4° . HISTOIRE BA 29 NATURELLE Par BUFFON, DÉDIÉE AU CITOYEN LACEPEDE, MEMBRE DE L'INSTITUT NATIONAE. MATTERES GÉNÉRALES. TOME VINGT-UNIEME. Va Rt Es RICHMOND COLLECTION. à: &... KR tional H use À LA LIBRAIRIE STÉRÉOTYPE DE P. DIDOT L’AÎNÉ, GALERIES DU LOUVRE, N° 3, Bt Firmin DIDOT, RUE DE THIONVILLE, N° 116. AN VII. — 1799. LS ne £ E - . Fa M 5% HISTOIRE N'AÏT'UR EL LE DE-L:°#H0 M ME. DU SENS DE LA VUE. A» RES avoir donné la description des dif- férentes parties qui composent lé corps hu- main, examinons ses principaux ofsanes , voyons le développement et les fonctions des sens, cherchons à reconnoître leur usage dans toute son étendue , et marquons en même temps les erreurs auxquelles nous sommes, pour ainsi dire, assujettis par la Nature. Les yeux paroissent être formés de fort bonne heure dans Le fœtus, et sont même, 1 4 ue doubles, celles qui paroissent se développer les. premières dans le petit pou- let, et j'ai observé sur des œufs de plusieurs espèces d'oiseaux, et sur des œufs de lézards, que les yeux étoient beaucoup plus gros et plus avancés datis leur développement que toutes les autres parties doubles de leur corps.’ Il est vrai que dans lés vivipares, et en particulier dans le fœtus humain, ils ne sont pas, à beaucoup près, aussi gros à pro- portion qu'ils le sont dans les embryons des ovipares : mais cependant ils sont plus for- més et ils paroissent se développer plus promptement que toutes les autres parties du corps. Il en est de même de l'organe de l’ouïe ; les osselets de l’oreille sont entière- ment formes dans lé temps que d’autres os qui doivent devenir beaucoup plus grands que ceux-ci, n'ont pas encore acquis les premiers degrés de leur grandeur et de leur solidité. Dés le cinquième mois les osselets de l'oreille sont solides et durs il ne reste que quelques petites parties qui soient encore cartilagineuses dans le marteau et damsl’ens clume;; l’étrier achève de prendre sa forme au septième mois, et dans'ce peu de temps. DE L'HOMME; 1 tous ces osselets ont entièrementacquis dans le fœtus. la grandeur, la forme et la dureté qu'ils doivent avoir dans l'adulte:, IL .paroit donc que les'partiès auxquellés il aboûtit une-plus grande quantité demnerfs, sont les premières qui se développent: Nous avons dit que la vésicule qui contient Le &er- véau', le cervelet et les autres parties simples du milieu dé! la tête , est ceiqui paroît ile premier, aussi-bien que Fépine du dos ,; ou plutôt la moelle alongée qu'elle. contient : cette moelle;alongée, prise dans toute sa lon- gueur , est la partie fondamentale du corps, et celle qui est la première formiée: Les nerfs soût.done ce qui existe le premier; et les organes auxañels il aboutitun grand nombre de différèns nerfs ; ; comme les oreilles , ou ceux quisomteux-mèmes.de gros nerfs épa- nouis, comme les yeux, $onbäussi ceux qui se développent le. plüs. “eos et les premiers. | do Si l'on éxamine PA yeux d'un essai quel- qués heures où quelques jours-après sa ñais- sance, on reconuoit aisément qu'il n’en fait encore aucun usage ; cet ofgane n'ayant pas encore assez de consistance ; les rayons de + MANUAN Ed ME ur 1 unie, “Ar KA k. . Ne FER AE ARS D ut 8 HISTOIRE NATURELLE la lumière ne peuvent arriver que confusé- ment sur la rétine : ce n’est qu'au bout d'un mois ou environ qu'il paroît que l'œil a pris de la solidité et le‘degré de tension nécessaire pour transmettre ces rayons dans l’ordre que suppose la vision. Cependant alors méme, c’est-à-dire, au bout d’un mois, les yeux des enfans ne s'arrêtent encore sur rien ; ils les sans qu’on puisse remarquer si quelques objets Les affectent réellement: mais bientôt, les plus brillantes, à tourner souvent les yeux et à les fixer du côté du jour; des lu- mières ou des fenêtres. Cependant l’exercice qu'ils donnent à cet organe, ne fäit que le fortifier sans leur donner encore aucune no- tion exacte des différens objets; car le pre- mier défaut du sens de la vue est de repré- senter tous les objets renversés. Les enfans, avant que de s’ètre assurées, par le toucher, de la position des choses et de celle de leur propre corps, voient en bas tout ce qui est en haut , et en haut tout ce qui est en bas; ils prennent donc par les yeux une fausse a Temuent et les tournent indifféremment , c’est-à-dire, à six ou sept semaines , ils com- mencent à arrêter leurs regards sur les choses La DE L'HOMME 9 idée de la position des objets. Un second dé- faut, et qui doit induire les enfans dans une autre espèce d'erreur ou de faux jugement, c'est qu'ils voient d’abord tous les objets doubles, parce que dans chaque œil il se forme une image du même objet ; ce ne peut encore être que par l'expérience du toucher qu’ils acquièrent la connoissance nécessaire pour rectifier cette erreur, et qu'ils ap- prennent en effet à juger simples les objets qui leur paroissent doubles. Cette erreur de la vue, aussi-bien que la première, est, dans la suite, si bien rectifiée par la vérité du tou- cher , que quoique nous voyions en effet tous les objets doubles et renversés , nous nous imaginons cependant les voir réellement simples et droits, et que nous nous persua- dons que cette sensation par laquelle nous voyons les objets simples et droits, qui n’est qu’un jugement de notre ame occasionné par Je toucher, est une appréhension réelle pro- duite par le sens de la vue. Si nous étions privés du toucher , les yeux nous trompe- roient donc, non seulement sur la position, mais aussi sur le nombre des objets. La première erreur est une suite de la 1) HISTOIRE NA TURELLE | 14 conformation de l'œil, sur le fond duquel les objets se peignent dans une situation renversée, parce que les rayons lumineux qui forment les images de ces mêmes objets, ne peuvent entrer dans l’œil qu’en se croi- sant dans la petite ouverture de la pupille. On aura une idée bien claite de la manière dont se fait ce renversement des images, si l'on fait un petit trou dans un lieu fort obscur ; on verra que les objets du dehors se peindront sur la muraille de cette chambre obscure dans une situation renversée, parce que tous les rayons qui partent des différens points de l’objet, ne peuvent pas passer par le petit trou dans la position et dans l’éten- due qu'ils ont en partant de l’objet, puisqu'il faudroitalors que le trou fût anssi grand que l'objet même : mais comme chaque partie, chaque point de l’objet renvoie des images de tous côtés, et que les rayons qui forment ces images , partent de tous les points de l’objet comme d'autant de centres , il ne peut passer par le petit trou que ceux qui arrivent dans des directions différentes ; le petit trou devient un centre pour l'objet entier , auquel les rayons de Ja partie d'en DE L'HOMME. IT hautarrivent aussi-bien que ceux de la partie d'en bas , sous des directions convergentes ; par conséquent ils se croisent dans ce centre, et peignent ensuite les objets dans une situa- tion renversée. | IL est, aussi fort aisé de se convaincre que nous voyons réellement tous les objets dou- bles , quoique nous les jugions simples:il ne faut poux cela que regarder le mème objet, d’abord: avec l'œil droit, on le verra corres- poudre à quelque point d’une muraille ou d’un plan que nous supposerons au-delà de l’objet; ensuite en le regardant avec l'œil gauche, on. verra qu’il correspond à un autre point de la muraille; et enfin en le regar- dant des deux yeux, on le verra dans le mi- lieu entre les deux points auxquels il corres- pondoit auparavant. Ainsi il se forme une image dans chacun de nos yeux: notis voyons l’objet double, c’est-à-dire, nous voyons une image de cet objet à droite et une image à gauche; et nous. le jugeons simple et daus le milieu , parce que nous avons rectifié par le sens. du toucher: cette erreur de la vue. De même si l’on regarde des deux yeux deux objets qui soient à. peu près dans la même 12 HISTOIRE NATURELLE direction par rapport à nous, en fixant ses yeux sur le premier, qui est le plus voisin, on le verra simple, mais en mème temps on verra double celui qui est le plus éloigné; etau contraire, si l’on fixe ses yeux sur celui-ci qu est le plus éloigné, on le verrasimple, tandis qu’on verra double en même temps l’objet Le” plus voisin. Ceci prouve encore évidemment que nous voyons en effet tous les objets doubles, quoique nous Les jugions simples , et que nous les voyons où ils ne sont pas réellement , quoique nous les jugions où ils sont en effet. Si le sens du toucher ne recti- fioit donc pas Le sens de la vue dans toutesles occasions, nous nous tromperions sur la po- sition des objets, sur leur nombre, et encore sur leur lieu ; nous les jugerions renversés jt nous les nsc doubles, et nous les juge- rions à droite et à gauche du lieu qu’ils oc- cupent réellement ; et si, au lieu de deux yeux, nous en avions cent, nous jugerions toujours les objets simples , quoique nous les vissions multipliés cent fois. Il se forme donc dans chaque œil une image de l’objet; et lorsque ces deux images tombent sur Les parties de La rétine qui sont L DE L'HOMME. 13 correspondantes , c’est-à-dire, qui sont tou- jours affectées en même temps, les objets nous ‘paroissent simples , parce que nous avons pris l'habitude de les juger tels : mais si les images des objets tombent sur des par- ties de la rétine qui ne sont pas ordinaire- ment affectées ensemble et en même temps, alors les objets nous paroissent doubles ; parce que nous n'avons pas pris l'habitude de rectifier cétte sensation qui n’est pas ordi- naire ; nous sommes alors dans le cas d’un enfant qui commence à voir et qui juge en effet d’abord les objets doubles. M. Cheselden rapporte dans son Æratomie, page 324, qu’un homme étant devenu louche par l'effet d’un coup à la tête, vit les objets doubles pendant fort lons-temps, mais que peu à peu il vint à juger simples ceux qui lui étoient les plus familiers, et qu'enfin, après bien du. temps, il les jugea tous simples comme auparavant, quoique ses yeux eussent toujours la mau- vaise disposition que le coup avoit occa- sionnée. Cela ne prouve-t-il pas encore bien évidemment que nous voyons en effet les objets doubles, et que ce n’est que par l’ha- bitude que nous les jugeons simples? Et si # 14 HISTOIRE A ARE | À l'on demande pourquoi il faut si peu de temps aux enfans pour apprendre à les juger simples , et qu'ilen faut tant à des per- sonnes avancées en âge, lorsqu'il leur arrive par accident de les voir doubles, comme dans l'exemple que nous venons de citer, on peut répondre que les enfans n’ayant aucune ha+ bitude contraire à celles qu'ils acquièrent, il leur faut moins de temps pour rectifier leurs sensations ; mais que les personnes qui ont, pendant vingt, trente ou quarante ans, vu les objets simples, parce qu’ils tomboient sur deux parties correspondantes de larétine, et qui les voient doubles, parce qu’ils ne | tombent plus sur ces mêmes parties, ont le désavantage d’une habitude contraire à celle qu'ils veulent acquérir, et qu’il faut peut- être un exercice de vingt, trente ou quarante ans pour | effacer les traces de cette ancienne habitude de juger ; et l’on peut croire que s’il arrivoit à des gens âgés un changement dans la direction des axes optiques de l’œil, et qu'ils vissent les objets doubles, leur vie ne seroit plus assez longue pour qu'ils pussenË rectifier leur jugement en effaçant les traces de la première habitude, et que par consé< DE L'HOMME. 19 quent ils verroient, tout le reste de leur vie, les objets doubles. Nous ue pouvons avoir par le sens de la vue aucune idée des distances : sans le tou- cher, tous les objets nous paroitroient être dans nos yeux, parce que les images de ces objets y sont en effet; et un enfant qui n'a eucore rien touché, doit être affecté comme si tous ces objets étoient en lui-mème ; il les voit seulement plus gros ou plus petits, selon qu’ils s’approchent ou qu’ils s’éloiguent de ses yeux : une mouche qui s'approche de son œil, doit lui paroitre un animal d’une grandeur énorme ; un cheval ou un bœuf qui en est éloigné, lui paroît plus petit que la mouche. Ainsi il ne peut avoir par ce séns aucune connoissance de la grandeur relative des objets, parce qu'il n’a aucune idée de la distance à laquelle il les voit : ce n’est qu'après avoir mesuré la distance en étendant la main ou en transportant son corps d'un lieu à un autre, qu’il peut ac- quérir cette idée de la distance et de la gran- deur des objets; auparavant il ne connoit point du tout cette distance, et il ne peut juger de la grandeur d’un objet que par TT 16 HISTOIRE NATURELLE celle de l’image qu’il forme dans son œil. Dans ce cas, le jugement de la grandeur n'est produit que par l’ouverture de l'angle formé par les deux rayons extrêmes de la partie supérieure et de la partie inférieure de l'objet; par conséquent il doit juger grand tout ce qui est près, et petit tout ce qui est loin de lui : mais après avoir acquis par le toucher ces idées de distance, Le juge- ment de la grandeur des objets commence à se rectifier; on ne se fie plus à la première appréhension qui nous vient par les yeux pour juger de cette grandeur, on tâche de connoitre la distance, on cherche en meme temps à reconnoitre l’objet par sa forme, et ensuite on juge de sa grandeur. IL n’est pas douteux que dans une file "1 vingt soldats, le premier, dont je suppose qu'on soit fort près, ne nous parüt beau-— coup plus grand que le dernier, si nous en jugions seulement par les yeux , et si par le toucher nous n'avions pas pris l'habitude de juger également grand le même objet, ou des objets semblables, à différentes distances. Nous savons que le dernier soldat est un sol- dat comme le premier; dès-lors nous le juge- # DE L'HOMME. ou. _xons de 14 même grandeur, comme nous jugerions que le premier seroit toujours de la même grandeur quand il passeroit de la tête à la queue de la file : et comme nous avons l'habitude de juger le même objet toujours également grand à toutes les dis- tances ordinaires auxquelles nous pouvons en reconnoitre aisément la forme, nous ne nous trompons jamais sur cette grandeur que quand la distance devient trop grande, ou bien lorsque l'intervalle de cette distance n’est pas dans la direction ordinaire; car une distance cesse d’être ordinaire pour nous toutes les fois qu’ellé devient: trop grande ; ou bien qu'au lieu de la mesurer horizontalement , nous la mesurons du haut en bas ou du bas en haut. Les premières idées de la comparaison de grandeur entre les objets nous sont venues en mesurant, soit avec la main, soit avec le corps en marchant, la distance de ces objets relati- vement à nous'et entre eux : toutes ces expe- riences par lesquelles nous avons rectifé les idées de grandeur que nous en donnoit le sens de la vue, ayant été faites horizontale- ment, nous n'ayons pu acquérir la même 2 18 habitude de juger de la Di des objets * élevés ou abaissés au-dessus de nous; parce que ce n’est pas dans cette direction que nous les avons mesurés par le toucher? et c'est par cette raison et faute d'habitude à juger des distances dans cette direction, que lorsque nous nous trouvons an-déssus-d’une tour élevée, nous jugeons les hommes et les animaux qui sont au-dessous beaucoup plus petits que nous ne les jugerions en effeg à une distance égale qui seroit horizontale, c'est-a-dire , dans la direction ordinaire. Ilen est de même d'un coq où d'une’boule qu’on voit au-dessus d'un clocher; ces objets nous paroissent être beaucoup ‘plus petits que nous ne les jugerions être en effet; si nous les voyions dans la direction ordinaire et à la même distance horizontalement à la- quelle nous les voyons verticalement. Quoiqu'avec un peu de réflexion il soit aisé de se convaincre de la vérité. de tout ce que nous venons de dire au sujet du sens de la vue, 1l ne sera cependant pas inutile de rapporter 1ct les faits qui peuvent la:con- firmer. M. Cheselden , fameux chirurgien äe Londres, ayant fait l'opération de Ja L MONMAOMMENTETR cataracte à un jeune homme de treize ans, aveugle de naissance , et ayant réussi à lui donner le sens de la vue, obserya la manière dont ce jeune homme commençoit à voir, et publia ensuite dans les Transactions phi- losophiques, n° 402, et dans le cinquante- cinquième article du Tarler, les remarques _ qu'il avoit faites à ce sujet. Ce jeune homme, quoiqu'aveugle, ne l’étoit pas absolument et entièrement : comme la cécité provenoit d'une cataracte, il étoit dans le cas de tous les aveugles de cetteespèce, qui peuvent tou- jours distinguer le jour de la nuit; il distin- guoit même à une forte lumière le noir, le blauc et le rouge vif qu’on appelle écarlate; Mais ik-ne voyoit ni n’entrevoyoit en au- cune façon la forme des choses. On ne lui fit l'opération d’abord que sur l’uu des yeux. Lorsqu'il. vit pour Hi première fois, il étoit si éloigné de pouvoir juger en aucune façon des distances, qu’il croyoit que tous les objets indifféremment touchoient ses yeux (ce fut l'expression dont il se servit}; comme les choses qu'il palpoit, touchorent::sa peau. Les objets qui lui étoient le plus agréables, étoient ceux dont la forme étoit unie et la | Fr | PNA | 2 HISTOIRE RL dire figure régulière, quoiqu'il ne püt eucoré . [ Fi bu former aucun jugement sur leur forme, ni dire pourquoi ils lui paroissoient plus. agréables que les autres : il n’avoit eu pen- dant le temps de son aveuglement que des idées si foibles des couleurs qu'il pouvoit alors distinguer à une forte lumière, qu’elles n'avoient pas laissé des traces suffisantes pour qu’il pût les reconnoitre lorsqu'il les vit en effet; il disoit que ces couleurs qu’il voyoit n’étoient pas les mêmes que celles qu'il avoit vues autrefois ; il ne connoissoit la forme d'aucun objet, et il ne distinguoit aucune chose d’une autre, quelque diffé- rentes qu’elles pussent être de figure ou de grandeur. Lorsqu'on lui montroit les choses qu’il connoissoit auparavant par le toucher, il les regardoit avec attention , et les obser- voit avec soin pour les reconnoître ‘uné autre fois : mais comme il avoit trop d’ob- jets à retenir à la fois, il en oublioit la plus grande partie; et dans le commencement qu'il apprenoit ( comme il disoit) à voit et à connoître les objets , il oublioit mille choses pour une qu'il retenoit. IL étoit fort surpris que les choses qu'il avoit le mieux Le NN PONT APE je us F. ‘$ W. UM 9 nl DE L'HOMME. 2. aimées , n’étoient pas celles qui étoient le . plus agréables à ses yeux , et il s’attendoit à trouver Les plus belles les personnes qu'il aimoit le mieux. Il se passa plus de deux mois avant qu'il pût reconnoitre que les tableaux représentoient des corps solides; jusqu'alors il ne les avoit considérés que comme des plans différemment colorés, et des surfaces diversifiées par la variété des couleurs : mais lorsqu'il commença à recon- noître que ces tableaux représentoient des corps solides , il s’attendoit à trouver en effet des corps solides en touchant la toile du tableau, et il fut extrêmement étonné, lorsqu’en touchant les parties qui par la lu- miere et les ombres lui paroissoient rondes et inéoales, 1l les trouva plates et unies comme le reste; il demandoit quel étoit donc le sens qui le trompoit, si c’étoit la _vue ou si c’étoit le toucher. On lui montra alors un petit portrait de son père, qui étoit. dans la boîte de la montre de sa mère: il dit qu’il connoissoit bien que c’étoit la res- semblance de son père : mais il demandoit avec un grand étonnement comment il étoit possible qu'un visage aussi large püt tenir 32 HISTOIRE Re JRE dans un si petit bien. que cl lui paroissoit aussi impossible que de faire tenir un bois- seau dans une pinte. Dans les commence- meus il ne pouvoit supporter qu'une très- petite lumière, et il voyoit tous les objets extrémement gros; mais à mesure qu'il voyoit des choses plus grosses en effet, il jugeoit les premières plus petites. Il croyoit qu'il n’y avoit rien au-delà des limites de ce qu'il voyoit : il savoit bien que la chambre dans laquelle il étoit, ne faisoit qu'une par- tie de la maison ; cependant il ne pouvoit concevoir comment la maison pouvoit pa- roître plus grande que sa chambre. Avant qu'on lui eût fait l'opération, il n FAOROR pas un grand plaisir du nouveau sens qu'on lui promettoit , et il n’étoit touché que de l'avantage qu'il auroit de pouvoir apprendre à lire et à écrire. Il disoit, par exemple, qu'il ne pouvoit pas avoir plus de plaisir à se promener dans le jardin lorsqu'il auroit ce sens, qu'il en avoit, parce qu'il s'y pro- menoit librement et aisément, et qu'il en connoissoit tous les differens endroits : il avoit même très-bien remarqué que son gtat de cécité lui avoit donné un avantage DE L’HOMME. 33 sur les autres hommes, avantage qu’il con- serva long-temns après avoir obteuu le sens de la vue, qui étoit d'aller la nuit plus aisé ment et plus sûrement que ceux qui voient. Mais lorsqu'il eut commencé à se servir de ce nouveau sens ; til étoit transporté de joie; 1l disoit que chaque nouvel objet étoit un délice nouveau , et que son plaisir étoit s£ grand qu'il ne pouvoit l’exprimer. Un an après, on le mena à Epsom, où la vue est très-belle et très-étendue ; il parut enchanté de ce spectacle ; et il äppeloit ce paysage une nouvelle fâçcon de voir. On lui fit la même opération sur l’autre œil plus d’un an après la première, et elle réussit égale- ment : ik vit d'abord de ce‘second @il. les objets beaucoup plus grands qu'il ne les voyoit dé l’autre, maïs cependant pas aussi grands qu'il les avoit vus du premier œil; et lorsqu'il regardoit le mème objet des deux yeux à la fois, il disoit que cet objet lui paroissoit une fois plus grand qu'avec son premier œil tout seul; mais il ne le voyoit pas double ,, ou du moins on ne put pas s’assurer quil eüt vu d'abord les objets doubles lorsqu'on lui eut procuré l'usage de son second œil, 24 HISTOIRE NATURELLE V4 M. Cheselden rapporte quelques dütres exemples d’aveugles qui ne se souvenoient pas d’avoir jamais vu, et auxquels il avoit fait la même opération ; et il assure que lorsqu'ils commençoient à apprendre à voir, ils avoient dit les mêmes choses que le jeune: homme dont nous venons de parler, mais à la vérité avec moins de détail, et qu’il avoit observé sur tous que comme ils n’a- voient jamais eu besoin de faire mouvoir leurs yeux pendant le temps de leur cécité, ils étoient fort embarrassés d’abord pour leur donner du mouvement et pour les diriger sur un objet en particulier, et que ce n'étoit ue peu à peu, par degrés et avec le temps; qu’ils apprenoient à conduire leurs yeux, et à les diriger sur les objets qu’ils desiroient de considérer *. :* On trouvera un grand nombre de faits très- intéressans au sujet des aveugles-nés, dans un petit ouvrage qui vient de paroître, et qui a pour titre : Lettre sur les aveugles, à l'usage de ceux qui voient. L'auteur y a répandu par-tout une méta- physique très-fine et irès-vraie, par laquelle il rend | raison de toutes les différences que doit produire dans l’esprit d’on homme la privation absolue du sens de la vue, DE L'HOMME. ÿ5 Lorsque , par des circonstances particu- lières, nous ne pouvons avoir une idée juste de la distance, et que nous ne pouvons juger des objets que par la grandeur de l’angle ou “plutôt de l’image qu'ils forment dans nos yeux., mous nous trompons alors nécessai- rement sur la grandeur de ces objets; tout le monde a éprouvé qu’en voyageant la nuit, on prend un buisson dont on est près pour un grand arbre dont on est loin, ou bien on prend un grand arbre éloigné pour un buis- son qui est voisin. Demème, si on ne connoît pas les objets par leur forme, et qu'on ne puisse avoir par ce moyen aucune idée de distance ; on se trompera encore nécessaire- ment : une mouche qui passera avec rapi— dité à quelques pouces de distance de nos yeux, nous paroîtra dans ce cas être un oiseau qui en seroit à une très-srande dis- tance ; un cheval qui seroit sans mouvement dans le milieu d’une campague, et qui seroit dans une attitude semblable, par exemple, à celle d'un mouton, ne nous paroîtra pas plus gros qu’un mouton , tant que nous ne reconnoitrons pas que c’est un cheval; mais dès que nous l'aurons reconnu , il nous 3 U im y, AA 26 HISTOIRE ! NATURELLE paroitra dans l’instant stos comme un che- val, et nous rectifierons CPREOIRENE sure premier jugement. Toutes les fois qu’on se trouvera done la nuit dans des lieux inconnus où l'on ne pourra juger de la distance , et où l’on ne pourra reconnoître la forme des choses à cause de l'obscurité , on sera en danger de tomber à tout instant dans l’erréur aû sujet des jugemens que l’on fera sur les objets qui se présenteront : c’est de là que vient la frayeur et l'espèce de crainte intérieure que l'obscurité de la nuit fait sentir à presque tous les hommes ; c’est sur cela qu'est fondée l'apparence des spectres et des figures gigan= tesques et épouvantables que tant de gens . disent avoir vues. On leur répond commu némentque ces figures étoient dans leur ima- sination : cependant elles pouvoient être réellement dans leurs yeux, et il est très possible qu’ils aient eu effet vu cé qu’ils disent avoir vu; car il doit arrivér nécessairement, toutes les fois qu'on né pourra juger d’un objet que par l'angle qu’il forme dans l'œil, que cet objet incounu grossira et grandira à mesure qu'il en sera plus voisin, et que si DE L'HOMME. 27 a paru d'abord au spectateur qui ne peut re- connoître ce qu'il voit ni juger à quelle dis tance il le voit, que s’il a paru, dis-je, d'abord de la hauteur de quelques pieds lors- qu'il étoit à la distance de vingt ou trente pas , il doit paroïtre haut de plusieurs toises lorsqu'il n’en sera plus éloigné que de quel- ques pieds : ce qui doit en effet l’élonner et l'effrayer jusqu’à ce qu’enfin il vienne à tou- cher l’objet, ou à le reconnoitre; car dans l'instant même qu'il reconnoîtra ce que c’est, cet objet qui lui paroissoit sigantesque, di- - Minuera tout-à-coup, et ne lui paroîtra plus avoir que sa grandeur réelle: mais si l’on fuit, on qu'on n'ose approcher , il est cer- tain qu’on n'aura d'autre idée de cet objet que celle de l’image qu’il formoit daus l'œil, et qu'on aura réellement vu une figure si- gantesque ou épouvantable par la grandeur et par la forme. Le préjugé des spectres est donc fondé: dans la Nature, et ces appa- rences ne dépendent pas, comme le croient les philosophes, uniquement de l’imagina- tion. | Lorsque nous ne pouvons prendre une idée de la distance par la comparaison de ! 28 HIST OIRE NATURELLE. l'intervalle intermédiaire qui est entre nous et les objets , nous tâchons dé reconnoître la forme de ces objets, pour juger de leur gran: deur : mais du noùs connoissons cette forme, et qu’en même temps nous voyons : plusieurs objets semblables et de cette même forme , nous jugeons que ceux qui sont les plus éclairés sont les plus voisins, et qué ceux qui nous paroissent les plus obscurs sont les plus éloignés, et ce jugement pro- duit quelquefois des erreurs et des appa- rences singulières. Dans une file d'objets disposés sur une ligne droite, comme le sont , par exemple , les lanternes sur le che- min de Versailles en arrivant à Paris, de la proximité ou de l'éloignement desquelles nous ne pouvons juger que par le plus ou le moins de lumière qu'elles envoient à notre œil, il arrive souvent que l’on voit toutes ces lanternes à droite au lieu de les voir à gauche où elles sont réellement , lorsqu'on les regarde de loin comme d’un demi-quart de lieue. Ce changement de situation de gauche à droite est une apparence trom- peuse , et qui est produite par la cause que nous venons d'indiquer; car comme le spee« "TR | dr. : DE L'HOMME. 2ÿ tateür n’a aucun autre indice de la distance où il est de ces lanternes que la quantité de lumière qu’elles lui envoient, il juge que la plus brillante de ces lumières est la premiere. et celle de laquelle il est le plus voisin: 0r, s’il arrive que les premières lanternes soient plus obscures, ou seulement si dans la file de ces lumières il s’en trouve une seule qui soit plus brillante et plus vive que les autres, cette lumière plus vive paroïtra au specta- teur comme st elle étoit la première de la file, et il jugera dès lors que les autres qui cependant la précèdent réellement, la sui- vent au contraire ; or cette transposition apparente ne peut se faire, ou plutôt se mar- quer, que par le changement de leur situa- tion de gauche à droite ; car juger devant ce qui est derrière dans une longue file, c’est voir à droite ce qui est à in ou à gauche ce qui est à droite: Voilà les défauts principaux du sens de la vue et quelques unes des erreurs que ces dé: fauts produisent : examinons à présent la nature , les propriétés et l'étendue de cet organe admirable , par lequel nous commu- miquons avec les objets Ies plus éloignés. Ea | | : # 30 HISTOIRE NATURELLE vue n’est qu'une espèce de toucher, mais bien différente du toucher ordinaire : pou toucher quelque chose avec Le corps ou avec la main , il faut ou que nous nous appro- _chions de cette chose ou qu’elle s'approche de nous , afin d’être à portée de pouvoir; la palper ; mais nous la pouxons toucher. des yeux à quelque distance qu’elle soit, pourvu qu'elle puisse renvoyer une assez, graude quantité de lumière pour faire impression, sur cet organe, ou bien qu’elle puisse, s’y peindre sous un angle.sensible. Le plus petit angle sous lequel les hommes puissent voir les objets, est d'environ une minute; il esë rare de trouver des yeux qui puissent apper- cevoir un objet sous un angle plus petit. Cet angle donne pour Ja plus grande distance à laquelle les meilleurs yeux peuvent apper- cevoir un objet, environ 3436 fois le diamètre de cet objet : par exemple, on: cessera, de voir à 5456 pieds de distance un objet haut et large d’un pied ; on cessera de voir un home haut de cinq pieds à la distance de 17180 pieds ou d’une lieue et d’un tiers: de lieue, en supposant même que ces objets soient éclairés du soleil. Je crois que cette) di 4 DE L'HOMME. 32 estimation que l’on a faite de la portée des yeux , est plutôt trop forte que trop foible , et qu'il y a en effet peu d'hommes qui puis- sent appercevoir les objets à d'aussi grandes distauces. R Mais il s'en faut bien qu'on ait, par cette estimation , une idée juste de la “A et de l'étendue de la portée de nos yeux ; car il faut faire attention à une circonstance esseu- tielle, dont la considération prise générale- ment a, ce me semble, échappé aux auteurs qui ont écrit sur l'optique, c’est que la por- ice de nos yeux diminue ou augmente à pro- - portion de la quantité de lumière qui nous environne , quoiqu on suppose que celle de l’objet reste toujours la même ; eu sorte que si le même objet que nous voyons pendant le jour à la distance de 3436 fois son dia= mètre, restoit éclairé pendant la nuit dela même quantité de lumière dont il l'étoit pendant le jour , nous pourrions l'apperce- voir à une distance cent fois plus grande ; de la même façon que nous appercevons lx Jumière d’une chandelle pendant la nuit à plus de deux lieues , c’est-à-dire, en suppo- saut le diamètre de cette lumière égal à un |A RL SR TR 32 HISTOIRE NATURELLE pouce, à plus de 316800 fois la longueur dé son diamètre , au lieu que pendant le jour, et sur-tout à midi, on n’appercevra point cette lumière à plus de dix ou douze mille fois la longueur de son diamètre, c’est-à= dire, plus de deux cents toises, si nous la supposons éclairée aussi-bien que nos yeux par la lumière du soleil. FL en est de même d’un objet brillant sur lequel la lumière du soleil se réfléchit avec vivacité; on peut lap- percevoir pendant le jour à une distance trois ou quatre fois plus grande que les autres “objels : mais si cet objet étoit éclairé pendant la nuit de la même lumière dont il l’étoit pendant le jour , nous l’appercevrions à uné distance infiniment plus grande que nous n’appercevons les autres objets. On doit donc conclure que la portée de nos yeux est beau coup plus grande que nous ne l'avons sup- posé d’abord, et que ce qui empêche que nous ne distinguions les objets éloignés, est moins le défaut de lumière, ou la petitesse de l’angle sous lequel ils se peignent dans notre œil, que l'abondance de cette lumière dans les-objets intermédiaires et dans ceux qui sont les plus voisins de notre œil, qui DE L’HOMME. 33 causent une sensation plus vive et empé- chent que nous nous appercevions de la sen- sation plus te que causent en même temps les objets éloignés. Le fond de l'œil est comme une toile sur laquelle se péignent les objets : ce tableaw a des parties plus bril- jantes , plus lumineuses , plus colorées que les autres parties. Quand les objets sont fort éloignés , ils ne peuvent se représenter que par des nuances très-foibles qui disparoissent Yorsqu’elles sont environnées de la vive lu- mière avec laquelle se peignent les objets voisins ; cette foible nuance est donc insen-— sible et disparoit dans le tableau : mais si tes objets voisins et intermédiaires n’envoienE . qu'une lumière plus foible que celle de l’ob- jet éloigné , cemme cela arrive dans l’obscu- rité lorsqu'on regarde une lumière, alors la nuance de l’objet éloigné étant plus vive que celle des objets voisins, elle est sensible et paroît dans le tableau, quand même elle se- roit réellement beaucoup plus foible qu’au- paravant. De là il suit qu’en se mettant dans l’obscurité , on peut , avec un long tuyau noirci, faire une lunette d'approche sans verre, dont l'effet ne laisseroit pas que d’étre par cette raison que du fond d’un puits ou | de NA fe LAN RO 34 HISTOIRE. NATURELLE Yort considérabl e pendant le jour. C’est aussi d'une cave profonde on peut voir les éloiles en plein midi; ce qui étoit connu des an- ciens , comine il paroît par ce passage d’A- ristote : Manu enim admoté aut per fistulam dongiüs cernet. Quidam ex foveis puteisque interdum stellas conspiciunt. On peut donc ayancer que notre œil,a assez de sensibilité pour pouvoir être ébranlé et affecté d’une manière sensible par des ob- jets qui ne formeroient un angle que d'une econde et moins d’une seconde , quand ces objets ne réfléchiroient ou n’enverroieuit à V'œil qu’autant de lumière qu’ils en. réflé- chissoient lorsqu'ils étoient apperçus, sous un angle d’une minute, et que par consé- quent la puissance de cet organe est. bien plus grande qu’elle ne paroït d'abord; mais si ces objets, sans former un plus:srand avgle, avoieut une plus grande intensité de lumière, nous les appercevrions encore de beaucoup plus loin. Une petite lumière fort vive , comme celle d’une étoile d'artifice , se verra de beaucoup plus loin qu’une lumière plus obscure et plus grande, comme celle NU" ? nd Le "4 | DE L'HOMME, 0 35 d'un flambeau. fl y a donc trois choses à considérer pour déterminer la distance à la- quelle nous pouvons appercévoir un 6bjet éloigné : la première est la grandeur dé J'angle qu'il forme dans notre œil; la se- conde , lé dégré de lumière des Gbjets voi- sins et intermédiaires que l’on voit en même temps ; et la troisième , l'intensité de lumière de l’objet lui-même : chacune de ces causes influe sur l'effet de la vision, et ce n’est qu’en les estimant ét en les comparant qu’on peut déterminer dans tous les cas lä distance à laquelle on peutappercevoir tel où tel objet particulier. On peut donner une preuve sensible de cette influence qu’a sur la vision l’intensité de lumière. On sait que les lu- nettes d'äpproche et les microscopes sont des instrumens de même genre, qui tous deux ausmentent l'angle sous lequel nous appercevons les objets, soit qu'ils soient eu effet très-petits, soit qu’ils nous paroissent ètre tels à cause dé leur éloignement : pour- quoi donc les lunettes d'approche font-elles si peu d'effet en comparaison des micros- copes , puisque la plus longue et la meilleure lunette grossit à peine imiilé fois l'objet, 26 RI tandis : qu’un vor inifroséone.. semble. le. grossir un million de fois et plus ? A est bien clair que cette différence ne vient.que de l'intensité de la lumière, et que si l’on pouvoit éclairer les objets éloignés avec une lumière additionnelle, comme on éclaire les objets qu’on veut observer au micros— cope , on les verroit en effet infiniment mieux , quoiqu’on les vit toujours sous le même angle, et que les lunettes feroient sur les objets éloignés le même effet que les mi- croscopes font sur les petits objets. Mais ce n'est pas ici:le lieu de m’étendre sur les con- séquences utiles et pratiques qu’on peut tirer de cette reflexion. La portée de la vue , ou la, distance à la- quelle on peut voir le même objet, est assez rarement la même pour chaque æil; ilya peu de gens qui aient les deux yeux égale- ment forts : lorsque cette inégalité de force est à un certain degré, on ne se sert que d’un @æil, c’est-à-dire, de celui dont on voit le mieux. C'est cette inégalité de portée ‘de vue dans les yeux qui produit le re- gard louche , comme je l’ai prouvé dans ma Dissertation sur le strabismne. ( Voyez les DE L'HOMME. | 37 Mémoires de l'académie, anu. 1743.) Lorsque les deux yeux sout d'egale iorce, et que l'on regarde Le mêémeobjet avec les deux yéux, ilsermble qu'on devroit le voir unie fois mieux qu'avec un seul'œil: cependant la sensation qui resulte de ces deux espèces de vision pa— roit être la même, il n'y a pas de différence sensible entre les sensations qui resullent de l'une et dé l’autre façon de voir: et après avoir fait’sur cela des expériences , on a trouve qu'avec deux yeux égaux en force on voyoit mieux qu'avec un seul œil, mais d'une treizième partie seulement, en sorte qu'avec les deux yeux on voit l’objet comme s’il etoit eclairé de treize lumières égales , au lieu qu'avec uu seul œil on ne le voit que comme s’il étoit éclairé de douze lumières. Pourquoi:y a-t-il si peu d’aug- mentation ? pourquoi ne voit-on pas une fois mieux avec les deux yeux qu'avec un seui ? comment se peut-il que ceite cause qui est double, produise un effet simple ou presque simple ? J'ai cru qu’on pouyoit don ner une reponse à cette question , en regar= dant la sensation comme une espèce de mouvement communique aux nerfs. On sait Mat, gén, XX I. 4 i FFE 1 MAIN D. nd 38 HISTOIRE NATURELLE que les deux nerfs optiques se portent, at sortir du cerveau , vers la partie antérieure de la tête, où ils se réunissent, et qu’ensuite ils s’écartent l’un de l’autre en faisant ui angle obtus avant que d'arriver aux yeux:1le mouvement communiqué à ces nerfs par l'impression de chaque image formée dans chaque œil en même temps , ne peut passe propager jusqu'au cerveau , où je suppose que se fait le sentiment, sans passer par la partie réunie de ces deux nerfs ; dès lors ces deux mouvemens se composent et produisent le même effet que deux corps en mouvement sur les deux côtés d’un quarré prodüisent sur un troisième corps auquel ils font par- courir la diagonale; or, si l’angle avoit en- viron cent quinze ou cent seize degrés d'ou verture ; la diagonale du losange seroit au côte comme treize à douze, c’est-à-dire, comme la sensation résultante des deux yewx est à celle qui resulte d’un seul œil. Les deux merfs optiques étant donc écartés l’un de l'autre à peu près de cette quantité, on peut attribuer à cette position la perte de mouve- ment ou de sensation qui se fait dans la vi- sion des deux yeux à la fois, et cette perte 4 » ; «7 DE L'HOMME. 39 doit être d'autant plus grande que l'angle forme par les deux nerfs optiques est plus ouvert. + ÿ a plusieurs raisons qui pourroient faire penser que les personnes qui ont la vue courte voient les-objets plus grands que les autres hommes ne les voient; cependant c'est tout le contraire, ils les voient certai- nement plus petits. Jai la vue courte, et l'œil gauche plus fort que l'œil droit; j'ai mille fois éprouvé qu’en regardant le même objet, comme les lettres d'un livre, à la mème distance successivement avec l’un et ensuite avec l’autre œil, celui dont je vois le mieux et le plus loin, est aussi celui avec lequel les objets me paroissent les plus ‘grands; et en tournant l’un des yeux pour voir le même objet double, l’image de l'œil droit est plus petite que celle de l'œil gauche: ainsi je ne puis pas douter que plus on a la vue courte, et plus les objets paroissent être petits. J'ai interrogé plusieurs personnes dont la force ou la portée de chacun de leurs yeux étoit fort inécale ; elles m'ont toutes assuré qu’elles voyoient les objets bien plus grands avec le hon qu'avec Le mauvais œil. AA dm | HISTOIRE. NATURELLE © Je crois que comme les gens qui ont: la vue de courte sont obligés de regarder de très-près , et qu'ils ne peuvent voir distinctement qu'un petit espace ou un pelit objet à la fois, ils se font une-unité de grandeur plus petite que les autres hommes, dont les yeux peuvent embrasser distinctement un.plus grand espace à la fois, et que par conséquent als jugent relativement à cette unité tous les objets plus petits que les autres hommes ne les jugent. On explique la cause de la vue _ courte d’une manière assez satisfaisante, par le trop grand renflement des humeurs ré- fringentes de l'œil; mais cette cause. n’est pas unique, et l’on a vn des personnes de venir tout d’un coup myopes par accident, comme le jeune hourme dout parle M. Smith daus son Optique, tome Il, page 10 des notes, qui devint wuiyope toni-a-coup en sortant d’un bain froid, dans lequel cependautiine s'étoit pas entierement plongé, et depuis ce temps-là 11 fat oblige de se servir d’un verre | concave, On ne dira pas que le crystallinek l'humeur vitree aien!: pu tout d'un coup.se reufler assez pour produire cette difference dans la vision; et quand même on voudroit er dr LENS TL L 2 ip PERS 1 # . A Î tr, ÿ DE L'HOMME. 4 à le supposer, comment concevra-t-on que ce renflement considérable , et qui a été pro- duit en un instant, ait pu se conserver tou— jours au même point? En effet, la vue courte peut provenir aussi-bien de la position res- pective des parties de l’œil et sur-tout de la rétine, que de la forme des humeurs refrin- gentes ; elle peut provenir d’un degré moindre de sensibilité dans la rétine, d’une ouver- ture moindre dans la pupille, etc. : mais il est vrai que pour ces deux dernières espèces de vues courtes, les verres concaves seront inuliles, et même nuisibles. Ceux qui sont dans les deux premiers cas peuvent s’en ser- vir utilement : mais jamais ils ne pourront voir avec le verre concave qui leur convient le mieux, les objets aussi distinctement ni d'aussi loin que les autres hommes les voient avec les yeux seuls, parce que, comme nous venons de le dire, tous les gens qui ont la vue courte, voient les objets plus petits que Jes autres; et lorsqu'ils font usage du verre concave, l’image de l’objet diminuant en- core, ils cesseront de voir dès que cette image deviendra trop petite pour faire une trace sensible sur la rétine; par conséquent 4 \ "42 HISTOIRE NATURELLE ils ne verront jamais d’ aussil loin avec ce verre que les autres hommes voient avec les GE seuls. :: | + til ‘Les enfans ayant les yeux plus pair que les personnes adultes, doivent aussi voir les objets plus petits, parce que le plus grand angle que puisse faire uu objet dans l'œil, est proportionné à la grandeur du fond de l'œil; et si l’on suppose que le tableau entier des objets qui se peignent sur la rétine, est d'un demi-pouce pour les adultes , il nesera que d’un tiers ou d’un quart de poucepour les enfans; par conséquent ils ne verront pas non plus d'aussi loin que les adultes, puisque Les objets leur paroissant plus petits, ils doivent nécessairement disparoître plus 4Ôt: mais comme la pupille des enfans est ordinairement plus large, à proportion du reste de l'œil, que la pupille des personnes adultes, cela peut compenser en partie l'effet que produit la petitesse de Leurs yeux, et leur faire appercevoir les objets d’un peu plus loin. Cependant il s’en faut bien que da compensation soit complète; car on voit par expérience querles enfans ne lisent pas de si loin, et ne peuvent pas'appercevoir DE L'HOMME. 43 les objets éloipnés d’aussi loin que les per- sonnes adultes. La cornée étant très-ilexible à cet âge, prend très-aisément la convexite nécessaire pour voir de plus près ou de plus loin , et ne peut par conséquent être la cause de leur vue plus courte, et il me paroît qu'elle dépend uniquement de ce que leurs yeux sont plus petits. Il n’est donc pas douteux que si toutes les parties de l'œil souffroient en même temps une diminution proportionnelle, par exemple, de moitié, on ne vit tous les ob- jets une fois plus petits. Les vieillards, dont jes yeux, dit-on, se dessèchent, devroient avoir la vue plus courte: cependant c’est tout le contraire, ils voient de plus loin et cessent de voir distinctement de près. Cette vue plus longue ne provient donc pas uni- quement de la diminution ou de l’applatis- sement des humeurs de l'œil, mais plutôt d'un changement de position entre les par- ties de l'œil, comme entre la cornée et le crystallin, ou bien entre l'humeur vitrée et la rétine: ce qu’on peut entendre aisément ren Supposant que la cornée devienne plus solide, à mesure qu'on avance en äge; car 44 HISTOIRE NATURELLE alors elle ne pourra pas prêter aussi aisé« ment , ni prendre la plus grande convexité qui est nécessaire pour voir les objets qui sout près, et elle se sera uu peu applatre en se dessechant avec l’âge; ce qui sufhit seul pour qu'on puisse voir de plus loin les objets éloignes. | Où doit distinguer dans la vision deux qua- lités qu'on:‘regarde ordinairement comme la mème: on confond mal-à-propos la vue claire avec la vue distincte, quoique réelle- ment l’une soit bien différente de l’autre: on voit clairement un objet toutes Les fois qu'il est assez éclairé pour qu'on puisse le reconnoitre en general, on ue le voit dis- tinctement que lorsqu'on approche d'assez près pour en distinguer toutes les parties. Lorsqu'on apperçoit une tour ou un clocher . de loin, on voit clairement cette tour ou ce clocher dès qu’on peut assurer que c’est une tour ou un clocher; mais on ne les voit dis- tiuctement que quand on en est assez près pour reconnoitre non seulement la hauteur, Ja grosseur, mais les parties mêmes dont l'objet est compose, comme l'ordre d'archi- tecture, les matériaux , les fenêtres, etc. © DE L'HOMME. 4 On peut donc voir clairement un objet sans le voir distinctement , et on peut le voir distiictement sans le voir en même temps clairement, parce que la vue distincte ne peut se porter que successivement sur les différentes parties de l’objet. Les vieillards ont la vue claire et nou distincte : ils apper- çoivent de loin les objets assez éclairés ou assez gros pour tracer dans l'œil une image _ d’une certaine etendue; ils ne peuvent au contraire distinguer les petits objets, comme les caractères d’un livre, à moins que l’image n'en soit augmentée par le moyen d’un verre qui grossit. Les personnes qui ont la vue courle, voient an contraire très-distincte= ment les petits objets, et ne voient pas clai- reinent les orands, pour peu qu'ils soient éloignés , a moins qu'ils nen diminuent _ l'image par le moyen d’un verre qui rape= tisse. Une grande quantite de lumière est nécessaire pour la vue ciaire; une petite quantité de lumière sufñt pour la vue dis- tincte : aussi les personnes qui ont la, vue courte, votent-elles à proportion beaucoup mieux la nuit que les autres, | Lorsqu on jette les yeux sur un objet trop 4 HISTOIRE. NATURELLE éclatant, ou qu’on les Pt et les arrète.trop Jong-temps sur le même objet, l'organe eu est blessé et fatigué, la vision devient än- distincte ; et l’image de l’objet ayamt:frappé irop vivement ou occupé trop. long-temps la partie de la rétine sur laquelle elle se peint , elle y forme une impression durable que l'œil semble porter ensuite sur tous les autres objets. Je ne dirai rien ici des effets de cet accident de la vue: on en trouvera l'explication dans ma Dissertation sur les couleurs accidentelles *. 1] me suffira d’ob- server que la trop grande quantité de lumière est peut-être tout ce qu’il y a de plus nui- sible à l'œil, que c’est une des principales causes qui peuvent occasionner la cécité. On en a des exemples fréquens dans les pays du Nord, où la neige éclairée par le soleil éblouit les yeux des voyageursau point qu’ils sont obligés de se couvrir d'un crèpe pour n'être pas aveuglés. Il en est de même des plaines sablonneuses de l’Afrique : la réflexion de la luimière y est si vive, qu'il n'est pas possible d’en soutenir l'effet sans courir le * Voyez les Mémoires de l'académie, année 1743. 11 DE L'HOMME. risque de perdre la vue. Les personnes qui écrivent ou qui lisent trop long-temps de suite, doivent donc, pour ménager leurs yeux, éviter de travailler à une lumière trop forte : il vaut beaucoup mieux faire usage d’une lumière trop foible, l'œil s’y accou- tume bientôt ; on ne peut tout au plus que le fatiguer en diminuant la quantité de lu- mière, et on ne peut manquer de le blesser en la multipliant. ‘ LR Pede AON H LA ERA ‘à X 4 au 48 HISTOI n CURE EE 4 3 PNR A DDIT I O N taie ‘A L'ARTICLE PRÉCEDENT. L'Uu La n' 2 _{ L E strabisme est non seulement un défaut, mais une diformité qui detruit la physiono- sages ; cette difforimite cousiste dans la fausse direction de l’un des yeux, en sorte que quand un œil pointe à l'objet, l’autre s’en écarte et se dirige vers un autre point. Je dis que ce défaut consisie dans la fausse direc- tion de l’un des yeux, parce qu'en effel les yeux n'ont jamais tous deùx ensemble cette mauvaise disposition , et que si on peut mettre les deux yeux dans cet état en quel- que cas, cet etat ne peutdurer qu'un instant et ne peut pas devenir une habitude. Le strabisme, ou le regard louche, ne con siste donc que dans l'écart de l’un des yeux, DE L'HOMME. 49 tandis que l’autre paroiît agir indépendam- ment de celui-là. On attribue ordinairement cet effet à un défaut de correspondance entre les muscles de chaque æil; la différence du mouvement de chaque œil vient de la différence du mou- vement de leurs muscles, qui, n'agissant pas de concert, produisent la fausse direction des yeux louches. D’autres prétendent (et cela revient à peu près au même) qu’il y a équilibre entre les muscles des deux yeux, que cette égalité de force est la cause de la direction des deux yeux ensemble vers l’ob- jet, et que c’est par le défaut de cet équi- libre que les deux yeux ne peuvent se diri- ser vers le même point. M. de la Hire, et plusieurs autres après lui, ont pense que le strabisme n’est pas causé par le défaut d'équilibre ou de correspon- dance entre les muscles, mais qu’il provient d’un défaut dans la rétine; ils ont prétendu que l’endroïit de Ia rétine qui répond à l’ex- trémité de l’axe optique, étoit beaucoup plus sensible que tout le reste de la rétine. Les objets, ont-ils dit, ne se peignent distincte- meut que dans cette partie plus sensible; et Q 50 HISTOIRE NATURELLE si cette parlie ne se trouve pas correspondre X exactement à l'extrémité de l’axé optique dans l’un ou l’autre des deux yeux, ils s'écar- teront, et produiront le regard louche, par la nécessité où l'on sera, dans ce cas, de'les tourner de façon que leurs axes ‘optiques puissent atteindre cette partie plus sensible ét mal placée de la rétine. Mais cette opinion a été réfutée par plusieurs physiciens, et'en particulier par M. Jurin. En effet, il semble que M. de la Hire n’ait pas fait attention à ce qui arrive aux personnes louches lors- qu'elles ferment le bon œil; car alors l'œil louche ne reste pas dans la même situation, comme cela devroit ärriver, si cette situation étoit nécessaire pour que l’extrémite de l'axe optique atteionit la partie la plus sensible de la rétine : au contraire, cet œil se redresse pour pointer directement à l’objet et pour chercher à le voir; par conséquent l’œil ne s'écarte pas pour trouver celte partie préz tendue plus sensible de la rétine, et'il faut chercher une autre cause à cet effet. M. Jurin en rapporte quelques eauses particulières , et il semble qu'il réduit le strabisme à une simple mauvaise habitude dont on peut se DE L'HOMME. 754 guérir dans plusieurs cas: il fait voir aussi que le defaut de correspondance ou d’équi- libre entre les muscles des deux yeux ne doit pas être regardé comme Ja cause de cette fausse direction des yeux ; et en effet ce n’est qu'une circonslance qui même n'accom= pagne ce defaut que dans de certains cas. Mais la cause la plus générale, la plus ordinaire du strabisme, et dont personne, que je sache, n’a fait mention, c’est l’ine- | Eu galité de force dans les yeux. Je vais faire voir que cette inégalité, lorsqu'elle est d’un certain degré, doit nécessairement produire le regard louche, et que, dans ce cas, qui est assez commun, ce défaut n’est pas une mauvaise habitude dont on puisse se dé= faire, mais une habitude nécessaire, qu’on est obligé de conserver pour pouvoir se ser- vir de ses yeux. Lorsque les yeux sont dirigés vers le même objet , et qu'on regarde des deux yeux cet objet , si tous deux sont d’égale force, il paroît plus distinct et plus éclairé que quand on le regarde avec un seul œil. Des expé- riences assez aisées à répéter ont appris à M. Jurin que cette différence de vivacité de FAN HE ga: H LS Tone NATURELLE l'objet, vu de deux yeux égaux en force, où d’un seul œil , est d'environ une treizième partie ; c'est-à-dire qu’un objet vu des deux yeux paroit comme s’il étoit éclairé de treize lumières égales, et que l’objet vu d’un seul œil paroît comme s’il étoit éclairé de douze lumières seulement, les deux yeux étant supposés parfaitement égaux en force: mais lorsque les yeux sont de force inégale, j'ai trouvé qu’il en étoit tout autrement; un petit degré d’inégalité fera que l'objet vu de l'œil le plus fort sera aussi distinc- tement apperçu que s'il étoit vu des deux yeux; un peu plus d’inégalité rendra l’objet, quaud il sera vu des deux yeux, moins dis- tinct que s’il est vu du seul œil plus fort; et enfin une plus grande inégalité rendra l’objet vu de deux yeux, si confus, que pour'lap- pércevoir distinctement , on sera obligé de tourner l'œil foible, et de le mettre dans une situation où il ne puisse pas nuire, Pour être convaincu de ce que je viens d'avancer, il faut observer que les limites de la vue distincte sont assez étendues dans ja vision de deux yeux égaux. J’entends par limites de la vue distincte , les bornes de EE es = © DE L'HOMME. 4: l'intervalle de distance dans lequel un objet est vu distinctement : par exemple, si une personne qui a les yeux également forts, peut lire un petit caractère d'impression à huit pouces de distance, à vingt pouces et à toutes les distances intermédiaires , et si en approchant plus près de huit ou en éloi- gnant au-delà de vingt pouces, elle ne peut lire avec facilité ce même caractère, dans ce cas les limites de la vue distincte de cette personne seront huit et vingt pouces, et l'intervalle de douze pouces sera l'étendue de la vue distincte. Quand on passe ces limites, soit au-dessus, soit au-dessous, 1l se forme une pénombre qui rend les caractères confus et quelquefois vacillans. Mais, avec des yeux de force inégale , ces limites de la vue dis- tincte sont fort resserrées : car supposons que l'un des yeux soit de moitié plus foible que l'autre, c'est-à-dire, que quand avec un œil on voit distinctement depuis huit jusqu’à vingt pouces , on ne puisse voir avec l’autre œil que depuis quatre pouces jusqu’à dix ; alors la vision opérée par les deux yeux sera distincte et confuse depuis dix jusqu'à vingt, et depuis huit jusqu’à qmatre , en sorte 54 HISTOIRE NATURELLE qu'il ne restera qu'un intervalle de deux pouces, savoir, depuis huit jusqu’à dix, où la vision pourra se faire distinctement, parce que, dans tous les autres intervalles, la netteté de l’image de l’objet vu par le bon œil est ternie par la confusion de l’image du même objet vu par le mauvais œil : or cet intervalle de deux pouces de vue distincte en se ser— vant des deux yeux, n’est que la sixième partie de l'intervalle de douze pouces , qui est l’intervallé de la vue distincte en ne se servant que du bon œil ; donc il y a un avan- tage de cinq contre un à se servir du bon œil seul , et par conséquent à écarter l’autre. On doit considérer les objets qui frappent nos yeux, comine placés indifféremment et au hasard, à toutes les distances différentes auxquelles nous pouvons les appercevoir : dans ces distances différentes, il faut distin- guer celles où ces mêmes objets se peignent distinctement à nos yeux, et celles où nous ne les voyons que confusément. Toutes les fois que nous n’appercevons que confusément les objets, les yeux font effort pour les voir d'une manière plus distincte ; et quand les distances ne sont pas de beaucoup trop pe- DE L'HOMME. 55 tites ou trop grandes, cet eHort ne se fait pas vainement. Mais, en ne faisant attention ici qu'aux distances auxquelles on apperçoit dis- tinctement les objets , on sent aisément que plus 11 y a de ces points de distance, plus aussi la puissance des yeux, par rapport aux objets, est étendue, et qu’au contraire plus ces intervalles de vue distincte sont petits, et plus la puissance de voir nettement est bornée : et lorsqu'il y aura quelque cause qui rendra ces intervalles plus petits, les yeux feront effort pour les étendre; car il est naturel de penser que les yeux , comme toutes les autres parties d’un corps organisé, emploient tous les ressorts de leur meéca- nique pour agir avec le plus grand avantage. Ainsi, dans le cas où les deux yeux sont de force inégale, l'intervalle de vue distincte se trouvant plus petit en se servant des deux yeux qu’en ne se servant que d’un œil, les yeux chercheront à se mettre daus la situa- tion la plus avantageuse ; et cette situation Ja plus avantageuse est que l'œil le plus fort asisse seul, et que le plus foible se détourne. Pour exprimer tous les cas, sunposous que à —cexprime l'intervalle de la vision ; RER 1e ROUEN RAS 6 HISTOIRE NATURELLE : distincte pour le bon œil, et b— Le. l'inter- valle de la vision distincte pour l’œil foible, b — c exprimera l'intervalle de la vision distincte des deux yeux ensemble, et l’ine- ETS bc mars a , et le es galité de force des yeux sera 1 —— noinbre des cas où l’on se servira du bon: œil sera & — b, et le nombre des cas où l'on se servira des deux yeux, sera bd — c; égalant ces deux quantités , on aura a — & | a € k 1% —=b—0c, ou b ——;7* Substituant cette valeur de à dans l’expression de l'inégalité, L ( 1 e PETESTENS a C on aura 1 — oU— 2€ 2 a pour la mesure de l'inégalité, lorsqu'il y a autant d'avantage à se servir de deux yeux qu’à ne se servir que du bon œil tout seul. Si l'inégalité est plus grande que =; on doit contracter l'habitude de ne se servir que d’un œil; et si cette inégalité est plus pe-. tite, on se servira des deux yeux. Dans l'exemple précédeut, «a = 20, c = 8; ainsi 3 l'inégalité des yeux doit être = - au plus, 10 4 DE L'HOMME. pour qu'on puisse se servir ordinairement des deux yeux; si cette inégalité eétoit plus grande , on seroit obligé de tourner l'œil foible pour ne se servir que du bon œil seul. ; On peut observer que, , dans nes les vues dont les intervalles sont proportionnels à ceux de bi: exemple, le degré d'inégalité.sera toujours . Par exemple, si, au lieu d'avoir un inton ol de vue distincte du bon œil depuis huit pouces jusqu'à vingt pouces, cet intervalle n’étoit que depuis six pouces à quiuze pouces, ou depuis quatre pouces à dix , ou etc., ou bien encore si cet intervalle étoit depuis dix Bars à vingt-cinq, ou de- puis douze pouces à trente, ou etc. , le degré d' tee lire qui fera tourner l’œil foible, sera toujours <. Mais si l'intervalle absolu de la vue disiuinte du bon œil augmente des deux côtés , en sorte qu’au lieu de voir depuis six pouces jusqu'à quinze, ou depuis huit jus- qu'à vingt, ou depuis dix jusqu’à vingt- cinq, ou etc., on voie distinctement depuis quatre pouces et demi jusqu’à dix-huit , ou depuis six pouces jusqu’à vingt-quatre, ou depuis sept pouces et demi jusqu'à trente, | NT | | 56 HISTOIRE NATURELLE ou etc. , alors il faudra un plus grand degré d’ inégalité pour faire tourner l'œil. On trouve, par la formule , que cette inégalité doit être pour tous ces cas —*. | Il suit de ce que nous venons de dire, qu'il ya des cas où un homme peut avoir la vue beaucoup plus courte qu'un autre, et cepen- dant ètre moins sujet à avoir les yeux louches, parce qu'il faudra une plus sgrande inégalité de force dans ses yeux que dans ceux d'une personne qui auroit la vue plus lougue : cela paroit assez paradoxe ; cepen- dant cela doit être: par exemple, à un homme qui ne voit distinctement du bon œil que depuis un pouce et demi jusqu'à six pouces, il faut À d’inégalité pour qu’il soit forcé de tourner ke mauvais œil , tandis qu'il ne faut que À d'inégalité pour mettre dans ce cas un hésite qui voit distinctement depuis huit pouces jusqu'à vingt pouces. On en verra aisément la raison si l’on fait attention que dans toutes les vues, soit courtes,soit longues, dont les intervalles sont proportionnels à l'intervalle de huit pouces à vingt pe , la mesure réelle de cet intervalle est = ou À; au lieu que dans toutes les vues dirt ke ec Mir = "oo DE L'HOMME. 59 intervalles sont proportionnels à l’intervalle de six pouces à vingt-quatre, ou d’un pouce et dem à six ponces , la mesure réelle est À: et c’est cette mesure réelle qui produit celle de l'inégalité; car cette mesure étant tou- jours ——, celle de: l'inégalité , comme on la vu ci-dessus. Pour avoir la vue parfaitement distincte, il est donc nécessaire que les yeux soient absolument d’égale force : car siles yeux sont inégaux,on ne pourra pas se servir des deux yeux dans un assez grand intervalle ; et même dans l” intervalle de vue distincte qui reste en employant les deux yeux, les objets seront moins distincts. On a remarqué, au. commen_cement de ce Mémoire ; qu avec deux yeux égaux on voit plus distinciement qu'avec un œil d'environ une treizième partie; mais au contraire, dans l'intervalle de vue distincte de deux yeux! inéoaux, les objets , au lieu de paroître plus distincts en employant les deux yeux , ‘paroissent: moins nets et plus mal terminés que quand on ne se sert que d’un seul œil : par exem- ple , si l’on voit distinctement un pelit caractère d'impression depuis huit pouces 6o HISTOIRE NATURELLE jusqu’à vingt avec l'œil le plus fort , et qu'avec l’œil foible on ne voie aititéeent ce même caractère que depuis huit jusqu'à quinze pouces , on n'aura que sept pouces de vue distincte en employant les deux yeux ; Mais, comme l’image qui se formera dans le bon œil, sera plus forte que celle qui se formera dans l'œil foible, la sensa— tion commune qui résultera de cette vision, ne sera. pas aussi nette que sion n avoit employé que le bon œil. J'aurai peut-être occasion d'expliquer ceci plus au long; mais il me suffit à présent de faire sentir que cela augmente encore le pan des yeux inégaux. : . Mais , dira-t-on , ail n’est pas sûr que l'inégalité de force dans les yeux doive pro- duire le strabisme ; il peut se trouver des louches dont les deux yeux soient d’égale force. D'ailleurs cette inégalité répand, à la vérité, de la confusion ,sur:les objets : mais. cette confusion me doit pas faire écarter l'œil foïble ; car, de. quelque côte qu’on le tourne, il reçoit toujours d'autres images. qui doivent troubler la sensation, autant que la troubleroit l'image indis- LIIODELIHOMMET. IX 6 tincte de l’objet qu’on regarde directement. Je vais répondre à la première objection par des faits. J’ai examiné la force des yeux de plusieurs enfans et de plusieurs personnes louches ; et comme la plupart des enfans ne savoient pas lire, j'ai présente à plusieurs distances à leurs yeux des points rouds , des points triangulaires et des points quarrés; et en leur fermant alternativement l’un des yeux, j'ai trouvé que tous avoient les yeux de force inégale. J'en ai trouvé dont les yeux éloiént inégaux au point de ne pou-— voir distinguer à quatre pieds avec l'œil foible la forme de l’objet qu'ils voyoient distinctement à douze pieds avec le bon œil. D'autres, à la vérité, n’avoient pas les yeux aussi inégaux quil est nécessaire pour de- venir louches ; mais aucun n’avoit les yeux égaux, et il y avoit toujours une difference très-sensible dans la distance à laquelle ils appercevoient les objets, et l'œil louche s’est toujours trouvé le plus foible. J'ai observé constamment que quand on couvre le bon œil, et que ces louches ne peuvent voir que du mauvais, cet œil pointe et se dirige vers l'objet aussi régulièrement et aussi directe- 6 «4 { 62. HISTOIRE NATURELLE ment qu'un œil ordinaire : d’où il est aisé de conclure qu’il n’y a point de défaut dans les muscles ; ce qui se confirme encore par l'observation tout aussi constante que j'ai faite eu examinant le mouvement de ce mauvais œil, et en appuyant le doigt sur Ja paupière du bon œïl qui étoit fermé , et par lequel j'ai reconnu que lé:bon œil sui- voit tous les mouvemens dun mauvais @il ; ce qui achève de prouver qu'il n’y a point de défaut de correspondance ou d’équilibre dans les muscles des yeux. La seconde objection demande un peu plus de discussion. Je conviens que, de quelque côté qu’on tourne le mauvais œil , il ne laisse pas d'admettre des images qui doi- vent un peu troubier la netteté de l'image reçue par le bon œil ; mais ces images étant absolument differentes , et. n'ayant rien de commun, nipar la grandeur, mi par la figure; avec l’objet sur lequel est fixé le bon œil, la sensation qui en résulte , est, pour ainsi dire ; beaucoup plus sourde que ne seroit celle d’une image semblable. Pour le faire voir bien clairement, je vais rapporter un exem— | | A RENSA ple qui ne m'est que trop familier. J'ai le k Le PE DR ET © EU a, Es pr RE | DE L'HOMME. 63 défaut d’avoir la vue fort courte ‘et les yeux un peu inégaux , mon œil droit étant un peu plus foible que le gauche; pour lire de petits caractères où une mauvaise écri- ture , et mème pour voir bien distinctement les petits objets à une lumière foible, je ne me sers que d’un œil. J'ai observe mille et mille fois qu'en me servant de mes deux yeux pour lire un petit caractère, je vois toutes les lettres mal terminées ; et en tournant l'œil droit pour ne me servir que du gauche, je vois l’image de ces lettres tourner aussi, et se séparer de l'image de l'œil gauche, en sorte que ces deux images me paroissent dans différens plans : celle de lœil droit n’est pas plutôt séparée de celle de l'œil gauche , que celle-ci reste très-nette et très- distiucte ; et si l'œil droit reste dirige sur uu autre endroit du livre , cet endroit étant différent du premier, il me paroit dans un différent plan, et, n'ayant rien de com- mun, il ne m'’affecte point du tout, et ne trouble en aucune façon la vision distincte de l'œil gauche. Cette sensation de l'œil droit est encore plus insensible, si mon œil, comme cela m'arrive ordinairement en gi Às 64 HISTOIRE NATUR lisant, se porte au-delà de la justification du livre , et tombe sur la marge ; car, dans ce cas, l’objet de la marge étant d’un blanc uniforme , à peine puis je m’appercevoir, en y réfléchissant, que mon œil droit voit quelque chose. IL paroïît ici qu’en écartant l'œil foible , l’objet prend plus de netteté. Mais ce qui va directement contre l’objec- tion , c’est que les images qui sont diffé rentes de celles de l’objet, ne troublent point du tout la sensation , tandis que les images semblables à l'objet la troublent beaucoup , lorsqu'elles ne peuvent pas se réunir entièrement. Au reste, cette impos- sibilité de réunion parfaite des images des deux yeux dans les vues courtes comme la mienne , vient souvent moins de l'inégalité de force dans les yeux que d'une autre cause ; c’est la trop grande proximité des deux prunelles , ou , ce qui revieut au même, l'angle trop ouvert des deux axes optiques, qui produit en partie ce défaut de réunion. On sent bien que plus on appro- che un petit objet des yeux, plus aussi lin- tervalle des deux prunelles diminue : mais comme il y a des bornes à cette diminution, PUR ii fe j Mg : | DE L'HOMME. 63 tique les yeux sont posés de façon qu'ils ne peuvent faire un angle plus grand que de soixante degrés tout au plus par les deux rayons visuels, il suit que, toutes les fois qu'on regarde de fort près avec les deux yeux, la vueest fatiguée et moins distincte qu'en ne regardant que d’un seul œil ; mais cela n’empêche pas que l’inégalité de force dans les yeux ne produise le mème eftet, et que par conséquent il n'y ait beaucoup d'avantage à écarter l'œil foible, et l’écarter de façon qu’il reçoive une image différente de celle dont l'œil le plus fort est occupe. S'il reste encore quelques scrupules à cet egard , il est aisé de Les lever par une expé- rience très-facile à faire. Je suppose qu'on ait les yeux égaux , ou à peu près égaux : ii n'y à qu'à prendre un verre convexe , et le mettre à un demi-pouce de l’un des yeux ; on rendra par-là cet œil fort inégal en force à l’autre ; si l’on veut lire avec les deux yeux , on s’appercevra d’une con— fusion dans les lettres, causée par cette juégalité , laquelle confusion disparoîtra dans l'instant qu'on fermera l'œil offusqué par le verre, et qu’on ne regardera plus que d'un œil. * AD pt à) y (re 1 1e Ÿ f D 66 HISTOIRE NATURELLE 1 Je sais qu'il y a des gens qui prétendent que, quand même on a les yeux parfaites Ment égaux en force, on ne voit ordinaire ment que d'un œil ; mais cest une idée. sans fondement , qui est-contraire à Pex- périence : ona vu ci- devant qu'on voit mieux dés deux yeux que d’un senl , lors— qu'on les a egaux ; il n’est donc pas naturel _de penser qu'on chercheroit a mal voir en ne se servant que d'un œil, lorsqu'on peut voir mieux en se servans des deux. Hp. a plus; c’est qu’on a un autre avantage très- considérable à se servir des deux yeux , orsqu'ils sont de force égale, on peu inégale; | Cél'avantage consiste à voir une plis grande étendue , une plus grande partie de l'objet qu'on regarde : si on voit un globe d’un seul œil, on u’en appercevra que la moitié 3 si on le regarde avec les deux yeux, on en verra plus de la moitié; et il est aisé de donner pour les distances on les grosseurs différentes , la quantité qu'on voit ‘avec les deux yeux de plus qu'avec un seul œil. Aimsi on doit se servir et on se sert en _ effet, dans tous les cas, des deux yeux , lorsqu'ils sont égaux , ou peu inégaux. DE L'HOMME. 67 Au reste, je ne prétends pas que l'inégalité de force dans les yeux soit la seule cause du regard louche : ii peut y avoir d'autres causes de ce défaut ; mais je les regarde comime des causes accidentelles , et je dis seulement que l'inégalité de force dans les yeux est une espêce de strabisme inné, Ja plus ordinaire de toutes, et si commune, que tous les louches que j'ai examinés, sont dans le cas de cette inegalité. Je dis de plus , que c'est une cause dont l'effet est nécessaire , de sorte qu'il n’est peut-être pas possible de guérir de ce defaut une personne dont les yeux sont. de force trop inégale. J'ai observé , en examinaut la portée des yeux de plusieurs enfans qui n’étoient pas louches, qu’ils ne voient pas si loin , à beaucoup près , que les adultes, et que, proportion gardée, ils peuvent voir distinctement d'aussi près ; de sorte qu’en avançant en âge , l'intervalle absolu de la vuüuedistincte augmente des deux côtes , et c’est une des raisons pourquoi il y a parmi les enfaus plus de louches que parmi les adultes » parce que s’il ne faut que : ou mème beau- coup moins d’inégalité dans les yeux pour les 68 HISTOIRE NATURELLE rendre louches lorsqu'ils n’ont qu’un pétit intervalle absolu de vue distincte, it leur faudra une plus grande inégalité, comme ou davantace, pour les rendre louches, quand l'intervalle absolu de vue distincte sera ausmenté, eu sorte qu'ils doivent se corriger de ce défaut en avançant en âge. Mais quand les yeux , quoique de force inégale, n’ont pas cependant le degré d’iné- galité que nous avons déterminé par la formule ci-dessus , on peut trouver un remède au strabisme : il me paroît que le plus simple, le plus naturel et peut-être le plus efficace de tous les moyens, est de couvrir le bon œil pendant un temps ; l'œil difforme seroit obligé d'agir et de se tourner directement vers les objets, et prendroit en peu de temps ce mouvement habituel. J'ai oui dire que quelques oculistes-s’étoient servis assez heureusement de cette pratique ; mais , avant que d'en faire usage sur une personne , il faut s'assurer du degré d'ine- galilé des yeux, parce qu’elle ne réussira jamais que sur des yeux peu inégaux. Ayant communique cette idée à plusieurs per- sonues, et entre autres à M. Bernard de DE L’ HOMME. - 69 Jussieu , à ‘qui j'ai lu cette partie de mon Mémoire , j'ai eu le plaisir de voir mon opinion confirmée par une expérience qu’il m’indiqua , et qui est rapportée par M. Allan, médecin anglois, dansson PARA unIveISæ medicinæ. Il suit de tout ce que nous venons de dire, que, pour avoir la vue parfaitement bonne, il faut avoir les yeux absolument égaux en force ; que de plus il faut que l’intervalie absolu soit fort grand, en sorte qu'on puisse voir aussi bien de fort près que de fort loin : ce qui dépend de la facilité avec laquelle les yeux se contractent ou se dilatent, et changent de figure selon le besoin ; car si les yeux éloient solides , on ne pourroit avoir qu'un très-petit intervalle de vue dis- tincte. [l suit aussi de nos observations , qu'un borgue à qui il reste un bon œil, voit mieux et plus distinctement que le commun des hommes, parce qu’il voitmieux que tous ceux qui ont les yeux un peu ineé- gaux , et, défaut pour défaut , il vamdroit mieux être borgne que louche , si ce pre- nier défaut n’étoit pas accompagné et d’une plus srande difformité et d’autres incom- 7» HISTOIRE NATUREL LLE. modités. Il suit encore évidemment de tout | ce que nous avons dit, que les louches né voient jamais que d'un œil, et qu’ils doi- vent ordinairement tourner le mauvais-æil tout près de leur nez , parce que, dans cette situation , la direction de ce mauvais œil est aussi écartée qu’elle peut l'être de la direction du bon æil. À la vérité , en écar- tant ce mauvais œ1l du côté de l’angle ex- terne , la direction seroit aussi eloiguée que dans le premier cas ; mais il y a un avan- tage de tourner l'œil du côté du nez, parce que le nez fait un gros objet qui, à cette très-petite distance de l'œil , paroît um- forme, et cache la plus grande partie des objets qui pourroient être apperçus du mau- vais œil, et par conséquent cette:situation du mauvais œil est la moins désavanta- geuse de toutes. On peut ajouter à cette raison , quoique suffisante , une autre raison tirée de l’obser- vation que M. Winslow a faite sur l’inega- lité de la largenr de l'iris : il assure que l'iris est plus étroit du côté du mez ,' et plus large du côté des tempes , en sorte que la prunelle n’est point au milieu de l'iris, DE L'HOMME x mais qu’elle est plus près de la Montant extérieure du côté du nez; ka prunelle pourra donc s'approcher de l'angle interne, et il y aura par conséquent plus d’avantace à tour- ner l'œil du côté du nez que de l'autre côté, et le champ de l’œil sera plus petit danscette situation que dans aucune autre. Je ne vois donc pas qu'on puisse trouver de remède aux yeux louches, lorsqu'ils \ sont tels à cause de leur trop grande iné- ealité de force: la seule chose qui me paroît raisonnable à proposer, seroit de raécourcir la vue de l'œil le plus fort, afin que les yeux se trouvant moins inégaux , on füt'en état de les diriger tous deux vers le mêmié point, sans troubler la vision autant qu’elle letoit auparavant ; il sufhroit, par exemple, à un homme qui a + d’inégalité de force dans les yeux, anèmuel cas il est nécessairement louche , il suffiroit , dis-je, de réduire cette | inégahite à Æ, pour qu'il cessàt de l’être. On y parviendroit peut-être en commen- gant par couvrir le bon œil pendant quelque temps , afin de rendre au mauvais œil la direction et toute la force que Le défaut d’ha- hitude à s’en servir peut lui avoir Ôlée, ef FL | Ai VER TA 72 HISTOIRE Nate t à ensuite en faisant porter des lunettes dont le verre opposé au mauvais œil sera plan, et le verre du bon œil seroit convexe: insen- siblement cet œil perdroit de sa force ; et seroit par conséquent moins en état pan indépendamment de l’autre. Éu observant les mouvemens des yeux de plusieurs personnes louches , j'ai remar- que que, dans tous les cas, les prunelles des deux yeux ne laissent pas de se suivre assez exactement , et que l'angle d'inclinaison des deux axes de l'œil est presque toujours le même , au lieu que , dans les yeux ordi- naires, quoiqu’ils se suivent très-exacte- ment, cel angle est plus petit.ou plus grand, à proportion de l'éloignement ou de la proxi- mite des objets; cela seul suffiroit pour prou- ver que les louches ne voient que d’un œil. Mais il est aisé de s’en convaincre entiè- rement par une épreuve facile : faites placer la personne louche à un beau jour, vis-à-vis une fenêtre ; présentez à ses yeux un petit objet , comme une plume à écrire , et dites- lui de la resgarder ; examinez ses Yeux , vous reconnoîtrez aisément l'œil qui: est dirigé vers l’objet; couvyrez cet œil avec la-main, be | DE L'HOMME, F3. etsur-le-champ la personne qui croyoit voir des deux yeux, sera fort étonnée de ne plus voir,la plume, et elle sera obligée de redresser son autre œil et de le diriger vers cet objet pour l'appercevoir: Cette observa- tion est generale pour tous les louches ainsi il est sûr qu’ils ne voient que d'un œil. | Nr es Il y à des personnes qui , sans être abso- lument louches , ne laissent pas d’avoir une fausse direction daus l’un des yeux, que cependant n’est pas assez considérable pour. causer une grande difformite : leurs deux prunelles vont ensemble ; mais les deux axes optiques, au lieu d’être inclinés pro- portionnellement à la distance des objets , demeurent toujours un peu plus ou un peu moins inclinés,; ou même presque parallèles. Ce défaut, qui est assez commun , et qu’on peut.appeler wr faux trait dans les yeux, a souvent pour cause l'inégalité de force dans les yeux ; et s’il provient d'autre chose, comme de quelque accident ou d'une habi- tude prise au berceau, on peut s'en guérir facilement. Il est à remarquer que ces espèges de louches ont dû voir les objets doubles Mar, gén, X XX. | 7. À 4 x D, + GT ÿ DLL) PE A 74: HISTOIRE NATURELLE dans le commencement qu'ils ont contracté cette habitude, de la même façon qu’en vou- lant tourner les yeux comme les louches , on: “voit les objets doubles avec deux bons yeux. En effet, tous les hommes voient les objets doubles , puisqu'ils ont deux yeux, dans chacun desquels se peint une image, et ce n’est qu® par expérience et par habi+ tude qu’on apprend à les juger simples, de la même façon que nous jugeons droits les objets. qui cependant sont renversés sur la rétine : toutes les fois que les deux images tombent sur les points correspondans des deux rétines, sur lesquels elles ont coutume de tomber, nous jugeons lés objets simples ;:- mais , dès que l’une ou l’autre des images tombe sur un autre point, nous les jugeons doubles. Un homme qui a dans les yeux la fausse direction ou le faux trait dont nous venons de parler , a dû voir les objets dou- bles d’abord , et ensuite par habitude il les a jugés simples, tout de même que nous: jugeons les objets simples , quoique nous les voyions en effet tous doubles. Ceci est con- fifÿmé par une observation de M. Folkes, “épportée dans les notes de M. Smith : ül DE L'HOMME, a 79 rassure qu'un homme etant devenu louche par un coup violent à la tête, vit les objets doubles pendant quelque temps, mais qu’en- fin il étoit parvenu à les voir simples comme auparavant , quoiqu'il se servit de ses deux ‘yeux à la fois. M. Folkes ne dit pas si cet homme étoit entièrement louche : il est à ‘croire qu’il ne l'étoit que lésèrement , sans quoi il n’auroit pas pu se servir de ses deux yeux pour regarder le mème objet. Jai fait moi-même une observation à peu près pa- reille sur une dame qui, à la suite d’une maladie accompagnée de grands inaux de tête, a vu les objets doubles pendant près de quatre mois ; et cependant elle ne parois- soit pas être louche , sinon dans des instans ; car comme cette double sensation l’incom— modoit beaucoup , elle étoit venue an point d’être louche tantôt d’un œil et tantôt de l’autre , afin de voir les objets simples : mais peu à peu ses yeux se sont fortifiés avec sa santé, et actuellement elle voit les objéts simples , et ses yeux sont parfaitement droits. Parmi le grand nombre de pérsonnés Jouches que j'ai examinées, j'en ai trouÿé + 76 HISTOIRE NATURELLE plusieurs dont le mauvais œil, au lieu de se ‘tourner du côte du nez , comme cela arrive -le plus ordinairement, se'tourne au. con- traire du côlé des tempes. J'ai observé que -ces iouche- n’ont pas les yeux aussi inégaux : en force que leslouches dont, l'œil est tourné vers le nez : cela m'a fait penser que c’est là ie cas de la mauvaise habitude prise au berceau , dont parlent Les médecins; et en effet on conçoit aisement que si le berceau est tourne de façon qu’il présente le côté au . grand jour dés fenêtres, l'œil de l'enfant, qui sera du côlé de ce grand jour, tournera du côté des tempes pour se diriger verstla lu- mière, au lieu qu'il est assez difficile d’ima- _giner comment il pourroit se faire que l’œil se tournät du côte du nez; à moins qu'on ne dit que c'est pour éviter celte trop grande Jumière. Quoi qu'ilen soit, on peut toujours remédier à ce défaut dès que les yeux ne sont pas de force trop inégale , en couvrant le bon œil pendant une quinzaine de jours. Il est évident par tout ce que nous avons dit ci-dessus, qu’on ne peut pas être louche des deux yeux à la fois; pour peu qu'on ait -#éfléchi sur la conformation de l'œil et sur DE L'HOMME. 77 les usages de cet organe , on sera persuadé de l’impossibilité de ce fait , et l'expérience achevera d'en convaincre : mais il y a des personnes qui, sans être louches de deux à la fois , sont alternativement quelquefois louches de l’un et ensuite de l’autre œil, et j'ai fait cette remarque sur trois personnes différentes. Ces trois personnes avoient les yeux de force inégale ; mais il ne paroissoit pas qu'il y eût plus de À d’inégalité de force dans les yeux de la personne qui les avoit le plus inégaux, Pour regarder. les objets éloignés , elles se servoient de l'œil le plus fort, et l’autre œil tournoit vers le nez ou vers les tempes ; et pour regarder les objets trop voisins , comme des, caractères d'impression, à une petite distance , ou des objets brillans, comme la lumière d’une chandelle, elles se servoient de l'œil le plus foible , et l’autre se tournoit vers l’un ou. d'autre des angles: Après les avoir examinées attentivement ; je reconnus que ce défaut provenoit d'une autre espèce d’inégalité dans les yeux : ces personnes pouvoient lire-très- distinctement à deux et à trois pieds de dis- tance avec l’un des yeux, et ne pouvoient { 4 te D ne m2 Le 78 HISTOIRE NATURELLE pas lire plus près de quinze ou dix-huit pouces avec ce même ‘œil, tandis qu'avec l'autre œil elles pouvoient lire à quatre pouces de distance et à vingt ettrente pouces. Cette espèce d’inépalité faisoit qu'elles ne se servoient que de l'œil le plus fort toutes les fois qu'elles vouloient appercevoir des objets éloignés, et qu'elles étoient forcées d'employer l'œil le plus foible pour voir les “objets trop voisins. Je ne icrois pas qu’on puisse remédier à ce défaut ; si ce n'est en poriant des lunettes dont l’un des verres seroit convexe et l’autre concave, propor- tionnellement à la forcée ou à la foiblesse de chaque œil : mais il faudroit avoir fait sur - cela plus d'expériences que je n’en ai fait, pour être sûr de quelque succès. À J'ai trouvé plusieurs personnes qui, sans être louches, avoient les yeux fort inégaux en force : lorsque cette inégalité est très- considérable, comme, par exemple, de tou de =, alors l'œil foible ne se détourne pas, parce qu’il ne voit presque point, et on est ‘dans le cas des borgnes, dont l'œil obscurci ‘ou couvert d’une taie ne laisse pas de suivre les mouvemens du bon œil. Ainsi, dès que DE L'HOMME 70 Vinégalité est trop petite ou de beaucoup trop grande, les yeux nëeisont pas louches ; ou s'ils le sont, on peut les rendre droits, en couvrant, dans les deux cas, le bon œil pendant quelque temps. Mais si l'inégalité est d’un’tel degré que l’un des yeux ne serve qu'à offusquer l’autre et en troubler la sén- sation , on sera louche d'un seul œil sans reméde ; et si l'inégalité est telle que l’un des yeux soit presbyte, tandis que l’autre est myope, on sera louche des deux yeux alter: nativement ,'et encôre saris aucun remède: J'ai vu quelques personnes que tout le moude disoit être louches, qui le parois- soient en effet, et qui cependant ne l’étoient pas réellement, mais dont les yeux avoient un autre défaut, peut-être plus grand et plus difforme : lessdeux yeux vont ensemble, ce qui prouve qu'ils ne sont pas louches; mais ils sont vacillans, et ils se tournent si rapidement et si subitement, qu'on ne peut jamais reconnoître le point vers lequel ils sont dirigés. Cette espèce de vue égarée n'empêche pas d'appercevoir les objets, mais c'est toujours d’une manière indistincte. Ces personnes lisent avec peine; et lorsqu'on les. 8o HISTOIRE NATURELLE egarde, l’on est-fort ‘étonné de n'apperce- voir quelquefois que le blanc des yeux,«tan- dis qu’elles disent vous voir etvoustregarder: mais ce sont des coups d’œil'imperceptibles, -par:lesquels elles apperçoivent; et, quand on les examine de près, on distingue: aisément tous lés mouvemens dont:les directions sont inutiles, et tous ceux qui leurservent à re- connoître les:objets. 5 Avant de terminer ce Mémoire, il est Loi d'observer une chose essentielle au jugement qu'on doit porter sur de degré d’inégalité de force dans les yeux des lonches : j'ai re- connu, dans toutes les expériences que j'ai faites, que l’œil louche, qui est toujours le plus foible, acquiert de la force-par l’exer- cice, et que plusieurs personnes dont je jugeois le strabisme incurable, parce que, par les premiers essais, j'avois trouvé un trop-grand degré d'inégalité, ayant couvert leur bon œil seulement peudant quelques minutes, et ayant par conséquent été obli- gées d'exercer le mauvais œil pendant. ce petit temps, elles étoient elles-mêmes sur- prises de ce que ce mauvais œil avoit gagne beaucoup de force; en sorte que, mesure 1 M JADE 4 ou À F 2f j DE L'HOMME. 81 prise, après cet exercice, de la portée de cet _@il, je la trouvois plus étendue, et je jugeois le strabisme curable. Ainsi, pour prononcer avec quelque espèce de certitude sur le degré d'inégalite des yeux, et sur la possibilité de remédier au defaut des yeux louches, il faut auparavant couvrir le bon œil pendant quel- que temps, afin d’obliger le mauvais œil à faire de l'exercice et reprendre toutes ses forces ; après quoi on sera bien plus en état de juger des cas où l’on peut espérer que le remède simple que nous proposons, pourra réussir. | ie à p d DIEM Was FU LT 82 HISTOIRE NATURELLE LA / } DU SENS DE L’OUIE. Couwr le sens de l’ouïe a dé commun avec celui de la vue de nous donner la sen= sation des choses éloignées, il est sujet à des erreurs semblables, et il doit nous tromper toutes les fois que nous ne pouvons pas rec tifer par'le toucher les idées qu’il produit. De la même façon que le sens de la vue ne nous donne aucune idée de la distance des objets, le sens de l’ouïe ne nous donne au- cune idée de la distance des corps qui pro- duisent le son : un grand bruit fort éloigné et un petit bruit fort voisin produisent la même sensation; et, à moins qu'on n'ait déterminé la distance par les autres sens, on ne sait point si ce qu'on a entendu est en effet un grand-ou uu petit bruit. Toutes les fois qu’on entend un son in- connu, on ne peut donc pas juger par ce son de la distance non plus que de la quan- DE L'HOMME. | 83 tité d'action du corps qui le produit; mais dès que nous pouvons rapporter ce son à une unité connue , c'est-à-dire, dés que nous pouvons savoir que ce bruit est de telle ou telle espèce, nous pouvons juger alors à peu près non seulement de la dis- tance, mais encore de la quantité d'action : par exemple , si l'on entend un coup de canon ou le son d’une cloche, comme ces effets sont des bruits qu'on peut comparer avec des bruits de même espèce qu’on a au— trefois entendus, on pourra juger grossière- ment de la distance à laquelle on se trouve du canon ou de la cloche, et aussi de leur grosseur, c’est-à-dire , de la quantité d'action. | | | Tout corps qui en choque un autre, pro- duit un son; mais ce son est simple dans les corps qui ne sont pas élastiques, au lieu : qu'il se multiplie dans ceux qui ont du res- sort. Lorsqu'on frappe une cloche ou un timbre de pendule, un seul coup produit d’abord un son qui se répète ensuite par les ondulations du corps sonore et se multiplie réellement autant de fois qu’il y a d’oscilla- tions ou se vibrations dans le corps sonore. 04 . | HISTOIRE NATURELLE Nous devrions donc : juger ces sons, non pas. coinme simples, mais comme composés, si par l'habitude nous n’avions-pas appris à, juger qu’un coup ne produit qu'uu son. Je dois rapporter ici une chose quiim'arriva. il y a trois ans : j'étois dans mon lit, à demi. endormi; ma pendule sonna, et:je comptai cinq heures, c’est-à-dire, j’entendis distinc- tement cinq coups de marteau sur le timbre; je me levai sur-le-champ; et ayant approché la lumière, je vis qu’il n’étoit qu’une heure, et la pendule n’avoit én effet sonné qu'une heure, car la sonnerie n’étoit point déran- gée : je conclus , après un moment de ré- flexion, que si l’on ne savoit pas par expé- rience qu'un coup ne doit produire qu’un son, chaque vibration du timbre seroit en- tendue comme un différent son, et comme: si plusieurs coups se succédoient réellement sur le corps sonore. Dans le moment que j'entendis sonner ma pendule, j’étois dans le cas où seroit quelqu'un qui entendroit pour la première fois, et qui n'ayant au- cune idée de la manière dont se produit le son, jugeroit de la succession des différens sons sans préjugé, aussi-bien que sans régle, ‘DE L'HOMME. 85 et par la seule impression qu’ils font sur l'organe; et dans ce cas il entendroit en effet autant de sôns distincts qu’il y a de vibra- tions successives dans le corps sonore. C’est la succession de tous ces petits coups répétés, ou, ce qui revient au même, c'est le nombre des vibrations du corps élastique, qui fait le ton du son. Il n’y a point de ton dans#un son simple : un coup de fusil, un coup de fouet, un coup de canon, produisent des sons différens qui cependant n’ont aucun ton. Il en est de même de tous les autres sons qui ne durent qu’un instant. Le tou consiste donc dans la continuité du même son pendant un certain temps. Cette conti- nuité de son peut être opérée de deux ma nières différentes : la première et la plus ordinaire est la succession des vibrations dans les corps élastiques et sonores; et la seconde pourroit être la répétition prompte et nombreuse du même coup sur les corps qui sont incapables de vibrations; car un corps à ressort qu’un seul coup ébranle et met en vibration , agit à l’extérieur et sur notre oreille comme s’il étoit en effet frappé par autant de petits coups égaux qu'il fait 8 X 10077 ML 4 OULRTIES ET k } . FR | A: LUE fs NU. MORE PET à ‘ f 86 (HISTOIRE NATURELLE | de Vibrations ; chacune de ces vibrations : équivaut à un coup, et c'est ce qui fait la continuité de ce son et ce qui lui donne un ton : mais si l’on veut trouver cette même continuité de son dans un corps non élas- tique et incapable de former des vibrations, il faudra le frapper de plusieurs coups égaux, successifs et très-prompts ; c’est le seuimoyen de donner un ton au son que produit ce €orps, ét la répétition de ces coups égaux pourra faire dans ce cas ce que fait dans nes la succession des vibrations. En considérant sous ce point de vue la production du son et des différens ‘tons qui le modifient, nous reconnoîtrons que puis- qu'il ne faut que la répétition de plusieurs coups égaux sur un corps incapable de vi- brations pour produire un ton, si l’on aug- mente le nombre de ces coups égaux dans le même temps, cela ne fera que rendre le ton plus égal et plus sensible, sans rien changer ni au son, ni à la nature du ton que ces coups produiront; mais qu'au con— traire si on augmente la force des coups égaux, le son deviendra plus fort, et le ton pourra changer : par exemple, si la force Ru DE L'HOMME. 87 des coups est double de la première , elle produira un effet double, c’est-à-dire, un son une fois plus fort que le premier, dont le ton sera à l’octave ; il sera une fois plus grave, parce qu’il appartient à uu son qui est une fois plus fort, et qu'il n’est que l'effet continué d’une force double : si la force, au lieu d’être double de la première, est plus grande dans un autre rapport, elle produira des sons plus forts dans le même rapport, qui par conséquent auront chacun des tons proportionnels à cette quantité de force du son, ou, ce qui revient au même, de la force des coups qui le produisent , et non pas de la fréquence plus ou moins grande de ces coups égaux. Ne doit-on pas considérer les corps élas- tiques qu’un. seul coup met en vibration, comme des corps dont la figure ou la lon- gueur détermine précisément la force de ce coup, et la borne à ne produire que tel son qui ne peut être ni plus fort ni plus foible? Qu'on frappe sur une cloche un coup une fois moins fort qu'un autre coup, on n’en- tendra pas d'aussi loin le son de cette cloche; mais on entendra toujours le même ton. Il DA PA Et nas a CURE PRE 88 HISTOIRE NATURELLE en est de même d’uue corde d'instrument; la même longueur dounera loujours le même ton. Des lors ne doit-on pas croire que dans l'explication qu'on a donnée de la production des differens tons par le plus ow le moins de frequence des vibrations, on a pris l’effet pour la cause? car les vibrations dans les corps sonores ne pouvant faire que ce que font les coups égaux répétés sur des corps incapables de vibrations, la plus grande ou la moindre frequence de ces: vibrations ne doit pas plus faire à légard des tons qui en résultent, que la repetition pfus ou moins prompte des coups successifs doit faire au ton des corps non sonores : or cetté répétition plus ou moins prompte n y change rien, la fréquence des vibrations ne doit donc rien changer non plus, et le ton ,:qui dans le premier cas dépend de la force du coup, dé- pend dans le second de la masse du corps sonore; 6’il est une fois plus gros dans la même longueur ou une fois plus long dans la même grosseur, le ton sera une fois plus grave, comine il l’est lorsque le coup est douné avec une fois plus de force sur um corps incapable de vibrations. $ M" DE L'HOMME. 89 Si donc l’on frappe un corps incapable de vibrations avec une masse double, il pro- duira un son qui sera double, c’est-à-dire, à l’octave en bas du premier: car c’est la même chose que si l’on frappoit le même corps avec deux masses égales, au lieu de né le frapper qu'avec une seule; ce qui ne peut manquer de donner au son une fois plus d'intensité. Supposons donc qu’on, frappe deux corps incapables de vibrations, l’un avec une seule masse, et l’autre avec deux masses , chacune égale à la premiére ; le premier de ces corps produira un son dont l'intensité ne sera que la moitié de celle du son que produira le second : mais si l’on frappe l'un de ces corps avec deux masses et V'autre avec trois, alors ce premier, corps produira un son dont l’intensitésera moindre d’un tiers que celle du son que produira le second corps ; et de même si l’on frappe l’un de ces corps avec trois masses égales et l’autre avec quatre, le premier produira un son dont l'intensité sera moindre d’un quart que celle du son produit par le second : or de toutes les comparaisons possibles de nombre à nombre, celles que nous faisons le plus 8 ? D REA Qt bi. eo HISTOIRE NATURELLE facilement, sont celles d’un à deux , d’ün à trois, d'un à quatre, etc. ; et detous les rap- ports compris entre le simple et le double, ceux que nous appercevons le plus aisément, sont ceux de deux contre un, de trois contre ‘deux, de quatre contre trois, etc. Ainsi nous ne pouvons pas manquer, en jugeant les sons, de trouver que l’octavé est le son qui convient où qui s'accorde le mieux avec le premier, et qu'ensuite ce qui s'accorde le mieux est la quinte et la quarte, parce que ces tons sont en effet dans cette proportion: car supposons que les parties osseuses de lin- térieur des oreilles soient des corps durs ef incapables de vibrations, qui reçoivent les coups frappés par ces masses égales ; nous xapporterons beaucoup mieux à une cer- taine unité de son produit par une de ces masses , les autres sons qui seront produits par des masses dont lés rapports seront à la première masse comme 1 à 2, où 2 à 5, ou 5 à 4, parce que ce sont en effet les rapports que l'ame apperçoit le plus aisément. En considérant donc le son comme sensation, où peut donner la raison du plaisir que font les sons harmoniques; il consiste dans la. DE L'HOMME. OL proportion du son fondamental aux autres sons : si ces autres sons mesurent exactement et par grandes parties le son fondamental, ils seront toujours harmoniques et agréables; si au contraire ils sont incommensurables, ou seulement commensurables par petites . parties , ils seront discordans et désagréables. : On pourroit me dire qu'on ne conçoit pas ‘trop comment une proportion peut causer du plaisir, et qu'on ne voit pas pourquoi tel rapport, parce qu’il est exact, est plus agréable que tel autre qui ne peut pas se mesurer exactement. Je répondrai que c’est cependant dans cette justesse de proportion que consiste la cause du plaisir, puisque toutes les fois que nos sens sont ébranlés de cette façon , il en résulte un sentiment agréable, et qu'au contraire ils sont tou- jours affectés désagréablement par la dispro- portion: On peut se souvenir de ce que nous avons dit au sujet de l'aveugle-né auquel M. Cheselden donna la vue en lui abattant la cataracte : les objets qui lui étoient les plus agréables lorsqu'il commençoit à voir, étoient les formes régulières et unies; les corps 'pointus'et irréguliers étoient pour lui “ \ | , s 4 95 HISTOIRE NATURELLE . des objets désagréables. Il n’est donc pas dou: teux que l’idée de la beauté et le sentiment du plaisir qui nous arrive par les yeux, ne naissent de la proportion et de la régularité, . Il en est de même du toucher ; les formes égales, rondes étuniformes, nous font plus de plaisir à toucher que les angles, les pointes et les inégalités des corps raboteux. Le plaisir du toucher à donc pour cause, aussi-bien que celui de la vue, la proportion des corps ‘et des objets: pourquoi le plaisir de l'oreille ne viendroit-il pas de la proportion des sons? Le son a, comme la lumière, nom seule: ment la propriété de se propager au loin, mais encore celle de se réfléchir. Les lois de cette reflexion du son ne sont pas, à la vérité, aussi bien connues que celles de la reflexion de la lumière; on est seulement assuré qu'il se reflechit à la rencontre des corps-durs : une montagne, un bâtiment, une muraille, réfléchissent le son, quelquefois si ‘parfaite ment qu'on croit qu'il vient réellemerñt de ce côté opposé; et lorsqu'il se trouve des concavités dans ces surfaces planes , ou lors- qu'elles sont elles-mêmes régulièrement con: gaves, elles forment un écho qui est une OÉ L'HOMME. : '! 03 réflexion du son plus parfaite et plus dis- tincte ; les voûtes dans un bâtiment, les rochers dans une montagne, les arbres dans une forèt, forment presque toujours des échos, les voûtes parce qu’elles ont unefigure concave régulière, les rochers parce qu'ils forment des voûtes et des cavernes ou qu’ils sont disposés en forme concave et régu- lière, et les arbres parce que dans le grand mombre de pieds d'arbres qui forment la forêt, il y en a presque toujours un certain nombre ‘qui sont disposés et plantés les uns à l'égard des autres de manière qu'ils forment une espèce de figure concave. La cavité intérieure de l’oreille paroït être un écho où le son se réfléchit avec la plus grande précision : cette cavité est creusée dans la partie pierreuse de l’os temporal, comme une concavite dans un rocher; le son se répète et s'articule dans cette cavité, et ébranle ensuite la partie solide de la lame du limacon; cet ébranlement se commu nique à la partie membraneuse de cette ‘lame; cette partie membraneuse est une ex- - pansion du nerf auditif qui transmet à l’ame ces différens ébranlemens dans l’ordre où 94 HISTOIRE NATURELLE elle les reçoit. Comme les parties osseuses sont solides et insensibles , elles ne peuvent servir qu'à recevoir et réfléchir le son; les nerfs seuls sont capables d'en produire la sensation : or dans l'organe de l’ouïe la seule partie qui soit nerf, est cette portion de la lame spirale, tout le reste est solides et c’est par cette raison que je fais consistèr dans cette partie l'organe immediat du son : on peut même le prouver par les réfléxions sui- vantes. | L’oreille extérieure n’est qu'un accessoire à l'oreille intérieure ; sa concavité, ses plis, peuvent servir à augmenter la quantite du son : mais on entend encore fort bien sans oreilles extérieures ; on le voit par les ani- maux auxquels on les a coupées. La mem— brane du tympan, qui est ensuite la partie la plus extérieure de cet organe , n'est pas plus essentielle que l'oreille extérieure à la sensation du son : 1l y a des personnes dans lesquelles cette membrane est détruite en tout ou en partie, qui ne laissent pas d’en- tendre fort distinctement; on voit des gens qui font passer de la bouche dans l'oreille el font sortir au dehors de la fumée de tabae, DE L'HOMME. 95 des cordons de soie, des lames de plomb, etc. et qui cependant ont le sens de l’ouïe tout aussi bon que les autres. Il en est encore à peu près de même des osselets de l'oreille ; ils ne sont pas absolument nécessaires à l'exercice du sens de l’ouïe : il est arrivé plus d’une fois que ces osselets se sont cariés ef ‘sont même sortis de l'oreille par morceaux apres des suppurations, et cés personnes qui n’avoient plus d’osselets, ne laissoient pas d'entendre; d’ailleurs on sait que ces osselets ne se trouvent pas dans les oiseaux , qui ce- pendant ont l’ouïe très-fine et très-bonne. Les canaux semi-circulaires paroissent être plus nécessaires : ce sont des espèces de tuyaux courbés dans l’os pierreux, qui sem- blent servir à diriger et conduire les parties sonores jusqu’à la partie membraneuse du limaçon, sur laquelle se fait l’action du son et la production de la sensation. Une incommodité des plus communes dans la vieillesse, est la surdité. Cela se peut expliquer fort naturellement par le plus de densité que doit prendre la partie membra- neuse de la lame du limaçon: elle augmente cu solidité à mesure qu’on ayance en âge; 96 HISTOIRE NATURELLE dès qu'elle devient trop solide, on a Voreillé dure ; et lorsqu'elle s’ossifie, on est entière- ment sourd, parce qu'alors il n’y a plus au- cune partie sensible dans l'organe qui puisse transmettre la sensation du son. La surdité qui provient de cette cause, est incurable : mais elle peut aussi quelquefois venir d’une cause plus extérieure ; le canal auditif peut se trouver rempli et bouché par Ges matières épaisses. Dans ce cas, il me semble qu’on pourroit guérir la surdité, soit en serin- guant des liqueurs ou en introduisant même des instrumens dans ce canal; et il y a un moyen fort simple pour reconnoître si la sur- dité est intérieure ou si elle n’est qu'exté- rieure, c'est-à-dire, pour reconnoître si la lame spirale est en effet insensible, ou bien si c’est la partie extérieure du canal auditif qui est bouchée : il ne faut pour cela que prendre une petile montre à répétition, la mettre dans la bouche du sourd et la faire sonner: s’il entend ce son, sa surdité sera certainement causée par un embarras exté- rieur auquel il est toujours possible de remé- dier en partie. . J'ai aussi remarqué sur plusieurs per- vf. DE L'HOMME. 07 _sounes qui avoient l’oreille et la voix fausses, qu'elles entendoient mieux d’une oreille que d’une autre. On peut se souvenir de ce que jai dit au sujet des yeux louches, la cause de ce défaut est l'inégalité de force ou de portée dans les yeux; une personne louche ne voit pas d'aussi loin avec l'œil qui se dé- tourne, qu'avec l’autre : l’analogie m’a con- duit à faire quelques épreuves sur des per- sonnes qui ont. la voix fausse, et jusqu’à présent j'ai trouvé qu elles avoient en effet une oreille meilleure que l’autre; elles re- çoivent donc à la fois par les deux oreilles deux sensations inégales, ce qui doit pro- duire une discordance dans le résultat total de la sensation; et c’est par cette raison qu'entendant toujours faux, elles chantent faux nécessairement, et sans pouvoir même sen appercevoir. Ces personnes dont les oreilles sont inégales en sensibilité, se trom- peut souvent sur le côté d’où vient le son; si leur bonne oreille est à droite, le son leur paroïlra venir beaucoup plus souvent du côté droit que du côté gauche. Au reste, je ne parle ici que des personnes nées avec ce défaut : ce n’est que dans ce cas que l’inéga- 9 MATE FOOT, ORNE PE NOT { ‘ à N J WARE au A à LA A Er : P 58 HISTOIRE NATURELLE lité de sensibilité des deux oreilles leur rend l'oreille et la voix fausses ; car ceux auxquels cette différence n’arrive que par accident , et qui viennent avec l’âge à avoir une des oreilles plus dure que l’autre, n’auront pas pour cela l'oreille et la voix fausses, parce qu'ils avoient auparavant les oreilles ésale- ment sensibles, qu’ils ont commencé par entendre et chanter juste, et que si dans la suite leurs oreilles deviennent inégalement sensibles et produisent une sensation de faux, ils la rectifient sur-le-champ par l’habitude où ils ont toujours été d'entendre juste et de juger en conséquence. Les cornets ou entonnoirs servent à ceux qui ont l'oreille dure, comme les verres con- vexes servent à ceux dont les yeux com mencent à baisser lorsqu'ils approchent de la vieillesse. Ceux-ci ont Ja rétine et la cor- née plus dures et plus solides, et peut-être aussi les humeurs de l'œil plus épaisses et plus denses; ceux-là ont la partie membra- neuse de la lame spirale plus solide et plus dure : il leur faut donc des instrumens qui augmentent Ja quantité des parties Jlumi- neuses ou sonores qui doivent frapper ces (} É #7 _ à DE L'HOMME. 09 organes; les verres convexes et les cornets produisent cet effet. Tout le monde connoît ces longs cornets avec lesquels on porte la voix à des distances assez srandes ; on pour- xoit aisément perfectionner cette machine, et la rendre à l’égard de l'oreille ce qu'est la lunette d'approche à l'égard des yeux : mais il est vrai qu’on ne pourroit se servir dé ce cornet d’approche que dans des lieux solitaires où, toute la Nature seroit dans le silence; car les bruits voisins se confondent avec les sons éloignés, beaucoup plus que la lumière des objets qui sont dans le même cas. Cela vient de ce que la propagation de la lumière se fait toujours eu ligne droite, ef que quand il se trouve un obstacle intermé- diaire, elle est presque totalement intercep- iée, au lieu que le son se propage à la vérité en ligne droite ; mais quand il rencontre un obstacle intermédiaire, il circule autour de cet obstacle et ne laisse pas d'arriver ainsi obliquement à l'oreille presque en aussi grande quantité que s’il n’eût pas changé de direction. L'ouïe est bien plus nécessaire à l’homme qu'aux animaux : ce sens n’est dans ceux-ci 100 HISTOIRE NATURELLE RTS qu'une propriété passive, capable seulement de leur transmettre les impressions étran- “gères; dans l’homme, c’est non seulement une propriété passive, mais une faculté qui devient active par l’organe de la parole. C’est . en effet par ce sens que nous vivons en so- ciéle, que nous recevons la pensée des autres, | et que nous pouvons leur communiquer la nôtre ; les organes de la voix seroient des instrumens inutiles s'ils n’étoient mis en mouvement par ce sens. Un sourd de nais- sance est nécessairement muet ; 1l ne doit avoir aucune connoissance des choses abs- traites et générales. Je dois rapporter ici l’histoire abrégée d’un sourd de cette espèce, qui entendit tout-à-coup pour la première fois à l’âge de vingt-quatre ans, telle qu’on la trouve dans le’ volume de l'académie , annee 1705 , page 18. « M. Félibien , de l'académie des inserip- « tions, fit savoir à l’académie des sciences « un événement singulier, peut-être inoui, « qui venoit d'arriver à Chartres. Un jeune « homme de vingt-trois à vingt-quatre ans, « fils d’un artisan , sourd et muet de nais- «sance, commensga tout d'un coup à parler, dis ji Ne DE L'HOMME. NE à «au grand étonnement de toute la ville, On « sut de lui que quelques trois ou quatre mois «auparavant il avoit entendu le son des « cloches, et avoit été extrémement Surpris « de cette sensation nouvellé et inconnue : « ensuite il lui étoit sorti une espèce d’eau « de l'oreille gauche, et il avoit entendu « parfaitement des deux oreilles; ‘il fut ces «trois où quatre mois à écouter sans rietr « dire , s’accoutumant à répéter tout bas Les «paroles qu'il entendoit, et s'affermissant « dans la prononciation et dans les idées atta- « chées aux mots : enfin il se crut en‘état de « rompre le silence, et il déclara qu’il parloit, « quoique ce ne fût encore qu'imparfaite- « ment. Aussitôt des théologiens habiles l’in- « terrosèrent sur son état passé, et leurs « principales questions roulèrent sur Dieu , « sur l'ame, sur la bonté ou la malice mo- «rale des actions ; il ne parut pas avoir « poussé ses pensées jusque-là. Quoiqu'il fût « né de pareus catholiques , qu'il assistât à « la messe, qu'il fût instruit à faire Le signe « de la croix et à se mettre à genoux dans la « contenance d’un homme qui prie, iln’avoit « jamais joint à tout cela aucuneintention, 9 — La Li Re KE ù PE Un 102 HISTOIRE NATURELLE « ni compris celle que les autres y joignoient; «il ne savoit pas bien distinctement ce que | « c'étoit que la mort, et il n ÿ pensoit jamais; « 1l menoit une vie purement.amimale; tout «occupé des objets sensibles et présens, et « du peu d'idées qu'il recevoit par les yeux, «il ne tiroit pas même de la comparaison de « ces idées tout ce qu'al semble qu'ilen auroit « pu tirer. Ce n’est pas qu’il n’eût naturel- «lement de l'esprit : mais l'esprit d’un « homme privé du commerce des autres.est « si peu exerce ét si peu cultivé, qu'il ne « pense qu'autant qu’il y est indispensable- « ment forcé par les objets extérieurs. Le « plus grand fonds des idées des hommes est « dans leur commerce réciproque. » IL seroit cependant très-possible de com- muniquer aux sourds ces idées qui leur manquent, et même de leur donner des no- tions exactes et précises des choses abstraites et générales par des signes et par l'écriture. Un sourd de naissance pourroit, avec le temps et des secours assidus, lire et com- prendre tout ce qui seroit écrit, -et par con- séquent écrire lui-même et se faire entendre sur les choses même'les plus compliquées, Ii À DE L'HOMME. 103 yena, dit-on, dont on a suivi l'éducatiou avec assez de soin pour les amener à un point plus difficile encore, qui est de comprendre le sens des paroles par le mouvement des lèvres de ceux qui les prononcent : rien ne prouveroit mieux. combien les sens se res- semblent au fond , et jusqu’à quel point ils peuvent se suppléer. Cependant il me paroit que comme la plus grande partie des sons se forment et s’articulent au dedans de la bouche par des mouvemens de la langue, qu'on n’apperçoit pas dans un homme qui parle à la manière ordinaire, un sourd et muet ne pourroit connoître de cette façon que le petit nombre des syllabes qui sont cn effet articulées par le mouvement des lèvres. - Nous pouvons citer à ce sujet un fait tout nouveau, duquel nous venons d’être témoins. M. Rodrigue Pereire, Portugais, ayant cher- ché les moyens les plus faciles pour faire parler les sourds et muets de naissance, s’est exercé assez lons-temps dans cet art singu- lier pour le porter à un grand point de perfection : il m’amena, il y a environ quinze jours , son élève, M. d’Azy d'Étavigny ; ce jeune homme, sourd et muet de naissance, MAP LAN CUT RATE CPE (a MAS 104 HISTOIRE N TOC est âgé d'environ dix-neuf ans. M. Pereire entreprit de lui apprendre à parler; àlire, ete. au mois de juillet 1746 : au bout de quatre mois, il prononçoit déja des syllabes et des mots ; et après dix mois , il avoit l'intel- - ligence d'environ treize cents mots, et 1l les prononçoit tous assez distinctement. Cette éducation si heureusement commencée fut interrompue pendant neuf mois par l’ab- sence du maître, et il ne reprit son élève qu’au mois de février 1748; il le retrouva bien moins instruit qu'il ne l’avoit laisse; sa prononciation étoit devenue trèsviciense, et la plupart des mots qu'il avoit appris, étoient déja sortis de sa mémoire, parce qu’il ne s’en étoit pas servi pendant un assez long temps pour qu’ils eussent fait des imrpres- sions durables et permanentes. M. Pereire commença donc à l’instruire,pourainsidire, * denouveau au mois de février 1748; et depuis ce temps-là il ne l’a pas quitté jusqu’à ce jour( au mois de juin 1740). Nous avons vu ce jeune sourd et muet à l’une dé nos assem- blées de l’académie : on lui a fait plusieurs questions par écrit; il y a très-bien repondu, tant par l'écriture que par la parole. [la, à ©. DE L'HOMME. … oÿ la vérité, la prononciation lente , et le son de la voix rude : mais cela ne peut guère être autrement, puisque ce nest que par limitation que nous amenons peu à peu uos organes à former des sons précis, doux et bien articulés ; et comme ce jeune sourd et muet n’a pas même l’idée d’un son, et qu'il n’a par conséquent jamais tiré aucun secours de limitation , sa voix ne peut manquer d’avoir une certaine rudesse que l'art de son maître pourra bien corriger peu à peu jus- qu’à un certain point. Le peu de temps que ‘le maître a employé à cette éducation , et les progrès de l'élève, qui, à la vérité, paroiït avoir de la vivacité et de l'esprit, sont plus que suffisans pour démontrer qu'on peut, avec de l'art, amener tous les sourds et muets de naissance au point de commercer avec les autres hommes; car je suis persuadé que si l’on eütcommencé à instruire ce jeune sourd dès l'âge de sept ou huit ans , il seroit actuellement au même point où sont les sourds qui ont autrefois parlé, et qu'il auroit un aussi grand nombre d'idées que les autres hommes en ont communément. Pis 396 HISTOIRE NATURELLE ’ à A'D'U'T L'OONNENN S © A L'ARTICLE PRÉCÉDENT. fi a dit, dans cet article, qu’en considé- æant le sou comme sensation, on peut donner Ja raison du plaisir que font les sons harmo- niques , et qu'ils consistent dans la propor- tion du son fondamental aux autres sons. Mais je ne crois pas que la Nature ait déler- miné cette proportion dans le rapport que M. Rameau établit pour principe : ce grand musicien , dans son Z7aite de l'harmonie, déduit ingénieusement son systême d'une hypothèse qu'il appelle Ze principe fonda- mental de la musique ; celte hypothèse est que le son n’est pas simple, mais composé , en sorte que l'impression qui résulle dans notre oreille d’un son quelconque, m'est jamais une impression simple qui nous fait entendre ce seul son, mais une impression D '1 F 09" «ef DE L'HOMME ïo composée , qui nous fait entendre plusieurs sons ; que v'est-là ce qui fait la différence du son et du bruit; que le bruit ne produit dans l'oreille qu'une impression simple, au lieu que le son produit toujours une impres- . sion composée. Toute cause, dit l’auteur , qui produit sur mon oreille une impression unique et simple , ne fait entendre du bruit; ioute cause qui produit sur mon oreille unè impression cornposée de plusieurs autres , mè fait entendre du son. Et de quei est compo- sée cette impression d'un seul son, de z#, par exemple ? elle est composée, 1°. du son même de zf , que l’auteur appelle Ze son fon- damental; :°. de deux autres sons très-aigus, dont l’un est la douzième au-dessus du son fondamental , c’est-à-dire, l’octave de sa quihte en montant, et l’autre , la dix= septième majeure au-dessus de ce mème son fondamental, c’est-à-dire, là double octave de sa tierce majeure en montant. Cela étant une fois-admis, M. Rameau en déduit tout le système de la musique, et il explique la formation de l'échelle diatonique , les règles du mode majeur, origine du mode mineur, les différens genres de musique qui font le de) ML CAE 7 RES AU Hi 1 HISTOIRE NATURELLE diatonique É le chromatique et l’enharmoe nique: ramenant tout à ce systême, il donne des règles plus fixes et moins arbitraires que toutes celles qu'on a données jusqu’à ag pour la composition. x af 9 È C'est en cela que consiste la butin utilité du travail de M. Rameau. Qu'ilexiste en effet dans un son trois sons, savoir, le son fondamental , la douzième et. la dix- septième , ou que l'auteur les y suppose, cela revient au même pour la plupart des conséquences qu'on én peut tirer, et je me serois pas .éloigué de croire que M: Rameau , au lieu dpi trouvé ce principe dans la Nature, l’a tiré des combinaisons de la pra- tique de son art: il a vu qu'avec cette sup-. position , il pouvoit tout expliquer; dès lors il l’a adoptée, et a cherché à la trouver dans la Nature. Mais y, existe-t-elle ? : Toutes les fois qu’on entend un son, est-il bien vrai qu’on entend trois sons différens? Personne, avant M. Rameau, ne s’en étoit apperçu : c’est donc un phénomène qui, tout au plus, n'existe dans la Nature-que pour des oreilles musiciennes; l'auteur semble en convenir, lorsqu'il dit que ceux'qui sont. insensibles DE L'HOMME. - 109 auMlaisir de la musique, n’entendent sans doute que le son fondamental; et que ceux qui ont l'oreille assez heureuse pour enten- f dre en: même temps le son: fondamental ef lés sons concomitans , sont nécessairement très-sensibles aux charmes de l'harmonie. Ceci est une seconde supposition qui, bien loin de-confirmer la première hypothèse , ne peut qu’en faire douter. La condition-essen- tielle d’un, phénomène physique et réelle- ment existant dans la Nature, est d’être sénéral, et généralement apperçu de tous les hommes : mais 1c1 on avoue qu iluwya qu'un petit nombre de personnes. qui soient capables de le reconnoître ; Vanteur dit qu’il est le premier qui s’en soit. apperçu, que les musiciens même ne s’en étoient. pas dou- tés. Ce phénomène n'est donc pas général ni réel; il n'existe que pour M. (Rameau , et pour quelques. she Li également musi- ciennes. LES | | | Les pMRtES par Hart letes, Fate a voulu se démontrer à Iui- même qu'un son est accompagné de deux autres sons, dont l’un est ix douzième, l’autre la dix-sep- hième au-dessus de ce même son, ne me Mat, gén,, XXL, 1G HEAR" à JA PRE) SP 02" EL Né PAU OM PAR jh xt 110 HIS TOIRE N A TURELLE paroissent pas éoncluantes ; car M: Raniéau conviendra que;'dans tous les sons aigus, et même dans tous les sons ordinaires, il n’est pas possible d'entendre en même ‘temps la douzième et la dix-septième:en haut, et'il est obligé d’avouer que ces sons concomitans ne s'entendent que dans les sons graves, comme ceux d’une grosse cloche ; ‘ou d’une longue corde. L'expérience , comme lon voit , au lieu de donner ici un fait'général ; ne donne même , pour les oreilles musi- cieunes , qu’un effet particulier , et eucore cet effet particulier sera différent de ce que prétend l’auteur; car un musicien qui n’au- roit jamais entendu parler du système de M. Rameau ; pourroit bien ne point enten- dre la douzième et la dix-septième dans les sons graves : ‘et quand même on le prévien- droit que le son de cette cloche qu’il entend, n’est pas un son simple, mais composé de: trois sous, il pourroit convenir qu’il entend en effet trois sons; maïs il diroitque ces trois sons sont le son fondamental, la tierce et Ia quinte, ) Ïl auroit doné eté plus fidito® à M. Pts de faire recevoir ces derniers rapports que L DE L'HOMME 7&r ceux qu'il emploie, s’il eût dit que tout son est, de sa nature, composé de trois sous; savoir, le son fondamental, la tierce et la quinté ; cela eût été moins difficile à croire, et plus aisé à juger par l'oreille, que ce qu’il affirme en nous disant que tout son est, de sa nature, composé du son fondamental, de la douzième et de la dix-septième : mais comme, dans cétte première supposition, il n'auroit pu expliquer la génération harmo- nique , il a préferé la seconde , qui s’ajuste mieux avec les rèples de son art. Personne ne l'a en effet porté à un plus haut point de perfection dans la théorie et dans la pra- tique , que cet illustre musicien , dont Île talent supérieur à mérité les plus grands éloges. La sensation de plaisir que produit l'har- monie, semble appartenir à tous les êtres doués du sens de l’ouïe. Nous avons dit, dans l'ÆAistoire des quadrupèdes, que l’élé- phant a le sens de l’ouïe très-bon ; qu’il se delecte au son des instrumens, et paroît aimer la musique; qu’il apprend aisément à marquer la mesuré, à se remuer en cadence, et à joindre à propos quelques accens au bruit + 4 L , DR A NE te LT Wu te FEMFE ie UE en N : ‘ À L LS : 112 HISTOIRE NATURELLE des tambours et au son des trompettes ;.et ces faits sont attestés par un. grand nombre de témoignages. Lt J'ai vu aussi quelques chiens qui primer un goût marqué pour la musique, et qui arrivoicut de la basse-cour ou de la cuisine au concert, y restoient tout le temps qu’il duroit, et s’en retournoient ensuite à leur demeure ordinaire. J’en ai vu d’autres pren- dre assez exactement-l’unisson d'un sonaigu, qu’on leur faisoit entendre de prèsen criant à leur oreille. Mais cette espèce d’instinct ou de faculté n'appartient qu’à quelques individus; la plus grande partie des chiens sont indiffe- _rens aux sons Musicaux, quoique presque tous soient vivement aoilés par un grand bruit, comme celui des tambours, ou des voitures rapidement roulées. Les chevaux, ânes, mulets, chameaux, bœufs, et autres bêtes de somme, paroissent supporter plus volontiers la fatigue , et s’en- nuyer moins dans leurs longues marches, lorsqu'on les accompagne avec des instru- mens : c'est par la même raison qu'on leur attache des clochettes ou sonnailles. L'on chante ou l’on siffle presque continuellement DE L'HOMME. 113 les bœufs , pour les entretenir eu mouvement dans leurs travaux les plus pénibles ; ils s’ar- rêtent et paroissent décourages , dès que leurs conducteurs cessent de chanter ou de siffler : il y a même certaines chansons rustiques qui conviennent aux bœufs, par préférence à toutes autres, et ces chansons renferment ordinairement les noms des quatre ou des six bœufs qui composent l’attelage; l’on a remar- qué que chaque bœuf paroit être excité par son nom prononcé dans ja chanson. Les che- vaux dressent les oreilles et paroissent se tenir fiers et fermes au sen dela trompette , eitc., comme les chiens de chasse s animent aussi par le son du cor. On prétend que les marsouins, les phoques et les dauphins approchent des vaisseaux lorsque, dans un temps calme, on y fait une musique retentissante; mais ce fait, dont je doute, n’est rapporté par aucun auteur grave. | Plusieurs espèces d'oiseaux, tels que les serins , linottes, chardonnerets, bouvreuils, tarins, sont très-susceptibles des impressions musicales, puisqu'ils apprennent et retien- nent des airs assez longs. Presque tous les | 10 ti4 HISTOIRE NATURELLE autres oiseaux sont aussi modifiés par les sons : Les perroquets, Les geais, les pies ; les sansonnets, les merles, etc. apprennent à imiter le sifflet, etimême la parole; ilsimitent aussi la voix et le cri des chiens, des chats et des autres animaux. En général, les oiseaux des pays habités et anciennement policés ont la voix plus douce ou le cri moins aigre que dans les climats déserts et chez les nations sauvages. Les oiseaux de l'Amérique, comparés à ceux de l’Europe et de l'Asie, en offrent un exem- ple frappant : on peut avancer avec vérité que dans le nouveau continent 1l ne s’est trouvé que des oiseaux criards , et qu’à l’ex- ception de trois ou quatre espèces, telles que celles de l’organiste , du scarlate ét du merle moqueur , presque tous les autres oiseaux de cêtte vaste région avoient et ont encore la Voix Choquante pour notre oreille. On sait que la plupart des oiseaux chan- tent d'autant plus fort qu’ils entendent plus de bruït ou de son dans le lieu qui les ren- ferme. On connoit les assauts du rossignol contré la voix humaine, et il y a mille exemples particuliers de l'instinct musical DE L'HOMME. 115 des oiseaux, dont on n’a pas pris la peine de recueillir les détails. Il y a même quelques insectes qui parois- seut être sensibles aux impressions de la mu- sique : le fait des araignées qui descendent de leur toile, et se tiennent suspendues, tant que le son des instrumens continue, et qui remontent ensuite à leur place, m'a été at- testé par un assez grand nombre de témoins oculaires , pour qu’on ne puisse guère le ré- voquer en doute. ToutAe monde sait que c’est en frappant sur des chaudrons, qu’on rappelle les essaims fugitifs des abeilles, et que l’on fait cesser par un grand bruit la strideur incommode des grillons. Sur la voix des animaux. JE puis me tromper, mais il m'a paru que le mécanisme par lequel les animaux font entendre leur voix , est différent de ce- lui de la voix de l'homme: c’est par l’expi- ration que l’homme forme sa voix; les ani- maux, au contraire, semblent la former par l'inspiration. Les coqs, quand ils chantent , ÿ' 116 HISTOIRE NATURELLE s'étendent autant qu’ils peuvent; leur cou s’'alonge, leur poitrine s’élargit, le ventre se rapproche des reins, et le croupion s’abaisse : tout cela ne convient qu’à une forte inspira- tion. | _ Un agneau nouvellement né, appelant sa mère , offre une attitude toute semblable; il en est de même d'un veau dans les premiers jours de sa vie : lorsqu'ils veulent former leur voix , le cou s’alonge et s’abaisse, de sorte que la trachée artère est ramenée pres que au niveau de la poitrine ; celle-ci s’élar- oit ; l'abdomen se relève beaucoup, appa- remiment parce que les intestins restent presque vides ; les genoux se plient, les cuisses s'écartent , l'équilibre se perd , et le petit animal chancelle en formant sa voix: tout cela paroît être l’effet d’une forte inspi- ration. J'invite les physiciens et les anato- mistes à vérifier ces observations , qui me paroissent dignes de leur attention. Il paroît cértain que les loups et les chiens ne hurlent que par inspiration : on peut s’en assurer aisément, en faisant hurler un petit chien près du visage ; on verra qu'il tire l'air dans sa poitrine, au lieu de le pousser au- : DE L'HOMME, -. 17 dehors: mais lorsque le chien aboie , il ferme la gueule à chaque coup de voix, et le méca- nisme del’ aboiement est différent de celui du hurlement. Le A 118 HISTOIRE NATURELLE ” r! DES SENS EN GÉNÉRAL. L E corps animal est composé de plusieurs malières différentes , dont les unes , comme les os, la graisse, le sang , la lymphe , etc. sont insensibles, et dont les autres, comme les membranes et les nerfs , paroissent être des matières actives desquelles dépendent le jeu de toutes les parties et l’action de tous les membres : les nerfs sur-tout sont l’or- gane immédiat du sentiment, quise diversifie et chauge, pour ainsi dire, de nature suivant leur différente disposition; en sorte que, selon leur position, leur arrangeinent, leur qua- lite, 1ls transmettent à l’ame des espèces différentes de sentiment, qu'on a distinguées par le nom de sensation, qui semblent en effet n'avoir rien de semblable entre elles. Cependant , si l’on fait attention que tous. ces sens externes ont un sujet commun, et qu'ils ne sont tous que des membranes ner- DE L'HOMME. 119 veuses différemment disposées et placées, que les nerfs sont l'organe général du sentiment, que dans le corps animal nulle autre matière que les nerfs n’a cette propriété de produire le sentiment, on sera porté à croireïque les seus ayant tous un principe commun, et n'étant que des formes variées de la même substance , métant, en un mot, que des nerfs différemment, ordonnés et disposés, les'sen- sations qui en résultent ne sont pas aussi essentiellement différentes entre elles qu’elles le paroissent. L’œil doit être regardé comme une expan- sion du nerf optique ,: ou plutôt l'œil Iui- même n’est que l’éepanouissement d’un fais. ceau de nerfs, qui étant exposé à l’extérieur plus qu'aucum autre nerf, est aussi celui qui a le sentimentle plus vif et le plus délicat ; il sera donc ébranlé par les plus petites par- ties de la matière, telles que sônt celles de la iumière, etil:nous donnera par conséquent une sensation de toutes les substances les plus-éloignées ; pourvu qu’elles soient ca- pables de produire ou de réfléchir ces petites particules de matière. L'oreille, qui-n'est pas mn organe aussiextérieur que l'œil, et dans 120 HISTOIRE NATURELLE lequel il ñ’y'a ‘pas un aussi grand épanouiss sement de nerfs, n’aura‘pas le ‘même dégré de sensibilité et ne pourra”pas être affectée par des parties de matière aussi petites que celles dé la'fumière : mais elle! le sera par des parties plus grosses:qui sont celles qui forment le'son, et nous donneraéncore üne sensation des choses 'éloignées*qui poürront mettre en mouvement ces: parties 'de:ma— tière ;; comme elles sont:beaucoup! plus grosses que celies de la lumière , et qu'elles ont moins de vitesse, elles ne pourront:s’é- tendre qu’à de petites distances , et par con- séquent l'oreille ne nous donnera la sensa- tion que de choses beaucoup moinstéloignées que celles dont l'œil nous donne la sensation: La membrane qui est le 'siége: de l’odorat étant encore moins fournie deinerfs que celle qui fait le siége de l’oute, elle ne mous don- nera la sensation que des parties dermatière qui sont plus grosses et moins!eloïignées, telles que sont les particules odorantes des corps, qui sont probablement::celles: de l'huile essentielle qui s’en exhäle:et surnage, pour ainsi dire, dans l'air, comme les corps légers nagent dans l'eau; et: comme les nerfs DE L'HOMME. ln sorit’encore en moindre quantité, et qu'ils sont plus divisés sur le palais et sur la lan- gue , les particules :odorantes ne.sont ‘pas assez fortes pour ébranler cet organe : il faut que ces parties huileuses ou salines se déta- chent. des! autres, corps.et s'arrêtent. sur la langue pour produire une sensation. qu’on appelle./e godé, et qui diffère principalement de l’odorat, parce que ce dernier;sens nous donne la sensation des choses à une-certaine distance, et que le sou ne peut nous la don- ner que par.une espèce de contact qui s’opère au moyen.de la fonte de certaines parties de matière , telles que les sels, les huiles, etc. Eufin,.:comme les nerfs sont les plus divisés qu'il est possible, .et qu'ils sont.très-lésère- ment parsemés dans la peau, aucune partie aussi petite que celles qui forment la lumière ou les sons, les odeurs ou les saveurs, ne pourra les ébranler ni les affecter, d’une ma- nière sensible, et il faudra de trèsisrosses parties de matière, c’est-à-dire, des Corps so- lides, pour qu’ils puissent en être affectés : aussi le.sens du toucher ne nous donne au- cune sensation mes choses, éloignees , mais 111 122 HISTOIRE NATURELLE ne de celles dont gi se est im= médiat.t1 79 2) | ALL EE Il me partit donc que la différence qui est entre nos sens, ne vient que de la position plus où moins extérieure des nerfs, et de leur quantité plus on moins érande dans les différentes parties qui constituéntlesofsanés. C’est par cette raison qu'ün nerf'ébrahlé par un coup où découvert'par une blessure, nous donne souvent la sensation de la lumière , sans que l’œil y ait part, comme on a sou ventaussi, par lamème cause, destintemens et des sensations de sons, quoique l'oreille ne soit affectée par rien d'extérieur. Lorsque les petites particules de la matière lumineuse ou sonore se trouvent réunies en très:sgrände quantité, elles forment une es- pèce de corps solide qui produit différentes espèces de sensations , lesquelles néparoissent avoir aucun rapport avec les premières ; caf toutes les fois que les parties qui composent là lumière sont en très-sraridé quantité, alors elles affectent non seuletient'les yeux, mais aussi toutes les parties nerveuses de la peau ,.et elles produisent dans lœxrl la sen- sation de la lumière , et dans le reste du ! DE L'HOMME. 1 corps la sensation de la chaleur , qui est une autrè espèce de sentiment différent du pre- mier , quoiqu'il soit produit par la même cause. La chaleur n’est donc que le toucher de la lumière, qui agit comme corps solide ou comme une masse de matière en mouve- ment ; on reconnoit évidemment l’action de cette masse en mouvement lorsqu'on expose des matières légères au foyer d’un bon mi- roir ardent: l’action de la lumière réunie leur communique , ayant même que de les échauffer , un mouvement qui les pousse et les déplace : la chaleur agit donc comme agissent les corps solides sur les autres corps, puisqu'elle ‘est capable de les déplacer en leur communiquant un mouvement d'im- pulsion. que De même , lorsque les parties sonores se trouvent réunies en très-grande quantite , elles produisent une secousse et un ébranle- ment très-sensibles , et cet ébranlement est fort différent de l’action du son sur l'oreille : une violente explosion , un grand coup de tonnerre, ébranle les maisons , nous frappe et communique une espèce de tremblement à tous les corps voisins : le son agit donc PR NAN NI ENE Mi 1 x24 HISTOIRE NATURELLE _ aussi comme corps solide surles autreséorps ;' car ce n'est pas l’agitation de l'air qui cause cet ébranlement , puisque dans ‘le’ temps qu’il se fait on ne remarque pas qu'il soit accompagné de vent, et que d'ailleurs ;'quel- que violent que fût le vent, il ne produiroit pas d'aussi fortes secousses. C'est par cette action des parties sonores qu’une corde en vibration en fait remuer une autre, et c'est: par ce toucher du son que nous sentons nous= mêmes , lorsque le bruit est violent , une espèce de trémoussement fort différent della sensation du son par l'oreille , quoiqu'il de pende de la même cause. R Toute la différence qui se trouve dans nos sensalions , ne vient donc que du nombre plus ou moins grand et de la position plus ou moins extérieure des nerfs :, ce:qui fait que les uns de ces sens peuvent être affectés par de petites particules de matière qui éma- ment des corps , comme l'œil, l'oreille et l'odorat ; les autres, par des parties plus: grosses, qui se détachent des corps au moyen du contact, comme le goût ; et les autres, par les corps ou mème par les émanations des corps lorsqu'elles sont assez réunies et assez | DE L'HOMME. 125 abondantes pour former une espèce de masse solide, comme le toucher , qui nous donne des sensations de la solidité , de la fluidité et de la chaleur des corps. . Un fluide diffère d’un solide , parce qu'il n'a aucune partie assez grosse pour que nous puissions la saisir et la toucher par dif- férens côtés à la fois ; c’est ce qui fait aussi que les fluides sont liquides : les particules qui les composent , ne peuvent être tou- chées par les particules voisines que dans un point où un si petit nombre de points, qu'aucune partie ne peut avoir d’adhérence avec une autre partie. Les corps solides ré- duits en poudre, même impalpable, ne per- dent pas absolument leur solidité, parce que les parties, se touchant par plusieurs côtés, conservent de l’adhérence entre elles ; et c’est ce qui fait qu'on en peut faire des masses et Jes:serrer pour en palper une grande quan- tité à la fois. Le ‘sens du toucher est répandu dans le corps entier ; mais il s'exerce différemment dans les différentes parties, Le sentiment qui résulte du toucher, ne peut être excité que par le contact et l'application imme- 11 AN TES LL 126 HIST OIRE NATURELLE diate de la ses En de quelque corps PR ger sur celle de, notre propre.corps. Qu'on: appliquecontre la poitrine ou sur les épaules d’un homme un corps étranger; il le sen- tira,, c'est-à-dire, il saura qu'il y a un corps étranger qui le touche ; mais il n'aura aucune idée de la forme de ce corps:; parce que la poitrine oulés épaules ne touchant le corps que dans un seul plan, 1l ne pourra en résulter aucune connoissance de la figure de ce corps. Il en est de même de toutes les autres parties du corps qui ne peuvent pas s ajuster sur la surface des corps étrangers, et se plier pour embrasser à la fois plusieurs parties de leur superficie ; ces pärties de notre corps ne peuvent donc nous donner aucune idée juste de leur forme : mais celles qui, comme la main, sont divisées en plusieurs petites partiés flexibles et mobiles , ét qui peuvent par conséquent s'appliquer en même temps sur les différens plans de la superficie des corps, sont celles qui nous donnent en effet les idées de leur forme et de leur grendènr. Ce n’est donc pas uniquement parce qu il y a une plus grande quäntité de houppes ner DE L'HOMME. 127 veuses à l'extrémité des doigts que dans les autres parties du corps, ce n’est pas, comme on le prétend vulgairement, parce que la main a le sentiment plus délicat, qu’elle est en effet le principal organe du toucher ; on pourroit dire au contraire qu’il y a des parties plus sensibles et dont le toucher est plus délicat, comme les yeux, la langue, etc. : mais c’est uniquement parce que la imain est divisée en plusieurs parties toutes mobiles, toutes flexibles , toutes agissantes en même temps et obéissantes à la volonté, qu’elle est le seul organe qui nous donne des idées distinctes de la forme des corps. Le toucher n’est qu'un contact de superficie. Qu'on suppute la superficie de la main et des cinq doigts ; on la trouvera plus grande à proportion que celle de toute autre partie du corps, parce qu’il n’y en a aucune quisoit autant divisée : ainsi elle a d’abord l’avan- tage dé pouvoir présenter aux corps étran- sers plus de superficie, Ensuite les doigts péuvent s'étendre, se raccourcir, se plier, se séparer , se joindre et s’ajuster à toutes sortes de surfaces ; autre avantäge qui suffi- roit pour rendre cette partie l'organe de ce de NT f RAS COCA PARENTAENTANNE X } 28 HISTOIRE NATURELLE sentiment exact et précis qui est nécessaire pour nous donner l’idée de la forme des corps. Si la main avoit encore un plus grand nombre de parties , qu’elle fût ; parexem- ple , divisée en vingt doigts, que ces doigts eussentun plus grand nombre d’articulations et de mouvemens, il n’est pas douteux que le sentiment du toucher ne fût:infiniment plus parfait dans cette conformation qu’il ne l'est , parce que cette main pourroit alors s'appliquer beaucoup plus immédiatement et plus précisément sur les différentes surfaces - des corps ; et si nous supposions qu’elle fût divisée en une infinité de parties toutes mo- biles et flexibles , et qui. pussent toutes s’ap- pliquer en même temps sur tous les points de la surface des corps , un pareil organe seroit une espèce de géométrie universelle ( si je puis m'exprimer ainsi), parle secours de laquelle nous aurions , dans le moment même de l’attouchement, des idées exactes et précises de la figure de tous les corps, et de la différence, même infiniment petite, de ces figures. Si au contraire la main etoit sans doigts, elle ne pourroit nous donner que des notions très -imparfaites de la forme des L DE L'HOMME. \' 129 choses les plus palpables , et nous n’aurions qu'une connoissance très-confuse des objets qui nous environnent , ou du moins 1l nous faudroit beaucoup plus d'expériences et de temps pour les acquérir. Les animaux qui ont desmains paroissent être les plus spirituels : les singes font des choses si semblables aux actions mécaniques de l'homme, qu’il semble qu’elles aient pour cause la même suite de sensations corpo- relles. Tous les autres animaux qui sont pri- vés de cet'organe , ne peuvent avoir aucune connoissance assez distincte de la forme des choses ; comme ils ne peuvent rien saisir, et qu'ils n’ont aucune partie assez divisée et assez flexible pour pouvoir s’ajuster sur la superficie des corps , ils n’ont certainement aucune notion précise de la forme non plus que de la grandeur de ces corps : c’est pour cela que nous les voyons souvent incertains ou effrayés à l’aspect des choses qu’ils de- vroient le mieux connoitre, et qui leur sont les plus familières. Le principal organe de leur toucher est dans leur museau , parce que cette partie est divisée en deux par la bouche , et que la langue est une autre | 130 HISTOIRE ré EL partie qui leur sert en même temps pour toucher les corps, qu’on leur voit tourner et retourner avant que de les saisir avec les dents. On peut aussi conjecturer que les animaux qui, comme les sèches , les polypes et d'autres insectes, ont un grand nombre de bras ou de pattes qu’ils peuvent réunir et joindre, et avec lesquels ils peuvent saisir par différens endroits les corps étrangers; que ces animaux, dis-je , ont de l’avan- tage sur les autres , et qu’ils connoissent et choisissent beaucoup mieux les choses qui leur conviennent. Les poissons, dont le corps est couvert d’écailles et qui ne peuvent se plier, doivent être les plus stupides de tous lesanimaux ; car ils ne peuvent avoir aucune connoissance de la forme des corps, puis- qu'ils n’out aucun moyen de les embrasser; et d'ailleurs l'impression du sentiment doit être très-foible et le sentiment fort obtus, puisqu'ils ne peuvent sentir qu'à travers les écailles. Ainsi tous les animaux dont le corps n'a point d’extrémités qu'on puisse regarder comme des parties divisées , telles que les bras , les jambes , les pattes , etc., auront beaucoup moins de sentiment par le 1 Tr ph 4 ::DE L'HOMME. 131 toucher, que.les autres. Les, serpens, sont\ cependant moins SLupAIEs que.les poissons, parce que , quoiqu ils n'aient, point d'extré- mités, et qu'ils soient recouverts d'une peau dure et écailleuse, ils ont la faculté de RMS étrangers, be eL LUE sde de. les, saisir en quelque façon.et de les toucher ‘beaucoup mieux que ne peuvent faire les poissons, dont le corps ne peut se plier. : Les deux grands obstacles à l'exercice du sens du toucher, sont donc premièrement l’uniformité de la forme du corps de l’ani- mal, ou:, ce quiest la même chose. le défaut de parties, différentes., divisées et SR et secondement le revêtement dela peau, soit par du poil, de la plume, des.écailles ,. des taies , des.coquilles., etc. Plus ce revêtement sera dur et solide, et moins le sentiment du toucher pourra s'exercer; plus au. contraire la peau sera fine et déliée, .et plus. .le senti- ment sera, yif.et exquis. Les femmes ont, entre autres avantages sur les hommes, celui d'avoir la peau plus belle et le toucher pins délicat. + Le fœtus, dans le sein ne la mère, a L 132 HISTOIRE NATURELLE peau très-déliés ; il doit donc sentir vivement toutes Îles impressions - extérieures" : ‘mais comme 1l nage dans ‘une liqueur, et que les liquides reçoivent et rompent ‘ Jaction de toutes Les causes qui peuvent üccasionher des chocs, il ne peut être blessé que farerhent , et seulement par des coups au des efforts très- Violens : il 4 donc fort peu d’exéreice de cette partie même du toucher, qui ne dépend que de la finesse de la peau ,'et qui ést commune à tout le corps. Comme il ne fait aucun usage de ses mains , il ne peut avoir de sensations ni acquérir aucune connoissance dans le sein de sa mère, à moins qu'on ne veuille sup- poser qu’il peut toucher avec'ses mains diffé- rentes parties de son corps, comine son vi= sage’, sa poitrine, $es genoux ; car on trouve souvent les mains du fœtus ouvertes ou fer- mées, appliquées éontre son visage. Dans l’enfantnouveau-né, les mainsrestent aussi inutiles que dans le foetus, parce qu'on ne lui donne la liberté dé s’en servir qu'au bout de six ou sept semaines ;' les bras sont emmaillottés avec tout le reste du corps jus- qu ’à ce terme, et jé ne sais pourquoi cette manière est en usage. Il est certain qu’on “Gé. l'outil lt À DE L'HOMME. Ci! 137 retarde par-là le développement de ce sens important, duquel toutes nos connoissances dépendent , et qu’on feroit bien de laisser à l'enfant le libre usage de ses mains dès le moment de sa naissance ; il acquerroit plus tôt les premières notions de la forme: des choses. Et qui sait jusqu’à quel point ces premières idées influent sur les autres? Un homme n’a peut-être beaucoup plus d'esprit qu'un autre que pour avoir fait, dans sa première enfance, un plus grand et un plus prompt usage de ce sens. Dès que les enfans ont la liberte de se servir de leurs mains , ils ne tardent pas à en faire un grand usage ; ils cherchent à toucher tout ce qu'on leur présente; on Les voit s'amuser et prendre plaisir à manrer' les choses que leur petite main peut saisir; 11 semble qu’ils cherchent àsconnoiître la forme des corps , en les tou- chant de tous côtés et pendant un temps considérable : ils:s’amusent ainsi, où plutôt ils s’instruisent de choses nouvelles. Nous- mêmes , dans le: reste de la vie, si nous y faisons réflexion , nous amusons-nous äutre- ment qu’en faisant ou en cherchant à id guelque chose de nouveau ? 12 7h HAS AUS | Gb 0: SANS 134 HISTOIRE NATURELLE ; C'est par le toucher seul:que nous pou+ vonsacqueérir des connoissancescomplèteset réelles; c'est ce sens: qui rectifie tous les autres sens , dont les.effets ne seroientique des illusions et ne produiraient que des erreurs dans notre esprit , si le toucherme nous ap: prenoit à juger. Mais comment:se fait le dé- yeloppement de ce sens important?comment nos-premières connoissances!arrivent-elles à notre ame ? n'avous-nous pas oublié tout ce qui s'est passé dans les ténèbres de notre en- fance? comment retrouverons-nous la ‘pres mière trace de nôs pensées ? n'y a-t-1l pas mème de la témérité à vouloir remoñüter jusque-là ? Si la chose étoit moins impor+ tante, on auroit raison de nous blâämer; mais elle est peut-être, plus que touteautre, digne de nous occuper : et ne sait-ou. pas qu'on doit faire des efforts toutes les fois qu'on veut atteindre à quelque grand objet? lo . J'imagine done uu homme tel qu'on peut croire qu'étoit le premier hommeau moment de la création, c'est-à-dire, un homme dont Je corps et les organes seroient parfaitenrent formés, mais qui s'éveilleroit tout neuf pour lui-même et pour tout ce qui l’environne. AA se "DE L'HOMME. 135 Quels seroient ses premiers mouvemens, ses premières sensations, ses premiers jugemens? Si cet homme vouloit nous faire l’histoire de ses premières pensees,. qu'auroit-1l:à nous dire ? quelle seroit cette histoire ? Je ne puis me dispenser de le faire parler lui-même, afin d’en rendre les faits plus sensibles. Ce récit philosophique, qui sera court , ne sera pas une digression inutile. JE me souviens de cet instant plein de joie et de trouble; où.je sentis pour la première Jois ma singulière existence; je ne savois ce que j étois*, Où j élois, d’où je s'enois. J’ou- vris les yeux ; quel surcroït de sensation ! la lumière, la votite céleste, la verdure de la terre, le crystalcdes eaux , tout m’occupoit, m'animoit, et me donnoit un sentiment inex- primable de plaisir. Je crus d'abord quetous ces objets éloient en moi et faisoient partie de mnoi-méme. - Je m'affermissois dans cette pensée nais- sante lorsque je tournai les yeux vers l’astre de la lumière : son éclat me blessa ; je fermai involontairement la paupière , et je sentis une légère douleur. Dans ce moment d’abscu- NE VAR NO tt ASUS LEA FT 136 HISTOIRE NATURELLE ; a rité, je crus avoir perdu su tout mon étre. | vi ie Affligé, saisi d’élonnement Je pensois à ce grand changement , quand fout-à-coup j'entends des sons; le chant des oiseaux , le inurnure des airs, formoient un concert dont la douce impression me remuoit jusqu’au fond de lame : j'écoutai long-temps, et je me persuadai bientôt qué cette harmonie étoit moi. | Attentif, occupé tout'entier de ce nouveatr genre d'existence, j'oubliois déja la lumière, cette autre partie de mon étre que] avois con- nue la première, lorsque je rouvrisiles yeux. Quelle joie de me retrouver en possession de + tant d'objets brillans ! ‘mon plaisir surpassa tout ce que j avois senti la première fois, ef suspendil pour un lemnps le charmant effet des sons. | pr NS | Je fixai mes regards sur mille objets divers: je m'appercus bientôt que je pouvois perdre et retrouver ces objets, et que j'avois la puis- sance de détruire et de reproduire , à mon. gré, cette belle partie de moi-méme; et quoi- qu'elle me parût immense en grandeur par da quantité des accidens de lumière et par DE L'HOMME. 137 fa variété des couleurs, je crus reconnoïtre giue tout éloif contenu dans une portion de r10n étre. Je commençcois à voir sans émotion et à entendre sans trouble, lorsqu'un air léger dont je sentis la fraîcheur , m'apporta des parfums qui me causèrent un épanouisse- Iment intime et me donnèrent un sentiment d'amour pour moi-même. / Agité par toutes ces sensations , pressé par les plaisirs d’une si belle et si grande exis- tence, je me levai tout d’un coup, et je me sentis transporté par une force inconnue. Je ne fis qu’un pas, la nouveauté de ma situation me rendit immobile ; ma surprise fut extréme, je crus que mon existence fuyoit; le mouvement que j'avois fait, avoit con= fondu les objets ; je m'imaginois que tout étoit en désordre. Je portai la main sur ma téte, je touchac mon front et mes yeux, Je parcourus mo corps; m@ main me parut étre alors le prin- cipal organe de mon existence; ce que je sentois dans celte partie éloit si distinct ef si complet, la jouissance m'en parorssoit si me NT ° _« ; parfaite en comparaison du plaisir que m'a 12 M NE NM RU TNT TASER Ra ag A 4 338 HISTOIRE NATURÆELLE voient causé la {umière et lessons’, que je m'attachai tout entiér à cette partie solide de mon étre, et je sentis que mes idées prénoient de la profondeur.et de la réalité: Tout ce que je touchois sur. moi sembloit rendre à ma main sentiment poursentiment, et chaque attouchement produisoit dans mon ane une double idée. A | Je ne fus pas long-temps sans m'apper- cevoir gue cette faculté de sentir étoit répan- due dans foutes les parties de mon étre; jé reconnus bientôt les limites de mon. exis- tence, qui m avoit paru d’abord immense en étendue. J’avois jeté les yeux sur mon corps; je le jugeois d’un volume énorme et sisgrand que tous les objets qui avoient frappé mes yeux, he me paroissoient étre en PAR que des points lumineux. | Je m'examinai long-temps; je me regar- dois avec plaisir, je suivois ma main de l'œil et j'observois ses mouvernens. J’eus sur tou cela des idées les plus étranges; je croyois que le mouvement de ma main n'étoit qu'une espèce d'existence fugilive, une succession de choses semblables: je l’approchaide mes yeux, DE L'HOMME. : +13ÿ elle me parut alors plus grande que tout mon corps , et elle fit disparoître à ma vue un nombre infini d'objets. Je commençäi à soupçonner qu'il y avoit de l'illusion dans celte sensation qui me ve- noït par des yeux; j'arois vu distinctement que ma main n'étoit qu’une petite partie de mon corps, ef je lie pousois Comprendre qu'elle fit augmentée au point de me pa- roître d'une grandeur démesurée : je résolus donc de ne me fier qu’au toucher, qui ne m’avoit pas encore trompé, et d’étre en garde sur toutes les autres facons de sentir et d’être. Cette précaution me fut utile : je m'étois remis en mouvement et je marchois la téte haute et levée vers le ciel, je me heurtai leé- gèrement contre un palmier; saisi d'effroi, je portai ma main sur Ce Corps étranger; je le jugeai tel, parce qu’il ne me rendit pas sentiment pour sentiment: je me détournai avec une espèce d'horreur, et je Connus pour la prernière fois qu’il y avoit chose #ors de mot. Plus agité par cette nouvelle déco dée Li je ne l’avois été par toutes les autres, j’eus peine à me rassurer; et après avoir médilé sur 40 HISTOIRE NATURELLE cel événement, je conclus que je devois jugèn des objets extérieurs comine j'avois jugé des, parties de mon corps, .et qu’il n'y dvoil que le toucher. qui püt m'assurér de sd EX IS- ténces: h Je hé donc à toucher tout ce que Je voyois; Je voulois toucher le soleil, j'étendois. les bras pour embrasser l'horizon, et je ne trouvois que le vide des airs. | A chaque expérience que je tenfois, je fom- bois de surprise en surprise; car tous les ob- jets me paroissoient étre également près de not, etce ne fut qu'après une infinité d'é- preuves que j’appris à me servir de mes yeux pour guidèr ma main; et comme “elle me donnoit des idées toutes différentes des im- pressions que je recevois par le sens de la sue, mes sensations n'étant pas d'accord entre elles, mes jugemens n'en étoiené que plus imparfaits, el le total de mon étre;n'étoit encore pour. moi-méme, qu'une existence en confusion. | | Profondément occupé de moi , des ce que j'elois, de ce que je pouvois étre, les con- trariélés que je venois, d’éprouver. m7 humi- dièrent; plus je réfléchissois, plus il se pré- A DE L'HOMME. TAT sentoit de doutes : lassé de tant d’incerti- tudes, fatigué des mouvernens de mon ame, mes genoux fléchirent, et je me trouvai dans une siluation de repos. Cet état de tranquil- dité donna de nouvelles forces à mes sens: J'étois assis à l’ombre d'un bel arbre; des fruits d’une couleur vermeille descendoient en forme de grappe à la portée de ma main, je les touchai légèrement; aussitôt ils se sé= perèrent de la branche, comme la figue s’en. sépare dans le temps de sa maturité. J’avois saisit un de ces fruits, je m'imagi- aOis avoir fait une conquéte, et Je me glori- fiois de la faculté que je sentois de pouvoir contenir dans ma main un autre étre tout entier; sa pesanteur, quoique peu sensible, mme parut une résistance animée que je me Jaisois un plaisir de vaincre. J'avois approché ce fruit de mes yeux, J'en considérois la forme et les couleurs; une odeur délicieuse me le fit approcher davan- tage; il se trouva près de mes lèvres; je tirois à longues iaspirations le parfum, et godtois à longs traits les plaisirs de l’odorat. J’étois intérieurement rermnpli de cet air embaumé; a bouche s’ouvrit pour l’exhaler, elle se. 142 HISTOIRE NATURELLE rouvrit jour en reprendre. “je sentis qué je possédois un odorat intérieur plus fin, plus délicat encore que le ATEN DAP Je goutai. ; | Quelle saveur! a nouveauté de sen= salion ! Jusque-l& je n’avois eu que des plaisirs; le goût me donna le sentiment de la volupté. L'intimité de la jouissance fit naitre l’idée de la possession ; je crus que l@ substance de ce fruitétoit devenue la mieuwne, etque j'étais le maître de transformer les étres. Tlatté de cette idée de puissance, incité par le plaisir que j’avois senti, je cueillis un second et un troisième fruit; et je ne me lassois pas d'exercer ma main nd dr mon goût. Mais une langueur agréable s’em- parant peu à peu de tous mes sens, appesantit mes membres et suspendit l'activité de mon ame; je jugeai de son inaction par la mol- lesse de mes pensées; mes sensations émous- sées arrondissoient tous les objets et ne me présentoient que des images foibles et mal terminées : dans cet instant, mes yeux deve- nus inutilesse fermèrent, et ma tête, n'étant plus soutenue par la force des muscles, penche Pour trouver un appui sur le gazon. DE L'HOMME. 143 1) Tout fut effacé, tout disparut, la trace de mes pensées fut interrompue, je perdis le sentiment de mon exisfence. Ce sommeil fut profond; mais je ne sais s’il fut de longue durée ,:mayant point encore l'idée du temps et ne pouvant le mesurer: mor réveil he fut gu'uné seconde naissance, et je sentis seule- ment.quej auois cessé d'étre. Cet anéantissement que je venois d'éprou- ser, me donna quelque idée dé crainte, et me fit sentir que 1e. ne Hero pas exister {ouJOours. : ei _ J’eus une autre ot ne SÉVOIS SÈ je n'avois pas laissé dans le sorrmmeil quelque partie de. mon étre: ] essayal mes \SêRs , de cherchai à me reconnottre. | Mais tandis que je parcourois des yeux les bornes de mon corps pour m’assürer que mon existence m'étoit demeurée toute entière, quelle fut ma Surprise de voir à mes côtés une forme semblable à la mienne! je la pris pour un autre rnoi-inéme; loin d’avoir rien perdu pendant que j'avois cessé d’être, je crus m'étre doublé. Je portait ma main sur ce nouvel étre: quel saisissement! ce n’éloit pas moi; mais 144 HISTOIRE NATURELLE c’étoit plus que moi, mieux que moi: je crus que mon existence alloit changer de lieu et passer touie entière à cette seconde moitié de moi-méme. ä Je la sentis s’animer sous. ma main ,'\ÿe la vis prendre de la pensée dans mes yeux; des siens firent couler dans mes veines une nouvelle source de sie : j’aurois voulu lui donner tout mon étre; cette volonté vive acheva mon existence, je sentis naïtre un sixième sens. Dans cet instant, l’astre du jour sur: la fin de sa course éteignit son flambeau ;. je m apperçus à peine que je perdois de sens de la vue, J'existois trop pour craindre de cesser d’étre, et ce fut vainement que l'obscurité où je me trouvai, me rappela l'idée de mon prernier sommeil. | DE L'HOMME. 145 SUR LE DEGRÉ DE CHALEUR QUE L'HOMME ET LES ANIMAUX PEUVENT SUPPORTER. | «Tate physiciens se.sont convain- cus que le corps de l’homme pouvoit résister à un degré de chaud fort au-dessus de sa propre chaleur. M. Ellis est, je crois, le premier qui ait fait cette observation en 1758. M. l'abbé Chappe d'Auteroche nous a informés qu'en Russie l’on chauffe les bains à 6o degrés du thermomètre de Réaumur. Et en dernier lieu le docteur Fordice a construit plusieurs chambres de plain pied, qu'il a échauffées par des tuyaux de chaleur pratiqués dans le plancher, en y versant en- core dé l’eau bouillante. Il n’y avoit point de cheminée dans ces chambres, ni aucun Mar, gér, X XI, de 13 146 HISTOIRE NATURELLE passage à l'air, excepte par les fentes de la porte. L | Dans la première chambre, la plus haute élévation du thermomètre étoit à 120 degrés, la plus basse à 110. (Il y avoit dans cette chambre trois thermomètres placés dans diffé- rens endroits.) Dans la seconde chambre, la chaleur étoit de 90 à 85 degrés. Dans la troi- sième, la chaleur étoit modérée, tandis que l'air extérieur étoit au-dessous du point de la congélation. Environ trois heures après le déjeûné, le docteur Fordice ayant quitté, dans la première chambre, tous ses vête- mens, à l'exception de sa chemise, et ayant pour chaussure des sandales attachées avec des lisières, éntra dans la seconde chambre : il y demeura cinq minutes à 90 degrés de chaleur, et 1l commença à suer modérément. IL entra alors dans la première chambre, et se tint dans la partie échauffée à 110 degrés : au bout d’une demi-minute sa chemise de- vint si humide, qu’il fut obligé de la quitter; aussitôt l’eau coula comme un ruisseau sur tout son corps. Ayant encore demeuré dix minutes dans cette partie de la chambre échauffee à 110 degrés, il vint à la partie DE L'HOMME 147 échauffée à 120 degrés; et après y avoir resté vingt minutes , 11 trouva que le thermo- mètre, sous sa Rage et dans ses mains, _étoit éxactement à 100 degrés, et que son urine étoit au même point : sou pouls s’éleva successivement jusqu’à donner cent quarante- cinq battemens dans une minute; la circu— lation extérieure s’accrut grandement ; les veines devinrent grosses, et une rouseur en- . flammée se répandit sur tout son corps; sa respiration cependant ne fut que peu affectée. Ici, dit M. Blagden, le docteur Fordice remarque que la condensation de la vapeur sur son corps, dans la première chambre, étoit très-probablement la principale cause de l'humidité de sa peau. IL revint enfin dans la seconde chambre, où s'étant plongé dans l’eau échauffée à 100 degrés, et s'étant bien faitessuyer, 1l se fit porter en chaise chez lui. La circulation ne s’abaissa entièrement qu’au bout de deux heures. IL sortit alors pour se promener au grand air, et.il sentit à peine le froid de la saison. M. Tillet, de l'académie des sciences de Paris, a voulu reconnoitre , par des expé- riences, les degrés de chaleur que l’homine WT 4 sun MNT Je Sun ‘148 HIS TOIRE NATURELLE et les animaux peuvent supporter : pour cela, il fit entrer dans un four une fille portant un thermomètre; elle soutint pendant assez Pre CRE la chaleur intérieure du four ; S qu'à 112 degrés. M. Marautin ayant répété cette expérience dans le même four, trouva que les sœurs de la fille qu'on vient de citer, soutinrent, sans être incommodées, une chaleur de 115 à 120 degrés pendant quatorze ou quinze minutes, et, pendant dix minutes, une cha- leur de 130 degrés ; enfin, pendant cinq mi- nutes, une chaleur de 140 degrés. L'une de ces filles, qui a servi à cette ‘opération de M. Marantin, soutenoit la chaleur du four dans lequel cuisoient des pommes et de la viande de boucherie pendant l’expérience. Le thermomètre de M. Marantin étoit le même que celui dont s’étoit servi M. Tillet; il étoit à esprit-de-vin. On peut ajouter à ces expériences celles qui ont été faites par M. Boerhaave sur quel- ques oiseaux et animaux, dont le résultat semble prouver que l’homme est plus ca- pable que la plupart des animaux de sup- porter un très-grand degré de chaleur à: DE L'HOMME. 149 je dis la plupart des animaux, parce que M. Boerhaave n’a fait ses expériences que sur des oiseaux et des animaux de notre climat, et qu'il y a grande apparence que les éléphans , les rhinocéros et les autres animaux des climats meridionaux , pour- xroient supporter un plus grand degre de chaleur que l’homme. C’est par cette raison que je ne rapporte pas ici les expériences de M. Boerhaave, ni celles que M. Tillet a faites sur les poulets , les lapins, etc., quoique très-curieuses. On trouve dans les eaux thermales, des plantes et des insectes qui y naissent et croissent, et qui par conséquent supportent un très-grand degré de chaleur. Les Chaudes- Aigues en Auverïgue ont jusqu'à 65 degrés de chaleur au thermomètre de Réaumur, et néanmoins il y a desplantes qui croissent dans ces eaux : dans celles de Plombières, dont la chaleur est de 44 degrés, on trouve au fond de l’eau une espèce de zremella, différente néanmoins de la remella ordi- naire, et qui paroit avoir, comme elle, un certain degré de sensibilité ou de tremble- ment. 13 150 HISTOIRE NATURELLE Dans l’île de Luçon, à peu de distance de la ville de Manille, est un ruisseau consi- dérable d’une eau dont la chaleur est de 69 degrés, et dans cette eau si chaude il Y a non seulement des plantes, mais même des poissons de trois à quatre pouces de lon- gueur. M. Sonnerat, correspondant du Ca- binet, m'a assuré qu'il avoit vu, dans le iieu même, ces plantes et ces poissons, et il ma écrit ensuile à ce sujet une lettre, dont voici l'extrait : : « En passant dans un petit village situé à environ quinze lieues de Manille, capitale des Philippines, sur les bords du grand lac de l'ile de Luçon, je trouvai un ruisseau d’eau chaude, ou plutôt d’eau bouillante; car la liqueur du thermomètre de M. de Réaumur monta à 69 degrés. Cependant le thermo- mètre ne fut plongé qu'à une lieue de la source : avec un pareil degré de chaleur, la plupart des hommes jugeront que toute pro- duction de la Nature doit s’éteindre; votre système et ma note suivante prouveront le contraire. Je trouvai trois arbrisseaux très- vigoureux , dont les racines trempoient dans s ! DE L'HOMME. 15€ cette eau bouillante , et dont les têtes étoient environnées de sa vapeur, si considérable que les hirondelles qui osoient traverser le ruisseau à la hauteur de sept à huit pieds, tombhoient sans mouvement ; l’un de ces trois arbrisseaux étoit un agnus castus, et .les deux autres des aspalathus. Pendant mon séjour dans ce village, je n'ai bu d'autre eau que celle de ce ruisseau, que je faisois re- froidir; je lui trouvai un petit goût terreux et ferrugineux. Le gouvernement espagnol ayant cru appercevoir des propriétés dans cette eau, a fait construire différens bains, dont, le degré de chaleur va en gradation, selon qu'ils sont éloignés du ruisseau. Ma surprise fut extrèéme lorsque je visitai le premier bain, de trouver des êtres vivans dans cette eau, dont le degré de chaleur ne me permit pas d’y plonger les doigts. Je fis mes efforts pour retirer quelques uns de ces poissons; mais leur agilité et la mal-adresse des sauvages rustiques de ce canton m’em- pêéchèrent de pouvoir en prendre un pour reconnoître l'espèce. Je les examinai en na- geant; mais les vapeurs de l’eau ne me permirent pas de les distinguer assez bien | PNR 152 HISTOIRE NATURELLE | pour les rapprocher de quelque genre: je les reconnus seulement pour des poissons à écailles de’ couleur brunâtre ; les plus longs avoient environ quatre pouces... Je laisseau Pline de notre siècle à expliquer cette singu- larité de la Nature. Je n’aurois point osé avancer un fait qui paroît si extraordinaire à bien des personnes, si je ne pouvois l’ap= puyer du certificat de M. Prevost, commis- saire de la marine, qui a parcouru avec moi l’intérieur de l’ile de Luçon. » : DE L'HOMME. | 188 V'AORNDÉOT É"S DANS L’ESPECE HUMAINE. $ Tour ce que nous avons dit jusqu'ici de la génération de l’homme, de sa formation, de son développement , de son état dans les différens âges de sa vie, de ses sens , et de la _ structure de son corps, telle qu’on la con- noit par les dissections anatomiques, ne fait encore que l'histoire de l'individu; celle de l’espèce demande un détail particulier, dont les faits principaux ne peuvent se tirer que des varielés qui se trouvent entre les hommes des différens climats. La première et la plus remarquable de ces variétés est celle de la couleur, la seconde est celle de la forme et de la grandeur, et la troisième est celle du naturel des différens peuples : chacun de ces objets , considéré dans toute % ANS COTON CE ANS À FO PNR 6 RULES X 41, POUTINE 154 HISTOIRE NATURELLE son étendue, pourroit fournir un ample traité; mais nous nous bornerons à ce qu'il y a de plus général et de plus avéré. En parcourant dans cette vue’la surface de Ja terre, et en commençant par lé nord , on trouve en Lapponie et sur Les côtes septen- trionales de la T'artarie une race d'hommes de petite stature, d’une figure bizarre, dont la physionomie est aussi sauvage que les mœurs. Ces hommes qui paroissent avoir dégeneré de l'espèce humaine, ne laissent pas que d'être assez nombreux et d'occuper de très- vastes contrées; les Lappons , Da- nois , Suedois , Moscovites et Independans, les Zembliens, les Borandiens, les Samoïèdes, les Tartares septentrionaux, et peut-être les Ostiaques dans l’ancien continent, les Groen- landois et les sauvages au nord des Esqui- maux dans l’autre continent, semblent être tous de la même race qui s’est étendue et multipliée le long des côtes des mers sep- tentrionales dans des déserts et sous uw climat inhabitable pour toutes les autres nations. Tous ces peuples ont le visage large et plat, le nez camus et écrasé, l'iris de, Jœil jaune brun et tirant sur le noir, les WE’ L'HOMMES (| 155 paupières retirées vers les tempes, les joues extrèmement élevées , la bouche très-srande, le bas du visage étroit, les lèvres grosses et relevées, la voix grêle, la tête grosse, les cheveux noirs et lisses, la peau basanée. Ils sont très-petits, trapus quoique maigres : la plupart n’ont que quatre pieds de hauteur, et les plus grands n’en ont que quaire et demi. Cette race est, comme l’on voit, bien différente des autres : il semble que ce soit une espèce particulière dont tous les indivi- dus ne sont que des avortons; car s’il y a des différences parmi ces peuples, elles ne tombent que sur-le plus ou le moins de dif- formité. Par exemple, les Borandiens sont encore plus petits que les Lappons; ils ont l'iris de l'œil de la même couleur, mais le blanc est d’un jaune plus rougetre; ils sont aussi plus basanés, et ils ont les jambes grosses , au lieu que les Lappons les ont me- nues. Les Samoïèdes sont plus trapus que les Lappons ; ils ont la tête plus grosse, le nez piusdarge ét le teint plus obscur, les jambes plus courtes ,‘les genoux plus en dehors, les cheveux plus longs et moins de barbe. Les Groenlandois ont encore la peau plus basa- Se 156 HISTOIRE NATURELLE née qu'aucun des autres; ils sont couleur d'olive foncée : on prétend même qu'il y en a parmi eux d'aussi noirs que les Éthiopiens. Chez tous ces peuples, les femmes sont aussi laides que les hommes, et leur ressemblent si fort, qu'on ne les distingue pas d’abord. Celles de Groenland sont de fort petite taille, mais elles ont le corps bien proportionné;; elles ont aussi les cheveux plus noirs et la peau moins douce que les femmes samoïèdes: leurs mamelles sont molles, et si lougues qu’elles donnent à téter à leurs enfans par- dessus l’épaule ; le bout de ces mamelles est - noir comme du charbon, et la peau de leur corps est couleur olivâtre très-foncée. Quel- ques voyageurs disent qu'elles n’ont de poil que sur la tête, et qu'elles ne sont pas su- jettes à l'évacuation périodique qui est ordi- naire à leur sexe; elles ont le visage large, les yeux petits, très-noirs et très-vifs, les pieds courts aussi-bien que les mains, et elles ressemblent pour le reste aux femmes samoïèdes. Les sauvages qui sont au nord des Esquimaux, et même dans la partie sep- tentrionale de l’ile de Terre-Neuve, res- semblent àces Groenlandois : ils sont, comme DE L'HOMME. 157 eux, de très-petite stature; leur visage est large et plat; ils ont le nez camus, mais les yeux plus gros que les Lappons. Non seulement ces peuples se ressemblent par la laideur, la petitesse de la taille, la couleur des cheveux et des yeux, mais ils ont aussi tous à peu près les mêmes inclina- tions et les mêmes mœurs; ils sont tous éga- lement grossiers , superstitieux , stupides. Les Lappons Danois ont un gros chat noir, auquel ils disent tous leurs secrets et qu’ils consultent dans toutes leurs affaires, qui se réduisent à savoir s’il faut aller ce jour-là à la chasse ou à la pêche. Chez les Lappons Suédois ily a dans chaque famille un tam- bour pour consulter le diable; et quoiqu'ils soient robustes et grands coureurs , ils sont si peureux , qu'on n’a jamais pu les faire aller : à la guerre. Gustave-Adolphe avoit entrepris d’en faire un régiment ; mais il ne put ja- mais en venir à bout : il semble qu'ils ne peuvent vivre que dans leur pays et à leur façon. Ils seservent, pour courir sur la neige, de patins fort épais de bois de sapin, longs d'environ deux aunes et larges d’un demi- pied : ces patins sont releyés en pointe sur 14 158 HISTOIRE NATURELLE | le devant, et percés dans le milieu pour y passer un cuir qui tient le pied ferme et im- mobile ; ils courent sur la neige avec tant de vitesse, qu’ils attrapent aisément les ani- maux les plus légers à la course : ils portent un bâton ferré , pointu d’un bout et arrondi de l’autre ; ce bâton leur sert à se mettre en mouvement, à se diriger, se soutenir, s'ar- rêter, et aussi à percer les animaux qu'ils poursuivent à la course : ils descendent avec ces patins les fonds les plus précipités , et montent les montagnes les plus escarpées. Les patins dont se sérvent les Samoïèdes , sont bien plus courts et n’ont que deux pieds de longueur. Chez les uns et les autres, les femmes s’en servent comme les hommes. Ils ont aussi tous l’usage de l’arc, de l’arbalète; et on prétend que les Lappons Moscovites lancent un javelot avec tant de force et de dextérité, qu’ils sont sûrs de mettre à trente pas dans un blanc de la largeur d’un écu , et qu'à cet éloignement ils perceroient un homme d’outre en outre. Ils vont tous à la chasse de l’hermine, du loup-cervier, du renard, de la martre, pour en avoir les peaux, et ils changent ces pelleteries contre { bi ii A { DE L'HOMME, ‘159 de l’eau-de-vie et du tabac, qu'ils aiment beaucoup. Leur nourriture est du poisson sec, de la chair de en ou d'ours; leur pain n’est que de la farine d’os de poisson broyée et mêlée ayec de l'écorce tendre de pin ou de bouleau : la plupart ne font aucun usage de sel. Leur boisson est de l’huile de baleine et de l’eau, dans laquelle ils laissent infuser des grains de genièvre. Îls n’ont, pour aiusi dire, aucune idée de religion ni d'un tre suprême ; la plupart sont idolâtres , et tous sont très-superstitieux ; ils sont plus grossiers que sauvages, sans Courage, sans res- pect pour soi-même , sans pudeur : ce peuple abject n'a de mœurs qu’assez pour être mé- prise. Ils se baisnent nuds et tous ensemble, filles et garçons, mère et fils, frères et sœurs, et ne craignent point qu'on les voie dans cet état ; en sortant de ces bains extrêmement chauds , ils vont se jeter dans une rivière trés-froide. Ils offrent aux étrangers leurs femmes et leurs filles, et tiennent à grand honneur qu’on veuille bien coucher avec elles ; cette coutume est également établie chez les Samoïèdes , les Borandiens, les Lappons et les Groenlandois. Les Lappones Ar de 60 HISTOIRE NATURELLE sont habillées l'hiver de peaux de rennes, ef l'été de peaux d'oiseaux qu'elles ont écor- ches ; l'usage di inge leur est inconnu. Les Zembliennes ont le nez et les oreilles percés pour porter des pendans de pierre bleue ; elles se font aussi des raies bleues au front et au menton : leurs maris se coupent la barbe en rond, et ne portent point de che- veux. Les Groenlandoises s’habillent de peaux de chiens de mer; elles se peisnent aussi le visage de bleu et de jaune, et portent des pendans d'oreilles. Tous vivent sous terre ou dans des cabanes presque entièrement enterrées et couvertes d'écorces d'arbres ou d'os de poisson : quelques uns font des tranchées souterraines pour communiquer, de cabane en cabane, chez leurs voisins pen- dant l'hiver. Une nuit de plusieurs mois les oblige à cunserver de la lumière dans ce sé- jour par des espèces de lampes qu'ils entre- tiennent avec la même huile de baleine qui leur sert de boisson. L'été ils ne sont guère plus à leur aise que l'hiver; car ils sont obligés de vivre continuellement dans une épaisse fumée : c'est le seul moyen qu'ils aient imaginé pour se garantir de la piqüre NA 1 CPAS LE LL à SR m FUATE à! LA Ch, D , LU VAS DE L'HOMME. : 161 des moucherons , plus abondans peut-être dans ce climat glacé qu'ils ne le sont dans les pays les plus chauds. Avec cette manière de vivre si dure et si triste, ils ne sont pres- que jamais malades, et ils parviennent tous à une vieillesse extrème : les vieillards sont même si vigoureux, qu'on a peine à les distinguer d’avec les jeunes : la seule in- commodité à laquelle ils soient sujets, et qui- est fort commune parmi eux, est la cécité : comme ils sont continuellement éblouis par l'éclat de la neige pendant lhi- ver, l'automne et le printemps, et tou- jours aveuglés par la fumée pendant l'été, la plupart perdent les yeux en avançant en âge. Les Samoïèdes, les Zembliens, les Boran- diens, les Lappons, les Groenlandois et les sauvages du Nord au-dessus des Esquimaux, sont donc tous des hommes de même espèce, puisqu'ils se ressemblent par la forme, par la taille, par la couleur, par les mœurs, et même par la bizarrerie des coutumes. Celle d'offrir aux étrangers leurs femmes, et d’être fort flattés qu’on veuille bien en faire usage, peut venir de ce qu'ils connoissent leur propre difforsnité et la laideur de leurs femmes; ils 4 € Li. A PA \ nd À Î al ps LL VAR 162 HISTOIRE NATURELLE trouvent apparemment moins laides celles que les étrangers n’ont pas dédaignées : ce qu'il y a de certain, c’est que cet usage est général chez tous ces peuples, qui sont ce- pendant fort éloignés les uns des autres, et même séparés par une grande mer, et qu'om le retrouve chez les Tartares de Crimée, chez les Calmouques, et plusieurs autres peuples de Sibérie et de Tartarie, qui sont presque aussi laids que ces peuples du Nord, au lieu que dans toutes les nations voisines, comme à la Chine, en Perse *, où les femmes sont belles, les hommes sont jaloux à l'excès. En examinant tous les peuples voisins de cette longue bande de terre qu’occupe la race lappone , on trouvera qu'ils n’ont aucun rapport avec cette race : il n’y a que les Ostiaques et les Tonguses qui leur ressem- blent ; ces peuples touchent aux Samoïèdes * La Boulaye dit qu’après la mort des femmes du Schach l’on ne sait où elles sont enlerrées, afin de lui ôter tout sujet de jalousie, de même que les anciens Egyptiens ne vouloient point faire embau- mer leurs femmes que quatre ou cinq jours après leur mort, de crainte que les chirurgiens n’eussent quelque tentation. [ARS à F EUR 4: Nr. "107 a sr f. " M RaYe pu é L'ATI | DE L'HOMME. 163 du côté du midi et du sud-est. Les Samoïèdes et les Borandiens ne ressemblent point aux Russiens ; les Lappons ne ressemblent en aucune façon aux Finnois, aux Goths, aux Danois , aux Norvégiens; les Groenlaudois sont tout aussi différens des sauvages du Canada. Ces autres peuples sont grands, bien faits ; et quoiqu’ils soient assez différens 4014 entre eux , ils le sont infiniment plus des Lappons. Mais les Ostièques semblent être des Samoïèdes un peu moins laids et moins raccourcis que les autres , car ils sont petits et mal faits : ils vivent de poisson ou de viande crue, ils mangent la chair de toutes les espèces d'animaux sans aucun apprét, ils boivent plus volontiers du sang que de l’eau; ils sont pour la plupart idolâtres et errans, comme les Lappons et les Samoïèdes. Enfin 1ls me paroissent faire la nuance entre la race lappone et la race tartare ; ou, pour mieux dire; les Lappons, les Samoïèdes, les Boran- diens , les Zembliens , et peut-être les Groen- landois et les Pygmées du nord de l'Améri- que, sont des Tartares dégénérés autant qu’il est possible ; les Ostiaques sont des Tartares qui ont moins dégénéré; les Tonguses encore 164 HISTOIRE NATURELLE moins que les Ostiaques , parce qu’ils son moins petits et moins mal faifs, quoique tout aussi laids, Les Samoïèdes et les Lap- pons sont environ sous le 68 ou 69° degré de latitude ; mais les Ostiaques et les Ton-. guses habitent sous le 6o° degré. Les Tar- tares qui sont au 55° degré le long du Wolsa, sont grossiers , stupides et brutaux : ils res- semblent aux Tonguses, qui n'ont, comme eux, presque aucune idée de religion ; ils ne veulent pour femmes que des filles qui ont eu commerce avec d’autres hommes. La nation tartare, prise en général , occupe des pays immenses en Âsie : elle est répan— due dans toute l'étendue de terre qui est depuis la Russie jusqu'à Kamtschatka, c’est- à-dire, dans un espace de onze ou douze cents lieues en longueur, sur plus de sept cent cinquante lieues de largeur ; ce qui fait un terrain plus de vingt fois plus grand que celui de la France. Les Tartares bornent la Chine du côté du nord et de l’ouest , les royaumes de Boutan , d'Ava, l’empire du Mogol et celui de Perse jusqu’à la mer Caspienne du côté du nord : ils se sont aussi répandus le iong du Wolga et de Ja côte occidentale de XY DE L'HOMME. 165 la mer Caspienne jusqu’au Daghestan ; ils ont pénétré jusqu’à la côte septentrionale de la mer Noire, et ils se sont établis dans la Crimée et dans la petite Tartarie près de la Moldavie et de l'Ukraine. Tous ces peuples ont le haut du visage fort large et ridé, même dans leur jeunesse , le nez court et gros , les yeux petits et enfonces , les joues fort élevées , le bas du visage étroit, le menton long et avancé , la mâchoire supé- rieure enfoncée , les dents longues et sépa- rées , les sourcils gros qui leur couvrent les yeux, les paupières épaisses, la face plate, le # teint basané et olivâtre , les cheveux noirs ; 1ls sout. de stature médiocre, mais très-forts et très-robustes ; ils n'ont que peu de barbe, et elle est par petits épis comme celle des Chinois ; ils ont les cuisses grosses et les jambes courtes. Les plus laids de tous sont les Calmouques , dont l’aspect a quelqne chose d’effroyable ; ils sont tous errans et vaga- bonds , habitant sous des teutes de toile, de feutre, de peaux. Ils mangent de la chair de cheval, de chameau , etc., crue ou un peu mortifiée sous la selle de leurs chevaux; ils mangent aussi du poisson desséché au D'EVENE NT EN ERA MEN ie ] M KA Fi Un: 166 HISTOIRE NATURELLE soleil. Leur boisson la plus ordinaire est du lait de jument fermenté avec de la farine à _de millet. Ils ont presque tousla tête rasée ,à l'exception du toupet , qu’ils laissent croître assez pour en faire une tresse de chaque côté du visage. Les femmes, qui sont aussi laides que les hommes, portent leurs cheveux ; elles les tressent et y attachent de petiles plaques de cuivre et d’autres ornemens de | cette espèce. La plupart de ces peuples n’ont aucune religion , aucune retenue dans leurs mœurs , aucune décence ; ils sont tous vo- leurs ; et ceux du Daghestan qui sont Voi— sins des pays policés , font un grand com- merce d'esclaves et d'hommes , qu’ils enle- vent par force pour les vendre ensuite aux Turcs et aux Persans. Leurs principales richesses consistent en chevaux ; il y en a peut-être plus en Tartarie qu’en aucun autre pays du monde. Ces peuples se font une habitude de vivre avec leurs chevaux ; 1ls s’en occupent continuellement : ils les dres- sent avec tant d'adresse et les exercent sisou- vent, qu'il semble que ces animaux n'aient qu'un même esprit avec ceux qui les ma- mient ; car non seulement ils obéissent parfai- \ À DE L'HOMME. 167 tement au moindre mouveiment de la bride, mais ils sentent, pour ainsi dite, l'intention et la pensée de celui qui les monte. = Pourconnoîitre les différences particulières qui se trouvent dans cette race tartare, il ne faut que comparer les descriptions que les voyageurs ont faites de chacun des différens peuples qui la composent. Les Calmouques, qui habitent dans le voisinage de la mer Caspienne, entre les Moscovites et les grands Tartares, sont , selon Tavernier, des hom- mes robustes, mais les plus laids et les plus diformes qui soient sous le ciel; ils ont le visage si plat et si large , que d'un œil à _ l’autre il y a l’espace de cinq ou:six doigts; leurs yeux sont extraordinairement petits , et le peu qu’ils ont de nez est si plat, qu’on | n’y voit que deux trous au lieu de narines; ils ont les senoux tournés en dehors et les pieds en dedans. Les Tartares du Daghestan sont, après les Calmouques, Les plus laids de tous les Tartares. Les petits Tartares ou Tar- tares Nogais, qui habitent près de la mer Noire , sont beaucoup moins laids que les Calmouques ; mais ils ont cependant le visage large, les yeux petits, et la forme du corps : Ÿ M " qu S k | if de Là on De 168 HISTOIRE NATURELLE À semblable à celle des Calmouques; etonpeut croire que cette race de petits Tartares a perdu une partie de sa laideur, parce qu'ils se sont mêlés avec les Circassiens, les Mol- daves et les autres peuples dont ils sont voisins. Les ‘Tartares Vagolistes en Sibérie ont le visage large comine les Calmouques, le nez court et gros, les yeux petits; et quoi- que leur langage soit différent de celui des Calmouques, ils ont tant de ressemblance, qu’on doit les regarder comme étant de la même race. Les Tartares Bratski sont, selon le P. Avril, de la même race que les Calmou- ques. À mesure qu'on avance vers l’orient dans la Tartarie indépendante, les traits des Tartares se radoucissent un peu; mais les caractères essentiels à leur race restent tou— jours. Et enfin les Tartares Mougoux, qui ont conquis la Chine, et qui de tous ces peuples étoient les plus policés , sont encore aujourd'hui ceux qui sont les moins laids et les moins mal faits : ils ont cependant , comme tous les autres , les yeux petits , le visage large et plat, peu de barbe, mais toujours noire ou rousse, le nez écrasé et court , Le teint basaué , mais moins olivâtre. DE L'HOMME. 169 Les peuples du Thibet et des autres provinces méridiouales de Tartarie sont, aussi-bien que les Tartares voisins de la Chine, beau- coup moins laids que les autres. M. Sanchez, premier médecin des armées russiennes:, homme distingué par son mérite et par l’é- tendue de ses connoissances ; a bien voulu me communiquer par écrit les remarques qu'il a faites en voyageant en Tartarie. Dans les années 1735, 1736 et 1737, il a parcouru l'Ukraine, les bords du Don jusqu’à la mer de Zabache, et les confins du Cuban jusqu'à Asoff; il a traversé les déserts qui sont entre le pays de Crimée et de Backmut; il a vu les Calmouques, qui habitent sans avoir de demeure fixe , depuis le royaume de Cazan jusqu'aux bords du Don; il a aussi vu les Tartares de Crimée et de Nogai, qui errent dans les déserts qui sont entre la Crimée et l'Ukraine, et aussi les Tartares Keroissi et Tcheremissi, qui sont au nord d'Astracan depuis le 5o° jusqu'au 60° degré de latitude. Il a observe que les Tartares de Crimée et de la province de Cuban jusqu’à Astracan sont de taille médiocre , qu’ils - ont les épaules larges , Le flanc étroit, les 19 membres nerveux , les yeux noirs et le teint basané. Les Tartares Kergissi et Tcheremissi sont plus petits et plus trapus; 1ls sontmoins agiles et plus grossiers ; ils ont aussi les yeux noirs, le teint basané, le visage encore plus large que les premiers. Il observe que parmi ces Tartares on trouve plusieurs homimes et femmes qui ne leur ressemblent point du tout, ou qui ne leur ressemblent qu'impar- faitement , et dont quelques-uns sont aussi blancs que les Polonois. Comme il y a parmi ces nations plusieurs esclaves, hommes et femmes, enlevés en Pologne et en Russie, que leur religion leur permetila polygamie et la multiplicité des concubines, et que leurs sultans ou murzas, qui sont les nobles de ces nations, prennent leurs femmesen Circassie et en Géorgie, les enfans qui naissent de ces alliances, sont moins laids et plus blancs que les autres : 1l y a même parmi ces Tartares un peuple entier dont les hommes et les fem- mes sont d’une beauté singulière; ce sont les Kabardinski. M. Sanchez dit en avoir ren- contre trois cents à cheval qui venoient au service de la Russie, et il assure qu'il n’a jamais vu de plus beaux hommes, et d’une \ DE L'HOMME. 4" figure plus noble et plus mâle : ils ont le visage beau, frais et vermeil ; les yeux grands, -vifs et noirs; la taille haute et bien prise. 11 dit que le lièutenant général de Serapikin , qui avoit demeuré long-temps en Kabarda , lui avoit assuré que les femmes étoient aussi belles que les hommes. Mais cette nation si différente des ‘TFartares qui l’environnent, vient originairement de l'Ukraine, à ce que - dit M. Sanchez, et a été transportée en Ka- barda il y a environ cent cinquante ans. Ce sang tartare s’est mêlé d’un côte avec les Chinois , et de l’autre avec les Russes orientaux ; et ce mélange n’a pas fait dispa- roître en entier les traits de cette race, car il y a parmi les Moscovites beaucoup de visages tartares; et quoiqu'en général cette nation soit du même sang que les autres nations européennes , on y trouve cependant beau- coup d'individus qui ont la forme du corps quarrée, les cuisses grosses et les jambes courtes comme les Tartares : mais les Chi- nois ne sont pas, à beaucoup près, aussi dif- férens des Tartares que le sont les Moscovites; iln’est pas même sûr qu’ils soient d’une antre race ; la seule chose qui pourroit le faire 72 HISTOIRE NATURELLE -eroire, c’est la différence totale du naturel , des mœurs et des coutumes de ces Mate peuples. Les Tartares, en général, sont natu- rellement fiers, belliqueux, chasseurs ; ils aiment la fatioue, l'indépendance ; ils sont durs et grossiers jusqu’à la brutalité. Les Chinois ont des mœurs tout opposées; ce sont des peuples mous, pacifiques , indolens, superstitieux , soumis , dépendans jusqu'à l'esclavage, cérémonieux, complimenteurs jusqu’à la fadeur et à l’excès : mais si on les compare aux Tartares par la figure et par les traits, on y trouvera des caractères d’une ressemblance non équivoque. Les Chinois, selon Jean Hugon, out les membres bien proportionnés, et sont gros et gras; ils ont le visage large et rond ,'les yeux petits, les sourcils grands, les pau- pières élevées, le nez petit et écrasé; ils n'ont que sept ou huit épis de barbe noire à chaque lèvre , et fort peu au menton. Ceux qui ha- bitent les provinces méridionales, sout plus bruns, et ont le teint plus basané que les autres ; ils ressemblent par la couleur aux peuples de la Mauritanie et aux Espagnols les plus basanés, au lieu que ceux qui kha- DE L'HOMME . 173 bitent Jes provinces du milieu de l'empire, sont blancs comme les Allemands. Selon Dampier et quelques autres voyageurs, les Chinois ne sont pas tous, à beaucoup près, gros et gras; mais ilest vrai qu’ils font grand cas de la grosse taille et de l’embonpoint. Ce voyageur dit même, en parlant des habitans de l’ile Saint-Jean sur les côtes de la Chine, que les Chinois sont orands, droits et peu chargés de graisse; qu’ils ont le visage long et le front haut, les yeux petits, le nez assez large et élevé dans le milieu, la bouche ni grande ni petite, les lèvres assez déliées, le teint couleur de cendre, les cheveux noirs ; qu’ils ont peu de barbe, qu’ils l’arrachent , et n'en laissent venir que quelques poils au menton et à la lèvre supérieure. Selon le Gentil, les Chinois n’ont rien de choquant dans la physionomie; ils sont naturellement blancs, sur-tout dans les provinces septen- trionales ; ceux que la nécessité oblige de s’exposer aux ardeurs du soleil, sont basanés, sur-tout dans les provinces du midi: ils ont, en général, les yeux petits et ovales, le nez court, la taille épaisse et d’une hauteur mé- diocre. N assure que les femmes font tout ce 15 174 HISTOIRE NATURELLE qu’elles peuvent pour faire paroître leurs yeux petits, et que les jeunes filles, ins- truites par leur mère, se tirent continuel- lement les paupières, afin d’avoir les yeux petits et longs; ce qui, joint à un nez'écrasé et à des oreilles longues , larges, ouvertes et pendantes, les rend beautés parfaites : il prétend qu’elles ont le teint beau , les lèvres fort vermeilles, la bouche bien faite, les cheveux fort noirs, mais que l’usage du bétel leur noircit les dents, et que celui du fard, dont elles se servent, leur gâte si fort la peau, qu’elles paroissent vieilles avant l’âge de trente ans. Palafox assure que les Chinois sont plus blancs que les Tartares orientaux, leurs voi- sins; qu'ils ont aussi moins de barbe; mais qu’au reste 1l y a peu de différence entre les visages de ces deux nations. Il dit qu'il est très-rare de voir à la Chine ou aux Phi- lippines des yeux bleus.et que jamais onn’en a vu dans ce pays qu'aux Européens ou à des personnes nées dans ces climats de parens éuropéens. Inigo de Biervillas prétend que les femmes chinoises sont mieux faites que les hommes. DE L'HOMME. 175 Ceux-ci, selon lui, ont le visage large et le teint assez jaune ; le nez gros et fait à peu près comme une nèîle, et pour la plupart écrasé; la taille épaisse à peu près comme celle des Hollandois. Les femmes, au con- iraire, ont la taille dégagée , quoiqu’elles aient presque toutes de l’embonpoiut, le teint etla peau admirables, les yeux les plus beaux du monde : mais, à la vérité, il yen a peu, dit-il, qui aient le nez bien fait, parce qu'on le leur écrase dans leur jeunesse. Les voyageurs hollandoiïs s'accordent tous à dire que les Chinois ont , en général, le visage large, les yeux petits, le nez camus, et presque point de barbe; que ceux qui sont nés à Canton et tout le long de la côte mé- ridionale , sont aussi basanés que les habi- tans de Fez en Afrique ; mais que ceux des provinces intérieures sont blancs pour la plupart. Si nous comparons maintenant les descriptions de tous ces voyageurs que nous venons de citer, avec celles que nous avons faites des Tartares , nous ne pourrons guère douter que, quoiqu'il y ait dela variété dans la forme du visage et de la taille des Chinois, ils n’aient cependant beaucoup plus de rap- 4 76 HISTOIRE NATURELLE LS port avec les Tartares qu'avec aucun autre peuple, et que ces différences et cette variété ne viennent du climat et du mélange des races : c’est le sentiment de Chardin. « Les « petits Tartares, dit ce voyageur, ont com- « munément la taille plus petite de quatre « pouces que la nôtre, et plus grosse à pro- « portion; leur teint est rouge et basané ; « leurs visages sont plats, larges et quarrés ;: « ils ont lenez écrasé, et.les yeux petits. Or, « comme ce sont là tout-àa-fait les traits des « habitans de la Chine , j'ai trouvé, après « avoir bien observé la chose durant mes « voyages, qu'il y a la même configuration « de visage et de taille dans tous les peuples « qui sont à l’orient et au septentrion de la « mer Caspienne et à l’orrent de la ypres- « qu'ile de Malaca ; ce qui depuis m'a fait « croire que ces divers peuples sortent tous « d’une même souche, quoiqu'il paroisse des « différences dans leur teint et dans leurs « mœurs : Car pour ce qui est du teint , la « différence vient de la qualité du climat «et de celle des alimens ; et à l'égard des « mœurs, la différence vient aussi de la DE L'HOMME. T77 « nafure du terroir et de l’opulence plus ou « moins grande. » Le père Parennin, qui , comme l’on sait, a demeuré si long-temps à la Chine , et en a si bien observé les peuples et les mœurs, dit que les voisins des Chinois du côté de l’occident , depuis le Thibet eu allant au nord jusqu’à Chamo, semblent être différens des Chinois par les mœurs, par le langage, par les traits du visage et par la configura- tion extérieure ; que ce sont gens ignorans, grossiers , fainéans , défaut rare parmi les Chinois; que quand il vient quelqu'un de ces Tartares à Pékin, et qu'on demarde aux Chinois la raison de cette différence, ils disent que cela vient de l’eau et de la terre, c’est- à-dire, de la nature du pays, qui opère ce changement sur le corps et même sur l’es- prit des habitans. Il ajoute que cela paroît encore plus vrai à la Chine que dans tous les autres pays qu il ait vus, et qu’il se souvient qu'ayant suivi l’empereur jusqu’au 48° de- gré de latitude nord dans la Tartarie , il y tronva des Chinois de Nanquin qui s’y étoient établis, et que leurs enfans y étoient devenus de vrais Mongoux ; ayant la tête eV TA | de AUS A PAL 178 HISTOIRE NATURELLE enfoncée dans les épaules, les jambes ca- gneuses, et dans tout l'air une grossièreté et une mal-propreté qui rebutoient *. Les Japonnois sont assez semblables aux Chinois pour qu'on puisse les regarder comme ne faisant qu’une seule et même race d'hommes ; ils sont seulement plus jaunes ou plus bruns, parce qu’ils habitent un climat plus méridional : en généraf, ils sont de forte complexion ; ils ont la taille ra- massée , le visage large et plat, le nez de même, les yeux petits, peu de barbe , les che- veux noirs; ils sont d’un naturel fort altier, aguerris, adroits, vigoureux , civils et obli- geans, parlant bien, féconds en complimens, mais inconstans. et fort vains; 1ls supportent avecune constance admirable la faim, la soif, le froid, le chaud, les veilles, la fatigue et toutes les incommoditées de la vie, delaquelle ils ne font pas grand cas ; ils se servent, comme les Chinois, de petits bâtons pour manger, et font aussi plusieurs cérémonies ou plutôt plusieurs grimaces et plusieurs * Voyez la lettre du P. Parennin, datée de Pékin le 28 septembre 1735, recueil XXIV des Lettres édifiantes: [A DE L'HOMME. 17) mines fort étranges pendant le repas ; ils sont laborieux et très-habiles dans les arts et dans tous les métiers : ils ont, en un mot, à très-peu près le même naturel , les mêmes mœurs et les mêmes coutumes que les Chi- mois. L'une des plus bizarres, et qui est commune à ces deux nations , est de rendre les pieds des femmes si petits, qu'elles ne peuvent presque se soutenir. Quelques voyageurs disent qu’à la Chine, quand une fille a passé l'âge de trois ans , on lui casse le pied, en sorte que les doigts sont rabattus sous la plante , qu'on y applique une eau forte qui brûle les chairs, et qu’on l'enveloppe de plu- sieurs bandages jusqu’à ce qu’il ait pris son pli. Ils ajoutent que les femmes ressentent cette douleur pendant touteleur vie, qu’elles peuvent à peine marcher, et que rien n’est plus désagréable que leur démarche ; que ce- pendant elles souffrent cette incommodité avec joie , et que comme c’est un moyen de plaire, elles tâchent de se rendre le pied aussi petit qu'il leur est possible. D'autres voya- geurs ne disent pas qu'on leur casse le pied dans leur enfance , mais seulement qu'on le (4 P JAM \ PL M à: AU 19: CANON INT EN RER 4 UR JM pa quil 28 * gi 180 HISTOIRE NATURELLE serre avec tant de violence qu’on l'empècke de croître, et ils conviennent assez unani- mement qu'une femme de condition , ou seulement une jolie femme à la Chine, doit avoir le pied assez petit pour trouver trop aisée la pantoufle d’un enfant de six ans. _ Les Japonnois et les Chinois sont doncune seule et même race d'hommes qui se sont très-anciennement civilisés, et qui diffèrent des Tartares plus par les mœurs que par la figure ; la bonté du terrain , la douceur du climat, le voisinage de la mer, ont pu con- tribuer à rendre ces peuples policés, tandis que les Tartares, éloignés de la mer et du comimerce des autres nations, et séparés des autres peuples du côté du midi par de hautes montagnes, sont demeurés errans daus leurs . vastes déserts sous un ciel dont la rigueur , sur-tout du côté du nord, ne peut être sup- portée que par des hommes durs et grossiers. Le pays d'Yeço, qui est au nord du Japon, quoique situé sous un climat qui devroit être tempéré, est cependant très-Froid, très- stérile et très-montueux : aussi les habitans de cette contrée sont-ils tout différens des Japonnois et des Chinois; ils sont grossiers, à DE L’? HOMME: 187 brutaux , sans mœurs, sans arts; ils ont le corps court et gros , Les cheveux lougs et hé- rissés , les yeux noirs , le front plat, le teint jaune, mais un peu moins que celui des Ja-— pounois ; ils sont fort velus sur le corps ek même sur le visage ; ils vivent comme des sauvages, et se nourrissent de lard de baleine et d'huile de poisson ; ils sout très-paresseux, très-mal-propres dans leurs vêtemens. Les enfans vont presque nuds. Les femmes n'ont trouve, pour se parer, d'autres moyens que de sepeindre de bleu les sourcils et les lèvres. Les hommes m'ont d’autre plaisir que d'aller à la chasse des loups marins, des ours, des élans , des rennes ,et à la pêche de la baleine; il yena cependant qui ont quelquescoutumes japonnoises, comme celle de chanter d’une voix tremblante : mais en général ils ressem- blent plus aux Tartares septentrionaux, ou aux Samoïèdes, qu'aux Japonnois. Maintenant, si l’on examine les peuples voisins de la Chine au midi et à l'occident, on trouvera que les Cochinchinois , qui ha- bitent un pays montueux et plus méridional que la Chine, sont plus basanés et plus laids que les Chinois, et que les Funquinois, dont Mat. gén. XXI, 10 182 HISTOIRE NATURELLE 1 le pays est meilleur , et qui vivent sous un chiimat moins chaud que les Cochinchinois , sont mieux faits et moins laids. Selon Dam— pier. les Tunquinois sont, en général, de moyenne taille : ils ont le teint basané comme les [Indiens , mais avec cela la peau si belle et . si unie, qu'on peut s’appercevoir du moindre changement qui arrive sur leur visage lors- qu'ils pâlisseut ou qu'ils rougissent ; ce qu'on ne peut pas reconnoitre sur Le visage des au— tres Indiens. Îls ont communément le visage plat et ovale , le nez et les lèvres assez bién proportionnés , les cheveux noirs, longs et fort épais; ils se rendent les dents aussi noires qu'il leur est possible. Selon les relations qui sont à la suite des Voyages de Tavernier, les Tunquinois sont de belle taille et d'une cou- léur un peu olivâtre; ils n’ont pas le nez ni le visage si plats que les Chinois, et ils sont en général mieux faits. | Ces peuples ,eomme l’on voit , ne diffèrent pas beaucoup des Chinois; ils ressemblent par la couleur à ceux des provinces méri- dionales : s'ils sont plus basanés, c'est parce qu'ils habitent sous un climat plus chaud; et quoiqu'ils aient le visage moins plat et le PRE RSS ne 14} 4 DE L'HOMME. 183 uez moins écrase que les Chinois , on peut les regarder comme des peuples de mème origine./ IL en est de même des Siamois, des Pe— guans, des habitans d'Aracan, de Laos , etc. : tous ces peuples ont les traits assez ressem- blans à ceux des Chinois ; et quoiqu'ils en diffèrent plus ou moins par la couleur, ils . ne diffèrent cependant pas tant des Chinois que des autres Indiens. Selon la Loubère, Les Siamois sout plutôt petits que grauds ; ils oùt le corps bien fait; la figure de leur visage tient moins de l’ovale que du losange ; il est large et elevé par le haut des joues, et tout d'un coup leur front se rétrécit ét se Lermine autant-en pointe que leur menton; ils ontles yeux petits et fendus obliquement , le blanc de l'œil jaunâtre, les joues creuses parce qu’elles sont trop élevées par le haut, la bou- che grande, les lèvres grosses et les dents noircies ; leur teint est grossier et d’un brun mêle de rouge ; d'autres voyageurs disent d'un gris cendré , à quoi le hale continuel contribue autant que la naissance ; ils ont lé «nez court et arrondi par le bout, les oreilles plus grandes que les nôtres, et plus elles sont grandes, plus ils les estiment. 184 HISTOIRE NATURELLE Ce goût pour les longues oreilles est.com— mun à tous les peuples de l'Orient : mais les uns tirent leurs oreilles par le bas pour les alonger sans les percer qu'autant qu’il le faut pour y attacher des boucles ; d’autres, comme au pays de Laos, en agrandissent le trou si prodigieusement , ‘qu'on pourroit presque y passer le poing, en sorte que leurs oreilles descendent jusque sur les épaules : pour les Siamois, ils ne les ont qu’un’ peu plus grandes que les nôtres, et c'est naturel- lement et sans 'artifice. Leurs cheveux sont gros ,noirset plats; les hommeset les femmes les portent si courts, qu’ils ne leur descen- dent qu'a la hauteur des oreilles tout autour de la tête. Ils mettent sur leurs lèvres une pommade parfumee qui les fait paroitre en core plus pâles qu'elles ne le seroient natu- rellement ; ils ont peu de barbe ,.et 1ls arra— chent le peu qu'ils en ont: ils ne coupent point leurs ongles , etc. Siruys dit‘que les femines siamoises portent des pendans d’o= reilles si massifs et si pesans ; queles trous où ils sont attachés deviennent'assez grands pour y passer le pouce; il ajoute que le teint des hommes et des femmes est basane , que \ À fl { Un À 4 4 DE L'HOMME: :::;, 185. leur taille n’est pasavantageuse, mais qu’elle est bien prise et dégagée, et qu’en général les Siamois sont doux let polis. Selon le père Tachard, les Siamois sont très-dispos ; ils ont parmi eux d’habiles sauteurs et des faiseurs de tours d'équilibre aussi agiles que ceux d'Europe. Il dit que la coutume de se noircir les dents vient de l’idée qu'ont les Siamois , qu'ilne convient pointà des hommes d’avoir les dents blanches comme les animaux, que c'est pour cela qu'ils se les noircissent avec une espèce de veruis.qu’il faut renouveler de temps en temps, et que quand ils appliquent ce vernis , ils,sont obligés de,se passer de manger pendaut quelques jours, afin de don- ner le temps à cette drogue de s'attacher. Les habitans des royaumes de Pégu et d’A- racan ressemblent assez aux Siamois, et ne diffèrent pas: beaucoup des Chinois par la. forme du corps ni par la physionomie; ils sont seulement plus noirs. Ceux d'Aracan estiment un front large et plat; et pour le rendre tel, ils appliquent une plaque de plomb sur le front des enfans qui viennent de naître. Ils ont les narines larges et ou- vertes , les yeux petits et vifs , et 1 oreilles hi DE SN ON RE È | 36 HISTOIRE NATURELLE si alüngées qu’elles leur pendent jusque surles épaules ; ils mangent sans dégoût des souris, des rats, des serpens et du poisson corrompu: Les femmes y sont passablement blanches, et - portent les oreilles aussi alongées que celles des hommes. Les peuples d’Achen, qui sont encore plus au nord que ceux d'Aracan, ont aussi le visage plat et Fa couleur olivâtre: ils sont grossiers, et laissent aller leurs enfans tout nuds; les filles ont seulemènt uneplaque d'argent sur leurs parties naturelles *. _ Tous ces peuples, commie l’on voit, ne dif: fèrent pas beaucoup des Chinois, et tiennent encore des Tartares les petits yeux, le visage plat, la couleur olivätre; mais en descendant vers le midi, les traits com mencent à chan- ger d’une manière plus sensible, ou du moins à se diversifier. Les habitans de la presqu'ile de Malaca et de l'ile de Sumatra sont noirs, petits, vifs, et bien proportionnes dans leur petite taille ; ils ont même l'air fier, quoi- qu'ils soient nuds de la céinturé en haut, à l'exception d’une petite écharpe qu'ils * Voyez le Recueil des voyages de la com- pagnie hollandoise , tome IV, page 63; et Ie loyage de Mandelslo , tome IT, page 326. 1 | nr 104 (A | Je DE L'HOMME. 107 . portent tantôt sur l’une et tantôt sur l’autre épaule. Hssont naturellement braves et même xedoutables lorsqu'ils ont pris de l’opium, dont ils font souvent usage, et qui leur cause une espèce d'ivresse furiense. Selon Dampier, les habitaus de Sumatra et ceux de Malaca sont de la même race; ils parlent à peu près la même langue ; ils ont tous l'humeur fière et hautaine; ils ont la taille médiocre , le visage long , les yeux noirs, le nez d’une grandeur médiocre, les lèvres minces et les dents noiretes par le fréquent usage du bétel. Dans l’île de Pugniatan ou Pissagan , à seize lieues en-deçà de Sumatra, Les naturels sont de grande taille, et d'un teint jaune, comime celui des Bresiliens ; 1ls portent de longs cheveux fort lisses , et vont absolument nuds. Ceux des îles Nicobar au nord de Suma- ira sont d'une couleur basanée et jaunätre ; ils vontaussi presque nuds. Dampier dit que les naturels de ces îles Nicobar sont grands et bien proportionnés , qu’ils ont le visage assez long , les cheveux noirs et lisses, et Le nez d'une grandeur médiocre; que les fein mes n'ont point de sourcils, qu'apparemment elles se les arrachent , etc. Les habitans de us HISTOIRE N ATURELLE R ile de Sombreo, au nord de Nivobars soné $ fort noirs, et ils se: bigarrent le visage de di- verses couleurs , comme de verd, de jaune; etc. *, Ces peuples de Malaca, de Sumatra et des petites iles voisines , quoique.differens entre eux , le sont encore plus des Chinois., des Tartares , etc. et semblent être issus d'une autre race; cependaut les habitans de Java, qui sont voisins de Sumatra et de Malaca , ne leur ressemblent point, et sout assez sem blables aux Chinois, à la couleur près, qui est, comme celle des Malais, rouge, mêlée de noir. lis sont assez semblables , dit Piga= fetta ; aux habitans du Bresil ; ils sont d’une forte complexion et d’une taille quarrée ; ils ne sont ni trop grands ni trop pelits,. mais bien musclés : ils ont le visage plat . les joues pendantes et gonflées, les sourcils gros et iuclinés, les yeux petits, la barbe noire; ils en ont fort peu et fort peu de cheveux, qui sont très-courts et très-noirs. Le P. Tachard dit que ces peuples de Java sont bien faits et robustes , qu’ils paroissent vifs et résolus , et que l'extrême chaleur du climat Les oblige à * Voyez l’Æistoire générale des voyages; Paris, 1746 ; tome I, page 387. È ETS DE L'HOMME. | 169 aller presque nuds. Dansles Lettres édifiantes, on trouve que ces habitans de Java ne sont ni noirs ni blancs, mais d’un rouge pourpre, et qu'ils sont doux , familiers et caressans. François Leguat rapporte que les femmes de Java, qui ne sont pas exposées, comme les hommes , aux grandes ardeurs du soleil, sont moins basanées qu'eux, et qu’elles ont le visage beau, le sein élevé et bien fait , le teint uni et beau, quoique brun, la main belle , l'air doux, les yeux vifs, le rire agréa- ble, et qu'il y en a qui dansent fort joli- ment. La plus orande partie des voyageurs hollaudois s'accordent à dire que les habitans naturels de cette ile, dont ils sont actuelle- ment les possesseurs et les maîtres , sont robustes , bien faits, nerveux et bien mus- cles ; qu'ils out le visage plat, les joues larges et élevées, de grandes paupières, de pelits yeux , les mâchoires grandes , les che- veux longs , le teint basané , et qu’ils n’ont que peu de, barbe, qu'ils portent les cheveux et les ongles ‘fort longs, et qu'ils se font Jimer les dents. Dans une petite île qui est en face de celle de Java , les femmes ont le teint basané, les yeux petits, la bouche $ in EI np 1: 1 APP Li 199 HISTOIRE NATURELLE grande , le nez écrasé, les cheveux noirs'et longs. Par toutes ces relations on peut juger que les habitans de Java ressemblent beau- coup aux Tartares et aux Chinois , tandis que les Malais et les peuples de Sumatra ét des petites iles voisines en diffèrent et par les traits, et par la forme du corps : ce qui a pu arriver très-naturellement; car la presqu’ile de Malaca et les îles de Sumatra et de Java, aussi-bien que toutes les autrés îles de l’ar- chipel indien, doivent avoir élé peuplées par les nations des continens voisins, et mème par les Européens, qui s’y sont habitués depuis plus de deux cent cinquante ans; ce qui fait qu'on doit y trouver une tfès-grande variété dans les hommes, soit pour lés traits du visage et la couleur de la peatt , soit pour Ja forme du corps et la proportion des mem- bres. Par exemple, il y a dans cette île de Java une nation qu'on appelle CAacrelas, qui est toute différente non seulement des autres habitans de cette île, mais même de tous les autres Indiens. Ces Chacrelas sont blancs et blonds ; ils ont les yeux foibles, et ne peuvent supporter le graud jour : au con- raire, ils voient bien la nuit; le jour ils 6 DE L'HOMME. T10Z marchent les yeux baissés et presque fermés, Tous les habitans des îles Moluques sont, selon François Pyrard , semblables à ceux de Sumatra et de Java pour les mœurs, la façon de vivre, les armes, les habits, le langage, la couleur , etc. Selon Mandelslo, Jes hommes des Moluques sont plutôt noirs que basanés, et les femmes le sont moins. Ïls ont tous les cheveux noirs et lisses, les yeux gros, les sourcils et les paupières larges, le corps fort et robuste; ils sont adroits et agiles ; ils vivent long-temps, quoique leurs cheveux devieuuent blancs de bonne heure. Ce voyageur dit aussi que chaque ile a son langage particulier, et qu’on doit croire qu'elles ont été peuplées par différentes na- tions. Selon lui, les habitans de Borneo et de Baly ont le teint plutôt noir que basané; mais, selon les autres voyageurs, 1ls sont seulement bruns comme les autres Indiens. Gemelli Carreri dit que les babitans de Ter- nate sont de la même couleur que les Ma- lais, c’est-à-dire, un peu plus bruns que ceux des Philippines; que leur physionomie est belle, que les hommes sont mieux farts que Les femmes, et que Les uns et les autres œ ! 192 HISTO IRE NATU RELLE ‘ont grand soin de leurs cheveux. Les voya- geurs hollandois rapportent que les naturels de l'île de Banda vivent fort long-temps, et qu’ils y ont vu un homme âgé de cent trente aus, et plusieurs autres qui approchoïent de cet âge; qu’en général ces insulaires sont fort fainéans, que les hommes ne font que se promener, et que ce sont les femmes qui travaillent. Selon Dampier, les naturels originaires de l'ile de Timor, qui est l’une des plus voisines de la nouvelle Hollande, ont la taille médiocre, le corps droit, les membres déliés, le visage long, les cheveux noirs et pointus, et la peau fort noire; ils soüt adroits et agiles, mais paresseux au su- prême degré. IL dit cependant que dans la même île les habitans de la baie de Lapaho sont pour la plupart basanes et de couleur de cuivre jaune, et qu’ils ont les cheveux noirs et tout plats. Si l’on remonte vers le nord, on trouve Manille et les autres iles Philippines, dont le peuple est peut-être Le plus mêlé de l'uni- vers, par les alliances qu'ont faites ensemble les Espagnols, les Indiens, les Chinois, les: Malabares, les noirs, etc. Ces noirs, qui | DE L'HOMME. 193 vivent dans les rochers et les bois de cette île, diffèrent entièrement des autres habi- tans : quelques uns ont les cheveux crépus, comme les nègres d’Angola;. les autres les ont longs : la couleur de leur visage est comme celle des autres nègres; quelques uns sont uu peu moins noirs On en a vu plu- sieurs pariii eux qui avoient des queues longues de quatre ou cinq pouces, comme Îles insulaires dont parle Ptolemée!. Ce voya- geur ajoute que des Jésuites très-dignes de foi lui ont assuré que dans l’île de Mindoro, voisine de Manille, il y a une race d'hommes appelés Manghiens, qui tous ont des queues de quatre ou cinq pouces de longuéur , et même que quelques uns de ces hommes à queue avoient embrasse la’ foi catholique %s et que ces Manghiens ont le visage de cou- leur olivätre et les cheveux longs 5. Dampier dit que les habitans de l’île de Mindanao, qui est une des principales et des plus ME ridionales des Philippines, sont de taille 1 Voyez les Foyages de Gemelli Carréri ;: Paris, 1719 ; tome V, page 68. : ? Jbidem, iome V, page 92. : 3 Abidem , iome V, page 208. | ve A 194 HISTOIRE NATURI corps droit et la tête menue, le visage ovale, le front plat, les yeux noirs et peu fendus, le nez court, la bouche assez grande, -les lèvres petites et rouges, les dents noires et fort saines , les cheveux noirs et lisses, le teint tanné, mais tirant plus sur le jaune clair que celui de certains autres Indiens; que les femmes ont le teint plus clair que les hommes ; qu’elles sont aussi mieux faites, qu'elles ont le visage plus long, et que lenrs traits sont assez réguliers, si ce n’est que leur nez est fort courbet tout-à-fait plat entre les yeux ;/ qu'elles ont les membres très-petits , les cheveux noirs et longs; et que les hommes en général sont spirituels et agiles, mais fainéans et larrons. On trouve dans les Lettres édifiantes que les habitans des Philippines ressemblent aux Malais, qui out autrefois conquis ces iles; qu'ils ont comme eux le nez petit, les yeux grands, la couleur olivâtre jaune, et que leurs cou- tumes et leurs langues sont à peu près les mêmes. | | Au nord de Manille on trouve l'île For- mose, qui n’est pas éloignée de la côte de la ILLE ; médiocre ; qu’ils ont les membres petits, le { DE L’HOMME. 195 province de Fokien à la Chine : ces insu- laires ne ressemblent cependant pas aux Chi- nois. Selon Struys, les hommes y sont de petite taille, particulièrement ceux qui ha- bitent les montagnes; la plupart ont le vi- sage large. Les femmes ont les mamelles grosses et pleines, et de la barbe comme les hommes ; elles ont les oreilles fort longues, et elles en augmentent encore la longueur par certaines grosses coquilles qui leur ser- vent de pendans; elles ont les cheveux fort noirs et fort longs, le teint jaune noir: il y en a aussi de jaunes-blanches et de tout-à- ait jaunes. Ces peuples sont fort fainéans; leurs armes sont le javelot et l’arc, dont ils tirent trés-bien ; ils sont aussi excellens na- geurs , et ils courent avec une vitesse in- croyable; C'est dans cette île que Struys dié avoir vu dé ses propres yeux un homme qui avoit une queue longue de plus d’un pied, toute couverte d’un poil roux, et fort sem- blable à celle d'un bœuf. Cet homme à queue ‘assuroit que ce défaut, si c’en étoit un, ve— noit du climat, et que tous ceux de la partie méridionale de cette île avoient des queues comme lui. Je ne sais si ce que dit Struys 196 HISTOIRE NATURELLE des habitans de cette île mérite une entière : confiance, et sur-tout si le dernier fait est vrai: il me paroît au moins exagéré, et dif férent de ce qu'ont dit les autres voyageurs au sujet de ces hommes à queue, et même de ce qu’en ont dit Ptolémée, que j'ai cité ci-dessus, et Marc Paul dans sa Description géographique, imprimée à Paris en 1556, où il rapporte que dans le royaume de Lambry il y a des hommes qui ont des queues de la longueur de la main, qui vivent dans les montagnes. Îl paroiît que Struys s’appuie de l'autorité de Marc Paul, comme Gemelli Car- reri de celle de Ptolémée ; et la queue qu’il dit avoir vue est fort différente, pour les di- mensions, de celles que les autres voyageurs donnent aux noirs de Manille, aux habitans de Lambry , etc. L'éditeur des Mémoires de Psalmanasar sur l'ile de Formose ne parle point de ces hommes extraordinaires et si différens des autres : il dit même que, quoi- qu'il fasse fort chaud dans cette ile, les femmes y sont fort belles et fort blanches, sur-tout celles qui ne sont pas obligées de s’exposer aux ardeurs du soleil; qu'elles ont un grand soin de se laver avec certaines eaux \ DE L'HOMME. 197 préparées pour se conserver le teint; qu'elles ont le même soin de leurs dents, qu'elles tiennent blanches autant qu’elles le peuvent, au lieu que les Chinois et les Japonnois les ont noires par l’usage du bétel; que Îles hommes ne sont pas de grande taille, mais qu'ils ont en grosseur ce qui leur manque en grandeur; qu'ils sont communément vigoureux , infatigables, bons soldats, fort adroits , etc. Les voyageurs hollandois ne s'accordent point avec ceux que je viens de citer au sujet des habitans de Formose. Man- delslo, aussi-bien que ceux dont les reldtions ont été publiées dans le Recueil. des voyages qui ont servi à l'établissement de la com- pagnie des Indes de Hollande, disent que ces iusulaires sont fort srands, et beaucoup plus hauts de taille que les Européens; que la couleur de leur peau est entre le blanc et le noir, ou d'un brun tirant sur le noir: qu'ils ont le corps velu; que les femmes y sont de petite taille, mais qu’elles sont ro- _ bustes, grasses et assez bien faites. La plu- part des écrivains qui ont parlé de l’île For- mose, n’ont donc fait aucune mention de ces hommes à queue, et ils diféreut beaucoup OR DANCE Rs VUE AN TA, NE suu” tyn MES ON es NET NPA MA, (à Yi RC HN TE ANA A L \ # 196 HISTOIRE NA NT entre eux dans la description qu’ils donnent de la forme et des traits de ces insulaires : mais ils semblent s'accorder sur un fait qui n’est peut-être pas moins extraordinaire que le premier; c’est que dans cette île il n’est pas permis aux femmes d’accoucher avant trente-cinq ans, quoiqu'il leur soit libre de se marier long-temps avant cet àge. Rech— tereu parle de cette coutume dans les termes sSuivans : « D'abord que les femmes sont mariées, elles ne mettent point d’enfans au monde; «il faut au moins pour cela qu'elles aient « trente-cinq ou trente-sept ans. Quand elles « sont grosses, leurs prêtresses vont leur fou- « ler le ventre avec les pieds, s’il le faut, «et les font avortér avec autant ou plus de « douleur qu’elles n’en souffriroient'en ac- « couchant : ce seroit non seulement une « honte, mais même un gros péché, de laisser « venir un enfant avant l’âge prescrit. J'en «ai vu qui avoient déja fait quinze ou seize « fois périr leur fruit, et qui étoient grosses « pour la dix-septième fois, lorsqu'il leur « étoit permis de mettre un enfant au (€ La) Led CN « monde. » \ ‘DE L'HOMME. | z99 Les îles Marianes ou des Larrons, qui sont, comime l’on sait, les îles les plus éloignées du côté de l’oriént, et, pour ainsi dire, les dernières terres de notre hémisphère, sont peuplées d'hommes très-grossiers. Le père Gobien dit qu'avant l’arrivée des Européens ils n'avoient jamais vu de feu ; que cet elé- ment si nécessaire leur étoit entièrement inconnu ; qu’ils ne furent jamais si surpris que quand ils en virent pour la première fois, lorsque Magellan descendit daris l’une de leuts iles. Ils ont lé teint basane, mais cependant moins brun et plus clair que celui des habitans des Philippines ; ils sont plus forts et plus robustes que les Européens ; leur taille est haute, et leur corps est bien proportionné , quoiqu'ils ne se nourrissent que de racines, de fruits et de poisson. Îls ont tant d'embonpoint, qu'ils en paroissent enflés : mais cét embonpoint ne les empêche pas d’être souples et agiles. Ils vivent long- temps , et ce n’est pas une chose extraor- dinaire que de voir chez eux des personnes agées de cent ans, et cela sans àvoir jamais été malades. Gemelli Carreri dit que les ha- bitans de ces îles sont tous d’une figure gigan- 200 HISTOIRE NATURELLE 1esque, d’une grosse corpulengce et d'uné | grande force ; qu’ils peuvent aisément lever sur leurs épaules un poids decing cents livres. ls ont pour la plupart les cheveux crépus, le nez gros, de,grands yeux, et la couleur du visage comme les Indiens..Les habitans de Guan , l’une de ces îles , ont les cheveux noirs et longs , les yeux ni trop gros ni trop petits, le nez grand , les lèvres grosses , les : 2 assez blanches, le visage long, l'air féroce : ils sont très-robustes et d’une taille fort avantageuse ; on dit même qu'ils ont jusqu'a sept pieds de hauteur. Au midides îles Marianes et à l’erient des îles Moluques , on trouve la terre des Papous et la nouvelle Guinée , qui paroissent être les parties les plus méridiouales des terres australes. Selon Argensola, ces Papous sont noirs comme les Caffres : ils ont les cheveux crépus , le visage maigre et fort désagréable, et parmi ce peuple si noir on trouve quelques gens qui sont aussi blancs et aussi blonds que les Allemands ; ces blancs ont les yeux très-foibles et très-délicats. On trouve dans la relation de la navigation australe dd Le Maire , une description des habitans de cette L +: DE L'HOMME. 20T contrée, dont je vais rapporter les prin- cipaux, traits. Selon çe voyageur , ces peu-— ples sont fort noirs , sauvages et brutaux ; ils portent des anneaux aux deux oreilles, aux deux narines , et quelquefois aussi à la cloison du nez , et des bracelets de nacre de perle au-dessus des coudes et aux poignets, et ils se couvrent la tête d’un bonnet d’ecorce d'arbre peinte de différentes couleurs : ils sont puissans et bien proportionnés dans leur taille ; ils ont les dents noires, assez de barbe ,etles cheveux noirs, courts et crépus, qui n’approchent cependant pas autant de la laine que ceux des nègres ; ils sont agiles à la course; ils se servent de massues et de lances , de sabres et d’autres armes faites de bois dur, l'usage du fer leur étant inconnu ; ils se servent aussi de leurs dents comme d'armes offensives, et mordent comme les chiens. Ils mangent du bétel et du piment mèlés avec de la chaux, qui leur sert aussi à poudrer leur barbe et leurs cheveux. Les femmes sant affreuses : elles ont de longues mamelles qui leur tombent sur le nombrii, le ventre extrêmement gros , les jambes fort menues , les bras de même, des physio- AR NRA ER ER) CORALIE E Lea@e PL 1 po ? Ke {YE) Abe RSR AR Ê aa te À ; 202 HISTOIRE NATURELLE homies de singes, de vilains traits , efc. Dampier dit que les habitans de l’ile Säbala dans la nouvelle Guinée sont une sorte d'Indiens fort basanés , qui ont les cheveux noirs et longs , et qui par les manières ne diffèrent pas beaucoup de ceux de l’île Min- danao et des autres naturels de ces îles orien- tales ; mais qu'outre ceux-là, qui paroissent être les principaux de l’île, il y a aussi des nègres ,.et que ces nègres de ia nouvelle Guinée ont les cheveux crépus et cotonnés; que les habitans d'une autre ile qu'il appelle Garret-Denys, sont noirs , vigoureux et bien taillés : qu’ils ont la tête grosse et ronde, les cheveux frisés et courts ; qu'ils les cou- pent de différentes manières , et les teignent aussi de différentes couleurs, de rouge, de blanc, de jaune ; qu’ils ont le visage rond et large avec un gros néz plat ; que cépen- dant leur physionomie ne seroit pas absolu- ment désagréable s'ils ne se défiguroient pas le visage par une espèce de cheville de la grosseur d’un doigt et longuë de quatre pouces, dont ils traversent les deux narines, en sorte que les deux bouts touchent à l'os des joues ; qu’il ne paroît qu’un petit brin DE L'HOMME. 203 de nez autour de ce bel ornement; et qu’ils ont aussi de gros trous aux oreilles, où ils mettent des chevilles comme au nez. Les habitans de la côte de la nouvelle Hollande , qui est à 16 degrés 15 minutes _de latitude méridionale et au midi de l'ile de Timor , sout peut-être les gens du monde les plus misérables , et ceux de tous les hu- mains qui approchent le plus des brutes ; ils sont grands , droits et menus; ils ont les membres longs et déliés, LM grosse , le front rond , les sourcils épais. Leurs pau- pières sont toujours à demi fermées : ils pren- nent cette habitude dès leur enfance, pour garantir leurs yeux des moucherons qe les none beaucoup ; et comme ils n’ou- vrent jamais les yeux , ils ne sauroient voir de loin , à moins quils ne lévent la tête, comme s'ils vouloient regarder quelque chose au-dessus d’eux. Ils ontle nez gros, les lèvres grosses et la bouche grande, Ils s’arrachent - apparemment les deux dents du devant de la mâchoire supérieure; car elles manquent à tous , tant aux hommes qu'aux femmes, aux jeunes et aux vieux. Îls n’ont point de barbe : leur visage est long, d'un aspect très- A Qu: 1 D'UN CONTE TL) VERNIS L-! À RARE AL con à + 00 jan d } AOL, ACOEAMLAUE" de gi | 504 HISTOIRE NATURÉLLE . désagréable, sans un seul trait qui puisse plaire. Leurs cheveux ne sont pas longs et lisses comme ceux de presque tous les Indiens; ais ils sont courts, noirs et crépus, comme ceux des nègres. Leur peau est noire comme celle des nègres de Guinée. Ils n’ont point d'habits, mais seulement un morceau d’é- corce d'arbre attaché au milieu du corps en forme de ceinture, avec une poignée d'herbes longues au milieu. Îls n’ont point de mai- sons ; ils couchent à l’air sans aucune cou=- verture , et n’out pour lit que la terre : ils demeurent en troupes de vingt où trente , homines , femmes et enfans , tout cela pêle- mêle. Leur unique nourriture est un petit poisson qu’ils prennent en faisant des réser— voirs de pierre dans de petits bras de mer ; ils u’ont ni pain, ni grains, n1 lésumes, elec. Les peuples d’un autre côté de la nouvelle Hollande , à 22 ou 23 degrés latitude sud, sémblent être de la même race que ceux dont nous venons de parler : ils sont extré- mement laids ; ils ont de même le regard de travers, la peau noire, les cheveux cré- pus, le corps grand et délié, Il paroit par toutes ces descriptions, que ) DE L'HOMME. 205 les îles et les côtes de l’océan indien sont peuplées d'hommes très-différens entre eux. Les habitans de Malaca , de Sumatra et des iles Nicobar, semblent tirer leur origine des Indiens de la presqu'ile de l’Inde ; ceux de Java , des Chinois, à l'exception de ces hommes blancs et blonds qu’on appelle CZa- crelas, qui-doivent venir des Européens; ceux des iles Moluques paroissent aussi venir, pour la plupart, des Indiens de la presqu'île: mais les habitans de l’île de Timor, qui est Ja plus voisine de la nouvelle Hollande, sont à peu près semblables aux peuples de cette contrée. Ceux de l'ile Formose et des îles Marianes se ressemblent par la hauteur de Ja taille , la force et les traits ; ils paroissent former une race à part, différente de toutes les autres qui les avoisinent. Les Papous et les autres habitans des terres voisines de la nouvelle Guinée sont de vrais noirs, et ressemblent à ceux d'Afrique, quoiqu’ils en soient prodigieusement éloignes, et que cette terre soit séparée du continent de l'Afrique par un intervalle de plus de deux mille deux cents fieues de mer. Les habitans de la nouvelle Hollande ressemblent aux Hotien- 16 206 HISTOIRE NATURELLE tots; mais avant que de tirer des conséquences de tous ces rapports, et avant que de rai- sonner sur ces différences, il est nécessaire de continuer notre examen en détail des peuples de l'Asie et de l'Afrique. Les Mogols et les autres peuples de la pres- qu ile de l'Inde ressemblent assez aux Euro- péens par la taille et par les traits; inais ils en difièrent plus ou moins par la couleur. Les Mogols sont olivatres, quoiqu’en langue indienne HMogo! veuille dire blanc : les fem- mes y sont extréimement propres, et elles se baignent trêés-souvent ; elles sont de couleur % olivätre comme les hommes, et elles ont les jambes et les cuisses fort longues et le corps assez court, ce qui est le contraire des femmes européennes. Tavernier dit que lorsqu'on a passé Lahor et Le royaume de Cachemire , toutes les femmes du Mogol naturellement n’ont point de poil en aucune partie du corps, et que les hommes n’on£ que très-peu de barbe. Selon Thévenot , les femmes mogoles sont assez fécondes, quoi- que trés-chastes ; elles accouchent aussi fort aisément, et on en voit quelquefois marcher par la ville dès le lendemain qu'elles son£ L DE L'HOMME. . 207 accouchées. Il ajoute qu’au royaume de Décan on marie les enfans extrémement jeunes : dès que le mari a dix ans et la femme huit, les parens les laissent coucher ensemble, et il y eu a qui ont des enfans à cet âge; mais les femmes qui ont des enfans de si bonne heure, cessent ordinairement d'en avoir après l’âge de trente ans, et elles deviennent extrémement ridées. Parmi ces femmes 1l y en a qui se font découper la chair en fleurs, comme quand on applique des ventouses; elles peignent ces fleurs de diverses couleurs avec du jus de racines, de manière que leur peau paroît comme une étoffe à fleurs. | Les Bengalois sont plus jaunes que les Mogols; ils ont aussi des mœurs toutes dif- férentes : les femines sont beaucoup moins chastes; on preteud même que de toutes les femmes de l'Inde ce sont les plus lascives. On fait à Beugale un grand commerce d’es- claves males" et femelles : on y fait aussi beaucoup d'eunuques, soit de ceux auxquels on u’ôte que les testicules, soit de ceux à qui ou fait l’'amputation toute entiere. Ces peuples sont beaux et bien faits; ils aiment 208 HISTOIRE NATURELLE le commerce et ont beaucoup de douceur dans les mœurs. Les habitans de la côte de Coromandel sont plus noirs que Les Benga- lois; ils sont aussi moins civilisés; les gens du peuple vont presque nuds. Ceux de la côte de Malabar sont encore plus noirs; ils ont tous les cheveux noirs, lisses et fort longs ; ils sont de la taille des Européens : les femmes portent des anueaux d’or au nez. Les hommes , les femmes et les filles se baiguent ensemble et publiquement dans des bassins au milieu des villes. Les femmes sont propres et bien faites, quoiqué noires, ou du moins très-brunes ; on les marie dès l’âge de huit ans. Les coutumes de ces diffe- rens peuples de l'Inde sont toutes fort sin- gulières et même bizarres. Les Banianes ne mangent de rien de ce qui a eu vie; ils craignent mème de tuer le moindre insecte, pas mème les poux qui les rongent : ils jettent du riz et des féves dans la rivière pour nour- rir les poissons, et des graines sur la terre pour nourrir les oiseaux et les insectes. Quand ils rencontrent ou un chasseur ou uu pêcheur, ils le prient instamment de se désister de son entreprise; et si l’on est LLC DE L'HOMME » » 209 sourd à leurs prières, ils offrent de l'argent pour le fusil et pour les filets; et quand on ‘refuse leurs offres, ils troublent l’eau pour épouvanter les poissons, et crient de toute leur force pour faire fuir le gibier et les oi- seaux. Les naïrs de Calicut sont des mili- taires qui sont tous nobles, et qui n’ont d'autre profession que celle des armes : ce sont des hommes beaux et bien faits, quoi- qu'ils aient le teint de couleur olivâtre ; 1ls ont la taille élevée, et ils sont hardis, cou- rageux, et trés-adroits à manier les armes ; ils s'agraudissent les oreilles au point qu'elles descendent jusque sur leurs épaules, et quel- quefois plus bas. Ces naïrs ne peuvent avoit qu'une femme; mais les femmes peuvent prendre autant de maris qu’il leur plait. Le père Tachard, dans sa lettre au père de la Chaise, datée de Pondicheri, du 16 fé- vrier 1702, ditque, dans les castes ou tribus nobles, une femme peut avoir légitimement plusieurs maris ; qu'il s’en est irouve qui en avoient eu tout à la fois jusqu'à dix, qu’elles regardoient comme autant d'esclaves qu’elles s étoient soumis par leur beauté. Cette liberté d'avoir plusieurs maris est un privilége de L $T0, HISTOIRE NATURELLE noblesse que les femmes de condition font valoir autant qu'elles peuvent: mais les bourgeoises ne peuvent avoir qu’ un mari; il est vrai qu'elles adoucissent la dureté de leur condition par le commerce qu’elles ont avec les étrangers, auxquels elles s’aban- donnent sans aucune crainte de leurs maris et sans qu’ils osent leur rien dire. Les mères prostituent leurs filles le plus jeuues qu’elles peuveut. Ces bourgeois de Calicut ou Mou- cois semblent être d’une autre race que les nobles ou naïrs; car ils sont, hommes et femmes ; plus laids, plus jaunes, plus mal faits et de plus petite taille. Il y a parmi les naïrs de certains hommes et de certaines femanes qui ont les jambes aussi grosses que le corps d'un autre homme : cette difformité n’est point une maladie, elle léur vient de naissance. Il y en à qui n'ont qu’une jambe, ét d’autres qui les ont toutes les deux de cette grosseur monstrueuse : la peau de ces jambes est dure et rude comme une verrue; avec cela ils ne laissent pas d’être fort dispos. Cette race d'hommes à grosses jambes s’est plus muftipliée parmi les naïrs que dans aucun autre peuple des Indes : on en trouve DE L'HOMME. 211 cependant quelques uns ailleurs, et sur- tout à Ceylan, où l’on dit que ces hommes à grosses jambes ‘sont de la race de saint Thomas. CEE TER Les habitans de Ceylan ressemblent assez à ceux de la côte de Malabar : ils ont les oreilles aussi larges, aussi basses et aussi pendantes; ils sont seulement moins noirs, quoiqu’ils soient cependant fort basanés. Ils out l'air doux et sont naturellement fort apiles, adroits et spirituels : ils out tous les cheveux très-noirs; les hommes les portent Fort courts. Les gens du peuple sont presque nuds : les femmes ont le sein decouvert; cet usage est mème assez general dans l'Inde. IL y a des espèces de sauvages dans Pile de Ceylan, qu’on appelle Bedas; ils’ demeurent dans la partie septentrionale de l'ile, et n'occupent qu'un petit canton. Ces Bedas semblent être üne espèce d'hommes toute differente de celle de ces climats : ils ha- bitent un petit pays tout couvert de bois si épais, qu'il est fort difficile d'y pénétrer, et ils s’y tiennent si bien cachés, qu’on a de la peine à en découvrir quelques uns. Hs sont blancs comme les Européens ; il y ’ 4 < dY. Li à KL pus n7 ee AELLA La Qt: FN | \ HAL) Lens LL k « n 4 vi dE ins A 4 s12 HISTOIRE NATURELLE en à même quelques uns qui sont ronx. Is ne parlent pas la langue de Ceÿlan, et leur langage n'a aucun rapport avec toutes les langues des Indiens. Ils n’ont ni villages ni maisons, hi communication avec personne. Leurs armes sont l'arc et les flèches, avec lesquelles ils tuent beaucoup de sangliers, de cerfs, etc. Ils ne font jamais cuire leur viaude: mais ils la confisent dans du miel, qu'ils ont en abondance. On. ne sait point l’origine de cette nation, qui n’est pas fort nombreuse, et dont les familles demeurent séparées les unes des autres. Il me paroît que ces Bedas de Ceylan , aussi-bien que les Chacrelas de Java , pourraient bien être de race européenne , d'autant plus que ces hommes blancs et blonds sont en très-petit nombre. IL est très-possible que quelques homines et quelques femmes européennes aient ete abandonnés autrefois dans ces îles, ou qu'ils y aient abordé dans un naufrage, et que, dans la crainte d’être maltraités des naturels du pays, ils soient demeurés eux et leurs descendans dans les bois et dans les lieux les plus escarpés des montagnes , où lis continuent à mener la vie de sauvages, DE L'HOMME. 2435 qui peut-être a ses douceurs lorsqu'on y est accoutume. | On croit que les Maldivois viennent des habitans de l’ile de Ceylan : cependant ils ne leur ressemblent pas, car les habitans de Ceylan sont noirs et mal formés, au lieu que les Maldivois sont bien formés et pro- portionnés , et qu'il y a peu de différence d'eux aux Européens, à l'exception qu'ils sont d’une couleur olivâtre. Au reste, c’esE un peuple mêlé de toutes les nations. Ceux qui habitent du côté dugord, sont plus civi- lisés que ceux qui habitent ces îles au sud ; ces derniers ne sont pas même si bien faits, et sont plus noirs. Les femmes y sont assez belles, quoique de couleur olivâtre; il y en a aussi quelques unes qui sont aussi blanches. qu’en Europe : toutes ont les cheveux noirs, ce qu'ils regardent comme une beauté. L'art peut bien y contribuer; car ils tâchent de les faire devenir de cette couleur, en tenant / la tête rase à leurs filles j jusqu’ a l'âge de huig ou neuf ans. Ils rasent aussi leurs garçons et cela tous les huit jours : ce qui, avec fe temps, leur rend à tous les cheveux noifs: car 1l est probable que sans cet usage ils ne 214 HISTOIRE NATURELLE les auroient pas tous de cette couleur, puis- qu'on voit de petits enfans qui les ont à deini blonds. Une autre beauté pour les femines est de les avoir fort longs et fort épais ; elles se frottent la tête et le corps d'huile parfumée. Au reste, leurs cheveux ne sont jamais frisés, mais toujours lisses. Les hommes y sont velus par le corps plus qu'on ne l’est en Europe. Les Maldivois aiment l'exercice et sont industrieux dans les arts : ils sont superstfitieux et fort adon- nés aux femmes. Egles cachent soigneuse- ment leur sein, quoiqu'elles soient extraor- diuairement debauchées et qu'elles s’aban- donnent fort aisément : elles sont fort oi- sives et se font bercer continuellement; elles mangent à tout moment du betel, qui est une herbe fort chaude, et beaucoup d’epices à leurs repas. Ponr les hommes, 1ls sont beaucoup moins vigoureux qu'il ñe convien- droit à leurs femmes *. | Les habitans de Cambaie ont le teint gris ou couleur de cendre, Les uus plus, les autres Moins; et ceux qui sont voisins de la mer, * Voyez les Voyages de Pyrard, pages 120 et 324. | DE' L'HOMME, ;: 219 sont plus noirs que les autres : ceux de Gu- zarate sout jaunatres, Les Canarins, qui sont les Indiens de Goa et des iles voisines, sont olivatres Les voyageurs hollandois rapportent que les habitaus de Guzarate sont jaunâtres, les uns plus que les autres; qu'ils sont de même taille que les Européens ; que les femmes qui ne s’exposent que très-rarement aux ardeurs du soleil, sont un peu plus blanches que les hommes, et qu'il y eu a quelques unes qui sont à peu près aussi blanches que les Por- tugaises, Ne Maudelslo en particulier dit que les ha- bitans de Guzarate sont tous basaneés ou de couleur olivatre plus ou moins foncée, selon le climat où ils demeurent; que ceux du côté du midi le sont le plus; que les hommes y sont forts et bien proportionnés. qu'ils on£ le visage large et les .ÿyenx. noirs; que les femmes sont de petite, taille, mais propre et bien faites; qu'elles porteut les cheveu longs ; qu'elles ont aussi des bagues ayx narines et de grands pendans d'oreilles. I parmi eux fort peu de bossus ou de boiffux. Quelques uns ont le teint plus clair { 216 HISTOIRE NATURELLE autres; mais ils ont tous les cheveux noirs et lisses. Les anciens habitans de Guzarate sout aisés à reconnoitre : on les distingue des autres par leur couleur, qui est beau- coup plus noire ; ils sont aussi plus stupides et plus grossiers. La ville de Goa est, comme l’on sait, le principal établissement des Portugais dans les Indes, et, quoiqu'’elle soit beaucoup dé- chue de son ancienne splendeur , elle ne laisse pas d’être encore une ville riche et commerçante. C’est le pays du monde où il se vendoit autrefois le plus d'esclaves ; on y trouvoit à acheter des filles et des femmes fort belles de tous les pays des Indes : ces esclaves savent pour la plupart jouer des instrumens, coudre et broder en perfection. Il y en a de blanches, d’olivâätres, de basa- nées et de toutes couleurs : ceiles dont les Indiens sont le plus amoureux , sont les filles caffres de Mozambique, qui sont toutes soires. « C’est, dit Pyrard , une chose re- «marquable entre tous ces peuples indiens, «ant mâles que femelles, et que j'ai re « marquée , que leur sueur ne pue point, «où Les nègres d'Afrique, tant en deçà qug DE L'HOMME. 217 « delà le cap de Bonne-Espérance, sentent de « telle sorte quand ils sont échauflés, qu’il « est impossible d'approcher d'eux, tant ils « puent et sentent mauvais comme des poi- « reaux verds ». Il ajoute que les femmes in- diennes aiment beaucoup les hommes blancs d'Europe, et qu’elles les prefèrent aux blancs des Indes et à tous les autres Indiens. Les Persans sont voisins des Mogols et ils leur ressemblent assez; ceux sur-tout qui habitent les parties méridionales de la Perse, ne diffèrent presque pas des Indiens. Les habitans d Ormus, ceux de la province de Bascie et de Balascie, sont très-bruns et très- basanés ; ceux de la province de Chesmur et des autres parties de la Perse où la cha- leur n’est pas aussi grande qu’à Ormus, sont moins bruns ; et enfin ceux des pro- vinces septeutrionales sont assez blancs. Les femmes des iles du golfe Persique sont, au rapport des voyageurs hollandois, brunes ou jaunes et fort peu agréables : elles ont le visage large et de vilains yeux; elles ont aussi des modes et des coutumes semblables à celles des femimes indiennes, comme celle de se passer dans le cartilage du nez des Mat, gén, XXI, | 19 »18 HISTOIRE NATURELLE anneaux et une épingle d’or au travers Re la peau du nez près dés yeux : mais il est vrai que cet usage de se percer le nez pour porter des bagues et d’autres joyaux, s’est étendu beaucoup plus loin; car il ÿ à beau- coup de femmes chez les Arabés qui ont une narine percée pour y passer un grand anneau; et c'est une csalanterie chez ces peuples de baiser la bouche de leurs femmes à travers ces anneaux, qui sont quelquefois assez grands pour enfermer toute la bouche dans leur rondeur. Xénophon, eu parlant des Persans , dit qu'ils étoient la plupart gros et gras : Mar- cellin dit au contraire que de son temps ils étoient maicres et secs. Oléarius, qui fait celte remarque, ajoute qu'ils sont aujour- d’hui, comme du temps de ce dernier au- teur, maigres et secs, mais qu ils ne laissent pas d'être forts et robustes : selon Jui, ils ont le teint olivätre, les cheveux noirset le nez aqüilin. Le sang de Perse, dit Chardin, est naturellement grossier : cela se voit aux Guèbres, qui sont le reste des anciens Per- sans; ils sont laids, mal faits, pesans, ayant la peau rude et le teint coloré : cela se voit DE L’HOMMPF. ‘| ete aussi dans les provinces les plus proches de l'Inde, où les habitans ne sont guère moins mal faits que les Guëbres, parce qu'ils ne s’allient qu'entre eux. Mais, dans le reste du royaume , le sang persan est présente- ment devenu fort beau, par le melange du sang géorgien et circassien; ce sont les deux nations du monde où la Nature forme de plus belles personnes : aussi il n’y a presque aucun homme de qualité en Perse qui ne soit né d’une mère géorgienne ou circas- sienne; le roi lui-même est ordinairement Géorgien ou Cireassien d’origine, du côté maternel; et comme il y a un grand nombre d'années que ce mélange a commencé de se faire,.le sexe féminin est embelli comme l’autre, et les Persanes sont devenues fort belles et fort bien faites , quoique ce ne soit pas au point des Géorgiennes. Pour les hommes, ils sont communément hauts, droits, vermeils, vigoureux,.de bon. air et de belle apparence. La bonne température de leur climat et la sobriété dans Haquelle on les élève, me contribuent pas peu à leur beaute CorpOrNe : : ils ne la tieunent pas de leurs pères; car, sans le mélange dont je de ï FA + PAU, À AN PONT OT RTE A dd 220 HISTOIRE NATURELLE | viens de parler, les gens de qualité de Perse seroient les plus laids homimes du monde, puisqu'ils sont originaires de la Tartarie, dont les habitans sont, comme nous l’avons dit, laids, mal faits et grossiers : ils sont ; au contraire, fort polis et ont beaucoup d'esprit; leur imagination est vive, prompte et fertile ;: leur mémoire aisee et féconde:; ils ont beaucoup de disposition pour les sciences et les arts libéraux et mécaniques, ils en ont aussi beaucoup pour les armes; als aiment la gloire, ou la vanité qui en est la fausse image : leur naturel é$t pliant et souple , leur esprit facile et intrigant: ils: sont galans, même voluptueux ; ils aiment le luxe, la dépense , et ils s’y livrent'jusqu’à la prodipalité : aussi n'entendent-ils ni l’éco- nomié ni le commerce *. Ils sont en géuéral assez sobres, et cepen- dant immodérés dans la quantité de fruits qu'ils mangent. Il est fort ordinaire de leur voir manger un 772472 de melons,/c’est-à-dire, douze livres pesant; il y en a même qui en mangent trois ou quatre 77añs : aussi en * Voyez les 7oyages de Chardin ; Amster= dam, 1711; tome Il, page 34. ; DE L'HOMME... ! 221 meurt-il quantité par les excès des fruits. On voit en Perse une grande quantité de belles femmes de toutes couleurs; car les marchands qui les amènent de tous les côtés, choisissent les plus belles. Les blanches viennent de Pologne, de Moscovie, de Cir- cassie, de Géorgie, el des frontières de la grande Tartarie ; les basanées, des terres du grand Mogol et de celles du roi de Golconde et du roi de Visapour; et pour les noires ; elles viennent de la côte de Melinde et de celles de la mer Rouge. Les femmes du peuple ont une singulière superstition : celles qui sont stériles, s’'imaginent que pour devenir fécoudes il faut passer sous les corps merts des criminels qui sont sus- pendus aux fourches patibulaires ; elles croient que le cadavre d’un mâle peut 1n- fluer, même de loin, et rendre une femme capable de faire des enfans. Lorsque: ce re- mède singulier ne leur réussit pas, elles vont chercher les canaux des eaux qui s’é- coulent des bains; elles attendent le temps où il y a dans ces bains un grand nombre d'hommes : alors elles traversent plusieurs fois l’eau qui en sort; et lorsque cela ne 38 »22 HISTOIRE NATURELLE leur réussit pas mieux que la première re= celle, elles se déterminent enfin à avaler la partie: du prépuce qu'on retranche dans la circoncision : c’est le souverain remède contre là stérilité. Les peuples de la Perse, de la Turquie, de FArabie, de l'Égypte et de toute la Bat- barie ,: peuvent être regardés comme une même nation qui, dans le temps de Maho- met et de ses successeurs, s’est extrêmement étendue, a envahi des terrains immenses , et s’est prodigieusement mêlée avec les peuples naturels de tous ces pays. Les Persans , les Turcs, les Maures , se sont policés jusqu’à un certain point; mais les Arabes sont de- meurés pour la plupart dans un état d’indé- pendance-qui suppose le mépris des lois : ils vivent comme les Tariares, sans règle, sans police, et presque sans société; le lar- cin, le rapt, le brigandage , sont autorisés par leurs chefs : ils se font honneur de leurs vices; ils n'ont aucun respect pour la vertn, et de toutes les conventions humaines ils n'ont admis que celles qu'ont produites le fanatisme et la superstition. Ces peuples sont fort endurcis au travail. … : DE L’ HOMME. r 223 ls: accoutument aussi leurs chevaux à la plus grande fatioue ; ils ne leur donnent a,boire et à manger, qu'une senle fois.en vingt- quatre heures : aussi ces chevaux, sout-1ls très-maiores; mais en même teinps ils sout très-prompts à la course, et, pour.ainsi-dire, : infatigables. Les Arabes, pour da plupart, vivent misérablement ;. ils n’ont ni pain ni vin ;-ils ne prennent pas la peine de culti- ver.la terre: au lieu de pain, ils se nour- rissent de quelques graines sauvages qu’ils _détrempent et pétrissent avec le lait de leur bétail. Is ont des troupeaux de cha- meaux:, de moutons et de chèvres, qu'ils ménent paitre çà et là dans.les lieux où ils trouvent ;de d'herbe ; ils y plantenut leurs tentes qui sont faites de-poil de chèvre, et ils y demeurent avec leurs fenimes et leurs enfans, jusqu’à ce que l’herbe soit mangée, après quoi ils décampent pour aller en cher-. cher ailleurs. Avec une manière de vivre aussi dure et-une nourriture aussi simple, les Arabes ne-daissent pas d’être très-robustes «eb très-forts:; ils sont même d’une assez grande:taille et assez bien faits :anais ils ont ke visage et le corps brûlés de l’ardeur du LA (# . I MAR LE QN PT ORNE A AE at "4 ' L 1 224 HISTOTRE NATURELLE ÿ ÿ _ soleil ; car la plupart vont tout’ nuds, ou ne portent qu'une mauvaise chemise. Ceux des côtes de l'Arabie heuréusé et de l’île de So cotora sont plus petits; ils ont lé teiré cou: leur de cendre ou fort basané; et ils! res: semblent pour la forme aux Abissins. -Les Arabes sont dans l'usage de se faire appli- quer une couleur bleue foncée aux bras, aux lèvres et aux parties les plus apparentes ‘di corps; ils mettent cette couleur: par petits points, et la font pénétrer dans la chair avec une aiguille faite exprès : la marque en est ineffaçable. Cette coutume singulière se trouve chez les nègres qui ont eu commerce avec les Mahométans. Chez les Arabes qui demtéraht: dans les déserts sur les frontières de Tremecen et de Tunis, les filles, pour paroître plus belles, se font des chiffres de couleur bleue sur tout le corps avec la pointe d'une lancette et du vitriol, et les Africaines en font autant à leur exemple, mais non pas celles'qui demeurent dans les villes, car elles conservent la même ‘blancheur de visage avec laquelle elles sont venues au monde: quelques unes seulement se peignent une petite fleur ou qüelque autre } Fr DE L'HOMME. 225 chose aux joues, au front ou au menton, avec de la fumée de noix de galle et du safran; ce qui rend la marque fort noire :'elles se noircissent aussi les sourcils !. La Boulaye dit que les femmes des Arabes du désert ont les mains, les lèvres et le menton, peints de bleu; que la plupart ont des anneaux d'or ou d'argent au nez, de trois pouces de dia- mètre ; qu'elles sont assez laides, parce qu'elles sont perpétuellement au soleil, mais qu'elles naissent blanches ; que les jeunes filles sont très-agréables ; qu’elles chantent sans cesse, et que leur chant n’est pas triste comme celui des Turques ou des Persanes, mais qu'il est bien plus etrange, parce qu’elles poussent leur haleine de toute leur force, et qu’elles articulent extrème- ment vite *. | « Les princesses et les dames arabes, dit un autre voyageur, qu'on m'a montrées par le coin d’une tente, m'ont paru fort belles et bien faites : on peut juger par celles-ci et 1 Voyez l’ Afrique de Marmol, tome 1 page 68. 2 Voyages de la Boulaye-le-Gouz, page 318. ..: MR LAON | até FH 226 HISTOIRE NATURELLE par ce qu'on m'en a dit, que les autres we le sont guère moins; elles sont blanches ; parce qu'elles sont toujours à couvert du. . soleil. Les femmes du commun sont extré- mement hâlées : outre la couleur brune et basanée qu'elles ont naturellement, je les ai trouvées fort laides dans toute leur figure, et je n’ai rien vu en elles que les agremens ordinaires qui accompagnent une grande jeunesse. Ces femmes se piquent les lèvres avec des aiguilles, et mettent par-dessus de la poudre à canon mêlée avec du fiel de bœuf qui pénètre la peau et les rend bleues et livides pour tout le reste de leur vie; elles font de petits points de la même façon aux coins de Jeur bouche, aux côtes du menton et sur les joués ; elles noircissent le bord de leurs paupières ‘d’une! poudre noire composée avec de la tutie, et tirent une ligne de ce noir au dehors du coin de l'œil pour le faire paroître plus fendu ; car, en général, la principale beauté des femmes de l'Orient est d’avoir de grands yeux noirs, bien ouverts et relevés à fleur de tête. Les Arabes expriment la beauté d’une femme en disant-qu'elle a les yeux d'une gazelle : DE L'HOMME. : 227 toutes leurs chansons amoureuses ne parlent que des yeux noirs et des yeux de gazelle, et c'est à cet animal qu'ils comparent tou- jours leurs maitresses. Effectivement il n’y a rien de si joli que ces gazelles ; on voit sur- tout en elles une certaine crainte innocente qui ressemble fort à la pudeur et à la timidité d’une jeune fille. Les dames et les nouvelles mariées noircissent leurs sourcils et les font joindre sur le milieu du front; elles se piquent aussi les bras et les mains, formant plusieurs sortes de figures d'animaux, de ileurs, etc.; elles se peignent les ongles d’une couleur rougeätre, et les hommes peignent aussi de la même couleur les crins et la queue de leurs chevaux; elles ont les oreilles percées en plusieurs endroits avec aulant de petites boucles et d’anneaux ; elles a des bracelets aux bras et aux jambes * Au reste, tous les Arabes sont jaloux de leurs femmes; et quoiqu’ils les achètent on qu'ils les enlèvent , ils les traitent avec dou- _ceur, et même avec quelque respect. * Joyage fait par ordre du rot dans la Pa lestine, par M. D. L. R., page 260. 223 HISTOIRE NATURELLE Les Égyptiens, qui sont si voisins des Arabes, qui ont la même religion , et qui sont, comime eux, soumis à la domination des Turcs, ont cependant des coutumes fort différentes de celles des Arabes : par exemple, dans toutes les villes et villages le long du Nil on trouve des filles destinées aux plaisirs des voyageurs , sans qu'ils soient obligés de les payer ; c’est l'usage d’avoir des maisons d'hospitalite toujours remplies de ces filles, et les gens riches se font en mourant un devoir de piété de fonder ces maisons et de les peupler de filles qu’ils font acheter dans cette vue charitable. Lorsqu’elles accouchent d'un garçon, elles sont obligees de l’élever jusqu’à l’âge de trois ou quatre ans; après quoi elles le portent au patron de Ja maison ou à ses heriliers, qui sont obligés de rece- voir l'enfant, et qui s’en servent dans la suite comme d’un esclave : mais les petites filles restent toujours avec leur mère , et servent ensuite à les remplacer. Les Égyp- tienues sont fort brunes; elles ont les yeux vifs; leur taille est au-dessous de la médiocre, la manière dont elles sont vêtues n'est point du tout agréable, et leur conversation est DE L'HOMME 229 Fort ennuyeuse. Au reste, elles font beaucoup d'enfans, et quelques voyageurs prétendent que la fécondité occasionnée par l’inonda- tion du Nil ne se borne pas à la terre seule, mais qu'elle s'étend aux hommes et aux ani- maux : ils disent qu'on voit par une expé- rience qui ne s’est jamais démentie, que les eaux nouvelles rendent les femmes fécondes, soit qu’elles en boivent, soit qu’elles se con- tentent de s’y baigner; que c’est dans les premiers mois qui suivent l’inondation, c'est-à-dire, aux mois de juillet et d'août, qu'elles conçoivent ordinairement, et que les enfans viennent au monde dans les mois d'avril et de mai; qu’à l’ésard des animaux, les vaches portent presque toujours deux veaux à La fois, les brebis deux agneaux, etc. On ne sait pas trop comment concilier ce que nous venons de dire de ces bénignes influences du Nil, avec les maladies fà- cheuses qu'il produit; car M. Granger dif que l’air de l'Égypte est mal-sain, que les maladies des yeux y sont très-fréquentes, et si difficiles à guérir que presque tous ceux qui eu sont attaqués perdent la vue, qu'il x a plus d’aveugles en Égypte qu'en aucun | | 20 _ 230 HISTOIRE NATURELLE | autre pays , et que dans le temps de la crué du Nil la plupart des habitans sont attaqués ‘ Î de dyssenteries opiniätres, causées par les eaux de ce fleuve, qui dans ce Éuobiet dit là sont fort chargées de sels. R Quoique les femmes soient communément assez petites en Égypte , les hommes sout ordinairement de haute taille. Les uns et les autres sont, généralement parlant, decouleur olivâtre; et plus on s'éloigne du Caire en remontant, plus les habitans sont basanés , jusque-là que ceux qui sont aux confins de Ja Nubie sont presque aussi noirs que les Nubiens mêmes. Les défauts les plus naturels aux Égyptiens sont l’oisiveté et la poltron- nerie ; ils ne font presque autre chose tout le jour que boire du café, fumer, dormir, ou demeurer oisifs en une place, ou causer dans les rues. Îls sont fort ignorans, et ce- pendant pleins d’une vanité ridicule. Les Coptes eux-mêmes ne sont pas exemptsde ces vices; et quoiqu’ils ne puissent pas nier qu'ils n'aient perdu leur noblesse, les, sciènces, l'exercice des armes , leur propre histoire ef leur langne même, et que d’une nation 1l- lustre et vaillante 1ls ne soient devenus un DE L'HOMME. 231 peuple vil et esclave, leur orguerl va néan- moins jusqu'à mépriser les autres rations, et à s’offlenser lorsqu'on leur propose de faire voyager leurs enfans en Europe pour y être élevés dans les sciences et dans Les arts. Les nations nombreuses qui habitent les côtes de la Méditerranée depuis l'Ésypte jusqu’à l’Océan, et toute la profondeur des terres de Barbarie jusqu’au mont Atlas et au-delà , sont des peuples de différente ori- sine ; les naturels du pays, les Arabes , les : Vandales, les Espagnols, et plus ancienne- ment les Romains et les Égyptiens, ont peu- plé cette contrée d'hommes assez différens entre eux. Par exemple ; les habitans des montagnes d'Auress ont un air et une phy- sionomie différente de celle de leurs voisins : leur teint , loin d’être basané, est au con- traire blancet vermeil , et leurs cheveux sont ‘d’un jaune fonce ; au lieu que les cheveux de tous les autres. sont noirs ; ce qui, selon M. Shaw, peut faire croire que ces hommes blonds descendent des Vandales ; qui, après avoir été chassés, trouvèrent moyen de se rétablir dans quelques endroits de ces mon- tapgues, Les femmes du royaume de Tripoli LR NAN RTE _232 HISTOIRE NATURELLE ne ressemblent point aux Égyptiennes , dont elles sont voisines ; elles sont grandes, et elles font même consister la beauté à avoir la taille excessivement longue : elles se font, comine les femmes arabes, des piqüres sur le visage, principalement aux joues et au menton ; elles estiment beaucoupies cheveux roux, comme en Turquie, et elles font même peindre en vermillon les cheveux de . leurs enfans. p En général, les femmes maures affectent toutes de porter les cheveux longs jusque sur les talons ; celles qui n’out pas beaucoup de cheveux , ou qui ne les ont pas si longs que les autres, en portent de postiches, et toutes les tressent avec des rubans : elles se tergnent le poil des paupières avec de la poudre de mine de plomb ; elles trouvent que la cou- leur sombre que cela donne aux yeux est une beauté singulière. Cette coutumecest fort ancienne et assez générale , puisque : les femmes grecques et romaines se brunissoient les yeux comme les femmes de l'Orient *. La plupart des femmes maures passeroient * Voyages de D1. Shaw, tome 1°, ‘page 362, DE L'HOMME." ! 233 pour bellés, même en ce pays-ci ; leurs en- fans ont le plus beau teint du monde, et le eorps fort blanc : il'est vrai que les garçons -qui'sont exposés au soleil, brunissent bien tôt ; mais les filles qui se tiennent à la mai- son , conservent leur beauté jusqu’à l’âge de trente ans qu’elles cessent communément d’avoir des enfans : en récompense elles en ont souvent à onze ans, et se trouvent quel- quefois grand’'mères à vingt-deux; et comme elles vivent aussi long-temps que les femmes européennes , elles voient ordinairement plusieurs générations*. | On peut remarquer en lisant la descrip- tion de ces différens peuples dans Marmol, que les habitans des montagnes de la Barba- rie sont blancs, au lieu que les habitans des côtes de la mer et des plaines sont basanés et trés-bruns. Il dit expressément que les habi- tans de Capez, ville du royaume de Tunis sur la Méditerranée , sont de pauvres gens fort noirs; que ceux qui habitent le long de la rivière de Dara dans la province d’Escure au royaume de Maroc, sont fort basanés ; * Voyages de M. Shaw, iome [°*, page 395. He | 20 »34 HISTOIRE NATURELLE qu’au contraire les habitans de Zarhou et des montagnes de Fez du côte ‘du mont Atlas, sont fort blancs ; et il ajoute que ces derniers sont si peu sensibles au froid, qu’au miliew des neiges et des glaces de cés montagnes } ils s’habillent très-lésèrement ,et vont tête aue toute: l’année. Et à l'égard des habitans de la Numidie, il dit qu’ils sont plutôt basa- nés que noirs, que les femmes y sont même assez blanches et ont beaucoupd’emthonpoint; quoique les hommes: soieut maigres; mais que les habitans du Guaden , dans le foud de la Numidie, sur les frontières du Sénégal; sont plutôt noirs que basanés, au lieu que dans la province de Dara les femmes sont belles , fraiches , et que par-tout il y a une grande quantité d'esclaves Re: de l’un et de l’autre sexe. Tous les peuples qui habitent entre le 20e et le 30° ou le 35° degré de latitude nord dans l’ancien continent, depuis l'empire du Mogol jusqu’en Barbarie, et même depuis le Gange jusqu'aux côtes occidentales du royaume de Maroc, ne sont donc pas fort différens les uns des autres, si l’on exceple les variétés particulières occasionnées par le ” LU'DE L'HOMME. 233 m élange d’autres peuplesplusseptentrionaux qui ont conquis ou peuplé quelqués unes de ces vastes contrées. Cette étendue de terre sous'les mèmes parallèles est d'environ deux malle lieues. Les hommes en général y sont bruns et basanes: mais ils sonten même temps assez beaux et assez bien faits. Sr nous exa= minons maintenant ceux qui habitent sous un. climat plus tempéré ; noustrouverons que les habitaus des provinces septentrio- nales du Mogol et de la Perse, les Armé- niens, les Tures , les Géorgiens, les Min- gréliens , les Circassiens, les Grecs et tous les peuples de l'Europe, sont les hommes les plus beaux, les plus blancs et les mieux faits de toute la terre, et que quoiqu'il y ait fort loin de Cachemire en Espagne, ou de la Cireassie à la France, il ne laisse pas d'y avoir une singulière ressemblance entre ces peuples si éloignés les uns ‘des autres, mais situés à peu près à une égale distance de l’é- quateur. Les Cachemiriens, dit Bernier, sont renommés pour la beauté; ils sont aussi bien faits que les Européens, etne tiennent en rien du visage tartare ; ils n'ont point ce nez écaché et ces petits yeux de cochon qu'on 236 HISTOIRE NATURELLE trouve chez leurs voisins ::les femmes sur- tout sont très-belles ; aussi la plupart des étrangers nouveau-venus à la cour du Mo- gol se fournissent de femmes cachemiriennes, afin d’avoir des enfans qui soient plus blancs que les Indiens, et qui puissentaussi passer pour vrais Mogols. Le sang de Georgie est encore plus beau que celui de Cachemire ; om ne trouve pas un laid visage dans ce pays, et {a Nature a répandu sur la plupart des femmes des graces qu'on ne voit pas ailleurs. Elles sont grandes, bien faites, extrêmement dé- liées à la ceinture ; elles ont le visage char- mant. Les hommes sont aussi fort beaux; ils ont naturellement de l'esprit, et ils seroient capables des sciences et des arts : mais leur mauvaise éducation les rend très-isgnorans et très-vicieux , et il n’y a peut-être aucun pays dans le monde où le libertinage et l'i- vrognerie soient à un si haut point qu’en Géorgie. Chardin dit que les gens d'église , comme les autres, s’enivrent très-souvent et tiennent chez eux de belles esclaves dont ils font des concubines; que personne n’en est scandalisé, parce que la coutume en est gé- nérale et même autorisée; et il ajoute que le | \} DE L'HOMME. 237 préfet des Capucins lui a assuré avoir oui dire au catholicos (on appelle ainsi le pa- triarche de Géorgie ) que celui qui aux grandes fêtes, comme Pâques et Noël, ne s’enivre pas entièrement, ne passe pas pour chrétien et doit être excomimunié, Avec tous ces vices, les Géorgiens ne laissent pas d’être civils, humains, graves et modérés; ils ne se mettent que très-rarement en co— ère, quoiqu’ils soient ennemis irréconci- liables lorsqu'ils ont conçu de la haine contre quelqu'un. ; | Les femmes, dit Struys, sont aussi foré belles et fort blanches en Circassie, et elles: out le plus beau teint et les plus belles cou- leurs du monde; leur front est grandet uni, et, sans le secours de l’art , elles ont si peu de sourcils, qu'on diroit que ce n’est qu'un filet de soie recourbé. Elles ont les yeux grands , doux et pleins de feu, le nez bien fait, les lèvres vermeilles, la bouche riante et petite, et le menton comme il doit être pour achever un parfait ovale. Elles ont le cou et la gorge parfaitement bien faits, la peau blanche comme neige, la taille grande et aisée, les cheveux du plus beau noir. Elles L86 @ COR RP OR an 4 1 CE ef toi à 11 k ANA RE CN LEA ed A DRE ENS À k LOU Hu t» NEA TE M AE RE Nas £ \ 233 HISTOIRE NATURELLE portent un petit bonnet d’étoffe noire , SUt lequel est attaché-un bourrelet de même cou- leur : mais ce qu’il y a de ridicule, c'est que les veuves portent à la place de ce bourrelet une vessie de bæœufou de vache desplusenflées,. ce qui les défigure merveilleusement. L'été, les femmes du peuple ne portent qu’une simple chemise qui est ordinairement bleue, jaune ou rouge, et cette chemise est ouverte jusqu’à mi-corps. Elles ont le sein parfaite- ment bien fait. Elles sont assez libres avec les étrangers, mais cependant fidèles à leurs maris, qui n’en sont point jaloux *. Tavernier dit aussi que les femmes de la Comanie et de la Circassie sont ,. comme celles de Géorgie, très-belles et très - bien faites ; qu’elles paroissent toujours fraîches jusqu'à l’âge de quarante-ciñq ou cinquante ans; qu elles sout toutes fort laborieuses ; et qu'elles s'occupent souvent des travaux les plus pénibles. Ces peuples ont conserve la plus grande liberté dans le mariage; car:s’il arrive que le mari ne soit pas content de sa femme et qu’il s’en plaigne le: premier , le seigueur du lieu envoie prendre:la femme et * Joyages de Struys, tome IT, page To. ‘DE L'HOMME 239 la fait vendre , et en donne une autre à l'homme qui s’en plaint ; et de même si la femme se plaint la première, on la laisse libre et on lui ôte son mari. Les Mingréliens sont, au rapport des voya- geurs, tout aussi beaux et aussi bien faits que les Géorgiens ou les Circassiens, et il semble que ces trois peuples ne fassent qu’une seule et même race d'hommes. «Il ya en Mingrélie, dit Chardin, des femmes merveilleusement bien faites, d’un air majestueux, de visage et de taille admi- rables ; elles ont outre cela un regard enga- seaut qui caresse tous ceux qui les regardent. Les moins belles et celles qui sont ägées, se fardent grossièrement, el se peignent tout le visage, sourcils, joues, front, nez, men- ton : les autres se contentent de se peindre les sourcils ; elles se parent le plus qu'elles peuvent. Leur habit est semblable à celui des Persanes ; elles portent un voile qui ne couvre que le dessus et le derrière de la tête, Elles ont de l'esprit; elles sont civiles et af- fectueuses , mais en même temps très-per- fides , et il n’v a point de méchanceté qu’elles: € RU CRE EPS ESS 240 HISTOIRE NATURELLE ne mettent en usage pour sefaire desamans ,' pour les conserver ou pour les perdre. Les hommes ont aussi bien de mauvaises quali- tés : ils sont tous élevés au larcin ; ils l’étu- dient ; is en font leur emploi, leur plaisir et leur honneur : ils content avec une sa- tisfaction extrême les vols qu’ils ont faits; ils en sont loués, ils en tirent leur plus grande gloire. L’assassinat , le vol , le men- songe, c'est ce qu'ils appellent de belles actions. Le concubinage, la bigamie, l’in- ceste, sont des habitudes vertueuses en Min- grélie : l’on s’y enlève les femmes les uns aux autres; on y prend sans scrupule sa tante , sa nièce, la tante de sa femme; on épouse deux ou trois femmes à la fois, et chacun entretient autant de concubines qu’il veut. Les maris sont très-peu jaloux; et quand un homme prend sa femme sur le fait avec son galant, il a droit de le con- traindre à payer un cochon, et d'ordinaire il ne prend bas d'autre vengeance; le cochon se mange entre eux trois. [ls prétendent que c’est une très-bonne et très-louable coufume d’avoir plusieurs femmes et plusieurs con-# cubiues, parce qu'on engendre beaucoup é Des j DE L'HOMME. 24r d’enfans qu'on vend argent comptant , ou qu’on. échange pour des hardes ou pour des vivres. » Au reste, ces esclaves ne sont pas fort chers: car les hommes âgés depuis vingt- cinq ans jusqu’à quarante ne coûtent que quinze écus; ceux qui sont plus âgés, huit ou dix; les belles filles d’entre treize et dix- hyitans, vingt écus, les autres moins ; les femmes , douze écus; et les enfans, trois ou quatre *. Les Turcs, qui achètent un très-srand nombre de ces esclaves , sont un peuple composé de plusieurs autres peuples ; les Arméniens, les Géorgiens, les Turcomans, se sont mêlés avec les Arabes, les Égyptiens ! et mème avec les Européens dans le temps des croisades. Il n’est donc guère possible de reconnoître les habitans naturels de l'Asie mineure , de la Syrie et du reste de la Fur quie ; tout ce qu’on peut dire, c'est qu'en général les Turcs sont des hommes robustes et assez bien faits : il est même assez rare de trouver parmi eux des bossus et des boiteux. j ù * Voyages de Chardin, page . L € 4 nu 1 1. Sn Le \ L'LUR N'OMER TE Ru JR ù {| , 242 HISTOIRE NATURELLE Les femmes sont aussi ordinairement belles, bien faites et sans défauts : elles sont fort blanches, parce qu’elles sortent peu , et que quand elles sortent, elles sont toujours voi- lées. «Il n'y a femme de laboureur ou depaysan en ÂÀsie, dit Belon , qui n'ait le teint frais comme une rose, la peau délicate et blanche, si polie et si bien tendue, qu'il semble tou- cher du velours. Elles se servent de terre de Chio qu’elles détrempent pour en faire une espèce d'onguent dont elles se frottent tout le corps en entrant au bain, aussi-bien que le visage et les cheveux. Elles se peignent aussi les sourcils en noir, d’autres se les font abattre avec du rusma et se font de faux sourcils avec de la teinture noire ; elles les font en forme d’arc et élevés en croissant. Cela est beau à voir de loin, mais laid lors- qu'on regarde de près. Cet usage est pour- tant de toute ancienneté » *. Ilajoute queles Turcs, hommes etfemmes, ne portent de poil en aucune partie du corps, ons * Voyez les Observations de Pierre Belon; Paris, 1953; page 100. { DE L'HOMME. 243 excepté les cheveux et la barbe ; qu ils se servent du rusma pour l'ôter; qu’ils mêlent moitié autant de chaux vive qu'il y a de rusma , et qu'ils détrempent le tout dans de l’eau ; qu’en entrant dans le bain on applique cette pommade , qu’on la laisse sur la peau à peu près autant de temps qu’il en faut pour cuire un œuf. Dès que l’on commence à suer dans ce bain chaud, le poil tombe de lui= même en le lavant seulement d’eau chaude avec la main, et la peau demeure lisse et polie , sans aucun vestige de poil!. Il dit encore qu'il y a en Égypte un petit arbris- seau nommé a/canna, dont les feuilles des- séchées et mises en poudre servent à teindre en jaune; les femmes de toute la Furquie s’en servent pour se teindre les mains, les pieds et les cheveux, en couleur jaune ou rouge ; ils teignent aussÿde la même couleur les cheveux des petits enfans, tant mâles que femelles , et les crins de leurs chevaux *. Les femmes turques se mettent de la tutie brûlée et préparée dans les yeux pour les rendre plus noirs ; elles se servent pour cela 1 Observations de Pierre Belon, page 198. ? 7 page 136. 4 VON ATOME PEETCENNE TS 244 HISTOIRE NATURELLE d’un petit poinçon d’or où d’argent qu’elles mouillent de leur salive pour prendre cette poudre noire et la faire passer doucement entre leurs paupières et leurs prunelles. Elles se baignent aussi très-souvent ; elles se par- fument tous Les jours, et il n’y a rien qu’elles ne mettent en usage pour conserver ou pour augmenter leur beauté. On prétend cepen- dant que les Persanes se recherchent encore plus sur la propreté que les Turques. Les hommes sont aussi de différens goûts sur la . beauté ;. les Persans veulent des brunes » et les Turcs des rousses. On a prétendu que les Juifs, qui tous sortent originairement de la Syrie et de la Palestine, ont encore aujourd’hui le teint brun comme ils l’avoient autrefois : mais, comme le remarque fort bien Misson, c’est une erreur de dire que tous les Juifs sont basanés ; cela n’est vrai que des Juifs portu- gais. Ces gens-là se mariant toujours les uns avec les autres, les enfans ressemblent à leurs père et mère, et leur teint brun se per- pétue aussi , avec peu de diminution, par- tout où ils habitent, mème dans les pays du Nord ; mais les Juifs allemands, comme, L 4 DE L'HOMME. 245 par exemple, ceux de Prague, n’ont pas le teint plus basané que tous les autres Aile mands. Aujourd'hui les habitans de la Judée res- semblent aux autres Turcs ; seulement 1ls sont plus bruns que ceux de Constantinople ou des côtes de la mer Noire, comme les Arabes sont aussi plus bruns que les Syriens, parce qu'ils sont plus méridionaux. Il en est de même chez lies Grecs : ceux _ de la partie septentrionale de la Grèce sont fort blancs; ceux des îles ou des provinces méridionales sont bruns. Genérälement par- lant, les femmes grecques sont encore plus belles et plus vives que les turques , et elles ont de plus l'avantage d’une beaucoup plus grande liberté. Gemelli Carreri dit que les femmes de l’ile de Chio sont blanches, belles, vives, et fort familières avec les hommes; que les filles voient les étrangers fort librement, et que toutes ont la gorge entièrement décou- verte. Il ditausi que les femmes grecques ont les plus beaux cheveux du monde, sur-tou£ dans le voisinage de Constantinople; mais il remarque que ces femmes, dont les che- veux descendent jusqu'aux talons, n’ont 21 24 HISTOIRE NATURELLE | pas les traits aussi réguliers que les autres Grecques. 2 3 Les Grecs regardent comme une.très-. grande beauté dans lés femmes,, d'avoir de grands et de gros yeux, et, les. sourcils fort, élevés, et ils veulent que les hommes les, aient encore plus gros et plus grands. On peut remarquer dans tous Les bustes antiques, les médailles , etc. des anciens, Grees, que, les yeux sont d'une grandeur excessive en comparaison de celle des yeux dans les bustés: et les médailles romaines. | Les habitans des îles de l'Archipel sont presque tous grands nageurs et très-bons plongeurs. Thévenot dit qu’ils s'exercent à tirer les éponges du fond de la mer, et même les hardes et les marchandises des vaisseaux qui se perdent, et que dans l’île de Samos on ne marie pas les sarçons qu’ils ne puissent plonger sous l’eau à huit brasses au moins; Daper dit vingt brasses, et il ajoute que dans quelques iles, comme dans celle de Nicarie, ils ont une coutume assez bizarre, qui est de se parler de loin , sur-tout à la campagne , et que ces insulaires ont Ia voix si forte, qu'ils se parlent ordinairement d'un * DE L'HOMME. 247 quart de lieue, et souvent d’une lieue ; en sorte que la conversation est coupée par de grands intervalles , la réponse n’arrivant que plusieurs secondes après la question. Les Grecs, les Napolitains, les Siciliens, les habitans de Corse, de Sardaigne .et.les Espagnols ; étant situés à peu prés sous le même parallèle, sont assez semblables pour “RE teint. Tous ces peuples sont plus basanes que les François , les Anglois, les Alle- mands , les Polonois , les Moldaves, les Circassiens, et tous les autres habitans du Nord de l’Europe jusqu’en Lapponie, où, comme nous l'avons dit au commencement, on trouve une autre espèce d'hommes. Lors- qu'on fait le voyage d'Espagne , on com- mence à s’'appercevoir, dès Bayonne, de la différence de couleur : les femmes ont leteint un peu plus brun ; elles ont aussi les yeux plus briilans. Les Espagnols sont maigres et assez petits; ils ont la taille fine, la tête belle, les traits réculiers, les yeux beaux, les dents assez bien rangées : mais ils ont le teint jaune et basané. Les petits enfans naissent fort blancs etsont fort beaux ; mais en grandissant , leur , Ze \ ‘ 248 HISTOIRE NATURELLE teint change d’une manière surprenante : l'air les jaunit, le soleil les brûle , et iVest aisé de réconnoître un Espagnol de toutes les autres nations européennes. On a remar- qué que dans quelques provinces d'Espagne comnie aux environs de la rivière de Bidas- soa , les habitans ont les oreilles d’une grau- deur démesurée. Les hommes à cheveux noirs ou bruns commencent à être rares en Angleterre , CR Flandre, en Hollande, et dans les provinces septentrionales de l'Allemagne ; on n’en trouve presque point en Danemarck, en Suède, en Pologne. Selon M. Linnæus, les Goths sont de haute taille ; ils ont les che- veux lisses, blond argenté, et l'iris de l'œil bleuâtre : GoftAi corpore proceriore, capillis : albidis rectis, oculorum iridibus cinereo-cæ- rulescentibus. Les Finnois ont le corps mus- culeux et charnu, les cheveux blond jaune et longs , l'iris de l’œil jaune foncé : Fezno- nes corpore foroso, capillis flavis prolixis, oculorum iridibus fuscis. Les femmes sont fort fécondes en Suède ; Rudbeck dit qu'elles y font ordinairement huit , dix ou douze enfans ; et qu'il n'est pas DE L'HOMME. 249 rare qu’elles en fassent dix-huit, vingt, vingt- quatre, vingt-huit et jusqu'à trente. Il dit de plus qu'il s'y trouve souvent des hommes qui passent cent ans, que quelques uns vivent jusqu’à cent quarante ans, et qu'il y en a. méme eu deux dont l’un a vécu cent cin- quante-six , et l’autre cent soixante-un ans =! mais il est vrai que cet auteur est un enthou- siaste au sujet de sa patrie, et que, selon lui, la Suëde est, à tous égards, le premier pays du monde. Cette fécondité dans les femmes ne suppose pas qu’elles aient plus de penchant à l'amour: les hommes même sont beaucoup plus chastes dans les pays froids que dans les climats méridionaux. On est moinsamou- reux en Suède qu’en Espagne ou en Portu- gal , et cependant les femmes y font beau- coup plus d’enfans. Tout le monde sait que les nations du Nord ont inondé toute l'Eu- rope, au point que les historiens ont appelé. le Nord, officina gentiurn. L'auteur des 7’oyages dns de l’Eu- rope dit aussi, comme Rudbeck, que. les hommes vivent ordinairement en Suède plus long-temps que dans la plupart des autres royaumes de l'Europe, et qu’il en a vu plu- - 250 HISTOIRE NATURELLE . sieurs qu’on lui assuroit avoir plus de cent cinquante ans. Il attribue cette longue durée de la vie des Suédois à la salubrité de l'air de ce climat. 11 dit à peu près la même chose du Danemarck : selon lui, les Danois sont srands et robustes, d’un teint vif et coloré, et ils viveni fort lono-temps à cause de la pureté de l'air qu'ils respirent. Les femmes sont : aussi fort blanches, assez bien faites, et très- fécondes. R Avant le czar Pierre I, les Moscovites étoient , dit-on, encore presque barbares; le: peuple, ne dans l'esclavage, étoit grossier, : brutal, cruel, sans courage et sans mœurs. {ls se baignoieut très-souvent hommes et femmes pêle-:mêle dans des étuves échauffees à un degre de chaleur insoutenable pour tout autre que pour eux; ils alloient ensuite, comme les Lappons, se jeter dans l’eau froide au sortir de ces bains chauds. Ils se nourris- soient fort mal; leurs mets favoris n’étoient que des concombres ou des melons d’Astra- can , qu'ils mettoienut pendant l'été confire avec de l’eau, de la farine et du sel. Ils se privoient de quelques viandes, comme de pigeons ou de veau , par des scrupules ridi- DE L'HOMME. : 25€ cules. Cependant, dès ce temps-là même , les femmes savoient se mettre du rouge, s’arra- cher les sourcils, se les peindre ou s’en for- mer d’artificiels ; elles savoient aussi porter des pierreries, parer leurs coiffures de perles, se vêtir d’étoffes riches et précieuses. Ceci ne prouve-t-il pas que la barbarie commençoit à finir, et que leur souverain n'a pas eu autant de peine à les policer que quelques auteurs ont voulu l’insinuer? Ce peuple est aujourd'hui civilisé, commerçant, curieux des arts et des sciences, aimant les spectacles et les nouveautés ingénieuses. Il ne sufhit pas d'un grand homme pour faire ces change- mens ; il faut encore que ce grand homme naisse à propos. Quelques auteurs ont dit que l’air de Mos- covie est si bon, qu'il n’y a jamais eu de peste : cependant les annales du pays rap- portent qu'en 1421, et pendant les six an- nées suivantes, la Moscovie fut tellement affligée de maladies contagieuses , que la constitution des habitans et de leurs descen— dans en fut altérée , peu d'hommes depuis ce temps arrivant à l’âge de cent ans, au lieu qu'auparavant 1l y en avoit beaucoup us alloient au-delà de ce terme. 252 HISTOIRE NATURELLE Les Iugriens et les Caréliens , qui habitent les proviuces septentrionales de la Moscovie, et qui sont les naturels du pays des environs de Pétersbourg, sont des hommes vigoureux et d’une constitution robuste ; ils ont pour la plupart les cheveux blancs ou blonds. Ils ressemblent assez aux Finnois, et ils parlent la même langue, qui n’a aucun rapportavec toutes les autres langues du Nord. En réfléchissant sur la description histo- rique que nous venons de faire de tous les peuples de l’Europe et de l'Asie, il paroît que la couleur dépend beaucoup du climat, sans cependant qu'on puisse dire qu’elle en dépend entièrement. Il y a en effet plusieurs causes qui doivent influer sur la couleur et même sur la forme du corps et des traits des différens peuples : l’une des principales est la nourriture , et nous examinerons dans la suite les changemens qu’elle peut occasion- ner ; uveautre, qui ne laisse pas de produire son effet, sont les mœurs ou la manière de vivre. Un peuple policé qui vit dans une cer- taine aisance, qui est accoutumé à une vie réglée , douce et trauquille, qui, par les soins d’un bon gouvernement, est à l'abri DE L'HOMME. 253 d'une certaine misère, et ne peut manquer des choses de premiére necessité, sera, par cette seule raison, composé d'hommes plus forts, plus beaux et mieux faits qu’une na- tion sauvage et independante , où chaque iudividu, ne liraut aucun secours de la so- ciete, est obligé de pourvoir à sa subsistance , de souffrir aiternativement la faim ou les excès d’une nourriture souvent mauvaise , de s’épuiser de travaux ou de lassitude, d'é= prouver les risueurs du climat sans pouvoir s’en garantir, d'agir en un mot plus souvent comme animal que comme homme. En sup= posaut ces deux différens peuples sous un méme climat, on peut croire que les hommes de la nation sauvage seroient plus basanés, plus laids, plus petits, plus ridés, que ceux de la nation policée. S'ils avoient quelque avantage sur ceux-ci, cé seroit par la force ou plutôt par la dureté de leur corps: ïl pourroit se faire aussi qu'il y eût dans cette nation sauvage beaucoup moins de bossus , de boiteux, de sourds, de louches , etc. Ces hommes défectueux vivent et même se mul- tiplient dans une union pelicée où l’on se supporte les uns les autres, ou le fort ne Mat, gén, XXI. 22 254 HISTOIRE NATURELLE peut rien contre le foible, où les qualités du. corps font beaucoup moins que celles de l’es- prit; mais, dans un peuple sauvage, comme chaque individu ne”subsiste, ne vil, ne se defend que par ses qualites corporelles, son adresse et sa force, ceux qui sont malheu- reusement nes foibles, défectueux , ou qui deviennent incommodés, cessent bientôt de faire partie de la nation. J'admettrois donc trois causes , qui toutes trois concourent à produire les variétés que nous remarquons dans les diflérens peuples de la terre : la première est l'influence du chimat; la seconde, qui tient beaucoup à la première, est la nourriture; et la troisième, qui tient peut-être encore plus à la première et à la seconde, sont les mœurs. Mais avant que d'exposer les raisons sur lesquelles nous croyons devoir fonder cette opinion, il est nécessaire de donner la description des peu- ples de l'Afrique et de l'Amérique, comme nous avons donne celle des autres peuples de la terre. Nous avons déja parlé des nations de toute la partie septentrionale de l'Afrique; depuis la mer Méditerranée jusqu’au tropique; tous ; DE L'HOMME. 259 ceux qui sont au-delà du tropique, depuis la mer Rouge jusqu’à l'Océan, sur une lar- geur d'environ centouceut cinquante lieues, sont encore des espêces de Maures, mais si basanés qu'ils paroissent presque tout noirs: leshommessur-toutsontextrémement bruns; les femmes sont un peu plus blanches, bien faites et assez belles. Il y a parmi ces Maures une grande quantité de mulatres qni sont encore plus noirs qu'eux , parce qu'ils ont pour mères des Néoresses que les Maures achètent , et desquelles ils ne laissent pas d’avoir beaucoup d’enfans. Au-dela de cette étendue de terrain , sous le 17° ou 18° de- oré de latitude nord, et au même paraklèle, on trouve les Nègres du Senegal et ceux de la Nubie , les uns sur la mer Océane, et les autres sur la mer Ronge; et ensuite tous les autres peuples de l'Afrique qui hab'teut de- puis ce 18° degre de latitude nord jusqu’au 13° degré de latitude sud . sont noirs, à l'exception des Ethiopiens ou Abissins. Il paroît donc que la portion du globe qui est départie par la Nature à cette race d'hommes, est une etenduede terrain parallèle à l’equa- teur, d'environ neul cents lieues de largeur 2 4 256 HISTOIRE NATURELLE sur une longueur bien plus grande, sur-tout au nord de l'équateur; et au-delà des 18 ou 20 degrés de latitude sud, les hommes ne sont plus des Nègres , comme nous le dirons en parlant des Caffres et des Hotten- tois. | Ou a été long-temps dans l’erreur au sujet de la couleur et des traits du visage des Éthio- piens, parce qu'on les a confondus avec les Nubiens leurs voisins, qui sort cependant d'une race differente. Marmol dit que les Éthio piens sont absolument noirs, qu'ils ont le visage large et le nez plat; les voyageurs hollandois disent la même chose: cependant la vérité est qu'ils sont différens des Nubiens par la couleur et par les traits./La couleur naturelle des Éthiopiens est brune ou oli- vâitre, conime celle des Arabes meridionaux, desquels ils ont probablement tire leur ori- gine. Ils ont la taille haute, les traits du vi- sage bien marques, les yeux beaux et bien fendus, le nez bien fait, les lèvres petites et les dents blanches, au lieu que les habitans de la Nubie ont lenezecrasé, Les lèvres grosses et épaisses, et le visage fort noir. Ces Nu bieus, aussi-bien que Les Barbarins leurs voi DE L'HOMME. 257 sins du côté de l’occident, sont des espèces de Negres, assez Semblables à ceux du Sé- négal. Les Ethiopiens sont un peuple à demi po- lice ; leurs vêtemens sont de toile de coton, et les plus riches en ont de soie. Leurs mai- sons sont basses et mal bâties ; leurs terres sont fort mal cultivées, parce que les nobles meprisent, maltraitent et dépouillent, autant qu'ils le peuvent, les bourgeois et les sens du peuple : ils demeurent cependaut séparément les uns des autres dans des bourgades ou des hameaux différens, la noblesse dans les uns, la bourgeoisie dans les autres, et les sens du peuple encore dans d’autres endroits. Ils mauquent de sel, et ils l’achètent au poids de l'or. Ils aiment assez la viande erue: et dans les festins , le second service, qu’ils regardent comme le plus delicat, est en effet de viandes crues. Ils ne boivent point devin, quoiqu'ils aient des vignes ; leur boisson ordinaire est faite avec des tamarins, et a un goût aigrelet. Ils se servent de chevaux pour voyager, et de mulets pour porter leurs mar- chaundises. Ils ont très-peu de connoissance des sciences et des arts ; car leur langue n’a 22 ; LAON RPM LES MATTER / \ ï { À 1 L 253 HISTOIRE NATURELLE aucune règle, et leur mânière d’ecrire esb trés-peu perfectionunée : il leur faut plusieurs jours pour écrire une lettre, quoique leurs caractères soleut plus beaux que ceux des Ârabes. [ls ont une manière singulière de saluer; ils se prennent la main droite les uns aux autres et se la portent mutuellement à la bouche : ils prennent aussi l'écharpe de celui qu'ils saluent, et ils se l’attachent au- tour du corps, de sorte que ceux qu'on salue demeurent à moitié nuds; car la plupart ne portent que cette echarpe avec un caleçon de coton. ) Où trouve dans la relation du voyage autour du monde, de l'amiral Drack, un fait qui, quoique très-extraordinaire, ne me paroit pas incroyable. Il ya, dit ce voya- seur, sur les frontières des déserts de l'Éthio- pie, un peuple qu'on a appelé Zcridophages, ou zangeurs de sauterelles. Ils sont noirs, maigres , très-lésers à la course, et plus petits que les autres. Au priutemps, certains vents chauds qui viennent de l'occident, leur amènent un nombre infini de sauterelles. Comme ils n’ont ni bétail ni poisson, ils sont-réduits à vivre de ces sauterelles, qu'ils * : DE L'HOMME. 259 ramassent en grande quantité; ils les sau- poudrent de sel et ils les gardent pour se nourrir pendant toute l’année. Cette mau- vaise nourriture produit deux effets singu- liers : le premier est qu'ils vivent à peine jusqu'à l'age de quarante ans; et le second , c'est que lorsqu'ils approchent de cet âge, 1l s’ensendre daus leur chair des insectes ailés qui d'abord leur causent une demangeaison vive, et se multiplient en si grand nombre, qu'en très-peu de temps toute leur chair en fourmiile. Ils commencent par leur manger le ventre, ensuite la poitrine, et Les rongent jusqu'aux os, en sorte que tous ces honimes qui ne se nourrissent que d'insectes, sont à leur tour mansés par des insectes. _ Si ce fait étoit bien avéré, il fourniroit matière à d’amples réflexions. Il y a de vastes déserts de sable en Éthio- pie, et dans cette grande pointe de terre qui s'étend jusqu'au cap Gardafu. Ce pays, qu'on peut regarder comme la partie orientale de l'Éthiopie, est presque entièrement inhabité. Au midi, l'Éthiopie est bornée par les Bé- douins et par quelques autres peuples qui suivent la lei mahomeétane; ce qui preuve 269 HISTOIRE NATURELLE encore que les Eihiopiens sont originaires d'Arabie : ils n’en sont en effet séparés que par le détroit de Babel-Mandel: Il est dônc assez probable que les Arabes auront autre- fois envahi l'Éthiopie , et qu'ils en auront chassé les naturels du pays, qui auront eté forcés de se retirer vers le nord dans la Nubie. Ces Arabes se sont même étendus le long de la côte de Mélinde; car Les habitans de cette côte ne sont que basanés, et ils sont Mahometans de religion. Hs ne sont pas non ‘plus tout-à-fait noirs dans le Zanguebar ; la plupart parlent arabe et sont vêtus de toile de coton. Ce pays , d’ailleurs, quoique dans la zone torride, n’est pas excessivement chaud ; cependant les naturels ont les che- veux noirs el crépus comme les Nègres : on trouve même sur toute cette côte, aussi-bien qu'a Mozambique et à Madagascar, quel- ques hommes blancs, qui sont, à ce qu'on prétend, Chinois d’origine , et qui s y sont habitues dans le temps que les Chinois voya- geoient dans toutes les mers de l'Orient, comme les Européens y voyagent aujour- d'hui. Quoi qu'il en soit de cette opinion, qui me paroit hasardée, il est certain que les DE L'HOMME. 261 naturels de cette côte orientale de l'Afrique sont noirs d’origine, et que les hommes basanés ou blancs qu’on y trouve, viennent d’ailleurs. Mais pour se former une idée juste des différences qui se trouvent entre ces peuples noirs, il est nécessaire de les exa- miner plus particulièrement. Il paroît d’abord, en rassemblant les 1e- moignages des voyageurs, qu’il y a autant de variété dans la race des noirs que dans celle des blancs ; les noirs ont, comme les : blancs, leurs Tartares et leurs Circassiens. Ceux de Guinée sont extrémement laids et ont une odeur insupportable ; ceux de Sofala et de Mozambique sont beaux, et n’ont au- cune mauvaise odeur. Îl est donc necessaire de diviser les noirs en différentes races , et il me semble qu'on peut les réduire à deux principales, celle des Nègres et celle des Caffres. Dans la première, je comprends les noirs de Nubie, du Senégal, du cap Verd, de Gambie, de Serra-Liona , de la côte des Dents, de la côte d'Or, de celle de Juda, de Bénin , de Gabon, de Lowango, de Conso, d’Angola et de Benguela, jusqu’au cap Nègre. Dans la seconde, je mets les peuples qui sont 262 HISTOIRE NATURELLE au-delà du cap Nègre jusqu'à la pointe de l'Afrique , Où ils prennent le nom de Æorten- toits, et aussi Lous les peuples de la côte orien- tale de l'Afrique , comme ceux de la terre de Natal, de Sofala, de Monomotapa, de Mo- zambique, de Mélinde ; les noirs de Mada- gascar et des îles voisines seront aussi des Caffres, et non pas des Nègres. Ces deux espèces d'hommes noirs se ressemblent plus par la couleur que par les traits du visage ; leurs cheveux, leur peau, l'odeur de leur corps, leurs mœurs el leur naturel, sont aussi très-différens. Ensuite , en examinant en particulier les différens peuples qui composent chacune de ces races noires, nous y verrons autant de variétés que dans les races blanches, et nous y trouverons toutes les nuances du brun au noir , comme nous avons trouve dans les races blanches toutes les nuauces du brun au blanc. Commençons donc par les pays quisontau nord du Senégal, et, en suivant toutes les côtes de l'Afrique, considérons tous les dif- férenus peuples que les voyageurs ont recon- nus, et desquels ils ont donné quelque des- \ | DE L'HOMME. 263 cription. D'abord il est certain que les natu- rels des îles Canaries ne sont pas des Nègres, puisque les voyageurs assurent que les an- ciens habilans de ces îles étoient bien faits, d’une belle taille, d’une forte complexion ; que les femmes étoient belles et avoient les cheveux fort beaux et fort fins, et que ceux qui habitoient la partie méridionale de cha- cune de ces iles, étoient plus olivätres que ceux qui demeuroient dans la partie septen- trionale. Duret, page 72 de la relation de son voyage à Lima , nous apprend que les anciens habitans de l’ile de Ténérifle étoient une nation robuste et de haute taille, mais maigre et basanee ; que la plupart avoient le mez plat. Ces peuples, comme l’on voit, n'ont rien de commun avec les Neègres , si ce n'est le nez plat. Ceux qui habitent dans le continent de l'Afrique à la même hauteur de ces iles, sont des Maures assez basanés, mais qui appartiennent, aussi-bien que ces insulaires , à la race des blancs. ; Les habitans du cap Blanc sont encore des Maures qui suivent la loi mahométane. Ils ne demeurent pas long-temps dans un même lieu ; ils sont errans, comme les Arabes , de PRE 264 HISTOIRE NATURELLE place en place, selon les pâturages qu'ils y trouveut pour leur betail, dont le lait leur sert de nourriture. Ils out des chevaux , des chameaux , des bœufs, des chèvres, des moutons. [ls commercent avec les Nègres, qui leur donnent huit ou dix esclaves pour un cheval, et deux ou trois pour un cha- meau. C'est de ces Maures que nous tirons la gomme arabique ; ils en font dissoudre dans le lait dont ils se nourriésent. Ils ne mangent que très-rarement de la viande, et ils ne tuent guère leurs bestiaux que quand ils les voient près de mourir de Vite ou de maladie. Ces Maures s'étendent jusqu'à la rivière du Sénégal, qui les sépare d’avec les Nèores. Les Maures, comme nous venons de le dire, ue sont que basaués; ils habitent au nord du fleuve : les Nègres sont au midi, et sont absolument noirs. Les Maures sont er- raus dans la campagne ; les Nègres sont sé— dentaires et habitent dans des villages. Les premiers sont libres et independans ; les seconds ont des rois qui les tyrannisent, et dont ils sont esclaves. Les Maures sont assez petits, maigres et de mauvaise mine, avec DE L'HOMME. 265 de l'esprit et de la finesse; les Nègres, au contraire, sont grands, gros, bien faits, mais niais et sans génie. Enfin le pays habité par les Maures n’est que du sable si stérile, qu'on n'y trouve de la verdure qu’en très- peu d’endroits; au lieu que le pays des Nègres est gras, fécond en pâturages, en millet et en arbres toujours verds, qui, à la vérité, ne portent presque aucun fruit bon à manger. On trouve en quelques endroits, au nord et au midi du fleuve , une espèce d'hommes qu'on appelle Foules, qui semble faire la nuance entre les Maures et les Nègres, et qui pourroient bien n'être que des mulâtres pro- duits par le mélange des deux nations. Ces Foules ne sont pas tout-à-fait noirs comme les Nègres ; mais ils sont bien plus bruns que les Maures, et tiennent le milieu entre les deux : ils sont aussi plus civilisés que les Nègres. Ils suivent la loi de Mahomet comme les Maures, et reçoivent assez bien les étran- gers. | Les îles du cap Verd sont de même toutes peuplées de mulätres venus des premiers Portugais qui sy établirent, et des Nègres qu'ils y trouvèrent; on les appelle Nègres 28 266 HISTOIRE NATURELLE couleur de cuivre, parce qu’en effet , quoi qu'ils ressemblent assez aux Nègres par les traits, ils sont cependant moins noirs, ou plutôt ils sont jaunäâtres. Au reste, ils sont bien faits et spirituels , mais fort paresseux ; ils ne vivent, pour ainsi dire, que de chasse et de pêche : ils dressent leurs chiens à chas- ser et à prendre les chèvres sauvages. [ls font part de leurs femmes et de leurs filles aux étrangers , pour peu quils veuillent les payer ; ils donnent aussi pour des épingles ou d’autres choses de pareille valeur, de fort beaux perroquets, très-faciles a apprivoiser, de belles coquilles appelées porcelaines, et même de l’ambre gris, etc. . \ A Les premiers Nègres qu’on trouve sont donc ceux qui habitent le bord méridional du Sénégal. Ces peuplés, aussi-bieu que ceux qui occupent toutes les terres comprises entre cette rivière et celle de Gambie, s'appellent Jalofes. Is sont tous fort noirs, bien pro- porlionnés , et d’une taille assez avanta- seuse : les traits de leur visage sont moins durs que ceux des autres Nègres; il y en a, sur-tout des femmes, qui ont des traits. ort réguliers. Ils ont aussi les mêmes idées DE L'HOMME. 267 que nous de la beauté: car ils veulent de beaux yeux, une petite bouche, des lèvres proportionnées , et un nez bien fait: il n'ya que sur le fond du tableau qu'ils pensent différemment ; il faut que la couleur soit --très-noire et trés-luisante. [ls ont aussi la peau très-fine et très-donce, et il y a parmi eux d'aussi belles femmes, à la couleur près, que dans aucun autre pays du moude. Eiles sont ordinairement très- bien faites, très- gaies , très - vives el très -portees à l'amour : elles ont du goût pour tous les hommes , et particulièrement pour les blancs, qu'elles cherchent avec empressement, taut pour se satisfaire que pour en obtenir quelque pré- sent. Leurs maris ne s'opposent point à leur penchant pour les étrangers, et ils n’en sont jaloux que quand elles ontcommerceavec des hommes de leur nation ; ils se batlent même souvent à ce sujet à coups de sabre ou de couteau , au lieu qu'ils offrent souvent aux étrangers leurs femmes , leurs filles ou leurs sœurs, et tiennent à honneur de n’ètre pas refusés. Au reste, ces femmes ont toujours la pipe à la bouche, et leur peau ne laisse pas d’avoir aussi une odeur désagréable lorsc 268 HISTOIRE NATURELLE qu'elles sont échauffees, quoique l’odeur de ces Nègres du Sénégal soit beausoup moins forte que celle des autres Nèsres. Elles ai- . ment beaucoup à sauter et à danser au bruit d’une calebasse, d’un tambour ou d’un chau- dron, Tous les mouvemens de leurs danses sont autant de postures lascives et de gestes indecens. Elles se baignent souvent, et elles se liment les dents pour les rendre plus égales. La plupart des filles, avant que de se marier, se font découper et broder la peau de diflé- rentes figures d'animaux, de fleurs, etc. Les Négresses portent presque toujours leurs petits enfans sur le dos pendant qu'elles travaillent ; quelques voyageurs prétendent que c’est par cette raison que les Nègres ont communément le ventre gros et lenezappla- ti : la mère, en se haussant et baissant par secousses, fait donner du nez contre son dos à l'enfant, qui, pour éviter le coup, seretire en arrière autant qu'il le peut, en avançant le ventre. Ils ont tous les cheveux noirs et crépus comme de la laine frisée : c'est aussi par les cheveux et par la couleur qu’ils dif- fèrent principalement des autres hommes ; car leurs traits ne sont peut-être pas si dif DE L'HOMME. 269 Yérens de ceux des Européens que le visage tartare l’est du visage françois. Le P. du Tertre dit expressément que si presque tous les Nègres sont camus, c’est parce que les pères et mères écrasent le nez à leurs enfans, qu'ils leur pressent aussi les lèvres pour les rendre plus grosses, et que ceux auxquels on ne fait ni l’une ni l’autre de ces opéra- tions , ont les traits du visage aussi beaux, Je nez aussi élevé et les lèvres aussi minces que les Européens. Cependant ceci ne doit s'entendre que des Nègres du Sénégal, qui sont de tous les Nègres les plus beaux et Les mieux faits, et il paroît que dans presque tous les autres peuples nègres, les grosses Jèvres et le nez large et épaté sont des traits donnés par la Nature, qui ont servide mo- dèle à l’art qui est chez eux en usage d'appla- tir le nez et de grossir les lèvres à ceux qui sont nés avec cette perfection de moins. Les Négresses sont fort fécondes et ac- couchent avec beaucoup de facilité et sans aucun secours; les suites de leurs couches ne sont point fàächeuses, et il ne leur faut qu’un jour ou deux de repos pour se rétablir. Elles sont frès-bonnes nourrices, et elles ont une 95 { 275 HISTOIRE NATURELLE très-grande tendresse pour leurs enfans ;elles sont aussi beaucoup plus spirituelles et plus adroites que les hommes ; elles cherchent mème à se donuer des verlus , comme celles de là discrétion et de la tempérance. Le P. du Jaric dit que, pour s accoutumer à manger el parler peu, les Négresses Jalofes prennent de l’eau le matin, et la tiennent dans leur bouche pendant tout le temps qu'elles s’occu- pent à leurs affaires domestiques, et qu'elles ne la rejettent que quand l'heure du premier repas est arrivee. Les Nègres de l’île de Gorée et.de la côte du cap Vérd sont , comme ceux du bord du Se- négal, bien faits et très-noirs ; ils font un si grand cas de leur couleur, qui esten effetid’un noir d’ebène profond etéclatant, qu’ils mépris sent les autres Nèores qui nesont pas si noirs, comme les blancs méprisent les basanés. Quoiqu'ils soient forts et robustes , ils sont très-paresseux. [ls n’ont point de blé, point de vin, point de fruits ; ils ne vivent que de poisson et de millet : ils ne mangent que très-rarement de la viande; et quoiqu’ils aient fort peu de mets à choisir , ils ne veulent point manger d'herbes , et ils comparent les DE L'HOMME: 7x Europeens aux chevaux, parce qu’ils man- gent de l’herbe. Au reste , 1ls aiment pas- sionnément l’eau-de-vie, dont ils s’enivrent souvent. Ils vendent leurs enfans, leurs pa- rens , et quelquefoisilssevendenteux-mêmes pour en avoir. [ls vont presque nuds; leur vêtement ne consiste que dans une toile de coton qui les couvre depuis la ceinture jus- qu'au milieu de la cuisse : c'est tout ce que la chaleur du pays leur permet, disent-ils, de porter sur eux. La mauvaise chère qu'ils fout, et la pauvreté dans laquelle ils vivent, ne les empêchent pas d’être contens et très- sais. [ls croient que leur pays est le meilleur et le plus beau climat de la terre, qu'ils sont eux-mêmes les plus beaux hommes de l’uni- vers, parce au’ils sont les plus noirs; et si leurs femmes ne marquoient pas du goût pour les blancs, ils en feroient fort peu de cas à cause de leur couleur. Quoique les Nègres de Serra-Liona nesoient pas tout-à-fait aussi noirs que ceux du Séne- gal, ils ne sont cependant pas, comme le dit Struys (tome I‘, page 22}, d’une couleur roussätre et basanée ; 1ls sont, comme ceux de Guinée, d'un noir un peu moins foncé 272 HISTOIRE NATURELLE que les premiers. Ce qui a pu tromper c® voyageur, c'est que ces Nègres de Serra-Liona et de Guinée se peignent souvent tout le corps de rouge et d’autres couleurs; ils se peignent aussi le tour des yeux de blanc, de jaune, de rouge, et se font des marques et des raies de différentes couleurs sur levisage: ils se font aussi les uns et les autres déchi- queter la peau pour y imprimer des figures de bêtes ou de plantes. Les femmes sont en-; core plus débauchées que celles du Sénégal ; il y en a un trés-grand nombre qui sont pu- bliques, et cela ne les déshonore en aucuue façon. Ces Nègres, hommes et femmes, vont toujours la tète découverte ; ils se rasent ou se coupent les cheveux, qui sont fort courts, de plusieurs manières differentes. Ils portent des pendans d'oreilles qui pèsent jusqu’à trois ou quatre onces : ces pendans d'oreilles sont des dents, des coquilles, des cornes , des morceaux de bois , etc. Il y en a aussi qui se fout percer la lèvre supérieure ou les narines pour y suspendre de pareils ornemens. Leur vêtement consiste en une espèce de tablier fait d’écorce d'arbre, et quelques peaux de singe qu’ils portent par-dessus ce tablier ; ils RE SE sd DE L'HOMME. 273 attachent à ces peaux des sonnaïlles sem- blables à celles que portent nos mulets. [ls couchentsur des nattesde jonc, etils mangent du poisson ou de la viande lorsqu'ils peuvent en avoir ; mais leur principale nourriture Sout des ignames ou des bananes. Ils n’ont aucun goût que celui des femmes, et aucun desir que celui de ne rien faire. Leurs maï- sons ne sont que de misérables chaumières ; ils demeurent très- souvent dans des lieux sauvages et dans des terres stériles, tandis qu'il ne tiendroit qu’à eux d’habiter de beiles Vallées , des collines agreables et couvertes d'arbres, et des campagnes vertes, fertiles, et entrecoupees de rivières et de ruisseaux agréables : mais tout cela ne leur fait aucun plaisir; ils ont la mêine indifférence presque sur tout. Les chemins qui conduisent d’un lieu à un autre, sont ordinairement deux fois plus longs qu'il ne faut : ils ne cherchent point à les rendre plus courts; et quoiqu’on leur en indique les moyens, ils ne pensent jamais à passer par le plus court; ils suivent machinalement le chemin battu ; et se sou— cient si peu de perdre ou d'employer leux temps, qu'ils ne le mesurent jamais. 274 HISTOIRE NATURELLE Quoique les Nègres de Guinée soient d’une santé ferme et très-bonne , rarement arri- vent-ils cependant à une certaine vieillesse : un Nègre de cinquante ans est dans son pays. un homme fort vieux ; ils paroissent l'être dès l’âge de quarante. L'usage prémature des femmes est peut-être la cause de la briéveté de leur vie : les enfans sont si débauchés et st peu contraints par les pères et mères , que dès leur plus teudre jeunesse ils se livrent à tout ce que la Nature leur suggère; rien n’est si rare que de trouver dans ce peuple quel- que fille qui puisse se souvenir du temps auquel elle a cessé d'être vierge. Les habitans de l’île Saint-Thomas, de. l'île d'Anabon, etc. sont des Nègres sein blables à ceux du continent voisin ; ils y sout seulement en bien plus petit nombre, parce que les Européens les ont chassés et qu'ils n’ont gardé que ceux qu'ils ont réduits en esclavage. [ls vont uuds, hommes et fem— mes , à l'exception d’un petit tablier de coton. Mandelslo dit que les Européens qui. se sont habitués ou qui s’habituent actuelle- ment dans cette île de Saint-Thomas, qui n'est qu'a un degré et demi de l'équateur, DE L'HOMME. 279 conservent leur couleur et demeurent blancs jusqu'à la troisième génération , et il sem- ble insinuer qu'après cela ils deviennent noirs : mais il ne me paroit pas que ce chan- gement puisse se faire en aussi peu de temps. * Les Nègres de la côte de Juda et d'Arada sont moins noirs que ceux du Sénégal et de Guinée, et même que ceux de Congo. Ïls aiment beaucoup la chair de chien et la préfèrent à toutes les autres viandes ; ordi- nairement la première pièce de leur festin est un chien rôti. Le goût pour la chair de chien n'est pas particulier aux Nègres : les sauvages de l'Amérique septentrionale et quelques nations tartares ont le même goût; on dit même qu'en Tartarie on châtre les chiens pour les engraisser et les rendre meii- leurs à manger *. Selon Pigafetta , et selon l'auteur du Voyage de Drack, qui paroit avoir copié mot à mot Pigafetta sur cet article, les Nèeres de Congo sont noirs , mais les uns plus que les autres et moins que les Sénégalois : ils ont pour la plupart les cheveux noirs et * Nouveaux voyages aux fes; Paris, 1722: tome IV, page 165, 276 HISTOIRE NATURELLE crépus , mais quelques uns les ont roux: Les hommes sont dé grandeur médiocre : les uns ont les yeux bruns, et les autres couleur de verd de mer ; ils n’ont pas les lèvres si grosses que les autres Nègres, et les traits de leur visage sont assez semblables à ceux des Européens. Ils ont des usages très-singuliers dans cer- taines provinces de Congo: par exemple, lorsque quelqu'un meurt à Lowango , ils placent le cadavre sur une espèce d’amphi- theàtre élevé de six pieds dans la posture d'un homme qui est assis les mains appuyées sur les genoux ; ils l’habillent de ce qu'ils out de plus beau, et ensuite ils allument du { feu devant et derrière Le cadavre : à mesure qu'il se dessèche et que les étotfes s’imbibent, ils Le couvrent d’autres étoffes jusqu’à ce qu'il soit entièrement desséché , après quoi ils le portent en terre avec beaucoup de pompe. Dans celle de Malimba , c’est Ja femme qui auoblit le mari; quand le roi meurt et qu'il ne laisse qu'une fille, elle est maitresse absolue du royaume, pourvu néanmoins qu'elle ait atteint âge nubile. Elle commence par se mettre en marche poux DE L'HOMME. 277 faire le tour de son royaume ; dans tous les bourgs et villages où elle passe, tous les hommes sont obligés, à son arrivée, de se mettre en haie pour la recevoir , et celui d’entre eux qui lui plaît le plus , va passer la nuit avec elle : au retour de son voyage elle fait venir celui de tous dont elle a été le plus satisfaite, et elle l’épouse ; après quoi elle cesse d’avoir aucun pouvoir sur son peuple , toute l'autorité étant dés-lors dé- volue à son mari. J'ai tiré ces faits d’une relation qui m'a été communiquée par M. de la Brosse, qui a écrit les principales choses qu'il à remarquées dans un voyage qu'il fit à la côte d'Angola en 1758. Il ajoute un fait qui n'est pas moins singulier : « Ces Nègres, « dit-il, sont extrèmement vindicatifs : je « vais en donner une preuve convaincante. « Ils envoient à chaque instant à tous nos « comptoirs demander de l’eau-de-vie pour «le roi et pour les principaux du lieu. Un « jour qu’on refusa de leur en donner , on «eut tout lieu de s’en repentir : car tous « les officiers françois et anglois ayant faif « une partie de pêche dans un petit lac qui « est au bord de la mer, et ayant fait tendre 24 28 HISTOIRE NATURELLE « une tente sur le bord du lac pour y manger « leur pêche, comme ils étorent à se divettit GQà la fin du repas, il vint sept à huit « Nègres en palanquius qui etoient les prin- « cipaux de Lowatiso , qui leur présentèrent « la main pour les salier selon Ia coutume ‘du pays; ces Nègres avoient frotte léurs « maius avec une herbe qui est un poison « très-subtil , et qui agit dans Vlinstant « lorsque malheureusemeit on touche quel= « que chose où que l’on prend du tabac sans «sêtre auparavant lavé les mains. Ces « Negres reussirent si bien dans leur mau- « vais dessein , qu'il mourut sur-le-champ « cinq capitaines et trois chirurgiens, du « nombre desquels étoit mon capitaine, etc. » Lorsque ces Neègres de Congo sentent de la douleur à la tète ou dans quelque autre partie du corps , ils fout une féoère blessure à l'endroit douloureux, et ils appliquent sur cette blessure une espèce de petite corne percée, au moyen de laquelle ils sucent comme avec un chalumeau le sang jusqu'à ce que la douleur soit appaisee. Les Nègres du Sénégal , de Gambie, du cap Verd , d'Angola et de Congo, sont d'un \# ETS 4 ù f À DE L'HOMME. 279 plus beau noir que ceux de la côte de Juda, d’Issieni, d'Arada et des lieux circonvoisins. Is sont tous bien noirs quand 1ls se portent bien : mais leur teint chauge dès qu'ils sont malades ; ils deviennent alors couleur de bistre , ou même couleur de cuivre. On prefere daus nos îles les Nècres d'Angola à ceux du cap Verd pour la force du corps : mais ils sentent si mauvais lorsqu'ils sont échauflés , que l'air des endroits par où ils out passé en est infecté pendant plus d’un quart d'heure. Ceux du cap Verd n'ont pas une odeur si mauvaise à beaucoup près que ceux d’Ansola , et ils ont aussi la peau plus belle et plus noire, le corps mieux fait, les traits du visage moins durs, Je naturel plus doux_et la taille plus avantageuse. Ceux de Guinée sont aussi très-bons pour le tra- vail de la terre et pour les autres gros ou- vrages. Ceux du Séneéoal ne sont pas si forts; mais ils sont plus propres pour le service domestique , et plus capables d'apprendre des métiers. Le P. Charlevoix dit que fes Sénesalois sont de tous les Nègres les mieux faîts , les plus aisés à discipliner et les plus propres au service domestique ; que 280 HISTOIRE NATURELLE les Bambras sont les plus grands , mais qu'ils sont fripons ; que les Aradas sont ceux qui entendent le mieux la culture des terres ; que les Congos sont Les plus petits , qu’ils sont fort habiles pêcheurs, mais qu’ils désertent aisément ; que les Nagos sont les plus humains , les Mondongos les plus cruels; les Mimes les plus résolus, les plus capri- cieux et les plus sujets à se désespérer ; et que les Nëores créoles, de quelque nation qu'ils tirent leur origine, ne tiennent de leurs pères et mères que l'esprit de servitude et la couleur ; qu'ils sont plus spirituels, plus raisonnables , plus adroits , mais plus fainéans et plus libertins que ceux qui sont venus d'Afrique. IL ajoute que tous les Nè- gres de Guinée ont l'esprit extrêèmement borné, qu'il y en a même plusieurs qui paroissent être tout-à-fait stupides, qu'on en voit quine peuvent jamais compter au- delà de trois, que d'eux-mêmes ils ne pen- sent à rien , qu'ils n’ont point de mémoire, que le passé leur est aussi inconnu que l’a- venir; que ceux qui ont de l'esprit font d'assez bonnes plaisanteries et saisissené assez bien le ridicule ; qu'au reste ils sont L DE L'HOMME. |. 285 très-dissimulés et qu’ils mourroient plutôt que de dire leur secret; qu’ils ont commu nément le naturel fort doux ; qu’ils sont humains , dociles , simples , crédules , et même superstitieux ; qu’ils sont assez fidèles, assez braves , et que si on vouloit les disci- pliner et les conduire , on en feroit d'assez bons soldats. Quoique les Nègres aient peu d'esprit, ils ne laissent pas d’avoir beaucoup de senti- ment: ils sont gais ou méiancoliques, labo- rieux ou fainéans, amis on ennemis, selon la manière dont on les traite. Lorsqu'on les nourrit bien et qu'on ne les maltraite' pas, ils sont contens, joyeux, prêts à tout faire, et la satisfaction de leur ame est peinte sur leur visage; mais quand on les traite mal, ils prennent le chagrin fort à cœur, et pe rissent quelquefois de mélancolie. Ils sont donc fort sensibles aux bienfaits et aux outrages, et ils portent une haine mortelle contre ceux qui les ont maltraités. Lors- qu’au contraire ils s’affectiounent à un mai- tre, il n’y a rien qu'ils ne fussent capables de faire pour lui marquer leur zèle et leur \ dévouement. lis sont naturellement compa- 282. HISTOIRE NATURELLE tissans, et même tendres, pour leurs enfans, pour leurs amis, pour leurs compatriotes; ils partageut volontiers le peu qu'ils ont avec ceux qu'ils voient dans le besoin , sans même les connoitre autrement que par leur indigence. [ls ont donc, comme l’on voit, le cœur exceilent ; ils ont le germe de toutes les vertus. Je ne puis écriré leur histoire sans m'attendrir sur leur état : ne sont-ils pas assez malheureux d'être réduits à la serviiude, d’être obligés de toujours tra- vailler sans pouvoir jamais rien acquérir? faut-il encore les excéder, les frapper et les traiter comme des animaux ? L’humanité se révolle contre ces traitemens odieux que l'avidité du gain a mis en usage, et qu’elle reuouvelleroit peut-être tous les jours, st nos lois n'avoient pas mis un frein à la brutalité des maitres, et resserre les limites de la misère de leurs esclaves. On les force de travail ; ou leur épargne la nourriture, même la plus commune. [ls supportent, dit-on, très-aisement la faim pour vivre trois jours, il ne leur faut que-la portion d’un Européen pour un repas ; quelque peu qu’ils mangent et qu'ils dorment, ils sont toujours également 7 DE L'HOMME. 203 durs, également forts au travail. Comment des hommes à qui il reste quelque sentiment d'humanité, peuvent-ilsadopter ces maximes, en faire uu préjugé, et chercher à légitimerx par ces raisons les excès que la soif de l'or leur fait commettre? Mais laissons ces hom- mes durs, et revenons à notre objet. On ne connoît guère les peuples qui ha- bitent les côtes et l’intérieur des terres de l'Afrique depuis le cap Nègre jusqu'au cap des Voltes : ce qui fait une étendue d'environ quatre cents lieues : on sait seulement que ces hommes sont beaucoup moius noirs que les autres Nègres, et ils ressemblent assez aux Hottentois, desquels ils sont voisins du côte du midi. Ces Hottentots, au contraire, sont bien connus, et presque tous les voya- geurs en ont parlé: ce ne sont pas des Nègres, mais des Caffres, qui ne seroient que basanés s'ils ne se noircissoient pas la peau avec des oraisses et des couleurs. M. Kolbe, qui a fait une description si exacte de ces peuples, les regarde cependant comme des Nègres ; il assure qu'ils ont tous les cheveux courts, noirs , frisés et laineux comme ceux des Nèores , et qu'il n’a jamais vu un seul -%84 HISTOIRE NATURELLE Hottentot avec des cheveux longs. Cela seul ne suffit pas, ce mesemble, pour qu’on doive les recarder comme de vrais Nègres. D'abord ils en diffèrent absolument par la couleur: M. Kolbe dit qu'ils sont couleur d'olive ,‘et jamais noirs, quelque peine qu'ils se donnent pour le devenir. Ensuite il me paroiïit assez difficile de prononcer sur leurs cheveux, puisqu'ils ne les peignent nt ne les lavent jamais, qu’ils Les frottent tous les jours d’une très-orande quantité de graisse et de suie mélées ensemble , et qu'il s'y amasse tant de poussière et d’ordure, que, se collant à la longue les uns aux autres, ils ressemblent à la toison d’un mouton noir remplie de crotte. D'ailleurs leur naturel est different de celui des Nèores; ceux-ci aiment la pro- preté, sout sédentaires, et s’accoutument aisément au joug de la servitude : Les Elot- teutots, au contraire, sont de la plus affreuse: mal-propreté; ils sont errans, indépeudans et très-jaloux de leur liberté. Ces différenc s sont, comme l’on voit, plus que suffisantes pour qu'on doive les regarder comme un peuple différent des Nègres que nous avons decrits. DE L'HOMME. 285 \ Gama, qui le premier doubla le cap de Bonne-Espérance et fraya la route des Indes aux nations européennes, arriva à la baie de Sainte-Helène le 4 novembre 1497 : il trouva que les habitans étoient fort noirs, de petite taille et de fort mauvaise mine; mais il ne dit pas qu’ils fussent naturelle- meut noirs comme les Nègres, et sans doute ils ne lui ont paru fort noirs que par la graisse et la suie dont ils se frottent pour tâcher de se rendre tels. Ce voyageur ajoute que l’articulation de leur voix ressembloit à des soupirs, qu’ils étoient vêtus de peaux de bêtes, que leurs armes étoient des hätons durcis au feu , armés par la pointe d’une corne de quelque animal, etc. Ces peuples n'avoient donc aucun des arls en usage chez les Nègres. Les voyageurs hollandois disent que les sauvages qui sont au nord du Cap, sont des hormes plus petits que les Européens ; qu’ils ont le teint roux brun, quelques uns plus roux et d'autres moins; qu’ils sont fort laids, et qu’ils cherchent à se rendre noirs par la couleur qu'ils s'appliquent sur le corps et sur le visage; que leur chevelure est sem- S ORNE A ME a. 74 VA 286 HISTOIRE NATURELLE blable à celle d'un pendu qui a demeuré quelque temps au oibet. lis disent dans um autre endroit que les Hottentots sont de la couleur des mulätres ; qu'ils ont le visage difforme ; qu’ils sont d’uue taille médiocre, maigres et fort lesers à la course; que leur langage est étrangr, et qu'i s glonssent comme des cogs d'Inde, Le père Tachard dit que quoiqu ils aient communément les cheveux presque aussi cotonneux que ceux des Nègres, 1l y en 4 cependant plusieurs qui Les ont plus lonss; et qu'ils les laissent flotter sur leurs épaules : il ajoute même que parmi eux il s'en trouve d'aussi blancs que les Européens, mais qu'ils se noircissent avec de la graisse et de la poudre d'une certaine pierre noire dont ils se frottent le visage et tout le corps; que leurs femimes sont naturellement fort blanches, mais qu'afñn de plaire à leurs maris , elles se noircissent comine -eux. Ovivoton dit que les Hottentots sont plus basanés que les autres Indiens, qu'il n'y a point de penple qui ressemble tant aux Nègres par la couleur et par les traits, que cependant ils ne sont pas si noirs, que leurs cheveux ne sont pas si crépus, ni leur nez si plat. 2 DÉ L'HOMME. 287 Par tous ces témoisnages , il est aisé de voir que les Hottentots ne sont pas de vrais Negres , mais des hommes qui daus la race des noirs commencent à se rapprocher du blanc, comme ies Maures dans la race blanche comtüencent a s'approcher du noir. Ces Hot- tentots sont, an reste, des espèces de sau- vages fort extraordinaires : les femmes sur— tout, qui sont beauconp plus petites que les hommés, ont une espèce d’excroissance ou de peau dure et large qui leur croît au- dessus de l'os pubis, et qui descend jusqu’au milieu des cuisses en forme de tablier. Thé— venot dit la même chose des femmes epyp- tiennes, mais qu'elles ne laissent pas croître celte peau, et qu'elles la brülent avec des fers chauds. Je doute que cela soit aussi vrai des Ésyptiennes que des Hottentotes. Quoi qu'il en soit, toutes les fernmes na- turelles du Cap sout sujettes à cette mons= trucuse difformité , qu’elles découvrent à ceux qui ont assez de curiosité on d'intré- pidité pour demander à la voir ou à la tou- cher. Les hommes, de leur côte, sont tous à demi eunuques; mais il est vrai quils ne naissent pas tels, et qu on leur ôte un tes- 28 HISTOIRE NATURELLE ticule ordinairement à l’âge de huitans, e£ souvent plus tard. M. Kolbe dit avoir vu faire cette opération à un jeune Hottentot de dix-huit aus. Les circonstances dont cette céremounie est accompagnéé sont si singu- lières, que je ne puis m’empêcher de les rapporter ici d'après le témoin oculaire que je vieus de citer. | Après avoir bieu frotté le jeune homme de la graisse des entrailles d'une brebis qu’on vient de tuer exprès, on le couche à terresur le dos ; on Jui lie les mains et les pieds, et Lois ou quatre de ses amis le tiennent : alors Le prêtre (car c’estune cerémonie religieuse), armé d’un couteau bien tranchant, fait une incision , enlève le testicule sauche, et remet à la place une boule de graisse de la même grosseur, qui à été préparée avec quelques herbes médicinales ; 1l coud ensuite la plaie avec l’os d’un petit oiseau qui lui sert d’ai- guille, et un filet de nerf de mouton. Cette opération étant finie, on délie le patient; mais le prêtre, avant que de le quitter, le frotte avec de la graisse toute chaude de la brebis tuée, ou plutôt il lui en arrose tout le corps avec tant d'abondauce, que lorsqu'elle FT & A be ie. à tt Li” NA NUE : x le 2 DE L'HOMME. 269 est refroidie , elle formeune espèce de croûte : il le frotteen même temps si rudement , que le jeune homme, qui ne souffre déja que trop , sue à orosses oouttes et fume comme un chapon qu’on rôtit. Ensuite l'opérateur fait avec ses ongles des sillons dans cette croûte de suif, d’une extrémité du corps à l’autre, et pisse dessus aussi copieusement qu’il le peut ; après quoi il recommence à le frotter encore , et il recouvre avec la graisse les sillons remplis d'urine. Aussitôt chacun. abandonne le patient; on le laisse seul, plus mort que vif : il est obligé de se trainer comme il peut dans une petite hutte qu'on Jui a bâtie exprés tout proche du lieu où s’est faite l'opération ; il y périt, ou il yrecouvre la sautésans qu’on lui donne aucun secours, et sans aucun autre rafraîchissement ou nourriture que la graisse qui lui couvre tout le corps, et qu'il peut lécher s’il le veut. Au bout de deux jours il est ordinairement réta-, bli : alors il peut sortir et se montrer ; et pour prouver qu’il est en effet parfaitement gueri, il se met à courir avec autant de légéreté qu’un cerf. 4 Tous les Hottentots ont le nez fort plat et Mat, gén, XXI. | 29 ; 290 HISTOIRE. NATURELLE _ fort large ; ; ils ne J’auroient codé pas tel si les mères ne se faisoient un devoir de. leur applatir le nez peu de temps après leur LA naissance : elles regardent un nez proémi- nent comme une difformité. Ils ont aussi les lêvres fort grosses, sur-tout la supérieure, les dents fort blanches, les sourcils épais, la tête grosse , le corps maigre, les membres menus, Lis ne vivent guère passé quarante ans ; la mal-propreté dans laquelle ils se e Lu . . 3 . . . plaisent et croupissent, et les viandes infec- tées et corrompues dont ils font leur princi- pale nourriture, sont sans doute les causes qui contribuent le plus au peu de duree de leur vie. Je pourrois m’étendre bien davan- tage sur la description de ce vilain peuple ; mais comme presque tous les voyagéurs en ont écrit fort au long , je me contenterai d'y renvoyer : seulement je ne dois pas passer sous silence un fait rapporté par Tavernier ; c’est que les Hollandois ayant pris une petite fille hottentote peu de temps après sa nais- sance, et l'ayant élevée parmi eux, elle de- vint aussi blanche qu’une Européenne, et il présume que tout ce peuple seroit assez blanc s'il n’étoit pas dans lusage de se * DE L’HOMME. 297 barbouiller continuellement avec des dro- gues noires. En remontant le long de la côte de l'A- frique au-delà du cap de Bonne-Espérance, on trouve [a terre de Natal. Les habitans sont déja différens des Hottentots; ils sont beau- coup moins wal-propres et moins laids : ils sont aussi natutellement plus noirs ; ils ont le visage en ovale, le nez bien proportionné, les dents blanches, la mine agréable, les cheveux naturellement frises : mais ils ont aussi un peu de goût pour la graisse; car ils portent des bonnets faits de suif de bœuf, et ces bonnets ont huit à dix pouces de hau— teur. Ils emploient beaucoup de temps à les- faire ; car il faut pour cela que le smif soi£ bien épuré : ils ne l’appliquent que peu à peu, et le mêlent si bien dans leurs cheveux, qu'il ne se defait jamais. M. Kolbe prétend qu'ils ont le nez plat, même de naissance, et sans qu'on le leur applatisse, et qu'ils diffèrent aûssi des Hottentots en ce qu’ils me bégayent point, qu’ils ne frappent point leur palais de leur langue comme ces derniers, EÈ= , Q Le ° qu'ils ont des maisons, qu’ils cultivent la texre , y sèment une espèce de maïs on blé ae | HISTOIRE NATURELLE ü nt de Turquie, dont ils font de la bière, DÉS son inconnue aux Hottentots. K Après la terre de Natal, on trouve celle de Sofala et du Monomotapa. Selon Pigafetta, les peuples de Sofala sont noirs, mais plus grands et plus gros que les autres Caffres. C’est aux environs de ce royaume de Sofala que cet auteur place les Amazones ; mais, rien n'est plus incertain que ce qu’on a débité sur le sujet de ces femmes guerrières. Ceux du Monomotapa sont, au rapport des voyageurs hollandois , assez grands , bien faits dans leur taille, noirs et-de bonne complexion. Les jeunes filles sont nues et ne portent qu'un morceau de toile de coton ; mais dès qu'ellessont mariées, elles prennent des vêtemens. Ces peuples , quoiqu'assez poirs, sont difflerens des Nègres; ils n'ont pas les traits si durs n1 si laids : leur corps n’a point de mauvaise odeur, et ils ne peuvent supporter la servitude ni le travail. Le P. Charlevoix dit qu’on a vu en Amérique de ces noirs du Monomotapa et de Madagascar, qu'ils n'ont jamais pu servir, et qu’ils y pé- rissent même en fort peu de temps. Ces peuples de Madagascar,et de Mozam- 1 } a, Èz DE L'HOMME. 203 … bique sont noirs, les uns plus, et les autres moins. Ceux de Madagascar ont les cheveux du sommet de la tète moins crépus que ceux de Mozambique. Ni les uns ni les autres ne sont de vrais Nègres ; et quoique ceux de la côte soient fort soumis aux Portugais , CCUX de Pintérieur du continent sont fort sau- vages et jaloux de leur liberté. Ils vont tous absolument nuds, hommes et femmes. Ils se nourrissent de chair d'éléphant et font com- merce de l’ivoire. Il y a des hommes de dif- - férentes espèces à Madagascar, sur- tout des noirs et des blancs qui, quoique fort hasa- nés, semblent être d'une autre race. Les premiers ont les cheveux noirs et crépus ; les seconds les ont moins noirs, moins frisés et plus longs. L'opinion commune des voÿa- geurs est que les blancs tirent leur origine des Chinois : mais, comme le remarque {0rÉ bien François Cauche , il y a plus d'appa- “xence qu'ils sont de race européenne; car il ‘assure que de tous ceux qu'il a vus, aucun m’avoit le nez ni le visage plat comme Les Chinois: IL dit aussi que ces blancs le sont plus que les Castillans , que leurs chevenx. sont longs , et qu’à l'égard des noirs , ils ne : 26 294 HISTOIRE NATURELLE sont pas camus comme ceux du En TE | et qu’ils ont les lèvres assez minces. Il y aussi dans cette ile une grande quantité d'hommes de couleur olivâtre ou basanée : ils proviennent apparemment du mélange des noirs et des blancs. Le voyageur que je viens de citer, dit que ceux de la baiedeSaint-" . Augustin sont basanés ; qu’ils n’ont point de : barbe ; qu'ils ont les cheveux longs et lisses ;- _qu’ils sont de haute taille et bien propor- tionnués ; et enfin qu'ils sont tous circoncis, quoiqu'il y ait grande apparence qu’ils n’ont jamais entendu parler de la loi de Mahomet, puisqu'ils n'ont ni temples , ni mosquées, n1 religion. Les François ont été les premiers quiaieut aborde et fait un établissement dans -cette île, qui ne fut pas soutenu. Lorsqu'ils y descendirent, ils y trouvèrent les hommes blancs dont nous venons de parler, et ils y remarquèrent que les noirs , qu’on doit re- garder comme les uaturels du pays, avoient du respect pour ces blancs. Cette île de Mada- gascar est extrêmement peuplée et fort abon- dante en paturages et en bétail ; Les hommes et les femmes sont fort débauches, et celles. qui s'abandonnent publiquement ne sont pas 4 k DE L'HOMME. 295 déshonorees. Ils aiment tous beaucoup à dan- ser, à chanter et à se divertir ; et quoiqu'ils _ soient fort paresseux, ils ne laissent pas d’a- voir quelque connoissance des arts méca- niques : ils ont des laboureurs, des forge- “rons, des charpentiers, des potiers, et même desorfévres ; ilsn’ont cependantaucune com modité dans leurs maisons, aucun meuble; ils couchent sur des uattes; ils mangent la chair presque crue, et dévorent même le cuir . de leurs bœufs après en avoir fait un peu griller le poil ; ils mangent aussi la cire avec le miel. Les sens du peuple vont presque tout nuds ; les plus riches ont des ni ou des jupons de coton et de soie. Les peuples qui habitent l'intérieur de l'Afrique, ne nous sont pas assez connus pour pouvoir les décrire. Ceux que les Arabes appellent Zirgues, sont des noirs presque sauvages : Marmol dit qu'ils multiplient pro- digieusement , et qu'ils inonderoient tous les pays voisins si de temps en temps il n'y. avoit pas une grande mortalité ppp eux , causée par des vents chauds. Il paroît par tout ce que nous venons de L rapporter, que les Nèores proprement dits \ RU 296 HISTOIRE/NATUREL | sont différens des Caffres, qui sont des noirs d’une autre espèce ; mais ce que ces deserip— tions indiquent encore plus clairement, c’est | que la couleur dépend principalement du climat, et que les traits dépendent beauconp des usages où sont les différens peuples de s’écraser le nez, de se retirer les paupières, de s’alonger les oreilles, de se grossir les lèvres , de s’applatir Le visage, etc. Rien ne prouye mieux combien le climat influe sur la couleur, que de trouver sous le même parallèle, à plus de mille lieues de distance, . des peuples aussi semblables que le sont les Sénégalois et les Nubiens, el de voir que les Hottentots, qui n’ont pu tirer leur origine: que de nations noires, sont cependant les plus blancs de tous ces peuples de l'Afrique, parce qu'en effet ils sont dans le climat le plus froid de cette partie du moude ; et si l’on s'étonne de ce que sur les bords du Séné- gal on trouve d’un côté une nation basanée , et de l’autre côté une nation entièrement noire , on peut se souvenir de ce que nous avons déja insinué au sujet des effets de la nourriture : ils doivent influer sur laxcouleur comme sur les autres habitudes du corps: ef Sy * J ! 4 # \ AN D, OR RUA N° LA DE L'HOMME. 209 si on en veut un exemple, on peut en don- _nerun, tiré des animaux, que tout le monde est en état de vérifier. Les lièvres de plaine et des endroits aquatiques ont la chair bien plus blanche que ceux de montagne et des terrains secs: et dans le même lieu, ceux qui habitent la prairie sont tous différens de ceux qui demeurent sur les collines. La cou- leur de la chair vient de celle du sang et des autres humeurs du corps, sur la qualité desquelles la nourriture doit nécessairement influer. | L'origine des noirs a, dans tous les temps, fait une grande question. Les anciens, qui me connoissoient guère que ceux de Nubie, les regardoient comme faisant la dernière nuance des peuples basanés, et ils les con fondoient avec les Éthiopiens et les autres na- tious de cette partie de l'Afrique, qui, quoi- qu’extrêmement bruns, tiennent plus de la race blanche que dela race noire. Ils pensoient donc que la différente couleur des hommes ne provenoit que de la différence du climat, et que ce.qui produisoit la noirceur de ces peuples , étoit la trop grande ardeur du soleil à laquelle’ils sant perpétuellement exposés, + À rl NT aafs 298 HISTOIRE NATURELLE * Cette opinion, qui est an ; 1e souffert de grandes difficultés lorsqu'on re- connut qu'au-delà de. la Nubie, dans:un climat eucore plus méridional, et sous Pé- UE Le PT, Man | Re JS vu FN tra VO DCE à | b dy 0e) DEA be _quateur même, comme à Mélinde et à Mom- baze, la plupart des hommes ne sont pas noirs comme les Nubiens, mais seulement fort basanés , et lorsqu'on eut observé qu'en transportant des noirs de leur climat brûlant - dans des pays tempérés, ils ont rien perdu de leur couleur , et l’ont également commu niquée à leurs descendans. Mais si L'on fait attention, d’un côté, à la migration des dif- férens peuples , et, de l’autre, au temps qu'il faut peut-être pour noircir ou pour blanchir une race, on verra que tout peut se conci- lier avec le sentiment des anciens; car les habitans naturels de cette partie de l'Afrique sout les Nubienus, qui sont noirs etoriginai- rement noirs, et qui demeureront perpé- tuellement noirs lant qu'ils habiteront le méme climat et qu ‘ils ne se ruéleront pas avec les blancs. Les Éthiopiens, au contraire, les Abissins , et même ceux de Mélinde, qui tirent léur origine des blancs, puisqu'ils onE la mème religion et les mêmes usages que dr Mie, Ge NL: 1 5 DE L'HOMME. 20% les Arabes, et qu'ils leur ressemblent par la couleur , sont, à la vérité, encore plus ba- sanés que les Arabes méridionaux ; mais cela mêmé prouve que, dans une même race d'hommes, le plus ou moins de noir dé- pend de la plus ou moins grande ardeur du climat. Il faut pent-être plusieurs siècles et une succession d’un grand nombre de géne- rations pour qu'une race blanche prenne par nuances la couleur brune, et devienne enfin tout-à-fait noire; mais il y a apparence qu'avec Le temps un peuple blanc, trans- porté du nord à l'équateur ,. pourroit deve- nir brun et mème tout-à-fait noir, sur-tout si ce même peuple changeoit de mœurs et ne se servoit pour nourriture que des pro- ductions du pays chaud dans Lie il auroit été transporte. L'objection ques us faire contre cette opinion et qu’on voudroit tirer de la différence des traits » he me paroit pas bien forte ; car on peut répondre qu’il ya moins de différence entre les traits d'un Nèore qu'on n'aura pas défiguré dans son enfance " les traits d'un Européen, qu'entre ceux d'un Tarlare ou d' un Chinois et ceux d’un 300 HISTOIRE Aa Circassien ou d’un Grec; et à ne a cheveux, leur nature dépend si fort de celle de la peau, qu'on ne doit les regarder que comme faisant une différence très- acciden- telle, puisqu'on trouve dans le même pays et dans la mème ville des hommes qui ; quoique blancs, ne laissent pas d'avoir les cheveux très-différens les uns des autres, au point qu'on trouve même en France des hommes qui les ont aussi courts et aussi crépus que les Nèores , et que d’ailleurs on voit que le climat, le froid et le chaud, in- fluent si fort sur la couleur des cheveux des hommes et du poil des animaux, qu’il n’y a point de cheveux noirs dans les royaumes du Nord, et que les écureuils, les lièvres , les belettes et plusieurs autres animaux y sonE blancs ou presque blancs, tandis qu'ils sont bruns ou gris dans les pays moins froids. Cette différence, qui est produite par l'influence du froid ou du chaud, est même si marquée, , x : que dans la plupartides pays du Nord, comme dans la Suêde, certains antnaux, comme les lièvres, sont tout gris pendant l'été, et tout blancs pendant l'hiver. Mais il y a une autre raison beaucoup plus À | UC UDE L'ÉLOMME! 307 _forte contre cette opinion, et qui d’abord “paroit invincible ; c’est qu'on a découvert ur continuent entier, un nouveau monde, dont la plus grande partie des terres habitées se trouvent situées dans la zone torride, et où cependant il ne se trouve pas un homme noir , tous les habitans de cette partie de la . terre étant plus ou moins rouges , plus ou moins basanés ou couleur de cuivre: car on auroit dû trouver aux îles Antilles, au Mexi- que, au royaume de Santa - Fé, dans la Guiane, dans le pays des Amazones et dans le Pérou, des Nègres, ou du moins des peuples noirs, puisque ces pays de l'Amé- rique sont situés sous la même latitude qué le Sénégal, la Guinée et le pays d’Angola en Afrique ; on auroit dû trouver au Bresil, au Paraguai, au Chili, des hommes semblables aux Caffres, aux Hottentots, si le climat ou la distance du pole étoit la cause de la cou- leur des hommes. Mais avant que d'exposer ce qu'on peut dire sur ce sujet, nous croyons qu'il est nécessaire de considérer tous les dif- férens peuples de l'Amérique, comme nous avons considéré ceux des autres parties du monde ; après quoi nous serons plus en état | 26 HART R ie RS NES PR MN son MT ST 0e me de faire de justes comparaisons, et d' en tirer. des résultats généraux. En commençant par le nord, on tré comme nous l'avons dit, dans les parties les plus: septentrionales de V Amérique, des es pèces de Lappons semblables à ceux d’Eu- rope ou aux Samoïèdes d'Asie: et quoiqu’ils soient peu nombreux en comparaison de ceux-ci, 1ls ne laissent pas d’être répandus dans une étendue de terre fort considérable. Ceux qui habitent les terres du détroit de Davis, sont petits, d’un teint olivâtre ; ils ont les jambes courtes et grosses; ils sont. habiles pêcheurs ; ils mangent leur poisson et leur viande cruds ; leur boisson est de l'eau pure, ou du sang de chien de mer; ils : sont fort robustes et vivent fort long-temps. Voilà, comme lon voit; la figure, la cou= leur et les mœurs des Lappons; et ce qu’il y a de singulier, c’est que, de même qu'on. trouve auprès des Lappons en Europe les Finnois, qui sont blancs, beaux ; assez grands et assez bien faits, on trouve aussi auprès de ces Lappons d'Amérique une autre espèce d'hommes qui sonfgrands, bien faits et assez blaucs, avec Les traits du visage fort ( * Lé RE T HOMME. 303 ie. Les sauvages de la baie d'Hudson - et du nord de la terre de Labrador ne pa- roissent pas être de la même race que les premiers, quoiqu’ils soient laids, petits, _ mal faits; ils ont le visage presque entière- ment couvert de poil, comme les sauvages du pays d’Yeço au nord du Japon. Ils ha- bitent l’été sous des tentes faites de peaux d'orignal ou de caribou*; l'hiver, ils vivent sous terre comme les Lappons et les Sa- moïèdes, et se couchent comme eux tous pêle-mêle sans aucune distinction. Ils vivent aussi fort long-temps , quoiqu’ils ne se nour- yissent que de chair ou de poisson cruds. Les sauvages de Terre-Neuve ressemblent assez à ceux du détroit de Davis ; ils sont de petite _ taille ; ils n’ont que peu ou point de barbe; leur visage est large et plat, leurs yeux gros, et ils sont généralement assez camus. Le voyageur qui en donne cette description, dit qu'ils ressemblent assez bien aux sauvages . du continent septentrional et des environs du Groenland. Au-dessous de ces sauvages qui sont ré- pandus dans les parties les plus septentrio- * C’est le nom qu’on donne au renne en Amérique. Ne. HISTOIRE NATURELLE nales de l Amérique. ; en trouve. d'autres" sauvages plus nombreux, ét tout différens des premiers : ces sauvages sont ceux du Canada et de touie la profondeur des terres jusqu'aux Assiniboïls. Ils sont tous assez grauds, robustes , forts et assez bien faits ; ils ont tous les cheveux et les yeux noirs, les dents très-blanches, le teint basané, peude barbe , et point ou presque point de poil en aucune partie du corps : ils sont durs et infa- tigables à la marche, très-lésers à la course; ‘ils supportent aussi aisément la faim que les plus grands excès de nourriture; ils sont hardis, courageux, fiers, graves et modé® rés ; enfin ils ressemblent si fortaux Tartares orientaux par la couleur de la peau , des cheveux et des yeux, par le peu de barbeet de poil, et aussi par’ le naturel et les mœurs, qu'on les croiroit issus de cette nation, sion ne les regardoit pas comme séparés les uns des autres par une vaste mer. Ils sont aussi sous la même latitude ; ce qui prouve éncore * combien le climat influe sur la couleur et même sur la figure des hommes. En un mot, on trouve dans le nouveau continent, comme daus l’ancien, d’abord des hommes au nord” l RÉ TRS DE L'HOMME. 305 semblablesaux Lappons,et aussi des hommes blancs et à cheveux blonds, semblables aux peuples du nord de l’Europe , ensuite des hommes velus, semblables aux sauvages d’'Yeco , et enfin les sauvages du Canada et de toute la terre ferme, jusqu'au golfe du Mexique, qui ressemblent aux Tartares par tant d’endroits, qu'on ne douteroit pasqu'ils. ne fussent Tartares en effet, si l’on n’étoit embarrasse sur la possibilité de la migration. Cependant, si l’on fait attention au petit nombre d'hommes qu'on a trouve dans cette étendue immense des terres de l'Amérique ‘septentrionale, et qu'aucun de ces hommes n'étoit encore civilisé, on ne pourra guère se refuser à croire que toutes ces nations sauvages ne soient de nouvelles peuplades produites par quelques individus échappés d’un peuple plus nombreux. Il est vrai qu’on prétend que daus l'Amérique septentrionale, en la prenant depuis le nord jusqu'aux îles Lucaies et au Mississipi, il ne reste pas actuellement la vingtième partie du nombre des peuples naturels qui y étoient lorsqu'on en fit la découverte , et que ces nations sau- vages ont été ou détruites ou réduites à un sd 306 HISTOIRE NA NUL UE C4 2 LE Er € UM ou \ce te PAS Fi GUN WI Le ni Hs Py FU AOC MN RENAN ER NU ! ï MN AR Pt f Loan) ï ÿ Er y LR Hu à $ L'y 7 TUBELLE at * : \ * si petit nombre d'hommes, que nous ne de. _vons pas tout-à-fait en juger aujourd'hui comme nous en aurions jugé dans ce temps: mais quand même on accorderoit que l’Amé- rique septentrionale avoit alors vingt fois plus d’habitans qu’il n’en reste aujourd’hui, cela n’empêche pas qu’on ne dût la considé- rer dès-lors comme une terre déserte, ou si ( nouvellement'peuplée, que les hommes n’a- \ voient pas encore eu le temps de s’y multi= plier. M. Fabrÿ, que j'ai cité, et qui a fait un très-long voyage dans la profondeur des ferres au nord-ouest du Mississipi , où.per- sonne n’avoit encore pénétré , et où par cou=" séquent les natious sauvages n’ont pas été détruites, m'a assuré que cètte partie de l'Amérique est si déserte, qu'il a souvent fait cent et deux cents lieues sans trouver une face humaine ni aucun autre vestige qui pût indiquer qu’il y eùt quelque habi- tation voisine des lieux qu’il parcouroit; et lorsqu'il rencontroit quelqes unes de ces habitations , c’étoit toujours à des distances extrèmement grandes les unes desautres , et dans chacuneiln’yavoitsouventqu'uneseule famille, quelquefois deux ou trois, mais ra- æ St Pr. nb jui É) re FAUA DE L'HOMME. 307 rement plus de vingt personnes ensemble, -eb ces vingt personnes étoient éloignées de cent lieues de vingt autres personnes. II est vrai que le long des fleuves et des lacs que l’on a remontés OU SUIVIS , ON à trouvé. des nations sauvages composées d’un bien plus - grand nombre d'hommes, et qu’il en reste encore quelques unes qui ne laissent pas -. d’être assez nombreuses pour inquiéter quel- _quefois les habitans de «nos colonies : mais ces nations les plus nombreuses se réduisent à trois ou quatre mille personnes , et ces trois ou quatre mille personnes sont répandues dans un espace de terrain souvent plus grand que tout le royaume de France; de sorte que je suis persuadé qu'on pourroit avancer, sans craindre de se tromper, que dans une seule ville comme Paris il y a plus _d’hommes qu’il n’y a,de sauvages dans toute cette partie de l'Amérique septentrionale- comprise entre la mer du Nord et la mer du Sud, depuis le golfe du Mexique jusqu’au. Nord , quoique cette étendue de terre soit beaucoup plus grande que toute l'Europe. La multiplication des hommes tient en core plus à la société qu'à la Nature, et les Bo8 HISTOIRE NATURELLE ax, hommes ne sont si nombreux en compas h raison des animaux sauvages , que parce . qu'ils se sont réunis en société, qu'ils se sont aidés, défendus, secourus mutuelle=. ment. Dans cette partie de l'Amérique dont nous venons de parler, les bisons * sont peut- être plus abondans que les hommes : mais de la même façon que le nombre des hommes ne peut augmenter considérablement que par leur réunion en société, c’est le nombre des hommes déja augmenté à un certain point qui produit presque nécessairement la société. IL est donc à présumer que, comme l'on n’a trouvé dans toute cette partie de l'Amérique aucune nation civili- sée , le nombre des hommes y étoit encore trop petit, et leur établissement dans ces contrées trop nouveau, pour qu'ils aient pu sentir la nécessité ou même les avantages de se réunir en société; car quoique ces nations | sauvages eussen£t des espèces de mœurs \ou de coutumes particulières à chacune, et que: les unes fussent plus/ou moins farouches, plus ou moins cruelles, plus ou moins cou-" rageuses , elles étoient toutes également stu- * Espèce de bœufs sauvages différens de nos bouts. Î ÿ/ Fees {: A | DE L'HOMME. 308. pides, également ignorantes, également dé- nuées d'arts et d'industrie. Je ne crois donc pas devoir m étendre beaucoup sur ce qui a rapport aux coutumes de ces nations sauvages : tous les auteurs qui en ont parlé, n’ont pas fait attention que * ce qu'ils nous donnoient pour des usages constans et pour les mœurs d’une société: d'hommes, n’étoit que des actions particu— lières à quelques individus souvent détermi- nés par les circonstances ou par le caprice. Certaines nations, nous disent-ils, mangent leurs ennemis; d’autres les brûülent ; d’autres les mutilent. Les unes sont perpétuellement en guerre; d’autres cherchent à vivre en paix. Chez les unes, on tue son père lorsqu’ik a atteint un certain âge; chez les autres, les pères et mères mangent leurs enfans. Toutes ces histoires sur lesquelles Les voya- geurs se sont étendus avec tant de complai- sance, se réduisent à des récits de faits par- ticuliers , et signifient seulement que tel sauvage a mangé son ennemi, tel autre l’a brülé ou mutilé, tel autre a tué ou mangé son enfant, et tout cela peut se trouver dans une seule nation de sauvages comme dans WEP AUE L'RDPRS SLR NE (1 30 HISTOIRE NATURELLE plusieurs nations; car toute nation où il S a ni règle, ni loi, ni maître, ni société ha- bituelle, est moins une nation qu’un assem= Ë _blage tumultüeux d'hommes barbares et in= dépendans, qui n'obéissent qu'à leurs pas-» sions particulières, et qui, ne pouvant avoir un intérêt commun, sont incapables de se diriger vers un même but et de se‘souméttre à des usages constans, qui tous supposent une suite de desseins raisonnés et nr par le plus grand nombre. Ncre La même nation, dira-t-on, est composée d'hommes qui se reconnoissent, qui parlent la même langue, qui se réunissent, lorsqu'il le faut, sous un chef, qui s’arment de même, qui hurlent de la même façon, qui se bar- bouillent de la même couleur. Oui, si ces usages éloient constans, s'ils ne se réunis- _ soient pas souvent sans savoir pourquoi, s’ils ne se séparoient pas sans raison, si leur chef ne cessoit pas de l'être par son caprice ou par le leur, si leur langue même n’étoit pas si simple qu’elle leur est presque com— mune à tous. Sn Comme ils n’ont qu'un trés-petit nombre d'idées , ils n’ont aussi qu'une très-petite s à { = + L d); j , DE L'HOMME. 81%: quantité d'expressions, qui toutes ne peuvent _ xouler que sur les choses les plus générales et les objets les plus communs; et quand même la plupart de ces expressions seroient différentes, comme elles se réduisent à un fort petit nombre de termes, ils ne peuvent manquer de s'entendre en très-peu de temps, et il doit être plus facile à un sauvage d’en- téndre et de parler toutes les langues des autres sauvages, qu’il ne l’est à un homme d’une nation policée d'apprendre celle d’une autre nation également policée. Autant il est donc inutile de se trop étendre sur les coutumes et les mœurs de ces prétendues nations, autant il seroit peut-être nécessaire d'examiner la nature de l'individu; l’homme sauvage est en effet de tous les animaux Je plus singulier, le moins connu, et le plus difficile à décrire : mais nous disiinguons si peu ce que la Na- ture seule nous a donné, de ce que l’éduca- ton, l’imitation, l’art et l'exemple nous ont communiqué, ou nous le confondons si bien, qu’il ne seroit pas étonnant que nous nous méconnussions totalement au portrait d'un sauvage, s’il nous étoit présenté ayec { 312 HISTOIRE NATURELLE Do Jes vraies couleurs et les seuls traits naturels | qui doivent en faire le caractère. Un sauvage absolument sauvage, tel que Venfant élevé avec les ours, dont parle Co- nor, le jeune homme trouvé dans les forêts d'Hanover, ou la petite fille trouvée dans les bois en France, seroient un spectacle curieux pour un philosophe; 1l pourroit, en observant son sauvage, évaluer au juste la force des appétits de la Nature; il y ver- roit l’ame à découvert, il en distingueroit tous les mouvemens naturels, et peut-être y réconnoitroit-il plus de douceur, de tran-. quillité et de calme que dans la sienne; peut-être verroit-il clairement que la vertu appartient à l’homme sauvage plus qu'à l'homme civilisé, et que le vice n’a pris naissance que dans la société. | Mais. revenons à notre principal objet. J Si l’on n’a rencontré dans toute l'Amérique septentrionale que des sauvages , on a trouvé au Mexique et au Pérou des hommes civi- lisés, des peuples policés, soumis à des lois et gouvernés par des rois : ils avoient de l’industrie, des arts et une espèce de reli-. gion; ils habitoient dans des villes où l’ordre F4 DE L'HOMME. 313 et Ja police étoient maintenus par l'autorité du souverain. Ces peuples , qui d'ailleurs étolent assez nombreux , ne peuvent pas être regardés comime des nations nouvelles ou des hommes provenus de quelques indi- vidus échappés des peuples de l'Europe ou de l'Asie, dont ilssont si éloignés. D'ailleurs, _ si les sauvages de l'Amérique septentrionale ressemblent aux Tartares parce qu'ils son£ situés sous la même latitude, ceux-ci, qui sont , comme les Nèsres, sous la zoue torride, ne leur ressemblent point. Quelle est donc l'origine de ces peuples, et quelle est aussi la vraie cause de la différence de couleur dans les hommes, puisque celle de l’in- Hluence du climat se trouve ici tout-à-fait démentie ? | Avantäque de satisfaire, autant que je le pourrai, à ces questions , il faut continuer notre examen , et donner la description de . ces hommes qui paroissent en effet si diffé- rens de ce qu'ils devroient ètre, si la distance du pole étoit la cause principale de la varieté qui se trouve dans l'espèce humaine. Nous avons déja donné celle des sauvages du Nord et des sauvages du Canada : ceux de la Floride, : 27 À 3r4 HISTOIRE aroReLLe | du Mississipi et des autres parties méridio= 4 _xales du continent de l Amérique septentrio- | nale, sont plus basanés que ceux du Canada, sans cependant qu’on puisse dire qu’ils soient bruns ; l'huile et les couleurs dont ils se frottent le corps, les font paroître plus oli vâtres qu’ils ne le sont en effet. Coréal dit‘ que les femmes de la Floride sont grandes, fortes, et de couleur olivâtre comme les hommes; qu'elles ont les bras, les jambes et le corps peints de plusieurs couleurs qui sont ineffaçables , parce qu’elles ont été imprimées dans les chairs par le moyen de plusieurs piqûres, et que la couleurolivâtre des uns et des autres ne vient pas tant de l'ardeur du soleil que de certaines huiles dont, pour ainsi dire, ils se vernissent la peau : il ajoute que ces femmesgsont fort agiles, qu'elles passent à la nage de grandes rivières en tenant même leur née avec le bras, et qu’elles grimpent avec une pa- reille agilité sur les arbres les plus élevés; tout cela leur est commun avec les femmes sauvages du Canada et des autres contrées de l'Amérique. L'auteur de l’Aistoire ratu- relle et morale des Antilles dit que les Apa- tt ESA DE L'HOMME. 315 lachites , peuples voisins de la Floride, sont des hommes d’une assez grande stature, de couleur olivätre, et bien proportionnés ; qu'ils ont tous les cheveux noirs et longs: et il ajoute que les Caraïbes, ou sauvages des iles Antilles, sortent de ces sauvages de la Floride , ‘et qu’ils se souviennent même par tradition du temps de leur migration. Les naturels des îles Lucaies sont moins basanés que ceux de Saint-Domingue et de l’île de Cube ; mais il reste si peu des uns et dés autres aujourd'hui, qu'on ne peut guère vérifier ce que nous en ont dit les premiérs voyageurs qui ont parlé de ces peuples. Ils ont prétendu qu’ils étoient fort _ nombreux de gouvernés par des espèces de chefs qu’ils appeloient cacigues; qu'ils _avoient aussi des espèces de prêtres, de médecins ou de devins { mais tout cela est assez apocryphe, et 1l:importe d’ailleurs, _ assez peu à notre histoire. Les Caraïbes en ï général ‘sont, selon le P. du Tertre, des ‘ hommes d’une belle taille et de bonne mine. Ils sont puissans , forts et robustes, très- dispos et très-sains. Il y en a plusieurs qui . ont le front plat et le nez applati : mais celte LU 316 HISTOIRE NATURELLE us forme du visage et du nez ne leur est pas naturelle ; ce sont les pères et mères qui db titsen ainsi la tête de l'enfant quelque temps après qu'il est né. Cette espèce de can price qu'ont les sauvages d’altérer la figure. naturelle de la tête, est assez générale dans toutes les nations sauvages. Presquèé tous les Caraïbes ont les yeux noirs et assez petits s mais la disposition de leur front et de leur- visage les fait paroitre assez gros. Ils ont ‘ les dents belles, blanches et bien rangées, : les cheveux longs et lisses , et tous les ont noirs; on n'en a jamais vu un seul avec: des cheveux blonds. Lis ont la peau basanée. ou couleur d'olive, et mème le blanc des yeux en tient un peu : cette couleur basanée leur est naturelle, et ne provient pas uni quetneut, comme quelques auteurs l'ont avancé, du rocou dout ils se frottent conti- nuellement , puisque lon a remarqué que les enfans de ces sauvages qu’on a élevés parmi les Européens, et qui ne se frottoient jamais de ces couleurs, ne laissoient pas. d’ètre basanés et ofivatres comme leurs pères. et mères. Tous ces sauvages ont l'air rêveur; quoiqu'ils ne pensent à rien; 1ls ont aussi | \ Re PA DE L'HOMME. 01 le visage triste et ils paroissent être mélan- coliques. Ils sont naturellement doux et compatissans , quoique très-cruels à leurs ennemis. Ils prennent assez indifféremment pour femmes leurs parentes ou des étran- gères : leurs cousines germaines leur appar- tiennent de droit; et on en a vu plusieurs qui avoient en même temps les deux sœurs, ou la mère et la fille, et même leur propre fille. Ceux qui ont plusieurs femmes, les _ Voient tour-ä-tour chacune pendant un mois, ou un nombre de jours égal, et cela sufñt pour que ces femmes n’aient aucune jalousie. Ils pardonnent assez volontiers l’adultère à leurs femmes ,.mais jamais à celui qui les - a débauchées. Ils se nourrissent de burgaux, de crabes , de tortues, de lézards, de ser— pens et de poissons, qu’ils assaisonnent avec du piment.et de la farine de manioc. Comme ils sont extrémement paresseux et accou- tumeés à la plus grande indépendance, ils _ détestent la servitude, et on n’a jamais pu s’en servir comme on se sert des Nègres : il n’y a rien qu'ils ne soient capables de faire pour se remettre. en liberté ; et lors- qu ils voient que cela leur est impossible, : 27 318 HISTOIRE NATURELLE. “ aiment mieux: se laisser mourir "7. fie _etde mélan lies que de vivre pour travailler. à On s'est quelquefois servi des ATOHAEENR qui -sont plus doux que les Caraïbes: mais ce : n’est que pour la chasse et pour la pêche, exercices qu ils aiment, et auxquefs ils sont __accoutumés dans leur pays : et encore faut-il, si l’on veut conserver ces esclaves sauvages, les traiter avec autant de douceur au moins que nous traitons nos domestiques en France, sans cela ils s’enfuient ou périssent de mé- lancolie. Il en est à peu près de même des esclaves bresiliens, quoique ce soient de tous les sauvages ceux qui paréissent être les moins stupides, les moins mélancoliques et les moins paresseux ; cependant on peut, en les traitant avec bonté, les engager à tout faire, si cen’est de travailler à la terre, parce : qu’ils s’imaginent que la culture de la terre est ce qui caractérise l'esclavage. Les femmes sauvages sont toutes plus pe- tites que les hommes. Celles des Caraïbes sont grasses et assez bien faites ; elles ont les yeux et les cheveux noirs, le tour du visage rond, la bouche petite, les dents fort blanches, l'air plus gai, plus riant et plus paca | à | - DE L'HOMME. PO fe D ouvert que les hommes; elles ont cependant >. de la modestie et sont assez réservées. Elles se barbouillent de rocouy mais elles ne se font pas des raies noires sur le visage et sur le corps comme les hommes. Elles ne portent qu'un petit tablier de huit ou dix pouces de largeur sur cinq à six pouces de hauteur: ce tablier est ordinairemen t de toile de coton | couverte de petits grains de verre; 1ls ont cette toile et cette rassade des Européens, qui en font commerce avec eux. Ces femmes portent aussi plusieurs colliers de rassade, qui leur environnent le cou et descendent sur leur sein ; elles ont des bracelets de même espèce aux poignets et an- -dessus des coudes, et des pendans d'oreilles de pierre bleue ou de grains de verre enfilés. Un der- nier ornement qui leur est particulier, et que les hommes n’ont jamais, c'est une es- pèce de brodequins de toile de coton, garnis de rassade, qui prend depuis la cheville du pied jusqu’au-dessus du gras de la jambe. Dès que les filles ont atteint l’âse de puberté, on Leur donne un tablier, et on leur fait en mème temps des brodequins aux jambes, qu’elles ne penvyent jamais Ôter : ils sont si . ra HISTOIRE NATURELLE serrés, qu ‘ils ne peuvent ni monter mi qu cendre; et comme ils empêchent le bas de la jambe de grossir, les mollets deviennent beaucoup plus gros et plus fermes qu'ils ne 7 le seroient naturellement. * UE Les peuples qui habitent sd cne 2e le- Mexique et la nouvelle Espagne, sont si mélés, qu'à peine trouve-t-on deux visages qui soient de la même couleur. Il y a dans la ville de Mexico des blancs d'Europe, des Indiens du nord et du sud de l'Amérique, des nègres d'Afrique, des mulâtres, des mé-— tis ; en sorte qu'on y voit des hommes de toutes les nuances de couleurs qui peuvent être entre le blanc et le noir. Les naturels du pays sont fort bruns et de couleur d'olive, bien faits et dispos : ils ont peu de poil, même aux sourcils; ils ont cependant tous les che- è veux fort longs et fort noirs. Selon Wafer, les habitans de l’isthme de. JV Amérique sont ordinairement de bonne taille et d’une jolie tournure : ils ont la jambe fine, les bras bien faits, la poitrine large ; ils sont actifs et légers à la course. Les femmes sont petiles et ramassées, el n'ont pas la vivacité des hommes, quoique — DE L'HOMME. 327 les jeunes aient de l’embonpoint, la aille. jolie et l'œil vif. Les uns et les autres ont le h visage rond, le nez gros et court, les yeux grands, et pour la plupart gris, pétillans et pleins de feu, sur-tout dans la jeunesses le front élevé, les dents bianches et bien ran- gées, les lèvres minces, la bouche d’une grandeur médiocre, eten gros, tous les traits assez réguliers. [ls ont aussi tous, hommes et femmes, les cheveux noirs, longs, plats et rudes ; et les hommes auroient de la barbe s'ils ne se la faisoient arracher. Ils ont le teint basané, de couleur de cuivre jaune ou d'orange, et les sourcils noirs comme du jais. Ces peuples que nous. venons de décrire, ne sont pas les seuls habitans naturels de V'isthme : on trouve parmi eux:des hommes tout différens; et, quoiqu'ils soient en très- petitnombre, ils méritent d'être remarqués. Ces hommes sont blancs; mais ce blanc n’est pas celui des Européens; c'est plutôt un blanc de lait, qui dpproche beaucoup de la couleur du poil d’un cheval blanc. Leur peau est aussi toute couverte, plus on moins, d'une espèce de duvet court et blanchätre, LL \ UNI ON NOTES _ 322 HISTOIRE NATURELLE A mais qui n’est pas si épais sur les joues et sur | le front, qu’on ne puisse aisément distinguer L la peau. Leurs sourcils sont d’un blanc de. lait, aussi-bien que leurs cheveux, qui sont très-beaux, de la longueur de sept à buit pouces, et à demi frisés. Ces Indiens, hommes et femmes, ne sont pas si grands que les autres; et ce qu'ils ont encore de très-sin- gulier, c'est que leurs paupières sont d'une figure oblongue, o1 plutôt en forme de crois- sant dont + pointes tournent en bas. Ils ont des yeux si foibles , qu'ils ne voient presque pas en plein jour; 1ls ne peuvent supporter la lumière du soleil, et ne voient bien qu’à celle de la lune. Ils sont d’une complexion fort délicate en comparaison des autres In- diens ; ils craignent les exercices penibles. Ils dorment pendant le jour, et ne sortent que la nuit; et lorsque la lune luit, ils courent “ dans les endroits les plus sombres des forêts, aussi-vite que les autres le peuvent faire de jour, à cela près qu'ils ne sont ni aussi ro- bustes ni aussi vigoureux. Au reste, ces hommes ne forment pas une race particu- lière et distincte; mais il arrive quelquefois qu'un père et une mère quisont tous deux L" » DE L'HOMME. 73801 couleur de cuivre jaune, ont un enfant tel que nous venons de le décrire. Wafer, qui | rapporte ces faits, dit qu'il a vu lui-même un de ces enfans qui n’avoit pas encore un ane | Si cela est, cette couleur et cette habitude singulière du- corps de ces Indiens blancs ne seroient qu’une espèce de maladie qu’ils tiendroient de leurs pères et mères Mais en supposant que ce dernier fait ne füt pas bien avéré, c’est-à-dire, qu’au lieu de venir des _ Indiens jaunes ils fissent une race à part, alors ‘ils ressembleroient aux Chacrelas de Java et aux Bedas de Ceylan , dont nous avons parlé; ou si ce fait est bien vrai, et que ces blancs naissent en effet de pères et mères couleur de cuivre, on pourra croire que les Chacrelas et les Bedas viennent aussi de pères et mères basanés, et que tous ces hommes blancs qu'on trouve à de si grandes distances les uns des autres. sont des indi- vidus qui ont dégénéré de leur race par | quelque cause accidentelle. J'avoue que cette dernière opinion me pa- roit la plus vraisemblable, et que si les np nous eussent donné des descrip- Er HISTOIRE NATURELLE À FN tions aussi exactes des Bedas et dcsChaërsles | - que Wafer l’a fait des Dariens, nous eussions peut-être reconnu qu …ils ne La rte pas plus que ceux-ci être d’origine européenne, | Ce qui me paroît apps beaucoup cette manière de penser, c’est que parmi les Né- gres il naît aussi des blancs de pères et mères moirs On trouve la description de deux de. ces Nèores blancs dans l’Æistoire de l’acadé- mie : jai vu moi-même l’un des deux, et on assure qu'il s'en trouve un assez grand nombre en Afrique parmi les autres Nègres. Ce que j'en ai vu, indépendamment de ce. qu'en disent les voyageurs , ne me laisse aucun doute sur leur origine; ces Nègres blancs sont des Nègres dégénérés de leur. race : ce ne sont pas une espèce d'hommes particulière et constante; ce sont des indi- ‘ vidus singuliers, qui ne font qu'une variété accidentelle ; en un mot, ils sont parmi les Nègres ce que Wafer dit que nos Indiens blancs sont parmi les Indiens jaunes, et ce. que sont apparemment les Chacrelas et les Bedas parmi les Indiens bruns. Ce qu’il y a : de plus singulier, c’est que cette variation de la Nature ne se trouve que du noir au AUTRE" L'HOMME. 325 _ blanc, et non pas du blanc au noir; car | elle arrive chez les Neores, chez les [ndiens les plus bruns, et aussi chez'ies Ludiens les plus jaunes, c'est-à-dire, dans toutes les races d'hommes qui sout les plus eloisucées du blanc,.et il n’arrive jaiuais chez les Dlancs qu'il naisse des individus noirs. Une autre singularité, c’est que tous ces peuples des Indes orientales, de L'Afrique et de l'Amérique, chez lesquels on trouve ces hommes blancs , sont ious sous la mêime latitude. L'isthme de Darien, le pays des Nègres et Ceylan, sont absolument sous le même parallèle. Le blanc paroii donc être la couleur primitive de la Nature, que le cli- mat, la nourriture et les mœurs altèrent et chaugent, même jusqu'au jaune, au brun ou au noir, et qui reparoit dans de certaines circonstances, mails avec une si grande alté- ration, qu'il ne ressemble point au bianc primitif, qui en effet a eté dénaturé par les causes que nous venous d'indiquer. En tout, les deux extrêmes se rapprochent presque toujours : la Nature aussi parfaite qu'elle peut l'être a fait les hommes blancs, et la Nature altérée autant quil est pos- Mat. gêne X X E. 28 326 HISTOIRE NATURELLE sible les rend encore blancs ; mais le blanc naturel, ou blanc de l’espèce, est fort différent du blanc individuel ou accidentel : on en voit des exemples dans les plantes aussi-bien que dans les hommes et les animaux ; la rose blanche, la giroflee blanche, etc. sont bien differentes, même pour le blanc, des roses oO, des giroflees rouges, qui, dans l’automne, deviennent blanches , lorsqu'elles ont souf- fert le froid des nuits et les petites gelées de celte saison. | Ce qui peut encore faire croire que ces homines blaucs ne sont en effet que des in- dividus qui ont deoénueré de leur espèce, c'est qu'ils sont tous beaucoup moins forts et moins vigoureux que les autres , et qu'ils ont les yeux extrêmement foibles. On trou- vera cé deruier fait moins extraordinaire lorsqu'on se rappellera que parmi uous les hommes qui sont d’un bloud,blanc, ont ordiuairemeut les yeux foibles ; j'ai aussi remarqué qu'ils avoient souvent l'oreille dure; et on pretend que les chiens qui sont absolument blancs et sans aucune tache, sont sourds. Je ne sais si cela est générale- ment vrai; je puis seulement assurer que DE L'HOMME. 327 j'en ai vu plusieurs qui l’étoient en effet. Les Indiens du Pérou sont aussi couleur de cuivre, comme ceux de l'isthine, sur- tout ceux qui habitent le bord de la mer et les terres basses : car ceux qui demeurent dans les pays élevés, comme entre les deux chaines des Cordillières, sont presque aussi lancs que les Européens ; les uns sont à une lieue de hauteur au-dessus des autres, et cette différence d’élévation sur le olobe fait autant qu’une différence de mille lieues en latitude pour la temperature du climat. En effet, tous les Indiens naturels de la terre ferme qui habitent le long de la rivière des Amazones et le continent de la Guiane, sont basanes et de couleur rougeatre, plus ou moins claire. La diversité de la nuance, dit M. de la Condamine, a vraisemblable- ment pour cause principale la différente tem- pérature de l'air des pays qu’ils habitent, variée depuis la plus grande chaleur de la zone torride jusqu'au froid causé par le voi- _sinage de la neige. Quelques uns de ces sau- vages , comme les Omaguas, applatissent le visage de leurs enfans, en leur serrant Îa tête entre deux planches ; quelques autres 14 Ja 7 $ E se percent les narines, les lèvres ou les joues, pour y passer des os de poisson, des plumes d'oiseau et d'autres ornemens;. la plupart se percent les oreilles, se les agrandissent prodisieusement , et remplissent le trou du 16be d’un gros bouquet de fleurs ou d'herbes qui leur sert de pendant d’oreilles. Je ne dirait rien de ces Amazones dont on a tant parlé : on peut consulter à ce sujet ceux qui en ont écrit ; et après les avoir lus, on n’y trouvera rien d'assez posilif pour constater l'existence actuelle de ves femmes. Quelques voyageurs fout mention d'une nation dans la Guiane, dont les hommes | sont plus noirs que ious les autres Indiens. Les Arias, dit Raleigh, sont presque auss£ noirs que les Néores ; 1is sont fort visou— veux , et ils se servent de fleches empoi- sonnees. Cet auteur parie anssi d’une autre. ation d’indieus qui ont le cou si court et les épaules si élevées, que leurs yeux pa- roissent être sur leurs épaules, et leur bouche * dans ieur poitrine. Cette diflormite si mons- trueuse n'est sûrement pas naturelle ; et il y à grande apparence que ces sauvages qui se plaisent tant à déligurer la Nature en ne DE L'HOMME, 329 applatissant, en arrondissant, en alongeant la tête de leurs enfans , auront aussi imaginé de leur faire reutrer le cou dans les épaules. Il ne faut, pour donuer naissance à toutes ces bizarreries, que l’idée de se rendre, par ces difformités, plus effroyables et plus terribles à leurs ennemis Les Scythes, autrefois aussi sauvages que le sout aujourd’hui les Ainéri- cains,avoient apparemment les mêmes idées, qu'ils réalisoient de la mème façon ; et c’est ce qui a, sans doute, donné lieu à ce que les anciens ont écrit au Sujet des howmes acé- phales, cynocephales, etc. Les sauvages du Bresil sont à peu près de la taille des Europeens, mais plus forts, plus robustes et plus dispos; ils ne sont pas sujets à autant de maladies , et ils vivent conmmu- nément plus long-temps:leurs cheveux, qui sont noirs , blauchissent rarement dans la vieillesse. [ls sont basanes , et d’une couleur brune qui tire un peu sur le rouge; ils ont la tête grosse , les épaules larges et Les che veux longs. Ils s'arrachent la barbe, le poil! du corps , et même les sourcils et les cils ; ce qui leur donne un regard extraordinaire _et farouche. Ils se percent la lèvre de dessous 28 330 HISTOIRE NATURBLLE. pour y passer un petit os poli comme de l’ivoire, ou unepierte verte assez grosse: Les mères écrasent le nez de leurs eufans peu de temps après la naissance. [ls vont! tous abso= Jument nuds, et se peignent Le corps de dif- férentes couleurs. Ceux qui habitent dans Les terres voisines des côtes de la mer, se sont un peu civihisés par le commerce volontaire ou forcé qu’ils ont avec les Portugais : mais ceux de l’intérieur des terres sont encore , pour la plupart , absolument sauvages. Ce n'est pas même par la force, et en voulant les reduire à un dur esclavage, qu’on vient à bout de les policer : les missions ont formé plus d’homimes dans ces nations barbares, que les armées victorieuses des princes qui les ont subjuguées. Le Parapuai n’a été con- quis que de cette façon : la douceur , le bon exemple, la charité et l'exercice de la vertu, constamiment pratiqués par les mission- naires, ont touché ces sauvages, et vaincu leur défiance et leur férocité: ils sont venus souvent d'eux-mêmes demander à connoitre Ja loi qui rendoit les hommes si parfaits; ils se sont soumis à cette loi, et réunis en société. Rien ne fait plus d'honneur à la DE L'HOMME. 33r religion que d’avoir civilisé ces nations et jeté les fondemens d’un empire sans autres armes que celles de la vertu. Les habitans de cette contrée du Paraguat ont communement la taille assez belle et assez élevée; ils ont le visage un peu long et la couleur olivâtre. Il rèone quelquefois parmi eux une maladie extræordinaire : c’est une espèce de lèpre qui leur couvre tout le corps, .et y forme une croûte sem blable à des écailles de poisson. Cette incom- modité ne leur cause aucune douleur, nt même aucun autre dérangement dans la sante. Les Indiens du Chili sont, au rapport de M. Frezier , d’une couleur basanée, qui tire un peu sur celle du cuivre rouge , comme celle des Indiens du Pérou. Cette couleur est différente de celle des mulâtres : comme ils viennent d’un blanc et d'une négresse, ou d’une blanche et d’un nègre , leur couleur est brune, c’est-à-dire, mêlée de blanc et de noir; au lieu que, dans tout le continent de l'Amérique méridionale , les Indiens sont jaunes, ou plutôt rougeätres. Les habitans du Chili sont de bonne taille; ils ont les 332 HISTOIRE NATURELLE | membres gros là poitrine large, le visage peu agreable et sans barbe , les yeux petits, les oreilles longues, les cheveux noirs, plats et gros comme du crin; ils s’alongent les oreilles, et ils s’arracheut la barbe avec des pinces faites de coquilles. La plupart vont nuds, quoique le climat soit froid: ils porteut seulement sur leurs épaules quelques peaux d'auimaux. C’est à l’extrémité du Chili, vers les terres Magellaniques, que se (rouve ; a ce qu'on prétend, une race d’ homines dont la taille est gigantesque. M. Frezier dit avoir appris de plusieurs Espaguols qui avoient vu quelques uns de ces hommes , qu'ils avorent quatre vares de hauteur, c'est-à-dire, neuf ou «dix pieds. Selon [ui, ces géaus , appelés Patagons, habitent le côté de l'est de la côte déserte dont les anciennes relations ont parlé, qu'on à ensuite iraitees de fables, parce que l’on a vu au détroit de Mageilan des Indiens dout la taille ne surpassoil de celle des autres hommes. C'est, dit-il, « qui a pu tromper Froger dans sa relation L voyage de M. de Cinhes ; car quelques vais— _seaux ont vu en même temps les uns et les autres, En 1709, les gens du vaisseau Ze DE L'HOMME. | 383 Jacques , de Saint-Malo, virent sept de ces géans dans la baie Grégoire; et ceux du vais- seau le Saint-Pierre, de Marseïlle, en virent six , dont ils s’approchèrent pour leur offrir du pain , du vin et de l’eau-de-vie, jqu'ils refusèrent, quoiqu'ils eussent donné à ces matelots quelques flèches, et qu’ils les eussent aides à échouer le canot du navire. Au reste, comme M. Frezier ne dit pas avoir vu lui- même aucun de ces 2éAUS , et que les rela- tions qui en parlent sont remplies d’exagé- rations sur d'autres choses, on peut encore douter qu'il existe en effet une race d'hommes toute composée de géans, sur-lout lorsqu'on leur supposera dix pieds de hauteur; car le volume du corps d’un tel homme seroit huië fois plus considérable que celui d’un homme ordinaire. 1l semble que la hauteur ordinaire des hommes étant de cinq pieds, les limites ne s’éteudent guère qu’à un pied au-dessus et au-dessous : un homme de six pieds est en effet un très-srand homme ; et un homme de quatre pieds est très-pelit. Les geans et les nains qui sont au-dessus et au-dessous de ces termes de grandeur, doivent être re— sardés comme des variétés individuelles et 34 HISTOIRE NATURELLE accidentelles , et non pas comme des diffé rences permanentes qui are: des races constantes. Au reste, si ces géans des terres Magella niques existent , ils sont en fort petit nom= bre ; car les habitans des terres du détroit et des îles voisines sont des sauvages d’une taille médiocre : ils sont de couleur olivätre ; 1ls ont la poitrine large , le corps assez quarré, les membres gros, les cheveux noirs et plats ; en un mot, ils ressemblent pour la taille à tous les autres hommes ; et par la couleur et les cheveux aux autres Aimeri- cains. Il n’y a donc, pour ainsi dire , dans tout le nouveau continent ; qu’une seule et même race d'hommes, qui tous sont plns ou moins basanés ; et à l’exception du nord de l’Amé- rique, où il se trouve des hommes sem- blables aux Lappons, et aussi quelques hom- mes à cheveux blonds , semblables aux Euro- péens du nord , tout le reste de cette vaste partie du monde ne contient que dès hommes parmi lesquels il n’y a presque aucune diver- sité, au lieu que dans l’ancien continent mous avons trouvé une prodigieuse variéte DE L'HOMME. 225 dans les différens peuples : il mé paroït que la raisou de cette uniformité dans les hom-— mes de l'Amérique vient de ce qu'ils vivent tous de la mêime façon ; tous les Américains naturels etoient , ou sont encore , sauvages ou presque sauvages ; les Mexicains et les Péruviens étoient si nouvellement-policés, qu'ils ne doivert pas faire une exception. Quelle que soit donc l’origine de ces nations sauvages , elle paroît leur être commune à toutes : tous les Américains sortent d'une même souche, et ils ont conserve jusqu'à present les caractères de leur race sans grande variation , parce qu'ils sont tous demeurés sauvages , qu'ils ont tous vécu à peu près de la inéme façon , que leur climat n’est pas à beaucoup près aussi inégal pour le froid et pour le chaud que celui de l’ancien | continent , et qu’étant nouvellement établis dans leur pays, les causes qui produisent des variétés n'ont pu agir assez long-temps pour opérer des effets bien sensibles. Chacune des raisons que je viens d’a- vancer , mérite d’être considérée en parti- culier. Les Américains sont des peuples nou- veaux : il me semble qu'on n’en peut pas 33% HISTOIRE NATURELLE douter lorsqu'on fait attention à leur petit \ fe Te ; ) R dr: nombre , à leur ignorance, et au peu de progrès que les plus civilisés d’entre eux avoient fait dans les arts ; car quoique les premières relations de la découverte et des conquêtes de l'Amérique nous parlent du Mexique , du Pérou, de Saint-Domingue; etc. comime de pays très-peuplés, et qu'elles nous disent que les Espagnols ont eu à com- battre par-tout des armées très-nombreuses, il est aisé de voir que ces faits sont fort exa- gérés, premièrement par le peu de monu- mens qui restent de la prétendue grandeur de ces peuples ; secondement par la nature même de leur pays, qui, quoique peuplé d'Eu: ropéens plus industrieux sans doute que ne J'étoient les naturels , est cependant encore sauvage, inculte, couvert de bois, et n’est d'ailleurs qu'un groupe de montagnes inac- cessibles , inhabitables , qui ne laissent par conséquent que de petits espaces propres à être cultivés et habites ; troisièmement par Ja tradition même de ces peuples sur le temps qu'ils se sont réuuis en societe ( les’ Péruviens ne comptoient que douze rois , dont le premier avoit commencé à Les civi- DE L’HOMME. 337 liser : ainsi il n’y avoit pas trois cents ans qu’ils avoient cessé d’être, comme lesautres, entièrement sauvages); quatrièmement par le petit nombre d'hommes qui ont été em- ployés à faire la conquête de ces vastes con- trées : quelque avantage que la poudre a ca- non pût leur donner , 1ls n’auroient jamais subjugué ces peuples, s’ils eussent été nom-— _breux ; une preuve de ce que j'avance , c’est qu'on n’a jamais pu conquérir le pays des: Nègres ni les assujettir, quoique les effets de la poudre fussent aussi nouveaux et aussi terribles pour eux que pour les Américains ; Ja facilité avec laquelle on s’est emparé de l'Amérique , me paroit prouver qu’elle étoit très-peu peuplée, et par conséquent nouvel- lement habitée. Dans le nouveau continent la température des différeus climats est bien plus égale que dans l’ancien continent: €’est encore par l'effet de plusieurs causes : il fait beaucoup moins chaud sous la zone torride en Amé- rique , que sous la zone torride en Afrique; les pays compris sous cette zone en Amé- rique, sont le Mexique, la nouvelle Espagne, Je Pérou, la terre des Amazones , le Bresil 29 L et Fa Guiane. La che nest jamais Home “M grande au Mexique, à la nouvelle Espague et au Pérou , parce que ces contrées sont des terres extremement elevées au- dessus du niveau ordinaire de la surface du globe ; le thermomètre dans les grandes chaleurs ne monte pas si haut au Perou qu’en France; la neige quicouvrele sommet desimontagnes, refroidit l'air, et cette cause, qui n’est qu'un effet de la première, influe beaucoup sur la température de ce climat: aussi les habitans, au lieu d'être noirs où très-bruns , sout set lement basanés. Dans la terre des Amazones il y a une prodigieuse quantité d'eaux répan- dues, de fleuves et de forèts: l’air y est done extrêmement humide, et par conséquent beaucoup plus frais qu'il ne le seroit dans un pays plus sec. D'ailleurs on doit observer que le vent d’est qui souffle constamment. entre les tropiques , n'arrive au Bresil , à la. terre des Amazones et à la Guiane, qu'après 0 avoir traverse une vaste mer, sur laquelle il preud de la fraîcheur qu’il porte ensuite sur toutes les terres orientales de l'Amérique équinoctiale : c'est par celte raison , AUSSI bien que par la quantité des eaux et des. DE L'HOMME. 339 forêts, et par l’abondance et la continuité des pluies, que ces parties de l’Amérique sont beaucoup plus tempérées qu’elles ne le seroient en effet sans ces eirconstances parti- culières. Mais lorsque le vent d'est a traverse les terres basses de l'Amérique , et qu'il arrive au Perou, il a acquis un degré Gi: chaleur plus considérable ; aussi feroit-il plus chaud au Pérou qu’au Bresil ou à la Guiane, si an de celte contrée , et les neiges qui s’y trouvent, ne refroidissoient pas l'air, etn éidient pas au vent d'est toute la cha- leur qu'il peut avoir acquise en traversant les terres : il lui en reste cependant assez pour influer sur la couleur des habitans; car ceux qui, par leur situation, y sont le plus exposés , sont les plus jaunes , et ceux qui habitent les vallées entre les montagnes et qui sont à l’apri de ce vent, sout beaucoup plus blancs que les autres. D'ailleurs ce vent qui vient frapper contre les hautes montagnes des Cordiliières, doit se réflechir à d'assez grandes distances dans les terres voisines de ces montagnes , et y porter la fraicheur qu'il a prise sur les neises qui couvrent leurs sommets ; ces neiges elles & mêmes doivent pa de vents Ré. % k dans les temps de leur fonte. Toutes ces causes concourant donc à rendre le climat de la zone torride en Amérique beaucoup moins chaud , il n’est point étonnant qu'on ie n’y trouve pas des hommes noirs, ni même bruns, comme on en trouve sous la zone torride en Afrique et en Asie, où les cir- constances sont fort différentes, comme nous le dirons tout-à-lheure ; soit que l’om sup- pose donc que les habitans de l'Amérique soient très-anciennement naturalisés dans leur pays , ou qu’ils y soient venus plus nouvellement , on ne doit pas y trouver des hommes noirs, puisque leur zone torride est un climat tempéré. La dernière raison que j'ai donnée de ce qu'il se trouve peu de varietés dans les hommes en Amérique , c’est l’uniformité dans leur manière de vivre : tous eétoient sauvages , ou très-nouvellement civilises ; tous vivoient ou avoient vécu de la même façon. En supposant qu'ils ‘eussent tous une origine commune , les races s’étoient dispersées sans s’être croisées ; chaque famille faisoit une nation toujours semblable à elle= : be { DE'LMOMME. "70 GS même, et presque semblable aux autres, parce que le climat et la nourriture éloient aussi à peu près semblables : 1ls n'avoient aucun moyen de dégénérer ni de se perfec- tionner ; ils ne pouvoient donc que demeu- rer toujours les mêmes, et par-tout à peu prés les mêmes. | Quant à leur premiére origine, je ne doute pas , indépendamment même des raisons theologiques, qu'elle ne soit la même que la nôtre : la ressemblance des sauvages de l'Amérique septentrionale avec les Tar- tares orientaux doit faire soupçonner qu'ils sortent anciennement de ces peuples. Les nouvelles découvertes que les Russes ont faites au-delà de Kamtschatka, de plusieurs terres et de plusieurs iles qui s'étendent jusqu’à la partie de l’ouest du continent de l'Amérique, ne laisseroient aucun doute sur la possibilité de la communication, si ces découvertes étoient bien constatées }* éthqire ces terres fussent à peu près contiguës ; mais, en supposant même qu'il yait des intervalles de mer assez considérables, n’est il pas très-possible que des hommes aient traversé ees intervalles , et qu’ils soient alles d’eux- ÿ 29 = 342 HISTOIRE D tot AC mêmes chercher ces nouvelles terres, où. qu’ils y aient été jetés par la tempête ? Il y a peut-être un plus grand intervalle de mer entre les îles Marianes et le Japon, qu'entre. aucune des terres qui sont au - delà de Kam- tschatka et celle de l'Amérique, et cependant les iles Marianes se sont trouvées peuplees d'hommes qui ne peuvent veuir que du continent oriental. Je serois donc porte à croire que les premiers hommes qui sont venus en Amérique, ont abordé aux terres qui sont au nord-ouest de la Californie; que le froid excessif de ce climat les obligea à gagner les parties plus méridionales de leur nouvelle demeure; qu'ils se fixèrent d’abord au Mexique et au Pérou, d'où ils se sont ensuite répandus dans toutes.les parties de l'Amérique septentrionale et méridiouale ; car le Mexique et le Pérou peuvent être re- gardés comme les terres les plus anciennes de ce continent, et les plus anciennement peuplées, puisqu'elles sont les plus.elevees et les seules où l’on ait trouvé des hommes réunis en société. On peut aussi présumer avec une très-orande vraisemblance, que les habitans du nord de l'Amérique au de- DE L'HOMME. . 343 troit de Davis, et des parties septentrionales. de da terre de Labrador , sont venus du Groenland, qui n’est séparé de l'Amérique que par la largeur de ce détroit, qui n’est pas fort considérable ; car, comme nous l'avons dit, ces sauvages du détroit de Davis et ceux du Groenland se ressemblent parfaite- meut:et quant à la manière dont le Groenland aura été peuplé, on peut croire avec tout autant de vraisemblance, que ‘les Lappons y auront passé depuis le cap Nord, qui n’en est éloigne que d'environ cent cinquante lieues ; et d’ailleurs, comme l’île d'Islande est presque contiguë au Groenland, que cette ile n'est pas éloignée des Orcades sep- tentrionales , qu'elle a été tres-anciennement habitée et mème fréquentée des peuples de l'Europe, que les Danois avoient même fait des établissemens et forme des colonies dans le Groenland , il ne seroit pas étonnant qu'on irouvat dans ce pays des hommes blancs et à cheveux blonds, qui tireroient leur orisine . de ces Danois, et il y a quelque apparence que les hommes blancs qu'on trouve aussi au détroit de Davis, viennent de ces blancs d'Europe qui se sout établis dans Les terres 344 HISTOIRE NATURELLE VU du Groenland, d’où ilsauront aisément passé | en Amérique, en traversant le petit inter= | valle de mer qui forme le détroit de Davis. Autant il ya d'uuiformité dans la couleur et dans la forme des habitans naturels de l’Amerique, autant on trouve de variété dans les peuples de l'Afrique. Cette partie du moude est très - anciennement et très-abon= damment peuplée ; le climat y est brûlant," et cependant d’une temperature très-inégale suivant les différentes contrées ; et les mœurs des differens peuples sont aussi toutes difé- rentes, comme on a pu le remarquer par les descriptions que nous en avons données. Toutes ces causes ont donc concouru pour . produire en Afrique une variété dans les hommes plus grande que par-tout ailleurs ; car, eu examinant d’abord la différence de la température des contrées africaines, nous trouverons que la chaleur n'étant pas exces— sive en Barbarie et dans toute l'étendue des terres voisines de la mer Méditerranée, les hommes y sont blancs, et seulement un peu basanés Toute cette terre de la Barbarie est rafraichie, d’un côte par l’air de la mer Mé- diterranée, et de l’autre par les neiges du 2 ‘DE L'HOMME. 345 mont Atlas; elle est d’ailleurs située dans la zone tempérée en-deçà du tropique : aüssi tous les peuples qui sont depuis l'Égypte jus- _ qu'aux iles Canaries, sont seulement un peu plus ou un peu moins basanés. Au-delà du ‘tropique et de l’autre côté du mont Atlas, la chaleur devient beaucoup plus grande, et les hommes sont très-bruns, mais ils ne sont pas encore noirs. Ensuite, au 17° ou 18° degré de latitude nord, on trouve le Sénégal et la Nubie , dont les habitans sont tout-à- fait noirs : aussi la chaleur y est-elle excessive. On sait qu'au Sénéoal elle est si grande, que la liquêéur du thermomètre monte jusqu’à 38 degrés , tandis qu'en France elle ne monte que très-rarement à 30 degrés, et qu'au Pérou, quoique situé sous la zone torride, elle est presque toujours au même desre, et ne s'élève presque jamais au-dessus de 25 deorés. Nous n’avons pas d'observations faites avec le thermomètre en Nubie; mais tousles voyageurs s'accordent à dire que la chaleur y est excessive : les déserts sablonneux quisont£ entre la haute Égypte et la Nubie, échauffent l'air. au point que le vent du nord des Nu- biens doit être un vent brûlant ; d'autre 346 HISTOIRE NATURELLE côté, le vent d'est, qui règne le plus ordinais rement entre les tropiques, n'arrive en Nubie qu'après avoir parcouru les terres de l'Ara= bie, sur lesquelles il prend une chaleur que le petit intervalle de la mer Rouge ne peut guère tempérer. On ne doit donc pas être surpris d'y trouver Les hommes tont-à-fait noirs : cependant ils doivent l'être encore plus au Sénégal ; car le vent d'est ne peut y arriver qu'après avoir parcouru toutes les terres de l'Afrique dans leur plus grande lar: seur ; ce qui doit le rendre d’une chaleur insouteuable. Si l’on prend donc eu géneral toute la partie de l'Afrique qui est comprise , entre les tropiques, où le vent d’est souffle plus constamment qu'aucun autre; on con cevra aisément que toutes les côtes occiden-— tales de cette partie du monde doiventéprou- ver et éprouvent en effet une chaleur bien plus grande que les côtes orientales, parce que le vent d'est arrive sur les côtes orien-— tales avec la fraîcheur qu'il a prise en par- courant une vaste mer, au lieu qu'il prend une ardeur brülante en traversant les Lerres de l'Afrique avant que d'arriver aux côtes occidentales de cette partie du monde : auss£ + DE L'HOMME. 347 les côtes du Sénégal , de Serra-Liona , de la Guinee, en un not toutes Îles terres occi- dentales de l'Afrique qui sontsituées sous la zone lorride, sout les chimats les plus chauds de la terre, et il ne fait pas, à beaucoup près, aussi chaud sur les côtes orientales de l'Afri- que, comme a Mozambique, à Mombaze , etc. Je ue doute donc pas que ce ne soit par cette raison qu'on trouve les vrais Nèores, c’est- à-dire, Les plus noirs de tous les noirs, dans les terres occidentales de l'Afrique , et qu’au contraire on trotve les Caffres, c’est-à-dire, des noirs moins noirs, dans les terres orien- tales.” La difleréuce marquée qui esl entre ces deux espèces de noirs, vient de celle de la chaleur de leur climat, qui n’est que très- grande dans ja partie de l’orient, mais excess= sive daus celle de l’occident en Afrique. Au- dela du tropique, du côte du sud, la chaleur _