f k \ } Se HITS TOIRE NATUREL L-B QUADRUPEDES. TOME PREMIER. HISTOIRE NATURELLE DE BUFFON, 4 nouvelle édition, revueet corrigée par M. LACEPEDE, | 1 74 volumes’ in-18, imprimée sur beau papier, avec environ 900 es- tampes gravées par Pauquet. Il en paroït 70 volumes. Les quatre derniers, que l’on stéréotype actuellement, et qui completent l’histoire des poissons par M. Lacepede, paroîtront sous peu. | 4 Pour en faciliter l'acquisition nous la vendrons par parties séparées; savoir : / d. Les matieres générales contenant : , la théorie de la terre, les époques de la Natütes - l'histoire des minéraux, l’histoire de l’homme, etc. 24 volumes. L'histoire des quadrupedes. 414 L'histoire des oiseaux. 15 | L'histoire des quadrapedes oMparsE , et des serpents. FA LE A 4 L'histoire des poissoné. | 2e 14 à N. B. Les personnes qui pourroient étcéretenuc. ; par la dépense qu elles dure wroient à faire ga pren les 74 va-" " lumes à la fois, où mime chacune des j pa vhies Ci j auront la faculté de-les Le een plus telnombre de volumes qui illeure nv ee On sera tou- jours maître de se some ; eo : # ouvera laisse : comme à nos autres stéréotypes mes qu’on aura pu égarer; us bn os pour un ouvrage aussi rois | ep ed ru + Sd Ô su 2 + HISTOIRE 8929 NATURELLE Par BUFFON, DÉDIÉE AU CITOYEN LACEPEDE, MEMBRE DE L'INSTITUT NATIONAL. QUADRUPEDES. TOME PREMIER. V,1 sreser Te “ NS oni Ne JT NS AN a “lo, K$ RIcAOND | cou ÉECTION. Stional | Muse ” À PARIS, © À LA LIBRAIRIE STÉRÉOTYPE DE P. DIDOT L’AÎNÉ, GALERIES DU LOUVRE, L°3, ET Firmin DIDOT , RUE DE THIONVILLE, N° 1164 AN VII. — 1799. HISTOIRE NATURELLE. l LES ANIMAUX DOMESTIQUES. L'rommur change l’état naturel des ani- maux en les forçant à lui obéir, et les faisant servir à son usage: un animal domestique est un esclave dont on s'amuse, dont on se sert, dont on abuse, qu'on altère, qu'on dé- payse et que l’on dénature, tandis que l’ani- mal sauvage, n’obéissant qu’à la nature, ne connoît d’autres lois que celles du besoin et de sa liberté. L'histoire d’un animal sauvage _est donc bornée à un petit nombre de faits émanés de la simple nature, au lieu quel his- toire d’un animal domestique est compliquée de tout ce qui a rapport à l'art que l’on em Quadrupèdes. I. 1 FO PPT EMUNES wY ") 14 en à EL 2 HISTOIRE NATURELLE ser ploie pour lapprivoiser ou pour le subju- guer; et comme on ne sait pas assez combien Y exemple, la contrainte, la force de l’habi— tude, peuvent influer sur les animaux et changer leurs mouvemens, leurs détermina— tions, leurs penchans, le but d’un naturaliste doit être de les observer assez pour pouvoir distinguer les faits qui dépendentdel'instinct, de ceux qui ne viennent que de l'éducation; reconnoître ce qui leur appartient et ce qu'ils ont emprunté, séparer ce qu’ils font de ce qu’on leur fait faire, et ne jamais confondre J’animal avec l’esclave, la bête de somme avec la créature de Dieu. L'empire de l’homme sur les animaux est un empire légitime qu'aucune révolution ne peut détruire; c’est l'empire de l'esprit sur la matière; c’est non seulement un droit de na- ture, un pouvoir fondé sur des lois inalté- rables, mais c’est encore un don de Dieu, par lequel l’homme peut recounoître à tout ins- tant l’excellence de son être: car ce n’est pas parce qu’il est le plus parfait, le plus fort ou le plus adroit des animaux, qu'il leur com- mande; s’il n’étoit que le premier du même ordre, les seconds se réuniroient pour lui. … # DES ANIMAUX. 3 disputer l'empire : mais c’est par supériorité de nature que l’homme règne et commande; il pense ; et dès lors il est maître des êtres qui ne pensent.point. IL est maître des corps bruts, qui ne peu- vent opposer à sa volonté qu’une lourde ré- sistance ou qu'une inflexible dureté, que sa main sait toujours surmonter et vaincre, en les faisant agir les uns contre les autres; il est maître des végétaux, que par son indus+ trie il peut augmenter, diminuer, renouve- ler, dénaturer, détruire, ou multiplier à l'in fini; ilest maître des animaux, parce que non seulement il a comme eux du mouve- ment et du sentiment, mais qu'il a de plus la lumière de la pensée, qu’il connoît les fins et les moyens, qu’il sait diriger ses actions, converter ses opérations, mesurer ses Mou— vemens, vaincre la force par l'esprit, et la vitesse par l'emploi du temps. | . Cependant. parmi les animaux les uns pa- roissent être plus ou moins familiers, plus . _ou moins sauvages, plus ou moins doux, _ plus ou moins féroces : que l’on compare la docilité et la soumission du chien avec la fierté et la férocité du tigre; l’un paroit être / à ‘HISTOIRE NATURELLE Vami de l’homme, et l’autre son ‘enneïni Ê son empire sur les animaux n’est donc pas absolu ; combien d'espèces savent se soustraire à sa puissance par la rapidité de leur vol, par la légéreté de leur course, par l'obscurité de leur retraite, par la distance que met entre eux et l'homme l'élément qu’ils habitent! combien d’autres espèces lui échappent par leur seule petitesse! et enfin combien y en a-t-il qui, bien loin de reconnoître leur souve- rain, l’attaquent à force ouverte, sans parler de ces insectes qui semblent l’insulter par leurs piquures, de ces serpens dont la mor- sure porte le poison et la mort, et de tant d'autres bêtes immondes, incommodes, inu- tiles, qui semblent n’exister que pour former la nuance entre le mal et le bien, et faire sentir à l’homme combien, depuis sa chûte, il est peu respecté ! C’est qu’il faut distinguer l'empire de Dieu du doïnaine de l’homme : Dieu, créateur des êtres, est seul maître de la nature: l'homme ne peut rien sur le produit de la creation; 1l ne peut rien sur les mouvemens des corps célestes, sur les révolutions de ce globe qu'il habite; il ne peut rien sur les animaux, les #7 * | 1 DES ANIMAUX. 5 végétaux, les minéraux en général; il ne peut rien sur les espèces, il ne peut qué sur les individus: car les espèces en général et la matière en bloc appartiennent à la nature, ou plutôt la constituent ; tout se passe, se suit, se succède, se renouvelle et se meut par une puissance irrésistible: l’homme, entraîné lui-même par le torrent des temps, ne peut rien pour sa propre durée; lié par son corps à la matière , enveloppé dans le tourbillon des êtres, il est forcé de subir la loi com- mune; il obéit à la même puissance, et, comme tout le reste, il naît, croit et périt. Mais le rayon divin dont l’homme est ani- mé, l’anoblit et l'élève au-dessus de tous les êtres matériels ; cétte substance spirituelle, loin d’être sujette à la matière, a le droit de la faire obéir; et quoiqu’elle ne puisse pas commander à la nature entière, elle domine -sur les êtres particuliers : Dieu, source uni- que de toute lumière et de toute intelligence, régit l'univers et les espèces entières avec une puissance infinie; l’homme, qui n’a qu'un rayon de cette intelligence, n’a de même qu'une puissance limitée à de petites por- tions de matiére, et n’est maître que des in- dividus. | 1 | 6 HISTOIRE NATURELLE C'est donc par les talens de l'esprit, et non par la force et par les autres qualités de la . matière, que l’homme a su subjuguer les ani- imaux : dans les premiers teimps ils devoient _ être tous également indépendans; l’homme, devenu criminel et féroce, étoit peu propre à les apprivoiser ; il a fallu du temps pour les approcher, pour les reconnoitre, pour les choisir, pour les domter ; il a fallu qu'il fût civilisé lui-même pour savoir instruire et commander, et l'empire sur les animaux, comme tous les autres empires, n’a été fondé qu'après la société. C'est d'elle que l’homme tient sa puissance ; c'est par elle qu’il a perfectionné sa raison, exercé son esprit et réuni ses forces : aupa- ravant l’homme étoit peut-être l'animal le plus sauvage et le moins redoutable de tous; nu, sans armes et sans abri, la terre n’étoit pour lui qu'un vaste désert peuplé de mons- tres, dont souvent il devenoit la proie ; et, même long-temps après, l’histoire nous dit que les premiers héros n’ont été que des des- iructeurs de bêtes. Mais lorsqu’avec le temps l’espèce humaine s’est étendue, multipliée, répandue, et qu'à | DES ANIMAUX. 7 la faveur des arts et de la société l’homme a pu marcher en force pour conquérir l'univers, il a fait reculer peu à peu les bêtes féroces , ik a purgé la terre de ces animaux gigantesques dont nous trouvons encoreles ossemens énor- mes, il a détruit ou réduit à un petit nombre d'individus les espèces voraces et nuisibles, il a opposé les animaux aux animaux, et, subju- . .guant les uns par adresse, domtant les autres par la force, ou les écartant par le mombre, et les attaquant tous par des moyens raison- nés , il est parvenu à se mettre en sûreté, et à établir un empire qui n’est borné que par les lieux inaccessibles , les solitudes reculées, les sables brülans, les montagnes glacées, les cavernes obscures, ui servent de retraites au petit nombre d' contes d'animaux indom- tables. LE, C HE Ve "et La plus noble conquête que l’homme ait jamais faite, est celle de ce fier et fougueux animal, qui partage avec lui les fatigues de la guerre et la gloire des combats : aussi in- trépide que son maître, le cheval voit Le péril et l’affronte; il se fait au bruit des armes, il Vaime, il le cherche et s’anime de la même ardeur : il partage aussi ses plaisirs; à la chasse, aux tournois, à la course, il brille, 1l étincelle. Mais, docile autant que coura- geux, il ne se laisse point emporter à son feu ; il sait réprimer ses mouvemens : non seule- ment il fléchit sous la main'de celui qui le guide, mais il semble consulter ses desirs, et, obéissant toujours aux impressions qu'il en reçoit, il se précipite, se modère ou s'arrête, et n’agit que pour y satisfaire : c’est une crea- ture qui renonce à soh être pour n'exister que par la volonté d’un autre, qui sait même la prévenir; qui, par la promptitude et la précr- sion deses mouyemens, l’exprime et l’exécute; ms: : P1L, Pag 8. Î PuqutP HISTOIRE NATURELLE 9 qui sent autant qu'on le desire, et ne rend qu'autant qu'on veut; qui, se livrant sans réserve, ne se refuse à rien, sert de toutes ses forces, s'excède , et même meurt pour mieux obéir. Voilà le cheval dont les talens sont déve- loppés; dont l’art a perfectionné les qualités naturelles, qui, dès le premier âge, a été soigné ef ensuite exercé, dressé au service de l'homme : c'est par la perte de sa liberté que commence son éducation , et c’est par la con- trainte qu'elle s’achève. L’esclavage ou la do- mesticité de ces animaux est même si univer- selle, siancienne, que nous ne les voyons que rarement dans leur état naturel: ils sont tou- jours couverts de harnois dans leurs travaux; on ne les délivre jamais de tous leurs liens, même dans les temps du repos; et si on les laisse quelquefois errer en liberté dans les pâturages, 1ls y portent toujours les marques de la servitude, et souvent les empreintes _cruelles du travail et de la douleur; la bouche est déformée par les plis que le mors a pro: duits; les flancs sont entamés par des plaies, ou sillonnés de cicatrices faites par l’éperon ; la corne des pieds est traversée par des clous. 4 1 A * bn NÉE ES EL s : 1 1 re HISTOIRE NATURELLE VON L'attitude du corps est encore gênée par lim pression subsistante des entraves habituelles ; gd on les en délivreroit en vain, ils n’en seroient pas plus libres : ceux même dont l'esclavage est le plus doux, qu'on ne nourrit, qu'on wentretient que pour le luxe et la magni- ficence, et dont les chaînes dorées servent moins à leur parure qu'à la vanité de leur maître, sontencore plus déshonorés par l’élé: gance de leur toupet, par les tresses de leurs crins, par l'or et la soie dont on les couvre, que par les fers qui sont sous leurs pieds. . :- La nature est plus belle que l’art; et, dans un être animé, la liberté des mouvemens fait la belle nature. Voyez ces chevaux quise sont multipliés dans les contrées de l'Amérique espagnole, et qui vivent en chevaux libres: leur démarche, leur course, leurs sauts, ne sont ni génés, ni mesurés; fiers de leur indé- pendance, ils fuient la présence de l’homme, ils dédaignent ses soins , ils cherchent et trou- veut eux-mêmes la nourriture qui leur con- vient; ils errent, ils bondissent en liberté dans des prairies immenses, où ils cueillent les productions nouvelles d’un printemps toujours nouveau; sans habitation fixe, sans DU CHEVAL. Ç 11 autre abri que celui d’un ciel serein , ile res- pirent un air plus pur que celui de ces palais voûtés où nous les renfermons, en pressant les espaces qu'ils doivent occuper : aussi ces chevaux sauvages sont-ils beaucoup plus forts, plus légers, plus nerveux , que la plupart des chevaux domestiques; ils ont ce que donne la nature, la force et la noblesse; les autres n'ont que ce que l’art peut donner, l'adresse et l'agrément. Le naturel de ces animaux n’est point fé- roce, ils sont seulement fiers et sauvages. Quoique supérieurs par la force à la plupart des autres animaux, jamais ils ne les at- taquent; et s’ils en sont attaqués, ils les dé- daignent, les écartent ou les écrasent. Ils | vont aussi par troupes et se réunissent pour le seul plaisir d’être ensemble; car ils n’ont aucune crainte, mais ils prennent de l’atta- chement les uns pour les autres. Comme l'herbe et les végétaux suffisent à leur nour- riture, qu’ils ont abondamment de quoi sa- tisfaire leur appétit, et qu’ils n’ont aucun goût pour la chair des animaux, ils ne leur font point la guerre, ils ne se la font point entre eux, ils ne se disputent pas leur 12 HISTOIRE NATURELLE subsistance; ils n’ont jamais occasion de ravir. une proie ou de s’arracher un bien, sources ordinaires de querelles et de combats parmi les autres animaux carnassiers ‘ils vivent donc en paix, parce que leurs appétits sont simples et modérés, et qu’ils ont assez pour ne se rien envier. Tout cela peut se remarquer dans les jeunes chevaux qu’on élève ensemble et qu'on mène en troupeaux; ils ont les mœurs douces et les qualités sociales ; leur force et leur ardeur ne se marquent ordinairement que par des . signes d'émulation; ils cherchent à se devan- cer à la course, à se faire et même s’animer au péril en se défiant à traverser une rivière, sauter un fossé ; et ceux qui dans ces exercices naturels donnent l’exemple, ceux qui d'eux- mêmes vont les premiers, sont les plus géné: reux, les meilleurs, et souvent les plus do- ciles et les plus souples lorsqu'ils sont une fois domtés. | Quelques anciens auteurs parlent des che- vaux sauvages, et citent même les lieux où ils se trouvoient. Hérodote dit que sur les bords de l'Hypanis en Scythie, il y avoit des che- Faux sauvages qui étoient blancs , et que dans DU CHEVAL 1048. la partie septentrionale de la T'hrace au-delà du Danube, 1l yen avoit d’autres qui avoient le poil long de cinq doigts par tout le corps. Aristote cite la Syrie, Pline les pays du nord, Strabon les Alpes et l'Espagne, comme des lieux où l’on trouvoit des chevaux sauvages. Parmi les modernes, Cardan dit la même chose de l'Écosse et des Orcades, Olaüs de la Moscovie, Dapper de l’île de Chypre, où il y. avoit, dit-il, deschevaux sauvages qui étoient beaux, et qui avoient de la force et de la vi- | tesse; Struys de l'ile de May au cap Vert, où il y avoit des chevaux sauvages fort petits, Léon l’Africain rapporte aussi qu'il y avoit des chevaux sauvages dans les déserts de l'Afrique et de l'Arabie, et il assure qu’il a yu lui-même, dans les solitudes de Numidie, un poulain dont le poil étoit blanc et la cri- nière crépue. Marmol confirme ce fait, en disant qu’il y en a quelques uns dans les dé- serts de l'Arabie et de la Libye, qu'ils sont petits et de couleur cendrée; qu’il y en a aussi de blancs , qu'ils ont la crinière et Les crins fort courts et hérissés, et que les chiens ni les chevaux domestiques ne peuvent les atteindre À la course. On trouve aussi dans les Lettres 2 14 HISTOIRE NATURELLE édifiantes, qu’à la Chine il y a des ROUE sauvages fort petits. ji: Comme toutes les parties de l'Europe sont aujourd'hui peuplées et presque également. habitées, on n’y trouve plus de chevaux sau- vages, et ceux que l’on voit en Amérique sont des chevaux domestiques et européens d’origine, que les Espagnols y ont transportés, et qui se sont multipliés dans les vastes dé serts de ces contrées inhabitées ou dépeuplées ; car cette espèce d'animaux manquoit au nouveau monde. L’étonnement et la frayeur que marquérent les habitans du Mexique et du Pérou à l'aspect des chevaux et des ca- valers, firent assez voir aux Espagnols que ces animaux étoient absolument inconnus dans ces climats : ils en transportèrent donc un grand nombre, tant pour leur service et leur utilité particulière, que pour en propa- ger l'espèce; ils en lâchèrent dans plusieurs Îles, et même dans le continent, où ils se sont multipliés comme les autres animaux sauvages. M. de la Salle en a vu en 1685 dans l'Amérique septentrionale, près de la baie Saint-Louis; ces chevaux paissoient dans les prairies , et ils étoient si farouches, qu’on ne 7 DU CHEVAL. A à pouvoit les approcher. L'auteur de l’Æistoire des aventuriers flibustiers dit «qu'on voit « quelquefois dans l’ile Saint-Domingue des « troupes de plus de cinq cents chevaux qui «courent tous ensemble, et que lorsqu'ils ap- « perçoivent un homme, ils s'arrêtent tous; «que l’un d'eux s'approche à une certaine « distance, souffle des naseaux , prend la « fuite, et que tous les autres le suivent ». Il ajoute qu’il ne sait si ces chevaux ont dégé- néré en devenant sauvages, mais qu’il ne les _ a pas trouvésaussi beaux que ceux d'Espagne, quoiqu'ils soient de cette race : « Ils ont, «dit-il, la tête fort grosse, aussi bien que les « jambes, qui de plus sont raboteuses ; ils ont « aussi les oreilles et le cou long : les habitans « du pays les apprivoisent aisément, et les font «ensuite travailler: les chasseurs leur font « porter leurs cuirs. On se sert pour les pren. «-dre de lacs de corde, qu’on tend dans les « endroits où ils fréquentent ; ils s’y engagent _ «aisément; et s'ils se prennent par le cou, « ils s’étranglent eux-mêmes, à moins qu'on « n'arrive assez tôt pour les secourir; on les « arrête par le corps et les jambes, et on les « attache à des arbres, où en les laisse pendant 16 HISTOIRE NATURELLE «deux jours sans boire ni manger : cette « épreuve suffit pour commencer à les rendre « dociles, et avec le temps ils le deviennent . «autant que s’ils n’eussent jamais été farou— « ches ; et même si, par quelque hasard, ils « se retrouvent en liberte, ils ne deviennent « pas sauvages une seconde fois, ils recon- « noissent leurs maîtres, et se laissent ap- « procher et reprendre aisément.» Cela prouve que ces animaux sont naturel- lement doux et tres-disposés à se familiariser avec l’homme et à s'attacher à lui: aussi n’ar- rive-t-il jamais qu'aucun d'eux quitte mos maisons pour se retirer dans les forêts où dans les déserts; ils marquent au contraire beaucoup d'empressement pour revenir au gite, où cependant ils ne trouvent qu'une. nourriture grossière et toujours la même, et ordinairement mesurée sur l’économie beau- coup plus que sur leur appétit: mais la dou- ceur de l’habitude leur tient lieu de ce qu'ils perdent d’ailleurs : après avoir été excédés de fatigue, le lieu du repos est un lieu de de- lices; ils le sentent de loin; 1ls savent le re- connoître au milieu des plus grandes villes, et semblent préférer en tout l'esclavage à la. DU CHEVAL. fr liberte ; 1ls se font même une seconde nature des habitudes auxquelles on les a forcés ow soumis, puisqu'on a vu des chevaux, aban- donnés dans les bois, hennir continuellement pour se faire entendre, accourir à la voix des hommes, et en même temps maiprir et dé- _périr en peu de temps, quoiqu'ils eussent abondamment de quoi varier leur nourriture et satisfaire leur appétit. . Leurs mœurs viennent donc presque en en- tier de leur éducation, et cette éducation sup- pose des soins et des peines que l'homme ne rend pour aucun autre animal, mais dont il est dédommagé par les services continuels que lui rend celui-ci. Dès le temps du pre- mier âge on a soin de séparer Les poulains de leur mère: on les laisse téter pendant cinq, six ou tout au plus sept mois; car l’expe- rience a fait voir que ceux qu’on laisse téter dix ou onze mois, ne valent pas ceux qu’on sèvre plutôt, quoiqu’ils prennent ordinaire- ment plus de chair et de corps : après ces six ou sept mois de lait, on les sèvre pour leur faire prendre une nourriture plus solide que le lait; on leur donne du son deux fois par jour et un peu de foin, dont on augmente 2 r} Le fe) DUC CE Pr à. À À NE a L Tu 1 18 HISTOIRE NATURELLE la quantité à mesure qu’ils avancent en âge } et on les garde dans l'écurie tant qu'ils mar- quent de l’inquiétude pour retourner à leur mère: mais lorsque cette inquiétude est pas- sée, on les laisse sortir par le beau temps, eton les conduit aux pâturages ; seulement 11 faut prendre garde de les laisser paître à jeûn; : il faut leur donner le son et les faire boire une heure avant de les mettre à l'herbe, et ne jamais les exposer au grand froid ou à la pluie. Ils passent de cette façon le premier hiver : au mois de mai suivant, non seule- ment on leur permettra de pâturer tous les jours , mais on Les laissera coucher à l'air dans les pâturages pendant tout l’été et jusqu'à la fin d'octobre, en observant seulement de ne leur pas laisser paître les regains; s'ils s’ac- coutumoient à cette herbe trop fine, ils se dégoûteroient du foin, qui doit cependant faire leur principale nourriture pendant le second hiver, avec du son mêlé d'orge ow d'avoine moulus : on les conduit de cette fa- con en les laissant pâturer le jour pendant l'hiver, et la nuit pendant l’été, jusqu'à l’âge de quatre ans, qu'on les retire du pâturage pour les nourrir à l'herbe sèche. Ce change- : DU CHEVAL, 1 ment de nourriture demande quelques pré- cautions : on ne leur donnera, pendant les _ premiers-huit jours, que de la paille, et on fera bien de leur faire prendre quelques breu- vages contre les vers, que les mauvaises di- gestions d’une herbe trop crue peuvent avoir produits. M. de Garsault, qui recommande cette pratique, est sans doute fondé sur l’ex- périence; cependant on verra qu'à tout âge et dans:tous les temps l'estomac de tous les che- vaux est farci d’une si prodigieuse quantité de vers, qu'ils semblent faire partie de leur constitution : nous les avons trouvés dans les es PR Mr M ee TRUST PER - ES nf RS nr a DE'L’ANE, 145 | familles, et ne contient en effet que des in dividus. Un individu est un être à part, isolé, déta- ché, et qui n’a rien de commun avec les autres êtres, sinon qu’il leur ressemble, ou bien qu’il en diffère. Tous Les individus sem blables qui existent sur la surface de la ierre, sont regardés comme composant l’es- pèce de ces individus. Cependant ce n’est ni le nombre ni la collection des individus sem- blables qui fait l’espèce, c’est la succession constante et le renouvellement non inter- rompu de ces individus qui la constituent : car un être qui dureroit toujours ne feroit pas une espèce, non, plus qu’un million d'êtres semblables qui dureroient aussi tou- jours. L'espèce est donc un mot abstrait et général, dont la chose n'existe qu’en considé- rant la nature dans la succession des temps, et dans la destruction constante et le renou- * vellement tout aussi constant des êtres. C’est en comparant la nature d'aujourd'hui à celle des auiges temps, et les individus actuels aux individus passés, que nous avons pris une idée nette de ce que l’on appelle espèce, et la comparaison du nombre ou de la res= ie 31 126 HISTOIRE NATURELLE semblance des individus n’est qu'une idée” accessoire, et souvent indépendante de la première; car l'âne ressemble au cheval plus que le barbet au levrier, et cependant le bar-: bet'et Le levrier ne font qu’une même espèce, puisqu'ils produisent ensemble des individus qui peuvent eux-mêmes en produire d’autres; au lieu que le cheval etl’âne sont certainement dedifférentes espèces, puisqu'ils ne produisent ensemble que desindividus viciés et inféconds. C’est donc dans la diversité caractéristique des espèces que les intervalles des nuances de la nature sont le plus sensibles etlemieux marqués : on pourroit même dire que ces intervalles entre les espèces sont les plus égaux et les moins variables de tous, puis- qu'on peut toujours tirer une ligne de se- paration entre deux espèces, c’est-à-dire entre deux successions d'individus qui sé reproduisent et ne peuvent se méler, comme Von peut aussi réunir en une seule espèce deux successions d'individus qui se repro-. duisenut en se mélant. Ce point est le plus : fixe que nous ayons en histoire naturelle ; toutes les autres ressemblances et toutes les autres différences que l’on pourroit saisir : 140 \ + »= DO 'LIA NE. 0 vBe dans la comparaison des êtres ; ne seroient, ni si constantes, ni si réelles, ni si certaines. Ces intervalles seront aussi les seules lignes de séparation que l’on trouvera dans notre ouvrage: nous ne diviserons pas les êtres au- trement qu'ils le sont en effet; chaque es- pêce, chaque succession d'individus qui se reproduisent et ne peuvent se méler , sera considérée à part et traitée séparément; ef nous ne nous servirons des farnilles, des genres, des ordres et des classes, pas plus que ne s’en sert la nature. L'espèce n'étant donc autre chose qu’une succession constante d'individus semblables et qui se reproduisent, il est clair que cette _ dénomination ne doit s’étendre qu'aux ani- maux et aux végétaux, et que c’est par un abus des termes ou des idées que les nomen- clateurs l'ont employée pour désigner les: différentes sortes de minéraux. On ne doit donc pas regarder le fer comme une espèce, et le plomb comme une autre espèce, mais seulement comme deux métaux diffe- xens; et l’on verra dans notre discours sur leés minéraux, que les lignes de séparation que nous ermploierons dans la division des. dt LE OR NA ER ta 128 HISTOIRE NATURELLE matières minérales , seront bien diFÉO D de celles que nous employons pour les ani= maux et pour les VÉERIE Mais, pour en revenir à la dégénération à des êtres, et particulièrement à celle des ani- maux, observons et examinons encore de plus près les mouvemens de la nature dans les variétés qu’elle nous offre ; et comme l’es- pèce humaine nous est la mieux connue, voyons jusqu'où s'étendent ces mouvemens de variation. Les hommes différent du blanc au noir par la couleur, du double au simple par la hauteur de la taille, la grosseur, la légéreté , la force, etc. et du tout au rien pour. l'esprit; mais cette dernière qualité n’appar- tenant point à la matière, ne doit point être ici considérée : les autres sont les variations ordinaires de la nature, qui viennent de l’in- fluence du climat et de la nourriture. Mais ces différences de couleur et de dimension dans la taille n’empêchent pas que lenésreet le blanc, ie Lappon et le Patagon, le géant et le nain, ne produisent ensemble des individus qui peuvent eux-mêmes se reproduire, et que par conséquent ces hommes, si différens en ap— parence , ne soient tous ’uue seule ei même DE L’ANE 129 espèce, puisque cette reproduction constante est ce qui constitue l'espèce. Après ces varia- tions générales, il y en a d’autres qui sont plus particulières, et qui ne laissent pas de - se perpétuer, comme les énormes jambes des hommes qu'on. appelle de la race de saint Thomas dans l'ile de Ceylan, les yeux rouges et les cheveux blancs des Dariens et des Cha- crelas, les six doigts aux mains et aux pieds _ dans certaines familles, etc. Ces variétés sin- _gulières sont des défauts ou des excés acci- dentels, qui, s'étant d’abord trouvés dans quelques individus , se sont ensuite propagés de race en race, comme les autres vices et maladies héréditaires. Mais ces différences, quoique constantes, ne doivent être regardées que comme des variétés individuelles, qui ne séparent pas ces individus de leur espèce , puis- que les races, extraordinaires de ces hommes à grosses jambes ou à six doigts peuvent se mêler avec la race ordinaire, et produire des individus qui se reproduisent eux-mêmes. On doit dire la même chose de toutes les autres difformités ou monstruosités qui se communiquent des pères ef mères aux en- fans. Voilà jusqu'où s'étendent les erreurs de 1o HISTOIRE NATURELLE la nature, voilà les plus grandes limites de ses variétés dans l’homme; et s’il y a des in+ dividus qui dégénèrent encore davantage, ces individus ne reproduisant rien, n'altèrent ni la constance ni l’unité de l’espèce. Ainsi il n’y a dans l’homme qu’une seule et même espèce; et quoique cette espèce soit peutêtre la plus nombreuse et la plus abondante en individus, et en même temps la plus incon- séquente et la plus irrégulière dans toutes ses actions, on ne voit pas que cette prodigieuse diversité de mouvemens, de nourriture, de + : © ! . . Ru climat, et de tant d’autres combinaisons que l’on peut supposer , ait produit des êtres assez différens des autres pour faire de nouvelles souches, et en même temps assez semblables à nous pour ne pouvoir nier de leur avoir appartenu, .: Si le nègre et le blanc ne pouvoient pro duire ensemble, si même leur production demeuroit inféconde, si le mulâtre étoit un vrai mulet, il y auroit alors deux espèces bien distinctes; le nègre seroit à l’homme ce que l’âne est au cheval : ou plutôt, si le blanc étoit homme, le nègre ne seroit plus un homme ; ce seroit un animal à part, comme DE L’ANE. r3r _le singe, et nous serions en droit de penser que le blanc et le nègre n’auroient point eu une origine commune. Mais cette supposition même est démentie par le fait; et puisque tous les hommes peuvent communiquer et produire ensemble, tous les hommesviennenEt de la même souche et sont de la même famille. Que deux individus ne puissent produire ensemble, il ne faut pour cela que quelques légères disconvenances dans le tempérament, ou quelque défaut accidentel dans les or- ganes de la génération de l’un ou de l’autre de ces deux individus. Que deux individus de différentes espèces, et que l’on joint en- semble, produisent d'autres individus qui, ne ressemblant ni à l’un ni à l’autre, ne ressemblent à rien de fixe, et ne peuvent par conséquent rien produire de semblable à eux, al ne faut pour cela qu’un certain degré de convenance entre la forme du corps et les organes de la génération de ces animaux dif- férens. Mais quel nombre immense et peut— être infini de combinaisons ne faudroit-il pas pour pouvoir seulement supposer que deux animaux, mâle et femelle, d'une certaine espèce, ont non seulement assez dégénéré 132 HISTOIRE NATURELLE pour n’être plus de cette espèce, c’est-à-dire pour ne pouvoir plus produire avec ceux auxquels ils étoient semblables, mais encore dégénéré QE deux précisément au même point, et'à ce point nécessaire pour ne pou- voir produire qu'ensemble! et ensuite quelle autre prodigieuse immensité de combinaisons ne faudroit-il pas encore pour que cette nou velle production de ces deux animaux dé- générés suivit exactement les mêmes lois qui s’observent dans la production des animaux parfaits! car un animal dégénéré est lui-même une production viciée; et comment se pour- roit-il qu’une origine viciée, qu'une dépra- vation, une négation, pût faire souche, et non seulement produire une succession d'êtres constans, mais même les produire de la même façon et suivant les mêmes lois que se repro- duisent en effet les animaux dont l'origine est pure? Quoiqu’on ne puisse donc pas démontrer : que la production d’une espèce par la dégéné- ration soit une chose impossible à la na- ture, le nombre des probabilités contraires est si énorme, que, philosophiquement même, en n'en peut guère douter : car si quelque a Lac “ : DE L’ANE. 133 espèce a été produite par la dégénération d’une autre, si l'espèce de l’âne vient de l’es- pêce du cheval, cela n’a pu se faire que suc- cessivement et par nuances; 1l y auroit eu entre le cheval et l’âne un grand nombre d'animaux intermédiaires, dont les premiers se seroient peu à peu éloignés de la nature du cheval, et les derniers se seroient appro- chés peu à peu de celle de l’âne. Et pourquoi me verrions-nous pas aujourd hui kes repre- sentans , Les descendans de ces espèces inter- médiaires ? pourquoi n’en est-il demeuré que les deux extrèmes ? ; L’âne est donc un âne, et n’est point un cheval dégénéré, un cheval à queue nue; il west ni étranger, ni intrus, ni bâtard; ila, comme tous les autres animaux, sa famille, son espèce et son rang; son sang est pur; et quoique sa noblesse soit moins illustre, elle est toute aussi bonne, toute aussi ancienne, que celle du cheval. Pourquoi donc tant de mépris pour cet animal, si bon, si patient, si sobre, si utile? Les hommes mépriseroient- ils jusque dans les animaux ceux qui les servent trop bien et à trop peu de frais? On donne au cheval de l'éducation ; on le soigne, | | 12 134 HISTOIRE NATURELLE on linstruit, on l’exerce , tandis que l’âne, abandonné à la grossiéreté du dernier des va- lets, ou à la malice des enfans, bien loin d'acquérir ne peut que perdre par son édu- cation; et s’il n’avoit pas un grand fonds de bonnes qualités, il les perdroit en effet par la manière dont on le traite: il est le jouet, le plastron, le bardeau des rustres, qui le con- duisent le bâton à la main, qui le frappent, Je surchargent, l’excèdent sans précautions, sans ménagement. On ne fait pas attention que l’âne seroit par lui-même, et pour nous, le premier, le plus beau, le mieux fait, le plus distingué des animaux, si dans le monde il n’y avoit point de cheval. Il est le second au lieu d’être le premier, et par cela seul il semble n'être plus rien. C’est la comparaison qui le degrade : on lé regarde, on le juge, non pas en lui-mème, mais relativement au cheval : on oublie qu'il est âne, qu’il à toutes les qualités de sa nature, tous les dons atta- chés à son espèce; et on ne pense qu’à la figure et aux qualités du cheval, qui lui manquent, et qu'il ne doit pas avoir. Ïl est de son naturel aussi humble, aussi patient, aussi tranquille, que Le cheval est # MR A NE. 135 fier, ardent, impétueux : il souffre avec constance , et peut-être avec courage, les chà- timens et les coups. Il est sobre et sur la quantité et sur la qualité de la nourriture: il se contente des herbes les plus dures et les plus désagréables, que le cheval et les autres animaux lui laissent et dédaignent. IL est fort délicat sur l’eau; il ne veut boire que de la plus claire et aux ruisseaux qui lui sont con- nus. Il boit aussi sobrement qu'il mange, et n’enfonce point du tout son nez dans l’eau, par la peur que lui fait, dit-on, l'ombre de ses oreilles. Comme l’on ne prend pas la peine de l’étriller, il se roule souvent sur le gazon, Sur les chardons, sur la fougère; et, sans se soucier beaucoup de ce qu'on lui fait porter, 1l se couche pour se rouler toutes les fois qu’il le peut, et semble par là reprocher à son maître le peu de soin qu'on prend de lui: car 1l ne se vautre pas , comme le che- val, dans la fange et dans l’eau; 1l craint même de se mouiller les pieds, et se dé— tourne pour éviter la boue : aussi a-t-1l La jambe plus sèche et plus nette que le cheval. IL est susceptible d'éducation, et l’on en a vu d'assez bien dressés pour faire curiosité de spectacle, « DR N. SR EN 136 HISTOIRE NATURELLE Dans la première jeunesse, il est gai, ef : méme assez joli : il a de la légéreté et de la gentillesse; mais il la perd bientôt, soit par l’âge, soit par les mauvais traitemens, et il devient lent, indocile et têtu : 1l n’est ardent que pour le plaisir, ou plutôt il en est fu- rieux au point que rien ne peut le retenir, et que l’on en a vu s’excéder et mourir quel- ques instans après; et comme il aime avec une espèce de fureur, il a aussi pour sa pro- géniture le plus fort attachement. Pline nous assure que lorsqu'on sépare la mère de son petit, elle passe à travers les flammes pour aller le rejoindre. Il s'attache aussi à son maitre, quoiqu'il en soit ordinairement mal- traité : 11 le sent de loin, et le distingue de tous les autres hommes. Il reconnoîït aussi Les lieux qu'il a coutume d’habiter, les chemins qu'il a fréquentés. Il a les yeux bons, l’odo- rat admirable, sur-tout pour les corpuscules de l’ânesse; l'oreille excellente, çe qui a en- core contribué à le faire mettre au nombre des animaux timides, qui ont tous, à ce qu’on prétend, l’ouïe très-fine et les oreilles longues. Lorsqu'on le surcharge, il le marque en inclinant la tête et baissant les oreilles DE L’ANE. "400 Lorsqu'on le tourmente trop, il ouvre la bouche , et retire les lèvres d’une manière très-désagréable; ce qui lui donne l'air mo- queur et dérisoire. S1 on lui couvre les yeux, il reste immobile; et lorsqu'il est couché sur le côté, si on lui place la tête de manière que l'œil soit appuyé sur la terre, et qu'on couvre l’autre œil avec une pierre ou un morceau de bois, il restera dans cette situa- tion sans faire aucun mouvement, et sans se secouer pour se relever. Il marche, il trotte. _et il galope comme le cheval; mais tous ces mouvemens sont petits et beaucoup plus lents. Quoiqu'il puisse d’abord courir avec assez de vitesse, il ne peut fournir qu’une petite carrière, pendant un petit espace de temps; et quelque allure qu'il prenne, si on le presse il est bientôt rendu. Le cheval hennit et l'âne brait; ce qui se fait par un grand cri très-long, très-désa- gréable , et discordant par dissonances al- ternatives de l’aigu au grave et du grave à l'aigu. Ordinairement il ne crie que lorsqu'il est pressé d'amour ou d’appétit. L’ânesse a la voix plus claire et plus perçante. L’âne qu’on fait hougre ne brait qu’à basse voix ; | 12 —# 138. HISTOIRE NATURELLE et quoiqu'il paroisse faire autant d’efforts et les mêmes mouvemens de la gorge, son cri ne se fait pas entendre de loin. . De tous les animaux couverts de poil, l'âne est celui qui est le moins sujet à la vermine: jamais il n’a de poux; ce qui vient appa- remment de la dureté et de la sécheresse de sa peau, qui est en effet plus dure que celle de la plupart des autres quadrupèdes; et c'est par la même raison qu’il est bien moins sen- sible que le cheval au fouet et à la piquure des mouches. À deux ans et demi les premières dents incisives du milieu tombent, et ensuite les autres incisives à côté des premières tombent aussi, et se renouvellent dans le même temps et dans le même ordre que celles du cheval. L'on connoît aussi l’âge de l’ânepar les dents; les troisièmes incisives de chaque côtéle mar- quent comme dans le cheval. | Dés Pâge de deux ans l'âne est en état d’engendrer. La femelle est encore plus pré- coce que le mâle, et elle est tout aussi las— cive : c’est par cette raison qu'elle est très- peu féconde ; elle rejette au dehors la liqueur qu'elle vient de recevoir dans l’accouplement, \ ne: DE TTA NE. 13% à moins qu'on n'ait soin de lui ôter prompte- ment la sensation du plaisir, en lui donnant des coups pour calmer la suite des convul- sions et des mouvemens amoureux; sans cette précaution elle ne retiendroit que très-rare- ment. Le temps le plus ordinaire de la cha- leur est le mois de mai et celui de juin. Lorsqu’elle est pleine, la chaleur cesse bien- tot, et dans le dixième mois le lait paroît dans les mamelles : elle met bas dans le dou- zième mois, et souvent il se trouve des mor- ceaux solides dans la liqueur de l’amnios, semblables à l’hippomanès du poulain. Sept jours après l’accouchement la chaleur se re- nouvelle, et l’ânesse ést en état de recevoir le mâle; en sorte qu’elle peut, pour ainsi dire, centinuellement engendrer et nourrir. Elle ne produit qu’un petit, et si rarement deux, qu'à peine en a-t-on des exemples. Au bout de cinq ou six mois on peut sevrer V’ânon; et cela est même nécessaire si la mère est pleine, pour qu’elle puisse mieux nourrir son fœtus. L’âne étalon doit être choisi parmi les plus grands et les plus forts de son es- pêce : il faut qu'il ait au moins trois ans, et qu'il n'en passe pas dix; qu'il ait les jambes r4o HISTOIRE NATURELLE hautes, le corps étoffé, la tête élevée et lé sère, les yeux vifs, les naseaux gros, l’en- colure un peu longue, le poitrail large, les reins charnus, la côte large, la croupe plate, la queue courte, le poil luisant, doux au toucher et d’un gris foncé. | EI L’ane, ue , comme le cheval, est trois où quatre ans à croître, vit aussi comme lui vingt-cinq ou trente ans : on prétend seule- ment que les femelles vivent ordinairement plus long-temps que les mâles ; mais cela ne vient peut-être que de ce qu'étant souvent pleines, elles sont un peu plus ménagées, au lieu qu’on excède continuellement les mâles de fatigue et de coups. Ils dorment moins que les chevaux, et ne se couchent pour dormir que quand ils sont excédés. L’âne étalon dure aussi plus long-temps que le cheval étalon : plus il est vieux, plus 1l paroït ardent; et en général la santé de cet amimal est bien plus ferme que celle du cheval : il'est moins délicat , et il n’est pas sujet, à beaucoup prés, à un aussi grand nombre de maladies; les anciens même ne lui en connoissoient guère d’autres que celle de la morve, à la= quelle il est, comme nous l’avons dit, en= core bien moins sujet que Le cheval. IA L'ANE. +41 Il y a parmi les ânes: différentes races comme parmi les chevaux, mais que l’on _connoit moins, parce ques ne les a ni soi- . gnés ni suivis avec la même attention; seu- lement ou ne peut guère douter que tous ne soient originaires des climats chauds. Aris- tote assure qu'il n'y en avoit point de son temps en Scythie, ni dans les autres pays septentrionaux qui avoisinent la Scythie, ni même dans les Gaules, dont le climat, dit-il, ne laisse pas d’être froid; et il ajoute que le climat froid, ou les empêche de pro- duire, ou les fait dégénérer, et que c’est par cette dernière raison que dans l'Ilyrie, la Thrace et l'Épire, ils sont petits et foibles : ils sont encore tels en France, quoiqu’ils y soient déja assez anciennement naturalisés, et que le froid du climat soit bien diminué depuis deux mille ans par la quantité de forêts abattues et de marais desséchés. Mais ce qui paroît encore plus certain, c’est qu'ils sont nouveaux pour la Suède et pour les autres pays du nord. Ils paroissent être ve- nus originairement d'Arabie, et avoir passé d'Arabie en Égypte, d'Égypte en Grèce, de Grèce en Italie, d'Italie en France, et ensuite MA + AE (FA 142 HISTOIRE NATURELLE en Allemagne, en-Angleterre, et enfin ex Suède , etc. car ils sont en effet d'autant moins forts et d'autant plus petits, que les climats sont plus froids. | Cette migration paroît assez bien prouvée par le rapport des voyageurs. Chardin dit «qu’il y a de deux sortes d’ânes en Perse: «les ânes du pays, qui sont lents et pesans, «et dont on ne se sert que pour porter des « fardeaux ; et une race d’ânes d'Arabie, qui «sont de fort jolies bêtes, et les premiers : «änes du monde : ils ont le poil poli, la « tête haute, les pieds légers; ils les lèvent «avec action , marchant bien, et l’on ne «sen sert que pour montures. Les selles FANS à #00 « qu'on leur met sont comme des bâts ronds «et plats par-dessus; elles sont de drap ou | « de tapisserie, avec les harnois et les étriers; «on s’assied dessus plus vers la croupe que « vers le Cou. IL y a de ces ânes qu'on achète . « jusqu’à quatre cents livres, et l’on n’en « sauroit avoir à moins de vingt-cinq pis- « tolès. On les panse comme les chevaux; « mais on'ne leur apprend autre chose qu’à « aller l'amble; et l’art de les y dresser est de . « leur attacher les jambes, celles de devant I DE L'ANE, 143 «et celles de derrière du même côté, par « deux cordes de coton, qu’on fait de la me- «sure du pas de l’âne qui va l’amble, et «qu’on suspend par une autre corde passée «dans la sangle à l’endroit de l’étrier. Des «espèces d’écuyers les montent soir et ma- « tin, et les exercent à cette allure. On leur « fend les naseaux afin de leur donner plus « d’'haleine; et ils vont si vite, qu'il faut « galoper pour les suivre. » Les Arabes, qui sont dans l'habitude de conserver avec tant de soin et depuis si long- temps les races de leurs chevaux , pren- droient-ils la même peine pour les ânes? ou plutôt ceci ne semble-t-il pas prouver que le climat d'Arabie est le premier et Le meil- leur climat pour les uns et pour les autres? De là ils ont passé en Barbarie, en Égypte, qu. ils sont beaux et de grande taille, aussi- bien que dans les climats excessivement chauds, comme aux Indes et en Guinée, où ils sont plus grands, plus forts et meilleurs que les chevaux du pays; ils sont même en grand honneur à Maduré, où l’une des plus _ considérables et des plus nobles tribus des Indes les révère particuliérement, parcequ’ils 144 HISTOIRE NATURELLE croient que les ames de toute la noblesse passent dans le corps des ânes. Enfin l'on trouve les ânes en plus grande quantité que les chevaux dans tous les pays méridionaux depuis le Sénégal jusqu’à la Chine : on y trouve aussi des ânes sauvages plus commu- nément que des chevaux sauvages. Les La- tins, d’après les Grecs, ont appelé l’âne sau- vage onager, onagre, qu'il ne faut pas con- fondre, comme l'ont fait quelques natura- listes et plusieurs voyageurs, avec le zébre, dont nous donnerons l’histoire à part, parce que le zèbre est un animal d’une espèce diffé- rente de celle de l'âne. L’onagre, ou l’âne sauvage, n'est point rayé comme le zèbre; et il n’est pas, à beaucoup près, d’une figure aussi élégante. On trouve des ânes sauvages dans quelques îles de l’Archipel, et particu- lièrement dans celle de Cérigo. Il y en a beaucoup dans les déserts de Libye et de Nu- midie : ils sont gris, et courent si vite, qu’il n’y a que les chevaux barbes qui puissent les atteindre à la course. Lorsqu'ils voient un homme, ils jettent un cri, font une ruade, s'arrêtent, et ne fuient que lorsqu'on les ap- proche. On les prend dans des piéges et dans DE L’ANE. 145 des lacs de corde. Ils vont par troupes pâturer et boire. On en mange la chair. Il y avoit aussi du temps de Marmol, que je viens de citer, des ànes sauvages dans l'ile de Sar- daigne , mais plus petits que ceux d'Afrique. Et Pietro della Valle dit avoir vu un âne sauvage à Bassora : sa figure n’étoit point dif- férente de celle des ânes domestiques; il étoit seulement d’une couleur plus claire, et il avoit, depuis la tête jusqu’à la queue, une raie de poil blond : il étoit aussi beaucoup. plus vif et plus léser à la course que les ânes ordinaires. Olearius rapporte qu’un jour le roi de Perse le fit monter avec lui dans un petit bâtiment en forme de théâtre pour faire collation de fruits et de confitures; qu'après le repas on fit entrer trente-deux ânes sau- vages , sur lesquels le roi tira quelques coups de fusil et de flèches, et qu’il permit ensuite aux ambassadeurs et autres seigneurs de ti- rer; que ce n’étoit pas un petit divertissement de voir ces ânes, chargés qu’ils étoient quel- quefois de plus de . flèches, dont ils in- commodoient et blessoient les autres quand ils se méloient avec eux, de sorte qu'ils se mettoienta se mordre et à ruer les uns contre Quaarupèdes, I. ‘25- 146 HISTOIRE NATURELLE . les autres d’une étrange façon; et que quand on les eut tous abattus et couchés de rang devant le roi, on les envoya à Ispahan à la cuisine de la cour, les Persans faisant un si grand état de la chair de ces ânes sau- vages, qu’ils en ont fait un proverbe, etc. Mais il n’y a pas apparence que ces trente- deux ânes sauvages fussent tous pris dans les forêts; et c’étoient probablement des ânes qu'on élevoit dans de grands parcs pour avoir le plaisir deles chasser et de les manger. On n’a point trouvé d’änes en Amérique, non plus que de chevaux, quoique le climat, sur-tout celui de l'Amérique méridionale, leur convienne autant qu'aucun autre. Ceux que les Espagnols y ont transportés d'Europe, et qu’ils ont abandonnés dans les grandes îles ‘et dans le continent, y ont beaucoup mul- tiplié, et l’on y trouve en plusieurs endroits des ânes sauvages qui vont paï troupes, et que l’on prend dans des piéges comme les chevaux sauvages. | L’äne avec la jument produit les grands mulets; le cheval avec l’ânesse produit les petits mulets, différens des premiers à plu- sieurs égards : mais nous xous réservons de DE L’ANE. 147 traiter en particulier de la génération des mulets , des jumarts, etc.etnousterminerons l'histoire de l’âne par celle de ses propriétés et des usages auxquels nous pouvons l’em— ployer. | . Comme les ânes sauvages sont inconnus dans ces climats, nous ne pouvons pas dire si leur chair est en effet bonne à manger : mais ce,qu'il y a de sûr, c’est que celle des ânes domestiques est très-mauvaise, et plus mauvaise, plus dure, plus désagréablement insipide , que celle du cheval ; Galien dit même que c'est un aliment pernicieux €Ë qui donne des maladies. Le lait d’anesse, au contraire, est un remède éprouvé et spéci— fique pour certains maux, et l’usage de ce remède s’est conservé depuis les Grecs jusqu’à nous. Pour l'avoir de bonne qualité, il faut choisir une änesse jeune , saine, bien en chair, qui ait mis bas depuis peu de temps, et qui n'ait pas été couverte depuis : il faut Jui ôter l’ânon qu’elleallaite, la tenir propre, la, bien nourrir de foin, d'avoine, d’orge et d'herbe dont les qualités salutaires puissent influer sur la maladie, avoir attention de ne pas laisser refroidir le lait, et même ne le | 148 HISTOIRE NATURELLE. pas exposer à Vair; ce qui le gâteroit en Lies de temps. 1 Les anciens attri nos aussi SR de vertus médicinales au sang, à l'urine, etc. de l’âne, et beaucoup d'autres qualités spé- cifiques à la cervelle, au cœur, au foie, etc. de cet animal : mais l'expérience a détruit, ou du moins n'a pas confirme ce qu'ils nous 4 en disent. | Jia S Li 0 Comme la peau de lPâne est très-dure et très-elastique, on l’emploie utilement à dif- férens usages : on en fait des cribles, des tambours, et de très-bons souliers; on en fait du gros parchemin pour les tablettes de poche, que l’on enduit d’une couche lesère de plätre. C'est aussi avec le cuir de lâne que les Orientaux font le sagri, que nous ap- pelons chagrin. Il y a apparence que les os, comme la peau de cet animal, sont aussi plus durs que les os des autres animaux, puisque _ les anciens en faisoient des flûtes, et qu'ils les trouvoient plus sonnantes que tous les autres os. L’âne est PARUS de tous kes animaux celui qui, relativement à son volume, peut porter les plus erands poids; et comme 1l ne DE L’ANE. 149 x coûte presque rien à nourrir, et qu'il ne demande, pour ainsi dire, aucun soin, il est d’une grande utilité à la campagne, au mou- lin, etc. Il peut aussi servir de monture: toutes ses allures sont douces, et il bronche moins que le cheval. On le met souvent à la charrue dans les pays où le terrain est léger; et son fumier est un excellent engrais pour les terres fortes et humides. 13 LE BU LS surface de la terre, parée de sa verdure, est le fonds inépuisable et commun duquel l'homme et les animaux tirent leur subsis- tance. Tout ce qui a vie dans la nature vit sur ce qui végète, et les végétaux vivent à leur tour des débris de tout ce qui a vécu et végété. Pour vivre il faut détruire, et ce n’est en effet qu’en détruisant des êtres que les animaux peuvent se nourrir et se multi- plier. Dieu, en créant les premiers individus de chaque espèce d'animal et de végetal, a non seulement donné la forme à la poussière de la terre, mais il l’a rendue vivante et animée, en renfermant dans chaque individu une quantité plus ou moins grande de prin- cipes actifs, de molécules organiques vi- vantes , indestructibles, et communes à tous les êtres organisés. Ces molécules passent de corps en corps, et servent également à la vie actuelle et à la continuation de la vie, à la nutrition , à l’accroissement de chaque indi- hr À | ré D © © LE TAUREAU L'ANE, PZ,2 , lag 200, sg [PEN QE 7 ; nt A , | | HISTOIRE NATURELLE. xbr vidu; et après la dissolution du corps, après sa destruction, sa réduction en cendres, ces molécules organiques , sur lesquelles la mort ne peut rien, survivent, circulent dans l’uni- vers , passent dans d’autres êtres, et y portent la nourriture et la vie. Toute production , tout renouvellement , tout accroissement par la génération, par la nutrition, par le déve- loppement, supposent donc une destruction précédente, une conversion de substance , un transport de ces molécules organiques qui ne se multiplient pas, mais qui, subsistant toujours en nombre égal, rendent la nature toujours également vivante, la terre égale- ment peuplée, et toujours également res- plendissante de la première gloire de celut qui l’a créee. À prendre les êtres en général, le total de la quantite de vie est donc toujours le même, et la mort, qui semble tout détruire, ne de- truit rien de cette vie primitive et commune à toutes les espèces d'êtres organisés. Comme toutes les autres puissances subordonnées et subalternes , la mort n’attaque que les indivi- dus, ne frappe que la surface , ne détruit que la forme, ne peut rien sur la matière, et ne ’ 4 AUX 7 152 HISTOIRE NATURELLE fait aucun tort à la nature, qui n’en brille que davantage, qui ne lui permet pas d’a- néantir les espèces, mais la laisse moissonner les individus et les détruire avec le temps, pour se montrer elle-même indépendante de la mort et du temps, pour exercer à chaque instant sa puissance toujours active, mani- fester sa plenitude par sa fécondité, et faire de l'univers, en reproduisant , en renouve- _ lant les êtres, un théâtre toujours rempli ,un spectacle toujours nouveau. Pour que les êtres se succèdent, il est donc nécessaire qu'ils se détruisent entre eux; pour que les animaux se nourrissent et subsistent, il faut qu'ils détruisent des végétaux ou d’autres animaux; et comme, avant et après la destruction, ja quantité de vie reste tou- jours la même, il semble qu’il devroit être indifférent à la nature que telle ou telle es- pèce détruisit plus ou moins : cependant, comme une mère économe au sein même de l'abondance, elle a fixe des bornes à la dépense et prévenu le dégât apparent, en ne donnant qu’à peu d'espèces d'animaux _Vinstinct de se nourrir de chair; elle a même réduit à un assez petit nombre d'individus EE <. DU BŒUF. 152 ces éspèces voraces et carnassières, tandis qu'elle a multiplié bien plus abondamment et les espèces et les individus de ceux qui se nourrissent de plantes, et que dans les végé- taux elle semble avoir prodigué les espèces, et repandu dans chacune avec profusion le nombre et la fecondité. L'homme a peut-être beaucoup contribue à seconder ses vues, à maintenir et même à établir cet ordre sur la terre; car dans la mer on retrouve cette in- différence que nous supposions : toutes les espèces sont presque également voraces; elles vivent sur, elles-mêmes ou sur les autres ;: et s’entre-devorent perpetuellementsans jamais se détruire, parce que la fécondité y est aussi grande que la déprédation, et que presque toute la nourriture, toute la consommation tourne au profit de la reproduction. L'homme sait user en maitre de sa puis- sance sur les animaux ; 1l a choisi ceux dont la chair flatte son goût; il en a fait des es- claves domestiques, il les a multipliés plus que la nature ne l’auroit fait, il en a formé des troupeaux nombreux, et, par les soins y qu'il prend de les faire naïtre, il semble avoir . C2 . L L2 LA e- acquis le droit de se les immoler : maisiletend " :54 HISTOIRE NATURELLE ce droit bien au-delà de ses besoins; car, in- dépendamment de ces espèces qu'il s’est as- sujetties , et dont il dispose à son gré, il fait aussi la guerre aux animaux sauvages, aux oiseaux, aux poissons : il ne se borne pas même à ceux du climat qu'il habite; il va chercher au loin, et jusqu'au milieu des mers, de nouveaux mets, et la nature en- tière semble suffire à peine à son intempé- rance et à l’inconstante variété de ses appé- tits. L’homme consomme, engloutit lui seul plus de chair que tous les animaux ensemble n’en dévorent : il est donc le plus grand des- tructeur, et c’est plus par abus que par ne- cessité. Au lieu de jouir modérément des biens qui lui sont offerts, au lieu de les dis- penser avec équité, au lieu de réparer à me-— sure qu’il détruit, de renouveler lorsqu'il anéantit, l’homme riche met toute sa gloire à consommer, toute sa grandeur à perdre en un jour à sa table plus de biens qu’il n’en faudroit pour faire subsister plusieurs fa- milles : il abuse également et des animaux (FE et des hommes, dont le reste demeure affa- _jmé, languit dans la misère, et ne travaille que pour satisfaire à l'appétit immodéré et DU BŒUF. 155 à la vanité encore plus insatiable de cet homme, qui, détruisant les autres par la di- sette, se détruit lui-même par les excès, Cependant l’homme pourroit, comme l’a- nimal, vivre de végétaux : la chair, qui pa- roît être si analogue à la chair, n’est pas une nourriture meilleure que les graines ou le pains Ce qui fait la vraie nourriture, celle qui contribue à la nutrition, au développe- ment, à l'accroissement et à l'entretien du corps, n'est pas cette matière brute qui com- pose à nos yeux la texture de la chair ou de l'herbe; mais ce sont les molécules orga- niques que l’uneet l’autre contiennent, puis- que le bœuf, en paissant l’herbe, acquiert autant de chair que l’homme ou que les ani- maux qui ne vivent que de chair et de sang. La seule différence réelle qu'il y ait entre ces alimens, c’est qu’à volume égal, la chair, le ble, les graines, contiennent beaucoup plus de molécules organiques que l’herbe, les feuilles, les racines et les autres parties des plantes, comme nous nous en sommes as— surés en observant les infusions de ces diffe- rentes matières : en sorte que l’homme et les animaux dont l'estomac et les intestins :56 HISTOIRE NATURELLE n’ont pas assez de capacité pour admettre un très-grand volume d'alimens, ne pourroient pas prendre assez d'herbe pour en tirer la quantité de molécules organiques nécessaire à leur nutrition; et c'est par cette raison que l'homme et les autres animaux qui nont qu'un estomac ne peuvent vivre que de chaix ou de graines, qui, dans un petit volume, contiennent une très-grande quantité de ces molécules organiques nutritives, tandis que le bœuf et les autres animaux ruminans qui. ont plusieurs estomacs, dont l’un est d'une très-srande capacité, et qui par conséquent peuvent se remplir d'un grand volume d'her- be, en tirent assez de molécules organiques * pour se nourrir, croitre et multiplier. La quantite compense ici la qualité de la nour- riture : mais le fond en est le même; c’est la même matière, ce sont les mêmes molécules organiques qui nourrissent le bœuf, l’homme et tous les animaux. On ne manquera pas de m’opposer que le cheval n’a qu'un estomac, et même assez petit; quel’ane, le lièvre, et d’autres animaux qui vivent d'herbe, n’ont aussi qu'un esto-— mac, et que par conséquent cette explication, 4 # DU BŒUF. 157 quoique vraisemblable, n’en est peut-être ni plus vraie, ni mieux fondée. Cependant, bien loin qne ces exceptions apparentes la détruisent, elles me paroissent au contraire la confirmer : car quoique le cheval et l’âne n’aient qu'un estomac, ils ont des poches dans les intestins, d’une si grande capacité, qu'on peut les comparer à la panse des ani- maux ruminans; et les lièvres ont l'intestin cæcum d’une si grande longueur et d’un tel diamètre, qu'il équivaut au moins à un se- cond estomac. Ainsi il n’est pas étonnant que ces animaux puissent se nourrir d'herbe; et en général on trouvera toujours que c’est de la capacité totale de l’estomac et des in- testins que dépend dans les animaux la di- wersité de leur manière de se nourrir : car les ruminans, comme le bœuf, le belier , le chameau , etc. ont quatre estomacs et des in- testins d'une longueur prodigieuse ; aussi vivent-ils d'herbe, et l’herbe seule leur suffit. Les chevaux, les ânes, les lièvres, les lapins, les cochons d'inde, etc. n’ont qu’un estomac; mais ils ont un cœcum qui équivaut à un second estomac, et ils vivent d'herbe et de graines. Les sangliers , les hérissons, les 14 er Ÿ NOR EU TEE RON EN A NE, SUN NPC ‘: À 58 HISTOIRE NATURELLE ecureuils, etc. dont l'estomac et les boyaux sont d’une moindre capacité, ne mangent que peu d'herbe, et vivent de graines, de fruits et de racines ; et ceux qui, comme les loups, les renards, les tigres, etc. ont l’es— tomac et les intestins d’une plus petite capa- cité que tous les autres, relativement au vo- : lume de leur corps, sont obligés, pour vivre, de choisir les nourritures les plus succulentes, les plus abondantes en molécules organiques, et de manger de la chair et du sang, des graines et des fruits. C’est donc sur ce rapport physique et né cessaire, beaucoup plus que sur la conve- nance du goût, qu'est fondée la diversité que nous voyons dans les appétits des animaux; car si la nécessité ne les déterminoit pas plus souvent que le goût, comment pourroient-ils dévorer la chair infecte et corrompue avec autant d’avidité que la chair succulente et fraîche? pourquoi mangeroient-ils également de toutes sortes de chair? Nous voyons que les chiens domestiques qui ont de quoi choisir refusent assez constamment cer- taines viandes, comme la bécasse, la grive, le cochon, etc. tandis que les chiens sauvages, . DU BŒUF. r5% les loups, les renards, etc. mangent égale- ment, et la chair du cochon, et la bécasse, et les oiseaux de toute espèce, et même les grenouilles, car nous en avons trouvé deux dans l'estomac d’un loup; et lorsque la chair ou le poisson leur manque, ils mangent des fruits, des graines, des raisins, etc. et ils préfèrent toujours tout ce qui, dans un petit volume, contient une grande quantité de parties nutritives, c’est-à-dire de molécules organiques propres à la nutrition et à l’en- tretien du corps. | Si ces preuves ne paroissent pas suffisantes, _ que l’on considère encore la manière dont on nourrit le bétail que l’on veut engraisser. On commence par la castration ; ce qui sup- prime la voie par laquelle les molécules or ganiques s’échappent en plus grande abon- dance : ensuite, au lieu de laisser le bœuf à sa päture ordinaire et à l'herbe pour toute nourriture, on lui donne du son, du grain, des navets, des alimens en un mot plus substantiels que l'herbe, et en très-peu de temps la quantité de la chair de l'animal augmente, les sucs et la graisse abondent, et font d’une chair assez dure et assez sèche # 1e 160 HISTOIRE NATURELLE. x par elle-même une viande succulente et si bonne, igé fait la base de nos bacs repas. 1 I1 résulte aussi de ce que nous venons de … dire, que l’homme, dont l'estomac et les intestins ne sont pas d’une très-grande ca- pacité relativement au volume de son corps, ne pourroit pas vivre d’herbe seule : cepen- dant il est prouvé par les faits qu'il pourroit bien vivre de pain, de légumes et d’autres : graines de plantes, puisqu'on connoît des. nations entières et des ordres d'hommes aux- quels la religion defend de manger de rien qui ait eu vie. Mais ces exemples, appuyés même de l’autorité de Pythagore, et recom- mandés par quelques médecins trop amis de la diète, ne me paroissent pas suflisans pour nous convaincre qu'il y eût à gagner pour la santé des hommes et pour la multiplication. du genre humain à ne vivre que de légumes et de pain, d'autant plus que les gens de la campagne, que le luxe des villes et la somp- tuosité de nos tables réduisent à cette facon. de vivre, languissent et dépérissent plus tô€ -que les hommes de l’état mitoyen , auxquels l'inanition et les excès sont feslemens in connus. DU BŒUF. | 26€ Après l'homme, les animaux qui ne vivent que de chair sont les plus grands destruc— teurs ; ils sont en même temps et les enne- mis de la nature et les rivaux de l’homme: ce n'est que par une attention toujours nou- velle, et par des soins prémédités et suivis, qu'il peut conserver ses troupeaux, ses vo— lailles , etc. en les mettant à l'abri de la serre de l’oiseau de proie, et de la dent carnassière du loup, du renard, de la fouine, de la be- lette, etc. ; ce n’est que par une guerre con-— tinuelle qu'il peut défendre son grain, ses fruits, toute sa subsistance, et même ses vêtemens, contre la voracité des rats, des chenilles , des scarabées, des mites , etc. : car les insectes sont aussi de ces bêtes qui dans le monde font plus de mal que de bien; au lieu que le bœuf, le mouton, et les autres animaux qui paissent l'herbe, non seulement sont les meilleurs, les plus utiles, les plus “précieux pour l’homme, puisqu'ils le nour- rissent , mais sont. encore ceux qui con-— somment et dépensent le moins : le bœuf sur-tout est à cet égard l'animal par excel- lence; car il rend à la terre tout autant qu'il en tire, et même il améliore le fonds sur 14 Î x62 HISTOIRE NATURELLE lequel il vit, il engraisse son pâturage; aù lieu’ que le cheval et la plupart des autres animaux amaigrissent en peu d'années les meilleures prairies. CAT Mais ce ne sont pas là les seuls avantages que le bétail procure à l’homme : sans le bœuf, les pauvres et les riches auroient beau- coup de peire à vivre; la terre demeureroit iuculte; les champs, et même les jardins, seroient secs et stériles: c’est sur lui que roulent tous les travaux de la campagne; il est le domestique le plus utile de la ferme, le soutien du ménage champêtre; il fait toute la force de l’agriculture : autrefois il faisoit toute la richesse des hommes, et aujourd’hui il est encore la base de l’opulence des états, qui ne peuvent se soutenir et fleurir que par la culture des terres et par l’abondance du bétail, puisque ce sont les seuls biens réels, tous les autres, et même l'or et l'argent, n'étant que des biens arbitraires, des repré= sentations , des monnoiesde crédit, qui n’on# de valeur qu’autant que le produit de la terre leur en donne. “I Le bœuf ne convient pas autant que le cheval , l'âne, le chameau, etc. pour porter DU BŒUF. 163 des fardeaux: la forme de son dos et de ses reins le démontre : mais la grosseur de son cou et la largeur de ses épaules indiquent assez qu'il est propre à tirer et à porter le joug : c'est aussi de cette manière qu'il tire le plus avantageusement; et il est singulier que cet usage ne soit pas général , et que dans des provinces entières on l’oblige à tirer par les cornes: la seule raison qu’on ait pu m'en donner, c’est que quand il est attelé par les cornes, on le conduit plus aisément; il a la tête très-forte, et il ne laisse pas de tirer assez bien de cette façon , mais avec beaucoup moins d'avantage que quand il tire par les épaules. Il semble avoir été fait exprès pour la charrue ; la masse de son corps, la lenteur de ses mouvemens, le peu de hauteur de ses jambes, tout, jusqu’à sa tranquillité et à sa patience dans le travail, semble concourir à: le rendre propre à la culture des champs, et plus capable qu'aucun autre de vaincre la résistance constante et toujours nouvelle que la terre oppose à ses efforts. Le cheval, quoi- que peut-être aussi fort que le bœuf, estmoins propre à cet ouvrage: il est trop élevé sur ses jambes; ses monvemens sont trop grands, 164 HISTOIRE NATURELLE trop brusques; et d’ailleurs il s’impatiente et se rebute trop aisément : on lui ôte même toute la légéreté, toute la souplesse de ses mouvemens, toute la grace de son attitude et de sa démarche, lorsqu'on le réduit à ce travail pesant, pour lequel il faut plus de constance que d’ardeur, plus de masse que de vitesse, et plus de poids que de ressort, Dans les espèces d'animaux dont l’homme a fait des troupeaux, et où la multiplication est l’objet principal, la femelle est plus né- cessaire, plus utile, que le mâle. Le produit de la vache est un bien qui croit et qui se renouvelle à chaque instant : la chair du veau est une nourriture aussi abondante que saine et délicate; le lait est l’aliment des enfans, le beurre l’assaisonnement de la plupart de nos mets, le fromage la nourriture la plus ordinaire des habitans de la campagne. Que de pauvres familles sont aujourd'hui réduites à vivre de leur vache! Ces mêmes hommes qui tous les jours, et du matin au soir, ge- missent dans le travail et sont courbés sur la charrue, ne tirent de la terre que du pain noir, et sont obligés de céder à d’autres la Heur, la substance de leur grain; c'est par | A DU BŒUF. 165 eux et ce n’est pas pour eux que les moissons sont abondantes. Ces mêmes hommes qui élèvent, qui multiplient le bétail, qui le soignent et s’en occupent perpetuellement, osent jouir du fruit de leurs travaux; la chair de ce bétail est une nourriture dont ils sont forcés de s’interdire l’usage, réduits par la nécessité de leur condition, c’est-à— dire par la dureté des autres hommes, à vivre, comme les chevaux, d’orgeet d'avoine, ou de légumes grossiers et de lait aigre. On peut aussi faire servir la vache à la charrue; et quoiqu’elle ne soit pas aussi forte que le bœuf, elle ne laisse pas de le rem- placer souvent. Mais lorsqu'on veut l’em- ployer à cet usage, il faut avoir attention de l’assortir, autant qu’on le peut, avec un bœuf de sa taille et de sa force, ou avec une autre vache, afin de conserver l'égalité du trait et de maintenir le soc en équilibre entre ces deux puissances : moins elles sont inégales, et plus le labour de la terre en est régulier. Au reste, on emploie souvent six et jusqu’à huit bœufs dans les terrains fermes, et sur-tout dans les friches, qui se lèvent pax grosses mottes et par quartiers, au lieu que 4 Lune PR AOR RATE 166 HISTOIRE NATURELLE deux vaches suffisent pour labourer les ter- rains meubles et sablonneux. On peut aussi, . dans ces terrains légers, pousser à chaque fois le sillon beaucoup plus loin que dans les terrains forts. Les anciens avoient borné à une longueur de cent vingt pas la plus grande étendue du sillon que le bœuf devoit tracer par une continuité non interrompue d'efforts et de mouvemeuns; après quoi, di- soient-ils, il faut cesser de l’exciter, et le laisser reprendre haleine pendant quelques momens avant de poursuivre le même sillon ou d'en commencer un autre. Mais les an- ciens faisoient leurs délices de l’etude de l'agriculture, et mettoient leur gloire à la- bourer eux-mêmes, ou du moins à favoriser le laboureur, à épargner la peine du culti- vateur et du bœuf; et parmi nous ceux qui jouissent le plus des biens de cette terre, sont ceux qui savent le moins estimer, encoura- ger, soutenir l’art de la cultiver. | Le taureau sert principalement à la pro- pagation de l'espèce ; et quoiqu'on puisse aussi le soumettre au travail, on est moins sûr de son obéissance, et il faut être en garde contre l’usage qu’il peut faire de sa force. La ET -DÉ7 DU BŒUF. | 167 _ nature a fait cet animal indocile et fier; dans le temps du rut il devient indomtable , et souvent furieux : mais par la castration l’on détruit la source de ces mouvemens impé- tueux, et l'on ne retranche rien à sa force; il n’en est que plus gros, plus massif, plus pesant, et plus propre à l'ouvrage auquel on le destine: il devient aussi plus traitable, plus patient, plus docile, et moins incom- mode aux autres. Un troupeau de taureaux ne seroit qu’une troupe effrénée que l’homme ne pourroit ni domter ni conduire. ” La manière dont se fait cette opération est assez connue des gens de la campagne: ce- pendant il y a sur cela des usages très-diffe- rens, dont on n’a peut-être pas assez observé les différens effets. En général, l’âge le plus convenable à la castration est l’âge qui pré- cède immédiatement la puberté. Pour le bœuf, c’est dix-huit mois ou deux ans; ceux qu'on y soumet plus tôt périssent presque tous. Cependant les jeunes veaux auxquels on Ôte Les testicules quelque temps après leur naissance, et qui survivent à cette opéra- tion si dangereuse à cet âge, deviennent des bœufs plus grands, plus gros, plus gras, que Abe (12 «68 HISTOIRE NATURELLE k. ceux auxquels on ne fait la castration qu'à ‘ deux, trois où quatre ans; mais ceux-ci pa- roissent conserver plus de courage et d’acti- vité, et ceux qui ne la subissent .qu’à l’âge de six, sept ou huitans, ne perdent presque rien des autres qualités du sexe masculin : ils sont plus impétueux, plus indociles, que: les autres bœufs ; et dans le temps de la cha- leur des femelles ils cherchent encore à s’en approcher: mais il faut avoir soin de les en écarter ; l’accouplement, et même le seul attouchement du bœuf, fait naître à la vulve de la vache des espèces de carnosités ou de verrues, qu'il faut détruire et guérir en y appliquant un fer rouge. Ce mal peut pro- venir de ce que ces bœufs, qu'on n’a que bistournés, c'est-à-dire auxquels on.a setle- ment comprimé les testicules, et serré et tordu les vaisseaux qui y aboutissent, ne laissent pas de répandre une liqueur appa- remment à demi purulente, et qui peut cau- ser des ulcères à la vulve de la vache, lesquels dégénèrent ensuite en carnosités. Le printemps est la saison où les vaches sont le plus communément en chaleur : la plupart, dans ce pays-ci, reçoivent le taureau PC BEE F7 169 et deviennent pleines depuis Le 15 avril jus- ‘qu’au-15 juillet; mais il ne laisse pas d'y en avoir beaucoup dont la chaleur est plus tar- dive, et d’autres dont la chaleur est plus pré- coce. Elles portent neuf mois, et mettent bas au commencement du dixième. On a donc des veaux en quantité depuis le 15 jan- vier jusqu'au 15 avril : on en a aussi pendant tout l’été assez abondamment ; et l’automne est le temps où ils sont le plus rares. Les signes de la chaleur de la vache ne sont point équivoques : elle mugit alors très-fréquem- ment et plus violemment que dans les autres temps ; elle saute sur les vaches, sur les bœufs, et mème sur les taureaux: la vulve est gonflée et proéminente au dehors. Il faut profiter du temps de cette forte chaleur pour lui donner le taureau : si on laissoit dimi- nuer cette ardeur, la vache ne retiendroit pas aussi sûrement. | Le taureau doit ètre choisi, comme le cheval étalon, parmi les plus beaux de som espèce : il doit être gros, bien fait et en bonne chair; il doit avoir l’œil noir, le regard fier, le front ouvert, la tête courte, les cornes grosses, courtes el noires, les oreilles longues 15 A7 2 4 TRS SN SR UE ro HISTOIRE NATURELLE et velues, le mufle grand, le nez court ét + droit, le cou charnu et gros, les épaules et la poitrine larges, les reins fermes, le dos droit, les jambes grosses et charnues, la queuelongue etbien couverte de poil, l'allure ferme et sûre, et le poil rouge. Les vaches … retiennent souvent dés la première, seconde ou troisième fois ; et sitôtqu’elles sont pleines, le taureau refuse de les couvrir, quoiqu'il y ait encore apparence de chaleur : mais ordi- nairement la chaleur cesse presque aussitôt qu’elles ont conçu, et elles refusent aussi elles-mèmes les approches du taureau. Les vaches sont aussi sujettes à avorter lorsqu'on ne les ménage pas et qu’on les met à la charrue, au charroi, etc. Il faut mème les soigner davantage et les suivre de plus près lorsqu'elles sont pleines que dans les autres temps, afin de les empêcher de sauter des haies, des fossés, etc. Il faut aussi les mettre dans les pâturages les plus gras et dans un terrain qui, sans être trop humide et marécageux, soit cependant très-abondant en herbe. Six semaines ou deux mois avant qu'elles mettent bas, on les nourrira plus largement qu’à l'ordinaire, en leur donnant & = LES RE ES A DU BŒUF. T7 à l’étable de l'herbe pendant l'été, et pendant l'hiver du son le matin, ou de la luzerne , du sainfoin , etc. On cessera aussi de les traire dans ce mème temps ; le lait leur est alors _ plus nécessaire que jamais pour la nourri- ture de leur fœtus : aussi y a-t-1l des vaches dont le lait tarit absolument un mois ou six semaines avant qu'elles mettent bas. Celles qui ont du lait jusqu'aux derniers jours sont les meilleures mêrés et les meilleures nour- rices ; mais ce lait des derniers temps est généralement mauvais et peu abondant. Il faut les mêmes attentions pour l’accouche- ment de la vache que pour celui de la ju- ment ; et même il paroît qu'il en faut da- vantage, car la vache qui met bas paroit ètre plus épuisée , plus fatiguée que la jument. On ne peut se dispenser de la mettre dans une étable séparée, où il faut qu’elle soit chaudement et commodément sur de la bonne “litière, et de la bien nourrir, en lui don- nant pendant dix ou douze jours de la farine de féves , de blé ou d’avoine, etc. délayée avec de l’eau salée, et abondamment de la luzerne , du sainfoin , ou de bonne herbe bien mûre ; ce temps suffit ordinairement pour LR UE nus dé MN 107 37: HISTOIRE NATURELLE la rétablir, après quoi on la remet par degrés Lo à la vie commune et au pâturage : seulement il faut encore avoir l'attention de lui laisser tout son lait pendant les deux premiers mois , le veau profitera davantage ; et d’ailleurs le lait de ces premiers temps n’est pas de bonne qualité. | | On laisse le jeune veau auprès de sa mère pendant les cinq ou six premiers jours , afin quil soit toujours chaudément et qu’il puisse teter aussi souvent qu'il en a besoin : mais il croit et se fortifie assez dans ces cinq ou six jours pour qu'on soit dès-lors oblige de l'en séparer si l’on veut la ménager; car ik l’épuiseroit s’il étoit toujours auprès d'elle. I suffira de le laisser teter deux ou trois fois par jour; et si l’on veut lui faire une bonne chair et l’engraisser promptement, on lui donnera tous les jours des œufs cruds, du lait bouilli, de la mie de pain : au bout de quatre ou cinq semaines ce veau sera excellent à manger. On pourra donc ne laisser teter que trente ou quarante jours les veaux qu'on voudra livrer au boucher : mais il faudra laisser au lait pendant deux mois au moins ceux qu'on voudra nourrir ; plus on ee \ DU BŒUF. 173 les laissera teter , plus ils deviendront gros -et forts. On préférera pour les élever ceux qui seront nés aux mois d'avril, mai et juin: les veaux qui naissent plus tard ne peuvent acquérir assez de force pour résister aux in- jures de l’hiver suivant ; ils languissent par le froid et périssent presque tous. À deux, trois ou quatre mois on sevrera donc les veaux qu'on veut nourrir; et avant de leur ôter le lait absolument, on leur donnera un peu de bonne herbe ou de foin fin, pour qu’ils commencent à s'accoutumer à cette nouvelle nourriture ; après quoi on les sé- parera tout-à-fait de leur mère, et on ne les en laissera -point approcher ni à l’étable ns: au pâturage , où cependant on les menera tous les jours et où on les laissera du matin au soir pendant l’eté : mais dès que le froid commencera à se faire sentir en automne, il ne faudra les laisser sortir que tard dans -la matinee et les ramener de bonne heure le soir; et pendant l'hiver, comme le grand froid leur est extrêmement contraire, on les tiendra chaudement dans une eétable bien fermée et bien garnie de litière x on leur donnera ,ayec l'herbe ordinaire, du sainfoin, s 15 Î \ 174 HISTOIRE NATURELLE de la luzerne, etc. et on ne les laissera sortir que par le temps doux. Il leur faut beaucoup de soins pour passer ce premier hiver: c'est le temps le plus dangereux de leur vie; car ils se fortifieront assez pendant l'été suivant pour ne plus craindre le froid du second hiver. | A4 US La vache est à dix-huit mois en pleine puberté , et le taureau à deux ans : mais quoiqu'ils puissent déja engendrer à cet âge, on fera bien d'attendre jusqu'à trois ans avant de leur permettre de s’accoupler. Ces animaux sont dans leur plus grande force depuis trois ans jusqu’à neuf; après cela les vaches et les taureaux ne sont plus propres qu’à être engraisses et livrés au boucher. Comme ils prennent en deux ans la plus grande partie de leur accroissement, la durée ‘de leur vie est aussi, comme dans la plupart des autres espèces d'animaux, à peu près de sept fois deux ans; et communément ils ne vivent guère que quatorze ou quinze ans. Dans tous les animaux quadrupèdes , la voix du mâle est plus forte et plus grave que celle de la femelle, et je ne crois pas qu'il y ait d'exception à cette règle. Quoique les DU BŒUF. 179 anciens aient écrit que la vache, le bœuf, et même le veau, avoient la voix plus grave que le taureau , il est très-certain que le taureau a la voix beaucoup plus forte, puis- qu'il se fait entendre de bien plus loin que la vache, le bœuf ou Le veau. Ce qui a fait croire qu'il avoit la voix moins grave, c'est que son mupgissement n'est pas un son simple, mais un son composé de deux ou trois oc— taves , dont la plus élevée frappe le plus l'oreille; et en y faisant attention, l’on en- tend en mème temps un son grave , et plus grave que celui de la voix de la vache, du bœuf et du veau, dont les mugissemens sont aussi bien plus courts. Le taureau ne mugit que d'amour ; la vache muosit plus souvent de peur et d'horreur que d'amour; et le veau mugit de douleur, de besoin de nourriture, et de desir de sa mère. Les animaux les plus pesans et les plus pa- ‘resseux ne sont pas ceux qui dorment le plus profondément ni le plus long-temps. Le bœuf dort , mais d’un sommeil court et lé- ger ; il se réveille au moindre bruit. Il se couche ordinairement sur le côté sauche, et le rein ou rognon de ce côté gauche est 176 HISTOIRE NATURELLE. toujours plus gros et plus chargé de graisse que le rognon du côté droit. k Les bœufs, comme les autres animaux domestiques, varient pour la couleur : ce- pendant le poil roux paroit être le plus com- mun ; et plus il est rouge, plus il est estimé. On fait cas aussi du poil noir, et on prétend que les bœufs sous poil bai durent long- temps; que les bruns durent moins et se rebutent de bonne heure; que les gris, les pommelés et les blancs, ne valent rien pour le travail, et ne sont propres qu’à être en- graisses. Mais de quelque couleur que soit le poil du bœuf, il doit être luisant, épais, et doux au toucher; car s’il est rude, mal uni ou dégarni, on a raison de supposer que l'animal souffre, ou du moins qu’il n’est pas d’un fort tempérament. Un bon bœuf pour la charrue ne doit ètre ni trop gras, ni trop maigre : il doit avoir la tête courte et ra- massée; les oreilles grandes, bien velues et bien unies; les cornes fortes , luisantes et de moyenne grandeur; le front large, les yeux gros et noirs, le mufle gros et camus, les naseaux bien ouverts, les dents blanches el égales, les lèvres noires, le cou charnu, DU BŒUF. 197 les épaules grosses et pesantes, la poitrine large ; le fanon, c’est-à-dire la peau du devant pendante jusque sur les genoux; les reins fort larges, le ventre spacieux et tombant, les flancs grands , les hanches longues, la croupe épaisse , les jambes et les cuisses grosses et nerveuses, Le dos droit et plein, la queue pendänte jusqu’à terre et garnie de poils touffus et fins, les pieds fermes, le cuir grossier et maniable, les muscles élevés, et l’ongle court et large. Il faut aussi qu’il soit sensible à l’aisuillon, obéissant à la voix et bien dressé. Mais ce n’est que peu à peu, et en s’y prenant de bonne heure, qu’on peut accoutumer le bœuf à porter le joug volontiers , et à se laisser conduire aisément. Dès l’âge de deux aus et demi où trois ans au plus tard, il faut commencer à l’appri- voiser et à le subjuguer; si l’on attend plus tard , 1l devient indocile, et souvent indom- . table : la patience, la douceur, et mème les caresses, sont les seuls moyens qu'il faut employer ; la force et les mauvais traitemens ne serviroient qu'à le rebutér pour toujours. 1 faut donc lui frotter le corps, le caresser, lui donner de temps en temps de l'orge 198 HISTOIRE NATURELLE bouillie, des féves concassées , et d’autres nourritures de cette espèce, dont il est le plus friand, et toutes mèlées de sel, qu'il aime beaucoup. En même temps on lui liera souvent les cornes; quelques jours après om le mettra au joug, et on lui fera trainer la charrue avec un autre bœuf de même taille et qui sera tout dressé; on aura soin de les attacher ensemble à la mangeoire, de les me- ner de même au pâturage, afin qu'ils se connoissent et s’habituent à n'avoir que des mouvemens communs; et l’on n’emploiera jamais l’aiguillon dans les commencemens, il ne serviroit qu’à le rendre plus intraitable. Il faudra aussi le ménager et ne le faire tra- vailler qu’à petites reprises , car il se fatigue beaucoup tant qu'il n’est pas tout-à-fait dressé ; et par la même raison , on le nour- rira plus largement alors que dans les autres temps. | Le bœuf ne doit servir que depuis trois ans jusqu'à dix : on fera bien de le tirer alors de la charrue pour l’engraisser et le vendre; la chair en sera meilleure que si l’on at- tendoit plus long-temps. On reconnoît l’âge de cet animal par les dents et par Les cornes : DU BŒU PF. 179 les premières dents du devant tombent à dix mois , et sont remplacées par d’autres qui ne sont pas si blanches et qui sont plus larges ; à seize mois les dents voisines de celles du milieu tombent et sont aussi rem- placées par d’autres; et à trois ans toutes les dents incisives sont renouvelées : elles sont alors égales , longues, et assez blanches. A mesure que le bœuf avance en âge, elles s’usent et deviennent inégales et noires : c'est la même chose pour le taureau et pour la vache. Ainsi la castration ni ie sexe ne changent rien à la crue et à la chüte des dents. Cela ne change rien non plus à la chüte des cornes; çar elles tombent égale- ment à trois ans au taureau , au bœuf et à la vache, et elles sont remplacées par d’autres cornes , qui, comme les secondes dents, ne tombent plus : celles du bœuf et de la vacke deviennent seulement plus grosses et plus longues que celles du taureau. L’accroisse- ment de ces secondes cornes ne se fait pas d'une manière uniforme et par un dévelop- pement égal : la première annéé, c’est-à- dire la quatrième année de J'âge du bœuf, il lui pousse deux petites cormes pointues, "E € Cr?A ’ g: | it 7 À . ae 0 PEUR . Ÿ JESUS WA À 180 HISTOIRE NATURELLE nettes, unies, et terminées vers la tète par "1 ed Lt une espèce de bourrelet ; l’année suivante ce bourrelet s'éloigne de la tête , poussé par un cylindre de corne qui se forme et qui se termine aussi par un autre bourrelet, et ainsi de suite; car tant que l'animal vit, les cornes croissent: ces bourrelets deviennent des nœuds annulaires, qu'il est aisé de dis- tinguer dans la corne, et par lesquels l’âge se peut aisément compter, en prenant pour trois ans la pointe de la corne jusqu’au pre- mier nœud, et pour un an de plus chacun des intervalles entre les autres nœuds. Le cheval mange nuit et jour, lentement, mais presque continuellement ; le bœuf, au contraire, mange vite et prend en assez peu de temps toute la nourriture qu'il Jui faut, après quoi 1l cesse de manger et se couche pour ruminer : cette différence vient de la différente conformation de l’estomac de ces animaux. Le bœuf, dont les deux premiers estomacs . ne forment qu’un même sac d’une très-grande capacité, peut sans inconvénient prendre à la fois beaucoup d’herbe et le remplir en peu de temps, pour ruminer ensuite et di- gérer à loisir. Le cheval, qui n’a qu’un petit DU BŒUF. 18r estomac , ne peut y recevoir qu’une peétite quantité d'herbe et le remplir successivement à mesure qu'elle s’affaisse et qu’elle passe dans les intestins , où se fait principalement Ja décomposition de la nourriture ; car ayant observe dans le bœuf et dans le cheval le produit successif de la digestion, et sur-tout la décomposition du foin , nous avons vu dans le bœuf qu’au sortir de la partie de la panse, qui forme le second estomac, et qu'om appelle le Bonnet, il est réduit en une espèce de pâte verte, semblable à des épinards ha- chés et bouillis; que c’est sous cette forme qu'il est retenu et conteuu dans les plis ow livrets du troisième estomac, qu’on appelle le feuillet; que la décomposition en est en- tière dans le quatrième estomac, qu’on ap- pelle la cai/leite; et que ce n’est, pour ainsi dire , que le marc qui passe dans les intestins: au lieu que dans le cheval le foin ne se dé- compose guère, ni dans lestomac, ni dans les premiers boyaux, où il devient seulement plus souple et plus flexible, comme ayant éte macéré et pénétré de la liqueur active dont il est environné; qu'il arrive au cæœcum et au colon sans srande altération; que c’est Quadrupèdes. I. | 16 182 HISTOIRE NATURELLE Fr principalement dans ces deux intestins, dont l'énorme capacité répond à celle de la panse des rumiuans, que se fait dans le cheval la décomposition de la nourriture, et que cette décomposition n'est jamais aussi entière que celle qui se fait dans le quatrième estomac du bœuf. | Par ces mèmes considérations, et par la seule inspection des parties, il me semble qu'il est aisé de concevoir comment se fait la rumination, et pourquoi le cheval ne ru- mine ni ne vomit, au lieu que le bœuf et les autres animaux qui ont plusieurs esto— macs, semblent ne digérer l'herbe qu'à me- sure qu'ils ruminent. La rumination n’est qu’un vomissement sans effort, occasionné par la réaction du premier estomac sur les alimens qu’il contient. Le bœuf remplit ces deux premiers estomacs, c'est-à-dire la panse et le bonnet, qui n’est qu’une portion de la panse, tout autant qu'ils peuvent l'être: cette. membrane tendue réagit donc alors avec force sur l’herbe qu’elle contient, qui n’est que très-peu mâchée, à peine hachée, et dont le volume augmente beaucoup par la fermen- tation. Si l'aliment étoit liquide, cette force "DU BŒUF. 183 de contraction le feroit passer par le troi- .sième estomac, quine communique à l’autre - que par un conduit étroit, dont mème l’ori- fice est situé à la partie postérieure du pre mier , et presque aussi haut que celui de l’œsophage. Ainsi ce conduit ne peut pas admettre cet aliment sec, ou du moins il n’en admet que la partie la plus coulante; il est donc nécessaire que les parties les plus sèches remontent dans l’œsophage, dont l’ori- fice est plus large que celui du conduit: elles y remontent en effet; l’animal les remäche, les macère, les imbibe de nouveau de sa sa- live, et rend ainsi peu à peu l'aliment plus coulant; 1l le réduit en pâte assez liquide pour qu'elle puisse couler dans ce conduit qui communique au troisième estomac, où elle se macère encore avant de passer dans le quatrième; et c'est dans ce dernier estomac que s'achève la décomposition du foin, qui est réduit en parfait mucilage. Ce qui con- firme la vérité de cette explication, c’est que tant que ces animaux tettent ou sont nourris de lait et d’autres alimens liquides et coulans, ils ne ruminent pas, et qu'ils ruminent beau- coup plus en hiver et lorsqu'on les nourrit 184 HISTOIRE NATURELLE d’alimens secs, qu’en été, pendant lequel 1fs paissent l'herbe tendre. Dans le cheval, au contraire, l'estomac est très-petit, l’orifice de l’æsophage est fort étroit, et celui du py- lore est fort large: cela seul suffroit pour rendre impossible la rumination; çar l'ali- ment contenu dans ce petit estomac, quoi- que peut-être plus fortement comprime que dans le grand estomac du bœuf, ne doit pas remonter, puisqu'il peut aisément desændre par le pylore, qui est fort large. Il n’est pas même necessaire que le foin soit réduiten pâte molle et coulante pour y entrer; la force de contraction de l'estomac y pousse l'aliment encore presque sec, et il nepeut remonter par l'œsophage, parce que ceconduitest fort petit en comparaison de celui du pylore. C’estdonc par cette difference générale de conformation que le bœuf rumine, et que le cheval ne peut ruminer : mais il y a encore une différence particulière dans le cheval, qui fait que non seulement il ne peut ruminer, c’est-à-dire vomir sans effort, mais même qu'il ne peut absolument vomir, quelque effort qu’il puisse : faire ; c’est que le conduit de l’œsophage arrivant très-obliquement dans l'estomac du DU BŒUF. 185 cheval, dont les membranes forment une ‘épaisseur considérable, ce conduit fait dans cette épaisseur une espèce de gouttière s1 oblique, qu'il ne peut que se serrer davan- tage, au lieu de s’ouvrir par les convulsions de l'estomac. Quoique cette différence, aussi- bien que les autres différences de conforma- tion qu’on peut remarquer dans Le corps des animaux , dépendent toutes de la nature lorsqu'elles sont constantes, cependant il y a dans le développement, et sur-tout dans celui des parties molles, des différences cons- tantes en apparence, qui néanmoins pour- roient varier, et qui même varient par les circonstances. La grande capacité de la panse du bœuf, par exemple, n’est pas due en entier à la nature; la panse n’est pas telle par sa conformation primitive, elle ne le devient que successivement et par le grand volume des alimens : car dans le veau qui vient de maitre, et mème dans le veau qui est.encore au lait et qui n'a pas mangé d'herbe, la panse, comparée à la caillette, est beaucoup plus petite que dans le bœuf, Cette grande capacité de la panse ne vient donc que de l'extension qu'occasionne Le 16 ) 186 HISTOIRE NATURELLE grand volume des alimens : j'en ai été con- vaincu par une expérience qui me paroit décisive. J'ai fait nourrir deux agneaux de même äge et sevrés en même temps, l’un de pain , et l’autre d'herbe : les ayant ouverts au bout d’un an, j'ai vu que la panse de lé. sneau qui avoit vécu d'herbe étoit devenue plus grande de beaucoup que la panse de celui qui avoit été nourri de pain. He On prétend que les bœufs qui mangent lentement résistent plus long-temps au tra- vail que ceux qui mangent vite; que les bœufs des pays élevés et secs sont plus vifs, plus vigoureux et plus sains , que ceux des pays bas et humides ; que tous deviennent plus forts lorsqu'on les nourrit de foin sec que quand on ne leur donne que de l'herbe molle ; qu'ils s’accoutument plus difficile- ment que les chevaux au changement de climat , et que par cette raison l’on ne doit jamais acheter que dans son voisinage sci bœufs pour le travail. En hiver, comme les bœufs ne font rien, il suffira de les nourrir de paille et d’un peu de foin; mais dans le temps des ouvrages on leur donnera beaucoup plus de foin que de DU BŒUF. 187 paille, et même un peu de son ou d'avoine, avant de les faire travailler : l’été, si le foin manque, on leur donnera de l'herbe fraiche- ment coupée, ou bien de jeunes pousses et des feuilles de frêne; d’orme , de chène, ete. mais en petite quantité, l'excès de cette nour- riture, qu'ils aiment beaucoup, leur causant quelquefois un pissementde sang. La luzerne, le sainfoin, la vesce, soit en verd ou en sec, les lupins, les navets, l’orge bouillie, etc. sont aussi de très-bons alimens pour les bœufs. IL n’est pas nécessaire de régler la quantité de leux nourriture; 1ls n’en prennent jamais plus qu’il ne leur en faut, et l’on fera bien de leur en donner toujours assez pour qu’ils en laissent. On ne les mettra au pâturage que vers le 15 de mai : les premières herbes sont trop crues ; et quoiqu'ils les mangent avec avidité, elles ne laissent pas de les in- commoder. On les fera pâturer pendant tout l'été, et vers le 15 octobre on les remettra au fourrage, en observant de ne les pas faire passer brusquement du verd au sec et du sec au verd , mais de lesamener par degrés à ce changement de nourriture. La grande chaleur incommode ces animaux, 88 HISTOIRE NATURELLE Me. peut-être plus encore que le grand froid. Il faut pendant l'été les mener au travail dés la pointe du jour , les ramener à létable ou les laisser dans les bois pâturer à l'ombre pendant la grande chaleur , et ne les remettre à l’ouvrage qu’à trois ou quatre heures du soir. Au printemps, en hiver et en automne, on pourra les faire travailler sans interrup- tion depuis huit ou neuf heures du matin jusqu'à cinq ou six heures du soir. Ils ne demandent pas autant de soin que les che- vaux; cependant , si l’on veut les entretenir sains et vigoureux , on ne peut guère se dispenser de les etriller tous les jours, de les laver et de leur graisser la corne des pieds, etc. Il faut aussi les faire boire au moins deux fois par jour : ils aiment l’eau netteet fraîche, au lieu que le cheval l’aime trouble et tiède. La nourriture et le soin sont à peu prés les mêmes et pour la vache et pour le bœuf; cependant la vache à lait exige des atten- tions particulières, tant pour la bien choisir que pour la bien conduire. On dit que les vaches noires sont celles qui donnent le meil- leur lait, et que Les blanches sont celles qux en donnent le plus; mais, de quelque poil DU BŒUF. | 189 que soit la vache à lait, il faut qu’elle soit en bonne chair , qu’elle ait l’œil vif , la dé- marche légère, qu'elle soit jeune, et que son lait soit , s’il se peut, abondant et de bonne qualité: on la traira deux fois par jour en été, et une fois seulement en hiver; et si l’on veut augmenter la quantité du lait, il n’y aura qu'à la nourrir avec des alimens plus succulens que de l'herbe. Le bon lait n’est ni trop épais ni trop clair; sa consistance doit être, telle que lorsqu'on en prend une petite soutte , elle conserve sa rondeur sans couler. Il doit aussi être d’un beau blanc ; celui qui tire sur le jaune ou sur le bleu ne vaut rien. Sa saveur doit être douce, sans aucune amertume et sans âcreté; il faut aussi qu’il soit de bonne odeur ou sans odeur. IL est meilleur au mois de mai et pendant l'été que pendant l'hiver, et il n'est parfaitement bon que quand la vache est en bon äge et en bonne santé : le lait des jeunes sénisses est trop clair, celui des vieilles vaches est trop sec , et pendant l'hiver il est trop épais. Ces différentes qualités du lait sont relatives à la quantité plus où moins grande des parties butyreuses, caséeuses et 199 HISTOIRE NATURELLE séreuses , qui le composent. Le lait-trop clair est celui qui abonde trop en parties séreuses ; le lait trop épais est celui qui en manque; et le lait trop sec n’a pas assez de parties bu- tyreuses et séreuses. Le lait d’une vache en chaleur n’est pas bon, non plus que celui d'une vache qui approche de son terme ou qui a mis bas depuis peu de temps. On trouve dans le troisième et dans le quatrième esio— mac du veau qui tette, des grumeaux de lait caillé; ces grumeaux de lait, séchés à l’air, sont la Présure dont on se sert pour faire cailler le lait. Plus on garde cette présure, meilleure elle est; et il n’en faut qu'une très-petite quantité pour faire un grand vo- lume de fromage. Les vaches et les bœufs aiment beaucoup le vin, le vinaigre, le sel ; 1ls dévorent avec avidité une salade assaisonnée. En Espagne et dans: quelques autres pays, on met au- A près du jeune veau à l’étable une de ces pierres qu’on appelle salèsres, et qu’on trouve dans les mines de sel semme: il leche cette pierre salée pendant tout le temps que sa imêre est au pâturage; ce qui excite si fort l'appétit ou la soif, qu’au moment que DU BŒUF. 197. la vache arrive, le jeune veau se jette à la imamelle , en tire avec avidité beaucoup de lait, s’engraisse et croit bien plus vite que ceux auxquels on ne donne point de sel. C’est par la même raison que quand les bœufs ou les vaches sont dégoütés, on leur donne de l’herbe trempée dans du vinaigre ou sau- poudrée d’un peu de sel: on peut leur en donner aussi lorsqu'ils se portent bien et que l’on veut exciter leur appetit pour les engrais- ser en peu de temps. C’est ordinairement à l’âge de dix ans qu’on les met à l’engrais : si l’on attend plus tard, on est moins sûr de réussir, et leur chair n’est pas si bonne. On peut les engraisser en toutes saisons; mais Vété est celle qu’on préfère, parce que l’en- grais se fait à moins de frais, et qu'en com- mençant aux mois de mai ou de juin, on est presque sûr de les voir gras avant la fin d'octobre. Dès qu’on voudra les engraisser , on cessera de les faire travailler ; on les fera boire beaucoup plus souvent ; on leur donnera des nourritures succulentes en abon- dance, quelquefois mêlées d’un peu de sel, et on les laissera ruminer à loisir et dormir à l’étable pendant les grandes chaleurs : en À RÉ BOOTS 192 HISTOIRE NATURELLE moins de quatre ou cinq mois ils deviendront si gras, qu'ils auront de la peine à marcher, et qu'on ne pourra les conduire au loin qu’à très-petites journées. Les vaches, et même les taureaux bistournés , peuvent s’engrais— ser aussi; mais la chair de la vache est plus sèche , et celle du taureau bistourné est plus rouge et plus dure que la chair du bœuf, et elle a toujours un goût désagréable et fort. NU 11 Les taureaux , les vaches et les bœufs, sont fort sujets à se lécher, sur-tout dans le temps qu'ils sont en plein repos ; et comme l’on croit que cela les empêche d’engraisser, on a soin de frotter de deur fiente tous les endroits de leur corps auxquels ils peuvent atteindre: lorsqu'on ne prend pas cette précaution, ils enlevent le poil avec la langue , qu’ils ont fort rude, et ils avalent ce poil en grande quantité. Comme cette substance ne peut se digérer, elle reste dans leur estomac et y forme des pelotes rondes qu’on a appelées égagropiles , et qui sont quelquefois d’une grosseur si considérable, qu’elles doivent Les incommoder par leur volume, et les empé- cher de digérer par leur séjour dans l’esto— DU BŒUF. 193 mac. Ces pelotes se revêtent avec le temps d'une croûte brune assez solide, qui n’est cependant qu'un mucilage épaissi, mais qui, par le frottement et la coction, devient dur et luisant. Elles ne se trouvent jamais que dans la panse ; et s’il entre du poil dans Les autres estomacs , il n’y séjourne pas, non plus que dans les boyaux : il passe apparem- ment avec le marc des alimens. Les animaux qui ont des dents incisives , comme le cheval et l’âne , aux deux mà- choires , broutent plusaisément l’herbe courte que ceux qui manquent de dents incisives à la mâchoire supérieure; et si le mouton et la chèvre la coupent de très-près , c’est parce qu'ils sont petits et que leurs lèvres sont minces : mais le bœuf, dont les lèvres sont épaisses, ne peut brouter que l’herbe longue; et c’est par cette raison qu'il ne fait aucun tort au pâturage sur lequel il vit : comme il ne peut pincer que l'extrémité des jeunes herbes , il n’en ébranle point la racine et n’en retarde que très-peu l'accroissement ; au lieu que le mouton et la chèvre les coupent .de si près, qu'ils détruisent la tige et gâtent la racine. D'ailleurs Le cheval choisit l'herbe 17 NE ' a: + Fr A/0.188 : AR 1 MLAEAEE 24 ce \ SR WI} 194 HISTOIRE NATURELLE la plus fine, et laisse grener et se multiplier la grande herbe , dont les tiges sont dures ; au lieu que le bœuf coupe ces grosses tiges et détruit peu à peu l'herbe la plus grossière: ce qui fait qu'au bout de quelques années la prairie sur laquelle le cheval a vécu n’est : _plus qu'un mauvais pré, au lieu que celle que le bœuf a broutée devient un pâturage fin. | L'espèce de nos bœufs, qu’il ne faut pas confondre avec celles de l’aurocks , du buffle et du bison , paroît être originaire de nos. climats tempérés , la srande chaleur les in- commodant autant que le froid excessif. D'ailleurs cette espèce, si abondante er Europe, ne se trouve point dans les pays méridionaux, et ne s’est pas étendue au-delà de l'Arménie et de la Perse en Asie, et au- delà de l'Égypte et de la Barbarie en Afrique ; car aux Îndes, aussi-bien que dans le reste de l'Afrique, et même en Amérique, ce sont des bisons qui ont une bosse sur le dos, ou d’autres animaux, auxquels les voyageurs ont donné le nom de bœuf, mais qui sont d’une espêce différente de celle de nos bœufs. Ceux qu'on trouve au cap de Bonne-Espe- DU BŒUF. 195 rance et en plusieurs contrées de l’Amé- rique , Y ont été transportés d'Europe par les Hollandois et par les Espagnols. En général, il paroît que les pays un peu froids con- viennent mieux à nos bœufs que les pays chauds, et qu'ils sont d'autant plus gros et plus srands que le climat est plus humide et plus abondant en pâturages. Les bœufs de Danemarck, de la Podolie , de l'Ukraine et de la Tartarie, qu'habitent les Calmouks, sont les plus grands de tous; ceux d'Irlande, d'Angleterre, de Hollande et de Hongrie, sont aussi plus grands que ceux de Perse, de Turquie, de Grèce, d'Italie, de France et d'Espagne ; et ceux de Barbarie sont les plus petits de tous : on assure même que les Hollandois tirent tous les ans du Danemarck un grand nombre de vaches grandes et mai- gres, et que ces vaches donnent en Hollande beaucoup plus de lait que les vaches de France. C’est apparemment cette même race de vaches à lait qu’on a transportée et mul- tipliée en Poitou , en Aunis , et dans les marais de Charente, où on les appelle sac/es flan- drines. Ces vaches sont en effet beaucoup plus grandes et plus maigres que les vaches ps | PUR LEA in: | FAUEPAN || 196 HISTOIRE NATURELLE communes , et elles donnent une fois autant de lait et de beurre ; elles donnent aussi des veaux beaucoup plus grands et plus forts. Elles ont du lait en tout temps, et on peut les traire toute l’année , à l’exception de quatre ou cinq jours avant qu’elles mettent bas ; mais il faut pour ces vaches des pâtu— rages excellens : quoiqu'elles ne mangent guëre plus que les vaches communes, comme elles sont toujours maigres, toute la sura- bondance de la nourriture se tourne en lait, au lieu que les vaches ordinaires deviennent grasses et cessent de donner du laitdès qu’elles ont vecu pendant quelque temps dans des pâturages trop gras. Avec un taureau de cette race et des vaches communes , on fait une autre race qu’on appelle bdtarde, et qui est plus féconde et plus abondante en lait que la race commune. Ces vaches bâtardes donnent souvent deux veaux à la fois, et fournissent du lait pendant toute l’année. Ce sont ces bonnes vaches à lait qui font une partie des richesses de la Hollande, d’où il sort tous les ans pour des sommes considérables de beurre et de fromage.Ces vaches , qui fournissent une ou deux fois autant de lait que les vaches de PEU BŒEUFS ESS 197 France, en donnent six fois autant que celles de Barbarie. En Irlande , en Angleterre, en Hollande, en Suisse et dans le Nord, on sale et on fume la chair du bœuf en grande quantité , soit pour l'usage de la marine, soit pour l’avan- tage du commerce. Il sort aussi de ces pays une grande quantité de cuirs : la peau du bœuf, et méme celle du veau, servent, comme J’on sait, à une infinité d’usages. La graisse est aussi une matière utile; on la mêle avec le suif du mouton. Le fumier du bœuf est le meilleur engrais pour les terres sèches et léocères. La corne de cet animal est le pre- mier vaisseau dans lequel on ait bu, le premier instrument dans lequel on ait soufflé _ pour augmenter le son, la première matière transparente que l’on ait employée pour faire des vitres, des lanternes, et que l’on ait ra- mollie , travaillée, moulée , pour faire des boîtes, des peignes, et mille autres ouvrages. Mais finissous ; car l’histoire naturelle doit finir où commence l’histoire des arts. 17 LA BREBIS. L'or ne peut guère douter que les animaux actuellement domestiques n'aient été sau— vages auparavant : ceux dont nous ayons donné l’histoire en ont fourni la preuve ; et l'on trouve encore aujourd’hui des chevaux, des ânes et des taureaux sauvages. Mais l'homme, qui s’est soumis tant de millions d'individus, peut-il se glorifier d’avoir con-— quis une seule espèce entière ? Comme toutes ont été créées sans sa participalion, ne peut- on pas croire que toutes ont eu ordre de croitre et de multiplier sans son secours ? Cependant, si l’on fait attention à la foiblesse et à la stupidité de la brebis ; si l’on eonsi- dère en même temps que cet animal sans défense ne peut même trouver son salut dans la fuite ; qu'il a pour ennemis tous les ani- maux carnassiers , qui semblent le chercher de préférence et le dévorer par gout; que d'ail. leurs cette espèce produit peu, que chaque individu ne vit que peu de temps, etc. ok Éd. Pug 196 , ER U L BETII S LA BREBI [ Parque W \ € ae. HEAR ef à © Phare up sue | " Sesvter ets ah LT tp ( rot age \ PA! lé # HISTOIRE NATURELLE. :9g seroit tenté d'imaginer que dés les commen- cemens la brebis a été confiée à la garde de l’homme, qu’elle a eu besoin de sa protection pour subsister, et de ses soins pour se multi- plier, puisqu’en effet on ne trouve point de brebis sauvages dans les déserts; que dans tous les lieux où l’homme ne commande pas, le lion , le tigre, le loup, régnent par la force et par la cruauté ; que ces animaux de sang et de carnage vivent plus long-temps et mul- tiplient tous beaucoup plus que la brebis ; et qu'enfin, si l’on abandonnoit encoreaujour- d'hui dans nos.campagnes les troupeaux nom- breux de cette espèce que nous avons tant multipliée , ils seroient bientôt détruits sous nos yeux, et l’espèce entière aneantie par le nombre et la voracité des espèces ennemies. Il paroïît donc que ce n’est que par notre secours et par nos soins que cette espèce a dure, dure et pourra durer encore : 1l paroit qu’elle ne subsisteroit pas par ellemême. La brebis est absolument sans ressource et sans défense : le belier n’a que de foibles armes; son courage n'est qu'une pétulance inutile pour lui-même , etincommode pourlesautres, et qu'on détruit par la castration. Les mou- "47 A , TN 200 HISTOIRE NATURELLE tons sont encore plus timides que les brebis # c’est par crainte qu'ils se rassemblent si sou— vent en troupeaux ; le moindre bruit ex- itraordinaire sufñt pour qu'ils se précipitent et se serrent les uns contre les autres ; e£ cette crainte est accompagnée de la plusgrande stupidité, car ils ue savent pas fuir le dan- ger : ils semblent même ne pas sentir l’in- commodité de leur situation ; ils restent où ils se trouvent, à la pluie, à la neige ; ils y demeurent opiniâtrément; et pour les obli- ger à changer de lieu et à prendre une route, il leur faut un chef, qu’on instruit à mar- cher le premier, et dont ils suivent tous les mouvemens pas à pas. Ce chef demeureroit lui-même , avec le reste du troupeau, sans mouvement , dans la même place, sil n’é- toit chassé par le berger ou excité par lechien commis à leur garde, lequel sait en effet veil- ler à leur sûreté, les défendre , les diriger, les séparer, les rassembler et leur commu- niquer les mouvemens qui leur manquent. Ce sont donc de tous les animaux quadru— pèdes les plus stupides; cesont ceux quiont le moins de ressource et d’instinct. Les chèvres, qui leur ressemblent à tant d’autres égards, DE LA BREBIS. 207 dnt beaucoup plus de sentiment; elles savent se conduire, elles évitent les dangers , elles ‘se familiarisent aisément avec les nouveaux objets ; au lieu que la brebis ne sait ni fuir ni s'approcher : quelque besoin qu'elle ait de secours , elle ne vient point à l’homme aussi volontiers que la chèvre; et, ce qui dans les animaux paroît être le dernier degré de la timidité ou de l’insensibilité , elle se laisse enlever son agneau sans le défendre, sans s’irriter, sans résister, et sans marquer sa douleur par un cri différent du bélement or- dinaire. Mais cet animal si chétif en lui-même, si dépourvu de sentiment , si dénué de qualités intérieures , est pour l’homme l'animal le plus précieux, celui dont l'utilité est la plus immédiate et la plus étendue : seul il peut suflire aux besoins de première nécessite ; il fournit tout-à-la-fois de quoi se nourrir et ‘se vêtir, sans compter les avantages parti- culiers que l’on sait tirer du suif, du lait, de la peau , et même des boyaux, des os et du fumier de cet animal, auquel il semble que la nature n'ait, pour ainsi dire, rien accorde en propre, rien donné que pour ls xendre à l’homme. 20 HISTOIRE NATURELLE L'amour, qui dans les animaux est le sen. timent le plus vif et le plus général, est aussi le seul qui semble donner quelque vi vacité, quelque mouvement, au belier ; il devient pétulant, il se bat, il s’élance contre les autres beliers, quelquefois même il at- taque son berger : mais la brebis , quoiqu'en chaleur , n en paroît pas plus animée, pas plus émue; elle n’a qu’autant d’instinct qu’ik en faut pour ne pas refuser les approches du male , pour choisir sa nourriture et pour reconnoitre son agneau. L'instinct est d’au- tant plus sûr qu'il est plus machinal, et, pour ainsi dire, plus inné : le jeuneagneau cherche lui-même dans un nombreux trou-— peau , trouve et saisit la mamelle de sa mère sans jamais se méprendre. L'on dit aussi que les moutons sont sensibles aux douceurs du chant , qu'ils paissent avec plus d’assiduité, qu'ils se portent mieux, qu'ils engraissent au son du chalumeau , que la musique a pour eux des attraits; mais l’on dit encore plus souvent, et avec plus de fondement, qu'elle sert au moins à charmer l’ennui du berger , et que c’est à ce genre de vie oisive et solitaire que l’on doit rapporter org de cet art. DE LA BREBIS. 263 _ Ces animaux, dont le naturel est si sim ple , sont aussi d’un tempérament très- foible ; ils ne peuvent marcher long-temps ; les voyages les affoiblissent et les exténuent; dès qu'ils courent, ils palpitent et sont bien- tôt éssouflés ; la grande chaleur, l’ardeur du soleil, Les incommodent autant que l’humi- dité, le froid et la neige; ils sont sujets à grand nombre de maladies, dont la plupart sont contagieuses ; la surabondance de la graisse les fait quelquefois mourir , et tou- jours elle empèche les brebis de produire ; elles mettent bas difficilement, elles avortent, fréquemment, et demandent plus de soin qu'aucun des autres animaux domestiques. Lorsque la brebis est prête à mettre bas, il faut la séparer du reste du troupeau et la veiller, afin d’être à portée d'aider à l’ac- couchement. L’agneau se présente souvent -de travers ou par les pieds, et dans ces cas la mère court risque de la vie si elle n’est aidée. Lorsqu'elle est délivrée, on lève l’a- gneau et on le met droit sur ses pieds; on tire en même temps le lait qui est contenu dans les mamelles de la mère : ce premier lait est gâté, et feroit beaucoup de mal à l'a \ 4 HISTOIRE NATURELLE gneau ; on attend donc qu’elles se remplissent. d’un nouveau lait avant que de lui permettre de teter: on le tient chaudement, ét on l’en- ferme pendant trois ou quatre jours avec sa mère, pour qu'il apprenne à la connoître. Dans ces premiers temps, pour rétablir la brebis, on la nourrit de bon foin et d'orge voulue, ou de son mélé d’un peu de sel ; om lui fait boire de l’eau un peu tiède et blan- chie avec de la farine de blé, de féves ou de millet : au bout de quatre ou cinq jours, on pourra la remettre par degrés à la vie com- mune, et la faire sortir avec les autres ; om observera seulement de ne la pas mener trop loin pour ne pas échauffer son lait : quelque temps après , lorsque l'agneau qui la tette aura pris de la force et qu'il commencera à bondir , on pourra lui laisser suivre sa mère aux champs. On livre ordinairement au boucher tous les agneaux qui paroissent foibles, et l’on ne garde pour les élever que ceux qui sont les plus vigoureux , les plus gros et les plus chargés de laine : les agneaux de la première portée ne sont jamais si bons que ceux des portées suivantes. Si Jon veut élever ceux DE LA BREBIS. 205 qui naissent aux mois d'octobre, novembre , décembre , janvier , février, on les garde à l'étable pendant l'hiver ; on ne les en fait sortir que le soir et le matin pour teter, et on ne les laisse point aller aux champs avant le commencement d'avril : quelque temps auparavant on leur donne tous les jours un peu d'herbe, afin de les accoutumer peu à peu à cette nouvelle nourriture. On peut les seyrer à un mois ; mais il vaut” mieux ne le faire qu’à six semaines ou deux mois. On préfère toujours les agneaux blancs et sans taches aux agreaux noirs ou tachés, la laine blanche se vendant mieux que la laine noire ou mêlée. La castration doit se faire à l’âge de cinq ou six mois, ou même un peu plus tard, au printemps ou en automne, dans un temps doux. Cette opération se fait de deux ma- nières : la plus ordinaire est l’incision; on tire les testicules par l’ouverture qu'on vient de faire , et on les enlève aisément: l’autre se fait sans incision ; on lie seulement , en serrant fortement avec une corde, les bourses au-dessus des testicules, et l’on détruit par cette compression les vaisseaux qui y abou- | | 18 { 206 HISTOIRE NATURELLE tissent. La castration rend Vagneau malade | et triste, et l’on fera bien de lui donner du son mêlé d’un peu de sel pendant deux où trois jours, pour prevenir le dégoût qui sou- vent succède à cet état. À un an, les beliers, les brebis et les : moutons, perdent les deux dents de devant de la mâchoire inférieure : ils manquent, comme l’on sait, de dents incisives à la mûâ- choire supérieure. À dix-huit mois, les deux dents voisines des deux premières tombent aussi, et à trois ans elles sont toutes rem- placées : elles sont alors égales et assez blan- ches ; mais à mesure que animal vieillit, elles se déchaussent, s’émoussent, et devien- nent inégales et noires. On connoit aussi Y'âge du belier par les cornes; elles paroissent dès la première année , souvent dés la nais- sance , et croissent tous les ans d’un anneau jusqu’à l’extremite de la vie. Communément les brebis n’ont pas de cornes ; mais elles ont sur la tête des proéminences osseuses aux mêmes endroits où naissent les cornes des beliers. [Il y a cependant quelques brebis qui ont deux et même quatre cornes : ces brebis sont semblables aux autres ; leurs cornes DE LA BREBIS. 207 sont longues de cinq ou six pouces , moins contournées que celles des beliers ; et lors- qu’il y a quatre cornes, les deux cornes extérieures sont plus courtes que les deux autres. Le belier est en état d’engendrer dès l’âge de dix-huit mois, et à un an la brebis peut produire ; mais on fera bien d’attendre que la brebis ait deux ans, et que le belier en ait trois, avant de leur permettre de s’accou- pler : le produit trop précoce, et même le premier produit de ces animaux , est tou- jours foible et mal conditionné. Un belier peut aisément suffire à vingt-cinq ou trente brebis. On le choisit parmi les plus forts et les plus beaux de son espèce : il faut qu'il ait des cornes, car il y a des beliers qui n’en ont pas; et ces beliers sans cornes sont, dans ces climats, moins vigoureux et moins propres . à la propagation. Un beau et bon belier doit avoir la tête forte et grosse; le front large, les yeux gros et noirs, le nez camus, les oreilles grandes , le cou épais , le corps long et élevé , les reins et la croupe larges , les testicules gros et la queue longue : les meil- leurs de tous sont les blancs, bien char- . OS ite AR | 208 HISTOIRE NATURELLE gés de laine sur le ventre, sur la queue, sur la tête, sur les oreilles, et jusque sur les yeux. Les brebis dont la laine est la plus abondante , la plus touffue, la plus longue, la plus soyeuse et la plus blanche, sont aussi les meilleures pour la propagation , sur-tout si elles ont en même temps le corps grand, le cou épais et la démarche légère. On ob- serve aussi que celles qui sont plutôt maigres que grasses produisent plus sûrement que les autres. La saison de la chaleur des hrébie est de- puis le commencement de novembre jusqu’à la fin d'avril : cependant elles ne laissent pas de concevoir en tout temps, si on leur donne , aussi-bien qu’au belier, des nour- ritures qui les échauffent, comme de l’eau salée et du pain de chenevis. On les laisse couvrir trois ou quatre fois chacune , après , quoi on les sépare du belier , qui s'attache de préférence aux brebis âgées et dédaigne les plus jeunes. L’on a soin de ne les pas exposer à la pluie où aux orages dans le temps de l’accouplement : l'humidité les empêche de retenir, et um coup de tonnerre suffit pour les faire avorter. Un jour où deux DE LA BREBIS. 20% après qu'elles ont été couvertes, on les remet à la vie commune , et l’on cesse de leur don- ner de l’eau salée, dont l’usage continuel, aussi-bien que celui du pain de chenevis et des autres nourritures chaudes, ne manque- roit pas de les faire avorter. Elles portent cinq mois, et mettent bas au commence- ment du sixième. Elles ne produisent ordi- pairement qu'un agneau , et quelquefois deux. Dans les climats chauds, elles peuvent produire deux fois par an ; mais , en France et dans les pays plus froids , elles ne pro- duisent qu'une fois l’année. On donne le belier à quelques-unes vers la fin de juillet et au commencement d'août, afin d’avoir des agneaux dans le mois de janvier ; on le donne ensuite à un plus grand nombre dans les mois de septembre , d'octobre et de no- vembre, et l’on a des agneaux abondam- ment aux mois de février, de mars et d'a- vril : on peut aussi en avoir en quantité aux mois de mai, juin, juillet, août et sep— tembre ; et ils ne sont rares qu'aux mois d'octobre, novembre et décembre. La brebis a du lait pendant sept ou huit mois , et en grande abondance : ce lait est une assez 18 ao. HISTOIRE NATURELLE bonne nourriture pour les enfans et pour les gens de la campagne ; on en fait aussi de fort bons fromages , sur-tout en le mélant avec celui de vache. L'heure de traire les brebis est immediatement avant qu'elles aillent aux champs, ou aussitôt après qu’elles en sont revenues : on peut les traire deux fois par jour en été, et une fois en hiver. Les brebis engraissent dans le temps qu'elles sont pleines, parce qu’elles mangent plus alors que dans les autres temps. Comme elles se blessent souvent et qu’elles avortént fréquemment , elles deviennent quelquefois - stériles et font assez souvent des monstres : cependant, lorsqu'elles sont bien soignées , elles peuvent produire pendant toute leur vie, c'est-à-dire jusqu’à l’âge de dix ou douze ans ; mais ordinairement elles sont vieilles et maleficiées dès l’âge de sept ou huit ans. Le belier, qui vit douze ou quatorze ans, n’est bon que jusqu'à huit pour la propaga- tion : il faut le bistourner à cet âge et l’en- graisser avec les vieilles brebis. La chair du: belier, quoique bistourne et engraissé, a toujours un mauvais soût : celle de la brebis est mollasse et insipide , au lieu que celle du “ DE LA BREPIS. 21 mouton est la plus succulente et la meilleure de toutes Les viandes communes. Les gens qui veulent former un troupeau et en tirer du profit, achètent des brebis et des moutons de l’âge de dix-huit mois ou deux ans. On en peut mettre cent sous la conduite d’un seul berger : s’il est vigilant et aidé d'un bon chien, il en perdra peu. Il doit les précéder lorsqu'il les conduit aux champs , et les accoutumer à entendre sa voix , à le suivre sans s'arrêter et sans s’é- «carter dans les bles, dans les vignes , dans ‘les bois et dans les terres cultivées , où ils ne manqueroient pas de causer du dégât. Les coteaux et les plaines élevées au-dessus des collines sont les lieux qui leur convien- nent le mieux : on évite de les mener paitre dans les endroits bas, humides et maréca- geux. On les nourrit pendant l'hiver, à l’é- table, de son , de nevets, de foin, de paille, de luzerne , de sainfoin , de feuilles d’orme, de frêne , etc. On ne laisse pas de les faire sortir tous les jours, à moins que le temps ne soit fort mauvais: mais c’est plutôt pour les promener que pour les nourrir ; et dans cette mauvaise saison on ne les conduit aux 12 HISTOIRE NATURELLE champs que sur les dix heures du matin : oït les y laisse pendant quatre ou cinq heures, après quoi on les fait boire et on les ramène vers les trois heures après midi. Au prin- temps et en automne , au contraire, on les fait sortir aussitôt que le soleil a dissipé la selée ou lhumidité, et on ne les ramène qu'au soleil couchant. Il suffit aussi, dans ces deux saisons , de les faire boire une seule fois par jour avant de les ramener à l’étable, où il faut qu'ils trouvent toujours du four- rage , mais en plus petite quantité qu'en hiver. Ce n’est que pendant l'été qu'ils doivent prendre aux champs toute leur nourriture ; on les y méne deux fois par jour , et on les fait boire aussi deux fois : on les fait sortir du grand matin , on attend qué la rosée soit tombée pour les laisser paître pendant quatre ou cinq heures, ensuite on les fait boire et on les ramène à la bergerie ou dans quel- que autre endroit à l’ombre; sur les trois ou quatre heures du soir, lorsque la grande chaleur commence à diminuer , on les mêne paître une seconde fois jusqu'à la fin du jour : il faudroit même les laisser passer ioute Ja nuit aux champs, comme on le fait NS DE LA BREBIS. 213 en Angleterre, si l’on n’avoit rien à craindre du loup ; ils n’en seroient que plus vigou- reux, plus propres et plus sains. Comme la chaleur trop vive les incommode beaucoup, et que les rayons du soleil leur étourdissené la tête et leur donnent des vertiges , on fera bien de choisir les lieux opposés au soleil, et de les mener le matin sur des côteaux exposés au levant , et l'après-midi sur des côteaux exposés au couchant, afin qu'ils aient en paissant la tête à l’ombre de leur corps ; enfin il faut éviter de Les faire passer par des endroits couverts d'épines, de ronces, d’ajoncs, de chardons , si l’on veut qu'ils conservent leur laine. Dans les terrains secs , dans les lieux ele vés , où le serpolet et les autres herbes odori- férantes abondent , la chair du mouton est de bien meilleure qualité que dans les plaines basses et dans lies vallées humides , à moins que ces plaines ne soient sablonneuses et voi- sines de la mer, parce qu'alors toutes les herbes sont salées, et la chair du mouton n’est nulle part aussi bonne que dans ces pacages ou prés salés ; le lait des brebis y est aussi plus abondant et de meilleur goût. Rien ne A LE x 214 HISTOIRE NATURELLE | flatte plus l’appétit de ces animaux que le sel; rien aussi ne leur est plus salutaire, lorsqu'il leur est donne modérément; et dans quelques endroits on met dans la bergerie un sac de sel ou une pierre salée, qu'ils vont tous lécher tour à tour. Tous les ans il faut trier dans le troupeau les bêtes qui commencent à vieillir, et qu'on veut engraisser : comme elles demandent un traitement différent de celui des autres, om doit -en faire un troupeau séparé; et si c’est en été, on les menera aux champs avant le lever du soleil, afin de leur faire paitre l'herbe humide et chargée de rosée. Rien ne contribue plus à l’engrais des moutons que l’eau prise en grande quantité, et rien ne s’y oppose davantage que l’ardeur du soleil : ainsi on les ramenera à la bergerie sur les huitou neufheures du matin avant la grande chaleur , et on leur donnera du sel pour les exciter à boire ; on les menera une seconde fois sur les quatre heures du soir dans Îles pacages Les plus frais et les plus humides. Ces petits soins continués pendant deux ou trois _ mois suffisent pour leur donner toutes les ap- parences de l’embonpoint , et même pour les Due DE LA BREBIS. 215 engraisser autant qu'ils peuvent l'être : mais cette graisse qui n@ vient que de la grande quantité d’eau qu’ils ont bue, n’est, pour ainsi dire, qu'une bouffissure , un œdème qui les feroit périr de pourriture en peu de temps , et qu’on ne prévieut qu'en les tuant immédiatement après qu’ils se sont chargés de cette fausse graisse ; leur chair même , Join d’avoir acquis des sucs et pris de la fer- meté, n’en est souvent que plus insipide et plus fade : il faut, lorsqu'on veut leur faire une bonne chair, ne se pas borner à leur laisser paitre la rosée et boire beaucoup d’eau, mais leur donner en même temps des nour- ritures plus succulentes que l'herbe. On peut les engraisser en hiver et dans toutes les sai sons , en les mettant dans une étable à part, _et en les nourrissant de farines d'orge, d’a- voine , de froment , de feves, etc. mêlées de sel, afin de Les exciter à boire plus souvent et plus abondamment: mais de quelque manière et dans quelque saison qu'on les ait engrais- sés, il faut s’en défaire aussitôt: car on ne peut jamais les engraisser deux fois, et ils périssent presque tous par des maladies du foie. | 216 HISTOIRE NATURELLE | On trouve souvent des vers dans le foie des animaux. On peut voix la description des vers du foie des moutons et des bœufs dans le Journal des Savans ! , et dans les Éphémé- rides d'Allemagne *. On croyoit que ces vers singuliers ne se trouvoient que dans Le foie des animaux ruminans : mais M. Daubenton en a trouvé de tout semblables dans le foie de l'âne, et il est probable qu’on en trouvera de semblables aussi dansle foie de plusieurs au— tres animaux. Mais on prétend encore avoir trouvé des papillons dans le foie des mou-— tons ; M. Rouillé , ministre et secrétaire d’é- tat des affaires étrangères , a eu la bonté de me communiquer une lettre qui lui a été écrite en r749 par M. Gachet de Beaufort, docteur en médecine à Montier en Taran- taise , dont voici l’extrait : « L’on a remar— «qué depuis long-temps que les moutons « ( qui dans nos Alpes sont les meilleurs de «l’Europe ) maigrissent quelquefois à vue « d'œil, ayant les yeux blancs , chassieux et « concentrés , le sang séreux , sans presque 1 Année 1668. | 2 Tome v, aunées 1675 et 1676. DE LA BREBIS. 21% « aucune partie rouge sensible ; la langue «aride et resserrée , le nez rempli d’un mu- «cus jaunâtre , glaireux et purulent , avec «une débilité extrême, quoique mangeant « beaucoup, et qu’enfin toute l’économie ani- «male tomboit en décadence. Plusieurs re- « cherches exactes ontappris que ces animaux «avoient; dans le foie, des papillons blancs €t,.. comme nous l’avons dit, ils perdent aussi leur voix. Dans de certains pays ils sont tout-à-fait muets, dans d'autres ils ne perdent que la DU CHIEN. ri 30% faculté d'aboyer; ils hurlent comme les loups, fu glapissent comme Les renards. [ls semblent par cette altération se rapprocher de leur état de nature ; ‘car ils changent aussi pour la forme et pour l'instinct: ils deviennent laids et prennent tous des oreilles droites et poin- tues. Ce n'est aussi que dans les climats tem- _pérés que les chiens conservent leur ardeur, leur courage, leur sagacité , et les autres ta- lens qui leur sont naturels. Ils perdent donc tout lorsqu'on les transporte dans des climats ‘trop chauds : mais comme si la nature ne vouloit jamais rien faire d’absolument inu- tile , il se trouve que dans ces mêmes pays où les chiens ne peuvent plus servir à aucun des usages auxquels nous les employons, on les recherche pour la table, et que les nègres en préfèrent la chair à celle de tous les autres animaux. On conduit les chiens au marché pour les vendre : on les achète plus cher que le mouton, le chevreau , plus cher même que tout autre gibier ; enfin le mets le plus délicieux d’un festin chez les nègres est un chien rôti. On pourroit croire que le goût si décidé qu'ont ces peuples pour la chair de ect animal vient du changement de qualite | 26 306 HISTOIRE NATURELLE de cette même chair, qui, quoique très- mauvaise à manger dans nos climats tempé- rés , acquiert peut-être un autre goût dans ces climats brûlans : mais ce qui me fait penser que cela dépend plutôt de la nature de l’homme que de celle du chien, c’est que les sauvages du Canada, qui habitent un pays froid, ont le mème goût que les nègres pour là chair du chien, et que nos missionnaires en ont quelquefois mangé sans dégoût. « Les « chiens servent en guise de mouton pour «être mangés en festin, dit le P. Sabard « Theodat. Je me suis trouvé diverses fois à « des festins de chien. J’avoue véritablement « que du commencement cela me faisoit hor- «reur; mais je n’en eus pas mangé deux « fois, que j’en trouvai la chair bonne, et de « goût un peu approchant de celle du porc ». Dans nos climats, les animaux sauvages qui approchent le plus du chien , et sur-tout du chien à oreilles droites, du chien de berger, que je regarde comme la souche et le type de l’espèce entière, sont le renard et le loup; et comme la conformation inte- _rieure est presque entièrement la même, et que les différences extérieures sont assez D CHIEN 307 / légères , j'ai voulu essayer s'ils pourroient . produire ensemble : j’espérois qu’au moins on parviendroit à les faire accoupler , et que s'ils ne produisoient pas des individus fé- conds , ils engendreroient des espèces de mu lets qui auroient participé de la nature des deux. Pour cela , j'ai fait élever une louve prise dans les bois à l’âge de deux ou trois mois, avec un mätin de mémeäge. ls étoient enfermés ensemble et seuls dans une assez grande cour, où aucune autre bête ne pou- voit entrer, et où ils avoient un abri pour ‘se retirer. Ils me connoissoient ni l’un ni l’autre aucun individu de leur espèce, ni même aucun homme que celui qui étoit chargé du soin de leur porter tous les jours à manger. On les a gardés trois ans, tou- jours avec la même attention , et sans les contraindre ni les enchaîner. Pendant la premièreanmée, ces jeunes animaux jouoient _ perpétuellement ensemble, et paroissoiene s'aimer beaucoup. A la seconde année ils commencèrent par se disputer la nourriture, quoiqu'on leur en donnät plus qu'il ne leur en falloit. La querelle venoit toujours de la louve. On leur portoit de la viande et des os 308 HISTOIRE NATURELLE sur un grand plat de bois que l’on posoit à terre : dans l'instant mème la louve, au lieu de se jeter sur la viande, commençoit par écarter le chien, et prenoit ensuite le plat par la tranche si adroitement, qu'elle me laissoit rien tomber de ce qui étoit dessus : et emportoit le tout en fuyant ; et comme elle ne pouvoit sortir, je l'ai vue souvent faire cinq ou six fois de suite le teur de la cour, tout le long des murailles, toujours tenant le plat de niveau entre ses dents, et ne le reposer à terre que pour reprendre haleine et pour se jeter sur la viande avec voracité , et sur le chien avec fureur lors- qu'il vouloit approcher. Le chien étoit plus fort que la louve; mais comme il étoit plus doux, ou plutôt moins féroce, on craignit pour sa vie, et on lui mitun collier. Après la deuxième année, les querelles étoient encore plusvives et les combats plus fréquens, et on mit aussi un collier à la louve, que le chien commençoit à ménager beaucoup moins que dans les premiers temps. Pendant ces deux ans il n’y eut pas le moindre signe de chaleur ou de desir, ni dans l’un ni dans l'autre : ce ne fut au’à la fin de la troisième "DU CHIEN. 309 aunée que ces animaux commencèrent à ressentir Les impressions de l’ardeur du rut, mais sans amour ; Car , loin que cet état Jles’adoucît ou les rapprochât l’un de l’autre, ils n’en devinrent què plus intraitables et plus féroces: ce w’étoient plus que des burle- mens de douleur méêlés à des cris de colère ; ils maigrirent tous deux en moins de trois semaines , sans jamais s'approcher autre- ment que pour se déchirer : enfin ils s’achar- nêérent si fort l’un contre l’autre , que le chien tua la louve, qui étoit devenue la plus maigre et la plus foible, et l’on fut obligé de tuer Le chien quelques. jours après , parce qu’au moment qu'on voulut le mettre en liberté, il fit un grand dégät en se lançant avec fureur sur les volailles , sur les chiens, et même sur les hommes. J'avois dans le mème temps des renards, deux mäles et une femelle , que l’on avoit pris dans des piéges, et que je faisois garder loin les uns des autres dans des lieux sépa- rés. J’avois fait attacher l’un de ces renards avec une chaine légère, mais assez longue, et on, lui avoit bâti une petite hutte où il se mettoit à l'abri. Je Le gardai pendant plu sf 310 HISTOIRE NATURELLE sieurs mois : il se portoit bien; et quoiqu'il eût l'air ennuyé et les yeux toujours fixés sur la campagne qu’il voyoit de sa hutte, il ne laissoit pas de manger de très-srand appétit. On lui présenta une chienne en cha- leur que l’on avoit gardée, et qui n’avoit pas été couverte; et comme elle ne vouloit pas rester auprès du renard, on prit le parti de l’enchaîner dans le même lieu , et de leur donner largement à manger. Le renard ne. la mordit ni ne la maltraita point : pendant dix jours qu’ils demeurèrent ensemble, il n'y eut pas la moindre querelle, ni le jour, ni la nuit, ni aux heures du repas; le renard s’approchoit même assez familiérement: mais dès qu'il avoit flairé de trop près sa compagne, le signe du desir disparoissoit, et il s’en retournoit tristement dans sa hutte. Il ny eut donc point d’accouplement. Lorsque la chaleur de cette chienne fut passée, on lui ‘en substitua une autre qui venoit d’entrer en chaleur , et ensuite une troisième et une quatrième ; le renard les traita toutes avec la même douceur , maïs avec la mêmein— différence : et afin de m’assurer si c’étoit la répugnance naturelle ou l’état de contrainte à DU CHIEN. 3rx où il étoit qui l’empéchoit de s’accoupler, je lui fis amener une femelle de son espèce. Il la couvrit dès le même jour plus d’une fois, et nous trouvämes, en la disséquant quelques semaines après , qu’elle étoitpleine, et qu'elle auroit produit quatre petits renards. On présenta de même successivement à l’autre renard plusieurs chiennes en chaleur; on les enfermoit avec lui dans une cour où ils n’é- toient point enchainés : il n’y eut ni haine, ni amour, ni combat, ni caresses, et. ce renard mourut au bout de quelques mois de dégoût ou d’ennui. Ces épreuves nous apprennent au moins que le renard et le loup ne sont pas tout- à-fait de la même nature que le chien ; que ces espèces non seulement sont differentes, mais séparées et assez éloignées pour ne pou- _ voir les rapprocher , du moins dans ces cli- imats ; que par conséquent le chien ne tire pas son origine du renard ou du loup, et que les nomenclateurs qui ne regardent ces deux animaux que comme des chiens sau- vages, ou qui ne prennent le chien que pour un loup ôu un renard devenu domestique, et qui leur donnent à tous trois le nom d 32 HISTOIRE NATURELLE commun de chien, se trompent, nous n'a- voir pas assez consulté la nature. | Il ya dans les climats plus chauds que le nôtre uhe espèce d'animal féroce et cruel, moins ditérent du chien que ne le sont lé renard ou le loup. Cet animal, qui s’'ap- pelle adive ou chacal, a été remarqué et assez bien décrit par quelques voyageurs. On en trouve en grand nombre en Asie et en Afrique , aux environs de Trébisonde, autour du mont Caucase , en Mingrélie, en Natolie, en Hyrcanie , en Perse, aux Indes, à Surate , à Goa, à Guzarate, à à Bengale, au Congo, en Guinée, et en plusieurs autres endroits : et quoique cet animal soit regardé, par les naturels des pays qu’il habite, comme un chien sauvage, et que son nom même le désigne ; comme il est très-douteux qu’il se mêle avec les chiens et qu'il puisse engen- drer ou produire avec eux, nous en férons l’histoire à part, comme nous ferons aussi celle du loup , celle du renard , et celle de ious les autres animaux qui, ne se mè- ant point ensemble, font autant d'espèces distinctes et séparées. Ce n’est pas que je prétende d'u une manière | DUCHIE N. Vi: 31 décisive et absolue que l’adive, et même que le renard et le loup ne se soient jamais , dans aucun temps, mi dans aucun climat, mèlés avec les chiens. Les anciens l’assurent assez positivement pour qu’on puisse encore avoir ‘sur cela quelques doutes, malgré les épreuves que je viens de rapporter ; et j'avoue qu’il faudroit un plus grand nombre de pareilles épreuves pour acquérir sur ce fait une certi- tude entière. Aristote, dont je suis très-porté à respecter le témoignage, dit précisément ! qu'il est rare que les animaux qui sont d’es- _pêces différentes se mélent ensemble ; que cependant il est certain que cela arrive dans les chiens, les renards et les loups ; que les chiens indiens proviennent d’une autre bête sauvage semblable et d'un chien. On pour- roit croire que cette bête sauvage, à laquelle il ne donne point de nom, est l’adive : mais ‘il dit dans un autre endroit ? que ces chiens indiens viennent du tigre et du chien ; ce qui me paroit eucore plus difficile à croire, _ parce que le tigre est d’une nature ef d’une 1 Arist. de Generatione animal. Nb. 11, cap. 5. ? Arist Hist. animal. ib. VIII, cap. 28, | | . 3r4 HISTOIRE NATURELLE forme bien plus différentes de celles du chien que le loup, le renard ou l'adive. IL faut convenir qu'Aristote semble lui-même infir- mer son témoignage à cet égard : car, après avoir dit que les chiens indiens viennent d'une bête sauvage semblable au loup ou au renard , il dit ailleurs qu’ils viennent du tigre ; et sans énoncer si C'est du tigre et - de la chienne, ou du chien et de la tigresse, il ajoute seulement que la chose ne réussit pas d’abord, mais seulement à la troisième 0 i É CA + . r portée ; que de la première fois il ne résulte encore que des tigres; qu'on attache les chiens dans les déserts, et qu'à moins que le tigre ne soit en chaleur, ils sont souvent dévorés; que ce qui fait que l'Afrique pro- duit souvent des prodiges et des monstres, c'est que l’eau y étant très-rare et la chaleur fort grande, les animaux de différentes es- pèces se rencontrent assemblés en grand nombre dans le même lieu pour boire; que c'est là qu'ils se familiarisent, s'accouplent et produisent. Tout cela me paroît conjec- tural, incertain, et même assez suspect pour n’y pas ajouter foi; car plus on observe la nature des animaux, -plus on voit que l'in- DU CHIEN. 17) 2 dice le plus sûr pour en juger, c’est l’ins- tinct. L’examen le plus attentif des parties intérieures ne nous découvre que les grosses différences + le cheval et l’âne, qui se res- semblent parfaitement par la conformation des parties intérieures, sont cependant des ‘animaux d’une nature différente; le taureau ; ‘ le belier et le bouc, qui ne différent en rien les uns des autres pour la conformation iu- térieure de tous les viscères, sont d'espèces encore plus éloignées que l’âne et Le cheval ; et il en est de même du chien, du renard et du loup. L’inspection de la forme exte- rieure nous éclaire davantage: mais comme dans plusieurs espèces, et sur-tout dans celles qui ne sont pas éloignées, il y a même à l'extérieur beaucoup plus de ressemblance ‘que de différence, cette inspection ne sufhit _ pas encore pour décider si ces espèces sont différentes ou les mêmes ; enfin lorsque les nuances sont encore plus légères, nous ne pouvons les saisir qu’en combinant les rap- ports de l'instinct. C’est en effet par le natu- rel des animaux qu'on doit juger, de leur nature ; et si l’on supposoit deux animaux tout semblables pour la forme, mais toui 316 HISTOIRE NATURELLE différens pour le naturel , ces deux animaux qui ne voudroient pas se joindre, et qui ne pourroient produire ensemble, seroient , quoique semblables, de deux espèces diflé- rentes. Ce même moyen auquel! on est obligé d’a- voir recours pour juger de la différence des animaux dans les espèces voisines , est, à plus forte raison, celui qu'on doit employer de préférence à tous autres, lorsqu'on veut ramener à des points fixes les: nombreuses variétés que l’on trouve dans.la même es— pèce. Nous en connoissons trente dans celle du chien, et assurément nous ne les con-— noissons pas toutes. De ces trente variétés ,- il y en a dix-sept que l’on doit rapporter. à l'influence du climat: savoir, le chien de berger, le chien-loup, le chien de Sibé-* rie, le chien d'Islande et le chien de Lappo- nie, le mâtin, les levriers, le grand danois et le chien d'Irlande, le chièn courant, les. braques , les bassets, les épagneuls et le barbet, le petit danois, le chien-turc et le dogue: les treize autres, qui sont le chien- ture métis, le levriér à poil de loup, le éhien-boulfe, le chien de Malte ou bichon. DU CHIEN. 3kg le roquet , le dogue de forte race , le doguin ou mopse, le chien de Calabre , le burgos, le chien d'Alicante , le chien-lion , le petit barbet, et le chien qu'on appelle artois , issois ou quatre-vingt, ne sont que des métis qui proviennent du mélange des premiers; et ed rapportant chacun de ces chiens métis aux deux races dont ils sont issus , leur nature est dès-lors assez connue. Mais à l’égard des dix-sept premières races, si l’on veut con- noître les rapports qu’elles peuvent avoir entre elles , il faut avoir égard à l'instinct, - à la forme et à plusieurs autres circonstances. Jai mis ensemble le chien de befser ; le chien-loup , le chien de Sibérie , le chien de Lapponie et le chien d'Islande , parce qu’ils _ se ressemblent plus qu'ils ne ressemblent aux autres par la figure et par le poil, qu’ils ont tous cinq le museau pointu à peu près comme le renard , qu'ils sont les seuls qui aient les oreilles droites , et que leur instinct les porte à suivre et garder les troupeaux. Le mûâtin, le levrier, le grand danois, et le ‘chien d'Irlande, ont, outre la ressemblance de la forme et du long museau , le même naturel; ils aiment à courir, à suivre les 27 qe 3:18 HISTOIRE NATURELLE chevaux, les équipages : ils ont peu de nez, et chassent plutôt à vue qu’à l’odorat. Les vrais chiens de chasse sont les chiens courans, les braques , les bassets ;, les épagneuls et les mParbets quoiqu'ils diffèrent un peu par la forme du corps, ils ont cependant tous le museau gros ; et comme leur instinct est le même , on ne peut guère se tromper en les mettant ensemble. L’épagneul , parexemple, a été appelé par quelques naturalistes, canis aviarius terrestris , et le barbet , canis avia- Jius aguaticus ; et en effet, la seule diffé- ‘rence qu'il y ait dans le naturel de ces deux chiens, c’est que le barbet, avec son poil touffu , long et frisé, va plus volontiers à Teau que l’épagneul, qui a le poil lisse et moins fourni , ou que les trois autres, qui Vont trop court et trop clair pour ne pas craindre de se mouiller la peau. Enfin le petit danois et le chien-turc ne peuvent man- quer d'aller ensemble, puisqu'il est avéré que le chien-turc n’est qu'un petit danois qui a perdu son poil. Il ne reste que le dogue, qui, par son museau court, semble se rap— procher du petit danois plus que d'aucun autre chien , mais qui en difière à tant d’autres is | Î D] D CCPEPÆM NS A UM. A égards, qu’il paroît seul former une variété différente de toutes les autres , tant pour la forme que pour l'instinct. IL semble aussi affecter un climat particulier : il vient d'An- oleterre, et l’on a peine à en maintenir la ‘race en France; les metis quien proviennent, et qui sont le dogue de forte race et le do— guin , y réussissent mieux. Tous ces chiens ont le nez si court, qu'ils ont peu d'odorat , et souvent beaucoup d'odeur. Il paroiît aussi que la finesse de l’odorat , dans les chiens, dépend de la grosseur plus que de la longueur du museau , parce que le levrier , le mâtin et le grand danois , qui ont le museau fort alongé, ont beaucoup moins de nez que le chien courant , le braque et le basset, et mêmé que-l’épagneul et Le barbet, qui ont tous, à proportion de leur taille, le museau moins long, mais plus gros que les premiers. La plus ou moins grande perfection des sens, qui ne fait pas dans l’homme une qualité éminente ni même remarquable, fait dans les animaux tout leur mérite, et pro- duit comme cause tous les talens dont leur nature peut être susceptible. Je n’entrepren- drai pas de faire ici l’énumération de toutes 320 HISTOIRE NATURELLE les qualités d’un chien de chasse; on sait assez combien l’excellence de l’odorat ,jointe à l'éducation, Jui donne d'avantage et de supériorité sur les autres animaux : mais ces détails n'appartiennent que de loin à l’his- toire naturelle; et d'ailleurs les ruses et les moyens, quoiqu'émanés de la simple nature ,- que les animaux sauvages mettent en œuvre. pour se dérober à la recherche ou pour évi- ter la poursuite et les atteintes des chiens, sont peut-être plus merveilleux que les mé- thodes les plus fines de l’art de la chasse. Le chien , lorsqu'il vient de naître, n’est pas encore entièrement achevé. Dans cette espèce, comme dans celle de tous les ani- maux qui produisent en grand nombre, les petits , au moment de leur naissance, ne sont pas aussi parfaits que dans les animaux qui n’en produisent qu'un ou deux. Les chiens naissent communément avec les yeux fermés : les deux paupières ne sont pas sim- plement collées, mais adhérentes par une membrane qui se déchire lorsque le muscle de la paupière supérieure est devenu assez fort pour la relever et vaincre cet obstacle ; et la plupart des chiens n’ont Les yeux ou OM ORIEN «dx verts qu’au dixième ou douzième jour. Dans ce même temps, les os du crâne ne sont pas achevés ; le corps est bouffi, le museau gon- flé, et leur forme n’est pas encore bien dessi- née : mais en moins d'un mois ils apprennent à faire usage de tous leurs sens, et prennent ensuite de la force et un prompt accroisse- ment. Au quatrième mois ils perdent quel- ques unes de leurs dents, qui, comme dans les autres animaux , sont bientôt remplacées par d’autres qui ne tombent plus. [ls ont en tout quarante-deux dents; savoir, six incisives en haut et six en bas, deux canines en haut et deux en bas, quatorze mâchelières en haut et douze en bas : mais cela n’est pas cons- tant ; il se trouve des chiens qui ont plus ou moins de dents mâchelières. Dans ce premier àäge , les mâles comme les femelles s’accroupissent un peu pour pisser : ce n’est qu'à neuf ou dix. mois que les mäles, et même quelques femelles , commencent à lever la cuisse ; et c’est dans ce même temps qu'ils commencent à être en état d’engen=. _drer. Le mäle peut s’accoupler en tout temps ; mais la femelle ne le reçoit que dans des emps marqués : c'est erdinairement deux 322 HISTOIRE NATURELLE fois par an, et plus fréquemment en hiver qu'en été. La chaleur dure dix, douze et quelquefois quinze jours : elle se marque par des signes extérieurs ; les parties de la géné- ration sont humides, gonflées et proëémi- “nentes au dehors ; il y a un petit écoulement de sang tant que cette ardeur dure, et cet écoulement , aussi-bien que le gonflement de la vulve , commence quelques jours avant l’accouplement. Le mâle sent de loin la femelle dans cet état, et la recherche ; mais ordinairement elle ne se livre que six ou sept jours aprés qu’elle a commencé à entrer en chaleur. On a reconnu qu’un seul accouplement suffit pour qu'elle conçoive, mème en grand nombre : cependant, lors- ; qu'on la laisse en liberté , elle s’accouple plusieurs fois par jour avec tous les chiens qui se présentent ; on observe seulement que | lorsqu'elle peut choisir, elle préfère toujours ceux de la plus grosse et de la plus grande taille , quelque laids et quelque dispropor- tionnés qu'ils puissent être : aussi arrive-t-1l assez souvent que de petites chiennes qui ont reçu des mâtins , périssent en faisant leurs petits. | | DU, CHIEN. 323 Une chose que tout le monde sait, et qui cependant n’en est pas moins une singula- rité de la nature, c’est que dans l’accou- plement ces animaux ne peuvent se séparer, même après la consommation de l’acte de la génération: tant que l’état d’érection et de gonflement subsiste, ils sont forcés de demeurer unis ; et cela dépend sans doute de leur conformation. Le chien a non seule- ment , comme plusieurs autres animaux, un os dans la verge ; mais les corps caverneux for- ment dans le milieu une espèce de bourre- let fort apparent, et qui se gonfle beaucoup dans l'érection. La chienne, qui de-toutes les femelles est peut-être celle dont le cli- toris est le plus considérable et le plus gros dans le temps de la chaleur, présente de son côté un bourrelet , ou plutôt une tumeur ferme et saillante, dont le gonîlement, aussi- bien que celui des parties voisines , dure peut-être bien plus long-temps que celui du mâle , et sufhit peut-être aussi pour le rete- nir malgre lui : car au moment que l’acte est consommé, il change de position; ilse remet à pied pour se reposer sur ses quatre jambes ; il a même l’air triste, et les efforts 324 HISTOIRE NATURELLE pour se séparer ne viennent jamais de la femelle. . mo | Les chiennes portent neuf semaines, c’est-à- diresoixante-trois jours, quelquefois soixante- deux ou soixante-un, et jamais moins de soixante : elles produisent six, sept, et quel- quefois jusqu’à douze petits; celles qui sont de la plus grande et de la plus forte taille produisent en plus grand nombre que les petites ; qui souvent ne font que quatre ou cinq , et quelquefois qu’un ou deux petits, sur-tout dans les premières portées, quisont toujours moins nombreuses que les autres , dans tous les animaux. | Les chiens, quoique très-ardens en amour, ne laissent pas de durer; il ue paroit pas même que l’âge diminue leur ardeur : ils s’accouplent et produisent pendant toute la vie , qui ést ordinairement bornée à qua- torze ou quinze ans, quoiqu'on en ait gardé quelques uns jusqu’à vingt. La durée de la vie est dans le chien, comme dans les autres -animaux, proportionnelle au temps de l’ac- croissement : il est environ deux ans à croître ; il vit aussi sept fois deux ans. L'on peut conuuoitre son äge par les dents, qui, dans DU CHIEN. 325 ka jeunesse, sont blanches , tranchantes et pointues, et qui, à mesure qu’il vieillit, deviennent noires, mousses et inégales. On le connoît aussi par le poil ; car il blanchit sur le museau , sur le front et autour des yeux. | | ; Ces animaux, qui, de leur naturel, sont très-vigilans , três-actifs, et qui sont faits pour le plus grand mouvement, deviennent dans nos maisons, par la surcharge de la nourriture, si pesans et si paresseux, qu'ils passent toute leur vie à ronfler, dormir et manger. Ce sommeil presque continuel est accompagné de rêves , et c’est peut-être une douce manière d'exister. [ls sont naturelle- ment voraces ou gourmands, et cependant ils peuvent se passer de nourriture pendant Jong-temps. Il y a dans les Mémoires de l’aca- démie des ‘sciences l'histoire d’une chienne qui , ayant été oubliée dans une maison de campagne, a vécu quarante jours sans autre nourriture que l’étoffe ou la laine d’un mate- las qu’elle avoit déchiré. IL paroît que l’eau leur est encore plus nécessaire que la nourri- ture. Ils boivent souvent et abondamment : on croit même vulgairement que quand ils Quadrupèdes, I. | 28 326 HISTOIRE NATURELLE manquent d’eau pendant longs -temps, ils deviennent enragés. Une chose qui leur est particulière , c’est qu'ils paroissent faire des efforts et souffrir toutes les fois qu’ils rendent leurs excrémens : ce n’est pas, comme le dit Aristote, parce que les intestins de viennent plus étroits enapprochantdel’anus; il est certain , au contraire , que dans le chien, comme dans les autres animaux, les gros boyaux s’élargissent toujours de plus en plus , et que le rectum est plus large que le colon. La sécheresse du tempérament de cet animal suffit pour produire cet effet, et les étranglemens qui se trouvent dans le colon sont trop loin pour qu’on puisse l’attribuer à la conformation des intestins. : Pour donner une idée plus nette de l’ordre des chiens, de leur génération dans les dif- férens climats, et du mélange de leurs races, je joins ici une table, ou, si l’on veut, une espece d'arbre généalogique, où l’on pourra voir d’un coup d’œil toutes ces variétés. Cette table est orientée comme les cartes géogra- phiques, et l'on a suivi, autant qu’il étoit possible, la position respective des climats. Le chien de berger est la souche de l'arbre. DU CHIEN. 327 -Ce chien, transporté dans Les climats rigou- reux du Nord, s’est enlaidi et rapetissé chez les Lappons , et paroït s'être maintenu et même perfectionné en Islande, en Russie, en Sibérie, dont le climat est un peu moins rigoureux, et où les peuples sont un peu plus civilisés. Ces changemens sont arrivés par la seule influence de ces climats, qui n’a pas produit une grande altération dans la forme ; car tous ces chiens ont les oreiiles droites, le -poil épais et long, l'air sauvage, et ils n’a- boient pas aussi fréquemment ni de la mème manière que ceux qui, dans Les climats plus favorables, se sont perfectionnés davantage. Le chien d'Islande est le seul qui n'ait pas les oreilles entièrement droites; elles sont un peu pliées par leur extrémité : aussi l’Is- lande est de tous ces pays du Nord l’un des plus anciennement habités par des hommes _à demi civilisés. Le mème chien de berger, transporté dans des climats tempérés, et chez des peuples entièrement policés, come en Angleterre, ‘en France, en Allemagne , aura perdu son air sauvage , ses oreilles droites, son poil rude, épais et long, et sera devenu dogue., 353 HISTOIRE NATURELLE chien courant et mâtin , par la seule influence de ces climats. Le mâtin et le dogue ont en- core les oreilles en partie droites ; elles ne sont qu'à demi pendantes, et ils ressemblent assez par leurs mœurs et par leur naturel sangui- naire au chien duquel.ils tirent leur origine. Le chien courant est celui des trois qui s’en éloigne le plus: les oreilles longues, entière- ment pendantes , la douceur, la docilité, et, si on peut le dire, la timidité de ce chien, sont autant de preuves de la grande dégéné- ration, ou, si l’on veut, de la grande per- fection qu’a produite une longue domesti- cité, jointe à une éducation soignée et suivie. Le chien courant, le braque et le basset ne font qu'une seule et même race de chiens ; car l’on a remarqué que dans la même por- tée il se trouve assez souvent des chiens cou- rans, des braques et des bassets, quoique la lice n'ait été couverte que par l’un de ces trois chiens. J’ai accollé le braque de Bengale au braque commun , parce qu’il n’en diffère en effet que par la robe, qui est mouchetée ; et j'ai joint de même le basset à jambes torses au basset ordinaire, parce que le dé- faut dans les jambes de ce chien ne vient DU CHIEN. ; 329 originairement que d’une maladie semblable au rachitis, dont quelques individus ont été attaqués, et dont ils ont transmis le résul- ; qui est la déformation des os, à leurs descendans. Le chien courant , transporté en Espagne et en Barbarie, où presque tous les ani- maux ont le poil fin, long et fourni, sera devenu épagneul et barbet: le grand et le petit épagneul, qui ne diffèrent que par la taille , transportés en Angleterre, ont changé de couleur du blanc au noir, et sont devenus, par l'influence du climat, grand et petit gre- dins, auxquels on doit joindre le pyrame, quin'’est qu'un gredin noir comme les autres, _ mais marqué de feu aux quatre pattes, aux yeux et au museau. Le mâtin, transporté au Nord, est devenu grand danois , et, transporté au Midi, est devenu levrier. Les grands levriers viennent du Levant; ceux de taille médiocre, d'Italie; et ces levriers d'Italie, transportés en An- gleterre, sont devenus levrons, c’est-à-dire © Jevriers encore plus petits. Le grand danois, transporté en Irlande, en Ukraine, en Tartarie, en Epire , en 28 Le 339 HISTOIRE NATURELLE Albanie, est devenu chien d'Irlande, et c’est le plus grand de tous les chiens, + Le dogue, transporté d'Angleterre en Da= nemarck, est devenu petit danois; et ce même petit danois , transporté dans les cli- mats chauds, est devenu chien-turc. Toutes ves races, avec leurs variétés, n’ont été pro= duites que par l'influence du climat , jointe à la douceur de l'abri, à l'effet de la nour- riture et au résultat d’une éducation soignée. Les autres chiens ne sont pas de races pures, et proviennent du mélange de ces premières races. J'ai marqué par des lignes ponctuées la double origine de ces races métives. Le levrier et le mâtin ont produit le le- vrier métis, que l’on appelle aussi Zevrier & poil de loup. Ce métis a le museau moins eilé que le franc levrier , qui est très-rare en France. | Le grand danois et le grand épagneul ont produit ensemble le chien de Calabre, qui est un beau chien à longs poils touffus , et plus grand par la taille Lu les — gros matins. L'épagneul et le basset produisent un autre chien que l’on appelle Üwrgos L’épagneul et Le petit danois produisent le chien-lion , qui est maintenant fort rare. _ Les chiens à longs poils, fins et frisés, que l'on appelle boules, et qui sont de la taille des plus grands barbets, viennent du grand £pagneul et du barbet. . Le petit barbet vient du petit & épagneul et du barbet. : Le dogue produit avec le mâtin un chien métis que l’on appelle dogze de forte race, qui est beaucoup plus gros que le vrai dogue, ou dogue d'Angleterre , et qui: tient plus du dogue que du mâtin. Le doguin vient du dogue d' Angleterre € et _ du petit danois. Tous ces chiens sont des métis simples , et _. viennent du mélange de deux races pures ; mais il y a encore d'autres chiens qu’on pourroit appeler doubles métis, parce qu'ils viennent du mélange d’une race pure ef d’une race déja mêlée. Le roquet est un double métis qui vient du doguin et du petit danois. Le chien d’Alicante est aussi un double métis qui vient du doguin et du petit épa- gneul. 332 HISTOIRE NATURELLE. Le chien de Malte ou bichon est encore ui double métis qui vient du petit eue et. du petit barbet. Enfin il y a des chiens ee pourroit ap- peler #riples métis , parce qu'ils viennent du mélange de deux races déja mélées toutes deux: tel est le chien d'Artois , issois ou quatre-vingt, qui vient du doguin et du ro- quet; tels sont encore les chiens que l’on appelle vulgairement chiens des rues, qui ressemblent à tous les chiens en général sans ressembler à aucun en particulier, parce qu’ils proviennent du mélange de races déja plusieurs fois mélées. il TA LE CHAT SAUVAGE. LE CHAT D'ESPAGNE. Le PLBo. 239233 LE CHAT DOMESTIQUE . Pl2g Lag 288, DOTMETE L LE CHATDES CHARTREUX LE CHAT D’'ANGORA, 2 auquet .S° Î PT CHAT. Le chat est un domestique infidèle qu’on ne garde que par nécessité, pour l’opposer à un autre ennemi domestique encore plus incom- mode, et qu'on ne peut chasser: car nous ne comptons pas les gens qui, ayant du goût pour toutes les bêtes, n'élèvent des chats que pour s’en amuser ; l’un, est l'usage, Vautre l'abus: et quoique ces animaux, sur- tout quand ils sont jeunes , aient de la gen- tillesse , ils ont en même temps une malice innée , un caractère faux, un naturel per- vers , que l’âge augmente encore , et que l'éducation ne fait que masquer. De voleurs déterminés ils deviennent seulement, lors- qu'ils sont bien élevés, souples et flatteurs comme les fripons ; ils ont la même adresse, la même subtilité, le même goût pour faire . le mal, le même penchant à la petite ra- piue ; comme eux, ils savent couvrir leur marche, dissimuler leur dessein, épier les occasions, attendre , choisir , saisir l'instant — 334 HISTOIRE NATURELLE de faire leur coup , se dérober ensuite aw châtiment, fuir et demeurer éloignés jusqu’à ce qu’on les rappelle. Ils prennent aisément des habitudes de société, mais jamais des mœurs. Ils n’ont que l'apparence de l’atta- chement ; on le voit à leurs mouvemens obliques , à leurs yeux équivoques : ils ne regardent jamais en face la personne aimée; soit défiance ou fausseté, ils prennent des détours pour en approcher , pour chercher des caresses auxquelles ils ne sont sensibles que pour le plaisir qu’elles leur font. Bien différent de cet animal fidèle dont tous les sentimens se rapportent à la personne de son maître, le chat paroît ne sentir que pour soi, n'aimer que sous condition, ne se pré- ter au commerce que pour en abuser; et par cette convenance de naturel il est moins in- compatible avec l'homme qu'avec le cfien, dans lequel tout est sincère. La forme du corps et le tempérament sont d'accord avec le naturel : le chat est joli, léger , adroit, propre et voluptueux ; il aime ses aises , il cherche les meubles les plus mollets pour s’y reposer et s’ébattre. Il est aussi très-porié à l'amour; et, ce qui est DU CHAT. 335 rare dans les animaux, la femelle paroît être plus ardente que le mâle : elle l'invite, elle le cherche , elle l'appelle ; elle annonce par de hauts cris la fureur de ses desirs , ou plu- tôt l'excès de ses besoins ; et lorsque le mâle la fuit ou la dédaigne, elle le poursuit, le mord , et le force, pour ainsi dire, à la satisfaire , quoique les approches soient tou- jours accompagnées d’une vive douleur. La chaleur dure neuf ou dix jours, et'n’arrive que dans des temps marqués : c’est ordinai- rement deux fois par an , au printemps et en automne, et souvent aussi trois fois, et même quatre. Les chattes portent cinquante- cinq ou cinquänte-six jours : elles ne pro- duisent pas en aussi grand nombre que les chiennes ; les portées ordinaires sont de quatre, de cinq ou de six. Comme les mâles sont sujets à dévorer leur progéniture , les femelles se cachent pour mettre bas ; et lors- qu’elles craignent qu’on ne découvre ou qu’on n’enlève leurs petits, elles les transportent dans des trous et dans d’autres lieux ignorés où inaccessibles ; et après les avoir allaités pendant quelques semaines, elles leur ap- portent des souris, de petits oiseaux, et les 3% HISTOIRE NATURELLE. accoutument de bonne heure à manger de la chair: mais, par une bizarrerie difficile à comprendre, ces mêmes mères , sisoigneuses etsi tendres, deviennent quelquefois cruelles , dénaturées, et dévorent aussi leurs petits qui leur étoient si chers. Les jeunes chats sont gais , vifs, jolis , et seroient aussi très-propres à amuser les en- fans si les coups de patte n’étoient pas à craindre : mais leur badinage , quoique tou- joursagréable et léger, n’est jamais innocent, et bientôt il se tourne en malice habituelle ; et comme ils ne peuvent exercer ces talens avec quelque avantage que sur les plus pe- tits animaux, ils se mettent à l'affût près d’une cage, ils épient les oiseaux, les souris, les rats, et deviennent d'eux-mêmes, et sans y être dressés, plus habiles à la chasse que les chiens les mieux instruits. Leur naturel, ennemi de toute contrainte , les rend inca- pables d’une éducation suivie. On raconte néanmoins que des moines grecs de l'ile de Chypre avoient dressé des chats à chasser , prendre et tuer les serpens dont cette île étoit infestée : mais c’étoit plutôt par le goût général qu’ils ont pour la destruction que par DU CHAT. 337 œbéissance qu'ils chassoient ; car ils se plaisent à épier , attaquer et détruire assez indiffé— remment tous les animaux foibles, comme les oiseaux, les jeunes lapins, les levreaux, les rats , les souris, les mulots, les chauves- souris , les taupes, les crapauds, les gre- nouilles, les lézards et les serpens. Îls n’ont aucune docilité , ils manquent aussi de la finesse de l’odorat, qui, dans le chien, sont deux qualités éminentes ; aussi ne poursui- vent-ils pas les animaux qu'ils ne voient plus: ils ne les chassent pas ; mais ils les attendent, les attaquent par surprise, et après s’en être joués long-temps ils les tuent sans aucune nécessité , lors même qu’ils sont le mieux nourris et qu'ils n'ontaucun besoin de cette proie pour satisfaire leur appétit. La cause physique la plus immédiate de ce penchant qu’ils ont à épier et surprendre les autres animaux, vient de l’avantage que leur donne la conformation particulière de leurs yeux. La pupille, dans l’homme comme dans la plupart des animaux, est capable d’un certain degré de contraction et de dila- tation : elle s’élargit un peu lorsque la lu- mière manque , et se rétrécit lorsqu'elle 29° { 33 HISTOIRE NATURELLE" devient trop vive. Dans l'œil du chat et dès oiseaux de nuit, cette contraction et cette dilatation sont si considérables, que la pu- pille, qui, dans l'obscurité, est ronde et large, devient au grand jour longue ét étroite comme une ligne, et dès-lors ces animaux voient mieux la nuit que le jour, comme on le PAR ATANE dans les chouettes , les hi- boux , etc.; car la forme de la pupille est toujours done dès qu’elle n’est pas contrainte. Il y a donc contraction continuelle dans l’œil _ du chat pendant le jonr, et ce n’est, pour ainsi dire, que par effort qu’il voit à une grande lumière; au lieu que dans le crépus- cule, la pupille reprenant son état natu- rel , il voit parfaitement, et profite de cet avantage pour reconnoître, attaquer et sur- prendre les autres animaux. On ne peut pas dire que les chats, quoi- qu’habitans de nos maisons , soient des ani- maux entièrement domestiques : ceux quison£ lemieux apprivoisés n’en sont pas plus asser- vis; on peutmême dire qu’ils sontentièrement libres : ils ne font que ce qu’ils veulent , et rien au monde ne seroit capable de les rete- aix un instant de plus dans un lieu dont ils DU CHAT. 339 xoudroient s'éloigner. D'ailleurs la plupart sont à demi sauvages, ne connoissent pas leurs maîtres, ne fréquentent que les gre- _miers et les toits, et quelquefois la cuisine et l'office, lorsque la faim les presse. Quoiqu’on en élève plus que de chiens, comme on les rencontre rarement, ils ne font pas sensation _pour le nombre ; aussi prennent-ils moins d'attachement pour les personnes que pour les maisons : lorsqu'on les transporte à des distances assez considérables , comme à une lieue ou deux, ils reviennent d'eux-mêmes à leur grenier; et c’est apparemment parce qu'ils en connoissent toutes les retraites à souris, toutes les issues, tous les passages, etque la peine du voyage est moindre que celle qu’il faudroit prendre pour acquérir les mêmes facilités dans un nouveau pays. Ils craignent l’eau , le froid et les mauvaises odeurs ; ils aiment à se tenir au soleil ; ils cherchent à se oiîter dans les lieux les plus chauds , derrière les cheminées ou dans les fours. Ils aiment aussi les parfums , et se laissent volontiers prendre et caresser par les personnes qui en portent : l'odeur de cette plante que l’on appelle l’Aerbe-aux-chats, ‘540 HISTOIRE NATURELLE les remue si fortement et si délicieusement. qu'ils en paroissent transportés de plaisir. On est obligé, pour conserver cette plante dans les jardins, de l’entourer d’un treillage fermé : les chats la sentent de loin, accou- rent pour s’y frotter, passent et repassent si souvent par-dessus, qu'ils Ja détruisent en peu de temps. À quinze ou dix-huit mois ces animaux ont pris tout leur accroissement : ils sont aussi en état d’engendrer avant l’âge d’un an, et peuvent s’aecoupler pendant toute leur vie, qui ne s'étend guère au-delà de neuf ou dix ans ; ils sont cependant très-durs, très-vi- vaces , et ont plus de nerf et de ressort que d'autres animaux qui vivent plus long-temps. Les chats ne peuvent mâcher que lente- ment et difficilement : leurs dents sont si courtes et si mal posées, qu'elles ne leur servent qu'à déchirer et non pas à broyer. les alimens : aussi cherchent-ils de préfé- rence les viandes les plus tendres ; ils aiment le poisson et le mangent cuit ou crud. Ils boivent fréquemment. Leur sommeil est lé- ser, et ils dorment moins qu’ils ne. font semblant de dormir. Îls marchent légère DU CHAT. 34x ment , presque toujours en silence et sans _ faire aucun bruit; ils se cachent et s’éloignent pour rendreleurs excrémens,etles recouvrent de terre. Comme ils sont propres, et que leur robe est toujours sèche et lustrée , leur poil s’électrise aisément, et l’on en voit sor- tir des étincelles dans l'obscurité lorsqu'on le frotte avec la main. Leurs yeux brillent aussi dans les ténèbres, à peu près comme les diamans, qui réfléchissent au dehors, 4 pendant la nuit, la lumière dont ils se sont, pour ainsi dire, 1imbibés pendant le jour. Le chat sauvage produit avec le chat do- mestique, et tous deux ne font par conseé- quent qu'une seule et même espèce. IL n’est pas rare de voir des chats mâles et femelles quitter les maisons dans le temps de la cha- leur pour aller dans les bois chercher les chats sauvages, et revenir ensuite à leur ha- bitation : c’est par cette raison que quelques ‘uns de nos chats domestiques ressemblent tout-à-fait aux chats sauvages ; la différence la plus réelle est'à l'intérieur. Le chat do- mestique a ordinairement les boyaux beau- coup plus longs que le chat sauvage : cepen- dant le chat sauvage est plus fort et plus 0 dei 342 HISTOIRE NATURELLE gros que le chat domestique ; il a toujours les lèvres noires , les oreilles plus roides, la queue plus grosse et les couleurs constantes... Dans ce climat on ne connoît qu'une espèce de chat sauvage, et il paroit ; par le témoi- gnage des voyageurs, que cette espèce se re- trouve aussi dans presque tous Les climats , sans être sujette à de grandes variétés. Il y en avoit dans le continent dunouveau monde avant qu'on en eût fait la découverte : un chasseur en porta un qu'il avoit pris dans les bois à Christophe Colomb. Ce chat étoit d'une grosseur ordinaire ; il avoit le poil gris-brun, la queue très-longue et.très-forte. Il y avoit aussi de ces chats sauvages au Pé- rou , quoiqu'il n'y en eût point de domes- tiques : 11 y en a en Canada, dans le pays des Illinois , etc. On en a vu dans plusieurs endroits de l'Afrique, comme en Guinée: à la côte d'Or, à Madagascar, où les naturels du pays avoient même des chats domestiques, au cap de Bonne-Espérance , où Kolbe dit qu'il se trouve aussi des chats sauvages de couleur bleue, quoiqu’en petit nombre. Ces chats bleus, ou plutôt couleur d’ardoise, se retrouvent en Asie. «Il y a°en Perse, dit NAN DU CHAT. 2: 343 « Pietro della Valle , une espèce de chats qui «sont proprement de la province du Ko- «razan : leur grandeur et leur forme est « comme celle du chat ordinaire; leur beauté « consiste dans leur couleur et dans leur poil, « qui est gris, sans aucune moucheture et «sans nulle tache, d’une même couleur par « toüt le corps, si ce n’est qu’elle est un peu « plus obscure sur le dos et sur la tête, et plus « claire sur la poitrine et sur le ventre, qui « va quelquefois jusqu'à la blancheur, avec « ce tempériment agréable de clair-obscur, «comme parlent les peintres, qui mêlés l’un « dans l’autre font un merveilleux effet: de « plus leur poil est délie, fin , lustré, mollet, « délicat comme la soie, et si long, que quoi- «qu’il ne soit pas hérissé, mais couché, il est « annelé en quelques endroits, et particuliè- « rement sous la gorge. Ces chats sont entre « les autres chats ce que les barbets sont entre «les chiens. Le plus beau de leur corps est la _« queue, qui est fort longue et toute couverte « de poils longs de cinq ou six doigts: ils l’é- « tendent et la renversent sur leur dos com- «me font les écureuils, la pointe en haut en « forme de panache. Ils sont fort privés. Les 344 HISTOIRE NATURELLE « Portugais en ont porté de Perse jusqu'aux « Indes ». Pietro della Valle ajoute qu’il em avoit quatre couples, qu’il comptoit porter en Îtalie. On voit par cette description que ces chats de Perse ressemblent par la couleur à ceux que nous appelons chais chartreux , et qu'à la couleur près ils ressemblent par faitement à ceux que nous appelons ezats d’Angora. Il est donc vraisemblable que les chats du Korazan en Perse, le chat d'An- gora en Syrie, et le chat chartreux, ne font qu'une même race, dont la beauté vient de l'influence particulière du climat de Syrie, comme les chats d'Espagne, qui sont rouges, blancs et noirs, et dont le poil est aussi très- doux et très-lustré, doivent cette beauté à l'influence du climat de l'Espagne. On peut dire en général que de tous les climats de la terre habitable , celui d'Espagne et celui de Syrie sont les plus favorables à ces belles variétés de la nature: les moutons , les che- vres, les chiens, les chats, les lapins , etc. ont en Espagne et en Syrie la plus belle laine, les plus beaux et les plus longs poils, les couleurs les plus agréables et les plus va- rices ; il semble que ce climat adoucisse Ja DU CHAT. 1348 nature et embellisse la forme de tous les ani- maux. Le chat sauvage a les couleurs dures et le poil un peu rude , comme la plupart des autres animaux sauvages : devenu do- mestique, le poil s’est radouci, les couleurs ont varié, et dans le climat favorable du Korazan et de la Syrie le poil est devenu plus long, plus fin, plus fourni , et les cou- leurs se sont uniformément adoucies ; le noir et le roux sont devenus d’un brun-clair, le gris-brun est devenu gris-cendré; et en com- parant un chat sauvage de nos forêts avec un chat chartreux, on verra qu’ils ne diffèrent en effet que par cette dégradation nuancée de couleurs : ensuite, comme ces animaux ont plus ou moins de blanc sous le ventre et aux côtés, on concevra aisément que pour avoir des chats tout blancs et à longs poils, tels que ceux que nous appelons proprement chats d’Angora, il n’a fallu que choisir dans cette race adoucie ceux qui avoient le plus de blanc aux côtés et sous le ventre, et qu’en les unissant ensemble on sera parvenu à leur faire produire des chats entièrement blancs, comme on l’a fait aussi pour avoir des la- pins blancs, des chiens blancs, des chèvres 346 HISTOIRE NATURELLE _ blanches, des cerfs blancs, des daims blancs, etc. Dans Le chat d'Espagne, qui n’est qu’une autre variété du chat sauvage , les couleurs ; au lieu de s’être affoiblies par nuances uni- formes commé dans le chat de Syrie, se sont, pour ainsi dire, exaltées dans le climat d’Es- pagne , et sont devenues plus vives et plus tranchées ; le roux est devenu presque rouse, le brun est devenu noir, et le gris est devenu blanc. Ces chats, transportés aux îles de l'Amérique , ont conservé leurs belles cou- leurs et n’ont pas dégénéré. «Il y a aux An- «tilles , dit le P. du Tertre, grand nombre «de chats qui vraisemblablement y ont été «apportés par les Espagnols : la plupart sont « marqués de roux, de blanc et de noir. Plu- «sieurs de nos François, après en avoir « mangé la chair, emportent les peaux :en « France pour les vendre. Ces chats , au com- « mencement que rous fümes dans la Gua- « deloupe, étoient tellement accoutumeés à « se repaître de perdrix , de tourterelles, de « grives et d'autres petits oiseaux , qu'ils ne « daignoiïent pas regarder les rats ; re le « gibier étant actuellement fort diminué , ils « ont rompu la trève avec les rats, ils leur DU CHAT. 34 « font bonne guerre, etc. » En général, les chats ne sont pas, comme les chiens , sujets à s’altérer et à dégénérer lorsqu'on les trans- porte dans les climats chauds. « Les chats d'Europe , dit Bosman , trans- « portés en Guinée, ne sont pas sujets à chan- _« ger comme les chiens; ils gardent la même «figure, etc. » Ils sont en effet d’une nature beaucoup plus constante ; et comme leur domesticité n’est ni aussi entière, ni aussi universelle, ni peut-être aussi ancienne que celle du chien, il n’est pas surprenant qu’ils aient moins varié. Nos chats domestiques , quoique différens les uns des autres par les couleurs , ne forment point de races dis- tinctes et séparées; les seuls climats d'Es- pagne et de Syrie, ou du Korazau, ont produit des variétés constantes, et qui se sont perpé- tuées : on pourroit encore y joindre le climat de la province de Pe-chi-ly à la Chine, où il y a des chats à longs poils avec les oreilles pendantes, que les dames chinoises aimené beaucoup. Ces chats domestiques à oreilles pendantes, dont nous n'avons pas une plus ample description, sont sans doute encore plus éloignés que les autres qui ontlesoreilles' | 248 HISTOIRE NATURELLE. droites de la race du chat sauvage, qui néan- imoins est la race originaire et primitive de tous les chats. | Nous terminerons ici l'histoire du chat, et en même temps l’histoire des animaux do- mestiques. Le cheval, l’âne, le bœuf, la brebis, la chèvre, le cochon, le chien et le chat , sont nos seuls animaux domestiques. Nousn'y joignons pas le chameau, l’éléphant, le renne et les autres, qui, quoique domes- tiques ailleurs, n’en sont pas moins étran- _gers pour nous ; et ce ne sera qu'après avoir donné l'histoire des animaux sauvages de notre climat que nous parlerons desanimaux étrangers. D'ailleurs, comme le chat n’est, pour ainsi dire, qu'à demi domestique , il fait la nuance entre les animaux domestiques et les animaux sauvages; car on ne doit pas mettre au nombre des domestiques, des voi- sins incommodes, tels que Les souris, les rats, les taupes , qui, quoiqu'habitans de nos mai- sons ou de nos jardins, n’en sont pas moins libres et sauvages, puisqu'au lieu d’être atta- chés et soumis à l'homme, ils le fuient, et que dans leurs retraites obscures ilsconservent leurs mœurs, leurs habitudes et leur liberté toute entière. MOIC EH À T: 349 . On a vu dans l’histoire de chaque animal to 8 combien l’éducation, l'abri, le soin, la main de l'homme, influent sur le naturel, sur les mœurs, et même sur la forme des animaux : on a vu que ces causes, jointes à l'influence du climat, modifient , altérent et changent les espèces au point d’être diffé- rentes de ce qu’elles étoient originairement, et rendent les individus si différens entre eux dans le même temps et dans la même espèce, qu'on auroit raison de les regarder comme des animaux différens, s'ils ne con servoient pas la faculté de produire ensemble des individus féconds ; ce qui faitle caractère essentiel et unique de l’espèce. On a vuqueles différentes races de ces animaux domestiques suivent dans les différens. climats le même ordre à peu près que les races humaines : qu'ils sont , comme les hommes, plus forts, plus grands et plus courageux dans les pays froids; plus civilisés, plus doux dans le cli- mat tempéré; plus läches, plus foibles et plus laids daus les climats trop chauds : que c’est encore dans les climats tempérés et chez les peuples les plus policés que se trouvent la plus grande diversité, le plus grand meé- 30 35o HISTOIRE NATURELLE lange et les plus nombreuses variétés dans chaque espèce: et ce qui n’est pas moins digne de remarque, c'est qu'il y a dans les animaux plusieurs signes évidens de l’ancien- neté de leur esclavage; les oreilles pendantes, les couleurs variées , les poils longs et fins, sont autant d'effets produits par le temps, ou plutôt par la longue durée de leur domes- ticité. Presque tous. les animaux libres ef sauvages ont les oreilles droites : le sanglier les a droites et roides, le cochon domestique les a inclinées et demi-pendantes. Chez les Lappons, chez les sauvages de l'Amérique, chez les Hottentots, chez les Nègres et les autres peuples non policés, tousles chiens ont lesoreilles droites, au lieu qu’en Espagne , en France , en Angleterre, en Turquie , en Perse, à la Chine, et dans tous les pays civi- lisés , la plupart les ont molles et pendantes. Les chats domestiques n’ont pas les oreilles si roides que les chats sauvages, et l’on voit qu'à la Chine, qui est un empire très-an- ciennement policé, et où le climat est fort doux, il y a des chats domestiques à oreilles pendantes. C’est par cette même raison que ja chèvre d’Angora, qui a les oreilles pen- AU CC'A Te 35r danies, doit être regardée entre toutes les chèvres comme celle qui s'éloigne le plus de l'état de nature. L'influence si générale et si marquée du climat de Syrie, jointe à la _ domesticité de ces animaux chez un peuple très-anciennement policé, aura produit avec le temps cette variété, qui ne se maintien- droit pas dans un autre climat. Les chèvres d'Angora nées en France n’ont pas les oreilles aussi longues ni aussi pendantes qu’en Sy- rie, et reprendroient vraisemblablement les oreilles et le poil de nos chèvres après un certain nombre de générations. : > s Fin du premier volume, | VOA SL TE Des articles contenus dans ce volume. L ES animaux di cs » Page T« Le cheval, 8. © L’âne, 115. … Le bœuf, 1bo. La brebis, 198. La chèvre, 224. Le cochon, le cochon de Siam, et le sanglier , 249. _ Le chien , 276. .. Le chaï, 333. DE LIMPRIMERIE DE PLASSAN. / VE A a li a |__3 9088 00769 6