables des brumes, du silence et de la nuit. Cependant, avant de décrire ces terribles expéditions, connoissons mieux cette énorme baleine. Les individus de cette espèce , que l'on rencontre à une assez grande distance du pôle arctique, ont depuis vingt jusqu'à quarante mètres de longueur. Leur cir- conférence , dans l'endroit le plus gros de leur tête, de leur corps ou de leur queue, n'est pas toujours dans la même proportion avec leur longueur totale. La plus grande circonférence surpassoit en eJièt la moitié de là longueur dans un individu de seize mètres de long; elle n'égaloit pas cette même longueur totale clans d'autres individus longs de plus de trente mètres. 6 HISTOIRE NATURELLE Le poids total de ces derniers individus surpassoit cent cinquante mille kilogrammes. On a écrit que les femelles étoient plus grosses que les mâles. Cette différence, que Buffon a fait observer dans les oiseaux de proie, et que nous avons indiquée pour le plus grand nombre de poissons , lesquels viennent d'un œuf, comme les oiseaux, seroit remar- quable dans des animaux qui ont des mamelles, et qui mettent au jour des petits tout formés. Quoi qu'il en soit de cette supériorité de la baleine femelle sur la baleine mâle, l'une et l'autre, vues de loin, paroissent une masse informe. On diroit que tout ce qui s'éloigne des autres êtres par un attribut très- frappant, tel que celui de la grandeur, s'en écarte aussi par le plus grand nombre de ses autres propriétés; et Ton croiroit que lorsque la Nature façonne plus de ma- tière , produit un plus grand volume , anime des organes plus étendus, elle est forcée, pour ainsi dire, d'em- plojer des précautions particulières, de réunir des pro- portions peu communes, de fortifier les ressorts en les rapprochant, de consolider l'ensemble par la juxtapo- sition d'un très-grand nombre de parties, et d'exclure ainsi ces rapports entre les dimensions, que nous con- sidérons comme les élémens de la beauté des formes, parce que nous les trouvons dans les objets hs plus analogues à nos sens, à nos qualités, à nos modifica- tions , et avec lesquels nous communiquons le plus fré- quemment. DES BALEINÉS, 7 En s'approchant néanmoins de cette masse informe, on la voit en quelque sorte se changer en un tout mieux ordonné. On peut comparer ce gigantesque ensemble aune espèce de cylindre immense et irrégulier, dont le diamètre est égal, ou à peu près, au tiers de la longueur. La tête forme la partie antérieure de ce cylindre dé- mesuré; son volume égale le quart et quelquefois le tiers du volume total de la baleine. Elle est convexe par-dessus, de manière à représenter une portion d'une large sphère. Vers le milieu de cette grande voûte , et un peu sur le derrière, s'élève une bosse, sur laquelle sont placés les orifices des deux éçents. On donne ce nom diévents à deux canaux qui partent du fond de la bouche , parcourent obliquement et en se courbant l'intérieur de la tête, et aboutissent vers le milieu de sa partie supérieure. Le diamètre de leur orifice extérieur est ordinairement le centième, ou en- viron, de la longueur totale de l'individu. lis servent à rejeter l'eau qui pénètre dans l'intérieur de la gueule de la baleine franche, ou à introduire jus- qu'à son larynx , et par conséquent jusqu'à ses poumons, l'air nécessaire à la respiration de ce cétacée, lorsque ce grand mammifère nage à la surface de la mer, mais que. sa tête est assez enfoncée dans l'eau pour qu'il ne puisse aspirer l'air par la bouche sans aspirer en même temps une trop grande quantité de fluide aqueux. La baleine fait sortir par ces évents un assez grand 8 HISTOIRE NATURELLE volume d'eau pour qu'un canot puisse en être bientôt rempli. Elle lance ce fluide avec tant de rapidité, par- ticulièrement quand elle est animée par des affections vives, tourmentée par des blessures et irritée par la douleur, que le bruit de l'eau qui s'élève et retombe en colonnes ou se disperse en gouttes, effraie presque tous ceux qui l'entendent pour la première fois, et peut retentir fort loin, si la mer est très-calme. On a com- paré ce bruit, ainsi que celui que produit l'aspiration de la baleine , au bruissement sourd et terrible d'un orage éloigné. On a écrit qu'on le distinguoit d'aussi loin que le coup d'un gros canon. On a prétendu d'ail- leurs que cette aspiration de l'air atmosphérique et ce double jet d'eau communiquoient à la surface de la mer un mouvement que l'on appercevoit à une distance de plus de deux mille mètres : et comment ces effets seroient-ils surprenans , s'il est vrai, comme on l'a assuré , que la baleine franche fait monter l'eau oui jaillit de ses é vents jusqu'à plus de treize mètres de hauteur? Il paroît que cette baleine a reçu un organe parti- culier pour lancer ainsi l'eau au dessus de sa tête. On sait du moins que d'autres cétaeées présentent cet or- gane, dont on peut voir la description dans les Leçons d'anatomic comparée de notre savant collègue le citoyen Cuvier (tome If, page 672); et il existe vraisemblable- ment dans tous les cétaeées, avec quelques modifica- tions relatives à leur genre et à leur espèce. DES BALEINES. g Cet organe consiste dans deux poches grandes et membraneuses, formées d'une peau noirâtre et mu- queuse, ridées lorsqu'elles sont vides, ovoïdes lors- qu'elles sont gonflées. Ces deux poches sont couchées sous la peau, au-devant des évents, avec la partie su- périeure desquels elles communiquent. Des fibres char- nues très-fortes partent de la circonférence du crâne, se réunissent au-dessus de ces poches ou bourses , et les compriment violemment, à la volonté de l'animal. Lors donc que le cétacée veut faire jaillir une cer- taine quantité d'eau contenue dans sa bouche, il donne à sa langue et à ses mâchoires le mouvement nécessaire pour avaler cette eau : mais comme il ferme en même temps son pharynx, il force ce fluide à remonter dans les évents; il lui imprime un mouvement assez rapide pour que cette eau très- pressée soulève une valvule charnue placée dans l'évent vers son extrémité supé- rieure, et au-dessous des poches; l'eau pénètre dans les poches; la valvule se referme; l'animal comprime ses bourses; l'eau en sort avec violence; la valvule, qui ne peut s'ouvrir que de bas en haut, résiste à son effort; et ce liquide, au lieu de rentrer dans la bouche, sort par l'orifice supérieur de l'évent, et s'élève dans l'air à une hauteur proportionnée à la force de la com- pression des bourses. L'ouverture de la bouche de la baleine franche est très-grande; elle se prolonge jusqu'au-dessous des orifices supérieurs des évents; elle s étend même vers 2 IO HISTOIRE NATURELLE la base de la nageoire pectorale; et l'on pourroit dire par conséquent qu'elle va presque jusqu'à l'épaule. Si on regarde l'animal par côté, on voit le bord supé- rieur et le bord inférieur de cette ouverture présenter, depuis le bout du museau jusqu'auprès de l'œil, une courbe très-semblable à la lettre 5 placée horizonta- lement. Les deux mâchoires sont à peu près aussi avancées l'une que l'autre. Celle de dessous est très-large, sur- tout vers le milieu de sa longueur. L'intérieur de la gueule est si vaste dans la baleine franche , que dans un individu de cette espèce , qui n'étoit encore parvenu qu'à vingt -quatre mètres de longueur, et qui fut pris en 1726, au cap de Hourdel, dans la baie de la Somme, la capacité de la bouche étoit assez grande pour que deux hommes aient pu y entrer sans se baisser*. La langue est molle, spongieuse, arrondie par-de- vant, blanche, tachetée de noir sur les côtés, adhé- rente à la mâchoire inférieure , mais susceptible de quelques mouvemens. Sa longueur surpasse souvent neuf mètres; sa largeur est de trois ou quatre. Elle peut donner plus de six tonneaux d'huile; et Duhamel assure que lorsqu'elle est salée , elle peut être recherchée comme un mets délicat. La baleine franche n'a pas de dents; mais tout le * Mémoires envoyés au savant et respectable Duhamel du Monceau. DES BALEINES. II dessous de la mâchoire inférieure, ou, pour mieux dire, toute la voûte du palais est garnie de lames que l'on désigne parle nom de fanons. Donnons une idée nette de leur eontexture, de leur forme, de leur gran- deur, de leur couleur, de leur position, de leur nombre, de leur mobilité, de leur développement, de l'usage auquel la Nature les a destinées , et de ceux auxquels Fart a su les faire servir. La surface d'un fanon est unie, polie, et semblable à celle de la corne. Il est composé de poils, ou plutôt de crins, placés à côté les uns des autres dans le sens de sa longueur, très -rapprochés , réunis et comme collés par une substance gélatineuse, qui , lorsqu'elle est sèche, lui donne presque toutes les propriétés de la corne, dont il a l'apparence. Chacun de ces fanons est d'ailleurs très-aplati,alongé, et très-semblable , par sa forme générale , à la lame d'une faux. Il se courbe un peu dans sa longueur comme cette lame , diminue graduellement de hauteur et d'épaisseur, se termine en pointe, et montre sur son bord inférieur ou concave un tranchant analogue à ce- lui de la faux. Ce bord concave ou inférieur est garni presque depuis son origine jusqu'à la pointe du fanon, de crins qu'aucune substance gélatineuse ne réunit, et qui représentent , le long de ce bord tranchant et aminci , une sorte de frange d'autant plus longue et d'autant plus touffue qu'elle est plus près de la pointe ou de l'extrémité du fanon. 12 HISTOIRE NATURELLE La couleur de cette lame cornée est ordinairement noire, et marbrée de nuances moins foncées; mais le fanon est souvent caché sous une espèce d'épiderme dont la teinte est grisâtre. Maintenant disons comment les fanons sont placés. Le palais présente un os qui s'étend depuis le bout du museau jusqu'à l'entrée du gosier. Cet os est re- couvert d'une substance blanche et ferme, à laquelle on a donné le nom de gencive de la baleine. C'est le long et de chaque côté de cet os, que les fanons sont distribués et situés transversalement. En se supposant dans l'intérieur d'une baleine franche, on voit donc au-dessus de sa tête deux rangées de lames parallèles et transversales. Ces lames , presque verti- cales, ne sont que très-foiblement inclinées en arrière. Le bout de chaque fanon, opposé à sa pointe, entre dans la gencive , la traverse , et pénètre jusqu'à l'os lon- gitudinal. Le bord convexe de la lame s'applique contre le palais, s'insère même dans sa substance. Les franges de crin attachées au bord concave de chaque fanon font paroître le palais comme hérissé de poils très-gros et très-durs; et sortant vers la pointe de chaque lame au-delà des lèvres, elles forment le long de ces lèvres une autre frange extérieure, ou une sorte de barbe , qui a fait donner le nom de barbes aux fanons des baleines. Le palais étant un peu ovale, il est évident que les lames transversales sont d'autant plus longues qu'elles DES BALEINES. l3 sont situées plus près du plus grand diamètre trans- versal de cet ovale, lequel se trouve vers le milieu de la longueur du palais. Les fanons les plus courts sont vers l'entrée du gosier, ou vers le bout du museau. Il n'est pas rare de mesurer des fanons de cinq mètres de longueur. Ils ont alors , au bout qui pénètre dans la gencive, quatre ou cinq décimètres de hauteur., et deux ou trois centimètres d'épaisseur; et l'on compte fréquemment trois ou quatre cents de ces lames cor- nées, grandes ou petites, de chaque côté de l'os lon- gitudinal. Mais , indépendamment de ces lames en forme de faux , on trouve des fanons très-petits, couchés l'un au- dessus de l'autre, comme les tuiles qui recouvrent les toits, et placés dans une gouttière longitudinale, que l'on voit au-dessous de l'extrémité de l'os longitudinal du palais. Ces fanons particuliers empêchent que cette extrémité, quelque mince et par conséquent quelque tranchante qu'elle puisse être , ne blesse la lèvre in- férieure. Cependant, comment se développent ces fanons? Le savant anatomiste de Londres, M. Hunter, a fait voir que ces productions se développoient d'une ma- nière très-analogue à celle dont croissent les cheveux de l'homme et la corne des animaux ruminans. C'est une nouvelle preuve de l'identité de nature que nous avons tâché de faire reconnoître entre les cheveux, les poils, les crins, la corne, les plumes, les écailles, le$ 14 HISTOIRE NATURELLE tubercules, les piquans et les aiguillons \ Mais , quoi qu'il en soit, le fanon tire sa nourriture, et en quelque sorte le ressort de son extension graduelle, de la substance blanche à laquelle on a donné le nom de gencive. Il est accompagné, pour ainsi dire, dans son dévelop- pement , par des lames qu'on a nommées intermé- diaires , parce qu'elles le séparent du fanon le plus voisin, et qui , posées sur la même base, produites dans la même substance, formées dans le même temps, ne faisant qu'un seul corps avec le fanon, le renforçant, le maintenant à sa place, croissant dans la même propor- tion, et s'étendant jusqu'à la lèvre supérieure, s'y al- tèrent, s'y ramollissent, s'y délayent, et s'y dissolvent comme un épidémie trop long- temps plongé dans l'eau. L'auteur de l'Histoire hollandoise des pêches dans la mer du Nord2 rapporte qu'on trouve souvent, au milieu de beaux fanons, des fanons plus petits, que l'on regarde comme ayant poussé à la place de lames plus grandes, déracinées et arrachées par quelque accident. On assure que lorsque la baleine franche ferme entiè- rement la gueule, ou dans quelque autre circonstance, les fanons peuvent se rapprocher un peu l'un de l'autre, et se disposer de manière à être un peu plus inclinés que dans leur position ordinaire. 1 Voyez, au commencement de V Histoire naturelle des poissons , notre Discours sur la nature de ces animaux. * Histoire des pé< hes 3 des découvertes et des éfablissemens des Hol- landois dans les mers du Nord; ouvrage traduit du hollandois par le citoyen Bernard Dereste , etc. DES BALEINES. l5 Après la mort de la baleine , 1'épiderme glutineux qui recouvre les fanons, se sèche, et les colle les uns aux autres. Si l'on veut les préparer pour le commerce et les arts, on commence donc par les séparer avec un coin ; on les fend ensuite dans le sens de leur lon- gueur, avec des couperets bien aiguisés; on divise ainsi les différentes couches dont ils sont composés , et qui étoient retenues l'une contre l'autre par des fîlamens entrelacés et par une substance gélatineuse ; on les met dans de l'eau froide, ou quelquefois dans de l'eau chaude; on les attendrit souvent dans l'huile que la baleine a. fournie; on les ratisse au bout de quelques heures; on les brosse; on les place, un à un, sur une planche bien polie ; ou les racle de nouveau ; on en coupe les extrémités; on les expose à l'air pendant quel- ques heures, et on les dispose de manière qu'ils puissent continuer de sécher sans s'altérer et se corrompre \ C'est après avoir eu recours à ces procédés, qu'on se sert ou qu'on s'est servi de ces fanons pour plusieurs ouvrages, et particulièrement pour fortifier des corsets, soutenir des paniers, former des parapluies, monter des lunettes 2 , garnir des éventails , composer des 1 Histoire des pêches , des découvertes et des élablissemens des Hol- landois dans les mers du Nordj tome I, p. 184. 2 Depuis 1787, à Songeons, près de Beauvais , département de l'Oise, on monte les lunettes en fanon , au lieu de les monter en cuir ou en métal Ce changement a beaucoup augmenté la fabrique. On y voit à présent des femmes, et même des enl'ans de dix ou douze ans, monter des lunettes l6 HISTOIRE NATURELLE baguettes , et faire des cannes flexibles et légères. On a pensé aussi qu'on pourroit en dégager les crins de manière à s'en servir pour faire des cordes, de la ficelle, et même une sorte de grosse étoffe *. Mais quel est l'organe de la baleine qui ne mérite pas une attention particulière? Examinons ses jeux, et reconnoissons les rapports de leur structure avec la nature de son séjour. L'œil est placé immédiatement au-dessus de la com- missure des lèvres , et par conséquent très-près de l'épaule de la baleine. Presque également éloigné du monticule des évents et de l'extrémité du- museau, très-rapproché du bord inférieur de l'animal, très-écarté de l'œil opposé, il ne paroît destiné qu'à voir les objets auxquels la baleine présente son immense côté ; et il ne faut pas négliger d'observer que voilà un rapport frappant entre la baleine franche, qui parcourt avec tant de vitesse la surface de l'océan et plonge dans ses abîmes , et plusieurs des oiseaux privilégiés qui traversent avec tant de rapidité les vastes champs de l'air et s'élancent au plus haut de l'atmosphère. L'œil de la baleine est cependant placé sur une espèce de petite convexité qui, s'élevant au-dessus de la surface des lèvres, lui permet de se diriger de telle sorte, que avec adresse et habileté. (Description du déparlement de C Oise , par le citoyen Cambri ; ouvrage digne d'un administrateur habile, et d'un ami très-éclairé de sa patrie, des sciences et des arts.) * Histoire des pêches des Hollandois t etc. tome I, p. 69. DES BALEINES. Vj lorsque l'animal considère un objet un peu éloigné, il peut le voir de ses deux jeux à la fois , rectifier les résul- tats de ses sensations, et mieux juger de la distance. Mais ce qui étonne dans le premier moment de l'exa- men, c'est que l'œil de la baleine soit si petit, qu'on a peine quelquefois à le découvrir. Son diamètre n'est souvent que la cent quatre-vingt-douzième partie delà longueur totale du cétacée. 11 est garni de paupières, comme l'œil des autres mammifères : mais ces paupières sont si gonflées par la graisse huileuse qui en occupe l'intérieur, qu'elles n'ont presque aucune^mobilité ; elles sont d'ailleurs dénuées de cils , et Ton ne voit aucun vestige de cette troisième paupière que l'on peut appercevoir dans l'homme, que l'on remarque dans les quadrupèdes, et qui est si développée dans les oiseaux. La baleine paroît donc privée de presque tous les moyens de garantir l'intérieur de son œil des impressions douloureuses de la lumière très-vive que répandent au- tour d'elle, pendant les longs jours de l'été, la surface des mers qu'elle fréquente, ou les montagnes de glace dont elle est entourée. Mais avant la fin de cet article, nous remarquerons combien les effets de la confor- mation particulière de cet organe peuvent suppléer au nombre et à la mobilité des paupières. L'œil de la baleine, considéré dans son ensemble, est assez aplati par-devant pour que son axe longitudi- nal ne soit quelquefois à son axe transverse, que dans 3 I O HISTOIRE NATURELLE le rapport de 6 à 11. Mais il n'en est pas de même du cristallin : conformé comme celui des poissons, des phoques, de plusieurs quadrupèdes ovipares qui mar- chent ou nagent souvent au-dessous de l'eau, et des cormorans, ainsi que de quelques autres oiseaux plon- geurs, le cristallin de la baleine franche est assez con- vexe par-devant et par-derrière pour ressembler à une sphère, au lieu de représenter une lentille, de même que celui des quadrupèdes, et sur-tout celui des oiseaux. II paroît du moins que le rapport de Taxe longitudinal du cristallin à son diamètre transverse, est, dans la baleine franche, commue celui de i3 à i5, lors même que ce diamètre et cet axe sont le plus difïérens l'un de l'autre *. La forme générale de l'œil est maintenue, en très- grande partie, dans la baleine franche, comme dans les animaux dont l'œil n'est pas sphérique, par l'enveloppe à laquelle on a donné le nom de sclérotique , et qui envi- ronne tout l'organe de la vue, excepté dans l'endroit où la cornée est située. Ce nom de sclérotique venant cle scie rotes , qui, en grec, signifie dureté, convient bien mieux à l'enveloppe de l'œil de la baleine franche dans laquelle elle est très-dure, qu'à celle de l'œil de l'homme et de l'œil des quadrupèdes dans lesquels , ainsi que dans l'homme, elle est remarquable par sa mollesse. Mais la sclérotique de la baleine franche n'a pas dans * Cuvier, Leçons d'anatomve comparée, vol. II, p. 3y6. DES BALEINES. Ip foute son étendue une égale dureté : elle est beaucoup plus dure dans ses parties latérales que dans le fond de l'œil , quoiqu'elle soit très-fréquemment , dans ce même fond, épaisse de plus de trente-six millimètres, pendant que l'épaisseur des parties latérales n'en excède guère vingt-quatre. Cette différence vient de ce que les mailles que l'on voit dans la substance fibreuse, et en apparence tendineuse, de la sclérotique, sont plus grandes dans le fond que sur les côtés de l'œil, et qu'au lieu de contenir une matière fongueuse et flexible, comme sur ces mêmes côtés, elles sont remplies, vers le fond de l'œil, d'une huile proprement dite. Au reste, cette portion moins dure de la sclérotique de la baleine est traversée par un canal dans lequel passe l'extrémité du nerf optique : les parois de ce canal sont formées par la dure-mère; et c'est de la face externe de cette dure-mère que se détachent, comme par un épanouissement, les fibres qui composent la sclérotique. On distingue d'autant plus ces fibres, que leur couleur est blanche, et que la substance renfermée dans les mailles qu'elles entourent, est d'une nuance brune. Nous entrons avec plaisir dans les détails en appa- rence les plus minutieux, parce que tout intéresse dans un colosse tel que la baleine franche, et que nous découvrons facilement dans ses organes très-dévelop- pés , ce que notre vue, même aidée par la loupe et par le microscope, ne peut pas "toujours distinguer dans les organes analogues des autres animaux, La baleine 20 HISTOIRE NATURELLE franche est, pour ainsi dire, un grand exemplaire de l'être organisé , vivant et sensible , dont aucun caractère ne peut échapper à l'examen. C'est ainsi , par exemple, qu'on voit dans la baleine , encore mieux que dans le rhinocéros ou dans d'autres énormes quadrupèdes, la manière dont la sclérotique se réunit souvent à la cornée. Au lieu d'être simplement attachée à cette cornée par une cellnlosité, elle pénètre fréquemment dans sa substance; et l'on apperçoit faci- lement les fibres blanches de la sclérotique de la ba- leine, qui entrent dans l'épaisseur de sa cornée , en fîla- mens très-déliés, mais assez longs. C'est encore ainsi que, dans la choroïde ou seconde enveloppe de l'œil de la baleine, on peut distinguer sans aucune loupe les ouvertures des vaisseaux , de même que la membrane intérieure que l'on connoît sous le nom de Ruyschienne ; et qu'on compte, pour ainsi dire, les fibres rajonnantes qui, semblables à des cercles, entourent le cristallin sphérique. Continuons cependant. Lorsque la prunelle de la baleine franche estrétrécie par la dilatation de l'iris, elle devient une ouverture alongée transversalement. L'ensemble de l'œil est d'ailleurs mu dans ce cétacée par quatre muscles droits; par un autre muscle droit ? nommé suspenseur, et divisé en quatre; et par deux muscles obliques, l'un supérieur et l'autre inférieur. Remarquons encore que la baleine, comme la plu- DES BALEINES. 21 part des animaux qui vivent dans l'eau, n'a pas de points lacrymaux, ni de glandes destinées à répandre sur le devant de l'œil une liqueur propre à le tenir dans l'état de propreté et de souplesse nécessaire; mais que l'on trouve sous la paupière supérieure des sortes de lacunes d'où s'écoule une humeur épaisse et mucilagineuse. Passons maintenant à l'examen de l'organe de l'ouïe. La baleine a dans cet organe, comme tous les céta- cées, un labyrinthe, trois canaux membraneux et demi- circulaires, un limaçon, un orifice cochléaire , un vesti- bule, un orifice vestibulaire1' , une cavité appelée caisse du tympan, une membrane du tympan, des osselets articulés et placés dans cette caisse depuis cette mem- brane du tympan jusqu'à l'orifice vestibulaire , une trompe nommée trompe dEustache 2 , et un canal qui, de la membrane du tympan, aboutit et s'ouvre à l'extérieur. Le limaçon de la baleine est même fort grand; toutes ses parties sont bien développées. L'orifice ou la fenêtre cochléaire qui fait communiquer ce limaçon avec la } Nous préférons les épithètes de cochléaire et de vestibulaire j proposées par notre collègue Cuvier, à celles de ronde et Navale , qui ne peuvent être employées avec exactitude qu'en parlant de l'organe de l'ouïe de l'homme et d'un petit nombre d'animaux. *■ Le tube dont nous parlons, et tous les tubes analogues que peut pré- senter l'organe de l'ouïe de l'homme ou des animaux, ont été appelés trompe d' Eustache, parce que celui de l'oreille de l'homme a été découvert par Eustache j habile anatomiste du seizième siècle. , 2 2 HISTOIRE NATURELLE caisse du tympan, offre une grande étendue. Le mar- teau, un des osselets de la caisse du tympan, et qui communique immédiatement avec la membrane du même nom, présente aussi des dimensions très-remar- quables par leur grandeur. Mais la spirale du limaçon ne fait qu'un tour et demi, et ne s'élève pas à mesure qu'elle enveloppe son axe. Il est si difficile d'appercevoir les canaux demi-circulaires, qu'un très-grand anatomiste, Pierre Camper, en a nié l'existence, et qu'on croiroit peut-être encore qu'ils manquent à l'oreille de la baleine , malgré les indica- tions de l'analogie, sans les recherches éclairées de notre confrère Cuvier. Le marteau n'a point cet appendice que Ion connoît sous le nom de manche -? le tjmpan a la forme d'un entonnoir alongé, dont la pointe est fixée au bas du col du marteau. Le méat, ou conduit exté- rieur, n'est osseux dans aucune de ses portions ; c'est un canal cartilagineux et très-mince, qui part du tympan, serpente dans la couche graisseuse, parvient jusqu'à la surface de la peau, s'ouvre à l'extérieur par un trou très-petit, et n'est terminé par aucun vestige de conque, de pavillon membraneux ou cartilagineux , d'oreille externe plus ou moins large ou plus ou moins longue. Ce défaut d'oreille extérieure qui lie la baleine franche avec tous les autres cétacées, avec les lamantins, les dugons, les morses, et le plus grand nombre de phoques, les éloigne de tous les autres mammifères, et pourrait presque être compté parmi les caractères distinctifs des DES BALEINES. 2} animaux qui passent la plus grande partie de leur vie dans l'eau douce ou salée. L'oreille des cétacées présente cependant des parti- cularités plus dignes d'attention que celles que nous venons d'indiquer. Uétrier, l'un des osselets de la caisse du tympan , n'a, au lieu des deux branches qu'il offre dans la plupart des mammifères, qu'un corps conique, comprimé, et percé d'un très-petit trou. La partie de l'os temporal à laquelle on a donné le nom de rocher, et dans l'intérieur de laquelle sont creu- sées les cavités de l'oreille des mammifères, est, dans la baleine, d'une substance plus dure, que dans aucune autre espèce d'animal vertébré. Mais voici un fait plus extraordinaire et plus curieux. Le rocher de la baleine franche n'est point articulé avec les autres parties osseuses de la tête; il est sus- pendu par des ligamens, et placé à côté de la base du crâne, sous une sorte de voûte formée en grande partie par l'os occipital. Ce rocher, ainsi isolé et suspendu , présente, vers le bord interne de sa face supérieure, une proéminence demi-circulaire, qui contient le limaçon. On voit sur cette même proéminence un orifice qui appartient au méat ou conduit auditif interne , et qui répond à un trou de la base du crâne. Au-dessous du labyrinthe que renferme ce roeher, est la caisse du tympan. 24 HISTOIRE NATURELLE Cette caisse est formée par une lame osseuse, que l'on croiroit roulée sur elle-même, -et dont le côté in- terne est beaucoup plus épais que le côté extérieur. L'ouverture extérieure de cette caisse, sur laquelle est tendue la membrane du tympan, n'est pas limitée par un cadre osseux et régulier comme dans plusieurs mammifères, mais rendue très -irrégulière par trois apophyses placées sur sa circonférence. Cette même caisse du tympan adhère aux autres por- tions du rocher par son extrémité postérieure, et par une apophyse de la partie antérieure de son bord le plus mince. De l'extrémité antérieure de la caisse part la trompe, analogue à la trompe d'Eustache de l'homme. Ce tube est membraneux, perce l'os maxillaire supérieur, et aboutit à la partie supérieure de l'évent par un orifice qu'une valvule rend impénétrable à l'eau lancée par ce même évent, même avec toute la vitesse que l'animal peut imprimer à ce fluide. Mais après avoir jeté un coup-d'œil sur le corps de la baleine franche, après avoir considéré sa tête et les principaux organes que contient cette tête si extraor- dinaire et si vaste, que devons nous d'abord examiner? La queue de ce cétacée. Cette partie de la baleine a la figure d'un cône, dont la base s'applique au corps proprement dit. Les muscles qui la composent sont très-vigoureux. Une saillie longi- tudinale s'étend dans sa partie supérieure, depuis le DES BALEINES. 20 milieu de sa longueur jusqu'à son extrémité. Elle est terminée par une grande nageoire, dont la position est remarquable. Cette nageoire est horizontale, au lieu detre verticale comme la nageoire de la queue des pois- sons; et cette situation, qui est aussi celle de la caudale de tous les autres cétacées, sufïiroit seule pour faire dis- tinguer toutes les espèces de cette famille d'avec tous les autres animaux vertébrés et à sang rouge. Cette nageoire horizontale est composée de deux lobes ovales, dont la réunion produit un croissant échan- cré dans trois endroits de son intérieur, et dont chacun peut offrir un mouvement très-rapide, un jeu très- varié, et une action indépendante. Dans une baleine franche , qui n'avoit que vingt- quatre mètres de longueur, et qui échoua en 1726 au cap de Hourdel, il y avoit un espace de quatre mètres entre les deux pointes du croissant formé par les deux lobes de la caudale, et par conséquent une distance égale au sixième de la longueur totale. Dans une baleine plus petite encore, et qui n'étoit longue que de seize mètres, cette distance entre les deux pointes du crois- sant surpassoit le tiers de la plus grande longueur de l'animal. Ce grand instrument de natation est le plus puissant de ceux que la baleine a reçus; mais il n'est pas le seul. Ses deux bras peuvent être comparés aux deux nageoires pectorales des poissons : au lieu d'être composés, ainsi que ces nageoires, de rayous soutenus et liés par une 4 26 HISTOIRE NATURELLE membrane, ils sont formés, sans doute, d'os que nous décrirons bientôt, de muscles, et de chair tendineuse, recouverts par une peau épaisse; mais l'ensemble que chacun de ces bras présente consiste dans une sorte de sac aplati, arrondi dans la plus grande partie de sa cir- conférence, terminé en pointe, ajant une surface assez étendue pour que sa longueur surpasse le sixième de la longueur totale du cétacée et que sa largeur égale le plus souvent la moitié de sa longueur, réunissant enfin tous les caractères d'une rame agile et forte. Cependant, si la présence de ces trois rames ou na- geoires donne à la baleine un nouveau trait de confor- mité avec les autres habitans des eaux, et l'éloigné des quadrupèdes , elle se rapproche de ces mammifères par une partie essentielle de sa conformation, par les organes qui lui servent à perpétuer sou espèce. Le mâle a reçu un balènas long de trois mètres ou environ , large de deux décimètres à sa base , envi- ronné d'une peau double qui lui donne quelque ressemblance avec un cylindre renfermé dans une gaine, composé dans son intérieur de branches, d'un corps caverneux , d'une substance spongieuse , d'un urètre, de muscles érecteurs , de muscles accélérateurs, et placé auprès de deux testicules que l'on peut voir à côté l'un de l'autre au-dessus des muscles abdo- minaux. De chaque côté de la vulve, qui a son clitoris, son méat urinaire et son vagin, l'on peut distinguer dans DES BALEINES. 2"J ïa femelle, à une petite distance de l'anus, une ma- melle placée dans un sillon longitudinal et plissé , aplatie, et peu apparente, excepté dans le temps où la baleine nourrit et où cette mamelle s'étend et s'alonge au point d'avoir quelquefois une longueur et un dia- mètre égaux au cinquantième ou à peu près de la lon- gueur totale. La peau du sillon longitudinal, qui garantit la ma- melle, est moins serrée et moins dure que celle qui revêt le reste de la surface de la baleine. Cette dernière peau est très-forte, quoique percée de grands pores. Son épaisseur surpasse deux décimètres. Elle n'est pas garnie de poils, comme celle de la plu- part des mammifères. L'épiderme qui la recouvre est très-lisse, très-poreux, composé de plusieurs couches, dont la plus intérieure a le plus d'épaisseur et de dureté, luisant, et pénétré d'une humeur muqueuse, ainsi que d'une sorte d'huile qui diminue sa rigidité, et le préserve des altérations que feroit subir à cette surpeau le séjour alternatif de la baleine dans l'eau et à la surface des mers. Cette huile et cette substance visqueuse rendent même l'épiderme si brillant, que lorsque la baleine franche est exposée aux rajons du soleil, sa surface est resplendissante comme celle du métal poli. Le tissu muqueux qui sépare l'épiderme de la peau, est plus épais que dans tous les autres mammifères. La couleur de ce tissu, ou, ce qui est la même chose. 28 HISTOIRE NATURELLE la couleur de la baleine, varie beaucoup suivant la nourriture, l'âge, le sexe, et peut-être suivant la tem- pérature du séjour habituel de ce cétacée. Elle est quel- quefois d'un noir très-pur, très-foncé, et sans mélange; d'autres fois, d'un noir nuancé ou mêlé de gris. Plusieurs baleines sont moitié blanches et moitié brunes. On en trouve d'autres jaspées ou rajées de noir et de jaunâtre. Souvent le dessous de la tête et du corps présente une blancheur éclatante. On a vu dans les mers du Japon, et, ce qui est moins surprenant, au Spitzberg, et par conséquent à dix degrés du pôle boréal, des baleines entièrement blanches; et l'on peut rencontrer fréquem- ment de ces cétacées marqués de blanc sur un fond noir, ou gris, ou jaspé, etc. parce que la cicatrice des blessures de ces animaux produit presque toujours une tache blanche. La chair qui est au-dessous de l'épiderme et de la peau, est rougeâtre , grossière, dure et sèche, excepté celle delà queue, qui est moins coriace et plus succulente, quoique peu agréable à un goût délicat, sur-tout dans certaines circonstances où elle répand une odeur rebu- tante. Les Japonois cependant, et particulièrement ceux qui sont obligés de supporter des travaux pénibles, l'ont préférée à plusieurs autres alimens ; ils l'ont trouvée très-bonne, très-fortifiante et très-salubre. Entre cette chair et la peau, est un lard épais, dont une partie de la graisse est si liquide, qu'elle s'écoule et forme une huile, même sans être exprimée. DES BALEINES. 29 Il est possible que cette huile très-fluide passe au tra- vers des intervalles des tissus et des pores des mem- branes, quelle parvienne jusque dans l'intérieur de la gueule , qu'elle soit rejetée par les évents avec l'eau de la mer, qu'elle nage sur l'eau salée, et qu'elle soit avi- dement recherchée par des oiseaux de mer, ainsi que Duhamel l'a rapporté. Le lard a moins d'épaisseur autour de la queue qu'au- tour du corps proprement dit ; mais il en a une très- grande au-dessous de la mâchoire inférieure , où cette épaisseur est quelquefois de plus d'un mètre *. Lors- qu'on le fait bouillir, on en retire deux sortes d'huiles : l'une pure et légère; l'autre un peu mêlée, onctueuse, gluante, d'une fluidité que le froid diminue beaucoup, moins légère que la première, mais cependant moins pesante que l'eau. Il n'est pas rare qu'une seule baleine franche donne jusqu'à quatre-vingt-dix tonneaux de ces différentes huiles. Lorsqu'on a sous les jeux le cadavre d'une baleine franche, et qu'on a enlevé son épiderme, son tissu mu- queux, sa peau, son lard et sa chair, que découvre- t-on ? sa charpente osseuse. Quelles particularités présentent les os de la tête? Pendant que l'animal est encore très-jeune, les parié- taux se soudent avec les temporaux et avec l'occipital, et ces cinq os réunis forment une voûte de plusieurs * Histoire des pêches des Hollandais dans les mers du Nord, traduction françoise du citoyen Dereste, tome I , p. 76. 3o HISTOIRE NATURELLE mètres de long , sur une largeur égale à plus de la moi- tié de la longueur. Le sphénoïde reste divisé en plusieurs pièces pendant toute la vie de la baleine. Les sutures que l'animal présente lorsqu'il est un peu avancé en âge , sont telles , que les deux pièces qui se réunissent, amincies dans leurs bords et taillées en bi- seau à l'endroit de leur jonction, représentent chacune une bande ou face inclinée, et s'appliquent, dans cette portion de leur surface, l'une au-dessus de l'autre, comme les écailles de plusieurs poissons. Si on ouvre le crâne, on voit que l'intérieur de sa base est presque de niveau. On ne découvre ni fosse eilimoï- dale , ni lame criblée , ni aucune protubérance semblable à ces quatre crochets, ou apophyses clinoïdes, qui s'é- lèvent sur le fond du crâne de l'homme et d'un si grand nombre de mammifères. Que remarque-t-on cependant de particulier à la ba- leine franche, lorsqu'on regarde le dehors de ce crâne? Les deux ouvertures que l'on nomme trous orbitaires internes antérieurs , et qui font communiquer la cavité de l'orbite de l'œil, ou la. Jbsse orbitaire, avec le creux auquel on a donné le nom de fosse nasale, sont, dans la baleine franche, très-petits et recouverts par des lames osseuses. Ce cétacée n'a pas ce trou qu'on appelle incisif et que montre, dans tant de mammifères, la partie des os intermaxillaires qui suit l'extrémité de la mâchoire. DES BALEINES. 3l Mais au lieu d'un seul orifice comme dans l'homme, trois ou quatre trous servent à la communicant • i de la cavité de l'orbite avec l'intérieur de l'os maxillaire supérieur. Les deux os de la mâchoire inférieure forment par leur réunion une portion de cercle ou d'ellipse qui a communément plus de huit ou neuf mètres d'étendue, et que les pêcheurs ont fréquemment employée comme un trophée, et dressée sur le tillac, pour annoncer la prise d'une baleine et la grandeur de leur conquête. L'une des galeries du Muséum d'histoire naturelle renferme trois os maxillaires d'une baleine : la lon- gueur de ces os est de neuf mètres ou environ. L'occiput est arrondi. Il s'articule avec l'épine dorsale à son extrémité postérieure, et par de larges condylcs ou faces saillantes. On compte sept vertèbres du cou, comme dans l'homme et presque tous les mammifères. La première de ces vertèbres , qu'on appelle T atlas , est soudée avec la seconde, qui a reçu le nom 6! axis. Dans la baleine de vingt-quatre mètres de longueur, qui échoua en 1726811 cap de Hourdel, l'épine dorsale avoit auprès de la caudale un demi-mètre de diamètre, et par conséquent a été comparée avec raison aune grosse poutre de quatorze ou quinze mètres de longueur. On a écrit que sa couleur et sa contexture paroissoient, au premier coup-d'œil, semblables à celles d'un grès gri- sâtre; on auroit pu ajouter, et enduit d'une substance 3 2 HISTOIRE NATURELLE huileuse. Presque tous les os de la baleine franche réu- nissent en effet à une compacité et à un tissu particu- liers, une sorte d'apparence onctueuse qu'ils doivent à l'huile dont ils sont pénétrés pendant qu'ils sont encore frais. Dans une baleine échouée en 1763 sur un des rivages d'Islande, on compta en tout soixante-trois vertèbres, suivant MM. Olafsen et Povelsen. Il paroît que la baleine dont nous écrivons l'histoire a quinze côtes de chaque côté de l'épine du dos, et que chacune de ses côtes a très-souvent plus de sept mètres de longueur, sur un demi-mètre de circonférence. Le sternum , avec lequel les premières de ces côtes s'articulent, est large, mais peu épais, sur-tout dans sa partie antérieure. Les clavicules que Ton trouve dans ceux des mammi- fères qui font un très-grand usage de leurs bras, soit pour grimper sur les arbres, soit pour attaquer et se défendre, soit pour saisir et porter à leur bouche l'ali- ment qu'ils préfèrent, n'ont point d'analogues dans la baleine franche. On peut voir dans l'une des galeries du Muséum national d'histoire naturelle, une omoplate qui appar- tenoit à une baleine, et dont la longueur est de trois mètres. L'os du bras proprement dit, ou Yhumérus , est très- court, arrondi vers le haut, et comme marqué par une petite tubérosité. DES BALEINES, 33 Le cubitus et le radius, ou les deux os de l'avant-bras, sont très-comprimés ou aplatis latéralement. On ne compte que cinq os dans le carpe ou dans la main proprement dite. Ils forment deux rangées, l'une de trois, Fautre de deux pièces; ils sont très-aplatis, réunis de manière à présenter l'image d'une sorte de pavé, et presque tous hexagones. Les os du métacarpe sont aussi très-aplatis, et sou- dés les uns aux autres. Le nombre des phalanges n'est pas le même dans les cinq doigts. Tous ces os du bras, de l'avant-bras, du carpe, du métacarpe et des doigts, non seulement sont articulés de manière qu'ils ne peuvent se mouvoir les uns sur les autres, comme les os des extrémités antérieures de l'homme et de plusieurs mammifères, mais encore sont réunis par des cartilages très-longs, qui recouvrent quelquefois la moitié des os qu'ils joignent l'un à l'autre, et ne laissent qu'un peu de souplesse à l'ensemble qu'ils contribuent à former. Il n'y a d'ailleurs aucun muscle propre à tourner l'avant-bras de telle sorte que la paume de la main devienne alternativement supérieure ou inférieure à la face qui lui est opposée; ou, ce qui est la même chose , il n'y a ni supinateur , ni pronateur. Des rudimens aponévrotiques de muscles sont étendus sur toute la surface des os, et en consolident les articula- tions. Tout concourt donc pour que l'extrémité antérieure 5 84 HISTOIRE NATURELLE de la baleine franche soit une véritable rame élastique et puissante, plutôt qu'un organe propre à saisir, retenir et palper les objets extérieurs. Cettç élasticité et cette vigueur doivent d'autant moins étonner, que la nageoire pectorale ou l'extrémité antérieure de la baleine est très-charnue ; que lors- qu'on dépèce ce cétacée, on enlève de cette nageoire de grandes portions de muscles; et que l'irritabilité de ces parties musculaires est si vive, qu'elles bondissent long- temps après avoir été détachées du corps de l'animal. Mais qu'avons-nous à dire du fluide qui nourrit ces muscles et entretient ces qualités? La quantité de sang qui circule dans la baleine, est plus grande à proportion que celle qui coule dans les quadrupèdes. Le diamètre de l'aorte surpasse souvent quatre décimètres. Le cœur est large et aplati. On a écrit que le trou botaï, par lequel le sang des mammi- fères qui ne sont pas encore nés, peut parcourir les cavités du cœur, aller des veines dans les artères, et circuler dans la totalité du système vasculaire sans passer par les poumons, restoit ouvert dans la baleine franche pendant toute sa vie, et qu'elle devoit à cette particularité la facilité de vivre long-temps sous l'eau. On pourroit croire que cette ouverture du trou botal est en effet maintenue par l'habitude que la jeune ba- leine contracte en naissant de passer un temps assez long dans le fond de la mer, et par conséquent sans gon- fler ses poumons par des inspirations de fair atmosphé- D E S B À L E I N E S. 35 rique, et sans donner accès dans leurs vaisseaux au sang apporté par les veines, qui alors est forcé de couler par le trou botai pour pénétrer jusqu'à l'aorte. Quoi qu'il en soit cependant de la durée de cette ouverture, la baleine franche est obligée de venir fréquemment à la surface de la mer, pour respirer l'air de l'atmosphère, et introduire dans ses poumons le fluide réparateur sans lequel le sangauroit bientôt perdu les qualités les plus nécessaires à la vie; mais comme ses poumons sont très-volumineux, elle a moins besoin de renouveler souvent les inspirations qui les remplissent de fluide atmosphérique. Le gosier de la baleine est très-étroit, et beaucoup plus qu'on ne le croiroit lorsqu'on voit toute l'étendue de la gueule de cet animal démesuré. L'œsophage est beaucoup plus grand à proportion, long de plus de trois mètres , et revêtu à l'intérieur d'une membrane très-dense, glanduleuse et plissée. Le célèbre Hunter nous a appris que la baleine , ainsi que tous les autres cétacées, présentoit dans son esto- mac une conformation bien remarquable dans un habi- tant des mers, qui vit de substance animale. Cet organe a de très-grands rapports avec l'estomac des animaux ruminans. Il est partagé en plusieurs cavités très-dis- tinctes; et il en offre même cinq, au lieu de n'en mon- trer que quatre, comme ces ruminans. Ces cinq portions, ou, si on l'aime mieux, ces cinq estomacs, sont renfermés dans une enveloppe com- 36 HISTOIRE NATURELLE raune; et voici les formes particulières qui leur sont propres. Le premier est un ovoïde imparfait, sillonné à l'intérieur de rides grandes et irrégulières. Le second, très-grand ; et plus long que le premier , a sur sa surface intérieure des plis nombreux et inégaux; il communique avec le troisième par Un orifice rond et étroit, mais qu'aucune valvule ne ferme. Le troisième ne paroît, à cause de sa petitesse, qu'un passage du second au qua- trième. Les parois intérieures de ce dernier sont gar- nies d'appendices menus et déliés, que l'on a comparés à des poils; il aboutit au cinquième par une ouverture ronde, plus étroite que l'orifice par lequel les alimens entrent du troisième estomac dans cette quatrième poche; et enfin, le cinquième est lisse, et se réunit par le pylore avec les intestins proprement dits , dont la longueur est souvent de plus de cent vingt mètres. La baleine franche a un véritable cœcum, un foie très-volumineux, une rate peu étendue, un pancréas très-long, une vessie ordinairement alongée et de grandeur médiocre. Mais ne devons-nous pas maintenant remarquer quels sont les effets des divers organes que nous venons de décrire, quel usage la baleine peut en faire; et avant cette recherche, quels caractères particuliers appar- tiennent aux centres d'action qui produisent ou modi- fient les sensations de la baleine, ses mouvemens et ses habitudes? Le cerveau de la baleine non seulement ne renferme DES BALEINES. Oj pas cette cavité digitale et ce lobe postérieur qui n'ap- partiennent qu'à l'homme et à des espèces de la famille des singes, mais encore est très-petit relativement à la masse de ce cétacée. Il est des baleines franches dans lesquelles le poids du cerveau n'est que le vingt-cinq- millième du poids total de l'animal, pendant que dans l'homme il est au-dessus du quarantième \ dans tous les quadrupèdes dont on a pu connoître exactement l'intérieur de la tête , et particulièrement dans l'élé- phant, au-dessus du cinq-centième; dans le serin, au- dessus du vingtième ; dans le coq et le moineau, au-des- sus du trentième; dans l'aigle, au-dessus du deux-cen- tième; dans l'oie, au-dessus du quatre-centième; dans la grenouille, au-dessus du deux-centième; dans la cou- leuvre à collier, au-dessus du huit-centième; et dans le cyprin carpe, au-dessus du six-centième. A la vérité, il n'est guère que du six-millième du poids total de l'individu dans la tortue marine, du quatorze- centième dans l'ésoce brochet, du deux-millième dans le silure glanis , du deux-mille-cinq-centième dans le squale requin, et du trente-huit-millième dans le scombre thon. Le diaphragme de la baleine franche est doué d'une grande vigueur. Les muscles abdominaux, qui sont trës-puissans et composés d'un mélange de fibres mus- culaires et de fibres tendineuses, l'attachent par-devant. La baleine a, par cette organisation, la force nécessaire pour contre-balancer la résistance du fluide aqueux qui. 38 HISTOIRE NATURELLE l'entoure, lorsqu'elle a besoin d'inspirer un grand vo- lume d'air; et d'ailleurs, la position du diaphragme, qui, au lieu d'être verticale, est inclinée en arrière, rend plus facile cette grande inspiration, parce qu'elle permet aux poumons de s'étendre le long de l'épine du dos, et de se développer dans un plus grand espace. Mais animons le colosse dont nous étudions les pro- priétés : nous avons vu la structure des organes de ses sens ; quels en sont les résultats? quelle est la délica- tesse de ces sens? quelle est, par exemple, la finesse du toucher? La baleine a deux bras; elle peut les appliquer à des objets étrangers; elle peut placer ces objets entre son corps et l'un de ses bras, les retenir dans cette position, toucher à la fois plus d'une de leurs surfaces. Mais ce bras ne se plie pas comme celui de l'homme, et la main qui le termine ne se courbe pas, et ne se divise pas en doigts déliés et flexibles, pour s'appliquer à tous les contours, pénétrer dans les cavités, saisir toutes les formes. La peau de la baleine, dénuée d écailles et de tubercules, n'arrête pas les impressions ; elle ne les in- tercepte pas , si elle les amortit par son épaisseur et les diminue par sa densité ; elle les laisse pénétrer jusqu'aux houppes nerveuses, répandues auprès de presque tous les points de la surface extérieure de l'animal. Mais quelle couche de graisse ne trouve-t-on pas au-dessous de cette peau? et tout le monde sait que les animaux dans lesquels la peau recouvre une très-grande quantité DES BALEINES, 3l) de graisse, ont à proportion beaucoup moins de sensi- bilité dans cette même peau. La grandeur, la mollesse et la mobilité de la langue, ne permettent pas de douter que le sens du goût n'ait une sorte de finesse dans la baleine franche. La voilà donc beaucoup plus favorisée que les poissons pour le goût et pour le toucher, quoique moins bien traitée pour ces deux sens que la plupart des mammifères. Mais quel degré de force a, dans cet animal extraordi- naire, le sens de l'odorat, si étonnant dans plusieurs quadrupèdes, si puissant dans presque tous les pois- sons? Ce cétacée a-t-ii reçu un odorat exquis, que semblent lui assurer, d'un côté sa qualité de mammi- fère, et de l'autre celle d'habitant des eaux? Au premier coup-d'œil, non seulement on considé- reroit l'odorat de la baleine comme très-foible, mais même on pourroit croire qu'elle est entièrement pri- vée d'odorat ; et dès-lors combien l'analogie seroit trom- peuse relativement à ce cétacée ! En effet, la baleine franche manque de cette paire de nerfs qui appartient aux quadrupèdes, aux oiseaux, aux quadrupèdes ovipares, aux serpens et aux poissons , que l'on a nommée la première paire à cause de la portion du cerveau de laquelle elle sort, et de sa direction vers la partie la plus avancée du museau, et qui a reçu aussi le nom de paire de nerfs olfactifs , parce qu'elle com- munique au cerveau les impressions des substances odorantes. 4-0 HISTOIRE NATURELLE De plus, les longs tuyaux que l'on nomme évents, et que Ton a aussi appelés narines, ne présentent ni cryptes ou cavités , ni follicules muqueux /ni lames saillantes, ne communiquent avec aucun sinus, ne montrent aucun appareil propre à donner ou fortifier les sensations de l'odorat, et ne sont revêtus à l'intérieur que d'une peau sèche, peu sensible, et capable de résister, sans en être offensée , aux courans si souvent renouvelés d'une eau salée , rejetée avec violence. Mais apprenons de notre savant confrère le citoyen Cuvier, que la baleine franche doit avoir, comme les autres cétacées, un organe particulier, qui est dans ces animaux celui de l'odorat, et qu'il a vu dans le dau- phin vulgaire, ainsi que dans le marsouin. Nous avons dit, en parlant de la conformation de l'oreille, que le tujau auquel on a donné le nom de trompe d'.Eustachc, et qui fait communiquer l'intérieur de la caisse du tympan avec la bouche, remontoit vers le haut de l'évent, dans la cavité duquel il aboutissoit. La partie de ce tuyau qui est voisine de l'oreille, montre à sa face interne un trou assez large, qui donne dans un espace vide. Ce creux est grand, situé profondément, placé entre l'œil, l'oreille et le crâne, et entouré d'une cellulosité très-ferme, qui en maintient les parois. Ce creux se prolonge en différens sinus, terminés par des membranes collées contre les os. Ces sinus et cette ca- vité sont tapissés d'une membrane noirâtre, muqueuse et tendre. Ils communiquent avec les sinus frontaux \ DES BALEINES. 41 par un canal qui va en montant et qui passe au-devant de l'orbite. On voit donc que les émanations odorantes, appor- tées par l'eau de la mer ou par l'air de l'atmosphère, pénètrent facilement jusqu'à ce creux et à ces sinus par l'orifice de l'évent ou l'ouverture de la bouche, par Févent, et par la trompe d'Eustache. On doit y suppo- ser le siège de l'odorat. A la vérité, on ne trouve dans ces sinus ni dans cette cavité, que des ramifications de la cinquième paire de nerfs; et c'est la première paire qui, dans presque tous les animaux, reçoit et transmet les impressions des corps odorans. 'Mais qu'on ait sans cesse présente une importante vérité : les nerfs qui se distribuent dans les divers or- ganes des sens , sont tous de même nature ; ils ne diffèrent que par leurs divisions plus ou moins grandes: ils feroient naître les mêmes sensations s'ils étoient également déliés, et placés de manière à être également ébranlés par la présence des corps extérieurs. Nous ne voyons par l'œil et n'entendons par l'oreille, au lieu de voir par l'oreille et d'entendre par l'œil, que parce que le nerf optique est placé au fond d'une sorte de lunette qui écarte les rajons inutiles, réunit ceux qui forment l'image de l'objet, proportionne la vivacité de la lu- mière à la délicatesse des rameaux nerveux, et parce que le nerf acoustique se développe dans un appareil qui donne aux vibrations sonores le degré de netteté et 6 m ^2 HISTOIRE NATURELLE de force le plus analogue à la ténuité des expansions de ce même nerf. Plusieurs fois, enfin, des coups violens, ou d'autres impressions que l'on n'éprouvoit que par un véritable toucher soit à l'extérieur, soit à l'intérieur, ont donné la sensation du son ou celle de la lumière. Quoi qu'il en soit cependant du véritable organe de l'odorat dans la baleine, les observations prouvent, indépendamment de toute analogie, qu'elle sent les corpuscules odorans , et même qu'elle distingue de loin les nuances ou les diverses qualités des odeurs. Nous préférons de rapporter à ce sujet un fait que nous trouvons dans les notes manuscrites qui nous ont été remises par notre vénérable collègue le sénateur Plévilie-le-Pelej, vice-amiral et ancien ministre de la marine. Ce respectable homme d'état, l'un des plus braves militaires , des plus intrépides navigateurs et des plus habiles marins, dit, dans une de ces notes, que nous transcrivons avec d'autant plus d'empresse- ment qu'elle peut être très-utile à ceux qui s'occupent de la grande pêche de la morue : « La baleine poursui- » vaut à la côte de Terre-Neuve la morue, le capelan, » le maquereau , inquiète souvent les bateaux pê- » cheurs : elle les oblige quelquefois à quitter le fond » dans le fort de la pêche , et leur fait perdre la » journée. » J'étois un jour avec mes pêcheurs : des baleines » parurent sur l'horizon; je me préparai à leur céder » la place : mais la quantité de morue qui étoit dans # DES BALEINES. 4-3 * le bateau , y avoit répandu beaucoup d'eau qui s'étoit » pourrie; pour porter la voile nécessaire, j'ordonnai » qu'on jetât à la mer cette eau qui empoisonnoit ; » peu après je vis les baleines s'éloigner, et mes ba- » teaux continuèrent de pêcher. » Je réfléchis sur ce qui venoit de se passer, et j'admis » pour un moment la possibilité que cette eau infecte » avoit fait fuir les baleines. « Quelques jours après, j'ordonnai à tous mes ba- » teaux de conserver cette même eau et de la jeter à la » mer tous ensemble, si les baleines approchaient, sauf » à couper leurs cables et à fuir, si ces monstres conti- « nuoient d'avancer. » Ce second essai réussit à merveille : il fut répété s» deux ou trois fois, et toujours avec succès; et de- » puis je me suis intimement persuadé que la mau- » vaise odeur de celte eau pourrie est sentie de loin » par la baleine, et qu'elle lui déplaît. » Cette découverte est fort utile à toutes les pêches ?» faites par bateaux, etc. >» Les baleines franches sont donc averties fortement et de loin de la présence des corps odorans. Elles entendent aussi , à de grandes distances , des sons ou des bruits même assez foibles. Et d'abord , pour percevoir les vibrations du fluide atmosphérique, elles ont reçu un canal déférent très- large, \euvtroinpe d'Eustache ayant un grand diamètre. Mais de plus, dans le temps même où elles nagent à la AA HISTOIRE NATURELLE surface de l'océan, leur oreille est presque toujours plon- gée à deux ou trois mètres au-dessous du niveau de la mer. C'est donc par le moyen de l'eau que les vibrations sonores parviennent à leur organe acoustique ; et tout le monde sait que l'eau est un des meilleurs conducteurs de ces vibrations; que les sons les plus foibles suivent des courans ou des masses d'eau jusqu'à des distances bien supérieures à l'espace que leur fait parcourir le fluide atmosphérique : et combien de fois, assis sur les rives d'un grand fleuve, n'ai-je pas dans ma patrie* entendu, de près de vingt myriamètres, des bruits, et particulièrement des coups de canon , que je n'aurois peut-être pas distingués de quatre ou cinq myriamètres, s'ils ne m'avoient été transmis que par l'air de l'at- mosphère ? Voici d'ailleurs une raison forte pour supposer dans l'oreille de la baleine franche un assez haut degré de délicatesse. Ceux qui se sont occupés d'acoustique ont pu remarquer depuis long-temps, comme moi, que les personnes dont l'organe de l'ouïe est le plus sensible, et qui reconnoissent dans un son les plus foibles nuances d'élévation, d'intensité ou de toute autre modification, ne reçoivent cependant des corps sonores que les im- pressions les plus confuses, lorsqu'un bruit violent, tel que celui du tambour ou d'une grosse cloche, retentit auprès d'elles. On les croiroit alors très-sourdes : elles * Près d'Agen. D E S B A L E î K E S. 4 5 ne s'apperçoïvent même , dans ces momens d'ébranle- ment extraordinaire, d'aucun autre effet sonore que celui qui agite leur organe auditif, très-facile à émou- voir. D'un autre côté, les pêcheurs qui poursuivent la baleine franche savent que lorsqu'elle rejette par ses évents une très-grande quantité d'eau, le bruit du fluide qui s'élève en gerbes, et retombe en pluie sur la surface de l'océan, l'empêche si fort de distinguer d'autres effets sonores, que dans cette circonstance des bâti mens peuvent souvent s'approcher d'elle sans qu'elle en soit avertie, et qu'on choisit presque toujours ce temps d'étourdissement pour l'atteindre avec plus de facilité, l'attaquer de plus près , et la harponner plus sûrement. La vue des baleines franches doit être néanmoins aussi bonne, et peut-être meilleure, que leur ouïe. En effet, nous avons dit que leur cristallin étoît presque sphérique. 11 a souvent une densité supérieure à celle du cristallin des quadrupèdes et des autres ani^ maux qui vivent toujours dans l'air de l'atmosphère. Il présente même une seconde qualité plus remarquable encore : imprégné de substance huileuse, il est plus inflammable que le cristallin des animaux terrestres. Aucun physicien n'ignore que plus les rajons lumi- neux tombent obliquement sur la surface d'un corps diaphane, et plus en le traversant ils son t réfractes , c'est-à-dire, détournés de leur première direction, et réunis dans un fover à une plus petite distance de la substance transparente. zj 6 HISTOIRE NATURELLE La réfraction des rayons de la lumière est donc plus grande au travers dune sphère que d'une lentille apla- tie. Elle est aussi proportionnée à la densité du corps diaphane ; et Newton a appris qu'elle est également d'autant plus forte que la substance traversée par les rayons lumineux exerce, par sa nature inflammable, une attraction plus puissante sur ces mêmes rayons. Trois causes très-actives donnent donc au cristallin des baleines, comme à celui des phoques et des pois- sons , une réfraction des plus fortes. Quel est cependant le fluide que traverse la lumière pour arriver à l'organe de la vue des baleines franches? Leur œil, placé auprès de la commissure des lèvres, est presque toujours situé à plusieurs mètres au-dessous du niveau de la mer, lors même qu'elles nagent à la sur- face de l'océan : les rayons lumineux ne parviennent donc à l'œil des baleines qu'en passant au travers de l'eau. La densité de l'eau est très-supérieure à celle de l'air, et beaucoup plus rapprochée de la densité du cristallin des baleines. La réfraction des rayons lumi- neux est d'autant plus foible, que la densité du fluide qu'ils traversent est moins différente de celle du corps diaphane qui doit les réfracter. La lumière passant de l'eau dans l'œil et dans le cristallin des baleines, seroit donc très-peu réfractée; le foyer où les rayons se réuni- roient seroit très-éloigué de ce cristallin; les rayons ne seroient pas rassemblés au degré convenable lorsqu'ils tomberoient sur la rétine, et il n'y auroit pas de vision DES BALEINES. Ay distincte, si cette cause d'une grande foiblesse dans la réfraction n'étoit contre-balancée par les trois causes puissantes et contraires que nous venons d'indiquer. Le cristallin des baleines franches présente un degré de sphéricité , de densité et d'inflammabilité , ou, en un seul mot, un degré de force réfringente très-propre à compenser le défaut de réfraction que produit la den- sité de l'eau. Ces cétacées ont donc un organe optique très-adapté au fluide dans lequel ils vivent : 3a lame d'eau qui couvre leur œil, et au travers de laquelle ils apperçoivent les corps étrangers, est pour eux comme un instrument de dioptrique, comme un verre artifi- ciel , comme une lunette capable de rendre leur vue nette et distincte, avec cette différence qu'ici c'est l'orga- nisation de l'œil qui corrige les effets d'un verre qu'ils ne peuvent quitter, et que les lunettes de l'homme com- pensent au contraire les défauts d'un œil déformé, altéré ou affaibli , auquel on ne peut rendre ni sa force, ni sa pureté, ni sa forme. Ajoutons une nouvelle considération. Les rivages couverts d'une neige brillante, et les montagnes de glaces polies et éclatantes, dont les ba- leines franches sont souvent très-près , blesseroient d'au- tant plus leurs jeux que ces organes ne sont pas garan- tis par des paupières mobiles, comme ceux des qua- drupèdes, et que pendant plusieurs mois de suite ces mers hyperboréennes et gelées réfléchissent les rajons du soleil. Mais la lame d'eau qui recouvre l'œil de ces 48 HISTOIRE K A T U R F L L E cétacées , est comme un voile qui intercepte une grande quantité de rayons de lumière; l'animal peut l'épaissir facilement et avec promptitude, en s'enfonçant de quelques mètres de plus au-dessous de la surface de la mer; et si, dans quelques circonstances très-rares et pendant des momens très-courts, l'œil de la baleine est tout-à-fait hors de l'eau, on va comprendre aisément ce qui remplace le voile aqueux qui ne le garantit plus d'une lumière trop vive. La réfraction que le cristallin produit est si fort aug- mentée par le peu de densité de l'air qui a pris alors la place de l'eau, et qui aboutit jusqu'à la cornée, que le fojer àes rayons lumineux, plus rapproché du cris- tallin, ne tombe plus sur la rétine, n'agit plus sur les houppes nerveuses qui composent la véritable partie sensible de l'organe, et ne peut plus éblouir le cétacée. Les baleines franches ont donc reçu de orandes sources de sensibilité, d'instinct et d'intelligence, de grands principes de mouvement, de grandes causes d'action. Voyons agir ces animaux, dont tous les attributs sont des sujets d'admiration et d'étude. Suivons-les sur les mers. Le printemps leur donne une force nouvelle ; une chaleur secrète pénètre dans tous leurs organes; la vie s'y ranime; ils agitent leur masse énorme; cédant au besoin impérieux qui les consume, le mâle se rapproche plus que jamais de sa femelle; ils cherchent dans une DES BALEINES. 49 baie, dans le fond d'un golfe, dans une grande rivière, une sorte de retraite et d'asvle; et brûlant l'un pour l'autre d'une ardeur que ne peuvent calmer, ni l'eau qui les arrose, ni le souffle des vents , ni les glaces qui flottent encore autour d'eux, ils se livrent à cette union intime qui seule peut l'appaiser. En comparant et en pesant les témoiguages des pê- cheurs et des observateurs, on doit croire que, lors de leur accouplement, le mâle et la femelle se dressent, pour ainsi dire, l'un contre l'autre, enfoncent leur queue, relèvent la partie antérieure de leur corps, por- tent leur tête au-dessus de l'eau, et se maintiennent dans cette situation verticale, en s'embrassant et se serrant étroitement avec leurs nageoires pectorales*. Comment pourroient-ils, dans toute autre position, respirer l'air de l'atmosphère, qui leur est alors d'autant plus né- cessaire, qu'ils ont besoin de tempérer l'ardeur qui les anime? D'ailleurs, indépendamment des relations uni- formes que font à ce sujet les pêcheurs du Groenland, nous avons en faveur de notre opinion une autorité irrécusable. Notre célèbre confrère le citoyen de Saint- Pierre, membre de l'Institut national, assure avoir vu plusieurs fois, dans son vojage à l'île de France, des baleines accouplées dans la situation que nous venons d'indiquer. Ceux qui ont lu l'histoire de la tortue franche, n'ont Bonnaterre, Cétologie. Planches de l'Encyclopédie méthodique. 7 oO HISTOIRE NATURELLE pas besoin que nous fassions remarquer la ressemblance qu'il y a entre cette situation et celle dans laquelle nagent les tortues franches lorsqu'elles sont accouplées. On ne doit pas cependant retrouver la même analogie dans la durée de l'accouplement. Nous ignorons pendant quel temps se prolonge celui des baleines franches; mais, d'après les rapports qui les lient aux autres mam- mifères , nous devons le croire très-court, au lieu de le supposer très-long, comme celui des tortues marines. Il n'en est pas de même de la durée de l'attachement du maie pour sa femelle. On leur a attribué une grande constance; et on a cru reconnoître pendant plusieurs années le même mâle assidu auprès de la même fe- melle, partager son repos et ses jeux, la suivre avec fidélité dans ses vojages, la défendre avec courage, et ne l'abandonner qu'à la mort. On dit que la mère porte son fœtus pendant dix mois ou environ ; que pendant la gestation elle est plus grasse qu'auparavant, sur-tout lorsqu'elle approche du temps où elle doit mettre bas. Quoi qu'il en soit, elle ne donne ordinairement le jour qu'à un baleineau à la fois, et jamais la même portée n'en a renfermé plus de deux. Le baleineau a presque toujours plus de sept ou huit mètres en venant à la lu- mière. Les pêcheurs du Groenland, qui ont eu tant d'occasions d'examiner les habitudes de la baleine franche, ont exposé la manière dont la baleine mère allaite son baleineau. Lorsqu'elle veut lui donnera teter, DES BALEINES. 5l elle s'approche de la surface de la mer, se retourne à demi, nage ou flotte sur un côté, et, par de légères mais fréquentes oscillations, se place tantôt au-des- sous, tantôt au-dessus de son baleineau, de manière (jue l'un et l'autre puissent alternativement rejeter par leurs évents l'eau salée trop abondante dans leur gueule, et recevoir le nouvel air atmosphérique nécessaire à leur respiration. Le lait ressemble beaucoup à celui de la vache, mais contient plus de crème et de substance nutritive. Le baleineau tette au moins pendant un an; les Au- glois l'appellent alors sîwrleacL II est très-gros, et peut donner environ cinquante tonneaux de graisse. Au bout de deux ans, il reçoit le nom de s tant , paroît, dit-on, comme hébété, et ne fournit qu'une trentaine de tonneaux de substance huileuse. On le nomme en- suite scu/fish, et l'on ne connoît plus son âge que par la longueur des barbes ou extrémités de fanons qui bor- dent ses mâchoires. Ce baleineau est, pendant le temps qui suit im- médiatement sa naissance, l'objet d'une grande ten- dresse, et d'une sollicitude qu'aucun obstacle ne lasse, qu'aucun danger n'intimide. La mère le soigne même quelquefois pendant trois ou quatre ans, suivant l'as- sertion des premiers navigateurs qui sont allés à la pêche de la baleine, et suivant l'opinion d'Albert, ainsi que de quelques autres écrivains qui sont venus après lui. Elle ne le perd pas ua instant de vue. S'il 02 HISTOIRE NATURELLE rie nage encore qu'avec peine, elle le précède, lui ouvre la route au milieu des flots agités , ne souffre pas qu'il reste trop long-temps sous l'eau, l'instruit par son exemple , l'encourage, pour ainsi dire, par son attention , le soulage dans sa fatigue , le sou- tient lorsqu'il ne feroit plus que de vains efforts, le prend entre sa nageoire pectorale et son corps, l'em- brasse avec tendresse, le serre avec précaution, le met quelquefois sur son dos, l'emporte avec elle, modère ses mouvemens pour ne pas laisser échapper son doux fardeau, pare les coups qui pourroient l'atteindre, attaque l'ennemi qui voudroit le lui ravir, et, lors même qu'elle trouvèrent aisément son salut dans la fuite, combat avec acharnement , brave les douleurs les plus vives, renverse et anéantit ce qui s'oppose à sa force , ou répand tout son sang et meurt plutôt que d'abandonner l'être qu'elle chérit plus que sa vie. Affection mutuelle et touchante du mâle, de la fe- melle, et de l'individu qui leur doit le jour, première source du bonheur pour tout être sensible, la surface entière du globe ne peut donc vous offrir un asvle*! Ces immenses mers, ces vastes solitudes, ces déserts reculés des pôles, ne peuvent donc vous donner une retraite inviolable ! En vain vous vous êtes confiée à la grandeur * Voyez particulièrement une lettre de M. de la Courtaudière , adressée de Saint-Jean de-Luz à Duhamel , et publiée par ce dernier dans scn. Traité des pèches. DES BALEINES. 53 de la distance, à la rigueur des frimas, à la violence des tempêtes : ce besoin impérieux de jouissances sans cesse renouvelées, que la société humaine a fait naître , vous poursuit au travers de l'espace , des orages et des glaces; il vous trouble au bout du monde, comme au sein des cités qu'il a élevées; et, fils ingrat de la Nature, il ne tend qu'à l'attrister et l'asservir! Cependant quel temps est nécessaire pour que ce baleineau si chéri, si soigné, si protégé, si défendu, parvienne au terme de son accroissement? On l'ignore. On ne connoît pas la durée du dévelop- pement des baleines : nous savons seulement qu'il s'opère avec une grande lenteur, llja plus de cinq ou six siècles qu'on donne la chasse à ces animaux; et néan- moins , depuis le premier carnage que l'homme en a fait, aucun de ces cétacées ne paroît avoir encore eu le temps nécessaire pour acquérir le volume qu'ils pré- sentoient lors des premières navigations et des pre- mières pèches dans les mers polaires. La vie de la ba- leine peut donc être de bien des siècles; et lorsque. BufFon a dit, Une baleine peut bien vivre mille ans , puis- ait une carpe en vit plus de deux cents , il n'a rien dit d'exagéré. Quel nouveau sujet de réflexions ! Voilà, dans le même objet, l'exemple de la plus longue durée, en même temps que de la plus grande masse; et cet être si supérieur est un des habitans de l'antique océan. - Mais quelle quantité d'alimens et quelle nourriture 5,4 HISTOIRE NATURELLE particulière doivent développer un volume si énorme, et conserver pendant tant de siècles le soufBe qui l'anime, et les ressorts qui le font mouvoir? Quelques auteurs ont pensé que la baleine franche se nourrissoit de poissons, et particulièrement de gades, de scombres et de clupées ; ils ont même indiqué les espèces de ces osseux qu'elle préférait : mais il paroît qu'ils ont attribué à la baleine franche ce qui appar- tient au nordcaper et à quelques autres baleines. La franche n'a vraisemblablement pour alimens que des crabes et des mollusques, tels que des actinies et des clios. Ces animaux, dont elle fait sa proie, sont bien petits ; mais leur nombre compense le peu de substance que présente chacun de ces mollusques ou insectes, ils sont si multipliés dans les mers fréquentées par la ba- leine franche, que ce cétacée n'a souvent qu'à ouvrir la gueule pour en prendre plusieurs milliers à la lois. Elle les aspire , pour ainsi dire, avec l'eau de la mer qui les entraîne, et quelle rejette ensuite par ses évents ; et comme cette eau salée est quelquefois chargée de vase, et charrie des algues et des débris de ces plantes marines, il ne seroit pas surprenant qu'on eût trouvé dans l'estomac de quelques baleines franches, des sédi- mens de limon et des fragmens de végétaux marins, quoique l'aliment qui convient au cétacée dont nous écrivons l'histoire, ne soit composé que de substances véritablement animales. Une nouvelle preuve du besoin qu'ont les baleines DES BALEINES. 55 franches de se nourrir de mollusques et de crabes , est letat de maigreur auquel elles sont réduites , lors- qu'elles séjournent dans des mers où ces mollusques et ces crabes sont en très-petit nombre. Le capitaine Jacques Colnett a vu et pris de ces baleines dénuées de graisse, à seize degrés treize minutes de latitude boréale, dans le grand Océan équinoxial, auprès de Guatimala, et par conséquent dans la zone torride*. Elles étoient si maigres, qu'elles avoient à peine assez d'huile pour flotter; et lorsqu'elles furent dépecées, leurs carcasses coulèrent à fond, comme des pierres pesantes. Les qualités des aiimens de la baleine franche donnent à ses excrémens un peu de solidité, et une couleur ordinairement voisine de celle du safran, mais qui, dans certaines circonstances, offre des nuances rou- geâtres, et peut fournir, suivant l'opinion de certains auteurs, une teinture assez belle et durable. Cette der- nière propriété s'accorderoit avec ce que nous avons dit dans plus d'un endroit de V Histoire des poissons. Nous y avons fait observer que les mollusques non seulement élaboroient cette substance, qui, en se durcissant au- tour d'eux, devenoit une nacre brillante ou une co- quille ornée des plus vives couleurs, mais encore pa- roissoient fournir aux poissons dont ils étoient la proie , la matière argentine qui se rassembloit en écailles * A Voyage lo ihe south Atlantic , for ihe purpose of extenJing the spermaceti -whale fiolieries 3 etc. by captain James Colnett. London , 1798. f 56 HISTOIRE NATURELLE resplendissantes du feu des diamans et des pierres pre'- cieuses. La chair et les sucs de ces mollusques, décom- posés et remaniés, pour ainsi dire, dans les organes de la baleine franche, ne produisent ni nacre, ni coquille, ni écailles vivement colorées, mais transmettroient à un des résultats de la digestion de ce cétacée, des élé- mens de couleur plus ou moins nombreux et plus ou moins actifs. Au reste, à quelque distance que la baleine franche doive aller chercher l'aliment qui lui convient, elle peut la franchir avec une grande facilité; sa vitesse est si grande, que ce cétacée laisse derrière lui une voie large et profonde, comme celle d'un vaisseau qui vogue à pleines voiles. Elle parcourt onze mètres par seconde. Elle va plus vite que les vents alizés; deux fois plus prompte, elle dépasseroit les vents les plus impétueux; trente fois plus rapide, elle auroit franchi l'espace aus- sitôt que le son. En supposant que douze heures de repos lui suffisent par jour, il ne lui faudroit que quarante-sept jours ou environ pour faire le tour du monde en suivant l'équateur , et vingt- quatre jours pour aller d'un pôle à l'autre, le long d'un méridien. Comment se donne-t-elle cette vitesse prodigieuse? par sa caudale, mais sur-tout par sa queue. Ses muscles étant non seulement très-puissans, mais très-souples, ses mouvemens sont faciles et soudains. L'éclair n'est pas plus prompt qu'un coup de sa cau- dale. Cette nageoire, dont la surface est quelquefois de DES BALEINES. bj neuf ou dix mètres carrés , et qui est horizontale, frappe l'eau avec violence, de haut en bas, ou de bas en haut, lorsque l'animal a besoin pour s'élever, d'éprouver de la résistance dans le fluide au-dessus duquel sa queue se trouve, ou que, tendant à s'enfoncer dans l'océan, il cherche un obstacle dans la couche aqueuse qui re- couvre sa queue. Cependant, lorsque la baleine part des profondeurs de l'océan pour monter jusqu'à la surface de la mer, et que sa caudale agit plusieurs fois de haut en bas, il est évident qu'elle est obligée, à chaque coup, de relever sa caudale, pour la rabaisser ensuite. Elle ne la porte cependant vers le haut qu'a- vec lenteur, au lieu que c'est avec rapidité qu'elle la ramène vers le bas jusqu'à la ligne horizontale et même au-delà. Par une suite de cette différence, l'action que le cé- tacée peut exercer de bas en haut, et qui l'empêche- roit de s'élever, est presque nulle relativement à celle qu'il exerce de haut en bas ; et ne perdant presque aucune partie de la grande force qu'il emploie pour son ascension, il monte avec une vitesse extraordinaire. Mais, lorsqu'au lieu de monter ou de descendre, la baleine veut s'avancer horizontalement, elle frappe vers le haut et vers le bas avec une égale vitesse 3 elle agit dans les deux sens avec une force égale; elle trouve une égale résistance; elle éprouve une égale réaction. La caudale néanmoins, en se portant vers le bas et vers le haut, et en se relevant ou se rabaissant ensuite comme 8 58 HISTOIRE NATURELLE un ressort puissant, est hors de la ligne horizontale; elle est pliée sur l'extrémité delà queue, à laquelle elle est attachée; elle forme avec cette queue un angle plus ou moins ouvert et tourné alternativement vers le fond de l'océan et vers l'atmosphère : elle présente donc aux couches d'eau supérieures et aux couches inférieures une surface inclinée- elle reçoit, pour ainsi dire, leur réac- tions ur un plan incliné. Quelles sont les deux directions dans lesquelles elle est repoussée? Lorsque, après avoir été relevée, et descendant vers Ja ligne horizontale, elle frappe la couche d'eau infé- rieure, il est clair qu'elle est repoussée dans une ligne dirigée de bas en haut, mais inclinée en avant. Lors- qu'au contraire, après avoir été rabaissée, elle se relève vers la ligne horizontale pour agir contre la couche d'eau supérieure, la réaction qu'elle reçoit est dans le sens d'une ligne dirigée de haut en bas, et néanmoins inclinée en avant. L'impulsion supérieure et l'impulsion inférieure se succédant avec tant de rapidité , que leurs effets doivent être considérés comme simultanées, la caudale est donc poussée en même temps dans deux directions qui tendent l'une vers le haut, et l'autre vers le bas. Mais ces deux directions sont obliques; mais elles partent en quelque sorte du même point; mais elles forment un angle; mais elles peuvent être regardées comme les deux cotés contigus d'un parallélogramme. La caudale, et par conséquent la DES BALEINES. Dl) baleine, dont tont le corps partage le mouvement de cette nageoire, doivent donc suivre la diagonale de ce parallélogramme , et par conséquent se mouvoir en avant. La baleine parcourt une ligne horizontale , si la répulsion supérieure et la répulsion inférieure sont égales : elle s'avance en s'élevant, si la réaction qui vient d'en-bas l'emporte sur l'autre; elle s'avance en s'abais- sant , si la répulsion produite par les couches supé- rieures est la plus forte; et la diagonale qu'elle décrit est d'autant plus longue dans un temps donné, ou, ce qui est la même chose, sa vitesse est d'autant plus grande, que les couches d'eau ont été frappées avec plus de vigueur, que les deux réactions sont plus puis- santes, et que l'angle formé par les directions de ces deux forces est plus aigu. Ce que nous venons de dire explique pourquoi , dans les m o mens où la baleine veut monter verticalement, elle est obligée, après avoir relevé sa caudale, et à l'instant où elle veut frapper l'eau , non seulement de ramener cette nageoire jusqu'à la ligne horizontale, comme lorsqu'elle ne veut que s'avancer horizontale- ment, mais même de la lui faire dépasser vers le bas. En effet, sans cette précaution, la caudale, en se mou- vant sur son articulation, en tournant sur l'extrémité de la queue comme sur une charnière, et en ne retom- bant cependant que jusqu'à la ligne horizontale, seroit repoussée de bas en haut sans doute, mais dans une ligne inclinée en avant, parce qu'elle auroit agi elle- 6o HISTOIRE NATURELLE même par un plan incliné sur la couche d'eau infé^ rieure. Ce n'est qu'après avoir dépassé la ligne hori-* zontale, qu'elle reçoit de la couche inférieure une impulsion qui tend à la porter de bas en haut, et en même temps en arrière, et qui, se combinant avec la première répulsion , laquelle est dirigée vers le haut et obliquement en avant, peut déterminer la caudale à parcourir une diagonale qui se trouve la ligne verti- cale, et par conséquent forcer la baleine à monter verticalement. Un raisonnement semblable démontreroit pourquoi la baleine qui veut descendre dans une ligne verticale, est obligée, après avoir rabaissé sa caudale, de la rele- ver contre les couches supérieures, non seulement jus- qu'à la ligne horizontale, mais même au-dessus de cette ligne. Au reste, on comprendra encore mieux les effets que nous venons d'exposer, lorsqu'on saura de quelle manière la baleine franche est plongée dans Teau, même lorsqu'elle nage à la surface de la mer. On peut com- mencer d'en avoir une idée nette, en jetant les jeux sur les dessins que sir Joseph Banks , mon illustre con- frère, a bien voulu m'envojer, que j'ai fait graver, et qui représentent la baleine nordcaper. Qu'on regarde ensuite le dessin qui représente la baleine franche, et que Ion sache que lorsqu'elle nage même au plus haut des eaux, elle est assez enfoncée dans le fluide qui la soutient, pour qu'on n'apperçoive que le sommet de sa DES BALEINES. 6f tête et celui de son dos. Ces deux sommités s'élèvent seules au-dessus delà surface de la mer. Elles paroissent comme deux portions de sphère séparées; car renfon- cement compris entre le dos et la tête est recouvert par l'eau ; et du haut de la sommité antérieure, mais très-près de la surface des flots, jaillissent les deux colonnes aqueuses q«ue la baleine franche lance par ses évents. La caudale est donc placée à une distance de la sur- face de l'océan, égale au sixième ou à peu près de la longueur totale du cétacée; et par conséquent, il est des baleines où cette nageoire est surmontée par une couche d'eau épaisse de six ou sept mètres. La caudale cependant n'est pas pour la baleine le plus puissant instrument de natation. La queue de ce cétacée exécute, vers la droite ou vers la gauche, à la volonté de l'animal, des mouve- mens analogues à ceux qu'il imprime à sa caudale; et dès-lors cette queue doit lui servir, non seulement à changer de direction et à tourner vers la gauche ou vers la droite, mais encore à s'avancer horizontalement; Quelle différence cependant entre les effets que la cau- dale peut produire, et la vitesse que la baleine peut recevoir de sa queue qui, mue avec agilité comme la caudale, présente des dimensions si supérieures à celles de cette nageoire ! C'est dans cette queue que réside la véritable puissance de la baleine franche; c'est le grand ressort de sa vitesse; c'est le grand levier avec lequel 6'2 HISTOIRE NATURELLE elle ébranle, fracasse et anéantit; ou plutôt toute la force du cétacée réside dans l'ensemble formé par sa queue et par la nageoire qui la termine. Ses bras , ou, si on l'aime mieux, ses nageoires pectorales, peuvent bien ajouter à la facilité avec laquelle la baleine change l'intensité ou la direction de ses mouvemens, repousse ses ennemis ou leur donne la mort; mais, nous le répétons, elle a récuses rames proprement dites, son gouvernail, ses armes, sa lourde massue, lorsque la Nature a donné à sa queue et à la nageoire qui y est attachée, la figure, la disposition, le volume, la masse, la mobilité, la souplesse, la vigueur qu'elles mon- trent, et par le moyen desquelles elle a pu tant de fois briser ou renverser et submerger de grandes embar- cations. Ajoutons que la facilité avec laquelle la baleine franche agite non seulement ses deux bras, mais encore les deux lobes de sa caudale, indépendamment l'un de l'autre, est pour elle un moyen bien utile de varier ses mouvemens, de fléchir sa route, de changer sa position, et particulièrement de se coucher sur le côté, de se renverser sur le dos, et de tourner à volonté sur l'axe que l'on peut supposer dans le sens de sa plus grande longueur. S'il est vrai que la baleine franche a au-dessous de la gorge un vaste réservoir qu'elle gonfle en y intro- duisant de l'air de l'atmosphère, et qui ressemble plus ou moins à celui que nous ferons reconnoître dans DÈS BALEINÉS, 63 d'autres énormes cétacées*, elle est aidée dans plusieurs circonstances de ses mouvemens, de ses vovages, de ses combats, par une nouvelle et grande cause d'agilité et de succès. Mais quoi qu'il en soit, comment pourroit-on être étonné des effets terribles qu'une baleine franche peut produire, si l'on réfléchit au calcul suivant? Une baleine franche peut peser plus de cent cinquante mille kilogrammes. Sa masse est donc égale à celle de cent rhinocéros, ou de cent hippopotames, ou de cent éléphans; elle est égale à celle de cent quinze millions de quelques uns des quadrupèdes qui appartiennent à la famille des rongeurs et au genre des musaraignes. Il faut multiplier les nombres qui représentent cette masse, par ceux qui désignent une vitesse suffisante pour faire parcourir à la baleine onze mètres par se- conde. Il est évident que voilà une mesure de la force de la baleine. Quel choc ce cétacée doit produire ! Un boulet de quarante-huit a sans doute une vitesse cent fois plusgrande; mais comme sa masse est au moins six mille fois plus petite, sa force n'est que le soixan- tième de celle de la baleine. Le choc de ce cétacée est donc égal à celui de soixante boulets de quarante-huit. Quelle terrible batterie! et cependant, lorsqu'elle agite une grande partie de sa masse, lorsqu'elle fait vibrer * Voyez , clans l'article de la baleinoplère museau-poiu:n (baleine à bec) y 3a description d'un îésovoir d'air que l'on trouve au-clessons du cou de celte baleinoptère. 64 HISTOIRE NATURELLE sa queue, qu'elle lui imprime un mouvement bien su- périeur à celui qui fait parcourir onze mètres par se- conde, qu'elle lui donne, pour ainsi dire, la rapi- dité de l'éclair, quel violent coup de foudre elle doit frapper ! Est-on surpris maintenant, que lorsque des bâtimens l'assiègent dans une baie, elle n'ait besoin que de plonger et de se relever avec violence au-dessous de ces vaisseaux, pour les soulever, les culbuter, les cou- ler à fond, disperser cette foible barrière, et cingler en vainqueur sur le vaste océan*? A la force individuelle les baleines franches peuvent réunir la puissance que donne le nombre. Quelque troublées qu'elles soient maintenant dans leurs retraites boréales, elles vont encore souvent par troupes. Ne se disputant pas une nourriture qu'elles trouvent ordi- nairement en très-grande abondance, et n'étant pas habituellement agitées par des passions violentes, elles sont naturellement pacifiques, douces, et entraînées les unes vers les autres par une sorte d'affection quelque- fois assez vive et même assez constante. Mais si elles n'ont pas besoin de se défendre les unes contre les autres, elles peuvent être contraintes d'employer leur puissance pour repousser des ennemis dangereux, ou d'avoir recours à quelques manœuvres pour se délivrer * On peut voir, dans l'ouvrage du savant professeur Schneider sur la Synonymie des poissons et des céiacées décrits par Artêdi t le passage d'Albert, qu'il cite page i63. DES BALEINES. 65 d'attaques importunes, se débarrasser d'un concours fatigant, et faire cesser des douleurs trop prolongées. Un insecte de la famille des crustacées, et auquel on a donné le nom de pou de baleine , tourmente beau- coup la baleine franche. Il s'attache si fortement à la peau de ce cétacée, qu'on la déchire plutôt que de l'en arracher. Il se cramponne particulièrement à la com- missure des nageoires, aux lèvres, aux parties de la génération, aux endroits les plus sensibles, et où la baleine ne peut pas, en se frottant, se délivrer de cet ennemi dont les morsures sont très -douloureuses et très-vives, sur-tout pendant le temps des chaleurs. D'autres insectes pullulent aussi sur son corps. Très- souvent l'épaisseur de ses tégumens la préserve de leur piqûre , et même du sentiment de leur présence ; mais, dans quelques circonstances, ils doivent l'agiter, comme la mouche du désert rend furieux le lion et la panthère, au moins, s'il est vrai, ainsi qu'on l'a écrit, qu'ils se multiplient quelquefois sur la langue de ce cétacée, la rongent et la dévorent, au point de la dé- truire presque en entier, et de donner la mort à la baleine. Ces insectes et ces crustacées attirent fréquemment sur le dos de la baleine franche un grand nombre d'oi- seaux de mer qui aiment à se nourrir de ces crustacées et de ces insectes, les cherchent sans crainte sur ce large dos, et débarrassent le cétacée de ces animaux incom- modes, comme le pique-bœuf délivre les bœufs qui 9 60 HISTOIRE NATURELLE habitent les plaines brûlantes de l'Afrique, des larves de taons ou d'autres insectes fatigans et funestes. Aussi n'avons -nous pas été surpris de lire dans le Voyage du capitaine Colnett autour du cap de Horn et dans le grand Océan , que depuis l'île Grande de l'Océan atlantique, jusqu'auprès des côtes de la Californie, il avoit vu des troupes de pétrels bleus accompagner les baleines franches *. Mais voici trois ennemis de la baleine, remarquables par leur grandeur, leur agilité, leurs forces et leurs armes. Ils la suivent avec acharnement, ilsla combattent avec fureur; et cependant reconnoissons de nouveau la puissance de la baleine franche : leur audace s'éva- nouit devant elle, s'ils ne peuvent pas, réunis plusieurs ensemble, concerter différentes attaques simultanées, combiner les efforts successifs de divers combattans, et si elle n'est pas encore trop jeune pour présenter tous les attributs de l'espèce. Ces trois ennemis sont le squale scie, le cétacée au- quel nous donnons le nom de dauphin gladiateur , et le squale requin. Le squale scie, que les pêcheurs nomment souvent vivelle, rencontre-t-il une baleine franche dont lâge soit encore très-peu avancé et la vigueur peu déve- loppée; il ose, si la faim le dévore, se jeter sur ce cétacée. * A Voyage to the soath Atlantic , for the purpose of extending the spetmacetï yvhale fishéries , etc. by caplain James ColncU. Loncîon, iyyu. DES BALEINES. Gl La jeune baleine, pour le repousser, enfonce sa tête dans l'eau, relève sa queue, l'agite et frappe des deux côtés. Si elle atteint son ennemi, elle l'accable, le tue, l'écrase d'un seul coup. Mais le squale se précipite en arrière, l'évite, bondit, tourne et retourne autour de son adversaire, change à chaque instant son attaque, saisit le moment le plus favorable, s'élance sur la baleine, enfonce dans son dos la lame longue, osseuse et dentelée, dont son museau est garni, la retire avec violence, blesse profondément le jeune cétacée, le dé- chire, le suit dans les profondeurs de l'océan, le force à remonter vers la surface de la mer, recommence un combat terrible, et, s'il ne peut lui donner la mort, expire en frémissant. Les dauphins gladiateurs se réunissent, forment une grande troupe, s'avancent tous ensemble vers la ba- leine franche, l'attaquent de toutes parts, la mordent, la harcèlent, la fatiguent, la contraignent à ouvrir sa gueule, et, se jetant sur sa langue, dont on dit qu'ils sont très-avides, la mettant en pièces, et l'arrachant par lambeaux, causent des douleurs insupportables au cétacée vaincu par le nombre, et l'ensanglantent par des blessures mortelles. Les énormes requins du Nord, que quelques naviga- teurs ont nommés ours de mer à cause de leur vora- cité, combattent la baleine sous l'eau : ils ne cherchent pas à se jeter sur sa langue 5 mais ils parviennent à enfoncer dans son ventre les quintuples rangs de leurs 68 HISTOIRE NATURELLE dents pointues et dentelées, et lui enlèvent d'énormes morceaux de tégumens et de muscles. Cependant un mugissement sourd exprime, a-t-on dit , et les tourmens et la rage de la baleine. Une sueur abondante manifeste l'excès de sa lassi- tude et le commencement de son épuisement. Elle montre par-là un nouveau rapport avec les quadru- pèdes, et particulièrement avec le cheval. Mais cette transpiration a un caractère particulier : elle est, au moins en grande partie, le produit de cette substance graisseuse que nous avons vue distribuée au-dessous de ses tégumens , et que des mouvemens forcés et une extrême lassitude font suinter parles pores de la peau. Une agitation violente et une natation très-rapide peuvent donc, en se prolongeant trop long-temps, ou en revenant très-fréquemment , maigrir la baleine franche , comme le défaut d'une nourriture assez copieuse et assez substantielle. Au reste, cette sueur, qui annonce la diminution de ses forces , n'étant qu'une transpiration huileuse ou graisseuse très-échauffée , il n'est pas surprenant qu'elle répande une odeur souvent très-fétide; et cette émana- tion infecte est une nouvelle cause qui attire les oiseaux de mer autour des troupes de baleines franches, dont elle peut leur indiquer de loin la présence. Cependant la baleine blessée, privée de presque tout son sang, harassée, excédée, accablée par ses propres efforts, n'a plus qu'un foible reste de sa vigueur et de DES BALEINES. 6y sa puissance. Vours blanc ou plutôt Y ours maritime, ce vorace et redoutable animal que la faim rend si souvent plus terrible encore , quitte alors les bancs de glace ou les rives gelées sur lesquels il se tient en embus- cade, se jette à la nage, arrive jusqu'à ce cétacée, ose l'attaquer. Mais, quoi qu'expirante, elle montre encore qu'elle est le plus grand des animaux : elle ranime ses forces défaillantes; et peu d'instans même avant sa mort , un coup de sa queue immole l'ennemi trop audacieux qui a cru ne trouver en elle qu'une victime sans défense. Elle peut d'autant plus faire ce dernier effort, que ses muscles sont très-susceptibles d'une excitation soudaine. Ils conservent une grande irrita- bilité long-temps après la mort du cétacée : ils sont par conséquent très-propres à montrer les phénomènes élec- triques auxquels on a donné le nom de galvanisme ; et un physicien attentif ne manquera pas d'observer que la baleine franche non seulement vit au milieu des eaux comme la raie torpille, le gymnote engourdissant, le malaptérure électrique , etc. mais encore est imprégnée, comme ces poissons, d'une grande quantité de subs- tance huileuse et idioélectrique. Le cadavre de la baleine flotte sur la mer. L'ours maritime, les squales, les oiseaux de mer, se préci- pitent alors sur cette proie facile, la déchirent et la dévorent. Mais cet ours maritime n'insulte ainsi, pour ainsi dire, aux derniers momens de la jeune baleine, que JO HISTOIRE NATURELLE dans les parages polaires, les seuls qu'il infeste; et la baleine franche habite dans tous les climats. Elle appar- tient aux deux hémisphères; ou plutôt les mers aus- trales et les mers boréales lui appartiennent. Disons maintenant quels sont les endroits qu'elle paroît préférer. Quels sont les rivages , les continens et les îles auprès desquels on l'a vue, ou les mers dans lesquelles on l'a rencontrée? Le Spitzberg, vers le quatre-vingtième degré de lati- tude ; le nouveau Groenland; l'Islande ; le vieux Groen- land ; le détroit de Davis; le Canada; Terre-Neuve; la Caroline; cette partie de l'Océan atlantique austral qui est située au quarantième degré de latitude et vers le trente-sixième degré de longitude occidentale, à comp- ter du méridien de Paris; laie Mâcha, placée égale- ment au quarantième degré de latitude , et voisine des côtes du Chili, dans le grand Océan méridional; Guatimala ; le golfe de Panama ; les îles Gallapago, et les rivages occidentaux du Mexique, dans la zone torride; le Japon ; la Corée; les Philippines; le cap de Galles , à la pointe de l'île de Cejlan; les environs du golfe Persïque ; File de Socotora , près de l'Arabie heureuse; la côte orientale d'Afrique; Madagascar; la baie de Sainte-Hélène; la Guinée; la Corse, dans la Méditerranée; le golfe de Gascogne; la Baltique; la Norvège. Nous venons, par la pensée, de faire le tour du DES BALEINE?. 7 [ monde ; et dans tous les climats, dans toutes les zones, dans toutes les parties de l'océan, nous voyons que la baleine franche s'y est montrée. Mais nous avons trois considérations importantes à présenter à ce sujet. Premièrement, on peut croire qua toutes les lati- tudes , on a vu les baleines franches réunies plusieurs ensemble, pourvu qu'on les rencontrât dans l'océan; et ce n'est presque jamais que dans de petites mers , dans des mers intérieures et très -fréquentées comme la Méditerranée, que ces cétacées, tels que la baleine franche prise près de l'île de Corse en 1620, ont paru isolés , après avoir été apparemment rejetés de leur route, entraînés et égarés par quelque grande agitation des eaux. Secondement, les anciens Grecs, et sur-tout Aristote, ses contemporains, et ceux .qui sont venus après lui, ont pu avoir des notions très -multipliées sur les baleines franches, non seulement parce que plusieurs de ces baleines ont pu entrer accidentellement dans la Méditerranée, dont ils habitoient les bords, mais encore à cause des relations que la guerre et le com- merce avoient données à la Grèce avec la mer d'Arabie, celle de Perse, et les golfes du Sinde et du Gange, que fréquentoient les cétacées dont nous parlons, et où ces baleines franches dévoient être plus nombreuses que de nos jours. Troisièmement, les géographes apprendront avec intérêt que pendant long-temps on a vu tous les ans J2 HISTOIRE NATURELLE près des côtes de la Corée, entre le Japon et la Chine, des baleines dont le dos étoit encore chargé de harpons lancés par des pêcheurs européens près des rivages du Spitzberg ou du Groenland *. Il est donc au moins une saison de l'année où la mer est assez dégagée de glaces pour livrer un pas- sage qui conduise de l'Océan atlantique septentrional dans le grand Océan boréal, au travers de l'Océan glacial arctique. Les baleines harponnées dans le nord de l'Europe, et retrouvées dans le nord de l'Asie, ont dû passer au nord de la nouvelle Zemble , s'approcher très-près du pôle, suivre presque un diamètre du cercle polaire, pénétrer dans le grand Océan par le détroit de Beh- ring , traverser le bassin du même nom , voguer le long du Kamtschatka , des îles .Kuriles, de l'île de Jéso, et parvenir jusque vers le trentième degré de latitude boréale, près de l'embouchure du fleuve qui baigne les murs de Nankin. Elles ont dû, pendant ce long trajet, parcourir une ligne au moins de quatre-vingts degrés , ou de mille niyrianiètres : mais , d'après ce que nous avons déjà dit, il est possible que, pour ce grand vojage, elles n'aient eu besoin que de dix ou onze jours. Et quel obstacle la température de l'air pourroit- elîe opposer à la baleine franche? Dans les zones -1 ■ - ■ ..ii ■ m .1 ... . I» * Duhamel , Traité des pêches f pêche de la baleine , etc. DES BALEINES. 78 brûlantes, elle trouve aisément au fond des eaux lui abri ou un soulagement contre les effets de la cha- leur de l'atmosphère. Lorsqu'elle nage à la surface de l'Océan équinoxial, elle ne craint pas que l'ardeur du soleil de la zone torride dessèche sa peau d'une manière funeste, comme les rayons de cet astre dessèchent, dans quelques circonstances, la peau de l'éléphant et des autres pachydermes ; les tégumens qui revêtent son dos, continuellement arrosés par les vagues, ou submergés à sa volonté lorsqu'elle sillonne pendant le calme la surface unie de la mer, ne cessent de conser- ver toute la souplesse qui lui est nécessaire : et lors- qu'elle s'approche du pôle, n'est-elle pas garantie des effets nuisibles du froid par la couche épaisse de graisse qui la recouvre? Si elle abandonne certains parages, c'est donc prin- cipalement ou pour se procurer une nourriture plus abondante, ou pour chercher à se dérober à la pour- suite de l'homme. Dans le douzième, le treizième et le quatorzième siècles, les baleines franches étoient si répandues auprès des rivages françois, que la pèche de ces animaux y étoit très-lucrative • mais , harcelées avec acharne- ment, elles se retirèrent vers des latitudes plus septen- trionales. L'historien des pêches des Hollandois dans les mers du Nord dit que les baleines franches trouvant une nourriture abondante et un repos très -peu troublé 10 74 HISTOIRE NATURELLE auprès des côtes du Groenland, de l'île de J. Mayen, et du Spitzberg, y étoient très-multipliées ; mais que les pêcheurs des différentes nations arrivant dans ces parages, se les partageant comme leur domaine, et ne cessant d j attaquer ces grands cétacées, les baleines franches, devenues farouches, abandonnèrent des mers où un combat succédoit sans cesse à un autre combat, se réfugièrent vers les glaces du pôle, et conserveront cet asjle jusqu'à l'époque où, poursuivies au milieu de ces glaces les plus septentrionales, elles reviendront vers les côtes du Spitzberg et les baies du Groenland, qu'elles habitoient paisiblement avant l'arrivée des premiers navigateurs. Voilà pourquoi plus ou approche du pôle, plus on trouve de bancs de glace, et plus les baleines que l'on rencontre sont grosses, chargées de graisse huileuse, familières, pour ainsi dire, et faciles à prendre. Et voilà pourquoi encore les grandes baleines franches que l'on voit en-deçà du soixantième degré de latitude, vers le Labrador, par exemple, et vers le Canada , pa- roissent presque toutes blessées par des harpons lancés dans les parages polaires. On assure néanmoins que pendant l'hiver les ba- leines disparoissent d'auprès des rivages envahis par les glaces, quittent le voisinage du pôle, et s'avancent dans la zone tempérée, jusqu'au retour du printemps. Mais, dans cette migration périodique, elles ne doivent pas fuir un froid qu'elles peuvent supporter; elles DES BALEINES. 7) n'évitent pas les effets directs d'une température rigou- reuse; elles ne s'éloignent que de ces croûtes de glace, ou de ces masses cougelées, durcies, immobiles et pro- fondes, qui ne leur permettaient ni de chercher leur nourriture sur les bas-fonds, ni de venir à la surface de l'océan respirer l'air de l'atmosphère, sans lequel elles ne peuvent vivre. Lorsqu'on réfléchit aux troupes nombreuses de ba- leines franches qui dans des temps très- reculés habi- taient toutes les mers, à l'enormité de leurs os, à la nature de ces parties osseuses , à la facilité avec laquelle ces portions compactes et huileuses peuvent résister aux effets de l'humidité, on n'est pas surpris qu'on ait trouvé des fragmens de squelette de baleine dans plusieurs contrées du globe, sous des couches plus ou moins épaisses; ces fragmens ne sont que de nouvelles preuves du séjour de l'océan au-dessus de toutes les portions de la terre qui sont maintenant plus élevées que le niveau des mers. Et cependant, comment le nombre de ces cétacées ne seroit-il pas très-diminué? Il y a plus de deux ou trois siècles , que les Basques, ces marins intrépides , les premiers qui aient osé affronter les dangers de l'Océan glacial et voguer vers le pôle arctique, animés par le succès avec lequel ils a voient péché la baleine franche dans le golfe de Gascogne, s'avancèrent en haute mer, parvinrent, après différentes tentatives, jusqu'aux côtes d'Islande j6 HISTOIRE NATURELLE et à celles du Groenland , développèrent toutes les ressources d'un peuple entreprenant et laborieux, équi- pèrent des flottes de cinquante ou soixante navires, et, aidés par les Islandois, trouvèrent dans une pêche abondante le dédommagement de leurs peines et la récompense de leurs efforts. Dès la fin du seizième siècle, en 1098, sous le règne d'Elisabeth, les Anglois, qui avoient été obligés jus- qu'à cette époque de se servir des Basques pour la pêche de la baleine, l'extraction de l'huile, et même, suivant MM. Pennant et Hackluyts, pour le radoub des ton- neaux, envoyèrent dans le Groenland des navires des- tinés à cette môme pêche. Dès 1608, ils s'avancèrent jusqu'au quatre-vingtième degré de latitude septentrionale, et prirent possession de l'île de J. Majen, et du Spitzberg, que lesHollandois avoient découvert en i5c)6. On vit dès 1612 ces mêmes Hollandois, aidés par les Basques, qui composoient une partie de leurs équi- pages et dirigeoient leurs tentatives , se montrer sur les côtes du Spitzberg, sur celles du Groenland, dans le détroit de Davis, résister avec constance aux efforts que les Anglois ne cessèrent de renouveler afin de leur interdire les parages fréquentés par les baleines franches, et faire construire avec soin dans leur patrie les magasins, les ateliers et les fourneaux nécessaires pour tirer le parti le plus avantageux des produits de la prise de ces cétacées* DES BALEINES. JJ D'autres peuples, encouragés parles succès des Anglois et des Hollandois, les Brémois, les Hanibourgeois, les Danois, arrivèrent dans les mers du Nord : tout con- courut à la destruction de la baleine; leurs rivalités se turent; ils partagèrent les rivages les plus favorables à leur entreprise; ils élevèrent paisiblement leurs four- neaux sur les côtes et dans le fond des baies qu'ils avoient choisies ou qu'on leur avoit cédées. Les Hollandois particulièrement, réunis en compa- gnies, formèrent de grands étabiissemens sur les rivages du Spitzberg, de l'île de J. Majen, de l'Islande, du Groenland, et du détroit de Davis, dont les golfes et les anses étoient encore peuplés d'un grand nombre de cétacées. Ils fondèrent dans l'île d'Amsterdam le village de Smeerenburg ( bourg de la fonte) ; ils y bâtirent des bou- langeries, des entrepôts, des boutiques de diverses mar- chandises., des cabarets, des auberges; ils y envoyèrent à la suite de leurs escadres pêcheuses des navires char- gés de vin, d'eau-de-vie, de tabac, de difFérens comes- tibles. On fondit dans ces étabiissemens , ainsi que dans les fourneaux des' autres nations,- presque tout le lard des baleines dont on s'étoit rendu maître; on y prépara l'huile que donnoit cette fonte; un égal nombre de vais- seaux put rapporter le produit d'un plus grand nombre de ces animaux. Les baleines franches étoient encore sans méfiance 5. 78 HISTOIRE NATURELLE une expérience cruelle ne leur avoit pas appris à recon- noître les pièges de l'homme et à redouter l'arrivée de ses flottes : loin de les fuir , elles nageoient avec assu- rance le long des côtes et dans les baies 1rs plus voi- sines; elles se montroient avec sécurité à la surface de la mer; elles environnoient en foule les navires; se jouant autour de ces bâtimens, elles se livroient, pour. ainsi dire , à l'avidité des pêcheurs, et les escadres les plus nombreuses ne pou voient emporter la dépouille que d'une petite partie de celles qui se présentoient d'elles-mêmes au harpon. En 1672, le gouvernement anglois encouragea par une prime la pêche de la baleine. En 1695, la compagnie angloise formée pour cette même pêche était soutenue par des souscriptions dont la valeur montoit à 82,000 livres sterling. Le capitaine hollandois Zorgdrager , qui commaudoit le vaisseau nommé les quatre Frères, rapporte qu'en 1697 il se trouva dans une baie du Groenland, avec quinze navires brémois, qui avoient pris cent quatre- vingt-dix baleines; cinquante bâtimens de Hambourg, qui en avoient harponné cinq cent quinze; et cent vingt-un vaisseaux hollandois, qui en avoient pris douze cent cinquante-deux. Pendant près d'un siècle, on n'a pas eu besoin, pour trouver de grandes troupes de ces cétacées, de toucher aux plages de glace : on se contentoit de faire voile vers le Spitzberg et les autres îles du Nord ; et l'on fondoit DES BALEINES. 7g dans les fourneaux de ces contrées boréales une si grande quantité d'huile de baîeiue , que les navires pêcheurs ne surïïsoient pas pour la rapporter, et qu'on étoit obligé d'envoyer chercher uue parlie considérable de cette huile par d'autres bâtimens. Lorsqu'ensuite les baleines franches furent devenues si farouches dans les environs de Smecrenbourg et des autres endroits fréquentés par les pêcheurs, qu'on ne pouvoit plus ni les approcher, ni les surprendre, ni les tromper et les retenir par des appâts, on redoubla de patience et d'efforts. On ne cessa de les suivre dans leurs retraites successives. On put* d'autant plus aisé- ment ne pas s'écarter de leurs traces , que ces animaux paroissoient n'abandonner qu'à regret les plages où elles avoient pendant tant de temps vogué en liberté, et les bancs de sable qui leur avoient fourni l'aliment qu'elles préfèrent. Leur migration fut lente et progres- sive : elles ne s'éloignèrent d'abord qu'à de petites dis- tances; et lorsque, voulant, pour ainsi dire, le repos par-dessus tout, elles quittèrent uue patrie trop fré- quemment troublée, abandonnèrent pour toujours les côtes , les baies , les bancs auprès desquels elles étoient nées, et allèrent au loin se réfugier sur les bords des glaces, elles virent arriver leurs ennemis d'autant plus acharnés contre elles, que pour les at- teindre ils avoient été forcés de braver les tempêtes et la mort. En vain un brouillard, une brume , un orage, un 8o HISTOIRE NATURELLE vent impétueux, empêchoient souvent qu'on ne poursui- vît celles que le harpon avoit percées ; en vain ces céta- cées blessés s'échappoient quelquefois à de si grandes distances, que l'équipage du canot pêcheur étoit obligé de couper la ligne attachée au harpon, et qui, L'entraî- nant avec vitesse, l'auroit bientôt assez éloigné des vais- seaux pour qu'il fût perdu sur la surface des mers ; en vain les baleines que la lance avoit ensanglantées, aver- tissoient par leur fuite précipitée celles que l'on n'avoit pas encore découvertes, de l'approche de l'ennemi : le courage ou plutôt l'audace des pêcheurs surmontoifc tous les obstacles. Ils montoient au haut des mâts pour appercevoir de loin les cétacées qu'ils cherchoient • ils afFrontoient les glaçons flottans, et, voulant trouver leur salut dans le danger même, ils amarroient leurs bâtimens aux extrémités des glaces mouvantes Les baleines , fatiguées enfin d'une guerre si longue et si opiniâtre, disparurent de nouveau, s'enfoncèrent sous les glaces fixes , et choisirent particulièrement leur asyle sous cette croûte immense et congelée , que les Bataves avoient nommée westys (la glace de l'ouest). Les pêcheurs allèrent jusqua ces glaces immobiles, au travers de glaçons mouvans , de montagnes flot- tantes, et par conséquent de tous les périls; ils les in- vestirent; et s'approchant dans leurs chaloupes de ces bords glacés, ils épièrent avec une constance merveil- leuse les momens où les baleines étoient contraintes de DES BALEINES. ol sortir de dessous leur voûte gelée et protectrice , pour respirer l'air de l'atmosphère. Immédiatement avant la guerre de 1744, les Basques se livroient encore à ces nobles et périlleuses entre- prises, dont ils avoîent les premiers donné le glorieux exemple. Bientôt après, les Anglois donnèrent de nouveaux encouragemens à la pêche de la baleine, par la forma- tion d'une société respectable, par l'assurance d'un intérêt avantageux, par une prime très-forte , par de grandes récompenses distribuées à ceux dont la pêche avoit été la plus abondante, par des indemnités égales aux pertes éprouvées dans les premières tentatives, par une exemption de droits sur les objets d'approvisionne- ment, par la liberté la plus illimitée accordée pour la formation des équipages que dans aucune circons- tance une levée forcée de matelots ne pouvoit atteindre ni inquiéter. Avantla révolution qui a créé les États-Unis, leshabi- tansdu continent de l'Amérique septentrionale avoient obtenu , dans la pêche de la baleine, des succès qui pré- sageoient ceux qui leur étoient réservés. Dès 1765, Anticost, Rhocîe-Island , et d'autres villes américaines, avoient armé un grand nombre de navires. Deux ans après, les Bataves envoyèrent cent trente-deux navires pêcheurs sur les côtes du Groenland, et trente-deux au détroit de Davis. En 1768, le grand Frédéric, dont les vues politiques étoient aussi admirables que les talens 11 82 HI S T O I R E NATURELLE militaires, ordonna que la ville d'Embden équipât plusieurs navires pour la pêche des baleines franches. En 1774, une compagnie suédoise, très-favorisée, fut établie à Gothembourg, pour envoyer pêcher dans le détroit de Davis et près des rivages du Groenland. En îjyû , le roi de Danemarck donna des bâtimens de l'Etat à une compagnie établie à Berghem pour le même objet. Le parlement d'Angleterre augmenta, en 1779, les faveurs dont jouissoient ceux qui pre noient part à la pêche de la baleine. Le gouvernement françois ordonna, en 1784, qu'on armât à ses frais six bâtimens pour la même pêche, et engagea plusieurs familles de l'île de Nantuckett, très-habiles et très-exercées dans l'art de la pêche, à venir s'établir à Dunkerque. LesHambourgeois ont encore envoyé, en 1789, trente-deux navires au Groenland , ou au détroit de Davis. Et comment un peuple navigateur et éclairé n'auroit-il pas cherché à commencer, conserver ou perfectionner des entre- prises qui procurent une si grande quantité d'objets de commerce nécessaires ou précieux, emploient tant de constructeurs, donnent des bénéfices considérables à tant de fournisseurs d'agrès, d'apparaux ou de vivres, font mouvoir tant de bras, et forment les matelots les plus sobres, les plus robustes, les plus expérimentés, les plus intrépides? En considérant un si grand nombre de résultats im- portâtes , pourroit-on être étonné de l'attention, des soins, des précautions multipliées, par lesquels on tâche DES BALEINES. 83 d'assurer ou d'accroître les succès de la pèche de la baleine? Les navires qu'on emploie à celte pèche ont ordinai- rement de trente-cinq à quarante mètres de longueur. On les double d'un bordage de chêne assez épais et assez fort pour résister au choc des glaces. On leur donne à chacun depuis six jusqu'à huit ou neuf cha- loupes, d'un peu plus de huit mètres de longueur, de deux mètres ou environ de largeur, et d'un mètre de profondeur, depuis le plat-bord jusqu'à la quille. Un ou deux harponneurs sont destinés pour chacune de ces chaloupes pêcheuses. On les choisit assez adroits pour percer la baleine, encore éloignée, dans l'endroit le plus convenable; assez habiles pour diriger la chaloupe suivant la route de la baleine franche , même lorsqu'elle nage entre deux eaux; et assez expérimentés pour juger de l'endroit où ce cétacée élèvera le sommet de sa tête au-dessus de la surface de la mer, afin de respirer par ses évents l'air de l'atmosphère. Le harpon qu'ils lancent est un dard un peu pesant et triangulaire, dont le fer, long de près d'un mètre, doit être doux, bien corroyé, très-affilé au bout, tran- chant des deux côtés, et barbelé sur ses bords. Ce fer, ou le dard proprement dit, se termine par une douille de près d'un mètre de longueur, et dans laquelle on fait entrer un manche très-gros, et long de deux ou trois mètres. On attache au dard même, ou à sa douille, la ligne, qui est faite du plus beau chanvre, et que l'on 84 HISTOIRE NATURELLE ne goudronne pas, pour qu'elle conserve sa flexibilité 9 malgré le froid extrême que Ton éprouve dans les pa- rages où l'on fait la pêche de la baleine. La lance dont on se sert pour cette pèche, difTère du harpon, en ce que le fer n'a pas d'ailes ou oreilles qui empêchent qu'on ne la retire facilement du corps de la baleine , et qu'on n'en porte plusieurs coups de suite avec force et rapidité. Elle a souvent cinq mètres de long, et la longueur du fer est à peu près le tiers de la longueur totale de cet instrument. Le printemps est la saison la plus favorable pour la pêche des baleines franches, aux degrés très- voisins du pôle. L'été l'est beaucoup moins. En effet, la chaleur du soleil, après le solstice, fondant la glace en differens endroits, produit des ouvertures très-larges dans les portions de plages congelées où la croûte étoit le moins épaisse. Les baleines quittent alors les bords des im- menses bancs de glace, même lorsqu'elles ne sont pas poursuivies. Elles parcourent de très-grandes distances au-dessous de ces champs vastes et endurcis, parce qu'elles respirent facilement dans cette vaste retraite , en nageant d'ouverture en ouverture; et les pêcheurs peuvent d'autant moins les suivre dans ces espaces ouverts, que les glaçons détachés qui y flottent brise- raient ou arrêteraient les canots que l'on voudroit y faire voguer. D'ailleurs, pendant le printemps les baleines trouvent, en avant des champs immobiles de glace, une nour- riture abondante et convenable. DES BALEINES. 85 îl est sans cloute des années et des parages où Ton ne peut que pendant l'été ou pendant l'automne, sur- prendre les baleines, ou se rencontrer avec leur pas- sage ; mais on a souvent vu , dans le mois de germinal ou de floréal, un si grand nombre de baleines tranches réunies entre Je soixante-dix-septième et le soixante- dix-neuvième degrés de latitude nord, que l'eau lancée par leurs évenfs, et retombant en pluie plus ou moins divisée, représenloit de. loin la fumée qui s'élève au- dessus d'une immense capitale. Néanmoins les pêcheurs qui, par exemple, dans le détroit de Davis, ou vers ie Spitzberg, pénètrent très- avant au milieu des glaces, doivent commencer leurs tentatives plus tard et les finir plutôt, pour ne pas s'exposer à des dégels imprévus ou à des gelées subites, dont les efFets pourroient leur être funestes. Au reste, les glaces des mers polaires se présentent aux pêcheurs de baleines dans quatre états difïerens. Premièrement, ces glaces sont contiguès- seconde- ment, elles sont divisées en grandes plages immobiles ; troisièmement, elles consistent dans des bancs de gla- çons accumulés; quatrièmement enfin, ces bancs ou montagnes d'eau gelée sont mouvans , et les courans , ainsi que les vents, les entraînent. Les pêcheurs' holîandois ont donné le nom de champs de glace aux espaces glacés de plus de deux milles de diamètre; de bancs de glace, aux espaces gelés dont le diamètre a moins de deux milles, mais plus d'un demi- 86 HISTOIRE NATURELLE mille ; et de grands glaçons , aux espaces glacés qui n'ont pas plus d'un demi-mille de diamètre. On rencontre vers le Spitzbcrg de grands bancs de glace, qui ont quatre ou cinq niyriamètres de circon- férence. Comme les intervalles qui les séparent forment une sorte de port naturel, dans lequel la mer est pres- que toujours tranquille, les pêcheurs s'y établissent sans crainte ; mais ils redoutent de se placer entre les petits bancs qui n'ont que deux ou trois cents mètres de tour, et que la moindre agitation de l'océan peut rapprocher les uns des autres. Ils peuvent bien, avec des gafft's ou d'autres instrumens, détourner de petits glaçons. Ils ont aussi employé souvent avec suc- cès, pour amortir le choc des glaçons plus étendus et plus rapides, le corps d'une baleine dépouillé de son lard , et placé sur le côté et en dehors du bâtiment. Mais que servent ces précautions ou d'autres sem- blables, contre ces masses durcies et mobiles qui ont plus de cinquante mètres d élévation? ce n'est que lors- que ces glaçons étendus et flottans sont très-éloignés l'un de l'autre , qu'on ose pêcher la baleine dans les vides qui les séparent. On cherche un banc qui ait au moins trois ou quatre brasses de profondeur au-dessous de la surface de l'eau, et qui soit assez fort par son vo- lume, et assez stable par sa masse, pour retenir le na- vire qu'on y amarre. Il est très-rare que l'équipage d'un seul navire puisse poursuivre en même temps deux baleines au milieu DES BALEINES. 87 des glaces mouvantes. Ou ne hasarde une seconde attaque, que lorsque la baleine franche , harponnée et suivie, est entièrement épuisée et près d expirer. Mais dans quelque parage que Ton pêche, dès que le matelot guetteur, qui est placé dans un point élevé du bâtiment, d'où sa vue peut s'étendre au loin, apper- çoit une baleine, il donne le signal convenu; les cha- loupes partent; et à force de rames, on s'avance en silence vers l'endroit où on l'a vue. Le pêcheur le plus hardi et le plus vigoureux est debout sur l'avant de sa chaloupe , tenant le harpon de la main droite. Les Bas- ques sont fameux par leur habileté à lancer cet instru- ment de mort. Dans les premiers temps de la pêche de la baleine, ou approchoit le plus possible de cet animal, avant de lui donner le premier coup de harpon. Quelquefois même le harpon neur ne l'attaquoit que lorsque la cha- loupe étoit arrivée sur le dos de ce cétacée. Mais le plus souvent , dès que la chaloupe est parve- nue à dix mètres de la baleine franche, le harpon neur jette avec force le harpon contre l'un des endroits les plus sensibles de l'animal, comme le dos, le dessous du ventre, les deux masses de chair mollasse qui sont à côté des évents. Le plus grand poids de l'instrument étant dans le fer triangulaire , de quelque manière qu'il soit lancé, sa pointe tombe et frappe la première. Une ligne de douze brasses ou environ est attachée à ce fer, et prolongée par d'autres cordages, 83 HISTOIRE NATURELLE Albert rapporte que de son temps des pêcheurs, au lieu de jeter le harpon avec la main, le lançoient par le moyen d'une baliste; et le savant Schneider fait ob- server que les Anglois , voulant atteindre la baleine à une distance bien supérieure à celle de dix mètres, ont renouvelé ce dernier moyen, en remplaçant la baliste par une arme à feu, et en substituant le harpon à la balle de cette arme, dans le canon de laquelle ils font entrer le manche de cet instrument1. Les Hollandois ont emplojé, comme les Anglois, une sorte de mousquet pour lancer le harpon avec moins de danger et avec plus de force et de facilité \ A l'instant où la baleine se sent blessée, elle s'échappe avec vitesse. Sa fuite est si rapide, que si la corde , for- mée par toutes les lignes qu'elle entraîne, lui résistoit un instant, la chaloupe chavireroit et couleroit à fond: aussi a-t-on le plus grand soin d'empêcher que cette corde ou ligjic générale ne s'accroche; et de plus, on ne cesse de la mouiller, afin que son frottement contre le bord de la chaloupe ne l'enflamme pas et n'allume pas le bois. Cependant l'équipage, resté à bord du vaisseau, observe de loin les manœuvres de la chaloupe. Lors- qu'il croit que la baleine s'est assez éloignée pour avoir obligé de filer la plus grande partie des cordages , 1 Pétri Artcài Sjnonjynua piscii/m } etc. auetore J. G. Schneider, etc. pag. i63. 1 Histoire des pêches des Hollandais dans les mers du Nord, traduction Françoise du citoyen Dereste, tome I, p. 91. DES BALEINES. 89 une seconde chaloupe force de* rames vers la première, et attache successivement ses lignes à celles qu'emporte le cétacée. Le secours se fait-il attendre? les matelots de la cha- loupe rappellent à grands cris. Ils se servent de grands porte-voix ; ils font entendre leurs trompes ou cornets de détresse. Us ont recours aux deux lignes qu'ils nomment lignes de réserve ; ils font deux tours de la dernière qui leur reste; ils l'attachent au bord de leur nacelle* ils se laissent remorquer par l'énorme animal; ils relèvent de temps en temps la chaloupe qui s'enfonce presque jusqu'à fleur d'eau, en laissant couler peu à peu cette seconde ligne de réserve, leur dernière res- source; et enfin, s'ils ne voient pas la corde extrême- ment longue et violemment tendue se casser avec effort, ou le harpon se détacher de la baleine en déchi- rant les chairs du cétacée, ils sont forcés de couper eux-mêmes cette corde, et d'abandonner leur proie, le harpon et leurs lignes, pour éviter d'être précipités sous les glaces, ou engloutis dans les abîmes de l'océan. Mais lorsque le service se fait avec exactitude , la seconde chaloupe arrive au moment convenable; les autres la suivent, et se placent autour de la première, à la distance d'une portée de canon l'une de l'autre, pour veiller sur un plus grand champ. Un pavillon par- ticulier nommé gaillardet, et élevé sur Je vaisseau, indique ce que Ton reconnoîtdu haut des mâts, de la route du cétacée. La baleine, tourmentée par la dou- 12 yO HISTOIRE NATURELLE leur que lui cause sa large blessure, fait les plus grands efforts pour se délivrer du harpon qui la déchire; elle s'agite, se fatigue, s'échauffe; elle vient à la surface de la mer chercher un air qui la rafraîchisse et lui donne des forces nouvelles. Toutes les chaloupes voguent alors vers elle; le harponneur du second de ces bâtimens lui lance un second harpon ; on l'attaque avec la lance. L'ani- mal plonge, et fuit de nouveau avec vitesse; on le pour- suit avec courage; on le suit avec précaution. Si la corde attachée au second harpon se relâche, et sur-tout si elle flotte sur l'eau , on est sûr que le cétacée est très-affoi- bli, et peut-être déjà mort; on la ramène à soi; on la retire, en la disposant en cercles ou plutôt en spirales, afin de pouvoir la filer de nouveau avec facilité, si le cétacée, par un dernier effort, s'enfuit une troisième fois. Mais quelques forces que la baleine conserve après la seconde attaque, elle reparoît à la surface de l'océan beaucoup plutôt qu'après sa première blessure. Si quelque coup de lance a pénétré jusqu'à ses poumons, le sang sort en abondance par ses deux évenrs. On ose alors s'approcher de plus près du colosse; on le perce avec la lance; on le frappe à coups redoublés; on tâche défaire pénétrer l'arme meurtrière au défaut des côtes. La baleine, blessée mortellement, se réfugie quelquefois sous des glaces voisines :mais la douleur insupportable que ses plaies profondes lui font éprouver, les harpons qu'elle emporte, qu'elle secoue, et dont le mouvement agrandit ses blessures, sa fatigue extrême, son alibi- DES BALEINES. () l bassement que chaque instant accroît , tout l'oblige à sortir de cet asjîe. Elle ne suit plus dans sa fuite de di- rection déterminée. Bientôt elle s'arrête ; et réduite aux abois, elle ne peut plus que soulever son énorme masse, et chercher à parer avec ses nageoires les coups qu'on lui porte encore. Redoutable cependant lors même qu'elle expire, ses derniers momens sont ceux du plus grand des animaux. Tant qu'elle combat encore contre la mort, on évite avec effroi sa terrible queue, dont un seul coup feroit voler la chaloupe en éclats; on ne manœuvre que pour l'empêcher d'aller terminer sa cruelle agonie dans des profondeurs recouvertes par des bancs de glace, qui ne permettroient d'en retirer son cadavre qu'avec beaucoup de peine. Les Groenlandois , par un usage semblable à celui qu'Oppien attribue à ceux qui pêchoient de son temps dans la mer Atlantique, attachent aux harpons qu'ils lancent, avec autant d'adresse que d'intrépidité, contre la baleine , des espèces d'outrés faites avec de la peau de phoque, et pleines d'air atmosphérique. Ces outres très-légères, non seulement font que les harpons qui se détachent flottent et ne sont pas perdus, mais encore empêchent le cétacée blessé de plonger dans la mer, et de disparoître aux jeux des pêcheurs. Elles augmentent assez la légèreté spécifique de l'animal, dans un moment où l'affoiblissement de ses forces ne permet à ses na- geoires et à sa queue de lutter contre cette légèreté qu'avec beaucoup de désavantage, pour que la petite G2 HISTOIRE NATURELLE différence qui existe ordinairement entre cette légèreté et celle de l'eau salée s'évanouisse, et que la baleine ne puisse pas s'enfoncer. Les habitants de plusieurs îles voisines du Kam- tschatka vont, pendant l'automne, à la recherche des baleines franches, qui abondent alors près de leurs cotes. Lorsqu'ils en trouvent d'endormies, ils s'en approchent sans bruit, et les percent avec des dards empoisonnés. La blessure, d'abord légère, fait bien- tôt éprouver à l'animal des tourmens insupportables : il pousse, a-t-on écrit, des mugissemens horribles , s'enfle et périt. Duhamel dit, dans son Traité des pêches, que plu- sieurs témoins oculaires, dignes de foi, ont assuré les faits suivans : Dans l'Amérique septentrionale, près des rivages de la Floride, des sauvages, aussi exercés à plonger qu'à nager, et aussi audacieux qu'adroits, ont pris des ba- leines franches, en se jetant sur leur tête, enfonçant dans un de leurs évents un long cône de bois, se crara- ponnaut à ce cône , se laissant entraîner sous l'eau , repa- roissant avec l'animal, faisant entrer un autre cône dans le second évent, réduisant ainsi les baleines à ne res- pirer que par l'ouverture de leur gueule, et les forçant à se jeter sur la côte, ou à s'échouer sur des bas-fonds, pour tenir leur bouche ouverte sans avaler un fluide qu'elles ne pourroient plus rejeter par des évents en- tièrement bouchés. DES BALEINES, g3 Les pêcheurs de quelques contrées sont quelquefois parvenus à fermer, avec des filets très-forts, l'entrée très-étroite d'anses dans lesquelles des baleines avoient pénétré pendant la haute mer, et où, laissées à sec par la retraite de la marée, que les filets les ont empêchées de suivre, elles sd^sont trouvées livrées, sans défense, aux lances et aux harpons. Lorsqu'on s'est assuré que la baleine est morte, ou si affoiblie qu'on n'a plus à craindre qu'une blessure nou- velle lui redonne un accès de rage dont les pêcheurs seroient à l'instant les victimes, on la remet dans sa position naturelle, par le moyen de cordages fixés à deux chaloupes qui s'éloignent en sens contraire, si elle s'étoit tournée sur un de ses côtés ou sur son dos. On passe un nœud coulant par-dessus la nageoire de la queue, ou on perce cette queue pour y attacher une corde; on fait passer ensuite un Jii/iin au travers des deux nageoires pectorales qu'on a percées, on les ra- mène sur le ventre de l'animal, on les serre avec force, afin qu'elles n'opposent aucun obstacle aux rameurs pendant la remorque de la baleine; et les chaloupes se préparent à l'entraîner vers le navire ou vers le rivage où Ton doit la dépecer. Si l'on tardoit trop d'attacher une corde à l'animal expiré, son cadavre dériveroit, et, entraîné par des courans ou par l'agitation des vagues, pourroit échap- per aux mateîovs, ou, dénué d'une assez grande quan- tité de matière huileuse et légère, s'enfonceroit, et ne C)4 HISTOIRE NATURELLE remontèrent que lorsque la putréfaction des organes intérieurs l'auroit gonflé au point d'augmenter beau- coup son volume. L'auteur de Y Histoire des pêches des Hollandais dans les mers du Nord fait observer avec soin que si Ton remorquoit la baleine franche par ïa tête, la gueule énorme de ce cétacée, qui est toujours ouverte après la mort de l'animal , parce que la mâchoire inférieure n'est plus maintenue contre celle d'en-haut, seroit comme une sorte de gouffre , qui agiroit sur un immense vo- lume d'eau, et feroit éprouver aux rameurs une résis- tance souvent insurmontable. Lorsqu'on a amarré le cadavre d'une baleine franche au navire, et que son volume n'est pas trop grand re- lativement aux dimensions du vaisseau, les chaloupes vont souvent à la recherche d'autres individus, avant qu'on ne s'occupe de dépecer la première baleine. Mais enfin on prépare deux palans, l'un pour tour- ner le cétacée, et l'autre pour tenir sa gueule élevée au- dessus de l'eau, de manière qu'elle ne puisse pas se remplir. Les dépeceurs garnissent leurs bottes de cram- pons , afin de se tenir fermes ou de marcher en sû- reté sur la baleine; et les opérations du dépècement commencent. Elles se font communément à bas-bord. Avant tout, on tourne un peu l'animal sur lui-même par le moyen d'un palan fixé par un bout au mât de misaine, et atta- ché par l'autre à la queue de la baleine. Cette manœuvre DES BALEINES. GO fait que la tête du cétacée, laquelle se trouve du côté de la poupe, s'enfonce un peu dans l'eau. On la relève, et un funin serre assez fortement une mâchoire contre une autre, pour que les dépeceurs puissent marcher sur la mâchoire inférieure sans courir le danger de tomber dans la mer, entraînés par le mouvement de cette mâ- choire d'en-bas. Deux dépeceurs se placent sur la tête et sur le cou de la baleine; deuxharponneurs se mettent sur son dos; et des aides, distribués dans deux cha- loupes, dont l'une est à l'avant et l'autre à l'arrière de l'animal, éloignent du cadavre les oiseaux d'eau, qui se précipileroient hardiment et en grand nombre sur la chair et sur le lard du cétacée. Cette occupation a fait donner à ces aides le nom de cormorans. Leur fonction est aussi de fournir aux travailleurs les instrumens dont ces derniers peuvent avoir besoin. Les principaux de ces instrumens consistent dans des couteaux de bon acier, nommés tranchons, dont la longueur est de deux tiers de mètre, et dont le manche a deux mètres de long; dans d'autres couteaux, dans des mains de fer, dans des crochets, etc. Le dépècement commence derrière la tète, très-près de l'œil. La pièce de lard qu'on enlève, et que l'on nomme pièce de revirement , a deux tiers de mètre de largeur; on la lève dans toute la longueur de la baleine. On donne communément un demi-mètre de large aux autres bandes, qu'on coupe ensuite, et qu'on lève tou- jours de la tête à la queue, dans toute l'épaisseur de ce C)6 HISTOIRE NATURELLE lard huileux. On tire ces différentes bandes de dessus le navire, par le moyen de crochets ; on les traîne sur le tillac , et on les fait tomber dans la cale , où on les arrange. On continue alors détourner la baleine, afin de mettre entièrement à découvert le côté par lequel on a commencé le dépècement, et de dépouiller la partie inférieure de ce même côté, sur laquelle on en- lève les bandes huileuses avec plus de facilité que sur le dos, parce que le lard y est moins épais. Quand cette dernière opération est terminée, on tra- vaille au dépouillement de la tête. On coupe la langue très-profondément, et avec d'autant plus de soin , que celle d'une baleine franche ordinaire donne communé- ment six tonneaux d'huile. Plusieurs pêcheurs cepen- dant ne cherchent à extraire cette huile que lorsque la pêche n'a pas été abondante : on a prétendu qu'elle étoit plus sèche que les huiles provenues des autres parties de la baleine; qu'elle étoit assez corrosive pour altérer les chaudières dans lesquelles on la faisoit couler* et que c'étoit principalement cette huile extraite de la langue, que les ouvriers employés à découper le lard prenoient garde de laisser rejaillir sur leurs mains ou sur leurs bras, pour ne pas être incommodés au point de courir le danger de devenir perclus. Pour enlever plus facilement les fanons, on soulève la tète avec une amure fixée au pied de X artimon -, et trois crochets attachés aux palans dont nous avons parlé, et enfoncés dans la partie supérieure du museau, font DES BALEINES, CfJ ouvrir la gueule au point que les dépeceurs peuvent couper les racines des fanons. On s'occupe ensuite du dépècement du second côté de la baleine franche. On achève de faire tourner le cétacée sur son axe longitudinal; et on enlève le lard du second côté, comme on a enlevé celui du premier. Mais comme, dans le revirement de l'animal, la partie inférieure du second côté est celle qui se présente la première , la dernière bande dont ce même côté est dépouillé, est la grande pièce dite de revirement. Cette grande bande a ordinairement cYix mètres de longueur, lors même que le cétacée ne fournit que deux cent cin- quante myriagrammes d'huile, et cent mjriagrammes de fanons. Il est aisé d'imaginer les différences que fou intro- duit dans les opérations que nous venons d'indiquer, si on dépouille la baleine sur la côte ou près du rivage, au lieu de la dépecer auprès du vaisseau. Lorsqu'on a fini d'enlever le lard, la langue et les fanons, on repousse et laisse aller à la dérive la car- casse gigantesque de la baleine franche. Les oiseaux d'eau s'attroupent sur ces restes immenses, quoiqu'ils soient moins attirés par ces débris que par un cadavre qui n'est pas encore dénué de graisse, Les ours mari- times s'assemblent aussi autour de cette masse flot- tante , et en font curée avec avidité. Veut-on cependant arranger le lard dans les ton- neaux? On le sépare de la couenne. On le coupe par j3 y8 HISTOIRE NATURELLE morceaux de trois décimètres carrés de surface ou environ ; et on entasse ces morceaux dans les tonnes. Veut-on le faire fondre, soit à bord du navire, comme les Basques le préféroient; soit dans un atelier établi à terre, comme on le fait dans plusieurs contrées, et comm« les Hollandois l'ont pratiqué pendant long- temps à S/neerenbourg dans le Spitzberg? On se sert de chaudières de cuivre rouge, ou de fer fondu. Ces chaudières sont très-grandes : ordinaire- ment elles contiennent chacune environ cinq tonneaux de graisse huileuse. On les pose sur un fourneau de cuivre; et on les y maçonne pour éviter que la chau-» dière, en se renversant sur le feu, n'allume un incen- die dangereux. On met de l'eau dans la chaudière avant dj jeter le lard, afin que cette graisse ne s'attache pas au fond de ce vaste récipient, et ne s'y grille pas sans se fondre. On le remue d'ailleurs avec soin, dès qu'il commence à s'échauffer. Trois heures après le commencement de l'opération, on puise l'huile toute bouillante, avec de grandes cuillers de cuivre; on la verse sur une grille qui recouvre un grand baquet de bois : la grille purifie l'huile, en retenant les mor- ceaux, pour ainsi dire, infusibles, que l'on nomme lar- dons *. * On remet ces lardons dans la chaudière, pour en tirer une colle qui sert a différens usages ; et après l'extraction de cette colle, on emploie à nourrir des chiens le marc épais qui reste au fond de la cuy;\ DES BALEINES, gC) L'huile, encore bouillante, coule du premier baquet dans un second, que l'on a rempli aux deux tiers d'eau froide , et auquel on a donné communément un mètre de profondeur, deux de large, et cinq ou six de long. L'huile surnage dans ce second baquet, se refroidit , et continue de se purifier en se séparant des matières étrangères qui tombent au fond du réservoir. On la fait passer du second baquet dans un troisième, et du troisième dans un quatrième. Ces deux derniers sont remplis, comme le second, d'eau froide, jusqu'aux deux tiers; l'huile achève de s'j perfectionner; et du dernier baquet on la fait entrer, par une longue gout- tière , dans les tonneaux destinés à la conserver ou à la transporter au loin. Au reste, moins le temps pendant lequel on garde le lard dans les tonnes est long, et plus l'huile qu'on en retire doit être recherchée. L'huile et les fanons de la baleine franche ne sont pas les seules parties utiles de cet animal. Les Groen- landois , et d'autres habitans des contrées du Nord , trouvent la peau et les nageoires de ce cétacée très- agréables au goût. Sa chair fraîche ou salée a souvent servi à la nourriture des équipages basques. Le capitaine Colnett rapporte que le cœur d'une jeune baleine qui n'avoit encore que cinq mètres de longueur, et que ses matelots prirent au mois d'août 1793, près de Gua- timala, dans le grand Océan équinoxial, parut un mets exquis à son équipage. Les intestins de la baleine 100 HISTOIRE NATURELLE franche servent à remplacer le verre des fenêtres • les tendons fournissent des fils propres à faire des filets ; on fait de très-bonnes lignes avec les poils qui ter- minent les fanons; et on emploie dans plusieurs pajs les côtes et les grands os des mâchoires pour composer la charpente des cabanes , ou pour mieux enclore des jardins et des champs. Les avantages que l'on retire de la pêche des baleines franches, ont facilement engagé dans nos temps mo- dernes les peuples entreprenans et déjà familiarisés avec les navigations lointaines, à chercher ces cétacées par-tout où ils ont espéré de les trouver. On les pour- suit maintenant dans l'hémisphère austral comme dans l'hémisphère arctique, et dans le grand Océan boréal comme dans l'Océan atlantique septentrional;' on les y pêche même, au moins très-souvent,, avec plus de faci- lité, avec moins de danger, avec moins de peine. On les atteint à une assez grande distance du cercle polaire , pour n'avoir pas besoin de braver les rigueurs du froid, ni les écueils de glace. Le capitaine Colnett trouva, par exemple, un grand nombre de ces animaux vers le quarantième degré de latitude australe, auprès de l'île Mocha et des cotes occidentales du Chili; et à la même latitude, ainsi que dans le même hémisphère, et vers le trente-septième degré de longitude occiden- tale du méridien de Paris, il avoit vu , peu de temps au- paravant, de si grandes troupes de ces baleines, qu'il les crut assez nombreuses pour fournir toute l'huile DES BALEINES. IQÎ que pourroit emporter la moitié des vaisseaux balei- niers de Londres '. Cette multitude de baleines disparoîtra cependant dans l'hémisphère austral de même que dans le boréal. La plus grande des espèces s'éteindra comme tant d'autres. Découverte dans ses retraites les plus cachées, atteinte dans ses asvles les plus reculés, vaincue par la force irrésistible de l'intelligence humaine, elle dispa- roîtra de dessus le globe 5 il ne restera pas même l'espé- rance de la retrouver dans quelque partie de la terre non encore visitée par des voyageurs civilisés, comme on peut avoir celle de découvrir dans les immenses so- litudes du nouveau continent Y éléphant de l'OIiio et le mégathérium \ Quelle portion de l'océan n'aura pas été 1 Voyage du capitaine Jacques Colnctt 3 déjà cité, page 14. * M. JefFerson, l'illustre président des Etats-Unis, m'écrit, dans une lettre du 24 février i8o3, qu'ainsi que je l'avois prévu et annoncé dans le Discours d'ouverture de mon Cours de zoologie de l'an 9, il va faire faire un voyage pour reconnoître les sources du Missouri , et pour découvrir une rivièie qui, prenant son origine très-près de ces sources, ait son em- bouchure dans le grand Océan boréal. « Ce voyage, dit M. JefFerson » accroîtra nos connoissinces sur la géographie de notre continent , en nous •» donnant de nouvelles lumières sur cette intéressante ligne de communi- » cation au travers de l'Amérique septentrionale, et nous procurera une >î vue générale de.^a population, de son histoire naturelle, de ses produc- 35 tions, de son sol et de son climat. 11 n'est pas improbable, ajoute ce a respectable et savant premier magistrat, que ce voyage de découverte « ne nous fasse avoir des informations ultérieures sur le mammoth ( l'élé- :» phant de FOliio) et sur le mégaihériurn dont vous parlez, page 6. Vous » avez vraisemblablement vu dans nos Transactions philosophiques , » qu'avant de eonnoître la notice que M. Cuvier a donnée de ce mégathé- r> rium , nous aviens trouvé ici des restes d'un énorme animal inconnu _ 102 HISTOIRE NATURELLE en effet traversée dans tous les sens ? quel rivage n'aura pas été reconnu? de quelles plages gelées les deux zones glaciales auront-elles pu dérober les tristes bords? On ne verra plus que quelques restes de cette espèce gigantesque : ses débris deviendront une pous- sière que les vents disperseront; et elle ne subsistera que dans le souvenir des hommes et dans les tableaux du génie. Tout diminue et dépérit donc sur le globe. Quelle révolution en remontera les ressorts? La Nature n'est immortelle que dans son ensemble; et si l'art de l'homme embellit et ranime quelques-uns de ses ou- vrages , combien d'autres qu'il dégrade , mutile et anéantit ! •» que nous avons nommé mégalonyx , à cause de la longueur dispropor- » tionnée de ses ongles, et qui est probablement le même animal que le » mégathérium ; et qu'il y avoit ici des traces de son existence récente 35 et même présente. La route que nous allons découvrir, nous mettra « peut-être à même de n'avoir plus aucun doute à ce sujet. Le voyage » sera terminé dans deux étés. » JY. z.J^as/e 10 3. 4. J3^Z£imE JSTOKDCdPEll, Fue par dessus . DES BALEINES. Io3 LA BALEINE NORDCAPER C e cétacée vit dans la partie de l'Océan atlantique septentrional située entre le Spitzberg , la Norvège et l'Islande. Il habite aussi dans les mers du Groenland , * Balaena nordcaper. Sarde. Baleine de Sarde. Nordkaper, par les Allemands. Id. en Norvège. Si ld quai , ibid. Lilie-hual , ibid. Nordkapper, dans le Groenland. Balaena mysticetus, var. B. Linné, édition de Gnielin. Balaena Islandica, bipinnis ex nigro candicans , dorso laevi. Briss. Regn, anJm. p. 35o , n. 2. Bal?ena glacialis. Klein, Miss. pisc. 2, p. 12. Autre espèce, qu'on appelle nordkapper. Eggede, Groenland, p. 53. Nordcaper. Anders. Island. p. 219. Id. Cranz , Groenland, p. 145. Baleine nordcaper. Bonnaterre , planches de V Encyclopédie méthodique. Ho rreb ows , Description d'Islande , p . 309. 7?;//. Pisc. p 17. Nordcaper. Édition de Bloch , donnée par R. B. Cas tel , etc. Nordcaper. Valmont-bomare , Dictionnaire d'histoire naturelle. C'est avec beaucoup d'empressement que nous engageons nos lecteurs à consulter les articles relatifs aux céîacées, qu'ils trouveront ùansY Encyclo- pédie méthodique , et dans les Dictionnaires d'histoire naturelle, ainsi que IOA HISTOIRE NATURELLE où un individu de cette espèce a été dessiné, en 1779 , par M. Bachstrom, dont le travail, remis dans le temps à sir Joseph Banks, m'a été envoyé il y a trois mois par cet illustre président de la société rovale de Londres. Il paroît qu'on l'a trouvé d'ailleurs dans les eaux du Japon , et par conséquent dans le grand Océan boréal, vers le quarantième degré de latitude. Son corps est plus alongé que celui de la baleine franche. La mâchoire inférieure est au contraire très- arron- die, très-haute, et plus large à proportion de celle don- nant, que dans le plus grand des cétacées. La forme générale de la tète, vue par-dessus et par-dessous, est celle d'un ovale tronqué par derrière, et un peu échan- cré à l'extrémité du museau. Parmi les dessins de M. Bachstrom , que nous avons fait graver, il en est un qui montre d'une manière particulière cette forme ovale présentée et maintenue par les deux os de la mâchoire inférieure. Ces deux os, réunis sur le devant par un cartilage qui en lie les extrémités pointues, et terminés par deux apophyses, dont l'une s'articule avec Y humérus, forment comme le cadre d'un ovale presque parfait. dans les différentes éditions de Buffon que l'on vient de publier, ou dont la publication n'est pas encore terminée. Les auteurs de ces Dictionnaires , et des additions importantes que ces éditions renferment, sont trop célèbres pour que nous devions les indiquer aux amis des sciences n$- iureUes. P/. 3.1> édition de Gmelin, Brisson , lle^n. anim. p. 35r , n. 3. Balaena gibbo unico piope caudam Klein, Miss. vise. 2 , p. 12. Pflokfijci!. Andersen, Tsh p. 224. Cmnz, (hoe/il. p. 146 Bifiley, Transact. jdiilosnph. n. 387, p. 256, art. 2. Houituin j Nat. Hïst. 3, p. 488. Baleine tampon. Bonnat erre, planches de V Encyclopédie niéihcdùjHï,- Id. Édition de Bloch } publiée pur R. R. Cislel. Midi. Naiur. 1 , p. 493. 112 HISTOIRE NATURELLE mifères qui en sont dénués, et quelques quadrupèdes ovipares et les poissons qui en sont pourvus. Les nageoires pectorales de la haleine noueuse sont très-longues, assez éloignées du bout du museau, et d'un blanc ordinairement très-pur. On l'a vue dans la mer qui baigne la Nouvelle-An- gleterre, dont quelques naturalistes lui ont donné le nom 3 mais il paroit qu'elle habite aussi auprès des côtes de l'Islande , ainsi que dans la Méditerranée et jlméiique , entre l'ancien Groenland et le Labrador; et peut-être faut-il rapporter à cette espèce quelques uns des cétacées vus par le capitaine Colnett dans le grand Océan boréal, auprès de la Californie ** La baleine noueuse est peu recherchée par les pê- cheurs. * Voyage du capitaine Colnett. Londres, 1798. o DES BALEINES. IIo LA BALEINE BOSSUE*. Cette baleine a sur le dos cinq ou six bosses ou émi~ nences. Ses fanons sont blancs , et, dit-on, plus difficiles à fondre que ceux de la baleine franche. Elle a d'ailleurs de très-grands rapports avec ce der- nier cé(acée. On Ta particulièrement observée dans la mer voisine de la Nouvelle-Angleterre. * Balaena gibbosa. Baleine à bosses. Baleine à six bosses. Seras whale , par les Anglais. Knobbel-visch , par les Hollandois. Knabbel-visch , ibid. Knoten-fisch , par les Allemands. Balaena gibbosa. Linné, édition de Gmelin.' Balœna bipinnis, gibbis dorsalïbus sex. Brisson 3 Regn. anim. p. 35i, D. 4. Baleine à bosses. Bonnaterre, planches de l'Encyclopédie méthodique. Id. Edition de Bloch 3 publiée par R. R. Caste/. Erxlehen , Mammal. p. 610, n. 5. Balaena gibbis vel nodis sex , balaena macra. Klein , Miss. pisc. 2, p. i3. Knotenfisch, oder knobbelfiscb. Anders. Isl. p. 2.25. Id. Cranz-j Groenland, p. 146. Houttuyn, Nat. Hist. 3 , p. 488. Millier, Naturf r, p. 4<)3. Transact. philosoph. n. 387, p. 258. \S LES BALEINOPTERES'. LA BALEINOPTÈRE GIBBAR2. IjE gibbar habite dans l'Océan glacial arctique, parti- culièrement auprès du Groenland. On le trouve aussi 1 Voyez, à la tête de ce volume, le tableau des ordres, genres et es- pèces de cétacées, et l'article qui le précède, et qui est intitulé, Nomen- clature des cétacées. 2 Baîaenoptera gibbar. Baleine américaine. Finnfisch , par les Allemands. Vinvisch , par les Hollaiidois. Finnfisk, par les Suédois. Reicler, en Laponie. Ror-hual, en Norvège. Finne-fisk, ibid. Tue quai, ibid. Stor-hvai , ibid. Hunfubaks, en Islande. Hunfubaks, ibid. (par opposition avec le nom de slettbaTcr , donné à la baleine franche, qui n'a pas de nageoire sur le dos). Skidis fiskar, nom donné en Islande aux cétacées qui ont des fanons , et L ventre sans plis. Tunomlik, en Groenland. Kepolak , ibid. Kepokarsoac , ibid. Fiu-fisli, par les Anglois. HISTOIRE NATURELLE. II ï) dans FOcéan atlantique septentrional. Il s'avance même vers la ligue , dans cet Océan atlantique, au moins jusque près du trentième degré, puisque le gibbar est peut-être ce physélère des anciens , dont Pline parle dans le chapitre 6 de son neuvième livre, et dont il dit qu'il pénètre dans la Méditerranée , et puisque Martens Ta réellement vu dans le détroit de Gibraltar en 1673. L'auteur de Y Histoire des pêches des Hollandais dit aussi que le gibbar entre dans la mer Méditerranée. Ma[s il paroît que dans le grand Océan, moins effrayé par les navigateurs et moins tourmenté par les pêcheurs, il vogue jusque dans la zone torride. On peut croire, en effet, qu'on doit rapporter au gibbar la baleine Jinback ou à nageoire sur le dos , que le- capitaine Colnett a vue non seulement auprès des côtes de Californie, mais en- core auprès du golfe de Panama, et par conséquent de Balaena physalus. Linné , édition de Gmelin. Baleine gibbar. Bonnaterre t planches de L'Encyclopédie méthodique. Ici. Édition de Bloch, publiée par R. R. Castel. Balaena fistulâ duplici in medio anteriore capite, dorso extremo pinnâ adiposâ. Faun. Suecic. 5o. Balaena , fislulâ in medio capite , tubero pinniformi in extremo dorso. Artedi , gen. 77, syn. 107. Balaena edentula, corpore strictiore, dorso pinnato. Raj. p. 9. Vraie baleine, gibbar. Rondelet , Histoire des poissons, première partie, livre 16, chapitre 8, édition de Lyon, i558. Balœna tripinnis, ventre leevi. Brisson , Regn. anim. p. 352, n. 5. Klein, Miss. pisc. 2, p. i3. Silb. Scot. an. p. 23. Oth. Fabric, Faun. Groenland, p. 35. I 1 6 HISTOIRE NATURELLE lequateur. Ce fait s'aecorderoit d'ailleurs très-bieD avec ce que nous avons dit de relatif à l'habitation des très- grands eétaeées, en traitant de la baleine franche, et avec ce que des auteurs ont écrit du séjour du gibbar dans les mers qui baignent les côtes de l'Inde. Le gibbar peut égaler la baleine franche par sa lon- gueur, mais non pas par sa grosseur. Son volume et sa masse sont très-inférieurs à ceux du plus grand des ce te ce es. D'ailleurs, M. Olafsen, et M. Povelsen, premier méde- cin d'Islande, disent que le gibbar a quatre-vingts aunes danoises, ou plus de cinquante mètres , de longueur; mais que la baleine franche est longue de plus de cent aunes danoises, ou de plus de soixante-trois mètres *• Le dessous de sa tête est d'un blanc éclatant; sa poi-* trine et son ventre présentent la même couleur; le reste de sa surface est d'un brun que le poli et le luisant de la peau rendent assez brillant. . L'ensemble de la tête représente une sorfe de cône dont la longueur égale le tiers de la longueur totale. La nuque est marquée par une dépression bien moins sensible que dans la baleine franche; la langue n'a pas une très-grande étendue; l'œil est situé très-près de l'angle formé par la réunion des deux mâchoires. Chaque * Voyage en Islande 3 par MM. Olafsen et Povelsen, rédigé, par ordre du roi de Danetnarck f sous la direction de l'académie des sdejjses de Copenhague , et traduit par Guuiiher de la Feyronie; tome III, page 23o- DES BALEINOPTÉRES. î lj pectorale est ovale, attachée assez près de l'œil , et aussi longue quelquefois que le huitième ou le neuvième de la longueur du cétacée. Les fanons sont si courts, que souvent leur longueur ne surpasse pas leur hauteur. Les crins qui les ter- minent sont longs, et comme tordus les uns autour des autres. On a écrit, avec raison, que ces fanons sont bleuâtres; mais on auroit dû ajouter, avec l'auteur de YHistoire des pêches des HoHandois , que leur couleur change avec l'âge, et qu'ils deviennent bruns et bordés de jaune. Vers l'extrémité postérieure du dos s'élève cette na- geoire que l'on retrouve sur tontes les baleinoptères, et qui rapproche la nature des cétacées, de celle des pois- sons dont ils partagent le séjour. Cette nageoire dor- sale doit être particulièrement remarquée sur le gibbar: elle est triangulaire, courbée en arrière à son sommet, et haute du quinzième ou environ de la longueur totale. Le gibbar se nourrit de poissons assez grands, sur- tout de ceux qui vivent en troupes très-nombreuses. Il préfère les gades, les scombres, les salmones, les du- pées, et particulièrement les maquereaux, les salmones arctiques et les harengs. Il les atteint, les agite, les trouble, et les engloutit doutant plus aisément, que, plus mince et plus délié que la baleine franche, il est plus agile et nage avec une rapidité plus grande. Il lance aussi avec plus de violence, et élève à une plus grande hauteur, l'eau Il 8 HISTOIRE NATURELLE qu'il rejette par ses évents, et qui, retombant de plus haut, est entendue de plus loin. Ces mouvemens plus fréquens, plus prompts et plus animés , paroissent influer sur ses affections habituelles , en rendant ses sensations plus variées, plus nombreuses et plus vives. Il semble que, dans cette espèce, la fe- melle chérit davantage son petit, le soigne plus atten- tivement, le soutient plus constamment avec ses bras, le protège , pour ainsi dire , et contre ses ennemis et contre les flots avec plus de sollicitude, le défend avec plus de courage. Ces différences dans la forme, dans les attributs, dans la nourriture, montrent pourquoi le gibbar ne paroît pas toujours dans les mêmes parages , aux mêmes épo- ques que la baleine franche. Elles peuvent aussi faire soupçonner pourquoi ce ce- tacée a un lard moins épais , une graisse moins abon- dante. C'est cette petite quantité de substance huileuse qui fait que les pêcheurs ne cherchent pas beaucoup à prendre le gibbar. Sa très-grande vitesse le rend d'ail- leurs très-difficile à atteindre. Il est même plus dange- reux de l'attaquer, que de combattre la baleine franche: il s'irrite davantage ; les coups qu'il donne alors avec ses nageoires etsa queue , sont terribles. Avant que les Bas- ques, redoutant la masse du plus grand des cétacées, osassent affronter la baleine franche, iis s'attachaient à la pêche du gibbar : mais l'expérience leur apprit qu'il DES BALEINOPTÈRES. lit) étoit et plus difficile de poursuivre et plus hasardeux de harponner ce cétacée que la première des baleines. Martens rapporte que des matelots d'une chaloupe pê- cheuse ajant lancé leur harpon sur ungibbar, l'animal, fuyant avec une vélocité extrême, les surprit, les trou- bla, les effraya au point de les empêcher de songer à couper la corde fatale qui attachoit la nacelle au har- pon, et les entraîna sous un vaste banc de glaçons en- tassés, où ils perdirent la vie. Cependant on assure que la chair du gibbar a le goût de celle de lacipensère esturgeon; et dans quel- ques contrées, comme dans le Groenland, on fait servir à plusieurs usages domestiques les nageoires, la peau, les tendons et les os de ce cétacée. 120 HISTOIRE NATURELLE LA BALEINOPTÈRE JUBARTE *. La jubarte se plaît dans les mers du Groenland; on la trouve sur-tout entre cette contrée et l'Islande : mais on * Balaenoptera jubartes. Vraisemblablement sulphur hottom , sur les côtes occidentales de l'Amé- rique septentrionale. Keporkak , en Groenland. Hrafu-reydus , en Islande. Hraf'n-reydur , ibid. Hrefna , ibid, Rengis fiskar, nom donné -par les Islandois aux cétacêes qui ont des fanons _, et qui de plus ont des plis sur le ventre. Balaena boops. Linné , édition de Gmelin. Balaena fistulâ duplici in rostro, dorso Ixtremo protuberantiâ corneâ, Art. gen. 77, syn. 107. Balœna tripinnis, ventre rugoso, rostro acuto, Brisson , Regn. anim, p. 355 , n. 7. Baleine jubarte. Bonnaterre3 planches de l'Encyclopédie méthodique, Id. Edition de Eloch _, publiée par R. R. Castel. Jubartes. Klein 3 Miss. pisc. 2 , p. i3. Jupiterfiscb. Anderson } Island. p. 220. Cranz t Groenland, p. 146. Eggede , 41. Strom. 298. Otho Fabrici. 36. Adel. 384. Muller, Zoolog. Dan. Prodrom. p. 8. Raj. Pisc. pag. 16. JY.^.Jliye J.20 . J. Bs/LE7WOP TftKP Mari*. Z.Jl^tZiïlNOP TURE Jfuseau, Pointu,. 3.M4BML fufyaire. DES BÀLEINOPTERES. 121 l'a vue dans plusieurs autres mers de l'un et de l'autre hémisphère. Il paroît qu'elle passe l'hiver en pleine mer, et qu'elle ne s'approche des côtes, et n'entre dans les anses, que pendant l'été ou pendant l'automne. Elle a ordinairement dix-sept ou dix-huit mètres de longueur. Dans un jeune individu de cette espèce, décrit par Sibbald, et qui étoit long de quinze mètres et un tiers, la circonférence auprès des bras étoit de sept mètres; la largeur de la mâchoire inférieure, vers le milieu de sa longueur , d'un mètre et demi ; la longueur de l'ouverture de la gueule, de trois mètres et deux tiers ; la longueur de la langue , de deux mètres ou environ; la distance du bout du museau aux orifices des évents , de plus de deux mètres; la longueur des pectorales, d'un mètre et deux tiers ; la largeur de ces nageoires, d'un demi-mètre; la distance de la nageoire du dos à la caudale, de près de trois mètres; la lar- geur de la caudale, de plus de trois mètres ; la distance de l'anus à l'extrémité de cette nageoire de la queue, de près de* cinq mètres; et la longueur du balénas, de deux tiers de mètre. Le corps, très-épais vers les nageoires pectorales, se rétrécit ensuite, et prend la forme d'un cône très-alongé, continué par la queue, dont la largeur, à son extré- mité, n'est, dans plusieurs individus, que d'un demi- mètre. Les orifices des deux évents sont rapprochés l'un de l'autre, au point de paroître ne former qu'une seule 16 I 22 HISTOIRE NATURELLE ouverture. Au-devant de ces orifices, on voit (rois ran- gées de petites protubérances très-arrondies. La mâchoire inférieure est un peu plus courte et plus étroite que celle d'en-haut. L'œil est situé au-dessus et très-près de l'angle formé par la réunion des deux lèvres; l'iris paroît blanc ou blanchâtre. Au-delà de l'œil, est un trou presque imperceptible : c'est l'orifice du conduit auditif. Les fanons sont noirs, et si courts, qu'ils n'ont sou- vent qu'un tiers de mètre de longueur. La langue est grasse, spongieuse, et quelquefois hé- rissée d'aspérités. Elle est de plus recouverte, vers sa racine, d'une peau lâche qui se porte vers le gosier, -et paroitroit pouvoir en fermer l'ouverture, comme une sorte d'opercule. Quelquefois la jubarte est toute blanche. Ordinaire- ment cependant, la partie supérieure de ce cétacée est noire ou noirâtre; le dessous de la tête et des bras , très- blanc; le dessous du ventre et de la queue , marbré de blanc et de noir. La peau , qui est très-lisse^ recouvre une couche de graisse assez mince. Mais ce qu'il faut remarquer , c'est que, depuis le dessous de la gorge jusque vers l'anus, la peau présente de longs plis longitudinaux, qui, le plus souvent, se •réunissent deux h deux vers leurs extrémités, et qui donnent au cétacée la faculté de dilater ce tégument assez profondément sillonné. Le dos de ces longs sillons est marbré de noir et de blanc ; mais les intervalles qui DES BÀLEINOPTÈRES. 123 les séparent sont d'un beau rouge qui contraste, d'une manière très-vive et très-agréable à la vue , avec le noir de l'extrémité des fanons, et avec le blanc éclatant du dessous de la gueule, lorsque l'animal gonfle sa peau, que les plis s'effacent, et que les intervalles de ces plis se relèvent et paroissent. On a écrit que la jubarte tendoit cette peau , ordinairement lâche et plissée, dans ]es momens où, saisissant les animaux dont elle veut lie nourrir, elle ouvre une large gueule, et avale une grande quantité d'eau , en même temps qu'elle englou- tit ses victimes. Mais nous verrons, à l'article de la ba/ei- nopière museau-pointu , quel organe particulier ont reçu les cétacées dont la peau du ventre, ainsi sillonnée, peut se prêter à une grande extension. On a remarqué que la jubarte lançoit l'eau par ses évents avec moins de violence que les cétacées qu'elle égale en grandeur : elle ne paroît cependant leur céder ni en force ni en agilité, au moins relativement à ses dimensions. Vive et pétulante, gaie même et folâtre, elle aime à se jouer avec les flots. Impatiente, pour ainsi dire, de changer de place, elle disparoît souvent sous les ondes, et s'enfonce à des profondeurs d'autant plus considérables , qu'en plongeant elle baisse sa tète et' relève sa caudale au point de se précipiter, en quel- que sorte, dans une situation verticale. Si la mer est calme, elle flotte endormie sur la surface de l'océan; mais bientôt elle se réveille, s'anime, se livre à toute sa vivacité , exécute avec une ranidité étonnante des 124 HISTOIRE NATURELLE évolutions très-variées, nage sur un côté, se couche sur son dos, se retourne, frappe l'eau avec force, bon- dit, s'élance au-dessus de la surface de la mer, pi- rouette, retombe, et disparoît comme l'éclair. Elle aime beaucoup son petit, qui ne l'abandonne que lorsqu'elle a donné le jour à un nouveau cétacée. On l'a vue s'exposer à échouer sur des bas-fonds, pour l'em- pêcher de se heurter contre les roches. Naturellement douce et presque familière, elle devient néanmoins furieuse si elle craint pour lui : elle se jette contre la chaloupe qui le poursuit, la renverse, et emporte sous un de ses bras la jeune jubarte qui lui est si chère. La plus petite blessure suffit quelquefois pour la faire périr, parce que ses plaies deviennent facilement gan- greneuses ; mais alors la jubarte va très-fréquemment expirer bien loin de l'endroit où elle a reçu le coup mortel. Pour lui donner une mort plus prompte, on cherche à la frapper avec une lance derrière la nageoire pectorale : on a observé que si l'arme pénètre assez avant pour percer le canal intestinal, le cétacée s'en- fonce très-promptement sous les eaux. Le mâle et la femelle de cette espèce paroissent unis l'un à l'autre par une affection très-forte. Duhamel rap- porte qu'on prit en 1723 deux jubartes qui voguoient ensemble, et qui vraisemblablement étoient mâle et femelle. La première qui fut blessée jeta des cris de douleur, alla droit à la chaloupe, et d'un seul coup de queue meurtrit et précipita trois hommes dans la mer. DES BALENOPTERES. I 2 5 Elles ne voulurent jamais se quitter; et quand l'une fut tuée, l'autre s'étendit sur elle et poussa des gémis- semens terribles et lamentables. Ceux qui auront lu l'histoire de la jubarte, ne seront donc pas étonnés que les Islandois ne la harponnent presque jamais : ils la regardent comme l'amie de l'homme; et mêlant avec leurs idées superstitieuses les inspirations du sentiment et les résultats de l'observa- tion , ils se sont persuadés que la divinité l'a créée pour défendre leurs frêles embarcations contre les cétacées féroces et dangereux. Ils se plaisent à raconter que lorsque leurs bateaux sont entourés de ces animaux énormes et carnassiers, la jubarte s'approche d'eux au point qu'on peut la toucher, s'élance sous leurs rames, passe sous la quille de leurs bâtimens, et, bien loin de leur nuire, cherche à éloigner les cétacées ennemis, et les accompagne jusqu'au moment où, arrivés près du rivage, ils sont à l'abri de tout danger*. Au reste, la jubarte doit souvent redouter le physé- tère microps. Elle se nourrit non seulement du testacée nommé planorbe boréal 3 mais encore de Yammodyte appât, du salmone arctique , et de plusieurs autres poissons. * J^oyage en Islande , -par M. Olafsen 3 et M. Povelsen , premier m é- ^decin s.elc. traduit par M. Gauthier de la Pejronie ; tome TU, page 233» 126 HISTOIRE NATURELLE LA BALEINOPTÈRE RORQUAL*. L'habitation ordinaire du rorqual est beaucoup plus rapprochée des contrées tempérées de l'Europe, * Balaenoptera rorqual. t Rorqual à ventre cannelé. Souffleur. Capidolio , par les Italiens. Steype-reydus, par les Islandais. S l e i p e- re y d ur , ibid. Rengis fîsbar , nom donné par les Islandois aux céiacées qui ont des fanons 3 et dont le dessous du ventre présente des plis. Rorqual , par les Norvégiens. Id. par les Groenlandois. Ba!œna musculus. Linné } édition de Gmelin. Balaena fistulâ dnplici in fronte, maxillâ inferiore roullo latiore. Ar- tedi , gen. 78, syn. 107. Balaena tiipinnis , inaxillam inferiorem rotundam et superiore multô latiorem habens. Sibbald. Balaena tripinnis , ventre rugoso , rostro rotundo. Brisson } Regn. anim. pag. 353, n. 6. Raj. Syn. pisc. p. 17. a*jva, balaena, etc. Italîs capidolio. Bellon , Aquat. p. 46. Bala?na Bellonii. Aldrci-.ind. Pisc. p. 676. Baleine rorqual. Bonnaterre , planches de V Encyclopédie méthodique. Id. Édition de Bloch , publiée par R. R. Castel. Oth. Fabric. Faun, Groenland, p. 39. Adel. 394. Mull. Prodrom. Zoolog. Dan. 49. Rorqual. Âscagne } pi. d'hist. natur. cah. III, p. 4, pi. 26. -//. •Ç-Zîzifeiné*. =s^s^sss& J. J2.J^IR^2Œ Mer orbitale . 3 . D^U^JZITV Glcu&œfeusr . DES BÀLE1NOPTÈRES. 1 27 que celle de plusieurs autres grands cétacées. Il vit dans 3a partie de l'Océan atlantique septentrional qui baigne l'Ecosse, et par conséquent en-deçà du soixantième degré de latitude boréale; d'ailleurs, il s'avance jus- que vers le trente -cinquième , puisqu'il entre par le détroit de Gibraltar dans la Méditerranée. 11 aime à se nourrir de chipées, et particulièrement de harengs et de sardines, dont on doit croire qu'il suit les nom- breuses légions dans leurs divers vojages, se montrant très-souvent avec ces bancs immenses de chipées, et disparoissant lorsqu'ils disparoîssent. Il est noir ou d'une couleur noirâtre dans sa partie supérieure, et blanc dans sa partie inférieure. Sa lon- gueur peut aller au moins jusqu'à vingt-six mètres, et sa circonférence à onze ou douze, dans l'endroit le plus gros de son corps1. Une femelle, dont parle Ascagne, avoit vingt-deux mètres de longueur. La note suivante donnera quelques-unes des dimensions les plus remar- quables d'un rorqual de vingt-six mètres de long'. 1 MM. OlafVen et Povelsen disent , dans la relation de leur voyage en Islande (tome III, page 23r de la traduction Françoise), que le rorqual est le plus grand des cétacées, et a une longueur de plus de cent vingt aunes danoises, ou de plus de quatre-vingts mètres. Mais c'est à la baleine franche qu'il faut rapporter cette dimension, qui n'a été attribuée au ror- qual que par erreur. 1 Longueur de la mâchoire inférieure, quatre mètres et demi ou en- viron. Longueur de la langue , un peu plus de cinq mètres» Largeur de la langue, cinq mètres* 128 HISTOIRE NATURELLE La mâchoire inférieure du cétacée que nous décri- vons, au lieu de se terminer en pointe, comme celle de la jubarte, forme une portion de cercle quelquefois foiblcment festonnée; celle d'en-haut , moins longue et beaucoup moins large, s'emboîte dans celle d'en-bas. La langue est molle, spongieuse, et recouverte d'une peau mince La base de cet organe présente de chaque côté un muscle rouge et arrondi, qui rétrécit l'entrée du gosier, au point que des poissons un peu gros ne pourroientpasj passer. Mais si cet orifice est très-étroit, la capacité de la bouche est immense : elle s'ouvre à un tel degré, dans plusieurs individus de l'espèce du rorqual, que quatorze hommes peuvent se tenir debout dans son intérieur, et que, suivant Sibbald, on a vu une chaloupe et son équipage entrer dans la gueule ouverte d'un rorqual échoué sur le rivage de l'Océan. On pourra avoir une idée très-juste de la forme et de la grandeur de cette bouche énorme, en jetant les Distance du bout du museau à l'œil , quatre mètres un tiers ou à peu près. Longueur des nageoires pectorales , trois mètres un tiers. Plus grande largeur de ces nageoires , cinq sixièmes de mètre. Distance de la base de la pectorale à l'angle formé par la réunion des deux mâchoires, un peu plus de deux mètres. Longueur de la nageoire du dos , un mètre. Hauteur de cette nageoire, deux tiers de mètre. Distance qui sépare les deux pointes de la caudale, un peu plus de six mètres. Longueur du balénas , un mètre deux tiers. Distance de l'insertion du balénas à l'anus, un mètre deux tiers. J>/. STapeizâ. De Jeve i/c/ Dévisse Jcufo J. TeJe osseuse/ d'u/ie^S^LUZYOP TE71E HorouaZ . l3o HISTOIRE NATURELLE presque toujours au travers d'une couche d'eau très- épaisse pour parvenir jusqu'à l'œil de la baleine franche, du nordcaper, du gibbar, etc. L'œil du rorqual admet donc des rajons qui n'ont pas subi de réfraction, pen- dant que celui du gibbar, du nordcaper, de la baleine franche, n'en reçoit que de très-réfractés. On pourroit donc croire, d'après ce que nous avons dit en traitant de l'organe de la vue de la baleine franche, que la conformation de l'œil n'est pas la même dans le ror- qual que dans la baleine franche , le nordcaper , le gibbar; on pourroit supposer, par exemple, que le cristallin du rorqual est moins sphérique que celui des autres célacées que nous venons de nommer: mais l'ob- servation ne nous a encore rien montré de précis à cet égard; tout ce que nous pouvons dire, c'est que l'œil du rorqual est plus grand à proportion que celui de la baleine franche, du gibbar et du nordcaper. D'après la position de l'œil du rorqual, il n'est pas surprenant que les orifices des évents soient, dans le cétacée que nous décrivons , très-près de l'organe de la vue. Ces orifices sont placés dans une sorte de pro- tubérance pyramidale. Le corps est très-gros derrière la nuque; et comme, à partir de la sommité du dos, on descend d'un coté jusqu a l'extrémité de la queue, et de l'autre jusqu'au bout du museau , par une courbe qu'aucune grande saillie ou aucune échancrure n'interrompt, on ne doit appercevoir qu'une vaste calotte au-dessus de l'océan, J*l ■ --^aqe i3o . J2 . Fanons dune Jl^iLULyOFTEJZE ftorfual. DES BÀLEINOPTÈRES. l3r lorsque le rorqual nage à la surface de la mer, au lieu d'en voir deux, comme lorsque la baleine franche sil- lonne la surface de ce même océan. L'ensemble du rorqual paroît donc composé de deux cônes réunis par leur base, et dont celui de derrière est plus alongé que celui de devant. Les nageoires pectorales sont lancéolées, assez éloi- gnées de l'ouverture de la gueule, et attachées à une hauteur qui égale presque celle de l'angle des lèvres. Nous n'avons pas besoin de faire voir comment cette position peut influer sur certaines évolutions du cé- tacée *. La dorsale commence au-dessus de l'ouverture de l'anus. Elle est un peu échancrée, et se prolonge sou- vent par une petite saillie jusqu'à la caudale. Cette dernière nageoire se divise en deux lobes; et chaque lobe est échancré par-derrière. La couche de graisse qui enveloppe le rorqual a communément plus de trois décimètres d'épaisseur sur la tête et sur le cou ; mais quelquefois elle n'est épaisse que d'un décimètre sur les côtés du cétacée. Un seul rorqual peut donner plus de cinquante tonnes d'huile. Lorsqu'un individu de cette espèce s'engage dans quel- que golfe de la Norvège dont l'entrée est très-étroite, on s'empresse, suivant Ascagne, de la fermer avec de gros filets, de manière que le cétacée ne puisse pas * Rappelez ce que nous avons dit de la natation de la baleine franche. l32 HISTOIRE NATURELLE s'échapper dans l'océan, ni se dérober aux coups de ]ance et de harpon dont il est alors assailli , et sous lesquels il est bientôt forcé de succomber. Tout le dessous de la tète et du corps, jusqu'au nom- bril, présente des plis longitudinaux, dont la largeur est ordinairement de cinq ou six centimètres, et qui sont séparés l'un de l'autre par un intervalle égal, ou presque égal , à la largeur d'un de ces sillons. On voit l'ensemble formé par ces plis longitudinaux remonter de chaque côté, pour s'étendre jusqu'à la base de la nageoire pectorale. Ces sillons annoncent l'organe remarquable que nous avons indiqué en parlant de la jubarte, et dont nous allons nous occuper de nouveau dans l'article de la baleinoptère museau-pointu. En septembre de l'année 1692, un rorqual long de vingt-six mètres échoua près du château d'Abercorn. Depuis vingt ans, les pêcheurs de harengs, qui le re- connoissoient à un trou qu'une balle avoit fait dans sa nageoire dorsale, le voyoient souvent poursuivre les légions des dupées. Le 3o ventôse de l'an 6 de l'ère françoise , un cé- tacée de vingt mètres de longueur fut pris dans la Méditerranée sur la côte occidentale de l'île Sainte- Marguerite, municipalité de Cannes, département du Var. Les marins le nommoient soitjjlcur. Le citojen Jacques Quine, architecte de Grasse, en fit un dessin y que le président de l'administration centrale du dépar- tement du Var envoja au Directoire exécutif de la DES B ÀLEI N OP TE R ES. 1 33 République. Mon confrère le citoyen Révellière Lépaux , membre de l'Institut national, et alors membre du Directoire , eut la bonté de me donner ce dessin , que j'ai fait graver; et bientôt après, les fanons, les os de la tête et quelques autres os de cet animal ayant été apportés à Paris, je reconnus aisément que ce cétacée appartenoit à l'espèce du rorqual. C'est à cette même espèce , qui pénètre dans la Médi- terranée, qu'il faut rapporter une partie de ce qu'Aris- tote et d'autres anciens naturalistes ont dit de leur mys- ticelus et de leur haleine. Il sembleroit qu'à beaucoup d'égards le mysticetus et la baleine des anciens auteurs sont des êtres idéaux, formés par la réunion de plu- sieurs traits, dont les uns appartiennent à notre ba- leine franche, et les autres au gibbar, ou au rorqual, ou à notre cachalot macrocéphale. Daléchamp, savant médecin et naturaliste, mort à Lyon en i588, parle , dans une de ses notes sur PI me*, d'un cétacée qu'il avoit vu , et qui avoit été jeté sur le rivage de la Méditerranée, auprès de Montpellier. Il donne le nom d'orque à ce cétacée; mais il paroît que c'est un rorqual qu'il avoit observé. Ml I ■ ■■ ■ I —■ H ■ ■■ "" ■ " — ■ — I —— ■■■■■■■!■ I ■ .———11, Il II 11 ' ' I M—— -P- — »— >^— w^—iW— —— i * Bala?nnrum plana et levis cutis est, oec arum canaliculatim striata^ qualem vidimus in littus ejectam , prope Monspesulum. (Note de Dalé- champ sur le chapitre 6 du livre IX de Pline, édition de Lyon, 1606.) 184 HISTOIRE NATURELLE LA BALEINOP TÈRE MUSEAU-POINTU \ D e toutes les espèces de baleines ou de baleinoptères que nous connoissons , celle que nous allons décrire est la moins grande. Il paroît qu'elle ne parvient qu'à une longueur de huit ou neuf mètres. Un jeune individu pris aux environs de la rade de Cherbourg n'avoit que quatre mètres deux tiers de longueur1. Sa circonfe- 1 Balaenoptera acuto-rostrata. Pike headed wliale, par les Anglois. Andarna fia , par les Islandois. Rengis fieikar, nom donné par les Tslandois aux cétacées qui ont des fanons , et dont le dessous du ventre présente des plis. Rebbe hua\, par les Norvégiens. Dogling, par les habitans de l'isle de Fœroe. Balaena rostrata. Linné, édition de Gmelin. Baleine à bec. Bonnaterre , planches de V Encyclopédie méthodique, Id. Édition de Bloch , publiée par R. R. Castel. Balaena rostrata, minima, rostro longissimo et acutissimo. Millier t Zoolog. Dan. Prodrom. p. 7, n. 48. Balaena oie rostrato , balaena tripinnis edentula minor, rostro parvo. Klein, Miss. pisc. 2, p. l3. Otho Fabricius , Faun. Groenland, p. 40. Hunter, Transact. philosoph. 1787. * Note manuscrite adressée à Lacepcde par le citoyen Geoffroy de Va- logne , observateur très-éclairé. I>?.S./>ape.*3. z; J. ^-AL^HyO^T^IŒ Jfuseau^oznÙ£/, y*W far c#t&. Jl.-B^L^ZN'OPTUIlEJfuieuu^omù^y^ Tues f?ar dessous. 3. Jfac/voirey sufterieusvaes la^ J3aZezrw>f>/ere mznv^u/^z/omtu-, fus v or gen. 78, spec. 108. Id. Faun. Suecic. 48. Id. Mus. Ad. Fr. 1 , p. 52. Id. Muller, Zoolog. Dan. Prodrom. p. 6 , n. 44. Narhwal , oder einhorn. Anders. Island. p. 225. Id. Cranz , Groenland, p. 146. Einhorn. Mort. Spitzb. p. 94. Eenhiorning. Eggede , Groenl. p. 56. HISTOIRE NATURELLE. l/[3 génie, par les formes colossales qu'elle montre, la puis- sance qu'elle annonce, les phénomènes qu'elle indique ou rappelle; elle excite la curiosité, elle fait naître une sorte d'inquiétude, elle touche le cœur, en entraînant l'attention vers les contrées lointaines, vers les mon- tagnes de glace flottante, vers les tempêtes épouvan- tables qui soumettent d'infortunés navigateurs à tous les maux de l'absence, à toutes les horreurs des fri- mas, à tous les dangers de la mer en courroux; elle agit enfin sur l'imagination, lui plaît, l'anime et l'étonné, en réveillant toutes les idées attachées à cet être fantastique et merveilleux que les anciens ont nommé licorne, ou plutôt en retraçant cet être admi- rable et réel, ce premier des quadrupèdes , ce domina- teur redoutable et paisible des rivages et des forêts humides de la zone torride , cet éléphant si remar- quable par sa forme, ses dimensions, ses organes, ses armes, sa force, son industrie et son instinct. Le narwal est, à beaucoup d'égards, l'éléphant de la mer. Parmi tous les animaux que nous connoissons, eux seuls ont reçu ces dents si longues, si dures, si Monodon narhwal. Bonnaierre, -planches de l'Encyclopédie méthodique* ld. Édition de Blocli } publiée par R. R. Castel. Ofh. Fabric. Faim. Groenland. 29. Unicornu marinum. Mus. TVormi. p. 282-283. Raj. Pisc. p. ir. Licorne de mer. Falmont-Bomare 3 Dictionnaire d'histoire naturelle* Narhwal. Id. ibid. Klein } Miss. Pisc* 2, p. 18 y tab. 2, fig. c» I/p4 HISTOIRE NATURELLE pointues, si propres à la défense et à l'attaque. Tous deux ont une grande masse, un grand volume, des muscles vigoureux, une peau épaisse. Mais les résultats de leur conformation sont bien différens : l'un, très- doux par caractère , n'use de ses armes que pour se défendre, ne repousse que ceux qui le provoquent, ne perce que ceux qui l'attaquent, n'écrase que ceux qui lui résistent, ne poursuit et n'immole que ceux qui l'irritent; l'autre, impatient, pour ainsi dire, de toute supériorité, se précipite sur tout ce qui lui fait ombrage, se jette en furieux contre l'obstacle le plus insensible, affronte la puissance, brave le danger, recherche le carnage, attaque sans provocation, com- bat sans rivalité , et tue sans besoin. Et ce qui est très-remarquable, c'est que l'éléphant vit au milieu d'une atmosphère perpétuellement em- brasée par les rajons ardens du soleil des tropiques , et que le narwal habite au milieu des glaces de l'Océan polaire, dans cet empire éternel du froid , que la moitié de l'année voit envahi par les ténèbres. Mais l'éléphant ne peut se nourrir que de végétaux; le narwal a besoin d'une proie; et dès-lors tout est expliqué. On n'a compté jusqua présent qu'une ou deux es- pèces de ces narwals munis de défenses comparables à celles de l'éléphant ; mais jious crojons devoir en distinguer trois. Deux sur-tout sont séparées Tune de l'autre par de grandes diversités dans les formes, DES NARVALS. I/ji> dans les dimensions, dans les habitudes. Nous expo- serons successivement les caractères de ces trois espèces, dont les traits distinctif's sont présentés dans notre tableau général des cétacées. Occupons -nous d'abord du narwal, auquel se rapportent le plus grand nombre d'observations déjà publiées , auquel nous pourrions donner le nom particulier de macrocèphale * , pour désigner la grandeur relative de sa tète , l'un des rapports les plus frappa ns de sa conformation avec celle des baleines, et notamment de la baleine franche, mais auquel nous préférons de conserver l'épithète spécifique de vulgaire. De la mâchoire supérieure de ce narwal sort une dent très -longue , étroite , conique dans sa forme générale, et terminée en pointe : cette dent, séparée de la mâchoire, a été conservée pendant long-temps, dans les collections des curieux, sous le nom de corne ou de défense de licorne. On la regardoit comme le reste de l'arme placée au milieu du front de cet animal fabuleux, sjmbole d'une puissance irrésistible, auquel on a voulu que le cheval et le cerf ressem- blassent beaucoup, dont les anciens ne se sont pas contentés de nous transmettre la chimérique histoire, dont on retrouve l'image sur plusieurs des monumens qu'ils nous ont laissés, et dont la figure, adoptée par la chevalerie du mojen âge, a décoré si souvent les ■«■'■■' ■■■■■■■ i ■■ . ..-^ — — — -- ■■■■■ —■»■■—,■■■■» ii, , — , i ■ ■■»■■— .i * Macrocèphale signifie grande tête. 19 l/\6 HISTOIRE NATURELLE trophées des fêtes militaires, rappelle encore de hauts faits d'armes à ceux qui visitent de vieux donjons gothiques , et orne les écussons conservés dans une partie de l'Europe. Il n'est donc pas surprenant qu'à une époque déjà un peu reculée, elle ait été vendue très-cher. Cette dent est cannelée en spirale. On ne sait pas encore si la courbe produite par cette cannelure va, dans tous les individus, de gauche à droite, ou de droite à gauche ; mais on sait que les pas de vis formés par cette spirale sont très-nombreux , et que le plus souvent on en compte plus de seize. La nature de cette dent se rapproche beaucoup de celle de l'ivoire. Cette défense est creuse à la base comme celles de l'éléphant; elle est cependant plus dure. Ses fibres plus déliées ne forment pas des arcs croisés, comme les fibres de l'ivoire; mais elles sont plus étroitement liées ; plus ténues , elles ont plus de surface , à proportion de leur masse ; elles exer- cent les unes sur les autres une force d'affinité plus grande; elles sont réunies par une cohérence plus dif- ficile à vaincre : la défense est plus compacte, plus pesante, moins altérable, moins sujette à perdre, en jaunissant , l'éclat et la couleur blanche qui lui sont propres. Si nous considérons la longueur de cette dent, relativement à la longueur totale de l'animal , nous trouverons qu'elle en est quelquefois le quart ou à DES N A R W À L S. 147 peu près \ Il ne faut donc pas être étonné qu'on ait trouvé des défenses de narwal de plus de trois mètres, et même de quatre mètres et deux tiers. Lorsqu'on rencontre un narwal avec une seule dent, on ne voit pas cette défense placée au milieu du front , ainsi qu'on le pensoit encore du temps d'Al- bert2- mais elle est située au côté droit ou au côté gauche de la mâchoire supérieure. Plusieurs natura- listes célèbres ont écrit qu'on la trouvoit beaucoup plus souvent à gauche qu'à droite. Elle perce la lèvre supérieure, qui entoure entièrement sa base et forme ordinairement autour de cette arme une sorte de bourrelet en anneau, assez large et un peu convexe. Le diamètre de la défense est le plus souvent à cette même base d'un trentième de la longueur de cette dent, et la profondeur de l'alvéole qui la reçoit et la maintient , peut égaler le septième de cette même longueur. Maïs cette dent placée sur le côté gauche ou sur le côté droit, est-elle l'unique défense du narwal? ce cétacée est-il un véritable unicorne ou licorne de mer? On ne peut plus conserver cette opinion. Toutes les analogies dévoient faire croire que la dent du narwal n'étant pas placée sur la ligne du milieu de 1 Suivant V. ormius, et d'après les renseignemens qu'un évêque d'Islande lui avoit fait parvenir, la longueur de la dent du narwal est à la longueur totale de ce cétacée, comme 7 est à 3o. 1 A'bcrtus, XXIV, pag 244 a. I48 HISTOIRE NATURELLE la tête, mais s'insérant dans un des côtés de cette partie, n'est pas unique par une suite de la confor- mation naturelle de ranimai ; mais les faits connus ne laissent aucun doute à ce sujet. Lorsqu'on a pris un narwal avec une seule défense, on a trouvé fréquemment , du côté opposé à celui de la dent , un alvéole recouvert par la peau , mais qui renfermoit le rudiment d'une seconde défense arrêtée dans son développement. Des capitaines de bâtimens pêcheurs ont attesté à Anderson que plu- sieurs individus de l'espèce que nous décrivons, ont, du côté droit de la mâchoire supérieure, une seconde dent semblable à la première, quoique plus courte et moins pointue ; et pour ne pas alonger cet article sans nécessité, et ne citer maintenant qu'un seul fait, le capitaine Dirck-Petersen , commandant le vaisseau le Lion d'or, apporta à Hambourg, en 1689, les os de la tête d'un narwal femelle , dans lesquels deux défenses étoient insérées. La figure gravée de celte tête a été publiée dans plusieurs ouvrages, et ré- cemment dans la partie de Y Encyclopédie méthodique que nous devons au professeur Bonnaterre. Ces deux dents n'étoient éloignées l'une de l'autre, à leur sortie du crâne, que de six centimètres; mais leurs directions s'écartoient de manière qu'il y avoit cinquante centi- mètres de distance entre leurs extrémités : celle de gauche avoit près de deux mètres et demi de long, et celle de droite étoit moins longue de treize centimètres et demi. DES NÂRWÀLS. I _/[g D'après ces faits, et indépendamment d'autres rai- sons, on n'a pas besoin de réfuter les idées des pre- miers pêcheurs, qui ont cru que la femelle du narwal étoit privée de défenses , comme la biche est privée de cornes, et qui, par je ne sais quelle suite de consé- quences , ont pensé que le cétaeée nommé marsouin étoit la femelle du narwal vulgaire. Anderson assure, d'après un témoin oculaire, pê- cheur expérimenté et observateur instruit, qu'on avoit pris un narwal femelle dans le ventre de laquelle on avoit trouvé un fœtus qui ne présentoit aucun com- mencement de dent. Nous ignorons à quel âge parois- sent les défenses; mais il nous semble que l'on doit croire, avec le professeur Gmelin et d'autres habiles naturalistes, que les narwals ont deux dents pendant leur première jeunesse. Notre illustre confrère Blumenbach, de la société des sciences de Gottingue, etc. a eu occasion de voir un jeune narwal dont la défense gauche excédoit déjà la lèvre, d'un tiers de mètre ou environ, et dont la défense droite étoit encore cachée clans son alvéole *. Si les cétacées de l'espèce que nous décrivons n'ont qu'une défense lorsqu'ils sont devenus adultes, c'est parce que des chocs violens ou d'autres causes acci- dentelles, comme les efforts qu'ils font pour casser * Abbildungen naturhistorisclier gegenstande 3 von J, Fr, Elu- viembach} Gotting,en, n. 44. l5o HISTOIRE NATURELLE les blocs de glace dans lesquels ils se trouvent engagés, ont brisé une défense encore trop fragile, comprimé, déformé , désorganisé l'alvéole au point d j tarir les sources de la production de la dent. Souvent alors la matière osseuse, qui n'éprouvé plus d'obstacle, ou qui a été déviée , obstrue cet alvéole ; et la lèvre supé- rieure s'étendaut sur une ouverture dont rien ne la repousse, la voile et la dérobe tout-à-fait à la vue. Nous avons une preuve de ces faits dans un phéno- mène analogue, présenté par un individu de l'espèce de l'éléphant , dont les défenses ont tant de rapports avec celles du narwal. On peut voir dans la riche collection d'anatomie comparée du Muséum national d'histoire naturelle , le squelette d'un éléphant mâle, mort il y a deux ans dans ce Muséum. Que l'on examine cette belle préparation, que nous devons, ajnsi que tant d'autres, aux soins de mon savant collègue le citoyen Cuvier. On ne verra de défense que du côté gauche de la mâchoire supérieure , et l'alvéole de la défense droite est obli- téré. Cependant non seulement tout le monde sait que les éléphans ont deux défenses, mais encore l'individu mort dans la ménagerie du Muséum en avoit deux lors- qu'on l'a fait partir du château de Loo en Hollande, pour l'amener à Paris. C'est pendant son voyage, et en s'efforçant de sortir d'une grande et forte caisse de bois dans laquelle on l'avoit fait entrer pour le trans- porter, qu'il cassa sa défense droite. Il avoit alors près de quatorze ans, et il n'a vécu que cinq ans depuis cet accident. DES NARVALS. 1 5 l Quoi qu'il en soit, quelle arme qu'une défense très- dure, très-pointue, et de cinq mètres de longueur! quelles blessures ne doit-elle pas faire, lorsqu'elle est mise en mouvement par un narwal irrité ! Ce cétacée nage en effet avec une si grande vitesse, que le plus souvent il échappe à toute poursuite; et voilà pourquoi il est si rare de prendre un individu de celte espèce, quoiqu'elle soit assez nombreuse. Cette rapidité extraordinaire n'a pas été toujours reconnue, puisqu 'Albert, et d'autres auteurs de son temps ou plus anciens, ont au contraire fait une mention expresse de la lenteur qu'on attribuoit au narwal. On la retrouve néanmoins non seulement dans la fuite de ce cétacée, mais encore dans ses mouvemens particuliers et dans ses diverses évolutions ; et quoique ses nageoires pec- torales soient courtes et étroites, il s'en sert avec tant d'agilité, qu'il se tourne et retourne avec une célérité surprenante. 11 n'est qu'un petit nombre de circons- tances où les narwals n'usent pas de cette faculté remar- quable. On ne les voit ordinairement s'avancer avec lin peu de lenteur, que lorsqu'ils forment vue grande troupe; dans presque tous les autres momens , leur vélocité.est d'autant plus effrayante, qu'elle anime une grande masse. Ils ont depuis quatorze jusqu'à vingt mètres de longueur, et une épaisseur de plus de quatre mètres dans l'endroit le plus gros de leur corps : aussi a-t-on écrit depuis long-temps qu'ils pouvoient se pré- cipiter, par exemple, contre une chaloupe, l'écarter,, -w Î02 HISTOIRE NATURELLE la briser, la faire voler en éclats, percer le bord des navires avec leur défense, les détruire ou les couler à fond *. On a trouvé de leurs longues dents enfoncées très-avant dans la carène d'un vaisseau par la vio- lence du choc, qui les avoit ensuite cassées plus ou moins près de leur base. Ces mêmes armes ont été également vues profondément plantées dans le corps de baleines franches. Ce n'est pas que nous pensions, avec quelques naturalistes, que les narwals aient une sorte de haine naturelle contre ces baleines : mais on a écrit qu'ils étoient très-avides de la langue de ces cétacées , comme les dauphins gladiateurs ; qu'ils la dévoroient avec avidité, lorsque la mort ou la foi- blesse de ces baleines leur permettoient de l'arracher sans danger. Et d'ailleurs , tant de causes peuvent allu- mer une ardeur passagère et une fureur aveugle contre toute espèce d'obstacles, même contre le plus irrésis- tible et contre l'animal le plus dangereux, dans un être moins grand , moins fort sans doute que la ba- leine franche, mais très-vif, très-agile, et armé d'une pique meurtrière! Comment cette lance si pointue, si longue , si droite , si dure , n'entreroit-elle pas assez avant dans le corps de la baleine pour y rester forte- ment attachée? Et dès-lors, quel habitant des mers pourroit ne pas * Auctor de natura rerum} apud Vincenlium. XVII, cap. 120. Albe'rlus, XXïV, p. 244 a. Voyez l'ouvrage du savant Sclineidcr qui a pour titre , Pétri Artcdt f'ynovymia 3 etc. Lipsiœ, 1789. DES NARWALS. l53 craindre le narwal? Non seulement avec ses dents il fait des blessures mortelles, mais il atteint son ennemi d'assez loin pour n'avoir point à redouter ses armes. Il fait pénétrer l'extrémité de sa défense jusqu'au cœur de cet ennemi , pendant que sa tête en est encore éloi- gnée de trois ou quatre mètres. Il redouble ses coups; il le perce, il le déchire , il lui arrache la vie, toujours hors de portée, toujours préservé de toute atteinte, toujours garanti par la distance. D'ailleurs , au lieu d'être réduit à frapper ses victimes, il en est qu'il écarte, soulève, enlève, lance avec ses dents, comme le bœuf avec ses cornes , le cerf avec ses bois , l'éléphant avec ses défenses. Mais ordinairement , au lieu d'assouvir sa rage ou sa vengeance, au lieu de défendre sa vie contre les requins , les autres grands squales et les divers tyrans des mers, le narwal, ne cédant qu'au besoin de la faim, ne cherche qu'une proie facile : il aime, parmi les mollusques, ceux que l'on a nommés planorbes ; il paroît préférer, parmi les poissons, les pleuronectes pôles. On trouve dans Willughbj, dans Worm, dans Klein, et dans quelques autres auteurs qui ont recueilli diverses opinions relatives à ce cétacée, qu'il n'est pas rebuté par les cadavres des habitans des mers, que ces restes peuvent lui convenir, qu'il les recherche comme alimens, et que le mot narwh al vient de whal, qui veut dire baleine, et de nar, qui, dans plusieurs langues du Nord , signifie cadavre. 20 IQ HISTOIRE NATURELLE Il lui arrive souvent de percer avec sa défense les poissons , les mollusques et les fragmens d'animaux dont il veut se nourrir. Il les enfile, les ramène jus- qu'auprès de sa bouche, et, les saisissant avec ses lèvres et ses mâchoires, les dépèce, les réduit en lambeaux, les détache de sa dent, et les avale. Il trouve aisément, dans les mers qu'il fréquente, la nourriture la plus analogue à ses organes et à ses appétits. Il \it vers le quatre-vingtième degré de latitude , dans l'Océan glacial arctique. Il s'approche cependant des latitudes moins élevées. Au mois de février îy36, An- derson vit à Hambourg un narwal qui avoit remonté TElbe , poussé, pour ainsi dire, par une marée très- forte. Tous les individus de l'espèce à laquelle cet article est consacré, n'ont pas les mêmes couleurs : les uns sont noirs, les autres gris, les autres nuancés de noir et de blanc *. Le plus grand nombre est d'un blanc quelquefois éclatant et quelquefois un peu grisâtre , parsemé de taches noires, petites, inégales, irrégu- lières. Presque tous ont le ventre blanc, luisant et doux au toucher; et comme dans le narwal ni le ventre ni la gorge ne présentent de rides ou de plis, aucun trait saillant de la conformation extérieure n'indique l'exis- tence d'une grande poche natatoire auprès de la * Histoire des pèches des Hollandois dans les mers du Nord ^ tome I , page 182, DES NÀRWÀLS, l55 mâchoire inférieure de ce cétacée, comme dans la ju- barte , le rorqual et la baleinoptère museau-pointu. Sa forme générale est celle d'un ovoïde. Il a le dos convexe et large $ la tête est très-grosse , et assez vo- lumineuse pour que sa longueur soit égale au quart ou à peu près de la longueur totale. La mâchoire su- périeure est recouverte par une lèvre plus épaisse, et avance plus que celle d'en-bas. L'ouverture de la bouche est très-petite ; l'œil , assez éloigné de cette ouverture, forme un triangle presque équilatéral avec le bout du museau et l'orifice des é vents. Les nageoires pectorales sont très-courtes et très-étroites ; les deux lobes de la caudale ont leurs extrémités arrondies; une sorte de crête ou de saillie longitudinale, plus ou moins sen- sible, s'étend depuis les évents jusque vers la nageoire de la queue , et diminue de hauteur à mesure qu'elle est plus voisine de cette nageoire. Les deux évents sont réunis de manière qu'ils n'ont qu'un seul orifice. Cette ouverture est située sur la partie postérieure et la plus élevée de la tête : l'animai la ferme à volonté, par le moyen d'un opercule frangé et mobile, comme sur une charnière; et c'est à une assez grande hauteur que s'élève l'eau qu'il rejette par cet orifice. On ne prendroit les narwals que très-difficilement, s'ils ne se rassembloient pas en troupes très-nombreuses dans les anses libres de glaçons, ou si on ne les reu- controit pas dans la haute mer, réunis en grandes I 56 HISTOIRE NATURELLE bandes. Rapprochés les uns des autres, lorsqu'ils for- ment une sorte de légion au milieu du vaste océan, ils ne nagent alors qu'avec lenteur, ainsi que nous l'avons déjà dit. On s'approche avec précaution de leurs longues files. Ils serrent leurs rangs et se pressent tel- lement, que les défenses de plusieurs de ces cétacées portent sur le dos de ceux qui les précèdent. Embar- rassés les uns par les autres, au point d'avoir les mou- vemens de leurs nageoires presque entièrement sus- pendus, ils ne peuvent ni se retourner, ni avancer, ni échapper, ni combattre, ni plonger qu'avec peine 5 et les plus voisins des chaloupes périssent sans défense sous les coups des pêcheurs. Au reste, on retire des narwals une huile qu'on a préférée à celle de la baleine franche. Les Groenlandois aiment beaucoup la chair de ces cétacées , qu'ils font sécher en l'exposant à la fumée. Ils regardent les in- testins de ces animaux comme un mets délicieux. Les tendons du narwal leur servent à faire de petites cordes très-fortes; et l'on a écrit que de plus ils retiroient de son gosier plusieurs vessies utiles pour la pêche * ; ce qui pourroit faire croire que ce célacée a sous la gorge, comme la baleinoptère museau-pointu, le rorqual et la jubarte, une grande poche très-souple, un grand ré- servoir d'air, une large vessie natatoire, quoiqu'aucun pli de la peau n'annonce l'existence de cet organe. ■■■ mÊÊiÉamiMmà i«*«^ mjm ■— — — i m m ^ a^ MH«n«MMnw«aiM««M«iaMHMMHMMaM * Voyez le Traité des pêches de Duhamel, DES N À R W A L S. 107 On emploie la défense , on , si on l'aime mieux , Xivoire du narwal, aux mêmes usages que l'ivoire de l'éléphant, et même avec plus d'avantage, parce que, plus dur et plus compacte, il reçoit un plus beau poli, et ne jaunit pas aussi promptement. Les Groenlandois en font des flèches pour leurs chasses, et des pieux pour leurs cabanes. Les rois de Danemarck ont eu, dit-on, et ont peut-être encore, dans le château de Rosenbcrg, un trône composé de défenses de narwals. Quant aux prétendues propriétés de cet ivoire contre les poisons et les maladies pestilentielles, on ne trouvera que trop de détails à ce sujet dans Bartholin , dans Wormius, dans Tulpius, etc. Mais comment n'auroit-on pas attri- bué des qualités extraordinaires à des défenses rares, d'une forme singulière, d'une substance assez belle, qu'on apportoit de très-loin, que l'on n'obtenoit qu'en bravant de grands dangers, et qu'on avoit pendant long-temps regardées comme l'arme toute puissante d'un animal aussi merveilleux que la fameuse licorne? En écartant cependant toutes ces erreurs , quel ré- sultat général peut-on tirer de la considération des organes et des habitudes du narwal? Cet éléphant de la mer, si supérieur à celui de la terre par sa masse, sa vitesse, sa force, et son égal par ses armes, lui est-il comparable par son industrie et son instinct? Non : il n'a pas reçu cette trompe longue et flexible ; cette main souple, déliée et délicate; ce siège unique de deux sens exquis, de l'odorat qui donne des sensations I 58 HISTOIRE NATURELLE si vives, et du toucher qui les rectifie; cet instrument d'adresse et de puissance, cet organe de sentiment et d'intelligence. Il faudroit bien plutôt le comparer au rhinocéros ou à l'hippopotame. Il est ce que seroifc l'éléphant , si la Nature le privoit de sa trompe. 1*1. ç-J'aye lùj} DES SiEVUS. ï 5g LE NARWAL MICROCÉPHALE*. Cette espèce est très-différente de celle du narwal vulgaire; nous pouvons en indiquer facilement les caractères, d'après un dessin très-exact fait dans la mer de Boston, au mois de février 1800, par M. W. Brand, et que sir Joseph Banks a eu la bonté de nous envoyer. Nous nommons ce narwal , le microcéphale , parce que sa tête est en effet très-petite, relativement à celle du narwal vulgaire. Dans ce dernier cétacée, la lon- gueur de la tête est le quart ou à peu près de la lon- gueur totale : dans le microcéphale, elle n'en est que le dixième. La tête de ce microcéphale est d'ailleurs distincte du corps, au-dessus de la surface duquel elie s'élève un peu en bosse. L'ensemble de ce narwal, au lieu de représenter un ovoïde, est très-alongé, et forme un cône très-long, dont une extrémité se réunit à la caudale, et dont la partie" opposée est grossie irrégulièrement par le ventre. Ce cétacée ne parvient qu'à des dimensions bien inférieures à celles du narwal vulgaire. C'est à cette espèce qu'il faut rapporter la plupart des narwais * Narwalus microcephalus. l6o HISTOIRE NATURELLE dont ou n'a trouvé la longueur que de sept ou huît mètres1. L'individu pris auprès de Boston n'avoit pas tout-à-fait huit mètres de long; et nous avons dit dans l'article précédent, qu'un narwal vulgaire a voit sou- vent plus de vingt mètres de longueur. Malgré cette infériorité du microcéphale , ses dé- fenses ont quelquefois une longueur presque égale au tiers de la longueur entière de l'animal, pendant que celles du narwal vulgaire n'atteignent que le quart de cette longueur totale. Cette proportion dans les dimen- sions des défenses rend la petitesse de la tête du mi- crocéphale encore plus sensible, et peut contribuer à le faire reconnoître. Dans l'individu dessiné par M. Brand, et dont nous avons fait graver la figure, on ne vovoit qu'une défense : cette arme étoit placée sur le côté gauche de la mâchoire supérieure ; la spirale formée par les stries assez profondes de cette dent alloit de droite à gauche. La longueur de cette défense étoit de huit vingt-cinquièmes de la longueur du cétacée; mais nous trouvons une défense plus grande encore à proportion dans un narwal dont Tulpius a fait men- tion2, qui vraisemblablement étoit de l'espèce que nous décrivons, et dont le cadavre fut trouvé, en juin 1648, 1 1 ■ - ■ - ■ ■— • — — 1 1 1 Voyez l'édition de Linné donnée par le professeur Gmelin , article du Monodon monoccros; la description des planches de V Encyclopédie mé- thodique, par le professeur Bonnaterre , article du Monodon narwal, et Artedi, genre 49, p. 78. * Tulpius, Obaeiy. medlc. cap. 5g. DES NÀRWÀLS. l6l flottant sur la mer, près de l'île Ma/a. La longueur de ce cétacée n'étoit que de sept mètres et un tiers; et sa défense avoit trois mètres de longueur, en j com- prenant la partie renfermée dans l'alvéole, et qui avoit un demi-mètre de long. Au reste, cette défense, décrite par Tulpius, étoit dure, très-polie, très-blanche, striée profondément, et placée sur le côté droit. Le microcéphale étant beaucoup plus délié que le narwal vulgaire, sa vitesse doit être plus grande que celle de ce cétacée, quelqu'étonnante que soit la rapi- dité avec laquelle nage ce dernier narwal. Sa force seroit donc plus redoutable, si sa masse ne le cédoit à celle du narwal vulgaire, encore plus que la vivacité de ses mouvemens ne doit l'emporter sur celle des mouvemens du narwal à grande tête. Nous venons de voir qu'on a pris un microcéphale auprès de Boston , et par conséquent vers le quaran- tième degré de latitude. D'un autre côté, il paroît qu'on doit rapporter à cette espèce les narwals vus dans le détroit de Davis , et desquels Anderson avoit appris par des capitaines de vaisseau , qu'ils avoient le corps très-alongé, qu'ils ressembloient par leurs formes à l'acipensère esturgeon, mais qu'ils n'avoient pas la tête aussi pointue que ce cartilagineux. j L'individu pris dans la mer qui baigne les rivages de Boston, étoit d'un blanc varié par des taches très- petites, nuageuses, bleuâtres, plus nombreuses et plus foncées sur la tête, au bout du museau, sur la 21 IÔ2 HISTOIRE NATURELLE partie la plus élevée du dos, sur les nageoires pecto- rales, et sur la nageoire de la queue. Le museau du microcéphale est très-arrondi ; la tête, vue par-devant, ressemble à une boule. La mâchoire supérieure est un peu plus avancée que celle d'en-bas. L'ouverture de la bouche n'a qu'un petit diamètre. L'œil, très-petit, est un peu éloigné de l'angle que forme la réunion des deux mâchoires, et à peu près aussi bas que cet angle. Les pectorales sont à une dis- tance du bout du museau, égale à trois fois ou environ la longueur de la tête. La saillie longitudinale que l'on remarque sur le dos, et qui s'étend jusqu'à la nageoire de la queue, s'élève assez vers le milieu de la longueur totale et auprès de la caudale, pour imiter dans ces deux endroits un commencement de fausse nageoire. La caudale se divise en deux lobes arrondis et recour- bés vers le corps, de manière à représenter une ancre. L'ouverture des é vents est un croissant dont les pointes sont tournées vers la tète. DES HARWALS. 1 6-3 LE NARWAL ANDERSON'. ÀNDERSONavuà Hambourg des défenses de narwal qui n'étoient ni striées ni cannelées, mais dont la sur- face étoit absolument unie, et dont la longueur étoit considérable. D'autres observateurs en ont examiné de semblables \ On ne peut pas regarder ces débits comme des produits d'une désorganisation individuelle ; on ne peut pas les considérer non plus comme l'attribut de l'âge, le signe du sexe, ou la marque de l'influence du climat, puisqu'on a vu les narwals vulgaires, ou les microcéphales, de tout âge, des deux sexes et des diffé- rentes mers, présenter des défenses de même nature, de même forme, également striées en spirale, et pro- fondément sillonnées. Nous devons donc rapporter ces défenses unies à une troisième espèce de narwal; et nous lui donnons le nom de l'observateur auquel on doit la connoissance de ces grandes dents à surface entièrement lisse. 1 Narwalus Andersonianus. ' Willughby (livre II, page 43 de son Ichthyologie) dit que les défenses du narwal qui ne présentent ni spirale ni stries , sont rares; mais il donne la figure de trois de ces défenses lisses et coniques, planche A 2. LES ANARNAKS'. L'ANARNAK GROENLANDOIS L,A brièveté des dents, la courbure de leur extrémité, et la nageoire du dos, distinguent le genre des anarnaks, de celui des narwals, qui n'ont pas de nageoire dorsale, et dont les défenses sont très-longues et très-droites dans toute leur longueur. Otho Fabricius a fait con- noître la seule espèce de cétacée que nous puissions inscrire dans ce genre. Les Groenlandois ont donné à cette espèce le nom $ anarnak, que nous lui conservons comme dénomination générique. Ce nom désigne la qualité violemment purgative des chairs et de la graisse de ce cétacée. Il vit dans la mer qui baigne les côtes groenlandoises ; il s'approche rarement du rivage. Son corps est alongé, et sa couleur noirâtre. 1 Voyez les caractères du genre des anarnaks dans la table méthodique qui est à la tête de cette Histoire. ? Anarnak Groenlandicus. Anarnak , dans le Groenland. Olh. Fabricius , Fauna Groenlandica , 3r. Monodon spurius, Bonnaterre 3 planches de l'Encyclopédie méthodique? -PI-I.O. J'aaej^'S. 2 4. C^fCJZAL O 7y Jfacrocéz>A4x/&. 2 . C^CjS^L O T 7rumr> o ^x> nt) LES CACHALOTS1. LE CACHALOT MACROCÉPHALE \ Quel colosse nous avons encore sous les jeux! Nous voyons un des géans de la mer, des dominateurs de 1 Voyez les caractères du genre des cachalots dans la table méthodique qui est à la tête de cette Histoire. * Catodon macrocephalus. Cachelot. Potviscb, par les Hollaiidois, Kaizilot , ibid. Pottfisch , par les allemands* Caschelott , ibid. Kaskelot , en Norvège. Potfisk r ibid. Trold-hual, ibid. Huns lival, ibid. Sue-hval , ibid. Buur-hval , ibid, Bardbvalir , ibid. Rod-I ammen (peigne rouge), par les Tslandois. ïll-hyel, nom donné pur les lslandois aux cétacées dont les mâchoires sont armées de dents t et qui sont carnassières et dangereuses^ Sperma ceti, par les Anglois. Fianfiro ? au Jupon. Mokos ? ibid. Physeter uiacrocephalus, Linné 3 édition de Gmeiin, 1 66 HISTOIRE NATURELLE l'océan , des rivaux de la baleine franche. Moins fort que le premier des cétacées, il a reçu des armes for- midables , que la Nature n'a pas données à la baleine. Des dents terribles par leur force et par leur nombre* garnissent les deux côtés de sa mâchoire inférieure. Grand cachalot : physeter macroceplialus. Bonnaterre , planches de V Encyclopédie méthodique. t Id. Edition de Bloch, publiée par R. R. Castel. Catodon fistula in cervice. Faun. Suecic. 53. Id. Artedi , gen. 78, syn. 108. Cetus bipinnis suprà niger , infrà albicans , fistula in cervice. Brisson , Begn. anim. p. 357, n. 1. Cetepot walfish Batavis maris accolis dictum, et balœna major, in infe- riore tantùm maxillâ , dentata, macrocephala , bipinnis Sibb. Raj. Pisc. p. 11. A whiile-pool , — pot walfish , — cete Clusio , etc. JVillughby t lib. 2, pag. 41. Balaena. Td. pi. Ai, fig. 3. Cetus dentatus. Mus. TVorm. p. 280. Id. J( nston , Pisc. p. 2i5, fig. 41-42. Cete Clusii. Klein, Miss. pisc. 2, p. 14. Aliud cete admirabile. Clus. Exot. p. i3i. Eggede 3 Groenland, p. 54. Anders. Isl. p. 232. Cranz , Groenland, p. 148. Nous n'avons pas besoin de prévenir nos lecteurs qu'en citant dans la synonymie de cet article , ou dans celle des autres articles de ce(te His- toire , les ouvrages des naturalistes anciens ou modernes, nous avons été souvent bien éloignés d'adopter les descriptions qu'ils ont données des cétacées dont ils ont parlé. * Suivant Anderson , le nom de cachalot a été donné, sur les rives occi- dentales de la France méridionale, au cétacée que nous décrivons, et signifie animal à dénis. fflzz. JPaae _z<^ /. Jfacfvozres sia? erieure/eà autres -parû&r d&Jastêfe/ c/u?t/ (L4CJ2ZLOT' J£acrocâ>nœ/e . 2 . JÎ/a^Aoïrey znfèriewe {/'un/ CL^CJS^Zj O "T1 ' Jfaïrûcef/AaJe/. DES CACHALOTS. 1 Gj Son organisation intérieure, un peu différente de celle de la baleine, lui impose d'ailleurs le besoin d'une nourriture plus substantielle, que des légions d'ani- maux assez grands peuvent seules lui fournir. Aussi ne règne-t-il pas sur les ondes en vainqueur pacifique, comme la baleine; il y exerce un empire redouté : il ne se contente pas de repousser l'ennemi qui l'attaque, de briser l'obstacle qui l'arrête, d'immoler l'audacieux qui le blesse \ il cherche sa proie, il poursuit ses vic- times, il provoque au combat; et s'il n'est pas aussi avide de sang et de carnage que plusieurs animaux féroces, s'il n'est pas le tigre de la mer, du moins n'est- il pas l'éléphant de l'océan. Sa tête est une des plus volumineuses, si elle n'est pas la plus grande de toutes celles que l'on connoît. Sa longueur surpasse presque toujours le tiers de la longueur totale du cétacée. Elle paroît comme une grosse masse tronquée par-devant, presque cubique, et terminée par conséquent à l'extrémité du museau par une surface très-étendue, presque carrée, et pres- que verticale. C'est dans la surface inférieure de ce cube immense, mais imparfait , que l'on voit l'ouver- ture de la bouche, étroite, longue, un peu plus recu- lée que le bout du museau, et fermée à la volonté du cachalot par la mâchoire d'en- bas, comme par un vaste couvercle renversé. Cette mâchoire d'en-bas est donc évidemment plus courte que celle d'en-haut. Nous avons dans le Muséum I 68 HISTOIRE NATURELLE national d'histoire naturelle les deux mâchoires d'un cachalot macrocéphale. La supérieure a cinq mètres quatre-vingt-douze centimètres de longueur ; l'infé- rieure n'est longue que de quatre mètres quatre- vingt-six centimètres. Mais la mâchoire d'en-haut du macrocéphale l'em- porte encore plus par sa largeur que par sa longueur sur celle d'en-bas, qu'elle entoure, et qui s'emboîte entre ses deux branches. Celle du cachalot que nous venons d'indiquer, a un mètre soixante-deux centi- mètres de large : l'inférieure n'a, vers le bout du mu- seau, que trente-deux centimètres de largeur; et ses deux branches, en s'écartant, ne forment qu'un angle de quarante degrés *. Chaque branche de la mâchoire d'en-bas a quelque- fois cependant un tiers de mètre d'épaisseur. La chair des gencives est ordinairement très-blanche , dure comme de la corne, revêtue d'une sorte d'écorce pro- fondément ridée, et ne peut être détachée de l'os qu'a- près avoir éprouvé pendant plusieurs heures une ébul- lition des plus fortes. Le nombre des dents qui garnissent de chaque côté la mâchoire d'en-bas, est de vingt-trois, suivant le pro- fesseur Gmelin ; il étoit de vingt-quatre dans l'individu * La figure de cette mâchoire inférieure a été gravée dans les planches de Y Encyclopédie méthodique , sous la direction du citoyeu Bonnaterre , Cétologie , pi. 6, fig. 3. -/*/. 1 2. 7*aye 16 o . J. /. Fertèàres d'un C^CJI^ILOT' Jfat^roce'i>/ia/e/. 2 Zfrie fe cette substance graisseuse, à l'aide d'une douce cha- leur ; on ne peut pas plus la séparer de ces combinai- » sons, que les graisses et la cire. Les huiles volatiles dissolvent également le blanc, et mieux même qu'elles « ne font les graisses proprement dites. L'alcool le dis- » sout en le faisant chauffer : il s'en sépare une grande partie par le refroidissement; et lorsque celui-ci est >lent, le blanc se cristallise en se précipitant. L'éther en opère la dissolution encore plus promptement et plus facilement que l'alcool; il l'enlève même à celui- ci, et il en retient une plus grande quantité. On peut » aussi faire cristalliser très-régulièrement le blanc, si , après l'avoir dissous dans l'éther à l'aide de la cha- leur douce que la main lui communique, on le laisse refroidir et s'évaporer à l'air. La forme qu'il prend alors est celle d'écaillés blanches, brillantes et argen- tées comme l'acide boracique, tandis que le suif et le beurre de cacao, traités de même, ne donnent que des espèces de mamelons opaques et groupés , ou des masses grenues irrégulières. » Comment ne pas penser maintenant, avec notre collègue Fourcroj, que le blanc du cachalot est une substance très-particulière, et qu'il peut être regardé comme avant avec les huiles fixes les mêmes rapports que le camphre avec les huiles volatiles, tandis que la DES CACHALOTS. 1 83 l'ire paroit être à ces mêmes huiles fixes ce que la résine est à ces huiles volatiles? Mais nous avons dit souvent qu'il n'existoit pas dans la Nature de phénomène entièrement isolé. Aucune qualité n'a été attribuée à un être d'une manière exclu- sive. Les causes s'enchaînent comme les effets ; elles sont rapprochées et liées de manière à former des séries non interrompues de nuances successives. A la vérité, la lumière de la science n'éclaire pas encore toutes ces gradations. Ce que nous ne pouvons pas apperce- voir est pour nous comme s'il n'existoit pas, et voilà pourquoi nous croyons voir des vides autour des phé- nomènes ; voilà pourquoi nous sommes portés à sup- poser des faits isolés, des facultés uniques, des pro- priétés exclusives, des forces circonscrites. Mais toutes ces démarcations ne sont que des illusions que le grand jour de la science dissipera; elles n'existent que dans nos fausses manières de voir. Nous ne devons donc pas penser qu'une substance particulière n'appartienne qu'à quelques êtres isolés. Quelque limitée qu'une matière nous paroisse, nous devons être sûrs que ses bornes fantastiques disparaîtront à mesure que nos erreurs se dissiperont. On la retrouvera plus ou moins abondante ou plus ou moins modifiée, dans des êtres voisins ou éloignés des premiers qui l'auront présentée. Nous en avons une preuve frappante dans le blanc du cachalot : pendant long-temps on l'a cru un produit particulier de l'organisation du macrocéphale. Mais 1 84: HISTOIRE NATURELLE continuons d'écouter Fourcroy, et nous ne douterons plus que cette substance ne soit très-abondante dans la Nature. Une des sources les plus remarquables de celte matière, est dans le corps et particulièrement dans la tête du cachalot macrocéphaîe; mais nous ver- rons bientôt que d'autres cétacées le produisent aussi. Il est même tenu en dissolution dans la graisse hui- leuse de tous les cétacées. L'huile de baleine franche ou d'autres baleines, à laquelle on a donné dans le commerce le nom impropre à' huile de poisson , dépose dans les vaisseaux où on la conserve, une quantité plus ou moins grande de blanc, entièrement semblable à celui du cachalot. La véritable huile de poisson, celle qu'on extrait du foie et de quelques autres parties de vrais poissons, donne le même blanc, qui s'en préci- pite lorsque l'huile a été pendant long-temps en re- pos, et qui se, cristallise en se séparant de cette huile. Les habitans des mers, soit ceux qui ont reçu des pou- mons et des mamelles , soit ceux qui montrent des branchies et des ovaires, produisent donc ce blanc dont nous recherchons l'origine. Mais continuons. Fourcroy nous dit encore qu'il a trouvé une subs- tance analogue au blanc dans les calculs biliaires, dans les déjections bilieuses de plusieurs malades, dans le parenchyme du foie exposé pendant long-temps à l'air et desséché , dans les muscles qui se sont putréfiés sous une couche d'eau ou de terre humide, dans les DES CACHALOTS. l85 cerveaux conservés au milieu de l'alcool, et dans plu- sieurs autres organes plus ou moins décomposés. Il n'hésite pas à déclarer que le blanc dont nous étudions les propriétés, est un des produits les plus constans et les plus ordinaires des composés animaux altérés. Observons cependant que cette substance blanche et remarquable , que les animaux terrestres ne pro- duisent que lorsque leurs organes ou leurs fluides sont viciés , est le résultat habituel de l'organisation ordinaire des animaux marins, le signe de leur force constante, et la preuve de leur santé accoutumée, plu- tôt que la marque d'un dérangement accidentel , ou d'une altération passagère. Observons encore, en rappelant et en réunissant dans notre pensée toutes les propriétés que l'analyse a fait découvrir dans le blanc du cachalot, que cette matière participe aux qualités des substances animales et à celles des substances végétales. C'est un exemple de plus de ces liens secrets qui' unissent tous les corps orga- nisés, et qui n'ont jamais échappé aux esprits attentifs. Combien de raisons n'avons-nous pas , par consé- quent, pour rejeter les dénominations si erronées de blanc de baleine , de substance médullaire de cétacée , de substance cervicale , de sperma ceti (sperme de cétacée), etc. et d'adopter pour le blanc le nom à'adipocire, proposé par Fourcroj*, et qui montre que ce blanc, différent * Système des connaissances chimiques } tome X, page 3o2 , édit. in-8°. 24 1 86 HISTOIRE NATURELLE de la graisse et de la cire, tient cependant le milieu entre ces deux substances, dont l'une est animale, et l'autre végétale! En adoptant la dénomination que nous devons à Fourcroj, nous changerons celle dont on s'est servi pour désigner le canal longitudinal qui accompagne la moelle épinière du macrocéphale, et qui aboutit à la grande cavité de la tête de ce cachalot. Au lieu de l'ex- pression si fausse de veine spennaîujue } nous emploie- rons celle de canal aclipocirenx. On a beaucoup vanté les vertus de cette aclipocire pour la guérison de plusieurs maux internes et exté- rieurs. M. Chappuis de Douarnenez , que nous avons déjà cité au sujet des trente-un cachalots échoués sur les côtes de la ci-devant Bretagne en 1784, a écrit dans le temps au professeur Bonnaterre : « Le blanc, etc. est » un onguent souverain pour les plaies récentes; plu- » sieurs ouvriers occupés à dépecer les cachalots échoués » dans la baie d'Audierne, en ont éprouvé l'efficacité, » malgré la profondeur de leurs blessures. « Mais rapportons encore les paroles de notre collègue Foureroy. « L'usage médicinal de cette substance » (V aclipocire) ne mérite pas les éloges qu'on lui pro- « diguoit autrefois dans les affections catarrhales, ]es » ulcères des poumons, des reins, les péripueumo- » nies, etc. : à plus forte raison est-il ridicule de le » compter parmi les vulnéraires, les balsamiques, les » détersifs, les consolidans, vertus qui d'ailleurs sont DES CACHALOTS. 1 87 *> elles-mêmes le produit de l'imagination. Le citojen » Thouvenel en a examiné avec soin les effets dans les » catarrhes, les rhumes, les rhumatismes goutteux, » les toux gutturales, où on Ta beaucoup vanté; et il » n'a rien vu qui pût autoriser l'opinion avantageuse » qu'on en avoit conçue. Il n'en a pas vu davantage » dans les coliques néphrétiques, les tranchées de » femmes en couche , dans lesquelles on Favoit beau- » coup recommandé. Il l'a cependant observé sur lui- » même, en prenant ce médicament à la fin de deux » rhumes violens, à une dose presque décuple de celle » qu'on a coutume d'en prescrire; il a eu constam- » ment une accélération du pouls et une moiteur sen- » sible. Il faut observer qu'en restant dans le lit, cette » seule circonstance, jointe au dégoût que ce médica- » ment inspire, a pu influer sur l'effet qu'il annonce. » Aussi plusieurs personnes , à qui il l'a donné à forte » dose, ont-elles eu des pesanteurs d'estomac et des » vomissemens, quoiqu'il ait eu le soin de faire mêler » le blanc de baleine (Yadipocire) fondu dans l'huile, » avec le jaune d'œuf et le sirop, en le réduisant ainsi » à l'état d'une espèce de crème. Il n'a jamais retrouvé » ce corps dans les excrémens; ce qui prouve qu'il étoit » absorbé par les vaisseaux lactés, et qu'il s'en faisoit » une véritable digestion. » Ajoutons à tout ce qu'on vient de lire au sujet de X adipocire , que cette substance est si distincte du cer- veau , que si l'on perce le dessus de la tête du macrocé- l88 HISTOIRE NATURELLE phale, et qu'on parvienne jusqu'à ce blanc, le cétacée ne donne souvent aucun signe de sensibilité , au lieu qu'il expire lorsqu'on atteint la substance cérébrale*. Le maerocéphaie produit cependant, ainsi que nous l'avons dit, une seconde substance recherchée par le commerce : cette seconde substance est Y ambre gris. Elle est bien pins connue que l'adipocire, parce qu'elle a été consacrée au luxe, adoptée par la sensualité,' célébrée par la mode, pendant que l'adipocire n'a été regardée que comme utile. L'ambre gris e?>t un corps opaque et solide. Sa con- sistance varie suivant qu'il a été exposé à un air plus chaud ou plus froid. Ordinairement néanmoins il est assez dur pour être cassant. A la vérité, il n'est pas susceptible de recevoir un beau poli, comme l'ambre jaune ou le succin; mais lorsqu'on le frotte, sa rudesse se détruit, et sa surface devient aussi lisse que celle d'un savon très-compacte, ou même de la stéatite. Si on le racle avec un couteau , il adhère, comme la cire, au tranchant de la lame. Il conserve aussi, comme la cire, l'impression des ongles ou des dents. Une cha- leur modérée le ramollit, le rend onctueux, le fait fondre en huile épaisse et noirâtre, fumer, et se vola- tiliser par degrés, en entier, et sans produire du char- bon, mais en laissant à sa place une tache noire, lors- * Recherches du docteur Swediàwer, publiées dans les Transactions philosophiques 3 et traduites en franeois par M. Vigarous , docteur en médecine, — Journal de physique 3 octobre 1784. DES CACHALOTS. 1 oCj qu'il se volatilise sur au métal. Si ce métal est rouge, l'ambre se fond, s'enflamme, se boursoufle, fume , et s'évapore avec rapidité sans former aucun résidu, sans laisser aucune trace de sa combustion. Approché d'une bougie allumée, cet ambre prend feu et se consume en répandant une flamme vive. Une aiguille rougie le pénètre, le fait couler en huile noirâtre, et paroit, lorsqu'elle est retirée, comme si on lavoit trempée dans de la cire fondue. L'humidité, ou au moins l'eau de la mer, peut ra- mollir l'ambre gris, comme la chaleur. En effet , on peut voir dans \e Journal de physique f du mois de mars 1790, que M. Donadei, capitaine au régiment de Champagne, et observateur très-instruit, avoit trouvé sur le rivage de l'Océan atlantique, dans le fond du golfe de Gas- cogne, un morceau d'ambre gris, du poids de près d'un hectogramme, et qui, mou et visqueux, acquit bientôt de la solidité et de la dureté. L'ambre dont nous nous occupons est communé- ment d'une couleur grise, ainsi que son nom l'annonce; il est d'ailleurs parsemé de taches noirâtres, jaunâtres- ou blanchâtres. On trouve aussi quelquefois de l'ambre d'une seule couleur, soit blanchâtre, soit grise, soit jaune, soit brune, soit noirâtre. Peut-être devroit-on croire, d'après plusieurs obser- vations, que ses nuances varient avec sa consistance. Son goût est fade; mais son odeur est forte, facile à reconnoître, agréable à certaines personnes, désa- IC)0 HISTOIRE NATURELLE gréable et même nuisible et insupportable à d'autres. Cette odeur se perfectionne, et, pour ainsi dire, se pu- rifie, à mesure que l'ambre gris vieillit, se dessèche et se durcit; elle devient plus pénétrante et cependant plus suave, lorsqu'on frotte et lorsqu'on chauffe le mor- ceau qui la répand; elle s'exalte par le mélange de l'ambre avec d'autres aromates ; elle s'altère et se vicie par la réunion de cette même substance avec d'autres corps; et c'est ainsi qu'on pourroit expliquer l'odeur d'alcali volatil que répandoit l'ambre gris trouvé sur les bords du golfe de Gascogne par M. Donadei , et qui se dissipa quelque temps après que ce physicien l'eut ramassé. L'ambre gris est si léger, qu'il flotte non seulement sur la mer, mais encore sur l'eau douce. Il se présente en boules irrégulières : les unes mon- trent dans leur cassure un tissu grenu ; d'autres sont formées de couches presque concentriques de diffé- rentes épaisseurs , et qui se brisent en écailles. Le grand diamètre de ces boules varie ordinairement depuis un douzième jusqu'à un tiers de mètre; et leur poids, depuis un jusqu'à quinze kilogrammes. Mais on a vu des morceaux d'ambre dune grosseur bien supé- rieure. La compagnie des Indes de France exposa à la vente de l'Orient, en iyS5, une boule d'ambre qui pe- soit soixante-deux kilogrammes. Un pêcheur américain d'Antigoa a trouvé dans le ventre d'un cétacée, à seize niyriamètres au sud-est des îles du vent, un morceau DES CACHALOTS. loi d'ambre pesant soixante-cinq kilogrammes, et qu'il a vendu 5oo livres sterling. La compagnie des Indes orien- tales de Hollande a donné onze mille rlxdalers à un roi de Tidor pour une masse d'ambre gris, du poids de quatre-vingt-onze kilogrammes. Nous devons dire ce- pendant que rien ne prouve que ces masses n'aient pas été produites artificiellement par la fusion, la réunion et le refroidissement gradué de plusieurs boules ou morceaux naturels. Mais quoi qu'il en soit , l'état de mollesse et de liquidité que plusieurs causes peuvent donner à l'ambre gris, et qui doit être son état primitif, explique comment ce corps odorant peut se trouver mêlé avec plusieurs substances très-différentes de cet aromate, telles que des fragmens de végétaux, des dé- bris de coquilles , des arêtes ou d'autres parties de poisson. Mais, indépendamment de cette introduction acci- dentelle et extraordinaire de corps étrangers dans l'ambre gris , cette substance renferme presque tou- jours des becs ou plutôt des mâchoires du mollusque auquel Linné a donné le nom de sepia octopodia, et que mon savant collègue le citoyen Lamarck a placé dans un genre auquel il a donné le nom iïoetopode. Ce sont ces mâchoires, ou leurs fragmens, qui pro- duisent ces taches jaunâtres, noirâtres ou blanchâtres, si nombreuses sur l'ambre gris. On a publié différentes opinions sur la production de cet aromate. Plusieurs naturalistes l'ont regardé I C)2 HISTOIRE NATURELLE comme un bitume, comme une huile minérale, comme une sorte de pétrole. Epaissi par la chaleur du soleil et durci par un long séjour au milieu de l'eau salée, avalé par le cachalot macrocéphale ou par d'autres cétacées, et soumis aux forces ainsi qu'aux sucs digestifs de son estomac, il éprouveroit dans l'intérieur de ces animaux une altération plus ou moins grande. D'ha- biles chimistes, tels que Geoffroy, Neumann, Grim et Brow, ont adopté cette opinion, parce qu'ils ont retiré de l'ambre gris quelques produits analogues à ceux des bitumes. Cette substance leur a donné, par l'analyse, une liqueur acide, un sel acide concret, de l'huile et un résidu charbonneux. Mais , comme l'observe notre collègue Fourcroy, ces produits appar- tiennent à beaucoup d'autres substances qu'à des bi- tumes. De plus , l'ambre gris est dissoluble, en grande partie, dans l'alcool et dans l'éther; sa dissolution est précipitée par l'eau comme celle des résines , et les bitumes sont presque insolubles dans ces liquides. D'autres naturalistes, prenant les fragmens de mâ- choires de mollusques disséminés dans l'ambre gris pour des portions de becs d'oiseau , ont pensé que cette substance provenoit d'excrémens d'oiseaux qui avoient mangé des herbes odoriférantes. Quelques physiciens n'ont cousidéré l'ambre gris que comme le produit d'une sorte d'écume rendue par des phoques , ou un excrément de crocodile. Pomet, Lémery , et Formey de Berlin, ont cru que DES CACHALOTS. igo ce corps n'étoit qu'un mélange de cire et de miel , modifié par le soleil et par les eaux de la mer, de manière à répandre une odeur très-suave. Dans ces dernières hypothèses, des cétacées auroient avalé des morceaux d'ambre gris entraînés par les vagues , et llottans sur la surface de l'océan ; et cet aro- mate , résultat d'un bitume , ou composé de cire et de miel, ou d'écume de phoque, ou de fiente d'oiseau, ou d'excrémens de crocodile , roulé par les flots et trans- porté de rivage en rivage pendant son état de mollesse, auroit pu rencontrer , retenir et s'attacher plusieurs substances étrangères , et particulièrement des dé- pouilles d'oiseaux, de poissons, de mollusques, de testacées. Des physiciens plus rapprochés de la vérité ont dit, avec Clusius, que l'ambre gris étoit une substance ani- male produite dans l'estomac d'un cétacée , comme une sorte de bézoard. Dudley a écrit, dans les Transac- tions philosophiques, tome XXIII, que l'ambre étoit une production semblable au musc ou au castoreum , et qui se formoit dans un sac particulier, placé au-dessus des testicules d'un cachalot; que ce sac étoit plein d'une liqueur analogue par sa consistance à de l'huile, d'une couleur d'orange foncée, et d'une odeur très-peu diffé- rente de celle des morceaux d'ambre qui nageoient dans ce fluide huileux ; que l'ambre sortoit de ce sac par un conduit situé le long du pénis; et que les céta- cées mâles pou voient seuls le contenir. 20 1 94 HISTOIRE NATURELLE D'autres auteurs ont avancé que ce sac n'étoit que la vessie de l'urine, et que les boules d'ambre étoient des concrétions analogues aux pierres que l'on trouve dans la vessie de l'homme et de tant d'animaux : mais le savant docteur Swediawer a fait remarquer avec raison, dans l'excellent travail qu'il a publié sur l'ambre gris *, que l'on trouve des morceaux de cet aromate dans les cachalots femelles comme dans les mâles, et que les boules qu'elles renferment sont seulement moins grosses et souvent moins recherchées. Il a montré que la formation de l'ambre dans la vessie, et l'existence d'un sac particulier, étoient entièrement contraires aux résultats de l'observation; il a fait voir que ce prétendu sac n'est autre chose que le cœcum du macrocéphale, lequel cœcum a plus d'un mètre de longueur; et après avoir rappelé que, suivant Kœmpfer, l'ambre gris, nommé par les Japonois excrément de baleine (kusura no fu), étoit en effet un excrément de ce cétacée, il a exposé la véritable origine de cette substance singu- lière, telle que la démontrent des faits bien constatés. L'ambre gris se trouve dans le canal intestinal du macrocéphale, à une distance de l'anus, qui varie entre un et plusieurs mètres. Il est parsemé de fragraens de mâchoires du mollusque nommé seiche , parce que le cachalot macrocéphale se nourrit principalement de ce mollusque, et que ces mâchoires sont d'une substance de corne qui ne peut pas être digérée. — 1 1 1 !■" ■ ■ _ | * Transactions philosophiques. DES CACHALOTS. I90 ïl n'est qu'un produit des excrémens du cachalot ; mais ce résultat n'a lieu que dans certaines circons- tances, et ne se trouve pas par conséquent dans tous les individus. Il faut, pour qu'il existe, qu'une cause quelconque donne au cétacée une maladie assez grave, une constipation forte, qui se dénote par un affoiblis- sement extraordinaire , par une sorte d'engourdisse- ment et de torpeur , se termine quelquefois d'une manière funeste à l'animal par un abcès à l'abdomen, altère les excrémens, et les retient pendant un temps assez long pour qu'une partie de ces substances se ra- masse, se coagule, se modifie, se consolide, et pré- sente enfin les propriétés de l'ambre gris. L'odeur de cet ambre ne doit pas étonner. En effet, les déjections de plusieurs mammifères, tels que les bœufs, les porcs, etc. répandent, lorsqu'elles sont gardées pendant quelque temps, une odeur semblable à celle de l'ambre gris. D'ailleurs, on peut observer, avec Rome de Lille *, que les mollusques dont se nourrit le macrocéphale, et dont la substance fait la base des excrémens de ce cétacée, répandent pendant leur vie, et même après qu'ils ont été desséchés, des émanations odorantes très-peu différentes de celles de l'ambre, et que ces émanations sont très-remarquables dans l'espèce de ces mollusques qui a reçu , soit des Grecs anciens, soit des Grecs modernes, les noms de * Journal de physique j novembre 1784. ip6 HISTOIRE NATURELLE eledone, bolitaine , osmylos , osmylios et jnoschites , parce qu'elle sent le musc *. L'ambre gris est donc une portion des excrémens du cachalot macrocéphale ou d'autres cétacées, endurcie parles suites d'une maladie, et mêlée avec quelques parties d'alimens non digérés. Il est répandu dans le canal intestinal en boules ou morceaux irréguliers , dont le nombre est quelquefois de quatre ou de cinq. Les pêcheurs exercés connoissent si le cachalot qu'ils ont sous les jeux contient de l'ambre gris. Lorsqu'après l'avoir harponné ils le voient rejeter tout ce qu'il a dans l'estomac , et se débarrasser très- promptement de toutes ses matières fécales, ils assurent qu'ils ne trouveront pas d'ambre gris dans son corps: mais lorsqu'il leur présente des signes d'engourdisse- ment et de maladie, qu'il est maigre, qu'il ne rend pas d'excrémens , et que le milieu de son ventre forme une grosse protubérance , ils sont sûrs que ses intestins contiennent l'ambre qu'ils cherchent. Le capitaine Col- nett dit, dans la relation de son vojage, que, dans certaines circonstances , l'on coupe la queue et une partie du corps du cachalot, de manière à découvrir la cavité du ventre, et qu'on s'assure alors facilement de la présence de l'ambre gris, en sondant les intestins avec une longue perche. Mais de quelque manière qu'on ait reconnu l'exis- * Rondelet } Histoire des poissons , première partie, liv. 17, cliap. 6„ — Troisième espèce de poulpe. DES CACHALOTS; I07 • < tence de cet ambre dans l'individu harponné, on trouvé mort et flottant sur la surface de la mer, on lui ouvre le ventre, en commençant par l'anus, et en continuant jusqu'à ce qu'on ait atteint l'objet de sa recherche. Quelle est donc la puissance du luxe, de la vanité, de l'intérêt, de limitation et de l'usage ! Quels voyages on entreprend, quels dangers on brave, à quelle cruauté on se condamne, pour obtenir une matière vile, un objet dégoûtant, mais que le caprice et le désir des jouissances privilégiées ont su métamorphoser en aro- mate précieux ! L'ambre contenu dans le canal intestinal du macro- céphale n'a pas le même degré de dureté que celui qui flotte sur l'océan, ou que les vagues ont rejeté sur le rivage : dans l'instant où on le retire du corps du cé- tacée, il a même encore la couleur et l'odeur des véri- tables excrémens de l'animal à un si haut degré, qu'il n'en est distingué que par un peu moins de mollesse ; mais, exposé à l'air, il acquiert bientôt la consistance et l'odeur forte et suave qui le caractérisent. On a vu de ces morceaux d'ambre entraînés, par les mouvemens de l'océan, sur les côtes du Japon, de la mer de Chine, des Moluques, de la Nouvelle-Hollande occidentale *, du grand golfe de l'Inde, des Maldives , de Madagascar, de l'Afrique orientale et occidentale,, * Aupiès de la rivière des Cygnes. — (Journal manuscrit du natura- liste Levilain , embarqué avec le capùaine Baudin , pour une expédition de découvertes. ïq8 histoire naturelle du Mexique occidental, des îles Gallapagos, du Brésil, des îles Bahama , de l'île de la Providence, et même à des latitudes plus éloignées de la ligne, dans le fond du golfe de Gascogne, entre l'embouchure de l'Adour et celle de la Gironde , où M. Donadei a reconnu cet aromate, et où , dix ans auparavant, la mer en avoit rejeté une masse du poids de quarante kilogrammes. Ces morceaux d'ambre délaissés sur le rivage sont , pour les pêcheurs, des indices presque toujours assurés du grand nombre de cachalots qui fréquentent les mers voisines. Et en effet, le golfe de Gascogne, ainsi que l'a remarqué le citojen Donadei, termine cette portion de l'Océan atlantique septentrional qui baigne les bancs de Terre-Neuve, autour desquels naviguent beaucoup de cachalots , et qu'agitent si souvent des vents qui soufflent de l'est, et poussent les flots contre les rivages de France. D'un autre côté , le citojen Levilain a vu non seulement une grande quantité d'ossemens de cé- tacée gisans sur les bords de la Nouvelle-Hollande, auprès de morceaux d'ambre gris , mais encore la mer voisine peuplée d'un grand nombre de cétacées, et bou- leversée pendant l'hiver par des tempêtes horribles, qui précipitent sans cesse vers la côte les vagues amonce- lées ; et c'est d'après cette certitude de trouver beau- coup de cachalots auprès des rives où Ton avoit vu des morceaux d'ambre , que la pêche particulière du ma- crocéphale et d'autres cétacées, auprès de Madagascar, a été dans le temps proposée en Angleterre. DES CACHALOTS. iQty L'ambre gris, gardé pendant plusieurs mois, se couvre, comme le chocolat, d'une poussière grisâtre. Mais, indépendamment de cette décomposition natu- relle, on ne peut souvent se le procurer par le com- merce, qu'altéré par la fraude. On le falsifie commu- nément en le mêlant avec des fleurs de riz, du stjrax ou d'autres résines*. Il peut aussi être modifié par les sucs digestifs de plusieurs oiseaux d'eau qui l'avalent, et le rendent sans beaucoup changer ses propriétés; et le citoyen Donadei a écrit que les habitans de la côte qui borde le golfe de Gascogne, appeîoient renarde l'ambre dont la nuance étoit noire; que, suivant eux, on ne trouvoit cet ambre noir que dans des forêts voi- sines du rivage, mais élevées au-dessus de la portée des plus hautes vagues; et que cette variélé d'ambre tenoit sa couleur particulière des forces intérieures âes renards, qui étoient très-avides d'ambre gris, n'en altéroient que foiblement les fragmens, et cependant ne les rendoient qu'après en avoir changé la couleur. L'ambre gris a été autrefois très-reeom mandé en mé- decine. On l'a donné en substance ou en teinture alcoo- lique. On s'en est servi pour X essence ttHoj matin, pour la teinture royale du codex de Paris, pour des trochisques de la pharmacopée deWirtemberg , etc. On l'a regardé comme stomachique, cordial, antispasmodique. On a cité des effets surprenans de cette substance, dans les * Mémoire du docteur Swediawer^ déjà cité. 200 HISTOIRE NATURELLE maladies convulsives les plus dangereuses, telles que le tétanos et l'hydrophobie. Le docteur Swediawer rap- porte que cet aromate a été très-purgatif pour un marin qui en avoit pris un décagramme et demi après l'avoir fait fondre au feu. Dans plusieurs contrées de l'Asie et de l'Afrique, on en fait un grand usage dans la cuisine, suivant le docteur Swediawer. Les pèlerins de la Mecque en achètent une grande quantité, pour l'offrir à la place de l'encens. Les Turcs ont recours à cet aromate, comme à un aphrodisiaque. Mais il est principalement recherché pour les par- fums : il en est une des bases les plus fréquemment employées. On le mêle avec le musc, qu'il atténue, et dont il tempère les effets au point d'en rendre l'odeur plus douce et plus agréable. Et c'est enfin une des substances les plus divisibles, puisque la plus petite quantité d'ambre suffit pour parfumer pendant un temps très-long un espace très-étendu *. Ne cessons cependant pas de parler de l'ambre gris sans faire observer que l'altération qui produit cet aromate, n'a lieu que dans les cétacées dont la tête, le corps et la queue, organisés d'une manière particu- lière, renferment de grandes masses d'adipocire; et il m ' — ■ ■ * Lorsque le docteur Swediawer a publié son travail, l'ambre gris se vendoit à Londres une livre sterling les trois décagrammes ; et , suivant le citoyen Donadei, l'ambre gris, trouvé sur les côtes du golfe de Gascogne, étoit vendu , en 1790 , à peu près le même prix dans le commerce, où on le regardoit comme apporté des grandes Indes, quoique les pêcheurs n'en vendissent le même poids à Bayonne ou à Bordeaux que 5 ou 6 francs. DES CACHALOTS. 201 semble que l'on a voulu indiquer cette analogie en donnant à l'adipocire le nom $ ambre blanc, sous lequel cette matière blanche a été connue dans plusieurs pajs. Nous venons d'examiner les deux substances singu- lières que produit le cachalot macrocéphale ; conti- nuons de rechercher les attributs et les habitudes de cette espèce de cétacée. Il nage avec beaucoup de vitesse. Plus vif que plu- sieurs baleines, et même que le nordcaper, ne le cé- dant par sa masse qu'à la baleine franche, il n'est pas surprenant qu'il réunisse une grande force aux armes terribles qu'il a reçues. Il s'élance au-dessus de la sur- face de l'océan avec plus de rapidité que les baleines, et par un élan plus élevé. Un cachalot que l'on prit en 1715 auprès des côtes de Sardaigne, et qui n'avoit encore que seize mètres de longueur, rompit d'un coup de queue une grosse corde, avec laquelle on l'avoit attaché aune barque ; et lorsqu'on eut doublé la corde, il ne la coupa pas , mais il entraîna la barque en arrière, quoiqu'elle fût poussée par un vent favo- rable. Il est vraisemblable qu'il étoit de l'espèce du macro- céphale. Ce cétacée en effet n'est pas étranger à la Mé- diterranée. Les anciens n'en ont pas eu cependant une idée nette. Il paroît même que, sans en excepter Pline ni Aristote , ils n'ont pas bien distingué les formes ni les habitudes des grands cétacées, malgré la présence 26 202 HISTOIRE NATURELLE de plusieurs de ces énormes animaux dans la Méditer- ranée, et malgré les renseignemeus que leurs relations commerciales avec les Indes pou voient leur procurer sur plusieurs autres. Non seulement ils ont applique à leur mysliccLus des organes, des qualités ou des gestes du rorqual , aussi-bien (pie de la baleine franche; mais encore ils ont attribué à leur baleine des formes ou des propriétés du gibbar, du rorqual et du cachalot ma- crocéphale; et ils ont composé leur phy sains , des traits de ce même macrocéphale mêlés avec ceux du gibbar. Au reste, on ne peut mieux faire, pour connoitre les opinions des anciens au sujet des cétacées, que de consulter l'excellent ouvrage du savant professeur Schneider sur les synonymes des cétacées et des pois- sons, recueillis par Artédi. Mais la Méditerranée n'est pas la seule mer intérieure dans laquelle pénètre le macrocéphale : il appartient même à presque toutes les mers. On Fa reconnu dans les parages du Spitzberg; auprès du cap Nord et des côtes deFinmarck; dans les mers du Groenland; dans îe détroit de Davis; dans la plus grande partie de l'Océan atlantique septentrional; dans le golfe Britan- nique, auprès de l'embouchure de l'Elbe, dans lequel un macrocéphale fut poussé par une violente tempête, échoua et périt, en décembre 1720; auprès de Terre- Neuve; aux environs de Bayonne; non loin du cap de Bonne-Espérance; près du canal de Mozambique, de Madagascar et de File de France; dans la mer qui baigne DES CACHALOT S. 20O les rivages occidentaux de la Nouvelle-Hollande, où il doit avoir figuré parmi ces troupes d'innombrables et grands célacées que le naturaliste Levilain a vus atti- rer des pétrels1, lutter contre les vagues furieuses, bondir, s'élancer avec force, poursuivre des poissons, et se presser auprès de la terre de Lewin, de la rivière des Cygnes, et de la baie des Chiens-Marins, au point de gêner la navigation ; vers les côtes de la Nouvelle- Zélande^ près du cap de Corientes du golfe de la Cali- fornie; à peu de distance de Guatimala , où le capitaine Colnett rencontra une légion d'individus de cette espèce; autour des îles Gallapagos ; à la vue de l'île Mocha et du Chili, où, suivant le même voyageur, la mer paroissoit couverte de cachalots; dans la mer du Brésil; et enfin auprès de notre Finisterre. En 1784, trente-deux macrocéphales échouèrent sur la cote occidentale d'Audierne , sur la grève nommée Très-Couaren. Le professeur Bonnaterre a publié dans Y Encyclopédie méthodique, au sujet de ces cétacées, des détails intéressans, qu'il devoit à MM. Bastard, Chap- puis le fils et Derrien, et à M. Lecoz, mon ancien col- lègue à la première assemblée législative de France, et maintenant archevêque de Besançon. Le i3 mars, o'n 1 Voyez, dans l'article de la baleine franche , ce que nous avons dît, d'après le capitaine anglois Colnett, des troupes de pétrels qui accom- pagnent celles des plus grands cétacées. * Lettre du capitaine Baudin à mou collègue Jussieu. 204 HISTOIRE NATURELLE vit avec surprise une multitude de poissons se jeter à la côte, et un grand nombre de marsouins entrer dans le port d'Audierne. Le 14, à six heures du matin , la mer étoit fort grosse ; et les vents souffloient du sud-ouest avec violence. On entendit vers le cap Estaiu des mu- gissemens extraordinaires, qui retentissoient dans les terres à plus de quatre kilomètres. Deux hommes , qui côtoyoient alors le rivage, furent saisis de frayeur, sur- tout lorsqu'ils apperçurent un peu au large des animaux énormes, qui s'agitoient avec violence , s'effor- çoient de résister aux vagues écumantes qui les rou- loient et les précipitoient vers la côte, battoient bruyamment les flots soulevés, à coups redoublés de leur large queue , et rejetoient avec vivacité par leurs évents une eau bouillonnante, qui s'élançoit en sifflant. L'effroi des spectateurs augmenta lorsque les premiers de ces cétacées, n'opposant plus à la mer qu'une lutte inutile, furent jetés sur le sable- il re- doubla encore lorsqu'ils les virent suivis d'un très grand nombre d'autres colosses vivans. Les macrocéphales étoient cependant encore jeunes ; les moins grands n'avoient guère plus de douze mètres de longueur, et les plus grands n'en avoient pas plus de quinze ou seize. Ils vécurent sur le sable vingt-quatre heures ou environ. Il ne faut pas être étonné que des milliers de pois- sons, troublés et effrayés, aient précédé l'arrivée de ces cétacées, et fui rapidement devant eux. En effet, le DES CACHALOTS. 2o5 microcéphale ne se nourrit pas seulement du mollusque seiche , que quelques marins anglois appellent squild ou squill, qui est très-commun dans les parages qu'il fré- quente , qui est très-répandu particulièrement auprès des côtes d'Afrique et sur celles du Pérou, et qui y par- vient à une grandeur si considérable, que son diamètre y est quelquefois de plus d'un tiers de mètre*. Il n'ajoute pas seulement d'autres mollusques à cette nourriture; il est aussi très-avide de poissons, notamment de cy- cloptères. On peut voir dans Duhamel qu'on a trouvé des poissons de deux mètres de longueur dans l'estomac du macrocéphale. Mais voici des ennemis bien autre- ment redoutables, dont ce cétacée fait ses victimes. Il poursuit les phoques, les baleinoptères à bec, les dau- phins vulgaires. Il chasse les requins avec acharnement ; et ces squales, si dangereux pour tant d'autres ani- maux, sont, suivant Otho Fabricius , saisis d'une telle frayeur à la vue du terrible macrocéphale, qu'ils s'em- pressent de se cacher sous le sable ou sous la vase , qu'ils se précipitent au travers des écueils , qu'ils se jettent contre les rochers avec assez de violence pour se donner la mort, et qu'ils n'osent pas même appro- cher de son cadavre, malgré l'avidité avec laquelle ils dévorent les restes des autres cétacées. D'après la rela- * Observations faites par M. Stavbuc , capitaine de vaisseau des États- Unis , et communiquées à Lacepéde par le citoyen Joseph Dourlen , de' Dunkerque, en frimaire de l'an 4. 2o6 HISTOIRE NATURELLE tion du voyage en Islande de MM. Olafsen et Povelsen, on ne doit pas douter que le macroeéphale ne soit assez vorace pour saisir un bateau pêcheur, le briser dans sa gueule, et engloutir les hommes qui le montent: aussi les pêcheurs islandois redoutent-ils son approche. Leurs idées superstitieuses ajoutent à leur crainte, au point de ne pas leur permettre de prononcer en haute mer le véritable nom du macroeéphale; et ne né- gligeant rien pour l'éloigner, ils jettent dans la mer, lorsqu'ils apperçoivent ce féroce cétacée, du soufre, des rameaux de genévrier, àes noix muscades, de la fiente de boeuf récente, ou tâchent de le détourner par un grand bruit et par des cris perçans. Le macroeéphale cependant rencontre dans de grands individus, ou dans d'autres habitans des mers que ceux dont il veut faire sa proie, des rivaux contre lesquels sa puissance est vaine. Une troupe nombreuse de ma- crocéphales peut même être forcée de combattre contre une autre troupe de cétacées redoutables par leur force ou par leurs armes. Le sang coule alors à grands flots sur la surface de l'océan, comme lorsque des milliers de harponneurs attaquent plusieurs baleines; et la mer se teint en rouge sur un espace de plusieurs kilo- mètres *. * Traduction du Voyage en Islande de MM. Olafsen et Povelsen, tome IV, page 480. Le P. Feuillée dit, dans le recueil des observations qu'il avoit faites en DES CACHALOTS. 20T Au reste, n'oublions pas de faire faire attention à ces mugissemens qu'ont fait entendre les cachalots échoués dans la baie d'Audierne, et de rappeler ce que nous avons dit des sons produits par les cétacées , dans l'article de la baleine franche et dans celui de la ha- lelnoptère jubarte. La contrainte, la douleur, le danger, la rage, n'ar- rachent peut-être pas seuls des sons plus ou moins forts et pins ou moins expressifs aux cétacées, et particuliè- rement au cachalot macrocéphale. Peut-être le senti- ment le plus vif de tous ceux que les animaux peuvent éprouver, leur inspire-t-il aussi des sons particuliers qui l'annoncent au loin. Les macrocéphales du moins doivent rechercher leur femelle avec une sorte de fureur. Ils s'accouplent comme la baleine franche ; et pour se livrer à leurs amours avec moins d'inquiétude ou de (rouble, ils se rassemblent, dans le temps de leur union la plus intime avec leur femelle , auprès des rivages les moins fréquentés. Le capitaine Colnett dit, dans la relation de son vojage, que les environs des îles Galapagos sont dans le printemps le rendez-vous Amérique (tome I, page 3g5), qu'auprès de la côte du Pérou i] vit l'eau de la mer mêlée avec un sang fétide; que, selon les Indiens, ce phénomène avoit lieu tous les mois, et que ce sang piovenoit, suivant ces mêmes Indiens , d'une évacuation à laquelle les baleines femelles étoient sujettes chaque mois, et lorsqu'elles étoient en chaleur. Les combats que se livrent jes cétacées, et le nombre de ceux qui périssent sous les coups des pêcheurs suffisent pour expliquer le fait observé par le P. Feuillée , sans qu'on ait besoin d'avoir recours aux idées des Indiens. 2o8 HISTOIRE NATURELLE de tous les cachalots macrocéphales ( sperma cetij des côtes du Mexique , de celles du Pérou , et du golfe de Panama ; qu'ils s'j accouplent ; et qu'on y voit de jeunes cachalots qui n'ont pas deux mètres de longueur. On a écrit que le temps de la gestation est de neuf ou dix mois, comme pour la baleine franche ; que la mère ne donne le jour qu'à un petit et tout au plus à deux. Mon ancien collègue , M. l'archevêque de Be- sançon, et M. Chappuis, que j'ai déjà cités, ont com- muniqué dans le temps au professeur Bonnaterre qui l'a publiée , une observation bien précieuse à ce sujet. Les trente-un cachalots échoués en 1784 auprès d'Audierne étoient presque tous femelles. L'équinoxe du printemps approchoit : deux de ces femelles mirent bas sur le rivage. Cet événement, hâté peut-être par tous les efforts qu'elles avoient faits pour se soutenir en pleine mer et par la violence avec laquelle les flots les avoient poussées sur le sable, fut précédé par des explosions bruyantes. L'une donna deux petits, et l'autre un seul. Deux furent enlevés par les vagues : le troisième, qui resta sur la côte, étoit bien conformé, navoit pas encore de dents, et sa longueur étoit de trois mètres et demi; ce qui pourroit faire croire que les jeunes cachalots vus par M. Colnett auprès des îles Gallapagos lui ont paru moins longs qu'un double mètre, à cause de la distance à laquelle il a dû être de ces jeunes cétacées, et de la difficulté de les observer DES CACHALOTS. 209 au milieu des flots qui dévoient souvent les cacher en partie. La mère montre pour son petit une affection plus grande encore que dans presque toutes les autres espèces de cétacées. C'est peut-être à un macrocéphale femelle qu'il faut rapporter le fait suivant, que l'on trouve dans la relation du voyage de Fr. Pyrard*. Cet auteur raconte que dans la mer du Brésil , un grand cétacée, voyant son petit pris par des pêcheurs, se jeta avec une telle furie contre leur barque, qu'il la ren- versa, et précipita dans la mer son petit, qui par-là fut délivré, et les pêcheurs, qui ne se sauvèrent qu'avec peine. Ce sentiment de la mère pour le jeune cétacée auquel elle a donné le jour, se retrouve même dans presque tous les macrocéphales pour les cachalots avec lesquels ils ont l'habitude de vivre. Nous lisons dans la relation du voyage du capitaine Colnett, que lorsqu'on attaque une troupe de macrocéphales, ceux qui sont déjà pris sont bien moins à craindre pour les pêcheurs, que leurs compagnons encore libres, les- quels , au lieu de plonger dans la mer ou de prendre la fuite, vont avec audace couper les cordes qui re- tiennent les premiers, repousser ou immoler leurs vain- queurs, et leur rendre la liberté. Mais les efforts des macrocéphales sont aussi vains 1 — — — ■— — — — — — — ^— — — — — — * Seconde partie, page 208. 27 210 HISTOIRE NATURELLE que ceux de la baleine franche. Le génie de l'homme dominera toujours l'intelligence des animaux, et son art enchaînera la force des plus redoutables. On pêche avec succès les macrocéphales, non seulement dans notre hémisphère, mais dans l'hémisphère austral; et à mesure que d'illustres exemples et de grandes leçons apprennent aux navigateurs à faire avec facilité ce qui naguère étoit réservé à l'audace éclairée des Magel- lan, des Bougainville et des Cook , les stations et le nombre des pêcheurs de cachalots , ainsi que d'autres grands cétacées dont on recherche l'huile, les fanons, l'ambre ou l'adipocire , se multiplient dans les deux océans. Ces pêcheries ouvrent de nouvelles sources de richesses, et créent de nouvelles pépinières de marins pour les Anglois, et pour les Américains des États-Unis* ce peuple que la nature, la liberté et la philosophie appellent aux plus belles destinées, et qui l'emporte déjà sur tant d'autres nations par l'habileté et la har- diesse avec laquelle il parcourt la mer comme ses belles contrées, et recueille les trésors de l'océan aussi facilement que les moissons de ses campagnes *. Les macrocéphales résistent plus long-temps que beaucoup d'autres cétacées, aux blessures que leur font la lance et le harpon des pêcheurs. On ne leur arrache que difficilement la vie, et on assure qu'on a vu de ces cachalots respirer encore, quoique privés de parties * Le citoyen Cossigny a parlé de ces pêcheries australes dans l'intéres- sant ouvrage qu'il a publié sur les colonies. DES CACHALOTS. 211 considérables de leur corps , que le fer avoit désor- ganisées au point de les faire tomber en putréfaction. Il faut observer que cette force avec laquelle les organes du cachalot retiennent, pour ainsi dire, la vie , quoiqu 'étroitement liés avec d'autres organes lésés, altérés et. presque détruits, appartient à une espèce de cétacée qui a moins besoin que les autres animaux de sa famille, de venir respirer à la surface des mers le fluide de l'atmosphère, et qui par consé^ quent peut vivre sous l'eau pendant plus de temps*. La peau, le lard , la chair, les intestins et les ten- dons du cachalot macrocéphale, sont emplojés dans plusieurs contrées septentrionales aux mêmes usages que ceux du narwal vulgaire. Ses dents et plusieurs de ses os y servent à faire des instrumens ou de pêche ou de chasse. Sa langue cuite y est recherchée comme un très-bon mets. Son huile, suivant plusieurs auteurs, donne une flamme claire, sans exhaler de mauvaise odeur; et l'on peut faire une colle excellente avec les fibres de ses muscles. Réunissez à ces produits l'adi- pocire et l'ambre gris, et vous verrez combien de motifs peuvent inspirer à l'homme entreprenant et avide le désir de chercher le macrocéphale au milieu des frimas et des tempêtes, et de le provoquer jusqu'au bout du monde. * On peut voir ce que nous avons dit sur des phénomènes analogues, dans le Discours qui est à la tête de l'Histoire naturelle des quadrupèdes ovipares. 212 HISTOIRE NATURELLE =ss LE CACHALOT TRUMPO *. Que Ton jette les jeux sur la figure du trumpo, et nous n'aurons pas besoin de faire observer combien sa tête est colossale. La longueur de cette tête énorme peut surpasser la moitié de la longueur totale du cétacée; et cependant le trumpo, entièrement développé, a plus de vingt-trois mètres de long. La tête de ce cacha- lot est donc longue de douze mètres. Quel réservoir d'adipocire ! * Catodon trumpo. Cachalot de la Nouvelle-Angleterre. Trumpo, par les habitans des Bermudes. Sperma ceti whale , par les Jînglois. Catodon macrocephalus (var. gamma). Linné, édition de Gmelin. Cachalot trumpo. Bonnaterre, -planches de V Encyclopédie méthodique, ftudley, Philosoph. Transact. n. 35j. Cetus (Novœ Angliae) bipinnis, fistuîâ in cervice, dorso gibboso. Brîsso?ij> Regn. anirn. p. 36o , n. 3. Dudleyi balaena. Klein, Miss. pisc. 2, p. i5. Mémoires de l'académie des Sciences, année 1741, 26. Rohertson , Philosoph. Transact. vol. LX. Blund headed. Pennant, Zoolog. Britann. vol. III, p. 61. r Cachalot trumpo. Edition de Bloch, publiée par R. R. Castel. Cachalot trumpo. Histoire des pêches des Hollandois dans les mers du Nord , traduite du hollandois enfrançoispar le citoyen Bernard Dercste / tome 1 1 p. i63. DES CACHALOTS. 21 é La mâchoire supérieure, beaucoup plus longue et beaucoup plus large que l'inférieure, reçoit dans des alvéoles les dents qui garnissent la mâchoire d'en-bas. La partie antérieure de la tête , convexe dans presque tous les sens , représente une grande portion d'un immense ellipsoïde, tronqué par-devant de manière à y montrer très en grand l'image d'un mufle de taureau gigantesque. Les dents dont la, mâchoire inférieure est armée, ne sont, le plus souvent, qu'au nombre de dix-huit de chaque côté. Chacune de ces dents est droite, grosse, pointue, blanche comme le plus bel ivoire, et longue de près de deux décimètres. L'œil est petit, placé au-delà de l'ouverture de la bouche , et plus élevé que cette ouverture. On voit, à l'extrémité supérieure du museau, une bosse dont la sommité présente l'orifice des évents y leqriel a très-souvent plus d'un tiers de mètre de lar- geur. Au-delà de cette sommité, le dessus de la tète forme une grande convexité, séparée de celle du dos, qui est plus large, plus longue et plus élevée, par un enfon- cement très-sensible, que l'on seroit tenté de prendre pour la nuque. Mais au lieu de trouver cet enfonce- ment au-delà de la tête et au-dessus du cou , on le voit avec étonnement correspondre au milieu de la mâ- choire inférieure , et n'être pas moins éloigné de l'œil que de l'éminence des évents 3 et c'est à l'endroit où 2T4 HISTOIRE NATURELLE finit la tête et où le corps commence, que le cétacée montre sa plus grande grosseur, et que sa circonfé- rence est, par exemple, de quatorze mètres, lorsqu'il en a vingt-quatre de longueur. La bosse dorsale ressemble beaucoup à la sommité des évents; mais elle est plus haute et plus large à sa base. Elle correspond à l'intervalle qui sépare l'anus des parties sexuelles. Les bras ou nageoires pectorales sont extrêmement courts. La peau est douce au toucher, et d'un gris noirâtre sur presque toute la surface du trumpo. La graisse que cette peau recouvre, fournit une huile qui, dit-on, est moins acre et plus claire que l'huile de la baleine franche \ De plus, un trumpo mâle qui échoua en avril 1741 près de la barre de Baj.onne, et de l'embouchure de la rivière de l'Adour, donna dix tonneaux d'adipocire* d'une qualité supérieure à celui du macrocéphale , et qu'on retira de la cavité antérieure de sa tête 3. 1 Histoire des pêches liollandoises , traduction du citoyen Bernard JJereste ; tome I, p. 1 63. 1 Voyez , dans l'article du cachalot macrocéphale, ce que nous avons dît sur Vadipocire ou blanc de cachalot } si improprement appelé blanc de baleine , et sur la nature de l'ambre gris. 3 Ce trumpo avoit plus de seize mètres de longueur totale. Sa circon- férence, à l'endroit le plus gros du corps, étoit de neuf mètres; le diamètre de l'otilice des évents, d'un tiers de mètre j la distance de l'extrémité de DES CACHALOTS, 21 5 On trouva aussi dans son intérieur une boule d'ambre gris, du poids de soixante-cinq hectogrammes. On a cru que, tout égal d'ailleurs, le trumpo étoit plus agile, plus audacieux et plus redoutable que les autres cachalots : mais il paroît qu'il a plus de con- fiance dans la force de ses mâchoires , la grandeur et le nombre de ses dents , que dans la masse et la vitesse de sa queue; car on assure que lorsqu'il est blessé, il se retourne de manière à se défendre avec sa gueule. Le trumpo se plaît dans la mer qui baigne la Nou- velle-Angleterre, et auprès des Bermudes : mais on l'a vu aussi dans les eaux du Groenland, dans le golfe Britannique, dans celui de Gascogne; et je ne serois pas éloigné de croire qu'il étoit parmi les cachalots nommés sperma ceti , et que le capitaine Baudin a observés récemment auprès des côtes de la Nouvelle- Zélande *. la caudale à l'anus, de près de cinq mètres ; la longueur de l'anus, d'un tiers de mètre} la largeur de cette ouverture, d'un sixième de mètre; la distance de l'anus à la verge, de deux mètres; la longueur de la gaine qui entoure la verge, d'un demi-mètre; le diamètre de cette gaine, d'un tiers de mètre ; la longueur de la verge , d'un mètre et un tiers ; et la hau • teur de la bosse du dos, d'un tiers de mètre. * Lettre du capitaine Baudin à notre collègue Jussieu. 2l6 HISTOIRE NATURELLE LE CACHALOT SVINEVAL*. Nous n'appelons pas ce cétacée le petit cachalot, parce que nous allons en décrire un qui lui est infé- rieur par ses dimensions ; d'ailleurs cette épithète petit ne peut le plus souvent former qu'un mauvais nom spécifique. Nous conservons au cachalot dont nous nous occupons dans cet article , le nom de svinelwal qu'on lui donne en Norvège et dans plusieurs autres contrées du Nord; ou plutôt, de cette dénomination de svinchval nous avons tiré celle de svineval 9 plus aisée à prononcer. Ce cétacée a la tête arrondie, l'ouverture de la bouche * Catodon svineval. Petit cachalot. Svine-hval , en Norvège. Kegutilik, en Groenland. Physeter catodon. Linné, édition de Gmelin, Catodon fistula in rostro. Artedi, gen. 78, syn. 108. Petit cachalot. Bonnaterre, -planches de l'Encyclopédie méthodique. Cetus (minor) bipinnis, fistulâ in rostro. Brissoti, Regn, anim. p. 36l , n. 4. Sibbald 3 Phal. nov. p. 24. Balaena minor, in inferiore maxillâ tantùm dentata, sine pinna aut spina in dorso. Sibb. Raj. Fisc. p. i5. Olho Fabricius , Faun. Groenland. 44. DES CACHALOTS. 2Ï f petite ; la mâchoire inférieure plus étroite que celle d'en-haut, et garnie, des deux côtés, de dents qui cor- respondent à des alvéoles creusés dans la mâchoire supérieure. On a trouvé souvent ces dents usées au point de se terminer dans le haut par une surface plate, presque circulaire, et sur laquelle on vojoit plusieurs lignes concentriques qui marqnoient les différentes couches de la dent. Ces dents, diminuées dans leur longueur par le frottement, avoient à peine deux centimètres de hauteur au-dessus de la gencive. L'orifice des évents, situé à l'extrémité de la partie supérieure du museau , a été pris, par quelques obser- vateurs , pour une ouverture de narines; et c'est ce qui a pu faire croire que le svineval n'avoit pas d'é vents proprement dits. Une éminence raboteuse et calleuse est placée sur le dos. Les svinevals vivent en troupes dans les mers sep- tentrionales. Vers la fin du dernier siècle, cent deux de ces cachalots échouèrent dans l'une des Orcades : les plus grands n'avoient que huit mètres de longueur. Il est présumable que le svineval fournit une quantité plus ou moins abondante d'adipocire, et que, dans certaines circonstances, il produit de l'ambre gris, comme les cachalots dont nous venons de parler *. * On peut voir, dans l'article du macro céphale , ce que l'on doit penser de la nature de l'adipocire et de celle d,e l'ambre gris. 28 21 8 HISTOIRE NATURELLE. LE CACHALOT BLANCHATRE1. CiE cétacée paroît de loin avoir beaucoup de rap- ports avec la baleine franche; mais on distingue aisé- ment cependant la forme de sa tête, plus alongée que celle de cette baleine, et la figure du museau, moins arrondi que celui du premier des cétacées. Ses dents sont fortes, mais émoussées à leur extré- mité; elles sont d'ailleurs comprimées et courbées. Sa couleur est d'un blanc mêlé de teintes jaunes. Sa longueur n'excède pas souvent cinq ou six mètres: il est donc bien inférieur, par ses dimensions et par sa force, aux cachalots dont nous venons de parler. On la rencontré dans le détroit de Davis. On ne peut guère douter que ce cétacée ne fournisse de l'adipocire; et peut-être donne-t-il aussi de l'ambre gris \ 1 Catodon albicans. Sperina ceti. \ Catodon macrocephalus , var. B. Linné 3 édition de Gmelin. Cetus albicans, bipinnis, ex albo flavescens, dorso laevi. Brissons Begn. anim. p. 35g , n. 2. Weisfisch. Martens , Spiizb. p. 94. Balaena albicans , weisfisch Martensii et Zorgdrageri. Klein, Miss.pisc* 2 , p. 12. Poisson blanc : hviidCske. Eggede, Groenland, p. 55. Albus piscis cetaceus. Raj. Pisc. p. 11. 1 Voyez, dans l'article du maerocéphale } ce que nous avons dit de ces deux substances. LES PHYSALES'. LE PHYSALE CYLINDRIQUE'. Plusieurs naturalistes ont confondu ce cétacée avec îe microps dont nous parlerons bientôt ; mais il est même d'un genre différent de celui qui doit comprendre ce dernier animal. Il n'appartient pas non plus à la famille des cachalots proprement dits : la position de ses évents auroit suffi pour nous obliger à l'en séparer. Nous avons donc considéré cette espèce remarquable , hors des deux groupes que nous avons formés de tous les autres cétacées auxquels on avoit donné jusqu'à nous le même nom générique, celui de cachalot en François, 1 Voyez, au commencement de cette Histoire, l'article intitulé Nomeri- clature des cétacées, et le tableau général des ordres, genres et espèces de ces animaux. 1 Physalus cylindricus. Walvischvangst , par les Hollandais. Cachalot cylindrique. Bonnaterre , planches de l'Encyclopédie métho- dique. Anderson , Histoire du Groenland } 148. Cachalot, pris aux environs du cap Nord. Histoire naturelle des pêches des fiollandois dans les mers du Nord , traduite en fiançais par le citoyen Bernard Deresle ; tome I , p. i5j , pi. 2 , fig. C. 220 HISTOIRE NATURELLE et de physeter en latin; et nous avons cru devoir dis- tinguer le genre particulier qu'elle forme , par la dé- nomination de phy sains , dont on s'est déjà servi pour désigner la force avec laquelle tous les cétacées qu'on a nommés cachalots font jaillir l'eau par leurs évents , et qu'on n'avoit pas encore adoptée pour un genre ni même pour une espèce particulière de ces cétacées énormes et armés de dents. De tous les grands animaux, le phvsale cylindrique est celui dont les formes ont le plus de cette régula- rité que la géométrie imprime aux productions de l'art, et qui, vu de loin, ressemble peut-être le moins à un être animé. La forme cylindrique qu'il présente dans la plus grande partie de sa longueur, le feroit prendre pour un immense tronc d'arbre, si on connois- soit un arbre assez gros pour lui être comparé, ou pour une de ces tours antiques que des commotions vio- lentes ont précipitées dans la mer dont elles bordoient le rivage , si on ne le vojoit pas flotter sur la surface de l'océan. Sa tête sur-tout ressemble d'autant plus à un cylindre colossal, que la mâchoire inférieure disparoît, pour ainsi dire, au milieu de celle d'en-haut, qui l'encadre exactement, et que le museau, qui paroît comme tron- qué, se termine par une surface énorme, verticale, presque plane et presque circulaire. Que l'on se suppose placé au-devant de ce disque gigantesque, et l'on verra que la hauteur de cette sur- DES P H Y S A L E S. 22 I face verticale peut égaler celle d'un de ces remparts très-élevés qui ceignent les anciennes forteresses. En effet, la tète du physale cylindrique peut être aussi longue que la moitié du cétacée, et sa hauteur peut égaler une très-grande partie de sa longueur. La mâchoire inférieure est un peu plus courte que celle d'en-haut, et d'ailleurs plus étroite. L'ouverture de la bouche , qui est égale à la surface de cette mâchoire inférieure, est donc beaucoup plus longue que large; et cependant elle est effrayante : elle épouvante d'au- tant plus, que lorsque le cétacée abaisse sa longue mâchoire inférieure, on voit cette mâchoire hérissée, sur ses deux bords, d'un rang de dents pointues, très- recourbées, et d'autant plus grosses qu'elles sont plus près de l'extrémité du museau, au bout duquel on en compte quelquefois une impaire. Ces dents sont au nombre de vingt-quatre ou de vingt-cinq de chaque côté. Lorsque l'animal relève sa mâchoire, elles entrent dans des cavités creusées dans la mâchoire supérieure. Et quelle victime , percée par ces cinquante pointes dures et aiguës, résisteroit d'ailleurs à l'effort épou- vantable des deux mâchoires, qui, comme deux leviers longs et puissans, se rapprochent violemment, et se touchent dans toute leur étendue? On a écrit que les plus grandes de ces dents d'en- bas présentoient un peu la forme et les dimensions d'un gros concombre. On a écrit aussi que fou trouvent trois ou quatre dents à la mâchoire supérieure. Ces- 222 HISTOIRE NATURELLE dernières ressemblent sans doute à ces dents très- courtes , à surface plane, et presque entièrement ca- chées dans la gencive, qui appartiennent à la mâchoire d'en-haut du cachalot macrocéphale. La langue est mobile, au moins latéralement, mais étroite et très-courte. L'œsophage, au lieu d'être resserré comme celui de la baleine franche, est assez large pour que, suivant quelques auteurs, un bœuf entier puisse y passer. L'estomac avoît plus de vingt-trois décimètres de long dans un individu dont une description très-étendue fut communiquée dans le temps à Anderson ; et cet estomac renfermoit des arêtes, des os et des animaux à demi dévorés. On voit l'orifice des évents situé à une assez grande distance de l'extrémité supérieure du museau , pour répondre au milieu de la longueur de la mâchoire d'en-bas. L'œil est placé un peu plus loin encore du bout du museau, que l'ouverture des évents; mais il n'en est pas aussi éloigné que l'angle formé par la réunion des deux lèvres. Au reste, il est très-près de la lèvre supé- rieure, et n'a qu'un très-petit diamètre. Un marin hollandois et habile, cité par Anderson, disséqua avec soin la tête d'un physale cylindrique pris aux environs du cap Nord. Ayant commencé son examen par la partie supérieure, il trouva au-dessous de la peau une couche de graisse d'un sixième de DES P H Y S A L E S. 2 2o mètre d'épaisseur. Cette couche graisseuse recouvroit un cartilage que Ton auroit pris pour un tissu de ten- dons fortement attachés les uns aux autres. Au-dessous de cette calotte vaste et cartilagineuse, étoit une grande cavité pleine d'adipocire \ Une membrane cartila- gineuse , comme la calotte , divisoit cette cavité en deux portions situées l'une au-dessus de l'autre. La portion supérieure , nommée par le marin hollandois kJatpmutz , étoit séparée en plusieurs compartimens par des cloisons verticales, visqueuses, et un peu transparentes. Elle fournit trois cent cinquante kilo- grammes d'une substance huileuse, fluide, très-fine, très-claire et très-blanche. Cette substance, à laquelle nous donnons, avec notre collègue Fourcrov, le nom d'adipocire , se coaguloit et formoit de petites masses rondes, dès qu'on la versoit dans de l'eau froide. La portion inférieure de la grande cavité avoit deux mètres et demi de profondeur. Les compartimens dans lesquels elle étoit divisée, lui donnoient l'apparence d'une immense ruche garnie de ses rayons et ouverte. Ils étoient formés par des cloisons plus épaisses que celles des compartimens supérieurs ; et la substance de ces cloisons parut à l'observateur hollandois, analogue à celle qui compose la coque des œufs d'oiseau. Les compartimens de la portion inférieure conte- noient un adipocire d'une qualité inférieure à celui de * On peut voir, dans l'article du cachalot macro c épi 'i aie , ce que nous- ayons dit de l'adipocire. 22 1 HISTOIRE NATURELLE la première portion. Lorsqu'ils furent vidés, le marin hnllandois les vit se remplir d'une liqueur semblable à celle qu'il venoit d'en retirer. Cette liqueur y couloit par l'orifice d'un canal qui se prolongeait le long de la colonne vertébrale jusqu'à l'extrémité de la queue. Ce canal diminuoit graduellement de grosseur, de telle sorte qu'ayant auprès de son orifice une largeur de près d'un décimètre, il n'étoit pas large de deux cen- timètres h son extrémité opposée. Un nombre pro- digieux de petits tuyaux aboutissoit à ce canal, de toutes les parties du corps de l'animal, dont les chairs, la graisse et même l'huile, étoient mêlées avec de l'adipocire. Le canal versa dans la portion inférieure delà grande cavité de la tète, cinq cent cinquante kilo- grammes d'un adipocire qui, mis dans de l'eau froide, y prenoït la forme de flocons de neige , mais qui étoit dune qualité bien inférieure à celui de la cavité supérieure; ce qui paroîtroit indiquer que l'adipocire s'élabore, s'épure et se perfectionne dans cette grande et double cavité de la tête à laquelle le canal aboutit. La cavité de l'adipocire doit être plus grande, tout égal d'ailleurs, dans le physale cylindrique, que dans les cachalots, à cause de l'élévation de la partie anté- rieure du museau. Le corps du physale que nous décrivons, est cylin- drique du côté de la tête, et conique du côté de la queue. Sa partie antérieure ressemble d'autant plus à une continuation du cylindre formé par la tête, que DES PHYSALES. 22-5 îa nuque n'est marquée que par un enfoncement pres- que insensible. C'est vers la fin de ce long cylindre que l'on voit une bosse, dont la hauteur est ordinai- rement d'un demi-mètre, lorsque sa base, qui est très- prolongée à proportion de sa grosseur, est longue d'un mètre et un tiers. La queue, qui commence au-delà de cette bosse, est grosse, conique, mais très-courte à proportion de la grandeur du physale ; ce qui donne à cet animal une rame et un gouvernail beaucoup moins étendus que ceux de plusieurs autres cétacées, et par conséquent doit, tout égal d'ailleurs, rendre sa natation moins rapide et moins facile. Cependant la caudale a très-souvent plus de quatre mètres de largeur, depuis l'extrémité d'un lobe jusqu'à l'extrémité de l'autre. Chacun de ces lobes est échancré de manière que la caudale paroit en présenter quatre. La base de chaque pectorale est très-près de l'œil, presque à la même hauteur que cet organe et par con- séquent plus haut que l'ouverture de la bouche. Cette nageoire latérale est d'ailleurs ovale , et si peu étendue, que très-fréquemment elle n'a guère plus d'un mètre de longueur. Le ventre est un peu arrondi. La verge du maie a près de deux mètres de longueur, et un demi-mètre de circonférence à sa base. L'anus n'est pas éloigné de cette base; mais comme la queue est très-courte , il se trouve près de la caudale. 29 226 HISTOIRE NATURELLE. La chair a une assez grande dureté pour résister aux lames tranchantes, au harpon et aux lances que k de grands efforts ne mettent pas en mouvement. La couleur du cylindrique est noirâtre , et presque du même ton sur toute la surface de ce physale. On a rencontré ce cétacée dans l'Océan glacial are- tique , et dans la partie boréale de l'Océan atlantique septentrional. i rr n iw m irr fci i h m LES PHYSETERES'. LE PHYSÉTÈRE MICROPS2. JLe microps est un des plus grands, des plus cruels et des plus dangereux habitans de la nier. Réunis- 1 On trouvera au commencement de cette Histoire le tableau général des ordres, genres et espèces de cétacées. * Physeter microps. Cachalot à dents en faucille. Staur-himing , en Norvège. Kobbe-herre , ibid. Tikagusik. , en Groenland. Weisfiscli , ibid. Physeter microps. Linné, édition de Gmelin. Cachalot microps. Bonnaterre, planches de l'Encyclopédie méthodique, Physeter microps. R. R. Cas/cl, nouvelle édition de Bloch. Physeter dorsopinnâ longâ, maxillâ superiore longiore. Artedi, gen. 74, syn. 104. Balœna major in inferiore tantùm maxillâ dentata, dentibus arcuatis falciformibus, pinnam seu spinam in dorso habens. Sibbaldi Phalœn. Id. Raj. Synops. pisc. p. i5. Id. Klein y Miss. Pisc. 2 , p. i5. Dritte species der cachelotte. Anders. Isl. p. 248. Muller, Zoolog. Danic. Prodrom. n. 53. Strom. — 1 , 298. Act. Nidros, 4, 112. Oth. Fabricius 3 Faun. Groenland. 44. Zorgdrager, Groenlandsche vischery, p. 162. 228 HISTOIRE NATURELLE saot à des armes redoutables les deux élémens de la force, la masse et la vitesse, avide de carnage, ennemi audacieux, combattant intrépide, quelle plage de l'océan n'ensanglanle-t-il pas? On diroit que les anciens mjthologues l'avoient sous les jeux , lorsqu'ils ont créé le monstre marin dont Persée délivra la belle Andromède qu'il alloit dévorer, et celui dont l'aspect horrible épouvanta les coursiers du malheureux Hippo- Ivte. On croiroit aussi que l'image erFrajante de ce cétacée a inspiré au génie poétique de l'Arioste cette admirable description de Y orque , dont Angélique, enchaînée sur un rocher, alloit être la proie près des rivages de la Bretagne. Lorsqu'il nous montre cette masse énorme qui s'agite, cette tête démesurée qu'ar- ment des dents terribles, il semble retracer les princi- paux traits du microps. Mais détournons nos jeux des images enchanteresses et fantastiques dont les savantes allégories des philosophes, les conceptions sublimes des anciens poètes, et la divine imagination des poètes récens, ont voulu, pour ainsi dire, couvrir la Nature entière ; écartons ces voiles dont la fable a orné la vé- rité. Contemplons ces tableaux impérissables que nous a laissés le grand peintre qui fît l'ornement du siècle de Vespasien. Ne serons-nous pas tentés de retrouver les phjsétères que nous allons décrire, dans ces orques* * Nous avons vu à l'article de la baleino-ptère rorqual , que ]a note de Daléchamp sur le sixième chapitre du neuvième livre de Pline se rappor- toit à cette baleinoptère ; mais l'orque du naturaliste de Rome ne peut pas être ce même cétacée. DES FHYSETERES. 22y que Pline nous représente comme ennemies mortelles du premier des cétacées , desquelles il nous dit qu'on ne peut s'en faire une image qu'en se figurant une masse immense animée et hérissée de dents, et qui, poursuivant les baleines jusque dans les golfes les plus écartés, dans leurs retraites les plus secrètes, dans leurs asyles les plus sûrs, attaquent, déchirent et percent de leurs dents aiguës , et les baleineaux, et les femelles qui n'ont pas encore donné le jour à leurs petits? Ces baleines encore pleines, continue le natu- raliste romain, chargées du poids de leur baleineau, embarrassées dans leurs mouvemens, découragées dans leur défense, arfoiblies par les douleurs et les fatigues de leur état , paroissent ne connoître d'autre mojen d'échapper à la fureur des orques, qu'en fuyant dans la haute mer, et en tâchant de mettre tout l'océan entre elles et leurs ennemis. Vains efforts î les orques leur ferment le passage, s'opposent à leur fuite, les attaquent dans leurs détroits, les pressent sur les bas- fonds, les serrent contre les roches. Et cependant, quoiqu'aucun vent ne souffle dans les airs, la mer est agitée par les mouvemens rapides et les coups redou- blés de ces énormes animaux ; les flots sont soulevés comme par un violent tourbillon. Une de ces orques parut dans le port d'Ostie pendant que l'empereur Claude étoit occupé à y faire faire des constructions nouvelles. Elle y étoit entrée à la suite du naufrage de bâtimens arrivés de la Gaule, et entraînée par les peaux 23o HISTOIRE NATURELLE d'animaux dont ces bâtimens avoient été chargés; elle s'étoit creusé dans le sable une espèce de vaste sillon, et, poussée par les flots vers le rivage, elle élevoit au- dessus de l'eau un dos semblable à la carène d'un vais- seau renversé. Claude l'attaqua à la tête des cohortes prétoriennes, montées sur des bâtimens qui environ- nèrent le géant cétacée, et dont un fut submergé par l'eau que les évents de Yorque avoient lancée. Les Romains du temps de Claude combattirent donc sur les eaux un énorme tyran des mers, comme leurs pères avoient combattu dans les champs de l'Afrique un im- mense serpent devin, un sanguinaire dominateur des déserts et des sables brûlans *. Examinons le type de ces orques de Pline. Le microps a la tête si démesurée, que sa longueur égale , suivant Artédi, la moitié de la longueur du céta- cée lorsqu'on lui a coupé la nageoire de la queue, et que sa grosseur l'emporte sur celle de toute autre par- tie du corps de ce physétère. La bouche s'ouvre au-dessous de cette tête remar- quable. La mâchoire supérieure, quoique moins avan- cée que le museau proprement dit, l'est cependant un peu plus que la mâchoire d'en-bas. Elle présente des cavités propres à recevoir les dents de cette mâchoire inférieure; et nous croyons devoir faire observer de nouveau que, par une suite de cette conformation, les * Article du seipent devin, dans notre Histoire naturelle des serpens. DES PHYSÉTÈRES. 2oI deux mâchoires s'appliquent mieux lune contre l'autre, et ferment la bouche plus exactement. Les dents qui garnissent la mâchoire d'en-bas, sont coniques, courbées, creuses vers leurs racines, et en- foncées dans l'os de la mâchoire jusqu'aux deux tiers de leur longueur. La partie de la dent qui est cachée dans l'alvéole, est comprimée de devant en arrière cannelée du côté du gosier, et rétrécie vers la racine qui est petite. La partie extérieure est blanche comme de l'ivoirer et son sommet aigu et recourbé vers le gosier se flé- chit un peu en-dehors. Cette partie extérieure n'a communément qu'un déci- mètre de longueur. Lorsque l'animal est vieux , le som- met de la dent est quelquefois usé et parsemé de petites éminences aiguës ou tranchantes; et c'est ce qui a fait croire que Je microps avoit des dents molaires. On a beaucoup varié sur le nombre des dents qui hérissent la mâchoire inférieure du microps. Les uns ont écrit qu'il n'y en avoit que huit de chaque côté- d'autres n'en ont compté que onze à droite et onze à gauche. Peut-être ces auteurs n'avoient-ils vu que des microps très-jeunes, ou si vieux, que plusieurs de leurs dents étoient tombées, et que plusieurs de leurs alvéoles s'étoient oblitérés. Mais quoi qu'il en soit , Artédi , Gmelin et d'autres habiles naturalistes, disent positi- vement qu'il y a quarante-deux dents à la mâchoire inférieure du microps. 2 32 HISTOIRE NATURELLE Les Groenlandois assurent que Ton trouve aussi des dents à la mâchoire supérieure de ce cétacée. S'ils j en ont vu en effet , elles sont courtes , cachées presque en entier dans la gencive, et plus ou moins aplaties, comme celles que l'on peut découvrir dans la mâchoire supé- rieure du cachalot macrocéphale. L'orifice commun des deux évents est situé à une petite distance de l'extrémité du museau. Artédi a écrit que l'œil du microps étoit aussi petit que celui d'un poisson qui ne présente que très-rare- ment la longueur d'un mètre, et auquel nous avons conservé le nom de gade œghjiii*. C'est la petitesse de cet organe qui a fait donner au physétère que nous décrivons , le nom de microps , lequel signifie petit ail. Chaque pectorale a plus d'un mètre de longueur. La nageoire du dos est droite, haute, et assez pointue pour avoir été assimilée à un long aiguillon. La cavité située dans la partie antérieure et supé- rieure de la tête, et qui contient plusieurs tonneaux à'adipocire , a été comparée à un vaste four *. On a souvent remarqué la blancheur de la graisse. La chair est un mets délicieux pour les Groenlandois et d'autres habitans du nord de l'Europe ou de l'Amé- rique. 1 /histoire naturelle des poissons, tome fi in-40. ' L'article du cachalot macrocéphale contient l'exposition de la nature de Vadipocire ou blanc de cétacée , improprement appelé blanc de baleine» on DES PHYSETERES. 2ÔO La peau n'a peut-être pas autant depaisseur, à pro- portion de la grandeur de l'animal, que dans la plu- part des autres cétacées. Elle est d'ailleurs très-unie , très-douce au toucher, et d'un brun noirâtre. Il se peut cependant que l'âge, ou quelque autre cause, lui donne d'autres nuances, et que quelques individus soient d'un blanc jaunâtre , ainsi qu'on l'a écrit. La longueur du microps est ordinairement de plus de vingt- trois ou vingt -quatre mètres , lorsqu'il est parvenu à son entier développement. Est-il donc surprenant qu'il lui faille une si grande quantité de nourriture, et qu'il donne la chasse aux bélugas et aux marsouins qu'il poursuit jusque sur le rivage où il les force à s'échouer, et aux phoques qui cherchent en vain un asjle sur d'énormes glaçons? Le, microps a bientôt brisé cette masse congelée, qui, malgré sa dureté, se disperse en éclats, se dissipe en poussière cristalline, et lui livre la proie qu'il veut dévorer. Son audace s'enflamme lorsqu'il voit des jubartes ou des baleinoptères à museau pointu ; il ose s'élancer sur ces grands cétacées , et les déchire avec ses dents recourbées , si fortes et si nombreuses. On dit même que la baleine franche, lorsqu'elle est encore jeune, ne peut résister aux armes terribles de ce féroce et sanguinaire ennemi ; et quelques pêcheurs ont ajouté que la rencontre des microps annonçoit l'approche des plus grandes baleines, que, dans leur 3o 23i HISTOIRE NATURELLE sorte de rage aveugle, ils osent chercher sur l'océan, attaquer et combattre. La pêche du microps est donc accompagnée de beau- coup de dangers. Elle présente d'ailleurs des difficultés particulières : la peau de ce phjsétère est trop peu épaisse, et sa graisse ramollit trop sa chair, pour que le harpon soit facilement retenu. Ce cétacée habite dans les mers voisines du cercle polaire. En décembre 1723, dix-sept microps furent poussés, par une tempête violente, dans l'embouchure de l'Elbe» Les vagues amoncelées les jetèrent sur des bas-fonds; et comme nous ne devons négliger aucune comparai- son propre à répandre quelque lumière sur les sujets que nous étudions, que l'on rappelle ce que nous avons écrit des macrocéphales précipités par la mer en cour- roux contre la côte voisine d'Audierne. Les pêcheurs de Cuxhaven, sur le bord de l'Elbe, crurent voir dix-sept bâtimens hollandois amarrés au rivage. Ils gouvernèrent vers ces bâtinfensj et ce fut avec un grand étonnement qu'ils trouvèrent à la place de ces vaisseaux dix-sept cétacées que la tempête avoit jetés sur le sable, et que la marée, en se retirant avec d'autant plus de vitesse qu'elle étoit poussée par un vent d'est, avoit abandonnés sur la grève. Les moins grands de ces dix-sept microps étoient longs de treize ou quatorze mètres , et les plus grands avoient près de vingt-quatre mètres de longueur. Les barques de DES PHYSÉTÈRES. 235 pécheurs amarrées à côté de ces physétères paroissoient comme les chaloupes des navires que ces cétacées repré. sentaient. Ils étaient tous tournés vers le nord, parce qu'ils avoient succombé sous la même puissance, tous couchés sur le côté, morts , mais non pas encore froids: et ce que nous ne devons pas passer sous silence, et ce qui retrace ce que nous avons dit de la sensibilité des cétacées, cette troupe de microps renfermoit huit fe- melles et neuf mâles; huit mâles avoient chacun auprès de lui sa femelle, avec laquelle il avoit expiré. 236 HISTOIRE NATURELLE LE PHYSÉTÈRE ORTHODON *. La tête de l'orthodon, conformée à peu près comme celle des autres physétères, a une longueur presque égale à la moitié de la longueur du cétacée. L'orifice commun des deux évents est placé au-dessus de la partie antérieure du museau. L'œil paroît aussi petit que celui de la baleine franche; mais sa couleur est jaunâtre, et il brille d'un éclat très-vif. La mâchoire inférieure, plus étroite et plus courte que celle d'en-haut, a cependant près de six mètres de longueur, lorsque le cétacée est long de vingt-quatre mètres. Elle forme un angle dans sa partie antérieure. Elle est garnie de cinquante-deux dents fortes, droites, aiguës, pesant chacune plus d'un kilogramme, et dont la forme nous a suggéré le nom spécifique * Physeter orthodon. Physetcr microps , var. B. Linné, édition de Gmelin. Cetus tripinnis, dentibus acutis, rectis. Brisson , Regn. anim. p. 362 ? n. g. Zweyte species der cachelotte. Anderson 3 Island. p. 246. Variété A du cachalot trumpo. Bonnaterre , planches de V Encyclo- pédie méthodique. Balaena macrocephala in inferiore tantùm maxillâ dentaia , dentibus acutis, humanis non pvorsus absimilibus , pinnam in dorso habens. — Plu- sieurs auteurs du Nord. DES PHYSÉTÈRES. 2.3 J d'orthodon* , par lequel nous avons cru devoir distin- guer le cétacée que nous décrivons. Chacune de ces dents est reçue dans un alvéole de la mâchoire supérieure; et comme on peut l'imaginer aisément , il en résulte une application si exacte des deux mâchoires l'une contre l'autre , que lorsque la bouche est fermée, il est très-difficile de distinguer la séparation des lèvres. La gueule n'est pas aussi grande à proportion que celle de la baleine franche. La langue, que sa couleur d'un rouge très-vif fait aisément appercevoir, est courte et pointue; mais le gosier est si large, qu'on a trouvé dans l'estomac de l'orthodon, des squales requins tout entiers et de plus de quatre mètres de longueur. Ce phjsétère vaincront sans peine des ennemis plus puis- sans. Sa longueur, voisine de celle de plusieurs ba- leines franches, peut s'étendre, en effet, à plus de trente-trois mètres. Ses pectorales néanmoins sont beaucoup plus petites que celles du microps : elles,n'ont souvent qu'un demi- mètre de longueur. On a compté sept articulations on phalanges au doigt le plus long des cinq qui composeut l'extrémité de ces nageoires. Une bosse très-haute s'élève sur la partie antérieure du dos, à une certaine distance de la nageoire dorsale, La peau, très-mince, n'a pas quelquefois deux centi- * Orlhos, en grec, signifie droit ; odojs signifie dent, etc. 23 0 HISTOIRE NATURELLE mètres d'épaisseur ; mais la chair est st compacte, qu'elle présente au harpon une très-grande résistance, et rend l'orthodon presque invulnérable dans la plus grande partie de sa surface. Ce physétère est ordinairement noirâtre; mais une nuance blanchâtre règne sur une grande partie de sa surface inférieure. Par combien de différences n "est-il pas distingué du microps? Sa couleur, ses dents, sa bosse dorsale, la brièveté de ses pectorales, ses dimen- sions et la nature de ses muscles, l'en éloignent. Il en est séparé, et par des traits extérieurs, et par sa con- formation intérieure. On a vu un orthodon dont la grande cavité de la tête contenoit plus de cinquante nxyriagrammes de blanc ou tfadipocire1. On l'avoit pris dans l'Océan glacial arc- tique, vers le soixante-dix-septième degré et demi de latitude2. ' Consultez, au sujet de Yadipocire 3 l'article du cachalot macro céphale. 2 Anderson ; et Histoire des pêches des Hollandais dans les mers du Nord, traduite par le citoyen Dereste s tome I, p. 173. DES FHYSÉTÈîlES. 2.3 C) as LE PHYSÉTÈRE MULAR*. La nageoire qui s'élève sur le dos de ce phjsétère, est si droite, si pointue et si longue, que Sibbald et d'autres auteurs l'ont comparée à un mât de navire, et ont dit qu'elle paroissoit au-dessus du corps du mular, comme un mât de misaine au-dessus d'un vaisseau. Cette com- paraison est sans doute exagérée; mais elle prouve la grande hauteur de cet organe, qui seule a pu en faire naître l'idée. Mais, indépendamment de cette nageoire si élevée, on voit sur le dos et au-delà de cette éminence, trois bosses dont la première a souvent un demi-mètre de * Physeter mular. Physeter tursio. Linné , édition de Gmelin. Cachalot mular. Bonnaterre , planches de l'Encyclopédie méthodique. Physeter dorsi pinnâ altissimâ, apice dentium piano. Artedi , gen. 74 , syn. 104. Cetus tripinnis , dentibus in planum desinentibus. Brisson, Regn. anim. p. 364, n. 7. Balsena macrocephala tripinnis, quae in mandibuhl inferiore dentés habet minus inflexos et in planum desinentes. Sibbald. Id. Raj. Pisc. p. 16. Mular Nierembergii. Klein, Mise. pisc. 2, p. i5. Andersen t Histoire d'Islande } etc. 2. p. 118. Le mular. R. R. Castel , nouvelle édition de Bloch,- 240 HISTOIRE NATURELLE hauteur, la seconde près de deux décimètres , et la troi- sième un décimètre. Ces traits seuls feraient distinguer facilement le mular du microps et de l'orthodon ; mais d'ailleurs les dents du mular ont une forme différente de celles de l'orthodon et de celles du microps. Elles ne sont pas très-cou rbées, comme les dents du microps, ni droites, comme celles de l'orthodon; et leur sommet, au lieu d'être aigu, est très-émoussé ou presque plat. De plus, les dents du mular sont inégales : lès plus grandes sont placées vers le bout du museau ; elles peuvent avoir vingt-un centimètres de longueur, sur vingt-quatre de circonférence, à l'endroit où elles ont le plus de grosseur : les moins grandes ne sont longues alors que de seize centimètres. Toutes ces dents ne ren- ferment pas une cavité. On découvre une dent très-aplatie dans plusieurs des intervalles qui séparent l'un de l'autre les alvéoles de la mâchoire supérieure. Les deux évents aboutissent à un seul orifice. Les mulars vont par troupes très-nombreuses. Le plus grand et le plus fort de ces physétères réunis leur donne, pour ainsi dire, l'exemple de l'audace ou de la prudence , de l'attaque ou de la retraite. Il paroît , d'après les relations des marins, comme le conducteur de la légion, et, suivant un navigateur cité par Ander- sen, il lui donne, par un cri terrible 9 et dont la surface DES PHYSÉTERES. 241 de la mer propage au loin le frémissement , le signal de la victoire ou d'une fuite précipitée. On a vu des mulars si énormes , que leur longueur étoit de plus de trente-trois mètres. On ne leur donne cependant là chasse que très-rarement, parce que leur caractère farouche et sauvage rend leur rencontre peu fréquente, et leur approche pénible ou dangereuse. D'ailleurs, on ne peut faire pénétrer aisément le harpon dans leur corps, qu'en le lançant dans un petit espace que l'on voit au-dessus du bras; et leur graisse fournit très-peu d'huile. On a reconnu néanmoins que la cavité située dans la partie antérieure de leur tête contenoit beaucoup d'adipocire; que cette cavité étoit divisée en vingt-huit cellules remplies de cette substance blanche; que pres- que toute la graisse du phvsétère étoit mêlée avec cet adipocire; et qu'on découvroit plusieurs dépôts parti- culiers de ce blanc dans différentes parties du corps de ce cétacée. Nous pouvons donc assurer maintenant que cet adi- pocire se trouve en très-grande quantité, distingué par les mêmes qualités et disséminé de la même manière , dans toutes les espèces connues du genre des cachalots, de celui des physales et de celui des phjsétères *. On a écrit que lorsque le mular vouloit plonger dans la mer, il commençoit par se coucher sur le côté droit; * Voyez l'article du cachalot macrocéphale* 3-i 2/12 HISTOIRE NATURELLE. et les mêmes auteurs ont ajouté que ce cétacée pouvoir rester sous l'eau pendant plus de temps que la baleine franche. On l'a rencontré dans l'Océan atlantique septentrio- nal, ainsi que dans l'Océan glacial arctique, et particu- lièrement dans la mer du Groenland, dans les environs du cap Nord, et auprès des îles Orcades. LES DELPHINAPTERES \ LE DELPHINAPTÈRE BÉLUGA'. L/£ cétacée a porté pendant long- temps le nom de pe/ile baleine et de baleine blanche. Il a été l'objet de la recherche des premiers navigateurs basques et hollan- dois qui osèrent se hasarder au milieu des montagnes flottantes de glaces et des tempêtes horribles de l'Océan arctique , et qui , effrayés par la masse énorme , les mouvemens rapides et la force irrésistible des baleines *-- i - , . ■ ■ ri ■ ■ r ■ ! -i 1 Consultez l'article intitulé Nomenclature des célacées t et le tableau général des ordres , genres et espèces de ces animaux. * Delphinapterus béluga. Marsouin blanc. Witfisch. Balœna albicans. Delphinus leucas. Linné, édition de Gmelin. Delphinus rostro conico obtuso, deorsum inclinato, pinnâ dorsali nullâ. P allas t II. 3, p. 84, tab. 4. Dauphin béluga. Bonnaterre, -planches de V "Encyclopédie méthodique. Delphinus pinnâ in dorso nullâ. Brisson, Regn. animal, p. 374, n. 5. Béluga. Pennant , Quadr. p. 35y. Bieluga. Sleller 3 Kurntschatka , p. 106. "Wilfîsch oder weissfisch. Andôrson, Lland. p. zSi. Weisfisch. Cranz, Groenland, p. i5o. Mull. Prodrom. Zoolog. Dan. p. 5o. Oih. Babric. Faim. Groenland, p 5o. 244 HISTOIRE NATURELLE franches , plus audacieux contre les ëlémens conjurés que contre ces colosses, ne bravoient encore que très- rarement leurs armes et leur puissance. On a trouvé que le béluga avoit quelques rapports avec ces baleines, parle défaut de nageoire dorsale et par la présence d'une saillie peu sensible, longitudinale, à demi calleuse, et placée sur sa partie supérieure; mais par combien d'autres traits n'en est-il pas séparé î Il ne parvient que très-rarement à une longueur de plus de six ou sept mètres. Sa tête ne forme pas le tiers ou la moitié de l'ensemble du cétacée , comme celle de la baleine franche, des cachalots , des plrysales, des physétères : elle est petite et alongée. La partie an- térieure du corps représente un cône, dont la base, située vers les pectorales, est appuyée contre celle d'un autre cône beaucoup plus long, et que composent le reste du corps et la queue. Les nageoires pectorales sont larges , épaisses et ovales; et les plus longs des doigts cachés sous leur enveloppe ont cinq articulations. Le museau s'alonge et s'arrondit par-devant. L'œil est petit, rond, saillant et bleuâtre. Le dessus de la partie antérieure de la tête propre- ment dite montre une protubérance au milieu de la- quelle on voit l'orifice commun de deux é vents ; et la direction de cet orifice est telle, suivant quelques ob- servateurs, que l'eau de la mer, rejetée parles évents, au lieu d'être lancée en avant, comme par les cachalots, DES DELPHINÀPTERES. 2/\.Q ou verticalement, comme par plusieurs autres cétacées, est chassée un peu en arrière. On découvre derrière l'œil l'orifice extérieur du canal auditif; mais il est presque imperceptible. L'ouverture de la gueule paroît petite à proportion de la longueur du delphinaptère : elle n'est pas située au-dessous de la tête, comme dans les cachalots, les physales et les phvsétères, mais à l'extrémité du museau. La mâchoire inférieure avance presque autant que celle d'en-haut. Chaque côté de cette mâchoire est garni de dents au nombre de neuf, petites, émoussées à leur sommet, éloignées les unes des autres, inégales, et d'autant plus courtes qu'elles sont plus près du bout du museau. Neuf dents un peu moins obtuses, un peu recourbées, mais d'ailleurs semblables à celles que nous venons de décrire , garnissent chaque côté de la mâchoire su- périeure. La langue est attachée à la mâchoire d'en-bas. Le béluga se nourrit de pleuronectes soles, d'holo- centres norvégiens , de plusieurs gades , particulière- ment d'églefins et de morues. Il les cherche avec cons- tance, les poursuit avec ardeur, les avale avec avidité; et comme son gosier est très-étroit, il court souvent le danger d'être suffoqué par une proie trop volumi- . neuse ou trop abondante. Ces alimens substantiels et copieux donnent à sa chair une teinte vermeille et rougeâtre. 24C HISTOIRE NATURELLE La graisse qui la recouvre a près d'un décimètre d'épaisseur; mais elle est si molle, que souvent elle ne peut pas retenir le harpon. La peau , qui est très-douce, très-unie, est d ailleurs déchirée facilement par cet instrument, quoiqu'onctueuse, et épaisse quelquefois de deux ou trois centimètres. Aussi ne eherche-t-on presque plus à prendre des bélugas; mais on les voit avec joie paroître sur la sur- face des mers, parce que quelques pécheurs, oubliant que la nourriture de ces cétacées est très-différente de celle des baleines franches, ont accrédité l'opinion que ces baleines et ces delphinaptères fréquentent les mêmes parages dans les mêmes saisons, pour trouver les mêmes alimens , et par conséquent annoncent l'ap- proche les uns des autres. Au reste, comment, au milieu des ennuis d'une longue navigation , ne verroit-on pas avec plaisir les vastes solitudes de l'océan animées par l'apparition de cétacées remarquables dans leurs dimensions , sveltes dans leurs proportions, agiles dans leurs mouvemens, rapides dans leur natation , réunis en grandes troupes, montrant cle l'attachement pour leurs semblables, fa- miliers même avec les pêcheurs, s'approchant avec con- fiance des vaisseaux , leur composant une sorte de cor- tège , se jouant avec confiance autour de leurs cha- loupes, et se livrant presque sans cesse et sans aucune crainte à de vives évolutions, à des combats simulés, à de joveux ébats ? DES DELPHINAPTERES, 2.47 Leurs nuances sont d'ailleurs si agréables! Leur couleur est blanchâtre; des taches brunes et d'autres taches bleuâtres sont répandues sur ce fond gracieux , pendant que les bélugas ne sont pas très- âgés. Plus jeunes encore, ils offrent un plus grand nombre de teintes foncées ou mêlées de bleu; et l'on a écrit que, très-peu de temps après leur naissance, presque toute leur surface est bleuâtre. Des fœtus arrachés du ventre de leur mère ont paru d'une couleur verte. La femelle ne porte ordinairement qu'un petit à la fois. Ce delphinaptère, parvenu à la lumière, ne quitte sa mère que très-tard. Il nage bientôt à ses côtés, plonge avec elle, revient avec elle respirer l'air de l'atmos- phère, suit tous ses mouvemens, imite toutes ses ac- tions, et suce un lait très-blanc de deux mamelles très- voisines de l'organe de la génération. On a joui de ce spectacle agréable et touchant d'un attachement mutuel, d'une affection vive et d'une ten- dresse attentive , dans l'Océan glacial arctique et dans l'Océan atlantique septentrional, particulièrement dans le détroit de Davis. On a écrit que, pendant les hivers rigoureux, les bé- lugas quittent la haute mer et les plages gelées, pour chercher des baies que les glaces n'aient pas envahies ; mais ce qui est plus digne d'attention, c'est qu'on a va de ces delphinaptères remonter dans des fleuves. 248 histoire naturelle Notre célèbre confrère M. Pallas, qui a répandu de si grandes lumières sur toutes les branches de l'histoire naturelle , est un des savans qui nous ont le plus éclairés au sujet du béluga. DES DELPHINÀPTÈRES. 24 249 LE DELPHINAPTÈRE SÉNEDETTE *. Ce cétacée devient très-grand, suivant Rondelet. Sa gueule est vaste : ses dents sont aiguës; on en voit neuf de chaque côté de la mâchoire supérieure; et chacun des côtés de la mâchoire d'en-bas, qui est presque aussi avancée que celle d'en-haut, en présente au moins huit. La langue est grande et charnue. L'orifice auquel abou- tissent les deux évents, est situé presque au-dessus des jeux , mais un peu plus près du museau, qui est alongé et pointu. Cet orifice a plus de largeur que celui de plusieurs autres cétacées ; et le sénedette fait jaillir par cette ouverture une grande quantité d'eau. Le corps et la queue forment un cône très-long. Les pectorales sont larges, et leur longueur égale celle de l'ouverture de la bouche. Il paroît que le sénedette a été vu dans l'Océan et dans la Méditerranée. * Delphinapterus senedetta. Mular. Souffleur. Peis mular, dans les départemens méridionaux de France* Sénedette , dans plusieurs autres départemens. Capidolio, en Italie. Physeter, par les Grecs , suivant Rondelet. Mular ou sénedette. Rondelet , Histoire des poissons , première partie, livre 16, char), io, édition de Lyon, i558. 32 LES DAUPHINS1. LE DAUPHIN VULGAIRE3. Ou EL objet a dû frapper l'imagination plus que le dauphin? Lorsque l'homme parcourt le vaste domaine 1 Jetez les yeux sur l'article de cet ouvrage qui est intitulé, Nomencla- ture des cétacées f et sur le tableau des ordres, des genres et des espèces de ces animaux, qui est à la tête de cette Histoire. a Delphinus vulgaris. Bec d'oie. Simon. Camus. Delfino , en Italie. Tumberello, -par les Italiens. Delphin, en Allemagne. Meerschwein , ibid. Tummler, ibid. Delfin , en Pologne. Marsoin, en Danemarck. Springen, en Norvège. Huyser, en Islande» Hofrung, ibid. Leipter , ibid. Dolphin- tuymebaar, en Hollande. Dolphin, en Angleterre. Grampus , ibid. Porpeisse, ibid. PlxS.^aae 2S0 J. ZLd77P7T7W Fufyaïre/. 2 . JLdUPSZJST Jfarsouih; . 3. J?^77PSZ2\r =*faefc. HISTOIRE NATURELLE. 25l que son génie a conquis, il trouve le dauphin sur la surface de toutes les mers; il le rencontre et dans les Delphinus delphis. Linné, édition de Gmelin. Le dauphin. Bonnaterre , planches de U Encyclopédie méthodique. Delphinus corpore oblongo subtereti, rostro attenuato acuto. Artedi 3 gen. 76, syn. io5. Delphis. Schneider y Pétri Artedi Synonymia... . grœca et latina, emen- data 3 aucta atque illustrata 3 etc. p. 14g. Oe h'Kçl;. Aristot. lib. 1, cap. 5 ; lib. 2, cap. i3j lib. 3, cap. I, 7; lib. 4, cap. 8 , 9 et 10 ; lib. 5 , cap. 5 ; lib. 8 , cap. 2 , i3 j lib. 9 , cap. 48 j et paît. lib. 4, cap. i3. Id. Athen. lib. 7, p. 282 ; et lib. 8, p. 353. Li*$TJ. ALlian. lib. 1, cap. 18; lib. 2, cap. 6; lib. 6, cap. i5; lib. 8, cap. 3; lib. 10, cap. 8 ; lib. u, cap. 12 ; et lib. 12 , cap. 6 , 45. Af*f»\-, îiar. Oppiah. lib. 1 , p. i5 , 22 , 25 ; et lib. 2. Delphinus. P///z. lib. 9, cap. 7, 8; lib. 11 , cap. 37; et lib. 32, cap. 11. Id. Wotlon. lib. 8, cap. 194, fol. 171 , b. Id. Gesner, p. 31g; et (germ.) fol. 92, g3, a. Id. Jonston. lib. 5, cap. 2 , a 4, p. 218 , tab. 43, fig. 2,3,4? Thaumal. p. 414. Delphinus prior. AUrovand. Cet. cap. 7, p. 701, 7o3, 704. Delphinus antiquorum. Raj. p. 12. Id. TVillughby 3 p. 28, tab. Ai, fig. r. Delphin. Solin. Polyhistor, cap. 18. Id. Ambros. Eexam. lib. 5, cap. 2,3. Id. C Figul. fol. 5, a-b. Delphinus pinnà in dorso unâ, dentibus acutis , rostro longo acuto. Brisson 3 Regn. anim. p. 36g , n. 1. Delphinus. Bellon 3 Aquatil. p. 7. Dauphin. Rondelet, première partie, liv. 16, ch. 5 (édit. de Lyon i558). Delphinus. Mus. TVormian. p. 288. Id. Chai le t. Exerc. pisc. p. 47. Delphinus. Rzaczyns. Pol. auct. p 238- Id. Klein 3 Miss. pisc. 2 , p. 24 , tab. 3 , fig. A. Porcus mariuus.. Sibbald , Scot. an. p. 23. 202 HISTOIRE NATURELLE climats heureux des zones tempérées, et sous le ciel brûlant des mers équatoriales, et dans les horribles vallées qui séparent ces énormes montagnes de glace que le temps élève sur la surface de l'Océan polaire comme autant de monumens funéraires de la Nature qui y expire : par-tout il le voit, léger dans ses mouve- raens , rapide dans sa natation , étonnant dans ses bonds , se plaire autour de lui , charmer par ses évolutions vives et folâtres l'ennui des calmes prolongés , animer les immenses solitudes de l'océan , disparoître comme l'éclair, s'échapper comme l'oiseau qui fend l'air, re- paroître , s'enfuir , se montrer de nouveau , se jouer avec les flots agités , braver les tempêtes , et ne redouter ni les élémens, ni la distance, ni les tyrans des mers. Revenu dans ces retraites paisibles que son goût s'est plu à orner, il jouit encore de l'image du dauphin que la main des arts a tracée sur les chefs-d'œuvre qu'elle a créés ; il en parcourt la touchante histoire dans les productions immortelles que le génie de la poésie pré- sente a son esprit et à son cœur; et lorsque, dans le Delphin. Anderson 3 Isl. p. 25^.. Id. Cranz, Groenl. p. i5i. Oth. Fabric. Faim. Groenland, p. 4. Midi. Zoolog. Dan. Prodrom. p. 7, n. 55. Dauphin proprement dit. R. R. Castel , édition de Bloch. Dauphin. Valmont-Bomare } Dictionnaire d'histoire naturelle. Delphinus corpore tereti conico elongato , rostro styloïde. Commcrson 3 manuscrits adressés à Bufibn , qui nous les remit lorsqu'il nous engagea à continuer l'Histoire naturelle, et cités dans l'Histoire des poissons, P/ j4 ■ -Payes 2 âz . J. Tête osseuses de/JJLdUPJZZT^^i/ya^e . J2. S JJLdUPMZZV Jfar.ro >i^^— ^— — »— ^— ■ ■■ ■■■■— é— — w— «— i —— ^»<— w^j— ^^— ■—— — » * Leçons d'analomie comparée du citoyen Cuvier* DES DAUPHINS. 26/ à 43; dans le chien, comme 182 est à 69; et dans le dauphin, comme 182 est à 14 \ Ajoutons que le cerveau du dauphin présente des circonvolutions nombreuses , et presque aussi pro- fondes que celles du cerveau de l'homme8; et pour achever de donner une idée suffisante de cet organe, disons qu'il a des hémisphères fort épais ; qu'il couvre le cervelet ; qu'il est arrondi de tous les côtés , et presque deux fois plus large que long; que les éminences ou tubercules nommés testes sont trois fois plus volumi- neux que ceux auxquels on a donné le nom de nates, et que l'on voit presque toujours plus petits que les testes dans les animaux qui vivent de proie 3; et enfin qu'il ressemble au cerveau de l'homme , plus que celui de la plupart des quadrupèdes. Mais les dimensions et la forme du cerveau du dau- phin ne doivent pas seulement rendre plus vraisem- blables quelques-unes des conjectures que l'on a for- mées au sujet de l'intelligence de ce cétacée ; elles pa- roissent prouver aussi une partie de celles auxquelles on s'est livré sur la sensibilité de cet animal. On peut, d'un autre côté, confirmer ces mêmes conjectures par la force de l'odorat du dauphin. Les mammifères les plus sensibles, et particulièrement le chien, jouissent toujours en effet d'un odorat des plus faciles à ébranler; 1 Leçons d'anatomie comparée du citoyen Cuvier. 1 Ibid. 3 Ibid, .268 HISTOIRE NATURELLE et malgré la nature et la position particulière du siège de l'odorat dans les cétaeées \ on savoit dès le temps d'Aristote que le dauphin distinguoit promptement et de très -loin les impressions des corps odorans 2. Sa chair répand une odeur assez sensible, comme celle du crocodile, de plusieurs autres quadrupèdes ovi- pares, et de plusieurs autres habitans des eaux ou des rivages, dont l'odorat est très-fin; et cependant toute odeur trop forte ou étrangère à celles auxquelles il peut être accoutumé, agit si vivement sur ses nerfs , qu'il en est bientôt fatigué, tourmenté et même quel- quefois fortement incommodé; et Pline rapporte qu'un proconsul d'Afrique ajant essajé de faire parfumer un dauphin qui venoit souvent près du rivage et s'appro- choit familièrement des marins, ce cétacée fut pendant quelque temps comme assoupi et privé de ses sens , s'éloigna promptement ensuite, et ne reparut qu'au bout de plusieurs jours 3. Faisons encore observer que la sensibilité d'un ani- mal s'accroît par le nombre des sensations qu'il reçoit, et que ce nombre est, tout égal d'ailleurs, d'autant plus grand, que l'animal change plus souvent de place, et reçoit par conséquent les impressions d'un nombre plus considérable d'objets étrangers. Or le dauphin nage très-fréqnemment et avec beaucoup de rapidité. 1 Article de la baleine franche. 3 Aristot. liist. anini. IV, 8. I Pline, Histoire du monde, liv. IX 7 chap.8. DES DAUPHINS. 269 L'instrument qui lui donne cette grande vitesse , se compose de sa queue et de la nageoire qui la termine. Cette nageoire est divisée en deux lobes, dont chacun n'est que peu échancré, et dont la longueur est telle, que la largeur de cette caudale égale ordinairement deux neuvièmes de la longueur totale du cétacée. Cette nageoire et la queue elle-même peuvent être mues avec d'autant plus de vigueur, que les muscles puissans qui leur impriment leurs mouvemens variés, s'attachent à de hautes apophyses des vertèbres lombaires; et l'on avoit une si grande idée de leur force prodigieuse, que, suivant Rondelet, un proverbe comparoit ceux qui se tourmentent pour faire une chose impossible , à ceux qui veulent lier un dauphin par la queue. C'est en agitant cette rame rapide que le dauphin cingle avec tant de célérité, que les marins l'ont nommé la flèche de la mer. Mon savant et éloquent confrère, le citoyen de Saint-Pierre, membre de l'Institut national, dit, dans la relation de son voyage à File de France (p. 02), qu'il vit un dauphin caracoler autour du vais- seau , pendant que le bâtiment faisoit un myriamètre par heure; et Pline a écrit que le dauphin allait plus vite qu'un oiseau et qu'un trait lancé par une machine puissante. La dorsale de ce cétacée n'ajoute pas à sa vitesse; mais elle peut l'aider à diriger ses mouvemens *. La ^^ — I— — — — — ^ ^ — ■— ^— — — — 1 wammmmm — i ■ ■■ ■■ — * Que l'on veuille bien rappeler ce que nous avons dit dans l'article de- là baleine franche } au sujet de la natation de ce cétacée» 2/0 HISTOIRE NATURELLE hauteur de cette nageoire, mesurée le long de sa cour- bure, est communément d'un sixième de la longueur totale du dauphin , et sa longueur d'un neuvième. Elle présente une échancrure à son bord postérieur, et une inflexion en arrière à son sommet. Elle est située au-dessus des seize vertèbres qui viennent immédiatement après les vertèbres dorsales; et l'on trouve dans sa base une rangée longitudinale de petits os alongés , plus gros par le bas que par le haut, un peu courbés en arrière, cachés dans les mus- cles, et dont chacun, répondant à une vertèbre sans y être attaché, représente un de ces osselets ou ailerons auxquels nous avons vu que tenoient les rayons des nageoires des "poissons*. Mais il ne suffit pas de faire observer la célérité de la natation du dauphin , remarquons encore la fré- quence de ses évolutions. Elles sont séparées par des intervalles si courts, qu'on penseroit que le repos lui est absolument inconnu ; et les différentes impulsions qu'il se donne, se succèdent avec tant de rapidité et produisent une si grande accélération de mouvement, que, d'après Aristote, Pline, Rondelet, et d'autres au- teurs, il s'élance quelquefois assez haut au-dessus de la surface de la mer pour sauter par-dessus les mâts des petits bâtimens. Aristote parle même de la manière * Histoire naturelle des poissons. — Discours sur la nature de ces animaux. DES DAUPHINS. 2yl dont ils courbent avec force leur corps $ bandent , pour ainsi dire , leur queue comme un arc très-grand et très- puissant, et, la détendant ensuite contre les couches d'eau inférieures avec la promptitude de Féclair , jail- lissent en quelque sorte comme la flèche de cet arc , et nous présentent un emploi de movens et des effets semblables à ceux que nous ont offerts les saumons et d'autres poissons qui franchissent, en remontant dans les fleuves, des digues très-élevées '. C'est par un mécanisme semblable que le dauphin se précipite sur le rivage, lorsque, poursuivant une proie qui lui échappe, il se livre à des élans trop impétueux qui l'emportent au-delà du but, ou lorsque, tourmenté par des insectes3 qui pénètrent dans les replis de sa peau et sj attachent aux endroits les plus sensibles, il devient furieux, comme le lion sur lequel s'acharne la mouche du désert, et, aveuglé par sa propre rage, se tourne, se retourne, bondit et se précipite au hasard. Lorsqu'il s'est jeté sur le rivage à une trop grande distance de l'eau pour que ses efforts puissent 1 j rame- ner, il meurt au bout d'un temps plus ou moins long, comme les autres cétacées repoussés de la mer, et lan- cés sur la côte par la tempête ou par toute autre puis- sance. L'impossibilité de pourvoir à leur nourriture, les contusions et les blessures produites par la force du ii 1 Histoire naturelle des poissons. — Histoiie du salmone saumon, 2 Rondelet, article du dauphin» 2/2 HISTOIRE NATURELLE choc qu'ils éprouvent en tombant violemment sur le .rivage, un dessèchement subit dans plusieurs de leurs organes, et plusieurs autres causes, concourent alors à terminer leur vie : mais il ne faut pas croire, avec les anciens naturalistes, que l'altération de leurs évents, dont l'orifice se dessèche, se resserre et se ferme, leur donne seule la mort, puisqu'ils peuvent, lorsqu'ils sont hors de l'eau , respirer très-librement par l'ouverture de leur gueule. Le dauphin est d'autant moins gêné dans ses bonds et dans ses circonvolutions, que son plus grand dia- mètre n'est que le cinquième ou à peu près de sa lon- gueur totale , et n'en est très-souvent que le sixième pendant la jeunesse de l'animal. Au reste, cette longueur totale n'excède guère trois mètres et un tiers. Vers le milieu de cette longueur, entre le nombril et l'anus, est placée la verge du mâle, qui est aplatie, et dont on n'apperçoit ordinairement à l'extérieur que l'extrémité du gland. Il paroît que lorsqu'il s'accouple avec sa femelle, ils se tiennent dans une position plus ou moins voisine de la verticale, et tournés l'un vers l'autre. La durée de la gestation est de dix mois, suivant Aristote : le plus souvent la femelle met bas pendant l'été ; ce qui prouve que l'accouplement a lieu au com- mencement de l'automne , lorsque les dauphins ont reçu toute l'influence de la saison vivifiante, DES DAUPHINS. 2/3 La femelle ne donne le jour qu'à un ou deux petits ; elle les allaite avec soin , les porte sous ses bras pen- dant qu'ils sont encore languissans ou foibles , les exerce à nager, joue avec eux, les défend avec cou- rage, ne s'en sépare pas même lorsqu'ils n'ont plus besoin de son secours, se plaît à leur coté , les accom- pagne par affection, et les suit avec constance, quoique déjà leur développement soit très-avancé. Leur croissance est prompte : à dix ans, ils ont sou- vent atteint à toute leur longueur. Il ne faut pas croire cependant que trente ans soient le terme de leur vie, comme plusieurs auteurs l'ont répété d'après Aristote. Si l'on rappelle ce que nous avons dit de la longueur de la vie de la baleine franche, on pensera facilement avec d'autres auteurs que le dauphin doit vivre très- long-temps, et vraisemblablement plus d'un siècle. Mais ce n'est pas seulement la mère et les dauphins auxquels elle a donné le jour, qui paroissent réunis par les liens d'une affection mutuelle et durable : le mâle passe, dit-on , la plus grande partie de sa vie auprès de sa femelle ; il en est le gardien constant et le défen- seur fidèle. On a même toujours pensé que tous les dauphins en général étoient retenus par un sentiment assez vif auprès de leurs compagnons. On raconte, dit Aristote, qu'un dauphin ajant été pris sur un rivage de la Carie , un grand nombre de cétacées de la même espèce s'approchèrent du port , et ne regagnèrent la pleine mer que lorsqu'on eut délivré le captif qu'on leur avoit ravi. 35 274 HISTOIRE NATURELLE Lorsque les dauphins nagent en troupe nombreuse, ils présentent souvent une sorte d'ordre : ils forment des rangs réguliers ; ils s'avancent quelquefois sur une ligne, comme disposés en ordre de bataille ; et si quel- qu'un d'eux l'emporte sur les autres par sa force ou par son audace, il précède ses compagnons , parce qu'il nage avec moins de précaution et plus de vitesse ; il paroît comme leur chef ou leur conducteur, et fré- quemment il en reçoit le nom des pêcheurs ou des autres marins. Mais les animaux de leur espèce ne sont pas les seuls êtres sensibles pour lesquels ils paroissent concevoir de l'affection; ils se familiarisent du moins avec l'homme. Pline a écrit qu'en Barbarie, auprès de la ville de Hippo DyarrJiite , un dauphin s'avançoit sans crainte vers le rivage, venoit recevoir sa nourriture de la main de celui qui vouloit la lui donner, s'approchoit de ceux qui se baignoient, se livroit autour d'eux à divers mouve- mens d'une gaieté très-vive, souffroit qu'ils montassent sur son dos, se laissoit même diriger avec docilité, et obéissoit avec autant de célérité que de précision *. Quelque exagération qu'il y ait dans ces faits, et quand même on ne devroit supposer , dans le penchant qui entraîne souvent les dauphins autour des vaisseaux , que le désir d'appaiser avec plus de facilité une faim quelquefois très-pressante, on ne peut pas douter qu'ils * Pline, liy. IX, chap. 48. DES DAUPHINS. 27 a %ie se rassemblent autour des bâtimens, et qu'avec tous les signes de la confiance et d'une sorte de satisfaction, ils ne s'agitent, se courbent, se replient, s'élancent au- dessus de l'eau, pirouettent, retombent, boudissent et s'élancent de nouveau pour pirouetter, tomber, bon- dir et s'élever encore. Cette succession ou plutôt cette perpétuité de mouvemens vient de la bonne propor- tion de leurs muscles et de l'activité de leur système nerveux. Ne perdons jamais de vue une grande vérité. Lorsque les animaux , qui ne sont pas retenus, comme l'homme, par des idées morales , ne sont pas arrêtés par la crainte , ils font tout ce qu'ils peuvent faire , et ils agissent aussi long-temps qu'ils peuvent agir. Aucune force n'est inerte dans la Nature. Toutes les causes y tendent sans cesse à produire dans toute leur étendue tous les effets qu'elles peuvent faire naître. Cette sorte d'effort perpétuel , qui se confond avec l'attraction uni- verselle, est la base du principe suivant. Un effet est toujours le plus grand qui puisse dépendre de sa cause, ou, ce qui est la même chose, la cause d'un phéno- mène est toujours la plus foible possible j et cette expression n'est que la traduction de celle par laquelle notre illustre collègue et ami Lagrange a fait connoître son admirable principe de la plus petite action. Au reste, ces mouvemens si souvent renouvelés que présentent les dauphins, ces bonds, ces sauts, ces cir- convolutions, ces manœuvres, ces sigues de force, de 2/6 HISTOIRE NATURELLE légèreté et de l'adresse que la répétition des mêmes actes donne nécessairement , forment une sorte de spectacle d'autant plus agréable pour des navigateurs fatigués depuis long-temps de l'immense solitude et de la triste uniformité des mers, que la couleur des dauphins vulgaires est agréable à la vue. Cette couleur est ordinairement bleuâtre ou noirâtre, tant que l'ani- mal est en vie et dans l'eau ; mais elle est souvent relevée par la blancheur du ventre et celle de la poitrine. Achevons cependant de montrer toutes les nuances que l'on a cru remarquer dans les affections de ces animaux. Les anciens ont prétendu que la familiarité de ces cétacées étoit plus grande avec les en fans qu'avec l'homme avancé en âge. Mécénas-Fabius et Flavius- Alfius ont écrit dans leurs chroniques, suivant Pline, qu'un dauphin qui avoît pénétré dans le lac Lucrin , recevoit tous les jours du pain que lui donnoit un jeune eufant , qu'il accouroit à sa voix, qu'il le portoit sur son dos, et que l'enfant ayant péri, le dauphin, qui ne revit plus son jeune ami , mourut bientôt de chagrin. Le naturaliste romain ajoute des faits semblables arrivés sous Alexandre de Macédoine, ou racontés par Egési- dème et par Théophraste. Les anciens enfin n'ont pas balancé à supposer dans les dauphins pour les jeunes gens, avec lesquels ils pouvoient jouer plus facilement qu'avec des hommes faits, une sensibilité, une affec- tion et une constance presque semblables à celles dont le chien nous donne des exemples si toucha ns, DES DAUPHINS. 277 Ces cétacées, que l'on a voulu représenter comme susceptibles d'un attachement si vif et si durable, sont néanmoins des animaux carnassiers. Mais n'oublions pas que le chien, ce compagnon de l'homme, si tendre, si fidèle et si dévoué, est aussi un animal de proie ; et qu'entre le loup féroce et le doux épagneul, il nj a d'autre différence que les effets de l'art et de la do- mesticité. Les dauphins se nourrissent donc de substances ani- males : ils recherchent particulièrement les poissons; ils préfèrent les morues, les églefins, les persèques, les pleuronectes; ils poursuivent les troupes nombreuses de muges jusqu'auprès des filets des pêcheurs; et, à cause de cette sorte de familiarité hardie, ils ont été considérés comme les auxiliaires de ces marins, dont ils ne vouloient cependant qu'enlever ou partager la proie. Pline et quelques autres auteurs anciens ont cru que les dauphins ne pouvoient rien saisir avec leur gueule, qu'en se retournant et se renversant presque sur leur dos; mais ils n'ont eu cette opinion, que parce qu'ils ont souvent confondu ces cétacées avec des squales, des acipensères, ou quelques autres grands poissons. Les dauphins peuvent chercher la nourriture qui leur est nécessaire , plus facilement que plusieurs autres habitans des mers. Aucun climat ne leur est contraire. On les a vus non seulement dans l'Océan atlantique septentrional, mais encore dans le grand Océan équi- 2/8 HISTOIRE NATURELLE noxial, auprès des côtes de la Chine, près des rivages de l'Amérique méridionale, dans les mers qui baignent l'Afrique, dans toutes les grandes méditerranées, dans celle particulièrement qui arrose et l'Afrique et l'Asie et l'Europe. Il est des saisons où ils paroissent préférer la pleine mer au voisinage des côtes. On a remarqué ' qu'ordinai- rement ils voguoient contre le vent ; et cette habitude, si elle étoit bien constatée, ne proviendroit-elle pas du besoin et du désir qu'ont ces animaux d'être avertis plus facilement, par les émanations odorantes que le vent apporte à l'organe de leur odorat, de la présence des objets qu'ils redoutent ou qu'ils recherchent? On a dit qu'ils bondissoient sur la surface de la mer avec plus de force, de fréquence et d'agilité, lorsque la tempête menaçoit, et même lorsque le vent devoit succéder au calme2. Plus on fera de progrès dans la phy- sique, et plus on s'appercevra que l'électricité de l'air est une des plus grandes causes de tous les changemens que l'atmosphère éprouve. Or tout ce que nous avons déjà dit de l'organisation et des habitudes des dauphins, doit nous faire présumer qu'ils doivent être très-sen- sibles aux variations de l'électricité atmosphérique. Nous vojons dans Oppien et dans Élien , que les ' Dom Pernetty , Histoire d'un voyage aux îles Malouines , tome I , pages 97 et suiv. 1 Voyez le Voyage à l'île de France^ de mon célèbre confrère le citoyea de Saint-Pierre. DES DAUPHINS. 279 Anciens habita ns de Byzance et de la Thrace poursui- voient les dauphins avec des tridents attachés à de longues cordes, comme les harpons dont on est armé maintenant pour la pêche des baleines franches et de ces mêmes dauphins. Il est des parages où ces derniers cétacées sont assez nombreux pour qu'une grande quantité d'huile soit le produit des recherches dirigées contre ces animaux. On a écrit- qu'il falioit compter parmi ces parages, les environs des rivages de la Co- chinchine. Les dauphins n'ayant pas besoin d'eau pour res- pirer, et ne pouvant même respirer que dans l'air, il n'est pas surprenant qu'on puisse les conserver très- long-temps hors de l'eau, sans leur faire perdre la vie. Ces cétacées ayant pu être facilement observés , et ayant toujours excité la curiosité du vulgaire, l'inté- rêt des marins, l'attention de l'observateur, on a remarqué facilement toutes leurs propriétés , tous leurs attributs, tous leurs traits distinctifs ; et voilà pourquoi plusieurs naturalistes ont cru devoir comp- ter dans l'espèce que nous décrivons , des variétés plus ou moins constantes. On a distingué les dauphins d'un brun livide *; ceux qui ont le dos noirâtre, avec les côtés et le ventre d'un gris de perle moucheté de noir; ceux dont la couleur est d'un gris plus ou moins * Notes manuscrites de Commerson , remises à Buffon , qui dans Je temps a bien voulu me les communiquer. 280 HISTOIRE NATURELLE foncé ; et enfin ceux dont toute la surface est d'un blanc éclatant comme celui de la neige. Mais nous venons de voir le dauphin de la Nature; voyons celui des poètes. Suspendons un moment l'his- toire de la puissance qui crée, et jetons les yeux sur les arts qui embellissent. Nous voici dans l'empire de l'imagination ; la raison éclairée, qu'elle charme, mais qu'elle n'aveugle ni ne séduit, saura distinguer dans le tableau que nous allons essayer de présenter, la vérité parée des voiles brillans de la fable. Les anciens habitans des rives fortunées de la Grèce connoissoient bien le dauphin : mais la vivacité de leur génie poétique ne leur a pas permis de le peindre tel qu'il est; leur morale religieuse a eu besoin de le méta- morphoser et d'en faire un de ses types. Et d'ailleurs , la conception d'objets chimériques leur étoit aussi nécessaire que le mouvement l'est au dauphin. L'esprit, comme le corps, use de toutes ses forces, lorsqu'aucun obstacle ne l'arrête; et les imaginations ardentes n'ont pas besoin des seutimens profonds ni des idées lu- gubres que fait naître un climat horrible, pour inven- ter des causes fantastiques, pour produire des êtres surnaturels, pour enfanter des dieux. Le plus beau ciel a ses orages ; le rivage le plus riant a sa mélancolie. Les champs thessaliens, ceux de l'Attique et du Pélopon- nèse, n'ont point inspiré cette terreur sacrée, ces noirs pressenlimens , ces tristes souvenirs qui ont élevé le trône d'une sombre mythologie au milieu de palais de DES DAUPHINS. 28 i nuages et de fantômes vaporeux, au-dessus des promon- toires menaçans, des lacs brumeux et des froides forêts delà valeureuse Calédonie, ou de l'héroïque Hibernie: mais la vallée de Tempe, les pentes fleuries de l'Hy- roète, les rives de l'Eurotas, les bois mystérieux de Delphes , et les heureuses Cyclades, ont ému la sensi- bilité des Grecs par tout ce que la Nature peut offrir de contrastes pittoresques, de pavages romantiques, de tableaux majestueux, de scènes gracieuses, de monts verdovaus, de retraites fortunées, d'images attendris- santes, d'objets touchans, tristes, funèbres même, et cependant remplis de douceur et de charmes. Les bos- quets de l'Arcadie ombrageoient des tombeaux; et les tombeaux étoient cachés sous des tiges de roses. La mythologie grecque, variée et immense comme la belle Nature dont elle a reçu le jour, a dû soumettre tous les êtres à sa puissance. Auroit-elle pu dès-lors ne pas étendre son in- fluence magique jusque sur le dauphin? Mais si elle a changé ses qualités, elle n'a pas altéré ses formes. Ce n'est pas la nrythologie qui a dénaturé ses traits; ils ont été métamorphosés par l'art de la sculpture encore dans son enfance, bientôt après la fin de ces temps fameux auxquels la Grèce a donné le nom d'héroïques. J'adopte à cet égard l'opinion de mon illustre confrère Visconti, de l'Institut national ; et voici ce que pense à ce sujet ce savant interprète de l'antiquité*. * Lettre du citoyen Visconti à Lacepède. 36 282 HISTOIRE NATURELLE On adoroit Apollon à Delphes , non seulement sous le nom de Delphlque et de Pythien, mais encore sous celui de Delphinlen ( DelphiniosJ. On racontoit, pour rendre raison de ce titre, que le dieu s'étoit montré sous la forme d'un dauphin aux Cretois qu'il avoit obli- gés d'aborder sur le rivage de Delphes , et qui y avoient fondé l'oracle le plus révéré du monde connu des Grecs. Cette fable n'a eu peut-être d'autre origine que la res- semblance du nom de Delphes avec celui du dauphin (delphin) ; mais elle est de la plus haute antiquité, et on en lit les détails dans l'hymne à l'honneur d'Apollon, que l'on attribue à Homère. Le citoyen Visconti regarde comme certain que Y Apollon delphinius adoré à Delphes avoit des dauphins pour symboles. Des figures de dau- phins dévoient orner son temple; et comme les déco- rations de ce sanctuaire remontoient aux siècles les plus reculés, elles dévoient porter l'empreinte de l'en- fance de l'art. Ces figures inexactes, imparfaites, gros- sières , et si peu semblables à la nature, ont été ce- pendant consacrées par le temps et par la sainteté de l'oracle. Les artistes habiles qui sont venus à l'époque où la sculpture avoit déjà fait des progrès, n'ont pas osé corriger ces figures d'après des modèles vivans ; ils se sont contentés d'eu embellir le caractère, d'en agran- dir les traits , d'en adoucir les contours. La forme bi- zarre des dauphins dclpJiûptcs a passé sur les monu- mens des anciens, s'est perpétuée sur les productions des peuples modernes; et si aucun des auteurs qui ont Q DES DAUPHINS. 28b décrit le temple de Delphes, n'a parlé de ces dauphins sculptés par le ciseau des plus anciens artistes grecs, c'est que ce temple d'Apollon a été pillé plusieurs fois, et que, du temps de Pausanias , il ne restoit aucun des anciens ornemens du sanctuaire. Les peintres et les sculpteurs modernes ont donc re- présenté le dauphin, comme les artistes grecs du temps d'Homère, avec la queue relevée, la tête très-grosse, la gueule très-grande , etc. Mais sous quelques traits qu'il ait été vu , les historiens l'ont célébré, les poètes l'ont chanté, les peuples l'ont consacré à la divinité qu'ils adoroient. On l'a respecté comme cher, non seu- lement à Apollon et à Bacehus, mais encore à Nep- tune, qu'il avoit aidé, suivant une tradition religieuse rapportée par Oppien, à découvrir son Amphitrite lors- que, voulant conserver sa virginité, elle s'étoit enfuie jusque dans l'Atlantide. Ce même Oppien l'a nommé le ministre du Jupiter marin ; et le titre de hieros ichthys (poisson sacré) lui a été donné dans la Grèce. On a répété avec sensibilité l'histoire de Phalante sauvé par un dauphin , après avoir fait naufrage près des côtes de l'Italie. On a honoré le dauphin , comme un bienfaiteur de l'homme. On a conservé comme une allégorie touchante , comme un souvenir consolateur pour le génie malheureux, l'aventure d'Arion , qui, menacé de la mort par les féroces matelots du navire sur lequel il étoit monté, se précipita dans la mer, fut accueilli par un dauphin que le doux son de sa lyre 28zj. HISTOIRE NATURELLE avoît attiré, et fut porté jusqu'au port voisin par cet animal attentif, sensible et reconnoissant. On a nommé barbares et cruels, les Thraces et les autres peuples qui donnoient la mort au dauphin. Toujours en mouvement, il a paru parmi les habi- tans de l'océan, non seulement le plus rapide, mais le plus ennemi du repos; on l'a cru l'emblème du génie qui crée, développe et conserve, parce que son activité soumet le temps, comme son immensité domine sur l'espace; on l'a proclamé le roi de la mer. L'attention se portant de plus en plus vers lui, il a partagé avec le cygne * l'honneur d'avoir suggéré la forme des premiers navires, par les proportions déliées de son corps si propre à fendre l'eau, et par la position ainsi que par la figure de ses rames si célères et si puissantes. Son intelligence et sa sensibilité devenant chaque jour l'objet d'une admiration plus vive , on a voulu leur attribuer une origine merveilleuse : les dauphins ont été des hommes punis par la vengeance céleste, dé- chus de leur premier état, mais conservant des traits de leur première essence. Bientôt on a rappelé avec plus de force qu'Apollon avoit pris la figure d'un dauphin pour conduire vers les rives de Delphes sa colonie chérie. Neptune, disoit-on , s'étoit changé en dauphin pour enlever Mélantho, comme Jupiter s'étoit métamorphosé L !■■ ■ ■ ■ " — ' I ■ M. 1 1 I I I .1 I ■ I II ..I. ■ , I. ■ I ■■« 111 ■ I ■ !■— — ^— ■■■ »■'■■ I ■ ■ ■ 1^—^^=» * Voyez l'article du cygne par Bufîbn. DES DAUPHINS. 280 en taureau pour enlever Europe. On se représentoit la beauté craintive, mais animée par l'amour, parcourant la surface paisible des mers obéissantes, sur le dos du dauphin dieu qu'elle avoit soumis à ses charmes. Nep- tune a été adoré à Sunium, sous la forme de ce dau- phin si cher à son amante. Le dauphin a été plus que consacré : il a été divinisé. Sa place a été marquée au rang des dieux • et on a vu le dauphin céleste briller parmi les constellations. Ces opinions pures ou altérées ayant régné avec plus ou moins de force dans les différentes contrées dont les fleuves roulent leurs eaux vers le grand bassin de la Méditerranée, est-il surprenant que le dauphin ait été pour tant de peuples le symbole de la mer; qu'on ait représenté l'Amour un dauphin dans une main et des fleurs dans l'autre, pour montrer que son empire s'étend sur la terre et sur l'onde; que le dauphin entortillé autour d'un trident ait indiqué la liberté du commerce; que, placé autour d'un trépied, il ait désigné le collège de quinze prêtres qui desservoit à Rome le temple d'Apollon; que, caressé par Neptune, il ait été le signe de la tranquillité des flots, et du salut des navigateurs; que disposé autour d'une ancre, ou mis au-dessus d'un bœuf à face humaine, il ait été le signe hiéroglyphique de ce mélange de vitesse et de lenteur dans lequel on a fait consister la prudence, et qu'il ait exprimé cette maxime favorite d'Auguste, Hâte-toi lentement, que cet empereur emplojoit comme devise, même dans ses 2û6 HISTOIRE NATURELLE lettres familières; que les chefs des Gaulois aient en le dauphin pour emblème ; que son nom ait été donné à un grand pays et à des dignités éminentes; qu'on le voie sur les antiques médailles de Tarente, sur celles de Paestum dont plusieurs le montrent avec un enfant ailé ou non ailé sur le dos, sur les médailles de Corinthe qui donnent à sa tète ses véritables traits*, et sur celles d'^Cgium en Achaïe, d'Eubée, de Nisyros, de Byzan- tium, de Brïndes , de Larinum , de Lipari , de Syracuse, deThéra, de Vélia, de Cartéja en Espagne, d'Alexandre, de Néron, de Vitcllius, de Vespasien, de Tite; que le bouclier d'Ulysse , son anneau et son épée , en aient offert l'image; qu'on ait élevé sa figure dans les cirques; et qu'on l'ait consacré à la beauté céleste , en le mettant aux pieds de cette Vénus si parfaite, que l'on admire dans le musée Napoléon? * Je m'en suis assuré, eu examinant, avec feu mon respectable ami l'illustre auteur du Voyage d'Anacharsis , la précieuse collection des médailles qui appartiennent à la nation françoise. DES DAUPHINS. 287 LE DAUPHIN MARSOUIN *. Le marsouin ressemble beaucoup au dauphin vulgaire; il présente presque les mêmes traits; il est cloué des * Delphinus phocœna. Marsouin franc. Maris sus. Tursio. Marsopa, en Espagne. PorpuSj en Angleterre. Porpesse ou porpoisse , ibid. Bruinvisch , en Hollande. Tonyn , ibid. Zee-vark , ibid. Meerschwaim , en Allemagne. Braunfisch , ibid. Swinia-morska , en Pologne. Morskaja-swinja, en Russie. Marswin, en Suède. Trumblare , ibid. Marswin , en DanemarcJc. Turnler, ibid. Nise , en Norvège. Nisa, en Groenland. Brunskop , en Islande. Himdfiskur , ibid. Delphinus phocœna. Linné , édit. de Gmelin. Dauphin marsouin. Bonnaterre 3 planches de l'Encyclopédie métlio** dique. Marsouin, Ménagerie du Muséum d'histoire naturelle (Cuvier). 288 HISTOIRE NATURELLE mêmes qualités ; il offre les mêmes attributs ; il éprouve les mêmes affections : et cependant, quelle différence dans leur fortune! le dauphin a été divinisé, et le marsouin porte le nom de pourceau de la mer. Mais le marsouin a reçu son nom de marins et de pêcheurs grossiers: le dauphin a dû sa destinée au génie poétique de la Grèce si spirituelle ; et les Muses. , qui seules Faim» Suecic. 5i. Delphi A us corpore ferè coniformi, dorso lato, rostro subacuto. Artedi, gen. 74, syn. 104. Parvus delphinus., vel delphin Septentrionalium aut Orientalium. Scho- neveld. p. 77. CH çâxuiia. Aristoi. lib. 6, cap. 125 et lib. 8, cap. i3. Marsouin , tursio. Bellon , Aquat. p. 16. Id. Rondelet, liv. 16, chap. 6, édit. de Lyon, i558. Phocaena. TVotton } lib. 8, cap. 194, fol. 172, a. Id. Jonston , lib. 5, cap. 2, a. 5, p. 220, tab. 4L Id. Vrrillughby 3 Fisc. p. 3r , tab. A. I , fig. 2. Id. Raj. Fisc p. i3. Phocaena sive tursio. Gesner, Aquat. p. 837; et (germ.) fol. 96, b. Phocaena. Aldrovand. Pise. p. 719, fig. p. 720. Delphinus phocaena, pinnâ in dorso unâ, dentibus acutis, rostro brevi obtuso. Brisson 3 Regn. anim, p. 871, n. 2. Marsouin (delphinus phocaena). Bloch , Histoire des poissons , pi. 92. Klein, Miss. pisc. 1 , p. 24 , et % , p. 26, lab. 2 A, B, 3 R. Phocaena. Sibbald. Scot. an. p. 23. Rzacz. Fol. A net. p. 245. Meerscliwein, oder tunin. Mart. Spitzb, p. 92. Id. Anderson. Island. p. 253. Id. Crantz , Groenland, p. i5r. Niser, ou le marsouin. Eggede , Groenland, p. 60. Delphin , oder nisen. Gunner, Act. Nidros. 2, p. 287, tab. 4. Oth. Fabric. Faun. Groenland, p. 46. DES DAUPHINS. 28g accordent la gloire à l'homme , donnent seules de l'éclat aux autres ouvrages de la Nature. L'ensemble formé par le corps et la queue du mar- souin représente un cône très-alongé. Ce cône n'est cependant pas assez régulier pour que le dos ne soit pas large et légèrement aplati. Vers les deux tiers de la longueur du dos, s'élève une nageoire assez peu échan- crée par-derrière, et assez peu courbée dans le haut, pour paroitre de loin former un triangle rectangle. La tête un peu renflée au-dessus des jeux ressemble d'ail- leurs à un cône très-court , à sommet obtus , et dont la base seroit opposée à celle du cône alongé que for- ment le corps et la queue. Les deux mâchoires, presque aussi avancées l'une que l'autre, sont dénuées de lèvres proprement dites, et garnies chacune de dents petites, un peu aplaties, tranchantes , et dont le nombre varie depuis quarante jusqu'à cinquante. La langue, presque semblable à celle du dauphin vulgaire, est molle, large, plate, et comme dentelée sur ses bords. La pjramide du larynx est formée par l'épiglotte et parles cartilages arythénoïdes, qui sont joints ensemble de manière qu'il ne reste qu'une petite ouverture située vers le haut. De très-habiles anatomistes ont conclu de cette con- formation, que le marsouin ne pouvoit faire entendre qu'une sorte de frémissement ou de bruissement sourd. 27. 2gO HISTOIRE NATURELLE Cependant, en réfléchissant sur les qualités essentielles du son, sur les différentes causes qui peuvent le pro- duire, sur les divers instrumens sonores que Ton a imaginés ou que la Nature a formés, on verra, je crois? ainsi que je chercherai à le montrer dans un ouvrage différent de celui-ci, que l'appareil le plus simple et en apparence le moins sonore peut faire naître de véri- tables sons, très-faciles à distinguer du bruissement, du frémissement , ou du bruit proprement dit, et entière- ment semblables à ceux que l'homme profère. D'ailleurs, que l'on rappelle ce que nous avons dit dans les articles de la baleine franche , de la jubarte, du cachalot macro- céphale , et qu'on le rapproche de ce qu'Aristote et plu- sieurs autres auteurs ont écrit d'une espèce de gémis- sement que le marsouin fait entendre. L'orifice des évents est placé au-dessus de l'espace qui sépare l'œil de l'ouverture de la bouche. 11 représente un croissant; et sa concavité est tournée vers le museau. Les yeux sont petits, et situés à la même hauteur que les lèvres. Une humeur muqueuse enduit la surface intérieure des paupières, qui sont très-peu mobiles. L'iris est jaunâtre, et la prunelle paroît souvent trian- gulaire. Au-delà de l'œil, très-près de cet organe et à la même hauteur, est l'orifice presque imperceptible du canal auditif. La nageoire pectorale répond au milieu de l'espace qui sépare l'œil de la dorsale : mais ce bras est situé DES DAUPHINS. 2(Jl très-bas; ce qui rabaisse le centre d'action et le centre de gravité du marsouin, et donne à ce cétacée la faculté de se maintenir, en nageant, dans la position la plus convenable. Un peu au-delà de la fossette ombilicale , on découvre une fente longitudinale, par laquelle sort la verge du mâle, qui, cylindrique près de sa racine, se coude ensuite, devient conique, et se termine en pointe. Les testicules sont cachés ; le canal déférent est replié avant d'entrer dans l'urètre. Le marsouin n'a pas de vésicule séminale, mais une prostate d'un très-grand volume. Les muscles des corps caverneux s'attachent aux petits os du bassin. Le vagin de la femelle est ridé transversalement. L'anus est presque aussi éloigné des parties sexuelles que de la caudale, dont les deux lobes sont échancrés, et du milieu de laquelle part une petite saillie longitu- dinale, qui s'étend le long du dos, jusqu'auprès de la dorsale. Un bleu très-foncé ou un noir luisant règne sur la partie supérieure du marsouin, et une teinte blanchâtre sur sa partie inférieure. Un épiderme très-doux au toucher, mais qui se dé- tache facilement, et une peau très-lisse, recouvrent une couche assez épaisse d'une graisse très-blanche. Le premier estomac , auquel conduit l'œsophage qui a des plis longitudinaux très-profonds, est ovale, très-grand, très-ridé en-dedans, et revêtu à l'inté- rieur d'une membrane veloutée très-épaisse. Le pylore 2Cj2 HISTOIRE NATURELLE de cet estomac est garni de rides très-saillantes et fortes, qui ne peuvent laisser passer que des corps très- peu volumineux, interdisent aux alimeus tout retour vers l'œsophage, et par conséquent empêchent toute véritable rumination. Un petit sac, ou, si on le veut, un second estomac conduit dans un troisième, qui est rond, et presque aussi grand que le premier. Les parois de ce troisième estomac sont très-épaisses, composées d'une sorte de pulpe assez homogène, et d'une membrane veloutée lisse et fine; et les rides longitudinales qu'elles pré- sentent, se ramifient, pour ainsi dire, en rides obliques. Un nouveau sac très-petit conduit à un quatrième estomac membraneux, criblé de pores, conformé comme untujau, et contourné en deux sens opposés. Le cin- quième, ridé et arrondi, aboutit à un canal intestinal, qui, plissé longitudinalement et très-profondément, n'offre pas de cœcum , va, en diminuant de diamètre, jusqu'à l'anus, est très-mince auprès de cet orifice, et peut avoir, suivant Major, une longueur égale à douze fois la longueur du cétacée *. Les reins ne présentent pas de bassinet, et sont par- tagés en plusieurs lobes. Le foie n'en a que deux; ces deux lobes sont très-peu divisés : il n'j a pas de vésicule du fiel. * On doit consulter le savant et intéressant article publié par mon confrère Cuvier, sur le marsouin, dans la Ménagerie du Muséum d'his- ioire naturelle. DES DAUPHINS. 2g3 Le canal hépatique aboutit au dernier estomac; et c'est dans cette même cavité que se rend le canal pan- créatique. On compte jusqu'à sept rates inégales en volume, dont la plus grande a la grosseur d'une châtaigne, et la plus petite , celle d'un pois. Le cerveau est très-grand à proportion du volume total de l'animal; et si l'on excepte les singes et quel- ques autres quadrumanes, il ressemble à celui de l'homme, plus que le cerveau d'aucun quadrupède, notamment par sa largeur, sa convexité, le nombre de ses circonvolutions, leur profondeur, et sa saillie au- dessus du cervelet. Les vertèbres du cou sont au nombre de sept, et les dorsales de treize. Mais le nombre des vertèbres lom-> baires , sacrées et coccygiennes, paroît varier : ordinai- rement cependant il est de quarante-cinq ou quarante- six; ces trois sortes de vertèbres occupent alors trente- sept cinquantièmes de la longueur totale de la colonne vertébrale ; et les vertèbres du cou n'en occupent pas deux. Au reste , les apophyses transversales des vertèbres lombaires sont très-grandes; ce qui sert à expliquer la force que le marsouin a dans sa queue. Ce cétacée a de chaque côté treize côtes , dont six seulement aboutissent au sternum , qui est un peu re- courbé et comme divisé en deux branches. Mais considérons de nouveau l'ensemble du mar- souin, 2C)/j. HISTOIRE NATURELLE Nous verrons que sa longueur totale peut aller jus- qu'à plus de trois mètres , et son poids à plus de dix mj riagra m mes. La distance qui sépare l'orifice des évents, de l'extré- mité du museau , est ordinairement égale aux trois vingt-sixièmes de la longueur de l'animal; la longueur de la nageoire pectorale égale cette distance; et la lar- geur de la nageoire de la queue atteint presque le quart de la longueur totale du cétacée. Cette grande largeur de la caudale, cette étendue de la rame principale du marsouin, ne contribuent pas peu à cette vitesse étonnante que les navigateurs ont remarquée dans la natation de ce dauphin , et à cette vivacité de mouvemens , qu'aucune fatigue ne paroît suspendre, et que l'œil a de la peine à suivre. Le marsouin , devant lequel les flots s'ouvrent , pour ainsi dire, avec tant de docilité, paroît se plaire à sur- monter l'action des courans et la violence des vagues que les grandes marées poussent vers les côtes ou ra- mènent vers la haute mer. Lorsque la tempête bouleverse l'océan , il en parcourt la surface avec facilité , non seulement parce que la puissance électrique, qui , pendant les orages, règne sur la mer comme dans l'atmosphère, le maîtrise, l'anime, l'agite , mais encore parce que la force de ses muscles peut aisément contre-balancer la résistance des ondes soulevées. Il joue avec la mer furieuse. Pourroit-on être étonné DES DAUPHINS. 2()5 qu'il s'ébatte sur l'océan paisible, et qu'il se livre pen- dant le calme à tant de bonds , d'évolutions et de manœuvres? Ces mouvemens, ces jeux, ces élans, sont d'autant plus variés, que l'imitation, cette force qui a tant d'em- pire sur les êtres sensibles, les multiplie et les modifie. Les marsouins en effet vont presque toujours en troupes. Ils se rassemblent sur-tout dans le temps de leurs amours : il n'est pas rare alors de voir un grand nombre de mâles poursuivre la même femelle ; et ces mâles éprouvent dans ces momens de trouble une ar- deur si grande, que, violemment agités, transportés, et ne distinguant plus que l'objet de leur vive recherche, ils se précipitent contre les rochers des rivages , ou s'élancent sur les vaisseaux, et sj laissent prendre avec assez de facilité, pour qu'on pense en Islande qu'ils sont, au milieu de cette sorte de délire, entièrement privés de la faculté de voir. Ce temps d'aveuglement et de sensations si impé- rieuses se rencontre ordinairement avec la fin de l'été. La femelie reçoit le mâle favorisé en se renversant sur le dos , en le pressant avec ses pectorales, ou , ce qui est la même chose, en le serrant dans ses bras. Le temps de la gestation est, suivant Anderson et quelques antres observateurs, de six mois; il est de dix mois lunaires, suivant Aristote et d'autres auteurs an- ciens ou modernes; et cette dernière opinion paroît la seule conforme à l'observation, puisque communément 2yC HISTOIRE NATURELLE les jeunes marsouins Tiennent au jour vers féquînoxe d'été. La portée n'est le plus souvent que d'un petit, qui est déjà parvenu à une grosseur considérable lorsqu'il voit la lumière, puisqu'un embryon tiré du ventre d'une femelle, et mesuré par Klein, avoit près de six déci- mètres de longueur. Le marsouin nouveau-né ne cesse d'être auprès de sa mère, pendant tout le temps où il a besoin de teter ; et ce temps est d'une année, dit Otho Fabricius. Il se nourrit ensuite, comme ses père et mère, de poissons qu'il saisit avec autant d'adresse qu'il les pour- suit avec rapidité. On trouve les marsouins dans la Baltique; près des côtes du Groenland et du Labrador; dans le golfe Saint- Laurent , dans presque tout l'Océan atlantique; dans le grand Océan; auprès des îles Gallapagos, et du golfe de Panama, où le capitaine Colnett en a vu une quan- tité innombrable; non loin des rivages occidentaux du Mexique et de la Californie: ils appartiennent à presque toutes les mers. Les anciens les ont vus dans la mer Noire ; mais on croiroit qu'ils les ont très-peu ob- servés dans la Méditerranée. Ces cétacées paroissent plus fréquemment en hiver qu'en été dans certains pa- rages ) et dans d'autres, au contraire, ils se montrent pendant l'été plus que pendant l'hiver. Leurs courses ni leurs jeux ne sont pas toujours pai- sibles. Plusieurs des tyrans de l'océan sont assez forts DES DAUPHINS. 297 pour troubler leur tranquillité ; et ils ont particulière- ment tout à craindre du phjsétère microps, qui peut si aisément les poursuivre, les atteindre, les déchirer et les dévorer. Ils ont d'ailleurs pour ennemis un grand nombre de pêcheurs, des coups desquels ils ne peuvent se pré- server, malgré la promptitude avec laquelle ils dis- paroissent sous l'eau pour éviter les traits, les harpons ou les balles. Les Hollandois, les Danois, et la plupart des marins de l'Europe, ne recherchent les marsouins que pour l'huile de ces cétacées ; mais les Lapons et les Groenlan- dois se nourrissent de ces animaux. Les Groenlandois, par exemple, en font bouillir ou rôtir la chair, après l'avoir laissée se corrompre en partie et perdre de sa dureté ; ils en mangent aussi les entrailles, la graisse, et même la peau. D'autres salent ou font fumer la chair des marsouins. Les navigateurs hollandois ont distingué dans l'es- pèce du marsouin, une variété qui ne diffère des mar- souins ordinaires que par sa petitesse ; ils font nommée oitette. 38 2g8 HISTOIRE NATURELLE LE DAUPHIN ORQUE Cj e nom d'orque nous rappelle plusieurs de ces fictions enchanteresses que nous devons au génie de la poésie, Il retrace aux imaginations vives, il réveille dans les cœurs sensibles, les noms fameux et les aventures tou- chantes, et d'Andromède et de Persée, et d'Angélique et de Roland; il porte notre pensée vers l'immortel Arioste couronné au milieu des grands poètes de l'antiquité. Ne repoussons jamais ces heureux souvenirs: ne rejetons pas les rieurs du jeune âge des peuples; elles peuvent embellir l'autel de la Nature , sans voiler son image * Delphinus orca. Epaulard. Oudre. Dorque, dans -plusieurs départemens méridionaux de France. Grampus, en Angleterre (voyez, au sujet de ce nom grampus , l'ouvrage du savant Schneider sur la Synonymie d'Artédi, page i55). Fann-fiskar-hnydengen, en Islande. Spekhiigger, en Norvège. Hval hund^ ibid. Springer, ibid. Orc-svin, en Danemarck. Tandthoye , ibid. Opare, en Suède. Kosatky , en Russie. JPl.iS.Pay^ zyS. -m!>j.,M.i*.ip.l«m «.t «.■■» ^. D^UPHUST Orgues. 2 . 2?^77PMDV JVes arzuœk . 3. D^UPSZISr J^ntric /, des dauphins. 29g auguste. Disons cependant, pour ne rien dérober à la vérité, que Torque des naturalistes modernes n'est pas le tyran des mers qui a pu servir de type pour les ta- bleaux de l'ancienne mythologie , ou de la féerie qui l'a remplacée. Nous avons vu en écrivant l'histoire du physétère microps , que ce cétacée auroit pu être ce modèle. L'orque néanmoins jouit d'une grande puissance • elle exerce un empire redoutable sur plusieurs habitans de l'océan. Sa longueur est souvent de plus de huit mè- tres , et quelquefois de plus de dix ; sa circonférence , dans l'endroit le plus gros de son corps, peut aller jus- qu'à cinq mètres; et même, suivant quelques auteurs, sa largeur égale plus de la moitié de sa longueur. On la trouve dans l'Océan atlantique, où on l'a vue, Delphinus orca. Linné , édition de Gmelin. Epaulard ou oudre. Bloch, édition de Castel. Le dauphin epaulard. Bonnaterre 3 planches de l'Encyclopédie métho- dique. Delphinus rostro sursum repando, etc. Mantissa, M. 2, p. 5a3. Id. Artedi, gen. 76, syn. 106. Faun. Suecic. S2. Gunn. Act,. Nidros. 4, p. no. Balaena ruinor, utrâque maxillâ dentatâ, Sibbaldi. Raj. p. i5. Delphinus (orca) pinnâ in dorso unâ, dentibus obtusis. Briss. Regn. anim. p. 373 , n. 4. Orca. BtlLon, Aquat. p. 16, fig. p. 18. Espaular. Rondelet , première partie, liv. 16, chap. 9. Millier, Zoolog. Dan. Prodrom. p. 8, n. 5j. Oih. Fabric. Faun. Groenland. 46. Hunier, Transact. philos, année 1787. OOO HISTOIRE NATURELLE auprès du pôle boréal, dans le détroit de Davis, verg l'embouchure de la Tamise, ainsi qu'aux environs du pôle antarctique; et elle a été observée par le capitaine Colnett dans le grand Océan , auprès du golfe de Panama '. Le voisinage de l'équateur et celui des cercles polaires peuvent donc lui convenir ; elle peut donc appartenir à tous les climats. La couleur générale de ce cétacée est noirâtre; la gorge, la poitrine, le ventre, et une partie du dessous de la queue, sont blancs ; et l'on voit souvent derrière l'œil une grande tache blanche. La nageoire de la queue se divise en deux lobes dont chacun est échancré par-derrière; la dorsale, placée de manière à correspondre au milieu du ventre, a quelquefois près d'un mètre et demi de hauteur. La tête se termine par un museau très-court et arrondi: elle est d'ailleurs très-peu bombée; et même, lorsqu'on Ta dépouillée de ses tégumens, le crâne paroît non seulement très-aplati, mais encore un peu concave dans sa partie supérieure \ La mâchoire d'en-haut est un peu plus longue que celle d'en-bas : mais cette dernière est beaucoup plus 1 A Voyage ta the south Atlantic for the purpose of extending the sperma ceti whale fisheries > etc. $ by captain James Colnett. London , 1798. a On peut s'en assurer en examinant le crâne d'une orque, quî est con- servé dans les galeries d'anatomie comparée du Muséum national d'his- toire naturelle. jP/. x6 '. Paye Joû. y/. û*an& efrJiïacAo/re * ' ! Delphimis Duhameli. a Traité des pêches. DES DAUPHINS. 3l5 de large. On voyoit la dorsale presque au-dessus de l'anus. La mâchoire inférieure, la gorge et le ventre présentoient une couleur blanche, que faisoit ressortir le noir des nageoires et de la partie supérieure du cétacée. La peau étoit très-douce au toucher. 3 I 6 HISTOIRE NATURELLE LE DAUPHIN DE PÉRON *. JN ous donnons à ce dauphin le nom du naturaliste plein de zèle qui l'a observé, et qui, dans le moment où j'écris, brave encore les dangers d'une navigation lointaine, pour accroître le domaine des sciences natu- relles. Les cétacées de l'espèce du dauphin de Pérou ont la forme et les proportions du marsouin. Leur dos est d'un bien noirâtre , qui contraste d'une manière très- agréable avec le blanc éclatant du ventre et des côtés, et avec celui que l'on voit au bout de la queue , à l'extrémité du museau, et à celle des nageoires. Ils voguent en troupes dans le grand Océan austral. Le citoyen Pérou en a rencontré des bandes nom- breuses, nageant avec une rapidité extraordinaire , dans les environs du cap sud de la terre de Diémen, et par conséquent vers le quarante-quatrième degré de lati- tude australe. * Delphinus Peronii. Delphinus leucoramplius. Manuscrits envoyés au Muséum national d'histoire naturelle } j>ar le citoyen Péron 3 Vun des naturalistes de V expédition de découvertes commandée par le capitaine Baudin> DES DAUPHINS. Si 1 T 7 LE DAUPHIN DE COMMERSON*. JLes trois grandes parties du monde, l'Amérique, l'Afrique et l'Asie, dont on peut regarder la Nouvelle- Hollande comme une prolongation, se terminent, dans d'hémisphère austral, par trois promontoires fameux, le cap de Horn, le cap de Bonne-Espérance et celui de Diémen. De ces trois promontoires, les deux plus avancés vers le pôle antarctique sont le cap de Diémen et le cap de Horn. Nous avons vu des troupes nom- breuses de dauphins remarquables par leur vélocité et par l'éclat du blanc et du noir qu'ils présentent, animer les environs du cap de Diémen , où le naturaliste Péron les a observés : nous allons voir les environs du cap de Horn montrer des bandes considérables d'autres dauphins également dignes de l'attention du vovageur par le blanc resplendissant et le noir luisant de leur parure, ainsi que par la rapidité de leurs mouvemens. Ces derniers ont été décrits par le célèbre Commerson, * Delphinus Commersonii. Le jaeobite. Le marsouin jaeobite. Tursio corpore argenteo, extremitatibus nigvicantibus. Commerson, ma- nuscrits adressés à Buffon, et remis par Buffon à Lacepède. 3l8 HISTOIRE NATURELLE. qui les a trouvés auprès de la terre de Feu et dans le détroit de Magellan, lors du célèbre voyage autour du monde de notre Bougainville. Mais le blanc et le noir sont distribués bien différemment sur les dauphins de Péron et sur ceux de Commerson : sur les premiers , le dos est noir, et l'extrémité du museau, de la queue et des nageoires, offre un très-beau blanc; sur les se- conds, le noir ne paroît qu'aux extrémités, et tout le reste reluit comme une surface polie, blanche, et, pour ainsi dire, argentée. C'est pendant l'été de l'hé-V misphère austral, et un peu avant le solstice, que Commerson a vu ces dauphins argentés , dont les bril- lantes couleurs ont fait dire à ce grau d observateur qu'il falloit distinguer ces cétacées même parmi les plus beaux habitans des mers. Us jouoient autour du vaisseau de Commerson, et se faisoient considérer avec plaisir par leur facilité à l'emporter de vitesse sur ce bâtiment, qu'ils dépassoient avec promptitude, et qu'ils envelop- poient avec célérité au milieu de leurs manœuvres et de leurs évolutions. Ils étoient moins grands que des marsouins. Si , contre nos conjectures, les dauphins de Commerson et ceux de Péron n'avoient pas de nageoire dorsale, nous n'avons pas besoin de dire qu'il faudroit les placer dans le genre des delphinaplères , avec les bélugas et les se ne de tes. LES HYPEPvOODONS •. L'HYPÉROODON BUTSKOPF*. JljE corps et la queue du butskopf sont très-alongés. Leur forme générale est conique; la base du cône qu'ils forment se trouve vers l'endroit où sont placées les nageoires pectorales. La tête a près d'une fois plus de hauteur que de largeur; mais sa longueur est égale, ou presque égale, à sa hauteur. Au-dessous du front, - — » On trouvera au commencement de cette Histoire le tableau des ordres , des genres et des espèces de cétacées. a Hyperoodon butskopf. Grand souffleur à bec d'oie. Butskopff. Delphinus orca (butskopf). I inné } édition de Cmeîin. Butskopf. Mari'. Spilzb. p. 93. Id. Anderson } Isl. p. 202. Id. Crantz , Groenland, p. l5r. Buts kopper. Eggede , Groenl. p. 56. Le dauphin butskopf. Bonnalerre , -planches de L'Encyclopédie métho- dique. Bottle-head, or slounders-head. Dale , Harwich , 4, 11, tab. 14. Nebbe haul , or beaked whale. Pontoppid. Norw. 1, 12,3. Beaked. Pennanl , Zoolog. Britann. p. 5o. , n. 10. Observations sur la physique } l'histoire naturelle et les arts, mars 1789. 320 HISTOIRE NATURELLE qui est très-convexe, on voit tin museau très-aplati. On n'a trouvé que deux dents à la mâchoire d'en-bas; ces deux dents sont situées à l'extrémité de cette mâ- choire, coniques et pointues : mais il y a sur le con- tour de la mâchoire supérieure, et, ce qui est bien remarquable, sur la surface du palais, des dents très- petites, inégales, dures et aiguës. Cette distribution de dents sur le palais est le véritable caractère dis- tinctif du genre dont nous nous occupons, et celui qui nous a suggéré le nom que nous avons donné à ce grouppe *. Nous devons faire d'autant plus d'attention à cette particularité , que plusieurs espèces de poissons ont leur palais hérissé de petites dents , et que par conséquent la disposition des dents du butskopf est un nouveau trait qui lie la grande tribu des cétacées avec les autres habitans de la mer, lesquels, ne respi- rant que par des branchies , sont forcés de vivre au milieu des eaux. D'un autre côté, non seulement le butskopf est le seul cétacée qui ait le palais garni de dents , mais on ne connoit encore aucun mammifère qui ait des dents attachées à la surface du palais. A la vérité, on a découvert depuis peu, dans la Nouvelle- Hollande, des quadrupèdes revêtus de poils, qu'on a nommés ornithorhynques à cause de la ressemblance de leur museau avec un bec aplati, qui vivent dans les marais, et qui ont des dents sur le palais : mais ces * Hypcroon , en grec , signifie -palais ; et odos signifie dent. DES HYPÉROODONS. o2I quadrupèdes ne sont couverts que de poils aplatis, et, pour ainsi dire, épineux; ils n'ont pas de mamelles; et , par tous les principaux traits de leur conforma- tion , ils sont bien plus rapprochés des quadrupèdes ovipares que des mammifères. Au reste, les deux mâchoires du butskopf sont aussi avancées l'une que l'autre. La langue est rude et comme dentelée dans sa cir- conférence ; elle adhère à la mâchoire inférieure, et sa substance ressemble beaucoup à celle de la langue d'un jeune bœuf. L'orifice commun des deux évents a la forme d'un croissant ; mais les pointes de ce croissant, au lieu d'être tournées vers le bout du museau , comme dans les autres cétacées , sont dirigées vers la queue. L'orifice cependant et les tuyaux qu'il termine sont inclinés de telle sorte, que le fluide lancé par cette ouverture est jeté un peu en avant : il a un diamètre assez grand pour que , dans un jeune butskopf qui n'avoit encore que quatre mètres ou environ de longueur, le bras d'un enfant ait pu pénétrer par cette ouverture jusqu'aux valvules intérieures des évents. Les parois de la partie des évents inférieure aux valvules sont composées de fibres assez dures, et sont recouvertes, ainsi que la face intérieure de ces mêmes soupapes, d'une peau brune, un peu épaisse, mais très-douce au toucher. L'œil est situé vers le milieu de la hauteur de la tête, et plus élevé que l'ouverture de la bouche. 4* 322 HISTOIRE NATURELLE Les pectorales sont placées très-bas , et presque aussi éloignées des jeux que ces derniers organes le sont du bout du museau. Leur longueur égale le douzième de la longueur totale du cétacée ; et leur plus grande largeur est un peu supérieure à la moitié de leur longueur. La dorsale, beaucoup moins éloignée de la nageoire de la queue que de l'extrémité des mâchoires, se re- courbe en arrière , et ne s'élève qu'au dix-huitième ou environ de la longueur totale du butskopf. Les deux lobes de la caudale sont échancrés; et la largeur de cette nageoire peut égaler le quart de la longueur de l'animal. La couleur générale du butskopf est brune ou noi- râtre ; son ventre présente des teintes blanchâtres; et toute la surface du cétacée montre, dans quelques in- dividus, des taches ou des places d'une nuance diffé- rente de la couleur du fond. La peau qui offre ces teintes est mince, et recouvre une graisse jaunâtre, au-dessous de laquelle on trouve une chair très-rouge. Le butskopf parvient à plus de huit mètres de lon- gueur : il a alors cinq mètres de circonférence dans l'endroit le plus gros du corps. La portion osseuse de la tète peut peser plus de dix mvriagrammes. Elle offre, dans sa partie supérieure, deux éminences séparées par une grande dépression. L'extrémité antérieure des os de la mâchoire d'en-haut DES HYPÉROODONS. 3z3 présente une cavité que remplit un cartilage , et le bout du museau est cartilagineux. Ces os , ainsi que ceux de la mâchoire inférieure , sont arqués dans leur lon- gueur, et forment une courbe irrégulière, dont la con- vexité est tournée vers le bas. La partie inférieure de l'apophyse molaire , et les angles inférieurs de Vos de la pommette , sont arrondis. Les poumons sont alongés et se terminent en pointe. Le cœur a deux tiers de mètre et plus de longueur et de largeur. On n'a trouvé qu'une eau blanchâtre dans les esto- macs d'un jeune butskopf , qui cependant étoit déjà long de quatre mètres *. Cet individu étoit femelle ; et ses mamelons n'étoient pas encore sensibles. Il avoit paru en septembre 1788, auprès de Hon- fleur, avec sa mère. Des pêcheurs les apperçurent de loin; ils les virent lutter contre la marée et se débattre sur la grève : ils s'en approchèrent. La plus jeune de ces femelles étoit échouée : la mère cherchoit à la re- mettre à flot; mais bientôt elle échoua elle-même. On s'empara d'abord de la jeune femelle; on l'entoura de cordes , et , à force de bras, on la traîna sur le rivage jusqu'au-dessus des plus hautes eaux. On revint alors à la mère; on l'attaqua avec audace; on la perça de plusieurs coups sur la tête et sur le dos; on lui fît dans le ventre une large blessure. L'animal furieux mugit i^— ~— ' ■ — — — — — — — — — — « * Journal de physique , mars 1789. — Mémoire de M. Baussard. 324 HISTOIRE NATURELLE. comme un taureau, agita sa queue d'une manière ter- rible , éloigna les assaillans. Mais on recommença bientôt le combat : on parvint à faire passer un cable autour de la queue du cétacée ; on fit entrer la patte d'une ancre dans un de ses évents ; la malheureuse mère fit des efforts si violens , qu'elle cassa le cable , s'échappa vers la haute mer, et, lançant par son évent un jet d'eau et de sang à plus de quatre mètres de hauteur, alla mourir à la distance d'un ou deux my- riamètres, où le lendemain on trouva son cadavre flottant. Pendant que M. Baussard , auquel on a dû la des- cription de ce butskopf , disséquoit ce cétacée , une odeur insupportable s'exhaloit de la tête ; cette éma- nation occasionna des inflammations aux narines et à la gorge de M. Baussard : l'âcreté de l'huile que l'on retiroit de cette même tête, altéra et corroda, pour ainsi dire , la peau de ses mains ; et une lueur phos- phorique s'échappoit de l'intérieur du cadavre, comme elle s'échappe de plusieurs corps marins et très-huileux lorsqu'ils commencent à se corrompre. Le butskopf a été vu dans une grande partie de l'Océan atlantique septentrional et de l'Océan glacial arctique. F I N. TABLE ALPHABÉTIQUE Des Noms donnés aux Cêtacées } et dont il est fait mention dans V Histoire naturelle de ces animaux. J\x> ipoci re, page i85. Ambre blanc , 201. — gris, 175. — renarde, 199. Anarnak groenlandois , i64. Anarnak Groenlandicus, V. Anarnak groenlan- dois , i64. Andarna fia, voyez Balei- noptère museau-poin- tu , i54. Arbavirksoak , V. Balei- ne franche , 1. Aibek, V. Baleine fran- che, 1. B Bal.ena, F'. Baleine fran- che , 1. — albicans , V. Delphi- naptère béluga, 243. — Bellonii, V. Baleinop- tère rorqual , 126. — boops,/^. Baleinoptère jubarte , 120. • — gibbosa, V. Baleine bossue , 11 3. — gibbosa, var. B. V. Ba- leine noueuse, 111. — glacialis , V. Baleine nordeaper, io3. — Gros leine franche, 1 — museufus , V. Balei- noptère rorqual, 126. — mysticetus, V. Baleine franche , 1. andica, V . Ba- Balaeua n^sticetus , var. B. V. Baleine nordea- per 10J. — naribus flexuosis , V. Baleine franche, 1. — nodosa , V. Baleine noueuse, m. — nordeaper, V. Baleine nordeaper, io5. — Rondeletii , V. Baleine franche , 1. — rostrata , V. Baleinop- tère museau - pointu , i54. — Spitzbergensis, V. Ba- leine franche , 1. — vera Zorgdrageri, V. Baleine franche, 1. — vulgaris , V. Baleine franche , 1. — (vulgaris Groenlandi- ca) bipinnis , V. Ba- leine franche, 1. — vulgi , V. Baleine fran- che, 1. — acuto- rostrata , V. Baleinoptère museau- pointu , i 34. Baleine américaine , V. Baleinoptère gibbar, n4. — à bec, ^.Baleinoptère museau-pointu, 1 54. — à bosses, V. Baleine bossue , 11 5. — à six bosses, V. Ba- leine bossue, ii5. — blanche, V. Delphi- naptère béluga , 243. — (petite), V. Delphi- naptere béluga, 245. Baleine de grande baie t V. Baleine franche, 1. — de Sarde, V. Baleine nordeaper, io3. — tiuback , n 5. — franche , 1. — jubarte, V. Baleinop- tère jubarte, 120. — rorqual, V. Baleinop- tère rorqual , 126. — tampon , V. Baleine noueuse, 111. — vulgaire, V. Baleine franche, 1. Baleinoptère jubarte, 120. Balénas , 26. Barbes ou fanons, 12. Bardhvalir, V. Cachalot macrocéphale , 165. Beaked , V. Hypéroodon butskopf, 319. Bec d'oie , V. Dauphin vulgaire, 280. Béluga, V. Delphinaptère béluga, 243. Bieluga, V. Delphinap- tère béluga, 245. Blanc de baleine, 175. Blund headed, /^.Cacha- lot trumpo, 2i2. Bottle-heacl, or sloun- ders-head, V. Hypéroo- don butskopf, 0/9. Braunûsch, V. Dauphin marsouin , 287. Bruinvisch, V. Dauphin marsouin , 28". Brunskop , V. Dauphiu marsouin , 287. Biznch wbale, /^.Baleine noueuse , 111. s 326 Butskopff, V. Hypéroo- don butskopf, 5ig. Buts-kopper , V. Hypé- roodon bufskopf, 019. Bnur-hval, V. Cachalot rnacrocéphale, i65. Cachalot (graud) , V. Cachalot inacrocéphale, i65. — (petit) , V. Cachalot svineval , 216. — à dents en faucille , V. Physétère microps, 227. , — blanchâtre, 218. — cylindrique, V. Phy- sale cylindrique, 219. •— de la Nouvelle-Angle- terre, voyez Cachalot trumpo, 212. — rnacrocéphale, x65. — microps, V. Physétère microps , 227. — mular , V. Physétère niular,, 209. — - svineval, 216. — trumpo , 212. — (variété A. du) trum- po , V. Physétère or- thodon , 236. Cachelot , V. Cachalot rnacrocéphale, i65. Canal adipocireux, 186. Capidolio , V. Baleinop- tère rorqual , 126. — K.Delphinaptère séne- dette, 249. Caschelotte , V. Cachalot rnacrocéphale, i65. Catodon albicans , V. Cachalot blanchâtre , 218. — macrocephalus, V. Ca- chalot rnacrocéphale , i65. — macrocephalus , V. Cachalot trumpo, 212. — macrocephalus, var. B. V. Cachalot blanchâ- tre, 21 H. ~ svineval , V. Cachalot svineval, 216. — trumpo, V. Cachalot trumpo j 212. A B L E DES D N O M S Dauphin à deux dents, V. Dauphin diodon , 5og. — béluga, V. Delphiuap- tère béluga , 245. — butskopf, V. Hypéroo- don butskopf, 019. — de Commer->on, 3i7. — de Duhamel, 3i4. — de Pérou, 016. — diodon , 509. — épaulard, V. Dauphin orque, 298. — épée de mer , V. Dau- phin gladiateur , 502. — férès, 3 12. — gladiateur, 5o2. — marsouin , 287. — nésarnack , 307. — orque, 298. — ventru , 3n. Delphiu , V. Dauphin marsouin, 287. Delphiuaplère béluga, 245. — sénedette, 24g. Delphinapterus béluga , V. Delphiuaptère bé- luga, 245. — senedetta, V. Delphi- naptère sénedette, 24g. Delphinios , 282. Delphiuus antiquoruni, V. Dauphin vulgaire , 200. — Commersonii, V. Dau- phin de Commerson, 317. — delphis, V. Dauphin vulgaire , 25o. — diodon, V. Dauphin diodon, 3og. — DuharneJi, V. Dau- phiu de Duhamel, 5i4. — feres, V. Dauphin fé- rès , 3 1 2 . — 1 gladiator, V. Dauphin gladiateur, 002 — leucas, V. Delphinap- tère béluga , 245. — leucoramphus , voyez Dauphin de Pérou, 3i6. — nesarnarck , V. Dau- phin nésarnack, 307. — orca, V. Dauphin or- que , 298. Delphinus orca (buts- kopf), V. Hypéroodou butskopf, 3ig. — orca, var. B. V. Dau- phin gladiateur, 3o2. — Peronii, V. Dauphin de Pérou , 3 16. — phocaena, V. Dauphin marsouin , 287. — prior , voyez Dauphin vulgaire, 25o. — ventricosus , V. Dau- phin ventru , 3n. Delphis, J^. Dauphin Vul- gaire , 260. Der rechte Groenlandis- che walfisch , V. Ba- leine franche, 1. Dogling, V. Baleinoptère museau-pointu, i54. Dolphin , V. Dauphin vulgaire, 25o. Dolpliiu-tuymebaar , V. Dauphin vulgaire, 25o. Dorque , V. Dauphin or- que, 2y8. Dritte species der cache- lotte, ^.Physétère mi- crops , 227. Dudleyi balacua, V. Ca- chalot trumpo, 313. E Eenhiorning , V. Nar- wal vulgaire , i42. Einhorn, V. Narwal vul- gaire, l42. Épaulard, V. Dauphin orque, 298. — ventru , V. Dauphin ventru , 5i 1. Espaular, V. Dauphin or- que, 298. Fann-fiskar-hnydek- gkn, V. Dauphin or- que, 298. Fanons ,11. Fianfiro , V. Cachalot rnacrocéphale, i65. Fin-tish, V. Baleinoptère gibbar, 1 14. Finnfisch, V. Baleinop- tère gibbar, n4. DONNÉS AUX CÉTACÉES: 027 Finne-fisk , V. Baleinop- tère gibbar, n4. Flèche (la) de la mer, 269. Grampus , V. Dauphin gladiateur, 3o2. — V. Dauphin orque , 298. — V. Daupbin vulgaire, 20O. H Haa-hirningur , voyez Dauphin gladiateur , 3o2. Hieros ichtbys, 283. Hippo Dyarrithe, 274. Hofrung, V. Dauphin vulgaire, 25o. Hrafu-reydur , V. Balei- noptère jubarte, 120. Hrafn-reydus , V. Balei- noptère jubarte, J20. Hrefna , V. Baleinoptère jubarte , 120. Humpback whale , voyez Baleine noueuse , 1 1 1 . Hundfiskur, V. Dauphin marsouin, 287. Hunfubaks,^. Baleinop- tère gibbar, n4. Huns-hval, V. Cachalot macrocépbale, i65. Huyser, F". Dauphin vul- gaire, 260. Hvafisk,^". Baleine fran- che, 1. Hvalfisk, voyez Baleine franche, 1. Hval-huud, V. Dauphin orque , 298. Hypéroodon butskopf, 019. Ili.-hvei. , V. Cachalot macrocéphale , i65. Jacobite (le), V. Dau- phin de Conimerson , 017. Jubartes, V. Baleinoptère jubarte, ] 20. Jupiterfiseh , V. Balei- noptère jubarte, 120. K Kaizilot , V. Cachalot macrocéphale, 1 65. Kaskelot , V. Cachalot macrocéphale, iG5. Kegutilik , V. Cachalot svineval , 216. Kepolak, V. Baleinoptère gibbar, 1 14. Kepokarsoac, V. Balei- noptère gibbar, 11 4. Keporkak , V. Baleinop- tère jubarte, 120. Kcrncktok , V. Narw al vulgaire , i42. Killelluak , V. Narwal vulgaire , i42. Killer-trasher , V. Dau- phin gladiateur, 5oj. Rnabbel-visch , V- Ba- leine bossue ,n3. Knobbel- visch , V. Ba- leine bossue, 11 5. Kuolen-fisch, V. Baleine bossue , 1 13. Knoten fisch der knobbe fisch , V. Baleine bos- sue , 110. Kobbe-herre, V. Physé- tère uiirrops , 22^. Kosatky, V. Dauphin or- que, 298. Kraken, 3. L Leipter , V. Dauphin vulgaire , 25o. Licorne de nier , V. Nar- wal vulgaire , i42. Lighval , V. Narwal vul- gaire, l42. Lilie-hual , V. Baleine nordeaper , io5. M Maris sus, V. Dauphin marsouin , 287. Marsopa , V. Dauphin marsouin , 287. Marsoin , V. Daupbin vulgaire, 200. Marsouin blanc, V. Dcl- phinaptère béluga, 243. — franc , V. Dauphin marsouin , 287. — jacobite, V. Dauphin de Coinuierson , 317. Marswin , V. Dauphin marsouin, 287. Meerschwaim , V. Dau- phin marsouin, 287. Mcerschwein , V. Dau- phin marsouin, 28-. — V. Dauphin vulgaire, a5o. Ministre de Jupiter ma- rin , 283. Mokas , V. Cachalot ma- crocéphale, i65. Monodon , V. Narwal vulgaire, i42. — monoceros , V. Nar- wal vulgaiie, i42. — narhwal , V. Narwal vulgaire, i42. Monodon spurius , V. Anarnak groenlaudois, i64. Morskaja-swinja , voyez Dauphin marsouin , 287. Mular (le) , V. Physétère mular, 209. — V Del phi il aptère sé- nedette, 24g Mu lai Nierembergii , V. Physétère mular , 259. N Naa-hvae, V. Narwal vulgaire , i42. Narhval, V. Narwal vul- gaire, l42. Nar - hval , V. Narwal vulgaire, i4a. Narhwal , V. Narwal vulgaire, i42. — oder einhorn, V. Nar- wal vulgaire, i42. Narwal Anderson , i65. — microcéphale, i5g. Narwalus Andersonia- nus, V. Narwal An- derson , i65. — microccphalus, ^.Nar- wal microcéphale, i5o. HB JXarwalus vulgaris , V. Narwal vulgaire, i42. Nisa, V. Dauphin mar- souin, 287. ]\ise, V. Dauphin mar- souin , 287. Mser, V. Dauphin mar- souin , 287. Nochein auder art grosse fische , V. Dauphi.11 gladiateur , 002. Nordcaper austral , 109. — occidental , 110. Nordkaper , V. Baleine nordcaper , 100. Nordkapper, V. Baleine nordcaper, 100. Nebbc baul , or beaked wbale, V. Hypéroodon butskopf , 019. o Opabe, V. Dauphin or- que , 298. Orc'-svin, V. Dauphin orque, 298. Orca, V. Dauphin or- que, 298. Oudre , V. Dauphin or- que, 298. Pf.igne rouge, V. Ca- chalot maerocéphale , i65. Peis. mular, V. Delphi- uaptère sénedette, 24g. Peuvisçh T V. Baleine noueuse, 111. Pfflokfisch , V. Baleine noueuse , u 1. Pffock fisck, V. Baleine noueuse ,111. Phoc^ena, V. Dauphin marsouin , 287. Physale cylindrique, 219. Physalus cyliudricus, V. Physale cylindrique ^ 219. Physeter, V. Delphinap- tère sénedette, 249. — catodon , V. Cachalot svineval , 216. — macrocephalus , V. Cachalot maerocéphale, i65. TA B LE.' DE S NOMS Phy se ter microps, /-^.Phy- sétère microps, 227. — microps, yar B. V. Pby- tère orthodon, 236. — mular , V. Physétère mular , 209. — orthodon , V. Physé- tère orthodon , 256. — tursio , V. Physétère mular , 209. Physétère microps , 227. — mular , 239. — orthodon , 206. Pike headed wbale, V. Baleinoptère museau- poiutu, i54. Poisson à sabre, V. Dau- phin gladiateur, 5o3. — blanc, hviidhske , V. Cachalot blanchâtre , 218. Porcus marinus , V. Dau- phin vulgaire, 2.">o. Porpesse, ou Poirpoisse, V. Dauphin marsouin , 287.. Porpeisse, V. Dauphin vulgaire , a5o. Porpus, F'. Dauphin mar- souin , 2S7. Potthseh , V. Cachalot maerocéphale, i65. Potfîsk, Fï Cacha lot ma- erocéphale , i65. Potvisçh , V. Cachalot maerocéphale, i65. Pou de baleine, 65,. Pourceau de la mer, 288. R Rebbe huai, V. Balei- noptère museau-poin- tu, i54. Reider, V". Baleinoptère gibbar , 1 14. Rengis fiskar, V. Balei- noptère jubarte, 12p. Rod-kamincu ., V. Cacha- lot maerocéphale, i65. Roi de la, iner^ 284. Ror-hua] , T'. Baleinop- tère gibbar, 1 i4. Rorqual , V, Baleinop- tère rorqual , 126. — à ventre cannelé , V. Baleinoptère rorqual , 126. Sandhtjaï. , V. Baleine tranche , 1.. Sarde, V. Baleine nord- caper, 100. Schwerdt-nsch , V. Dau- phin gladiateur, 3o2. Seras whale, V. Baleine bossue , 11 3. Sénedette, V. Delphinap- tère sénedette , 24g. Serbio, V. Baleine tran- che, 1. Shorlead , 5i. Sietback, F". Baleine fran- che, 1. Sildqual , voyez Baleine nordcaper, io3. Simon , V. Dauphin vul- gaire , 25o. Siichleback, V. Baleine franche, 1. Skidis fiskar , V. Balei- noptère gibbar, n4. Souffleur, V. Baleinop- tère rorqual , 126. -- V. Delph inaptère sé- nedette, 24g. — (grand) à bec d'oie, V. Hypéroodon buls- kopf, 5ig. Spekhuggcr , V. Dau- phin orque , 298. Spcrmaceti, f^. Cachalot blanchâtre, 218. — ceti , V. Cachalot ma- erocéphale, 1 65. — ceti whale , V. Cacha- lot trumpo , 212. Springen , V. Dauphin vulgaire, 25p. Springer ",' V. Dauphin orque, 298. Staul , 5i. Staur-hiniing , V. Phy- sétère microps, 227. Steîpe-reydur, V. Balei- noptère rorqual , 12b. Steypc-reydus , ^.Balei- noptère rorqual, 126. Stor-hval, V. Baleinop- tère gibbar, 11 4. Sue-hval, V. Cachalot maerocéphale, i65. Sulphur bottom , V. Ba- leinoptère jubarte, 120. DONNÉS AUX CÉTACÉES. Svine-hval, ^.Cachalot svineval, 216. Swiuia-inorska, ^.Dau- phin marsouin, 287. T Tandtoye , V. Dauphin orque , 298. Tauvar, V. Narwal vul- gaire, l42. Tikagusik , V. Physétère microps, 227. Tkakœ , V, Baleine fran- che, 1. Tonyn, ^.Dauphin mar- souin , 287. Trold-hual , V. Cachalot macrocéphale , t65. Truuiblare , V. Dauphin marsouin, 287. Trumpo , V. Cachalot trumpo, 212. Tuequal, V. Baleinoptère gibbar , 1 14. Tugalik , V. INfarwal vul- gaire , l42. Tumberello, V. Dauphin vulgaire, 260. Tumler , V. Dauphin arsouin, 28' Tumniler , V. Dauphin vulgaire, 25o. Tunoinlik, ^.Baleinop- tère gibbar, 11 4. Tursio , voyez Dauphin marsouin , 287. u Unicoiwu mariuum, V. Narwal vulgaire, i42. Vallena , voyez Baleine franche , 1. Vatushalr , V. Baleine franche , 1. Vinvisch , V. Baleinop- tère gibbar, 11 4. Vivelle, 66. w Walvischvangst , V, 29 Phj'sale cylindrique , 219. Weisfisch , V. Cachalot blanchâtre, 318. — V. Delphinaptere bé- luga , 243. — V. Physétère microps , 227. Whale , V. Baleine fran- che, 1. Whalffisch , V. Baleine franche, 1. Whallvisch , V. Baleine franche, 1. Witfisch, V. Delphinap- tere béluga, 245. — oder weissfisch , V. Delphinaptere béluga, 245. Zee-vark. , V. Dauphin marsouin , 287. Zweite species der ca- chelotte, V. Physétère oithodon, a56. FIN, DE L'IMPRIMERIE DE PL AS S AN, 4a / * * % I tv\ -^r » 'jtiïi' cp ■•-/Si-^^v* TTIIITIWTT^" r-q/P?: =*CÏ1É» tr,'J«Ar. . • I I ■**' W >*' * ' A''. .< . ' ■* ■ fr • ^^-^^^^ ^c^^'-~aa^-^g^*fe3