HISTOIRE MATURELLE OTADRUPÉÈDES. TOME QUATRIÈME. : si * es FE 4 | FT 5 @ LÉ | HISTOIRE 927 NATURELLE Par BUFFON, DÉDIÉÉ AU CITOYEN LACEPEDE, MEMBRE DE L'INSTITUT NATIONAL. QUADRUPEDES. l TOME QUATRIEME. NET | | 25#y2e7 LES ste ; a & RICHMOND COLLEC1 | S "Rtione! Musee À PARIS À LA LIBRAIRIE STÉRÉOTYPE BE P. DIDOT L’AINÉ, GALERIES DU LOUVRE, N° 3, zT FrrMIN DIDOT, RUE DE THIONVILLE, N° 116. AN VII. :1790. AVERTISSEMENT. Comme les détails de l’histoire natu- relle ne sont intéressans que pour ceux qui s'appliquent uniquement 4 cette | science, et que dans une exposition aussi longue que celle de l’histoire particu- lière de tous les animaux, il règne né- cessairement trop d’uniformité , nous: avons cru que la plupart de nos lecteurs nous sauroient gré de couper de temps en temps le fil d’une méthode qui nous contraint, par des Discours dans les- quels nous donnerons nos réflexions sur la Nature en général, et traiterons de ses effets en grand. Nous retournerons Quadruptdes, EN, 4 > AVERTISSEMENT ensuite à nos détails avec plus de cou- rage ; car j'avoue qu’il en faut pour s'occuper continuellement de petits ob- jets dont l'examen exige la plus froide patience, et ne permet rien au génie. | Du, NN A TURE; PREMIÈRE VUE. La Nature est le système des lois établies par le Créateur pour l'existence des choses et pour la succession des êtres. La Nature est point une chose, car cette chose seroit tout ; la Nature n’est point un être, car cet être seroit Dieu: mais on peut la considérer comme une puissance vive, immense, qui embrasse tout, quianime tout, et ans subor- donnée à celle du premier tre, n'a com- mencé d'agir que par son ordre, et w’agit encore que par son Concours ou son consen— tement. Cette puissance est de la puissance divine, la partie qui se manifeste; c’est en même temps la cause et l'effet, le mode et la substance , le dessein et l'ouvrage : bien différente de l’art humain, dont les produc- tions ne sont que des. ouvrages morts, la Nature est elle-même un ouvrage perpétuel- lement vivant, un ouvrier sans cesse actif, 4 DE LA NA PER CA qui sait tout employer, qui travaillant d'a près soi-même, toujours sur le même fonds, bien loin de l’épuiser le rend inépuisable: le temps , l’espace et la matière sontses moyens, LU 1 GA f un" + ” 4 V'univers son objet, le mouvement etla vie . son but. | Les effets de cette RS sont les phéno- mènes du monde: les ressorts qu’elle emploie sont des forces vives, que l’espace et Ie temps ne peuvent que mesurer etlimiter sans jamais les détruire ; des forces qui se balancent, qui se confondent, qui s’opposent sans pouvoir s’anéantir : les unes pénètrent et transportent les COr ps , les autres les échautfent et les animent. L’attraction et l'impulsion sont les deux principaux instrumens de l’action de cette puissance sur les corps bruts; la cha- leur et les molécules organiques vivantes sont les principes actifs qu’elle met en œuvre pour la formation et le developpement des êtres organisés. Avec de tels moyens que ne peut la Nature? Elle pourroit tout si elle pouvoit anéantir et créer; mais Dieu s’est réservé ces deux extrêmes de pouvoir : anéantir et créer sont les attributs de la toute-puissance; altérer, ‘ PREMIÈRE VUE. 5 changer, détruire, développer, renouveler, produire, sont les seuls droits qu’il a voulu céder. Ministre de ses ordres irrévocables , dépositaire de ses immuables décrets, la Na- ture ne s’écarte jamais des lois qui lui ont été prescrites; elle n’altère rien aux plans qui lui ont été tracés, et dans tous ses ou- vrages elle présente le sceau de l'Éternel : cette empreinte divine, prototype inaltérable des existences , est le modèle sur lequel elle opère; modèle dont tous les traits sont expri- més en caractères ineffaçables , et prononcés pour jamais ; modèle toujours neuf, que le nombre des moules ou des copies, quelqu’in- fini qu'il soit, ne fait que renouveler. | Tout a donc été créé, et rien encore nes’est aneéanti; la Nature balance entre ces deux limites sans jamais approcher ni de l’une ni de l’autre : tâächons de Ia saisir dans quelques points de cet espace immense qu’elle rem- plit et parcourt depuis l’origine des siècles. Quels objets ! un volume immense de ma- tière qui. n’eüt formé qu'une inutile, une épouvantable masse, s’il n’eût été divisé en parties séparées par des espaces mille fois plus inimenses : mais des milliers de globes | 1 7 | FUN NES sn 6 DE LA NATURE... lumineux, placés à des distances inconce- _vables, sont les bases qui servent de fonde- ment à l’édifice du monde; des millions de globes opaques, circulant autour des pre- imiers, en composent l’ordre et l'architecture mouvante. Deux forces primitives agitent ces grandes masses, les roulent, les trans- portent et les animent ; chacune agit à tout instant , et toutes deux, combinant leurs efforts, tracent les zones des sphères cé- lestes, établissent dans le milieu du vide, des lieux fixes et des routes déterminées; et c’est du sein même du mouvement que nait l'équilibre des mondes et le repos de l’univers. La première de ces forces est également répartie; la seconde a été distribuée en me- sures inégales. Chaque atome de matière a une même quantité de force d'attraction, chaque globe a une quantité différente de force d’impulsion : aussi est-il des astres fixes et des astres errans; des globes qui ne semblent être faits que pour attirer, et d’autres pour pousser ou pour être pousses ; des sphères qui ont reçu une impulsion com- mune dans le même sens, et d’autres une impulsion particulière; des astres solitaires, Le PREMIÈRE VUE. , et d'autres accompagnés de satellites ; des corps de lumière, et des masses de ténèbres ; des planètes dont les différentes parties ne jouissent que successivement d'une lumière empruntée; des comètes qui se perdent dans l'obscurité des profondeurs de l’espace, et xeviennent après des siècles se parer de nouveaux feux; des soleils qui paroissent, disparoissent , et semblent alternativement se rallumer et s’éteindre; d’autres qui se montrent une fois et s "évanouissent ensuite pour jamais. Le ciel est le pays des grands événemens : mais à peine l'œil humain peut- il les saisir; un soleil qui périt et qui cause la catastrophe d’un monde ou d’un système de monde, ne fait d'autre effét à nos yeux que celui d’un feu follet qui brille et qui s'éteint : l’homme borné à l'atome terrestre sur lequel il végète, voit cet atome comme un monde, et ne voit les mondes que comme des atomes. Car cette Terre qu’il habite, à peine recon- noissable parmi les autres globes ; et tout-à- fait invisible pour les sphères éloignées, est un million de fois plus petite que le Soleil qui l’éclaire, et mille fois plus petite que D A OT 13 ATEN PLV TNT PA % ti AU) 8 DE L À NATURE. € d’autres planètes qui comme elle sont subor- données à la puissance de cet astre, et for- cées à circuler autour de lui. Saturne , Jupi- ter, Mars, la Terre, Vénus, Mercure et le Soleil occupent la petite partie des cieux que nous appelons z2ofre univers. Toutes ces pla= _ nètes avec leurs satellites, entrainées par un mouvement rapide dans le même sens et presque dans le mème plan, composent une roue d’un vaste diamètre dont l’aissieu porte toute la charge, et qui, tournant lui-même avec rapidité, a dû s’échauffer, s’embraser et répandre la chaleur et la lumière jusqu'aux extrémités de la circonférence : tant que ces mouvemens dureront (et ils seront éternels, à moins que la main du premier moteur ne s'oppose et n’emploie autant de force pour les détruire qu’il en a fallu pour les créer), le Soleil brillera et remplira de sa splendeur toutes les sphères du monde; et comme dans un système où touts'attire, rien me peut ui se perdre ni s'éloigner sans retour, la quantité de matière restant toujours la même, celte source féconde de lumière et de vie ne s’épuisera, ne tarira jamais ; car les autres soleils qui lancent aussi continuelle PREMIÈRE VUE. 9 ment leurs feux, rendent à notre soleil tout autant de lumière au’ils en reçoivent de lui. Les comèêtes, en beaucoup plus grand nom- bre que les planètes, et dépendantes comme elles de la puissance du Soleil, pressent aussi sur ce foyer commun , en augmentent la charge, et contribuent de tout leur poids à son embrasement ; elles font partie de notre univers, puisqu'elles sont sujettes, comme les planètes , à l’attraction du Soleil : mais elles n’ont rien de commun entre elles ni avec les planètes, dans leur mouvement d'impulsion ; elles circulent chacune dans un plan différent, et décrivent des orbes plus ou moins alongés dans des périodes diffé- rentes de temps, dont les unes sont de plu- sieurs années, et les autres de quelques siècles. Le Soleil tournant sur lui-même, mais au reste immobile au milieu du tout , sert en même temps de flambeau , de foyer, de pivot, à toutes ces parties de la machine du monde. 1 fe C’est par sa grandeur même qu’il demeure immobile, et qu'il régit les autres globes : comme la force a été donnée proportionnelle- ment à la masse, qu'il est incomparable xo DE L A NATURE Â ment plus grand qu'aucune des comètes, ef Î qu’il contient mille fois plus de matière que la plus grosse planète, elles ne peuvent ni le déranger, ni se soustraire à sa puissance, . qui, s'étendant à des distances immenses, : les contient toutes, et lui ramène , au bout - d'un temps, celles qui s’éloignent le plus ; quelques unes même à leur retour s’en ap- prochent de si près, qu'après avoir. été re— froidies pendant des siècles, elles éprouvent une chaleur inconcevable ; elles sont sujettes à des vicissitudes étranges par ces alterna- tives de chaleur et de froid extrêmes, aussi- bien que par les inégalités de leur mouye- ment, qui tantôt est prodigieusement accé- léré, et ensuite infiniment retarde : ce sont, pour ainsi dire, des mondes en désordre, en comparaison des planètes, dont les or- bites étant plus régulières, les mouvemens plus égaux , la température toujours la . mème , semblent être des lieux de repos, où tout étant constant , la Nature peut éta- blir un plan, agir uniformément, se déve- lopper successivement dans toute son éten- due. Parmi ces globes choisis entre les as- tres errans, celui que nous habitons paroit = " " PREMIERE VUE. ° IE L4 encore être privilégié : moins froid, moins éloigné que Saturne, Jupiter, Mars, il est aussi moins brülant que Vénus et Mercure, qui paroissent trop voisins de l’astre de lumière. ù Aussi avec quelle bras e la Nature ne brille-t-elle pas sur la Terre? Une lu- mière pure, s'étendant de l’orient au cou- chant, dore süccessivement les hémisphères de ce globe; un élément transparent et léger l'environtie ; une chaleur douce et féconde anime , fait éclore tous les germes de vie : des eaux vives et salutaires servent à leur éntretien , à leur accroissement : des émi- nences distribuées dans le milieu des terres arrêtent les vapeurs de l’air, rendent ces sources intarissables et toujours nouvelles ; des cavités immenses faites pour les rece- voir partagent les continens. L’étendue de la mer ést aussi grande que celle de la terre : ce n’est point un élément froid et stérile; c’est un nouvel empire aussi riche, aussi peuplé que le premier. Le doigt de Pieu a marqué léurs eonfins-: si la mer anticipe sur les plages de l'occident , elle laisse à découvert celles de l’orient. Cette +12 DE LA NA CURE masse immense d’eau , inactive par. elle | même, suit les impressions des mouveémens de L ‘l TT célestes ; elle balance par des oscillations ré- É gulières de flux et de reflux; elle s'élève et. s’abaisse avec l’astre de la nuit; elle s'élève encore plus lorsqu'il concourt avec l’astre du jour, et que tous deux, réunissant leurs,” forces dans le temps des équinoxes, causent: les grandes marées : notre correspondance avec le ciel n’est nulle part mieux marquée. De ces mouvemens constans et généraux , résultent des mouvemens variables et parti- culiers, des transports de terre, des dépôts. qui forment au fond des eaux des éminences semblables à celles que nous voyons sur la surface dela terre ; des courans qui, sui= vant la direction de: ces chaînes de mon- _tagnes, leur donnent une figure dont tous les angles se correspondent, et coulant aw milieu des ondes, comme les eaux coulent sur la terre , sont en effet les fleuves de la mer. ê L'air, encore plus léger, plus fluide que l’eau, obeit aussi à un plus grand nombre de:puissances; l’action éloignée du Soleil et de la Lune, l’action immédiate de la mer, PREMIÈRE VUE. 13 celle de la chaleur qui le raréfie, celle du froid qui le condense, y causent des agita- tions continuelles : les vents sont ses cou- rans ; ils poussent, ils assemblent les nuages ; ils produisent les météores, et transportent au-dessus de la surface aride des continens terrestres les vapeurs humides des plages maritimes ; ils déterminent les orages , TE- pandent et distribuent les pluies fécondes et les rosées bienfaisantes ; ils troublent les mou- vemens de la mer; ils agitent la surface mo- bile des eaux, arrêtent ou précipitent les courans, les font rebrousser , soulèvent les flots, excitent les tempêtes : la mer irritée s'élève vers le ciel et vient en mugissant se briser contre des digues inébranlables, qu’a- vec tous ses efforts elle ne peut ni détruire ni surmonter. F ‘ | La terre, élevée au-dessus du niveau de la mer , est à l’abri de ses irruptions ; sa surface émaillée de fleurs, parée d’une ver- dure toujours renouvelée, peuplée de mille et mille espèces d'animaux différens, est un lieu de repos, un séjour de délices , où l'homme, placé pour seconder la Nature, préside à tous les êtres; seul entre tous, 2 ; {. j 4 14 DE LA NATURE. capable de connoître et digne d'admirer, Dieu l’a fait spectateur de l’univers et témoin de ses merveilles; l’étincelle divine dont il est animé le rend participant aux mystères di- vins : c’est par cette lumière qu’il pense et réfléchit; c’est par elle qu’il voit et lit dans le livre du monde, comme dans un exem- plaire de la Divinité. | La Nature est le trône extérieur de la ma- gnificence divine : l’homme qui la contem- ple, qui l’étudie, s'élève par degrés au trône intérieur de la toute-puissance ; fait pour adorer le Créateur, il commande à toutes les créatures; vassäl du ciel, roi de la terre , ik Yanoblit, la peuple et l'enrichit; il établit entre les êtres vivans l’ordre, la subordina- tion, l'harmonie : il embellit la Nature même, il la cultive, l’étend et la polit , en élague le chardon et la ronce, y multiplie le raisin et la rose. Voyez ces plages désertes, ces tristes contrées où l’homme n’a jamais résidé, cou- vertes ou plutôt hérissées de bois épais et noirs dans toutes les parties élevées : des. arbres sans écorce et säns cime, courbés, rompus , tombant de vétusté; d’autres, en plus grand nombie , gisant auprès des pre- : 2m Es S = r ” LE = LS PILE PREMIÈRE VUE. 15 miers, pour pourrir sur des monceaux déja pourris, étouffent , ensevelissent les germes prêts à éclore. La Nature, quipar-toutailleurs brille par sa jeunesse, paroît ici dans la décre- pitude; la terre, surchargée par le poids, surmontée par les débris de ses productions, n'offre, au lieu d’une verdure florissante, qu'un espace encombré, traversé de vieux arbres chargés de plantes parasites, de li- chens, d’agarics , fruits impurs de la cor- ruption : dans toutes les parties basses, des eaux mortes et croupissantes , faute d'être conduites et dirigées; des terrains fangeux, qui, n'étant ni solides ni liquides, sont ina- bordables, et demeurent également inutiles aux habitans de la terre et des eaux; des marécages qui, couverts de plantes aqua- tiques et fétides , ne nourrissent que des in- sectes vénéneux et servent de repaire aux animaux immondes. Entre ces marais infects qui occupent les lieux bas, et les forêts de- crépites qui couvrent les terres élevées , s’é— tendent des espèces de landes, des savanes qui n'ont rien de commun avec nos prairies; les mauvaises herbes y surmontent, y étouffent les bonnes : ce n’est point ce gazon fin qui x6 _ DE L A NATURE. semble faire le duvet dela terre, cen’estpoinË cette pelouse émaillée quiannonce sa brillante fécondité ; ce sont des végétaux agrestes, des herbes dures, épineuses, entrelacées les unes dans les autres, qui semblent moins tenir à la terre qu’elles ne tiennent entre elles, et qui, se desséchant et repoussant successive ment les unes sur les autres, forment une bourre grossière, épaisse de plusieurs pieds. Nulle route , nulle communication, nul ves- tige d'intelligence dans ces lieux sauvages : l'homme, obligé de suivre les sentiers de la bète farouche , s’il veut les parcourir, con- traint de veiller sans cesse pour éviter d’en devenir la proie; effrayé de leurs rugisse- mens , saisi du silence même de ces profondes solitudes , 1l rebrousse chemin, et dit : La Nature brute est hideuse et mourante ; c’est moi, moi seul qui peux la rendre da isubte et vivante : desséchons ces marais, animons ces eaux mortes en les faisant couler; for- mons -en des ruisseaux, des canaux; em ployons cet élément actif et dévorant qu’on nous avoit caché, et que nous ne devons qu’à nous-mêmes ; mettons le feu à cette bourre superflue, à ces vicilles forêts déja à dexhi él Lé mn < PREMIÈRE VUE. 17 eonsomimeées ; achevons de détruire avec le fer ce que le feu n'aura pu consumer : bien- tôt, au lieu du jonc, du nénuphar, dont le crapaud composoit son venin, nous verrons paroître la renoncule, le trèfle, les herbes douces et salutaires ; des troupeaux d’ani- maux bondissans fouleront cette terre jadis Aimpraticable; ils y trouveront une subsistance abondante , une pâture toujours renaissante ; ils se multiplieront pour se multiplier en- core : servons-nous de ces nouveaux aides pour achever notre ouvrage; que le bœuf , soumis au joug, emploie ses forces et le poids de sa masse à sillonner la terre; qu’elle ra- jeunisse par la culture : une Nature nouvelle va sortir de nos mains. Qu'elle est belle cette Nature cultivée ! que, par les soins de l’homme, elle est brillante et pompeusement parée! Il en fait lui-même le principal ornement; ilen est la production Ja plus noble : en se multipliant, il en multi pliele sermele plus précieux ; elle-mèmeaussi semble se multiplier avec lui; il metau jour par son art tout ce qu'elle recéloit dans son _sein : que de trésors ignorés ! que de richesses nouvelles ! Les fleurs, les fruits, les grains ) 2 F8L 18 DELA NATURE perfectionnés, multipliés à l'infini ; Les espèces utiles d'animaux transportées, propagées , augmenteées sans nombre; les espèces nuisibles réduites, confinées , reléguées ; l'or, et lefer, plus nécessaire que l’or, tirés des entrailles de la terre; les torrens contenus; les fleuves dirigés , resserrés ; la mer soumise, recon- nue, traversée d’un hémisphère à l'autre; la terre accessible par-tout, partout rendue aussi vivante que féconde; dans les vallées de riantes prairies, dans les plaines de riches päturagses ou des moissons encore plusriches; les collines chargées de vignes et de fruits, leurs sommets couronnés d'arbres utiles et de jeunes forêts; les déserts devenus des cites habitées par un peuple immense, qui, cir- culant sans cesse, se répand de ces centres jusqu'aux extrémités; des routes ouvertes et fréquentées , des communications établies par-tout comme autant de témoins de la force et de l’union de la société; mille autres mo- numens de puissance et de gloire démontrent assez que l'homme , maître du domaine de la terre, en a changé, renouvelé la surface entière, et que de tout temps il partage l’em- pire ayec La Natur e. % ne PREMIÈRE VUE. 19 Cependant il ne règne que par droit de conquête : il jouit plutôt qu’il ne possède ; 1l ne conserve que par des soins toujours re- nouvelés : s'ils cessent, tout languit, tout s'altère, tout change, tout rentre sous la main de la Nature; elle reprend ses droits, efface les ouvrages de l’homme, couvre de poussière et de mousse ses plus fastueux monumens, les détruit avec le temps, et ne lui laisse que Le regret d’avoir perdu par sa faute ee que ses ancêtres ayoient conquis par leurs travaux. Ces temps où l’homme perd son domaine, ces siècles de barbarie pendant lesquels tout périt, sogt toujours préparés par la guerre, et arrivent avec la disette et la dépopulation. L’homme, qui ne peut que par le nombre, qui n’est fort que par sa réunion, qui n’est heureux que par la paix, a la fureur de s’ar- mer pour son malheur, et decombattrepour sa ruine; excité par l’insatiable avidité, aveu- glé par l'ambition encore plus insatiable, 11 renonce aux sentimens d'humanité, tourne toutes ses forces contre lui-même, cherche à s’entre-détruire, se détruit en effet; et, après ces jours de sang et de carnage, lorsque la fumée de la gloire s’est dissipée, il voit d’uu \ 2 « t= VE b PÉt DE LA NATURE. œil triste la terre dévastée, les arts ensevelis, les nations dispersées, les peuples affoiblis, son propre bonheur ruiné, et sa puissance réelle anéantie. GRAND DIEU, dont la seule présence soutient la Nature et maintient l’harmonie des lois de l’univers; vous qui du trône im- mobile de lempyrée voyez rouler sous vos pieds toutes les sphères célestes sans choc et sans confusion; qui du sein du repos,repro- duisez & chaque instant leurs mouvemnens immenses, et seul régissez dans une paix profonde ce nombre infini de cieux et de mondes; rendez, rendez enfin le calme à la terre agitée! Qu'elle soit dans- le silence! qu’à votre voix la discorde et la guerre cessent de faire retentir leurs clameurs or- gueilleuses ! Dieu de bonté, auteur de tous les étres, vos regards paternels embrassent tous les objets de la création: mais l’homme est votre étre de choix ; vous avez éclairé son ame d’un rayon de votre lumière immortelle: comblez vos bienfaits en pénétrant son cœur d’un trait de votre amour; ce sentiment divin se répandant par-fout réunira les natures PREMIERE VUE. 2t ennemies ; l’homme ne craindra plus l'aspect de l’homme, le fer homicide n'armera plus sa main; le feu dévorant de la guerre ne fera plus tarir la source des générations ; l'espèce humaine, maintenant affoiblie, mutilée, moissonnée dans sa fleur, germera de nou- veau et se multipliera sans nombre; la Na- _zure, accablée sous le poids des fléaux, stérile, abandonnée, reprendra bientôt avec une nou- velle vie son ancienne fécondité; et nous, Dieu bienfaiteur, nous la seconderons, nous da cultiverons , nous l’observerons sans cesse pour vous offrir à chaque instant un nouveau ‘tribut de reconnoëssance et d’admiration. DE LA NATURE « SECONDE VUE. . 4 Ux individu, de quelque espèce qu’il soit, " n’est rien dans l'univers; cent individus, : mille, ne sont encore rien : les espèces sont les seuls êtres de la Nature; êtres perpétuels, aussi anciens, aussi permanens qu'elle, que, pour mieux juger, nous ne considérons plus comme. une collection ou une suite d'individus sem- blables , mais comme un tout indépendant du nombre, indépendant du temps; un tout. toujours vivant, toujours le mème; un tout qui a été compté pour un dans les ouvrages de la création, et qui par conséquent ne fait qu’une unité dans la Nature. De toutes ces unités, l'espèce humaine est la première; les autres, de l'éléphant jusqu’à la mite, du cèdre jusqu’à l’hysope, sont en seconde et en troisième ligne; et quoique différente par la forme, par la substance et même par la SECONDE VUE. 23 vie, chacune tient sa place, subsiste par elle-même , se défend des autres, et toutes ensemble composent et représentent la Na- ture vivante, qui se maintient et se main tiendra comme elle s’est maintenue : un jour, un siècle, un äge, toutes les portions du temps ne font pas partie de sa durée ; le temps lui-même n'est relatif qu'aux indi- vidus , aux êtres dont l'existence est fuoi- tive : mais celle des espèces étant constante, leur permanence fait la durée, et leur diffé- rence le nombre. Comptons donc les espèces comme nous l'avons fait, donnons-leur à chacune un droit égal à la mense de la Na- ture ; elles lui sont toutes également chères, puisqu'à chacune elle a donné les moyens ‘être, et de durer tout aussi long-temps qu’elle. | Faisons plus, mettons aujourd'hui l’es- pèce à la place de l'individu : nous avons vu quel étoit pour l’homme le spectacle de la Nature ; imaginons quelle en seroit la vue pour un être qui représenteroit l'espèce hu- maine entière. Lorsque dans un beau jour de printemps nous voyons la verdure re- maître, les fleurs s'épanouir, tous les germes 34 DE LA NATURE. éclore, les abeilles revivre, l’hirondelle arri< ver, le rossignol chanter l'amour, le belier en bondir , le taureau en mugir, tous les êtres vivans se chercher et se joindre, pour en produire d'autres, nous n’avons d’äutre idée que celle d’une reproduction et d’une nouvelle vie. Lorsque, dans la saison noire du froid et des frimas, l’on voit les natures devenir indiférentes , se fuir au lieu de se chercher; les habitans de l’air déserter nos climats, ceux de l’eau perdre leur liberté sous des voûtes de glace ; tous les insectes disparoître ou périr; la plupart des animaux s’engourdir, se creuser des retraites; la terre se durcir, les plantes se sécher, les arbres dépouillés se courber, s’affaisser sous le poids de la neige et du givre; tout présente l’idée de la langueur et de l’anéantissement. Mais ces idées de renouvellement et de destruc- tion, ou plutôt ces images de la mort et de la vie, quelque grandes, quelque générales qu’elles nous paroissent, ne sont qu’indivi- duelles et particulières ; l’homme, comme individu , juge ainsi la Nature : l'être que nous ayons mis à la place de l’espèce la juge plus grandement, plus généralement ; il ne | Fr BREONDE VUE. sp voit dans cette destruction , dans ce renou- vellement, dans toutes ces successions, que permanence et durée; la saison d’une année est pour lui la même que celle de l’année précédente , la même que celle de tous les siècles ; le millième animal dans l’ordre des générations est pour lui le même que le pre- mier animal. Et en effet , Sinous vivions , si nous subsistions à jamais, si tous les êtres qui nous environnent subsistoient aussi tels qu'ils sont pour toujours, et que tout fût perpétuellement comme tout estaujourd’hui, l’idée du temps s’évanouiroit, et l'individu deviendroit l'espèce. j Eh! pourquoi nous refuserions-nous de considérer la Nature pendantquelques instans sous ce nouvel aspect? À la vérité, l’homme en venant au monde arrive des ténèbres, l'ame aussi nue que Île Corps ; il naît sans connoissance comme sans défense, il n’ap- porte que des qualités passives; il ne peut que recevoir les impressions des objets et laisser affecter ses organes; la lumière brille long-temps à ses yeux avant que de l'éclai- rer : d’abord il reçoit tout de la Nature et ne lui rend rien : mais dès que ses sens sont 3 26 DE L'ANA TURN | affermis, dès qu’il peut comparer ses sensa | tions, il se réfléchit vers l'univers , il forme - des idées, il les conserve, les étend, les com bine : l’homme, etsur-tout l’homme instruit, n’est plus un simple individu, il représente en grande partie l'espèce humaine entière : il . a commencé par recevoir de ses pères les . connoissances qui leur avoient été transmises par ses aïeux; ceux-ci, ayant trouve l’art divin de tracer la pensée et de la faire passer à la postérité, se sont, pour ainsi dire, iden- tifiés avec leurs neveux; les nôtres s’identi=. fieront avec nous. Cette réunion dans un seul homme, de l’expérience de plusieurs siècles, recule à l'infini les limites de son. être : ce n’estplusunindividusimple, borné, comme les autres, aux sensations de l’ins- tant présent, aux expériences du jour actuel : c’est à peu près l'être que nous avons mis à la place de l’espèce entière : il lit dans Le passé, voit le present, juge de l'avenir; et dans le torrent des temps, qui amène, entraine, absorbe tous les individus de l'univets, 1l trouve les espèces constantes, la Nature invariable. La relation des choses étant tou- _ jours la même, l’ordre des temps lui paroît ! SECONDE VUE 2 nul ; les lois du renouvellement ne font que compenser à ses yeux celles de sa perma- nence : une succession continuelle d'êtres, tous semblables entre eux, n’équivaut, en effet, qu'à l’existence perpétuelle d’un seul de ces êtres. À quoi se rapporte donc ce grand appareil des générations, cette immense profusion de germes, dont il en avorte mille et mille pour un qui réussit? qu'est-ce que cette pro- pagation, cette multiplication des êtres, qui, se détruisant et se renouvelant sans cesse, w'offrent toujours que la même scène, et ne remplissent ni plus ni moins la Nature? d’où viennent ces alternatives de mort et de vie, ces lois d’accroissement et de dépéris- _ sement, toutes ces vicissitudes individuelles, toutes ces représentations renouvelées d’une seule et même chose? elles tiennent à l’es- sence même de la Nature, et dépendent du premier établissement de la machine du monde; fixe dans son tout et mobile dans chacune de ses parties, les mouvemens géné- raux des corps célestes ont produit les mou. vemens particuliers du globe de la Terre; les forces pénétrantes dont ces grands corps sont 1 *. 23 DE LA NATURE. animés, par lesquelles ils agissent au loir « et réciproquement les uns sur les autres, animènt aussi chaque atome de matière; et cette propension mutuelle de toutes ces par- ties les unes vers les autres est le premier lien des êtres, le principe de la consistance des choses, et le soutien de l’harmonie de l'univers. Les grandes combinaisons ont pro- duit tous les petits rapports : le mouvement de la Terre sur son axeayant partagé en jours et en nuits les espaces de la durée, tous les êtres vivans qui habitent la Terre ont leur temps de lumière et leur temps de ténébres, la veille et le sommeil; une grande portion . de l’économie animale, celle de l’action des sens et du mouvement des membres , est relative à cette première combinaison. Y auroit-il des sens ouverts à la lumière dans un monde où la nuit seroit perpétuelle? L’inclinaison de l’axe de la Terre produi- sant dans son mouvement annuel autour du Soleil des alternatives durables de chaleur et de froid, que nous avons appelées des saisons, tous les êtres végétans ont aussi, en tout ou en partie, leur saison de vie et leur saison de mort. La chüûte des feuilles et des fruits, BPCONDE VUE. 29 le desséchement des herbes, la mort des in- sectes ;'dépendent en entier de cette seconde combinaison : dans les climats où elle n’a pas lieu, la vie des vésétaux n'est jamais suspendue; chaque insecte vit son àge:etne voyons-nous pas sous la Ligne, où les quatre saisons n’en font qu'une, la terre toujours fleurie , les arbres continuellement verds, et la Nature toujours au printemps ? La constitution particulière des animaux et des plantes est relative à la température générale du globe de la Terre , et cette tem- pérature depend de sa situation , c'est-à-dire, de la distance à laquelle il se trouve de celui du Soleil : à une distance plus grande, 1108 animaux, nos plantes, ne pourroient ni vivre ni véséter; l'eau , la séve, le sang, toutes Les autres liqueurs, perdroient leur fluidité; à une distance moindre, elles s’évanouiroient et se dissiperoient en vapeurs : la glace et le feu sont les élémens de la mort; la chaleur tem- pérée est le premier germe de la vie. Les molécules vivantes répandues dans tous les corps organisés sont relatives, et pour l’action et pour le-nombre, aux mo- lécules de la lumière qui frappent toute s) Ë | 30: MN'E LA) INA MNUNRES matière et la pénètrent de leur chaleur, Par tout où les rayons du Soleil peuvent échauffer la terre, sa surface se vivifie, se couvre de verdure et se peuple d'animaux : la glace mème, dès qu’elle se résout en eau, semble se féconder; cet élément est plus fertile que celui de la terre, 11 reçoit avec la chaleur le mouvement et la vie. La mer produit à chaque saison plus d'animaux que la terre n’en nourrit, elle produit moins de plantes; et tous ces animaux qui nagent à la surface des eaux, ou qui en habitent les profondeurs, n'ayant pas, comme ceux de la terre, un fonds de subsistance assuré sur les substances. - végétales , sont forcés de vivre les uns sur les autres, et c’est à cette combinaison que tient » leur immense multiplication, ou plutôt leur pullulation sans nombre. Chaque espèce et des uns et des autresayant été créée, les premiers individus ont servi de modèles à tous leurs descendans. Le corps de chaque animal ou de chaque végétal est un moule auquel s’assimilent indifféremment les molécules organiques de tous les animaux ou végétaux détruits par la mort et consu- més par le temps; les parties brutes qui Ca SECONDE VUE. 3x étoient entrées dans leur composition , retour- nent à la masse commune de la matière brute: les parties organiques, toujours subsistantes : sont reprises par les corps organisés ; d’abord repompées par les végétaux, ensuite absor- bées par les animaux qui se nourrissent de végétaux , elles servent au développement , à l’entretien, à l’accroissement et des uns et des autres ; elles constituent leur vie; et, circulant continuellement de corps en corps, elles animent tous les êtres organisés. Le fonds des substances vivantes est donc tou-. jours le mème ; elles ne varient que par la forme , c’est-à-dire, par la différence des représentations : dans les siècles d’abondance, dans les temps de la plus grande population, le nombre des hommes , des animaux domes— tiques et des plantes utiles , semble occuper et couvrir en entier la surface de la terre: celui des animaux féroces , des insectes nui- sibles , des plantes parasites, des herbes inu- tiles , reparoît et domine à son tour dans les temps de disette et de dépopulation. Ces va- xlations , si sensibles pour l’homme, sont indifférentes à la Nature; le ver à soie, si précieux pour lui, n’est pour elle que la À 32 DE LA NATURE, | chenille du mürier. Que cette chenille dw luxe disparoiïsse ; que d’autres chenilles dé- vorent les herbes destinées à engraisser nos. bœufs ; que d’autres enfin minent , avant la récolte , la substance de nos épis; qu’en gé- néral l’homme et les espèces majeures dans les animaux soient affamés par Les espèces. infimes, la Nature n’en est ni moins rem- plie ni moins vivante : elle ne protége pas les unes aux dépens des autres, elle les sou- tient toutes ; mais elle méconnoît le nombre dans les individus, et ne les voit que comme des images successives d’une seule et même empreinte, des ombres fugitivés dont les- pêèce est le corps. Il existe donc sur la terre, et dans l’air et dans l’eau, une quantité déterminée de ma-— tière organique que rien ne peut détruire: 1} existe en même temps un nombre déterminé de moules capables de se l’assimiler, qui se détruisent et se renouvellent à chaque ins- tant ; et ce nombre de moules ou d’indivi- dus , quoique variable dans chaque espèce , est au total toujours le même, toujours pro- portionneé à cette quantité dematière vivante. Si elle étoit surabondante, si elle n’étoit pas, | } SECONDE VUE... 33 dans tous les temps, également employée et entièrement absorbée par les moules exis- tans, il s’en formeroit d’autres, et l’on ver- Toit paroître des espèces nouvelles, parce que celte matière vivante ne peut demeurer oisive, parce qu'elle est toujours agissante, et qu'il sufhit qu'eile s’unisse avec des parties brutes pour former des corps organisés. C’est à cette grande combinaison, ou plutôt à cette _invariable proportion , que tient la forme même de la Nature. Et comme son ordonnance est fixe pour le nombre, le maintien et l'équilibre des es- pèces , elle se présenteroit toujours sous la même face, et seroit daus tous les temps et sous tous les climats absolument et relative- ment la même, si son habitude ne varioit pas, autant qu'il est possible, dans toutes les formes individuelles. L’empreinte de chaque espèce est un type dout les principaux traits sont gravés en caractères ineffasables et permanens à jamais : mais toutes les touches accessoires varient ; aucun individu ne res— semble parfaitement à un autre; aucune es— pêce n'existe sans un grand nombre de varié- tés. Dans l'espèce humaine, sur laquelle le 2 DE LA NATURE. sceau divin a le plus appuyé, l'empreinte ne laisse pas de varier du blanc au noir, du petit au grand, etc.; le Lappon , le Patagon, l'Hottentot, l’Européen , l'Américain , le Nègre , quoique tous issus du même pére, sont bien éloignés de se ressembler comme frères. Toutes les espèces sont donc sujettes aux différences purement individuelles : mais les variétés constantes, et qui se perpétuent par les générations, n’appartiennent pas égale- ment à toutes; plus l’espèce est élevée, plus le type en est ferme, et moins elle admet de ces variétés. L'ordre, daus la multiplication des animaux , étant en raison inverse de l’ordre de grandeur, et la possibilité des dif- férences en raison directe du nombre dans le produit de leur génération , il étoit néces- saire qu'il y eût plus de variétés dans les petits anumaux que dans lés grands : il y a aussi, et par la même raison, plus d'espèces voisines. L'unité de l’espèce étant plus res- serrée dans les grands animaux, la distance qui la sépare des autres est aussi plus éten- due. Que de variétés et d’espèces voisines accompagnent, suivent ou précèdent l’écu- reuil, le rat et les autres petits animaux , + SRE Se MAUDNDE VUP. |. 38 tandis que l'éléphant marche seul et sans pair à la tête de tous! tu La matière brute qui compose la masse de la Terre n'est pas un limon vierge, une subs= tance intacte et qui n’ait pas subi des altérae tions : tout a été remué par la force des grands et des petits agens; tout a été manié plus d’une fois par la main de la Nature. Le globe de la Terre a été pénétré par le feu, et eusuite recouvert et travaillé par les eaux ; le sable qui en remplit le dedans est une matière vitrée; les lits épais de glaise qui le recouvrent au dehors, ne sont que ce même sable décomposé par le séjour des eaux; le roc vif, le granit, le srès, tous les cail- Joux, tous les métaux, ne sont encore que cette même matière vitrée, dont les parties se sont réunies, pressées ou séparées selon les lois de leur affinité. Toutes ces substances sont parfaitement brutes ; elles existent et existeroient indépendamment des animaux et des végétaux : mais d’autres substances, en très-srand nombre et qui paroissent éga— lement brutes, tirent leur origine du détri- ment des corps organisés ; les marbres, les pierres à chaux, les graviers, les craies, les 36 DE. LA NATURE marnes, ne sont composés que de débris de coquillages et des dépouilles de ces petits animaux qui, transformant l’eau de la mer en pierre, produisent le corail et tous les madrépores, dont la variété est innombrable et la quantité presque immense. Les char- bons de terre , les tourbes et les autres ma- tières qui se trouvent aussi dans les couches extérieures de la terre, ne sont que le résidu des végétaux plus ou moins détériorés, pour- ris et consumés. Enfin d’autres imatières en moindre nombre, telles que les pierres pon- ces, les soufres, les mâchefers, les amiantes, les laves, ont été jetées par les volcans, et produites par une seconde action du feu sur les matières premières. L'on peut réduire à ces trois grandes combinaisons ‘tous les rap— pers des corps hruts et toutes Les substances du règne minéral. Les lois d’affinité par lesquelles les pAEUES constituantes de ces différentes substances se séparent des autres pour se réunir entre elles et former des matières homogènes, sont les mêmessque la loi générale par la- quelle tous les corps célestes agissent les uns sur les autres; elles s’exercent ésalement et SECONDE VUE. 2 dans les imèmes rapports des masses ét des distances : un globule d’eau , de sable ou de métal, agit sur un autre globule , comme le globe dela Terre agit sur celui de la Lune; et si jusqu'a Ce jour l’on a regardé ces lois d’af- finite comme differentes de celles de la pesan- teur, c’est faute de les avoir bien conçues, bien. saisies ; c'est faute d’avoir embrassé cet objet dans toute son étendue. La figure, qui ,: dans les corps célestes, ne fait rien , ou presque rien , à la loi de l’action des uns sur . les autres, parce que la distance est très- grande, fait au contraire presque tout lors- que la distance est trésipelite ou nulle, Si la Lune-et la Terre, au lieu d’une figure sphé- -rique, avoient toutes deux celle d’un cylindre court, et d’un diamètre egal à celui de leurs sphères, la loi de leur action réciproque ne seroit pas sensiblement altérée par cette dif- férence de figure, parce que la distance de toutes les parties de la Lune à celles de la Terre n’auroit aussi que très-peu varié; mais si ces mêmes globes devenoient des cylindres très-étendus et voisins l’un de l'autre, la loi de l’action réciproque de ces deux corps pa= roitroit fort différente, parce que la distance Quadrupèdes, IV: | | 4 38 DE L'ASN A DURE" | de chacune de leurs parties entre elles, etre lativement aux parties de l’autre; auroit pro digieusement change : ainsi, dès que la figure 1 ‘entre comme élément dans la distance, la loi paroît varier, quoiqu’au fond'elle soit : ÿ toujours la même. | D'après ce principe, l'esprit humain peut encore faire un pas, et pénétrer plus avant dans le sein de la Nature. Nous ignorons quelle est la figure des parties constituantes des corps; l’eau, l'air, la terre, les métaux, toutes les matières homogènes, sont certai- nement composées de parties élémentaires semblables entre elles, mais dont la forme est inconnue. Nos neveux poutront, à l’aide du calcul, s'ouvrir ce nouveau champ de. connoissances , et savoir à peu près de quelle figure sont les élémens des corps ; ils parti= ront du principe que nous venons d'établir, ils le prendront pour base : Toute matière s’attire en raison inverse du quarré de la dis= tance; et cette loi générale ne paroft varier; dans les ‘attractions particulières, que par l'effet de la figure des parties constituantes de chaque substance , parce que cette figure entre corime élément dans la distance. Loxs- SECONDE VUE. 39 qu'ils auront donc acquis, par des expériences réilérées, la connoissance de la loi d’attrac- tion d’une substance particulière, ils pour- ront trouver par le calcul la figure de ses parties constituantes. Pour le faire mieux sentir, supposons, par exemple, qu’en met- tant du vif-argent sur un plan parfaitement poli , on reconnoisse , par des expériences, que ce métal fluide s'attire toujours en rai- son inverse du cube de la distance ; il fau- dra chercher, par des règles de fausse posi- tion, quelle est la figure qui donne cette ex- pression , et cette figure sera celle des parties constituantes du vif-argent. Si l’on trou- voit par ces expériences que ce métal s’attire en raison inverse du quarré de la distance, il seroit démontré que ses parties consti- tuantes. sont sphériques , puisque la sphère est la seule figure qui donne cette loi, et qu'à quelque distance que l’on place des globes, la loi de leur attraction est toujouré la même. Newton a bien soupçonné que les affinités chimiques, qui ne sont autre chose que les attractions particulières dont nous venons de parler, se faisoient par des lois assez sem- DE LA NATURE. blables à celle de la gravitation ; mais si ne paroît pas avoir vu que toutes ces lois parti- culières n’étoient que de simples modifica- tions de la loi générale, et qu’elles n’en ‘pa- roissoient différentes que parce qu’à ‘une ‘très-petite distance la figure des atomes qui s’attirent, fait autant et plus que la masse pour l'expression de la loi, cette figure en— trant alors pour beaucoup dans l'élément de la distance. | C'est cependant à cette théorie que tient la connoissance intime de la composition des corps bruts : le fonds de toute matière est le même: la masse et le volume, c'est-à- Le dire, la forme seroit aussi la même, si la figure des parties constituantes étoit sem blable. Une substance homogène ne peut. différer d’une autre qu’autant que la figure de ses parties primitives est différente : celle dont toutes les molécules sont sphériques doit être spécifiquement une fois plus lésère qu'une autre dont les molecules seroient cu- biques, parce que les premières ne pouvant se toucher que par des points, laissent des intervalles égaux à l’espace qu'elles rem plissent , tandis que Les parties supposées SECONDE VUE. #0 cubiques peuvent se réunir toutes sans laisser Jle moindre intervalle, et former par consé- quent une matière une fois plus pesante que la première. Et quoique.les figures puissent varier à linfini, il paroît qu’il n’en existe pas autant dans la Nature que l'esprit pour- roit en concevoir: car elle a fixe les limites de la pesanteur et de la légéreté : l’or et l'air sont les deux extrèmes de toute densité ; toutes les figures admises, exécutées par la Nature, sont donc comprises entre ces deux termes , et toutes celles qui auroient pu pro- duire des substances plus pesantes ou plus légères ont été rejetées. | | + Au reste, lorsque je parle des figures employées. par la Nature, je n’entends pas qu’elles soient nécessairement ni même exac- tement semblables aux figures géométriques qui existent dans notre entendement ; c’est par supposition que nous les faisons résu- lières, et par abstraction que nous les ren- dons simples. Il n'y a peut-être ni cubes exacts, ni sphères parfaites, dans l’univers; mais comme rien n'existe sans forme, et que, selon la diversité des substances, les figures de leurs élémens sont différentes, il 4 42. DE L'AINATDURE. y en a nécessairement. qui approchent: de la sphère ou du cube, et de toutes les-autres figures régulières que nous avons imaginées : le précis , l'absolu, Vabstrait, qui se pré: sentent si souvent à notreesprit, ne peuvent se trouver dans le réel, parce que tout y. est relatif, tout s’y fait par nuances; tout. s'y combine par approximation. De même, lorsque j'ai parlé d'une substance qui serot entièrement pleine, parce qu’elle seroit com- posée de parties cubiques, ét d'une autre substance qui ne seroit qu'à moitié pleme; parce que toutes ses parties constituantes seroient sphériques , je ne l’ar dit que pat comparaison , et je n'ai pas prétendu que ces substances existassent dans la réalité: car l'on voit par l’expérience des corps traus- parens, tels que le verre, qui ne laisse pas d’être dense et pesant , que la quantité de matière y est très-petite en comparaisoir de l'étendue des intervalles ; et l’on peut dé montrer que l’or, qui est la matière la plus dense, contient beaucoup plus de vide que de plein. ki x | a La considération des forces de la Nature est l’objet de la mécanique rationnelle; cehi SECONDE VUE. 43 de la mécanique sensible n’est que la com binaison de nos forces particulières, et se réduit à l’art de faire des machines : cet art a été cultivé de tout temps par la nécessité et pour la commodité; les anciens ÿ ont excellé comme nous : mais la mécanique ra- tionnelle est une science née, pour ainsi dire, de nos jours. Tous.les philosophes, depuis Aristote à Descartes, ont raisonné comme le peuple sur la nature du mouve- ment; :ils ont unanimement pris l'effet pour la cause : ils me connoissoient d'autres forces que celle de l’impulsion, encore la-connois- _soient-ils mal ; ; ils lui attribuotent les-effets des autrés forces, ils vouloient y ramener ious Les phénomènes du monde, Pour que le projet eût été plausible et la chose pos- sible, 1lauroit au moins fallu que cette im- pulsion, qu'ils regardoient comme cause unique, fût un effet général et: constant qui appartint à toute matière, qui s'exerçät continuellement dans tous les temps: le contraire leur étoit démontré ; ne voyoient- ils pas que dans les corps en repos cette force n’existe pas, que dans les corps lancés son-effet ne subsistesqu’un petit temps, qu'il NES LR 44 DENDANNADURE est bientôt détruit par les résistances, que pour le renouveler il faut unemouvelle im- ulsion , que par consequent , bien loim p q qu’elle soit une cause sénérale, elle n’est au coutraire qu’un effet particulier et dépen- | dant d'effets plus généraux ? Ga Or un effet général est ce qu'on ‘doit ap- peler une cause; car la cause réelle decet effet général ne nous sera jamais connue , | parce que nous ne connoissons rien que par comparaison , et que l'effet étant supposé général et appartenant épalement à tout, “nous ne pouvons le comparer à rien, ni par conséquent le connoître autrement que par le fait : ainsi l’attraction , ou, si l’on veut, la pesauteur, étant un effet général et com- mun à toute matière, et démontré par le fait, doit être regardee comme une cause, et cest à elle qu’il faut rapporter les autres causes particulières et même l'impulsion, puisqu'elle est moins générale et moins constante. La difficulté ne consiste qu’à voir en quoi l'impulsion peut dependre en effet de l'attraction : si l’on réfléchit à la com munication du mouvement par le choc, on. sentira bien qu'il ne peut se transmettre | SECONDE VUE. 45 d’un corps à un autre que par le moyen du ressort, et l’on reconnoitra que toutes les hypothèses que l’on a faites sur la transmis- sion du mouvement dans les corps durs, ne sont que des jeux de notre esprit qui ne pourroient s’exécuter dans la Nature : un corps parfaitement dur n’est en effet qu'un être de raison , comme un corps parfaite- ment élastique n’est encore qu'un autre être de raison; ni l’un ni l’autre n’existent dans la réalité, parce qu'il n’y existe rien d’ab- solu , rien d’extrème, et que le mot et l’idce de parfait n’est jamais que l'absolu ou l’ex- trêéme de la chose. S'il n’y avoit point de ressort dans la ma- tière, 1l n’y auroit donc nulle force d'impul- sion : lorsqu'on jette une pierre, le mouve- ment qu'elle conserve ne lui a-t-il pas été communique par le ressort du bras qui l’a lancée ? lorsqu'un corps en mouvement en, rencontre un autre en repos, comment peut- on concevoir quil lui communique son mouvement, si ce n’est en comprimant. le ressort des parties élastiques qu’il renferme, lequel, se rétablissant immédiatement après la compression , donne à la masse totale la 46 DE LA NATURE. 1 même force qu'il vient de. recevoir ? On me À comprend point. comment un corps par— … faitement dur pourroit admettre cette force, ni recevoir du mouvement; et d’ailleurs il est très-inutile de chercher à le comprendre, … puisqu'il n’en existe point de ‘tel. Tous Les corps au contraire sont doués de ressort ; les expériences sur l'électricité prouvent que sa force élastique appartient généralement à toute matière: quand il n’y auroit donc dans l'intérieur des corps d'autre ressort que celui de cette matière électrique, il suffiroit pour la communication du mouvement, et par conséquent c'est à ce grand ressort, comime effet général, qu’il faut attribuer la cause particulière de l'impulsion. Maintenant, si nous réfléchissons sur la mécanique du ressort, nous trouverons que sa force dépend elle-même de celle de l’at- traction: pour le voir clairement, figurons- nous le ressort le plus simplé, un angle solide : de fer ou de toute autre matière dure; qu’ar- rive-t-il lorsque nous le comprimons? nous forçons les parties voisines du sommet de l'angle defléchir, c’est-à-dire, de s’écarter un | peu les unes des autres; et dans le moment SECONDE VUE 47 que la compression cesse, elles se rapprochent et se rétablissent comme elles étoient aupa-/ ravant. Leur adhérence , de laquelle résulte la cohésion du corps; est, comme l’on sait, un effet de leur attraction mutuelle; lorsque Fon presse le ressort, on ne détruit pas cette adhérence, parce que quoiqu’on écarte Les parties, on ne les éloigne pas assez les unes des autres pour les iméttre hors de leur sphère d'attraction mutuelle; et par consé- quent, dès qu'on cesse de presser, cette force, qu’on remet, pour ainsi dire, en liberté, s'exerce, les parties séparées se rapprochent; et le ressort se rétablit. Si au contraire, par une pression trop forte, on les écarte au point de les faire sortir de léur sphère d’attraction , Je ressort se rompt, parce que la force de la compression a été plus grande que celle dela cohérence, c’est-à-dire, plus grande que celle de l'attraction mutuelle qui réunit les par- ties: Le ressort ne peut donc s’exercer qu'au- tant que les parties de la matière ont de la cohérence , c'est-à-dire; autant qu’elles sont unies par la force de leur attraction mu- _tuelle ; et par conséquent le.ressort en général qui seul peut produire Pimpulsion, etl'unpul- # . DEIVANNADURNE ia _sion elle-même, se rapportent à la force d’ats traction, et en dépendent comme des effets | particuliers d’un effet général. LRET A Quelque nettes que me paroissent ces idécs à quelque fondées que soient ces vues, je ne : m'attends pas à les voir adopter; ‘le peuple Ÿ ne raisonnera jamais que d’après ses sensa tions, et le vulsaire des physiciens d’après des préjugés : or il faut mettre à part les # uues et renoncer aux autres pour juger de » ce que nous proposons. Peu de gens en ju+ geront donc, et c'est le lot de-la, vérité: mais aussi très-peu de gens lui suffisent, elle-se” perd dans la foule; et quoique toujours au- guste et majestueuse , elle: est: souvent obs- curcie par de vieux fantômes, ou totalement effacee par des chimères brillantes. Quoi qu’il en soit, c’est ainsi que je vois, que j'entends la Nature (peut-être est-elle encore plus simple que ma vue); une seule force est la, | cause de tous les phénomènes de la maïtière brute; et cette force reunie avec celle de la chaleur, produit les molecuies vivantes des- quelles. dépendent tous les effets des subs- » tances organisées. | 11 MTS T'O TR E: NATURELLE. LE PECARI, ie LE TAJACU#*. \ Lssricr du pecari est une des plus nom- breuses et des plus remarquables parmi les animaux du nouveau monde. Le pecari res- semble, au premier coup d'œil, à notre san- | glier, ou plutôt au cochon de Siam , qui, nb Pbbhr le sanglier pecart, nom que les Francois habitués dans l'Amérique méridionale ont donné à cet ammal, et que nous avons adopté. FE) ïo_ HISTOIRE NATURELLE. _ Comme nous l’avons dit, n’est, ainsi que notre cochon domestique, qu’une variêlé du sanglier ou cochon sauvage; aussi le pecari a-t-il été appelé sarglier ou cochon d’Amé- rigue : cependant.1l est d’une espèce particu- lière , et qui ne peut se méler avec celle’ de nos sangliers ou cochons, comme nous nous en sommes assurés par des essais réitérés, ayant nourri et gardé pendant plus de deux ans un pecari avec des: trüies sans qu’il ait rien produit. [l diffère encore du cochon par plusieurs caractères essentiels, tant à l’exté- rieur qu'à l’intérieur: il est de moindre cor- pulence et plus bas sur ses jambes; il a l’esto- : mac et les intestins différemment conformés; il n’a point de queue; ses soies sont beaucoup plus rudes que celles du sanglier; et enfin 1l a sur le dos , près de la croupe , une fente de deux ou trois lignes de largeur, qui pénètre à plus d’un pouce de profondeur, par laquelle suinte une humeur ichoreuse fort abondante et d’une odeur très- -désagréable : c’est de tous les animaux le seul qui ait une ouverture dans cette région du corps; les civettes, le blaireau , la genette, ont le réservoir de leur ” parfum au-dessous des parties de la généra- | DU:''PEC'ART. 5x tion ;.l’ondatra, ou rat musqué de Canada ; ‘le musc, ou chevreuil demusc, l’ont sous le ventre. La liqueur-quirsortde ceite ouverture que le.pecari a sur le dos, est fournie par de grosses glandes que M: Daubenton a décrites avec. soin, aussi-bien. que toutes les autres singularités de conformation qui se trouvent dans cet animal. On.en voit aussi une bonne description faite par Tyson dans les Transac- tions philosophiques, n° 153.Je ne m’arréterai pas à exposer en détail les observations de ces deux.-habiles anatomistes, et je remarquerai seulementque ledocteur Tyson s’étoit trompé _ Le 2 = » , u x F a { 2 e w L] 1 A 2 2 * FA Cd 2 Li D PA LE / à { ; f RS # y TRUE A De DA d'oft ) M A Er ee AN PRE LA ROUSSETTE. LA ROUGETTE. RERO. Det) 4 MUTRTENT AR A à 1 HOT RSS PES PEER Li QEAT MER LA ae Lu si 4: * LA “ x = p<.: AE 3 119, (4 "l CHAUVE - SOURIS . ETRANGERES, A OR ENT re] 4 ‘Hire LA CHAUVE - SOURIS ETRANGERES . CHAUVE- SOURIS: ETRANGERES. + ‘LA ROUSSETTE : LA.R OUGETTE », PRO T'LE V'AMPIRE 5. LA roussette et la rougette nous pa «ussent faire deux espèces distinctes, mais qui sont si voisines l’une de l’autre, et qui se res- semblent à tant d’égards, que nous croyons devoir les présenter ensemble : la seconde ne difière de la première que par la grandeur du corps et les couleurs du poil. La roussette, dont le poil est d’un roux brun, a neuf pouces de longueur depuis le bout du museau jusqu’à l'extrémité du corps, et trois pieds d'envergure lorsque les membranes qui lui 1 La roussette, vulgaïirement le chien volant. ? La rougette, le chien volant à col rouge. 5 Le vampire, animal de l’A mérique qui n’a été indiqué que par les noms vagues de grande chauve- souris d’ Amérique, ou de chien volant de la now + velle Espag RATE | 58 HISTOIRE. NATURELLE servent d'ailes sont étendues : : la rougette É dont le poil est cendré brun, n’a guéré que cinq pouces et demi de longueur et deux pieds d'envergure; elle porte sur le cou un demi- collier d'un rouge vif, mêlé d’orangé, dont on n'apperçoit aucun vestige sur le cou de la roussette. Elles sont toutes deux à peu près des mêmes climats chauds de l’ancien conti- nent; on les trouve à Madagascar, à l’île de Bourbou, à Ternate, aux Philippines, et dans les autres îles de l’archipel indien, ou ül paroit qu’elles sont plus communes que dans la terre ferme des continens voisins. On trouve aussi dans les pays les plus chauds du nouveau monde un autre quadru- pêde volant, dont on ne nous a pas transmis le nom américain, et que nous appeéllerons vampire, parce qu’il suce le sang des hommes et des animaux qui dorment, sans leur cau- ser assez de douleur pour les éveiller. Cet animal d'Amérique est d’une espèce diffé- rente de celles de la roussette et de la rou-. gette , qui toutes deux ne se trouvent qu'en Afrique et dans l’Asie méridionale. Le vam- pire est plus petit qué la rougétte, qui.est- plus petite elle-même que la roussette. Le Lé se ] DEMLANROUSSETITE; etc 59 premier , Jorsqu’il vole, paroît être de la grosseur d’un pigeon ; la seconde, de la gran- deur d’un corbeau ; et la troisième, de celle d'une grosse poule. La rougette et la rous- sette ont toutes deux la tête assez bien faite, les oreilles courtes, le museau bien arrondi, et peu prés de la forme de celui d’un chien: le vampire, au contraire, a le museau plus alongé ; 1l a l'aspect hideux comme les plus laides chauve-souris, la tête informe et sur- montée de grandes oreilles fort ouvertes et fort droites ;'1l a le nez. contrefait , les na- rines en entonnoir , avec une membrane au- dessus :qui s'élève en forme de corne ou de crête pointue, ét qui augmente de beaucoup la difformité de sa face.. Ainsi l’on ne peut douter que cette espèce ne soit toute autre que celles de la roussette et de la rougette. Le vampire est aussi mal-faisant que difforme ; il inquiète l’homme , tourmente et détruit les animaux. Nous ne pouvous citer un té- imoïignase plus authentique et plus récent que celuide M. de la Condamine. « Leschauve. « souris, dit-il, qui sucent Le sang des che- «vaux, des mulets, et même des hommes « quand ils ne s’en garantissent pas en dor- SH. Go HISTOIRE NATURELLE « mant à l'abri d’un pavillon , sont un fléau «commun à la plupart des pays chaudsede « l'Amérique. Il y en a de monstrueuses pour « la grosseur; elles ont entièrementidétruit «à Borja, et en divers autres endroits, le « gros bétail que les missionnaires ylavoient _« introduit, et qui commençoit à s‘y'multi- « plier ». Ces faits sont confirmés par plu= sieurs autres historiens et voyageurs: Pierre Martyr, qui a écrit assez peu de temps après la conquête de l'Amérique méridionale, dit qu'il y a dans les terres de l’isthme deDarien, des chauve - souris qui sucent le sang des hommes et des animaux pendant qu'ils dor- meñt, jusqu'à les épuiser, et même au point de les faire mourir. Jumilla assure la même chose, aussi-bien que don George Juan et don Antoine de Ulloa. Il paroïît, en confe- rant ces témoignages , que l’espèce de ces chauve-souris qui sucent le sang est nom- breuse et très-commune dans toute lAmé- rique méridionale : néanmoins nous n'avons pu jusqu'ici nous en procurer un seul indis vidu ; mais on peut voir dans Seba la figure et la description de cet animal, dont lenez | est si extraordinaire, que je suis très-étonné À $ a El ” RSA ee ’ / DE LA ROUSSETTE, etc 6c que les voyageurs ne l’aient pas remarqué, à ne se soient point écriés sur cette diffor- mité qui saute aux yeux, et de laquelle ce- pendant ils n’ont fait aucune mention. Il se pourroit donc que l’animal étrange dont Seba nous a donné la figure , ne fût pas celui que nous indiquons ici sous le nom de sampire, c'est-à-dire, celui qui suce le sang; il se pourroit aussi que cette figure de Seba fût infidèle ou chargée ; enfin il se pourroit que ce nez difforme fût une monstruosité ou une variété accidentelle, quoiqu'il yait des exem- ples de ces difformités constantes dans quel- ques autres espèces de chauve - souris. Le temps éclaircira ces obscurités, et fixera nos incertitudes. N | À l'égard de la roussette et de la rougette, elles sont toutes deux au Cabinet du roi, et elles sont venues de l’île de Bourbon. Ces deux espèces ne se trouvent que dans l’ancien continent, et ne sont nulle part aussi HO ‘breuses en Afrique et en Asie que celle du vampire l’est en Amérique. Ces animaux sont plus grands, plus forts, et peut-être plus méchans que le vampire; mais c’est à force ouverte, en plein jour aussi-bien que 6: HISTOIRE NATURELLE la nuit, qu’ils font leur dépât : ils tuent les ni volailles et les petits animaux ; ils se jettent même sur les hommes, les insultent et les blessent au visage par des morsures cruelles ; et aucun voyageur ne dit qu’ils sucent le sang des hommes et des animaux endormis. Les anciens connoissoient imparfaitement ces quadrupèdes ailés, qui sont des espèces de monstres; et il est vraisemblable que c’est d'après ces modèles bizarres de la nature que leur imagination a dessiné les harpies. Les ailes, les dents, les griffes , la cruauté, la voracité, la saleté, tous les attributs diffor- mes, toutes Les facultés nuisibles des harpies, _ conviennent assez à nos roussettes. Héro- dote * paroit les avoir indiquées lorsqu'il a dit qu’il y avoit de grandes chauve-souris qui. incommodoient beaucoup les hommes qui alloient recueillir la casse autour des marais de l'Asie; qu'ils étoient obligés de se * Liv. III. I! est singulier que Pline, qui nous a transmis comme vrais tant de faits apocryphes et même merveilleux , accuse ici Hérodote de inen- songe, el dise que ce fait des chauve-souris qui se jettent sur les hommes, n’est qu’un conte de la vialle et fabuleuse antiquité. | À DE LA ROUSSETTE, et. 63 couvrir de cuir le corps et le visage pour se garantir de leurs morsures dangereuses. Stra- bon parle de très-srandes chauve-souris dans la Mésopotamie , dont la chair est bonne à manger. Parmi les modernes , Albert, Isi- dore, Scaliger, ont fait mention, mais va- guement, de ces grandes chauve - souris ; Linscot, Nicolas Mathias, François Pyrard, en ont parlé plus précisément , et Oliger Jacobeus en a donne une courte description avec la figure; enfin l’on en trouve des des- criptions et des figures bien faites dans Seba lots qu'aux écureuils, par le naturel et par les mœurs. 1 PT TANT ER PAT UE À | NA Ft pp \ à. (b nl le L CE veste LE-TAMANOIR: LE TAMANDUA:, ET LE FOURMILIER *. LV Tr existe dans l’ Amérique méridionale trois espèces d'animaux à, long museau, à gueule étroite et sans aucune dent, à langue ronde et longue, qu’ils insinuent dans les four- milières et qu’ils retirent pour avaler les 1 Le tamanoir, le fourmilier-tamanoir , le mange- fournis, le gros mangeur de fourmis. Les Brasi- liens appellent cet animal lamandua-guacu ; les naturels de la Guiane l’appelletit ouariri. Le nom tamanoir, que lui on: donné les Francois habitués en Amérique, paroît dériver de tamandua. ? Nom de cet animal au Bresil, et que nous avons adopté. 3 Le plus peut fouriilier , le petit mangeur de fourmis, animal américain , que les naturels de la Guiane appellent ouatiriouaou \ LI } Ÿ= * it AE | ! \ 1) 2h f] PS D NON AN A EE à NN S\ ii MUR YE LE TAMANOIR . LE FOURMILLER., ré Jaguar .P. Re CN ét HISTOIRE NATURELLE, 85 fourmis, dont ils font leur principale nour- riture. Le premier de ces mangeurs de four- mis est celui que les Brasiliens appellent tamandua-guacu, c'està-dire, grand tlaman- dua, et auquel les François habitués en Amérique ont donné le nom de famanoir : c'est un animal qui a environ quatre pieds de longueur depuis l’extrémité du museau jusqu’à l’origine de la queue, la tête longue de quatorze à quinze pouces, le museau trés- alongé; la queue longue de deux pieds et demi, couverte de poils rudes et longs de plus d’un pied ; le cou court, la tête étroite, les yeux petits et noirs, les oreilles arron-— dies; la langue menue, longue de plus de deux pieds, qu’il replie dans sa gueule lors- qu’il la retire toute entière. Ses jambes n’ont qu’un pied de hauteur; celles de devant sont un peu plus hautes et plus menues que celles de derrière : il a les pieds ronds; ceux de devant sont armés de quatre ongles, dont les deux du milieu sont les plus grands; ceux de derrière ont cinq ongles. Les poils de la queue, comme ceux du corps, sont mêlés de noir et de blanchâtre; sur la queue ils sont disposés en forme de panache : AR ( .… 86 HISTOIRE NATURELLE l'animal la retourne sur le dos, s'en couvre tout le corps lorsqu'il veut dormir ou se mettre à l’abri de la pluie et de l’ardeur du soleil; les longs poils de la queue et du corps ne sont pas ronds dans toute leur étendue, ils sont plats à l'extrémité et secs au toucher comme de l’herbe desséchée. L'animal agite fréquemment et brusquement sa queue lors- qu'il est irrité; mais il la laisse traîner en marchant quand il est tranquille, et il ba- laie le chemin par où il passe. Les poils des - parties antérieures de son corps sont moins longs que ceux des parties postérieures : ceux-ci sont tournés en arrière, et les autres en avant; il y a plus de blanc sur les par- ties antérieures, et plus de noir sur lés par- ties postérieures : il y a aussi une bande noire sur le poitrail, qui se prolonge sur les côtés du corps et se termine sur le dos près des lombes : les jambes de derrière sont presque noires; celles de devant presque blanches, avec une grande tache noire vers le milieu. Le tamanoir marche lentement, un homme peut aisément l’atteindre à la course : ses pieds paroissent moins faits pour marcher que pour grimper et pour saisir ” € Re DU TAMANOIR, etc 87 des corps arrondis; aussi serre-t-11 avec une si grande force une branche ou un bâton, qu’il w’est pas possible de les lui arracher. Le second de ces animaux est celui que les Américains appellent simplement fa- mandua, et auquel nous conserverons ce nom : il est beaucoup plus petit que le ta- manoir; il n’a qu'environ dix-huit pouces depuis l'extrémité du museau jusqu’à l’ori- gine de la queue : sa tête est longue de cinq pouces, son museau est alougé et courbé en dessous; 1l a la queue longue de dix pouces , et dénuée de poils à l’extrémite; les oreilles droites, longues d’un ponce; la langue ronde, longue de huit pouces, placée dans une es- pèce de gouttière ou de canal creux au de- dans de la mâchoire inférieure; ses jambes n'ont guère que quatre pouces de hauteur; ses pieds sont de la même forme et ont le même nombre d'ongles que ceux du tama- noir, c'est-à-dire, quatre ongles à ceux de devant et cinq à ceux de derrière. Il grimpe et serre aussi bien que le tamanoir, et ne marche pas mieux ; il ne se couvre pas de sa queue, qui ne poutroitilui servir d'abri, étant en partie dénuée, de poil, lequel * hr. à 88 HISTOIRE NATURELLE SR a « r da, fa ; d’ailleurs est beaucoup plus court que celui de la queue du tamanoir : lorsqu'il dort, il cache sa tète sous son cou et sous ses james de devant. Le troisième de ces animaux est celui que les naturels de la Guiane appellent ovati- riouaou. Nous lui donnous le nom de four- milier pour le distinguer du tamanoïr et du tamandua. Il est encore beaucoup plus petit que le tamandua, puisqu'il n’a que six ou sépt pouces de longueur depuis l'extrémité du museau jusqu'à l’origine de la queue; 1l a la tête longue de deux pouces; le museau proportionnellement beaucoup moins alongé que celui du tamanoir ou du tamandua; sa queue , longue de sept pouces, est recourbée en dessous par l’extrémité, qui est dégarnie de poils; sa langue est étroite, un peu ap- platie et assez longue ; le cou est presque nul , la tête est assez grosse à proportion du corps, les yeux sont placés bas et peu éloi- gnés des coins de la gueule, les oreilles sont petites et cachées dans le poil, les jambes n’ont que trois pouces de hauteur; les pieds de devant n’ont que deux ongles, dont l’ex- terne est bien plus gros et bien plus long DU TAMANOIR,; ec 8g que l’interne; les pieds de derrière en ont quatre. Le poil du corps est long d'environ neuf lignes ; il est doux au toucher, et d’une couleur brillante, d'un roux mêlé de jaune vif. Les pieds ne sont pas faits pour mar- cher, mais pour grimper et pour saisir; il monte sur les arbres et se suspend aux bran- ches par l'extrémité de sa queue. Nous ne connoissons dans ce genre d’ani- maux que les trois espèces desquelles nous venons de donner les indications. M. Brisson fait mention, d’après Seba, d’une quatrième espèce, sous le nom de fowrmiliers aux lon- ques oreilles. mais nous regardons cette es- pèce comme douteuse, parce que dans l’énu- mération que fait Seba des animaux de ce genre, 1l nous a paru qu'il y avoit plus d’une erreur ; 1l dit expressément : Nous conser- vons dans notre cabinet six espèces de ces animaux mangeurs de fourmis : cependant il ne donne la description que de cinq; et parmi ces cinq animaux, il place l’ysquie- _patl ou mouffétte, qui est un animal non seulement d'une espèce, mais d'un genre très-éloigné de celui des mangeurs de four- mis, puisqu'il a des denis, et la langue plate | ni AU l y % mt + VAT Fes OP RUN USE + | y HISTOIRE NATURELLE et courte comme celle des autres. quadru- pèdes, et qu’il approche beaucoup du genre des belettes ou des martes. De ces six espèces prétendues et conservées dans le cabinet de Seba, il n’en reste donc déja que quatre, puisquel’ysquiepail, qui faisoit la cinquième, west point du tout un mangeur de fourmis, et qu'il n’est question nulle part de la sixième, à moins que l’auteur n’ait sous-entendu com- prendre parmi ces animaux le pargolin *; ce qu'il ne dit pas dans la description qu'il donne ailleurs de cet animal. Le pangolin se nourrit de fourmis; il a le museau alon- gé, la gueule étroite et sans aucune dent apparente, la langue longue et ronde; ca- ractères qui lui sont communs avec les man- geurs de fourmis : mais il en diffère, ainsi que de tous les autres quadrupèédes, par un caractère unique, qui est d’avoir le corps couvert de grosses écailles au lieu de poil, D'ailleurs c’est un animal des climats les plus chauds de l’ancien continent, au lieu que les maugeurs de fourmis, dont Le corps _* C’est le nom que nous donuerons au lézard écailleux. DU TAMANOILR, etc. yr est couvert de poil, ne se.trouvent que dans les parties méridionales du nouveau monde. 11 ne resté donc, plus que quatre espèces au lieu des six annoncées par Seba, et de ces quatre espèces, 1l n’y en a qu'une de recon- noissable par ses descriptions : c’est la troi- sième de celles que nous décrivons ici, c’est- a-dire , celle du fourmilier, auquel, à la vé- rité, Seba ne donne qu'un doigt à chäâque pied de devant, quoiqu'il en ait deux, mais qui, malgré ce caractère manchot, ne peut être que notre :fourmilier. Les trois autres sont si mal décrits, qu'il n’est pas possible de Les rapporter à leur véritable espèce. J'ai cru devoir citer ici ces descriptions en en-— tier, non seulement pour prouver ce que ‘je viens d'avancer, mais pour donner une idée de ce gros ouvrage de Seba, et pour qu'on juge de la confiance qu’on peut ac- corder à cet écrivain. L'animal qu'il désigne par le rom de éamandua myrmécophage d'Amérique , tome I, p. 6o, et dont il donne la figure, planche XXXVII, n° 2, ne peut se rapporter à aucun des trois dont il est ici question ; ilne faut, pour en être convaincu, que lire la description de l’auteur. Le second, *% # Ary" 02 HISTOIRE NATURELLE . \ ; qu'il indique sous le nom de ‘amandua- me: 0 [ar guacu du Bresil, ou l'ours qui mange les Jourmis, pages 65 et 66, planche XL, fig. O équivoque : cependant je penserois, avec MM. Klein et Linnæus, que ce pourroit être le vrai famandua-guacu où famanoir, mais si mal décrit et si mal représenté, que M. Linnæus a réuni sous une seule espèce le premier et le second de ces animaux de Seba, c'est-à-dire, celui de la planche XXXWVIT, figure n° 2, et celui de la planche XL, figure n° 1. M. Brisson a regardé ce deruier comme une espèce particulière; mais je ne crois pas que l'établissement de cette espèce soit fon- dé, non plus que le reproche qu'il fait à M. Klein de l'avoir confondue avec celle du tamanoir : 1l paroît que le seul reproche qu’on puisse faire à M. Klein , est d’avoir joint à la bonne description qu'il nous donne de cet animal, dont la peau bourrée est conservée dans le Cabinet de Dresde, Les indications fautives de Seba. Enfin le troi- sième de ces animaux, dont on trouve la figure dans cet ouvrage (vol. Il, page 48, planche XLVIT, n° 2), est si mal décrit, n° 1, est indiqué d'une manière vague et: je DU TAMANOIR, ctc. 93 que je ne puis me persuader , malgré la con- fance que j'ai à MM. Linnæus et Brisson, qu'on puisse, sur la description et la figure de l’auteur , rapporter, comme ils l’ont fait, cet animal au famandua-i : que j'appelle simplement /amandua : je demande seule- ment qu’on lise encore cette description, et qu'on juge. Quelque désagréables, quelqu’en- nuyeuses que soient des discussions de cette . espêce, on ne peut les éviter dans les détails de l’histoire naturelle: il faut, avant d’écrire sur un sujet, souvent trèspeu connu, en écarter, autant qu'il est possible, toutes les obscurités, marquer en passant les erreurs, qui ne manquent jamais de se trouver en nombre sur le chemin de la vérité, à la- quelle il est souvent très-difficile d’arriver, moins par la faute dela nature Hu celle des naturalistes. R | Ce qui résulte de plus certain de cette critique , c’est qu'il existe ae trois espèces d'animaux auxquels on a donné le nom commun de Z2angeurs de fourmis; que ces trois espèces sont le tamanoir, le taman- dua et le fourmilier ; que la quatrième es- pêce, donnée sous le nom de fowrmilier aux 27 94 HISTOIRE NATURELLE longues oreilles par M. Brisson, est dou- teuse aussi-bien que les autres espèces indi= quées par Seba. Nous ayons vu le tamanoir et le fourmilier ; nous en avons les dépouilles au Cabinet du roi : ces espèces sont certaine- ment très-différentes l'une de l’autre sue telles que nous les avons décrites; mais nous n'avons pas vu le tamandua, et nous n’en parlons que d’après Pison et Marcgrave, qui sont les seuls auteurs qu’on puisse consulter sur cet animal, puisque tous les autres n'ont fait que les copier. Le tamandua fait, pour ainsi dire , ‘la moyenne proportionnelle entre le tamanoir ? ie ME EL et le fourmilier pour la grandeur du corps:il a, comiue le tamanoir, le museau fort alongé et quatre doigts aux pieds de devant ; mais il a, comme le fourmilier, la queue dégarnie de poil a l’extrémité, par laquelle il se sus- pend aux branches des arbres. Le fourmi- lier a aussi la inême habitude. Dans cette si- tuation , ils balancent leur corps, approchent leur museau des trous et des creux d'arbres: ‘ ils y insinuent leur longue langue, et la re- tirent ensuite brusquement pour avaler les insectes qu’elle a raimassés. { DU TAMANOIR, etc. 95 Au reste, ces trois animaux, qui diffèrent si fort par la grandeur et par les propor= tions du corps, ont néanmoins beaucoup de . choses communes, tant pour la conforma- tion que pour les habitudes naturelles : tous trois se nourrissent de fourmis, et plongent aussi leur langue dans le miel et dans Îles autres substances liquides ou visqueuses ; ils ramassent assez promptement les miettes de pain et les petits morceaux de viande ha- chée ; on les apprivoise et on les élève aisé- ment; ils soutiennent long-temps la priva- tion de toute nourriture ; ils n'avaient pas toute la liqueur qu’ils prennent en buvant, il en retombe une partie qui passe par les narines ; ils dorment ordinairement pen- dant le jour, et changent de lieu pendant la nuit; ils marchent si mal, qu'un homme peut les atteindre facilement à la course dans un lieu découvert. Les sauvages mangent leur chair, qui cependant est d’un très-mau- vais goût. | | On prendroit de loin le tamanoir pour un srand renard; et c'est par cette raison que quelques voyageurs l’ont appelé rezard amé- ricain : il est assez fort pour se défendre d’un (1008 | 56 HISTOIRE NATURELLE gros chien, et même d’un jaguar. Lorsqu’ H' en est attaqué, il se bat d’abord debout, et, comme l’ours , il se défend avec les mains, dont les ongles sont meurtriers ; ensuite il se couche sur le dos pour se servir des pieds comme des mains; ét, dans cette situation, il est presque invincible, et combat opinià-. trément jusqu’à la dern'ère extrémité ; et même lorsqu'il a mis à mort son ennemi, il ne le lâche que très-long-temps après : il résiste plus qu'un autre au combat , parce qu’il est couvert d’un grand poiltouffu , d’un cuir fort épais, et qu'il à la chair peu sen- sible , et la vie très-dure. | Le tamanoir, le tamandua et Îe fourmi- lier sont des animaux naturels aux climats les plus chauds de l'Amérique, c’est-à-dire, au Bresil, à la Guiane, au pays des Ama- zones, etc. On ne les trouve point en Canada, ni dans les autres contrées froides du nou- veau monde; on ne doit donc pas les retrou- ver dans l’ancien continent: cependant Kolbe et Desmarchais ont écrit qu'il y avoit de ces animaux en Afrique; mais il me paroit qu’ils ont confondu le pangolin ou lézard écailleux avec nos fourmiliers. C'est peut-être d’après DU TAMANOIR, ete, g un passage de Marcgrave, où il est dit, Tamandua-guacu Brasiliensibus, Congen- sibus (ubi et frequens est) umbulu dictus, que Kolbe et Desmarchais sont tombés dans cette erreur ; et en effet, si Marcgrave entend par Congensibus les naturels de Congo, il aura dit le premier que le tamanoir se trou- voit en Afrique ; ce qui cependant n’a été confirme -par aucun autre témoin digne de foi. Marcgrave lui-même n’avoit certaine- ment pas vu cet animal en Afrique, puis- qu'il avoue qu’en Amérique même il n’en a vu que les dépouilles. Desmarchais en parle assez vaguement ; il dit simplement qu’on trouve cet animal en Afrique comme en Amérique, mais il n’ajoute aucune circons- tance qui puisse prouver le fait : et à l'égard de Kolbe, nous comptons pour rien son témoignage; car un homme qui a vu au cap de Bonne-Espérance des élans et des loups- cerviers tout semblables à ceux de Prusse, peut bien aussi y avoir vu des tamandua. Aucun des auteurs qui ont écrit sur les productions de l'Afrique et de l'Asie, n’a parlé des tamandua; et, au contraire, tous les voyageurs et presque tous les historiens 9 98 HISTOIRE NATURELLE _de l'Amérique en font mention précise; de Lery, de Laët, le P. d’Abbeville, Maffée, Faber, Nieremberg et M. de la Condamine, s’accordent à dire avec Pison, Barrère, etc. : que ce sont des animaux naturels aux pays chauds de l'Amérique, Ainsi nous ne doutons pas que Desmarchais et Kolbe ne se soient © trompes ; et nous croyons pouvoir assurer de nouveau que ces trois espèces d'animaux n'existent pas dans l’ancien continent. a." OC MEN EYE UE Di 1 Ron date À ni x Hi LE Da ARE Tom 4, Pi Es Fase PRÔNE. b +, Es Le LE PANGOLIN. LE PHATAGIN. L'IDouquit. P - TIBANEO LIN ET ; LE PHATAGIN :. Le animaux sont vulgairement connus sous le nom de lézards écailleux : nous avons cr devoir rejeter cette dénominalion , 1°. parce qu'elle est composée ; 2°. parce qu'elle est ambiguë , et qu’on l’appliquésà ces deux espèces; 3°. parce qu'elle a été mal “imaginée, ces animaux éiant non seuleinent : Pangolin ou panggoeling, nom que Ro. diens de l'Asie méridionale donnent à cet animal, et que nous avons adopté, Les Francois bibiutés aux Indes orientales l’ont appelé lézard écarlleux et dialle de Java. Panggoeling, selon Seba, signifie, dans la langue. de nue: un animal. que se met en boule. 2? Le phatagin ou phatagen, nom de cet animal aux Indes orientales, et que nous avons adopté. re HISTOIRE NATURELLE d’un autre genre, mais même d’une autre classe que les lézards, qui sont des reptiles ovipares , au lieu que le pangolin et le pha- tagin sont des quadrupèdes vivipares : ces noms sont d’ ailleurs ceux qu'ils portent dans Il leur pays natal; nous ne les avons pas créés , | nous les avons seulement adoptés. Tous les lézards sont recouverts en entier et jusque sous le ventre d’une peau lisse et bigarrée de taches qui représentent , des écailles ; mais le pangolin et le phatagin n'ont point d’écailles sous la gorge, sous la poitrine , ni sous le ventre : le phatagin, comme tous les autres quadrupèdes, à du poil sur toutes ces parties inférieures du corps; le pangolin n’a qu’une peau lisse et sans poil. Les écailles qui revêtent et cou- vrent toutes les autres parties du corps de ces deux animaux ne sont pas collées en en- tier sur la peau; elles y sont seulement in- fixées et fortement adhérentes par leur partie inférieure : elles sont mobiles comme les piquans du porc-épic, et elles se relèvent ou se rabäissent à la volonté de l’animal ; elles se hérissent lorsqu'il est irrité, elles se hé- rissent encore plus lorsqu'il se met en boule DU PANGOLIN, etc. rot comme le hérisson. Ces écailles sont si grosses, si dures et si poignantes, qu’elles rebutent tous les animaux de proie; c’est une cuirasse offensive qui blesse autant qu’elle résiste : les plus cruels et les plus affamés, tels que le tigre , la panthère, etc. ne font que de vains efforts pour dévorer ces animaux ar- més : ils les foulent, ils les roulent, mais en _ même temps ils se font des blessures doulou- reuses dès qu’ils veulent les saisir; ils ne. peuvent ni les violenter, ni les écraser, ni les étouffer en les surchargeant de leur poids. Le renard , qui craint de prendre avec la sueulée le hérisson en boule, dont les piquans lui déchirent le palais et la langue, le force cependant à s'étendre en le foulant aux pieds et le pressant de tout son poids; dés que la tête paroît, il la saisit par le bout du museau , et met ainsi le hérisson à mort : mais le pangolin et le phatagin sont de tous les animaux , sans en excepter même le porc-épic , ceux dont l’'armure est la plus forte et la plus offensive ; en sorte qu’en contractant leur corps et présentant leurs armes , ils bravent la fureur de tous leurs ennemis. ) 102 HISTOIRE NATURELLE _ Au reste, lorsque le pangolin et le phata- gin se resserrent , ils ne prennent pas, comme le hérisson , une figure globuleuse et uniforme : leur corps, en se contractant, se met en peloton; mais leur grosse et longue queue reste au dehors, et sert de cercle ou de lien au corps. Cette partie exterieure par laquellé il paroït que ces animaux pour- roient être saisis, se défend d’elle- même : elle est garnie dessus et dessous d'ecailles aussi dures et aussi tranchantes que celles : dont le corps est revêtu; et comme elle est convexe en dessus et plate en dessous, et qu'elle a la forme a peu près d’une demi-pyra- mide , les côtes auguleux sont revètus d’é- cailles en équerre pliees à angle droit, les- quelles sont aussi grosses et aussi tranchantes que les autres; en sorte que la queue paroît être encore plus soigneusement armée que le corps, dont les parties inférieures sont dé. pourvues d’'ecailles. | Le pangolin est plus gros que le phatagin, et cependant il a la queue beaucoup moins longue; ses pieds de devant sont garnis d’é- cailles jusqu’à l'extrémité; au lieu que le “phatagin a les pieds, et même une partie des ni DEP ANG OIL Net): »03 jambes de devant, dégarnis d’écailles et cou- verts de poil. Le pangolin a aussi les écailles plus grandes, plus épaisses , plus convexes et moins cannelées que celles du phatagin, qui. sont armées de trois pointes très-piquantes, au lieu que celles du pangolin ‘sont sans pointes et uniformément tranchantes. Le phatagin a du poil aux parties inférieures: le paugolin n’en a point du tout sous le corps; mais entre les écailles qui lui couvrent le dos il sort quelques poils gros et longs comme des soies de cochon, et ces longs poils ne'se trouvent pas sur le dos du phatagin. Ce sont-là toutes les différences essentielles que nous ayons remarquées en observant les dé- pouilles de ces deux animaux, qui sont si différens de tous les autres quadrupèdes, qu’on les a regardés comme des espèces de ‘monstres. Les différences que nous venons d'indiquer étant générales et constantes, nous croyons pouvoir assurer que le pangolin et le phatagin sont deux animaux d'espèces distinctes et séparées : nous avons reconnu ces rapports et ces différences non seulement par l'inspection des trois sujets que nous ayons vus, mais aussi par la comparaison de 104 HISTOIRE NATURELLE. tous ceux qui ont été observés par les voya- À geurs et indiqués par les naturalistes. Si Le pangolin a jusqu’à six, sept et huit pieds de grandeur, y compris la longueur de la queue, lorsqu'il a pris son accroissement entier : la queue, qui est à peu près de la. longueur du corps, paroiît être moins longue quand il est jeune : les écailles sont aussi moins grandes , plus minces et d’une cou- leur plus pâle; elles prennent une teinte plus foncée lorsque l’animal est adulte , et elles acquièrent une dureté si grande, qu’elles résistent à la balle du mousquet. Le phata- gin est, comme nous l'avons dit, bien plus petit que le pangolin : tous deux ont quel- ques rapports avec le tamanoir et le taman- dua; comme eux, le pangolin et le phatagin | ne vivent que de fourmis; ils ont aussi la langue très-longue, la gueule étroite et sans dents apparentes, le corps très-alongé , la queue aussi fort longue, et les ongles des pieds à peu près de la même grandeur et de la même forme, mais non pas en même | nombre : le pangolin et le phatagin ent cinq ongles à chaque pied, au lieu que le tama- noir et le tamandua n’en ont que quatre aux + DU PANGOLIN, ete 105 pieds de devant; ceux-ci sont couverts de poil, les autres sont armés d’écailles : et d’ailleurs ils ne sont pas originaires du mème continent ; le tamanoir et le tamandua se trouvent en Amérique ; le pangolin et le phatagin aux Indes orientales et en Afrique, ou les nègres les appellent gzogelo ; ils en mangent la chair , qu'ils trouvent délicate et saine; ils se servent des écailles à plusieurs petits usages. Âu reste, le pangolin et Le pha- tagin n’ont rien de rebutant que la figure ; ils sont doux, innocens, et ne font aucun mal : ils ne se nourrissent que d'insectes. Ils courent lentement, et ne peuvent échapper à l’homme qu'en se cachant dans des trous de rochers ou dans des terriers qu'ils ses creusent, et où ils font leurs petits. Ce sont deux espèces extraordinaires , peu nom- breuses, assez inutiles ; et dont la forme bi- zarre ne paroit exister que pour faire la pre- mière nuance de la figure des quadrupèdes à celle des reptiles. | LES TATOUS Lorsque l’on parle d’un quadrupède, ik. semble que le nom seul emporte l’idée d’un. animal couvert de poil; et de même, lors- qu’il est question d’un oiseau ou d’un pois-. son, les plumes et les écailles s’offrent à l'imagination, et paroissent être des attri- buts inséparables de ces êtres. Cependant la nature, comme si elle vouloit se soustraire à toute méthode et échapper à nos vues les plus genéralee, dément nos’ idées, contredit nos dénominations, mecounoîit nos carac-. tères , et nous étonne encore plus par ses exceptions que par ses lois. Les animaux * T'atu ou tatou , nom générique de ces el au Bresil. T'atusia, selon Matïée, Histoire des Indes, Paris, 1665, page 69. Les Espagnols ont appelé ces animaux armadillo. Nous avons reJeLé ceite derniére dénomination, parce qu'on l'a éga- lement appliquée au pangolin et au phatagin, qui sont des amimaux très- ditférens des tatous poux l'espèce er pour le climat. HISTOIRE NATURELLE, re7 quadrupèdes , qu'on doit regarder comme faisant la première classe de la nature vi- vante, et qui sont, après l’homme, les êtres les plus remarquables de ce monde, ne sont néanmoins ni supérieurs en tout, ni séparés par des attributs constans ou des caractères uniques de tous les autres êtres. Le premier de ces caractères, qui constitue leur nom et qui consiste à avoir quatre pieds. se re- trouve dans les lezards, les grenouilles, etc. lesquels néanmoins diffèrent des quadru- pèdes à tant d’autres égards, qu'on en a fait, avec raison, une classe séparée; la seconde propriété générale, qui est de produire des petits vivans, n'appartient pas uniquement aux quadrupèdes, puisqu'elle leur est com- mune avec les cétacés: et enfin le troisième attribut, qui paroissoit le moins équivoque, parce qu’il est le plus apparent, et qui con- siste à être couvert de poil, se trouve, poux ainsi dire , en contradiction avec les deux autres dans plusieurs espèces qu’on ue peut cependant retrancher de l'ordre des quadru- pèdes, puisqu'a l’exception de ce seul ca- ractère , elles leur ressemblent par tous les autres ; et comme ces exceptions apparentes { 108 HISTOIRE NATURELLE à . de la nature ne sont dans le réel que les nuances qu’elle emploie poûr rapprocher les êtres même les plus éloignés, il ne faut pas perdre de vue ces rapports singuliers, et tâcher de les saisir à mesure qu'ils se pre- sentent. Les tatous, au lieu de poil, sont couverts, comme les tortues, les écrevisses et les autres crustacés, d’une croûte ou d'un têt solide; les pangolins sont armés d’écailles assez semblables à celles des poissons ; les porc-épics portent des espèces de plumes pi- quantes et sans barbe, mais dont le tuyau est pareil à celui des plumes des oiseaux : ainsi, dans la classe seule des quadrupèdes, et par le caractère même le plus constant et le plus apparent des animaux de cette classe, qui est d’être couverts de poil, la nature varie en se rapprochant de trois autres classes très-différentes, et nous rappelle les oiseaux, les poissons à écailles et les crustacés. Aussi faut-il bien se garder de juger la nature des êtres par un seul caractère, il se trouveroit toujours incomplet et fautif : souvent mème deux et trois caractères, quelque généraux qu'ils puissent être, ne sufhisent pas encore ; et ce n'est, comme nous l’avons dit et reduit, MDES TATOUS.<. ro que par la réunion de tous les attributs et par l’énumération de tous les caractères qu'on peut juger de la forme essentielle de chacune des productions de la nature. Uné bonne description et jamais de défi- mitions , une exposition plus scrupuleuse sur les différences que sur les ressemblances , une attention particulière aux exceptions et aux nuances même les plus légères, sont Les vraies règles, et j'ose dire les seuls moyens que nous ayons de connoître la nature de chaque chose : et si l’on eût employé à bien décrire, tout le temps qu’on a perdu à définir et à faire des méthodes, nous n’eussions pas trouvé l’histoire naturelle au berceau; nous aurions moins de peine à lui ôter ses ho- chets, à la débarrasser de ses. langes ; nous aurions peut-être avancé son âge, car nous eussions plus écrit pour la science et moins contre l'erreur. | | Mais revenons à notre shit ILexiste donc parmi les animaux quadrupèdes et vivipares plusieurs espèces d'animaux qui ne sont pas couverts de poil. Les tatous font eux seuls un genre entier dans lequel on-peut compter plusieurs espèces qui nous paroissent être Quadrupèdes, LV: 190 * } NAN) loterie \ i | ' TAN ‘sro HISTOIRE NATURELLE réellemiént distinctes et séparées les unes des autres : dans toutes, l'animal est revêtu d’un tèt semblable pour la substance à celle des os; ce têt couvre la tête, le cou, le dos, les flancs, la croupe et la queue jusqu’à l’extré- mité : 11 est lui-même recouvert au dehors. par un cuir mince, lisse et transparent: les seules parties sur lesquelles ce têt ne s'étend pas, sont la gorge, la poitrine et le ventre, qui présentent une peau blanche et grenue, semblable à celle d’une poule plu- mée; et en regardant ces parties avec atten- tion, l’on y voit de place en place des rudi- mens d’écailles qui sont de la même subs- tance que le tèt du dos. La peau de ces ani- maux, même dans les endroits où elle est: la plus souple, tend donc à devenir osseuse; mais l’ossification ne se réalise en entier qu'où elle est la plus épaisse, c'ést-à-dire , sur les parties supérieures et extérieures du corps et des membres. Le têt qui recouvre toutes ces parties supérieures n’est pas d’une seule pièce comme celui de la tortue; il est partagé en plusieurs bandes sur le corps, lesquelles sont attachées les unes aux autres par autant de membranes qui permettent Cr r DES TATOU S, TIE. ‘un peu de mouvement et de jeu dans cette armure. Le nombre de ces bandes ne dépend pas, comme on pourroit l'imaginer, de l’âge de l’animal ; Les tatous qui viennent de naître et les tatous adultes ont, dans la même es- pèce, le même nombrede bandes : nous nous en sommes convaincus en comparant les pe- tits aux grands ; et quoique nous ne puis- sions pas assurer que tous ces animaux ne se mêlent ni ne peuvent produire ensemble, il est au moins très-probable , puisque cette différence du nombre des bandes mobiies est constante , que ce sont ou des espèces réelle- ment distinctes, ou au moins des variétés durables et produites par l'influence des di- vers chmats. Dans cette incertitude, que le temps seul pourra fixer, nous avons pris le parti de présenter tous les tatous ensemble et de faire néanmoins nid de cha- cun d'eux, comme si c’étoient en effet au- tant d’espèces particulières. Le P. d'Abbeville nous paroît étre le premier qui ait distingué les tatous par des noms ou des épithètes qui ont été pour la plupart adoptés par les auteurs qui ont écrit après lui. Îl en indique assez clairement six _# Lu { 112 HISTOIRE NATURELLE espèces : 1°. le fafou-ouassou, qui probable- ment est celui que nous appelons #abassou ; 2°, le fatouète, que Marcgrave a aussi appelée tatuète, et auquel nous conserverons ce nom ; 3°. le tatou-peb, qui est le satupeba ou l’en- cuberto de Marcgrave , auquel nous conser- verons ce dernier nom; 4°. le zafou-apar, qui est le fatu-apara de Marcgrave, auquel nous conserverons encore son nom; b°. le _tatou-ouinchum , qui nous paroit être le même que le cérquinchum, et que nous ap- pellerons cerquincon; 6°. le fatou-mmiri, le plus petit de tous, qui pourroit bien être celui que nous appellerons cachicame. Les autres voyageurs ont confondu les espèces, ou ne les ont indiquées que par des noms génériques. Marcgrave a distingué et décrit . l'apar, l’ercoubert et le tatuète; Wormius et Grew ont decrit le cachicame, et Grew seul a parlé du cirquinçon: mais nous n'avons eu besoin d'emprunter que les descriptions de l'apar et du cirquinçon, car nous avons vu les quatre autres espèces. Dans toutes, à l'exception de celle du cir- quinçon, l'animal a deux boucliers osseux, l’un sur les épaules et l’autre sur la croupe: DES TATOUS. 113 ces deux boucliers sont chacun d’une seule pièce, tandis que la cuirasse , qui est osseuse aussi et qui couvre le corps, est divisée transversalement et partagée en plus ou moins de bandes mobiles et séparées les unes des autres par une peau flexible. Mais le cirquinçon n’a qu'un bouclier, et c’est celui des épaules : la croupe, au lieu d’être couverte d’un bouclier, est revêtue jusqu à la queue par des bandes mobiles pareilles à celles de la cuirasse du corps. Nous allons donner des indications claires et de courtes descriptions de chacune de ces espèces. Dans la première, la cuirasse qui est entre les deux boucliers est composée de trois bandes, dans la seconde elle l’est de six, dans la troi- sième de huit, dans la quatrième de neuf, dans la cinquième de douze, et enfin dans la sixième 1} n’y a, comme nous venons de le dire, que le bouclier des épaules qui soit d’une seule pièce ; l’armure dé la croupe, ainsi que celle du corps, sont partagées en bandes mobiles qui s'étendent depuis le bou- clier des épaules jusqu’à la queue, et qui sont au nombre de dix-huit. 10 NA RS D Êr4 HISTOIRE NATURELLE 1 L’ APAR + ou LE TATOU A TROIS | BANDES. LE premier auteur qui ait indiqué cet animal par une description, est Charles de l’'Écluse( Clusius); il ne l’a décrit que d’après une figure: mais on reconnoît aisément aux caractères qu’elle représente, et qui sont trois bandes mobiles sur le dos, et la queue très- courte, que c’est le même animal que celui dont Marcgrave nous a donné une bonne des- cription sous le nom de fatu-apara. Il a la tête oblongue et presque pyramidale, le museau pointu, les yeux petits, les oreilles courtes et arrondies, le dessus de la tête couvert d’un. casque d'une seule pièce. Il a cinq doigts à tous les pieds : dans ceux du devant les deux ongles du milieu sont très-srands ; les deux latéraux sont plus petits , et le cinquième, qui est l'extérieur et qui est fait en forme d’ergot , est encore plus petit que tous les autres; dans les pieds de derrière les cinq ongles sont plus courts et plus égaux. La * Taiu-apara, nom de cet animal au Bresil, et que nous avons adopté. RFF d eu RE en + 2 DES TATOUS. vel queue est três-courte, elle n’a que deux pouces de longueur, et elle est revêtue d’un tèt tout autour. Le corps a un pied de lon- gueur sur huit pouces dans sa plus grande largeur : la cuirasse qui le couvre est parta- gée par quatre commissures ou divisions, et composée de trois bandes mobiles et trans- versales qui permettent à l'animal de se courber et de se contracter en rond; la peau qui forme les comimissures est très-souple. Les boucliers qui couvrent les épaules et la croupe sont composés de pièces à cinq angles très-élésamment rangées : les trois bandes mobiles entre ces deux boucliers sont com posées de pièces quarrées ou barlongues, et chaque pièce est chargée de petites écailles lenticulaires d’un‘blanc jaunâtre. Marcgrave ajoute que quand l’apar se couche pour dor- mir, ou que quelqu'un le touche et veut le prendre avec la maiu, il rapproche et réunit, pour ainsi dire, en un point ses quatre pieds, ramène sa tête sous son ventre, et se courbe si parfaitement en rond, qu’alors on le pren- “droit plutôt pour une coquille de mer que pour un animal terrestre. Cette contraction si serrée se fait au moyen de deux grands CARS NOR EAN ANNE SEE m6 HISTOIRE NATURELLE muscles qu’il a sur les côtés du corps, et l’homme le plus fort a bien de la peine à le desserrer et à le faire étendre avec les mains. Pison et Ray'n'ont rien ajouté à la descrip- tion de Marcgrave, qu’ils ont entièrement adoptée : mais il est singulier que Seba, qui nous a donné une figure et une description qui se rapportent évidemment à celle de Marcgrave, non seulement paroisse l'ignorer, puisqu'il ne le cite pas, mais nous dise avec ostentation, qu'aucun naturaliste n’a connu cet animal, qu’il est extrémement rare, qu'il ne se trouve que dans les contrées les plus reculées des Indes orientales, etc. tandis que c'est en effet l’apar du Bresil très-bién décrit par Marcgrave , et dont l'espèce est aussi connue qu’ aucune autre, non pas aux Indes orientales , mais en Amérique, où on le trouve assez communément. La seule difié- - rence réelle qui soit entre la description de Seba et celle de Marcgrave, est que celui-ci \ donne à l’apar cinq doigts à tous les pieds, au lieu que Seba ne lui en donne que quatre. L'un des deux s’est trompé, car c’est évi- demment le même animal dont.tous deux ont entendu parler, * À) ke MES LT A TOUS | 117 Fabius Columna a donné la description des figures d’un tèt de tatou desséché et con- iracté en boule, qui paroit avoir quatre bandes mobiles. Mais comme cet auteur ne connoissoit en aucune manière l'animal dont il décrit la dépouille; qu’il ignoroit jusqu’au nom de fafou, duquel cependant Belon avoit parlé plus de cinquante ans auparavant; que dans cette ignorance Columna lui compose un nom tiré du grec (ckel/oniscus); que d’ail- leurs il avoue que la dépouille qu’il décrit a été recollée , et qu’il y manquoit des pièces ; nous ne croyons pas qu'on doive, comme V'ont fait nos nomenclateurs modernes, pro- -noncer qu’il existe réellement dans la nature une espèce de tatou à quatre bandes mobiles, d'autant plus que depuis ces indications im- parfaites données en 1606 par Fabius Co- Iumna , on ne irouve aucune notice dans les ouvrages des naturalistes de ce tatou à quatre bandes, qui, s’il existoit en effet, se seroit certainement retrouvé dans quelques cabinets, ou bien auroit été remarqué par les voyageurs. «$. HISTOIRE NATURELLE ( L'ENCOUBERT *, OU LE TATOU À SIX BANDES. # L'ENCOUBERT est plus grand que l’apar; | il a le dessus de la tête, du coutet du corps entier, les jambes et la queue tout autour, … revêtus d’un têt osseux très-dur, et composé de plusieurs pièces assez grandes et très- élégamment disposées. Il a deux boucliers, l’un sur les épaules et l’autre sur la croupe, tous deux d’une seule pièce; il y a seule- ment au-delà du bouclier des épaules et près de la tète une bande mobile entre deux join- tures, qui permet à l’animal de courber le cou. Le bouclier des épaules est formé par cinq rangs parallèles, qui sont composés de pièces dont les figures sont à cinq ou six angles, avec une espèce d’'ovale dans cha- cune. La cuirasse du dos, c’est-à-dire, la par- tie du têt qui est entre les deux boucliers, est partagée en six bandes qui anticipent peu les unes sur les autres, et qui tiennent entre * Encuberto ou encubertado , nom que les Por- tugais ont donné à cet animal, et que nous avons adopté. DES TATOUS. 119 elles etaux boucliers par sept jointures d’une peau souple et épaisse; ces bandes sont com- posées d’assez grandes pièces quarrées et bar- longues : de cette peau des jointures il sort quelques poils blanchâtres et semblables à ceux qui se voient aussi en très-petit nombre sous la gorge, la poitrine et le ventre; toutes ces parties inférieures ne sont revêtues que d’une peau grenue, et non pas d’un têt os- seux comme les parties supérieures du corps. Le bouclier de la croupe a un bord dont la mosaïque est semblable à celle des bandes mobiles, et pour le reste il est compose de pièces à peu près pareilles à celles du bou- clier des épaules. Le tèt de la tête est long , large, et d’une seule pièce jusqu'à la bande mobile du cou. L’encoubert a le museau aigu, les yeux petits et enfoncés, la langue étroite et pointue; les ‘oreilles sans poil et sans têt, nues, courtes et brunes comme la peau des jointures du dos; dix-huit dents, de grandeur mediocre, à chaque mächoire; cinq doigts à tous les pieds, avec des ongles assez longs, arrondis, et plutôt étroits que larges ; la tête et le groin à peu près sem- blables à ceux du cochon de lait; la queue ro HISTOIRE NATURELLE grosse à son origine, et diminuant toujours jusqu’à l'extrémité, où elle est fort menue et arrondie par le bout. La couleur du corps | est d’un jaune roussâtre; l'animal est ordi= * nairement épais et gras, et le mâle a le. membre génital fort apparent. Il fouille la * 1° L4 ,$ e terre avec une extrème facilité, tant à l’aide: de son groin que de ses ongles; il se fait un terrier où il se tient pendant le jour, et n’en sort que le soir pour chercher sa sub- sistance : il boit souvent: il vit de fruits, de racines, d'insectes et d'oiseaux lorsqu'il peut en saisir. LE TATUËTE *, où TATOU A HUIT: BANDES. , LE iatuète n’est pas si grand à beaucoup prés que l’encoubert; il a la tête petite, le. museau pointu, les oreilles droites, un peu alongées, la queue encore plus longue et les jambes moins basses à proportion que l’en- coubert; il a les yeux petits et noirs, quatre doigts aux pieds de devant et cinq à ceux e- * Tatuêète , tatu-éte , nom de cet animal au Bre-. sil, et que nous ayons adopté. SR + DES TATOUS. 120 de derrière ; la tête est couverte d’un casque, les épaules d’un bouclier, la croupe d'un autre bouclier, et le corps d’une cuirasse compôsée de huit bandes mobiles, qui tien- nent entre elles et aux boucliers par neuf jointures de peau flexible; la queue est re- vêtue de même d’un têt composé de huit anneaux mobiles et séparés par neuf join- tures de peau flexible. La couleur de la cui- rasse sur le dos est d’un gris-de-fer sur les flancs et sur la queue elle est d’un gris blanc, avec des taches gris-de-fer. Le ventre est cou- vert d’une peau blanchâtre, grenue, et semée de quelques poils. L’individu de cette espèce qui aété décrit par Marcgrave, avoit la tête de trois pouces de longueur, les oreilles de près de deux, les jambes d'environ trois pouces de hauteur, les deux doigts du milieu des pieds de devant d’un pouce, les ongles d’un demi-pouce; le corps, depuis le cou jusqu'à l’origine de la queue, avoit sept pouces, et la queue neuf pouces de lon- sueur. Le têt des boucliers paroit semé de pe- tites taches blanches , proéminentes et larges comme des lentilles; les bandes mobiles qui forment la cuirasse du corps sont marquées 11 22 HISTOIRE NATURELLE par des figures triangulaires: ce têt n’est pas dur; le plus petit plomb suffit pour le percer et pour tuer l’animal, dont la chair est fort blanche et très-bonne à manger. LE CACHICAME *, ou TATOU À NEUF BANDES. NIEREMBERG n'a, pour ainsi dire, qu'indiqué cet animal dans la description imparfaite qu’il en donne; Wormius et Grew l'ont beaucoup mieux décrit : l'individu qui a servi de sujet à Wormius étoit adulte et des plus grands de cette espèce ; celui de Grew étoit plus jeune et plus petit : nous ne donnerons pas ici leurs descriptions en entier, d'autant qu'elles s’accordent avec la nôtre, et que d’ailleurs il est à présumer que ce tatou à neuf bandes ne fait pas une * Cachicame , cachicamo. Les Espagnols ap- pellent armadillo l'animal connu des Indiens sous le nom de cachicamo, d'aruco, de che ‘de chu ca , etc. ( Histoire naturelle de l'Orenoqué, par Gumilla ; Avignon , r958; tome II, page 225.) Nous avons adopté pour cette espèce le nom de ca- chicame, afin de la distinguer des autres: DES T'ATOUS. 123. espèce réellement distincte du tatuète, qui n’en a que huit, et auquel, à l'exception de cette différence, il nous a paru ressembler à tousjautres égards. Nous avons deux tatous à huit bandes qui sont desséchés, et qui pa- roissent être deux mâles; nous avons sept ou huit tatous à neuf bandes, un bien entier qui est femelle, et les autres desséchés, dans lesquels nous n'avons pu reconnoître le sexe : il se pourroit donc, puisque ces ani- maux se ressemblent parfaitement, que le tatuète ou tatou à huit bandes füt le mâle, et le cachicame ou tatou à neuf bandes la femelle. Ce n'est qu'une conjecture que je hasarde ici, parce que l’on verra dans l’ar- ticle suivant la description de deux autres tatous dont lun a plus de rangs que l’autre sur le bouclier de la croupe, et qui cepen- dant se ressemblent à tant d’autres égards, qu'on pourroit penser que cette différence ne dépend que de celle du sexe; car il ne séroit pas hors de toute vraisemblance que ce plus grand nombre de rangs sur la croupe; ou bien celui des bandes mobiles de la cui- rasse, appartinssent aux femelles de ces es- pèces, comme nécessaires pour faciliter la EE TN NEA ATENRRNEET EN &æ à , \ PORTA NE à 9 CA FAST" AA À : rs 47 Ÿ RARE A M4 124 HISTOIRE NATURELLE gestation et l'accouchement dans des ani- maux dont le corps est si étroitement cui- rassé. Dans l'individu dont Wormius a dé- crit la dépouille, la tête avoit cinq pouces depuis le bout du museau jusqu'aux oreilles, et dix-huit pouces depuis les oreilles jusqu'à l’origine de la queue, qui étoit longue d'un pied, et composée de douze anneaux. Dans l'individu de la même espèce décrit par Grew, la tête avoit trois pouces, le corps sept pouces et demi, la queue onze pouces. Les proportions de la tète et du corps s’ac- cordent; mais la différence de la queue est trop considérable, et il y a grande appa- rence que dans l'individu décrit par Wor- mius, la queue avoit été cassée, car elle au- roit eu plus d’un pied de longueur : comme dans cette espèce la queue diminue de gros- seur au point de n’être à l'extrémité pas plus grosse qu'une petite alène, et qu'elle est en même temps très-fragile, il est rare d’avoir une dépouille où la queue soitentière, comme dans celle qu’a décrite Grew. L’individu dé- crit par M. Daubenton s’est trouve avoir à très-peu près les mêmes dimensions et pros portions que celui de Grew. | TRE Rp A Et DES:TATOUS. 129 # LE KABASSOU *, ou TATOU À DOUZE BANDES. LE kabassou nous paroît être le plus grand de tous les tatous : il a la tête plus grosse, plus large, et le museau moins effilé que les autres; les jambes plus épaisses, les pieds plus gros, la queue sans têt, particularité qui seule suffiroit pour faire distinguer cette espèce de toutes les autres; cinq doigts à tous les pieds, et douze bandes mobiles qui n’anti- cipent que peu les unes sur les autres. Le bouclier des épaules n’est formé que de quatre ou cinq rangs, composés chacun de pièces quadrangulaires assez grandes : les bandes _ mobiles sont aussi formées de grandes pièces, mais presque exactement quarrées ; celles qui composent les rangs du bouclier de la croupe sont à peu près semblables à celles du bou- clier des épaules : le casque de la tête est aussi composé de pièces assez grandes, mais irrégulières. Entre les jointures des bandes mobiles et des autres parties de l’armure , * Nom qu’on donne, à Cayenne, à la grande espèce de taious, et que nous avons adopté, 1l 16 HISTOIRE NATURELLE s’échappent quelques poils pareils à à des soies de cochon; il y a aussi sur la poitrine, sur le ventre, sur les jambes et sur la queue, des _rudimens d’écailles qui sont ronds, durs et polis comme le reste du têt; et autour de ces petites écailles, on voit de petites houppes de poil. Les pièces qui composent le casque de la tête, celles des deux boucliers et de la cuirasse, étant proportionnellement plus grandes et en plus petit nombre dans le ka- bassou que dans les autres tatous, l’on doit en inférer set est plus grand que les autres : dans celui qu'on a représenté, planche XIX, la tête avoit sept pouces, le corps vingt-un; mais nous ne sommes pas assurés que celui de la planche XVIII soit de la même espèce que celui-ci : ils ont beaucoup de choses semblables, et entre autres les douze bandes mobiles; mais ils différent aussi à tant d'é- gards, que c’est déja beaucoup hasarder que de ne mettre entre eux d’aytre différence que celle du sexe. | DES TATOUS. 127 LE | CIRQUINGÇON l, ou TATOU A DIX- HUIT BANDES. M. GREW est le premier qui ait décrit cet animal , dont la dépouille étoit conservée däns le Cabinet de la société royale de Lon- dres. Tous les autres tatous ont, comme nous venons de le voir, deux boucliers chacun d’une seule pièce ; le premier sur les épaules , et le second sur la croupe : le cirquincon n’en a qu’un, et c’est sur les épaules. On lui a donné le nom de fatouw-belette, parce qu'il a la tête à peu près de la même forme que celle de la belette. Dans la description de cet animal donnée par Grew ?, on trouve qu'il avoit le corps d’environ dix pouces de long , la tête de trois pouces, la queue de cinq, les jambes de deux ou trois pouces de hauteur, le devant de la tête large et plat, * Cirquincon où cirguinchum, nom que l’on donne communément aux tatous à la nouvelle Espagne, et que nous avons adopté pour distinguer cette espèce des autres. 2 Je réduis ici la mesure angloise à celle de France. 128 HISTOIRE NATURELLE les yeux petits, les oreilles longues d’un pouce , cinq doigts aux quatre pieds, de grands ongles longs d’un pouce aux trois doigts du milieu, des ongles plus courts aux deux autres doigts ; l’armure de la tête et celle des jambes composées d’écailles arron- dies, d'environ un quart de pouce de dia- mètre ; l’armure du cou d’une seule pièce, formée de petites écailles quarrées ; le bou- clier des épaules aussi d’une seule pièce, e& composé de plusieurs rangs de pareilles pe- tites écailles quarrées. Ces rangs du bouclier, dans cette espèce comme dans toutes les autres, sont continus, et ne sont pas sépa- rés les uns des autres par une peau flexible ; ils sont adhérens par symphyse. Tout le reste du corps, depuis le bouclier des épaules jus- qu’à la queue, est couvert de bandes mobiles et séparées les unes des autres par une mem- brane souple; ces bandes sont au nombre de. dix-huit : les premières du côté des épaules sont les plus larges ; elles sont composées de petites pièces quarrées et barlongues : les bandes postérieures sont faites de pièces. rondes et quarrées , et l’extrémité de l’ar- mure près de la queue est de figure parabo- DES TATOUS. CO lique. La moitié antérieure de la queue est environnée de six anneaux dont les pièces sont composées de petits quarrés ; la seconde moitie de la queue jusqu’à l’extrémité est couverte d’écailles irrégulières. La poitrine, le ventre et les oreilles sont nuds comme dans les autres espèces. Il semble que de tous les tatous, celui-ci ait Le plus de facilité pour se contracter et se serrer en boule, à cause du grand nombre de ses bandes mobiles qui s'étendent jusqu’à la queue. . Ray a décrit, comme nous, [e cirquinçon d’après Grew : M. Brisson paroît s'être con formé à la description de Ray; aussi a-t-il très-bien désigné cet animal, qu’il appelle simplement armadille. Mais il est singulier que M. Linnæus, qui devoit avoir les des- criptions de Grew et de Ray sous les yeux, puisqu'il les cite tous deux, ait indiqué ce même animal comme n’ayant qu'une bande, tandis qu’il en a dix-huit. Cela ne peut être fondé que sur une méprise assez évidente, qui consiste à avoir pris le fafu seu arma- dilla Africanus de Seba pour le éatu mnuste- linus de Grew, lesquels néanmoins, par les descriptions mêmes de ces deux auteurs ÿ ch | 130 HISTOIRE NATURELLE sont très-différens l’un de l’autre. Autant il paroît certain que l’animal décrit par Grew est une espèce réellement existante, autant il est douteux que celui de Seba existe de la manière au moins dont il le décrit. Selon lui, cet armadille africain a l’armure du corps entier partagée en trois parties. Si cela est, l’armure du dos, au lieu d’être com- posée de plusieurs bandes, est d’une seule pièce , et cette pièce unique est seulement. séparée du bouclier des épaules et de celui de la croupe, qui sont aussi chacun d’une seule pièce : c’est là le fondement de l'erreur de M. Linnæus; 11 a, d'après ce: passage de Seba, nommé cet armadille wnicinctus teg mine tripartito. Cependant il étoit aisé de voir que cette indication de Seba est équi=" voque et erronée, puisqu'elle n’est nulle ment d'accord avec les figures, et qu’elle indique en effet le fabassou ou tatou à douze bandes, comme nous l'avons prouvé dans l’article précédent. k | Tous les tatous sont originaires de l’'Amé— rique; ils étoient inconnus avant la décou= verte du nouveau monde : les anciens n’en ont jamais fait mention, et les voyageurs mo- DIE S: TA TOUS. 13t dernes ou nouveaux en parlent tous comme d'animaux naturels et particuliers au Mexi- que, au Bresil, à la Guiane, etc. ; aucun né dit en avoir trouvé l’ espèce existante en Asie ni en Afrique : quelques uns ont seulement | confondu les pangolins et les phatagins, ou lézards écailleux des Indes orientales, avec les armadilles de l'Amérique; quelques autres ont pensé qu'il s’en trouvoit sur les côtes occidentales de l'Afrique, parce qu’on en a quelquefois transporté du Bresil en Guinée. Belon, qui a écrit 1l y a plus de deux cents ans, et qui est l’un des premiers qui nous en aient donné une courte description, avec la figure d'un tatou dont il'avoit vu la dé- pouille en Turquie, indique assez qu’il ve- noit du nouveau continent. Oviedo, de Lery, Gomara , Thevet, Antoine Herrera , le P, d'Abbeville, François Ximenès, Stadenius, Monard, Joseph Acosta, de Laët, tous les auteurs plus récens , tous les historiens du nouveau monde , font mention de ces ani maux comme orisinaires des contrées méri- dionales de ce continent. Pison, qui a écrit postérieurement à tous ceux que je viens de elter, est le seul qui ait mis en ayant, sans 132 HISTOIRE NATURELLE s'appuyer d'aucune autorité, que les arma= dilles se trouvent aux Indes orientales , aussi- bien qu’en Amérique : il est probable qu'il | a confondu Les pangolins ou lézards écailleux avec les tatous. Les Espagnols ayant appelé armadillo ces lézards écailleux, aussi-bien que les tatous, cette erreur s’est multipliée sous la plume de nos descripteurs de cabinets et de nos nomenclateurs, qui ont non seule- ment admis des tatous aux Indes orientales, mais en ont créé en Afrique, quoiqu'il n’y en ait jamais eu d’autres dans ces deux par- - ties du monde que ceux qui ts ont été trans- : portés d'Amérique. Le climat de toutes les espèces de ces ani- maux n’est donc pas équivoque ; maïs il est plus difhcile de déterminer leur grandeur relative dans chaque espèce. Nous avons com- paré, dans cette vue, non seulement les dé- pouilles de tatous que nous avons en grand. nombre au Cabinet du roi, mais encore celles que lon conserve dans d’autres Cabinets ; nous avons aussi comparé les indications de tous les auteurs avec nos propres descrip= tions, sans pouvoir en tirer des résultats pré- cis : il paroît seulement que les deux plus : D'E5: TA TOUS. 133 srandes espèces sont le kabassou et l’encou- bert; que les petites espèces sont l’apar, le tatuète , le cachicame et le cirquinçon. Dans les grandes espèces , Le têt est beaucoup plus solide et plus dur que dans les petites; les -pièces qui le composent sont plus grandes et en plus petit nombre; les bandes mobiles anticipent moins les unes sur les autres, et la chair , aussi-bien que la peau, est plus dure et moins bonne. Pison dit que celle de l’encoubert n’est pas mangeable; Nieremberg assure qu'elle est nuisible et très-mal-saine; Barrère dit que le kabassou a une odeur forte de musc ; et en même temps tous les autres auteurs s'accordent à dire que la chair de Vapar, et sur-tout celle du tatuète, sont aussi blauches et aussi bonnes que celle du cochon de lait; ils disent aussi que les tatous de petite espèce se tiennent dans les terrains hu- mides et habitent les plaines, et que ceux de grande espèce ne se trouvent que dans les lieux plus élevés et plus secs. Ces animaux ont tous plus ou moins de facilité à se resserrer et à contracter leur corps en rond ; le défaut de la cuirasse, lors- qu'ils sont contractés, est bien plus apparent 12 134 HISTOIRE NATURELLE dans ceux dont l’armure n’est composée que d’un petit nombre de bandes; l’apar, qui . n’en a que trois, offre alors deux grands vides entre les houcliers et l’armure du dos: aucun ne peut se réduire aussi parfaitement en boule que le hérisson; äüls ont plutôt la figure d’une sphère fort applatie par les poles. Ce têt si singulier dont ils sont revêtus |, est un véritable os composé de petites pièces contiguës , et qui, sans être mobiles ni arti- culées, excepté aux commissures des bandes, sont réunies par symphyse, et peuvent toutes se séparer les unes des autres, et se séparent en effet, si on les met au feu. Lorsque l’ani- mal est vivant, ces petites pièces, tant celles des boucliers que celles des bandes mobiles, prêtent et obeissent en quelque façon à ses mouvemens, sur-tout à celui de contraction: si cela n’étoit pas, il seroit difficile de con- cevoir qu'avec tous ses efforts il lui fût pos-_ sible de s’arrondir. Ces petites pièces offrent, suivant les différentes espèces, des figures différentes toujours arrangées regulièrement, comme de la mosaïque très-élésamment dis- posée : la pellicule ou le cuir mince dont le … DES ITA TOUS: 135 têt est revêtu ‘à l'extérieur , est une peau transparente qui fait l'effet d’un vernis sur tout le corps de l’animal; cette peau relève de beaucoup et change même les reliefs des mosaïques, qui paroissent différens lors- qu'elle est enlevée. Âu reste, ce tèt osseux n'est qu'une enveloppe indépendante de la charpente et des autres parties intérieures du corps de l'animal, dont les os et les autres parties constituantes du corps sont compo- sées et organisées comme celles de tous les autres quadrupèdes. Les tatous en général sont des animaux innocens et qui ne font aucun mal, à moins qu'on ne les laisse entrer dans les jardins, où ils mangent les melons, les patates et les autres lésumes ou racines. Quoiqu'originaires des climats chauds de l'Amérique , ils peu- vent vivre dans les climats tempérés; j’en ai vu un en Languedoc, il y a plusieurs années, qu’on nourrissoit à la maison, et qui alloit par-tout sans faire aucun dégât. Ils marchent avec vivacité ; mais ils ne peuvent, pour ainsi dire, ni sauter ni courir, ni grim- per sur les arbres, en softe qu’ils ne peuvent guère échapper par la fuite à ceux qui les ni. Le hé TS To Lt AE 136 HISTOIRE NATURELLE poursuivent : leurs seules ressources sont de se cacher dans leur terrier, ou, s’ils en sont trop éloignés, de tächer de s’en Ai un avant que d’être atteints; 1l ne leur faut que quel- ques momens, car les taupes ne creusent pas la terre plus vite que les tatous. On Les … prend quelquefois par la queue avant qu'ils | soient totalement enfoncés, et ils font alors … une telle résistance, qu’on leur casse la queue sans amener le corps; pour ne les pas mutiler, il faut ouvrir le terrier par- devant, et alors on les prend sans qu'ils puissent faire aucune résistance : dès qu'on les tient , ils se resserrent en boule; et poux les faire étendre, on les met près du feu. Leur têt, quoique dur et rigide, est cepen- dant si sensible, que quand on le touche un peu ferme avec le doigt, l’animal en ressent une impression assez vive pour se contracter en entier. Lorsqu'ils sont dans des terriers profonds, on les en fait sortir en y faisant entrer de la fumée ou couler de l’eau : on préteud qu’ils demeurent dans leurs terriers sans en sortir pendant plus d’un tiers de l’année; ce qui est plus vrai, c’est qu’ils s’y retirent pendant le jour, et qu’ils n’en \ « Ca = do Na DES TATOUS. 137 ‘sortent que la nuit pour chercher leur sub- sistance. On chasse le tatou avec de petits chiens qui l’atteignent bientôt, il n'attend pas même qu’ils soient tout près de lui pour s'arrêter et pour se contracter en rond; dans cet état on le prend et on l'emporte. S'il se trouve au bord d’un précipice, il échappe ‘aux chiens et aux chasseurs ; il se resserre, se laisse tomber et roule comine une boule sans briser son écaille et sans ressentir aucun 151 PE | Ces animaux sont gras, replets et très— féconds : le mâle marque, par les parties ex= térieures, de grandes facultés pour la géné- ration : la femelle produit, dit-on, chaque mois quatre petits; aussi l'espèce en est-elle très-nombreuse. Et comme ils sont bons à manger, on les chasse de toutes les manières: on les prend aisément avec des piéges que l’on tend au bord des eaux et dans les autres lieux humides et chauds qu’ils habitent de. préférence; ils ne s’éloignent jamais beau coup de leurs terriers, qui sont très-pro- fonds et qu'ils tâchent de regagner dès qu'ils sont surpris. On prétend qu'ils ne craignent pas la morsure des serpens à sonnette. 12 hi!" Ep L de, LI LL Le FAR OS à ‘ ë Fr Po 538 HISTOIRE NATURELLE. quoiqu’elle soit aussi dangereuse que celle de la vipère; on dit qu'ils vivent en paix avec ces reptiles, et que l’on en trouve sou vent dans leurs trous. Les sauvages se servent du têt des tatous à plusieurs usages : ils le peignent de différentes couleurs ; ils en font des corbeilles, des boîtes, et d’autres petits vaisseaux solides et lésers. Monard, Xime- nès, et plusieurs autres après eux, ont at- tribuëé d'admirables propriétés médicinales à différentes parties de ces animaux : ils ont assuré que le têt réduit en poudre et pris intérieurement, même à petite dose, est un puissant sudorifique; que l’os de la hanche, aussi pulvérisé, guérit du mal vénérien; que le premier os dé la queue, applique sur l'oreille, fait entendre les sourds, etc. Nous n’ajoutons aucune foi à ces propriétés ex- traordinaires: le têt et les os des tatous sont de la même nature que les os des autres animaux. Des effets aussi merveilleux ne sont jamais produits que par des vertus ima- ginaires. | PQ Tom 4. | PL13 Lag1368. LE CACHICAME, LE KABAS SOU. Î Foaupurs : Tom 4. | PL 19 Lo 138. AUTRE CABASSOU. f Paugur Ne di LT Paquet de , 1 ER _T ere CN er PT : A . Jon S DE PACA: L E paca est un animal du nouveau monde, qui se creuse un terrier comme le lapin, auquel on l’a souvent comparé, et auquel cependant il ressemble très-peu : 1l est beau- coup plus grand que le lapin, et même que le lièvre ; il a le corps plus gros et plus ra- massé , la tête ronde ét le museau court : ii ést gras et replet, et il ressemble plutôt ?, ? Nom de cet animal au Bresil , et que nous avons adopté. On l’appelle aussi à la Guiane owrana. 2 Hoc genus animalia pilis et voce porcellum referurit; dentibus et figurâ capitis, et etiam ma- gnitudine, cuniculum ; auribus murem : suntque singularia et sui generis. (Ray, Synops. quadrup. page 227.) Îl est certain, comme le dit Ray, que cet animal est de son genre; il auroit pu ajouter qu'il ressemble encore au cochon de lait par là forme du corps ; par le goût et la blancheur de la chair, par la graisse et par l'épaisseur de la peau ; et il au- roit du dire qu’il a‘le corps plus gros, plus grand et plus rond que le lapin. fe ro HISTOIRE NATURELLE \ un jeune cochon, x par la forme du corps à dont il a le grognement, l'allure et la ma- nière de manger; car il ne se sert pas, comme le lapin, de ses pattes de devant * pour porter à sa gueule, et il fouille la terre, comme le z cochon, pour trouver. sa subsistance. Il ha- bite le bord des rivières; et ne se trouve que dans les lieux humides et chauds de l'Amé- rique méridionale. Sa chair est très-bonne à manger, et si grasse, qu'on ne la larde ja- mais; on mange même la peau, comme celle du cochon de lait : aussi lui fait-on con- tinuellement la guerre. Les chasseurs ont de la peine à le prendre vivant; et quand on le surprend dans son terrier, qu’on découvre en devant et en arrière, il se défend et cher- che même à se venger en mordant avec au-— tant d’acharnement que de vivacité. Sa peau, quoique couverte d’un poil court et rude, fait une assez belle fourrure, parce qu’elle est régulièrement tachetée sur les côtés. Ces * Marcgrave s’est trompé en ne donuant à cet animal que quatre doigts à chaque pied ; il est cer- tain qu’il en a cinq à tous les pieds : le pouce est seulement beauconp-plus court que les autres doigis? el il n’est apparent ee par l ongle. DU P A CA. TAT animaux produisent souvent et en grand nombre; les hommes et les animaux de proie en détruisent beaucoup, et cependant l’es- pèce en est toujours à peu près également _ nombreuse : elle est naturelle et particulière à l'Amérique méridionale, et ne se trouve nulle part dans l’ancien continent. LE .S A RPG UE O U L'OPOSSUM. Le sarigue ou l’opossum est un animal de l’Amérique, qu’il est aisé de distinguer de tous les autres par deux caractères très-sin- guliers : le premier de ces caractères est que la femelle a sous le ventre une ample ca- vite dans laquelle elle reçoit et allaite ses * Le sarigue, carigue ou carigueya , nom de cet animal sur les côtes du Bresil , et que nous avons adopté. Le ca de la langue brasilienue se pro- nonce sa en françois et en Jaiin : on peut citer pour exemples cagut, que nous prononçons sagui Où | sagoun, parce que lu se prononce aussi comme ou; tajacu, que de Lery et les autres voyageurs francois prononçoient et écrivoient {ajaçou et {ajas= sou ; et carigueya, que Pison, dont l’ouvrage est en ou a écrit avec une LEA sous le c. Cerigon , selon Maffée ( Histoire des Indes, Lv. IT, page 46), et selon Barlæus (Res gestæ ir Brasilia, page 222). Le cerigon, dit Mañfée, A LE SARIGUE MALE, LE SARIGUE FEMELLE $ Janquet. d’ HISTOIRE NATURELLE. :43 petits; le second est que le mâle et la fe- melle ont tous deux le premier doigt des pieds de derrière sans ongle et bien séparé des autres doigts, tel qu'est le pouce dans la main de l’homme, tandis que les quatre autres doigts de ces mêmes pieds de derrière sont placés les uns contre les autres et armés d'ongles crochus, comme dans les pieds des autres quadrupèdes. Le premier de ces carac- tères a été saisi par la plupart des voyageurs et des naturalistes ; mais le second leur avoit est une bête nb. ... De son ventre pendent deux besaces où :il portesses petits, chacun d’eux si fort attaché à son teton, qu'ils ne les quittent point jusqu’à ce qu’ils soient en état d'aller paître. Mafée indique ici une chose qui peut induire en erreur , et faire croire que ce cerigcn, qui a deux besaces on poches, seroit un animal dif- férent du’sarigue, qui n’en a qu'une : mais il faut observer , et nous l'avons vu uous-mêmes, que quand les glandes mammaires du sarigue sont dans leur état de gonflement par le lait dont elles sont rem- plies , elles fontun volume si considérable au dedans de la poche, qu'elles en tirent la peau par le milieu, et quelle paroît alors partagée en deux besaces, comme le dit Maffée, qui probablement avoit vu son cerigon dans cet état. cg A" LÉ pre / , 4 À PAUSE \ 17% " 144 HISTOIRE NATURELLE entièrement échappé : Edward Tyson, mé decin anglois, paroit être le premier qui l'ait observé; il est le seul qui ait donné une bonne description de la femelle de cet animal, im-. primée à Londres en 1698, sous le titre de Carigueya, seu Marsupiale Americanurm , or the Anatomy of an Opossum; et quelques années après, Will. Cowper , célèbre anato- | miste anglois, communiqua à Tyson, par une lettre, les observations qu’il avoit faites sur le mâle. Les autres auteurs, et sur-tout Les nomenclateurs, ont ici, comme par-tout ‘ailleurs’, multiplié les êtres sans nécessité, et ils sont tombés dans plusieurs erreurs que nous ne pouvons nous dispenser de relever. Notre sarigue, ou, si l'on veut, l’opossum de Tyson, est le même animal que le grand | philandre oriental de Seba (vol. I, pag. 64, planche XXXIX} : l’on n’en sauroit douter , puisque de tous les animaux dont Seba donne les figures, et auxquels il applique le nom. de philandre, d’opossum ou de carigueya , | celui-ci est le seul qui ait les deux caractères . de la bourse sous le ventre et des pouces de derrière sans ongle. De même l’on ne peut douter que motre sarigue, qui est le même. DU SARIGUE. r45 que le grand philandre oriental de Seba, ne* soit un animal naturel aux climats chauds du nouveau monde ; car les deux sarigues que nous avons au Cabinet du roi nous sont venus d'Amérique : celui que Tyson a dissé- qué lui avoit été envoyé de Virginie. M. de - Ghanvallon, correspondant dé l'académie des sciences à la Martinique, qui nous a donné un jeune sarigue, a reconnu les deux äutres pour de vrais sarigues ou opossums de l'Ame- rique. Tous les voyageurs s'accordent à dire que cet animal se trouve au Bresil, à la nou- velle Espagne, à la Virginie, aux Antilles, etc. et aucun ne dit en avoir vu aux Indes orien= tales : ainsi Seba s’est trompé lorsqu'il Pa appelé philandre oriental, puisqu'on ne le trouve que dans les Indes occidentales. Il dit que ce philandre lui a été envoyé d’Ainboine sous le nom de coes-coes, avec d’autres curio- _sités; inais 1l convient en même temps qu'il avoit été apporté à Amboine d’autres pays plus éloignés. Cela seul suffiroit pour rendre _suspecte la dénomination de philandre orien- tal; car il est très-possible que les VOA ‘geurs aient transporté cet animal siugulier de l'Amérique aux Indes orientales : : inâais Quadrupédes. LV, À 13 146 HISTOIRE NATURELLE rien ne prouve qu il soit naturel au climat d'Amboine, et le passage même de Seba , que nous venons de citer , semble indiquer le contraire. La source de cette erreur de fait, et même celle du nom coes-coes , se trouve. dans Pison, qui dit qu'aux Indes orientales, mais & Amboine seulement, on trouve un animal semblable au sarigue du Bresil, qu'onlui donne le nom de cous-cous. Pison ° LS e e , ° x ° ne cite sur cela ni autorité ni garans : il seroit bien étrange , si le fait étoit vrai, que Pison , assurant positivement que cet animal ne se trouve qu'à Amboine dans toutes les Indes orientales, Seba dit au contraire que celui qui lui a été envoyé d’'Amboine n’en _étoit pas natif, mais y avoit été apporté de pays plus éloignés. Cela seul prouve la fausseté du fait avancé par Pison; et nous verrons dans la suite le peu de fond que l’on peut faire sur ce qu’il a écrit au sujet de cet ani- mal. Seba, qui ignoroit donc de quel pays venoit son philandre, n’a pas laissé de lus donner l’épithète d’oriental : cependant il est certain que c’est le mème animal que le, sarioue des Iudes occidentales ; il'ne faut, pour s’en assurer, que comparer Sa ligure,. DU SARIGUE. 147 planche XXXIX , avec la nature. Mais ce qui ajoute encore à l'erreur , c’est qu'en même temps que cet auteur donne au sarigue d'Amérique Le nom de grand philandre orien- tal, il nous présente un autre animal, qu’il croit être différent de celui-ci, sous le nom de pilandre d'Amérique (planche XXXVF, fig. 1 et 2), et qui cependant , selon sa propre description, ne diffère du grand phi- Jlandre oriental qu’en ce qu'il est plus petit et que la tache au-dessus des yeux est plus brune; différences, comme Pon voit, très— accidentelles et trop légères pour fonder deux espèces distinctes : car il ne parle pas d'une autre différence qui seroit beaucoup plus es- sentielle, si elle existoit réellement comme on la voit dans la figure; c’est que ce phi-. landre d'Amérique (Seba, planche XXXVI, fig. 1 et 2) a un ongle aigu aux pouces des pieds de derrière, tandis que le grand phi- landre oriental (Seba, planche XXXIX) n’a point d'ongles à ces deux pouces. Or, il est certain que notre sarigue, qui est le vrai sarigue d'Amérique, n’a point d'ongles aux pouces de derrière. S'il existoit donc un ani- mal avec des ongles aigus à ce pouce, tel Su 346 HISTOIRE NATURELLE. que celui de la planche XXXVI de Seba , cet animal rie seroit pas, comme il le dit, le sarigue d'Amérique. Mais ce n’est pas tout: cet auteur donne encore un troisième ani- mal sous le nom de philandre oriental (planche XXX VIIT, fig. 1), duquel , au reste, il ne fait nulle mention dans la description des deux autres, et dont il ne parle que d’après François Valentin , auteur qui ; : comme nous l’avons déja dit, mérite peu de confiance; et ce troisième animal est en- core le mème que les deux premiers. Il nous paroît donc que ces trois animaux des plan-— ches XXXVI, XXXVIII et XXXIX de Seba n’en font qu'un seul. Il y a toute apparence _ que le dessinateur, peu attentif, aura mis un ongle pointu aux pouces des pieds de . derrière comme aux pouces des pieds de . devant et aux autres doigts, dans les figures des planches XXXVI et XXXVIIL, et que, . plus exact dans le dessin de la pl. XXXIX, il a représenté les pouces des pieds de der-. rière sans ongle, et tels qu’ils sont en effet. Nous sommes donc persuadés que .ces trois animaux de Seba ne sont que trois individus. ge la même espèce; que cette espèce est la. | DU SARIGUE. 149 même que celle de notre sarigue; que ces trois individus étoient seulement de différens âges , puisqu'ils ne diffèrent entre eux que “par la grandeur du corps et par quelques nuances de couleur, principalement par la teinte de la tache au-dessus des yeux , qui est jaunâtre dans les jeunes sarigues, tels que celui de la planche XXXVI de Seba, fig. 1 et 2, et qui est plus brune dans les sarigues adultes, tels que celui de la planche XXXIX ; différence qui d’ailleurs peut provenir-du temps plus ou moins long que l’animal a été conservé dans l’esprit- de-vin , toutes les couleurs du poil s’affoiblissant avec le temps dans les liqueurs spiritueuses. Seba convient lui-même que les deux animaux de ses plan- ches XXX VI, fig. 1 et 2, et XXXVIIT, fig. 1, ne diffèrent que par la grandeur et par quel- ques nuances de couleur; il convient encore que le troisième animal, c’est-à-dire, celui de la planche XXXIX , ne diffère des deux autres qu'en ce qu'il est plus grand , et que la tache au-dessus des yeux n’est pas jaunâtre, mais brune. Il nous paroiït donc certain que ces trois animaux n’en font qu’un seul, puis- qu'ils n’ont entre eux que des différences si | F Mot | se HAN 150 HISTOIRE NATURELLE petites, qu'on doit les regarder comme de trés-légères variétés, avec d'autant plus de f raison et de fondement que l’auteur ne fait : aucune mention du seul caractère par lequel il auroit pu les distinguer, c’est-à-dire, de W' ï Fe, cet ongle pointu aux pouces de derrière, qui se voit aux figures des deux premiers et qui manque au dernier. Son seul silence sur ce caractère prouve que cette différence n'existe pas réellement, et que ces ongles pointus aux pouces de derrière, dans les figures des “planches XXXVIet XXXVIIL ne doivent être attribués qu’à l’inattention du dessinateur. Seba dit que, « selon François Valentin , ce « philandre, planche XXX VIIT , est de la plus « grande espèce qui se voie aux Indes orien-— «a tales, et sur-tout chez les Malais, où on « l'appelle pe/andor Aroë, c’est-à-dire, lapin « d’Aroé, quoiqu’Aroë ne soit pas le seul lieu «où se trouvent ces animaux; qu'ils sont « communs dans l’ile de Solor; qu’on les élève « même avec les lapins, auxquels ils ne font «aucun mal, et qu’on en mange également « la chair, que les habitans de cette île trou- _« vent excellente, etc. » Ces faits sont très- douteux, pour ne pas dire faux. 1°. Le phi- DU SARIGUE. bc landre, planche XXXVIIL, n’est pas le plus grand des Indes orientales, puisque, selon l’auteur même, celui de la planche XXXIX, qu'il attribue aussi aux Indes orientales, est - plus grand. En second lieu, ce philandre ne ressemble point du tout à un lapin, et par conséquent il est bien mal nommé /apir d’Aroé. Troisièmement , aucun voyageur aux Indes orientales n’a fait mention de cet ani- mal si remarquable; aucun n’a dit qu'il se trouve ni dans l’ile de Solor , ni dans aucun autre endroit de l’ancien continent. Seba lui-même paroit s’appercevoir non seule- ment de l’incapacité, mais aussi de l’infi- délité de l’auteur qu'il cite. Cujus equidem rei, dit-il *, jides sit penes auctorem. 4t mirum tamen est qudà D. Valentinus phi- landri formam haud ita descripserit prout se habet et uli nos ejus icones ad vivum factas præœgressis tabulis exhibuimus. Mais pour achever de se démontrer à soi-même le peu de confiance que mérite en effet le témoignage de cet auteur, François Valen- tin, ministre de l’église d’Amboine, qui cependant a fait imprimer en cinq volumes * Volume T, page 61. 152 HISTOIRE NATURELLE in-folio l'Histoire naturelle des Indes orien- rales, il suit de renvoyer à ce que dit Ar- iedi au sujet de ce gros ouvrage, et aux reproches que Seba même lui fait avec raison sur l'erreur grossière qu’il commet, en assurant « que la poche de l’animal « dont il est ici question est une matrice « dans laquelle sont conçus les petits, et « qu'après avoir lui- même disséqué le phi-. « landre, il n’eu a pas trouvé d'autre; que « si cette poche n'est pas une vraie matrice, «les mamelles sont à l'égard des petits de «cet animal ce que les pedicules sont aux «fruits, qu’ils restent adhérens à ces ma— «melles jusqu'à ce qu'ils soient mûrs, et « qu'alors ils s'en séparent, comme le fruit « quitte son pédicule lorsqu'il a acquis toute « sa maturité, etc. ». Le vrai de tout eect, c'est que Valentin, qui assure que rien n’est si commun que ces animaux aux Indes orien- tales, et sur-tout à Solor, n’y en avoit peut- être jamais vu; que tout ce qu’il en dit, et jusqu'à ses erreurs les plus évidentes, sont copiées de Pison et de Marcgrave, qui tous deux ne sont eux-mêmes, à cet égard, que les copistes de Ximenèés , et qui se sont trompés f l DU SARIGUE. 153 en tout ce qu’ils ont ajouté de leur fonds; car Marcgrave et Pison disent expressement et affirmativement, ainsi que Valentin, que la poche est la vraie matrice où les petits du sarigue sont conçus. Marcgrave dit qu’il : en a disséqué un, et qu’il n’a point trouvé d'autre matrice à l’intérieur : Pison renché- rit encore sur lui, en disant qu’il en a dis- séqué plusieurs, et qu’il n’a jamais trouvé de matrice à l’intérieur ; et c’est là qu’il ajoute l’assertion , tout aussi mal fondée , que cet animal se trouve à Amboine. Qu'on juge maintenant de quel poids doivent être ici les autorités de Marcgrave , de Pison et de Valentin, et s’il seroit raisonnable d’ajou- ter foi au témoignage de trois hommes dont le premier a mal vu, le second a amplifié les erreurs du premier, et le dernier a copié les deux autres. | Je demanderois volontiers pardon à mes lecteurs de la longueur de cette discussion critique; mais lorsqu'il s’agit de relever les erreurs des autres, on ne peut être trop exact ni tropattentif, même aux plus petites choses. M. Brisson, dans son ouvrage sur les qua- dyupédes, a entièrement adopté ce qui se 154 HISTOIRE NATURELLE trouve dans celui de Seba : il le suit ici à la lettre, soit dans ses dénominations, soit dafis ses descriptions, et il paroît même aller plus loin que son auteur, en faisant trois espèces réellement distinctes des trois philandres,, planches XXXVI, XXXVIILI et XXXIX de Seba; car s’il eût recherche l’idée de cet au teur, il eût reconnu qu'il ne donne pas ses trois philandres pour des espèces réellement différentes les unes des autres. Seba ne se doutoit pas qu’un animal des climats chauds de l'Amérique ne dût pas se trouver aussi dans les climats chauds de l’Asie : il quali- fioit ces animaux d’orientaux ou d'améri- cains, selon qu’ils lui arrivoient de l’un ou ‘de l’autre continent£ mais il ne donne pas ses trois philandres’ pour trois espèces dis- tinctes et séparées; il paroît clairement qu'il ne prend pas à la rigueur le mot d'espèce, lorsqu'il dit, page 61, C’est ici la plus grande espèce de ces animaux; et qu'il ajoute, Cefte femelle est parfaitement sem- blable (simillima) aux femelles des phi- landres d'Amérique; elle est seulement plus grande, et elle est couverte sur le dos de poils d'un jaune plus foncé. Ces différences, / DU SARIGUE, 156 comme nous l’avons déja dit, ne sont que des variétés telles qu’on en trouve ordinai- rement entre les individus de la même es- pèce à différens âges : et dans le fait Seba n’a pas prétendu faire une division méthodique des animaux en classes, genres et espèces; il a seulement donné les figures des diffé- rentes pièces de son cabinet, distinguées par des numéros, suivant qu'il voyoit quelques différences dans la grandeur, dans les teintes de couleur ou dans l'indication du pays na- tal des animaux qui composoient sa collec- tion. ll nous paroît donc que, sur cette seule autorité de Seba , M. Brisson n’étoit pas fondé à faire trois espèces différentes de ces trois philandres, d'autant plus qu’il n’a pas même _ employé les caractères distinctifs exprimés dans les figures, et qu’il ne fait aucune men- tion de la différence de l’ongle qui se trouve aux pouces des pieds de derrière des deux premiers et qui manque au troisième. M. Bris- son devoit donc rapporter à son n° 3, c’est- à-dire, à son philandre d'Amboine , page 289, toute la nomenclature qu’il a mise à son philandre n° 1, page 286, tous les noms et synonymes qu'il cite ne convenant qu'au . t 156 HISTOIRE NATURELLE philandre n° 3, puisque c’est celui dont les pouces des pieds de derrière n’ont point d’on- gle. Il dit en général que les doigts des phi- landres sont onguicules < et il ne fait sur cela aucune exception : cependant le philandre qu'il a vu au Cabinet du roi, et qui est notre sarigue, n’a point d'ongle aux pouces des pieds de derrière; et il paroît que c’est le seul qu’il ait vu, puisqu'il n’y à dans son livre que le n° 1 qui soit précédé de deux! étoiles. L'ouvrage de M. Brisson , d’ailleurs _très-utile, pêche principalement en ce-que la liste des espèces y est beaucoup plus grande que celle de la nature. | Il ne nous reste maintenant à examiner que la nomenclature de-M. Linnæus : elle estsur cet article moins fautive que celle des autres, en ce que cet auteur supprime une des trois espèces dont nous venons de parler, et qu'il réduit à deux les trois animaux de Seba. Ce n’est pas avoir tout fait, car il faut les réduire à un; mais du moins c'est _ayoir fait quelque chose : et d’ailleurs 11 em- _ploie Le caractère distinctif des pouces de der: rière sans onole; ce qu'aucun des autres, à l’exception de Tyson, n’avoit observé. La À N où \ / DU SARIGUE. 154 description que M. Linnæus donne du sa- rigue sous le nom de 7zarsupialis, n° 1, didelphis, etc. nous a paru bonne et assez conforme à la nature; mais il y a inexac- titude dans sa distribution et erreur dans ses indications : cet auteur, qui sous le nom d'opossum , n° 3, page 55, désigne un animal différent de son marsupialis n° 1, et qui ne cite à cet égard que la seule autorité de Seba, dit cependant que cet opossum n'a point d’ongle aux pouces de derrière, tandis que cet ongleest trèsapparent dans les figures de Seba ; il auroit au moins dû nous avertir que le dessinateur de Seba s’étoit trompé. Üne autre erreur, c’est d’avoir cite le 77a- ritacaca de Pison comme le même animal que le carigueya, tandis que dans l'ouvrage de Pison ces deux animaux, quoiqu’annon- cés [dans le même chapitre, sont cependant donnés, par Pison même, pour deux ani- maux différens, et qu'il les décrit l’un après l'autre. Mais ce qu’on doit regarder comme une erreur plus considérable que les deux premières, c’est d’avoir fait du même ani- mal deux espèces différentes. Le marsupialis n° 1, et l'opossurm n° 3, ne sont pas des 14 158 HISTOIRE NATURELLE animaux différens:; ils sont tous deux, sui= vant M. Linnæus même, le marsupium. ou la poche; ils ont tous deux les pouces de derrière sans ongle; ils sont tous deux d’ A- mérique, et ils ne diffèrent (toujours selon lui) qu’en ce que le premier à huit ma- melles , et que lé second n’en a que deux et la tache au-dessus des yeux plus pâle : or ce dernier caractère est , comme nous l’avons dit, nul, et le premier est au moins très- équivoque; car le nombre des mamelles varie dans plusieurs espèces d'animaux, et peut-être plus dans celle-ci que dans une autre, puisque des deux sarigues femelles que nous avons au Cabinet du roi, et qui sont certainement de même espèce et du mème pays, l’une a cinq et l'autre a sept tétines, et que ceux qui ont observé les ma- melles de ces animaux ne s'accordent pas sur le nombre : Marcgrave, qui a été copié par beaucoup d’autres, en compte huit; Bar- rère dit qu’ordinairement il n’y en a que quatre, etc. Cette différence qui se trouve dans le nombre des mamelles, n’a rien de singulier, puisque la mème variété se trouve dans les animaux les plus connus, tels que 4 DU SARIGUE 159 _ Ja chienne, qui en a quelquefois dix et d’au- tres fois neuf, huit ou sept; la truie, qui en a dix, onze ou douze; la.vache, qui en a six, cinq ou quatre; la chèvre et la brebis, qui en ont quatre, trois ou deux; le rat, qui en a dix ou huit; le furet, qui en à trois à droite et quatre à gauche, etc. : d’où lon voit qu’on ne peut rien établir de fixe et de certain sur l’ordre et le nombre des mamelles, qui varient dans la plupart des animaux. A _ De tout cet examen que nous venons de faire avec autant de scrupule que d’impar- tialité, il résulte que le p.i/ander Opossum seu carigueya Brasiliensis, planche XXXVI, fig. 1,2 et 3; le philander orientalis, plan- che XXXVIIL, fig. 1; et le p:/ander orien- talis maximus , planche XXXIX, fig. 1 de Seba, vol. I, pag. 56, 61 et 64; que le phi- landre n° 1, le philandre oriental n° », et le philandre d'Amboine n° 3, de M. Bris- son, pag. 286, 288 et 289; et enfin que le marsupialis n° 1, et l’opossum n° 3, de M. Linnæus, édit. X, pag. 54 et 55, n’in- diquent tous qu’un seul et même animal, et que cet animal est notre sarigue, dont le L 160 HISTOIRE N ATURELLE climat unique et naturel est l'Amérique méridionale, et qui ne s’est jamais trouvé aux grandes Indes que comme étranger eé après yavoir été transporte. Je crois avoir levé sur cela toutes les incertitudes : mais il reste encore des obscurités au sujet du faiibi, que Marcgrave n’a pas donné comme un animal différent du carigueya, et que néanmoins Jonston, Seba, et MM. Klein, Linnæus et - Brisson , qui n’ont écrit que d’après Marc- grave, ont présenté comme une espèce dis- tincte et différente des précédentes. Cepen-— dant on trouve dans Marcgrave les deux noms carigueya, taiibi, à la tête du même article : il y est dit que cet animal s’apelle carigueya au Bresil , et faiibi au Paraguai (carigueya Brasiliensibus, aliquibus jupatiima , Peti- guaribus taiibi). On ‘trouve ensuite une des cription ‘du carigueya tirée de Ximenés, après laquelle on en trouve une autre de l’ani- mal appelé faiibi par les Brasiliens, cackorro domato par les Portugais, et booschratte ou rat de bois par les Hollandois. Marcgrave ne dit pas que ce soit un animal différent du carigueya ; il le donne au contraire pour le mäle du carigueya (pedes et disitos habet ut ERA EN RARE LONGER ET DU SARIGUE. 167 femella jam descripta). paroît clairement qu’au Paraguai on appeloit le sarigue mâle et femelle aiibi, et qu’au Bresil on donnoit ce nom de facibi au seul mâle, et celui de .Cariguèya à la femelle. D'ailleurs les diffé- xences entre ces deux animaux, telles qu’elles sont indiquées par leurs descriptions , sont trop lésères pour fonder sur ces dissem-— blances deux especes différentes ; la plus sen- sible est celle de la couleur du poil, qui dans le carigueya ést jaune et brune , au tieu qu’elle est grise dans le taiibi, dont les poils sont blancs en dessous, et bruns ou noirs à. leur extrémité. Îl est donc plus que pro- bable que le taiibi est en effet le mâle du sarigue. M. Ray paroît être de cette opinion, lorsqu'il dit, en parlant du carigueya et du taiibi : 47 specie, an sexu tanitüum, à prœce- denti diversum? Cependant, malgré l'autorité de Marcograve et le doute très-raisonnable de Ray, Seba donne ( planche XXXVI, n° 4) la figure d’un animal femelle auquel il applique , sans aucun garant , le nom de taiibi ; et il dit en même temps que ce taiibi est le même animal que le /aquatzin de Hernandès : c’est ajouter la méprise à l’er- {: te 4 NA { 162 HISTOIRE NATURELLE reur; car, de l’aveu mème de Séba,, SO taiibi, nu est femelle, n’a point de poche sous le ventre; et il suffisoit de lire Hernan- “dès pour voir qu’il donne à son tlaquatzin | cette poche comme un principal caractère. Le taiibi de Seba ne peut donc être le tla- quatzin de Hernandès , puisqu'il n’a point de poche, ni le taubi de Marcgrave, puis- qu’il est femelle ; c’est certainement un autre ! animal , assez mal dessiné et encore plus mal décrit, auquel Seba s’est avisé de donner le nom de faiibi, et qu'il rapporte mal-à-propos au tlaquatzin de Hernandes, qui, comme nous l'avons dit, est le même que notre sarigue. MM. Brisson et Linnæus ont, au sujet du taiibi, suivi à la lettre ce qu'en a dit Seba ; ils ont copié jusqu’à son erreur sur le tlaquatzin de Hernandès, et ils ont tous deux fait une espèce fort équivoque de cet animal ; le premier sous le nom de pzi/andre du Bresil, n° 4, et le second sous celui de philander, n° 2. Le vrai taiibi, c’est-à-dire, le taiibi de Marcgrave et de Ray, n'est donc point le tañibi de Seba, ni le philander de M. Linnæus, ni le philandre du Bresil de M. Brisson, et ceux-ci ne sont point le tla- DU SARITGUE. 163 quatzin de Hernandès. Ce taiibi de Seba (sup- posé qu’il existe) est un animal différent de tous ceux qui avoient été indiqués par les auteurs précedens : il auroit fallu lui donner un nom particulier, et ne le pas confondre, par une dénomination équivoque , avec le tauibr de Marcgrave, qui n’a rien de com- mun avec lui. Au reste, comme le sarigue _näle n’a point de poche sous le ventre, et qu'il diffère de la femelle par ce caractère si remarquable, il n’est pas étonnant qu’on leur ait donné à chacun un nom, et qu’on ait appelé la femelle carigzeya, et le mâle facibr. Edward Tyson, comme nous l’avons déja dit, a décrit et disséqué le sarigue femelle avec soin, dans l'individu qui lui a servi de sujet. La tête avoit six pouces, le corps treize, et la queue douze de longueur; les jambes de devant six pouces *, et celles de derrière quatre et demi de hauteur ; le corps, quinze * Cette manière de mesurer les jambes n’est pas exacie. Tyson reconnoît lui-même que dans le squelette les os des jambes de devant étoient plus courts que ceux des jambes de derrière ; et Marc- grave, dans sa description, dit aussi que les jambes de devant étoient plus courtes que celles de der- 164 HISTOIRE NATURELLE à seize pouces de circonférence ; la queue, trois pouces de tour à son origine, et un pouce seulement vers l'extrémité ; la tête ; trois pouces de largeur entre Les deux oreilles, allant toujours en diminuant jusqu’au nez; elle est plus ressemblante à celle d’un cochon de lait qu'à celle d’un renard : les orbites des yeux sont très-inclinées dans la direction des oreilles au nez; les oreilles sont arrondies et longues d'environ un pouce et demi; l’ou- verture de la gueule est de deux pouces et demi, en la mesurant depuis l’un des angles de la lèvre jusqu’à l'extrémité du museau ; la langue est assez étroite, et longue de trois pouces, rude et hérissée de petites papilles tournées en arrière. Il y a cinq doigts aux pieds de devant, tous les cinq armés d'ongles crochus; autant de doigts aux pieds de der= rière , dont quatre seulement sont armés d'ongles, et le cinquième, qui est le pouce, rière : ces différences ne proviennent que de la dif- férente manière de les mesurer, et c’est par. cette raison que dans nos descriptions nous ne donnons pas les mesures des jambes en bloc, et que nous détaillons celles de chacune des parties qui com- posent la jambe. ETUI SARIGUE..) 168 est séparé des autres; il est aussi placé plus bas et n’a point d’ongle : tous ces doigts sont sans poil et recouverts d’une peau rougeäâtre ; ils ont près d’un pouce de longueur; la paume des mains et des pieds est large, et il y a des callosités chärnues sous tous les doigts. La queue n’est couverte de poil qu’à son origine jusqu'à deux ou trois pouces de longueur , après quoi c’est une peau écail- leuse et lisse dont elle est revêtue jusqu’à l'extrémité : ces écailles sont blanchâtres, à peu près hexagones et placées régulièrement, en sorte qu’elles n’anticipent pas les unes sur les autres; elles sont toutes séparées et envi. ronnées d’une petite aire de peau plus brune que l’écaille. Les oreilles, comme les pieds et _ la queue, sont sans poil; elles sont si minces, qu’on ne peut pas dire qu’elles soient carti- . lagineuses; elles sont simplement membra- neuses comme les ailes des chauve-souris : elles sont très-ouvertes, et Le conduit auditif paroïit fort large. La mâchoire du dessus est un peu plus alongée que celle du dessous; les marines sont-larges ; les yeux petits, noirs, vifs et proéminens; le cou court, la poitrine Jarge , la moustache comme celle du chat. Le f EEE OT SENS 166 HISTOIRE NATURELLE poil du devant de la tête est plus blanc et plus court que celui du corps; il est d’un _ gris cendré, mêle de quelques petites houppes de poil noir et blanchätre sur le dos et sur les côtés, plus brun sur le ventre, et encore plus foncé sur les jambes. Sous le ventre de la femelle est une fente qui a deux ou trois pouces de longueur; cette fente est formée par deux peaux qui composent une poche velue à l'extérieur et moins garnie de poil à l’intérieur ; cette poche renferme les ma- melles : les petits nouveau-nés y entrent pour les sucer, et prennent si bien l’habi- ni 24 { tude de s’y cacher, qu’ils s’y réfugient, quoi- … que déja grands, lorsqu'ils sont épouvantés. Cette poche a du mouvement et du jeu; elle s'ouvre et se referme à la volonté de l’ani- mal. La mécanique de ce mouvement s’exé- cute par le moyen de plusieurs muscles et de deux os qui n'appartiennent qu'à cette espèce . d'animal : ces deux os sont placés au-devant des os pubis, auxquels ils sont attachés par la base ; ils ont environ deux pouces de longueur , et vont toujours en diminuant un peu de grosseur depuis la base jusqu'à l’ex- trémité ; ils soutiennent les muscles qui font { MAUR AR DGUIES (EN rés ouvtir la poche et leur servent de point d’ap- pui : les antagonistes de ces muscles servent à la resserrer et à la fermer si exactement, que dans l'animal vivant l’on ne peut voir l'ouverture qu’en la dilatant de force avec les doigts. L'intérieur de cette poche est parsemé de glandes qui fournissent une substance jau- nâtre d’une si mauvaise odeur , qu’elle se communique à tout le corps de l'animal : cependant, lorsqu'on laisse sécher cette ma- tière, non seulement elle perd son odeur désagréable , mais elle acquiert du parfum qu'on peut comparer à celui du musc. Cette poche n’est pas, comme l’ont avancé fausse- ment Marcgrave et Pison, le lieu dans lequel les petits sont conçus; le sarigue femelle a une matrice à l’intérieur , différente , à la _ vérité, de celle des autres animaux, mais dans laquelle les petits sont conçus et portés jusqu’au moment de leur naissance. T'yson prétend que dans cet animal il y a deux ma- trices , deux vagins , quatre cornes de ma- trice, quatre trompes de Fallope, et quatre ovaires. M. Daubenton n'est pas d'accord avec Tyson sur tous ces faits; mais en comparant. sa description avec celle de Tyson, on verra + * LA 7 | k Was \® : 9 À - à ' APTt 4 TE : 2 92 EM oi U Us { LS à L bre PAL Ve rh : D û > \ LZ | aus 168 HISTOIRE NATURELLE qu’il est au moins très-certain que dans les Ù organes de la génération des sariguesilya ; plusieurs parties doubles qui sont simples dans les autres animaux. Le gland dela verge du mäle et celui du clitoris de la femelle sont fourchus et paroissent doubles. Le vagin; qui est simple à l'entrée, se partage ensuite … en deux canaux , etc. Cette conformation est en général très — singuliére, et différente de celle de tous les autres animaux quadru ne Le sarigue est uniquement originaire des, contrées méridionales du nouveau monde; il paroît seulement qu'il n'affecte pas aussi constamment que le tatou les climats les plus chauds : on le trouve non seulement au Bresil, à la Guiane, au Mexique, mais aussi à la Floride, en Virginie, et dans les autres régions tempérées de ce continent. Il est par- tout assez commun, parce qu'il produit sou- vent et en grand nombre; la plupart des au teurs disent quatre ou cinq petits, d’autres: six où sept: Marcgrave assure avoir vu six petits vivans dans la poche d’une femelle ;- ces petits avoient environ deux pouces de lonsueur ; ils étoient deja fort agiles; ils % DU SARIGUE. 169 sortoient de la poche et y rentroient plu- sieurs fois par jour. Ils sont bien plus petits lorsqu'ils naissent : certains voyageurs disent qu'ils ne sont pas plus gros que des mouches au moment de leur naissance, c’est-à-dire, quand ils sortent de la matrice pour entrer dans la poche et s'attacher aux mamelles. Ce fait n’est pas aussi exagéré qu’on pour- roit l’imaginer ; car nous avons vu nous- mêmes , dans un animal dont l’espèce est voisine de celle du a des petits atta- chés à la mamelle qui n’étoient pas plus gros que des féves ; et l’on peut présumer , avec beaucoup de vraisemblance , que dans ces animaux la matrice n’est, pour ainsi diré, que le lieu de la conception, de la formation et du premier développement du fœtus, dont lexclusion étant plus précoce que dans les autres quadrupèdes, l'accroissement s’achève dans la bourse, où ils entrent au moment de leur naissance prématurée. Personne n’a observé.la durée de la gestation de ces ani- maux, que nous présumons être beaucoup ‘plus courte que dans les autres; et comme c’est un exemple singulier dans la nature que cette exclusion précoce, nous exhortons ceux 15 159 HISTOIRE NATURELLE. qui sont à portée de voir des sarigues Vivans dans leur pays natal , de tâcher de savoir combien les femelles portent de temps, et combien de temps encore après la naissance les petits restent attachés à la mamelle avant RME MR à , que de s’en séparer. Cette observation, cu- rieuse par elle-même, pourroit devenir utile, en nous indiquant peut-être quelque moyen de conserver la vie aux enfans venus avant le terme. | | ; Les petits sarigues restent donc attachés et comme collés aux mamelles de la mère pen- dant le premier âge, et jusqu’à ce qu’ils aient pris assez de force et d’accroissement pour se mouvoir aisément. Ce fait n’est pas douteux ; il n’est pas même particulier à cette seule espèce, puisque nous avons vu, comme . je viens de le dire, des petits ainsi attachés aux mamelles dans une autre espèce , que . nous appellerons la #72armose, et de laquelle nous parlerons bientôt. Or cette femelle mar- mose n’a pas, comme la femelle sarigue , une poche sous le ventre où les petits puissent se cacher : ce n’est donc pas de la commo- dité ou du secours que la poche prête aux petits que dépend uniquement l’eflet de la DU SARIGUE. 175 longue adhérence aux mamelles, non plus que celui de leur accroissement dans cette situation immobile. Je fais cette remarque afin de prévenir les conjectures que l’on pourroit faire sur l’usage de la poche, en la regardant comme une seconde matrice, ou tout au moins comme un abri absolument nécessaire à ces petits prématurément nes. Il y a des auteurs qui prétenc'ent qu'ils restent collés à la mamelle plusieurs semaines de suite ; d'autres disent qu’ils ne demeurent dans la poche que pendant le premier mois de leur âge. On peut aisément ouvrir cette poche de la mère, regarder, compter et même toucher les petits sans les incommo- der ; ils ne quittent la tétine, qu’ils tiennent avec la gueule, que quand ils ont assez de force pour marcher; ils se laissent alors tom ber dans la poche, et sortent ensuite pour se promener et pour chercher leur subsistance; ils y entrent souvent pour dormir , pour _téter, et aussi pour se cacher lorsqu'ils sont épouvantés : la mère fuit alors et les em- porte tous : elle ne paroït jamais avoir plus de ventre que quand il y a long-temps qu’elle a mis bas et que ses petits sont déja grands ; 172 HISTOIRE NATURELLE ÿ car, dans le temps de la vraie gestation, où — s’apperçoit peu qu’elle soit pleine. NT - À la seule inspection de la forme des pieds de cetanimal, il est aisé de juger qu’il marche mal et qu’il court lentement; aussi dit-on D qu’un homme peut l’attraper sans mêmepré- cipiter son pas. En revanche, il grimpe sur les arbres avec une extrème facilité ; il se cache dans le feuillage pour attraper des oi- seaux, ou bien il se suspend par la queue, dont l’extrémité est musculeuse et flexible comme une main, en sorte quil peut serrer et mème environner de plus d’un tour les corps qu’il saisit : il reste quelquefois long- temps dans cette situation sans mouvement, le corps suspendu, la tête en bas; il épie et attend le petit gibier au passage : d’autres fois il se balance pour sauter d’un arbre à un autre, à peu près comme les singes à queue prenante, auxquels il ressemble aussi pour la conformation des pieds. Quoique carnas- sier, et même avide de sang qu’il se plaît à sucer, il mange assez de tout, des reptiles, des insectes , des cannes de sucre, des patates, des racines, et méme des feuilles et des écorces. Qn peut le nourrir comme un animal domes- fr DU SARIGUE. 153 tique; il n’est ni féroce ni farouche, et on l’apprivoise aisément : mais il dégoûte par sa mauvaise odeur, qui est plus forte que celle du renard, et il déplait aussi par sa vilaine figure; car, indépendamment de ses oreilles de chouette, de sa queue de serpent, et de sa gueule fendue jusqu’auprès des yeux , som corps paroît toujours sale, parce que le poil, qui n’est ni lisse ni frisé, est terne et semble être couvert de boue. Sa mauvaise odeur ré— side dans la peau, car sa chair n’est pas mau- vaise à manger; c'est même un des animaux que les sauvages chassent de “préférence, et duquel ils se nourrissent le plus volontiers. # | 49: LA MARMOSE L'ssPèce de la marmose paroit être voi sine de celle du sarigue; elles sont dumême climat dans le même continent; et ces deux animaux se ressemblent par la forme du corps, par la conformation des pieds , par la queue prenante, qui est couverte d’écailles dans la plus grande partie de sa longueur , et n’est revêtue de poil qu’à son origine; par l’ordre des dents ?, qui sont en plus grand nombre que dans les autres quadrupèdes. Mais la marmose est bien plus petite que le sarigue; elle a le museau encore plus pointu : ? Marmosa , nom que les Brasiliens donnent à cet animal, selon Seba, et que nous avons adopté. Les nègres de nosiles appellent le sarigue manicou, et la marmose, qui est plus as que.le sarigue, ral MmaAnICOtUs 2 Les dents, dans le sarigue et la marmose, sont au nombre de cinquante. ( Voyez, au tome XXI de l'édition avec la partie anatomique, la description de ces deux animaux.) { 1 RSS VOTE) À À Lu à | | A LA MARMOSE MALE. LA MARMOSE FEMELLE, FU JS Panquir .p. / HISTOIRE NATURELLE. 195 la femelle n’a pas de poche sous le ventre comme celle du sarigue; il y a seulement deux plis longitudinaux près des cuisses entre lesquels les petits se placent pour s'attacher aux mamelles. Les parties de la génération, tant du mâle que de la femelle marmoses, ressemblent , par la forme et par la position, à celles du sarigue : le gland de la verge du mâle est fourchu comme celui du sarigue ; il est placé dans l'anus; et cet orifice, dans la femelle, paroît être aussi l’orifice de la vulve. La naissance des petits semble être encore plus précoce dans l'espèce de la marmose que dans celle du sarigue : ils sont à peine aussi gros que de petites féves lorsqu'ils naissent et qu'ils vont sattacher aux mamelles; les portées sont aussi plus nombreuses. Nous avons vu dix petites marmoses, chacune atta- chée à un mamelon, et il y avoit encore sur le ventre de la mère quatre mamelons va- cans’, en sorte qu'elle avoit en tout quatorze mamelles. C’est principalement sur les fe— melles de cette espèce qu’il faudroit faire les observations que nous avons indiquées dans l’article précédent : je suis persuadé que ces animaux mettent bas peu de jours aprés la We ST EC TAC: 176 HIS TOIRE NATURELLE, conception , et que les petits, au moment de l'exclusion , ne sont encore que des fœtus ; qui, même comme fœtus, n’ont pas pris le quart de leur accroissement. L'accouchement de la mère est toujours une fausse-couche très-prématurée, et les fœtus ne sauvent leur vie naissante qu’en s’attachant aux mamelles sans jamais les quitter, jusqu’à ce qu’ils aient acquis le même degré d’accroissement et de force qu’ils auroient pris naturellement dans la matrice, si l'exclusion n’eût pas été pré- maturée. . La marmose a les mêmes inclinations et les mêmes mœurs que le sarigue : tous deux se creusent des terriers pour se réfugier ; tous deux s’accrochent aux branches des arbres par l’extrémité de leur queue, et s’élancent de là sur Les oiseaux et sur les petits animaux : ils mangent aussi des fruits, des graines et des racines ; mais ils sont encore plus friands de poisson et d’écrevisse, qu’ils pêchent, dit- on, avec leur queue. Ce fait est très-douteux, et s'accorde fort mal avec la stupidité natu-— relle qu’on reproche à ces animaux, qui, selon le témoignage de la plupart des voya geurs, ne savent ni se Mouyoir à Propos, ni fuir, ni se défendre. + "op Fe \ j ti x Fe ni 44 nd en 4 Sn Le ut ER PAT he me ui Fr LE CAYOPOLLIN *. L> premier auteur qui ait parlé de cet ani- mal est Fernandès. Le cayopollin, dit:l, est un petit animal un peu plus grand qu’un at, ressemblant au sarigue par le museau, les oreilles, et la queue, qui est plus épaisse et plus forte que celle d’un rat, et de laquelle 1l se sert comme d’une main. Il a Les oreilles minces et diaphanes; le ventre, les jambes et les pieds, blancs. Les petits, lorsqu'ils ont peur, tiennent la mère embrassée; elle les élève sur les arbres. Cette espèce s’est trouvée dans les montagnes de la FOUCUE Espagne. Nieremberg a copié mot à mot ces indica— tions de Fernandès , et n’y a rien ajouté. Seba, qui le premier a fait dessiner et gra- vér cet animal, n’en donne aucune descrip- tion ; il dit seulement qu’il a la tête un peu plus épaisse et la queue un tant soit peu : plus grosse que la marmose, et que quoiqu'il * Ou Æayopollin. 378 HISTOIRE NATURELLE soit du même genre, il est cependant d’un autre climat, et même d’un autre continent ; et il se contente de renvoyer à Nieremberg | MRC _€t à Jonston pour ce qu'on peut desirer de plus au sujet de cêt animal : mais il paroîït évidemment que Nieremberg et Jonston ne l'ont jamais vu, et qu’ils n’en parlent que d’après Fernandès. Aucun de ces trois au— teurs n’a dit qu’il fût originaire d'Afrique; ils le donnent , au contraire, comme naturel et particulier aux montagnes des climats . chauds de l'Amérique; et c’est Seba seul qui, sans autorité ni garans, a prétendu qu'il étoit africain. Celui que nqus avons vu ve- noit certainement d'Amérique; il étoit plus grand et il avoit le museau moins pomtu et la queue plus longue que la marmose; en tout 1l nous a paru approcher encore plus que la marmose de l’espèce du sarigue. Ces trois animaux se ressemblent beaucoup par la conformation des parties intérieures et extérieures, par les os surnuméraires du bas- sin, par la forme des pieds, par la naissance prématurée, la longue et continuelle adhe- rence des petits aux mamelles, et enfin par Jes autres habitudes de nature : ils sont aussi IDU'CAYOPOLLIN. 179 tous trois du nouveau monde et du même climat: on ne les trouve point dans les pays froids de l'Amérique ; ils sont naturels aux contrées méridionales de ce continent, et peuvent vivre dans les régions tempérées. Au reste, ce sont tous des animaux très-laids ; leur gueule fendue comme celle d’un bro- chet, leurs oreilles de chauve-souris, leur queue de couleuvre et leurs pieds de singe, présentent une forme bizarre, qui devient encore plus désagréable parla mauvaise odeur qu’ils exhalent, et par la lenteur et la stupi- dité dont leurs actions et tous leurs mouve-: mens paroissent accompagnés. { \ x ‘s \ L'ÉLÉPHANT. L:: LÉPHANT est, si nous voulons ne nous pas compter, l’être le plus considérable de ce monde; il surpasse tous les animaux ter- : restres en grandeur, et 1l approche de l'homme par l'intelligence, autant au moins que la matière peut approcher de l'esprit. L'éléphant, le chien, le castor et le singe, sont, de tous les êtres animés, ceux dont | l'instinct est le plus admirable : mais cet ins- tinct, qui n’est que le produit de toutes les facultés tant intérieures qu’extérieures de l'animal, se manifeste par des résultats bien différens dans chacune de ces espèces. Le chien est naturellement, eÿ lorsqu'il'est livré * En Jann, eléphantus, Barrus ; en italien, lec- phante; en espagnol, elephante ; en allemand, helphant ; en anglois, elephant. On appeloit au- trefois l'éléphant £arre aux Indes onentales; et c'est vraisemmblablement de ce mot qu’est dérivé le nom /arrus, que les Latins ont ensuite donné à l'éléphant. Ton 4 . ; Pl2o lag 180. + Le | DO RU. AN UURN L'ELÉPHANT. Î Fugue de : CAP va | HISTOIRE NATURELLE. 18 à lui seul, aussi cruel, aussi sanguinaire, que le loup; seulement il s’est trouvé dans cette nature féroce un point flexible, sur le- quel nous avons appuyé: le naturel du chien ne diffère douc de celui des autres animaux de proie que par ce point sensible, qui le rend susceptible d'affection et capable d’at- tachement : c’est de la nature qu'il tient le germe de ce sentiment , que l’homme en- suite à cultivé, nourri, développé par une ancienne et constante société avec cet ani- mal, qui seul en étoit UE qui, plus sus- ceptüble, plus capable qu'un autre des im— pressions étrangères, a perfectionné dans le commerce toutes ses facultés relatives. Sa sensibilité, sa docilité, son courage, ses ta- lens, tout, jusqu’à ses manières, s'est mo- difié par l'exemple, et modelé sur les qua- lités de son maître : l’on ne doit donc pas lui accorder en propre tout ce qu'il paroît avoir ; ses qualites les plus relevées, Les plus frappantes, sont empruntées de nous: il a plus d'acquis que les autres animaux, parce qu’il est plus à portée d'acquérir; que loin d'avoir comme eux de la répugnance pour l'homme, il a pour lui du penchant; que Quadrupèdes, LV. | 16 D EN 189 HISTOIRE NATURELLE. | ce sentiment doux, qui n’est jamais muet, s'est annoncé par l'envie de plaire, et a pro- duit la docilité , la fidélité, la soumission constante, et en même temps Le degré d’at- tention nécessaire pour agir en conséquence et toujours obéir à propos. | Le singe, au contraire, est indocile autant qu'extravagant; sa nature est en tout point également revêche : nulle sensibilité rela- tive, nulle reconnoissance des bons traite mens , nulle mémoire des bienfaits ; de l’éloi- gnement pour la société de l'homme , de l'horreur pour la contrainte, du penchant à toute espèce de mal, ou, pour mieux dire, une forte propension à faire tout ce qui peut nuire où déplaire. Mais ces défauts réels sont | compensés par des perfections apparentes = il est extérieurement conformé comme l'homme ; il a des bras, des mains, des doigts ; l’usage seul de ces parties le rend supérieur pour l'adresse aux autres animaux, et les rapports qu’elles lui donnent ayecuous par la similitude des mouvemens et par la conformité des actions, nous plaisent , nous déçoivent, et nous fout attribuer à des qua- lités intérieures ce qui ne dépend que de la forine des membres. te (DE L'ÉLÉPHANT. " 1683 Le castor, qui paroît être fort au-dessous du chien et du singe par les facultés indivi- duelles, a cependant reçu de la nature un don presque équivalent à celui de la parole: il se fait entendre à ceux de son espèce, et si bien entendre, qu'ils se réunissent en société, qu'ils agissent de concert, qu’ils entre- prennent et exécutent de grands et longs travaux en commun; et cet amour social, aussi-bien que le produit de leur intellisence réciproque, ont plus de droit à notre admi- ration que l’adresse du singe et la fidélité du à } chien. : Le chien n’a donc que de l'esprit (qu’on me permette, faute de termes, de profaner ce nom }); le chien, dis-je, n’a donc que de l'esprit d'emprunt, le singe n’en a que l’ap- parence, et le castor n’a du sens que pour lui seul et les siens. L’éléphant leur est supé- rieur à tous trois ; il réunit leurs qualités les plus éminentes. La main est le principal or- gane de l'adresse du singe ; l'éléphant, au moyen de sa trompe, qui lui sert de bras et de main, et avec laquelle il peut enlever et saisir les plus petites choses comme les plus grandes, les porter à sa bouche, les poser sur 184 HISTOIRE N A TURELLE son dos, les tenir embrassées, ou les lancer au loin, a donc le même moyen d’adresse que le singe ; et en même temps il a la doci- lité du chien; il est, comme lui, susceptible de reconnoissance, et capable d’un fort atta- chement : il s'accoutume aisément à l’homme, se soumet moins par la force que par les bons traitemens ; le sert avec zèle, avec fidélité, avec intelligence ; etc. Enfin l'elephant, comme le castor, aime la société de ses sem— blables ; il s’en fait entendre: on les voit sou- vent se rassembler, se disperser , agir de con- cert; et s'ils n’édifient rien , s'ils ne tra- vaillent point en commun, ce n’est peut-être que faute d’assez d'espace et de tranquillité ; car les hommes se sont très-anciennement multipliés dans toutes les terres qu'habite l'éléphant : il vit donc dans l'inquiétude, et n’est nulle part paisible possesseur d’un es- pace assez grand , assez libre, pour s’y établir à demeure. Nous avons vu qu’il faut toutes ces conditions et tous ces avantages pour. que les talens du castor se manifestent , et que par-tout où les hommes se sont habitués, il perd son industrie et cesse d’édifier. Cha- : que être dans la nature a sou prix réel et sa | DE L’ÉLÉPHANT. 185 valeur relative : si l’on veut juger au juste de l'un et de l’autre dans l'éléphant, il faut lui accorder au moins l'intelligence du castor, l'adresse du singe, le sentiment du chien, et y ajouter ensuite les avantages particu- liers, uniques, de la force, de la grandeur et de la longue durée de la vie; il ne faut pas oublier ses armes ou ses défenses, avec les- quelles il peut percer et vaincre le lion : 4l faut se représenter que sous ses pas il ébranle la terre, que de sa main il arrache les arbres, que d’un coup de son corps il fait brèche dans un mur; que terrible par sa force, il est encore invincible par la seule résistance de sa masse, par l'épaisseur du cuir qui la couvre; qu'il peut porter sur son dos une tour armée en guerre et chargée de plusieurs hommes; que seul il fait mouvoir des ma- chines et transporte des fardeaux que six chevaux ne pourroient remuer; qu'à cette force prodigieuse il joint encore le courage, la prudence, le sang-froid, l'obéissance exacte; qu’il conserve de la modération, même dans ses passions les plus vives; qu'il est plus constant qu'impétueux en amour; que dans Ja colère il ne méconnoit pas ses 16 | 1 f ARS TES AR DL NATURE PURES 186 HISTOIRE NATURELLE NA amis; qu’il n’attaque jamais que ceux Hi 0 l'ont offensé; qu’il se souvient des bienfaits aussi long-temps que des injures ; que n'ayant nul goût pour la Chair et ne se nourrissant que de végétaux, il n’est pas ne l'ennemi des autres animaux ; qu’enfin il est aimé de tous, puisque tous le respectent et n’ont nulle raison de le craindre. Aussi les hommes ont-ils eu dans tous les temps pour ce grand, pour ce premier ani- mal, une espèce de vénération. Les anciens le regardoient comme un prodige, un mi- racle de la nature (et c’est en effet son der- nier effort); ils ont beaucoup exagéré ses facultés naturelles; ils lui ont attribué sans hésiter des qualités intellectuelles et des ver tus morales. Pline, Elien , Solin, Plutarque, et d’autres auteurs plus modernes, n'ont pas craint de donner à ces animaux des mœurs raisonnées, une religion naturelle et innée, l’observance d’un culte, l’adoration quoti- dienhe du soleil et de la lune , l’usage de l'ablution avant l’adoration, l'esprit de di-. vination , la piété envers le ciel et pour leurs semblables, qu’ils assistent à la mort, êt qu'après leur décès ils arrosent de leurs / N, ji _ DE L’ÉLÉPHANT. :1@ larmes et recouvrent de terre, etc. Les In- diens, prévenus de l’idée de la métempsy- cose, sont encore persuades aujourd'hui qu'un corps aussi majestueux que celui de l’élé- phant ne peut être anime que par l'ame d’un grand homme ou d’un roi. On respecte à Siam, à Laos, à Pégu, etc. les éléphans blancs, comme les imänes vivans des empe- reurs de l'Inde; ils ont chaeun un palais, une maison composée d’un nombreux do- mestique, une vaisselle d’or, des mets choisis, des vêtemens magnifiques, et sont dispensés de tout travail , de toute obéissance ; l’empe- reur vivant est le seul devant lequel ils flé- chissent les zenoux, et ce salut leur estrendu par le monarque : cependant les attentions, les respects, les offrandes, les flattent sans les corrompre; ils n’ont donc pas une ame humaine; cela seul devroit suflire Do le démontrer aux Indiens. En écartant les fables dé la créduie anti- quité, en rejetant aussi les fictions puériles de la superstifign toujours subsistante , il reste encore assez à l'éléphant, aux yeux même du ‘philosophe, pour qu’il doive le regarder Comme un être de la première M | L 138 HISTOIRE NATURELLE | distinction ; il est digne d’être connu, d’être observé : nous tächerons donc d’en décrire l'histoire sans partialité, c’est-à-dire, sans admiration ni mépris; nous le considérerons d’abord dans son état de nature, lorsqu'il est indépendant et libre, et ensuite dans sa. condition de servitude ou de domesticité, où la volonté de son maître est en partie le mobile de la sienne. Dans l’état de sauvage, l'éléphant n’est ni sanguinaire ni féroce : il est d’un naturel _ doux, et jamais il ne fait abus de ses armes ou de sa force; il ne les emploie, il ne les exerce, que pour se défendre lui-même ou pour protéger ses semblables. Il a les mœurs sociales ; on Le voit rarement errant ou so- litaire. Il marche ordinairement de compa- guie : le plus ägé conduit la troupe; le se— cond d’äge la fait aller et marche le dernier; les jeunes et les foibles sont au milieu des autres; les mères portent leurs petits et les tiennent embrassés de leur trompe. Ils ne gardent cet ordre que dans les marches pé- rilleuses, lorsqu'ils vont paître sur des terres cultivées ; ils se promènent ou voyagent avec moins de précaution dans les forêts et | u DE L’ÉLÉPHANT.. 1% . dans les solitudes , sans cependant se séparer absolument ni mème s’écarter assez loin pour être hors de portée des secours et des aver- tissemens : il y en a néanmoins quelques uns qui s’égarent ou qui traînent après les autres, et ce sont les seuls que les chasseurs osent attaquer; car il faudroit une petite ar- mée pour assaillir la troupe entière, et l’on : ne pourroit la vaincre sans perdre beaucoup de monde : il seroit même dangereux de leur faire la moindre injure, ils vont droit à l’offenseur ; et quoique la masse de leur corps soit très-pesante, leur pas est si grand, qu'ils atteisnent aisément l’homme le plus léger à la course, ils le percent de leurs défenses, ou le saisissent avec la trompe, le lancent comme une pierre, et achèvent dé le tuer en le foulant aux pieds. Mais ce n’est que lorsqu'ils sont provoqués qu’ils font ainsi main-basse sur Les horames, ils ne font au- cun mal à ceux qui ne les cherchent pas : cependant, comme ils sont susceptibles et délicats sur le fait des injures, 1l est bon d'éviter leur rencontre, et les voyageurs qui fréquentent leur pays allüument de grands feux la nuit et battent de la caisse pour les { 76 nr” de \ PARUS F1 199 HISTOIRE | NÂTURBÉDE 1 Sd E empêcher d'approcher. On prétend que lors- k qu'ils ont une fois été attaqués par les hom=- | mes, ou qu'ils sont tombés dans quelque embüche, ils ne l’oublient jamais, et qu'ils cherchent à se venger en toute occasion. Comme ils ont l’odorat excellent et peut-être plus parfait qu'aucun des animaux, à cause de la grande étendue de leur nez, l’odeur de l’homme les frappe de très-loin; ils pour- X roient aisément le suivre à la piste. Les anciens ont écrit que les éléphans arrachent l’herbe des endroits où le chasseur a passe, et qu'ils se la donnent de main en main, pour que tous soient informés du passage et de la marche de l’ennemi. Ces animaux aiment le bord des fleuves, les profondes. vallées, les lieux ombragés et les terrains. humides; ils ne peuvent se passer d’eau et : Ja troublent avant que de la boife : ils en “remplissent souvent leur trompe, soit pour la porter à leur bouche, ou seulement pour se rafraichir le nez et s'amuser en la répan— dant à flot ou l’aspergeant à la ronde. Ils ne peuvent supporter le froid, et souffrent aussi de l’excès de la chaleur : car pour évi- ter la trop grande ardeur du soleil, ils DE L’ÉLÉPHANT. 19€ s’enfoncent autant qu'ils peuvent dans la profondeur des forêts les plus sombres; ils se mettent aussi assez souvent dans l’eau : le volume énorme de leur corps leur nuit moins qu'il ne leur aide à nager; ils en- foncent moins dans l’eau que les autres animaux; et d’ailleurs la longueur de leur trompe, qu’ils redressent en haut, et par la-. ‘quelle ils respirent, leur Ôôte toute crainte d'être submergés. Leurs alimens ordinaires sont des racines, des herbes, des feuilles et du bois tendre ; _ ils mangent aussi des fruits et des grains: mais ils dédaignent la chair et le poisson. Lorsque l’un d’entre eux trouve quelque part un pâturage abondant, il appelle les autres, et les invite à venir manger avec lui. Comme il leur faut une grande quantité de fourrage, ils changent souvent de lieu ; et lorsqu'ils arrivent à des terres ensemencées, ils y font un dégât prodigieux; leur corps étant d’un poids énorme, ils écachent et détruisent dix fois plus de plantes avec leurs pieds qu'ils n’en consomment pour leur nourriture, la- quelle peut monter à cent cinquante livres d'herbe par jour : n’arrivant jamais qu'en 1 0,71 ANNEE RAR 192 HISTOIRE NATURE LLE À di 19 nombre, ils dévastent donc une campagne | en une heure. Aussi les Indiens et les Në- ores cherchent tous les moyens de prévenir - leur visite et de les détourner , en faisant de srands bruits, de grands feux, autour de leurs terres cultivées; souvent, malgré ces pré= cautions, les éléphans viennent s’en empa- rer, en chassent le bétail domestique, font fuir les hommes, et quelquefois renversent de fond en comble leurs minces habitations. … IL est difficile de les épouvanter, et ils ne sont guère susceptibles de crainte; la seule chose qui les surprenne et puisse les arrêter, sont les feux d'artifice, les pétards qu’on leur | lance, et dont l’effet subit et promptement renouvelé les saisit et leur fait quelquefois rebrousser chemin. On vient très-rarement à bout de les séparer les uns des autres; car ordinairement ils prennent tous ensemble le même parti d'attaquer, de passer indifférem- ment ou de fuir. Lorsque les femelles entrent en chaleur, ce grand attachement pour la société cède à, un sentiment plus vif : la troupe se separe par couples quele desiravoit formés d'avance; ils se prennent par choix, se dérobent, et DE L’ÉLÉPHANT. 193 dans leur marche l'amour paroît les précéder et la pudeur Les suivre; car le mystère accom- pague leurs plaisirs. On ne les a jamais vus s’accoupler ; 1is craignent sur-tout les regards de leurs semblables , et connoissent peut-être mieux que nous cette volupté pure de jouir dans le silence , et de ne s'occuper que de l’objet aimé. Ils cherchent les bois les plus épais ; ils gagnent les solitudes les plus pro- fondes pour se livrer sans témoins, sans trouble et sans réserve, à tou tes les impul- sions de la nature : elles sont d'autant plus vives et plus durables, qu'elles sont plus rares et plus long-temps attendues. La fe- melle porte deux ans : lorsqu'elle est pleine, le mâle s’en abstient; et ce n'est qu’à la troi- sième année que renait la saison des amours. Ils ne produisent qu'un petit , lequel, au moment de sa naissance, a des dents, et est déja plus gros qu'un sanglier : cependant les défenses ne sont pas encore apparentes; elles commencent à percer peu de temps aprés, et a l’âge de six mois elles sont de quelques pouces de longueur : l’éléphant à six mois est déja plus gros qu'un bœuf, et Les défenses continuent de grandir et de croître jusqu’à nf 94 HISTOIRE NATURELLE l'âge avancé, pourvu que l’animal se porte bien et soit en liberté; car on w’imagine pas à quel point l'esclavage et les alimens ap- prêtés détériorent le tempérament et chan- gent les habitudes naturelles de l'éléphant. On vient à bout de le domter, de le sou=. mettre, de l’instruire: et comme il est plus fort et plus intelligent qu'un autre, il sert plus à propos, plus puissamment et plus utilement: mais apparemment le dégoût de sa situation lui reste au fond du cœur;:: car, quoiqu'il ressente de temps en temps les plus vives atteintes de l’amour, il ne produit ni ne s’accouple dans l’état de domesticité. Sa passion contrainte dégénère en fureur; ne pouvant se satisfaire sans témoins, il s’in- digne, il s’irrite, il devient insensé, violent, et l’on a besoin des chaînes les plus fortes ét d’entraves de toute espèce pour arrêter ses mouvemens et briser sa colère. Il diffère donc de tous les animaux domestiques que l'homme traite ou manie comme des êtres sans volonté; il n’est pas du nombre de ces esclaves nés que nous propageons, mutilons, ou multiplions pour notre utilité : ici l'in- dividu Lin est esclave, l'espèce demeurs { \ DE L'ÉLÉPHANT. 195 indépendante et refuse constamment dac- croître au profit du tyran. Cela seul suppose dans l'éléphant des sentimens élevés au- dessus de la nature commune des bètes : ressentir les ardeurs les plus vives et refuser en même temps de se satisfaire, entrer en fureur d'amour et conserver la pudeur, sont peut-être le dernier effort des vertus hu- maines, et ne sout dans ce majestueux ani- mal que des actes ordinaires , auxquels il n’a jamais manqué; l’indignation de ne pouvoir s’accoupler sans témoins, plus forte que la passion même, en suspend, en détruit les effets, excite en même temps la colère, et fait que dans ces momens il est plus dange- reux que tout autre animal indomté. Nous voudrions, s’il étoit possible, douter de ce fait; mais les naturalistes, les histo- riens , les voyageurs, assurent tous de con- cert que les éléphans n’ont jamais produit dans l’état de domesticité. Les rois des Indes en nourrissent en grand nombre; et après avoir inutilement tenté de les multiplier comme les autres animaux domestiques, ils ont pris le parti de séparer les mâles des emelles, afin de rendre moins fréquens les 2 à TEEN 196 HISTOIRE NATURELLE accès d’une chaleur stérile qu'accompagne là . fureur. Il n’y a donc aucun éléphant domes- tique qui n'ait été sauvage auparavant, ef | la manière de les prendre, de les domter, de les soumettre, mérite une attention par- ticulière. Au milieu des forêts et dans un lieu voisin de ceux qu'ils fréquentent , on choisit un espace qu’on environne d’une forte palissade ; Les plus gros arbres de la forêt servent de pieux principaux, contre lesquels on attache des traverses de charpente qui soutiennent les autres pieux : cette palissade est faite à claire-voie, en sorte qu'un homme peut y-passer aisément ; on y laisse une autre grande ouverture, par laquelle l'éléphant peut entrer, et cette baie est surmontée d’une trape suspendue, ou bien elle reçoit une bar- rière qu'on ferme derrière lui. Pour l’attirer jusque dans cette enceinte, il faut l'aller chercher : on conduit une femelle en chaleur et privée dans la forêt; et lorsqu'on imagine être à portée de la faire entendre, son gou- verneur l’oblige à faire le cri d'amour; le mâle sauvage y répond à l'instant, et se met en marche pour la joindre : on la fait mar- cher ellemême, en lui faisant de temps en LL ” 4 4 LEA LL AU TR. 4 halo 7 AMEN - ©: a Pt AU: DO UL É LÉ P'HIA NT. : r99 | temps répéter |’ appel; elle arrive la première àal enceinte, où le male, la suivant à la piste, entre par la même porte : dès qu’il se voit enfermé, son ardeur s’evanouit; et Lorsque) apperçoil les chasseurs, elle se change en fu- reur : ou lui jette des cordes à nœuds coulans pour l'arrêter, on lui met des entraves aux jambes et à la trompe, on amène deux ou trois éléphans privés et conduits par des ‘hommes adroits, on essaie de les attacher avec l'éléphant sauvage; enfin l’on vient à bout, par adresse, par force, par tourment et par caresse, de Le domter en peu de jours. Je n’entrerai pas à cet égard dans un plus grand détail, et je me coutenterai de citer les voyageurs qui ont été témoins oculaires de la chasse des éléphans * : elle est diffé- rente suivant les différens pays, et suivant la puissance et les facultés de ceux qui leur font la guerre; car au lieu de construire, * Premicr Voyage du P. Tachard, pages 208 et 340. — Second 4 oyage du P. Tachent pages 352 el 553. — 1°” Afrique de Marmol ; pra 1667; tome I, page 58, — Relation d’un Foyage, “par Thévenot; Paris, 1664; tome III, page r3r. — Divers Mémoires touchant les Indes orien- 17 ( ; # AU d PE PTT TTR 19 HISTOIRE NATURELLE ki comme les rois de Siam, des murailles, des terrasses, ou de faire des palissades, des | parcs et de vastes enceintes, les pauvres Nè- gres se contentent des piéges Les plus simples, eñ creusant sur leur passage des fosses assez profondes pour qu’ils ne puissent ( en sortir lorsqu'ils y sont tombés. L’éléphant une fois domté devient le plus doux , le plus obeissant de tous Les animaux ; il s'attache à celui qui le soigne, il le ca- resse, le prévient, et semble deviner tout ce qui peut lui plaire : en peu de témps il vient à comprendre les signes et même à entendre l'expression des sons ; il distingue le ton. impératif, celui de la colère ou de la satis- faction, et il agit en conséquence. Il ne se trompe point à la parole de son maître; il recoit ses ordres avec attention, les execute avec prudence , avec empressement , sans précipitation : car ses mouvemens sont tou- jours mesurés, et son caractère paroît Lenir tales , premier discours ; tome IT, page 257. — Recueil des Voyages de la compagnie des Indes; Amsterdam, tort. — Woyage d'Orient , du P. Philippe de la très- sainte Tranté; Lyon, 16693 page 36. ÿ \ DE L’'ÉLÉPHANT. 10y de la gravité de sa masse. On lui apprend aisément à fléchir les genoux pour donner plus de facilité à ceux qui veulent le monter; il caresse ses amis avec sa trompe, en salue = les gens qu'on lui fait remarquer; il s’en sert pour enlever des fardeaux, et aide lui- même à se charger. IL se laisse vêtir, et semble prendre plaisir à se voir couvert de harnois dorées et de housses brillantes. On V’attelle, on l’attache par des traits à des chariots *, des charrues, des nie © , des ca- bestans ; il tire real continäüinent et Sans se rebuter, pourvu qu’on ne l’insulte pas par des coups donnés mal-à-propos, et qu'on ait l'air de lui savoir gré de la bonne vo- lonté avec laquelle il emploie ses forces. Ce- lui qui le conduit ordinairement est monté sur son cou, et se sert d'une verge de fer, dont l'extrémité fait le crochet, ou qui est armée d’un poinçon. avec lequel on le pique sur la tête, à côte des oreilles, pour l’avertir, le détourner ou le presser; mais souvent la parole suffit, sur-tout s’il a eu le temps de faire connoissance complète avec son cou- * Voyage d'Orient, du P. Philippe de la Lrès= sainte. Truuté ; Lyon, r661; page 267. (RATE 1% ul AA Rn | ie oo HISTOIRE NATURELLE ducteur, et de prendre en lui une entière confiance : son attachement devient quelque- fois si fort, si durable, et son affection si profonde, qu’il refuse ordinairement de ser- vir sous tout autre, et qu’on l’a quelquefois vu mourir de regret d'avoir, dans un accès de colère, tué son gouverneur. L'espèce de l'éléphant ne laisse pas d’être nombreuse , quoiqu'il ne produise qu’une fois et un seul petit tous les deux ou trois ans : plus la vie des animaux est courte, et plus leur production est nombreuse. Dans l’éléphant, la durée de la vie compense le petit nombre; et s’ilest vrai, comme on l'assure, qu’il vive deux siècles, et qu’il en- gendre jusqu'à cent vingt ans, chaque couple produit quarante petits dans cet espace de temps : d’ailleurs , n'ayant rien à craindre. des autres animaux, et les hommes même ne les prenant qu'avec beaucoup de peine, l’espèce se soutient et se trouve généralement répandue dans tous les pays méridionaux de l'Afrique et de l’Asie; il y en a beaucoup. à Ceylan, au Mogol, à Bengale, à Siam, à Pégu, et dans toutes les autres parties de l'Inde; il y en a aussi, et peut-être en plus | LE DE L’ÉLEPHANT.. 2or grand nombre, dans toutes les provinces de l'Afrique méridionale, à lVexceptlion de cer-— tains cautons qu'ils ont abandonnés, parce que l'homme s'en est absolument emparé. Ils sont fidèles à leur patrie et coustans pour leur climat : car, quoiqu’ils puissent vivre dans les régions tempérées, il ne paroit pas qu’ils aient jamais tenté de s’y établir, ni même d'y voyager; ils étoient jadis inconnus dans nos climats. Il ne paroît pas qu'Ho- - mère, qui parle de l’ivoire, connût l'animal qui le porte. Alexandre est le premier qui ait moutré l'éléphant à l'Europe; il fit pas- ser en Grèce ceux qu'il avoit conquis sur Porus, et ce furent peut-être les mêmes que. Pyrrhus, plusieurs années après, employa contre les Romains dans la guerre de ‘Fa- rente, et avec lesquels Curius vint triom- pher à Rome. Aunibal ensuite en amena d'Afrique, leur fit passer la Méditerranée, les Alpes, et les conduisit, pour ainsi dire, jusqu'aux portes de Rome. De temps immémorial les Indiens se sont servis d'éléphans à la guerre : chez ces na tions mal disciplinées, c'étoit la merlleure troupe de l'armée, et, tant que l'on n’a com« NET A REA EN FRE RUE où HISTOIRE NATURELLE Ai battu qu'avec le fer, celle qui décidoit ordi nairement du sort des-batailles. Cependant Von voit, par l’histoire, que les Grecs et les Romains s’accoutumèrent bientôt à ces ” monstres de guerre; ils ouvroient leurs rangs pour les laisser passer ; ils ne cherchoïent point à les blesser, mais lançoient tous leurs traits contre lesconducteurs, qui se pressoient de se rendre, et de calmer les éléphans dès qu'ils étoient séparés du reste de leurs troupes : et maintenant que le feu est devenu l’élé- ment de la guerre et le principal instrument de la mort, les éléphans, qui en craignent et le bruit et la flamme, seroient plus em— barrassans, plus dangereux, qu'utiles dans nos combats. Les rois des Indes font encore armer des éléphans en guerre, mais c’est plu- tôt pour la représentation que pour leffet : ils en tirent cependant l'utilité qu'on tire de tous les militaires, qui est d’asservir leurs semblables; ils s’en servent pour domter les éléphans sauvages. Le plus puissant des mo= narques de l'Inde n’a pas aujourd’hui deux cents éléphans de guerre; ils en ont beau-— coup d’autres pour le service et pour porter les grandes cages de treillage dans lesquelles by DE L’'ÉLÉPHANT. 203 ils font voyager leurs femmes : c’est une . monture très-sûüre, car l'éléphant ne bronche jamais; mais elle n’est pas douce, et il faut du temps pour s’accoutumer au mouvement brusque et au balancement continuel de son pas : la meilleure place est sur le cou; les secousses y sont moins dures que sur les épaules, le dos ou la croupe. Mais dès qu’il s’agit de quelque expédition de chasse ou de guerre, chaque éléphant est toujours monté de plusieurs hommes : le conducteur se met à califourchon sur le cou; les chasseurs ou les combattans sont assis ou debout sur les autres parties du corps. Dans les pays heureux où notre canon et nos arts meurtriers ne sont qu'imparfaite- ment connus, on combat encore avec des éléphans; à Cochin et dans le reste du Mala- bar on ne se sert point de chevaux, et tous ceux qui ne combattent pas à pied sont mon- tés sur des éléphans. Il en est à peu près de. même au Tonquin, à Siam, à Péou, où le roi et tous les grands seigneurs ne sont jamais montés que sur des éléphans : les jours de fète, ils sont précédés et suivis d’un nom- breux cortège de ces animaux pompeusement be 204 HISTOIRE NATURELLE a È Me LA UM le, { v% RUN LS y NOT" æ parés de plaques de métal brillantes, et cou- verts des plus riches étoffes. On environne ° ° , ÿ | ) : it à leur ivoire d’anneaux d’or et d'argent; on leur peint les oreilles et les joues, on les cou-. ronne de guiriandes , on leur attache des sonnettes : ils semblent se complaire à la parure ; et plus on leur met d’ornemeus, plus ils sont caressans et joyeux. Au reste, l'Inde méridionale est le seul pays où les éléphans soient policés à ce point:en Afriq ue, on sait à peine les domter. Les Asiatiques, très-anciennement civilisés, se sont fait une espèce d’art de l’éducation de l'éléphant, et l'ont instruit et modifié selon leurs mœurs. Mais de tous les Africains, les seuls Cartha-— ginois ont autrefois dressé des éléphans pour la guerre , parce que, dans le temps de la splendeur de leur république, ils étoient peut- être encore plus civilisés que les Orientaux. Aujourd'hui il ny a point d'éléphans sau— vages dans toute la partie de l’Afrique qui est en deçà du mont Atlas; il y en a même peu äu-delà de ces montagnes jusqu'au fleuve du Sénégal : mais il s'en trouve deja beau- coup au Sénégal même, en Guinée, au Congo, à la côte des Dents, au pays d’Ante, F (4 P \ LA # | DE L'ÉLÉPHANT. 205 d’Acra, de Benin, et dans toutes les autres terres du sud de l'Afrique, jusqu’à celles qui sont terminées par le cap de Bonne-Espé- _rance , à l'exception de quelques provinces irès-peuplées , telles que Fida, Ardra, etc. On en trouve de mème en Abissinie, en Ethiopie, en Nigritie, sur les côtes orientales de l’Afrique et dans l’intérieur des terres de toute ceite partie du monde. Il y en a aussi dans les grandes iles de l'Inde et de l'Afrique, comme à Madagascar, à Java, et jusques aux Philippines. Après avoir conféré les témoignages des historiens et des voyageurs, il nous a paru que les eléphans sont actuellement plus nom- -breux, plus fréquens en Afrique qu’en Asie; ils y sont aussi moins défians, moins sau— vages, moins retires dans les solitudes : il semble qu'ils connoissent l’impéritie et le peu de puissance des hommes auxquels ils ont affaire dans cette partie du monde; ils viennent tous les jours et sans aucune crainte jusqu'à leurs habitations :; ils traitent les Nègres avec cette indifférence naturelle et dedaigneuse qu'ils ont pour tous les ani- maux ; 1ls ne les regardent pas comme des 18 206 HISTOIRE PR êtres puissans , forts et HN mais comme une espèce cauteleuse, qui ne sait que dresser des embûches , qui n’ose les atta- quer en face, et qui ignore l’art de les ré- duire en servitude. C’est en effet par cet art, connu de tout temps des Orientaux, que ces animaux ont été réduits à un moindre nom=— bre : les éléphans sauvages, qu'ils rendent domestiques, deviennent par la captivité au- tant d'eunuques volontaires dans lesquels se tarit chaque jour la source des générations ; au lieu qu’en Afrique, où ils sont tous libres, | l'espèce se soutient, et pourroit même aug- menter en perdant davantage, parce que tous les individus travaillent constamment _ à sa réparation. Je ne vois pas qu’on puisse” attribuer à une autre cause cette difference de nombre dans l'espèce: car, en considérant les aûtres effets, il paroît que le climat de l'Inde méridionale et de l’Afrique orientale est la vraie patrie, le pays naturel et le sé- jour le plus convenable a l’eléphant ; il y est beaucoup plus grand, beaucoup plus fort qu'en Guinée et dans Haies les autres par- ties de l'Afrique occidentale. L'Inde méri— dionale et l'Afrique orientale sont donc les LE Ses 4 2 / DE L'ÉLÉPHANT. 207 contrées dont la terre et le ciel lui con- viennent le mieux: et en effet, il craint l’ex- cessive chaleur , il n’habite jamais dans lés sables brülans, et il ne se trouve en grand nombre dans le pays des Nègres que le long des rivières, et non dans les terres élevées; au lieu qu'aux Indes les plus puissans, les plus courageux de l'espèce et dont les armes sout les plus fortes et les plus grandes, s’ap- pellent é/éphans de montagne, et habitent en effet les hauteurs où l’air étant plus tem- péré, les eaux moins impures, les alimens plus sains, eur nature arrive à son plein dé- veloppement , et acquiert toute son étendue, toute sa perfection. | En général, les éléphans d'Asie l’'emportent par la taille, par la force, etc. sur ceux de l'Afrique; et en particulier ceux de Ceylan sont encore supérieurs à tous ceux de l'Asie, non par la grandeur, mais par le courage et par l'intelligence : probablement ils ne doi- vent ces qualités qu’à leur éducation plus perfectionnée à Ceylan qu'ailleurs; mais tous les voyageurs ont celébre les élephans de cette île, où, comme l’on sait, le terrain est groupé par montagnes , qui vont en s'éleyant à FT 208 HISTOIRE NATURELLE ; In. " mesure qu’on avance vers le centre, et où la chaleur, quoique très-srande, n’est pas aussi excessive qu’au Sénégal , en Guinée, et dans toutes les autres parties occidentales de l’Afri- que. Les anciens, qui ne connoissoient de. cette partie du monde que les terres situées entre le mont Atlas et la Méditerranée, avoient remarque que les eléphans de la Libye étoient bien plus petits que ceux des Indes : iln'y en a plus aujourd'hui dans cette partie de l'Afrique , et cela prouve encore, comme nous l’avons dit à l’article du lion , que les hommes y sont plus nombreux de nos jours qu'ils ne l’etoient dans le siècle de Carthage, Les éléphans se sont retirés à mesure que les hommes les ont inquiétés : mais en voya- seant sous le ciel de l’Afrique, ils n’ont pas changé de nature; car ceux du Sénesal, de la Guinée , etc. sont, comme l’étoient ceux de la Libye, beaucoup plus petits que ceux des grandes Indes. épg o$ La force de ces animaux est proportion- nelle à leur grandeur : les éléphans des Indes portent aisément trois ou quatre milliers ; les plus petits, c’est-à-dire, ceux d'Afrique, gnlèvent librement un poids de deux cents (LAN À 1 \Le Van} su vis PR "L' AA TUE EN PT EL { VE L'AEANT où: à & DE L’ÉLÉPHANT. 209 livres avec leur trompe, et le placent eux mêmes sur leurs épaules ; ils prennent dans cette trempe une grande quantité d'eau qu’ils rejettent en haut ou à la ronde , à une ou deux toises de distance ; ils peuvent porter plus d’un millier pesant sur leurs défenses : la trompe leur sert à casser les branches des arbres, et les defenses à arracher les arbres mêmes. Où peut encore juger de leur force par la vitesse de leur mouvement, comparée à la masse de leur corps : ils fout au pas or- dinaire à peu près autant de chemin qu’un cheval en fait au petit trot, et autant qu'un cheval au galop lorsqu'ils courent; ce qui, dans l’état de liberté, ne leur arrive guère que quand 1ls sont animes de colère ou pous- sés par la crainte. On mène ordinairement au pas les eléphans domestiques: ils font aise- ment et sans fatigue quinze ou vingt lieues par jour; et quand on veut les presser , ils peuvent en faire e trente-cinq ou quarante. On les entend marcher de très-loin, et l’on peut aussi les suivre de très-près à la piste; car les traces qu'ils laissent sur la terre ne sont pas équivoques , et dans les terrains où le pied marque, elles ont quinze ou dix-huit pouces de diamètre. te es HISTOIRE NATURELLE Un éléphant domestique rend peut- -ètre à son maitre plus de services que cinq où six chevaux : mais il lui faut du foin et une nourriture äbondante et choisie ; il coûte MR CEE environ quatre francs ou cent sous par Jour. à nourrir. On lui donne ordinairement du riz crud ou cuit, méle avec de l’eau, et on. prétend qu’il faut cent livres de riz par jour pour qu'il s’entretienne dans sa pleine vi- gueur; on lui donne aussi de l’herbe pour le rafraichir, car il est sujet à s’échauffer , et il faut le mener à l’eau et le laisser baigner deux ou trois fois par jour. Il apprend aise- ment à se laver lui-même; il prend de l'eau dans sa trompe, il la porte à sa bouche pour boire, et ensuite, en retournant sa trompe, il en laisse couler le reste à flot sur toutes les parties de son corps. Pour donner une idée des services qu’il peut rendre, il sufhra de dire que tous les tonneaux, sacs, paquets, qui se transportent d’un lieu à un autre dans les Indes, sont voiturés par des éléphans ; qu'ils peuvent porter des fardeaux sur leur corps, sur leur cou, sur leurs défenses, et même avec leur euecule, en leur, présentant le bout d’une corde qu’ils serrent avec les £ DID LÉ PEUAIN TE: |). ocre dents ; que joignant l'intelligence à la force, ils ne cassent ni n’endommagent rien de ce qu’on leur confie; qu’ils font tourner et pas- ser ces paquets du bord des eaux dans un bateau sans les laisser mouiller, les posant doucement et les arrangeant où l’on veut les placer; que quand ils les ont déposés dans l'endroit qu'on leur montre, 1ls essaient avec leur trompe s'ils sont bien situés, et que quand c'est un tonneau qui roule, ils vont d'eux-mêmes chercher des pierres pour le caler et l’établir solidement, etc. Lorsque l’éléphant est bien soigné, il vit Jlong-temps, quoiqu’en captivité; et l’on doit présumer que dans l’état de liberté sa vie est encore plus longue. Quelques auteurs ont écrit qu'il vivoit quatre ou cinq cents ans*; * Onésime, au rapport de Strabon ( liv. XV), assure que les éléphans vivent jusqu'à cinq cents: ans. — Phulostrate (7711a €L cela avec beaucoup de raison; car tout l’ivoire qu’on travaille en Allemagne vient des dents d’éléphant que nous tirons des Indes, et livoire fossile ressemble parfar- DE L’'ÉLÉPHANT. 26% sur les grandes connoissances qu'il s’est tement à ces dents, sinon qu'il est pourri. Dans les climats un peu chauds, ces dents se sont amollies et changées en ivoire fossile ; mais dans ceux où la terre reste continuellement gelée, on trouve ces dents très - fraîches pour la plupart. De là peut aisément dériver la fable qu'on a souvent trouvé ces 05 ct autres ensanglantés : cette fable a été gravement dé bitée par Tsbrand-Ides, et d’après lui par Muller * qui ont été ue par d’autres avec une assurance, comme s’il ny avoit pas lieu d’en douter ; et comme ane fiction va rarement seule, le sang qu’on prétend avoir trouvé à ces os a enfanté une autre fiction de Vauimal mammouth, dont on a conté que dans la Sibérie 1l vivoit sous terre , qu'il y mouroit quelque- fois, et étoit enterré sous les décombres, et tout cela pour rendre raison du sang qu’on prétendoit trouver à ces os. Muller nous donne la description du mam- mouth. « Cet animal dit-:l, a quatre ou cinq aunes « de haut, et environ trois brasses de long; il est « d'une couleur grisâtre, ayant la tête fort longue «et le front très-large ; des deux côtés, précisément « au-dessous des yeux, il a des cornes qu'il peut * Moœurs et usages des Ostiaques, dans le Recueil des Foyages du Nord, page 382. à 268 HISTOIRE NATURELLE acquises dans la science de l'anatomie com parée. « mouvoir et croiser comme il veut. Ïl a la faculté » de s'étendre considérablement en marchant, et » de se rétrécir en un petit volume. Ses pattes res- « semblent à celles d’un ours par leur grosseur » Tsbrand-Ides est assez sincère pour avouer que, de tous ceux qu'il a questionnés sur cet animal, il n’a trouvé personne qui lui ait dit avoir vu un mam- mouth vivant.... Les têtes et les autres os qui s’ac- cordent avec ceux des éléphans, ont été autrefois , sans contredit, des parties réelles de l” cléphant, Nous ne devons pas refuser toute croyance à cette quan- tité d’cs d’élépbant, el je présume que les éléphans, pour éviter leur destruction, dans les grandes révo- lutions de la terre, se sont échappés de leur endroit natal , et se sont dispersés de toutes parts, tant qu'ils. ont pu: leur sort a été duférent; les uns ont été bien loin ; les autres ont pu , même après leur mort, avoir été transportés fort loin par quelque inondation; ceux au contraire qui, Étant encore en vie, se sOn8 trop écariés vers le nord , doivent nécessairement y avoir payé le tribut de leur délicatesse; d’autres en- core, sans avoir été si loin, ont pu se noyer dans une inondation ou périr de lassitude... ., La gros- seur de ces os ne doit pas nous arrêter : les dents. | eh, DE L'ÉLÉPHANT. 269 sallantes ont jusqu'à quatre arschines de long et six pouces de diamètre, M. de Strahlenberg dit jusqu’à neuf, /et les plus fortes pèsent jusqu’à six à sept puds..J ai fait voir dans un autre endroit qu’il y à des dents fraîches prises de l’éléphant, qui ont jus- qu’à dix pieds de long, et qui pèsent cent, cent guarante-six, cent soixante et cent soixante-huit livres. ..... Il y a des morceaux d'ivoire fossile qui ont une apparence Jaunâtre, Ou qui Jaunissent par la suite des temps, et d’autres qui sont bruns comme des noix de coco, ou plus clairs, et enfin d’autres qui sont d'un bleu noirâtre. Les dents qui n’ont pas été bien gelées dans la terre et ont resté pendant quelque temps exposées à l'effet de l'air , sont su- - jettes à devenir plus ou moins jaunes ou brunes, et celles prennent d’autres couleurs suivant l'espèce d'humidité qui y agit en se joignant à l'air : aussi, suivant ce que dit M. de Strahlenberg, on trouve quelquefois des morceaux d’un bleu noir dans ces dents corrompues. . +. . Ïl seroit à souhaiter, pour le bien de l'histoire naturelle, qu'on connût, pour Jes autres os qu’on trouve en Sihérie, l’espèce d’ani- mal auquel ils appartiennent; mais il n'y a guère lieu de l’espérer. | Relation d'un voyage à Kamitschatka., par M. Gmelin; imprimé en 1735 à Pétersbourg, cn lavgue russe. 28 270 HISTOIRE NATURELLE La traduction de cet article ma d’abord été com muniquée par M. de l'Isle, de l'académie des sciences; et ensuite par M.le marquis de Mont- -\mirail, qui en a fait la traduction sur 4’ original allemand, imprimé à Gottingue en 1952. LE RHINOCEROS. LE RHINOCÉROS" 1 À près l'éléphant , le rhinocéros est le plus puissant des animaux quadrupèdes : il a au moins douze pieds de longueur depuis l'extrémité du museau jusqu’à l’origine de la queue , six à sept pieds de hauteur, et la circonférence du corps à peu près égale à sa longueur 2. Il approche donc de l'éléphant * Rhinoceros, en grec et en latin. Quoique le nom de cet animal soit absolument grec, il n’étoit cependant pas connu des anciens Grecs : Arislote w’en fait aucune mention: Strabon est le premier auteur grec, et Pline le premier auteur latin, qui en aientécrit. Apparemment le rhinocéros ne s’étoit pas rencontré dans cette partie de l'Inde où Alexandre avoit pénétré, et où il avoit cependant trouvé des éléphans en grand nombre ; car ce ne fut qu ’environ trois cents ans après ne que Pompée fit voir Je premier cet animal à l’Europe. 2 J’ai par-devers moi le dessin d’un rhinocéros , 1 A L L2 aisseau de l: tiré par un oficier du Shafisbury vaisseau de la. compagnie des [ndes en 1737; ce dessin se rapporte LA T F'ATAuE ? 252 HISTOIRE NATURELLE pour le volume et par la masse; et s’il paroît bien plus petit, sen que. ses jambes sont bien plus courtes à proportion que celles de l'éléphant : mais il en diffère beaucoup par les facultés naturelles et par l'intelligence, | n'ayant reçu de la nature que ce qu'elle ac corde assez communément à tous les quadru- : pèdes , privé de toute sensibilité dans Ja peau, manquant de mains et d'organes distincts pour le sens du toucher; n'ayant, au lieu de assez au mien. L'animal mourut sur la route en ve- nant des Indes ici. Cet'officier avoit écrit au bas du dessin ce qui suit : « Il avoit environ sept pieds de « haut depuis la surface de la terre jusqu’au dos; il « étoit de la couleur d’un cochon qui commence à « sécher après s’ètre vautré dans la fange ; 1l'a trois * sabots de corne à chaque pied : les plis FD la peau « se renversent en arrière les uns sur les autres : 5 on. « trouve entre ces plis des insectes qui s’y nichent, « des bêtes à mille pieds, des scorpions, de petits « serpens, etc. Il n’avoit pas encore trois ans lors- « qu'il a été dessiné : le penis étendu s'élargit au « bout en forme de fleur-de-lis ». J’ai donné d’après ce dessin la figure du penis dans un com de ma planche; comme ce dessin m'est venu par le moyen de M. Tyson, médecin, je n’a pas été à porte { N ] DU RHINOCÉROS. 273 trompe. qu'une lèvre mobile, dans Li a consistent tous ses moyens d'adresse. I1 n’est guère supérieur aux autres animaux que par la force, la grandeur, et l’arme offensive qu’il porte sur le nez, et qui n'appartient qu’à lui : cette arme est une,corne trés-dure, so— lide dans toute sa longueur, et placée plus avantageusement que les cornes des animaux ruminans : celles-ci ne munissent que les parties supérieures de Ja tête et du cou, au lieu que la corne du rhinocéros défend toutes de consulter l’auteur mème sur ces insectes malfai- sans qu'il dit se loger dans les plis de la peau du rhinocéros, pour savoir s’il en avoit été témoin ocu- laire, où sil l’a dit simplement sur le rapport des Indiens. J'avoue que cela me paroit bien extraor- dimaire. (Glanures d'Edwards, pag. 25 et 26.) Non seulement ce dernier fait esi douteux , mais celui de l’âge, comparé à la grandeur de l’animal, nous paroît faux : nous avons vu un rhinocéros qui avoit au moins huit ans, et qui n’avoit que cinq pieds de bauteur ; M. Parsons en a vu un de deux aus qui n'étoit pas plus haut qu’une génisse, ce qu'on peut éstimer quatre pieds ou environ : comment se pour- roit-i] que celui qu'on vient de citer n’eût que trois aus, s’il avoit sept pieds de hauteur ? PEN L Vr } 274 HISTOIRE NATURELLE les parties antérieures du museau , et pre— serve d’insulte le mufle, la bouche et la face; en sorte que le tigre attaque plus volontiers l'éléphant, dont il saisit la trompe, que le rhinocéros, qu’il ne peut coiffer sans risquer d’être éventré : car le corps et les membres sont recouverts d’une enveloppe impéné- trable; et cet animal ne craint ni la griffe du tigre, ni l’ougle du lion, ni le fer, ni le feu du chasseur : sa peau est un cuir noirâtre de la même couleur, mais plus épais et plus dur que celui de l'éléphant; il n’est pas sen— sible comme lui à la piquure des mouches: il ne peut aussi ni froncer ni contracter sa peau ; elle est seulement plissée par de grosses rides au cou , aux épaules et à la croupe, pour faciliter le mouvement de la tête et des jambes , qui sont massives et terminées par de larges pieds armés de trois grands ongles. Ji a la tête plus longue à proportion que l’élé- phant; mais il a les yeux encore plus petits ,: et il ne les ouvre jamais qu'à demi. La mâ-— choire supérieure avance sur l’inferieure, et la lèvre du dessus a du mouvement et peut , . A . : A s'alonger jusqu'à six ou sept pouces de lon- n gueur ; elle est terminée par un appendice LE : - DU RHINOCÉROS 25 pointu, qui donne à cet animal plus de fa cilité qu'aux autres quadrupèdes pour cueillir A l'herbe et en faire des poignées à peu près comme l'éléphant en fait avec sa trompe : ‘cette lèvre musculeuse et flexibie est une es- pèce de main ou de trompe très-incomplète, mais qui ne laisse pas de saisir avec force et de palper avec adresse. Au lieu de ces longues dents d'ivoire qui forment les defenses de l’é léphant, le rhinocéros a sa puissante corne et deux fortes dents incisives à chaque mâ- choire : ces dents incisives , qui manquent à l'éléphant, sont fort éloignées l’une de l’autre dans les mächoires du rhinocéros; elles sont placées une à une à chaque coin ou angle des mâchoires , desquelles l’inférieure est coupée quarrément en devant , et il n'y a point d’autres dents incisives dans toute cette partie antérieure que recouvrent les lèvres : mais, indépendamment de ces quatre dents incisives placées en avant aux quatre coins des mâchoires , il a de plus vingt-quatre dents molaires, six de chaque côté des deux mä- choires. Ses oreilles se tiennent toujours droites : elles sont assez semblables pour la forme à celles du cochon ; seulement elles 2 276 HISTOIRE NATURELLE sont moins grandes à proportion du Corps : ce sont les seules parties sur lesquelles il y ait du poil ou plutôt des soies. L’extrémité de la queue est, comme celle de l'éléphant, garnie d'un bouquet de nie soies très— solides et très-dures. | M. Parsons, célèbre dei de Londres, auquel la république des lettres est redevable de plusieurs découvertes en histoire natu- relle, et auquel je dois moi-même de la re connoissance pour les marques d’estime et d'amitié dont il m'a souvent honoré, a pu- blié en 1742 une histoire naturelle du rhi- nocéros, de laquelle je vais donner l'extrait d'autant plus volontiers, que tout ce qu’écrit M. Parsons, me paroit mériter plus d AUOT tion et de confiance. Quoique le rhinocéros ait été vu plusieurs fois dans les spectacles de Rome depuis Pompée jusqu’à Héliogabale, quoiqu'il en soit venu plusieurs en Europe dans ces der- niers siècles, et qu’enfin Bontius, Chardin et Kolbe l’aient dessiné aux Indes et en Afrique, il étoit cependant si mal repreé- senté et si peu décrit, qu'il métoit connu que très-imparfaitement, et qu'à la vue de DU RHINOCÉROS. 277 ceux, qui arrivèrent à Londres en 1739 et 1741, ‘ol reconnut aisément les erreurs ou les caprices de ceux qui avoient publié des figures de cet animal. Celle d'Albert Durer, qui est la première, est une des moins con- formes à la nature : cette figure a cependant été copiée par la plupart des naturalistes, et quelques uns même l’ont encore surchargée de draperies postiches et d’ornemens étran- gers. Celle de Bontius est plus simple et plus vraie ; mais elle pèche en ce que la partie in- férieure des jambes y est mal représentée, Au contraire , celle de Chardin présente assez bien les plis de la peau et les pieds; mais au reste, elle ne ressemble point à l’animal. Celle de Camerarius n’est pas meilleure, non plus que celle qui a été faite d’après le rhi- - nocéros vu à Londres en 1685, et qui a été : publiée par Carwitham en 17539. Celles enfin que l’on voit sur les anciens pavés de Pré- neste et sur les médailles de Domitien, sont extrémement imparfaites:; mais au moins elles n’ont pas les ornemens imaginaires de celle d'Albert Durer. M. Parsons a pris la peine de dessiner lui-même * cet animal en * Un de nos savans physiciens (M. Demours) à ar 278 HISTOIRE NATURELLE Æ trois vues différentes, par-devant, par-der \ rière et de profil; il a aussi dessiné lés par= © fait des remarques à ce sujet, que nous ne devons : pas omettre. « La figure, dit-il , du rhinocéros, que: « M. Parsons à ajoutée à son Mémoire, et qu’il a « dessinée lui-même d'après le naturel , est si dif- « férente de celle qui fut gravée à Paris en r749 « d’après un rhinocéros qu’on voyoit alors à Ja foire « Saint-Germain, qu’on auroit de la peine à ÿ re- « connoître le même animal. Celui de M. Parsons « est plus court, et les plis de la peau en sont en « plus petit nombre, moins marqués, et quelques. uns placés un peu différemment; la tête sur-tout « ne ressemble presque en rien à celle du rhinocéros 4 « de la foire Saint-Germain. On ne sauroit cepen- « dant douter de l’exactitude de M. Parsons, et il faut chercher dans l’âge et le sexe de ces deux « animaux la raison des différences sensibles qu'on « appercoit dans les figures que l’on a données de « l’un et de l’autre. Celle de M. Parsons a été dessi-. « née d'apres un rhinocéros mâle, qui n’avoit que. « deux ans : celle que j'ai cru devoir ajouter ici l’a EE d'après le tableau du célèbre M. Oudry, le « peintre des animaux, et qui a si fort excellé en ce genre; 1] a peint de grandeur naturelle, et « d'apres le vivant, le rhinocéros de la foire Saint- | 8 LS A nm DU RHINOCÉROS. 279 ties extérieures de la génération du mâle, et les cornes simples et doubles, aussi-bien que « Germain, qui étoit une femelle, et qui avoit au « moins Buit ans : je dis au moins huit aus; car il «est dit dans l’inscripuüon qu’on voit au bas de À l’estampe de Charpentier, qui a pour titre, T'é- a ‘rilable portrait d’un rhinocéros vivant que lon « voit à la foire Saint-Germain à Paris, que cet «animal avoit trois ans quand 1} fut pris en r74r dans la province d'Assem, appartenant au Mo- « sol; et huit lignes plus bas ,il est dit qu’il n’avoit qu'un mois quand quelques Indiens lattrapèrent « avec des cordes, après en avoir tué la mère ñ f « à coups de fleches : ainsi il avoit au moins huit « ans, et pouvoit en avoir dix ou onze. Cetie diffé- « rence d'âge est une raison vraisemblable des diffé- « rences sensibles que l’on trouvera entre la figure «de M. Parsons et celle de M. Oudry, dont le 1a- « bleau, fait par ordre du roi, fut alors exposé au « salon de peinture. Je remarquerai seulement que « M. Oudry a donné à la défense de son rhinocéros « plus de longueur que n'en avoit la come du rhi- « nocéros de la foire Saint-Germain, que j'ai vu et ‘« examiné avec beaucoup d'attention, et que cette « partie est rendue plus fidtlement dans l'estainpe « de Charpentier. Aussi est-ce d'après cette estaupe 580. HISTOIRE NATURELLE la queue d’autres rhinocéros dont ces parties: étoient conservées dans des Cabinets d’his- toire naturelle. | Le rhinocéros qui arriva à Londres en 1739, avoit été envoyé de Bengale. Quoique très- jeune, puisqu'il n’avoit que deux ans, les frais de sa nourriture et de son voyage mon- toient à près de mille livres sterling; on le nourrissoit avec du riz, du sucre et du foin : on lui donnoit par jour sept livres de riz, mêlé avec trois livres de sucre, qu’on lui parta- « qu’on a dessiné la corne de cette figure , qui, pour « tout le reste, a été dessinée et réduite d’après le « tableau de M. Oudry. L'animal qu'elle rep résente « avoit été pesé, environ un an auparavant , à Stut- « gard, dans le duché de Wirtemberg, et il pesoit « alors cinq mille livres. [Il mangeoit, selon le rap- « port du capitaine Douwemont Wander-Meer, qui « l’avoit conduit en Éurope, soixante livres de foin « ct ving! livres de pain par jour. I] étoit très-privé, « et d’une agilité surprenante, vu l’énormité de sa « masse’et son air extrêmement lourd ». Ces re- marques sont judicieuses et pleines de sens, comme tout ce qu'écrit M. Demours. Voyez la figure dans sa traduction {rancoise des T'ransactions philoso- phiques , année 1743. is DU RHINOCÉROS. 28r geoit en trois portions; on lui donnoit aussi beaucoup de foin et d'herbes vertes, qu’il préféroit au foin : sa boisson n’étoit que de l’eau , dont il buvoit à la fois une grande quantité. Il étoit d’un naturel tranquille, et se laissoit toucher sur toutes lés parties de son corps : il né devenoit méchant que quand on le frappoitou De il avoit faim ; et dans l’un et l’autre cas, on ne pouvoit Ro ser qu'en lui donnant à manger. Lorsqu'il étoit en colère, il sautoit en ayant et s’élevoit brusquement à une grande hauteur, en pous- sant sa tête avec furie contre les murs; ce qu'il faisoit avec une prodigsieuse vitesse , malgré son air lourd et sa masse pesante, J'ai : éte souvent témoin, dit M. Parsons, de ces _ mouvemens que produisoient l’ pa Heu ce ou la colère , sur-tout les matins avant qu'on lui apportât son riz et son sucre : la vivacité et la promptitude des mouvemens de cet ani- mal m'ont fait juger, ajoute-t-il, qu’il est tout-à-fait indomtable, et qu’il atteindroit aisément à la course un homme qui l’auroit offense. : Ce rhinocéros, à l’àäge de deux ans, n’étoit as plus ha: ’uze 1 } | 1 pas pius faut qu'une jeune vache qu n& 24 \ Ah: à 282 HISTOIRE NATURELLE pas encore porté; mais il avoit le corps fort. long et fort épais. Sa tête éloit très-grosse à proportion du corps : en la prenant depuis les oreilles jusqu’à la corne du nez, elle for—. moit une courbe concave dont les deux ex- trémités, c’est-à-dire, le bout supérieur du museau et la partie près des oreilles, sont fort relevées. La corne n’avoit encore qu’un pouce de hauteur; elle étoit noire, lisse à son som- met, mais avec des rugosités à sa base et di- rigée en arrière. Les narines sont situées fort bas, et ne sont pas à un pouce de distance de l’ouverture de la gueule. La lèvre infé- rieure est assez semblable à celle du bœuf, et la lèvre supérieure ressemble plus à celle du cheval, avec cette différence et cet avan- tage, que le rhinocéros peut l’alonger, la diriger , la doubier en la tournant autour ! d’un bâton, et saisir par ce moyen les corps qu’il veut approcher de sa gueule. La langue de ce jeune rhinocéros étoit douce comme celle d’un veau *. Ses yeux n’avoient nulle * La plupart des voyageurs et tous les natura- Histes, tant anciens que modernes, ont dit que la langue du rhinocéros étoit extrêmement rude, et que les papilles en étoient si poignantes ; qu'avec { DU RHINOCÉROS. 283 vivacité; ils ressemblent à ceux du cochon pour la forme, et sont situés très-bas, c’est- à-dire, plus près de l’ouverture des narines que dans aucun autre animal. Les oreilles sont larges, minces à leur extrémité, et res— serrées à leur origine par une espèce d'an- neau ridé. Le cou est fort court ; la peau forme sur cette partie deux gros plis qui l’environnent tout autour. Les épaules sont fort grosses et fort épaisses ; la peau fait à _ leur jointure un autre pli qui descend sous les jambes de devant. Le corps de ce jeune rhinocéros étoit en tout très-épais, et ressem- bloit très-bien à celui d’une vache prête à mettre bas. Il y a un autre pli entre le corps _et la croupe, ce pli descend au-dessous des jambes de derrière; et enfin il y à encore un autre pli qui environne traänsversalement la partie inférieure de la croupe à quelque sa Jangue seule 1l écorchoit un homme et enlevoit la chair jusqu aux os. Ce fait, que l’on trouve par-tout, me paroît très-douteux et mème mal imaginé , puis- que le rhinocéros ne mange point de chair, et qu'en général les animaux qui ont la langue me sont or dinairement carnassieis, Dé F mr 284 HISTOIRE NATURELLE distance de la’ queue. Le ventre étoit gros et pendoit presque à terre, sur-tout à la partie moyenne. Les jambes sont rondes, épaisses, fortes, et toutes sont courbées en arrière à la jointure : cette jointure, qui est recou- verte par un pli très-remarquable quand debout. La queue est menue et courte relati- vement au volume du corps; celle de ce rhi- nocéros n’avoit que seize ou dix-sept pouces de longueur; elle s’élargit un peu à son ex- trémité, où elle est garnie de quelques poils courts , gros et durs. La verge est d’une forme assez extraordmaire; elle est contenue dans un prépuce ou fourreau comme celle du cheval, et la première chose qui paroït au dehors dans le temps de l'érection, est un second prépuce de couleur de chair, duquel ensuite il sort un tuyau creux en forme d’en- tonnoir évasé et découpé *, comme une fleur- de-lis , lequel tient lieu de gland et forme l'extrémité de la verge : ce gland bizarre * Voyez la figure dans les Transactions philo- sophiques , n° 450, planche ITT ; et dans les Gla- nures d'Edvvards, planche cotée au bas 22r. l'animal est couché, disparoît lorsqu'il est x / DU RHINOCÉROS. 285 par sa forme est d’une couleur de chair plus pâle que le second prépuce. Dans la plus forte érection , la verge ne s’étendoit qu’à huit pouces hors du corps; on lui procuroit aisément cet état d'extension en frottant l’animal sur le ventre avec des bouchons de paille lorsqu'il étoit couché. La direction de ce membre n'étoit pas droite, mais courbe et dirigée en arrière; aussi pissoit-il en ar rière et à plein canal, à peu près comme une vache : d’où l’on peut inférer que, dans l’acte de la copulation , le mâle ne couvre pas la femelle , mais qu’ils s’accouplent croupe à croupe. Elle a les parties extérieures de la génération faites et placées comme celles de la vache, et elle ressemble parfaitement au mâle pour la forme et la grosseur du corps. La peau est épaisse et impénétrable ; en la prenant avec la main dans les plis, on croi- roit toucher une planche de bois d’un demi- pouce d'épaisseur. Lorsqu'elle est tannée , dit le docteur Grew , elle est excessivement dure , et plus épaisse que le cuir d'aucun autre animal terrestre; elle est par-tout plus ou moins couverte d'incrustations en forme \ de galles ou de tubérosités, qui sont assez \ " M 286 HISTOIRE NATURELLE petites sur le sommet du çou et du dos, et qui par degrés deviennent plus grosses en descendant sur les côtés; les plus larges de toutes sont sur les épaules et sur la croupe ; elles sont encore’ assez grosses sur les cuisses et les jambes, et il ÿ en a tout autour et tout le long des jambes jusqu'aux pieds : mais entre les plis la peau est penétrable , et même délicate et aussi douce au toucher que de la soie, tandis que l'extérieur du pli est aussi rude que le reste; cette peau tendre qui se trouve dans l’intérieur du pli est d’une légère couleur de chair, et la peau du ventre est à peu près de même consistance et de même couleur. Au reste, on ne doit pas com- parer ces tubérosités ou galles dont nôus venons de parler, à des écailles, comme l’ont fait plusieurs auteurs; ce sont de simples du- rillons de la peau, qui n’ont ni régularité dans la figure, ni symmétrie dans leur posi-, tion respective. La souplesse de la peau dans les plis donne au rhinocéros la facilité du mouvement de la tête, du cou et des mem- bres : tout le corps, à l’exception des join-— tures, est inflexible et comme cuirassé. M. Parsons dit en passant, qu'il a observé une | DU RHINOCÉROS. 287 qualité très-particulière dans cet animal , c'est d'écouter avec une espèce d'attention suivie tous les bruits qu’il entendoit; de sorte que, quoiqu'endormi ou fort occupé à man ser ou à satisfaire d’autres besoins pressans ; ail s’éveilloit à l'instant, levoit la tête et écou- toit avec la plus constante attention , jus- qu’à ce que le bruit qu'il entendoit eût cessé. Enfin , après avoir donné cette description - exacte du rhinocéros, M. Parsons examine s’il existe ou non des rhinocéros à double corne sur le nez; et après avoir comparé les témoignages des anciens et des modernes , et les monumens de cette espèce qu’on trouve dans les collections d'histoire naturelle , il conclut, avec vraisemblance, que les rhino- céros d'Asie n'ont communément qu’une corne, et que ceux d'Afrique en ont ordinai- rement deux. IL est très-certain qu’il existe des rhino- céros qui n'ont qu’une corne sur le nez, et d'autres qui en ont deux*; mais il n’est pas * Kolbe dit positivement, et comme s’il l’avoit vu , que la première corne du rhinocéros est placée sur le nez, et la seconde sur le front, en droite ligne avec la première ; que celle-ci, qui est d'un | A ae na | _288 HISTOIRE NATURELLE # également certain que cette variété soit cons- tante , toujours dépendaute du climat de l'Afrique ou des Indes , et qu’en conséquence de cette seule différence on puisse établir deux espèces distinctes dans le genre de cet animal. Il paroit que les rhinocéros qui n’ont qu'une corne, l’ont plus grosse et plus longue que ceux qui en ont deux : il y a des cornes simples de trois pieds et demi, et peut-être de plus de quatre pieds de longueur sur six et sept pouces de diamètre à la base; il y a aussi des cornes doubles qui ont jusqu’à deux pieds de longueur. Communeément ces cornes sont brunes ou de couleur olivâtre ; gris brun, ne passe jamais deux pieds de longueur ; que la seconde est Jaune, et qu’elle ne croît jamais au-dessus de six pouces, (Description du cap de Bonne-Espérance ; par Kolbe, tome TT, pages r7 et 18.) Cependant nous venons de citer des doubles cornes dont la seconde différoit peu de la première qui avoit deux pieds, qui toutes deux étoient de la même couleur ; et d’ailleurs il paroît certain qu’elles ne sont Jamais à une aussi grande distance l’une de Vautre que le dit cet auteur, puisque les bases de ces deux cornes, conservées dans le cabinet de Hans Sloane , v’étoient pas éloignées de trois pouces. : RTE L d > ; DU RHINOCÉROS 28 cependant il s’en trouve de grises, et même quelques unes de blanches : elles n’ont qu’une légère concavité en forme de tasse sous leur base, par laquelle elles sont attachées à la peau du nez; tout le reste de la corne est solide et plus dur que la corne ordinaire : cestavec cette arme, dit-on, que le rhinocéros attaque et blesse quelquefois mortellement les éléphans de la plus haute taille, dont les jambes élevées permettent au rhinocéros, qui les a bien plus courtes, de leur porter des coups de boutoir et de corne sous le ventre, où la peau est le plus sensible et le plus pénétrable : mais aussi lorsqu'il manque son premier coup, l'éléphant le terrasse et le tue. La corfe du rhinocéros est plus estimée des Indiens que l’ivoire de l’élephant, non pas tant à cause de la matière, dont cependant ils font plusieurs ouvrages au tour et au ci- seau, mais à cause de sa substance même, à laquelle ils accordent plusieurs qualités Spé- cifiques et propriétés médicinales; les blan— ches , comme les plus rares, sont aussi celles qu'ils estiment et qu ils recherchent le plus. Dans les présens que Le roi de Siam envoya à Quadrupèdes. IV. 25 _ 200 HISTOIRE NATURELLE Louis XIV en 1686, il y avoit six corues de rhinocéros. Nous en avons au Cabinet du roi douze de différentes grandeurs , et une entre autres qui, quoique ‘tronquée ; a trois pieds huit pouces et demide longueur. Le rhinocéros, sans être ni féroce, ni car- nassier, ni même extrêmement farouche, est cependant intraitable* ; il est à peu près en grand ce que le cochon est en petit, brusque et brut, sans intelligence , sans sentiment et sans docilité : il faut mème qu'il soit sujet à des accès de fureur que rien ne peut cal- mer; car celui qu'Emmanuel roi de Portu- gal envoya au pape en 1513, fit périr le bâtiment sur lequel on le transportoit ; ek * Chardin dit (tome IIT, page 45) que les Abis- sins apprivoisent les rhinocéros, qu'ils les élèvent au travail comme on fait les éléphans. Ce fait me paroît Lrès-douteux ; aucun autre voyageur n’en fait mention, etil est sûr qu’à Bengale, à Siam , et dans les autres parties de l'Inde méridionale, où le rhi- nocéros est peul-être plus commun qu'en Éthiopie, et où l’on est accoutumé à apprivoiser les éléphans, 1l est regardé comme un animal indomtable, et dont on ne peut faire aucun usage pour le service do Ines tique, 4 DU RHINOCÉROS.. »29r celui que nous avons vu à Paris ces années dernières ; s’est noyé de même en allant en Italie. Ces animaux sont aussi, comme le cochon, très-enclins à se vautrer dans la boue et à se rouler dans la fange : ils aiment les lieux humides et marécageux, et ils ne quittent guère les bords des rivières. On en trouve en Asie et en Afrique, à Bengale, à Siam , à Laos, au Mosol, à Sumatra, à Java, en Abissinie, en Éthiopie, au pays des Anzi- cos, et jusqu’au cap de Bonue-Espérance ; mais en général l’espèce en est moins nom- breuse et moins répandue que celle de l’élé- phant : il ne produit de même qu’un seul petit à la fois, et à des distances de temps assez considérables. Dans le premier mois, le jeune rhinocéros n’est guère plus gros qu'un chien de grande taille, Il n’a point, en naissant, la Corne sur Le nez, quoiqu’on en voie déja le rudiment dans le fœtus; à deux ans cette corne n'a encore poussé que d’un pouce, et à six ans elle a neuf à dix pouces; et comme l'on connoit de ces cornes qui ont près de quatre pieds de longueur, il paroît qu'elles croissent au moins jusqu’au moyen âge, et peut-être pendant toute la vie de — 59: HISTOIRE NATURELLE Vanimal , qui doit ètre d'une assez longue durée , puisque le rhinocéros décrit par: M. Parsons n’avoit, à deux ans, qu'environ la moitié de sa hauteur ; d’où l’on peut in- . férer que cet animal doit -vivre , comme l’homme ;, soixante-dix ou quatre-vingts ans. Sans pouvoir devenir utile comme l’eélé— phant, le rhinocéros est aussi nuisible par. la consommation, et sur-tout par le prodi- sieux dégât qu'il fait dans les campagnes ; il n’est bon que par sa dépouille : sa chair est excellente au goût des Indiens et des Nègres; Kolbe dit en avoir souvent mangé, et avec beaucoup de plaisir. Sa peau fait le cuir le meilleur et le plus dur qu'il y ait au monde; et non seulement sa corne, mais toutes les autres parties de son corps, et même son sang, son urine ét ses excrémens sont estimés comme des antidotes contre le poison, ou comme des remèdes à plusieurs maladies. Ces antidotes ou remèdes, tirés des différentes parties du rhinocéros, ont le même usage dans la pharmacopee des Indes que la theriaque dans celle de l’Europe. Il y a toute apparence que la plupart de ces vertus sont imaginaires : mais combien n’y a-t-il pas de RARE | DU RHINOCÉROS 293 choses bien plus recherchées qui n’ont de va leur que dans l’opinion! Le rhinocéros se nourrit d'herbes gros= sières, de chardons, d’arbrisseaux épineux, et 1l préfère ces alimens agrestes à la douce päture des plus belles prairies : il aime beau- coup les cannes de sucre, et mange aussi de toutes sortes de grains. N'ayant nul goût pour la chair, il n’inquiète pas les petits animaux; il ne craint pas les grands, vit en paix avec tous, et même avec le tigre qui souvent l'accompagne sans oser l’attaquer. Je ne sais donc si les combats de l’éléphant'et du rhino- céros ont un fondement réel; ils doivent au moins être rares, puisqu'il n’y a nul motif de guerre ni de part ni d'autre, et que d'ail- leurs on n’a pas remarqué qu’il y eût aucune espèce d’antipathie entre ces animaux ; on en a vu méme en captivité vivre lranquille- “ment et sans s’offenser ni s’irriter l’un contre l'autre. Pline est, je crois, le premier qui ait parlé de ces combats du rhinocéros et de l'éléphant : il paroïit qu'on les a forcés à se battre dans les spectacles de Rome; et c’est probablement de là que l’on a pris l’idée que quand ils sont en liberté et dans leur étut 25 se y 294 HISTOIRE NATURELLE naturel, ils se battoient de même : mais, eris core une fois, toute action sans motif n’est pas naturelle; c’est un effet sans cause, qui ne doit point arriver, ou qui n'arrive que par hasard. Les rhinocéros ne se rassemblent pas ex troupes, ni ne marchent en nombre comme les éléphans; ils sont plus solitaires, plus sauvages, et peut-être plus difficiles à chasser et à vaincre. Îls n'attaquent pas les hommes, à moins qu'ils ne soient provoqués ; mais alors ils prennent de la fureur et sont très- redoutables : l’acier de Damas, les sabres du Japon , n’entament pas leur peau; les javelots et les. lances ne peuvent la percer ; elle ré- siste même aux balles de mousquet; celles de plomb s’applatissent sur ce cuir, et les lin- gots de fer ne le pénètrent pas en entier : les ‘seuls endroits absolument pénétrables dans ce corps cuirassé, sont le ventre, Les yeux et le tour des oreilles ; aussi les chasseurs, au lieu d'attaquer cet animal de face et debout, le suivent de loin par ses traces, et:attendent» pour l’approcher, les heures où, il se repose et s'endort. Nous avons au Cabinet du roi un fœtus de rhinocéros, qui nous a été envoyé DU RHINOCÉROS 295 de l'ile de-Java, et qui a été tiré hors du corps de la mère : il est dit, dans le Mémoire qui accompagnoit cet envoi, que vingt-huit chas- seurs s'étant assemblés pour attaquer ce rht- nocéros , ils l’avoient d’abord suivi de loin pendant quelques jours, faisant de temps en temps marcher un ou deux hommes en avant pour reconnoîitre la position de l’ani- mal; que par ce moyen ils le surprirent eu- dormi, s’en approchèrent en silence et de si près, qu’ils lui lâchèrent tous ensemble leurs vingt-huit coups de fusil dans les parties in- férieures du bas ventre. j On a vu, par la description de M. Parsons, que cet animal a l'oreille bonne, et même très-attentive; on assure aussi qu’il a l’odorat excellent : mais on prétend qu’il n’a pas l’œil bon, et qu'il ne voit, pour ainsi dire, que _ devant lui. La petitesse extrème de ses yeux, leur position basse, oblique et enfoncée, le peu de brillant et de mouvement qu'on y remarque , semblent confirmer ce fait. Sa voix est assez sourde lorsqu'il est tranquille; elle ressemble en gros au grognement du co- chon; et lorsqu'il est en colère, son cri de- vient aigu et se fait entendre de fort loin. 206 HISTOIRE NATURELLE. Quoiqu'il ne vive que de végétaux, il ne ru- mine pas : ainsi il est probable que, comme l'éléphant, il n’a qu’un estomac et des boyaux très-amples, et qui suppléent à l’office de la panse, Sa consommation , quoique con- sidérable, n’approche pas de celle de l’élé- phaut ; et il paroît ! par la continuité et l'épaisseur non interrompue de sa peau, qu'il perd aussi beaucoup moins que lui par la transpiration. Fin du tome quatrième, D'ATB LUE Des articles contenus daris ce Yolume. AVERTISSEMENT, page T. De la nature. Première vue, 3. Seconde vue , 24e Le pecari , ou le tajacu, 49. La roussette, la rougette, et le vampire, b7. Le polatouche, 67. Le petit-eris , 73. é Le palmiste, le barbaresque et le suisse, 79. Le iamanoir, le tamandua ;-et le fourmilier , 84. Lé päugolin, et le phatagin , 99. _Les tatous, 106. L apar, ou le tatou à trois bandes > II4e L'encoubert, ou le tatou à six bandes, 118. Le tatuète, ou tatou à huit bandes , 120. Le cachicame, ou tatou à neuf bandes, 122. Le kabassou, ou iatou à douze bandes, 128. Letcirquinçon , ou tatou à dix-huit bandes, 127. Le paca, 239. "” À CAES . ee 393 TABLE. Le sarigue , ou r opossumm, Las La MArmOose ; 174 Le cayopollin, 1 77. LP "éléphant , 100. Le rhinocéros à 27Ce LIL 3 9088 00769