/ ^Hi^l .A HARVARD UNIVERSITY. VA LIBRARY MUSEUM OF COMPARATIVE ZOOLOGY LlBRARY OF SAMUEL GARMAN a ÏWZ^^Tl'Pî^l^ OCT 5 1928 HISTOIRE NATURELLE DES POISSONS. STR\SBOURG,lMPRIM. DE V.e BERGER-LEVRAULT. HISTOIRE NATURELLE DES ..._ PAR M. LE B.ON CUVIER, Pair de France, Grand-Officier de la Légion d'honneur, Conseiller d'État et au Conseil royal de l'Instruction publique, l'un des quarante de l'Académie française, Associé libre de l'Académie des Belles-Lettres, Secrétaire per- pétuel de celle des Sciences, Membre des Sociétés et Académies royales de Londres , de Berlin , de Pétersbourg , de Stockholm , de Turin , de Gceltingue , des Pays-Bas, de Munich, de Modène, etc.; ET PAR M. A. VALENCIENNES, Membre de l'Académie royale des sciences de l'Institut, Professeur de Zoologie au Muséum d'Histoire naturelle, Membre de l'Académie royale des sciences de Berlin, de la Société zoologique de Londres, de la Société impériale des naturalistes de Moscou, etc. TOME VINGTIEME. A PARIS, Chez P. BERTRAND, éditeur, LIRRAIRE DE LA SOCIÉTÉ GÉOLOGIQUE DE FRANCE , rue Saint- André -des -arcs, n.° 65. STRASBOURG, chez V." Levrault, rue des Juifs, n.° 33. 1847. S AVERTISSEMENT. Après avoir, dans le volume précédent, exposé l'histoire des familles que j'ai cru de- voir retirer de celle que M. Cuvier avait éta- blie dans le Pvègne animal sous le nom de Chipes, je présente dans celui-ci l'histoire des Chipées réduites aux seuls genres des poissons de ce groupe qui ont le ventre caréné. Leur bouche est bordée dans le milieu par de très- petits intermaxillaires, et sur les côtés par des maxillaires complexes plus ou moins libres , mais qui ne sont pas assez longs pour dépasser les branches de la mâchoire inférieure quand elle est abaissée. Dans tous les genres variés qui com- posent cette subdivision, la mâchoire inférieure est plus longue que la supérieure, et la sym- physe la dépasse comme une grosse tubérosité. Tous ces poissons se ressemblent tellement entre eux qu'ils ne forment en quelque sorte, qu'un grand genre naturel. En étudiant les détails de leur organisation, j'ai eu le bon- heur de saisir un caractère dont l'application avait échappé à mes prédécesseurs. Elle rendra VJ AVERTISSEMENT. facile l'étude et la distinction d'espèces nom- breuses qui étaient toutes confondues ou mé- connues. La nature semble avoir épuisé ici toutes les combinaisons possibles pour implan- ter les dents de ces poissons sur les différents os de leur bouche ou de la base du crâne. Les eaux douces et salées de l'Europe nour- rissent des espèces de ces genres variés , auprès desquels viennent se placer facilement les nom- breux poissons exotiques, depuis le Hareng jus- qu'à l'Alose. On trouvera dans le volume suivant l'histoire des espèces assez semblables à l'Anchois, et j'espère convaincre le lecteur que celles-ci pré- sentent des différences qui auraient pu m'au- toriser à en faire une petite famille séparée. Je n'ai pas cependant osé le faire, parce que cette division ne m'a pas paru absolument nécessaire. L'étude des Clupées et des genres qui les a voisinent est une des plus instructives pour concevoir l'extension que l'on doit donner aux principe;» des familles naturelles. Aucune autre ne montre plus clairement le système de la nature, par suite duquel elle prend à une fa- mille quelques-uns de ses caractères pour les AVERTISSEMENT. Ylj combiner et les fondre dans ceux d'une autre, de manière à modifier souvent le caractère essentiel, à l'altérer ou à l'effacer dans cer- taines espèces qui font rentrer dans le groupe principal toutes celles qui sembleraient s'en écar- ter. On tire aussi de l'étude de ces poissons un autre enseignement et d'un plus haut intérêt, car on arrive, en suivant les variétés si nom- breuses du hareng commun , à fixer ses idées sur la valeur de cette grande abstraction de notre esprit que les naturalistes nomment espèce. C'est de toutes celles que nous pouvons facile- ment observer , l'espèce représentée par le plus grand nombre d'individus vivant en société par troupes innombrables, cachés dans des retrai- tes habituellement impénétrables à l'homme, n'en sortant qu'à des époques fixes et déter- minées par suite d'un besoin physique et im- périeux , et non par le seul acte de la volonté de l'animal, qui ne met enjeu aucune faculté instinctive. Ces conditions vitales sont en de- hors de toutes celles que nous attribuons à la domesticité chez un grand nombre d'autres animaux, et par conséquent à l'abri de toute action de l'homme. Il n'en est pas moins évi- V11J AVERTISSEMENT. dent que nous voyons reproduire dans l'espèce plusieurs modifications que nous attribuons dans les autres animaux placés par la nature auprès de nous, à l'influence de la domesticité. Outre l'importance que ces réflexions donnent à l'espèce du hareng, il en est une autre d'un intérêt peut-être moins philosophique, mais non moins grand, à cause de l'utilité incon- testable du hareng. Tout le monde a répété, avec raison, que ce poisson est une source inépuisable de richesse et la meilleure école pour former des hommes de mer. Le lecteur me pardonnera sans aucun doute de m'être longuement étendu sur l'organisation , les habitudes et la pêche de ce poisson. Le legs que j'ai reçu de M. Cuvier m'a donné la faculté de puiser dans les documents inédits que Noël de la Morinière avait préparés pour écrire une histoire naturelle et commerciale de cette du- pée. J'en ai profité en tâchant d'éviter des dé- tails trop minutieux qui auraient donné à mon ouvrage un caractère de prolixité tout à fait fâcheuse dans un livre de la nature de celui que je publie. On trouvera aussi dans ce volume beaucoup AVERTISSEMENT. IX de détails sur l'Alose, dont je ne reconnais qu'une seule espèce en Europe ; sur la Sardine , qui a en ichthyologie les principaux caractères de l'Alose, mais dont les habitudes sont bien différentes. Je n'entrerai pas ici dans plus de détails sur les observations consignées clans ce volume. Pendant que j'étais occupé de la rédaction de ce travail, les collections ichthyologiques du Muséum ont fait de grandes et nombreuses acquisitions. M. le chevalier Robert Schom- burgk , si connu par ses beaux travaux géogra- phiques et par son voyage dans l'intérieur de la Guiane, a donné au Muséum une collection presque complète des nombreuses et belles es- pèces qu'il a recueillies dans les eaux douces de cette contrée et principalement dans l'Esse- quibo. Les recherches de ce voyageur viennent ajouter à ce que l'ichthyologie des eaux douces de l'Amérique équinoxiale devait à Spix et à Martius , et antérieurement au savant et illustre Alexandre de Humboldt. De nouvelles investigations viennent d'éten- dre encore nos connaissances sur cette belle partie du globe. X AVERTISSEMENT. Un voyageur infatigable, qui joint au plus grand courage une ardeur scientifique non moins active, M. le comte de Castelnau, est de retour de l'expédition la plus grande et la plus périlleuse qu'un voyageur français ait en- core vue couronnée de succès. Avec l'aide d'un jeune naturaliste né dans le Muséum d'histoire naturelle, M. Emile Deville, le chef de cette audacieuse expédition a réuni de superbes collections d'histoire naturelle ou l'ichthyologie tient une grande place. Nous pouvons les exa- miner à loisir maintenant qu'elles sont étalées et rangées dans le Jardin du Roi. Les naturalistes doivent être pénétrés de reconnaissance pour des hommes qui ont eu le courage de rapporter tant de trésors scientifiques, lorsqu'il fallait leur faire passer les chutes de l'Yucale , ou les maintenir sur les flots que roule l'Amazone. Le Pirarucu (Vastres Cuvieri) dont j'ai parlé dans le tome précédent , et sur lequel j'aurai à revenir dans une des additions du prochain volume, est une des grandes et belles espèces de ce voyage. Un autre genre, dont nous ignorions la patrie, le Vandellia bicirrhosum , a été recueilli dans le haut Amazone. Les produits sont d'ailleurs si AVERTISSEMENT. XJ nombreux qu'il ne faut pas en citer davantage; car des citations trop restreintes sembleraient diminuer l'importance des collections à cause du nombre des espèces que nous serions obligé de paraître laisser dans l'oubli. Nul doute, d'ailleurs, que le Gouvernement éclairé qui a rendu depuis la paix tant de services aux sciences naturelles, fera profiter le monde sa- vant de ce beau voyage, en en ordonnant une grande et magnifique publication. Au Jardin du Roi, 1.er septembre 1847. TABLE DU VINGTIÈME VOLUME. LIVRE VINGT ET UNIEME. Pages. Planrli. De la famille des Clupéoïdes 1 CHAPITRE PREMIER. Du genre Hareng (Clupea , Cuvier) 28 592 593 De la pêche du Hareng 154 Le Hareng de Leach (Clupea Leachii^ Yarrell) 243 Le Hareng de la mer Noire (Cl. pontica 7 Eichw.) 244 Le Hareng de New-York {Clupea elongata , Les. ) 247 Le Hareng de Pallas {Clupea Pallasii^ nob.) . . 253 La Clupée linéolée {Clupea lineolata, Pallas) . 256 Le Hareng verdâtre (Cl. virescens^ Dekay) . . 257 Le Hareng nain (Cl. parvula, Mitchill) .... 258 Le Hareng pygmée (Cl. minima, Peck.) .... 259 CHAPITRE IL Des Saudinelles (Sardinella) 261 La Sardinelle auriculée (Sardinella auritay nob.) 2 63 594 La Sardinelle granuleuse (Sard. granigera, nob.) 267 La Sardinelle anchovie (Sard. anchovia^ nob.) . 269 La Sardinelle à ventre édenté (Sard. leiogaster, nob.) 270 XIV ' TABLE. Pages. Plancb, La Sardinelle linéolée (Sard. lineolata, nob.) . 272 La Sardinelle à tête longue (Sard. longicepsy nob.) 273 La Sardinelle de NieuhofT (Sard. Neohowii^ nob.) 274 CHAPITRE III. Du genre Harengule (Harengula) 277 La Harengule blanquette (Hareng, latulus, nob. ) 280 5 9 5 La Harengule esprot (Hareng, sprattus^ nob.) . 2 85 La Harengule clupéole (Hareng, clupeola^ nob.) 289 La Harengule tachetée (Hareng, maculosa^ nob.) 292 La Harengule à épaulettes (Hareng, humeralis, nob.) 293 La Harengule raccourcie (Hareng, abbreviata^ nob.) 296 La Harengule ponctuée (Hareng, punctata^ nob.) 297 La Harengule biponctuée (Hareng, bipunctata; nob.; Clupea bipunctatay Ehrenb.) 298 La Harengule d'Arabie (Hareng, arabica , nob.; Chip, arabica , Ehrenb.) 298 La Harengule de Forster (Hareng. Forsteri^ n.) 299 CHAPITRE IV. Du genre Pellone (Pellona) 3oo La Pellone de d'Orbigny (Pellona Orbignyana, nob.) 3o2 La Pellone de Castelnau (P. Castelnœana, nob.) 3 06 La Pellone diserte (Pell. I serti; Cl. af ricana ^ Bloch) 307 La Pellone mélastome (Pell. melastoma^ nob.) . 3o8 TABLE. XV Pages. Planch. La Pellone de Lcschenault {Pell. Leschenaulti , nob.) 3n La Pellone Ditchoee (Pell. Ditchoa^ nob.). . . 3i3 La Pellone ditchelée (Pell. ditchela^ nob.) . . 3i4 La Pellone de Gray (Pell. Grajana^ nob.) . . 3i5 La Pellone de Dussumier (Pell. Dussumieri, n.) 3 16 5g6 La Pellone vimbelle (Pell. vimbella, nob.) . . 317 La Pellone rasoir (Pell. novacula^ nob.). ... 319 La Pellone aux petites ventrales (Pell. micropus ? nob.) 32o La Pellone filigère (Pell. filigera^ nob.). . . . 32 2 La Pellone moti (Pell. motius, nob.) 32 3 La Pellone champil (Pell. champil^ nob.) . . . 324 La Pellone soborni (Pell. soborni^ nob.) . . . 325 CHAPITRE V. Du genre Pristigastre ( Pristigaster^ Cuv.) . . 326 Le Pristigastre tartoore (Pristig. tartoor, nob.). 328 Le Pristigastre de Cuvier (Pristig. cajanus^ Cuvier) 334 597 Le Pristigastre de Martius (Pristig. Martii, Ag.) 337 Le Pristigastre paille en queue (Prist. phaeton^ nob.) 338 CHAPITRE VI. Du genre Rogéme (Rogenia) 340 La Rogénie blanche (Rogenia alba, nob.). . . 341 5g8 CHAPITRE VII. Du genre Clupéonie (Clupeonia) 345 La Clupéonie de Jussieu (Clup. Jussieui, nob.). 346 599 XVJ TABLE. Pages. Plancli. La Clupéonie fasciée (Clup.fasciata^ nob.) . . 349 La Clupéonie de Coramerson (Chip. Commersoni. nob.) 35o La Clupéonie à bandes (Clup. vittata, nob.) . 35 2 La Clupéonie de Bloch {Clup. Blochii } nob.). . 35 3 CHAPITRE VIII. Du genre Spratelle (Spratella) 356 La Spratelle naine (Sprat, pumila^ nob.). ... 357 600 La Spratelle frangée (Sprat. Jimbriata, nob.) . 35g 601 CHAPITRE IX. Du genre Kowal (Kowala) 362 Le Kowal albelle (Kowala albella, nob.) . . . 362 602 Le Kowal cuirassé (Kowala tkoracatay nob.) . 36 3 CHAPITRE X. Du genre Melette (Meletta) 366 La Melette commune (Meletta vulgaris, nob.) 366 6o3 La Melette de la Méditerranée ( Meletta mediter- ranea, nob.) 3 69 La Melette du Sénégal (Mel. Senegalensis ? nob. ) 370 La Melette d'automne (Meletta matowacca ; Clu- pea matowacca , Mitch.) 371 La Melette veinée (Meletta venosa, nob.). . . 374 La Melette de Lesueur (Meletta Suœriij nob.). 375 La Melette à museau obtus (Meletta obtusiros- tris 7 nob. ) 375 La Melette de la Nouvelle-Hollande (MelettaNovœ Hollandia*. , nob.) 376 La Melette venimeuse (Meletta venenosa^ nob.) .377 La Melette lile (Meletta lile, nob.) 378 TABLE. XV1J CHAPITRE XL Pagrs. PlancL. Du genre Alose (Alausa) 389 L'Alose commune (Alausa vulgaris, nob.). . . 3gi 604 L'Alose Eba (Alausa Eba^ nob.) 417 L'Alose à dorsale noire (Alausa dorsalis ? nob.) 418 L'Alose tyran (Alausa tyrannus, Dekay) . . . 419 L'Alose savoureuse {Alausa prœstabilis ? Dek.) 421 L'Alose grêle (Alausa teres , nob.) 423 L'Alose Menhaden (Alausa Menhaden^ nob.) . 424 L'Alose shadine (Alausa shadina , nob.). . . . 426 L'Alose dorée (Alausa aurea^ Spix) 427 L'Alose striée (Alausa striata^ nob.) 429 L'Alose mouchetée (Alausa maculata, nob.). . 430 L'Alose bleue (Alausa cœruleay nob.) 432 L'Alose Palasah (Alausa Palasah^ nob.) . . . 432 L'Alose Toli (Alausa Toli^ nob.) 43 5 L'Alose de Reeves ( Al. Reevesii^ Richardson) . 437 L'Alose aux petites écailles (Al. microlepis^ nob.) 439 L'Alose chapra (Alausa chapra^ nob.) .... 440 L'Alose verte et blanche (Alausa argyrochloris . nob.) 440 L'Alose à caudale noire (Alausa melanura, nob.) 441 L'Alose scombrine (Alausa scombrina ? nob.) . 442 L'Alose aux points noirs (Alausa melanosticta ? Temm. et Schl.) 444 De la Sardine (Alausa Pilchardus , nob.). . . 445 60 5 ADDITIONS au volume XX. Le Clupanodon mol in s , Buch 461 Le Clupea fuegensis , Jenn 462 20. b XVII) TABLE. Pages. Plancli. Le Clupea acuata , Jeun. .463 Le Clupea sagax , Jenn 463 Le Clupea Isengleena, Rich 464 Le Clupea nymphœa^ Rich 465 Le Clupea cœruleo-vitlata, Rich 465 Le Clupea Jlo s -maris , Rich 466 Le Clupea gracilis^ Temm. et Schl. ...... 466 SUPPLÉMENT au chap. VI du liv. XX, tom. XIX, p. 3 16. Du genre Dussumiérie, et en particulier de la Dussumiérie à museau aigu ( Dussumieria acuta , nob.) 467 606 HISTOIRE STiiLVWlBlBILILlB DES POISSONS. LIVRE VINGT ET UNIEME. DE LA FAMILLE DES CLUPÉOÏDES. Cette famille, l'une des plus utiles à l'homme par les immenses provisions d'aliments qu'elle vient, avec une admirable régularité, offrir, tous les ans, à son courage et à son industrie, est aussi l'une des plus remarquables pour les naturalistes, par la variété de ses espèces, et par les singularités de leur organisation. L'in- stinct irrésistible qui porte la plupart des du- pées à sortir de leurs retraites à des époques fixes, rend leurs apparitions tellement régu- lières , qu'on les a considérées comme des migrations analogues à celles de certaines es- pèces d'oiseaux. Les poissons de cette famille ont le corps gé- néralement allongé et très-comprimé. Le ventre l'est surtout; aussi on lui donne l'épithète de tranchant. Il la mérite d'autant mieux qu'il porte, à une ou deux exceptions près, une 30. i 2 LIVRE XXI. série de chevrons cornés, dont l'arête, pro- longée en pointe, fait de la carène une véri- table scie dentelée. Toutes les clupées sont couvertes d'écaillés assez grandes, mais qui tombent facilement. Leurs nageoires n'ont jamais de rayons épineux; celles du ventre sont à peu près sous le milieu du corps ; la dorsale, de médiocre longueur, est toujours unique. Indépendamment de ces caractères, tirés de la conformation générale, les clupes en ont deux plus précis dans la structure de leur mâchoire supérieure. Le premier, qui leur est commun avec les espèces de la famille des Saumons, consiste en ce que leurs intermaxil- laires ne faisant pas le bord entier de la mâ- choire, n'en occupent que le milieu, et en ce que les maxillaires, au lieu d'être reportés en arrière , en forment les côtés. Le second est pris de la structure du maxillaire. Cet os, simple dans le très -grand nombre des pois- sons, est composé dans ceux-ci de trois pièces qui se voient, même a l'extérieur, et que l'on peut aisément détacher par la cuisson ou par la macération. Tel est l'ensemble des carac- tères extérieurs des poissons que je com- prends aujourd'hui dans les Clupéoïdes. Cette famille, ainsi caractérisée, me paraît mieux circonscrite que celle établie sous ce même CLUPÉOÏDES. 5 nom par M. Cuvier dans le Règne animal. C'est pour arriver à cette précision que, dans le* livre précédent, j'ai retiré des Clupéoïdes de mon illustre maître plusieurs petites fa- milles, composées de poissons qui n'ont point le ventre dentelé, et dont les maxillaires sont simples. Les espèces que je réunis ici ont toutes les ouïes très-ouvertes, la membrane branchios- tège soutenue par des rayons, dont le nombre n'est pas très -considérable. Les arceaux des branchies sont armés de dentelures très-lon- gues et semblables à des dents de peigne , di- rigées en avant. A l'intérieur, les arêtes sont très-fines, très-nombreuses, et pénètrent dans la chair en divers sens , ce qui tient à ce que les vertèbres et les côtes ont deux rangs d'apo- physes transverses, naissant horizontalement, les unes de la base de l'apophyse épineuse supé- rieure , les autres de la côte près de son articu- la tion.Toutes ces apophyses, ainsi que les côtes, sont longues et souvent fines comme des che- veux. Le canal digestif est assez simple, car il se compose généralement d'un estomac conique, pourvu d'une branche montante , souvent charnue, et d'un intestin qui ne fait que deux replis. La première portion du canal intestinal est toujours garnie d'un nombre plus ou moins 4 LIVRE XXI. considérable de ccecums allongés. Le foie et la rate sont petits. Tous ces viscères occu- pent, en général, peu d'espace sous le repli du péritoine qui les enveloppe, parce que le reste de cette partie de la cavité abdominale est rempli par les organes de la reproduction, qui prennent un développement considérable à l'époque du frai. Ce grand nombre de ger- mes explique comment cette famille peut ré- sister à la destruction incessante que l'homme en fait. Les sacs ovariens sont toujours com- plètement fermés, d'où il résulte que les œufs, au moment de leur éclosion , ne tombent pas dans la cavité péritonéale , ainsi que nous l'a- vons vu dans les Erythrins, ou que nous en retrouverons l'exemple dans les espèces de la famille des Saumons et de celle des Anguilles. La vessie aérienne est toujours très -grande. Elle communique avec le canal digestif par un conduit pneumatique très -grêle, qui semble n'être souvent que la continuation de l'es- tomac, parce qu'il s'abouche à la pointe même du cône de ce viscère. Il vient aussi s'ouvrir dans quelques espèces sur la face dorsale de l'estomac ou de l'œsophage. Nous avons vu rarement cette vessie se bi- furquer en arrière, et les deux longues cornes coniques pénétrer dans l'épaisseur des muscles CLUPÉOÏDES. 1S coccygieus le long des interépineux de l'anale. Dans toutes les espèces, l'extrémité anté- rieure de la vessie est toujours simple, et le plus souvent pointue. Elle s'arrête sous le corps des premières vertèbres, qui n'ont au- près d'elle aucun osselet comparable à ceux de Weber. Deux petits ligaments vont atta- cher cette vessie à la base du crâne. Ils sont constamment pleins. Ce sont eux*que quel- ques anatomistes ont pris pour des tubes de communication entre la vessie aérienne et l'oreille interne. Jamais cet organe ne com- munique avec l'intérieur du crâne. J'ai em- ployé tous les moyens anatomiques, ou fait toutes les expériences qui pouvaient m'assurer de l'occlusion complète de la vessie, et par conséquent, de l'absence de toute communi- cation entre elle et la boîte cérébrale. Les poissons de cette famille, aujourd'hui si nombreuse, ont été pour la plupart incon- nus aux ichthyologistes qui m'ont précédé. Je ne crains pas aussi de dire que les espèces dont ils ont parlé ont été fort mal caractéri- sées dans leurs ouvrages, et que la synonymie y est presque entièrement fautive. Nous ren- voyons aux chapitres spéciaux, où nous trai- tons de chaque espèce en particulier, l'examen de ce que les auteurs, depuis le seizième siècle 6 LIVRE XXI. j usqu'à Willughby, ont dit de ces poissons. Mais l'on ne peut voir sans surprise comment Ar- tedi et ses successeurs ont traité leur genre Clupea, et l'on est étonné de la confusion ou de l'ignorance qui existent chez ces auteurs systématiques. Ainsi Artedi caractérise ses du- pées par les huit rayons de la membrane branchiostège; ce qui n'est pas vrai pour sa seconde espèce, le Sprat, qui n'en a que six- par le ventre tranchant et dentelé, ce qui n'est pas plus exact pour sa quatrième espèce, r Anchois ; et par la position de la dorsale un peu plus rapprochée du museau que les ven- trales : on sait aussi que ce dernier caractère est bien vague. De plus, il confond la sardine avec le hareng, de sorte qu'il méconnaît une espèce d'une grande importance dont Belon lui donnait l'indication sous le nom français a de Célerin. Il rapporte, dans sa synonymie, au hareng du Nord, qu'il connaît très-bien, ce que les auteurs riverains de la Méditerra- née ont dit d'une clupée de cette mer, qui n'est ni la sardine ni le hareng, parce que ce grand ichthyologiste ignorait que ce dernier poisson n'existe pas dans la Méditerrranée. Cependant Artedi, avec son exactitude ordi- naire , avait eu soin d'indiquer dans le hareng la présence des dents sur la langue ou sur le CLUPÉOÏDES. 7 palais. Il avait par là mis sur la voie de trou- ver les caractères précis de ces espèces. Je m'étonne que M. Cuvier n'y ait pas fait plus d'attention; il aurait évité par là les erreurs qu'il a laissé échapper dans son ouvrage. Linné, dès sa dixième édition, ajoute quel- ques mots à la diagnose générique cl'Artedi; . il remarque que les maxillaires supérieurs sont dentelés, mais il reproduit le nombre des huit rayons branchiostèges , ce qui ne l'empêche pas d'inscrire parmi ses espèces des poissons, qui en ont cinq, sept, et même dix. Il indique dix espèces dans. son genre; mais parmi elles son Clupea sternicla est de la famille des Saumons; son CL tropica est très -probable- ment quelque espèce de scombéroïde voisine des sérioles. Il ne fait d'autres changements à la douzième édition que d'ajouter une espèce. Gmelin a conservé le genre de Linné en y introduisant trois poissons nouveaux, dont l'un, le CL haumela est un scombéroïde du genre Trichiure; l'autre, le CL dorab, pris dans Forskal, est le genre Chirocentre; et enfin, ce qui est plus extraordinaire, il ajoute, sous le nom de CL villosa le Sahno ' groenlandicus de Mùllei', qui est effectivement de la famille des Saumons. Bloch, qui a donné l'indication d'un certain 8 • LIVRE XXI. nombre d'espèces nouvelles, n'a pas mieux caractérisé que ses prédécesseurs son genre Clupea. Car de ses deux caractères, le premier, la fossette du vertex, est vague et sans valeur zoologique ; le second , l'abdomen caréné et dentelé en scie, n'est pas représenté dans un grand nombre d'espèces à ventre arrondi et sans dentelures que Bloch a inscrites dans le genre. D'ailleurs, un autre reproche plus grave qu'on peut lui faire, c'est de n'avoir pas" fait connaître les espèces communes de nos côtes; ainsi il a mal représenté le hareng, l'alose, l'an- chois, le sprat; la figure de son Cl. Pilcharclus est très -mauvaise; il y a oublié les stries de l'opercule, seul trait caractéristique de cette espèce , et il n'a pas su reconnaître en elle la sardine d'Europe qu'il confond avec le sprat. Enfin il cite dans %a. liste des clupées le genre Chirocentre emprunté à Forskal, et un cyprin qu'il a d'ailleurs si mal représenté, que je me suis demandé, même en l'inscrivant avec doute parmi nos ables\ s il n'avait pas eu raison, dans son Système posthume, de le rapporter aux Clupées. En effet, le ventre parait un peu dentelé, et la position des ventrales, par rap- port à la dorsale, pourrait faire soupçonner 1. Hist. nat. «les poiss., i. XVII, p. 342. CLUPEOIDES. que Bloch possédait une espèce de Pellone; mais l'anale serait beaucoup trop courte, et les ventrales beaucoup plus grandes qu'aucune des espèces de ce genre dont elle n'a pas ab- solument la physionomie. M. de Lacépède, qui a fait paraître son travail sur les Clupées très -peu après celui de Bloch, et qui en a profité, a commencé à faire quelques réformes utiles dans le genre de Linné. En effet, il a retiré des clupées pour en faire un genre , sous le nom de Mjs~ tus , le Clupea rnystus d'Osbeck. Il n'en a pas malheureusement saisi le caractère essentiel, sans quoi il aurait su y réunir d'autres pois- sons qu'il laissait parmi le premier genre. D'un autre côté, il a formé, sous le nom de Clupa- nodon, un genre qui devait comprendre les espèces caractérisées par l'absence de dents aux mâchoires. Rien ne prouve mieux que ce travail, combien sont faibles en histoire na- turelle les travaux exécutés avec les livres seuls, à côté de ceux faits sur la nature. Notre célèbre ichthyologiste n'inscrit pas dans ce nouveau genre, Clupanodon, l'alose qui manque de dents, souvent aux mâchoires, et toujours à tous les os de l'intérieur de la bouche. Il place également parmi ses clupées la sar- dine, dont il emprunte à Bloch le nom latin 4 0 LIVRE XXI. et fautif, et qui , comme l'alose , manque de dents à tous les os de la bouche, et il ins- crit parmi ses clupanodons le Pilchard, qui n'est autre que la sardine. Son Clupanodon africain est une Pellone, qui a les mâchoires dentées; son Clupanodon chinois est un com- posé de deux espèces différentes, appartenant à deux groupes tout à fait distincts; car nous démontrerons que l'une d'elles , prise dans Nieuhof, est une spratelle et l'autre une clu- péonie très -voisine du Clupanodon Jussieu, espèce qui n'est pas non plus établie sans quelques erreurs. Enfin, les deux premiers Clupanodons de Lacépède [CL thrissa et CL nasicà) appartiennent à un genre distinct, celui des Chatoessus. Il résulte donc de ces observations que le genre Clupanodon de La- cépède ne peut pas être conservé. D'ailleurs , le genre Chipée de cet auteur contient des espèces qui se rapportent à plusieurs genres et même à des familles distinctes, et qui ont été reproduites plusieurs fois et sous plusieurs noms dans cet ouvrage d'ichthyologie. Ainsi, nous avons dé- montré que le Clupea fasciata est un Equula, genre de la famille desZées ou des Scombres. Le Clupea macrocephala est du genre Aïbula et le même que V Aïbula Plumieri, et sans répéter les doubles emplois qu'il a empruntés à ses CLUPÉOÏDES. \ \ prédécesseurs, l'on verra que les trois espèces de Clupea alosa, Cl. fallax et Cl. rufa ne sont que nominales, et qu'elles appartiennent toutes à notre alose commune. M. Cuvier , qui a éclairci , par la sagacité de sa critique et la rectitude de son juge- ment, plusieurs des erreurs que je viens de signaler, a commencé à débrouiller le*genrt; Clupea, en le subdivisant en plusieurs autres ou en rapprochant ceux que M. de Lacé- pède avait fondés, mais qu'il avait dispersés dans son ouvrage contrairement à toutes les affinités naturelles. Ainsi, le genre des Anchois (Engraulîs) et celui des Pristigastres , sont heureusement établis dès la première édi- tion du Règne animal. M. Cuvier y ajoute, dans la seconde, les Chatoessus, qui sont en effet plus voisins des harengs que les Mégalopes avec lesquels on les confondait; puis il réunit à côté de ces genres et dans une famille assez na- turelle ses Thrysses ou les Mjstus de Lacépède, les Odonthognates et les Notoptères de ce der- nier naturaliste. Mais malgré ces heureuses mo- difications apportées à un genre, si mal étudié jusqu'à présent, la composition que M. Cuvier fait de son genre Hareng ou Clupea, et le caractère qu'il assigne à celui de ses Aloses {Alosa, Cuv.), n'est pas exact, parce que les \ 2 LIVRE XXI. espèces y sont associées sans que les détails de leur organisation aient été étudiés et appré- ciés à leur juste valeur. Ainsi, l'on voit qu'il a méconnu le harenguet, l'esprot, le melet, en les confondant tous sous le Clupea sprattus de Bloch. Il a de même réuni à tort la Blan- quette avec le White-bait des Anglais. S'il n'a pas coînmis la faute de comprendre la Sardine sous ces dénominations, il l'a séparée à tort du Gélan de nos côtes, qui ne diffère pas du Pilchard des Anglais. J'ai déjà témoigné plus haut mon étonne- ment de. ce que M. Cuvier, si habile à saisir les caractères de la dentition, et qui a rendu tant de services à l'ichthyologie , en donnant au système dentaire une haute valeur dans la diagnose de ses genres, n'ait pas tenu compte de la dentition des dupées, bien que quel- ques naturalistes, comme anciennement Artedi, et récemment M. Dekay, aient déjà indiqué par quelques mots les variations extraordi- naires que nous trouvons dans l'implantation des dents de ces diverses clupées. Cet oubli à fait que M. Cuvier a donné pour caractère de son genre Alose la petite échancrure de la mâchoire supérieure, caractère qui se retrouve dans les Clupea clupeola et Clupea humerahs, que M. Cuvier n'osait pas, avec raison, séparer de ses harengs. CLUPÉOÏDËS. \ 3 Tel était l'état de l'ichthyologie pour le genre Clupea, lorsque j'ai essayé d'étudier après ces célèbres naturalistes, les nombreuses espèces de ce genre dont quelques-unes pullu- lent sur les côtes , sont assez nettement dis- tinguées par les pêcheurs riverains , mais le sont mal par les ichthyologistes de cabinet. J'ai eu le bonheur dans les fréquentes explora- tions que j'ai faites sur les bords de la Manche et des mers du Nord de m'aider des conseils pratiques que la pêche pouvait me fournir pour reconnaître d'abord à la première vue les petites espèces de Clupées qui portent des noms diffé- rents dans les diverses localités. Ainsi l'on ne connaît point à Cayeux ni au Crotoi les noms de Blanquette, de Menuise, de Haranguet qui sont au contraire en usage de l'autre côté de la Manche sur les côtes du Calvados. Les Blanches de la baie de la Somme sont les Ha- ranguets de Caen, et ne sont que de jeunes harengs ; aussi ne les voit-on paraître en trou- pes innombrables qu'à la belle saison. Il est évident que c'est le produit de la ponte des harengs qui sont venus frayer sur la côte pen- dant l'hiver précédent. Je me suis assuré de la justesse de ces déterminations en examinant les dents et le squelette des harengs adultes et de ces jeunes individus. En faisant ces re- 1 4 LIVRE XXI. cherches, j'ai examiné la dentition des espèces étrangères réunies dans l'immense collection que j'ai le bonheur d'avoir à ma disposition, et j'ai vu ces variations se reproduire avec con- stance sur un assez grand nombre de Clupées qui avaient en même temps des différences dans la position des nageoires et dans la physiono- mie générale. Comme ces observations s'appli- quaient à des espèces qui avaient entre elles de l'affinité, il m'a été facile de former des groupes ou de nouveaux genres qui ont presque tous, pour chef de file, une de nos espèces côtières. Cette étude de la dentition, dont l'importance n'avait point échappé à Artedi, dans son étude du hareng , conduit à des déterminations aussi sûres que faciles de tous ces nombreux poissons, et sert à distinguer nos Clupées européennes. C'est ainsi que le TVhite-bait a des dents sur tous les os de l'intérieur de la bouche, c'est-à-dire sur les palatins, les ptérygoïdiens , le vomer et la langue; que la Harenguette, type de notre genre Harengule, n'en a point siv le vomer, mais ses autres os en sont garnis; que nos Clupées proprement dites , comprenant le hareng et quelques espèces voisines en ont une bande longitudinale sur le vomer, une autre sur la langue, et quelques petites et CLUPÉOÏDES. 1 5 difficiles à voir sur le devant des palatins, les autres os sont lisses. Nos Sardinelles dif- fèrent des Harengs parce qu'elles n'ont point de dents sur les mâchoires ni sur le vomer, mais qu'elles en ont sur les palatins, les pté- rygoïdiens et sur la langue. Ce genre a pour type ce poisson de la Méditerranée que les uns ont nommé le Hareng, et les autres ont pris tout aussi arbitrairement pour la Sardine ou le Pilchard. Certaines espèces étrangères viennent offrir des combinaisons nouvelles qui se rappro- chent de ces différents genres. Ainsi la posi- tion des ventrales et la longueur de l'anale caractérisent les Pellones; l'absence des ven- trales, les Pristigastres. Les Clupéonies sont des espèces étrangères qui n'ont de dents sur aucune autre pièce que sur la langue et les ptérygoïdiens. Chez nos Spratelles, c'est la combinaison de dents sur la langue et les palatins seulement. Dans les Kovales, nous voyons les dents disparaître sur la langue en même temps que sur les mâchoires, sur le vomer , sur les palatins , de sorte que les pté- rygoïdiens restent seuls armés de dents. Les Melettes, nom de genre que nous emprun- tons à des petites espèces de nos côtes de Bretagne et de Provence, ont pour caractère 16 LIVRE XXI. la présence de dents sur la langue seulement. Nous retrouvons cette combinaison sur des poissons de l'Amérique septentrionale et de la Nouvelle -Hollande presque aussi grands que nos Aloses. Celles-ci constituent un genre distinct, que nous caractérisons tout autre- ment que ne l'a fait M. Cuvier; nous faisons reposer leur caractère sur l'absence de dents à toutes les pièces de l'intérieur de la bouche. Il n'y en a pas plus sur la langue que sur le palais. Les dents des mâchoires sont petites, caduques, et le plus grand nombre des aloses en manquent même sur ces os. Après avoir ainsi caractérisé les espèces qui étaient toutes plus ou moins confondues dans le genre Clupea de Cuvier, et qui ont générale- ment la mâchoire inférieure plus allongée que la supérieure, nous avons à placer ces genres bien tranchés que M. Cuvier a établis sous des noms bien connus et adoptés en ichthyolo- gie. Ils forment cependant un second groupe qui peut être caractérisé par la saillie du museau au-devant de la mâchoire supérieure. Cette saillie, due au prolongement de l'ethmoïde, fait que les intermaxillaires ne sont plus pla- cés en travers sur le devant de la bouche comme dans les vrais harengs , mais qu'ils sont couchés sur les côtés. C'est le caractère le plus CLUPÉOÏDES. \ 7 apparent des Anchois, qui présentent dans tout ce groupe des Clupéoïdes une excep- tion fort remarquable. Le ventre de quelques espèces n'est point dentelé ; il est' cepen- dant impossible quand on place à côté l'une de l'autre, comme nous pouvons le faire, un aussi grand nombre d'espèces, de séparer les Anchois sans dentelures de ceux qui ont le ventre caréné et dentelé. M. Cuvier a caractérisé sous le nom de Thrisse les Mystus de Lacépède, en ajoutant au caractère de la réunion de l'anale à la caudale celui qui est fourni par le prolongement des maxillaires. J'ai adopté pour certaines espèces de l'Inde, dont les rayons de la pectorale se prolongent en longs filaments, la coupe générique établie par M. Gray sous le nom de Coïlia. Les Odonthognates sont des Mystus sans ventra- les; ils reproduisent dans ce groupe ce que les Pristigastres ont représenté chez les du- pées à mâchoire inférieure saillante au- de- vant de la supérieure. Les Notoptères vien- nent aussi se rapprocher de ces genres par leur longue anale réunie à une très-petite cau- dale, mais ils s'en distinguent par la forme de leur bouche et par la grosseur de leur museau. Outre les caractères des Glupées que nous retrouvons dans la bouche et dans le 20. 1 18 LIVRE XXI. ventre dentelé des Chatoessus, nous avons pour les distinguer le prolongement en long filet du dernier rayon de la dorsale. Tel est l'exposé des différents genres dont nous allons écrire successivement l'histoire. Ils composent une famille que nous considérons comme des plus naturelles en ichthyologie. Le nom de Clupea, sous lequel les pre- mières espèces ont été réunies par Artedi, n'a, dans les anciens, comme la plupart des autres noms de poissons, qu'une signification indéterminée et même variable. Aucun passage de ces auteurs ne le fait concorder précisément avec les poissons qui portent aujourd'hui ce nom. Pline * dit que le Clupea est un très-petit poisson qui tue XAttilus, c'est-à-dire l'Es- turgeon du Pô, en mordant une veine de sa gorge, ce qui se rapporte très-probablement à l'Ammocet ou Lamprillon [Petromjzon bran- chialis, Linn.). On pourrait croire aussi que c'est une autre espèce de petite Lamproie, le Sucet (Petromjzon Planeri). Callisthène, au contraire, cité dans le Traité des fleuves du Pseudo - Plutarque 2, prétend , au treizième livre des Galatiques, que le Clupea, ainsi ap- pelé par les gens du pays, est un grand poisson 1. PL, liv. IX, eh. 15. 2. Defluviis, p. 130 et 131 , tom. X, éd. Rciske. CLUPÉOÏDES. \ 9 de la Saône. Il est blanc, quand la lune croît, et il devient noir dans son décours. Lorsqu'il est arrivé à toute sa grandeur, il se décom- pose lui-même par l'action de ses arêtes. C'est un récit fabuleux dont cependant le fondement pourrait se trouver en partie dans cette mul- titude d'arêtes qui remplissent la chair de l'Alose ; et parce qu'après avoir frayé, les Aloses deviennent si faibles qu'elles se laissent en- traîner, couchées sur le côté, au fil de l'eau. Plusieurs même périssent par suite de l'épui- sement causé par le frai. Cet auteur ajoute qu'on trouve dans sa tête une pierre sembla- ble à un grain de sel, excellente contre les fièvres quartes, si on l'applique, lors du déclin de la lune, aux parties gauches du corps. Massarius a imaginé le premier que le Clupea devait être l'Alose; mais il ne donne, ainsi que Paul Jove, qui l'a suivi, d'autre motif à ce sen- timent que la ressemblance assez éloignée du nom de Clupea avec celui de Chieppa que l'Alose porte à Naples , en Toscane et à Venise. On a voulu aussi rapporter au Clupea un vers d'Ennius cité par Apulée dans sa première apologie1 : Omnibus , ut2 Clupea , prcestat mustela marina. 1. Tom. II, p. 484, éd. Oudend. 2. On lit aussi ni cl Clupeœ. 20 • LIVRE XXI. Mais il est évident par l'ensemble du passage dont l'objet est d'indiquer dans quel lieu chaque poisson est le meilleur, quil s'agit ici d'une ville et non pas d'un poisson, ainsi que l'a très- bien remarqué le père Hardouin. Les noms de Thrissa, de Trichis et de Trichias, ainsi que ceux de Membras et de Sardina ou Sardinia et de Chalcis, paraissent aussi , d'après l'ensemble des passages où il en est fait mention, ne pouvoir appartenir qu'à des poissons de cette famille. Un scholiaste d'Aristophane en attribue déjà l'origine aux arêtes fines et en forme de cheveu ($çt£) qui remplissent leur chair. Aristote l présente le Membras, le Trichis et le Trichias , comme différents* âges d'un même poisson : «de l'Apua de Phalère, dit-il, (et Apua est pour lui tout petit poisson qui vient de naître) viennent les Membrades, des Membrades les Trichides, et des Trichides le Trichias. Une autre sorte d'Apua du port d'Athènes donne les Encrasicholus.* Aristophane mentionne dans un endroit2 le Trichis, comme excitant la toux quand on en mangeait trop. Dans un autre 3 il parle d'en 1. Ris t. anim., VI, 15. 2. Dans les Harangueuses, v. 56. 3. Dans les Chevaliers, v. 662. CLUPÉOÏDES. 2 I donner cenl pour une obole; dans un troisième passage1 il le cite comme un objet d'approvi- sionnement pour les flottes; dans un qua- trième, conservé par Athénée 2, il fait dire à un de ses acteurs : Malheureux que je suis de mètre plongé dans la saumure des Tri- chides. Toutes ces indications prouvent que c'était un poisson très-commun, et que l'on en faisait des salaisons. On peut donc sup- poser que c'était la Sardine, l'Anchois ou la Melette; mais plus probablement les deux premières, dont les salaisons sont plus impor- tantes, et peut-être même ne devrait-on pas citer l'Anchois à cet endroit, puisqu'il est assez probable que les Grecs le désignaient par le nom $ Encrasicholus ou iïEngraulis. Le Chalcis appartenait aussi à ces poissons voyageurs et vivant en troupes, dont on faisait des salaisons. Aristote 3 le nomme expressé- ment parmi les poissons voyageurs, et même Callimaque, cité par Athénée, dit que les habitants de Calcédoine donnaient le nom de Chalcis à la Trichide. Il faut cependant remarquer qu'Aristote parle dans un autre endroit (liv. VI, chap. i4) d'un Chalcis llu- 1. Les Acharnes, v. 51. "2. Olgades , cons. par Alhcnéc, liv. VII. 3. Hist. anim. , liv. V, eh. 9. 22 LIVRE XXI. viatile, très -probablement différent du pre- mier, puisqu'il lui attribue un autre nombre de ponte par an. Athénée ' range aussi le Chalcis parmi les poissons qui ont beaucoup d'arêtes, et Pcenetes, cité par Athénée, prétend qu'il était le même que le Sardinia; mais cette assertion est au moins trop générale; car Go- lumelle 2 les distingue ; il veut que l'on donne au poisson dans les viviers tabentes haleculas et salibus excœsam Chalcidem putremque Sardiniam. Peut-être même toutes ces varia- tions de nomenclature doivent- elles s'expli- quer par la différence des lieux d'où venaient les Sardines et autres petites Chipées que l'on conservait. On peut croire aussi que la diffé- rence des préparations qu'elles recevaient les faisaient changer de nom, comme nous nom- mons aujourd'hui le même poisson Cabeliau, Morue et Stock-fisch , selon qu'il est frais, salé ou séché. Dans aucun cas on ne peut appliquer un seul de ces noms au Hareng , comme l'a voulu faire Belon, puisque le poisson n'existe pas dans la Méditerranée. Le scoliaste d'Aristophane a cru que le Thrissa pouvait être le même que la Trichide ; 1. Liv. VII, p. 328. 2. De te rust., liv. VIII, ch. 17. CLUPÉOÏDES. 23 mais cette assertion n'est pas exacte. Aristote parle du Thrissa et du Trichis comme de poissons distincts, et Athénée1 disant que le Thrissa, le Trichis et le Chalcis se ressem- blent, indique bien qu'ils n'étaient pas les mêmes. Gaza a traduit le Thrissa d' Aristote par Alosa, et Gilius nous . assure que c'est le nom que l'Alose porte chez les Grecs mo- dernes. En effet, si l'on excepte un passage d'un ouvrage perdu d'Aristote, cité par Athé- née, et où il aurait dit que le Thrissa, YEn- crasicholus , le Membras, le Trichis ne chan- gent point de lieu, les autres passages des an- ciens sur le Thrissa n'ont. rien qui empêche de croire que ce nom se rapporte à l'Alose. Le texte d'Aristote me paraît même avoir été altéré; car il serait très-singulier que cet émi- nent naturaliste eût nié le changement de lieux de la part de poissons qui sont tous essentiellement voyageurs. Oppien a rangé positivement le Thrissa avec le Chalcis, et ÏAbramis parmi les poissons qui voyagent en troupe. Dans un autre endroit d'un ou- vrage également perdu, dont Athénée3 rap- porte une citation, Aristote disait que le 1. Liv. vu , p. 328. 2. Liv. VII, p. 328. 24 LIVRE XXI. Thrissa est nommé Orchestride, parce qu'il aime la danse et le chant ; or, Elien l assure que les habitants des bords du lac Marotis attirent les Thrissa au son des instruments, et qu'ils viennent, comme en dansant, se prendre dans les filets. Ce qu'il y a de remar- quable, c'est que Vincent de Beauvais et Albert le Grand racontent précisément la même chose des Aloses de la Belgique et de la Basse- Allemagne. Albert dit en avoir % été témoin oculaire. Ces traditions populaires n'ont pas même été oubliées par Lafontaine. Dorion, cité par Athénée9, mettait le Thrissa dans les poissons fluviatiles. Athénée3 compte aussi le Thrissa parmi ceux du Nil. Strabon4 con- firme cette assertion, car il prétend, d'après Aristobule, que le ®§foact, le Muge et le Dau- phin sont les seuls poissons de mer que la crainte du crocodile n'empêche pas de re- monter le Nil. Or, l'Alose habite la mer, remonte dans les fleuves et se trouve effecti- vement dans le Nil. M. Geoffroy Saint-Hilaire en a rapporté des individus qui sont en- core déposés dans le Cabinet du Roi. Enfin , 1. El., liv. VI, eh. 32. 2. Liv. VII , p. 328. 3. Liv. VU, p. 312. 4. Liv. XV, r. 707. CLUPÉOÏDliS. 25 Athénée place Le Thrissa, d'après Hicesius, avec le Chalcis, XHircus et l'Aiguille parmi les poissons dont la chair est sèche, peu grasse et remplie d'arêtes; toutes choses qui con- viennent assez bien à l'Alose. Mais Aristote l dit dans un autre endroit que le Thrissa ne se trouve point dans l'Europe , non plus que tous les poissons qui ont le plus d'arêtes. Le nom d'Alose, Alausa, ,'se montre pour la première fois dans le poème de la Moselle d'Ausone : Stridentes (j ue focis opsonia plebis alausas ; mais il est assez singulier qu'il n'en fasse qu'un mets du petit peuple. Il n'y a pas de doute sur les noms anciens de l'Anchois. On l'appelait également Encra- sicholus, Engraulis , Lycostomus et Eriti- mus. Élien, livre VIII, chapitre 18, témoigne de la synonymie de ces trois premiers noms, en même temps qu'il décrit assez bien le pois- son et ses habitudes pour le faire reconnaître. C'est celui de Av/oaropoç que les Grecs mo- dernes lui ont conservé; il vient sans doute de la grande ouverture de sa gueule. Celui (MÈyyçctaixoXoç , qui signifie Xefiehdans la tête, 1. Liv. IX, eh. 37. 2. Aus., Mos., v. 1-27. 26 LIVRE XXI. tient sans doute à ce que , pour préparer l'An- chois, on lui arrache la tête en même temps que le foie et les intestins. Èyyçuvtàs en est pro- bablement une contraction. Eritimus n'était qu'un autre nom de l'Anchois, spécialement usité à Chalcédoine , selon Callimaque. l Il resterait à parler de XApua ou Aphya, et de XHalec ou Halex. Nous avons déjà vu qu'on nommait Apua le nouveau frai de toute es- pèce de poisson, comme en Normandie on appelle Montée le frai de l'Anguille, sur les côtes de Provence et d'Italie, Nonnato le frai des Athérines, des Muges; comme l'on appelle dans la Tamise le White-bait f cette petite espèce de Clupée, que l'on estime surtout lors- qu'elle n'a qu'un pouce à un pouce et demi de longueur. On voit même par les passages d'Aristophane cités plus haut, que l'on em- ployait comme synonymes de Trichis tous ces petits Apua. Quant aux noms de Halex et de Haie- cula, ils désignent, en latin, tous les petits poissons que l'on salait. C'était encore une sorte de liqueur ou de garum corrompu. Le nom d'Halecula s'appli- quait aussi à un petit poisson peu estimé que l'on conservait dans le sel, et que Columelle 1. Athénée, liv. VU, p. 329. CLUPÉOÏDES. 27 conseille de donner au bétail qui a quelque dégoût pour les aliments. En rapprochant les différents passages que Rondelet ou Gesner ont extrait d'Ovide, de Martial et autres sur Halex et Halecula , on voit qu'ils n'enten- daient point appliquer ces noms à une espèce particulière de poisson. Le nom de Hareng ou de Harengus n'é- tant certainement ni grec ni latin, il est évident qu'on ne doit pas en parler dans cette dis- cussion sur les dénominations anciennes des Clupées. J'ai rapproché ici toutes ces citations qui se rapportent à la synonymie ancienne de nos Clupées, sur laquelle on ne peut avoir que des présomptions. Elle reste, dans ce cas, comme pour toutes les autres synonymies grecques ou latines des poissons, toujours in- certaine, parce que ces pères de l'histoire na- turelle n'ont jamais cité que les habitudes des animaux. Ils en rapportaient souvent les traits essentiels mêlés ou altérés par les croyances populaires ou par cet amour du merveilleux que les hommes qui ne sont pas physiciens ou naturalistes exacts, mêlent presque tou- jours à leurs observations. 98 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. CHAPITRE PREMIER. Du genre Hareng (Clupea, Cuvier). Je commence l'histoire des Clupéoïdes par celle du genre qui comprend le hareng, parce que c'est de tous les poissons de cette famille celui qui est le plus connu et le plus utile à l'homme. Les caractères de ce genre reposent, d'après les principes que j'ai établis plus haut, sur la dentition de ces Clupées. Je ne classe dans ce genre que les espèces qui ont de petites dents sur les intermaxillaires, des crénelures si fines aux maxillaires qu'elles sont plus sensibles au tact que visibles à l'œil nu. Il y a aussi de petites dents sur le pour- tour de la symphyse de la mâchoire inférieure qui dépasse la supérieure. Des dents plus fortes et plus faciles à voir existent sur le vomer et y sont implantées sur une bande longitudinale. Une autre bande semblable et correspondant à celle-là hérisse la langue. Il n'y a que deux ou trois petites dents sur le bord externe des palatins; elles tombent même si facile- ment, que sans des observations attentives et répétées, on pourrait croire que ces os sont lisses comme les ptérygoïdiens. Le corps des espèces du genre Hareng est allongé, le dos est arrondi, les flancs sont épais et le CHAP. I. HARENGS. 29 ventre est plus ou moins comprimé ou tran- chant, selon que l'on observe un individu péché pendant qu'il est plein ou après qu'il a frayé. La dorsale est petite, attachée sur le milieu de la longueur du corps; les ventrales répondent à cette nageoire; les pectorales sont petites; l'anale est très-basse. Le canal intes- tinal ne fait que deux replis ; il a de nom- breux ccecums. L'estomac est un sac conique. La vessie aérienne est grande, pointue aux deux extrémités ; elle communique par un canal long et très - étroit avec la pointe de l'estomac. Je ne connais encore qu'un petit nombre d'espèces de ce genre, qui ont été jusqu'à moi confondues sous le nom de Clupea harengus. Il faut d'ailleurs remarquer que sous cette dé- nomination linnéenne, Artedi et ses succes- seurs avaient compris plusieurs autres poissons qui sont pour moi de genres différents. Je conserve à ce genre le nom de Clupea que M. Cuvier a pris d'Artédi, en restreignant la signification que cet ichthyologiste et Linné lui attribuaient. Cette expression générique reçoit aujourd'hui dans notre ouvrage une ac- ception nouvelle et différente de celle que ces trois grands naturalistes lui assignaient. Mais, comme M. Cuvier entendait l'appliquer plus 50 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. spécialement au hareng, je crois devoir conser- ver ce qui a été la première pensée de l'auteur du Règne animal. Je suis en cette circonstance la règle que je n'ai pas encore manqué d'ob- server pour mon illustre maître, ou pour les savants naturalistes dont j'ai cru nécessaire de modifier les travaux. Du Hareng commun. (Clupea harengus , Linné). Le hareng d'Europe est une espèce des plus célèbres à cause de sa fécondité, des services qu'il rend à l'industrie, et je dirai même à cause des récits merveilleux que l'on ajoute à son histoire. Il est familier à tous les peu- ples qui habitent sur les bords de l'Océan jusqu'auprès du pôle arctique, et qui se livrent à sa pêche avec un courage aussi audacieux qu'infatigable. Le commerce le répand, con- servé par les préparations que l'homme sait lui faire subir, dans presque toutes les parties du monde. Par son inépuisable fécondité le hareng est une de ces productions naturelles dont l'emploi, comme le dit M. de Lacépède, décide de la destinée des empires. La graine du caféier, la feuille du thé, les épices de la zone torride, le ver qui file la soie, ont moins influé sur les richesses des nations que CHAP. I. HARENGS. "31 le hareng de l'Océan septentrional. Le luxe ou le caprice demandent les premiers, le be- soin réclame le second. La pêche de ce poisson fait partir chaque année des côtes de France, de Hollande, d'Angleterre, des Hottes nom- breuses pour aller chercher dans le sein d'une mer orageuse la moisson abondante et assurée que ses légions innombrables présentent à la courageuse activité de ces peuples. Les grands politiques , les plus habiles économistes ont vu dans la pêche du hareng la plus importante des expéditions maritimes , ils l'ont surnommée la grande pêche. Elle forme des hommes ro- bustes, des marins intrépides, des navigateurs expérimentés. L'industrie qui s'empare des produits de ces pêches, sait en faire l'objet d'un commerce, source de richesses inépuisa- bles. Mais avant d'examiner ce que ces grandes entreprises peuvent procurer de bien-être à l'homme, il est naturel de commencer par décrire scientifiquement un poisson que tout le monde connaît, mais que bien peu ont étudié. Les diverses proportions du hareng varient selon les individus que l'on examine, suivant les saisons. En les prenant d'abord sur des harengs pleins, on trouve qu'un mâle a la ligne du profil supérieur très- peu convexe ; celle du ventre est au contraire tout à 3 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. fait concave; la hauteur fait le cinquième de la longueur totale; j'ai, à côté de lui, une femelle, également pleine, dont la hauteur est cinq fois et un tiers dans cette même longueur totale. Le dos est épais et ar- rondi; la plus grande épaisseur est deux fois et demie dans la hauteur. J'ai observé cependant parmi tous ces harengs, que l'on apporte aux marchés, des indi- vidus dont le co'rps paraît beaucoup plus allongé, parce que la courbure du ventre est moins pronon- cée; ils sont cependant pleins : la laite sort sous la plus faible pression. La hauteur est contenue six fois dans la longueur totale. Ces harengs allongés sont ceux que les marchands appellent communément les harengs de Calais; ces changements de propor- tion sont peut-être dus à ce que les premiers n'ont pas encore commencé à frayer, tandis que les au- tres, plus septentrionaux, auraient déjà lâché une partie de leur frai. La longueur de la tête est contenue cinq fois et un tiers dans la longueur totale des individus qui ont le corps trapu, et je ne la trouve que cinq fois dans la longueur de ceux qui ont le corps plus étroit et plus allongé. Toutefois en rapprochant un nombre considérable d'exemplaires, et en les examinant avec soin pour voir si l'on pourrait trouver quelques dif- férences assez constantes pour la considérer comme un caractère spécifique, on ne tarde pas à se con- vaincre que ces légères différences ne sont qu'indi- viduelles. L'œil est assez grand , un peu ovale : son plus grand diamètre serait plutôt oblique et perché en CHAP. I. HARENGS. 55 avant que vertical. Le cercle de l'orbite n'entame pas la ligne du profil, quoique l'œil soit tout à fait sur le haut de la joue. Une double paupière adipeuse est étendue sur la cornée; l'antérieure recouvre le premier sous - orbitaire que l'on ne voit que par transparence; la seconde va toucher l'angle supé- rieur du préopercule. L'orbite est cerné en des- sous sur quatre sous-orbitaires, et en dessus par un sourcilier; mais comme ces os minces ne se voient bien que par la dissection, nous y revien- drons en décrivant le squelette. Le préopercule est mince comme une écaille; son angle est arrondi; son limbe, large, est sillonné par de petits filets anastomosés, formant des rivulations qui ne gagnent point les sous-orbitaires. Cet os couvre la plus grande partie de la joue; il ne laisse voir qu'une très -petite portion de l'interopercule, qui est mince , étroit et arrondi près du stfus-'oper- cule; celui-ci est irrégulièrement triangulaire; son angle postérieur est aigu ; le bout de réunion avec l'opercule fait une sinuosité très-ouverte. L'opercule est irrégulièrement quadrilatère; son angle supérieur est arrondi; sa surface est lisse et sans aucunes stries; c'est ce qui sert à le faire distinguer, par les mar- chands, de la sardine adulte, qu'ils amènent à Paris sous le nom de Harengs de Berck. Nous revien- drons sur ce caractère en décrivant cette espèce de Clupéoide. Il n'y a pas de bord membraneux à l'opercule. L'ouverture de la bouche est assez large ; elle est surtout agrandie par la mobilité et la protraction 20. 3 34 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. du maxillaire; cet os est complexe dans le hareng, car il est formé de trois pièces : la plus grande ou le maxillaire principal a toute sa portion, ou, si - l'on aime mieux, tout son corps dilaté en une pe- tite lame mince qui donne en avant une apophyse styloïde étroite et courbée pour aller rejoindre, par une tête un peu élargie , l'ethmoïde , et s'articuler ainsi au crâne. Cette tête a en même temps deux facettes, l'une postérieure pour les palatins, l'autre supérieure pour s'unir aux intermaxillaires. Les deux autres pièces supplémentaires sont placées en arrière de celui-ci; l'antérieure est longue et étroite, à peu près d'égalé largeur partout, et s'ar- ticule «à l'endroit de la flexion de la portion articu- laire du maxillaire principal. La troisième s'articule avec cette seconde pièce par un stylet grêle; elle se dilate ensuite en arrière en une petite palette ovoïde qui ne dépasse pas l'extrémité du maxillaire prin- cipal. Ces trois os ont un canal osseux qui les tra- verse dans toute leur longueur. L'intermaxillaire est extrêmement petit, sans branche montante, ta peu près triangulaire. La mâchoire inférieure a des branches minces et très-élevées. L'articulaire se dé- tache facilement des pièces antérieures ; on peut dire de sa formé qu'elle est plus triangulaire, tandis que celle du reste de la branche serait plutôt trapézoï- dale. On trouve une lèvre inférieure, épaisse et dila- tée, mais il n'y en a point à la mâchoire supérieure. La narine du hareng est une assez grande cavité, en partie recouverte par la membrane adipeuse qui forme la paupière; elle se prolonge presque autour CHAP. I. HARENGS. 55 de la demi -circonférence antérieure de l'orbite, de sorte que, par l'insufflation, on voit toute la région antérieure se soulever. Il y a , comme dans tous les poissons, deux ouvertures à la narine, mais telle- ment rapprochées l'une de l'autre qu'elles ne sont séparées que par une petite bride, ce qui rend l'anté- rieure très -difficile à apercevoir. L'ouverture posté- rieure est ovale, assez grande. Un très-petit os nasal est mobile au-dessus de ces deux ouvertures, que l'on trouve le long de l'extrémité du sourciller. En faisant remuer cet os, qui est assez mobile, on dé- couvre plus aisément les deux orifices de la narine. En soulevant la peau, épaisse, quoique transparente, on pénètre dans cette assez grande cavité au fond de laquelle on voit la petite rosette formée par les plis de la membrane piluitaire. Une portion assez longue du nerf de la première paire et plusieurs autres filets nerveux passent sous cette espèce de pau- pière. Cette anatomie , facile à faire, est très-jolie. Les dents des mâchoires sont d'une extrême pe- titesse. Celles de l'intermaxillaire et de l'extrémité de la mâchoire inférieure méritent presque seules ce nom. On peut reconnaître leur forme crochue- il y en a dix à douze sur un seul rang, c'est-à-dire, cinq ou six de chaque côté. Les dents du maxillaire sont tellement petites qu'elles ne sont en quelque sorte que de très -fines aspérités. Celles du vomer, quoique très -petites, sont plus fortes; on les voit sur deux rangées à l'extrémité antérieure : elles for- ment là un petit groupe longitudinal, puis il existe à l'extrémité de chaque palatin quatre ou cinq pe- 36 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. tites dents crochues disposées les unes derrière les autres, et formant avec celles du vomer les trois petits groupes des dents palatines. La langue est courte, obtuse, assez libre; elle est couverte d'une membrane épaisse, chargée de points pigmentaires. Sur le corps de l'os lingual il existe une petite plaque ovale, allongée, portant cinq à six rangées longitudinales de petites dents crochues plus fortes que celles des os déjà nommés. Je ne trouve pas de dents pharyngiennes. Les ouïes sont largement ouvertes; la membrane branchiostège ne dépasse point les rayons qui la soutiennent. Nous en comptons huit de chaque côté; les cinq externes sont grêles, les trois autres sont larges et aplatis. Le dessus du crâne est étroit et il devient même pointu entre les narines. La peau qui le recouvre est criblée de nombreux pores muqueux. L'opercule s'étend en grande partie jusque sur l'ossature de l'é- paule qui est composée d'os grêles et étroits. Comme ils sont cachés dans l'épaisseur des muscles, nous n'en parlerons qu'en décrivant le squelette. Les nageoires sont petites. La pectorale, étroite et pointue, est attachée vers le bas près de la carène du ventre. La dorsale est sur le milieu de la lon- gueur du dos. La ventrale lui correspond parfai- tement. L'anale est basse et égale. La caudale est fourchue. B. 8; D. 18 j A. 16; C. 23; P. 17; V. 9. Les écailles sont minces, en quelque sorte mem- braneuses : elles se détachent avec une telle facilité CHAP. I. HARENGS. 37 qu'il est très-rare de trouver un hareng qui ne les ait pas perdues presque entièrement : elles sont de grandeur médiocre. J'ai observé que le nombre des rangées varie entre cinquante- trois et cinquante-neuf. Toute la portion libre est couverte de stries concen- triques si fines qu'on ne peut les apercevoir qu'à un assez fort grossissement. Ces stries semblent s'éva- nouir sur la portion radicale, sur laquelle on compte quinze ou seize rayons à l'éventail : ils sont extrê- mement fins et le plus souvent ils s'anastomosent entre eux. J'ai dit que le dos du hareng était arrondi; son ventre est caréné, et la saillie de la courbure pa- raîtra plus ou moins forte selon que l'on observera un poisson plein ou vide. La carène est soutenue par un certain nombre d'écaillés pliées en chevron, dont le sommet élargi forme le corps et l'axe de la carène. Les côtés de cette ogive, prolongés en épines longues, grêles et très-pointues, embrassent le ventre. L'axe de la carène se prolonge en arrière en pointe imbriquée sur la pièce suivante; c'est ainsi que se trouve formé le tranchant du ventre des harengs. La carène est étendue depuis la ceinture humérale jusqu'à l'anus. Les seize premières pièces sont petites et ce n'est guère qu'à la neuvième que l'on commence à voir saillir les pointes latérales; ces petites épines grandissent jusqu'à la seizième qui répond à l'extrémité du rayon le plus court de la pectorale : au delà et jusqu'aux ventrales toutes ces pièces sont grandes et de la forme que j'ai d'a- bord indiquée; puis en arrière de la ventrale elles 38 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. diminuent de nouveau pour devenir presque rudi- mentaires auprès de l'anus. J'ai compté le nombre de ces pièces sur beaucoup d'individus, et j'en ai trouvé constamment quarante-deux. Un seul, venu de Brest, n'en avait que quarante, et un autre pris sur les côtes de Picardie en avait quarante -trois. Il me paraît que les jeunes individus en ont moins que les adultes, car je les ai comptées sur un grand nombre d'exemplaires de petite taille péchés a Caen , à Cayeùx, à La Rochelle, et je n'en ai trouvé que trente -cinq. La ligne latérale est difficile à voir et à suivre à cause de la caducité des écailles, cependant on par- vient à s'assurer de sa présence et de sa direction sur des individus bien conservés : elle est fine comme un trait tracé par le milieu du corps, depuis le mastoïdien jusqu'au milieu de la caudale. La couleur du hareng vivant est un vert glauque sur le dos , glacé d'argent , les flancs et le ventre brillant de cet éclat métallique le plus vif; mais dès qu'il est mort le hareng change de couleur et son dos prend cette teinte bleue, qui est celle que lui attribueront toutes les personnes qui ne l'ont pas vu sauter dans les filets du pêcheur. L'étude des viscères du hareng est aussi simple que les organes le sont eux-mêmes : Les branchies sont remarquables par la longueur des peignes qui forment les ratelures et qui sont disposés du côté de la bouche. Le cœur est petit, trièdre, son oreillette est fort grande et presque membraneuse. CHAP. I. HARENGS. 59 Le pharynx s'ouvre par un assez large entonnoir qui donne dans un court œsophage et de là dans un estomac conique et pointu; à peu près au tiers de sa longueur naît de la face inférieure la branche montante qui va presque toucher au diaphragme : elle se replie, et à cet endroit un changement d'é- paisseur très- notable marque le pylore et le com- mencement du duodénum : cet intestin est entouré de vingt appendices cœcales formant deux rangées de chaque côté du canal, les antérieures sont de moitié plus courtes que les dernières. L'intestin, re- tenu par un repli mésentérique d'une finesse extrême et qui est attaché dans le milieu de la gouttière de l'abdomen, marche droit jusqu'à l'anus 'sans faire aucun repli : ses parois sont très- minces et sa ve- louté forme un nombre considérable de rides com- parables à des valvules conniventes, mais qui ne forment pas une lame en spirale continue comme celle de l'intestin des Chirocentres ou de l'œsophage des Chanos. Le foie est petit, presque entièrement situé à la droite de l'œsophage; il est mince, triangulaire et terminé en pointe assez aiguë. Sous la branche mon- tante, la partie antérieure du foie s'épaissit un peu, et se porte vers le côté gauche; c'est sur cette por- tion que l'on trouve la vésicule du fiel assez grosse par rapport au volume du foie : elle est globulaire et presque adhérente sur l'intestin au delà du py- lore : le canal cholédoque est court. La rate est ob- longue, attachée sur l'intestin à l'endroit où il atteint l'extrémité des plus longues appendices pvloriques. 40 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. Les deux laitances, à l'époque où je décris le ha- reng, remplissent presque toute la cavité abdominale: elles sont plus épaisses du côté du dos que vers le ventre : elles paraissent subdivisées en plusieurs petits lobules : elles se rendent chacune dans un conduit unique, qui longe la face supérieure du rectum et qui vient déboucher au delà de cet intestin dans un petit conduit qui a l'apparence d'une papille, mais qui ne peut être considéré comme une verge sem- blable à celle de plusieurs autres espèces de poissons. Les sacs ovariques sont de leur côté remplis d'une immense quantité d'oeufs très-peu adhérents à toute la face ventrale de ce sac; les deux ovaires débou- chent presque en même temps et par un canal ex- cessivement court, au delà du rectum, dans une sorte de cloaque. En écartant les organes digestifs et génitaux, on trouve dans le haut de la cavité abdominale, à sa place ordinaire, une très-longue vessie aérienne étroite, pointue aux deux extrémités. La pointe de devant est longue et forme une sorte de véritable col tubuleux adhérent à la colonne ver- tébrale et terminé en un petit bouton arrondi; vers les deux tiers de la face inférieure de la vessie on voit naître le canal pneumatique qui communique avec l'extrémité de la pointe de l'estomac dont il semble être la prolongation. Si l'on insuffle l'intestin par le rectum, en ayant soin de fermer lœsophage, on gonfle très -aisément la vessie et on peut la dilater beaucoup. Comme celle de tous les poissons, elle est formée d'une membrane propre excessivement mince et d'une seconde tunique extérieure fibreuse CHAP. I. HARENGS. 41 et argentée. Son extrémité antérieure remonte jus- qu'à la première vertèbre et touche au basilaire; elle est retenue dans sa position non -seulement par le repli du péritoine ou par le tissu cellulaire qui l'en- toure, mais il y a encore de chaque. côté de la base du crâne un petit ligament filiforme attaché d'une part à la membrane propre de la vessie et inséré par son autre extrémité sur le mastoïdien. Je crois du moins que c'est bien à cet os qu'il prend son attache. Je me suis assuré par des sections répétées et par l'examen microscopique que cette bride est pleine et sa composition élémentaire est très - semblable à celle des tissus cartilagineux. On dislingue au moyen d'un fort grossissement de nombreux cysto- blastes qui m'ont rappelé tout à fait ceux que l'on voit quand on étudie la composition élémentaire des cartilages. J'insiste avec beaucoup de soin sur la nature de cette bride, parce que presque tous les anatomistes se sont trompés sur ce ligament, et qu'ils l'ont considéré comme un petit canal creux servant à établir une communication entre la vessie aérienne et l'intérieur de l'oreille. Je me suis assuré par tous les moyens anatomiques qui peuvent être employés, que cette communication n'existe pas plus dans le Hareng que dans la Sardine ou dans l'Alose. Aucune injection n'a pu passer de la vessie dans la boîte cérébrale. J'ai ouvert le crâne d'un hareng, et le sac de l'oreille d'un côté , et j'ai enlevé entièrement celui de l'autre côté. J'ai rempli d'air la vessie en l'in- jectant par l'estomac. Pas une bulle d'air ne s'est échappée de l'organe, après que la préparation a été 42 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. plongée plusieurs jours dans l'alcool. Il ne peut donc rester de doute à cet égard ; ces brides ne sont pas des tubes creux. En enlevant la vessie aérienne on trouve comme à l'ordinaire entre elle et la colonne vertébrale, les reins qui s'étendent depuis les grands sinus veineux de la tête jusque vers les quatre cinquièmes de la cavité abdominale, et ils paraissent réunis en un seul lobe dans la plus grande partie de leur longueur; de l'extrémité sortent deux uretères, qui donnent dans une vessie urinaire cylindrique étroite, à parois très-grêles, derrière l'ouverture des organes de la génération. Les recherches que j'ai faites sur les organes de la circulation du hareng me prouvent que l'aorte, engagée dans l'étui que lui offre la colonne verté- brale, est d'un diamètre assez considérable par rap- port au volume du corps. Je lui vois donner la grande artère de l'estomac à peu près au septième de la longueur de la cavité abdominale, et, ce qui est remarquable, c'est que ce vaisseau traverse le grand sinus veineux rénal dès sa naissance, que, par conséquent, cette artère est baignée dès son origine par le sang veineux. La branche qui longe l'estomac et qui fournit à ce viscère est assez grosse ; elle donne un second rameau également considé- rable qui se perd dans le repli mésentérique des cœcums. Une autre remarque non moins impor- tante doit être faite à l'égard de l'artère des organes de la génération ou de la spermalique. Je la vois sortir comme une artère primitive de l'aorte même CHAP. I. HARENGS. 43 à peu près vers le milieu de la longueur de l'ab- domen. Dans la plupart des autres poissons que j'ai injectés, ce vaisseau sortait le plus souvent de la branche intestinale. Quant aux veines, on les voit, comme dans tous les poissons qui vivent à de grandes profondeurs, être en général fort grosses et se dilater en des sinus qui sont surtout volumineux le long de la partie antérieure du rein à peu près pendant le premier tiers de la longueur de cet organe, car en arrière je ne trouve plus à la grande veine-cave qu'un diamètre fort ordinaire. Le cœur, placé comme à l'ordinaire dans les poissons, est petit et trièdre; son oreillette est grande, très-mince et reçoit direc- tement les ouvertures des deux grands sinus de la tête. Deux valvules assez larges sont à chacun de leur orifice. Le squelette du hareng paraît composé d'un beau- coup plus grand nombre de pièces que celui de beaucoup d'autres poissons, à cause de la quantité considérable d'arêtes interposée entre les faisceaux musculaires. Il n'esr pas impossible de ramener sa description, en ce qui touche les parties principales, à celles que nous avons# faites du squelette des autres poissons en suivant la même méthode. Nous allons commencer par décrire le crâne; nous parlerons ensuite des os de la face. Il est étroit, pointu en avant et ayant la forme irrégulière d'une pyramide . à trois faces. Les deux frontaux principaux en cou- vrent toute la face supérieure ; ils sont relevés en carène au-devant des yeux et un peu concaves en arrière de l'orbite. L'ethmoide dépasse les frontaux u LIVRE XXL CLUPE01DES. et commence à former cette saillie que nous voyons plus sensible dans les anchois et dans les espèces voi- sines de ce dernier genre, parce que les côtés de cet os sont cachés dans le hareng par les intermaxillaires. Les pariétaux sont excessivement étroits et l'interpa- riétal se trouve tout à fait rejeté et reculé sur la face occipitale du crâne. Il n'y a pas de crête interparié- tale. Les deux occipitaux latéraux sont assez larges; ils portent tout à fait sur les côtés de la tête les deux mastoïdiens qui sont repliés sur eux-mêmes et font avec les occipitaux latéraux et la grande aile sphénoïdale une fossette analogue à la grande fosse que nous avons indiquée dans la carpe et qui se retrouve dans tous les autres Cyprins. Mais il y a de plus sous le bord externe du frontal un trou ovale fermé dans l'état frais par les membranes adi- peuses de la tête. Ce trou communique directement dans l'intérieur du crâne. A la vérité, nous ne trou- vons plus dans le hareng les grands trous ovales pratiqués à travers les occipitaux latéraux des Cy- prinoïdes. Le basilaire du hareng est oblong; sa face inférieure est relevée par deux petites crêtes osseuses qui se continuent avec deux lamelles semblables du sphénoïde et forment, à la face inférieure du crâne, une sorte de gouttière ou de canal presque entière- ment fermé. De chaque côté nous voyons la grande aile du sphénoïde s'étendre pour couvrir presque toute la paroi inférieure du crâne; elle est renflée en son milieu en une bulle osseuse assez saillante, complètement creuse, et qui n'a aucune communi- cation avec l'intérieur de la cavité du crâne. J'insiste CHAP. I. HARENGS. 45 sur cette circonstance, parce qu'il me paraît que quelques analomistes l'ont désignée comme l'oreille interne du poisson. Derrière celte saillie arrondie on voit un petit trou qui donne passage aux nerfs de la huitième paire, et c'est au-dessus et au çlelà que l'on voit s'attacher la lame inférieure du mastoïdien qui porte tout l'appareil de l'oreille interne comme c'est l'ordinaire dans les poissons. C'est en arrière du trou de la huitième paire et au bas de la petite crête du basi- laire que l'on voit l'insertion du ligament de la vessie. En décrivant les parties extérieures du poisson, •nous avons déjà fait connaître la plupart des os de la face. Nous ajouterons que le temporal et la caisse du tympan complètent au-devant du préopercule la grande arcade ptérygo-palatine. Le jugal est étroit et triangulaire 5 la caisse, un peu courbée en dedans, donne une apophyse lamellaire qui va rejoindre le . corps du sphénoïde. La colonne vertébrale se compose de cinquante- cinq vertèbres, dont les trente-trois premières por- tent des côtes. De ces vertèbres abdominales les vingt -deux premières ont leurs apophyses trans- verses, écartées et distantes l'une de l'autre. Les dix qui suivent ont ces apophyses réunies par une bride osseuse, transverse, qui forme sous la colonne ver- tébrale le commencement de ce conduit annulaire, continué sous les apophyses épineuses et inférieures des vertèbres caudales et qui logent l'aorte. Comme les parois de ce vaisseau, quoique très-minces, sont assez fortement adhérentes à ces petites brides os- seuses, j'en ai profité pour injecter facilement le 46 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. système artériel des harengs, en faisant passer l'injec- tion par le conduit des dernières vertèbres caudales. Les côtes sont grêles; les deux premières vertè- bres n'en portent pas, de sorte que je n'en compte que trente et une paires. Elles sont très-fines, et chacune d'elles s'articule par son extrémité infé- rieure aux apophyses styloïdes des os en V, que nous avons déjà fait connaître, en décrivant les parties extérieures du poisson. L'extrémité supérieure de la côte porte une longue apophyse horizontale qui commence cette série des arêtes du hareng. Cette apophyse, articulée sur les vertèbres, devient un os distinct et séparé le long des muscles de la queue, chacune d'elles donne alors de son milieu une pe- tite apophyse inférieure qui- s'enfonce dans l'inter- valle des muscles et donne attache à plusieurs de leurs faisceaux. L'on voit à la base des apophyses épineuses supé- rieures des premières vertèbres, de longues aiguilles, semblables a celles que nous venons d'observer le long des côtes ; elles sont toutes parallèles entre elles, dirigées un peu obliquement vers le dos du poisson, et des arêtes, semblables à celles que nous avons indiquées dans les muscles inférieurs de la queue, suivent en remontant vers le dos de cet organe. Enfin, le long de chaque côté de la queue nous trouvons une suite de petites arêtes courtes disposées longitudinalement. On peut donc retrouver facilement la disposition de ce nombre si considé- rable des arêtes du hareng, qui se compose de trente paires de côtes avec la série de leurs trente apo- CHÀP. I. HARENGS. 47 physes horizontales,' ayant au-dessus d'elles un même nombre d'arêtes attachées à la base des apo- physes épineuses supérieures; puis, de deux séries, l'une supérieure, l'autre inférieure, de trente -deux paires d'apophyses interposées entre les faisceaux des musclée sacro-coccygiens, ce qui constitue donc autour de la colonne vertébrale, une double série d'arêtes comprenant au moins deux cent cinquante- six pièces. A ce nombre il faut ajouter vingt-quatre interépineux supérieurs, dont treize seulement se rapportent à la dorsale, et dix -huit interépineux inférieurs pour soutenir les rayons de l'anale. Je viens de donner avec détail la descrip- tion , aussi complète que j'ai pu la faire , d'un poisson qui vient par millions dans l'intérieur de nos villes, et qui, à l'état frais, est servi sur presque toutes les tables. Nos marchés de Paris s'approvisionnent de harengs péchés dans la Manche et expédiés principalement dies ports de Dieppe et de Calais. Chacun de ces ports réunit les pêches des bassins de l'Océan qui les environnent. Il faut bien que ces bas- sins aient chacun des variétés particulières de harengs; car les marchands savent très-bien distinguer par l'aspect, la provenance de ces poissons. Il n'est pas difficile de reconnaître, avec un peu d'habitude, le hareng de Calais, qui a le corps allongé, un peu aplati ou com- primé sur les côtés et de le distinguer du hareng 48 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. de Dieppe, qui est plus arrondi et plus trapu. Je crois que ces différences de formes exté- rieures dépendent de l'époque variable du frai du poisson. Nous verrons plus bas que quelques naturalistes croient à deux espèces.de harengs. Les plus grands exemplaires que nous rece- vons sur nos marchés, n'ont guère que dix pouces à dix pouces et demi de longueur; mais nous voyons le hareng atteindre à des dimen- sions beaucoup plus considérables dans les mers du Nord. Nous en avons reçu du Musée de Berghem de treize pouces et demi de lon- gueur. J'ai examiné avec le plus grand soin ces grands individus, et je n'ai pu y décou- vrir la moindre différence spécifique. Une remarque qui est importante, c'est que dans ces mers septentrionales, jusque dans la nrer Blanche, tous les individus ont une gros- seur invariable, toujours supérieure à celles de nos harengs de la Manche , dont les petites dimensions sont également constantes. N'est- ce pas une des preuves négatives les plus évi- dentes à opposer au système migratorial des harengs? Peut-on concilier dans cette hypo- thèse la grosseur invariable des premiers avec la petitesse constante des seconds, et admettre en même temps que nos bassins de la mer du Nord ou de la Manche se remplissent d'indi- CHAP. I. HARENGS. 49 vidus venant en légions innombrables des ré- gions polaires? Il faut nécessairement admettre la résidence de ces poissons sur des fonds différents où la diversité de la grandeur et de la grosseur con- stitue autant de variétés ou de races qui se perpétuent par voie de génération. On attri- buera sans doute ces différences de taille à l'influence climatérique , explication très-vague, quoiqu'elle semble satisfaire d'abord l'esprit, qui se contente souvent d'une réponse peu solide, si elle ne répugne pas à la raison. Mais que l'on sonde les difficultés du problème, on voit notre ignorance d'un phénomène aussi extraordinaire déguisée par l'incertitude de ce grand mot. Comment concevoir, en effet, que par la seule influence du climat, la nourriture assimilée dans la nutrition intime par telle plante, lui fasse prendre un développement considérable dans une région, et rester petite ou rabougrie dans telle autre , où cependant elle végète, elle développe ses organes de reproduction et où elle remplit, comme l'autre, les mêmes phases de conditions vitales, sans atteindre jamais à la même grandeur ? Nous voyons ordinairement les individus d'un ani- mal devenir souvent de plus en plus petits, à mesure qu'ils s'avancent de nos climats plus 20. 4 50 LIVRE XXT. CLUPÉOÏDES. chauds vers les régions polaires. Dans l'espèce des Harengs, c'est un phénomène inverse. Le poisson est plus grand auprès du cercle polaire que dans nos mers qui baignent nos côtes plus tempérées. Un phénomène semblable a lieu chez les fucacées dans le règne végétal , les lami- naires décroissent en avançant du pôle vers nos côtes où la température est plus douce. Il sem- ble que la nature se prépare à faire disparaître ces espèces en s'approchant encore des régions plus méridionales. Ces phénomènes tiennent aux lois inconnues de la fixité et de la distri- bution des espèces sur la surface de la terre. Dans ces expériences que la nature nous montre toutes faites, nous trouvons la preuve que l'homme peut quelquefois, par son industrie, transporter -momentanément certaines espèces, mais qu'il ne peut les établir indéfiniment dans les localités où la nature ne les a pas créées. J'ai porté mon attention sur ces nombreux petits poissons dont la longueur varie depuis trois pouces jusqu'à six et qui se vendent sur nos marchés de Dieppe, de Caen, d'Abbe ville, de Calais, sous les noms de Harenguettes et de Blanches. Quoique les réunions de ces petites dupées soient formées de plusieurs espèces confondues ou mal déterminées même par les pêcheurs, j'ai reconnu parmi elles, en exa- CHAP. I. HARENGS. 51 minant leurs dents, les jeunes de L'espèce du hareng commun. Les petits poissons que M. Bâillon nous a envoyés, sous le nom de Blanches, de la baie de la Somme , et qui y pullulent pendant les mois de juin et de juillet, ont la dentition et le nombre des vertèbres du hareng adulte. On ne peut donc se refuser à les regarder comme de jeunes harengs. J'ai retrouvé les mêmes caractères sur les petits harenguets, envoyés aussi pendant l'été de Caen par M. Lamouroux ; ils établissent que ceux-ci ne sont certainement que les jeunes du hareng. M- Eudes Deslongchamps, professeur à la fa- culté des sciences de cette ville, a eu aussi l'obligeance de m'envoyer récemment et à ma prière une quantité considérable de ces petits harenguets. Dans ce grand nombre de poissons, je n'ai trouvé qu'une seule petite Melette, tous les autres étaient de l'espèce du hareng. Ce savant professeur a été aidé dans ces nouvelles recheTches par M. le docteur Fourneaux. Je me fais un devoir de donner à ces amis des sciences le témoignage de ma gratitude. Je suis obligé d'insister sur ces déterminations, parce que je trouve dans les notes que M. Bâillon me transmettait, en m'envoyant les Blanches du Crotoi, que les pêcheurs de la côte les regardaient comme d'une espèce distincte. 52 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. Elles entrent dans la baie au commencement du printemps, et elles y restent pendant tout l'été. Les pêcheurs ne prennent pas ce fretin : habitude fort heureuse; car, s'il en était autre- ment, on verrait diminuer très-promptement et d'une manière sensible les bancs du hareng adulte. Comme ces Blanches sont très-abon- dantes dans la baie, elles servent presque exclusivement de nourriture au stema mi- nuta, qui niche en très-grande quantité à la pointe du Hourdel. On voit, à cette époque des nichées, ces petites hirondelles de mer s'envoler avec une petite clupée dans le bec pour la porter à leurs petits. Ces Blanches ou ces Harenguets ne sont donc pas une espèce particulière, mais le frai de l'année précédente qui est resté sur la côte jusqu'à ce qu'il ait atteint une taille assez considérable pour s'en- foncer dans les profondeurs de l'Océan, d'où les individus ne sortiront peut-être que lors- qu'ils auront atteint leur entier développement et qu'ils seront en état de se reproduire. Le Hareng n'existe que dans l'Océan sep- tentrional; il commence à devenir très -rare dans le golfe de Gascogne; je vois cependant que M. d'Orbigny l'a trouvé à La Bochelle. Mais parmi les nombreux poissons que le Mu- séum a reçu de ce zélé correspondant, il ne CHAP. I. HARENGS. 53 sest trouvé qu'un seul individu. L'espèce est donc rare à cet endroit. On pourrait établir que sa limite est vers l'embouchure de la Loire ; au delà il n'y a plus que des individus égarés. 11 est certain que l'espèce n'existe pas non plus dans la Méditerranée. Il y a dans la mer Noire une espèce particulière dont on fait un grand commerce a Odessa. Cette observation est im- portante, car elle explique comment Salviani n'a pas parlé du Hareng. Belon qui a voyagé, comme on le sait, dans le Levant, a fait connaître un plus grand nombre de poissons de la Méditer- ranée que de la Manche. Quoique né en Nor- mandie, il a fort mal connu le Hareng, et il a ap- pliqué le nom de ce poisson à la Sardine, dont il a donné une assez bonne figure. 11 dit que l'affinité du Hareng et de la Sardine est si grande que l'on peut à peine les distinguer parle dessin. Il est d'ailleurs facile de voir, en lisant son ar- ticle, qu'il n'a parlé du Hareng que de souvenir, et qu'il l'a constamment confondu avec la Sar- dine, en n'établissant d'autre différence entre ces deux espèces que celle de la grandeur. Rondelet x a donné du Hareng une figure qui est beaucoup moins bonne que la plupart des autres de son ouvrage. Ce qu'il y a d'im- 1. Rond. , l)e pisc fluv. , p. 222. 54 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. portant dans son texte, c'est qu'il y établit déjà d'une manière positive que l'espèce du Hareng habite seulement dans l'Océan, et que ceux-là se trompent qui croient avoir vu des harengs dans la Méditerranée. Ces observa- teurs prennent, dit-il, pour ces derniers pois- sons, d'autres espèces, désignées sous le nom de Trattœ parvœ. Celles-ci ressemblent tellement aux harengs et aux sardines qu'on peut les con- fondre facilement. Il m'est impossible de savoir ce que cet ichthyologiste,si remarquable pour son temps, appelle ainsi. Gesner l copie, comme à son ordinaire, Rondelet et Belon ; mais dans son corollaire il ajoute qu'on se trompe, en prenant le Sprat des Anglais pour un jeune hareng, et le Pii- chard pour l'âge moyen; puis il essaie de dis- tinguer, mais sans le caractériser, un très-petit poisson de la mer du Nord, qu'il appelle Halec, et un autre que l'on pêche quand les harengs ont quitté le canal et qu'il nomme Harenga. Il dit aussi que les petits poissons, nommés à Marseille Harengades , sont de petites aloses. Enfin, il ajoute à son texte une figure originale du Hareng, meilleure que celle de Rondelet et de Belon. On ne peut vraiment pas citer, 1. Gessn. , de aquai,, p. 408. CHAP. I. HARENGS. 55 pour les faire entrer parmi les synonymes d'une zoologie critique, les figures d'Aldrovande, et on peut aussi négliger Schoneveld ■ et Schwenck- feld2. Mais il faut donner une attention plus spéciale au petit traité publié à Lubeck, en i654, par Neucrantz3, où Ton trouve des ob- servations importantes sur les mœurs et les ap- paritions des harengs dans la mer du Nord. Nous en reparlerons plusieurs fois, en écrivant l'histoire de la pêche de ce curieux poisson. Nous arrivons maintenant, en suivant l'ordre chronologique des auteurs, à Willughby4. 11 donne une description détaillée du Hareng et indique les différentes variétés que les pêcheurs ou les commerçants distinguent, selon les di- verses préparations qu'ils font subir à ce poisson. Après avoir mentionné les auteurs généraux qui ont écrit sur le Hareng , nous arrivons à Du- hamel qui, dans son Traité des pêches, a con- sacré la troisième section tout entière à l'his- toire des poissons de cette famille. Il a pris l'Alose pour type principal de ce groupe, à cause de la grandeur du poisson, et il a con- sacré tout le chapitre III au Hareng en parti- 1. Schën., p. 31. 2. Schw., p. 451. 3. P. Neucrantz, De harengo , exercitalio médita. 4. Will., p. 219. 56 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. culier. Après avoir donné des considérations générales sur le Hareng et sur les prétendus voyages de ces poissons, qu'il décrit d'après Anderson, il fait connaître par une descrip- tion très-longue le Hareng plein, le Hareng gai, et il passe ensuite à ce qui faisait l'objet spécial de son ouvrage , à tout ce qui peut avoir rapport à la pèche du hareng, aux sa- laisons que l'on en fait ou à la manière de le saurir, et il renvoie dans un dernier chapitre la description d'un nombre assez considé- rable de petits poissons que ses nombreux correspondants et la haute protection qu'il recevait du gouvernement d'alors, lui faisaient parvenir en nature, ou par des dessins que lui envoyaient les différents commissaires de l'amirauté. Il faut bien avouer qu'il a fort mal employé tous ses matériaux; car il laisse dans les plus grandes incertitudes sur tous les poissons qu'il a représentés aux planches XVI et XVII de cette' section. Nous tâcherons cependant d'y revenir aux articles spéciaux de chacune de ces petites espèces; et quant au Hareng en particulier, les deux figures qu'il a données sur la planche IV de cette même section, celle n.° 1 d'un Hareng plein, et l'autre, n.° 2, d'un Hareng gai ou vide, sont loin d'avoir l'exactitude qu'un zoologiste CllAP. I. HARENGS. 57 peut désirer, quoiqu'elles soient cependant plus reconnaissables qu'aucune des figures pu- bliées avant lui. Il résulte de ces observations que, si Duhamel a rendu service au commerce par les documents qu'il a pu donner dans son ouvrage, il n'a véritablement avancé en au- cune façon l'histoire naturelle du Hareng et des espèces voisines. Un peu avant Duhamel, James Solas Dodd, chirurgien de Londres , publia un Essai de l'histoire naturelle du Hareng. Il n'était point naturaliste, et manquait en même temps d'une critique assez sévère pour suppléer par cette qualité à ce que l'absence de ses connaissances en histoire naturelle laissait à désirer. S'il eût rempli convenablement le plan qu'il s'était tracé, son petit traité spécial sur le Hareng eût été certainement fort utile; mais il s'est mal- heureusement plus étendu sur les propriétés médicales que sur ce qui avait rapport à l'his- toire naturelle de ce poisson, et l'on conçoit facilement d'après cela combien nous avons peu à tirer de cet ouvrage. Pennant, dans sa Zoologie britannique, a naturellement parlé du hareng; il en donne une description très-courte; il le croit un ha- bitant de nos mers septentrionales, qui émigré jusque sur les côtes de l' Amérique, et s'avance 58 LIVRE XXI. CLUPÊOÏDES. jusques vers la Caroline du sud; il croyait aussi qu'on le trouvait dans les mers du RamtscJiatka ou du Japon. Adoptant les idées d'Anderson, il fait de même voyager le hareng par bandes régulières, qui manœuvreraient en quelque sorte en ordre de bataille. Il a donc très-peu ajouté à l'histoire naturelle de ce poisson. Nous voilà arrivés à la grande Ichthyologie de Bloch, où l'article sur le Hareng tient une place importante. Il est le premier qui ait opposé quelque doute au récit merveilleux et ingénieux des migrations du hareng, et la raison qu'il en donne est déjà très-forte. Après avoir présenté quelques considérations sur les préparations, la pêche et les produits qu'elle fournit, après avoir montré que les cargaisons de Berghem emportent tous les ans près de cinq cents millions de harengs, que les Hollan- dais en détruisent trois cents millions, et après avoir ainsi suivi cette destruction vraiment prodigieuse chez les différents peuples de l'Europe, il parle aussi de la préparation de ces animaux ; et il termine son article par quelques documents sur le commerce du hareng, sur celui de l'huile que les Suédois tirent de ce poisson; mais, quant à l'histoire naturelle du hareng proprement dite et à celle des petites espèces voisines, il a vraiment très-peu avancé CHAP. I. HAKENGS. 59 cette question j car la description de l'animal n'est pas à beaucoup près assez détaillée, et la figure qu'il a donnée du poisson n'est pas non plus exempte de tout reproche. C'est d'après Bloch et Duhamel que M. de Lacépède a composé son article du Hareng. Il a, comme à son ordinaire, adopté sans cri- tique ce que ses prédécesseurs en avaient dit, et, ce qui est remarquable, c'est que Noël de la Morinière qui correspondait avec lui et qui lui a donné des notes sur plusieurs es- pèces voisines de ces clupées, ne paraît pas lui avoir communiqué celles qu'il avait réunies sur le hareng. Je crois en trouver la raison dans le projet que cet auteur de l'histoire des pêches avait formé, mais qu'il n'a point exécuté, de donner une histoire naturelle des harengs. Si de ces auteurs généraux nous passons à ceux qui ont écrit des faunes spéciales de diffé- rents pays, nous voyons le hareng cité dans tous les ouvrages qui traitent des contrées septentrionales. Ainsi, Linné le nomme dans le Fauna suecica \ mais en copiant trop exac- tement la synonymie d'Artédi. Mùller l'indique dans le Fauna danica%\ Fabricius l'inscrit 1. P. 120, n. 315. 2. P. 49, n.« 421. GO LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. dans sa Faune du Groenland ; mais il remarque que ce poisson doit être compté parmi les plus rares de ce pays. On lui a dit cepen- dant que les harengs étaient plus communs sur les côtes australes, et Eggede 1 confirme, sous ce rapport , l'opinion de Fabricius. Je trouve toutefois le hareng indiqué dans le Fauna grœnlandica de M. Reinhardt, page 33, n.° 3i. Low2 l'indique aussi dans sa Faune des Orcades; Faber3 en parle dans celle de l'Islande, et avant lui, Olavius4 et Mohr5 n'ont pas négligé de signaler cette es- pèce dans leur ouvrage sur cette contrée. Il en est de même de Olafsen, Leem, Pontop- pidan, Strôm. Tous ces auteurs ont donné des documents précieux, qui ont, cependant, plus rapport à la pêche qu'à la véritable histoire naturelle du poisson. Faber a d'ailleurs manqué de justesse dans sa synonymie, en ajoutant Brunnich à la liste des Ichthyologistes qui ont parlé du hareng. Ekstrôm a donné aussi une dissertation fort étendue sur ce poisson dans son Histoire naturelle des pêcheries du Môrkô. 1. Egg. , Descript. du Grœnl., p. 69. 2. Low, Faun. Orcad. , p. 226. h. *- - 3. Fab., Faun. island., p. 182 4. Olav. ; Island. Reise, p. 82, n.° 1. 5. Mohr, p. 82, n.° 141. CIIAP. I. HARENGS. 61 Il y indique les différents noms et les divers états du hareng sur les côtes de Norwége. Nous trouvons aussi ce poisson cité par pres- que tous les naturalistes anglais; ainsi il faut ajouter à Pennant les noms de Turton1, Couch2, Fleming3, Jennyns4, Yarrell5; j'avoue à regret que je ne suis pas aussi content de la figure que ce savant ichthyologiste a donnée du hareng que de celle des autres espèces représentées dans cet élégant ouvrage. Il a dessiné l'ouver- ture de l'ouïe avec une échancrure si pro- fonde au devant de la pectorale, et il a fait les écailles si grandes , que s'il n'avait pas publié le Pilchard avec les stries caractéristiques de son opercule, j'aurais pris volontiers la figure sur laquelle je fais ces observations pour celle de cette espèce plutôt que pour la représenta- tion du hareng. C'est en profitant des nombreux renseigne- ments que ces auteurs m'ont fournis, et en mettant à profit les notes que j'ai trouvées dans les manuscrits de Noël de la Morinière, où ce laborieux antiquaire avait malheureusement i. Tint., Brit. Faun., p. 106, n.° 110. 2. Couch , Poiss. de Corn. îinn. societ. transact. , 86. 3. Flem., Brit. ann. , p. 182. 4. Jenn. , Brit. verteb., p. 434, n.° 116. &. Yar., Brit. fish. , p. 110. 62 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. inscrit un grand nombre d'erreurs à rectifier, que j'ai essayé de composer l'histoire naturelle de ce poisson. Presque tous les naturalistes et les voyageurs s'accordent à dire que le hareng se trouve éga- lement sur les côtes d'Amérique comme sur celles d'Europe. Plusieurs ont même rap- porté, d'après Anderson, que les légions in- nombrables de ces poissons sortant des mers du Nord , se séparaient en deux grandes co- hortes lorsqu'elles étaient arrivées à la hau- teur de l'Islande, et que l'une d'elles allait remplir les vastes baies de l'Amérique sep- tentrionale. S'il en était ainsi, il s'ensuivrait que le hareng apparaîtrait sur les côtes amé- ricaines à peu près à la même époque que ce poisson vient se montrer sur les côtes d'Europe; or, c'est à la fin de mars ou en avril que la baie de Chesapeake est remplie de harengs, tandis que c'est pendant l'hiver qu'ils apparaissent sur les côtes d'Europe. Mais, d'ailleurs, ce qui tranche d'une manière bien plus évidente la question, c'est que nous donnerons dans un des articles suivants la description du hareng de ces contrées, et l'on verra qu'il est d'une espèce certainement distincte. On prétend que le hareng meurt aussitôt CHAP. I. HARENGS. 03 qu'il est sorti de l'eau; qu'on essaierait en vain de le rappeler à la vie en le tirant du filet et en le rejetant à la mer. Cette assertion a obtenu un tel crédit qu'elle a donné lieu à plusieurs proverbes : As dead as a herring, disent les Anglais. M. de Lacépède a même essayé d'ex- pliquer, par de très -longues considérations physiologiques, fondées sur la grandeur de l'ouverture branchiale du hareng, la cause de cette mort prétendue si prompte. Le fait est que cette assertion est tout à fait exagérée. On trouve déjà plusieurs remarques dans quelques auteurs qui ont écrit sur le hareng, qui la combattent victorieusement. Neucrantz1 a vu un hareng vivre encore plus d'une heure après qu'il eût été mis sans précaution et avec d'au- tres poissons de son espèce sur une voiture qui venait de parcourir un mille d'Allemagne. Sagard2, missionnaire en Canada, observe qu'il a vu des harengs sauter sur le tillac lorsqu'on ramenait les filets, et cela pendant assez long- temps avant de mourir. Noël de la Morinière dit qu'il a vu des harengs vivre deux à trois heures hors de l'eau, qu'il en a tenu dans ses mains et qu'il les y a vus vivre pendant plus 1. Neucr. , Exercit. med. de harengo , p. 21. 2. Sag. , Hist. du Canada, II, p. 155. 64 LIVRE XXT. CLUPÉOÏDES. d une demi-heure. J'ai vu également, à Dieppe, apporter des harengs pris dans des parcs assez éloignés de la ville 5 ils sautaient dans les pa- niers, quoiqu'il y eût eu plusieurs heures que les poissons étaient tirés de l'eau. Il faut, d'ailleurs, faire attention que cette assertion n'est répandue que d'après les rapports des pécheurs au grand .filet. Or, ils retirent les poissons étranglés dans les mailles, où ils se sont encolletés, de sorte que, dans ces cir- constances, les poissons meurent sous l'eau, pas un seul n'en sort vivant. Il est certain que la vie des harengs, quoique moins tenace que celle d'un grand nombre d'autres poissons , peut se prolonger plus qu'on ne le croit com- munément. Ils résistent beaucoup plus que l'Alose, qui meurt presque immédiatement dans le filet. Noël a fait, d'ailleurs, quelques expériences qui montrent que la ténacité vitale du hareng permet quelques mutilations, aux- quelles il ne succombe pas plus vite que les autres poissons si on tient les individus dans l'eau. Il leur a coupé les nageoires; il leur a ouvert l'abdomen , et il a vu les opercules battre pendant vingt -neuf minutes. On sait aussi que le hareng peut rester emprisonné sous la glace : c'est même un moyen de pèche dans certaines baies de la Norwége. CHAP. I. HARENGS. GIS Presque tous les pécheurs s'accordent à dire que le hareng jette un petit cri avant de mourir. Anderson a fait la même remarque en Ecosse. Les Anglais appellent squeack, ce bruit qui est une onomatopée assez exacte du son que le hareng produit. Noël de la Morinière assure l'avoir entendu. Je n'ai pas eu occasion d'être témoin de ce fait 5 mais il ne m'étonne pas, parce que j'ai souvent entendu le bruit que rendent les Barbeaux, (Cyprinus barbus), et il me parait tout à fait comparable à ce que je viens de rapporter du hareng. Cette clupée ne paraît pas remonter régu- lièrement dans les rivières d'Europe comme le font les aloses. Si quelques auteurs admettent que le hareng entre dans les rivières du nord de l'Asie ou du nord de l'Amérique, c'est qu'ils confondent des espèces étrangères, même au genre du hareng, avec le poisson dont nous parlons. Cependant on trouve quelques ob- servations qui semblent établir que quelque- fois des radeaux de harengs s'avancent assez loin dans nos fleuves. Ainsi, Bock1 a conservé le souvenir qu'en 1733 des harengs entrèrent 1. Bock, Versuch. vollst. Nat. und lïandl. des Hèfings , p. 48 el 49. 20 5 66 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. dans l'Oder jusqu'à une distance de trente lieues de l'embouchure au-dessus du fleuve. "Depuis 1752 jusqu'en 1760 on vit affluer une telle quantité de harengs dans la rivière, qui passe sous les murs de Gothembourg, qu'on les péchait avec des filets à U main dans les canaux de la ville. Noël de la Moriniô-re rap- porte que cette clupéè remonte dans les ri- vières d'Ecosse ou d'Angleterre , que les harengs ont été vus dans le Tay, aussi haut que Bal- merinock près Cupar; ou dans le Clyde, jusqu'à Broomlane près de Glasgow ; et Bewerel dit qu'au mois d'octobre de 1690 des bandes si nombreuses de harengs fourmillaient dans la Tamise qu'on les prenait à plusieurs milles au- dessus de Londres avec des seaux. Noël a aussi appris d'un pêcheur éclairé d'Lcosse, Duncan de Rotbsay, qu'on ne péchait jamais plus de harengs dans le Loch Broom qu'à l'endroit où. les eaux douces se mêlaient aux eaux salées. En Hollande, les pêcheurs de Mark, de Hoorn, reconnaissent tous que, dans la saison du frai, la rivière de Vollenhoven, en Over-Yssel, est abondamment pourvue de harengs. Ils ont plusieurs fois observé qu'à la fin de l'automne ils pèchent plus de harengs dans le Zwart-vaart ou Canal noir, à son embouchure dans le Zuydersée, que sur aucun CHAP. I. HARENGS. G7 Tonds de poche de cette mer. Ils en concluent que les harengs sont attires par les eaux douces et qu'ils s'y rassemblent en plus grandes troupes que partout ailleurs. Nous trouvons aussi des exemples de harengs remontant dans la Seine, aidés sans doute par les eaux de la Barre , près Quillebeuf j mais il parait qu'ils n'entrent jamais dans la rivière qu'après avoir frayé. Il faut cependant faire bien attention que l'on a donné quelquefois le nom de hareng à des poissons brillants et argentés de genres tout à fait différents, et que les auteurs, trompés par la similitude du nom, ont dit, d'après cela, que l'on était même parvenu à acclimater des harengs dans des pièces d'eau intérieures. Ainsi, le Fresh water Herring du Loch Lomond, sur la côte occi- dentale d'Ecosse, est une espèce de Salmone du genre Corégone. Une opinion généralement répandue parmi les pécheurs est que le hareng vit seulement d'eau, et même d'eau pure. Cette opinion est fondée sur ce que l'estomac et les intestins de ce jloisson ne contiennent presque tou- jours qu'une matière grisâtre, fluide ou seule- ment visqueuse. D'autres auteurs prétendent que c'est seulement pendant le temps du frai que les harengs prennent quelque nourriture, 68 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. parce qu'on trouve quelquefois dans l'estomac de très-petits poissons. Noël dit qu'on surnom- me, en Ecosse, ces harengs TVoolfislu Cepen- dant, déjà Pennant Vqui remarque que l'esto- mac de ce poisson ne contient aucun indice de nourriture, avoue que, lorsque cette clupée a faim, elle se jette avec avidité sur la mouche qu'on lui présente et qu'on pourrait en prendre plusieurs milliers à l'hameçon. Pontoppidan 2 dit que sur les côtes de la Laponie orientale on prend quelquefois le hareng avec des lignes comme le Gade dorsch. Les pêcheurs de Vlaardingen assurèrent à Noël de la Mo- rinière qu'ils en prennent souvent près des îles Shetland, à des haims amorcés avec de petits morceaux de hareng. Neucrantz3 qui fit à Lubeek, vers le milieu du dix-septième siècle, une suite d'expériences pour reconnaître la nourriture du hareng, vérifia que l'estomac contenait souvent plusieurs douzaines de petits crabes, à moitié digérés et souvent aussi des œufs de différente nature et de diverses gros- seurs. Fabricius4 assure aussi que le hareng vit de petits crabes qu'il prend souvent à la 1. Penn., Tour in Scoil. , I, p. 374, et Br. zool, t. III, p. 339. 2. Pontoppidan's Finmarske mag., p. 220. 3. Neucr. , de Harengo, p. 28. 4. G. G. Fabr. , Reise nnch Nonvegen, p. 286. CHAP. I. HARENGS. 69 surface de la mer dans les temps calmes et chauds. Othon Fabricius1 a observé que les harengs rongeaient les fonds vaseux ou argi- leux, et quoiqu'il n'ait jamais trouvé d'animaux dans leur estomac, il en conclut que les ha- rengs se nourrissent de petits vers. On pour- rait citer encore d'autres observations tirées de Leuwenhœck, d'Alstromer, sur la nourri- ture du hareng, où l'on voit qu'il dévore YOniscus marinus. C'est ainsi qu'on peut ex- pliquer comment les intestins sont souvent remplis d'une matière rouge, coloration qui est due au changement de couleur du test de ces crustacés par suite de l'effet de la di- gestion. M. le docteur Robert Rnox a bien voulu m'envoyer les petits crustacés que les pécheurs écossais connaissent très-bien, et dont les harengs font leur principale nourri- ture. La petite collection que je dois à l'obli- geante amitié de cet habile naturaliste, se composait de plusieurs espèces de genres dif- férents. Les plus communs sont des Gyclops, le Cycl.furcatus de M. Baird, et le Cjcl Stro- nici du même auteur; petits entomostracés dont mon confrère et ami M. Milne Edwards a fait le genre Cyclopsine. Avec eux on pou- . 1. Oth. Fabr., Faim. Gravi. , p. 182. 70 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. vait observer des petits Gammrarus, mais trop jeunes pour les bien déterminer. Je suis heu- reux de remercier M. R. Knox de son extrême obligeance. J'ai de mon côté même observé, dans l'estomac des harengs, du frai de poisson, à peine gros comme des épingles, et je crois avoir reconnu parmi ces petits animaux du frai de son espèce. Les citations que j'ai prises dans les divers auteurs que je viens de rap- porter et celles que j'ai pu faire , donnent donc la preuve que le hareng se nourrit à la manière de tous les autres poissons, en dévo- rant les divers animaux qui sont à sa portée. Elles réfutent ces erreurs populaires, cepen- dant fort accréditées, et tendant à établir que le hareng ne se nourrit que de la vase dont ses intestins sont remplis. Les nombreuses observations que l'on a faites' sur le hareng démontrent aussi que ce poisson est sujet à plusieurs maladies. Une des plus singulières que je vais signaler ici et sur laquelle il y a certainement de nombreuses recherches à faire pour l'expliquer, est ce qui arrive souvent a la vessie natatoire du hareng. Lorsque le poisson a été battu par les mau- vais temps, qu'il a été fatigué, la vessie aérienne se remplit d'eau et elle se dilate beaucoup. Les pêcheurs les nommenl Harengs à la bourse CHAI'. I. HARENGS. 71 ou Harengs abouti/s. On rencontre fréquem- mmentces harengs à la bourse, dans les eaux de Boulogne, de Dieppe et même à l'embou- chure de la Seine. Peut-on admettre, comme une explication suffisante, que l'eau, intro- duite en trop grande abondance dans l'esto- mac, finirait par entrer dans la vessie aérienne en forçant le canal pneumatique? On rencontre aussi des harengs qui sont surchargés d'une quantité considérable de graisse d'un jaune roussâtre , extrêmement huileuse, qui donne à la chair un goût désa- gréable, nauséabond, et que Ton dit malfai- sante1. Souvent aussi le hareng contracte sur les fonds de vase une maladie contraire : le ventre se comprime; une matière visqueuse et fétide remplit les intestins; la chair devient sèche et coriace. Ces harengs se gâtent promp- tement; il paraît que c'est surtout après avoir frayé qu'on les voit tomber en cet état. Les individus ont le corps tellement amoindri que les pécheurs qui veulent prendre ces der- niers bancs de harengs, se servent souvent de filets dont les mailles sont plus petites que d'ordinaire. Strôm, Fabricius, Mùller, pré- tendent aussi qu'une espèce d'annélide pâle, 1. Anderson . Accounl of the Ihbridgc , p. 359. 72 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. à lignes longitudinales rousses, se multiplie quelquefois en si grande quantité que la mer en devient toute rouge; elle donne des qua- lités malfaisantes au hareng qui les mange ; aussi existe-t-il un règlement qui prescrit de laisser au moins deux jours dans le filet tout hareng aatig. Fabricius dit la même chose pour ceux qui ont mangé ce petit crabe dé- signé par lui sous le nom dAstacus haren- gorum.On trouve aussi très-souvent des filaires dans les épiploons du hareng; c'est le Filaria capsularia de Rudolphi, qui y a aussi ren- contré un Ascaride et le Distoma oclirea- tum. Les auteurs citent ces parasites comme une des maladies du hareng. Les recherches nombreuses que j'ai faites sur les Helminthes m'ont donné la conviction que ces animaux sont associés par la nature aux espèces sur lesquelles ils vivent, sans que leur présence soit un indice de maladie. Enfin, je citerai une monstruosité assez commune dans le hareng, ainsi que dans beaucoup d'autres poissons, et qui consiste dans ihermaphroditisme. M. Yarrell a com- muniqué, il n'y a pas longtemps, une obser- vation de ce genre à la société zoologique de Londres. Je trouve dans mes notes , que j'ai observé deux cas de ce genre, l'un à Bou- CHAP. I. HARENGS. 73 logne, en 1827, et l'autre, un peu plus tard, sur un hareng pris au marché de Paris. L'incroyable fécondité du hareng a toujours fait l'étonnement du naturaliste. La constante énergie de cette puissance reproductrice dans cette espèce de Clupée donnerait des résul- tats si considérables en chiffres que le calcul en effraierait véritablement l'imagination. Si pendant vingt ans consécutifs on pouvait réunir la progéniture d'un seul hareng et la rassembler en masse, quel espace immense n'occuperait -elle pas dans l'Océan! Mais la nature conserve heureusement la balance des forces respectives. La destruction de tous les jours égale en somme la fécondité de toute une année. C'est pour cette raison que les philosophes considèrent les mammifères, les oiseaux et les poissons carnassiers non comme des ennemis destinés à détruire , mais comme des êtres bienfaisants et nécessaires à la con- tinuelle harmonie des productions de la na- ture. Sans le concours de l'avidité des pois- sons, la mer serait bientôt surchargée de ses productions, embarrassée de ses propres ri- chesses, et au lieu de procurer l'abondance aux nations, elle en deviendrait bientôt le plus terrible fléau. Bonnet, Buffon, Lacépède ont t racé de si magnifiques tableaux de toutes ces 74 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. images qu'il serait maintenant présomptueux de vouloir y revenir après ces grands maîtres. Au moment où le hareng se sent pressé du besoin de frayer, il sort de sa retraite, ainsi que le font tous les autres poissons, s'avance près des rivages, où les femelles lâchent leurs ceufs que les mâles viennent féconder. Plu- sieurs pêcheurs de la Baltique assurent que lors du frai on ne prend d'abord que des harengs mâles et ensuite des femelles dans la pèche du printemps. La pêche d'automne sur les côtes de la Bothnie septentrionale a donné lieu à cette remarque singulière qu'on ne pêche jamais que des mâles et peu de femelles. Ces remarques m'é tonnent d'autant plus qu'elles sont contraires à ce que l'on observe des autres espèces de poissons dont les femelles com- mencent presque toujours le frai. On pour- rait d'ailleurs opposer à ces remarques celles d'autres observateurs qui ont consigné, en parlant de la pêche du hareng dans le golfe de Finlande, que suivant les années on prend tantôt plus de mâles, tantôt plus de femelles. Les œufs tombent-ils constamment au fond de l'eau dès qu'ils sont pondus et fécondés, ou restent-ils quelquefois entre deux eaux et près de la surface*, c'est une question encore indécise. Je trouve dans les notes de Noël de CHAP. I. HARENGS. 75 la Morinièrë qu'un pécheur se trouvant dans la mer du Nord, vit pendant un été la surface de l'eau couverte, sur une grande étendue, d'oeufs de poissons qu'il crut être ceux du hareng. Le patron de la buyse eut l'attention de serrer le vent et de se détourner de la route dans la crainte de froisser et de détruire sans utilité ces myriades d'oeufs qui semblaient nager dans une liqueur blanchâtre. Pennant, dans son voyage en Ecosse déjà cité, rapporte également un phénomène à peu près sem- blable et qui mérite quelque attention. Pen- dant les mois de juillet et d'août, à la distance de quatre à cinq lieues des côtes de Scarbo- rough, les pêcheurs lui ont dit que l'eau de la mer paraissait contenir une espèce de liqueur gélatineuse et grasse au milieu de laquelle flottent les œufs du hareng sur une épaisseur de deux à trois brasses. Ce qui a donné lieu a cette observation, continue Pennant, c'est qu'il s'en attache 'des portions aux cordes et aux câbles des ancres mises à la mer avant de commencer la pêche. Les pêcheurs anglais supposent que cette enveloppe gélatineuse sert à protéger et à nourrir le poisson nouvellement éclos. D'autres observations viennent encore corroborer celle-ci. Il n'est pas rare de trou- ver, dit-on, sur les rivages de la Baltique, de ' 76 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. grandes lisières d'œufs de harengs poussés par les tempêtes et bientôt détruites par le froid. On voit quelquefois aussi les pilotis des jetées ou des digues couverts d'œufs de harengs, et quelquefois sur une épaisseur d'un pouce et demi à deux pouces. D'autres observations cependant tendent à démontrer que les œufs tombent au fond de la mer dès qu'ils sont fécondés, qu'ils s'attachent aux plantes ou aux corps sous-marins et s'y ramassent en pelotons. C'est l'opinion des pêcheurs de Dieppe, de Cayeux, de Boulogne et de Calais. Il arrive quelquefois à ces pêcheurs de recueillir des quantités considérables de frais dans la partie inférieure de leurs filets; elle y est souvent si abondante que le fond des barques en est couvert à une épaisseur telle qu'ils les re- jettent à la mer avec des pelles. D'autres en retirent des masses avec la drague, d'autres ont souvent trouvé des œufs de harengs logés dans le tai des huîtres vides. Ces pê- cheurs comparent le nombre des œufs qu'ils croient être déposés chaque année dans les eaux voisines de Dieppe, à celui des brins d'herbes qui couvriraient une vaste prairie. On peut d'ailleurs se rendre compte des diffé- rences que semblent présenter ces diverses observations rapportées plus haut, en réflé- CHAP. I. HARENGS. 77 cliissant au nombre immense d'individus com- posant un radeau de harengs, se pressant tous à côté les uns des autres, quelquefois sur une épaisseur de deux à trois pieds, et voulant tous approcher de la côte pour y déposer leur frai. Il est très -probable qu'une grande partie du banc sera surprise par le besoin de frayer avant d'avoir atteint le sable de la côte, et les œufs lâchés dans le trajet resteront à flotter entre deux eaux. Mais on sait d'ailleurs que le hareng s'approche de terre à la distance d'un demi-mille : qu'on voit les- femelles se frotter en quelque sorte contre les pierres, agiter l'eau vivement et la troubler; elles perdent souvent par la vivacité de leurs mouvements une partie de leurs écailles. On remarque ensuite, très-souvent vers le lever du soleil, que l'eau devient presque toute blanche par la quantité de laiteuse que les mâles laissent échapper. Cette blancheur s'étend quelquefois jusqu'à plusieurs milles en mer. Dès que le hareng a pondu, il essaie de gagner la haute mer ; aussi , quand on en revoit près du rivage, ce n'est jamais qu'en petites troupes. Bloch croit, d'après des notes qu'il avait reçues d'un pêcheur très - expérimenté de la côte de Poméranie, que le hareng ne lâche pas son frai d'une seule fois, mais qu'il 78 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. y aurait toujours un intervalle de quelques semaines entre une ponte et la suivante, et que le hareng ne s'éloigne de la côte qu'après avoir entièrement épuisé ses ovaires ou ses laitances. Mais Noël de la Morinière affirme au contraire très-positivement que le hareng ne fraie qu'une seule fois dans la Manche. Il ne dit pas cependant comment il s'en est assuré. La mucosité huileuse dont je viens de parler s'observe aussi dans la Manche. Les pêcheurs français lui donnent le nom de graissin; ils disent aussi quand ils l'aper- çoivent que la mer est pouilleuse , et la plu- part d'entre eux croient que le graissin est le meilleur indice qu'on puisse avoir de la présence du hareng. Mais il est certain que cette indication n'est pas toujours exacte. Les pêcheurs de Ratwyck pensent que c'est un signe certain de l'abondance du chien de mer et particulièrement de l'aiguillât (S(jua- lus acanthias) qui dévore les harengs, ce qui répand sur l'eau cette matière grasse et blanchâtre. Ce graissin répand une odeur nauséabonde, qui est quelquefois assez sem- blable à celle des odeurs sperma tiques. Les femelles du hareng sont beaucoup plus nom- breuses que les mâles, dans la proportion de sept contre trois. Harmer a donné, dans les CHAI'. I. HARENGS. 79 Transactions philosophiques1, des tables de la fécondité du hareng en ayant en soin de prendre le poids de la femelle, celui de la rogue et le nombre d'œufs quelle contenait. Il a vu le nombre d'œufs varier de 21,000 à 36,ooo. Mais Bloch en porte le nombre à 68,000. Il est facile d'expliquer ces variations quand on réfléchit à la différence de grosseur entre les poissons du Nord et ceux de nos mers. On ne sait pas au juste combien de temps les œufs sont à éclore. Les pécheurs de Boulogne disent que trente ou quarante jours après le solstice d'hiver on tire quelque- fois avec la drague des huîtres sans mollus- ques, qui renferment entre leurs coquilles une quantité considérable de petits harengs, qu'ils comparent à des fourmis à cause du point noir dont leur bec est marqué. On confond quelquefois le frai du hareng avec les jeunes Sprats. Nous avons déjà dit qu'on les appelle aussi blanches ou blanchailles. Tous les pêcheurs sont d'accord sur ce fait que les petits de hareng ne se montrent à la surface qu'après que le gros s'est retiré. En résumant tous les faits précédemment recueillis, an peut conclure que les harengs 1. Phil. travsact., vol. LVII, p. 291. 80 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. fraient sur les fonds de mer qui se présentent à eux sans affectionner de place. La ponte a lieu tantôt sur les fonds de sable , tantôt sur des lits de roche nue, tantôt sur les prairies sous-marines, quelquefois à la jonction des courants ou à l'embouchure des rivières, et enfin aussi au milieu de la mer quand les eaux sont tranquilles. On peut croire aussi que les harengs demeurent quatre ou cinq mois sur la côte, que ceux nés en été habi- tent le rivage jusqu'aux approches de l'hiver, qu'ils peuvent alors avoir atteint cinq à six pouces de longueur, que ceux nés en automne dans les rners de Suède, de Danemarck, de Hollande, d'Angleterre ou de France, y sé- journent pendant l'hiver en se tenant à une profondeur un peu plus considérable. C'est là ce qui explique comment il y a certains radeaux de harengs composés de gros et de poissons de moyenne taille mêlés ensemble. Il paraît que le hareng fraie de bonne heure , car on prétend que l'on trouve déjà des ovaires très-développés dans des femelles de trois à quatre pouces de longueur. Mais on peut se demander ici si les observations sont exactes. Je ne m'étonnerais pas que l'on eût confondu les petites espèces de nos clupées, dont nous donnerons bientôt les caractères distinctifs, CHAI'. I. HARENGS. 81 avec les jeunes harengs. Pour mon compte, je puis affirmer n'avoir jamais vu d'ovaire dé- veloppé dans les petites blanches de nos côtes de Picardie -, dans lesquelles j'ai reconnu les jeunes du hareng. Il en est de même des ha- renguets de Caen. Lorsque les harengs sont devenus assez grands pour quitter la côte, ils s'enfoncent dans les abîmes de l'Océan où ils restent pen- dant un certain temps à une profondeur qui leur est convenable. Ils y vivent en troupes; car ceux qui pensent que les harengs ne se rassemblent en radeaux que pour frayer, sont évidemment dans l'erreur : on les trouve réunis longtemps avant l'époque du frai , ou après cette saison.. L'expérience des pêcheurs de la Manche démontre que les radeaux de harengs n'y sont jamais plus nombreux qu'après le frai. On a fait plusieurs remarques curieuses sur l'effet causé par le bruit sur les harengs; on croit avoir observé que le bruit du tonnerre cause dans les bancs les plus vives agitations; souvent même le poisson effrayé se retire des golfes et disparaît brusquement de la côte. On attire , en général, le hareng par des feux que Ton fait briller la nuit; aussi chaque bateau de pêche hollandais ou français met-il presque toujours des fanaux, que l'on dit être destinés à attirer 20. 6 82 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. le poisson. Cependant on peut remarquer qu'il faut descendre les filets plus bas pendant le jour que pendant la nuit, d'où Ton pourrait con- clure que le hareng fuit une lumière trop vive. Tous les pécheurs de Hollande ont également remarqué, qu'à l'approche du soir, le hareng s'élève du fond de la mer, et qu'à la pointe du jour il en regagne les profondeurs. Ceux du Vlaardingen ont profité de cette observa- tion; car ils disent que, moins la saison est^ avancée, plus il faut aller au fond pour y trouver le hareng : c'est surtout dans les courtes nuits d'été et sur les fonds des îles de Shetland qu'il faut agir ainsi. Cependant on ne doit pas donner trop d'extension à ces pré- ceptes. Les pêcheurs de Boulogne, ont observé qu'en hiver ils ne prennent que fort peu de harengs pendant la nuit, qu'ils sont obligés d'attendre le matin pour mettre leurs filets à la mer. L'expérience paraît avoir appris à ces hommes, que le hareng qui a frayé, se tient obstinément dans les couches les plus pro- fondes de l'eau; que la fraîcheur de la nuit semble engourdir le poisson. Ils sont alors forcés d'attendre le lever du soleil pour que Faction de la lumière revivifie le hareng, le fasse s'agiter et qu'il vienne presque de lui-même s'offrir aux filets des pêcheurs à CHAP. I. HARENGS. 83 peu de distance de la surface de l'eau. Il est certain que , dans les eaux du golfe de Bothnie , le hareng glacial se pêche indifféremment le soir ou le matin, la nuit et le jour. Cependant nos pécheurs de Boulogne, de Dunkerque , d'Ostende disent qu'un froid subit et rigou- reux fait tout à coup disparaître le hareng. On croit même avoir remarqué dans la Bal- tique, que le hareng craint tellement les chan- gements de température que , si le vent vient à souffler un peu frais, il cherche de suite à s'abriter sous le rivage. C'est aussi une opinion reçue auprès de Marstrand en Suède , que le poisson est souvent si affaibli par le froid qu'aucun bruit, de quelque nature qu'il soit, ne peut parvenir à l'effrayer; mais il faut très- probablement tenir compte de l'action du frai. D'ailleurs, je me borne à ce peu de citations sur ce que les auteurs ont rapporté comme des habitudes du hareng. Je pense qu'il faut réduire ce que ion a pris plaisir à supposer dans l'espèce entière à quelques faits isolés, à quelques qualités pas- sagères, combinées avec les circonstances lo- cales ou autres causes fortuites, et j'étendrai en général cette remarque à presque tout ce qu'on a écrit sur les mœurs des poissons. Quant à la pêche du hareng, tous nos pê- 84 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. i cheurs de Boulogne, de Dieppe, de Fëcamp, de Saint- Valéry, s'accordent à dire que c'est au lever et au coucher de la lune, combiné avec l'heure de la molle eau> que le hareng noue,, c'est -à- dire, se prend plus volontiers dans les filets. Il existe même à Boulogne un proverbe, conçu en ces termes : A lune levant, hareng brognant. Il arrive souvent dans ces circonstances qu'une demi -heure suffit quel- quefois pour pêcher une cargaison entière de ces poissons. Tous ces pêcheurs croient aussi, qu'au décours de la lune et avec gros vent, le hareng se tient plus près de la surface de l'eau. En pleine lune et par un temps calme il nage et stationne plus bas. D'après les observations rapportées par Pen- nant, on a la preuve que le hareng gagne les profondeurs de la mer. On a souvent péché le hareng sur un fond de trente brasses dans le Loch Broom, et quelquefois aussi par cin- quante brasses. Anderson remarque aussi que les morues ou les lingues que l'on prend par deux cents brasses de profondeur, ont sou- vent l'estomac rempli de harengs. Mais Neu- crantz pense que le hareng ne descend dans ces grandes profondeurs que pour éviter la violence du vent ou se soustraire a l'impres- sion d'un froid vif et subit. C'est aussi l'opi- CHAP. I. HARENGS. 85 nion des pécheurs de la Manche. Us disent que tant que dure une tempête, le hareng s'entasse dans le fond de la mer; les matelots disent alors que les harengs ont le bec dans le sable. D'autres pêcheurs assurent que le hareng levé plus tôt ou plus tard , suivant la direction du vent. D'autres pensent que le poisson se tient au fond de la mer pour fuir les gros poissons , et surtout les squales , qui infestent la Manche. De vieux pêcheurs affir- ment que les harengs s'entassent alors par lits si compactes que le filet glisse dessus. Il pa- raît, d'après d'autres observations, que le ha- reng se tient dans des gîtes abrites par des battures, et ils croient tous que si leurs filets pouvaient descendre jusqu'à ces fonds, ils y prendraient du hareng en abondance; mais il faudrait faire descendre les nappes à une pro- fondeur de cent cinquante brasses au moins, tandis que leurs filets n'excèdent pas vingt brasses de chute. Ce* n'est pas d'ailleurs l'ac- tion du froid qui fait descendre le hareng au fond de l'eau, il s'y tient dans toutes les sai- sons indifféremment; on a des observations faites à ce sujet dans la baie de Caradel, en Ecosse, où l'on a vu par de beaux jours d'été, l'air étant très-calme, des lits de harengs qui avaient le bec dans le sable. Fàbricius rap- 86 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. porte des faits semblables observés au Groen- land. Il arrive aussi quelquefois que le hareng semble se fixer à la surface de l'eau avec une obstination égale à celle qu'il montre quand il se tient au fond de la mer. Cette clupée s'élève tellement que le lobe supérieur de la caudale, la nageoire dorsale et par conséquent la carène du dos sortent véritablement hors de l'eau. Pennant1 dit que dans les nuits calmes où la lune brille sur l'horizon , ces radeaux offrent à l'œil étonné le plus magnifique spec- tacle. Ils s'avancent en colonnes de cinq à six milles de longueur sur trois à quatre de largeur; que ces bancs, divisés, reflètent les couleurs irisées les plus vives, à tel point que la mer semble contenir un champ de pierres précieuses. L'eau paraît alors tout en feu, et les scintillations phosphoriques que produisent tant de poissons en mouvement sont expri- mées chez tous les peuples du JNord, par les noms $ éclairs du hareng (Herrings-Blick), Sild-Blic ou Sild-skiœr. Il est évident qu'il faut compter pour beaucoup, dans la produc- tion de ce beau phénomène , la phosphores- cence de la mer, qui est augmentée tout aussi 1. Penn., Brit. zool. . III, p. 327, art. Zool., I, 28 el 29. Tour in Scotïand , I, p. 374. CHAI'. I. HARENGS. 87 bien par le mouvement du hareng près de sa surface, qu'elle l'est par le sillage du navire. Anderson ajoute, que dans les nuits calmes, où les harengs semblent prendre plaisir à se tenir près de la surface de l'eau, ils sortent souvent leur tète comme pour humer l'air. Ce mouvement occasionne un bruit pareil à celui que ferait la pluie en tombant par larges gouttes. Cette habitude du hareng n'a pas plus échappé aux pêcheurs de la Prus'se et de la Poméranie qu'à ceux de la Manche. Les An- glais l'appellent le jeu des harengs., the plaj of herrings; les Hollandais disent dans le même sens de haaring maalt. La mer est alors très-souvent couverte de petites bulles. Ce jeu, qui a lieu surtout dans les belles soirées d'automne, est toujours un mauvais augure pour la pêche de la nuit; les pêcheurs sont obli- gés de relever leurs filets le plus haut possible, mais souvent même ils ne peuvent atteindre le poisson. D'autres observateurs assurent que le hareng saute quelquefois en entier hors de l'eau : cette habitude a été si bien obser- vée par les pêcheurs de Fécamp, qu'ils disent une volée de harengs. Anderson rapporte un autre fait sur le hareng, qui est admis sans difficulté par tous les pccliejurs d'Ecosse ou d'Angleterre. A certaines époques, dit -on, 88 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. clans les baies où fourmillent les harengs sur les côtes d'Ecosse, on entend subitement un bruit qui ressemble à celui d'un coup de pistolet. On suppose que ce bruit est Formé par le hareng : en même temps il passe pour être le signe infaillible que le poisson va quitter la côte. En effet, lorsqu'on a entendu ce bruit, qui se rend par cette phrase : the îierring hâve craked, il n'en reste pas un seul le lendemain. Quel que soit le degré de confiance que mérite cette déclaration des pêcheurs, il n'est pas douteux, ajoute Ander- son, que les harengs se retirent souvent d'une baie en fort peu de temps, sans laisser la moindre trace du séjour qu'ils y ont fait. Je retrouve, dans les notes de Noël de la Morinière, qu'il a fait des recherches sur cette opinion pendant son séjour en Ecosse. Il as- sure que les différents pêcheurs consultés lui ont tous confirmé que les harengs produisaient ce bruit dans les Loch Broom, Urn, Slapan, Brackadale. Un des pêcheurs écossais lui a même affirmé qu'étant à bord d'une buyse de pêche, les poissons s'élevèrent, au moment de l'explosion, par un effort si violent, qu'il en retomba sur le pont de quoi en remplir sept à huit barils. Ce bruit a-t-il quelque rapport avec celui dont nous avons déjà parlé CHÀP. I. HARENGS. 89 sous le nom de squeack, ou avec ceux que produisent d'autres poissons, et sur lesquels nous avons appelé l'attention de nos lecteurs dans le cours de cet ouvrage ? Nous rappelle- rons entre autres ce que nous avons dit des Pogonias, appelés par les pêcheurs de New- York dnnns ou tambours , et les extraits que nous avons donnés des observations de John White et de M. de Humboldt. ' Le hareng éprouve quelquefois le besoin de se déplacer ; ses goûts sont erratiques; leur répétition non interrompue prouve la con- stance de ses habitudes; le besoin de dépla- cement, fait que le hareng s'engage dans toutes les voies où il peut avancer. Cela rappelle l'anecdote rapportée par l'auteur de l'Histoire des Provinces-Unies. 2 « Sous le règne de Guillaume II , roi des Romains et comte de Hollande, Enckhuysen et Staveren n'étaient séparées que par un courant d'eau qui se formait à la marée mon- tante, et l'espace aujourd'hui baigné par le Zuydersée était une vaste prairie couverte de gras pâturages. Un gentilhomme frison avait ses terres dans ce canton. Un jour qu'il se 1. Hist. nat. des Poiss., t. V, p. 196 el siiiv. "2. Hist. des Provinces-Unies, 1, p. 25. 90 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. promenait dans une de ses prairies, il aperçut un hareng dans un fossé dont l'eau n'avait aucune communication apparente avec la mer. Il jugea qu'elle se faisait sous terre, concluant de là que le terrain sur lequel il marchait était miné par la mer et qu'il ne pouyait subsister longtemps , il se hâta de vendre ses biens. La prévoyance lui servit utilement. Le terrain fut abîmé peu de temps après, et les vaisseaux jettent aujourd'hui l'ancre dans cet endroit où s'est formé une bonne rade. * Il paraît, au surplus, que le climat ou la nature des eaux influe dune manière remar- quable sur les habitudes erratiques ou séden- taires du hareng. Les pécheurs de Boulogne pensent que le hareng de la Manche est ori- ginaire du Pas-de-Calais. Ils ont remarqué que souvent, et sans aucune variation de vent ou de mer, les poissons se montrent tout à coup, quoiqu'on n'en ait vu aucun la veille. Les Boulonnais attribuent cette apparition à un effet de la volonté spontanée des harengs. Les pêcheurs ont l'habitude de comparer ces apparitions subites à ce qui se passe dans un champ de blé , dont les grains lèvent en une seule nuit. Ils regardent ce mouve- ment d'ascension dans les bancs du hareng CHAP. I. HARENGS. 91 comme une des allures les plus familières à l'espèce; mais ils ne peuvent en assigner la cause. La présence du hareng se reconnaît à plusieurs signes : i.° quand les mouettes ou les autres palmipèdes de haute-mer planent à la surface de l'eau et qu'ils s'y plongent fré- quemment; i.° quand on voit flotter beaucoup d'écaillés autour des barques; 3.° quand on remarque, suivant Dodd, que la surface de l'eau est ridée par un vent doux qui souffle de terre; enfin, quand l'eau semble couverte de graissin. Les pécheurs tirent encore d'autres inductions favorables à leurs travaux de di- verses circonstances qui me paraissent de sim- ples préjugés. Ainsi, les pêcheurs de Dieppe considèrent les harengs volants, c'est-à-dire, ceux qui sautent hors de l'eau, comme les avant- coureurs d'un lit de poissons. L'événement semble quelquefois justifier cette opinion. Il y a encore beaucoup d'autres préjugés que je ne répéterai pas, mais ce qui paraît certain c'est que le meilleur de tous ces indices est celui qu'on obtient du vol ou des allures des oiseaux de mer. Aussi, sur toutes les côtes et dans toutes les baies du nord de l'Europe, leur vol, leur cri sont observés et étudiés avec la plus grande attention. L'habitude et la né- cessité de faire ces remarques continuelles 92 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. exercent la vue des pêcheurs, de sorte qu'ils connaissent et prédisent le plus souvent avec une singulière précision la prochaine appari- tion des radeaux. On croit encore avoir re- marqué que cette clupée aime à nager contre la direction du vent et des courants. Cepen- dant aussi, d'autres pêcheurs assurent qu'elle reste peu de temps dans la même place, qu'elle avance, puis, soudain, qu'elle rétrograde. On croit être certain que , si la troupe est contra- riée par des courants trop forts, ce qui est assez fréquent dans la Baltique, la troupe louvoie huit, douze et même vingt fois de suite, et qu'elle avance ainsi insensiblement. Si le cou- rant change de direction, la troupe change aussi la sienne; c'est ce qui explique comment il est si rare que, dans la Baltique, on pêche deux nuits de suite dans une même position. Pennant1 a observé qu'en Ecosse le hareng plein nage plus volontiers dans les grandes eaux, et le hareng gai plus près des côtes. Townley2 rapporte le même fait autour de l'ile de Man, et je trouve dans les notes de Noël de la Morinière que la même remarque a été faite dans la Manche. Mais ne peut-on 1. Pcnn. , Tour in Scotl , II, p. 241. 2. Townlej-'s Jour», of ihe isl. of Man , p. 94. CHAI'. I. HARENGS. 93 pas donner pour explication toute naturelle de cette observation, que les harengs des grandes eaux cherchent à s'approcher de la côte pour y frayer, d'où il suit que les radeaux formés près des côtes ne sont plus alors formés que de harengs vides. J'ai dit plus haut qu'à l'approche d'une tempête, les harengs quittaient la côte et ga- gnaient la pleine mer. Le baron d'Altstrômer assure qu'ils se réfugient dans les golfes de la côte de Suède, voisins de Gothembourg. On a remarqué qu'à Marstrand les harengs se por- tent vers la côte avec une telle impétuosité qu'ils semblent entrouvrir l'eau, et qu'il n'est pas sans exemple que plusieurs de ces poissons se soient jetés vivants dans les barques les plus voisines du mouvement spontané du lit. Ceci se rapproche beaucoup du phénomène cité, plus haut en parlant du Kraked. Ces mouve- ments brusques et rapides font souvent courir de grands dangers aux harengs, et ils expli- quent comment ils peuvent s'amonceler quel- quefois dans une baie au point de s'étouffer. Anderson ' dit qu'en 1 768 un radeau occupa tout le Loch Urn en Ecosse. Tout le Loch était plein, depuis son entrée assez étroite 1. And., /Iccounl of the près, of the Ihbrid. , p. 160. 94 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. jusqu'au fond sur une longueur de deux milles. Les bords de la mer fourmillaient des mêmes poissons qui couvraient la lisière du rivage voisin sur un espace de quatre milles de longueur et sur huit à neuf pouces d'épais- seur. Le fond de la mer en paraissait aussi pourvu que les petites flaques d'eau. Cette baie, longue de douze milles et large «de cinq à trois, regorgeait de ces chipées. Il faut sup- poser que les harengs les plus forts et les plus vigoureux poussèrent les plus faibles vers la côte, et qu'ils formèrent un cordon si épais que d'autres poissons, tels que des carrelets [Pleur 'onectes platessa), des flets {Pleuronec- tesflesses) furent entraînés avec eux, et vinrent aussi périr sur le rivage. On rencontre aussi ces bouillons ou lits de harengs nageant avec rapi- dité en colonnes espacées et distribuées comme le seraient des pièces de drap étendues sur un champ. On a vu dans la Manche, à cinq lieues nord-ouest delà pointe de l'Ailly près Dieppe, sur le fond de pêche que les matelots nom- ment la Gavée, avec dix-huit brasses d'eau environ, un lit de harengs formés en colonnes droites et régulières comme seraient des fossés parallèles tracés dans un champ. Ce lit occu- pait une étendue de plus d'un quart de lieue en carré et faisait rapidement route à l'Ouest. CHAP. I. HARENGS. 95 Ces poissons étaient si près de la surface de l'eau qu'on distinguait aisément à l'œil les plus gros d'avec les plus petits. Quand ils filent ainsi rapidement à fleur d'eau, les matelots, peuvent frapper sur le bordage de leur barque sur des tonneaux vides, sur des planches, pro- duire enfin quelque bruit que ce soit, sans effrayer le poisson; on le voit continuer sa route sans se déranger. S'ils s'engagent dans les filets de quelques pécheurs, ils les soulè- vent avec tant de force qu'ils leur font perdre leur plan de chute et qu'ils paraissent les étendre comme des nappes à la surface de l'eau. Quand le hareng est ainsi formé en co- lonnes serrées, il occupe quelquefois dans la mer un espace très-peu considérable. Il serait facile de citer un assez grand nombre de cir- constances de pêche où les harengs se pre- naient sur un point du fond en telle quantité qu'elle surpassait tout calcul, tandis qu'un peu plus loin et sur le même fond, trente à quarante barques ou bateaux de pêche n'en prenaient pas un seul. Je trouve dans les notes de Noël de la Morinière qu'en 1796, durant la pêche d'automne, six semaines après l'équi- noxe, les bateaux de Saint- Valéry, de Dieppe, duTréport, de Fécamp étaient sur le même fond de pêche à l'ouest de ce dernier port 96 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. au nombre de quarante-cinq, grands et petits. Un seul pécha cent cinquante mille harengs, quoique les autres, assez voisins de lui, n'en prirent pas un seul. La même remarque a été faite tant de fois par les pécheurs de la Manche qu'il est inutile de multiplier les citations. Quand les eaux sont claires, le hareng file plus vite que s'il nage dans les eaux troubles. Sur les côtes comprises entre l'embouchure de la Somme et celle de la Seine, les harengs sui- vent volontiers la lisière des terres, et s'en tiennent à une distance qui varie de trois à six lieues. On les trouve sur les bancs de la Somme, sur les bassures de Cayeux, sur les fonds de Tourmont , de Berneval, de l'Ailly, etc. On a fait la même remarque sur les côtes d'Angleterre, opposées à celles de France. Les allures du hareng, lorsqu'il entre dans les baies d'Irlande , sont aussi incertaines qu'irrégulières. Quelques radeaux n'y restent qu'un jour ou deux \ d'autres fois les baies en sont pleines pendant plus de quarante jours. Les signes de leur présence sont souvent très- équivoques, de sorte que la pêche du hareng, qui paraîtrait au premier coup d'œil plus sûre dans les lacs que dans la haute mer, y est tout aussi incertaine. Pontoppidan et Abild- CHAI'. I. llARKNGS. 97 gaard ont épuisé le chapitre des conjectures pour expliquer les causes des irrégularités des apparitions du hareng, si remarquables et si importantes dans son économie naturelle. Entre toutes sortes d'hypothèses qui ont été imaginées, on a été jusqu'à penser que des feux souterrains se manifestant inopinément, avaient pu provoquer la disparition du pois- son. Tantôt on l'a attribuée a des maladies épidémiques qui exercent sous les eaux un ravage égal à celui qu'elles font sur la terre. Citerai-je même Bernardin de Saint-Pierre l, qui prétend que la disparition des harengs de certains parages, où ils s'étaient montrés auparavant, est la suite de quelque bataille sur mer ? L'auteur d'une description générale de la Norwége et des îles voisines attribue l'éloignement du hareng et leur fuite de la côte Bonus, en Suède, vers l'an 1 £87 , à l'appa- rition d'un hareng extraordinaire qui fut re- gardé comme un signe de la punition divine. Les historiens de ce temps ont conservé la date précise de la capture de deux harengs singuliers qui donnèrent lieu à un événement lié à l'histoire de ce poisson. Le 21 novembre 1587, sous *e règne de Frédéric II, on pécha 1. Etudes de la nature, I, p. 361. 20. 98 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. dans la mer de Norwége deux harengs, sur lesquels étaient imprimés profondément des caractères gothiques. Ces poissons furent portés à Copenhague, et sept jours après leur cap- ture ils furent présentés au roi. Ce monarque superstitieux, effrayé à la vue de ce prodige, pâlit et crut que ces signes devaient prédire un événement, tel que l'annonce de sa mort ou celle de la reine. Les savants furent con- sultés, et ils traduisirent ainsi les prétendues inscriptions gravées sur les poissons : Vous ne pécherez pas de harengs, clans la suite, aussi bien que les autres nations. Le roi ne voulut pas s'en tenir à l'explication des savants de Copenhague; il eut recours à ceux de Ros- tock; mais ce fut en vain qu'on leur proposa ce problème, ainsi qu'aux antiquaires de plu- sieurs autres universités d'Allemagne. Un ma- thématicien français qui se trouvait alors à Copenhague, publia un gros livre pour expli- quer cette énigme. Il prétendit que ces signes n'étaient que des lettres initiales, des sigles de plusieurs mots; mais son explication n'offrit rien de satisfaisant. Un autre débita à cette occasion des rêveries plus absurdes, en an- nonçant une subversion totale de l'Europe. Un Suisse, Eglin, professeur de théologie à Zurich, publia, en 1622, un autre ouvrage sur CHAP. I. HARENGS. 1)9 un hareng extraordinaire, portant, dit-il, les mêmes empreintes que le hareng de Copen- hague; il avait été péché le 21 mai i 5g6 sur les côtes de Poméranie. Il s'est servi de ces prétendus caractères pour expliquer divers passages de l'Apocalypse. On sait que ces signes sont dus tout à fait au hasard et formés par l'entre -croisement de vaisseaux diversement colorés, ou par- une agglomération fortuite de points pigmentaîres. Les montagnards écossais ont d'autres su- perstitions touchant la disparition subite des harengs. En parlant de Skye, ils disent que, si une femme passe l'eau pour se rendre de l'autre côté de l'île, il n'en faut pas davantage pour faire disparaître le hareng. Fries observe, dans son Mémoire sur la pêche du Nordland , que toutes les fois que l'on laisse dans les baies des amas de hareng que l'on n'a pu saler et qui tombent bientôt en putréfaction, les radeaux de ces poissons , chassés sans doute par la mau- vaise odeur, sont souvent plusieurs années sans revenir à la même place ; mais Leuvenhœck seul me paraît dire la véritable cause des chan- gements de place des harengs; c'est qu'à me- sure que les poissons grandissent , le besoin d'une nourriture plus abondante les force à chercher des fonds où il y ait plus d'aliments. \ 00 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. Ces disparitions, du hareng sont tantôt pas- sagères , tantôt elles durent plusieurs années. Knox1 dit que, depuis 1783 jusqu'en 1790, le Loch Broom, en Ecosse, a éprouvé la cala- mité d'être privé de harengs. Ce poisson qui se montre à Donnegal, en Irlande, dès l'équi- noxe d'automne, n'y fit son apparition, en 1784, que plusieurs jours après le solstice d'hiver. • La pèche du hareng d'automne manqua to- talement en Nordland en 1776. Bloch2 disait à cette occasion, qu'on n'a pu encore décou- vrir la cause pour laquelle le hareng s'est porté plus au nord que de coutume pendant une dizaine d'années. Il ajoute qu'on ne peut pré- tendre que c'est l'absence de nourriture sur les côtes méridionales de la Suède, à cause de la quantité que lui en fournissent les fonderies pour extraire l'huile des harengs dans ce pays. Pennant a fait des remarques semblables sur les côtes d'Ecosse. Ainsi, certaines baies que l'on regardait de son temps comme de grands rendez -vous des harengs, avaient été désertes autrefois , et ils n'y étaient guères revenus que depuis environ quarante ans. Il 1. View of the brit. emp., p. 220. 2. Bloch, Schrifi. naturf. Fr. , Y, p. 358. CHAP. I. HARENGS. 101 ajoute que taus les Lochs de la lisière des côtes d'Ecosse ou des îles, sont tour à tour fréquen- tés par les harengs. "Celle qui en regorge pen- dant une saison, est exposée à n'en pas voir un seul l'année suivante, bien que tous les Lochs voisins en soient abondamment pourvus. Pen- dant plusieurs années le hareng a abandonné le Loch Tongue, et il n'y a reparu qu'en 1777 ; il a déserté sur la même côte le Loch Garron; depuis 1782 il n'y a plus reparu. L'île de Man, si renommée par ses pêches, n'a pas été à l'abri de craindre une pareille privation. Lacheverell observe , qu'au commencement du seizième siècle l'île de Man n'eut point de pêche du hareng. Les côtes de l'ouest de l'Angleterre ont offert le même tableau. Pennant affirme que les harengs quittèrent autrefois les passages de Cardigan, et se por- tèrent de préférence sur les fonds des comtés de Flint et de Caernarvon, qu'ils ont abandonnés après quelques années pour reprendre leur an- cienne station. On sait aussi que , dans l'hiver de 1740? les harengs s'éloignèrent des côtes du Sutherland et n'y revinrent qu'en 1776. L'Irlande, qui voit terrir le hareng pendant les trois mois d'automne, fut privée de ce poisson en 1784- On croit avoir remarqué en Irlande que, quand la pêche est mauvaise sur la côte de \ 02 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. cette île, elle est bonne sur celle d'Ecosse et al- ternativement. On croit aussi avoir observé dans le comté de Mago, dans l'ouest de l'Irlande, qu'on péchait plus de harengs près de Rilleris , quand la pèche est mauvaise dans le nord- ouest. Les économistes allemands ont fait les mêmes remarques sur les harengs de la Bal- tique ou sur ceux de la mer du Nord. On les a vus abandonner pendant plusieurs années l'embouchure du Texel. Le petit hareng de la Baltique a déserté la station de Rello en Ostro- gothie. Un des faits les plus remarquables de l'histoire du Hareng, et que l'on trouve con- troversé entre beaucoup d'écrivains de cette époque, est la disparition subite des harengs qui abandonnèrent, dit-on , et tout d'un coup , en i3i3, les rivages de la Prusse. Il est pro- bable cependant qu'il y a exagération dans cette assertion. Bock1 prétend qu'il faut en- tendre, par les expressions des historiens de cette époque , que l'importation en Prusse des harengs péchés dans la Baltique ou dans la mer du Nord, eut une interruption momentanée à cause des guerres maritimes de Canut, roi de Danemarck, et du brigandage des pirates 1. Bock, Versuch einei wirihschaftl. Naiurg., IV, p. 6*25. CHAP. I. HARENGS. 105 qui en fut la conséquence. Toutefois il ne se re- fuse pas à croire que les harengs désertèrent en partie à cette époque des parages de la Baltique. Voici ce qu'il dit à cet égard : « Vers l'épo- que dont nous parlons, les harengs s'étaient multipliés dans la Baltique à un tel point qu'ils furent probablement forcés de cher- cher une mer plus vaste pour s'y étendre davantage. Une bande ou troupe de harengs indique toujours a celle qui la suit le chemin qu'elle doit tenir. Il arriva qu'une grande partie de ces poissons franchit le Sund et fut rejoindre les radeaux de son espèce stationnés dans la mer du Nord. Si depuis on n'a pas vu se répéter le même événement, c'est qu'au- jourd'hui on pêche dans la Baltique plus de harengs qu'autrefois. Les habitants des côtes savent maintenant saler et saurir ces poissons. Ceux-ci ne peuvent donc plus s'y multiplier en assez grand nombre pour que de nouvelles migrations volontaires, fortuites ou nécessaires, se renouvellent comme en i3i3. M Noël de la Morinière pense que quelques années de pêche heureuse sur les côtes de Scanie furent les causes de stérilité dont furent frappées les mers de Prusse. Fischer ' cependant invoque 1. Fischeis Gesch. des deutschl. J lande h , 1 . p. 40T. | 04 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. le témoignage d'autres écrivains allemands qu'il croit très-dignes de foi et il affirme que les harengs n'ont jamais émigré de la Baltique dans la mer du Nord , parce que les harengs se sont montrés constamment et en même temps dans l'une et l'autre de ces mers. Il paraît cependant, d'après Anderson, que la pêche diminua sensiblement depuis le qua- torzième siècle dans la Baltique, parce que alors tous les armements de la basse iUlemagne se firent par la Norwége ou la Scanie. Cepen- dant il observe que l'on péchait encore du hareng à Falsterbo sur la Baltique et le long des côtes de Poméranie et de Livonie. Wiman , dans sa description de la navigation de la Baltique, cite Falsterbo comme étant encore en 1573 le siège et l'étape d'une pèche con- sidérable du hareng. D'autres titres établissent qu'en i388 les pêcheurs de Custrin1 prenaient du hareng sur les côtes mêmes de la Prusse. On trouve dans la Chronique de Dantzig2, qu'en 1^29, au nouvel an, il vint de Héla a Dantzig cinquante traîneaux chargés de ha- rengs, que le même événement se répéta plus 1. Sprengel's Anmerkungen im Umfange und Wachsthume der lïrdkunde , p. 83 et 84. 2. Curickeus hist. Besch. der Sladt Dantzig? n.>* 312, CHAP. I. HARENGS. 105 tard; or personne ne croira que ce hareng vint de la mer du Nord. Dans cette saison où la Baltique est glacée, on n'aurait pu l'appor- ter par mer à Héla pour le transporter ensuite par traîneaux à Dantzig. Linné a divisé le hareng en grandes et en petites espèces, la première habitant la mer Germanique, la seconde le golfe de Bothnie. Nous avons déjà nous-méme parlé, non pas de différentes espèces, mais de différentes races de hareng. Ceci élève déjà des doutes sur l'exactitude du système migratorial que d'ailleurs nous allons bientôt combattre. L'immortel auteur du Fauna suecica re- gardait les bassins peu profonds de la Baltique où la proximité des côtes et le nombre des baies offrent un abri sûr aux poissons, comme les réservoirs naturels de la petite espèce. Il pensait que les profondeurs qui séparent les bancs des mers Britannique et Germanique nourrissaient la grande espèce. Il s'agit bien moins de la distinction du hareng de la grande ou de la petite taille, que d'examiner main- tenant jusqu'à quel degré on peut établir que les harengs naissent sur les fonds où on les pèche, ou que de savoir si les harengs sont pris sur des fonds éloignés de leurs eaux na- tales. Les documents que Noël de la Mori- l06 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. nière a recueillis sur les lieux des pêcheurs écossais ou norwégiens, l'ont convaincu que le hareng est beaucoup plus stationnaire qu'on ne le croit, et que les divers bancs de harengs sont très-distincts et très-faciles à reconnaître. C'est une opinion admise par tous ces pê- cheurs que chaque espace d'eau contient des harengs de grande ou de petite taille qui en sont indigènes et presque toujours faciles à distinguer de ceux qui habitent les eaux voisines. C'est là ce qui a donné naissance aux diverses dénominations qui dans les différentes langues où on les emploie rendent toujours la même idée. On appelle en danois le hareng indigène landstaaende sild, c'est-à-dire hareng qui vit près de la terre ; les Suédois disent landst aride sill et les Allemands landstehenden Hœring, ce qui signifie absolument la même chose. Les Anglais l'appellent native ou home- bred herring, c'est-à-dire hareng né dans le pays. Les Français lui donnent le nom de hareng foncier, quelquefois aussi le nom de hareng franc , c'est-à-dire d'origine française. La signification du nom de hareng halbourg n'a pas d'autre valeur, c'est halex burgensis, hareng bourgeois ou le hareng du pays, du lieu. On applique cependant plus communé- ment ce dernier nom au hareng pris dans la CHAP. I. HARENGS. 407 Manche pendant leté. Ces différentes déno- minations consacrent toutes l'indigénéité des poissons. Mais il est aussi très-certain, d'après l'opinion des pécheurs les plus instruits, qua certaines époques, mais point fixes, les fonds fréquentés par les- harengs stationnaires sont visités par des poissons de la même espèce nés dans d'autres eaux, qui viennent frayer avec ceux-ci, si ces radeaux sont composés de poissons préparés à la reproduction de l'espèce. Il n'y a rien de régulier à cet égard. Ce sont les harengs qu'en Islande, en Norwége, en Danemarck, on désigne par le nom de Fhaef- sildy hareng de la mer, les mêmes que les Suédois appellent haevs-sill. Ils donnent aussi le nom de haevs-strômming au hareng de la petite espèce, qui habite de préférence les grandes eaux de la Baltique et qu'on distingue facilement de celui qui réside plus particu- lièrement dans les eaux des golfes. C'est le même poisson que les Allemands appellent See-Hœring, les Anglais for eign-jîsh et les Fiançais hareng du Nord. En comparant ces diverses dénominations on voit donc que les pêcheurs distinguent des harengs que l'on pourrait appeler indigènes, stationnaires, fon- ciers, côtiers, etc., de ceux qui à certaines époques abandonnent leurs eaux natales et 108 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. se portent sur d'autres fonds et qu'on nom- merait harengs étrangers, pélagiens, voyageurs, etc. Mais nous rie voyons pas dans ces déno- minations des distinctions spécifiques établies sur la taille des harengs. Cependant, on verra plus loin que les savants, anglais , et entre autres le docteur Leach et M. Yareli, pensent qu'il existe deux espèces de harengs sur les côtes d'Angleterre. Nous allons essayer de prouver que cette inégalité de dimensions est indépendante de l'âge des poissons, mais que ces variétés dé- pendent de la nature des fonds. Les pêcheurs hollandais reconnaissent qu'il y a autour des îles de Shetland une tribu de harengs facile à distinguer de celle qu'ils prennent en haute mer. La chair de ces harengs est si grasse qu'elle fut proscrite par les états de Hollande et de West- Frise, comme d'un poisson de qualité très-inférieure à celle du hareng pris à soixante milles de distance des Shetland ou des Orcades. Ces harengs, stationnaires de ces îles, sont de grande taille et se montrent en été. La Norwége possède également des ha- rengs indigènes de taille variable suivant les saisons, et que l'on peut distinguer facilement de ceux qui viennent de la haute mer, tant par la forme extérieure du hareng que par la CHAP. I. HARENGS. 109 saveur de la chair. Les harengs stalionnaires, dit Barch1, peuvent devenir très-gras, mais leur chair n'acquiert jamais la délicatesse de celle des mêmes poissons qui viennent de la haute mer. Pontoppidan, Falch et Molberg observent qu'il n'y a presque point de mois de l'année où les côtes et les baies de la Norvvége ne soient visitées par différents ra- deaux de harengs, qui portent le nom de la saison où l'on en fait la pêche, en empruntant quelquefois un surnom de quelque circons- tance particulière. C'est ainsi qu'on appelle hareng esturgeon ou hareng haleine, ceux dç ces poissons que l'on suppose poursuivis par les esturgeons ou par les grands cétacés. On croit que ce hareng d'été vient de la haute mer. Les radeaux de cette clupée, dont la pêche se fait pendant toute l'année sur les côtes de la Suède, voisines de Gothembourg, se composent également de poissons station- nâmes dans les petites eaux de la Scanie. On peut appliquer les mêmes remarques au ha- reng de la Baltique, et de ses grands golfes de Bothnie ou de Finlande. • Les pêcheurs allemands distinguent, sous le nom de Strômming , la petite espèce de la 1. Con. schwed. Akad. der IVissensch. , 32, p. 164. 410 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. grande, en y ajoutant souvent une seconde dénomination, prise de la saison dans laquelle on en fait la pêche, ou empruntée du nom des filets qui servent à les pêcher. Le Zuyder- sée et les canaux qui séparent les îles de la Zélande jusqu'à l'embouchure de l'Escaut occi- dental, possèdent une espèce indigène de pe- tits harengs, connue en Hollande sous le nom de ' pan-haring ou hareng chaudron, ainsi nommé, parce qu'il doit être mangé frais et ne saurait être salé. Cependant en comparant mes notes à celles de Noël de la Morinière, j'ai lieu de soupçonner, comme lui, qu'il s'agit ici du Pilchard ou de la grande Sardine. Mais dans le nord et dans l'ouest de l'Ecosse , Anderson a recueilli et rapproché un grand nombre de preuves pour établir la distinction de deux espèces ou selon moi de deux races, et que l'une d'elles fréquente pendant toute l'année et dans toutes les saisons les fonds des Hébrides. On peut l'y pêcher en tout temps , pourvu que l'on fasse descendre les filets à une profondeur convenable. Ils éta- blissent tous aussi que les harengs du Loch Broom sont préférables en général à tpus ceux des Lochs situés plus au Sud. Noël de la Morinière regarde aussi comme harengs sta- tionnantes ou fonciers, ceux que l'on prend au CHAI». 1. HARENGS. I I \ nord d'Inverness, ceux de l'embouchure du Forth, ceux de Carlisle, qui sont en général fort inférieurs à ceux des Hébrides et de l'île du Man. C'est probablement l'espèce dont p£rlê Pennant, dans son Voyage en Ecosse. Rnox observa donc avec raison qu'il ne voyait pas trop pourquoi la pêche ne commençait tous les ans, aux îles de Shetland, qu'au sols- tice d'été, puisque les pêcheurs hollandais ou belges s'y rendent longtemps auparavant pour prendre cette clupée , qui leur sert d'amorce pour la pêche de la morue. L'Irlande a aussi, de même que l'Ecosse, ses harengs stationnaires ; il est facile d'en recueillir un nombre de preuves considérables. On les dis- tingue des autres par leur taille et par une sorte de physionomie particulière , et il paraî- trait même que l'on pourrait, dans les diffé- rentes baies du nord de cette île, distinguer plusieurs races particulières : ainsi, à Dunfa- naghie , au fond de Sheephaven , il y a une pêche d'été qui produit des harengs de très- bonne qualité et si gros, qu'il n'en faut guère que quatre cents pour remplir un baril. Dans la baie de Dongal, au nord- ouest, sur les bancs où se trouvent de nombreuses espèces de gades, on voit pendant toute l'année une grande abondance de harengs. En général, les H2 LIVRE XXI. GLUPÉOÏDES. pêcheurs sont assurés de trouver sur toutes les côtes une quantité suffisante de harengs qu'ils emploient pendant toute l'année pour amorcer leurs lignes. Si l'on ne s'occupe pas d'en faire une pêche régulière, c'est qu'il* y en a d'autres plus productives; c'est que le hareng* donnerait alors des bénéfices très-mi- nimes , parce que sa chair n'est pas alors d'aussi bonne qualité. On est si persuadé en Irlande que le hareng habite pendant toute l'année la mer qui entoure l'île, qu'on a publié comme une mesure utile à la prospérité des pêches, celle de la permettre et de la laisser libre sans restriction, en la distinguant par quatre dénominations empruntées de la succession des saisons. Une pareille mesure destructive de tout système politique de pêche bien conçu n'en avait pas moins été adoptée par le parle- ment d'Irlande en 1790. On trouve aussi dans Pennant ou dans Anderson, des preuves que des radeaux de harengs vivent sans interruption et pendant toute l'année sur les côtes d'Ecosse ou d'Angleterre. Les pêcheurs de Scarborough trouvent toujours des harengs dans leurs filets, et quand on visite Londres dans les premiers jours du printemps, on est à portée de voir que les marchés de cette ville sont abondam- ment pourvus de ce poisson , mais il y est GBAP. 1. HARENGS. 1 15 souvent mole avec le Pilcharcl. On peut dis- tinguer deux variétés de harengs qui semblent composer la race sédentaire sur la lisière des côtes d'Angleterre opposées à la France; l'une procure une pêche du printemps , composée d'individus en général plus petits* que ceux de la pêche d'hiver. Les barques de Dieppe, qui allaient prendre les raies dans les eaux de Torbay, y voyaient, au milieu de l'été, les Anglais occupés à pêcher sur le rivage, du hareng avec leurs sennes, à une époque où aucun de ces poissons , présumés venir du Nord, ne s'est encore montré dans le Pas-de- Calais. Ce qui était d'ailleurs plus familier aux pêcheurs de Dieppe , c'est l'usage d'aller acheter, dans le cours du printemps, du ha- reng à Hastings, à la Rye, à Shoreham, pour en faire des amorces dont les autres poissons sont très - friands. Noël de la Morinière a compté, sur la rade de Hastings, jusqu'à cin- quante à soixante barques de pêche , dont chacune avait trois ou quatre milliers de ha- rengs pris dans la nuit précédente. En lisant ce que Duhamel1 dit des harengs halbourgs, on conclut bien vite à l'existence de harengs sédentaires dans la Manche, sur nos côtes de 1. Duh., Traité des pêches, 2.° part., p. 338, 339. 20. 8 144 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. France. On trouve aussi, dans le Magasin en- cyclopédique , un mémoire fort curieux de Noël de la Morinière sur cette même ques- tion. Les pêcheurs de Boulogne distinguent même, dans lès lits de la pêche d'hiver, des harengs à bec noir, qu'ils séparent de ceux de la pêche précédente. Les matelots de Brigh- ton disent aussi que sur les côtes de Sussex il y a des espèces différentes de hareng. C'est d'après la connaissance du séjour con- stant des harengs dans la Manche que se trou- vaient établis les droits des archevêques de Rouen , alors seigneurs temporels de Dieppe. Ces droits étaient perçus sur les harengs pêches dans tous les mois de l'année indifféremment. L'auteur du traité des pêches hollandaises du hareng, quoique partisan du système migra- torial, est obligé de convenir que ce poisson se trouve sur les côtes de France jusqu'au milieu de l'été. Noël de la Morinière dit qu'on lui a toujours envoyé du hareng pris, mais en petit nombre à la vérité, dans les parcs de Belleville, de Varangeville, chaque semaine du printemps ou de l'été jusqu'à la fin du mois d'août. Une autre preuve du séjour sédentaire du hareng dans la Manche se tire du nom du hareng Marsel ou Avrilet-, ce sont les expres- sions populaires que l'on donne aux harengs OHAP. I. HARENGS. 1 \ 5 du printemps. Vers la fin du siècle dernier, les spéculations des pécheurs s'étaient tour- nées vers ce poisson printannier. Ceux d'Yport y étaient entrés pour la plus grande part. Cette pêche fut prohibée ; ensuite elle a été laissée libre; elle se continuait jusqu'au milieu de l'été. En 17^6, les côtes de France, baignées parla Manche, furent couvertes de tant de radeaux de ces harengs marsais que les pêcheurs s'en firent une occupation sérieuse. L'abondance fut la même pendant plusieurs années; elle diminua vers 1780. Des lits plus nombreux firent une nouvelle apparition en 1797. Parmi ces harengs fonciers les uns étaient pleins, les autres vides. Des pêcheurs de Saint -Valéry ont souvent pris dans le printemps, au heurt de Fécamp, le hareng foncier, généralement plein d'ceufs ou de laite. C'est donc une tra- dition reçue par les pêcheurs des deux côtés de la Manche qu'une race de harengs y reste sédentaire. On peut d'ailleurs remarquer que si les pêcheurs, depuis le Texel jusqu'à Blan- kenberghe, ne prennent que peu de harengs pendant l'été, c'est qu'ils s'échappent trop ai- sément des mailles trop ouvertes de leurs filets, tendus contre les soles, les plies ou les bar- bus. Les pêcheurs qui se rendent aussi sur le Doggersbank pour la pêche du Cabliau ou 4 46 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. Morue fraîche > sont convaincus que le ha- reng y réside comme poisson sédentaire. Dans tel mois de l'année que ce soit, en hiver comme en été, l'estomac de ce gade est presque tou- jours plein de harengs, et c'est une des meil- leures amorces qu@n puisse employer pour prendre la morue. Les Hollandais croient ce- pendant avoir observé qu'ils prennent pen- dant l'été beaucoup plus de harengs sur la lisière occidentale du Doggersbank que sur le côté oriental, d'où ils concluent que les ha- rengs ne viennent point du Nord, mais qu'ils sont originaires des fonds sur lesquels on les pèche. L'arrivée subite ou l'apparition inat- tendue des immenses colonnes des harengs n'a point été inconnue des anciens habitants du Nord. Plusieurs anecdotes, confirmées par une saga du temps, nous apprennent que, dans une année de disette, une des baies d'Helgoland ayant fourni une incroyable quantité de poissons, on attribua cette pèche extraordinaire aux enchantements d'une femme du pays. D'autres historiens rapportent que ces grandes réunions de harengs frappaient déjà les esprits d'étonnement et d'admiration. Le poids des poissons péchés était si consi- dérable qu'il déchirait les filets des pécheurs. Leurs colonnes étaient si épaisses qu'une CHAP. I. HARENGS. 117 pique1, plantée au milieu, s'y tenait debout. Zorgdrager, en parlant de la Laponie, rapporte ces faits, et Ton voit dans les Annales d'Olaùs de Uoschild, qu'en 1275, on péchait tant de harengs dans le Sund qu'on en avait la charge entière d'un chariot pour une poignée de de- niers, pro ora denariorum. Rzaczinsky2 dit qu'à l'embouchure de la Vistule, en 1709, on fit une pêche de ha- rengs vraiment extraordinaire par l'incroyable aiïluence de ces poissons. Vers la (in de l'été de 1781, près de Buskoe, sur la côte voi- sine de Gothembourg, il parut une si grande quantité de harengs qu'ils semblaient former une montagne vivante, s'agitant au milieu de l'eau. Les bancs étaient si serrés qu'on pou- vait prendre le poisson à la main. Anderson dit que la pèche du hareng est quelquefois d'une si prodigieuse abondance en Ecosse qu'on ne saurait s'en faire d'idée. En 1784 on prit, dans l'espace de quarante à cinquante jours, tant de harengs dans le Loch Urn que le produit de la vente s'éleva à cinquante-six mille livres sterlings. Plus loin, cet observa- teur a j oute , qu'en 1 7 7 3 , le hareng vint occuper 1. Olaiïs niagnus, Hist. nat. sepfentr., liv. XX, cli. 18. 2. Hist. nat. de Pbl., p. 165. 418 LIVRE XXI. CLUPËOÏDES. le Loch Torridon en tel nombre qu'environ deux cent cinquante buises de pêche, qui avaient chacune deux ou trois barques et qui pouvaient porter douze à vingt barils de ha- rengs, eurent leur chargement complet en une seule nuit. Plusieurs furent obligés de couper leurs taves ou cordages qui soutiennent le filet dans un plan vertical, de laisser à la mer une partie de leur tessure, afin de pouvoir tirer l'autre à terre pour la débarrasser plus aisé- ment du poisson dont elle était pleine. Cette abondance de harengs • se soutint pendant deux mois consécutifs environ. Un an ou deux après , des colonnes entrèrent dans le Loch Carron en si prodigieuse quantité qu'An- derson affirme qu'ils remplirent ce Loch, long de trois milles, large d'un mille, et dont la pro- fondeur varie depuis quatre jusqu'à soixante brasses. Auderson affirme qu'il était indifférent aux pêcheurs de jeter leurs filets en telle ou telle place ; quelle que fût la profondeur de l'eau, on était toujours sûr d'avoir un char- gement complet. Les harengs restèrent dans ce Loch trente à quarante jours, après quoi ils disparurent tout d'un coup. On rapporte que, le 5 septembre 1774? il y avait tant de harengs à Auld-haiks, sur la côte de Fif, que quelques barques en prirent cinquante mille CHAP. I. HARENGS. 449 dans un seul filet. On ne savait quel parti en tirer, et on en offrit dix mille pour une bou- teille de genièvre. Sur la côte occidentale de Tile Skye, les harengs se présentèrent une fois dans le Karogloch en troupes si nombreuses que, soit de jour, soit de nuit, toute heure était bonne pour mettre à la mer le filet, et que, pour peu qu'il trempât dans l'eau, il était déjà rempli de harengs. On peut lire dans l'ouvrage d'Anderson d'autres preuves d'appa- ritions de harengs, presque aussi nombreuses sur les diverses côtes de l'Ecosse, et des exem- ples non moins nombreux et attestés par des témoins oculaires, ont été observés en Nor- wége, sur toutes les côtes de la Hollande, de la Zélande, et l'on trouve aussi des faits semblables rapportés par tous nos pécheurs de Dunkerque, Calais, Dieppe et Boulogne. Un pêcheur de Dieppe naviguant à quatre lieues au large nord -nord -ouest de ce port, rencontra un bouillon de harengs si prodi- gieux qu'il prit dans la même nuit vingt-huit last ou deux cent quatre-vingt mille poissons, et il estima en avoir rejeté à la mer une quan- tité presque égale. Un pêcheur de Fécamp se trouvant entre la pointe de la Hève, en Antifer , captura tant de harengs dans une nuit qu'il fut obligé de couper une partie de 420 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. ses filets pour éviter de perdre la tessure en- tière-; ce qu'il sauva contenait trente last de harengs. Il estimait à plus de huit cent mille le nombre des harengs qui s'étaient em- maillis dans ses filets. Il n'est aucun pêcheur de ces ports à qui l'on n'ait entendu raconter plusieurs fois que les grands bateaux ou cor- vettes de pêche n'avaient Jû leur salut qu'au prompt abandon de leurs filets, dont les équi- pages coupaient les cables au moment où le poids du hareng devenait si considérable que tout équilibre était détruit. Cela rappelle tout à fait les dangers de sombrer courus par les pê- cheurs baleiniers qui sont quelquefois obligés de casser avec promptitude les fortes amarres en fer qui attachent la baleine le long du bordage, lorsque celle-ci vient, suivant leur expression, à couler. On a vu quelquefois dans l'espace de mer compris entre Niewport et Dunkerque d'une part , et Yarmouth de l'autre, des bancs si nombreux, si épais, si difficiles à rompre que les pêcheurs flamands les com- paraient aux dunes qui bordent la mer. ♦ Il arrive" quelquefois à Boulogne que les barques sortent et rentrent trois fois dans un même, jour avec un chargement considé- rable a chaque aller et venir. Dans toutes ces réunions extraordinaires par leur nombre, les CI1AP. I. HARENGS. 42'l harengs se présentent en différents états de grandeur , de grosseur , de maigreur ou de graisse. Ces circonstances de leur apparition changent sur toutes les côtes, indépendam- ment des saisons, et sans qu'il y ait de règles certaines à cet égard. Une opinion communé- ment très-répandue est, que les radeaux qui pa- raissent et s'élèvent les premiers à la surface de l'eau, sont composés de poissons plus petits, mais souvent plus gras que ceux des colonnes qui les suivent. Leuwenhceck, qui a discuté la probabilité de l'âge des harengs, a observé que les premiers qu'on péchait sur les côtes de Hollande pendant le mois de juin, con- trairement au règlement de pêche , étaient toujours beaucoup plus petits que ceux qu'on prenait ensuite dans la vraie saison. Des ob- servations semblables ont été faites par Knox en Ecosse, en Irlande, dans la Baltique. Les informations que Noël de la Morinière a fait prendre à ce sujet dans la Manche, à Saint- Brieux, à Grand ville , à Dieppe , à Fécamp , ont toutes établi que les gros harengs succèdent a des radeaux composés de plus petits poissons. Les pécheurs disent, qu'au commencement de la pêche il se présente des lits de petits harengs qui se dégagent aisément des mailles destinées à prendre les gros; ce qui fait qu'on 422 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. ne les rapporte point. Cependant Andersori dit qu'il n'est pas toujours vrai que le hareng de la première pêche soit plus petit que celui de la seconde. Il en cite des exemples contraires dans les différents Lochs d'Ecosse, et on a observé le même fait auprès de l'île de Man. Aussi cet auteur rapporte-t-il, que les barques dépêche bien équipées ont trois sortes de filets dont les mailles sont plus ou moins grandes. Mais il est à remarquer que cet usage , qui s'est con- servé en Ecosse et même en France pour les harengs d'arrière-saison, est abandonné depuis longtemps par les Hollandais ; ce qui explique pourquoi leurs harengs sont toujours plus gros et d'égale grandeur. Bloch établit que le ha- reng des mers occidentales de Suède a d'autant moins de grosseur ou d'embonpoint, qu'il se montre plus tard. Lorsque, dit-il, le poisson se montre sur les côtes de Suède dès le mois d'août , il ne le cède en rien au hareng de Hollande ; mais à mesure que le temps de la pêche se passe, on prend chaque semaine des harengs plus petits et plus maigres; d'où il suit, que le hareng péché du premier au quatorzième jour de son apparition, est regardé comme le meilleur, et conséquemment acheté à un plus haut prix. Cependant le baron d'Alstromer contredit cette assertion de Bloch. Il est vrai CHAP. I. HARENGS. 423 que le hareng de prime se vend toujours trop cher pour être converti en huile; mais il n'en faut pas conclure que les radeaux de seconde et de troisième apparition soient pour cela dé- pourvus de la graisse qui les fait rechercher pour .cette industrie. Ce savant économiste cite plusieurs captures de harengs faites dans le mois de février dont on obtint de l'huile. Pontoppidan établit à peu près les mêmes faits pour le hareng des côtes de Norwége , de sorte qu'en rapprochant ses observations de celles que nous fournissent les Hollandais et les Flamands qui fréquentent les eaux de Shetland, ou les pêcheurs écossais, dont An- derson cite les témoignages, on voit que tous ces écrivains ne sont pas d'accord sur l'époque de la saison où le hareng est le plus gras. Les pêcheurs de la Manche ont remarqué la même variation dans la composition des radeaux de première ou de seconde apparition. C'est donc bien à tort que Rnox prétend que les harengs qui traversent la Manche sont si fatigués et si appauvris, qu'ils ne sont plus propres à être salés et à entrer dans la circulation commer- ciale. Il est tout aussi difficile d'établir l'époque précise du frai du hareng. Zorgdragers ' a vu 1. Zorgdr. « aile und neue grœnl. Fisch. , lï, 97. \ 24 LIVRE XXI. CLUrÊOÏDES. du frai de hareng au delà du cercle arctique vers la fin de l'hiver. On dit que dans la Bal- tique les harengs fraient dès la fonte des glaces, c'est-à-dire, depuis le commencement du printemps jusqu'en automne. Mais, quelque- fois aussi on a vu dans cette mer du frai de hareng pendant l'hiver; ce qui établit encore que tous les poissons d'un même radeau ne fraient pas à la fois, c'est que les pêcheurs déclarent tous qu'ils prennent le hareng en trois états différents : une sorte composée de harengs pleins, une seconde de harengs gais, et une troisième de harengs déjà disposés à redevenir pleins. Ceux qui font les diverses préparations du poisson péché, reconnaissent également ces différents états du hareng. En Hollande, on ne fait aucun choix du hareng pendant les dix premiers jours de la pèche, et tout ce qui est pris est envoyé, sans distinc- tion, depuis Hambourg jusqu'à Amsterdam, pour y être consommé comme harengs de prime. Après ces premiers envois, on a très- grand soin de faire le triage du poisson pris chaque nuit; cette opération, aussitôt qu'il est caqué, et avant de lui faire subir la prépara- tion du sel, c'est alors que l'on distingue ce qu'on appelle le petit hareng ( Maatges ha- ring), celui qui n'a encore ni œufs ni laitances; CHAI'. I. IIAIIÈNGS. 125 il est gças et d'un goût très-lin- mais il ne se conserve pas longtemps. Une seconde sorte est le hareng plein {voile haring), et une troi- sième, le hareng vide {fin harîng). Des observations répétées prouvent que les harengs fraient autour des iles Hébrides, sur les côtes orientales ou occidentales d'Ecosse, dans toutes les baies de l'Irlande et autour de l'île de Man. Noël de la Morinière a recueilli des observations, établissant la reproduction du hareng sur les côtes du pays de Galles. La Norwége, la Suède, le Danemarck, la basse Allemagne reçoivent aussi chaque année sur leurs côtes le frai de ce poisson. Schcenfeld croit que le hareng dépose ses œufs à l'embou- chure de l'Elbe, parce qu'on trouve de jeunes harengs dans les eaux de ce fleuve. Tous les pécheurs hollandais sont témoins du frai du hareng sur le Doggerbankj ceux du Zuyder- sée et toute la Nord -Hollande conviennent que vingt jours environ avant l'équinoxe du printemps le hareng se rassemble pour frayer, qu'il met un mois à lâcher tout son frai, et qu'il choisit toujours de préférence les fonds sur lesquels il se trouve peu d'eau. Les pé- cheurs de la Manche croient que le hareng lâche ses ceufs ou sa laitance à partir de la passure de Dyck, à l'ouverture de cette mer 126 LIVRE XXI. CLUrÉOÏDES. jusqu'au cap la Hève. Lorsqu'à Boulogne on commence à prendre du hareng déjà gai, on regarde ces poissons comme la tête d'un lit nombreux de harengs pleins qui ne tardent pas à se montrer. L'expérience répétée a éta- bli avec raison cette opinion. Des radeaux de poisson vide sont donc remplacés par des lits de poisson plein, et il faut aussi remarquer que les poissons vides, pris vers la fin de la saison, sont presque toujours plus grands que n'étaient les harengs pleins du commen- cement de la pêche. Il faut donc conclure de tout cela que les harengs n'ont pas, depuis le pôle Nord jusque dans nos mers, une époque fixe pour frayer, et qu'ils se multiplient dans toutes les mers où ils se trouvent. Ce que j'ai rapporté plus haut sur la quan- tité d'œufs que les pêcheurs tirent quelque- fois dans leurs filets, démontre aussi la vérité de la reproduction du hareng dans ces diffé- rentes mers. Maintenant que je viens de parler de la reproduction du hareng et de sa prodigieuse fécondité, il est bon de dire quelques mots sur les ennemis que la nature lui a donnés. Il faut d'abord citer tous les grands cétacés; ils les poursuivent, le long des côtes, avec beaucoup d'acharnement. Ces circonstances CHAP. I. HARENGS. 127 n'avaient point échappe aux pêcheurs les plus anciens, car dans l'ancien langage des pêcheurs islandais, une espèce de baleine est surnom- mée jftskrêki, c est-à-dire chasseresse de pois- sons. Pontoppidan, Strôm, disent que ces baleines se trouvent dans les golfes de la La- ponie tant qu'elles sont certaines d'y trouver du hareng. Knox cite des faits semblables sur les côtes d'Ecosse. L'un de ces cétacés ou le Nordkaper , a reçu sur les cotes d'Islande le nom de Herring-Balein. Les harengs, pour échapper à la poursuite de ces grands mam- mifères, se jettent sur la côte, cherchent un asile dans les anses ou dans les bras d'eau où les baleines n'osent s'engager, circonstances qui rendent la pêche du hareng plus facile et plus prompte. Aussi est -il défendu de tuer ces gigantesques animaux sur la côte de Nor- wége pendant la pêche du hareng. On sait aussi que la poursuite devient funeste aux cétacés qui viennent plus souvent échouer pendant la saison du hareng que pendant les autres mois de l'année. Les pêcheurs regardent en général l'apparition des baleines comme un présage heureux et sans équivoque d'une bonne pêche de hareng. Après ces grands cétacés il faut aussi ranger les phoques qui font aux clupées une guerre fort active; puis, 128 1IVRE XXI. CLUPÉOÏDES. enfin, il faudrait citer une foule de poissons, tels que tous les squales, les esturgeons, les gades, les saumons, la chimère arctique, qui a reçu, dans certains parages, le nom de roi des harengs. Les squales entre autres, comme l'Aiguillât (Sq. acanthias) , l'Émissole (Sq. mustelus) et la Roussette (Sq. catulus), se réunissent en troupes considérables sur cer- tains fonds que le hareng affectionne aussi, et quelquefois ils y sont en si grande quan- tité, que certains pêcheurs ont abandonné des stations pour éviter de voir leurs filets dé- chirés par ces incommodes cartilagineux. Les matelots de Dieppe disent qu'ils ont cessé de trouver du hareng sur la bassure du Larron qui était, après la Caillebarde, un des meil- leurs fonds de la Manche, depuis que le pois- son y a été détruit par des chiens de mer. Les pécheurs de Dieppe ou de Boulogne croient avoir remarqué des apparitions iné- gales et successives de ces bandes de squales. Ils disent que ces cartilagineux font princi- palement la chasse aux harengs pendant le jour; qu'ils se disputent leur proie jusque sous la barque ; que le plus souvent ils coupent le poisson en deux avant de l'avaler. La quan- tité considérable d'huile qui en découle vient s'étendre à la surface de l'eau et forme, sui- chap. i. Harengs. 129 vant quelques observateurs, ce qu'on appelle le graissin. Il arrive quelquefois aux pécheurs de retirer des pièces entières de filets qui ne contiennent plus que des harengs coupés par le milieu du corps. Après les squales, les es- turgeons, dans les eaux salées du nord, con- somment une telle quantité de harengs, que leur chair et leur graisse en contractent telle- ment le goût, qu'on les appelle Sild-Stoere (esturgeon-hareng). Les oiseaux de mer font aussi une chasse active aux harengs; tous ces palmipèdes pèchent nuit et jour, soit pour leur propre nourriture, soit pour celle de leurs petits. L'avidité de ces oiseaux est si grande qu'ils viennent se jeter sur les barques des pêcheurs et leur prendre en quelque sorte le poisson dans les mains; c'est un des spec- tacles les plus animés et les plus curieux dont on puisse être témoin. Il a inspiré à l'un de nos plus habiles peintres de marine le sujet et la composition d'un grand et beau tableau • où cette scène a été représentée avec beau- coup de vérité. Les manœuvres de tous j ces oiseaux sont un sujet continuel d'observa- tions pour les pêcheurs qui croient en tirer de bonnes indications pour la pêche de la nuit suivante. Il est d'ailleurs inutile de ré- péter ici ce qui a déjà été dit tant de fois, 20. 9 • 1 30 LIVRE XXI. ' CLUPÉOÏDES. c'est que l'homme, par son industrie, est le plus habile et par conséquent le plus terrible ennemi de ce poisson. Les chiffres que nous donnerons en traitant de la pèche de cette chipée, semblent vraiment dépasser tout ce que l'imagination peut «atteindre. Tout ce^que nous venons de rapporter des habitudes du hareng nous conduit maintenant à examiner l'opinion , si fortement accré- ditée, des voyages périodiques et réguliers que les harengs sembleraient faire tous les ans en bancs serrés dune étendue presque incalculable, frayant en route et arrivant presque exténués à l'entrée de la Manche vers le milieu de l'hiver. Les naturalistes les plus célèbres ont répété le tracé de ces voyages réguliers. On fait venir le hareng du nord. A certaines époques de l'année, une colonne immense quitte les golfes abrités par les glaces du cercle arctique. Elle s'avance en traversant l'Océan et en dirigeant sa marche vers des contrées plus tempérées. Cette colonne d'émi- grants se forme en deux divisions dont l'une se porte à l'ouest et l'autre vers le sud. Dans cette hypothèse les. harengs de la colonne occidentale sont destinés à peupler les rivages de la côte d'Amérique; la seconde division viendrait peupler les mers d'Europe. Les au- CI1A1». I. HARENGS. 1fï4 leurs de ce système n'ont pas fait attention à la distinction spécifique entre le hareng européen et celui d'Amérique. Ils ont d'ailleurs oublié de faire une troisième part pour les harengs des mers de l'Asie, à moins qu'on n'admette que ceux-ci ne viennent d'une colonne partie di- rectement du cercle polaire. Si nous revenons suivre la division qui s'est dirigée vers le sud , on dit qu'elle arrive aux attérages de l'Islande peu de jours avant l'équinoxe du printemps. Le rétrécissement de la mer entre la côte septen- trionale du Groenland et le cap Nord force cette division à se resserrer; arrivée en Islande, des troupes assez nombreuses se portent sur les côtes du Groenland, mais la masse de la colonne poursuivie par les cétacés ou harcelée par les oiseaux de mer, pousse ses phalanges en tirant toujours vers, le sud, après avoir peuplé les différentes baies de l'Islande. Par- venue dans les grandes eaux de l'Océan sep- tentrional, la colonne étend alors ses flancs à droite et à gauche et se subdivise; aussi il n'y a point d'espace de mer qu'elle ne traverse aisément ni de détroit qu'elle ne puisse franchir. Arrivées sur les îles de Shetland, les nom- breuses subdivisions de cette grande colonne auraient chacune une destination particulière. Ce que l'on appelle l'aile gauche, range la côte 432 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. de Norwége depuis la Laponie jusqu'à l'ouver- ture du Cattegat. L'aile droite se dirige vers les Hébrides et le nord de l'Irlande. Le corps du centre reste composé de harengs destinés à peupler la mer du Nord , en suivant les côtes orientales des Iles britanniques, et en se portant de là dans la Manche. L'aile gauche ou la norwégienne , remplirait successivement tous les golfes qu'elle rencontre sur son pas- sage , depuis le cap Nord en Laponie jusqu'à Tromsôe. Cette aile est présumée se former en deux troupes principales : l'une d'elles suivrait les côtes de la Suède , gagnerait le détroit du Sund et le franchirait pour aller se perdre dans la Baltique; l'autre traverserait brusquement le Cattegat et se porterait au nord du Jutland; elle se subdiviserait encore en deux colonnes. La première longerait pen- dant quelque temps la côte à l'est, s'égarerait dans les Belts et les canaux des îles voisines, allant probablement rejoindre la troupe qui a longé la côte de Suède. La seconde descen- drait à l'occident du Jutland, côtoierait le Sleswich, le Holstein, une partie de la basse Allemagne et la Frise, et viendrait se jeter par le Texel dans le Zuydersée, après en avoir visité les différents rivages. Le corps principal de cette armée, sorti des mers polaires, étant CHAP. I. HARENGS. 133 arrivé aux îles de Shetland vers 1 equinoxe du printemps, se diviserait en deux troupes. L'une d'elles nagerait directement aux Orcades, et de là eh Ecosse où elle remplirait les baies ou les anses de la côte orientale, en rangeant Bar ckaness, Aberdeen; quittant les côtes élevées de Berwich pour se diriger vers le sud, elle re- paraîtrait ensuite à la hauteur de Scaborough. Dans cette hypothèse, des détachements assez nombreux se donnent rendez-vous sur le Dog- gersbank; une partie gagne la mer de Hol- lande, pour s'incorporer probablement avec ceux qui ont fait originairement partie de l'aile gauche, mais le plus grand nombre se réunissent sur les côtes d'Yarmouth, passent à l'embouchure de la Tamise , et se portent de là dans la Manche, dont ils parcourent les deux côtes après avoir rallié quelques corps détachés des colonnes qui ont visité les mers de Hollande ou de Zélande, après s'être mon- trés dans les eaux de Douvres, d'Hastings, de Shoram et dans celles de Boulogne, de Dieppe et de Fécamp, les bandes entières gagnent l'ouest de la Manche et disparaissent. La deuxième des troupes qui s'est formée aux îles de Shetland, s'est dirigée vers les Hé- brides , tandis que la première se rendait aux Orcades. Ces bandes se subdivisent dans les \ 34 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. nombreux canaux qui 'séparent les îles de l'ouest, visitent les 'atterrages d'Anglesey, de l'île de Man , de la baie de Cardigan , de la Saverne, d'où elles se portent, en longeant les côtes de Cornouailles , dans les eaux de la Manche. Enfin , l'aile droite se partage , comme en Ecosse, lorsqu'elle est arrivée au nord de l'Irlande. Une partie descend le canal d'Irlande, remplit toutes les baies jusqu'à Wa- terford, tandis que l'autre, contournant l'Ir- lande à l'ouest par Donégal et Galloway, vient aussi se perdre dans les eaux de la Manche ou de l'Océan, pour se reporter vers le nord, d'où elle recommencera une seconde fois ses voyages périodiques. Telles sont les opinions des partisans du système migratorial du hareng. Le mois qui suit le solstice d'hiver est l'époque du terme qu'ils assignent aux courses étonnantes de ce poisson. Pour ajouter encore un caractère plus imposant, des pêcheurs leur ont donné une précision singulière; on a avancé qu'aux Shet- lands on connaît le jour fixe de l'arrivée du grand banc, et que ce jour ne varie jamais; on a été jusqu'à fixer le nombre de jours que les colonnes passent dans telle ou telle baie. La même opinion existe en Hollande et sur les côtes de France. Ainsi nos pêcheurs de CHAP. I. HARENGS. I 55 Boulogne sont d'opinion que cette clupée vient en radeau sur la bassure de Dyck près Calais, vingt- quatre jours après l'équinoxe d'automne, et sur celle de la Caillebarde cin- quante jours avant le solstice d'hiver, ce qui est à une quinzaine de jours près la même époque. Sans croire à une régularité aussi in- variable dans les apparitions des bancs, il ne faut pas cependant les confondre avec le tracé des migrations des harengs, quoique plusieurs auteurs aient voulu lier ensemble ces deux événements. Pour appuyer ces systèmes* si accrédités, les auteurs ont donné des raisons très-diverses: les uns trouvent la cause de • j ces voyages périodiques dans les vues bien- faisantes de la Providence, les autres dans la fusion des glaces du pôle, dans l'excès de La fécondité de l'espèce et par suite dans la mul- tiplication d'individus qui causeraient une rareté de subsistance assez grande pour forcer le poisson à émigrer. Enfin la crainte et les poursuites des grands animaux de la classe des mammifères ou des poissons ont fait ima- giner aussi la nécessité du déplacement du hareng. D'autres auteurs ont cru au besoin de frayer dans des eaux moins froides ou de chercher une température plus douce pour le développement des .petits. Il suffit de se \ 56 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. rappeler tout ce que nous avons dit plus haut, pour réfuter ce qui a rapport au frai ou à la nourriture du hareng, puisque des témoignages positifs nous apprennent qu'ils frayent depuis les mers septentrionales jusque dans la Manche. Quelques autres auteurs ont cru que les harengs ne se dirigeaient pas aussi directement du nord au sud, que nous venons de l'éta- blir, iiinsi les uns les ont fait voyager sans relâche autour des Iles britanniques, d'autres ont tracé au contraire leur route de l'ouest au nord. Il me paraît que ces différentes opinions ont pris naissance à la suite de l'ap- parition des différents radeaux de harengs. Quelques auteurs, tels que Gilpin, ont fait exécuter et accomplir les voyages des harengs à travers l'Atlantique d'Amérique en Europe. Il n'est pas aisé de découvrir quel a été le premier auteur du récit des voyages merveil- leux du hareng. Mais cette histoire, qui parait d'abord assez plausible lorsqu'on la compare aux migrations périodiques et si merveilleuses des oiseaux, qui a été si souvent répétée que presque toutes les nations européennes ont cru devoir l'admettre comme un fait constant et authentique, mérite cependant que nous nous arrêtions encore un peu sur ce sujet, parce qu'on n'a pas hésité de rédiger sur ces CHAP. I. HARENGS. Wl données, aussi vagues qu'incertaines, des po- lices de pèche, que l'on a fait passer en force de loi. Anderson, l'un des observateurs les plus éclairés des mœurs et des habitudes du hareng, est opposé au système migratorial; il remarque, en effet, que la pêche du hareng sur les côtes d'Argil en Ecosse, commence vers le solstice d'été, lorsqu'on n'a encore vu aucun hareng dans le canal qui sépare l'île Longue de l'Ecosse. On retrouve la même circonstance dans l'île de Man , lorsqu aucun radeau de harengs ne s'est montré dans les pièces d'eau que ces poissons auraient nécessairement visitées s'ils venaient du nord. Si de l'ouest de l'Ecosse nous passons avec Anderson à l'est de cette île, des observations semblables se reprodui- sent avec les mêmes faits. Rarement, dit -il, les harengs se montrent sur la côte d'Aberdeen avant le solstice d'été; alors toutes les baies de la côte sont tellement empoissonnées de harengs qu'avec les moindres filets on en fait d'immenses provisions. Or, à cette même époque, c'est-à-dire, au solstice d'été, la pêche commence à Exmouth, à plus de deux cents milles au sud d'Aberdeen , dans le temps même où le hareng serait à peine arrivé aux îles de Shetland d'après le système général des mi- 438 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. grations. Anderson remarque ensuite que , si la marche du hareng suivait du nord au sud, aucune partie de l'Ecosse ne devrait offrir une pêche aussi abondante que la côte septentrionale de Caithness, parce que les terres doivent y opposer une grande résis- tance, et que dans l'hypothèse du voyage, les harengs devraient s'enfoncer dans les baies ou les creeks de ce grand golfe. Il est cependant d'expérience que la pêche n'est jamais aussi avantageuse dans l'ouest que dans le nord de l'Ecosse; que la pêche de l'été est en quelque sorte nulle à Caithness; qu'elle n'y présente quelque intérêt qu'en automne ou en hiver, époque de l'année où, d'après le système de route attribué aux harengs, il ne devrait plus s'y trouver un seul de ces poissons. Anderson a fait encore et avec autant d'exactitude la même remarque sur les côtes du Firth de Murray. S'il est vrai, continue cet historien, que les harengs descendent du nord, lorsqu'ils se montrent, soit en été, soit en automne, sur les côtes occidentales d'Ecosse, ces poissons doivent, en continuant de se porter toujours au sud, trouver les côtes septentrionales de l'Irlande, qui semblent leur fermer le passage. Ils devraient par suite de cette circonstance être forcés à y faire un plus long séjour; ce qui CHAP. I. HARENGS. 159 rendrait la pèche d'hiver plus sûre et plus avan- tageuse que sur les côtes d'Ecosse. Or, Voici ce qu'on a observé et ce que rapporte l'auteur dont nous extrayons tous ces passages. Bien qu'en général les harengs se montrent souvent en grande quantité sur les côtes d'Ecosse pen- dant la saison d'été, alors qu'il y en a fort peu dans les mers d'Irlande; bien aussi qu'en hiver les côtes d'Irlande possèdent peut-être plus de harengs que les côtes d'Ecosse, cependant l'opinion que la pêche d'hiver l'emporte en produit sur celle d'été, éprouve beaucoup d'exceptions. Ainsi, par exemple , avant 1 782 , la pêche d'hiver a manqué rarement sur les côtes d'Ecosse, et elle a été presque toujours nulle sur celles d'Irlande. En 1782, les pêches d'été et d'hiver furent mauvaises en Ecosse; mais la dernière fut très-abondante en Irlande. Cette circonstance éveilla l'attention des pê- cheurs écossais. En 1783, la pêche d'été fut bonne en Ecosse; celle d'hiver très-médiocre; tandis qu'en Irlande toutes les baies fourmil- laient de poisson. D'après l'exemple de ces deux années, la spéculation fit tracer aux Écossais un nouveau plan de pêche; mais l'attente des pêcheurs fut entièrement déçue; car, en 1784, les bancs de harengs se mon- trèrent dans les baies d'Irlande avant le sols- \ 40 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. tice d'été, et dans le cours de l'hiver suivant on n'en vit pas un seul dans les baies d'Irlande. Cette même année la pêche d'été avait été bonne sur les côtes d'Ecosse ; mais la meilleure eut lieu en automne dans la partie septentrio- nale des Hébrides; nouvelle contradiction avec le système général des migrations, car la meilleure saison de pêche devrait être l'été sur les côtes d'Ecosse, et l'hiver sur les côtes d'Irlande. Les bancs de harengs que l'on sup- pose arrêtés dans leur course du nord au sud, en voyageant, soit par les îles Shet- land, soit par les côtes septentrionales de l'Ecosse et de l'Irlande, ne commenceraient point par se montrer en été dans les eaux profondes de la mer du Nord pour venir en- suite, vers la fin de la saison, dans les baies écossaises. Si la marche du hareng était aussi régulière qu'on le présume, les pêcheurs ne seraient point incertains pour le trouver. Noël de la Morinière rapporte plusieurs faits qui lui ont été communiqués par des pêcheurs flamands ou hollandais, et qui sont tout à fait contraires à la marche attribuée aux harengs. Un pêcheur de Bruges lui a assuré qu'après avoir péché le grand hareng à la hauteur de Shetland, il lui était arrivé d'être trente ou quarante jours sajis revoir un seul de ces CHAP. I. HARENGS. 141 poissons, quoiqu'il naviguât dans les eaux qu'on suppose traversées par ces poissons. Une corvette de Nieuport a mis trente-sept fois les filets à la mer sur les fonds de Shetland pour prendre une demi-tonne de harengs; elle était arrivée de fort bonne heure. Des corvettes flamandes qui étaient restées plus au sud , complétèrent leur chargement en trois jets de filets ou en trois nuits. D'autres corvettes de Nieuport avaient fait une bonne pèche à la hauteur de Caithness; tandis que les buyses hollandaises n'avaient pas trouvé dans le même temps le quart de leur cargaison aux Shetland. Noël a vu un pécheur d'Ostende qui retour- nait souvent sur les fonds d'Yarmouth aux approches du solstice d'hiver quand il ne trouvait plus de poisson depuis Boulogne jus- qu'à l'entrée de la Manche. La majorité des pêcheurs de cette mer est aussi d'opinion que le hareng leur arrive du nord; mais, malgré tout ce qu'ils disent de la régularité de ces apparitions sur les bassures de Dyck, de la Caillebarde, du Larron, etc., leur conduite prouve qu'ils n'ont aucune connaissance po- sitive de la marche de ce poisson, et qu'ils sont constamment à sa recherche. S'il fallait ajouter foi à leurs dires, le hareng se trouve- rait dans les eaux voisines de Dunkerque peu \ 42 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. de j.ours après lequinoxe d'automne; vingt- quatre jours après sur la bassure de Dyck; puis, après quinze jours, ils arriveraient sur la Caillebarde. On peut déjà observer qu'ils ne sont pas d'accord entre eux sur la route suivie par le poisson pour s'y rendre. Les uns prétendent qu'il y arrive par le vent d'ouest ou nord-ouest. Us croient avoir remarqué que par les vents d'est ou de sud-est ils passaient plus près de Boulogne. D'autres prétendent que le poisson ne vient point de Dyck, mais d'autres fonds ou de la bassure des grands Ridains; qu'il se rend dans les eaux Wissant, et de là dans celles de Boulogne. On doit conclure de tout ceci que les pêcheurs de la côte de Calais ont l'opinion que le hareng vient du nord. On devrait conséquemment s'attendre que leurs procédés de pêche et le système qui les régit coïnciderait avec cette opinion. Cependant il arrive souvent aux pê- cheurs de mettre d'abord leurs filets à la mer dans les eaux voisines de Wissant, et de re- monter ensuite plus au nord jusque sur le Dyck; ils suivent donc pour pêcher une route du sud au nord. L'observation de la conduite des pêcheurs de Fécamp prouve leur même incertitude sur la marche du hareng et sur la progression du nord au sud. Noël de la Mo- CHAP. I. HARENGS. 143 rinière a vu une réunion de trente bateaux de pêche en travers sur les Dales; ils s'y ren- daient régulièrement à chaque marée, quoique la poche fût très-médiocre. Deux de ces ba- teaux, cependant, se détachèrent et vinrent stationner à l'ouest entre Antifer et La Hève; ils y firent une très-abondante pêche, et ils prirent a eux seuls plus de harengs gais que tous les autres bateaux réunis ensemble. A la marée suivante, les pêcheurs, à l'exception de quatre à cinq, mirent le cap à l'ouest. La pêche y fut très -mauvaise, tandis que les autres bateaux qui étaient retournés à la sta- tion de Dale firent la même nuit une excel- lente capture. Les harengs étaient remarquables par leur grandeur, et il faut noter qu'il y en avait plus de la moitié de pleins. Le lende- main, une partie de ceux qui s'étaient portés à l'ouest revinrent à l'est dé Fécamp, et ils n'y prirent pas un seul hareng. Ceux qui, au contraire, persistèrent à rester sur les fonds voisins de la Hève, en péchèrent cette même nuit une immense quantité. On pourrait citer un grand nombre d'exemples semblables ; mais cela est tout à fait inutile pour établir jusqu'à quel degré les pêcheurs restent dans l'incer- titude, malgré l'apparence contraire qu'ils aiment à se donner. 144 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. D'autres fois les pêcheurs expliquent leur désappointement i en attribuant les déviations de la route tenue par les harengs à la poursuite des chiens de mer ou autres poissons voraces. Noël rapporte à ce sujet, qu'étant à Etretat les pêcheurs pensaient que les chiens de mer, donnant la chasse aux harengs et les obligeant de ranger la côte, ils devaient jeter leurs filets à la mer aussi près que possible, au risque de s'y échouer. Il arriva, contre leur opinion, que ceux des bateaux qui se trouvaient le plus au large, firent une meilleure pêche. Presque tous les pêcheurs de la Manche s'accordent à dire, que le côté des filets qui regarde le nord-ouest, est presque toujours plus rempli que la face opposée. Mais dans l'hypothèse du système migratorial, les harengs, venant du nord, et suivant la courbure de la côte depuis Bou- logne jusqu'à Dieppe, devraient s'emmailler plutôt sur le rhumb du sud-est que sur celui du nord- ouest. Le moindre coup d'ceil jeté sur la carte, suffit pour convaincre de cette vérité 5 par conséquent , s'il est vrai , comme le disent les pêcheurs, que le rhumb du nord soit constamment le meilleur, il faut en con- clure que les harengs viennent de l'ouest. En général, on peut dire que l'examen des faits et la pratique sont toujours opposés à leur CHAP. I. HARENGS. 145 théorie. Les pécheurs de Sairrt-Brieux disent aussi que le hareng vient du nord; dès l'équi- noxe d'automne, ils tendent des filets dor- mants le longde la cote, et les individus que Ion y prend , sont de plus en plus gros pendant l'espace de deux mois. Ces harengs viennent donc de l'ouest ; car ils devraient, au con- traire, être plus petits à la fin de la saison qu'ils ne le sont au commencement, s'ils fai- saient partie de radeaux entrant dans la Manche par le Pas-de-Calais. Les pêcheurs de Grandville, et surtout ceux d'Yport, recon- naissent qu'en été le hareng périt sur leurs côtes en venant de l'ouest, tout en restant fidèle à l'opinion générale que le hareng voyage du nord au sud. Si nous nous trans- portons de la Manche dans la mer du Nord, nous retrouvons les mêmes dires et les mêmes faits pour établir les mêmes erreurs. Les pê- cheurs de Vlaardingen, sans cesser de croire que le hareng vient de la mer Glaciale, con- viennent qu'il en arrive aussi de l'ouest ; mais, dans ce cas, ils disent que les poissons se sont trompés de route. Il faut aussi faire attention dans cette réfu- tation du système migratorial des harengs, que ses partisans ont tous entendu que le poisson arriverait de la mer qui s'étend au delà du 20. 10 \ 46 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. cercle arctique? Or, les remarques faites sur les côtes du Groenland, de l'Islande ou de la Laponie établissent positivement que cette espèce de dupée n'est pas aussi* féconde dans ces latitudes qu'on serait porté à le croire dans le système opposé. Nous avons déjà fait observer que Othon Fabricius dit formellement que le hareng est un des poissons les moins communs dans, les eaux du Groenland. L'Islande, qui vient après, fournit un grand nombre de preuves contraires au système migratorial. S'il était vrai, en effet, que les harengs descendissent tous les ans des mers les plus voisines du pôle, les golfes de l'Islande , ouverts au nord , devraient four- miller de harengs quand se fait l'émigration. Or, c'est ce qu'on n'a jamais vu. Olafsen dit même qu'il n'est guère vraisemblable que les harengs viennent du nord 5 car, dans les dis- tricts septentrionaux de cette île on ne trouve que fort peu de harengs. Ce témoignage est encore appuyé par celui d'Olavius, qui affirme que de mémoire d'homme on n'en a pris qu'une seule fois en quantité remarquable dans l'an- née 1773, mais que communément ces pois- sons ne s'y montrent qu'en petite quantité, et que leur abondance dans les mers d'Islande est bien au-dessous de ce qu'on croit commu- CHAI'. 1. HARENGS. 147 nément. Ce récit s'accorde avec celui d'Egedde; cet auteur observe qu'il se passe souvent plu- sieurs années sans qu'il se voie de harengs en Islande; il s'accorde aussi avec celui de Stephensen, qui n'y a vu ces poissons qu'en automne, s'il en excepte quelques radeaux assez nombreux qui se montrèrent en été à Eyafxord. Cest peut-ctre un de ces radeaux semblables dont Mohr a entendu parler, lors- qu'il a dit qu'en août on prenait quelquefois des harengs plus gras que ceux de Flandre. Si nous examinons maintenant ce qui se passe en Laponie, nous trouvons la même contradiction entre les faits et le système des migrations du hareng. S'il était vrai que le hareng descendît du pôle, et qu'après avoir doublé le cap Nord, il côtoyât les côtes de. la Norwége, les baies les plus septentrionales de ces contrées seraient invariablement visitées les premières à mesure que l'été s'avancerait. Or Knudleen1 et Pontoppidan2 qui connais- sent si bien ces contrées boréalçs s'expriment en ces termes : le hareng vient quelquefois en Laponie pendant l'hiver; il y procure alors une bonne pèche. Pour ce qui regarde la 1. Knudl., Besk. over finnm. Lapp., 321. 2. Poni./finnm. Mag., 389. 148 LIVRE XXT. CLUPÉOÏDES. pêche du hareng en Nordlande, Fruits1 rap- porte qu'elle est plus abondante une année que l'autre et souvent bornée à tel district exclusivement. La pêche s'est faite pendant longtemps à Drontheim sans interruption et elle était très -considérable; mais on a vu le poisson disparaître de ces baies pendant plu- sieurs saisons, ce qui a forcé d'aller chercher le hareng fort loin vers le nord. Ce n'est même que depuis quelques saisons de pêche que le hareng s'est ainsi montré dans les par- ties septentrionales de la Norwége et de la Laponie. On a vu aussi que nous avons insisté sur les différences de races ou de variétés qu'on remarque dans les formes extérieures du hareng ; les variations dont nous avons cité des preuves nombreuses et qu'on observe sur presque toutes les côtes, depuis les mers septentrionales de Norwége jusque dans la Manche, me semblent une des réfutations les plus positives du système migratorial des ha- rengs. Comment se ferait-il, par exemple, si le hareng venait de la mer glaciale, que la petite espèce de la Baltique traversât le Cat- tegat pour entrer exclusivement dans cette mer, tandis que la grande espèce resterait sur 1. FruuS, Of kandling om fisck. in Norlland , 191. CHAP. I. HARENGS. 149 les côtes de Suède qui regardent le Cattegat? Les harengs qu'on pèche dans le Zuydersée présentent les mêmes faits. Que conclure de tout ce que nous venons de dire? C'est que le hareng vit par légions innombrables dans toutes les eaux où on le pêche, qu'il se tient dans une profondeur dé- terminée, considérable, et qu'il sait échapper pendant longtemps aux moyens de poursuite des pêcheurs, mais que lorsque vient le moment du frai, le même besoin de placer convenable- ment le produit de sa génération le force à quitter ses retraites de la même manière que cela a lieu pour les sardines qui font, à la ma- nière des harengs, des apparitions nombreuses sur les côtes, ou elles remplacent le hareng qui n'y existe pas. C'est par un instinct sembla- ble que les aloses ou les saumons sortent aussi de leurs retraites sous-marines pour remonter dans les eaux douces qui viennent verser leurs eaux dans l'Océan. Un acte qui doit satisfaire au même besoin, mais qui est tout à fait in- verse, est celui dont les anguilles nous ren- dent témoin; un certain nombre d'entre elles quitte les eaux douces pour se rendre à la mer. Les harengs se déplacent pour apparaître près des côtes et y déposer leur frai. Les mouvements que nous observons dans ces 1 50 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. grands bancs ne sont que des déplacements accidentels, fortuits, qui tiennent à des causes qui n'ont pas encore bien été observées. Mais comme les bancs sont considérables, qu'ils frappent l'imagination de l'homme par leur masse, les hommes peu instruits qui bravent avec courage les dangers incessants de la pèche de ces poissons, ont cherché à donner une explication poétique comme celles qu'en- fante toujours l'imagination de ces hommes vivant isolés au milieu de ces grandes scènes de l'Océan. On y a ajouté peu à peu, et l'écha- faudage du système entier a fini par s'y éta- blir. Il faut bien remarquer cependant qu'il se passe là plusieurs phénomènes dont nous ne nous rendons pas encore bien compte. Les harengs fraient sur les côtes, les petits s'y développent; au mois de mars on trouve devant les rochers du Calvados des légions de petits harengs, longs de trois à quatre pouces, qui bientôt disparaîtront de la côte pour faire place aux harengs adultes qui se présenteront en bancs serrés pour peupler ces plages de nouveau frai. Le hareng grandit-il assez vite pour atteindre à la lin de l'année la taille que nous lui connaissons et être en état de revenir multiplier son espèce ? ou bien passe-t-il une ou plusieurs années au CHAP. I. HARENGS. I 51 fond des goufres de l'Océan jusqu'à ce qu'il soit en état de reparaître sur les plages ? Si j'appliquais à ces dupées les observations que nous faisons sur les aloses, je serais assez tenté de croire à cette dernière supposition. En effet, nous voyons les aloses qui sont nées dans nos fleuves à une distance très-considé- rable de leur embouchure, car elle dépasse presque toujours cent lieues, redescendre vers la mer lorsqu'elles ont atteint une grandeur de deux à trois -pouces \ mais à l'époque de la montée on ne prend jamais que des aloses adultes qui ont de quinze à dix-huit pouces de longueur, qui sont par conséquent cinq à six fois plus longues que celles qui redescen- dent à la. fin de la saison. D'un autre côté, l'on prend à la mer assez fréquemment des aloses de toutes tailles, qui n'ont encore ce- pendant ni œufs ni laitances, et que pour cette raison on appelle pucelles. Cette espèce de poisson nous fournit donc la preuve que pendant un certain temps ces individus ha- bitent un milieu tout différent de celui qu'ils sont obligés de prendre au moment du frai. Il me paraît raisonnable d'admettre le même ordre de choses pour le hareng. Cela tient d'ailleurs aux grands phénomènes de la distri- bution climatérique des espèces à la surface \ 52 LIVRE XXI. CLUPËOÏDES. de notre globe. De même que nous voyons les plantes occuper des hauteurs déterminées sur les montagnes, ce que M. de Humboldt a désigné dans ses savants ouvrages par ces expressions de région des pins, région des chênes; de même qu'il a démontré que là où finissent les chênes commence la végétation des rhododendrons , de même les observa- tions nombreuses que j'ai rapprochées, soit sur les poissons, soit sur tous les autres ani- maux marins, m'ont convaincu de la justesse de ces dénominations d'animaux côtiers ou d'animaux de grand fond. Je suis convaincu que si des observations étaient dirigées dans le but d'éclaircir ces questions, on trouverait que certaines espèces pélagiques vivent habi- tuellement à des profondeurs déterminées, qu'elles ne quittent que pour des besoins dé- terminés. Les Gades sont parmi les poissons ceux qui descendent aux profondeurs les plus considérables, puisqu'on les tire des fonds les plus bas où les lignes peuvent atteindre, qu'au-dessus de cette région des morues existe celle des harengs; puis viendraient les espèces côtières de l'Océan, et vivraient enfin au-des- sus d'elles nos poissons d'eau douce, dont toutes les espèces ne peuvent pas atteindre la même hauteur dans les lacs de nos mon- CHAP. Il HARENGS. 453 tagnes. Les truites sont en Europe nos pois- sons alpins. Nous ne voyons aucune espèce de ce genre dans les grands lacs de la Cor- dillère des Andes, ou sur les cimes de l'Hi- malaya. J'ai déjà remarqué que dans les An- des, les Cyprinoïdes apodes peuplent le grand lac de Titicaca; les Siluroïdes s'élèvent aussi haut et vivent avec ceux-ci sur les hauts pla- teaux de Cusco. Les poissons que M. de Hùgel a rapportés, du lac de Cachemire sont extrê- mement voisins de nos Barbeaux; on y trouve aussi quelques petites Loches. La présence des poissons de ce genre m'étonne d'autant plus qu'il résulte d'expériences que j'ai faites pour savoir comment les poissons de nos eaux douces peuvent supporter différentes pressions barométriques, que nos Barbeaux ne peuvent supporter la diminution d'une faible partie du poids de l'atmosphère, tandis que le Goujon [Cjprinus gobio) peut vivre dans une masse d'eau au-dessus de laquelle on a fait presque complètement le vide. Les phénomènes sont très-divers suivant les diffé- rentes espèces, aussi ne dois-je pas inétendre sur ce sujet curieux dans cet ouvrage. 1 54 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. DE LA PECHE DU HARENG. Après avoir fait connaître le hareng par une description détaillée, après avoir com- paré ce que les différents naturalistes ont dit de ce poisson, après avoir rapporté et discuté ce que l'on sait de ses habitudes, j'ai cru de- voir terminer cet abrégé de l'histoire naturelle d'une espèce aussi importante, en donnant, un tableau concis du produit de la pêche de cette clupée chez les différents peuples. Noël de la Morinière a publié dans le seul volume l'Histoire naturelle des pêches qui ait paru un historique de la pêche du hareng dans le moyen âge. Il s'arrête vers i4oo. L'ouvrage de M. Noël de la Morinière est rare et peu répandu. Le lecteur trouvera de l'intérêt à la reproduction, par extraits étendus, de ce que ce savant historien a laissé. J'ai d'autant moins hésité à reproduire ces essais, qu'ayant reçu de M. Cuvier les notes de Noël de la Morinière, j'ai pu composer la suite de l'his- toire de cette pêche jusqu'au commencement du siècle. Je n'ai pas voulu dépasser cette époque, parce qu'il aurait fallu pour ces der- CHAP. I. HARENGS. 155 nières années se décider à présenter des ta- bleaux statistiques, qui ne sont pas de nature à paraître dans l'ouvrage que j'écris. J'ai voulu, en donnant cette sorte d'avertissement préli- minaire, rendre à la mémoire de Noël de la Morinière l'hommage et le tribut qui lui ap- partiennent. Les premiers documents que l'on trouve sur la pêche du hareng en France remontent à l'an io3ox. La charte de fondation de l'ab- baye Sainte - Catherine près Rouen, établit qu'il y avait dans la vallée de Dieppe cinq salines et cinq habitations, ou, selon l'ex- pression du temps, cinq masures, dont la redevance annuelle était de cinq milliers de harengs. On trouve une seconde preuve, pres- que aussi ancienne de la pèche de ce poisson, dans le titre que Robert, duc de Normandie, accorda en 1088, pour permettre un jour de foire à l'abbaye de la Sainte-Trinité de Fé- camp, tant que durera la pêche du hareng. Dans le siècle suivant, les avantages de cette pêche ne se bornent plus à une simple consom- mation faite sur les lieux. Le commerce du poisson, et notamment celui du hareug salé, commence à prendre de l'extension. Dès l'an 1. Noël do la Morinière. p. 320 et suiv. \ 56 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. 1 1 4 1 > une compagnie des plus riches bourgeois de Paris avait acquis la place de Grève dans cette ville, et la société avait pris le titre de Confrérie des marchands de Veau. Cette société fit bientôt une nouvelle association, qui avait pour but le commerce sur toute l'étendue de la rivière. Parmi les droits qu'ils établirent sur le port destiné à la décharge des marchandises de Paris , se trouve celui d'un cent de harengs pris sur chaque bateau dont la cargaison consistait en salines. A cette époque, Paris et les villes voisines tiraient de la Normandie, par la Seine, des épiceries, du sel, du poisson salé, etc. On lit dans un di- plôme de Louis VII ', donné en 1 1 79 a la ville d'Étampes, la défense d'acheter aucune denrée dans cette ville pour l'y revendre ensuite, excepté le hareng et le maquereau salés. Le commerce du hareng devient bientôt plus pro- tégé par les ordonnances de Philippe-Auguste. Dieppe avec ses salines, Fécamp par sa pêche, Rouen par sa position sur la Seine, faisaient la plus grande partie du commerce de ce poisson. En 1181, le roi défend de faire mon- ter par la Seine aucun bateau depuis Mantes jusqu'à Paris, s'il n'était affilié à la société des 1. 'Lainière,, Ordonn. des rois tic France,. XI. 211, 21 2. CHAP. I. HARENGS. 157 marchands de cette ville. En 1 187, Philippe ' confirme, par lettres-patentes, un accord passé entre cette société et Gathon de Poissy, pour le péage de Maisons sur Seine. La furent. réglés les droits que paieraient à l'avenir les bateaux chargés de hareng, de sel et de vin montant la Seine, pour se rendre à Paris. Un acte de 1170 fait mention de la pèche du hareng au Tréport , dans la concession de droit obtenu par l'abbaye de la ville d'Eu, d'acheter tous les ans vingt mille harengs frais ou salés exemptés de tout droit. Un autre acte établit aussi que la pèche du poisson avait déjà lieu à Calais. On y lit que Simon II, abbé de Saint-Berlin, revenait de Rome muni de plusieurs bulles favorables qu'il avait reçues d'Alexandre III; une entre autres, accordait à son abbaye la dîme de la pêche des harengs sur toute la côte maritime du Calaisis. L'exécution y occasionna une ré- volte : tous les pêcheurs s'étaient unis pour en refuser le paiement. Quoique ce droit fût confirmé par le comte de Flandre et par Phi- lippe-Auguste, et que la dîme fût demandée par le seigneur du territoire, elle fut constam- ment refusée. On raconte même qu'un vieux matelot donna seul son adhésion à payer cette 1. Ordonn. des rois de France, XII, 287. \ 58 LIVRE XXL CLUPÉOÏDES. dîme à son curé , en lui observant que cet impôt devait être levé dans champ; que celui où il moissonnait et où il faisait sa récolte était la mer, et qu'il aurait soin d'y laisser le dixième de sa pêche. Les annales de Calais prouvent que les querelles à l'occasion de cette dîme ont duré entre l'abbaye et les Calaisiens jusqu'à ce que l'évêque Lambert II y eût mis fin par une transaction qui termina leur différend. Dans le cours du douzième siècle, plusieurs donations de harengs, faites à des maisons religieuses, portent à croire que la pêche de ce poisson se pratiquait entre la Seine et l'Orne , parce que ces donations s'acquittaient à Pont- Audemer; il est également certain qu'il y avait dans le même temps une pêche de hareng au- près des îles de Jersey et de Guernesey, puisque Henri II relate dans les privilèges de la ville de Pontorson, les droits à percevoir sur les harengs frais ou salés qui passaient de là en Normandie. Le poisson de cette pêche est désigné dans les ordonnances postérieures sous le nom de hareng de Garnisj. On a aussi -de fortes pré- somptions pour croire que la pèche du hareng avait lieu sur les côtes de la Bretagne, entre la Vilaine et la Loire. Il est très-probable que le nom du village appelé en bas -breton Pen- harinÇj ce qui signifie tête de hareng, dérive CHAP. I. HARENGS, 459 nécessairement de quelque circonstance re- marquable de la pêche de ce poisson. Quant à celle qui se pratiquait au midi de la Loire, elle est établie par différents actes. Il en est question dans les coutumes de la mer, au- trement dites loi dOléron , publiées par Éléo- nore de Guienne quand Louis le Jeune l'eût répudiée à son retour de la Palestine. La date de ce règlement est de n52. Quelques au- teurs lui en donnent une plus récente; mais il est facile de démontrer que la date de 1266 est celle d'une seconde publication. Je ferai cependant remarquer qu'il s'agit plus probablement ici des très- grandes sardines ou des pilchards que l'on confond souvent avec le hareng quand elles atteignent leur plus grande taille Philippe-Auguste ayant réuni à la couronne la Normandie et la Picardie, le commerce des villes maritimes de ces côtes avec Paris* s'accrut insensiblement, et Paris fournit en- suite aux principales villes du royaume presque toute leur provision de poisson de mer. On établit un nouveau port de décharge pour les marchandises qui remontaient la Seine. Pour subvenir aux frais de cet établissement, Philippe-Auguste octroya de nouveaux droits à la société des marchands de l'eau, et entre \ 60 LIVRE XXÏ. CLUPÉOÏDES. autres la levée de quatre sous sur chaque cargaison de harengs. Louis IX accorda une très-grande protection au commerce des pois- sons de mer à la faveur des ordonnances de i25o, 12^4 et 1258. La seconde surtout fut un des plus grands encouragements que reçut la pèche du hareng; elle établit l'ordre et la police de la vente à observer à Paris. Il y est fait mention pour la première fois de voitu- riers de poisson de mer; les harengs y sont distingués en frais, en secs et en salés. Les obstacles qu'il fallut surmonter pour vivifier ce commerce entravé par la prétention des seigneurs, sur le territoire desquels il fallait pas- ser, prouvent avec combien de zèle Louis IX s'occupa de l'améliorer. Aussi il n'y a pas eu de roi de France qui ait rendu plus d'ordon- nances ou fait plus de règlements en faveur du commerce des harengs. Un grand nombre d'aumônes faites à des monastères de cette époque se payait en ha- rengs, et Louis IX, lui-même, fît distribuer, à une certaine occasion, aux pauvres de Paris, 60,000 harengs. Les règlements publiés par les successeurs de S. Louis améliorèrent en- core le commerce dont nous parlons. Dans l'ordonnance de i32o, les harengs y sont dis- tingués en poissons saurs, blancs et frais, et CHAI». I. HARENGS. 101 ils doivent être vendus de plusieurs manières: i.° en jneze, messe ou niaise, sorte de mesure qui devait contenir 1020 harengs saurs ou 816 harengs blancs (celle d'Irlande n'en con- tenait alors que 5oo); 2.0 en tresonel ou tressoumel, mesure dont j'ignore la capacité; 3.° en pignon, équivalant à un millier de harengs; 4-° en caque, tonel ou quecce (caisse). Il paraît d'après cette ordonnance et celle de i35o que Ton saurissait le hareng à Paris même. On distinguait aussi les harengs indi- gènes ou étrangers par un nombre assez consi- dérable de noms qui prouvent, par conséquent, que ce poisson était déjà l'objet de l'attention générale. Ainsi , l'on disait les harengs de Garnis y , de Sajfore, Sajfaire, de Serne, à'Escojie, de Frainclais ou Franches, etc. Noël de la Morinière a essayé de donner l'étymologie de ces différents noms1, mais elle nie paraît fort incertaine. Il est aussi question des harengs de Flandre. L'ordonnance de i32o fait encore mention de harengs poudrés, et Noël de la Morinière pense qu'il faut entendre par cette expression le hareng salé en wrac ou en grenier. Le commerce et la consommation qui se faisaient à Paris de tous i. Noël, llisi. des pêcli.'; p. 332, 20. 11 162 LIVRE XXI. CLUPÉOIDES. ces différents harengs, acquirent une grande importance au commencement du douzième siècle. La ville de Caen partagea ces avantages. Dans un acte de i32Ô on voit que Caen re- cevait de l'étranger les harengs que l'on appelait les milliers, et qui y étaient apportés en caques ou en rondelles, et qu'il en venait dans la saison quatre à cinq cents last et plus, qui se distribuaient non-seulement dans la ville, mais encore dans les pays du Maine , d'Alençon et d'Anjou. L'importation et l'exportation du hareng devenaient un objet de commerce important. Les villes du nord envoyaient à Dieppe et à Rouen le hareng salé de leur pèche, qui était ensuite réexporté dans le Levant. Les Dieppois ont été presque seuls, pendant longtemps, en possession de ce com- merce. Ils obtinrent de Charles V la permission de prendre du gouverneur de Calais des sauf- conduits pour la pêche, en se soumettant à ne la faire qu'entre la Seine et la Somme jusqu'à Noël seulement. Ils payèrent pour cette permission une imposition qui fut réduite à un franc d'or pour les bateaux qui voulurent fournir un homme d'armes. Les pécheurs de Calais ne payaient aucuns droits seigneuriaux; mais chaque bateau armé dans cette ville pour la pêche payait à la commune un droit de CHÀP. I. 1I.UŒNGS. '105 cinq sols pàrisis par an. Le produit du droit fut évalué, en 1 347 > a niut ^vre?s pàrisis, d'où il faut conclure qu'on équipait alors à Calais trente-deux bateaux pour la pèche du hareng. D'ailleurs, les bateaux qu'on employait à cette pèche dans les différents ports de la Manche, variaient pour la grandeur et étaient distin- gués par des noms particuliers. Les plus grands paraissent avoir été les drogueurs, très- pro- bablement parce qu'ils étaient destinés au commerce de drogueries que les Dieppois faisaient dans les échelles du Levant. Ils étaient du port de cent tonneaux; venaient ensuite les barges (barques ou bateaux)., sorte de bâtiments plus petits employés à la pêche de Yarmouth, et à celle du hareng le long de la Manche, sur les côtes de Picardie ou de Normandie. Plusieurs abus s'étant établis dans le commerce de la vente du hareng salé , Dieppe , pour se conserver tous les avantages du produit de la pêche, puisque ses bateaux en couraient tous les risques, obtint que nul bourgeois de Rouen ne pût acheter du hareng frais pour l'y faire saler à son compte, sous peine de confiscation. Pour obvier aussi à toutes les falsifications ou au mélange du hareng vieux avec les poissons nouveaux, on établit, à Paris, des jurés vendeurs publics 164 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. de poisson de mer. Les ordonnances de i35o et i35g en portent le nombre à seize. On en établit aussi dans les grandes villes du royaume. La ville de Rouen en avait six. Le marchand forain était libre de vendre lui- même son hareng le jour du vendredi. Le droit de vente appartenait aux vendeurs publics pour tous les autres jours. Il était assez con- sidérable, puisqu'en i36g il était de douze deniers par livre. Mais ces règlements, faits en vue de prévenir ou de réprimer les abus sur la vente ou sur lâchât du hareng salé, furent préjudiciables à la prospérité des pêches. Les guerres de cette époque entre la France et l'Angleterre firent éprouver plusieurs vicissi- tudes à la pêche du hareng, et les obstacles qu'on y apporta tour à tour nuisant au com- merce des deux pays, furent tantôt augmen- tés, tantôt levés tout à fait. Ainsi, la liberté de la pêche fut stipulée en 1 385, et plus tard encore, en i4o3. Le sauf-conduit de pêche accordé à cette époque présente des disposi- tions bienveillantes qu'il est bon de rappeler. Si, dans le traité, les fonds de station de pêche furent restreints, il fut défendu aux pêcheurs des deux nations de s'écarter au delà de la rivière de Seine et du Havre de Hau- tonne, du coté des Français. Cette défense CHAP. I. HARENGS. 105 c La 11 L commune aux deux nations ne pouvait être considérée comme vexatoire; mais en même temps qu'il est dit dans ce sauf-conduit que si, par la violence ou la contrariété des vents, ou pour éviter la poursuite de quelque pirate, les pécheurs français se voient forcés d'entrer dans un des ports de la côte de France occupés par les Anglais, ils y trouveraient bon accueil, sûreté, et s'y fourniraient de vivres et de tous les autres objets dont ils auraient besoin. Henri IV sentait la nécessité de se concilier la bienveillance des Français et sur- tout de se rendre favorables les provinces maritimes, dont il convoitait la possession. Dans ce traité il n'est pas fait mention de la clôture de la pèche comme dans celui' de i383. En effet, la clôture a souvent varié, puisque tantôt elle a été fixée autour de Noël et tantôt au mois de février vers la Chandeleur. Il faut faire attention que je ne parle ici que de la pèche de la Manche , car elle commençait autrefois à la mi-août et finissait en novembre sur les côtes de la Saintonge et de l'Aunis. La fixation de la clôture de la pèche a toujours été l'objet de nombreuses réclamations à cette époque, comme nous les avons vues reproduites de nos jours, et les pécheurs de ce temps donnaient absolument 466 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. les mêmes raisons que de notre temps. Une des plus fortes alléguées par les Dieppois et les Pol- letais, c'est que le hareng marsais produit un des meilleurs appâts pour la pêche des autres poissons et qu'ils en prennent quatre fois davantage avec du hareng frais que lorsqu'ils usent du poisson salé. Je rappelle ces raisons parce qu'elles prouvent d'une manière évi- dente le séjour et la vie sédentaire du ha- reng dans la Manche. Arrivés au commencement du quinzième siècle, nous en sommes à cette époque mal- heureuse où les Anglais appelés en France par les partis qui la déchiraient, en occupèrent presque tout le Nord ; la pêche et le commerce des harengs passèrent donc pour un temps entre leurs mains. La France, gouvernée alors par un roi faible et livré tout entier à ses plai- sirs, était sur le point de devenir une conquête anglaise. Orléans était assiégée, et l'on peut rap- peler ici que c'est à l'occasion de ce siège que se livra en 1 4^9 le combat connu dans l'his- toire sous le nom de journée des harengs, et dans lequel le duc de Bourbon fut défait en voulant s'emparer d'un convoi composé en grande partie de ces poissons salés destinés comme provision de carême pour l'armée an- glaise qui faisait le siège d'Orléans. On ne peut CBAP. I. HARENGS. I(>7 citer rien de très-intéressant dans le cours des années de ce siècle et même du suivant. Les lois rendues à cette époque ont pour objet de dispenser de plusieurs droits onéreux ou d'en régler l'acquittement. Les guerres fréquentes qui armèrent l'une contre l'autre, la France et l'Angleterre, ren- dirent notre pêche lointaine fort difficile; aussi nous voyons vers le milieu du dix-sep- tième siècle, les Dieppois abandonner les grands dioggers qu'ils y employaient et équi- per des bateaux plus petits pour pêcher sur les fonds de la Manche, et surtout sur ceux de Yarmouth. Au rapport d'Asseline, auteur de la Chronique de Dieppe, cette ville comp- tait en 1649 cent cinquante bateaux qui firent une pêche fort avantageuse. La France étant alors en guerre avec l'Espagne, les cor- saires flamands poursuivirent nos pêcheurs sur toute la mer du Nord. Pour les mettre à l'abri de leurs attaques, on eut l'idée d'em- barquer des soldats et d'armer les bateaux de petits canons; mais ces précautions s'étant trouvées insuffisantes, le Gouvernement arma deux frégates qui donnèrent bientôt la 'chasse à tous ces corsaires. Toutefois Dieppe aban- donna les expéditions de pêche à la hauteur des Shetland. Les marins de ce porl essayèrent 168 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. delà reprendre en 1771, mais ils l'abandon- nèrent à cause du mauvais succès qu'elle eut. Nous arrivons ainsi successivement à l'épo- que où Louis XIV régla, dans le temps de la prospérité de son règne, toutes les parties de l'administration du royaume et en particulier ce qui traite de la pèche, dans la grande or- donnance de 1668. Les diverses faveurs accor- dées dans les années précédentes furent retirées selon la nécessité des temps et modifiées jus- que dans les ordonnances de 1696 et ensuite dans le dix-huitième siècle. Alors la pêche active et régularisée par les progrès de notre industrie moderne est restée telle qu'elle est décrite dans le Traité de Duhamel. Si je me suis étendu sur tous ces nom- breux documents que j'ai trouvés réunis dans les notes de Noël de la Morinière, c'est que j'ai pensé que c'étaient les meilleures preuves a donner contre plusieurs opinions adoptées comme vraies par presque tout le monde et dont l'exactitude n'est nullement fondée. Ainsi, comme je viens de le rappeler, ces nombreux règlements combattent très-forte- ment le système migratorial des harengs. On attribue généralement à Guillaume de Beukelings, né à BiCrvliet, l'art de la salaison du hareng. Ce pêcheur hollandais mourut en CHAP. I. HARENGS. I 69 1 44*J? et déjà deux siècles auparavant les arrêts de nos rois réglaient le commerce ou la vente du hareng salé à Paris. L'examen de l'histoire des pèches dans les autres mers de l'Europe viendra éclaircir aussi plusieurs points de l'histoire naturelle ou économique du hareng. La pèche flamande ne peut prendre place dans une histoire des pèches, et particulière- ment dans celle du hareng, que, parce qu'elle est, en quelque sorte, le berceau des pèches hollandaises. Sans cette considération, le petit nombre de bateaux et d'hommes qu'elle em- ployait, ainsi que le peu d'importance de ses ports, justifieraient en quelque sorte l'oubli dans lequel on laisserait toutes les côtes de la Belgique. Chacun sait que la Flandre ne com- prenait originairement que le territoire de Bruges. Les premiers seigneurs de ce pays avaient le titre de Forestiers, et le premier d'entre eux qui reçut le titre de comte fut Baudoin , qui enleva la fille de Charles le Chauve, et l'épousa. Il obtint cependant de son beau-père le pardon de l'offense qu'il lui avait faite. Charles lui accorda tout le pays de Flandre à titre de comté, et il y joignit en- core les territoires de Gand, de Courtrai, de Tournay, d'Arras et les pays circon voisins, I 70 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. fort dévastés alors par les bandes d'aventuriers que l'on a confondus sous le nom de Nor- mands. Bruges devint florissante par l'entre- pôt qu'en firent les villes anséatiques; elle devint la capitale des Flandres. L'Ecluse , qui était nommée, avant i335, Loemmens-Wliet, était peu fréquentée. Ostende n'était encore qu'un village en 81 4} elle n'était habitée que par des pécheurs de harengs, ainsi que Nieu- port; Dunkerque n'était aussi qu'un hameau habité par des pêcheurs; Gravelines ne com- mença à exister que vers 1 160 sous Thierry, comte de Flandre, et elle n'acquit de l'im- portance qu'au commencement du douzième siècle. On conçoit que la pêche du hareng commença dans toutes ces villes. La charte, accordée aux habitants de Nieuport par Phi- lippe d'Alsace atteste, qu'en 1 163, cette ville envoyait des barques ou des buyses à la pêche du hareng. Ces privilèges furent aug- mentés ou confirmés par ses successeurs. La pêche de Nieuport prospéra tellement, qu'on y fonda et qu'on y bâtit avec le produit de la seule dîme levée sur la pêche du hareng, les hôpitaux, les églises, etc. Nieuport devint le chef-lieu des pêches de la Flandre, le marché principal du poisson : il fut pour ces con- nues ce qu'était Yarmoulli pour L'Angleterre, CHAP. I. HARENGS. 4 74 ou Dieppe pour la France. Mais la triste né- cessité dans laquelle s'est vue la Flandre d'être presque toujours le théâtre des guerres que se sont faites les grandes puissances qui l'en- tourent, a été cause de grands préjudices qu'a ('prouvés la pêche du hareng. La ville de Nieuport , malgré les privilèges nombreux qu'elle reçut jusque sous Philippe, archiduc et comte de Flandre, perdit une grande partie de son importance vers le milieu du quinzième siècle. Un décret rendu à Bruxelles en i5oc), fît défense d'acheter en mer du hareng frais ou autre poisson, et permit en même temps aux pêcheurs de la côte de Flandre d'apporter le hareng de leur pêche à Dunkerque, a Gra- velines , et indifféremment à tous les autres ports. Cette liberté augmenta beaucoup le nombre des bateaux de pêche armés le long des côtes de Flandre. Dunkerque n'en comp- tait pas moins de cinq cents. Chaque buyse de pêche avait un filet au nombre de ceux qu'elle mettait à la mer appelé le filet saint, parce que tous les poissons qui s'y prenaient étaient vendus au profit de l'église paroissiale. Ce filet saint y à qui la dévotion de quelques pêcheurs avait sans doute donné l'origine, et qui n'était d'abord qu'un acte volontaire, fut bientôt un acte obligatoire. Non-seulement les 1 72 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. comtes de Flandre autorisèrent cet usage, mais on finit par en faire une loi à chaque pécheur. On faisait saurir la plus grande partie du ha- reng apporté à Dunkerque. Ce poisson jouis- sait d'une si grande réputation, que les caques exportées sous la marque de Dunkerque, ne payaient aucun droit à l'entrée des villes de Flandre. En i55o, le produit de la pêche an- nuelle de Dunkerque était évalué à quatre cent mille ducats. Cette prospérité dura jus- qu'à la rupture entre la France et l'Empire, et malgré tous les avantages que l'empereur accorda aux différentes villes d'Ostende, de Nieuport, de Bruges, la plupart des bateaux devinrent , par suite d'une longue inaction , hors de service; les fonds étaient épuisés, con- séquence nécessaire de cent années de mau- vaise fortune, on ne put les remettre en état de tenir la mer. Plusieurs compagnies essayèrent de se former; sous l'inspiration de leurs élans patriotiques et avec la protection du gouver- nement, qui alla jusqu'à exempter de toute imposition les sels qu'emploi raient les compa- gnies de commerce d'Ostende et de Nieuport. Les Hollandais et les Anglais, songeant de suite à leurs intérêts, voulurent empêcher les Fla- mands de venir pêcher dans leurs mers : ils n'é- pargnèrent point leurs richesses pour étouffer CIIAP. I. HARENGS. 175 les compagnies flamandes dès leur naissance. Elles ne purent, en effet, soutenir la concur- rence avec la pêche hollandaise, et vers 1732, la compagnie de Nieuport fut obligée de céder à l'ascendant de la politique étrangère ; les bateaux de pèche furent vendus, partie aux Dunkerquois, partie aux Hollandais; les meil- leurs marins et pécheurs suivirent leurs ba- teaux , et abandonnèrent ainsi Ostende et Nieuport. La guerre de la succession acheva de ruiner , sous ce rapport , les provinces belgiques maritimes ; et si, après la paix d'Aix- la-Chapelle, l'industrie flamande lit quelques tentatives pour relever la pêche du hareng à Nieuport et à Ostende , si de nouveaux règle- ments furent successivement accordés en fa- veur de ces villes jusqu'en 1 770, cette branche d'industrie ne fit que très-peu de progrès. Cet exemple est un avertissement sévère donné aux puissances qui, après avoir laissé dépérir leurs établissements de pêche, sentent la néces- sité de les relever- Les hommes de mer qui y sont propres , ne se forment que lentement et par un exercice continuel. L'émigration des pêcheurs qui avaient quitté les Flandres lors de la dissolution de la com- pagnie en 1727 se fit toujours sentir sur les côtes flamandes. Cependant la guerre qui i 74 LIVRK XXI. CLUPÉOÏDES. s'éleva entre la France et l'Angleterre et dans laquelle la Hollande prit part, favorisa de nouveau la pèche flamande. Ostende et Nieu- port fournirent à leur tour des poissons salés aux puissances belligérantes 5 ils introduisirent leurs poissons dans les ports d'Angleterre et de France. En 1782 et en 1 783, l'empereur rendit plusieurs ordonnances favorables à la pêche; il alla même, pour encourager les pêches nationales des Pays-Bas, jusqu'à permettre la vente du poisson par toute sorte de gens choisis par les patrons des barques sans être obligés de se faire recevoir dans la corpora- tion des pêcheurs, et il comprit le hareng salé dans la classe des marchandises étran- gères qui payeraient à l'avenir 60 pour cent dans les États héréditaires d'Autriche. Mais dans le cours de ces années la paix s'était faite entre la France et l'Angleterre; ces puis- sances, ainsi que la Hollande, s empressèrent de rétablir leurs pêches, de prohiber l'impor- tation de tous harengs étrangers, et ces me- sures détruisirent bientôt toutes les espérances des Flamands. Les bienveillantes dispositions de Joseph 11 n'en purent conjurer les effets; le commerce qui s'était fait pendant la guerre disparut et laissa en se retirant un vide im- mense dans la navigation. Il faut aussi ajouter CHAI'. I. HARENGS. 175 que les pèches nationales des côtes maritimes furent aussi entravées par la jalousie des pro- vinces du Brabant. Les villes d'Anvers, de Bruxelles et de Malines réclamaient en faveur de leurs fumeries, quelles disaient absolument perdues par les faveurs accordées aux pro- vinces de Flandre. Les plaintes de ces villes déterminèrent le gouvernement à permettre l'entrée du hareng étranger. Il faut avouer que ces fumeries étaient considérables, car on en comptait soixante-sept en 1787, qui pouvaient saurir cinquante leths de harengs à la fois, ou six cent mille poissons. Peu d'années après, l'incorporation de la Belgique, à la suite des campagnes de 1793, vint arrêter de nouveau l'activité de la pêche sur les côtes maritimes et cet état de choses a duré jusqu'à la paix de 181 4; depuis ce temps la pêche y a repris quelque faveur, mais l'activité du commerce anglais a nui à cette prospérité, puisque l'An- gleterre fournit maintenant presque tout le hareng salé ou sauri que consomme le centre de l'Europe. Nous avons suivi l'histoire de la pêche du hareng des côtes de France sur celles de Bel- gique; examinons maintenant ce que fut cette industrie en Hollaude. Il faut d'abord se rap- peler que dans les premiers temps, tout ce qui \7C) LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. compose la Frise occidentale ou la Nord- Hollande était au pouvoir des Frisons occi- dentaux. Thierry, premier comte de Frise, donna sept comtes à la Hollande. La Zélande appartint tour à tour à des comtes de Frise ou de Flandre, et au dixième siècle la Zélande dépendait de la Flandre impériale. Les plus savants économistes hollandais ont regardé avec raison la pèche du hareng comme la première source des richesses de leur pays. Anderson estime que les premières pêches réglées de la Hollande ne remontent point au delà de 1 164« On s'accorde à regarder la Brille comme le plus ancien port où l'on ait fait une pêche régulière du hareng. C'est donc un fait digne d'attention que dans ces pre- miers temps la pêche ne se. fit point sur les côtes de la Hollande proprement dite, mais sur celles de la Zélande qui appartenait encore aux comtes de Flandre, et qui ne fut unie à la Hollande que sous Florent I.er, comte de Frise, par le traité conclu, en 1256, entre Marguerite de Flandre et lui. Zierik-sée pros- péra presque en même temps que le port de la Brille, et les richesses de ces deux villes de- vinrent un objet d'émulation pour d'autres villes de la Hollande et de la Zélande, de sorte que la pêche du hareng, qui s'était faite CHAP. I. HARENGS. i77 d'abord à l'embouchure de la Meuse et des cotes voisines, devint trop resserrée sur ses propres rivages et elle s'étendit bientôt dans des mers plus éloignées. Le succès des pêches avantageuses faites sur les côtes d'Ecosse, de Scanie, de Danemarck et de Norwége, jus- tifia ces entreprises hardies. Les matelots hollandais ou zélandais vinrent pêcher, en i2g5, à la hauteur de Yarmouth. Des docu- ments, que Noël de la Morinière regarde comme authentiques, réfutent les assertions de Pontus Heutérus, de Delft, affirmant que les Hollandais ne s'adonnèrent à la pêche des harengs qu'en i^gi. On trouverait encore d'autres preuves de l'ancienneté de la pêche du hareng, dans les diplômes de concession accordés par Éric VIII, roi de Danemarck et par ses successeurs aux villes de Deventer, de Harderwyck, de Staveren et d'Amsterdam. Outre le hareng qui provenait de la pêche hollandaise proprement dite, il en était en- core importé de l'étranger, surtout des villes anséatiques. Le comte Guillaume accorda plusieurs privilèges aux pêcheurs nationaux ou étrangers par des diplômes de i34'2 et de . 1 344- Par celui - ci il institua un marché franc pour la vente des harengs à Brouwers- liaven. Amsterdam ayant obtenu un terrain 20. 1 2 \ 78 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. considérable en Scanie, entra avec plusieurs autres villes de la Hollande dans la ligue an- séatique, et elle acquit un grand degré de puissance à la faveur des privilèges que lui donna Albert, duc de Bavière et comte de Hollande. On voit donc que dans cette période de quatre siècles la pêche hollandaise du hareng a dû son accroissement aux encouragements des souverains du pays et surtout à l'associa- tion que la plupart des villes maritimes de Hol- lande contractèrent avec les villes anséatiques. Ces alliances eurent pour résultat une extension considérable du commerce. En même temps la rivalité des puissances du nord contre Ham- bourg et Lubeck, engagea les rois de Suède et de Danemarck à favoriser les Hollandais, afin de diminuer le pouvoir de la ligue anséatique. Les faveurs accordées par ces rois aux pêcheurs et aux marchands hollandais furent le seul prétexte des guerres qui éclatèrent alors. Il est certain qu'aussitôt qu'Amsterdam eût obtenu un établissement en Scanie, elle y fonda un comptoir dont le principal objet était la pêche du hareng : elle y établit un consul, afin de protéger les achats considérables que ses com- merçants faisaient sur les côtes d'Ecosse et de la Grande-Bretagne, car le produit de leur pêche CHAP. I. HARENGS. \ 79 n'aurait pu suffire au commerce étranger. Nous verrons qu'Edouard III s'opposa à ces ventes en astreignant tous les pécheurs anglais à venir vendre leur poisson à Yarmouth. La loi rendue par ce souverain produisit un effet tout con- traire; elle servit à l'accroissement des pêches hollandaises. A peine fut-elle promulguée, que les villes maritimes mirent en mer un plus grand nombre de barques, et les Hollandais firent alors pour eux une pèche que leurs voi- sins refusaient de partager. Ce besoin de pêcher dans les grandes eaux amena des changements dans la construction des bâtiments- de pêche. Il en introduisit aussi dans les dimensions des filets pour pouvoir atteindre le fond de l'eau, loin de la côte , afin d'éluder la défense qui leur était faite de pêcher sur les bancs peu pro- fonds, mais voisins, des côtes orientales d'E- cosse. On prétend que les premiers grands filets furent faits à Hoorn en i4 16. C'est aussi vers le même temps que Beukel, de Biervliet, trouva la méthode de paquer les harengs, c'est- à-dire de les arranger par lits dans les ton- neaux, au lieu de les expédier en wracs. La supériorité de cette préparation sur toutes celles dont on faisait usage alors, fit tomber dans une sorte de discrédit tous les harengs 1 80 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. des pèches étrangères. Insensiblement les Hol- landais se rapprochèrent des côtes orientales d'Angleterre , établissant leurs flotilles de pèches sur les atterrages et sur les fonds de Yarmouth, où l'on sait qu'il existe l'un des plus riches et des plus réguliers bancs de ha- rengs. Les Anglais élevèrent des plaintes, et c'est alors que fut fait le traité, connu sous le nom d'intercussus , entre le roi d'Angleterre et le duc de Bourgogne, alors souverain des Pays-Bas. Il est dit dans ce traité, conclu en 1 494 •> aue ?es pêcheurs des deux nations pourront pêcher librement partout. Il est peut-être la véritable cause de la gloire mari- time que s'acquirent les Hollandais dans les deux siècles suivants. Par une conséquence naturelle le commerce écossais passa entre les mains des Hollandais. Les plus habiles pê- cheurs ou apprêteurs dé poisson vinrent s'éta- blir à Enckhuysen, et en y portant leur in- dustrie, ces Écossais accrurent la prospérité de leurs rivaux. Dans le quatorzième et dans le quinzième siècle, six à sept cents buyses faisaient ordinairement trois voyages et rap- * portaient un total de quarante mille last de harengs , ce qui donnait pour produit 1,470,000 florins d'or. Quoique les Hollan- dais fréquentassent par suite des nouveaux CHA1>. I. HARENGS. 181 traités les fonds de Yarmouth , leur prudence les empêcha de négliger la pèche sur les côtes de Norwége. Ils entretinrent ou firent renou- veler tous les privilèges qu'ils avaient obtenus pour la Scanie. Leur présence continuelle dans ces mers leur permit de profiter des fautes que Jacques II, roi d'Ecosse, avait faites en défen- dant de vendre du hareng aux Hollandais et aux villes anséatiques, dans l'espérance que les autres nations seraient obligées de s'approvi- sionner directement par le produit des pêches écossaises. Les Hollandais profitèrent de ces entraves pour étendre leur commerce, mais en l'étendant il fallait aussi le protéger. En 1 547 ^ la seule ville d'Enckhuysen arma huit vaisseaux pour escorter ou surveiller ses barques. Le commerce y devint si florissant, qu'en 1 553 elle avait en mer vingt bâtiments de guerre, dont les frais d'armement furent prélevés sur le produit de la pêche; ils devaient surveiller les cent quarante buyses qu'elle en- voyait à la poursuite du hareng. En même temps qu'elles protégeaient leurs pêcheurs, les autorités de la ville les soumirent à un ser- ment, par lequel ces marins s'engageaient de satisfaire scrupuleusement à toutes les ordon- nances ou à toutes les formalités prescrites pour le barillage et le pacage du hareng. C'est ] 82 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. avec cette prudente activité que le commerce des Hollandais devint en quelque sorte le pre- mier et le plus florissant de tous les peuples riverains de la mer du Nord. Walter-Baleigh estime qu'en 1606 ils exportèrent pour les pays du Nord seulement pour 1,357,000 livres sterling de harengs. Un traité fut conclu entre les Hollandais et les Hambourgeois, afin de veiller avec le plus grand soin à l'observance de toutes les instructions ou lois de pèche, pour conserver au poisson la réputation dont il jouissait. A cette époque les Hollandais four- nissaient de harengs salés les quatre parties du monde : ils en envoyaient dans tous les royaumes d'Europe ; ils en expédiaient des cargaisons entières pour Smyrne et Constan- tinople; ils approvisionnaient les contrées du Midi par les échelles du Levant et les ports de la Grèce et d'Alexandrie. Venise surtout en consommait une immense quantité. Enfin les Hollandais faisaient traverser l'Atlantique au hareng et le portaient jusqu'au Brésil. Nous voici arrivé au temps des grandes dis- cussions qui s'élevèrent entre l'Angleterre et la Hollande pour la liberté de la pêche sur les côtes de la Grande-Bretagne, Les Anglais voulant exiger un droit de pêche dans les eaux voisines de leurs côtes, •alléguaient que CHAP. I. HARENGS. 183 le traité de i494> conclu avec un prince de la maison d'Autriche ,. ne pouvait plus pro- téger les Hollandais qui avaient renoncé à la domination de ce prince. Les Hollandais opposaient, de leur coté, l'habitude consacrée par le temps de venir pécher sur les rivages d'Angleterre, et soute- naient en même temps que la mer est au pre- mier occupant. La guerre éclata bientôt, et la Hollande, tantôt unie à la France, tantôt séparée d'elle, fut, comme cette puissance, soumise à toutes les vicissitudes, dont il est inutile de retracer l'histoire en détail : cela rentre dans l'exposition des phases historiques des. trois puissances alliées ou rivales. Je viens de suivre, dans le cours de cet ex- posé, l'état de la pêche ancienne, sur les côtes de notre pays, et sur celles des provinces ma- ritimes de la Belgique et de la Hollande. Avant d'entrer dans la mer du Nord et de conduire les pêcheurs jusque sous les glaces du pôle, il est maintenant naturel de parler de la pêche anglaise. Si l'on en croit les plus anciens documents, on peut faire remonter les premières dates certaines de la pêche anglaise du hareng au commencement du huitième siècle. Bede1 rap- 1. Hist. eccl, liv. IV, ch.14. 184 LIVRE XXI. CLUPÉpÏDES. porte à Wilfred, évêque d'York, en 678, l'art de pécher dans la mer; mais il est dans l'erreur. Le plus ancien règlement où le hareng soit nommé est la règle d'administration des re- venus et des offices des monastères d'Evesham donnée en 709. Plusieurs chartes du onzième et du douzième siècle signalent des donations de dîmes de harengs à différents monastères de la Grande-Bretagne; elles prouvent combien à cette époque reculée la pèche du hareng y était déjà considérable. Si l'on consulte la charte de fondation du monastère de Berking, on peut en conclure que les Anglais salaient et saurissaient déjà le hareng. Ce règlement porte qu'un baril doit contenir mille harengs, et le tonneau six cents ; il règle ce que chaque religieuse doit en recevoir pendant l'A vent, pendant le Carême et les autres jours d'ab- stinence; enfin, on connaissait alors le Her~ ring-Silver , expression qui semble exprimer le paiement dune rente d'une certaine quan- tité de harengs pour les provisions des maisons religieuses. Au temps de la conquête, on voit qu'un assez grand nombre de fîefs maritimes soutenait déjà la pêche du hareng, et qu'il y avait de nom- breuses salines sur les côtes de Norfolk, de Suf- folk, de Sussex. II y en avait plus de cinquante à CHAP. I. HARENGS. 185 File de Wight. Dès io3o, Edouard le Confes- seur donne à l'abbaye de Fécamp des salines situées à Chester. Yarmouth était déjà, sous Guillaume le Conquérant, un port considé- rable de pèche, et Knox ' établit que les anciens titres de cette époque constatent que le banc de Yarmouth servait de rendez- vous aux pê- cheurs des différentes parties de l'Angleterre, de la France et de la Basse- Allemagne qui venaient tous les ans faire la pêche du hareng. Cette multitude de pêcheurs de différents pays fit sentir bientôt le besoin de maintenir l'ordre et de faire respecter les droits et les propriétés de chacun. On fixa l'ouverture de la pêche à la Saint-Michel, et la clôture à la Saint-Martin. Le bourg de Yarmouth qui com- mença par n'être qu'une réunion de cabanes construites par les pêcheurs du pays, fut gou- verné par un magistrat, nommé par Henri I.er en 1 1 28. Sa redevance féodale qui lui assurait ses droits de franchise fut fixée à dix mille harengs. Dunwich, aujourd'hui presque dé- truite par. la mer, payait à la couronne une redevance annuelle de vingt-quatre mille ha- rengs. La remise* ne lui en fut faite qu'en 1 iq5 par Jean -sans -terre. Voilà à peu près les 1. Knox. View of ihe Brif. cmp. \ 86 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. seuls renseignements que nous ayons sur la pèche d'Angleterre proprement dite jusqu'au douzième siècle. On est beaucoup moins instruit sur l'his- toire des premiers temps de la pêche en Ecosse et en Irlande. L'Irlande, conquise par Edgard, ne fut entièrement soumise qu'en 1169 sous Henri II; mais elle est restée en quelque sorte sans commerce, sans naviga- tion, sans pêcherie étendue jusqu'au règne de Charles II. Il fallait cependant qu'il s'y fit au douzième siècle quelque pêche de harengs, puisque Jean-sans-terre confirmant dans une charte de 1202 les donations faites à l'abbaye de Gonnal, compte parmi les redevances huit mesures de cinq cents harengs chacune. On peut faire remonter la pêche écossaise beaucoup plus haut. Boèce ' parle d'Inver- lochy comme d'une ville très -considérable, où les rois d'Ecosse faisaient leur résidence longtemps avant l'invasion des Pietés , et où les Espagnols et les Français venaient acheter du hareng et du saumon. Anderson prétend que, vers l'an 836 , sous le règne d'Alfred, le commerce du poisson salé avait déjà une grande extension. Cet auteur établit 1. Boelliitis . Scot. regn. descript., 4. CHAP. I. HARENGS. 187 aussi que les marchands chrétiens du douzième siècle avaient des liaisons commerciales avec les Orcades, et que le poisson salé en formait un des principaux objets. Il y avait d'ailleurs, à cette époque, d'autres salines en Ecosse. Une bulle du pape Luc III, relate la donation d'une saline faite au monastère d'Holmecostram. An- derson cite encore des chartes de Malcolm IV, de Guillaume, d'Alexandre II, où il est parlé de donations de salines. On pourrait citer encore plusieurs autres statuts, depuis 114S jusqu'à 1284, dont les sages dispositions annoncent combien la pêche du hareng paraissait im- portante aux Écossais, puisqu'ils prenaient tant de précautions et de soins pour en assurer la réputation. Nous voyons donc la pêche du hareng protégée, et de plus en plus floris- sante en Angleterre et en Ecosse dans le quatorzième siècle. Dans ce laps de temps, plusieurs conventions pour la police de la pêche furent conclues entre les rois d'Angle- terre et de Danemarck, pour renouveler plu- sieurs privilèges déjà fort anciens. Vers le commencement du même siècle, plusieurs pactes furent aussi passés avec les comtes de Flandre et de Hollande. Les Anglais exi- gèrent toujours qu'on s'adressât à eux pour obtenir la permission de pêcher sur les côtes \ 88 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. de leur île. Us ne l'accordèrent souvent même que pour un an et sous la clause que les ba- teaux de pêche n'excéderaient jamais trente tonneaux de port, sous peine de confiscation. Souvent les rois d'Angleterre donnèrent, par amitié pour les comtes de Flandre , des escortes aux buyses flamandes, en réciprocité de celles dont les bâtiments anglais avaient quelquefois besoin. Les guerres continuelles de l'Angle- terre avec la France entraînaient alors de nom- breux armements maritimes. Pour montrer combien la pêche était importante et consi- dérée sur les côtes de Suffolk ou de Norfolk, Anderson rapporte que, lors du grand arme- ment de Richard II, en i386, ce roi exempta' du service tous les pêcheurs de harengs de Blackeney, de Cley et de toute cette côte. Ce même* roi adressa une proclamation au bailli de Sainte-Hildade Whitby, pour lui enjoindre de veiller à ce que les étrangers ne vinssent pas une seconde fois enlever, au grand préju- dice des habitants, le hareng qui, en i394> s'était montré en prodigieuse quantité sur les côtes orientales de la Grande-Bretagne, lors- que la pêche avait manqué sur presque tous les autres points de l'Europe. L'Angleterre péchait aussi sur les côtes de Norwége. Outre le commerce qui résultait do CHAP. I. HARENGS. 189 la pêche du hareng, on sait aussi que ce poisson salé entrait autrefois au nombre des provisions de campagne et de guerre. Ainsi, Edouard III, roi d'Angleterre, demanda entre autres mu- nitions de bouche pour les soldats de l'armée que sa flotte allait transporter en Gascogne, une contribution de quarante last de harengs. Les guerres que s'étaient faites Edouard III et Charles V, roi de France; celles de Richard II contre les Écossais, avaient porté quelque préjudice à la pêche du hareng. Si Henri IV lui donna quelques encouragements par les trêves de i4o3 et i/j.o4 avec les Français, et par celle de i4o6 avec les Flamands, le règne guerrier de Henri V détruisit un peu les bons effets que ces trêves pacifiques avaient produits. Mais, dès le commencement de ce siècle, le pavillon de la Grande-Bretagne parcourait les côtes de la Baltique, pour y étendre le commerce de l'Angleterre, et surtout pour supplanter, les villes anséatiques dans quel- ques-unes des places qu'elles fréquentaient. D'ailleurs, dans ces mers, ils n'étaient £lus inquiétés par les courses des Français. Les pêcheurs anglais s'éloignant de la Manche, se rendaient sur les côtes de Norwége et de Danemarck, où ils avaient moins de danger à courir. Éric de Poméranie était alors sur le 190 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. trône ; il se plaignit au roi d'Angleterre du nombre excessif de bâtiments anglais qui cou- vraient les mers de ses États. Henri V écouta sa représentation, car il fît défense aux Anglais d'y pêcher à l'avenir. La proclamation de 1 /j.i 5 qui fut faite à cette occasion est précieuse dans le tableau des pêches de la Grande-Bretagne, car elle relate le nom de quatorze ports, aux baillis desquels elle fut adressée; ce qui prouve l'extension que les pêches avaient déjà prise dans les villes maritimes de l'Angleterre. A cette même époque une aussi grande ac- tivité se développait en Ecosse. Les actes du parlement font foi que les législateurs s'occupaient avec énergie d'étendre leurs pêches nationales, en obligeant les bourgs royaux d'équiper des barques ou des flûtes de pêche pour en établir une générale autour du royaume. Un droit de quatre deniers écos- sais fut prélevé par une loi du parlement d'Ecosse sur chaque baril de mille harengs sauris dans le pays. Malheureusement plu- sieurs fautes politiques détruisirent en peu de temps l'heureuse extension que prenait ce commerce en 142g. Les villes anséatiques et celles de la Hollande achetaient tous les ans une quantité incroyable de harengs sur les côtes d'Ecosse. Jacques rendit une ordon- CHAP. I. HARENGS. 194 nance qui défendit de vendre le poisson en mer. Il voulut astreindre les pêcheurs à en fournir les bourgs royaux avant que les étran- gers pussent s'en approvisionner. Anderson reconnaît l'inutilité de ces ordonnances, et démontre que cette jalousie des Écossais ne fut préjudiciable qu'à eux-mêmes. Les Hol- landais achetaient tout le hareng frais et salé, qu'ils venaient chercher avec de gros bâti- ments. Les villes de la côte d'Ecosse s'en- richissaient en vendant immédiatement le produit de leurs pêches. L'ordonnance, en changeant cet ordre de choses, n'eut d'autre effet que de ralentir l'ardeur pour la pêche. Le gouvernement essaya bien d'y remédier; car on voit qu'il exigea par des actes de 1 l±g3 que les barques de pêche fussent au moins de vingt tonneaux. Tout bateau fournissait à la couronne une certaine quantité de poisson qui formait une partie de son revenu. Une portion de ce droit fut prise à ferme par la famille d'Argyll. Elle exerçait à ce titre une juridiction qui s'éten- dait depuis le Firth de Pentland jusqu'au Mull de Galloway, et comprenait ce qu'on appelle la pêche des Hébrides1. A cette époque les 1. Knox, View of the Brit. emp., 214. 192 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. pécheurs anglais trouvant plus d'économie à acheter des Hollandais la plus grande partie de leur poisson, faisaient une pêche fort courte et ne mettaient en mer qu'un bien petit nombre de barques. Les ordonnances d'Edouard IV en 1482 et de Henri VII en 1496, furent rendues pour régler le barillage du hareng, mais il est probable que les trou- bles intérieurs qui désolèrent alors la Grande- Bretagne, suspendirent l'exécution des projets qu'avaient fait naître les besoins de l'économie maritime. Il est certain qu'à cette époque la pêche anglaise était peu active , et cepen- dant il s'écoule de longs intervalles entre les actes publics émanés du gouvernement. Henri VIII est obligé de promulguer un acte du parlement en -1 54a, où il est formellement énoncé que les Anglais avaient contracté la mauvaise habitude de se mettre en mer sans filet, et d'aller directement acheter du poisson frais à bord des bâtiments flamands ou fran- çais. Mais à partir de cette époque jusqu'en 1 555, les règlements se succédèrent pour re- médier aux abus qui se passaient, surtout à Yarmouth. Les moyens ne paraissant pas en- core assez coercitifs, la religion fut appelée à l'aide de la politique, ainsi que le prouvent les statuts d'Edouard VI , qui se plaint de ce CHAPi I. HARENGS. 11)5 qu'on violait l'abstinence do la Chair, et qui ajoutait qu'en prescrivant de faire maigre les jours ordonnés par l'Eglise, il se ferait une plus grande consommation de poisson, ce qui donnerait plus d'activité à la pêche. Cette pensée fut si bien celle des rois d'Angleterre, qu'Elisabeth s'avisa d'établir un carême poli- tique. Le but ostensible était la conservation des bestiaux; mais le véritable était d'aug- menter le nombre des hommes de mer, afin de s'assurer une marine. D'ailleurs les écrivains anglais* se plaignent qu'à cette époque la pêche était presque tout entière entre les mains des étrangers. Les Hollandais, à la faveur d'anciens traités, venaient toujours dérober aux côtes d'Angle- terre la meilleure partie du poisson, tandis que les Espagnols, en vertu de quelques con- cessions obtenues de la reine Marie par Phi- lippe II, épuisaient les côtes septentrionales de l'Irlande et les environs de Jersey et de Guernesey. Les divers règlements prohibitifs, publiés dans le cours des deux siècles précédents, n'avaient pas eu le succès que les souverains de l'Ecosse s'en étaient promis. Jacques V fit, dans les Hébrides et le long des côtes mon- tueuses de l'ouest, un voyage qui prépara les 20. i3 194 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. mesures employées par son successeur. Camp- beltown , Inverloch et Hornoway dans l'île de Lewis, furent désignés comme trois points de réunion ou de centre offerts à l'industrie de ces contrées. Des privilèges leur furent accordés, et pour obtenir avec plus de certi- tude des résultats avantageux, on résolut d'en- voyer dans le dernier endroit une colonie tirée des cantons de l'Ecosse, où la pèche était le plus en vigueur; mais ces établissements ne réussirent pas. On conçoit que l'état politique de l'Angleterre et de l'Ecosse à cette époque, donnait aux gouvernants des préoccupations d'un ordre tout différent. Il n'a pas encore été question dans cette esquisse des îles voi- sines de l'Ecosse, c'est-à-dire, des Shetland et des Orcades au nord , et des Hébrides à l'ouest. Les rois de Danemarck, a qui ces îles avaient longtemps appartenu, disputaient sou- vent aux Écossais le droit de pêche; il ne leur fut concédé que par Christiern I.er, en faveur du mariage de sa fille Marguerite avec Jacques III en 1468. Quant aux Hébrides, on les considérait à peine comme une dépendance de l'Ecosse, puisqu'en 1602 Jacques l.er, roi d'Ecosse, les abandonnait à celui qui pourrait en faire la conquête. Ce prince, néanmoins, dans les années qui suivirent, fit plusieurs CHAI'. I. HARENGS. 195 lentalivcs pour y encourager la pêche du hareng, et introduire dans ce pays le seul commerce qui semble devoir s'y faire. N'étant encore que roi d'Ecosse , Jacques avait obligé les Hollandais de ne s'approcher de la côte qu'à la distance de huit milles, aiin, dit le statut, que les filets ne vinssent point barrer la route que le poisson était censé tenir. Monté sur le trône d'Angleterre , il interdit aux étran- gers la pêche dans la mer des trois royaumes; il établit des commissaires à Londres et à Edimbourg, afin de n'accorder aux étrangers la liberté de pêche qu'à la condition de payer annuellement un certain droit. Ce règlement était principalement contraire aux Hollandais, quoique, d'après Rymer, il ait été rendu comme une juste représaille exercée contre les Danois, qui inquiétaient les pêcheurs an- glais lorsqu'ils les rencontraient en mer. Les Hollandais dissimulèrent le chagrin que leur causaient de pareils règlements; ils firent sem- blant de s'y soumettre de bonne grâce, afin de ne pas interrompre des négociations bien plus importantes, et dont le résultat fut deux traités d'alliance. En 1612, le parlement d'E- cosse publia un acte concernant le paquage et l'exportation du hareng, avec défense d'en faire aucun envoi à l'étranger avant le vingt- 196 LIVFU' XXI. CLUPÉOÏDES. neuf septembre , sous peine de confiscation du poisson et des bâtiments. Charles I.er crut avoir trouvé des moyens plus efficaces que ses prédécesseurs pour étendre les pèches natio- nales d'Angleterre. Il forma- des compagnies qui devaient s'occuper exclusivement de la pêche. Pour encourager ces établissements, il ordonna, en i633, que l'on observât plus strictement les lois relatives au carême \ il défendit l'importation du poisson péché par les étrangers, et enfin il convint avec les compagnies d'acheter quelques munitions na- vales et le poisson nécessaire à l'entretien des équipages de la marine royale. En i636 il réitéra aux Hollandais la défense de pêcher dans les mers de la Grande-Bretagne, et tandis que les publicistes des deux nations, Selden et Grotius, disputaient dans leurs écrits sur la souveraineté des mers, Charles arma une flotte puissante avec laquelle l'amiral comte de Northumberland surprit les Hollandais sur les côtes d'Angleterre , en coula plusieurs à fond, et força les autres à venir dans les ports de la Grande-Bretagne signer le consentement de payer à l'avenir une somme de 3o,ooo florins pour la jouissance du droit de pêche. Cette convention fut ratifiée par les Provinces- Unies. Mais peu de temps après, les établisse- CHAP. I. HARENGS. 197 ments de la compagnie anglaise se réduisirent à rien par le désavantage de la concurrence qu'éprouvèrent, dans les villes maritimes du nord de l'Allemagne , les harengs d'Angleterre contre ceux de Hollande. Plusieurs vices in- hérents aux statuts de la compagnie contri- buèrent aussi à leur décadence. Le roi ordonna, en i63g, d'examiner de quelle somme les capi- taux étaient diminués, et de chercher les moyens de relever une compagnie sur une base plus solide. C'est ce qu'on crut avoir trouvé en 1641 ? en formant une association qui obtint une exemption du droit sur le sel et les objets d'équipement de pèche employés pour son exploitation. Simon Smith1, agent de la pèche royale , a conservé un document du temps où se trouvent indiquées les propor- tions nécessaires à donner aux buyses de pè- che, la nature et le prix de leur équipement, leur entretien et celui de leurs matelots. Il y a aussi de bonnes observations sur la manière de pêcher en pleine mer, et sur le commerce de l'Europe. Charles I.er se déclara protecteur de cette nouvelle compagnie, et les person- nages de la plus haute distinction s'empres- sèrent de s'y faire incorporer. On fit payer 1. Smith, Acounl nf ihc herring fish., 1641. \ 1)8 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. aux Hollandais le droit de pêche sur les côtes des Orcades , mais toutes les espérances des intéressés furent bientôt anéanties par suite des guerres civiles qui désolèrent l'Angleterre et qui finirent par la mort de Charles I.er Les Hollandais profitèrent habilement des troubles intérieurs de l'Angleterre jusqu'à la mort de Charles I.er Us molestèrent non-seu- lement les pécheurs anglais, mais ils payèrent avec inexactitude le tribut annuel auquel ils avaient consenti pour jouir de la permission de pêche. Les armateurs d'Yarmouth, de Blach- ney, de Southwald, demandèrent des convois pour leurs pêcheurs; non -seulement il leur fut accordé des bâtiments de guerre, mais Cromwel, excité par bien d'autres motifs, dé- clara la guerre aux Hollandais. Blacke , un des plus grands hommes de mer de l'Angleterre, attaqua, le 24 juillet i652, les barques hollan- daises qui se rendaient à la station de pêche sous une escorte de douze bâtiments de guerre; il s'en empara ainsi que de deux cents voiles du convoi, ce qui faisait à peu près le tiers de la flottille. Ceux qui lui payèrent le dixième de leur cargaison furent renvoyés; mais il coula bas ceux qui refusèrent. L'action avait eu lieu à la hauteur des Orcades; Blacke revenait le long de la côte orientale d'Ecosse ramenant CHAP. I. HARENGS. 499 avec lui ses prises en triomphe, lorsqu'il ren- contra une escadre hollandaise commandée par Tïomp, bien résolu à lui disputer le pas- sage. Une horrible tempête s'éleva, sépara les flottes ennemies, forçant les Anglais à gagner les Dunes et les Hollandais le Texel. C'est dans le cours de cette guerre que plu- sieurs familles hollandaises furent expulsées de Stornoway, à cause des pêcheries qu'elles avaient établies dans l'île de Lewis. Leur exemple cependant produisit un bon effet sur les habitants, qui ont plus amélioré leurs pê- cheries et étendu leur commerce que tout le reste des montagnards ; mais la conduite du protecteur paralysa bientôt toute l'énergie des habitants et rendit inutiles les efforts d'une compagnie nouvelle formée à Londres en i654, et qui était composée de tout ce que cette ville avait de plus distingué. Cromwel avait fait détruire l'ancien fort de Stornoway ; mais il en éleva un nouveau , croyant ainsi contenir les habitants qu'il savait affectionner la famille des Stuart. Des troubles en furent la consé- quence ; la garnison fut égorgée ; les désordres qui suivirent ne permirent pas à la compa- gnie de faire de Stornoway la principale place de leur établissement de pêche , ainsi qu'ils l'avaient projeté, et tous les plans que la corn- 200 LIVRE XXI. CLUPE01DES. pagnie avaient conçus, s'évanouirent presque aussitôt. Après la mort de Cromwel, Charles II, le duc d'York, lord Glarendon , et plusieurs personnages de la première noblesse d'Angle- terre formèrent, en 1661, un conseil de pêche dont le roi se déclara protecteur. Un bill confirma toutes les lettres-patentes données sur la pêche ; il fut en quelque sorte provoqué par le corps des poissonniers de Londres , qui avaient demandé qu'on remît en vigueur les anciennes lois favorables aux pêcheurs, parce que ceux-ci étaient en fait la principale force de la marine. Deux ans après fut rendu un acte concernant la marque et le paquage du hareng. Aux personnes qui com- posaient le conseil de pêche on adjoignit plusieurs négociants ou armateurs qui con- stituèrent une corporation politique sous le nom de compagnie royale de la pêche d'Angle- terre. Pour encourager cette association, les par- lements rendirent plusieurs bills tendant à lui accorder des privilèges très-amples; la com- pagnie obtint la permission d'établir une loterie et de faire recueillir une contribution volon- taire dans toutes les paroisses. On obligea tous ceux qui tenaient auberge J hôtel garni, ta- verne, etc., de prendre un ou deux barils de CHAP. I. HARENGS. 201 harengs pour leur consommation, à raison de 3o schellings par baril. La compagnie fut autorisée à percevoir 2 schellings 6 deniers par baril de poisson im- porté des pays étrangers en Angleterre. Enfin, par un acte de 1669, on annexa à la couronne les îles Orcades, et on y attira une seconde fois quelques familles hollan- daises. Les harengs salés par cette compagnie obtinrent bientôt une juste réputation et ils trouvèrent dans les différents marchés de la Grande-Bretagne et de l'Europe un débouché satisfaisant. En 1671, le roi, accompagné du duc d'York fit un voyage à Yarmouth ; la com- pagnie lui présenta par reconnaissance quatre harengs d'or ciselés et enchaînés pour faire allusion aux richesses que produisait la pèche de ce poisson. Mais tous les avantages qu'on s'était promis eurent encore le même sort pour cette compagnie que pour les précé- dentes. Charles II se trouva dans la nécessité de retirer la perception des droits qu'il lui avait accordés: les intéressés en conçurent des inquiétudes et il s'ensuivit bientôt la disso- lution totale de la compagnie. De nouvelles tentatives eurent lieu en 1677. Aux privilèges dont avaient joui toutes les compagnies précédentes, on lui accorda la 202 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. concession dune gratification de vingt livres sterling pour chaque buyse ou drogger de pêche équipée et mise dehors pour le ha- reng. La somme était prise sur les droits de douane perçus à Londres. Le fond principal de cette compagnie fut d'abord de dix à douze mille livres sterling. Ce petit capital fut bientôt épuisé par achats de bâtiments et de filets. On avait fait bâtir en Hollande sept barques de pèche qui devaient être montées par des Hollandais. Comme à cette époque la France était en guerre avec les Provinces-Unies, six de ces barques furent prises tout équipées, et quoique le patriotisme anglais eût fait une seconde souscription de soixante mille livres sterling, la mort du roi et l'état politique du royaume amenèrent bientôt la décadence des affaires de la compagnie qui fut forcée d'aban- donner l'entreprise et de se dissoudre. Sous .le dernier règne et jusqu'à la mort de Charles II, la pêche du hareng sur les côtes d'Ecosse avait été principalement exploitée par les habitants de Glasgow, d'Air et de Dumbarton. A la dissolution de la compagnie en 1682, les magistrats et le conseil de Glas- gow achetèrent les bâtiments construits pour la pêche du hareng dans la baie de Greenock. Glasgow continua par cette acquisition la CHAP. I. IIARENCIS. 205 poche du Clyde avec zèle, persévérance et succès. Des barques, construites exprès, por- taient quatre hommes et trente-quatre pièces de filets, longs de six brasses et larges d'une brasse et demie. On en équipa jusqu'à neuf cents , et comme elles n'étaient point soumises aux gênes des douanes, elles faisaient trois voyages par saison, depuis le 25 juillet jus- qu'au 25 décembre de chaque année. Glasgow put remplir aisément les demandes de la basse Allemagne, de la Suède et de la France-, elle fut la seule ville d'Ecosse à qui l'élévation ou la chute des compagnies privilégiées pour la pêche ait causé le moins de préjudice. Une nouvelle association se forma à Londres sous Jacques II. Les fonds furent portés depuis la révolution de 1688 de trente mille livres ster- ling à trois cent mille. On donna la plus grande publicité aux différents actes qui concernaient la compagnie , en faisant afficher dans les places de Londres et de Westminster les lettres-pa- tentes ou les statuts qui concernaient la com- pagnie. Mais les guerres qui suivirent, et sans doute aussi l'extrême partialité que Guillaume témoignait aux Hollandais, entraînèrent la ruine de ce nouvel établissement. L'union définitive de l'Ecosse et de l'Angleterre eut aussi des conséquences funestes au succès des 204 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. pêches du premier de ces royaumes. L'Ecosse soumise aux mêmes droits d'importation ou d'exportation que l'Angleterre, se vit fermer la plupart des marchés de l'Europe et surtout ceux de France: Les comtés maritimes de Fife et de .Lothian, couverts autrefois de villes populeuses, à peine relevés des maux que Cromwel leur avait fait subir, virent s'anéantir par degrés les restes de ces nom- breuses familles d'hommes de mer qui avaient acquis tant de réputation dans la pêche ou dans le commerce du hareng. Sous la reine Anne, la compagnie précédemment dissoute essaya de se réunir de nouveau.; le parlement voulait donner des encouragements à la pêche indigène au moment où venait de se former la grande compagnie de pêche de la mer du Sud. Un bill permit à cette compagnie de dis- traire , avec l'agrément de la reine , vingt schel- lings par cent livres sterling de son capital, et d'en former un fonds employé à la pêche côtière. Un autre acte du parlement soumit à de nouvelles impositions le hareng salé exporté par les Écossais. Le successeur de la reine Anne, George I.er, suivit les principes d'éco- nomie politique de celte princesse; il encou- ragea surtout les pêches d'Ecosse en leur ac- CHAP. I. HARENGS. 205 cordant des primes. Un bill supprima la taxe à lever sur le sel destiné à saler les harengs blancs, en la transportant sur les harengs salés. Un autre bill confirma toutes les lois relatives à la pèche, et régla la perception des taxes à élever sur le sel. Au nombre des encouragements particuliers que reçut l'Ecosse , Anderson , dans ses ou- vrages sur le commerce , cite que les biens con- fisqués sur les rebelles en 1715, furent mis à la disposition de commissaires nommés pour amé- liorer ces différentes branches d'utilité générale. Le grand mouvement que les fonds publics reçurent, en 1720, des actions de la com- pagnie de la mer du Sud, réagit sur celle de la pèche britannique du hareng. Les fonds qu'on destina à l'exécution de ces vastes des- seins, la qualité des actionnaires qui s'y enga- gèrent par leurs souscriptions et la grandeur de projets qui n'allait pas à moins que ruiner le commerce de toutes les autres nations, fi- rent croire qu'elle s'établissait sur des fonde- ments plus solides que tant d'autres qui pa- raissaient s'élever en même temps; mais il ne faut voir dans tout cela que le résultat d'une jalousie contre la compagnie de la pêche fran- çaise des Indes, dont le crédit devenait très- florissant. Les fonds de la nouvelle compagnie, 200 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. fixés à 3oo,ooo livres sterling, eurent pour premiers souscripteurs cent cinquante mem- bres de la chambre des communes. On s'a- dressa au Roi pour obtenir des lettres-patentes et en recevoir une charte d'établissement , dont l'expédition parut d'autant plus facile , que l'entreprise avait été agréée par les com- munes assemblées en comité. La requête fut rédigée en treize articles très - détaillés ; la compagnie se proposait aussi de faire la pêche de la baleine au Groenland, et d'épargner par là plus de deux cent mille livres sterling qu'elle payait par an aux Hollandais pour l'huile et les fanons de ces cétacés. Les Anglais acqui- rent de Hambourg le droit d'y vendre aux mêmes conditions que les Hollandais, le ha- reng et toute sorte de poissons secs et salés. Cette compagnie, cependant, tomba comme tant d'autres, peu d'années après son établis- sement. Cependant , sans être rebutée par l'exemple, des compagnies précédentes, une autre compagnie se forma, en 1749? sous le nom de Society of the free British Fisherj. Les dix-sept articles de sa constitution paru- rent devoir parer aux inconvénients qui avaient fait échouer les compagnies précédentes. On y régla surtout la quantité de sel que devait avoir à bord les bâtiments de pêche; elle fut CHAP. I. HARENGS. 207 fixée à douze boisseaux pour chaque lelh de poisson que pourrait contenir le bâtiment. Il devait y avoir une certaine quantité de filets, cent pièces au moins, propres à la pèche du hareng, pour un bâtiment au-dessus du port de soixante-dix tonneaux, etc. Aussitôt que les Hollandais eurent connaissance de la so- ciété de pêche anglaise, ils défendirent à tout matelot-pêcheur de prendre du service en Angleterre. Ils essayèrent d'étendre ces dé- fenses aux matelots danois de naissance , em- ployés chez eux depuis longtemps dans les pêches, et possédant l'art d'apprêter, de saler ou de paquer le hareng. Les flibots de la com- pagnie de Londres firent leur essai aux îles Shetland. Les succès de la pêche surpassèrent l'attente qu'on en avait conçue. Le prince de Galles accepta, en 1760, le titre de chef de la compagnie des pêcheurs. Dans une assem- blée tenue le 18 novembre de cette année, il fut résolu que les capitaux seraient portés à cinq cent mille livres sterling. La pêche faite sur les cotes d'Argyll encouragea tellement la compagnie , que plus de 5oo flibots furent employés dans la baie de Harloch. D'un autre côté, la pêche dans l'Océan germanique fut heureuse aux Shetland, et les flibots la con- tinuèrent sur la côte d'Yarmouth et vinrent 208 livre: XXI. CLUPÉOÏDES. désarmer dans-la Tamise. En iy^2 ce nombre des barques fut considérablement augmenté, tellement que la compagnie chercha d'engager à son service les enfants trouvés des hôpitaux d'Angleterre; elle devait les occuper l'été à pécher, et l'hiver à travailler aux filets. Mais cette même année, la vingt-sixième du règne de George II , on fut obligé d'interpréter les statuts précédents et d'y apporter quelques changements. D'un autre coté, la compagnie fit de nou- velles demandes pour changer le lieu des sta- tions ou de réunion , pour avoir des filets de cinq brasses de chute, cette largeur s'accordant mieux avec la profondeur des eaux sur les fonds d'Yarmouth. Les filets de sept brasses ne conviennent que pour la pèche sur les fonds des Shetland. Toutes ces demandes leur furent accordées. En 1753, la compagnie prit à son service quatre cents hommes des îles d'Orck- ney; elle avait alors en mer près de mille flibots, qui s'étaient rendus principalement dans le golfe du Clyde. A l'époque de l'augmentation des fonds de la compagnie, les lords-régents, à qui on avait présenté la liste des personnes qui devaient en être les chefs, en exclurent, par une par- tialité fort condamnable, un grand nombre CHAP. I. HARENGS. 209 d'Écossais. L'aigreur que ceux-ci en conçurent augmenta encore quand ils virent ce ttealïluence si considérable des flibots anglais sur les côtes d'Ecosse. Les pêcheurs écossais eurent la dis- grâce de voir que les gratifications sur les- quelles ils avaient compté leur étaient refusées, tandis que les pêcheurs anglais étaient payés sans retard. L'Ecosse éprouva encore un autre préjudice, quand la gratification fut réduite à trente schellings par tonneau : aussi les registres des douanes montrent-ils que, de 1^65 à 1772, le nombre des bateaux diminua de trente-trois à neuf. On gêna encore les pêcheurs pour re- cevoir leur gratification diminuée en les for- çant de se rendre à Edimbourg , malgré un éloignement souvent de deux cent cinquante milles. Il résulta de là que les différentes com- pagnies écossaises abandonnèrent leurs entre- prises. Les bourgs royaux de ce pays se plai- gnirent des entraves qu'éprouvait chez eux la pêche du hareng depuis les- derniers règle- ments. Ils remontrèrent que les nouvelles mé- thodes prescrites par les lois dernièrement promulguées rendaient la pêche plus difficile, souvent même impraticable dans quelques "endroits. Ils prièrent donc que les lois fussent corrigées, afin de rendre les pêches écossaises plus avantageuses. 20. 14 210 LIVRE XXI. CLUl'ÉOÏDES. En Angleterre, au contraire, les succès de la pèche du Clyde échauffèrent tellement le zèle des intéressés qu'ils voulaient établir une nouvelle compagnie de pêche à Southwold. Cependant, la compagnie de Londres n'em- ploya pas, en 17^4, autant de flibots que dans Tannée précédente. Les difficultés qui s'élevèrent entre les Fiançais et les Anglais, et qui changèrent la face politique des intérêts de ces deux nations, ne furent pas étrangères à cette diminution. On augmenta cependant de l'espace de trois ans la prime de trois pour cent sur les capitaux employés par la com- pagnie de pêche. Plusieurs autres privilèges furent aussi accordés dans ce même acte du parlement. En 1756, la compagnie obtint une gratification de cinquante schellings par ton- neau de harengs importés, payables cepen- dant après un prélèvement de six deniers par mois en faveur de l'hôpital de Greeriwich. Il fut, par cet acte, apporté de nouvelles mo- difications aux statuts accordés en 1749- H fut permis à la société et aux personnes em- ployées dans la pêche du hareng d'avoir tels filets qu'elles voudraient, sans être obligé de se conformer aux dimensions prescrites dans les statuts antérieurs. On put se servir pour encaquer les harengs de tels barils que la so- CIIVP. T. HARENGS. 21 l société britannique voudrait admettre d'em- ployer à son usage. Enfin, on concéda un espace de cent verges sur la grève , pour y taire sécher des filets. Malgré tous ces encou- ragements, l'entreprise de cette société n'a pas eu , à beaucoup près , les bons effets qu'on s'en était promis. La guerre entre la France et l'Angleterre vint détruire ses espé- rances ; elle n'aurait d'ailleurs pu subsister longtemps de ses propres forces , les dépenses considérables dans lesquelles l'avaient entraîné ses immenses armements, absorbaient tous ses profits. On voit d'ailleurs , par les jour- naux du temps, que beaucoup de personnes commençaient à désapprouver cette obstina- tion à établir des compagnies en quelque sorte éphémères. Il faut cependant l'avouer, tant que la gratification accordée par le gou- vernement fut bien payée, les spéculations de la compagnie de la pêche maritime furent couronnées de succès. Oii vit s'accroître avec une rapidité étonnante le nombre des barques, la grandeur des filets et des autres équipements dépêche, ainsi que celui d'hommes vigoureux, également propres à pêcher et à préparer le poisson, comme à s'exposer aux dangers de la mer clans toutes les saisons. L'indigent em- brassait avec empressement une profession dont 212 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. les gratifications nationales augmentaient les bénéfices. Mais cet état de prospérité changea vers 1766. Le projet des Anglais de s'attribuer exclu- sivement la pêche du hareng, a été très- justement critiqué, et la meilleure preuve de la justesse de ces critiques se trouve dans la com- paraison du nombre total des buyses armées dans les principaux ports de l'Ecosse occiden- tale, comparé entre les années 1776 et 1783. De deux cent quatre-vingt-quatorze barques, nom- bre équipé dans la première époque, on n'en, compte plus dans la seconde, que cent quatre. En présentant successivement le tableau des différentes sociétés de pêche, nous n'avons encore rien dit de l'Irlande. Cest que ce malheureux pays ne parut sur la scène qu'en 1750. A cette époque, un nombre considé- rable de nobles, d'évêques, formèrent une association sous le titre de Société de Dublin, pour l'encouragement de l'agriculture et des arts utiles. Mais les pêcheries ne furent aidées que les dernières, et les primes furent si faibles que les pêches de ce royaume furent à cette époque très-peu encouragées. L'ile de Man est cependant un célèbre rendez-vous de grands bancs, car elle exporta en une seule année du siècle dernier jusqu'à 20,000 barils de harengs. CHAP. I. HARENGS. , 215 On peut conclure de cet exposé des pêches d'Angleterre, que cette industrie y a été de tout temps l'objet des encouragements çt de la sollicitude de tous les gouvernements, et qu'à mesure qu'un gouvernement plus régulier et plus libéral est venu diriger les affaires du pays, des sommes de plus en plus considéra- bles ont été constamment mises en action pour favoriser cette ressource plus importante par le nombre d'hommes de mer qu'elle fournit à l'Angleterre, que par la régularité des bé- néfices que la pêche a pu produire. Nous avons dit au commencement du cha- pitre précédent, que nous avancerions le long des côtes de la mer Germanique, après avoir examiné l'état des pêches anciennes d'Angle- terre. On sait que c'est vers 1241 que se forma la confédération de plusieurs villes de com- merce dans la basse Allemagne sous le nom de ligue anséa tique. Lubeck, Hambourg et Brème furent les premières qui s'unirent en- semble, et la prospérité de leur commerce, le degré de puissance où elles parvinrent en peu de temps , l'influence qu'elles eurent du- rant trois siècles dans les affaires du Nord, attirèrent bientôt un grand nombre d'autres villes dans leur alliance. Lubeck, en 1180, 214 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. jouissait presque seule des avantages de la pêche du hareng autour de File de Rugen. Le commerce de harengs sales que Lubeck trans- portait dans toute l'Allemagne pour y satis- faire aux besoins des nombreux monastères; celui du sel, non moins considérable, et l'éta- blissement de ses comptoirs en Scanie, assu- rèrent en peu de temps la richesse et la puis- sance de cette ville. Hambourg, bâtie par Charlemagne pour arrêter les courses des Danois, n'était alors guère moins considé- rable que Lubeck; elle obtint d'abord de Canut VI, roi de Danemarck, puis plus tard d'Éric VI , de grands privilèges pour pécher et commercer en Scanie. Elle fut autorisée à y construire des baraques, des magasins destinés à servir aux pêcheurs tant que durerait la foire des harengs (Jïâ7*ings?nessé). Plus tard, d'au- tres villes sollicitèrent et obtinrent la même laveur, de sorte que dans le quatorzième siècle presque toutes les villes de la basse Allemagne possédaient un petit terrain en Scanie. Brème s'établit vers le même temps sur les côtes de Norwége pour la pêche du hareng, et l'on voit, par des chartes octroyées par Eric II et par Haquin , que les autres pêcheurs de la basse Allemagne qui se rendaient sur les cotes de Norwége, y étaient moins favorablement CHAP. I. HARENGS. 245 accueillis que ceux de Brème. Pendant ce temps, la fortune sembla toujours favorable aux villes anséa tiques. A la suite dés guerres heureuses qu'elles soutinrent contre les rois des provinces septentrionales, elles finirent par s'approprier toute la pêche de Scanie dont elles voulaient exclure les Hollandais. Mais comme il n'arrive que trop souvent, la ligue anséatique si formidable, trouva sa perte dans sa victoire. Les négociants, trop occupés à faire la guerre, oublièrent la pèche et le commerce. Plusieurs villes se séparèrent elles- mêmes de la ligue et consommèrent en partie sa dissolution. Ce qui nous intéresse seule- ment relativement à l'ancienneté de la pêche, c'est que Willebrand parle de la défense d'a- cheter le hareng avant qu'il soit sorti de l'eau. Ses expressions paraissent indiquer le hareng de la Baltique; on peut donc conclure qu'au commencement du quinzième siècle les pê- cheurs de la Hanse, exclus de la Scanie pat Eric, s'étaient vus forcés d'aller pêcher sur des fonds plus éloignés dans la Baltftjue. La pêche danoise remonte avec certitude au milieu du dixième siècle. On trouve, dans les Annales du temps, qu'en 960 une grande fa- mine s'étant fait sentir en Norwége, de nom- breux radeaux de harengs apparurent sur la 21 G LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. côte et suppléèrent aux besoins du peuple. ' Ou voit aussi que vers le même temps la pêche du hareng, avait lieu dans la saison du printemps. Un de ces aventuriers du Nord, qui firent des établissements dans le Groen- land et dans l'Islande, Évind, se transporta dans une baie de cette ile où venaient frayer des bancs de harengs dont il fit une pêche très-abondante. Mais nous ne trouvons plus de documents certains sur l'importance de la pêche en Scanie que dans le treizième siècle. De Helmold , l'un des continuateurs de la Chronique slavonne, ne craint pas de vanter la. richesse que la pêche procurait aux Danois, en disant qu'habillés autrefois comme de sim- ples matelots, les Danois aujourd'hui sont vêtus d'écarlate et de pourpre, car ils regor- gent de richesses , produits de leur pêche annuelle, de sorte que les marchands de toutes les nations viennent leur apporter leur or, leur argent et leurs denrées les plus précieuses pour acheter en retour le hareng que la Providence divine donne si libéralement aux Danois. Eric VI commença son règne par soutenir une guerre sanglante à laquelle la pêche du hareng donna lieu. Ayant inquiété, en 1242, les pêcheurs de Lubeck et retenu prisonniers quelques-uns des leurs, la cité résolut d'en CHAI'. I. HARENGS, 217 tirer vengeance, avec le secours de quelques autres villes maritimes. Leurs troupes vinrent attaquer Copenhague, l'emportèrent d'assaut, rasèrent la forteresse et ne se rembarquèrent qu'après avoir chargé leurs .vaisseaux des nombreuses richesses qu'ils purent enlever. L'Islande , comme on le sait, fut réunie au Da- nemarck dans le treizième siècle. Il est ques- tion du hareng dans une des odes mytholo- giques del'Edda, et Ton peut remarquer que dans les noms de plusieurs des montagnes de ce pays, le mot silcl (hareng), entre dans leur composition. Il est d'ailleurs naturel que la pèche fl'un poisson aussi abondant et aussi commun dans les mers du nord , ait excité dans tous les temps l'industrie des popula- tions. Aussi l'on peut lire dans les Mémoires de l'Académie des inscriptions1, tout ce que la pèche de ce poisson offrait de surprenant et de merveilleux à Philippe de Mézières, qui en rendait compte à Charles VI, roi de France. Sous Waldemar IV, en i368, de nouvelles défenses faites aux Danois dans le but d'inter- dire toute relation commerciale avec les villes de la confédération, excitèrent l'irritation des villes de la ligue anséa tique. De l'irritation 1. Tome XVI, p. 225. 218 LIVRE XA , CLUPÉOÏDES. on passa aux menaces, et dans une assemblée générale tenue à Lubeck, on arrêta d'aller en force pécher et saler le hareng en Scanie , malgré les défenses du roi de Danemarck. Les villes ne s'arrêtèrent pas à cette seule décision; elles firent alliance avec le roi de Suède en y joignant les ducs de Holstein et du Meck- lembourg. On assura à ces derniers une partie du Danemarck, et on promit au roi Albert de Suède les trois provinces danoises limi- trophes de son royaume, c'est-à-dire, la Scanie, le Halland et le Blecking. Les villes devaient jouir, en retour, de la franchise et de privilèges particuliers dans les «ports des deux royaumes. On leur assurait que le last de harengs ne paierait que vingt deniers de Scanie pour tout droit; que le hareng qui passerait par le Sund n'en paierait aucun; que le bâtiment acquitterait seulement un droit d'onze schellings. Après ces conventions, les hostilités commencèrent en i36q, et ^e succès de la guerre se déclara tellement en faveur des villes anséatiques, qu'elles prirent au Danemarck les villes de Copenhague , d'Helsingeer, Falsterbo, etc. L'année sui- vante, un traité de paix fut conclu à Strai- sund. Waldemar mourut en 1 3^ 5. Il avait marié sa fille Marguerite à Haquin , roi de CHAI'. I. HARENGS. 94 *J Norwége, en i363; Olaus, leur (ils, lut pro- clamé son successeur. Il réunit ainsi les deux couronnes de Norwége et de Danemarck avec les iles dépendantes à cette époque du . premier de ces royaumes, c'est-à-dire de l'Is- lande, des Orcades, des îles Feroè et même des Hébrides et de l'île de Man. Cet événe- ment, qui pouvait changer toute la face po- litique de l'Europe septentrionale, détruire l'influence et même le pouvoir des villes an- séatiques, fut amené en grande partie par la prudence de Marguerite. Olaùs, possesseur de la Norwége et du Danemarck, passa en Scanie, en i385, avec Marguerite, sa mère. Il confirma, dans cette tournée, les droits que les pêcheurs et les marchands avaient de ba- raquer, pour la pêche du hareng, sur les côtes de Scanie , où ils possédaient aussi des mai- sons religieuses, car le couvent d'Ebbleholi fut confirmé par 'le roi Olaùs. Ce jeune prince mourut deux ans après; sa mère, Marguerite, lui succéda. Sous son règne, le Danemarck commença à se reposer; le calme dont jouirent à cette époque les peuples du Nord ne fut interrompu que par la guerre des pirates qui infestaient la Baltique et le Cattegat, et que les villes de la ligue anséalique terminèrent avec leurs propres forces. Nous rie, voyons dans 220 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. les siècles suivants d'autre acte remarquable concernant la pêche du hareng, qu'un règle- ment fort détaillé relativement à la prépara- tion du poisson, dont les sages dispositions ne produisirent cependant rien de très-impor- tant. Aussi les choses restèrent dans un état stationnaire jusque vers l'an 1750, où, selon Pontoppidan, le gouvernement apporta une attention toute particulière à la restauration des pèches du Danemarck et de Norwége. Le zèle des Suédois avait donné à cette industrie une telle extension, que ce peuple, qui tirait du Danemarck des milliers de barils de ha- rengs, était à cette époque en état d'en vendre plus que les Danois. Pour arrêter par la con- currence le préjudice auquel les Danois étaient exposés, le gouvernement projeta d'établir une pèche réglée sur les côtes d'Islande. Un règle- ment publié en 1753, fut suivi de plusieurs autres ordonnances pour fixer la distance des lieux où le hareng pourrait être péché, pour faire connaître diverses instructions commer- ciales et économiques, afin d'assurer un débit plus avantageux aux harengs islandais sur les marchés étrangers. A cette époque les Islan- dais n'avaient pas encore de filets propres à la pèche du hareng. D'ailleurs le manque d'hommes et la rareté du sel furent aussi des CHAP. I. HARENGS. 221 obstacles à la réussite des efforts qui furent tentes pour y établir une compagnie. Le ré- gime de celle que l'on essaya d'y instituer ne put être de longue durée, et lorsque, en 1776, le privilège exclusif de vente du pois- son fut aboli à Copenhague, une ordonnance supprima la compagnie islandaise, en attri- buant à la couronne le produit de l'exploita- tion du commerce de la pêche en Islande ; mais les avantages que le ministère s'en était promis ont, jusqu'à présent, mal répondu à ses espérances, et les causes que j'ai indiquées plus haut s'opposeront presque toujours à l'établissement d'une pêche réglée sur cette île septentrionale. Il faut y ajouter le manque de station convenablement disposée sur le rivage des golfes pour y débarquer le hareng et lui faire subir les préparations nécessaires à l'exportation. D'autres causes physiques se- ront aussi des obstacles au développement de la pêche dans ce pays. Moos observe que les brouillards y sont si fréquents et si intenses qu'ils empêchent les pêcheurs islandais de s'éloigner de la côte, quoiqu'il puisse y avoir beaucoup de profit à le faire , vu l'extrême abondance des cabeliaux et des harengs dans le Rôdefjord près d'Agero. Nous n'avons pas parlé du Jutland ou, le 222 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. hareng ne se montrant que sur une partie de la côte, la pêche était d'un faible produit. Cependant les villes de Aalbourg et daNibe de- vinrent si riches et si florissantes par la pêche, que pendant près d'un siècle on les regarda comme des plus importantes du royaume. La pêche d'Aalbourg paraît s'être soutenue assez longtemps; car en i65o cette ville était encore un port d'armement considérable. Des pêches de moindre importance avaient lieu autour des îles de Seelande, de Fionie, mais aucune d'elles ne remplaça jamais celle de Scanie. C'est seulement en 1767 que fut créée la compagnie d'Altona; elle ne répondit pas d'abord aux espérances que la cour de Dane- marck en avait conçues , quoique la situation de cette ville sur l'Elbe parût très-favorable à un établissement de ce genre. Vers 1775, la compagnie reçut une nouvelle organisation, et en 1782 elle mettait déjà en mer près de trente barques d'un assez fort tonnage, qui allaient pêcher aux îles Shetland. La Suède n'a pas toujours figuré entre les nations maritimes de l'Europe qui se sont adonnées à la pêche du hareng avec un avan- tage aussi marqué que celui de la fin du siècle dernier. On fixe à peu près au commencement du treizième siècle les premières pêches réglées • Cil. Al». I. ll.MtKNGS. qui se (iront enScanie, mais nous avonsdéjà vu que d'autres, plus anciennes, se faisaient clans la Baltique , auprès de File de Rugen ; ainsi Olaùs, roi de Danemarck, menaça d'exclure de la pêche du Sund certaines villes de Scanie, et celles-ci comprenant le préjudice qu'elles éprouveraient d'une pareille exclusion , lui donnèrent la satisfaction qu'il exigeait. On avait aussi, à cette époque, trouvé Fart de conserver et de saler le hareng. Andërson remarque qu'à des époques régu- lières, la plupart des peuples de l'Europe s'as- semblaient au même endroit pour y pêcher ce poisson, et l'art de le saler était en usage depuis longtemps, puisqu'il y avait sur les côtes de Rugen des foires et des marchés pour le sel employé à préparer le hareng à bord des bâtiments , afin qu'il fût plus facilement transporté dans les pays plus éloignés. Quant à ce qui concerne les règlements de pêche proprement dits sur les côtes de la Nor- wége, du Danemarck ou de la Suède, on peut dire que la plupart des phases de cette pêche jusque dans ces derniers temps, se con- fondent avec ce que nous avons établi dans l'aperçu des pêches danoises ou norvégiennes, parce que -le règlement adopté dans les trois royaumes, et promulgué par Éric et Margue- 224 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. rite, contient un article dans lequel ces sou- verains , promettant paix et sécurité à tout pécheur ou commerçant qui se rendra en Scanie, quoique le prince dont il est sujet ou la ville dont il est citoyen soient en guerre entre eux; que ceux, dit-il, qui désirent faire la guerre, aillent combattre sur leur propre territoire, mais la bonne harmonie doit régner dans les trois royaumes entre tous ceux qui viennent pour pécher. Les dispositions de ce règlement sont extrêmement sévères , puisqu'il y avait peine de mort pour tout marchand qui mettrait en baril des harengs de mauvaise qualité. Il faut d'ailleurs remarquer qu'à partir du milieu du quinzième siècle , l'abondance du hareng sur les côtes de Scanie diminua d'une manière sensible, pour ne plus reparaître que vers le milieu du seizième. Aussi les bâtiments des villes anséatiques se rendirent à Helgoland dans l'espoir d'y faire une meilleure pêche qu'en Scanie. C'est alors que les Norwégiens se livrèrent avec une nouvelle ardeur à ce genre d'industrie, que la pêche, encouragée par de grands profits, s'établit surbeaucoup de points depuis Berghen jusqu'à Stavanger, et plus encore depuis Swinesund jusqu'à l'embou- chure de la Gotha, et elle fut si considérable CHAP. I. HARENGS. 925 que plusieurs milliers de barques arrivèrent les années suivantes , tant du Danemarck que du Holstein. Une foule de familles se fixa dans la ville de Bonus; elles y formèrent des établissements, y construisirent des maisons ou des magasins si spacieux pour la prépara- tion du hareng, qu'on pouvait suspendre et faire sécher à la fois dans quelques-uns jus- qu'à cent quarante tonnes de poissons. Avec les secours que ces établissements assurèrent, on vit se rendre tous les ans sur ces côtes un nombre considérable de bâtiments expé- diés des ports du Danemarck, de la basse Allemagne, de la Frise, de la Hollande, de l'Angleterre, de l'Ecosse et de la France pour y' acheter le poisson. La pèche était si abon- dante que chaque bâtiment s'en procurait aisément une cargaison complète. Elle ne se faisait plus par les étrangers, et cet état de prospérité dura jusqu'en 1 588. Mais les ha- rengs finirent, dit-on, par s'éloigner de cette côte. Les étrangers ne s'y rendirent plus comme auparavant. Il s'ensuivit la ruine des établis- sements dont la chute peut être fixée au com- mencement du i7-e siècle. Nous avons dit que l'histoire de la pêche suédoise se trouve comprise dans celle de la pêche en Danemarck jusqu'à la révolution, 20. i5 226 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. qui porta Gustave I.ei sur le trône. Lorsque, par suite des événements politiques, la ville de Bonus fut cédée à la Suède, le gouver- nement de ce royaume fit quelques tenta- tives pour y relever la pêche du hareng dont le souvenir n'était pas encore perdu. Le port de Gothembourg s'ouvrit alors. L'avantage de sa situation n'avait pas échappé à Gustave- Adolphe , qui créa la compagnie royale des pêcheurs de Gothembourg , et qui rendit plu- sieurs ordonnances pour soustraire le royaume au monopole de Lubeck. Pour la première fois on arma des barques de pêche à Halm- stad et à Marstrand. En i65i la reine Christine accorda de nou- veaux privilèges, et en i658 Charles-Gustave conclut avec Cromwel un traité dans lequel il fut stipulé que les Suédois pourraient libre- ment pêcher sur toutes les côtes de la Grande- Bretagne aux mêmes conditions que les Hol- landais. Cinq ans après fut établi à Gothem- bourg le collège de commerce, chargé de la direction de la pêche du hareng sur la côte du Bohusland, et en 1666 il fut rendu un règlement qui accordait plusieurs franchises aux poissons salés de cette pêche. Charles XI confirma ou étendit ces dispositions, de sorte que la pêche du hareng obtint en Suède, sous CHAP. 1. HARENGS. 227 ses auspices, quelque succès. La salaison du hareng n'était pas encore assez parfaite pour que les Suédois pussent rivaliser avec les Hol- landais. Cependant quelques exportations commençaient à se faire. On conçoit que ces avantages , loin de s'accroître , durent échap- per aux Suédois sous le règne de Charles XT1. Les événements de son règne portèrent un coup funeste à la pèche de son pays, dont elle ne se releva que vers le milieu du siècle sui- vant. L'amélioration de cette industrie fut discutée dans la diète générale tenue à Stock- holm en 1746. Le prince royal venait de se déclarer protecteur de la pèche. Ce qui se- conda surtout le patriotisme zélé d'un grand nombre d'habitants, fut l'apparition soudaine d'une énorme quantité de harengs dans toutes les baies du Bohusland. On se crut reporté au temps des grandes et mémorables pèches de Scanie; mais les habitants furent pris au dépourvu. On manquait de barques, de filets, de tonneaux et de sel. Il se trouvait par hasard , dans un port de Bohusland, quelques matelots hollandais, pé- cheurs de profession : on les consulta; on paya généreusement leurs services et on parvint à les fixer en Suède. L'année suivante , la cour de Stockholm proposa des primes pour les 228 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. pêcheurs qui se pourvoiraient de filets, pour ceux qui donneraient aux harengs la meilleure préparation, enfin pour ceux qui l'exporte- raient à l'étranger. Les pêcheurs établis sur la côte de Suède eurent la concession de diffé- rents privilèges. Le commerce du hareng fut déclaré libre. Au moyen de ces encourage- ments, le produit de la pêche de 17^9, faite à Gothembourg et sur les côtes du Bohus- land, s'éleva à près de deux cent mille tonnes de harengs. La Suède put se suffire à elle- même et s'affranchir du tribut qu'elle payait aux étrangers. Les premiers succès firent per- fectionner les procédés de la salaison du poisson. En 1763 on rendit le paquage plus par- fait, en imitant la méthode hollandaise. Comme toutes les idées libérales du gou- vernement se dirigeaient vers cette nouvelle source de richesses , les Ordres du royaume cherchèrent, en 1765, à remettre en activité les diverses sortes de pêche. On rétablit celle de la morue ou du maquereau, et on donna aux diverses parties de leur administration l'ensemble q-ui devait en garantir la durée. Dans le même temps les Suédois se livrèrent à la fabrication de l'huile du hareng, dont ils ont été longtemps les seuls commerçants. CHAP. I. HARENGS. 229 Alstrœmer assure qu'en 17^0, Bauer fut le premier Suédois qui prépara l'huile de ha- reng pour son usage particulier. Le baron Cahman redoubla de soins et de sacrifices pour assurer à la Suède une industrie que l'on croyait alors nouvelle, quoique l'art d'ex- traire du hareng une huile animale fut connu et pratiqué clans le 1 4-e siècle. On n'employa d'abord que les branchies et les intestins du poisson. L'huile qu'on en obtint trouvant un débouché avantageux sur les marchés de la Baltique, les Suédois se déterminèrent, en 1765, à brûler ou à cuire le poisson entier. Quant au commerce du hareng , il s'accrut de plus en plus, et lorsque les primes cessè- rent d'être payées en 1 765, chacun fit la pêche et le commerce sans être assujetti à aucune autre formalité que celle de l'inspecteur du jaugeage et de la marque des tonneaux. Le hareng de la pêche de Gothembourg était si bien préparé qu'il le cédait peu aux poissons de pêche hollandaise, et il était vendu à si bon marché, que celui des villes de la basse Allemagne, a l'exception d'Embden, n'en pou- vait soutenir la concurrence. Gothembourg, devenu le premier entrepôt du Nord, appro- visionna de harengs une partie de la Russie et de la Pologne. Ses bâtiments firent voile 230 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. pour Madère, pour les Antilles, pour la Mé- diterranée, etc. L'Irlande, à laquelle ne s'éten- dait point la prohibition du poisson de pèche étrangère portée par les lois anglaises, offrit à la Suède un débouché si vaste, qu'elle reçut, en 1776, cinquante mille sept cents tonnes de harengs. Pour expliquer un commerce de poissons aussi considérable, il faut savoir que ces clupées étaient repaquées dans des tonnes de jauge irlandaise , inférieures à celles de Suède, et réexportées pour les îles d'Amérique comme poisson de pêche d'Irlande. Le commerce d'huile de hareng n'était pas moins florissant en 1784. Les Suédois calcu- laient que, depuis 1760, il avait été fabriqué au moins deux cent cinquante mille barils d'huile , et que l'État en avait retiré plus de cent tonnes d'or ou quinze millions de francs. Brème, Lubeck, Hambourg, Amsterdam, le Havre, Bilbao , Santander en recevaient des chargements. La part, destinée pour la Bal- tique, fut toujours la moins considérable. Avant 1776, il n'y avait en Suède qu'un petit nombre de brûleries de harengs établies sur les rochers qui bordent la côte, depuis Go- ihembourg jusqu'à Stramstadt. En 1783 on en comptait'* plus de deux cents. La facilité do débarquer le poisson dans les CHAP. I. HARENGS. 234 brûleries , celle de jeter à la mer le résidu ou marc qui reste au fond des chaudières, sont des raisons toutes naturelles pour concevoir la prospérité -de ces établissements. Leur nom- bre se serait encore accru, si trois années de pèche peu favorable n'étaient venues exciter les alarmes ou peut-être la jalousie de ceux qui n'avaient point d'intérêt dans les brûleries. Ils prétendirent que le marc de hareng, pro- duit par les cuites et jeté dans la mer, empoison- nait le fond des baies et en éloignait le poisson. Des mémoires sur le Trangrum (c'est ainsi qu'on appelle ce marc) furent successivement publiés pour et contre. Gomme il n'arrive que trop souvent, cette opinion, peu réfléchie et mal fondée, prévalut. Le gouvernement, partageant les craintes exagérées répandues dans le pu- blic, défendit de jeter à la mer le marc de hareng. Il ordonna de le faire transporter dans les campagnes et de l'enfouir dans la terre. Il n'y a point de doute que ce résidu de matières animales ne soit un excellent engrais ; mais comme le transport exigeait beaucoup de frais, l'ordonnance du gouvernement équivalut à une prohibition, et les brûleries, construites sur les rochers, furent forcées de suspendre leurs travaux. Elles furent , après cette époque , transportées dans l'intérieur des terres, au 25? LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. préjudice de la fabrication. La mauvaise pré- paration de l'huile dans un grand nombre de petites brûleries, força le gouvernement à éta- blir une inspection sur ce produit, afin de conserver à l'huile de hareng de provenance suédoise, la réputation qu'elle s'était acquise sur les différents marchés de l'Europe ; mais ces faibles gênes inquiétèrent le génie com- mercial; elles portèrent un coup funeste à ce genre d'industrie. La pêche et le commerce du hareng par- vinrent en Suède à leur plus haut degré de splendeur, de 1770 à 1780. Il n'y a point de doute que la guerre dans laquelle s'étaient en- gagées les quatre grandes puissances, la France, l'Angleterre, l'Espagne et la Hollande, ne fa- vorisât beaucoup les Suédois. Le parlement d'Irlande prohiba, en 1781, l'introduction du hareng de Suède. Gothembourg et les autres ports perdirent un de leur principaux marchés. Cependant ces causes politiques furent très- faibles à côté des causes naturelles. Le poisson, poursuivi et tourmenté , gêné dans sa repro- duction, finit par abandonner les baies qu'il semblait affectionner. Dans les dix dernières années du dix -huitième siècle, le hareng ne se montra plus en bancs aussi nombreux, les apparitions en devinrent successivement plus CHAP. I. HARENGS. 233 tardives et très-irrégulières. Le moment était venu où la pèche allait s'anéantir sur les côtes du Bohusland, comme il était arrivé au sei- zième siècle sur celles de Scanie. Elle fut si médiocre, en 1799, qu'elle ne put suffire à la consommation locale de la Suède et que l'ex- portation du poisson fut prohibée. En 1800, l'Ecosse fournit du hareng salé à la contrée, qui en expédiait vingt ans auparavant, non- seulement dans toute l'Europe, mais encore dans les îles d'Amérique. Après avoir exposé précédemment l'histoire succincte, de la pêche du hareng dans les diffé- rentes contrées de l'Europe septentrionale, disons quelques mots du mode de procéder à la pèche du hareng. Duhamel est entré dans des détails tellement circonstanciés sur cette importante industrie et sur les différents ba- teaux, filets ou autres ustensiles de pêche, qu'il est à peu près inutile aujourd'hui de donner de plus longs détails. Je crois devoir renvoyer à cet ouvrage le lecteur qui voudrait con- naître tous les détails minutieux de l'art de la pêche. Les peuples qui exploitent la Manche, atta- chent une si grande importance aux avantages de la pêche du hareng, qu'ils la nomment géné- ralement la grande pêche, pendant que celle 234 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. de la baleine n'a reçu pendant longtemps que le nom de petite pêche. On y emploie géné- ralement tous les petits bâtiments qui sont d'usage pendant toute l'année sur la côte. Cependant à mesure qu'ils avancent au large , les pêcheurs choisissent des bâtiments d'un tonnage plus grand, afin de pouvoir tenir la mer plus longtemps. Quand ils doivent passer la moitié du canal, ils se servent de gondoles ou de grands droggers. Les bateaux, suivant leur tonnage, portent jusqu'à seize et même vingt-cinq hommes d'équipage. Les filets sont des espèces de manets, que l'on nomme dans plusieurs endroits de la Manche, varnettes ou marsaïques : ils sont faits de plusieurs pièces, cousues les unes au bout des autres pour former ce qu'on nomme la tessure. Ce filet est fait d'un fil assez fort, afin qu'il soit assez pesant, quand il est mouillé , pour descendre perpendicu- lairement dans l'eau. Comme le hareng se maille d'autant mieux que le filet est tendu moins raide, on ne met pas de lest à son pied. Chaque pièce de filet a de quinze à dix-huit brasses de largeur, et la tessure entière a un nombre de brasses plus ou moins grand, selon l'état de la mer. Les pêcheurs ne craignent de lui donner cent quatre-vingts à deux cents brasses quand la mer est belle \ mais ils la CHAP. I. HARENGS. 235 réduisent à soixante -dix ou quatre- vingts si elle devient grosse et mauvaise. La corde qui passe sur le bord du filet s'appelle, pro- bablement par corruption, Jîncelle, et sert à maintenir la nappe sur la surface de l'eau, au moyen de ses lièges , de ses bassouins et de ses barils. Quand le bateau est rendu sur le lieu de la pèche , il met en panne , puis on le dëmâte. Le patron s'occupe alors de jeter à la mer la tessure avec toutes ses garnitures. Elle est retenue au navire par une corde nommée halin , dont la longueur varie suivant l'état de la mer, mais en rapport inverse de la longueur de la nappe du filet. Si la mer est douce, le halin n'a guère que soixante brasses de longueur; il devient de plus en plus long à mesure que la mer est plus dure; si elle est très-forte, le halin a jusqu'à deux cents brasses. Quand les filets sont jetés à la mer on laisse dériver. Pendant la nuit, soit pour éviter les abordages, ou, se- lon le dire des pécheurs, pour attirer le poisson, chaque bateau de pèche porte un fanal , quelquefois même deux. Sur le banc d'Yarmouth , rendez -vous de plusieurs mil- liers de barques de pèche, ces fanaux don- nent à la mer un aspect vivant et animé. Quand le maître juge que le filet est suffi- 230 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. sammenl plein, on le retire, soit à bras, soit en le virant au cabestan; chaque homme a sa place et son service bien déterminé ; il faut remonter le filet bien étendu, détacher les différentes pièces de flottage et les repla- cer de suite dans la soute', de manière à ne pas encombrer le pont; d'autres hommes sont occupés à démailler le hareng; d'autres lèvent ou roulent et plient le filet. Si le bateau est petit et peu éloigné de la côte, le maître s'y rend immédiatement pour y vendre son pois- son. Ce hareng est estimé à cause de sa fraî- cheur, et acheté sous le nom de poisson de nuit. Si le patron veut continuer la pèche sans rentrer, il renvoie son poisson par de petites barques, qui font ce qu'on appelle le batelage. Si le bâtiment est convenablement monté et approvisionné de sel pour tenir la mer pendant quelque temps, on fait alors subir plusieurs préparations au hareng sur le navire. La première consiste, dans certains cas, à en- lever les ouïes et tous les viscères abdominaux au poisson; c'est ce qu'on appelle caquer les harengs : on les met ensuite dans une saumure légère; c'est ce qu'on appelle les brailler : ou bien on les dépose par lits dans le sel, c'est- à-dire qu'on les sale en grenier. Cette der- nière opération fait perdre souvent beaucoup CHAP. I. HARENGS. 237 de harengs , parce qu'ils s'écrasent par leur poids. Souvent aussi ils se gâtent lorsqu'il y en a un trop grand nombre. Il en est de même de la salure en vrac, quand elle est faite avec trop de précipitation. On appelle harengs salés en vrac ceux qui, après avoir été brailles, sont arrangés premièrement dans des tonnes ou de grands barils que l'on emplit comble, mais sans fouler les poissons 5 on les laisse s'affaisser sur eux-mêmes, et c'est alors que les tonneliers y mettent le fond. Quand le saleur juge que les harengs ont pris tout le sel qui leur est convenable, il les tire des tonnes en vrac faites a la mer ou dans les ports , et on leur fait subir une préparation qui précède celle de les paquer. Elle consiste à renverser le pois- son dans une cuve, à le laver dans une nou- velle saumure; quand il est bien nettoyé, on le tire pour le laisser égoutter dans des cor- beilles à claire- voie. Alors les ouvrières qui leur ont fait subir la première opération , prennent les poissons un à un pour les ar- ranger, ou, suivant l'expression, pour les pa- quer dans des barils de différentes jauges, en ayant soin de les presser le plus qu'elles peu- vent et en plaçant toujours le ventre en haut. On emploie , en général , dans les ports un assez grand nombre de femmes ou d'enfants 238 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. pour les manipulations de cette industrie, qui mérite, sous ce rapport, de fixer aussi l'atten- tion des économistes , puisqu'elle donne de l'ouvrage à une plus gande partie de la po- pulation. Les harengs ainsi préparés prennent le nom de harengs pecs. On dit que cette dénomi- nation vient de pecken, empaqueter; de même que caquer viendrait de cacken, qui veut dire couper, parce que, avant de soumettre les pois- sons aux différentes préparations de la saumure, on les vide et on leur ôte les ouïes. Ces ha- rengs salés et paqués, ayant été préalablement vidés, on a donné le nom de caque au baril dans lequel on les renferme, et de là est venue l'expression de harengs à la caque. Le soin qu'il faut apporter à la quantité de sel blanc que l'on mêle au sel ordinaire, le choix des individus qui, selon leur état de conservation , portent des noms différents chez les divers saleurs, fait qu'on est obligé de trier les harengs, ce qui a donné lieu à désigner dans le commerce une qualité parti- culière sous le nom de Hareng de triage. Les Hollandais ont de tout temps été ré- nommés par l'exactitude consciencieuse avec laquelle ils exécutent les diverses opérations nécessaires pour avoir de beaux harengs salés. CHAI'. I. HARENGS. 25*) C'est la réputation qu'ils ont justement acquise, qui avait en quelque sorte fait établir, que l'art de saler les harengs et de les paquer, était l'invention d'un pêcheur de Biervliet, Guil- laume Beukels, mort en i449- Noël de la Morinière a traité la question de priorité de cette invention dans un mémoire ex pro- fessOj, publié dans le Magasin encyclopédique. Il y établit, en s'appuyant sur les documents historiques dont nous avons rapporté un très- grand nombre dans l'Histoire des pêches des différents pays, que, plus de deux cents ans avant ce pêcheur, le commerce du hareng salé et paqué était déjà florissant et était protégé ou réglé par des chartes ou des ordonnances royales, soit en France, soit en Angleterre. On fait subir aux harengs une autre prépa- ration qui donne lieu à un commerce fort im- portant, je veux parler des Harengs saurs. Les meilleurs harengs de cette espèce sont ceux de la Manche , et Ton préfère même ceux des côtes de France, parce qu'en général, dans les bonnes saurisseries , on les fume avec du bois de hêtre bien sec. Cependant on n'a pas tou- jours le soin de les dessécher assez entière- ment; dans ce cas, ils ne se conservent pas aussi longtemps ; on ne peut pas surtout les transporter avec la même facilité; mais il faut 240 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. avouer, que ceux qui out été plus fortement fumés, deviennent plus noirs, et que par con- séquent ils ont un coup d'ceil moins avanta- geux pour la vente. Pour saurir le hareng, on ne le caque point, mais on le braille. Quand il a pris un peu de sel, on l'embroche dans des baguettes appelées ainettes, et on le suspend dans des espèces de tuyaux de cheminée dans lesquels on le tient plus ou moins longtemps à une chaleur douce et à une fumée très- épaisse. La description de ces étuves et des nombreux ustensiles qu'emploie un saurisseur, nous jetterait également dans des détails qu'il me paraît inutile de donner ici. L'espèce du hareng que l'on fait saurir, est celle que les pêcheurs appellent des harengs de trois nuits, c'est-à-dire des harengs un peu moins frais que ceux que l'on prépare en blanc. Il faut cepen- dant remarquer, que les harengs de première nuit que l'on saurit, sont de beaucoup meil- leurs que les autres. Des ordonnances ont fait varier la quantité de sel nécessaire pour un last de harengs à saurir. En général, on met trois mesures de sel pour 1 0,000 à 1 2,000 harengs ; mais il faut saler plus ou moins longtemps le poisson, selon que la destination pour laquelle on le prépare est plus ou moins éloignée. Avant de placer les harengs dans létuve, on les lave ; CHAP. I. HARENGS. 2^4 quelques personnes se servent de l'eau douce, d'autres d'une saumure légère qui n'a pas été employée pour d'autres préparations. Quand les harengs sont bien lavés et égouttés, on les suspend sans qu'ils se touchent dans l'étuve; puis on allume ce qu'on appelle le premier feu, qu'il faut continuer jour et nuit sans in- terruption pendant environ quinze jours. Au bout de ce temps, on cesse le feu, et on laisse reposer la roussable pour que les harengs se ressuient et rendent leur huile : les poissons deviennent phosphorescents , ainsi que les gouttes d'huile qui tombent de l'animal. Il y a de ces étuves contenant jusqu'à six cent mille à sept cent mille harengs; ils y restent de trois à cinq semaines pour être desséchés complètement. On fait encore subir d'autres préparations aux harengs, qu'on nomme alors bouffis ou craquelots. L'opération qui leur donne ces qualités, consiste à les placer dans l'étuve avant de les laisser égoutter et à les fumer de suite. L'eau qu'ils contiennent , paraît les gonfler. Ces harengs ne peuvent être consommés que sur les lieux, parce qu'ils se conservent moins bien 'que les autres. Je termine ici cet essai d'une histoire natu- relle du Hareng. Après avoir donné une des- 20. 16 242 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. cription plus détaillée que mes prédécesseurs ne l'avaient fait, après avoir essayé de caracté- riser cette espèce de Clupée de manière à la distinguer de ses congénères, je suis entré dans de nombreux détails sur les habitudes de ces poissons; sur leur différentes apparitions, afin d'établir que les récits des voyages pério- diques décrits dans plusieurs ouvrages d'his- toire naturelle, ne sont fondés que sur des observations inexactes. J'ai essayé également de prouver que , s'il . n'y a qu'une seule espèce de hareng, les natu- ralistes doivent reconnaître en elle des races nombreuses, mais constantes et particulières pour chaque bassin qu'elles habitent. J'ai pen- sé, que le meilleur moyen d'établir ces proposi- tions, était de présenter l'histoire de la pêche du hareng dans les différents pays de l'Europe septentrionale, où l'abondance de ce poisson a donné lieu à des pêches importantes. Ne voulant pas entrer dans des détails de statis- tique, qui seraient devenus par trop étrangers à mon sujet, et tout à fait en dehors d'un article composé pour l'Histoire naturelle, je me suis constamment arrêté dans ces recher- ches au commencement de ce siècle. GHAP. i. harengs. '245 Le Hareng de Leach. {Clupea Leachii, Yarell.) Ce n'est pas sans quelque hésitation que je place à la suite du hareng commun l'espèce que M. Yarell a établie dans le Journal zoo- logique sous le nom de Clupea Leachii. Cet habile ichthyologiste a eu la complaisance de m'envoyer le dessin original, qui a été consi- dérablement réduit pour être gravé dans son Histoire des poissons d'Angleterre. J'avoue, qu'en examinant ce. dessin , je ne trouve au- cune différence dans les formes- extérieures entre cette espèce et le hareng commun. La description que M. Yarell y ajoute, n'offre d'autre différence appréciable que dans le • nombre des vertèbres. Cette espèce n'en, aurait que cinquante -quatre, tandis que nous en avons compté cinquante -six dans le hareng commun. M. Yarrell croit que la dorsale est un peu plus reculée sur le tronc, et que les écailles sont plus petites. Ces différences me paraissent très-légères, cependant, comme les pêcheurs des côtes d'Angleterre en parlent comme d'une espèce particulière, je n'ai pas osé réunir ce Clupea Leachii à notre hareng commun. Je crois ce- pendant qu'on le fera. 244 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. M. Yarell dit que ce hareng est plein à la fin de janvier, qu'il ne dépose son frai que vers le milieu de février. Cet habile natura- liste a dédié cette espèce au savant docteur Leach, parce qu'il connaissait les recherches faites par ce zoologiste sur les côtes d'Angleterre pour établir une seconde espèce de hareng. Il paraîtrait aussi qu'il y aurait quelque dif- férence dans le goût de la chair de cette va- riété et qu'elle serait beaucoup plus douce. Mais, je le répète, je ne maintiens ici cette espèce que pour engager les zoologistes an- glais à faire de nouvelles recherches à ce sujet. Quant à moi, je le regarde comme une variété du précédent. Il ne serait pas impossible que ce ne fut le Strômming de la Baltique. Le Hareng de la mer Noire. (Clupea pontica , Eichw.) Bien que le hareng du Nord ne se tienne pas dans la Méditerranée, et que je n'aie ob- servé aucune espèce de ce genre dans cette mer, j'en retrouve une, dans la mer Noire, qui a tous les caractères génériques du hareng, et qui lui ressemble même par les formes. Mais elle s'en distingue, parce que ses dents palatines sont beaucoup plus prononcées. Je vois aussi les dents du vomer di- CUAP. I. HARENGS. 245 verger, ce qui les fait paraître plus grandes que celles du hareng du Nord. Il y a môme aussi une différence sensible entre la grosseur des dents du maxillaire. Les nombres sont : D. 17 ; A. 21 , etc. Cependant MM. Nordmann et Eichwald les ont comptés différemment; ils disent*: D. 15; A. 20, etc. La tête me paraît un peu plus longue. La mâ- choire inférieure est certainement beaucoup moins avancée. La couleur est d'un bleu verdàtre sur le dos, argentée sur le reste du corps. L'exemplaire qui a servi à la description de M. Nordmann est long de huit pouces et demi. J'ai un second exemplaire, que je crois une simple variété de cette espèce, qui n'a que sept pouces -, il diffère de celui que je viens de décrire, parce que ses dents sont un peu plus fines. Je ne serais pas étonné que , si l'on cherchait sur les lieux les individus de cette variété, un naturaliste ne trouvât de très- bonneS raisons pour les considérer comme d'une espèce distincte, quoique très-voisines l'une de l'autre. Ce poisson est, à n'en pas douter, le Clupea pontica de M. Eichwald ' : c'est aussi l'espèce 1. Fauna caspio-caucasia , p. 162, t. XXXII, fig. 2. 246 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. décrite soiis le même nom par M. Nordmann. ' Nous conservons dans le Musée l'individu qui a servi à sa figure. Cet auteur a cru retrou- ver dans elle le clupea piltschardiis de Pallas. Je n'y vois d'autre raison que l'identité d'habita- tion; car la description de cet illustre voyageur est très-vague , sans caractères. D'ailleurs , il est pour moi hors de doute , que le poisson qui était sous les yeux de Pallas, n'était pas le Pil- chard des Anglais. Je dois à M. Hommaire de Hell des renseignements curieux sur le com- merce et la pêche de ce clupéoïde de la mer Noire. Il dit, que les harengs péchés à l'embou- chure du Danube, et particulièrement sur les côtes de la Crimée, sont remarquables par leur beauté, et qu'ils ne le cèdent point à ceux de Hollande. Il faut attribuer le peu de réputation dont ils jouissent, à la méthode très-défec- tueuse suivie pour leur préparation. Il assure que les harengs de Ramiche-Bouroun sont grands et gras, puisque l'on en trouve du poids d'une livre et demie. Leur pêche se fait, comme à Théodosie, vers le i5 octobre et continue jusqu'à la mi-mars. Le reste de l'année ils se présentent fort peu à Ramiche-Bouroun : c'est un port situé en dedans d'une pointe de sable 1. Nordm. , Faun. ponticq; Poiss. . y. 520. pi. 25. fi£. 2. . CHAI». I. HARENGS. 247 de deux verstes d étendue ; son entrée est fort étroite; on y trouve dix pieds d'eau sur un fond de sable. La quantité de harengs, péchée annuellement sur cette cote, est évaluée à deux millions. On les vend souvent à raison de huit roubles le millier. Le prix ordinaire du poisson frais, varie sui- vant la qualité et suivant l'abondance de la pèche, de huit à trente roubles; quand il est salé, il vaut de douze à quarante roubles. On en prend souvent plus de quatre-vingt mille dans une seule nuit. A Théodosie , les femmes les placent par lits dans les paniers, les salent sans les nettoyer : les poissons y restent jus- qu'à l'arrivée des acheteurs de l'intérieur de la Russie. On conçoit que cette méthode fasse prendre souvent un mauvais goût au poisson, et qu'il n'acquiert pas par conséquent une grande réputation. Le Hareng de New-York. (Clupea elongata, Lesueur.) Nous avons reçu de New- York des exem- plaires d'une espèce de hareng extrêmement voisine de celle qui habite les mers d'Europe, mais que nous avons distinguée depuis plus de vingt-cinq ans dans la collection du Mu- 248 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. séum. Nous' avons le plaisir de voir que notre opinion sur cette espèce a été adoptée par les naturalistes qui se sont occupés de l'é- tude des poissons d'Amérique. La forme et les proportions du corps sont sem- blables; ainsi la hauteur est comprise six fois dans la longueur totale. La longueu* de la tête fait un peu plus que le cinquième de celle du corps entier. La dorsale est placée sur le milieu du corps; la ven- trale répond au sixième rayon de la nageoire du dos. L'anale est basse; la caudale est fourchue et les nombres des rayons de ces nageoires ne diffèrent point de ceux des nageoires de nos harengs. Nous comptons aussi, le long des flancs, la même quan- tité d'écaillés. Cependant , malgré les ressemblances , nous signalerons comme différence caractéristique, l'absence de veinules sur le sous-orbitaire et sur le limbe du préopercule. L'ellipse des carènes des fron- taux est moins allongée; la crête qui forme la carène antérieure, élevée dans le milieu de cette ellipse, est plus relevée. Les dents sont plus fines ; celles de la langue sont plus nombreuses. Les écailles de la carène dentelée du ventre sont sensiblement dif- férentes, l'écusson central étant plus large et les épines latérales plus courtes. La couleur ardoisée- bleuâtre du dos descend moins bas sur les flancs, et elle est séparée d'une manière nette et tranchée de l'argenté des flancs ou du ventre. La caudale est d'un gris plus noirâtre. La longueur de nos individus est de sept pouces et demi. CHAP. I. HARENGS. 249 Nous avons étudié avec le plus grand soin ces harengs de l'Amérique septentrionale , parce qu'il était nécessaire de déterminer si l'espèce américaine était la même que celle d'Europe. Il fallait résoudre cette question, non-seulement à cause de son importance dans l'étude de la distribution géographique des animaux, mais aussi pour apprécier à leur juste valeur les différentes assertions énoncées sur les voyages des bandes nom- breuses de ces dupées. Les premiers navi- gateurs qui virent les harengs sur les côtes d'Amérique, les confondirent avec celui de nos côtes européennes. On conçoit que cette erreur était très-possible, car on ne peut dis- tinguer les deux espèces que par une com- paraison immédiate et qu'à la suite d'un exa- men minutieux. Les observateurs partant de l'identité spécifique des harengs des deux continents, établirent que leurs légions innom- brables, sorties des fonds des mers glacées du pôle, avançaient jusque vers l'Islande, et qu'arrivées à la hauteur de cette île , elles se séparaient en deux cohortes, dont l'une se dirigeait vers les mers du nord de l'Europe, tandis que l'autre se portait sur les côtes de l'Amérique septentrionale. Une fois que la distinction spécifique est bien établie , il de- 250 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. vient tout à fait inutile de discuter ce roman. Mitchill1 a confondu l'espèce dont nous traitons dans cet article avec le hareng d'Eu- rope, sous le nom de Clupea harengus. Il la dé- signe même par le nom anglais de Herring of commerce. C'est M. Lesueur qui, le premier, a donné un nom à cette espèce. Il l'a décrite dans le Journal des sciences de Philadelphie, et, comme il la comparait aux espèces voisines qu'il observait sur les marchés d'Amérique, et qui ont le corps beaucoup plus large, il lui a donné un nom assez impropre que nous conserverons cependant, afin d'éviter du néo- logisme : c'est le Clupea elongata de cet au- teur2. Ce zélé zoologiste a observé ce poisson, en octobre 1816, sur la côte de Marblehead et de Sandy-Bay; il n'a donné aucun détail sur ses mœurs ni sur ses habitudes. Les pé- cheurs lui donnaient le nom anglais du ha- reng. On le prenait à la seine. A peu près à la même époque Mitchill mentionnait ce poisson dans ses premiers essais sur l'Ichthyo- logie d'Amérique. M. Storer a reconnu cette même espèce 1. Mitch. , Amer. Month. Magaz., vol. II, p. 323. 2. Lesueur, Journ. of tfir acad. of nat se. of Phil. , vol. 1, part. 2, 1818. p. 234. CHAP. I. HARENGS. 251 et l'a comptée parmi ses poissons du Massa- chusets, sous la dénomination imposée par M. Lesueur. 11 observe que ce hareng est connu sur les marchés de cet État, sous le nom de English Herring. Il a remarqué que dans certaines saisons ce poisson est pris en grand nombre. Il donne même des tables relevées au bureau de l'inspection générale de la vente du poisson. Elles prouvent que l'on fait un commerce assez considérable de cette espèce. Ces tableaux rapprochés, mon- trent des variations, dans la quantité de me- sures exportées, extrêmement considérables et variables chaque année, puisque l'année i833 n'a fourni que trente -six de ces mesures, tandis qu'en i835 le nombre s'est élevé à neuf cent soixante-trois. La rareté de l'espèce dans ces années a été attribuée par les ma- telots à l'habitude de les pêcher la nuit aux flambeaux, ce qui disperse les bancs et fait fuir le poisson effrayé. Je .trouve aussi l'espèce actuelle, indiquée sous le même nom, dans la Faune de New- York par M. Dekay, qui, pour en établir les caractères avec plus de précision, a eu soin de rapporter en note la diagnose du hareng com- mun d'Europe, et même aussi celle de l'espèce qu'il croit pouvoir appeler le Pilchard. C'est 252 * LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. ici le cas de faire remarquer que ce zoologiste a aussi apprécié la véritable diagnose du genre Clupea, tel que nous le concevons ; car il a très-bien vu que la langue et le vomer sont armés de dents, organes qui manquent aux espèces du genre Alausa. Nous aurons un peu plus loin à présenter quelques observations sur la composition de ce genre , dans lequel il a certainement réuni une espèce qui a la langue dentée 5 il eii fait lui-même une des diagnoses de ce poisson. Ce manque de criti- que me laisse quelque doute sur les espèces citées par M. Dekay à la suite de son Clupea elongata. Je me demande s'il ne serait pas possible qu'il eût confondu les espèces qui ont des dents vomériennes et palatines comme nos harengs, avec celles dont nous parlerons dans les chapitres suivants, et qui n'ont pas de dents sur le vomer. Comme je n'ai pas examiné ces poissons, je préfère les indiquer à la fin de ce chapitre comme espèces, dont la place reste encore incertaine, en attendant que mon célèbre et savant ami, M. Agassiz, qui «a connu, avant de quitter l'Europe, mes travaux sur les clupées, lève toutes ces incertitudes. Il me paraît très -probable que M. de la Pylaye a observé à Terre-Neuve notre Clupea elongata, autant du moins que j'en puisse juger • CHAP. I. HARENGS. 253 par un dessin fait à Saint-Pierre de Mique- lon, et qu'il a bien voulu nous donner. Le Hareng de Pallas. (Clupea Pallasii, nob.) J'ai décrit et dessiné dans le Musée de Berlin un hareng qui faisait partie des collec- tions que M. Rudolphi a données à ce magni- fique établissement. Il provenait, comme tous les autres individus objets de ce présent, des collections de Pallas. Il me paraît d'une espèce différente de celle du hareng. Le corps est en effet beaucoup plus court;. la tête est plus petite. Je n'ai vu aucune strie sur les opercules. La dentelure de la carène du ventre n'est pas très -prononcée. La couleur du poisson, conservé en peau, est presque entièrement effacée ; mais, d'après Pallas, elle serait un peu différente du. hareng commun; car il l'indique brun-foncé sur le dos, se dégradant sur les côtés, et en un bleuâtre cendré. Les pectorales auraient eu le bord brun; la dorsale était noirâtre; l'anale et les ventrales blanches , et la caudale brune. L'individu est long de huit pouces. Il vient du Kamtchatka. J'ai tout lieu de croire que Pallas x l'a confondu , dans son Fauna rossica, avec le hareng commun. 1. Faun. ross. asiat. , t. III, p. 209. 254 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. En lisant avec attention la description que cet illustre zoologiste a faite de ce hareng, je vois qu'il avait observé les aspérités de la lan- gue , qu'il mentionne également les dents vo- mériennes disposées en série linéaire : in me- dio palati linea denticulata. Mais il paraîtrait que ce hareng du Kamtchatka n'aurait pas de dents sur le chevron du vomer; il me semble que l'on doit expliquer ainsi, ce que Pallas- dit d'un tubercule osseux entièrement lisse sur le milieu du palais. Comme il trouve d'ailleurs neuf rayons à la membrane bran- chiostège, je trouve que ces caractères des formes extérieures concordent bien avec les légères différences que j'ai observées sur le poisson desséché. Cet illustre zoologiste dit qu'on prend les harengs, au Kamtchatka, à deux époques , une première au commen- cement du printemps, savoir : mars et avril, et la seconde fois au commencement de juil- let et pendant tout ce mois. S'il n'a pas con- fondu plusieurs espèces de petites dupées les unes avec les autres , ce qu'il rapporte des habitudes de ce hareng est fort curieux et prouve que j'ai raison de croire à la distinc- tion spécifique que j'établis ici. Malheureu- sement je n'avais pas encore à l'époque où j'ai fait ces premiers essais, observé avec au- CHAP. I. HARENGS. 255 tant d'attention que je le lais maintenant, les caractères importants tirés de la dentition. On peut conclure d'un passage de Pallas, dont la rédaction est, à la vérité, un peu obscure, et ne s'expliquerait parfaitement que par des suppositions de fautes typographiques , que les harengs du Kamtchatka, sortis des profondes retraites sous-marines pour frayer dans les golfes ou les enfoncements du rivage, entrent aussi dans des lacs d'eau douce, où l'hiver et les tempêtes qui accompagnent cette saison , les forcent quelquefois de séjourner. Le frai de ces essaims s'y développe promptement. Les Ramtchatkadales profitent de l'instinct qui fait rechercher aux harengs lés ouvertures de ces lagunes pour se rendre à la mer. Ils ouvrent eux-mêmes la glace, de manière à établir des filets en forme de sacs où ils peuvent prendre jusqu'à deux mille ou trois mille in- dividus que les femmes préparent. Il observe aussi que les harengs ont disparu du fleuve du Kamtchatka , où on les prenait en très-grande abondance, depuis que des éruptions volca- niques et des tremblements de terre sont ve- nus les effrayer. Telles sont les observations curieuses que Pallas a faites sur les mœurs de ce poisson. 256 livre xxi. clupéoïdes. Clupée linéolée. (Clupea lineolata } Pallas.) Il me paraît que Pallas avait une seconde espèce de hareng confondue avec les précé- dentes. J'ai trouvé un exemplaire de cette espèce dans les collections du Musée de Ber- lin, où M. Lichtenstein m'a permis de le dé- crire et de le mesurer. Le poisson me paraît avoir le dos beaucoup plus convexe, de sorte que le corps me paraît plus élevé, plus trapu, et la queue plus haute que dans le ha- Teng commun. Je trouve que la hauteur est tenue quatre fois et un quart dans la longueur totale. La tête est petite et pointue; la ligne du profil est con- cave; les dentelures du ventre sont beaucoup plus fortes que dans l'espèce précédente. Les nombres des rayons sont : D. 18; A. 16; C. 19; P. 16; V. 10. Ils se rapportent, comme on voit, assez bien à ceux du hareng; mais je n'ai pas malheureusement examiné les dents du palais ; j'ai seulement noté que celles des mâchoires sont fines et aiguës. Le dos du poisson est brun, et il y a cinq raies longitudinales brunes sur la moitié supérieure du tronc. Les deux premières raies sont peu marquées. Le poisson est long de huit pouces et demi. Je l'ai trouvé desséché et préparé de la même manière que l'individu précédent; il m'a paru CHÀP. I. HARENGS. 257 dune espèce tout à fait distincte. Je ne vois pas que Pallas en ait fait mention dans son Fauna rossica. Il ne serait pas impossible que l'individu décrit dans cet article fut de l'es- pèce du Clupea pontica. Je lui trouve cepen- dant la tête un peu trop courte. Si l'exacti- tude de cette supposition se vérifie, alors on devra rayer le Clupea lineolata. Le Hareng verdatre. {Clupea virescens , Dekay.) M. Dekay1 ayant distingué le genre Alose de celui des harengs ou des dupées propre- ment dites, parce que les espèces de ce der- nier genre ont des dents sur la langue et le vomer, je crois devoir placer à la suite de nos harengs son Clupea virescens, puisque cet auteur l'a rangé avec les suivantes dans son genre Clupea. Ce hareng est un poisson à corps très-comprimé, à abdomen tranchant et très- fortement dentelé. M. Dekay lui compte dix-neuf épines avant les ven- trales, et douze au delà. La dorsale est quadrangulaire, élevée en avant; l'anale longue et basse; cependant les premiers rayons sont un peu allongés. La caudale 1. Dckaj, New-York Faun. fish. , P. 252. pi. 13, fig. 31. 20. 17 258 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. est profondément fourchue et ses lobes très-pointus. Les nombres sont ainsi notés par M. Dekay : B. 7 ; D. 16; A. 17; C. 195/5; P. 16; V. 9. La couleur est verte sur le dos, argentée sur les côtés. Le sommet du museau est brun foncé. Une tache verticale noire se montre derrière l'ouverture de la branchie. La dorsale et la caudale sont bordées de brun; l'anale est pointillée de noir; les autres nageoires sont blanches, lavées de jaune. M. Dekay a vu prendre ce poisson en oc- tobre avec la senne dans la baie de New-. York. On l'y appelle Greenback ou Fall- Herring. L'auteur pense qu'on doit retrouver dans cette espèce le Clupea halec de Mit- chill. M. Storer a admis cette espèce dans son Synopsis des poissons du nord de l'Amérique. Il croit, d'après M. Linsley, qu'on la retrouve aussi sur les côtes du Gonnecticut. Le Hareing nain. {Clupea parvula , Mitchill.) M. Dekay' et M. Storer2 ont admis, tous les deux, le Clupea parvula de Mitchill3 1. Dekay, New-York Faun. , p. 253. 2. Storer, Synops. of ihe fish. of IV or ï h- America, p. 205. n.° 4. 3. Wilch... Fish. of New-York, p. 452. CHAP. I. HARENGS. 259 C'est un petit poisson presque demi-transparent, à queue fourchue, à ventre dentelé, dont la cou- leur est grisâtre sur la tête et sur les opercules , glacée de vert ou de bleu sur le dos et sur côtés. Le fond de la couleur du tronc est un brun foncé des- sus, passant par une gradation régulière au blanc argenté des côtés et du ventre. D. 14: A. 18; C. 21; P. 14; V. 9. m Cette courte description est copiée de Mit- chill. M. Dekay ajoute que le poisson est sans bandes ou sans taches. Il lui paraît très-voisin de celui dont M. Storer a parlé sous le nom de Brit. Le Hareng pygmée. (Clupea minima, PecL) C'est le nom spécifique que M. Peck, dans son Histoire du Ne w-Hampshire ? a donné au poisson que M. Storer1 appelle The Brit. Ce poisson, noir sur le dos, d'un vert foncé sur la partie supérieure des flancs, a le ventre argenté avec des reflets rosés et dorés. Les jeunes ont la dorsale bordée d'un fin liseré noir, et au-dessus de la ligne latérale des points foncés. Cette ligne naît de la partie supérieure de l'angle de l'opercule.. Le diamètre de l'œil égale le sixième de *la longueur 1. Storer, Fish. ofMass., p. 113. — Synopsis of thc fishes of N orth- America , p. 205, n.° 7. 260 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. de la tète. Celle-ci est le quart de celle du corps. Les opercules sont grands, argentés. La mâchoire infé- rieure dépasse la supérieure. D. 10; A. 12; C. 18; P. 15; V. 5. Je ne crois pas que ces nombres aient été compté avec exactitude. C'est une espèce qui se montre sur les côtes du Massachusets , quelquefois en nombre considérable. Elle sert de nourriture à la plu- part des autres espèces. Je vois que M. Dekay * a admis cette espèce dans sa Faune de New- York, parce qu'il dit qu'il est probable qu'on la trouvera sur cette côte. Je ne parle pas ici du Clupea vittata ni du Clupea cœrulea de Mitchill et des autres naturalistes américains, parce que ce sont des Anchois. 1. Dekay, loc.cit., p. 253. CHAP. II. SARDINELLES. 2G1 CHAPITRE IL Des Sardinelles. ■ i Les auteurs qui se sont occupés avant moi des poissons de la Méditerranée , n'ayant pas tenu compte des excellents caractères que j'ai tirés de la dentition, n'ont laissé que des des- criptions incomplètes , qui rendent presque impossible la détermination des espèces dé- crites dans leurs ouvrages. Le groupe que je présente ici sous le nom de Sardinelles, et qu'il est facile de caractériser, se compose de deux espèces de la Méditerranée et de plusieurs autres des mers étrangères. Il me paraît très- difficile de ne pas admettre que Brunnich, Risso et leurs successeurs, aient eu sous les yeux la première ou la seconde espèce de mes Sardinelles. Je crois, par exemple, que Brun- nich en examinait des exemplaires quand il a décrit son Clupea harengus. Mais comment concevoir la citation de Salviani à la suite de la phrase caractéristique de l'Ichthyologie de Marseille. En effet, la figure de Salviani1 se rapporte évidemment à l'Alose : la forme du corps, la tache noire qui existe sur le haut de 1. Pag. 103, n.n 28. 262 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. la ceinture numérale, ne laissent aucun doute à ce sujet. Brunnich dit de son Clupea ha- rengus, qu'il est sans tache, et qu'une ligne jaune est tracée le long des flancs, depuis l'opercule jusqu'à la caudale. Cette bandelette jaune, que l'on retrouve dans plusieurs autres espèces de Chipes, semble rapporter le Clupea harengus de Brunnich au Clupea phalerica de Bisso , au Clupea allecia de Bafinesque , que M. le prince de Canino croit être le même que le CL argyrochlora de M. -Cocco. Un caractère de coloration semblable rap- procherait encore des espèces précédentes le Cl. auro-vittata de Swainson, considéré par le prince de Canino comme identique au Cl. chrysotœnia de M. Cocco. Mais tous ces carac- tères ne portant pas sur un organe essentiel, celui des dents, nous restons encore dans une complète ignorance des vraies diagnoses de ces clupéoïdes, indiqués plutôt que décrites par ces divers auteurs. Le genre Sardinelle se compose de, poissons, qui ressemblent tellement à la sardine par la forme extérieure, qu'il faut, pour l'en distin- guer, faire attention aux caractères tirés de l'opercule, et plus encore à ceux des dents. En effet, nos sardinelles manquent de ces or- ganes aux mâchoires et au vomer, ce qui les CHAP. II. SARDINELLES. 263 (•stingue complètement des harengs ou du genre Clupee et du genre Harengule. Elles en ont sur les palatins, sur les ptérygoïdiens et sur la langue, ce qui empêche qu'on puisse les confondre avec les genres dont nous par- lerons plus tard. Ainsi caractérisées, les espèces de ce genre sont faciles à classer. La Sardinelle auriculée. (Sardine lia aurifa, nob. ) L'espèce que je prends pour type de ce genre et qui paraît assez commune dans la Méditerranée, ressemble à la sardine par la forme arrondie de son corps et par l'échan- crure que sa membrane branchiostège fait avec l'interopercule, mais la dentition est tel- lement différente qu'il est impossible de con- fondre l'espèce que je vais décrire dans cet article avec celle que je lui compare. Notre poisson a le corps allongé et le dos beau- coup plus épais que celui du hareng. L'épaisseur du tronc fait la moitié de la hauteur, laquelle est comprise cinq fois et quelque chose dans la lon- gueur totale. La longueur de la tête est un peu plus courte que le tronc n'est élevé. La mâchoire infé- rieure étant un peu plus longue que la supérieure, ne fait pas au-devant de celle-ci une saillie menton- nière, comparable à celle du hareng. La mâchoire 264 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. supérieure porte dans le milieu une petite échafc- crure, sorte de vestige de celle beaucoup plus pro- fonde, que M. Cuvier avait prise pour caractériser les aloses. Les intermaxillaires sont petits et couchés le long du maxillaire. Celui-ci est assez semblable, pour la forme et pour la position , au maxillaire du hareng, et il est, comme lui, composé de trois pièces. Je ne vois aucune dent aux intermaxillaires et à la mâchoire inférieure, et l'on n'aperçoit que quatre ou cinq petites scabrosités près de l'extrémité libre du maxillaire : elles sont si fines que c'est à peine si elles méritent le nom de dents. Il n'y en a pas non plus sur le vomer ni sur son chevron , mais une petite plaque de dents en râpe très -fines et très-serrées couvre l'extrémité antérieure du pa- latin et le bord interne du ptérygoidien. Une plaque de dents semblables existe sur la langue. L'œil, un peu ovale, est placé plus haut sur la joue que dans le hareng; le bord de Forbite touche à la ligne du profil, mais ne l'échancre pas. Il est éloigné du bout du museau d'une fois son diamètre, lequel est compris trois fois et demie dans la longueur de la tête. La paupière adipeuse est grande et large; le sous-orbilaire est étroit , très-petit et presque entiè- rement perdu sous les écailles qui couvrent la joue. Le préopercule a le bord tout à fait arrondi, et le limbe, très-large, n'a que quelques fines veinules seulement visibles a la loupe. L'opercule est deux fois plus haut que large; son bord postérieur est échancré; la plaque qu'il forme au-devant de l'ossa- ture de l'épaule est agrandie et prolongée par un CHAP. II. SARDINEILES. 265 pelit sous -opercule dont l'angle externe est tout à fait arrondi. L'interopercule , presque entièrement caché sous le limbe du préopercule, ne se montre ( que par un bord étroit et arqué comme l'os qui le recouvre. La membrane branchiostège est soutenue par six rayons; son bord va se rejoindre au sous- opercule, en remontant carrément au-devant de la pectorale, et formant ainsi, au bas du bord libre de la fente de l'ouïe, cette espèce d'échancrure que l'on retrouve dans les sardines. La ceinture humé- raie est étroite et presque entièrement cachée par le bord operculaire. La pectorale est pointue , as*sez longue, et quand elle est développée, sa surface triangulaire a assez d'étendue; elle vient se replier le long du corps dans une rainure qui lui est fournie . par cinq ou six écailles pectorales au-dessus, et par trois ou quatre en dessous. La dorsale a ses pre- miers rayons hauts et pointus, et elle est insérée beaucoup plus en avant que celle du hareng; car elle répond, à peu de chose près, au tiers du corps. La ventrale est petite et répond au dixième rayon de la dorsale. L'anale est extrêmement basse. La caudale est fourchue. B. 6; D. 20; A. 15; C. 21; P. 16; V. 9. Les écailles sont grandes, minces, lisses, à peine striées. Nous en comptons cinquante-deux rangées entre l'ouïe et la caudale. Celles qui forment la ca- rène du ventre, ont leur disque moyen pointu en avant, et semblent au contraire obtus du côté pos- térieur, qui donne cependant la petite épine formant l la dentelure en scie du ventre. Les épines latérales 260 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. sont longues et fortes. La couleur me paraît assez semblable à celle du hareng et aussi brillante. Le dos, qui est bleu, tirant sur l'ardoisé, tranche assez nettement avec l'argenté des flancs et du ventre. La tête est aussi brillante que les côtés; tous nos exem- plaires portent une petite tache noire sur le haut de l'opercule. La splanchnologie de notre sardinelle -ressemble , par la disposition générale des viscères, à celle de notre hareng. La différence la plus frappante con- siste dans un nombre beaucoup plus considérable ^'appendices cœcale*s; il y en a ici une telle quan- tité qu'il devient inutile de passer son temps à les compter. Le foie est aussi beaucoup plus petit; d'ail- leurs nous retrouvons un assez long œsophage se continuant dans un estomac conique dont l'extrémité communique avec, la vessie natatoire par un canal pneumatique très -grêle. La branche montante naît . vers le milieu de la distance prise entre le pharynx et l'extrémité de l'estomac; elle se porte jusque sous le diaphragme; elle remonte alors vers la région vertébrale de la cavité viscérale, après avoir fourni les appendices piloriques qui entourent la branche montante. Cette portion de l'intestin descend à droite de l'estomac. Arrivée à l'origine de la branche montante, l'intestin se recourbe, remonte dans le côté gauche jusque sous le diaphragme , puis il se replie pour se rendre droit et le long de la ligne moyenne jusqu'à l'anus sans changer de diamètre. De grosses laitances embrassaient toute celte masse viscérale. La vessie aérienne, longue et argentée, se CHAP. H. SARDINELLES. 2G7 rétrécit antérieurement et se termine près de la seconde vertèbre; ses ligaments suspenseurs sont longs et grêles. Nous avons reçu de Messine un assez grand nombre d'individus de cette espèce. Les plus grands ont onze pouces de longueur : ils ont été donnes au Cabinet du Roi par M. Bibron. Nous voyons cette espèce s'avancer jusque dans le golfe de Morée. Les naturalistes de l'expédition scientifique de Grèce y ont pris un exemplaire. Cette espèce doit être abondante dans le canal de Messine, si j'en juge par les nom- breux individus que M. Bibron, cité plus haut, en a rapportés. Il me paraît probable qu'on la pèche avec la sardine et que le com- merce la distribue après lui avoir fait subir les mêmes préparations qu'à ce poisson. La Sardinelle granuleuse. (Sardine lia granigera, nob.} La Méditerranée nourrit une seconde es- pèce de sardinelle facile à distinguer de la précédente par ses formes larges et trapues. La hauteur du tronc contient trois fois son épais- seur, et elle est comprise cinq fois dans la longueur totale. La tête est un peu plus courte que le corps 2G8 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. n'est éJevé: elle est plus triangulaire et moins pointue que celle de notre première espèce. Les dents sont tout à fait semblables. L'échancrure de la membrane branchioslège est plus profonde. La pectorale est un peu plus courte ; la. dorsale est un peu moins pointue de l'avant, et son bord est plus profondément échan- cré. La caudale est profondément fourchue; l'anale est basse et longue comme celle de l'espèce précé- dente. D. 18; A. 21. Les écailles sont plus larges et moins nombreuses que celles de l'espèce précédente : elles portent des stries visibles à l'oeil nu, et sur le bord membraneux des granulations qui donnent un caractère tout par- ticulier à cette espèce. C'est d'après ce caractère que nous en tirons le nom spécifique. La teinte du dos est un gris-bleuâtre peu foncé; les flancs et le ventre, ainsi que la tête, brillent d'un bel éclat argenté. Il n'y a point de tache au bord de l'opercule. La dor- sale, d'un gris pale, a une petite tache noire sur la base des premiers rayons. La caudale est rembrunie; les autres nageoires sont transparentes. Nous ne possédons qu'un seul" individu de cette espèce : il est long de six pouces et demi; il a été rapporté d'Egypte par M. Le- fèvre, ingénieur civil, connu par ses recher- ches géologiques en Egypte, et dont nous regretterons toujours la mort prématurée. CHAP. 11. SARDINEL^ES. 2C»t) La Sardinelle anchovie. (Sardinella ancliovia , nob.) Nous retrouvons sur les côtes du Brésil ua nouvel exemple des grandes affinités existant entre les espèces de la Méditerranée et celles nourries sur les côtes méridionales de l'Atlan- tique. Il faut, sans contredit, un examen at- tentif pour ne pas confondre le poisson dont nous allons parler, et notre grande sardinelle du canal de Messine. L'espèce d'Amérique a les mêmes proportions, la même forme de tête, les mêmes dents, la tache noire sur le haut de l'opercule; cependant sa région sous- orbitaire est veinée, ce qu'on n'observe pas dans la première espèce. Les écailles sont plus striées; celles qui forment la carène dentelée du ventre sont sensiblement différentes ; l'épine est beaucoup plus longue; le disque est beaucoup plus étroit; les épines latérales sont beaucoup plus grêles. La pec- torale est aussi plus courte. D. 16; A. 16. Les couleurs sont semblables à celles des autres espèces. Ce poisson, originaire de la baie de Rio- Janeiro , en a été rapporté d'abord par M. De- lalande, puis par M. Gay, et enfin il a été retrouvé par M. d'Orbigny. 270 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. Nos plus grands individus sont longs de sept pouces et demi. Cette espèce se retrouve aussi à la Marti- nique. M. Plée nous en a envoyé un individu, en nous apprenant que les colons de la Mar- tinique lui ont transporté le nom d'anchois, bien que les deux poissons soient complète- ment différents. La Sardinelle a ventre édenté. (Sardinella leiogaster , nob. ) Nous trouvons aussi des sardinelles dans les mers, de l'Inde. L'espèce que j'ai sous les yeux a la tête aussi allongée, mais le corps plus arrondi et plus trapu. Les écailles paraissent facilement ca- duques; celles qui couvrent la carène du ventre ont une forme caractéristique très -remarquable. Nous en avons compté trente -deux depuis la gorge jus- qu'à l'anus. Une d'elles, retirée du corps et exami- née avec soin, nous montre que la pièce moyenne de ce chevron est grêle et prolongée en pointe par devant; qu'en arrière elle se dilate en une petite palette squamiforme , imbriquée sur la pointe du chevron suivant. Cette palette n'a pas d'épine, ce qui rend la carène du ventre écailleuse comme. dans les clupées, mais qui lui ôte les dentelures. C'est de ce caractère que j'ai appelé l'espèce S. Jeiogasler. La CHAP. II. SARDINELLES. 271 dorsale est pointue de l'avant ; la pectorale est courte, et les lobes étroits et pointus ; l'anale est très - basse. D. 17; A. 15. La couleur est bleue sur le dos, blanche et argen- tée en dessous. Le bleu du dos tranche par une ligne droite avec le blanc du ventre; le long de celte ligne on voit se détacher, sur le bleu, une série de gros points noirs. La longueur du plus grand individu est d'environ neuf pouces : il a été rapporté de l'Océan indien par MM. Hombron et Jacqui- not, chirurgiens de l'expédition au pôle sud, commandée par M. Dumont-d'Urville. Nous • en possédons d'autres exemplaires , dus aux recherches de M. le professeur Regnault pen- dant la campagne de la corvette la Chevrette; ils viennent de la rade de Trinquemalé, à Ceylan. Cette espèce se trouve aussi à Java. Ruhl et Van Hasselt en ont envoyé de cette île un dessin colorié, sous le nom à'Elops j ava- riions. L'examen de ce poisson ne me laisse aucun doute sur ma détermination. Cette peinture représente l'animal brillant de belles couleurs, bleu d'indigo mêlé de vert sur le dos; des raies jaunes, bleues et lilas alternent sur les flancs. Les joues sont irisées de jaune et de bleu, les nageoires, pâles, ont quelques teintes jaunâtres. 272 IIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. La Sardinelle- linéolée. (Sardinella lineolata , nob.) Nous avons reçu des mêmes mers une autre petite sardinelle qui ressemble, par la forme comprimée du corps , la largeur de la tête et par le brillant de ses couleurs, aux petites espèces de nos côtes de Normandie , confon- dues sous le nom de Blanches ou de Blan- chailles. La hauteur est quatre fois et deux tiers dans la longueur totale. La tête est assez large, mais la nuque de cette espèce n'a pas les stries que nous observons sur la partie postérieure des frontaux de presque toutes nos autres sardinelles. Les rayons postérieurs de la dorsale sont assez élevés- les écailles qui couvrent le chevron du ventre ont leur partie antérieure très -pointue et la posté- rieure très-courte, armée d'une petite épine acérée, dépassant très-peu la profonde échancrure du bord antérieur ; les épines latérales sont grêles , fines • comme des aiguilles, mais peu longues. D. 18; A. 17. La couleur bleuâtre du dos se fond dans l'argenté du dessous du corps. A l'endroit de la réunion des teintes on voit deux ou trois lignes plombées, tra- cées longiludinalement. Nous ne possédons que de petits individus de cette espèce : ils sont longs de quatre pouces CHAP. II. SARDINELLES. 275 et originaires de la rade de Trinquemalé de Ceylan, d'où M. Regnault les a apportés au Cabinet du Roi. Nous avons trouvé, dans les collections faites par MM. Lesson et Garnot, à bord de la corvette la Coquille, commandée par M. le capitaine Duperrey, un individu un peu plus long que ceux de Ceylan, et qui ne nous a offert d'autre différence que d'avoir l'œil un peu plus petit. Comme il ressemble parfaite- ment au précédent par tous les autres points , je n'ai pas osé, sur cette différence légère, le considérer comme une espèce distincte. Il fallait cependant signaler cette variété. L'individu est long de près de cinq pouces : il vient de l'île Bourou. La Sardinelle a tête longue. (Sardinella longiceps , nob.) Cette espèce a la tête longue et grosse; le corps étroit et atténué vers la queue ; la longueur de la tête fait le tiers de celle du corps, çn n'y comprenant pas la caudale, dont les lobes mesurent, a peu de chose près, le sixième de la longueur totale. Le museau est un peu relevé et paraît renflé sur les côtés. La carène du ventre est couverte d'écaillés donnant en arrière une pointe très-petite et acérée qui ne paraît pas sortir 20. 18 274 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. d'une entaille du bord. La dorsale a ses derniers rayons très -bas. D. 16 ; A. 16. Nous ne possédons de cette espèce que des individus décolorés et en mauvais état : ils sont longs de six pouces. Ils faisaient partie des collections réunies par M. Bellanger sur la côte de Pondicliéry. La Sardinelle de Nieuhoff. {Sardinella Neohowii, nob.) Nous trouvons aussi sur cette côte une sardinelle très-voisine de la précédente , mais qui s'en distingue , parce qu'elle a la tête plus courte; car elle est com- prise quatre fois dans la longueur totale. Cette briè- veté de la tête , observée sur des individus bien conservés, donne à cette espèce une physionomie différente facile à apprécier. Le corps paraît aussi proportionnellement plus trapu ; la queue paraît un peu plus haute; ce sont cependant les mêmes formes, soit de la nageoire, soit des écailles; les nombres des ravons ne sont pas différents. Cette espèce a été prise à Cananor par M. Dussumier. Les notes recueillies par ce voya- geur sur le poisson frais, nous apprennent que le dos est vert à reflets dorés, glacés d'argent; que les flancs et le ventre sont argentés; que CHAP. II. SARDINELLES. 275 la tête du poisson , verte , est ornée d'une tache d'un beau jaune doré sur le haut de l'opercule. La dorsale est vert d'eau; la caudale verdâtre; les autres nageoires sont blanches et transparentes. Nos exemplaires ont six pouces de long, et M. Dussumier dit qu'on n'en voit pas de plus grands. Le nom de l'espèce en Malabar est Mathi. Elle est très-abondante et très-bonne à manger ; on la pêche en si grande quantité que l'on s'en sert pour fumer les cocotiers. Cette observation de M. Dussumier a eu pour nous une grande importance; car elle nous a servi à reconnaître le Meer-blejer (la brème de mer), figuré par Nieuhoff1, qui a été re- produit par Willughby 2. Le naturaliste hollan- dais nous apprend que cette espèce s'approche en grandes troupes de la côte malabare, comme le font chez nous les harengs. Il dit que son goût est agréable, sans ressembler cependant à la clupée de nos côtes. Les Malabares l'em- ploient à fumer les champs où ils cultivent le riz. En examinant avec soin la figure de Nieu- hoff, on peut y reconnaître notre espèce. Ce 1. Nieuh., Ind. 11, p. 268, fig. 5. 2. Will:, Ichth. app.t p. 2, t. I.pr. fig. 2. 276 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. qui étonnera toujours les naturalistes, qui ne sont pas, comme nous, accoutumés à la gravité des erreurs commises par Bloch, ce sera de voir cet ichthyologiste rapprocher cette figure de celle qu'il a donnée de son Clupea sinensis; d'où il résulte, qu'à l'exception de la figure, tout ce que Bloch dit du poisson désigné sous ce nom, compose une espèce imaginaire, com- prenant des poissons tout à fait différents. CHAP. III. HARENGULES. 277 CHAPITRE III. Du genre Harengule (Harengula). Je sépare des harengs et des sardinelles un troisième groupe de poissons de la famille des Clupées, représenté dans nos mers par deux espèces, et dans les mers étrangères par un plus grand nombre. Les espèces indigènes ont reçu des pêcheurs une dénomination fixe ; et les navigateurs ont appliqué aux exotiques les noms de Sardine ou d'Anchois , quoiqu'elles n'aient qu'une ressemblance vague avec les poissons de nos côtes ainsi dénommés. Les clupées auxquelles je réserve le nom générique de Harengule, ont des dents sur les mâchoires ,• sur la langue , sur les palatins et sur les ptérygoïdiens. Elles diffèrent donc par ce dernier caractère des Sardinelles, et, comme ces dernières, elles se distinguent des harengs par l'absence de dents vomériennes. Le genre, ainsi caractérisé, a pour type un de ces petits poissons désignés sur nos côtes de la Manche sous le nom de Blanquette , et une autre espèce qui remonte jusque dans l'Océan sep- tentrional. Les Danois appellent celle-ci Breit- ling ou Sprette-sild , et les Anglais la nom- ment Sprat ou Sprot. Je ferai remarquer que 278 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. l'on a confondu, sous le nom de Blanquette, une foule de petites espèces, que les pêcheurs de nos côtes de la Manche savent cependant, comme l'expérience me l'a appris , distinguer les unes des autres, quoiqu'ils leur donnent indifféremment les noms que j'ai cités plus haut, et qu'ils les étendent même aux jeunes harengs qu'on vend avec eux sur nos ports: c'est ce qui explique la difficulté d'appliquer à ces espèces des noms de pays précis, et plus encore de les reconnaître dans les descriptions fort incomplètes que les auteurs nous en ont laissées. J'ai revu avec soin les exemplaires que M. Cuvier a cm devoir réunir dans un même article sous le nom d'Esprot, de Harenguet, de Melette. Or, je puis certifier que sa Me- lette n'a de dents que sur la langue, et que ses Harenguets ne sont que de jeunes ha- rengs : j'en ai vu la dentition. La Blanquette et le White-Bait ont aussi une dentition tout à fait différente. La première a les mêmes dents que l'Esprot ou le Sprat. Elles seront les deux espèces indigènes du genre Harengule. Duhamel avait reçu de ses correspondants un assez grand nombre de ces petits poissons; mais les figures, comme les descriptions qu'il en donne, sont extrêmement difficiles à dé- CHAP. III. HARENG ULES. 279 terminer. Son Fresin de hareng1 et son Ha- reng halbourg ne me paraissent que de jeunes harengs; et je suis tenté d'en dire autant de la Harenguette, pi. XVI, fig. 9. Je ne vois encore qu'un très-jeune hareng dans sa Blanche bâtarde3; je ne crois pas même que l'on puisse distinguer du hareng l'Eprault de Granville. Ce qu'il nomme le Sprat, pi. XVI, fig. 11, a l'anale trop courte et trop haute pour se rappor- ter à l'un des poissons que nous avons examinés sur la nature. Il n'est certainement pas de la même espèce que l'Esprot de la planche XVII, fig. 4- Celui-ci me paraît absolument le même que le poisson figuré sur la même planche au numéro 6, sous le nom de Franche Blanche. Tous deux ont la dorsale un peu plus reculée que nos harengs ordinaires. Si l'on rapporte ces deux figures à notre Sprat, on sera forcé de reconnaître tout le vague de leur exécution. Pour en finir avec Duhamel, je dirai de suite que la Menise de Granville me parait notre Harengula latulus; le Hertault de Granville , planche XVII, fig. 11, doit être une mauvaise figure de la Sardine , et j'y rapporte la grosse Sardine, pi. XVI, fig. 4, et même l'Arache, 1. Il.c partie, S- Hî, pi. 16, fig. 1, 2. PI. 17, fig. 7. 280 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. planche XVI, fig. 7. On pourrait les désigner sous le nom de Célan ou Célerin, qui ne sont autres, selon moi, que des grandes sar- dines. Le poisson figuré sur la même planche, au numéro 5, sous le nom de petite Sardine, doit être une représentation fort inexacte de la Sardine ordinaire. Quant au poisson figuré pi. XVI, n.° 8 , sous le nom de Prêtre de Saint- Malo , il est certain que ce n'est pas un hareng. Il suffit de faire attention à l'insertion de la pectorale, à la position de la dorsale et de l'anale, pour reconnaître la vérité de ce que j'avance. Il est probable que le dessinateur avait sous les yeux une Athérine dont il a oublié la première dorsale-: ce serait peut-être notre Atherina presbjter. Mais si même les deux dorsales avaient été représentées, la figure n'en serait pas moins mauvaise et sans aucun carac- tère zoologique. La Melette, pi. XVI, fig. 6, est une petite Clupée qui appartient peut-être à l'espèce dési- gnée par Duhamel, mais cela est très-incertain. La Harengule blanquette. (Harengala latulus , nob.) On pêche dans l'Océan septentrional et en grande abondance sur nos côtes de Picardie CHAP. III. HARENGULES. 281 et de haute ou de basse Normandie, un petit poisson que nos pécheurs de Caen distinguent du fretin, du hareng et des petites espèces voi- sines, sous le nom de Blanquette. En l'étu- diant avec soin, on voit qu'on peut le prendre pour le type d'un genre qui ramène à lui une seconde espèce de nos côtes et un assez grand nombre d'autres étrangères. Nous allons commencer la description de cette série par celle de ce petit poisson de notre pays. En le comparant au hareng, on le reconnaît à ce qu'il a le corps plus trapu et plus comprimé, plus haut vers la région pectorale; le ventre plus tranchant; la dorsale plus avancée et l'anale un peu plus reculée et plus rapprochée de la caudale. La hauteur du tronc est égale à la longueur de la tête, et est comprise quatre fois et quelque chose dans la longueur totale. La ligne du profil du dos est un peu convexe; celle du ventre l'est beaucoup plus. L'œil est assez grand : son diamètre surpasse le tiers de la longueur de la tête. Les sous-orbitaires sont minces, très-étroits; le préopercule et très -grand : son limbe couvre presque tout le bas de la joue; l'angle est arrondi. L'opercule a une assez profonde échancrure vers le haut et vis-à-vis du scapulaire. Le sous-opercule est petit et étroit; l'interopercule est presque entièrement caché sous le limbe de la première pièce de l'appareil operculaire. La mem- brane branchios#tège se joint aux opercules en for- 282 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. mant une assez large et haute échancrure, dans le sinus de laquelle on voit l'insertion de la pectorale. Les ouïes sont largement fendues comme dans toutes les clupées. La bouche est petite ; les deux inter- maxillaires se réunissent en formant une petite échancrure : ils sont garnis de petites dents; on en - retrouve de semblables à la mâchoire inférieure qui' a des branches hautes et courtes, et qui dépasse un peu la supérieure. Les maxillaires qui l'embrassent de chaque côté sont larges et à peine dentelés. Le vomer n'a aucune dent> on en voit de petites sur les palatins et les ptérygoïdiens; il y en a aussi sur la langue. L'absence de dents au vomer est un carac- tère facile à apercevoir, et qui sert à distinguer cette clupée de nos harengs. La dorsale répond, à très- peu de chose près, au premier tiers du corps : elle est basse et longue ; la ventrale répond à son neuvième rayon; la pectorale est étroite; l'anale est très-basse; la caudale est un peu fourchue. B. 6; D. 17; A. 19; C. 27; P. 14; V. 8. Les écailles sont assez fermes et adhérentes; il y en a quarante -trois rangées entre l'ouïe et la cau- dale. Une d'elles , examinée à la loupe, se présente sous la forme d'un petit écusson ovale avec deux ou trois stries sur la surface radicale. Les dentelures de la carène du ventre sont beau- coup plus fortes et plus marquées que dans le ha- reng; chaque écaille a une pointe postérieure libre assez aiguë; l'antérieure est cachée par l'écaillé pré- cédente : elle est plus longue et plus fine; celles qui forment les côtés du chevron sont fines, mais CHAP. III? HARENGULES. 283 courtes : nous en comptons trente. La couleur est un blanc d'argent très -brillant, à peine teinté de verdàtre sur le dos. Les nageoires sont blanches et sans aucune teinte. La splanchnologie de la blanquette ressemble, dans ce qu'elle a de général, à celle du hareng, mais les différences que nous observons dans les formes des viscères concourent à donner plus de force aux caractères génériques et spécifiques que nous venons de signaler dans la description des parties extérieures. Nous voyons le canal digestif commencer par un œsophage stomacal extrêmement large et occupant toute la partie supérieure et anté- rieure de la cavité abdominale; il se rétrécit en un sac conique très-étroit, et à l'endroit où l'on voit ce rétrécissement de l'œsophage , on voit naître sous lui la branche montante qui est elle-même assez grosse , et qui contribue , en occupant la partie inférieure de la cavité abdominale, à rendre plus sensible l'étranglement et le rétrécissement de l'es- tomac. Le pylore est entouré de très-nombreuses appendices cœcales plus longues et plus grosses à droite qu'à gauche. L'intestin fait deux replis rap- prochés l'un de l'autre dans l'hypocdftdre gauche, et à partir de l'extrémité antérieure de la branche montante, il descend en dessous d'elle pour se rendre droit à l'anus. Le foie se compose presque unique- ment d'un lobe étroit trièdre, placé sur l'anse de l'œsophage et de la branche montante. La rate est petite et du côté droit. Les laitances sont courtes et étaient rejetées au delà de l'estomac, probablement. 284 LIVRE XXI. CUJPÉOÏDES. parce qu'elles n'étaient pas très -pleines. La vessie aérienne a ses parois très-minces, transparentes ; elle occupe le fond de la cavité abdominale, et elle n'avance au-dessus de l'œsophage que par une pointe plus étroite et plus grêle que celle du hareng; elle communique avec l'estomac par un canal très- court et récurrent, qui descend pour s'insérer sur l'extré- mité de l'estomac. Son péritoine brille du plus bel éclat d'argent. Après la description détaillée que nous avons donnée de l'ostéologie du hareng, nous n'avons pas à nous étendre sur celle de ces petites blan- quettes; mais nous signalerons un caractère diffé- rentiel important : la colonne vertébrale n'est com- posée que de quarante-quatre vertèbres. La longueur de nos individus est de trois pouces et demi à quatre pouces. J'ai souvent vu les paniers des pêcheurs remplis de ces Blanquettes. Elles sautent pendant plusieurs heures après qu'on les a portées au marché. Rien n'égale l'éclat et la vivacité des couleurs de ces pe^ts poissons. On ne les transporte jamais sur nos marchés de Paris, probable- ment à cause de leur petitesse. Leur abon- dance suppléerait cependant au défaut de leur taille, et le goût de leur chair, quoique un peu sèche, les ferait certainement aussi re- chercher. Notre Blanquette a été confondue avec l'es- CHAP. III. HARENGULES. 28ÎS pèce suivante et avec plusieurs autres, quoi- que Schoneveld l en eût laissé une courte des- cription assez reconnaissais , et qu'il lui ait plus particulièrement appliqué la dénomina- tion de Breitling, qui est certainement aussi donnée' par les Allemands aux autres espèces voisines. Parmi les nombreuses figures que Duhamel a donné de nos petites espèces de hareng, il me semble qu'on doit lui rapporter la Menuise de Gran ville2. D'ailleurs je ne vois pas que les auteurs plus récents aient fait mention de cette espèce, et ce n'est qu'avec la plus grande réserve que j'oserais y rapporter le Breitling de Klein.3 La Harengule esprot. (Harengula sprattus , nob.) Depuis que nous avons employé les carac- tères de la dentition, nous pouvons nous re- trouver dans ces nombreux petits poissons qui vivent tous pêle-mêle dans nos mers et sont péchés avec les fretins du hareng. Nous venons de décrire, dans l'article précédent, l'une de ces espèces 5 nous allons passer à la 1. Schoncv., p. 41. 2. Duh., Pèches, 2. e partie, S- 3, pi. 17, fig. 3. 3. Miss. 5, t. 19, fig. 5. 280 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. seconde du genre, et qui est connue jusque sur les côtes de l'Océan boréal : c'est, comme nous venons de l'établir, l'Esprot de la Manche, le Sprat des Anglais. Nous pouvons reconnaître cette espèce et la distinguer, soit des jeunes harengs ,*soit des autres petits poissons avec lesquels elle vit, en ajoutant aux caractères excellents fournis par la dentition ceux du nombre des vertèbres. L'Esprot est un de ces petits poissons qui restent toujours dans de faibles dimensions 5 il a la même dentition que la Blanquette, il en diffère par ses proportions et par ses qua- rante-huit vertèbres. L'esprot a le corps allongé; sa hauteur, égale à la longueur de la tête, est du cinquième de la lon- gueur totale. La tête, plus longue et plus pointue que celle de la blanquette, est aussi beaucoup plus étroite. Je ne vois aucune veine ni aucune strie sur l'opercule ni sur les autres pièces de la joue. L'œil mesure à peu près le tiers de la longueur de la tête. La ventrale répond au premier rayon de la dorsale. L'anale est petite et basse. La caudale est fourchue. La membrane branchiostège est soutenue par sept rayons. La fente de l'ouïe est large, arrondie et sans échancrure. B. 7; D. 18; A. 28; P. 19; V. 7; C. 25. Les écailles sont très-petites, caduques; le ventre est tranchant, assez fortement dentelé. Il y a trente- CHAP. III. HARENGULES. 287 trois chevrons épineux pour former sa carène. Le dos est d'un bleu verdatre, argenté; le reste du corps est blanc et brillant. Nos exemplaires n'ont que trois pouces de long. Nous voyons ce poisson, assez commun dans les mers du Nord et sur les côtes d'An- gleterre, se disperser dans la Manche et s'a- vancer sur nos côtes occidentales de France jusqu'à la Rochelle. Le premier auteur systématique qui ait donné une description reconnaissable de l'Esprot, est Artedi. Il le comparait au hareng, et il a su le distinguer par un de ses caractères les plus certains, celui de ses quarante- huit vertèbres, tandis que le hareng en a cinquante- six. L'Esprot est la quatrième espèce de Clu- pea dans sa synonymie. * C'est d'après cette description que Linné, d'abord dans le Fauna suecica2, puis dans le Systema naturœ jusqu'à la douzième édition, a établi son Clupea spratus, espèce que Pen- nant a su conserver, mais que Bloch a de suite falsifiée en y ajoutant une synonymie entiè- rement fautive , et dans laquelle il a réuni 1. Art., Syn., p. Il, n.° 4, et Sp. , p. 33, n.° 2. 2. Faun. suec. , n.° 316. 288 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. les espèces les plus disparates et de pays les plus éloignés. On voit, en effet, que Bloch confond ensemble le Breitling, le Sprat, qui au moins sont du même genre, et la Sardine de Fiance, qui, étant privée de dents, est d'un autre. Je suis d'ailleurs convaincu que les différences signalées dans sa description pour servir à distinguer le sprat des jeunes harengs, sont copiées d'Artedi. Quant à la figure i de la planche 3 1 de cette grande Ich- thyologie, on ne peut aussi la citer qu'avec beaucoup de doute, car elle est très-mauvaise, et elle ne remplit pas les lacunes que le texte a laissées. Il faut cependant remarquer que Bloch a fait peindre le long des flancs une ligne jaunâtre. Or, nous avods vu des sprats dans la baie du Havre au mois d'avril, qui ont à cette épo- que, le long des flancs, une bandelette d'une belle couleur d'or. M. Laurillaid a fait les mêmes observations, et il a eu la bonté de me donner un dessin sur lequel cette ligne est parfaitement repré- sentée. Toutefois je remarquerai que j'ai vu des sprats à Dieppe et à Boulogne pendant les mois d'août et de septembre, et aucun individu n'avait de ligne dorée. Il paraîtrait donc qu'elle peut s'effacer comme tant d'autres CHAP. III. HARENGULES. 289 colorations passagères que l'on peut observer sur différentes espèces de poissons. La Harengule clupéole. (Harengula clupeola , nob.) Nous avons reçu de la Martinique plusieurs espèces de harengules que les colons y con- fondent sous le nom de Sardines des Antilles. L'une d'elles a la tête courte, égale à la hauteur du corps et au quart de la longueur totale, c'est- à-dire que les proportions de ses parties sont les mêmes que dans la blanquette de nos côtes; mais l'espèce étrangère aie profil du dos plus droit, le museau plus gros et plus obtus; l'échancrure de la mâchoire supérieure plus profonde; l'opercule est plus étroit, plus haut; les dents sont très -fines. La dorsale a les derniers rayons très-courts, ce qui la rend triangulaire. La ventrale répond au septième rayon ; la pectorale atteint presque à la ventrale ; le dernier rayon de l'anale est un peu plus long que les autres. D. 18; A. 18; C. 27; P. 13; V. 8. Les écailles sont assez solides, striées, un peu plus hautes que dans l'espèce précédente, tout en ayant la même forme. Il y en a quarante -deux rangées entre l'ouïe et la caudale. Les dentelures du ventre sont moins saillantes que celles de la harengule de nos côtes; cependant les épines ne sont pas moins aiguës, et les écailles ne sont pas moins fortes; nous 20. 19 290 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. en comptons trente -trois. La couleur du poisson, conservé clans l'eau -de -vie, est bleu d'acier sur le dos, avec quelque disposition à des rayures longi- tudinales, et argentée sur le ventre. Un dessin fait à la Guadeloupe par M. l'Herminier apprend que le poisson frais a le dos vert, avec des taches orangées près de l'opercule. J'ai aussi examiné la splanchnologie de ce pois- son : elle ressemble à celle de la blanquette de nos côtes, seulement l'oesophage est proportionnellement moins long et moins gros. Le sac stomacal , long et conique, n'est pas séparé de sa branche montante ou de l'œsophage par u«n étranglement. Les cœcums me paraissent un peu plus nombreux. La vessie aérienne ressemble à celle de la blanquette, et son canal pneumatique se rend de même sur la pointe de l'estomac. Le péritoine est noir. Ce poisson est un de ceux des Antilles qui ressemblent le plus à la figure que nous trou- vons dans Duhamel % sous le nom de petit Cailleu. La description qu'il en a donnée avait été envoyée de la Guadeloupe par M. Barboteau à l'Académie des sciences, avec plusieurs au- tres mémoires scientifiques. Ce naturaliste avait très-bien reconnu que le poisson appar- tenait aux Chipées, telles que Linné les carac- térisait dans la dixième édition du Systema 1 Duh., Tr. des pèches, scct. III, pi. 31, fig. 2, p. 546. CHAP. HT. HARENGULES. 294 naturce, et il proposait alors de le nommer, par opposition au grand Mégalope , Alosa brevissima seu Sardina Charybœorum exilis Cailleu dicta. Ce petit poisson est, dit-il, fort recherché et estimé dans les Antilles. Sa chair blanche et délicate rappelle le goût de la sar- dine de France. Le temps le plus propre à la pêche est de- puis juin jusqu'à la fin de novembre. Il s'ap- proche alors de la côte pour entrer dans les torrents, les ravines ou les rivières qui se jettent à la mer; il dépose ses œufs au mi- lieu du varech, des algues maritimes, où les petits trouvent, dès qu'ils sont éclos, une nourriture abondante. Adulte, il se tient le long des côtes; il s'en éloigne au moment des tempêtes; il se réunit en grandes troupes sur les fonds de sable ou de gravier, mais il évite les côtes rocheuses. Ce Cailleu des Antilles est une vraie manne pour les habitants; aussitôt qu'il en parait un lit, les nègres bordent par centaines le rivage et se livrent à la pêche de ce poisson avec l'épervier. Ils en conservent pour eux et leur famille , et ils vendent le reste avec avantage. Je crois aussi retrouver une représentation de ce Cailleu dans un dessin que M. de Poey a fait à la Havane ; il l'appelle Sardina de 292 LIVRE XXI. CLUPÊOÏDES. Espana. Les couleurs qu'il donne à son pois- son sont celles que nous avons déjà indiquées; il dit qu'il ne devient pas plus grand que la Sardine d'Europe, qu'on le mange, et qu'on s'en sert aussi pour amorcer les lignes. La Harengule tachetée. (Harejigula maculosa, nob.) Une seconde espèce de la Martinique est très-voisine de la précédente , car ses propor- tions sont les mêmes, ainsi que les nombres des rayons des nageoires. Le museau est cependant un peu plus aigu et les écailles sont sensiblement plus striées. Nous trou- vons sur la plupart d'entre elles huit à neuf stries, tandis que les écailles de l'autre espèce n'en ont que deux à trois. Nous ne lui avons compté aussi que vingt- sept épines sous l'abdomen; la pointe postérieure est beaucoup plus courte et plus obtuse; les côtés du chevron sont grêles et très -pointus. Nos exemplaires ont six pouces de long : nous les avons reçus par les soins de MM. Plée, Achard et Garnot. Le premier de ces natu- ralistes nous en a envoyé un dessin fait sur le poisson frais, qui nous apprend que le fond de la couleur du dos est bleuâtre et tacheté de gros points noirâtres ou de traits obli- CHAP. III. HARENGULES. 293 ques , irréguliers , qui se perdent dans de grosses taches nuageuses. D'autres taches irrégulières , d'un gris jaunâtre, couvrent les flancs. Les nageoires sont bleuâtres. M. Plée dit que ce poisson n'est pas com- mun sur les côtes de la Martinique. La Harengule a épaulette. (Harengula humeralis, nob.) Les mers d'Amérique ont une espèce de ha- rengule distincte de la précédente, parce que le corps est beaucoup plus haut et plus comprimé. La hauteur est plus grande, parce que la courbure du ventre est beaucoup plus sensible; mesurée h l'aplomb de la dorsale, on trouve cette hauteur contenue à peine trois fois dans la longueur du corps en n'y comprenant pas la caudale. Celle-ci est petite et fourchue. Les dents, quoique petites, sont assez sensibles; le museau est court; les pièces de la joue sont striées ou veinées. D. 18; A. 18. La couleur est bleu d'acier sur le dos , argentée sur le reste du corps ; les flancs sont rayés longi- , tudinalement ; sur le haut de l'épaule et derrière l'œil il y a une tache assez sensible sur les individus conservés dans l'alcool. Nous pouvons juger des couleurs du poisson frais par un assez beau dessin que M. l'Herminier nous a envoyé de la Guade- loupe. Cette sardine dorée a le dos bleu verdâtre, 294 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. rayé de deux traits longitudinaux noirâtres. Une bande dorée sépare le bleu du dos de l'argenté bril- lant du ventre. La tache, très-brillante du haut de l'opercule, est orangée et dorée. Le dessus de la tête est vert; le bout de la mâchoire inférieure est noirâ- tre ; les nageoires sont grises. Dans le Harengula humeralis , l'œsophage et la branche montante sont plus gros et plus longs, et le sac stomacal plus court que dans le H. clupeola. Les appendices cœcales sont beaucoup plus lon- gues et plus nombreuses. La vessie aérienne ainsi que son canal pneumatique ressemblent à ceux des espèces précédentes. Nous avons reçu cette espèce en grande abondance de la côte de l'Amérique du Sud, depuis Rio-Janeiro jusque dans les Antilles. Ainsi M. Delalande l'a rapportée du Brésil, M. Labadie de Bahia; M. L'herminier nous l'a envoyée de la Guadeloupe. Nous en avons des individus de Saint- Domingue qui paraissent un peu plus allongés et un peu plus argentés 5 cependant nous les croyons de la même espèce. Nous avons re- trouvé cette variété parmi des poissons venus de Surinam. C'est, sans contredit, l'espèce représentée dans Duhamel1 sous le nom de Sardine des Antilles. 1. Duli., Traité nob.) M Dussumier nous a rapporté une très-petite Pellone à ventrales excessivement exiguës, dont la hauteur mesure le quart de la longueur totale. Le ventre est très-fortement dentelé; les nageoires pectorales ne paraissent pas dépasser la ventrale. La queue est très-étroite. D. 17 j A. 50, etc. Je ne possède qu'un très-petit exemplaire de cette espèce, long de trois pouces, qui a été trouvé à l'embouchure du Gange. Il me paraît avoir beaucoup d'affinité avec le petit poisson figuré par M. Gray1 sous le nom de Clupea motius. Je ne sais pas s'il le croit iden- tique au Clupanodon motius de M. Buchanan; je ne le pense pas. 1. Gray, lllust. of ind. zool. by maj. gen. Hardwicke, t. II. pi. 91, fig. 3 et 4. 324 LIVRE XXI. CLUPÊOÏDES. Il colore le dos en vert; les flancs sont rayés de blanc; le reste du corps est bleuâtre, à reflets argen- tés; les nageoires sont jaunes. Je trouve, dans le poisson que j'ai sous les yeux , un reste de ces bandes blanches des flancs, c'est ce qui décide ma déter- mination; car je dois faire remarquer que l'anale de la figure me paraît un peu plus courte que celle de notre individu. La Pellone champil. (Pellona champil, nob.) Je trouve dans le même ouvrage, et sur la même planche, la figure d'un autre petit pois- son, qui ressemble par la coupe ovale de son corps à notre P. micropus; mais il me paraît avoir la bouche encore moins fendue et la mâchoire inférieure égale à la supérieure. L'anale est beaucoup plus courte que celle des espèces pré- cédentes. Je compte les nombres suivants sur la figure. D. 15; A. 17. Le dos est vert, passant par du lilas au blanc argenté du ventre. Une petite tache noire se dessine sur le fond lilas des flancs, au-dessus de la pointe de la pectorale , qui est également noire. Les ven- trales sont blanches, les autres nageoires jaunes. La figure représente un poisson de six cen- timètres. L'espèce y est indiquée sous le nom de Clupea champil.1 1. Grav, Illust. ofind. zool. hy ma), gen. Hardwicke , vol. II, pi. 91 , n."s 5 et 6. CHAP. IV. PELLONES. 525 La Pellone soborni. . {Pellona soborni, nob.) Est-ce auprès des Pellones qu'il faut placer un petit poisson que je trouve encore figuré dans les Illustrations de la zoologie indienne, sous le nom de Corica soborni ? \ Il a le corps étroit et allongé; les ventrales insé- rées au-devant de la dorsale; la pectorale pointue; l'anale paraît assez étendue; le centre est garni de grandes plaques qui rappellent assez bien les che- vrons de nos Pellones. Le corps paraît comme trans- parent, et sur le fond jaunâtre des côtés se dessine une bandelette rougeâtre. Il y a une tache noire sur la tète entre les yeux. Les nageoires sont grises. Ce .petit poisson n'a pas deux pouces de longueur. M. Richardson parle dans son mémoire sur les poissons des mers de Chine d'un Ilislia abnormis de M. Gray, qui doit être très-voi- sin, de notre Pellona Grayana. Comme ces auteurs n'ont pas donné de diagnose géné- rique de leur genre Ilisha, je n'ai pas cru devoir adopter ce nom, afin d'éviter toute confusion. 1. Gray, Illust. ofind. zool. hy maj. gen. Hardwicke, vol. Il, pi. 91 , n." 1 et 8. 326 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. CHAPITRE Y. Du genre Pristigastre {Pristigaster , Cv.). Ce genre , établi par M. Cuvier , est facile à reconnaître dans la famille des Clupéoïdes par l'absence des ventrales. C'est le seul caractère qui les distingue des Pellones ; car les Pristi- gastres ont, comme elles, le corps très-com- primé, le ventre tranchant, fortement dentelé; l'anale longue et étendue sous toute la queue; la dorsale petite; les pectorales pointues, ser- rées contre le corps. Leur rayon supérieur est très- fort, quoique composé d'articulations visibles. Ils ont aussi une dentition tout à fait semblable, c'est-à-dire, de petites dents maxil- laires couchées sur les différents os de la bouche, des dents en velours sur les palatins, les ptérygoïdiens, la langue, et un vomer lisse, sans dents. Leur splanchnologie est cependant un peu différente, surtout en ce qui concerne la vessie natatoire. Cet organe est grand et fourchu dans une espèce, et les cornes se prolongent de chaque côté des interépineux de l'anale entre les muscles coccygiens. La seconde es- pèce a cet organe simple et ovale. Toutes CHAP. V. PRIST1GASTUKS. 527 deux ont un œsophage assez large, un esto- mac ovoïde, de nombreuses appendices cœ- cales auprès du pylore et un intestin court, ne faisant que deux replis. Les Pristigastres sont le troisième exemple de malacoptërygiens abdominaux sans nageoires ventrales, c'est-à-dire, des poissons apodes tels que Linné les entendait; car les Erémophiles sont, comme je crois l'avoir .prouvé , des silu- roïdes apodes. Les Orestias, que j'ai fait con- naître dans le volume précédent, sont des cyprinoïdes apodes. Les Pristigastres et les Odongnathes dont l'histoire suivra bientôt, sont nos clupéoïdes apodes. Il est assez cu- rieux de remarquer que les deux premiers genres, si extraordinaires, ont été découverts dans les eaux douces des hauts plateaux des Andes, entre 4°o° et 5oop mètres au-dessus du niveau de l'Océan, tandis que nos deux genres de Clupéoïdes sont des poissons marins des côtes équatoriales de l'Amérique, baignées par l'Atlantique, ou des mers les plus chaudes de l'Inde. Nous ne connaissons jusqu'à présent que quatre espèces de Pristigastres; l'une que l'on trouve depuis. la côte de Malabar jusqu'à l'ex- trémité de Coromandel, les autres sont amé- ricaines. L'une vient de Cayenne, les deux 328 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. autres ont été trouvées à l'embouchure de l'Amazone , et l'une d'elles est une récente découverte due aux courageux efforts de M. de Castelnau et de son compagnon de voyage M. E. Deville. Le Pristigastre tartoore. ( Pris tigas ter tartoor, nob.) Cette espèce indienne, qui me paraît très- abondante sur la côte de Coromandel et sur celle de Malabar , à cause du grand nombre d'individus que nous avons reçu de ces deux endroits, se distingue éminemment de l'espèce américaine que nous décrirons plus loin. Nous lui conservons le nom sous lequel Russell en a donné une figure fort reconnaissable. Le Tartoore a le corps allongé. La hauteur est comprise un peu moins de quatre fois dans la lon- gueur totale. L'épaisseur n'est que le quart de la hauteur. La tête est courte, car elle est contenue cinq fois et demie dans la longueur totale, et comme sa hauteur ne fait que les trois quarts de sa lon- gueur, à cause de la grande saillie de la carène tho- racique qui s'avance beaucoup au delà de l'insertion des pectorales, on conçoit comment la tête paraît si petite. L'œil est assez grand, son diamètre mesure, à peu de chose près, le tiers de la longueur de la tête; le cercle de l'orbite est au-dessous de la ligne CHAP. V. PRISTIGASTRES. 320 du profil- cependant l'œil est sur le haut de la joue. Le dessus du crâne est concave, et son creux est augmenté par la saillie de la nuque et par la con- vexité du dos. Le sous-orbitaire est oblong et re- couvre le bord postérieur du maxillaire quand la boucbe est fermée. Le préopercule est assez large, c'est lui qui couvre presque toute la joue; son angle et le bord inférieur sont arrondis. L'opercule est triangu- laire ; l'extrémité libre est arrondie. Le sous-opercule paraît presque linéaire , tant il est étroit. L'inter- opercule, un peu plus large que celui-ci, est arqué. La boucbe n'est pas très-grande comme dans toutes ces clupées. Les intermaxillaires sont placés en tra- vers, et la mâcboire inférieure, faisant saillie au- devant de la supérieure, a les brandies fort élevées de cbaque côté de la bouche. La langue est libre et obtuse; les dents maxillaires sont très -petites, couchées obliquement vers le fond de la bouche ; elles sont plus sensibles au toucher qu'à la vue; puis nous en observons un groupe sur les pala- tins, les ptérygoidiens et la langue; mais il n'y en a pas sur le vomer ni sur son chevron. C'est donc la dentition des Pellones ou des Harensmles. Les ouïes sont très -largement fendues et la direction de la fente est tout à fait oblique. On y observe une très -petite membrane branchiostège soutenue par six rayons, les deux premiers sont petits et grêles; il faut les rechercher avec soin, car je vois qu'ils ont échappé à l'observation; les quatre autres sont larges et aplatis; le dernier a son extrémité prolongée, ce qui lui donne la forme d'une petite 350 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. palette. J'insiste sur cette description minutieuse, et j'ai compté ces rayons sur plusieurs individus pour bien m'assurer de leur nombre; car je vois que dans le Règne animal on ne leur a compté que quatre rayons branchiostèges. La dorsale est très -petite, très -basse et reculée sur la fin du second tiers de la longueur du dos. L'anale est au contraire étendue sous toute la longueur de la queue, de sorte que sa longueur mesure les deux cinquièmes de celle du corps. Les pectorales sont longues et pointues, leur premier rayon est large et aplati , elles sont composées d'articulations très-visibles, et sont atta- chées de manière à s'appliquer exactement contre le corps. Il n'y a point de ventrales. B. 6; D. 17; C. 25; A. 57; P. 15; V. 0. Les écailles sont ovales , très-minces , sans stries ; elles sont assez grandes. On n'en compte guère que cinquante rangées entre l'ouïe et la caudale. La ligne latérale commence comme à l'ordinaire sur le haut du surscapulaire, et elle remonte sur le haut du dos où elle se dessine par une suite de petits arbuscules ; on la voit s'effacer peu après la dorsale. On remarque le long des flancs, à peu près par le milieu de la hauteur de la queue, un trait linéaire excessivement fin, mais bien visible, à partir de la caudale jusque un peu au-devant de la dorsale ; puis ce trait semble s'effacer et ne plus se montrer que comme une pe- tite carène tracée par le tiers de la hauteur de la poitrine, et qui se perd sur la région surscapulaire. Je ne crois pas qu'il faille considérer ce petit trait comme une seconde ligne latérale, ainsi que l'a fait CHAP. V. PRISTIGASTRES. 534 Russell. Il est évident pour moi que la ligne laté- rale est unique et tracée sur le haut du dos. Le ventre est si comprimé que l'on peut, sans exagé- ration , lui donner l'épithète de tranchant. A partir de la gorge, son profil descend par une courbure qui devient beaucoup plus grande à mesure qu'elle va dépasser la pectorale, de sorte qu'il fait une grande saillie au -devant de la poitrine. Nous comptons trente-deux épines le long de cette carène; elles sont formées par une suite de chevrons dont les côtés- sont étroits, carénés dans le milieu, et dont le sommet est une lame cornée tout à fait tranchante, terminée par une épingle coupante comme la pointe d'une lancette. Les observateurs qui ont vu ce pois- son frais, vantent tous le brillant argenté, à reflet nacré, de tout son corps; quelques teintes grises se prononcent le long du dos. Les nageoires sont jaunes ou quelquefois elles paraissent blanches, légè- rement teintées de jaune pâle aux extrémités. La splanchnologie du Pristigastre offre aussi plu- sieurs particularités non moins curieuses que les parties extérieures. La forme très - comprimée du ventre a rendu la cavité abdominale très-étroite, ce qui est cause que le foie est très -mince, que les cœcums , longs et grêles , sont réunis en deux fais- ceaux collés sur la branche montante. Ces appen- dices pyloriques sont beaucoup plus nombreuses à gauche qu'à droite. L'œsophage est large et il se prolonge en un estomac arrondi qui atteint environ à la moitié de la longueur de la cavité abdominale. Dans l'individu que j'ai ouvert, sa muqueuse était 332 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. noirâtre, tandis que celle de l'estomac était jaunâtre. La branche montante est à peu près aussi longue et aussi large que l'œsophage ; les parois m'ont paru peu charnues. L'ovaire embrasse dans une très-courte bifurcation l'extrémité de l'estomac; car au delà de ce viscère l'ovaire m'a paru ne plus former qu'une seule masse. Les œufs sont d'une petitesse extrême , beaucoup plus fins que de la graine de pavot. Au-dessus de ces viscères on voit une longue vessie natatoire cylindrique, tellement appliquée sur les côtes, qu'il est aisé de compter les impressions de ces os sur la paroi fibreuse et argentée de la vessie; elle se rétrécit en avant et devient même pointue pour laisser de la place à la portion renflée de l'œsophage. Cette vessie qui, dans cet état, serait déjà grande pour une clupée, se trouve beaucoup augmentée par son prolongement en deux longues cornes coni- ques, faisant saillie de chaque côté des interépineux de l'anale; elle se termine en une pointe excessive- ment fine à peu près vers le milieu de la longueur de l'anale. Le canal de communication entre la vessie et le canal digestif est long et assez gros ; il part du bas de l'œsophage et va s'insérer sous la face inférieure de la vessie, un peu au delà de la pointe de l'estomac. Les anatomistes retrouvent là un nouvel exemple de cette conformation que nous avons vu répéter plusieurs fois dans les Scombres et quelques autres familles. Parmi les nombreux exemplaires de cette espèce, nous n'en avons pas un qui dépasse huit pouces ; mais M. Dussumier en a vu sur CHAP. V. PRISTIG ASTRES. 335 la côte de Malabar qui avaient dix pouces de long : on y mange ce poisson. M. Leschenault est le premier naturaliste qui nous ait envoyé cette espèce dans ses grandes collections de 1818. Il a entendu nommer cette espèce Talery par les pécheurs tamoules. On le pêche abondamment pendant toutes les saisons dans la rade de Pondichéry : il est très- bon à manger et parvient à neuf pouces de longueur. Russell ne donne aucune particula- rité sur les mœurs ou sur les usages de ce. cu- rieux poisson. Nous retrouvons aussi cette espèce, figurée par M. Gray dans les Illustrations de la zoo- logie indienne, par le major-général Hard- wicke, mais soit inadvertance de l'observateur, soit que l'individu ait été mutilé, la dorsale n'a pas été vue, et ce poisson est devenu alors le type d'un nouveau genre, nommé Apte- rygia Hamiltoni. Le dos est peint en bleu, tout le reste du corps est jaunâtre. Je ne crois pas qu'il soit possible de douter de la déter- mination que je donne. La forme du corps, la saillie de la poitrine dentelée, la petitesse de la tête, l'insertion de la pectorale, la lar- geur du premier rayon , la longueur de l'anale , l'absence des ventrales, jusqu'à la tache noire figurée déjà par- Russell, montrent une telle 334 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. ressemblance entre le Pristigastre et XApte- rjgia de Gray, qu'il me paraît impossible d'admettre que la nature ait supprimé entiè- rement une nageoire dorsale sans avoir fait le plus léger changement à toutes les autres parties que je viens d'indiquer. Pristigastre de Cuvier. (Pristigaster cayanus > Cuv.) J'ai commencé la description des espèces du genre Pristigastre par celle de l'Inde, puis- qu'elle a été connue des naturalistes quinze ans avant que M. Cuvier n'ait publié la figure de l'individu envoyé de Cayenne par Leblond, et qui est encore conservé dans le Cabinet du Roi. La description que je vais donner est faite d'après le même exemplaire. Ce Pristigastre se distingue de celui de l'Inde par des formes si nettes et si tranchées, que c'est à peine si l'on peut comparer les deux poissons. En effet, l'espèce dont il s'agit dans cet article a le profil du dos très -peu courbé; celui du ventre fait, au contraire, une telle saillie depuis la gorge jusqu'à l'anus, que le poisson a l'air d'avoir un fanon sus- pendu au-devant de. la région thoracique. La plus grande hauteur de cette partie du corps est moitié de la distance mesurée depuis le bout du museau jusqu'à la fourche de la caudale. La hauteur de la tête, prise à l'aplomb de la nuque, est moitié de la CHAI'. V. PKISTIGASTRES. 335 hauteur tolale mesurée au même endroit. La lon- gueur de la tête est à peine plus forte que la hau- teur, et du cinquième de la longueur totale. La tête ressemble d'ailleurs par les proportions de l'œil , par la grandeur de la bouche, par la saillie de la mâ- choire inférieure, par les dents maxillaires palatines, ptérigoïdiennes et linguales. Nous nous sommes assuré, en la comptant à plusieurs reprises, que la membrane branchiostège est soutenue par six rayons. Quoique la ligne du dos soit un peu sou- tenue au-dessus du chanfrein et qu'elle monte droit jusqu'à la dorsale, elle n'est pas à beaucoup près aussi relevée que celle du Pristigastre indien , elle offre aussi un caractère remarquable qui n'existe pas dans l'autre espèce. Les interépineux dorsaux font une petite saillie au-dessus des muscles, tra- versent la peau et sortent par deux petites pointes qui rendent cette partie du corps dentelée, comme nous en avons eu des exemples dans la famille des Stromalées, et en particulier dans l'espèce du Rhom- bus çrenulatus. La dorsale est avancée sur le dos : elle est à peu près deux fois aussi haute que longue. L'anale est étendue sous toute la queue; la caudale est fourchue ; les pectorales pointues ; il n'y a pas de ventrales. B. 6; D. 15 ; C. 25; A. 52; V. 0; P. 11. Les écailles sont de moyenne grandeur, très-fine- ment striées, très -minces et se détachent très -faci- lement. Je n'ai pas pu voir dans cette espèce la ligne latérale dorsale qui est si facile à voir dans l'espèce indienne; mais ce que je puis affirmer, c'est que 356 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. notre individu n'a pas une ligne latérale tracée comme elle est indiquée dans la figure du Règne animal. J'observe bien sur la seconde moitié du. corps, une ligne très -fine comme je l'ai vue sur l'espèce précédente; mais, comme dans celle-ci, je la vois s'évanouir avant d'atteindre à la pectorale, Les épines du ventre, excessivement comprimées, sont plus grosses vers la fin que sur le commen- cement de la carène. J'en compte trente-deux. Un de ces chevrons a les côtés étroits et excessivement grêles; ils sont un peu plus longs que le tiers de la hauteur du tronc ; l'épine est très-forte, poin- tue, et plus saillante que dans l'autre Pristigastre. La couleur est un argenté très -brillant, avec des teintes grises ou roussâtres sur le dos. Ce que j'ai cherché à voir des viscères sur notre exemplaire un peu desséché, m'a fait voir une vessie natatoire à parois très-minces et argentées. J'ai trouvé un estomac ovoïde et renflé, arrondi à son extré- mité postérieure. L'œsophage est assez gros et court; la branche montante m'a paru petite et avoir de nombreux cœcums. La longueur est de quatre pouces et demi : il a été figuré dès la première édition du Règne animal, planche X, fîg. 3. Cette même planche a été reproduite dans la seconde édi- tion , planche XII. CHAI'. \ . PRISTIGASTRES. 557 Le Pristigastre de Martius. (Prislîgaster Mardi 3 Agassiz.) Nous venons de recevoir au Cabinet du Roi , parmi les riches et belles collections rapportées du Brésil par M. de Castelnau, trois pristigastres péchés à l'embouchure de l'Amazone. Deux sont parfaitement sembla- bles entre eux; ils se distinguent du précédent par un ventre plus saillant, par une anale plus courte. La caudale nie paraît avoir les lobes moins pointus, et je ne crois pas que les rayons supé- rieurs se prolongent en longs filaments. B. 6; D. 15; A. 46 ou 47; V. 0; P. 11. La couleur, rembrunie sur le dos, est argentée sur tout le reste du corps. J'ai vérifié le nombre des rayons de la membrane branchiostège, et je suis persuadé que l'exemplaire de Munich doit avoir six rayons comme les nôtres, mais le premier, qui est très -petit, est souvent fort difficile à voir. Je pense donc que c'est à tort que M. Agassiz n'en a donné que cinq. Mais un caractère qu'il a parfaitement saisi, porte sur la petitesse des épines de la carène du dos; elles sont à peine sensibles dans l'espèce que 20. 22 338 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. nous décrivons. Aussi, je ne doute pas que je n'aie ici le poisson décrit et figuré dans l'Histoire des poissons du Brésil1. Le plus grand des deux individus a quatre pouces et quelque chose. Le Pristigastre paille en queue. (Pristigaster phaèton, nob.) M. de Castelnau a rapporté un troisième Pristigastre pris dans l'Amazone avec les deux précédents. Il en diffère parce qu'il a le ventre moins saillant, d'où il résulte que le corps est plus allongé. La hauteur est con- tenue deux fois et un tiers dans la longueur totale, en n'y comprenant pas les filets de la caudale, tandis que dans l'espèce précédente elle surpasse sensible- ment la moitié de la longueur du corps. L'anale est beaucoup plus allongée : elle ressemble sous ce rapport au Pristigastre de M. Cuvier, qui a cin- quante-deux rayons. D. 15; A. 51, etc. La caudale, qui est fourchue, a ses lobes plus étroits et plus pointus que ceux de l'espèce précédente. Les trois rayons externes du lobe supérieur sont pro- longés en filaments plus longs que le lobe. Les épines de la carène du dos sont fortes. La couleur 1. Àgassiz, Vise. Bras., p. 55, pi. XXIV a. CHAP. V. PR1STIGASTRKS. 531) ressemble à celle des précédents; c'est un verdâtre sur le dos; tout le reste du corps brille d'un bel éclat d'argent poli. La longueur du poisson est de quatre pouces et demi, sans compter les filets, et de six pouces au moins en mesurant depuis le bout du museau jusqu'à leur extrémité. On ne peut nier que ces trois espèces ne soient extrêmement voisines l'une de l'autre. Je ne crois pas cependant que des études faites sur les lieux conduisent les naturalistes à les confondre. 340 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. CHAPITRE VI. Du genre Rogénie (Rogenia). Le poisson, si abondant à l'embouchure de la Tamise , connu et estimé de tous les ha- bitants de Londres sous le nom de White- Bait, est non-seulement d'une espèce distincte du hareng, mais il appartient à une coupe gé- nérique différente , dont nous retrouvons plu- sieurs espèces dans les mers étrangères. La forme ressemble assez à celle du hareng pour qu'il soit facile de concevoir, comment les hommes, qui ne regardent pas avec une extrême attention , ont pu le croire des jeunes du hareng commun. Je m'étonne davantage comment d'autres personnes, et même des na- turalistes, aient pu le considérer comme une jeune alose ; car la forme est totalement dif- férente. Nous reviendrons à la fin de cet article sur ces questions, lorsque nous parlerons des ex- cellentes discussions publiées par M. Yarell pour éclaircir l'histoire naturelle de ce poisson. Il constitue un genre distinct caractérisé par la présence de dents sur le vomer, sur les pa- latins , sur les ptérygoïdiens et sur la langue. C'est la clupée qui porte le plus grand nombre de dents, malgré sa petite taille. CHÀP. VI. ROfiÉNIES, 341 Le nom de White-Bait, sous lequel on le crie dans les marchés de Londres , m'a suggéré l'idée de former, pour désigner ce' genre, un nom assez euphonique emprunté à la langue allemande. J'ai latinisé le nom de Rogen, qui signifie le frai ou les œufs des poissons; en disant Rogenia. Nous ne connaissons encore qu'une espèce de ce genre que nous appelons La RoGÉNIE BLANCHE. {Rogenia alba , nob.) Le corps est allongé; la courbure du ventre est un peu plus forte que celle du dos ; la hauteur du tronc égale la longueur de la tête, et la cinquième de celle du corps entier. L'œil me paraît, propor- tionnellement, moins grand que celui d'un jeune hareng de même grandeur ; le diamètre est un peu supérieur au quart de la longueur de la tête. La mâ- choire inférieure dépasse un peu la supérieure ; mais la saillie qu'elle fait au-devant d'elle, n'est peut-être pas aussi forte que dans le hareng. Je vois des dents sur la langue, sur le vomer, sur les palatins et les ptérygoïdiens, et on en sent plutôt qu'on n'en voit sur les deux mâchoires. Notre poisson à donc des dents sur un plus grand nombre de pièces osseuses que n'en a le hareng. Ces caractères, moins fugaces que ceux que l'on peut tirer de quelques diffé- rences des formes extérieures, établissent une dis- 342 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. tinction scientifique entre le hareng et le Wliite-Bait. Comme les aloses n'ont aucune dent sur ces pièces, cette distinction est encore plus facile à reconnaître. Le préopercule couvre presque toute la joue; son limbe est très -large; l'angle en est légèrement ar- ondi. Je ne vois point de stries ni de veinules sur sa surface. L'opercule est petit, assez semblable à celui du hareng ; mais le sous- opercule me paraît moins étroit: l'interopercule l'est, au contraire, da- vantage. La membrane branchiostège vient s'insérer sur le bord de l'ouïe , de manière à- faire une échan- crure assez profonde, qui rappelle celle de la sardine, et qui devient un caractère distinctif entre notre pois- son et le hareng. L'attache de la pectorale se fait aussi plus en avant, et touche presque au bord du sous- opercule : cette nageoire est plus reculée que dans le hareng. Les ventrales répondent à peu près au mi- lieu de la dorsale ; l'anale n'est pas très-longue ; la caudale est fourchue ;.les ouïes sont très-largement fendues. B. 8; D. 17; A. 16; P. 17; V. 9; C. 27; Vert. 56. Les écailles sont petites, excessivement minces, par conséquent très-molles ; elles sont un peu plus longues que hautes ; la portion verticale est plus grande que la partie libre; il n'y a point de stries, ou du moins elles sont d'une extrême ténuité. Nous en comptons plus de cinquante rangées le long du corps. Je n'en vois pas de particulières à l'aisselle de la pectorale; mais il y en a une courte auprès de la ventrale. La carène du ventre a quarante et une épines. Tout ce poisson brille du plus bel éclat ar- CHAP. VI. UOGÉNIES. 545 genté , le dos est d'un gris verdàtre. Quand le poisson est frais, il prend dans l'alcool une teinte roussâtre, qui fait toujours distinguer ce White-Bait des jeunes harengs dont le dos> devient bleu. Il n'y a jamais de taches sur les côtés de ce poisson. Le Muséum a d'abord reçu des White-Bait par les soins de M. le docteur Leacli. Derniè- rement, M. Milne Edwards et R. Owen ont bien voulu m'en rapporter de Londres, et j'ai pu m'assurer, par l'examen des nombreux exem- plaires, achetés pêle-mêle sous le nom de White-Bait , qu'il y a quelquefois avec ce pois- son du frai d'une autre petite clupée. M. Eudes Delongchamps nous a mis à même de faire une semblable observation sur le frai des ha- rengs qui entrent dans l'embouchure de l'Orne. M. Yarell a fait connaître complètement le poisson qui est le sujet de cet article : d'abord dans un mémoire l inséré dans le Journal zoo- logique, ensuite dans son Histoire des poissons d'Angleterre 2. 11 a bien reconnu que Pennant avait eu raison de mentionner cette espèce dans la Zoologie britannique3, et il a fait re- marquer avec raison, que Donovan4 s'était 1. Zool. Journ., vol. IV, p. 137 et 465, pi. 10. 2. Brit.fish., t. II, p. 126. 3. Brit. Zool, t. III, p. 165. 4. Donovan, Brit.fish., pi. 98. 344 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. trompé en le donnant comme une jeune alose. Pour établir les différences distinctives, M. Ya- rell s'est principalement appuyé sur la diver- sité de la coloration. Celles que nous tirons de la dentition sont bien plus positives. Les habitudes de la Rogénie blanche, sont tout à fait différentes de celles de toutes les autres clupées qui fréquentent les côtes de la Grande-Bretagne, et qui entrent dans les fleuves de^ ce royaume. D'avril à septembre on peut prendre ce poisson en abondance à la hauteur de Wool- wich ou de Blackwall. Pendant les trois pre- miers mois, on rencontre dans les bancs des Rogenia alba quelques jeunes sprats. L'espèce dont nous traitons ici, apparaît dans la Tamise sous une consistance presque albumine use. M. Yarell dit qu'il n'y a que la Tamise et le Hamble, dont les eaux se versent dans celles de Southampton, qui aient des fVhite-Bait ; et pendant l'hiver, les pécheurs qui poursuivent le sprat, prennent fréquem- ment des White-bait sur les côtes du Kent et d'Essex. Ce poisson ne me paraît pas dépasser six pouces. CHAP. VII. CLUPÉONIES. 345 CHAPITRE VIL Du genre Clupéonie {Clupeonia). La direction que nous venons de donner à nos études sur la famille des Chipées, nous montre la nécessité de former encore un nou- veau genre de poissons que nous allons réunir dans ce chapitre. Il se composera des espèces qui portent des dents sur la langue et sur les ptérygoïdiens seulement : les palatins, le vomer et les mâchoires n'en ont aucunes. Toutes ces espèces ressemblent tellement à nos sardines par leur faciès général, que les naturalistes les plus célèbres, ainsi que les habitants de nos colonies de l'Inde , les désignent sous ce nom : elles sont originaires de la mer des Indes. Comrnerson avait observé l'une des espèces à l'Ile-de-France: presque dans la même année, Solander en décrivait une autre à Otaïti. Mais les matériaux de ces natura- listes-voyageurs ont été, ou laissés dans l'oubli, ou confondus avec d'autres documents dans ce que les auteurs systématiques appelaient alors du nom de Clupea. Nous avons discuté leur emploi à chacun des articles suivants, en essayant de débrouiller les synonymies plus ou moins confuses de ces espèces. 346 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. La Clupéonie de Jussieu. I (Clupeonia Jussieui, nob.) Commerson avait observé, en 1770, dans les mers de l'Ile-de-France, de Bourbon et de Madagascar la première espèce de ce genre. Il en a laissé dans ses manuscrits une descrip- tion détaillée et faite avec le soin que l'on re- connaît à tous ses travaux. Le texte a servi à M. de Lacépède1 pour établir son espèce Clupanodon Jussieu. Le voyageur auquel ce naturaliste empruntait sa diagnose , désigne ce poisson par le nom de grande Sardine de V Ile- de-France. Dans la Faune de Bourbon, n.° 124? celte même dénomination est inscrite sur un dessin fait à la mine de plomb et long de neuf pouces, et dont la grande exactitude est facilement appréciable quand on le compare à la nature. En même temps que M. de Lacépède éta- blissait sur le Halex seu Harengus immacu- latus maxilla inferiore longiore, etc., son Clupanodon Jussieu, il en donnait la figure comme une variété du Clupea sinensis "de Linné ou de Bloch. M. Cuvier a commencé à rectifier cette confusion dans la note du Bègne 1. Lacép . t. V, p. 471 ci 474, pi. 11, %■ 2 CHAP. VII. CLUPÉONIES. 347 animal, vol. II, page 3 18; mais malheureuse- ment en termes trop concis pour qu'il soit fa- cile de bien saisir cette rectification quand on n'a pas les matériaux originaux à sa disposition. C'est ce que j'ai pu faire facilement, parce que j'ai trouvé dans les riches collections du Mu- séum des exemplaires dans lesquels il est fa- cile de reconnaître cette grande Sardine de l Ile-de-France, décrite et dessinée par Gom- me rs on. Ce poisson ressemble, en effet, par sa forme tra- pue , par son dos arrondi, à nos sardines; mais il a des caractères distinctifs très -marqués. L'épaisseur est deux fois et un tiers dans la hauteur du corps, qui est contenue quatre fois et demie dans la longueur totale. La tête est courte , elle y est près de six fois. Les yeux sont de grandeur médiocre; le front, au- devant d'eux, porte deux petites carènes divergentes, à partir des intermaxillaires. La bouche est petite ; il n'y a point de dents sur les mâchoires ; l'inférieure dépasse de très -peu la supérieure. Le vomer et les palatins sont lisses et sans dents; mais nous en avons observé un petit groupe sur les ptérygoidiens et une bandelette longitudinale sur la langue. Les ouïes sont très-largement fendues ; il n'y a que six rayons à la membrane branchiostège. Le préopercule est arrondi; il ne cache point l'interopercule, qui est aussi arrondi. L'opercule a sa surface couverte de stries rayonnantes, fines et nombreuses. Ce caractère ' est remarquable, parce qu'il rappelle celui qui est si 548 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. caractéristique dans la sardine , sans qu'il lui soit cependant semblable. La dorsale est située à peu près au tiers du corps, son bord est échancré, ses rayons sont très-minces; la ventrale répond à peu près à son milieu. L'anale est très-basse; la caudale est fourchue; la pectorale est petite, pointue et attachée sous l'angle de l'appareil operculaire. B. 6; D. 20; A. 20; C. 27; P. 16; V. 8. Les écailles sont de moyenne grandeur, fortement striées dans leur partie radicale , lisses sur le devant : on en compte quarante -cinq rangées. Le ventre est tranchant, sans être très - comprimé ; les pièces du chevron sont étroites, longues et pointues ; la partie moyenne a une longue pointe en avant et une épine courte mais forte , dont la série constitue la dente- lure du ventre. La couleur est bleuâtre en dessus ; tout le reste du corps est argenté. Sur le poisson, conservé dans l'eau-de-vie, on voit des taches dis- posées en lignes longitudinales. La dorsale et la caudale sont verdâtres ; l'extrémité des fourches est rembrunie : les autres nageoires sont incolores. La splanchnologie de ce poisson ressemble à celle de nos harengs : l'estomac est étroit et conique, son extrémité, pointue, communique par un canal re- courbé avec la vessie natatoire, qui est grande, et qui occupe toute la partie supérieure de la cavité abdominale sans se prolonger pour en sortir. Les appendices cœcales sont très-nombreuses ; l'intestin ne fait que deux replis; les ovaires étaient très-gonflés et remplis d'une très - grande quantité d'œufs d'une excessive petitesse. CHAI1. VIL CLUPÉONIES. 349 Notre individu ebt Long de sept pouces. Il a été rapporté de l'Ile-de-France par M. Dus- sumier. Ce naturaliste a consigné dans ses notes que les habitants l'appellent Sardine, et il a observé que cette espèce se montre sur les oôtes par bandes assez considérables , et quelle paraît avoir les mêmes habitudes que la nôtre; mais il dit que ce poisson, gras et huileux, est loin de valoir la sardine des mers d'Europe. La Clupéonie fasciée. (Clupeonia fasciata , nob.) Nous avons reçu des mers voisines une se- conde clupéonie distincte de la précédente, quoiqu'elle en soit assez voisine pour qu'on puisse les confondre sans un examen attentif* Celle-ci a le dos moins arrondi , le corps plus al- longé, parce qu'il est plus étroit; car la Hauteur est un peu plus de cinq fois dans la longueur totale. La tête est aussi plus longue; le museau est plus gros et plus obtus; l'œil est plus grand. Il n'y a qu'une seule carène médiane sur le devant des fron- taux. L'opercule n'a point de stries sur toute sa surface. Les nageoires diffèrent peu de celles de la précédente ; l'anale cependant paraît un peu plus courte ; elle a, en effet, deux rayons de moins. D. 20 ; A. %, etc. 550 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. Les écailles me paraissent plus rondes , la couleur bleue du dos est séparée du brillant argenté des flancs par une bandelette longitudinale noirâtre ; quelques autres bandes s'aperçoivent par reflet le long des flancs. Nous n'avons qu'un individu de cet^e es- pèce : il est long de six pouces, et a été trouvé dans la rade de Saint-Denis de Bourbon par M. Leschenault. Clupéonie de Commerson. (Clupeonia Commersoni , nob.) Une troisième espèce de ce genre a les mêmes formes que les précédentes. Son corps est assez arrondi , sans être aussi épais que celui de la grande sardine de l'Ile-de-France. La tête est petite et courte ; la dorsale est plus triangulaire; la pectorale courte et pointue; l'anale basse et longue ; la caudale fourchue. D. 13; A. 19, etc. Les écailles sont petites % rondes et tombent très- facilement. La couleur est un bleu d'acier, pâle sur le dos ; les flancs et le ventre sont argentés ; les na- geoires sont blanches; les deux pointes de la caudale sont colorées en noir très-foncé et qui tranche net- tement avec le reste de la couleur. Nous possédons trois exemplaires parfaite- ment semblables de cette jolie espèce : ils CHAP. VII. CLUPÉONIES. . 551 viennent do la rade de Bombay cl faisaient partie des collections formées par M. Polydore Roux. Cest, à n'en pas douter, l'espèce dont Commerson a laissé un dessin, si facile à re- connaître à l'exactitude du trait et aux deux taches noires de la caudale. Ce dessin a été gravé par M. de Lacépède ' sous le nom de variété du Clupanodon Jussieui. Nous avons déjà expliqué à l'article de cette espèce la transposition du dessin représentant notre première clupéonie, à une espèce toute différente établie d'après Linné. La seconde transposition que M. de Lacépède fait ici est la conséquence de la première. Je n'ai trouvé dans les manuscrits de Commerson aucun texte qui se rapporte à ce dessin ; mais l'espèce avait été certainement vue par Solander; car j'en lis une description reconnaissable dans ses ma- nuscrits sous le nom de Clupea otaitensis. Parlant de la caudale, voici les expressions de ce grand naturaliste : Pinna caudœ bifurca, apicibus loborum nigris. On l'a apporté sur le vaisseau de Cook sous le nom de Enicoha. M. Cuvier, qui avait essayé de débrouiller la confusion de Lacépède, avait proposé le nom de Clupea melanura*. J'aurais conservé cette 1. Lac, l. V, pi. 11, fig. 3. 2. Règne animal, t. II, p. 318, noie n." 2. 352 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. dénomination, si l'illustre auteur du Règne animal avait fait ses citations avec exactitude et avait distingué dune manière plus nette l'es- pèce donfil s'agit de notre Clupeonia Jussieui. La Clupéonie a bandes. {Clupeonia vittata > nob.) Nous avons encore à ajouter une espèce qui avoisine les précédentes, non-seulement par ses formes, mais par la disposition de ses cou- leurs. Elle est distincte surtout par sa dorsale plus haute ; le museau est aussi un peu plus pointu; l'anale est très-basse. D. 15; A. 20, etc. Le dessus du corps est d'un joli bleu verdàtre azuré, au-dessous une bandelette verte sépare la couleur du dos de l'argenté nacré du ventre et des flancs. L'ex- trémité du museau est jaunâtre; la dorsale a les mêmes teintes ; l'anale et la ventrale sont un peu rembrunies; la caudale est brune, avec une tache noire foncée à l'extrémité de chaque lobe. Cette tache se trouve séparée du brun de la base de la caudale par une bandelette verticale blanchâtre. Ce petit poisson, long d'environ cinq pouces, vient de l'île Vanikoro. Il a été rapporté par MM. Quoy et Gaimard lors du premier séjour qu'y fit M. Dumont d'Urville OHAP. VII. CLUPÉONIES. 355 La Clupéonie de Bloch. (Clupeonia Blochii, nob.) Bloch a représenté, dans sa grande Ichthyo- logie, à la planche 4o5 , un poisson qui appar- tient probablement à notre genre Clupéonie, autant du moins que la distribution des cou- leurs peut faire croire à cette affinité; car nous n'avons pas vu le poisson. Il le représente beaucoup plus large que n'est le corps de nos autres Clupéonies, puisque la hauteur fait à peu de chose près le tiers de la longueur to- tale. Le ventre a de fortes dentelures, semblables à celles de nos Pellones ; mais la brièveté de l'anale et la position des ventrales la font distinguer de ce genre. Ge poisson aurait le dos rembruni, les flancs rayés de dix à douze lignes longitudinales jaunes et le ventre argenté. La dorsale, jaune, a une large bordure noire et une tache triangulaire de la même couleur, peut-être un peu moins foncée, au pied des sept premiers rayons de cette nageoire. La cau- dale a la base jaune; toute la moitié externe est noire. Les pectorales, un peu plus pâles que la dorsale ou la caudale, n'ont aucune tache. Les ventrales et l'a- nale sont jaunes très-pâles. Telles sont les couleurs dont Bloch a enlu- miné son poisson. Il l'avait reçu de Tranquebar par les soins de John, sous le nom tamoul de Pojken ou 20. 2 3 354 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. à&Namalaj. Ce missionnaire lui écrivait que ce poisson atteint la longueur de dix pouces; qu'il vivait dans la mer et entrait dans les rivières; qu'il frayait au mois de mars et d'a- vril; qu'on le péchait en tout temps, mais que ceux que l'on prena.it en mai , juin et juillet étaient meilleurs que les individus pris dans les autres mois de l'année. Voilà, ce me sem- ble, tout ce que l'on peut rapporter, dans l'ar- ticle de Bloch, à l'espèce qu'il a figurée. Cet ichthyologiste a pensé, mais je ne sais en vérité sur quel fondement, qu'il pourrait reconnaître dans ce poisson le Clupea sinensis de Linné, qui paraît pour la première fois dans la dixième édition, et qui a été repro- duit sans changement jusque dans la trei- zième, et avec un caractère tellement vague, qu'il me paraît tout à fait impossible aujour- d'hui de déterminer l'espèce linéenne , à moins que l'on ne retrouve l'original de Linné. Bloch, en rapportant son poisson au Clu- pea sinensis, a ajouté à sa description une synonymie complètement fausse , car le Ha- rengus minor indiens de Willughby ' est un poisson tout à fait différent et dont nous avons déjà parlé à l'article de la Sardinelle de Nieu- 1. Will., Ichthyol, append., p. 2. t. I, fîg. 2. CHÀP. VII. CLUPÊONIES. 555 hof (S. Ncuhowii), de sorte que tout ce que Bloch dit des habitudes de ce poisson et qu'il a tiré de l'auteur hollandais que nous venons de citer, devait naturellement s'appliquer à une espèce toute différente. Ce que je ne sais pas découvrir, c'est la source où Bloch a puisé l'assertion que son espèce Clupea sinensis se trouvait à la fois sur les côtes de l'Asie et de l'Amérique. M. de Lacépède, qui n'a pas pris la peine de rechercher ces erreurs de Bloch, a fait dans cette circonstance, comme il ne lui est arrivé que trop souvent; il les a reproduites dans un langage d'autant plus trompeur, qu'il Fa embelli de toutes les harmonies de son style, en insérant cette espèce dans son genre des Clupanodon. Il résulte de cette discussion que le Clupea sinensis de Linné doit être rayé de nos catalogues, ichthyologiques , que le Clup. sinensis, figuré sous ce nom par Bloch, est une espèce différente de celle de Linné; que le Clupanodon sinensis de Lacépède doit être aussi rayé de nos catalogues ichthyolo- giques, puisqu'il repose d'une part Sur tout l'échafaudage si fautif de Bloch , et que la figure donnée sous le nom de variété du Clupanodon chinois, appartient à une tout autre espèce. 356 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. CHAPITRE YIII. Lhi genre Spratelle (Spratella). Nous avons vu que tous les os de l'inté- rieur de la bouche du White-Bait sont hé- rissés de petites dents. Le vomer est devenu lisse dans les Harengules, les Pellones et les Pristigastres. Les différences notables dans la position des nageoires et dans l'anatomie de ces trois genres, ont assis leur caractère. Dans les Clupéonies, les ptérygoïdiens et la langue portent seuls quelques dents. Les poissons que nous réunissons sous le nom de Spra- telle , nous offrent une nouvelle combinaison qui semble servir de lien à celles observées précédemment et que nous venons de rap- peler, et à celles des genres dont nous ferons l'histoire dans les chapitres suivants. Nos Spra- telles n'ont de dents à l'intérieur de la bouche que sur les palatins. et sur la langue. Nous *en avons trouvé une petite espèce parmi le nom- breux petit fretin de dupées pullulant sur nos côtes de Calvados; la seconde vient des mers de l'Inde. CHAr. VIII. SPRATELLES. 357 La Spratelle naine. (Sprcdella pumila , nob.) La petite Spratelle de nos côtes de Nor- mandie a la forme de nos harengs ou de nos Sprats; elle est cependant un peu plus allongée ; car la lon- gueur totale contient presque six fois' la hauteur. La tète , un peu plus longue que cette dernière me- sure, est triangulaire, a le museau pointu, et n'est comprise que quatre fois dans la longueur du corps, la caudale exceptée, et, avec cette nageoire elle y est quatre fois et deux tiers. La mâchoire supérieure est, comme a l'ordinaire, un peu plus courte que l'inférieure : il y a des dents sur la langue et sur les palatins seulement ; les autres os sont lisses. Je ne » vois ni stries ni veinules sur l'opercule , ni sur les autres os de la joue. La dorsale est reculée sur la seconde moitié du corps; les ventrales répondent à son premier rayon ; l'anale est basse. B. 6; D. 16; A. 18; C. 25; P. 14; V. 7. Les écailles devaient être fort petites. L'exemplaire que j'ai eu sous les yeux les a toutes perdues. Les pièces de la carène du ventre sont tranchantes et leur pointe est très -aiguë; mais les côtés du che- vron sont beaucoup plus courts que ceux des autres espèces voisines : nous en comptons trente- trois. La couleur est un bleu plombé, foncé au-devant de la dorsale, plus pâle et plus fondu sur la queue; 358 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. les flancs, le ventre et les joues brillent du plus bel éclat d'argent mât. Je vois sur la dorsale et la cau- dale un fin sablé noirâtre qui rend ses nageoires un peu grises ; les autres sont blanches ou jaune pâle. J'ai vu un petit nombre d'exemplaires de ce joli petit poisson bien nettement caracté- ! risé : il est long de trois pouces et demi. On l'a pêche sur les côtes du Calvados, non loin de Gaen. Il ne serait pas impossible que Du- hamel ait représenté cette espèce sous le nom de Harenguette de Caen. Ce qui est certain, c'est que la Harenguette de Duhamel n'est pas de la même espèce, que ces Harenguettes qui nous sont venues en très-grande quantité de ce même lieu, et que nous avons reconnues, par l'examen de la dentition , être certaine- ment de jeunes harengs. Les Blanquettes dq> même lieu, et que l'on pêche avec ce petit fretin , est notre ffarenguîa latulus. C'est , comme nous l'avons dit, très-probablement la menuise de Granville, de sorte que je ne vois dans Duhamel1 que sa Harenguette qui puisse être rapportée à notre poisson. 1. Duhamel, 2/ partie, $. 111,. pi. 16. %. 9. ÇHAP. VIII. SPRATELLliS. 554J La SPRATELLE FRANGÉE. ( Spratella fimbriata , nob.) La seconde espèce de ce genre parait, d'a- près les notes que nous a communiquées M. Dussumier, être une de ces clupëes abondantes sur la côte malabare, qui y rend les mêmes services que la sardine en Europe. Ce poisson, de forme élégante et régulière, a le ventre un peu plus arqué que le dos; le corps vu de profil, se présente comme une ellipse allongée, dont la plus grande hauteur se mesure à la racine du pre- mier rayon de la dorsale ; elle est contenue quatre fois et trois quarts dans la longueur totale ; l'épais- seur n'est que le tiers de la hauteur. La tête est courte, un peu plus petite que le cinquième de la longueur du corps entier. L'œil est sur le haut de la joue, de grandeur moyenne, et recouvert par une paupière adipeuse très -marquée. La bouche est pe- tite ; la mâchoire supérieure est un peu plus courte que l'inférieure : il n'y a pas d'échancrure entre les deux intermaxillaires. Les dents sont d'une petitesse excessive, c'est à peine si on en sent à la mâchoire inférieure ; il y en a de petites sur les palatins et sur une petite bande longitudinale dans le milieu de la langue. Le préopercule est grand ; son bord posté- rieur est droit et vertical ; il descend jusqu'à l'inser- tion de la pectorale. L'opercule et le sous-opercule forment ensemble une grande plaque rectangulaire, dont l'angle touche presque à l'aisselle de la pectorale. 360 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. On ne voit que quelques veinules sur la surface de ces os; mais il n'y a point de véritables stries. La membrane branchiostège est tronquée en arrière et fortement entaillée. La dorsale est courte, ses der- niers rayons sont un peu prolongés, ce qui rend le bord libre, tout à fait concave. Les écailles forment une rainure dans laquelle se trouvent cachés presque en entier les derniers rayons. L'anale est très-basse ; la caudale est fourchue; les ventrales et les pectorales petites : elles ont dans leur aisselle des écailles rele- vées, qui forment aussi une petite carène sous la- quelle elles peuvent s'appliquer. B. 6; D. 20; A. 20; C. 25; P. 16; V. 8. Les écailles sont serrées et fortement imbriquées; la portion radicale est de beaucoup plus grande que la portion libre ; sa surface a quatre ou cinq fortes stries verticales ; le bord libre et frangé ; le milieu fait une saillie obtuse, et également frangée. La cou- leur est verdâtre sur le dos avec quelques reflets dorés; les flancs, le ventre et les opercules sont ar- gentés à reflets irisés et nacrés. La carène du ventre se compose de pièces assez larges, très - fortement imbriquées, et ne donnant en arrière qu'une pointe courte, peu saillante, de sorte que la dentelure du ventre est plus sensible au tact qu'elle n'est facile à apercevoir. Nos individus ont tous six pouces de lon- gueur : ils viennent de la côte de Malabar, d'où ils ont été rapportés par M. Dussumier. Nous trouvons dans les notes de ce voya- CHAP. VIII. SPRATELLES. 3G1 geur que ce poisson, désigné sous le nom de Sardine, est fort bon; son goût est à peu près le même que celui de la sardine du golfe de Gascogne; l'espèce indienne est cependant moins grasse. De passage sur la côte malabare pendant la mousson du N. E. , elle y est très- abondante et sert à alimenter les pauvres In- diens; ils en obtiennent pour la valeur d'un sou, une quantité suffisante pour nourrir toute leur famille, en y mêlant du riz. On prétend que ce poisson contribue beaucoup à faire naître les maladies cutanées qui tour- mentent les habitants pauvres et malheureux de cette côte. L'abondance de cette sardine pourrait offrir des ressources pour la mauvaise saison, si les Indiens savaient la préparer de manière à la conserver comme nous le faisons en Europe; mais ils ne savent pas la préparer parce que le corps est trop gras pour être séché, et qu'ils n'ont pas les moyens de le priver de son huile. Il est à remarquer que ce poisson, qui ar- rive périodiquement et régulièrement sur la côte, a manqué deux saisons de suite vers 1822 et 1823. C'est ce que nous observons sur nos côtes pour les harengs et nos sardines. 562 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. CHAPITRE IX. Du genre Ko val (Kowala). Voici encore une nouvelle combinaison dans la disposition des dents des clupéoïdes. Il y en a dans ces espèces de petites dents sur les mâchoires et sur les ptérygoïdiens seulement. Je n'en ai pas vu sur la langue, sur le vomer ni sur les palatins. Du reste, pour l'ensemble des formes, pour la carène du ventre, et à peu de chose près, pour les couleurs, ces petits pois- sons ressemblent à tous les précédents. On n'en possède que deux espèces dans la collec- tion, du Jardin des plantes. Il me paraît hors de doute que l'une de ces deux espèces est le poisson ligure par Russell sous le nom de Kowal J'ai latinisé cette expression pour en faire la dénomination de ce petit groupe. Le KOVAL ALBELLE. {Kowala albella, nob.) Ce petit poisson a le corps elliptique, le dos épais et un peu arrondi, le ventre comprimé et tranchant; la hauteur est trois fois et demie dans la longueur totale ; la tête est courte, LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. CHAPITRE X. Du genre Melette {Meletta). Après toutes les combinaisons de dents implantées sur les diverses pièces de la bouche d'une clupée, il nous restait encore à épuiser celle-ci. La nature nous là montre sur plu- sieurs espèces. La dentition est réduite à une bandelette d'aspérités sur la langue seulement. Nous arrivons donc peu à peu à l'absence complète de dents que les. aloses présentent comme caractère. Nous trouvons des espèces de ces petits poissons sur nos côtes de l'Océan ou de la Méditerranée, et une grande et belle espèce, que l'on confondrait facilement avec les alo- ses, vit dans les eaux douces de l'Amérique septentrionale. La Melette commune. {Meletta vulgaris, nob.) Nous trouvons aussi parmi nos petites du- pées une espèce qui a le corps allongé; car la hauteur du tronc est comprise cinq fois et un tiers dans la longueur to- tale. Portée sur la tête, cette hauteur atteint jusqu'au CHAP. X. MELETTES. 567 bord du préopercule seulement : la tète est par con- séquent longue; elle mesure un peu moins du quart de la longueur totale. L'œil est assez grand. Il n'y a aucune strie sur l'opercule ni sur les autres pièces de la joue. La mâchoire inférieure dépasse un peu la supérieure. Nous ne voyons de dents que sur l'extrémité de la langue. Nous avons examiné avec le plus grand soin les différents os du palais; il nous a été impossible de découvrir une seule dent sur le vomer , les palatins ou les ptérygoidiens. Les na- geoires sont placées a peu près comme dans les harengs; cependant, quand on ouvre la ventrale, on voit qu'elle est insérée un peu au-devant de la dor- sale : l'anale est très - basse. Il faut remarquer avec soin que, dans ces melettes, le bord de la fente de l'ouïe est parfaitement régulier; que la membrane branchiostège ne fait pas au-dessous cette saillie qui forme cette espèce de troncature ou de grande en- taille , si caractérisée dans la sardine et un grand nombre d'autres clupées, et dans laquelle s'insère en quelque sorte la pectorale. Le bord de l'opercule seul a vers le haut une faible sinuosité rentrante. B. 7;D. 18; A. 20; G. 25; P. 14; V. 7. Les écailles sont excessivement minces, et n'ont d'autres stries que celles de l'accroissement; comme dans toutes les autres clupées, elles tombent très- facilement. La couleur, devenue bleue sur le dos après la mort, reste d'un argenté très - brillant sur tout le reste du corps. Les nageoires sont un peu jaunâtres. L'extrémité du museau est noire, et me paraît plus fortement colorée que dans beaucoup 368 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. d'autres petites clupées. La carène du ventre est très- aiguë ; elle a trente et un chevrons assez pointus. Je crois avoir indiqué, autant qu'on peut le faire par des paroles, les principaux traits caractéristiques de ces melettes, qui se distinguent presque unique- ment de toutes les autres clupées par la dentition. Nous avons compté les vertèbres j il y en a quarante- sept. Ce nombre est très-différent de celui des jeunes harengs, qui est de cinquante -six, de nos blan- quettes qui en ont quarante-quatre ; mais il se rap- proche de celui du sprat qui en a quarante-huit; mais les sprats ont des dents sur les palatins. Nos plus grands individus n'ont que trois pouces et demi. Ces petites melettes me paraissent très-fré- quemment tourmentées par une espèce de Lernée qui s'attache à leurs yeux, sur le dos ou indifféremment sur d'autres parties du corps. Elles nous sont venues en grand nombre de La Rochelle par les soins de M. d'Orbigny. Nous avons été assez heureux pour retrouver ce poisson parmi de jeunes harengs que MM. les docteurs Eudes Deslongchamps et Four- neaux nous ont envoyés de Caen. M. Cuvier les a confondus avec le harenguet ou avec le sprat. En examinant avec soin les planches de Duhamel, nous croyons reconnaître notre CHAP. X. MELETTES. 5G9 espèce dans la figure qu'il a donnée sous le nom de Melette. * La Melette de la Méditerranée. (Meletta mediterranea , nob.) Nous avons reçu de la Méditerranée, sous le même nom de Melette, un petit poisson que l'on confondrait aisément avec le précé- dent, et à plus forte raison avec les autres petits clupéoïdes dont nous avons précédem- ment parlé, si l'on ne faisait attention au ca- ractère que nous tirons de sa dentition. Celle-ci, en effet, n'a de dents que sur la langue : voilà ce qui en fait une melette. Elle se distingue de la melette vulgaire , parce que ses dents sont im- plantées sur une ligne longitudinale aussi longue que le corps de l'os lingual, tandis que dans les nom- breux individus de melette vulgaire, nous n'avons trouvé de dents qu'à l'extrémité de la langue. Ce petit poisson nous paraît d'ailleurs avoir le corps plus trapu, le dos plus arrondi, la tête un peu plus allongée. La membrane branchiostège fait , avec le sous -opercule, cette échancrure si fréquente dans . les sardines et plusieurs autres clupéoïdes; mais ces légères différences ne nous auraient pas paru assez grandes pour en faire des caractères spécifiques, si 1. Duhamel, Pêches, 2.e partie, §. 3. pi. 16. fig. 6. 2 0. 24 570 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. nous n'en avions trouvé de plus importants dans la dentition. B. "7;D, 18; A. 18 ; C. 25; P. 14; V. 9. Les couleurs de ce petit poisson ressemblent à celles de tous ses congénères; mais les écailles sont plus fortement striées , elles ont surtout trois fortes stries verticales, dont on ne voit aucune trace dans la melette commune. Le Cabinet du Roi en possède des individus qui ont été envoyés de Toulon par M. Banon, et de Marseille par M. Roux. La Melette du Sénégal. (Meletta Senegalensis 3 nob.) Cette petite espèce du Sénégal est très- distincte des dçux précédentes par sa forme élargie. La hauteur est un peu moins de quatre fois dans la longueur totale. La tête est grosse et haute; les dents linguales sont très-petites et vers le fond du gosier; la dorsale est assez haute et assez large; les rayons des nageoires sont un peu différentes.- B. 7; D. 18; A. 22; C. 25; P. 16; V. 8. Le dos est bleu ; le ventre est argenté ; les nageoires sont brunes: le bord de la dorsale et l'extrémité de la caudale sont même un peu noirâtres. Ces poissons n'ont que trois pouces : ils nous ont été envoyés du Sénégal par M. le CHAP. X. MELETTES. 574 contre-amiral Jubclin, qui a été gouverneur de cette colonie. La Melette d'automne. (Meletta matowacca ; Clupea matowacca, Mitch.) Le Matowacca , que les Américains des États-Unis appellent aussi Hareng d'automne ou Hareng-alose _, a effectivement une forme allongée, qui tient un peu de celle du hareng, en même temps quelle rappelle un peu celle de l'alose. Les taches quelle porte sur les flancs ajoutent encore à la ressemblance qu'elle a avec ce dernier poisson. Le corps est en général allongé, à profils du dos et du ventre à peu près également convexes. Je trouve dans un individu que la hauteur est comprise quatre fois et demie dans la longueur totale , tandis que dans un autre elle n'y est que quatre fois et un tiers. Ces légères différences , plus visibles à l'œil que grandes au compas, dépendent très -probablement de l'état de plénitude du poisson. La tête est courte, un peu plus' longue que le cinquième de la longueur totale. Comme dans la plupart de nos autres clupées, la mâchoire inférieure dépasse la supérieure; celle-ci a une assez forte échancrure ; l'œil est recouvert par des paupières adipeuses assez épaisses, et ces mem- branes muqueuses 's'étendent sur presque toute la joue : si on les enlève pour mettre les os à nu , on trouve un préopercule très- grand, arrondi en des- 372 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. sous et vers son angle , cachant presque en entier l'interopercule, un opercule à surface profondément strié et un sous-opercule rhomboïclal. Nous ne trou- vons de dents que sur la langue; elles sont disposées sur une bande étroite, longitudinale, et aussi faciles à voir que sensibles au toucher. La pectorale est triangulaire, pointue; la ventrale, petite, répond au septième rayon de la dorsale : celle- ci. est de mé- diocre grandeur, irrégulièrement trapézoïdale, trois fois plus haute de l'avant que de l'arrière. La caudale est fourchue et couverte en grande partie de petites écailles. D. 18 (Dekay n'a dit que 1); A. 20; C. 29 ; P. 16 ; V. 9. Celles du corps sont minces , très-largement imbri- quées ; aussi sont-elles assez persistantes. Les pièces de la carène abdominale sont au nombre de trente- six; les côtés du chevron sont grêles et élevés; l'épine est courte. La couleur es,t un vert foncé sur la partie dorsale, passant au jaune sur le haut des flancs et se fondant dans l'irisé bleuâtre des flancs , qui sont fortement argentés. Des séries de points noirs for- ment une douzaine de petites lignes longitudinales, dont les traces se conservent très -bien sur le pois- son gardé pendant longtemps dans l'alcool. Lorsque les écailles sont tombées , on aperçoit une série de cinq à six taches bleuâtres foncées sur le haut des flancs : la tache de l'épaule est plus grande et plus grosse. La dorsale et la caudale sont d'un brun oli- vâtre plus ou moins foncé. L'individu que j'ai ouvert était un mâle dont les laitances étaient presque entièrement vides. L'examen CHAP. X. MELETTES. 373 du canal digestif m'a fait voir que l'œsophage est large et court , que l'estomac est un sac conique , obtus à son extrémité. Ce viscère atteint près des trois quarts de la cavité abdominale ; sa branche montante est aussi courte que l'œsophage et remonte jusque sous le diaphragme. L'intestin a ses parois minces et ne fait guère que deux replis ; le duodénum est garni de chaque côté de très -nombreuses appendices cœ- cales disposées sur deux rangs , mais en nombres inégaux; il n'y en a guère que dix ou douze du côté gauche , tandis qu'à droite il y en a trente - six au moins. Ces cœcums sont grêles et longs. La commu- nication de l'estomac avec la vessie aérienne se fait par un canal étroit qui remonte obliquement de l'estomac vers la vessie, en naissant tout près de la pointe, mais en n'étant pas, comme dans notre alose où comme dans le hareng , dans la direction de l'estomac, et n'ayant pas l'air par conséquent d'en former le prolongement. La «vessie elle-même est très-grande, presque cylindrique, terminée en pointe seulement aux deux extrémités. L'estomac était rem- pli de petits poissons , parmi lesquels nous avons facilement reconnu du frai de muge. L'exemplaire qui a servi à cette descrip- tion , est long d'un pied : il a été pris à l'em- bouchure de la rivière d'Hudson; il a été donné au Cabinet du Roi par M. le comte de Castelnau. L'espèce me paraît occuper une grande étendue aux États-Unis, puisque M. le doc- 374 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. leur Dekay l'a décrite parmi ses poissons de New -York, et que nous en avons reçu des exemplaires de Charleston, de la Caroline du sud, par M. le. docteur Holbrook. ha Melette veinée. (Meletta venosa, nob.) Nous avons reçu des mers de l'Amérique septentrionale une autre melette dont le corps est plus trapu, la tête plus large et plus courte que celle du matowacca. La hauteur du tronc est un peu plus longue que la tête, et est comprise quatre fois et un quart dans la longueur totale. L'œil est tout à fait sur le haut de la joue : il est assez grand. Je ne vois pas de stries sur les opercules; mais une espèce de peau adipeuse qui les recouvre, en s'avançant jusque sur le globe de l'œil, est traversée par de nombreux vais- seaux muqueux dessinant sur la joue des veines très- rapprochées. Il n'y a de dents que sur la langue. Les nombres sont : B. 7;D. 17; A. 18; C. 25; P. 16; V. 9. Ce poisson paraît avoir quelques rayures longi- tudinales perdues dans la teinte rembrunie du dos; les flancs sont argentés; la dorsale et la caudale sont brunâtres ; l'anale est plus pâle; les nageoires paires sont jaunâtres. Nos exemplaires ont cinq pouces et demi CHAP. X. MELETTES. 575 de long : ils ont été envoyés de New-York par M. Milbert, La Melette de Lesueur. (Mêle t ta Sucer ii, nob.) Le naturaliste, auquel nous dédions cette espèce, nous a envoyé deux individus qu'il avait pris dans le Wabash , l'un des grands affluents du Mississipi : elle ressemble, par sa forme trapue, par son dos arrondi, à notre petite melette de Toulon. La hauteur du tronc est égale à celle de la tête, et elle est comprise quatre fois et demie dans la longueur totale. Les dents sont sur le devant de la langue. D. Il; A. 21; C. 23; P. 17; V. 9. La couleur est roussâtre sur le dos, argentée sur le reste du corps : les nageoires paraissent jaunâtres. Nos individus ont trois pouces et quelques lignes de longueur. La Melette a museau obtus. (Meletta obtusirostris , nob.) Nous trouvons aussi des melettes dans les mers de l'Inde. Celle que nous ferons con- naître en premier 576 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. est remarquable par la grosseur de la tête, dont le front est convexe et dont le museau est gros et obtus. La mâchoire inférieure dépasse très -peu la supé- rieure. L'œil est en partie caché sous une adipeuse épaisse qui couvre presque toute la joue : cette mem- brane n'a presque pas de veinules ; mais sa surface est recouverte d'un nombre considérable de petites granulations très -fines, qui pourtant s'aperçoivent bien à l'œil nu. Il y a une échancrure sur le haut de l'opercule ; la membrane brancliiostège est coupée carrément sous l'interopercule; la pectorale est in- sérée sous la tête de manière à toucher au sous-oper- cule; la ventrale répond au milieu de la dorsale ; l'anale est très-basse. D. 17 ; A. 18 , etc. Les écailles sont grandes et fortes , assez adhé- rentes; elles ont trois ou quatre stries verticales sur la racine. La couleur , verdâtre sur le dos , est ar- gentée sur le reste du corps. Ce poisson est très-abondant aux Séchelles : M. Dussumier nous en a rapporté de nombreux exemplaires qui ne dépassent pas six pouces : on y nomme l'espèce Sardine. La Melette de la Nouvelle-Hollande. (Meletta Novœ Hollandiœ 3 nob.) Nous retrouvons de ces melettes jusque sur les côtes de la Nouvelle-Hollande. Cette espèce me paraît avoir le corps plus allongé CHAP. X. MELETTES. 377 que celles décrites précédemment; elle ressemble davantage à la melette vulgaire; elle a, comme celle-ci, la fente de l'ouïe courbe et régulière, sans que la membrane brancliiostège soit coupée carrément sous la gorge. D. 18; A. 19; C. 25; P. 16; V. 7. Les écailles sont caduques et n'ont pas de stries. La couleur est d'un gris bleuâtre sur le dos, argentée sur les flancs et le reste du corps. L'espèce a été rapportée du port Jackson par MM. Quoy et Gaimard, de l'expédition commandée par M. Freycinet. La Melette venimeuse. {Meletta venenosa, nob.) Cette espèce a le corps trapu; les flancs assez arrondis. La hauteur, à peine supérieure à la lon- gueur de la tête , est contenue quatre fois* et un quart dans la longueur totale. La dorsale a le bord un peu concave. L'anale est courte et basse. Le museau est gros, obtus. La mâchoire inférieure un peu relevée; la mâchoire supérieure est large. D. 18; A. 18; P. 8; V. 15. Les écailles sont petites : on en compte quarante- quatre entre l'ouïe et la caudale. La couleur est un bleu verdâtre sur le dos, avec quelques traces de lignes longitudinales plus ou moins effacées. Les flancs sont argentés. Le bout du museau est noir; il y a aussi une petite tache noire à l'extrémité supé- 378 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. rieure des premiers rayons de la dorsale. La caudale est jaunâtre; les autres nageoires sont incolores. Nos plus grands individus sont longs de cinq pouces. Ils ont été rapportés des Séchelles par M. Dussumier, qui nous apprend par les notes recueillies sur les lieux, que cette espèce a la chair venimeuse : les personnes qui en man- gent sont prises de vomissements, qui attei- gnent quelquefois une telle gravité, que l'on a vu des personnes y succomber. 11- faut avoir bien soin de distinguer ce poisson d'une autre espèce que l'on pêche en très-grande abon- dance dans la même rade, qui y est aussi estimée , et y rend les mêmes services que nos sardines. Cette espèce me paraît d'ailleurs répandue dans la mer des Indes; car M. Le- guillon, chirurgien à bord de la corvette la Zélée, en a rapporté un assez grand nombre d'exemplaires qu'il a pris pendant la campagne de l'amiral Dumont d'Urvilie. La Melette lile. {Melelta lile, nob.) Cette espèce est remarquable par son ventre tranchant, dont le profil est Irès- concave, tandis que celui du dos est presque droit. CHAP. X. MELETTES. 579 La plus grande hauteur se mesure un peu en avant de la dorsale, et elle est comprise trois fois et deux tiers dans la longueur totale. L'épaisseur n'est pas tout à fait le quart de la hauteur. La tête est petite, sa longueur est comprise cinq fois et demie, dans celle du corps entier. La bouche est petite; la mâ- choire inférieure dépasse de très-peu la supérieure. Je ne sens pas de dents sur la mâchoire supérieure, mais je crois qu'il y en a de très -petites sur l'in- férieure. La langue en a aussi une bandelette longi- tudinale. Les ventrales sont petites et insérées sous l'aplomb du premier rayon de la dorsale. Cette na- geoire est quelque peu écailleuse, et je fais la même remarque sur la caudale, qui est fourchue. Nous n'avons compté que cinq rayons à la membrane hranchiostège. B. 5; D. 14; A. 17; C. 21; P. 12; V. 7. Il y a quarante rangées d'écaillés le long des flancs : elles tiennent beaucoup plus fortement que dans la plupart des autres clupées. Dans l'alcool , le poisson paraît roux avec une bandelette argentée le long des flancs. Les opercules et. la carène du ventre ont ce même brillant métallique. La caudale est bordée de noir; mais M. Dussumier, qui l'a vu frais, nous dit que la plus grande partie du corps est d'un blanc transparent; que la ligne latérale est opaque et marquée par une bandelette argentée à reflets de nacre rosé. Ces reflets sont dus à la bor- dure rose des écailles de cette partie du corps, mais on n'aperçoit rien de semblable sur le dos. Toutes les nageoires sont blanches, transparentes, à l'excep- tion de la caudale. 380 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. La taille varie de quatre à cinq pouces. Ce poisson est très -commun sur toute la côte malabare , où les pêcheurs l'appellent Cooba. M. Dussumier dit qu'on mange ce poisson sur la côte, préparé en friture, de la même manière que nous apprêtons nos gou- jons. L'espèce se trouve aussi sur la côte de Goromandel. C'est de Pondichéry que nous avons reçu les premiers exemplaires par les soins de M. Leschenault. Le nom que porte ce poisson en langue tamoule est Matti-lile. Le Cailleu tassart. {Meletta thrissa, nob.) Nous allons décrire maintenant un de ces poissons qui prouvent combien l'examen su- perficiel d'un caractère artificiel peut causer d'erreurs en histoire naturelle. Quiconque examinera cette espèce, verra dans la forme , générale du corps, dans celle de la tête, des mâchoires, une espèce voisine des Aloses. Si l'examen devient plus minutieux, on rétrouve la dentition des Melettes, avec lesquels ce poisson a effectivement les plus grands rap- ports. Son caractère spécifique sera tiré du prolongement du dernier rayon de la dorsale. Que l'on s'en tienne seulement a ce signe CHAP. X. MELETTES. 581 extérieur, on réunira dans le même genre cette espèce de Melette à dorsale filamen- teuse avec d'autres poissons de la mer des Indes à ethmoïde proéminent, à mâchoire sans dents, et qui n'ont de commun avec ce poisson que le prolongement sétacé du der- nier rayon de la dorsale. Si l'on groupait ces poissons entre eux dans un même genre, il fau- drait y réunir aussi, pour être conséquent avec soi-même, les Mégalopes, qui sont cependant si différents qu'on n'a pas hésité à les séparer. L'étude de cette espèce est donc importante en ichthyologie; elle est une des preuves qui fixent la philosophie de la science, Avant de discuter sa nombreuse syno- nymie, nous allons faire connaître les carac- tères de cette espèce abondante dans les mers d'Amérique. Elle a le corps en ovale assez régulier. La hauteur, mesurée sous la dorsale, est le quart de la longueur totale. La tête est courte : elle est comprise cinq fois et un tiers dans cette même longueur. La mâ- choire supérieure est échancrée dans le milieu sans dents; l'inférieure dépasse un peu la supérieure, et elle est de même sans dents. Il n'y en a pas non plus au palais, mais la langue en porte quelques petites sur une rangée longitudinale; quoique pe- tites, leur présence est incontestable. La dorsale est insérée un peu en avant du milieu de la longueur 382 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. totale : ses premiers rayons sont six à sept fois plus hauts que les derniers, ce qui la rend pointue de l'avant ; mais le dernier s'allonge en un long fila- ment, qui rappelle tout à fait ce que nous avons observé déjà dans le genre Mégalope et ce que nous retrouverons dans les Chatoessus. Ce rayon , dans quelques individus, atteint quelquefois tout près de la caudale, et il n'a pas tout à fait le- tiers, mais les deux septièmes de la longueur totale du corps. L'anale est basse et peu étendue; la caudale est- profondément fourchue; les nageoires paires sont petites. B, 6; D. 19; A. 23; C. 25; P. 16; V. 8. La couleur de nos individus est verdâtre sur le dos, argentée sur les flancs. Les nageoires dorsale et caudale sont vertes comme le dos; les autres nageoires sont plus pâles. Une tache plus ou moins marquée, mais cependant facile à retrouver sur tous nos individus, existe sur l'épaule, et on trouve quelquefois des exemplaires qui ont une série de taches le long des flancs, de sorte que nous retrou- verions dans cette espèce, relativement aux taches, des variations analogues à celles que nous avons ob- servées dans nos Aloses et dans d'autres Clupéoides. Nous avons reçu de bons exemplaires de cette espèce, de New-York, par les soins de M. Milbert. M. Ricord l'a envoyée de Saint- Domingue, M. Lhermmier de la. Guadeloupe, MM. Plée et Achard de la Martinique, et CHAP. X. MELETTES. 383 enfin nous la voyons s'avancer jusqu'au Bré- sil, d'où M. Delalande en a rapporté. Nous savons aussi, par un dessin de M. Poey, que l'espèce se trouve à la Havane où on l'appelle Machuelo. C'est, dit-il, l'espèce de la sardine la plus estimée, très-abondante principalement dans les ports. Sa chair est Ijonne et solide, étant peu mêlée d'arêtes. M. Lherminier l'appelle le Cailleïi- Tassart de la Guadeloupe ; il dit que cette espèce est bonne , mais un peu suspecte, parce qu'elle vit dans les ports. La dénomination de M. Lherminier nous met sur la voie de recon- naître dans ce poisson celui que Duhamel ' a figuré sous ce même nom de Cailleu-Tas- sart, et qu'il avait reçu de la même colonie par les soins de son correspondant, M. le conseiller de Barbotteau. Il est juste de dire cependant, que la figure faite par les soins du magistrat qui employait ses loisirs à l'étude de l'histoire naturelle, est fort exacte et par- faitement reconnaissable. Mais l'espèce avait été signalée aux naturalistes longtemps avant, d'abord par Brovvn dans l'Histoire de la Ja- maïque2, et peut-être aussi par Osbeck3; 1. Duhamel, Traité des pêches, S- Ul> P1- 31, fîg. 3. 2. Brown , Nat. hist. of.Jnmnic. , p. 443. 3. Osbeck, Reise, p. 336. 584 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. mais il ne me parait pas probable que ce soit le Clupea tlirissa des Aménités acadé- miques1. Il me semble hors de doute que l'auteur de ces descriptions n'aurait pas man- qué de signaler le prolongement du dernier rayon de la dorsale. Il y a d'ailleurs une autre présomption dé- duite de ce que tous les animaux décrits dans la thèse de Odhel viennent de la mer des Indes. Il résulte de ces observations, qu'on peut supposer que Linné a composé, dans la dixième édition, un Clupea tlirissa, avec plu- sieurs espèces appartenant à des genres diffé- rents, et cela devient hors de doute pour la douzième édition, où Linné y associe une espèce de la Caroline, qui lui était envoyée par Garden, et qui a trente-quatre rayons à l'anale. Bloch a aussi un Clupea tlirissa, qu'il représente en copiant un dessin du P. Plumier. Il représente assez exactement notre espèce, appelée Halex festucosus. Mais l'inscription, copiée par Bloch , semblerait prouver que cet observateur ou quelques habitants de la Martinique le confondaient avec le Mégalope sous le nom vulgaire de Savalle. D'ailleurs, la synonymie de Bloch est la même que 1. Amœn. acad., t. IV, p. '^61 . n.° 30. ÇBAP. X. MELETTES. 585 celle de Linné, avec toutes ses erreurs. C'est également ce qu'a fait Broussonet, qui a donné quelques années avant Bloch une bonne figure du poisson .et une description remarquable pour l'exactitude de ses détails. Cette ligure a été copiée par Bonnaterre dans l'Encyclo- pédie. On a reproduit cette copie dans le Dictionnaire des sciences naturelles, en l'alté- rant un peu , sous le nom de Megalope Cailleu- Tassart. Le Clupea tlirissa est donc plus déterminé par les figures de ces deux ou- vrages que par la dénomination de Linné. D'ailleurs les synonymies erronnées qui ont été réunies sous ce Clupea thrissà, expliquent comment on transporte, dans les livres, un poisson propre aux côtes américaines, dans les mers de Chine et du Japon, erreur qui est répétée dans l'histoire naturelle des pois- sons de Lacépède. M. Cuvier avait d'abord eu l'idée de faire du Clupea thrissa une espèce du genre Me- galope. C'est ce qui a déterminé M. Agassiz l à publier sous le nom de Megalops thrissoides le poisson appelé par Spix Clupanodon thris- soides; car M. Cuvier dans sa correspondance avec M. Martius en parlait sous la dénomina- 1. Agassiz, Pisces brasil. , p. 45, fig. 22. 20. 2 5 586 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. tion de Megalops tenuijîlis, parce qu'il l'op- posait au véritable Mégalope dont le filet dorsal est beaucoup plus gros. C'est sur l'impulsion de cette première di- rection, que M. Lesueur1, qui a observé ces différents poissons abondant aux Etats-Unis, les a décrits sous le nom de Megalops oglina et de M* notata. Cette seconde espèce nomi- nale a été établie sur quelques notes prises en passant à la Guadeloupe, et sur lesquelles il n'avait pas indiqué le nombre des rayons. M. Lesueur à cette époque n'avait aucune idée du genre Chatoessus, puisqu'il réunit au Cailleu-Tassart une espèce de l'autre genre qu'il a dédié à M. de Lacépède sous le nom de Megalops Cepediana. Une étude trop rapide et préparatoire de notre grande Ichthyologie , fit comprendre à M. Cuvier que l'on devait distinguer des Mé- galopes ces espèces à bouche petite et sans dents, où le dernier rayon de la dorsale se prolonge en filament, et c'est ce qui lui fit établir dans la seconde édition le genre des Cailleu-Tassart, qui a été adopté par presque tous les naturalistes. Or, tel qu'il est composé aujourd'hui, le genre des Chatoessus, fondé 1. Lesueur, Journ. des se. nat. , p. 359 et 361. CHAP. X. MELETTES. 387 principalement sur un caractère artificiel, comprend des espèces disparates et assez éloignées les unes des autres. M. Cuvier a saisi quelques traits caractéristiques de cer- taines espèces,* mais les zoologistes reconnaî- tront qu'il n'en a point exprimé les caractères et qu'il n'a pas bien déterminé la synonymie des espèces indiquées dans sa note. Ce travail a servi de guide aux naturalistes américains, qui ont accepté sans aucune critique le genre proposé par M. Cuvier. Ainsi l'on voit pa- raître dans le Synopsis des poissons de l'Amé- rique de M. Storer, un Chatoessus oglina, un Chatoessus notatus de Lesueur, associés aux espèces du genre Chatoessus tel que nous l'entendons. C'est aussi d'après la même pen- . sée que M. Dekay, dans sa Faune de New- York, a établi notre espèce sous le nom de Chatoessus signifer, qu'il croit, mais à tort, différent du Megalops oglina de Lesueur. Toute cette confusion de synonymie dis- paraît, lorsque l'étude des dents établit que le Caïlleu-Tassart est un poisson voisin des Aloses , et qu'il appartient au genre du Clu- pea Mattowacca des Américains. Nous avons dit plus haut que M. Poey in- diquait ce poisson comme recherché à la Havane. M. Plée apprend que c'est le poisson 388 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. connu à la Martinique sous le nom de Hareng, et que sa chair est assez bonne. Mais M. Ricord et M. Lherminier disent qu'à la Guadeloupe et à Saint-Domingue cette espèce est quel- quefois suspecte à cause de sa 'fréquence dans le port, et qu'on préfère en général les espèces de haute mer. CHAP. XI. ALOSES. 581) CHAPITRE XI. Du genre Alose (Alausa). Après toutes les coupes génériques dont j'ai exposé les caractères tirés de la dentition, j'ar- rive aux espèces de clupéoïdes qui n'ont plus de dents sur aucune des pièces osseuses du palais ou de la langue, qui n'en ont plus même que de petites et caduques sur les mâchoires, et qui constituent, dans ma manière de voir, le genre des Aloses. Je justifie donc ici ce que j'ai dit au commencement de cette famille, que cette coupe générique est naturelle, né- cessaire à établir parmi les clupées. Son carac- tère ne doit point porter sur l'échancrure de la mâchoire supérieure, parce que d'autres espèces à palais hérissé de dents ont, comme elles, le haut de la bouche échancré. Je ne suis pas le premier qui ait assigné aux Aloses le caractère que je viens d'exprimer. Je le trouve dans la grande Ichthyologie de New- York, publiée par M. Dekay. Il n'y aurait aucun reproche à faire à ce savant ichthyolo- giste, s'il n'avait pas décrit dans un genre si nettement caractérisé des espèces qui , de son propre aveu, ont la langue hérissée de petites dents. 590 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. Le caractère assigné aux Aloses les sépare . nettement des autres dupées à ventre tran- chant et dentelé en scie. Elles ressemblent d'ailleurs, par tout le reste de leur organi- sation à nos harengs. Elles ont un estomac assez grand , pointu , donnant naissance à une branche montante à parois charnues. Il y a de nombreux cœcums au pylore. L'in- testin ne fait que deux replis. Une grande vessie natatoire simple , pointue aux deux ex- trémités , renflée dans sa partie moyenne , communique avec l'estomac par un canal pneumatique ouvert à l'extrémité conique de ce viscère. L'extrémité antérieure de la vessie ne dépasse pas la troisième vertèbre ; elle ne s'a- vance en aucune façon sous le crâne au delà du basilaire, pour atteindre le vomer, ainsi que l'a exprimé ou figuré M. Breschet, dans son Histoire de l'oreille des poissons. Elle ne se bifurque pas en deux canaux grêles. Ce que cet anatomiste a nommé trompes cysti- ques, sont deux ligaments qui viennent s'in- sérer des occipitaux latéraux à la membrane externe ou fibreuse de la vessie. . Je ne m'étendrai pas plus longtemps, dans cet article, à réfuter les nombreuses erreurs dont fourmille la description de l'appareil au- ditif de l'alose dans le Mémoire de M. Breschet, CHAP. XI. ALOSES. 51)1 et encore moins à démontrer l'incertitude de ces théories qui tendent à faire considérer la vessie natatoire comme un appareil de respira- tion. J'ai répété pour l'alose les expériences ou les recherches anatomiques que j'ai faites sur le hareng 5 elles m'ont toutes conduit au même résultat, c'est-à-dire qu'il n'y a aucune commu- nication médiate ou immédiate entre l'oreille et la vessie natatoire des poissons : ce sont deux organes placés dans des cavités complè- tement différentes et tout à fait séparées. Nous trouvons des espèces du genre Alose dans l'ancien comme dans le nouveau monde. Deux espèces de ce genre sont fort impor- tantes en Europe, parce qu'elles y sont fort répandues et que l'une d'elles, la Sardine, donne lieu à un commerce et à des salaisons considérables. L'Alose commune. {Alausa vulgaris , nob.) En commençant l'histoire des Clupées, nous avons fait remarquer que le nom d'Alausa paraît pour la première fois dans le poème d'Ausone, sur la Moselle : il est évidemment l'étymologie du nom actuel de l'Alose. Il s'ap- plique à une grande espèce de clupéoïde 392 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. répandue dans toute l'Europe sous différents noms qui ont donné l'idée aux naturalistes de supposer l'existence de plusieurs espèces distinctes. Cette opinion a été partagée par les naturalistes les plus illustres; cependant j'espère démontrer qu'il n'y a qu'une seule alose commune dans toute l'Europe. Voici d'abord la description détaillée du poisson : Le corps de l'alose est en ellipse très-allongée vers la queue. Le dos, en avant de la dorsale, est com- primé et terminé en arête mousse. En arrière de cette nageoire il est plus large et arrondi. Le ventre est comprimé, tranchant et dentelé en scie, depuis la gorge jusqu'à l'anus. En arrière de l'anale il y a trente-sept dents ou pointes dirigées vers l'anus, et qui deviennent saillantes au-dessus des écailles, de- puis les ventrales jusqu'à l'anus. La queue est arrondie. La hauteur du corps, en avant de la dorsale, est plus de quatre fois dans la longueur totale, et l'épaisseur est huit fois et demie dans la longueur. La tête est triangulaire, son museau obtus. Sa longueur est cinq fois et demie dans celle du corps. Les iniermaxillaires sont très-petits, et laissent entre eux une échancrure qui monte vers le crime : ils n'ont aucunes dents. Les maxillaires sont grands, larges, aplatis et composés de trois pièces : l'antérieure est la plus grande ; elle est arrondie postérieurement ; en haut elle est en croissant pour recevoir antérieurement l'intermaxil- laire, et postérieurement elle s'appuie sur le sous- orbi taire. CHAP. XT. ALOSES. 393 La seconde pièce est étroite , longitudinale , et n'occupe qu'à peu près les deux tiers supérieurs de la pièce antérieure. Quand la bouche est fermée, le bord postérieur de cette pièce est caché sous le sous- orbi taire. * * La troisième pièce est située au-dessous de la se- conde à la base postérieure de la première. Elle est large, à bord antérieur festonné, glissant sur le bord postérieur de la première pièce. Elle se termine en bas en une pointe arrondie qui ne dé- passe pas la base de la première. Son bord posté- rieur est droit, et il se prolonge en une longue apo- physe, qui est aussi presque entièrement cachée sous le sous-orbitaire quand la bouche est fermée. Il n'y a pas de lèvre supérieure ; l'inférieure est assez épaisse , large, et couchée le long des branches de la mâ- choire inférieure : elles sont aussi dépourvues de dents; elles ne dépassent pas l'œil, et leur longueur fait un peu plus de la moitié de celle de la tête. Elles sont très-hautes , surtout à la partie postérieure ; leur hauteur fait près de la moitié de leur longueur. La bouche n'est point protractile par en haut ; mais les branches inférieures des maxillaires peuvent s'éloi- gner beaucoup des sous-orbitaires , ce qui permet à la mâchoire inférieure de s'abaisser beaucoup et d'augmenter l'ouverture de la bouche. L'œil est éloigné du bout* du museau de près du quart de la longueur de la tête ; il est rond et assez grand; son diamètre est cinq fois et demie dans la longueur de la tête ; il est recouvert par une paupière qui s'ouvre sur lui par une fente elliptique verticale et ►94 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. terminée en pointe à ses deux extrémités. Cette pau- pière, en forme de bourse, est transparente, s'attache en avant sur le bord postérieur du sous - orbitaire , en haut sur le crâne, et en arrière sur l'angle su- périeur du préopercule. Au-dessus de l'œil, un peu en avant, est un os étroit, allongé, un peu en croissant. C'est près de son bord antérieur que s'ouvrent les deux trous de la narine : ils sont très-rapprochés; l'antérieur, en fente transverse, appliqué sur le bord antérieur du second , qui est plus grand , toujours ouvert et rond ; la membrane, qui les sépare, est Un peu re- levée en crête. Le sous-orbitaire est composé de plusieurs pièces ; l'antérieure est un os allongé qui s'appuie antérieu- rement sur la partie montante du maxillaire ; en ar- rière, il atteint presque le bord postérieur de l'orbite. Ses deux bords sont lisses, minces, et sa surface est couverte de petites veines blanches un peu ramifiées et anastomosées; un peu en arrière en est une autre, très-grande, qui occupe presque toute la joue. Son bord supérieur est arqué, suivant le contour de l'orbite; l'antérieur est courbé en sens contraire, et reçoit dans son cintre le bord postérieur et arrondi du maxillaire quand la bouche est fermée ; le posté- rieur est creux ; sa concavité regarde le museau ; il est festonné par le bas; toute sa* surface est couverte de grandes veines ramifiées, presque parallèles, qui croissent du bord de l'orbite, et se portent vertica- lement vers le bas; le cercle de l'orbite est en outre entouré de quatre pièces irrégulières, oblongues CHAP. XI. ALOSES. 395 et caverneuses, dont les postérieures sont les plus larges. Le préopercule est assez grand ; son bord postérieur et son angle sont arrondis 5 le bord est si mince, qu'il a l'air d'être membraneux; il est cou- vert de veinules à peine sensibles, et tout le bas est percé d'un grand nombre de petits pores dis- posés irrégulièrement, qui s'étendent aussi sur la partie non recouverte des branches de la* mâchoire inférieure. L'opercule est grand , il monte au-dessus de l'œil; tout son bord postérieur est lisse, mince et arrondi ; sa surface est striée en rayons par des sillons profonds qui partent de l'angle antérieur et supérieur comme centre. Le sousopercule lui est très- étroitement uni, et a l'air d'en être la continuation. L'interopercule et étroit et suit le contour du préo- percule, et il s'élargit un peu à son angle postérieur, qui est arrondi. Les ouïes sont très - fendues ; leur membrane, courte et soutenue par huit rayons, dont les deux derniers sont élargis à leur bord postérieur, de ma- nière à faire l'espèce de talon qui détermine l'échan- crure que l'on voit en avant de la pectorale. Toutes les écailles qui revêtent l'os de l'épaule, sont mar- quées de veines nombreuses et fréquemment anasto- mosées entre elles. La longueur de la distance du bout du museau à la dorsale , n'est pas deux fois et demie dans la lon- gueur totale. L'étendue de la dorsale égale l'épaisseur du corps ; la hauteur de cette nageoire est un peu moins que les deux tiers de sa longueur; elle a dix-huit rayons, 396 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. •dont les trois premiers sont simples ; c'est le qua- trième qui est le plus long. Le long de sa base on voit une rangée d'écaillés carrées et relevées , de manière à former avec celles du côté opposé une gouttière dans laquelle la dorsale s'abaisse, sans s'y • cacher tout entière. L'anus est éloigné du bout du museau de deux fois et demie la hauteur du corps. Immédiatement en arrière commence l'anale, nageoire basse, allongée, qui a vingt -quatre rayons, dont les trois premiers sont simples : le premier de ceux-là est excessive- ment court. La longueur de cette nageoire est égale à la moitié de la hauteur du corps; la base est, comme celle de la dorsale, garnie d'écaillés de forme presque carrée, formant une gouttière dans laquelle l'anale s'abaisse sans s'y cacher entièrement. La distance entre la fin de l'anale et le bout de la queue est d'environ les quatre cinquièmes de la longueur de l'anale. L'épaisseur de la queue entre l'anale et la caudale fait le milieu de sa hauteur au même endroit. Elle échancre la caudale par une ligne circulaire. Cette nageoire est profondément fourchue; on y compte vingt rayons, et cinq ou six au-dessus et au-dessous qui n'atteignent pas l'extrémité des deux latéraux qui sont simples : les autres sont très -divisés. Sur la base des rayons branchus on voit pendant le tiers infé- rieur de leur longueur des écailles petites et trans- parentes. Les rayons mitoyens de la fourche portent une grande lame, en forme de palpite, étendue sur toute la longueur du rayon qui est sous elle ; en dedans de ces deux lames il y a deux autres moitiés moins longues et triangulaires. W7 CHAP. XI. ALOSES. La pectorale est petite ; elle est attachée près de la carène du ventre, vis -à- vis l'échancrure faite par les pièces operculaires et les derniers rayons bran- chiaux. Elle est pointue ; on lui compte seize rayons, dont le premier est simple. Près de son ais- selle il y a cinq à six écailles allongées, relevées en arête, de manière à faire un petit creux dans lequel peut se placer la nageoire ; au-dessous d'elle, les écailles sont un peu plus grandes. Les ventrales sont attachées au-dessous du com- mencement de la dorsale, au milieu de l'espace entre, la base des pectorales et la naissance de l'anale; elles sont petites, arrondies et soutenues par neuf rayons , dont le premier est simple. Il y a dans leurs aisselles deux écailles imbriquées, longues, pointues; l'infé- rieure étant la plus longue , et atteignant aux trois quarts de la longueur de la nageoire. En dessous d'elles, une seconde écaille de même forme, mais plus courte, est libre comme les précédentes. Il y a plus'de quatre-vingts écailles depuis l'épaule jusqu'à la caudale, et vingt-quatre dans la hauteur. Elles sont presque carrées; leur bord radical est lisse et mince. Elles se recouvrent donc près des deux tiers de leur surface qui est striée par des lignes concentriques assez marquées. Leur bord libre est un peu festonné , finement dentelé , et leur surface est striée en rayonnant du centre à son bord. C'est en dessous de l'écaillé qu'est la matière co- lorante qui lui donne de si beaux reflets. Sous le ventre nous comptons trente -trois pièces dans le chevron : la première n'a point d'apophyse mon- 398 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. tante; ses épines commencent à paraître sur la se- conde, et elles vont, en augmentant de longueur, jusqu'aux chevrons des ventrales ; elles diminuent insensiblement, à partir de ces nageoires jusqu'au- près de l'anus; la dernière pièce a encore des épines assez marquées. Le dos est vert-olive pâle à reflets irisés et dorés; les côtés de la poitrine sont de la même teinte, mais plus pâle; la gorge, le ventre et les côtés, depuis la dorsale jusqu'à l'anale , ont une teinte verdàtre d'aiguë - marine à reflets nacrés, dorés et argentés les plus vifs. Le dessus du crâne est vert- olive bru- nâtre, sans pores ni écailles. Cette teinte s'éclaircit sur les opercules , qui prennent des reflets dorés. L'angle inférieur de l'opercule et du préopercule a une teinte verte à reflets argentés et nacrés. Les opercules et les écailles des flancs sont fine- ment ponctués de noir, et sur le haut de l'os de l'épaule en arrière de l'angle arrondi et supérieur des opercules, il existe une grande tache irrégulière de vert-olive foncé. La dorsale, la caudale et la pec- torale sont d'un gris noirâtre ; l'anale est grise, fine- ment pointillée de noir ; la ventrale est blanche. A l'ouverture du corps, on trouve les deux laitances qui enveloppent le foie et une partie des intestins, de manière à ne laisser voir que les innombrables appendices ccecales qui étaient couvertes d'un grand nombre d'ascarides. Le lobe gauche du foie est plus large que le droit. Il n'atteint qu'à peine le tiers de l'abdomen. Son bord droit, aminci, est très-découpé dans le CHAP. XI. ALOSES. 599 haut, et adhérent aux innombrables appendices cœ- cales; vers le bas il se divise en deux lobes irrégu- liers. Ces appendices sont plus courtes et moins nombreuses dans la femelle. Le lobe droit est aussi long, mais beaucoup plus étroit. Il est subdivisé en deux autres lobules, dont le supérieur, un peu plus large, entoure presque les appendices en rejoignant le lobe gauche. Le lobule inférieur a deux pointes inégales. C'est entre eux et sous l'intestin, qu'est placée la vésicule du fiel, qui est grande et pleine d'une bile verte très -foncée. Le canal cholédoque se replie un peu , descend pour s'ouvrir dans l'in- testin au-dessous du repli du pylore, au-dessus des appendices cœcales. L'œsophage descend jusqu'au quart de la longueur de l'abdomen ; il s'ouvre dans l'estomac, qui en est le cul-de-sac, et qui descend jusqu'aux deux tiers de la longueur de l'abdo- men. Près du cardia naît le pylore, presque aussi long que l'œsophage. Il est très-épais, musculeux et garni en dedans d'un velouté scabre , qui s'en détache aisément, comme celle du gésier d'une poule. L'œsophage et l'estomac sont un peu plus minces que le pylore, quoique assez épais encore. Ils sont garnis de six à sept plis longitudinaux très- gros. Après le pylore, l'intestin se replie et va droit à l'anus. Son épaisseur est très-petite : il n'a aucun renflement. On voit d'abord en dedans s'ouvrir les nombreuses appendices cœcales, et puis toute sa surface est garnie d'une prodigieuse quantité de petites lames transversales , comme des valvules qui • s'écartent de plus en plus à mesure que l'on s'ap- 400 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. proche de l'anus, en même temps qu'elles sont plus élevées. La rate est longue, étroite, située entre la base inférieure droite de l'estomac et l'intestin ; elle a quelques lobules très-petits auprès de la pointe de l'estomac. La couleur est rouge foncé. Les reins sont attachés tout le long de l'épine; leur consistance est très-molle. Ils sont séparés des autres viscères par un repli assez fort du péritoine. La vessie natatoire est simple, grande, pointue à ses deux extrémités; ses parois sont minces, d'une couleur sanguine pâle. Le canal aérien naît aux deux tiers de sa longueur. Il est très-gros et court. Il s'ouvre au fond de l'es- tomac, contre sa pointe même, par un trou rond très -grand, de plus d'une ligne et demie de dia- mètre. Ce canal se renfle un peu à son entrée dans l'estomac. La pointe antérieure s'arrête à la troisième vertèbre; elle est retenue au crâne par deux ligamens grêles et filiformes. Les laitances occupent, comme nous l'avons dit, toute la longueur de l'abdomen. Elles sont épaisses à la région qui regarde le dos, et comprimées, tranchantes vers le ventre. Elles sont, chacune, divi- sées en plusieurs lobes d'inégale grandeur et de formes différentes. Elles sont de couleur de chair un peu vive, et sur leur surface on voit ramper une multitude de petits vaisseaux très -fins, et le plus souvent ramifiés en étoile. Le squelette de l'Alose ressemble tellement à celui du hareng, que nous n'avons pas besoin d'entrer CHAP. XI. ALOSES. 401 dans des détails minutieux pour le faire connaître. Je dirai seulement que les frontaux sont beaucoup plus larges et plus écartés l'un de l'autre en avant. Aussi la surface du crâne, derrière l'ethmoïde, est-elle beaucoup plus grande. Les tubérosités de, l'ethmoïde sont aussi plus écartées ; les frontaux postérieurs sont plus larges et plus saillants sur les côtés du crâne. Les grands trous sous-pariétaux et sus-mas- toïdiens sont beaucoup plus ouverts, mais la région occipitale est tout aussi complètement fermée que dans le hareng. Les prolongements styliformes des mastoïdiens sont longs et pointus. On voit d'une manière beaucoup plus prononcée dans l'alose que dans le hareng, les deux grandes apophyses lamel- laires dans lesquelles se prolonge en arrière le sphé- noïde, qui embrasse le basilaire. De chaque côté de cet occipital inférieur on observe le canal pro- fond qui donne attache au ligament de la vessie, et il est facile de se convaincre sur l'examen de ces pièces qu'il n'y a au fond de ce sillon aucune com- munication avec l'intérieur du crâne, et par consé- quent avec l'oreille. La colonne épinière est composée de cinquanie- six vertèbres, dont les seize premières n'ont point d'apophyses réunies en V à la face inférieure. Les dix-huit premières apophyses épineuses sont dou- bles, parce qu'elles sont formées de deux stylets accolés; chacun d'eux donne sur le côté une longue arête qui remonte entre les muscles vers la région dorsale. Les vertèbres qui suivent sont une apo- physe épineuse simple , dont la base ouverte en 20. .26 402 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. chevron forme, avec le corps de la vertèbre, le canal médullaire. Je compte au-dessous seize côtes pourvues chacune d'une arête horizontale qui naît au-dessous des arêtes de l'apophyse épineuse et au- dessous de ces côtes il y en a seize autres accolées aux premières, et qui, en se réunissant aux, bran- ches des écailles en chevron du ventre, complètent l'arceau qui forme la cavité abdominale du poisson. Ces côtes sont suivies d'une double rangée , l'une supérieure, l'autre inférieure, d'arêtes pliées en che- vrons, et d'une autre double rangée d'arêtes bifides, au nombre de dix -huit chacune; c'est là ce qui explique le nombre considérable d'arêtes qui exis- tent chez l'Alose. Ce à quoi il faut encore ajouter les nombreuses arêtes perdues longitudinalement dans les muscles derrière le crâne , et qui tendent à se réunir avec les interépineux de la dorsale. D'au- tres arêtes simples existent de chaque côté de la queue. Enfin, l'on trouve encore une suite de pièces en chevron le long de la ligne latérale. La description que je viens de donner a été faite d'après un individu complètement adulte. Mais il faut remarquer que les aloses, quand elles sont jeunes, n'ont pas encore perdu les dents de la mâchoire supérieure 5 qu'elles ont en outre une tache noire, placée un peu en arrière du scapulaire, et qui est quelquefois suivie de dix à .douze autres , diminuant de grandeur à mesure qu'elles s'approchent de la caudale. Ces taches sont plus ou moins mar- CHAP. XI. ALOSES. 405 quées , et le nombre en varie tellement que l'on ne rencontre jamais plusieurs individus qui les présentent semblables par le nombre ou l'intensité du ton. C'est aux aloses pourvues de clents, et aux flancs plus ou moins tachetés que tous les naturalistes qui m'ont précédé, et sans en excepter mes plus illustres maîtres, ont assigné le nom de Feinte. J'ai suivi les différentes variations que pré- sente l'espèce de l'alose, telle que je l'établis sur une comparaison de plus de cent individus rassemblés des divers points de l'Europe, et, comme je n'ai trouvé entre eux que des varia- tions resserrées dans des limites assez étroites, qui ne s'éloignaient pas plus les unes des autres que les variations des nombreuses races du hareng, je me crois parfaitement autorisé à con- clure, qu'il n'y a en Europe, et même autour de la Méditerranée, qu'une seule espèce, l'Alose commune. J'ai trouvé que les boucliers épineux de la carène du ventre varient entre quarante- deux et trente-sept, le nombre ordinaire me paraissant être trente -neuf. Les rayons de l'anale' sont ordinairement au nombre de vingt ; mais il y a des individus chez lesquels j'en ai compté vingt et un, sur d'autres vingt-deux, et enfin, un m'en a offert vingt- quatre. Les nombres de la dorsale me paraissent plus con- 404 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. stants, et le plus ordinaire est de dix -sept, mais quelques individus en ont jusqu'à dix- neuf. J'ai répété sur presque toutes ces variétés des anatomies, afin, surtout" de m'assurer des caractères spécifiques qui pourraient établir une séparation entre l'alose sans dents ou l'alose vraie de Cnvier, et la Ceinte ou l'alose à maxillaires dentés. J'ai fait ces anatomies sur les nombreux individus que j'ai observés dans presque tous nos ports de la Manche ou de l'Océan septentrional. Cette étude de la splanchnologie ou' du squelette a confirmé de plus en plus l'identité et l'unité spécifique de l'alose d'Europe. Outre les nombreux échantillons qui abon- dent aux marchés de Paris, et qui viennent ordinairement d-e la Seine ou de la Loire, j'ai eu soin d'examiner des aloses de différents âges à Dieppe , au Havre , à Abbeville , au Grotoi et à Gayeux, où j'en ai vu pêcher en mer avec les Célans. Je l'ai aussi vu à Caen, à Cherbourg. M. Garnot en a envoyé de Brest, et M.me Magin a eu la complaisance d'en rap- porter pour nous de Bordeaux. J'en ai des in- dividus qui n'ont que trois pouces , et qui sont le produit du frai de ce poisson dans la Seine. J'en ai péché quelques-uns entre l'ile Saint- Denis et Argentcuil; d'autres ont été pris à CHAP. XI. ALOSES. 105 Quillebœuf: je les dois à l'extrême obligeance de M. Pouchet, qui les avait reçus des pêcheurs de Quillebœuf, sous le nom d Œillets: j'en ai examiné plusieurs centaines d'individus. L'exa- men d'un aussi grand nombre m'a fait aisément reconnaître le faciès de l'espèce. Je n'ai pas eu à ma disposition un. moindre nombre d'exem- plaires pêches dans la Méditerranée ou sur son littoral. Ainsi, M. Delalande nous l'a rapportée des Martigues et de Marseille; M. le baron Laugier de Chartrouse nous l'a envoyée d'Arles; M. Savigny l'a prise à Nice; M. Hollard dans le golfe de. Gênes; MM. Pentland, Boroméo et Mayor l'ont envoyée du lac Majeur pour le Cabinet du Roi. Le premier de ces naturalistes, accompagnant M. Ricketts, l'a fait pêcher pour M. Cuvier dans le lac de Como. Feu notre confrère, M. Bosc, nous en a donné de nom- breux échantillons du lac Garda. Nous avons déjà eu occasion de citer les exemplaires que M. Geoffroy Saint-Hilaire a rapportés du Nil, et depuis lui, MM. Ehrenberg et Pariset nous en ont donné d'autres exemplaires pris à Alexan- drie d'Egypte. M. Viriet, l'un des naturalistes de l'expédition de Morée , se l'est procurée dans les eaux du Bosphore, et M. Guichenot, l'un des membres de l'expédition scientifique d'Algérie, en a rapporté plusieurs exemplaires 406 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. pris dans la rade d'Alger. Mais nous avions eu, longtemps avant cette expédition, la preuve que cette espèce abonde sur la côte septen- trionale d'Afrique, au nord de 1 Atlas, parles grands et beaux exemplaires que M. Maré- chaux, consul de France à Tunis, avait en- voyés du lac Biserte pour le Cabinet du Roi. Cette longue énumération prouve avec quel s'oin nous avons réunis ces nombreux exem- plaires. Parmi eux, je signalerai, pour nous fixer sur les caractères de l'espèce , un individu que j'ai pris dans la Seine au mois de juillet après le frai; il est considérablement amaigri. Sa hauteur est sensiblement diminuée , et il offre plus de différence avec une alose pleine, que les harengs pleins et vides n'en ont entre eux. Pendant que je faisais ces recherches sur ces poissons de nos environs, j'ai eu aussi occa- sion de pécher, vers la fin d'août et dans la première quinzaine de septembre, des petites aloses, longues de deux à trois pouces, qui se prennent dans les filets tendus à la descente. Elles ont le corps argenté avec cinq à six taches noires le long des flancs ; ce sont les petits, nés du frai de l'année, qui descen- dent le fleuve pour retourner à la mer. Les hommes, livrés depuis longtemps à l'art de la CHAP. XI. ALOSES. 407 pêche, et par conséquent fort expérimentés, me faisaient remarquer qu'ils ne prenaient jamais ces petites aloses au commencement du printemps, lorsque les grosses montent en rivière, et que ces petits individus n'entraient jamais aussi dans les filets tendus à la montée. Les naturalistes qui nous ont envoyé les nombreux exemplaires cités plus haut, nous ont appris que les très-grandes aloses sur les bords du lac Majeur, portent la dénomina- tion de Cioppa; les individus de moyenne taille sont les Agone, et les petits ont été envoyés. par M. Boroméo sous le nom de Sar- dine ou Sardella, qui est aussi, fort usité par les pécheurs du lac de Garda, dont les pois- sons sont très-vantés. Je vois que sur le lac de Como , les petites comme les moyennes ont le nom à'Agojie. Le grand nombre d'exemplaires que j'ai ainsi réunis et que j'ai pu tous comparer entre eux , montre que notre Alose est la meure que YÀgone des Italiens. Il est tout aussi facile de démontrer, par la réunion et la compa- raison des individus des côtes septentrionales, que l'Alose et la Feinte ne sont qu'un seul et même poisson. L'espèce de la Chipée feinte a été établie par M. de Lacépede d'après des notes trans- 408 LIVRE X^I. CLUPÉOÏBES. mises par M. Noël de la Moiïnière , je les ai retrouvées dans les papiers que cet excellent homme m'a légués. Noël se trompait sur l'ori- gine et sur la nature de ces Feintes, parce qu'il croyait que le nom de ces poissons venait de l'extrême ressemblance qu'ils ont avec l'alose, et de la facilité qu'on a de les con- fondre entre eux. Il écrivait à. M. de Lacépède que l'on disait alose feinte, alosa falsa, alosa jicta. Mais telle n'est pas l'origine de cette dénomination. On la trouve dans Albert le Grand, qui établit une distinction entre l'alose et la feinte, en racontant comment le Vint des Flamands, c'est-à-dire la Feinte des Fran- çais se prend au son des clochettes. Il dit que ce poisson ressemble beaucoup à l'Alose, mais qu'il est beaucoup plus rempli d'arêtes. Vin- cent de Beauvais a écrit Vent h. Il est bien clair que «c'est là la véritable étymologie du mot Feinte, dénomination qui est encore en usage aux environs de Dieppe et sur les côtes de Picardie. On ne peut conclure à une dif- férence spécifique de l'assertion d'Albert le Grand ou de Vincent de Beauvais ; car le squelette , étudié avec soin , ne montre pas les différences indiquées par ces auteurs. Les taches ne peuvent pas servir à distinguer les deux espèces; car elles existent sur tous les CHAP. M. ALOSES. 401) individus : elles sont plus ou moins appa- rentes, selon que le poisson a conservé plus ou moins bien ses écailles. La présence de ces taches avait frappé les auteurs de la renais- sance. Or, Belon , qui essaie de distinguer l'Alose ou le Cieppa des Italiens de son Àgone, qui serait la Feinte, refuse a celle-ci des dents. Il dit positivement : Oris rictum habent gran- diusculum sine dentibus. Salviani dit aussi de son Agone qu'elle manque de dents : Os eden- tatum. Rondelet n'aurait pas manqué de dis- tinguer les deux espèces, si el1 js existaient. A partir de Willughby, il faudrait admettre qu'au- cun auteur n'aurait connu ni observé l'alose ; car Duhamel, Bloch, Klein, Linné ne parlent que de la Feinte, c'est-à-dire d'une alose à flancs tachetés. Eri relisant même les notes de Noël de la Morinière , d'après lesquelles M. de La- cépède a établi son Clupea fallax , dénomina- tion que M. Cuvier n'a pas voulu adopter et qu'il a changée en celle de Clupea Jînta , il est facile de voir que Noël lui transmettait des observations que lui donnaient les pêcheurs sur l'âge des aloses ou sur les saisons, d'où, dé- pend le goût de la chair des poissons. , C'est d'après des documents puisés à une même source que M. de Lacépède a établi aussi sa Chipée Rousse {Clupea rufa). C'est 410 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. une variété que Noël appelle aussi une alose d'été, que l'on prend quelquefois en abon- dance aux environs de Villequier, dans le lac de Tôt, depuis la pointe du Hode jusqu'aux Aisiers. Il dit que ce poisson n'offre jamais ni œufs ni laitance en telle saison qu'il soit péché. On lui donne le nom de Rousse, parce qu'elle a la chair moins blanche que l'alose. Après avoir raconté que cette Rousse est une alose, la sédentaire dans les eaux de l'embouchure de Seine, il ajoute que les pêcheurs de Villequier disent que ce sont des aloses qui se remettent du frai. Il donne encore quelques autres dé- tails sur l'excellence de la chair; mais ils sont souvent contradictoires. Ce qui me fait ajouter peu de foi à ces renseignements, c'est que je me suis adressé à M. Pouchet, professeur d'his- toire naturelle à Rouen , en le priant de faire des recherches au sujet de cette variété, et que le nom de Rousse est aujourd'hui tout à fait inconnu dans la basse Seine. Tous ces motifs, joints à l'examen des ma- tériaux que j'ai signalés plus haut, me font donc croire qu'il n'y a en Europe qu'une seule espèce d'alose. Elle est rare dans les contrées septentrionales; car Linné ne la compte pas. dans le Fauna suecica. M. Reinhardt ne la cite pas dans l'Iclithyologie du Groenland, ni CHAP. XI. ALOSES. 44 \ Friedrich Faber dans celle de l'Islande; et les auteurs des Faunes septentrionales qui en font mention , disent tous quelle est rare dans la Baltique ou sur les côtes occidentales de la Suède ou du Danemarck. M. Retzius 1 la citée sous le nom de Clupea alosa, et M. Nilsson2 sous le nom de Clupea Jïnta pris dans Cuvier. Ces deux auteurs s'accordent à lui donner, comme nom suédois , Stak-sill. Je trouve dans Mùller3 les noms de Bris- ling, Sildinger, Sardeller. Notre poisson est beaucoup plus commun en Angleterre. Depuis Pennant, tous les au- teurs en parlent, et tous s'accordent sur une dénomination anglaise uniforme , celle de Shad. Toutefois ils en reconnaissent deux va- riétés, l'une, la vraie alose, et une seconde, la Twaite, qui resterait toujours plus petite que l'alose et ne la dépasserait jamais. Ils dis- tinguent celle-ci, à cause d'un plus grand nombre de taches rondes sur les côtés : c'est la Variété que Donovan 4 figure sous le nom de Shad; c'est aussi celle qu'ont indiquée Tur- ton, Couch, Flemming. M. Yarell a adopté la 1. Retzius, Fauna suec., p. 353, n.° 105. 2. Niiss., Ickth. Scand. Prgdr. , p. 22, n.° 1. 3. Muller, Zool dan. prodr., p. 150, n.° 423. 4 Donovan, Brit. fish. , pi. 57. 412 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. division établie dans le Règne animal ; il dis- tingue le Twaite shad du Allice sliad, et il est en cela suivi par M. Jenyns; mais les deux descriptions détaillées que l'auteur de l'élégante Histoire des poissons d'Angleterre nous a données, me confirme dans l'opinion sur l'existence d'une seule espèce d'alose. Notre poisson remonte la Meuse à la même époque que nous le voyons entrer dans la Seine. Il en est de même dans les autres grands fleuves de France : l'alose remonte dans la Loire un peu plus tôt que dans la Seine ; elle s'avance de la Loire dans la Mayenne , la Sartlie et autres affluents, et les détails que l'on trouve consignés dans la Flore de Maine- et-Loire par M. Millet1, sont tout à fait con- formes à nos propres observations. Si M. Savigny ne nous avait pas rapporté l'alose de Nice et de Turin , il me serait fort difficile de dire ce que M. Risso 2 a voulu dé- crire sous le nom de Clupea alosa, très- ré- pandue dans toute l'Italie. Je ne vois pas que les ichthyologistes ita- liens de notre temps aient éclairé ce que les auteurs de la renaissance avaient laissé d'in- 1.. Millet, Faune de Maine-et-Loire, t. II, p. TOT. 2.; Risso, Ichth. de Nice, 2.'" cdit., p. 453. CHAP. XI. ALOSES. 415 certain sur ce poisson. Je regretté même de dire que mon célèbre ami, le prince Charles Bonaparte1, a, dans son dernier catalogue ichthyologique , fait quelques confusions qui tendraient à embrouiller beaucoup cette syno- nymie. En effet, après avoir établi un alosa communis et un alosa finta d'après les er- rements de M. Yarell, il inscrit un alosa pon- tica d'après M. Eichwald. Or, le clupea pontica de cet" auteur n'est point du genre des Aloses. Cest, comme on l'a vu plus haut, une espèce particulière de hareng. Le zoologiste russe a donné notre alose sur la même planche sous le nom de Clupea caspia*. Il me paraît impossible de conserver le moindre doute , d'après la figure, quoique la description , qui est certainement très-négligée, laisse dans quelques incertitudes. Que l'on compare, en effet, la peinture à la description, et je me demande comment l'on peut dire de ce poisson qu'il a les deux mâchoires égales {rnaxïlla utraque œqualis), que la tête est très-grande [caput maximuni). .Ces inexactitudes me donnent le droit de douter encore de ce que l'auteur dit des dents. 1. Ch. Bonap. , Catal. des poissons d'Europe, p. 34, n.° 279, 280 et 281. 2. Eichw. , Faun. cass. caucas., p. 161, t. XXXII, fig. 1. 41 4 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. Si cependant l'observation est exacte, le pois- son indiqué par M.'Eichwald, offrirait une nouvelle combinaison assez importante pour demander à l'auteur d'en donner une nouvelle description; jusque-là, je crois fermement que la figure ne représente qu'une alose commune, et de cette variété que les naturalistes appel- lent la feinte. Pallas a aussi décrit une alose dans son Clupea piltschàrdus , parce qu'il dit que le bord des deux mâchoires est armé de dents très-petites inégales, recourbées, à peine visibles à la mâchoire supérieure, et qu'il ajoute que le palais a trois tubercules osseux. Si son poisson avait eu des dents au palais , nul doute qu'un auteur aussi exact ne les eût vues et mentionnées. Si je conclus de la description de Pallas que le palais était lisse , ce qu'il dit des dents des mâchoires , doit empêcher de regarder son poisson comme un pilchard ou, ce qui est le même, comme une sardine. L'induction me porte donc à conclure que le célèbre auteur.de la Zoogra- phie russe observait une jeune alose. Toute- fois, je conserve encore des doutes sur ce rapprochement. Il n'y en a pas sur. l'alose du Volga1, qui ressemble, dit-il, à l'alose ordi- 1. Pallas, Reise, I, 237. CHA1\ XI. ALOSES. 415 naire, excepté que celle-là n'aurait pas de tache noire. Tous les auteurs dont je viens de rapporter les différents passages relativement aux aloses ou aux feintes, se fondent aussi, pour distin- guer les deux espèces, sur la différence de goût qui peut exister entre les deux poissons. Je ferai observer, que ces différences sont tout à fait individuelles, que les aloses qui paraissent les premières, sont les plus grandes, les plus grasses , les mieux nourries , et que c'est pour cela qu'elles sont meilleures. Je trouve d'ailleurs dans les notes de Noël de la Morinière, que les pêcheurs de la basse Seine distinguent plusieurs variétés de feintes. Ces variétés se rapportent à leur taille ou au temps de leur apparition : les feintes les plus grandes sont plus estimées et plus délicates que les feintes bretonnes, qui sont les plus petites et qui n'ont pas encore frayé. Il faut d'ailleurs remarquer, que les aloses prises en mer ou dans l'eau saumâtre, sont beaucoup moins bonnes que les aloses prises à la re- monte en rivière. L'alose , comme le saumon , passe des eaux salées dans les eaux douces pour y frayer; la force de natation des clupéoïdes est bien in- férieure à celle de ces malacoptérygiens; l'alose 41 () LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. ne franchit pas les cascades , elle cède même volontiers à ^impétuosité des crues d'eau. Un grand nombre de pêcheurs croient que les aloses meurent dans l'eau douce après y avoir frayé. Quelques observations que j'ai faites dans la Seine me feraient aisément ad- mettre cette assertion; cependant je ne reten- drais pas à tous les individus. J'ai souvent rencontré, à la lin de juin, des aloses amai- gries et exténuées, qui, n'ayant plus la force de nager, se laissaient emporter par le courant, couchées sur le dos; mais elles n'étaient pas mortes. Autrefois on salait beaucoup l'alose; main- tenant ce poisson est consommé frais sur les lieux. Cela tient, au moins pour la Seine, à ce que l'on prend dans ce fleuve beaucoup moins d?aloses qu'autrefois. Elles ont disparu, dit-on, depuis que l'on a laissé établir sur les cours d'eau un trop grand nombre de lavages de laine de mouton imprégné du suint. L'alose est tourmentée par un assez grand nombre de vers intestinaux, et entre autres par le Filaria piscium; on y trouve encore des Ascarides, un Lchinorhynque, des Dis- tomes et un Botryocéphale. Rudolphi nous a donné l'indication de ces vers que j'ai observés pour la plupart. CHÀP. XI. ALOSES. ' 417 L' Alose Eba. (Alausa Eba, nob.) Nous avons reçu de Gorée par les soins de M. Rang une alose à corps allonge, large de l'avant, rétréci seulement en arrière. La hauteur est quatre fois et un tiers dans la longueur totale; la tête, beaucoup plus courte, y est comprise cinq fois et un quart. Je ne sens au- cune espèce de dents. L'opercule est haut et étroit; le sous-opercule est à peu près du quart de la hau- teur de l'opercule. Le dessus de la tête est plat; les ouïes sont largement fendues; les rayons branchios- tèges sont grands : l'externe est très-large ; la mem- brane branchiale est tronquée en arrière. La dorsale est insérée sur le devant, à peu près au commen- cement du second tiers du corps; son bord est échancré. L'anale est très-basse et reculée : ces deux nageoires peuvent se cacher dans une rainure for- mée par des écailles un peu larges. La caudale est très-profondément fourchue : elle a de larges écailles en palette à son extrémité, comme nous en avons vu sur la queue de l'Alose et des Chanos, avec lesquels ce poisson a d'ailleurs une certaine ressemblance gé- nérale. La pectorale est très -pointue; les ventrales sont petites. D. 18; A. 19; C. 29: P. 15; V. 8. Les écailles sont grandes, beaucoup plus hautes que larges. Leur portion radicale a quatre ou cinq 20. 27 418 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. stries verticales, tandis que la partie nue en a de nombreuses longitudinales. Je compte quarante-six rangées ^'écailles entre l'ouïe et la caudale. La couleur paraît verte sur le dos, argentée sous le ventre; la pectorale offre une grande tache noirâtre à l'intérieur et argentée en dessous. La caudale est grise. Nous possédons plusieurs exemplaires de cette espèce, qui atteint près d'un pied de long. Outre les individus bien conservés que M. Rang a déposés dans le Cabinet du Roi, j'en trouve un exemplaire parfaitement incon- naissable, malgré son mauvais état de conser- vation, dans les peaux desséchées qu'Adanson a rapportées du Sénégal. Cet académicien avait écrit sur ses notes, que les Qualoffs désignent ce poisson par le nom (XEba; je le lui ai con- servé pour dénomination spécifique. Z/Alose a dorsale noire. (Alausa dorsalis , nob.) • Le même officier de marine avait rapporté de la côte d'Afrique une seconde espèce, qui a le corps plus court; le tronc plus haut; la tête plus longue et plus large entre les yeux que la précédente. Sa hauteur est trois fois et deux tiers dans la longueur totale. La tête est presque aussi longue que le corps est haut. L'opercule est large, CHAP XI. ALOSES. 41 i) mais beaucoup moins élevé que dans l'espèce pré- cédente; et au contraire, le sous-opercule est plus grand et plus pointu vers le haut. La courbure du ventre est très -fortement prononcée. La dorsale commence sur le milieu du tronc ; l'anale est lon- gue, mais beaucoup moins basse. La pectorale est pointue et coupée en lame de faux; la caudale est profondément fourchue. D. 17; A. 21; C. 21; P. 12; V, 8. Les écailles sont semblables à celles de l'espèce précédente pour la distribution des stries et pour leur hauteur proportionnelle. J'en compte quarante- huit rangées entre l'ouïe et la caudale, et comme le tronc est beaucoup plus court, ce nombre d'é- cailles démontre que les écailles de celte espèce pa- raissent plus petites. Le dos est verdâtre; les flancs et le ventre sont argentés. La dorsale a la pointe noire ; la caudale est grise ; les autres nageoires sont tout à fait incolores. L 'Alose tyran. (Alansa tyrannus } Dekay.) Si nous passons des côtes africaines de l'At- lantique aux rives de l'Amérique septentrio- nale , nous trouvons ce pays aussi riche en aloses qu'en autres clupéoïdes. Une espèce qui atteint au moins la taille de notre alose, est celle que M. Dekay a décrite et figurée sous le nom iïAlausa tjrannus. 420 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. La hauteur est comprise trois fois dans la dis- tance du bout du museau au centre de la fourche de la caudale. La tête est petite : elle est comprise cinq fois et deux tiers dans la longueur totale. Le maxillaire a des carènes longitudinales très- mar- quées , et pourrait donner presque le même nom aux stries rayonnantes de l'opercule. La dorsale est basse et tronquée presque au milieu du corps; l'anale est longue et très-peu élevée ; la caudale est fourchue; les autres nageoires sont obtuses. D. 17; A. 19; C. 23; P. 15; V. 9. Les écailles sont presque carrées, mais la por- tion radicale est de beaucoup la plus grande partie : elle porte dix ou douze stries verticales et pliées au centre un peu en chevron. Le bord de l'écaillé est cilié. J'en compte cinquante-sept rangées entre l'ouïe et la caudale. La couleur est verdâtre ou bleuâtre sur le dos, un peu jaune sur les flancs et argentée sous le ventre. Une tache noirâtre assez marquée existe au haut de l'épaule , et il y a huit ou dix rangées longitudinales de points noirâtres sur la partie rembrunie du corps. Nous avons reçu de nombreux exemplaires de cette espèce par les soins de MM. Lesueur et Milbertj parmi eux il y en a qui ont près de deux pieds de long. Le premier de ces na- turalistes nous les envoyait sous le nom de Summer - herring. Je retrouve cette dénomi- nation dans Mitchill pour son Clupea œsti- valiS) qu'il a caractérisé par une rangée de sept CHAP. XI. ALOSES. 421 à huit taches noires le long de la ligue laté- rale, ce qui me fait croire que cette espèce ne diffère pas plus du clupea vernalis ou du Spring-herring des Américains, que la Feinte ne diffère de notre alose : c'est encore l'Ale- wive des États-Unis. Cette espèce est aussi décrite sous ce nom dans les excellents mé- moires ou dans les beaux ouvrages de MM. Latrobe, Mitchill, Storer et Dekay. Elle doit être extrêmement abondante à la côte de Mas- sachusets de mars à mai, puisque le docteur Storer dit qu'on en a rempli cinq mille barils dans l'année i836. M. Dekay observe, qu'à New -York,, le poisson n'apparaît que dans le mois d'avril; mais qu'il n'y vient pas en nom- bre assez considérable pour être l'objet d'une pêche spéciale. .L'Alose savoureuse. (Alausa prœstabilis , Dekay.) Tous les auteurs américains s'accordent à distinguer, sous le nom d'Alose proprement dite [Comnion Shad ou American Shad) , une espèce dont 'les formes me paraissent extrêmement voisines de celles de la précé- dente, tellement que si je ne respectais l'au- torité de naturalistes éminents établis sur les 422 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. lieux, j'inclinerais à croire qu'il s'agit encore ici de la même espèce, examinée seulement dans une saison où les couleurs du poisson seraient un peu différentes. Il paraîtrait cependant que l'anale aurait un ou deux rayons de plus; car MM. Storer et Dekay en portent le nombre à vingt. D. 18; A. 20, etc. Je ferai remarquer que nous avons compté dix- neuf rayons à l'anale de l'espèce précédente, tandis que les naturalistes américains n'en comptent que dix -huit. Ce poisson a été confondu avec l'Alose d'Europe par Schœpff1 et Mitchill2; mais elle est certainement d'une espèce distincte. On . la trouve répandue dans toute l'Amérique, depuis les états du Maine jusque dans la Ca- roline du sud ou dans la Virginie. M. Dekay 3 en a donné une bonne figure et une très-longue description, dont les traits principaux sont aussi rapportés dans l'histoire des poissons du Massachusets4 et dans le Synopsis5 des poissons de l'Amérique septentrionale par 1. Schœpf, Naiurf., vol. 8, p. 180. 2. Mitchill, Fish. ofNew-Yorck, vol. 1, p. 449. 3. Dekay, Faune de New-York, p. 257, pi. 15, fig. 41. 4. Slorer, Fish. of Massach. , p. 116. 5. Kjusd. , Syn. of fish. of Norlh. Ain. , p. 206, n.° 1. CHAP. XI. ALOSES. 423 M. Storcr, et dans lequel cet auteur lui donne le nom (ÏAlausa sapidissima , qu'il a pris d'un catalogue non imprimé de M. Wilson. C'est aussi une espèce très-abondante sur toute la cote septentrionale des États-Unis. Le marché de Boston en est considérablement fourni. On estime qu'à Watertown , sur la rivière Charles, on en a pris par an jusqu'à six mille. Mais ce poisson ne paraît pas régulièrement; il est tantôt très-commun et tantôt très-rare. L'Alose grêle. (Alausa teres, Dekay.) M. Lesueur nous a envoyé de Philadelphie une autre Alose qui me paraît une espèce distincte. Elle a le corps beaucoup plus allongé, plus étroit ; la tête plus petite et le museau plus pointu. La longueur de la tête est cinq fois et demie dans la longueur totale. La hauteur du tronc surpasse d'un sixième la longueur de la tête. Les maxillaires sont peu striés; l'opercule a quelques stries rayon- nantes, mais elles sont moins prononcées. Le sous- opercule est très -étroit. D. 19 ; A. 19 , etc. Le dos a quelques rayures longitudinales. La dorsale, la caudale et les pectorales sont rembru- nies, ainsi que la pointe de l'anale; les ventrales paraissent blanches. 424 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. L'individu est long de quatorze pouces. M. Lesueur l'a envoyé, comme le Spring- herring, du marché de Philadelphie. Mais il est certain que ce poisson n'est pas de l'espèce de XAlausa tyrannus ou de l Alaiisa prœsta- bilis. Il me paraît au contraire se rapporter assez bien à XAlausa ter es figuré parM.Dekay.1 Z/Alose Menhaden. {Alausa Menhaden, nob.) Cette Clupée, très -abondante aux Etats- Unis , l'un des produits considérables des vastes fleuves de cette contrée, est éminemment re- marquable par la grosseur de sa tête et par la hauteur de la région pectorale du tronc; elle égale trois fois et demie la hauteur de la queue. La longueur de la tête surpasse en quelque peu cette hauteur, et elle est comprise trois fois dans la distance entre le bout du museau et la naissance de la caudale. Ces pro- portions montrent que le corps est extrêmement trapu. La mâchoire supérieure ne dépasse pas l'infé- rieure. L'œil est recouvert d'une double paupière adipeuse très-épaisse. L'opercule a de fines stries et de jolies veinules très -agréablement ramifiées. De fines stries rayonnantes couvrent l'opercule : il y en t. Dekay, p. 262, pi. 40, fig. 128. ,CHAP. XI. ALOSKS. 425 a aussi vers le bas du préopercule. Le sous-oper- cule et Tinieropercule sont très-grands. La ceinture numérale est étroite. La dorsale est sur le milieu de la longueur du tronc. Les nombres des rayons de ces nageoires ne diffèrent pas de ceux des autres espèces. D. 19; A. 19; C. 27; P. 15; V. 7. Les écailles sont finement et longuement ciliées. Leur portion libre est petite; la partie radicale a des stries verticales et parallèles au bord. De chaque côté du dos on remarque deux rangées d'écaillés beaucoup plus profondément ciliées, et qui, en s'enchevêtrant sur la ligne moyenne, forment une sin- gulière gouttière le long de cette ligne. Des écailles membraneuses font une gouttière assez profonde, dans laquelle s'engage la dorsale. Une tache d'un bleu foncé existe sur le haut de l'épaule, et se conserve parfaitement sur les individus gardés depuis long- temps dans l'alcool. Le dos est verdâtre; tout le reste du poisson brille d'un vif éclat argenté. Nous avons reçu de nombreux individus de cette espèce. Les plus grands n'ont que treize à quatorze pouces. MM. Milbert et Le- sueur les ont envoyés en abondance des mar- chés de New- York et de Philadelphie. M. Bosc avait rapporté l'espèce de la Caroline, et ré- cemment M. Holbroock m'en a envoyé d'au- tres exemplaires des marchés de Charlestown. Enfin, M. le comte de Castelnau en a envoyé de l'embouchure de l'Hudson. 426 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. L'espèce a paru pour la première fois dans le mémoire de M. Mitchill ■ sous le nom que nous lui conservons. Nous la retrouvons dans les ouvrages de MM. Storer et Dekay. Celui-ci en a donné une belle figure, et le premier de ces auteurs a fait connaître le nombre consi- dérable de barils que l'on exporte chaque année : il s'est monté à quinze cents dans une seule année. Comme c'est un poisson très- huileux, on s'en sert plutôt comme engrais ou comme amorce , surtout pour les grands Flétans {Pleuronectes hippoglossus). C'est sous ce rapport qu'il devient l'objet d'un com- merce considérable. Au nom de Menhaden, qui est une de ses dénominations vulgaires, il faut ajouter celle de Panhagen et de Moss- bonkes ou de Bonyfish, etc. L'Alose shadine. (Alausa shadina, Mitch.) Mitchill a décrit, sous le nom de Clupea shadina, une espèce qui me paraît se distin- guer très-peu de la précédente. J'avoue que, si je ne l'avais pas trouvée distinguée par MM. Storer et Dekay, je n'aurais pas accepté 1. Mitchill, Fish. of New-York , vol. 1, p. 463. CHAP. XI. ALOSES. 427 cette espèce; car, quoiqu'on dise M. Dekay, son dessin l'a fait beaucoup plus ressembler au Menhaden qu'à son Alausa prœstabilis. Les proportions qu'il donne confirment aussi cette ressemblance, puisque la tête ne mesure que le tiers de la longueur totale, et que sa longueur égale la hauteur du tronc. , D. 18; A. 21, etc. Les couleurs me paraissent plus vertes et la tache scapulaire un peu plus petite que celle de l'espèce précédente. Ce poisson a été pris dans le havre de New- York au mois de novembre , et a été apporté à M. Dekay comme une variété curieuse du Menhaden ; mais y il a trouvé quelque diffé- rence. L'Alose dorée. {Alausa aurea, Spix.) On pêche sur les côtes du Brésil une espèce excessivement voisine de ce Clupea Menha- den, et quoiqu'il lui ressemble beaucoup, il n'est pas difficile de retrouver, avec un peu d'attention, des caractères distinctifs qui doi- vent séparer ces deux poissons. Celle dont je vais parler * a le corps plus régulièrement elliptique; la tête beau- coup plus courte; car elle est comprise quatre fois 428 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. et demie dans la longueur totale, tandis que l'autre n'y est que trois fois et quelque chose. L'opercule plus, petit; l'angle supérieur du sous - opercule est plus aigu; le bord du préopercule est plus arrondi; la pectorale est plus courte et plus large; l'anale est plus longue; aussi lui trouvons-nous un rayon de plus, ainsi qu'à la dorsale. Les écailles sont im- briquées de manière à paraître plus grandes. La couleur, verdâtre sur le dos, est dorée sur le reste du corps. La tache noire de l'épaule est plus large, i L'individu n'a que treize pouces. C'est bien certainement l'espèce qui a été décrite et figu- rée par Spix1 sous le nom de Clupanodon aureus. Nous ne doutons pas aussi que ce ne soit le Clupeafimbriata, dont M. Jenyns a donné une bonne figure dansl'Ichtbyologie du voyage du Beagle2. Toute la description s'accorde par- faitement, et s'il ne parle pas de la tâche dans le grand exemplaire qu'il a décrit, M. Darwin n'avait pas manqué de l'indiquer sur un plus petit exemplaire. Cet habile ichthyologiste a parfaitement saisi les affinités de son poisson avec celui figuré par M.me Bowdich3, et dont elle a donné une courte notice sous le même nom. On s'étonnera d'autant moins de retrou- 1. Clupanodon aureus, Spix, Pisc. Brasil., t. XXI, p. 52 et 53. 2. Jen. , Ichth. fish. of Beagle , p. 135, pi. 25. 3. Bowdich, Excurs. to Âfrica, p. 234, fig. 44. CHAP. XI. ALOSES. -7l29 ver celle espèce américaine aux iles du Cap- Vert , que ce n'est pas le premier exemple d'espèces américaines observées et décrites dans cet archipel. Nous en avons reçu de petits individus par les soins de M Ménétrier. La tache numérale est très -marquée sur ces jeunes poissons : à en juger par son dessin, le dos aurait une teinte plus ou moins violacée, l'anale et la caudale seraient d'un beau jaune doré. Il nous a donné pour nom portugais de ce poisson le mot de Savega. M. d'Orbigny a pris aussi cette espèce à Montevideo. Z'Alose striée. (Alausa striata , nob.) Nous avons encore une autre espèce d'alose originaire de la Guadeloupe , et que l'on con- fondrait fort aisément avec quelques-unes de# nos espèces de harengules, si l'on ne faisait attention au caractère de la dentition. Elle ressemble aussi, à certains égards, à notre Alose d'Afrique, Alausa Eba. La courbure du ventre est régulière et assez grande. La plus grande hauteur se mesure sous la dorsale, et est le quart de la longueur totale. La tête mesure environ les trois quarts de la hauteur. L'opercule est haut et étroit. La pectorale est assez pointue. Je ne vois pas 430 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. de noir à la pointe de la dorsale; cependant l'espèce tient évidemment de notre Alausa Eba par la forme de la tête, et de notre Alausa dor salis par celle des pectorales. Les écailles présentent un caractère fort remarquable; elles ont chacune une grande strie verticale qui semble, au premier abord, faire croire que les écailles du poisson seraient imbri- quées en sens inverse que de coutume : c'est là ce qui m'a fait donner le nom spécifique de ce poisson. Il me paraît avoir le dos rayé et une tache noire près de la caudale. Les deux exemplaires que nous avons reçus de la Guadeloupe y ont été préparés par M. Ricord : le plus long a neuf pouces ; mais nous voyons l'espèce s'avancer vers le sud jusqu'à Bahia; car nous en avons reçu de beaux exem- plaires parmi les collections que le Musée de Genève a cédées au Cabinet du Roi et qui provenaient de Bahia. C est peut-être le Clupea arcuata de M. Jenyns. L'Alose mouchetée. {Alausa maculata, nob.) Nous trouvons aussi des poissons de ce genre, et encore très-voisins de notre Menha- den, sur la côte orientale d'Amérique. J'en ai sous les yeux un exemplaire provenant des collections faites à Valparaiso du Chili par M. d'Orbigny. CHAP. XI. ALOSES. 451 C'est un beau poisson qui a le corps assez allongé, dont la hauteur du tronc, un peu supérieure à la longueur de la tête, est comprise quatre fois dans celle du corps. Je ne vois pas de veinules sur l'oper- cule ; c'est tout au plus si l'on peut dire que cet os est strié. Le ventre est fortement dentelé. L'anale n'est pas très-longue. D. 18; A. 11? La couleur, bleu foncé sur le dos et argentée sous le ventre, est relevée par de grandes et grosses taches bleues, éparses sur l'argenté du flanc et sur la ligne de fusion entre le bleu du dos et le blanc du ventre. La dorsale a du bleu; les autres nageoires sont incolores. M. Gay a eu la bienveillance de me com- muniquer un très-joli dessin colorié qui re- présente le dos bleu- verdâtre, couvert de taches vertes, tirant plus ou moins au jaunâtre. Cette partie du corps reflète d'ailleurs des teintes dorées. Les taches qui couvrent les flancs argentés du poisson, sont vertes. Je puis extraire des notes que M. Gay m'a communi- quées, que ce poisson est de haute mer: qu'il n'approche de la côte que dans les gros temps: les pêcheurs l'appellent Machuelo. Ces aloses vivent en troupes, sautent assez souvent hors de l'eau; on en voit quelquefois jusqu'à quinze ou vingt s' élevant ainsi en l'air. Quand les Machuelos entrent dans la baie, on peut en 432 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. remplir des canots entiers. A cause du grand nombre d'arêtes dont la chair est farcie, on ne les mange que frits. L'Alose bleue. (Alausa cœrulea , nob.) M. d'Orbigny nous a rapporté une autre es- pèce d'alose assez semblable à la précédente; mais qui me parait s'en distinguer par une forme beaucoup plus trapue; car la hauteur n'est que le tiers de la longueur totale. La courbure inférieure du tronc est très-concave. Je puis juger des couleurs de ce poisson par un très- joli dessin que je dois à la complaisance de M. Gay : le dos est bleu; le ventre est blanc; toutes ses nageoires sont rembrunies. Nos individus ont six à sept pouces. Z/Alose palasah. ( Alausa Palasah , nob. ) Nous voici arrivés maintenant à parler des Aloses de l'Inde, et nous commencerons nos descriptions par une espèce qui parait devenir aussi grande que celle d'Europe. J'en ai deux exemplaires sous les yeux , qui ont l'ovale du corps tout à fait régulière et dont la plus grande hauteur est comprise trois fois et un CHAP. XI. ALOSES. 435 peu plus d'un quart dans la longueur totale. Les flancs sont bombés ; ce qui donne assez d'épaisseur au corps. La tête n'a guère qu'un sixième de moins que la hauteur du tronc ; elle n'est comprise que quatre fois et un tiers dans la longueur totale. Le museau est un peu pointu ; la mâchoire supérieure fortement échancrée ; l'oeil est couvert d'une adi- peuse très-épaisse. Je ne sens aucune sorte de dents. La pectorale est pointue; la dorsale est coupée car- rément; la caudale est écailleuse et très -profondé- ment fourchue. D. 17; A. 19; C. 21 j P. 16; V. 8. Les écailles sont, serrées, fortement imbriquées; elles paraissent petites. J'en compte quarante- sept entre l'ouïe et la caudale. M. Dussumier, qui a vu ce poisson frais, le décrit comme ayant le dos verdâtre, et tout le reste du corps argenté. Il en a rapporté deux beaux individus, longs de seize pouces, et pris tous deux dans le Gange , où cette es- pèce est très-abondante en août 5 elle remonte le fleuve jusqu'à Chandernagor, et peut-être beaucoup plus haut. M. Dussumier observe que sa chair, quoique huileuse, est agréable au goût, sans valoir cependant l'alose de France. C'est, à n'en pas douter, le poisson figuré par Russell ' sous le nom de Palasah. Nous avons 1. Russell, p. 11, pi. 198. 20. 28 434 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. d'ailleurs la preuve que ce poisson habite au- tour de la presqu'île de l'Inde jusque sur la côte malabare ; car M. Dussumier l'a pris à Bombay, et M. Bélanger à Pondichéry. Il est très -probable que le Clupanodon ilisha de Buchanan * appartient à cette es- pèce. Je n'aurais même aucun doute - à le considérer comme complètement identique, si l'auteur ne donnait vingt rayons à la dor- sale et vingt et un à l'anale : c'est le poisson que les Anglais du Bengale nomment Sable- fisliy et que Russell regarde comme son Pa- lasah. Buchanan avoue lui-même l'affinité qui existe entre les deux poissons. Il nous ap- prend que l'ilisha fréquente la baie du Bengale et les grands lacs saumâtres du Gange ; qu'il remonte le fleuve pour frayer 5 qu'il l'a vu à la hauteur de Agra ou de Kampur, mais qu'à cet endroit, il devient très -rare. La couleur est verte, glacée de pourpre et de doré. Les jeunes portent quatre ou cinq taches noires qui disparaissent avec l'âge. Il a donc re- présenté le poisson avec la livrée du jeune âge. 1. Gang.fish., pi. 19, fig. 80. chàp. xi. aloses. 435 L'Alose ïoli. (Alausa Toll , nob.) Nous avon$ reçu des mêmes côtes de l'Inde, mais plus haut vers le Nord , une seconde espèce d'Alose , qui ne manque pas d'avoir une certaine affinité avec celle-ci. Elle s'en distingue cependant par des écailles plus grandes; car je n'en compte qu'une quarantaine entre l'ouïe et la caudale. La tête, est comprise cinq fois et un tiers dans la longueur totale. La hauteur du tronc n'y est guère que quatre fois. L'anale, du corps est beaucoup moins régulière que celle de l'espèce précédente; aussi paraît-il beaucoup plus atténué vers la queue. La dorsale est au tiers du corps; l'anale est plus courte, car elle a quelques rayons de moins; la caudale a ses lobes plus pointus; ils sont tout autant écailleux. Nos grands exemplaires ont été envoyés par M. Leschenault, qui nous a appris dans ses notes que les pêcheurs de la côte du Co- romandel l'appellent à Poodichéry, dans leur langue tamoule, Oulan-mine (poisson oulan). Il dit que le poisson, quand il est gras, est un des plus estimés à Pondichéry. C'est dans le mois d'avril qu'il est le meilleur. Avant ce voyageur, Sonnerat en avait aussi rapporté 456 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. des peaux desséchées prises au même endroit. M. Dussumier l'a décrite dans ses notes sous le nom de Toli, comme ayant des teintes vertes sur le dos changeant en bleu à reflet nacré. Le ventre est d'une belle couleur argentée; une tache olive existe sur le haut de l'oper- cule. La peau tout adipeuse qui couvre la tête, depuis la nuque jusqu'au devant de l'œil, est transparente et comme gélatineuse. La dor- sale, blanche, a le milieu jaune et son bord noir. La caudale, argentée, est également bor- dée de noir. Les pectorales et les ventrales sont d'un blanc transparent. Ce naturaliste observe que cette Alose arrive à Bombay au mois de novembre et que sa chair est fort bonne. Enfin nous avons d'autres exemplaires de cette espèce, qui faisaient partie des col- lections de M. Roux. Nos plus grands indivi- dus ont vingt-deux pouces. Nous en avons reçu des mêmes lieux, et en nombre assez consi- dérable, de diverses tailles. Ils diminuent gra- duellement de grandeur jusqu'à n'avoir plus que quatre pouces et demi à cinq pouces. Les documents que je trouve dans les cata- logués de M. Dussumier me confirment dans l'opinion que m'a suggéré l'examen* de ces différents individus. Je les regarde comme étant des jeunes dé ces grandes aloses que CI1AP. XI. ALOSES. 457 je viens de décrire. Ils ont tous une tache noi- râtre au haut de l'épaule, et il me semble en voir sur un individu quelques traces fugitives d'un plus grand nombre le long du flanc. C'est là ce qui me fait croire qu'il faut aussi rapporter à cette espèce le Keelee de Russell, pi. 195. La position avancée de la dorsale, les raies longitudinales du dos me confirment de plus en plus dans l'idée de ce rapprochement, et ce serait d'ailleurs, si ma supposition est exacte, un changement de coloration qui rap- pellerait tout à fait ceux que nous observons sur notre Alose qui perd , quand elle est adulte, les taches de sa jeunesse. Je crois devoir rapporter à cette espèce un très-beau dessin envoyé de Java par Ruhl et Van Hasselt, et dont M. Temminck a eu l'obli- geance de me laisser prendre le calque. Ces naturalistes avaient l'intention de l'appeler Clupea macroura. L'Alose de Reeves. (Alciusa Reevesii, Ri,chardson.) M. Richardson a dédié à M. Reeves une es- pèce qui a la plus grande ressemblance avec notre Palasah , mais il trouve que la pectorale est plus courte, que les écailles sont 438 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. plus rudes ; et il observe aussi quelque différence dans le nombre des rayons. L'œil est placé plus bas, et le maxillaire, qui est court comme la tète, a une forme ovale, régulière, et s'arrête sous le bord postérieur de l'orbite. Les joues sont un peu vei- ne'es; il n'y a point de dents. On compte trente écailles dans la longueur, vingt- neuf dentelures sous le ventre, dont treize sont au-devant de la ventrale. D. 17; A. 1T; C. 29; P. 15; V. 8. V La couleur du dos est mêlée de vert et de gris- noirâtre, disposés par lignes, correspondant au nombre de rangées des écailles. Les côtés et le ventre sont argentés avec des lignes de points gris-perlés. Le museau et la nuque sont gris, avec des teintes de carmin. Le reste de la tête est irisé par des reflets lilas. La pectorale est jaunâtre, glacée de gris-pourpré. Les autres nageoires sont brunes. La longueur du poisson sec, rapporté des mers de Chine au British Muséum , est de quinze pouces anglais. Ces auteurs disent que les noms chinois de cette alose sont San le ou Sam lei. Je crois trouver cette espèce dans un poisson sec que nous avons reçu de Macao par les soins du consul de France en cette ville, M. Gernœrt. chai'. xi. al0sb8. 439 L'Alose aux petites écailles. (Alausa microlepis , nob.) Parmi les poissons que M. Duvaucel nous a envoyés du Bengale, nous avons trouvé une espèce d'Alose dont les formes rappellent assez bien celles des précédentes. La hauteur est comprise trois fois et deux tiers dans la longueur totale. La tête ne mesure que les trois quarts de cette hauteur. La dorsale est sur le milieu de la longueur du tronc. Les nageoires paires sont pointues; l'anale est basse; la caudale est pro- fondément fourchue. D. 15; A. 23; C. 19; P. 12; V. 7. Les écailles sont remarquablement petites. Nous en comptons plus de cent rangées entre l'ouïe et la caudale. La couleur paraît celle de toutes nos Aloses. Je ne vois point de tache au haut de l'épaule; mais il y a un peu de noirâtre sur le bord membraneux de l'opercule. Nous en avons deux individus dont le plus grand a six pouces et demi de long. Je retrouve cette espèce figurée par Gray l sous le nom de Clupea indica. Il la repré- sente avec le dos vert, le ventre argenté, les nageoires jaunes, la caudale bordée de noir. .* "— ■ 1. Gray, Illust. oflnd. zool. , by ma), gen. Hardmdke , pi. 91, fig. 1, vol. 11. aao livre xxi. clupéoïdes. L'Alose chapra. {Alausa chapra, nob.) Je crois qu'il faudra placer près, de cette espèce le poisson que M. Gray a désigné sous le nom de Clupea chapra. Il porte une bande longitudinale rose sur le fond bleu du dos. Les flancs sont jaunâtres. La caudale, bleue, est bordée de noirâtre. Les autres nageoires sont jaunâtres. La tache du haut de l'épaule est noire. L'Alose verte et blanche. (Alausa argyrochloris y nob.) M Dussumier nous a encore rapporté une autre Alose qui se distingue des précédentes par son museau plus pointu , et qui n'a aucune es- pèce de tache sur le corps, mais qui conserve sur la base des premiers rayons de la dorsale un petit point noirâtre. D. 11; A. 19, etc. M. Dussumier décrit les couleurs comme vertes sur le dos et sur les nageoires dorsale et caudale. Tout le reste du corps est argenté. Outre le petit individu long de six pouces, que nous venons de décrire, nous en trouvons encore deux autres absolument semblables. et que MM. Quoy et Gaymard ont rapportés CHÀPi XI. ALOSKS. 441 de l'Ile-de-France. Nous croyons bien ne pas nous tromper en les considérant comme d'une espèce distincte. * /.'Alose a caudale noire. {Alausa melanur a , nob.) Nous avons maintenant à parler d'une es- pèce d'Alose dont les couleurs rappellent nos Clupéonies. L'examen attentif que nous avons fait de dix-huit individus pris dans différentes localités, nous a prouvé que nous avons bien sous les yeux une Alose particulière, car nous nous sommes assuré qu'aucun d'eux n'a de dents. Cette espèce a d'ailleurs le museau assez pointu ; la tête petite; le profil supérieur rectiligne; l'infé- rieur assez concave; la dorsale au milieu du tronc; l'anale très-basse; la caudale profondément fourchue; les nageoires paires, pointues. D. 16; A. 18; C. 21; P. 14; V. 8. Les écailles sont minces, assez grandes; il n'y en a que trente-cinq rangées le long des flancs. Le dos a des rayures longitudinales sur un fond bleu assez foncé. Le ventre est blanc. Les nageoires sont in- colores; la caudale seule a, à chaque extrémité de ses lobes, une tache noire assez foncée. Cette espèce est répandue dans toute la mer des Indes. Nous en avons des exemplaires 442 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES, venus de la Nouvelle -Guinée, d'Amboine, de Vanikoro, et le plus long de nos exem- plaires, qui a six pouces, est originaire de Bourbon. . , • L'Alose scombrine. (Alausa scombrina , nob.) Il me reste à parler d'un poisson voisin de la Sardine, dont M. Dussumier a rapporté un assez grand nombre d'exemplaires, pris à Ca- nanor, de la côte malabare. Quand on examine ce poisson, on est frappé de la longueur et de la grosseur de sa tête; elle fait moitié de la longueur du tronc, où elle est comprise trois fois et demie dans la longueur totale- Les pièces de l'opercule sont assez larges. L'inter- valle entre les yeux est plat, élargi et sillonné. Le corps est arrondi. D. 15; A. 14; C. 21; P. 15; V. 9. Ce poisson, verdâtre en dessus, a tout le reste du corps argenté. Les écailles sont de grandeur moyenne. J'en compte cinquante rangées le long du flanc. M. Dussumier observe eri outre que ce poisson est très-abondant aux Séchelles, qu'il y reste pendant toute l'année. Sa chair est toujours très-bonne. Il atteint huit pouces de CHAP. XI. ALOSES. 443 longueur. Les habitants le désignent à Mahé sous le nom de Maquereau, et en effet la forme du corps de ce poisson, surtout celle des mâchoires et de l'ouverture de la bouche ont bien une ressemblance éloignée avec notre Maquereau. Je ferai observer que sous le nom de Sardine à museau aigu, M. Dussu- mier m'a désigné dans ses notes un poisson très-abondant à Mahé dont on lui avait dit, à l'un de ses premiers voyages, que la chair était vénéneuse; mais il a reconnu depuis que cette indication était fausse. Ce poisson, dont le corps et la tête ont une ressemblance assez marquée avec nos Clupées, m'avait toujours fort embarrassé, parce que je croyais devoir le ranger parmi nos Sardines, bien qu'il n'eût pas le ventre caréné et tranchant. Mais en rédigeant cet article, j'ai de nouveau étu- dié avec plus de soin cette espèce, et ayant vu que le nombre de la membrane branchio- stège est de dix-sept au moins, cette Sardine des Séchelles deviendra le type d'un genre particulier dont nous traiterons dans un cha- pitre supplémentaire , qui fixera la place de ce poisson auprès de nos Ëlops. 444 livre xxi. cluféoïdes. jL'Alose aux points noirs. (Alausa melanosticta , nob.) Nous avons enfin parmi nos collections une Alose qui nous conduit insensiblement à la Sardine. Elle lui ressemble par les stries de son opercule, mais leur finesse distinguera ce poisson de celui de nos côtes euro- péennes. D'ailleurs la forme arrondie du corps, la disposition des mâchoires, l'absence de dents, rap- pellent tout à fait notre sardine. La dorsale est un peu plus pointue. B. 5; D. 18; A. 18; P. 16; V. 8. Les couleurs sont un peu différentes de celles de la sardine. Il y a entre le bleu du dos et le brillant argenté des flancs sept ta huit points noirs, disposés sur une ligne longitudinale. Les nageoires paraissent un peu jaunâtres. Les chevrons de la carène sont petits et échancrés en avant, au lieu d'offrir une pointe de chaque côté. Nous comptons quarante- huit rangées d'écaillés le long des flancs. Cette jolie espèce, longue de cinq pouces,, a été rapportée de la baie des îles par MM. Lesson et Garnot, lorsque la corvette, sous les ordres de M. le capitaine Duperrey, vint mouiller à la Nouvelle-Zélande. Les natu- rels lui donnent le nom de Moéo. CHAI*. XI. ALOSES. 445 Je trouve une représentation fort exacte de notre poisson dans la Faune japonaise. C'est le Clupea melanosticta de MM. Tem- ininek et Schlegel1. On le prend en automne sur les cotes du Japon en si grand nombre qu'on le jette sur les terres comme engrais. Son nom japonais est Maiwaisi. De la Sardine. • {Alaiisa Pilchar-dus , nob.) Le poisson si célèbre que nous allons dé- crire dans cet article a été longtemps mé- connu, parce qu'il fut introduit dans nos catalogues ichtbyologiques sans qu'on en eût fixé les caractères spécifiques. En effet, Artedi confondit, dans la synonymie de l'Alose, quel- ques-unes des citations du Pilchard, qui de- vaient être rapportées à la Sardine, ne faisant du premier de ces poissons qu'une variété de la plus grande de nos clupées européennes. Linné j qui admit dans le Systema naturœ le Clupea spratus, d'après Artedi, lequel est une petite harengule de notre Océan septentrional, confondit sous ce même nom, dans le Musée 1. Temm. et Schl. , Fnun. jap. Vise, pag. 237 , pi. 101 , % 3. 446 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. du prince Adolphe-Frédéric, un poisson de la- Méditerranée qui est très -probablement notre Sardine. Il n'en aperçut ni n'en indiqua les traits caractéristiques. D'un autre côté, ce qui contribua encore à empêcher l'établisse- ment de l'espèce de la Sardine, c'est que les auteurs ne reconnurent pas son identité avec notre Célan ou notre Célérin, que les natura- listes s'accordent, avec raison, à considérer comme le Pilchard de Willughby et des An- glais. On doit s'étonner cependant que cette identité n'ait pas été plus généralement ad- mise, car on la trouve déjà établie dans cette phrase de Belon ■ : « il est tout arrêté que nos «Célérins sont ceux que les autres nations «nomment Sardine ou Sardelle.» Une fois que l'on est fixé sur ces points, l'histoire de la Sardine et sa synonymie de- viennent plus faciles, parce qu'on en dégage tous les emprunts faits au Clupea spratus pour les donner à sa synonymie, et l'on y ajoute tout ce qui lui appartient et qui a été placé sous le nom de Clupea pilchardusr Commençons d'abord, suivant notre habi- tude, par donner une description détaillée de la Sardine. 1. Observ., p. 161. CHAr. XI. ALOSES. 447 Elle a le corps médiocrement allongé, à pro- portion de sa largeur. Le profil du dos est presque en ligne droite ; celui du ventre est en ligne courbe régulière depuis le bout du museau jusqu'à la fin de l'anale. Le dos est arrondi et épais; le ventre est mince, tranchant et dentelé dans toute son étendue, depuis la gorge jusqu'à l'anus. Les dents de cette sorte de scie sont égales entre elles, ne saillent point en de- hors des écailles qui recouvrent les deux côtés du ventre, et qui forment une sorte de gouttière dans laquelle est placée cette suite de dentelures. Chaque dent est large ; sa pointe est dirigée en arrière et dans le sens de la ligne du ventre. Il y en a trente dans la longueur de l'abdomen. En arrachant une de ces dentelures, on trouve qu'elle est portée sur une espèce de bouclier corné comme les écailles, dont la dent forme la carène du milieu; elle saille au milieu d'une échancrure du bord postérieur de ce bouclier. L'antérieur se termine en pointe mousse, qui est recouverte par la dent qui la précède. Ces deux côtés se terminent par une longue pointe fine et déliée qui forment par leur réunion une demi-ceinture qui protège l'abdomen. La hauteur du corps, mesurée à la dorsale, fait le cinquième de la longueur totale; celle de la queue, derrière l'anale, est le tiers de cette hauteur. Son épaisseur n'est pas la moitié de la hauteur. La longueur de la tête est égale à la hauteur du corps, c'est-à-dire, qu'elle est le cinquième de la longueur totale. La distance du bout du museau au 448 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. bord antérieur de l'orbite n'est pas le tiers de la longueur de la tête. L'œil est assez grand, rond, et son diamètre est le quart de la longueur de la tête. L'opercule est strié , et rayonnant de son angle antérieur et supérieur vers tout le bord inférieur. Ces stries sont au nombre de six à huit, et quelque- fois elles sont assez profondes pour que l'on puisse les appeler du nom de sillons. Le bout du museau est pointu. La mâchoire in- férieure ne dépasse pas la supérieure quand la bouche est fermée ; mais elle la dépasse beaucoup quand la bouche est ouverte; ce qui provient de la grande largeur des branches de la mâchoire inférieure, qui sont coupées obliquement en arrière et qui s'articu- lent par l'angle inférieur et postérieur de cette tron- cature; de façon que le poisson en ouvrant la bouche, projette sa mâchoire en avant. Il y a une sorte de lèvre au repli de la peau très-large, qui se replie sur le côté de chaque branche de cette mâchoire. La supérieure n'a pas de lèvres; les intermaxillaires sont très -petits, comme cela a lieu dans toutes les clupées, et les maxillaires sont très-grands. Ils sont semblables, en général, à ceux de l'Alose; il n'y a point de dents aux mâchoires; mais les maxillaires ont quelques scabrosités très-fines. Les ouïes sont très-fendues ; on compte cinq rayons à la membrane branchiostège; les quatre premiers sont grêles; le dernier est large et aplati, et con- tribue à former, comme dans l'Alose, cette sorte d'échancrure que l'on voit sur le pourtour de l'ap- pareil branchial. CHAP. XI. ALOSES. 449 La distance du bout du museau à la fin de la dorsale est presque la moitié de la longueur totale; de façon que la dorsale naît sur la fin de la première moitié du corps, dans la longueur de toute l'étendue de celte nageoire. Sa hauteur égale sa longueur; on y compte dix-sept rayons , dont les trois premiers sont simples. De ceux-ci, le premier est très-court; le second un peu plus long, et le troisième n'atteint que la moitié du quatrième, qui est le plus long de tous. Il est, comme le suivant, ramifié, et le dernier rayon est double. L'anus s'ouvre derrière les trois cinquièmes de la longueur totale. Derrière lui on voit commencer 1 anale, où l'on compte vingt et un rayons, dont les trois premiers sont simples. La longueur de cette nageoire est plus grande que celle de la dor- sale, et elle fait le septième de la longueur totale, et sa plus grande hauteur est le tiers- de la longueur. La caudale égale le septième de la longueur totale, de sorte qu'elle égale l'étendue de l'anale; elle est assez profondément fourchue; de façon que la lon- gueur de ses rayons du milieu ne fasse pas la moitié de celle des rayons latéraux ; elle a dix-huit rayons cinq ou six fois plus courts au-dessous et au-dessus. Les ventrales sont attachées au-dessous des deux premiers cinquièmes de la longueur totale; elles sont petites, triangulaires, et ont six rayons, dont le premier est simple. Les pectorales sont attachées sous l'angle inférieur de l'opercule; elles sont pointues, de médiocre lon- gueur; elles ne font que la moitié de la hauteur du 20. 29 /l50 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. corps ; elles ont chacune dix -sept rayons, 'dont le premier est simple. Les écailles du corps sont grandes, très -minces et transparentes. Vues à la loupe, elles montrent quelques granulations éparses sur leur partie nue, et leur portion recouverte montre quelques stries éloignées l'une de l'autre. Leur bord radical est pointu dans le milieu et festonné d une seule échan- crure peu profonde de chaque côté. • Près des nageoires dorsale et anale les écailles ont une forme allongée, et elles forment'une sorte de gouttière dans laquelle la nageoire peut se cacher en partie quand elle est abaissée. Près des pectorales, les écailles ont vers le bas une sorte de pointe ou de talon; de manière que leur réunion forme une fossette peu profonde, de la longueur delà nageoire, et dans laquelle elle se place quand le poisson la rapproche de son corps. A la base de cette nageoire et en avant il y a des écailles plus longues et plus larges que les autres, qui se reculent un peu en avant de chaque pectorale. Il n'y a aucune écaille particulière aux ventrales; mais à la caudale, il y en a de chaque côté deux ou trois longues sur chaque lobe, auprès de leur réunion, qui sont en forme de palettes. Elles sont semblables à celles que nous avons vue dans l'alose." Les chevrons du ventre sont assez semblables à ceux de l'alose, mais plus petits. Je n'en compte que vingt-neuf. Je n'ai pu voir qu'une seule ouverture de la na- rine, et je n'ai point aperçu la ligne latérale. (IIAP. XI. ALOSES. 451 Le foie de la sardine n'occupe environ que le tiers de la longueur de l'abdomen; dans une sardine conservée dans le sel , il était rouge pâle. Les intestins ressemblent d'ailleurs tout à fait à ceux de l'alose. L'œsophage est large; sa longueur fait le tiers de la longueur de l'abdomen. L'estomac est un sac étroit, allongé, terminé en pointe; près du cardia il remonte une branche d'un tiers moins longue que l'estomac, mais à parois plus épaisses. Le pylore se rétrécit beaucoup à cet endroit, et l'intestin qui en naît est garni d'un seul côté, dans toute son étendue , d'une quantité innombrable d'appendices cœcales, fines et longues. Cet intestin atteint à peine la moitié de l'estomac; le canal alimentaire remonte vers la tête jusque auprès du diaphragme : il se replie en cet endroit et se porte directement à l'anus. La rate est étroite, rouge et située le long de l'es- tomac entre l'intestin et le viscère. La vessie natatoire est très -grande : elle occupe presque toute la longueur de l'abdomen. Ses parois sont minces et argentées. Mais elle est enveloppée par un repli du péritoine, ce qui la fait paraître noirâtre. Un peu au-dessous de son milieu naît le canal pneumatophore, qui est court, large et s'ouvre dans le fond de l'estomac à sa pointe. Les ovaires sont rougeâtres, remplis d'un grand nombre d'œufs très-fins; leur longueur n'est à peu près que la moitié de la cavité abdominale. Le péritoine est mince et noir. 452 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. Le crâne de la sardine montre les affinités de ce poisson et de l'alose. Il est en effet plus large que celui du hareng; cependant il est beaucoup plus étroit que celui de notre première espèce. Nous ne comptons que cinquante -trois vertèbres, qui sont entourées d'arêtes ou d'apophyses très -fines, for- mant avec les côtes un squelette très -semblable à celui de l'alose. La description qu'on vient de lire a été faite sur des individus venus de Nantes, et qui ont de cinq pouces et demi à six pouces de longueur. Nous avons suivi ce poisson sur toute la côte et nous en avons eu de beaucoup plus grands. Ce sont les individus qui se montrent dans la Manche, sur nos côtes de Normandie et de Picardie, sous le nom de Célérin ou de Célan. J'en ai pris à Abbeville de neuf pouces de longueur. On les envoie souvent aux marchés de Paris sous le nom de Harengs de Bergues. Nous avons retrouvé cette espèce à Brest, a La Piochelle, d'où M. d'Orbigny nous l'a envoyée en quan- tité. Le poisson, recherché à Bordeaux sous le nom de Roy an, n'est autre encore que la Sardine. M. Bâillon nous en a donné des exemplaires qu'il avait reçus de Malaga sur la côte d'Espagne. Nous en avons examiné un aussi grand CHAP. XI. ALOSES. 455 nombre d'individus venus des différents points de la Méditerranée. Ainsi, M. de La- lande Ta rapportée de Marseille; M. Lau- rillard de Nice; M. Payraudeau de Corse; M. Bibron de Messine; et les naturalistes de l'expédition scientifique de l'Algérie en ont eu plusieurs exemplaires sur cette côte. En ayant étudié un aussi grand .nombre d'individus de taille différente et de localités si diverses, il est facile de suivre ce que les auteurs ont rapporté sur ce poisson. Nous ajouterons à ce que nous avons déjà cité de Belon, que la figure donnée par cet auteur présente bien les traits caractéristiques de cette espèce. Rondelet, qui a si bien fait connaître les poissons de la Méditerranée, a laissé une figure défectueuse de ce poisson si abondant dans cette mer. L'anale y est oubliée, mais les stries de l'opercule ne l'ont pas été. 11 a d'ailleurs transposé sa figure en la plaçant en tête d'un chapitre qui ne donne pas la description de son poisson. Le même oubli de l'anale a été fait par Gessner dans une figure originale qui lui avait été envoyée de Venise. Il est assez remarquable que Sal- viani ait négligé complètement ce poisson. Willughby et Pennant donnent la Sardine sous son nom anglais de Pilchàrd. La figure 454 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. du premier de ces auteurs est beaucoup meil- leure que celle que Bloch a publiée dans sa grande Ichthyologie, à la pi. 4o6. Je trouve l'espèce citée dans les Faunes d'Angleterre : elle est bien représentée dans Donovan *, mais beaucoup mieux encore dans l'élégant ouvrage de Yarrell2. Tous ces auteurs anglais s'accor- dent à dire que notre poisson, très-rare sur les côtes d'Ecosse, ne remonte pas plus au nord.» Duhamel3 a donné aussi un beau dessin de la Sardine. C'est incontestablement le Clupea spratus de Brunnich, et il est le seul auteur qui en ait indiqué le caractère par l'expression d'o- perculis striatis. Ce trait caractéristique a été saisi par M. Cu- vier; mais comme il a cru encore qu'il fallait distinguer le Pilchard de la Sardine, il a laissé subsister ces deux espèces dans le Règne animal, tout en faisant observer que le poisson qu'il nomme la Sardine est tellement semblable au Pilchard, qu'il ne lui trouve d'autre différence que dans sa taille moindre. En conséquence, ne voulant pas avec raison, comme beaucoup 1. Donov. , pi. 69. 2. Ton... II, p. 96. 3. Duh., Traité des pèches, 2." part, S 3, pi. 16, %. 4. CHÀP. XI. ALOSES. 451S d'auteurs, appliquer à la Sardine le nom de Clupea spratus, et voulant laisser subsister comme espèce distincte le Clupea pilchardus, il a créé .pour la Sardine un Clupea sarclinà. Au lieu de placer ces poissons dans le genre des Aloses, il les a associés aux Harengs. Nous avons déjà dit qu'il ne caractérisait ni l'une ni l'autre de ces deux coupes. Ces erreurs ont été adoptées dans le catalogue du prince Charles Bonaparte, et antérieurement dans les ouvrages de Risso. Cornide cite aussi la Sardine sur les côtes de Galice, et Cetti mentionne également ce poisson dans son Histoire de la Sardaigne. Telle est la critique de la synonymie de cet important poisson. Nous n'avons pas à revenir ici sur ses dénominations chez- les anciens, puisque nous en avons traité d'une manière générale en commençant l'histoire de nos Clu- péoïdes. La pèche des Sardines occupe un nombre considérable d'hommes et de femmes sur nos côtes de Bretagne. La .pèche la plus impor- tante s'en fait aujourd'hui depuis les côtes nord de Belle-Ile jusqu'à. la pointe sud, sous Loch-Maria, et en tirant au nord jusqu'à celle des Poulains, au-dessous d'Aubrick. Cette étendue se nomme la bonne rade, parce / 456 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. qu'elle est à l'abri des vents S. et S. O. par la .terre de Belle-Ile, et de ceux du N. N. O. par la terre ferme. Les chasse-marées qui vont à la pêche de la Sardine ont huit ou dix ton- neaux de port : elles sont montées par six ou dix hommes, dont le maître se nomme patron, et le second, brigadier; les autres ne sont que des hommes de peine , n'étant pas matelots de profession. Ce sont des pay- sans bretons quittant momentanément la cul- ture de la terre pour la pêche du poisson. Les filets ont de quinze à vingt brasses de lon- gueur sur deux et demie de chute. La gran- deur des mailles varie de cinq lignes à un pouce. Ces filets ou menets sont appelés ca- rabins quand ils ont les mailles petites'; ceux à grandes mailles prennent le nom de folles. Les deux côtés sont attachés à une corde que les pêcheurs nomment ralingues ; l'un des côtés de la nappe porte des lièges, l'autre des plombs. Quelques pêcheurs préfèrent l'em- ploi de gros câbles pour charger le filet, de manière à ce qu'il puisse avoir dans l'eau un léger balancement utile pour emmailler un plus grand nombre de poissons. L'appât dont on se sert pour l'attirer se nomme resure, rave ou plus généralement rogue. Ce sont des œufs de poissons salés. Le plus estimé de CHAP. XI. ALOSES. 457 ces appâts est composé d'oeufs de morue. Ou se sert aussi avec avantage des œufs de maque- reau, auxquels on ajoute quelquefois la chair bien pilée de ce scombre. Cette rogue se tire du Nord et principalement de Dronlheim. Il y a encore d'autres appâts nommes gueldres ou chevrons, qui sont faits avec des crevettes et d'autres petits crustacés , mêlés à de petits poissons salés. Mais les lois de la pèche dé- fendent ces sortes de rogues, parce que les pêcheurs qui vont prendre des crabes" néces- saires à leur confection, détruisent, pour se les procurer, une trop grande quantité de frai de divers poissons. Le bateau monté et équipé, va à deux ou trois lieues en mer. Pour se disposer à pêcher, il baisse la voile et le mât, et se maintient contre le vent avec le seul aide de la rame. Après avoir ôté le gouvernail, le patron jette le filet par le bout du bateau; les bateliers forcent de rames pour l'étendre, et le patron jette à droite et à gauche du filet, aussi loin que possible, la rogue dé- layée en une sorte de bouillie. Quand le pêcheur voit que les lièges sont très-agités et que la surface de la mer se couvre d'un grand nombre d'écaillés argentées, il juge que le filet est bien garni de poisson; alors il le détache 458 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. du bateau pour le nouer à la corde d'une bouée à laquelle il fixe l'extrémité de l'autre nappe, répétant pour celle-ci la manœuvre précédemment indiquée. Le pécheur jette suc- cessivement jusqu'à cinq ou six filets. Lorsqu'il les croit suffisamment remplis de poisson, il se porte à la rame à la tête du premier qu'il retire d'abord, afin de donner le temps aux autres d'emmâiller un plus grand nombre de sardines. On détache les poissons encolletés, on les couvre de suite de sel; on les porte à la côte, d'où les femmes les- transportent dans des manettes posées sur leurs têtes, en courant avec une activité qui anime beaucoup le mo- ment du débarquement de la sardine. Ces Clupées qui ne sont pas vendues fraîches sont salées de nouveau ou conservées, soit dans de l'huile d'olive, soit dans du beurre fondu, pour être exportées ensuite dans presque toute l'Eu- rope. Les grosses sardines qui échappent aux filets des paysans bretons s'avancent dans la Manche, y grandissent, y deviennent le Célan; elles y vivent en troupes, sont pochées sou- vent par les mêmes hommes qui poursuivent le hareng; des paniers de ce poisson se vendent aux marchés de Paris, confondus avec l'autre espèce de 'dupée. A Saint-Malo on pêche aussi beaucoup de Gëlans. J'ai vu des boîtes de CHAP. XI. ALOSES. 459 ce poisson préparées de la même manière que la sardine de Nantes et de Lorient, et vendues à Paris par nos marchands de comes- tibles comme de grosses sardines. Sur les côtes d'Angleterre, principalement aux atterrages de Cornouailles, dans les baies de Falmouth, les Célajis reçoivent le nom de Pilchards; ils se réunissent en troupes si nombreuses, qu'on se souvient encore d'une capture faite dans la baie de Saint-Yves, en 1767, où l'on prit d'un coup de filet 25o,ooo de ces dupées. Il n'est pas rare d'en prendre encore des bancs •de plus de 100,000. On peut aussi supposer que les sardines deviennent plus grosses sur les côtes septen- trionales, de la même manière que les harengs du cap Nord sont plus gros que ceux de la Manche. Sur la côte d'Espagne, les Galiciens se ser- vent de filets auxquels ils donnent le nom de sar dînera ou de cercorea. Ces filets ont sou- vent une étendue de mille brasses de lon- gueur, et la largeur des mailles est beaucoup plus grande que celle des filets des côtes de France. La pêche de la sardine est aussi un objet important d'industrie en Portugal. Partout cette pêche occupe une fouie de bras pour 4G0 LIVRE XXI. CLUPÉOÏDES. les diverses préparations que subit le poisson. Elle est bien loin cependant d'être une bran- che d'économie maritime aussi productive que celle du hareng, mais elle mérite d'être encouragée , parce qu'elle est une pépinière de bons marins. On retire aussi de l'huile de la sardine , que l'on emploie aux mêmes usages que l'huile de morue ou de hareng. Les sardines sont dévorées par les gacles, et dans la Méditerranée et le long des côtes d'Espagne par un grand nombre de marsouins. ADDITIONS au volume XX. Nous avons été obligé de rejeter à la fin de ce volume certaines espèces tellement in- certaines, que nous les citerons ici pour les signaler de nouveau à l'attention des voya- geurs.* Telles sont d'abord les espèces citées par Buchanan dans le genre des Clu pan o dons. Le Clupanodon motius , Buch. Ce poisson a la forme comprimée , quelque peu semblable à une lame de couteau; la mâchoire infé- rieure est plus longue que la supérieure; les écailles sont grandes et tombent facilement; les nombres : B. 5? D. 15? A. 43? P. 14 ou 15; V. 7. Ce poisson vient du Brahmaputra. Il n'a environ que trois pouces de long. L'auteur dit qu'il a quelque affinité avec le Ditchelée de Russell, et par conséquent il avoisinerait les espèces du genre des Pellones ; cela me paraît probable d'après la forme générale du corps, la petitesse des ventrales et la longueur de l'anale; mais comme il ajoute que la langue est petite et lisse, cela laisse de lmcertitude pour sa description. C'est ici l'occasion de rappeler que le doc- teur Richardson a indiqué, dans son Ichthyo- 462 ADDITIONS AU GENRE CLUPANODON. logie des mers de Chine, sous le nom de Ilisha àbnormis , un poisson qui est très- probablement du genre des Pellones , mais comme les caractères génériques n'ont pas été donnés par ce savant ichthyologiste ou par M. Gray, qui est cité par M. Richardson, je ne crois pas que l'on puisse me faire de re- proche pour n'avoir pas employé cette dé- nomination générique d'Ilisha à la place de celle de Pellones. Je trouve, dans le beau travail de M. Je- nyns , l'indication de trois espèces de du- pées dont les deux premières, selon l'aveu de cet savant auteur, sont établies d'après des individus mal conservés. Il a nommé la première Clupea fuegensis, Jen.1 C'est un petit poisson qui ressemble à un jeune hareng; il a le ventre caréné, les dents très-petites; sur le bord postérieur de l'opercule on voit une tache plus sensible que dans ce qu'il appelle le sprat com- mun. Il ajoute qu'il diffère du hareng, parce que les ventrales sont sous l'aplomb du premier rayon de la dorsale. D. 18; A. 19; C. 19; P. 18; V. 8. Ce petit poisson , long de trois pouces , a- 1. Jerryns, Fish. of Beng. , p. 133. ADDITIONS AU GENRE CLUPANODON. 4GS été pris pendant la nuit eh vue du cap ïns de la Terre-de-Feu, a deux milles de la côte, par treize brasses de profondeur. Le Clupea arcuata, Jen. ', a le corps épais et cependant très -comprimé; l'ab- domen caréné et, dentelé comme dans le sprat,com- niun; les pièces de l'opercule ressemblent aussi à celles de ce sprat. Le sous-opercule est arrondi en arrière; il y a une tache à l'angle supérieur de l'o- percule. La dorsale est au milieu de la longueur du corps, en n'y comprenant pas la caudale; les ventrales répondent aux premiers rayons. Les na- geoires sont très-petites, plus courtes que celles du sprat. D. 18; A. 23; C. 19; P. 16; V. 7. Ce poisson, long de quatre pouces et deux lignes, a le dos bleu et le ventre argenté. Il vient de Bahia blanca. Enfin . Le Clupea sagax s Jen.2, est un poisson qui a la même épaisseur que le Pilchard, mais la tête plus longue et plus grosse; l'abdomen plus lisse et sans apparence de dentelures au-devant des ventrales. La mâchoire inférieure un peu plus avancée que la supérieure ; point de dents visibles. Les pièces de l'opercule sont très-sembla- 1. Jerryns, 1. c. , p. 134, n.° 2. 2. Jerryns, 1. c. , p. 134, n.° 3. 464 ADDITIONS AU GENRE CLUPANODON. bles à celles du Pilchard , mais l'interopercule est plus développé. La dorsale est avancée sur la pre- mière moitié du dos. Il y a sur la caudale deux longues écailles allongées comme dans le Pilchard. D. 11 5 A. 18 ou 19; C. 19; P. 18; V. 8. Ce poisson, long de dix pouces et demi, a été trouvé à l'île San-Lorenzo et à Lima. M. Richardson a aussi décrit dans son Icli- thyologie des mers de Chine quelques espèces dont il indiquera sans doute, à ma prière, les caractères de la dentition. Le Clupea Isengleena , Rich. , est établi d'après un individu présenté au British Muséum par John Russell Reeves. C'est un poisson court et haut, à dos arrondi, à ventre tranchant et dentelé par vingt -six épines, dont les dix dernières sont au delà des ventrales. Les mâchoires n'ont point de dents. Les ventrales sont sous les premiers rayons de la dorsale, et toutes les nageoires sont écailleuses. Les écailles du dos sont d'un vert-pré et brillantes, avec les bords ar- gentés. Celles du ventre sont plus argentées, avec des reflets bleu d'outre -mer. La pectorale a quelques teintes jaunes, les autres nageoires sont vert pâle. M. Richardson dit que son poisson a quel- que ressemblance avec le Roval ou le Rovarloo de Russell, et. il lui donne aussi quelque affinité avec le Clupea sinensis de Rloch. La ADDITIONS AU GENRE CLUPANODON. 405 longueur de l'individu est de cinq pouces et demi. Les uoms chinois de Tsing lin ou de Tsing lein signifient que les écailles du pois- son sont bleues. Le Chipea nymphœa, Rich. Le dos et le ventre sont assez aigus, et l'épaisseur du corps égale la moitié de la hauteur. Le ventre est fortement dentelé. Il y a quarante à quarante et une écailles dans la longueur. La couleur du dos est vert foncé ; le bord des écailles est argenté. Les côtés sont vert bleuâtre. M. Richardson croit encore cette espèce très-voisine du Chipea sinensis de Bloch et de Lacépède. B. 6 ou 7? D. 17; A. 15; G. 27; P. 18; V. 9. Les noms chinois sont Chang jaou lin et Cheung in lun, ce qui veut dire poisson à belle ceinture. Le Chipea cœruleo-uittata , Rich., est établi d'après un dessin long de huit pouces trois quarts. La courbure du dos est semblable à celle du C. nymphœa , mais les ventrales sont encore plus avan- cées- l'anale est plus longue et plus basse. D. 17 ; A. 18 ou 19. Le dessus est* vert; les côtés sont argentés; les écailles ont une petite bandelette bleue et les reflets pourpres. La caudale et la ventrale sont vertes; les autres nageoires jaunâtres. 20. 3o 466 ADDITIONS AU GENRE CLUPANODON. Le Clupea Jlos -maris est aussi établi d'après une figure qui montre les ventrales reculées sous la dernière partie de la dorsale. Une anale courte, une caudale très- four- chue; les écailles ne sont pas indiquées. Le dos est vert; les côtés nacrés à reflets bleus ou pourpres. Les pectorales sont couleur de laque. En rapprochant ce que M. Richardson dit de ce poisson et de son Engraulis Commer- sonidnus, je vois qu'il n'est pas lui-même bien fixé sur cette espèce. Le Clupea gracilis, Temm. et Schl. D'après Temminck et Schlegel1 ce poisson peut être identifié à l'espèce précédente. Sui- vant M. Richardson, la figure gravée dans la Faune japonaise est un peu incertaine; ce- pendant les auteurs n'ont pas vu de dents aux diverses parties de la bouche. Elle doit être une espèce particulière d'alose. B. 6;D. 11;A. 14; C. 15; P. 14; V. 8. Le dos est vert et les flancs ont une bande argentée. Ce poisson, long de quatre pouces, est si abondant au Japon qu'on le sale et qu'on le jette aussi sur les terres pour engrais. Son nom japonais est Kibunaiwasi. 1. Temm. et Schl. , Faun. jap. Pisc, pag. 280, p!. 108, fig. 2. 1G7 SUPPLÉMENT au chap. VI du livre XX, tome XIX, p. 546. Du genre DUSSUMIÉRIE, et en particulier de la Dussumiérie a museau aigu (Dussumieiia acuta, nob.) Lorsque j'ai fait l'an dernier le travail pré- paratoire qui m'a conduit à la classification des Chipées que j'ai présentée dans ce volume , et à séparer de la famille des Ciupéoïdes de Cuvier les divers genres dont il a été succes- vement question dans la description des fa- milles précédentes , je n'avais pas examiné le poisson qui va faire le sujet de ce supplé- ment, parce qu'il se trouvait confondu avec nos Sardines sous la dénomination de Sar- dine à tête pointue de la côte malabare. On lui donne en effet à Bombay le nom de Sardine. La ressemblance extérieure que ce poisson a avec les espèces de ce genre semble justifier cette dénomination. J'avoue que j'ai été pendant quelque temps assez embarrassé, parce que je croyais que cette espèce venait 468 SUPPLÉMENT AU TOME XIX. faire une fâcheuse exception, à cause de son ventre lisse et sans dentelures, à notre série des dupées à ventre dentelé. Mais en l'examinant avec attention, je n'ai pas tardé à reconnaître que ses caractères zoologiques sont très-diffé- rents de ceux de nos Sardines et qu'elle a été confondue très-improprement avec les espèces de ce genre sous cette dénomination vulgaire. Ce poisson a en effet des dents aux mâchoires, aux palatins, aux ptérygoïdiens et sur la langue. Le vomer est lisse. Les dents palatines et ptérygoïdiennes forment deux plaques oblon- gues en râpe fine, qui rappellent tout à fait ce que nous avons observé dans les Êlops. D'un autre côté, le nombre des rayons de la membrane branchiostège rapproche aussi notre poisson des Ëlops. On ne peut cependant placer ce genre dans cette famille, parce que la Dussumiérie n'a point entre les mâchoires cet os sublingual caractéristique des Ëlops et des Amia. Il faut aussi remarquer que les Butyrins, malgré leur mâchoire lisse, portent des dents au palais et ont douze rayons à la membrane branchiostège. Ces rapprochements aident à assigner la place que doit tenir le poisson qui fait le sujet de cet article. C'est entre les Butyrins et les Élops qu'il viendra se -.placer. CHAI'. VI. BUTHMNS. 4(>î) Je ne connais encore qu'une espèce de ce genre- Ce poisson a le corps oblong, assez épais. La hauteur, un peu plus courte que la tête, est cinq fois et demie dans la longueur totale; la tête n'y étant pas comprise cinq fois. L'œil est recouvert d'une paupière adipeuse très -épaisse; il est assez orand, car son diamètre mesure le tiers de la lori- gueur de la tête. La mâchoire inférieure dépasse a peine la supérieure : elles sont finement dentelées toutes deux et nous avons déjà dit que les palatins, les ptérigoïdiens et la langue sont aussi couverts de petites dents en râpe très-fine. Le vomer est lisse; on observe cependant sur plusieurs individus quel- ques âpretés sur la longueur de l'os quand on a enlevé la muqueuse du palais. Je fais cette observa- tion pour que l'on ne se trompe pas sur la diagnose du senre. Les ouïes sont très-fendues. La membrane branchiostège est étroite et laisse apercevoir facile- ment les quinze rayons qui la soutiennent. La dor- sale est au milieu du corps. L'anale est courte et petite. Les ventrales correspondent au milieu de la dorsale; elles sont petites, triangulaires et ont entre elles une écaille assez large qui dépasse les rayons. La pectorale a aussi une longue écaille dans son aisselle. La caudale est si profondément fourchue que les deux lobes ont l'air d'être séparés. B. 15; D. 19; A. 14; C. 23; P. 14; V. 8. Les écailles sont petites, tombent facilement; elles ont lé bord libre cilié. La couleur est bleue sur le 470 SUPPLÉMENT AU TOME XIX. dos , argentée sur tout le reste du corps. Les na- geoires sont incolores, la caudale seule a beaucoup de noirâtre. J'ai examiné les viscères de ce poisson et j'y trouve un œsophage assez long, recevant auprès du cardia le conduit pneumatique. L'estomac est un sac ob- long, étroit, donnant vers le haut une petite bran- che montante à parois charnues. Le pylore est très- étroit, et il est entouré de nombreux cœcums. La vessie aérienne est petite : son canal naît au milieu de sa longueur. Tel est le poisson dont M. Dussumier nous a rapporté un nombre considérable d'exem- plaires. Il les a pris presque tous à la côte malabare, où ce poisson excellent à manger et très-sain y arrive par bandes innombrables à la moisson d'été, mais pêle-mêle avec l'es- pèce de Melette décrite dans ce volume, page 377, sous le nom de Melette venimeuse, parce que la chair de ce poisson est quelque- fois si dangereuse que son ingestion peut causer la mort. L'espèce a été aussi retrouvée par ce voyageur à la côte de Coromandel. Elle y avait été observée auparavant par M. Leschenault et plus anciennement par Son- nerat. Le premier de ces deux naturalistes l'avait indiquée dans ses catalogues sous le nom de Mode- Kintè\ mais j'ai cru devoir dédier le genre à M. Dussumier, non-seule- CHAP. VI. BUTYRINS. 474 ment pour lui donner un nouveau témoi- gnage de la gratitude que nous ont inspirée les sacrifices qu'il s'est imposés pour servir avec tant de zèle l'ichthyologie , mais encore parce que c'est lui qui a indiqué dans ses notes tout le parti que l'on pourrait tirer d'une espèce qui rendrait dans l'Inde des services tout à fait comparables à ceux que nous tirons de nos Sardines européennes. Je crois devoir rapporter à ce poisson le Clupea micropus de MM. Temminck et Schlc- gel1. Leur description est tout à fait conforme ; mais ils n'indiquent que huit rayons à l'anale. Ce serait, dans ce cas, une seconde espèce du genre. Son nom japonais est Etrumeiwasi. Je profiterai des nouvelles remarques que je viens de faire sur les Butyrins et sur les Éiops, pour dire que je n'ai distingué les Mégalopes des Élops qu'à cause du prolonge- ment du dernier rayon de la dorsale en un long filet. Je trouvais ce genre établi par M. de Lacépède, adopté par M. Guvier, j'ai cru devoir suivre l'exemple de maîtres aussi illustres. Cependant le Cailleu-Tassart nous a montré un prolongement semblable dans 1. Temm. et Schl., Faun. j'ap. Pisc, pag. 236, pi. 107, fig. 2. 472 SUPPLÉMENT AU TOME XIX. une de nos espèces de Melettes; les autres ont une dorsale sans aucun filet. On verra les mêmes changements se reproduire dans les espèces de Chatoessus; aussi, aujourd'hui je n'hésite plus à dire que le genre Mégalope ne doit être considéré que comme une simple division des Éiops, et que ce nom fixé par Linné doit être seul conservé. FIN DU TOME VINGTIEME. TABLE DE L'HISTOIRE NATURELLE DU HARENG. Considérations générales sur la famille des Clu- péoïdes, à laquelle appartient le Hareng page 1 à 27 Considérations générales sur le genre Hareng. . 28 — 3o Description du Hareng 3 1 — 47 Lieux où l'on trouve le Hareng 47 — ^o Blanches de Picardée ou jeunes Harengs. ... 5 1 — 5 2 Synonymie du Hareng 64 — 60 Habitudes du Hareng 60 — 70 Maladies du Hareng 7° — 73 Reproduction du Hareng 74 — 7 8 Déplacement des bancs de Hareng 78 — io5 Inexactitude du Système migratorial io5 — 108 Conclusion sur le séjour du Hareng 145 — i53 Histoire de la pêche du Hareng 1 5 4 Pêche française i55 — flamande 169 — hollandaise 175 — anglaise i83 — hambourgeoise 2i3 — danoise 2i5 — suédoise 225 Manière de pêcher le Hareng 233 Préparations du hareng 236 20. EXPLICATION DE LA PLANCHE 5g2. a. L'œsophage. b. L'estomac. c. La branche montante de l'estomac. d. d. d. Les cœcums. e. e. L'intestin. f. L'anus. g. Le foie. h. Portion inférieure de l'ovaire. i. La rate. k. La langue avec ses petites dents. /. Les dents du vomer. m. m. Les dents du palatin. n. n. Les branchies. o. La vessie aérienne. p. p. Les deux ligaments qui vont s'attacher de la vessie à la base du crâne : ils sont pleins et n'établissent aucune communication entre la vessie et l'oreille.