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MONTESQUIEU

HISTOIRE VÉRITABLE

PUBLIEE D APRES

UN NOUVEAU MANUSCRIT

AVEC

UNE INTRODUCTION ET DES NOTES

PAR

L. DE BORDES DE P^ORTAGE

BORDEAUX

G. GOUNOUILHOU, IMPRIMEUR-ÉDITEUR 9-1 I, rue Guiraude, 9-1 i

M.DCCCC II.

PUBLICATIONS

DE LA

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SOCIETE DES BIBLIOPHILES

DE GUYENNE

MONTESQ.UIEU

HISTOIRE VÉRITABLE

Tous droits de repi-oductlon et de traduction réservés.

MONTESQUIEU

HISTOIRE VÉRITABLE

PUBLIEE D APRES

UN NOUVEAU MANUSCRIT

AVEC

UNE INTRODUCTION ET DES NOTES

PAR

L. DE BORDES DE PORTAGE

BORDEAUX

G. GOUNOUILHOU, ï M PR I M EUR-ÉDITR U R

9-1 I, rue Guiraude, y- 11

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INTRODUCTION

Une rare bonne fortune a fait tomber entre nos mains un nouveau manuscrit de VHistoire véritable de Mon- tesquieu, dans le temps même la Société des Biblio- philes de Guyenne publie, grâce aux descendants de l'illustre écrivain, les œuvres inédites qui, jusqu'à ces dernières années, étaient conservées, avec un soin pieux, dans les archives du château de La Brède. Déjà une version de VHistoire véritable, d'après une copie tirée de ces archives, a paru, dans le volume de Mélanges inédits publié par le regretté baron de Montesquieu en 1892; elle occupe, dans ce volume, les pages 3 1 à 84, et les éditeurs l'ont fait suivre d'une très curieuse critique du roman, par J.-J. Bel.

Ce n'est donc pas une œuvre absolument inédite que nous présentons au public; mais le manuscrit que nous imprimons aujourd'hui offre de telles différences avec le texte déjà publié, il donne un si grand nombre de variantes et même de pages entièrement nouvelles, que la Société des Bibliophiles de Guyenne a pensé qu'il méritait de tigurer dans la collection, déjà nombreuse, de ses publica- tions, et nous a fait l'honneur de nous charger de l'y intro- duire. Une courte description du nouveau manuscrit suffira, nous l'espérons, pour faire apprécier tout l'intérêt qu'il présente. Il se compose de cinq cahiers petit in-4° dont les pages, remplies au recto et au verso, sauf une étroite marge.

VIll INTRODUCTION

par récriture très nette d'un copiste, sont attachées avec des rubans de soie verte et blanche. Chacune d'elles, soigneusement numérotée, contient de x)nze à quinze lignes. Le premier cahier compte trente et une paj>es, le second trente-cinq, le troisième cinquante-deux, le qua- trième vingt-huit et le sixième quarante. Le livre cinq manque en entier, comme il manque, sous une autre classi- fication, dans le texte imprimé en 1892. Nous savons, par la critique de J.-J. Bel, que ce livre perdu, qu'il désigne comme le quatrième et qui portait primitivement, en effet, ce chiffre dans notre copie, était rempli par une histoire amoureuse destinée à délasser un peu l'esprit du lecteur au milieu de toutes les transmigrations que le récit faisait passer sous ses yeux. Aucun indice ne nous permet de dire, avec certitude, ce qu'a pu devenir cette histoire amou- reuse, qui avait trouvé grâce devant le sévère J.-J. Bel. Peut-être Montesquieu l'a-t-il purement et simplement supprimée; peut-être en a-t-il fait plus tard, et quand il eut définitivement renoncé à publier V Histoire véritable, le Temple de Guide, le Voyage à Paphos, ou môme, en la remaniant et en lui donnant plus d'étendue, son roman d'Arsace et Isménie.

Quoi qu'il en soit, à cette lacune près, notre manuscrit est parfaitement complet, sauf pourtant l'épître dédica- toire, condamnée par J.-J. Bel, et qui ne figure pas non plus dans celui de La Brède. Cette épître remplissait deux feuillets ou au moins trois pages qui ont disparu de notre premier cahier, ainsi que l'indiquerait, à défaut des traces de suppression encore visibles, la pagination qui saute brusquement de 4 à 9. En revanche, l'avis du libraire pour lequel le critique ne s'était pas montré plus favorable, et que la copie de La Brède ne contient pas davantage, figure tout au long dans la nôtre.

Montesquieu, avec la simplicité et la bonne foi du génie, soumettait ses productions à ses amis, surtout au conseiller J.-J. Bel et au président Barbot, membres, comme lui, de

INTRODUCTION IX

sa chère Académie de Bordeaux. Nous avons un curieux témoignage de la déférence de ce grand esprit, comme de la sincérité des amis qu'il consultait, dans la critique sévère, mais parfois bien judicieusement clairvoyante, que J.-J. Bel fit de VHistoire véritable, dont le manuscrit lui avait été communiqué par l'auteur.

Montesquieu se soumit au jugement de son ami. Il paraît avoir, à plusieurs reprises et même assez tard, essayé de remanier cette œuvre de sa jeunesse en vue d'une publica- tion ; puis il s'en détacha entièrement, et, absorbé par des travaux d'une tout autre portée, il abandonna définitive- ment VHistoire véritable. Il a surtout corrigé et retouché le livre troisième où, sans parler des changements de détail, fort nombreux, les pages 9 à i5 (épisode de l'Eunu- que) ont disparu de notre manuscrit, et y sont remplacées par dix nouvelles pages non chiffrées, tout entières écrites de sa main, lesquelles n'offrent guère de ressemblance avec la partie correspondante du texte imprimé en 1892. Cet épisode, le plus long de tous ceux qui figurent dans VHistoire véritable en l'état elle nous est parvenue, a été travaillé d'une façon toute particulière par Montes- quieu. J.-J. Bel en avait signalé l'importance, et l'analogie frappante qu'il présente avec certains passages des Lettres persanes ne lui avait point échappé. On le trouvera tout au long et sous la dernière forme que Montesquieu lui donna de sa propre main, dans l'édition de VHistoire véritable que nous publions aujourd'hui.

Il nous paraît superflu de mentionner toutes les variantes ou même toutes les différences capitales que présente le texte de l'édition actuelle avec celui de 1892, auquel le lecteur peut recourir aisément. Il nous suffira de dire que chacun de nos cinq livres offre, avec les cinq parties corres- pondantes déjà publiées, de très nombreuses et très impor- tantes dissemblances, et que notre troisième livre, en particulier, donne, outre beaucoup de corrections, plusieurs pages nouvelles écrites de la main même de Montesquieu,

X INTRODUCTION

tandis que notre quatrième livre (primitivement le cin- quième) est entièrement inédit.

En somme, moins les deux lacunes que nous avons signalées, c'est bien le roman complet et, sauf quelques retouches dans certaines de ses parties, tel que Montes- quieu l'écrivit d'abord, que publie la Société des Biblio- philes de Guyenne, et nous croyons pouvoir dire que, sous cette nouvelle forme, c'est encore une œuvre à peu près inédite qu'elle offre aux amis et aux admirateurs de Mon- tesquieu.

Tous les lecteurs de V Histoire véritable et de la critique impitoyable, mais bien souvent fine et judicieuse de J.-J. Bel, ont éprouvé quelque surprise en constatant que l'ordre des chapitres et des transmigrations qui les remplissent, ne concorde guère, dans le texte de 1892, avec cette critique si détaillée et si complète. Notre manuscrit, au contraire, répond rigoureusement, comme ordonnance des chapitres et suite des transmigrations, à l'étude de J.-J. Bel. Les épisodes se succèdent fidèlement et dans Tordre même cette étude les place. Bien plus, les expressions relevées par J.-J. Bel s'offrent, dans notre copie, à la page et à la ligne même qu'il désigne. Nous pourrions multiplier les exemples, il nous suffira de citer les suivants : livre II, le mot laquais, qui choque J.-J. Bel, figure à l'endroit même que le critique signale expressément : page 4, ligne 14. Livre V, devenu livre IV: le censeur trouve trop bas le terme de caillettes, employé, dit-il, à la ligne 9 de la page 2 5, et, en effet, le mot se lit en toutes lettres, page 25, ligne 9. Bref, l'étude de J.-J. Bel pourrait servir de table des matières aux tableaux rapides et multipliés tracés, par le Métempsy- cosiste, dans l'ordre oi!i les présente notre manuscrit. Il ne nous paraît donc pas téméraire d'affirmer que cette copie est bien celle que J.-J. Bel eut sous les yeux et sur laquelle il rédigea son travail. Nous avions un instant eu la pensée de réimprimer, en appendice, cet intéressant document qui fait désormais, à tous les titres.

INTRODUCTION XI

partie intégrante de V Histoire véritable, mais le lecteur curieux de poursuivre et d'approfondir l'examen que nous venons d'esquisser, pourra toujours se reporter facilement au volume de 1892 ou même y joindre la présente édition, et cette considération nous a fait renoncer à notre projet.

Comment notre manuscrit a-t-il quitté les archives de La Brède d'où il est de toute évidence qu'il provient? Il n'est peut-être pas impossible de répondre à cette question. On sait que, vers 1829, les œuvres inédites de Montesquieu furent remises à J. Laine, en vue d'une publication qui, pour des causes que nous n'avons pas à rechercher ici, ne put avoir lieu i. Après la mort de Laine, arrivée en décem- bre 1 83 5, les précieux manuscrits qui lui avaient été confiés, furent rendus, par ses héritiers, à la famille de Montesquieu. Toutefois plusieurs s'égarèrent, et quelques-uns restèrent enfouis dans les papiers de Laine. Nous avons tout lieu de croire que notre manuscrit fut du nombre de ces derniers, car nous l'avons découvert parmi une quantité considérable de lettres et de documents dont la plupart provenaient de Laine lui-même ou de sa famille.

Montesquieu paraît avoir composé V Histoire véritable dont le titre appartient à Lucien, dans sa jeunesse, peu de temps après les Lettres persattes, et peut-être même avant leur publication. Les allusions très claires aux affaires du temps que contient l'avis du libraire, et quelques autres, moins transparentes, qu'on pourrait relever dans le cours du récit, ne se comprendraient pas si l'œuvre ne datait pas de la Régence. Peut-être même avons-nous comme un premier jet de la veine d'où allaient sortir les Lettres persanes avec lesquelles V Histoire véritable offre, en certaines de ses parties du moins, bien des ressemblances. Cela seul, à défaut du mérite de l'ouvrage, et de l'intérêt

I. Voir, à ce sujet, l'intéressante Histoire des vtannscrits inédits de Montesquieu placée, par M. Céleste, en tête du volume de Mélanges inédits, Bordeaux, 1892, pp. xxxv-xl.

XII INTRODUCTION

qui s'attache aux productions qui peuvent éclairer l'évolu- tion des idées et les progrès du talent chez les grands écrivains, suffirait à recommander cet essai de jeunesse pour lequel Montesquieu semble avoir eu une prédilection particulière, puisqu'il y fit plusieurs retouches plus tard, et, probablement même, dans la pleine maturité de son génie. D'ailleurs, si les Lettres persanes gardent encore comme une saveur du xvir siècle, ne peut-on pas affirmer qu'avec VHistoire véritable, Montesquieu inaugure ce roman ou plutôt ce conte satirique et philosophique si goûté pendant toute la durée du xvill^ siècle, et que Voltaire allait bientôt porter à sa perfection?

L'auteur de VHistoire véritable employait à la lecture tous les instants de loisir que lui laissaient ses occupations professionnelles, ses affaires et ses propres ouvrages. Il s'intéressait aux romans qui faisaient quelque bruit. Les réflexions qu'il a consignées, dans ses pensées », au sujet de Manon Lescaut, qu'il lut au moment de son apparition, et sur laquelle il formule déjà ce jugement ferme et sûr qu'il portait sur toute chose, nous en donneraient une preuve certaine, si son goût pour les fictions ne se trahissait en maints endroits de ses oeuvres, et par un certain nombre de ces œuvres elles-mêmes. Il lut certainement les Mille et une Ntiits traduites ou plutôt adaptées par Gallands, avec quel tact et quelle délicatesse, nous le savons aujour- d'hui que nous possédons dans leur intégrité les récits de la sultane Shéhérazade. Il lui en resta le goût de l'Orient qu'il conserva toute sa vie, si bien qu'en ses derniers jours, c'est encore au fond de l'Orient qu'il plaçait les aventures dCArsace. Nous savons, par une de ses dernières lettres adressée de La Brède, le 8 décembre 1754, à son spirituel correspondant l'abbé de Guasco, qu'il s'occupait

1. Pensées et fragments inédits, t. II, p. 6i. Montesquieu a pris soin de mentionner qu'il iit cette lecture le 6 avril 1734.

2. Leur publication, commencée en 170?, ne fut achevée qu'en 171 i. V. au surplus Pensées, II, 108.

INTRODUCTION XIîT

encore à ce moment de ce petit roman que son fils, J.-B. de Secondât, devait publier seulement en 1783.

Il nous reste à dire un mot de la façon dont nous avons compris nos devoirs d'éditeur. Notre manuscrit est fort correct, et son orthographe est en tout conforme à celle du temps. Nous l'avons donc fidèlement reproduit, sauf quelques fautes évidentes que nous avons corriger. Par contre, nous nous sommes vu obligé à reconstituer entiè- rement sa ponctuation, très défectueuse, comme celle de presque tous les manuscrits de l'époque. Un très petit nombre de notes donnent, au bas des pages, les variantes les plus importantes, les passages qui se laissent lire sous les ratures, et signalent les quelques phrases, débris du naufrage, que Montesquieu a transportées, en les modifiant un peu, dans ses autres ouvrages. D'ailleurs, en dehors de ce que nous avons dit, dans cette introduction, nous n'avions rien à ajouter au savant et si judicieux commentaire qui accompagne le texte de 1892; le lecteur s'y reportera toujours avec autant de plaisir que de profit.

Nous n'avons pas cru devoir nous astreindre à suivre scrupuleusement les dispositions typographiques adoptées par la Société des Bibliophiles de Guyenne pour la publi- cation des manuscrits inédits de Montesquieu; non que nous ayons la plus légère critique à formuler contre ces dispositions, mais, notre manuscrit ne faisant pas partie des œuvres inédites tirées des archives de La Brède, il nous a paru que nous n'avions pas à tenir un compte rigoureux, pour sa publication, des règles suivies pour l'ensemble de ces œuvres.

Nous le répéterons en terminant : la Société des Biblio- philes de Guyenne, en publiant aujourd'hui cette nouvelle version de V Histoire véritable dont le volume de 1892 ne donnait pour ainsi dire que des fragments, fait connaître entièrement aux amis des lettres un essai de jeunesse, à peu près inédit, d'un écrivain chez lequel le savoir le plus

XIV INTRODUCTION

vaste, la profondeur de la pensée, s'alliaient à la finesse et aux grâces de l'esprit, et qui, sans le moindre effort, mettait cette profondeur dans ses productions les plus légères, comme il semait cette grâce et cet esprit dans ses œuvres les plus profondes.

L. DE Bordes de Portage.

Bordeaux, 4 juillet 1902.

LE

LIBRAIRE AU LECTEUR

Il y avoit longtems que je cherchois à impri- mer quelque livre bon, médiocre ou mauvais qui se vendît bien, afin de rétablir mon com- merce qui est un peu délabré, depuis qu'un scavant du Mississipi m'achepta tout ce qu'il y avoit de livres dans ma boutique, et me paya en billets de banque qui ont péri entre mes mains. Dieu fasse paix à ceux qui en sont la cause ! Un illustre de mes amis est entré dans mes vues, et m'a procuré ce petit ouvrage que j'ay l'honneur de présenter au public.

J'aurois fort souhaité que celuy qui l'a accom- modé à nos mœurs, eût voulu, à ses risques et fortune, y insérer quelque trait qui eût un peu réfléchi sur les affaires du tems. Le lecteur ingé- nieux m'entend bien. Je le supplie d'examiner si, dans le récit de toutes ces aventures, il n'y auroil

XVI LE LIBRAIRE AU LECTEUR

point quelque chose qui pût donner du crédit à mon livre, et faire ma petite fortune.

Ce n'est pas que je voulusse en mon particu- lier me brouiller ouvertement avec les magis- trats; je souhaiterois que l'attention du public fût réveillée et non pas la leur.

Un bel esprit ^ qui vient quelquefois dans ma boutique nous Fécoutons beaucoup, soutenoit, l'autre jour, qu'il n'y avoit pas un mot de vray dans toute mon Histoire véritable. Ce qui luy a fait prendre cette opinion, c'est que mademoi- selle de Scudéry s'est servie d'une idée à peu près pareille pour en orner un de ses romans.

D'ailleurs, les Aventures du mandarin Fun- Hoam ont été regardées comme fabuleuses par tous les critiques.

Je ne suis qu'un pauvre libraire et je ne scay guère bien ce qui en est; mais le public peut achepter mon livre comme roman, s'il ne juge pas à propos de l'achepter comme histoire.

I. Le manuscrit portait un «scavant». Montesquieu a effacé le mot, et l'a remplacé par celui que nous imprimons.

HISTOIRE VÉRITABLE

LIVRE PREMIER

J'étois, sans contredit, le plus grand fripon de toutes les Indes, et, de plus, valet d'un vieux gym- nosophiste, qui, depuis cinquante ans, travailloit à se procurer une transmigration heureuse, et, par ses rudes pénitences, se changeoit en squelette, dans ce monde, pour n'être point transformé en quelque vil animal, dans l'autre. Mais moy, m'endurcissant sur tout ce qui pourroit m'arriver, je faisois une exécution terrible sur tous les animaux qui me tomboient entre les mains. Il est vray que je ne touchois point à quelques vieilles poules qui étoient dans la cour de mon maître, que j'épargnois quelques oyes presque sexagénaires, et que j'avois grand soin d'une vieille vache ridée, qui me faisoit enra- ger. Elle n'avoit plus de dents pour paître, et il falloit presque que je la portasse, lorsque mon maître m'ordonnoit de la mener promener.

Je recevois les aumônes, et j'acheptois sous main tout ce qu'il falloit pour me bien nourrir, et mon maître ne pouvoit comprendre comment un homme dévot comme moy devenoit si gras avec une once de riz et deux verres d'eau qu'il me donnoit par jour, et il attribuoit cela à une protection particulière

4 MONTESQUIEU

de son Dieu, qui me favorisoit d'un embonpoint qu'avoient à peine les plus cruels mangeurs d'ani- maux.

Mon maître, accablé de vieillesse, se brûla, et, comme il me regardoit comme un saint, il me laissa, par son testament, un ordre auquel je ne m'attendois pas. Ce fut de le suivre par la route qu'il avoit prise. Il me faisoit trop d'honneur, et je parus d'abord bien embarrassé. Mais, pendant qu'on me faisoit de grands compliments, je me remis de mon désordre, et prenant un air assuré : « Qu'on me dresse, dis-je, un bûcher tout à l'heure, et surtout qu'on ne me fasse pas attendre ! » Je sçavois bien qu'il n'y avoit point de bois dans la maison, car il est très rare aux Indes, et qu'il falloit que la cérémonie fût remise au lendemain.

La nuit venue, je m'enfuis à cinquante lieues de là. J'eus bientôt dissipé tout ce que j'avois, et il ne me resta pour toute ressource que l'habit de mon maître, avec lequel je me mis à jouer le saint; mais mon visage me ruinoit.

Ayant entrepris de grands jeûnes, je n'eus pas le courage de les finir. Je me fis fouetter par les rues, mais je me comportay si mal que je ne gagnois pas un sol. J'avois plus la mine d'un criminel que d'un pénitent; je fuyois, malgré moi, sous les verges; je n'excitois pas la compassion, mais la risée publique.

Cependant j'enrageois bien le soir d'avoir été tout le jour étrillé pour rien, et, pestant tantôt contre le métier, tantôt contre moy-même, je me déses- pérois d'avoir été si lâche, et je m'encourageois pour le lendemain.

HISTOIRE VERITABLE 5

Un jour, j*allay me poster près d'un vieux bonze qui tenoit, depuis quinze ans, les bras en l'air; à peine eus-je été deux heures dans cette posture que j'y renonçay.

Je voulus entreprendre de regarder le soleil; mais je fermois les yeux, ou je tournois la tête, ou je portois la main au visage, et l'on ne me donnoit rien.

Je vis une troupe de ces faquirs qui, pour être plus parfaits, se rendent insensibles, et attachent à la partie la plus rebelle un poids qui puisse la vain- cre. Je voulus rester parmy eux. Ils m'accablèrent d'un anneau de fer de huit livres, que je trainay misérablement pendant deux jours.

M'apercevant que, dans ce métier, la condition du valet est meilleure que celle du maître, je me mis encore une fois au service d'un philosophe célèbre, qui me fit le ministre en chef de ses mortifications. Nous n'eûmes aucun démêlé quand il ne fut ques- tion que de luy. Il trouvoit en moy un écorcheur parfait et un cuisinier impitoyable.

Un jour, il s'enferma dans un petit caveau il étoit obligé de se tenir couché. Il ne respiroit que par un petit trou, et une lampe achevoit de l'étouffer. Il résolut d'y demeurer six jours sans boire et sans manger. Gomme cette action nous attiroit des aumônes, je l'encourageois cruellement, et, quand il étoit sur le point de finir ses six jours, je lui dis faussement qu'un autre en devoit rester neuf, et je l'obligeay, par mes mensonges, mes exhortations et mes railleries, à se tenir dans son poste encore trois jours.

6 MONTESQUIEU

Vous croyés peut être, Ayesda, que ce que je viens de vous dire s'est passé de nos jours? Je vous avertis qu'il y a quatre mille ans de cela. Vous me paroisses étonné; laissés moy continuer mon his- toire! Je vous assure que je suis sincère. Vous pouvés vous être aperçu que ce n'est pas la vanité qui me fait parler.

Je voulus débaucher une jeune fem.me. Son mari le sçut et me tua. Mon âme étoit toute neuve et n'avoit point animé d'autres corps. Elle fut trans- portée dans un lieu les philosophes dévoient la juger. Toute ma vie fut pesée, et la balance tomba rudement du côté du mal. Je fus condamné à passer dans les animaux les plus vils, et l'on me mit sous la puissance de mon mauvais Génie, qui étoit un petit esprit noir, brûlé et malin, qui devoit me conduire dans toutes ces transmigrations; mais moy, sans m^étonner, sans m'affliger, sans me plaindre, je con- servay ma gayeté ordinaire, et j'éclatay de rire, en voyant les autres ombres épouvantées. Un des prin- cipaux philosophes admira mon courage, et me prit en amitié : < Pour te faire voir, me dit -il, que j'es- time ta fermeté, je vais t'accorder le seul don qui soit en ma puissance : c'est la faculté de te ressou- venir de tout ce qui t'arrivera dans toutes les révo- lutions de ton être. »

Il me fallut, d'abord, essuyer sept ou huit cents transmigrations d'insectes en insectes. Pendant tout ce tems là, mes vies n'eurent guère rien de remar- quable. Étant sauterelle, je broutay ma part d'un pays de vingt lieues; dans une autre transmigration,

HISTOIRE VÉRITABLE 7

étant descendu dans une fourmilière, je charroyay, tout Tété, la provision comme un chameau. Enfin je tins mon rang dans un parti de frelons contre une armée de guêpes, et j'y fus tué des premiers.

Je nacquis perroquet; je vivois dans les bois, et j'y passois agréablement ma vie. On m^en tira pour me mettre parmy les hommes. J'appris d'abord à parler comme eux; mais ils n'avoient pas l'esprit de chanter comme moy, aussi les meprisois-je beaucoup. On m'enferma dans une cage de fer, et les premiers jours j'en fus très affligé. Mais j'aimois le vin, il ne me manquoit pas, et j'y noyay tous mes chagrins.

Vous trouvères dans tout cecy, mon cher Ayesda, la clef de toutes les sympathies et de toutes les anti- pathies mal démêlées; elles ont des causes que les gens qui n'ont pas reçu le même don que moy igno- reront toujours. Par exemple, le goût que j'ay pour la musique ; je vous diray bien que je le tiens un peu de ce que j'ay été autrefois un petit rossignol ; et, si vous me voyés une si grande facilité de m'é- noncer, ne vous en étonnés pas, quand vous scaurés que j'étois, il n'y a pas bien du tems, une pie qui jasoit sans cesse, et à qui on avoit crevé un œil.

Je fus bientôt transformé en un petit chien. J'étois si joli que ma maîtresse m'estropioit tout le jour, et m'étoufifoit toute la nuit. Elle me faisoit tenir sur les pattes de derrière, et ne me permettoit plus l'usage de celles de devant. Elle me secouoit les oreilles; j'avois tous mes muscles en contraction, et, quand ses transports d'amour redoubloient, j'étois toujours en danger de ma vie. Pour comble

8 MONTESQUIEU

de malheur, elle s'imagina que je serois plus aimable si elle me faisoit mourir de faim. J'étois au désespoir, et j'enviois bien la condition d'un vilain mâtin qui vivoit négligé dans une cuisine, il passoit sa vie en philosophe épicurien. Après deux ans de persé- cutions, je mourus, laissant un grand vuide dans la vie de ma maîtresse, dont je faisois toute l'occu- pation.

Je touchois à l'heure je devois être un gros animal. Je devins loup, et le premier tour de mon métier, fut de manger un philosophe ancien qui paissoit, sous la figure d'un mouton, dans une prai- rie. Après plusieurs changements, je fus fait ours. Mais j'étois si las d'être bête que je songeay à bien vivre et à voir si, par ce moyen, je n'obtiendrois pas de redevenir homme. Je résolus donc de ne plus manger d'animaux et de paître tristement mon herbe. J'avois si bien fait que les moutons venoient bondir autour de moy, et j'enrageois de bon cœur. Il me prenoit des envies. Non! je n'ay jamais tant souffert!

Mon Génie me trouva digne d'être un bon animal; je fus tué sanglier, et je nacquis agneau.

Je vous diray en passant que je n'ay jamais bien compris pourquoy les Dieux, qui sçavent la mesure de la félicité de tous les êtres, les ont soumis à tant de transmigrations, pour les récompenser ou les punir. Je ne me suis guère trouvé plus heureux dans une transmigration que dans une autre. Il est vray que plus j'étois un animal bon et facile, plus l'espé- rance de devenir homme augmentoit en moy, et.

HISTOIRE VERITABLE 9

lorsque j'étois une bête cruelle, comme je n'avois pas une subsistance assurée, j'étois presque toujours ou dans les tourments de la faim, ou dans ceux que donne une trop abondante nourriture.

Il m'arriva un jour une aventure bien extraor- dinaire. J'étois bœuf en Egypte, et je ne songeois qu'à paître quelques mauvais roseaux, lorsque des prêtres, qui passèrent auprès de mon pâturage, s'écrièrent que j'étois Apis, m'adorèrent, et me menèrent, comme en triomphe, dans un magnifique temple. J'ay souvent, depuis que je suis devenu homme, fait de grandes fortunes sans l'avoir plus mérité que cette fois cy.

Je n'avois pas beaucoup de vanité, et je ne me souciois guère de l'encens qu'on faisoit fumer devant moy; mais je n'étois pas fâché qu'une partie de mon culte fut de me bien nourrir. Dans un mois, je fus gras à pleine peau, ce qui étoit regardé comme un signe de la prospérité de l'Etat. Lorsque j'étois malade, toute l'Egypte étoit en pleurs. Je riois dans ma peau, quand je voyois la désolation publique. J'étois malin comme un singe, et souvent je faisois le malade pour voir pleurer tout le monde. Mais, ayant entendu un vieux prêtre qui disoit : « La santé du Dieu est si chancelante qu'il ne veut plus être manifesté sous cette figure, à la première rechute, nous rirons noyer dans la fontaine sacrée, » ce discours fit impression sur moy, et je me portay très bien.

Vous sçavés, mon cher Ayesda, que tous les ani- maux ont un attachement naturel pour leur être.

lO MONTESQUIEU

c'est pour cela que les philosophes défendent si fort de les tuer. Gomme chaque âme habite volon- tiers le corps qui luy est tombé en partage, on ne peut l'en déloger sans luy faire violence.

Un jour, mon esprit s'étendit; je me trouvay un gros philosophe; j'avois de la raison, du sens, de la prudence, en un mot j'étois éléphant. Un roi du Thibet m'achepta et me destina à porter une des reines. Une nuit qu'il voyageoit avec ses femmes et toute sa suite, je sentis ma charge augmenter de la moitié. Mon conducteur étoit monté dans la cage étoit la reine. Occupé de ses plaisirs, il ne songeoit guère à me guider. Mais j'allois toujours mon train. A la fin, il descendit, et, pour faire voir qu'il étoit à terre, il se mit à jurer et à me battre. <^ Mon Dieu! dis-je en moy-même, les hommes sont bien injustes. Ils ne sont jamais plus portés à rendre les autres malheureux, que lorsqu'ils jouissent de quelque bonheur. »

Un jeune éléphant ayant été pris dans les bois, on le donna à dresser à un de mes camarades et à moy. Nous mîmes cet écolier entre nous deux, et nous le gourmâmes si bien qu'il fut d'abord instruit, et il devint privé et obéissant comme nous mêmes. Je vis que mon camarade prenoit du plaisir à cet acte de supériorité. Je fis cette reflexion La liberté naturelle est, de tous côtés, attaquée. Ceux qui vivent dans l'esclavage sont aussi ennemis de la liberté des autres que ceux qui commandent avec plus d'empire.»

Une des femmes du Roi ayant été surprise avec un homme, fut condamnée à être jetée et foulée sous

HISTOIRE VERITABLE ï I

mes pieds. Je dis en moy-même : « Voicy un homme qui n'a que quatre coudées comme les autres, et qui est aussi à charge à la Providence que si elle lui avoit donné mille corps. Combien d'hommes se rassasieroient des mets que j'ay vu présenter à sa table? Nous qui sommes destinés à porter sa per- sonne, pourrions porter à Taise une armée, et enfin il faut un nombre innombrable de femmes à ses plaisirs ou à ses dégoûts. Son corps a peu de besoins, mais son esprit les multiplie, et, ne pouvant avoir que des plaisirs très bornés, il s'imagine qu'il jouit de tous ceux dont il prive les autres. Je vais punir une femme pour avoir violé des loix qu'on est mille fois plus coupable d'avoir faites. J'obéis, mais c'est à regret. » Dès que j'eus fait mon office, le Roi vint me flatter, mais j'étois si indigné contre lui que je lui donnay un coup de trompe, et le jetay à dix pas de là.

Tout d'abord les courtisans m'entourèrent, et je vis mille dards tournés contre moy. J'allois périr, lorsque quelqu'un s'écria: «Le Roi est mort!» Soudain, chacun baissa les armes, plusieurs même vinrent me caresser, et, un instant après, tout le monde disparut.

Tout retentit bientôt des cris et des acclamations publiques. On alla tirer l'héritier présomptif d'une prison il étoit enfermé. Le corps du Roi défunt fut jeté dans un égout. On m'entoura de fleurs, on me mena par la ville, et on me mit dans un magni- fique temple. «Que veut dire cecy?dis-je en moy- même. C'est la seule mauvaise action que j'ay faite, et d'abord on m'élève des autels. »

T2 MONTESQUIEU

Indigné des bassesses des hommes, je m'enfuis et me retiray dans les bois. Tous les animaux qui craignent les bêtes féroces venoient paître autour de moy, et regardoient comme un asile les lieux j'étois. Cela me faisoit plaisir, et je disois en moy-même : « On donne au lion le titre de Roi des animaux; il n'en est que le tyran, et j'en suis le Roi I . >

I. Dans Arsace et Isménie, Montesquieu prête à l'ambassa- deur des Parthes le petit discours suivant : « Un tigre d'Hircanie désoloit la contrée; un éléphant l'étouffa sous ses pieds. Un jeune tigre restoit, et il étoit déjà aussi cruel que son père; l'élé- phant en délivra encore le pays. Tous les animaux qui craignoient les bêtes féroces venoient paître autour de lui. Il se plaisoit à voir qu'il étoit leur asile, et il disoit en lui-même: «On dit » que le tigre est le Roi des animaux; il n'en est que le tyran et 2- j'en suis le Roi. :>

LIVRE II

Il auroit été à souhaiter, lorsque je devins homme, que j'eusse eu autant de vertu que lorsque j'étois une si grosse bête. Mais je ne me trouvay plus la même tranquillité d'esprit, ni cette liberté de raison- nement, cette sagesse et cette prudence que j'avois eues. Au contraire, j'étois plein de passions, de caprices et de contretems.

Mon entrée dans le monde ne fut pas heureuse, car, à l'âge de dix huit ans, je fus pendu. J'en dirois bien la cause, mais je passe légèrement sur cela. Suffit que je me comportay très bien, et que, dans tout le chemin, on louoit beaucoup ma contenance. * En vérité, dit un artisan, il a de l'honneur dans son fait « Je suis, disoit un autre, un homme d'habi- tude. Il y a trente ans que j'assiste régulièrement à ces sortes d'assemblées, mais je n'ay jamais vu d'homme qui s'en soit mieux sorti que celui-cy. »

Je vous dis, mon cher Ayesda, des choses que je pourrois bien vous cacher; mais ayant continuelle- ment changé, je ne me regarde pas comme un individu. J'ay été très souvent fripon, assez rarement honnête homme. C'est la faute de l'humanité plus que la mienne, et, d'ailleurs, je crois ne devoir répondre

F4 MONTESQUIEU

que de ce qui se passe dans ma transmigration pré- sente, et je pense que vous ne doutés pas que je ne sois actuellement un homme de bien.

Etant à Messène, je me mariay. Je pris une femme jeune, jolie, coquette, et qui donnoit mon amitié à tous les jeunes gens qui entroient chez moy. Je devins jaloux. Pour me guérir, elle me fit voir, à n'en pouvoir plus douter, que j'avois raison de l'être. Dès ce moment, je ne le fus plus, et nous vécûmes de la meilleure intelligence du monde.

Devenu veuf, je me mariay à une femme qui avoit été belle, et qui prétendoit que je fusse amoureux d'elle parce qu'elle avoit eu autrefois beaucoup d'amans. Je pris une maîtresse, et je disois que je l'entretenois parce que je la payois bien. Mais je trouvay qu'elle, de son côté, entretenoit un homme de guerre; cet homme de guerre, une prêtresse d'Apollon; cette prêtresse, un joueur de flûte; ce joueur de flûte, une courtisane; et cette courtisane, un laquais. Je fis, d'un seul coup, tomber tous ces ménages. Par le crédit de ma première femme, j'avois été maltôtier du Roi de Corinthe. Les grands venoient manger chez moy, et j'étois précisément de l'impertinence qu'il leur falloit. Je fis mal mes aff"ai- res; on me destitua, et, dès que je ne pus plus être voleur, tout le monde se mit à crier que j'étois un fripon.

Une nouvelle métamorphose donna à Sicyone un très mauvais poëte. Je n'ay, dans aucune de mes transmigrations, porté un habit si usé que dans celle là. Je passa}- ma misérable vie à mordre les

HISTOIRE VÉRITABLE l5

grands, qui n'en sçavoient rien, et les petits, qui ne s*en mettoient point en peine. J'étois comme ces vipères que l'on met dans des vases on les fait jeûner des années entières : je jetois mon'venin tout autour de moy, et il ne tomboit sur personne.

Dans une autre transmigration, je me fis courtisan. Je commençay d'abord à faire paroître beaucoup de mépris pour ma profession, et je disois toujours : « Bon Dieu! Qu'est cecy? Ne seray-je jamais délivré de cette servitude de Cour?» Cependant je fus assez heureux pour pouvoir faire deux ou trois mauvaises actions. Quand il y en avoit quelqu'une qui auroit pu me déshonorer, je la faisois faire par ma femme, et, quand je voyois que quelque sot, en se livrant trop grossièrement, avoit perdu l'estime publique, je déclamois contre lui de la belle manière, et l'on disoit : « Il ne peut pas souffrir des bassesses. » Quand je voyois un homme de bien dans le malheur, je le trouvois un fripon, et, quand je voyois un fripon dans la prospérité, je le trouvois homme de bien. Je traitois comme mes amis tous ceux qui me méprisoient, tous ceux qui me mortifioient, tous ceux qui me désespéroient, et, les gens qui étoient au dessous de moy, pourvu qu'ils ne pussent pas me faire de mal, je les traitois comme mes ennemis. Je tirois en secret l'horoscope de tous les gens de la Cour. Si je pouvois prévoir la faveur de quelqu'un, je commençois à m'humilier devant luy. Si je me trompois sur sa fortune, je corri- geois si bien mon erreur, que je ne le regardois plus.

l6 MONTESQUIEU

Je VOUS communiqueray, Ayesda, une réflexion que j'ay faite. Ayant vécu dans tous les états, dans tous les lieux et dans tous les tems, j'ay trouvé que l'honneur n'a jamais m'empêcher de faire une mauvaise action. Je me suis aperçu que, dans les crimes qui déshonorent, il y a toujours une manière de les commettre qui ne déshonore pas, et, avec ce petit principe, que mon expérience me fit connaître dès ma seconde transmigration, j'ay violé et suivi les loix, été honnête et malhonnête homme, ayant toujours, le plus qu'il m'a été possible, tué, volé, trompé, de la seule façon que Thonneur me l'a permis.

Dans cette vie cy, je fus l'homme de mon tems le plus à la mode. J'étois un misérable officier d'un roi d'Egypte, lorsque l'envie me prit de laisser mes camarades sous leurs tentes et d'aller à Thèbes, je me mis à jouer. J'avois, grâce à Dieu, les mains bonnes, et, quand la fortune ne me suivoit pas, je la traînois après moy. Vous ne sçauriés croire combien j'étois aimé des grands seigneurs que je ruinois ; ils m'embtassoient sans cesse, et me faisoient mille excuses de ce qu'ils ne me payoient pas à l'échéance l'argent que je leur avois volé ; car, comme je vous ay dit, je ne m'avisois pas d'aller jouer pour faire des actions de morale. Cependant mes belles ma- nières leur donnoient tant de goût pour moy, qu'ils étoient au désespoir quand ils se trouvoient obligés de s'ennuyer à jouer avec quelque honnête homme. On me mettoit de toutes les parties de plaisir, et je dépouillois une société de si bonne grâce que toutes

HISTOIRE VÉRITABLE I7

les femmes me lorgnoient, ce qui m'étoit très souvent à charge, car les distractions que cela me donnoit m'empêchoient de bien jouer mon argent. Quand on m'annonçoit dans une compagnie, il se faisoit une acclamation générale; j^étois un homme d'impor- tance, quoique je n'eusse ni employ, ni valeur, ni naissance, ni esprit, ni probité, ni sçavoir.

Je commençay une autre vie dans la ville de Corinthe. J'entray dans le monde avec une assez belle figure, un air assuré et une très grande liberté d'esprit. Mon talent principal fut une facilité singu- lière à emprunter de l'argent. Je trouvay des gens très complaisans, mais un homme, qui avoit été de mes amis, me devint insupportable, car il ne me voyoit jamais qu'il ne me parlât de le payer. Il étoit si sot que je ne pouvois le faire entrer dans mes raisons, et il ne se prétoit à aucun de mes arrange- mens. Il me décrioit dans toute la ville et parloit de moy avec si peu de ménagement, qu'à la fin, pour luy fermer la bouche, je fus obligé de luy donner des coups de bâton. Il les souffrit patiemment, ce qui me piqua en quelque manière, car, si je Pavois sçu, je les lui aurois donné d'abord. Mes billets circulèrent de plus en plus et se multiplièrent au point que je jugeay à propos d'en faire des plaisanteries, et de donner à la chose un air ridicule, qui empêchât qu'on ne m'en parlât sérieusement. Il m'en coûta la valeur de trois ou quatre bons mots, et, par là, je sortis d'affaire. Je vous assure que, si je n'avois pas eu le bonheur d'être avec quelque effronterie, j'aurois été déshonoré mille fois. Vous sçavés que les vices d'un homme

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modeste sont toujours jugés à la rigueur, et l'impu- dence, qui est obligée de donner une amnistie à l'im- pudence, a la ressource de s'élever contre la timidité, qui est toujours désarmée. Sur ces entrefaites, un de mes parens mourut, et je recueillis une très riche succession. Je pris la résolution d'aller être honnête homme dans quelque autre société, et je fis ce métier quelque tems. C'est le sublime de la friponnerie de sçavoir faire entrer la probité dans son art.

Je vous avoue, Ayesda, que, dans cette transmi- gration dont je vous parle, je chargeay un peu trop mon caractère. J'ai remarqué que pour bien réussir dans le monde, il faut être seulement sot à demi et à demi fripon. Par on s'ajuste avec tout le monde, car on aboutit par quatre côtés aux sots, aux gens d'esprit, aux fripons et aux honnêtes gens.

Dans ma vie suivante, j'avois une taille médiocre, des cheveux blonds, une figure mâle et de larges épaules. Je fus l'amant de cinq ou six vieilles femmes et d'autant de monstres plus jeunes. Dans le com- mencement de ma carrière, je la trouvay rude. Mais, par un prodige de l'habitude et une certaine force du méchanisme, je m'accoutumay à la vieillesse et à la laideur, et je parvins au point que la beauté même auroit fait sur moy moins d'impressions; car l'idée d'une femme charmante ne réveilloit plus, dans mon esprit, que celle de l'indigence. Je ne me piquois point de sentimens; on les admire, on les rend même, mais on ne les paye pas. Au lieu que je vou- lois qu'une femme vît toujours dans mes équipages, dans mes habits et dans ma façon de jouer, des

HISTOIRE VÉRITABLE I9

marques de ses bons procédés. Vous sériés étonné si je vous disois mes prodiges lorsque j'entreprenois de hâter une libéralité tardive. J'avois toujours eu pour maxime de commencer par faire connoître ce que je valois. Je n'ignorois pas que les femmes sont trop avares pour se ruiner avec de certains amans, et que, si les hommes les quittent par caprice, elles ne quittent guère les hommes que par raison.

Je cherchay donc à consoler le beau sexe de la perte de ses agrémens. Je soutins sa décadence et j'honoray ses rides. les autres finissoient leurs hommages, il me vit commencer les miens, et je n*ay point à me plaindre de sa reconnaissance, mais seulement d'une certaine équité, qui fit tellement dépendre la récompense des services, qu'elle finit avec eux.

Quand les dieux, mon cher Ayesda, veulent puri- fier une âme, ils la font successivement passer d'un bon animal dans un meilleur, et, lorsqu'elle est enfermée dans les corps humains, et qu'elle doit finir sa course, ils la mènent d'une vie elle reçoit quelques impressions de la vertu, à une autre elle en prend davantage, et je vous avoue ingénuement que, si c'étoit vers la vertu que je tendois après tant de voyages, je n'étois guère avancé.

Je nacquis, et, dans mon enfance, ma nourrice m'ayant laissé endormi sous un arbre, elle trouva, à son retour, que des abeilles avoient couvert mes lèvres de miel. On dit que j'avois de petites mains douces comme du velours, des sourcils argentés et des yeux qui se tournoient tout doucement du côté

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que je voulois. Dans les écoles, je ne fus jamais affligé des coups de pied que me donnèrent mes camarades, et leurs mépris ne troublèrent point l'union qui étoit entre nous. Quand je pus former un plan de vie, je cherchay quelque grand seigneur qui eût besoin d'un admirateur qui fût à luy, et qui voulût troquer des services contre des louanges. Je crus en avoir trouvé un et je m'y attachay. J'appuyois tous ses discours, et ma tête les suivoit si bien, qu'elle ne manquoit pas de branler ou de se baisser, suivant qu'il plaisoit à ce personnage d'approuver ou de rejeter les propos courans. Je l'aurois bien défié de citer une occasion je l'eusse contredit, et cela, quoique je n'eusse guère sujet d'être content de luy, car il étoit très avare, et, quoiqu'il sçut répandre, il ne sçavoit jamais donner. Mon bail étant fini, je fis paroître une bienveillance plus générale, et mon admiration s'étendit beaucoup. Ce qui me désespe- roit, c'étoit une espèce d'hommes qu'on appeloit gens de mérite, qui recevoient tous mes petits hommages comme des tributs ou comme des affronts. C'étoit des pièces de bois qui ne se laissoient pas tailler, de façon qu'après avoir commencé à les orner, j'étois toujours obligé de les laisser. Mais, quand je me trouvois avec ces gens que l'on regarde, dans le monde, comme des insectes, c'est que j'étois bien : « Vous rampes, leur disois-je, avec tant de grâce, que je vous aime plus que tout ce qui vole dans les airs. Sçavés vous que vous avés une infinité de petits pieds, les plus jolis du monde? Vous n'iriés pas loin avec cela, mais votre démarche est sûre; la plupart

HISTOIRE VERITABLE 21

des gens ne voient sur votre corps que de petites écailles, mais moy, qui vous regarde de plus près, et qui vous connois mieux, j'y aperçois des montagnes couvertes de diamants, de perles et de rubis. »

Je suis fou, mon cher Ayesda, de prendre un style figuré dans une narration qui doit être simple. Si je continuois sur ce ton, vous auriés raison de dire que je cours après l'esprit.

Dans cette vie cy, je formay moy -même mon caractère. J'avois l'esprit un peu lourd, mais je remarquay, comme par instinct, que les sots qui avoient de la pesanteur étoient toujours dans l'ad- miration des sots qui avoient de la vivacité, et que ceux cy, au contraire, méprisoient beaucoup les autres. Gela me détermina à travailler à changer d'espèce, je fis des efforts continuels pour tirer de mon cerveau quelque chose, et, n'y réussissant pas bien, je me contentay de parler, laissant mes pen- sées bien loin à la suite de mes paroles. Il y a même des hazards heureux, et il n'étoit pas possible que, jetant sans cesse mes propos comme trois dez, je n'amenasse quelquefois. Je donnay à ma machine plus de mouvement, et je la transportay partout elle pourroit être regardée. Je saluois de toutes parts; j'embrassois à droite et à gauche; je tournois et me précipitois sur moy -même, et enfin, j'obtins l'étourderie qui me manquoit, outre que je me donnay de la gayeté, en faisant des éclats de rire à chaque propos : ce qui en augmentoit l'agrément, à peu près comme un instrument de musique ajoute à la voix qui l'accompagne; cela faisoit un de ces

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caractères que l'on souffre, parce que, s'ils ne divertissent pas, ils aident à se divertir; quoique, en général, dans la nation je vivois, on ne fît guère que deux classes d'hommes : ceux qui amu- sent, et ceux qui n'amusent point; et, puisque nous sommes sur cette nation, je vous diray que l'on avoit écrit cette sentence au frontispice de chaque maison : « N'ennuyés pas, et vous avés tout; ennuyés, et vous n'avés rien. » Et l'on y répétoit sans cesse cette maxime : « Ne manques pas de plaire aux femmes, si vous voulés être estimé des hommes, » aussi bien que celle cy : « A quatorze ans, achevés de vous polir, à soixante, commencés à vous former; » et cette autre, enfin, car cela ne finiroit point : « Ne vous avisés pas d'aller dire des choses, si vous êtes assez heureux pour sçavoir dire des riens. »

Ne me trouvant pas assez de considération à la Ville, j'en obtins par le moyen de la Cour. Vous sériés étonné si je vous disois pourquoi j'y allois : c'étoit pour en revenir. Quand j'étois parmy les bourgeois, je leur portois tous les mépris que je venois de recevoir. L'on admiroit mes sottises, quand je parlois, et l'on admiroit mon silence, quand je ne parlois pas. Je disois que le Prince s'étoit levé ce même matin, et que, le lendemain, il iroit à la chasse. Il s'en falloit bien que le philosophe qui connoît le mouvement des cieux et le cours des étoiles, fût aussi content de luy que je l'étois, lorsque je pou- vois prédire les éclipses et les apparitions du Ministre ou du Prince.

HISTOIRE VÉRITABLE 2 3

Mais, quand on venoit me parler des affaires publiques, il faut avouer que j'étois dans mon fort. Je me séparois de la compagnie par un air réservé, je prenois un visage dont les plis servoient de bar- rière contre la curiosité. Au lieu de cette abondance qui m'étoit ordinaire, je n'employois plus que quel- ques monosyllabes, et il nV avoit personne qui ne comprît qu'on ne pouvoit, sans indiscrétion, inter- roger un homme comme moy.

Étant en Sicile, j'y acquis une grande considé- ration. J'entray dans le monde avec un aussi bon estomac qu'homme qu'il y eût à la Cour et à la Ville. Cette bonne qualité me donna la réputation d'homme aimable et me procura d'illustres amis. Je fis mon chemin à la guerre; quand je dînois ou soupois, je mangeois toujours de la même force; on se doutoit même que j'avois quelque esprit, et que j'aurois décrié les femmes et frondé les ministres tout comme les autres, si je n'avois pas été occupé à couper ou à avaler. Mon estomac s'affaiblit, et l'on s'aperçut bientôt que je n'étois plus de si bonne compagnie; mais ce que je perdis du côté de la force, je le regagnay d'ailleurs, et je me rendis célèbre par la délicatesse de mon goût. Dans chaque maison, je faisois des dissertations avec le maître d'hôtel. Si un ragoût étoit mauvais, je lui en donnois la cause physique, et j'ajoutois la raison pourquoi il n'étoit pas si mauvais. S'il étoit bon, je lui disois comment il auroit pu être meilleur; je le battois dans tous ses subterfuges, et je l'obligeois à la fin à m'approuver. Quand je revenois avec les convives,

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je redisois ce que je venois de dire, ou je reprenois quelques vieilles histoires ou certains propos fami- liers. Je donnois des raisons du petit nombre de gens aimables dans l'âge présent, je comparois les débauchés anciens avec les débauchés modernes; je trouvois les premiers plus forts et les seconds plus affadis par la galanterie; je me plaignois de l'éducation prise dans les ruelles et de la pros- cription des cabarets.

Mon Génie, mécontent de moy, me fit redevenir bête; il ne me donna d'abord qu'un intestin, et je fus un animal vorace; il voulut ensuite que je broutasse l'herbe, et je nacquis cheval.

A l'âge de sept ans, je quittay la prairie, et j'aiday à traîner un char dans les rues d'Ecbatane. Chose admirable! Mon maître n'avoit rien à faire depuis le matin jusqu'au soir, et je mourois de fatigue à son service. Il me menoit avec une vitesse incroyable, comme si toute la ville l'avoit attendu, et il me ramenoit du même train dans un autre lieu, il étoit tout aussi inutile. Tout fuyoit devant moy, ceux même qui m'avoient évité avoient peine à le croire, et mon étourdi rioit de bon cœur. Son triomphe, c'étoit les embarras ; il se rendoit d'abord maître du terrain, et sa voix étoit si forte qu'on n'entendoit que luy ; sa colère et sesjuremens augmentoient avec les obstacles, et, quand il s'étoit fait faire place, il ne sçavoit plus il vouloit aller.

Je n'espérois de sortir de ses mains que lorsque je lui aurois fait rompre le cou. Mais, un beau jour, je fus saisi par ses créanciers, et un vieux usurier

HISTOIRE VÉRITABLE 2$

me prit en paiement. Hélas! que je regrettay la folie de mon premier maître, quand j'eus affaire à la prudence de celui-cy ! Il avoit calculé ce qu'il falloit à un pauvre animal comme moy pour ne pas mourir de faim, et il me faisoit si bien jeûner que je croyois tous les jours que je jeûnois pour la dernière fois.

J'entendis, un jour, un vacarme horrible dans la maison; c'étoit le vieux avare qui s'emportoit contre ses domestiques et haussoit si fort sa voix qu'à la fin il la perdit, et qu'il tenta vainement d'exprimer sa rage. Je dis en moy même : «Je suis encore plus heureux que cet homme cy : ma condition peut chan- ger, mais son mal est incurable, il est son propre ennemi; il se tient et il ne se lâchera jamais. »

Il mourut, et j'eus le bonheur que son héritier fût un homme de bon sens. C'étoit un grave magistrat, qui me faisoit aller, avec le même sang froid, au lieu il rendoit la justice et chez une ancienne maî- tresse qu'il avoit. Je restois tous les jours trois heures, ni plus, ni moins, à la porte de cette vieille, après quoi, je voyois descendre mon maître, sans que ses cheveux, sa longue veste et son attirail ordinaire fussent le moins du monde dérangés. Mon conduc- teur donnoit un petit coup de fouet, je partois gra- vement, j'arrivois de même, et j'étois si sûr de mon chemin qu'étant devenu aveugle personne ne s'en aperçut. Mon maître, sa maîtresse et moy mourûmes à peu près tous trois ensemble, et un vieux cocher aussi. L'heure de notre mort sembloit avoir été prédite par un autre événement. Le carrosse que

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j'avois tant traîné avoit rencontré une pierre et s'étoit démantibulé.

Je vous ay fait toutes ces histoires, Ayesda, avec d'autant plus de confiance que je vous reconnois trop de sens pour douter du dogme sur lequel elles sont fondées. L'Être Suprême n'a pas moins produit d'abord tous les esprits que toute la matière. Un grand agent comme luy a créé d'abord tout ce qu'il doit créer le lendemain; le tems, un autre tems, sont pour ses créatures, et non pas pour luy.

Il a produit la matière pour l'unir, quand il veut, à ses esprits, mais il ne crée point chaque esprit pour l'unir à une nouvelle modification de la matière; autrement, il faudroit dire qu'il seroit dépendant d'une action capricieuse et souvent opposée à ses volontés mêmes.

Que s'il a d'abord créé tous les esprits, ce n'est point pour les tenir en réserve, mais pour en faire usage, et les faire rouler dans les différens postes qu'il leur distribue dans l'Univers.

LIVRE III

Je vous avoue que fus bien étonné quand je fus femme pour la première fois, et, ce qui me rendit la chose plus touchante, c'est que je commencay par être une femme de vingt-cinq ans. Une autre de cet âge ayant perdu l'esprit, mon Génie obligea mon âme d'aller remplacer la sienne, et il me fallut prendre ce corps là. J'étois dans un état de langueur, mais, peu à peu, mes forces revinrent, et je me ranimay à la vue de quelques rubans et d'un miroir que je vis sur une toilette. Un jeune homme, qui vint me dire que depuis longtemps il m'aimoit, et qui vouloit même me le prouver par de certaines libertés qu'il avoit, disoit-il, coutume de prendre avec moy, me fit tant de plaisir que je n'ay jamais été si charmée.

Je vous avoue que je ne laissay pas d'être embar- rassée dans le rôle nouveau que j'avois à jouer. A peine eus-je animé ma machine deux jours, que j'en- tendis dire que j'étois, depuis longtemps, brouillée avec tout mon voisinage, que j'avois tenu de cer- tains discours de quelques femmes, que j'avois eu de mauvais procédés avec d'autres, et deux hommes juroient qu'ils se vengeroient de moy et m'insulte- roient partout ils me trouveroient.

28 MONTESQUIEU

Mon mari vint de la campagne, et je vis d'abord, à son air chagrin et grondeur, que j'avois des fautes à expier; pour comble de malheur, il trouva, dans la poche d'un habit que je ne sçavois pas avoir, des lettres qui n'étoient pas de mon bail; elles lui appre- noient des choses que j'ignorois, et qu'il eût été bon qu'il eût ignorées aussi. Il entra avec moy dans d'étranges eclaircîssemens. Il perdoit l'esprit lors- qu'il entendoit mes réponses, qui, à la vérité, sur un pareil sujet, étoient très peu satisfaisantes : « Gela se peut, Monsieur, mais je ne m'en souviens pas... Mon cher ami, si cela est ainsi, je ne sçay pas com- ment cela s'est pu faire... Je n'ay rien à répondre, mais je n'aurois jamais dit cela de moy. » Quand il fut fatigué luy-même de sa mauvaise humeur, nous nous raccommodâmes; il reprit ses anciennes ma- nières; mais il trouvoit les miennes nouvelles; il ne concevoit pas ce que je pouvois avoir fait de cette négative éternelle que je mettois à la tête de tous mes discours, et, encore moins, comment il étoit possible que je voulusse la même chose tout un jour. Je le déconcertay bien davantage lorsque je l'aimay. Il étoit si peu fait à entendre parler chez luy de sen- timens, qu'il crut toujours que je le jouois, et il fut si malheureux qu'il aima sa femme quand elle ne mérita point d'être aimée, et qu'il cessa de l'aimer quand elle fut digne de son amour.

Cecy vous dévoile bien des choses, mon cher Ayesda. Quand vous verres des gens dont le caractère est incompatible avec leur caractère même, composés les de deux âmes, et vous ne serés plus surpris.

HISTOIRE VÉRITABLE 29

Je nacquis chez les noirs africains. A l'âge de sept ans, on me fit cette cruelle opération qui ne laisse plus d'espérances, et je fus vendu pour servir en Orient, dans le palais d'un grand seigneur.

C'est que soumis à des loix inflexibles, destiné à haïr mon devoir et à le suivre toujours sous les châtimens et sous les menaces, j'appris à cacher mon cœur; c'est que, vivant au milieu des beautés les plus rares, je n'osois presque me dire à moy-même que ces adorables objets me touchoient encore. Il fut de mon devoir d'affecter de l'insensibilité, d'ignorer que quelques sens me fussent restés, et de faire un mystère de mon désespoir et de mes regrets.

Je montay, de degré en degré, au rang de premier eunuque; toutes ces femmes étoient toujours devant moy ' ; leurs trésors furent prodigués à ma vue; rien ne me fut caché ; je fus témoin des moments les plus secrets; je les voyois dans toutes sortes d'état-; je n'en étois que plus désespéré, je me sentois dédai- gné par la pudeur même, incapable de l'alarmer, confondu et non pas heureux.

Il y avoit longtems que parmy toutes ces femmes mon cœur avoit choisi. Une d'elles, mais mon secret ne m'échappa jamais, sçut me charmer; il falloit, pour lui plaire, vanter sa beauté à son maître et le mien; je sentois mon cœur se déchirer; il falloit,

1. Cette phrase de sept mots est écrite de la main même de Montesquieu.

2. Sept mots de la main de Montesquieu.

3o MONTESQUIEU

par devoir, la mener dans ses bras, et, lorsque je la voyois, empressée, ignorer que je la conduisois, et voler devant moy, quand, sur ce lit terrible, je Tentendois murmurer ses amours, je souffrois un tourment plus cruel que mille morts.

Je la tirois du lit pour la mener dans l'appartement des bains. O Dieux! elle ne me parloit que de ses plaisirs.

Mon amour ^ s'indigna et ma jalousie s'aigrit. Je ne trouvay plus de plaisir qu'à lui oter ce cœur qui la rendoit si vaine. Je l'éloignay, peu à peu, des yeux de mon maître. Je produisois sans cesse de nouvelles rivales. Chaque jour vit diminuer sa faveur, et enfin elle entra dans l'oubli. Ses plaintes, ses prières, ses larmes, furent ignorées par mes soins. Je n'en étois pas moins malheureux, et, quand je me demandois pourquoy j'avois tant travaillé, et si je n'étois pas toujours ce même homme, rejeté par l'amour, mal- heureux par état, et destiné au mépris de tout ce qui peut aimer, je ne sçavois que me répondre, mes tristes succès et mes fausses joyes s'évanouissoient devant moy.

Combien de fois, dans le cours de mes intrigues, mon cœur s'étoit-il attendri? Quand je la voyois reconnaître la main qui la faisoit descendre, me peindre ses ennuis, me confier ses larmes, espérer tout de leur secours, mon esprit irrésolu avançoit sans dessein ou reculoit son ouvrage; je balançois entre la jalousie et la pitié.

I. Ici commencent les dix pages qui, dans le manuscrit, sont tout entières de la main même de Montesquieu.

HISTOIRE VÉRITABLE 3l

Un reste de raison m'éclaira. Je cherchay à étein- dre un feu qui n'avoit point de consistance, et je commencay à jouir de mon état, et de l'avantage de commander, unique plaisir des gens qui ne sont point aimés '.

Je regarday toutes ces femmes, et m'accoutumay, peu à peu, à n'en distinguer aucune ; à vivre avec leur sexe, et point avec leur personne; à me jouer de leurs caprices, de leurs ruses, de leur fausse soumission et de leurs larmes; à regarder leurs vains efforts, à les voir quand elles portoient leurs chaînes et quand elles paraissoient s'en lasser.

Je multipliay les règles, j'augmentay les devoirs; tout le monde fut coupable ou craignit de l'être. Je menaçay peu, je ne pardonnay jamais. J'employay toutes sortes de châtimens, même ceux qui mettent dans l'humiliation extrême, et qui ramènent, pour ainsi dire, à l'enfance^.

Je saisis plus fortement l'esprit de mon maître ; son oreille fut ouverte à moy seul, et, en excitant sa sévérité naturelle, je me mis entre luy et ses autres esclaves, je mis ses autres esclaves entre ses femmes et moy.

O triste effet d'un impuissant amour! Celle que j'avois adorée me voyoit plus cruel encore, et, comme elle me faisoit plus vivement sentir ma situation, que ses mépris m'étoient plus insupportables, je

I. Montesquieu avait écrit d'abord: « ...et je commencay à jouir de mon état, et du seul plaisir des gens malheureux, qui est celuy de commander. »

1. V. Lettres persanes : CLVII, Zachi à Usbek.

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trouvois à la désespérer une satisfaction plus exquise; un sentiment nouveau, qui tenoit du désespoir, de l'amour et de la haine, me faisoit chercher à venger mon état sur celle qui l'avoit rendu plus malheureux.

J'aimois à la voir pâlir à ma présence ', dépendre de mes regards, craindre ou se rassurer sur les mouvemens de mon visage, flotter au gré de mes caprices et n'être plus occupée que de ce qui pouvoit me déplaire, ou de ce qui pouvoit me calmer.

J'aimois à la voir dans les momens où, entre les prières et les excuses, les promesses et les larmes, le silence et les soupirs, elle tentoit ma clémence, incertaine et confuse entre la grâce et les châtimens.

J'aimois à la voir, darts cette humiliation éternelle, ne pouvoir plus former de pensée qui ne lui fît connaître sa dépendance, réduite à envier le sort de toutes ses rivales et peut-être le mien-.

Mais les plaisirs qui viennent du désespoir y ramènent toujours, mes ennuis renaissoient et, ce qui me les faisoit encore plus sentir, j'avois toujours devant les yeux un homme heureux^.

1. Montesquieu avait écrit d'abord: «à mon approche.»

2. Montesquieu a biffé l'alinéa suivant:

«J'aimois à employer l'artifice pour lui faire dévoiler tout le fonds de son âme; ses esclaves et ses compagnes, que j'avois gagnées, la faisoient parler, pendant qu'à tous ses discours (un mot illisible) je prêtois, du lieu j'étois caché, une oreille attentive. »

3. Ici se terminent les lo pages qui, dans le manuscrit, sont tout entières de la main même de Montesquieu. V. Lettres persanes : ix, le premier eunuque à Ibbi.

HISTOIRE VERITABLE 33

Je disois en moy même : « Tous ces esclaves, ces femmes et moy, ne sommes que les ministres des délices d'un seul. C'est pour les assurer qu'une main barbare m'a mis dans l'état je me vois. Je suis tourmenté pour qu'il soit plus tranquille; il nage dans les plaisirs, il jouit pour jouir encore, et moy, bien loin de posséder, je n'a}^ pas seulement d'idées que je ne trouve vaines, ni de désirs dont je ne sente aussitôt l'illusion. »

Mon Génie, qui voulut me faire une grande leçon, fit changer de demeure à mon âme. J'animay le corps de mon maître, et son âme anima le mien. Mais j'avoue que je ne me trouvay guère plus heureux lorsque j'eus tout, que je ne l'avois été lorsque je n'avois rien.

Je me sentis accablé de maladies, de lassitudes et de dégoûts. La présence d'une femme ne me pro- mettoit plus qu'une foiblesse plus grande. Que vous dirai-je de ces amours commencés et finis par l'im- puissance? Produit infortuné de ce que les sens qui se secourent ont de plus recherché! effort imbécille de toutes leurs tentatives ensemble ! situation étrange, l'on est auprès du comble de la félicité, sans en avoir l'espérance ' !

Je revis celle que j'avois autrefois adorée. Si l'on m'avoit dit, pour lors, qu'il viendroit un jour sa beauté ne toucheroit plus mon âme, je ne l'aurois

I. Cette dernière phrase, de la main de Montesquieu, rem- place les deux lignes suivantes, soigneusement biffées par lui : « lâche confession de la défaite, au milieu du champ préparé pour la victoire! »

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jamais cru. Si cette âme avoit pu prévoir que les dieux feroient cesser pour elle l'affreux obstacle qu'une main barbare avoit mis à sa félicité, elle auroit eu une joye qu'elle n'a jamais sentie. Mais la présence, les regards, les caresses de la plus belle personne du monde, rien de tout cela n'alla à mon cœur. Je me laissay aller dans ses bras, je n'y trou- vay que ^irritation de la langueur même, et j'eus tout sujet de me convaincre que l'excès du plaisir ne se trouve que dans la modération des plaisirs.

J'aurois bien voulu rendre à l'âme de mon maître une partie des chagrins qu'il m'avoit fait souffrir, mais un reste de tendresse pour mon ancien corps me retenoit'.

Dans une autre transmigration, je me trouvay être du beau sexe. J'étois de l'isle de Chypre, et un grand seigneur m'épousa. Il commença d'abord par manger tout son bien : je ne sçaurois pas dire comment, car

I . Cette phrase est encore tout entière de la main de Montes- quieu. Elle a été ajoutée par lui en remplacement d'un assez long passage, qu'il a soigneusement biffé, et que nous allons trans- crire intégralement : « Il arriva une circonstance digne d'être remarquée : l'âme de mon maître n'ayant pas été disciplinée, accoutumée à ne se rien refuser, porta le corps qu'elle animoit à des entreprises d'autant plus téméraires qu'elles étoient plus vaines. Un jour que le nouvel eunuque conduisoit une femme dans mon lit, par un attentat inouï dans le sérail, il osa montrer des désirs. Je fis sévèrement punir mon ancien corps, sa nouvelle âme apprit à se contenir, à se tenir captive et à rester anéantie.

« Vous vous imagines bien, Ayesda, que dans ces changemens d'âme entre deux personnes, chacune retient plus ou moins de son ancien caractère, selon qu'elle se trouve avoir plus d'empire sur le nouveau corps, ou que son nouveau corps a plus d'empire sur elle. »

HISTOIRE VÉRITABLE 35

il étoit ruiné que personne ne s'en étoit aperçu. Dans cet état, je me servis des ressources que peuvent donner à une femme des accès à la Cour. Je me mêlay des affaires de ceux que la fortune avoit éloignés des grâces du Prince. Je connoissois les favoris et les ministres, et je les voyois souvent; et, pour vous dire le caractère de ces gens là, leur vanité étoit flattée quand ils pouvoient faire quel- que mauvais compliment aux hommes, et elle étoit flattée quand ils faisoient des politesses aux femmes : avec les hommes ils vouloient faire voir qu'ils étoient grands, et, avec nous, ils vouloient montrer qu'ils étoient aimables. Pour revenir à moy, j'aimois à demander, mais j'aimois aussi à obtenir. Quelque chose que Ton me dît, j'allois toujours mon train, et, pour les raisons qu'on pouvoit me donner, je n'étois pas bête au point de me piquer de les entendre. Au contraire, après qu'on avoit bien travaillé à m'expli- quer l'impossibilité de la chose, on étoit tout étonné que je recommençois à la demander. Me parloit-on de maximes et de règles, je parlois de bienséances et d'égards, et, si l'on venoit me dire que la chose étoit sans exemple, je ne pouvois revenir de mon étonnement de ce qu'on ne vouloit pas faire un exemple pour moy.

Voilà comment je travaillois à corriger la pédan- terie des hommes publics, et, sans cela, de quoy serions nous devenus ' ? Vous pouvés compter qu'une femme qui n'est que femme, ruine un mari par son

I. Tournure gasconne qui paraît avoir été familière à Montes- quieu, car on la retrouve assez souvent dans ses premiers écrits.

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état, si elle ne le ruine pas par ses mœurs; au lieu qu'une autre qui sçait se retourner, rétablit, par ses mœurs, une maison qu'elle ruineroit par son état.

Voicy une reflexion, mon cher Ayesda, que vous prendrés peut être pour une digression : c'est qu'il ne faut pas s'étonner que tant de gens courent après la Fortune; il y a très peu d'hommes qui ayent de bonnes raisons pour se juger exclus de ses faveurs. Êtes-vous avec de l'impertinence? tant mieux ; il ne vous faut qu'un saut pour aller à l'importance, d'où vous volés à l'impudence, et vous parvenés. Êtes-vous avec de la sottise ? vous voilà bien ; on vous mettra dans une grande place pour que vous n'en occupiés que le devant, et que le fond en soit toujours vuide. Parlés-vous à tort et à travers? vous êtes trop heureux; vous plaises par à la moitié du monde, et sûrement à plus des trois quarts de l'autre. Votre stupidité vous rend-elle taciturne? cela est bon; vous serés propre à recevoir le masque d'un homme de bon sens. Allons notre chemin! mar- chons! on ne sçauroit nous montrer une route que les fils de la Fortune n'ayent battue avant nous.

Dans la suite, je me trouvay une très jolie créa- ture. Je ne sçavois pas encore ce que c'étoit que Tamour, et je cherchois à l'inspirer. A l'âge de douze ans, j'imaginois; à treize, je me faisois séduire. Déjà j'accordois ce que je refusois, je hâtois ce que je dififérois, et je promettois ce que j'exigeois; d'inno- cente, je devenois timide, je me laissois rassurer, et tout finissoit par des traits d'une très grande har- diesse. Après quinze ans d'aventures à Athènes, trop

HISTOIRE VÉRITABLE Sy

longues à vous raconter, je m'en allay a Ephèse, et, pendant trois mois, je fus si modeste qu'un jeune homme me conjura de l'épouser. J'obtins sur son impatience quinze jours pour me préparer à la virgi- nité : j'y réussis très mal, mais je fus assez heureuse pour donner de la surprise à mon mari, sans luy donner de la méfiance. Quand il eut passé ses pre- miers feux, il sentit qu'il étoit pauvre, et il agréa que je me misse à la tête de ses affaires. Je repris donc mon premier train de vie, mais j'étois peu considérée, car je n'avois encore eu pour amans que des bour- geois; mais, ayant eu le bonheur de plaire à un grand seigneur, et ensuite à un homme riche, je fus tout à coup à la mode, tout le monde vouloit m'avoir, et moy, je faisois l'importante, j'avois de grands airs qui augmentoient tous les jours, et je devenois plus chère à mesure que je valois moins.

Ma fortune étant faite, je crus ne devoir plus aimer que pour mes plaisirs. Mais je m'y pris si tard que je ne pus guère dire que ce fut aussi pour le plaisir des autres. Je ne laissay pas de retenir le titre de belle. A l'âge de soixante ans, je me présentois encore comme une nymphe. L'air de satisfaction qu'on me trouvoit et l'ignorance profonde de la perte de mes charmes, firent que l'on continua à me dire les mêmes choses, et, comme je ne connus point le moment l'on finissoit de me dire vray et l'on commençoit à me parler faux, je continuay à me croire toujours aimable. Enfin mes amans prirent avec moy de si grands airs, et ils m'escroquèrent tant d'argent, qu'ils m'ouvrirent les yeux et m'apprirent

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un secret que je n'aurois jamais trouvé de moy même. Je fus si heureuse que je ne sentis presque la néces- sité de vieillir, que lorsque j'éprouvay celle de cesser de vivre.

J'ay été si souvent femme et si souvent homme, Ayesda, que je suis plus en état que Tyrésie ' de dire lequel des deux sexes a l'avantage. Je connois au juste le fort et le foible de l'un et de l'autre. Je vous diray seulement que, lorsque j'étois femme, je m'imaginois que j'étois née pour faire le bonheur de tous les hommes que je voyois; il me sembloit que j'animois toute la nature, et qu'on recevoit à la ronde des impressions de moy. Enfin je croyois que les Dieux avoient mis tous leurs trésors et toutes leurs perfections entre mes rideaux. J'avois le sou- verain plaisir que donne la vanité, avec celuy que je partageois.

Je fus femme encore, et, ayant plu à beaucoup de monde, j'eus tant d'aventures et de tant de façons, que la famille de mon mari, qui étoit des plus obs- cures, commença à être connue. Je ne puis pas dire que j'eusse donné à mon mari l'estime publique, mais seulement une espèce de considération que je ne sçaurois bien vous définir, car elle semble être opposée à la considération même. Ma mère, qui m'aimoit beaucoup, me disoit toujours : « Ma chère enfant, laissés les parler, mettes vous bien dans l'esprit que l'obscurité est tout ce qu'il y a de pis dans ce monde cy; fuyés la; quand on n'en peut pas

I. Tyrésias. V. Ovid.^ Métam. III, 5, 6.

HISTOIRE VÉRITABLE Scj

sortir par des vertus, il faut en sortir par de certains vices, où, au moins, par de certains ridicules. Sçachés que le dernier degré de bassesse est d'être d'une famille personne n'a seulement été en état de recevoir des mépris distingués de la part du public. »

Dans une autre vie, je fus à un financier; c'est-à- dire que je fus à luy après avoir été à beaucoup d'autres. Cet homme, qui n'avoit aucun usage du monde, me demanda d'abord, de la façon la plus grossière et la plus plate, si j'avois.... il vouloit parler de cette fleur que le peuple cherche, et que les honnêtes gens supposent toujours. « Monsieur, lui dis-je, je ne sçaurois répondre à cette question. Mais je vous supplie de voir combien je rougis; un homme aussi aimable que vous mérite bien d'avoir, d'une femme, sa première faveur et sa dernière, mais vos doutes m'offensent au point que je crois que, si je ne vous aimois pas, je vous renverrois tous les présens que vous m'avés faits, et serois inexorable sur tous ceux que vous voulés me faire. Je les ay reçus comme des marques d'une belle passion, et, pour cela, il a fallu que je prisse beaucoup sur ma délicatesse. J'ay trahi mes sentimens de générosité pour faire paroître avec éclat tous les vôtres ; si j'avois agi autrement, et que j'eusse refusé vos dons, je me serois épargné la douleur de m'entendre faire une ques- tion si dure! » En finissant ces mots, je fis couler quelques larmes, et mon gros homme les crut. Il se félicita d'avoir été l'écueil contre lequel s'étoit brisé ma vertu, et sa vanité augmenta à un tel point son

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amour, qu'il me combla de biens. J'attendis tran- quillement le moment je devois le renvoyer, c'est-à-dire celuy oii il me donneroit moins. Ce moment arrivé, je luy parus convaincue qu'il ne m'aimoit plus. Je me piquay, je m'offensay, je me brouillay avec luy, et j'en pris un autre. G'étoit un bon gentilhomme, qui m'épousa et fit revenir l'hon- neur sur toute ma vie passée. La modestie n'est pas proprement la vertu, mais elle la représente, et, comme vous sçavés, toute cette affaire est pleine de fictions. Je montray de la retenue ; je ne me rendis qu^après de belles défenses, et je mis dans ma con- duite toutes les obscurités nécessaires. Mon mari, après avoir vécu quinze ans avec moy, mourut et me laissa de grands biens. Dans cette nouvelle situation, j*examinay mes charmes, et, les ayant trouvés considérablement diminués, j'eus le bon esprit de devenir prude. Ce nouveau tour me réus- sit, car mes amans ne me demandèrent plus de beauté, et, en effet, je n'étois point obligée d'en avoir, m^étant si bien exécutée. On ne devoit plus être frappé que d'une certaine dignité que je faisois paroître, et d'une espèce de respect que j'avois pris pour moy-même, en en manquant à tous les autres. Vous sçavés que tout gît dans les obstacles que les hommes ont le plaisir de vaincre. Triompher, auprès d^une jeune personne, des difficultés de l'innocence et de l'éducation, ou triompher, auprès d'une prude, des difficultés de la raison et de la décence, n'est-ce pas toujours la même chose? Devenue plus vieille, je m'amusay du culte des Dieux, et je m'attachay à

HISTOIRE VÉRITABLE 41

leurs ministres. Ils n'étoient point agréables comme nos jeunes gens, mais ils n'étoient ni si suffisans ni si foibles, ils n'étoient ni si contens d'eux-mêmes, ni si peu de nous. Je les haïssois bien, ces jeunes gens, avec leur impertinente frisure! Je les haïssois bien, avec leurs sots discours! Que vous diray-je? Je tombay dans l'imbécillité, et ce fut le seul rôle vray que j'eusse joué de ma vie.

Mon âme avoit été tellement affectée dans toutes ces vies, qu'elle n'étoit plus propre qu'à mouvoir les organes d'une femme. Aussi, dans mes transmigra- tions suivantes, me trouvay-je une foiblesse incon- cevable dans le caractère.

Dans la première, on disoit que j'étois beau, mais excessivement fade. Je prenois un soin extraor- dinaire de ma chevelure et de mon teint, et j'aimois beaucoup ma figure. J'avois de petits gestes et de certaines façons; on voyoit quelque chose de lan- guissant dans ma démarche et mes yeux; je m'éva- nouissois à tout propos, et il falloit que des flacons me fissent continuellement renoître. J'avois peur de tout, et je n'étois rassuré que par les devins; ma vie c'étoit d'être regardé, et je ne paroissois guère que dans les lieux je pouvois bien l'être. Avec les femmes il ne me vint jamais dans l'esprit d'aimer ni d'être aimé; il m'auroit suffi d'en être admiré. Quand j'étois avec quelqu'une d'elles, on disoit que nous donnions un spectacle singulier; on ne nous auroit jamais pris pour deux amans, mais pour deux rivaux; c'étoit un combat personne ne cherchoit à attaquer, l'un et l'autre paroissoit se défendre,

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4^ MONTESQUIEU

et les deux champions sembloient n'être pas convenus des loix du duel.

Je viens de vous parler d'une vie je n'étois proprement rien. Dans celle cy, j'étois peut être quelque chose de plus. Il y avoit des gens qui me croyoient un fat; outre ma figure, mes équipages et mes habits, j'admirois beaucoup mon esprit; ce dernier article augmentoit mes torts et me rendoit plus incommode.

Vous remarquerés que, dans ces deux transmi- grations, j'étois d'un assez bon naturel; et comment aurois-je été méchant? Quand on s'admire sans cesse, on ne peut être irrité contre personne.

Je nacquis à Athènes pour être encore un joli homme. Les grâces qui président à la naissance des petits-maîtres se trouvèrent à la mienne : l'imper- tinence, la folie et le mépris des choses louables. A Page de quinze ans, je fis l'homme de qualité, et j'y réussis assez bien. Je crus devoir faire aussi l'homme d'esprit, et cela me fut encore plus aisé. Toute la difiiculté étoit de faire l'homme riche, et je crus que les femmes m'aideroient à cela. Mais, cinq ou six rubans qu'elles me donnèrent, me coûtèrent le peu de bien que j'avois. Pour lors tous mes amis m'abandonnèrent. Mais m'étant mis à jouer, je rega- gnay mon bien et mes amis.

Cependant mes cheveux tombèrent, mes traits vieillirent et ma taille s'épaissit. Je me crus perdu auprès des femmes; mais la réputation d'avoir été aimable et d'avoir été aimé me soutint auprès de quelques-unes et sembla me rendre ma figure

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passée. Aussi garday-je mes premiers airs; je parus toujours sûr de moy-même, je ne doutay de rien. Il couroit dans le monde des histoires de mes aven- tures; elles parloient pour moy; il est vray qu'une femme n'avoit pas longtems la tête tournée, et que, lorsqu'elle avoit bien reconnu le terrain, elle aimoit autant travailler à établir la réputation de quel- qu'autre, que jouir de la mienne.

Mon Génie, voyant qu'il m'avoit manqué trois fois, jugea qu'il n'y avoit pas moyen de faire un homme de moy. Je fus donc encore enveloppé dans les organes d'une femme.

Je me mariay en Macédoine. Le Roi ayant déclaré la guerre à un de ses voisins, nos maris partirent, et nous crûmes qu'il étoit du bon air de nous affliger. Des gens disoient : « En vérité, c'est une chose bien nécessaire que des hommes à ces femmes là! Mais comment ces gens, si regrettés pendant la guerre, étoient-ils si ennuyeux pendant la paix?» Mais moy je sçay bien que celuy que je regrettois ne m'en- nuyoit point. C'étoit un jeune homme très joli, neveu d'un vieux mari à moy, et je lui avois déjà donné la succession de l'oncle, car le bonhomme jouissoit très peu de son bien. Le petit garçon, en partant, m'avoit fait les adieux du monde les plus propres à le faire regretter. Jugés si j'étois affligée, surtout quand on a un bon cœur ! Mon mari revint, mais le jeune homme n'étoit pas encore arrivé. Le pauvre garçon, il avoit tant souffert! La joye rentra dans la maison, et mon mari, qui avoit pris ma tris- tesse pour des froideurs, prit ma vivacité pour un

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feu du mariage. Il voulut redoubler ses caresses; je vous assure que ce qui est établi est bien établi, et que, si les hommes n'avoient pas cette vanité ou cette sottise qui fait qu'ils se trompent eux-mêmes ou qu'ils sont trompés, ils seroient bien malheureux.

A chaque histoire que je vous fais, mon cher Ayesda, je me transporte si bien dans la situation j'ay été, qu'il me semble que j'y suis encore. Il est très difficile que, dans nos transmigrations, nous nous dégagions tout à fait de nos premières manières d'être. Je pourrois me comparer, dans toutes mes vies, à ces insectes qui semblent naître et mourir plusieurs fois, quoiqu'ils ne fassent que se dépouiller successivement de leurs enveloppes.

Je me trouvay encore du beau sexe; ma figure étoit passable, et je me serois fait épouser sans un défaut : c'est que j'étois la plus extravagante créa- ture qui fût au monde. J'avois beau présenter des petits paniers d'osier à Diane pour qu'elle me donnât un mari, le mari ne venoit point. Enfin, je m'adressay à Vénus, car, au bout du compte, j'aimois mieux qu'on dît que je ne me mariois point parce que je n'étois pas chaste, que parce que je n'étois pas jolie. Je fus une très bonne fortune pour un amant fort laid. Il m'aima, me prit pour sa maî- tresse, et je fus obligée de vivre avec luy, toujours suspendue entre mon amour général pour les hommes et ma haine particulière pour celui -cy, et je passay ma vie à me satisfaire sans goût et à calmer mes sens sans plaisir.

Dans une autre transmigration, je fus, sans mérite,

HISTOIRE VÉRITABLE 46

une femme assez sage. Je n'étois point jolie, et une chose me mettoit au désespoir contre les hommes : c'étoit la manière équivoque avec laquelle ils me disoient des douceurs, car je ne sçavois jamais dis- tinguer ce qui avoit été dit en faveur de mon sexe, d'avec ce qui étoit dit en faveur de ma personne; de manière, qu'après mille protestations, je restois incertaine. Mais ce qui achevoit de me désoler, c'est qu'on me donnoit, dans le monde, toutes les aventures que j'enrageois de n'avoir pas eues.

Cela me fit résoudre à m'attacher à mon mari. Ainsi je le désolois depuis le matin jusqu'au soir. J^avois pour luy tant d'attentions que je ne luy lais- sois pas un quart d'heure de relâche, et je portois si loin, de mon côté, la cérémonie du mariage, qu'il étoit impossible que, du sien, il en négligeât l'essen- tiel.

Dans cette vie cy, j'étois si semblable à ce que j'avois été dans la précédente, que mon Génie, en riant, disoit que j'étois ma propre sœur. Mon carac- tère étoit celuy d'une assez bonne femme; mais j'avois un ton de voix si aigre et si sec, que je ne donnois jamais le bonjour à quelqu'un qu'il ne fût tenté de croire que je luy disois des injures. Je décourageois de me parler; ceux que ma voix appe- loit, elle les repoussoit, et, quelque chose que je disse, on examinoit d'abord si elle pouvoit être prise en mauvaise part. Cela m'attiroit souvent des répon- ses un peu dures, et moy, faisant des efforts pour m'excuser, je sentois ma voix s'aigrir insensible- ment, ce qui formoit une dispute fort extraordinaire,

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dans laquelle mon malheureux fausset avoit à com- battre toute la mauvaise humeur des autres. Or, comme quand je parlois, il sembloit que je disputois, aussi, lorsque je disputois, il sembloit que je déci- dois, et, à dire le vray, il m'eût été très facile de n'être jamais de Tavis des autres, car personne ne vouloit être du mien. Les choses étant dans cet état, vous jugés bien que j'attrapay aisément des ridicu- les; que, quand ils étoient sur moy, ils y tenoient bien, et que personne ne venoit les en ôter. Ma mère, qui avoit beaucoup d'esprit, disoit toujours : « Je connois bien ma fille, elle a un très bon naturel, mais vous pouvés compter que personne n'en sçaura jamais rien. »

LIVRE IV

Dans cette vie cy, je me plaignis tant et si long- tems de mon sort, que mon Génie, perdant patience, m'apparut et me dit : « Il y a longtems que tu m'importunes. Veux-tu que, selon le pouvoir que j'en ay reçu du destin, je te métamorphose tout à l'heure en quelque autre homme? C'est selon l'homme, répondis-je tout étonné. Eh bien! veux tu être Achéménidas, le Roi de ton pays? Ah! Divin Génie, il est si décrépit que je n'aurois pas deux mois à vivre! Veux- tu être le jeune Cléon ?

Non! il est trop sot! Veux-tu donc être Eucrate ?

C'est le plus ridicule de tous les hommes ! Damasippe? Encore moins! Tu seras donc le riche Démostrate? C'est un avare, répondis-je, qui se laisse mourir de faim. Nomme moy donc quel- qu'un; mais prends garde à ce que tu diras, car je te transformeray sans miséricorde. Attendes, dis -je, un moment, s'il vous plaît! Le philosophe Anthis- tène? Non, c'est un homme chagrin! Anthis- tène, soit! repartit le génie en haussant la voix. Un instant, repris-je, laissés moy penser encore!

I. Ce livre était tout d'abord le cinquième; mais ce dernier mot a été biffé et remplacé par le chiffre 4.

48 MONTESQUIEU

Androclide... mais sa femme le fait enrager; il a d'ailleurs la goutte. Lysimaque... il est trop ennuyeux quand il raconte son ambassade à Thè- bes... > Je ne sçavois ce que cela vouloit dire, je ne me trouvois point heureux, et cependant je ne pouvois consentir à changer ma personne contre celle de qui que ce fût. « Il y a quelque chose dessous, dis-je en moy-même! » Et, après y avoir bien refléchi, je découvris un grand secret : c'est que les Dieux donnent à chaque homme un amour domi- nant pour sa propre personne et pour la condition des autres, et avec cela ils gouvernent l'univers.

Gomme les idées des choses que je vous raconte, Ayesda, n'ont point été liées aux traces du cerveau que j'ay présentement, mais sont, par la volonté des Dieux, présentes à mon âme, sans moyen, je m'en souviens à merveille, pendant que j'ay la mémoire du monde la plus malheureuse sur les choses qui, par la voie des organes, affectent mon âme dans cette transmigration cy.

Dans ma vie suivante, je négligeay extrêmement mes affaires, et, ce qui vous surprendra, je les négli- geay pour les affaires publiques. Vous vous imagi- nerés peut-être que j'étois ministre de quelque Prince. Non! et, si je l'avois été, je ne me serois pas tant donné de soins. Je n'avois ni charge ni employ, mais je sçavois m'occuper. Je vivois en Egypte dans une connoissance profonde des intérêts des divers états dont elle étoit composée. J'étudiois les vues des Princes, et aucun de leurs desseins ne m'échap- poit. Cecy, comme vous croyés bien, ne pouvoit se

HISTOIRE VÉRITABLE 49

faire sans des raisonnemens infinis, outre que cela devenoit, en quelque façon, une affaire de cœur : car il y avoit de certains Rois pour la prospérité desquels j'aurois donné ma vie, et il y en avoit d'autres pour qui j'étois une de ces comètes qui menacent toujours de quelque malheur. Je voudrois pouvoir vous faire connoître les douceurs que je goûtay, dans cette vie, où, dans une grande tran- quillité pour moy même, j'avois mon âme attachée à la destinée des Rois pour lesquels, au lieu de tant de vœux, j'aurois faire celuy qu'ils eussent pu être aussi heureux que moy.

Vous trouvères peut-être, Ayesda, que, dans mes différentes transmigrations, j'ay été souvent bien ridicule. J'en conviendray un peu, pourvu que vous vouliés faire avec moy cette reflexion : que le ridi- cule n'étant que ce qui choque les manières de chaque pays, comme les vices sont ce qui en choque les mœurs, ce qui vous paroît ridicule icy, ne l'étoit peut être pas tant, dans les pays je vivois, et je le croiray bien.

Je fus un pauvre Africain, chef d'un petit peuple sauvage. Un Egyptien étant venu dans notre contrée, je m'entretenois quelquefois avec luy. Mais il parloir, et moy je pensois. « Vous êtes bien cruels, me dit-il un jour: vous mangés les prisonniers que vous avés faits à la guerre. Et que faites-vous des vôtres ? luy répondis-je. Ah! nous les tuons, dit-il, mais, quand ils sont morts, nous ne les mangeons pas. »

Je croyois, Ayesda, qu'il ne valoit pas la peine, pour si peu de chose, de tant se distinguer de nous,

y

6o MONTESQUIEU

et qu'il falloit nous regarder comme sauvages parce que nous étions cruels, au lieu de nous regarder comme des gens cruels parce que nous étions des

sauvages.

Mais on n^est ordinairement frappé que des cir- constances des choses; le crime, devant les Dieux, est l'action; le crime, devant les hommes, est la manière de le commettre.

Je fus revêtu d'un autre corps, et le sort voulut que je fusse le mari de la plus belle femme qu'il y eût à Sybaris. Il sembloit que, dans la ville, tout le monde se fût chargé de la rendre impertinente; cependant elle l'étoit déjà bien. Si vous aviés vu avec quel art elle préparoit ma disgrâce, comment elle assaisonnoit les affronts qu'elle me faisoit pré- voir, quel compte il lui falloit tenir de chaque moment qu'elle vouloit bien les reculer, quelle vanité elle tiroit de mes peines ! Je ne sçache pas avoir été, dans aucune de mes transmigrations, si sot; enfin, je me dégoutay de ses charmes sans pouvoir cesser de prendre part à sa conduite. Quel sort, mon cher Ayesda! Vous pouvés compter, qu'après le malheur de perdre ce qu'on aime, il n'y en a pas de plus cruel que d'être obligé de chercher toujours des expédiens afin de se conserver ce qu'on méprise.

Dans une vie suivante, je nacquis de parens très pauvres, et j'ay ouï dire que, d'abord, je paroissois un peu stupide. Mais à l'âge de quinze ans, ayant eu le bonheur d'avoir une maladie qui me troubla le cerveau, je sortis de la misère, et j'eus l'honneur

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d'être fou d'un Roi tributaire de Perse. Ce Prince m'aimoit beaucoup, et, quoique il eût toujours autour de luy des gens très sensés, néanmoins, à cause de sa dignité, il ne parloit qu'à moy, car j'étois véritablement fou, et, cependant si sage, que je ne luy cassay jamais la tête ni ne l'étranglay.

J'ay tant de choses à raconter, qae je suis obligé de passer rapidement sur tout ce qui se présente à mon esprit. Vous y perdes beaucoup, mais soyés sûr que c'est malgré moy que j'en agis ainsi.

Étant à Ecbatane, je fus vendu pour servir dans le palais d'un grand seigneur. J'étois étourdi et distrait au point d'être incapable de quelque chose que ce fût au monde. Un jour que je présentois du sorbek à mon maître, je m'inclinay trop bas, et j'en laissay tomber six tasses qui se brisèrent à ses pieds. Je voulus me relever, je me jetay un peu trop en arrière, et je tombay à la renverse, entraî- nant avec moy une table sur laquelle il y avoit quel- ques vases. Cela fit beaucoup rire mon maître, et je m'aperçus, le soir, par les caresses de mes camarades, que j'avois beaucoup plus de considération dans la maison. Depuis ce tems, mon maître m'aima toujours; il me faisoit copier des livres de Zoroastre. Quand je réussissois, il ne me disoit rien; mais, quand j'écrivois quelque extravagance, il travailloit à me faire voir ma sottise; il se tourmentoit pour m'en convaincre; il rioit, et me faisoit donner deux tasses de sorbek.

Je m'acquittois bien mal des commissions qu'il me donnoit; je ne rencontrois jamais ce qu'il m'avoit

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ordonné de dire à ses femmes, ni ce qu'elles avoient répondu; de façon, qu'après bien des allées et des venues, il falloit toujours qu'il s'éclaircît par luy même, et elles s'en trouvoient fort bien.

J'étois si propre à distraire du sérieux de l'obéis- sance et du commandement, que tout le monde m'aimoit, et ces concubines, qui ne cessoient de se chamailler sur toute autre chose, étoient toujours d'accord sur mon sujet.

Un jour, que j'étois malade, je vis que toutes ces femmes pleuroient, et mon maître en fut si chagrin, qu'il fit donner, pour rien, cinquante coups de bâton à deux de ses plus fidèles esclaves, et il robroua. (sic) si bien deux officiers subalternes qui, par malheur, eurent à faire à luy ce jour là, qu'ils se crurent perdus.

Dans une autre transmigration, mon visage étoit difforme et mon corps contrefait. Ces malheurs n'étoient pas grands, ils le devinrent. J'épousay une femme très jolie. Je l'aimois et un million de défauts ne pouvoient la rendre désagréable à mes yeux. Un jour, je la surpris avec un de ses amans, dans l'infi- délité la plus marquée. Ils restèrent tous deux dans l'étonnement et dans le silence, et moy aussi. Le len- demain, comme j'ouvris la bouche pour luy parler : « Voilà comme vous êtes, me dit-elle; si l'on a tort un jour avec vous, c'en est assez pour vous faire oublier les complaisances de toute une vie. Ne voulés vous pas encore me parler de l'affront que vous me fîtes hier? Tenés, monsieur, il ne tiendroit qu'à vous de me trouver une femme adorable, si vous

HISTOIRE VÉRITABLE 53

senties mes bons procédés. Soyés sûr que ce que j'accorde n'est rien en comparaison de ce que je refuse tous les jours. Vous êtes attaqué à chaque instant, mais, à quelques échecs près, l'avantage vous reste. Nitocris, luy répondis -je, ce que vous dites m'est toujours cent fois plus insupportable que ce que vous faites. Je pourrois pardonner vos crimes, mais comment vous passer vos justifications?

Eh bien! dit-elle, j'avoue que j'ay tort de vous parler ainsy, et je vois qu'il convient mieux que je vous dise ingénuement la cause de votre malheur. L'amour que j'ay conçu pour... Vous n'avés point, luy dis-je, conçu d'amour. Vous avés trop d'amans pour qu'ils puissent si fort vous plaire plus que moy. C'est votre vanité que j'ay à combattre et non pas votre goût; un tel mal est sans remèdes. »

Il me vint dans l'esprit mille partis violens; mais ma rage étoit moindre que mon désespoir, et je pas- sois de la fureur à la foiblesse: je tombay dans une maladie de langueur, et mes douleurs, devenant tous les jours non pas plus vives mais plus profondes, mon âme sembla mourir et s'éteindre elle-même, dans cette misérable transmigration.

Suze acquit en moy un nouveau citoyen. Mon père étoit d'Athènes, et se tenoit, tout le long du jour, sur un petit théâtre, au port de Pirée, il mangeoit du feu pour le plaisir du public, et arra- choit des dents pour son utilité. Dégoûté d'Athènes, il voyagea et pénétrajusqu'à la capitale d'un royaume des Indes. Une fluxion qu'eut le Roi le fit appeler dans le sérail. Par bonheur pour luy, aucune Reine

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n'eût mal aux dents, ce qui fit qu'il en sortit sans avoir reçu aucun sujet de chagrin. Il se maria, et je vins au monde. La fortune me fit naître nain, et elle me fit naître muet. Ces deux qualités, jointes ensemble, me procurèrent une place auprès du Roi. Il me parloit continuellement par signes, et il rioit lorsque je l'entendois, et lorsque je ne l'entendois pas. Il se servoit de moy pour étrangler tous ceux qui lui déplaisoient, et j'étois si bien au fait, qu'il ne m'arriva presque jamais de prendre quelqu'un pour un autre. J'avois un frère aussi petit que moy, mais on n'en fît jamais de cas, car il avoit le malheur d'entendre ce qu'on luy disoit, et d'exprimer, par la parole, ce qu'il pouvoit concevoir. Cependant, le hazard fît que je fus un petit homme encore plus considérable que jen'avois été; voicy comment. Un eunuque africain, en qualité du plus laid homme de l'empire, obtint le titre de gardien des vierges et de chef des eunuques noirs. Ce haut rang lui fut long- temps disputé, mais il l'emporta, et un autre, qui osa se montrer, eût si peu de succès contre luy, que, bien loin d'obtenir ce poste, il fut sifflé, et resta un misérable jardinier du sérail. Pendant que la dispute étoit la plus échauffée, je fis remarquer au Roi que le nouveau champion avoit une dent très blanche, et que, de loin, il ne paraissoit pas si contrefait que de près. Ce service que je rendis au chef des eunu- ques ne fut pas sans récompense, car il se piquoit de n'oublier jamais ses créatures. Il prit soin de ma fortune, j'entray dans toutes les intrigues du sérail, et mes signes devinrent des loix pour tout l'empire.

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Je vais vous parler d'une vie je fus bien mal- heureux. J'étois médecin d'un empereur des Indes; l'étiquette de la cour me défendoit de luy survivre, et il falloit que, le jour de ses funérailles, je fusse mis sur son bûcher. Je me portois bien, moy, mais il étoit très souvent malade, et il ne passoit jamais huit jours sans avoir quelque foiblesse capable de nous emporter. D'ailleurs, il n'était pas possible que nous puissions résister à la vie qu'il menoit. Je luy disois toujours qu'il perdoit sa santé avec ses femmes, et il me répondoit froidement qu'il aimeroit autant ne pas vivre que de se refuser le moindre plaisir. Il restoit à table tout le long du jour, et, ce qu'il y avoit de singulier, c'est qu'il vouloit que cela me divertît. Ah! que j'enrageois bien, surtout, lors- qu'avec un visage pasle, il venoit se vanter à moy de ses excès. Mais, quand je luy faisois des représen- tations : « L'heure de notre mort est écrite haut, me disoit-il, nous ne sçaurions la reculer. J'ay bien peur, luy disois-je. Seigneur, que toutes ces créatures ne feront pas que vous mourrés, mais que vous vous tuerés! » Tout cela ne faisoit rien. C'est une espèce bien singulière qu'un homme à qui tous ses cinq sens ont toujours dit qu'il étoit tout, et que les autres ne sont rien'. Celui-cy croyoit que je devois être bien fâché de sa mort, et point du tout de la mienne. Aussi, dans nos périls communs, ne luy parlois-je jamais de moy. Remarqués bien que tous les efforts que la tyrannie fait en sa faveur, ne

I. Cette dernière phrase est légèrement biffée dans le ma- nuscrit.

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manquent jamais de tourner contre elle ^ Dans la dernière maladie de ce Prince, j'avois le cerveau si troublé que je ne sçavois plus ce que je faisois, et je ne doute point que je ne luy aye fait passer le pas deux mois trop tôt.

Il n'est rien dont je ne me sois avisé dans toutes ces différentes vies. Dans celle-cy, je fis un livre; mon ouvrage eut un grand succès, et non pas moy. J'avois de l'esprit, et, avant cela, on me jugeoit propre à tout; mais lorsque j'eus fixé le jugement du public sur un talent particulier, on ne me jugea plus propre à rien.

J'avois été jusque ami de tout le monde. Mais bientôt j'eus une infinité de rivaux et d^ennemis qui ne m'avoient jamais vu, et que je n'avois jamais vus aussi. Il me fut impossible de me réconcilier avec tous ces gens là.

On vouloit m'avoir dans les sociétés, et on me donnoit l'employ d'y être agréable, ce qui m'afifligeoit beaucoup. On ne vouloit jamais que je disse une sottise, quoique tous ceux qui étoient autour de moy prissent d'étranges libertés à cet égard.

D'un autre côté, il y avoit des caillettes qui disoient qu'elles me fuyoient, parce que j'étois un bel esprit. Elles vouloient, par là, faire entendre que j'avois de l'affectation et elles du naturel, et qu'elles auroient eu plus d'esprit que moy, si elles avoient voulu en avoir.

Des gens soutenoient que je n'avois pas fait mon

I. La phrase est encore légèrement biffée.

HISTOIRE VÉRITABLE b']

livre; Tenvie est si sotte qu'elle ne comprenoit pas qu'elle ne gagnoit rien par là; si ce n'étoit pas moy qui l'avoit fait, il falloit bien que ce fût un autre.

Enfin, ce malheureux ouvrage me tourmenta toute ma vie, et, soit qu'on le louât, soit qu'on le blâmât, j'en fus toujours embarrassé.

Je ne vous parleray point, Ayesda, de toutes les autres transmigrations que j'ay essuiées. Vous déro- bés aux affaires publiques le tems que vous employés à m'écouter, et moy je ne sçaurois guère décrire exactement des vies qui ont plus duré que sept ou huit empires. Il s'est passé bien des siècles depuis le temps que je fus valet de bonze, aux Indes, jusques à la révolution présente que je me trouve à Tarente un pauvre barbier. Je vous diray seulement que cette transmigration-cy ne me plaît point du tout. J'ay une femme qui se donne de grands airs, et qui a de l'impertinence pour une Reine. Elle me fait sans cesse enrager; elle m'a donné quatre enfans dont il y en a plus de la moitié je jurerois que je ne suis pour rien. Je suis si malheureux que, pour me dédommager de cette vie-cy, les Dieux, qui sont justes, ne peuvent guère s'empêcher de me faire bientôt naître Roi de quelque pays. Si cela arrive, et que mon âme fasse fortune, je vous promets que j'auray soin de vous, si vous êtes en vie, ou au moins de vos descendans. Aussi bien, est-ce le seul moyen que j'aye de m'acquitter de l'argent que vous m'avés généreusement prêté. Quoique je sois pau- vre, Ayesda, je me pique d'être honnête homme, et vous pouvés compter sur moy dans l'occasion.

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LIVRE VI

Vous prêtâtes hier tant d'attention à mes discours, mon cher Ayesda, et j'ay, de mon côté, un tel foible pour ceux qui m'écoutent, qu'il faut que je vous dise tout, et que je vous révèle des choses mer- veilleuses parmy les merveilles.

Vous sçaurés qu'il y a environ deux mille ans que mon Génie jugea à propos, je ne sçay par quelle raison, de m'habiller simplement d'un corps aérien, de maaière que je passay cinquante ans hors de cette croûte épaisse les âmes sont enfermées.

Je fus d'abord au service d'un petit incube très libertin, qui, la nuit, couroit toutes les ruelles de la ville. Le pauvre petit Dieu prenoit plus de peine, il se tracassoit tant, et cependant je ne voyois pas qu'il eut de grands plaisirs 2. Il étoit, tous les matins, de la plus mauvaise humeur du monde; il trouvoit à redire à tout ce qu'il avoit vu, et en faisoit une récapitulation très triste. Un jour qu'il se plaignoit à moy des dégoûts qui avoient suivi une nuit qu'il avoit passée avec une femme que tous les poètes

1. Le livre V manque. Voir l'introduction.

2. Nous donnons cette phrase telle qu'elle est dans le manuscrit.

60 MONTESQUIEU

de la ville juroient être belle comme un astre, moy, qui me souvenois de quelques vieilles maximes que j'avois autrefois apprises dans le monde, je luy dis : « Monseigneur, vous n'êtes pas au fait. Sitôt que vous entendes parler d'une femme, vous vous fourrés dans son lit; ce n'est pas le moyen de la trouver belle. Commencés par la trouver belle, et mettes vous dans son lit. »

Pendant que nous étions occupés du courant, il nous vint une affaire extraordinaire. On envoya à l'incube un ordre précis de l'Olympe de travailler à la formation d'un héros. Il obéit en rechignant, car pourquoi soumettre à un ordre absolu des choses si volontaires? Nous allâmes chercher par- tout une Princesse propre à produire cette espèce d'homme qu'on nous demandoit. Nous nous fixâmes sur une Reine de Scythie, que nous trouvâmes couchée sur une peau d'ours, ayant son arc et son carquois au chevet de son lit. La fière Reine revoit à des combats et à une ville dont les murailles étoient teintes de sang. Mon maître se glissa dans son lit et commença d'abord par lui donner une oppression de poitrine. Nous la tourmentâmes toute la nuit, mais nous nous y prîmes si mal, qu'après bien des peines, nous manquâmes le héros et ne fîmes qu'un tyran.

Vous me demanderés peut être pourquoi les Dieux emploient les incubes à la formation des hommes extraordinaires. C'est que les héros sont destinés à être les instrumens de la vengeance divine, et, s'ils avoient une origine humaine, ils ne seroient pas assez inexorables.

HISTOIRE VÉRITABLE 6l

Je fus envoyé dans une ville des Indes pour servir un génie qui rendoit des oracles. Les peuples por- toient sans cesse de l'or et de l'argent dans notre temple, ce qui mettoit mon petit Dieu au désespoir. «A moy! de l'or, disoit-il, à moy! Ils me croyent donc bien avare! Sçais tu bien ce qui arrive? C'est que, lorsque quelque Prince sacrilège vient pour enlever ces trésors, il m'en coûte toujours la façon d'un prodige.» Aussitôt il entra dans son tuyau et dit : « Mortels, apprenés que vous ne pouvés offrir aux Dieux vos trésors, sans leur faire voir le cas que vous faites d'une chose qu'ils veulent que vous méprisiés. »

Ce qui me charmoit, dans le Génie que je servois, c'est qu'il n'étoit ni ambigu, ni obscur, et qu'il disoit franchement tout ce qu'il sçavoit. « Que faut-il que je fasse pour devenir heureux? lui dit un suppliant.

Rien, mon ami, répondit-il. Comment rien?

Rien! vous dis-je. Vous croyés donc que je suis heureux? Non! je crois, au contraire, que vous l'êtes très peu. Pourquoi ne voulés vous donc pas que je travaille à le devenir? C'est qu'on peut l'être, et qu'on ne peut pas le devenir. »

Je fus envoyé pour servir un Génie appelé Plu tus, qui est le dieu des richesses chez les Grecs. Comme il permettoit que je lui parlasse librement, je lui dis : « Monseigneur, il me semble que vous ne faites guère d'attention au mérite des personnes. Vous accordés et vous refusés sans raison. Il n'y a pas de métier plus facile à faire que le vôtre : il ne vous en coûte pas, dans la journée, un quart d'heure de

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reflexion. Mon ami, me dit -il, je préside aux richesses, et la Fortune distribue les dignités. Nous donnons sans choix et sans égard, parce que ce sont des choses qui ne peuvent pas faire le bonheur de ceux qui les reçoivent. Et pourquoi cela? répondis-je. C'est que Jupiter n'a pas voulu mettre la félicité dans les choses que tout le monde ne peut pas avoir; les richesses d'un homme suppo- sent la pauvreté d'un nombre infini d'autres, et la grandeur d'un mortel, l'abaissement de tous ceux qui lui obéissent. Qu'est-ce qui peut donc ren- dre les hommes heureux? repris-je. Ce sont les biens réels, qui sont dans eux-mêmes, et ne sont fondés ni sur la misère, ni sur l'humiliation d'au- truy : la vertu, la santé, la paix, le bon esprit, la tranquilité domestique, la crainte des Dieux. Mais les honneurs et les richesses ne sont pas incompatibles avec ces sortes de biens, repris-je. Ils le sont presque toujours, car les Dieux, lassés des importunités des mortels, qui leur deman- doient tous ce que très peu pouvoient obtenir, vou- lurent avilir ces sortes de biens; ils y joignirent la tristesse, les soins cuisans, les veilles, les maladies, les désirs, les dégoûts, la pâleur, la crainte, et cependant, ô étrange manie ! les hommes ne nous les demandent pas moins. Mais les pauvres, lui répliquay-je, sont- ils plus heureux ?— Pour lors, il me dit ces grandes paroles: «les Dieux ont fait une classe de gens plus malheureux encore que les riches, ce sont les pauvres qui désirent les richesses. >

HISTOIRE VÉRITABLE 63

Je fus, dans la suite, attaché à un Dieu domestique, qui avoit l'œil sur une des maisons les plus opu- lentes de la ville nous étions. Je ne vous feray pas l'histoire de ceux qui l'habitoient, mais vous pouvés bien compter que, s'ils avoient conçu quelque mauvaise action, ils la venoient toujours faire devant nous. Le maître de la maison étoit un grave magis- trat, et, quand il se montroit au public, je l'entendois parler comme auroit pu faire la justice même; mais, quand il avoit quitté sa robe, je n'ay jamais vu un si malhonnête homme. Il est vray que sa femme le trai- toit comme il traitoit le public; elle tenoit, devant luy, les discours du monde les plus chastes, mais, dans son absence, c'étoit un mari bien ajusté; et la petite fille était un modèle de vertu, devant sa mère; mais elle devint grosse à quinze ans. Si vous aviés vu le vacarme qu'ils luy firent, et combien de fois par jour ils luy reprochoient d'avoir déshonoré sa famille ! «Ah! les grands fripons! disoit mon maître, ils ne se seroient point souciés de l'action, s'il n'y avoit eu que nous qui l'eussions sçue. »

Pendant que j'étois parmy les Génies, il arriva un grand malheur à un petit incube de nos amis. Il perdit son chapeau, et un homme le trouva. Cela mit la prospérité dans ses affaires, car le pauvre Dieu étoit obligé de le servir. C'étoit bien le plus malheu- reux petit Génie qu'il y eût. Son maître, qui jouoit depuis le matin jusqu'au soir, ne luy laissoit pas un moment de relâche. 11 luy falloit passer dans le cornet, y être ballotté, diriger les dez, les suivre sur la table, et encore, la plupart du tems, juroit-on contre luy.

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11 est vray qu'il ne s'en mettoit point en peine; il connaissoit l'injustice générale des hommes, qui ne manquent pas d'attribuer à leur grande prudence tout le bien qui leur arrive, et tout le mal, à la jalousie des êtres qui sont au dessus d'eux.

Je servis un Génie qui fut envoyé pour animer la statue de Pygmalion. J'entendis que quelqu'un disoit à ce sculpteur : « Il falloit que vous fussiés fou d'ai- mer une de vos statues. Mon ami, répondit-il, tu es un poëte, et ce n'est point à toi à me reprocher d'être amoureux de mes ouvrages; tu es enchanté des tiens, mais Apollon ne leur a pas donné la force et la vie. »

Je me souviens du jour que les Dieux signalèrent ainsi leur puissance. Pygmalion voyoit sa statue vivante et il craignoit de se tromper. « Ah! dit-il, vous vives, et je seray le plus heureux des mortels. » Elle le regarda languissamment. Pygmalion parut ravi de joye. «Je vous aimois, et, bien loin que vous fussiés sensible à mon amour, vous ne pouviés pas seulement le connoître; mais, à présent, vous sçaurés que j'ay fait des vœux téméraires pour vous, et qu'il n'y a que la grandeur de mon amour qui ait pu toucher les Dieux. »

Mon Génie recommença à me faire circuler dans les corps humains. Je passe un grand nombre de transmigrations, pour vous parler de celle-cy, dont l'idée me flatte encore.

j'étois Grec, et, à l'exemple de plusieurs philoso- phes, je parcourus divers pays. Je m'arrêtay quelque tems en Egypte, et j'y acquis de la réputation. Le

HISTOIRE VÉRITABLE 65

Roi étant sur le point de partir pour une expédition, un prodige heureux arriva à Memphis, et on en rapporta un autre de Sais qui fut jugé malheureux. Dans cette incertitude, on consulta divers oracles, et ils se trouvèrent aussi peu d'accord que les prodiges. On interrogea les prêtres, et, chacun d'eux faisant valoir son opinion, ils jetèrent le Roi dans une per- plexité plus grande. Jugés-en, puisqu'il eut recours à moy qui étois étranger. « Seigneur, luy dis -je, les hommes ne sont point faits pour connoître les volontés particulières des Dieux, mais pour sçavoir leurs volontés générales. Ils désirent que vous ne fassiés point de guerre injuste, et que vous n'em- ployiés la puissance qu'ils vous ont donnée que comme ils feroient eux-mêmes, s'ils l'avoient rete- nue. — Mais les entreprises les plus justes, dit le Roi, peuvent ne pas réussir, et un oracle reçu à propos peut nous en détourner. Si les Dieux, répondis -je, vouloient vous détruire, ils seroient insensés de vous révéler leurs desseins. Ils sont assez prudens pour garder leurs secrets. C'est vous qui vous asservisses à ce que vous appelés des pro- diges, et non pas eux. » Comme il ne sortoit pas de son incertitude, j'ajoutay : « L'irrésolution a tous les effets de la timidité, et elle en a d'ailleurs de pires. Les Dieux vous ont donné des armées, et vous avés, sans doute, de la prudence et du courage; ce sont les oracles qu'il faut consulter. »

Les anciens Rois avoient accablé leurs peuples par la construction de leurs pyramides. Celui-cy voulut suivre leur exemple. Je lui dis : « Seigneur, une

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courtisane de Nocretis fit, autrefois, bâtir une pyra- mide. Elle avoit raison : elle laissoit un monument de sa beauté. Mais je ne vois pas ce que celle que vous voulés élever prouvera à la postérité, en votre faveur. Elle prouvera ma puissance, dit le Roi. Et qui est-ce qui doutera jamais de la puis- sance d'un Roi d'Egypte? Il y a apparence que les folies de vos successeurs la prouveront assez, sans que vous vous en mêliés. La véritable grandeur seroit de vous distinguer, par vos vertus, de ceux qui seront aussi puissants que vous. Vous n'êtes point, me dit le Roi, instruit de la religion des Égyptiens : nous croyons que nous devons vivre dans les tombeaux, et nous autres Rois, toujours exposés à la fureur du peuple, qui craignons, qu^après notre mort, il ne la porte sur nos mânes sacrés, bâtissons des pyramides qui puissent nous en garantir. N'avés vous, luy dis -je, que cette ressource pour jouir de l'immortalité? L'amour de vos sujets ne vous défendroit-il pas mieux que vos pyramides? Le corps du Roi Osiris est depuis si longtems exposé sans défense devant tout le peuple; voyés si quelque Égyptien a été encore assez sacri- lège pour l'insulter. On aime mieux l'adorer comme un Dieu que de ne pas assez l'honorer comme un homme. Seigneur, on est porté à aimer son Roi, comme on est porté à aimer sa patrie; comptés que pour qu'un Prince parvienne à se faire haïr de ses sujets, il faut qu'il prenne la peine de détruire dans leur cœur le sentiment du monde le plus naturel. »

HISTOIRE VÉRITABLE Gy

Un jour le Roi me dit : « Je suis transporté de joye ; on vient de m'apprendre le lieu sont cachés les trésors du Roi Athotis. » Et se tournant vers ses ministres: «Allés, coures, ayés moy des ouvriers! Ou*on me renverse les montagnes! » Je haussay les épaules: «Eh! Seigneur, luy dis-je, le maître du monde peut-il s'enrichir? Oui! car j'auray tous les trésors des Rois de Thèbes; je les feray transporter à Memphis, et je les garderay pour mes besoins. Je vous entends : à présent vous pouvés devenir plus avare, si vous ne pouvés pas devenir plus riche. »

Une autre fois, je le trouvay dans une furieuse colère : « Je suis indigné contre ceux de Memphis : ils se révoltent contre moy en plein théâtre; j'ay du penchant pour un acteur, et ils applaudissent tou- jours à un autre. Seigneur, luy dis-je, vous avés ôté au peuple la connoissance des affaires, et vous luy avés donné, pour occupation, les plaisirs du spectacle ; ces choses, vaines autrefois, sont devenues importantes pour luy. Vous venés, aujourd'hui, le gêner dans ces choses mêmes. Vous choqués son goût, ce goût qui est sa liberté. Seigneur, un peuple corrompu s'occupe de ce dont un peuple vertueux s'amuse. Voudriés vous qu'il employât son tems à vous demander compte de tout le sang que vous avés versé? »

Des discours si brusques firent qu'on ne me garda pas longtemps à la Cour. Je quittay l'Egypte et je retournay à Gorinthe, ma patrie, résolu de ne la quitter jamais.

Là, je vécus parmy mes concitoyens; je quittay

(38 MONTESQUIEU

mes manières austères. J'avois senti qu'il ne suffisoit pas de faire admirer la vertu, et qu'il falloit la faire aimer.

Mon principal soin fut d'accoutumer mon esprit à prendre toujours les choses en bonne part, et à y chercher le bien, lorsqu'elles en étoient susceptibles.

Quand j'entendois crier que ceux qui gouvernoient l'état étoient des gens pervers, je disois en moy- même : « Voilà une opinion qu'il seroit à souhaiter qu'on n'eût pas, et cependant, elle peut avoir son utilité; les gens qui ont du pouvoir se tiendront mieux sur leurs gardes; ils n'ont déjà que trop de flatteurs; il est bon qu'ils sçachent qu'ils ont à faire à des juges non seulement sévères, mais aussi prévenus. »

Quand on me disoit que les ministres aimoient le bien public, le tendre sentiment que j'avois pour la nature humaine se trouvoit flatté. Je sentois du plaisir à entendre ce discours; je l'acceptois comme une vérité, ou comme un heureux présage de ce qui devoit être quelque jour.

Quand on soutenoit que nous avions un com- merce florissant, je bénissois le destin de notre ville qui avoit permis qu'elle devînt grande sans qu'elle eût besoin de travailler à la destruction des autres peuples.

J'avois l'esprit vraiment patriote ; j'aimois mon pays non seulement parce que j'y étois né, mais encore parce qu'il étoit une portion de cette grande patrie qui est l'univers.

Ayant été obligé de faire un voyage à Athènes,

HISTOIRE VÉRITABLE 69

je vis les nouveaux bâtimens qu'on y élevoit. Je sentois que je m'y intéressois, et que j'étois bien aise que les hommes eussent une si belle demeure de plus.

Un homme qui revenoit d'Asie, me parloit de la magnificence de Persépolis. Les idées riantes, gran- des et belles que j'en prenois, produisoient une sensation agréable dans mon âme. J'étois bien aise que ce beau lieu subsistât sur la terre ; sans que je l'eusse vu, il m'avoit déjà fait passer des momens heureux.

Comme les Dieux habitent les temples et chéris- sent ces demeures sans perdre leur amour pour le reste de l'univers, je croyois que les hommes, attachés à leur patrie, dévoient étendre leur bienveillance sur toutes les créatures qui peuvent connoître, et qui sont capables d'aimer.

Si j'avois sçu quelque chose qui m'eût été utile, et qui eût été préjudiciable à ma famille, je l'aurois rejeté de mon esprit; si j'avois sçu quelque chose, utile à ma famille, et qui ne l'eût pas été à ma patrie, j'aurois cherché à l'oublier; si j'avois sçu quelque chose, utile à ma patrie, et qui eût été préjudiciable à l'Europe, ou qui eût été utile à l'Europe, et préju- diciable au genre humain, je l'aurois regardée comme un crimes

I. Cette phrase, insérée presque sans changement par Montesquieu dans ses Pensées, a. été publiée, sous la dernière forme que lui avoit donnée son auteur dans l'édition Laboulaye. L'édition bien plus complète des Pensées publiée par la Société des bibliophiles de Guyenne, en donne deux versions écrites à des dates différentes. (T. I, p. i5.)

70 MONTESQUIEU

Voyant que tous mes concitoyens cherchoient à augmenter leur patrimoine par leurs soins, je crus devoir faire comme eux. Je devins bientôt riche. Un homme, anxieux de ce petit bonheur, me le reprocha. « Mon ami, luy dis-je, je ne suis point, comme toi, sorti d'une famille considérable dans notre ville ; mais j'ay quelque bien ; je l'acquérois par mon tra- vail, pendant que tu employois ton tems à te plaindre de la fortune.

y> Quels que soient mes trésors, je puis t^assurer que je n'en fais pas tant de cas que tu penses, et, si tu peux me faire voir que tu en es digne, je veux bien les partager avec toi.

» Mais j'avoue que tes reproches m'affligent; se peut-il, qu'à la réserve de quelques misérables richesses, tu ne trouves rien en moy que tu puisses envier?»

Mon Génie, qui me vit dans un si haut degré de vertu, voulut m'éprouver et il me rajeunit. Dans ce changement mon âme fut étonnée; mille passions nacquirent dans mon cœur; je ne fus plus en état de me conduire. « O Dieux! m'écriai-je, de quoy vais-je devenir ^ ? Faudra-t-il que pour me rendre ma raison, vous me rendiés ma foiblesse? *

Mon âme ne s'étant pas trouvée d'une trempe assez bonne, je fus rejeté dans d'autres transmigra- tions. Mais au lieu d'acquérir de nouveaux degrés de perfection, je déchus insensiblement; je fus toujours inférieur à moy-même, et enfin je parvins

I . Même tournure gasconne que précédemment.

HISTOIRE VÉRITABLE 7I

aux deux vies qui ont précédé celle je suis actuel- lement, et ont préparé, je crois, mon caractère.

Je nacquis à Naples, et le Génie qui présidoit à ma naissance ayant examiné les fibres de ma langue et de mon cerveau, jugea que je serois quelque jour infatigable dans la conversation. Dans mon enfance, ma mère, qui m'entendoit jaser sans cesse, s'épa- nouissoit de trouver en moy sa parfaite image, et elle passoit sa vie à faire comprendre à tous les gens qui vouloient l'écouter que tout ce que je disois étoit très plaisant'. On dit qu'étant en rhétorique, j'attra- pay si bien cette science, que je parlois toujours. Dès que j*eus quitté les écoles, je me fis avocat. J'excellois surtout à étendre mes raisons, et, quand j'en faisois valoir une, j'étois comme ces ouvriers qui font d'un petit lingot d'or un fil de deux cents lieues de long, ou une superficie qui peut couvrir tout un pays. Ayant eu une fluxion de poitrine, je quittay le barreau et me fit médecin. Je continuay à jouir de mon talent naturel. Je ne soufirois point que mes malades me parlassent de leur mal, car, quoique je leur fisse des questions, je répondois toujours pour eux. Je n'étois pas fort scavant, et, pendant que mes collègues alloient faire leurs sacrifices à Esculape, moy je faisois les miens au Dieu du hazard; et quand l'accident de quelque homme connu, dont j'avois un peu précipité la vie, faisoit murmurer contre moy, j'avois la ressource de multiplier mes paroles, ce qui me rendoit l'estime publique. Dans ma vieillesse, je

I . Montesquieu avait écrit d'abord : « Que j'étois le plus aimable petit enfant qu'il y eût au monde. »

72 MONTESQUIEU

fis un livre qui, par la réputation qu'il me donna, mit la vie de tous mes concitoyens entre mes mains. J'examinois si, dans la bonne manière d'opérer, il falloit que la nature aidât Tart, ou que l'art aidât la nature. Je m'enrichis ; ma réputation augmentoit mes richesses, et mes richesses ma réputation. Tout le monde vouloit m'avoir, et il étoit du bon air de mourir de mon ordonnance i.

Etant en Macédoine, je servis trente ans dans la phalange. Ayant reçu plusieurs blessures, je me retiray avec une petite marque d'honneur, et devins un honnête citoyen de Pella. Comme j'étois très au fait de toutes les choses qui s'étoient passées dans le corps je servois, j'en faisois part à bien du monde, et je ne vous dissinmleray pas qu'il se répandit un faux bruit, dans mon quartier, que j'étois un peu ennuyeux. Gela me porta un tel préjudice, que, lorsque je parlois, personne n'écoutoit, et celuy devant qui je commençois un conte, ne l'entendoit jamais finir. A peine m'étois-je procuré un cercle qu'il se rompoit de luy-même, et, lorsqu'il ne me restoit plus que deux ou trois hommes: « Monsieur, me disoit l'un, avec un air distrait et la tête en haut, j'ay une affaire. » « Monsieur, me disoit l'autre, excusés, voilà une dame qui passe, je vais luy parler. » Et moy je ne parlois plus. Tout cela venoit du bruit que des gens mal intentionnés avoient, comme je vous ay dit, semé contre moy. Pour le détruire, je résolus de prendre les gens l'un après l'autre, et de

I. Montesquieu avait écrit d'abord : « et, quand on mouroit de l'ordonnance d'un autre, on n'étoit pas du bel air. »

HISTOIRE VÉRITABLE 73

leur faire voir, tour à tour, que je n'étois pas si ennuyeux qu'on le disoit. Un jour, dans le torrent d'une histoire, que ma main suivoit ma voix, je secouay, quoique doucement, un homme assez chagrin : « Ah! monsieur, me dit -il, je sçavois bien que l'histoire devoit m'ennuyer; mais que l'historien m'estropie, cela est trop! » Le feu me monta au visage: «Vous tenés, dis -je, un discours fort sot, et vous m'en ferés raison. Eh bien, me dit- il, soit ! car aussi bien j'aime mieux me battre avec vous que de vous écouter. » Nous nous battîmes; je luy donnay un coup d'épée au visage et un autre au bras. « Monsieur, me dit-il, nous n'avés fait que me blesser, mais vous m'auriés fait mourir, si vous aviés achevé votre histoire. Vous voulés sans doute recommencer, luy dis-je, puisque vous m'insultes encore. » Nous nous rebattîmes; je le désarmay. « Demandés moy la vie. Eh bien, je vous la demande, mais à condition que vous ne me ferés plus d'histoire. » Je vis que cet homme étoit fou, et je le laissay là.

Deux jours après, j'allay dans une maison il y avoit plusieurs tables de jeu. Je me mis dans un coin, avec deux ou trois personnes à quije commen- çay à conter le fameux siège d'Amphipolis'. Comme je traitois la chose en détail, ce qui faisoit que je n'avançois guère plus que le siège, j'entendis derrière moy une voix qui dit: « Monsieur, souvenés vous de nos conventions! » Je tournay la tête, c'étoit mon

I. Colonie athénienne assiégée et prise par Philippe de Macé- doine en 357.

74 MONTESQUIEU

impertinent qui, avec une grande emplâtre (sic) sur le visage, jouoit derrière moy. Je restay immobile, et, voyant qu'il n'étoit pas possible de vivre avec un tel homme, je résolus de ne jamais ouvrir la bouche devant luy, si bien que je quittay mon siège et m'en allay.

Depuis ce temps, je consentis à abréger mes conversations; cela fit que je me privay des trois quarts du plaisir que j'y avois. Je coupois toutes les circonstances de mes contes qui ressembloient à un arbre qu'on avoit émondé. J'avoue que je ne compre- nois pas que ce style raccourci, ni ces récits secs et décharnés pussent plaire, et, si un conte est amusant, j'aurois voulu qu'il amusât longtems; c'est-à-dire que j'étois, dans cette transmigration là, tel que je suis dans celle cy : franc, naïf, ouvert et toujours prêt à faire part aux autres de ce que je sçay. Mais je vous prie de m'excuser, j'arrive à ma transmi- gration actuelle, et je suis obligé de finir.

Je puis vous dire, sans compliment, Ayesda, que vous êtes un auditeur adorable. Vous ne m'avés jamais interrompu; je voyois sur votre visage tous les effets du plaisir, de l'admiration et de la surprise.

Peut-être ne pourries vous pas retenir tant de choses; je recommenceray, si vous voulés, demain. Je suis si exact, que je suis sûr que vous n'y perdrés pas la moindre circonstance'.

I. Première rédaction; c Comme vous ne pourries pas retenir tant de choses, je mettray par écrit cette conversation cy. Je suis si exact, dans tout ce que je fais, que vous n'y perdrés pas la moindre circonstance. »

OEUVRES INÉDITES

DE MONTESQUIEU

PUBLIÉES PAR

LA SOCIÉTÉ DES BIBLIOPHILES DE GUYENNE

I. Deux opuscules de Montesquieu, publiés par le baron de Montesquieu, avec une vue du château de La Brède (eau-forte de Léo Drouyn). Bordeaux, 1891, vii-84 pp. : Réflexions sur la monarchie universelle en Europe. De la considération et de la réputation. Appendice : Maisons habitées par Montesquieu à Bordeaux (avec plans). Montesquieu à l'Académie de Bordeaux. Mon- tesquieu et le commerce bordelais. Les descendants de Montesquieu. Notes, etc.

n. Mélanges inédits de Montesquieu, publiés par le baron de Montesquieu, 1892, LVill-3o2 pp. : Histoire des manuscrits inédits de Montesquieu. Description des manuscrits. Discotcrs sur Cicéron. Éloge de la Sin- cérité,— Histoire véritable, suivie de la critique de cet écrit par J.-J. Bel. Dialogue de Xantippe et de Xéno- crate. Essai sur les causes qui peuvent affecter les esprits et les caractères . De la politique. Réflexions sur le caractère de quelques princes et sur quelques événements de leur vie. Lettres de Xénocrate à Phérès. Remarques sur certaines objections que m,' a faites un homme qui m,' a traduit mes Romains en Angleterre. Mémoire sur la Constitution. Mémoire sur les dettes de l'État. Mémoire contre V arrêt du Conseil, du

i>7 février i^SSi portant défense de faire des plantations nouvelles en vignes dans la généralité de Guyenne. Notes, index alphabétique, table.

III. Voyages de Montesquieu, publiés par le baron Albert de Montesquieu, 1894.- 1896, avec un fac-similé de l'écriture de Montesquieu. 2 vol. : le premier de LII- 375 pages, le second de xix-5 20 pages. Préface, descrip- tion des manuscrits. Voyages en Aîitriche, en Italie, en Allemagne, en Hollande. Mémoire sur les fnines. Lettre descriptive sur Gênes. Descriptions â.e Florence et de la galerie du grand-duc. Réflexions sur la manière gothique, sur les habitants de Rome. Souve- nirs de la cour de Stanislas Leczinski. Notes, index des voyages de Montesquieu, table, etc.

IV. Pensées et fragments inédits de Montesquieu., publiés par le baron Gaston de Montesquieu, 1 899-1 900, 2 vol. : le premier de xxxiv-541 pages, le second de 655 pages. Ces deux volumes se composent de plus de 2,200 morceaux classés dans l'ordre suivant : Montesquieu. Œuvres connues de Montesquieu. Œuvres et fragments d^ œu- vres inédites. Science et industrie. Lettres et arts. Psychologie. Histoire. Educatio7i, politique et économie politique. Philosophie. Religion. Aver- tissement, préface et description des manuscrits, notes, table des matières. Une table de concordance permet, en outre, de reconstituer exactement la place de chacune des pensées inscrites par l'auteur ou ses secrétaires sur les cahiers publiés, Montesquieu ne s'étant préoccupé d'aucun classement.

En préparation :

Correspondance de Montesquieu (près de 3 00 lettres inédites).

Les Correspondants de Montesquieu : M"^®^ du Defïand, Geofïrin, de Tencin; Helvétius, le président Hénault, le prince Charles-Edouard, etc.

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TABLE

Pages.

Introduction vu

Le Libraire au Lecteur xv

HISTOIRE VÉRITABLE

Livre premier 3

Livre II i3

Livre III

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Livre IV 47

Livre VI 5q

ACHEVE D IMPRIMER PAR

G. GOUNOUILHOU, a Bordeaux

LE IV DÉCEMBRE M.DCCCC.II.

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Echéonce

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