HARVARD UNIVERSITY WT LIBRARY OF THE Museum of Comparative Zoology M 1 4 s Riu L pi at! hi Jl TD \4, h' re } 4h " eh ÿ LE 11 {4 L TN | AN D'AITRE 1 | h un U - # … ae ras Æ À Rte 2 Mie nu x PR — Jul pr F. = 3 Museum of Conparavive Lo0iOoBYÿ Hiorary 0 HISTOIRE NATURELLE DES ANIMAUX SANS VERTÈBRES. \ Ft Be / Ye" 1 JE) Le Œ _— D À $ as RP Pme LT RS %, ts “ es” # $ SC ON Dr xIMPRIMERIE rArez LANOE, RUE DE LA HARPE, M.0 "0. ” HISTOIRE NATURELLE DES ANIMAUX SANS VERTÈBRES ; PRÉSENTANT LES CARACTÈRES GÉNÉRAUX ET PARTICULIERS DE CES ANIMAUX, LEUR DISTRIBUTION, LEURS CLASSES, LEURS FAMILLES, LEURS GENRES, ET LA CITATION DES PRIN- CIPALES ESPÈCES QUI S’Y RAPPORTENT; 2 AA PRECEDEE D'UNE Inrropucrion offrant la Détermination des caractères essentiels de l'Animal, sa distinction du végétal et des autres corps naturels, enfin, l'Exposition des Principes fondamentaux de la Zoologie, Par M. ze Cuevazrer DE LAMARCK, Membre de l’Institut Royal de France, de la Légion d'Honneur; et de plusieurs Sociétés savantes de l’Europe; Professeur de Zoologie an Muséum d'Histoire naturelle, Nihil extrà naturam observatione notum; Hiuuuio TOME PREMIER. PARIS, VERDIÈRE, LIBRAIRE, QUAI DES AUGUSTINS, N.° 27. 314114] Mars. — 1815. sil NV Faut x re AUX AE era al \ Lx CuLEs, LA F4 AS pt LelagiRo morrot mon À Mo mé nb né, or die te de AVERTISSEMENT. Air d'atteindre le terme de mon existence, j'ai pensé que , dans un nou- vel ouvrage, susceptible d'être considéré comme une seconde édition de mon Système des animaux sans vertèbres , je devais exposer les principaux faits que jai recueillis pour mes lecons, soit sur les animaux en général, soit sur ceux qui furent le sujet de mes démonstra- tions au Muséum d'histoire naturelle , ainsi que mes observations et, mes ré- flexions sur la source de ces faits. Cet ouvrage, d'ailleurs, devant offrir. les classes , les genres et les principales es- pèces des animaux sans vertèbres !'dans un ordre particulier , ävéc la citation des faits essentiels observés à l'égard de leur organisation et des facultés qu'ils 7 AR AVERTISSEMENT. en obtiennent, me paraît présenter , pour ainsi dire, les pièces justificatives de ce qüe j'ai publié dans ma Philosophie zoologique , et des nouveaux développe- mens que j'en donne ici dans l'Introduc- tion. | Ceux qui aiment l'étude de la nature, qui s'intéressent particulièrement à celle des animaux, et qui ont beaucoup ob- servé ces derniers , pourront recher- cher, dans la considération de tous les faits que je cite à leur égard, si ce résul- tat de mes observations et de mes médi- tations est aussi fondé, aussi nécessaire qu'il me le paraît, et dans le cas de l'affirmative , is le feront servir à l'avan- cement de la science, après l'avoir amé- lioré ou rectifié par leurs propres obser- vations. On sait assezcombien les animaux sont intéressans à observer et à étudier; com- bien, d'ailleurs, ceux qui sont sans ver- tèbres, sont singuliers par la diversité de AVERTISSEMENT. li} leur organisation et par celle des facul- tés qu'ils en obtiennent. On ne saurait donc se procurer trop de moyens, ni trop rechercher les considérations qui leur sont applicables, si l'on veut parve- uir à s'en former une juste idée, en un mot , à les connaître sous tous les rap- ports. Ainsi, la manière particulière dont Jai considéré les animaux , les consé- quences que j'ai tirées de tout ce que j'ai recueilli à leur égard, enfin, la théorie générale que je présente sur tout ce qui concerne ces êtres Intéressans, me pa- raissent mériter qu'on y donne une grande attention, et que l'on constate, s'il est possible, jusqu'à quel point je fus fondé dans tout ce que j'ai exposé à ce sujet. _ Ici, en effet, l'on trouve sur la source de l'existence, de la manière d'être , des facultés, des variations, et des phéno- mènes d'organisation des différens ani- 1 AVERTISSEMENT. maux , une théorie véritablement géné- rale, partout liée dans ses parties, tou- jours conséquente dans ses principes, et applicable à tous les cas connus. Elle est, à ce qu'il me semble , la première qui ait été présentée, la seule par consé- quent qui existe ; car je ne connais aucun ouvrage qui en offre une autre avec un pareil ensemble de principes et de con- sidérations qui les fondent. Cette théorie, qui reconnaît à la na- ture le pouvoir de faire quelque chose, celui même de faire tout ce que nous observons, est-elle fondée ? sans doute, elle me paraît telle, puisque je la publie, et que mes observations semblent par- tout la confirmer. Si l'on en juge autre- ment, probablement l’on s'efforcera de la remplacer par une autre qui soit aussi générale, et qui ait pour but de s'accor- der davantage encore avec tous les faits observés ; ce que je ne crois pas pos- sible. AVERTISSEMENT. V On m'objectera peut-être que ce qui me paraît si juste , si fondé, n'est cepen- dant que le produit de mon jugement, d'après la somme de mes connaissances ; on pourra même ajouter que ce qui est le résultat de nos jugemens est toujours fort exposé, et qu'il n'y a réellement de certain pour nous que les faits constatés par l'observation. À cela, je répondrai que ces considé- rations philosophiques , très justes en général, ont néanmoins, comme bien d'autres, leurs limites et même leurs exceptions. Sans doute, nos jugemens sont fort exposés ; car, quoiqu'ils soient tou- jours en rapport avec les élémens que nous y faisons entrer, et que, sous ce point de vue , ils manquent rarement de justesse, nous n'avons presque jamais la certitude d'avoir employé dans cha- } cune de ces opérations de notre intel- Ÿ} AVERTISSEMENT. ligence, la nature et la totalité des élé- mens qu'il était nécessaire d'y faire en- trer. Cependant, il est des cas où nos Ju- gemens ne sont pas les uniques résultats de notre manière d'envisager les faits observés ; car ils peuvent l'être aussi de la force des choses qui nous entraine malgré nous en considérant ces faits, surtout si nous avons su les réunir. Or, cette force des choses qui nous maîtrise lorsque nous parvenons à la sentir, est une puissance à laquelle on ne donne pas assez d'attention et qui fait excep- tion aux considérations trop générales citées ci-dessus. Ainsi, il y a des cas où nos conséquences sont forcées et ne per- mettent aucun arbitraire. Maintenant, que l'on veuille se repré- senter, qu'ayant rassemblé sur limpor- tant sujet, dont je m'occupe depuis qua- rante ans, les faits les plus nombreux et surtout les plus essentiels, il est résulté E AVERTISSEMENT. 4 pour moi de leur considération, cette force des choses qui m'a conduit à décou- vrir et à coordonner peu-à-peu la théo- rie que je présente actuellément, théo- rie que je n'eusse assurément pas 1ma- ginée sans les causes qui m'ont amené à la saisir. Or, quoique l'on puisse peut- être me reprocher d'avoir exprimé ma pensée dans cet ouvrage, d'une mamère trop décisive, on sentira que j'ai été entrainé malgré moi à montrer la con- viction que j'ÉPrOuvVaIs , et que je, n'ai pu écrire autrement que comme je sen- tais. Peut-être me fera-t-on un autre re- proche; car on pourra trouver étonnant de me voir traiter certains sujets qui, au premier abord , paraissent s'éloigner beaucoup de ceux que je devais avoir uniquement en vue. Cependant, si l'on approfondit ces mêmes sujets, l'on en sentira la liaison intime avec ceux qui appartiennent directement à mon tra- vil AVERTISSEMENT. vail; l'on sentira même la nécessité pour moi de faire valoir la lumière qu'ils re- tirent les uns des autres et de montrer qu'ils sont tous les élémens essentiels des conséquences. que j'ai tirées. Cet ouvrage est sérieux, n'a que l'ins- truction pour but, et ne peut, par sa nature , avoir certaines des qualités qui obtiennent beaucoup de lecteurs à bien d'autres. Il lui doit être même d'autant plus difficile d'obtenir toute l'attention dont il a besoin, que les goûts et les cir- constances de notre temps la font, en général, porter vers des objets qui lui sont fort étrangers. Enfin , comme il semble ne devoir intéresser qu'une seule classe de lecteurs , celle même dont :1l tend à modifier les opinions, ce qu'il peut offrir qui soit vraiment digne d'être considéré , restera peut- être long-temps pêu connu. . Cependant, je sais que, sous plusieurs rapports, son sujet a une véritable im- AVERTISSEMENT. 1X portance, qu'il sera utile de le prendre - sérieusement en considération ; et ce fut ma conviction à cet égard qui m'a sou- tenu dans mon travail. Or, si l'on trouve qu'il remplit réellement l’objet quej ’ai en vue, je serai suffisamment dédom- magé de mes efforts. Mais pour être en- tendu, j'ai besoin d'une complaisance qu'on n'accorde pas indifféremment à tout auteur, et que je me suis toujours efforcé de mériter. On sait en effet que tout ouvrage, scientifique surtout, ne peut être lu ou étudié profitablement, que dans l'esprit qui a guidé son auteur ; sauf à juger en- suite s'il s’est plus ou moins approché du but quil voulait atteindre ; car , en l'examinant avec un esprit contraire ou prévenu , les considérations les mieux établies, les vérités mêmes les plus claires, ne paraissent que des erreurs. Ainsi, dans le cas d'une divergence de vues entre celles du lecteur et celles b € AVERTISSEMENT. que présente l'ouvrage , il est utile que le lecteur veuille bien suspendre les siennes, ne füt-ce que momentanément, afin de 'se mettre en harmonie avec l'au- teur dans $a manière de considérer les sujets dont iltraite. S'il trouve que ce dér- nier ait rempli son objet, ilne luirestera plus qu'à juger , à l'aide des faits et de la réflexion, él des déux manières d'envisager leschosesen ae on mérite la préférence. | J'attends donc de tout lecteur , la com- plaisance de se mettre dans la situation d'esprit dont je viens de parler, poat saisir complétement mon sentiment par- tout , et ses motifs. Quant au jugement “définitif qu'ilen portera énsuite | il sera sans doute d'autant meïlleur, quel qu'il puisse être, que les faits cités lai seront plus connus, et qu'il aura Jui-même plus approfondi le sujet, plus observé la na ture. Je né parle pas de la difficulté connue AVERTISSEMENT. x} d'apercevoir dans un ouvrage un peu philosophique, tout ce qui y est digne de fixer notre attention. Cette difficulté , qui tient tantôt à la fatigue, tantôt à des préoccupations diverses en lisant, est plus ou moins grande à la vérité, selon l'habitude aussi plus ou moins grande du lecteur à la méditation; mais elle est réelle, et chacun sait qu'à la seconde lecture d'un semblable ouvrage , on Y voit en général bien des choses qu'on n'avait pu remarquer à la première. Relativement au plan de l'ouvrage, à la marche des idées qu'il présente, et aux faits d'observation qui y sont expo- sés, jai cru devoir employer l'ordre suivant. | Dans une /ntroduction, nécessairement un peu longue, mais essentielle pôur l'intelligence du sujet, j'entreprends de fixer les bases de la zoologie , les prin- cipes les plus généraux qui doivent en constituer le fondement, la source même xij AVERTISSEMENT. où les objets qu'elle considère ont DRE leur origine. En effet, d'abord je compare les ani- maux avec les autres corps de la nature ; j'essaie d'assigner les caractères positifs et distinctifs des uns et des autres ; je cite les faits zoologiques observés, sur- tout ceux du premier ordre, et je mon- tre les conséquences qu'ilme paraît con- venable d'en tirer. Ensuite , je recher- che quelle est la source de l'existence des différens animaux , quelle est celle de la composition croissante de leur or- ganisation, celle des facultés qu'ils pos- sèdent , celle des anomalies nombreuses qui se trouvent entre la composition progressive des différentes organisations animales , et la marche irrégulière des divers systèmes d'organes particuliers qui entrent dans la composition de la plupart de ces organisations. Plus loin , je fais voir que tout ce que l'on observe dans les animaux , que leurs penchans mêmes sont de véritables produits de AVERTISSEMENT. xiij leur organisation ; que tous les phéno- mènes qu'ils nous offrent sont essentiel- lement organiques. Enfin, après avoir montré quelle est cette puissance singu- lière que nous désignons par le mot nalure , je mets en évidence que c’est à elle que les animaux doivent tout ce qu'ils sont. | Je termine l'/ntroduction dont il s’agit en exposant la distribution générale la plus convenable des différens animaux connus, les principes sur lesquels cette distribution doit être fondée, et la véri- table disposition qu'il faut donner à l’or- dre entier, pour qu'il soit conforme à celui qu'a suivi la nature. On verra que, pour mettre de l’ordre dans ces différentes expositions, j'ai di- visé l'Introduction en sept parties claire- ment circonscrites; lesquelles présentent des développemens qui, quoique serrés ou succincts, suppléent à ce qui manque dans ma Philosophie zoologique , et com- X1Y AVERTISSEMENT. plètent une théorie dont les parties 5 sont partout dépendantes. Après l'Introduction, je me renferme dans l'exposition des nombreux ani- maux sans vertèbres qui ont été observés, parce qu'ils font le sujet essentiel de cet ouvrage , et que l'état de leur organisa- tion , les facultés qu'ils en obtiennent, et les caractères qu'ils offrent, établissent les preuves de ce que contient cette In- troduction. Ainsi, je présente successivement leurs différentes classes, leurs familles, les genres qui ont été établis parmi eux, et même plusieurs des espèces les plus con- nues qui se rapportent à ces genres. Dans le cours de l'ouvrage, j'aiexposé en tête de chaque classe, de chaque or- dre , et même de chaque genre, quel- ques développemens nécessaires pour faire mieux connaître les objetsmention- nés sous ces divisions. Ces. développe- mens sont d'autant plus bornés, que les AVERMISSEME NT. XV divisions qu'ils concernent sont moins générales, et par là moins importantes. Quant à la citation que je fais d'un certain nombre d'espèces sous chaque genre, soit d'après des déterminations d'auteurs estimés , soit d'après celles qui me sont propres, elle n'a pour objet que de constater la convenance des genres que jai admis ou formés moi-même. J'eusse desiré pouvoir donner un species (tableau des espèces) aussi complet que l'état des connaissances actuelles le per- met , et dont l'exécution est fort à sou- haiter ; mais cela eût exigé un travail long et difficile, que les circonstances qui me concernent ne me permettent pas d'entreprendre , et dont un seul homme peut-être ne viendrait pas à bout. Ainsi, j'ai cité d’un premier jet et presque sans recherches, sous chaque genre , tantôt un petit nombre d'espè- ces, tantôt un nombre beaucoup plus grand , selon que j'ai été plus ou moins à portée de les connaître. XŸ] AVERTISSEMENT. Tel est le fond de l'ouvrage que j'offre au public, aux amateurs de zoologie , et à ceux qui s'intéressent à l'étude de la nature. Je souhaite qu'ils y trouvent quelque chose d'utile, quelque vue qu'ils puissent faire servir à l'avancement des sciences naturelles. INTRODUCTION. : #4 animaux sont des êtres si étonnans, si Cu- rieux , et ceux surtout dont je suis chargé de faire la démonstration sont si singuliers par la diversité de leur organisation et de leurs facultés , qu'aucun des moyens propres à nous en donne une juste idée et à nous éclairer le plus à leur égard , ne doit être négligé. Cependant , j'ose le dire ; la marche que lon a suwie dans l'étude de ces êtres admurables , est loin encore d’embrasser les considérations capables de nous montrer en eux ce qu'il nous importe le plus dy voir. | 1e En effet, sil n’était question, dans létude de la zoologie , que d'observer les différences de forme qui distinguent les divers animaux entr'eux ; sil ne s'agissait que de déterminer leurs races nom- breuses, de les grouper par petites masses , pour en Tome I. 1 2 INTRODUCTION. | F, former des genres , en un mot , de les classer d’une manière quelconque , et d'établir ainsi méthodique- ment l'énorme liste de leurs espèces observées , on n'aurait presque rien à ajouter à la marche usitée de l'étude ; enfin , 1l suffirait de perfectionner ce qui a été fait, et d'achever de recueillir et de déterminer tout ce qui a, jusqu’a présent, échappé à nos obser- vations. Mais il y a dans les animaux bien d’autres choses à voir que celles que nous y avons cherchées ; et, à leur égard , il y a bien des préventions à détruire, bien des erreurs à corriger. Voilà ce dont, à mon grand étonnement, l'étude m’a fortement convaincu , ce que je puis établir sohi- dement , ce qui est déja énoncé dans mes écrits , et, néanmoins, ce qui sera peut-être long-tems sans fruit; tant les causes qui entretiennent ces préven- tions sont puissantes, et tant la raison même a peu de forces lorsqu'elle a à combattre des idées habi- tuelles , en un mot , ce que l’on a toujours pensé. Depuis bien des années que je suis chargé de faire , au Muséum , un Cours annuel de zoologie ; particu- lièrement sur les animaux sans vertebres, c'est-a- dire, ceux qui ne font point partie des mammifères , des oiseaux, des reptiles et des poissons; j'ai dû m’eflorcer de les connaître, non seulement sous les rapports de leur forme générale , de leurs caractères externes et distinctifs ; mais, en outre, sous ceux INTRODUCTION: 3 de leur organisation , de leurs facultés, et des habi- tudes de ces animaux ; enfin, j'ai dû me mettre en état de donner à ceux qui viennent m’entendre, les idées les plus justes de ces mêmes animaux sous tous ces rapports, au moins relativement aux connais- sances que j'avais pu me procurer à leur égard. En me livrant à ces devoirs, je trouvai bientôt que ma tâche était extrêmement difficile à remplir ; car j'avais à m'occuper de la portion du règne ani- mal, la plus étendue, la plus nombreuse en races diverses, la plus variée en organisation , la plus di- versifiée dans les facultés réelles des races ;.et c'était précisément celle qui n’avait inspiré jusqu’alors qu’un faible intérêt, celle, enfin, que l’on avait le plus négligée, et sur laquelle les principaux faits recueillis et considérés , n'étaient guère relatifs qu'aux formes externes des objets qu'elle embrasse. Cependant, le besoin de connaître l’organisation de l'homme, afin de tâcher de remédier aux désor- dres que les causes des maladies y introduisent, avait depuis long-temps fait étudier en son être physique, la plus compliquée de toutes les organisations. On s'était ensuite assuré, par l'observation, que cette organisation, compliquée avoisinait considérable- ment, par ses rapports, celle de certains animaux , tels que les mammiferes. Mais, au lieu de sentir que tout ce que l’on pouvait raisonnablement con clure des observations dont cette orgamisation avait 4 INTRODUCTION. été le sujet, ne pouvait guère s'appliquer qu'à elle: même , on en déduisit des principes généraux pour Ja physiologie, et , en outre, plusieurs conséquences, rélatives à des facultés du premier ordre;‘;que lon étendit à tous les animaux en général. - °°, On négligea de considérer que touté faculté-étant essentiellement dépendante de l’organisation qui y donne lieu, “de grandes différences entre dés’ orgas nisations ‘comparées L ‘devaient non-séulemient en! produire aussi de grandes dans les facultés, ‘mais; en outre } qu’elles poüvaient mettre un‘terfné! aux facultés qui, pour se produire , exigent-un ordre de choses que certaines de ces différences ont Pis anéantir. | LENS 9. HYMNE 9 1 + Ainsi; sans égard'pour ces: vérites posilives , Jul cie ris dont je parle; et qu'on applique gé- néralement à tous les animaux ,: furent admises : constituer les bases d’une hitusie ;' d'après laquelle les études 200logiques furent dirigées et ke: sont en core. HUE Ù ÉHMLIBIS IN } 69 ei 9 PE Tel était l'état des choses en zoologie, ; lorsque mo devoir de professeur :m’obligea d'exposer, dans là démonstration des #rnimaux sans vertèbres, tout ce qu'il mnporte de faire connaître à l’égardide ces amie maux ; d'indiquer ce que lobservation-#oûs(a appris: sur la ‘diversité de leurs races , sur celle de le formés: et de leurs éaractères ‘sur telle encore: leur organisation et de leurs facultés’;en:un mot ; f INTRODUCTION, 5 montrer comment: les principes admis peuvent, s’ap- pliquer aux faits d'observation que nous ont offerts quantité, de ces an! DIAUX. | _À la :vérité, dans tout ce qui uent à l'art des dis- tinctions , je ne rencontrai d’autres difficultés que celles que létude et l'observation des objets peuvent facilement résoudre. | L : Mas, lorsque j je voulus appliquer : a ces. animaux les princines admis en-théorie générale , lorsque j’ es- sayai de reconnaitre dans leurs facultés réelles , celles que les principes en quespion leur attribuaient; enfin ; lorsque je cherchai à trouver, dans ces facultés at tribuées, -les rapports parfaits quid doivent exister entre les organes et les facultés qu'ils produisent, les diffi- cultés pour moi furent partout insurmontables. Plus, en effet, j'étudie les sidère les faits d'organisation qu'ils nous offrent, les es. $ ANIMAUX ; plus je con- changemens que subissent leurs organes et leurs fa- cultés , tant par les suites du cours de la vie, que de la part des mutations qu’ils peuvent éprouver dans leurs habitudes ; plus , enfin, j'approfondis tout ce qu'ils doivent aux circonstances dans lesquelles cha- que race s'est rencontrée , plus , aussi, je sens l'impossibilité d'accorder les faits observés avec la théorie admise , en un mot, plus les principes que je suis contraint de reconnaitre, s'éloignent de ceux -que l’on enseigne ailleurs. Que faire dans cet état de choses ; ? RE pe me 6 INTRODUCTION. restreindre, dans l’enseignement dont je suis chargé, a la simple exposition des formes des objets, à la citation des caractères observés et dont on trouve la plupart dans les livres, à l'énonciation des divi= sions introduites artificiellement parmi ces objets; enfin, comprimant ma conscience pour favoriser Vopinion et maintenir l'erreur, était-il convenable que je privasse ceux qui viennent m’entendre de la connaissance de mes observations, de celle des faits qui attestent combien l’étude des traits variés d’or- ganisation que présentent les animaux sans vertè= bres ést importante pour l'avancement de la phy- sique animale, en un mot, de celle du précepte qui veut que ce ne soit qu’en considérant à-la-foistoutes les organisations existantes , que l’on entreprenne de fonder les vrais principes de zoologie ? Je nai pas suivi et n’ai pas dû suivre une pareille marche , c’est-a-dire, je n'ai pas dû taire ce que mes études m'ont fait apercevoir. Ainsi, je me trouve entraîné dans une dissidence que le temps, plus que la raison , peut convenablement terminer ; car je n'ai guère, maintenant , d'autre juge que la partie même dont ; je combats és préceptes ; ; pts qui a ‘pour elle l'avantage de l'opinion. Je me bornerais à ne parler que des animaux sans vertèbres, puisqu'ils constituent le sujet de cet ou- vrage, si je n'avais à exposer à leur égard quantité de considérations importantes, que les principes INTRODUCTION. 7 admis ne sauraient reconnaître , el si je ne voulais montrer que les imperfections que j'attribue à ces principes ne sont point illusoires. Je dois donc, d’abord , examiner ce que sont les animaux en général, m’efforcer de fixer , s'il est possible , les idées que nous devons nous former de ces êtres sin- gubers, me hâter d'arriver à l'exposition des sujets de dissidence dont j'ai parlé tout-à-l’heure, et es- sayer de convaincre mes lecteurs, par la citation de quelques-unes des conséquences que l’on a tirées des faits observés > Que ces faits sont loin d’en con= firmer le fondement. 11 me semble que la première chose que lon doive faire dans un ouvrage de zoologie, est de définir l'animal , et de lui assigner un caractère général et exclusif, qui ne souffre d’exception nulle part. C’est cependant ce que l’on ne saurait faire à présent , Sans revenir sur ce qui a été établi , et sans contester ‘des principes qui sont enseignés partout. Qui est-ce qui pourrait croire que , dans un siècle comme le nôtre où les sciences physiques ont fait tant de progrès , une définition de ce qui constitue l'animal ne soit pas encore solidement fixée ; que lon ne sache pas assigner positivement la différence d’un animal à une plante ; et que lon soit dans le doute à l'égard de cette question; savoir : si les ‘animaux sont réellement distingués des végétaux par quelque caractère essentiel et exclusif ? C’est » néan- 8 INTRODUCTION. moins ; un fait certain qu'aucun zoologiste n’en a encore présenté qui soit véritablement applicable à tous les animaux connus, et qui les distingue net- tement des végétaux. De la, les vacillations per- pétuelles entre les limites du règne animal et du règne végétal dans l’opinion des naturalistes ; de là même , l’idée erronée et presque générale que ces. limites n'existent pas, et qu'il y a des animaux-plantes où des plantes-animales. La cause de cetétat des choses, à l'égard de nos connaissances zoologiques, est fäcile à apercevoir. * Comme les études sur la nature animale et sur les facultés des animaux ne furent , jusqu'a présent , dirigées que d’après les organisations les plus com- pliquées, cest-a-dire, d’après celles des animaux les plus parfaits, on ne put se procurer aucune idée juste des limites réelles de la plupart des facultés animales, de celles mêmes des organes qui les don- nent ; enfin, l'on ne put parvenir à connaître ce qui constitue la vie animale la plus réduite, n1 quelle est la seule faculté qu’elle puisse donner à l'étréqui en jouit. | Ainsi, pour montrer combien tout cé que l'on a écrit sur les facultés que possedent les amimiaux, et sur les caractères qui leur ‘sont comimuns à tous', est peu: propre à nous les: faite réellement connaître , ne peut que nous abuser, et entrayeiles’ vrais pro- grès de lazoologie, je ne saurais choisir uni texte plus INTRODUCTION. 9 authentique que celui qu'offre le mot animal dans le Dictionnaire des Sciences naturelles, l’auteur connu de cet article étant un amatomiste et un zoolo- giste des plus célèbres de notre temps, et en effet , des plus distingués. « Rien, dit ce savant, ne semble si aisé à définir que l'animal : tout le monde le conçoit comme un être doué de sentiment et de mouvement volontaire ; mais lorsqu'il s’agit de déterminer si un être que l'on observe est ou non un animal , cette définition de- vient très-difficile à appliquer ». ( Dict. des Sciences naturelles. \ Il est clair , d’après cela , que je suis fondé a insister sur l'examen de ce qui constitue la nature amimale , puisque le savant que je cite ne désapprouve pas lui-même la définition que tout le monde donne des animaux ; qu'il la trouve seulement difficile à apphi- quer ; et qu’elle est encore recue dans tous les ou- vrages et dans tous les cours de zoologie, les miens seuls exceptés. Sans doute, en conservant une pareille définition, qui fut imaginée dans destemps d’'ignorance, et d'après la seule considération des animaux les plus parfaits» il est maintenant très-difficile de l'appliquer à quan- tité d'êtres que nous observons chaque jour ; mais on peut ajouter que cette définition n’est pas même applicable au plus grand nombre des animaux re- connus. | To INTRODUCTION. La raison de cette difficulté pourra facilement se concevoir , si Je montre qu'il n’est pas vrai que tous les animaux soient doués de sentiment et de mou- vement volontaire. Alors, on sentira que cette dé- finition que lon donne partout des animaux est une erreur que les lumières actuelles doivent repous- ser ; et pour s’en convaincre, il suffira de rassem- bler et de considérer les faits connus que je citerai dans le cours de cet ouvrage. Si l'on en excepte les parties de l’art dans les sciences naturelles, parties qui consistent dans des distinctions que l’on emploie à former des classes , des ordres , des genres et des espèces , je me crois autorisé à dire qu'il n’y aura jamais rien de clair , rien de positif en zoologie , tant que l’on continuera d’ad- mettre , pour circonscrire les animaux, la définition citée ci-dessus ; tant que l'on méconnaîtra les rap- ports constans qui se trouvent entre les systèmes d'organes particuliers et les facultés que donnent ces systèmes ; en un mot, tant que l’on ne considé- rera pas certains principes fondamentaux sans les- quels la théorie sera toujours arbitraire. Aussi, tant que les choses subsisteront dans cet état , on verra toujours en zoologie ce qui a lieu ac- tuellement ; savoir : que celui qui en traite ou qui l'enseigne , ne saurait nous dire positivement ce que c'est qu'un animal. Enfin, on aura un champ ou- vert aux hypothèses les plus singulières, comme INTRODUCTION. IT celles de dire que certains organes sont confondus dans la substance irritable et sensible des animaux , afin d'expliquer pourquoi ces organes ne se retrou- vent plus dans les plus imparfaits, lorsqu'on a be- soin de supposer qu'ils y existent encore et qu'ils y exécutent leurs fonctions. Ici, je devrais éclaircir toutes ces considérations , montrer l’inconvenance des préceptes admis , et prou- ver qu’à l'égard de ceux que nous voulons leur subs- tituer, il ne s’agit point d’hypothèses nouvelles, mais de vérités claires, évidentes, sur lesquelles les observations ne peuvent autoriser le moindre doute , lorsqu'on voudra les examiner. Cependant, il importe avant tout de poser les principes fondamentaux suivans, afin d'empêcher tout arbitraire dans les conséquences que les faits connus permettent de tirer. Principes fondamentaux. 1.7 Principe : Tout fait ou phénomène que lob- servation peut faire connaître, est essentielle ment physique, et ne doit son existence ou sa production qu'a des corps, ou qu’à des rela- tions entre des corps. 2. Principe : Tout mouvement ou changement , toute force agissante , et tout effet quelconque , observés dans un corps , tiennent nécessaire- 12 INTRODUCTION. ment à des causes mécaniques , régies :par!des lois. RUE Le dE di 3.° Principe : Tout fait ou phénomène observé dans un corps vivant, est à-la-fois un fait.ou phénomène physique , et un produit de l’orga- nisation. À N 4° Principe : I] n’y a dans la nature aucune ma- tière qui ait en propre la faculté de ivre. Tout corps en qui la vie se manifeste , offre dans, le produit de l’organisation qu’il possède , et dans celui d’une suite de mouvemens excités dans ses parties, le phénomène physique et organi- que que la vie constitue (1), phénomène qui s'exécute et se maintient dans ce corps, tant que les conditions essentielles à sa production subsistent. | EEE TS 5.e Principe: n'y a dans la nature aucune ma- tière qui aiten propre la faculté d’avoir ou de se former des idées , d'exécuter des opérations entre des idées, en un mot, de penser. La où de pareils phénomènes se montrent (et. l’on en observe de cette sorte dans les animaux les plus parfaits ) l'on trouve toujours un système d'organes particulier ; propre à les produire ; système dont l'étendue et l'intégrité sont Cons- tamment en rapport, avec. le degré d’éminence et l'état, des, phénomènes dont il s'agit. {2) Philosophie zoologique ; vol: 1 , p. 400. INTRODUCTION. 13 Ge Principe : Enfin, il n’y a dans la nature aucune fnatière qui ait en propre la faculté de senur. ‘Aussi , là où cette faculté peut être constatée , Ja séulement se trouve, dans le corps vivant qui en est doué, un système d'organes particulier, capable de donner lieu au phénomene physi- que, mécanique et or£ TS qui, seul, cons- * titue la sensation. À ces, principes , à l'abri de toute contestation solide , et sans lesquels la zoologie serait sans fon- demens, j'ajouterai : 1.0 Qu'il ÿ a toujours un rapport parfait entre l'état, soit d’intégrité ou d’altération , soit d’étendué ou de perfectionnement d’une faculté organique , et celui de l'organe ou du système d'organes qui la produit. 2.0 Que, plus une faculté organique est éminente, plus l'organisation à laquelle appartient le système d'organes qui ÿ donne lieu , est composée. “Maintenant ; étayé sur ces principes, que lob- “servation met partout en évidence , je vais faire voir que ni la faculté de penser, de juger , de vouloir, ni celle d’éprouver des sensations , ne peuvent être le propre de tous les animaux ; car elles ne peuvent Vétre de ceux qui sont les plus simples en organi- ‘sation ; ce que je prouveral. D'abord, je dois faire remarquer que la faculté 14 INTRODUCTION. qui, dans un degré quelconque , constitue ce qu’on nomme l'intelligence , c'est-à-dire, qui donne à l'individu le pouvoir d'employer des idées, de com- parer , de juger, de vouloir ; que cette faculté , dis-je, est très-distincte de celle qui constitue le sentiment ; qu’elle lui est bien supérieure , et qu’elleen est tout- a-fait indépendante. On peut, en effet, penser, juger, vouloir , sans éprouver aucune sensation , et l’on sait que si l’or- gane très-composé qui donne lieu aux actes d’intel- hgence , vient à être lésé , à subir quelqu’altération , les idées alors ne se présentent plus qu'avec désordre, se dérangent, soit partiellement , soit totalement , se- lon la partie altérée de l'organe ou l'étendue de l'altération, et même se perdent entièrement si l’al- tération est considérable ; tandis que la faculté de sentir reste dans son intégrité et n’en éprouve aucun changement. | 1 Qui ne sait que la folie , la démence, sont les.ré- sultats d’une altération invétérée dans l'organe .ôù s'exécute le phénomène de la production des ‘idées , et des opérations entre les idées, comme le délire est la suite d’une altération du même organe, mais qui est plus passagère, étant produite par une fièvre ou une affection moins durable. Or; .dans tous ces cas , et particulièrement dans la folie où le fait est plus facile à constater , 1l est connu que l'organe du L 4 INTRODUCTION. 19 sentiment n’est nullement intéressé , qu'il conserve l'intégrité de ses fonctions , enfin , que les sensations s'exécutent comme dans l'état de santé. Le système d'organes, qui donne lieu aux opéra- tions entre les idées, aux jugemens , aux actes de volonté, n’est donc pas le même que celui qui pro- duit les sensations ; puisque le premier peut éprou- ver des lésions qui altèrent ses facultés , sans exercer aucune influence sur celles du second. La faculté d'employer des idées étant très-dis- uncte, très-indépendante même de celle de sentir, et les animaux les plus parfaits jouissant évidemment de l’une et de l’autre, nous allons montrer que ni l'une ni l’autre de ces facultés ne peuvent être le propre de tous les animaux en général. Relativement au, mouvement volontaire attribué à tous les animaux, dans la définition que l'on donne de ces êtres , que l’on prenne en considération les observations qui concernent les actes de volonté; bientôt alors on sera convaincu qu'il n'est pas vrai, qu'il est même impossible, que tous les animaux puissent former des. actes de cette nature ; qu'ils ne sauraient tous avoir l’organisation assez compliquée, et l'appareil d'organes particulier capable de donner lieu à une faculté aussi éminente ; et qu'il n’y a réel: lement que les plus parfaits d’entre eux qui puissent posséder une pareille faculté. Il est certain et reconnu que la volonté est une 10 INTRODUCTION. détermination par la pensée , qui ne peut avoir lieu que lorsque l'être qui veut , peutne pas vouloir ; que cette détermination résulte d'actes d'intelligence % c'est-à-dire , d'opérations entre les idées ; et qu’en général , ellé s'opère à la suite d’une comparaisons, d'un choix, d’un jugement, et toujours d’une préméditation. Or , comme toute préméditation est un emploi d'idées , elle suppose , ; mon-seulement là faculté d'en acquérir ; mais , en outre, celle de les employer et de former des sas d'intelligence. De pareilles facultés ne sauraient être le propre de tous les animaux ; et celle surtout de pouvoir exécu- ter des actes d'intelligence étant assurément la plus émmente de celles que la nature ait pu donner à des animaux, on sent qu'elle exige, dans le petit nombre de ceux qui en sont doués, un système d'organes particulier, très-composé ; que da nature n’a pu faire exister que dans la plus compliquée des organisations animales. On'peut dire même qu'elle ny.est parvenue qu'insensiblement et par des degrés en quelque sorte nuancés ; qu’en l’instituant d’abord d’une manière ‘très-obscure, et terminant) ‘ensuite par la rendre Dre VE dansles’plus’ parfaits des animaux. IUT 15445 LV Ainsi; tout acte de volonté étant une détérmina- tion par la pensée, à la suite d’uriéhôïx , d’un'juge- ment , et tout mouvemeéht volontaire étant la” suite d’un acte de volonté, c'ést-hrdire } d’une détermina- INTRODUCTION. 27: tion par la préméditation, et conséquemment par acte d'intelligence, dire que tous les animaux soient doués de mouvement volontaire, c'est leur attri- buer à tous généralement des facultés d’intelli- gence : ce quine sauraitêtre vrai, ce qui ne peut être le propre de toutes les organisations animales , ce qui contredit l'observation des faits relatifs aux plus imparfaits des animaux , enfin , ce qui constitue uneerreur manifeste, que les lumières de notre siècle ne permettent plus de conserver. Mais quoique ce soient les plus parfaits d’entre les vertébrés qui puissent le plus agir volontairement, cest-a-dire, à la suite d’une préméditation, parce qu’en effet, 1ls possèdent, dans certains degrés, des facultés d'intelligence , l'observation atteste que chez les animaux dont 1l s'agit, ces facultés sont rarement exercées, et que dans la plupart de leurs actions, c’est la puissance de leur sentiment intérieur , ému par des besoins, qui les entraine et les fait agir im- médiatement , sans préméditation , etsans le concours d'aucun acte de volonté de leur part. Je n’ai point de terme pour exprimer cette puis- sance intérieure dont jouissent non-seqlement les animaux intelligens, mais encore ceux qui ne sont doués que de la faculté de sentir ; puissance qui, émue par un besoin ressenti, fait agir immédiate- ment l'individu , c’est à dire, dans l’instant même de l'émotion qu'il éprouve ; et si cet individu est Tome I. | 2 18 INTRODUCTION. de l’ordre de ceux qui sont doués de facultés d’intel- hgence , 1l agit néanmoins, dans cette circonstance , avant qu'aucune préméditation , qu'aucune opération entre ses idées , ait provoqué sa volonté. C'est un fait positif, et qui n’a besoin que d’étre remarqué pour être connu, savoir : Que dans les animaux dont je viens de parler, et dans l'homme même , par la seule émotion du sentiment intérieur, une action se trouve aussitôt exécutée, sans que la pensée , le jugement, en un mot, la volonté de l'in- dividu y ait eu aucune part ; et l’on sait qu'une im- pression ou qu’un besoin subitement ressenti, suffit pour produire cette émotion. Ainsi, nous-mêmes , nous sommes assujettis, dans certaines circonstances , à cette puissance intérieure qui fait agir sans préméditation. Et, en effet, quoique très-souvent nous agissions par des actes de volonté positive, très-souvent aussi chacun de nous, entrainé par des impressions intérieures et subites , exécute une multitude d'actions, sans l'intervention de la pensée et conséquemment d'aucun acte de volonté. Cette puissance singulière , qui fait agir sans pré- méditation et à la suite des émotions éprouvées , est celle-là même que l’on a nommée enstinct dans les animaux. On vient de voir qu’elle ne leur est pont particu- lière , puisque nous y sommes aussi assujettis ; à cette considération j'ajouterai qu’elle ne leur est pas même fs INTRODUCTION. 19 générale ; car les animaux que j'ai nommés apathi- ques, comme ne jouissant point du sentiment , ne sauraient agir par des émotions intérieures, enfin , ne sauraient avoir d'instinct: Ce n’est point ici que je dois développer le fonde- ment de ces observations ; mais ce qui est positif, et ce qu'il est essentiel de dire , c'est que , parmi les causes immédiates, soit de nos actions , soit de celles des animaux, 1l faut nécessairement distinguer celles qui s’exécutent à la suite d’une préméditation qui amène la volonte, de celles qui se produisent immédiatement à la suite des émotions du sentiment intérieur ; et qu'il faut même distinguer celles-làa de celles qui ne sont dues qu'a des excitations de l’exté- rieur ; car toutes ces causes immédiates d'action sont essentiellement différentes, et tous les animaux ne sauraient être assujettis à la puissance de chacune d'elles ; l'étendue des différences d’organisation ne le permettant pas. Ainsi, il n’est pas vrai que tous les animaux géné- ralement soient doués de mouvement volontaire , c'est-à-dire , de la faculté d'agir par des actes de volonté ; ces actes étant essentiellement Des de préméditation. Voyons maintenant si la faculté de sentir est réellement le propre de tous les animaux , C’est-à- dire , si le sentiment, dont on a fait l’un des caractères distincufs des animaux dans la définition qu'on en 20 INTRODUCTION: donne, ce qui se trouve copié dans tous les ou= vrages et répété partout , leur est véritablement gé- néral ; Ou, si ce n’est pas une faculté particulière à certains d’entre eux, comme l’est celle de mouvoir volontairement leurs parties. Il n’est aucun physiologiste qui ne sache très- bien que, sans l'influence d’un système nerveux, le sentiment ne saurait être produit. C’est une condi- tion de rigueur ; et lon sait même que ceux des nerfs qui fournissent à certaines parties la faculté de sentir, cessent aussitôt, par leur lésion, d'y entre- tenir cette faculté. C’est done un fait positif que le sentiment est un phénomène organique ; qu'aucune matière quelconque n’a en elle-même la faculté de sentir ( Phil. zool., vol. 2, p. 252 ); et qu'enfin, ce n’est que par le moyen des nerfs quele phénomènedu -sentiment peut se produire. Il résulte de ces vérités, que personne actuellement ne saurait contester, qu'un animal qui n’aurait point de nerfs ne saurait sentir. J’ajouterai maintenant, comme seconde condition, que le système nerveux doit être déjà assez avancé dans sa composition pour pouvoir donner lieu au phéuomène du sentiment ; car, je puis prouver que, pour sentir, il ne suffit point à un animal d’avoir des nerfs ; mais qu'il faut en outre que son système nerveux soit assez avancé dans sa composition pour que le phénomène de la sensation puisse se produire. en lui. INTRODUCTION. 1 Ainsi, pour que le sentiment soit une faculté gé- nérale aux animaux , il faut nécessairement que le système nerveux, qui seul y peut donner lieu, soit commun à tous sans exception ; qu'il fasse partie de tous les systèmes d’organisation que lon observe parmi eux ; que partout 1l y puisse exécuter ses fonc- tions ; et que la plus simple des organisations ami- males , soit cependant munie , non seulementde nerfs, mais en outre de l'appareil nerveux propre à pro- duire le sentiment , tel que celui qui se compose, au moins , d’un centre de rapport auquel se rendent les nerfs qui peuvent causer la sensation. Or , ce n’est point la du tout ce que la nature a exécuté à l'égard de tous les animaux eonnus ; et ce n’est pas la non plus ce que les faits observés confirment. Dans les plus simples et les plus imparfaits des ‘végétaux , la nature n’a établi que lx vie végétale ; elle n’a pu modifier le tissu cellulaire de ces COrps , et y tracer différentes sortes de canaux, De même, dans les animaux les plus imparfaits ‘et les plus simples en organisation, elle n’a établi que la vie animale, c’est à dire, que l’ordre des choses essentiel pour la faire exister ; aussi dans les corps gélatineux et presque sans consistance qui lui suffi- rent pour cet objet , elle n’a pu ajouter aucun organe particulier quelconque. Cela est évident, et l’obser- vation de ces animalcules atteste qu’elle n’a point fait autrement. 22 INTRODUCTION. Que l'on cherche tant qu'on voudra dans une monade, dans une volvoce, ou dans une protée, des nerfs aboutissant : à un cerveau ou à une moëlle lon- gitudinale , ce qui est nécessaire pour la production du sentiment , on sentira bientôt l'inutilité, le ri- dicule même de cette recherche. Comme la nature à compliqué graduellement lor- ganisation animale, et a multiplié progressivement les facultés à mesure qu’elles devenaient nécessaires , ce que je prouverai bientôt, on reconnaît , en s’éle- vant dans l'échelle animale , à quel point de cette échelle commence la faculté de sentir ; ear dès que cette faculté existe , l'animal qui en jouit offre cons- tamment un appareil nerveux, très-distinct , propre à la produire; et presque toujours alors, un ou plusieurs sens particuliers se montrent à l'exte- rleur. Enfin, lorsque l'appareil nerveux en question ne se retrouve plus , qu'il n’y a plus de centre de rapport pour les nerfs, plus decerveau , plus de moëlle lon- gitudinale ;. jamais alors l'animal ne présente aucun : sens distinct. Or, vouloir, dans ce cas, lui attribuer le sentiment , tandis qu'il n’en a pas l'organe, c’est évidemment se bercer d’une chimère. On me dira peut-être que c’est un SA de ma part, de vouloir assurer que le sentiment n'a point lieu dans un animal en qui l'on ne voit point de nerfs, ou méme qui en est réellement dépourvu ; INTRODUCTION. 23 puisque l'on sait qu’en bien des cas la mature sait parvenir au même but, par différens moyens. À cela je répondrai que ce serait plutôt un système de la part de ceux qui me feraient cette objection ; car ils ne sauraient prouver : 1.0 Que le sentiment soit nécessaire aux animaux qui n'ont point de nerfs ; 2.° Que la ouù les nerfs manquent , la faculté de_ sentir puisse néanmoins exister. Ce n’est assurément que par système qu’on pour- rait supposer de pareilles choses. Or, je puis montrer que si la nature eût donné la faculté de senur à des animaux aussi imparfaits que les infusoires, les polypes, etc., elle eût fait en cela une chose àa-la-fois inutile et dangereuse pour eux. En effet , ces animaux n'ayant jamais besoinde choisir les objets dont ils se nourissent, de les aller chercher, enfin, de se diriger vers eux, mais les trouvant toujours à leur portée, parce que les eaux quien sont remplies, les tiennent sans cesse à leur disposition , l'intelligence pour juger et choisir, le sentiment pour connaître et distinguer , seraient pour eux des facultés superflues et dont ils ne feraient au- cun usage. La dernière même ( la faculté de sentir.) serait probablement nuisible à des animaux si dé- Bcats. ; Le vrai en cela est que ce fut d’abord d'apres les 24 INTROBUCTION. organisations animales les plus perfectionnées que lon s’est formé une opinion sur la nature des ami- maux en général ; et maintenant , celte opinion re- que fait que l’on se sent porté à regarder comme sys- tème toute considération qui tend à la renverser , quelqu'appuyée qu’elle soit par les faits et par l'ob- servation des lois de la nature. Sansavoir besoin d’entrer ici dans plus de détails , je crois avoir prouvé qu’il n’est pas vrai que tous les animaux soient généralement doués du sentiment ; J'ai démontré même que cela est impossible : 1. Parce que tous les animaux ne possédent point l'appareil nerveux nécessaire à la production du sentiment ; 2.0 Parce que tous les animaux ne sont pas même munis de nerfs , et qu'iln’y a que des nerfs aboutis- sant à un centre de rapport, qui puissent donner lieu a la faculté de sentir ; 3.° Parce que la faculté d’éprouver des sensa- tions n’est pas nécessaire à tous les animaux, et qu'elle pourrait même être très-nuisible aux plus frêles et aux plus imparfaits de ces êtres ; 4. Parce que le sentiment est un phénomène organique , et non la faculté particulière d’aucune matière quelconque ; et que ce phénomène, quel- qu'admirable qu'il soit, ne saurait être produit que par le système d’organes qui en a le pouvoir ; 5.° Enfin, parce qu'on observe que le système Îr INTRODUCTION. 29 nerveux, très-compliqué dans les mammifères et surtout dans les animaux des 1." genres des qua- drumanes , va en se dégradant et se simplifiant de - plus en plus à mesure que Von descend l'échelle animale ; qu'il perd progressivement, dans cette marche, plusieurs des facultés dont il faisait jouir les animaux ; et qu'il disparaît entièrement lui-même , long-temps avant d’avoir atteint l’autre extrémité de l'échelle. Si ce sont là des vérités attestées par l'observation; si tous les animaux ne possèdent pas la faculté de sentir , et n’ont pas celle d’agir volontairement , combien est fautive la théorie généralement recue, qui admet pour définition de l'animal, la faculté du sentiment et celle du mouvement volontaire ! Je ne m’étendrai pas ici davantage sur ce sujet ; mais ayant beaucoup de redressemens à présenter , relativement aux principes qu'il convient d'admettre en zoologie, et devant compléter les considérations essentielles qui peuvent, par leur connexion évi- dente, montrer le fondement de ces principes, je vais diviser cette Introduction en sept parties princi- pales. Dans la première je traiterai des caracteres es- sentiels des animaux , comparés à ceux des autres corps naturels que nous pouvons connaître , et Je donnerai une définition précise de ces êtres singu- liers. 26 INTRODUCTION. J’établirai , dans la seconde , l'existence d’une progression dans la composition de lorganisation des différens animaux , ainsi que dans le nombre et l'éminence des facultés qu'ils en obtiennent. Ce fait établi d’après l'observation , deviendra décisif en fa- veur de la théorie proposée. Je traiterai dans la troisième, des moyens em- ployés par la nature pour instituer la vie animale dans un corps où elle n'existait pas, composer en- suite progressivement l’organisation des animaux , et établir en eux différens organes particuliers, gra- duellement plus compliqués , qui leur donnent des facultés en rapport avec ces organes. Dans la quatrième partie, les facultés observées dans les animaux seront toutes considérées comme des phénomènes uniquement organiques , et j'en k -offrirai la preuve. | Dans la cinquième, je considérerai la source des penchans et des passions, soit des animaux sensibles , soit de l’homme même, et je montrera qu'elle est un véritable produit du sentiment intérieur , et par suite , de l’organisation. | Dans la sixième, l’enchaînement des causes essen- tielles à considérer m’oblige à traiter de la nature , c'est-à-dire, de la puissance , en quelque sorte mé- Canique , qui a donné l'existence aux animaux di-, vers , et qui les à fait nécessairement ce qu'ils sont. J’essaierai de fixer les idées que nous devons attache INTRODUCTION. 27 à ce mot si généralement employé, et néanmoins si vague dans son acception. Enfin , dans la septième et dernière parue , j'ex- poserai la distribution générale des animaux , ses divisions , et les principes sur lesquels cette distri- bution doit être fondée.Dès lors, le rang des différens animaux sans vertèbres , et les rapports de ces êires avec les autres corps connus de notre globe, seront clairement déterminés. 28 INTRODUCTION. BALARA LA R LELULA LAVAL LUTTE VE LIL LE VUE ALLAAA VAS LAAAAS ALL VAR PREMIÈRE PARTIE. Des caractères essentiels des animaux , comparés à ceux des autres corps de notre globe. J USQU'ICI, Jai essayé de faire voir que le plan général de nos études des animaux était fort im- parfait, et n'avait guère de valeur qu’a égard de nos classifications, de nos distinctions d’espèces , etc, J'ai montré, effectivement, que ce plan n’em- brassait nullement les moyens de nous procurer des notions exactes de ce que sont réellement les ani- maux, de ce qu’ils tiennent de la nature, de ce qu'ils doivent aux circonstances , enfin , de la source et des limites de leurs facultés; en sorte qu'il est résulté du plan borné de nos études zoologiques , qu’actuelle- ment même, nous ne sommes pas encore en élat d’attacher au mot animal, des idées claires, justes, et circonscrites. Pour fixer définitivement nos idées sur ce que sont INTRODUCTION. 29 essentiellement les animaux , ainsi que sur les ca- ractères qui leur sont exclusivement propres, et pour établir la véritable définition qu’il faut donner de ces êtres, 1l m’a paru indispensable de comparer de nou- veau ces mêmes êtres à tous ceux de notre globe qui ne sont point doués de la vie, et ensuite à ceux des corps vivans qui ne font point partie du règne animal , afin de déterminer les limites positives qui séparent ces différens êtres. Bien des personnes pourront regarder comme su- perflues les nouvelles déterminations des coupes primaires, parmi les productions de la nature dont j'entends faire ici l'exposition ; supposant que celles que l’on a établies sont suffisamment bonnes, assez connues, et qu'aucune rectification ne leur est né- cessaire. J'aurai cependant occasion de montrer les incertitudes que les distinctions primaires dont :1l s’agit n’ont pas détruites , en citant les écarts évidens auxquels elles ont donné lieu |, même dans nos temps modernes. Ainsi, reprenant, dans ses fondemens mêmes, l'édifice entier de nos distinctions des corps naturels, je vais considérer d’abord ce que sont essentielle- ment les corps incapables de vivre ; j’examinerai en- suite ce qui constitue positivement les corps doués de la vie , et quelles sont les conditions que l’exis- tence et la conservation de la faculté de vivre exigent en eux. De la, passant à l'examen des vegetaux en 30 = INTRODUCTION. géncral, je montrerai que ces corps vivans ont un caractère particulier qui les distingue tellement des animaux , qu'ils ne sauraient se confondre avec eux par aucun point de leur série. Enfin , ne m'’occu- pant que des considérations essentielles qui peuvent fixer cesdistinctions primaires, et n’entrant dans au- cun détail afin d'arriver rapidement à mon but, je terminerai par exposer, pour les animaux , des ca- ractéres essentiels et distimcufs qui ne laisseront nulle part, niincertitude , ni exception quelconque. Alors, la définition de chacune de ces sortes de corps, se trouvera simple, claire, précise , et tran- chée. | Pour remplir cet objet, je vais diviser cette pre- miére pärtie en quatre chapitres particuliers, et commencer par célui qui a pour but de fixer la déter- mination dés caractères essentiels des corps incapa- bles de vivre. INTRODUCTION. 31 CHAPITRE PREMIER. Des corps inorganiques , soit solides ou concrets, soit fluides , en qui le phénomène de la vie ne saurait se produire , et des caractères essentiels de ces corps. Avant de rechercher ce que sont positivement , soit les animaux, soit les végétaux , il importe de connaître ce que sont, de leur côté, les corps qui ne sauraient jouir de la vie , et de fixer nos idées sur l'organe, l'état et la nature de ces corps incapables de vivre. Alors, les comparant avec ceux en qui le phénomène de la vie peut se produire , les caractères qui indiquent la limite qui sépare ces deux sortes de corps, pourront être mis en évidence , s'ils existent. Mon dessein n’est assurément pas de considérer ici aucun des corps inorganiques en particulier , ni d'entrer dans le moindre détail sur l'étude déja fort avancée de ces corps ; mais comme nous devons tâ- cher de nous former une idée juste et claire de l’ani- mal , nous efforcer de le connaître sous tous ses rap- ports, et que l'animal est essentiellement un corps 32 | INTRODUCTION. vivant, 1 nous importe, avant tout, de savoir en quoi les corps incapables de posséder la vie, diffèrent de ceux qui en jouissent ou peuvent en jouir. Ainsi, jetons un coup d'œil rapide sur ces corps incapables devivre, et qui cependant fournissent les matériaux de ceux que la vie anime ; et fixons, d’une manière positive la limite qui la sépare des corps vivans. Quoiqu’admise, cette limite n’est pas telle- ment déterminée qu’on ait bien des fois tenté de la franchir de notre temps , en attribuant la vie à des objets dans lesquels il est impossible qu’elle puisse exister (1). En examinant attentivement tout ce que nous pouvons observer hors de nous, tout ce qui peut affecter nos sens et parvenir à notre connaissance , nous remarquons que, parmi tant de corps divers quisont dans ce cas, certains d’entre eux offrent cela de particulier, qu'ils manquent de rapports com- muns, relativement à leur origine ; que leur durée et leur volume ou leur grandeur n’ont rien qui soit (1) N’a-t-on pas osé dire que le globe terrestre est un ‘corps vivant; qu’il en est de même des différens corps cé- lestes ; et confondant le phénomène organique de la vie, qui donne des facultés toujours les mêmes aux corps en qui on l’'observe, avec le mouvement constamment répandu dans toutes les parties de la nature, n’a-t-on pas osé assimiler la nature même aux étres doués de la vie! INTRODUCTION, 33 déterminable ; que la conservation de leur existence n’est assujétie à aucun besoin de leur part , et serait sans terme, si, par suite du mouvement répandu dans toutes les parties de la nature , et si, agissant plus ou moins les uns sur les autres, selon les cir- constances de leur situation, de leur état et des af- fimités , 1ls n'étaient, plus ou moins, exposés à des changemens de toutes lessortes ; et qu’enfin, quoique beaucoup moins nombreux en espèces que les au- tres, ces corps constituent, eux seuls, la masse principale du globe que nous habitons. Or, cest à ces mêmes corps, soit solides, soit liquides, soit élastiques ou gazeux, que nous donnons le nom de corps irorganiques ; et nous allons faire voir qu’en aucun d'eux le phénomène de la vie ne saurait se produire. Afin d’écarter le vague et toute opinion arbitraire a leur égard , déterminons d’abord leurs caractères essentiels. Caractères généraux des COrps inorganiques. Les corps inorganiques , de quelque nature, consistance et grandeur qu'ils soient, diffèrent es- sentiellement de ceux qui possèdent la vie ; 1.0 En ce qu'ils n'ont l'individualité spécifique que dans la molécule intégrante qui constitue leur espèce partculiére ; les masses et les volumes que peuvent former par leur réunion ou par leur aggré- Tom. I. 5 34 INTRODUCTION. gation, ces molécules, n’ayant point de bornes , et n'opérant aucune modification de espèce dans leurs variations ; 2.0 En ce qu'ils n’ont point tous un même genre d’origine ; les uns s'étant formés par l’apposition de molécules déposées successivement à l'extérieur, et les autres ayant été produits, soit par des décompo- sitions partielles ou des altérations de certains corps , soit par des combinaisons que des matières diverses et en contact ont été exposées à former ; 3.0 En ce qu'ils n'ont point un tissu cellulaire servant de base à une organisation intérieure ; mais seulement une structure, un état quelconque d’ag- grégation ou de réunion de leurs molécules ; 4. En ce qu'ils n’ont aucun besoin à satisfaire pour leur conservation ; 5.0 En ce qu'ils n’ont point de faille mais seulement des propriétés ; 6. En ce qu'ils n’ont point de terme assigné à la durée d'existence des induvdus, leur fin, comme leur origine, étant indéterminée , et tenant à des circonstances fortuites ou accidentelles ; 7° En ce qu'ils n’ont aucun développement à opérer en eux, qu'ils ne forment point eux-mêmes leur propre substance , et que ceux qui éprouvent des mouvemens dans leurs parties , ne les acquièrent qu'accidentellement , et ne les recoivent jamais par excitation. INTRODUCTION. 35 8.° Enfin en ce qu'ils ne sont point assujétis à des pertes nécessaires ; qu'ils ne sauraient réparer eux- mêmes les altérations que des causes fortuites peuvent leur faire éprouver ; qu'ils ne sont point essentielle- ment forcés à une succession graduelle de change- mens d'état ; qu'ilsn’offrent , dans leur aspect , niles traits de la jeunesse , ni ceux de la vieillesse ; en un mot, que ne connaissant point la vie ils n’ont point de mort à subir. | Tels sont les caractères essentiels des corps inorga- niques, de ces corps dont la nature et l'indivi- dualité de espèce ne résident absolument que dans la molécule intégrante qui les constitue , et dont aucun individu ne saurait en lui-même posséder la vie, parce qu'il est impossible qu’une molécule intégrante puisse offrir le phénomène de la vie sans étre dé- truite dans l'instant même ; enfin , de ces corps qui, par la réunion de leurs molécules , peuvent former des masses diverses dans lesquelles la vie peut exis- ter , mais seulement dans le cas où elles ont pu être organisées , et recevoir dans leur intérieur l’ordre et l’état des choses qui permettent les mouvemens vi- taux et les changemens qu'ils exécutent. En effet, la vie, dans un corps , consistant, comme je le prouverai, en une suite de mouyemens qui amènent dans ce corps une suite de changemens forcés , la nature ne saurait l’instituer dans une mo- lécule intégrante quelconque, sans détruire aussitôt 36 INTRODUCTION. l'état, la forme et les propriétés de cette molécule. Ne sait-on pas que le propre de toute molécule inté- grante'est de ne pouvoir conserver sa nature et ses propriétés , qu'autant qu’elle conserve ‘sa forme , sa densité et son état ? en sorte que c'est üniquement sur cette constance de forme pour chique espèce, | que sont fondés les principes de la cryStallogräphie que M. Haïüy a si heureusement M et si habilement développés. rs Ainsi , La Vienne saurait exister dans unie tholécule intégrante de quelque nature qu’elle soit ; et cepen- dant tout corps inorganique n’a l PRE de son espèce que dans sa molécule intégrante. Elle ne sau- rait exister non plus dans une masse de molécules intégrantes réunies , si cêtte masse n'a recu l’orga- nisation qui lui donné alors individualité , c’est-a- dire, sielle n’a recu dans son intériéur l’ôrdre ét l'état de choses qui permettent en elle Péxécution des mouvémens vitaux. | ; Voilà des vérités de fait qu'il était important d’éta- blir, et qui montrent l'intervalle considérable qui sé- pare les corps inorgäniques ‘de ceux qe sont vivans. Ce n’est, comme nous le Yerrons, que dans une masse de Mol ! intégrantes diverses , réunies en un cor ps particulier , que Ja ‘nature peut instituer la vie, ny dans une molécule intégrante seule ; et elle n'y parvient que lorsqu’ elle a pu établir dans ce corps particulier , Vétat et l'ordrede choses néces- INTRODUCTION. 37 saires pour que le phénomène de la vie puisse s'y produire. Or, cet état et cet ordre de choses néces- saires à la production de la vie, constituent a-la-fois et l'orgamisation de ce corps, et son individualité spécifique. Il en résulte qu'a l'instant même où un corps qui jouissait de la vie, a perdu dans ses parties l'état de choses qui permettaient l’exécution.de ce phé- nomène , et qu'il est, par cette perte , devenu inca- pable de loffrir désormais ; aussitôt alors ce corps perd l'individualité spécifique, et fait partie dés corps inorganiques , quoiqu'il présente encore les restes grossiers d’une organisation qu’il a possédée, or- ganisation qui achève graduellement de s’anéantir , ainsi que la propre substance de ce même corps. La vue des restes de l’organisation d’un corps qui a vécu, mais en qui le phénomène de la vie ne peut plus s’exécuter , ne saurait donc laisser aucun doute sur le règne auquel ce corps appartient alors. Ainsi, les corpsgénéralement appelés :norganiques et qui forment un règne si distinct des corps vivans, n'ont pas, pour caractère unique, de noffrir au- cune apparence d'organisation ; mais ils ont celui d’avoir leurs parties dans un état qui rend impossible en eux la production du phénomène de la vie. Ces caractères, mis en opposition avec ceux des corps vivans , nous font connaître l’existence d’un hiatus , en quelque sorte immense, entre les uns. et les autres ; hiatus constitué par l'impossibilité des 38 INTRODUCTION. 4 uns de donner lieu au phénomène de la vie , tandis que lexécution de ce phénomène est possible : et presque toujours effectif dans les autres. Aussi ces deux sortes de corps comparés, présentent une si grande différence dans tout ce qui les concerne , qu'il n'est pas possible de trouver un seul motif raison- nable pour supposer que la nature ait pu les réunir quelque part, c’est-a-dire, passer des uns aux au- tres par une véritable: nuance. Par leur rapprochement et l’amas qu’en a causés la gravitation universelle , les corps inorganiques constituent eux seuls la masse principale du globe que nous habitons ; et bien inférieurs aux corps vi- vans en diversité d'espèces, ce sont eux cependant qui , par les grands volumes et les grandes masses qu'ils forment, occupent presque entièrement la place que tient dans l’espace le globe terrestre. À leur égard , néanmoins , les volumes et ec masses de ces corps ne se conservent pas toujours indéfiniment ; car ceux surtout qui se trouvent à la surface du globe, éprouvent sans cesse , de la part des agens répulsifs et pénétrans qui y dominent, des effets qui détachent peu-à-peu les particules de leur superficie. Alors , les lavages produits par les eaux pluviales, entraînent, charrient et déposent ail- leurs successivement ces particules ; et toutes celles qui se trouvent réduites en molécules intégrantes li- bres , l’aggrégation les réunit et les consolide en nou- INTRODUCTION. | 39 velles masses, ou en accroit les masses déja existan- tes qui les recoivent. À l’action des agens répulsifs et pénétrans , qui ne font que séparer les particules des corps que les circonstances où elles se trouvent rendent séparables, si lon ajoute celle des agens aliérans ou chimiques, qui peut aussi s'exercer sur ces mêmes corps, ainsi que celle des affinités qui dirigent alors chaque ac- tion de ces agens, on aura dans ces trois grandes causes, celles qui donnent lieu à toutes les muta- tions qu’on observe dans la nature , les volumes et les masses des corps inorganiques. Il n'importe nullement à mon objet d'indiquer ici la nature particulière d’aucun des corps imorgani- ques qui ont été observés ; mais la nécessité où je suis d'attirer l'attention sur certains de ces corps, parce qu’ils jouent un grand rôle dans le phéno- mène de la vie , et parce que ce phénomène ne sau- rait s’exécuter sans eux ; cette nécessité, dis-je, me met dans le cas de m'occuper ici sommairemeut des corps incapables de vivre , et de les distinguer , dans cette vue, en corps solides ou concrets, et en corps J[luides. Les corps inorganiques solides présentent des matières diverses, le plus souvent composées, for- mant des masses plusou moins dures, plus ou moins denses , et de différente grandenr. Ces masses résul- tent d’une aggrégation de molécules intégrantes , 4o INTRODUCTION. soit homogènes , soit hétérogènes, qui ont entr’elles une adhérence ou une cohésion plus ou moins con- sidérable : or, chacun sait : Que ces masses , le plus souvent pierreuses , nous offrent des terres diverses, qui se rencontrent , les unes pures, les autres mélangées ; les unes acidi- fères, les autres sans union avec aucun acide. Qu'en outre , parmi ces masses solides de toute grandeur et diversement entassées les unes sur les autres, on trouve des acides et des alkalis presque toujours combinés avec quelque matière concrète , des métaux différens , soit natifs , soit oxidés ; des matières combustibles daus l’état concret, soit pures, soit mélangées où combinées ; enfin, des aggrégats divers , la plupart sous forme de roche , d'ancienne ou de nouvelle formation , ainsi que des matières pierreuses altérées par le feu des volcans. Tous ces objets constituent les matériaux d’une science particulière que l’on a nommée minéralogie ; et ce sont eux principalement que l'on considère comme composant le regne minéral. Ws n’intéres- sent celui qui s'occupe du phénomène dela vie, que comme fournissant une partie des matériaux qui forment les corps vivans. Les corps inorganiques fluides sont constitués par des matières dont les molécules intégrantes , quelles qu'elles soient, n’ont point d’adhérence entr'elles , ou en ont une si faible qu’elle ne saurait les retenir INTRODUCTION. Âx dans leur situation, lorsque la gravitation sollicite leur déplacement. Par une cause connue, les molé- cules de ces corps sont entretenues dans cet état. Ces corps fluides doivent aussi faire parue du règne que Je viens de citer ; car on sait que la plu- part formeraient des corps solides ou concrets , si la cause qui maintient leur fluidité n’agissait plus. On prendra de ces fluides une idée générale qu'il importe de ne pas perdre de vue, en considérant : 1.° Que les uns sont des fluides liquides, peu ou point compressibles, et qui , réunis en masse, se voient toujours aisément. Or, indépendamment de ceux qui font parte de différens corps concrets et que l'on en peut obtenir , l’eau , considérée dans son état ordinaire, et qui est sitabondamment répandue dans notre AS nous oMTE À le principal de ces fluides liquides ; 2.9 Que les autres sont des fluides elastiques, ga- zeux , et la plupart entièrement invisibles. Or , c’est parmi ceux-ci qu'il est nécessaire d'établir une distinc- tion ; car 1l y en a de deux sortes particulières, qui sont très-importantes à considérer , à cause de leur influence dans un grand nombre de phénomènes qui seraient imintelligibles sans la considération de cette influence : ainsi, 1l faut les diviser ; 1.0 En fluides élastiques coërcibles , contenables et sensiblement pondérables ; 2.09 En fluides subtiles incontenables et qui parais- 42 INTRODUCTION. sent incoërcibles, étant pénétrans et pour nous impondérables. * Les fluides élastiques , coërcibles , contenables ; pondérables, sont ceux dont on peut renfermer et conserver des portions dans des vaisseaux clos ; ce qui nous donne les moyens de les examiner et de les bien connaître, en les soumettant à nos expériences. L'air atmosphérique et les différens gaz dont les chimistes nous ont donné la connaissance, appar- uennent à cette division. Les fluides subtils , incontenables , pénétrans et zmponderables, sont ceux dont on ne peut saisir et conserver aucune portion dans des vaisseaux cles ; que nous ne pouvons soumettre que difficilement et très-imparfaitement à nos expériences ; que nous ne connaissons qu'incomplètement , mais dont cepen- dant l'existence nous est assurée par l'observation. Or, ce sont précisément ces fluides subtils qu’il nous importe le plus ici de considérer ; car ce sont ceux qui dans notre globe, produisent les phéno- mènes les plüs étonnans, les plus curieux , les moins connus ; ce sont ceux qui, par leur action sans cesse renouvelée, constituent la cause excitatrice des mou- vemens vitaux dans tout corps organisé en qui ces mouvemens sont exécutables ; en un mot, ce sont - ceux que le biologiste ne saurait se dispenser de pren- dre en considération, s'il veut entendre quelque chose au phénomène de la vie, et saisir la cause des INTRODUCTION. 43 ‘autres phénomènes que la vie, dans les animaux , peut amener successivement, en compliquant de plus en plus leur organisation. On sait assez que les fluides singuliers et inconte- nables dont je parle, fluides qui sont si pénétrans et si subtils, sont le calorique , électricité , le fluide magnétique ; etc., auxquels peut-être 1l faut joim- dre la lumière , à cause de sa grande influence sur l'état et la conservation des corps vivans. (1) Ces fluides subtils remplissent partout, quoiqu’iné- galement , la masse entière de notre globe et son atmosphère. La plupart pénètrent, se répandent et se meuvent sans cesse, soit dans les interstices des autres corps , soit dans leur porosité ; enfin , ils sont si importans à considérer, quil est certain que , sans eux, Ou au moins sans certains d’entre eux , le phénomène de la vie ne saurait être produit dans aucun corps. Indépendamment de ses mouvemens de déplace- (1) Outre qu’il peut exister d’autres fluides incontenables et tres-sublils que nous ne sommes pas encore parvenus à apercevoir ou à distinguer , je n’associe la Zumière , qu'avec doute, aux autres fluides que je viens de citer ; parce que cette matière n'appartient pas exclusivement à notre globe, et parce qu’elle paraît à peine un‘fluide, ses particules ne se mouvant qu’en ligne droite, Pr. INTRODUCTION. ÿ ment, un d'entre eux, au moins, (le calorique } se trouve constamment dans un état répulsif plus ou moins intense, selon le degré de coërtion dans lequel 1l se rencontre. Il tend donc sans cesse à écarter ou à séparer les particules réunies des corps. L’électricité elle-même est dans un cas semblable toutes les fois que des masses de cette matière se trouvent coërcées momentanément par une cause quelconque. Je viens de dire que les fluides subtils et pé- nélrans cités ci-dessus , sont sans cesse en mou- vement dans les différentes parties de notre globe, dans tous les milieux qui composent sa masse, dans les interstices et même dans la porosité des corps. De cette vérité, qu’attestent les faits connus qui con- cernent ces fluides, 1l résulte que ces mêmes fluides sont partout dans une activité continuelle, et qu'ils exercent une influence réelle sur la plupart des phé- nomènes que nous observons. Or, pour montrer que les fluides subtils dont il s’agit , sont sans cesse en mouvement dans notre globe, il n’est nullement nécessaire d'attribuer à aucun d'eux le moindre mouvement en propre ; il suffit de considérer que, par leur extrême mobi- lité et leur facile condensation, ils sont, plus même que les autres corps, assujétis à participer aux mouvemens répandus et entretenus dans toutes les parties de la nature. INTRODUCTION. 45 Ainsi ,; sans remonter à la cause du mouvement diurne de rotation de notre globe sur son axe, ni à celle de son mouvement annuel ätitour du soleil , nous ferons remarquer qüe ces deux mouvemens non interrompus de note globe; ‘entraînent néces- sarement ceux des fluides subuls dont 11 est ques- uon ; qu'ils les exposent à des déplacemens conti- nuels , et les mettent sans cesse, pour ainsi-dire, dans un état d’agitation et de condensation instan- tanée et diverse, En effet, que l’on considère les alternatives per- pétuelles de lumière et d’obscurité que le jour et la nuit entretiennent sur différens points de notre globe, celles que les saisons, les vents , etc. , produisent presque continuellement dans son atmosphère, on senüra quil doit en résulter des variations locales et toujours renaissantes , dans la température et la densité de Fair atmosphérique , dans la sécheresse ou l'humidité de diverses parties de sa masse, et dans les quantités d’électricité qui pourront se ré- pandre et s’accumuler localement dans l’atmosphère, ou en étre expulsés plus ou moins complètement , selon ces diverses circonstances. Il sera toujours vrai de dire que , dans chaque point considéré de notre globe où ils peuvent pé- nétrer, La lumière , le calorique , l’électricité, etc. ne s’y trouvent pas deux instans de suite en même 46 INTRODUCTION. quantité, en même état, et n’y conservent pas la méme intensité d'action. L'on sent donc que les fluides subtils , incoër- cibles et pénétrans , dont il vient d’être question , constituent nécessairement une source féconde em phénomènes divers : et qu'eux seuls peuvent offrir cetie cause singulière , excitatrice des mouvemens vitaux dans les corps où ces mouvemens sont pos- sibles. Nous étant formé une idée claire des caractères essentiels des corps FRANSanIQUES., soit solides, soit fluides, passons maintenant à l'examen de ceux qu sont le propre des corps vivans. INTRODUCTION. 47 CHAPITRE IL. Des corps vivans , et de leurs caracteres essentiels. D: l’idée, plus ou moins juste, que nous nous formerons des corps vivans en général, dépen- dront la solidité plus ou moins grande, de nos con- naissances sur le phénomène de la vie, et celle aussi, plus ou moins grande, de nos théories physio- logiques , soit végétales , soit animales. Nous devons donc apporter la plus grande cir- conspection dans les conséquences que nous tirerons des faits mêmes pour cet objet ; et nous rappeler que c’est surtout ici qu'il faut éviter notre écueil ordi- naire , celui de conclure du particulier au général. Sans doute , 1l est très-dangereux de rechercher directement, à laide de notre imagination, ce que sont les corps vivans , ce qu'est a vie elle-même qu'ils possèdent et qui les distingue des corps qui ne sauraient en jouir ! mais J'ai depuis long-temps re- marqué et fait connaître une voie plus assurée pour atteindre le même but sans s’exposer autant à ler- reur ; c’est celle de fixer , d’après l’observation , les 43 | INTRODUCTION. conditions essentielles à l'existence des corps vivans, et ensuite à celle de la re. La détermination de ces conditions n’exige aucun raisonnement de notre part, mais seulement un fon- dement reconnu ou incontestable dans les faits cités. Enfin, ces mêmes couditions, en nous éclairant sur la nature des objets considérés, deviendront les caractères distinctifs de certains de ces objets. Avant d'établir positivement ces caractères , et conséquemment les conditions essentielles a l’exis- tence des corps vivans , considérons les observations suivantes. À mesure que notre attention fut dirigée sur ce qui est hors de nous, sur ce qui nous environne, et particulièrement sur les objets qui se sont trouvés à la portée de nos observations , outre les corpsinor- ganiques et sans vie qui constituent presque la masse entière de notre globe, nous ayons distingué et re- connu l'existence d’une multitude de corps singuliers qui, quelque différens qu'ils soient les uns des au- tres, ont tous une manière d'être quileur est com- mune et a-la-fois particulière. Ces corps, en effet, ont tousun même genre d’o- rigine, des termes à leur. durée , des besoins à satis- faire pour se conserver, et ne, subsistent qu’à l’aide d’un phénomène intérieur qu’on a nommé la wie, et d'une organisation qui permet à ce phénomène de s'exécuter. INTRODUCTION. 49 Voila déjà , dans ce peu de faits positifs , des con- ditions essentielles à l'existence de ces corps. Il y en a bien d’autres encore que je citerai bientôt ; et l’on sentira que ce ne peut être que de leur ensemble que naïtra la seule idée juste que nous puissions nous former des corps dont 1l s’agit. Ayant exposé dans ma Philosophie zoologique (vol. 1, p. 400 les conditions essentielles à exis- tence de la vie, je ne vais m'occuper ici que des corps en qui ce phénomène s'exécute ou peut se produire. C’est aux corps singuliers et vraiment admirables dont je viens de parler, qu'on a donné le nom de corps vivans ; et la vie qu'ils possèdent, ainsi que les facultés qu'ils en obtiennent, les distinguent es- sentiellement des autres corps de la nature. Ils of- fent en eux et dans les phénomènes divers qu'ils présentent , les matériaux d’une science particulière qui n’est pas encore fondée, qui n'a pas même de nom, dont j'ai proposé quelques bases dans ma Philosophie zoologique ; et a laquelle je donnerai le nom de Biologie. On concoit que tout ce qui est généralement com- mun aux végétaux et aux Animaux , Comme toutes les facultés qui sont propres à chacun de ces êtres, -sans exception , doit constituer l’unique et vaste ob- jet de la Biologie ; car les deux sortes d'êtres que je viens de citer, sont tous essentiellement des corps T'om. I. A 50 .INTRODUCTION. vivans , et ce sont les seuls êtres de cette nature qui existent sur notre globe: Les considérations qui appartiennent à la Biologie sont donc tout-à-fait indépendantes des différences que les végétaux et les animaux peuvent offrir dans leur nature, leur état et les facultés qui peuvent être particulières à certains d’entre eux. Si les facultés généralement communes aux êtres vivans , et qui sont exclusives pour tous les autres, nous paraissent admirables, nous semblent: même des merveilles , telles que celles : 1.0 d'offrir en eux le phénomène de la vié ; ° de se nourrir à aide des matièresétrangères INCOr POrÉES ; 3.9 de former eux-mêmes les substanées dont leur corps est composé, ainsi que celles on s’en séparent par les sécrétions ; 4. de se développer et de s’accroître jusqu'a un terme particuher à chacun d'eux ; 5.e de se régénérer eux-mêmes, c’est-a-dire, de produire d’autres corps qui leur soient en tout semblables , etc. C’est parce que nous »’avons pas réellement étu- dié les moyens de la nature , et la marche cons- - tante qu’elle suit en les employant; c'est parce qué nous navons pas examiné l'mfluence qu'exercent les circonstances, et les variations qu’ellés exécutent dans les produits de ces moyens. LA INTRODUCTION: Br Par ce défaut d'étude et d’examen de ce qui a réellement lieu, les faits observés à égard des corps vivans , nous paraissent des merveilles incon- cevables ; et nous croyons pouvoir suppléer aux ob- servations qui nous manquent sur les moyens et la marche de la nature , en imaginant des hypotheses qui seraient bientôt répoussées par les lois qu'elle suit dans ses opérations, si nous les connaissions mieux. | Par exemple , ne prétend-t-on pas que les en- grais fournissent aux végétaux des substances par- ücubières, autres que l'humidité , pour les nourrir ; tandis que ces matières , plus propres que les autres a conserver l'humidité ( l'eau divisée ), ne servent qu'a entretenir autour des racines des plantes, celle qui est favorable à leur végétation. Et si certains engrais sont plus avantageux que d’autres à certaines races, n'est-ce pas parce qu'ils conservent l’humi- dité dans le degré qui leur convient ? Enfin, si les particules de certaines matières entrainées par l’eau que pompent les racines ; donnent à ces végétaux les qualités particulières , cela empêchet-il que ces matières ne soient vraiment étrangères et nullement nécessaires à la vegétation de ces plantes ? Je me borne à la citation d’un seul exemple de nos écarts dans les conséquences que nous tirons des faits observés à l’égard des corps vivans : d’autres exemples n’entraîneraient trop hors de mon sujet. 5a INTRODUCTION: Je dirai seulement que , ne considérant pas cer- taines limites que la nature ne saurait franchir, bien des personnes commettent une erreur en croyant qu'il existe une chaîne graduée qui lie entr’eux les différens corps qu’elle à produits. Il suivrait de cette opinion que les corps inorganiques se nuanceraient quelque part avec les corps vivans , savoir , avec les végétaux les plus simples en organisation ; et que les végétaux eux-mêmes , tenant le milieu entre les deux autres règnes se confondraient avec les ani- maux par quelque point de leur série réciproque. L’imagination seule à pu donner lieu à une pa- reille idée, qui est ancienne, et qu’on a renouvelée dans différens ouvrages modernes. Mais je prouve- rai qu'il n'ya point de chaîne réelle qui lie géné- ralement entr'elles les productions de la nature, et qu'il ne peut s’en trouver que dans certaines bran- ches des séries qu’elles forment ; encore ne s’y mon- tre-t-elle que sous certains rapports généraux. Pour éviter les raisonnemens, les discussions particulières, et faire connaître les conditions es- sentielles à l’existence des corps wivans , je vais ex- poser les vrais caractères de ces corps. Îls me four- niront une distimction positive et très-grande entre les corps inorganiques et ceux qui jouissent de la vie. Ensuite, j'en établirai une de toute évidence entre les plantes et les animaux ; en sorte que l’on pourra se convaincre que ces trois branches des pro- INTRODUCTION. 33 duits de la nature sont véritablement isolées, et ne se lient nulle part entr'elles par aucune nuance. Déja nous avons vu les caractères essentiels des corps inorganiques, auxquels il faut joindre ceux qui, possédant les restes d’une organisation qui à existé en eux , sont devenus incapables d’être animés par la vie. Maintenant , pour effectuer notre compa- raison , examinons les principaux traits qui caracté- risent les corps vivans , et qui mettent entr'eux et les corps inorganiques une distance considérable. Caractères généraux des corps vivans. Les corps vivans, par des causes physiques dé- terminables ; Ont tous généralement : 1° L'individualité de Vespèce existante dans la réunion , la disposition et l’état des molécules inté- grantes diverses qui composent leurs corps, et ja- mais dans aucune de ces molécules considérée Sépa- rément (1); om, (1) L'individualité spécifique des corps vivans réside tou- jours dans une masse résultante de la réunion. et de la dis- position de molécules intégrantes diverses ; mais elle est tantôt simple et tantôt composée. Elle est simple , lorsqu'elle réside dans le corps entier ; elle 54 | INTRODUCTION. ° Le corps composé de deux sortes essentielles de parties ; savoir , de parties concrètes , toutes ou la plupart contenantes , et de fluides libres contenus ; les premières étant généralement constituées par un ussu cellulaire flexible, susceptible d’être modifié diversement par lesmouvemens des fluides contenus, et de former différens organes particuliers ; 3. Des mouvemens internes, dits vitaux , qui ne sont produits que par des causes excitatrices ou sti- mulantes : mouvemens qui peuvent être, soit accé- lérés , soit ralentis ou même suspendus, mais qui sont nécessaires aux développemens de ces corps ; 4. Un ordre et un état de choses dans les parties qui, tant qu'ils subsistent, rendent possibles les mouvemens vitaux dont l'exécution constitue le phénomène de la vie (1) ; mouvemens qui amènent dans le corps une suite de changemens forcés ; | est composée , lorsque le corps entier est lui-même composé, | d'individus réunis. ÿ Dans la plupart des végétaux, comme dans un grand nombre de polypes , l’individualité est évidemment compo- sée; en sorte qu’elle résulte d'individus réunis, mais dis* tincts, qui donnent lieu, en général, à un corps commun, non individuel, (1) Dans ma Philosophie zoologique ( vol. 1., p. 403. } j'ai fait voir que /a vie, dans tout corps qui en est doué INTRODUCTION. 55 5.0. Des pertes à subir et des réparations à opé- rer , entre lesquelles une parfaite égalité ne saurait exister, et d'ou résulte dans tout corps animé par la vie, une succession de changemens d'état, qui amène , pour chaque individu , la différence de la Jeunesse à la vieillesse, et ensuite sa destruction au moment où le phénomène de la vie cesse de pouvoir se produire ; 6. Des besoins à satisfaire pour leur conserva- tion, ce qui les met dans la nécessité de s'approprier des matières étrangères qui les nourrissent, et qu'ils changent et transforment en leur propre substance ; 7. Des développemens à opérer pendant un temps quelconque dans ‘toutes les parties ; déve- loppemens qui constituent leur accroissement jus- qu'a un terme particulier à chacun d'eux, et qui résulte dans ce corps de l’existence d’un ordre et d’un état de choses dans ses parties, qui y permettent les mouvemens organiques ou vitaux , etque ces mouvemens néanmoins ne s’exécutent qu'a la provocation d’une cause excitante. Ainsi, /a vie, dans un corps, consiste en une suite de mouvemens excités, qui s’y renouvellent et s’y maintiennent tant que l’ordre et l’état de choses dans ses parties les per- mettent, et que la cause qui les excite est subsistante. Il faut donc reconnaitre dans un corps vivant l’existence simultanée de ces deux conditions essentielles à la production du phé- nomène de la vie. 56 INTRODUCTION. produisent la différence de taille , de volume et d’é- tat, entre le corps nouvellement formé, etle même corps développé complètement ; 8.° Un même genre d’origine (1) ; car ils pro- viennent les uns des autres , non par des développe- mens successifs de germes préexistans , mais par l'isolement et ensuite la séparation qui s’opère d’une partie de leur corps ou d’une portion de leur subs- tance , laquelle, préparée selon le système d'orga- nisation de l’individu, donne lieu au mode parti- culier de reproduction qu’on lui observe ; 9.2 Des facultés quileur sont généralement com- munes , et qui sont exclusives pour tous les corps vivans , indépendamment de celles qui sont particu- lières à certains d’entre eux ; 10.0 Enfin des termes assignés à la durée d’exis- tence des individus ; la vie, par sa propre durée, amenant elle-même une altération des parties qui, parvenues à un certain point, ne permet plus au phé- nomène qui la constitue de continuer de s’opérer ; en sorte qu'alors la plus légère cause de désordre arrête ses mouvemens ; et c’est l'instant de leur ces- (1) Il faut en excepter les genérations, dites spontanées , c'est-à-dire, celles que la nature produit immédiatement, comme à l’origine de chaque règne organique , et probable- nent encore à celle des premières de leurs branches. INTRODUCTION. 97 sation, sans possibilité de retour, qu'on nomme la mort de l'individu. Ce sont la les dix caractères essentiels des corps vivans ; caractères qui leur sont communs à tous. Or, on ne trouve rien de semblable à l'égard des corps inorganiques. Leur nature conséquemment est très- différente. Par cette opposition des caractères qui distmguent les corps vivans de ceux qui ne peuvent posséder la vie , on apercevra facilement l'énorme différence qui se trouve entre ces deux sortes de corps; et l’on concevra , malgré tout ce que lon peut dire, qu'il n’y a point d'intermédiaire entr'eux , point de nuance qui les rapproche et qui puisse les réunir. Les uns et les autres , néanmoins , sont de véritables produc- tions de la nature : ils résultent tous de ses moyens, des mouvemens répandus dans ses parties, des lois qui en régissent tous les genres , enfin , des affinités grandes ou petites , qui se trouvententre les différen- tes matières qu’elle emploie dans ses opérations. Quoique les corps vivans soient ici ceux qui nous intéressent le plus, puisque les objets dont nous avons à nous occuper en font partie, je ne dévelop- perai aucun des caractères cités qui leur sont pro- pres. Je rappelerai seulement quelques considérations importantes , qui dérivent de ces caractères, et qu'il est nécessaire de ne pas perdre de vue ; savoir : 1.0 Que tous exigent pour pouvoir vivre, c’est- 4 58 INTRODUCTION. a-dire, pour que leurs mouvemens vitaux puissent s'exécuter, non seulement un état et un ordre de choses dansleurs parties, qui permettent les mouve- mens de la vie, mais en outre l’action d’une cause stimulante, capable d’exciter ces mouvemens ; 2.9 Que leur corps étant essentiellement constitué par un &üssu cellulaire , ce tissu est en quelque sorte la gangue dans. laquelle des fluides contenus et mis en mouvement, ont formé différens organes , selon que les mouvemens de ces fluides se sont plus accé- lérés , plus diversifiés , et se sont exécutés dans des partes plus différentes ; 3.° Que tous, à l’aide des matières étrangères dont ils se saisissent ou qu'ils absorbent , et dont ensuite ils élaborent , assimilent et s'approprient les parties employées , composent eux-mêmes leur pro- pre substance, en accroissent leurs parties tant que cela est possible, et en réparent plus ou moins com- plètement les pertes : ce sont là leurs principaux besoins ; 4.° Que toutes leurs parties et surtout leurs fluides propres, sont dans un état continuel de change- ment lent ou rapide ; que les molécules qui les cons- tituent, se composent pour arriver à l’état qui les rend utiles, s’altèrent ensuite et sont renouvyelées de même par des remplacemens successifs à l'aide des alimens, des absorbtions , de l'influence de l'e- xigène et de activité de la vie; en sorte que, des INTRODUCTION. 59 changemens que ces parties subissent dans leurs mo- lécules intégrantes , 1l résulte, dans leurs solides , des renouvellemens perpétuels quoiqu'insensibles , et dans leur fluide essentiel , l'existence d’élémens pro- pres à la formation de diverses matières particulières , dont les unes, utiles, sont sécrétées et employées, tandis que les autres, inutiles, sont évacuées par les excrétions diverses ; 5.0 Que tous, se développant et s’aceroissant jus- qu'a un terme particulier à cisacun d'eux, ne le font que par intus-susception , c’est-à-dire, par une force intérieure ou par des actes d'organisation qui forment et développent leurs parties par l’intérieur , en identifiant à leur substance et fixant les molé- cules étrangères introduites et assimilées ; 6.° Que tous, ayant la faculté de reproduire , quoique par des voies variées , des individus sem- blables à eux, rapportent dans ces nouveaux in- dividus produits , tous les changemens qui se sont opérés dans leur système d'organisation pendant le cours de leur vie ; 7.0 Quela vie, que chacun d’eux possède, n’est point un être, un corps, une matière quelconque ; qu’elle n’est point un ensemble de fonctions (1); (1) On a dit que la vie était un ensemble de fonctions : c’est à tort; car des fonctions n’étant que des actes de l’or- ganisation et de ses parties, ni la vie , mi l’organisation elle- Go | INTRODUCTION. +2 mais qu'elle est un phénomène physique , résultant d’un ordre de choses et d’un état de parties qui, tant qu'ils se conservent , permettent dans ces corps les mouvemens et les changemens qui constituent ce phénomène , et qu’une cause stimulante y excite ; 8.0 Que , dans tous, ce sont les actes mêmes de la vie qui produisent tous les genres de changement qu'on observe dans ces corps, qui leur donnent des facultés communes et qui amènent progressivement en eux l'état de choses qui les fait périr ; 9.2 Enfin, que, par sa durée dans un corps et dans ceux ensuite qui en proviennent de généra- tions en générations , la vie, favorisant de plus en plus le mouvement et le déplacement des fluides, acquiert sans cesse les moyens de modifier davan- tage le Zssu cellulaire, d’en changer des portions en canaux vasculaires, en membranes, en fibres, en organes divers; de fortifier, durcir ou solidifier certaines de ces parties , par l’interposition , dans leur ussu , de molécules propres à ces objets , et par- vient ainsi à compliquer progressivement l’orgami- sation. | Les dix caractères essentiels qui distinguent les même , ne sont et ne peuvent être des fonctions : elles sont seulement, l’une, la cause, et l’autre, les moyens qui don- nent lieu à ce que des fonctions s’exécutent. INTRODUCTION. O1 -corps vivans des autres corps naturels , et les neuf considérauons capitales que j'y viens d'ajouter , pré- sentent un ensemble d'idées qui appartient exclu- sivement à ces COrps. Resserrons maintenant cet ensemble dans les deux considérations suivantes ; elles nous aideront , au besoin , dans la détermination des rapports entre les objets. Les fonctions les plus générales que l'organisa- uon ait à remplir dans les corps vivans, sont au nombre de deux ; savoir : 1.0 Celle de nourrir, de développer et de con- server l'individu ; 2.9 Celle de le reproduire et de le multiplier. Ces deux fonctions sont principales et du pre- mier ordre, puisque depuis l'organisation la plus simple jusqu'a celle qui est la plus compliquée dans sa composition, toutes généralement les remplissent June et lautre , quoiqu’avec une grande diversité de moyens. Dès que la vie existe dans un corps , c’est-à-dire , dès que l’état de ses parties et l’ordre des choses qui s'y trouve , permettent à ce phénomène de se pro- duire, l’organisation de ce corps est alors capable de rempiir les deux fonctions dont 1l s'agit. Mais, comme elle le fait évidemment par des moyens ‘va- riés, selon son état de simplicité ou de composi- tion , il en résulte que, dans le système d’orga- Ga INTRODUCTION: / nisation la plus snple, ces deux fonctions s'exé- cutent sans organes spéciaux quelconques ; tandis. qu'ils sont absolument nécessaires , et qu'ils se com- posent de plus en plus, à mesuré que l’organisa- tion se compose élle-même davantage. Efféctivément, les organisations les plus simples se trouvant formées de substances elles-mêmes très-peu composées, les molécules nutritives introduites n’ont presque point de changemens à subir pour être assimilées , iden- tifiées. Dans ce cas , les mouvemens ét lés forces de la vie suffisent , et il ne faut pas d'organes par- ticuliers pour la nutrition. Le fait observé à égard des corps vivans les plus simples ; Et je ue les choses se passent ainsi. C’est donc à tort que lon a supposé ; ‘dans tous les corps vivans, des organes particuliers pour l’exé- cution de chacune de cés deux fonctions ; qu’on a prétendu que ceux nécessaires pour li génération ÿ coexistaient toujours avec ceüx de la nutrition’; et que lexistence des organes destinés à ces fonctions, devait constituer le caraetère des corps vivätis. Ce que l’on peut dire de plus fondé à éet égard , cest que la nature étant parverüe , dans éértains corps vivans, à instituer :des orgâhés pärticuliéts , d’abord pour la prennière étensuite pour la sécônde de ces fonctions , les caractères que fournissent ces organes sont véritablement les plus importätis à con- sidérer dans là détermination des rapports; les fonc- INTRODUCTION. 63 tions qu'ils ont à remplir étant elles-mêmes de pre- hière importance. Mais 1l n'est pas vrai que, dans tout corps vi- vant quelconque, 1l y ait des organes parueuliers , soit pour l’une , soit pour l’autre des deux fonctions dont 1} s’agit ; car les organisations les plus simples, végétales où animales , n’en offrent ni pour la ré- production , ni pour la nutrition , à moins qu’on ne prenne les pores absorbans de Fextérieur pour des organes particuliers. Maintenant, si l’on rassemble méthodiquementles dix caractères essentiels des corps vivans, en yajou- tant les neuf considérations qui viennent ensuite , et si l’on a égard aux deux fonctions générales que l’or- ganisation , quelle qu’elle. soit, doit remplir, on aura des bases solides et imcontestables pour une Philo= sophie biologique partout d'accord avec les observa- tions connues ; on reconnaitra facilement que les différens phénomènes que nous offrent les corps vivans, sont tous véritablement physiques ; que leurs causes mêmes sont détérminables , quoiqué difficiles a saisit ; en un mot, on sentira que la seule voie à suivre, pour avancer nos connaissances dans cette intéressante partie de la nature , ne peut étre autré que celle de donner la plus grande attention aux caractères cités des corps vivans, et aux considé- rations que j'ÿ ai ajoutées. Après avoir perdu la vie qu’ils possédaient, les L 64 INTRODUCTION. corps dont il s’agit font partie , dès l'instant même, des corps qu'on nomme inorganiques, quoiqu'ils offrent encore les restes d'une organisation qui a existé complètement en eux ; et bientôt ils se trou- vent réduits à l’état des autres corps inorganiques. Alors, en effet , leurs parties se décomposent pro- gressivement , se dénaturent , se séparent , et leurs différens résidus on produits, de plus en plus chan- ! gés , perdent peu-à-peu les traits de leur origine qui devient graduellement méconnaissable. Enfin; ces résidus changés concourent , avec les circons- tances, à la formation d’autres matières plus ou moins composées, et vont augmenter la masse des diverses sortes de minéraux et de matières inorganiques, soit solides, soit liquides, soit ga- zeuses. . La différence qui existe entre un corps vivant et un corps inorganique , ne consiste donc réellement qu’en ce que, dans le premier, l’état des parties permet en lui la production du phénomène. de ;la vie, qui n’a besoin que d’uné cause excitante pour avoir lieu ; tandis que, dans le second , ce phéno- mène est impossible , même malgré l’action de toute cause excitante. | 1 ct Cette différence.se retrouve. encore en ce que., dans le corps vivant, l'individualité réside dans un ensemble de molécules intégrantes, diverses ; tan- dis que, daus le corps inorganique,, cette individua- INTRODUCTION. | 65 lité réside en entier dans chaque molécule intégrante seule. Cet état des parties , qui rend possible dans un corps l'exécution des mouvemens vitaux , est si peu déterminable, que l'homme ne saurait parvenir à li miter. Aussi l'analyse et la synthèse détruisent et re- produisent à volonté plusieurs corps ou matières inorganiques ; mais il est impossible à homme de former un corps vivant , ni une seule de ses parties. Ce sont-la des faits positifs , des vérités qui n'ont rien à redouter d’un examen approfondi. Je n’en ex- pose ici qu’une esquisse resserrée , mais elle est suf- fisante pour nous diriger dans nos études. En appendice de ce chapitre , disons un mot des corps vivans composés. Corps vivans composées: C’est , sans doute , un fait bien étonnant et à peine croyable que celui de l'existence de corps vi- vans, composés d'individus réunis, qui adhèrent les uns aux autres, et participent à une vie commune; et cependant , quelqu’extraordinaire que ce fait nous paraisse , on ne saurait maintenänt le révoquer en doute. On n’eût peut-être jamais remarqué ce fait, s’il eût été borné au règne végétal dans lequel 1l se trouve presque genéral , et où il est en quelque sorte Tome Î, 5 66 INTRODUCTION. masqué par un mode particulier , qui le rend moins disunct. Mais , dans les animaux, où ce même fait ne s'offre guère que dans une seule de leurs classes, il s'y montre avec tant d’évidénce , qu’on a été forcé de le reconnaitre. C'est , effectivement, dans les animaux, que l’on s'est apercu, pour la première fois, que la nature avait su former des corps vivans composés , C’'est-a- dire, résultant d’une réunion de plusieurs individus distincts, adhérant les uns aux autres , se nourrissant et vivant en commun. Ainsi, ce fait singulier est main- tenant constaté dans le règne animal ; et dans ce règne, c'est presqu'uniquement parmi les polypes qu’on en trouve des exemples. En examinant attentivement le fait dont 1l s’agit, on reconnaît bientôt qu'il est loin d’être uniquement le propre de certains animaux ; car la nature l’a rendu bien plus général parmi les végétaux. Or , de part et d'autre, une distinction importante dans son mode d'exécution mérite d’être faite. Par exemple, parmi les polypes , dont un si grand nombre présente des animaux véritablement compo- sés , 1l faut distinguer ceux qui, quoique composés d'individus qui tiennent les uns aux autres, ne pa- raissent point donner lieu à la formation d’un corps commun , doué d’une vie indépendante de celle des individus, de ceux , parcillement composés , dont INTRODUCTION. 67 les individus concourent chacun à la formation et à l’aggrandissement d’un corps commun et particulier , qui survit aux individus qu’il produit successivement. Cette distinction n’est pas toujours sans diflicultés ; et néanmoins , sans elle , la source d’une multitude de faits observés , surtout parmi les végétaux , ne saurait être reconnue. Les polypes composés , de la premiére sorte, c'est-à-dire, ceux qui ne forment point de corps commun , particulier et bien distinct , nous parais- sent trouver des exemples dans les vorticelles ra- meuses , dans les hydres , dans les polypes des po- lypiers vaginiformes , des polypiers à réseau, ete. Ces polypes , à corps grêle et plus ou moins allongé, adhèrent les uns aux autres sans agglomération et sans offrir l'apparence d’un corps commun , survi- vant aux individus. Ceux , au contraire , qui ont un corps commun , survivant à tous les individus qui se développent, se régénèrent et périssent successivement sur Ce COrps ; ceux-la , dis-je, constituent la 2.° sorte de polypes composés , et paraissent trouver des exemples dans les polypes agglomérés, tels que ceux des astrées, des meéandrines , des alcyons , des éponges , etc. C’est surtout dans les polypes flottans que ce corps commun jouissant d’une vie mdépendante , ne laisse plus de doute sur son existence. Or , nous verrons 68 INTRODUCTION: qu'un pareil corps est éminemment reconnaissable dans un grand nombre de végétaux composés. Il est certain que , si l'on considère les polypes agglomérés cités ci-dessus, et si lon examine ce qui se passe à leur égard , on se convaincra qu'ils constituent dans l’eau , une masse commune vivante produisant sans cesse à sa surface des milliers d'indi- vidus distincts qui y adhèrent , se développent rapi- dement , se régénèrent et périssent bientôt après , se trouvant alors remplacés par de nouveaux individus qui parcourent aussi les mêmes termes ; tandis que la masse commune résultante de toutes les additions que ces individus passagers y ont formées , continue de vivre presqu'indéfiniment , si l'eau qui l’environne ne lui manque point. Cette masse commune vivante meurt néanmoins partiellement et progressivement dans sa partie inférieure la plus ancienne , tandis qu'elle continue de vivre dans ses parties latérales et supérieures. Je n'ai concu réellement l'existence de ce singu- lier corps commun à l'égard de certains polypes com- posés , qu'après avoir pris en considération ce qui se trouve d’analogue dans les végétaux vivaces ; et sur- tout dans ceux qui sont ligneux. Certes, aux yeux du naturaliste , ces objets sont d’un trop grand intérêt pour que je ne m’empresse pas d'en dire ici un mot; et l’on me pardonnera sans doute une digression relative aux végétaux composés, INTRODUCTION. 69 parce qu'elle concerne un fait important qui a été néglgé, et qui mérite l'attention de ceux qui étu- dient la nature. Comparaison des animaux composes avec des végétaux pareillement composés. Rien , sans doute , n’est plus remarquable que l'analogie qui se trouve entre certains végétaux et certains animaux sous plusieurs considérations. Elle montre que, quoique ces deux sortes d'êtres soient entr’elles essentiellement différentes | puisqu'elles appartiennent à deux règnes très-distincts , la nature, en les formant, a néanmoins suivi la même marche, et exécuté un plan uniforme. Laissant à l'écart les autres considérations sous les- quelles une analogie évidente s’observe dans les faits que présentent certains végétaux et certains animaux , nous ne nous arrêterons ici qu'a celle qui concerne, dans ces deux sortes de corps vivans, des êtres véri- tablement composés d’une réunion d'individus dis- uncts. Une petite digression sur ce sujet sera instruc- ve et très-utile à la connaissance des objets que nous avons en vue. En effet, qu’on ne s’y trompe pas; de même qu'il ya des animaux simples, constituant des individus isolés , et des animaux composés, c'est-a-dire, cons- titués par des individus réunis, qui adhérent les uns 70 INTRODUCTION. aux autres , communiquent ensemble par leur imte- rieur , et participent à une vie commune, ce dont la plupart des polypes offrent des exemples ; de même aussi il y a des végétaux simples, qui vivent indivi- duellement, etily a, en outre, des végétaux compo- sés , c’est-à-dire , constitués par plusieurs individus qui vivent ensemble , se trouvant comme entés les uns sur les autres ou sur un corps commun, et qui participent à une vie commune. Je vais essayer de montrer que ce fait, à leur égard , est tout aussi positif qu’il l’est relativement aux animaux cités. Le propre d’une plante est de vivre jusqu'à ce qu'elle ait donné ses fleurs et ses fruits ou ses cor- puscules reproductifs. La durée de sa vie s'étend rarement au dela d'une année; et si, pour se ré- générer, elle développe des organes sexuels , ces organes n'exécutent qu'une seule fécondation; en sorte qu'ayant opéré des gages de reproduction, ils périssent ensuite et se détruisent complétement ; ainsi que l'individu qui les à produits. Ce sont-là des vérités que l’on ne peut raisonnablement refu- ser de reconnaitre. Cependant , si beaucoup de plantes , dans leur durée annuelle , offrent des exemples de ce que je viens de citer , beaucoup d’autres paraissent conti- nuer de vivre après avoir fructifié , et donnent effec- tivement des fleurs et des fruits plusieurs années de INTRODUCTION. 71 suite avant de périr ; 1l y a donc, à l'égard de ces der- nières , un ordre de choses particulier qui les distin- gue , et qu'il importe de reconnaître. On va voir que la différence singulière entre la vie très-bornée de certains végétaux qui périssent après avoir frucufié , et celle de beaucoup d’autres qui vivent et fructifient plusieurs années de suite, tient essentiellement à ce que les uns sont des imdi- vidus isolés, soit simples , soit prolifères, qui n’ont pu se former de corps commun , capable de vivre particulièrement ; tandis que les autres sont des végé- taux véritablement composés d'individus réunis sur un corps commun, qui jouit d’une vie particulière, indépendante de celle des individus. Effectivement , toute plante annuelle est un végé- tal individuel , qui n’a point de corps particulier doué d’une vie mdépendante de celle des autres parties , et plus durable qu'elles. Or, ce végétal est, tantôttout-a-fait simple, comme lorsqu'il ne produit qu’une fleur ou qu'un bouquet de fleurs , et qu'il périt après avoir donné ses graines ; et tantôt 1l est prolifère , comme lorsqu'il pousse une tige rameuse ou plusieurs tiges distinctes qui péris- sent après avoir fructifié , ainsi que les racines. Mais le produit de sa végétation étant totalement employé au développement des parties qui doivent amener sa fructification , n’a pu concourir à la formation d’un corps commun subsistant. Ce végétal , soit simple, 792 INTRODUCTION. a soit prohfère , est donc réellement un individu isolé. Ce qui prouve que le végétal annuel dont je viens de parler est réellement simple , c’est qu'il n'offre point de gemmation véritable; c’est qu'il ne peut re- produire qu'un végétal ou que des végétaux séparés de lui. Ce n’est pas la, a beaucoup près, le cas de tous les végétaux : la plupart sont véritablement des êtres composés , et nous offrent, comme les polypes, des réunions d'individus qui vivent ensemble sur un corps commun persistant qui en développe succes- sivement d’autres ; mais chacun de ces mdividus con- serve rarement son existence au delà d’une année. Ils laissent tous , avant de périr , des produits subsistans de leur végétation qui ajoutent au volume du corps commun , et, en outre, ils fournissent les gages d’une reproduction prochame d'individus nouveaux, soit. dans les semences, soit dans les corpuscules repro- ductifs , soit dans les bourgeons qu’ils produisent. Quant au corps commun qui survit aux individus annuels , 1l est évidemment le résultat de toutes les végétations qui l'ont d’abord formé , et qui ensuite y ont successivement ajouté leur produit particulier. Ce corps commun, jouissant d’une vie indépendante de celle des mdividus , continue de s’accroître de son côté, par les additions qu’il en recoit; et , sans le concours d'aucun organe sexuel, 1l produit lui-même une gemmation périodique qui développe successi- INTRODUCTION. 73 vement les nouveaux individus adhérens qu'il doit nourrir. Ainsi, les graines et les corpuscules repro- ductifs (les gemmules séparables , les cayeux , etc.) servent à multiplier les végétaux séparés d’une même espèce ; et les bourgeons produits par le corps com- mun , sont employés à renouveler sur ce corps les individus qui y ont vécu et ont péri. Ce n’est pas tout : non seulement le corps commun dent il s'agit, jouit, dans sa masse entière, d’une vie indépendante de celle des individus qu’il nourrit , mais chaque portion particulière de sa masse jouit elle-même d’une vie indépendante de celle des autres portions, ce qui est cause qu'une de ces portions séparée peut continuer de vivre de son côté : de la les boutures. | Si dans les végétaux ligneux , les produits de végé- tauon de chaque individu sont persistans , tandis qu'ils ne le sont pas dans les végétaux annuels , c’est que , fortifiés en se formant par le concours de toutes les autres végétations individuelles, et participant à la vie du corps commun , ces produits acquièrent ra- pidement assezde consistance pour résister aux causes qui peuvent les faire périr; C'est, en outre , que les matériaux de leur nutrition , élaborés dans le corps commun , y apportent les principes qui les sokidi- fient. Ainsi, lorsque je vois un arbre ou un arbrisseau, ce n’est réellement pas une plante simple que j'ai 74 INTRODUCTION. sous les yeux, mais c'est une multitude de végétaux de la même espèce , vivant ensemble sur un corps commun solidifié , persistant , doué lui-même d’une vie particulière et indépendante , à laquelle partici- pent tous les individus qui vivent sur ce corps. Cela est si vrai que si je greffe sur une branche de prunier, un bourgeon de cerisier , et sur une autre branche du même arbre , un bourgeon d’abricotier , ces trois espèces vivront ensemble sur le corps com- mun qui les supporte , et participeront à une vie commune, sans cesser d’être distinctes. . On fait vivre de même sur une tige de rosier , dif- férentes espèces qui y conservent leurs caractères , et ainsi dans les autres familles , pourvu qu’on n’entre- prenne point d’associer des espèces qui soient de fa- milles étrangères. Les racmes , le tronc et les branches, ne sont, à l'égard de ce végétal composé, quedes parties du corps commun dont j'ai parlé, que des produits persistans de la végétation de tous les individus qui ont existé sur ce même végétal; comme la masse génerale vi- vante d’une astrée, d’une méandrine, d'unalcyon, ou d’une pennatule , est le produit en animalisation des polypes nombreux qui ont vécu ensemble et en commun et se sont succédés les uns aux autres. De partet d'autre , la vie continue d'exister dans le corps commun, c’est-à-dire, dans l'arbre et dans l’in- térieur de la masse charnue qu’enveloppe le polypier ; _ INTRODUCTION. 7 tandis que chaque plante particulière de l'arbre et chaque polype de la masse charnue citée, ne conser- vent leur existence que pendant une courte durée . mais laissent , l’un, de nouveaux bourgeons , et l’au- tre, de nouveaux gemmes qui les reproduisent. Ainsi, chaque bourgeon du végétal est une plante particulière qui doit se développer comme celle qui Fa produite , participer à la vie commune comme toutes les autres, produire ses fleurs annuelles , dé- velopper ensuite ses fruits , et qui peut aussi donner naissance à un nouveau rameau contenant déja d’au- tres bourgeons. À la vérité, la masse entière du corps commun qui subsiste et survit aux individus , semble autori- ser l’idée d’attacher l’individualite a cette masse vé- gétale ; mais , c’est à tort ; car cette même masse n’a point l'individualité en elle-même, puisque des por- tions qu’on en détache peuvent continuer de vivre. D'ailleurs , elle n’est évidemment elle-même qu’une masse végétale ou une plante composée qui fait vivre quantité d'individus particuliers , qui parcourent sur le corps commun qui les a produits la durée de leur propre existence , sont ensuite remplacés par d’autres qui y subissent la même destinée , et offrent ainsi une suite de générations qui se succèdent tant quele corps commun continue de vivre. | Le corps commun dont je parle, est si distinct 76 INTRODUCTION. dés individus particuliers qu’il fait vivre , que l'art en reunit à volonté autant qu’il plaît à l’homme pour en former un tout réellement commun. En effet, les greffes en approche, que la nature fait elle- même quelquefois, et que l’art imite et exécute si bien , font communiquer et participer à une vie commune cifférens arbres ou arbrisseaux de la même espèce. On nourrit même et on fait vivre un tronc que l’on sépare totalement de sa base et de ses racines, après lui avoir substitué par cette greffe, des troncs voisins et étrangers qui le soutiennent. On pourrait, avec une espèce , former une grande forêt dont les troncs multipliés, communiquant et vivant ensemble, pourraient à aussi juste titre être considérés comme un seul être, que l’est le corps commun d’un arbre y compris ses racines et ses branches. Dans l’intérieur des végétaux, 1l paraît, comme je Vai dit, qu'il n’y.a qu'une organisation propre à y faire exister la vie , organisation qui y est modifiée selon le genre ou la famille du végétal , mais qui n’ad- met aucun organe spécial quelconque pour des facul- tés étrangères à celles qui sont le propre de la vie même. De là, en séparant des parties d’un végétal com- posé , parties qui contiennent un ou plusieurs bour- geons , ou qui en renferment les élémens non déve- loppés ; on peut en former à volonté autant de nou- INTRODUCTION. 77 veaux végétaux semblables à celui dont ils provien- nent , sans employer le secours des fruits de ces plantes. C’est , effectivement, ce que les cultivateurs exécutent en faisant des boutures , des marcot- Les,, etc. | Jai déja cité, dans ma Philosophie zoologique ( vol. 1 , p. 397), différens faits qui prouvent qu’un grand nombre de végétaux nous offrent des corps singuliers sur lesquels vivent , se développent et pé- rissent une multitude d'individus particuliers qui se suce dent par générations nombreuses tant que le corps commun qui les nourrit continue de vivre. Ici , Jen vais seulement ajouter un seul qui me semble iout-a-fait décisif à cet égard. Parmi les différentes considérations qui attestent qu'un arbre n’est point un végétal simple , mais que c’est un corps qui produit , nourrit et développe une multitude de plantes de la même espèce, vivant en- semble sur le corps commun que des végétations de plantes semblables ont successivement produit, voici ce que l’on peut citer de plus frappant. Le propre de tout individu vivant et isolé est de changer graduellement d'état pendant la durée de son existence , de manièré qu'a mesure qu'il approche du terme de sa vie, toutes ses parties , sans excep- tion, portent de plus en plus le cachet de sa vieillésse, et à la fin, celui de sa décrépitude. Je n’a besoin 78 INTRODUCTION. d'entrer dans aucun détail pour prouver ce fait suffi- samment connu. Cependant , quelque vieux que soit un arbre, tous ceux de ses bourgeons qui se développent au printemps, présentent des individus qui portent cons- tamment, d'abord, l'empreinte de la plus tendre jeu- nesse, qui, six semaines après , prennent les traits p'us vigoureux d’un développement complet, et qui, après un état stationnaire de peu de durée , offrent progressivement les caractères d’une vieillesse qui les conduit à la mort avant que l’année de leur naissance soit écoulée. Qui n’a pas été frappé du charme que nous offre au printemps le feuillage naissant des arbres, quel que soit leur âge, du vert tendre et délicat de ce feuillage | exprimant alors la jeunesse réelle des indi- vidus ! YŸ a-t-1l le moindre trait dans ces parties nou- elles qui annonce qu’elles appartiennent à un être très-vieux et sur le point de cesser de vivre? Non ; tous les bourgeons qui s’y développent encore sont des individus particuliers qui ne participent nulle- ment à la décrépitude du vieil arbre en question. Tant qu'il en pourra faire vivre, chacun de ces individus aura sa jeunesse , parviendra à sa maturité, et arrive- ra ensuite à sa vieillesse particulière , qui se terminera par sa destruction. L'arbre qui lessoutient est donc un végétal composé , sur lequel vivent, se développent INTRODUCTION. 79 et se renouvellent une multitude d'individus de la même espèce qui participent à une vie commune , et se succèdent les uns aux autres annuellement , tant que le corps commun, produit de toutes les végéta- tions particulières, conservera l’état propre à les faire vivre. Or, de même que la nature a fait des végétaux composés , elle a fait aussi des animaux composés, et pour cela elle n’a pas changé, de part et d'autre, soit la nature végétale , soit la nature animale. En voyant des animaux composés, il serait tout aussi absurde de dire que ce sont des animaux-plantes , qu'il le serait , en voyant des plantes composées , de dire que ce sont des plantes-animales. Qu'on ait donné, il y a un siècle, le nom de z00- phytes aux animaux composés de la classe des po- lypes , ce tort était excusable : l'état peu avancé des connaissances qu’on avait alors sur la nature animale, rendait cette expression moins mauvaise. À présent, ce n’est plus la même chose; et il ne saurait être in- différent d’assigner à une classe d'animaux un nom qui exprime une fausse idée des objets qu'elle em- brasse. Maintenant , comme il existe deux sortes très-dis- tinctes de corps vivans , savoir : des végétaux et des animaux , examinons les caractères essentiels de ces 80 INTRODUCTION. premiers; et, montrant la ligne de séparation qu’a. établie la nature entre ces deux sortes d'êtres, prou- vons que les végétaux ne sauraient s'unir aux ani- maux par aucun point de leur série, pour former une véritable chaine. 7 INTRODUCTION. 81 CHAPITRE IIL. Des caractères essentiels des végétaux. Li A de connaître les animaux sous tous les rap- ports, nous avons entrepris de les comparer avec tous les autres corps de notre globe; et pour cela, considérant les animaux comme corps vivans , nous avons vu que les corps doués de la vie étaient, par leurs caractères généraux et leurs facultés propres , séparés des corps inorganiques par un intervalle con- sidérable. Ainsi, nous savons actuellement que , comme corps vivans ; les animaux, même les plus impar- faits , ne peuvent être confondus avec les corps inor- ganiques ; et qu'aucun ammal, quelqu’imparfait qu’il soit, quelque simple que soit son organisation , ne fait nuance avec aucun des corps en qui le phénar mène de la vie ne peut se produire. Mais les animaux ne sont pas les seuls corps vivans qui existent , et l'on peut se convaincre qu'il s’en Tome Z. 6 82 INTRODUCTION. trouve de deux sortes extrémement distinctes ; car les corps de chacune de ces sortes offrent entr'eux une si grande différence dans l’état et les phéno- mènes de leur organisation , qu'il est facile de faire voir que la nature a établi, entre les uns et les autres, une ligne de démarcation frappante. Ce n’est, néan- moins, qu'une ligne de démarcation tranchée, et non ün intervalle considérable , comme celui qui . sépare les corps inorganiques des corps vivans. On a senti qu'il existait une différence réelle entre les deux sortes de corps vivans dont je viens de parler ; et quoiqu'on n’ait point su assigner positive- ment en quoi consiste cette différence , on à de tout temps partagé les corps vivans en deux coupes pri- maires, dont on a fait deux règnes particuliers ; savoir : le règne végétal et le règne animal. Or , il s’agit de savoir maintenant , si les vegé- taux se lient et se nuancent , par quelque point de leur série, avec les animaux ; ou s'ils en sont géné- ralement distmgués par quelque caractère constant et reconnaissable. D'abord , je remarquerai que , dans ses opérations, dans l'existence qu’elle a donnée à ses productions, la nature n’a procédé et na pu procéder que pro- gressivement, que du plus simple au plus composé : c’est une vérité que l'observation atteste. S'il en est amsi, la nature a dû commencer par produire les végétaux , et pour cela elle à dû INTRODUCTION. 83 débuter par la production des végétaux les plus imparfaits , de ceux qui ont le ussu cellulaire le moins modifié, avant de fare exister ceux qui ont à l'intérieur des canaux multipliés et divers, des fibres particulières , une moëlle et des productions médul- laires, en un mot, un ussu cellulaire tellement mo- difié que leur organisation intérieure parait en quel- que sorte composée. Dés lors , 1l devient évident que si les végétaux formaient avec les animaux une chaine nuancée, résultant d’une production graduelle , ce seraient les végétaux à tissu cellulaire le plus modifié qui devraient se lier et, pour ainsi dire, se confon- dre avec les premiers animaux , avec les animaux les plus imparfaits. C’est cependant ce qui n’est pas; et, en effet, je vais montrer que la nature a commencé à-la-fois la production des uns et des autres : en sorte qu’à cet égard, commencant ses opérations sur des corps es- sentiellement différens par leurs élémens chimiques, tout ce qu’elle a pu faire exister dans les uns, s’est trouvé constamment différent de ce qu’elle a su pro- duire dans les autres, quoiqu'elle ait, de part et d'autre , travaillé sur un plan très-analogue. IL est certain que si les végétaux pouvaient se lier et se nuancer avec les animaux par quelque point de leur série, ce serait uniquement par ceux qui sont les plus imparfaits etles plus simples en organisation que la nature aurait formé cette nuance , en établis- 84 INTRODUCTION. sant un passage insensible des plantes les plus impar-. faites aux animaux qui sont dans le même cas. Tous les naturalistes l'ont senti; et c’est, effectivement, en ce point, c’est-à-dire, dans celui qui offre de part et d'autre la plus grande simplicité de lorganisation, que les végétaux paraissent le plus se rapprocher des animaux. S'il y a nuance en ce point, on ne pourra s'empêcher de convenir qu'au lieu de for- mer une chaîne , les végétaux et les animaux présen- tent déux branches distinctes , et réunies par leur base , comme les deux branches de la lettre V. Mais/ je vais faire voir qu'il n’y a point de nuance dans le point cité; que chacune des branches dont je viens de parler se trouve réellement séparée de l’autre à sa base ; et qu’un caractère positif, qui tient à la nature chimique des corps sur lesquels la nature a opéré, fournit une distinction éminente entre les êtres qu’em- brasse l’une de ces branches ; et ceux qui appartien- nent à l’autre. Je vais , en effet , montrer que les végétaux n'ont point dans leurs solides de parties véritablement #rri- tables , susceptibles de se contracter subitement dans tous les temps et pendant la durée entière de leur vie, et qu'ils ne sauraient conséquemment exé- cuter des mouvemens subits , répétés de suite autant de fois qu'une cause excitante les pourrait provo- quer. | Je prouverai ensuite que tous les animaux géné- INTRODUCTION. 85 ralement ont dans leurs solides des parties constam- ment irritables , subitement contractiles ; et qu'ils sont susceptibles d'exécuter des mouvemens instan- tanés ou subits , qu'ils peuvent répéter de suite , dans tous les temps , autant de fois que la cause excitatrice de ces mouvemens agira sur eux. Voyons donc d'abord ce que sont les végétaux , et quels sont leurs caractères essentiels. Après lexpo- sition de ces caractères, nous présenterons les faits et les preuves qui en établissent le fondement. Caractères essentiels des végétaux. Lesveégetaux sontdes corps vivans, non trritables, dont les caractères essentiels sont : 1.0 D’être incapables de contracter subitement et itérativement , dans tous les temps, aucune de leurs parties solides , ni d'exécuter par ces parties des mou- vemens subits ou instantanés, répétés de suite autant de fois qu’une cause stimulante les provoquerait (1); 2.9 De ne pouvoir agir, ni se déplacer eux-mêmes, cest-a-dire, quitter le lieu dans lequel chacun d’eux est fixé ou situé; (1) Ceux en qui l’on observe des mouvemens, ne les exé- cutent que par des causes mécaniques , pyrométriques , ou hygrométriques. Dans les uns, ces mouvemens sont d’une 86 INTRODUCTION. 3.0 D’avoir seulement leurs fluides susceptibles d'exécuter les mouvemens vitaux ; leurs solides , par défaut d'irritabilité, ne pouvant , par des réactions réelles, concourir à l'exécution de ces mouvemens , que des causes excitatrices du dehors ont le pouvoir d'opérer ; | 4° De n’avoir point d'organes spéciaux intérieurs; mais d'obtenir, des mouvemens de leurs fluides , une multitude de canaux vasculiformes , la plupart per- forés latéralement, et, en général, parallèles en- tr'eux (1); ce qui est cause que, dans tous, l’organi= sation n’est que plus ou moins modifiée sans compo- sition réelle , et que les parties de ces corps se transforment aisément les unes dans les autres; lenteur qui les rend insensibles, et ne se jugent que par leurs produits ; et dans ceux où ils sont apparens et subits, ils sont düs à des détentes ou à des affaissemens de parties , et ne peuvent de suite se répéter , nise manifester dans tous les temps. (1) Lés mouvemens dés fluides dans les végétaux s’exé- cutant principalement en deux sens opposés , il.enest résulté que les canaux vascüliformes de ces corps sont, en général, parallèles entr’eux , ainsi qu’a l'axe longitudinal, soit de la tige , soit des branches , des rameaux , des pétioles et des pédoncules. En effet , ils ne perdent leur parallélisme que dans les parties qui s’épanouissent en feuilles, fleurs et fruits. cé INTRODUCTION. 87 5.0 De n’exécuter aucune digestion , mais seule- ment une élaboration des sucs qui les nourrissent et qui donnent lieu à leurs produits, en sorte qu'ils n'ont qu’une surface absorbante ( l’extérieure ), et qu'ils nabsorbent pour alimens que des matières fluides ou dont les particules sont désunies ; 6. De n'avoir point de circulation réelle dans leurs fluides ; mais d'offrir dans leurs sucs séveux, des mouyemens de déplacement dont les principaux paraissent alternativement ascendans et descendans , ce qui a fait supposer l'existence de deux sortes de sève ; l’une provenant de l’absorption par les racines, et l’autre résultant de celle par les feuilles ; 7. D’opérer en eux deux sortes de végétation; June ascendante, et l’autre descendante , à parur d’un point intermédiaire ou nœud vital, situé dans la base du collet de la racine, et qui est, en général, plus vivace que les autres ; | 8.° D’avoir une tendance à diriger leur végétation supérieure, perpendiculairement au plan de lhori- zon , et non à celui du sol qui lessoutient (1) ; 9-° De former la plupart des êtres composés d’in- (1) Les végétaux paraissent devoir cette tendance au calorique et à l'électricité des milieux environnans ; ces « fluides subtils, trouvant plus de difficulté à traverser l'air que des corps humides plus conducteurs , s’élancent à tra- S8 INTRODUCTION. dividus réunis sur un corps commun vivant , qui dé- veloppe annuellement les générations successives de ces individus. À ce tableau resserré des faits positifs qui carac- térisent les végétaux , si, comme je vais le faire, on oppose celui des caractères essentiels des animaux , on reconnaîtra que la nature a établi entre ces deux sortes de corps vivans , une ligne de démarcation tranchée qui ne leur permet pas de s'unir par au- cun point des séries qu’elles forment. Or, ce n’est point là ce qu'on nous dit à l'égard de ces deux sortes d'êtres : tant il est vrai que presque tout est encore à faire pour donner des uns et des autres l’idée juste que nous devons en avoir | Le point le plus essentiel à éclaircir, afin de dé- truire l'erreur qui a fait prendre une fausse marche à la science, consiste donc à prouver que les végé- taux sont généralement dépourvus d'irritabilité dans leurs parties. Dès que j'aurai établi les preuves de ce fait , il se- ra facile de sentir quelle ‘infériorité , dans les phéno- mènes d'organisation , le défaut d’rrritabilite des par- vers les tiges végétales dans une direction qui tend à s’ap- procher le plus possible de la verticale , et communiquent, surtout pendant le jour , cette direction au mouvement de la sève pompée par les racines, | INTRODUCTION. 89 ties doit donner aux végétaux sur les animaux; et lon concevra pourquoi ils sont tous réduits à n’ob- tenir leurs mouvemens vitaux, c’est-à-dire, les mou- vemens de leurs fluides, que par des impressions qui leur viennent du dehors. Une discussion concise et claire doit me suffire pour établir les preuves que j'annonce ; et d’abord je vais faire voir que j'étais fondé, lorsque jai dit dans ma Philosophie zoologique ( vol. 1, pag. 93) qu'il n’y a dans les faits connus à l'égard des plan- tes, dites sensilives, rien qui appartienne au carac- tère de l’irritabilité des parties animales ; qu'aucune partie des plantes n’est instantanément contractile sur elle-même ; qu'aucune, enfin , ne possède cette faculté qui caractérise exclusivement la nature ani- male. Aussi, par cette cause essentielle, par cette privation d'irritabilité et de eontractilité de leurs “parties, les végétaux sont généralement bornés à une faible ‘et obscure disparité dans les traits de leur or- ganisation intérieure, et à une grande infériorité dans les phénomènes de cette organisation ; com- parés à ceux que la nature a pu exécuter dans les animaux, 90 INTRODUCTION. Discussion pour établir les preuves du défaut d'ire ritabilité dans les parties des végétaux. Le point essentiel que je dois traiter d’abord, est cehu de prouver que le sentiment et Virritabilité sont des phénomènes très-différens , et qu'ils sont dus à des causes qui n’ont aucun rapport entr’elles. On sait que aller avait déja distingué ces deux sortes de phénomènes; mais, comme la plupart des zoologistes de notre temps les confondent en- core , il est utile que je m’efforce de rétablir cette distinction dont le fondement est de toute évidence. Je montrerai ensuite qu'indépendamment de l’er- reur qui fait confondre le sentiment avec l'irrita- bilité, on a pris, dans les végétaux , certains mou- vemens observés dans des circonstances particu- lières, pour des produits de l’irritabilité ; tandis que ces mouvemens , Comme je vais le prouver , n’ont pas le moindre rapport avec ceux qui dé- pendent du phénomène organique dont il est ques- tion. | Pour s'assurer que le sentiment est un phénomène: très-différent de celui que l'irritabilité constitue, :1l suffit de considérer les trois caractères suivans dans lesquels les conditions des deux phénomènes sont mises en opposition. Premier caractère: Tout animal doue du senti- INTRODUCTION. OL ment possède constamment dans son organisation un système d'organes particulier , propre à la pro- duction de ce phénomène. Or , ce système d’or- ganes qui se compose toujours de nerfs et d’un ou de plusieurs centres de rapports, se distmgue aï- sément des autres parties de l’organisation. Il en résulte qu'en altérant ce système dans certaines de ses parties , l’on détruit à volonté la faculté de sen- ir dans les parties de l'animal que l'organe altéré faisait jouir du sentiment , et l’on rend ces parues msensibles, sans détruire leur vitalité. Aù contraire, pour la production du phénomène de lirritabilité, 1 w'y à dans les parties irritables des animaux, aucun organe particulier quelconque, aucun organe distinct qui ait seul en propre le pou- voir de donner lieu au phénomène en question ; mais la composition chimique de ces parties est, telle, qu'elle les met continuellement dans le cas, tant qu’elles sont vivantes , de se contracter sur elles- mémes à la provocation de toute cause irritante. Or, l’on ne saurait altérer la faculté 1rritable de ces parties, qu'en y anéantissant la vie, puisqu'elles ne tiennent d'aucun organe particulier l'üritabilité qu’elles pos- sédent. Deuxieme caractère : Les organes bien connus par la voie desquels le phénomène du sentiment s'exécute, ne sont point distinctement ou essentiel- lernent contractiles ; aussi, aucune ‘observation cons- 92 INTRODUCTION. | tatée ne nous apprend que, pour opérer la sensation, les nerfs soient obligés de se contracter sur eux- mêmes. Au contraire , les parties irritables de tout corps animal ne sauraient exécuter aucun mouvement dé- pendant de lirritabilite, qu’elles ne subissent alors une véritable contraction sur elles-mêmes. Ces par- ues ne sont donc irritables , que parce qu’elles sont essentiellement contractiles ; ee que ne sont point les. organes du sentiment, Troisième caractère : Lorsqu'un animal , doué de la faculté de sentir, vient à périr , le sentiment s'é- teint en lui avant l’anéantissement complet de ses mouyemens vitaux. Au contraire , lorsqu'un animal quelconque meurt, l’irrilabilité dont toutes ses parties ou certaines d’en- ir'elles jouissaient , est , de toutes ses facultés , celle qui s’anéantit constamment la dernière. Le phénomène du sentiment et celui de lirrita- bilité sont done essentiellement différens l’un de l'autre , puisque les causes et les conditions néces- saires à leur production ne sont point les mêmes , et qu’on a toujours des moyens décisifs pour les distin- guer. Maintenant, pour montrer combien les principes de la théorie admise en zoologie sont encore im- parfaits, je vais faire remarquer que les plus savans zoologistes de notre temps confondent encore le INTRODUCTION. 03 sentiment avec l'irritabilite, et que, par la citation de quelques faits mal jugés, ils croient pouvoir éten- dre aux végétaux l’une et l'autre de ces facultés. : « Plusieurs plantes , dit-on dans le Dictionnaire des sciences naturelles, à l’article animal , se meuwent d'une manière extérieurement toute pareille à celle des animaux : les feuilles de la sensitive se contractent lorsqu'on les touche , aussi vite que les tentacules du polype : comment prouver qu'il y a du sentiment dans un cas et non dans l’autre? » Je puis assurer, d’après mes propres observations, qu'il n’y a dans tout ceci rien d’exact, rien qui soit conforme au fait observé à l'égard de la sensitive ou des autres plantes qui offrent des mouvemens ana- logues; qu'en un mot, iln’y a aucun rapport entre les mouvemens de ces plantes , et ceux qui provien- nent de l'excitation de l’irritabilite dans les animaux, et qu'il y en a bien moins encore avec le phénomène du sentiment. D'abord, dans la contraction citée que subissent les tentacules du polype lorsqu'on les touche, il ny a point de preuve que le sentiment en soit la cause, c'est-a-dire, qu'il y ait eu une sensation produite; car l'irritabilité seule a pu opérer cette contraction. On est, au contraire, fondé à dire qu'aucune sen- sation n’a pu avoir lieu par l’attouchement cité, puisque le système d'organes essentiel à la production de ce phénomène n'existe point dans ce ‘polype , et que 04 4 INTRODUCTION. le propre de la sensation n’est pas de produire du mouvement. Ainsi, la question de savoir pourquoi il y a du sentiment dans le polype , tandis qu'il n’y en aurait pas dans la sensitive, ne devait pas se _faige, s’il n’est pas vrai que le polype lui-même puisse éprouver des sensations. Or, je vais maintenant prouver que, dans les faits cités du polype et de la sensitive, 11 n’y a nulle parité de phénomène; car les tentacules du polype ne se sont mus, lorsqu'on les a touchés, qu’en subissant une véritable contrac- tion, tandis que lattouchement n’en a pu opérer aucune sur les parties de la sensitive. Le polype se sera done mu, dans le fait en question , par la voie de l’irritabilite de ses parues, et la sensitive par une voie très-différente. En effet, il n'est pas vrai qu'aucune partie de la sensitive se contracte lorsqu'on la touche ; car, ni les folioles , ni les pétioles, soit communs, soit parti- culiers, ni les petits rameaux de cette plante, ne subissent alors aucune contraction sur eux-mêmes : mais ces parties se reploient dans leurs articulations sans qu'aucune de leurs dimensions soit altérée ; et par cette pheation, qui s'exécute comme une dé- tente, la plupart de ces parties sont subitement et simplement abaissées, en sorte qu'aucune d'elles wa subi la moindre contraction, le plus léger change- ment dans ses dimensions propres. Ce n’est assuré- ment point là le caractère de l'irritabilité, «et ce INTRODUCTION. ° 99 n’est, effectivement, que dans les animaux, que des parties peuvent se contracter subitement sur elles- mêmes , changer alors leurs dimensions , et conserver pendant la vie de Fanimal ou pendant la durée de leur intégrité, la faculté de se contracter de nouveau à chaque provocation d’une cause excitante; jamais ailleurs personne n’a pu observer de semblables con- tractions dans quelque corps que ce soit. Dès qu'on a opéré cette plication articulaire des parties d’une sensitive, par un attouchement ou par une secousse suflisante , la répétition de l’attouche- ment ou de la secousse n’y saurait plus alors pro- duire aucun mouvement. Pour renouveler le méme phénomène, il faut attendre pendant un temps assez iong, qui est toujours de plusieurs heures , qu'une nouvelle tension dans les articulations des parties les ait relevées ou étendues; ce qui ne s'exécute que très-lentement lorsque la température est basse. Je le répète : ce n’est point là du tout le propre de lirritabilité animale ; cette faculté reste la même dans les parties qui en sont douées tant que l’animal est vivant; et leur contraction peut se répéter de suite autant de fois que la cause excitante viendra la pro- voquer. D’ailleurs , la contraction d’une partie ani- male n'offre point simplement des mouvemens ar- ticulaires , comme dans la sensitive , mais un resser- rement subit, un raccourcissement réel des parties, en un mot, un changement dans leurs dimensions ; 96 INTRODUCTION. or, rien de semblable ne se manifeste dans les plantes. Ainsi, dès qu'il n’est pas vrai que les mouvemens subits qu’on observe dans certaines parties des plan- tes, dites sensitives, lorsqu'on les touche , soient de véritables contractions ou des changemens réels dans les dimensions de ces parties , il est dès lors évident que ces mouvemens n’appartiennent point à lirritabilité : aussi, ne sauraient-ils se répéter de suite , dans tous les temps sañs exception , comme ceux que l'érritabilité produit à la provocation de toute cause excitante. Nous savons donc maintenant que l’irritabilité n'est point la cause des mouvemens cités des plan- tes , dites sensitives , et qu'il y a une disparité ma- nifeste entre ces mouvemens et les phénomènes de l'irritabilite animale. Mais quelle est la cause des mouvemens singuliers des plantes dont il est ques tion ? À cela je répondrai : que nous parvenions à con- naître positivement cette cause ; ou que nous ne puissions que l’entrevoir à laide de quelque hypo- thèse plausible et appuyée sur des faits, 1l n’en se- ra pas moins toujours très-vrai que cette même cause est étrangère à l’irritabilité animale. Or, j'ai cru apercevoir cette cause , pour les plan- tes dites sensitives, dans une particularité qui con- cerne les émanations des fluides élastiques et invi- INTRODUCTION. 07 sibles que ces plantes produisent dans le cours de leur vie, comme les autres corps vivans, et cela d'autant plus abondamment que la température est plus élevée. D'abord , je dois faire remarquer que les mou- vemens observés dans les végétaux ne se bornent pas à ceux des plantes dites sensitives ; car on en connait de diverses sortes, et l’on peut s'assurer , par un examen attentif de ces mouvemens, qu'aucun d'eux n'appartient à lirritabilité. Ensuite, je ferai voir que ces divers mouvemens prennent leur source dans différentes causes , la plupart facilement déterminables. Les uns, en effet, sont des mouvemens subits très-visibles, comme ceux de détente, d’affaissement de parties, etc. Les autres, au contraire, sont des mouvemens lents et insensibles, comme ceux qui sont dus à des causes hygrométriques, pyrométriques, etc. Tous ne s’exécutent et ne s’observent que dans certaines circonstances. Quelques-uns ne se renou- vellent plus après leur exécution, comme ceux de détente de certains fruits dont les graines sont lancées au loin par la détente de leur péricarpe. Il yena qui ne se montrent que dans certaines parties, comme certaines fleurs, soit à époque de leur épanouissement, soit dans ce temps d’effervescence particulière où les T'ome I. 7 9 : INTRODUCTION. | organes sexuels sont sur le point d'exécuter leurs fonctions. Ici, je puis montrer que les mouvemens articu- laires de la sensitive sont de la première sorte , et que ce ne sont que des affaissemens de parties, qui s’opèrent par des détentes d’articulations. Je feraimême voir que les mouvemens de l’hedysarum gyrans sont aussi de même sorte, quoiqu'ils soient moins subits; et que ces mouvemens s’exécutent de la même ma- nière, c'est-à-dire , par la même sorte de cause. En effet, dans l’hedysarum gyrans , les mouve- mens observés sont encore articulaires, et aucune des parties de cette plante ne subit la moindre contrac- tion. Ce sont même les mouvemens singuliers de cet hedysarum qui m'ont fait entrevoir le mystère des faits relatifs aux plantes dites sensitives. Dans lhedysarum en question , les mouvemens des folioles étant toujours lents et graduels, et ne se rendant bien sensibles que dans les temps chauds temps où les émanations des plantes sont les plus considérables ; j'ai senti que des vésicules ou des cavités situées dans les articulations de ces folioles, pouvaient se remplir graduellement de quelqu'éma- nation gazeuse et élastique du végétal , et que ces cavités pouvaient par la se distendre proportionnel- lement jusqu'a un certain terme de plénitude; qu’alors elles pouvaient se vider et s’affaisser aussi graduel- INTRODUCTION. 99 lement. Or , il devait résulter de cet état de choses, des alternatives lentes d’élévation et d’abaissement de : ces mêmes folioles, qui décrivent une ligne demi- circulaire, sans qu'aucune secousse où cause étran- gère ait provoqué ces mouvemens. | Cette cause simple et uniquement mécanique , s'accorde avec les émanations connues des plantes, et l’on sait que ces émanations de matières gazeuzes et élastiques sont considérables dans lestemps chauds; qu’elles varient selon les plantes qui les produisent ; qu'elles sont odorantes dans beaucoup de végétaux; et que, dans la fraxinelle ( dictamnus albus ), elles sont susceptibles de s’enflammer. Ainsi, cette cause me paraît satisfaire pleinement à l'explication du phé- uomène dont 1l s’agit. Elle nous montre que dans les plantes sensitives, il faut un attouchement, une secousse, etc. , pour provoquer l'évacuation subite des vésicules articu- laires; tandis que dans l'hedysarum gyrans, une simple plénitude de ces vésicules suffit pour les met- tre dans le cas de commencer l’évacuation lente et graduelle du gaz qu’elles contiennent. Lorsqu'on voudra réellement savoir la vérité à l'égard des objets dont il vient d’être question , il sera difficile de ne pas reconnaître le fondement des causes que je viens d'indiquer. Ce quil y à de très-positif, c’est que, dans les phénomènes connus , soit de la sensitive, soit de 100 INTRODUCTION. l'hedysarum gyrans, soit de la plication subite des feuilles de la dionée , soit des détentes des étamines du berberis , soit du redressement des fruits qui succèdent à des fleurs pendantes, soit, enfin , de divers mouvemens observés dans les parties de cer- taines fleurs , il n’y a véritablement rien qui soit comparable au phénomène de l'irritabilité animale, et bien moins encore à celui du sentiment. . L'irritabilite , dit-on , n’est qu'une modification de la sensibilité : elle n’est pas une faculté spécialement attribuée à l'animal ; elle est eommune à tous les êtres vivans. Îl n’y a pas de doute quetoutesles partiesbien vivantes des animaux n’en soient douées ; mais les végétaux nèus donnent aussi des preuves qu'ils la possèdent. L'action de la lumière, de l’électricité , de la chaleur, du froid, de la sécheresse, des acides , des alkalis , du mouvement communiqué, etc. , etc. ; voila autant de causes de l'irritabilité des végétaux ; c'est à leurs effets qu'on doit rapporter l’épanowisse- ment de certaines fleurs à des heures marquées dans le jour , le sommeil des plantes, la direction de leurs tiges, la dissémination de leurs graines, les eschares plus ou moins profonds que produisent la grêle, le: vent sec, etc.; et cependant aucun de leurs organes ne communique le mouvement qu'il éprouve à la totalité de l'être qui y paraît sensible. Telle est la manière dont on croit prouver que lirritabilité est _ une faculté commune aux plantes comme aux animaux ! INTRODUCTION. IJOI On dit ailleurs : « Si les animaux montrent des desirs dans la recherche de leur nourriture et du discernement dans le choix qu'ils en font, on voit les racines des plantes se diriger du côté où la terre est plus abondante en sucs, chercher dans les rochers les moindres fentes où 1l peut y avoir un peu de nourriture ; leurs feuilles et leurs branches se dirigent soigneusement du côté où elles trouvent le-plus d'air et de lumière. S1 on ploie une branche la tête en bas, ses feuilles vont jusqu'a tordre leurs pédicules pour se retrouver dans la situation la plus favorable a l'exercice de leurs foncuons. Est-on sûr que cela ait lieu sans conscience? » (Dictionnaire des Sciences naturelles , au mot déja cité. ) C’est ainsi que , par la citation de faits précipitam- ment et inconvenablement jugés, l’on introduit dans les sciences des vues et des principes dont il est en- suite difficile de revenir, parce qu'ils ont une appa- rence de fondement lorsqu'on ne les approfondit pas, et qu'on à l'habitude de les considérer sous ces rapports. | Quant à moi, je ne vois dans aucun de ces faits rien qui indique, dans le végétal qui les offre, une conscience , un discernement , un choix ; rien, enfin, qui soit comparable au phénomène de lirritabilité animale, et encore moins à celui du sentiment. Je sais, comme tout le monde, qu'a raison de leurs diverses propriétés, les différens corps de la 102 INTRODUCTION. nature, vivans ou non, exercent les uns sur les autres des actions, lorsqu'ils sont en contact, et surtout lorsqu'au moins l’un d'eux est dans l’état fluide. Ge n’est pas un motif pour supposer que ces corps soient irritables. Le cheveu de mon hygromètre qui s’allonge dans les temps de sécheresse et se raccourcit dans les temps d'humidité, et la barre de fer qui s’allonge dans l'élévation de sa température, ne me paraissent point pour cela des corps irritables. Lorsque le soleil agit sur le sommet fleuri d’un helianthus ,; qu'il hâte l’évaporation sur les points de la tige et des pédoncules qu'il frappe par sa lu- mière, qu'il dessèche plus les fibres de ce côté que celles de l’autre, et que, par suite d'un raccourcis- sement graduel de ces fibres, chaque fleur se tourne du côté d'ou vient la lumière , je ne vois pas qu'il y ait la aucun phénomène d’irritabilité , non plus que dans la branche ployée en bas qui redresse insensi- blement ses feuilles et sa sommité vers la lumière qui les frappe. En un mot, lorsque les racines des plantes s’in- sinuent principalement vers les points du sol qui sont les plus humides et qui cèdent le plus au nouvel espace que l’accroissement de ces racines exige, je ne me crois pas autorisé par ce fait à leur attribuer de livritabilité , des perceptions, du discerne- ment , etc., etc. . INTRODUCTION. 103 Partout , assurément, on voit des actions produites et suivies de mouvement , entre des corps en con- tact, qui ne sont nitrritables, ni sensibles, puisqu'on en observe de telles entre des corps qui ne sont pomt vivans. Or, ces actions suivies de mouvement ont heu lorsqu'il y a du mouvement communiqué; lors- qu'il se trouve quelqu'affinité qui s'exerce, quelque décomposition ou combinaison qui s’opère; lors- qu'un corps recoit quelqu'influence hygrométrique ou pyrométrique, ou qu'il se trouve dans le cas de subir un affaissement de parties, un effet de détente, celui d'une explosion, d’une rupture, d'une com- pression, etc., etc. Dans tous ces cas et leurs ana- logues , il n’y a certainement aucun rapport entre les mouvemens lents ou prompts que l’on observe, et ceux qui appartiennent à l'irrilabilité animale. Or, ces derniers mouvemens , qui ne se produisent que par excitation et toujours dans des parties sus- ceptibles de les renouveler chaque fois qu'une cause excitante les provoquera, ne se montrent dans aucun autre corps de la nature que dans celui des animaux. C'est donc un fait positif que, hors des animaux, lon ne trouve pas un seul exemple d’un mouvement produit par excitation; de ce mouvement singulier, toujours prêt à se renouveler, et dans lequel les rapports entre la cause et l'effet sont insaisissables ; de ce mouvement, enfin, qui semble lui-même offrir une réaction subite des parties contre la cause agis- 104 INTRODUCTION. sante, et qui ne ressemble nullement à aucun de ceux qui ont été observés dans les plantes. Mais, me dira-t-on , comment concevoir l’exis- ence de la vie” dans un végétal, et par suite, la possibilité des mouvemens vitaux, sans une cause capable d'opérer et d’entretenir ces mouvemens, sans des parties réagissantes sur les fluides, en un mot , sans l’irritabilité ? À cela , je répondrai que l'existence de la vie, dans le végétal comme dans l'animal, se concevra faci- lement et clairement, lorsqu'on aura égard aux con- ditions que j'ai assignées pour que le phénomène de la vie puisse se produire ; et ici, sans l’srrita- bilité, ces conditions se trouvent remplies. Un orgasme vital est essentiel à la conservation de tout être vivant ; 1] fait partie de l’état de choses que j'ai dit devoir exister dans un corps pour qu'il puisse posséder la vie, et pour que ses mouvemens vitaux puissent s’exécuter. Or , cet orgasme, quoi- que commun à tout corps vivant , ne montre , dans les végétaux , qu'un fait peu remarquable et qui n’a point attiré notre attention ; tandis qu'il offre , dans les animaux , un phénomène singulier , et qui n’a point jusqu'a présent été expliqué. En effet, ce même orgasme, qui a lieu dans tous les points des parties souples de tout végétal vivant, ne produit, dans les points de ces parties souples, qu'une tension particulière , qu'une espèce d’éré- INTRODUCTION. 10) thisme ; au lieu que dans les parties souples et non médullaires de tout animal , il Y constitue le phé- nomène de lirritabilite. De part et d'autre, la com- position chimique des parties concrètes de ces corps vivans , donne lieu à la différence entre ces deux sortes d'orgasme. L'espèce de tension ou d’éréthisme de tous les points des parties souples des végétaux vivans, est facile à apercevoir lorsqu'on y donne de l'attention, et surtout lorsque l’on compare une plante morte et encore en place avec un autre individu de la même espèce qui jouit de la. vie. Or , cette tension des points des parties souples de la plante vivante est probablement le produit de fluides élastiques qui se dégagent sans cesse du vé- gétal, y subsistent quelque temps avant de s’en exha- ler , et mettent ce corps , par leur formation et leur exhalation successives, dans le cas de pouvoir ab- sorber les fluides du dehors. L’orgasme dont il s'agit, n’est, dans les végétaux, qu'a son plus grand degré de simplicité. Îl y est ef- fectivement si faible, qu'un coup de vent d’un air très-sec, ou certain brouillard , ou une gelée suffit souvent pour le détruire ; ce qui fait périr aussitôt la plante ou celle de ses parties qui s’en trouve affec- tée. Rien n’est plus commun que de voir un arbris- seau vigoureux et bien portant dans toutes ses par- ües, perdre la vie en moins de vingt-quatre heures 106 INTRODUCTION. soit dans une de ses branches, soit dans tout son être, par une des causes que je viens de citer. Mais, tant que l’orgasme, ou l'espèce de tension particulière des points des parties souples du végétal, subsiste, il lui donne le pouvoir d’absorber les fluides de l'ex- térieur en contact avec ses parties, C'est-à-dire, les. fluides liquides par ses racines, et les fluides élas- tiques ou gazeux par ses feuilles , etc. ; en un mot, il lui donne la faculté de vivre. C’est-la que se bornent les facultés de cet or- gasme. Il ne rend point les parties souples de la plante. capables, par des réactions subites, de servir, n1 même de concourir aux mouvemens des fluides in- térieurs , en un mot, aux mouvemens vitaux. Cela n'est nullement nécessaire ; car , dans les végétaux, les mouvemens des fluides intérieurs sont toujours les résultats évidens des excitations que des fluides subtls , incoercibles et pénétrans du dehors (le ca- lorique et l'électricité) viennent exercer sur eux. Ce qui prouve quece que je viens dedirenes’appuie point sur une supposition gratuite, mais a un fon- dement réel , c’est que l'observation atteste qu'il y a toujours un rapport parfait entre la température des milieux environnans et l’activité de la végétation : en sorte que, selon que la température s’abaisse ou s’é- lève, la végétation et les mouvemens des fluides in- térieurs se rallentissent ou s’accélèrent proportion nellement. INTRODUCTION. 107 Dans les grands abaissemens de température, com- me dans l’hiver de nos climats, ceux des végétaux qui ne sont point accoutumés à supporter un grand froid périssent ; mais les autres, quoique conservant encore leur orgasme , ont leurs mouvemens vitaux tellement rallentis, que leur végétation est alors presqu'entièrement suspendue. Néanmoins , à un certain degré de froid , leur orgasme serait détruit , et dès lors le phénomène de la vie ne saurait plus se produire en eux. Maintenant, s'il est vrai que l'orgasme fasse par- ue essentielle de l’état de choses nécessaire à la vie dans un corps, etque, dans les végétaux, cet orgasme ne soit propre qu'a leur donner le pouvoir d’ab- sorber les fluides de l'extérieur , on concevra, d’une part , que lorsque l'absorption végétale a introduit dans le tissu ou dans les canaux de la plante les flui- des qui lui deviennent propres , dés lors lexcitation des fluides subüls ou incoërcibles du dehors (du ca- lorique , de l'électricité, ete. ) suffit pour leur don-" ner le mouvement ; de l'autre part, on sentira que lorsque , par lanéantissement de l'orgasme , le vé- gétal a perdu sa faculté absorbante, alors ne se pé- nétrant que d'humidité à la manière des corps po- reux non vivans , selon l’état hygrometrique de l'air , ce végétal n’a plus à l'intérieur ces masses de fluides propres, celles que les fluides subtils ambians fai- 108 INTRODUCTION. saient mouvoir, et que , dès ce moment, la vie- n'existe plus en lui. Cette différence de l'arbre vivant de avec l’arbre mort , encore sur pied, et que les fluides subtils ambians ne sauraient plus vivifier, quoiqu'ils exis- tent toujours , s'accorde avec l'observation et avec tous les faits connus. L’orgasme étant détruit, soit dans telle branche de cet arbre , soit dans toutes ses parties, la vie ne saurait plus se mamifester dans les parties qui l’ont perdue. L’orgasme que possèdent les végétaux vivans, et qui leur donne à tous leur faculté absorbante, suffit donc pour les faire vivre. Il les met dans le cas de se passer de la faculté d’être srritables ; faculté que la composition chimique de leurs parties ne leur per- met point de posséder. | Ainsi, les végétaux ne sont point irritables , ne jouissent point du sentiment, et ne sauraient se mou- voir. On est même fondé à dire que , quelle que soit la puissance de la nature, et quelque temps qu'elle accorde à l’organisation qui tend toujours à se composer, le propre des végétaux est tel, que jamais la nature ne pourra leur donner, ni la fa- culté de se mouvoir eux-mêmes, ni celle de sentir, ni, à plus forte raison, celle de se former des idées, de les employer pour comparer les objets, pour juger , pour discerner ce qui leur convient, etc. Ils INTRODUCTION 109 resteront à jamais dans une infériorité de phénomè- nes organiques qui les distinguera toujours éminem- ment des animaux. | Examinons actuellement les caractères essentiels de ces dermiers , et nous les opposerons à ceux des végétaux , afin d'en apercevoir les grandes diffé- rences. 110 INTRODUCTION. CHAPITRE IV. Des animaux en général, et de leurs caracteres essentiels. Nous voici enfin parvenus aux objets qui nous intéressent directement, et que nous nous proposons de faire connaître sous les véritables rapports qui les concernent. Effectivement, il s’agit 1c1 des animaux, c’est-à-dire, de ces corps vivans singuliers , qui se meuvent instantanément et qui, la plupart, peuvent se déplacer ; de ces corps vivans qui, bien plus di- versifiés et plus nombreux en races que les végétaux, tiennent de si près par l’organisation à celle même de l'homme. Qui ne sait que toutes les parties de la surface du globe et le sein de toutes les eaux liquides, sont remplis de ces êtres vivans infiniment variés dans leur forme, leur organisation et leurs facultés ; et qu'ils offrent tous cela de particulier, qu'ils peuvent se mouvoir subitement ou mouvoir de même certaines de leurs parties, sans l'impulsion d’aucun mouvement communiqué ! INTRODUCTION. x III Or, puisque ces mêmes êtres, si dignes de notre admiration et de notre étude par les facultés qui leur sont propres, se rapprochent de nous par l'organi- sation , et que les animaux sans vertebres que nous voulons connaître en font généralement partie , essayons de fixer et de circonscrire nettement les caractères essentiels qui les distinguent. Les preuves du fondement de ces caractères seront développées après leur exposition. Caracteres essentiels des animaux. Les animaux sont des corps vivans irritables, dont les caractères essentiels sont : | 1.0 D’avoir des parties instantanément contractiles sur elles-mêmes, et d’être susceptibles de les mou- voir subitement et itérativement ; 2.0 D’être les seuls corps vivans qui aient la fa- culté d'agir , et la plupart de pouvoir se déplacer ; 3. De n’exécuter aucun des mouvemens de leurs parties, tant internes qu’externes , qu’à la suite d’ex- citations qui les provoquent, et de pouvoir répéter de suite ces mouvemens autant de fois que la cause excitante les provoquera ; 4. De n’offrir aucun rapport saisissable entre les mouyemens qu'ils exécutent et la cause qui les pro- dut ; 112 INTRODUCTION. 5.0 D'avoir leurs solides , ainsi que leurs fluides ; participant aux mouvemens vitaux; 6. De se nourrir de matières étrangères déja composées ; et la plupart d’avoir la faculté de di- gérer ces matières ; | 7. D'offrir entr'eux une immense disparité dans la composition de leur organisation et dans leurs fa- cultés particulières , depuis ceux qui ont l’orgami- sation la plus simple, jusqu'a ceux dont lorgani- sation est la plus compliquée, et dont les organes spéciaux intérieurs sont les plus nombreux ; de ma- mère que leurs parties ne sauraient se transformer les unes dans les autres ; 8.° D'être , les uns simplement srritables, ce qui fait qu'ils ne se meuvent que par des excitations qui leur viennent du dehors; les autres zrritables et sen- sibles, ce qui leur donne la faculté de se mouvoir par des excitations internes que le sentiment inté- rieur qu'ils possèdent produit en eux ; les autres, enfin , irritables , sensibles et intelligens, ce qui les rend capables de se mouvoir par des actes de volonté, quoique le plus souvent ils agissent sans préméditation ; 9.2 De n'avoir aucune tendance, dans le dévelop- pement de leur corps, à s’élancer perpendiculaire- ment au plan de l’horizon , et de n'avoir aucun pa- vallélisme dominant dans les canaux qui contiennent leurs fluides; INTRODUCTION: | 113 Tels sont les neuf caractères essentiels qui sont généralement propres aux animaux , et qui les dis- unguent éminemment de tout végétal quelconque , ces neuf caractères étant tous en opposition et con- tradictoires à ceux qui appartiennent aux végétaux. Ayant déjà prouvé, d’une part, que l’érritabilité n'existe nullement dans les végétaux, comme elle ne saurait exister dans aucun corps inorganique ; qu'aucun végétal , en effet, ne possède de parties instantanément et itérativement contractiles sur elles- mêmes ; en sorte que les mouvemens observés dans différentes plantes 7 n'ont rien de comparable au. phénomène de lirritabilité animale ; et de l’autre part, les zoologistes sachant trés-bien qu’il n’est pas un seul animal qui ne soit muni de parties instan- tanément contractiles ; c’est donc une vérité incon- testable et partout attestée par les faits ; savoir , que les animaux sont les seuls corps de la nature ( au moins dans notre globe } qui soient doués de par- ues irritables et de parties contractiles , susceptibles de se mouvoir subitement et itérativement à chaque provocation d’une cause excitante. Îls sont donc les seuls corps de la nature qui soient capables de se mouvoir par excitation. Si l’on recherche, en effet , quelle est la source des mouvemens des animaux, on reconnaîtra qu’elle réside uniquement dans cette faculté singulière de leurs parties souples, qui leur donne le pouvoir de Tome I. 8 114 INTRODUCTION se contracter subitement à chaque excitation , et de réagir aussitôt sur le point affecté. Dès lors , la com- paraison de ces singuliers mouvemens avec tous ceux que l'on peut observer ailleurs, montrera , comme je viens de le dire, que les animaux sont réelle- ment les seuls corps connus qui soient dans ce cas. Ceux des animaux dont le corps est entièrement gélatineux , comme les infusoires , les vrais polypes, les radiaires mollasses ; ceux-là, dis-je, ont toutes leurs parties concrètes éminemment érritables , et la simplicité de leur organisation fait propager leflet de toute excitation , soit sur une grande portion de leur corps, soit sur leur corps entier. Or, comme ces animaux trouvent autour d'eux ce qui peut les nourrir , Car ils s'emparent de tout ce qu'ils peuvent saisir, et rejettent ce qu'ils ne peuvent digérer, ils n’ont point de mouvemens particuliers à exécuter pour un choix d'alimens, n’ont besoin d’aucuns muscles pour se mouvoir eux-mêmes, et , en effet, on ne leur en connaît pas positivement. Mais, ceux qui sont plus avancés dans la com- position de leur organisation , ainsi Que ceux qui ont des parties dures, comme des tégumens coriaces , cornés ou crustacés ; ceux-là, dis-je, ont l'érrita- bilité plas bornée dans ses effets , et possèdent tous intérieurement dés muscles ; c’est-à-dire, des par- ües charnues , irritables, contractiles sur elles- mêmes , et qui peuvent se mouvoir par des excite- INTRODUCTION. ir tions internes. Ainsi, 1l rest aucun animäl , depuis la monade jusqu'a l’ourang-outang, qui n'ait de ces parties contractiles. Voila des faits que l'observation constate a l’é- Sard de tous les animaux, qui ne souffrent aucune exception nulle part, et qui ne se retrouvent, ni dans les végétaux , ni dans les autres corps de la nature : 1ls doivent donc servir à caractériser géné- ralement les animaux. Effectivement , ces caractères positifs nous seront utiles pour prononcer définitivement sur la nature de certains corps organisés , que les uns rapportent aux végétaux, tandis que les autres les regardent comme appartenant au règne amimal (1). On sent bien que je n'entends pas n’occuper 1ci des causes prochaines et mécaniques des divers mou- vemens des animaux ; mouvemens qu'ils exécutent principalement dans leur locomotion, comme lors- (1) Les plantes de la famille des sremelles, et particu- lièrement les oscillatoires de Vaucner, sont dans le cas que je viens de citer, et néanmoins ce sont évidemment des végétaux. Ces corps vivans ne sont point irritables ; leurs mouvemens oscillatoires sont toujours tres-lents et jamais subits; ils sont plus ou moins apparens en raison de la température, et aucune excitation particulière ne les fait point varier, ’oyez Vaucuer , Hist. des Conferves, P. 163 ef suis. 110 INTRODUCTION. ; qu'ils marchent, courent , sautent , rampent, volent ou nagent ; objet qui fut traité par Aristote, Bo- relli, Barthez, Daudin , etc.; mais qu'il s'agit de la source même où les animaux puisent la faculté de se mouvoir. Or, j'ai déja dit que si l’on demande quelles sont» les causes physiques , ou quelle est la source des mouvemens subits que les animaux peuvent exécu=" ter et répéter, la solution de cette question se trou= vera dans la considération du fait que j'ai cité, sa= voir : que les animaux ne se meuvent que par ex= citation , et qu'eux seuls, dans la nature , sont géné= ralement dans ce cas. On peut, effectivement , se convaincre par l'obs= servation que les mouvemens des animaux ne sont: point communiqués ; qu'ils ne sont point le produit d’une impulsion, d'une pression, d’une attraction ou d’une détente ; en un mot, qu'ils ne résultent point d’un effet, soit hygrométrique , soit pyromé= trique ; mais que ce sont des mouvemens excités, dont la cause excitante agissant sur des parties su= bitement, contractiles , n’est point proportionnelle aux effets produits. | Dans les corps inorganiques , et même dans 14 végétaux , les mouvemens des parties concrètes quels qu’ils soient, ne sont que communiqués, ou que déterminés par quelqu'aflinité ou quelque élasticité qui exerce son action; mais ils ne sont INTRODUCTION. EL jamais excilés : aussi sont-ils toujours proportion nels aux causes qui les produisent. De la vient que les lois de ces mouvemens se sont trouvées détermi- nables , et qu’elles ont donné lieu à une science par- ticulière qu'on nomme mécanique , a laquelle les mathématiques sont apphcables. (1) Dans les animaux, au contraire , les mouvemens subits qu'on leur observe ne s’opérant que par des excitations sur des parties concrètes, mais molles et contractiles, on ne trouve plus de rapports déter- minables entre la cause excitante, sa force et les mous vemens produits ; la nature même des mouvemens d'une partie qui se contracte, semble opposée à ceux qu'ailleurs les causes physiques exécutent. D’après ce que je viens d'exposer , on voit que les animaux diffèrent énormément par leur nature des autres corps vivans dépourvus de parties 2rri- tables, tels que les végétaux. Aussi , possèdent-ils , (1) On m'objectera peut-être , comme exception au prin- cipe que je viens de poser, que les matières qui entrent ea fermentation ont alors des mouvemens excités. Mais on se tromperait à cet égard; car, outre que les corps qui fermentent se détruisent, ce qui n’a point lieu dans les animaux qui se meuvent; je ne vois pas que les mou- vemens des corps qui fermentent soient en rien comparables aax mouvemens excités des animaux, aucune des parties de ces corps n'étant contractile, 115 INTRODUCTION. dans l’irritabilité qui leur est exclusivement propre, ! une cause de supériorité de moyens qui a permis | à la nature d'établir progressivement en eux les dif- ferentes facultés qu'on leur connaît. | Cependant , un caractère aussi frappant , aussi, tranché que celui que je viens de citer , ne fut réel- lement point saisi jusqu’à présent, puisque de notre” temps on a cherché à l’étendre jusques aux végé=n taux, Cest-à-dire , à des êtres qui ne le possèdent point. De même, n’a-t-on point attribué généralement a tous les animaux la faculté de se mouvoir vo= lontairement, et celle de senur, sans examiner au=* paravant ce que peuvent être le sentiment et la vo, lonte ! Et, dans l'ouvrage que j'ai déja cité (1), ne prétend-t-on pas que les organes essentiels à l'ami malité sont ceux des sensations et du mouvement I Or, comme ces organes sont des nerfs et des mus- cles, il s'ensuit que tout animal doit en être pour- vu! Néanmoins, étant forcé de convenir qu’on ne les retrouve plus dans quantité d'animaux imparfaits, on suppose que ces organes y existent toujours, ek qu'ils sont mélés et confondus dans la substance’ irritable et sensible de ces animaux. (1) Voyez le Dictionnaire des Sciences naturelles, au | mot animal, page 101. INTRODUCTION. 119 On nous dit ensuite, dans le même ouvrage, que c’est la manière dont s'exerce la nutrition qui fournit le meilleur caractère distinctif entre les animaux et les végétaux ; et pour le prouver, on assure que tous les animaux connus possèdent une cavité im- testinale qui a nécessairement pour entrée une ou plusieurs bouches, Ces assertions, qu'on ne s’est pas mis en peine de prouver, parce que la considération de quantité d'animaux en eût rendu les preuves trop difficiles à établir, montrent une prévention très-forte en fa- veur des anciennes opinions que l’on s'était formées des animaux , quoique nos connaissances actuelles ne les permettent plus. Elles ne sont propres qu’a retarder les progrès de la zoologie , et l’on peut dire maintenant qu'aucune d’elles n'offre le vrai caractère qui distingue les animaux des végétaux. En niant formellement ces assertions, parce qu'elles sont évidemment contraires à la marche que suit la nature dans ses productions ; qu’elles le sont à lor- dre progressif de la formation des organes spéciaux qui , seuls, donnent lieu à des facultés particulières ; et surtout qu’elles le sont à la nécessité de ces ap- pareils d'organes compliqués qui sont mdispensables pour des facultés très-éminentes ; voici celles que je leur substitue, et que j'appuierai de preuves telles qu'il faudra bien un jour les admettre. Sans doute, quelques animaux des plus parfaits 120 INTRODUCTION. LA sont doués de facultés d'intelligence, et peuvent agir par des actes de volonté, c’est-a-dire, à la suite d'une préméditation; mais il n’est pas vrai que tous les animaux aient la faculté de se mouvoir ainsi par les suites d'une volonté ; Sans doute, beaucoup d'animaux peuvent éprou- ver des sensations; mais il n’est pas vrai que les animaux jouissent tous de la faculté de senur ; Sans doute, il n’y a que des nerfs qui soient les organes des sensations ; mais il n’est pas vrai que tous les nerfs soient propres à la production du sen- tument ; | Sans doute , beaucoup d'animaux sont pourvus de nerfs; mais 1l n’est pas vrai que tous les animaux en soient munis d’une manière quelconque ; Sans doute, quantité d'animaux se meuvent par un système musculaire ; mais 1l n’est pas vrai que ious les animaux aient des muscles et puissent en aVoIr ; : Sans doute , enfin, un très-grand nombre d’a- nimaux possèdent une cavité intestinale , organe spé- cial pour la digestion ; mais il n’est pas vrai que tous les animaux soient munis d'une pareille cavité, qu’ils aient tous une ou plusieurs bouches , et que tous digèrent. Certes , si ces assertions sont fondées, il doit en. résulter que tout ce qui a été dit de l'animal est fort inconyenable , ne saurait fonder solidement la INTRODUCTION. FAT philosophie des sciences zoologiques , et probable- ment ne provient que de ce qu'on a généralisé Im- considérément ce qui a été observé dans les ani- maux les plus parfaits. J'ai déja donné les motifs sur lesquels se fondent quelques-unes de ces assertions ; je donnerai bien- tôt ceux qui concernent les autres ; mais auparavant je dois poser les axiomes ou principes suivans , qui sont les conséquences des six principes fondamen- taux présentés dans mon premier discours (pag. 11), et qui s'accordent avec tous les faits observés. Principes ou Axiomes zoologiques. 1,° Nulle sorte ou nulle particule de matière ne saurait avoir en elle-même la propriété de se mou- voir , m celle de vivre, ni celle de sentir , ni celle de penser ou d'avoir des idées; et si, hors de Phomme , l'on observe des corps doués, soit de toutes ces facultés , soit de quelqu’une d’entr'elles, on doit considérer alors ces facultés comme des phénomènes physiques que la nature à su pro- duire, non par l’emploi de telle matière qui pos- sède elle-même telle ou telle de ces facultés, mais par l’ordre et l’état de choses qu'elle a imstitués dans chaque organisation et dans chaque système d'organes particulier ; 2.9 Toute faculté animale , quelle qu’elle soit, est 122 INTRODUCTION. un phénomène organique; et cette faculié résulte d’un système ou appareil d'organes qui y donne lieu, en sorte qu'elle en est nécessairement dépendante ; 3. Plus une faculté est éminente, plus le srs-. tème d'organes qui la produit est composé et appar- tient à une organisation compliquée ; plus aussi son mécanisme est difficile à saisir. Mais cette faculte n'en est pas moins un phénomène d'organisation , et est en cela purement physique ; | 4. Tout système d'organes qui n’est pas com- inun à tous les animaux , donne lieu à une faculté qui est particulière à ceux qui le possèdent ; et lors- que ce système spécial n'existe plus , la faculté qu'il produisait ne saurait plus exister ; 5.0 Comme l’organisation elle-même, tout sys- tème d'organes particuhier est assujéti à des condi- tons nécessaires pour qu'il puisse exécuter ses fonc- tions ; et parmi ces conditions, celle de faire par- ue d'une organisation dans le degré de composition où on Pobserve , est au nombre des essentielles ; (1) (1) Supposer dans une monade , dans une hydre, etc. , l'éminente faculté de seztir, quoiqu'il soit impossible d'y trouver, le système d’organes compliqué qui, seul, peut donner lieu à cette faculté, c’est une pensée contraire aux lois de l’organisation, et à la marche que la nature est obligée de suivre dans tout ce qu’elle produit. INTRODUCTION. 125 6. L'irritabililé des parties souples , quoique dans différens degrés, selon leur nature, étant une faculté commune à tous les animaux , n’est point le produit d'aucun système d’organes particulier dans ces parles; mais elle est celui de l’état chimique des substances de ces êtres , joint à l’ordre de choses qui existe dans le corps animal pour qu'il puisse vivre ; 7. La nature, dans toutes ses opérations, ne pouvant procéder que graduellement, n’a pu pro- duire tous les animaux à-la-fois : elle n’a d’abord formé que les plus simples ; et passant de ceux-ct jusques aux plus composés, elle a établi successi- vement en eux différens systèmes d'organes parti- culiers, les a multipliés, en à augmenté de plus en plus l'énergie , et, les cumulant dans les plus parfaits, elle a fait exister tous les animaux con- nus avec l’orgamisation et les facultés que nous leur observons. Or, elle n’a rien fait absolument , ou elle a fait ainsi. Sachant parfaitement , par mes études des ani- maux , combien ces principes sont fondés, ces mé- mes principes me dirisgeront désormais dans l'ex- position que je ferai des facultés que possèdent les animaux que nous considérerons. Mais auparavant , il convient de fixer la défini- 194 INTRODUCTION. tion précise qui caractérise les coupes principales, parmi les corps naturels ; coupes dont jai fait l’ex- position des caractères avec détail. Or, ces coupes principales sont les corps inorganiques et les corps vivans ; et parmi ceux-c1 les vegetaux et les ani- maux. Definition de chacune des deux coupes primaires qui partagent les productions de la nature. — Les corps inorganiques sont ceux en qui l’état des parties ne permet pas au phénomène de la vie de s’exécuter en eux, quelque relation qu'ils aient avec les causes excitatrices de l'extérieur. — Les corps vivans sont ceux en qui un ordre de choses et un état des parties, permettent à des causes excitatrices d'y produire le phénomène de la vie, qui en ameéne plusieurs autres. Définition de chacune des deux coupes principales qui divisent les corps vivans. — Les végétaux sont des corps vivans non irri- tables, incapables de contracter instantanément et itérativement aucune de leurs parties sur elles- mêmes , et dépourvus de la faculté d'agir, ainsi que de celle de se déplacer. — Les animaux sont des corps vrvans doués de INTRODUCTION. 12) k parties irritables , contractiles instantanément et itéra- uvement sur elles-mêmes, ce qui leur donne à tous la faculté d'agir , et à la plupart celle de se déplacer. Ces définitions sont claires, positives, à abri de toute objection, et ne rencontrent aucune exception aulle part. Que l’on oppose maintenant ces caractères des animaux à ceux exposés ci-dessus qui appar- tiennent aux végétaux , l'on sera convaincu de la réalité de cette ligne de démarcation tranchée que la nature a établie entre les uns et les autres de ces corps vivans. Conséquemment, les auteurs qui indiquent un -passage insensible des animaux aux végétaux par les polypes et les infusoires qu'ils nomment z0ophites ou animaux-plantes, montrent qu'ils n’ont aucune idée juste de la nature animale , n1 de la nature vé- gétale ; et, abusés eux-mêmes, ils exposent à l'erreur tous ceux qui n'ont de ces objets que des connais- sances superficielles. Les polypes et les infusoires ont même si peu de rapports avec aucun végétal quelconque , que ce sont, de tous les animaux, ceux en qui l'irritabilite ou la contractilité subite des parties a le plus d’émi- nence. J'ai déja dit que , si, sous une seule considération , lon peut rapprocher les animaux trés-1mparfaits que constituent les infusotres, les polypes, etc., des - 126 INTRODUCTION. algues , des champignons , des lichens, et autres végétaux aussi très-imparfaits, ce ne peut être que sous le rapport d’une grande simplicité d'organisation de part et d'autre. Or, la nature suive ‘partout une même marche, et étant partout encore assujétie aux mêmes lois , il est évident que, si, pour former les végétaux et les animaux, elle à travaillé, d’un côté, sur des matériaux d’une nature particulière, et de Pautre j sur des matériaux dont la composition chimique était différente, ses produits sur les premiers n’ont pu être les mêmes que ceux qu’elle a pu faire exister dans les seconds. C’est ce qui est effectivement ar- rive; car, très-bornée dans ses moyens, relativement aux végétaux, la nature n'a pu établir en eux lerri- tabilite, et, par cette privation, ces corps vivans sont restés dans une grande infériorité de phéno- mènes comparativement aux animaux. Enfin, comme la nature a commencé en même temps les uns et les autres, ils ne forment point une chaîne unique, mais deux branches séparées à leur origine, où elles n’ont de rapports que par la simplicité d'organisation des uns et des autres. Voila ce qu’attesteront tou- jours l’observation de ces deux sortes de corps vi- vans, et Pétude de la nature. Maintenant que nous connaissons l'animal, que nous pouvons même distinguer le plus imparfait des animaux du végétal le plus simple en organisation ; INTRODUCTION. 127 nous avons, à l'égard des premiers , quantité d’ob- jets très-importans à considérer, si nous voulons réellement les connaitre. D'abord, quoiqu'il soit prouvé qu'il n’y ait point de chaine réelle entre toutes/les productions de la nature, qu'il n’y en ait même point entre tous les corps vivans , puisque les végétaux ne sauraient se her aux animaux par une véritable nuance, pour montrer l'unité du plan qu'a suivi la nature, dans la formation des animaux , je vais constater , dans la seconde partie, l'existence d’une progression dans la composition de l’organisation des animaux , ainsi que dans le nombre et l'éminence des facultés qu'ils en obtiennent. 128 INTRODUCTION. EN R VAL ALL LAS VALUE LULU LUUVEER VULR RAR VARIALAIIUUULS avé DEUXIÈME PARTIE. De l'existence d'une progression dans la composition de l'organisation des äni- maux, ainsi que dans le nombre et l'émi- nence des facullés qu'ils en obtiennent. 5 s'agit maintenant de constater lexistence d’un fait qui mérite toute l'attention de ceux qui étudient la nature dans les animaux ; d’un fait entrevu depuis bien des siècles, jamais parfaitement saisi, toujours exagéré et dénaturé dans son exposition ; d’un fait, en un mot, dont on s’est servi pour étayer des sup- positions entièrement imaginaires. Ce fait, le plus important de tous ceux qu'on ait remarqués dans l'observation des corps vivans, con- siste dans l'existence d’une composition progressive de Forganisation des animaux, ainsi que d’un ac- croissement proportionné du nombre et de l'ém- nence des facultés de ces êtres. Effectivement , si l’on parcourt , d’une extrémité a l'autre, Ta série des animaux connus , distribués IXTRODUCTION. 129 d’après leurs rapports naturels, et en commencant par les plus imparfaits; et si l’on s'élève ainsi, de classe en classe, depuis les infusoires qui commen- cent cette série, jusqu aux Amammiferes qui la termi- nent, on trouvera , en considérant l'état de l’organi- sation des différens animaux, des preuves incontesta- bles d’une composition progressive de leurs organisa- tions diverses, et d’un accroissement proportionné dans le nombre et l’éminence des facultés qu'ils’ en obtiennent ; enfin, l’on sera convaincu que la réalité de la progression dont il s’agit , est maintenant un fait observé et non un acte de raisonnement. Depuis que j'ai mis ce fait en évidence, on a supposé que j'entendais parler de l'existence d’une chaine non interrompue que formeraient, du plus simple au plus composé, tous les êtres vivans, en tenant les uns aux autres par des caractères qui les hieraient et se nuanceraient progressivement ; tandis que j'ai établi une distinction positive entre les vé- gétaux et les animaux, et que j'ai montré que, quard même les végétaux sembleraient se her aux animaux par quelque point de leur série, au lieu de former ensemble une chaîne ou une échelle graduée, ils présenteraient toujours deux branches séparées, très- distinctes, et seulement rapprochées à Îeur base, sous le rapport de la simphoité d'organisation des êtres qui s'y trouvent. On à même supposé que je voulais parler d’une chaine existante entre tous les Tome Z, 9 130 INTRODUCTION. corps de la nature, et l'on a dit que cette chaine graduée n’était qu’une idée reproduite, émise par » Bonnet, et depuis, par beaucoup d’autres. On aurait » pu ajouter que cette idée est des plus anciennes, uisaw’on la retrouve dans les écrits des philosophes « puis P P grecs. Mais, cette même idée, qui prit probablement sa source dans le sentiment obscur de ce qui a lieu réellement à l'égard des animaux, et qui n’a rien de Ex commun avec le fait que je vais établir, est formel-w lement démentie, par l’observation, à l'égard de, plusieurs sortes de corps maintenant bien connus. Assurément, je n'ai parlé nulle part d’une pareille chaine : je reconnais partout, au contraire, qu'il ÿ a une distance immense entre les corps inorganiques et les corps vivans , et que les végétaux ne se nuan- cent avec les animaux par aucun point de leur série. Je dis plus; les animaux mêmes, qui sont le sujet du fait que je vais exposer; ne se lient point les. uns aux autres de manière à former une série simple et régulièrement graduée dans son étendue. Aussi , dans ce que j'ai à établir , 1l n’est point du tout ques-! tion d’une pareille chaîne , car elle n’existe pas. Mais le sujet que je me propose ici de traiter, concerne une progression dans la composition de l'organisation des animaux , ne recherchant cette progression que dans les masses principales ou clas- siques, et ne considérant partout la composition de chaque organisation que dans son ensemble, INTRODUCTION. 131 c'est-à-dire, dans sa généralité. Or , il s’agit de sa- voir âi cette progression existe réellement ; si le nom- bre et le perfectionnement des facultés animales sé trouvent partout en rapport avec elle; et si lon peut actuellement regarder cette même progression comme un fat positif, ou si ce n'est qu'un sys- tème. AR | Qu'il y ait des lacunes connues en diverses par- es de léchelle que forme cette progression, et des anomalies à l'égard des systèmes d’organes par- ticuliers qui se trouvent dans différentes organisa tions animales, lacunes et anomalies dont j'ai in- diqué les causes dans ma Philosophie zoologique, cela importe très-peu pour l'objet considéré, si le- xistence de la progression dont il s’agit , est un fait général et démontré, et si ce fait résulte d’une cause pareillement générale, qui y aurait donné lieu. À la vérité, on à reconnu qu’il était possible d’é- tablir , dans la distribution des animaux, une es- pèce de site qui paraîtrait s'éloigner par degrés d'un type primiuf; et que l’on pouvait, par ce moyen, former une échelle graduée , disposée, soit du plus composé vers le plus simple , soit du plus simple vers le plus composé. Mais on a objecté que, pour pouvoir ainsi établir une série unique , il fallait con- sidérer chacune des organisations animales dans l’en- semble de ses parties ; car , si l’on prend en consi- dération chaque organe particulier ; on aura autant 132 INTRODUCTION: de séries différentes à former, que l'on aura pris d'organes régulateurs , les organes ne suivant pas tous le même ordre de dégradation. Cela montré; at-on dit, que, pour faire une échelle générale de perfection , il faudrait calculer l'effet résultant de chaque combinaison ; ce qui n’est presque pas pos= | sible. ( Cuv. Anat. comp. vol 1, p. 59.) 4] La première partie de ce raisonnement est sans doute très-fondée ; mais la suite et surtout la con- clusion , selon moi, ne sauraient l'être ; car on suppose la nécessité d’une opération que je trouve | au contraire fort inutile, et dont les élémens se= | raient très-arbitraires. Cependant, cette conclusion peut en imposer à ceux qui n'ont point sufisam ment examiné ce sujet, et qui ne donnent que peu d'attention à l'étude des opérations de la nature. Voila linconvénient de raisonner, à l'égard des choses observées, d’après la supposition d’une seule cause agissante pour la progression dont il s’agit, avant d’avoir recherché s'il ne s’en trouve pas une autre qui ait le pouvoir de modifier cà et là les ré= sultats de la première. En effet, on n’a vu, dans toutes ces choses, que les produits d’une cause umi= que, que ceux compris dans lidée qu’on se fait des opérations de la nature; et cependant il est facile de s’apercevoir que ces mêmes choses proviennent de l'action de deux causes fort différentes , dont l’une ; quoiqu’incapable d’anéantir la prédominance de Pau- INTRODUCTION. 139 tre , fait néanmoins très-souvent varier ses résultats, Le plan des opérations de la nature à l'égard de k production des animaux, est clairement indiqué par cette cause première et prédominante qui donne à la vie animale, le pouvoir de composer progres- sivement l’organisation, et de compliquer et per- fectonner graduellement , non-seulement lorgani- sation dans son ensemble , mais encore chaque sys- tème d'organes particulier , a mesure qu’elle est par- venue à les établir. Or, ce plan, c’est-a-dire , cette composition progressive de organisation, a été réel- lement exécuté, par cette cause première, dans les différens animaux qui existent. Mais une cause étrangère à celle-ci, cause acci- dentelle et par conséquent variable, a traversé ca et à lexécution de ce plan , sans néanmoins le détruire, comme je vais le prouver. Cette cause, effectivement, a donné lieu , soit aux lacunes réelles de la série, soit aux rameaux finis qui en proviennent dans di- vers points et en altèrent la simplicité, soit, enfin, aux anomalies qu'on observe parmi les systèmes d’or ganes particuliers des différentes organisations. Voila pourquoi , dans les détails, l'on trouve souvent, parmi les animaux d’une classe, parmi œux-mêmes qui appartiennent à une famille très- naturelle , que les organes de l'extérieur, et même que les systèmes d'organes particuliers intérieurs , ne suivent pas toujours une marche analogue à celle 134 INTRODUCTION. À de la composition croissante de l'organisation. Ces anomalies n’empêchent pas, néanmoins, que Ja pro gression dont il s’agit, ne soit partout éminemment reconnaissable dans ni série des masses classiques qui distinguent les animaux ; la cause accidentelle citée n'ayant pu altérer la progression en question , que dans des particularités de détail, et jamais danshà, généralité des organisations. | J'ai montré dans ma Philosophie zoologique (vol. 1 , p. 220 ) que cette seconde cause résidait dans les circonstances très-différentes où se sont trou- vés les divers animaux , en se répandant sur des différens points du globe et dans le sein de s& eaux liquides ; circonstances qui les ont forcésu diversifier leurs actions et leur manière de vivre, à changer leurs habitudes , et qui ont influé à faire varier fort irrégulièrement , non-seulement leur parties externes , mais même , tantôt telle partie € tantôt telle autre de leur organisation intérieure. C’est en confondant deux objets aussi distincts;"sa- voir : d’une part, le propre du pouvoir de la wi dans les animaux, pouvoir qui tend sans cesse compliquer l'organisation, à former et multipherles organes particuliers , enfin, à accroître le nombre et le perfectionnement des facultés ; et de l’autre, la cause accidentelle et modifiante, dont les pro: duits sont des anomalies diverses dans les résulta du pouvoir de la vie; c’est, dis-je , en confondan EXTRODUCTION. 139 ces deux objets, qu'on a trouvé des motifs pour ne donner aucune attention au plan de la nature, à la progression que nous allons prouver, et lui refuser Fimportance que sa considération doit avoir dans nos études des animaux. Pour se convaincre de la réalité du plan dont je parle , et mettre dans tout son jour ce même plan que la nature suit sans cesse , et qu’elle maintient dans tous les rangs, malgré les causes étrangères qui en diversifient ca et la les effets; si, conformé- ment à l'usage , l'on parcourt la série des animaux, depuis les plus parfaits d’entr’eux jusques aux plus imparfaits, on reconnaitra qu'il existe dans les pre- mers, ua grand nombre. d'organes spéciaux très- différens les uns des autres ; tandis que , dans les derniers, on ne retrouve plus un seul de ces or- ganes ; ce qui est positif. On verra , néanmoins , que, partout , les mdividus de chaque espèce sont pourvus de tout ce qui leur est nécessaire pour vivre et se reproduire dans l’ordre de facultés qui leur est as- signé ; l’on verra aussi que, partout où une faculté n’est point essentielle , les organes qui peuvent la donner ne se trouvent et n’existent réellement pas. Ainsi, en suivant attentivement l’organisation des animaux connus, en se dirigeant du plus. composé vers le plus simple , on voit chacun des organes spé- ciaux , qui sont si nombreux dans les animaux les plus parfaits, se dégrader, s’atténuer constamment, 136 ‘ INTRODUCTION. quoiqu'irrégulièrement entr'eux, et disparaître en- tièrement l’un aprés l'autre dans le cours de la série. Les organes de la digestion , comme les plus gé- néralement utiles dans les animaux , sont les der- niers à disparaître ; mais, enfin, ils sont anéantis à leur tour , avant d’avoir atteint l'extrémité de la série; parce que ce sont des organes spéciaux, qu'ils ne sont pas essentiels à l’existence de la vie, et qu'ils ne le sont que dans les organisations qui les possèdent. Maintenant , voyons les faits connus , d’après les- quels on peut établir et constater la progression dont :l s'agit. | | Faits sur lesquels s'appuient Les preuves de l'existence d’une progression dans la composi- tion de l’organisation des animaux. Premier fait : Tous les animaux ne se ressem- blent point par l’organisation , soit extérieure , soit intérieure , de leur corps; on trouve parmi eux des différences nombreuses , constantes et très-conside- rables ; en sorte qu'ils offrent, sous ce rapport, une immense disparité. Deuxième fait : W est certain et reconñu que, | sous le rapport de l’organisation ; l'homme tuent aux animaux, et surtout à certains d’entr'eux. Troisième fait : On peut présenter comme un fait positif, comme une vérité susceptible de dé- INTRODUCTION. 137 monstration, que , de toutes les organisations , g’est celle de l’homme qui est la plus composée et la plus perfectionnée dans son ensemble, comme dans celui des facultés qu’elle lui procure. (1) Quatrieme fait : L'organisation de l’homme étant la plus composée et la plus perfectionnée de toutes les organisations ; l'homme ensuite tenant aux animaux par l'organisation ; enfin, par cette dernière encore, les animaux différant plus ou moins considérable- ment entr'eux; c'est un fait certain qu'il existe des animaux qui se rapprochent beaucoup de l’homme, sous le rapport de l’orgamisation ; qu'il s’en trouve d’autres qui, sous le même rapport, s’en éloignent davantage que ceux-ci; et que, sous la même consi- dération , d’autres encore en sont considérablement écartés. De ces quatre faits , trop reconnus et trop positifs pour qu'il soit possible d’en contester raisonnable- ment aucun , la conséquence suivante résulte néces- sairement. (r) Plusieurs animaux offrent , dans certains de leurs or- ganes , un perfectionnement et une étendue de facultés dont les mêmes organes , dans l’homme , ne jouissent pas. Néan- moins, son organisation l'emporte en perfectionnement dans son ensemble , sur celle de tout animal quelconque; ce qui ne peut être contesté, 138 INTRODUCTIOK. L'organisation de l’homme étant la plus compo- sée et la plus perfectionnée de toutes celles que la nature à pu produire , on peut assurer que, plus une organisation animale approche de la sienne, plus elle est composée et avancée vers son perfectionne- ment ; et de même, que plus elle s’en éloigne, plus alors elle est simple et imparfaite (1). … Maintenant, en nous réglant sur cette conséquence déja tirée; savoir : que, plus une organisation ani- male approche de celle de l’homme , plus elle est composée et rapprochée de la perfection ; tandis que, plus elle s’en éloigne , plus alors elle est simple et im- parfaite ; 11 s’agit de montrer que les diverses organi- sations animales , d’après les faits relatifs à l’ensem- ble de leur composition , forment réellement un ordre très-reconnaissable , et dans lequel l'arbitraire n'entre pour rien. (1) On est si éloigné de saisir les véritables idées que l’on doit se former sur la nature et l’état des animaux, que plusieurs zoologistes prétendant que tous ces corps vivans sont également parfaits chacun dans leur espèce , les mots animaux parfaits ou animaux imparfaits leur paraissent ridicules! comme si, par ces mots, l’on n’entendait pas ex- primer ceux des animaux qui, par le nombre, la puissance et l’eminence de leurs facultés , se rapprochent en quelque sorte de l’homme, ou désigner ceux qui, par les bornes ex- trèmes du peu de facultés qu’ils possèdent , s'éloignent infi- INTRODUCTION. 139 Pour nous accommoder à l'usage , procédons du plus composé vers le plus simple, et recherchons dans les faits observés, si l’ordre dont nous venons de parler existe positivement. Faits qui concernent Les animaux vertébrés et qui prouvent l'existence d’une progression dans la composition et le perfectionnement de leur organisation. Si l'ordre de progression que nous recherchons existe, nous devons trouver une dégradation pro- gressive de classe en elasse dans l’organisation des animaux ; puisque nous allons procéder, dans leur série, du plus composé vers le plus simple , com- nument du terme de perfection organique dont l’homme of- fre l'exemple ! Qui ne sait que, dans l’état d'organisation où il se trouve, iout corps vivant, quel qu'il soit, est un être réellement parfait, c’est-à-dire , un être à quiil ne manque rien de ce qui lui est nécessaire! mais, la nature ayant composé de plus en plus l’organisation animale ; et par là , étant parve- nue à douer ceux des animaux qui possèdent l’organisation la plus compliquée , de facultés plus nombreuses et plus émi- nentes, on peut voir dans ce terme de ses efforts , une per- fection dont s’éloignent graduellement les animaux quine l'ont pas obtenue. 140 INTRODUCTION. mencer notre examen par les animaux qui ont l'or gamsation la plus composée, et le terminer par ceux qui sont les plus simples à cet égard, c’est-à-dire, par les plus imparfaits. Dans cette marche, nous devons nous occuper. d'abord des animaux vertébrés ; car , ce sont ceux qui ont l’organisation la plus composée, la plus fé- conde en facultés, la plus rapprochée de celle de l'homme ; et, à leur égard , nous remarquerons que le plan de leur organisation , plus ou moins déve- loppé dans chacune de leurs races , et aussi plus ou moins modifié par les circonstances dans lesquelles chacune d'elles se trouve , embrasse pareillement l’organisation de l’homme qui offre le complément parfait de ce plan particulier. En conséquence, sans entrer dans tous les détails que l'anatomie comparée a fait connaître , et qui multiplient les preuves que nous pourrions citer, nous dirons que , si l’on examine attentivement les animaux vertlébres , on est bientôt convaincu : 1.° Que, de tous les vertébrés connus, ce sont les mammifères qui tiennent de plus près à l’homme par l’organisation; qu'ils sont même les seuls qui aient de commun avec lui la génération sexuelle vraiment vivipare; qu'ils sont plus avancés que tous les autres dans le développement de leur plan d'or- ganisation , et conséquemment que c'est parmi eux que se trouvent les plus parfaits des animaux ; INTRODUCTION. 1/41 2.0 Que, parmi les #74ammifères , ceux de l'or- dre des onguiculés ( Philos. zool. vol. 1 , p. 345 ) sont , de tous les animaux à mamelles, ceux dont l'organisation approche le plus de celle de l'homme, et leur donne plus de facultés qu'aux autres ; que même, parmi eux, l’on trouve des familles par- ticulières qui lemportent sur les autres familles du même ordre, par un plus grand rapprochement à cet égard; qu'en eflet, dans les quadrumanes , le cerveau présente, avec tous ses accessoires, le plus grand volume , proportionnellement à celui de leur corps , après le cerveau de l’homme, et conséquem- ment l'organe de l'intelligence le plus développé, après le sien ; qu’en outre, ces derniers ont les extré- mités de leurs membres mieux disposées pour saisir les objets, pour les sentir, juger de leur forme ou de leurs autres qualités, en un mot, pour s’en servir, que les autres onguiculés : en sorte que lorgani- sation de ces animaux est effectivement la plus per- fectionnée des organisations animales , et ne présente ensuite dans les autres familles du même ordre que des dégradations croissantes , qui entraînent des ap- pauvrissemens dans les facultés ; 3° Qu'outre la dégradation qui s’observe déjà parmi les différentes races des mammiféres ongui- culés, celle qui a lieu dans les mammiferes ongulés, se manifeste plus fortement encore ; car ces animaux ont le corps plus gros, plus lourd; les doigts moins 142 INTRODUCTION. séparés ; moins libres, moins sensibles, puisqu'ils sont enveloppés de corne ; ils sont moins adroits ; ne peuvent guère se servir de leurs pieds que pour se soutenir ou pour leurs mouvemens de transla- tion; ne sauraient même s'asseoir, se reposer sur le derrière ; enfin, ils ont déja perdu de grandes facultés dont jouissent les premiers ; parmi eux on observe encore une dégradation sensible ; car les pa- chidermes ont les pieds moins altérés que les bisulces et les solipedes ; 4. Qu'en quittant les mammifères et arrivant aux oiseaux, lon reconnait que des changemens plus graves se sont opérés dans l’organisation de ces derniers, et l’éloignent davantage de celle de l'homme ; qu'en effet; la génération des vrais vi- vipares, qui est la sienne ; est anéante et ñe se re- trouvera plus désormais ; car, 1l n’est pas vrai que, hors des mammifères , l’on connaisse aucun ani- mal réellement vivipare , soït dans les reptiles , soit dans les poissons, etc., quoique souvent les œufs éclosent dans le ventre même de la mère, ce que Jon a nommé génération ovo-vivipare ; en un mot, en arrivant aux O!seaux , On voit que la poitrine cesse d’être constamment séparée de l'abdomen par une cloison complète ( un diaphragme), cloison qui reparait dans quelques reptiles et disparaît ensuite partout ; qu'il n’y a plus de vulve extérieure, sé- parée de l'anus; plus de saillie au dehors pour les INTRODUCTIOË. 143 païties sexuelles mâles ; plus de saillie de même pour le cornet de l'oreille extérieure ; et que les animaux n’ont et n'auront plus désormais la faculté de se coucher et de se reposer sur le côté ; 5.0 Qu'en laissant les oiseaux , pour considérer les reptiles, des changemens et des diminutions plus graves encore dans le perfectionnement de l’orga- nisation se font remarquer , et l’éloignent plus en- core de celle de l’homme; que le cœur n’a plus partout deux ventricules sans communication ; que la chaleur du sang n'excède presque plus celle des milieux environnans ; qu'il n’y a plus, dans tous, qu'une partie du sang qui recoive , dans chaque tour, l'influence de la respiration pulmonaire ; que le pou- mon lui-même n’est plus constamment double ( com- me dans les ophidiens ) , et qu'a mesure qu'il ap- proche de l’origine de sa formation, ses cellules sont plus grandes et moins nombreuses ; que le cer- veau ne remplit qu'incomplétement la cavité du crâne; que le squelette offre ca et la de grandes altérations dans l’état et le complément de ses parties ( point de clavicules dans les crocodiles, point de sternum ni de bassin dans les opludiens ); qu'une diminu- üon d'activité dans les mouvemens vitaux et dans les changemens qu'ils produisent , permet à beau- coup d'animaux de cette classe de pouvoir vivre long-temps de suite sans prendre de nourriture (les tortues , les serpens ); qw'enfin , si dans les premiers 144 INTRODUCTION: ordres des reptiles, le cœur a encore deux oreillettes; il n’en présente plus qu’une seule dans le dernier ; 6.° Qu'en arrivant aux poissons, l'on remarque que l’organisation animale s'éloigne de celle de lhom- me bien plus encore que celle des animaux déjà. cités , et qu’elle est conséquemment plus dégradée, plus imparfaite que la leur, mdépendamment des influences du milieu dense qu'habitent les animaux dont il s’agit; qu'effectivement , l’on ne retrouve plus dans les poissons l'organe respiratoire des ani- maux les plus parfaits; que le véritable poumon, que nous ne rencontrerons plus nulle part, y est remplacé par des branchies , organe bien plus faible en influence respiratoire , puisque, pour parer aux inconvéniens de ce grand changement, la nature fait passer tout le sang par cet organe avant de l’en- voyer aux partes, ce qu'elle n’a point fait dans les reptiles; que la poitrine , ou ce qu’elle doit conte- nir, a passé ici sous la gorge , dans la base même de la tête; qu'il n'y a plus et qu'il n'y aura plus désormais de trachée-artère , m de larinx , mi de voix véritable ; que les paupières, qui ont déjà manqué sur les yeux des serpens, ne se retrouvent plus ici, et ne reparaitront plus à l'avenir ; que lo- reille est tout-a-fait intérieure , sans conduit externe; qu'enfin, le squelette très - incomplet, singulière- ment modifié, partout sans bassin et sur le point de s'anéanur , n’est plus qu'ébauché dans les derniers INTRODUCTION. 149 animaux de cette classe ( les /amproies ) et finit avec eux: | Ces preuves que fournissent les animaux vertée- brés, d’une dégradation progressive de l’organisa- tion, depuis le plus perfectionné des quadrumanes, jusqu’au plus imparfait des poissons , et conséquem- ment d’une diminution croissante dans la compo- sition et le perfectionnement de l’organisation ) à mesure que lon parcourt leurs classes en se diri- geant vers ceux dont l’organisation s'éloigne plus de celle de l’homme), deviennent de plus en plus frap- pantes et décisives , si l'on étend la même recherche aux animaux sans vertèbres: Fais qui concernent les animaux sans vertèbres, et qui prouvent aussi l’existence d’une progres- sion dans la composition et le perfectionnement de l’organisation de ces änimaux. En continuant notre examen, et recueillant les faits observés que nous offrent les animaux sans ver- tèbres, on reconnäît : 1.0 Qu’avec les poissons, se termine compléte- ment le plan particulier de l’organisation des ani- maux vertébrés, et par conséquent l'existence du squelette qui fait une partie essentielle de ce plan; aw’effectivement , après les poissons, la moelle épi- nière, ainsi que la colonne vertébrale, cette base Tome I. 10 146 INTRODUCTION. de tout véritable squelette , ont cessé d'exister; que par conséquent, le squelette lui-même , cette char- pente osseuse et articulée, qui fait une partie impor- tante de l'organisation de l’homme et des animaux les plus parfaits, charpente qui fournit aux muscles tant de points d'attache pour la diversité et la soli- dité des mouvemens, et qui donne une si grande force aux animaux sans nuire à leur souplesse ; que cette partie, dis-je , est tout-a-fait anéantie, et ne reparaîtra désormais dans aucun des animaux des classes qui vont suivre ; car, 1l n’est pas vrai qu'a- près les poissons, la peau crustacée ou plus ou moins solide de certains animaux, et les colonnes d’osselets pierreux qui soutiennent les rayons des astéries , de même que celles qui forment laxe dans les encrines, soient des parties en rien analogues au squelette des animaux vertébrés ; qu’enfin, après les poissons , les animaux observés offrent des plans d'organisation très-différens de celui auquel appar- tient l’organisation même de l'homme, de celui qui admet des organes particuliers pour l'intelligence, de celui qui donne lieu à un organe spécial pour la voix , à un véritable poumon pour respirer, à un système lymphatique , a des organes sécréteurs de l'urine , etc. , etc. ; 2.0 Que les mollusques, qui ne se lient par au- cune nuance avec les poissons connus , à moins que de nouveaux hétéropodes n’en fournissent un jour INTRODUCTION. 147 les moyens , doivent néanmoins venir les premiers dans notre marche, étant , de tous les animaux sans vertèbres, ceux en qui la composition de l’organisa- tion paraît la plus avancée, quoiqu’elle soit appro- priée, par son état de faiblesse, au changement que la nature devait exécuter pour amener celle des ver- tébrés ; que cependant ils sont encore plus impar- faits, plus éloignés de l’organisation de l’homme que les poissons , puisqu'ils manquent de colonne ver- tébrale , et qu’ils n’appartiennent plus au plan d’orga- misation qui l’admet; que, n'ayant pas encore de moelle épinière, ils n’ont pas non plus de moelle longitu- dinale noueuse , mais seulement un cerveau, quel- ques ganglions et des nerfs, ce qui affaiblit leur sen- sibilité qui est répandue sur toute leur surface ex- terne ; qu’enfin , si ces animaux mollasses et inar- ticulés n’exécutent que des mouvemens sans viva- cité et sans énergie, c’est que la nature se prépa- rant à former le squelette , a abandonné én eux l’u- sage des tégumens cornés et des articulations qu’elle employait depuis les insectes , en sorte que leurs muscles n'ont sous la peau que des points d'appui tres-faibles ; 3.° Que les cirrhipedes, les annelides et les crus- tacés ; sous le rapport d’une diminution dans la com- position et le perfectionnement de l’organisation, n offrent aucune particularité bien éminente ; si ce 148 INTRODUCTION. n’est qu'ils sont imférieurs aux mollusques , et par cela même plus éloignés encore de l’organisation de l'homme ; puisque, par leur moelle longitudinale noueuse , ils participent au système nerveux des In= sectes, et qu'ils sont cependant moins imparfaits qué ces derniers, sous le rapport de la circulation de | _ leurs fluides et sous celui de leur respiration; qu’en- | fin, les crustacés sont les derniers animaux en qui des vestiges de l’ouie aient été observés , et en qui le foie se retrouve encore ; | 4.° Que, parvenu aux arachnides, qui tiennent de si près aux insectes, mais qui en sont très-dis-| ünctes , on voit que l’organisation animale s'éloigne! encore plus de celle de l’homme que celle des ani- maux précédens ; car, le système d'organes, pro-# pre à la circulation des fluides , n’est plus que sim-1 plement ébauché dans certains animaux de cette! classe , et se trouve définitivement anéanti dans les! autres : en sorte qu'on ne le retrouvera plus doréna=! vant, quoique le mouvement ou le transport des! fluides ou de certains fluides sécrétés , soit encore dans le cas de s’exécuter à l’aide de véritables vais- seaux , dans les animaux de plusieurs des classes qui suivent ; qu'ici, le mode de respiration par 0ran- chies se termine pareillement, n’y offre plus que quelques ébauches , et y est remplacé par celui des trachées aérifères , les unes ramifiées, selon les ob- INTRODU€TION. 149 servations de M. ZLatreille, et les autres en dou- bles cordons ganglionés , comme dans les insectes ; qu'enfin, toute glande conglomérée paraissant ne plus exister , et ne devant plus se retrouver désor- mais, ces animaux sont encore plus éloignés de Fhomme , par l’organisation , que les crustacés mé- mes en qui le foie se montre encore ; 5.0 Qu'en parvenant aux insectes , cette classe d'animaux si nombreux , si singuliers, si élégans même , on reconnait que l’organisation s'éloigne en- core plus de celle de l’homme que celle des arach- nides et que celle des animaux qui, dans cette-mar- che, les précèdent; puisque le système si important de la circulation des fluides, par des artères et des veines , ny montre plus aucun vestige; que le sys= téme respiratoire, par des {rachées aërifères , non dendroïdes , mais en doubles cordons ganglionés, n'a plus même de concentration locale ; que les organes biliaires ne sont plus que des vaisseaux dé- sunis ; que la sensibilité chez eux est devenue fort obscure , étant les dermers en qui ce phénomène organique puisse encore s’exécuter ; que leur cer- veau est réduit à sa plus faible ébauche; que leurs organes sexuels n’exécutent plus leurs fonctions qu'une seule fois dans le cours de leur vie; qu’en- fin , le sang , graduellement appauvri dans sa na- ture , depuis Les animaux les plus parfaits, n’est | plus, dans les insectes où il a cessé de circuler, Ro 0 INTRODUCTION. qu'une sanie presque sans couleur , à laquelle il ne convient plus de donner le nom de sang ; (1) G.o Que les vers , qui , en descendant toujours, viennent après les insecies, mais à la suite dun hiatus , que les épizoaires rempliront peut-être un jour , présentent , dans la composition de l’organi- sation , une diminution bien plus grande encore que celle observée dans les insectes et dans les ani- maux déjà cités ; en sorte que l’organisation des: vers est beaucoup plus éloignée encore de celle a laquelle on la compare , ainsi que toutes les autres, que celle des insectes ; qu'ici, en effet, mi le cer- EEE (1) Il me paraît que, faute d’avoir étudié et suivi les moyens de la nature, on s’est gravement trompé, rela- tivement aux insectes , sur la cause, soit de ia singula- rité des habitudes, soit de la vivacité des mouvemens de certains de ces animaux. Au lieu d'attribuer ces faits à une organisation plus perfectionnée des insectes, et à la nature de leur respiration , ce qui devrait s'étendre à tous les animaux de cette classe, nous ferons remarquer que, de simples particularités, que nous indiquerons , sont très- suffisantes pour donner lieu à ces faits ; nous montrerons que, sans avoir des facultés d'intelligence, mais ayant des idées de perception, de la mémoire, un sentiment intérieur , et l’organisation modifiée par les habitudes , ces causes suffisent pour leur faire produire les actions que nous observons chez eux ; que ces particularités, très-diver- INTRODUCTION. À eh : veau, ce point de réunion pour la production du phénomène du sentiment, ni la moelle Ionsitudi- nale noueuse qui | depuis les insectes jusqu'aux mollusques , était si utile au mouvement des par- ues, n'existent plus; qu'il n’y a plus de tête; plus d'yeux; plus de sens particuliers ; plus de trachées aériféres pour la respiration ; plus de forme géné- rale constituée par des parties paires ; en un mot, plus de véritables mâchoires ; que la génération sexuelle , même, parait s’'anéantir dans le cours de cette classe, les sexes ne se montrant plus qw'obs- curément dans certains vers, et disparaissant en- tièrement dans les autres; qu’enfin , formant une branche particulière et hors de rang dans la série, sifiées selon les races, ne sont point communes à tous ces animaux; qu'en effet, sil y a des insectes qui ont des mouvemens très-vifs, il y en a aussi qui n’en ont que de fort lents; que, même dans les zzfusoires, on trouve des animaux qui ont les mouvemens les plus vifs, tandis que , dans les #14mmiféres , lon voit des races qui n’en exécutent que de tres-lents ; qu’enfin , à l’égard des ma- nœuvres singulières de certaines races , manœuvres que l'on a considérées comme des actes d'industrie, il n’y a réellement que des produits d’habitudes que les circons- tances ont progressivement amenées et fait contracter ; ha- bitudes qui ont modifié l’organisation dans ces races, de manière que les nouveaux individus de chaque génération ne peuvent que répéter les mêmes manœuvres, 152 INTRODUCTION. ces animaux offrent entr'eux une grande disparité d'organisation , de laquelle résulte que les plus im- parfaits sont très-simples, et ne paraissent dus qu'a des générations spontanées ; 7.2 Qu’étant arrivé aux radiaires , on reconnait que l'imperfection de l’organisation animale où nous sommes parvenus, mon-seulement se soutient en elles , mais même qu’elle continue de s’accroître ; qu’il y est effectivement manifeste, que, dans toutes , la génération sexuelle ne présente plus la moindre existence , en sorte que ces animaux sont réduits à n'offrir que des amas de corpuscules réproductifs qui n’exigent aucune fécondation ; que , quoiqu'il y ait encore , dans les radiaires échinodermes , des vais- seaux pour le transport et l'élaboration des fluides, sans véritable circulation , c’est dans les radiaires mollasses que paraît commencer le mode simple de limbibiion des parues par le fluide nourricier , les vaisseaux qu'on y apercoit encore, paraissant n’appartenir qu'a leur organe respiratoire ; qu’ainsi que dans les vers, ni le cerveau , ni la moelle lon- gitudinale, ni la tête, ni sens quelconque n'existent plus dans ces animaux; que c’est parmi eux qu'on voit l'organe digestif montrer une véritable imper- fection , puisque dans beaucoup de radiaires le ca- nal alimentaire, soit simple, soit augmenté latéra- lement, n’a plus qu’une seule issue , en sorte que la bouche sert aussi d’anus; qu’enfin, les mouve- INTRODUCTION. 193 : mens isochrones de ceux de ces animaux qui sont tout-àa-fait mollasses , ne sont plus que les suites des excitations de l'extérieur , comme je le prouverai. Ces mêmes animaux sont donc plus éloignés encore, par leur orsanisation, de celle à laquelle nous les comparons , que les vers mêmes, puisque, dans plu- sieurs de ces derniers, les sexes s’apercoivent encore; 8.0 Que les polypes qui, dans notre marche, viennent après les radiaires , ne sont pas néanmoins le dernier chaïinon de la chaîne animale, et cepen- dant sont beaucoup plus imparfaits , plus simples en organisation, enfin , plus éloignés encore de notre point de comparaison que les radiaires ; qu'en effet, ils ne présentent plus à l’intérieur qu’un seul organe particulier , celui de la digestion dans lequel se dé- veloppent quelquefois des gemmes internes ; qu'en- vain chercherait-on dans les vrais polypes aucun autre organe intérieur qu'un canal alimentaire, varié dans sa forme, selon les familles , qui devient de plus simple en plus simple , se change peu-à-peu en sac, comme dans les kydres, etc., et n’a alors qu'une seule issue; que l'imagination seule y pourrait sup- poser arbitrairement tout ce qu’elle voudrait ÿ voir; qu'en un mot, ici, l'on est assuré que le fluide essentiel à la vie et àa-la-fois nourricier, n’a d’autre mode d’être que celui d’imbiber les parties, de se mouvoir avec lenteur et sans vaisseaux dans la subs- tance du corps du polype, dans le tissu cellulaire 154 INTRODUCTION. qui occupe l'intervalle entre la peau extérieure de. ce corps et son tube ou son canal alimentaire ; 9.° Qu’enfin , les infusoires , dernier anneau de Îa chaine que nous venons de parcourir, et surtout les infusoires nus , nous offrent lès animaux les plus imparfaits que l’on ait pu connaître, ceux qui sont les plus simples en organisation , ceux, enfin, qui sont, de tous, les plus éloignés du point de comparaison choisi ; qu’effectivement , ces animaux n’ont pas un seul organe spécial , intérieur , constant et déterminable, pas même pour la digestion : en sorte qu'outre qu'ils manquent , comme les polypes, de tous les autres organes spéciaux connus , ils n’ont pas même, comme eux, un canal ou un sac ah- mentaire, et par conséquent une bouche ; que lor- ganisation , réduite à les faire jouir seulement de la vie animale, ne leur donne aucune autre faculté que celles qui sont généralement communes à tous les corps vivans , plus celle d’avoir leurs parties irri- tables; qu’enfin , ces animaux ne sont plus que des corps infiniment petits , gélatineux , presque sans consistance, qui se nourrissent par des absorptions de leurs pores externes , qui se meuvent et se con- tractent par Ges excitations du dehors, en un mot, que des points animés et vivans. Dans cette révision rapide de la série des animaux, prise dans un ordre inverse à celui de la nature, INTRODUCTION. 195 j'ai fait voir que , depuis l’homme , considéré seu- lement sous le rapport de l’organisation, jusqu'aux infusotres et particulièrement jusqu'a la monade, il se trouve, dans l’organisation des différens animaux et dans les facultés qu’elle leur donne, une im- mense disparité; et que cette disparité, qui est à son maximum aux deux extrémités de la série, résulte de ce que les animaux qui composent cette série , s’'éloignent progressivement de l’homme, les uns plus que les autres, par l’état de la compo- sition de leur organisation comparée à la sienne. Ce sont-la des faits que maintenant on ne sau- rait contester , parce qu’ils sont évidens, qu'ils ap- partiennent à la nature , et qu'on les retrouvera toujours les mêmes lorsqu'on prendra la peine de les examiner. La réumion de ces faits, prise en considération, forcera sûrement un jour les zoologistes à recon- naître le vrai plan des opérations de la nature, relativement à lexistence des animaux ; car, ce n’est point par hasard qu’il se trouve une progres- sion manifeste dans la simplification de lorganisa- tion des différens animaux , lorsqu'on parcourt leur série dans le sens que nous venons de suivre. Qui ne sent que si l'on prend une marche con- iraire , la même progression nous offrira une com- position croissante de Yorganisation des animaux, depuis la monade \usawa l’'ourane-outang, et même P ] : 156 INTRODUCTION. une perfection graduelle de chaque organe. parti- culier , malgré les causes étrangères qui en ont fait varier ca et la les résultats! Qui ne sent encore que si l’on prend cette nouvelle marche , le plan d’o- pérations qu'a suivi la nature, en donnant suc- cessivement l'existence aux animaux divers, se mon- trera si clairement , qu'il sera difficile alors de le méconnaitre !| La considération suivante répand une grande lu- mière sur les principaux faits d'organisation obser- vés dans les animaux , et fait sentir encore com- bien est fondée la progression dans la composition de l’organisation des différens animaux , dont je viens d'établir les preuves. Dans chaque point du corps des animaux les plus imparfaits , tels que les infusoires et les polypes, la vie, par la grande simplicité de l’organisation, y est indépendante de celle des autres points du même corps. De là vient que, quelque portion que l'on sépare de lun de ces corps vivans si simples, le corps peut continuer de vivre, et répare bientôt alors ce qu'il a perdu. De la vient encore que la portion sé- parée de ce corps peut elle-même, de son côté, continuer de vivre : en sorte qu’elle reproduit bien tôt un corps entier, semblable à celui dont elle provient. Mais , à mesure que l’organisation se complique, que les organes spéciaux deviennent plus nombreux, INTRODUCTION. 157 _et que les animaux sont moins imparfaits, la vie, dans chaque point de leur corps, devient depen- dante de celle des autres points. Et, quoiqu’a la mort de l’individu, chaque système d'organes par- ticulier meurt, l’un après l’autre, ceux qui sur- vivent à d’autres ne conservent la vie que peu d’heu- res de plus, et périssent immanquablement à leur tour , leur dépendance des autres les y contrai- gnant toujours. Îl est même remarquable que, dans les mammifères et dans l’homme , une portion de muscle , enlevée par une blessure , ne saurait re- pousser ; la plaie se cicatrise en guérissant ; mais la portion charnue du muscle , enlevée ou détruite, ne se rétablit plus. Certes , cet ordre de choses n'aurait point lieu si la progression en question était sans réalité ! La progression dont il s'agit, soit prise du plus composé vers le plus simple , soit considérée en se dirigeant dans le sens contraire , est tellement sen- tie des zoologistes, quoique leur pensée ne s’y ar- rête jamais, qu’elle les entraine , en quelque sorte, dans le placement des classes : lon peut dire même qu'a cet égard, elle ne leur permet point cet ar- bitraire que nous employons ordinairement avec tant d’empressement partout où la nature ne nous contraint point d’une manière trop décisive. Il est, en effet, assez curieux de remarquer à ce sujet combien , malgré la diversité des lumières 158 INTRODUCTION: et des intelligences, et malgré la confiance que l'on a dans son opinion particulière , préférablement 4 celle des autres, l’uranimité, néanmoins, est pres- que constante , parmi les zoologistes , dans le pla- cement des classes qu’ils ont le mieux établies entre les animaux. | Par exemple, on ne voit point de 30ologistes in- tercaler, parmi les animaux à vertébres , une classe quelconque des invertébrés ; et, à l’égard des pre- miers , Sils placent les mammiferes en tête de leur distribution , on les voit toujours mettre les oiseaux au second rang, et terminer tous la série des ver: tébrés par les poissons. S'il leur arrivait de par- tager les mammifères en deux classes , comme, par exemple, pour distinguer classiquement les cétaces, ils placeraient de force les oiseaux au troisième rang ; Car aucun, sans doute, ne rangerait jamais les cétacés près des poissons. Enfin, dans cette marche, dirigée du plus composé vers le plus sim ple , les zoologistes terminent toujours la série géné- rale par les infusoires | quoiqu'ls ne les distinguent point des polypes: En un mot , quoique confon- dant les radiaires , les polypes et les infusoires, sous la dénomination très-impropre de z0ophytes ; on les voit toujours , néanmoins , placer les radiai- res avant les polypes , et ceux-ci avant les infu- soires. | Il y a donc une cause qui les entraine, une INTRODUCTION: i59 cause qui force leur détermination, et qui les em- pêche de se livrer à l'arbitraire dans la distribution générale des animaux. Or, cette cause, dont ils ont le sentiment intime, parce qu’elle est dans la nature , et dont 1ls ne s'occupent point , parce qu’elle amènerait des conséquences qui traverseraient la marche qu'ils ont fait prendre à l'étude; cette cause, dis-je, réside uniquement dans la progression dont je viens de démontrer l'existence ; en un mot, elle consiste en ce que la nature , en formant les diffé- rens animaux , a exécuté une composition toujours croissante dans les diverses organisations qu’elle leur a données. On peut donc dire maintenant que , parmi les faits que l’observation nous a fait connaître , celui de la progression dont :l s’agit, est un de ceux qui ont la plus grande évidence. Mais, de ce qu'il y a réellement une progres- sion dans la composition de l'organisation des ani- maux, depuis les plus imparfaits jusques aux plus parfaits de ces êtres, il ne s'ensuit pas que l’on puisse former avec les espèces et les genres, une série unique, très-simple, non interrompue, par- tout liée dans ses parties , et offrant régulièrement la progression dont il s’agit. Loin d’avoir eu cette idée, j'ai toujours été convaincu du contraire ; je Vai établi clairement ; enfin, j'en ai reconnu et mon- tré la cause. 160 : INTRODUCTION: On s'est apparemment persuadé qu’une pareïlle échelle régulière , formée avec les espèces et les genres , devait être la preuve de la progression dont il est question ; et comme l'observation atteste qu'il n'est pas possible d’en former une semblable , parce que l'échelle qu'on exécuterait avec les espèces et les genres, rangés d’après leurs rapports, ne pré- senterait qu'une série irrégulière, interrompue, et offrant des anomalies nombreuses et diverses, on n’a donné aucune attention à la progression dont il s’agit, et l’on s’est cru autorisé à méconnaitre, dans cette progression , la marche des opérations de la nature. Cette considération étant devenue dominante par- mi les zoologistes ; la science s’est trouvé privée du seul guide qui pouvait assurer ses vrais progrès ; des principes arbitraires ont été mis à la place de ceux qui doivent diriger la marche de l'étude; et si le sentiment de la progression , dont j'ai prouvé l’exis- tence, ne retenait la plupart des zoologistes , rela- tivement au rang des masses principales, on ver- rait, dans la distribution des animaux , des renver- semens systématiques extraordinaires. Et Tout ici porte donc sur deux bases essentielles, régulatrices des faits observés et des vrais principes zoologiques ; savoir: 1.° Sur le pouvoir de la vie, dont les résultats INTRODUCTION. 101 sont la composition croissante de l’organisation , et, par suite , la progression citée; 2.0 Sur la cause modifiante , dont les produits sont des interruptions, des déviations diverses et irrégulières dans les résultats du pouvoir de la vie, Il suit de ces deux bases essentielles, dont les faits connus attestent le fondement : D'abord, qu'il existe une progression réelle dans la composition de l’organisation des animaux, que la cause modifiante n’a pu empécher. Ensuite, quil n’y a point de progression sou- tenue et régulière dans la distribution des races d'animaux , rangées d’après leurs rapports, ni même dans celle des genres et des familles ; parce que la cause modifiante a fait varier , presque partout , celle que la nature eût régulièrement formée , si cette cause modifiante n'eüt pas agi. Cette même cause modifiante n’a pas seulement agi sur les parties extérieures des animaux , quoique ce soicnt celles-ci qui cèdent le plus facilement et les premières à son action; mais elle a aussi opéré des modifications diverses sur leurs parties interneset a fait varier très-irréguhèrement les unes et les autres, Il en résulte , selon mes observations | qu'il n’est pas vrai que les véritables rapports entre les races , et même entre les genres et les familles, puissent Tom. I. 11 102 INTRODUCTION. se décider uniquement , soit par la considération d'aucun système d'organes intérieur, pris 1solé- ment, soit par l’état des parties externes ; mais, qu'il l'est, au contraire , que ces rapports doivent se déterminer d’après la considération de l’ensemble des caractères intérieurs et extérieurs , en donnant aux premiers une valeur prééminente, et, parmi ceux- ci, une plus grande encore aux plus essentiels , sans employer néanmoins la considération isolée d’aucun organe particulier quelconque. (1) Que les circonstances dans lesquelles se sont trou- vées les différentes races des animaux , à mesure qu’elles se sont répandues , de proche en proche, sur différens points du globe et dans ses eaux , aient donné à chacune d’elles des habitudes particulières, et que ces habitudes, qu’elles ont été obligées de contracter , selon les milieux qu’elles habitèrent et leur manière de vivre , aient pu, pour chacune de ces races , modifier l'organisation des individus , la forme et l'état de leurs parties, et mettre ces objets _en rapport avec les actions habituelles de ces indi- vidus , il n’est plus possible maintenant d’en douter. En effet, l’on doit concevoir qu’araison des milieux habités , des climats, des situagions particulières, des différentes manières de vivre, et de quantité d’au- {1) Les principes que doit fournir cette considération, seront développés dans la 6.e partie de cette Introduction. INTRODUCTION. 163 tres circonstances relatives à la condition de chaque race , tel organe ou même tel système d’organes par- ticulier , a dû prendre ; dans certaines d’entr’elles, de grands développemens ; tandis que , dans d’au- tres races , quoiqu'avoisinantes par leurs rapports généraux , mais très-différemment situées , ce même système d'organes particulier , très-développé dans les premières, aura pu, dans celles-ci, se trouver très-affubli, très-réduit , peut-être anéanti, ou au moins modifié d’une manière singuliere. Ce que je dis de tel système d’organes qui fait partie de l'organisation des individus d’une race quelconque , s'étend à toutes les autres parties de ces individus , et même à leur forme générale : tout en eux est assujéti aux influeñces des circonstances dans lesquelles ils se trouvent forcés de vivre. À l'égard des animaux, il y a nombre de faits connus qui attestent l’existence de cet ordre de choses ; et lon pourrait ajouter que , quelque pe- ütes que soient les modifications qui se sont opé- rées sous nos yeux et dont nous nous sommes con- vaincus par l'observation dans ceux des animaux dont nous avons changé forcément les habitudes, ces mêmes modifications sont suffisantes pour nous montrer l'étendue de celles, qu'avec le temps, les animaux ont pu éprouver dans leur forme ; leurs parties, leur organisation même , de la part des «circonstances dans lesquelles 1ls ont vécu, et qui | 104 INFRODUCTION. ont diversifié toutes leurs races presqu’àa l'infini. (1} D’après les considérations que je viens d'expo- ser , qui ne reconnait la cause qui fait que, dans une même classe d'animaux, chaque système d'or- ganes particulier ne suit pas , dans toutes les races, le même ordre, soit de perfectionnement , soit de dégradation ! Enfin , qui ne voit que, malgré les anomalies diverses , provenues de la cause citée, la progression dans la composition de l’organisation animale , ne s’en est pas moins exécutée d'une manière très- remarquable, et qu’elle indique clairement la mar- che des opérations de la nature à l'égard des animaux! Puisque ces animaux, chacun dans leur espèce , doivent à la nature et aux circonstances leur exis- tence et tout ce qu'ils sont, essayons maintenant de montrer quels sont les moyens qu’elle a em- ployés, d’abord, pour instituer la vie dans les corps qui en jouissent ; ensuite , pour former , en ceux qui en offraient la possibilité , des organes parti- culiers , les développer progressivement , les varier, les multiplier , et finir par les cumuler dans les plus perfectionnées des organisations animales. (1) Philosophie goologique, vol, 1, p. 218. + INTRODUCTION. 105 Fa RAR AAA AAA ANR AVE URL AA AR RAR AL AE RAR LL AE RAA RAR AA VV TROISIÈME PARTIF. Des moyens employés par la nature pour inslituer la vie animale dans un corps, composer ensuite progressivement l'orga- nisalion dans différens animaux , et éta- blir en eux divers organes particuliers , qui leur donnent des facultés en rapport avec ces OTgartes. Ü: des penchans naturels de l’homme étant de porter , en général , les imdividus de son espèce à borner l'intelligence humaine d’après les limites de la leur ; ceux qui ne font aucune étude de la nature, qui ne l’observent point, se persuadent aisément que c’est une folie de chercher à connaître la source des faits qu’elle présente de toutes parts à nos ob- servations. Quant à moi , convaincu que les seules connais- sances positives que nous puissions avoir , ne Sont autres que celles que l’on peut acquérir par Fobser- vation ; sachant d'ailleurs que, hors de la nature, 166 INTRODUCTION. hors des objets qui sont de son domaine , et des phénomènes que nous offrent ces objets, nous ne pouvons rien observer ; je me suis imposé pour règle , à l'égard de l'étude de la nature, de ne m'arrêter dans mes recherches , que lorsque les moyens me manqueraient entiérement, Ainsi , quelque difficile que paraisse le sujet qui m'occupe dans cette troisième partie, reconnaissant un fondement incontestable dans la proposition d'où je vais partir; ce fondement nr’autorise à étendre mes recherches jusques dans les détails des procédés qu’a employés la nature pour faire exister les animaux , et amener leurs différentes races à l’état où nous les voyons. Sans doute , la proposition générale qui consiste à attribuer à la nature la puissance et les moyens d'instituer la vie animale dans un corps, avec toutes les facultés que la vie comporte, et ensuite de com- poser progressivement l’organisation dans différens animaux ; cette proposition , dis-je, est très-fondée et à l'abri de toute contestation. Pour la combattre, 1] faudrait nier le pouvoir , les lois, les moyens, et l'existence même de la nature; ce que probablement: personne ne voudrait entreprendre. | Ainsi, les animaux , comme tous les autres corps naturels, doivent à la nature , tout ce qu'ils sont, toutes les facultés qu’ils possèdent. C’est de là que je parürai pour étendre mes recherches sur les INTRODUCTION. 1067 moyens qu’elle a pu employer pour exécuter à l'é- gard de ces êtres ce que l'observation nous montre en eux. Mais nos déterminations des moyens mêmes qu’emploie la nature , ne sont pas toujours aussi po- siives , que la proposition qui lui attribue le pouvoir d'exécuter tant de choses diverses. En effet , nous manquons nous-mêmes de moyens pour nous assurer du fondement de nos détermina- tions à cet égard ; et cependant , comme notre prin- cipe ou notre point de départ est assuré , et qu'il nous prescrit de borner nos idées au seul champ dont il nous trace les limites , il ne s’agit plus que de mon- trer que les choses peuvent être comme je vais les présenter, et que s’il en était autrement , elles au- raient nécessatrement heu par des voies analogues. D’après cela, le seul point d'où nous puissions partir pour arriver aux déterminations qui sont 1ct notre but , c'est avant tout de reconnaitre que les ani- maux , ainsi que les végétaux , les minéraux, et tous les corps quelconques ; sont des productions de la nature. J'en établirai les preuves dans la 6. partie de cette introduction; et dès à présent, je remar- querai que les naturalistes em sont mtimement per- suadés , ainsi que l'atteste l'expression même qu'ils emploient lorsqu'ils en parlent. Puisque les animaux sont des productions de la nature, C'est d'elle, conséquemment , qu'ils uennent leur existence et les facultés qu'ils possèdent; elle 168 . INTRODUCTION. a formé les plus parfaits comme les plus imparfaits ; elle a produit les différentes organisations qu’on re= marque parmi eux ; enfin , à laide de chaque orga- nisation et de chaque système d'organes particulier, elle a doué les différens antmaux des facultés di- verses quon leur connaît : elle possède donc les moyens de produire toutes ces choses. On est même fondé à penser qu’elle les produirait encore de la même manière et par les mêmes voies, si elles i’existaient point. Maintenant, je crois pouvoir assurer que si c’est elle qui a réellement fait exister ces mêmes choses, elle les a sans doute opérées physiquement; car ses moyens étant purement physiques, on ne peut lui en attribuer d’autres. Gette considération doit être de premnère importance pour mon sujet. Les moyens, et a-la-fois les causes, de tout ce que la nature a exécuté et de tout ce qu'elle con- tinue d'opérer tous les jours , sont nécessairement de différens ordres. En effet , on peut dire que la nature a des moyens généraux , et qu'elle en pos- sède d’autres qui sont graduellement plus particu- liers. Tous forment ensemble une hiérarchie de puissances dans laquelle tout est lié, tout est. dé- pendant , iout est en harmonie , tout est nécessaire : ces vérités ont été senties, et sont en effet recon- nues. Ainsi, pour établir quelqu’ordre dans nos idées INTRODUCTION. | 169 _sur ce sujet intéressant, et parvenir à montrer COm- ment 1l paraît que la nature a opéré la production des animaux , je vais présenter mon sentiment sur ses moyens généraux les plus probables, et j'en in- diquerai la haison avec les moyens plus particuliers et moins douteux dont elle a nécessairement fait usage. Au moins dans notre globe , la nature a deux moyens puissans et généraux , qu’elle emploie con- tinuellement à la production des phénomenes que nous y observons ; ces moyens sont : 1. L’attraction universelle, qui tend sans cesse à opérer le rapprochement des particules de la matière, à former des corps , et à empêcher la dispersion de leurs molécules ; 2.0 L'action répulsiwe des fluides subuls , mis en expansion; action qui, sans tre jamais nulle, varie sans cesse dans chaque lieu, dans chaque temps, et qui modifie diversement lé- tat de rapprochement des molécules des corps. De l'équilibre entre ces deux forces opposées, des différentes quantités de puissance, dont l’une l'emporte sur l'autre dans chaque circonstance ; des affinités diverses entre les objets assujétis à l’action de ces forces , enfin , des circonstances infiniment variées dans lesquelles ces forces agissent, naissent 170 INTRODUCTION. sans doute les causes de tous les faits que nous observons , et particulièrement de ceux qui con- cernent l'existence des corps vivans. Les deux forces contraires que je viens de citer sont reconnues; on en aperçoit, effectivement , l’ac- tion dans presque tous les faits qui s’observent dans notre globe. Elles sont cependant plus générales encore ; car, si lon a des preuves que l'attraction ne se borne point à ce même globe, on ne sau- rait méconnaitre, hors de lui, l'action d’une force répulsive sans laquelle la lumière , qui traverse sans cesse l’espace dans toute direction , ne serait point mise en mouvement. ’ La réalité des deux causes en question ne peut donc raisonnablement être mise en doute. Or, au lieu d'employer cette connaissance à former des hy- pothèses sur l'univers , je vais me restreindre à con- sidérer les faits qui en résultent dans le globe que nous habitons, et particulièrement ceux qui con- cernent les corps vivans, surtout les animaux. Onne connaît point la cause de l'attraction univer- selle ; on sait seulement que cette attraction est un fait positif que Pobservation a constaté. Malgré cela , le mouvement ne pouvant être le propre d'aucune matiere , on doit penser que toute force attractive , ainsi que toute force répulsive , sont chacune le pro- duit de causes physiques, étrangères aux propriétés essentielles des matières qui l’offrent. INTRODUCTION 171 La cause qui met sans cesse, dans notre globe, plusieurs fluides invisibles , tels que le calorique, l'électricité , et peut-être quelques autres , dans un état d'expansion qui les rend répulsifs, me paraît plus déterminable que celle qui produit la gravi- tation umiverselle, Je la trouve, en eflet, dans la lumière , perpétuellement en émission , des corps lumineux , et surtout dans celle du soleil qui vient sans interruption frapper notre globe , mais avec des variations continuelles sur chaque point de sa surface. Ce serait une grande erreur de croire que le ca- lorique soit, par sa nature , toujours en mouvement, toujours expansif, toujours répulsif des molécules des corps dans lesquels il pénètre. J'ai publié (1) ce (1) Comme assurément on ne saurait attribuer à une ma- tière quelconque d’avoir en propre aucune force produc- tive de mouvement, et d’être par elle-même, soit aé/irante, soit repoussante ; comme, ensuite, il n’est pas possible de douter que la propriété que l’on observe dans certaines ma- tières d’être répulsives des autres corps ou de tendre à écar- ter leurs molécules réunies en pénétrant dans leurs inters- tices , ne soit le produit d’un changement de lieu ou d'état de ces matières ; j'ai senti qu'à l'égard du calorique , les pro— priétés qu’on lui connaît ne pouvaient lu étreessentielles , et Jui étaient même nécessairement passagères: en sorte que ce fluide n’est calorique qu'accidentellement, En examinant alors les faits connus qui le concernent et leurs conditions, j'aperçus les causes qui peuvent coëércer le 159 INTRODUCTION. quil y a de plus probable sur la théorie de ce sin- gulier fluide ; et lon y aura égard lorsque les étran- ges hypothèses actuellement en crédit, cesseront d'occuper la pensée des physiciens. Il me suffit de faire remarquer ici qu’un fluide subtil, répandu dans notre globe et son atmosphère, fluide qui, dans son état naturel , nous est nécessai- rement Inconnu , parce qu'il ne saurait affecter nos sens, se trouvant sans cesse coërcé par la lumière du soleil, dans une moitié du globe , devient aussi- tôt un calorique expansif. En effet, comme une moitié entière de notre globe est, en tout temps, frappée par la lumière du soleil , il se reproduit donc toujours une immense quantité de calorique à-la-fois; ce que j'ai prouvé, sans avoir besoin de l'illusion des rayons calorifiques. fluide particuher propre à devenir calorique ; je reconnus bientôt ce qu'il pouvait opérer dans cet état passager , selon le degré d'expansion où il se rencontrait , et j'y appliquai sans difficulté tout ce quel’observation nous a montré à son égard. Mes premières pensées sur ce sujetsont insérées dans mes Recherches sur les causes des principaux faits physiques, n. 332 à 336. Des développemens plus réguliers sur ma nouvelle théorie du feu se trouvent consignés dans mes Mé- moires de physique et d'histaire naturelle, pages 185 à 200. On y reviendra probablement un jour, surtout lorsqu'on examinera les bases sur lesquelles se fondent les hypothèses qui dominent maintenant, et qui arrêtent les vrais progrès de la physique. INTRODUCTION. 173 Ainsi , ce calorique produit par la lumière , par- faitement le même que celui qui se dégage dans les combustions , dans les effervescences , ou qui se for- me dans les frottemens entre des corps solides , ce calorique , dis-je, étant toujours renouvelé et en- tretenu dans notre globe par le soleil, toujours changeant dans sa quantité et dans son intensité d'expansion , fait varier perpétuellement la densité des couches de Pair, et l'humidite des parties basses de l'atmosphère , ainsi que celle de la plupart des corps de la surface du globe. Or , ces variations de calorique , de densité des couches de l'air, et d’'hu- midité dans l'atmosphère et dans les corps, donnent continuellement lieu au déplacement de lélectrietté, aux variations de ses quantités dans différentes par- ties du globe, et à des cumulations diverses de ses masses , qui les rendent elles-mêmes expansives et répulsives. Certes, il n’y a dans tout ceci rien qui ne soit conforme aux faits physiques observés. Ainsi, dans notre globe , deux causes opposées, qui agissent sans cesse et se modifient mutuellement ; savoir : lune , toujours régulière dans son action, tendant continuellement à rapprocher et à réunir les parties des corps et les corps eux-r1émes ; tan- dis que l’autre, très-irrégulière , fait des eflorts va- riés pour tout écarter, tout séparer; deux causes, disons-nous, sont, dans les mains de la nature, des moyens qui lui donnent le pouvoir d'opérer 17/4 INTRODUCTION. une multitude de phénomènes , parmi lesquels celui qu'on nomme la vie est un des plus admi- rables , et en amène d’autres qui le sont davantage encore. La plus grande difficulté pour nous, en appa- rence , est de concevoir comment la nature a pu instituer la vie dans un corps qui ne la possédait pas ;, Qui n’y était pas même préparé ; et comment elle a pu commencer l’organisation la plus simple, soit végétale , soit animale, lorsqu'elle a formé des générations spontanées ou directes. Quoique nous ne puissions savoir avec certitude ce qui a lieu à cet égard, c'est-a-dire , ce qui se passe positivement ; comme c’est un fait certain que la nature parvient , presque chaque jour, à douer de la vie de trés-petits corps en qui elle n'existait pas , et qui n'y étaient même pas préparés ; voici ce que l'observation et ce qu’une réunion d’inductions nous autorisent à penser à ce sujet. Cest toujours par l'étude des conditions essen- telles à l'existence de chaque fait , que nous pou- vons réussir à nous éclairer sur leur cause. Or, nous savons , par l'observation , que les or- ganisations les plus simples , soit végétales , soit ani- males, ne se rencontrent jamais ailleurs que dans de petits corps gélatineux, très-souples, très-dé- licats , en un mot, que dans des corps frêles, pres- que sans consistance , et la plupart transparens. d' INTRODUCTION. 17 Nous savons aussi que, parmi ses moyens d’ac- tion , la nature emploie l'attraction universelle qui tend à réunir, à former des corps particuliers ; et qu’en outre , dans notre globe, elle emploie en même temps l’action des fluides subtils , pénétrans et expansifs , tels que le calorique, l'électricité ,ete., fluides qui sont répulsifs et qui tendent à désunir les parties des corps qu'ils pénètrent, en un mot, a écarter leurs molécules aggrégées ou agglutinées. Les choses étant ainsi, l'on concoit facilement : 1.° que lorsque les petits corps gélatineux, que la puissance réunissante forme aisément dans les eaux et dans les lieux humides, recevront dans leur in- térieur les fluides expansifs et répulsifs que je viens de citer, et dont les mieux environnans sont sans cesse remplis ; alors, les interstices de leurs molé- cules agglutinées S'aggrandiront , et formeront des cavités utriculaires ; 2.° que les parties les plus vis- queuses de ces corps gélatineux , constituant, dans cette circonstance , les parois des cavités utriculaires dont je viens de parler, pourront elles-mêmes re- cevoir de la part des fluides subuls et expansifs en question , cette tension singuhère dans tous leurs points , en un mot, cette espèce d’éréthisme que jai nommé orgasme, et qui fat partie de l’état de choses que j'ai dit être essentiel à l'existence de la vie dans un corps; 3.° que l'orgasme une fois établi dans les parties concrètes du corps gélatineux 176 INTRODUCTION. en question , ce corps en recoit aussitôt une faculté absorbante , qui le met dans le cas de se pourvoir de fluides liquides qu'il s’approprie du dehors, et dont les masses remplissent ses utricules. Dans cet état de choses , l’on sent que bientôt la continuité d'action des fluides subüls et expansifs environnans, forcera le liquide des utricules à se déplacer, à s'ouvrir des passages à travers les faibles parois de ces utricules , enfin, à subir des mouve- mens continuels , susceptibles de varier en vitesse et en direction, selon les circonstances. Ainsi donc, voila le petit corps gélatineux que nous considérons , véritablement organisé ; le voila composé de parties concrètes contenantes, formant un tissu cellulaire très-délicat , et de fluide propre contenu, que des excitations du dehors , toujours renouvelées , mettent sans cesse en mouvement ; en un mot, le voila doué de mouvemens vitaux. C’est ainsi, probablement , que lorganisation fut commencée dans les générations dites spontanées que la nature sait produire. Elle ne put l'être qu'a la faveur des petits corps gélatineux dont je viens de | parler ; et en effet, c’est uniquement dans de sem- blables corps qu'on observe les organisations les plus simples. Ces mêmes petits corps furent donc transformés en corps vivans , dès que les interstices de leurs molécules purent être aggrandis, et que leurs molécules les plus agglutinées purent consti- INTRODUCTION. 177 ô tuer des parties concrètes cellulaires ; capables de contenir des fluides suscepubles d’être mis en mou- vement dans leurs petites cavités. Dès lors, ces pe- tits corps transpirèrent et firent des pertes; mais dès lors aussi, ils devinrent absorbans , et se nour- rirent et se développèrent par des additions internes de particules qui purent s’y fixer. Les mouvemens excités dans le fluide propre des petits corps gélatineux dont je viens de parler , cons- tuent dès lors en eux ce qu’on nomme /a vie ; car is les animent, les mettent dans le cas de trans- pirer , d’absorber par leurs pores ce qui peut ré- parer leurs pertes; de s'étendre, c’est-a-dire, de s'accroître jusqu'a un certain point, enfin, de se muluplier ou se reproduire; ce qui s'exécute per des scissions ou des divisions de ces corps. Toutes ces opérations n’exigent, n1 travail, ni changemens notables dans les matériaux employés. Les moyens les plus simples , les seuls que la na- ture ait alors à sa disposition , lui suffisent. L’assimilation se borne à employer celles des par- ticules absorhées ; dont la composition chimique est analogue à celle de la substance très-peu composée de ces frêles corps. | L'extension ou l'accroissement de ces petits corps s'exécute par les suites mêmes des forces de la vie, forces qui résultent des mouvemens excités. Cette extension est bornée par la nécessité de ne pouvoir Tome I. 12 | 178 | INTRODUCTION. franchir sans rupture les limites de la ténacité très- fable de ces corps. Enfin, la multiplication où la reproduction de ces mêmes corps, est le produit d’un excès d’ac- croissement qui l'emporte sur le terme de leur ténacité , et qui en opère la scission. Mais, à mesure que cette ténacité s’accroit un peu plus, les scissions deviennent alors moins grandes, se particu- larisent ou se bornent à certains points du corps, et en amènent la gemmation. Les petits corps dont 1l s’agit , possèdent donc, dès l’imstant même que la vie les anime , les facultés qui sont communes à tous les corps vivans, et ils en sont doués par les voies les plus simples. Or, comme aucun d'eux n’a d'organes particuliers, au- cun de même ne jouit de facultés particulières. R | Qu'on ne dise pas que l’idée des generations spon- tanées n’est qu'une opinion arbitraire , sans fonde- ment , imaginée par les anciens , et depuis , formel- lement contredite par des observations décisives. Les anciens , sans doute , donnèrent une extension trop grande aux générations spontanées , dont ils n’eu- rent que le soupçon ; ils en firent de fausses appli- cations , et 1l fut facile d’en montrer Perreur. Mais, on n’a nullement prouvé qu'il ne s’en opérait au- cune , et que la nature n’en produisait point à l'é- gard des organisations les plus siniples. J’ajouterai que, s'il était vrai que la nature n’eût INTRODUCTION. 79 pas les moyens de produire elle-rnême directement les corps vivans les plus imparfaits , soit du règne ve- gétal, soit du règne animal, il le serait aussi , que, ni les végétaux , ni les animaux , ne seraient ses pro- ductions ; il le serait encore que les minéraux et les autres corps inorganiques ne lui devraient rien; en- fin, :l le serait que son pouvoir et ses lois seraient nuls, et qu'elle-même n’aurait aucune existence ; ce que l'observation dément généralement. Maintenant , qu'il n’est plus possible de douter, qu'au moins à l'extrémité antérieure du règne végé- tal et du règne animal, la nature re produise des générations spontanées en établissant la vie dans les corps organisés les plus frèles et les plus simples de chacun de ces règnes ; si l’on suppose que, dans certains de ces petits corps vivans , d’après la com- position chimique de leur substance, la nature n’a pu établir l'irritabilité des parties, c’est-à-dire, rendre ces parties subitement contractiles sur elles-mêmes à chaque provocation des causes stimulantes , on aura, dans ces corps ; les types d’où sont provenus les différens végétaux ; tandis que ceux de ces corpus- cules vivans en qui, araison de la composition chimi- que de leur substance, la nature a pu instituer lirrita- bilité , devront être considérés comme les types qui ont donné lieu aux différens animaux existans. (1) nn r (1) L’irrirabilité étant une faculté générale pour tous les animaux ; n’exige en eux aucun organe particulier pour 180 INTRODUCTION. Sans doute, je ne puis montrer, dans tous leurs dé- tails, comment ces choses se passent, ni développer positivement le mécanisme de l’irritabilité ; mais je sens la possibilité que ces mêmes choses soient comme je viens de le dire ; et toutes les mductions m'apprennent qu'elles ne peuvent être autrement. A près l’applanissement de cette première difficulté que nous offrent les générations spontanées au com- mencement de chaque règne organique, ainsi qu'a y donner lieu. La nature ou la composition chimique de leur substance, me paraît seule pouvoir produire le phé-| nomène dont il s’agit. Lorsque je considère les faits galvaniques, et que je vois deux pièces de métal différent, mises en contact avec ma langue , me faire éprouver une sensation particulière à l’ins= tant où elles se touchent l’une et l’autre , effet qui se ré- pète autant de fois de suite que je réitère le contact, je crois apercevoir que les substances animales et vivantes sont susceptibles d'éprouver dans tous les instans, non pré- cisément un effet galvanique , mais un effet probablement analogue. Il est possible effectivement que, par leur com- position chimique , ces substances se trouvent pénétrées et en quelque sorte distendues par quelque fluide subtil qui s’en échapperait à chaque contact d’un corps étran- ger , et les mettrait alors dans le cas de se contracter su- bitement. Or, la dissipation du fluide subtil en question, pourrait dans l'instant même se trouver réparée. Le phéno- mène de l’irritabilité animale n’exige donc point d’organe particulier pour pouvoir se produire. INTRODUCTION. 181 celui de certaines branches de ces règnes , toutes les autres relatives à la composition de l’organisation dans les animaux, et à la formation des différens organes spéciaux qu'on observe parmi eux, me pa- raissent s’évanouir facilement. En effet, on verra ces difficultés disparaître si, aux moyens généraux de la nature , l’on ajoute les quatre lois suivantes qui concernent l’organisation, et qui régissent tous les actes qui s'opérent en elle par les forces de la vie. Première loi : La vie, par ses propres forces, tend continuellement à accroître le volume de tout corps qui la possède, et à éten- dre les dimensions de ses parties, jusqu’à un terme qu'elle amène elle-même. Deuxième loi : La production d’un nouvel or- gane dans un corps animal, résulte d’un nou- veau besoin survenu qui continue de se faire sentir , et d’un nouveau mouvement que ce besoin fait naïître et entretient. Troisième loi : Le développement des organes et leur force d'action sont constamment en raison de l'emploi de ces organes. Quatrième loi : Tout ce qui a été acquis, tracé ou changé, dans l’organisation des individus, pendant le cours de leur vie , est conservé par 462 INTRODUCTION. la génération, et transmis aux nouveaux in- dividus qui proviennent de ceux qui ont éprouvé ces changemens. Il est impossible de rien entendre aux faits d’or- ganisation , et surtout aux opérations de la nature à l'égard des animaux, sans la connaissance de ces lois, en un mot, sans les prendre réellement en considération. En conséquence, je vais les présenter chacune successivement, avec les seuls développe- mens nécessaires pour en faire apercevoir la réalité et la puissance. Première loi : La vie, par ses propres forces , tend continuellement à accroître le volume de tout corps qui La possède, et à étendre les dimensions de ses parties, jusqu'a un terme qu’elle amène elle-méme. _ On sait que tout corps vivant ne cesse de s’ac- croître , depuis l’instant où la vie l'anime, jusqu’à un terme particulier de sa durée, qui est relatif à celle de chaque race. Ce corps s’accroitrait pendant le cours entier de sa vie, si une cause assez connue ne mettait un terme à son accroissement , après le premier quart, ou environ, de sa durée. La vie active étant constituée par les mouvemens vitaux, on doit sentir que c’est principalement dans les mouvemens des fluides propres du corps vivant, INTRODUCTION. 183 que réside le pouvoir que possède la vie, d'étendre le volume et les parties de ce corps ; car la nutrition seule ne suffit point; elle n’est point une force ; etil en faut une pour aggrandir, du dedans au dehors, le volume et les parties du corps dont il s’agit. Mais si, dans chaque individu, le pouvoir de la vie tend sans cesse à augmenter les dimensions du corps et de ses parties, ce pouvoir n'empêche pas que la durée de la vie n’amène graduellement et constamment , dans l’état des parties , des altérations ( une indurescence et une rigidité progressives') qui mettent un terme à l'accroissement de l'individu , et ensuite un autre à la vie même qu'il possède. Ainsi, ce sont ces altérations croissantes et connues qui cons- tituent la cause qui, malgré la tendance de la vie, borne la croissance de l'individu , et méme qui ameène nécessairement sa mort après un temps en rapport avec la durée de cette croissance. _ En effet, les forces de la vie tendant à accroitre les dimensions de tout corps qui la possède, et les aliérations que sa durée amène dans les parties de cé corps bornant le produit de ces forces ,/11 en re- sulte qu'il y a des rapports constans entre la crois- sance des individus et la durée de leur vie. Aussi, a-t-on remarqué que la où la croissance a le plus de durée, la vie a plus détendue , et vice versd. Maintenant , si l’on considère que, dans les premiers corps vivans formés directement par la nature, les 184 INTHODUCTION. forces de la vie sont dans leur plus faible intensité , parce que les mouvemens des fluides propres de ces corps sont alors très-lents et sans énergie ; on sen- tira que l'organisation de ces petits corps gélatmeux peut être réduite à un simple tissu cellulaire irès- frêle et à peine modifié. Cependant, à mesure que les fluides de ces petits corps recevront de laccélé- ration dans leurs mouvemens, les forces de la vie s'accroitront proportionnellement ; son pouvoir aug- mentera de même ; le mouvement des fluides, devenu plus rapide, tracera des canaux dans le tissu délicat qui les contient ; bientôt une diversité dans la direc- tion de ces fluides en mouvement g'établira ; des or- ganes particuliers commenceront à se former; les fluides eux-mêmes, plus élaborés, se composeront davantage, et donneront lieu à plus de diversité dans les matières des sécrétions et dans les substances qui constituent les organes ; enfin, selon la branche de corps vivans que l’on considérera , l’on verra l’organi- : sation faire , dans sa composition et son perfection- nement, tous les progrès dont elle est susceptible. Qui est-ce qui contestera la vérité de ce tableau qui présente la marché que suit organisation depuis les animaux les plus imparfaits jusqu'aux plus par- faits ? Qui est-ce qui ne verra pas que c’est-la l’his- toire des faits d'organisation qui s’observent à l'égard des animaux considérés, dans cette progression de leur série, du plus simple au plus composé ? INTRODUCTION. 185 Je n’eusse assurément pas imaginé un pareil ordre de choses , si l'observation des objets et l'attention donnée aux moyens quemploie la nature, ne me l'eussent indiqué. yArcstre première loi de la nature, qui donne à la vie le pouvoir d'augmenter les dimensions d’un corps et d'étendre ses parties, et en outre , qui met ce pou- voir dans le cas d'accroître graduellement ses forces dans la composition de l’organisation animale ; sinous ajoutons successivement les trois autres lois remar- quables que j'ai déja citées , et qui dirigent les opé- rations de la vie à cet égard , on aura alors, à très- peu de chose près , le complément des lois qui don- nent l'explication des faits d'organisation que les corps vivans et surtout que les animaux nous pré- sentent. Deuxième loi : La production d’un nouvel organe dans un corps animal, résulte d’un nouveau besoin survenu qui continue de se faire sentir, et d'un nouveau mouvement que ce besoin fait naître et en- vretient. Le fondement de cette loi tire sa preuve de la troi- sième sur laquelle les faits connus ne permettent au- cun doute; car, si les forces d'action d’un organe, par leur accroissement , développent davantage cet organe , c’est-a-dire, augmentent ses dimensions et sa puissance , ce qui est constamment prouvé par le fait , on peut être assuré que les forces dont 1l s’agit , 186 © INTRODUCTION. venant à naître par un nouveau besoin ressenti, don- neront nécessairement naissance à l’organe propre à. satisfaire à ce nouveau besoin , si cet organe n'existe pas encore. . À la vérité, dans les animaux assez imparfaits pour ne pouvoir posséder la faculté de sentir , ce ne peut être à un besoin ressenti qu’on doit attribuer la for- mation d'un nouvel organe ; cette formation étant alors le produit d’une cause mécanique, comme celle d'un nouveau mouvement produit dans une par- ue des fluides de l’animal. Il n'en est pas de même des animaux à organisation plus compliquée , et qui jouissent du sentiment. Ils ressentent des besoins , et chaque besoin ressenti ; émouvant leur sentiment intérieur , fait aussitôt diri- ger les fluides et les forces vers le point du corps où une action peut satisfaire au besom éprouvé. Or, sil existe en ce point un organe propre à cette action, il est bientôtexcité à agir ; et si l'organe n'existe pas, et que le besoin ressenti soit pressant et soutenu, peu-à-peu l'organe se produit, et se développe à raison de la continuité et de l'énergie de son emploi. Si je n’eusse pas été convaincu ; 1.° que la seule pensée d’une action qui l'intéresse fortement, suflit pour émouvoir le sentiment intérieur d’un indivi- du (1); 2.° qu’un besoin ressenti peut lui-même émou- os ON (1) J'ai déjà dit que la pensée était un phénomène tout-à- INTRODUCTION. 187 voir le sentiment en question ; 3.° que toute émotion. du sentiment interieur , a la suite d’un besoin qu’on éprouve, dirige dans l'instant même une masse de fluide nerveux sur les points qui doivent agir , qw’elle y fait aussi affluer des liquides du corps et surtout ceux qui sont nourriciers; qu'enfin, elle y met en ac- fait physique, résultant de la fonction d’un organe qui a la faculté d'y donner lieu. Rien, effectivement , n'est plus fréquemment remarqua- ble , surtout dans l’homme, que les effets de la pensée, soit sur le sentiment intérieur, soit sur différens des organes internes , selon la nature particulière de la pensée produite, Enfin, comme l’ëmagination se compose de pensées, on ne saurait croire jusqu'a quel point elle agit sur nos or- ganes intérieurs, et combien peuvent être grandes les 1m- pressions qu’elle y occasionne. Quel est l'homme qui ignore les effets que peut produire sur son individu, la vue d’une femme jeune et belle, ainsi que la pensée qui la reproduit à son imagination lors- qu’elle n’est plus présente ? Qui ne connaît les suites fä= cheuses d’une grande frayeur , d’une nouvelle affligeante , et quelquefois même d’une joie considérable subitement éprouvée ? Qui ne sent encore que c’est ce fonds de vérités positives , lesquelles ont pourtant leurs limites, qui a donné lieu-à ce qu’on nomme le magnétisme animal, où ce qu’il y a de réel n’est guëre que le produit des effets de l’imagi- nation Sur nos organes intérieurs ; mais auquel l'ignorance et peut-être le charlatanisme ,ont attribué un pouvoir ab- surde , extravagant et à-la-fois ridicule ? » 188 INTRODUCTION. tion les organes déja existans, ou y fait des efforts pour la formation de ceux qui n’y existeraient pas et qu’un besoin soutenu rendrait alors nécessaires ; J'eusse concu des doutes sur la réalité de la Loi que je viens d'indiquer. Mais, quoiqu'il soit très-difficile de constater cette loi par l'observation , je ne conserve aucun doute sur le fondement que je lui attribue, la nécessité de son existence étant entraînée par celle de la troisième loi qui est maintenant très-prouvée. Je conçois, par exemple, qu'un mollusque gas- téropode qui, en se traînant, éprouve le besoin de palper les corps qui sont devant lui, fait des efforts pour toucher ces corps avec quelques-uns des points antérieurs de sa tête, et y envoie à tout moment des masses de fluide nerveux, ainsi que d’autres h- quides; je conçois, dis-je, qu'il doit résulter de ces affluences réitérées vers les points en question, qu'elles étendront peu-a-peu les nerfs qui aboutissent a ces points. Or , comme dans les mêmes circonstan- ces, d’autres fluides de l’animal affluent aussi dans les mêmes lieux, et surtout parmi eux, des fluides nourriciers , il doit s’ensuivre que deux ou quatre tentacules naîtront et se formeront insensiblement, dans ces circonstances , sur des points dont il s’agit. C’est sans doute ce qui est arrivé à toutes les races de gastéropodes , à qui des besoins ont fait prendre Fhabi- tude de palper les corps avec des parties de leur tête. INTRODUCTION. 189 Mais, s’il se trouve , parmi les gastéropodes , des races qui, par les circonstances qui concernent leur manière d’être et de vivre, néprouvent point de semblables besoins; alors leur tête reste privée de tentacules ; elle a même peu de saillie , peu d’appa- rence; et c'est effectivement ce qui a lieu à l'égard des bullees , des bules , des oscabrions , etc. Sans m'arrêter à des applications particulières , pour faire apercevoir le fondement de cette deuxième loi, applications que je pourrais multiplier considé- rablement , je me bornerai à la soumettre à la médi- tation de ceux qui suivent attentivement les procédés de la nature à l'égard des phénoménes de l’organisa- tion animale. | Indiquons maintenant la troisième des lois qu’em- ploie la nature pour composer et varier l’organisa- üon ; la voici: Troisième loi : Le développement des organes et leur force d'action sont constamment en raison de l’emploi de ces organes. Il ne s'agit point ici d’une supposition, d’une présomption quelconque ; la loi que je viens de ci- ter est positive , constatée par l'observation , et s'ap- puie sur quantité de faits connus, qui peuvent servir à en démontrer le fondement. Au lieu de la réduire à sa plus simple expression, comme ici, je l'ai présentée , dans ma Philosophie 190 : INTRODUCTION: zoologique (vol. T, chap. 7 ), avec une sorte de dé- veloppement alors nécessaire, et je l'ai exprimée de la manière suivante : « Dans tout. animal qui n’a point dépassé le terme de ses développemens , l'emploi plus fréquent et sou- tenu d’un organe quelconque , fortifie peu-a-peu cet organe , le développe, l’aggrandit, et lui donne une puissance proportionnée à la durée de cet emploi; tandis que le défaut constant d’usage de tel organe, l'affabhit insensiblement , le détériore, diminue pro- gressivement ses facultés, et finit par le faire dispa- raître ». Phil. zoo, p. 235. Je ne me propose nullement d'étendre cet article, et de faire ici le moindre effort pour prouver le fon- dement de la loi qui s’y rapporte. Je sais qu’on ne saurait en contester la solidité, que les praticiens dans l'art de guérir en observent tous les jours les effets, et que moi-même j'en ai reconnu un grand _ nombre. Comme cette loi est importante à considé- rer dans l’étude de la nature, je renvoie mes lec- teurs à ce que j'en a dit dans ma Phalosepiie zoologique ; où, la divisant en deux parties, j'en exprime les titres de cette manière : 1.° «Le défaut d'emploi d'un organe, devenu cons- tant par les habitudes qu’on a prises, appauvrit gra- duellement cet organe, et finit par le faire dispa- raître , et même par l’anéanur ; » 2.9 « L'emploi fréquent d'un organe, devenu INTRODUCTION. TOL constant par les habitudes, augmente les facultés de cet organe , le développe lui-même, et lui fait acquérir des dimensions et une force d'action qu'il n’a point dans les animaux qui l'exercent moins. » En considérant l'importance de cette loi et les lu- mières qu'elle répand sur les causes qui ont amené létonnante diversité des animaux, je tiens plus à la- voir reconnue et déterminée le premier, qu'a la sa- üsfaction d’avoir formé des classes, des ordres, beau- coup de genres , et quantité d'espèces, en m'occu- pant de Tart des distinctions ; art qui fait presque l'unique objet des études des autres zoologistes. Je regarde cette même loi comme un des plus puissans moyens employés par la nature pour diver- sifier les races; et en y réfléchissant, je sens qu’elle entraine la nécessité de celle qui précède, c'est-a- dire , de la seconde, et qu’elle lui sert de preuve. Effectivement, la cause qui fait développer un or- gane fréquemment et constamment employée, qui accroît alors ses dimensions et sa force d'action, en un mot, qui y fait itérativement affluer les forces de la vie et les fluides du corps, a nécessairement aussi le pouvoir de faire naître , peu-à-peu et par les mêmes voies, un organe qui n'existait pas et qui est devenu nécessaire. Mais la seconde et la troisième des lois dont il s’a- git, eussent été sans effet, et conséquemment inu- tiles , si les animaux se fussent toujours trouvés dans 202 . INTRODUCTION. , les mêmes circonstances , s'ils eussent généralement et toujours conservé les mêmes habitudes , et s'ils n'en eussent jamais changé n1 formé de nouvelles ; ce que l’on a , en effet, pensé, et ce “ei n’a aucun fondement. L'erreur où nous sommes tombés à cet égard, prend sa source dans la difficulté que nous éprouvons a embrasser dans nos observations un temps consi- dérable. Il en résulte pour nous l’apparence d'une stabilité dans les choses que nous observons , stabi- lité qui pourtant n'existe nulle part. De la, l’idée que toutes les races des corps vivans sont aussi anciennes que la nature , qu’elles ont tou- jours été ce qu’elles sont actuellement , et que les matières composées qui appartiennent au regne mi néral sont dans le même cas; de la, résulterait né- cessairement que la nature n’a aucun pouvoir , qu’elle ne fait rien , qu'elle ne change rien, et que, n’o- pérant rien , des lois lui sont inutiles ; de la, enfin , il s’ensuivrait que , ni les végétaux, ni les animaux ne sont ses productions. Pour conserver une pareille opinion et entrete- nir une erreur de cette sorte , àl faut bien se garder de rassembler et de considérer les faits qui nous sont présentés de toute part; et 1l faut repousser toutes les observations qui les constatent ; car les choses sont assurément bien différentes. Laissant à l'écart les faits connus et les observa- INTRODUCTION. 193 tions qui prouvent que l’ordre de choses existant est fort différent de celui qu'on a voulu et qu'on veut encore y substituer , je dirai : Que, si les animaux sont des productions de la nature , 1l est évident qu’elle n'a pu les produire et les faire exister tous a-la-fois, en couvrir dans le même temps presque tous les points de la surface du globe, et en remplir ses eaux liquides pareillement a-la-fois ; car, elle n’opère rien que graduellement, que peu à peu; et même, presque toutes ses opé- rations s’exécutent , relativement à notre durée indi- viduelle , avec une lenteur qui nous les rend insen- sibles. Or, si la nature n’a produit, soit les végétaux, soit les animaux, que successivement, et en com- mencant par faire exister, de part et d'autre, les plus imparfaits ; 1] n’est personne qui ne sente qu’elle a dû répandre, de proche en proche et peu-àa-peu, dans toutes les eaux et sur les différens points de la surface du globe, tous ceux de ces corps vivans qui sont successivement provenus des premiers qu’elle a formés. Que lon juge maintenant quelle énorme diversité de circonstances d'habitation , d'exposition, de cl- mat, de matières nutritives à leur disposition, de milieux environnans, etc., les végétaux et les ami- imaux ont eu à supporter, à mesure que les races exis- tantes se sont trouvées dans le cas de changer de lieu! Tome LI. 13 194 INTRODUCTION, et quoique ces changemens se soient opérés aveë une lenteur extrême et par conséquent à la suite d’un temps considérable , leur réalité, nécessitée par dif- férentes causes, n’en a pas moins mis les races qui s'y sont trouvées exposées, dans le cas de changer peu-àa-peu leur manière de vivre, et leurs actions ha- bituelles. Par les effets de la 2.° ct de la 3.e des lois citées ci-dessus, ces changemens d’action forcés ont donc dû faire naïtre de nouveaux organes, et ont pu en- suite les développer , si leur emploi est devenu plus fréquent; ils ont pu de même détériorer , et à la fin anéantir, ceux des organes existans qui se sont alors trouvés inutiles. Une autre cause de changement d'action qui a contribué à diversifier les parties des animaux et à muluplier les races, est la survante : À mesure que les animaux , par des émigrations partielles , changèrent de lieu d'habitation et se ré- pandirent sur différens points de la surface du globe; parvenus dans de nouvelles situations, ils furent exposés à de nouveaux dangers qui exigèrent de nou- velles actions pour y échapper; car la plupart se dé- vorent les uns les autres pour conserver: leur exis- tence. Je n’ai pas besoin d'entrer dans aucun détail pour montrer l'influence de cette cause qu’il faut ajouter a celle qui embrasse les diverses circonstances des INTRODUCTION: 199 nouveaux lieux habités, des nouveaux climats, et des nouvelles manières de vivre à la suite de chaque émi- gration. Mas, dira-ton , depuis que les animaux se sont de proche en proche répandus par-tout où ils peu- vent vivre, que toutes les eaux sont peuplées des races quelles peuvent nourrir , que les parties sèches du globe servent d'habitation aux espèces qu’on y ob- serve ; les choses sont stables à leur égard ; les cir- constances capables de les forcer à des changemens d'action n’ont plus lieu; et toutes les races, au moins désormais, se conserveront perpétuellement les mêmes. À cela je répondrai que cette opinion me parait encore une erreur; et que jen suis même très- persuadé. C'en est une bien grande, en effet, que de sup- poser qu'il y ait une stabilité absolue dans l’état, que nous connaissons; de la surface de notre globe; dans Ja situauon de ses eaux liquides, soit douces, soit marines; dans la profondeur des vallées , l’élé- vation des montagnes, la disposition et la composition des lieux particuliers; dans les différens climats qui correspondent maintenant aux diverses parties de la terre qui y sont assujéties; etc., etc. Tous ces objets doivent nous paraître se conserver a-peu-prés dans l'état où nous les observons, parce que nous ne pouvons être témoins nous-mêmes 196 INTRODUCTION. de leur changement, et que notre histoire et nos observations écrites ne remontent qu’à des dates trop peu reculées pour nous convaincre de notre erreur. Cependant, nous ne manquons pas de faits posiuifs qui l'indiquent; et comme ce n’est pas ici le lieu de les rappeler, je me bornerai à l'exposition de mon sentiment; Savoir : Que tout change sans cesse à la surface de notre globe , quoiqu'avec une lenteur extrême par rapport a nous; et que les changemens qui sy exécutent, exposent nécessairement les races des végétaux et des animaux à en éprouver elles-mêmes qui contribuent a les diversifier sans discontinuité réelle. Que l’on veuille examiner le chapitre VII de la 1.re partie de ma Philosophie zoologique(vol. 1,p. 218.) où je considère l'influence des circonstances sur les actions et les habitudes des animaux, et ensuite celle des actions et des habitudes de ces corps vivans, comme causes qui modifient leur orgamisation et leurs parties; on sentira probablement que j'ai été très = autorisé , non - seulement à reconnaitre les causes influentes que j'y indique, mais en outre à assurer : Que, si les formes des parties des animaux, com- parées aux usages de ces parties, sont toujours parfai- tement en rapport, ce qui est certain, il n’est pas vrai que ce soient les formes des parties qui en ont ame- né l'emploi, comme le disent les zoologistes, mais INTRODUCTION. 197 qu'il Fest, au contraire , que ce sont les besoins d’ac- tion qui ont fait naître les parties qui y sont propres, et que ce sont les usages de ces parties qui les ont développées et qui les ont mises en rapportavec leurs fonctions. Pour que ce soient les formes des parties qui en aient amené l'emploi, il eût fallu que la nature fût sans pouvoir , qu’elle fût incapable de produire aucun acte , aucun changement dans les corps, et que les parties des différens animaux, toutes créées primi- tivement, ainsi qu'eux-mêmes, offrissent dès lors autant de formes que la diversité des circonstances, dans lesquelles les animaux ont à vivre , l'eût exigé; il eût fallu surtout que ces circonstances ne variassent jamais , et que les parties de chaque animal fussent toutes dans le même cas. Rien de tout cela n’est fondé; rien n’y est conforme à l'observation des faits, aux moyens qu'a employés la nature pour faire exister ses nombreuses pro- ductions. Aussi, je suis très-convaincu que les races, aux- quelles on à donné le nom d'espèces , n’ont, dans leurs caractères, qu’une constance bornée ou tem- poraire, et qu'il n'y a aucune espèce qui soit d’une constance absolue. Sans doute , elles subsisteront les mêmes dans les lieux qu’elles habitent, tant que les circonstances qui les concernent ne change- 198 INTRODUCTION. ront pas, et ne les forceront pas à changer leurs ha- bitudes. | Si les espèces avaient une constance réellement absolue , 11 n’y aurait point de variétés; cela est cer- tain et susceptible de démonstration. Or, les natu- ralistes n’ont pu s'empêcher d’en reconnaitre. Que l’on parcoure lentement la surface du globe, sur-tout dans une direction sud et nord ; en faisant , de distance en distance , des stations pour avoir le temps d'observer les objets ; on verra constâmment les espèces varier peu-à-peu et de plus en plus à mesure qu'on s'éloignera du point de départ, et suivre en quelque sorte les variations des lieux eux- mêmes, de l'exposition des sites, etc., etc; quelque- fois même on verra des variétés produites , non par des habitudes exigées par les circonstances, mais par celles qui ont pu être contractées, soit accidentelle- ment , soit autrement. Ainsi, l'homme, étant assujétt aux lois de la nature par son organisation, offre lui- même des variétés remarquables dans son espèce, et parmi elles il s’en trouve qui paraissent dues aux dernières causes citées, Voyez ma Philosophie 300- logique, vol. x, chap. 3, p. 53. Enfin , la quatrième des lois qu'emploie la nature pour composer et compliquer de plus en plus lor= ganisation , est la suivante : INTRODUCTION. 199 4.° loi : Tout ce qui a été acquis , tracé ou changé dans l'organisation des individus pendant le cours de leur vie , est conservé par la génera- tion , et transmis aux nouveaux individus qui proviennent de ceux qui ont éprouvé ces chan g'émens. Cette loi, sans laquelle la nature n’eût jamais pu diversifier les animaux, comme elle l’a fait, et établir parmi eux une progressibn dans la composition de leur organisation et dans leurs facultés , est exprimée ainsi dans ma Philosophie zoologique ( vol. I. p: 235 ). » Tout ce que la nature à fait acquérir ou perdre aux individus par l’influence des circonstances dans lesquelles leur race se trouve depuis long-temps ex- posée, et, par conséquent , par l'influence de l’em- ploi prédominant de tel organe | ou par celle d’un défaut constant d'usage de telle parte, elle le con- serve , par la génération , aux nouveaux individus qui en proviennent, pourvu que les changemens 2cquis soient communs aux deux sexes , ou à ceux qui ont produit ces nouveaux imdividus ». Cette expression de la même loi offre quelques détails qu’il vaut mieux réserver pour ses développe. 200 INTRODUCTION. mens et son application , quoiqu’ils soient à peine nécessaires. En effet, cette loi de la nature qui fait transmettre aux nouveaux individus, tout ce qui a été acquis dans l’organisation , pendant la vie de ceux qui les ont produits , est si vraie, si frappante , tellement attestée par les faits, qu'il n’est aucun observateur qui n'ait pu se convaincre de sa réalité. Ainsi , par elle, tout ce qui a été tracé, acquis ou changé dans l’organisation , par des habitudes nou- velles et conservées; certains penchans irrésistibles qui résultent de ces habitudes ; des vices de conformation, et même des dispositions à certaines maladies ; tout cela se trouve transmis, par la génération ou la repro- duction , aux nouveaux individus qui proviennent de ceux qui ont éprouvé ces changemens, et se propage de générations en générations dans tous ceux qui se succèdent , et qui sont soumis aux mêmes Cir- constances, sans qu'ils aient été obligés de l’acqué- rir par la voie qui l’a créé. A la verité, dans les fécondations sexuelles, des mélanges entre des individus qui n’ont pas égale- inent subi les mêmes modifications dans leur orga- nisation , semblent offrir quelqu'exception aux pro- duits de cette loi; puisque ceux de ces individus qui ont éprouvé des changemens quelconques , ne les transmettent pas toujours , ou ne les communi- quent que partiellement à ceux qu'ils produisent. INTRODUCTION. 201 Mais il est facile de sentir qu’il n’y a là aucune ex- cepuon réelle ; la loi elle-même ne pouvant avoir , . . L2 . . qu'une application partielle ou imparfaite dans ces circonstances. Par les quatre lois que je viens d'indiquer , tousles faits d’organisauion me paraissent s'expliquer facile- ment ; la progression dans la composition de lor- ganisation des animaux et dans leurs facultés, me semble facile à concevoir; enfin, les moyens qu'a employés la nature pour diversifier les animaux , et les amener tous à l’état où nous les voyons, devien- nent aisément déterminables. Je puis rendre, en quelque sorte, ces moyens plus sensibles, en en citant au moins un exemple parmi ceux qu'a employés la nature pour exécuter , dans les animaux, une composition croissante de leur organi- sation , et un accroissement progressif dans le nom- bre et le perfectionnement de leurs facultés. Mais, avant cette citation, je dirai qu'en compa- rant partout les faits généraux , l’on reconnaiïtra que, dans l'un et l’autre règne des corps vivans (les végé- taux et les animaux), la nature partant de l’organi- sation la plus simple, de celle qui est seulement nécessaire à l’existence de la vie la plus-réduite, a ensuite exécuté différens changemens progressifs dans l'organisation, à raison des moyens que l’état des êtres sur lesquels elle opérait , lui permettait d'employer. … Ainsi, l’on verra que, dans les végétaux, réduite 202 INTRODUCTION, à très-peu de moyens, par le défaut d'irritabilité des parties, la nature n’a pu que modifier de plus en plus le tissu cellulaire de ces corps vivans, et le varier de toutes manières à l’intérieur ; mais sans jamais parve- nir à en transformer aucune portion en organe inté= rieur particulier , capable de donner au végétal une seule faculté étrangère à celles qui sont communes à tous les corps vivans , et sans même pouvoir étabhr) dans les différens végétaux , une accélération gra- duelle du mouvement de leurs fluides, en un mot, un accroissement notable d'énergie vitale. Dans les animaux , au contraire , l’on remarquera que la nature, trouvant dans la contractilité des parties souples de ces êtres, de nombreux moyens, a non-seulement modifié progressivement le ussu cellulaire , en accélérant de plus en plus le mouve- ment des fluides; mais, qu’elle a aussi composé pro- gressivement l’organisation , en créant, l'un après l'autre , différens organes intérieurs particuliers , les modifiant selon le besoin de ious les cas, les eu- mulant de plus en plus dans chaque organisation plus avancée , et amenant ainsi , dans différens ani- maux , diverses facultés particulières , graduellement plus nombreuses et plus éminentes. Pour donner un exemple qui puisse montrer qu'il ne s’agit point , à cet égard, d’une simple opinion , mais de l'existence d’un ordre de choses que l’ob- INTRODUCTION, 203 servation atteste, je me bornerai à la citation sui- vante. Exemple : Accélération progressive du mouve- ment des fluides dans les animaux, depuis les plus imparfaits , jusques aux plus parfaits. On ne saurait douter que, dans les animaux les plus imparfaits, tels que les irfusotres et les polypes, la vie ne soit dans sa plus faible énergie, à l'égard des mouvemens intérieurs qui la constituent ; et que les fluides propres qui sont mis en mouvement dans le frêle tissu cellulaire de ces animaux , ne s'y dé- placent qu'avec une lenteur extrême, qui les rend mcapables de s’y frayer des canaux. Aussi , leur tissu cellulaire n’en offre-t-1l aucun. Dans ces animaux, de faibles mouvemens vitaux suffisent seulement à leur transpiration , aux absorptions des matières dont is se nourrissent , et à l’imbibition lente de ces ma- üéres fluides. Dans les radiaires mollasses qui viennent ensuite, la nature ajoute un nouveau moyen pour accélérer un peu plus le mouvement des fluides propres de ces corps. Elle accroît l’étendue des organes de la digestion, en ramifiant singulièrement le canal ali- mentaire ; elle perfectionne un peu plus le fluide nourricier par l'influence d'un système respiratoire nouvellement établi ; et, à laide d’un mouvement constant et réglé , que les excitations du dehors pro- duisent dans tout le corps de l'animal, elle hâte 20/4 INTRODUCTION. davantage Île déplacement des fluides intérieurs. Parvenue à former les radiaires échinodermes, où les mouvemens isochrones du corps de l'animal ne peuvent plus s’exécuter, la nature s’est trouvée en état de faire usage d’un autre moyen plus puis- sant et plus indépendant ; et c’est la, en effet, qu’elle a commencé l'emploi du mouvement musculaire qui remplit a-la-fois deux objets : celui de mouvoir des parties dont l’animal a besoin de se servir , et celui de contribuer à l’activité des mouvemens vitaux. L'emploi du mouvement musculaire, pour acti- ver les mouvemens de la vie animale , commencé dans les radiaires échinodermes , s'est accru dans les insectes, en qui, d’ailleurs, l'énergie vitale fut augmentée par la respiration de l'air. Ainsi, l'em- ploi de ce mouvement et l’auxiliaire de la respira- tion de l'air purent suflire aux insectes et à la plu- part des arachnides. Mais, les crustacés , ne respirant en général que l'eau, eurent besoin d’un nouveau moyen plus puis- sant pour l'accélération de leurs fluides. Pour cela la nature joignit à l'action musculaire , l’établisse- ment d’un système spécial pour la circulation; SyS- tème commencé dans les dernières arachnides , et qui a éminemment accéléré le mouvement des fluides. Cette accélération du mouvement des fluides, à Paide d’un système spécial pour la circulation, s’ac- crut même encore par la suite, à mesure que le INTRODUCTION. 20) cœur parvint à acquérir des augmentations ; que l'organe respiratoire , resserré dans un lieu particu- lier , fut transformé en poumon qui ne saurait res- pirer que l'air ; enfin, elle s’accrut à mesure que l'influence nerveuse recut elle-même de laccroisse- ment et put donner aux organes plus de force d’ac- tion. | C'est ainsi que la nature , en commençant la pro- duction des animaux par les plus imparfaits, a su accélérer progressivement le mouvement des fluides et accroitre l'énergie vitale, en employant differens moyens appropriés aux Cas particuliers. | Je pourrais multiplier des exemples qui prouvent que chaque système d’organes particulier fut , dans son origine , fort imparfait , peu énergique , et qu’il recut ensuite des développemens et des perfection- nemens graduels, à mesure que l’organisation plus composée les rendait nécessaires. En effet, si je considérais les moyens variés et progressivement plus perfectionnés qu'emploie la nature pour la reproduction et la multiplication des individus , afin d’assurer la conservation des es- pèces ou des races obtenues , je montrerais : Que ces moyens, réduits, dans les animaux les plus imparfaits , à une simple scission du corps, amènent , en resserrant cette scission dans des points particuliers, la gemmation des individus ; que cette gemmation d’abord externe , devientensuite interne, 206 INTRODUCTION. et prépare la formation des ovaires ; qu'alors , des organes fécondateurs et des ovules contenant un em- brvon susceptible d’être fécondé, ont pu être. éta- blis ; que le système spécial pour la reproduction étant formé, 1l a donné lieu d’abord à la génération des ovipares et des ovo-vivipares ; et que ce système, ensuite , est parvenu à amener la plus perfectionnée des générations, celle des vrais vivipares , qui donne la vie acuve à l'embryon dans l'instant même qu'il est fécondé. | Si je considérais , après cela, le système spécial de la respiration , système important et devenu né- cessaire lorsque l’organisation animale perdit sa pre- mière simplicité , je montrerais : Que ce système n’a commencé que par des tra chées aquiferes qui fournissent la plus fable des influences respiratoires ; qu'ensuite, 1l fut changé en trachées aériferes, un peu plus puissantés en. in- fluence que les premières, loxigène qui fournit cette influence se dégageant plus aisément de l'air que de l'eau; que, néanmoins, dans les uns et les autres des animaux qui respirent par des trachéés, le:fluide respiré allant lui-même par-tout au-devant du fluide nourricier, ne peut, par la lenteur de son:añtro- duction et de son, monvement, fournir. ..encore qu'une influence bien fable ; qu’ensuite , dés que la circulation fut établie, les trachées respiratoires furent changées en branchies locales, qui ne INTRODUCTION. 20] sont plus puissantes en influence respiratoire , que parce que le sang alors circulant, vient lui- même rapidement chercher les réparations dont il a besoin ; qu'enfin , peu après Pétablissement du squelette, les branchies elles - mémes furent définitivement changées en poumon, organe respi- ratoire le plus puissant de tous, puisque le sang qui vient rapidement y recevoir ses réparations , les ob- üent de l'air qui les fournit plus aisément. Il y à donc encore ici un accroissement notable de puis- sance , dans les modes variés du système respiratoiré. Enfin, si je considérais ceux des systèmes d'or- ganes spéciaux qui donnent les facultés les plus ad- mirables , telles que celle de sentir , ét énsuite celle de se. former des idées conservables , et même , à laide de ces idées, de s’en former d’autres qui ca- ractérisent l'intelligence dans un degré quelconque, je montrerais encore , dans lés animaux , une pro- gression partout en harmonie avec les autres pro- gressions déja citées. ro : | je montrerais , effectivement, ‘que les änimaux les plus simples en organisation ; ‘ét par conséquent les plus imparfaits , sont réduits à né’ posséder que l'irritabilité , qui néanmoins suffit à’ leurs besoins ; qu'ensuite ; lorsque l'organisation fut ‘assez avanéée dans sa composition pour en fournir les moyens, la nature , trouvant le système nerveux ébauché pour le mouvement museulaire , le composa davantagé, et 208 INTRODUCTION. le divisa en deux systèmes partreuliers, lun pour effectuer les mouvemens des muscles, et l'autre pour exécuter les sensations ÿ qu’alors , des sens furent éta- blis , la faculté de sentir eut lieu, et les individus fu- rent doués d’un sentiment intérieur qui provoqua leurs actions dans leurs différens besoins; que l’orga- nisation ensuite, plus ayancée encore en complica- tion, mit la nature à portée de partager le système nerveux en trois sysièmes parüculiers ; lun pour le mouvement musculaire , qui fut lui-même sousdi- visé en deux ( celui à la disposition de Flindividu et celui qui ne l'est point}, l'autre pour le senti- ment ; et le troisième pour activer les fonctions des autres organes; qu'enfm , l’organisation étant parve- nue à une haute complication d'organes divers , la nature fut en état de diviser le système nerveux en quatre principaux systèmes particuhers ; savoir : le premier, le système de nerfs employé à l’excitation musculaire ; le deuxième, celui qui sert à produire les sensations ; le troisième, celui destiné à donner des forces d’action aux divers organes intérieurs pour exécuter leurs fonctions ; le quatrième enfin, celui par lequel l'attention se produit et transforme alors les sensations: en idées conservables ; celui , même, par lequel des idées acquises et comparées servent à en former d’autres que les sensations ne peuvent faire naître directement. À raison de son exercice et des besoins, ce qua- INTRODUCTION: 20Ù trième système de nerfs se complique et se sous- divise encore , dans l’homme , en divers systèmes particuliers qui effectuent différentes sortes d’opéra- tions intellectuelles. Qu'importe que les différens systèmes de nerfs particuliers que je viens de citer , ne soient pas sus- ceptibles d’être distingués les uns des autres anato- miquement , si les résultats de leurs fonctions les distinguent constamment , et constatent leur indé- pendance. Quoiqu’indépendans , en effet , à l'égard de Téurs fonctions propres , les systèmes de nerfs dont il s’a- git, ont ensemble une si grande connexion , que lorsqu'une forte émotion du sentiment intérieur sur- vient, elle trouble et suspend même leurs fonctions, comme cela arrive dans lPévanouissement , la syn- cope, etc. Nous pouvons donc regärder comme ün fait cer- tam que le système nerveux, pris dans sa généralité, a été, comme tous les autres systèmes d’organes spéciaux , d’abord très-simple et réduit à peü dé fonctions ; qu'ensuite , 1l a été composé , sur-com- posé même - LOSE enfin , qu'il a été progressi- vement propre à diverses fonctions, de plus en plus éminentes , et pour nous admirables. J'ai supprimé les détails qui concernent les ap- plications , parce qu'on y suppléera facilement par les observations connues à cet égard ; et qu'il serait Tome I. 14 ; 1 210 INTRODUCTION. À superflu de donner une trop grande extension à ce partie. je, Ainsi, l’on a vu par ce qui précède : k 1.0 Que la nature a augmenté progressivement le ‘mouvement des fluides dans le corps animal, à me- sure que l’organisation de ce corps se composait da= vantage; et, qu'après avoir employé les moyens les. plus simples pour les premières accélérations de ce mouvement, elle a créé exprès un système d'organes. particulier pour accroître encore plus cette accéléras uon , lorsqu'elle fut devenue nécessaire ; 2.0 Qu'elle a suivi une marche semblable à l’é- gard de la reproduction des individus , afin de con server les espèces obtenues ; -puisqu’après s'être ser= vie des moyens les plus simples , tels que la repro= duction par des divisions de parties, elle créa ensuite des organes spéciaux fécondateurs , qui donnèrent lieu à la génération des ovipares , enfin , à celle des vrais VNIPArEes ; 3.2 Qu'il en a été de même à l'égard de la fa= culté de sentir ; faculté que la nature ne put don- ner aux animaux les plus imparfuits , parce que le phénomène du sentiment exige, pour se produire, un système d'organes déja suffisamment composé ; système que ces animaux ne pouvaient avoir , mais aussi qui ne leur était pas nécessaire , leurs besoins, très-bornés , étant toujours faciles à satisfaire ; tandis que , dans des animaux à organisation plus compo- INTRODUCTION: 2BI sée et qui, dés lors , eurent plus de besoins , elle put créer et perfectionner graduellement le seul système d'organes qui pouvait produire le phénomène admi- rable dont 1] s’agit. 4.° Enfin , que des actes d'intelligence étant les seuls qui permissent de varier les actions, et ne pou- vant devenir nécessaires qu'aux animaux les plus parfaits , la nature a su leur en donner la faculté dans un degré quelconque ,‘en instituant en eux un organe spécial pour cette faculté , c’est-à-dire , en ajoutant à leur cerveau deux hémispheres qui furent successivement plus développés et plus volumineux dans ceux de ces animaux qui furent les plus per- fectionnés, Que d'applications je pourrais faire pour montrer le fondement de tout ce que je viens d'exposer ! que de faits bien connus je pourrais rassembler pour ac- croître les preuves de ce fondement ! Mus, ren- voyant mes lecteurs à ma Philosophie zoologique où j'en ai présenté un grand nombre qui m'ont paru décisifs, je me hâte de conclure de ce qui précède : Que la zature possède dans ses propres moyens , tout ce qui lui est nécessaire , non seulement pour former des corps vivans, tels que les végétaux et les animaux ; mais, en outre, pour produire , dans ces derniers , des organes spéciaux , les développer , = a or E Mel 212 INTRODUCTION. les varier , les multiplier progressivement, et à la fin; les cumuler en quelque sorte dans les organisations animales les plus perfectionnées ; ce qui lui a per* mis de douer les différens animaux de facultés gra= duellement plus nombreuses et plus éminentes. Me bornant à l'exposition de ce tableau , frappant de ressemblance avec tout ce que l’on observe, je vais passer à un autre sujet qu'il s’agit d’éclaircir et qui n'a pas moins d'importance. Je vais, effective ment, essayer de prouver que les facultés desi ani- maux sont des phénomènes uniquement organiques, et purement physiques; que ces phénomènes pren= nent leur source dans les fonctions des organes où des systèmes d’organes qui ÿ donnent lieu ; enfin, je montrerai que les facultés qui constituent ces phé: nomènes, sont dans un rapport constant avec l’état des organes qui les procurent. INTRODUCTION. 213 AA AAA AUS AR ELA UV A/R AAA AL AA/V RAR LR AL AA AAA QUATRIÈME PARTIE. Des facultés observées dans les animaux , el toutes considérées comme des phéno- mènes uniquement organiques. M iNS nous connaissons la nature, plus les phénomènes qu’elle produit nous paraissent des mer- veilles, des faits imcompréhensibles : mais, quel- qu'admirable qu’elle soit réellement, dans sa puis- sance et dans ses moyens, on doit s'attendre que le merveilleux s’évanouira successivement à nos yeux , a mesure que, par l’étude de ses lois et de la marche constante qu’elle suit dans ses opérations , nous par- siendrons à découvrir les moyens dont elle fait usage. Sans doute, lorsque l’on considère attentivement les différens animaux , depuis les plus imparfaits jus- qu'aux plus parfaits, lon ne saurait voir sans admi- ration, non-seulement la grande diversité qui se rouve parmi eux , ainsi que la disparité qu'ils offrent lans les systèmes d'organisations qui les distinguent ; nas, en outre, on ne peut qu'être frappé d’étonne- 214 INTRODUCTION. de celles qu'on observe dans leurs diverses races» Aussi, quoique ces facultés soient parfaitement en rapport ‘avec le mode et l’état de l'organisation quiy donne lieu, elles nous semblent malgré cela des prodiges. Alors, nous soulageons notre pensée à leur égard , en un mot, notre vanité lésée par l'ignorance où nous sommes de ce qui les produit réellement, en 1maginant , à leur sujet, des causes métaphysie ques, des attributs hors de la nature, enfin, des êtres de raison qui satisfont à tout. | On a dit, avec raison, au moins à l’égard-des sciences, que l'admiration était fille de l'ignorance or, c'est bien ici le cas d'appliquer cette vérité sentié; car, si quelque chose était en soi réellement admi- rable , ce serait assurément la nature ; ce serait tout ce qu’elle est; ce serait tout ce qu’elle peut faire; mais, lorsqu'on reconnait qu'elle-même n’est qu'un ordre de choses , qui n’a pu se donner l'existence, en un mot, qu'un véritable instrument ; toute notre admiration et toute notre vénération doivent sé re- porter sur sOn SUBLIME AUTEUR. Il s’agit donc de savoir quelle est la source des diverses facultés observées dans différens animaux$#si ce sont des organes particuliers qui donnent ces fa- cultés; enfin, si un même organe peut donner lieu INTRODUCTION. 21) à des facultés différentes, ou s’il n’y a pas plutôt au- tant d'organes particuliers qu’on observe de facultés distinctes. On se persuadera probablement que, pour traiter de pareilles questions , il faut avoir recours à des idées métaphysiques, à des considérations vagues, imaginures, et sur lesquelles on ne saurait apporter aucune preuve solide. Je crois, cependant, pouvoir montrer que, pour arriver à la solution de ces ques- tions, 1] n y a que des faits physiques à considérer ; et quil s'en trouve à la portée de nos observations , qui sont très-suflisans pour fournir les preuves dont on peut avoir besoin. Examinons d’abord ce principe général; savoir : que toute faculté animale , quelle qu’elle soit, est un phénomène purement organique; et que cette faculté résulte des fonctions d’un organe ou d’un système d'organes qui y donne lieu; en sorte qu’elle en est nécessairement dépendante. Peut-on croire que l'animal puisse posséder une seule faculté qui ne soit pas un phénomène organique, c'est-a-dire , le produit des actes d’un organe ou d’un système d’organes capable d'exécuter ce phé- nomène ? S'il n’est pas possible raisonnablement de le supposer, si toute faculté est un phénomène or- ganique , et en cela purement physique, cette con- _sidération doit fixer le point de départ de nos rai- sonnemens sur les animaux, et fonder la base des 216 _ INTRODUCTION. conséquences que nous pourrons tirer des faits ob- servés à leur égard. Certes, ainsi que je l'ai dit, la puissance qui a fait les animaux, les à faits elle-même tout ce qu’ils sont, et les a doués chacun des facultés qu'on leur observe, en leur donnant une organisation propre à les produire. Or, l'observation nous autorise à re- connaître que cette puissance est la nature ; et qu'elle-même est le produit de la volonté de l'Étre supréme , qui l’a faite ce qu’elle est. I n’y a point de milieu, point de terme moyenentre les deux considérations que je vais citer ; savoir : Que la nature n’est pour rien dans l'existence des animaux, qu’elle n’a rien fait pour les diversifier, pour les amener tous à l'état où nous les voyons; ou que c'est elle, au contraire, qui les a tous produits, quoique successivement; qui les a variés, à l’aide des circonstances et de la composition graduelle qu’elle a donnée à l’organisation animale ; en un mot, qui les a faits tels qu'ils sont, et les a doués des fa- cultés qu'on observe en eux. Je montrerai, dans la partie suivante, qu’à l'égard des deux considérations que je viens d'indiquer, l’affir- mative appartient évidemment à la seconde. On l’a senti; et c'est avec raison qu’on a rangé les animaux parmi les productions de la nature, et qu’on a re- connu , au moins par une expression habituelle, que les corps vivans étaient ses productions. Or, j'oserai INTRODUCTION. 217 ajouter que tous les corps quenous pouvons observer, vivans ou non, sont aussi dans le même cas. Ainsi, une force inapercue ( celle des choses ) nous entraine sans cesse vers le sentiment de la vérité; mais, sans cesse, aussi, des préventions et des intérêts divers, contrarient en nous cet entrainement. Que l’on juge donc de ce que ce conflit doit produire, et combien l’ascendant de la seconde cause doit l’'em- porter sur la premiere! Admettons d'avance ce que j’essayerai de prouver plus loin ; savoir : que les animaux sont véritablement et uniquement des productions de la nature; que tout ce qu'ils sont, que tout ce qu'ils possèdent, ils le uennent d'elle; ainsi qu'elle-même tient son existence du puissant auteur de toute chose. S’il en est ainsi, toutes les facultés animales, soit celle qui, comme l'irritabilité, est commune à tous les animaux et leur permet de se mouvoir par exci- tation; soit celle qui, comme le sentiment, fait apercevoir à certains d’entr’eux , ce qui les affecte ; soit , enfin, celle qui, comme l'intelligence dans certains degrés, donne à plusieurs le pouvoir d’exé- cuter différentes actions, par la pensée, et par la volonté ; toutes ces facultés, dis-je, sont, sans excep- tion, des produits de la nature, des phénomènes qu’elle sait opérer à laide d'organes appropriés à leur production, en un mot, des résultats du pouvoir dont elle est douée elle-même. 218 INTRODUCTION. Dans ce cas, que peuvent être ces différentes fa- cultés | sinon des faits naturels; des phénomènes uniquement organiques, et purement physiques ; phénomènes, dont les causes, quoique le plus souvent difficiles à saisir , ne sont réellement pas hors de la portée de nos observations et de nos etudes ? » Que lon parvienne ou non à connaitre le méca- nisme par lequel un organe ou un système d'organes produit la faculté qui en dépend; qu'importe à la question, si l'on peut se convaincre, par lobser- vation , que cet organe ou ce système d'organes soit le seul qui ait le pouvoir de donner cette faculté ? 91 l’on ne connait pas positivement le mécanisme organique de la formation des idees et des opéra- tions qui s’exécutent entr'elles , ni même celui du sentiment ; connaît-on mieux le mécanisme du mou- vement musculaire , celui des sécrétions , celui de la digestion, etc. ? S’ensuit-il que ces différens phéno- mènes observés parmi les animaux , ne soient point dus chacun à autant d’organes ou de systèmes d’or- ganes particuliers dont le mécanisme propre soit ca- pable de les produire? Y a-t-1l, dans la nature, des phénomènes observés ou observables qui ne soient point dus à des corps ou à des relations entre des Corps ? Si l’homme pouvait cesser d’être influencé par les produits de son intérêt personnel, par son penchant à la domination en tout genre, par sa vanité , par INTRODUCTION. 219 son goût pour les idées qui le flattent et qui lui donnent toujours de la répugnance à en examiner le fondement ; son jugement en toutes choses ga- gnerait infiniment en rectitude ,.et alors la nature Jui serait mieux connue ! Mais, ses penchans natu- rels ne le lui permettent pas; il trouve plus satis- faisant de se faire une part à son gré, sans considé- rer ce qui en peut résulter pour lui. Ainsi, con- servant son ignorance et ses préventions , la nature, qu'il ne veut pas étudier, qu'il craint même d’in- terroger , lui paraït un être de raison; et il ne pro- fite, pour son instruction , de presqu’aucun des faits qu'elle lui présente de toutes parts. Cependant, s’il est forcé de reconnaître que la nature agit sans cesse, et toujours selon des lois qu’elle ne peut jamais transgresser ; peut-i penser qu'il puisse y avoir quelque chose d’abstrait , quelque chose de métaphysique dans aucun de ses actes, dans une seule de ses opérations quelconques , et qu'elle ait quelque pouvoir sur des êtres non matériels ? Assurément , une pareïlle idée ne saurait être ad- missible ; rien à cet égard n’est ‘le son ressort. La puissance de la nature ne s'étend que sur des corps qu’elle meut, déplace , change , modifie, varie , dé- truit et renouvelle sans cesse; enfin, elle n’agit que sur la matière dont elle ne saurait , ni créer, ni anéan- ur une seule particule. On ne saurait trouver un seul motif raisonnable pour penser le contraire. 220 INTRODUCTION. Si c’estune vérité positive , que la nature ne puisse agir et nait de pouvoir que sur des corps ; c’en est une autre , tout aussi certaine, qu'elle seule, que les corps qui constituent son domaine , et que les résultats de ses actes à leur égard, sont les seuls objets soumis à nos observations ; en sorte que, hors de ces objets, nous ne pouvons rien obser- ver. | Qui a jamais vu ou apercu autre chose que des corps , que leurs déplacemens , que les changemens qu'ils éprouvent , que les phénomènes qu'ils produi- sent ! Qui a pu connaître le mouvement et l’espace, autrement que par le déplacement des corps! Qui a observé un seul phénomène qui r’ait pas été pro-- duit par des corps , par des relations entre différens corps , par des changemens de lieu, d'état ou de forme que des corps ont subis ! Néanmoims , telles sont les difficultés qui retar- dent l’aggrandissement et le perfectionnement de nos connaissances , que nous ne pouvons nous flat- ter d'observer tout ce que la nature produit, tous les actes qu’elle exécute , tous les corps qui existent; car, relégués à la surface d’un petit globe , qui n’est, en quelque sorte , qu'un point dans l’univers, nous n'apercevons de cet univers qu’un très-petit coin, et nous ne pouvons même examiner qu'un tres-petit nombre des objets qui font partie du domaine de la Raiure. INTRODUCTION. 221 Ce sont-la des vérités que tout le monde con- nait, mais qu'il importe ici de ne pas perdre de vue. Il n’est donc pas étonnant que nous nous. lais- sions si souvent entrainer à l’erreur , et même do- miner par elle, lorsque quelqu'intérêt nous y porte ; et que nous ayons tant de peine à saisir les opéra- tions et la marche de la nature à l'égard de ses pro- ductions diverses. Cependant , puisque les animaux, quelque nom- breux qu'ils soient, font partie de ce que nous pou- vons observer ; puisqu'ils sont des productions de la nature ; peut-on douter que les facultés qu'on ob- serve en eux ne le soient aussi ? Ces facultés sont donc toutes des phénomènes purement organiques, et par suite véritablement physiques ; et comme nous pouvons les examiner, les comparer, les détermi- ner , les causes et le mécanisme qui donnent lieu à ces facultés, ne sont donc pas réellement hors de la portée de nos observations, hors de celle de notre intelligence. J'ai cru entrevoir les principales des causes qui produisent V'irritabilité animale , quoique je n’aie pas encore fait connaître mes aperçus à ce sujet ; j'ai cru saisir le mécanisme du sentiment, ou un mécanisme qui en approche beaucoup ; enfin, j'ai cru distinguer , reconnaitre même, celui qui donne lieu au phénomène de la pensée, en un mot, de ce qu'on nomme éntelligence. ( Phil. zool. vol. 2.) 222 INTRODUCTION. Quand même je me serais trompé partout ( ce qu'il est d'fficile de prouver , les faits déposant en faveur de mes aperçus ), en serait-1l moms vrai que les facultés que je viens de citer , ne soient des phé- nomènes tout-a-fait organiques et purement physi- ques , et qu'elles ne soient toutes des résultats de relations entre différentes parties d’un corps et entre diverses matières en action dans la production de ces phénomènes ! N'est-ce pas à des préventions irréfléchies , ainsi qu'aux suites de notre ignorance sur le pouvoir de la nature et sur les moyens qu’elle peut employer , que l’on doit la pensée de supposer dans le senti- ment, et surtout dans la formation des idées et des différens actes qui peuvent s'exécuter entr’elles , quelque chose de métaphysique, en un mot, quel- que chose qui soit étranger à la matière, ainsi qu'aux produits des relations entre différens corps ! Si beaucoup d'animaux possèdent la faculté de sentir; et si, en outre, il y en a parmi eux qui soient capables d'attention ‘qui puissent se former des idees a la suite de sensations remarquées , qui aient de la mémotre , des passions, enfin, qui puissent juger et agir par préméditation; faudra-t-il attribuer ces phé- nomènes que nous observons en eux, à une cause étrangère à la matière, et conséquemment étrangère à la nature qui n’agit que sur des corps, qu'avec des corps, et que par des corps | INTRODUCTION. 223 Ne considérons donc les facultés animales, quelles qu’elles soient, que comme des phénomènes entière- ment organiques; et voyons ce que les faits connus nous apprennent à leur égard. Partout, dans le règne animal , où l’on reconnait qu'une faculté est distincte et indépendante d’une autre , on doit être assuré que le système d'organes qui donne lieu à l’une d’elles, est différent et même indépendant de celui qui produit l’autre. Ainsi, l’on sait que la faculté de sentir est très- différente de celle de se mouvoir par des muscles; et que la faculté de penser est aussi très-différente, soit de celle de sentir , soit de celle d’exécuter des mouvemens musculaires. Îl est même bien connu que ces trois facultés sont indépendantes les unes des autres. | Qui ne sait, en effet, qu'on peut se mouvoir sans qu'il en résulte des sensations ; que l’on peut sentir sans qu'il sensuive des mouvemens ; et que lon peut penser , réfléchir , juger , sans éprouver des sensations et sans faire des mouvemens? Ces trois facultés sont donc indépendantes entr’elles dans les êtres qui les possèdent ; et certes, les systèmes d’or- ganes qui les donnent , doivent être aussi indépen- dans entr'eux. Cependant, les trois facultés que je viens de citer ne sauraient exister sans nerfs. Le système nerveux, qui tend comme tous les autres à se compliquer gra- 224 INTRODUCTION. / duellement , peut donc se trouver composé lui-même de trois systèmes de nerfs , tout-à-fait particukiers, puisque chacun d’eux produit une faculté mdépen- dante de celles des autres. La partie du système nerveux qui donne lieu aux différens actes de l'intelligence est elle-même com- posée de différens systèmes particuliers; puisque l’on sait que dans certaines démences invétérées , le ma- lade pense et raisonne assez bien sur beaucoup d’ob- jets différens, tandis que , sur certains sujets qui l'ont trop affecté et qui ont altéré son organe , il n’a plus de mesure et n'offre plus que les symptômes d’une folie constante. C’est d’après la connaissance de ce fait observé et bien constaté depuis , que Cer : vantes a peint Dom Quichotte entièrement fou sur le seul sujet de la chevalerie errante. Il n’a fat qu’une fiction, mais il a pris son modèle dans la nature. Enfin , si, dans certaines folies permanentes de cette sorte, l’organe se trouve altéré suffisamment pour être réellement désorganisé, dans d’autres qui ne sont que passagères, 1l ne l’est pas assez pour être hors d’état de pouvoir se rétablir. De là , cette deu- xième sorte de folie que constituent nos grandes pas- sions ; folies qui ne sont pas toujours irrémédiables, et dont certaines d’entr'elles se guérissent avec le temps. Il suit de ces considérations : r.° Qu'il y a toujours” INTRODUCTION. ba5 un rapport parfait entre l'état de l'organe qui donne une faculté et celui de la faculté elle-même (1); 2.0 que toutes celles que l'observation nous a montré particulières et indépendantes, sont nécessairement dues à autant de systèmes d’organés particuliers, seuls capables de les produire. Ainsi, dans les animaux qui ont le système nerveux le plus simple, comme des filets nerveux, sans cer- veau et sans moëlle longitudinale , le phénomène du sentiment ne saurait encore se produire ; et, en effet, on ne voit encore à l'extérieur des animaux qui sont dans ce cas, aucun sens particulier, aucun organe pour la sensation. Cependant, puisque, dans ces animaux , l'on aperçoit des muscles et des nerfs pour les mettre en action, le mouvement musculaire est donc une faculté dont ils jouissent, quoique le sen- timent soit encore nul pour eux. Dans les animaux dun ordre plus relevé, cest a-dire , plus avancés dans la composition de leur or- gamsation , le système nerveux offre non-seulement des nerfs, mais encore un cerveau ; et presque tou- jours, en outre , une moëlle longitudinale noueuse, À (1) On ne doit pas s'étonner si, à mesure que nous avan çons en âge, nos goûts et nos penchans changent, quoiqu’in- sensiblement; car nos organes subissant eux-mêmes des changemens réels dans leur état, nous sentons alors tre es- différemment : cela est bien connu. Tome I. 15 226 INTRODUCTION. Ici, l’on est autorisé à admettre l'existence de la fa culté de sentir , puisque lon trouve un centre de rapport pour les nerfs des sensations, et que déja l'on aperçoit effectivement un ou plusieurs sens par- ticuhers et très-distinets. Cependant , les animaux dont je viens de parler, ont encore des muscles ; ils jouissent donc à-la-fois du mouvement musculaire et de la faculté de sen- tir. Mais nous avons vu que le mouvement muscu- laire et le sentiment étaient deux facultés indépen- dantes ; parmi les nerfs des animaux en question , il y en a donc qui ne servent qu’aux sensations , et d’autres qui ne sont employés qu'a l’excitation mus- culaire. Sans doute, les uns et les autres ne nous pa- raissent que des nerfs; ce sont , néanmoins , deux sortes d'organes particuliers ; puisque , outre qu'ils donnent lieu à deux facultés très-distinctes , ils agis- sent de deux manières différentes ; les nerfs des sen- sations agissant du dehors vers un centre intérieur, tandis que ceux qui servent au mouvement agissent d’un ou plusieurs centres intérieurs, vers les muscles qui doivent se mouvoir. Ainsi, lorsqu'on observe, dans un animal , plusieurs facultés différentes , on peut être assuré qu'il possède plusieurs sortes d’or- sanes particuliers pour les produire. Enfin, dans les animaux de l’ordre le plus relevé, v’est-àa-dire, dans ceux dont le plan d'organisation est le plus composé et avance le plus vers son perfec- INTRODUCTION. 22] tionnement , le système nerveux offre non-seulement des nerfs, une moëlle épinière et un cerveau; mais ce cerveau lui-même est plus composé que dans les animaux de l’ordre précédent; car il est graduelle- ment plus volumineux , et sa masse semble formée d’appendices sur-ajoutés, réunis et toujours doubles. En outre , dans les animaux dont il s'agit, l’on voit toujours des muscles ; un centre de rapport pour les sensations , un cerveau très-augmenté, et l’on re- marque que ces animaux peuvent exécuter des opé- rations entre leurs idées. Ils possèdent donc trois fa- cultés particulières et indépendantes ; savoir : le mou- vement musculaire, le sentiment , et Vintellisence dans un degré quelconque. Il est donc évident , d’après la citation de ces trois faits , que ceux des animaux en qui l’on observe dif- férentes facultés , possèdent , en effet, autant d’or- ganes particuliers pour Ja production de chacune de ces facultés ; puisque ces dernières sont des phéno- mèênes organiques , et que l’on n’a pas un seul exem- ple qui prouve qu'un organe puisse , lui seul, pro- duire différentes sortes de facultés. Pour achever de faire voir que chaque faculté dis- äncte provient d’un système d’organes particulier qui la donne , je vais montrer, par la citation d’un exem= ple , que ce que nous prenons souvent pour un seul système d'organes, se trouve, dans certains animaux, composé lui-même de plusieurs systèmes particuliers 228 INTRODUCTION. | qui font partie du système général, et qui, néan= moins, sont indépendans les uns des autres. | Dans les insectes, Von trouve généralement un. système nerveux; l’on en observe un, pareillement, dans tous les mammiferes. Mais, le système nerveux des premiers est sans doute bien moins composé que celui des seconds ; et si l’on a trouvé des nerfs et quelques ganglions dans certaines radiaires échino= dermes,\l n’en est pas moins nullement douteux que le système nerveux de ces dernières ne soit inférieur en composition et en facultés à celui des insectes. ! Effectivement , j'ai fuit voir que les nerfs qui ser= vent à l'excitation des mouvemens musculaires, ainsi que ceux qui sont employés à favoriser les diverses fonctions des viscères, ne sont et ne peuvent étre ceux qui servent à la production du sentiment ; puisqu'on peut éprouver une sensation sans qu'il en résulte un mouvement musculaire ; et que l’on peut faire entrer différens muscles en action , sans qu'il en résulte aucune sensation pour lindividu. Ces faits bien connus sont décisifs, et méritent d’être consi- dérés. Ils montrent déja qu'il y a des facultés mdéz pendantes, et que les systèmes d'organes qui les donnent, le sont pareillement. | D'ailleurs, comme il n’est plus possible de dou- ter que l'influence nerveuse ne s'exécute autrement qu'a l’aide d’un fluide subtil mis subitement en mou-, vement , et auquel on a donné le nom de fluide ner- INTRODUCTION. 229 veux (1); il est évident que, dans toute sensation , le fluide nerveux se meut du point aflecté vers un centre de rapport; tandis que , dans toute influence qui met un muscle en action, où qui anime les or- ganes dans l’exécution de leurs fonctions, ce méme fluide nerveux, alors excitateur, se meut dans un sens contraire; particularité qui en annonce déja une dans la nature même de l’organe qui n’a qu'une seule manière d'agir. Le sentiment et le mouvement musculaire sont donc deux phénomènes distinets et très-particuliers, pusque , outre qu'ils sont très-différens, leurs causes (1) « Jamais , ai-je entendu dire, je n’admettrai l'existence d’un fluide que je n’ai point vu , et que je sais que per- sonne n’est parvenu à voir. À la vérité, les phénomenes cités à l’égard des animaux , se passent comme si le fluide dont il s’agit existait, et y donnait lieu; mais cela ne suf- fit pas pour nous faire reconnaître son existence. » Que de vérités importantes auxquelles nous pouvons par- venir par une multitude d’inductions qui les attestent , et qu'il faudrait rejeter , si l’on en exigeait des preuves di- rectes que trop souvent la nature a mises hors de notre pouvoir ! Les physiciens ne reconnaissent-ils pas l'existence du fluide magnétique ? et s'ils refusaient de l’admette, parce qu'ils ne l’ont jamais vu, que penser des phénomè- nes de l’aimant, de ceux de la boussole, etc. ? Connaït- on ce fluide autrement que par ses effets ? Et n’en con- nait-on pas bien d’autres que cependant l’on n’a jamais pu voir ? 230 INTRODUCTION. ne sont point les mêmes; que les nerfs qui y don- nent lieu ne le sont point non plus; que , dans chacun de ces phénomènes, ils agissent d’une ma- nière différente; et qu’enfin, ces mêmes phénome- nes, dans leur production, sont réellement indé- pendans lun de l'autre; ce que aller a démontré. À la vérité , les deux systèmes d'organes qui don- nent lieu aux deux facultés dont il s’agit, semblent tenir lun à l'autre par ce point commun; savoir : que , sans l'influence nerveuse, leur puissance, de part et d'autre , paraîtrait absolument nulle. Mais le point commun dont je viens de parler , n’a rien de éel; car , le système nerveux se composant lui-même de différens systèmes particuliers $ a mesure qu'il fait partie d'organisations plus compliquées , possède alors différentes sortes de puissances très-distinctes , dont l’une ne saurait suppléer à l’autre ; chacun de ces systèmes particuliers ne pouvant produire que la faculté qui lui est propre. Par exemple, la partie d’un système nerveux composé, qui produit le phé- nomène du sentiment, n’a rien de commun avec celle du même système qui excite le mouvement mus- culaire, soit dans les muscles soumis à la volonté, soit dans les muscles qui en sont independans; les uns et les autres étant même particuliers pour ces deux sortes de fonctions. En outre, la partie d'un système nerveux composé, qui fournit dés forces d'action aux viscères, aux organes sécréteurs , etc. ; INTRODUCTION. MOST n’est pas non plus la même que celle qui produit le sentiment , n1 la même que celle qui anime ou ex- cite le mouvement musculaire ; comme celle qui donne lieu à lattention, à la formation des idées, et à diverses opérations entr’elles , n’est pas encore la même qu'aucune des autres, c'est-à-dire , est exclusivement particulière à ces fonctions. En van imaginera-t-on une multitude d’hypo- thèses pour expliquer ces différens faits d’organi- sation ; jamais nos idées n’offriront rien de clair, rien de satisfaisant , rien , en un mot, qui soit con- forme à la marche de la nature , tant qu'on ne re- connaitra pas le fondement de ce que je viens d’ex- poser. J’ajouterai que le sentiment serait absolument nul sans la portion d’un système nerveux composé qui y donne lieu ; tandis qu'il n’en est pas du tout de même de lrrritabilitée musculaire ; car elle est indé- pendante de toute imfluence nerveuse , quoique celle- e1 lui donne des forces d’action , et même puisse ex- citer les mouvemens de certains muscles , tels que ceux assujétis à la volonté. D’après lattention que j'ai donnée aux faits d’or - ganisation qui concernent les animaux, j'ai reconnu que lirritabilité étan, en général , le propre de leurs partes molles. Jai ensuite remarqué que, dans les plus imparfaits des animaux , tels que les snfusoires et les polypes, toutes les parties concrètes de ces 232 INTRODUCTION. corps vivans étaient àa-peu-près également srritables, et l’étaient éminemment. Mais lorsque , dans des ani- maux moins imparfaits, la nature fut parvenue à former des fibres musculaires , alors j'ai concu que l'erritabilité des parties offrait des différences dans son intensité , et que les fibres musculaires étaient plus fortement irritables que les autres parties molles. Ainsi; dans les animaux les plus parfaits, le tissu cellularre, quoiqu'irritable encore , l’est moins que les viscères et surtout que le canal intestinal , et ce dernier lui-même l'est moins encore que les muscles quels qu'ils soient. Je remarquai ensuite que, dès que les fibres mus- culaires furent établies dans les animaux , des nerfs alors devinrent distincts; et que, selon l’état d'avan- cement de l’organisation , un système nerveux plus ou moins composé était déterminable. Sans doute, le système nerveux existant anime les fonctions des organes, et leur fourmit des forces d’ac- tion ; et les mouvemens musculaires , participant eux-mêmes à cet avantage, sont moins susceptibles d’épuisement dans leur source. L’irritabililé musculaire n’en est pas moins indé- pendante, par sa nature, de influence nerveuse , quoique celle-ci augmente et maintienne sa puis- sance. On sait que le cœur conserve plus ou moins long-temps, selon les diverses races d'animaux ; la » . = 2 « . faculté de se mouvoir lorsqu'on l'irrite après l'avoir INTRODUCTION. 233 arraché du corps. Jai vu le cœur d’une grenouille conserver cette faculté , 24 heures après en avoir été séparé. Ainsi, le cœur ne tient point des nerfs son irritabilité ; mais 1l en recoit diverses modificatons dans ses fonctions , qui sont plus ou moins favora- bles à leur exécuuon. En effet, comme dans une organisation compo- sée , tous les organes ou tous les systèmes d'organes particuliers , sont liés à l’organisation générale de individu , et en sont tous par conséquent véritable- ment dépendans ; on doit reconnaître que le cœur , quoique doué dune irritabilité indépendante , n’en est pas moins assujéti, dans ses fonctions, à divers produits de la puissance nerveuse ; produits qui ac- croissent et maintiennent ses forces d’action, et qui quelquefo:s en tronblent les effets. Qui ne sait combien les passions agissent ’sur le cœur par la voie des nerfs , et que , selon celle de ces passions qui agit , l'influence qu'il en recoit trou- ble singulièrement alors ses fonctions ! Les nerfs qui arrivent au cœur, n’y sont donc point sans objet, sans usage (ce qui serait contraire au plan Ge la na- iure), quoique lirritabilité de cet organe soit en elle-même indépendante de leur puissance ; ce que Haller ne me parait pas avoir suffisamment saisi. Depuis, l'on a prétendu, d’après M. Le Gallois, que le cœur ne recevait des nerfs que de la moëlle épmière ; et par-l, on expliquait pourquoi il con- 23/ INTRODUCTION. unue de battre après la décapitation ou après l'ex- cision de la moëlle épinière sous l’occiput. À cela je répondrai que cette continuité d'action du cœur , après la décapitation, aurait bientôt un terme, quand même la respiration pourrait conti- nuer ; parce que le cœur est lié à l’organisation gé- nérale de l'individu , et qu'il est nécessairement dé- pendant de sa conservation. Si je ne craignais de m’écarter de l’objet que j'ai. ici en vue, j'ajouterais ensuite que , si le cœur ne recevait des nerfs que de la moëlle épimière , et si ceux de la huitième paire ne lui envoyaient aucun fi- let, 1l ne serait point soumis à l'empire des passions. Mais, laissant de côté tout ce que j'aurais à dire à cet égard, je dois, avant tout, montrer que lon s'est trompé dans les conséquences qu’on a tirées des belles expériences de M. Le Gallois. | Il est reconnu que l'irritabilité ne peut être mise en action que lorsqu'un stimulus quelconque vient exciter cette action. Mais , on serait dans l'erreur si, observant que les muscles soumis à la volonté agis- sent ordinairement par le stimulus que leur fournit l'influence nerveuse , l’on se persuadait que ces mus- cles ne peuvent entrer en contraction que par ce stimulus. {1 est facile de prouver , par l'expérience, que toute autre cause irritante peut aussi exciter leurs mouvemens. D'ailleurs, quoique ces muscles agissent par la vo- INTRODUCTION. 233 lonté qui dirige sur eux l'influence nerveuse, 1ls peu- vent encore agir par la même influence, sans la par- ticipation de cette volonté; et j'en ai observé mille exemples dans les émotions subites du sentiment in- terteur, lequel dirige pareillement lmfluence des nerfs qui les mettent en action. Voilà ce qu’il importe de reconnaitre , parce que les faits attentivement suivis , l’attestent d’une ma- mère évidente ; et ce qui montre, en outre, combien l’ordre de choses qui concerne les mouvemens mus- culaires est distinct de celui qui donne lieu aux sen- sations. On a reconnu plusieurs de ces vérités ; et cepen- dant on confond encore tous les jours les deux SYS- tèmes d’organes ci-dessus mentionnés , en prenant les effets de l'un pour des produits de ceux de l'autre. Ainsi, lorsqu'on a mutilé des animaux vivans, dans l'intention de savoir à quelle époque la sensibilité s'é- teignait dans certaines de leurs parties, on a cru pou- voir conclure que le sentiment existait encore, lors- qu'a une irritation quelconque, ces parties faisaient des mouvemens ! C’est, en effet, ce qu'on a vu dans plusieurs des conséquences que M. Le Gallois a urées de ses ex- périences sur les ammaux. Sans doute, les nombreuses et belles expériences de M. Le Gallois, sur des mammifères, nous ont appris plusieurs faits importans que nous ignorions; 2 36 INTRODUCTION. mais 1] me parait s'être trompé, lorsqu'il nous dit qu'après la section de la moëlle épinière sous l’occi- put , la sensibilité existe encore dans les parties de l'animal, parce qu’on jes voit encore se mouvoir. J'ai montré que la faculté de se mouvoir par des muscles , et celle de pouvoir éprouver des sensations, ne sont pas encore les seules qu’un animal obtienne d’un système nerveux compliqué, et complet dans toutes les parties qui peuvent entrer dans sa com- position. Car , lorsque ce système offre un cerveau muni de tous ses appendices, et surtout d’hémisphe- res volumineux, il donne alors à l'animal, outre la faculté de sentir, celle de pouvoir se former des idées, de comparer les objets qui fixent son atten- ton, de juger , en un mot, d’avoir une volonté, de la mémoire, et de pouvoir varier volontairement plusieurs de ses actions. La faculté d’avoir de l'attention , de se former des . idées et d'exécuter des actes d'intelligence , est donc distincte de celle de sentir , comme le sentiment Vest Jui-même de la faculté de se mouvoir, soi par l’ex- citation nerveuse sur les muscles , soit par des exci- tations étrangères sur des parties irritables. Ces dif- férentes facultés sont des phénomènes organiques qui résultent chacun d'organes particuliers propres à les produire, Ces faits zoologiques sont aussi positifs que Vest celui de la facuité de voir , lorsqu'on possède l'organe de la vue. INTRODUCTION. 237 Voici maintenant le point essentiel de la question : il s’agit de savoir si, à mesure qu'un système d'or- ganes se dégrade, c’est-à-dire, se simplifie en pér- dant, l’un après l’autre , les systèmes particuliers qui entraient dans sa plus grande complication, les différentes facultés qu'il donnait à-la-fois à l'animal, ne se perdent pas aussi, l’une après l’autre, jusqu'à ce que le système , devenu lui-même très-simple , finisse par disparaître, ainsi que la faculté qu'il pro- duisait encore dans sa plus grande simplicité. On est autorisé a penser, à reconnaître même, que l'appareil nerveux qui donne lieu à la formation des idées conservables et à différens actes d'intelli- | gence, réside dans des masses médullaires, compo- sées de faisceaux nerveux; masses qui sont des acces- soires du cerveau, et qui augmentent son volume proportionnellement à leur développement; puisque ceux des animaux les plus parfaits, en qui l'intelli- gence est le plus développée, ont effectivement, par ces accessoires, la masse cérébrale la plus volumi- neuse, relativement à leur propre volume ; tandis qu'a mesure que l'intelligence s’obscureit davantage, dans les animaux qui viennent ensuite, le volume de la masse cérébrale diminue dans les mêmes pro- portions. Or, peut-on douter , qu'a mesure que lor- gane cérébral se dégrade, ce ne soient ‘d’abord ses parties accessoires ou surajoutées qui subissent les atténuations observées, et qu'a la fin, ce ne soient 238 INTRODUCTION. elles qui se trouvent anéanties les premières , Iong- tems même avant que le cerveau proprement dit, cesse à son tour d'exister ? Maintenant, s’il est vrai que l'appareil nerveux, propre aux facultés d'intelligence, soit constitué par les organes accessoires dont je viens de parler, lanéantissement complet de ces organes entraine- rait-il pas celui des facultés qu’ils donnaient à l’ani- mal ? et comme il est reconnu que tous les animaux vertébrés sont formés sur un plan commun, quoique très-diversifié dans ses développemens et ses modi- fications, selon les races , n’est-1l pas probable que c’est avec les vertébrés que se terminent entièrement les facultés d'intelligence , ainsi que les organes par- ticuliers qui les donnent ? Après la perte de ses parties accessoires, de ses hémisphères, jusqu’à un certain point séparables, et qui ont un si grand volume dans les plus intelli- gens des animaux, le cerveau réduit, se montre, néanmoins, depuis les mollusques jusqu'aux insectes inclusivement, comme étant une partie essentielle de l'appareil nerveux propre à Ia production du sentiment ; puisqu'il fournit encore à l'existence de sens particuhers, c’est-a-dire, qu'il produit des or- ganes très-distincts pour les sensations. Il forme, effectivement , avec les nerfs qui en partent ou qui y aboutissent, un appareil qui est assez compliqué pour INTRODUCTION: 239 eectuer la formation du phénomène organique du Sentiment. Mais , lorsque la dégradation du système nerveux se trouve tellement avancée qu’il n’y a plus de cer- veau, plus de sens particuliers; qui ne sent que l'appareil propre au sentiment n’existant plus, les facultés qui en résultaient pour l’animal ont pareil- lement cessé d’exister; quoique l’on puisse retrouver encore quelques traces de nerfs dans les animaux de cette cathégorie en qui des vestiges de muscles exis- tent encore | Assurément on peut taxer tout ceci d'opinion: mais , dans ce cas, que l’on se garde bien d’observer comparativement les animaux; car cette opinion prétendue se changerait alors en fait positif. Relativement aux efforts qui ont été faits pour s’autoriser à étendre jusques dans les vegetaux la faculté de sentir, je citerai la considération suivante qui se trouve dans larucle animal du Dict. des sciences naturelles. | « Il s’agit de savoir , dit le célèbre auteur de cet article, s'il n'y a point des êtres sensibles qui ne se meuvent pas; car il est clair que le mouvement n’est pas- une conséquence nécessaire de la sensibilité. » Non certainement, 1l n’y a point d'êtres sensibles qui ne se meuvent pas; et ce ne devrait pas être une question pour le savant qui l’agite, mais tout au plus 240 INTRODUCTION. pour ceux qui ne connaissent rien à l’organisation , ainsi qu'aux phénomènes qu'elle peut produire. Sans doute , le mouvement est indépendant de la sensibilité : en sorte qu'il existe des êtres ( mais seu- lement dans le règne animal ) qui jouissent de la ‘faculté de se mouvoir, et qui, néanmoins, sont privés de celle de senur. C'est, en effet, le cas des radiaires, des vrais polypes, et des infusoires. Mais, il est facile de démontrer qu'il n'existe aucun être jouissant de la sensibilité qui ne puisse se mouvoir; en sorte que la sensibilité est réellement une consé- quence du mouvement , quoique le mouvement n’en soit pas une de la sensibilité : voici comme je le prouverai. | Assurément , il n’y a que des nerfs qui soient les vrais organes du sentiment, et tout animal qui n’a point de nerfs ne saurait sentir ; cela est certain. Mais un fait, que connaît sans doute le sayant auteur cité, c’est que tout animal qui a des nerfs a aussi des muscles. Ce serait en vain que l’on voudrait trouver des muscles dans un animal qui n’a point de nerfs, ou des nerfs dans celui qui ma point de muscles : aucune observation constatée ne contredit ce fait. Or, s’il est vrai que tout animal qui a des nerfs ait aussi des muscles, il est donc vrai pareillement que tout animal qui jouit du sentiment, jouit aussi de la faculté de se mouvoir, puisqu'il a des muscles. INTRODUCTION. 241 Dans l’état de nos connaissances, on ne peut donc pas mettre en question, s’il existe des êtres sensibles qui ne se meuvent pas. Ces pensées, émises avant d’avoir été approfon- dies , prouvent seulement qu’on n’a fait aucun effort pour s'assurer si les facultés et les organes qui ies donnent avaient ou non des limites. En observant attentivement ce qui a lieu dans les animaux , je ne crois pas me tromper lorsque je re connais que diflérens êtres, parmi eux, possèdent des facultés qui ne sont pas communes à tous ceux du même règne. Ces facultés ont donc des limites , quoique souvent insensibles, et sans doute, les or- ganes qui les donnent en ont pareillement, puisque l'observation atteste que par-tout, dans lanimal , chaque faculté est parfaitement en rapport avec l’état de l'organe qui y donne lieu. C’est en apercevant le fondement de ces considé- rations, que j'ai reconnu que les facultés d’intelli- gence dans différens degrés, étaient un ordre de phénomènes organiques, tous en rapport avec l’état de l’organe qui les produit, et que ces facultés’avaient une Jumite ainsi que l’organe ; qu'il en était de même de la faculté de sentir , dont les actes ne consistent que dans lexécution de sensations particulières, qui sopèrent par lintermède d’un ensemble de parties dans le système nerveux, sans affecter celles du . même système, qui servent à l'intelligence; qu'il en Tome L. 10 2/2 INTRODUCTION. était encore de même du sentiment interieur, faculté obscure, quoique puissante, qui wa rien de commun avec celle d’éprouver des sensations , ni avec celle de penser, ou de combiner des idées, et qui tient probablement aux actes d’un ensemble de parties dans le système nerveux, c’est-a-dire, aux émotions qui peuvent être produites dans cet ensemble. Qu'importe qu'il nous soit difficile, quelquefois même impossible, de distinguer, dans un système d'organes général , tous les systèmes d'organes par- ticuliers dont la nature est parvenue à le composer; s’il n’en est pas moins certain que ces systèmes d'organes parüculiers existent , puisque les facultés particulières qu’is donnent sont reconnaissables , distinctes , et se montrent indépendantes ? J'ai déja parlé ( au commencement de cette Intro- duction, p.17et18 ) du sentiment intérieur dont sont doués tous les animaux qui jouissent de la faculté de sentir; de ce sentiment intime qui, par les émotions qu'il peut éprouver subitement dans chaque besoin ressenti, fait agir immédiatement lindividu, sans l'intervention de la pensée, du jugement et de la volonté de celui même qui possède ces facultés; et j'ai dit que je manquais d'expression propre à dé- signer cé sentiment (1). en nn (1) Par des causes, dont plusieurs sont déja connues, les fluides de nos principaux systèmes d'organes, surtout INTRODUCTION. 243 A la vérité, on le désigne quelquefois sous la dé- nomination de conscience. Cette dénomination, néan- moins, ne le caractérise point suffisamment : elle n'indique point que ce sentiment obscur, mais gé- néral, ne résulte pas directement d'une impression sur aucun de nos sens; qu'il n’a rien de commun, soit avec le sentiment proprement dit, soit avec l'intelligence ; et qu'il offre une véritable puissance qui fait agir l'individu sans la nécessité d'une pré- méditation. Enfin, cetie dénomination semble per- mettre la supposition du concours de la pensée et du jugement dans les actions que ce’ sentiment ému fait subitement produire ; ce qui n’est pas vrai. [/ob- veux du système sanguin, sont sujets à se porter, avec plus ou moins d’abondance, tantôt vers l'extrémité antérieure du torps, tantôt vers l’inférieure , et tantôt vers tous les points de sa surface externe, Ainsi , quoique renfermés dans des canaux particuliers ou dans des masses appropriées dont ils ne peuvent franchir les limites latérales , les fluides de plusieurs de nos systèmes d'organes jouissent , par les com- munications qui existent entreux, d’une relation générale qui les met dans le cas de recevoir des impulsions ou des excitations pareillement générales, d’où résultent, dans le système sanguin , les affluences particulières et connues dont je viens de parler, et dans le système nerveux , les ébranle- mens généraux , en un mot, les émotions du sen{iment in- térieur qui sont si remarquables par leur puissance sur nos organes. | 1 2/4 _ INTRODUCTION. servation des faits atteste même que, parmi les am- maux qui possèdent ce sentiment intérieur et qui jouissent de certains degrés d'intelligence , la plupart, néanmoins, ne le maîtrisent jamais. On le désigne aussi très-souvent et très-impro- prement comme un sentiment quon rapporte au cœur , et alors on distingue, parmi nos actions, toutes celles qui viennent de lesprit, de celles qui sont les produits du cœur ; en sorte que, sous ce. point de vue, lesprit et le cœur seraient les sources de toutes les actions humaines. Mais, tout cela est erroné. Le cœur n’est qu'un muscie employé à l'accélération du mouvement de nos fluides ;il n’est propre qu’a concourir à la circu- lation de notre sang; et au lieu d’être la cause ou la source de notre sentiment interieur , il est lui-même assujéti à en subir les effets. | Ce qui fut cause de cette distinction de l'esprit et du cœur , c’est que nous sentons très-bien que nos pensées, nos méditations sont des phénomènes qui s'exécutent dans la tête ;et quenous sentonsencore, au contraire, que les penchans et les passions qui nous entrainent , que les émotions que nous éprouvons dans certaines circonstances et qui vont quelquefois jusqu’à nous faire perdre l'usage des sens, sont des impressions que nous ressentons dans tout notre être, et non un phénomène qui s'exécute unique ment dans la tête, comme la pensée. Or, comme les INTRODUCTION. 245 constrictions nerveuses ou les troubles qui se pro- duisent dans le système nerveux, à la suite des émotions que l’on éprouve, retardent ou accélèrent alors les battemens du cœur, on a attribué trop précipitamment au cœur même, ce qui n’est réelle- ment que le produit du sentiment intérieur ému. Il n’y a guère que l’homme et quelques animaux des plus parfaits, qui, dans les instans de calme in- térieur , se trouvant affectés par quelqu’intérêt qui se change aussitôt en besoin, parviennent alors à maïtri- ser assez leur sentiment intérieur ému, pour laisser à leur pensée le tems de juger et de choisir l’action à exécuter. Aussi, ce sont les seuls êtres qui puis- sent agir volontairement; et néanmoins, ils n’en sont pas toujours les maitres. Ainsi, des actes de volonté ne peuvent être opérés que par l’homme, et par ceux des animaux qui ont la faculté d'exécuter des opérations entre leurs idées, de comparer des objets, de juger, de choisir, de vouloir ou ne pas vouloir, et, par-la, de varier leurs actions. Or, j'ai déja montré que ce ne pouvait être que parmi les vertébrés que se trouvent les ani- | maux qui jouissent de pareilles facultés ; parce que | leur cerveau , formé sur un plan commun , est plus | ou moins complétement muni des organes particu- | liers qui les donnent. De là vient , que c’est principa- lement dans les mammiferes et ensuite dans les 210 INTHODUCTIOS. oiseaux, que ces mêmes facultés, quoique rarement exercées, acquièrent quelqu'éminence. | Quant aux animaux sans vertebres, Jai fait voir que tous devaient être privés d'intelligence; mais, j'ai montré que les uns jouissaient de la faculté de sentir et possédaient ce sentiment intérieur qui a le pouvoir de faire agir, tandis que les autres étaient tout-a-fait dépourvus de ces facultés. Or, les faits connus qui concernent les premiers (ceux qui jouissent du sentiment ), constatent qu'ils w’ont que des habitudes ; qu'ils n’agissent que par des émotions de leur sentiment intérieur , sans jamais le maitriser ; que , ne pouvant exécuter aucun acte d’m- telligence, ils ne sauraient ehoisir, vouloir ou ne pas vouloir, et varier eux-mêmes leurs actions ; que leurs mouvemens sont tous entrainés et dépendans; enfin, qu'ils n’obtiennent de leurs sensations ;, que la per- ception des objets dont les traces dans leur organe sont plus ou moins conservables. Si les habitudes, dans les animaux qui ne peuvent varier eux-mêmes leurs actions, ont le pouvoir de les entraîner à agir constamment de la même manière dans les mêmes circonstances, on peut assurer , d’après l'observation , qu’elles ont encore un grand pouvoir sur les animaux intelligens ; car, quoique ceux-€i1 puis- sent varier leurs actions, on remarque qu'ils ne Îles varient, néanmoins, que lorsqu'ils s’y trouvent en INTRODUCTION. 247 quelque sorte contraints ; et que leurs habitudes, le plus souvent , les entrainent encore. À quoi donc tient ce grand pouvoir des habitudes, : pouvoir qui se fait si fortement ressentir à l’ésard des animaux Imtelligens, et qui exerce sur l’homme même un si grand empire ! Je crois pouvoir jeter quelque jour sur cette question importante , en exposant les considérations suivantes. Pouvoir des habitudes : Toute action, soit de l'homme, soit des animaux , résulte essentiellement de mouvemens intérieurs, c'est-à-dire, de mouvemens et de déplacemens de fluides subtils internes qui ex - ctent et la produisent, Par fluides subtils , j'entends parler des différentes modifications du fluide ner- veux; car ce fluide seul a dans ses mouvemens et ses déplacemens la célérité nécessaire aux effets produits. Maintenant je dis que, non-seulement les actions constituées par les mouvemens des parties ex- ternes du corps sont produites par des mouvemens et des déplacemens de fluides subis mternes, mais même que les actions intérieures, telles que l'atten- tion, les comparaisons, les jugemens, en un mot, les pensées, et telles encore que celles qui résultent des émotions du sentiment intérieur , sont aussi dans le même cas. Certainement , toutes Îes opérations de l'intelligence , amsi que les mouvemens visibles des parues du corps, sont des actions ; car leur exécution très-prolongée entraine effectivement des fatigues et 248 INTRODUCTION. des besois de réparation pour les forces épuisees. Or je le répète, aucune de ces actions ne s'exécute qu'a la suite de mouvemens et de déplacemens des fluides subtils.i internes qui y donnent lieu. Par la connaissance de cette grande vérité, sans laquelle 1} serait absolument impossible d'apercevoir les causes et les sources des actions, soit de l’homme, soit des animaux sensibles, on conçoit clairement : 1.° Que, dans toute action souvent répétée , et sur- tout qui devient habituelle, les fluides subuls qui la produisent, se frayent et aggrandissent progressive- ment, par les répétitions des déplacemens particu- liers qu'ils subissent, les routes qu’ils ont à franchir, et les rendent de plus en plus faciles ; en sorte que Yaction elle-même, de difficile qu'elle pouvait étre dans son origine, acquiert graduellement moins de difliculté dans son exécution ; toutes les parties même du corps qui ont à y concourir , s’y assujétissent peu- a-peu, et à la fin l’exécutent avec la plus grande facilite ; 2,9 Qu’une action, devenue tout-a-fait habituelle, ayant modifié l’organisation intérieure de individu pour la facilité de son exécution , Jui plaît alors telle- ment qu’elle devient un besoin pour lui; et que ce besoin finit par se changer en un penchant qu'il'ne peut surmonter , s’il n’est que sensible, et qu'il sur- monte avec difficulté, s’il est intelligent. Si l'on prend la peine de considérer ce que je viens | INTRODUCTION. 249 d'exposer , d’abord il sera aisé de concevoir pourquoi l'exercice développe proportionnellement les facultés ; pourquoi l'habitude de donner de Pattention aux ob- jets et d'exercer son jugement, sa pensée , agrandit st fortement notre intelligence; pourquoi tel artiste qui s'est tant appliqué à l'exercice de son art, y a acquis des talens dont sont entièrement privés tous ceux qui ne se sont point occupés des mêmes objets. Enfin, en considérant encore les vérités exposées ci-dessus, l’on reconnaitra facilement la source du grand pouvoir qu'ont les habitudes sur les animaux, et qu'elles ont même sur nous; certes, aucun sujet ne saurait être plus intéressant à étudier, à méditer. Me bornant à ce simple exposé de principes qu’on. ne saurait contester raisonnablement , je reviens à mon sujet. Nous avons vu qu'en nous dirigeant du plus com- posé vers le plus simple, dans la série des animaux, chaque système d'organes particulier se dégradait et s’'anéantissait à un terme quelconque de la série ; ce que M. Cuvier reconnait lui-même , lorsqu'il dit : « On a aujourd’hui, sur les diverses dégradations du système nerveux dans le règne animal , et sur leur correspondance avec les divers degrés d'intelligence, des notions aussi complètes que pour le système san- guin (1) ». Et ailleurs il dit: « En effet, si on par- (x) Rapport sur les progrès des sciences naturelles , depuis 1989 , p. 164. 250 INTRODUCTION. * court successivement les différentes familles , 1l n’est pas un organe que lon ne voie se simplifier par de- grés, perdre son énergie, et finir par disparaître tout- a-fait en se confondant dans la masse (1 ) ». Il s'ensuit donc que les facultés se dégradent et finissent chacune par être anéanties à un terme quel- conque de la série des animaux, comme les organes qui les produisent; qu’elles sont partout propor- tionnelles au perfectionnement et à l’état des organes; et qu'il ne reste aux animaux, qui terminent cette "série, que les facultés propres à tous les corps vivans, ainsi que celle qui constitue leur nature animale. Il s'ensuit encore qu'il n’est pas vrai, et qu'il ne peut l'être, que tous les animaux soient doués de la faculté de sentir , ce que je crois avoir suffisamment établi. Ainsi, je ne reviendrai plus sur cet objet, parce qu’il n’a pas besoin de nouvelles preuves. Mais, une vérité tout aussi solide, et qui en résulte encore clarement, c’est que les animaux très-impar- faits qui ne jouissent point de la faculté de sentir, sont nécessairement dépourvus de cet appareïl ner- veux qui donne lieu aux sensations et au sentiment intérieur ; appareil qui doit être assez compliqué et assez étendu pour que son ensemble , agité par quel- qu'affection sur les sens , ou par quelqu’émotion inté- rieure, puisse faire participer l'être entier à ces affec- a — (1) Dictionnaire des Sciences naturelles , vol, 2, p.167. INTRODUCTION. CH tions ou à ces émotions; appareil, enfin, qui constitue dans Pindividu qui le possède , une puissance qui peut le faire agir. | Ainsi, ces animaux sont réellement privés de cette conscience , de ce sentiment intime d'existence , dont jouissent ceux qui, doués de l'appareil dont je viens de parler , peuvent éprouver des sensations , et étre agités par des émotions intérieures. Or, les animaux très-imparfaits dont il s'agit, ne possédant nullement le sentiment intérieur en question, ne sauraient avoir ou faire naïtre en eux la cause excitatrice de leurs mou- vemens. Elle leur vient donc évidemment du dehors, et dés lors elle n'est assurément pas à leur disposi- tion; aussi aucun de leurs besoins n’exige qu’elle le soit; ce que J'ai déja fait voir. Tout ce qu'il leur faut se trouve à leur portée; ce ne sont des animaux que parce qu'ils sont 1rritables. Je terminerai cette partie par une remarque impor- tante et relative aux besoins des différens animaux ; besoins qui ne sont nulle part, ni au-dessus , ni au- dessous des facultés qui peuvent y satisfaire. On observe que, depuis les animaux les plus im- parfaits, tels que les premiers des infusoires, jus- qu'aux mammiferes les plus perfectionnés, les besoins, pour chacun d'eux, saccroissent avec la composition progressive de leur organisation ; et que les facultés nécessaires pour satisfaire partout à ces besoins , s'ac- croissent aussi partout dans la même proportion. Il 252 | INTRODUCTION. en résulte que , dans les plus simples et les plus im- parfaits des animaux, la réduction des besoins et des facultés se trouve réellement à son minimum , tandis que , dans les plus perfectionnés des mammiferes, | les besoins et les facultés sont à leur #17aximum de complication et d’éminence; et comme chaque faculté distincte est le produit d’un système d'organes parti- culier qui y donne lieu, c’est donc une vérité incon- testable qu'il y a toujours partout un rapport par- fait entre les besoins, les facultés d'y satisfaire , et les organes qui donnent ces facultés. Ainsi, les facultés qu’on observe dans diflérens animaux, sont uniquement organiques ; elles ont des limites comme les organes qui les produisent; sont toujours dans un rapport parfait avec l’état des or- ganes qui les font exister ; et leur nombre, ainsi que leur éminence, sont aussi parfaitement en rapport avec ceux des besoins. Il est si vrai que, dans l'étendue de l'échelle ani- male , les facultés croissent en nombre et en éminence comme les organes qui les donnent , que si, à l’une des extrémités de l'échelle , l’on voit des animaux dé- pourvus de toute faculté particulière, l’autre extré- mité, au contraire , offre , dans les animaux qui sy trouvent, une réunion au maximum des facultés dont la nature ait pu douer ces êtres. Plus, en effet, l’on examine ceux des animaux qui possèdent des facultés d'intelligence , plus on les ad- INTRODUCTION. 253 mire, plus même on se sent porté à les aimer. Qui ne connait l'intelligence du chien, son attachement pour son maître, sa fidélité, sa reconnaissance pour les bons traitemens, sa jalousie dans certaines cir- constances , son extrême perspicacité à juger, dans vos yeux , si vous êtes content ou fâché, de bonne ou de mauvaise humeur , son inquiétude et sa sensi- bilité lorsqu'il vous voit souffrir , etc. ! Les chiens, néanmoins, ne sont pas les plus in- telligens des animaux ; d’autres, et surtout les singes, le sont encore davantage, les surpassent en vivacité de jugement , en finesse, en ruses, en adresse , etc. ; aussi, sont-ils , en général , plus méchans, plus diffi- ciles à soumettre et à asservir. Il y a donc des degrés dans l'intelligence, dans le sentiment , etc., parce qu’il s’en trouve nécessairement dans tout ce qu’a fait la nature. Si, dans la série des animaux, les limites précises des facultés particulières que lon observe dans diffé- rens êtres de cette série, ne sont pas encore défimi- tivement déterminées, on n’en est pas moins fondé à reconnaitre que ces limites existent; car, tous les ani- maux ne possèdent point les mêmes facultés; ainsi, il y a un point dans l'échelle animale où chacune d'elles commence. Il en est de même des systèmes d'organes particu- liers qui donnent lieu à ces facultés ; si lon ne con- nait pas encore partout le point précis de l'échelle 25/4 INTRODUCTION. animale où chacun d'eux commence, on doit , néan- moins, être assuré que chaque système d'organes par- ticulier a réellement dans l'échelle un point d’origme, c’est-à-dire , de première ébauche; 1l y a même quel- ques-uns de ces systèmes dont le commencement parait assez bien déterminé. | Ainsi, le système d’organes particulier qui effec- tue la digestion , paraît ne commencer qu’avec les po- lypes ; celui qui sert à la respiration ne commence à exister que dans les radiaires; celui qui donne lieu au mouvement musculaire n’offre son origine , avec quelques vestiges de nerfs, que dans les radiaires échinodermes ; celui de la fécondation sexuelle pa rait offrir sa première ébauche vers la fin des vers, et se montre ensuite parfaitement distinct dans les insectes et les animaux des classes suivantes ; celui qui est assez compliqué pour produire le phénomène du sentiment, ne commence à se manifester clairement que dans les insectes ; celui qui effectue une véritable circulation paraït ne commencer réellement que dans les arachnides; enfin, celui qui donne lieu à la for- mation des idées , et aux opérations qui s’exécutent entre ces idées , paraissant n’appartenir qu’au plan des animaux vertébrés, ne commence très-probablement qu'avec les poissons. Qu'il y ait quelques recufications à faire dans ces déterminatons , il n’en est pas moins vrai que ces mêmes reçufications ne peuvent altérer nulle part le INTRODUCTION. 255 principe des points particuliers de l'échelle animale où commence chaque système d'organes, ainsi que les facultés ou les avantages qu’il donne aux animaux qui le possèdent. Partout même où une limite quelconque ne peut être positivement fixée , l'arbitraire de l'opinion fait bientôt varier le sentiment à son égard. Par exemple, M. Le Gallois , d'après différentes expériences qu'il a faites sur des mammifères mutilés pendant leur vie, prétend que le principe du senti- ment existe seulement dans la moëlle épinière, et non dans la base du cerveau ; il prétend même qu'il y a autant de centres de sensation bien distincts, qu’on a fait de segmens à cette moëlle, ou quil y a de por- tions de cette moëlle qui envoient des nerfs au tronc. Ainsi, au Leu d'une unité de foyer pour le sentiment, il ÿ en aurait un grand nombre, selon cet auteur. Mais, doit-on toujours regarder comme positives les conséquences qu'un observateur a tirées des faits qu'il a découverts; et ne convient-il pas d'examiner auparavant, soit sa manière de raisonner , soit les bases mêmes sur lesquelles il se fonde ? D'une part, je vois que M. Le Gallois juge pres- que toujours de la sensibilité par des mouvemens ex- cités qu'il apercoit ; en sorte qu'il prend des effets de Vrrritabilité pour des témoignages de sensations éprouvées ; et de l’autre part, je remarque qu'il ne distingue point, parmi les puissances nerveuses , celle 256 INTRODUCTION. qui vivifie les organes , et qui leur fournit des forces d'action, de celle , très-différente, qui sert unique- ment au phénomène des sensations ; comme il aurait dû distinguer aussi , s’il s’en était occupé, celle en- core très-différente des autres, qui donne lieu à la formation des idées , et aux opérations qu’elles exé- cutent. Il est possible qu'il y ait réellement, comme le dit M. Le Gallois, plusieurs centres particuliers de sen- sations dans les animaux qui jouissent de la faculté de sentir; mais alors , au lieu d’un seul appareil d’or- ganes pour la production de ce phénomène physique, il y en aurait plusieurs; enfin , la nature aurait em- ployé sans nécessité une complication de moyens ; car on peut prouver qu'un seul foyer pour la sensa- uon peut satisfaire à tous les faits connus, relatifs à la sensibilité. Cependant, jusqu'a ce que des expériences plus décisives à cet égard que celles qu'a publiées cet au- teur, nous autorisent à prononcer définitivement sur ce sujet, je crois devoir conserver l'opinion plus vrai- semblable de lexistence d’un seul foyer pour la pro- ductuion du sentiment. Cela ne m’'empêche pas de reconnaître que les nerfs qui partent de la moëlle épinière ne soient par- ticuhèrement ceux qui fournissent au cœur, indépen- damment de son irritabilité, le principe de ses forces et qui en fournissent aussi à d’autres parues du tronc: INTRODUCTION. 227 enfin , de croire, d’après ce savant , que les nerfs du même ordre qui viennent animer les organes de la respiration, naissent de la moëlle allongée. Lorsque les observateurs de la nature se multiplie- ront davantage; que les zoologistes ne se borneront plus à l'art des distinctions, à l'étude des particula- rités de forme , à la composition arbitraire de genres toujours variables , à l'extension d'une nomenclature Jamais fixée; et qu'au contraire, ils s’occuperont d'étudier la nature , ses lois, ses moyens, et les rap- ports qu'elle a établis entre les systèmes d'organes paruculiers et les facultés qu'ils donnent aux ani- maux qui les possèdent ; alors, les doutes, les in- certitudes que nous avons encore sur les points de l'échelle animale où commence chacune des facultés dont 1l s'agit, et sur l'unité de foyer et de siége de chaque système d'organes, se dissiperont successive- ment; alors, enfin, les points essentiels de la Phi- losophie zoologique s'éclairciront de plus en plus , et la science obtiendra l'importance qu’elle peut avoir. En attendant , je crois avoir montré que les facul- tés animales ; de quelque éminence qw’elles soient , sont toutes des phénomènes purement physiques ; que ces phénomènes sont les résultats des fonctions qu'exécutent les organes ou les appareils d'organes qui peuvent les produire ; qu'il n'y a rien de méta- physique, rien qui soit étranger à la matière, dans chacun d'eux; et qu'il ne s’agit à leur égard, que de Tome L. 17 258 INTRODUCTION. relations entre différentes parties du corps animal ets entre différentes substances qui se meuvent, agissent, Î réagissent et acquierent alors le pouvoir de produiré le phénomène observé. d S'il en était autrement, jamais nous n’eussions eu. connaissance de ces phénomènes ; car chacun d'eux est un fait que nous avons observé , et nous savons. positivement que la nature seule nous présente des faits , et que ce n’est qu’à l’aide de nos sens que nous avons pu connaître un petit nombre de ceux qu’elle nous offre. | Je crois avoir ensuite prouvé, qu’outre les facultés qui sont communes à tous les corps vivans, les ani= maux offrent, parmi eux , différentes sortes de fa= cultés qui sont particulières à certains d’entr'eux® elles ont donc des limites , ainsi que les organes do les donnent. d Maintenant , il est indispensable de montrer que les penchans des animaux sensibles, que ceux même de l’homme, ainsi que ses passions , sont encore des phénomènes de l'organisation , des produits naturels et nécessaires du sentiment interieur de ces êtres. Pour cela, je vais essayer de remonter à la source de ces penchans, et je tâcherai d'analyser les princi- paux produits de cette source. me a € ue me INTRODUCTION: 239 RAA SAV IV RUE LAVE RAA LAVE VAUT AAA AL AA A ALUUVS CINQUIÈME PARTIE. Des penchans , soit des animaux sensibles, soit de l'homme méme, considérés dans leur source, et comme phénomènes de l'or- ganisalion. | D. ce qui appartient à la nature , tout est lié, tout est dépendant, tout est le résultat d’un plan commun, constamment suivi, mais infiniment varié dans ses parties et dans ses détails. L’Lomme lui- même tient , au moins par un côté de son être, à ce plan général , toujours en exécution. Il est donc né- cessaire , pour ne rien omettre de ce qui est le pro- duit de l’organisation animée par la vie; de considé- rer ici séparément, quelle est la source des pen- chans et même des passions dans les êtres sensibles en qui nous observons ces phénomènes naturels. Ainsi, comme on pourrait d'abord le penser , le sujet de cette cinquième partie n’est nullement étran- ger au but que je me suis proposé dans cette Intro- duction ; savoir : celui d'indiquer les faits et les phé- 260 INTRODUCTION. la vie. Et dans ceuté partie, je vu TR er par - ticulièrement les penchans des êtres sensibles, parce que ce sont des phénomènes d'organisation, des pro Î duits du sentiment intérieur de ces êtres. } Ayant été autorisé à dire que nous n'obtenoïs aucune connaissance positive que dans la nature, parce que nous n’en pouvons acquérir de telles que par l’observation, et que, hors de la nature, nous ne pouvons rien observer , rien étudier , rien con- naître de certain ; il s'ensuit que tout ce que not . . . . . * connaissons positivement lui appartient et en fait es= $ Cela posé, je dirai, sans craindre de me tromper sentiellement partie. que la nature ne nous offre d’observable Êtes eux ; ni les propriétés des corps ; que des LS mènes opérés par les corps et surtout par certains d’entr’eux; enfin , que des lois immuables qui ré gissent partout E mouvemens , les changemens, & les phénomènes que nous présentent les corps. | Voilà, selon moi, le seul champ qui soit ouvert à nos observations, à nos recherches, à nos études; voila, par suite , la seule source où nous puissions puiser des connaissances réelles, des vérités utiles. ] S’il en est ainsi, les phénomènes que nous ob . . & ( servons, de quelque genre qu'ils soient, sont produits | INTRODUCTION. 261 par la nature , ont leur cause en elle seule , et sont tous , sans exception, assujétis à ses lois. Or , nous eflorcer de remonter , par l’observation et l'étude, jusqu'à la connaissance des causes et des lois qui pro- duisent les phénomènes que nous observons, en nous attachant particulièrement à ceux de ces phénomènes qui peuvent nous intéresser directement , est donc ce qu'il y a de plus important pour nous. Parmi les phénomènes nombreux et divers que nous pouvons observer , il en est qui doivent nous intéresser particulièrement , parce qu'ils tiennent de plus près à notre manière d’être, à notre constitu- üon organique; et parce qu’en effet , ils ressemblent beaucoup à ceux de même sorte qui se produisent en nous et que nous tenons aussi de la nature par la même voie. Les phénomènes dont 1l s’agit , sont les penchans des animaux sensibles , les passions mêmes quon observe parmi ceux qui sont intelligens dans certains degrés. Puisque ces phénomènes sont des fats observés , ils appartiennent à la nature; et ils sont , effecuvement , les produits de ses lois, en un mot, du pouvoir qu’elle tient de son suprême auteur. | Aussi, nous pouvons facilement remonter jusqu'a la Véritable source où ces phénomènes puisent leur or& gme et leur exaltation. | Déja, je puis dire avec assurance que les penchans des animaux sensibles , et que ceux plus remarqua- bles encore des animaux intelligens , sont des pro- duits immédiats du sentiment intérieur de ces êtres. 202 ù INTRODUCTION. de véritables produits de l’organisation de ces êtres Ainsi, l'ignorance de ces vérités positives pourrait seule faire regarder comme étrangers à mon sujet, les objets dont je vais m'occuper. Laïssant à l'écart ce que l’homme peut tenir d’une source supérieure , et ne voulant considérer en lui | que ce qu'il doit à la nature, il me parait que ses penchans généraux, qui influent si puissamment sur ses actions diverses , sont aussi de véritables produits de son organisation, c’est-à-dire , du sentiment im: - térieur dont il est doué; sentiment qui l’entraine à son imsu , dans un grand nombre de ses actions. Il me semble , en outre, que ses passions , qui ne sont que des exaltations de ceux de ses penchans naturels aux- quels il s’est imprudemment abandonné , uennent, d’une part , a la nature , et de l’autre, à la faible culture de sa raison, qui alors lui fait méconnaïître ses véritables intérêts. Si je suis fondé dans cette opinion , il sera pos- sible de remonter à la source des penchans et des passions de V’homme , et de prévoir , dans chaque cas considéré, le fond principal des actions qu'il doit exécuter :1l suflira pour cet objet de faire unc ana lyse exacte de ses penchans divers. Mais, pour parvenir à montrer Fexistence d'un , INTRODUCTION. 263 ordre de choses , qui ne paraît pas avoir encore at- tiré notre attention, je ne dois pas anticiper les con- sidérations propres à le faire connaître. Ainsi, re- marquant que la source des penchans de l’homme est tout-a-fait la même que celle des penchans des ant- maux sensibles, je vais d’abord déterminer cette source , ainsi que ses produits, dans les ammaux en question ; je montrerai ensuite qu’elle se retrouve dans l'homme , et qu’en lui ses résultats sont plus éminemment prononcés » €t Imfiniment plus sous- divisés. $ I. Source des penchans et des actions des animaux sensibles. Par une loi de la nature , tous les êtres sensibles et qui, conséquemment , jouissent de ce sentiment in- térieur et obscur qu'on a nommé sentiment d’exis- tence, tendent sans cesse à se conserver , et par là sont irrésistiblement assujétis à un penchant éminent qui est la source première de toutes leurs actions; je le nomme : Penchant à la conservation. Ici, je me propose de montrer que cest unique- ment à ce penchant général qu'il faut rapporter la source de toute action quelconque de ceux des ani- maux qui jouissent de la faculté de sentir. Pour atiemdre mon but, je dois rappeler la hié- 6 INTRODUCTION. ES 3 rarchie des facultés des animaux sensibles , afin de retrouver dans chaque cas considéré, ce que le pen- chant cité peut produire. Les observations déja exposées nous obligent à re- connaitre que , parmi les animaux dont je parle: 1.0 Les uns sont bornés au sentiment, et ne pos- sèdent l'intelligence dans aucun degré quel- conque ; 2.9 Les autres, plus perfectionnés , jouissent à-la- fois de la faculté de sentir, et de celle d’exécu- ter des actes d'intelligence dans différens degrés. Les uns et les autres , jouissant du sentiment, peu- vent donc éprouver la douleur : or, 5l est facile de faire voir que, dans ses différens degrés , la douleur .est pour eux un 77al-étre qu'ils doivent fur , et que la nécessité de fuir ce mal-ètre est la cause réelle qui donne naissance au penchant en question. | En effet, pour tout individu qui jouit de la faculté de sentir,-la souffrance, dans sa plus faible intensité, soit vague , soit particulière, produit ce qu’on nomme le mal-étre ; et ce n’est que lorsque laffec- tion éprouvée est vive où jusqu'a un certain point exaltée, qu’elle recoit le nom de douleur. de puisque, depuis le plus faible degré de la douleur , jusqu’à celui où elle est la plus vive, le mal-étre existe toujours pour l'individu qui en est affecté ; que ce mal-étre lèse ou compromet en quel- INTRODUCTION. 265 que chose l'intégrité de sa conservation, tandis que le bien-étre seul la favorise; l'individu sensible doit donc tendre sans cesse à se soustraire au mal-être , et à se procurer le bien-être ; enfin, le penchant à la conservation , qui est naturel dans tout individu doué du sentiment de son existence , recoit donc né- cessairement de cette tendance toute l'énergie qu'on Jui observe :- cela me paraît incontestable. J'avais d’abord pensé que le penchant a la pro- pagalion auquel tous les êtres sensibles paraissent assujétis , était aussi un penchant isolé, comme celui a la conservation , et qu’il constituait la source d'un autre ordre de penchans parüculiers. Mais, depuis, ayant remarqué que ce penchant est temporaire dans les individus, et qu'il est lui-même un produit de celui à la conservation, j'ai cessé de le considérer séparément, et je ne le mentionneraï que dans Vana- lyse des détails. En effet, à un certain terme du développement d’un individu , l’organisation , graduellement prépa- yée pour cet objet, amène en lui, par des excita- tions intérieures , provoquées en général par d’autres externes, le besoim d'exécuter les actes qui peuvent pourvoir à sa reproduction et par suite ; à la propa- gation de son espèce. Ce besoin produit dans cet in- dividu un mal-étre obscur, mais réel, qui lagite ; enfin, en y satisfaisant , il éprouve un bien-être émi- nent qui l'y entraine. Le penchant dont 1l s’agit est 266 INTRODUCTION. donc un véritable produit de celui à la conservation. Maintenant, pour éclaircir le sujet intéressant que je traite, je rappellerai ce que j'ai déja établi ; sa- voir : qu'il y a différens degrés dans la composition de l’organisation des animaux, ainsi que dans le nom- bre et l'émimence de leurs facultés ; et qu'il existe à l'égard de ces facultés, une véritable hiérarchie. Cela étant, je dis qu'il est facile de concevoir : 1.° Que les anmmaux assez imparfaits pour ne pas posséder la faculté de sentir, n’ont aucun penchant en eux-mêmes, soit à la conservation, soit à la propagation, et que la nature les conserve , les mul- uphe et les fait agir par des causes qui ne sont point en EUX ; 2.0 Que les animaux qui sont bornés à ne posséder que le sentiment , sans avoir aucune fa- culté d'intelligence , sont réduits à fuir la douleur sans la craindre, et n’agissent alors que pour se soustraire au mal-être lorsqu'ils l’éprouvent ; 3. Que les animaux qui jouissent à-la-fois de la faculté de sentir, et de celle de former des actes d'intelligence, non-seulement fuient la douleur et le mal-être, mais, en outre , qu'ils les craignent ; 4.9 Que l’homme, considéré seulement dans les phénomènes que l’organisation produit en lui, non- seulement fuit et craint la douleur, ainsi que le mal- être, mais , en outre, qu'il redoute la mort; parce qu'il est très-probable qu'il est le seul être intelligent INTRODUCTION. 267 qui l'ait remarquée , et qui, conséquemment, la con- naisse. Les choses me paraissant être ainsi, voici les dis- tinctions que je crois pouvoir établir à l'égard de la source des actions des différens animaux , et de celle des penchans observés dans un grand nombre de ces êtres. Animaux apathiques. Dans les animaux apathiques, c’est-a-dire, dans . les animaux qui ne jouissent point du sentiment, il n y a aucun penchant réel, pas même celui à la con- servation. Tout penchant est nécessairement le produit d'un sentiment intérieur. Or, ne jouissant point de ce sentiment , aucun penchant ne saurait se manifester en eux. Ces animaux possèdent seulement la vie animale , ainsi que des habitudes de mouvemens et d’actions qu'ils tiennent d’excitations extérieures. Enfin , les habitudes, les mouvemens et les actions ne sont va- riés, dans ces différens animaux , que parce que les fluides étrangers qui excitent en eux la vie et les mouvemens , se sont frayés des routes diverses dans leur intérieur, conformément à l’état de leur orga- nisation et à celui de la conformation particulière de leurs corps. 268 INTRODUCTION. A l’aide de ces causes et des facultés qui sont gé- - néralement le propre de la vie, la conservation des individus pendant une durée relative à leur espèce, et leur reproduction ; sont assurées. Animaux sensibles. Dans les animaux sensibles , et que je nomme ainsi, parce qu'ils sont bornés à ne posséder que le sentiment , sans aucune faculté d'intelligence, il existe un penchant a la conservation de leur être, parce qu'ils possèdent un sentiment intérieur qui le produit et qui les fait agir lorsque des besoins le.sol- licitent. Or , comme tout besoin est un mal-être jus- qu'a ce qu'il soit satisfait , le penchant à la conserva- tion , dans ces animaux, ne se fait ressentir que tem- porairement, c’est-a-dire , qu'aux époques où des besoins se manifestent et provoquent des actions di- rectes. Ainsi, dans les animaux sensibles , le penchant à la conservation ne produit en eux qu’un penchant secondaire, celui qui les porte à fuir le 7nal-étre , lorsqu'ils Péprouvent. Ce penchant à fuir le mal-être les porte , par le sentiment intérieur : 1.0 À fuir la douleur, lorsqu'ils la ressentent ; 2.0 À chercher et saisir leur nourriture, lorsqu'ils en éprouvent le besoin ; INTRODUCTION. 269 3. À exécuter des actes de fécondation , lorsque leur organisation les y sollicite ; 4.° A rechercher des situations douces, des abris, etc. ; et s'ils se préparent des moyens favorables à leur conservation, ce n’est uniquement que par des habitudes d'actions que le besom d’évi- ter le mal-être leur a fait prendre, selon les races. | Dans les animaux sensibles, le penchant à fuir le mal-être parait être le seul produit du penchant à la conservation ; néanmoins, l'amour de soi- méme existe déja ; mais il se confond encore avec le pre- mier, et ce n’est que dans les animaux suivans qu'il devient distinct. Animaux intelligens. Je nomme animaux intelligens, ceux qui, plus perfectionnés que les animaux sensibles, jouissent a-la-fois de la faculté de sentir et de celle d'exécuter des actes d'intelligence dans certains degrés. Dans ces animaux, le penchant à la conservation ne se borne pas seulement à produire un seul pen- chant secondaire distinct, celui de fuir le mal-être et la douleur ; lintelligence qu’ils possèdent , quoi- que plus ou moins limitée , selon les races et leurs classes , leur donne une idée de la douleur et du mal- être, les porte à les craindre , à en prévoir la pos- 270 ._ INTRODUCTION. sibilité, et leur fournit en même temps des moyens variés pour les éviter et pour s’y soustraire. Il en ré- sulte que ces mêmes animaux peuvent varier leurs actions , et qu’en effet , différens individus de la même espèce parviennent souvent à satisfaire leurs besoins par des actions qui ne sont pas constamment les mé- mes, ainsi qu’on le remarque dans les animaux sen- sibles. Malgré cela, j'ai observé que les animaux mêmes dont l’organisation approche le plus de celle de lhom- me, et qui, par là, peuvent atteindre à un plus haut degré d'intelligence que les autres, n’acquièrent, en général, qu'un petit nombre d'idées, et ne tendent nullement à en augmenter le cercle. Ce n’est que par les difficultés qu'ils rencontrent dans l’exécution de leurs actions directes, que se trouvant alors forcés d’en produire de nouvelles et d’indirectes pour parve- nir aleurs fins, ces animaux portent leur attention sur de nouveaux objets, augmentent le nombre de leurs idées , et varient d’autant plus leurs actions que les difficultés qui les y contraignent , sont plus grandes et plus nombreuses. Par cet état de choses à leur égard , les penchans secondaires de ces animaux sont au nombre de trois, et se montrent très-distincts; en voici l'indication : Le penchant à la conservation, source de tous les autres, produit dans les animaux intelligens : 1. Une tendance vers le bien-être; INTRODUCTION. 271 2.0 Un amour de soi-même ; 3.2 Un penchant à dominer. Pour analyser succinctement et successivement chacun de ces penchans secondaires et montrer leurs sous-divisions, voici ce que j'apercois. T'endance vers le bien-étre. La tendance vers le bien-étre est d’un degré plus élevé que celle qui ne porte à fuir le mal-être que dans le cas seulement où on l’éprouve ; cette der- nière n'en supposant point l’idée ou la connaissance. Ainsi, par leur sentiment intérieur , les animaux intelligens sont constamment entraînés vers la re- cherche du bien-étre, c’est-à-dire , à fur ou éviter le mal-être, et à se procurer les jouissances qu'ils éprouvent en satisfaisant à leurs besoins. Ils n’ont point d’attachement à la vie, parce qu'ils ne la con- naissent point ; ils ne craignent point la mort, parce qu'ils ne l'ont pas remarquée, et qu’à la vue d’un cadavre , 1ls n'ont pas remonté, par la pensée , jus- qu'aux causes qui l’ont privé de vie et de mouvement; mais ils ont tous une tendance vers le bien-étre, parce. qu'ils ont joui , et prévoient le danger d’être expo- sés au mal-être, parce qu’ils ont supporté des pri- vations ou des souffrances dans quelques degrés. On sait assez que le lièvre qui apercoit un chasseur , que 272 INTRODUCTION. l'oiseau qui s'envole à l’approche d’un homme por- tant une arme à feu, fuient alors le danger d’éprou- ver le mal-être ou la douleur , avant de le ressentir. La tendance vers le bien-être porte donc'les ani- maux intelligens : | * Par le sentiment interieur seul : 1.0 À se soustraire à la douleur et à tout ce qui les gène ou les incommode ; - 2.0 À rechercher les situations douces, avanta- geuses , les abris et le soleil dans les temps froids , l'ombre et le frais dans les temps chauds, etc., etc. ; 3.0 A sausfaire le besoin de se nourrir, quelque- fois même avec voracité , soit par l'attrait qu'ils y trouvent, soit par l'inquiétude de manquer ensuite d’alimens ; 4. À se livrer aux actes de la fécondation , ou à en rechercher avec ardeur les occasions, lorsque leurs besoins provoqués les y sollicitent ; 5e À prendre du repos et sommeiller , lorsque leurs autres besoins sont sausfaits. **_ Par l'intelligence , stimulée par leur sen- timent intérieur : 1.0 À chasser la proie, la guetter avec patience, lui tendre des piéges ; INTRODUCTION. 273 ! 2.0 À employer des moyens nouveaux et variés, selon les circonstances, pour satisfaire chacun de leurs besoins ; 3.0 À la poltronnerie ou à la lâcheté , lorsqu'ils sont fables , par suite d’une crainte excessive de la douleur ; 4. À se préserver des dangers au moyen de dif- férentes ruses. Amour de soi-méme. L'amour de soi-même se manifeste, dans les ani- maux intelhgens, par un égoïsme individuel qui se fait souvent remarquer en eux ; il les porte: * Par Le sentiment interieur seul : 1.0 À ne donner leur attention qu'aux objets re- laufs à leurs besoins; ce qui borne, en géné- . ral, leurs idées à un très-petit nombre; 2.2 À semparer de la proie des autres, s’ils sont les plus forts ; 3.2 À chasser ou combattre les autres animaux qui approchent de leur femelle ou de celle qu'ils convoitent ; 4. À se préférer à tout autre , lorsqu'il s’agit de se procurer la jouissance d’un avantage quel- conque. Tome I. 18 274 INTRODUCTION. ** Par l'intelligence , et a-la-fois par le sen- timent interieur : 1.° À l’attachement pour leur bienfaiteur ; par un sentiment d'intérêt individuel; attachement qu'ils * lui témoignent par leur confiance, leur dou- ceur, leurs caresses, leur fidélité, et en conser- vant le souvenir de ses bienfaits ; 2.0 À la jalousie envers les autres animaux et sur- tout envers ceux qui approchent leur bienfai- teur ou leur maître, lorsqu'ils en sont bien traités et qu'ils sont heureux ; considérant en quelque sorte ce maitre comme une propriété qu'ils possèdent ; 3.0 A la haine envers ceux qui leur ont nui ou les ont maltraités ; haine qu'ils témoignent quel- quefois par des vengeances retardées. Penchant à dominer. Enfin, le penchant a dominer , troisième et der- nier de leurs penchans secondaires , se montre claï- rement dans les animaux dont il s’agit , et les porte: * Par Le sentiment interieur seul : 1. À quereller, chasser ou combattre lés autres, lorsqu'ils sont les plus forts ou qu'ils se croient soutenus ; INTRODUCTION. 279 2.0 À poursuivre et attaquer ceux qui fuient; à battre et même tuer ceux qu'une grande fai- blesse , un accident ou une blessure , ont mis hors d’état de se défendre ; et le tout , sans autre besom à satisfaire que le penchant en question. ** Par Le sentiment intérieur et l'intelligence : 1.0 À Îa fierté, et même à une espèce de vanité qu'ils témoignent par leur port et leur regard, lorsqu'ils se trouvent bien traités, bien nour- ris, et dans un état de bien-être habituel ; 2.0 À une espèce de mépris et de haine pour les autres individus malheureux ; pour ceux qui ont un aspect misérable, pour ceux qui sont sans puissance , sans autorité, etc. , etc. S'il n’était entré dans mon plan de resserrer le plus possible l'étendue de cette cinquième parue, j'aurais ajouté à ces expositions les faits connus et celles de mes observations qui établissent le fonde- ment des penchans que j'attribue à beaucoup d’a- nimaux ; mais 1] me suffit de montrer que ces pen- chans sont évidens et peuvent être facilement cons- tatés. Ainsi, lorsque l’on voudra s'occuper de ces objets , 1l sera difficile de ne pas reconnaitre : 1.0 Que les animaux apathiques n’ont et ne sau- raient avoir aucune sorte de penchant par eux-mêmes, parce qu’ils ne possèdent aucun sentiment intérieur ; ne | 276 INTRODUCTION. À 2.° Que les animaux sensibles n'ont qu'un où deux penthans secondaires; parce que ces animaux,» dépourvus de facultés d'intelligence , ne sauraient varier Jeurs actions, et qu'ils n’ont que des habi= tudes qui sont constamment les mêmes dans tous Les individus des mêmes espèces ; x | 3.° Que les animaux intelligens ont trois pen chans secondaires assez distincts, qui se sous-divisent en plusieurs autres ; parce qu'ayant des facultés d'in= telligence , ils peuvent varier leurs actions, lorsque des difficultés , pour satisfaire à leurs besoins , les y contraignent. Néanmoins, l'analyse des penchans , soit des ani- maux sensibles , soit des animaux intelligens, est nécessairement très-bornée ; car les besoins essen= tiels des uns et des autres ne sont pas nombreuxÿ et comme les plus perfectionnés de ces animaux ne donnent leur attention qu'aux objets relatifs à leurs besoins essentiels, ils n’acquièrent, en général, qu'un petit nombre d'idées, et ne sauraient offrir beaucoup de diversité dans leurs penchans. Il n’en est pas de même de l’homme, vivant en société : tendant toujours à étendre ses jouissances et ses desirs , 1l s’est créé peu-à-peu une multitude de besoins divers, étrangers à ceux qui lui étaient essentiels. Enfin , observant tout ce qui peut lui être utile, tout ce qui est relatif à ses nombreux intérêts, INTRODUCTION. 2777 à ses jouissances varices et croissantes, il a multi- plié, par là, ses idées presqu’a l'infini. Il en est ré- sulté que ses penchans, les mêmes dans leur source que ceux des animaux sensibles et des animaux in- telligens , offrent, non dans tous les individus, mais en raison des circonstances où chacun d’eux se ren- contre , une diversité et des sous-divisions presque sans terme. Essayons, cependant, d'exposer les principaux des penchans de l’homme , de montrer leur véritable source , et d'établir les bases de leur hiérarchie, c'est-a-dire, les premières divisions sur lesquelles cette dernière repose. $ IT. Source des penchans, des passions et de la plupart des actions de l'homme. L'homme ne doit pas se borner à observer tout ce qui est hors de lui, tout ce qu’il peut apercevoir dans la nature; il doit aussi porter son attention sur lui- même , sur son organisation, sur ses facultés , ses penchans, ses rapports avec tout ce qui l’environne. Au moins, par une parte de son être, 1l tient tout-a-fait à la nature, et se trouve, par là, entière- ment assujéti à ses lois. Elle lui donne , par celles qui régissent son sentiment intérieur , des penchans généraux et d’autres plus particuliers. Il ne saurait 278 INTRODUCTION. entièrement surmonter les premiers ; mais, à l’aide de sa raison et de son intérêt bien saisi , il peut soit modifer , soit diriger convenablement les autres. Enfin, ceux de ses penchans auxquels il se laisse aller entièrement , se changent alors en passions qui le subjuguent , et qui dirigent malgré lui toutes ses actions. À mesure que l’homme s’est répandu dans les dif= férentes contrées du globe, qu'il sy est multiplié, qu'il s'est établi en société avec sés semblables, en fin , quil fit des progrès en civilisation , ses jouis* sances, ses desirs , ét, par suite, ses besoins, s'ac=+ crurent et se muluplièrent singuhèrement ; ses rap= ports avec les autres individus et avec la société dont il faisait partie, varièrent, en outre, et comphquerenk considérablement ses intérêts imdividuels. Alors, les penchans qu'il üent de la nature, se Re de plus en plus comme ses nouveaux besoins , par= vinrent à former en lui et à son insu, une masse énorme de liens qui le maitrisent Presque parie ñ sans qu'il s'en apercoive. Il est facile de concevoir que ces penchans particu- liers et ces intérêts individuels si variés , se trouvant presque toujours en opposition avec ceux des autres individus ; et que les intérêts des individus devant toujours céder à ceux de la société ; ilen résulte né- _Cessairement un conflit de puissances contraires , auquel les lois, les devoirs de tout genre , les con- INTRODUCTION. 270 venances établies par l'opinion régnante , et la mo- rale même , opposent une digue trop souvent msuf- fisante. Sans doute, l’homme naît sans idées, sans lumières, ne possédant alors qu’un sentiment intérieur et des penchans généraux qu tendent machinalement à s'exercer. Ce n’est qu'avec le temps et par l'éducation, l'expérience, et les circonstances dans lesquelles 1l se rencontre , qu'il acquiert des idées et des connais- sances. Or, par leur situation et la condition où ils se trouvent dans la société, les hommes n’acquérant des idées et des lumières que très-inégalement, l’on sent que celui d’entr'eux qui parvient à en avoir da- vantage , en obtient des moyens pour dominer les autres ; et lon sait qu'il ne manque jamais de le faire. Mais , parmi les hommes qui ont acquis beaucoup d'idées et qui ont beaucoup fréquenté la société de leurs semblables , le conflit d'intérêt, dont j'ai parlé tout-àa-l’heure , a fait faire à un grand nombre d’en- tr'eux des efforts habituels pour contraindre leur sentiment intérieur , pour en cacher les impressions, et a fini par leur donner le pouvoir et habitude de le maitriser. L’on concoit , dès lors , combien ces in- dividus lemportent en moyens de domination et de succès , dans leurs entreprises à cet égard , sur ceux qui ont conservé plus de candeur. Aussi, pour ceux 260 INTRODUCTION. qui savent étudier l’homme , il est curieux d'obser- ver la diversité des masques sous lesquels se déguise l'intérêt personnel des individus , selon leur état, leur rang , leur pouvoir , etc. | Tel est le sommaire resserré des causes générales qui ont amené l’homme civilisé à V'état où nous le voyons maintenant en Europe; état où, malgré les lumières acquises et même par elles, le plus fable. en moyens se trouve toujours victime ou dupe de celui qui en possède davantage ; état, enfin , qui as- servit toujours l'immense multitude à la domination d’une minorité puissante: Dans cet état de choses , une seule voie peut nous aider à tirer de notre situation particuhère , le parti le plus avantageux pour nous; c’est, selon mot, la suivante. Nous étant fait, d’après la raison, la justice et la morale, un certain nombre de principes dont. nous ne devons jamais dévier , nous devons ensuite nous eflorcer de reconnaître les penchans que. l’omme a recus de la nature, et étudier leurs diffé- rens produits ; dans les individus de son espèce, selon les circonstances où chacun d’eux se trouve. Gette connaissance nous sera d’une grande utilité dans nos relations avec eux. Ainsi , pour diriger notre conduite avec le moins de désavantage à l’égard des hommes avec qui nous sommes forcés de vivre ou d’avoir des rapports, nous nous trouverons obligés de les étudier, de re- INTRODUCTION. 281 monter , autant qu'il est possible, à la source de leurs actions , et de tâcher de reconnaître la nature de celles qu’ils doivent exécuter selon les différentes circonstances de leur sexe , de leur âge , de leur si- tuation, de leur état, de leur fortune ou de leur pou- voir ; nous devrgns même considérer, qu’à mesure qu'ils changent d'âge , de situation , d’état, de fortune ou de pouvoir , ils changent aussi constamment dans leur manière de sentir , d'envisager les objets , de ju- ger les choses, et qu'il en résulte toujours pour eux des influences proportionnelles qui régissent leurs actions. Mais , dans cette étude si difficile, comment parve- nir à notre but, si nous ne connaissons point la part considérable qu'ont , sur toutes les actions de l'hom- me , les penchans que la nature lui a donnés ! C’est parce que cette connaissance essentielle m’a paru beaucoup trop négligée , que je vais essayer d'en esquisser les bases d’une manière extrémement succincte. D'ailleurs , les objets que je vais considé- rer , ayant été envisagés jusqu'a présent comme for- : mant l’unique domaine du moraliste ; la part évi- dente qui, à l'égard de ces objets, appartient au naturaliste, ne fut point suffisamment reconnue. Or , c'est cette part seule que jé revendique ; et qui m'autorise à présenter les bases suivantes de l'analyse à faire des penchans de l’homme dans l’état de civi- hsation. | 282 INTRODUCTION. Principaux penchans de l'homme, rap- portés à leur source, donnant naissance à ses passions lorsqu'il s'y abandonne , el devant servir de base à l'analyse à Jaire de tous ceux qu'on observe en lui. L'homme , comme tous les autres êtres sensibles, jouissant d’un sentiment intérieur qui, par les émo- tons qu'il peut éprouver, le fait agir immédiatement et machinalement, c’est-à-dire, sans la participation de sa pensée, a aussi recu de la nature, par cette voie, un penchant impérieux qui est la source de tous ceux auxquels on le voit, en général, assujéti. Ce sentiment interne qui lentraine sans qu'il s’en apercoive , est : | Le penchant a La conservation. Le penchant à la conservation de son être est, pour tout individu doué du sentiment de son exis- tence, le plus puissant, le plus général et le moins sus— ceptible de s’altérer.Or, ce penchant en produit quatre autres qui sont pareillement communs à tous les in- dividus de l'espèce humaine, qui agissent comme lui sans discontinuité, et qui subissent le moms de -changemens dans le cours de la vie. Maïs, ceux-ci donnent lieu à une énorme diversité de penchans par- INTRODUCTION. 283 ticuliers, subordonnés les uns aux autres, et dont l'enchainement hiérarchique, dans l’homme, est si difficile à saisir. Le penchant à la conservation dont il s’agit , ne saurait nous nuire en rien par lui-même; il ne peut, au contraire, que nous étre utile, Ce n'est qu'a l'égard de ceux qu'il fait naître en nous, selon les circonstances, que nous devons nous ef- forcer de reconnaitre , parmi ces derniers, ceux qui peuvent nous entrainer à des écarts nuisibles à nos vrais intérêts, et tâcher de les maîtriser, et de les diriger vers ce qui peut nous être avantageux. Il n'est pas d'un mtérêt médiocre pour nous, de considérer que le penchant a la conservation, auquel tout homme est assujéti , produit immédiatement et entretient en lui, en tout tems , quatre sentimens in- térnes , très-puissans, c’est-a-dire, quatre penchans secondaires qui le dominent sans qu’il s’en apercoive, et l’entraiînent à son insu, dans presque toutes ses actions , selon que les circonstances y sont favorables. L'homme n’a sur eux , par sa raison , que le pouvoir d'en modérer les effets ou de les diriger vers ses vé- ritables intérêts, Sy il parvient à les bien con- naître. Ces quatre sentimens Internes ou penchans secon- daires, qui sont généraux pour tous da mdividus de l'espèce humaine , sont: 1.° Une tendance vers le bien-êtré ; ; f 3 2. L'amour de soi-même ; 28/4 INTRODUCTION. 3.° Un penchant à dominer; 4°, Une répüugnance pour sa destruction. Je suis persuadé que c'est à ces quatre penchans secondaires qu'il faut rapporter l'énorme diversité de penchans ou de sentimens particuliers, dont l'homme ; vivant en société, offre des exemples dans ses actions, et qui prennent leur source, tantôt d’un seul des quatre cités , tantôt de plusieurs à-la-fois. Es- sayons dereconnaitre les premiers produits des quatre penchans dont il s’agit, et nous nous y bornerons. T'endance vers Le bien-être. La tendance, vers le, bien-étre existe chez nous généralement, et concourt à notre conservation ou la favorise. En effet, non-seulement elle entraine la nécessité pour nous de fuir le-mal-être, c’est-à-dire, d'éviter la souffrance, de quelque nature et dans quelque degré qu'elle soit; mais, en outre, elle nous porte sans cesse à nous procurer l’état opposé, c’est- a-dire , le bien-étre. Or, le: bien-étre n'est pas. encore létat où Jos serait borné à n'éprouver aucune sorte de mal-étre ; cet état, .même , ne saurait exister pour l’homme , parce : que ce dernier a toujours quelque desir et par conséquent quelque besoin non satisfait. Mais le bien-étre se fait constamment ressentir en lui chaque fois qu'il obtient une jouissance quelconque; et INTRODUCTION. 285 certes, toute jouissance n'a lieu que lorsqu'on satis- fait un besom de quelque nature qu'il soit. On sait assez que, selon le degré d’exaltation. du sentiment qu'on éprouve alors, on obtient ce qu'on nomme, soit de la satisfaction, soit du plaisir. Il résulte de ces considérations que, surtout pour l’homme , le bien-étre ne saurait être un état cons- tant ; qu'il est essentiellement passager; que l’homme obtient, en un degré quelconque, dans chaque jouissance , et qu'a cet égard il le perd nécessairement dans chaque besoin entièrement satisfait; qu’il en est de même du mal-être, quel que soit son degré; que ce mal-être ne saurait avoir une durée absolue et uniforme dans un individu, parce qu'il est toujours interrompu ou en quelque sorte suspendu par quel- que genre de jouissance; qu'enfin, c’est de ces alter- natives irrégulières de bien-être et de mal-étre que se compose la destinée de l’homme, selon les circons- tances de sa situation dans la société, de ses rapports avec ses semblables, ou de son état physique et moral. | 101) Ainsi, notre tendance vers le bien-être, Cest-a- dire, vers les jouissances que nous éprouvons en satisfaisant à quelque besoin, non-seulement nous fait rechercher les sensations et les situations qui nous plaisent et qui sont l'objet de nos desirs, mais elle nous porte aussi à nous soustraire aux peines de l’es- prit, à tout ce qui nous inquiète ou afflige notre pen- 286 INTRODUCTION. sée, en un mot, à tout ce qui pourrait compromettre notre satisfaction ou notre tranquillité intérieure, et par conséquent à nous procurer l'état moral opposé; il faut donc la diviser : | 1.0 En tendance vers le bien-être physique ; 2.2 En tendance vers le bien-être moral. Tous les penchans particuliers qui sont les résul- tats de chacune de ces deux tendances, sont très- faciles à déterminer, surtout si l’on distingue, de partet d'autre, ceux qui naissent des besoins, soit donnés par la nature , soit que nous nous sommes formés, de ceux qui proviennent de lattrait que nous avons pour différentes choses , autre sorte de besoins à satisfaire. Ainsi, 1l est facile de reconnaitre que : D'une part , notre tendance vers le bien-étre physique fait naître en nous, selon les circonstances : 1 Le besoin de satisfaire la faim, la soif, lors- qu’elles se font ressentir ; de fuir la douleur , les sen- sations nuisibles ou désagréables, et tout ce qui m- commode; de nous soustraire aux souffrances , aux maladies , à tout mal-être physique; d'exécuter à la suite d’excitations intérieures provoquées, les actes qui peuvent pourvoir à la propagation des indivi- dus, etc. ; £: 2.0 L’attrait pour les sensations agréables, Îles plaisirs des sens, la volupté; d’où résultent les plai- sirs de la table, le goût pour la mollesse, les situa- a> INTRODUCTION. 287 tions douces et riantes, etc.; enfin, l'amour sen- suel, etc., etc. D'une autre part, notre tendance vers le bien- étre moral fait naître en nous : 1.° Le besoin de satisfaire tous les genres de desir qui sont à notre portée ; d'éviter les idées désa- gréables ou affligeantes et de nous y soustraire ; d'acquérir des connaissances usuelles; de maitriser nos émotions intérieures, nos penchans nuisibles; de jouir d’une satisfaction intérieure ; _ 2.0 L'attrait pour la liberté, l'indépendance ; pour les idées agréables, la variété, les merveilles ; pour les jouissances de l'esprit, de la pensée; pour des objets d'agrément de divers genres, etc., etc. Amour de soi-méme. L'amour de soi-même , ou l'intérêt personnel , est le second produit du penchant à la conservation. C’est un sentiment généralement inhérent en nous, qui concourt à notre conservation en nous la faisant aimer , et qui ne saurait nous nuire par lui-même, mais seulement par ceux de ses produits que la raison n'a pas su modérer. Pour commencer son analyse , 1] faut considérer ses résultats généraux : 1.0 Par le sentitnént intérieur seul ; 2.0 Par le sentiment intérieur et la pensée libre ; 3.0 Par le sentiment intérieur ét la pensée réglée par Ja raison. 288 INTRODUCTION. Par le sentiment intérieur seul , amour de soi- même , selon les circonstances , donne lieu : 1.0 À des mouvemens involontaires qui s'exécu- tent sans, préméditation ; tels que ces tressaillemens a un grand bruit inattendu ; ces mouvemens qui font fuir un danger subit et imminent ; ceux qui nous font détourner nombre de fois dans une rue ou une promenade remplie de monde , sans y don- ner attention ; 2.0 À des faiblesses ; telles que de la frayeur à l'approche ou l’arrivée d’un danger ; de la lâcheté dans les entreprises périlleuses; de la timidité devant tout ce qui en impose; des manies de divers genres qu’une habitude irréfléchie fait contracter ; 3.0 À des aversions ou à des affections ; savoir : à l'aversion pour tout ce qui nous nuit ou nous est contraire ; source de la haine : à l'affection , au con- traire , pour tout ce qui nous sert, nous ressemble moralement , et partage nos goûts; source de l’a- mitie. Par le sentiment intérieur et la pensée libre , c’est- à-dire , la pensée que la raison ne contraint à aucune mesure , l'amour de soi-même , selon les circons- tances , donne lieu , soit à deux sentimens désordon- nés , soit à une force d'action sans limites. Ainsi , par les voies que je viens de citer , l'amour de soi-même fait naître en nous, selon les circons- INTRODUCTION. 289 tances , les deux sentimens désordonnés suivans ; sa- VOIr : 1.0 L’amour-propre qui nous porte à être satis- faits de nos qualités personnelles , et à nous persua- der que nous inspirons aux autres une Opinion avan- tageuse de nous. | On sait assez que, parmi les produits de ce senti- ment , il faut compter celui qui nous porte à n'être Jamais mécontens de notre esprit, de notre Jugement, de notre intelligence ; celui qui fait que nous préten- dons poser la limite des connaissances où les autres peuvent parvenir, d'après celle que notre degré d’in- telligence et nos connaissances propres tracent pour nous ; celui, enfin , qui fait que nous ne cherchons dans les ouvrages des autres , que nos opinions, ou ce qui nous flatte. Parmi ces produits excessifs , on sait encore qu’il faut compter la vanité, l’ostentation, la suffisance ; l'orgueil , en un mot, l'envie envers ceux qu'un vrai mérite distingue ; 2.9 L'égoïsme qui se distingue de lamour-propre en ce que l'individu égoïste n’a aucun égard à l’opi- nion qu'on a de lui, et ne voit en tout que lui-même, et que son intérêt , presque toujours mal jugé. On sait que ce sentiment désordonné donne lieu à lavarice, à la cupidité, à la passion du jeu , etc. ; nous entraine à ne connaître d'autre justice que no- tre intérêt personnel ; à faire, au besoin ; UN accom- modement avec les principes ; et nous porte , en ou- T'ome I. 19 200 INTRODUCTION. tre , à la conservation des préventions qui sont dans notre intérêt , à l'indifférence envers tout ce qui nous est étranger , à la dureté, l’insensibihité à l'égard des peines , des souffrances et des malheurs des au- tres , etc., etc. Par les mêmes voies citées, l’amour de soi-même donne lieu , quelquefois, à une force d'action qui semble sans mesure ; telle que l'audace , la témérité même de celui qui, animé par un grand intérêt , sans examen des périls, s'y précipite aveuglément , et souvent sans nécessité. Par le sentiment intérieur et la pensée dirigée par la raison, amour de soi-même , alors parfaite- ment réglé, donne lieu à ses plus importans produits ; savoir : 1.0 À la force qui constitue l'homme laborieux , que la longueur et les difficultés d’un travail utile ne rebutent point; 2.° Au courage de celui qui, ayant la connaissance du danger , s'y expose néanmoins lorsqu'il sent “que cela est nécessaire ; 3.0 À l'amour de la sagesse. Or, ce dernier, qui seul constitue la vraie philoso- phie , disingue éminemment l’homme qui , dirigé par ce que l’observation , l'expérience , et une médi- tation habituelle lui ont fait connaître , n’emploie, dans ses actions , que ce que Ja justice et la raison lui conseillent. Ce qui le porte : INTRODUCTION: 201 1.0 À l'amour de la vérité en toute chose, et à l'acquisition de nouvelles connaissances positives et de-tout genre , afin de recufier de plus en plus ses jugemens ; - 2.° À fur partout et en tout les extrêmes ; 3.° À la modération dans ses desirs , et à une sage retenue dans ses besoins non essentiels ; _ 4.9 À la mesure dans toutes ses actions, et à l’é- joignement pour toute affectation quelconque ; 5.0 À la conservation des convenances partout ; 6. À l’'ndulgence, la tolérance , l'humanité et la bonté envers les autres ; 7.° À l'amour du bien public et de tout ce qui est utile a ses semblables ; 8.0 Au mépris de la mollesse , et à une espèce de dureté envers lui-même , qui le soustrait a cette mul- titude de besoins factices qui asservissent ceux qui s’y hvrent ; 9.2 À la résignation, et, s’il est possible , à Pim- passibilité morale dans les souffrances , les revers , les injustices , les oppressions , les pertes, etc. ; 10.° Au respect pour lordre , les institutions pu- bliques , les autorités, les lois, la morale , en un mot, la religion. La pratique de ces dix maximes caractérise la vraie philosophie, soustrait l'homme aux produits désordonnés de ses penchans, aux passions qui peuvent l’agiter , et lui donne la dignité à laquelle 292 INTRODUCTION. il est le seul , parmi les êtres intelligens , qui puisse atteindre. Penchant a dominer. Le penchant a dominer est le troisième de ceux qui résultent de notre penchant à la conservation. Il est constant et général dans tous les hommes , se manifeste même dés leur enfance, et agit sans cesse a leur insu. Ce penchant provient de ce qu'ils sen- tent intérieurement que , plus ils lemportent sur les autres en quelque chose, plus aussi ils en ob- tiennent de moyens pour favoriser leur bien-être, et pourvoir à leur conservation. Le penchant dont il s'agit est le plus énergique de ceux que nous tenons de la nature, et développe plus ou moins ses produits selon que la destinée de l'individu et les diverses circonstances de la situation où il se trouve dans la société, y sont plus ou moins favorables. En effet, l’infortune, l'oppression et la servitude habituelle , l’éteignent en grande partie dans le commun des hommes ; tandis que le bon- heur et les succes constans accroissent alors consi- dérablement son énergie. De la vient que son acti- vité est extrême dans l’homme à qui tout prospère; et qu'au contraire, la bonté , l'humanité , la modé- ration, la sagesse même, ne se rencontrent guère que dans celui qui a beaucoup souffert de l'injustice des autres. INTRODUCTION. 203 C'est ce penchant à dominer , en un mot, à l’em- porter en quelque chose sur les autres, qui produit dans l’homme cette agitation sourde et générale , qui ne lui permet point d’être entièrement satisfait de son sort ; agitation qui devient d’autant plus active qu’il a plus d'idées, et que son intelligence a recu plus de développement , parce qu'il s'irrite alors continuelle- ment des obstacles que son penchant rencontre de toutes parts. On sait assez que nul n’est content de sa fortune : quelle qu’elle soit ; que nul ne l’est pareïllement de son pouvoir ; et même que l'homme qui déchoit dans ces objets, est toujours plus malheureux que celui qui n'avance point. Enfin, l’on sait que toute uni- formité de situation physique et morale qu’un travail soutenu ne détruit point, bornant nécessairement notre tendance intérieure ; cette umiformité , dis-je, amène en nous ce vide, ce mal-être obscur et moral qu'on nomme ennui, et nous fait du changement un besoin insatiable , source de notre attrait pour la di- versile. Ce même penchant nous porte donc continuelle- ment à augmenter nos moyens de domination; et nous ne manquons jamais de l'exercer, soit par le pouvoir , soit par la richesse, soit par la considéra- tion , soit, enfin, par des distinctions d’un genre ou d'un ordre quelconque, toutes les fois que nous en trouvons l’occasion. 294 INTRODUCTION. Dans les actions de l'homme , le penchant x domi ner se déguise sous une multitude infime de formes, selon les circonstances qui concernent l'individu; mais 1l est toujours assez facile de reconnaître son in- fluence, C’est ce penchant qui donne licu à l’obstination dans les disputes , à l'intolérance dans quelque genre que-ce soit, à la tyrannie envers ceux qui sont as- sujétis à notre pouvoir, quel que soit son degré, enfin, à la méchanceté et même à la cruauté, lorsque notre intérêt de domination nous paraît l'exiger. Lorsque nous ne dominons nullement , soit par le pouvoir, soit par la richesse, le penchant dont il s'agit nous porte alors à l'emporter sur les autres, au moins en quelque chose; et dans ce cas, c’est lui qui nous fait faire quelquefois des efforts extraordi- uaires pour nous distinguer dans telle ou telle partie des sciences , des lettres ou des beaux-arts. De là vient que la plupart de ceux qui dominent éminem- ment par la puissance ou la richesse |, mettent si peu d'intérêt à étendre leurs connaissances, et font de la science et des talens un cas si médiocre : ils ont, pour maîtriser les autres, une voie plus assurée, L'un des produits les plus remarquables de notre penchant à dominer est Yambition ; sentiment dont le germe est dans tous les hommes, se développe avec l’âge et par l'espérance , mais n’acquiert de vé- hémence que lorsque les circonstances y sont favo- INTRODUCTION. 209 rables. Or , l'ambition , développée et transformée en passion par des circonstances qui la favorisent , tourmente sans cesse celui qui éprouve, accroît son énergie avec le succès , et a pour caractère singulier, celui de n’être jamais satisfaite. Ce sentiment véhé- ment donne à ceux qui sy abandonnent, un desir ardent de parvenir, par tout moyen, à la fortune, aux places ou aux dignités, au crédit ou à la répu- tation, enfin, à la puissance. Sans doute, ces quatre tendances que donne l'ambition, ont rarement lieu toutes à-la-fois, mais seulement une seule ou quel- ques-unes d’entr'ellés, selon les circonstances. Je n’entreprendrai point d'analyser ici les divers genres d'efforts, les voies et les moyens que le pen- chant à dominer , et que l'ambition qui en est le résultat , font employer aux différens individus , dans cette multitude de situations où leur position parti- culière dans la société les a placés ; ils sont assez connus. # Répugnance pour sa destruction. Le quatrième et dernier produit du penchant à la conservation, est ce sentiment intérieur et naturel qui donne à l'homme une répugnance ou une aver- sion constante pour la destruction de son étre. Ce sentiment, que l’homme seul possède , et qui lui est général , parce que , très-probablemeit, il est le seul 296 INTRODUCTION. être intelligent qui connaisse la mort, me parait la: source de Pespoir qu'il a concu d’une autre exis- tence sans terme , qui doit succéder pour lui à la première ; et peut-être une suggestion intime l’aver- ut-elle que cet espoir est fondé. Or, l’homme ayant su s'élever jusqu'a l’ÈTRE SUPRÈME , par sa pensée, à l’aide de l'observation de la nature, ou par d’autres voies , cette grande pensée a étayé son espérance, et lui a inspiré des sentimens religieux, amsi que les devoirs qu'ils lui imposent. Je ne montrerai point comment ces sentimens religieux peuvent être modifiés par certains de ces penchans naturels qui, trop souvent , maïtrisent l'homme dans ses actions; ni comment le fanatisme et l'intolérance religieuse , qui diffèrent si considé- rablement de la vraie piété , peuvent résulter de son penchant à la domination. Ce qui précède doit suf- fire pour l’éclaircissement de ces objets. Ayant indiqué le produit de la répugnance de l’homme pour sa destruction , la , doit se borner tout ce qui est du ressort du naturaliste , ainsi que tout ce qu'il peut rapporter à la nature ; mais, comme je lai dit, cette source de l'espoir de l’homme n'ex- clut point d’autres voies qui ont pu l’éclairer sur un sujet si important pour lui. Ici, se termine l'exposé succinct que j'ai entre- pris de faire des penchans de l’homme , rapportés à leur source, et qu'il tient évidemment de son orga- INTRODUCTION. 207 nisation. Ce n’est, sans doute, qu’une esquisse très- imparfaite du sujet que je me suis proposé de trai- ter; mais elle suffit à l’objet que j'avais en vue, et se trouve fondée sur des principes incontestables. Comme naturaliste, je crois avoir rempli ma tâche; et je le devais, parce qu’elle complette les consi- dérations qui font connaître les produits de l’orga- nisation. Mais, celle de l’homme, profond obser- vateur de ses semblables , de leurs penchans , variés selon les circonstances où ils se trouvent, enfin , des passions qui trop souvent les maîtrisent, lorsqu'ils ne se sont point exercés à les dominer, celle-là , dis-je , reste encore toute entière à remplir. En eflet, il s'agit, en cela, de pénétrer dans les détails des dernières divisions ; d’assigner les compli- cations de causes qui déterminent tant d'actions que l'on observe ; en un mot, de saisir et faire connaître cette multitude de nuances délicates, dans les causes agissantes qui font varier de tant de manières les ac- üuons observées. La diversité des goûts, des penchans , des desirs, et même des passions , dont les individus de l’espèce humaine offrent des exemples, est si grande , que ceux qui ont voulu étudier le cœur de l’homme , en sonder la profondeur , pénétrer dans tous ses replis, l'ont regardé comme un dédale immense dans lequel il était bien difficile de ne point s’égarer. Je ne prétends pas avoir dénoué complétement ce 298 INTRODUCTION. nœud gordien ; mais j'ai tenté d'introduire quelque ordre dans l'étude de ce grand sujet, et je crois avoir montré les principales causes de nos penchans , et même de nos passions; enfin, selon mes aperçus, j'ai essayé d'établir les bases d’après lesquelles le défri- chement de ce vaste champ d’étude doit être opéré. Ainsi , lorsque je considère l’homme , seulement sous le rapport de son organisation et des lois de la nature, je vois qu'il est , comme les animaux sensi- bles , assujeti, dans ses actions, aux influences puis- santes d’une cause première , d’où dérivent ses pen- chans divers, ainsi que ses passions ; et, en effet , en remontant à cette source, je reconnais qu'il n’est presqu’aucune des actions de l’homine qui ne puisse y être rapportée. ; Je vois ensuite que , si, connaissant la cause pre- mière de ses penchans , et la hiérarchie de celles qui y sont subordonnées , lon prend la peine de consi- -dérer , dans un individu quelconque , son sexe, son âge, sa constitution physique, son état, sa fortune , les changemens importans que cette dernière a pu tout-a-coup subir, en un mot, les circonstances par- ticulières dans lesquelles cet individu se rencontre, il sera possible de prévoir , en général , la nature des actions qu'il exécutera dans les cas qui peuvent nous intéresser. Ce qui mérite surtout d’être remarqué!, c'est que homme est , de tous les êtres intelligens , celui sur INTRODUCTION. 209 lequel l'influence des circonstances paraît exercer le plus de pouvoir ; ee qui est cause qu'il offre, dans ses qualités , ou sa manière d’être, les différences les plus considérables , relativement aux individus de son es- pèce. On ne saurait croire jusqu’à quel point cettein- fluence le modifie dans son mtelligence , sa manière de voir, de sentir, de juger , et même dans ses pen- chans. | En effet, la situation des individus dans la société, quelle qu’elle soit, et par conséquent les circonstances qui concernent leurs habitudes, leurs travaux, leur état, leur fortune , leur naissance, leurs dignités, Jeur pouvoir, etc., offrant une diversité presqu'infi- nie ; 1] y en a aussi une si grande dans leurs qualités particulières , qu’en considérant les extrêmes, on trouve une différence immense entre un homme et un autre. C’est à cette cause, amenée par la civili- -sation , qu'est dû ce défaut d'unité qu’on observe à l'égard des individus de l’espèce humame, quoique, dans tous, le type général de l’orgamisation soit le méme. Ainsi, l’on peut dire que , de tous les êtres intel- ligens , l’homme est celui qui présente, parmi les in- dividus de son espèce : Tantôt , sous le rapport de l'intelligence , soit Yétre le plus ignorant , le plus pauvre en idées , le plus stupide , le plus grossier , le plus vil, et quel- quefois , même , se trouvant présqu’au-dessous de » 300 INTRODUCTION. l'animal à cet égard ; soit l'être le plus spirituel, le plus solide en jugement , le plus riche en idées et en connaissances , enfin , celui dont le génie vaste atteint jusqu'a la sublimité ; | Et tantôt, sous le rapport du sentiment, soit l'être le plus humain , le plus aimant , le plus bienfaisant , le plus sensible , le plus juste; soit le plus dur , le plus injuste , le plus méchant , le plus cruel , surpas- sant même en méchanceté les animaux les plus fé- roces. | Le propre des circonstances dans lesquelles se trouvent les individus , dans une société quelconque, est donc de donner lieu à une diversité d’autant plus grande dans leurs pensées , leurs sentimens, leurs moyens et leurs actions , que lintelligence de ces in- dividus a été plus ou moins exercée , et par suite, plus ou moins développée. Le développement de son intelligence, est , sans doute , pour l’homme , d’un très-grand avantage ; mais l’extrême inégalité que la civilisation produit nécessairement dans celui des différens individus , De saurait être favorable au bonheur général. On en trouve la cause dans le fait suivant bien observé. Plus lintelligence est développée dans un individu, plus 1l en obtient de moyens, et plus, en général, il en profite pour se livrer avec succès à ses penchans. Or, les plus énergiques de ces penchans , tels que l'amour de soi-méme et surtout celui de la domna- | INTRODUCTION. 3o1 tion , se trouvant favorisés par un plus grand déve- loppement d'intelligence , lon peut juger de l’éten- due de leurs produits, d’après le degré de puissance que cet individu possède dans la société. Cependant, que l’on ne s’y trompe pas, ainsi qu’un célèbre auteur ; si, sous certains rapports , l’intelli- gence très-développée fournit à ceux qui la possè- dent, de grands moyens pour abuser, dominer ; maitriser ;, et trop souvent pour opprimer les autres ; ce qui semblerait rendre cette faculté plus nuisible qu'utile au bonheur général de toute société ; puisque la civilisation entraine une immense inégalité de lu- mères entre les individus ; sous d’autres rapports , cette même intelligence , dans un haut degré, favo- rise et fortifie la raison , fait mettre à profit l'expé- rience, en un mot, conduit à la vraie philosophie, et sous ce point de vue, dédommage amplement ceux qui en jouissent. Ainsi, l'on peut dire qu’elle est toujours très-avantageuse aux individus qui en sont doués. Mais la multitude qui ne saurait en posséder une semblable , en souffre nécessairement. Ce n’est donc que l'inégalité des lumières entre les hommes qui leur est nuisible , et non les lumières elles- mêmes. Au moral , comme au physique, le plus fort abuse presque toujours de ses moyers au détriment du plus faible : tel est le produit des penchans natu- _ rels qu'une forte raison ne modère pas. 302 INTRODUCTION. D'après ce qui vient d'être exposé, je crois qu'il sera facile de reconnaitre pourquoi , parmi les diffé- rens modes de gouvernement, ceux qui sont les plus favorables au bonheur des nations sont si difficiles à établir; pourquoi lon voit presque toujours une lutte plus où moins grande entre les gouvernans qui la plu- part tendent au pouvoir arbitraire, et les gouvernés qui s'efforcent de se soustraire à ce pouvoir; enfin, pour- quoi cette portion de la liberté individuelle ; qui est compatible avec l'institution et l'exécution des bonnes lois, éprouve tant d'obstacles pour être obtenue, et ne peut long-temps se conserver Jà où l’on a pu Pob- tenir. Deux hommes celebres. mais sous des rapports bien différens, ont adressé des maximes aux souve- rains : lun, pour la félicité des peuples ; l’autre, au profit du pouvoir arbitraire. Que lon compare le nombre des prosélites qu'a faits le premier , avec celui du second, et lon jugera de l'influence des causes que J'ai indiquées | Ainsi, cet ordre de choses , que l’on voit partout, tient à la nature de l’homme ; et, quoi que l’on fasse, sera toujours ce qu'il est. Le naturel de l’homme ne s’efface jamais entièrement, quoiqu'a l’aide de la rai- son il puisse être jusqu'a un certain point modifié. Quel que: soit le système de société dans léquel 1! vit, l'homme étant, de tous les êtres intelligens, celui qui a le plus de penchans naturels et le plus INTRODUCTION. 303 de moyens pour varier ses actions ; on peut assurer qu'il sera toujours agité, regrettant le passé, jamais satisfait du présent, fondant -continuellement son bonheur sur l'avenir , et difficilement ou imcompléte- ment heureux, surtout si une forte raison, cest-a- dire , la philosophie, ne vient à son secours. Je m'arrête la : le développement des objets qui viennent d’être cités, m’éloignerait du but que je me propose d'atteindre. Passons maintenant à un sujet plus élevé et plus grave encore que ceux dont nous nous sommes oc- cupés jusqu'ici, et qui est indispensable pour com- pléter la liaison de tout ce que nous avons exposé, même à l'égard des animaux ; passons à l’objet qui devrait le plus intéresser le naturaliste , au plus im- portant de ceux qu'il était nécessaire de traiter dans cette Introduction ; enfin, à l’essat d’une détermi- nation de ce qu'est réellement la nature, et des idées que nous devons nous former de cette puissance à laquelle nous sommes forcés d’attribuer tant de choses, en un mot, à laquelle les animaux doivent tout ce qu'ils sont, et tout ce qu'ils possedent, 304 INTRODUCTION. RAY ARIANE AVAL LAVE UT AUVUUR AV LAVAL UE AVIAIRE SIXIÈME PARTIE. De la NATURE, ou de la puissance, en quelque sorte mécanique, qui a donné l'existence aux animaux , et qui les a faits nécessairement ce qu ils sont. L importe maintenant de montrer qu'il existe des puissances particulières qui ne sont point des intelli- gences,. qui ne sont pas même des êtres individuels, qui n’agissent que par nécessité , et qui ne peuvent faire autre chose que ce qu’elles font. Or, si, selon l'expression des naturalistes , les animaux font par- tie des productions de la nature ; voyons d’abord si ce qu'on nomme la nature ne serait pas une de ces puissances particulières dont je viens de parler. Nous examinerons ensuite ce que peut être cette puissance singulière , capable de donner l'existence à des êtres aussi admirables que ceux dont il s’agit ! Cependant , la première pensée qui se présente lorsque nous examinons cette question : quelle est l'origine immédiate de l'existence des animaux ? est INTRODUCTION. 305 d'attribuer cette existence à une puissance intelligente et sans bornes , qui les a faits, tous àa-la-fois, ce qu’ils sont chacun dans leur espèce. Cette pensée, très-juste au fond, prononce néan- moins sur la question du mode d'exécution de la volonté supérieure, avant de savoir ce que l’obser- vation peut nous apprendre à cet égard. Comme les faits observés et constatés sont des objets plus positifs que nos raisonnemens , ces faits nous forcent main- tenant de nous décider entre les deux questions sui- vantes : La puissance intelligente et sans bornes qui a fait exister tous les êtres physiques que nous observons k les a-t-elle créés immédiatement et simultanément ; ou n’a-t-elle pas établi un ordre de choses, consti- tuant une puissance particulière et dépendante, mais capable de donner successivement l'existence à tant d'êtres divers ? À l'égard de ces deux modes d'exécution de la volonté supréme, ne supposant pas même la possi- bilité du second ; notre pensée, avant la connaissance des faits, se décida en faveur du premier; et l’on va voir que les apparences semblaient en étayer le fon- dement. En effet, tous les corps que nous observons, nous offrent généralement, chacun dans leur espèce, une existence ; à la vérité, plus ou moins passagère ; et même, pendant la durée de cette existence, nous Tom. I. 20 306 : INTRODUCTION. | À pa voyons en eux la possibilité ou la nécessité de subir divers chargemens. Mais aussi, tous ces corps se montrent ou se retrouvent constamment les mêmes à nos yeux, ou à-peu-près tels, dans tous les tems 5 et on les voit toujours , chacun avec les mêmes qua=" lités ou facultés , et avec la même possibilité ou la même nécessité d’éprouver des changemiens. | D’après cela, dira-t-on, comment vouloir leur” supposer une formation, pour ainsi dire, extra=w simultanée , une formation successive et dépendante en un mot, une origine particulière à chacun d'eux et dont le principe puisse être déterminable ! pour quoi ne les regarderait-on pas plutôt comme aussis anciens que la nature, comme ayant la même or: gine qu’elle-même , et que tout ce qui a eu ur commencement ? , à C’est, en effet, ce que l’on a pensé, et ce quén pensent encore beaucoup de personnes même très instruites : elles ne voient , dans toutes les espèces,” de quelque sorte qu'elles soient , inorganiques ou vivantes ; elles ne voient, dis-je, que des corps dont” l'existence leur paraît a-peu-près aussi ancienne que celle de la nature, que des corps qui, malgré les” changemens et l'existence passagère des individus; se retrouvent les mêmes dans tous les renouvellemens Or, l'existence de ces espèces , que nous revoyons! toujours à très-peu-près semblables, quoique les” corps qui en constituent les individus, changent, INTRODUCTION. 307 assent et reparaissent plus ou moins promptement, és done , disent ces mêmes personnes, le résultat d'un grand pouvoir qui y a donné lieu, d’un pou- voir, en un mot , au-dessus de toutes nos concép- Le Il doit être , effectivement, bien grand , le pouvoir qui a su donner l'existence à tous les corps, et les fare généralement ce qu'ils sont! car, si l’on observe un animal, même le plus imparfait, tel qu’un #n- are ou un polype, on est frappé d’étonnement ala vue de ce singuher corps, de son état, dé la vie qu'il possède, et des facultés qu'il en obtient; on l’est, surtout , en considérant que le corps si simple ét si frêle que je viens de citer, est non-seulement sus- ceptible de s’accroître et de se reproduire lui:même, mais qu'il a, en outre , la faculté de se mouvoir; on l'est bien davantage ensuite, à mesure que l’on 6b- serve les animaux des ordres plus relevés ; et prinei- palement lorsqu'on vient à considérer ceux qui sont lesplus parfaits; car, parmi les facultés nombreuses que possèdent ces derniers , il s’en trouve de la plus de éminence, puisque la faculté de sentir, qui déja si admirable en elle-même, est éncoré in- érieure à celle de se former des idées conservables, deles emplover à en former d’autres, en uñ mot, de omparer les objets, de juger, de penser. Gette ermére faculté surtout , est pour nous une mer- 308 INTRODUCTION. veille si grande, quil nous semble impossible la nature soit capable d'en amener la production. Si les animaux , en qui nous observons de parei le facultés, sont des machines ; assurément, ces ma chines sont bien dignes de notre Me elles doivent singulièrement nous étonner, puisque no avons tant de peine à les concevoir, et quil me. est absolument impossible de faire quelque chose qui en approche. #00 | Toutes ces considérations parurent et paraissent donc encore aux personnes dont j'ai parlé, des motifs suffisans pour penser que la zature n’est pont la cause productrice des différens corps que x connaissons ; et que ces corps, se remontrant | mêmes ( en apparence ), dans tous les tems, et avec | les mêmes qualités ou facultés, doivent être aussians | ciens que la nature, et avoir pris leur existence dans | la même cause qui lui a donné Îa sienne. S'il en est ainsi, ces corps ne doivent rien üla nature; ils ne sont point ses productions ; elle nel, peut rien sur eux ; elle n’opère rien à leur égardif. et, dans ce cas, elle n’est point une puissance; dés/} lois lui sont inutiles; enfin , le nom qu'on lui pe est un mot vide de sens , s’il n’exprime que lexiss tence des corps, et non un pouvoir particulier qui |, opère et agit immédiatement sur eux. | Mais, si nous examinons tout ce qui se passe jour nellement autour de nous, si nous recueillons sl INTRODUCTION. 309 suivons attentivement les faits que nous pouvons observer, les idées si spécieuses que je viens de citer, perdront alors de plus en plus le fondement qu’elles : avoir. En effet , nous ohservons des changemens, lents ou prompts, mais réels, dans tous les corps, selon les circonstances de leur nature et celles de leur situation ; en sorte que les uns se détériorent de plus en plus, sans jamais réparer leurs pertes et sont à la fin détruits, tandis que les autres, qui subissent sans cesse des altérations et les réparent eux-mêmes pen- dant une durée limitée , finissent aussi , néanmoins, par une destruction entière. Cependant , malgré ce dernier résultat de tout corps quelconque, nous en retrouvons constamment les mêmes sortes, les mêmes espèces, et nous les rencontrons dans tous les états, dans tous les degrés de changement. Pouvons-nous donc méconnaïitre l'existence d’un pouvoir général, toujours agissant , toujours opérant des produits’manifestes en changement , en formation ten destruction des corps! selon des circonstances vorables observées, ne voyons-nous pas nous- êmes plusieurs de ces corps se former presque sous oSyeux, tels que le soufre en certains lieux, l'alun sd'autres, le sa/pétre dans d’autresencore, etc., etc. Nos observations ne se bornent point seulement nous convaincre de l'existence d’un grand pouvoir bujours agissant, qui change, forme, détruit et A] 310 INTRODUCTION. :À renouxelle sans cesse les différens corps; elles nous. montrent, en outre, que ce pouvoir est limité, tout-a-fait dépendant , et qu'il ne saurait faire autre | chose que ce qu'il fait; car, il est partout assujéti à des lois de différens ordres qui règlent toutes ses opérations ; lois qu'il ne peut ni changer ni trans- gresser, et qui ne lui permettent jamais de vârier ses moyens dans la même circonstance. IN Non-seulement ce grand pouvoir existe; mais il | lui-même celui d'en imstituer d’autres, pareillement dépendans, moins généraux et parmi lesquels on en | connaît un qui est encore admirable dans ses pro duits. En effet, dans l’organisation , animée par la vies nous remarquons une véritable puissance qui change, qui répare, qui détruit, et qui produit des objets qui n’eussent jamais existé sans elle. Cette puissance particulière, qu'on nomme la we, et dont tous les corps vivans sont l'unique domaine, agit toujours nécessairement , selon des lois régulæ trices de tous ses actes. Nous l'avons, effectivement déjà suivie dans un grand nombre des actes qu'elle opère , nous avons même saisi plusieurs de ses lois; et nous nous sommes assurés qu’elle agit toujours, de la même manière , dans les mêmes circonstances. Mais, la puissance dont il est question , n’exerce son pouvoir que sur une seule sorte de corps; et comme! elle est le produit de la puissance générale qui la étæ A INTRODUCTION. 31I blie , elle se détruit elle-même dans chaque corps de son domaine ; tandis que l'autre subsiste toujours la même, parce qu’elle tient son existence d’une source bien différente et infiniment supérieure ! Ainsi, le pouvoir général qui embrasse dans son domaine tous les objets que nous pouvons aperce- voir, de même que ceux qui sont hors de la portée de nos observations, et qui a donné immédiatement l'existence aux végétaux , aux animaux , ainsi qu'aux autres corps, est véritablement un pouvoir limité et en quelque sorte aveugle ; un pouvoir qui n’a niim- tention, ni but, ni volonté; un pouvoir qui, quelque grand qu'il soit, ne saurait faire autre chose que ce qu'il fat; en un mot, un pouvoir qui n'existe lui- même que par la volonté d’une puissance supérieure et sans bornes, qui, l'ayant institué, est réellement Vauteur de tout ce qui en provient , enfin , de tout ce qui existe. | Le pouvoir aveugle et hmité dont il s’agit, et que nous avons tant de peine à reconnaitre, quoi- qu’il se manifeste partout, n’est point un être de raison : il existe certainement; et nous n’en saurions douter, puisque nous observons ses actes , que nous le suivons dans ses opérations, que nous voyons qu'il ne fait rien que graduellement, que nous remarquons qu'il est partout soumis à des lois, et que déja nous sommes parvenus à connaître plusieurs de celles qui le régissent. 312 INTRODUCTION. Or, ce pouvoir circonscrit, que nous avons si peu considéré, si mal étudié; ce pouvoir auquel nous attribuons presque toujours une inténtion et un but dans ses actes; ce pouvoir, enfin, qui fait toujours nécessairement les mêmes choses dans les mêmes circonstances, et qui, néanmoins, en fait tant et de si admirables, est ce que nous nommons la nature. Qu'est-ce donc que la nature ? Qu’est-elle cette puissance singulière qui fait tant de choses , et qui cependant est constamment bornée à ne faire que celles-la ? Qu’est-elle , encore, cette puissance qui ne varie ses actes qu’autant que les circonstances , dans “lesquelles elle agit, ne sont point les mêmes? Enfin, à quoi s'applique ce mot la nature , cette dénomina- tion si souvent employée, que toutes les bouches prononcent si fréquemment , et que l’on rencontre presqu'a chaque ligne dans les ouvrages des natu- ralistes, des physiciens et de tant d’autres ? Il importe assurément de fixer à la fin nos idées, sil est possible, sur une expression dont la plupart des hommes se servent communément , les uns par habitude et sans y attacher aucune idée dé- terminée, les autres en y appliquant des idées réel- lement fausses. A l'idée que l’on s'est formée d’une puissance, l’on a presque toujours associé celle d’une éntelli- gence qui dirige ses actes ; et, par suite, l'on a at- tribué à cette puissance une intention, un but: INTRODUCTION. BED une volonte. Sans doute, on ne peutnier qu'il n’en soit ainsi, à l'égard du pouvoir suprème; mais il y a aussi des puissances assujéties et bornées, qui n’agissent que nécessairement , qui ne peuvent faire autre chose que ce qu’elles font, et qui ne sont point des intel- ligences. Ce sont seulement des causes agissantes ; et même toute cause capable de produire un effet, est déja une puissance réelle; à plus forte raison celle qui en produit de nombreux et de trés-remarquables. Par exemple, tout ordre de choses, animé par un mouvement, soit épuisable, soit mépuisable, est une véritable puissance dont les actes amènent des faits ou des phénomènes quelconques. La vie, dans un corps, en qui l’ordre et l’état de choses qui s’y trouvent, lui permettent de se manifester , est assurément, comme Je l'ai dit, une véritable puissance qui donne lieu à des phénomènes nombreux; cette puissance, cependant, n’a mi but, ni intention, ne peut faire autre chose que ce qu’elle fait, et n’est elle-même qu’une cause agissante, et non un être particulier. Or, il s’agit de montrer que la nature est tout- àa-fait dans le même cas; avec cette différence que sa source est inépuisable, tandis que celle de la vie se tarit nécessairement. Sans doute, sur ce qui concerne la nature, je n’ai à dire que très-peu de choses, relativement à ce qui n’est pas encore bien connu; mais ce peu de 314 INTRODUCTION. choses est positif, puisqu'il est fondé sur les faits. Or, la connaissance de ce que je puis montrer à ce sujet doit être importante; car, elle seule peut nous aider a découvrir la source de tout ce que nous observons a l'égard des animaux et des autres corps que nous pouvons apercevoir. [Il est donc nécessaire de l’expo- ser et de fixer nos idées sur des objets que lobserva- tion nous a fait connaître. Parmi les différentes confusions d'idées auxquelles le sujet que j'ai ici en vue a donné lieu, j'en citerai deux comme principales ; savoir : celle qui consiste en ce que bien des personnes regardent comme synonymes, les mots nature et univers ; et celle qui fait penser à la plupart des hommes que la nature et son SUPRÊME AUTEUR sont pareillement synonymes. Je vais essayer de montrer que ces deux considé- rations, sont l’une et l’autre sans fondement , et commencer par réfuter la premiere. Ces deux mots, la nature et Yunivers, si souvent employés et confondus, auxquels on n’attache, en général, que des idées vagues, et sur lesquels la déternunation précise de l’idée que lon doit se for- mer de chacun d'eux, paraït une folle entreprise ‘a certaines personnes, me semblent devoir être dis- üungués dans leur sigmification; car, ils concernent des objets essentiellement différens. Or, cette dis- üunction est tellement importante que , sans elle, INTRODUCTION. 319 nous nous égarerons toujours dans nos raisonnemens sur tout ce que nous observons. Pour moi, la définition de l'univers ne peut être autre que la suivante : L'univers est l'ensemble inactif et sans puissance. qui lui soit propre, de tous les êtres physiques et passifs, c’est-a-dire , de toutes les matières et de tous les corps qui existent. C'est donc du monde ou de lunivers physique dont :l s’agit uniquement dans cette définition. Ne pouvant parler que de ce qui est à la portée de nos observations, c'est seulement de celles des parties de l'univers que nous apercevons, qu'il nous est possible de nous procurer quelques connaissances , tant sur ce que sont ces parties elles-mêmes, que sur ce qui les concerne. La, se borne tout ce que nous pouvons raison- nablement dire de l'univers. Chercher à expliquer sa formation, à déterminer tous les objets qui en- trent dans sa composition , serait assurément une folie. Nous n’en avons pas les moyens; nous n’en connaissons que très-peu de choses; nous sayons seulement que son existence est une réalité. Cependant, la matière faisant la base de toutes ses parties, je puis montrer qu'il est en lui-même inactif et sans puissance propre, et que ce que nous devons entendre par le mot la nature lui est tout-a-fait étranger. EN 04 316 INTRODUCTION. En effet, en approfondissant ce grand sujet, d’après tout ce que Jj'apercois, je crois, d’abord , pouvoir assurer, à l'égard de l'ensemble des matières et des corps qui forment l’univers physique, que cet en- semble est lui-même immutable ou indestructif, et qu'il subsistera tel qu'il est, tant que la volonté de sOn SUBLIME AUTEUR le permiettra; ensuite, j'oserai dire que ce même ensemble n’est pointet ne peut être une puissance ; qu'il ne peut avoir d'activité propre ; et que, conséquemment , 1l n en saurait avoir sur ses parties, la source de toute activité lui étant étran- gère ; enfin , je crois être fondé à dire encore que toutes les parties de l'univers physique n’ont pas plus d'activité que l’ensemble qu’elles composent, que toutes sont réellement passives, et que ce sont elles qui constituent l'unique et vaste domaine de la nature. Or, la nature ne se trouve nullement dans cette cathégorie; ce n’est, en effet, ni un corps, ni un être quelconque, ni un ensemble d’êtres, ni un composé d'objets passifs; c’est, au contraire, comme nous lallons voir, un ordre de choses particulier, constituant une véritable puissance , laquelle : est, néanmoins , assujétie dans tous ses actes. Effectivement , c’est la nature qui fait exister, non la matière, mais tous les corps dont la matière est essentiellement la base ; et comme elle n’a de pou- voir que sur cette dernière, et que son pouvoir à cet INTRODUCTION. 317 égard ne s'étend qu'a la modifier diversement, qu’à changer et varier sans cesse ses masses particulières, ses associations, ses aggrégats, ses combinaisons différentes , on peut être assuré que, relativement aux corps, c'est elle seule qui les fait ce qu’ils sont, et que c’est elle encore qui donne, aux uns, les pro- priétés, et aux autres, les facultés que nous leur observons. Qu'est-ce donc, encore une fois, que la nature ? serait-ce une intelligence ? Non, assurément, la nature n’est point une in- telligence : je vais essayer de le prouver. Mais, au- paravant, voici la définition que j'en donnerai : La nature est un ordre de choses, étranger à la matière, déterminable par lobservation des corps, et dont l’ensemble constitue une puissance inalté- rable dans son essence , assujétie dans tous ses actes, et constamment agissante sur toutes les parties de l'univers. Si l’on oppose cette définition à celle de l'univers qui n’est que l’ensemble des étres physiques et pas- sifs, c’est-a-dire, que l’ensemble de tous les corps _et de toutes les matières qui existent, on reconnaï- tra que ces deux ordres de choses sont extrêmement différens , tout-a-fait séparés, et ne doivent pas être confondus. En ayant eu, presque de tout temps, le senti- ment intime , quoique nous ne nous en SOÿOns Ja- 318 INTRODUCTION. mais rendu compte , nous ne les avons pas effective- ment confondus ; car, pressentant cet ordre inalté- rable de causes sans cesse actives, et-le distinguant des êtres passifs qui y sont assujétis, nous l'avons personnifié , à l’aide de notre imagination , sous la dénomination de la nature ; et depuis nous nous ser- vons habituellement de cette’ expression , sans fixer les idées précises que nous devons y attacher. Nous verrons dans l'instant que les objets, non physiques , dont l’ensemble constitue la nature, ne sont point des êtres, et conséquemment, ne sont n1 des corps, ni des matières; que cependant nous pou- vons les connaître ; que ce sont, même, les seuls objets , étrangers aux corps et aux matières, dont nous puissions nous procurer une connaissance positive. En effet, cette connaissance nous étant parvenue par l'observation des corps, comme on le verra tout- a-lheure, s'est trouvée à notre portée, et en notre pouvoir. Ainsi, hors de la nature, hors des corps et des matières qui peuvent se rendre sensibles à nos sens, nous ne pouvons rien observer, rien connaître d'une manière positive. Reprenons notre examen de ce qu’est réellement la nature , et sa comparaison avec les objets qui for- ment son immense domaine. Fait Si la définition que j'ai donnée de la nature est fondée , il en résulte que cette dernière n’est qu'un ensemble d'objets non physiques, c’est-à-dire, étran- INTRODUCTION. 319 gers aux parues de Funivers , et que nous n’avons connus qu’en observant les corps ; et que cet ensem- ble forme un ordre de causes toujours actives, et de moyens qui régularisent et permettent les actions de ces causes; ainsi la nature se compose : 1.0 Du mouvement , que nous ne connaissons que comme la modification d’un corps qui change de heu; qui n’est essentiel à aucune matière, à aucun corps ; et qui est cependant Imépuisable dans sa source, et se trouve répandu dans toutes les parties des corps; 2.0 De lois de tous les ordres qui, constantes et immutables , régissent tous les mouvemens, tous les changemens que subissent les corps ; et qui mettent dans l'univers, toujours changeant dans ses parties , et cependant toujours le même dans son ensemble, un ordre et une harmonie inaltérables. ‘ La puissance assujétie qui résulte de l’ordre de causes actives que je viens d'indiquer, a sans cesse à sa disposition : 1.0 L'espace, dont nous ne nous sommes formé l'idée qu’en considérant le lien des corps, soit réel, soit possible; que nous savons étré immobile, par- tout pénétrable et indéfini ; qui n’a de parties fimes que celles des lieux que remplissent les corps, enfin, que celles qui résultent de nos mesures d’après les corps et d’après les lieux que ces corps peuvent suc- cessivement occuper en se déplacant ; 2.0 Le temps ou la durée, qui n’est qu'une con- à 320 INTRODUCTION. tinuité, avec ou sans terme, soit du mouvement , soit de l'existence des choses ; et que nous ne sommes parvenus à mesurer, d’une part, qu’en considérant la succession des déplacemens d’un corps, lorsqu'étant animé d’une force uniforme, nous avons divisé en par- ties, la ligne qu'il a parcourue, ce qui nous a donné l'idée des durées finies et relatives ; et, de l’autre part, lorsque nous avons comparé les différentes durées d'existence de divers corps , en les rapportant à des durées finies et déja connues. Ainsi, l’on peut maintenant se convaincre que lor- dre de causes toujours actives qui constitue la nature, et que les moyens que cette dernière a sans cesse à sa disposition, sont des objets essentiellement distincts de l’ensemble des êtres physiques et passifs dont se compose l'univers; car , à l'égard de la nature, ni le mouvement, n1 les lois de tous les genres qui ré- gissent ses actes, n1 le temps et lespace dont elle dis- pose sans limites , ne sont le propre de la matière; et l’on sait que la matière est la base de tous les êtres physiques dont l’ensemble constitue l'univers. La définiion de l'univers physique , réduite à la simplicité qui peut la rendre convenable, en donne donc une idée exacte en montrant que la matière, et que les corps dont la matière est la base, le consti- tuent exclusivement; que, conséquemment, n1 cet univers, nl ses parties , quelles qu’elles soient, ne sauraient avoir en propre aucune activité, aucune \ » INTRODUCTION. 321 sorte de puissance. Or, ces considérations ne sont nullement applicables à la nature ; car , celles qu’elle nous présente sont tout-a-fait opposées. Il a fallu avoir observé au moins un grand nombre des changemens qui s’exécutent continuellement et partout dans les parties de l'univers , pour apercevoir, enfin, l’existence de cette puissance étendue, mais assujétie dans ses actes, qui constitue la nature ; de cette puissance essentiellement étrangère à la ma- uére et aux corps qui en sont formés, et qui produit tous les changemens que nous observons dans les dif- férentes parues de l'univers , ainsi que ceux que nous ne pouvons observer. L'on a vu que la vie , que nous remarquons dans certains COrps, ressemblait en quelque sorte à la na- ture , en ce qu’elle n’est point un être, mais un ordre de choses animé de mouvemens, qui a aussi sa puis- sance , ses facultés, et qui les exerce nécessairement, tant qu'il existe ; la vie, cependant, présente cette différence considérable qui ne permet plus de la mettre en comparaison avec la nature; c’est que, ne tenant ses moyens €t son existence que de cette dernière même, elle amène sa propre destruction ; tandis que la nature, comme tout ce qui a été créé directement, est immutable , imaltérable, et né sau- rait avoir de terme que par la volonté suprême qui seule l'a fait exister. Passons à la seconde erreur que nous avons déjà Tome I. 21 3292 INTRODUCTION. citée , en parlant des confusions d'idées auxquelles la considération de la naiure a donné lieu ; et tâächons de la détruire. | On a pensé que la nature était Dieu même : c’est, en effet, l'opinion du plus grand nombre ; et ce n’est que sous cette considération , que l’on veut bien ad- mettre que les animaux , les végétaux, etc. , sont ses productions. | Chose étrange ! l’on a confondu la montre avec l'horloger, l'ouvrage avec son auteur. Assurément, cette 1dée est inconséquente, et ne fut jamais appro- fondie. La puissance qui a créé la nature, n’a, sans doute, point de bornes, ne saurait être restreinte ou assujétie dans sa volonté, et est indépendante de toute loi. Elle seule peut changer la nature et ses lois ; elle seule peut même les anéantir ; et quoique nous n’ayons pas une Connaissance positive de ce grand objet, l'idée que nous nous sommes formée de cette puissance sans bornes, est àu moins la plus convenable de celles que l’homme ait dû se faire de la Divinité, lorsqu'il a su s'élever par la pensée jus- qu'a elle. Si la nature était une intelligence, elle pourrait vouloir, elle pourrait changer ses lois, ou plutôt elle n’aurait point de lois. Enfin, si la nature était Dieu même,, sa volonté serait indépendante, ses actes ne seraient point forcés. Mais il n’en est pas ainsi; elle est partout , au contraire, assujétie à des lois cons- INTRODUCTION. 323 tantes sur lesquelles elle n'a aucun pouvoir; en sorte que, quoique ses moyens soient infiniment di- versifiés et inépuisables , elle agit toujours de même dans chaque circonstance semblable , et ne saurait agir autrement. Sans doute, toutes les lois auxquelles la nature est assujétie, dans ses actes, ne sont que l'expression de la volonté suprême qui les a établies; mais la nature n’en est pas moins un ordre de choses particulier, qui ne saurait vouloir, qui agit que par nécessité, et qui ne peut exécuter que ce qu’il exécute. Beaucoup de personnes supposent une éme univer- selle qui dirige, vers un but qui doit étre atteint, tous les mouvemens et tous les changemens qui s’exé- cutent dans les parties de l'univers. Cette idée , renouvelée des anciens qui ne s’y bor- nalent pas, puisqu'ils attribuaient en même temps une âme particulière a chaque sorte de corps , n’est- elle pas au fond semblable à celle qui fait dire à pré- sent, que la nature n’est autre que Dieu même? Or, je viens de montrer qu'il y a ici confusion d'idées in- compatibles, et que la nature n'étant point un être, une intelligence , mais un ordre de choses partout assujéti, on ne saurait absolument la comparer en rien à l’étre supréme dont le pouvoir ne saurait être limité par aucune loi. C’est donc une véritable erreur que d'attribuer à la naiure un but, une intention quelconque dans ses 324 INTRODUCTION. opérations; et cette erreur est des plus communes parmi les naturalistes. Je remarquerai seulement que si les résultats de ses actes paraissent présenter des fins prévues, c’est parce que, dirigée partout par des lois constantes, primitivement combinées pour le but que s’est proposé son Supréme Auteur , la diver- sité des circonstances que les choses existantes lui offrent sous tous les rapports, amène des produits toujours en harmonie avec les lois qui régissent tous les genres de changement qu’elle opère; c'est aussi, parce que ses lois des derniers ordres sont dépen- dantes , et régies elles-mêmes par celles des premiers ou des supérieurs. C’est surtout dans les corps vivans, et principale - ment dans les animaux, qu’on a cru apercevoir un but aux opérations de la nature. Ce but cependant n’y est là, comme ailleurs, qu'une simple apparence et non une réalité. En effet, dans chaque orgamisation particulière de ces corps, un ordre de choses, pré- paré par les causes qui l'ont graduellement établi, n’a fait qu'amener par des développemens progres- sifs de parties, régis par les circonstances, ce qui nous paraît être un but, et ce qui n’est réellement qu’une nécessité. Les climats, les situations, les mi- lieux habités, les moyens de vivre et de pourvoir à sa conservation, en un mot, les circonstances particu- lières dans lesquelles chaque race s’est rencontrée, ont amené les habitudes de cette race; celles-ci y ont INTRODUCTION. 325 plié et approprié les organes des individus ; et il en est résulté que l'harmonie que nous remarquons partout entre l’organisation et les habitudes des ani- maux, nous parait une fin prévue, tandis qu’elle n’est qu’une fin nécessairement amenée (1). La nature n'étant point une intelligence, n'étant _pas même un être, mais un ordre de choses consti- tuant une puissance partout assujétie à des lois, la nature , dis-je, n’est donc pas Diru même. Elle est le produit sublime de sa volonté toute puissante ; et pour nous, elle est celui des objets créés le plus grand et le plus admirable. Ainsi, la volonté de Dieu est partout exprimée par lexécution des lois de la nature, puisque ces lois viennent de lui. Cette volonté néanmoins ne saurait y être bornée , la puissance dont elle émane n'ayant point de limites. Cependant, 1l n’en est pas moins très-vrai que, parmi les faits physiques et moraux, jamais nousn’avons occasion d’en observer un seul qui ne soit véritablement le résultat des lois dont il s’agit. (1) Qu'est-ce donc que ce zisus formateur dont on s’est servi pour expliquer, à l'égard des corps vivans, soit les faits généraux de développement et de variation de ces corps, soit les faits particuliers que présente l'histoire phy- sique de l’Aomme dans les variétés reconnues de son espèce; qu'est-ce, dis-je, que le z22sus formateur dont il s'agit; si ce n’est celte puissance même de la nature que je viens de signaler. 326 INTRODUCTION. Pour l’homme qui observe et réfléchit, le spec- tacle de l'univers, animé par la nature, est sans doute très-imposant, propre à émouvoir, à frapper l'imagination, et à élever l'esprit à de grandes pen- sées. Tout ce qu'il aperçoit lui paraît pénétré de mouvement , soit effectif, soit contenu par des forces en équilibre. De tous côtés, il remarque, entre les corps, des actions réciproques et diverses , des réac- tons, des déplacemens , des agitations ,des mutations de toutes les sortes, des altérations, des destructions, des formations nouvelles d'objets qui subissent à leur tour le sort d'autres semblables qui ont cessé d’exis- ter , enfin, des reproductions constantes, mais as- sujéties aux influences des circonstances qui en font varier les résultats; en un mot, 1l voit les générations passer rapidement, se succéder sans cesse, et en quelque sorte, comme on la dit : « se précipiter » dans l’abime des tems. » L’observateur dont je parle, bientôt ne doute plus que le domaine de la nature ne s’étende géné- ralement à tous les corps. Il concoit que ce domaine ne doit pas se borner aux objets qui composent le globe que nous habitons, c’est-à-dire, que la ra- ture n’est point restreinte à former, varier , muluplier, détruire et renouveler sans cesse les animaux, les végétaux , et les corps inorganiques de notre pla- nète. Ce serait, sans doute , une erreur de le croire; en s’en rapportant à cet égard à l'apparence; car le INTRODUCTION. 327 mouvement répandu partout, et ses forces agissantes, ne sont probablement nulle part dans un équilibre parfait et constant. Le domaine dont il s’agit, em- brasse donc toutes les parties de l'univers , quelles qu'elles soient; et conséquemment, les corps célestes, connus ou inconnus, subissent nécessairement les effets de la puissance de la nature. Aussi, lon est autorisé à penser que, quelque considérable que soit la lenteur des changemens qu’elle exécute dans les grands corps de l'univers, tous néanmoins y sont assujétis ; en sorte qu'aucun corps physique n'a nulle part une stabilité absolue. Ainsi, la nature , toujours agissante, toujours im- passible, renouvelant et variant toute espèce de corps, n’en préservant aucun de la destruction, nous offre une scène imposante et sans terme, et nous montre en elle une puissance particulière , qui n’agit que par nécessité. Tel est l’ensemble de choses qui constitue la nature, et dont nous sommes assurés dé l'existence par l'observation; ensemble qui n’a pu se faire exis- ter lui-même, et qui ne peut rien sur aucune de ses parties; ensemble qui se compose de causes ou de forces toujours actives, toujours régularisées par des lois, et de moyens essentiels à la possibilité de leurs acuons ; ensemble, enfin, qui donne lieu à une puissance assujétie dans tous ses actes, et néan- moins admirable dans tous ses produits. 328 INTRODUCTION. La nature reconnue , atteste elle-même son au- teur , et présente une garantie de la plus grande des pensées de l’homme, de celle qui le distingue si éminemment de ceux des autres êtres qui ne jouissent de l'intelligence que dans des degrés inférieurs, et qui ne sauraient jamais s'élever à une pensée aussi grande. Si l’on ajoute à cette vérité la suivante; savoir : que le terme de nos connaissances positives n’em- porte pas nécessatrement celui de ce qui peut exister, on aura en elles les moyens de renverser les faux raisonnemens dont l’immoralité s’autorise. Reprenons la suite des développemens qui carac- térisent la nature ; et qui montrent le vrai point de vue sous lequel on doit la considérer. Puisque la nature est une puissance qui produit 3 renouvelle, change, déplace, enfin, compose et dé- compose les différens corps qui font parte de l'uni- vers ; On concoit qu'aucun changement, qu'aucune formation, qu'aucun déplacement ne s'opère que con- formément à ses lois. Et, quoique les circonstances fassent quelquefois varier ses produits et celles des lois qui doivent être employées, c’est encore , néan- moins, par des lois de la nature que ces variations sont dirigées. Ainsi , certaines'irrégularités dans ses actes, certaines monstruosités qui semblent contra- rier sa marche ordinaire, les bouleversemens dans l’ordre des objets physiques, en un mot, les suites - INTRODUCTION. 329 trop souvent affligeantes des passions de l’homme, sont cependant le produit de ses propres lois et des circonstances qui y ont donné heu. Ne sait-on pas, d’ailleurs, que le mot de hasard n’exprime que notre ignorance des causes. À tout cela, j'ajouterai que des désordres sont sans réalité dans la nature, et que ce ne sont, au con- traire , que des faits, dans l’ordre général, les uns, peu connus de nous , et les autres, relatifs aux objets particuliers dont l'intérêt de conservation se trouve nécessairement compromis par cet ordre général. ( Phulos. zool., vol. 2, p. 465.) Qui ne sent, en effet, que, si le propre de la nature est de changer, produire, détruire , renou- veler et varier sans cesse les différens corps, ceux de ces corps qui possèdent ia faculté de sentir, de juger et de raisonner, et qui, par les lois mêmes de la nature, s'intéressent essentiellement à leur conser- vation , et à leur bien-être; ceux-la, dis-je, consi- déreront comme désordre tout ce qui compromet cette conservation et ce bien-être qui les intéressent si fortement (1). (1) On sent de là combien Folraire , dans ses questions :sur l'Encyclopédie, et les philosophes qui eurent la même opinion, se sont abusés, en supposant à Dieu, soit im- puissance, soit méchanceté , à l'égard des maux ou des dé- sordres en question; ces philosophes considérant, comme 330 INTRODUCTION. Le bien ou le mal dans l'univers n’est donc que relatif à l'intérêt particulier de chaque partie : il n’a rien de réel, soit à l'égard de l’ensemble qui cons- tue l'univers physique, soit relativement à l’ordre de choses auquel ses parties sont assujéties; car, ces deux objets sont inaltérablement ce que la puissance qui les a fait exister a voulu qu'ils fussent. S1 la nature ne peut autre chose : sur la matiere, que la modifier, qu’en déplacer, réunir, désunir et combiner des portions ; sur le mouvement , que le diversifier d’une infinité de manières différentes ou l’opposer à lui-même; sur ses propres lois , qu'em- ployer nécessairement celle qui, dans chaque cir- constance, doit régler son opération; sur l’espace, qu'en remplir et désemplir localement et temporai- rement des parties; en un mot, sur le tems , qu'en employer des portions diverses dans ses opérations ; elle peut tout, néanmoins, à laide de ces moyens, maux et comme désordres, ce qui tient essentiellement à la nature des choses, c’est-à-dire, ce qui n’est que le résultat d’un ordre général et constant de changemens, d’altérations, de destructions et de renouvellemens à l’égard des corps de tout genre. > J.-J. Rousseau réfuta Voltaire par sentiment ; mais il eût fait plus victorieusement encore , s’il eût reconnu cet ordre général institué dans les diverses parties de l'univers par le puissant AUTEUR de tout ce qui existe. INTRODUCTION. 331 et c’est elle, effectivement, qui fait tout, relativement aux différens corps et aux faits physiques que nous observons. On peut donc regarder maintenant comme une connaissance positive que, sauf les objets de création primitive, c’est-à-dire , l'existence de la matière en elle-même, celle du mouvement considéré dans son essence, celle des lois qui régissent tous les ordres de mouvement , celle, enfin, de l’espace et celle du tems qui ne peuvent être postérieures et appartenir à une autre source; tous les corps, sans exception, doivent à cet ensemble d'objets primitivement créés, à la nature , en un mot, leur existence, leur état, leurs propriétés, leurs facultés, et tous les change- mens qu'ils subissent; et que tous, enfin, sont véri- tablement ses productions. La nature , cependant, nest que linstrument, que la voie particulière qu'il a plu à la puissance su- préme d'employer pour fare exister les différens corps , les diversifier, leur donner , soit des proprié- tés , soit même des facultés, en un mot, pour mettre toutes les parties passives de l'univers dans Pétat mutable où elles sont constamment. Elle n'est, en quelque sorte, qu'un intermédiaire entre Dieu et les parties de l'univers physique, pour l'exécution de la volonté divine. C’est donc dans ce sens que nous pouvons dire que les animaux, ainsi que les facultés qu'ils pos- 332 INTRODUCTION. sèdent, sont des produits de la nature ; que les végétaux le sont pareillement; enfin, que les corps non vivans , quels qu'ils soient, sont dans le même cas, quoique tout ce qui existe ne soit dû qu'a la volonté suprême qui y a donné lieu. Relativement à la nature, considérée comme la puissance qui a opéré et qui opère encore tant de choses, tant de merveilles même, rien n’est présumé de notre part, rien à cet égard n'est le produit de notre imagination; car, chaque jour nous sommes témoins de ses opérations, nous en pouvons suivre un grand nombre, en observer les progrès , et re- marquer les lois qu’elle suit nécessairement dans chacune d'elles. Déja nous connaissons plusieurs des lois aux- quelles elle est assujétie dans ses actes; nous distin- guons sa marche, selon le genre d’actes qu'elle opère et selon les circonstances qui viennent en modifier les résultats ; enfin, nous savons qu’elle n’agit que gra- duellement dans la production de ceux des corps en qui elle a pu établir la vie, et dans la composition de l’organisation de ces différens corps. Aussi, voyons- nous quedans lesanimaux, qu'elle a doués générale- ment de lirritabilite , ellea amené progressivement, depuis les plus imparfaits jusqu'aux plus parfaits, une complication d'organes spéciaux de plusen plusgrande, qui lui a donné les moyens de produire, dans ces étres , différens phénomènes organiques de plus en INTRODUCTION. 333 plus admirables, et de douer les plus parfaits de ces animaux , de facultés qui surpassent tout ce que notre imagination peut concevoir; facultés, cependant, qui cesseraient de nous paraître des merveilles, si nous en connaissions le mécanisme. Ce sont-la des vérités que l'observation à fait con- naître, et que maintenant on ne saurait raisonnable= ment contester. Ainsi, pour nous qui sommes absolument bornés a ne connaître positivement que des corps; que les propriétés, les facultés et les phénomènes que nous présentent ces corps; que la nature qui les change, les diversifie , les détruit, et les renouvelle perpétuel- lement; voici ce que nous pouvons regarder comme des vérités auxquelles nous avons su nous élever par l'observation. L'univers est l'ensemble immutable, inactif, et sans puissance propre , de toutes les matières et de tous les corps qui existent. Get ensemble manquant d'activité propre, et ne pouvant rien opérer par lui- même, est l'unique domaine de la nature , et lui doit l'état de toutes ses parties. La nature , au contraire, est une véritable puis- sance, assujétie dans ses actes, inaltérable dans son essence, constamment agissante sur toutes les parties de l'univers, et qui se compose d’une source inépui- sable de mouvemens, de lois qui les régissent, de moyens essentiels à la possibilité de leurs actions, en 334 INTRODUCTION. un mot, d'objets étrangers aux propriétés de la ma- tière; objets, néanmoins, que nous pouvons déter- miner par l'observation. Elle constitue un ordre de choses particulier et constant, qui met toutes les parties de l’univers dans l’état ou elles sont à chaque instant, qui donne lieu à tous les faits que nous observons, et à bien d’autres que nous ne sommes point à portée de connaitre. Voilà donc deux objets très-distincts, qu'il est nécessaire de ne point confondre. Leur existence est un fait certain pour nous, puisque nos observations l’attestent constamment. Digression utile et relative au sujet. À l'égard des grands objets dont nous venons de nous occuper , et sur lesquels il importe de fixer celles de nos idées qui sont susceptibles de l'être, on sent combien il est nécessaire de distinguer ce qui est le résultat positif de l'observation, d'avec ce qui n’est que le produit de l'imagination , d’où naissent toutes les suppositions arbitraires, les fictions et les illusions de tout genre. | En effet , deux champs d’une étendue immense et très-diflérens entr’eux , sont sans cesse ouverts à la pensée de l'homme : ces deux champs sont celui des réalités et celui de l'imagination. L'homme, par son attention et sa pensée, fait, INTRODUCTION. 335 tantôt dans Pun et tantôt dans l’autre , des incursions diverses, selon l'intérêt ou l'agrément qu'il y trouve, Ces incursions deviennent successivement d'autant plus grandes qu'il s y exerce davantage, et sa pensée s’en aggrandit proportionnellement. Champ des réalités : ce champ est celui que nous offrent les matières et les corps que nous pouvons apercevoir , ainsi que la nature dans ses actes, dans sa marche , et dans les phénomènes qu’elle nous pré- sente. Nous pouvons le définir le champ des faits obser- vés ou observables; et comme il n’embrasse que des objets réels, et que nous n’y pouvons moissonner que par l’observation, ce champ est donc le seul qui puisse nous procurer des connaissances positives. Les matières et les corps que nous pouvons aper- cevoir , les mouvemens, les déplacemens, les chan- gemens, les propriétés et les phénomènes divers que ces corps et ces matières peuvent nous offrir et que nos sens peuvent nous faire connaître, enfin, leslois et l'ordre , selon lesquels ces mouvemens, ces change- mens et ces phénomènes s’exécutent, étant les seuls objets que nous puissions observer, étudier et con- naitre sous leurs différens rapports; toute connais- sance qui ne résulte pas directement de l'observation, ou de conséquences urées de faits observés et consta- tés, manque nécessairement de base, et par consé- quent de solidité. 336 INTRODUCTION. Tel est le fond des objets positifs qu'embrasse le champ des réalités ; et c’est dans ce champ seul que nous pouvons recueillir des vérités utiles et exemptes d'illusions. Champ de l’imagination : ce champ, bien diffé- rent du premier et au moins aussi vaste, est celui des fictions , des suppositions arbitraires , et des illusions de tout genre. La pensée de l’homme se plait à s’enfoncer dans celui-ci, quoique rien n’y soit observable, et qu’elle ne puisse y rien constater; mais elle y crée arbitrai- rement tout ce qui peut lintéresser , la charmer ou la flatter. Elle y parvient en modifiant les idées que les objets réels du premier champ lui ont fait acquérir. C’est un fait singulier et auquel il me paraït que personne n’a encore pensé; savoir : que l’imagina- tion de l’homme ne saurait créer une seule idée qui ne prenne sa source dans celles qu'il s’est procurées par ses sens. Avec des idées simples que les sensations lui ont | fait acquérir, l'homme, en les comparant et les ju- geant , en obtient des idées complexes du premier ordre ; en comparant et jugeant deux ou davantage des idées de cet ordre, 1l en obtient d’autres d’un ordre plus relevé; enfin, avec celles-ci, ou avec d’autres qu'il y joint, de quelqu’ordre qu’elles soient, il s'en procure d’autres encore, et ainsi de suite pres- qu'indéfiniment. Partout ses conséquences, et par INTRODUCTION. 337 suite toutes les idées qu’il se forme, prennent donc leur source dans les idées simples et premières que son système organique des sensations lui à fait ac- quérir. Que l’on joigne à cette voie de multiplier ses idées, celle de s’en former d’autres encore, en modifiant ar- bitrairement les idées de tous les ordres qui tirent leur origine de ses sensations et de ses observations, on aura le complément de tout ce que peut produire Vimagination humaine. En effet , tantôt par des contrastes ou des opposi- tions, elle change l'idée qu’elle s’est formée du fini, en celle de l'infini; et de même, elle change l’idée qu'elle s’est procurée d’une matière où d’un corps, en celle d'un être immatériel. Or, jamais la pensée ne fut arrivée à ces transformations, en un mot, à ces idées changées , sans les modèles positifs dont elle s’est servie. Tantôt , encore, variant à son gré des for- mes connues d’après les corps , des propriétés obser- vées en eux, ct les plus éminens phénomènes qu’ils produisent , la pensée de l’homme donne à des êtres fantastiques, des formes , des qualités et un pouvoir qui répondent à tous les prodiges qu'elle se plaît à inventer sous différens intérêts. Partout, néanmoins, elle est assujétie à n'opérer ces transformations, ces actes d'invention, que sur des modèles que le chamy des réalités lui fournit; modeles qu’elle modifie de T'ome I. 22 338 INTRODUCTION. toute manière , et sans lesquels elle ne saurait créer une seule idée quelconque. Phil. zool. vol. 2. p- 19. Ainsi, souveraine absolue dans ce champ de l’ima- gination , la pensée de l'homme y trouve des char- mes qui l’y entrainent sans cesse ; s'y forme des 1llu- sions qui lui plaisent, la flattent, quelquefois même la dédommagent de tout ce qui l’affecte péniblement; et par elle, ce champ est aussi cultivé qu’il puisse l'être. Une seule production de ce champ est utile a l'homme : c’est l'espérance ; et il y cultive assez généralement. Ce serait être son ennemi que de lui ravir ce bien réel, trop souvent presque le seul dont il jouisse jusqu'a ses derniers momens d'existence. Quelque vaste et intéressant que soit le champ des réalités, la pensée de l’homme s'y complaît diffici- lement. | Là, sujette et nécessairement soumise; la, bornée à l'observation et à l’étude des objets ; la , encore, ne pouvant rien créer, rien changer, mais seulement reconnaître ; elle n’y pénètre que parce que ce champ peut seul fournir ce qui est utile à la conservation, à la commodité ou aux agrémens de l’homme, en un mot, à tous ses besoins physiques. Il en résulte que ce même champ est, en général, bien moms cultivé que celui de limagination, et qu'il ne l'est que par un petit nombre d'hommes qu, la plupart, y laissent même en friche les plus belles parties. En comparant l’un à l’autre les deux champs dont * INTRODUCTION. 339 je viens de parler, on peut aisément se figurer quel énorme ascendant doit avoir le champ de l’imagina- tion, qui fournit des pensées, des opinions et des illusions si agréables, sur la raison , toujours sévère et inflexible, en un mot, sur ce champ des réalités qui trace partout des limites à la pensée , et qui n’ad- met d'autre instrument de culture que l'observation, et d'autre guide, dans le travail , que la raison même, qui n’est autre que le fruit de l'expérience. Pour le naturaliste qui s’interdit lui-même l'entrée dans le champ de l'imagination , parce qu'il ne se confie qu'aux faits qu'il peut observer; non-seule- ment 1l examine tout ce qui l’environne, distingue, caractérise et classe tous les objets qu'il apercoit, ét signale tout ce qui lui paraît pouvoir être utile à ses semblables; mais, en outre, il considère la zature elle-même , épie sa marche , étudie ses lois, ses actes, ses moyens, et Sefforce de la connaître. Enfin , con- templant la très-petite portion de l'univers qu’il aper- coit, 1l se fait une simple idée de son existence, sans entreprendre de savoir ou de déterminer ce qui com- pose son ensemble ; et comparant ensuite cet uni- vers physique à la nature , à cette puissance toujours active qui produit tant de choses , tant de phénomènes admirables, 1l remarque que l’un et Pautre jouissent seuls d’une stabilité qui paraît être absolue , et concoit qu’elle doit létre. À yant déterminé ce que peut être la nature, ainsi 3/40 INTRODUCTION. que le seul point de vue sous lequel nous puissions la considérer, et ayant montré, dans une digression utile à notre objet, la seule voie qui puisse nous faire acquérir des connaissances positives , je iermi- nerai 1C1 celte parte. J'ai dû entrer dans ces détails et donner ces éclair- cissemens, parce qu'il me paraît, qu'ailleurs, les idées, à cet égard, sont vagues, arbitraires et sans solidité; et parce que, sans ces déterminations, tout ce que j'expose sur l'origine des animaux, sur la formation des diverses organisations de ceux qui sont sans ver- tèbres , sur la source de chaque faculté animale, et des penchans des êtres qui sont sensibles et intelli- gens, en un mot, sur la marche de la nature et sa manière de procéder dans ses actes, pourrait paraître partout le produit de mon imagination , quand même mes exposés seraient accompagnés de l'évidence: Avec cette sixième partie, se termine le sujet en- tier de cette Introduction, c’est-a-dire, les considé- rations relatives à l'existence des animaux, à la source de cette existence, et à ce qu'ils sont eux-mêmes chacun dans leur espèce. Or, je crois que , sauf peut- être quelques détails à rectifier , cette même Intro- duction renferme dans le cours des six parties qui la composent, une foule de vérités évidentes, toutes bien liées entr’elles, fort utiles à connaître, et qu'il serait difficile de contester avec quelqu'apparence de raison. INTRODUCTION. 341 Ce serait donc ici que je devrais terminer l’Intro- duction essentielle à mon ouvrage, surtout l'intérêt croissant me paraissant à son plus haut terme dans cette sixième partie. Cependant le besoin des sciences zoologiques, l'arbitraire qui règne dans les parties de l'art qui y sont nécessaires, et les vacillations perpé- tuelles qu'entraine cet arbitraire dans la distribution des objets, et, plus encore ; dans les diverses sortes de coupes à établir parmi les animaux observés, me forcent d'y ajouter, au moins comme appendice, une septième partie, qui est la suivante. Ainsi, je vais m’occuper, dans cette septième et dernière partie , de la distribution générale des ani- maux, de ses divisions diverses, et spécialement des principes sur lesquels ces objets doivent être fondés, en proposant à leur égard, ceux qui me paraissent mériter l’assentiment des zoologistes. 342 INTRODUCTION. SEPTIÈME PARTIE. De fa distribution générale des animaux , de ses divisions, et des principes sur lesquels ces objets doivent étre fondés. LR les grands sujets qui viennent d’être sueces- sivement traités , 1l semble que l’intérêt soit extréme- ment affaiblt dans la considération des objets qui vont nous occuper dans cette dernière partie, ou plutôt dans cet appendice de lIntroduction. Get intérêt cependant n’y est point dépourvu d'importance; car il porte sur des considérations essentielles au perfec- tionnement de la zoologie, et qui sont nécessaires au but de cet ouvrage, pour le compléter. Jusqu'ici, en effet, j'ai exposé ce que sont les ani- maux en général, ce qui les caractérise, ce qu'ils doivent à la nature, en un mot, ce qu'il m'a paru’ essentiel de faire remarquer à leur égard. Ces objets, INTRODUCTION. 343 à ce qu'il me semble, n’ont besoin que d’être exami- nés pour être reconnus , et pour cela, il ne s’agit que de rassembler et considérer les faits nombreux qui en établissent le fondement. Ici, je n'ai en vue que ce qui concerne l’art en zoologie; et, à ce sujet, j'ai plusieurs considérations importantes à présenter pour perfectionner cet art, pour le fixer , s’il est possible, et surtout pour le dé- pouiiler de cet arbitraire qui rend ses produits tou- jours vacillans. Tout art doit avoir ses principes ou ses règles qui dirigent et limitent ses opérations : et l’on sent, en effet , que celui qui en manque est encore peu avancé, et qu'il atteint difficilement son but. Or, l'objet de celui dont il est ici question , con- cernant la distribution générale des animaux , le rang de chaque race, celui de chaque genre et de chaque famille , enfin, celui de chaque classe dans cette dis- tribution , concernant même la disposition de Fordre entier ; 1l est indispensable de montrer les opérations à fare pour le perfectionnement de cette même dis- tribution , et de proposer les principes qui devraient régler ces opérations. En conséquence, pour l'exécution d’une bonne distribution générale des animaux, pour celle d’une suite de divisions à établir dans l’ordre entier , enfin , pour la meilleure disposition a donner à cet ordre 4 344 INTRODUCTION. on ne peut se dispenser , à ce que je crois , de fixer la solution des trois questions suivantes : 1.2"e question : Quelles sont les opérations à faire pour l'exécution d’une bonne distribution des ani- maux, et pour celle d’une suite de divisions néces- saires à établir dans cette distribution ? 2.€ question : Quels sont les principes qui doivent nous guider dans ces opérations, afin d’exclure tout arbitraire à leur égard ? 3.e question : Quelle disposition faut-il donner à la distribution générale des animaux, pour qu’elle soit conforme à l’ordre de la nature, dans la production de ces êtres ? Assurément, tant que nous laisserons ces trois questions sans examen et sans réponse, et que, ne reconnaissant aucun principe pour régler nos opéra- tions, nous procéderons arbitrairement dans la dé- termination des objets ; il existera dans les travaux des zoologistes sur les diverses parties de la distribution des animaux, des inversions diverses, proposées par chaque auteur, sur les différentes portions de la série, des associations singulières et toujours changeantes entre les objets à placer , en un mot, un défaut cons- tant d’accord dans les opérations. Ce désordre , ainsi subsistant, entraverait ct même arrêterait les progrès de la science , l'empécherait de se fixer, et nous pri- verait des moyens d'étudier la nature dans tout ce qu'elle a fait etqu'elle fait encore à l'égarddes animaux. INTRODUCTION. 345 Examinons d'abord la première question et tà- chons de la résoudre ; nous essayerons ensuite de fixer les principes qu’il faut suivre pour atteindre les différens buts dont elle indique les objets. Première question : Quelles sont les opérations à faire pour l'exécution d’une bonne distribution des animaux, et pour celle d’une suite de divisions né- cessaires à établir dans cette distribution ? La réponse à cette question , est que les opérations essentielles à faire pour remplir convenablement les deux objets qu’elle propose , sont les suivantes : 1.0 Rapprocher les animaux les uns dés autres, d'après un principe non arbitraire, de manière à en former une série générale, soit simple , soit rameusé; 2.9 Partager cette série générale en diverses sortes de coupes, dont les unes seraient subordonnées aux autres ; et, pour cet objet, s’assujétir à des principes de convenance que l'on déterminerait ; 3. Fixer le rang de chaque sorte de coupe, d’a- près un principe général , préalablement établi, savoir : En | Le rang de chaque coupe primaire dans la-série totale ; Celui des coupes classiques dans chaque coupe primaire ; Celui des ordres ou des familles dans leur classe; Celui des genres dans leur famille ; Celui des espèces dans leur genre. 346 INTRODUCTION. L’exécution de cés trois sortes d'opérations est sans contredit indispensable. C’est une chose qui a été bien sentie; et chaque auteur s’en est plus ou moins occupé, mais toujours arbitrairement, c'est-à-dire, sans l’établissement préalable des principes dignes de l'assentiment général , en un mot, des principes pro- pres à exclure l'arbitraire, et à fixer réellement la science. La première de, ces opérations, celle qui a pour objet de rapprocher les animaux les uns des autres, de manière à en former une série générale, ést une préparation essentielle qui doit précéder. les autres opérations , et sans laquelle on ne saurait les exécuter. Elle tend .d’ailleurs à nous faire découvrir. lordre même de la nature; ordre qu'il .nous importé st fort de reconnaitre. 1: Quoique la nature ait suivi nécessairement un or- dre dans la production des corps vivans. et surtout dans celle des animaux ,. comme elle a dispersé ‘ces animaux et mélangé leurs races diverses à la surface du globe et dans ses eaux liquides, son ordre de for mation: à leur égard est en quelque sorte déliguré , et n’est point apparent. Nous sommes done obligés, pour parvenir à le découvrir, de. cherchér quelque moyen qui puisse nous conduire à cette découverte, et de trouver quelques principes solides qui neus met- tent dans le cas de reconnaitre; sans erréur cet ordre que nous cherchons. INTRODUCTION. 347 À cet égard, le pas le plus important a déjà été fait, lorsqu'on a reconnu l’ntérêt qu’inspirent les rapports , et lanécessitéde parvenir à les connaître , afin d'y assujétir toutes les parties de nos distributions. Ainsi, nous avons senti que , pour réussir à établir une bonne distribution des animaux, sans que l’ar- bitraire de l'opinion en affublisse nulle part la sohi- dité, il était nécessaire, avant tout, de rapprocher les animaux les uns des autres , d’après leurs rapports les mieux déterminés ; et qu'ensuite, Fon pourrait, sans inconvénient , tracer les lignes de séparation qui dé- tachent les masses classiques ; ainsi que les coupes subordonnées , utiles à établir, pourvu que les rap- ports ne fussent nulle part compromis par la compo- sition et l’ordre de nos diverses coupés. Tel est l'état des lumières acquises relativement à l'établissement de nos distributions ; mais il reste beaucoup à faire pour perfectionner nos travaux à cet égard,, et pour détruire l'arbitraire qui s’est introduit dans les déterminations méme de bien des rapports. Il y en a, en effet, de différentes sortes ; et comme leur, valeur particulière est lom d’être égale par- tout, om ne saurait lassigner avec justesse, si l’on di préalablement quelques règles pour arrêter l'arbitraire dans ces déterminations. Afin de remédier ax mauvais ordre de choses qui s’est introduit dans les parties de l'art’, ordre de cho- ses quiannulle nos efforts en faisant ans éesse varier 1 348 INTRODUCTION. nos déterminations des rapports et l'emploi que nous en faisons; il faut d’abord examiner ce que sont réel- lement les rapports, quelles sont leurs différentes sortes, et quel usage 1l convient de faire de chacune de celles que nous aurons reconnues. Nous pourrons ensuite déterminer plus aisément les principes qu'il convient d'établir. ; On a nommé rapports les traits de ressemblance ou d’analogie que la nature a donnés, soit à différentes de ses productions comparées entr'elles, soit à di- verses parties comparées de ces mêmes productions ; et c'est à l’aide de. l'observation que ces traits se dé- terminent. | Ces mêmes traits sont si nécessaires à connaître, qu'aucune de nos distributions ne saurait avoir la moindre solidité , si les objets qu’elle embrasse n'y sont rangés suivant la loi qu'ils prescrivent. Mais, les rapports sont. de différens ordres : il yen a qui sont, généraux , d’autres qui le sont moins, et d’autres encore qui sont tout-à-fait particuliers. On les distingue aussi en ceux 1e appartiennent à différens. êtres comparés, et en Ceux qui ne se rap- portent qu'a des parties comparées entre des êtres différens : distinction trop négligée, mais qui est bien importante à faire. Ge n’est pas tout ; quoiqu’en général, les rapports appartiennent à la nature , tous ne sont pas lés résul- tats de ses opérations directes à l'égard de ses produc- INTRODUCTION. 349 tions; car, parmi les rapports entre des parties com- parées de différens êtres , 1l s’en trouve très-souvent qui ne sont que les produits d’une cause qui a modi- fié ses opérations directes. Ainsi , les rapports de forme extérieure qui s’observent entre les cétacés et les poissons, ne peuvent être attribués qu’au milieu dense qu'habitent ces deux sortes d'animaux, et non au plan direct des opérations de la nature à leur égard. Il faut donc distinguer soigneusement les rapports reconnus qui appartiennent aux opérations directes de la nature, dans la composition progressive de l’or- gamisation animale, de ceux pareïllement reconnus, qui sont le résultat de l'influence des circonstances d'habitation, ainsi que de celles des habitudes que les différentes races ont été forcées de contracter. Mais ces derniers rapports, qui sont, sans doute, d’une valeur fort inférieure à celle des premiers, ne sont pas bornés à ne se montrer que dans,des parties extérieures ; car, on peut prouver que la cause étran- oère qui a le pouvoir de modifier les opérations di- rectes de la nature , a souvent exercé son influence, tantôt sur tel organe intérieur et tantôt sur tel autre pareïllement interne. Îl faudra donc établir quelques règles, non arbitraires, pour la juste appréciation de ces rapports. En 20ologie , on a établi en principe, que c’est de lorganisation intérieure que lon doit emprunter les rapports les plus essentiels à considérer. 350 INTRODUCTION. | Ce principe est parfaitement fondé, s'il exprime la prééminence qu’il faut accorder aux considérations générales de l’organisation intérieure , sur celles des parties externes. Mais si, au lieu de le prendre dans ce sens, on l’applique à des cas particuliers de son choix , et sans règle préalable, on pourra en abuser, comme on a déjà fait ; et l’on donnera arbitratrement aux rapports qu'offrira tel organe ou tel système d’or- ganes intérieur, une préférence sur ceux dettel autre organe intérieur , quoique les rapports de ce dermier puissent être réellement plus importans. Par cette voie, commode à l'arbitraire de l'opinion de chaque auteur, lon admettra ca et la dans la distribution , des inversions véritablement contraires a l’ordre na- turel. C’est un fait que l'observation prouve de toute part et que J'ai déja cité; savoir : que la cause qui modifie la, composition croissante de T’organisa- tion, n’a pas seulement agi sur les parties exté- rieures des animaux, mais qu'elle a aussi opéré des modifications diverses sur leurs parties internes ; en . sorte que cette cause a fait varier très-irréguhèrement les unes et les autres de ces parties. Il suit de la, qu'il n'est pas vrai que les rapports entre les races, et surtout entre les genres, les fa- milles, les ordres, quelquefois même les classes, puissent toujours se décider convenablement d’après la considération isolée de telle partie intérieure , choi- INTRODUCTION. 351 sie arbitrairement. Je suis , au contraire, très-persua- dé que les rapports dont il s'agit, ne peuvent être convenablement déterminés que d’après la considé- ration de l’ensemble de l’organisation intérieure , et, auxiliairement, par celle de certains organes inté- rieurs particuliers , que des principes non arbitraires auront montrés comme plus importans et comme méritant une préférence sur les autres, dans les rap- ports qu'ils pourront offrir. IL faut donc nous efforcer de déterminer les prin- cipes dont 1l s’agit, et ensuite nous y assujétir, si nous voulons anéanur cet arbitraire dans la détermi- nation des rapports, qui nuit tant à la fixité de la science. Deuxième question : Quels sont les principes qui doivent nous guider dans ces opérations, afin d’ex- clure tout arbitraire à leur égard ? Certes, ce serait rendre un grand service à la z00- logie , que de donner une solution convenable de cette question, c’est-a-dire, de déterminer de bons principes pour régler les différentes opérations citées ci-dessus, et en exclure tout arbitraire. Il ne me convient pas de prononcer moi-même sur la valeur de mes efforts à cet égard; mais j'en vais proposer les résultats avec la confiance qu'ils m'ins- pirent. | Je pense que ce ne peut être que dans la distinc- tion précise de chaque sorte de rapports, et qu’a 352 INTRODUCTION. laide d’une détermination motivée et solide de la préférence qu'il faut accorder à telle sorte de rap- ports sur telle autre, que lon trouvera les principes propres à régler toutes les parties de notre distribu- tion générale des animaux. î Il s’agit donc de déterminer les principales sortes de rapports que l'on doit employer pour atteindre le but , et ensuite de fixer la supériorité de valeur que telle sorte doit avoir sur telle autre. Cela posé, je trouve, qu'entre différens animaux comparés, les principales sortes de rapports que l’on peut rencontrer et qu'il importe de distinguer, sont les suivantes. 510 * Rapports entre des organisations compa- rées , prises dans l’ensemble de leurs par- Lies. Ces rapports, quoique généraux , se inontrent dans différens degrés, selon qu’on les recherche entre des races comparées entr’elles, ou entre des masses d'animaux de différentes races, comparées les unes- aux autres. [l faut donc en distinguer plusieurs sortes. Première sorte de rapports généraux : Ceue sorte est celle qui sert à rapprocher immédiatement entr’elles les races ou les espèces. Elle est nécessaire- ment la première ; car c’est elle qui fournit le plus grand des rapports entre des animaux comparés qui INTRODUCTION, 353 ne sont pas les mêmes. Or, le zoologiste qui la détermine , considérant toutes les parties de l'orga- misation, tant intérieures qu’extérieures, n’admet cetie sorte de rapports, que lorsqu'elle présente la différence la moins grande, la moins importante. On sait que des animaux qui se ressemblent parfai- tement par l’organisation intérieure et par leurs par- tes externes , ne peuvent être que des individus d’une même espèce. Or, ici, l'on ne considère point le rapport, ces animaux n'offrant aucune distinction. Mais, les animaux qui présentent entr'eux une différence saisissable, constante, et à-la-fois la plus petite possible, sont rapprochés par le plus grand de tous les rapports ; s'ils offrent d’ailleurs une grande ressemblance dans toutes les parties de leur organisa- tion intérieure , ainsi que dans la plupart des parties externes. Cette sorte de rapports ne nécessite point la con- sidération du degré de composition de l’organisation des animaux ; elle se détermine dans tous les rangs. Elle est si facile à saisir, que chacun la reconnaît au premier abord ; et c’est en l'employant que les naturalistes ont formé ces petites portions de Ja série générale des animaux que présentent nos genres, malgré l'arbitraire de leurs hmites. Ainsi , dans cette première sorte de rapports, qu’on peut appeler rapports d'espèces , la différence entre les objets comparés, est la plus petite possible, et Fome I. 23 354 INTRODUCTION. né se recherche que dans des particularités de la” forme ou des parties externes des mdividus. Deuxième sorte de rapports généraux : Cest” celle qui embrasse les rapports entre des masses d’a= nimaux différens , comparées entr’elles. On peut la nommer rapport de masses. Pour juger cette sorte de rapports, on nes occupe | plus essentiellement des particularités de la forme générale, ni de celles des parties externes, mais, | seulement ou presqu'uniquement, de l’organisation intérieure, considérée dans toutes ses parties. C’est _elle principalement qui doit fournir les différences qui peuvent distinguer les masses. | Cette deuxième sorte de rapports est inférieure d'un ou plusieurs degrés à la première, dans la quantité de ressemblance entre les objets comparés. C’est elle qui sert à former des familles , en rappro= chant des genres les uns des autres ; à instituer des” ordres ou des sections d'ordre, en réunissant plu- j sieurs familles ; enfin, à déterminer les coupes clas- siques qui doivent partager la série générale. Les rapports dont il est question ne peuventêtre employés à la détermination du rang des masses dans la série ; mais seulement à former des rapprochemens" divers pour établir et distinguer ces masses. De la considération de ces rapports, on doit dé= duire les deux principes suivans: Premier principe : Les rapports généraux de la INTRODUCTIOK. 359 deuxième sorte n’exigent point. une ressemblance parfaite dans l’organisation intérieure des animaux comparés ; ils exigent seulement que les masses rap prochées, se ressemblent plus entr'elles, sous ce point de vue, qu’elles ne le pourraient avec aucune autre. Deuxième principe : Plus les masses comparées sont grandes ou générales, plus l’organisation. inté= rieure des animaux , dans ces masses, ‘peut offrir de différence. Ainsi, les familles présentent moins de diffétence dans l'organisation ‘intérieure des animaux qui lés constituent, que n’en offrent les ordres et'surtout les classes. F Troisième sorte de rapports généraux : On peut l'appeler rapport de rang, parce qu'elle sert, à la détermination des rangs dans la série ; et qu’en partant d’un point fixe de comparaison, elle montre, effectivement, entre les objets comparés ; un rapport, grand ou petit, dans la composition et le perféetion- nement de l’organisation. » En effet ; on l’obtient en comparant une organi- säion quelconque, prise dans l’ensemble de. ses iparues, à une autre organisation donnée, qui est | présentée comme point de départ ou point de com- paraison. L'on détermme alors, par la ressemblance Iplus ou moins grande qui se trouve entre les deux Lergamisations comparées, combien celle que lon TH L1 356 INTRODUCTION. compare, s'éloigne ou se rapproche de celle qui est donnée comme point de comparaison. 4 Nous allons voir que cette sorte de rapports est véritablement la seule qui doive servir à régler les rangs de toutes les coupes qui divisent l'échelle ani- male. S'il s'agit ici de choisir une organisation, pour en former un point de comparaison, afin d’en rappro= cher ou d’en éloigner successivement les autres orga- nisations, selon qu’elles ressembleront plus ou moins! à celle à laquelle on les rapporte, l’on sent que le choix à faire ne peut tomber que sur l’une ou l'autre extrémité de la série des animaux. Dans ce cas, ill n’y a pas à balancer ; l'extrémité la plus connue de cette série, doit avoir la préférence. Ainsi, en par-! tant de l’organisation la plus compliquée et la plus parfaite, on se dirigera du plus composé vers le plus simple, dans la détermination de tous les rangs , et l'on terminera la série par la plus simple et la plu imparfaite de toutes les organisations animales. J'ai déjà fait remarquer que, de toutes les organi- sations, celle de l’homme était véritablement la plus composée, et a-la-fois la plus perfectionnée dansson ensemble. De là, j'ai été autorisé à conclureique, plus une organisation animale approche de la sienne, plus elle est composée et avancée vers son perfection 1 É- == nement. Cela étant ainsi, l’organisation de l’homme di r INTRODUCTION. 357 notre point de comparaison et de départ pour juger le rapport prochain ou éloigné de chaque sorte d'organisation animale, avec elle , et pour déter- miner, sans arbitraire, le rang que doit occuper, dans la série générale, chacune des coupes qui la divisent. L'organisation citée nous fournira, dans la consi- dération de l’ensemble de ses parties , les moyens de juger du degré de composition et de perfectionne- ment de chaque organisation animale, prise aussi dans l’ensemble de ses parties. Mais, dans les cas douteux , on fera facilement disparaître l'incertitude et l'embarras, en ayant recours à la quatrième sorte de rapports ; aux principes qui concernent la compa- raison de divers organes, considérés séparément ; en un mot, a ceux qui établissent une valeur prédomi- nante à certains de ces organes, sur celle des autres. Ainsi, notre point de comparaison et de départ étant trouvé , les rangs de toutes les coupes, pour- ront être facilement assignés , a l’aide des principes que nous établissons ci-après. Premier principe : Pour la détermination du rang de chaque masse dans la série, la plus compliquée et “la plus perfectionnée des organisations animales étant prise pour point fixe de comparaison, plus une arga- Msation animale, considérée dans l’ensemble de ses parties , ressemblera à celle du point de comparaison, plus aussi elle en sera rapprochée par ses rapports, et réciproquement pour les cas contraires. My Ve) 358 INTRODUCTION. Second principe : Parmi les organisations dont les plans sont différens de celui qui comprend lorgani- sation choisie comme point de comparaison, celles qui offriront un ou plusieurs systèmes d'organes sem: blables ou analogues à ceux qui font partie de Porga: nisation à laquelle on les compare , auront un rang supérieur à celles qui auraient moins de ces organes, ou qui en manqueraient. À l’aide des trois sortes de rapports ci-dessus ne | quées, et des principes qui s’en déduisent, l’on dés terminera facilement les distinctions des espèces et celles des masses diverses qu’elles doivent former ; et ensuite l’on décidera, sans arbitraire , le rang de cha- cune de ces masses dans la série. Dès lors, la science -cessera d’être vacillante dans sa marche. Mais , nos efforts seraient incomplets et laisseraïent encore une grande prise à cet arbitraire, si nous n’en: treprenions de fixer la valeur des rapports particu= liers, C'est-à-dire, de ceux que l'on obtient par h comparaison d'organes intérieurs particuliers , consi- dérés isolément dans différens animaux. Al ** Rapports entre des parties semblables ou 2 + analogues, prises isolement dans large sation À différens animaux , et comparées entr'elles. La quatrième sorte dé rapports n’embrasse que les rapports particuliers entre des parties non modi- INTRODUCTION. 359 fiées. Ainsi, c’est celle qui se tire de la comparaison de parties considérées séparément, et qui, dans le système d'organisation auquel elles appartiennent, n’offrent aucune anomalie réelle. La considération de cette sorte de rapports peut être d’un grand secours pour décider tous les cas douteux , lorsqu'il s’agit de déterminer, entre cer- tajnes coupes comparées , quelle est celle qui doit avoir une supériorité de rang. Or, ces cas douteux sont ceux où l’ensemble des parties de l’organisation intérieure ne présente , dans les deux organisations comparées , aucun moyen de décider, sans arbitraire, à laquelle de ces deux organisauons appartient la su- _périorité dont 1l s’agit. C'est particulièrement pour la formation et le pla- cement des ordres, des sections, des familles, et méme des genres, dans chaque classe , et par con- séquent pour assigner les rangs de toutes ces coupes inférieures, que l'emploi de cette quatrième sorte de rapports sera utile ; car , a l’égard de ces coupes, les principes de la troisième sorte de rapports, sont souvent difficiles à appliquer. Or , c’est 1c1 que Parbi- traire s'introduit facilement , et qu'il anéantit la science , en exposant les travaux des naturalistes à une variation continuelle dans la détermination des rapports qu doivent fixer la composition des coupes, et dans celle des rangs à donner à ces mêmes coupes. Eu cflet, comme beaucoup d'animaux , justement 360 INTRODUCTION. rapprochés par des rapports généraux et par les ca- ractères de leur classe , peuvent offrir entr'eux des différences remarquables dans certains de leurs or- ganes intérieurs , et néanmoins des ressemblances pareillement remarquables dans leurs autres organes intérieurs, on sent que, pour apprécier le degré d'im- portance que peuvent avoir les rapports qui existent entre des organes particuliers , il faut avoir recours à quelques principes régulateurs de ces déterminations, afin de ne rien laisser à l'arbitraire. Voici deux principes qui peuvent faire apprécier les rapports qu’on observera entre des organes inté- rieurs particuliers , dans différens animaux comparés. Premier principe : Entre deux organes ou sys- tèmes d’organes intérieurs , considérés séparément et comparés , celui dont la nature aura fait un emploi plus général, devra avoir sur l’autre une prééminence de valeur dans les rapports qu'il offrira. D'après ce principe, voici l’ordre d'importance qu'il faut attribuer aux organes paruculiers que la nature a employés dans l'organisation intérieure des animaux. Les organes de la digestion ; Ceux de la respiration ; Ceux du mouvement ; Ceux de la génération ; Ceux du sentiment ; Ceux de la circulation, INTRODUCTION. 36: Ainsi , sous la considération de la plus grande gé- néralité d'emploi des organes particuliers dont la na- ture a fait usage dans l’organisation intérieure des animaux, on voit que les organes de la digestion sont au premier rang , et que ceux de la circulation occupent-le dernier. Voila donc un ordre de valeur, a l'égard des organes importans que je cite, qui pourra régler, dans les cas douteux , la préférence que mé- ritera un rapport sur un autre. Second principe : Entre deux modes différens d’un même organe ou système d'organes, celui des deux qui sera plus analogue au mode employé dans une organisation supérieure en composition et en perfec- tionnement , méritera la préférence sur l’autre, pour les rapports qu'il offrira. 3 Si, par exemple, je veux employer un rapport que m’offrent les organes de la respiration , pour ju- ger de la préférence que peut mériter ce rapport sur celui que m’offriraient d’autres organes, je suis obligé, d’après le principe ci-dessus , d’avoir égard à la con- sidération suivante. Quoique le système d'organes particulier pour la respiration , ait une grande généralité d'emploi dans l’organisation animale, puisque, sauf les infusoires et les polypes , tous les autres animaux possèdent un système respiratoire particulier ; cependant ,; le mode de ce système n'étant pas le même dans les animaux qui en sont pourvus, Je sens que le vrai poumon 362 INTRODUCTION. Yemporte en valeur sur les branchies, que celles-ci ont une valeur plus grande que les trachées aériferes; et que ces dernières sont supérieures, sous le même point de vue, aux érachées aquiferes qu'il ne faut pas confondre avec les branchies. Alors , je peux ju- ger si le mode des organes respiratoires, dont je veux employer le rapport, est assez élevé en valeur pour me permettre de lui donner la préférence sur un rapport tiré de quelqu’autre sorte d'organes. La cinquième sorte de rapports embrasse les rap- ports particuliers entre des parties modifiées. Elle exige donc, dans les parties comparées , la distinc- tion de ce qui est dû au plan réel de la nature ; d'avec ce qui appartient aux modifications que ce plan a été forcé d’éprouver par des causes accidentelles. Ainsi, cette sorte-de rapports se ure des parties qui, considérées séparément dans différens animaux, ne sont point dans l’état ou elles devraient être, sui- vant le plan d'organisation auquel elles appartiennent. En effet, pour juger le degré d'importance qu'il faut accorder à un rapport, et la préférence qu'il doit avoir sur un autre, 1l n'est point du tout indifférent de distinguer si la forme, Faggrandissement, l'ap- pauvyrissement ou méme la dispariuon totale des or- ganes considérés , appartiennent au plan d’organisa- tion des animaux qui en sont le sujet ; ou si l'état de ces organes n’est pas le produit d’une cause modi- fiante et déterminable, qui à changé, altéré ou anéanti INTRODUCTION. 363 te que la nature eût exécuté sans l'influence de cette cause. | Par exemple, il eût été impossible à la nature de donner une tête aux infusoires, aux polypes, aux radiaires, etc. ; car l'état de ces corps, le degré de leur organisation, ne le lui permirent pas; et ce ne fut, effectivement, que dans les insectes qu’elle est parvenue à donner au corps animal une véritable téte: Or, comme la nature ne rétrograde point elle- même dans ses opérations, on doit sentir qu'étant arrivée à la formation des insectes, et par conséquent à celle d'une téte, réceptacle des sens particuliers, toutes les organisations animales, supérieures en com- position à celle des insectes, devront offrir aussi une véritable téte. Cela n’est cependant pas toujours vrai. Bien des annelides, les cirrhipedes , et beaucoup de mollusques n’ont point de téte distincte. Une cause étrangère à la nature , en un mot, une cause modi- fiante et déterminable, s’est donc opposée à ce que les animaux cités soient pourvus d'une véritable téte. Tantôt , en effet , cette cause a empêché plus ou moins le développement de cette partie du corps, et tantôt même elle en a opéré l'avortement complet. Nous trouvons la même chose à l'égard des yeux qui appartiennent à des plans d'organisation qui doi- vent en offrir; la même chose aussi à l'égard des dents ; enfin, la même encore qui a lieu relativement à différentes parties de l’organisation , tant intérieures 364 INTRODUCTION. qu'extérieures ; parce qu’une cause modifiante, que j'ai signalée , a eu le pouvoir de changer, d’aggran- dir, d’appauvrir, et même de faire disparaître les organes que Je viens de citer. On sent donc que les rapports que l’on obtiendrait de la considération de ces parties changées ou alté- rées, seraient d’une valeur fort inférieure à ceux que fourniraient les mêmes parties, se trouvant ce qu’elles doivent être dans le plan d'organisation où la nature est parvenue. De cette considération résulte le prin- cipe suivant. Principe : Tout ce qu’a fait directement la na- ture , devant avoir une prééminence de valeur sur ce qui n’est que le produit d’une cause fortuite qui a modifié son ouvrage ; on donnera, dans le choix d’un rapport à employer , la préférence à tout organe ou système d’organes qui se trouvera ce qu'il doit être dans le plan d'organisation dont il fait partie, sur l'or- gane ou le système d’organes dont l’état ou l’exis- tence résulterait d’une cause modifiante , étrangère à la nature. Dans le cas où les deux organes différens entre les- quels un choix est à faire , se trouveraient l’un et l’au- tre changés ou altérés par une cause modüifiante , on donnera la préférence à celui des deux dont les chan- gemens ou les altérations l’éloigneront moins de l’état où il devait être dans le plan d'organisation auquel 1l appartient. INTRODUCTION. 365 Telles sont les cinq sortes de rapports qu’il importe de distinguer, si lon veut obtenir des principes qui interdisent l'arbitraire dans la détermination des vrais rapports et de leur valeur. Voici le tableau résumé de ces principes. Tableau des principes pour la détermi- nation des rapports, selon leurs dif- férentes sortes. ( Premiere sorte : rapports d'espèces. ) * Premier principe : Dans quelque rang que ce soit de l’échelle animale, le plus grand des rapports entre des animaux différens , est celui qui sert à rapprocher immédiatement les races entr'elles. Ce rapport exige, dans les animaux rapprochés, une grande ressem- blance dans leur organisation intérieure ; les diffé- rences principales qui distinguent ces animaux , de- vant se trouver dans des particularités de leur forme ; de leur taille ou de leurs parties externes. ( Deuxieme sorte : rapports de masses. ) Second principe : Les rapports qui servent à for- mer des masses et a les distinguer , ne doivent se tirer que de l’ensemble des parties qui eomposent lorga- 366 INTRODUCTION. nisation intérieure. Ils n’exigent jamais une ressem- blance parfaite dans l’organisation intérieure des ani- mauûx de ces masses ; mais seulement que les masses rapprochées se ressemblent plus entr'elles qu'a au- cune autre par l’organisation intérieure des animaux qu’elles embrassent, Troisième. principe : Plus des masses comparées sont grandes ou générales, plus l’organisation inté- rieure des animaux de ces masses doit offrir de difle- rence. és Troisième sorte : rapports de rangs.) Quatrième principe : La plus compliquée et la plus perfectionnée des organisations animales étant prise pour point fixe de comparaison ; plus une orga- nisation animale, considérée dans ensemble de ses parties, ressemblera à celle du point de comparaison, plus elle en sera approches par ses rapports, ef vice vers. | | Cinquième principe : Parmi les organisations dont les plans sont différens de celui de l’organisation choi- sie pour point fixe de comparaison , celles qui offri- ront un ou plusieurs systèmes d'organes semblables ou analogues à ceux qui se trouvent dans l’organisa- tion à laquelle on les compare , auront un rang supé- rieur à celles qui auraient moins de ces organes, ou qui en manqueraient, INTRODUCTION. 367 ( Quatrieme sorte : rapports entre des parties eon- sidérées séparément, et qu'aucune cause par= ticulière n'a modifiées.) Sixième principe : Entre deux organes ou sys- tèmes d'organes mtérieurs , considérés séparément et comparés , celui dont la nature aura fait un emploi plus général, devra avoir sur l’autre une préémi- nence de valeur dans les rapports qu'il offrira. Sous ce point de vue , ordre d'importance qu'il faut attri- buer aux organes intérieurs est le suivant : Les organes de la digestion ; Ceux de la respiration ; Ceux du mouvement ; Ceux de la génération ; Ceux du sentiment ; Ceux de la circulation. Septième principe : Entre deux modes différens d’un ggême système d'organes , celui des deux qui sera plus analogue au mode déja employé dans une” organisation supérieure en composition et en perfec- tionnement , méritera la préférence sur l'antre, pour % les rapporis qu'il offrira. 368 INTRODUCTION. ( Cinquième sorte : rapports entre des parties con= sidérées séparément, et qu’une cause particulière | LEE a modifiées. ) Huïtième principe : Tout ce qu'a fait directe- ment la nature, devant avoir une prééminence de valeur sur ce qui n’est que le produit d’une cause for tuite qui a modifié son ouvrage; on donnera, dans le choix d’un rapport à employer, la préférence à tout organe ou système d'organes qui se trouvera ce qu'il doit être suivant le plan d’orgamisation dont :l fait partie, sur l’organe ou le système d'organes dont l’é- tat ou l'existence résulterait d’une cause modifiante, étrangère à la nature. Dans le cas où les deux organes différens, entre lesquels un choix est à faire, se trouveraient l’un et l'autre changés ou altérés par une cause modifiante, on donnera la préférence à celui des deux dont les changemens ou les altérations l’éloigneront moins de l'état où il devait être dans le plan d’organisation auquel il appartient. Les huit principes régulateurs que je viens de pro- poser, me paraissent à l'abri de toute objection raison- nable, et les seuls propres à rem plir l’objet pour lequel je les destine. Ils fourniront les moyensd’étabhr, sans arbitraire, un ordre de valeur parmi les rapports qui doivent servir à former Ja distribution , fixer les rangs INTRODUCTION. 369 des objets, et faciliter les lignes de séparation à éta- blir pour l'institution la plus convenable des genres, des familles, des ordres, des classes, et des coupes primaires parmi les animaux. En détruisant l’arbitraire qui anéantit les progrès des sciences naturelles , puisque cet arbitraire fait va- rier sans cesse les résultats des efforts que lon fait pour les perfectionner ; ces principes donneront, si on les admet, une uniformité de plan très-nécessaire aux travaux dans lesquels on s’occupera de ces objets: et alors, notre distribution des animaux se perfec- tionnera de plus en plus; nos connaissances dans l’é- tude des lois et de la marche de la nature , à l'égard de ses productions, y gagneront infiniment ; et les sciences zoologiques, particulièremént, en obtien- dront une solidité qu’elles n’ont pas encore. Il restera un peu d’arbitraire dans la détermination du rang respectif des espèces dans leurs genres, et quelquefois même de celui des genres dans leurs fa- milles ; parce que les principes régulateurs proposés ne sont facilement applicables qu'a l'égard des diffé- rences remarquables dans les traits de l’organisation intérieure. Mais, l’expérience dans l'étude de la na- ture et un sentiment de convenance que je ne saurais définir , achèveront de détruire , dans le zoologiste, cette dernière retraité de l'arbitraire. Troisième question : Quelle disposition faut-il donner à Ja distribution générale des animaux, pour Tome Î. 24 370 INTRODUCTION. qu’elle soit conforme à l’ordre de la nature, dans la production de ces êtres ? | Pour résoudre cette question, il s’agit encore1ci de trouver quelque principe pris dans la nature même, afin de pouvoir s’y conformer ; car, si l'on a déter- miné la distribution générale des animaux d’après la progression qui existe dans la composition de lor- ganisation animale , il semble que l’on puisse, dans cette progression, procéder avec autant de raison du plus composé vers le plus simple , que du plus simple vers le plus composé. Cela n’est cependant pas fondé ; et la nature , consultée dans l’ordre de ses opérations à l’égard des animaux, nous indique le principe suivant qui ne nous permet à ce sujet aucun arbitraire. La nature n’opérant rien que graduellement , et par cela même, n'ayant pu produire les ani- maux que successivement , a évidemment pro- céde , dans cette Doturbs | du plus simple Vers Le plus compose. Si, comme j'en suis convaincu, l’on doit reconnai- tre que, dans tout ce qu'elle fait , la nature n’opère | que graduellement ; et que, si d'est elle qui a produit | les animaux, elle n’a pu donner l’existence à leurs races diverses que successivement ; 1lest évident que, dans cette production, elle a passé progressivement du plus simple au plus composé. On doit donc disposer INTRODUCTION. 371 la distribution générale des animaux d’après cette con- sidération ; afin d’imiter l’ordre que la nature a suivi. J'ai, en eflet, montré , dans ma Philosophie zoologique ( vol. 1. p. 269) que , pour rendre la distribution générale des animaux , conforme à lor- dre qu’a suivi la nature en produisant toutes les ra- ces qui existent , il fallait procéder du plus simple vers le plus composé, c’est-à-dire , qu’il était néces- sare de commencer cette distribution par les plus imparfaits des animaux , et les plus simples en orga- misation , afin de la terminer par les plus parfaits, par ceux qui ont l’organisation la plus composée. Cet ordre est le seul qui soit naturel, instructif pour nous, favorable à nos études de la nature; et qui puisse, en outre , nous faire connaître la marche de cette dernière , ses moyens et les lois qui régis- sent ses opérations à leur égard. Par cette disposition , et ayant préalablement as- sujéti partout la distribution des objets à l’ordre des rapports , et formé les coupes classiques , nous ren- dons la connaissance des progrès dans la composi- tion de l’organisation plus facile à saisir, et nous nous mettons dans le casd'apercevoir plus facilement, soit les causes de ces progrès, soit celles qui les mo- difient ou les interrompent ca et là. Phil. 3ool. vol. 1. p. 132 à 135. _ On trouvera probablement moins agréable et moms conforme à nos goûts, de présenter en tête 32 INTRODUCTION. du règne animal , des animaux très-imparfaits, 4. peine perceptibles , presque sans consistance dans. leurs parties , et dont les facultés sont extrêmement bornées ; au lieu d'y voir les animaux les plus avan= cés dans la composition et le perfectionnement de l'organisation, ceux qui ont le plus de facultés, le plus de moyens pour varier leurs actions, en un mot , le plus d'intelligence; et comme ces derniers sont ceux qu’on a le plus observés et le mieux étu= . diés , on pourra même regarder comme plus raison- nable de procéder , à l'égard des animaux, du plus connu vers ce qui l’est le moins, que de suivre une route opposée. , Cependant , comme dans toute chose il faut consi- dérer la fin qu'on se propose, et les moyens qui peuvent conduire au but, je crois qu'il est facile de démontrer que l'ordre généralement établi par lu= sage dans la distribution des animaux, est précisé ment celui qui nous éloigne le plus du but qu’il nous importe d'attendre ; que cest celui qui est le moins: favorable à notre instruction; en un mot, celui qui opposele plus d'obstacles à ce que nous saïsissions le plan , l’ordre et les moyens qu'emploie la nature dans ses opérations à l’égard des anrmaux. Dans l'examen et l'étude même ‘qué l’on fait de ces corps vivans, s’il n’était question que de les dis- tinguer les uns des autres par les caractères de leur forme extérieure ; et si l’on ne devait considérer leurs | ! INTRODUCTION. 373 diverses facultés que comme de simples objets d’a- musement, c’est-à-dire, des objets propres à piquer notre curiosité dans nos loisirs , mais qui ne sauraient exciter en nous le desir d’en rechercher et d'en ap- profondir les causes; je conviens que l’ordre de dis- tribution dont je viens de parler , serait celui qui devrait le moins nous plaire , quoiqu'il soit le plus naturel. Dans ce cas, il serait aussi fort inutile de s'occuper de rechercher les rapports parmi les ani- maux , et d'étudier leur organisation intérieure. Or, tous les naturalistes conviennent maintenant de l’importance des rapports, et de la nécessité d'y avoir égard dans nos associations et dans nos distri- butions des productions de la nature. D'où vientdonc cette importance des rapports , et pourquoi recon- naissons nous la nécessité d’y avoir égard dans nos distributions , si ce n’est parce qu’ils nous conduisent réellement à la connaissance de ce qu'a fait la nature ; parce que, n'étant pas notre ouvrage , nous ne pou- vons les changer à notre gré; parce que ce sont eux qui nous forcent de rapprocher les uns des autres certains des objets qu'ils concernent et d’en écarter d’autres plus ou moins; enfin, parce qu'ils nous font sentir indirectement que , dans ses productions, la nature a un ordre particulier et déterminable qu'il nous importe de reconnaitre et de suivre dans nos études. Lorsque des rapports reconnus , parmi les an:- 374 INTRODUCTION: maux, ont fixé le rang de ces êtres , quel est le z00- logiste qui voudrait arbitrairement les placer ailleurs ! quel est celui qui voudrait ranger les chauve-souris. dans la classe des oiseaux , parce qu’elles planent dans les airs ; les phoques ou les baleines parmu les poissons, parce que le milieu dense qu'habitent ces animaux leur donne quelqu’analogie de forme entre eux ; enfin, les sèches avec les polypes, parce qu’elles ont aussi des espèces de bras autour de leur bouche ! Puisque les rapports reconnus nous entrainent, et donnent à celles de nos distributions qui s’y confor- ment, une solidité à l'abri des variations de nos opi= nions , nous sentons donc qu'il y a pour nous un véritable intérêt à établir nos distributions le plus conformément qu'il nous est possible à l’ordre même de la nature, afin qu’elles le représentent et le fas- sent mieux connaitre. | }' Maintenant , si nous trouvons qu'il soit de quel“ qu'utilté pour nous d'étudier la mature, de con naître son ordre particulier, de le représenter dans nos disitribuuons ; ne devons nous pas commencer” comme elle en procédant du plus simple vers le plus composé; car, ou assurément elle n a rien opéré, ou; si les animaux font parue de ses productions ; elle n'a point commencé par les plus composés et les plus parfaits. Ainsi , l'ordre de distribution que j'ai proposé à l'égard des animaux , que je viens de motiver, dont INTRODUCTION. . 279 je fais usage depuis plusieurs années dans mes lecons au Muséum, et dont on trouve l'exposition dans ma Philosophie zoologique(vol. 1. p. 269 ), devient in- dispensable , et ne peut être suppléé par aucun autre. IL établit d’ailleurs cette conformité entre la z00- logie et la botanique , que , de part et d'autre, la mé- thode employée . comme naturelle, présentera une distribution dans laquelle on doit procéder du plus simple vers le plus composé. Distribution générale des animaux, partagée en coupes primaires, et en coupes classiques. La disposition à donner à l’ordre des animaux étant arrêtée, Si nous parcourons et si nous examinons la distribution entière de tous ces corps vivans, rangés conformément à leurs rapports et aux principes ci- tés ci-dessus , nous remarquons la possibilité, l’u- tilité même de diviser leur série générale , en deux coupes principales, qui comprennent chacune un certain nombre de classes. _ En effet, ces deux coupes sont singulièrement distmguées lune de l'autre , en ce que la première, qui est la plus nombreuse et qui comprend les ani- maux les plus imparfaits, embrasse une série d’ani- maux qui tous sont dépourvus de colonne verte- brale , et qui présentent par masses des plans d’or- ganisation si différens les uns des autres, qu’on peut 3706 -__ INTRODUCTION. dire qu'ils r’ont de commun entr'eux que la posses- sion de la vie animale. Tandis que ceux de la se- conde coupe, parmi lesquels se trouvent les animaux les plus parfaits, possèdent tous une colonne verté- brale, base d'un véritable squelette, et sont formés à-peu-près sur un même plan d'organisation; mais qui est, néanmoins, plus ou moins avancé, perfec- tionné et modifié, selon le rang des classes comprises dans cette coupe. Dans mon premier cours de zoologie au Museum d'histoire naturelle, je donnait aux animaux de la. première coupe le nom d'animaux sans vertebres ; et, par opposition , je nommat animaux vertébrés ceux de la seconde. Je n’ai pas besoin de dire que c’est parmi ces der- niers ( les animaux vertébrés ), que setrouvent ceux dont l’organisation approche le plus de celle de om me ; ceux qui ont effectivement l'organisation la plus composée, la plus compliquée en organes particu- liers ; ceux, enfin, qui offrent parmi eux le plus haut degré d’aniivañsation et le plus grand perfection- nement dans les facultés du premier ordre où la nature ait pu arriver dans les animaux. Tous ces ani- maux sont, en effet, munis d’un squelette articulé, plus ou moins complet, dont la colonne vertébrale, partout existante, fait essentiellement la base. Par cette division, d'une part, je détachais, pour ainsi dire, et je mettais mieux en évidence les ani- INTRODUCTION. 377 maux vertébrés, dont le plan général d'organisation est commun avec celui de l’organisation de l’homme ; et, de l’autre part, j'en séparais l'énorme série des animaux sans vertebres qui, loin d’être formés sur un plan commun d’organisation, offrent entr’eux des systèmes d’organestrès-différens les uns des autres. La distinction des animaux vertebres d'avec les animaux sans vertebres èst sans doute très-bonne, importante même ; mais elle ne me paraît pas suflire au besoin de la science, et ne montre pas ce que la nature elle-même indique à l'égard des nombreux animaux sans vertebres. En effet, comme les deux coupes , qui résultent de cette distinction , sont très-inégales, puisque les vertébrés embrassent à peme un dixième des animaux connus; j'ai pensé depuis, qu'il serait avantageux pour l'étude et même conforme à l'indication de la nature, de partager en deux coupes principales les animaux sans vertebres eux-mêmes. En conséquence, remarquant que, parmi ces der- niers, les uns, en très-grand nombre, avaient tous les organes du mouvement attachés sous la peau, et offraient symmétriquement , dans leur forme, des parties paires sur deux rangs opposés , tandis que rien desemblable n'avait lieu dans les autres; jepropo- sai dans mon cours de zoologie, en mai 1812,de dis- tinguer ces deux sortes d'animaux comme constituant deux coupes naturelles parmi les invertebres. 378 INTRODUCTION: Par ce moyen, l'échelle animale se trouvera par- tagée naturellement en trois coupes primaires, su- périeures aux coupes classiques. Les animaux verté- brés fournissent la première de ces trois coupes, et! les animaux sans vertèbres donnent la deuxième ets la troisième ou inversement. Ces divisions seront instructives , commodes pour l'étude , et faciliteront : le placement, dans la mémoire , des objets qu'elles embrassent. Il ne s'agissait donc plus que d’assigner à chacune* de ces trois coupes une dénomination comparative ,# renfermant une idée importante relativement aux ani-! maux qui sy rapportent. C’est ce que j'ai fait, enx . ? A . ; L 2 considérant , dans ces mêmes animaux, l'exclusion ou la possession des facultés les plus éminentes dont la° nature animale puisse être douée; savoir : le senti-\ ment et l'intelligence. En considérant encore attentivement les objets» sur Jesquels j'avais à prononcer , je fus bientôt con- vaincu que ce n’était pas seulement par des diffé- * rences de forme et de situation des parties, que les. animaux de chacune des deux coupes qui divisent les invertébres, sont distingués les uns des autres; car, ils le sont aussi singulièrement par la nature des facultés qui leur sont propres. En effet, les uns ne sauraient jouir de la faculté de sentir, puisqu'ils ne possèdent point le système d'organes particulier qui seul peut donner lieu à cette INTRODUCTION. 379 faculté; et les mouvemens qu'ils exécutent, attes- tent , effectivement, qu'ils ne se meuvent que par leur irritabilité excitée par des causes externes. Les autres, au contraire, possédant tous un sys- tème nerveux, assez avancé dans sa composition pour produire en eux le sentiment, observation de leurs mouvemens et de leurs habitudes prouve qu'ils en jouissent réellement, et qu'ils se meuvent très-sou- vent par des exctations internes, qui proviennent des émotions de leur sentiment intérieur. Les premiers sont donc des animaux apathiques ; tandis que les seconds sont véritablement des ant- maux sensibles. Voila, pour les animaux sans vertèbres, un partage fortement tracé, et qui donne lieu parmi eux à deux coupes très-distinctes ; d'autant plus que chacune de ces coupes est caractérisée par des diffé- rences de forme et de situation des parties dans les animaux qui en dépendent. Ce n’est pas tout : si, parmi les animaux sans vertèbres , 1 y en a quantité qui jouissent de la fa- culté de sentir; on peut prouver par l'observation des faits relatifs à leurs actions habituelles, qu'aucun d'eux ne possède des facultés d'intelligence. En effet, on n’en a vu aucun varier arbitrairement ses actions; on n’en à vu aucun parvenir au but où il tend dans chaque besoin , par des actions différentes 560 INTRODUCTION. de celles auxquelles les individus de sa race sont généralement habitués. Tous, effectivement, dans chaque race, font constamment , de la même ma- nière, les actions qui satisfont à leurs besoins et qui servent à leur conservation, ou à leur reproduction. Ils n’ont donc pas la faculté de combiner des idées, de penser, d'exécuter des actes d'intelligence. Or, il n’en est pas de même des animaux verte- brés : ceux-ci, non-seulement sont généralement sen- sibles; mais, en outre, on a des preuves par ob- servation, que, parmi ces animaux, beaucoup d’en- tr'eux peuvent à propos varier leurs actions; qu'ils ont des idées conservables ; qu'ils combinent ces idées ; qu'ils ont des songes pendant leur sommeil ; qu'ils comparent , jugent , inventent des moyens ; qu'ils sont susceptibles d’éprouver de la joie, de la tristesse, de la crainte , de la colère, de l'envie, de l'attachement , de la haine , etc.; et qu’en un mot, ils sont doués de facultés d'intelligence. Si ces fa- cultés n’ont pas été observées positivement dans tous les animaux vertébrés , néanmoins , comme leur plan d'organisation est àa-peu-près le même dans tous, quoique plus ou moins avancé dans son déve- loppement et son perfectionnement , on est tout-à- fait autorisé à leur attribuer à tous l'intelligence, muis dans différens degrés. J’ai donc été fondé à partager les animaux en trois grandes coupes, de la manière suivante : INTRODUCTION. 381 DISTRIBUTION GÉNÉRALE ET DIVISIONS PRIMAIRES DES ANIMAUX. ARAANN * ANIMAUX APATHIQUES. Ils ne sentent point, et ne se menvent que par leur irritabilité excitée. 1. LES INFUSOIRES. 2. LES POLYPES. Caract. Point de cerveau , ni de masse $. LES RADIAIRES. médullaire allongée ; point de sens; for- a . D 4. LES VERS. mes variées ; rarement des articulations. 2 Ë ( EPIZOAIRES. ) = > Ce] _ LA , L x ANIMAUX SENSIBLES. Ils sentent , mais n obtiennent de leurs sen- q sations que des perceptions des objets, É ; MT : : La 5. LES INSECTES. espèces d’idées simples qu’ils ne peuvent SJ a : : à s a CS ANACHNIDES. combiner entr’elles pour en obtenir de = complexes. g ou . LA 7. LES CRUSTACÉS. Caract. Point de colonne vertébrale; un A 8. LES ANNELIDES. cerveau et le plus souvent une masse mé- dullaire allongée; quelques sens distincts; 9. LES CIRRHIPÈDES. les organes du mouvement attachés sous 10. LES MOLLUSQUES. la peau ; forme symétrique par des parties paires. X** ANIMAUX INTELILGENS. Ils sentent; acquièrent des idées conserva- bles; exécutent des opérations entre ces À. 11. LES POISSONS. idées, qui leur en fournissent d’autres; # ,< ï : PAT ? SC et sont intelligens dans différens degrés, = RCE CRE Caract. Une colonne vertébrale; un cer- = veau et une moëlle épinière; des sens # 13. LES OISEAUX GIVE ‘ = distincts ; les organes du mouvement fixés œ sur les parties d’un squelette intérieur ; 2 14. LES MAMMIFÉRES. SE cs à = forme symétrique par des parties paires. À < 382 INFRODUCTION. L'ordre que l’on voit dans le tableau qui vient d’être exposé, me paraït représenter le plus possible, celui de la composition croissante de l’organisation des animaux, celui qui doit régler leur distribution en une série générale , celui même qui indique, à très-peu-près dans son ensemble, la marche qu'a suivie la nature en donnant l'existence aux différentes races de ces êtres. Passons maintenant à l’exposition des animaux sans vertèbres, et particuhièrement à celle de leurs classes, de leurs ordres, de leurs familles , de leurs genres et des principales de leurs espèces, en citant ce qui peut intéresser à leur égard. FIN DE L'INTRODUCTION. HISTOIRE NATURELLE D ES ANIMAUX SANS VERTÉBRES. ANA ERA RAR ARABE AAA HISTOIRE NATURELLE DÉS ANIMAUX SANS VÉRTÉBRES. POINT DE COLONNE VERTÉBRALE; POINT DE VÉRI- TABLE SQUELETTE,. Te animaux sans vertèbres sont ceux qui sont dépourvus de colonne vertébrale, c’est-à-dire, qui n’ont pas intérieurement cette colonne dorsale, pres- que toujours osseuse, composée d’une suite de pièces articulées; colonne qui se termine à son extré- mité antérieure par la tête de l'animal , à l’autre extrémité par sa queue s et qui fait la base de tout véritable squelette. Par cette définition, les animaux sans vertebres sont nettement distingués des animaux vertébrés; Tome I. Len Mas 386 ANIMAUX mais, quoiqu’ils paraissent former une coupe particu- lière sous ce point de vue, leur ensemble néanmoins présente un assemblage d’objets dont les masses sont très-disparates entr’elles. En effet, quant à la forme et à l’organisation in- térieure, qu'y a-t-1il de commun entre un infusoire et un insecte; entre un ver etun crustace; en un mot, quelle étrange dissemblance ne trouve-t-on pas entre un polype et une arachnide, entre celle-ci et un mnollusque! Si l’ensemble des animaux sans vertèbres pré- sente, dans ses masses déplacées et mises arbitrai- rement en comparaison , des assemblages disparates, l’on sera forcé de convenir qu’en rapprochant les objets d’après leurs véritables rapports, et qu’en dis- tribuant les masses classiques dans l’ordre progressif de la composition de l’organisation de ces animaux ; alors on trouvera moins d’irrégularité dans leur série, quoique de distance en distance , les systèmes d’or- ganisation soient singulièrement changés, et puissent rarement se lier chacun les uns aux autres par de véritables nuances. Telle est, je crois, l'idée la plus juste que l’on doive se former des animaux sans vertebres. Ils SANS VERTÈBRES. 387 composent une immense série d'animaux divers, au moins neuf fois plus nombreuse que celle de tous les vertébrés réunis, et dont probablement nous ne con- naissons pas même la moitié des êtres qui la forment. Ces animaux , originaires des eaux , vivent encore la plupart dans son sein : aussi c’est parmi eux que se trouvent les plus petits, les plus frêles, les plus imparfaits et les plus simples en organisation, comme c'est parmi les vertébrés qu’on observe les plus par- faits des animaux. Sans doute, le volume ou la taille n’a point de rapport essentiel avec la nature de l’organisation des différens êtres vivans. Cependant, il n’en est pas moins très-vrai que les plus imparfaits des animaux connus en sont aussi les plus petits: ce qui est également vrai à l'égard des végétaux. Des trois coupes primaires qui partagent l'échelle animale entière (1), les animaux sans vertèbres embrassent les deux premières, savoir : Les animaux apathiques; Les animaux sensibles. (x) Voyez-en le tableau à la fin de la 7.€ partie de l’Intro- duction, page 381. 388 ANIMAUX C’est donc à la troisième coupe, à celle des verté- _ brés dont le plan unique d’organisation est plus ou moins avancé en pérfectionnement selon les classes, qu’appartiénnent les animaux intelligens. En consé- quence, je vais partager mon exposition des animaux sans vertèbres en deux parties : l'une relative aux animaux apathiques, et l’autre aux animaux sensi- bles. Ainsi, d’après l’ordre que nous devons suivre, exposons d’abord les animaux apathiques, leurs classes, leurs familles , leurs genrés , comme objets de la première partie; nous terminerons par l’expo- sition des animaux sensibles, dont nous présenterons pareillement les classes, les familles et les genres, ce qui complettera la déuxième partie; et nous indique- rons de part et d’autre les éspèces les mieux déter- minées à notre connaissance. SANS VERTÈBRES. 389 PREMIÈRE PARTIE. ANIMAUX APATHIQUES. Point de forme sy métrique par des parties paires bisériales , ou seulement sur deux côtés opposés; aucun sens particulier pour la sensation; ni moëlle longitudinale, ni cerveau; point de véri- table squelette. L: caractère le plus apparent des animaux apa- thiques , est de ne point offrir encore cette forme symétrique de parties paires dont les animaux des autres coupes présentent presque tous des exemples ; parties paires si prononcées dans lorganisation de l'homme, quoique toutes les intérieures ne soient pas dans ce cas; parties paires, enfin, qui sont toujours bisériales lorsqu'elles se répètent, ou seulement sur deux côtés opposés. 390 ANIMAUX Ici, il n’y a jamais de parties paires dans cet ordre; car lorsqu'on rencontre des parties semblables, elles sont rayonnantes ou disposées en rond, et non sur deux côtés opposés. La nature tendant à la production des animaux les plus parfaits, en qui cette forme symétrique de parties paires ou bisériales est extrêmement remar- quable , l’a employée dans le plus grand nombre des animaux, parce qu'elle est la plus favorable au mou- vement de progression en avant. Mais elle n’a pu l’établir dans les animaux apathiques; d'abord, parce que la trop faible consistance de leurs parties ne le lui permit pas et laissait aux fluides expansifs de l'extérieur trop d'influence sur la forme générale de ces animaux ; ensuite, parce que le mouvement pro- gressif en avant ne leur est point nécessaire. Les animaux apathiques furent très-impropre- ment appelés zoophytes : ils ne tiennent rien de la nature végétale , et tous généralement sont complé- tement des animaux , ce que Je crois avoir prouvé. La dénomination d'animaux rayonnés ne leur convient pas plus que la précédente ; car elle ne peut s'appliquer qu'a une partie d’entr'eux , ‘et 1l s’en trouve beaucoup parmi eux qui n’ont absolument rien de la forme rayonnante. | Tous les apathiques manquent de tête ; sont dé- pourvus de sens extérieurs; et parmi ceux, en petit nombre, en qui l’on a observé quelques nerfs, on ne SANS VERTÈBRES,. 391 trouve jamais cet appareil nerveux qui est essentiel a la production du sentiment. Ce sont donc des ani- maux véritablement privés de la faculté de senur. Etant dépourvus du sentiment, n'ayant pas même celui de leur existence, c’est-a-dire, ce sentiment intérieur que des besoins sentis peuvent émouvoir ; ces animaux ne se meuvent que par leur srritabilite excitée , que par des causes excitantes qui leur vien- nent du dehors. Aussi ai-je montré que leurs besoins très-bornés, n’exigent point qu’ils aient d’autres fa- cultés, qu'ils dirigent eux-mêmes aucun de leurs mouvemens ; ce qui leur est nécessaire se trouvant toujours à leur portée. Les animaux apathiques embrassent les quatre premières classes du règne animal, savoir : 1.° Les infusoires; 2.0 Les polypes; 3.0 Les radiaires ; 4. Les vers. ( Les épizoaires. ) _Exposons successivement les caractères de cha- cune de ces classes, ainsi que ceux des animaux qui s'y rapportent. 392 ANIMAUX RAA NA RAA RAR RAR A AA LU URL LVL UE UT UE UE UULULLUARVE CLASSE PREMIÈRE. a LES INFUSOIRES. (Infusoria. ) Animaux microscopiques , gélatineux , transpa- rens , polymorphes , contractiles. Point de bouche distinete; aucun organe inté- rieur constant , déterminable ; génération fissipare, subgemmipare. ) à RHOIIUUE Animaçula microscopica , gelatinosa , hialina , polymorpha , contractilia. Os distüinctum nullum. Organa specialia interna determinabiliaque nulla. Generali fissipara ; sub- gemmipara. OBSERVATIONS. Je ne rapporte à cette classe d'animaux que ceux des infusoires de Muller qui n'ont point de bouche, et qui conséquemment sünt dépourvus dé sac alimentaire ; c’est- a-dire, de cet organe digestif qui:s’ouvre: nécessairement au dehors par une bouche au moins. 119) 100% à Ainsi , c'est avec cette coupe circonscrite par le défaut de se dans les animaux qui en sont le sujet, que je forme la première classe du règne animal. Elle comprend SANS VERTÈBRES. 393 les animaux les plus petits, les plus imparfaits, les plos simples en organisation, en un mot, ceux qui possèdent le moins de facultés. Ces animaux n'ayant point de bouche, point de sae alimentaire , n’ont point de digestion à exécuter, et ne se nourrissent que par les absorptions de leurs pores extérieurs, et par imbibition interne. Ainsi, leur orga- nisation, qui est la plus simple de toutes celles qu'offre le règne animal, présente par son caractère un degré particulier qui les distingue éminemment de tous les autres animaux. Je me suis assuré qu’il en existe de semblables, car jen ai observé moi-même plusieurs : et quand même il n’en existerait qu'un petit nombre, j'en eus fait une classe à part, d’après la considération du caractère éminent qui les distingue. Cette classe néanmoins embrasse évidem- ment la plus grande partie des infusoires de Muller ; elle doit être nécessairement la première, puisqu'elle nous présente l’organisation animale dans son premier degré. L'organisation des #nfusoires , et tout ce qui concerne leur manière d’être, de vivre, de se mouvoir, dese ré- générer , etc. , sont des objet; plus importans à considé- rer, que les distinctions qu’on a pu établir parmi eux. En effet, sans cette curiosié philosophique, sans le besoin même que nous avons de connaître la nature dans tout ce qu'elle produit, dans tont ce qu'elle exécute, en un mot, sans l'importance pour nous de savoir jusqu'à quel point la ave animale peut être réduite et exister encore ; sans doute l'étude des wfusoires nous présenterait bien peu d'intérêt, et ce serait fort mal débuter dans l'expo- 304 © ANIMAUX sition du règne animal , que de Fe de pareils objets en tête de ce règne. Mais plusieurs considérations importantes se réunissent pour que nous donnions la plus grande attention au fait de l'existence de ces étonnans animaux, ainsi qu'à celui de l’état singulier de leur organisation et de leur manière d'exister. Ces êtres, dont l’animalité paraît à peine croyable, et que l’on peut en quelque sorte regarder comme des ébauches de la nature animale , sont d’une petitesse ex- traordinaire. Leur corps n’a presque point de consistance, et paraît pour ainsi dire sans parties. Ce sont cependant des animaux nombreux en individus et en races diverses, qui peuplent toutes les eaux, et qui se retrouvent les mêmes dans tous les pays du monde, mais seulement dans les circonstances qui leur permettent d'exister ; ce sont des animaux qui la plupart disparaissent dans les abaissemens de température, qui reparaissent et se mul- tiplient rapidement dans ses élévations ; enfin, ce sont des animaux dont l'existence et l’état renversent toutes’ les idées que nous nous étions formées de la nature animalé. Parmi les merveilles sans nombré que la nature offre de toute part à nos observations, cellé peut-être qui. est la plus étonnante, c’est de voir la vie animale pouvoir exister dans des corps aussi frêles et aussi simples que ceux qui constituent les animaux de cette classe, et’ sur- tout de son premier ordre. | En effet, les infusoires, considérés dans ceux dont j'assigne le caractère classique , nous présentent l'orga- nisation animale dépourvue de tout organe particulier SANS VERTÈBRES. 395 intérieur, constant et déterminable, réduite à n’offrir qu'une masse de tissu cellulaire variée, extrêmement petite, frêle, presque sans consistance, et cependant vivante et très-irritable. Ainsi, non-seulement ces singuliers animaux n’ont point de tête, point d'yeux, point de muscles, point de vaisseaux, point de nerfs, mais ils n’ont même aucun organe particulier déterminable , soit pour la respiration, soit pour la génération , soit , enfin , pour la digestion. Aussi, ce ne sont que des corpuscules extraordinairement petits , nus , gélatineux ; ce ne sont que des points vivans. Cependant , retrouver la vie animale dans des corps aussi frêles et aussi simples que ceux dont il est question, c’est une considération tellement étonnante, d’après les idées que l’on s’était formées de la vie, considérée dans les animaux les plus parfaits, que plusieurs personnes n’ont pas osé croire à la réalité de ce fait, et qu ë y en a même - qui l’ont inconsidérément nié. On a effectivement beaucoup écrit pour contester l'a- nimalité de ces corpuscules mouvans; maïs on est main- tenant forcé de céder à la raison qui s'appuie sur des faits décisifs. Or, ces faits attestent non-seulement que les corpuscules dont il s’agit sont des corps vivans, puisqu'ils en ont les qualités essentielles, et qu'en effet ils se régé- nèrent etse multiplient eux-mêmes; mais en outre que ce sont de véritables animaux, puisqu'ils sontirritables, qu'ils se meuvent, et qu'ils exécutent des mouvemens subits qu’ils peuvent répéter de suite plusieurs fois. D'ailleurs, comment reconnaître, comme on le fait, l'animalité des poly pes sans admettre celle des vorücelles; 396 ANIMAUX comment convenir de la nature animale des vorticelles, et refuser la même nature aux urcéolaires; et si l’on reconnaît les urcéolaires pour des animaux , comment contester la nature animale des trichocerques , des cer- caires , des trichodes et ensuite de tous les autres infu- sotres ! Les rapports les plus grands lient évidemment tous ces animaux les uns aux autres par une gradation nuan- cée depuis les plus simples etles plus imparfaits d’entr'eux, tels que les monades, jusqu'aux polypes les mieux connus. Ne pouvant plus nier la nature animale des infusoires, on a essayé de contester la simplicité de leur organisa tion ; tant on tient à conserver les idées qu'on s’est incon- sidérément formées de la vie, en supposant qu’elle ne peut exister dans un corps qu'avec la complication de cette multitude d'organes particuliers dont celle des ani- maux les plus parfaits nous offre des exemples. Mais, au lieu de supposer, contre l'évidence, que tous les organes que l’on trouve dans les animaux les plus parfaits , et dont on n'apercoit plus le moindre vestige daus les plus imparfaits, existent néanmoins dans tous, c'est-a-dire, dans les uns et les autres ; il est bien plus simple et plus conforme à la raison de reconnaître que non-seulement la nature n'a pu établir ces organes spé- ciaux dans des corps gélatineux aussi frêles que les zn- Jusoires, mais même qu’elle n’a pas eu besoin de le faire. Effectivement, la moindre réflexion suflit pour nous faire sentir que dans des animaux aussi imparfaits, la nature n’a pu avoir en vue que d'y instituer seulement la vie, et que toute autre faculté que celles qui en résultent . SANS VERTÈBRES. 397 généralement , leur serait fort inutile. Il sérait en effet très-inutile à une monade, à une volvoce, à un protée, ete., d'avoir des organes qui lui servissent à changer de lieu, et d'autres qui soient propres à lui faire discerner les objets ; n'ayant d’autre action à exécuter pour conserver sa vie, que celle d’absorber par ses pores les matières que l’eau qui l’environne lui présente sans cesse partout, et que celle de faire des mouvemens qui facilitent cette absorption. Aussi peut-on assurer que partout où une fonction organique n’est pas nécessaire , l'organe parti- culier qui peut l'exécuter n'existe point. ( Philos. zo01., vol. 1, p. 203 et suiv. ) Si les infusoires sont de tous les animaux ceux qui ont le moins de facultés , ce sont aussi ceux qui ont le moins de besoins. Ils n’ont pas une seule faculté particulière ; ils n’ont pas non plus un seul besoin partüculier. Vivre pendant un tems limité ; et reproduire d’autres individus semblables à eux ; là se borne tout ce qui leur est propre; les mouvemens qu'on leur voit exécuter étant le produit de causes hors d'eux. Ces animaux n'ont donc aucun besoin des organes particuliers que l'on observe dans les autres. Il est évident que si l’on veut savoir en quoi consiste la vie animale la plus réduite, c’est uniquement en éonsidé- rant les infusoires , et surtout ceux du premier ofdre, qu'on y pourra parvenir; c'est en étudiant sans préven- tion tout ce qui concerne des animaux aussi imparfaits, et aussi simples en organisation que ceux doftil s’agit, _ qu'on pourra se former une idée juste de ce qu'exige la 398 ANIMAUX vie animale dans ces petits corps, et des facultés qu’elle peut leur donner. On verra que les facultés des infusoires les plus sim- ples se réduisent à celles qui sont communes à tous les corps vivans, et en outre à celle qui résulte de leur na- ture animale, à l'irritabilité; maïs on verra en même tems que , comme aucune de ces facultés n’exige d’or- gane particulier pour sa production, il n’y en a effecti- vement aucun. A la vérité, dans un assez grand nombre d’infusoires, surtout dans ceux du deuxième ordre, on apercoit des parties intérieures locales qui paraissent dissemblables, quelquefois même mouvantes. Mais ces parties, dont on peut dire tout ce qu'on veut, ne peuvent être que des modifications plus ou moins grandes du tissu intérieur de ces corps, que des voies qui préparent la multiplication des individus , que des gemmes reproducteurs dans dif- férens états de développement. Ces animaux ne possédant pas encore le premier or- gane particulier que la nature ait créé dans l’organisation animale , celui de la digestion , ne sauraïent avoir sans doute aucun de ceux qu'elle a établis postérieurement à celui-ci. Ces frèles êtres étant les seuls qui n’aient point de digestion à exécuter pour se nourrir, ressemblent en cela aux végétaux qui ne vivent que par des absorptions, et dont les mouvemens vitaux ne s’opèrent aussi que par des excitations de l'extérieur. Mais les infusoires sont irritables et contractiles ; or ces caractères indiquent leur SANS VERTÈBRES. 309 nature animale, et les distinguent essentiellement des végétaux. Quelque simple que soit l’organisation des infu- soires, on distingue déja parmi eux quelques degrés de moins grande simplicité, selon les ordres et les genres. En effet, le propre de la durée de la vie dans un corps animal étant de le fortifier graduellement, d'angmen- ter peu-à-peu la consistance de ses parties, et de tendre à en composer l'organisation ; bientôt ce corps se forti- fiera et s'animalisera davantage ; son organisation de- viendra moins simple; et, après s'être multiplié et re- produit bien des fois, il offrira dans sa consistance, sa taille, sa forme particulière et ses parties, des diffé- rences de plus en plus grandes et assujéties aux cir- constances variées qui auront agi sur lui. Tel est effecti- vement ce quattestent , de la manière la plus évidente, l'observation des enfusoires et leur connexion nuancée avec les polypes. Ces petits corps gélatineux , qui nagent ou se meuvent dans les eaux qui les contiennent, et où ils ne paraissent que des points mouvans , ne possèdent assurément point en eux-mêmes la puissance qui les anime et les fait mou- voir. Cette puissance , qui provient des milieux environ- nans , leur est étrangère ; mais ils offrent en eux l’ordre de choses qui permet à cette même puissance d’exciter dans ces animalcules les diverses sortes de mouvemens qu'on leur observe (1). (1) Voyez l'Introduction, p. 42. [ Fluides subtils. ] 4oo ANIMAUX Si cette source où les mouvemens vitaux puisent la force qui les fait s’exécuter , est incontestable à l'égard des végétaux ; elle l’est assurément aussi relativement aux animaux imparfaits qui composent les premières classes du règne animal ; et, pour un grand nombre de ces animaux, elle l’est en outre des mouvemens parti- cüliers de leurs corps. Voilà ce dont maintenant il n’est plus raisonnablement possible de douter, et ce qui; comme vérité , est à l'abri de tout ce que le tems pourra produire. Outre leur extrême contractilité qui les fait changer de forme d’un instänt à l’autre, certains infusoires exé- cutent dans l’eau des mouvemeñs assez lents, tandis que d'autres en offrent dé très-vifs. Ces mouvemens, qui en général sont variés à raison de la forme dé ces corps; sont tantôt de rotation sur eux-mêmes , comme lorsque ces petits corps sont sphériques, tantôt ondulatoires où oscillatoires , comme lorsque ces corps sont allongés ;, et tantôt décrivent des lignes concentriques ou spiralés, comme lorsque ces mêmes corps sont aplatis. Je le répète : la vivacité de ces mouvemens ne sau- rait provenir d’une force organique , capable d'en pro- duire de semblables ; on sent assez que dans d'aussi frêles corps une pareille force ne sautait exister. Cette vivacité des mouvemens résulte donc nécessairement de l’extrême petitesse des corps dont il s’agit, ces petits corps cèdant aux conflits d’agitation que les fluides subtils environnans leur font éprouver en s'y précipitant et s'en exhalant sans cesse. Or, d’une part, la forme générale de chacun de ces éorpuscules animés contribue à l'espèce de mou- _ SANS’ VERTÈBRES. 4o1 vement que les fluides subtils ambians leur font subir, et de l’autre part, les routes particulières que se sont frayées ces fluides subtils en traversant l’intérieur de ces petits corps , y concourent aussi de leur côté. En observant les mouÿemens qu'exécutent les infu- sotres dans les eaux, ces mouvemens ont paru s'accé- lérer ou se rallentir et quelquefois même s’interrompre au gré de l'animal ; chaque espèce a semblé jouir d’une sorte d’instinct; enfin, l’on s’est imaginé qu'ils évitaient les obstacles et fuyaient ce qui peut leur nuire.” Ce sont-la réellement des erreurs de jugement, et les suites des préventions auxquelles nous nous sommes livrés. Qui ne sait que l’on croit facilement ce . l'on s’est persuadé devoir être ! Ces animaux sont le jouet de toutes les impressions qu'ils éprouvent et qui les agitent. Les causes qui les meuvent sont elles-mêmes susceptibles de variations dans leurs influences. D'ailleurs, si dans un mouvement de tournoiement ou d’oscillation , un infusoire semble éviter un corps du voisinage , les émanations continuelles de ce Corps (1) suffisent pour repousser l’animalcule dans son mouvement , et pour opérer mécaniquement l'effet (1) Relativement aux fluides subtils qui se meuvent pres- que sans cesse dans les milieux environnans, la diversité des corps qui en reçoivent et en transmettent les effleuves, apporte nécessairement des différences dans ces effleuves, dans leur direction , leur abondance , leur interruption, etc. Tome L. 26 402 ANIMAUX É observé , sans qu'aucune prévoyance ou qu'aucune déter- mination de l'animal y ait la moindre part. D'après .ce qui vient d’être exposé, on voit que les infusoires sont, parmi les animaux , ce que sont les algues parmi les végétaux ; que , de part et d'autre, ce sont les corps vivans les plus imparfaits , ceux qui ont l'organisation la plus simple , et que c’est parmi eux sur- tout que la nature opère, encore de part et d'autre, des générations directes. On trouve les infusoires dans les eaux douces et sur- tout dans celles qui sont croupissantes; c'est plus parti- culièrement dans les infusions des substances végétales ou animales qu’on les rencontre ; enfin, on en trouve aussi dans les eaux marines. Ces animalcules semblent n’avoir point de patrie particulière, puisqu'on les retrouve les mêmes dans toutes les parties du monde , mais seulement dans les circonstances où ils peuvent se pue Trop près encore de leur origine, ils n’ont pas eu le tems de recevoir de la différence des climats , des situa- tions et des habitudes , les modifications qui assujétissent les autres animaux à vivre dans des régions et des loca- lités particulières. Les infusoires n'ont pas, comme les autres animaux, une forme générale qui soit particulière à ceux de leur classe, et qui puisse servir à les caractériser; ils ne sau- ‘raient l'avoir, parce que la trop faible consistance de leur corps ne le permet pas, et qu'ils sont plus ou moins complétement assujétis à l'influence des pressions environnantes. À Aussi, quoique les différens infusoires nous présentent SANS VERTÈBRES. 403 toutes sortes de formes , que souvent même les individus d'une même espèce changent de forme sous nos yeux d'un instant à l’autre , les plus imparfaits de ces animaux étant plus frèles et plus fortement assujétis que les autres aux influences de l'eau qui presse également sur tous yes points de leur corps, sont nécessairement sphériques ou d'une forme qui en approche. Ceux qui en proviennent ensuite , et qui acquièrent pro- gressivement plus de consistance dans leurs parties, sont moins soumis aux pressions du milieu dans Jequel ils vivent , s’éloignent graduellement de cette forme simple et première à laquelle les plus imparfaits ne peuvent se soustraire , et en obtiennent de particulières qui sont re- latives à l’état où leur organisation est parvenue. Ce n’est réellement que dans les polypes que la nature a réussi à donner aux animaux une forme générale, re- lative à leur organisation , sur laquelle les pressions en vironnantes n'ont plus ou presque plus d’influence , et qui peut servir à les caractériser. Partout ensuite, la di- versité des formes tient à l’état de l’organisation et au produit des habitudes des animaux en qui on la consi- dère. Une considération qu'il importe de ne pas perdre de vue, c'est que le caractère essentiel des znfusoires ne réside nullement dans l'extrême petitesse de ces animaux, mais dans la simplicité de leur organisation. Ce n'est pas dans cette classe seule que l’on observe des animaux extrêmement petits; dans les quatre classes qui suivent , et principalement dans les crustacés, lon connaît des animaux d'une petitesse si considérable qu’ils Âoë ANIMAUX échappent à la vue simple. Or, comme ces animaux sont aquatiques, microscopiques et la plupart transparens, il est probable qu'on en rapporte plusieurs à la classe des infusoires , quoiqu’ils appartiennent réellement à d’autres classes. En observant quelques-uns des traits de leur or- ganisation , on s’en autoriserait alors pour déclarer celle des infusoires plus composée qu’elle ne l’est véritable- ment; ce qui a déjà été fait. Il suflira de replacer dans leur classe convenable, les animaux que leur extrême _ petitesse aurait, par erreur , fait ranger parmi les infu- soires. Rien n’est plus digne de notre admiration et n’est plus propre à nous éclairer sur la marche de la nature dans sa production des animaux , que la manière dont les infusoires se multiplient, c'est-à-dire, que le mode qu’emploie la nature pour reproduire des animaux en qui aucun système d'organes particulier pour la généra- tion ne peut encore exister. Elle atteint son but en employant des divisions grandes) ou petites de leur corps , selon que sa forme les exige. ! Pour ceux dont le corps est sphérique, elle ne peut: guère se servir que de petites portions de ce corps-qui naissent de l’intérieur, etse font jour par des déchirures; et pour ceux dont le corps est aplati ou déprimé , elle emploie communément des scissions de leur corps, scissions qui s’opèrent sur sa longueur ou sur sa largeur; selon les espèces. On voit d’abord paraître sur le corps de l’animaleule , une ligne longitudinale ou transversale; et quelque tems après, il se forme une échancrure à l’une des extrémités | SANS VERTÈBRES. 409 de cette ligne, quelquefois aux deux bouts. L'échancrure s'agrandit insensiblement, et à la fin es deux moitiés se séparent et prennent bientôt la forme même de l'individu entier. Ces nouveaux individus vivent quelque tems sous leur forme naturelle, et à leur tour se multiplient de même par une scission de leur corps. À cet égard , j'ai fait remarquer, dans ma Philoso- phie zoologique ( vol. 2, p. 120 et 150.), que la mul- tiplication des individus par scissions et celle par gem- mules externes ou internes , n'étaient réellement que des modifications d’un même mode; qu'au fond, ce n’est qu'une suite d'extensions et de séparations de parties, lorsque l'accroissement a atteint son terme; et qu’enfin, ce mode n'’exigeant point d'embryon préalablement formé , et conséquemment aucun acte de fécondation, n’a besoin pour s’exécuter d'aucun organe spécial. C’est ce même mode de multiplication par extension et séparation de parties, qui prouve que, dans son prin- cipe, la faculté de reproduction prend réellement sa source dans un excédent de la nutrition qui, au terme du développement de l'individu , n’a pu être employé à l’accroissement général; excédent qui s'isole alors en un ou plusieurs corps particuliers, et finit par se séparer de l'individu. On sent que, selon l’organisation très-simple ou compliquée en qui on le considère, cet excédent peut _se passer ou a besoin de certaine préparation pour pou- voir être reproductif. La fécondation opère cette pré- paration dans ceux en qui elle est nécessaire, Cette considération , et bien d’autres que j'ai indi- quées, montrent de quelle importance il est pour le ” 406 ANIMAUX physiologiste , de ne point se borner , dans ses études , à l'examen de l’organisation de l’homme et des animaux les plus parfaits; et d'observer , en outre, l'organisation des différens animaux sans vertèbres et particulièrement celle des plus imparfaits de ces animaux. Les infusoires, quoique la plupart renouvelés sans cesse dans les tems et les lieux favorables à leur production, sont néanmoins les plus anciens des animaux. Cependant la connaissance de ces animaux est le résultat d’une découverte assez moderne, puisqu'elle est du siècle der- nier ; et comme l’a dit Bruguière, ce n’est assurément pas la moins piquante. | | Ces petits animaux exigent des observations micros- copiques très-délicates ; une patience presque sans bornes pour reconnaître Jes faits qu'ils nous présentent ; enfin, un esprit libre ou dégagé de prévention, afin de ne voir en éux que ce qui y est véritablement. Lorsqu'on manque de loisirs ou de moyens pour les observer soi-même , il faut, pour s’en procurer la notion, consulter les ouvrages de Leuwenoheck, qui en fit la découverte ; d'Othon-Frédéric Muller, qui en observa un très-grand nombre, et en décrivit beaucoup de gen- res et d'espèces; en un mot, ceux de Ledermuller , de Backer, de Roësel, de Schranck , de Spallanzani, ete., qui en observèrent séparément différentes espèces. Mais O.-F. Muller est celui qui les a le plus étudiés, Les a décrits et figurés avec exactitude , et à qui l’on est véri- tablement redevable de cette partie de la zoologie tout- a-fait mconnue des anciens. L'existence des infusotres et l'état réel de leur orga- SANS VERTÈBRES. 407 nisation et de leurs facultés, sont les seuls objets qui puissent nous intéresser à leur égard. Aussi ce n’est que philosophiquement et que comme des objets de première importance à considérer dans l’étude de la nature , que nous devons nous en occuper. Il importe donc très-peu qu'aux connaissances actuelles sur les animaux de cette classe , l’on ajoute celle de 100 ou de 1000 infusoires nouvellement observés; que l’on augmente, soit la liste des genres , soit celle des espèces. C'est d’après cette considération que je me suis un peu étendu sur ce qui les concerne en général, etsur ce qu’il nous importe de remarquer à leur égard. Mais dans l'ex- position qui va suivre , je ne m'occuperai que des coupes principales à établir parmi eux, eije me borneraï à la ci- tation de quelques espèces pour exemple, d’après Muller. DIVISION DES INFUSOIRES. Les observations faites sur ces animalcules, nous ap- prennent que les uns sont nus où à très-peu-près, c’est- a-dire, dépourvus d'organes ou d’appendices extérieurs ; tandis que les autres offrent des parties saillantes au de- hors, comme des poils bien apparens, des espèces de cornes , Ou une quéuê. En conséquente, imitant a-peu-près la distribution de PBruguière, je partage les infusoires en deux ordres, savoir: 1.0 En infusoires nus; 2.2 Eninfusoires appendiculés. Cette distribution, qui n’est pas toujours exempte d’'é- quivoque ou d'embarras, m'a paru néanmoins d'autant plus utile, qu’il est-évident que les infusoires nus sont 408 ANIMAUX plus imparfaits que les antres ; que c’est sumtout parmi ! L ; eux que se trouvent les plus petits, les plus fréêles, les plus simples de tous les animaux connus. TABLEAU DES INFUSOIRES. = ORDRE L* | INFUSOIRES NUS, Ils sont dépourvus d’appendices extérieurs. [re section. — Corps ÉPArs. Monade. Volvoce. Protée. Enchélide, Vibrion. ÎL.e secrion. — Corps MEMBRANEUX, aplati ou concave. Gone. ‘ Cyclide. Paramèece. Kolpode. Bursaire. 0 RDRE Il. INFUSOIRES APPENDICULÉS. Ïls ont à l'extérieur des parties toujours saillantes, comme des poils, des’ espèces de cornes , ou une queue. Tricode. Kérone. Cercaire. | Une queue, Furcocerque. l Point de queue. SANS VERTÈBRES. 409 ORDRE PREMIER. INFUSOIRES NUS. Corps très-simple ; microscopique , dépourvu d'organes ou d’appendices extérieurs , et paraissant homogène. Les infusoires nus sont des animalcules très-simples, infiniment petits, la plupart transparens , dépourvus, au moins en apparence , d'appendices extérieurs, comme de poils, de cils , d'espèces de cornes ou d’une queue, et qui ne paraissent , sous l'œil armé, que des points ani- més ou mouvans. Ces animalcules, et surtout parmi eux ceux qui ont le corps globuleux ou sphérique , offrent ce qu'il ya de plus simple dans le règne animal, c’est- a-dire , les plus faibles ébauches de l’organisation. Si on laisse quelque tems de l’eau exposée à la chaleur de l'air ou du soleil, et surtout de l’eau dans laquelle des matières animales ou végétales ont été infusées ; on y voit bientôt paraître de ces infusoires ; maïs on ne peut en général les apercevoir qu'avec le secours du microscope. Malgré leurs mouvemens singuliers, on pourrait douter que ces petits corps, surtout ceux qui sont sphériques et punctiformes, fussent réellement des animaux; si, de proche en proche, ces animalcules de plus en plus développés ou animalisés , ne conduisaient presque sans lacune, aux infusoires appendiculés, ceux-ci aux polypes ciliés, enfin, ces derniers aux polypes à rayons. Ainsi, ce ‘4to ANIMAUX fait bien reconnu , ne peut laisser aucun doute raisonna- ble sur la nature animale de ces singuliers corps. Comme ces animaux n’intéressent que sous des points de vue philosophiques, je me suis permis de réduire un peu le nombre des genres établis parmi eux par Muller, dans l'intention d’en rendre l'étude plus facile. Je partage les infusoires nus en deux sections , de la manière suivante : 1.re Section. — Corps épais. 2. Section. — Corps membraneux. PREMIÈRE SECTION. CORPS ÉPAIS. + IT a une épaisseur perceptible , qui l’eéloigne de Fetat membraneux. MONADE,. ( Monas. ) Corps extrêmement petit, très-simple, transparent, en forme de point. Corpus minimum , sèmplicissimum , hyalinum , punc- tiforme. SANS VERTÈBRES. Re: OBSERVATIONS. Les monades sont les plus petits, les plus imparfaits et les plus simples de tous les animaux connus; elles sont plus petites encore que les volvoces, et on n’a supposé leur ani- malité que parce que ce sont des corpuscules mouvans, et que leur analogie avec les volvoces est évidente. Assurement les r720nades n’ont ni bouche, nisac alimen- taire, ni organe spécial quelconque ; aussi est-il probable qu’elles ne vivent que par absorption et par une imbibition continuelle. Ce ne sont que des points vivans, n’ayant au- cune forme propre, car leur forme globuleuse résulte de la pression du liquide dans lequel elles vivent. Ces animalcules, véritables ébauches de l’animalité , se forment et se trouvent, lorsqu'il fait un peu chaud, dans les eaux tranquilles ou croupissantes, soit douces, soit ma- rines , dans les infusions végétales etanimales , plus rarement dans l’eau pure. La première espèce est réeilement le terme ou l’observa- ion microscopique ait pu atteindre. ESPÈCES, 1. Monade terme. Monas termo. M. Gelatinosa; corpore minimo subinconspicuo. Mall. inf. t.1.f.1. Encycl. pl. 1. f. 1. La fig. citée représente une goutte d’eau considérablement gros- sie et remplie de M. termes en nombre'incalcalable. H. dans les infusions animales et végétales. 412 ANIMAUX 2. Monade atome. Monas atomus. M. Albida ; puncto variabili instructa. Muil inf. t. 1. f. 2, 3. Encycl. pl. 1. f. 2.a, b: H. dans l’eau de mer gardée. :3. Monade point. Monas punctum. M. INigra, subcylindrica. Mall. inf, t. 1. f. 4. Encycl. pl. t. f. 3. H. dans les infusions de la pulpe de poire. 4. Monade œil. Monas ocellus. M. Hyalina, puncto centrali notata. Mall. inf. t. 1. f. 9, 8. Encycl. pl. 1. f. 4.a, b. H. dans l’eau des fossés où croissent les conferves. 5. Monade lente. Monas lens. M. Ovoidea, Hyalina. Mull. inf. t. 1. f. 9 à 11. Encycl. pl.r.f.5.a,b, c. H. dans toute sorte d’eau. Ces monades paraissent se multi- plier par scission. 6. Monade luisante. Monas mica. M. Circulo notata. Mall. inf. t.1.f. 14, 15. Encycl. pl. 1. f. 6. a, b. H. dans les eaux les plus pures. Ces corpuscules varient sous l'œil de la forme sphérique à l’ovale ; tantôt ils oscillent, et tantôt ils tournent sur eux-mêmes. 7. Monade tranquille. Monas tranquilla. M. Ovata, Hyalina, margine nigra. Mall. inf. t. 1. f. 18. Encycl. pl. 1. f. 7. H. dans l’urine gardée. 8. Monade poussière. Monas pulvisculus. M. Hyalina, margine virente. Mall. inf. t. 1.f. 5,6. Encycl. pl. 1. f. g. a, c. H. dans l’eau des maraïs. Etc. SANS VERTÈBRES. 413 VOLVOCE. (Volvox.) Corps très-petit, très-simple , transparent, sphérique ou ovoïde, tournant sur lui-même comme sur un axe. Corpus minimum, simplicissimum , pellucidum , sphæricum, circà axim rotatorium. OBSERVATIONS. La plupart des volvoces sont trop petites pour qu’on puisse les apercevoir à la vue simple, et une seule espèce connue fait exception à cet égard. Leur corps tres-simple et peu changeant de figure, nous parait les rapprocher davantage des mmonades que les protées ; car il ne s’offre à nous que sous l’aspect d’une très-petite. masse gélatineuse, transpa- rente , sphérique , et qui, dans ses moon prend sou- vent une forme ovoiïde. | Ces petits corps tournent sur eux-mêmes comme sur un axe ; les uns avec lenteur , les autres avec une vitesse qu'ils semblent varier à leur gré ; mais ce n’est qu'une illusion, et il est probable que les variations dans la vitesse de leur ro- tation ne dépendent pas d'eux, Dans plusieurs, le corps paraît composé pe globules nom- breux, quelquefois mouvans et réunis dans une masse com- mune. Or, il y a lieu de croire que ces globules sont des gemmules qui régénèrent ou multiplientl’individu , en sor- tant par une déchirure de son corps : la volvoce: ciaiense est de ce nombre. 414 . ANIMAUX Muller a pensé qu’il y avait ici lieu de former deux genres; savoir : les volvoces à parties intérieures uniformes, et” celles dont l’intérieur offre un amas de globules particuliers. On trouve les volvoces dans les eaux douces, soit des marais, soit des fontaines; dans des infusions végétales ; dans l’eau de mer. ESPÈCES. * Intérieur du corps paraissant simple et ho- mogëne. 1. Volvoce point. Volvox punctum. V. Sphæricus, nigricans ; centro puncto lucido. Mull. inf. t.3. f. 1, 2. Encycl. pl. 1.f.1. a, b. H. dans l’eau de mer féude. 2. Volvoce grain. Folvox granulum. VF. Sphæricus, viridis; periphæriä hyalind. Mall. inf. t. 3. f. 3. Encycl. pl. x. f. 2. H. dans l’eau des marais. 3. Volvoce globule. Volkvox globulus. V. Globosus , postice subobscurus. Mull. inf. t. 3% f. 4. Encycl. pl. 1. f. 3. a, b. ** Intérieur du corps offrant des corpuscules particuliers. 4. Volvoce pilule. Folvox pilula. V. Sphæricus ; interaneis immobilibus virescentibus. Mull. inf. t. 3. f 5: Encycl. pl. r. f. 4. H. dans les eaux les plus pures , où croît le /emna minor. SANS VERTÈBRES. | 415 5. Volvoce grésil. V’olvox grandinella. V. Sphæricus , opacus ; interaneis immobilibus. Mall. inf. t. 3. f. 6, 9. Encycl. pl. 1. f. 7. H. dans les eaux douces. 6. Volvoce sociale. F’olvox socialrs. V. Sphæricus ; moleculis crystallinis œqualibus distantibus, Muil. inf. t. 3. f. 8, 9. Encycl. pl. 1. f. 8. a, b. H. dans l'eau des rivières. 3. Volvoce sphérule. Polvox sphærula. V. Sphæricus ; moleculis similaribus rotundis. Mall. inf. t. 3. f. 10. Encycl. pl. 1. f, 5. H. dans l’eau des étangs, en automne. 8. Volvoce globuleuse. Folvox globator. . V. Sphæricus , membranaceus ; globulrs sparsis, Mall. inf. t. 3. f\12, 13. Encycl. pl. 1. f. 9. a, b. H. dans les eaux stagnantes. On l’apercoit à la vue simple. Etc. PROTÉE. CPrbius! y" À «8 s% Corps très-petit, très-simple, transparent, de forme changeante , diversement lobé instantanément. Corpus. minimum, simplicissimum , pellucidum , mutabile , instantaneo motu varie lobatum. 416 * - ANIMAUX Le OBSERVATIONS. Les protées sont plus fortement contractiles que les mo- « nades etles volvoces; conséquemment, ils sont déjà plus. animalisés. Leur corps très-petit, gélatineux, et ovale ou oblong , passe d’un instant à l’autre , d’une forme simple et. unie, à une forme sinuée, lobée, presque rameuse ; et ja- mais il ne se présente une minute de suite sous la même forme. La première espèce de ce genre, que Roësel a le pres mier fait connaître, est si singulière, relativement à ses changemens de forme , qu’on l’a comparée à une goutte d’eau jetée sur de l'huile. Dans les protées , ainsi que dans les monades et les véri- tables volvoces , aucune trace d’organe particulier quelcon- que n'est perceptible, et sans doute il n’en existe réellement aucun. | Les protées vivent dans l’eau douce et dans l’eau de mer; on n’en connaît encore que deux espèces. 4 ESPÈCES. 1: Protée rameux. Proteus diffluens. P. in ramulos diffluens. Roës. ins. 3. t. roi. fig. A. T. Mull.t.2.f.1 à 12. Eucyel. pl. r. f.1.(a,b,c,d,e,f,g8,h,i,k,l,m.) Se trouve dans l’eau des marais. . a. Protée tenace. Proteus tenax. P. in spiculum difjluens. Mull. t. 2: f. 13 à 18. Encycl.pl.1,f.2.(a, K c,d,e,f.) Se trouve dans l’eau de rivière et dans l’eau de mer. pra, SANS VERTÈBRES: 417 ENCHÉLIDE. (Enchelis. ) Corps très-petit, très-simple , oblong, cylindracé, de forme un peu changeante. Corpus minimum, simplicissimum , oblongum vel cylindraceum, subvariabile. OBSERVATIONS. Il n’y a point de limites positives et tranchées entre les enchélides et les vibrions; et j'aurais pu, sans inconvénient bien important, continuer de réunir ces animalcules en un seul genre. Cependant les enchélides sont en quelque sorte grosses et courtes, comparativement aux vibrions, qui ont le corps grèle et allongé. Les enchélides d’ailleurs varient souvent un peu de forme dans leurs mouvemens, et sem- blent plus voisines des protées sous cette considération, que les infusoires auxquels le nom de vibrion peut convenir. Enfin, l’on a lieu de penser que, quoiqu’on ait pu commettre quelqu’erreur à leur égard, la plupart des animalcules qu’on a rangés parmi les enchélides , sont de véritables infusoires ; tandis qu’il est probable qu’il n’en est pas ainsi des vibrions. ‘ESPECES. 1. Enchélide verte. Enchelis viridis. E. subcylindrica , anticè oblique truncata. Mall. inf. t. 4. f. 1. Encycl. pl. 2.f.1 H. dans l’eau gardée plusieurs semaines. Tome I. 27 418: ANIMAUX ï 2. Enchélide ponctuée. Enchelis punctifera. Æ. subcylindrica, viridis , anticé obtusa, posticè acuminata- Mall. inf. t. 4. f. 2.3. Encycl. pl tre H. dansel’eau des marais. 3. Enchélide ovule. Enchelis ovulum. E. cy lindrico-ovata , hyalina, longitudinaliter subplicata. Mall. inf. t. 4. f. o—11. Encycl. pl. 2. f. 3.a,b, c. H. dans l’eau gardée quelques jours. 4. Enchélide paresseuse. Enchelis deses. E. viridis , cylindrica, subacuminata » gelatinosa. Mall. inf. t. 4. f. 4. 5. Encycl. pl. 2. f. 4. a, b, H. dans l’infusion de la lenticule, 5. Enchélide anneau. Ænchelis similis. Æ. obovata, opaca , margine pellucida ; interaneis mollibus. Mall. inf. t, 4.f. 6. Encycl. pl. 2. f. 5. H. dans l’eau conservée plusieurs mois. 6. Enchélide tardive. Enchelis $erotina. E. ov ato-cylindracea; interaneis immobilibus: Muil. inf. 1.4. f. 9. Encycl. pl. 2. f. 6. H. dans l’eau des marais gardée. . Envhélide nébuleuse, Enchelis EN PR £. ovato-cylindracea , interaneis re mobilibus. Mull. inf. t. 4. f. 8. Encycl. pl: 2. f,.7 H. dans l’eau gardée. L! $. Enchélide semence. Enchelis moule. E. cylindracea, æqualis. | Mall: inf. t. 4. f.13. 14. Encycel. pl. 2. f. 8. a, b. H. dans l’eau conservée plusieurs jours. g. Enchélide poire. Enchelis; pirum. E. inverse conica, posticèe hyalina. Mail. inf. t. 4. f. 12. Encyel. pl. 2. _ 11. H. dans l’eau AN que Etc. dir | Gésery. L’Enchelis frittillus de Mie { t. 4. f. 22 4 ) semble appartenir aû génre Bursairé. La ‘ ça SANS VERTÈBRES. 419 VIBRION. ( Vibrio.) Corps très-petit, très-simple, cylindrique, prolongé. Corpus minimum, simplicissimum, cylindricum , elongatum. OBSERVATIONS. Les »ibrions sont des animalcules microscopiques , à corps cylindrique, grêle, prolongé, ne variant presque point dans sa forme. Ceux de ces animalcules qui ont le corps très-simple , sans bouche, sans tube alimentaire , en un mot, sans aucun or- gane particulier , sont de véritables infusoires et appar- tiennent réellement à ce genre: j'en ai vu moi-même dans cé cas. Mais il est probable que, parmi les espèces nombreuses que l'on a comprises dans ce même genre, plusieurs ont une organisation moins simple que les infusoires , ne sont point réellement des »ibrions , et qu’on ne s’est uniquement fondé que sur la petitesse de ces animalcules pour les classer et les rapporter au genre dont il s’agit, Le vibrion-anguille, par exemple , que Bruguière ne regarde que comme unè Variété du 21brio aceti, offre, à ce qu'on prétend, une bouche mume de deux lèvres, et un tube alimentaire distinct. S'il en est ainsi , cet animalcule doit être rapporté à la classe des vers, quelque petit qu'il soit, et non à celle des infusoires. On à lieu de présumer que d’autres Le robe vibrions ‘sont dans le nêrhe cas. Quoiqu'il en sôit, j'en ai vu qui ‘assurément n'avaient point 420 ANIMAUX de bouche, et parmi eux j'en ai distingué qui offraient l’ap- : parence d’une cavité intérieure, tantôt simple et oblongue, « tantôt divisée en deux; mais cette cavité ne s’ouvrait point au-dehors, On voit souvent à l’œil nu le vibrion-anguille, et même. le vibrion du vinaigre, qui porte aussi le nom d’anguille du vinaigre: leurs mouvemens sont vermiculaires. La gelée, . dit-on, ne les fait point périr ; mais ils ne résistent point à l’évaporation , à moins que quelques poussières ne les met- tent à l'abri du contact de l'air. On trouve les »ibrions dans plusieurs infusions végétales et animales, dans les eaux douces, et quelquefois dans l’eau de mer conservée, ESPÈCES. 1. Vibrion linéole. Vibrio lineola. V. linearis, minulissimus. Mull. inf. t.6.f. 1. Encycl. pl. 3. f. 2. E. dans les infusions végétales. C’est un des infusoires les pie petits. 2. Vibrion ridé. Vibrio rugula. F. lineartis , flexuosus. Mail. inf. t. 6. f. 2. Encycl. pl. 3.f. 3.a,b. H. dans l’infusion des mouches. 3. Vibrion baguette. Vrbrio baccillus. V. linearis, æqualis, utrinque truncatus. Mull. inf. t. 6. f. 3. Encycl. pl. 3. f. 4. a, b. EH nt l’eau gardée. | 4. Vide ondoyant. Wibrio natal, V. filiformis, flexuosus. Mull inf, t. 6.f.4,5, 6. Encycl. pl. 3:f, 57. SANS VERTÈBRES. 421 H. dans l’infasion gardée de la lenticule. Tantôt ils nagent, et tantôt ils se réunissent en peloton sur un rameau de cen- ferve. 5. Vibrion spiral. Vibrio spirillum. V. filiformis ; ambagibus in angulum acutum tornatrs. Mull. inf. t. 6. f. 9. Encycl. pl. 3. f. 8. H. dans l’infusion du laitron des champs. 6. Vibrion vermet. brio vermiculus. V. cylindraceus , gelatinus , tortuosus. Mull. inf. t.6. f. 10, 11. Encycl. pl. 3. f. 1. H. dans l’eau des marais. 7. Vibrion intestin. Ÿ brio intestinum. V. gelatinosus, teres, antice angustatus. Mull. inf. t. 6. f. 12—15. Encycl. pl. 3. £. 10—13. H. dans l’eau des marais. 8. Vibrion biponctué. Vibrio bipunctatus. V. linearis, æqualis ; utraque e rtremitate truncata; glo- bulis binis meduts. | Mall. inf. t. 9. f. r. Encycl. pl. 3. f. 14. H. dans l’eau de mer gardée, 9. Vibrion triponctué. Wibrio tripunctatus. V. linearis, utrinque attenuatus ; globulis tribus ; extremis minortbus. Mall. inf. t. 7 f. 2. Encycl. pl. 3 f. 15. H. en automne, dans les fossés inondés, 10. Vibrion porte-pieu. Wibrio paxillfer. V. linearis, flavescens ; paleis gregartis multifariam ordi- nalis. : Mull. inf t.7.f. 3—17. Encycel. pl. 5. f. 16—20. H. dans l’ulve dilatée. Etc. 422 ANIMAUX DEUXIÈME SECTION. CORPS MEMBRANEU X. % IL est presque sans épaisseur , soit aplati, soit concave. _ Les animalcules compris dans cette section paraissent être réellement des znfusoires. Leur corps est très-simple, membraneux , le plus souvent aplati, concave dans un petit nombre ; il n’offre aucun organe particulier perceptible, et il est probable qu'il n'y en existe réellement point. Posséder une forme constante, différente de celle qui est sphérique, ovoïde ou oblongue, c’est, dans les infusoires qui la présentent , la preuve d’un progrès ac- quis dans la consistance des parties de ces corpuscules. Effectivement , sans un affermissement obtenu dans ces parties, la pression du liquide environnant se. fut opposée à l'acquisition et à la conservation de cette forme qui, elle-même, a pris sa source dans la nature des mouve- mens que les animalcules qui l'offrent exécutent dans l’eau. L’ organisation de ces infusoires n’en est pas moins encore très-simple, quoique ces petits corps soient un peu moins frêles que ceux de la première section. Voici les genres qui se rapportent à cette seconde section du premier ordre. ee se De SANS VERTÉBRES. 423 GONE. | ( Gonium. ) - Corps très-petit, tres-simple, aplati, court, anguleux. Corpus minimum, simplicissimum ; complanatum , breve, angulatum. OBSERVATIONS. ; . Les gones et les cyclides sont les plus simples des infu- soires aplatis. Leur corps est court, plat , membräneux et en quelque sorte sans épaisseur, Il est angüleux dans son pourtour , dans les gones ; tandis qu’il est orbiculaire ou ‘ovale, dans les cyclides. Quelques espèces de gones paraissent composées de plu- sieurs corps joints ensemble parure mémbräne commune qui les réunit ou les enveloppe. Ce n’est probablement tan- tôt que l'apparence des mailles aperçues de leur tissu cel- faire, ‘comme dans la gone pectorale , et tantôt que celle des lignes préparées pour les scissions qui doivent les mul- tiplier, comme dans la gone coussinet, Leur movement est Fe ESPÈCES 1. Gone pectorale. Gonium pectorale. G.quadrangulare, pellucidum ; globulis sedecim. Mail. inf, t. 16. f. o—11. Encycl. pl 7, f, 1 —3. “H. dans les eaux pures. 2. Gone coussinet. Gonium pulvinatum. ad G. quadrangulare, opacum, torosum. 7 Mull inf. & 16. f. 12— 15, -EncycL pl. 9. f. 4—. CH, dans l’eau des famiers. 424 | ANIMAUX 3. Gone ridée. Gonium corrugatum. G. subquadrangulare, albidum, ruga longitudinali notatum. Mall. inf. t. 16. f. 16. Encycl. pl. 7. f. 8. H. dans diverses infusions, particulièrement dans celle de la poire. 4. Gone rectangle. Gonium rectangulum. G. rectangulare ; dorso arcuato. Mull. inf. t. 16. f. 17. Encycl. pl. 7. f. 0. H. fréquemment dans les eaux pures. 5. Gone obtusangle. Gonium obtusangulum. G.o btusangularé ; dorso arcuato. Mall. inf. t.16. f. 18. Encycl. pl. 7. f. 10. H. avec le précédent , mais rarement. CYCLIDE. (Cyclidium.) Corps très-petit, très-simple , transparent , aplati, orbiculaire ou ovale. Corpus minimum, simplicissimum , pellucidum d RÉ +, PT ee complanatum , orbiculare vel ovatum. OBSERVATIONS. Les cyclides sont râpprochés ‘dés gones par leur corps} | court et aplati ; : mais ils tiennent davantage aux paramèces 1 semblent même n’être que des paramèces raccourcies, etn’en | diffèrent point par leur organisation. En effet, les grclides\ | ont le corps court , orbiculaire ou ovale, tandis que le COrps des paramèces est allongé, plusieurs fois plus long que SANS VERTÈBRES. 425 large ; mais dans les uns comme dans les autres , le corps est très-simple , aplati, membraneux. Le mouvement des cyclides est oscillatoire, circulaire ou demi-circulaire, plus ou moins interrompu, lent ou vif se- lon les espèces. ESPECES. 1. Cyclide bulle. Cyclidium bulla. C. orbiculare, hyalinum. Mull. inf. t. 11. f, 1. Encycl. pl. 5. f. 1. H. dans l’infusion du foin. 2. Cyclide millet. Cyclidium milium. C. ellipticum , crystallinum. Mull. inf. t. 11.f.2, 3. Encycl. pl. 5. f. 2, 3. H. dans l’infusion de diverses plantes. 3. Cyclide flottant. Cyclidium fluitans. C. ovale, crystallinum. Mall. inf. t. 11.f. 4, 5. Encycl. pl. 5. f. 4, 5. H. dans l’eau de mer corrorapue. 4. Cyclide glaucome. Cyclidium glaucoma. C. ovatum; interaneis ægre conspicuis. Mall. inf. t. 11. f. 6—8, Encycl. pl. 5. f. 6-8. H. dans l’eau gardée pendant l’hiver. 5. Cyclide noirâtre. Cyclidium nigricans. C. oblongiusculum; margine nigricante. Mall. inf. t.11.f.9, 10. Encycl. pl. 5. f. g—10. H. dans l’infusion de la lenticule. _ 6. Cyclide rostré. Cyclidium rostratum. C. ovale, pellucidum, postice subacutum. Mall. inf. t. 11. f. 11, 12. Encycl. pl. 5. £. 11, 12. H. dans une infusion végétale. | 426 ANIMAU X ÿ 7. Cyclide pépin. Cyclidium nucleus. C. ovale, postice acuminatum. Mall. inf. t. 11. f. 13. Encycel. pl. 5. f. 13. H. rarement dans les infusions végétales, 8. Cyclide diaphane. Cyclidium hyalinuin: C. ovatum, posticè acutum. Maull. inf. t. 11. f. 14. Encycl. pl. 5. f. 14. H. dans l’infusion de la clavaire coralloïde. Etc. PARAMÈCE. ( Paramecium, ) Corps très-petit, simple, transparent , mesmbraneux ; oblong. nr. Corpus minimum , simple, REMCIAUIR » nt naceum , oblongum. OBSERVATIONS. Les paramèces ne sont.e en je bas D abte que. dei se ci allonges , plus développés un peu plus änimalisés. Le corps de ces animalcules est membraneux, aplati ) quelque- fois cylindracé, allongé, obtus ! à ses extrémités , en général trés-peu sinueux et sans angles, Il parait varier de- forme d’un instant à l’autre, selon:les, positions qu’il prend par rap- port à l’œil de l'observateur. | C’est en observant ces infusoires qu'on a reconnu te manière positive, leur multiplication par scission, c'est-à- dire >, par division de leur corps , soit longitudinale, soit LA SANS VERTÈBRES. 427 transverse ; et l’on sait maintenant que ce fait remarquable ne leur est point du tout particulier, Il est même probable que ce mode singulier de multiplication est celui de la plu- part des infusoires , quoique plusieurs paraissent sé repro- duire par des corpuscules ( des gemmules ) internes , qui se font jour au dehors par des déchirures. Les paramèces ne nous offrent que de tres-petites lames allongées, vivantes , animalisées. Elles sont à peine distinctes des kolpodes ; néanmoins elles sont moins sinueuses , moins anguleuses, moins irrégulières. Leurs mouveimens sont en général lents , vagues, ou os- cillatoires. ESPÈCES. 1. Paramèce aurélie. Paramecium aurelia. P. compressum, a medio ad apicem uniplicatum , posticè aculurn. Mall. inf, t. 19. f. 1—14. Encyel. pl. 5. f. 1—12. H. dans l’eau des fossés où croît la lenticule. 2. Paramèce chrysalide. Paramecium chrysalis. P. cylindraceum, versus antica plicatum, posticè obtusum. Mull. inf. t. 12. f. 15—20. Encycl. pl. 6. f.1—5. H. en automne, dans l’eau de mer. 3. Paramèce rusée. Paramecium versutum, P. cylindraceum , postice incrassatum, uträque extremitate obtusum. Mall. inf. t. 12. f. 51—24. Encycl. pl. 6. f. de à H. dans les fossés marécageux. ESS . Paramèce œuvée, . Parameciunt En P. depressum; intüs bullis ovalibus. Mall. inf, t. 12. f, 25—2. RAR pl. G. f. 10— 12. H dans les marais. 428 ANIMAUX. 5. Paramèce bordée. Paramecium marginatum. P. depressum , ellipticum , griseum ; margine hyalino. Mall. inf. t. 12. f. 28, 29. Encycl. pl. 6. f. 13 , 14. EH. danï l’eau des marais. KOLPODE. (Kolpoda.) Corps très-petit, très-simple, aplati, oblong, sinueux, « irrégulier , transparent. Corpus minimum, simplicissimum , pellucidum , oblongum , complanatum , sinuosum , irregulare. OBSERVATIONS. De même que les paramèces ne sont guères que des cyÿ- clides allongés ; de même aussi les Æo/podes ne sont en quelque sorte que des paramèces sinueuses, irrégulières, plus variées dans leur forme. Ainsi les kolpodes , quoiqu’étant encore des infusoires. trés-simples, sont un peu plus avancés en animalisation que. les paramèces, puisqu'ils sont plus sinueux, plus irréguliers, plus variés , et que leur forme est moins assujétie aux in- fluences de la pression du milieu dans lequel ils habitent. Les espèces observées sont nombreuses : quelques unes des moins irrégulières , qui vont être citées les premières, seraient aussi bien nommées paramèces que kolpodes. Les mouvemens de ces infusoires sont en général lents vagues , ou oscillatoires. SANS VERTÈBRES. 429 ESPÈCES. 1. Kolpode lame. Kolpoda lamella. 2. Ë £ SI K. elongata, membranacea, antice curvata. Mail. inf. t, 13. f. 1—à. Encycl. pl. 6. f. 1—3. H. dans l’eau, mais rarement. Kolpode poulette. Æolpoda gallinula. K. oblonga ; dorso antico membranaceo hyaline. Mall. inf. t. 13. f. 6. Encycl. pl. 6. f. 4. H. dans l’eau de mer corrompue. Kolpode bec. Æolpoda rostrum. K.oblonga, antice uncinata. Mull. inf. t. 13. f. 7, 8. Encycl. pl. 6. f. 5, 6. H. dans les eaux où croit la lenticule. . Kolpode botte. Æolpoda ocrea. K. elongata, membranacea, apice attenuata, basi in ar gulum rectum productu. Mall. inf. t.13.f. 9, 10. Encycl. pl. 6. f. 7, 8. H. dans les eaux stagnantes. . Kolpode mucronée. Æolpoda mucronata. K. dilatata, membranacea, anticé angustata, allero mar- gine incisa. : Mull. inf. t. 13. f. 11, 12. Encycl. pl. 6. f. 9, 10. H. dans l’infusion de l’ulye linze. j Kolpode triquètre. Xolpoda triquetra. K. obovata, depressa; altero margine retuso: Mall. inf. t. 13. f. 13—15. Encycl. pl. 6. f. 11—13. H. dans l’eau de mer. . Kolpode striée. Kolpoda striata. K. oblonga, subarcuata, depressa, candida, anticè acus minala, postice rotundala. Mull. inf, t. 13. 16, 19. Encycl. pl. 6. f. 14, 15. H, en abondance , dans l’eau de mer. 430 ANIMAUX 8. Kolpode noyau. Æolpoda nucleus. K. ovata , vertice acuto, dorso convexo. Mall. inf. t. 13.£. 18. Encycl. pl. 6, f. 16. H. dans l’infusion des semences du chanvyre, À! 9. Kolpode pintade. Xolpoda meleagris. X: plicatilis depressa, apice uncinata, margine antico cre- nulata, posticè obtusa. Mull. inf, t. 14. f. 1—6. et t. 15. f, 1—5, Encycl. pl. 6. f. 17—27. H. dans l’eau où croît la lenticule. Animalcules allongés , très- irréguliers et très-variables. 10. Kolpode coucou. Æolpoda cucullus. K. ovata, ventricosa, infra apicem incisa. Mall. inf. t. 14. f, 9—14. Encyel. pl 7.f. 117, H. dans les infusions végétales, et dans celle du foin fétide. 11. Kolpode crénelée. Æolpoda assimilis. X. depressa, non plicatilis, apice uncinalo , margine an- tico ad medium usque crenulato, posticè dilatato acu- liusculo. Muli. inf. t. 15. f. 6. Encycl. pl. 6. f, 28. H. dans l’eau de mer. Etc. BURSAIRE. ( Bursaria. ) Corps très-simple, membraneux, concave. Corpus simplicissimum, membranaceum , concavum. OBSERYATIONS. Les 2ursaires sont des infusoires à corps mince, comme membraneux , ainsi que ceux des quatre genres précédens , PRET SANS VERTÈBRES. 434 et qui se font remarquer par leur forme concave d’un côté, imitant soit une bourse , soit un bateau, etc.; elles ont peu de vivacité dans leurs monvemens ; et on ns que ces mouvemens sont irréguliers » de manière que lorsqu'elles parcourent une ligne spirale.-de droite à gauche , et qu’elles s'élèvent dans l’eau , elles se meuvent avec assez de vitesse : mais quand elles reviennent où redescendent , élles ne vont qu'avec lenteur; ce ke l’on attribue à M de leur forme. On trouve les bursaires dans les eaux 2 et stagnan- tes, et dans l’eau de mer; on n° en, connaît encore que peu d'espèces, parmi edales la première est visible à l'œil nu. ESPÈCES. 1. PBursaire troncatelle. Pursaria truncatella. B. folhcularis ; apice truncato. Mall. inf. t. 19. f. 1 —4. Encycl. pl. 8 £. 1524: H. dans l’eau des fossés. 2. Bursaire bullée, Pursaria bulina. B. cymbeæformis, antice labiata. | Mall inf. t. 17. f. 5—8. fncyes le 8. gi 58, H. dans l’eau de met. 3. Butshite repliée. Bursaria duplella. B.élliptica , marginibus infledis. \fs Mul. inf. t. 13. f. 13, 14. Encycl. pl. 8, 119, 19. H. dans les eaux où croît la lenticule. 4. Bursaire globuleuse. Bursaria glébine. . B. Sphærica, utrinque obscurata; medio pellucéntissime, Mal). inf, t. 19. f. 15—17. Encycl. pl. 8. f. 14—16. H. dans l’eau de mer gardée. s 5. Bursaire hirondeau. Bursaria hirundinella. B. utrinque laciniatà ; extremitatibus productis. Mull. inf, t. 17: f.g-12. Encyel. pl & f g=x1. H, dans l’eau des marais, 432 ANIMAUX ORDRE DEUXIÈME. ni INFUSOIRES APPENDICULÉS. Ils ont à l'extérieur des pattes toujours saillantes , comme des poils , des espèces de cornes , ou une queue. Ces infusoires sont encore très-petits , gélatineux, transparens , diversiformes : ils sont malgré cela moins imparfaits et moins simples que ceux du premier ordre, puisqu'ils ont constamment des parties saillantes à l’exté- rieur , comme des poils très-apparens , des espèces de cornes , Ou une queue. Au lieu d’être les produits de générations spontanées comme les premiers des infusoires nus, on ne saurait douter qu’ils ne proviennent des infusoires du premier ordre , et que leur état et leur forme ne soient le résultat de quelques progrès obtenus dans la tendance à compo- ser l’organisation que la vie possède et exécute, à mesure qu’elle se transmet dans les individus qui se succèdent. Déjà, en eux, l’animalisation est un peu plus avancée, plus caractérisée ; le corps moins simple dans ses parties, moins changeant sous les yeux de l'observateur ; les flui- des essentiels contenus , et le tissu vivant qui les contient sont probablement un peu plus composés que dans les infusoires nus; et, quoiqu'ils ne possèdent encore in- térieurement aucun organe spécial pour des fonctions particulières , ils sont tout-à-fait sur le point d’en obtenir, SANS VERTÈBRES. 433 et même à cet égard , on a pu déjà se tromper sur plu- sieurs. Les infusoires appendiculés , de même que ceux du premier ordre , n’ont aucun organe particulier pour se régénérer : la plupart se multiplient par une scission na- turelle de leur corps, et plusieurs néanmoins se repro- duisent par des gemmes intérieurs , c’est-a-dire ; par des corpuscules oviformes qui probablement se font jour au dehors par des déchirures. | Il paraît, par les nombreuses espèces déjà connues et publiées , que les infusoires de cet ordre sont bien plus nombreux dans la nature que les infusoires nus. Cela doit être ainsi, d'après les principes que jen me suis cru fondé à établir. En effet, dans les infusoires nus , l’origine encore trop récente des races qui proviennent de celles, en pe- tit nombre , qui furent générées spontanément , n’a per- mis à la durée de la vie et aux circonstances qui ont influé sur ces races , qu'une diversité peu considérable. Mais, a mesure que la durée de la vie, que sa transmis- ‘sion dans les individus qui se sont succédés en se multi- pliant, et que les circonstances ont eu plus de temps pour exercer leurs influences, les races se sont diversi- |fiées de plus en plus et sont devenues plus nombreuses. | Cet ordre de choses, qu'il est facile de reconnaître |pour celui même de la nature , nous fait sentir pourquoi les infusoires sont bien moins diversifiés et moins nom- Ibreux que les polypes. Effectivement , quoique nous ne \eonnaissions pas probablement tous les infusoirés, tique mous connaissions bien moins encore tous les pulls ce | Tome I. 28 434 ANIMAUX qui est déjà connu de part et d’autre indique que la di-. versité des polÿpes est considérablement plus grande que. celle des infusoires. Aussi les polypes sont plus éloignés. de leur origine que les infusoires. Malgré cela, les infusoires appendiculés sont déjà très-variés entr’eux ; néanmoins ils présentent dans leurs Caractères des moyens si peu favorables pour les diviser nettement en différentes coupes , que les genres qu’on a établis parmi eux, sont, quoiqu'en petit nombre , très- imparfaitement limités. | Dans le genre tricode (trichoda ) de Muller, ilya déja quelques animaux qui commencent à cffrir l'ébauche, d'une bouche et par conséquent d'un organe digestif commencé. Or, d’après notre caractère classique , ces animaux doivent être rapportés à la classe suivante. TRICODE. (Trichoda. ) : | Corps très-petit, transparent , diversiforme, sans queue particulière, garni de poils mous, soit partout, soit sur quelque partie de sa surface. Corpus minimum , pellucidum , diversiforme , ecau- , datum , undiquè vel in superficie parte pilis mollibus ciliatum. OBSERVATIONS. 14 J'appelle éricode , les infusoires qui manquent de queue, c’est-à-dire, qui n’ont point postérieurement ce prolonge- SANS VERTÈBRES. 435 ent particulier qui mérite le nom de queue , et qui sont unis, soit partout , soit sur quelque partie de leur surface, e poils mous , qui les font paraître velus ou ciliés. Ces infusoires se composent de tous les leucophres de uller et de la plus grande partie de ses érichoda. Je les istingue de ceux que je nomme Âérones, parce qu'ils 'ont pas comme ces derniers des poils longs et cirreux, ou es poils roiïdes , rares et corniformes. Les tricodes et les kérones ainsi déterminées, sont sans ontredit moins avancées en animalisation que les infusoires i sont terminés postérieurement par une queue particu- ière ; elles doivent donc se trouver avant eux dans l'échelle nimale. ESPECÉS. [A] Corps garni de cils sur toute sa surface. ( Leucophres de Mull. ) 1. Tricode conspirateur. Trichoda conflictor. T. sphærica , subopaca ; interaneis mobilibus. Mall inf. t. 21. f. 1,2. Encycl. pl. 10. f. 1, 2. H. dans l’eau des fumiers. 2, Tricode mamelle, Zrichoda mamilla. T. sphærica, opaca ; papillé exsertil. Mu. inf. t. 21. f. 3.—5. Encycl. pl. 10.f. 3.—5. H. dans l’eau des marais. 3. Tricode verdätre. Trichoda viridescens. T. cylindracea, opaca, posticè crassior. ull. inf. t. 21. f. 6.—8, Encycl. pl. 10. f. 6—8, . dans l’eau de mer. 436 # 7. 10. EX ANIMAUX Tricode verte. Trichoda viridis. T. ovalis , opaca. Mull. inf. t. 21. f. 9.—11. Encycl. pl. 10. f. g—r1. H. dans l'eaü des rivages. D Tricode postume. Trichoda postuma. T. globularis y opaca, nigricans ; reticulo pellucentt. Mall. inf. t. o1. f. 13. Encycl. pl. 10. f. 13. H. dans l’eau de mer corrompue. LS) Tricode dorée. 7 richoda aurea. T°. ovalis, fulva, uträque extremitate æquali obtusa. Mull. inf. t. 21.f. 14. Encycl. pl. 10.f. 14. H. dans l’eau de mer. Tricode percée. Zrichoda pertusa. T.. ovalis , gelatinosa, apice truncato obtusa, allero latere suffossa. Maull. inf. t. 21. f. 15, 16. ane ne 10. L 19,10 H. dans l’eau de mer. ù, . Tricode disloquée. Zrichoda fracta. T. elongata, sinuato-angulata, subdepressa. Mull. inf. 1.21. f. 15, 18. Encycl. pl. 10. f. 17, 18. H. dans les fossés inondés. . Tricodé dilatée. Zrichoda dilatata. T. complanäta, mutabilis; marginibus sinualis. Mull. inf. t. 21. f. 19.—a1. Encycl. pl. 10. f 19.—21. H. dans l’eau de mer. Cet animalcule serait un kolpode f À ; n'était cilié.. Tricode étiñcelante. 7richoda scintillans. T. ovalis , teres, opaca, viridis. | Mail. inf. t. 22. f. 1. Encycl. pl. 10. f. 22. H. dans les eaux stagnantes. On doute si ce n’est pas une volvoce ne ! Tricode vésiculifère. 7richoda EE T. ovata; interaneis vesicularibus pellucentibus. SANS VERTÈBRES. 437 Mull. inf. t. 22. f. », 3. Encycl. pl. 10. f. 23, 24. H. dans les infusions végétales. 12. Tricode globifère. Zrichoda globifera. T°. ovato-oblonga, crystallina, globulis tribus serialibus. Mall. inf. t. 22. f. 4. Encycl. pl. 10. f. 25. H. dans les fossés inondés. 3. Tricode pustuleuse. Trichoda pustulata. T. ovato-oblonga, postice obliquë truncata. Muill. inf. t. 22. f. 5.—7. Encycl. pl. 10. f. 26.—98. H. dans les marais. 4. Tricode turbinée. Trichoda turbinata. T. inversé conica, subopaca. Mall. inf. t. 22. f.8 , 9. Encycl. pl. 11. f. 1, 2. . H. dans l’eau de mer corrompue. >. Tricode aigue. Zrichoda acuta. T. ovata , teres, apice acuto, mutabilis, flavicans. Mall. inf. t. 22. f 10.—12. Encycl. pl. 11. f. 3—5, H. dans l’eau de mer , parmi les ulves. 6. Tricode marquée. Trichoda notata. T. evata, teres, antice puncto atro notata. Mall. inf. t. 22. f, 13.—16. Encycl. pl. 11.f. 6.—0. H. dans l’eau de mer. 7. Tricode blanche. 7richoda candida. T. oblonga, hyalina, alterd extremitate attenuata, curvata. Mull. inf, t. 22. f. 19. Encycl. pl. 11.f. 10. H. dans les infusions marines. 8. Tricode signalée. Trichoda signata. T. oblonga, subdepressa ; margine nigricante. Mull. inf. t. 22. f. 18, 19. Encycl. pl. 11. f. 11, 12. H. dans l’eau de mer , et n’est point rare. 49. Tricode trigone. Trichoda trigona. T. crassa, oblusa, angulata, flava. 438 ANIMAUX Mull. inf. t. 22. f. 20, 21. Encycl. pl. 11. f. 22, 25. H. dans l’eau des marais. 20. Tricode fluide. 7richoda fluida. T.. subrentformis , ventricosa , variabilis. Mall. Zool. dan. 2. t 93. f. 1.—6. Encycl. pl. 11. f. 24.—10. H. dans l’eau de la moule commune. 21. Tricode versante. Zrichoda fluxa. T. reniformis, sinuosa, flavicans. Mall. Zool. dan. 2.1. 93.f. 7.—10. Encycl. pl. 1. f, 30.—33, H. avec le précédent. 22. Tricode cornue. 7richoda cornuta. - T. inversé conica , viridis, opaca. Mall. inf. t. 22. f. 22.—26. Encycl. pl. 41. f. 36—30. H. dans l’eau des marais. # [B] Corps velu sur quelque partie de sa surface ( La plupart des tricodes de Muller. ) 23. Tricode grésil. Zrichoda grandinella. T. sphærica , pellucida, supernè crinita. Mull. inf. t. 23. f. 1.—3. Encycl. pl. 12. f. 1.—3. H. dans l’eau pure et dans les infusions végétales. 24. Tricode comète. 7richoda cometa. T. sphærica, antice comata ; globulo postic appendente: Mall. inf. t. 23. f. 4, 5. Encycl. pl. 12. f. 4, 5. H. dans l’eau très-pure. 25. Tricode grenade. Zrichoda granata. 4 sphærica, centro opaco, periphæria crinila: Mull. inf, t. 23. f. 6, 5. Encycl. pl. 12. f. 6, 7. H. dans les eaux recouvertes par la lenticule. 26. Tricode toupie. Trichoda trochus. T. subpiriformis, pellucida, utrinque crinita. | SANS VERTÈPRES. 439 Mall. inf, t. 23. f. 8, 9. Encycl. pl. 12. f. 8, Q. H. dans les marais, avec la lenticule. 27. Tricode tétard. Trichoda gyrinus. T. ovalis, teres, crystallina, antice crinita. Mull. inf. t. 23. f. 10.—12, Encycl. pl. 12. f. 10.—13. H. dans l’eau de mer. 28. Tricode solaire. Zrichoda solaris. T. sphæroidea, periphæria crinita. Mall. inf. t. 23. f. 16. Encycl. pl. 12. f. 16, d H. dans les infusions marines. 29. Tricode bombe. 7richoda bomba. T!. ventrosa, mutabilis ; antice pilis sparsis. Mull. inf.t. 23. f. 19.—20. Encycl. pl. 12. f. 17.—20. H. dans les eaux des marais. 30. Tricode palette. Trichoda orbis. T. suborbicularis, anticë emarginata, crinita. Mall. inf, t. 23. f. 21. Encycl. pl. 12. f. 21. H. dans les eaux douces. 31. Tricode urne. Trichoda urnula. T!. urceolaris , anticë crinita. Mall. inf. t. 24. f. 1,2. Encycl. pl. 12. f. 22 , 23. H. dans l’eau où croît la lenticule. 32. Tricode amphore. T'richoda diota. T.. urceolaris, antice angustata, ora apicis utrinque erinila. Mall. inf. t. 24. f. 3, 4. Encycl. pl. 12. f. 24, 25. H. dans l’eau des fossés où croît la lenticule. 33. Tricode hérissée. Zrichoda horrida. T. subconica , anticè latiuscula, truncata, postice obtusa, setis defleris. Mall. inf. t. 24. f. 5. Encycl. pl. 12. f, 26. EH. dans l’eau de la moule, 44o ANIMAUX 34. Tricode urimale. 7Yi-hoda urinarium. T. ovato-oblonga, rostro brevissimo crinito. Mull. inf. t. 24. f. 6. Encycl. pl. 12. f. 27. H. dans l’infusion du foin. 35. Tricode. croissante. Zrichoda semiluna. T°”. semi orbicularis, anticèe subtus crinita. Mall. inf. t. 24. f. 7,8. Encycl pl 12.f. 28, 29. H. dans l’infusion de la lénticule. 36. Tricode teigne. 7 richoda tinea. | T. clavata, anticë crinita, poslicë incrassala. Mull. inf. t. 24. f. 11, 12. Encycl. pl. 12. f. 32, 33. H. dans l’infusion du foin. 37. Tricode noire. Trichoda nigra. T. ovalis, compressa, antice latior crinita. Mall. inf. t. 24. f. 13.—15. Encycl. pl. 12. f. 34.—36. H. dans l’eau de mer. 38. Tricode pubère. Trichoda pubes. T! ovato-oblonga, gibba , antice depressa. Mull. inf, t. 24. f.16.—18. Encycl. pl. 12.f. 37.—39. H. dans l’eau des marais. 39. Tricode floccon. Trichoda floccus. T. membranacea, antice Ru posticé papillis tribus crinilis. Mall. inf. t. 24. f. 19.—21. Encycl. pl 12. f. 40.—/4a. H. dans l’eau des fossés. 4o. Tricode échancrée. Trichoda sinuata. T. oblonga, depressa, altero margine sinuato crinita, postice obtusa. Muil. inf. t. 24. f. 22. Eucycl. pL 12. f. 43. 41. Tricode hâtive. Zrichoda præceps. T. membranacea , sublunata , medio protuberanté ,;marg, ine inferiore crinita. SANS VERTÈBRES. 44x Mall. inf. t. 24. f. 23.— 25, Encycl. pl. 12. f. 44.—46. H. dans l’eau des marais. | 42. Tricode protée. Trichoda proteus. T°. ovalis, posticé obtusa; collo elongato retractili, apice crinilo. Maull. inf. t, 25. f. 1—5. Encycl. pl. 13. f. 1 —5. H; dans l’eau des rivières. 43. Tricode versatile. 7 richoda versatilis. T.. oblonga, posticè acuminata ; collo retractili, infra api- cem crinilo. Mull. inf. t. 25. f. 6.—10. Encycl. pl. 13. f. 6.—10. H. dans l’eau de mer. 44. Tricode bossue. 7richoda gibba. T°: oblonga, dorso gibbera , ventre excavata, anticè ciliata ; ex tremilatibus obtusis. Mull. inf, t. 25. f. 16.—20. Encycl. pl. 13.f. 11.—15, H. dans l’eau des rivages. 45. Tricode enceinte, 7richoda fæta. T. oblonga , dorso protuberante , anticè ciliata, extremi- Latibus obtusts. Mall. inf. t. 25. f. 11.—15. Encycl. pl. 13. f. 16. —20. “H. dans l’eau de mer. 46. Tricode baillante. Trichoda patens. T.. teres, elongata , antice foveata ; foved marginibus cri- nilis. Mall"inft, 26'f 1,2. EncycLl pl 1327, 32. H. dans l’eau de mer. Sa fossette antérieure serait-elle une bouche commencée ? 47. Tricode fendue. Trichoda patula. T. subovata, ventricosa, anticë canaliculata ; apice et canaliculo crinito. Mall. inf, t. 26. f, 3.—5. Encycl. pl. 13.f. 23.—25. H. dans les infusions marines et dans l’eau de rivière gardée. Etc. f42 ANIMAUX ny K ÉRONE. ( Kerona. ) Corps très-petit, diversiforme, sans queue particu- lière, garni de cirres rares, ou de poils roides et corni- formes sur quelque partie de sa surface. Corpus minimum , diversiforme , ‘ecaudatum , guädam superficiei parte eérrhaturre aut aculeis cor- niformibus munitum. OBSERVATIONS. Les kérones dont il s’agit ici se composent des kérones de Muller, et de ses himantopes: les uns et les autres de ces infusoires ont entr’eux les plus grands rapports, et ne dif- fèrent que parce que dans les kérones de Muller, le corps est muni de poils roides, qui semblent des espèces de pi- quans corniformes ; tandis que dans ses imantopes, les cirres sont des poils longs , rares et flexibles. Ces infusoires * ar Rs 2 e” 4 pourraient , sans inconvénient, être réunis aux éricodes , d’autant plus que parmi les tricodes mème de Muller , plu- sieurs espèces ont des poils , soit corniformes , soit cirreux, Cependant, comme les tricodes réduites au caractère plus précis que nous leur assignons , sont encore malgré cela. très-nombreuses, on peut en disiinguer sous la dénomina- tion de kérone, toutes les espèces qui offrent des poils en piquans comniformes , ou des filets écartés, longs , flexibles et cirreux. l ESPÈCES. 1. Kérone rateau. Æerona rastellum. K. orbicularis, membranacea, hinc angulata, al alter pagina serie triplici corniculata. Mali. inf. t. 33. f. 1, 2. Encycel.pl. 17. f. 1,2. H. dans l’eau de rivière ei dans celle de mer. SANS VERTÈBRES. 443 2. Kércne carrée. Æerona lyncaster. K. subquadrata, rostro obtuso, disco corniculis micantibus. Mall. zool. dan. 2. t. 9. f. 3. Encycl. pl. 17. f. 3 à 6. Se trouve dans l’eau de mer long-temps gardée. 3. Kérone masquée. Xerona histrio. X. ovato-oblonga, anticè corniculis nigris punctiformibus, postice pinnulis longitudinalibus instructa. Mall. inf, t.33.f.3, 4. Encycl. pl. 17.f.7,8. Se trouve dans les rivières parmi les conferves. 4. Kérone cypris. Æerona cypris. K. obverse ovata , antice crinita, corniculis mucronata, postice crinila , altero margine sinuata. Mall. inf. t. 33. f. 5, 6. Encycl. pl. 19. f. 7, 8. H. dans les eaux douces, parmi la lenticule. 5, Kérone sébile. Æerona haustrum. K. orbicularis , medio corniculata, antice membranacea crinita, posticé setosa. Mall. inf, t. 33. f. 5—11. Encycl. pl. 17. f. 11—15. H. dans l’eau de mer. 6. Kérone soucoupe. Æerona haustellum. _ K° orbicularis, medio corniculata , antice memb ranacea ciliala , posticè mutica. Mall. inf, t. 33. f. 12, 13. Encycl. pl. 19. f. 16, 17. H. dans les eaux douces , parmi la lenticule. 7. Kérone patelle. Æerona patella. K. univalvis , suborbiculata, anticè emarginata corniculata, postice setis flexilibus pendulis. Mall. inf. t. 33. f. 14—18, Encycl. pl. 18. f. 1—5. H. dans l’eau des marais. 8. Kérone crible. Xerona vannus. K. ovalis , subdepressa ; margine altero flexo , opposite ciliato ; corniculis anticis setisque posticts. Mull. inf. t. 33. f, 19 , 20, Encycl. pl. 18.£.6G , 7, H. dans l’eau de mer. 444 ANIMAUX CERCAIRE. ( Cercaria. ) Corps très-petit, transparent, diversiforme, muni d'une queue particulière, très-simple. Corpus minimum , pellucidum , diversiforme ; caudé speciali simplicissimd. OBSER VATIONS. Quoique les cercaires soient en général dépourvues de poils ou de cils, et qu’elles semblent venir naturellement après les bursaires, elles sont plus avancées en animalisa- tion que les tricodes, et leur queue particulière les rappro- che évidemment des furcocerques , des tricocerques, des ratules et des vaginicoles. Mais les vraies cercaires n’ont point de bouche , non plus que les furcocerques; ce sont donc les derniers genres des infusoires. Les cercaires sont des infusoires très-petits , microsco- piques , gélatineux ; transparens, qui vivent la plupart dans les eaux des marais et dans les eaux courantes. Quelques espèces néanmoins se trouvent dans les infusions animales et végétales , et d’autres dans l’eau de mer. La PO ont un mouvement circulaire très-rapide. Ici, comme dans le genre suivant, l’on est exposé, d’a- près la petitesse extrême des individus, à rapporter à la classe des infusoires , des animaux qui, par leur organisa- ton , appartiennent à d’autres points de l’échelle animale. Une bouche , quoique d’abord inaperçue, et conséquem- ment l’ébauche d'un sac alimentaire , peuvent exister dans certains de ces animaux, et dès lors ils appartiennent au premier ordre des polypes; mais des yeux, comme on en a supposé dans certaines cercaires , cela est impossible. mn. ile. mime “a (tin fi Os SANS VERTÈBRES. 445 Avant de dire que le fait lui-même vaut mieux que le rai- sonnement ; il faut : 1.° constater que les points que l’on a pris pour des yeux , en sont réellement, et qu’ils ont chacun un nerf optique qui se rend à une inasse médullaire, centre de rapport pour des sensations ; 2.° il faut ensuite établir positivement que des animalcules réellement pourvus d’yeux, sont néanmoins , par leur organisation , de la même classe que les autres infusoires. ESPEÉCES. 1. Cercaire tétard. Cercaria gyrinus. C.rotundata , cauda acuminata. Mall. inf. t. 18. f. 1. Encycl. pl. 8. f. 1. H. dans les infusions animales. 2. Cercaire bossue. Cercaria gibba. C. subovata , convexa, antice subacuta ; caudü teretx. Mull. inf. t. 18. f 2. Encycl. pl. 8. f. 2. H. dans l’infusion des jungermanes. 3. Cercaire agitée. Cercaria inquieta. - C. mutabilis, conveza ; cauda lævi. Mull. inf. t. 18. £. 3—7. Encycl. pl. 8. 3—1. H. dans l’eau de mer. Quoique sans organes intérieurs, ellea, dit-on , des yeux et une bouche. 5i cela est, ce n’est point un infusoire. 4. Cercaire lenticule. Gercaria lemna. C. mutabilis , subdepressa ; caudé annulatd. Mull. inf. t.18. f. 8—12. Encycl. pl. 8. £ 8—12. H. dans les marais. On lui croit aussi une bouche et des yeux, 5. Cercaire toupie. Cercaria turbo. C. globulosa, medio coarctata, cauda unisela. Mull. inf. t. 18.f, 13—16. Encycl pl. 8. f. 13—16. H. dans les ruisseaux. On lui soupconne encore des yeux. 6. Cercaire pleuronecte. Cercaria pleuronectes. C. orbicularis , membranacea ; cauda uniseta. U 446 ANIMAUX Mall. inf. €. 19. £. 19—21. Encycl. pl. 10. f. 1—3. Habite dans l’eau long-temps gardée. 7. Cercaire trépied. Cercaria tripos. C. subtriangularis , brachiis deflexis , cauda recla. Mall. inf. t. 19. f. 22. Encycl. ‘4 10. f. 4. H.-dan:s l’eau de mer. 8. Cercaire tenace. Cercaria tenax. C. membranacea , anticè crassiuscula truncala ; caudd triplo breviore. Mall. inf. t. 20. f. 1. Encycl. pl. 10. f. 5. Se trouve dans l’infusion du tartre des dents. g. Cercaire cyclide. Cercaria cyclidium. C. ovalis, posticè subemarginata ; cauda exsertilig Ÿ Mall. inf. t. 20. f.2. Encycl. pl. 10. f£.6. H. dans les eaux les plus pures. 10. Cercaire disque. Cercaria discus. C. orbicularis ; caudé curvata. Mall. inf, t. 20. f. 3. Encycl. pl. 10. f. 7. H. dans les eaux des marais. 11. Cercaire lunaire. Cercaria lunaris. C. arcuata, teres , apice crinita ; caudé cirralà inflexé. Trichoda. Mall. inf. t. 29. f. 1—3. Encycl, pl. 15.f. 11—123. X. dans les eaux où croît la lenticule. FURCOCERQUE. ( Furcocerca. ) Corps très-petit, transparent, rarement cilié, muni d’une queue diphyille ou bicuspidée. Corpus minimum, pellucidum , raro ciliatum ; caud&. diphylld vel furcatd. Let sombti it ft > un SANS VERTÈBRES. 447 OBSERVATIONS. On est ici sur la limite de la classe dés infusoires , et con- séquemment plus exposé à se tromper sur la non existence de la bouche, que dans les genres précédens. Cependant il ne me parait pas douteux qu’il y ait des infusoires à queue diphylle ou fourchue , qui n’aient point encore de véritable bouche, et que le genre furcocerque ne doive être établi pour eux. Des observations ultérieures décidetont à l'égard des espèces qui sont dans ce cas, et feront reporter lesautres parmi les tricocerques. Ainsi les furcocerques, qui ne sont qu’un démembre- ment du genre cercaria de Muller, me paraissent devoir en être distinguées sous plusieurs considérations, et termi- ner la classe des infusoires ou astomes, Les espèces que j'y rapporte provisoirement sont les suivantes. ESPÈCES. 1. Furcocerque podure. Furcocerca podura. F. cylindracea , postice acuminata ; caudà subfissd. Mall. inf. t. 19. f. 1—5. Encycl. pl. 9 f. 1 —5. H. dans les marais où croît la lenticule. Probablement la queue ne paraît simple que lorsque ses branches sont réunies. 2. F urcocerque verte. Furcocerca viridis. F. cylindracea , mutabilis, postice acuminata fissa. Mall. inf. t, 19 f. 6—13. Encycl. pl. 9. f. 6—13. H. dans les eanx stagnantes des fossés. 3. Furcocerque bourse. Furcocerca crumena. F. cylindraceo-ventricosa , antice oblique truncata; caudd lineari-bicuspidata. A48 _ ANIMAUX Mall. inf. t. 20. f. 4—6. Encycl. pl. 9. f. 19—ar. H. dans l’infusion de l’ulve linze. 4. Furcocerque catelle. Furcocerca catellus. F. tripartita; cauda biseta. À Mall. inf. t. 20. f. 10,11. Encycl. pl. 9. f. 22, 23. H. dans l’eau des marais. 5. Furcocerque catelline. Furcocerca catellina. F'. tripartita ; caudé bicuspidata. ÿ Mall. inf. t. 20. f. 12, 13. Encycl. pl. 9. f. 24, 25. H. dans l’eau des fossés où croît la lenticule. 6. Furcocerque loup. Furcocerca lupus. F'.cylindrica, elongata , torosa ; cauda spinis duabus. Mull. inf, t, 20: f. 14—19. Encycl. pl. 9. £. 26—29. H. dans les eaux stagnantes. 7. Furcocerque orbiculaire. Furcocerca orbis. F.. orbicularts ; setà caudali duplici longissimd. Mall. inf. t. 20. f. 7. Encycl. pl. 10. f. 8. H. dans les eaux stagnantes. 8. Furcocerque lune. Furcocerca luna. F. orbicularis ; caudé spinis binis lineribus brevibus. Mall. inf. t. 20. f. 8, 9. Encycl. pl. 10.f.9, 10. H. dans les eaux stagnantes. | Voilà, quant à présent, où se. réduisent nos princi- pales connaissances sur les infusoires, lesquelles se bor- nent au caractère classique que je leur assigne ; ce que l’on a pu savoir de plus essentiel à leur égard , et les genres les plus convenables qu'il a été possible d'établir parmi eux. SANS VERTÈBRES. 449 Muller , qui a tant contribué à faire connaître ces sin- guliers animaux, n’a considéré en général que leur ex- trême petitesse pour circonscrire la coupe particulière qu'ils paraissent former dans l'échelle animale ; il y réu- nissait en conséquence ceux qui ont antérieurement un ou deux organes rotatoires, tels que les urcéolaires et les vorticelles. Je pense, au contraire, que partout, dans le règne ani- mal, les rapports et les coupes classiques ne doivent être déterminés que d’après l'état de l'organisation, et non d'après la taille des individus ; etsi, par le placement de ma ligne de séparation classique , je sépare les rotifères des infusoires, je m'y crois autorisé en ce que les roti- fères ne sont pas essentiellement des infusoires , qu’au- cune ne résulte de génération spontanée , que dans toutes, la bouche et le tube alimentaire sont clairement recon- nus , et qu'enfin la bouche des rotifères, comme celle des polypes, est constamment munie d’organes extérieurs propres à amener dans cette bouche les corpuscules qui peuvent servir à la nutrition de ces animaux ; ce qui n'est pas ainsi dans les infusoires. Si j'ai pu trouver des motifs raisonnables pour rappro- cher les rotifères des polypes, tandis que Muller en a cru trouver pour les comprendre parmi les infusoires , il résulte de cette différence de classification, où néan- moins les rangs reconnus ne sont nullement changés, que les rotifères font évidemment le passage des infusoires aux polypes, et que les derniers infusoires tiennent de très-près aux rotiferes, comme les dernieres rotifères tiennent de très-près aux autres polypes. Tome I. 29 Â5o ANIMAUX Les infusoires , même les plus imparfaits, sont donc tous véritablement des animaux, puisque de proche en proche ils sont liés les uns aux autres par des rapports évidens , et qu'ils conduisent , sans lacune, aux polypes qui sont bien reconnus pour appartenir au règne animal. FIN DU TOME PREMIER: SUPPLÉMENT A la distribution générale des Animaux [Introduction , pag. 342], concernant l'ordre réel de formation relatif à ces étres. D: PRÈS des observations récentes ; faites par MM. Savigny , Lesueur et Desmarets , sur des ani- maux que l’on avait regardés la plupart comme des polypes , je me vois obligé de former une nouvelle coupe qui me semble ne pouvoir faire partie d’aucune des elasses déja établies dans le règne animal. La considération de cette nouvelle coupe , que je place provisoirement après les radiaires ; mais. qui ne parait pas en être une continuation ou un déri= vé , m'a fait sentir la nécessité de distinguer la série unique et simple que nous sommes forcés de former pour faciliter nos études des animaux ; de l’ordre réel ou effectif de la production de ces êtres ; ordre assujéti à des causes qui ont modifié sa simpheité. S1 la série simple qui doit, constituer notre distri- bution générale des animaux, se compose d’une T'om. Z. 30 452 | SUPPLÉMENT. suite de masses disposées suivant la progression qui a lieu dans la composition des différentes organi- sations animales, alors elle présentera l’ordre même de la nature, c'est-a-dire , celui que la nature eût exécuté, si des causes accidentelles n’eussent mo- difié ses opérations, Ainsi, lorsque nous aurons per- fectionné cette série, et que nous l’aurons convena- blement divisée , elle nous offrira la seule méthode naturelle qu'il nous convienne de faire usage. Cependant cette série simple n’est réellement pas en tout conforme à l’ordre dans lequel la nature a produit les différens animaux ; car cet ordre est loin d’être simple; il est rameux et paraît même com- posé de plusieurs séries distinctes. à J'aiexposé ( p. 342. ) la distribution générale des animaux, offrant une série unique et simple , telle que celle que nous sommes contraints d'employer. Je n’ai rien à y changer , sauf peut-être à augmenter le nombre des classes ; mais j'y ajoute, après les ra- diaires , la nouvelle coupe en question , qui em- brasse ce que je nomme les ascidiens. Ici, je me borne à présenter l'ordre effectif de la production des animaux, tel qu'il me parait être, et que j'appelle ordre de formation. Mais, avant tout , je dois montrer que cet ordre de formation n’est pas illusoire, et qu'il est clairement indiqué par lesrapports, conséquemment par la nature elle-même. Jusqu'à ce jour, il me semble que les naturalis- SUPPLÉMENT. 453 tes n'ont vu dans les rapports entre les objets, que des moyens de rapprocher ces objets à raison de la grandeur de ces rapports, et de former avec ces mêmes objets rapprochés , diverses portions de sé- rie qu’ensuite ils disposèrent entr'elles, d’après les rapports plus ou moins grands qu'ils apercurent entre ces portions ou ces masses particulières. Il est résulté de leur travail à cet égard, qu’une série générale composée de toutes ces portions ou séries particulières, plus ou moins convenablement placées , fut établie. Or, en exécutant cette distri- bution , les naturalistes furent conduits à ne pouvoir placer aux deux extrémités de la série , que les ob- jets les plus disparates, en un mot, les plus éloignés entr'eux sous la considération de la composition et du perfectionnement de l’organisation de ces êtres. Quoique simple et facile à saisir , la conséquence de cette nécessité paraît néanmoins n'avoir pas été apercue ; car les naturalistes ne virent dans leur distribution qu'un ordre fondé sur-les rapports; et cependant elle leur présentait en outre, un ordre de formation de la plus grande évidence. Un pas de plus restait donc à faire: c'était le plus important, celui même qui pouvait le plus nous éclai- rer sur les opérations de la nature. Il s'agissait seule- ment de reconnaitre que les portions de la série géné- rale que formentles objetsconvenablement rapprochés par leurs rapports, ne sont elles-mêmes que des por- uons de l’ordre de formation à l'égard de ces objets. 454 SUPPLÉMENT. Cepas est franchi ; l’ordre de la formation sueces- sive des différens animaux ne saurait être maintenant | conteste ; il faudra bien qu'on le reconnaisse. | Mais cet ordre n’est point simple et na pu l'être ; des causes accidentelles l'ont nécessairement modifié ca et la. En effet , la considération des ra- meaux latéraux qu'on est forcé d’y reconnaitre, et ! même celle de sa division au moins en deux séries particulières, attestent qu'il a été fortement assujéti a l'influence de causes modifiantes qui l'ont amené a l'état où nous l’observons. Je puis effectivement faire voir que l’ordre de la production des animaux fut d’abord unique, formant une série munie de quelques rameaux , et qu'ensuite, | dès qu'un certain nombre d'animaux eurent recu » l'existence, des circonstances particulières donnèrent lieu à la formation d’une autre série, aussi subrameuse et bien caractérisée. L'ordre de la production dont il s’agit se trouva donc divisé'en deux séries séparées, ayant chacune quelques rameaux simples. Peut-être en existe-t-1l encore quelques autres ; mais je pense que les deux séries que je vais signaler peuvent suf- fire à l’explicauon de ce qui nous est maintenant connu à l'égard des animaux. Pour faire concevoir à quoi peut tenir ce singuher ordre de choses , je dirai que je regarde comme une vérité de fait que , lorsque la nature opère dans des &ir- constances diverses ou sur des matériaux de nature dis- semblable, ses produits sont nécessairement différens. SUPPLÉMENT. 195 Déjà , j'ai fait remarquer qu'en formant des corps vivans , elle a eu occasion d'opérer sur des matériaux de deux natures différentes ; ce qui l'a forcée , avec les uns, de n’instituer que des végétaux , tandis que, avec les autres , elle a pu former des animaux. ( Voyez l'Introduction , p. 126 et 179.) Or, en donnant l’existence au règne animal, on voit qu’elle a nécessairement commencé par la sé- rie des infusotres qui amène de suite tous les poly- pes ; que la, cette série , après avoir fourni le ra- meau latéral des radiaires , se continue en amenant les ascidiens, ensuite les acephales , que lon peut considérer comme une coupe classique, enfin, les mollusques bornés à ceux qui ont une tête , si toute fois les céphalopodes ne méritent pas encore d'être séparés classiquement. On voit aussi, qu'assez long-temps après l'insti- tution des infusoires et des polypes, elle a commen- cé l'établissement d’une série nouvelle (celle des vers), a laide de matériaux particuliers qui se sont trou- vés dans l’intérieur d'animaux déja existans, et qu’a- vec ces matériaux elle a formé des générations spon- tanées qui sont la source des vers intestins , par- mi lesquels certains peut-être, passés au-dehors, ont pu amener les vers extérieurs. En effet, la grande disparité d'organisation qu ’of- frent entreux les animaux qui appartiennent à la classe des vers, atteste, comme je l'ai dit ( ex- 456 SUPPLÉMENT. - trait, etc. p. 39), que les plus imparfaits de ces ani- maux , Sont dus à des générations spontanées , et que les vers constituent réellement une série par- ticuhière, postérieure en origine à celle que les in- fasoires ont commencée. J'avais dejà reconnu et annoncé cette branche ou série particulière que les vers me paraissent for- mer, lorsque M. Latreille me faisant part de ses ré- flexions à cet égard , me dit qu'il était persuadé que c'était de cette même branche que provenaient les épizoatres , les insectes, etc. Ainsi , fortifié de l'opinion de ce savant , que je partage, je regarde l’ordre de la production des animaux comme formé de deux séries distinctes. Ces deux séries diffèrent tellement entr’elles que, parmi les animaux que chacune d'elles embrasse , lorsque le système nerveux se trouve établi et un peu avancé, on voit, dans chaque série , que son mode est tout-a-fait différent. En effet, dans la série que commencent les infusoi- res et qui se termine par les mollusques , le systé- me nerveux n'offre nulle part un cordon médullaï- re ganglionné ou noueux dans sa longueur , tandis qué l’autre série qui commence par les vers, pré- sente, partout où le système nerveux est capable de donnér lieu au sentiment, un cordon médullaire noueux où ganglionné dans sa longueur. Aansi, je soumets à la méditation des zoologistes , SUPPLÉMENT. 457 l'ordre présumé de la formation des animaux, tel que l’exprime le tableau suivant : ORDRE présumée de la formation des Animaux , offrant 2 séries séparées , subrameuses. [1] SÉRIE DES ANIMAUX [2] SÉRIE DES ANIMAUX INARTICULÉS. ARTICULÉS. - 5 CR. CO RE Infusoires. £ QE E Folypes. = | a EN = | | | É | Z | an 0 £ Radiaires. EE Z À Ascidiens. Vers. ER Epizoaires. | » Pr | CN ER PRE Insectes. FT, No RS, Acéphales. | é PRIT RDA = ur Anneldes. Arachnides. & | Ê Mollusques. | ne RE | a r & : Crustacés, = = Can PA Cirrhipèdes. É Poissons. PS Reptiles. E Oiseaux. = Mammifères. = 458 SUPPLÉMENT. De quelque manière que l’on sy prenne , je suis persuadé que jamais on ne parviendra, dans la sé- rie simple qui doit constituer notre distribution gé- _nérale des animaux , à offir partout, entre les mas- ses distinguées, des transitions vraiment naturelles , et par suite, à conserver dans tous les rangs, les rap- ports qui résultent de l'ordre de la production de ces êtres. Ainsi, notre série simple n’offrira toujours que des portions interrompues et inégales de cet or- dre, entre lesquelles nous intercallerons d’autres portions hors de rang , en choisissant celles que le degré de composition de l’organisation des animaux qu’elles embrassent rendra moins disparates. Il est évident que ces portions intercallées ne peuvent étre que hors de rang, et doivent former des anomalies dans la série simple, si elles appartiennent, soit a un rameau latéral, soit à une série particulière. Il serait effectivement diflicile de lier les crus- -tacés aux annelides par une transition vraiment nuancée ; et cependant les annelides ont dùü être placées après les crustacés dans la série simplé de notre distribution générale. On sent donc que, dans la série en question, les annelides , quoique bien placées, sont hors de rang, et l’on peut présumer ‘ee qu’elles proviennent originairement des vers. | Après les épisoaires , les insectes, qui semblent en provenir , ne se lient point par une transition sans lacune, soit.aux arachnides, même par celles qui SUPPLÉMENT. 459 sont antennifères et hexapodes, soit aux crustacés. On voit là deux branches dont la source se perd dans une espèce d’hiatus. D'une part, les podures , les forbicines , etensuite les myriapodes paraissent conduire aux cloportides, caprellines, ete., et offrir l’origine des crustacés , dans la série desquels les entomostracés forment un petit rameau latéral. De l’autre part , les parasites hexapodes, tels que les poux et les ricins, semblent mener aux pic- nogonides et aux acaridies , ensuite aux phalan- gides , aux scorpionides, enfin, aux arachnides fileuses. Cette série alors n’a plus de suite, et nous paraît constituer un rameau latéral, dont la source avoisine celle des crustaces, sans offrir avec ceux-ci un point deréunion connu, ni même avec les insectes. Enfin, les crustacés conduisent aux cirrhipèdes par d’assez grands rapports , mais sans transition vé- ritable. C’est la que se termine la série des animaux articulés, et quine commencent à l'être constamment que lorsquele système nerveux est assez avancé pour offrir un cordon médullaire ganglionné dans sa lon- gueur. Relativement à l'autre série , elle paraît très-na- turelle , moins rameuse et n’embrasse aucun animal muni de parties articulées. Je crois qu’elle doit être divisée en un plus grand nombre de coupes classi- ques ; car non-seulement il en faut une pour les as- Tom. I. 31 460 SUPPLÉMENT. cidiens , et une autre pour les acéphales ; mais je pense même qu'il convient de séparer des mollus- ques les céphalopodes , à cause des traits particu- liers de leur forme et de leur organisation. Les cé- phalopodes termineraient donc la série des animaux inarticulés , laissant à l'écart les hétéropodes qui sont encore trop peu connus. : Voilà tout ce que j’apercois à l’égard' de l’ordre de production des animaux sans vertebres. Maintenant, comment lier ces animaux aux ver- tébrés par une véritable transition ? Certes cette tran- sition n'est pas encore connue. J’ai soupconné que- les hétéropodes pourraient un jour loffrir, si nous parvenions à en connaître d’autres que je suppose exister. Ces problèmes sans doute resteront encore long- temps sans solution ; mais déja nous pouvons pen- ser que, dans sa production des différens animaux ,. la nature n’a pas exécuté une série unique et sim- ple. Quelque grandes que soient ces difficultés , te nant à quantité d'observations qui nous manquent encore , et quelles que soient les irrégularités inévita- bles de notre série simple, les considérations qui peu- vent naître de ces objets n’intéressent nullément le principe de la production successive des différens ani- maux. UE à ; jé En effet, ce principe consiste en ce qu'après les Ps SUPPLÉMENT. 461 genérations spontanées qui ont commencé chaque série particulière ) les animaux sont ensuite tous pro- venus les uns des autres. Or, quoique les lois qui ont dirigé cette production soient partout et Invaria- blement les mêmes , les circonstances diverses dans lesquelles la nature a opéré, pendant le cours de son travail, ont nécessairement amené des anomalies dans la simplicité de l'échelle résultante de toutes ses opé- rations, Nous devons donc travailler à la composition et au perfectionnement de deux tableaux différens ; sa- VOIr : L'un offrant la serie simple dont nous devons faire usage dans nos ouvrages et dans nos cours, pour caractériser , distinguer et faire connaître les ani- maux observés ; série que nous fonderons en géné- ral sur la progression qui a lieu dans la composition des différentes organisations animales, lesconsidérant chacune dans l’ensemble de leurs parties, et nous ai- dant des préceptes que j'ai proposés. L'autre présentant les séries particulières , avec leurs rameaux simples, que la nature parait avoir formées en produisant les différens animaux qui exis- tent actuellement. | Ce second tableau, dépouillé des erreurs qui peu- vent s’être glissées dans celui que je viens d'offrir, se- ra sans doute utile pour notre instruction, éclaireira quantité d'objets que nous ne pouvons saisir que par 462 sos SUPPLÉMENT. son moyen, et, dans le règne animal, avancera pro- bablement nos connaissances de la nature. Si l'étude de cette dernière peut obtenir quelque intérêt de notre part, j'ai lieu de penser que ce qui vient d’être exposé ne sera pas sans importance. Nota. La nécessité d'opérer quarrément par l'impression, ne permettant nullement l’obliquité qu’il eût fallu donner aux lignes indicatrices des branches latérales des séries, afin de montrer leur point de départ, l’idée que j’ai voulu rendre par le Tableau, se trouve un peu défigurée : mais le dis= cours me parait suppléer à ce défaut, et la rétablir. Fin du Supplément: pu no IL Date Due L PRE ce ‘+ ES . ee Eu De ï SRE RES Edo CE dde Tee ns RTE RE HE Le. De en e NE rar me EAP SAN pen pire > L - Doi Vu Ps Eu ITS ue 1-5 AE i: L 56 us d Es > : L ; ; Son > ET rar : Ag a LOTS DES ; AT Re ere - $ 3 D) FEU i NS ” nb NE D Br rh pr ere ; Dm L Eh LE Tr Fe ps Ar a QE Sr © ; rec Rave - } ER Cris s CEE 7 PH per pren ZE ï DETTE GERS SA k LE me d DT gireeeetes re ” Ds: pe = # a”: 7 x (s ADM EPS _- : fe k :æ } 4 eh T APTUIUUE) = : ‘ À le Se PAM TRI rt PS et - à Se Pré: Me A ONPE Es Es te Lg nd mo ET A LITE PA ter Û ' ca LES pt EE AU QEva r* ee er - 4 ; EF re 4 RE ED 49 LM A maya al e SRE PR ci Ah als DEN X : Fées - g 20e Se 4 TE - nr pe à ASIA TEE