©iîf E H- iltU îltbrarg Sportif CHaroltna S^tatr This book was présentée! by Fred S. Barkalow S^CIAt COLLECTIONS Q.H45 B79 This book must not be taken from the Library building. i/'/;i//A<^/^- S.JL T M. NATURELLE. TtKÈâii ■tfeâ^ Quadrupèdes, Tome L ^r> QuadrupcdeSt Tohte K A \ HISTOIRE NA TURELLE, GÉNÉRALE ET PARTICULIERE, Par m. le COMTE de BUFFON, Inten- dant DU JARDIN DUJROI, DE L'AcADÉ- MIE Françoise £t de celle des Scien« CES , Sic. (Quadrupèdes, Tome /, ^é //j /////• ^^/e^ 7^ AUX DEUX-PONTS, ChezSANSON& Compagnie; M. DCC. Lxxxyi. as HISTOIRE NA T U R E L LE. Les Animaux domcjUques, L'homme change l'état naturel des ani- maux en ies força'^ à lui obéir , & les faifant fcrvir à fon ufage : un animal do- meûique eft un elclave dont on s'amufe, dont on fe fcrt , dont on abufe , qu'on al- tère , qu'on dèpaïfe & que l'on dénature ; tandis que l'animal fauvage n'obéiffant qu'à la Nature , ne connoît d'autres loix que cel- les du befoia & de fa liberté. Lliiftoire d'uni animal fauvage eft donc bornée à un pe- tit nombre de faits émanés de la fimple Nature ; au lieu que l'hiftoire d'un ani- mal domeilique efl compliquée de tout ce qui a rapport à l'art que l'on emploie pour î'apprivoifer ou pour le fubjuguer ; &. comme on ne fait pas aflez combien l'exemple , la contramte , la force de l'habitude , peuvent A3 6 Mïfioin naturelle ifîflu^r fur les animaux & changer leurs inouvemens , leurs déterminations , leurs penchans , le but d'un Naturalise doit être âe les obferver affez pour pouvoir diftinguer les faits qui dépendent de l'inftinék , de ceux qui oe viennent que de l'éducation; recon- noître ce qui leur appartient & ce qu'ils ©nt emprunté , féparer ce qu'ils font de ce «[u^on leur fait faire, &ne jamais confondre l'animal avec l'efclave , la béte de fomme avec la créature de Dieu. L'empire de l'homme fur les animaux eft un empire légitime qu^aucune révolution ne peut détruire , c'eft l'empire de l'elprit fur la matière , c'eft non-feulement un droit de nature , un pouvoir fondé fur des loix inal- térables , mais c'eft encore un don de Dieu , par lequel l'homme peut reconnoître à tout inftant l'excellence de fon être ; car ce n'eft pas parce qu'il eft le plus parfait, le plus fort ou le plus adroit des animaux qu'il leur commande : s'il n'étoit que le premier du même ordre y les féconds fe réuniroient poua: lui difputer l'empire; mais c'eft par fupério- rite de nature que l'homme règne ôi com- mande ,. il penfe , & dès -lors il eft maître des êtres qui ne penfent point. Il eft maître des corps bruts , qui ne peu- vent oppofer à fa volonté qu'une lourde réfiftance ou qu'une inflexible dureté , que ia main fait toujours funnonter & vaincre en les faifant agir les uns contre les autres ; il eft maître des végétaux ,, que par foninduf- trie il peut augmenter, diminuer , renouvel- kf , déiuturer , détruire ou multiplier à l'ia- de9 Animante» y fini ; il eft maître des animaux , parce qiïc non- feulement il a comme eux du m®uve* ment & du (eatiment, mais qu'il a de^ plus la lumière de la penfée, qu'il connoît les fins & les moyens , qu'il fait diriger fes allions, concerter fes opérations , mefurer fes mouvemens, vaincre la force par l'efprit, & lavîtefle par l'emploi du temps. Cependant parmi les animaux les uns pa- roiffent être plus ou moins familiers, plus ou moins fauvages, plus ou moins doux, plus ou moins féroces : que Ton corn- pare la docilité & la foumiflion du chien avec la fierté & la férocité du tigre , l'un paroît être l'ami de l'iiomme & l'autre fon ennemi. Son empire fur les animaux n'eft dont pas abfolu; combien d'efpèces fa- vent fe fourtraire à la puiflance par la rapi- dité de leur vol , par la légèreté de leur eourfe, par l'obfcurité de leur retraite, par la du'^ance que met entr'eux & l'homme y l'élément qu'ils habitent? combien d'autres efpèces lui échappent par leur feule petitelle? & enfin combien y en a-t-il qui , bien loin de reconnoître leur fouverain,^ l'attaquent à force ouverte, fans parler de ces infeftes qui femblent l'infulter par leurs piquures , de ces ferpens dont la morfure porte le poi- fon & la mort , & de tant d'autres bétes immondes , incommodes , inutiles , qui fem- blent n'exifter que pour former la nuance entre le mal & le bien, & faire fentir à l'homme combien depuis fa chute , il eft peu refpecté l C'eft qu'il faut diltinguer l'empire de Dieu du domaine de l'homme ; Dieu créateur de êtres A4 Sf IîîJ}otr€ natuntlt eft feul makre de la Nature, l'homme n« peut rien fur le produit de la création > il ne peut rien fur les mouvemens des corps céleftes , fur les révolutions de ce globe qu'il habite , il ne peut rien fur les animaux , les végéiaux , les minéraux en général , il ne peut rien fur les efpèceS:, il ne peut que fur les individus ; car les efpèces en général & la itjatiere en bloc appartiennent à la Nature , ou plutôt la conftituent : tout fe pafTe , fe fuit, fe fuccède , fe renouvelle & fe meut par une puiffance irréfiftible ; Thomme en» traîné lui-même par le torrent des temps, ne peut rien pour fa propre durée ; lié par, fon corps à la matière enveloppé dans le tourbillon des êtres , il eii forcé de fubir la ici commune : il obéit à la même Puiffance,. &. comme tout le reile ^ il naît , croît &: périt. Mais le rayon divin dont l'homme eft ani- mé , l'ennoblit & l'élevé au-deffus de tou&, les êtres matériels ; cette fubilance fpirituelle ,. loin d'être fujette à la matière , a le droit de la taire obéir; & quoiqu'elle ne puiffe pas commander à la Nature entière , elle domine fur les êtres particuliers : Dieu , fource unique de toute lumière & de toute intelligence , régit l'Univers & les efpèces entières avec une puiffance infinie ; l'hom- me , qui n'a qu'un rayon de cette intelli- gence , n'a de même qu'une puiffance limi- tée à de petites portions de matière ,. & ji'cft maître que des individus. C'eft donc par les talens de l'efprit , & non par la. force & par les autres, (|uaUt & qu'à- la faveur des arts & de la loci^tè l'homme a pu marcher en force pour conquérir l'U- nivers , il a fait reculer peu-à-peu les bêtes féroces , il a purgé la terre de ces animaux, gigantefques dont nous trouvons encore les olTemens énormes , il a détruit ou réduit à un petit nombre d'individus les efpèces vo- races & nuifibles., il a ojpofé les animaux aux animaux ; & fubjugantles uns par adrelTe^ domptant les autres par la force , ou les écartant par le nombre 5 & les attaquans 10 Hlflàirc naturelle, tous par des moyens rai formés , il eft par* venu à fe mettre en sûreté, & à établir un empire qui n'ert borné que par les lieux inac- ceflibles , les folitudes reculées , les fables brùlans , les montagnes glacées , les caver- nes obfcures , qui fervent de retraites au petit nombre d'efpèces d'animaux indomp^^, fable«. To rrb . I . Jii Cluvtl. II LE CHEVAL. yoyci^ plancht I, fig, I de ce Volume, jUjK plus noble conquête que Thomme ait jamais faite , eft celle de ce fier & fou»- gueux animal qui partage avec lui les fati- gues de la guerre & la gloire des combats , aulfi intrépide que fon maître , le cheval voit le péril & 1 affronte , il fe fait au bruit des armes , il l'aime , il le cherche & s'a- nime de la même ardeur : il partage aulîî fes plaifirs , à la chafTe , aux tournois , à la courfe , il brille , il étincelle ; mais docile autant que courageux , il ne fe laifle point emporter à fon feu , il fait réprimer fes mou- vemens ; non-feulement il fléchit fous la main de celui qui le guide , mais il femble confulter fes defirs; & obéifTant toujours aux imprelTions qu'il en reçoit , il fe préci- pite, fe modère ou s'arrête, & n'agit que pour y fatisfaire : c'eft une créature qui re- nonce à fon être pour n'exifler que par là volonté d'un autre, qui fait même la pré- venir , qui , par la promptitude & la préci- fion de fes mouvemens l'exprime & l'exé- cute, qui fent autant qu'on le defire, & ne rend qu'autant qu'on veut, quife livrant fans réferve, ne fe refufe à rien, fert de toutes fes 12 Hijloirt naturelle forces , s*cxcède & même meurt pour mieux obéir. Voilà le cheval dont les talens font déve- loppés, dont l'art a perfectionné les qualités naturelles j qui dès le premier âge a été foi- gné & enfuite exercé , drefîé au fervice de l'homme ; c'eft par la perte de fa liberté que commence fon éducation, & c'eft par la contrainte qu'elle s'achève : Tefclavage ou la domefticité de ces animaux eft même fi uni- verfelle , fi ancienne > que nous ne les voyons que rarement dans leur état natu- rel , ils font toujours couverts de harnois dans leurs travaux: on ne les délivre jamais de tous leurs liens , même dans le temps du repos ; & fl on les laiffe quelquefois errer en liberté dans les pâturages , ils y portent toujours les marques de la fervirude , & fouvent les empreintes cruelles du travail & de la douleur ; la bouche eft déformée par les plis que le mors a produits j les flancs font entamés par des plaies , ou fiUonnés de cicatrices faites par l'éperon; la corne des pieds eft traverfee par des clous , l'attitude du corps eft encore gênée par l'impreffion fubfiftante des entraves habituelles , on les en délivreroit en vain , ils n'en feroient pas plus libres : ceux même dont l'efclavage eft le plus doux, qu'on ne nourrit, qu'on n'en- tretient que pour le luxe & la magnificence , & dont les chaînes dorées fervent moins à leur parure qu'à la vanité de leur maître, font encore plus deshonorés par l'élégance de leur toupet , par les trèfles de leurs crias ^^ par Tor & la foie dont on les couvre , que par les fers qui font fous leurs pieds. La Nature eft plus belle que l'art, & dans un être animé la liberté des mouvemens fait la belle Nature : voyez ces chevaux qui fe font multipliés dans les contrées de l'A- mérique Efpagnole , & qui vivent en che- vaux libres ; leur démarche , leur courfe , leurs fauts , ne font ni gênés, ni mefurés ; fiers de leur indépendance , ils fuient la pré- fence de l'homme , ils dédaignent fes foins ^ ils cherchent & trouvent eux-mêmes la nour- riture qui leur convient , ils errent , ils bon- diffent en liberté dans des prairies immen- fes, où ils cueillent les produftions nour velles d'un printemps toujours nouveau .* fans habitation fixe , fans autre abri que celui d'un ciel ferein , ils refpirent un air plus pur que celui de ces Palais voûtés où nous les renfermons en preffant les efpaces qu'ils doivent occuper ", aufli ces chevaux fauvages font- ils beaucoup plus forts , plus légers , plus nerveux que la plupart des chevaux domeftiques , ils ont ce que donne la Nature , la force & la nobleffe , les au- tres n'ont que ce que l'art peut donner, l'a- dreffe & l'agrément. Le naturel de ces animaux n'eft point féroce , ils font feulement fiers & fjavages ; quoique fupérieurs par la force à la plupart des autres animaux, jamais ils ne les atta- quent , & s'ils en font attaqués , ils les dé- daignent , les écartent ou les écrafent ; ils vont auffi par troupes & fe réuniffent pour le feul plaifir d'être enfemble ^ car ils n'ont 1 4 Hijiôirt naturdU aucune crainte, mais ils prennent de l'atta- chement les uns pour les autres ; comme l'herbe & les végétaux fuffifent à leur nour- riture , qu'ils ont abondamment de quoi fa- tisfaire leur appétit & qu'ils n'ont aucun goût pour la chair des animaux , ils ne leur font point la guerre , ils ne fe la font point en- tr'eux, ils ne fe difputent pas leur fubfif- tance , ils n'ont jamais occafion de ravir une proie ou de s'arracher un bien , fources or- dinaires de querelles & de combats parmi les autres animaux carnalîiers : ils vivent donc en paix, parce que lewrs appétits font iimples & modérés, & qu'ils ont affez pour se rien envier. Tout cela peut fe remarquer dans les Jeunes chevaux qu'on élève enfemble & qu*on mène en troupeaux; ils ont les mœurs douces & les qualités fociales , leur force & leur ardeur ne fe marquent ordinairement que par des lignes d'émulation; ils cherchent à fe de- vancer à la courfe , à fe faire & même s'a- nimer au péril en fe défiant à traverferune rivière, fauter un foffé; & ceux qui dans ces exercices naturels donnent l'exemple , ceux qui d'eux-mêmes vont les premiers, font les pfus généreux y les meilleurs , & fouvent les plus dociles & les plus fouples lorfqu'ils font une fois domptés. Quelques anciens auteurs parlent des che- vaux fauvages , & citent même les lieux où ils fe trouvoient. Hérodote dit que fur les bords de THypanis en Scythie , il y avoit des chevaux fauvages qui étoient blancs , & que dans la partie feptentrionale de la Thrace du Chcv.it, ic au-delà du Danube, il y en avoit d'autres qui avoient le poil long de cinq doigts par tout le corps i Ariftote cite la Syrie. Pline les pays du nord , Strabon les Alpes & l'Ef- pagne comme des lieux où l'on trouvoit des chevaux fauvages. Parmi les modernes , Car- dan dit la même chofe de l'EcoiTe & des Orcades {^a\ , Olaiis de la Mofcovie , Dapper de risle de Chypre , où il y avoit , dit-il (/») , des chevaux fauvages qui étoient beaux &: qui avoient de la force & de la vîtefTe; Struys (^c) de l'isle de May au cap Vert, où il y avoit des chevaux lauvages fort pe- tits ; Léon l'Africain ( d ) rapporte aufli qu'il y avoit des chevaux fauvages dans les dé- ierts de PAfrique & de l'Arabie ; & il af- fure qu'ail a vu lui-même dans les folitudes de Numidie , un poulain dont le poil étoit blanc & la crinière crépue. Marmol ( e) con- firme ce fait , en difant qu'il y en a quelques- uns dans les déferts de l'Arabie & de la Ly- bie, qu'ils font petits & de couleur cendrée, qu'il y en a auiTi de blanc , qu'ils ont la cri- nière & les crins fort courts & hériffés, & que ni les chiens ni les chevaux domeftiques (a) Vide Aldrovand, de quadrupeiib, foliped, lib. I . {b) Voyez la defcrîption ëes isles de l'Archipel . page ^o. '^ (f) Voyez les voyages de Jean Struys. i2ow<;« , 1719. tomel , page 11. -^ (d) De Africx defcrlptione , partie II , vol. n , na- ges 750 & 751. ^ {c) Voyez l'Afrique de Marmol, Paris, 1(367, tom, *> page 50. "tS Slfiôin naîunlh 'îie peuvent ks atteindre à la courfe ; on trouve aufïi dans les Lettres édifiantes (/) ^ <{u'à la Chine il y a des chevaux fauvages forts petits* Comme toutes les parties de l'Europô ■font aujourd'hui peuplées & prefque éga- lement habitées , on n'y trouve plus de chevaux fauvages j & ceux que l'on voit ea Amérique font des chevaux domeftiques ^ Européens d'origine , que les Efpagnols y ont tranfportés , & qui fe font multipliés dans les vaftes déferts de ces contrées in- habitées ou dépeuplées ; car cette efpèce d'a- nimaux manquoit au nouveau monde. L'éton- Tiement & la frayeur ♦ '.^uand on n*a point- apprivoifé, dit*il , les poulains dès leur tendre jeu- neffe, il arrive fouvent que l'approche & l'attouche— ment de l'homme- leur caufent tant de frayeur , qu'ils, s'en défendent à coups de dents & de pieds, de façon qu'il eft prefque impoflible de lespanfeir & de les fer- rer i fi la patience & la douceur ne fuffifent pas , il- faut , pour les appxivoifer , fe fervir da moyen qu'on emploie en fauconnerie pour priver un oifeau qu'oa vient de pcendre ôc qu'on veut dreffer au vol , c'eft. et l'empêcher de dormir jufqu'à ce qu'il tombe de foi- blefTe ; il faut en ivfer de même à l'égard d'un che- val farouche , ôc peur cela il faut le tourner à fa place' le derrière à la mangeoire , & avoir un homme toute k nuit ÔC tout le jour à fa tête , qui lui donne de temps en tenvps une poignée de foin & l'empêche de fe cou- cher , on verra avec étonnement comme il fera fubt-* tement adouci II y a cependant des chevaux qu'il faut "«eiHer ainfi pendant huit joursj*. Voyc\U nouveau^» fait Maré & on le conduit aux pâtu- rages ; feulement il faut prendre garde de les laifler paître à jeun , il faut leur donner le fon & les faire boire une heure avant de les mettre à l'herbe , & ne jamais les expofer au grand froid ou à la pluie ; ils paffent de cette façon le premier hiver : au mois de mai fuivant , non-feulement on leur permet- tra de pâturer tous les jours, mais on les. laiiï'era coucher à Tair dans les pâturages pen- dant tout l'été & jufqu'àlafîn d'oclobre^en obfervant feulement de ne leur pas îailTer paître les regains ; s'ils s'accoutumoient à cette herbe trop fine , ils fe dégoùteroient du foin , qui doit cependant faire leur prin- cipale nourriture pendant le fécond hiver avec du fon mêlé d'orge ou d'avoine mou" lus : on les conduit de cette façon en les laif- fant pâturer le jour pendant l'hiver, ,& lanuit pendant l'été jufqu'à l'âge de quatre ans ,, qu'on les retire du pâturage pour les nour- rir à l'herbe sèche ; ce changement de nour- riture demande quelques précautions , on ne. leur donnera pendant les premiers huit jours que de la paille , ^ on fera bien de leur faire prendre quelques breuvages contre les vers, que les mauvaifes digeftions d'une herbe trop crue peuvent avoir produits. M. deGar- iault (A), qui recommande cette pratique , [il Voyrz îe nouveau parfait l\'îar«chal ;, paj M, i%^ Giifa'.iU, Paris t 1746, pôges S4 5<, S5,. du Cheval, *'l'- eil i an s doute fondé îur Texpénence ; cepen- dant on verra qu'à tout âge & dans tous les^ temps Teftoniac de tous les clieveaux eft farci d'une fi prodigieufe quantité de vers ,, qu'ils femblent faire partie de leur conftitu- tion : nous les avons trouvés dans les che- veaux fains comme dans les chevaux mala- des , dans ceux qui paiiToient l'herbe comme dans ceux qui ne. mangeoient que de l'avoi- ne & du foin; & les ânes, qui de tous les animaux l'ont ceux qui approchent le plus de- la nature du cheval , ont auffi cette prodi- gieufe quantité de vers dans l'eftomac , & n'en. font pas plus incommodés : ainfi on ne doit pas regarder les vers,, du moins ceux dont nous parlons , comme une maladie acciden- telle caufée par les mauvaifes digeftions d'une herbs crue, mais plutôt comme un effet dépendant de la nourriture & de la di- geftion ordinaire de ces animaux. Il faut avoir attention , lorfqiron sèvre- les jeunes poulains , de les mettre dans une écurie propre , qui ne foit pas trop chaude ,. crainte de les rendre trop délicats & trop fenfibles aux impreffions de l'air ; on leur donnera fouvent de la litière fraîche , on les tiendra propres en les bouchonnant de temps «n temps : mais il ne faudra ni lès attacher ni les panfer à la main qu'à l'âge de deux ans & demi ou trois ans , cefrottement trop rude leur cauferoit de la douleur , leur peau eft encore trop délicate pour le ibuffrir , & ils dépériroient au lieu de profiter ', il faut auffi avoir foin que le râtelier & la man- geoii-e. nç (oiem pas trop élevés , la néc^f- 21 HlJIoire naturelU fixk de lever la tête trop haut pour prendrs' leur nourriture pourroit leur donner l'ha- bitude de la porter de cette façon , ce qui leur gâteroit l'encolure. Lorfqu'ils auront un an ou dix - huit mois , on leur tondra la queue , les crins repoufîeront & devien- dront plus forts ik plus touffus. Dès l'âge de deux ans il faut féparer les poulains, mettre les mâles avec les chevaux , & les femelles avec les jumens : fans cette précaution, les jeunes poulains fe fatigueroient autour des poiilines, & s'énerveroient fans aucun fruit, A l'âge de trois ans ou de trois ans & demi ,on doit commencer à les dreffer & à les rendre dociles ; on leur mettra d'abord «ne légère Telle & aifée , & on les laifTera fellés pendant deux ou trois heures chaque jour ; on les accoutumera de même à re* cevoir un bridon dans la bouche & à fe laif- fer lever les pieds , fur lefquels on frap** pera quelques coups comme pour les ferrer ; & fi ce font des chevaux deflinés au car- roffe ou au trait , on leur mettra un har- nois fur le corps & un bridon : dans les commencemens il ne faut point de bride ni pour les uns ni pour les autres; on les fera trotter enfuite à la longe avec un caveffon fur le nez fur un terrein uni, fans être mon-- tés , & feulement avec la felle le harnois fur le corps -, & lorfque le cheval de felle tournera facilement & viendra volontiers auprès de celui qui rient la longe , on le montera & defcendra dans la même place , & fans le faire marcher, jufqu'à ce qu'il ait quatre ans , parce qu'avant ctt âg.e il n'eil au Oicvat. 15 pas encore aiTez fort pour n'être pas , en marchant , furchargé du poids du cavalier ; mais à quatre ans on le montera pour le faire marcher au pas ou au trot , & tou- jours à petites reprifes (/) : quand le cheval de carrofTe fera accoutumé au harnois, on l'attellera avec un autre cheval fait, en lui mettant une bride, & on le conduira avec une longe paiTée dans Jabride jufqu'àce qu'il com- mence à être fage au trait ; alors le cocher eiTayera de le faire reculer ^ ayant pour aide: un hoinr/iC devant qui le pouffera en arriéra avec douceur , & même lui donnera de pe- tits coups pour l'obliger à reculer : tout cela doit fe faire avant que les jeunes chevaux ayent changé de nourriture ; car quand une fois ils font ce qu'on appelle engrainés , c'eft-à-dire , lorfqu'ils font au grain & à la paille , comme ils font plus vigoureux , on- a remarqué qu'ils étoient aufîi moins dociles», & plus difficiles à dreffer {m). Le mors & l'éperon font deux moyens qu'on a imaginés pour les obliger à recevoir le commandement , le mors pour la préci- fion , & l'éperon pour la promptitude des. mouvemens. La bouche neparoiffoit pas def- tinée par la nature à re-cevoir d'autres im- preffions que celles du goût & de l'appétit^ cependant elle eft d'une fi grande fenfibilité daws le cheval j que c'eft à fe bouche ,' par \l\ Voyez les Elémens de cavalerie de M. de la Gué- fîniere. Paris, 1741 , tome I , page 140 8c fuiv. (m) Voyez le nouveau parfait Maréchal , par M, do Garfault, paga 8^, 14 Hiflolrc nanirtUe. préférence à l'œil & à l'oreille, qii'brf sV* clrefTe pour tranfmettre au cheval les fignes^ de la volonté ; le moindre mouvement ou la' plus petite preffion du mors fuiîît pour aver- tir (k déterminer l'animal ; & cet organe de^' fentiment n'a d'autre défaut que celui de fa perfeélion même y fa trop grande fenfibilité: veut être ménagée ; car fi on en abufe , on- gâte la bouche du cheval en la rendant in- fenfible à l'impreflion du mois : les fens de la vue & de l'ouïe ne feroient pas fujets à; une telle altération , & ne pourroient être én>ouffés de cette façon ', mais apparemment on a trouvé des inconvéniens à commander aux chevaux par ces organes , & il efl vra'i que les fignes tranfmis par le toucher font beaucoup plus d'cfret fur les animaux en gé- néral que ceux qui leur font tranfmis par Tccil ou par l'oreille ; d'ailleurs , la firuation des chevaux par rapport à celui qui les monte ou qui les conduit , rend les yeux prefque inutiles à cet effet , puifqu'ils ne voyent que devant eux, & que ce n'eft qu'en tournant la tête qu'ils pourroient appercevoir les fi- gnes qu'on leur feroit; & quoique l'oreille Ibit un fens par lequel on les anime & on les conduit fouvent, il paroît qu'on a ref- treint & laiffé aux chevaux grorfiers l'ufage de cet organe, puifqu'au manège, qui eft le lieu de la plus parfaite éducation , l'on ne parle prefque point aux chevaux , & qu'il ne faut pas même qu'il paroifTe qu'on les con- duife : en effet , lorfqu'ils font bien dreiTés , la moindre prefïion des cuiiTes , le plus lé- ger mouve^ment du mors fuîHt pour ies di- dû ChevaL 15 riger , rèperon eft même inutile , ou du moins on ne s'en fert que pour les forcer à faire des mouvemens violens ; & lorfque , par l'inep- tie du cavalier, il arrive qu'en donnant de l'éperon il retient la bride , le cheval fe trou- vant excité d'un côté & retenu de l'autre, ne peut que fe cabrer en faifant un bond fans fortir de fa place. On donne à la tête du cheval , par le moyen de la bride, un air avantageux & relevé; on la place comme elle doit être, & le plus petit figne ou le plus petit mouvement du cavalier fuffit pour faire prendre au cheval fes différentes allures ; la plus naturelle efl peut-être le trot; mais le pas & même le galop font plus doux pour le cavalier , & ce font aulîi les deux allures qu'on s'applique le plus à perfeftionner. Lorfque le cheval lève la jambe de devant pour marcher, il faut que ce mouvement foit fait avec har- dielTe & facilité , & que le genou foit alfez plié; la jambe levée doit paroître foutenue un inftant, & lorfqu'elle retombe, le pied doit être ferme & appuyer également fur la terre, fans que la tête du cheval reçoive au- cune imprelîion de ce mouvement ; car lorf** que la jambe retombe fubitement. Si que la tête baiffe en même temps , c'eft ordinaire- ment pour foulager promptement l'autre jambe qui n'eft pas affez forte pour fuppor- ter feule tout le poids du corps ; ce défaut eft très grand auiii-bien que celui de porter le pied en dehors ou en dedans , car il re- tombe dans cette même direftion : l'on doit obfervcr aulîi que lorfqu'il appuie f'ir le ts- Quadrufèdes, Tome U * C> 26 TTiJloire naturelle. Ion , c'eft une marque de foiblefTe :, & que quand il pofe fur la pince , c'eft une attitude tatigante &: forcée que le cheval ne peut ioutenir long-temps. Le pas , qui eft la plus lente de toutes les allures, doit cependant être prompt ; il faut qu'il ne foit ni trop alongé ni trop raccour- ci j & que la démarche du cheval foit lé- gère: cette légèreté dépend beaucoup de la liberté des épaules , &. fe reconnoît à la ma- nière dont il porte la tête en marchant ; s'il la tient haute & ferme , il eft ordinairement vigoureux & léger : lorfque le mouvement des épaules n'eft pas afTez fibre y la jambe ne fe lève point affez , & le cheval eft fujet à faire des faux pas & à heurter du pied con- tre les inégalités du terrein ; & lorfque les épaules font encore plus ferrées , &. que le mouvement des jambes en paroît indépen- dant, le cheval fe fatigue , fait des chûtes, n'eft capable d'aucun fervice : le cheval doit être fur la hanche, c'eft- à-dire , haufTer les éoaules «Si baiffer la hancke en marchant , il doit auffi ioutenir fa jambe & la lever affez haut ; mais s'il la foutient trop long-temps , s'il la laifTe retomber trop lentement , il perd tout l'avantage de la légèreté , il devient dur , & n'eft bon que pour l'appareil & pour piaffer. Il ne fuffit pas que les mouvemens du cheval foient légers, il faut encore qu'ils foient égaux & uniformes dans le train «lu devant &. dans celui du derrière ; car fi la croupe balance tandis que les épaules fe Ibutienne^t , le mouvement fe fait fentir au du 'Cïuvaî, ly cavalier par fecoufTes , & lui devient in- commode^ la même chofa arrive larfque le cheval alonge trop de la jambe de derrière , & qu'il la pofe au-delà de l'endroit oii le Î>ied de devant a porté : les chevaux dont e corps eft court l'ont fujets à ces défauts; ceux dont les jambes fe croifent ou s'attei- gnent n'ont pas la démarche sure ; & en gé- néral ceux dont le corps eft long font les plus commodes pour le cavalier , parce qu'il le trouve plus éloigné des deux centres de mouvement^ les épaules & les hanches, & qu'il eh relient moins les imprellions & les fecoulTes. Les quadrupèdes marchent ordinairement en portant à la fois en avant une jambe de devant & une jambe de derrière ; lorfque la jambe droite de devant part, la jambe gau- che de derrière fuit & avance en même temps ; & ce pas étant fait , la jambe gauche 6e devant part à fon tour conjointement avec la jambe droite de derrière , & ainfi de fuite ; comme leur corps porte fur quatre f»oints d'appui qui forment un quarré long, a maniéré la plus commode de fe mouvoir eft d'en changer deux à la fois en diagonale, de façon beau , bien fait , relevé du \o\ Voyez l'école de cavalerie de M. de la Guvfir niere , page 15 &. Tuiv^ ^ du Cheval, 4j devant, vigoureux , fain par tout le corps, éi furtout de bonne race & de bon pays* Pour avoir de beaux chevaux de felle fins & bien faits , il faut prendre des étalons étrangers ; les Arabes , les Turcs > les Bar- bes & les chevaux d'Andaloufie , font ceux qu'on doit préférer à tous les autres ; & à leur défaut , on fe fervira de beaux chevaux Anglois , parce que ces chevaux viennent des premiers , & qu^ils n^ont pas beaucoup dr-généré , la nourriture étant excellente eii Angleterre, où Ion a aulli très grand foin de renouveller les races : les étalons d'Ita- lie , furtout les Napolitains , font aufli fort bons , & ils ont le double avantage de pro- duire des chevaux fins de monture , lorf- qu'on leur donne des jumens fines , & de beaux chevaux de carrolTe avec des jumens étoffées & de bonne taille. On prétend qu'ea France , en Angleterre , &c , les chevaux Arabes & Barbes engendrent ordinairement des chevaux plus grands qu'eux, & qu'au contraire les chevaux d'Efpagne n'en pro- duifent que de plus petits qu'eux. Pour avoir de beaux chevaux de carrofle , il faut fe fervir d'étalons Napolitains, Danois, ou des chevaux de quelques endroits d'Allemagne ou de Hol- lande , comme du Holftein & de Frife. Les * étalons doivent être de belle taille , c'eft-à- dire , de quatre pieds huit ^ neuf & dix pou- ces pour les chevaux de felle , & de cinq pieds au moins pour les chevaux de car- rolTe : il faut auflî qu'un étalon foit de bon poil , noir comme du jais , beau gris , bai ,. alezan , ifabelle doré avec la raie de mulet , d.^ Hijlolre naturdU, les crins & les extrémités noires ; tous les poils qui font d'une couleur lavée & qui paroiflent mal teints , doivent être bannis des haras , aulfi-bien que les chevaux qui ont les extrémités blanches. Avec un très bel extérieur, l'étalon doit avoir encore toutes les bonnes qualités intérieures , du courage , de la docilité , de l'ardeur , de l'agilité , de la ien- fibilité dans la bouche , de la liberté dans les épaules , de la sûreté dans les jambes , de la foupleffe dans les hanches , du refTort par fout le corps & furtout dans les jarrets , & même il doit avoir été un peu dreffé & exercé au manège ; le cheval eft de tous les animaux celui qu'on a le plus obrervé , & on a remarqué qu'il communique par la gé- nération prefque toutes fes bonnes & mau- vaifes qualités naturelles & acquifes : un cheval naturellement hargneux , ombrageux , rétif, &c , produit des poulains qui ont le même naturel ;& comme les défauts de con- formation & les vices des humeurs fe per- pétuent encore plus sûrement que les qua- lités du naturel , il faut avoir grand foin d'exclure du haras tour cheval difforme , morveux , poufîif , lunatique , &c. Dans ces climats la jument contribue moins que l'étalon à la beauté du poulain , mais elle' contribue peut-être plus à fon tempérament & à fa taille ; ainfi il faut que les jumens ayent du corps , du ventre , & qu'elles foient bonnes nourrices: pour avoir dfe beaux che- vaux fins on préfère les jumens Efpagnoles & Italiennes, & pour des chevaux de car- roffe les jumens Angîôifes 6: Normandes :' du Cheval, 4Î cependant avec de beaux étalons > des jii- mens de tout pays pourront donner de beaux chevaux, pourvu qu'elles foient elles-mê- mes bien faites & de bonne race ; car fi elles ont été engendrées d'un mauvais che- val , les poulains qu'elles produiront feront fouvent eux-mêmes de mauvais chevaux ; dans cette efpèce d'animaux, comme dans l'efpéce humaine , la progéniture reffemble affez fouvent aux afcendans paternels ou maternels ; feulement il femble que dans les chevaux la femelle ne contribue pas à la génération tout-à-fait autant que dans l'efpé- ce humaine : le fils reffemble plus fouvent à fa mère que le poulain ne reffemble à la fienne ; & lorfque le poulain reffemble à la jument qui l'a produit , c'eft ordinairement par les parties antérieures du corps , & par la tête & l'encolure. Au refte, pour bien juger de la reffem- blance des enfans à leurs parens, il ne tau- droit pas les comparer dans les premières an- nées ^ mais attendre l'âge où, tout étant dé- veloppé , la comparaifon feroit plus certai- ne & plus fenfible : indépendamment du dé- veloppement dans l'accroiffement , qui fou- vent altère ou change en bien les formes , les proportions & la couleur des cheveux , il fe fait dans le temps de la puberté un dé- veloppement prompt & fubit qui change ordinairement les traits , la taille , l'attitude des jambes &c. le vifage s'alonge , le nez groffit & grandit , la mâchoire s'avance ou le charge, la taille s'élève ou fe courbe , les jambes s'alongent &. fouvent deviennent 4^ Hifiolrc naturelle, cagneufes ou effilées , en forte que la phy^ fionomie & le maintien du corps :, changent quelquefois fi fort , qu'il feroit très poliible de méconnoître , au moins du premier coup d'oeil, après la puberté , une perfonne qu'on auroit bien connue avant ce temps , 6c qu'on n'auroit pas vue depuis. Ce n'eft donc qu'a- près cet âge qu'on doit comparer l'enfant à fes parens , fi Ton veut juger exadlemenr de la reffemblance ; & alors on trouve dans Tefpèce humaine que fou vent le fî)s reffemble à fon père & la fille à fa mère ; que plus fouvenr ils reffemblent à Tun & à l'autre à la fois , & qu'ils tiennent quelque chofe de tous deux; qu'afTez ibuvent ils reffemblent aux grand- peres ou aux grand-meres; que quelquefois ils reffemblent aux oncles ou aux tantes ; que prefque toujours les enfans du même père & de la même mère fe reffemblent plus entr'eux qu'ils ne reffemblent à leurs af- cendans , & que tous ont quelque chofe de commun & un air de famille. I>ans les che- vaux , comme le mâle contribue plus à la génération que la femelle , les jiimens pro- duifent des poulains qui font allez fouvent femblables en tout à l'étalon , ou qui tou- jours lui reffemblent plus qu à la mère , elles- en produifent aufîi qui reffemblent aux grande, pères ; & lorfque la jument mère a été elle- même engendrée d'un mauvais cheval , il ar- rive affez fouvent que, quoiqu'elle ait eu unf bel étalon & qu'elle foit belle elle-même, elle ne produit qu'un poulain qui , quoiqu'en ap- parence beau & bien fait dans fa première- jeuneffe, décline toujours en croiffant i tanv- (itt Cheval, 47 <îïs qu-'une jument qui fort d'une bonne race donne des poulains qui , quoique de mau- vaiie apparence d'abord, embellifTent avec rage. Au refte , ces obfervations que l'on a fai- tes fur le produit des^uni^ens , &.qui femblent concourir toutes à prouver que dans les che- vaux le mâle influe beaucoup plus que la femelle fur la progéniture ,. ne me paroilTent pas encore fulîifaates pour établir ce fait d'une manière indubitable & irrévocable ; il ne feroit pas impofiible que ces obfervations fubfiftaffent i & qu'en même temps & en gé- néral les jumens contribuafTent autant que les chevaux au produit de la génération : il ne me paroit pas étonnant que des étalons- toujours choifis dans un grand nombre de chevaux , tirés ordinairement de pays chauds ,. nourris dans Tabondance , entretenus & ména- gés avec grand foin , dominent dans la généra- tion fur des jumens communes , nées dans un climat froid y & fou vent réduites à tra- vailler ; & comme dans les obfervations ti- rées des haras il y a toujours plus ou moins de cette fupériorité de Tétalon fur la ju- ment y on peut très bien imaginer que ce n'eft que par cette raifon qu'elles font vraies & confiantes : mais en même temps il pour- roit être tout auilî vrai que de très belles jumens des pays chauds , auxquelles on don- neroit des chevaux communs , influeroient peut-être beaucoup plus qu'eux fur leur pro- géniture, & qu'en général dans l'efpèce des chevaux comme dans l'efpèce humaine , il y eût égalité dans l'influence du mâle & de 4^ Hipolrc naturelle. la femelle fur leur progéniture ; cela me paroît naturel & d'autant plus probable , qu*on a remarqué ^ même dans les haras , qu'il naiffoit à-peu près un nombre égal de poulains & de poulines : ce qui prouve qu'au moins pour le fexe la femelle influe pour fa moitié. Mais ne fuivons pas plus loin ces confi- dérations qui nous éloigneroient de notre fujet : lorfque l'étalon eft choifi & que les jumens qu'on veut lui donner font raffem- bîées , il faut avoir un autre cheval entier qui ne fervira qu'à faire connoître les ju- mens qui feront en chaleur , & qui même contribuera par fes attaques à les y faire entrer; on fait pafTer toutes les jumens Tune après l'autre devant ce cheval entier , qui doit être ardent & hennir fréquemment ; il veut les attaquer toutes ; celles qui ne font point en chaleur fe défendent :, & il n'y a que celles qui y font qui fe laiflent appro- cher; mais au lieu de le laiffer approcher tout-à-fait , on le retire & on lui fubftitue le véritable étalon. Cette épreuve eft utile pour reconnoître le vrai temps de la chaleur des jumens , & furtout de celles qui n'ont pas encore produit ; car celles qui viennent de pou^iner entrent ordinairement en cha- leur neuf jours après leur accouchement , ainfi on peut les mener à l'étalon dès ce jour même & les faire couvrir ; enfuite ef- fayer neuf jours après au moyen de l'é- preuve ci-defTusfi elles font encore en cha- leur ; & fi elles le font en effet , les faire cou- vrir une féconde fois , & ainfi ^e fuite une fois 4tn 0ievaL -^^ fohtous les -neuf jours tant que leur chaleur 4ure j car lorlqu'elles font pleines , la cha- leur ouvrages des plus habiles écuyers , tels c^x^-- 6 s HiJÎGÏrs. naturel h Mrs. deNewcaftle , de Garfoult,. de la Giré* riniere, &c. & de quelques, remarques que- M. de PigneroUes, écuyer du Roi, & chef' de l'Académie d'Angers, a eu la bonté da nous communiquer. Les chevaux Arabes font les plus beaujc que l'on- connoifTe en Europe ; ils font plus, gtands & plus étoffés que les Barbes , 6c tout aulfi bien faits ; mais comme il en vient ra- rement en France, les écuyers n'ont pas d'obfervations détaillées de leurs perfections- & de leurs défauts. Les chevaux Barbes font plus communs^ ils ont l'encolure longue , fine , peu chargée- de crins & bien fortie du garrot, la tête belle , petite & affez ordinairement mou- tonnée , l'oreille belle & bien, placée , Its- épaules légères & plates , le garrot mince & & bien relevé, les reins courts & droits, le.- flanc & les côtes rondes fans trop de ventre,, les hanches bien effacées , la croupe le plus fou vent un peu longue & la queue placée. un peu haut , la cuiffe bien formée & rare- ment plate , les jambes belles , bien faites. & fans poil, le nerf bien détaché, le piedi bien fait , mais fouvent le paturon long ; on; en voit de tous poils , mais plus communé- ment de gris : les Barbes ont un peu de né- gligence dans leur allure , ils ont befoin d'être recherchés, & on leur trouve beaucoup de vîtefîé & de nerf; ils font fort légers & très propres à la courfe : ces chevaux pa- roilfent être les plus propres pour en tirer rûice ; il feroit feulement à fouhaiter qw'ils £uflent. de plus grande taille y les plus grands du Cheval, 69 ïowt de quatre pieds huit pouces , & il ed rare d*en trouver qui ayent quatre pieds neuf pouces > il eft confirmé par expérience qu'en France , en Angleterre , &:g. ils en- gendrent des poulains qui font plus grands: qu'eux : on prétend que parmi les Barbes , ceux du royaume de Maroc font les meil- 'leurs , enfuite les Barbes de Montagne; ceux du refte de la Mauritanie font au - deflbus , aulfi-bien que ceux de Turquie, de Perfe &. d'Arménie :tous ces chevaux des pays chauds ont le poil plus ras que les autres. Les che- vaux Turcs ne font p?.s fi bien proportion- nés que les Barbes; ils ont pour l'ordinaire l'encolure exilée , le corps long , les jambes trop menues ; cependant ils font grands tra- vailleurs & de longue haleine : on n'en fera- pas étonné fi l'on fait attention que dans les pays chauds les os des animaux font plus durs que dans les climats froids; & c'eft par cette raifon que quoiqu'ils ayent le canon plus menu que ceux de ce pays-ci , ils ont cependant plus de force dans les jambes. Les chevaux d'Efpagne , qui tiennent le fécond rang après les Barbes , ont l'encolure: longue , épaifle, & beaucoup de crins, la tête un peu grolfe , &r quelquefois mouton- née , les oreilles longues , mais bien placées , les yeux pleins de feu , l'air noble & fier ^ les épaules épaiffes & le poitrail large :, les reins affez fouvent un peu bas , la côte ron- de ^ & fouvent un peu tro^D de ventre , la croupe ordinairement ronde & large , quoi- que quelques- un$ l'ayent ua peu longue 5, 7 a Hifloin naturelle les jambes belles & fans poil , le nerf bîeiî^ détaché, le paturon quelquefois un peu long, comme les Barbes, le pied un peu alongé* comme celui d'un mulet , & fouvent le talon trop haut : les chevaux d'Efpagne de belle race font épais, bien étoffés, bas de terre; ils ont aufli beaucoup de mouvement dans leur démarche , beaucoup de foupleffe , de feu & de fierté ; leur poil le plus ordinaire eft noir ou bai-marron , quoiqu'il y en ait quelques-uns de toutes fortes de poils; ils ont très ^ rarement des jambes blanches & des nez blancs ; les Efpagnols , qui ont de l'averfion pour ces marques ^ ne tirent point race des chevaux qui les ont , ils ne veulent qu'une étoile au front, ils eftiment même les- chevaux zains autant que nous les mépri- fons : l'un & l'autre de ces préjugés , quoi- €(ue contraires, font peut-être tout aufii m,al fondés , puifqii'il fe trouve de très bons che- vaux avec toutes fortes de marques , & de- îTîéme d'exceîlens chevaux qui font zains ; cette petite différence dans la robe d'un- cheval ne femble en aucune façon dépendre de fon naturel, ou de fa coniiitution inté- rieure, puifqu'elle dépend en effet d'une qua- lité extérieure & fi fuperficielle , que par une légère bleffure dans la peau on produit une tache blanche : au relie les chevaux d'Efpagne, zains au autres, font tous mar- qués à la cuiffe hors le montoir , de la mar- que du haras dont ils font fortis : ils ne font pas communément de grande taille ; cepen^ dant on en trouve quelques-uns de qua:tre. du Cheval, 71 pieds neuf ou dix poacôs; ceux de la haute Andaloufie paffent pour êrte les meilleurs de tous, quoiqu'ils foient afTez fujets à avoir la tête trop longue ; mais on I Ions : ils confervent avec grand foin , & depuis très î^ong-temps , les races de leurs chevaux, ils en connoiffent les générations, les alliances & toute la généalogie , ils dis- tinguent les, races par des noms diiTérens , ôc ils en font trois claffes ; la première eft celle des chevaux nobles , de race pure & ancienne des deux cotés ; la féconde eft celle des che- vaux de race ancienne , mais qui fe font méfalliés, & la troifième eft celle des che- vaux communs : ceux-ci fe vendent à bas prix ; mais ceux de la première claffe , & même ceux de îa féconde , parmi lefqiielles \\ s'en trouve d'aufîi bons que ceux de la pre- mière , font excefTivement chers j ils ne font jamais couvrir les jumens de cette première claffe noble j que par des étalons de la même qualité : ils connoiffent par une longue expé- rience toutes les races da leurs chevaux & de ceux de leurs voiffns , ils en connoiffent en particulier le nom, le furnom ^ le poil , les marques , &:c. Quand ils n'ont pas des étalons nobles ,ils en empruntent chez leurs voifms y moyennant quelque argent , pour faire couvrir leurs jumens, ce qui fe fait en préfence de témoins qui en donnent une at- teftatioa fîgnée & fcellée par-devant le f^.- créiaire de l'Émir, ou q^uel qu'autre perfonne publique ; & dans cette atteftation , le nom du cheval & de la jument eft cité , & toute leur génération expofée : lorfque la jum.eiit a- pouliné , Ton appelle encore ck'S témoins , & Ton fait une autre arteftation dans ht- ^uôlie on fait la defcription du poulala qjjï du Cheval, ^9 vient de naître , & on marque le jour de fa naiffance. Ces billets donnent le prix aux chevaux , & on les remet à ceux qui les achettent. Les moindres jumens de cette première clafle font de cinq cents écuS:,& il y en a beaucoup qui fe vendent mille ccus , & même quatre , cinq & fix mille li- vres. Comme les Arabes n'ont qu'une tente pour maifon , celte tente leur fert aulTi d'é- . curie, la jument, le poulain, le mari, la femme & les enfans couchent tous pêle-mêle , les uns a^ec les autres : on y voit les pe- tits enfans fur le corps, fur le cou de la ju- ment & du poulain, fans que ces animaux les hlellent ni les incommodent; on diroit qu'ils n'ofent fe remuer de peur de leur faire du mal : ces jumens font fi accoutumées à vivre ddns cette familiarité, qu'elles fouf- frent toute forte de badinage. Les Arabes ne les battent point, ils les traitent douce- ment, ils parlent îk raifonaent avec elles , ils en prennent un très grand foin , ils les laillent toujours aller au pas, & ne les pi- quent jamais fans nêcefîité : mais aulîi dès qu'elles fe fentent chatouiller le fianc avec le coin de l'étrier elles partent fubitement & vont d'une vîtefîe incroyable; elles fau- tent les haies & les folTés aulli légèrement que les biches ; & û leur cavalier vient à tomber, elles font fi bien dreiTées, qu'elles s'arrêtent tout court , même dans le galop le plus rapide. Tous les chevaux des Ara- bes font d'une taille médiocre , fort dégagés , & plutôt maigres que gras : ils les panfent foir & matin fort régulièrement & avec tanc G 4 ^O HiJloÎH naturelle, de foin , qu'ils ne leur laifTent pas la moin- dre crafle iur la peau; ils leur lavent les jambes , le crin & la queue qu'ils laiiïenr toute longue & qu'ils peignent rarement pour ne pas rompre le poil ; ils ne leur don- nent rien à manger tout le jour , ils leur donnent feulement à boire deux ou trois fois , & au coucher du foleil ils leur paffent \\n fac à la tête ^ dans lequel il y a environ un demi-bciffeau d'orge bien net : ces che- vaux ne mangent donc que pendant la nuit, èi on ne leur ôte le fac que le lendemain matin lorfqu'ils ont tout mangé : on les met au verd au mois de mars, quand l'herbe eft grande; c'eft dans cette même faifon quô l'on fait couvrir les jumens, & on a grand foin de leur jetter de l'eau froide fur la croupe , immédiatement après qu'elles ont été couvertes : lorfque la faifon du prin- temps eft pafTée , on retire les chevaux du pâturage , &. on ne leur donne ni herbe ni foin de tout le refte de l'année , ni même de paille que très rarement, Torge eft leur uni- que nourriture. On ne manque pas de cou- per aulïi les crins aux poulains dès qu'ils ont un an ou dix - huit mois , afin qu'ils deviennent plus touffus & plus longs : on les monte dès l'âge de deux ans ou deux ans & demi tout au plus tard, on ne leur metlafelle & la bride qu'à cet âge ;& tous les jours du ma- tin jufqu'au foir , tous les chevaux des Ara- bes demeurent fellés & bridés à la porte de la tente. La race de ces chevaux s'eft étendue en Barbarie , chez les Maures & même chez les du Cheval Si Nègres étc la rivière de Gamble & du Séné- gal; les Seigneurs du pays en ont quelques- uns qui font d'une grande beauté; au lieu d'orge ou d'avoine on leur donne du mais concaffé ou réduit en farine qu'on mêle avec du lait lorfqu'on veut les engrailTer; 6c dans ce climat fi chaud on ne les laiffe boire que rarement (aj. D'un autre côtelés che- vaux Arabes ont peuplé l'Egypte ^ la Tur- quie & peut être la Per(é , où il y avoit au- trefois des haras très ccnfidérables : Marc Paul (i» ) cite un haras de dix mille jumens blanches , Ôi il dit que dans la province de Balafcie il y avoit une grande quantité de chevauTi grands & légers, avec la corne du pied fi dure , qu'il étoit inutile de les ferrer. Tous les chevaux du Levant ont, comme ceux de Perfe f^S^ ^^3 > ^ ^OTi\Q VU , page il 4, du ChcvdL 87 aulil une race de petits chevaux dont ils font tant de cas, qu'ils ne le permettent jamais de les vendre à des étrangers : ces chevaux ont toutes les bonnes & mauvaifes qualités de ceux de la grande Tartarie , ce qui prouve combien les mêmes mœurs & la même édu- cation donnent le même naturel & la même habitude à ces animaux. Il y a auffi enCir- cafîie & en Mingréiie beaucoup de chevaux qui font même plus beaux que les chevaux Tartares ; on trouve encore d'aflez beaux chevaux en Ukraine , en Valachie, en Polo- gne & en Suède , mais nous n'avons pas d'ob- l'ervations particulières de leurs qualités & de leurs défauts. Maintenant, fi l'on confulte les anciens fur la nature & les qualités des chevaux des ditférens pays , on trouvera (^) que les chevaux de la Grèce , & furtout ceux de la Thefîalie & de l'Épire , avoient de la répu- tation, & étoient très bons pour la guerre i que ceux de PAchaïe étoient les plus grands que l'on conniit ; que les plus beaux de tous étoient ceux d'Egypte oii il y en avoit une très grande quantité, & oii Salomoncn* voyoit en acheter à un très grand prix ; qu'en Ethiopie , les chevaux réuiîifToient mal à caufe de la trop grande chaleur du climat; que l'Arabie & l'Afrique fournifl'oient les chevaux les mieux» faits, furtout les plus légers & les plus propres à la monture & (?) Voyez Aldrovand. Hift. nat, de foliped, pages 48 — 63." 88 Hipoire naturdlt à la courfe ; que ceux d'Italie , & fur tout de la Fouille, étoientaufli très bons; qu*en Sicile , Capadoce , Syrie , Arménie , Médie & Perfe il y avoit d'excellens chevaux , & recommandables par leur vîtelTe & leur lé- gèreté ; que ceux de Sardaigne & de Corfe étoient petits , mais vifs & courageux ; que ceux d'Efpagne reffembloient à ceux des Par- thes , & étoient excellens pour la guerre ; qu'il y avoit aufli en Tranfilvanie & en Va- lachie des chevaux à tète légère , à grands crins pendans jufqu'à terre , & à queue touffue , qui étoient très prompts à la cour- fe ; que les chevaux Danois étoient bien faits & bons fauteurs ; que ceux de Scandi- navie étoient petits , mais bien moulés & fort agiles; que les chevaux de Flandre étoient forts ; que les Gaulois fourniflbient, aux Romains de bons chevaux pour la monture & pour porter des fardeaux; que les che- vaux des Germains étoient mal faits & fi mauvais, qu'ils ne s'en fervoicnt pas; que les Suiffes eti avoienr beaucoup & de très bo:îS pour la guerre; que les chevaux de Hongrie étoient aufli fort bons ; & enfin , que les chevaux des Indes étoient fort petits & très foibles. Il réfulte de tous ces faits, que les che- vaux Arabes ont été de tous temps & font encore les premiers chevaux du monde , tant pour la beauté que pour la bonté , que c'efh d'eux que l'on tire , foit immédiatenieni: , foit médiatement par le moyen des Barbes , les plus beaux chevaux qui foient en Euro- pe , en Afrique ôc en Afie ; que le climat de da Cheval. 5*9 de l'Arabie eft peut-être le vrai climat des chevaux, & le meilleur de tous les climats , puifqu'au lieu d'y croifer les races par des races étrangères , on a grand foin de les conl'erver dans toute leur pureté ; que fi ce climat neft pas par lui-rmême le meilleur climat pour les chevaux , les Arabes l'ont rendu tel par les foins particuliers qu'ils ont pris de tous les temps , d'ennoblir les races , en ne mettant enfemble que les indi- vidus les mieux faits & de la première qua- lité , que par cette attention fuivie pendant des fiècles, ils ont pu perfectionner l'efpèce au-delà de ce que la Nature auroit fait dans le meilleur climat : on peut encore en con- clure que les climats plus chauds que froids , & furtout les pays fecs , font ceux qui con- viennent le mieux à la nature de ces ani- mau" ; qu'en général les petits chevaux font meilleurs que les grands; que le foin leur eft auffi néceflaire à tous que la nourriture ; qu'avec de la familiarité & des carefîes on en tire beaucoup plus que par la force & les châtimens ; que les chevaux des pays chauds ont les os, la corne , les mufcles plus durs que ceux de nos climats ; que quoique la chaleur convienne mieux que le froid à ces animaux, cependant le chaud excefiifns leur convient pas; que le grand froid leur eft contraire; qu'enfin leur habitude cc leur naturel dépendent prefqu'en entier du cli- mat , de la nourriture , des foins &. de l'édu- cation. En Perfe , en Arabie & dans plufieurs au- tres lieux de l'Orient , on n 'eft pas dans l'ufaz^ H ço HiJ^oirc naturdlt de hongfer les chevaux, comme on î^ faïf fî généralement en Europe & à la Chine : cette opération leur ôte beaucoup de force , de courage , de fierté , &c. mais leur donne de la douceur, de la tranquillité , de la do- cilité; pour la faire, on leur attache les jambes avec des cordes, on les renverfe fur le dos ,. on ouvre les bourfes avec un bif- touri, on en tire les teAicuîes^^ on coupe les vaiiTeaux qui y aboutiffent & les liga- msns qui les foutienneut, & après les avoir enlevés on referme la plaie & on a^ foin de faire baigner le cheval deux fois par joue pendant quinze jours , ou de Tétuver fou- vent avec de Teau fraîche , & de le nourrir pendant ce temps avec du fon détreriipé dans beaucoup d'eau , afin de le rafrs^chir: cette opération fe doit faire au printemps ou en automne, le grand chaud bi le grand froid y étant également contraires. A l'égard de i'âge auquel on doit la fah-fi j il y a des iifages différens ; dans certaines provinces oa hongre les chevaux dès l'âge d un an ou dix- huit mois , aufii-tôt ,qu3 les tefticules font jjien apparens au dehors, mais l'u'age le plus général & le mieux fondé efl: de ne les hongrer qu'à deux & même à trois ans, par- ce qu'en les hongrant tard ils confervent ua peu plus des qualités attacliées au fexe maf- culin. Pline (r) dit que les dents de lait ne tombent point à. un cheval qu'on fait hongre [r] Voyez Plin. Hift. rat. in S''. Paris , 1^85... tome.' H , fîarag. i.y.J5f/K, page /jS,. éîi ChcvdL 0i fevUrit qu'elles foient tombées: j'aiétéàpor» tée de vérifier ce fait , & il ne s'eft pas trouvé vrai ; les dents de lait tombent égale- ment aux jeunes chevaux hongres & aux jeunes chevaux entiers ; & il eft probable que les anciens n'ont haCardé cefait que par- ce qu'ils l'ont cru fondé fur l'analogie de la chute des cornes du cerf^ du chevreuil , &c. qui en effet ne tombent point lorfque l'animal a été coupé. Aurcfte un cheval hon- gre n'a plus la puiflanee d'engendrer, mais il peut encore s'accoupler , & l'on en a vu des exemples. Les chevaux de quelque poil qu'ils foient, muent comme prefque tous les autres ani- maux couverts de poil , & cette mue fe fait une fois l'an^ ordinairement au printemps ;, & quelquefois en automne; ils font alors plus foibles que dans les autres temps , il faut le« ménager, les foigner davantage & les nourrir un peu plus largement. Il y a auiîî des chevaux qui muent de corne, cela arri- ve furtout à ceux qui ont été élevés dans des pays humides & marécageux ^ comme en Hollande. Les clievaux hongres & les jumens hen- nifTent moins fréquemment que les chevaux entiers. Ils ont aulïï la voix moins pleine & moins grave: on peut diflinguer dans tous cinq fortes \^s) de hennilTemens differens relatifs à différentes paillons; le henniffement d'allé- CO J^'^i^e Cardan, di nrum virUtitc , lib. VIII , cjps 95- Hifloirc naturdlk greffe , dans lequel la voix fe fait entendre afTez longuement , monte & finit à des Tons plus aigus; le cheval rue en même temps, mais légèrement, &ne cherche point à frap- per ', le henniflement du defir ioit d'amour foit. d'attachement 3 dans lequel le cheval ne rue point , & la voix fe fait entendre longuement & finit par des fons plus gra- ves \ le henniffement de la colère , pendant lequel le cheval rue & frappe dangereufe* ment , èfl très court & aigu ; celui de la crainte , pendant lequel il rue auiîi , n'eft guère plus long que celui de la colère , la voix eft grave ^ rauque , & femble fortir en entier des nafeaux ; ce hennifTement eft afTez Semblable au rugiffement d'un lion : .celui de. ia douleur eft moins un hennifTement qu'un gémifTement ou ronflement d'opprefïion quî ie fait à voix grave & fuit les alternatives de la refpiration. Au refle , on a remarqué que les chevaux qui hennifîent le plus fou- vent, furtout d'allégrefTe & de defir , font les meilleurs & les plus généreux ; les che- vaux entiers ont aulîi la voix plus forte que les hongres & les jumens ; dés la naiiTance le mâle a ia voix plus forte que la femelle ; à deux ans ou deux ans & demi , c'efl-à- dire , à l'âge de puberté la voix des mâles & des femelles devient plus forte & plus grave , comme dans l'homme & dans la plu- part des autres animaux. Lorfque le cheval eiT paflîonné d'amour, de defir ^ d'appétit , il montre les dents & femble rire , il les mon- tre aufli diïns la colère & lorfqu'il veut mor- dre ;, il tire quelquefois la langue pour lé- du Cheval. ^3 cher, mais moins fréquemment que le bœuf qui lèche beaucoup plus que le cheval , & qui cependant eft moins fenfible aux caref- fes : le cheval fe fouvient aulîi beaucoup plus long-temps des mauvais traitemens , &: il fe rebute aufîi plus aifément que le bœuf; fon naturel ardent & courageux lui fait don- ner d'abord tout ce qu'il poffède de forces , & lorfqu'il fent qu'on exige encore davan- tage , il s'indigne & refufe ; au lieu que le bœuf qui de fa nature eft lent & parefeux , s*excède & fe rebute moins aifémeîit. Le cheval dort beaucoup moins que l'hom- me ; lorfqu'il fe porte bien il ne dem.eure guère que deux ou trois heures de fuite cou- ché , il fe relevé erifuite pour manger ; & lorfqu'il a été trop fatigué ^ il fe couche une féconde fois après avoir mangé , mais en tout il ne dort guère que trois ou quatre heures en vingt - quatre ; il y a même des chevaux qui ne fe couchent jamais & qui -dorme.nt toujours debout ; ceux qui fe cou- chent , dorment aulii quelquefois fur leurs pieds : OH a remarqué que les hongres dor- ment plus fouvent & plus long-temps que les chevaux entiers. Les quadrupèdes ne boivent pas tous de la même manière , quoique tous foient éga» lement obligés d'aller chercher avec la tête la liqueur qu'ils ne peuvent faifir autrement, à l'exception du fmge , du maki & de quel- ques autres qui ont des mains , & qui par •conféquent peuvent boire comme l'homme , lorfqu'oii leur donne un vafe qu'ils peuvent tenir j car ils le portent à leur bouche > l'in- ^Ç4 Hljloirc naturdlt clinent, verfent la liqueur , & ravaîerttparfé^ fimple mouvement de la déglutition : l'hamme boit ordinairement de cette manière , parce que G'eft en effet la plus commode; mais il peut encore boire de plufieurs autres fa- çons, en approchant les lèvres & les con- fradant pour afpirer la Uqueur ou bien en y enfonçait le nez & la bouche afTez pro- iondément pour que la langue en foit envi^ ronnée & n'ait d'autre mouvement à faiie c]ue celui qui eft néceffaire pour la dégluti- tion , ou encore en mordant , pour ainfi di- re, la liqueur avec les lèvres , ou enfin y quoique plus difficilement , en tirant la lart- gue , l'élargifTant , & formant une efpèce de petit godet qui rapporte un peu d'eau dans la bouche : la plupart des quadrupèdes pour- roient auffi chacun boire de plufieurs ma- nières; mais ils font comme nous, ils choi- fififent celle qui leur eA la plus commode , & la fuivent conftamment. Le chien , dont la gueule eft fort ouverte & la langue Ion*- gue & mince j boit en lapant, e'eft-à-dire, en léchant la licueur , & formant avec la langue un godtt qui fe remplit à chaque fois & rapporte une aiTez grande quantité de li- queur i il préfère cette façon à celle de fe mouiller le nez ; le cheval , au contraire , qui a la bouche plus petite & la langue trop épailTe & trop courte pour former un grand godet , & qui d'ailleurs boit encore plus avidement qu'il ne mange , enfonce \a bou- che & le nez brufquemjnt & profondément dans l'eau qu'il avale abondamment par le fimple mouvement de la déglutition ;. msvs-- (hi ChcvaL çf cela même le force à boire tout d'une ha* leine, au lieu que le chien refpire à fort aife pendant qu'il boit : aufTi doit- on laifl'er aux. chevaux la liberté de boire à plufieurs reprifes-, furrout après une courfe , lorfque le mouvement de la refpiration eft court & prelTé ; on ne doit pas non plus leur laifl'er boire de Peau trop froide , parce qu'indépen- damment des coliques que l'au froide caufa fouvent, il leur arrive auffi , par la nécef- fité où ils font d'y tremper les nafeaux , qu'ils fe refroidirent le nez s'enrhument j & prennent peut-être les germes de cette ma* iadie à laquelle on a donné le nom de mor' ve , la plus formidable de toutes pour cette efpèce d'animaux : car on fait depuis peu que le fiège de la morve eft dans la mem- brane pituitaire (f) ; que c'eft^ar conféquent im vrai rhume qui à la longue caufe une inflammation dans cette membrane ; & d'un autre côté les voyageurs qui rapportent dans un affez grand détail les maladies- des che- vaux dans les pays chauds , com.me l'Ara- bie , la Perfc , la Barbarie , ne difent pas que la morve y foit auiîi fréquente que dans les climats froids ;, ainfi je crois être fondé à conjecturer que l'une des caufes de cette maladie , eft la froideur de l'eau , parce que ces anunaux font obligés d'y enfoncera d'y {c) M, de la Foffe, maréchal du Roi , a le premief lî'émontré que le fiège de la morve eft dans la mem-*' brane pituitaire , & il a efTaye de guérir des chev-AUjac «4 les tr^oananî,- ç6 Hijloîrt naturdU tenir le nez &. les nafeaux pendant un temps confidérable ^ ce que Ton préviendroit en ne leur donnant jamais d'eau froide , & en leur effuyant toujours les nafeaux après qu'ils ont bu. Les ânes qui craignent le froid beau- coup plus que les chevaux , & qui l^ur ref- femblent fi fort par la il:ru£^ure intérieure, ne font pas cependant fi fujets à la morve , ce qui ne vient peut-être que de ce qu'ils boivent différemment des chevaux ; car au lieu d'enfoncer profondément la bouche & le nez dans l'eau ^ ils ne font prefque que l'atteindre des lèvres. Je ne parlerai pas des autres maladies des chevaux , ce feroit trop étendre l'Hiftoire Naturelle que de joindre à l'hiftoire d'un animal celle de fes maladies : cependant je ne puis terminer l'hiftoire du cheval fans marquer quelques regrets de ce que la fan- té de cet animal utile & précieux a été juf- qu'à préfent abandonnée aux foins & à la pratique fouvent aveugles de gens fans con- noiffance & fans lettres. La médecine que les anciens ont appellée Médecine vétérinaire , n'eft prefque connue que de nom : je fuis perfuadé que fi quelque Médecin tournoit fes vues de ce côté-là , & faifoit de cette étude fon principal objets il en feroit bien- tôt dédommagé par d'amples fuccès ; que non-feulement il s'enrichiroit , mais même qu'au lieu de fe dégrader il s'illuflreroit beau- coup , Si cette médecine ne feroit pas fi conjecturale & fi difficile que l'autre : la nourriture , les mœwrs , TinÂuence du fen- tiinent> du Chtvat, ç^y timent, toutes les caufes, en un mot, étant plus fimples dans l'animal que dans l'hom- me , les maladies doivent aulîi être moins compliquées , & par conféquent plus faciles à juger & à traiter avec fuccès; fans comp- ter la liberté qu'on auroit toute entière de faire des expériences , de tenter de nouveaux remèdes, & de pouvoir arriver fans crainte & fans reproche à une grande étendue de connoifTances en ce genre , dont on pour- roit même par analogie tirer des induar la hauteur de la taille^ la groffeur^Ia égéreté , la force, &c. & du tout au rien pour l'efprit ; mais cette dernière qualité n'appartenant point à la matière , ne doit point être ici confidérée : les autres font les variations ordinaires de la nature qui vien- nent de rinfluence du climat & de la nour- riture; mais ces différences de couleur & de dimenfion dans la taille n^empêchent pas que le Nègre & le Blanc , le Lappon & le Pata- gon, le géant & le nain, ne produifent en* lemble des individus qui peuvent eux-mê- mes fe reproduire ^ & que par conféquent ces hommes fl différens en apparence , ne foient tous d'une feule & même efpèce, puis- que cette reprodu(5iion conftante eft ce qui conftitue l'eipèce. Après ces variations gé- nérales j il y en a d'autres qui font plus par- ticulières & qui ne laiffent pas de fe per- pétuer, comme les énormes jambes des hom-. de tJnt, ro9 mes qu'on appelle dt la race de St. Thomas {h) dans l'isle de CeyUn , les yeux rouges & le» cheveux blancs des Dariens Ôi des Chacre- las;les fix doigts (c) aux mains & aux pieds dans certaines familles , &c. ces variétés fingulieres font des défauts ou des excès ac- cidentels qui , s'étant d'abord trouvés dans quelques individus , fe font enfuite propagés de race en race, comme les autres vices & maladies héréditaires ; mais ces différences, quoique conftantes , ne doivent être regar- dées que comme des variétés individuelles qui ne féparent pas ces individus de leur ef- pèce , puifque les races extraordinaires de ces hommes à groffes jambes ou à fix doigts peuvent fe mêler avec la race ordinaire , & produire des individus qui fe reproduifent eux-mêmes. On doit dire Ja mê.r.e chofe de toutes les autres difformités ou monftruo- fités qui fe communiquent dis pères & mères aux enfans : voilà jufqu'où s*étendent les er- reurs de la Nature, voilà les plus grandes limites de {qs variétés dans l'homme; & s'il y a des individus qui dégénèrent encore da- vantage , ces individus ne reproduifant rien , njaltèrent ni la confiance ni Tunité de l'ef- pèce : ainfi , il n'y a dans l'homme qu'une {h) Voyez le cinquième volume de cette Hii^oire raturejle , article , Variétés dans rtfpcct knmainc» (c) Voyez cette obfervation curîeufe dans les lettres «le M. de Maupertuis , où vous trouverez aufli plu- sieurs idées philofophiques très élevées fut la ginçra- Ùpïï $c fur di^^eos autres fujets» f r O Hijlolrc UAturdU ' feule & même efpèce ; & quoique cette ef- pèce foit peut-être la plus nombreufe & la plus abondante en individus , & en même temps la plus inconféquente & la plus irré- guliere dans toutes fes aftions, on ne voit pas que cette prodîgieufe diverfité de mou- vemens^ de nourriture, de climat, & de tant d'autres combinaifons que Ton peut fuppofer, ait produit des êtres afTez différens des autres pour faire de nouvelles Touches , & en même temps affez femblables à nous pour ne pouvoir nier de leur avoir appar- tenu. Si le Nègre & le Blanc ne pouvoient pro- duire enfemble , fi même leur production de- meuroit inféconde, fi le Mulâtre étoit un vrai mulet, il y auroit alors deux «fpèces bien diftinftes; le Nègre feroit à l'homme c« que Tàne eft au cheval, ou plutôt, ù le Blanc etoit homme, le Nègre ne feroit plus un homme , ce feroit un animal à part , comme le fmge, & nous ferions en droit de penfer que le Blanc & le Nègre n'auroient point eu une origine commune ; mais cette fuppofi- tion même eft démentie par le fait ; & puif- que tous les hommes peuvent communiquer & produire enfemble , tous les hommes vien- nent de la même fouche & font de la même famille. Que deux individus ne puiflent produire enfemble , il ne faut pour cela que quelques légères difconvenances dans le tempérament, ou quelque défaut accidentel dans les or- ganes de la génération de l'un ou de l'autre de ces deux individus ; que deux individus de tAnt, m de diiTerentes efîjèces, & que Ton joint en- fembie , produiient d'autres individus qui ne re/Temblant ni à l'un ni à l'autre, ne refTem- bjent à rien de fixe , 6c ne peuvent par con- féquent rien produire de lèmblable à eux , il ne faut pour cela qu'un certain degré de convenance entre la forme du corps & les organes de la génération de ces animaux dif- férens; mais quel nombre immenfe & peut- être infini de combinaifons ne faudroit-il pas pour pouvoir feulement fuppofer que deux animaux , mâle & femelle, d'une certaine efpèce, ont non -feulement affez dégénéré pour n'être plus de cette efpèce , c'eft - à- dire , pour ne pouvoir plus produire avec ceux auxquels ils étoient femblables , mais encore dégénéré tous deux précifément au même point, & à ce point néceffaire pour ne pouvoir produire qu'enfemble l & enfuitc quelle autre prodigieufe immenfité de com- binaifons ne faudroit-il pas encore pour que cette nouvelle produ^ion de ces deux ani- maux dégénérés fuivît exadement les mêmes loix qui s'obfervent dans la produftion des animaux parfaits ! car un animal dégénéré cft lui-même une prodnjftion viciée; & com- ment fe pourroit-il qu'une origine viciée , qu'une dépravation , une négation , pût faire louche, & non- feulement produire une fuc- celfion d'êtres conftans , mais même les pro- duire cle la même façon & fuivant les mêmes loix que fe reprcduifent en effet les animaux dont l'origine eftpure? Quoiqu'on ne puifTe donc pas démontrer que la production d'une efpèce par la dégé- iiî Hifloirc naturelle, nération, foit une chofe impoflible à la Na.- ture , le nombre des probabilités contraires eft fi énorme, que philofophiquement même on n'en peut guère clouter; car fi quelque cfp^ce a été produite par la dégénération d'une autre, fi l'efpèce de l'âne vient de Tef- pèce du cheval^ cela n'a pu fe faire que fucceflîvement & par nuances; il y auroit eu entre le cheval & l'âne un grand nombre d'animaux intermédiaires, dont les premiers fe feroient peu-à-peu éloignés de la nature du cheval , & les derniers fe feroient appro- chés peu-à-peu de celle de l'âne ; & pour- quoi ne verrions-nous pas aujourd'hui les re- préfentans , les defcendans de ces efpèces in- termédiaires ? pourquoi n'en ett - il demeuré que les deux extrêmes ? L'âne eft donc un âne , & n'eft point un cheval dégénéré , un cheval à queue nue ; il n'eft ni étranger, ni intrus, ni bâtard; il a, comme tous les autres animaux , fa famille , fon efpèce , & fon rang ; fon fang eft pur ; & quoique fa nobleffe foit moins illuftre , elle eft toute aufîi bonne, toute aufïi ancienne que celle du cheval ; pourquoi donc tant de mépris pour cet animal , fi bon , fi patient , fi fobre, fi utile? Les hommes mépriferoient- ils jufque dans les animaux , ceux qui les fervent trop bien & à trop peu de frais? On donne au cheval de l'éducation, on le foigne^on l'inftruit, on l'exerce, tandis que l'âne 3 abandonné à la grofîiéreté du dernier des valets , ou à la malice des enfans , bien loin d'acquérir , ne peut que perdre par fon éducation; & s'il n*avoitpas un grand fonds de dt ÛAnt. II î lie bonnes qualités, il les perdroit en effet par la manière dont on le traite : il eft le jouet, le plaftron, le bardeau des ruftres qui le conduifent le bâton à la main ^ qui le frap- pent , le furchargent , l'excèdent fans pré- cautions , fans ménagement. On ne fait pas attention que Tâne feroit par lui-même , & pour nous , le premier, le plus beau > le mieux fait , le plus diftingué des animaux , fi dans le monde il n'y avoit point de cheval ; il eft le fécond au lieu d'être le premier, & par cela feul il femble n'être plus rien : c'eft la comparaifon qui le dégrade; on le regarde, on le juge , non pas en lui-même , mais re- lativement au cheval ; on oublie qu'il eft âne, qu'il a toutes les qualités de fa nature, tous les dons attachés à fon efpèce; & on ne penfe qu'à la figure & aux qualités du cheval , qui lui manquent , & qu'il ne doit pas avoir. Il eft de fon naturel auiïï humble , aufli ~ patient, aufïi tranquille, que le cheval eft fier, ardent, impétueux; il foufFre avec conf- tance,& peut-être avec courage, les châ- timens & les coups; il eft fobre , & fur la quantité, & fur la qualité de la nourriture; il fe contente des herbes les plus dures & les plus défagréables , que le cheval &. les autres animaux lui laiffent & dédaignent; il eft fort délicat fur l'eau, il ne veut boire que de la plus claire & aux ruiffeaux qui lui font connus : il boit aullî fobrement qu'il mange , & n'enfonce point du tout fon nez dans l'eau par la peur que lui fait, dit- on, Tombre d^ K 114 Hîjîoirt namnllt fes oreilles (^ijps pour calmer la fuite des ccnvulfions & des mouvemens amou- reux , fans cette précaution elle ne retien- droit que très rarement ; le temps le plus or- dinaire de la chaleur eft le mois de mai & de t Ant, \\y celui de juin ; lorfqu'elle eft pleine, la cha- leur cefTe bientôt y & dans le dixième mois le lait paroît dans les mamelles ; elle met bas dans le douzième mois , & Ibuvent il fe trouve des morceaux folides dans la liqueur de l'amnios, femblables à Thippomanès du poulain; fept jours après l'accouchement la chaleur fe renouvelle , & l'ânefTe eft en état de recevoir le mâle, en forte qu'elle peut, pour ainfi dire , continuellement engendrer & nourrir ; elle ne produit qu'un petit , & fi rarement deux, qu'à peine en a- 1- on des exemples. Au bout de cinq ou fix mois on peut fevrer l'ânon, & cela eft même nécef- iaire fi la mère eft pleine j pour qu'elle puifîe mieux nourrir fon fœtus. L'âne étalon doit être choifi parmi les plus grands & les plus forts de fon efpèce; il faut qu'il ait au moins trois ans , & qu'il n'en paffe pas dix , qu'il ait les jambes hautes , le corps étofFe , la tête élevée &. légère , les yeux vifs , les na féaux gros , l'encolure un p^fu longue, le poitrail large , les reins charnus , la côte large , la croupe platte , la queue courte , le poil lui- fant i doux au toucher & d'un gris foncé. L'âne , qui comme le cheval eft trois ou quatre ans à croître , vit aufîi comme lui vingt-cinq ou trente ans; on prétend feule- ment que les femelles vivent ordinairement plus long-temps que les mâles , mais cela ne vient peut-être que de ce qu'étant fouvent pleines , elles font un peu plus ménagées , au lieu qu'on excède conrinuellement les mâles de fatigue &. de coups ; ils dorment moins que les chevaux , & ne fe couchent 1 1 ^ Ifijlolrc naturelle pour dormir que quand ils font excé(îé^: ràne étalon dure aufii plus long- temps que le cheval étalon; plus il eft vieux, plus il paroît ardent, & en général la fanté de cet animal elt bien plus ferme que celle du che- yaJ ; il eft moins délicat, & il n'eft pas fujet, à beaucoup près, à un auflî grand nombre de maladies ; les anciens même ne lui en con- noiffoient guère d'autres que celle de la morve , à laquelle il eft , comme nous l'a- vons dit, encore bien moins fujet que le cheval. Il y a parmi les ânes différentes races , comme parmi les chevaux-, mais que l'on eonnoît moinjs , parce qu'on ne les a ni foi- gnés ni fuivis avec la même attention ; feu- lement on ne peut guère douter que tous ne foient originaires des climats chauds : Ariftore (/) alTure qu'il n'y en avoit point de Ton temps en Scythie, ni dans les autres pays feptentrionaux qui avoifment la Scy- thie, ni même dans les Gaules, dont le cli- mat, dit-il, ne laifle pas d'être froid; & il ajoute que le climat froid , ou les empêche de produire , ou les fait dégénérer , & que c'eft par cette dernière raiibn que dans l'Il- lyrie , la Thrace & l'Epire ils font petits & foibles ; ils font encore tels en France , quoi- qu'ils y foienr déjà alTez anciennement na- turalifés, & que le froid du climat foit bien diminué depuis deux mille ans par la quan- tité de forêts abattues ôc de marais defféchés-;^ (/) Vide Arlfiott di. gimrat, animal, lib, IL de CAm, \\j mais ce qui paroît encore plus certain , c'eft qu'ils font nouveaux (g) pour la Suède & pour les autres pays du nord ; ils paroilTent être venus originairement d'Arabie, & avoir pafle d'Arabie en Egypte , d'Egypte en Grè- ce , de Grèce en Italie , d'Italie en France , &: enfuite en Allemagne , en Angleterre , & enfin en Suède , &c. car ils font en effet d'autant moins forts & d'autant plus petits , que les climats font plus froids. Cette migration paroît affez bien prouvée par le rapport des voyageurs. Chardin {h), dit )j qu'il y a de deux forces d'ânes en Perle j « les ânes du pays , qui font lents & pefans , « & donr ox\ ne fe fert que pour porter des. « fardeaux , & une race d'ânes d'Arabie , qui » font de fort jolies bêtes &: les premiers ânes j> du monde ; ils ont le poil poli , la tète haute ,, » les pieds légers ^ ils leslèvept avec aélion, » marchant bien ,. & l'on ne s'en fert que » pour montures ; les felles qu'on leur met î) font comme des bâts ronds & plats par- w deffus j, elles font de drap ou de tapifferie •n avec lesharnois & les étrîers ; on s'allîed, n defifus plus vers la croupe que vers le cou :: y il y a dé ces ânes qu'on achette jufqu'à; » quatre cents livres, & l'on n'en fauroit » avoir à moins de vingt-cinq piftoles; oa »» Tes panfe comme les chevaux, mais on ne. » leur apprend autre chofe qu'à aller i'am- (g) Viii Linncel faunam fuccicam. ih) Vcyei le voyage de Chardin , tome II , pages 110 Hljîoin naturdU « ble; & l'art de les y drefTer eft de leur j> attacher les jambes , celles de devant & >» celles de derrière du même côté par deux « cordes de coton , qu*OFi fait de la mefure » du pas de l'âne qui va l'amble , & qu'on « fufpend par une autre corde paffée dans la » fangle à l'endroit de l'étrier ; des efpèces j> d'écuyers les montent foir & matin & les » exercent à cette allure ; on leur fend les i> nafeaux afin de leur donner plus d'haleine , » & ils vont fi vite , qu'il faut galopper pour » les fuivre «. Les Arabes , qui font dans l'habitude de conferver avec tant de foin & depuis fi long- temps les races de leurs chevaux , pren- droient-ils la même peine pour les ânes ? ou plutôt ceci ne femble-t-il pas prouver que le climat d'Arabie eft le premier & le meil- leur climat pour les uns & pour les autres ? De-là ils ontpafféen Barbarie (i), en Egyp- te , où ils font beaux & de grande taille , auffi-bien que dans les climats excelîivement chauds, comme aux Indes & en Guinée (A), où ils font plus grands , plus forts & meil- leurs que les chevaux du pays ; ils font mê- me en grand honneur à Maduré (l) , où l'une . des plus confidérables & des plus nobles tri- bus des Indes les révère particulièrement. (i) V. le voyage de Shaw, tome 1, page 508, {k) V. le voyage de Guinée de Bofman. Utrecht, !70ç , pages 239 & 240. (/) Voyez les Lettres édifiantes, douzième Recueil, page ^6, parce de fAnc. ' lil l>arce qu*ils croyent que les âmes de toute la noblefle paffeat dans le corps des ânes; enfin l'on trouve les ânes en pius grande quantité que les chevaux dans tous i^s pays méridionaux, depuis le Sénégal jufqu'à la Chine ; on y trouve auffi des ânes fauvages plus communément que des chevaux fauva- ges. Les Latins, d'après les Grecs , ont ap- pelle ràne fauvage o/u^er, onagre, qu'il ne faut pas confondre , comme l'ont fait quel- ques Naturaliftes & plufieurs voyageurs, avec le zèbre, dont nous donnerons l'hif- toire à part, parce que le zèbre eft un ani- mal d'une efpèce différente de celle de l'âne. L'onagre ou l'âne fauvàge n'eft point rayé comme le zèbre ; & il n'eft pas à beaucoup près d'une figure auffi élégante : on trouve des ânes fauvages dans quelques ifles de l'Archipel , & particulièrement dans celle (m) de Cérigo ; il y en a beaucoup dans les dé- ferts de Lybie & de Numidie (n) ; ils font gris & courent fi vite, qu'il n'y a que les chevaux barbes qui puiffent les atteindre à la courfei lorfqu'ils voyent un homme, ils iettent un cri, font une ruade , s'arrêtent , &: ne fuient que lorfqu'on hs approche; on les prend dans des pièges & dans des lacs de corde; ils vont par. troupes pâturer & boire ; on en mange la chair. Il y avoit auffi du temps de Marmol , que je viens de citer , dei (m) V. le Recueil de Dapper , pag. iS$ & jjg, (n) Vldi Leonls A fric, de A fric tz defcript. tome II , page 513 ; & l'Afrique de Iviarmol , tome I, pag. yj. . Quadrupèdes. Tomr L L m Hijfolrc naturelle, ânes fauvages dans Tifle de Sardaigne , mais plus petits que ceux d'Afrique ; & Pietro délia Valle dit (o) avoir vu un âne fauvage à Baflbra ; fa figure n'étoit point différente de celle des ânes domeftiques , il étoit feu- lement d'une couleur plus claire, & il avoir depuis la tête jufqu'à la queue une raie de poil blond ; il étoit aufli beaucoup plus vif & plus léger à la courfe que les ânes' ordi- naires. Olearius (p) rapporte qu'un jour le Roi de Perfe le fît monter avec lui dans un petit bâtiment en forme de théâtre pour faire collation de fruits & de confitures ; qu'après le repas on fît entrer trente-deux ânes fau- vages fur lefquelsle Roi tira quelques coups de fufil & de flèche, & qu'il permit enfuite VLUZ Ambafi'adeurs & autres Seigneurs de ti- rer; que ce n'étoit pas un petit divertiffe- nient de voir ces ânes , chargés qu'ils étoient quelquefois de plus de dix flèches , dont ils incommodoient & blefToient les autres quand ils fe mêloient avec eux , de forte qu'ils fe mettoient à fe mordre & à ruer les uns con- tre les autres d'une étrange façon , & que quand on les eut tous abattus & couchés de rang devant le Roi, on les envoya à Ifpahan à la cuifine de la Cour, les Perfans faifant un fi grand état de la chair de ces ânes fau- vages, qu'ils en ont fait un proverbe, &c« (o) V. les voyages de Pietro délia Valle , ♦■om. VIIÎ pag. 49. fp V le voyage d'A 'am Olearius, Paris , 16 ^S $ Mais il n'y a pas apparence que ces trente- deux ânes fauvages fuffent tous pris dans les forêts, & c'étoient probablement des ânes qu'on élevoit dans de grands parcs , pour avoir ie plaifir de les chafler & de les manger. On n'a point trouvé d'ânes en Amérique ,~ non plus que de chevaux , quoique le climat, furtout celui de l'Amérique méridionale, leur convienne autant qu'aucun autre j ceux que les Efpagnols y ont tranfportés d'Europe, & qu'ils ont abandonnés dans les grandes ifles & dans le continent , y ont beaucoup multi- plié ; & Ton y trouve (f ) en plufieurs endroits des ânes fauvages qui vont par troupes, & que l'on prend dans des pièges comme les chevaux fauvages. L'âne avec la jument produit les grands mulets; le cheval avec l'ànefle produit les petits mulets , différens des premiers à plu- iieurs égards ; mais nous nous réfervons de traiter en particulier de la génération des mulets s des jumars , &c. & nous termine- rons l'hiftoire de l'âne par celle de fes pro- Îjtiétés & des ufàges auxquels nous pouvons 'employer. Comme les ânes fauvages font inconnus tlans ces climats , nous ne pouvons pas dire il leur chair eft en effet bonne à manger; mais ce qu'il y a de sur, c'eft que celle des ânes domieftiques eil très mauvaife, & plus (f) V. le nouveau voyage aux ifles de ^Amérique» fttrif ^ lyiî, tome II, page 293. L 2 114 Hljîoire naturelle inauvaife , plus dure , plus défagréablement infipide que celle du cheval; Galien(r) dit jîiéme que c'eft un aliment pernicieux & qui donne des maladies ; le lait d'àneffe au con- traire eft un remède éprouvé & Tpécifique pour certains maux , 6t l'ufage de ce remède s'eft confervé depuis les Grecs jufqu'à nous; pour l'avoir de bonne qualité , il faut choifir une ânefle jeune, faine, bien en chair, qui ait mis bas depuis peu de temps , & qui n*ait pas été couverte depuis ; il faut lui ôter l'ânoa qu'elle alaite ^ la tenir propre , la bien nour- rir de foin , d'avoine , d'orge & d'herbe dont les qualités falutaires puifïent influer fur la maladie , avoir attention de ne pas laifler refroidir le lait, & même ne le pas expofer à l'air , ce qui le gâteroit en peu de temps. Lçs Anciens attribuoient aulîi beaucoup de vertus médicinales au fang , à l'urine , &:c. de râne , &l beaucoup d'autres qua- lités fpécifiques à la cervelle , au cœur , au foie , 6ic. de cet animal ; mais l'expérience a détruit , ou du moins n'a pas confirmé ce qu'ils nous en dilent. Comme la peau de l'âne eft très dure & très élaftique, on l'emploie utilement à dif-^ férens ufages ; on en fait des cribles > des tambours, & de très bons fouliers; on en fait du gros parchemin pour les tablettes de poche , que l'on enduit d'une couche légère (Je plâtre ; c'eft aufli avec le cuir de l'âne que les Orientaux font le fagri ( j ^ , que (r) 'Vide G afin, de aliment, facult. Uh.III. \t) Y. le voyage de Thçyepot. tom» II , p, 54. nous appelions chagrin. Il y a apparence que les os , comme la peau de cet animal , font auffi plus durs que les os des autres animaux , puifque les Anciens en faifoient des flûtes, & qu'ils les trouvoient plus Tonnantes que tous les autres os. L'âne eft peut-être de tous les animaux celui qui , relativement à fon volume , peut porter les plus grands poids; & comme il ne coûte prefque rien à nourrir & qu'il ne de- mande , pour ainfi dire , aucun loin , il eft d*une grande utilité à la campagne , au moulin , &c. 11 peut aulîi fervir de monture ; toutes fes allures font douces , & il bron- che moins que le cheval; on le metfouvent à la charrue dans les pays où le terrein eft léger , & fon fumier eft un excellent engrais pour les terres fortes ^ humides. iî6 ITiJIoîrc nanircUê LE BŒUF. Voyt:^ planche II ^ fi^, i de, ce Volume* L A furface de la terre , parée de fa ver- dure , eft le fonds inépuifable & commun duquel lliomme & les animaux tirent leur fubfiftance ; tout ce qui a vie dans la Na- ture vit fur ce qui végète , & les végétaux vivent à leur tour des débris de tout ce qui a vécu & végète ; pour vivre il faut détrui- re, & ce n'eft en effet qu'en détruifant des êtres que les animaux peuvent fe nourrir Se fe multipHer. Dieu en créant les premiers individus de chaque efpèce d'animal & de végétal , a non feulement donné la forme à la poufliere de la terre , mais il Ta rendue vivante & animée , en renfermant dans cha- que individu une quantité plus ou moins, grande de principes aétifs, de molécules or- ganiques vivantes , indeftru£libles (^) & communes à tous les êtres brganifés : ces molécules paffent de corps en corps, ek fer- vent également à la vie a£luelle & à la con- tinuation de la vie , à la nutrition , àraccroifTc- ment de chaque individu ; & après la diffolutica du corps, après fa deftru^ion ^fa réduflion en (a) Voyez le chapitre VI & fuivans du trolûèca» Volume de cette Hiîloire aaturelle.. To rTL . I Fi in Èùtuf, t VJ cendres, ces molécules organiques * fur le f»» quelles la mort ne peut rien , lurvivent, cir* culent dans l'Univers, paffent dans d'autres êtres & y portent la nourriture & la vie : ^oute produftion ^ tout renouvellement , tout accroiffement par la génération y par la nu- trition , par le développement, fuppofent donc une deftru il faut qu'ils détruifent des végétaux ou d'autres animaux; & comme avant ôc après la deftru6Hon la quantité de vie refte toujours la même, il femble qu'il devroit être indifférent à la nature que telle ou telle «fpèce détruisît plus ou moins; cependant» comme une mère économe , au fein même de ^'abondance , elle a fixé des bornes à la dè- penfe & prévenu le dégât apparent , en ne Sonnant qu'à peu d'efpèces d'animaux l'inf- tinft de fe nourrir de chair; elle a même réduit à un affez petit nombre d'i:ndividus ces «fpèces voraces & carnaffieres , tandis qu'elle a multiplié bien plus abondamment & les ef- pèces & les individus de ceux qui fe nour- jrilTent de plantes; & que dans les végétaux elle femble avoir prodigué les efpèces, & jrépandu dans chacune avec prof ufion le nom» ik-e & la fécondité. L'homme a peut - être beaucoup contribué à féconder fes vues , à maintenir & même à établir cet ordre fur la terre ; car dans la mer on retrouve cette indifférence que nous fuppofions , toutes les efpèces font prefque également voraces, el- les vivent fur elles-mêmes ou fur les au- tres, & s'entpfedévorent perpétuellement fans jamais fe détruire , parce que la fécondité y efl aufTi grande que la déprédation , & que jjrefque toute la nourriture, tout-^ la con- du Bœuf, 12<) fommation tourne au profit de la repro- duction. L'homme fait ufer en maître de fa puifTance fur les animaux, il a choifi ceux dont la chair flatte fon goût , il en a fait des efcla- ves domeftiques , il les a multipliés plus que la Nature ne l'auroit fait , il en a formé des troupeaux nombreux ; & par les foins qu'il prend de les faire naître , il femble avoir acquis le droit de fe les immoler, mais il étend ce droit bien au-delà de fes be- foins , car indépendamment de ces efpèces qu'il s'eft aflujetties , & dont il dirpote à fon gré, il fait aufli la guerre aux animaux fau- vages,aux oifeaux, aux poiflbns , il ne fe borne pas même à ceux du climat qu'il ha- bite, il va chercher au loin, & jufqu'au mi- lieu des mers , de nouveaux mets , & la Nature entière femble fufHre à peine à fon intempérance & à Tinconflante variété de fes appétits; l'homme confomme, engloutit lui feul plus de chair que tous les animaux en- femble n'en dévorent; il eft donc le plus grand deftrudteur , & c'eft plus par abus que par néceflité ; au lieu de jouir modérément des biens qui lui font offerts , au lieux de les difpenfer avec équité, aulieu de réparer à mefure qu'il détruit, de renouveller lorfqu'il anéantit, l'homme riche met toute fa gloire à confommer, toute fa grandeur à perdre en un jour à fa table plus de biens qu'il n'en faudroit pour faire fubfifter plufieurs familles ; il abufe également & des animaux & des hommes , dont le refte demeure af- famé, languit dans la misère, 6c ne tra- ^3^ ffijioke naturelle vaille que pour fatisfaire à l'appétit immodéré & à la vanité encore plus infatiable de , cet homme , qui j détruifant les autres par la difette , fe détruit lui - même par les excès. Cependant l'homme pourroit, comme l'ani- mal, vivre de végétaux; la chair qui paroît être fi analogue à la chair , n'eft pas une nourriture meilleure que les graines ou le pain ; ce qui fait la vraie nourriture , celle qui ccmtribiie à la nutrition , au dévelop- pement, à l'accroiffement & à l'entretien du corps , n'eft pas cette matière brute qui compofe à nos yeux la texture de la chair ou de l'herbe; mais ce font les molécules organiques que l'un & l'autre contiennent , puifque le bœuf , en paiffant l'herbe , ac- quiert autant de chair que l'homme ou que les animaux qui ne vivent que de chair & de fang : la feule différence réelle qu'il y ait entre ces alimens , c'eft qu'à volume égal, la chair, le blé, les graines contien- nent beaucoup plus de molécules organiques que l'herbe , les feuilles , les racines & les autres parties de plantes, comme nous nous en fommes alTurés en obfervant les infufions de ces différentes matières ; en forte que l'homme & les animaux dont l'eftomac & les intellins n'ont pas affez de capacité pour ad- mettre un très grand volume d'alimens , ne pourroient pas prendre affez d'herbe pour en tirer la quantité de molécules organiques né- ceffaire à leur nutrition ; & c'eft par cette raifon que Thomme & les autres animaux qui n'ont qu'un eftomac ne peuvent vivre que du Bœuf, iji de chair ou de graines , qui dans un petit volume contiennent une très grande quan- tité de ces molécules organiques nutritives , tandis que le bœuf & les autres animaux ruminans qui ont plufieurs eftomacs^, dont l'un eft d'une très grande capacité , & qui par conféquent peuvent fe remplir d'un grand volume d'herbe en tirent aflez de molécules organiques pour fe nourrir, croître & mul- tiplier ; la quantité compenfe ici la qualité de la nourriture . mais le fonds en eft îe même, c'eft la même matière , ce font \ il faut cefTer de l'exciter & le lailTer reprendre haleine pendant quel- ques momens avant de pourfuivre le même fdlon ou d'en commencer un autre ; mais les Anciens faifoient leurs délices de l'étude de l'agriculture , & mettoient leur gloire à labourer eux-mêmes y ou du moins à favori- fer le laboureur, à épargner la peine du culti- vateur & du bœuf ; & parmi nous ceux qui jouiffent le plus des biens de cette terre , font ceux qui favent le moins eftimer ^encourager > fouîenir l'art de la cultiver.. Le taureau fert principalement à la pro- jagatiorids refpéceiôi quoiqu'on puiiTeaulE du Bœuf, ijc) le {biimettre au' travail , on eft moins fûr de fbn obéiffance , & il faut être en garde contre l'ufage qu'il peut faire de fa force! la Nature a fait cet animal indocile & fier, dans le temps du rut il devient indonvpta- ble , & fouvent furieux ; mais par la caf- tration Ton détruit la fource de ces mouve* mens impétueux , & l'on ne retranche rien à fa force, il n'en eft que plus gros, plus maiîif, plus pefant & plus propre à l'ou- vrage auquel on le deftine; il devient auiTi plus traitable , plus patient, plus docile & moins incommode aux autres : un troupeau de taureaux ne feroit qu'une troupe effrénée que l'homme ne pourroitni dompter ni con- duire. La manière dont fe fait cette opération eft: aflez connue des gens de la campagne , ce- pendant il y a fur cela des ufages très dif- férens dont on n'a peut-être pas afTez ob- fervé les diîTérens effets; en général l'âge le plus convenable à la caftration eft l'âge qui précède immédiatement la puberté; pouf le bœut c'eft dix-huit mois ou deux ans ; ceux qu'on y ïbumet plutôt périfTent pres- que tous; cependant les jeunes veaux aux- quels on ôte les tefticules quelque temps après leur naiffance, & qui furviventà cette opération û dangereufe à cet âge , devien- nent des bœufs plus grands ;, plus gros , plus gras que ceux auxquels on ne fait la caftra- tion qu'à deux , trois ou quatre ans ; mais ceux-ci paroiffent conferver plus de cou- rage & d'aOivité , & ceux qui ne la fubifTent qu'à l'âge de fix , fept ou huit ans M..2 140 Hijioin naturelU ne perdent prefque rien des autres qualités du fexe malculin , ils font plus impétueux , plus indociles que les autres bœufs ; & dans le temps de la chaleur des femelles ils cher- chent encore à s'en approcher , mais il faut avoir foin de les en écarter ; l'accouplement & même le feul attouchement du bœuf, fait naître à la vulve de la vache des efpèces de carnofités ou de verrues , «qu'il faut dé- truire & guérir en y appliquant un fer rou- ge i ce mal peut provenir de ce que ces boELVifs qu'on n'a que bïflournés , c'eft- à-dire , auxquels on a feulement comprimé les tef- ticules, & ferré & tordu les vaifTeaux qui y aboutiffent ne laifTent pas de répandre une liqueur apparemment à demi purulente , & qui peut caufer des ulcères à la vulve de la vache , lefquels dégénèrent enfuite en carnofités. Le printemps eft la faifon où les vaches font le plus communément en chaleur; la plupart dans ce pays-ci reçoivent le taureau & deviennent pleines depuis le 15 av^iljuf- qu'au 15 juillet; mais il ne laifTe pas d'y en avoir beaucoup dont la chaleur eft plus tar- dive j & d'autres dont la chaleur eft plus pré- coce ; elles portent neuf mois, & mettent bas au commencement du dixième ; on a donc des veaux en quantité depuis le 15 jan- vier jufqu'au 15 avril j on en a auiîi pen- dant tout Tété affez abondamment , & l'au- tomne eft le temps où ils font le plus rares. Les fignes de la chaleur de la vache ne font point équivoques , elle mugir alors très fréquemment Ôc plus violemment q^ue dans du Bœuf, TA^t les autres temps , elle faute fur les vaches , fur les bœufs , & même fur les tau- reaux, la vulve eft gonflée & proéminente au dehors ; il faut profiter du temps de cette forte chaleur pour lui donner le taureau ; fi on laiflbit diminuer cette ardeur la va- che ne retiendroit pas aulîi sûrement. La taureau doit être choifi , comme le cheval étalon , parmi les plus beaux de {on efpèce, il doit être gros , bien fait & en bonne chair, il doit avoir l'oeil noir, le re- gard fier, le front ouvert, la tête courte , les cornes groffes , courtes & noires , les oreilles longues & velues, le mufRe grand , le nez court & droit , le cou charnu & gros, les épaules & la poitrine larges, les reins fermes , le dos droit , les jambes gref- fes & charnues , le queue longue & bien couverte de poil , l'allure ferme & sûre , & le poil rouge ( ^ ). Les vaches retiennent fouvent dès la première, féconde ou troi- fième fois ; & fi-tôt qu'elles font pleines le taureau refufe de les couvrir , quoiqu'il y ait encore apparence de chaleur ; mais ordinairement la chaleur ceffe prefque auf- fitôt qu'elles ont conçu ^ & elles refu- fent aufli elles - mêmes les approches du taureau. Les vaches font auffi fujettes à avorter lorfqu'on ne les ménage pas & qu'on les met à la charrue , au charroi , &c ; il faut (b) Voyez la nouvelle Maifon tuftique* Paris, 174^, foiue I , page 19S. I4i Hijîoire natiirdlt même les foigner davantage , & les fuivre de plus près lorfqu'elles Ibnt pleines que dans les autres temps , afin de les empê- cher de fauter des haies , ('es foffés , &;c. Il faut aufîi les mettre dans les pâturages les plus gras , & dans un terrein qui , fans être trop humide & marécageux, foit cependant très abondant en herbe : fix femaines ou deux mois avant qu'elles mettent bas , on les nourrira plus largement qu'à l'ordinaire, en leur donnant à l'étable de l'herbe pendant l'été & pendant l'hiver, du fon le matin ou de la luzerne , du fainfoin , &c ; on cefTera aulîi de les traire dans ce même temps, le lait leur eft alors plus néceffaire que ja- mais pour la nourriture de leur fœtus ^aulïi y a-t-il des vaches dont le lait tarit abfo- lument un mois ou fix femaines avant qu'elles mettent bas; celles qui ont du lait jufqu'aux derniers jours, font les meilleures mères & les meilleures nourrices ; mais ce lait des derniers temps eft généralement mauvais ôc peu abondant. Il faut les mêmes attentions pour l'accouchement de la vache que pour celui de la jument , & même il paroit qu'il en faut davantage ; car la vache qui met bas paroît plus épuifée , plus fatiguée que la jument ; on ne peut fe difpenfer de la met- tre dans une érable féparée où il faut qu'elle foit chaudement & commodément fur de là bonne litière , & de la bien nourrir , en lui donnant pendant dix ou douze jours de la farine de fèves , de blé ou d'avoine, &c, délayée avec 'de l'eau falée , &: abondam- jnent de la luzerne , du fainfoin ou de la du Eœuf, 1^5 bonne herbe bien mûre ; ce temp^ fuiîît or- dinairement pour la rétablir , après quoi oa la remet par degrés à la vie commune & au pâturage; feulement il faut encore avoir l'attention de lui laiffer tout fon lait pen- dant les deux premiers mois , le veau pro- fitera davantage , & d'ailleurs le lait de ces premiers temps n'eft pas de bonne qualité. On laifTe le jeune veau auprès de fa mère pendant les cinq ou fix premiers jours , afin qu'il foit toujours chaudement , & qu'il puiffe teter auffi fouvent qu'il en a befoin j mais il croît & fe fortifie alTez dans ces cinq ou fix jours pour qu'on foit dès-lors obligé de i*en féparer fi l'on veut la ménager , car ii l'épuiferoit s'il étoit toujours auprès d'elle ; il futilra de le laiffer teter deux ou trois fois par jour, & fi l'on veut lui faire une bonne chair & l'engraiffer promptement , on lui donnera des œufs cruds , du lait bouilli , de la mie de pain ; au bout de quatre ou cinq femaines ce veau fera excellent à man- ger -• on pourra donc ne laiffer teter que trente ou quarante jours , les veaux qu'on voudra livrer au boucher 3 mais il faudra laiffer au lait pendant deux mois au moins ceux qu'on voudra nourrir , plus on les laif- fera teter , plus ils deviendront gros & forts ; Gn préférera pour les élever ceux qui feront nés aux mois d'avril , mai & juin ; les veaux qui naiffent plus tard ne peuvent acquérir affez de force pour réfifter atix injures de l'hiver fuivant , ils languifTent par le froid , & périffent prefque tous. A deux , trois ou quatre mois on févrera donc les veaux 1^4 Hifloîre naturdU qu'on veut nourrir; & avant de leur ôter le lait abfolument, on leur donnera un peu de bonne herbe ou de foin fin, pour qu'ils com- mencent à s'accoutumer à cette nouvelle nourriture , après quoi on les féparera tout- à-fait de leur mère , & on ne les en laiffera point approcher ni à letable ni au pâturage , où cependant on les mènera tous les jours , & où on les laiffera du matin au foir pen- dant l'été ; mais dès que le froid commen- cera à fe faire fentir en automne , il ne fau- dra les laiffer fortir que tard dans la ma- tinée , & les ramener de bonne heure le foir; & pendant l'hiver , comme le grand froid leur eft extrêmement contraire , on les tiendra chaudement dans une étable bien fermée ôt bien garnie de litière, on leur donnera avec rherbe ordinaire, du fainfoin , delà luzer- ne , &c , & on ne les laiffera fortir que par le temps doux ; il leur faut beaucoup de foins pour paffer ce premier hiver , c'eft le temps le plus dangereux de leur vie , car ils fe fortifieront affez pendant l'été fuivant pour ne plus craindre le froid du fécond hiver. La vache eft à dix -huit mois en pleine puberté , & le taureau à deux ans ; mais quoi- qu'ils puiffent déjà engendrer à cet âge , on fera bien d'attendre jufqu'à trois ans avant de leur permettre de s'accoupler ; ces ani- maux font dans leur grande force depuis trois ans jufqu'à neuf , après cela les vaches & les taureanx ne font plus propres qu'à être engraiffés & livrés au boucher. Com- me ils prennent en deux ans la plus grande partie de leur accroiffement , la durée de leur eu Êûeuf, 14 ç ieur vie eft auflî , comme dans la plupart des autres efpèces d'animaux , à-peu-près de iept fois deux ans , & communément ils ne vivent guère que quatorze ou quinze ans. Dans tous les animaux quadrupèdes , la voix du mâle eu plus forte & plus grave que celle de la femelle , & je ne crois pas qu'il y ait d'exception à cette règle; quoi- que les Anciens ayent écrit que la vache , le bœuf & même le veau, avoient la voix plus grave que le taureau , il eft très cer*. tain que le taureau a la voix beaucoup plus forte , puifqu'il fe fait entendre de bien plus loin que la vache, le bœuf ou le veau : ce qui a fait croire qu'il avoii la voix moins grave , c'eft que fon mugiffement n'eft pas un fon fimple ,mais un fon conipoféde r'eux ou trois oclaves, dont la plus élevée frappe le plus ï'oreille ; & en y faifant attention. Ton entend en même temps un fon grave , & plus grave que celui de la voix de la vache , du bœuf & du veau , dont les mugilTemens font aufli bien plus courts; le taureau ne mugit que d'amour, la vache mugit plus fouvent de peur & d'horreur que d'amour , & le veau mugit de douleur, de befoin de nourriture & de defir de fa mère. Les animaux les plus pefans & les pius parefleux ne font pas ceux qui dorment I« plus profondément ni je plus long-temps : le bœuf dort, mais d'un fommeil court &: lé- ger, il fe réveille au moindre bruit: il fe cou- che ordinairement fur le côté gauche , & le rein ou rognon de ce côté gauche eft tou^ Quadrupèdes. Tome L N 14^ Hipolrt naturelU jours plus gros & plus chargé de graifTeque le rognon du côté droit. Les bœufs, comme les autres animaux do- melUques , varient pour la couleur; cepen- dant le poil roux paroît être le plus commun , & plus il eft rouge , plus il eft ertimé: on fait cas aufli du poil noir, & on prétend que les bœufs fous poil bai durent long-temps; que les bruns durent moins & fe rebutent de bonne heure ; que les gris , les Î>ommelés & les blancs ne valent rien pour e travail & ne font propres qu'à être en- graiffés : mais de quelque couleur que foit le poil du bœuf , il doit être luifant , épais & doux au toucher; car s*il eft rude, mal uni ou dégarni, on a raifon de fuppoferque l'animal foufFre ou du moins qu'il n'eft pas d'un fort tempérament. Un bon bœuf pour la charrue ne doit être ni trop gras ni trop maigre , il doit avoir la tête courte & ra- «laffée, les oreilles grandes, bien velues & bien unies , les cornes fortes, luifantes & de moyenne grandeur , le front large , les yeux gros & noirs , le muffle gros & camus , les na- feaux bien ouverts, les dents blanches & éga- les, les lèvres noires , le cou charnu y les épau- les grofles &. pefantes , la poitrine large , le fanon, c'eft-à-dire, la peau du devant pendante jufque fur les genoux, les reins fort larges, le ventre fpacieux & tombant , les flancs grands , les hanches longues , la croupe épaifTe , les jambes & les cuifles groffes & nerveufes ; le dos droit & pleinj la queue pendante jufqu'à ter- fe §£ garnie de poils touffus & fins , les piedç du Bœuf, i^y fermes, le cuir groflier&: maniable 3 les mufcles élevés & l'ongle court & large {c) ; ii faut aufli qu'il Toit fenfible à l'aiguillon , obéiirant à la voix & bien dreffé ;maisce n*eft que peu- à-peu , &. en s'y prenant de bonne heure , qu'on peut accoutumer le bœuf à porter le joug volontiers , & à fe laiffer conduire ai- fément : dès Page de deux ans & demi ou trois ans au plus tard il faut commencera l'apprivoifer & à le fubjuguer;fi l'on attend plus tard , il devient indocile &: fouvent indomptable ; la patience , la douceur, & même les carefles , font les feuls moyens qu'il faut employer, la force & les mau- vais traitemens ne ferviroient qu'à le re- buter pour toujours; il faut donc lui frot- ter le corps , le carefTer , lui donner de temps en temps de l'orge bouilli , des fèves concaffées , & d'autres nourritures de cette efpèce, dont il eft le plus friand, & toutes mêlées de fel qu'il aime beaucoup; ea même temps on lui liera fouvent les cornes , quelques jours après on le mettra au joug, &. on lui fera traîner la charrue avec un au- tre bœuf de même taille & qui fera tout dreffé ; on aura foin de les arracher enlem- ble à la mangeoire , de les mener de même au pâturage , afin qu'ils fe connoiiTent & s'ha- bituent à n'avoir que des mouvemens com- muns, & Ton n'emploiera jamais l'aiguillon dans les commencemens, il ne ferviroit qu'à [c] Voyez la DCfuvellc Maifon ruftique , tome J r page 279. N 1 148 Hljlolrt naturctU le rendre- plus intraitable; il faudra aufli le ménager &i ne le faire travailler qu'à petites reprifes, car il fe fatigue beaucoup tant qu'il n'eft pas tout-à-fait drefle, & par la même raifon , on le nourrira plus largement alors que dans les autres temps. Le bçeuf ne doit fervir que depuis trois ans jufqu'à dix; on fera bien de le tirer alors de la charrue pour TengraifTer & le vendre, la chair en fera meilleure que fi l'onatten- doit plus long- temps. On reconnoît l'âge de cet animal par les dents & par les cornes : les premières dents du devant tombent à dix mois, & font remplacées par d'autres qui ne font pas fi blanches & qui font plus larges ; à feize mois les dents voifines de celles du milieu tombent & font aufli rem- placées par d'autres , & à trois ans toutes les dents incifives font renouvellées , elles font alors égales , longues & aflez blanches ; à mefure que le bœuf avance en âge elles s'ufent & deviennent inégales & noires : c'eft la même chofe pour le taureau & pour la vache , ainfi la caftration ni le fexe ne chan- gent rien à la crue & à la chute des dents; cela ne change rien non plus à la chiite des cornes , car elles tombent également à trois ans au taureau , au bceuf & à la vache , & elles font remplacées par d'autres cornes qui , comme les fécondes dents , ne tombent plus; celles du bœuf & de la vache deviennent feu- lement plus groffes & plus longues que celles du taureau : TaccroifTement de ces fécondes cornes ne fe fait pas d'une manière unifor- me & par un développement égal; la pre; dû Bœuf. t/9 m»ere année , c'elt-à-dire , la quatrième an- née de l'âge du bœuf, il lui poufTe deux pe- tites cornes pontues , nettes, unies & ter- minées vers la tête par une efpéce de bour- relet; l'année fuivante ce bourrelet s'éloi- gne de la tête ,pou{ré par un cylindre de corne qui fe forme & qui fe termine aufîi par un autre bourrelet, & ainfi de fuite; car tant que l'animal vit, les cornes croiiTent : ces bourrelets deviennent des nœuds annulaires , qu'il eft aifé de diftinguer dans la corne , & par lefquels l'âge fe peutaifément compter, en prenant pour trois ans la pointe de la corne jufqu'au premier nœud^ & pour un an de plus chacun des intervalles entre les autres nœuds. Le cheval mange nuit & jour, lentement,' mais prefque continuellement; le bœuf aiî contraire mange vite & prend en aflez peu de temps toute la nourriture qu'il lui faut, après quoi il celTe de manger & fe couche pour ruminpr : cette différence vient de la différente conformation de l'ei^omac de ces animaux; le bœuf , dont les deux premiers eftomacs ne forment qu'un même fac d'une très grande capacité , peut fans inconvénient prendre à la fois beaucoup d'herbe & le rem- plir en peu de temps , pour ruminer enfuite & digérer à loifir; le cheval , qui n'a qu'un petit eflomac, ne peut y recevoir qu'une pe- tite quantité d'herbe & le remplir fuccelfive- ment à mefure qu'elle s'affailTe & qu'elle paffe dans les inteflins , où fe fait principa- lement la décompofition de la nourriture ; car ayant obfervé dans le bœuf & dans le N 3 150 Hljloirc naturdU cheval le produit fucceflif de la dtgeffion , ^ iurtout la décompofitiort du foin , nous avons vu dans le bœuf qu'au fortir de la partie de la panfe , qui forme le fécond eftomac & qu'on appelle le bonnet ^ û eft réduit en une efpèce de pâte verte, femblable à des épinards ha- chés & bouillis ; que c'eft fous cette forme qu'il eft retenu & contenu dans les plis ou livrets du troifième eftomac qu'on appelle le feuillet', que la décompofition en eil en- tière dans le quatrième eftomac qu'on ap- pelle la caillette ; & que ce n'eft pour ainfi oire , qu5 le marc qui pafTe dans les inteftins ; au lieu que dans le cneval le foin ne fe dé- compofe guère ni dans l'eflomac , ni dans les premiers boyaux, eu il devient feulement plus ibiipiç& pîiis flexible, comme ayant été ma- céré & pénétré delà liqueur adive dont il eft environné; qu'il arrive au cœcum & au co- lon fans grande altération; quec^èft princi- palement dans ces deux inteftins , dont Ténor- me capacité réporî-d à celle de la panfe des Tuminans , que fe fait dans le chaval la dé- compofition de la nourriture , & que cette décompofition n'eft jamais aufli entière que celle qui fe fait dans le quatrième eftomac du tœuf. Par ces mêmes c on fi dération s & par la feule infpedion des parties , il me l'emble qu'il eft aifé de concevoir comment fe fait la rumination , & pourquoi le cheval ne rumine ni ne vomit , au lieu que le bœuf & les autres animaux qui ont p4ufieurs efto- macs , femblent ne digérer l'herbe qu'à me- fure qu'ils ruminent. La rumination n'eft qu'un eu Sauf» l^l vomiffement fans effort , occafionné par la réaélion du premier eftomac furies alimens qu'il contient. Le bœuf remplit ces deux pre- miers eftomacs ,c'eft-à-dire , la panfe & le bonnet, qui n*cft qu'une portion de la pan- fe, tout autant qu'ils peuvent l'être; cette membrane tendue réagit donc alors avec force fur l'herbe qu'elle contient , qui n'efl que très peu mâchée, à peine hachée j & dont le volume augmente beaucoup par la fer- mentation: fi l'aliment étoit liquide , cette force de contraction le feroit paifer par le troifième eftomac qui ne communique à l'autre que par un conduit étroit dont même l'ori- fice eft fitué à la partie poftérieure du pre- mier , & prefque aulîi haut que celui de l'œ- fophage ; ainfi , ce conduit ne peut pas ad- mettre cet aliment fec, ou du moins il n'en admet que la partie la plus coulante ; il eft donc nécefîaire que les parties les plus sè- ches remontent dans rœfophage , dont l'ori- fice eft plus large que celui du conduit ; el- les y remontent en effet, l'animal les remâ- che 3 les macère , les imbibe de nouveau de la falive, & rend ainfi peu-à-peu l'aliment plus coulant ; il le réduit en pâte afTez liquide pour qu'elle puifîe couler dans ce conduit qui communique au troifième eftomac, où elle fe macère encore avant de pafîer dans le le quatrième; & c'eft dans ce dernier efto- mac que s'achève la décompofition du foin qui eft réduit en parfait mucilage : ce qui confirme la vérité de cette explication, c'eft que tant que ces animaux tettent ou (ont N4 1^1 Hïjlôlu naturdle» nourris de lait & d'autres alimens liquides & coulans , ils ne ruminent pas , & qu'iTs ruminent beaucoup plus en hiver & lorfqu'on les nourrit d'alimens fecs , qu'en été pendant lequel ils paifTent l'herbe tendre ^ dans le che- val au contraire l'eftomac eft très petit, l'o- rifice de l'œfophage eft fort étroit, & celui du pylore eft fort large ; cela feul fufîiroit pour rendre impoiîible la rumination, car l'aliment contenu dans ce petit eftomac, quoi- que peut-être plus fortement comprimé que dans le grand eïtomac du bœuf, ne doit pas remonter, puifqu'il peut aifément defcendre par le pylore qui eft fort large j il n'eft pas même néceffaire que le foin foit réduit ea pâte molle & coulante pour y entrer , la force de contraélion de V eftomac y poufle Taliment encore prefque fec, & il ne peut remonter par l'œfophage, parce que ce con- duit eft fort petit en comparaifon de celui du, pylore : c'eu donc par cette différence gé- nérale de conformation que le bœuf rumine & que le cheval ne peut ruininer ; mais il y a encore une différence particulière dans le cheval, qui fait que non- feulement il ne peut ruminer, c'eft-à-dire , vomir fans effort , mais même qu'il ne peut abfolument vomir, quelque effort qu'il puiffe faire, c'eft que le conduit de l'œfophage arrivant très oblique- ment dans l'eftomac du cheval, dont les mem- branes forment une épaiffeur confidérable , ce conduit fait dans cette épaiffeur une ef- péce de gouttière fi oblique , qu'il ne peut ^ue fe fe.rrer davantage , au lieu de s'ouvi;ij: du B(zuf, 1^3 par les convulfions de l'eftomac (A Quoi-» que cette différence, aulFi-bien que les au- tres différences de conformation qu'on peut remarquer dans le corps des animaux , dépen- dent toutes de la Nature lorfqu'elles font conitantes, cependant il y a dans le déve- loppement , & furtout dans celui des parties molles , des différences confiantes en appa- rence, qui néanmoins pourroient varier, &ç qui même varient par les circonftances ; la grande capacité de la panfe du bœuf, par exemple , n'eft pas due en entier à la Nature, la panfe n*eft pas telle par fa conformation pri* mitive , elle ne le devient que fucceflîve- ment & par le grand volume des alimens; car dans le veau qui vient de naître , & même dans le veau qui eft encore au lait Si qui n'a pas mangé d'herbe , la panfe , com- parée à la caillette , eft beaucoup plus petite que dans le bœuf: cette grande capacité de la panfe , ne vient donc que de l'extenfion qu'occafionne le grand volume des alimens , j'en ai été convaincu par une expérience qui me paroît décifive. J'ai fait nourrir deux agneaux de même âge & fe vrés en même temps , l'un de pain & l'autre d'herbe ; les ayant ou- verts au bout d'un an , j'ai vu que la panfe de l'agneau qui avoit vécu d'herbe , étoit de- (d) Voyez dans le tome VII , partie II de rédition de cette Hiftoire naturelle , en trente-un volumes , la defcription de l'eftomac du cheval , ÔC le mémoire da M. Berlin, dans le volume des mémoires de l'Acadé' mie des Scieuoes > anaée 1746* . Iointe du jour, les ramènera l'étabie ou les aiffer dans les bois pâturer à l'ombre pendant la grande chaleur, & ne les remettre à l'ou- vrage qu'à trois ou quatre heures du foir; au printemps, en hiver & en automne on pourra les 'faire travailler fans interniption depuis huit ou neuf heures du matin jufqu'à cinq ou fix heures du foir. Ils ne demandent pas autant de foirf que les chevaux ; cepen- dant fi Ton veut les entretenir fains & vi- goureux , on ne peut guère fe difpenfer de les étriller tous les jours , de les laver & de leur graifler la corne des pieds, &c. il faut aufli les faire boire au moins deux fois par jour 3 ils aiment l'eau nette & fraîche , au lieu que le cheval l'aime trouble & tiède. La nourriture & le foin font à -peu -près les mêmes & pour la vache & pour le bœuf; cependant la vache à lait exige des atten- tions particulières , tant pour la bien choifir que pour la bien conduire : on dit que les vaches noires font celles qui donnent le meilleur lait, & que les blanches font celles qui en donnent le plus ; mais de quelque l36 Hïjtolre naturelle poil que foit la vache à lait , il faut qu'elle foit en bonne chair, qu'elle ait l'œil vif, la démarche légère , qu'elle foit jeune , & que fon lait foit , s'il ie peut , abondant & de bonne qualité ;on la traira deux fois par jour en été & une fois feulement en hiver ^ & fi l'on veut augmenter la quantité du lait , il n'y aura qu'à la nourrir avec des alimens plus fucculens que de l'herbe. Le bon lait n'eft ni trop épais ni trop clair ; fa confiftance doit être telle que lorfqu'on en prend une petite goutte elle conferve fa rondeur fans couler ; il doit aufii être d'un beau blanc , celui qui tire fur le jaune ou fur le bleu ne vaut rien ; fa faveur doit être douce , fans aucune amertumç Ôi fans âcreté» iifautauiîi qu'il foit de bonne odeur ou fans odeur; il eft meilleur au mois de mai & pen- dant l'été que pendant l'hiver, & il n'eft parfaitement bon que quand la vache eft en bon âge & en bonne fanté ; le lait des jeunes genilTes eft trop clair , celui des vieilles va- ches eft trop fec , & pendant l'hiver il eft: trop épais : ces différentes qualités du lait font relatives à la quantité plus ou moins grande des parties butireufes , caféeufes &• iéreufes qui le compofent; le lait trop clair eft celui qui abonde trop en parties féreu- fes ; le lait trop épais eft celui qui en man- que , & le lait trop fec n'a pas aflez de par- ties butireufes & féreufes ; le lait d'une va- che en chaleur n'eft pas bon , non plus que celui d'une vache qui approche de fon ter- me ou qui a mis bas depuis peu de temps. On trouve dans le troifième & dans le qua- du Bœuf. \6j trième eftomac du veau qui tette , des gru- meaux de laii caillé , ces grumeaux de lait féchés à l'air font la prélure dont on le fert pour faire cailler le lait; plus on garde cette préfure , meilleure elle eft, & il n'en faut qu'une très petite quantité pour faire un grand volume de fromage. Les vaches & les bœufs aiment beaucoup îe vin, le vinaigre :, le fel; ils dévorent avec avidité une (alade affaifonnée : en Efpagne & dans quelques autres pays , on met auprès du jeune veau à Tétable une de ces pierres qu'on appelle falègres , & qu'on trouve dans les mines de fel gemme -, il lèche cette pierre falée pendant tout le temps que fa mère cft au pâturage , ce qui excite û fort l'appétit ou la foif, qu'au moment que la vache ar- rive, le jeune veau fe jette à la mamelle, en tire avec avidité beaucoup de lait, s'en- graifle & croît bien plus vite que ceux aux- quels on ne donne point de fel ; c'eft par la même raifon que quand les bœufs ou les va- ches font dégoûtés, on leur donne de l'herbe trempée dans du vinaigre , ou faupoudrée d'un peu de fel ; on peut leur en donner aulîi lorfqu'ils fe portent bien & que l'on veut exciter leur appétit pour les engraifler en peu de temps : c'eft ordinairement à l'âge de dix ans qu'on les met à l'engrais; fi l'on at- tend plus tard, on eft moins sûr de réufîîr, & leur chair n'eft pas ù bonne ; on peut les engraifler en toutes faifons , mais l'été eft celle qu'on préfère, parce que l'engrais fe fait à moins de frais , Ôi qu'en commençant aux mois de mai ou de juin , on eu prefque 1^8 Hijloîrt naturelle sûr de les voir gras avant la fin d'oftobre : dès qu'on voudra les engraifler, on ceffera de les faire travailler, on les fera boire beau- coup plus fouvent , on leur donnera des nourritures fucculentes en abondance , quel- quefois mêlées d'un peu de fel , & on les laiflera ruminer à loifir & dormir à l'étable pendant les grandes chaleurs ; en moins de quatre ou cinq mois ils deviendront fi gras qu'ils auront de la peine à marcher , & qu'on ne pourra les conduire au loin qu'à très pe- tites journées. Les vaches , & même les taureaux biftournés :, peuvent s'engraifler aufli , mais la chair de la vache eft plus sè- che , & celle du taureau biftourné eft plus rouge & plus dure que la chair du bœuf, & elle a loujours un goût dé (agréable & fort. Les taureaux , les vaches & les bœufs font fort fujets àfe lécher, furtout dans le temps qu'ils font en plein repos ; & comme 1 on croit que cela les empêche d'engrailTer , on a foin de frotter de leur fiente tous les en- droits de leur corps auxquels ils peuvent atteindre ; lorfqu'on ne prend pas cette pré- caution, ils enlèvent le poil avec la langue , qu'ils ont fort rude , & ils avalent ce poil en grande quantité ; comme cette fubftance ne peut fe digérer , elle refte dans leur eftomac & y forme des pelottes rondes qu'on a ap- pellées égagropiUs, 8i qui font quelquefois d'une groffeur fi confidérable , qu'elles doi- vent les incommoder par leur volume, & les empêcher de digérer par leur féjourdans Teftomac; ces pelottes le revêtent avec le du Bauf, iç^ temps d'une croûte brune àffez folide, qui n'eft cependant qu'un mucilage épaiffi , mais qui par le frottement & la codion devient dur & luifant , elles ne fe trouvent jamais que dans la panfe ; & s'il enre du poil dans les autres eftomacs ,il n'y réjourne pas , non plus que dans les boyaux, il pafTe apparem- ment avec le marc des alimens. Les animaux qui ont des dents incifivo^ , comme le cheval & l'âne , aux deux mâ- choires, broutent plus aifément l'herbe cour- te que ceux qui manquent de dents incifives à la mâchoire Supérieure ; & fi le mouton ât la chèvre la coupent de très près , c'eft parce qu'iU font petits & que leurs lèvres font minces; mais le bœuf, dont les lèvres font épaiffcs , ne peut brouter que l'herbe lon- gue ; Ôc c'eft par cette raifon qu'il ne fait aucun tort au pâturage fur lequel il vit; comme il ne peut pincer que l'extrémité des jeunes herbes , il n'en ébranle point la ra- cine , & n'en retarde que très peu Taccroif- fement ; au lieu que le mouton & la chèvre les coupent de fi près , qu'ils détruifent la tige & ggitent la racine : d'ailleurs le cheval choifit l'herbe la plus fine, & laifTe grener & fe multiplier la grande herbe dont les tiges font dures, au lieu que le bœuf coupe ces groffes tiges & détruit peu-à-peu l'herbe la plus grolfiere, ce qui fait qu'au bout de quel- ques années la prairie fur laquelle le cheval a vécu n'eft plus qu'un mauvais pré , au lieu que celle que le bœuf a broutée devient un pâturage fin. L'efpècç de nos J)œufs , qu'il ne faut pas l6o Hijîoire natUTtlU confondre avec celles de Tau rock? , du buf- fle & du bifon , paroît être originaire de nos climats tempérés, la grande chaleur les in- commodant autant que le froid exceflif ; d'ailleurs cette efpèce , fi abondante en Eu- rope , ne fe trouve point dans les pays mé- ridionaux , & ne s'eft pas étendue au-delà de l'Arménie & de la Perfe {e\ en Afie , & au- delà de l'Egj'pte & de la Barbarie en Afri- que ; car aux Indes , aufli-bien que dans le refte de l'Afrique , &. même en Amérique , ce font des biions qui ont une boiTe fur le dos , ou d'autres animaux auxquels les voya- geurs ont donné le nom de bce.uf^ mais qui font d'une efpèce différente de celle de nos bœufs ; ceux qu'on trouve au cap de Bonne- efpérance & en plufieurs contrées de l'Amé- rique , y ont été traniportés d'Europe par les Hollandois & par les Efpagnols; en gé- néral il paroît que les pays un peu froids conviennent mieux à nos bœufs que les pays chauds, & qu'ils font d'autant plus gros & plus grands, que le climat eft plus humide & plus abondant en pâturages. Les bœufs de Danemarck, de la Podolie, de l'Ukraine & de la Tartarie, qu'habitent les Calmouques (f), font les plus grands de tous; ceux d'Irlande, d'Angleterre „ de Hollande & de Hongrie , font aulïï plus grands que ceux de (e) Voyez les voyages de Chardin , tome II , page 28. (/)Vo5ez les voyages de Rcgnard. "P ans ^ \-j £^i ^ tome I , page 217 ; & l'Hilloire générale des voyages , tome VII > page 13, Pcrfe, du Éatif. ï6i Perfe , de Turquie , de Grèce , d'Italie , dô France & d'Efpagne , & ceux de Barbarie font les plus petits de tous ; on affure même que les Hollandois tirent tous les ans du Dane- marck un grand nombre de vaches grandes & maigres , & que ces vaches donnent en Hollande beaucoup plus de lait que les va- ches de France : c'eft apparemment cette même race de vaches à lait qu'on a tranf- portée & multipliée en Poitou , en Aunis & dans les marais de Charente , où oh les ap- pelle vdches flandrlnes : ces vaches font en effet beaucoup plus grandes & plus maigres que les vaches communes, & elles donnent une fois autant de lait & de beurre j elles don- nent auffi des veaux beaucoup plus grands \k. plus forts y elles ont du lait en tout temps, &: on peut les traire toute l'année, à l'ex- ception de quatre ou cinq jours avant qu'elles mettent bas , mais il faut pour ces vaches des pâturages excellens; quoiqu'elles ne man- gent guère plus que les vaches communes , comme elles font toujours maigres, toute la furabondance de la nourriture fe tourne en lait, au lieu que les vaches ordinaires de- viennent gralTes & cefTent de donner du lait dès qu'elles ont vécu pendant quelques temps dans des pâturages trop gras. Avec un tau-; reau de cette race &.des vaches communes,' on fait une autre race qu'on appelle bâtarde ^ & qui eft plus féconde & plus abondante en lait que la race commune ; ces vdches bâ- tardes donnent fouvent deux veaux à la fois ^ & fournillent du lait pendant toute l'année ; es font ces bonnes vaches à lait qui font wne O l6i Hijîoire naîurdU partie des richelTes de la Hollande , d*oii il iort tous les ans pour des fommes coiifi- clérables de beurre & de fromage; ces va- ches , qui fournifTent une ou deux fois au- tant de lait que Les vaches de France , en donnent fix fois autant que celles de Bar- barie (^). En Irlande , en Angleterre, en Hollande, en Suiffe & dans le Nord, on fale & on fume la chair du bœuf en grande quantité , foit pour Tufage de la marine, foit pour l'avan- tage du commerce; il fort auffi de ces pays U'ie grande quantité de cuirs: la peau dii bœuf, & même celle du veau fervent , comme l'on fait , à une infinité d'ufages ; la graiffe eft aiiffî une matière utile, on la mêle avec le fuif du mouton : le fumier du bœuf eft le meilleur engrais pour les terres sèches & légères; la corne de cet animal eft le pre- mier vaifTeau dans lequel on ait bu , le pre- mier inftrument dans lequel on ait fouffié pour augmenter le fon , la première matière tranfparente que l'on ait employée pour faire des vitres, des lanternes, & que Ton ait ramollie , travaillée , moulée pour faire des boîtes , des peignes , & mille autres ouvrages : mais finiffons , car l'Hiftoire Na- turelle doit finir où commence THiftoire des Arts. ig) Voyez le voyage de M.Shavr, tomel» p. jxi de lu Bn'èis, 163 LA BREBIS- Voyei planche II , fig. 2 & y de ce Volume, X-<'ON ne peut guère clouter que les animaux aftuellement domeftiques n'ayent été fauva- ges auparavant ; ceux dont nous avons donné Thiftoire en ont fourni la preuve; & l'on trouve encore aujourd'hui des chevaux , des »nes & des taureaux fauvages. Mais l'hom- me , qui s*eft fournis tant de millions d'indi- vidus , peut -il fe glorifier d'avoir conquis une feule efpèce entière ? Comme toutes ont été créées fans fa participation , ne peut-on pas croire que toutes ont eu ordre de croître & de multiplier fans fon fecours ? Cepen- dant û l'on fait attention à la foibleffe & à la ftupidité de la brebis, û l'on confidère en même temps que cet animal fans défenfe ne peut même trouver fon falut dans la fuite ; qu'il a pour ennemis tous les animaux car- naflîers , qui femblent le chercher de préfé- rence & le dévorer par goût; que d'ailleurs cette efpèce produit peu^ que chaque indi- vidu ne vit que peu de temps , &c. on fe- roit tenté d'imaginer que dès les commence- mens la brebis a été confiée à la garde de l'homme , qu'elle a eu befoin de fa protec- tion pour fubfifter, & de fes foins pour fe multiplier, puifqu'en effet on ne trouve point O 2 j/64 Hljioirt nutnrtltt de brebis fauvages dans les déferts ; que danT. tous les lieux où l'homme ne commande pa>, le lion, le tigre , le loup régnent par la force & par la cruauté ; que ces animaux de fang & de carnage vivent plus long- temps &c multiplient tous beaucoup plus que la bre- bis;, & qu'enfui, fi l'on abandonnoit encore aujourd'hui dans nos campagnes les trou- peaux nombreux de cette efpèce que nous avons tant multipliée , ils feroient bientôt détruits fous nos yeux, & l'efpèce entière anéantie par le nombre. & la voracité des «fpèces ennemies. Il paroît donc que ce n'eft que par notre fecours &par nos Ibins que cette efpèce a duré .y dure , & pourra durer encore : il pa- roît qu'elle ne fubfifteroit pas par elle-mê- me. La brebis eft abfolument fans reffource & fans défcnfe ; le bélier n'a que de foiblcs atraes, fon courage n'eft qu'une pétulance inutile pour lui-même, incommode pour les autres , & qu'on détruit par la caftration : les moutons font encore plus timides que les brebis; c'eft par crainte qu'ils fe rafîemblent fi fouvent en troupeaux , le moindre bruit extraordinaire fuffit pour qu'ils fe. précipi- tent & fe ferrent les uns contre les autres ^ & cette crainte eft accompagnée de la plus grande ftupidité ; car ils ne favent pas fuir ie danger, ils femblent même ne pas fentir l'incommodité de leur fituation : ils refient où ils fe trouvent y à la pluie , à la neige , ils y demeurent opiniâtrement; &; pour les ©bliger à changer de lieu & à prendre une route 5 il leiir faut un chef, qu'on inftrvùt à */(? la Brchis, f6 5 marcher le premier , & dont ils fuivent tous les mouvemens pas à pas: ce chef demeure- roit lui-même avec le refte du troupeau, lans mouvement, dans la même place, s'il n etoit chaffé par le berger ou excité par le chien commis à leur garde, lequel fait eri effet veiller à leur sûreté, les défendre, les diriger, les féparer , les raffembler & leur communiquer les mouvemens qui leur man- quent. Ce font donc de tous les animaux quadru- pèdes les plus ftupides, ce font ceux qui ont le moins de refTource & d'inftinci : les chè- vres , qui leur reffemblent à tant d'autres égards , ont beaucoup plus de fentiment; elles favent fe conduire , elles évitent les dan- gers, elles fe familiarifent aifément avec les nouveaux objets, au lieu que la brebis ne fait ni fuir ni s'approcher; quelque befoin qu'elle ait de fecours , elle ne vient point à l'homme aulîi volontiers que la chèvre ; & , ce qui dans les animaux paroît être le der- nier degré de la timidité ou de l'infenfibilité , €lle fe lailïe enlever fon agneau fans le dé- fendre , fans s'irriter , fans réfifter & fans marquer fa douleur par un cri différent da bêlement ordinaire. Mais cet animcil fi chétif en lui-même, îi dépourvu de fentiment, fi dénué de qualités intérieures , efl pour l'homme l'animal le plus précieux, celui dont Tutilité eft la plus im- médiate & la plus étendue ', feul il peut fuf- fire aux befoins de première néceffité , il fournit tout à la fois de quoi fe nourrir & fe vêtir , fans compter les avantages particu-, i66 Hijloire naturetU, liers que l'on fait tirer du fuif, du lait, de la peau , & même des boyaux , des os & du fumier de cet animal, auquel il femble que la Nature n'ait j pour ainfi dire , rien accordé en propre , rien donné que pour le rendre à l'homme. L'amour qui dans les animaux eft le fenti- ment le plus vif & le plus général , eft aufli le feul qui femble donner quelque vivacité, quelque mouvement au bélier; il devient pétulant, il fe bat, il s'élance contre les au- tres béliers , quelquefois même il attaque fon berger; mais la brebis, quoiqu'en cha- leur, n'en paroît pas plus animée, pas plus émue; elle n'a qu'autant d'inftinft qu'il en faut pour ne pas refufer les approches du mâle , pour choifir fa nourriture & pour re- connoître fon agneau. L'inftinô eft d'autant plus sûr qu'il eft plus machinal , & y pour ainfi dire, plus inné; le jeune agneau cherche lui-même dans un nombreux troupeau, trouve & faifit la mamelle de fa mère fans jamais fe méprendre. L'on dit aufli que les moutons font lenfibles aux douceurs du chant , qu'ils paiffent avec plus d'alfiduité, qu'ils fe por- tent mieux , qu'ils engraiffent au fon du chalumeau j que la mufique a pour eux des attraits; mais l'on dit encore plus fouvent, & avec plus de fondement, qu'elle fert au moins à charmer l'ennui du berger , & que c'eft à ce genre de vie oifive & foli- taire que Ton doit rapporter l'origine de cet art. Ces animaux, dont le naturel eft fi fimplô, Pont aulii d'ua tempérament très foible , ils de la Brchls, \6y ne peuvent marcher long-temps, les voya- ges les affoiblifîent & les exténuent ; dès qu'ils courent, ils palpitent , & font bientôt eflbuflés; la grande chaleur, l'ardeur du fo- leil les incommodent autant que l'humidité, le froid & la neige ; ils font fujets à grand nombre de maladies , dont la plupart font contagieufes; la furabondance de la graille les fait quelquefois mourir , & toujours elle empêche les brebis de produire ; elles met- tent bas difficilement , elles avortent fré- quemment, & demandent plus de foin qu'au- cun des autres animaux domeftiques. Lorfque la brebis cft prête à mettre bas, il faut la féparer du refte du troupeau , & la veiller, afin d'être à portée d'aider à Tac- couchement; l'agneau fe préfente fouvent de travers ou par les pieds , & dans ces cas la mère court rifque de la vie ii elle n'eft aidée : lorfqu'elle eft délivrée , on lève l'a- gneau & on le met droit fur fes pieds , on tire en même temps le lait qui eft contenu dans les mamelles de la mère ; ce premier lait eft gâté , & feroit beaucoup de mal à l'agneau , on attend donc qu'elles fe rem- plirent d'un nouveau lait avant que de lui permettre de teter; on le tient chaudement, & on l'enferme pendant trois ou quatre jours avec fa mère pour qu'il apprenne à la con- noître : dans ces premiers temps , pour ré- tablir la brebis , on la nourrit de ion foin & d'orge moulu ou de fon mêlé d'un peu de feljon lui fait boire de l'eau un peu tiède & blanchie avec de la farine de blé, de fè- ves ou dfi millet j au bout de quatre ou cinq i68 Hijîolre naiurclk jours on pourra la remettre par degrés a la vie commune & la faire fortir avec les au- tres, on obfervera feulement de ne la pas mener trop loin pour ne pas échauffer lort lait: quelque temps après, lorfque l'agneau qui la tette aura pris de la force & qu'il commencera à bondir , on pourra lui laiffer fuivre fa mère aux champs. On livre ordinairement au boucher tous les agneaux qui paroiffent foibles ; & l'on ne garde , pour les élever , que ceux qui font les plus vigoureux , les plus gros & les plus chargés de laine; les agneaux de la première portée ne font jamais fi bons que ceux des portées fuivantes : fi l'on veut élever ceux qui naiffent aux mois d'o6lobre , novembre , décembre, janvier, février ^ on les garde à l'étable pendant l'hiver, on ne les en fait fortir que le foir & le matin pour teter, & on ne les laiffe point aller aux champs avant le commencement d'avril : quelque temps au* paravant on leur donne tous les jours uiî peu d'herbe j afin de les accoutumer peuà- •peu à cette nouvelle nourriture. On peut les fevrer à un mois ; mais il vaut mieux ne le faire qu'à fix femaines ou deux mois ; on pré' fere toujours les agneaux blancs & fans ta- ches aux agneaux noirs ou tachés , la lain« blanche fe vendant mieux que la laine noir* ou mêlée. La caftration doit fe faire à l'âge de cinq ou fix mois, ou même un peu plus tard, au printemps ou en automne , dans un temps doux. Cette opération fe fait de deux ma- nières : la plus ordinaire eft rincifion , on tire le» d^ la Brebis» K^^ les teftlcules par l'ouverture qu'on vient de faire, & on les enlève aifément; l'autre fe fait fans incifion, on lie feulement, en fer- rant fortement avec une corde , les bourfes au-deffus des tefticules , & l'on détruit par cette comprelîion les vaiffeaux qui y abou- tiifent. La caftratiofl rend l'agneau malade & trifte , & l'on fera bien de lui donner du fon mêlé d'un peu de fel pendant deux ou trois jours , pour prévenir le dégoût qui fouvent fuccède à cet état. A un an les béliers , les brebis & les mou- tons perdent les deux dents du devant de la mâchoire inférieure ; ils manquent , comme l'on fait , de dents incifives à la mâchoire fupéri^ure : à dix-huit mois les deux dents voifmes des deux premières tombent aufli; & à trois ans elles font toutes remplacées/ elles font alors égales & allez blanches ; mais à mefure que l'animal vieillit, elles fc déchaulTent , s'émoufTent, & deviennent iné- gales & noires. On connoît auffi l'âge du bé- lier par les cornes , elles paroilTent dès la première année, fouvent dès la naiffance, & croiffent tous les ans d'un anneau jufqu'à l'extrémité de la vie. Communément les bre^ bis n'ont pas de cornes; mais elles ont fur la tête des proéminences offeufes aux mêmes endroits où naiffent les cornes des béliers, il y a cependant quelques brebis qui ont deux & même quatre cornes : ces brebis font femblables aux autres, leurs cornes font lon- gues de cinq ou fix pouces , moins contour- nées que celles des béliers; & lorfqu'il y ^ Quadrupèdes. Tçtne I, P ïyo Hljîoïre naturelle, quatre cornes , les deux cornes extérieures font plus courtes que les deux autres. Le bélier eft en état d'engendrer dès l'âge de dix-huit mois , & à un an la brebis peut produire; mais on fera bien d'attendre que la brebis ait deux ans , & que le bélier en ait trois, avant de leur permettre de s'ac* coupler ; le produit trop précoce ^ & même le premier produit de ces animaux , eft tou- jours foible & mai conditionné. Un bélier peut aifément fuffire à vingt-cinq ou trente brebis : on le choifit parmi les plus forts & les plus beaux de fon efpèce : il faut qu'il ait ^es cornes , car il y a des béliers qui n'en ont pas, &ces béliers fans cornes font dans ces climats, moins vigoureux & moins propres à la propagation. Un beau & bon bélier doit avoir la tête forte Ôcgroffe, le front large, les yeux gros & noirs, le nez camus, les oreilles grandes , le cou épais , le corps long & élevé , les reins & la croupe larges , les tetticules gros , & la queue longue : les meilleurs de tous îont les blancs , bien char- gés de laine fur le ventre , fur la queue , fur la tête i fur les oreilles & jufque fur les yeux. Les brebis, dont la laine eft la plus abon- dante , la plus touffue , la plus longue , la plus foyeufe & la plus blanche , font auflî les meilleures pour la propagation , furtout fi elles ont en même temps le corps grand, le cou épais & la démarche légère. On ob- ier ve auffi que celles qui font plutôt maigres que graffeSj produifent plus sûrement que les autres. La faifon de la chakur des breÏDÏs eft de« àt la. Brdns, ijî pui5 le commencement de novembre jufqu'à la fin d'avril -j cependant elles ne laifTent pas de concevoir en tout temps , fi on leur don- ne, auiîl -bien qu'au bélier, des nourritures qui les échauffent , comme de l'eau falée & du pain de chenevis. On les laifTe couvrir trois ou quatre fois chacune , après quoi on les fépare du bélier , qui s'attache de préfé- rence aux brebis âgées & dédaigne les plus jeunes. L'on a foin de ne les pas expoier à la pluie ou aux. orages dans le temps de l'accouplement , l'humidité les empêche de retenir, & un coup de tonnerre fuffit pour les faire avorter. Un jour ou deux après qu'elles ont été couvertes , on les remet à la vie commune , & l'on cefTe de leur don- ner de l'eau falée ^ dont l'ufage continuel,' auffi-bien que celui du pain de chenevis & des autres nourritures chaudes , ne manque- roit pas de les faire avorter. Elles portent cinq mois, 6: mettent bas au conTmencement du fixième ; elles ne produifent ordinaire- îiient qu'un agneau , & quelquefois deux : dans les climats chauds , elles peuvent pro- duire deux fois par an; mais en France &: dans les pays plus froids, elles ne produi- fent qu'une fois l'année. On donne le bélier à quelques-unes vers la fin de juillet & au commencement d'août , afin d'avoir des agneaux dans le mois de janvier; on le donne enfuite à un plus grand nombre dans les mois de feptembre , d'odobre , & de no- vernbre,& l'on a des agneaux abondamment aux mois de février, de mars &. d'avril: on peut auiîi en avoir quantité aux mois de mai , P 2. l^t Hljloïre naturdic Juin , juillet , août & feptembre , & ils ne font rares qu'aux mois d'o6iobre , novembre & décembre. La brebis a du lait pendant fept ou huit mois , & en grande abondance , ce lait eft une affez bonne nourriture pour les enfans & pour les gens de la campagne ; on en fait aufli de fort bons fromages , furtout en le mêlant avec celui de vache. L'heure de traire les brebis eft immédiatement avant qu'elles ail- lent aux champs ,' ou auflï-tôt après qu'el- les en font revenues ; on peut les traire deux fois par jour en été , & une fois en hiver. Les brebis engraiffent dans le temps qu'el- les font pleines , parce qu'elles mangent plus alors que dans les autres temps : comme, elles fe bleffent fouvent & qu'elles avortent fré- quemment , elles deviennent quelquefois ftéri- les, & font allez fouvent des monftres; ce- pendant, Icrfqu'elles font bien foignées , el- les peuvent produire pendant toute leur vie , c'eft-à-dire , jufqu'à l'âge de dix ou douze ans ; mais ordinairement elles font vieilles & maléficiées dès l'âge de fept ou huit ans. Le bélier qui vit douze ou quatorze ans, n'eft bon que jufqu'à huit pour la pro- pagation ; il faut le biftourner à cet âge & l'engraifTer avec les vieilles brebis. La chair du bélier, quoique biftourné &: engraiifé , a toujours un mauvais goiit; celle de la bre- bis eft moliaffe & infipide ; au lieu que celle du mouton eft la plus fucculente & la meil- leure de toutes les viandes communes. Les gens qui veulent former un troupeau ^ en tirer du profit, açhettent de^ brebU de la. Brebis. n^ & des moutons de l'âge de dix-huit mois ou deux ans ; on en peut mettre cent fous la conduite d'un feul berger : s'il eft vigilant & aidé d'un bon chien , il en perdra peu; il doit les précéder lorfqu'il les conduit aux champs» &les accoutumera entendre fa voix, àlefuivre fans s'arrêter & fans s'écarter dans les blés , dans les vignes, dans les bois & dans les terres cultivées , où ils ne manqueroient pas de caufer du dégât. Les coteaux , & les plaines élevées au-deffus des collines font les lieux qui leur conviennent le mieux ; on évite de les mener paître dans les eadroits bas , hu- mides & marécageux. On les nourrit pen- dant l'hiver à l'étable , de fon, de navets, de foin, de paille, de luzerne, de fainfoin , de feuilles d'orme , de frêne , &c. on ne laiffe pas de les faire Sortir tous les jours, à moins que le temps ne foit fort mauvais ^ mais c'eft plutôt pour les promener que pour les nourrir ; & dans cette mauvaife faifon , on ne les conduit aux champs que fur les dix heures du matin ^ on les y laiiie pendant qua- tre ou cinq heures , «près quoi on les fait boire & on les ramène vers les trois heures après midi. Au printemps & en automne au contraire , on les fait fortir auffitôt que le foieil a difTipé la geiée ou l'humidité , & on ne les ramène qu'au foieil couchant : il fuffit auiTi dans ces deux faifons de les faire boire une feule fois par jour avant de les ramener à l'étable , où il faut qu'ils trouvent toujours du fourrage , mais en plus petite quan- tité qu'en hiver. Ce n'eft que pendant'l'été qu'ils doivent prendre aux champs toute leur ^ 3 '1^4 Hljlolrc naturelle nourriture , on les y mène deux fois parjaurc» & on les fait boire aufîi deux fois ; on les fait fortir du grand matin ^ on attend que la rofée foit tombée pour les laiffer paître pendant quatre ou cinq heures, en fuite on les fait boire & on les ramène à la bergerie eu dans que [qu'autre endroit à l'ombre: fur les trois ou quatre heures du foir , lorfque la grande chaleur commence à diminuer , on les mène paître une féconde fois jufqu'à la fm du jour ; il faudroit même les laiffer paf- ier toute la nuit aux champs ^ comme on le fait en Angleterre ; fi l'on n'avoit rien à craindre du loup , ils n'en feroient que plus vigojreux , plus propres & plu&fains. Comme la chaleur trop vive les incommode beau- coup , & que les rayons du foleil leur étour-^ diffent la tête & leur donnent des vertiges , on fera bien de ehoifir les lieux oppofés au foleil , & de les mener le matin uir des coteaux expofésau levant , & l'après-midi fur des coteaux expofés au couchant, afin qu'ils ayent en paifTant la tête à l'ombre de leur corps i enfin il faut éviter de les faire paffer par des endroits couverts d'épines , de ron- ces , d'ajoncs , de chardons , fi l'on veut qu'ils confervent leur laine. Dans les terreins fecs , dans les lieux éle- vés , où le ferpolet & les autres herbes odo- riférantes abondent 3 la chair du mouton eft de bien meilleure qualité que dans !es plaines baffes & dans les vallées humides , à moins que ces plaines ne foient fablonneufes Ôt voifmes de la mer , parce qu'alors toutes les herbes font falées , & la ch^ir du mouto>i de ta 3rchîs, ly*} ft'eft rtuîle part aiiffi bonne que dans ces pa^ cages ou prés falés ; le lait des brebis y efl aulFi plus abondant & de meilleur goût. Rien ne flatte plus Tappétit de ces animaux que le fel , rien aufli ne leur eô plus falutaire, lorfqu'il leur ell donné modérément; & dans quelques endroits on met dans la bergerie un fac de fel ou une pierre falée qu'ils vont tous lécher tour-à-tour. Tous les ans il faut trier dans le troupeau les bêtes qui commencent à vieillir &: qu'on veut engraiffer : comme elles demandent un traitement différent de celui des autres , on doit en faire un troupeau féparé; ^ fi c'eft en été, on les mènera aux champs avant le lever du foleil , afin de leur faire paître l'herbe hum.ide & chargée de rofée. Rien ne contribue plus à i'engrais des moutons que l'eau prife en grande quantité , & rien ne s'y oppofe davantage que l'ardeur du foleil ; ainfi , on les ramènera à la bergerie fur les huit ou neuf heures du matin avant la grande chaleur ,. & on leur donnera du fel pour les exciter à boire , on les mènera une féconde fois fur les quatre heures du foir dans les pacages les plus frais & les^ plus humides. Ces petits foins continués pendant deux ou trois mois fuffifent poiM* leur donner toutes les apparences de l'embonpoint , & même pour les engraiffer autant qu'ils peuvent l'être; mais cette graiffe qui ne vient que de la grande quantité d'eau qu'ils ont bue , a'eft ^ pour aiafi dire , qu'une bouffiffure, xm œdème quirles feroit périr de pourriture en peu de temps, & qu'®n ne prévient qu'en les tuant P 4 176 Tîijloln naturtlU immédiatement après qu'ils fe font charge!» de cette fauffe graifle ; leur chair même , loin d'avoir acquis des fucs & pris de la fer- meté, n'iixx eft fouvent que plus infipide & plus fade : il faut , lorfqu'on veut leur faire une bonne chair , ne fe pas borner à leur laiiTer paître la rofée & boire beaucoup d'eau, mais leur donner en même temps des nour- ritures plus fucculentes que Therbe. On peut les engraiffer en hiver & dans toutes les faifons , en les mettant dans une étable à part , & en les nourriffant de farines d'orge , d'avoine 5 de froment , de fèves, &c. mêlées de fel , afin de les exciter à boire plus fou- vent ik plus abondamment; mais de quelque manière & dans quelq.ue failbn qu'on les ait engraifTés , il faut s'en défaire aulîi-tôt, car on ne peut jamais les engraifler deux fois , & ils périffent prefi^ue tous par des maladies du foie. On trouve fouvent des vers dans le foie des animaux ; on peut voir la description des vers du foie des moutons & des bœufs dans le Journal des Savans (^2) & dans les Ephé- mérides d'Allemagne (b). On croyoit que ces vers finguliers ne fe trouvoient que dans le foie des animaux ruminans ; mais M. Dau- benton en a trouvé de tout femblables dans le foie de l'âne {c) , & il eft probable qu'oa (a) Année KÎ78. (.b) Tome V, année i6y^ & 1676. (c) Voyez dans le tome VllI de cette Hiftoire na- turelle de rédition en trente-un volumes » la defcrip. tion de l'àne. de la Brthis, ijj en trouvera de femblables au{R dans le foie de plufieurs autres animaux. Mais on pré- tend encore avoir trouvé des papillons dans le foie des moutons ; M. Rouillé , Miniftre & Secrétaire d'Etat des affaires étrangères , a eu la bonté de me communiquer une lettre qui lui a été écrite en 1749, par M. Cachet deBeaufort, Dofteur en Médecine à Mon- tier en Tarantaife , dont voici l'extrait. 7) L'on a remarqué depuis long-temps que j) les moutons ( qui dans nos Alpes font les « meilleu'rs de l'Europe ) maigriffent quel- « quefois à vue d'œil , ayant les yeux blancs , » chalTieux & concentrés , le fang féreux , w fans prefque aucune partie rouge fenfible , » la langue asride & refferrée, le nez rempli ry d'un mucus jaunâtre , glaireux & puru- » lent, avec une débilité extrême ^ quoique » mangeant beaucoup, & qu'enfin toute Té- j> conomie animale tomboit en décadence. » Plufieurs recherches exades ont appris » que ces animaux avoient dans le foie , des » papillons blancs ayant des ailes afforries , » la tête femi-ovale , velue , &. de la grof- V feur de ceux des vers à foie : plus de » foixante-dix que j'ai fait fortir en compri- » mant les deux lobes , m'ont convaincu de » la réalité du fait ; le foie fe dilanioit en j> même temps fur toute la partie convexe j >j l'on n'en a remarqué que dans les veines , » & jamais dans les artères ; on en a trouvé » de petits , avec de petits vers , dans le » conduit cyftique. La veine -porte & la » capfule de Gliffon , qui paroilTent s'y ma- » nifeiler comme dans l'homme , cédoient au lyS Hlflolrt natUTtîU, 7> toucher le plus doux. Le poumon & les j> autres vifcères étoient Tains , &c (t. 11 fe- roit à defirer que M. le Dofteur Cachet de Beaufort nous eût donné une defcription plus détaillée de ces papillons, afin d oter le foup- ,çon qu'on doit avoir que ces animaux qu'il- a vus ne font que les vers ordinaires du foie du mouton, qui font fort plats ^ fort larges^ & d'une figure û finguliere , que du premier coup-d'œil on les prendroit plutôt pour des feuilles que pour des vers. Tous les ans on fait la tonte de la laine des moutons , des brebis & des agneaux : dans les pays chauds , où Ton ne craint pas de mettre l'animal tout-à-fait nu , l'on ne coupe pas la laine , mais on l'arrache , & on en fait fouvent deux récoltes par an -, en France, &, dans les climats plus froids, on fe contente de la couper une fois par an , avec de grands cifeaux , & on laiiTe aux moutons une partie de leur toifon , afin de ks garantir de l'intempérie du climat. C'eft au mois de mai que fe fait cette opération , après les avoir bien lavés, afin de rendre la laine aufS nette qu'elle peut l'être ; au mois d'avril il fait encore trop froid ; & fi l'on attendoit les mois de juin & de juillet ^ la laine ne croîtroit pas afTez pendant le refte de l'été pour les garantir du froid pen- dant l'hiver. La laine des moutons efl ordi- nairement plus abondante & meilleure que celle des brebis;, celle du cou & du deiTus du dos eft la laine de la première qualité y selle des cuilToé , de la queue , du ventre, de la gorge , &c. n'eft pas fi bonne i Si cellet de» la Brebis, tyc^ que l'on prend fur des bêtes mortes ou ma- léides eft la plus mauvaife. On préfère auiTî la laine blanche à la grife ^ à la brune & à la noire , parce qu'à la teinture elle peut prendre toutes fortes de couleurs : pour la qualité , la laine lifTe vaut mieux, que la laine crépue; on prétend même que les moutons dont la laine eft trop frifée , ne fe portent pas auffi-bien qu< les autres. On peut encore tirer des moutons un avantage eonfidérable , en les faifant parquer, c'eft-à-dire^ en les lai {Tant féjourner fur les terres qu'on veut améliorer : il faut pour cela enclorre le ter- rein , & y renfermer le troupeau toutes les nuits pendant l'été; le fumier, l'urine & la chaleur du corps de ces animaux ranimeront en peu de temps les terres épuifées^ ou froi- des & infertiles ; cent moutons améliore- ront, en un, été, huit arpens de terre pour fix ans. Les anciens ont dit que tous les anim^aux ruminans avoient du fuif; cependant cela n'eft exaftement vrai que de la chèvre & du mouton , & celui du mouton efl plus abon- dant, plus blanc , plus fec , plus ferme, & de meilleure qualité qu'aucun autre. La graiiTe- diffère du fuif en ce qu'elle refte toujours molle , au lieu que le fuif durcit en fe re- froidiflant. C'eft furtout autour des reins que le fuif s'amaiTe en grande quantité , & le rein gauche en eft toujours plus chargé que le droit; il y en a aulîi beaucoup dans répi- ploon & autour des inteôins ; mais ce fuif n'eft pas à beaucoup près aufïi ferme ni auiît bon que celui des reius , de la queue & de$ î8o Hip-olrc naturelle autres parties du corps. Les moutons n'ont pas d'autre grailTe que le fuif^ & cette ma- tière domine fi fort dans l'habitude de leur corps j que toutes les extrémités de la chair en font garnies; le fang même en contient une affez grande quantité, & la liqueur fé- minale en eft fi fort chargée , qu'elle paroît être d'une confiftance différente de celle de la liqueur féminale des autres animaux ; la liqueur de l'homme , celle du chien , du cheval , de Fane , & probablement celle de tous les animaux qui n'ont pas de fuif, fe liquéfie par le froid j fe délaie à l'air, & de- vient d'autant plus fluide qu'il y a plus de temps qu'elle eilfortie du corps de l'animal; la liqueur féminale du bélier , & probable- ment celle du bouc & des autres animaux qui ont du fuif, au lieu de le délayer à l'air, fe durcit comme le fuif, & perd toute fa liquidité avec fa chaleur. J'ai reconnu cette différence en obfervant au microfcope ces liqueurs féminales ; celle du bélier le fige quelques fécondes après qu'elle eft fortie du corps ; & pour y voir les molécules orga- niques vivantes qu'elle contient en prodi- gieufe quantité , il faut chauffer le porte- objet du microfcope, afin de la conferver dans fon état de fluidité. Le goût de la chair du mouton , la finelTe de la laine, la quantité du fuif, & même la grandeur & la groffeur du corps de ces ani- maux varient beaucoup fuivant les différe.ns pays. En France, le Berri eiî la province où ils font plus abondans; ceux des environs de Beauvaisfont i^s ^lus gras & les plus char» de la Bnhls, iBi gés de fulf , aufll-bien q\ie ceux de quelques autres endroits de la Normandie ; ils font très bons en Bourgogne , mais les meilleurs de tous font ceux des côtes fablonneufes de nos provinces maritimes. Les laines d'Italie , d'Efpagne , 6c même d'Angleterre, font plus fines que les laines de France. Il y a en Poitou , en Provence , aux environs de Bayonne , & dans quelques autres endroits de la France 3 des brebis qui paroiflent être de races étrangères , & qui font plus gran- des , plus fortes & plus chargées de laine que celles de la race commune ; ces biebis pro- duifent auffi beaucoup plus que les autres , & donnent fouvent deux agneaux à la fois ou deux agneaux par an; les béliers de cette race engendrent avec les brebis ordinaires , ce qui produit une race intermédiaire qui participe des deux dortt elle fort. En Italie & en Efpagne , il y, a encore un plus grand nombre de variétés dans les races des bre- bis , mais toutes doivent être regardées com- me ne formant qu'une feule & rrême efpèce avec nos brebis; & cette efpèce fi abondante & fi variée ne s'étend guère au - delà de l'Europe. Les animaux à longue & large queue 3 qui font communs en Afrique & en Àfie , & auxquels les voyageurs ont donné le nom de moutons de Barbarie , paroiflent être d'une efpèce différente de nos moutons, aufli-bien que la vigogne & le lama d'Am^ rique. Comme la laine blanche eft plus eftimée que la noire, on détruit prefque par-tout ^yec foin les agneaux noirs ou tachés ; ce- l'^i Hljîoin naturdU pendant il y a des endroits où prefqHe tou- tes les brebis font noires , & par- tout. on voit fouvent naître d'un bélier blanc & d'une brebis blanche des agneaux noirs. En France il n'y a que des moutons blancs , bruns , iioirs & tachés ; en Efpagne , il y a des moutons roux ; en Ecofl'e , il y en a de jau- nes ; mais ces différences & ces variétés dans la couleur font encore plus accidentelles que les différences & les variétés des races, -qui ne viennent cependant que de la diffé- rence de la nourriture & de Tinfluence du. climat» pi 3 de la Chïvrc. I§| {'^. LA CHEVRE. yoyei planche III , fi^re 2 de ce Voliimei V/uoiQUE les efpèces dans les animaux foient toutes féparées par un intervalle que la nature ne peut franchir, quelques.» unes femblent fe rapprocher par un fi grand nombre de rapi^orts , qu'il ne refte , pour ainfi dire, entr'elles que TeTpace nécefîaire pour tirer la ligne de réparation; & lorfque nous comparons qqs efpèces voifines , & que nous les confidérx)ns relativement à nous , les unes fe préfentent comme des efpèces de première utilité, & les autres femblent n'être que des efpèces auxiliaires qui pourroient, à bien des égards , remplacer les premières , & nous fcrvir aux mêmes ufages. L'âne pour- roit prefque remplacer' le cheval ; & de mê- me, fi Tefpèce de la brebis venoit à nous manquer , celle de la ckèvre pourroit y fup- pléer. La chèvre fournit du lait comme la brebis, & même en plus grande abondance-; elle donne aufli du fuif en quantité : fon poil , quoique plus rude que la laine, fert à faire de très bonnes étoffes : fa peau vaut mieux, que celle du mouton : la chair du chevreau approche alTez de celle de l'agneau , &:c. Ces efpèces auxiliaires font plus agreftes, plus «obuftes que les efpèces principales ; l'âne & 184 Hijîoirt naturel! e, la chèvre ne demandent pas autant de foin que le cheval & la brebis ; par-tout ils trou- vent à vivre & broutent également les plan- tes de toute efpèce, les herbes groflîeres , les arbrifl'eaux chargés d'épines : ils font moins affectés de l'intempérie du climat , ils peuvent mieux fe paffer du fecours de l'hom- me ; moins ils nous appartiennent , plus ils femblent appartenir à la nature ; & au lieu d'imaginer que ces efpèces fubalternes n'ont été produites que par la dégénération des efpèces premières , au lieu de regarder l'âne comme un cheval dégénéré, il y auroit plus de raifon de dire que le cheval eil un âne perfectionné ; que la brebis n'eft qu'une ef- pèce de chèvre plus délicate que nous avons foignée , perfe(5tionnée , propagée pour notre milité , & qu'en général les ei'pèces les plus parfaites, fartout dans les animaux domefti- ques , tirent leur otigine de l'efpèce moins parfaite des animaux fauvages qui en ap- prochent le plus, la Nature feule ne pou- vant faire autant que la Nature & l'homme téunis. Quoi qu'il enfoit, la chèvre eft une ef- pèce diftinfte, & peut-être encore plus éloi- gnée de celle de la brebis, que l'efpèce de l'âne ne Telt de celle du cheval. Le bouc s'accouple volontiers avec la brebis , ccxmme l'âne avec la jument , & le bélier fe joint avec la chèvre , comme le cheval avec l'a- neffe ; mais quoique ces accouplemens foient affez fréquens , & quelquefois prolifiques , il ne s'eft point formé d'efpèce intermédiairt entre la chèvre & la brebis : ces deux efpè- ces de la Chèvre, i8ç ces font diftin6les , demeurent conAamment iéparées & toujours à la même diftance l'une d\i l'autre} elles n'ont donc point été alté- rées par ces mélanges , elles n'ont point fait de nouvelles Touches & de nouvelles races d'animaux mitoyens, elles n'ont produit que des différences individuelles , qui n'influent pas fur l'unité de chacune des efpèces primi- tives , & qui confirment au contraire la réa- lité de leur différence cara6^ériftique. Mais il y a bien des cas où nous ne poU' vons ni diftinguer ces cara parce qu'il ne paroît pas que les mulets qui viennent de râne & de la jument j non plus que ceux qui viennent du cheval & de l'âneffe, produifent ri^n entr'eux ou avec ceux dont ils vien^ nent : cependant cette opinion eft mal fon-r dée peut-être; les anciens difent pofitivement que le mulet peut produire à l'âge de fept ans , & qu'il produit avec la jument {a) ; ils nous difent que la mule peut concevoir, quoiqu'elle ne puifle perfe<âionner fon fruit {b). 11 feroit donc néceffaire de détruire ou de confirmer ces faits , qui répandent de robfcurité fur la diftinélion réelle des ani- {a) Mtièus feptcnnîs impkrc fotefiy & jam cum equâ sonjunclus hinnum procreavit. Ariftot. Hiji. animal. Llh* VI, cap. XXIV. [h) ïtaque concipere qu'idem aliquando mulapotefi, quod jam faclitm cft.\, fed enutrire atque î/i fincm perdtuere non fûufl. Mas generare interdùm potefi, Arifti de générât, animal, lih^ ilj cap, Yi% jnaux , & fur la théorie de la génération r d'ailleurs, quoique nous conn.oiflions afler^ diftind^ement les efpèces de tous les animaux qui nous avoifinent, nous ne l'avons pas ce que produiroit leur mélange entr'eux ou avec des animaux étrangers; nous ne fom- mfcs que très mal informés des jumars , c'eft- à-dire , du produit de la vache & de l'âne ,. ou de la jument & du taureau : nous igno- rons fi le zèbre ne produiroit pas avec le cheval ou l'âne ; fi l'animal à large queue , auquel on a donné le nom de mouton de Barbarie , ne produiroit pas avec notre bre- bis ; fi le chamois n'eft pas une chèvre fau- vage , s'il ne formeroit pas avec nos chè- vres quelque race intermédiaire ; fi les fin- ges diffèrent réellement par les efpèces , ou s'ils ne font , comme les chiens , qu'une feule & même efpèce , mais variée par un grand nombre de races différentes;^ fi le chien peut produire avec le renard ^ le loup ; fi le cerf produit avec la vache , la biche avec le daim , &c. Notre ignorance fur tous ces faits efl , corne je l'ai dit , prefque forcée , les expériences qui pourroient les décider de- mandant plus de temps , de foins & de dé- penfe que la vie & la fortune d'un homme ordinaire ne peuvent le permettre. J'ai em- ployé quelques années à faire des tentaiives de cette efpèce : j'en rendrai compte lorfque je parlerai des mulets; mais je conviendrai d'avance qu'elles ne m'ont fourni que peu de- lumières , & que la plupart de ces épreuves- ©nt été fans fuccès* De- là dépendent cependant la connoifTance^ /8^ Hijloire naturelle, entière des animaux, la divifion cxaéïe de leurs efpèces , & Tintelligence parfaite de leur hiftoire ; de -là dépendent aulU la ma- nière de récrire & l'art delà traiter: mais puifque nous fommes privés de ces connoif- îances fi néceflaires à notre objet ; puifqu'il ne nous eft pas pofTible , faute de faits , d'éta- blir des rapports & de fonder nos raifonne- mens , nous ne pouvons mieux faire que d'aller pas à pas , de confidérer chaque ani- mal individuellement, de regarder comme des efpèces différentes toutes celles qui ne fe mêlent pas fous nos yeux , & d'écrire leur fciftoire par articles féparés , en nous réfer- vant de les joindre ou de les fondre enfem- ble , dès que , par notre propre expérience , ou par celle des autres , nous ferons plus inftruits. C'efl par cette ralfon que, quoiqu'il y ait plufieurs animaux qui reflemblent à la brebis & à la chèvre , nous ne parlons ici que de la chèvre & de la brebis domefliques. Nous ignorons fi les efpèces étrangères pourroient produire 6i former de nouvelles races avec ces efpèces communes. Nous fommes donc fondés à, les regarder comme des efpèces dif- férentes, jufqu 'à ce qu'il foit prouvé par le fait que les individus, de chacune de ces ef- pèces étrangères peuvent fe mêler avec l'ef- pèce commune, & produire d'autres indivi- dus qui produiroient entr'eux , ce caradere feul conftituant la réalité & l'unité de ce que l}On doit appeller efpèce, tant dans les ani- maux que dans les véi^étaux. JLa chèvre a de fa nature plus de fentiment dc-ld Chèvre, iS^ & de reflburce que la brebis ; elle vient à l'homme volontiers, elle fe familiarise aile* ment, elle eft fenfible aux careffes & capa- ble d'attachement; elle eft aulTi plus forte, plus légère, plus agile & moins timide que la brebis; elle eft vive , capricieufe , lafcive & vagabonde. Ce n'eft qu'avec peine qu'on la conduit & qu'on peut la réduire en trou- peau; elle aime à s'écarter dans les folitu- des, à grimper fur les lieux efcarpés, à fe placer & même à dormir fur la pointe des rochers & fur le bord des précipices ; elle cherche le mâle avec eir^reflement ; elle s'accouple avec ardeur, & ^ produit de très bonne heure ; elle eft rcbufte , aifée à nour- rir ; prefque toutes les herbes lui font bon- nes, & il y en a peu qui l'incommodent. Le tempérament y qui dans tous les animaux in- flue beaucoup fur le naturel , fte parcît ce- pendant pas dans la chèvre différer effentiel- lement de celui de la brebis. Ces deux ef- pèces d'animaux , dont l'org^anifation inté- rieure eft prefque entièrement femblable , fe nourrifîent , croiffent & multiplient de la même manière j & fe refîemblent encore par le caradere des maladies , qui font les mê- mes , à l'exception de quelques - unes aux- quelles la chèvre n'eft pas fujette; elle ne craint pas , comme la brebis , la trop grande chaleur; elle dort au foleil , & s'expofe vo- lontiers à fes rayons les plus vits , fans en être incommodée , & fans que cette ardeur lui caufe ni étourdifîèmens ni vertiges ; elle ne s'effraye point des orages , ne s'impatiente pas à la pluie ; mais elle paroit être fenfibk t^O^ IfiJIolre naturdlt à; là rigueur du froid. Les mouvemens eies térieurs, lefquels , comme nous l'avons dit,, dépendent beaucoup moins de la conforma- tion du corps que de la force &de la variété des fefifations relatives à Tappétit & au de- fjr, font par cette raifon beaucoup moins mefurés j beaucoup plus vifs dans la chèvre que dans la brebis. L'inconftance de fon na- turel fe marque par l'irrégularité de fes ac- tions; elle marche, elle s'arrête, elle court,- elle bondit, elle faute , s'approche, s'éloi- gne, fe montre, fe cache, ou fuit, comme par caprice , & fans autre caufe déterminante que celle de la vivacité bizarre de fon fen- timent intérieur, & toute la foupleffe des or- ganes, tout le nerf du corps fuffifent à peiner à la pétulence & à la rapidité de ces mou» vemens qui lui font naturels. On a dès preuves que ces animaux font naturellement amis de l'homme, & que dans les lieux inhabités ils ne deviennent point fauvages. En 1698 , un vaiffeau Anglois ayant relâché à Tisle de Bonavifta ; deux nègres fe préfenterent à bord , & offrirent gratis aux Anglois autant de boucs qu'ils ea voudroient emporter. A l'étonnement que le- capitaine marqua dé cet offre , les nègres» répondiren^t qu'il n'y avoit que douze per- sonnes dans toute l'isle , que les boucs &. les chèvres s'y étoient multipliés jufqu'à' devenir incommodes , & que loin de donner, beaucoup de peine à les prendre , ils fui- voient les hommes avec une forte d'obfti- ^ de la CJievre, i^i iîatîon , comme les animaux dpmeftîques (c)i Le bouc ( yoye^ ptanclie JIJ, fig. i de c< volume') peut engendrer à un an , & la chè- vre dès rage de fept mois;, mais les fruits, de cette génération précoce font foibles & défeélueux, & Ton attend ordinairement que l'un & l'autre ayent dix-huit mois ou deux ans avant de leur permettre de fe joindre. Le bouc efl un a&z bel animal , très^ vi- goureux & très chaud : un feul peut fuf- fire à plus de cent cinquante chèvres pen» dant deux ou trois mois; mais cette ardeur qui le confume , ne dure que trois ou qua- tre ans, & ces animaux font énervés & mê- me vieux dès l'âge de cinq, ou fix anSi Lorf» que l'on veut donc faire choix d'un bouc pour la propagation , il faut qu'il foit jeune & de bonne figure , c'eft-à-dire , âgé de deux' ans , la taille grande , le cou court & char- nu , la tête légère, les oreilles pendantes r les cuifles groffes , les jambes fermes , le- poil noir , épais & dotix , la barbe longue^ & bien garnie. 11 y a moins de choix à faire pour les chèvres ; fe-ulement on peut obfer* "ver que celles dont le corps eô grand , la' croupe large , les cuiiîes fournies, la- oç eans là médecine , il fe caille aifément, ^r l'on en fait de très bons fromages : coninic ïl ne contient que peu de parties butireufes, l'on ne doit pas en féparer la crème. Les chèvres fe la ilFent teter aifément, même par les enfans , pour lefquels leur lait eft une très bonne nourriture; elles font, comme les vaches & les brebis, fujettes à être te- tées par la couleuvre , & encore par un oi- feau connu fous le nom de teu-chhvres ou crapaud-voUnt ^ qui s'attache à leur mamelle pendant la nuit, & leur fait, dit-on , perdre ieur lait. Les chèvres n'ont point de dents incifives à la mâchoire fupérieure; celles de la mâ- choire inférieure tombent & fe renouvellent dans le même temps & dans le même ordre •que celles pourra la connoître ; ce n'eft point en la faifant agir par des vuîes particulières qu'on faura la juger, ni qu'on pourra la deviner; ce n'eft point en lui prê- tant nos idées qu'on approfondira les delTeins de fon Auteur : au lieu de reflerrer les li- mites de fa puilTance , il faut les reculer , les étendre jufque dans l'immenfité ; il faut ne rien voir d'impofiible , s'attendre à tout , & fuppofer que tout ce qui p:;ut être eft. Les efpèces ambiguës , les productions ir- régulieres , les êtres anomaux celTeront dès- lors de nous étonner , & fe trouveront auili nécelTairement que les autres , dans Tordre infini des chofes; ils . remplirent les inter- valles de la chaîne , ils en forment les nœuds, les points intermédiaires , ils en marquent auflî les extrémités : ces êtres font pour l'ef- prit humain des exemplaires précieux , uni- ques , où la Nature paroiffant moins con- forme à elle-même, fe montre plus à dé- couvert; où nous pouvons reconnoître des caradleres finguliers , & des traits fugitifs qui nous indiquent que fes fins font bien plus générales que nos vues , & que fi elle ne fait rien en vain , elle ne fait rien non plus dans les deffeins que nous lui fiippofons. En effet, ne doit- on pas faire des réflexions fur ce que nous venons d'expofer? ne doit- on pas tirer des indu«^ions de cette fingu- liere conformation du cochon ? il ne paroît pas avoir éié formé fur un plan original , particulier & parfait , puifqu'il eft un com- pofé des autres animaux; i\ a évidemment 101 Hifloire naturelle* des parties inutiles , ou plutôt des parties dont il ne peut faire ufage , des doigts dont tous les os font parfaitement formés , &: qui cependant ne lui fervent à rien. La Na- ture eildonc i)ien éloignée de s'afîujettir à des caufes finales dans la compofition des êtres ; pourquoi n'y mettroit-elle pas quelquefois des parties furabondantes , puifqu'elle manque fi fouvent d'y mettre des parties eflentielles ? combien n'y a-t-il pas d'animaux privés de fens & de membres l pourquoi veut-on que dans chaque individu toute partie foit utile aux autres & nécefîaire au tout? ne fuffit-il pas , pour qu'elles fe trouvent enfemble , qu'elles ne fe nuifent pas, qu'elles puiffent croître fans obilacle & fe développer fans s'oblitérer mutuellement! Tout ce qui ne fe nuit point aifez pour fe détruire , tout ce qui peut fubfiiier enfemble, fubfifte; &: peut- être y a-t-il j dans la plupart des êtres, moins de parties relatives , utiles ou nécef- faires , que de parties indifférentes, inutiles ou furabondantes. Mais comme nous voulons toujours tout rapporter à un certain but, lorfque les parties n'ont pas des ufages ap- parens , nous leur fuppofons des ufages ca- chés i nous imaginons des rapports qui n'ont aucun fondement , qui n'exiftent point dans la nature des chofes, & qui ne fervent qu'à l'obfcurcir : nous ne faifons pas attention que nous altérons la philofophie , que nous en dénaturons l'objet, qui eft de connoître le comment des chofes , la manière dont la Nature agit, & que nous fubftituons à cet objet réel une idée vaine, en cherchant à deviner du Cochon^ 103 le pourquoi des faits , la fin qu'elle fe propofe en agiflanr. Ceft pour cela qu'il faut recueillir avec foin les exemples qui s'oppofent à cette pré- tention , qu'il faut infifter fur les faits capa- bles de détruire un préjugé général auquel nous nous livrons par goût , une erre-ur de méthode que nous adoptons par choix , quoi- qu'elle ne tende qn'à voiler notre ignorance^ & qu'elle foit inutile , & même oppofée à la recherche & à la découverte des effets de la Nature. Nous pouvons , fans fortir de notre fujet, donner d'autres exemples par lefquels ces fins que nous fuppofons fi vai- nement à la Nature , font évidemment dé- menties. Les phalanges ne font faîtes , dit- on , que pour former des doigts ; cependant il y a dans le cochon des phalanges inutiles , puif- qu'elles ne forment pas des doigts dont il puiffe fe fervir; & dans les animaux à pied fourchu, il y a de petits os (.z) qui ne for- ment pas même des phalanges. Si c'eft-là le but de la Nature , n'eft-il pas évident que dans le cochon elle n'a exécuté que la moitié de ïon projet, & que dans les autres à peine l'a-t- elle commencé ? L'allantoïdeeftune membrane qui fe trouve dans le produit de la génération de la truie > de la jument, de la vache & de plufieurs autres animaux; cette membrane tient au fond (a) M. Daubenton eft le premier qui ait dit cette Ai^ coaveite» ÎÔ4 Hifloin naturelle, de la vefTie du fœtus ; elle eft faite , dit-Ort,' pour recevoir l'urine qu'il rend pendant fort i'éjour dans le ventre de la mère : & en effet on trouve à l'inftant de lanaiflance de l'animal , une certaine quantité de liqueur dans cette membrane , mais cette quantité n'eft pas confidérable ; dans la vache, où elle eft peut-être plus abondante que dans tout autre animal , elle fe réduit à quel- ques pintes , & la capacité de l'allantoîde eft î\ grande, qu'il n'y a aucune proportion en- tre ces deux objets. Cette membrane, lorfqu'on la remplit d'air, forme une efpèce de double poche en forme de croifTant, Ion gue de trfeize à quatorze pouces fur neuf, dix , onzie, &même douze pouces de diamètre. Faut il , pour ne recevoir que trois ou quatre pintes de liqueur, un vaiffeau dont la capa- cité contient plufieurs pieds cubes ? Lavef- fie feule du fœtus , fi elle n'eût pas été per- cée par le fond , fuffifoit pour contenir cette petite quantité de liqueur , comme elle fuf- iît en effet dans l'homme , & dans les ef- pèces d'animaux où l'on n'a pas encore dé- couvert l'allantoîde. Cette membrane n'eft donc pas faite dans la vue de recevoir l'u- rine du fœtus , ni même dans aucune autre de nos vues ; car cette grande capacité eft non-feulement inutile pour cet objet, mais aufli pour tout autre , puifqu'on ne peut pas même Aippofer qu'il foit poffible qu'elle fe rempliffe , & que fi cette membrane étoit pleine , elle formeroit un volume prefque auffi gros que le corps de l'animal qui la con- tient , 5t ne pourroit par conféquent y être du Cochon* 105 contenue : & comme elle fe déchire au mo- ment de la naifTance , & qu'on la jette avec les autres membranes qui fervoient d'enve- ioppe au fœtus , il eft évident qu'elle eft encore plus inutile alors qu'elle ne l'étoit aupa- ravant. Le nombre des mamelles eft, dit-on , re- latif, dans chaque efpèce d'animal , au nom- bre de petits que la femelle doit produire & allaiter : mais pourquoi le mâle , qui ne doit rien produire , a-t-il ordinairement le même nombre de mamelles ? & pourquoi dans la truie , qui fouvent produit dit-huit , & même vingt petits , n'y a-t-il que douze ma- melles, fouvent moins, & jamais plus; ceci ne prouve-t-il pas que ce n'eft pas par des cau- fes finales que nous po-uvons juger des ou- vrages de la Nature , que nous ne devons pas lui prêter d'aullî petites vues , la faire agir par des convenances morales ; mais examiner comment elle agit en effet , & em- ployer pour la connoître , tous les rap- ports phyfiques que nous préfente l'immenfe variété de fes productions ? J'avoue que cette méthode, la feule qui puifle nous conduire à quelques connoiflances réelles , eft incom- parablement plus difficile que l'autre, &qu'il y a une infinité de faits dans la Nature, auxquels, comme aux exemples précédens , il ne parort guère pofîible de l'appliquer avec fuccès : cependant, au lieu de cherchera quoi fert la grande capacité de l'allantoïde , & de trou- ver qu'elle ne peut fervir à rien ; il eft clair qu'on ne doit s'appliquer qu'à rechercher fes rapports phyfiques (jui peuvent nous in- 106* Hljloirz naturelle diquM" quelle en peut être l'origine. En ob- servant, par exemple , que dans le produit de la génération des animaux qui n'ont pas une grande capacité d'inteftins , Tallantoide eft ou très-petite, ou nulle; que par con- séquent la produ6lion de cette membrane a quelque rapport avec cette grande capacité d'inteftins , &c , de même en confidérant que ie nombre des mamelles n'eft point égal au nombre des petits , & en convenant feule- ment que les animaux qui produifent le plus , font auffi ceux qui ont des mamelles en plus grand nombre , on pourra penfer que cette produftion nombreufe dépend de la conformation des parties intérieures de la gé- nération , & que les mamelles étant auffi des dépendances extérieures de ces mêmes parties de la génération , il y a entre le nombre ou l'ordre de ces parties & celui des mamelles , un rapport phyfique qu'il faut tâcher de dé- couvrir. Mais je ne fais ici qu'indiquer la vraie route , & ce n'eft pas le lieu de la fuivre plus loin ; cependant je ne puis m'empêcher d'obferver en paffant, que j'ai quelque rai- fon de fuppofer que la produâion nombreufe dépend plutôt de la conformation des parties intérieures de la génération que d'aucune autre caufe ; car ce n'eft point de la quan- tité plus abondante des liqueurs féminales que dépend le grand nombre dans la produc- tion , puifque le chaval , ie cerf, le bélier , îe bouc & les autres animaux qui ont une très grande abondance de liqueur féminale , ne produifent qu'en petit nombre j tandis du Cochon, 207 que le chien , le chat & d'autres animaux , qui n'ont qu'une moindre quantité de liqueur Séminale, relativement à leur volume, pro- duifent en grand nombre. Ce n'eft pas non plus de la fréquence des accouplemens que ce nombre dépend ; car l'on eft allure que le cochon & le chien n'ont befoin que d'un feul accouplement pour produire , & pro- duire en grand nombre. La longue durée de l'accouplement, ou, pour mieux dire^ du temps de l'émiffion de la liqueur féminale, ne paroît pas non plus être la caufe à la- quelle on doive rapporter cet effet ; car le chien ne demeure accouplé loilg-temps que parce qu'il eft retenu par un obftacle qui naît de la conformation même des parties ; & quoique le cochon n'ait point cet obfta- cle, & qu'il demeure accouplé plus long- temps que la plupart des autres animaux^, on ne peut en rien conclure pour la nombreufe produaion , puifqu'on voit qu'il ne faut au coq qu'un inftantpour féconder tous les œufs qu'une poule peut produire en un mois. J'au- rai occafion de développer davantage les idées que j'accumule ici , dans la feule vue défaire fentir qu'une fimple probabilité , un foupçon pourvu qu'il foit fondé fur des rapports phyfi- ques , répand plus de lumière & produit plus de fruit que toutes les caufes finales reunies. Aux fingularités que nous avons déjà rap- portées , nous devons en ajouter une autre , c'eft que la graifte du cochon eft dif- terente de celle de prefque tous les autres animaux quadrupèdes , non-feulement par i*^ 2oS Hifloin naturelle} confiftance & fa qualité , mais aiifîî par fa pofition dans le corps de l'animal. La graifle de l'homme & des animaux qui n'ont point de fuif, comme le chien, le cheval, &c. eft mêlée avec la chair alTez également ; le fuif dans le bélier, le^bouc, le cerf , &c. ne fe trouve qu'aux extrémités de la chair : mais le lard du cochon n'eft ni mêlé avec la chair, ni ramaffé aux extrémités de la chair, il la recouvre par- tout, & forme une couche épaiffe , diftinéie & continue entre la chair & la peau. Le cochon a cela de commun avec la baleine & les autres animaux céta- cés , dont la graiffe n'eft qu'une efpèce de lard à-peu-près de la même confiftance , mais plus huileux que celui du cochon : celard, dans les animaux cétacés , forme aufli fous la peau une couche de plufieurs pouces d'épaifléur , qui enveloppe la chair. Encore une fmgularité, même plus grande cjue les autres, c'eft que le cochon ne perd aucune de fes premières dents : les autres animaux , comme le cheval , l'âne , le bœuf ^ la brebis , la chèvre , le chien , & même l'homme , perdent tous leurs premières dents incifives; ces dents de lait tombent avant la puberté , Ôi font bien-tôt rempla- cées par d'autres : dans le cochon , au con- traire , les dents de lait ne tomjjent jamais , elles croiffent même pendant toute la vie. 11 a fix dents au-devant de la mâchoire in- férieure , qui font incifives & tranchantes ; il a aulTi à la mâchoire fupérieure fix dents correfpondantes ; mais par une imperfediion qui n'a pas d'exmple dans la Nature , ces* fix du Ceckon, 2O9 fix dents de la mâchoire fupérieure font d'une forme très différenre de celle des dents de la mâchoire inférieure : au lieu d'être incifives & tranchantes , elles font longues , cylindriques & émouffées à la pointe ; en forte qu'elles forment un angle prefque droit avec celles de la mâchoire inférieure , & qu'elles ne s'appliquent que très obli- quement les unes contre les autres par leurs extrémités. Il n'y a que le cochon & deux ou trois autres efpèces d'animaux qui ayent des dé- fenfes ou des dents canines très alongées ; elles diffèrent des autres dents en ce qu'elle fortent au dehors & qu'elles croiilént pendant toute la vie. Dans l'éléphant & la vache ma- rine , elles font cylindriques & longues de quelques pieds ; dans le fanglier & le co- chon mâle , elles fe courbent en por- tion de cercle , elles font plates & tran- chantes , & j'en ai vu de neuf à dix pou- ces de longueur : elles font enfoncées très profondément dans l'alvéole ^ & elles ont auflî , comme celles de l'éléphant , une ca- vité à leur extrémité fupérieure ; mais Te- léphant & la vache marine n'ont de défenfes qu'à la mâchoire fupérieure, ils manquent même de dents canines à la mâchoire infé-. rieure ; au lieu que le cochon mâle & le fanglier en ont aux deux mâchoires , & cel- les de la mâchoire inférieure font plus utiles à l'animal ; elles font auiîi plus dangereufes , car c'eft avec les défenfes d'en bas , que le fanglier bleffe. La truie , la laie & le cochon coupé , ont S iia Hljloire naturelle auffi ces quatre dents canines à la mâcfioffe inférieure ;.mais elles croifTent beaucoup moin* que celles du mâle , & ne fortent prefque point au dehors. Outre ces feize dents , lavoir ^ douze incirives & quatre canines , ils ont encore vingt - huit dents mâchelieres , ce qui fait en tout quarante - quatre dents. Le langlier a les défenles plus grandes , le boutoir plus fort &. la hure plus longue que le co- chon domeftique ^ ii a auiîi les pieds plus gros, les pinces plus féparées & le poil tou- jours noir. De tous les quadrupèdes , le cochon pa* roît être l'animal le plus brut; les imper- feétions de la forme femblent influer fur le naturel , toutes fes habitudes font grolTieres , tous fes goûts font immondes , toutes fes fen- fations le réduifent à une luxure furieufe & à \\r\^ gourmandife brutale , qui lui fait dévorer indiftinftement tout ce qui fe pré- fente , & même fa progéniture au moment qu'elle vient de naître. Sa voracité dépend apparemment du befoin continuel qu'il a de remplir la grande capacité de fon eftomac ; & la grofliéreté de fes appétits , de l'hébéta- tion du fens du goût & du toucher. La rudefie du poil j la dureté de la peau , l'épaifTeur de la graiiTe^ rendent ces animaux peu fen- iîbles aux coups : l'on a vu des fouris fe loger fur leur dos , & leur manger le lard & la peau fans qu'ils paruiTent le fentir. Ils ont donc le toucher fort obtus , & le goût auffi groffier que le toucher : leurs autres f€jis font bons , les chalfeurs n'ignorent pas que les. fangUers voient ^ efltead<^nt& fenteutde^ *da Cockon, Hi fort loin , puifqu'ils font obligés , pour les furprendre, de les attendre en filence pen- dant la nuitj & de fe placer au-deflbus du vent, pour dérober à leur odorat les émana- tions qui les frappent de loin , & toujours affez vivement pour leur faire fur le champ rebrouf- fer chemin. Cette imperfection dans les fens du goût & du toucher , eft encore augmentée par une maladie qui les rend ladres ,c'eft-à- dire , pref- que abfolument infenfibles , & de laquelle il faut peut-être moins chercher la premiè- re origine dans la texture de la chair ou de la peau de cet animal , que dans fa mal- propreté naturelle , & dans la corruption qui doit réfulter des nourritures infe(Sles dont il fe remplit quelquefois ; car le fanglier , qui n'a point de pareilles ordures à dévo- rer , & qui vit ordinairement de grain , de fruits , de gland & de racines , n'eft point fujet à cette maladie, non plus que le jeune cochon pendant qu'il tette : on ne la pré- vient même qu'en tenant le cochon domeftique dans une étable propre , & en lui donnant abondamment des nourritures faines. Sa chait deviendra même excellente au goût , & le lard ferme & caffant , fi , comme je l'ai vu pratiquer;, on le tient pendant quinze jours ou trois femaines, avant de le tuer, dans une étable pavée & toujours propre, fans litière , en ne lui donnant alors pour toute nourriture que du grain de froment pur Se {ec , & ne le laifTant boire que très peu. On choifit pour cela un jeune cochon d'un an, ^n bonne chair & à moitié gras. Sa iii HlJîoWe naturelU La manière ordinapire de lesengraifTer, eft ^e leur donner abondamment de l'orge , du gland , des choux , des légumes cuits &. beau- €oup d'eau mêlée de Çon : en deux mois ils font gras, le lard eft abondant & épais , mais fans être bien blanc , & la chair , quoi- que bonne, eft toujours un peu fade. On peut encore les engraiffer avec moins dedé- penfe dans les campagnes où il y a beau- coup de glands , en les menant dans les fo- rêts pendant l'automne , lorfque les glands tombent , & que la châtaigne & la faine quittent leurs enveloppes; ilsmangent égale- ment de tous les fruits fauvages, & ils en- graiffent en peu de temps , furtout fi le foir , à leur retour , on leur donne de l'eau tiède mêlée d'un peu de fon & de farine d'ivroie ; cette boiftbn les fait dormir & augmente telle- ment leur embonpoint qu'on en a vu ne pouvoir plus marcher, ni prefqiie fe remuer» Us engraiffent auffi beaucoup plus prompte- ment en automne dans le temps des premiers froids , tant à caufe de l'abondance des nourritures y que parce qu'alors la tranfpi- ration eft moindre qu'en été. On n'attend pas, eom.me pour le refte du bétail , que le cochon foit âgé pour Ten- graiffer : plus il vieillit, plus cela eft difHci- k , &: moins fo chair eft bonne. La caftra- tion, qui doit toujours précéder l'engrais , fe fait ordinairement à l'âge de fix mois , au printemps ou en automne, & jamais danç le temps des grandes chaleurs ou des grand^ froids qui , rendroient également la plai*; dangereufe ou diliicile à guérir ; car c'e.ft - 'du Cochon, 21} ordinairement par incifion que fe fait cette opération , quoiqu'on la faffe aufTi quelque- fois par une fimple ligature , comme nous l'a- vons dit au fujet des moutons. Si la caftra^- tion a été faite au printemps , on les met à l'engrais dès l'automne fui vante , & il eft aiTez rare qu'on les laifîe vivre deux ans ; cependant ils croifTent encore beaucoup pen- dant la féconde , & ils continueroient de croître pendant la troifième , la quatrième , la cinquième, &c. année. Ceux que l'on re- marque parmi les autres par la grandeur & la groffeur de leur corpulence , ne font que des cochons plui âgés , que l'on a mis plu- fieurs fois à la glandée. Il pa-roît que la durée de leur accroiiTement ne fe borne pas à qua- tre ou cinq ans : les verrats ou cochons mâles , que l'on garde pour la propagation de l'ef- pèce , groffiffent encore à cinq ou fix ans ; & plus un fanglier eft vieux , plus il efl grcs, dur & pefant. La durée de la vie d'un fangUer peut s'é- tendre jufqu'à vingt- cinq ou trente ans *. Ariftote dit vingt ans pour les cochons en général , & il ajoute que les mâles engen- drent & que les femelles produifent jufqu'à quinze. Ils peuvent s'accoupler dès l'âge de neuf mois ou d'un an ; mais il vaut mieux attendre qu'ils ayent dix-huit mois ou deux ans. La première portée de la truie n'efk pas nombreufe,.les petits font foibles , &même *■ Voyez la Vénerie de du Fouiiîoux. Paris, 1614, P'^e 57 Iî4 Hljîoire naturelle imparfaits , quand elle n'a pas un an. Eïïa eft en chaleur , pour ainfi dire , en tout temps ; elle recherche les approches du mâle, quoiqu'elle foit pleine, ce qui peut palier pour un excès parmi les animaux , dont la femelle , dans prefque toutes les efpèces, re- fufe le mâle aufll-tôt qu'elle a conçu. Cette chaleur de la truie , qui eft prelque conti- nuelle j fe marque cependant par des accès & auffi par des mouvemens immodérés , qui finiffent toujours par fe vautrer dans la boue > elle répand dans ce temps une liqueur blan- châtre affez épaifTe & affez abondante ; elle porte quatre mois, met bas au commence- ment du cinquième, & bientôt elle recher- che le mâle, devient pleine une féconde fois ^ & produit par conféquent deux fois l'année. La laie , qui reffemble à tous autres égards à la truie , ne porte qu'une fois l'an , apparemment par la dilette de nourriture , & par la nécelTité où elle fe trouve d'allaiter & de nourrir pendant longtemps tous les petits qu'elle a produits ; au lieu qu'on ne foufFre pas que la truie domeftique nourriffe tous fes petits pendant plus de quinze jours ou trois femai- nes ; on ne lui en lailîé alors que huit ou neuf à nourrir , on vend les autres : à quinze jours ils font bons à manger ; & comme l'on n'a pas befoin de beaucoup de femelles, &: que ce font les cochons coupés qui rappor- tent le plus de profit , & dont la chair eil la meilleure , on fe défait des cochons de lait femelles , & on ne laifTe à la mère que deux femelles avec fept ou huit mâles. Le mâle qu'on choifit pour propager l'ef- du Cochon. iij péce, doit avoir le corps court, ramafle , & plutôt carré que long, la xkiQ greffe^ le groin court & camus , les oreilles gran- des & pendantes , les yeux petits & ar- dens , le cou grand & épais , le ventre avalé, les fefles larges, les jambes courtes & grof- fes , les foies épaiffes & noires : les cochons blancs ne font jamais aulîi forts que les noirs» La truie doit avoir le corps long , le ven- tre ample & large, les mamelles longues : il faut qu'elle foit auiîid'un naturel tranquille & d'une race féconde. Dès qu^elle eil: pleine, onlafépare du mâle , qui pourroit la blefîer ;• & lorfqu*elle met bas , on la nourrit largement y on la veille pour i'empccher de dévorer quel- ques-uns de fes petits, & l'on a grand foin d'en éloigner le père, qui les ménageroit en- core moins. On la fait couvrir au commen-» cernent du printemps, afin que les petits naif- fant en été, ayent le temps de grandir, de fe fortifier , & d'engraiiTer avant l'hiver : mais lorfque Ton veut la faire porter deux fois par an , on lui donne le mâle au mois de novembre , afin qu'elle mette bas au mois de mars , & on 1^ fait couvrir une féconde fois au commencement de mai. Il y a même des truies qui produifent régulièrement tous les cinq mois. La laie qui, comme nous l'a- vons dit , ne produit qu'une fois par an , re- çoit la mâle au mois de janvier ou de fé- vrier , & met bas en mai ou juin ; elle allaite fes petits pendant trois ou quatre mois , elle les conduit, elle les fuit, & les empêche de fe féparer ou de s'écarter , jufqu'à ce qu'ils ayent deux ou trois ansià U n'çfl pas il 6 H'ijloire naturdlt rare de voir des laies accompagnées en même temps de leurs petits de l'année & de ceux de l'année précédente. On ne fouffre pas que la truie domeftique allaite fes petits pendant plus de deux mois ; on commence même , au bout de trois femaines, à Iles mener aux champs avec la mere^ pour les accoutumer peu-a- peu à fe nourrir comme elle : on les fèvre cinq femaines après , & on leur donne foir & matin du petit lait mêlé de fon, ou feu- lement de l'eau tiède avec des légumes bouillis. Ces animaux aiment beaucoup les vers de de terre & certaines racines , comme celles de la carotte fauvage ; c'eft pour trouver ces vers & pour couper ces racines qu'ils fouillent la terre avec leur boutoir. Le fan- glier , dont la hure eft plus longue & plus forte que celle du cochon , fouille plus pro- fondément ; il fouille aulîî prefque toujours en ligne droite dans le même ftïlon , au lieu que le cochon fouille çà & là , & plus lé- gèrement. Comme il fait beaucoup de dégât , il faut l'éloigner des terreins cultivés , & ne le mener que dans les bois & fur les terres qu'on laifle repofer. On appelle en terme de chaffe , têtes de compa- gnie , les fangliers qui n'ont pas paiTé trois ans j parce que jufqu'à cet âge ils ne fe fé- parentpas les uns des autres, & qu'ils fuivent tous leur mère commune : ils ne vont feuls que quand ils font affez forts pour ne plus craindre les loups. Ces animaux forment donc d'eux-mêmes des efp>res de troupes , Si c'eft de-Ià que dépend leur fareté: lorfqu'ils font attaqués , *-é:ii Cochon, t1*^ attaqués, ils réftftent par le nombre , ils fe fe- -©Durent, fe défendent; les plus gros font face en fe prefTant en rond les uns contre les autres, & en mettant les plus petits au centre. Les cochons domeftiques fe xléfendem aufîl delà même manière, & Ton n'a pas befoin de chiens pour les garder ; mais comme ils font indociles & durs , un homme agile & robufte n'en peut guère conduire que cin- quante. En automne & en hiver , on les mène dans les forêts où les fruits fauvages font abondans ; rété , on les conduit dans les lieux humides &. marécageux , où ils trouvent des vers & des racines en quan- tité ; &. au printemps , on les laiiTe aller dans les champs & fur les terres en friche ; on les fait fortir deux fois par jour depuis le mois de mars jufqu'au mois d'oélobre ; on les laifle paître depuis le matin , après qiie la rofée eft diïTipée , jufqu'à dix heu- res , & depuis deux heures après midi juf- qy'au foir. En hiver, on ne les mène qu'une fois par J€>ur dans les beaux temps : la ro- fée, la neige & la pluie leur font contraires. Lorfqu'il furvient un orage ou feulement ime pluie fort abondante , il eft affez ordinaire de les voir déferter le troupeau les uns après les autres , & s'enfuir en courant tou- jours criant jufqu'à la porte de leur étable : les plus jeunes font ceux qui crient le plus & le plus haut; ce cri eft différent de leur grognement ordinaire, c'eft un cri de dou- leur femblable au premier cris qu'ils jet- tent lorfqu'on les garotte pour les égorger. \jt mâle cric moins que la femelle. Il eft Quadrupcdes» Tome L T al8 Hijîoire naturdU rare d'entendre le fanglier jetter un crî , fi ce n eft lorfqu'il fe bat & qu'un autre le blefle; la laie crie plus fouvent : & quand ils font furpris & effrayés fubitement, ils ibufïlent avec tant de violence , qu'on les entend à une grande diftance. Quoique ces animaux foient fort gour- mands , ils n'attaquent ni ne dévorent pas, comme les loups , les autres animaux ; ce- pendant ils mangent quelquefois de la chair corrompue ; on a vu des fangliers manger de la chair de cheval , & nous avons trouvé dans leur eftomac de la peau de chevreuil & des pattes d'oifeau ; mais c'efl peut-être plutôt néceflité qu'inftinâ:. Cependant on ne peut nier qu'ils ne foient avides de fang & de chair fanguinolente & fraîche , puifque Jes cochons mangent leurs petits & même des enfans au berceau : dès qu'ils trouvent quelque chofe de fucculent , d'humide , de gras & d'onâueux , ils le lèchent & finiffent bientôt par l'avaler. J'ai vu plufieurs fois un troupeau entier de ces animaux s'arrê- ter , à leur retour des champs , autour d'un monceau de terre glaife nouvellement tirée ; tous léchoient cette terre qui n'étoit que très légèrement on*Sl:ueufe , & quelques-uns en avalpient une alfez grande quantité. Leur gourmandifeeft, comme l'on voit , aulfi grof- fiere que leur naturel eft brutal; ils n'ont aucun fentiment bien diftinct , les petits re- connoiflèntàpeine leur mère, ou du moins font fort fujets à fe méprendre , & à tetter la première truie qui leurlaiffefaifir fes ma- melles, La crainte & la néceffité donnent du Cochon^ 2.11^ apparemment un peu plus de fentiment & xl'inftînâ: aux cochons fauvages , il femble •que les petits foient fidèlement attachés à leur mère qui paroît être auffi plus attenti- ve à leurs befoins que ne l'eft la truie do» mefiique. Dans le temps du rut, le mâle cherche, fuit la femelle, & demeure ordi- nairement trente jours avec elle dans les fcois les plus épais, les plus folitaires & les plus reculés. ïl eft alors plus farouche que jamais, &il devient même furieux lorfqu'un autre mâle veut occuper fa place ; ils fe bat- tent, fe bleffent, & fe tuent quelquefois. Pourlalaie^ elle ne devient furieufe que quand on attaqua fes petits ; & en général , dans pref- que tous les animaux fauvages -, le mâle de* vient plus ou moins féroce lorfqu 'il cherche à s'accoupler, & la femelle , lorfqu'elle amis bas. On chaffe le fanglier à force ouverte ;, avec des chiens, ou bien on le tue par furprife pendant la nuit au clair de la kne ; com- me û ne fuit que lentement , qu'il laifTe une odeur très forte , qu'il fe défend con- tre les chiens & les bleffe toujours dan- gereiifement, il ne faut pas le chaffer avec les bons chiens courans deftinés pour le cerf & le chevreuil; cette chaffe leur gâ- teroit le nez , & les accoutumeroit à aller lentement: des mâtins un peu drefTés fuffifent pour la chafle du fanglier. Il ne faut atta- quer que les plus vieux , op. les connoît aifé- ans eft difficile a forcer, parce qu'il court très loin fans s'arrêter, au lieu qu'un fanelier plus âge ne fuit pas loin, fe laiffe chiiTer XzO H'ijloirc naturelle de près , n'a pas grand'peur 4es chiens , & s'arrête Ibuvent pour leur faire tête. Le jour , il refte ordinairement dans fa bauge, au plus épais & dans le plus fort du bois f le foir , à la nuit, il ^n fort pour chercher fa nour» riture : en été , lorfque les grains font miirs, il eft aflez facile de le furprendre dans les blés & dans le avoines où il fréquente tou- tes les nuits. Dès qu'il eft tué , les chaffeurs ont grand foin de lui couper les/wi/^i, c'eft- à-dire les tefticules, dont l'odeur eft fi forte que fi l'on pafle feulement cinq ou fix heures fans les ôter toute la chair en eft infetSlée. Au refte , il n'y a que la hure qui foit bonne dans un vieux fanglier; au lieu que toute la chair du marcaffin , & celle du jeune fanglier qui n'a pas encore un an , eft dçlicate , & même .affez fiiae. Celle du verrat ou cochon domeftique mâle , eft encore plus mauvaife que celle du fanglier j cen'eft que parla caf- tration & l'engrais qu'on la rend bonne à man- ger. Les Anciens * étoient dans l'ufage de faire la caftration aux jeunes marcalîins qu'on pouvoit enlever à leur mère , après quoi on les reportoit dans les bois : ces fangliers cou- pés groftiffent beaucoup plus que les autres , & leur chair eft meilleure que celle des co* chons domeftiques. Pour peu qu'on ait habité la campagne , on n'ignore pas les profits qu'on tire du co- chon; fa chair fe vend à-peu -près autant que celle du bœuf, le lard fe vend au double , ôf ♦ Vidç Arifi, hiji, animai, lit, VI,çap. ^XVllL du Cochon, %lt îïiéme au triple; le fang, les boyaux, les vilcères , les pieds, la langue, fe préparent & fe mangent : le fumier du cochon eft plu5 froid que celui des autres animaux , & l'on ne doit s'en fervir que pour les terres trop chaudes & trop sèches. La graiffe des intet tins & de l'épiploon, qui eil différente du lard, fait le iain-doux. & le vieux-oing. La peau a fes ufages ; on en fait des cribles, comme l'on tait aulîi des vergettes , des brofTes , des pinceaux avec les foies. La chair de cet animal prend mieux le fel , le falpê- tre , & fe conferve falée plus long - temps qu'aucune autre. Cette efpèce , quoiqu'abocdante & fort répandue en Euro.:)e, en Afrique & en Afie, ne s'eft point trouvée dans le continent du nouveau monde; elle y à été tranTuortée par les Espagnols , qui ont jeté des cochons noirs dans le continent, & dans prefqae toutes les grandes ifles de l'Amérique; ils fe font mul- tipliés, & font devenus fauvages en beau* coup d'endroits : ils refTemblent à nos fan- gliers , ils ont le corps plus court , la hure plusgrofTe, & la peau plus épaiffe \^*) que les cochons domeftiques , qui , dans les cli- mats chauds , font tous noirs comme les fangliers. Par un de ces préjugés ridicules que la feule fuperftition peut faire fubfifter , les Mahométans font privés de cet animal utile : ♦ Voyez l»hift, gén. des Antilles , parle P. du Ter- tre» Paris, i66f » rome U, page 19/. 112 Hijlolrt natuuîU »n leur a dit qu'il étoit immonde; ils nWent i!onc ni le toucher ni s'en nourrir. Les Chi- nois, au contraire, ont beaucoup de goût pour la chair du cochon ; ils en élèvent de nombreux troupeaux ^ c'eft leur nourriture la plus ordinaire , & c'eft ce qui les a empê- chés , dit-on, de recevoir la loi de Maho- met. Ces cochons de la Chine , qui font auffi ceux de Siam & de l'Inde , font un peu différens de ceux de l'Europe; ils font plus petits, ils ont les jambes beaucoup plus courtes; leur chair eft plus blanche & plus délicate : on les connoît en France , & quel- ques perfonnes en élèvent; ils fe mêlent & produifent avec les cochons de la race com- mune. Les Nègres élèvent aufîi une grande quantité de cochons ; & quoiqu'il y en ait peu chez les Maures , & dans tous les pays habités par les Mahométans , on trouve en Afrique & en Afie des fangliers auffi abon- damment qu'en Europe. Ces animaux n'affedent donc point de climat particulier ; feulement il paroit que «dans les pays froids le fanglier,en devenant animal domeftique , a plus dégénéré que dans les pays chauds : un degré de température de plus fuffit pour changer leur couleur ;. les cochons font communément blancs dans nos provinces feptentrionales de France , & mé- iTie en Vivarais, tandis que dans la province du Dauphiné, qui en eft très voifine, ils font tous noirs; ceux de Languedoc, de Proven- ce , d'Efpagne , d'Italie , des Indes , de la Clnne & de l'Améiique , font auffi de la mêine couleur ; le cochon ds Siuni reii'enibift: du Cochon, j2| plus que îe cochon de France au fanglien Un des fignes les plus évidens de la dégéné- ration , font les oreilles; elles deviennent d'autant plus fouples, d'autant plus molles, plus inclinées & plus pendantes , que rani- mai eft plus altéré , ou , fi Ton veut , plus adouci par l'éducation & par l'état de do- mefticité ; & en eiFet , le cochon domeftique a les oreilles beaucoup moins roides, beau- coup plus longues & plus inclinées que le fanglier , qu'on doit regarder comme le mo- dèle de refpèce. 224 Ihjloin naturelh LE CHIEN. JUa grandeur delà taille,. Télégance de la forme , la force du corps , la liberté des mou- vemens^ toutes les qualités extérieures, ne font pas ce qu'il y a de plus noble dans un être animé; & comme nous préférons, dans l'homme l'efprit à la figure , le courage à la force , les fentimens à la beauté , nous ju- geons autîi que les qualités intérieures font ce qu'il y a de plus relevé dans l'animal j^ c'eft par elles qu'il diffère de l'automate > qu'il s'élève au-defTus du végétal & s'ap- proche de nous ; c'eft le fentiment qui en- noblit fon être , qui le régit, qui le vivi- fte , qui commande aux organes , rend les membres aôifs , fait naître le defir,& donne- à la matière le mouvement progreffit, la vo- lonté , la vie. La perfeâion de l'animal dépend donc de la perfetftion du fentiment; plus il efl étendu, plus l'animal a de facultés & de reiTources , plus il exifte , plus il a de rapports avec le refte de Tunivers ; & lorfque le fentiment eft délicat , exquis , lorfqu'il peut encore être perfectionné par l'éducation , l'animal devient digne d'entrer en focLété avec l'hom- me; il fait concourir à fes deffeins , veiller à. fa sûreté , l'aider , le défendre , le flatter ;■ U fait,, par des fervices alfjdus , par des ' du Chien 1^ carèffes réitérées , fe concilier Ton maître , le captiver , & de Ion tyran fe faire un prote6teur. Le chien indépendamment de la beauté de fa forme , de la vivacité de la force ^ de la légèreté, a par excellence toutes les quali- tés intérieures qui peuvent lui attirer les regards de Thomme. ^Ja naturel ardent , co- lère , même féroce & fanguinaire , rend le chien fauvage redoutable à tous les animaux, & cède dans le chien domeltique aux fentî- mens les plus doux , au plaifir de s'attacher & au defir de plaire ; il vient en rampant mettre aux pieds de fon maître fon courage , fa force j fes talens;il attend fes ordres poiar en faire ufage , ille eonfulte , il Tinterroge, il le fupplie, un eoup-d'œil fulîlt , il entend les figues de fa volonté : fans avoir , comme l'homme, la lumière de la penfée , il a route la chaleur du fentiment ; il a de plus que liïi la fidélité , la conftance dans fes affeÔions ; nulle ambition, nul intérêt , nul defir de vengeance , nulle crainte que celle de dé- plaire ; il eft tout zèle , toute ardeur & toute obéiffance^plusfenfibleau fouvenir des bien- faits qu'à celui des outrages , il ne fe rebute pas par les mauvais traitemens, il les fubit, les oublie, ou ne s'en fouvient que pour s'attacher davantage ; loin de s'irriter ou de fuir , il s'expofe de lui-même à de nouvelles épreuves, il lèche cette main, inftrument de douleur qui vient de le frapper , il ne lai oppofe que la plainte , & la défarme enfin par la patience & la loumiffion. Plus docile q^ue i'hoHime , plus fouple qu'au» 2i6 Hijloire naiureîU cun des animaux , non - feuîement le chien s'inftruit en peu de temps, mais même il fe conforme aux mouvemens , aux manières , à toutes les habitudes de ceux qui lui com- mandent; il prend le ton de îa maifon qu'il habite; comme les autres domeftiques, il eft déda:gneux chez les Grands & ruftre à la campagne ; toujours empreffé pour fon maî- tre & prévenant pour fes feuls amis , il ne fait aucune attention aux gens indifFérens , &. fe déclare contre ceux qui par état ne font faits que pour importuner ; il les connoit aux vétemensjà la voix, à leurs geftes , & les empêche d'approcher. Lorfqu'on lui a con- fié pendant la nuit la garde de la maifon , il devient plus fier , & quelquefois féroce ; il veille, il fait la ronde; il fent de loin les étrangers ; &. pour peu qu'ils s'arrêtent ou tentent de franchir les barrières , il s'élance , s'oppofe, 6i par des aboyemens réitérés, de* efforts &des cris de colère, il. donne l'alar- me , avertit & combat : aulîi furieux contre les hommes de proie que contre les animaux carnalîiers , il fe précipite fur eux, les blef- fe , les déchire , leur ôte ce qu'ils s'effor- çoient d'enlever ; mais content d'avoir vaincu , il fe repofe fur les dépouilles , n'y touche paSj même pour fatlsfaire fon appétit, & donne en même temps des exemples de cou- rage , de tempérance & de fidélité. On fentira de quelle importance cette ef- pèce eft dans Tordre de la nature , en fuppo- fant un inftant qu'elle n'eût jamais exiité. Comment l'homme auroit-il pu , fans le fe- cours du chien , conquérir » dompter, réduire au cliun, TLXy en efcîavage les autres animaux ? comment pourroit-il encore aujourd'hui découvrir, chafler, détruire les bètes fauvages & nui- fibles?Pour fe mettre en sûreté, & pour Te rendre maître de l'univers vivant , il a fallu commencer par fe faire un parti parmi les animaux, fe concilier avec douceur & par carefles ceux qui fe font trouvés capables de s'attacher & d'obéir, afin de les oppoferaux autres. Le premier art de l'homme a donc été l'éducation du chien , & le fruit de cet art la conquête & lapofleffion pailible de la Terre. La plupart des animaux ont plus d'agilité, plus de vîtefîe , plus de force & même plus de courage que l'homme ; la Nature les a mieux munis, mieux armés ; ils ont auiîi les fens» & furtout Todorat , plus parfait. Avoir gagné une efpèce courageufe &: docile comme celle du chien , c'eft avoir acquis de nouveaux iens & les facultés qui nous manquent. Les machines , les inftrumens que nous avons ima- ginés pour perfectionner nos autres fens , pour en augmenter l'étendue , n'approchent pas , même pour l'utilité, de ces machines tou- tes faites que la Nature nous préfente , & qui en fuppléant à l'imperfedion de notre odorat , nous ont fourni de grands & d'éter- nels moyens de vaincre & de régner : & le chien fidèle à l'homme , confervera toujours une portion de l'empire, un degré de fupério- rité fur les autres animaux ; il leur com- mande , il règne lui-même à la tête d'un troupeau , il s'y fait mieux entendre que la voix du berger ; la sCu-eté > Tordre & ia 2i8 Hijloin. natUTtlU difcipline font les fruits de fa vigilance & de ion adivité ; c*eft un peuple qui lui eft fournis , qu'il conduit , qu'il protège , & con- tre lequel il n'emploie jamais la force que pour y maintenir la paix. Mais c'eft iurtour à la guerre, c'eft contre les animaux enne- mis ou indépendans , qu'éclate fon courage, & que fon intelligence fe déploie toute en- tière : les talens naturels fe réuniflent ici aux qualités acquifes. Dès que le bruit des armes fe fait entendre, dès que le fon du cor ou la voix du chaifeur a donné le fignai d'une guerre prochaine , brillant d'une ardeur nous'elle le chien marque l'a joie par les plus vifs traniportSj il annonce par fcs mou- vemens & par {qs. cris l'impatience de com- battre & le defir de vaincre; marchant en- fuite en filence , il cherche à reconnoître le pays, à découvrir, à furprendre l'ennemi dans fon fort ; il recherche fes traces , il les fuit pas-à-pas , & par des accensdifférens indi- que le temps , la diftance , l'efpèce, & même l'âge de celui qu'il pourfuit. Intimidé, prefTé, défefpérant de trouver fon falut dans la fuite , l'animal ( * ) fe ferî aulîi de toutes fes facultés, il oppole la ru fe à la fagacité : jamais les reffources de TinC- tin6t ne furent plus admirables : pour faire perdre fa trace , il va vient & revient fur les pas ; il fait des bonds , il voudroit fe détacher de la terre & fupprimer les éfpa- *- Voyez l'hiftoire du ccrf^ volume II de cette hiC» t«ix& n»uidll«^ dtl chien* iî^ ces ; il franchit d'un l'aut les routes , les haies , paiTe à la nage les ruilleaux , les ri- vières; mais toujours pourfurvi , & ne pou- vant anéantir Ion corps , il cherche à en met- tre un autre à fa place j il va lui-même trou- bler le repos d*un voifin plus jeune & tnoins expérimenté, le faire lever, marcher, fuir avec lui ', & lorfqu'ils ont confondu leurs traces , lorfqu'il croit l'avoir fubftitué à fa mauvaife fortune , il le quitte plus bruf» quement encore qu'il ne l'a joint , afin de le rendre feul l'objet & la vi6time de l'en- nemi trompé. Mais le chien, par cette fupériorité que donnent l'exercice & l'éducation , par cette fîneffe de fentiment qui n'appartient qu'à lui , ne perd pas l'objet de fa pourfuite ; il démêle les points communs, délie les nœuds du fil tortueux qui feul peut y conduire ; il voit de l'odorat tous les détours du labyrinthe , toutes les faufles routes où l'on a vouluTé- garer;& loin d'abandonner l'ennemi pour un indifférent, après avoir triomphé de la rufe , il s'indigne , il redouble d'ardeur , arrive enfin , l'attaque, &. le mettant à mort , étanche dans le fang fa foif & fa haine. Le penchant pour la chaffe ou la guerre nous efl commun avec les animaux ; l'homme fauvage ne fait que combattre & chafTer. Tous les animaux qui aiment la chair , & qui ont de la force & des armes , chaffent naturellement : le lion , le tigre , dont la foce eft fi grande qu'ils font sûrs de vain- cre, chaffent feuls & fans art; les loups, les renards , les chiens fauvages fe réunif- î^O Hijloln naturelk. ^ent , s'entendent, s'aident, fe relaient & par- tagent la proie ; &: lor(que l'éducation a perfeâionné ce talent naturel dans le chien domeftique , lorfqu'on lui a appris à répri- îTier fon ardeur , à mefurer fes mouvemens, qu'on l'a accoutumé à une marche régulière éi à refpèce d-e discipline néceffaire à cet art, il chaffe svec méthode , & toujours avec fuccès. Dans les pays déferts , dans les contrées déptupl-ées, il y a des chiens fauvages qui, pour les mœurs , ne diffèrent des loups que par la facilité qu'on trouve à les apprivoi- ser ; ils fe réunifient auiîi en plus grandes troupes pour chafTer & attaquer en force les fangliers, les taureaux fauvages & même les lions &: les tigres. En Amérique , ces chiens fauvages font de races anciennement clomeftiques , ils y ont été tranfportés d'Eu- rope , & quelques-uns ayant été oubliés ou abandonnés dans ces déferts , s'y font snultipliés au point qu'ils ie répandent par troupes dans les contrées habitées , où ils attaquent le bétail & infultent même îes hommes : on eft donc obligé de les écar- ter par la force , & de les tuer comme les autres bétes féroces ; & les chiens font tels en effet , tant qu'ils ne connoifTent pas les hommes : mais lorfqu'on les approche avec douceur, ils s'adouciffent , deviennent bien- tôt familiers , ^ demeurent fidèlement atta- chés à leurs maîtres ; au lieu que le loup , ïjuoique pris jeune & élevé dans les mai- ions, n'eft doux que dans le premier âge, «e perd jamais fon goût pour la proie , & fe dtt chien, 131 l'ivre tôt ou tard à fon penchant pour la ra- pine &. la cleftru(5lion. L'on peut dire que Je chien eft le feul ani- mal dont la fidélité foit à l'épreuve : le feul qui connoifle toujours fon maître & les amis «le la maifon ; le feul qui , lorfqu'il arrive un inconnu , s'en apperçoive ; le feul qui entende fon nom , & qui reconnoiffe la voix domeftique; le feul qui ne fe confie point à lui-même; le feul qui, lorfqii'il a perdu fon maître, & qu'il ne peut le trouver , l'appelle par fes gémilTemens ; le feul qui, dans un voyage long qu'il n'aura fait qu'une fois , fe fouvienae du chemin & retrouve la rou- te ; le feul enfin dont les talens naturels foient évidens & l'éducation toujours heu- reufe. Et de même que de tous les animaux , le chien eft celui dont le naturel eft le plus fufceptible d'impreffion , & fe modifie le plus aifément par les caufes morales , il eft aufîî de tous celui dont la nature eft le plus fu- jette aux variétés & aux altérations caufées par les influences phyfiques : le tempéra- ment, les facultés, les habitudes du corps varient prodigieufement , la forme même n'eft pas confiante : dans le même pays un chien eft très différent d'un autre chien , & l'efpèceeft, pourainfi dire, toute différente d'elle-même aans les différens climats. De-là cette confufion , ce mélange & cette variété de races (i nombreufes, qu'on ne peut en faire l'énumération , de-là ces différences fi marquées pour la grandeur de la taille , la figure du corps, l'alongement du mufeau^. 132, Hijloirt namrelU la forme de la tête, la longueur & la direc- tion des oreilles & de la queue , la couleur, la qualité, la quantité du poil , &c. enforte qu'il ne refte rien de confiant , rien de com- mun à ces animaux que la conformité de Torganifation intérieure , & la faculté de pouvoir tous produire enfemble. Et comme ceux qui diffèrent le plus les uns des autres à tous égards, ne laiflent pas de produire des individus , qui peuvent fe perpétuer en pro- duifant eux-mêmes d'autres individus, il eil évident que tous les chiens^ quelque difte- rens , quelque variés qu'ils foient j ne font ■qu'une feule & même efpèce. Mais ce qui eft difficile à faifir dans cette ïiombreufe variété des races différentes, c'eft ie caractère de la race primitive , de la race originaire, de la race mère de toutes les autres races ; comment reconnoitre les ef- fets produits par l'influence du climat, de la nourriture , &.c. ? comment les diftinguer en- core des a^atres effets , ou plutôt des réful- tats qui proviennent du mélange de ces différentes races entr'elles , dans l'état de li- berté ou de domefticité ? En effet , toutes ces caufes altèrent , avec le temps , les for- mes les plus confiantes; & l'empreinte de la Nature ne conferve pas toute fa pureté dans les objets que l'homme a beaucoup ma- niés. Les animaux afTez indépendans pour choifir eux-mêmes leur climat & leur nour- riture , font ceux qui confervent le mieux cette.empreinte originaire; & l'on peut croire que, dans ces efpèces, le premier, le plus SKîcien de tous , nou6 efl encore au- jourd'hui du chien, ^y^ jourd'hui aiïez fidèlement repréfenté par fes defcendans ; mais ceux que l'homme s'eft fournis, ceux qu'il a tranfportés de climats en climats , ceux dont il a changé la nour- riture , les habitudes & la manière de vivre , ont aulH du changer pour la forme ^ plus que tous les autres ; I6l l'on trouve en effet bien plus de variété dan^ les efpèces d'animaux domeftiques que dans celles des animaux fau- vages. Et comme parmi les animaux domef- tiques le chien eft , de tous, celui qui s'efl attaché à l'homme de plus près ; celui qui ^ vivant comme l'homme , vit aufli le plus ir-- réguliérement; celui dans lequel le fenti- ment domine allez pour le rendre docile ^ obéifTant & fufceptible de toute impreffion,. & même de toute contrainte; il n'eft pas étonnant que de tous les animaux ce foir aulîi celui dans lequel on trouve les plus grandes variétés pour la figure ^ pour la^ taille, pour, la couleur & pour les autres- qualités. Quelques- circonfiai-îces concourent en- core à cette altération : le chien vit alTezpeu' de temps , il produit fouvent & en afîez granct- nombre ; & comme il eA perpétuellement fous les yeux de l'homme , dès que , par uà' hafard allez ordinaire à la Nature , il fe fera^ trouvé dans quelques individus des fmgula- rites ou des variétés apparentes , on aura:, tâché de les perpétuer en unifiant enfemble ces individus finguliers , comme on le fait encore aujourd'hui lorfqu'on veut fe procu- rer de nouvelles races de chiens & d'autres animaux.. D'ailleurs, quoique toutes ks ef- Y 2 J4 Hijioirc naturdlt pèces foient également anciennes, îe noirr- bre des générations , depuis la création , étant beaucoup plus grand dans les erpéces dont les individus ne vivent que peu de temps ^ les variétés ^ les altérations , la dégénération même doivent en être devenues plus fenfi- bles , puifque ces animaux font plus loin de leur fouche que ceux qui vivent plus long- temps. L'homme eft aujourd'hui huit fois plus- près d'Adam que le chien ne l'eft du premier chien , puiique l'homme vit quatre-vingts ans, & que le chien n'en vit que dix;^ fi donc , par quelque caufe que ce puifTe être , ces deux eipèces tendoient également à dé- générer, cette altération feroit aujourd'hui huit fois plus marquée dans le chien que dans- î'homme. Les petits animaux éphémères , ceux dont la vie qft fi courte qu'ils fe renouvellent tous les ans par la génération , font infini- aient plus fujets que les autres animaux aux variétés & aux altérations de tout genre; il en eu de même des plantes annuelles en. comparailon des autres végétaux , il y en a même dont la nature eft , pour ainfi dire , artificielle & faiStice. Le blé , par exemple ». eft une plante que l'homme a changée au point qu'elle n'exifte nulle part dans l'état dénature : on voit bien qu'il a quelque rap- port avec l'ivroie , avec les gramens ^ les chiendents & quelques autres herbes des- prairies ; mais on ignore à laquelle de ces herbes on doit le rapporter: & comme il fe- renouvelle tous les ans, & que, fervant de; ïSLOurriture à l'hom^me ,, il eft de toutes les> du CliUn^ ^|(ç pîanfes celle qu'il a le plus trâvaHlée , il eft aufTi de toutes celles dont la nature eft le plus altérée. L'homme peut donc no^-feule- lîient faire fervir à fes befoins , à fon ufage , tous les individus de l'Univers , mais il peut encore, avec le temps , changer, modifier èi perfeaionner les efpèces ; c'eft même le plus beau droit qu'il ait Oir la Nature. Avoir transformé une herbe ftérile en blé , eft une efpèce de création dont cependant il ne doit pas s'enorgueillir , puifque ce n'eft qu'à \% lueur de Ton front & par des cultures réité- rées qu'il peut tirer du fein de la terre ce paiiî iouvent amer , qui fait fa fubfiftanee. Les efpéces que l'homme a beaucoup tra- vaillées , tant dans les végétaux que dand ït^ animaux , font donc celles qui de tou- tes font le plus altérées ; & comme quel- quefois elles le font au point qu'on ne peur reconnoitre leur forme primitive , comme- ^ans le blé , qui ne reffembie plus à la plante dont il a tiré fon origine, il ne feroit pas- rmpolfible que dans la nombreufe variété des- ehiens que nous voyons aujourd'hui il n'y en eut pas un feul de femblable au premier eiien, ou plutôt au premier animal de cette- elpece, qm s'eft peut-être beaucoup altérée depuis la création , & dont la fouche a pu par coniéquent être très différente des races tfuifubfiilentaauellement^ quoique c-s races- en foient originairement toutes égalemtnt pro venues^ La Nature cependant ne mpnqufî inmais-- de reprendre fes droits dès qu'on la la'.lfe agiif <5a liberté ; le froQ^ent jeté fur uk- uT-i ±3^ TTiJloln nanirdU inculte dégénère à la première année : fi rôS' recueilloit ce grain dégénéré pour le jeter de même , le produit de cette féconde géné- ration feroit encore plus altéré.; & au bout d'un certain nombre d'années & de repro- ductions l'homme verroit reparoître la plante orginaire. du froment , & faiiroit combien il faut de temps à la. Nature pour détruire. Je produit d'un art qui la contraint , &: pour fe. réhabiliter. Cette expérience feroit affez. facile à faire fur le blé & fur les autres plantes qui tous les aiTS fe reproduifent , pour ainfi dire , d'elles-mêmes y dans le même lieu; mais il ne feroit guère polTible de la tenter, avec quelque efpérance de fuccès , fur les animaux qu'il faut rechercher, ap- pareiller., unir, & aui font difficiles à ma- nier, parce qu'ils nous échappent tous plus ©u moins par leur ipouvement , & par la répugnance fou vent invincible, qu'ils ont pour les chofes qui font contraires à leurs habi- tudes ou à leur naturel. On ne peut donc pas efpérer de favoir jamais par cette voie quelle eft la race primitive des chiens , non plus que celle des autres animaux , qui ,. comme le chien > font fujets à des variétés permanentes; mais au défaut de ces connoif- lances de faits qu'on ne peut acquérir, & qui cependant feroient nécefîaires pour ar- river à la vérité , on peut raffembler des ir^ diees , & en iixox des conféquences vraifen> blables. Les chiens qui ont été abandonnés dans les folitudes de l'Amérique , & qui vivent eoc chiens fauvages depuis cent ciuquante du chien, y]/' ow deiTv cents ans , quoique orignavres àçr races altérées,: puifqu'ils font provenus des chiens domeftiqiies , ont dû ^ pendant ee long- eipace de temps , Te rapprocher au moins en partie de leur forme primitive ; cepen- dant les voyageurs nous dïfent qu'ils reffem- blent à nos Lévriers ( tz ) ; ils diîent la même chofe des chiens fauvages ou devenus fau- vages à Congo- ( ^ ) qui , comme ceux d'Ame.- rique, fe raitemblent par troupes pour faire la guerre auxtigres , aux lions ,. &c. mais d'autres, fans comparer les chiens fauvages de Saint- Domingue aux lévriers ,.di{ent feulemeut (c) qu'ils ont pour l'ordinaire la tête plate & longue , le mufeau efiilé , l'air fauvage , le corps mince & décharné > qu^ils font très légers à la courfe y qu'ils cJiaflént en per- .feclion , qu'ils s'apprivoifent aifément en les^ prenant tout petits ; ainfi , ces chiens fau- vages font extrêmement maigres & légers ; & comme le lévrier ne diffère d'ailleuts qu'affez peu du mâtin ou du chien que nous appelions chien dc.berger, on peu croire que ces chiens fau- vages font plutôt de cette efpèceque devrais lé- vriers ; parce que d'autre côté les anciens voya- geurs ont dit que les chiens naturels du Canada a-voient les oreilles droites comme les renards , & reiïembloient aux mâtins de médiocre gran» {a) Voyez l'hiftoire des aventuriers Fltbuftiers , par Oexinelin, Paris, i656, in- 12, tome I , page 112. (b) Hiftoire générale àe% voyages , par l'abbé Pre- Yoft , rn-4**. tome I , pags 86. (c) Nouveaux voyages aux ifles d€ l'Amérique, Pa- lis, 1721, tome Yj page 1951 2} s Hïfloin naf unité deur (^f/) de nos villageois, c'eft-à-dire ;. à nos chiens de berger ; que ceux des fau- vages des Antilles avoient aiiffî la tête & les oreilles fort longues , & approchoient de îa forme des renards ( e ) ; que les Indiens du Pérou n'avoïent pas toutes les efpèces de chiens que nous avons en Europe , qu'ils en avoient feuletnent de grands & de petits qu'ils nommoient Alco ( /^ ) ; que ceux de rifthme de l'Amérique étoient laids , qu'ils avoient le poil rude & long, ce qui fup- pofe aulîr les oreilles droites ( g^). Ainfi, on ne peut guère douter que les chiens originaires d'Amérique, & qui avant la dé- couverte de ce nouveau monde n'avoient eu aucune communication avec ceux de nos climats , ne fuffent tous , pour ainfi dire , d*une feule & même race j & que de toutes les races de nos chiens celle qui en approche le plus ne foit celle des chiens à mufeau eiîiié , à oreilles droites & à long poil rude comme les chiens de berger ;. & ce qui me fait croire encore que les chiens devenus feuvages à Saint - EXomingue , ne font pas de vrais lévriers , c'eft que comme les lévriers (if) Voyage du pays des Hurors , par Sabard Théo- dcit, Recollet. Paris lô'ji, pages 510 & 311. (e) Hiftoire générale des Antilles, par le PL du Tef'^ rre. Paris, 1667, tome II, page joS. (/) Hifioire des Incas, Paris , 17-44, tomel, page ■365. Voyage de Wafer , imprimé à la fuite de ceux de Dampier , tome IV, page 225. (f) Nouveaux voyages aux ifles de l'Amérique» Par fis, 1:722,, tom, V , pa^e 1^.5., du Chhn\- f^^ (ont aïTez rares en France ^ on en tire pour le Pvoi , de Conftantinople & des autres en- droits du Levant , & que je ne fâche pas qu'on en ait jamais fait venir de Saint Domingue ou de nos autres colonies d'xA.méri.]ue, D'ail- leurs , en recherchant dans la même vue ce que les voya|.^eurs ont dit de la forme des chiens des différens pays , on trouve que. les chiens des pays froids ont tous le mu- feau long & les oreilles droites ; que ceux de la Lapponie {k) font petits , qu'ils ont le poil long ,. les oreilles droites & le mu- feau pointu ; que ceux de Sibérie ( i j & ceux que l'on appelle chiens-loups , font plus gros que ceux de Lapponie , mais qu'ils ont de même les oreilles droites , le poil rude & le mufeau pointu ; que ceux dlflande {k\ font aulfi à-très- peu-près femblables à ceux de Sibérie , & que de même , dans les cli- mats chauds , comme au cap de Bonne-ef- pérance (^ / ) , les chiens naturels du pays- ont le mufeau pointu , les oreilles droites ^ la queue longue & traînante à terre , 1# poil clair , mais long & toujours hérilfé ; que ces chiens font excellens pour garderies trou- peaux, & que par conféquent ils reffemblenr non- feulement par la figure, mais encore par (A) Voyage delà Martiniere, Paris , x6yi , page 75', B Genio vacante. Parma , 1691 , vol. Il, page ij. (i) Voyez la planche du chien de Sibérie. (k) Voyez celle du chien d'Ida, de. (/) Defcription du cap de Bonne- efpérance » paff Kolbe, Amfterdam ,. 1741 , 1rs partie, page 304, 24^ Hijîcin natureih ï'inftin£k à nos chiens- de berger^ que darrsF d^autres climats encore plus chauds , comme à Madagalcar ( m ) , à IVladuré { n) y à Ca- licut ( 0 ) , à Malabar (/?) y les chiens ori- ginaires de ces pays ont tous le mufeau long , les oreilles droites , & reffemblent encore à nos chiens de berger ^ que quand même on y traniporte des mâtins , des épa- gneuls , des barbets , des dogues , des chiens courans , des lévriers , &c. ils dégénèrent à la féconde ou à la troifième génération y qu'enfin dans les pays exceffivement chauds y comme en Guinée { q) ■, cette dégénération ei\ encore plus prompte ^ puifqu'au bout de- trois ou quatre arrs ils perdent leur voix y qu'ils ne produifent plus que des chiens à oreilles droites comme celles des renards '^ que les chiens du pays font fort laids, qu'ils ont le mufeau pointu, les oreilles longueS' & droites, la queue longue & pointue , fans aucun poil , la peau du corps nue , ordinai- rement tachetée & quelquefois d'une feule couleur , qu'enfin ils font défagréables à la. Yue & plus encore au toucher. On peut donc déjà préi'umer avec quel^- (m) Voyage <3e Flacourt. Paris, r66i , p. l'^^. (n) Voyage d'inigo de Biervillas. Paris 1736 , Ire partie , page 178. (0) Voyage de François Pyrard. Paris, 1619, tome I, page 4i6. (p) Voyage de Jean Ovington. Paris ^ ijz^ , tomel, page 176. (g) Hiftoire générale des voyages , par M. Vabbé Frevoft > tome IV > pag.e 22.9. que * du chien ,14 1 ^iic \-râlft;mblance , que le chien de berger ci\ de tous les chiens celui qui approche \c plus de la race primitive de cette efpèce ^ puifque dans tous les pays habités par des nommes fauvages , ou même à demi civi- îifés, les chiens reflemblent à cette forte de chiens plus qu'à aucune autre; que dans le continent entier du nouveau monde il n'y «n avoit pas d'autres , qu'on les retrouve feuls de même au nord & au midi de notre continent , & qu'en France où on les ap- pelle communément chiens de Brie , & dans les autres climats tempérés , ils font encore en grand nombre , quoiqu'on fe foit beau- coup plus occupé à faire naître ou à multi- plier les autres races qui avoient plus d'a- grém.ent , qu"'à conferver celle-ci qui n'a que de l'utilité , & qu'on a par cette raifon dé- daignée, & abondonnée aux payfans char- gés du foin des troupeaux. Si Ton confidèrc aulîi que ce chien , malgré fa laideur & fon air trifte &fauvage, eft cependant fupérieur par rinftinâ: à tous les autres chiens, qu'il a un cara£^ere décidé auquel l'éducation n'a point de part ; qu'il eft le feul qui naiffe , pour ainfi dire , tout élevé ; & que guidé par le feul naturel, il s'attache de lui-même a la garde des troupeaux avec une afliduité , une vigilance , une fidélité fmguliere ; qu'il les conduit avec une intelligence admirable & non communiquée ; que fes talens font l'étonnemeht & le repos de fon maître , tan- dis qu'il faut au contraire beaucoup de temps & de peines pour inftruire les autres chiens & Quadrupèdes* Tome L X 54 i Hijloin natunlU les drefler aux ufages auxquels on îesdeftine; on fô confirmera dans i'opinion que ce chien çft le vrai chien de Ja Nature , celui qu'elle nous a donné pour la plus grande utilité , celui qui a le plus de rapport avec l'ordre gcnéral des êtres vivans , qui ont mutuelle- ment befoin les uns des autres , celui enfin qu^on doit regarder comme la f'ouche & le modèle de PeTpèce entière. Et de même que l'efpèce humaine paroît agrefte, contrefaite & rapetiffée dans les cli- mats glacés du nord i qu'on ne trouve d'abord que de petits hommes fort laids en Lapponie , en Groenland , & dans tous les pays où le froid eft excelfif; mais qu'enfuite dans le cli* mat voifin & moins rigoureux on voit tout- à-coup paroître la belle race des Finlandois » des Danois , &c. qui par leur figure , leur couleur & leur grande taille, font peut-être les plus beaux de tous les hommes ; on trouve aulH dans refpèce des chiens le même ordre & les mêmes rapports. Les chiens de Lapponie font très petits , &: n'ont pas plus d'un pied de longueur ( r). Ceux de Sibérie , quoique moins laids , ont encore les oreilles droi- tes & l'air agrefte & fauvage , tandis que Aans le climat voifm où Ton trouve les (/) peaux hommes dont nous venons de parler j on trouve auiTi les chiens de la plus belle (r) ïl Genio vagante , vol. 11, page l?. {s) Vojer le ciquième volume de cette Hifloire na^ turellc» àVajtiçU df$ variétés de refpèce humaine. du Chun, -ft45 ta de la plus grande taille. Les chiens de Tartarie , d'Albanie , du nord , de la Grèce » du Danemarck , de Tlrlande , ibnt les plus grands, les plus forts & les plus puiffaûs de tous les chiens : on s'en fert pour tirer des voitures. Ces chiens ijue nous appelions ckiens d'Irlande , ont une origine très ancienne, &, (e font maintenus , qtioiqu*en petit nom- bre ^ dans le climat dont ils font originaires. Les Anciens les appelloient chiens d'Epire, chiens d'Albanie ; S: Pline rappone , en termes aulTi elégans qu'énergiques, le combat d'un de ces chiens contre un lion , & enfuite con- tre un éléphant ( t). Ces chiens font beaucoup plus grands que nos plus grands mâtins : comme ils font fort rares en France, je n'en ai ja- mais vu qu'un , qui me parut avoir ^ tout affis , près de cinq pieds de hauteur, & relTembler pour la forme au chien que (t) Indlam petenti AUxsndro magno , Rex Alhanùt Aono dederat inufitdtx. mae;nitudin.is unum , cujus fpccie dcUâatus , juIJit urfos, mox apros & dtlnde damas anitti ^ conumptu immohlii jaanu eo ; ^uâ ftptit'u tunti corpo- ris offcnfiis ivipcrator generoji fpir'uûs , eitm intcriml juj'- fit. Nunciavk hcc fama régi ; itaquc alterum mituns ^ addidit mandata ne in parvis experiri veUet , pd in liO" ne , clcphantort ; duos /îhi fuijfe ; hoc incerempto , prx' ttrca nullum fore. Nic difiulit Aleaandcr ^ Uoncinqur fra^um protiniis vidit. Pofieà eiepkantum ju[fit induci^ haud alio magis fpeâaculo lg.tatus. Horrcntibus quippc ptr totum corpus villis ingenti primùm latrtLvu intonuit , moxque incrcvit ajjultans , contraquc bdluaTn exfurgens hinc & iilinc artiftci dimicationc , quâ maxime , opus effets infefians atquc evitans , doncc ajjidud rotatam vcrtigine, affiixit , ad cafurti cjus uUure. concufsâ, Plin. hi/l, nat, Uk. VUL X 2 î44 Hîfloirc natunlU, nous appelions ^r.ind danois ( « "^ ; mais îî ert difFéroit beaucoup par l'énormité de fa taille, il étoit tout blanc & d'un naturel doux & tranquille. On trouve enfuite dans les en- droits plus tempérés , comme en Angleter- re, en France , en Allemagne , en Efpa- gne , en Italie, des hommes & des chiens 3e toutes fortes de races : cette variété pro- vient en partie de l'influence du climat , & en partie du concours & du mélange des races étrangères ou différentes entr'elles , qui ont produit en très grand nom- bre des races métives ou mélangées dont nous ne parlerons point ici , parce que M. Daubenton (,^), les a décrites & rappor- tées chacune aux races pures dont elles pro- viennent ; mais nous obferverons , autant qu'il nous fera pofible , les rlfemblances & les différences que l'abri , le foin , la nour- riture & le climat ont produites parmi ces animaux. ^ Le grand danois {y) , le mâtin (^) Ôc le lé- vrier {a) , quoique difîérens au premier coup- cl'œil,ne font cependant que le même chien: le grand danois n'efl qu'un mâtin plus four- ni , plus étoffé; le lévrier, un mâtin plus délié, plus efnlé, & tous deux plus foignés; (u) Voyez la planche du grand danois. (*) Voyez vol. X de cette Hift. nat. de l'éditioa en trente-un volumes. {y) Voyez la planche du grand danois. (^) V. celle du mâtin, (a) V. celle du lévrier. âîi ch'un, a4j & il tCy a pas plus de difFérence entre uft chien grand danois , un mâtin & un leVrier , qu'entre un Hollandois , un François & uft Italien. En fuppofant donc le mâtin origi- naire ou plutôt naturel de France , il aura produit le grand danois dans un climat plus froid , & le lévrier dans un climat plus chaud; & c'eft ce qui fe trouve auffi vérifié par le fait , car les grands danois nous viennent du nord , & les lévriers nous viennent de Conf- tantinople & du Levant. Le chien de ber- ger (^) , le chien-loup (c), & l'autre efpèce de chien-loup que nous appellerons chien de Sibérie (i), ne font aulîi tous trois qu'un même chien : on pourroit m.ême y joindre le chien de Lapponie , celui de Canada , ce- lui des Hottentots & tous les autres chiens qui ont les oreilles droites ; ils ne diffèrent en effet du chien de berger que parla taille', & parce qu'ils font plus ou moins étoffés', & que leur poil eft plus ou moins rude, plus ou moins long & plus ou moins fourni. Le chien courant (e) , le braque (/) , le baffet {g) , le barbet (Ji) 3 & même l'épagneul {ï) , peu- vent encore être regardés comme ne faifant (Jb) Voyez la planche du chien de berger, (c) V. celle du chien-loup. {d) V. celle du chien de Sibérie. {c) V. celle du chien - courant, (/)V.ce!Ie du braque. Ig) V. celle du baffet. (A) V. celle du barbet. (i) V. celle de l'épagneul. â4^ Hîfioin naturtlli i|u'un même chien ; leur forme & îetîr feif- tin6l font à-peu-près les mêmes , & ils ne Giflèrent entr'eux que par la hauteur des jam- bes , & par l'ampleur des oreilles qui dans tous font cependant longues , molles & pen- dantes: ces chiens font naturels a ce climat, & je ne crois pas qu'on doive en féparer le ]:)raque qu'on appelle chien de Bengale (k) , qui fie diffère de notre braque que par la robe. Ce qui me fait penfer que ce chien n'eft pas originaire de Bengale ou de quelqu'autre en- cboit des Indes , & que ce n'eft pas , com- me quelques-uns le prétendent , le chien in- dien dont les anciens ont parlé , & qu'ils diibient être engendré d'un tigre & d'une chienne, c'e^ que ce même chien étoit con- nu en Italie il y a plus de cent-cinquante anSj & qu'on ne le regardoit pas comme un chien venu des Indes , mais comme un bra- que ordinaire : Canîs fagax ( vulgô brachus ) dit Aldrovande , an unius vel varii colons fit parum refert', m I^alïâ eléptur varias & maculofœ lynci perftmïlis ^ cum tamtn niger color vel albus Aut fulvus non fit fpemendus{}). L'Angleterre / la France , l'Allemagne , &c, paroiiTent avoir produit le chien cou- rant, le braque &: le baffet^ ces chiens mè- ne dégénèrent dès qu'ils font portés dans des climats pli^ chauds, comme en Turquie, en Perfc ; mais les épagneuis & les barbets {h.) V. la planche da chien de Bengale. (/) Ulyjfis Aldrovanài f d< où la température du climat fait que le poil de tous les animaux eft plus long , plus foyeux & plus fin que dans tous les autres pays. Le dogue (m) , le chien (/i) que l'on appelle pc- tit daruns ( mais fort improprement , puii'qu'il n'a d'autre rapport avec le grand danois que d'avoir le poil court ) , le chien-turc (o) , Ôt îi l'on veut encore , le chien d'Iilande (/?) » ne font auflî qu'un même chien qui , tranf- Îiorté dans un climat très froid comme l'If* ande , aura pris une forte fourrure de poil > & dans les climats très chauds de l'Afrique & des Indes , aura quitté fa robe ; car le chien fans poil , appelle chien-turc, eft en* COYQ mal nommé, ce n'eft point dans le cU* mat tempéré de la Turquie que les chiens Î>erdent leur poil , c'eft en Guinée & dans es climats les plus chauds des Indes que ce changement arrive ; & le chien - turc n'efl autre chofc qu'un petit danois qui , tranf- porté dans les pays exceffivement chauds , aura perdu fon poil , &: dont la race aura en- fuite été transportée en Turquie , ou l'on au- ra eu foin de les multiplier* Les premiers que Ton ait vus en Europe , au rapport d'Aldro- vande , furent apportés de fon temps en Ita- lie , où cependant ils ne purent , dit - il , ni durer ni multiplier, parce que le climat étoit (m) Voyez la planche Hu dogue, (n) V. celle fin petit danois, [o] V. celle du chien-turc. [p] V. celle du chien d'Iflajide. X4 a4^ Nifioirt naturelle beaucoup trop f:oid pour eux; mais comme il ne donne pas la defcription de ces chiens nus , nous ne favons pas s'ils étoient fem- blables à ceux que nous appelions aujour- d'hui chiens-turcs , & fi l'on peut par conle- quent les rapporter au petit danois , parce que tous les chiens , de quelque race & de quelque pays qu'ils foient , perdent leur poil dans les pays excelfivement chauds (^), &, comme nous Tavons dit , ils perdent aufîî leur voix ; dans de certains pays ils font tout-à-fait muets , dans d'autres ils ne per- dent que la faculté d'aboyer , ils hurlent com- me les loups ou glapiffent comme les re- nards , ils femblent par cette altération fe rapprocher de leur état de nature , car ils changent aufli pour la forme & pour l'inf- tinft : ils deviennent laids (^z-), & prennent tous des oreilles droites & pointues. Ce n*e{t aulli que dans les climats tempérés que les chiens confervent leur ardeur ,-leur courage , leur fagacité , & les autres talens qui leur \4f\ Hifloire générale des voyages , par M. l'abbé iPcevoft , tome IV ,. page 22p. [r] Voyage delà Boulaye-le-Gouz , Paris 1 de mouton pour être mangés en feflin , dit n le P. Sabard Theodat : je me fuis trouvé i> diverfes fois à des feftins de chiens , j'a- » voue véritablement que du commence- » ment cela me faifoit horreur ; mais je n'erj » eus pas mangé deux fois que j'en trouvai %^0 Hijloirt naturtlU » la chair bonne, & de goût un peu appro» » chant de celle du porc (j) a. Dans nos climats , les animaux fauvages ^ui approchent \-i. plus du chien , & furtout du cnien à oreilles droites , du chien de berger , cjue je regarde comme la fouche Ôi le type de Teipèce entière , font le renard &le loup .: 5i comm5 la conformation intérieu- re eft prefque entièrement la même , & que les différences extérieures font afiez légères , j'ai voulu efTayer s'ils pourroient p'rodui- TC enfemble : j'efpérois qu'au moins on par* viendroit à les faire accoupler , & que s'ils ne produifoient pas des individus féconds , ils engendreroient des efpèces de mulets qui auroient participé de la nature des deux. Pour cela, j'ai fait élever une louve prife dans les bois à l'âge de deux ou trois mois , avec un mâtin de même âge ; ils étoient enfermés en- femble & feuls dans un aflez grande cour où aucune autre bête ne pouvoit entrer , & où ils avoient un abri pour fe retirer ; ils ne connoiflbient ni l'un ni Tautre aucun in- dividu de leur efpèce , ni même aucun hom- nie que celui qui étoit chargé du foin de leur porter tous les jours à manger : on les a gardés trois ans, toujours avec la même at- tention , & fans les contraindre ni les enchaî- ner. Pendant la première année , ces jeunes animaux jouoient perpétuellement enfemble & paroilToient s'aimer beaucoup; à la féconde \i\ Voyage au pays des Hvirons , par le P. Sabard Theodat, Recollet. Paris, 1632, p^igeju. du chun, 1^1 année ils commencèrent par fe dilputer la nourriture, quoiqu'on leur en donnât plus qu'il ne leuir en falloir. La querelle venoit toujours de la louve : on leur portoit de la viande & des os fur un grand plat de bois que l'on pofoit à terre ; dans l'inftant même la louve , au lieu de-fe jeter fur la viande , commençoit par écarter le chien, & prenoit enfuite le plat par la tranche fi adroitement , qu'elle ne laifToit rien tomber de ce qui étoit defîus , & emportoit le tout en fuyant \ & comme elle ne pouvoit fortir , je l'ai vue fou- vent faire cinq ou fix fois de fuite le tour de la cour , tout le long des murailles , tou- jours tenant le plat de niveau entre fes dents , & ne le repofer à terre que pour reprendre haleine & pour fe jeter fur la viande avec voracité , éc fur le chien avec fureur lorfqu'il vouloir approcher. Le chien étoit plus fort que la louve ; mais comme il étoit plus doux ou plutôt moins féroce , on craignit pour fa vie, & on lui mit un collier. Après ia deuxième année , les querelles étoient encore plus vives & les combats plus fréquens, & on mit aulli un collier à la louve que le chien commençoit à ménager beaucoup moins que dans les premiers temps. Pendant ces deux ans il n'y eut pas le moindre figne de chaleur ou de defir ni dans l'un ni dans l'autre ; ce ne fut qu'à la fin de la troifième année que ces animaux commencèrent à ref- fentirles impreffions de l'ardeur du rut, mais fans amour ; car loin que cet état les adoucit ou les rapprochât l'un de l'autre , ils n'en de- vinrent que plus intraitables & plus féroces : 2)1 Hijloire naturelle ce n'étoit plus que des hurlemens de dotr- leur .mêlés à des cris de colère ^ ils maigri- rent tous deux en moins de trois femaines, fans jamais s'approcher autrement que pour fe déchirer ; enfin ils s'acharnèrent fi fort l'un contre Tautre , que le chien tua la lou- ve qui étoit devenue la plus maigre & la plus foible , & Ton fut obligé de tuer le chien quelques jours après y parce qu'au ma- rnent qu'on voulut le mettre en liberté , il fit un grand dégât en fe lançant avec fureur fur les volailles, fur les chiens, & même fur les hommes. J'avois dans le même temps des renards , deux mâles & une femelle, que Ton avoit pris dans des pièges , & que je faiibis garder loin les uns des autres dans des lieux féparés : j'avois fait attacher l'un de ces renards avec une chaîne légère mais aflez longue, & on lui avoit bâti une petite hutte où il fe met- toit à l'abri. Je le gardai pendant plufieurs mois, il fe portoit bien; & quoiqu'il eût r.air ennuyé & les yeux toujours fixés fur la campagne qu'il voyoitde fa hutte, il ne laif- foit pas de manger de très grand appétit. On lui préfenta une chienne en chaleur que l'on avoit gardée, & qui n'avoit pas été couverte ; 6i comme elle ne vouloit pas refter auprès du renard, on prit le parti de l'enchaîner dans le même lieu , & de leur donner largement à manger. Le renard ne la mordit ni ne la maltraita point; pendant dix jours qu'ils de- meurèrent enfemble, il n'y eut pas la moindre querelle , ni le jour ni la nuit , ni aux heures du repas y le renard s'approchoit même ali'eifa- du chun, i^J îfiîliérement , mais dès qu'il avoit flairé de trop près fa compagne , le figne du defir dif- paroilToit & il s'en retournoit triûement dans fa hutte; il n'y eut donc point d'accou- plement. Lorfque la chaleur de cette chienne fut paflee , on lui en fubftitua une autre qui venoit d'entrer en chaleur , & enfuite une troifième & une quatrième. Le renard les traita toutes avec la même douceur, mais avec la inême indifférence ; & afin de m'alTurerfi c'é- toit la répugnance naturelle ou Tétat de contrainte où il étoit qui Tempêchoit de s'ac- coupler , je lui fis amener une femelle de fon efpèce , il la couvrit dès le même jour plus d'une fois , & nous trouvâines , en la dif- féquant quelques femaines après qu'elle étoit pleine , & qu'elle auroit produit quatre petits renards. On préfenta de même fucceffivement à l'autre renard plufieurs chiennes en cha- leur, on les enfermoit avec lui dans une cour où ils n'étoient point enchaînés ; il n'y eut ni haine, ni amour, ni combat, ni careffes, & ce renard mourut au bout de quelques mois de dégoût ou d'ennui. Ces épreuves nous apprennent au moins que le renard &; le loup ne font pas tout- à~fait de la même nature que le chien ; que ces efpèces non feulement font différentes , mais féparées ôcalTez éloignées pour ne pou- voir les rapprocher , du moins dans ces cli- mats; que par conféquent le chien ne tire pas fon origine du renard ou du loup j & que les nomenclateurs (/) qui ne regardent [c] Cani$ caudâ {fmijirorfum) recurvd ^ le chien. CanU ^^4 Hïjloirc natiiTclU ces deux animaux que comme des chiens fauvages , ou qui ne prennent le chien que pour ualoup ou un renard devenu domei- tique. Oc qui leur donnent à tous trois le nom commun de chien, fe trompent pour n avoir pas affez confulté la nature. 11 y a dans les climats plus chauds que le nôtre , une efpèce d'animal féroce & cruel , moins différent du chien que ne le font le renard ou le loup : cet animal qui s'appelle adh/e ou chacal^ a été remarqué & aiTez bien décrit par quelques voyageurs ; on en trou- ve en grand nombre en Afie & en Afrique , aux environs de Trébifonde {ù) , autour du mont Caucafe , en Mingrélie (x) , en Nato- lie (y) , en Hyrcanie (:r) , en Perfe , aux In- des , à Surate (^) , a Goa , à Guzarat , à Bengale , au Congo {b) , en Guinée & en plufieurs autres endroits ; & quoique cet animal foit regardé par les naturels du pays qu*il habite , comme un chien fauvage , & que fon nom même le défigne ; comme il eft eatidâ incurva , le loup. Canls cauiâ reclâ , le renard. Linnxi fyft. nat. (tt) Voyage de GemelH Carreri, Paris, 1719, tome !, page 419. {x) Voyage de Chardin. Londres , 1686, page jô. {y) Voyage de Damont. La Haye, 1699, tome IV t page iS & fuiv, (0 Voyage de Chardin. Amfterdam , 1711 , tome H, page 29. {a) Voyage d'Inigo de Biervillas. Paris, 1736, part, Içre , page 178. (è) Voyage de Bofman , pages 241, 531 & 331; voyage iii pcre Zuchel , capucin > pag« 293. ' du chien, 15 y très douteux qu'il fe mêle avec les chiens , 6: qu'il puifîe engendrer ou produire avec eux, nous en ferons l'hiûoire à part, com- me nous ferons aufîî celle du loup > celle du renard & celle de tous les autres ani- maux qui ne fe mêlant point enfemble , font autant d'efpèces diftin6les & fcparées. Ce n*eft pas que je prétende d'une manie* re décifive 6c abfolue , que l'adive , & mê-» me que le renard & le loup ne fe foient jamais, dans aucun temps ni dans aucun cli- mat , mêlés avec les chiens- Les Anciens raffurentaflez pofitivement pour qu'on puifle encore avoir fur cela quelques doutes , mal- gré les épreuves que je viens de rapporter; & j'avoue qu'il faudpoit un plus grand nom- bre de pareilles épreuves pour acquérir fur ce fait une certitude entière. Ariftote , dont je fuis très porté à refpefter le témoignage , dit précifément (c) qu'il eft rare que les ani- maux qui font d'efpèces différentes fe mê- lent enfemble ; que cependant il eft certaia que cela arrive dans les chiens , les renard$ & les loups; que les chiens indiens provien- nent d'une autre bête fauvage femblable & d'un chien. On pourroit croire que cette bête fauvage , à laquelle il ne donne point de nom, eft l'adive; mais il dit dans un au- tre endroit {S) que ces chiens indiens vien- nent du tigre & du chien ; ce qui me paroît encore plus difficile à croire , parce que 1^ {ç) Arift. dégénérât, dnlma.!. lib. II , cap. f, li) Arift. Ai/f. animal, Uh, VUl^ caf. $S. 1^6 Hijlckc naturelle tigre eft (î*une nature & d'une forme bien plus différentes de celles du chien , que le loup , le renard ou Tadive. Il faut convenir qu'Ariilote femble lui-même infirmer fon té- moignage à cet égard ; car après avoir dit que les chiens indiens viennent d'une bête lauvage femblable au loup ou au renard , il dit ailleurs qu'ils viennent du tigre ; & fans énoncer fi c'eft du tigre & de la chienne ou du chien & de la tigreffe , ilajoute feule- ment que la chofe ne réuflit pas d'abord , mais feulement à la troifième portée ; que de la première fois il ne réfulte encore que des tigres ; qu'on attache les chiens dans les dé- ferts, & qu'à moins que le tigre ne foit en chaleur , ils font fouvent dévorés ; que ce qui fait que l'Afrique produit fouvent des prodiges & des monftres , c'eft que l'eau y étant très rare & la chaleur fort grande , les animaux de différentes efpèces fe rencon- trent affemblés en grand nombre dans le mê- me lieu pour boire; que c'eft là qu'ils fe fa- miliarifent , s'accouplent & produifent. Tout cela me paroît conjectural , incertain & mê- me affez fufpeft pour n'y pas ajouter foi ; car plus on obferve la nature des animaux , plus on voit que l'indice le plus sur pour en juger, c'eft rinftin6l. L'examen le plus at- tentif des parties intérieures ne nous décou- vre que les groffes différences ; le cheval & râne , qui fe reffemblent parfaitement par la conformation des parties intérieures , font cependant des animaux d'une nature diffé- rente ; le taureau , le bélier & le bouc , qui ne diffèrent en rien les uns des autres pour la .du Chicn^ 257 la conformation intérieure de tous les vif- cères, font d'efpèces encore plus éloignées que l'âne & le cheval , & il en eft de même du chien , du renard & du loup. L'infpec- tion de la forme extérieure nous éclaire da- vantage ; mais comme dans plufieurs efpè- ces , & furtout dans celles qui ne font pas éloignées a il y a même à l'extérieur beau- coup plus de reffembîance que de différen- ce , cette infpe6lion ne fuffit pas encore pour décider fi ces efpèces font différentes ou les mêmes ; enfin lorfque les nuances font en- core plus légères , nous ne pouvons les fai- fir qu'en combinant les rapports de rinftinfV, C'efl en effet par le naturel des animaux qu'on doit juger de leur nature ; & fi l'on fuppofoit deux animaux tout femblables pour la forme , mais tout différens pour le natu- rel , ces deux animaux qui ne voudroient pas fe joindre , & qui ne pourroient pro- duire enfemble , feroient , quoique fembla- bles, de deux efpèces différentes. Ce même moyen auquel on eft obligé d'avoir recours pour juger de la différence des animaux dans les efpèces voifmes , efl , à plus forte raifon , celui qu'on doit em- ployer de préférence à tous autres , lorf- qu'on veut rainener à des points fixes les nombreufes variétés que l'on trouve danv la même efpêce : nous en eonnoiffons trente dans celle du chien , & affurément nous ne les eonnoiffons pas toutes. De ces trente va- riétés il y en a dix-fept que Ton doit rap- porter à l'influence du climat; favoir , le chien de berger , le chien-loup y le €hi«a ë« y 1^8 HLjîoire naturelle Sibérie , le chien d'iflande & le chien de Lap- ponie , le mâtin , les lévriers , le grand da- nois & !e chien d'Irlande, le chien courant, les braques, les baffets, les épagneuls &. le Barbet, le petit danois j le chien- turc & le dogue; les treize autres , qui font le chien- turc métis , le lévrier à poil de loup , le chien bouffe, le chien de Malte ou bichon , le ro- quet , le dogue de forte race , le doguin ou mopfe, le chien de Calabre , le burgos , le chien d'Alicante , le chien-lion , le périt bar- bet & le chien qu'on appelle artois , iflbis ou quatre-vingt , ne font que des métis qui proviennent du mélange des premiers; & en rapportant chacun de ces chiens métis aux deux races dont ils font iffus, leur nature eit dès-lors aflez connue , mais à l'égard des dix-fept premières races, fi l'on veut con- noître les rapports qu'elle peuvent avoir en- tr'elles , il faut avoir égard à l'inftiné^ , à la forme & à plufieurs autres circonflances. J'ai mis enfemble le chien de berger , le chien-loup, le chien de Sibérie , le chien de Lapponie & le chien d'Illande , parce qu'ils fe refTemblent plus qu'ils ne reffemblent aux autres par la figure & par le poil , qu'ils ont tous cinq le mufeau pointu à-peu-près comme le renard , qu'ils font les feuls qui ayent ks oreilles droites , &que leur inftin^ les porte à fuivre & garder les troupeaux. Le Mâtin , le Lévrier , le grand Danois & le chien d'Irlande ont, outre la reffemblance de la forme & du long mufeau , le même naturel , ils aiment à courir , à fuivre les chevaux > ks équipages y ils ont peu de nez , & chaf- * du Ckun, 2^0 fent plutôt à vue qu'à l'odorat. Les vrais chiens de chafTe font les chiens courans , les braques, les ba ITe ts ^ les épagneuls & les barbets ; quoiqu'ils diffèrent un peu par la torme du corps, ils ont cependant tous le muleau gros; & comme leur inftin^^ efl le même, on ne peut guère fe tromper en les mettant enfemble. L'épagneul , par exemple, a ete appelle par quelques Naturalises ,c^. ms avianustenejlrls , & le barbet , cams aviarîus nquaticus ; & en effet , la feule différence qu'il y ait dans le naturel de ces deux- chiens , f.n T% % ^^'^'f ' ^'^^^ ^^^-^ poil touffu . ong & frifeva, plus volontiers à l'eau que 1 epagneul, qui a le poil liffe & moins four- ni, ou que le trois autres qui l'ont trop court & trop clair pour ne p-as craindre de fe mouiller la peau. Enfin le petit danois & L'hir*'" V "^,P^i:^^nt manquer d'aller en- femble , pu ilqu il eft avéré que le chien-turc ?1 i"^"* a"" P'''' ?^T' qui a perdu fonpoii. feau court femble fe rapprocher di petit danois plus que d aucun autre chien, nfais qui en diffère a tant d'autres égards , qu'il paroît feul former une variété différente de toutes fnA-rr' ir P^l^fo^n^e que pour l'ini"- tnaril femble auffi affe^er un climat par- a en mamtenir la race en France; les métis qui en proviennent, & qui font le do^ue de forte race & le doguin , y réufllffent mieSx tous ces chiens ont le nez fi court qu'ils ont peu d odorat , & fouvent beaucoup d'odeur Il parou auli. que la fineffe de l'odo^-at/dans l6o Hljlûlre naturuU] les chiens, dépend de la grofleur plus qxie de la longueur du mufeau , parce que le lé- vrier , le mâtin & le grand danois , qui ont le mufeau fortalongé, ont beaucoup moins de nez que le chien courant, le braque & le balfet, & môme que l'épagneul & le barbet, qui ont tous, à proportion de leur taille , le mufeau moins long, mais plus gros que les premiers. La plus ou moins grande perfeftion des fens, qui ne fait pas dans l'homme une qua- lité éminente ni même remarquable, fait dans les animaux tout leur mérite & produit , comme caufe , tous les talens dont leur nature peut être fufceptible. Je n'entreprendrai pas de faire ici l'énumération de toutes les qualités d'un chien de chalTe , on fait affez combien l'excellence de l'odorat jointe à l'éducation, lui donne d'avantage & de fupériorité fur les autres animaux ; mais ces détails n'ap- partiennent que de loin à l'Hiftoire natu- relle; & d'ailleurs les rufes & les moyens, quoiqu'émanés de la fimple nature que les animaux fauvages mettent en œuvre pour le dérober à la recherche ou pour éviter la, pourfuite & les atteintes des chiens , font peut-être plus merveilleux que les métlio- des les plus fines de l'art de la chafle. Le chien , lorfqu'il vient de naître , n'efl pas encore entièrement achevé ; dans cette efpèce , comme dans celle de tous les ani- maux qui produifent en grand nombre , les petits au moment de leur naiflance ne font pas auffi parfaits que dans les animaux qui. a'ea produifent qu'un ou deux. Les chiviiis. ' du Oiiert, 2.6% naiffent communément avec les yeux fer- més, les deux paupières ne font pas fimple^ ment collées , mais adhérentes par une mem- brane qui fe déchire lorfque le mufcle de la paupière fupérieure eft devenu aflez fort pour la relever & vaincre cet obftacle 3 & la plupart des chiens n'ont les yeux ouverts qu'au dixième ou douzième jour. Dans ce même temps , les os du crâne ne font pas achevés , le corps eft boulH , le mufeau gon- flé, & leur forme n'eft pas encore bien def- fmée ; mais en moins d'un mois ils appren^ nent à faire ufage de tous leurs fens , & prennent enfuite de la forme & un prompt accroiffement. Au quatrième mois ils per- dent quelques uses de leurs dents qui , com- me dans les autres animaux , font bientôt remplacées par d'autres qui ne tombent plus; il$ ont en tout quarante- deux dents , favoir , fix incifives en haut & fix en bas y deux ca- nines en haut & deux en bas , quatorze ma'- chelieres en haut & douze en bas ; mais cela n'eft pas conftant, il fe trouve des chiens qui ont plus ou moins de dents mâchelieres. Dans ce premier , les mâles comme les fe- melles s'accroupifTent un peu pour piiTer 3 ce n'eft qu'à neuf ou dix mois que les mâ- les , & même quelquefois les femelles j com- mencent à lever la cuifTe , & c'eft dans ce même temps qu'ils commencent à être en état d'engendrer. Le mâle peut s'accoupler en tout temps , mais la femelle ne le reçoit que dans des temps marqués ; c'^eft ordinai- rement deux fois par an , & plus fréquem- ment en hiver qu'en été : la chaleur durs l6 1 Hljloïrc naturdU, ëix , douze & quelquefois quinze jours ; elle fe marque par des fignes extérieurs , les par- ties de la génération font humides , gonflées & proéminentes au dehors ; il y a un petit écoulement de fang tant que cette ardeur dure , & cet écoulement auiîî - bien que le gonflement de la vulve commencent quel- ques Jours avant l'accouplement : le mâle lent de loin la femelle dans cet état , & la recherche ; mais ordinairement elle ne fe livre que fix ou fept jours après qu'elle a commencé à entrer en chaleur. On a recon- nu qu'un feul accouplement fuflît pour qu'elle conçoive , même en grand nombre ; cepen- dant lorfqu'on la laifTe en liberté , elle s'ac- couple plufieurs fois par jour avec tous les chien9 qui fe présentent : on obferve feule- ment que lorfqu'elle peut choifir , elle pré- fère toujours ceux de la plus grolTe & de la plus grande taille , quelque laids & quel- que difproportionnés qu'ils puiffent être : auffi arrivent- il affez fouvent que de petites chiennes qui ont reçu des mâtins , périflent en faiiant leurs petits. Une chofe que tout le monde fait , & qui cependant n'en eit pas moins une fuigula- rité dans la nature , c'eft que dans l'accou- plement ces animaux ne peuvent feféparer, même après la confommation de l'acte de la génération; tant que l'état d'éreélion &. de gonflement fubfifte , ils font forcés de de- meurer unis , & cela dépent fans doute de leur conformation. Le chien a nan-feulement, comme plufieurs autres animaux , un os dans la verge, mais les corps caverneux formem . du Chien, 163 dans le milieu une efpèce de bourrelet fort apparent, & qui fe gonfle beaucoup dans l'éredion : la chienne , qui de toutes les fe- melles eft peut-être celle dont le clitoris eil le plus, confidérable & le plus gros dans le temps de la chaleur , préfente de fon côté un bourrelet ou plutôt une tumeur ferme &: faillante, dont fe gonflement, auffi bien que celui des parties voifmes , dure peut-être bien plus long-temps que celui du mâle , & fuffit peut-être auffi pour le retenir malgré lui; car au moment que l''a£le eft confom- mé , il change de pofition , il fe remet à pied pour fe repofer fur fes quatre jambes , il a même Tair trifte , & les efforts pour fe féparer ne viennent jamais de la femelle. Les chiennes portent neuf femaines , c'eft- à-dire , foixante - trois jours , quelquefois foixante -deux ou foixante - un , & jamais moins de foixante; elles produifent fix, fept & quelquefois jufqu'à douze petits ; celles qui font de la plus grande & de la plus forte taille, produifent en plus grand nombre que les petites qui fouvent ne font que quatre ou cinq, & quelquefois qu'un ou deux pe- tits, furtout dans les premières portées qui font toujours moins nombreufes que les au- tres dans tous les animaux. Les chiens , quoique très ardens en amour, ne laiffent pas de durer ; il ne paroît pas même que Page diminue leur ardeur , ils s'ac- couplent & produifent pendant toute la vie, qui eil ordinaire^ment bornée à quatorze ou quinze ans , quoiqu'on en ait gardé quelques- uns jufqu'à vingt. La durée de la vie eft dans 264 Hifîoln naturdu le chien , comme dans les autres animaux ; proportionnelle au temps de TaccroilTement ; il eft environ deux ans à croître^ il vit aulïi fept fois deux ans. L'on peut connoitre foa âge par les dents qui dans la jeuneiTe font blanches , tranchantes & pointues ^ & iqui, à mefure qu'il vieillit , deviennent noires ^ moufTes & inégales , on le connoît aulîi par le poil , car il blanchit fur le mufeau, fur le front & autour des yeux. Ces animaux , qui de leur naturel font très vigilans , très aétifs , & qui font faits pour le plus grand mouvement , deviennent dans nos maifons , par Ja furchar^e de la nourri- ture , fi pefans & fi parelTeux , qu'ils paf- fent toute leur vie à ronfler , dormir & man- ger. Ce fommeil, prefque continuel, eft ac- compagné de rêves ^ & c'eft peut-être une douce manière d'exifter : ils font naturelle- ment voraces ou gourmands , & cependant ils peuvent fe paffer de nourriture pendant long-temps. 11 y a dans les mémoires de l'Académie des Sciences {c\ , l'hiftoire d'une chienne qui ayant été oubliée dans une mai- fon de campagne , a vécu quarante jours fans autre nourriture que l'étoffe ou la laine d'un matelas qu*elle avoit déchiré. 11 paroic que l'eau leur eft encore plus néceffaire que la nourriture , ils boivent fouvent & abon- damment ; on croit même vulgairement que quand ils manquent d'eau pendant long- [c] Hliloire de rAca<΀mie des fcicnces, année i70(S, tempf au Chien, i-^'^ temps ils deviennent enragés. Une chofe xjui leur eft particulière, c'efl qu'ils paroil- i«nt faire des efforts & fouffrir toutes les fois qu'ils rendent leurs excreraens : ce n'eil pas, comme le dit Ariftote (i) , parce que les inteilins deviennent plus étroits en ap- prochant de l'anus , il elt certain au con- traire que dans le chien , comme dans les autres animaux , les gros boyaux s'élargif- fent toujours de plus en plus , & que le rec- tum eft plus large que le colon : la féche- reffe du tempérament de cet anin-^al fuffit pour produire cet effet, & les étranglemens qui fe trouvent dans le colon , font trop loin pour qu'on puiffe l'attribuer à la con- formation des inteftins. Pour donner une idée plus nette de Tor- dre des chiens, de leur génération dans \i^<^ 2), parce que le défaut dans les jambes de ce chien , ne vient originairement que d'une maladie femblable au rachitis , dont quelques individus ont été attaqués , & dont ils ont tranfmis le réful- tat , qui eft la déformation des os , à leurs defcendans. Le chien-courant tranfporté en Efpagne & en Barbarie , où prefque tous les animaux cnt le poil fin , long & fourni , fera devenu épagneul ( Voye^ planche XI , fig. 4 de ce vol. ) & barbet {p.X, fie. 3 ) - ie grand & le petit épagneul qui ne diffèrent que par la taille , tranfportés en Angleterre , ont changé de couleur du blanc au noir, & fon devenus par l'influence du climat , grand & petit gredins ( pi. XI, fig. z de ce volume) , auxquels on doit joindre le pyrame ( pi. XI , fig. j \ qui n'eft qu'un gredin noir comme les autrçs« z6($* Hijloln naturelle mais marqué de feu aux quatre pattes , zux yeux & au mufeau. Le mâtin ( Foy^^ pi, VI , fig, i de ce vol ) tranfporté au Nord , eft devenu grand danois ; & tranfporté au midi, eft .devenu lévrier : les grands lévriers viennent du Levant ; ceux de raille médiocre , d'Italie ; & ces lévriers d'Italie tranfportés en Angleterre , font de- venus Ipvrons, c'çft-à-dire , lévriers encore plus petits. Le grand danois {pi VI, fig. 2) tranfpor- té en Irlande , en Ukraine , en Tartarie , en Epire , en Albanie , eft devenu chien d'Ir- lande , & ç'eft le plus grand de tous les chiens. Le dogue ( planche XIV , fig. 1 ) tranfporté d'Angleterre enDanemarck , eft devenu pe- tit danois ; & ce même petit danois tranfporté dans les climats chauds ^ eft devenu çhien-turç (^pLXÎII ,fig. 2 ). Toutes ces races , avec leurs variétés , n'ont été produites que par l'in- fluence du climat , jointe à la douceur de l'abri, à l'effet de la nourriture , & au ré- ialtat d'une éducation foignée ; les autre$ chiens ne font pas de races pures , &: pro- viennent du mélange de ces premières races x j'ai marqué par des lignes ponftuées la dou- ble origine de ces races métives. Le lévrier & le mâtin ont produit le le^ vrier métis , que l'on appelle aufîi lévrier 4 poil de loup-, ce métis a le mufeau moins ef- filé que Je fr^nc lévrier qui eft très rare en France. " J,e grapd danois & Je grand épa^neul ont Au chien, 1^ produit erifemble le chien de calabre , qui cft un beau chien à long poil touffu , & plus grand par la taille que les plus gros mâtins* L'épagaeiil & le baffet produiient un au- tre chien que l'on appelle hurgos. L'épagneul & le petit danois produifent le chien-lion (^planche XII , fig. j de ce volume ) ^ qui eft maintenant fort rare. Les chiens à longs poils , fins & frifés^ que l'on appelle bouffes , & qui font de ht taille des plus grands barbets , viennent du grand épagneul & du barbet. Le petit barbet ( V, planche XII , fig. i de ce volume) vient du petit épagneul & du barbets Le dogue produit avec le mâtin un chieil métis que l'on appelle dogue de fane race { V* flanche XIV ^ fig. i de ce volume'), qui eft beau- coup plus gros que le vrai dogue ou dogue d'Angleterre , & qui tient plus du dogue que du mâtin. Le doguin ( voyeiplanche XIII ,fig. 4 de es volume) vient du dogue d'Angleterre & du petit danois. Tous ces chiens font des métis fimples, & viennent du mélange de deux races pu- res ; mais il y a encore d'autres chiens qu'on pourroit appeller double métis , parce qu'ils viennent du mélange d'une race pure & d'une race déjà mêlée. Le roquet ( voye:^ planche XIII , fig. /. ) eft un double métis qui vient du doguin & du petit danois. Le chien d'Alicante eft auiîî un double métis qui vient du doguin &. du petit éps- gneul, Z î lyo Hifîoht naturtîh Le chien de Malte ou bichorl ( voyt9 ph XII , fig. 2 de ce volume, ) eft encore un dou- ble métis qui vient du petit épagneul & dik petit barbet. Enfin il y a des chiens qu'on pourroit ap» peller triples métis , parce qu'ils viennent du mélange de deux races déjà mêlées toutes deux : tel eft le chien d'Artois , Iffois ou Quatre-vingt , qui vient du doguin ou du roquet ; tels font encore les chiens que l'on appelle vulgairement rA;V/zi des rues, qui ref- femblent à tous les chiens en général fans reffembler à aucun en particulier , parce qu'ils proviennent du mélange des races déjà plufieurs fois inéiées. Torru. r. 2* «Og. ^raMA> iDcu4x>ltr. Xorru-I PU7, Xom..I. Pi. 8 I JlLe CncwL OuroM- 2*.Le clitci/Cae Suo trie . Tonx I ?l.j -2 oBxa^LLc de Jà(in.û(itt Lom T ?l 10. i Tora I n 12 I cL.ù petit, c&axlét. % XLc JBic^tjrt. 3 fe cJxLCrt c{1.lo^l 4 f'^ petit Sanotty Tom. I PI.I3 I. J^t JloûU/ct. 2. 4lc çkxtvi Catc . 5 Jle okiot 'Ca.-LcVflâis4-JL^' £>o^llÙa.. Xom. I Fli* I ~L e Jj o^uut . i -^ è iD^piue c^c çj^ottê race du Chat, LE CHAT. fV/f { planche XV J , figure 2 de ce Volume^ T J-rfE Chat eft un domeftique infidèle > qu'on ne garde que par nécefîité , pour l'oppofer à un autre ennemi domeftique encore plus incommode , & qu'on ne peut chaffer : car nous ne comptons pas les gens qui , ayant du goût pour toutes les bêtes , n'élèvent des chats que pour s'en amufer ; l'un eft Tufage, l'autre l'abus ; & quoique ces ani- maux , furtout quand ils font jeunes , ayent de la gentillefle , ils ont en même temps wne malice innée , un caraiStere faux , un naturel pervers, que l'âge augmente encore , & que l'éducation ne fait que mafquer. De voleurs déterminés, ils deviennent feulement, îorfqu'ils font bien élevés, fouples & flat- teurs commme les fripons; ils ont la même adreffe , la même fubtilité , le même goût pour faire le mal , le même penchant à la petite rapine ; comme eux ils favent cou- vrir leur marche , dilîimuler leur deffein, épier les occafions , attendre, choifir, fai- fir l'infiant de faire leur coup , fe dérober enfuite au châtiment, fuir ê: demeurer éloi- gnés jufqu'à ce qu'on les rappelle. Ils pren- nent aifément des habitudes de fociété , mais jamais des mœurs : ils n'ont que l'apparence de l'attachement ; on le voit à leurs mouvé- Z 4 27^ Hïfloïn natuTtlît siens obliques , à leurs yeux équivoques y ils ne regardent jamais en face la perfonfte aimée '^ foit défiance ou faufleté , ils pren- nent des détours pour en approcher , pour chercher des carefTes auxquelles ils ne font fenfiWes que pour le plaifir qu'elles leur font» Bien difFérent de cet aninial fidèle dont tous les ientimens fe rapportent à la perfonne de fon Biaître , le chat parok ne fentir que pour foi > ii'aimer que fous condition , ne fe prêter au commerce que pour en ab-ufer ; & par cette convenance de naturel , il eft moins incom- patible avec riiomme qu'avec le chi^sn dans, .lequjel tout eft fincère. La forme du corps & k tempérament font d'accord avec le naturel, le chat eft joli, léger j adroit, propre & voluptueux: il aime iés aifes , il cherche les meubles les pliîS: mollets pour s'y repofer & s'ébattre : il eft ■2i\i.^\ très porté à l'amour , & , ce qui eft rare dans les animaux, la femelle paroît être plus ardente que le mâle ; elle l'invite , elle le cherche j elle l'appelle , elle annonce par de hauts cris la fureur de fes defirs , ou plutôt l'excès de fes befoins ; & lorfque le mâle la fuit ou ladédaigae , elle le pourfuit,, le mord , & le force ,. pour ainfi dire , à la Satisfaire , quoique les approches foi en t tou- jours accompagnées d'une vive douleur. La chaleur dure neuf ou dix jours , & n'arrive que dans des temps marqués ; c'eft ordinai- rement deux fois par an , au printemps & en automne , & fouvent aufli trois fois , & même q-uatre. Les chattes portent cinquante- cinq oii çinquante-fix jours j elles ne pror- du Chat, 27 J duifent pas en anffi grand nombre que les chien- nes; les portées ordinaires font de quatre , de cinq ou de fix. Comme les mâles font fujets à dévorer leur progéniture , les femel- les fe cachent pour mettre bas ; & lorfqu'el- les craignent qu'on ne découvre ou qu'on n'enlève leurs petits , elles les tranfportent dans des trous & dans d'autres lieux ignorés ou inacceifibles ; & après les avoir allaités pendant quelques femaines , elles leur ap- f)ortent des fouris , des petits oifeaux , & es accoutument de bonne heure à manger de la chair : mais par une bizarrerie difficile à comprendre , ces mêmes mères, fi foigneu- fes & fi tendres deviennent quelquefois cruel- les, dénaturées , & dévorent auffi leurs pe- tits qui leur étoient fi chers. Les jeunes chats font gais, vifs , jolis, & feroient aufli très propres à amufer les enfans fi les coups de patte n'étoient pas à craindre ; mais leur badinage , quoique toujours agréable & léger , n'eft jamais in- nocent , & bientôt il iè tourne en malice habituelle ; & comme ils ne peuvent exercer ces talens avec quelqut- avantage que fur les petits animaux, ils fe mettent à l'affût près d'une cage, ils épient les oifeaux, les foti- ris, les rats, & deviennent d'eux-mêmes , & fans y être dreffés , plus habiles à la chaffe que les chiens les mieux inftruits. Leur na- turel, ennemi de toute contrainte, les rend incapables d'une éducation fuivie. On raconte néanmoins que des moines grecs *^de l'isle de * Defcription des iflesiie l'Archipel , par Dapper , 174 Ttljîoin naturdU Chypre, avoient dreffé des chats à chaiïer, prendre & tuer les ferpens dont cette isle étoit infeftée , mais c'étoit plutôt par le goût général qu'ils ont pour la deftru61ion , que par obéiffance qu'ils chaffoient ; car ils fe plaifent à épier , attaquer & détruire affez indifféremment tous les animaux foibles com- me les oifeaux , les jeunes lapins , les levreaux, les rats , les fouris ,les mulots , les chauve-fou- ris , les taupes , les crapauds , les grenouilles , les lézards & les ferpens. Ils n'ont aucune doci- lité , ils manquent auffi de la fineffe de l'odorat, qui dans le chien font deux qualités éminentes ; aufîi ne pourfui vent- ils pas les animaux qu'ils ne voient plus, ils ne 'les chalî'ent pas, mais ils les attendent, les attaquent par fur- prife , & après s*en être joués long-temps ils les tuent fans aucune néceffité , lors même qu'ils font le mieux nourris & qu'ils n'ont aucun befcin de cette proie pour fatisfaiie leur appétit. La caufe phyfique la plus immédiate de ce penchant qu'ils ont à épier & furpren- dre les autres animaux , vient de l'avantage que leur donne la conformation particulière de leurs yeux. La pupille dans l'homme , comme dans la plupart des animaux , eft capable d'un certain degré de contraftion & de dilatation; elle s'élargit un peu lorfque la lumière manque, & fe rétrécit lorfqu'elle»de- vient trop vive. Dans l'œil du chat & des oi- feaux de nuit, cette contraction & cette di- latation font fi confidérables , que la pupille , qui dans l'obfcurité eft ronde & large , devient au grand jour longue ôc étroite comme une du Chat, 175 ïigne, & dès-lors ces animaux voient mieux la iiuit que le jour, comme on le remarque dans les chouettes, les hiboux, &c. car la forme de la pupille eft toujours ronde dès qu'elle n'eft pas contrainte. Il y a donc con- traélion continuelle dans l'œil du chat pen- dant le jour , & ce n'eit , pour ainfi dire , que par effort qu'il voit à une grande lumière ; au lieu que dans le crépufcule, la pupille repre- nant fon état naturel , il voit parfaitement , & profite de cet avantage pour recon- noître , attaquer & furprendre les autres ani- maux. On ne peut pas dire que les chats , quoi- qu'habitans de nos mailbns, foient des ani- maux entièrement domeftiques ; ceux qui font le mieux apprivoifès n'en font pas plus aiTervis : on peut même dire qu'ils font en- tièrement libres , ils ne font que ce qu'ils veulent , & rien au monde ne feroit capa- ble de les retenir un inftant de plus dans un lieu dont ils voudroient s'éloigner. D'ail- leurs la plupart font à demi-fauvages , ne connoiffent pas leurs maîtres , ne fréquen- tent que les greniers & les toîts-, & quel- quefois la cuifine & l'office , lorfque la faim les prefle. Quoiqu'on en élève plus que de chiens , comme on les rencontre rarement , ils ne font pas fenfation pour le nombre j aulîi prennent-ils moins d atta- chement pour les perfonnes que pour les maifons : lorfqu'on les tranfporte a des dif- tances affez confidérables , comme à une lieue ou deux , ils reviennent d'eux-mêmes à leur grenier , & c*eft apparemment parce quMs ^y6 Hifloîn naturelle, en connoiffenr toutes les retraites à fourîs ^ toutes les iffues , tous les paffages , & que îa peine du voyage eft moindre que celle qu'il faudroit prendre pour acquérir les mê- mes facilités dans un nouveau pays. Us crai- gnent Teau , le froid & les mauvaifes odeurs ; ils aiment à fe tenir au foleil: ils cherchent à fe gîter dans les lieux les plus chauds , derrière les cheminées ou dans les fours r ils aiment auffi les parfums , & fe laiffent vo- lontiers prendre & carefTer par les perfon- aes qui en portent : Todeur de cette plante que Pon appelle V Herbe- aux- chats , les re- mue fi fortement & fi délicieufement , qu'ils en paroifTent tranfportés de plaifir. On eft » obligé , pour conferver cette plante dans les- jardins de l'entourer d'un treillage fermé ;: les chats h. fentent de loin , accourent pour s'y frotter , paffent & repaffent fi fouvent par-deffus , qu'ils la détruifent en peu de temps. A quinze ou dix-huit mois , ces animaux ont pris tout leur accroiflement ; ils font auffi en état d'engendrer avant l'âge d'un an ^ & peuvent s'accoupler pendant toute leur "vie, qui ne s'étend guère au-delà de neuf ou dix ans ; ils font cependant très durs , très vivaces, & ont plus de nerf & de ref- fort que d'autres animaux qui vivent plus long» temps. Les chats ne peuvent mâcher que lente- ment & difficilement , leurs dents font fi courtes & fi mal pofées qu'elles ne leur fervent qu'à déchirer & non pas à broyer les^ alimens ; auffi cherchent-ils de préférence âii chat, 17^ îes viandes les plus tendres; ils aiment Je poiflbn & le mangent cuit ou crud ; ils Loivent fréquemment; leur fommeil eft lé- ger , &ils dorment moins qu'ils ne font fem- blant de dormir; ils marchent légèrement, prefque toujours en filence & fans faire au- cun bruit; ils fe cachent & s'éloignent pour rendre leurs excrémens & les recouvrent de terre. Comme ils font propres & que leur robe efl toujours fèche & luftrée, leur poil s'éledrife ailement , & l'on en voit fortir des étincelles dans l'obfcurité lorfqu'on le frotte avec la main : leurs yeux brillent auflt dans les ténèbres , à-peu-près comme les dia- mans , qui réfléchifTent au dehors pendant la nuit la lumière dont ils fe font , pour ainfi dire , imbibés pendant le jour. Le chat fauvage ( Voyc's^ planche XVI , )?- ^urc I de ce volume ) produit avec le chat do- nieflique , & tous deux ne font par confé- quent qu'une feule & même efpèce ; il n'eft pas rare de voir des chats mâles & femel- les quitter les maifons dans le temps de la chaleur pour aller dans les bois chercher les chats fauvages, & revenir enfuite à leur ha- bitation; c'eft par cette raifon que quel- ques-uns de nos chats domeftiques relîém- blent tout-à-fait aux chats fauvages ; la dif- férence la plus réelle eft à l'intérieur , le chat domeftique a ordinairement les boyaux beaucoup plus longs que le chat fauvage ; cependant le chat fauvage eft plus fort & plus gros que le chatdomeftique , il a tou- jours les lèvres noires , les oreilles plus roides, la queue plus grolTe & les cou*. %yS Hlftolrc naturtlh leurs Gonflantes. Dans ce climat on ne con- noît qu'une efpèce de chat fauvage ; & il paroît par le témoignage des voyageurs que cette elpèce fe retrouve aulîi dans prefque tous les climats fans être fujette à de gran- des variétés; il y en avoit dans le continent du nouveau Monde avant qu'on en eût fait la découverte ; un chafTeur en porta un qu'il avoit pris dans les bois , à Chriftophe Colomb {a) , ce chat étoit d'une groffeur ordinaire , il avoit le poil gris-brun, la queue très lon- gue &. très forte. Il y avoit auffi de ces chats fauvages au Pérou {h) , quoiqu'il n'y en eût point de domeftiques ; il y en a en Canada (c) , dans le pays des Illinois , &c. On en a vu dans plufieurs endroits de l'A- frique , comme en Guinée ( J) , à la Côte d'or, à Madagafcar (e) où les naturels du pays avoient même des chats domeftiques., au cap de Bonne-efpérance {fj, oii Kolbe dit qu'il fe trouve auiîi des chats fauvages de couleur bleue , quoiqu'en petit nombre : ces chats bleus ou plutôt couleur d'ardoife, fe retrouvent en Afie. » 11 y a en Perfe , (a) Vie de Chriftophe Colomb , Ile partie, page 167. (b) Hiftoîre deslncas, tome II, page 112. (c) Hiftoire de la nouvelle France, parle P. Char- levoix , tome III , page ^07. (d) Hiftoire générale des voyages , par M» l'abbé Prevoft , tome IV , page 130. (tf) Relation de François Cauche. Paris, 165 1, p. If) Defcription du cap de Bonne-efpérance , par Kolbe , page 49* du chat, 2;r9 ditIPietro délia Valle {£) , une efpèce de chats qui font proprement de la province du Chora- zan ; leur grandeur & leur forme eft comme celle du chat ordinaire ; leur beauté con- fifte dans leur couleur & dans leur poil , qui eft gris fans aucune moucheture & fans nulle tache , d'une même couleur par tout le corps , fi ce n'eft qu'elle eft un peu plus obfcure fur le dos & fur la tête , & plus claire fur la poitri- ne & fur le ventre , qui va quelquefois juf- qu'à lablancheur, avec ce tempérament agréa- t)le de clair-obfcur , comme parlent les Pein^ très, qui, mêlés l'un dans l'autre font ua merveilleux effet ; de plus leur poil eft délié » fin , luftré , mollet , délicat comme la foie y & fi long , que quoiqu'il ne foit pas hérilTé » mais couché, il eft annelé en quelques en- droits , & particulièrement fous la gorge. Ces chats font entre les autres chats ce que les barbets font entre les chiens : le plus beau de leur corps eft la queue qui eft fort longue & toute couverte de poils longs ^ cinq ou fix doigts ; ils retendent & la renverfent fur leur dos comme font les écu- reuils, la pointe en haut en forme de pana^ che ; ils font fort privés ; les Portugais en ont porté de Perfejulqu'aux Indes w.Pietro délia Valle ajoure qu'il en avoir quatre couples , qu'il comptoit porter en Italie. On voit par cette defcription, que ces chats de Perfe reffera- blent par la couleur à ceux que nous appel» {%) Voyap f.5 de Pietro délia Valle , tome V i page* aHo Hljîolre naturelle Ions chats chartreux ( Voye:^ pi XV, fig. i de et volume), & qu'à la couleur }3rès ils relTem- blent parfaitement à ceux que nous appel- ions chats d^ Angora ( Ibid, fig. 2 ). Il eft donc vraifemblable que les chats du Chorazanen Perfe , le chat d'Angora en Syrie & le chat chartreux , ne font qu'une même race , dont la beauté vient de Tinfluence particulière du climat de Syrie , comme les chats d'Efpagne , {pL XF,fig.^) qui font rouges, blancs & noirs, cfcnt &. le poil eft auflî très doux & très luftré , doivent cette beauté à l'influence du climat de l'Efpagne. On peut dire en général que de tous les climats de la terre habitable , ce- lui d'Efpagne & celui de Syrie font les plus favorables à ces belles variétés de la Nature ; les moutons, les chèvres , les chiens, les chats, les lapins, &c. ont en Efpagne & en Syrie la plus belle laine , les plus beaux & les plus longs poils, les couleurs les plus agréables & les plus variées : il femble que ce climat adouciffe la Nature & embeliffe la forme de tous les animaux. Le chat fauva- gea les couleurs dures & le poil un peu ru- de, comme la plupart des autres animaux fauvages ; devenu domeftique^ le poil s'eft radouci , les couleurs ont varié , & dans le climat favorable du Chorazan & de la Syrie le poil eft devenu plus long, plus fin, plus fourni , & les couleurs fe font uniformément adoucies , le noir & le roux font devenus d'un brun-clair , le gris-brun eft devenu gris- cendré , & en comparant un chat fauvage de nos forêts avec un chat chartreux , on verra qu'ils ne diffèrent en effet que par cette dé- gradation ^du chat, t2i gradation nuancée de couleurs ; enfuite , com- me ces animaux ont plus ou moins debJanc fous le ventre & aux côtés , on concevra ai- fément que pour avoir des chats tous blancs & à longs poils y tels que ceux que nous appelions proprement chats cT Angora , il n'a iallu que choifir dans cette race adoucie , ceux qui avoient le plus de blanc aux côtés & fous le ventre , & qu'en les uniffant en» femble on fera parvenu à leur faire produire des chats entièrement blancs, comme on l'a fait auffi pour avoir des lapins blancs , des chiens blancs , des chèvres blanches , des cerfs blancs, des daims blancs ^ &c. Dans le chat d'Efpagne , qui n'eft qu'une autre va- riété du chat fauvage,les couleurs, au lieu de s'être affoiblies par nuances uniformes comme dans le chat de Syrie , fe font , pour ainfi dire , exaltées dans le climat d'Efpagne & font devenues plus vives & plus tranchées ,. le roux eft devenu prefque rouge , le brun eft devenu noir, & le gris eft devenu blanc. Ces chats , tranfportés aux isles de l'Amé- rique ont confervé leurs belles couleurs & n'ont pas dégénéré : » Il y a aux Antilles ,, dit le P. du Tertre , grand nombre de chats ,. qui vraifemblablement y ont été apportés par les Efpagnols , la plupart font marqués de roux , de blanc & de noir ; plufieurs de nos François , après en avoir mangé la chair , em- portent les peaux en France pour les ven- dre. Ces chats , au commencement que nous fûmes dans la Guadeloupe , étoient tellement: accoutumés à fe repaître de perdrix , de tour-- terelles , de grives & d'autres petits oifeaux. A a aSi Hijîolre naturelle, qu'ils ne daignoient pas regarder les rats ; mais le gibier étant a6liiellement fort dimi- nué, ils ont rompu la trêve avec les rats, ils leur font bonne guerre (^^, &c. » En général les chats ne font pas, comme les chiens , fu- jets à s'altérer & à dégénérer lorfqu'on les tranfporte dans les climats chauds. >ï Les chats d'Europe , dit Bofman , tranf- portés en Guinée , ne font pas fujets à chan- ger comme les chiens , ils gardent la même figure {b) , &c. » Ils font en effet d'une na- ture beaucoup plus confiante ; & comme leur domefticité n'eil ni aufîi entière , ni aulîi univerfelle , ni peut-être aufîi ancienne que celle du chien, il n'eft pas furprenant qu'ils ayent moins varié. Nos chats domefliques, quoique différens les uns des autres par les couleurs , ne forment point de races diftinc- tes & féparées ; les feuls climats d'Efpagne & de Syrie ou du Chorazan , ont produit des va» riétés confiantes & qui fe font perpétués : on pourroit encore y joindre le climat de la pro- vince de Pe-chi-ly à la Chine, où il y a des chats à longs poils avec les oreilles pen- dantes , que les dames Chinoifes aiment beau- coup (c). Ces chats domefliques à oreilles pendantes , dont nous n'avons pas une plus ample defcription , font fans doute encore plus éloignés que les autres qui ont les oreilles {a) Hiftoîre générale des antilles , par le P. du Ter- Ire, terne II, page 506. (h) Voyage de Guinée par Bofman , page 2405; \c) Hiftoire générale des voyages * par M. l'abbé Prevoft, tome YI> page 10, du chat, 183 droites , delà race du chat fauvage, qui néan- moins eft la race originaire & primitive de tous les chats. Nous teminerons ici l'hiftoire du chat , & en même temps l'hiftoire des animaux do- mefliques. Le cheval , l'âne ,1e bœuf , labre- bis , la chèvre , le cochon , le chien & le chat, font nos feuls animaux domeftiques : nous n'y joignons pas le chameau, l'éléphant, le renne. & les autres , qui , quoique domeftiques ail- leurs , n'en font pas moins étrangers pour nous ; & ce ne fera qu'après avoir donné l'hiftoire des animaux fauvages de notre cli- mat que nous parlerons des animaux étran- gers. D'ailleurs, comme le chat n'eft , pour ainfi dire , qu'à demi-domeftique , il fait la nuance entre les animaux domeftiques & les animaux lauvages : car on ne doit pas met- tre au nombre des domeftiques , des voi- fms incommodes tels que les fouris , les rats , les taupes , qui , quoique habitans de nos maifons ou de nos jardins , n'en font pas moins libres & fauvages , puifqu'au lieu d'être attachés & foumis à l'homme , ils le fuient , & que dans leurs retraites obfcu- res ils confervent leurs mœurs , leurs ha- jjitudes & leur liberté toute entière. On a vu dans l'hiftoire de chaque animal domeftique , combien l'éducation , l'abri, le foin , la main de l'homme , intluent fur le na- turel , fur les mœurs , & même fur la for- me des animaux. On a vu que ces caufes , jointes à l'influence du climat , modifient , altèrent & changent les efpèces au point d'ê- tre différentes de ce qu'elles étoient origi- Aa 2 2;8-4 Hijîoire nattirdtt pairementy, & rendent les individus fi difFl*-- rens entr'eux dans le même temps & dans la irême efpèce , qu'on auroit raifon de les re- garder comme des animaux différens , s'ils ne confervoient pas la faculté de produire en*- i€mble des individus féconds , ce qui fait le caractère elTentiel & unique de Tefpèce. On a vu que ks différentes races de ces ani- Biaux domeftiques fuivent dans les diiFérens climats le même ordre à-peu-près que les races humaines ; qu'ils font, comme les hom- mes , plus forts , plus grands & plus coura- geux dans les pays froids ; plus civilifés , plus doux dans le climat tempéré ; plus lâ- ches , plus foibles & plus kids dans les cli- mats trop chauds ; que c'eft encore dans les climats tempérés & chez les peuples les plus policés que fe trouvent la plus grande di- verfité , le plus grand mélange & les plus nombreufes variétés dans chaque efpèce ; & ce qui n'eft pas moins digne de remarque ,. c'eft qu'il y a dans les animaux plufieurs fignes évidens de l'ancienneté de leur efcla- vage : les oreilles pendantes , les couleurs variées , les poils longs & fins , font autant «i'effets produits par le temps ou plutôt pitr la longue durée de leur domefticité. Prefque tous les animaux libres & fauvages ont les oreilles droites ; le fanglier les a droites & roides , le cochon domeftique les a inclinées & demi-pendantes. Chez les Lappons , chez ies fauvages. de l'Amérique , chez les Hot- tentots j chez les Nègres & les autres peu- ples non policés , tous les chiens ont les ©jeilles droites v au lieu qu'en Efpagne , en To m. . I ¥Us. 2* «C^ CAvaX d '(Li/iao-LCL . Xom. I PtKT % S^e. Ckat jÛorxhZjtu]iLC &dK^Bi^a«H in chat, ^ff France , en Angleterre , en Turquie , en ' Perfe , à la Chine & dans tous les pays ci- vilifés , la plupart les ont molles Si pendan- tes. Les chats domeftiques n'ont pas les oreil- les û roides que les chats fauvages, Si l'ofi voit qu'à la Chine, qui eu un empire très anciennement policé Si où le climat eft ïort doux , il y a des chats domelHques à oreil- les pendantes. C'eft par cette même raifon que la chèvre d'Angora qui a les oreilles pendantes^ doit être regardée entre toutes les chèvres comme celle qui s'éî-oigne le plus de l'état de nature : l'influence fi gé- nérale & fi marquée du climat de Syrie ^ jointe à ]^ domefticité de ces animaux chez un peuple très anciennement policé , aura produit avec le temps cette variété qui ne le maintiendroit pas dans un autre climat. Les chèvres d'Angora nées en France , n'ont pas les oreilles auffi longues ni aulÊ pen- dantes qu'en Syrie , & rep-rendroient Vrai- femblablement les orejilles & le poil de nos chèvres après un certain nombre de géné- rations. JFia du Tome premier des QuadriLphdej* TABLE De ce qui efl contenu dans ce Volume. J^KS Animaux domejllques. Page ^ xe Cheval, ii i'Ane. 98 i:<; ^