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Paris, 1862-64. 2 vol. in-S de 500 p., avec figures dans le texte et cartes coloniées.%.. + "2 Le 1°" volume renferme l'Histoire de la Paléontologie stratigraphique. M. d'Archiac fait tour à tour l'histoire de la paléontologie dans l'antiquité, au moyen âge, en France, dans Pflalie, les Alpes et la Suisse, la Bavière, le Wurtemberg, le Cobourg, la Pologne, la Russie et la Silèsie, le centre de l'Europe, de l'Allemagne, et les deux Amériques, elc., etc. Ce volume peut servir de Bibliographie paléontologiaue. Le tome II traite des connaissunces éd qui doivent précéder l'étude de la paléontologie stratigraphique et des phénomènes organiques de l'époque actuelle qui s'y rattachent. — Origine des êtres; De l'espèce; M. Darwin; Classification géologique ; Distribution des vertébrés terrestres; Distribution des animaux aquatiques: Lignes isocrymes ; Distribution des êtres organiques; Dis- tribution des végétaux; Iles et récifs de Polypiers ; Organismes inférieurs; Gisements princi- paux; Preuves de l'existence de l'homme ; Kestes d'industrie humaine; Habitations lacustres; Ouvrages en terre de l'Amérique du Nord ; Fossilisation. Les matières traitées par M. d'Archiac n'ont donc été publiées jusqu'à ce jour dans aucun ou- vrage de Paléontologie. Cet ouvrage peut être considéré comme le complément de tous les trai- tés de Paléontologie, il se rattache en outre, par la méthode, à l'Histoire des progrès de la Géo- logie, du même auteur. Histoire des progrès de Ia Géologie de 41834 à 4860, publiée par la Société géologique de France, sous les auspices de M. le Ministre de l'instruction pu- blique. Paris, 1847-1860. 8 vol. grand in-8, en 9 parties. Tome I. Cosmogonie ei Géogénie.— Physique du globe.— Géographie phy- sique. — Terrain môderne "5. .. {MR Tome II, Premiere partie. — Terrain quaternaire ou diluvien. . . . . . Tome II. Deuxiéme partie. — Terrain tertiaire, . ....... . . . . . Tome HI. Formation nummulitique, — Roches ignées ou pyrogène: des époques quaternaire et tertiaire .............,. 8 » PAR 0 Voir n'Ancurac et HaiME : Description des animaux fossiles du groupe nummulitique de l'Inde. Tome IV. Formation crétacée, première parlie, avec planches, ....... 8 Toue V. Formation crétacée, deuxième partie... ............. 8 Towe VI. Formation jurassique, première parlie, avec planches. . .... 10 Towe VII, Formation jurassique, deuxième pariie, avec planches. . .. .. 8 Towe VIII. Formation triasique.. . ...................... 8 Du Terrain quaternaire et de l’Ancienneté de l'Homme. Leçons professées au Muséum, recueillies et publiées par M. EucÈNEe Taurar. Paris, 1865. 1 vol.in-8. 1 fr. 50 En collaboration avec Jules HAIME. Description des animaux fossiles du groupe nummulitique de l'Inde, précédée d'un résumé géo- logique et d'une monographie des nummulites. Paris, 1853-54. 2 vol. in-4 avec 36 planches de fossiles. . ............................ Gt. Le fome IT se vend séparément... : : . : 4... ee de IN L'ouvrage de MM. d'Archiac et Jules Haime forme le complément nécessaire du tome HIL de Y'Ilistoire des progrès de la Géologie. Le tome 1 comprend la Monographie des Nummulites avec la description des Polypiers et des Échinodermes «de l'Inde. Le tome II , les Mollusques Bryozoaires, Acéphales, Gastéropodes, Céphalopodes, Annélides et Crustacés. Curte géologique de FAïsne. 1 feuille coloriée. . . . . . . . . . . . Sfr. PARIS. — IMP, SIMON RAÇON ET COMP., RUE D'ERFURTH, 1. INTRODUCTION A L'ÉTUDE DE LA PALÉONTOLOGIE = STRATIGRAPHIQUE COURS PROFESSÉ AU MUSÉUM D'HISTOIRE NATURELLE PAR A. D'ARCHIAC MEMBRE DE L'INSTITUT TOME SECOND CONNAISSANCES GÉNÉRALES QUI DOIVENT PRÉCÉDER L’EÉTUDE DE LA PALÉONTOLOGIE EN PHÉNOMÈNES ORGANIQUES DE L'ÉPOQUE ACTUELLE QUI S'Y RATTACHENT Avec figures dans le texte et 3 Cartes PARIS F. SAVY, ÉDITEUR LIBRAIRE DES SOCIÉTÉS GÉOLOGIQUE ET MÉTÉOROLOGIQUE DE FRANCE 24, RUE HAUTEFEUILLE, 24 ee MDCCCGLXIV Tous droits réservés > L é* | NOTA AOL F 1e | à . A: : CN * L A = * . . PRCT- y È 1 d Tra 4 * T0. : £ | V | $ 8 LA A Ca à \#PUTRIÉ À + re, "A un 1EATZ EY Tr PES d . ah rank AÎNÉ AA VIRE AS ; 1. de Pt 29 VOUTALEMEENANENN À . 4 3 à hi: CU 60 HE DE FR CORP EIRE A * : $a ” , V'AMALLL TAN ENT: LEA CP . FLE gb LA £i an" E 7: jp Qu vw Li " > , + N "1 2 eN 7 ARC LE D D 'lie PARA TEE ei AVERTISSEMENT. Pour nous conformer à notre programme, ce livre comprendra les sujets traités dans les leçons de Ja fin de 1862, et, à cause de l’abondance des ma- tériaux, dans une partie de celles du prin Lemps sui- vant. Il complète ainsi ce que nous avions indiqué comme devant constituer une Introduction spéciale à notre Cours. La première parlie avait été con- sacrée au Précis de l'histoire de la Paléontologie stratigraphique. la seconde embrassera, sous la dé-. nominalion de : Connaissances générales qui doivent précéder l'étude de la Paléontologie et phénomènes organiques de l'époque actuelle qui s’y rattachent, des sujets très-divers, mais qui tous peuvent l’éclai- rer, la compléter, et tendre à expliquer le passé par la connaissance du présent. T AVERTISSEMENT. Ces sujels n'avaient pas encore été présentés ni rapprochés à ce point de vue ou dans leurs rela- tions avec l'histoire des êtres organisés anciens. Nous ne sachions pas que la plupart d’entre eux aient jusqu'à présent fixé l’attention d’une manière parüeulière, pas plus dans les cours de zoologie, de paléontologie et de géologie que dans les traités gé- néraux de ces diverses sciences. Il y avait donc né- cessité de les réunir dans un mème cadre et de les développer pour les personnes qui désirent étudier sérieusement les corps organisés fossiles. Elles pourront y trouver des rapprochements ou des comparaisons uliles, el en même temps des prin- cipes généraux que les recherches de détail ne doi- vent pas faire oublier. Nous avons aussi pensé que, par leurs caractères mème, un certain nombre des matières que nous nous proposons de (raiter intéresseraient des per- sonnes qui ne s'occupent particulièrement mi de géologie, ni de paléontologie, et qu’elles y rencontre- - raient des faits et des considéralions plus ou moins applicables à d’autres sciences. Nous nous sommes préoccupé surtout des rap, ports de la physique du globe, et de ce qui s'y rate tache à un litre ou à l’autre, avec les phénomènes AVERTISSEMENT. ïj biologiques. Ces relations sont souvent négligées par les naturalistes qui, livrés trop exclusivement à l'examen des espèces, perdent de vue les causes extérieures, agissant directement, de nos jours, soil à la surface des continents, soit dans les profon- deurs des mers et des lacs, sur les fonctions et les caractères des organes, et par conséquent sur ceux des animaux et des végétaux eux-mêmes. On peut ajouter que ces relations nous seront d’une grande ressource lorsque nous voudrons rendre comple des particularités des faunes et des flores des temps géologiques, lesquelles doivent traduire, à leur our, jusqu’à un certain point, les conditions météorologiques, la nature des milieux et toutes les autres circonstances physiques qui ont présidé à leur développement ou concouru à leur extinction. Il nous à paru enfin que ces diverses questions devaient surtout être traitées dans un enseignement comme celui du Muséum, où l’on ne doit négliger aucun des grands aspects, aucun des rapports gé- néraux, aucune des conséquences importantes qui peuvent se déduire de l'étude d’une science. HLONTNT BL GAPRTR FAT M … , i Mipie Abé Ai re rotor #1) Nb tu sousél 23h PU AE. Ho Li r 4 { a + : TL TIES 0 AE . he 14 5104 L . | “ f e. Da are i 16" « N. \ $ LE 2 r haal éduiul Ps eunitrear 294 SHHAIU GE Ce ni qu 0 +) Fall = — 3% . LL ie - < ” Li , e | 6? Pat balai AVE (CHU M: TEUREUSS | 4 P . , le à pie “an horde; drole dti ru RUES = Hurt ROUTES ef fl At mt tt le dE | sssyilge liobacr «ot tro aan dé nl RAA LA DL M2 LL Lui LUE LAN LA | usa PAT pas) gi à ad: di “dise PT sb À < oh. ai Lab Ed un { TE AE “in 4 Li re Lao surhns Gr ER Hé Pre Su IT . Bi { Fe 4 LEO él x SMS 442 27 FE = f , 11 ñ Not à ae ds RPEhg" NO “ mi del "ti 4 COURS PALÉONTOLOGIE STRATIGRAPHIQUE DEUXIÈME PARTIE CHAPITRE PREMIER, PHÉNOMÈNES GÉNÉRAUX ANTÉRIEURS A L'ÉPOQUE ACTUELLE. $ 1. De l'origine des êtres et de leur développement. S'il est nécessaire, avant d'entrer dans le domaine propre- observations ment dit de l’histoire ou du passé de notre planète, de tracer un tableau des phénomènes biologiques de nos jours et des conditions de la vie à sa surface, il est certaines questions, d'un ordre très-général, qui nous paraissent cependant devoir pré- céder encore ce tableau. Ces questions se rattachent, non plus aux conditions actuelles de la vie, mais à celles qui ont dû exister à des époques anté- rieures, et, malgré le vague qui Les entoure encore, nous ne pouvons nous soustraire à l'obligation d’en traiter ici afin de prévenir, autant que possible, les objections qu’elles pourraient faire naître. Il ne faut point d’ailleurs confondre ces proposi- tions toujours un peu spéculatives avec les lois générales que nous exposerons plus tard et qui résultent de l'examen com- paré des faits; les unes doivent précéder l'étude des détails 2 ORIGINE DES ÊTRES ET LEUR DÉVELOPPEMENT. pour l’éclairer et la guider, les autres doivent la suivre parce qu'elles en sont la conséquence. A cet égard nous nous inspirerons quelquefois des vues émises par un homme éminent que la science a perdu récemment et. qui : joignait à de vastes connaissances un véritable esprit philoso- phique. H. G. Bronn (1) était un savant spiritualiste; l'étude des corps organisés, à laquelle ilse livra avec tant d'ardeur et de persévérance, n’était pas un but pour lui; c'était seulement un moyen de pénétrer les secrets de la nature, de remonter vers l'origine des choses, pour entrevoir même, s'il était possible, le plan et la fin que s'était proposé l'Ordonnateur de l'univers. Bronn, paléontologiste profond, se préoccupait à juste titre de la recherche des lois générales; son regard embrassait de vastes horizons, où, si parfois il semblait s’égarer, la sûreté de son jugement et l’immensité de ses connaissances positives le ra- menaient bientôt aux données de l'expérience et de l’observa- tion directe. Son Histoire dela nature d'abord (2) et plus tard son ouvrage intitulé Des lois du développement du monde organique (5) sont des œuvres originales, d’une haute portée, qui nous révèlent toute la profondeur et l'étendue de son esprit. On ne peut trop les méditer, et le résultat de cette étude, qui exige à la vérité une attention très-soutenue ct, disons-le, quelquefois même pé- nible, sera certainement d'élever et d'agrandir les idées du lecteur, de lui faire entrevoir des aperçus nouveaux, des voies encore inexplorées ct très-propres à compléter de plus en plus l’histoire biologique de la terre. I n'a manqué à ce naturaliste penseur, pour réagir davan- tage sur les esprits de son temps et en dehors de son propre pays, qu'une meilleure méthode dans l'exposition et l'arrange- (1) Henry-Georges Bronn, né à Ziegelhausen, conseiller et professeur à l'université d'Heidelberg, est mort dans cette ville le 5 juillet 1869, à l'âge de soixante-deux ans. (2) Handbuch einer Geschichte der Nalur, 1° et 2 parties, 1841-49, (3) Untersuchungen über die Entwickelungs-Geselxe der organischen Welt, in-8. Stuttgart, 1858. ORIGINE DES ÊTRES ET LEUR DÉVELOPPEMENT. 5 ment des faits, plus de clarté dans le développement et l’en- chaïînement des idées et de s'exprimer dans une langue dont les difficultés ne soient pas venues s’ajouter à celles du sujet lui- même. Avec ces qualités, mdépendantes de la valeur des idées, son nom eût acquis une popularité que d’autres ont obtenue de leur vivant à bien moins de titres, mais que peut-être la jus- tice tardive de l'avenir ne lui refusera pas. Par un examen attentif des faunes et des flores qui ont suc- cessivement peuplé la surface du globe nous pourrons arriver, dit Pronn (1), à déterminer le moment où telle ou telle espèce ani- male ou végétale a commencé à paraître dans les eaux ou sur le sol émergé, en un point donné ; nous pourrons également assigner le terme de son existence, sans pour cela que la raison de son apparition ni celle de sa disparition nous soit connue. Il nous sera donc possible d'exposer d’une manière plus ou moins com- plète, suivant l'état de la science en chaque lieu, la série des êtres organisés qui s’y sont développés dans le temps, mais la cause même ou la loi fondamentale de cette succession nous échappera probablement toujours, parce qu'elle doit tenir au principe même de la création dont nous ne connaissons que les effets. Nous ne devons à cet égard rechercher que les probabi- lités, en écartant de nos spéculations les hypothèses qui nous paraissent les moins fondées. On a supposé longtemps que l’idée des générations équivo- ques ou spontanées, qui aujourd'hui encore trouve des défen- seurs, bien qu’appliquée aux animaux les plus inférieurs, ceux qui se placent à la limite des deux règnes, pouvait servir à ex- _pliquer l’origine première des êtres plus élevés. On pensait que devenues successivement plus parfaites et plus compliquées par l'action d’une force inhérente à leur nature et favorisées par les conditions du milieu ambiant, ces ébauches avaient pu atteindre (1) Essai d'une réponse à la question de prix proposée par l'Aca- démie des sciences (Supplément aux Comptes rendus de l'Académie des sciences, vol. I, p. 511; 1861). — C'est à ce travail couronné par l'Aca- démie en 1856, et dont l'ouvrage précédent est une traduction allemande, que se rapportent nos cilations. Exposition, Iypothèses sur l'origine des êtres organisés. 4 ORIGINE DES ÊTRES ET LEUR DÉVELOPPEMENT. craduellement aux facultés plus élevées des organismes supé- rieurs. Des noms, justement célèbres à d’autres titres dans les scien- ces, ont, dans ce siècle même, appuyé de leur autorité ces vues d'un autre âge. De Lamarck et Ét. Geoffroy Saint-Hilaire ont eu pour antagoniste dans celte voie G. Cuvier qui n'a jamais admis que les influences exercées par les différentes manières de vivre ou par d’autres causes extérieures aient pu changer une espèce en une autre, et à bien plus forte raison les caractères géné- riques ou ceux des familles. MM. Oken et d'Alton en Allemagne, Unger à Vienne, Grant en Angleterre, n’en ont pas moins per- sisté à soutenir que, puisque nous ne connaissons aucune force naturelle qui ait pu produire les espèces, il faut qu'elles soient provenues de la transfermation d'une espèce antérieure voisine et ordinairement plus simple. Mais de ce que nous ne con- naissons pas une chose il ne s'ensuit pas nécessairement qu'une autre soit vraie ou démontrée; or, ici nous ne voyons qu’une simple affirmation opposée à une négation basée sur l'observa- lion des faits actuels. Les expériences directes exécutées dans ces derniers temps et avec les précautions les plus délicates semblent avoir démon- tré le peu de fondement de l'hypothèse des générations spon- lancées et par conséquent avoir renversé la base même de la théorie biologique des transformations; mais nous reviendrons sur ce sujet dans le chapitre suivant, consacré à l’Espèce, et nous n'avons à rappeler ici que les données les plus générales dé- duites de l'observation directe. Les organismes les plus anciens que nous connaissions, ceux que l'on trouve dans les premiers sédiments de la surface de notre planète, qui en ont conservé quelques traces, détruisent, comme ceux de la nature actuelle, l'hypothèse que les êtres les plus parfaits proviennent de modifications séeulaires d’es- pèces antérieures moins élevées. Les mollusques et les crus- tacés ont assisté aux premières manifestations de la vie. Ceux-ci même sont les plus constants et les plus variés dans les couches les plus basses de la série géologique. Ainsi, sur ORIGINE DES ÊTRES ET LEUR DÉVELOPPEMENT. ù 174 espèces que l'on comptait en 1859 dans ce que l’on a appelé la faune primordiale, tant en Europe que dans l’'Amé- rique du Nord, il y avait 122 espèces de crustacés appartenant à 18 genres dont 2 seulement remontaient plus hant, et 1 es- pèce aussi s'était continuée au delà des limites de cette même faune, dans laquelle se montraient en outre 18 espèces de bra- chiopodes. Nous ne trouvons donc encore dans la nature aucune preuvedirecte de l’hypothèse. La force qui a produit ces premiers organismes semble, à la vérité, s'être accrue et développée de plus en plus dans certaines directions; mais il ne s'ensuit nulle- ment qu'il y ait eu transformation des anciennes espèces dans les nouvelles, et celles-ci ont dû naître, comme celles-là, sans une intervention directe et nécessaire de leurs prédécesseurs. Maintenant la succession des diverses formes animales et végétales indique une marche constante et un plan uniforme qui ne peuvent être l'effet du hasard. Chaque espèce n'a qu'une durée temporaire ; elle disparait après avoir vécu plus ou moins longtemps dans un espace plus ou moins étendu, cédant ainsi la place à une ou à plusieurs autres dont l’organisation est souvent plus compliquée. Les êtres contemporains, qui constituaient la faune et la flore à un moment donné de la vie de la terre, offraient un en- semble dont toutes les parties étaient solidaires les unes des autres comme de nos jours. Ceci est évident lorsqu'on considère ces faunes, non pas en un point, mais en masse, sous le rapport de leurs fonctions, de leur manière de vivre, de se nourrir, de leurs influences réciproques et de leurs relations sociales, s’il est permis de s'exprimer ainsi. L'apparition et la disparition des êtres ont dû par conséquent suivre une loi constante pour que ces rapports ne fussent pas rompus, pour que l'équilibre ne füt pas troublé. Les animaux herbivores, en relation nécessaire avec les caractères de la flore et les animaux carnassiers auxquels ils servaient de pâture, ont dû suivre dans les diverses classes une marche parallèle de rem- placement. Les grands animaux, comme les petits, ceux dont les conditions de la vie sont si précaires ct dont le mode de re- Succession des êtres organisés, De l'homme. 6 ORIGINE DES ÊTRES ET LEUR DÉVELOPPEMENT. production expose à tant de chances de mort, aussi bien que ceux qui ont au contraire le plus de chances de conservation, ont loujours dû présenter des résultats analogues à ce que nous avons sous les yeux, et par conséquent se trouver dans des si- tuations comparables pour accomplir à chaque moment l’œuvre de la création. Néanmoins il y a eu, comme nous venons de le dire, pour chaque espèce, pour la plupart des genres et pour beaucoup de familles, un moment où ces condilionsont cessé. C'est lorsque leur cycle s’est trouvé accompli, eyeles inégaux pour chacun, tantôt très-longs, embrassant même tous les âges de la terre, tantôt très-limités à ce qu'il semble, ne s'éten- dant pas au delà de quelques milliers d’années et peut-être moins encore. Ainsi nous n’apercevons pas de loi commune absolue quant à la durée du temps pendant lequel les types organiques ont subsisté ; mais peut-être pourrait-on reconnaitre la suivante quant aux divers degrés d'organisation, savoir : que la persis- tance des formes en général se trouverait être en raison in- verse de leur élévation dans la série. Les êtres les moins com- pliqués paraissent être à la fois ceux dont la durée a été la plus longue et qui se sont le plus propagés en surface. Les orga- nismes les plus simples auraient alors mieux résisté aux chan- gements ou aux différences de conditions extérieures que les plus compliqués. Ce plan gradué et néanmoins toujours complet que la nature a suivi jusqu'à l'apparition de l'homme n’a pas eu nécessaire- ment pour but l'existence ni l'agrément de ce dernier. Cette idée d'une cause finale bornée, à laquelle nous voyons mème encore aujourd'hui bon nombre d’esprits se rattacher, en se fon- dant sur l'apparence déceptive de certaines données générales que ne justifie nullement une étude plus sérieuse des faits, flat- tait trop notre amour-propre pour n'être pas souvent reproduite. Mais rien jusqu'à présent ne prouve que l'homme soit la fin ou le dernier mot de la création, qu'il en soit, comme on l'a dit, le couronnement; et en effet l'idée de créatures plus par- faites, douées d’attributs différents, se retrouve en germe, ORIGINE DES ÊTRES ET LEUR DÉVELOPPEMENT, 7 dans toutes les théogonies, chez tous les peuples d'un déve- loppement moral assez avancé, comme le pressentiment de ce que l'avenir doit réaliser, Relativement à l'histoire de la terre, la venue de l’homme n’a rien offert de particulier; elle ne coïn- cide avec aucun phénomène spécial ; elle se confond avec les autres éléments d'une faune terrestre remarquable par les di- mensions gigantesques de ses principaux types dont plusieurs ont disparu, tandis que le plus grand nombre vit encore, Par ses caractères physiques l'homme se rattache évidemment à tout ce qui l'environne comme à tout ce qui l'a précédé ; mais il s’en distingue si nettement à d'autres égards, que certains anthropologistes ont pu être tentés de créer un rè- gne à part, le règne humain. Si le mystère de son origine doit rester constamment voilé pour lui, les êtres plus parfaits destinés à lui succéder pour- ront comprendre la raison de leur propre essence. Ainsi auront apparu, dans trois phases principales de l’histoire de la terre, d'abord des êtres possédant seulement ce qui était nécessaire à la conservation de l'espèce pendant un temps déterminé, ne jouant qu’un rôle passif daus la nature et inconscients des ré- sultats auxquels ils concourent, puis d’autres doués de facultés plus élevées, de la pensée qui crée, de l'intelligence qui con- çoit, de la réflexion qui combine et qui juge, de l'application qui exécute et qui perfectionne, du sentiment moral qui dirige, ayant en outre la conscience de leur propre existence et celle des phénomènes du monde extérieur ; enfin d'autres êtres plus complets encore auxquels seront peut-être réservées la science du passé et de l'avenir en ce qui les concerne et l’ex- plication de ces redoutables problèmes autour desquels depuis tant de siècles l'humanité s’agite, sans qu'ils paraissent encore plus près d’être résolus qu’au jour de sa naissance. Quant au rôle que l'homme était appelé à jouer dans l’éco- nomie générale de la nature, soit comme réagissant sur les phénomènes physiques ou sur les êtres organisés qui l'entou- rent, soit comme concourant aussi au maintien de l'équilibre dont nous parlions tout à l'heure, c’est un point essentiel sur Causes générales de l'harmonie de la nature. 8 ORIGINE DES ÊTRES ET LEUR DÉVELOPPEMENT. lequel nous aurons occasion de revenir à plusieurs reprises. L'exécution de ce plan admirable et si parfaitement suivi depuis l'origine des choses peut être considérée comme l'effet immédiat de l'activité systématique, continue, d’un créateur qui a calculé et pesé l'ordre d'apparition, le degré d'organisa- tion et la distinction de ces innombrables espèces d'animaux et de végétaux, qui les a créées séparément, suivant le temps et le lieu qui leur convenaient, ou bien ce peut être le résultat d’une force naturelle inconnue, ayant produit les espèces végétales et animales suivant des lois propres à son activité, coordonné el déterminé l'arrangement de leurs rapports généraux et spé- ciaux. Dans ce dernier cas, on conçoit que cette force vitale a dû être soumise à l'influence des forces inorganiques ou des actions physiques et chimiques, présidant au développement progres- sif, ainsi qu'aux modifications de la surface du globe, et réglant de la sorte les conditions de-la vie pour les êtres qui devaient s’y établir, et dont le nombre, la variété et la perfection devaient s’accroitre avec le temps. On peut seulement expliquer de cette manière comment le développement du monde organique a pu marcher d’un pas égal à celui du monde morganique, et cette force hypothéti- que, quelque nom qu'on lui donne, se trouverait alors en par- faite harmonie avec l'économie entière de la nature. Mais, d'un autre côté, nous reconnaitrons que la succession des êtres dans le temps a dû se faire suivant des lois propres à l'orga- nisme lui-même. « Un créateur, dit G. Bronn (page 514), qui présiderait au « développement de la nature organique par les seuls effets de « l'attraction et de l'affinité, répondrait en même temps à une «idée beaucoup plus sublime, que si nous admettions qu'il « prenne continuellement, pour l'introduction et le changement « des plantes et des animaux, dans les milieux aquatiques et « atmosphériques de la terre, les mêmes soins que prend un « jardinier pour la culture de son jardin. « Ainsi nous croyons que toutes les espèces d'animaux et de daté TER es ur ORIGINE DES ÊTRES ET LEUR DÉVELOPPEMENT. 9 « végétaux ont été créées originairement par une force natu- « relle aujourd'hui inconnue (1); qu'elles ne doivent pas leur «origine à une transformation successive de quelques formes « primitives, el que cette force a été dans la connexion la plus « intime et la plus nécessaire avec les forces et les événements « qui ont réglé le développement de la surface du globe (2). » En considérant l'ordre d'apparition de certains animaux, quelques personnes ont pensé que la succession des êtres orga- nisés pouvait répondre au développement de l'imparfait au par- fait, ou, plus exactement, du simple au composé. MM. Sedg- wick, H. Miller, Agassiz et Bronn ont émis quelques idées dans ce sens, tandis que MM. R. Owen, Alc. d'Orbigny, Ed. Forbes et plusieurs autres les ont combattues. Quelques auteurs ont cru reconnaître dans des types anciens de végétaux et d'animaux des points de départ communs pour des séries de formes plus récentes, qui se divisent en branches et en rameaux développés en divers sens. Certains types de reptiles ont paru se prêter à ces idées; mais il semble y avoir dans ces spéculations plus d'imagination de la part des auteurs * (1) 1 ne faudrait pas conclure de cette expression que les forces produc- trices de la nature fussent épuisées et qu'aucune combinaison nouvelle ne puisse être réalisée; il est beaucoup plus probable au contraire qu'il n’y a pas plus d'arrêt dans le présent qu’il n’y en a eu dans le passé. (2) Nous croyons utile de rappeler ici ce que nous avons déjà dit (Discours d'ouverture, vol. 1, p. vu), que la paléontologie, prise dans sa véritable ac- ception, avait, plus qu'aucune autre science, le droit et même le devoir de son- derle mystère de l'origine des êtres, et cela parce qu'elle possède les documents que la connaissance du passé et du présent a mis et met journellement à la disposition de l’homme. Devant les faits organiques et inorganiques, soit zoologiques, botaniques et physiologiques, soit chimiques, physiques et géo- logiques, devant ce tableau des diverses parties de la nature qu'elle doit consulter et invoquer incessamment pour s’éclairer, qui pourrait lui contester cette prérogative? que deviennent en effet ces prétendus systèmes, ces spé- culations des philosophes raisonnant en dehors de l'observation directe, dans le vide de leurs entités? ces pures et stériles abstractions du moi et du non moi, etc.? combien de grandes et belles intelligences ont ainsi consumé en vain un temps et des facultés qui eussent pu être si fructueusement em- ployés au progrès des sciences et de l'humanité ! Hypothèses sur le développe - ment des êtres. 10 ORIGINE DES ÊTRES ET LEUR DÉVELOPPEMENT. que d'observations réelles, que de faits étudiés directement et de conséquences rigoureusement déduites (1). En 1849, M. Agassiz (2) distingua les types antérieurs du règne animal dans leurs relations avec les types actuels sous les dénominations de progressifs, prophétiques, synthétiques et embryoniques. Ces derniers, qui ont paru les plus importants, ont été adoptés par plusieurs zoologistes éminents. Ils com- prennent les types qui offrent des caractères que les groupes voisins du système, mais d'une période ordinairement plus ré- cente, ne possèdent que pendant l'état embryonnaire ou la jeu- nesse des individus. Bronn ayant fait voir qu'il en existait des exemples dans la nature actuelle, on n'aurait point dans ce principe une loi de succession. M. Agassiz a publié sur ce sujet trois autres mémoires ‘G), dans le premier desquels il a discuté le rapport qui existe entre le degré d'organisation des êtres et la nature du milieu am- biant pour faire ressortir l'influence qu'a dû avoir ce dermier ; dans le deuxième, il a traité des relations entre la distribution géographique des groupes d'animaux et la perfection de leur organisation comparée à ceux qui ont dû correspondre à des conditions plus ou moins différentes de celles de nos jours; enfin, dans le troisième, il compare les uns aux autres les nombres des types génériques et spéciaux des différents embranchements du règne animal dans les périodes anciennes, pour montrer qu'en tous temps il y a eu un grand nombre de formes variées. Dans son Index palæontologicus, G. Bronn (4) avait mis plus de précision dans des considérations analogues. En 1854, Ed. Forbes (5) s'occupa d’une loi qu'il désigna par (1) Voy. R. Owen, Geological transact., 184. Mém. sur les Labyrin= thodontes, etc. (2) Proceed, amer. Assoc., vol. I, p. 452; 1849. (3) Amer. Journ. of Sc. de Silliman, vol. IX, p. 369; 48b0. — The Christian Examiner, vol. XLNHE, p. 181; 1850, — Amer. Journ. of Se. de Silliman, vol. XVI, p. 905; 1854. , (4) Vol. If, p. 894, 789 et passim; 1848-49. (b) Quart. Journ. geol: Soc. of London, p. 19-81; 1854, es DERTLT CHANGEMENTS PIIYSIQUES. 11 l'expression de loi des développements contrastants dans des directions opposées. Au lieu de voir un développement con- tinu et régulier de l'organisme dans la série des âges, 1] con- cevait qu'à partir de la période permienne et redescendant jusqu'à la période silurienne il y avait eu un accroissement considérable de divers types ou de ce qu'il appelait des idées génériques, et au-dessus, à partir de la période tertiaire infé- rieure jusqu'à l’époque actuelle, il y aurait eu un accroisse- ment comparable du développement des types. Mais on ne peut pas voir en ceci une loi; c’est un fait seulement daws lequel 1l faut encore prendre en considération cet autre, non moins réel, du développement tout aussi particulier de l'organisme secondaire, qui a ses types également nombreux et aussi bien caractérisés que ceux qui les ont précédés et ceux qui les ont suivis. Le ralentissement, le temps d'arrêt, la diminution même si sensible des phénomènes de la vie animale, pendant ce que nous appelons la période permienne ct une grande partie de celle du trias, avaient depuis longtemps d’ailleurs frappé les géologues, et restent aujourd’hui encore une circonstance re- marquable dans l'histoire du globe. $ 2. Des changements physiques survenus dans les conditions de la vie, Après avoir rappelé quelques hypothèses sur l'origine et le développement des organismes considérés en eux-mêmes, cherchons quelles ont pu être les conditions extérieures ou les milieux ambiants dans lesquels ce développement a eu lieu. - L'extérieur de la terre, dit Bronn, est un grand livre; ses couches en sont les feuillets; les pétrifications ou les fos- siles, les lettres de l'alphabet ; le contenu, l’histoire de la créa- tion, dont aucun témoin oculaire ne nous a transmis le récit. Ces feuillets sont plus ou moins mélés, déchirés ou altérés, et les caractères que la nature y a tracés plus ou moins effacés. Premier état de l'enveloppe terrestre. 12 CHANGEMENTS PHYSIQUES Il faut donc les restaurer souvent par la pensée comme les papy- rus et les palimpsestes de l'antiquité humaine, relativement si moderne. L'alphabet de ce livre est resté longtemps inconnu, sans in- terprétation réelle, comme les hiéroglyphes de l'Égypte, comme les caractères cunéiformes de la Perse ; le merveilleux, l'impos- sible, l'absurde même, ont Lour à tour été invoqués pour son explication, Ce ne fut que lorsqu'on chercha à l'interpréter en le comparant avec celui de la nature actuelle que l'on vit que la langue des anciens âges de la terre, que les anciennes lois qui avaient dû présider au développement des êtres organisés, ne différaient pas de celles de nos jours. Les caractères seuls de l'alphabet avaient, comme à l'ordinaire, subi avec le temps quelques modifications dont il était d'ailleurs facile de suivre et d'apprécier l'importance, et que nous devons chercher à préciser. Lorsque, par suite du refroidissement graduel de la masse fluide du globe, une croûte solide se fut formée à sa surface, lorsque les vapeurs aqueuses se furent en partie condensées cet que les bassins des mers eurent été peuplés, il s'en fallut de beaucoup que les choses restassent stationnaires. Des modili- cations incessantes se produisaient, soit par l'effet de la conti- nuation du refroidissement, soit par les réactions fréquentes de la masse fluide interne sur son enveloppe, soit enfin par l'ac- tion des êtres organisés, dont le nombre et la diversité erois- saient à mesure que les circonstances devenaient plus favo- rables. Ces changements, qui influaient si profondément sur . les conditions de la vie, peuvent se rapporter à trois sortes de causes principales : les causes chimiques, les causes physiques ct les causes météorologiques. Les premières causes, dit Bronn, ont dû agir sur toute la surface de la terre à la fois ; les secondes, exercer leur influence sur certaines zones seulement ; les troisièmes, ne produire que des effets locaux. La plupart de ces changements se trouvent également répartis dans la suite des temps ou montrent une énergie décroissante. Les uns sont continus, les autres périodi- SURVENUS DANS LES CONDITIONS DE LA VIE. 15 ques ; seulement la différence des climats dans les zones équa- toriales, polaires et intermédiaires, n'a pu se manifester qu’a- près un abaissement fort avancé de la température de la sur- face. Or, comme tous ces changements, conséquences néces- saires du refroidissement graduel de la terre, ont toujours pro- cédé dans le même sens, en augmentant la somme de leurs effets, quoique diminuant d'énergie chacun en particulier, le savant paléontologiste de Bonn y trouve la confirmation d’un principe sur lequel nous avons souvent insisté nous-même : savoir, que les animaux qui peuplaient les eaux, comme les vé- gétaux qui couvraient la terre, n'ont jamais changé subitement et universellement, mais peu à peu, diversement, dans des loca- lités différentes, soit au-dessus, soit au-dessous du niveau des mers. Examinons actuellement quelles sont les diverses causes qui ont concouru à modifier les conditions de la vie avant l’époque actuelle. On a pensé que, lors de l'apparition des premiers êtres orga- nisés, la composition de l’atmosphère différait de celle de nos jours, et qu’elle doit avoir perdu depuis de l'azote, du carbone et de l'oxygène entrés immédiatement ou médiatement dans la composition des corps érganisés et des roches, tandis que la masse d'eau répandue dans l'atmosphère devait être plus considérable, et que cette atmosphère, plus dense, plus chaude et plus humide était moins favorable à la vie. Le sodium, le potassium, le fer et les autres substances révélées récemment par l'analyse spectrale dans l'atmosphère du soleil, ont dû se trouver aussi dans celle qui enveloppait la terre à son origine. L’azote n'étant connu qu'à l’état gazeux, ou combiné dans les corps organisés, nous ne comprenons pas sous quelle autre forme il pourrait avoir existé. On doit donc penser que c'est à l'atmosphère que l'organisme animal l’a emprunté, La quan- tité de ce gaz a dû être proportionnelle à la masse d'organismes développés à un moment donné; en supposant que, par la décomposition des organismes antérieurs qui le contenaient sous forme d'ammoniaque, il en soit retourné une certaine 2 Causes chimiques. Composition de l'atmosphère Azote, Carbone. 14 CIANGEMENTS PHYSIQUES quantité à l'atmosphère, d’un autre côté, une partie de l'oxy- gène ayant été aussi enlevée à l'atmosphère par la même cause, on peut admettre que la proportion relative première des deux gaz y sera restée la même. | Quant au carbone, nous devons supposer également que tout ce qui est contenu dans l’anthracite, la houille, les lignites, les bitumes, la tourbe, la terre végétale, dans les roches solides, sous forme de matière organique accidentelle, dans les animaux et les végétaux vivants, aussi bien que dans l'acide carbonique de toutes les roches calcaires sédimentaires (l'acide carbonique ne paraissant pas avoir pu se combiner avec la chaux incandes- cente en présence de l'acide silicique, sans doute abondant dans la masse fluide originaire), tout ce carbone, disons-nous, fixé ainsi par l’action des forces vitales, a dû être enlevé à latmo- sphère. Aujourd'hui, l'acide carbonique est encore apporté de l'intérieur et versé au dehors par les orifices des volcans, les émanations particulières, les sources thermales et d’autres eir- constances qui concourent à son remplacement, maïs qui ont dû être plus efficaces, alors que les communications entre l’in- térieur et l'extérieur étaient plus fréquentes et plus continues qu'elles ne le sont actuellement. M. Bischof n’est pas éloigné de penser que la fixation du carbone, par les corps organisés, a pu être compensée par les émanations provenant de l'inté- rieur (1), L'acide carbonique entrant aujourd'hui dans la composition de l'atmosphère pour 0,0006, M. Liebig (2) a caleulé que tout (1) D'autres causes, telles que la décomposition des roches, ont concouru à soustraire l'acide carbonique à l'atmosphère. Ainsi Ebelmen a caleulé que À mètre cube de feldspath, en se décomposant, pouvait fixer 98 mètres cubes d'acide carbonique, et que si l'on admet qu'il y en ait 55% dans l'at- imosphère, ce mètre cube de feldspath fixerait l'acide carbonique de 245,000 mètres cubes d'air atmosphérique. Les masses d'argile ainsi pro- duites par la décomposition des silicates sous l'influence de l'acide carbo- nique, fixé alors à l’état de carbonates de potasse, de soude ou de chaux, montrent combien il en a été soustrait à l'ancienne atmosphère (Ann. des Mines, vol. VIT, 1845): (2) Orgamsche Chemie, ete., p. 20; 1840. — Cette proportion, évaluée PUS ANNE PER RED EE CORP ET COR SURVENUS DANS LES CONDITIONS DE LA VIE, 15 le carbone fixé dans les couches de la terre sous forme de houille et de lignite devait être moindre que celui de l'atmosphère. Mais, d’un autre côté, M. Bischof évalue déjà celui que contient le bassin houiller de Saarbruck à de celui de l'atmosphère (1). M. Rogers estime que celui de tous les bassins houillers du globe est six fois plus considérable que la masse actuelle, ou formerait 0,0056 de l'atmosphère. Mais on conçoit que ces données ne peuvent être que très-vagues encore, lorsqu'on songe combien sont incomplètes nos connaissances sur l'épais- seur, le nombre et l'étendue superficielle des couches de com- bustibles enfouies dans les terrains de sédiment des diverses époques. On sait que M. Ad. Brongniart, qui, dès 1898, avait émis le premier sur ce sujet des vues très-justes, évaluait à 0,05 ou 0,08 la proportion d'acide carbonique contenue dans l'air à l'époque houillère; plus récemment, M. Bischof s’est arrêté à la proportion de 0,06 (2). Le carbone contenu dans les minéraux et les végétaux vi- vants n’augmenterait pas sensiblement celui de l'atmosphère s'il y était disséminé; mais, suivant encore M. Bischof, celui qui entre dans la composition de tous les calcaires serait 906 fois aussi considérable que l'atmosphère entière. Aussi Bronn en fait-il abstraction, parce queles phénomènes de la vie paraissant s'être manifestés presque au moment où les eaux ont persisté à la surface, ils auraient été impossibles, dans l’état L , pe 4 : d'abord à 5560 ? Thénard en 1819, a été plus récemment admise par MM. Dumas et Boussingault comme variant entre 4 et 6 dix-millièmes. (1) On a fait divers calculs sur la quantité d'acide carbonique fournic à la végétation. D'après la quantité actuelle contenue dans l'atmosphère .et l'activité de la végétation de nos forèts, certaines couches de houille exige- raient un laps de 500,000 ans, et toute la période houillère aurait demandé un laps de temps de 9 millions d'années (K. Müller, Les Merveilles du Monde végétal). On a vu (antè, vol. I, p. 326) qu'un hectare de haute futaie de 100 ans réduit à l’état de bouille ne produirait qu'une couche de 19 millimètres d'épaisseur. | (2) Lehrb. der chemisch. und phys. Geologie, vol. I, I, p. 101 et passim: 16 CIHANGEMENTS PHYSIQUES actuel de nos connaissances, sous de pareilles conditions atmo- sphériques, et il en revient à la proportion de 0,06 à 0,08. Depuis les observations de Bonnet en 1749 et surtout depuis celles de Priestley, qui, en 1771, démontrait en Angleterre l'absorption par les plantes du carbone de l'acide carbonique de l'air, observations complétées à Genève par Sénebier, qui fit voir que l'oxygène mis en liberté rentrait dans l'atmosphère, puis en Hollande par Ingen-Housz, qui montra que l'action directe du soleil était indispensable à l'évolution complète du phénomène, M. T. de Saussure et beaucoup de chimistes, dans ces derniers temps, se sont occupés de cette question importante des fone- tions des végétaux relativement à la composition de l'air. Des expériences directes ont prouvé que des végétaux prospé- raient mieux dans une atmosphère artificielle contenant 0,05 à 1,08 d'acide carbonique sous l'influence de la lumière solaire, tandis qu'à l'ombre 0,01 seulement leur convenait mieux. Des fougères et des Pelargonium ont végété avec force dans une atmo- sphère contenant 0,05 d'acide carbonique, tandis que si cette proportion s'élevait jusqu’à 0,50 elle leur devenait nuisible (1). Des crapauds et des poissons ont pu vivre dans un mélange d'air contenant 0,05 d'acide carbonique. « Une petite quantité « de ce gaz, disent MM. Regnault et Reiset, ne trouble en rien « la respiration, car nous nous sommes assurés qu'un animal « peut séjourner pendant longtemps et sans éprouver de ma- « laise apparent dans une atmosphère renfermant plus de la « moitié de son volume d'acide carbonique, pourvu que cette « atmosphère contienne une quantité suflisante d'oxygène. « Plusieurs de nos expériences préliminaires peuvent être ci- « tées à l'appui de ce fait (2). » D'un autre côté, des expériences plus récentes de M. F, Le- blanc ont fait voir que la proportion de 1 ‘/, d'acide carbonique dans l’air produisait au bout de quelque temps sur les hommes (1) Daubeny, Assoc. for the advancement of science, l'Institut, vol. XVI, p. 319; 1849. (2) Ann. de chimie et de physique, 5° sér., vol. XXVI, p. 402. SURVENUS DANS LES CONDITIONS DE LA VIE. 17 qui le respiraient un malaise sensible, bien qu'on puisse en- core travailler dans une exploitation de mine qui en contient 4°/,. La proportion de 50 °/, amènerait infailliblement la mort. Si des animaux ont pu vivre et se développer dans une atmo- sphère plus riche que la nôtre en acide carbonique, les reptiles ont dû lui être mieux adaptés que les oiseaux et les mammi- fères (1). Quoique les recherches précédentes de MM. Regnault et Reiset (2) ne conduisent pas nécessairement à cette conclu- sion, les reptiles respirant moins, consomment plus lentement l'oxygène, sans être pour cela moins sensibles à l’action de l'acide carbonique. ° L'oxygène ne semble pas au premier abord fort important à considérer ici, la quantité dépensée ne paraissant pas d’abord être très-grande et ayant dû être ensuite compensée par divers motifs : tel entre autre que la transformation des végétaux en charbon qui l'a mis en liberté; néanmoins on ne peut pas se dissimuler que son extrême affinité pour le carbone, les métaux oxydables et l'hydrogène à pu dans l’origine influer sensible- ment sur sa proportion dans l'atmosphère. Cette circonstance a même tellement frappé certains esprits, qu'ils ont été jusqu’à nier sa présence à l'état libre, non-seulement dans l'atmosphère primitive, mais encore bien longtemps après et jusqu'à la fin de la période houillère (3), sans s’embarrasser comment au- raient vécu les animaux et les végétaux des grandes époques silurienne, dévonienne ct carbonifère; ils font alors naître et végéter toutes les plantes de cette dernière dans une atmo- sphère d’acide carbonique et d'azote, et ce n’est que par suite de l'action des végétaux fixant le carbone et rejetant l'oxygène que ce gaz aurait fini par entrer dans la composition de l'air, tandis que l'acide carbonique aurait été de plus en plus réduit. 11 est inutile d'ajouter que la difficulté de concevoir les phéno- (1) Jameson's Edinburgh Journ., vol. XXXDI, p. 65; 1842. (2) Loc. cit., p. 516. - (5) Compt. rend., vol. LVI, p. 261; 1863. Cycle du développement de la vie organique à la surface du globe, par M. Duponchel. Oxygène. Résuitats généraux. 18 CHANGEMENTS PHYSIQUES mènes de la vie animale et végétale sans oxygène est infini- ment plus grande pour nous que celle de nous rendre compte pourquoi il a pu rester en quantité si notable, malgré son avi- dité pour se combiner sous des conditions de température en apparence très-favorables. Nous aurons occasion de revenir plus loin sur quelques autres éléments de la composition primitive de l'atmosphère; mais, en ne considérant ici que les trois gaz dont nous avons paré comme en faisant essentiellement partie, nous voyons que l'oxygène et l'azote, de même que l'hydrogène fixé par les “plantes qui l'empruntaient à l'eau, y retournent après la dé- composition des corps organisés dans la constitution desquels ils étaient entrés. Il y a done, si l'on peut s'exprimer ainsi, une sorte de fond de roulement constamment employé pour subvenir aux besoins des forces vitales, entrant dans les com- binaisons infiniment variées qu'elles déterminent pour retour- ner ensuite à la masse commune. Mais il n’en est pas de même du carbone qui, une fois fixé sous forme de graphite, d'an- thracite, de houille, de lignite, de tourbe, de bitume, ete., ne retourne plus à la masse commune d’où il a été soustrait par le mouvement vital des plantes, et qui doit, par conséquent, en avoir été appauvri d'autant. Îlen a été de même de tout le car- bone fixé à la chaux par l’action vitale des animaux marins qui a donné lieu à la plus grande partie des calcaires sédimentaires de tous les âges. On doit done reconnaître l'énorme influence que les deux règnes ont eue sur la composition primitive de l'atmosphère pour la modifier en ce qui concerne sa teneur en acide car- bonique, et, si l'on considère que les sources d’où ce gaz émane de l'intérieur ont dû diminuer d'âge en âge pour être réduites aux proportions où nous les voyons aujourd'hui, il semble qu'un moment doit venir où la quantité sera si minime, qu'elle ne pourra plus suffire, ni pour alimenter la végétation, ni pour fournir aux rhizopodes, aux polypiers, aux radiaires, aux mol- lusques et aux crustacés les éléments nécessaires à leur sécré- tion calcaire. Nous faisons ici abstraction des animaux verté- SURVENUS DANS LES CONDITIONS DE LA VIE, 19 brés comme ne présentant qu'une proportion moindre de cette substance que nous apprécierons plus loin. Or, si nous jetons un coup d'œil sur les phénomènes qui nous entourent et sur ceux qui nous ont précédés, nous n’aperce- vons aucune cause physique naturelle qui restitue à l'atmo. sphère l'acide carbonique qui lui a été ainsi soustrait, qui non- seulement tende à rétablir l’ancien équilibre, mais encore puisse assurer aux êtres à venir des conditions que, dans l’état de nos connaissances, nous devons regarder comme indispensables à leur existence. Sans se rattacher pour céla à l'ancienne hypothèse des cau- ses finales qui de nos jours encore trouve des défenseurs, on n’en doit pas moins remarquer que si les deux règnes ont con- tribué passivement, pendant la série des temps géologiques, à dépouiller l'atmosphère primitive de la plus grande partie de son carbone, les végétaux tendant peut-être à augmenter la quantité relative d'oxygène, il fallait une action d'un tout autre ordre pour le lui restituer ; il fallait, non plus un simple phéno- mène dû à la marche ordinaire de la nature organique ou inor- ganique, mais l'application particulière d'une faculté qui ne s’était encore révélée dans aucun être créé avant l’homme, ce qui, nous devons le dire, ne s’est manifesté chez ce dernier que bien longtemps après qu'il se fut répandu sur la terre, que bien des siècles après qu'il eut couvert de vastes régions des pro- duits variés de son industrie et de son intelligence. Lorsqu'on envisage l'extension qu'a prise depuis un siècle l'emploi des combustibles fossiles sur tous les points du globe où l’on en a rencontré, extension qui semble s’accroître de jour en jour, on ne peut se refuser à voir, dans l'application que l’homme fait à ses besoins de ces trésors de force et de chaleur emmagasinés dans le sein de la terre, une sorte de prédestina- tion au rétablissement de l'équilibre ancien depuis longtemps rompu. (est un rôle actif qu'il a pris dans l'économie physique de la nature, et qui consiste à rendre à l'atmosphère, sous forme d’acide carbonique, par la combustion incessante de la houiile et des autres composés analogues, le carbone qui sem- Restitution du carbone à l'atmosphère, État général de l'atmosphère, Densité, lhumidité, etc. 20 CHANGEMENTS PHYSIQUES blait à jamais perdu et devénu inutile après avoir tant contribué au développement de l'organisme des temps anciens. Ainsi rendu à la liberté, il rentre dans le mouvement général, gra- duellement, comme il en était sorti, et l’industrie humaine devient un auxiliaire des grandes lois destinées à maintenir l'harmonie de la nature. Dans ses Études sur la composition des eaux (1), M. Péligot avait cherché à’se rendre compte de la quantité de gaz acide carbonique versé annuellement dans l'atmosphère par la com- bustion de la houille et des lignites, en supposant qu'ils con- tinssent en moyenne 80 ?/, de carbone, et 1l était arrivé au chiffre de 80 milliards de mètres cubes. Mais, ayant bien voulu, à notre prière, mettre ces résultats en rapport avec la consom- mation actuelle, la production de la houille étant évaluée en Europe à 122,410,240 tonnes, dans les autres parties du globe à 10,583,888, soit en nombre rond 153 millions de tonnes ou 133 millions de quintaux métrique, notre savant confrère a trouvé que la quantité d'acide carbonique due à celte source était de 304 milliards de mètres cubes (2). On peut ajouter que l'emploi de la chaux, d’abord restreint aux constructions, mais de plus en plus utilisé pour l’agricul- ture, contribue aussi à restituer à l'air l'acide carbonique des calcaires, et ces deux applications, combinées avec une troisième dont nous parlerons plus loin, laissent entrevoir que l’homme peut avoir réellement une fonction, restée longtemps inaperçue, pour compléter celles des végétaux et des animaux, qui auraient été peut-être incapables de maintenir à elles seules indéfiniment toutes les conditions indispensables à la vie. Si, d'une part, l'atmosphère beaucoup plus chargée d’hu- midité a favorisé la végétation sans nuire aux animaux en gé- néral, quoique certaines familles des deux règnes n'aient pas dû s’en accommoder, de l'autre, les pluies et les brouillards (1) Ann. de chim. et de phys., vol. XLIV, 5° sér. (2) Voy. R. Hunt, Statist. of the geol. Survey. — Situation de l'in- dustrie houillère, p. 1; 1862. mme bettinis SUR VENUS DANS LES CONDITIONS DE LA VIE, 21 auront diminué l'effet calorifique des rayons solaires, rendant ainsi l'organisme plus dépendant des phénomènes propres de la terre. Mais à cette remarque de Bronn on peut objecter d’abord qu'à ce moment la température particulière du globe était certainement plus élevée qu'elle ne l’est aujourd'hui, puisque les saisons, résultant de l'action solaire, étaient com- parativement peu sensibles, et ensuite que, de nos jours, sous les tropiques, certaines régions fort humides sont extrêmement favorables au développement de la végétation. Quant à l'augmentation de pression, résultat de la plus grande densité de l'atmosphère due à la présence des gaz et des vapeurs, son effet, au moins dans certaines limites, a dû être peu prononcé, car nous voyons des animaux, et surtout des oiseaux, des poissons et des mammifères aquatiques supporter des pressions fort différentes sans en paraître affectés. Peut- être cette pression, qui d'ailleurs agit bien plus directement sur les animaux terrestres à respiration aérienne qui ne sont pas organisés pour vivre alternativement sous des effets très- différents, a-t-elle été la cause de l'apparition plus tardive de ces derniers? C’est un sujet sur lequel nous reviendrons plus loin avec quelques détails. = D'un autre côté, M. Élie de Beaumont a fait voir (1) que l'augmentation de densité de l'atmosphère, diminuant le rayon- nement de la chaleur terrestre, tendait à égaliser les climats des diverses zones en les maintenant à une température élevée, et qu'elle réagissait ainsi sur les phénomènes wénéraux de la vie. Une augmentation de pression de 0,75 à 1 mètre aurait élevé de 20° la température moyenne du globe à sa surface, ee qui a pu avoir lieu à l’époque de la végétation houillère. Il résulte donc des données expérimentales et de l’observa- tion que, relativement aux conditions de la vie pendant les pre- mières périodes de la terre, la composition originaire de l'atmo- sphère ne peut être déterminée d'une manière absolue, ni même approximative, Néanmoins, les organismes que nous con- (1) L'Institut, p. 260; 1838. Conclusions eteffets généraux. 22 CIHANGEMENTS PIIYSIQUES naissons de ces temps reculés nous montrent que ces éléments constituants, essentiels, s'ils ont présenté quelques différences quant à leurs proportions, devaient être les mêmes quant à leur nature, L'acide carbonique contenu dans les roches calcaires, n’a pu, à aucune époque, dit Bronn (page 549), être tout entier ré- pandu dans l'atmosphère, pas même au commencement des dépôts de sédiment, car cette quantité aurait rendu impossible la vie organique telle que nous la connaissons et telle qu'elle avait déjà commencé. Mais remarquons ici que les premiers sé- diments des mers ne furent point des calcaires, mais bien des grès, des conglomérats, des schistes siliceux et argileux. La matière calcaire ne commence à se montrer, avec une certaine abondance et en couches homogènes suivies, qu'assez tard dans la période silurienne inférieure. Elle s’accroit jusqu'au calcaire carbonifère, diminue sensiblement ensuite pendant les périodes houillère, permienne et une grande partie du trias, se mon- trant çà et là, par intervalles, pour reprendre son ancienne im- portance avec les dépôts du lias et ceux qui les ont suivis, Ces intermittences, qui sont quelquefois en rapport avec certains développements et ralentissements de la vie marine, autant du moins que nous en pouvons juger, sont-elles dues à des diffé- rences dans les proportions de l'acide carbonique de l'air, ou bien à l'abondance et à la diminution des sources qui l'ame- naient de l'intérieur? C’est ce qu'il serait difficile de dire. Quoi qu'il en soit, la plus grande consommation d'acide car- bonique faite par le règne végétal ne semble correspondre ni avec un développement particulier de la vie animale, ni avec la formation de puissantes couches calcaires, au moins dans un grand nombre de cas. Il est possible, continue notre savant guide, qu' une végéta- tion particulière ait soutiré à l'atmosphère, avant l'apparition des organismes les plus élevés, l'excès d'acide carbonique qui s’y répandait continuellement par les émanations de l’intérieur, ou qui y préexistait, et nous verrons plus loin combien on a abusé de cette végétation imaginaire supposée antérieure à SURVENUS DANS LES CONDITIONS DE LA VIE. ei tous les faits observés ; mais il nous semble inutile d'ajouter que l'oxygène, devenu libre par la formation successive dela houille, aurdit été employé à l'oxydation successive des métaux. Cette action, depuis cette époque, ne s’est guère exercée, sur une certaine échelle et par la voie humide, que sur le fer, et elle ne peut avoir employé qu'une faible proportion de l'oxygène de l'air (1). Néanmoins, si la composition de l'atmosphère était diffé- rente de celle de nos jours, quant à la nature de ses élé- ments, ou quant à leurs proportions s'ils élaient les mêmes, elle a pu agir d'une manière favorable sur les classes de végé- taux et d’animaux que nous voyons plus particulièrement re- présentées dans les périodes anciennes de la terre, tandis qu'elle s'opposait au développement de celles qui ont apparu ou se sont développées surtout depuis. Les changements se sont d'ail- leurs toujours manifestés graduellement et sans secousses, sans interruptions, tels qu'ils se sont produits à tous les âges. Nous avons déjà indiqué cependant qu'après la période carbo- nifère ily avait eu une diminution sensible dans les produits de l'activité organique, annonçant quelque modification impor- tante dans les conditions de la vie. Les animaux les plus infé- rieurs qui s’assimilent le carbonate de chaux, les rhizopodes, les polypiers, les radiaires, sont rares ou manquent dans les cou- ches permiennes et triasiques de la plupart des localités ; les couches calcaires n’y ont aussi qu'un faible développement com- paré à celui des grès, des poudingues, des argiles et des sables. Si la géologie ne nous apprend pas quelle était la tempéra- ture de la surface du globe lors des premiers dépôts de sédi- ment, on peut supposer qu'elle était assez basse pour que l'eau y demeurät à l’état liquide en s'aceumulant dans les dépressions; c'est, comme on le sait, une température à laquelle arrive la partie supérieure d’un courant de lave peu de jours après sa sorlie du cratère. (1) Suivant Ebelmen, il suffirait que les roches stratifiées continssent 1 p. 100 de protoxyde de fer pour que celui-ci absorbât tout l'oxygène de l'air. LL Causes physiques. Température, refroidisse- ment graduel et ses effets, 24 CIANGEMENTS PIIYSIQUES Outre que celte surface aurait été alors beaucoup plus chaude qu'elle ne l'est actuellement, les conditions d'humidité et de pression ou de densité devaient être différentes, les mersp'lus étendues et les climats plus uniformes. Il n'y avait point de neiges sur les montagnes, qui étaient d'ailleurs peu élevées, constituant seulement des collines, peut-être coinme celles du Limousin et de la Bretagne ; il n’y avait point de glaces aux pôles, et les courants atmosphériques, dont la température et l'humidité sont aujourd’hui si variables, n’ont pu acquérir les caractères que nous leur voyons qu'à mesure que l'écorce ter- restre se refroïdissait, que les montagnes prenaient plus de re- lief, que leurs sommets, comme les extrémités de l'axe de la terre, se couvraient de neiges éternelles. Les saisons deviennent aussi de plus en plus prononcées par les contrastes et les oppo- sitions en rapport avec l'influence solaire, qui était d'autant plus prépondérante que la chaleur propre de la terre dinn- nuait elle-même davantage. Tous ces effets ont dû être graduels, comme le refroidisse- ment lui-même, et devenir de plus en plus lents, et les modi- fications qu'ils apportaient dans les conditions de la viesuivaient la même marche, de sorte que les changements subis par les êtres organisés et en rapport avec ces conditions devaient pré- cisément produire des résultats que nous pouvons encore ap- précier. Si les choses se sont passées ainsi, dit Bronn, à qui nous empruntons ses considérations sur l'ancien état de notre pla- nète, sauf à les discuter et à les commenter s'il y a lieu, le caractère essentiel ‘des premières faunes et des premières flores a dù être leur uniformilé dans toutes les zones, au moins quant aux familles, si les genres et les espèces diffé- raient. L'abaissement successif et continu de la température aura dû occasionner l'extinction également continue et sueces- sive de ces premières formes, puis leur remplacement par d'au- tres adaptées à ces nouvelles conditions, mais moins nombreuses alors, suivant le paléontologiste de Bonn, parce qu’un elimat tempéré ne nourrit, à surface égale, qu'un nombre d'espèces SURVENUS DANS LES CONDITIONS DE LA VIE. 25 inférieur à un climat chaud, remarque dont l'exactitude n'est d'ailleurs que relative, car il se hâte d'ajouter que la diversifi- cation des climats a dû faire varier a population de telle sorte, que l’ensemble des diverses zones réunies peut offrir un aussi grand nombre de types que lorsque la température plus élevée était aussi plus égale partout. Le refroidissement s’avançant des pôles vers l'équateur, à mesure que la chaleur propre du globe se perdaitou diminuait et que celle du soleil devenait, par suite, plus prépondérante, les animaux et les végétaux ont dû, toujours d’après Bronn, disparaître des premiers, tandis que sous le second ils auraient conservé une partie de leurs richesses originaires. Mais ce rai- sonnement, tout spécieux qu'il semble d'abord, n’est pas sufli- samment justifié par l'observation, et conduirait, en outre, à une hypothèse émise souvent par des personnes qui ne se ren- dent pas bien compte de l'état de la science à cet égard. Cette hypothèse, qui consiste à faire descendre les flores et les faunes des pôles vers l'équateur, conformément à la marche du refroi- dissement de la surface, tombe devant la plus simple observa- tion comparative des faits, et, si elle pouvait être admise, le principe fondamental de la distribution des êtres organisés dans les couches de la terre se trouverait complétement détruit. Pour nous, les mêmes faunes et les mêmes flores ont été con- temporaines et non successives des pôles vers l'équateur, et cela parce que l’ordre des formations géologiques qui les renfer- ment n’est pas géographique, mais stratigraphique ; il ne s’ob- serve pas dans l’espace, mais dans le temps. C'est ainsi que la flore carbonifère du Spitzherg, par 80° lat: N., est contempo- rainc de celle d'Espagne, par 40° lat. N., comme celle de la : Nouvelle-Écosse, par 45° lat., l'est de celle de l'Alabama, par 99°. Sur ces divers points, en effet, elle a été précédée et sui- vie dans le Nord par des faunes et des flores comparables elles- mêmes à celles du Sud, sans avoir, pour cela, pénétré entre les tropiques. L'hypothèse du déplacement des formes par mi- grations, si elle s’est réalisée, n’est pas une loi, c'est tout au plus un fait local, accidentel, dont nous verrons que quelques Orographie et hydrographie 26 CHANGEMENTS PHYSIQUES théories modernes ont singulièrement abusé. La véritable loi de la succession des êtres doit être assignée à une tout autre cause ; elle est fonction du temps et non de l’espace. Quant à cet autre principe déduit par Bronn (p. 551), qu'il y a décroissance du nombre des genres et des espèces en un lieu, tandis que la diversification des faunes et des flores se ma- nifeste dans différentes zones, et que les changements et la ré- duction des formes sont plus rapides vers les pôles que vers l'équateur, on peut dire que la première partie reste à démon- trer. S'il y a parmi les végétaux et les animaux actuels des fa- milles telles que les cryptogames vasculaires, les palmiers, les hliacées, les cycadées, les cupressinées, les cactées et les ma- gnoliacées, ou les oiseaux-mouches, les perroquets, les sin- ges, elc., propres aux régions chaudes du globe, on n’en peut pas conclure que la température détermine seule des types organiques particuliers; car dans les deux règnes certains genres ont des espèces qui vivent sous les tropiques et d’autres sous les zones tempérées et même glaciales. Il y a d’ailleurs pour les animaux carnassiers, insectivores, frugivores et herbivores, une relation nécessaire avec les productions végétales des pays, et, par suite, entre eux. Les massifs cristallins anciens sont peu nombreux, peu éten- dus et peu élevés, tandis que les hautes chaînes de montagnes ont été formées à des époques comparativement récentes, comme on en juge par les roches sédimentaires plus ou moins redressées sur leurs flancs. On peut en déduire que les bassins des mers étaient à l'origine moins profonds qu'ils ne le sont devenus depuis, que les surfaces continentales étaient moins étendues et les iles basses très-nombreuses, de sorte que la sur face du globe devait offrir l'aspect d’un immense archipel. Par suile d'émersions successives, les continents se formèrent, et les ridements de l'écorce terrestre, quelles qu’en aient été la cause ou les causes, constituèrent les chaînes de montagnes. Les courants marins, résultant du mouvement général de la rotation de la terre, d'abord assez réguliers, devinrent, par suite des nouvelles terres émergées qui modifiaient leur diree- SURVENUS DANS LES CONDITIONS DE LA VIE. 27 tion, de plus en plus irréguliers, variant à chaque modification des contours de ces terres. Or, de pareils changements apportés dans la profondeur des eaux, l'élévation, les formes et l'étendue des terres, durent affecter les animaux qui peuplaient les pre- mières, comme l'extension et les reliefs plus prononcés des se- condes établirent à leur surface un régime nouveau et de nou- velles stations pour les animaux et les plantes. Ce régime produisit les eaux douces des lacs, des marais, des tourbières, les eaux saumâtres des caspiennes et des cours d’eau de de en plus étendus. À ces nouvelles conditions de la vie ou habitats correspondirent des familles, des genres et des espèces d'ani- maux et de végétaux, organisés suivant des types particuliers en rapport avec ces mêmes conditions. Il se forma des dépôts dont les caractères, également Pis culiers, étaient en relation avec ces causes. Ce Korn des mar- nes, des calcaires lacustres accompagnés de silice, des dépôts sableux, argileux, limoneux, caillouteux, torrentiels ou d’eau tranquille. Toutes ces modifications hydrographiques, topo- graphiques et, par suite, météorologiques, durent manifester leur influence sur les caractères des faunes et des flores, modi- fications fort lentes sans doute de part et d'autre et néan- moins continues, si l’on en juge par leur comparaison atten- tive. M, Hopkins (1), l’un des savants anglais qui se sont occupés avec le plus de talent des applications de la physique à la théo- rie de la terre, a pensé que si un affaissement du nord de l'Europe permettait au Gulf-stream de passer au nord de l'A- sie, la Sibérie pourrait jouir d'un climat presque aussi tempéré que celui de l'Europe septentrionale, et il ajoute qu'il serait de nouveau possible que les Éléphants et les Rhinocéros vécussent là où leurs os et même leurs cadavres entiers gisent actuelle- ment dans un sol glacé. Mais les plaines de l'extrémité nord-est de l'Europe et de l’A- sie, qui sont actuellement sous les neiges pendant plus de la (1) London geol. Journ.; vol. VI, p. 24:55; 1852: Observations diverses de G. Broun. 28 CIHANGEMENTS PHYSIQUES moitié de l'année, et privées de lumière pendant deux mois, ne produiraient pas pour cela une végétation susceptible d'alimen- ter une pareille population. C'est une erreur que d'attribuer à l’action seule duGulf-stream l'abaissement deslignes isothermes sur les côtes de l'Europe occidentale, et il y a, pour celles de la Norvége en particulier, deux causes dont les effets s'ajoutent pour y déterminer une température comparativement douce. Cet abaissement tient surtout à la direction des vents dominants qui tendent à faire participer cette région de l'Ouest à l'unifor- mité plus grande de la température de l'Atlantique, avantage qui diminue à mesure que l'on s'avance vers l'Est, à travers l'ancien continent, et dont ne jouirait pas l'Asie septentrionale, quand même le Gulf-stream suivrait ses côtes au lieu de se re- plier au Sud. M. Dana (1) a appliqué le même raisonnement aux côles occi- dentales de l'Amérique centrale, en supposant un affaissement de sa partie Sud et une émersion un peu plus étendue de l'Afri- que méridionale. L'élévation de la température due à cette cause ne serait pas moindre de 10° à 12°. D'un autre côté, l'élévation et l'agrandissement des masses continentales en a rendu les climats plus extrêmes, indépen- dants des zones géographiques, plus secs, plus chauds en été, plus froids en hiver, en même temps que l'éloignement et la diminution des surfaces océaniques affaiblissaient l'influence égalisante dont nous parlions tout à l'heure. Le savant auteur de l'Index palæontologicus se met ensuite à traiter, sans aucune transition, des glaces polaires, et des neiges perpétuelles, de la fonte des anciens glaciers des Alpes, ete. Un pareil sujet méritait bien quelques recherches en traitant de la climatologie ancienne, et il importait de s'assurer à quel moment cet état de choses avait pu commencer. Si l’on prend en considération les caractères généraux des roches des dernières formations secondaires et ceux des fossiles Jurassiques et crétacés rencontrés sous des latitudes fort élevées (1) Amer. Journ. de Silliman, vol. XVI, p. 591, 1854. ès és ot SR ÉTÉ LE ve Det à . Ce: 2: Hi SURVENUS DANS LES CONDITIONS DE LA VIE, 29 dans le nord de l'Asie et de l'Amérique, de 60° à 79°, il pa- raitra peu probable que les mers polaires fussent couvertes de glaces même temporaires pendant ces périodes, et à plus forte raison pendant celles qui les avaient précédées ; aussi sommes- nous porté à croire que l'existence de glaces permanentes dans le voisinage des pôles ne remonte pas au delà de l'époque tertiaire. ; Les chaînes de montagnes isolées, comprises entre les cin- quantièmes degrés de latitude N. et $. et couronnées de neiges perpétuelles, sont toutes peu anciennes quant à leur grande élévation, qu’elles ont atteinte pour la plupart depuis l'ère crétacée, par conséquent pendant l’époque tertiaire. Ainsi, l'influence des glaces polaires, comme celle des neiges perpé- tuelles sur la diversité des climats et sur les changements qu'ils éprouvent dans le cours d'une année, en un point quel- conque de la surface de la terre, est un phénomème relative- ment peu ancien. Avec l’époque tertiaire commence, au point de vue organi- que, un ensemble de faits nouveaux dont les formations secon- daires n'offraient point d'exemples, ou pendant lesquelles se manifestaient seulement des tendances encore mal caractérisées vers un ordre de choses différent. Des familles entières et des genres avaient cessé d'être représentés, tels que les cépha- lopodes à cloisons persillées, les Bélemnites, les rudistes, les Ananchytes, etc., tandis que d’autres genres ou familles et même des classes apparaissent pour la première fois, tels que les mammifères terrestres placentaires et les vrais dicotylé- dones. C’est à ce qu’il semble le changement organique, à la fois le plus considérable et le plus brusque, que nous offre la série des terrains, et tout porte à croire qu'il a coincidé avec quelque SHARE profonde dans les conditions climatolo- giques ou mieux orographiques et hydrographiques de la sur- face de la terre. Mais ce ne sont point évidemment les petites causes locales, quelque multipliées qu'on les suppose, invoquées par Bronn (p. 299 et suivantes), qui ont amené ces changements généraux 5 30 CHANGEMENTS PHYSIQUES, ETC. à un moment donné, comme dans la série des temps. Elles seraient complétement insuffisantes pour en rendre compte. Ce n’est pas avec des effets limités à certains points particuliers que l’on peuts’élever à une véritable synthèse des phénomènes et à l'origine de leur cause. Ces influences bornées ont produit des résultats bornés, mais non pas nécessairement dans le même sens, dans celui du progrès, de l'élévation ou du perfec- tionnement des êtres, comme le présumait le savant paléon- tologiste de Bonn, qui fut en cela le précurseur d’un natura- liste dont nous étudierons tout à l'heure la théorie, car ces influences pouvaient tout aussi bien se manifester par des changements inverses ou de dégradation. La diversification des êtres organisés soumis à la seule ac- tion des causes locales aurait été ici dans un sens, là dans un autre, et sur un troisième point ces êtres auraient pu rester parfaitement stationnaires ; or, ‘est ce que l’on ne remarque pas. La diversification des types organiques, leur complication ou leurs perfectionnements, l'apparition des uns comme l’ex- tinction des autres marchent parallèlement dans les deux règnes, s’avançant toujours dans le même sens et partout en même temps ou à très-peu près. Telles sont les preuves frap- pantes de l'existence de lois indépendantes des causes locales ou accidentelles et auxquelles la nature organique semble avoir été soumise depuis l'origine des choses, tout en restant plus ou moins dépendante des conditions physiques générales. C'est ce que Bronn désigne par l'expression de loi du déve- loppement progressif indépendant et de loi du développement terripète du règne organique; mais rien n'établit pour nous la distinction bien nette de ces deux résultats ni de leurs causes; aussi les regardons-nous comme trop intimement liés dans l'état actuel de nos connaissances pour essayer de faire la part des uns et des autres. + ORIGINE ET DISTRIBUTION DES EAUX DOUCES. 31 $ 3. Origine et distribution des eaux douces. Sans trop nous appesantir sur les conditions chimiques et physiques de la terre à son origine, nous devons cependant chercher à nous rendre compte des divers phénomènes qui ont eu une action directe sur les caractères de l'organisme, soit animal, soit végétal ; or, l'une des circonstances qui ont certai- nement le plus contribué à la diversité des espèces, des genres et des familles dans les deux règnes, comme nous pouvons en juger aujourd'hui, est la séparation des eaux douces d'avec les eaux salées; aussi remonterons-nous, s’il est possible, à la cause de cette séparation et tâcherons-nous de déterminer le moment où elle s’est effectuée. On a remarqué que, dans la distribution actuelle des princi- pales substances minérales, le sodium existait à la fois en grande quantité dans les roches cristallines et dans les eaux de la mer. Dans les premières il est uni à l'oxygène, dans les secondes au chlore. La presque totalité du chlore que nous connaissons ap- partient à cette combinaison dissoute dans les eaux de l'Océan. Nous y comprenons naturellement celui qui entre dans la com- position des sels gemmes auxquels nous attribuons t une origine marine. On peut donc, sans trop d'invraisemblance, et pour com- pléter ce que nous avons déjà dit de la composition de l'atmo- sphère (antè, p. 13), supposer au commencement que le chlore y était combiné avec l'hydrogène et le sodium, comme l'hy- drogène avec l'oxygène, constituant le fonds commun, si l'on peut s'exprimer ainsi, de la masse océanique actuelle, avec les muriates de chaux, de magnésie, le sulfate de soude et quel- ques autres substances. On a vu quel avait dû être le rôle de l'azote et de l'acide carbonique. L’abaissement de la température, en condensant les vapétürs composées de ces éléments, dès que la surface de la terre per- Caractères des premières eaux Conden-ätion des vapeurs. 32 ORIGINE ET DISTRIBUTION DES EAUX DOUCES. mit qu’elles s'y maintinssent à l'état liquide, détermina la for- mation d'un Océan sans bornes, peu profond, mais parsemé, comme on l’a dit, d'innombrables ilots, représentant les aspé- rités de la première. croûte oxydée de la terre et enveloppés d’une atmosphère épaisse, dense, laissant pénétrer à peine une partie de la lumière solaire. Aussi peut-on dire que cette ex- pression du deuxième paragraphe de la Genèse : La terre était informe et toute nue, les ténèbres couvraient la surface de l'abime, l'esprit de Dieu était porté sur les eaux, est une belle image de l’état du globe tel que nous pouvons nous le repré- : senter à ce moment. | Tant que dura cet état de choses on conçoit qu'il ne pouvait y avoir d’eau douce permanente ; car, en supposant que l'atmo- sphère fût déjà assez refroidie et purifiée des substances étran- gères tenues en suspension soit à l’état de gaz, soit à l’état de vapeur, l'eau résultant de la condensation retombait toujours dans la mer, ou sur ses ilots primitifs, ne trouvant encore aucun récipient suffisant pour se conserver. S'il y en avait, leur faible étendue, leur peu de profondeur, l'élévation de la tem- pérature du fond comme celle de l'air ne permettaient pas à l’eau d'y séjourner ; de sorte que ces étangs et ces lacs des pre- miers âges de la terre étaient purement temporaires. Si nous en jugeons par ce’que nous connaissons des êtres organisés de la période silurienne, il en fut ainsi pendant un laps de temps. énorme, ear nous n'y trouvons nulle part de formes animales qui rappellent, je ne dirai pas celles de nos eaux douces actuelles, mais celles que nous connaissons dans les époques tertiaire et secondaire, lesquelles sont d’ailleurs tellement analogues à celles de nos jours, que l’on comprendrait difficilement qu'il en eût été autrement dans les époques anté- rieures. Toutes les formes paraissent donc être marines et rien dans les produits organiques de ces temps reculés ne trahit l'existence de terres émergées d'une certaine étendue; les pre- nières traces des végélaux qu’on y rencontre sont d'origine aquatique et marine, et celles de la période dévonienne appar- tiennent à des plantes qui ont vécu sinon dans la mer, du moins ORIGINE ET DISTRIBUTION DES EAUX DOUCES. 99 à une bien faible hauteur au-dessus de son niveau ou dans des eaux peu profondes qui n’en différaient guère. La première condition pour la permanence des eaux douces était donc l'existence de surfaces émergées, assez étendues et assez élevées, pour que celles qui provenaient de la condensa- tion des vapeurs aqueuses de l'atmosphère pussent s'y conserver dans des dépressions sans communication avec l'Océan, et la seconde une température assez basse pour qu’il ne s’y produisit plus de vaporisation complète. Il est probable aussi que dans les premiers temps les va- peurs aqueuses entrainaient une certaine quantité de substances étrangères, et ce ne fut qu'après une succession assez nom- breuse de vaporisations et de condensations que l'eau se trouva dégagée de ces substances et fut tout à fait douce, de saumâtre qu'elle devait être d'abord. Ce ne fut même que lorsque l’at- mosphère eut acquis à peu près la composition que nous ln voyons aujourd’hui, que les vapeurs aqueuses condensées devinrent réellement douces. Les conditions nécessaires à l'existence permanente des eaux douces paraissent ne s’être réalisées que déjà assez tard dans l’histoire de la terre, car ce n’est qu'à l’époque carbonifère que nous en observons les effets avec certitude, et sur une grande échelle. La végétation de cette époque, d’ailleurs d’une immensé durée, dénote une température comparativement encore élevée, une atmosphère humide dans laquelle nous avons supposé une proportion d'acide carbonique de 0,05 à 0,08 de son volume, et un sol également humide, presque au niveau de la mer, au moins dans beaucoup de cas. Cette végé- tation, que nous voyons s'être étendue du 80° lat. au 35° sans qu’elle se soit prolongée au delà, dans chaque hémisphère, jus- que entre les tropiques, est un des grands phénomènes orga- niques de l’histoire de la terre, phénomène qui ne s’est jamais reproduit depuis avec la même généralité ni avec les mêmes caractères. Il a donc fallu, pour qu'il se manifestät, un con- cours de circonstances bien particulier dans les conditions physiques de la surface de notre planète. Premières eaux douces ou saumâtres, . Conséquences de l'existence des eaux douces. 3} ORIGINE ET DISTRIBUTION DES EAUX DOUCES. Avec une végétation qui annonce la présence des eaux douces et des eaux saumâtres, quelques animaux respirant l'air en na- ture, des reptiles, des insectes, des mollusques terrestres, tous encore en bien petit nombre à la vérité, prouvent aussi une modification dans sa composition et une adaptation à des fone- tions physiologiques qui auparavant n'aurait pas été possible. Si les calculs approximatifs dont nous avons indiqué les ré- sultats pouvaient être admis et que l'atmosphère de la période houillère ait perdu 36 millièmes de son volume en acide ear- bonique, on conçoit que les périodes suivantes se soient ressen- ties d’une semblable perturbation dans les conditions de la vie, comparées à celles qui les avaient précédées. Celle fixation dans l'intérieur de la terre d’une partie con- slitutive de son atmosphère, à un moment donné où mieux pendant une période dont nous avons déjà cherché à apprécier la durée (antè, 1” partie, p.523, nota), estune circonstance sur laquelle nous avons appelé ci-dessus l'attention et sur laquelle on ne réfléchit peut-être pas assez. Le résultat accompli par la seule intervention des forces végétales porte à se demander s’il entrait dans le plan général de la nature, ou bien s'il n’est qu'un fait particulier, non essentiel à son harmonie, surtout lorsque l’on considère la pauvreté relative des faunes et des flores qui lui ont immédiatement succédé. A-t-il fallu que l'équilibre se rétablit par l’arrivée sue- cessive de nouvelles quantités de earbone, comme il en vient encore aujourd'hui de l'intérieur? ou bien a-t-il fallu attendre le développement graduel de nouveaux êtres en rapport avec ces nouvelles conditions? L'affaiblissement sensible, ou l'appau- vrissement général des forces organiques, remarqué depuis longtemps pendant l'ère permienne et triasique, comparé à l'exubérance de la vie pendant la période carbonifère qui l'avait précédée et la période jurassique qui l'a suivie, peut ap- puyer l’une et l'autre hypothèse. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas non plus un fait moins curieux, comme nous l'avons déjà dit (antè, p. 19), que le rôle qui semblait être destiné à l’homme dans cette question d'éco- ‘ Re ORIGINE ET DISTRIBUTION DES EAUX DOUCES. 39 nomie générale de la nature physique. Que faisons-nous en effet, surtout depuis un siècle et que feront ceux qui viendront après nous, si ce n’est de puiser sans cesse à ces sources de carbone retenues aujourd’hui dans la terre? Un jour viendra sans doute où, par notre intermédiaire, l'atmosphère sera ren- trée en possession de l'acide carbonique dont la végétation houillère l’avait privée. Quelles seront les conséquences du ré- tablissement de l'ancien état de choses? C'est ce dont nous n'avons pas à nous préoccuper, nous qui n'avons à étudier que le passé; mais ce qui nous paraît probable, c’est que l’homme mettra moins de temps à consommer cette réserve que la na- ture n’en a mis à l’accumuler. Si nous continuons à suivre l'accroissement des eaux douces à la surface de la terre, nous n’en trouverons longtemps des témoignages authentiques que dans les restes de plantes, l'exis- tence de certaines familles d’insectes lors du dépôt du lias, puis, vers le milieu de la formation jurassique, dans des couches que Suite de l'accroisse- ment des caux douces, caractérisent des mollusques d’eau douce. Vers la fin de cette période et le commencement de la suivante, ces caractères de- viennent de plus en plus prononcés; mais c’est avec l’époque tertiaire, et surtout pendant la période tertiaire moyenne, qu'ils prennent une importance réelle, luttant dans leur extension avec les dépôts marins et alternant fréquemment avec eux. Les eaux douces ont pris réellement alors possession des continents, et ce ne sont pas seulement des restes de végétaux et d'animaux qui nous le prouvent, mais des dépôts de caractères particuliers, non moins remarquables par leur épaisseur que par l'étendue des surfaces qu'ils occupent. Dans la production des couches d’eau douce, les calcaires jouent un très-grand rôle et souvent aussi la silice; mais dans l'un ni dans l’autre cas on ne peut regarder ces substances que comme ayant été apportées de l'intérieur de la terre, plus ou moins directement; de sorte que ce sont des dépôts plutôt chi- miques que mécaniques, et dans lesquels, sauf pour les schistes siliceux et les terres à diatomacées, l’action vitale n’a point été, comme pour les calcaires marins, un intermédiaire agis- 36 TEMPÉRATURE A LAQUELLE ONT PU VIVRE sant sur l'acide carbonique et la chaux pour produire des masses puissantes de roches calcaires presque exclusivement composées de débris organiques. L'importance du rôle des eaux douces à la surface du globe, longtemps nulle, puis très-faible, s'est done accrue propor- tionnellement à l'étendue des terres émergées, et les produits organiques, soit animaux, soit végétaux, se sont accrus et mo- difiés dans le même sens, c’est-à-dire avec le développement de ces mêmes eaux douces, la diminution de la chaleur propre du sphéroïde, l'élévation des continents et des îles et l’action tou- jours de plus en plus prédominante de la chaleur solaire sur la température de la surface en ses divers points. La géographie physique nous fait connaitre la répartition actuelle des eaux douces, laquelle, comparée à celle de certains moments de l'époque tertiaire, nous montre que nos lacs sont moins nombreux et moins étendus dans quelques régions, mais que nos fleuves et nos rivières ont un cours beaucoup plus con- sidérable, par suite des’ reliefs plus prononcés du sol et de l'éloignement des rivages. $ 4. Température à laquelle ont pu vivre les premiers organismes. Si, après avoir cherché à nous rendre compte des principales conditions physiques que présentait le développement de la vie à la surface ancienne de la terre, nous nous rapprochons da- vantage des phénomènes biologiques, nous examinerons d'abord quelle est la température maximum à laquelle la vie a pu com- mencer à se manifester. Il a fallu, comme on l'a déjà dit, que l'état thermométrique de la partie consolidée permit à l'eau d'y demeurer liquide après sa condensation, et d'agir sur les roches cristallines primitives pour former des dépôts arénacés ou argilo-arénacés avec leurs dé- tritus résultant de leur décomposition et de leur désagrégation. La croûte oxydée, en vertu de la faible conductibilité des ro- ches, pouvait être fort peu épaisse, puisque, ainsi que nous : PR TT TO 2 ont ES EL E de à Mie dt ee LES PREMIERS ORGANISMES. 37 l'avons rappelé, on peut marcher impunément sur un courant de lave peu de jours après sa sortie du cratère, alors qu'il est encore incandescent et même fluide à une faible profondeur. Les glaces polaires, avons-nous dit, n’existaient pas, la tem- pérature des mers était plus égale aux diverses latitudes et aux diverses profondeurs. Par suite de la chaleur du fond, celle de la surface ne pouvait en aucune saison s’abaisser sensiblement au-dessous de celle de la masse. Les brumes qui devaient se former au coucher du soleil empéchaient la perte par le rayon- nement. L'augmentation de température avec la profondeur était en rapport avec celle de la masse, et toutes les sources étaient thermales. Le peu d'étendue des terres et le peu de relief du sol devait rendre ces dernières peu abondantes et peu nom- breuses. | Les êtres organisés, analogues à ceux de nos Jours, n'ont pu commencer à vivre dans ces eaux que lorsque leur température était au-dessous de 100° et même de 80°. Ainsi, la végétation actuelle se développe sous des températures moyennes qui atteignent 28° cent., quelquefois 40° à 48° (1), si le sol n'est pas complétement privé d'humidité. Des animaux terrestres vivent dans les mêmes conditions. On sait que des plantes aquatiques végètent dans des sources végétaux très- chaudes. Ainsi, l'Ulva labyrinthiformis, Linn., (U. ther- “ia. malis) vit dans les ruisseaux d’Albano à une température de 89°. Des gazons de Marchantia et de Lycopodium, dans l’île d'Amsterdam, végètent dans des eaux à 85°. A Manille, un Aspalathus (légumineuse) et un Vitex (Gattilier) plongent leurs racines dans des eaux aussi chaudes. Ce sont en général des mousses, des graminées et des plantes stolonifères qui se plai- sent dans ces conditions, où elles vivent d’ailleurs mieux qu'elles ne se reproduisent. Parmi les animaux, les mollusques ne et se propagent Ammaux dans des eaux douces et salées à 45° et même à 60° cent. Le Gammarus locusta, petite crevette d’eau douce, vit dans le ruis- (1) Adanson, Hist. natur. du Sénégal, p. 26, 131; 1757. Animaux terrestres, s 38 TEMPÉRATURE DES PREMIERS ORGANISMES. seau d’Albano avec les Ulves que nous avons citées. Certains insectes vivent dans les eaux thermales d'Aix à 40° et 45°, des coléoptères et des Hydrobius dans les eaux chaudes de Bade (Argovie), des Paludines dans celles à 44° des monts-Euganéens, la Limnæa peregra, le Melanopsis buccinoides, Y Helicina Pre- vostina dans celles de Voeslau (Autriche), à 21°. En Algérie, on cite de petits crustacés du genre Cypris, des Écrevisses et des conferves dans des ruisseaux où l'on ne peut tenir la main, et, à peu de distance au-dessous, des poissons du genre Barbe et des Crapauds là où la température est encore fort élevée, D'autres poissons sont signalés dans des localités dont les eaux ont de 40° à 75°, des tortues dans des eaux de 40° à 44°, ele. Nous pourrions multiplier beaucoup ces exemples, que l’on trouve dans les relations des voyageurs et des naturalistes les plus habitués à bien observer ; mais ceux-ci suffisent pour atteindre notre but (1). > | Parmi les animaux terrestres, les reptiles sont ceux qui s’accommodent le mieux d'une haute température, quoique les oiseaux et les mammifères soient aussi plus nombreux et plus variés sous les tropiques. Ainsi, les végétaux, surtout ceux qui ne se propagent guère au moyen de graines, et les animaux des classes inférieures jusqu'aux reptiles, pouvaient vivre sous des températures de 80° à 40° cent. Néanmoins, dans l’état actuel des choses, les êtres organisés qui se trouvent dans ces conditions sont en si pe- tite quantité, toutes proportions gardées avec ceux qui naissent et se développent sous des températures moins hautes, qu'on ne peut pas considérer ces mêmes conditions comme réelle- ment favorables au développement de l'organisme, car les plus élevés s’y montrent à peine et n°y acquièrent jamais de dimen- sions considérables. Il faudrait donc admettre des modifica- (1) Boué, Bull. Soc. géol. de France, 2° sér., vol. IX, p. 441; 1852, — P. Gervais, l'Institut, vol. XVI, p. 12; 1848. — Neu. Jahrb. de Leonhard et Bronn, p. 640; 1849. — G. Bronn, Geschichte der Natur, vol. II, p. 45; 1845. APPARITION DES ANIMAUX ET DES VÉGÉTAUX. 39 tions plus où moins profondes dans la composition ou les fonc- tions des organes, si l'on voulait supposer que des végétaux et des animaux, aussi nombreux que ceux des faunes et des flores anciennes, aient pu naître, croître et se reproduire sous l'empire de circonstances atmosphériques ou dans des milieux très-différents de ceux qui nous entourent. D'un autre côté, les organismes animaux et végétaux de ces temps reculés, quoique de familles et de genres souvent très- distincts de ceux de nos jours, ne nous offrent aucune preuve qu'ils se soient développés dans des conditions très- différentes de celles que nous voyons, et certains genres mêmes, qui ont pu traverser toute la série des âges de la terre, sans avoir éprouvé la plus légère modification, montrent assez qu’il faut encore chercher ailleurs que dans les agents physiques extérieurs les vrais motifs de l'extinction et du renouvellement des êtres. 5. Apparition simultanée des animaux et des vésétaux. PP 8 Les animaux convertissent l'oxygène de l'atmosphère en acide carbonique, et les végétaux s’approprient au contraire le carbone de ce dernier en rejetant l'oxygène ; tel est le premier principe général de l’économie organo-chimique de la nature. C'est une de ces lois de solidarité harmonique qui semblent être indispensables à son équilibre, car il en résulte qu'une riche population de l’un des règnes n’aurait pu subsister longtemps sans rendre l'atmosphère irrespirable ou insuffisante à l’autre, à moins qu'il n’eüt existé un agent différent, remplaçant le règne absent, supposition purement gratuite et que rien ne justifie. Il ne s’ensuit point d’ailleurs que les proportions rigou- reuses des éléments constituants de l'atmosphère aient été aux Actions compensa- trices des animaux et des végétaux. époques anciennes absolument les mêmes qu'aujourd'hui, et. l’on a vu en effet que l'acide carbonique, par exemple, pouvait être plus abondant et favoriser l'accroissement de la végétation Matières organisées assimilables formées par les plantes seules. 40 APPARITION DES ANIMAUX ET DES VÉGÉTAUX. sans nuire notablement à l'existence des animaux et surtout des animaux aquatiques, les seuls connus de ces temps anciens. Cette compensation, nécessaire pour les animaux et les végé- taux terrestres, paraît l'être moins dans les mers, où il n'ya qu'un petit nombre d’algues et de fucoïdes, et une si prodi- gieuse quantité d'animaux de toutes les classes, se mangeant les uns les autres. Les plus grands de ces animaux même, tels que les cétacés, qui ne sont point herbivores comme les grands mammifères terrestres, ne se nourrissent que d'organismes comparativement fort petits. Si les phénomènes respiratoires s'y compensent, ce ne peut être qu'au moyen des algues, des laminariées, des fucus, des conferves microscopiques, dont la croissance et la multiplication sont si rapides et dont on ne re- trouve naturellement aucune trace à l'état fossile. Si, au pre- mier abord, quelques données récentes, dont nous parlerons plus loin, semblent affaiblir ces généralités, n'oublions pas que ces nouvelles acquisitions de la science ne se rapportent qu'aux êtres les plus inférieurs de l'échelle organique, vivant dans des conditions encore peu connues, qui seront même toujours soustraites à l'observation directe de l'homme, Lorsqu'il n'y avait que des animaux invertébrés aquatiques ou des poissons et des reptiles, il n’était pas aussi indispensable que l’activité végétale füt dans la proportion que nous lui voyons de nos jours, et, si elle était la même, l'atmosphère a dû perdre sensiblement de son acide carbonique. Mais on peut encore trouver une compensation d'un autre ordre, car, comme il y avait beaucoup moins de terres émergées à l'époque houillère, par exemple, qu'iln’y en a eu depuis, il y avait, loutes propor- tions gardées, moins de surface de végétation agissant sur la composition de l'atmosphère, alors aussi qu'il y avait pare d'animaux respirant l'air en nature. Les plantes seules ont la propriété de produire de la matière organisée ; les animaux ne peuvent se nourrir que de cette sub- _stance; les premiers ont donc pu vivre et se propager seuls dans l’eau contenant de l'acide carbonique, tandis que les ani- maux n’ont pu exister sans le secours des végétaux, qui ont dû APPARITION DES ANIMAUX ET DES VÉGÉTAUX. Al les précéder. Les végétaux marins, tels que les algues et les fu- eus, ne semblent pas devoir plus suffire à la nourriture qu'à la respiration des animaux marins ; ceux qui ont dû et qui doivent subvenir plus efficacement à l'alimentation d’une grande partie de ces derniers, ce sont les diatomacées, les desmidiées, etc., rangées d'abord parmi les animaux, mais replacées depuis dans le règne végétal, comme nous le dirons plus loin, et sans lesquelles, en effet, les découvertes récentes ne se compren- draient pas. On sait aussi, d'après les recherches de M. Ch. Schmidt, que les Bacillaria ont, ainsi que les plantes, la cellu- lose pour base de leurs tissus, et non des combinaisons comme les animaux, de sorte que ces corps forment de la ma- tière organique à l’instar des végétaux. Les mollusques acé- phales se nourrissent aussi presque exclusivement de petits organismes. De même-qu'il semble rationnel de supposer que les plantes ont dû précéder les animaux qui ne pouvaient subsister qu’en s'assimilant une matière organique déjà préparée, de même on ne comprendrait pas que les animaux herbivores n'aient pas, dans chaque classe et dans chaqueembranchement, précédé les carnassiers, s’ils n’ont pas été créés en même temps. Les êtres destinés à servir de nourriture à d’autres ont dû nécessairement devancer ceux-ci. Quelle que soit la cause qui a présidé à leur apparition, il est peu probable qu'ils aient été créés à l’état adulte, et, d'un autre côté, ceux qui devaient s'en nourrir seraient morts de faim sils avaient, à leur tour, été créés plus tôt. Il a fallu, de plus, que, dès l'origine, les propor- tions numériques fussent établies pour que l'équilibre püût se : maintenir ; si les carnassiers d’une classe quelconque, par exemple, eussent été en nombre tel qu'ils aient pu détruire tous les herbivores ou les granivores de la même classe ou d'une autre, ils n’eussent pas tardé à succomber eux-mêmes, et, de proche en proche, toute la création eût été détruite. Cette pondération de l’ensemble des forces organiques, qui s’est main- tenue à travers les diverses époques et malgré lesinnombrables modifications des êtres dans le temps, n’est pas un résultat Développe- ment consécutif des êtres. Solidarité des fonctions de la nalure, 42 APPARITION DES ANIMAUX ET DES VÉGÉTAUX. moins merveilleux que la création et la succession elles- mêmes. Dans les deux règnes aussi, les êtres parasites, qui naissent, se développent et vivent aux dépens des autres de même classe ou de classes différentes, n’ont pu commencer à paraître qu'après ceux sur ou dans lesquels ils devaient se fixer, vivre, puis se re- : produire. Il y a donc encore jei un enchainement forcé par la nature même des choses. L'existence des premiers est subor- donnée à celle des seconds, et quelquefois d’une manière telle, qu'une espèce parasite dépend absolument d'une seule espèce de plante, et ceci est plus frappant encore pour certains hel- minthes ou vers intestinaux, qui exigent la présence de plu- sieurs espèces déterminées, dans l'intérieur desquelles ils doi- vent accomplir des évolutions ou métamorphoses successives, avant d'atteindre la dernière forme sous laquelle ils peuvent se reproduire. | _ C'est ainsi que l’état physique et chimique général de la sur- face de la terre se trouve, à beaucoup d’égards, lié aux fonctions de l'organisme. Les deux règnes concourent à maintenir la com- position de l'atmosphère, et, d'un autre côté, la plante est une condition de vie pour la plante, plus souvent encore pour l'ani- mal herbivore, comme celui-ci l’est pour le carnivore, et ce dernier même quelquelois pour le carnassier plus fort ou plus courageux (1). Ces relations essentielles deviennent innombra- bles si l’on observe que, fréquemment, les plantes et les ani- maux ne sont attachés qu'à un tres-petit nombre d'espèces qui leur servent d’aliment et dont l'apparition a dû les précéder, « Ainsi, dit M. Dumas (2), c'est dans le règne végétal que ré- « side le grand laboratoire de la vie organique ; c’est là que les « matières animales et végétales se forment, et elles s'y forment « aux dépens de l'air; des végétaux, ces matières passent toutes « formées dans les animaux herbivores, qui en détruisent une « partie et qui aceumulent le reste dans leurs tissus ; des ani- (1) G. Bronn, Geschichte der Natur, vol. I, p. 164. (2) Essai de statistique chimique des êtres organisés, p. 6, in-8, 1842: APPARITION DES ANIMAUX ET DES VÉGÉTAUX. 45 « maux herbivores, elles passent toutes formées dans les ani- « maux carnivores, qui en détruisent ou en conservent suivant « leurs besoins ; enfin, pendant la vie de ces animaux ou après « leur mort, ces matières organiques, à mesure qu'elles se dé- « truisent, retournent à l’atmosphèfeé d'où elles proviennent. « Ainsi se forme ce cercle mystérieux de la vie organique à la « surface du globe, cercle éternel dans lequel elle s’agite et sc « manifeste, mais où la matière ne fait que changer de place. « Et si l'on ajoute à ce tableau, déjà si frappant par sa sim- « plicité et sa grandeur, continue le célèbre chimiste, le rôle in- « contesté de la lumière solaire, qui seule a le pouvoir de mettre « en mouvement cet immense appareil imimité Jusqu'ici, que le « règne végétal constitue et où vient s’accomplir la réduction « des produits oxydés de l'air, on sera frappé du sens de ces « paroles de Lavoisier : « L'organisation, le sentiment, le mouvement spontané, la «vie n'existent qu'à la surface de la terre et dans des lieux « exposés à la lumière (1). On dirait que la fable du flambeau « de Prométhée était l'expression d'une vérité philosophique « qui n'avait point échappé aux anciens. Sans lumière, la na- « ture était sans vie ; elle était morte et inanimée ; un Dieu bien- « faisant, en apportant la lumière, a répandu sur la surface « dela terre l'organisation, le sentiment et la pensée. » Enfin nous reproduirons encore le passage suivant, qui, sous une forme moins sévère et presque poétique, exprime la même idée avec autant de grâce que d’exactitude. «I n'y a que l'air qui nous environne dont la circulation « continue unit comme par un lien commun tout ce qui « couvre la terre. L’acide carbonique que nous exhalons est « dispersé par lui sur tout le monde, du soir au matin. Le .« Dattier qui croit sur les bords du Nil l’aspire, les Cèdres du « Liban s’en emparent pour élever jusqu'aux cicux leurs têtes « altières, Les Cocotiers de Taïti en poussent plus rapidement; (1) On verra plus loin que certains organismes très-inférieurs semblent échapper à cette loi, 44 APPARITION DES ANIMAUX ET DES VÉGÉTAUX. « les Palmiers et les Bananiers du Japon y prennent leurs fleurs. « L’oxygène que nous respirons vient d’être distillé par les « Magnolias de la Susquehanna, les grands arbres qui ombra- | « gent l'Orénoque et les rives de l'Amazone. Les Rhododen- « drons géants de l'Himalaya, les Roses et les Myrtes du Cache- «mir, les Cannelliers de Ceylan et les antiques forêts qui . « s'élèvent au sein de l'Afrique, bien loin dans les montagnes « de la Lune, contribuent pour leur part à la production de cet « agent de la vie humaine. Enfin, les pluies qui viennent ar- « roser nos pays sont dues aux glaces polaires, et du Lotus « qui flotte sur les eaux du Nil émanent des vapeurs humides « qui vont couvrir de neige le sommet des Alpes (1). » (1) North british Review, in F. Maury, Géographie physique de la mer, traduction française, p. 82, 1858. Î CHAPITRE II DE L’ESPÈCE $ 1. Opinions diverses. Aprèsavoir jeté un coupd’æilsur le tableaudelaterreancienne, Exposition. au point de vue qui nous intéresse plus particulièrement, 1] nous reste, avant de passer à celui de l’époque actuelle, à traiter une question qui se rattache à l’un et à l’autre, qui est une des plus fondamentales de la philosophie de la nature et sur laquelle re- pose en partie la paléontologie pratique; c’est la question de l’espèce avec toutes celles qui s’y rattachent. Qu'est-ce que l'espèce? l'espèce est-elle fixe et immuable? est-elle perpétuelle? ou bien est-elle variable dans ses carac- tères, temporaire dans son existence ? La solution absolue de ces questions, si elle était possible, serait du domaine du zoologiste et du botaniste, s’aidant de toutes les données de la paléontologie et de la géologie. Mais si l'on remarque qu’elle a préoccupé les naturalistes de tous les temps et qu’ils sont encore aujourd’hui divisés à ce sujet, on concevra que notre rôle ne peut être de prétendre la résou- dre avec les seules ressources que présentent les fossiles. Ce que nous pouvons et ce que nous devons même faire ici, c’est d'exposer et de discuter les principales opinions émises, les motifs sur lesquels elles s'appuient et de justifier celle à la- quelle nous nous rattachons. Le mot espèce est celui qui revient le plus souvent dans l'é- 4 J. Rav, Emm. Kænig, Tournefort, 46 DE L'ESPÈCE. tude des sciences naturelles; il en est le premier et le dernier, a dit un de nos plus célèbres zoologistes (1), et le jour où nous en serions complétement maitres, nous serions bien près de le devenir de la science entière. Un botaniste éminent a dit aussi : « Énoncer clairement ses opinions sur la nature de « l'espèce est pour un naturaliste l'épreuve la plus redoutable « de toutes (2). » Les anciens ne semblent s'être préoccupés de l'espèce, ni au point de vue de la nature ni au point de vue de la science, et l'on peut dire qu'il en a êté de même des auteurs de la Re- naissance, En 1688 Emmanuel Kænig (3) réunit les individus en espèces et fait de celles-ci des divisions du genre. De son côté Jean Ray (4) regarde comme étant de même espèce les végé- taux qui ont une origine commune et se produisent par semis, quelles que soient leurs différences apparentes. Mais, ajoute Linné, un de nos savants naturalistes (5), l'espèce ne fut réellement caractérisée qu'en 1700 par Tournefort. Il avait défim le genre, l'ensemble des plantes qui se ressemblent par leur structure; al appelle espèce la collection de celles qui se distinguent par quelques caractères particuliers (6). En 1756, Linné. résume sa doctrine dans cet aphorisme, comme il l'appelle : Nous comptons autant d'espèces qu'il y a eu de formes diverses créées à l'origine (7). En 1754, dans la Philosophie botanique (8), il conclut qu'autant on rencontre aujourd'hui de formes et d'organisations différentes, autant il (1) Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, Histoire naturelle générale des Mel organiques, vol. I, p. 349; 1849. (2 2) Alph, de Candolle, Géographie botanique raisonnée, vol. I, P- 1068: 1855 "(5 5) Rey num vegelabile, in-4, p. 68; 1688. (4) Historia plantarum et Synopsis methodica rats in-4, Londres, 1695. (>) De Quatrefages, Unité de l'espèce humaine, p. 42; 1861. (6) Institutiones rei herbariæ, in-4, p..50 et passim. Paris, 1700. (7) Fundamenta botanica, aphor. 155, éd. m-19, p. 18. Ainsterdam, 1756. .(8) Philosophia bolanicu, ayhor. 157, in-8, p- 99. Stockholm, 1754. re OPINIONS DIVERSES. 47 existe d'espèces primitives et perpétuelles, quot diversæ formæ seu structuræ hodiernum occurrunt, chacune des formes ac- tuelles dérivant d’une de celles que l'être infini à initialement produites et qui ont subsisté à travers les temps, toujours sem- blables à elles-mêmes, plures et sibi semper suniles. Mais plus tard Linné semble avoir modifié profondément ses idées lors- qu'il en vient à soupçonner que toutes les espèces d’un même genre auraient à l’origine constitué une seule espèce; ab ini- tio unam constituerint speciem (1). L'idée du changement des espèces, les unes dans les autres de même que celle de leur fixité, remonte assez haut dans l'an- tiquité. On la retrouve dans les préceptes de l'école ionienne et elle se rattache plus tard aux fransmutalions des livres her- métiques. Elle a été surtout posée dans les temps modernes avec une grande hardiesse par Bacon (2), et malgré le ridicule que les naturalistes ont jeté sur les élucubrations fantastiques de de Maillet (5), dont ils ont méconnu l'esprit et l'intention, il fau- dra bien que les partisans de la variabilité illimutée, assez nom- breux de nos jours, l'acceptent comme leur véritable précurseur. L'espèce, dit Buffon, est une succession constante d'individus Bacon. Buffon, semblables et qui se reproduisent, et le caractère de l'espèce . : c'est la fécondité continue. C'est sans doute la définition la plus profonde que l’on ait donnée jusque-là, mais dont le second terme n'implique pas nécessairement le premier. Aussi l'illus- tre auteur, à partir de 1753, époque à laquelle parut le pre- mier volume de l'Histoire naturelle où il se prononce pour l'immutabilité des espèces, partage d’abord les vues de Linné «dans ceux publiés en 1755 et 1756, puis en 1761 et 1766 semble pencher vers la variabilité des espèces, pour s'arrêter (4) Nous renverrons, pour plus de détails sur ce sujet, à l'ouvrage déjà cité d'Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, vol. II, p. 375-383. — Voy. aussi Gérard, art. EsrÈèce, du Dictionnaire universel d'histoire naturelle, vol. V, p. 450 ; 1844; — de Quatrefages, Cours d'anthropologie, le journal la Science, 1856, p. 589. (2) Sylva sylvarum or a natural history, cent. VI, et Nova Atlantis: (3) Voy. anté, première partie, p. 266. L. de Jnssieu, Blumenbach. Niger. 48 DE L'ESPÈCE. dans ses publications de 1765 à 1778 à une variabilité limitée. Ainsi il dit, dans ce dernier sens : « L'empreinte de chaque « & & « = € = « espèce est un type dont les principaux traits sont gravés en caractères ineffaçables et permanents à jamais ; mais toutes les touches accessoires varient » (1); et ailleurs: « La forme constitutive de chaque animal s’est conservée la même et sans altération dans ses principales parties; les individus de chaque genre représentent aujourd'hui les formes de ceux des pre- miers siecles, surtout dans les espèces majeures, car les cs- pèces inférieures ont éprouvé d'une manière sensible tous les effets des différentes causes de dégénération (2). » « A la définition qui se déduit des vues de Linné, à celle qu'a donnée Buffon, se rattachent, dit un de leurs commen- tateurs (5), la plupart des définitions qui ont eu cours dans la suite du xvin° siècle et dans le nôtre. De la première dérivent toutes celles dont l'élément essentiel est l'invariabilité per- pétuelle du type; de la seconde celles qui caractérisent surtout l'espèce par la fécondité continue, et de toutes deux la multitude de celles qui reposent sur l'une et sur l’autre de ces notions. » Suivant Ant. Laurent de Jussieu : « L'espèce doit être définie, une succession d'individus entièrement semblables, perpé- tués au moyen de la génération ; d’où il suit que chaque indi- vidureprésente véritablement toute l'espèce passée, présenteet future; vera totius speciei effigies (4).» Pour Blumenbach l'es- pèce est une réunion non pas d'individus entièrement sem- blables, mais assez semblables pour que leurs différences puissent étre attribuées à la dégénérescence (5). Peu après* Iliger simplifie la définition de Buffon en disant que l’espèce (1) Hist. natur., vol. XIE, p. 1x3 1765. (2) Époques de la nature, Supplém. V, p: 27; 1778. (5) Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, loc. cit., p. 596. (4) Genera plantarum, Introduction, p. xxxvn; 1789. — Art. Méruone du Dichonn. des sc. natur., vol. XXX, p. 439 ; 1824. (5) De géreris humani varietate nativa, p. 66, 5° éd. Gœttingen, 1795. OPINIONS DIVERSES. . 49 doit comprendre l’ensemble des êtres qui donnent entre eux des produits féconds (1). En 1798 G. Cuvier dit : « L'espèce est la collection de tous c. cuvier « les corps organisés nés les uns des autres ou de parents on école. « communs et de ceux qui leur ressemblent autant qu'ils se « ressemblent entre eux (2). » Plus tard il a changé le premier membre de la phrase en celui-ci : « L'espèce comprend les in- dividus qui descendent les uns des autres (3). » Dans le cours de sa vie, le grand anatomiste paraît s'être de plus en plus confirmé dans sa manière de voir à cet égard, s’éloignant sur ce point de la marche qu'avait suivie l'esprit de Buffon. D’autres z00olo- gistes et botanistes éminents de notre temps, tels que P. de Candolle, de Blainville, J. Müller, Dugès, Duvernoy et nos sa- vants collègues du Muséum, MM. Flourens, Milne Edwards, Valenciennes et de Quatrefages ont adopté dans ce qu'elle a de plus essentiel la définition de Cuvier avec toutes ses consé- quences. Nous ne nous arrêtérons pas davantage à l'opinion de Cuvier, ayant déjà donné dans la première partie (p. 415-448) de nombreux développements à ce sujet. Mais nous reviendrons plus loin sur celles de ses continuateurs. Dès 1768 Robinet publie son Essai de la nature qui ap- robinet, prend à faire des hommes, et en 1779 Bonnet avait avancé pt que : « la diversité et la multitude des conjonctions, peut-être « même la diversité des climats et des nourritures ont donné « naissance à de nouvelles espèces ou à des individus intermé- « diaires (4), » De Lamarck, qui avait d’abord adopté le principe de la fixité de l'espèce (5), n’a pas tardé à se rattacher à l'idée contraire. (1) Versuch einer Terminologie, in-8, p. 5. Helmstädt, 1800. (2) Tableau élémentaire de l'histoire naturelle, in8, p. 11 1798. (3) Discours préliminaire sur les révolutions du globe, in-4, vol. I, p. zvmi ; 1821. (4) Œuvre d'hist. natur. et de philos., in-8, p. 230 ; 1779. - (à) Recherches sur l'organ. des corps vivants, p. 141. — Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, oc. cit., p. 405-410. L'auteur n'a pas fait remar- quer que de Lamarek rappelait ainsi en 1802 une opinion qu'il devait avoir 50 DE L'ESPÈCE. Dans ses cours et ses publications de 1801 à 1809, il développe en effet des principes qu'on retrouve encore soutenus en 1815, avec les mêmes convictions, dans l’Introduclion de l'Histoire des animaux sans vertèbres, et, en 1820, dans le Système des connaissances posilives. De Lamarck s'appuie d'abord sur cette espèce d'aphorisme : « Les circonstances extérieures font tout ; elles modifient pro- « fondément les êtres ; des circonstances naissent les besoins, « des besoins les désirs, des désirs les facultés, des facultés « les organes (1). » « On a appelé espèce, dit-ilailleurs (2), toute collection d'in- « dividus semblables qui furent produits par d’autres individus « pareils à eux. Cette définition est exacte; car tout individu « jouissant de la vie ressemble toujours, à très-peu près, à « celui ou à ceux dont il provient. Mais on ajoute à cette défini- « tion la supposition que les individus qui composent une es- « pèce ne varient jamais dans leur caractère spécifique et que « conséquemment l'espèce a une constance absolue dans la « nature, C'est uniquement cette supposition que je me pro- « pose de combattre, parce que des preuves évidentes obtenues « par l'observation constatent qu'elle n’est pas fondée. » La théorie générale de Lamarck se trouve complétement résumée dans ce qui suit, où les considérations qu'il a exposées lui font admettre (p. 65) : « 1° Que lous les corps organisés de notre globe sont de vé- « ritables productions de la nature, qu'elle a successivement « exécuiées à la suite de beaucoup de temps ; « 2° Que dans sa marche la nature a commencé et recom- « mence encore tous les jours par former les corps organisés « les plus simples et qu’elle ne forme directement que ceux-là, « c'est-à-dire que ces premières ébauches de l’organisation, + abandonnée plusieurs années auparavant, puisqu'en 1801 il professait déjà les idées opposées. (1) Recherches sur l'organisation des corps vivants, m-8, p. 50, an X, (2) Philosophie +oologique, 1° ëéd., 1809. — 2° éd., vol. I, p. 54. 1850, C’est à celte dernière que se rapporte la pagination indiquée, OPINIONS DIVERSES. o1 « qu’on a désignées par l'expression de générations spontanées; « 3° Que les premières ébauches de l'animal et du végétal « étant formées dans les lieux et les circonstances convenables, les facultés d'une vie commençante et d’un mouvement or- ganique établi ont nécessairement développé peu à peu les « organes, et qu'avec le temps ellesles ont D ainsi que les parties ; «4° Que la faculté d’accroissement dans chaque En du corps organisé étant inhérente aux premiers effets de la.vie, elle a Tone lieu aux différents modes de multiplication et de régénération des individus; et que par là les progrès acquis dos la composition de l'organisation et dans la forme et L diversité des parties ont été conservés; « D° Qu’à l’aide d'un temps suffisant, dde circonstances qui ont été nécessairement favorables, des changements que tous « les points de la surface du globe ont successivement subis « dans leur état, en un mot du pouvoir qu'ont les nouvelles situations et les nouvelles habitudes pour modifier les organes « doués de la vie, tous ceux qui existent maintenant ont été insensiblement formés tels que nous les voyons ; « 6° Enfin que d’après un ordre semblable de choses, les corps vivants ayant éprouvé chacun des changements plus ou moins grands dans l’état de leur organisation et de leurs parties, À A A A A A A A A A > S =, A successivement ainsi formé, n’a qu'une constance relative « dans son état et ne peut étre aussi ancien que la nature. » De l'influence des circonstances sur les actions des animaux dont il traite dans le chapitre VIF, de Lamarek croit aussi pou- voir déduire (page 260) que : « des répétitions multipliées de « ces actes d'organisation fortifient, étendent, développent et « même créent les organes qui y sont nécessaires, Il ne faut « qu’observer attentivement ce qui se passe partout à cet égard « pour se convaincre du fondement de cette cause des dévelop- « pements et des changements organiques. « Or, tout changement acquis dans un organe par une ha- « bitude d'emploi suffisante pour l'avoir opéré se conserve AR ce qu’on nomme espèce parmi eux a été insensiblement et : Ét. Geoffroy Saint-Hilaire. 52 DE L'ESPÈCE. « ensuite par la génération, s’il est commun aux deux indi- « vidus qui, dans la fécondation, concourent ensemble à la « reproduction de leur espèce. Enfin ce changement se propage «et passe ainsi à tous les individus qui se succèdent et qui « sont soumis aux mêmes circonstances sans qu'ils aient été « obligés de l’acquérir par la voie qui l'a réellement créé. » - ..... . + . CSije voulais ici passer en revue toutes les «_ classes, tous les ordres, tous les genres et toutes les espèces « des animaux qui existent, je pourrais faire voir que la eonfor- « mation des individus et de leurs parties, que leurs organes, « leurs facultés, ete., etc., sont partout uniquement le résultat « des circonstances dans lesquelles chaque espèce s'est trouvée « assujettie par la nature et des habitudes que les individus « qui la composent ont été obligés de contracter, et qu'ils ne « sont pas le produit d'une forme primilivement existante qui à « forcé les animaux aux habitudes qu’on leur connaît (p. 262). » Ces quelques citations empruntées à la Philosophie soologique de l'illustre professeur du Jardin des Plantes suffisent, nous le pensons, pour donner une idée de la théorie qu'il a exposée ct soutenue avec une clarté, une netteté de vues et une franchise à poursuivre jusqu’au bout les conséquences de son principe, que nous retrouverons rarement dans les derniers de ses repré- sentants. Suivant Isidore Geoffroy Saint-Hilaire (1), son père n'aurait pas été le continuateur de Lamarck ; il répudie cette succession en son nom, et lui assigne au contraire une large part dans l'héritage de Buffon. Mais qu'Étienne Geoffroy Saint-Hilaire ait rejeté les variations dues à des changements d'actions et d’ha- bitudes pour conserver l'influence directe des milieux ambiants, aux points de vue physiologique, philosophique et géologique, c'est absolument la même chose; la faculté de varier, attribuée à l'espèce, est le point essentiel de la question; c'est le principe fondamental de la théorie, et peu importe pour le résultat que cette faculté soit mise en jeu par une cause ou par une autre. (1) Hist. nat, gén., cte., vol. Il, p. 412. | 4 $ k t 3 OPINIONS DIVERSES. 53 Ce fut vers 1825 que l’illustre membre de la Commission d'Égypte émit ses idées à ce sujet; mais ce fut dans son Me- moire sur le degré d'influence du monde ambiant pour modifier les formes animales (1851) et dans ses Études progressives d'un naturaliste (1855), c'est-à-dire vers la fin de sa carrière, qu'il les développa complétement. Comme on peut penser qu'Isidore Geoffroy Saint-Hilaire a présenté les opinions de son père sous leur jour le plus favorable, nous les reproduirons dans les termes dont il s’est servi. Il ramène ces idées à cinq propositions principales : deux premières, générales, dit-1l (p. 416), une troisième consé- quence relative aux êtres actuels comparés entre eux, et deux dernières, se rapportant à ces mêmes êtres, mais comparés avec ceux qui ont autrefois peuplé le globe. 1° L'espèce est fixe sous la raison du maintien de l’état con- ditionnel de son milieu ambiant ; 2° elle se modifie, elle change, si le milieu ambiant varie et selon la portée de sa variation ; d'où il résulte que, « parmi les êtres récents et actuels, on ne « doit pas voir et l'on ne voit pas se produire de différence es- « sentielle ; pour eux, c'est le même cours d'événements comme « la même marche d’excitation. « Au contraire, le monde ambiant ayant subi, d'une époque « géologique à l'autre, des changements plus ou moins considé- « rables, l'atmosphère ayant même varié dans sa composition « chimique, et les conditions de respiration ayant été ainsi « modifiées, les êtres actuels doivent différer, par leur organi- « sation, de leurs ancêtres des temps anciens, et en différer se- « lon le degré de la puissance modificatrice. « À ce point de vue, l’évolution des espèces peut être com- _« parée à celle des individus. Dans un même milieu et sous « l'influence des mêmes agents physiques et chimiques, ceux- « ci restent des répétitions exactes les uns des autres, Mais que, « tout au contraire, il en soit autrement, de nouvelles ordon- « nées, si elles interviennent sans interrompre l’action vitale, « font varier nécessairement les êtres qui en ressentent les ef- « fets, ce qui, dans les grandes opérations de la nature, exige 54 DE L'ESPÈCE. «un temps quelconque considérable, mais ce qui est accessible « à nos sens et se trouve produit en petit et sous nos yeux dans « le spectacles des monstruosités, soit accidentelles, soit volon- « taires, » Comme toujours, ces prémisses, aussi bien que les conelu- sions, restent à démontrer dans le présent et dans le passé; ee sont de ces vues de l'esprit auxquelles l'application fait défaut ; et l'auteur constate lui-même, en quelque sorte, l'absence de toute preuve lorsqu'il invoque, comme exemples, des cas téra- tologiques, des anomalies, des aberrations de la nature. Qu'y a-t-il de plus illogique que de chercher une loi dans ce que l'on reconnait être l'exception, le résultat d'une cause fortuite en dehors de toute règle, et qui le plus ordinairement ne se ré- produit pas? Nous ne dirons rien de l'action des changements géologiques ; nous aurons à constater, jusque dans ces der- nières années, l'abus que les zoologistes ont continué à en faire tout comme dans les siècles précédents. La dernière proposition n'est présentée, continue Isidore Gcoffroy Saint-Hilaire, qu'avec réserve; et, en effet, elle a un caractère tranché qui la rapproche beaucoup des idées de La- marck, avec lequel il repousse, cependant, toute communauté: « Les animaux vivant aujourd'hui proviennent, par une suite « de générations et sans interruption, des animaux perdus du « monde antédiluvien, par exemple, les Crocodiles de l'époque « actuelle, des espèces retrouvées aujourd'hui à l'état fossile, « les différences qui les séparent les uns des autres fussent- «elles assez grandes pour pouvoir être rangées, selon nos rè- « gles, dans la classe des distinctions génériques. » | On ne peut rien dire de plus explicite et de plus parfaite- ment en opposition avec les principes soutenus par Cuvier (Voy. antè, 1° partie, p. 436). Plus loin, il est vrai, le. savant commentateur ajoute (p. 420) : « Ce n'est qu'une hypo- « thèse posée en face de l'hypothèse contraire, non démontrée, « l’auteur le reconnaît, ni même encore démontrable, mais « plus simple, à ce titre déjà plus vraisemblable, et aussi plus « conforme aux faits et à la raison; c’est une question que j'ai OPINIONS DIVERSES. 55 « posée, continue-t-il; c'est un doute que j'ai émis et que je « reproduis au sujet de l'opinion régnante (celle de Cuvier); j'ai « pensé et je crois toujours que les temps d’un savoir véritable- « ment satisfaisant en géologie ne sont pas encore venus. » Celte dernière phrase, écrite en 1829, était parfaitement motivée ; mais ce qui précède est tout à fait inexact; car le principe rappelé sur lequel Cuvier s’'appuyait : « Les races ac- « tuelles ne sont nullement des modifications de ces races an- « ciennes qu’on trouve parmi les fossiles ; les espèces perdues «ne sont pas des variétés des espèces vivantes; » ce principe, disons-nous, n’est pas une hypothèse; ce sera une vérité tant qu'on n’aura pas démontré les passages ou les variations. I n'y a rien ici de supposé, ni dans les causes, ni dans les résultats ; c'est un fait, tandis que la proposition inverse est une pure abstraction, une supposition qui n'est pas encore même dé- montrable. I n'y a donc aucune comparaison à établir entre les deux manières de voir, quant à leur degré de certitude. Voyons actuellement comment, vingt ans plus tard, le digne 34 Geoffroy émule et le bien regretté fils d'Étienne Geoffroy Saint-Hilaire Stint-litaire, envisageait ces mêmes questions. « La vie de l'espèce est une vie sans déclin, dit-il (1); non- « seulement l'espèce, comme l'individu, est composée d'élé: « ments sans cesse renouvelés ; mais la mobilité même de ces éléments réalise et entretient le type, ce même type sur lequel « se modèle, à son tour, chaque individu, et elle n'exclut nulle- ment l'identité. On pourrait dire aussi de l'espèce : vivre, c'est en même temps changer et demeurer sans cesse. « Mais, ici, les analogies s'arrêtent, et une différence capitale se présente. L'individu ne varie pas seulement, à chaque instant, dans sa composition intime, mais aussi d'âge en âge, « dans sa composition générale, dans son état, et, par suite, dans le mode ou le degré de son action vitale. Il naît, 1l pro- gresse, il est à son apogée, il décline; et, au terme de tous ces AR 2 A AR & À (1) Histoire naturelle générale des règnes organiques, vol. IT, p. 91, 1856. . 56 DE L'ESPÈCE. « changements d'état, un peu plus tard ou un peu plus tôt, se- « Jon la rapidité du cours de la vie, après des années, des jours, « des heures, il cesse de vivre. La mort est la conséquence « même du phénomène de la vie individuelle. « Les espèces aussi périssent, et le sol qui nous porte on « plein de ruines auxquelles les espèces actuelles pourront un « jour ajouter les leurs. Mais, pour qu'il en soit ainsi, il ne fau- « dra rien moins que l'intervention d'un de ces grands phéno- « mènes cosmiques qui, de loin en loin, viennent changer la « face de notre planète; car l’espèce, dans des conditions qui « restent les mêmes, tend à rester aussi indéfiniment la même. « Le mouvement vital, qui dans l'individu seralentit, puis s'ar- « rête nécessairement de lui-même, est pour elle, si rien ne vient « le troubler, uniforme et perpétuel. La reproduction est une « continuelle renaissance de l'espèce ; les individus qui meurent « y étant sans cesse remplacés par d'autres, ce qu'elle gagne « compensant ce qu'elle perd, elle reste toujours composée de « sujets jeunes, adultes, vieux, sans qu'elle-même soit jamais « jeune ou vieille. Ni progrès, ni apogée, ni déclin, ni achemi- « nement vers un terme déterminé. Les espèces restent done « indéfiniment ce qu'elles sont, et toujours toutes neuves, comme « le dit Buffon ; autant sis” hui qu elles élaient il y a trois «mille ans. » « Quand une espèce périt, c'est donc toujours par une cause « extérieure. S'ilest permis de comparer un des grands faits de « l'histoire du monde à un de ses plus petits détails, elle s'éteint « comme l'individu frappé dans sa Jeunesse et sa force, non « comme celui qui s'arrête épuisé au bout de sa carrière. « La vie de l'espèce diffère donc essentiellement de la vie in- « dividuelle par ces deux grands caractères qui dérivent l’un de « l'autre : permanence du type, de ce type dont chaque indi- «vidu, dans son état de perfection organique, est, sous nos « yeux, comme un exemplaire vivant; perpétuité indéfinie « d’une existence dont chaque vie individuelle est comme un « point dans l’espace, comme un instant dans la durée, » Nous avons reproduit ce passage en entier, parce qu'il ren- OPINIONS DIVERSES. 7 ferme une idée complète, exprimée avec beaucoup de grâce, et qu’il marque bien la différence du style et des principes du fils et du père. Nous regrettons cependant d'y retrouver encore une invocation aux grands phénomènes cosmiques, ce qui n'était plus permis en 1856. Ainsi, pour Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, aucune modification n'était alors admise dans l'espèce sans l’in- tervention de causes physiques extérieures. Toute espèce porte en soi le principe de sa fixité et de sa perpétuité. Il semble, en outre, qu'aucune loi n’ait encore été entrevue, présidant à la succession des êtres organisés dans le temps, et, cependant, déjà plusieurs jalons avaient été posés dans cette direction tant en France qu'à l'étranger. Si l'on s’en tenait au passage que nous venons de citer, on pourrait croire que l’auteur, désertant la cause paternelle, cst passé dans le camp de ses adversaires ; mais il n’en est rien, et les événements géologiques, qui sont toujours pour les parti- sans de la mutabilité des êtres le Deus ex machinä, vont lui servir de base pour développer ce qu'il appelle la théorie de la variété limitée de l'espèce ; cette manière de voir, déjà émise par Isidore Geoffroy Saint-Hilaire à diverses reprises depuis 1850, se trouve résumée dans les paragraphes suivants de son dernier ouvrage (1) : « I. Les caractères des espèces ne sont ni absolument fixes, « comme plusieurs l'ont dit, ni surtout indéfiniment variables, « comme d’autres l'ont soutenu. Ils sont fixes pour chaque es- &« pèce tant qu’elle se perpétue au milieu des mêmes circon- « stances. Ils se modifient si les circonstances ambiantes vien- & nent à changer. | «IL. Dans ce dernier cas, les caractères nouveaux de l'espèce «sont, pour ainsi dire, la résultante de deux forces contraires : « l'une, modificatrice, est l'influence des nouvelles circon- « stances ambiantes ; l’autre, conservatrice du type, est la ten- « dance héréditaire à reproduire les mêmes caractères de gé- S x (1) Histoire naturelle générale des règnes inorganiques, vol. I, 2° part., p. 431 ; 1859. De la variélé limitée. Exposition des principes. Ohections: 58 DE L'ESPÈCE. A nération en génération. Pour que l'influence modificatrice « prédomine d'une manière très-marquée sur la tendance con- « servatrice, 1l faut donc qu'une espèce passe des circonstances, au milieu desquelles elle vivait, dans un ensemble nouveau et très-différent de circonstances ; qu'elle change, comme on l’a dit, de monde ambiant. « III. De là les limites très-étroites des variations observées « chez les animaux sauvages; de là aussi l'extrême variabilité des animaux domestiques. «IV. Parmi les premiers, les mêmes caractères doivent se « transmettre de génération en génération; les circonstances étant permanentes, les espèces le sont aussi. « V. Mais, par suite de son extension géographique à la sur- face du globe, une forme donnée se trouve placée dans des « conditions d'habitat et de climat donnant lieu à des modifi- cations qui constituent les races. | « VI. Chez les animaux domestiques, les causes de varia- tions sont beaucoup plus nombreuses et plus puissantes. « VII. Le retour de plusieurs races domestiques à l’état sau- vage a eu lieu sur divers points du globe. De là une seconde série d'expériences inverses des précédentes et en donnant la « contre-épreuve. » . Mais que prouvent, en réalité, ces deux derniers paragraphes? que l’homme n'a jamais créé une espèce dans la véritable ac- ception zoologique du mot. Toutes les modifications obtenues sur les quarante espèces soumises à la domestication n’ont pas cessé d'être fécondes entre elles, et, par conséquent, rentrent loutes dans la véritable définition de l’espèce. Bien entendu qu'il n'est point ici question de ces accouplements contre nature dont Les produits sont inféconds. Quant au retour des races do- mestiques à l’état sauvage, dès qu’elles sont abandonnées à leur instinct naturel, il est, en effet, la contre-épreuve de l'in- fluence de la domestication, mais pour démontrer précisément que les caractères que celle-ci leur avait imprimés sont pure- ment factices, sans valeur physiologique, n'ont occasionné au- cune modification profonde ni réelle dans l'organisme, puis- % A A & + = 2 = = + = + = = OPINIONS DIVERSES. 99 qu'ils disparaissent pour revenir au type naturel primitif dès que cesse la cause qui les avait produits. On ne peut donc rien déduire logiquement, en faveur d’une modification importante de l'espèce, ni de la domestication qui n'en altère pas les caractères essentiels, ni du retour à l’état sauvage qui fait disparaître les changements superficiels et mo- mentanés qu'elle avait produits. C’est tout au plus si la domes- tication pourrait donner, avec certains soins, une variété per- manente, indépendante de soins subséquents ; et, dans ce cas encore, ce résultat n’impliquerait, en aucune façon, la fivité de l'espèce dans la nature où nous admettons des variétés. Par conséquent, la variabilité limitée, ainsi comprise, n’est point une théorie ; c’est l'expression d’un fait connu et admis de tous, et parfaitement compatible avec l’immutabilité, qui n’a ja- mais pu être prise dans un sens plus absolu que la ressemblance de deux feuilles d’un même arbre. VIII. Quant à ce que « ces mêmes expériences prouvent de « plus que les différences produites peuyent être de valeur gé- « nérique, » nous ne comprenons pas bien que, n'ayant pas même pu produire une véritable espèce, elles aient donné de véritables distinctions génériques. + X. L'exemple tiré de l'espèce humaine est de la même valeur, puisque nous n’en admettons qu’une avec des variétés ou races qui ne peuvent, en vertu du principe de la fécondité réciproque et continue, constituer des espèces distinctes. «XI. À la théorie de la variabilité limitée correspondrait, en « paléontologie, continue l'auteur, une hypothèse simple et ra- « tionnelle, celle de la filiation... suivant laquelle les ani- « maux actuels seraient issus des animaux analogues qui ont « vécu dans l'époque géologique antérieure. Nous serions fon- « dés, par exemple, à rechercher les ancêtres de nos Éléphants, « de nos Rhinocéros, de nos Crocodiles, parmi les Éléphants, «les Rhinocéros, les Crocodiles, dont la paléontologie a dé- « montré l'existence antédiluvienne, » Ici la question est très-différente et beaucoup plus grave, et nous entrons, en effet, dans le champ des hypothèses ; car Suite de l'exposition des principes et discussion, 60 DE L'ESPÈCE. on n'a pas encore démontré la filiation des espèces dites éteintes avec celles de nos jours, et il semble que c’est par là qu’on au- rait dû commencer, ne füt-ce que pour ces grands mammifères restaurés et décrits par Cuvier et ses continuateurs, et sauf à le démontrer ensuite pour toutes les autres classes de vertébrés et d’invertébrés. Mais en füt-on arrivé là, et aucun travail suivi n'a encore été entrepris dans cette direction, que la difficulté serait reculée, mais non résolue. Les naturalistes timides, qui rejetant la fixité de l'espèce, n'osent pas non plus admettre toutes les conséquences des idées de Lamarck, et s’attachent à quelques moyens mixtes pour expliquer la succession des formes organisées, sont toujours arrêtés par la nécessité d'une première espèce où d'un premier type d’où les autres sont dérivés. Qu'importe que les Éléphants et les Rhinocéros actuels descen- dent des Éléphants et des Rhinocéros quaternaires? Il a toujours fallu créer le premier à une époque ou à l’autre; or, il n'est pas plus difficile de concevoir que la nature ait créé plusieurs espèces d'Éléphants et de Rhinocéros, soit en même temps, soit successivement, qu'une seule espèce de chacun de ces genres à la fin de la période tertiaire. Les partisans de la variabilité 1lli- milée nous paraissent être beaucoup plus conséquents. Le paragraphe XIT témoigne d'une absence complète de données sur l’état actuel des connaissances paléontologiques relativement à la distribution des fossiles dans l’intérieur de la terre; il serait donc superflu de nous y arrêter. Le paragra- phe XIE, qui en est la suite, n’est pas plus fondé. Les époques géologiques, telles que les conçoivent les naturalistes qui n'ont point pratiqué la géologie et la paléontologie assez longtemps sur le terrain, sont de pures abstractions de l'esprit, desentités imaginaires qu'ils érigent en axiomes pour le besoin de leurs hypothèses biologiques (1). (1) Il y a un écueil opposé contre lequel viennent se heurter beaucoup de bons esprits qui, à force de concentrer toutes leurs facultés à constater des différences spécifiques parmi les fossiles d'une classe, d'un ordre, d’une ® famille, dans un terrain, et les petits faits stratigraphiques d’une localité, n'en sont pas plus aptes à saisir les lois qui régissent l'ensemble. OPINIONS DIVERSES. 61 « XIV. Enfin la substitution de la théorie de la variabilité li- « mitée à l'hypothèse de la fixité rend nécessaire une nouvelle « définition de l'espèce. Pour nous rapprocher le plus possible « des définitions les plus usitées, et en ne considérant pour le « moment que l’ordre actuel des choses, nous dirons : L'espèce « est une collection ou une suite d'individus caractérisés par «un ensemble de traits distinctifs, dont la transmission est « naturelle, régulière et définie dans l'ordre actuel des « choses. » La suppression des cinq derniers mots rend la dé- finition applicable à tous les temps. | Ce que nous venons de rappeler suffit pour faire comprendre l'ordre d'idées dans lequel entre Isidore Geoffroy Saint-Hilaire et le genre de preuves sur lequel il les appuie. Sous le point de vue paléontologique, ces preuvés nous semblent n'avoir rien qui puisee éclaircir aucune des questions importantes de l'histoire biologique de la terre. Après avoir énuméré les motifs puisés, comme toujours, dans les résultats de la domestication, 1l dit, dans sa con- clusion générale {1) : « Les caractères des êtres organisés ne « sont fixes qu’autant que les circonstances extérieures restent « les mêmes; si elles changent, et selon le sens et le degré des « changements qu’elles subissent, l'organisation se modifie, et «il se produit de nouveaux caractères dont la valeur peut être « spécifique et plus que spécifique. » Or, c'est là ce qu'il nous a été impossible de reconnaitre, ainsi que nous l'avons déjà dit et bien que l’auteur continue avec une assurance qui fait honneur à sa conviction : « Qu'est-ce « donc que le principe si longtemps affirmé de la fixité du tyje, « de l'immutabilité de l'espèce? Nous disions au commence- « ment de ce livre : « Ge prétendu principe n’est qu'une hypo- « thèse; » nous sommes maintenant en droit d’ajouter : «Cette « hypothèse est erronée, » etc. Les faits allégués n’ont rien de nouveau, et nous pensons que (1) Hist. nat. gén., etc, vol. IT, p. 517, 1862. Cette fin du volume a été imprimée après la mort de l’auteur. à C. Duméril, Strauss. De Blainville. '. de Candolle. À, de Jussieu. 62 DE L'ESPÈCE. les conséquences déduites sont loin d’avoir l'importance que le savant auteur leur attribuait. L'objection de Cuvier relative à l'influence exceptionnelle de la domestication, qui ne peut ici servir de preuve, nous parait avoir (oujours la même force, aujourd'hui comme il y a quarante ans, et cela malgré les tentatives de toutes sortes sur lesquelles on s'est appuyé récemment encore et dont nous aurons occasion de parler tout à l'heure. Nous n'avons pas voulu rompre l'ordre des idées sur la muta- bilité des êtres, de plus en plus atténuées depuis de Lamarek jusqu’à L. Geoffroy Saint-Hilaire; mais nous devons, avant de passer aux travaux les plus récents publiés dans cette direction, . mentionner quelques opinions émises en sens opposé ou plus ou moins différentes. Ainsi, C. Duméril, le premier collaborateur de Cuvier, com- prenait l'espèce comme une race d'individus semblables qui, sous un nom collectif, se continuent et se propagent identique- ment les mêmes (1). Dans sa Théorie de la nature, M. Strauss dit : «Il est certain que les hommes, aussi bien que les divers « animaux, sont toujours restés ce qu'ils ont été, et le sont er- « core de nos jours sans la moindre différence (2). » De Blain- ville caractérisait l'espèce « l'individu répété et continué dans « le temps et dans l’espace. » P, de Candolle disait en 1815 : « La collection de tous les individus qui se ressemblent plus «entre eux qu'ils ne ressemblent à d’autres, qui peuvent, par « une fécondation réciproque, produire des individus fertiles et « qui se reproduisent par la génération, de tellesorte qu'on peut, « par analogie, les supposer tous sortis originairement d'un « seul individu, telle est l’idée essentielle de l'espèce (5). » Cette définition est implicitement admise par Adrien de Jussieu (4) et (1) Ichthyologre analytique, (Mém. de l'Acad. des sciences, vol. XXVII 4° partie, p. TS ; 1856). (2) Vol. I, p. 545 ; 1859, ’ (3) Théorie élémentaire de botanique, in-8, p. 197 ; 1815. (4) Cours élémentaire d'hist. natur., p. 378; 1848. OPINIONS DIVERSES. 63 par Ach. Richard (1). M. Alph. de Candolle (2) rappelle la défi- nition de l'espèce qu'a donnée son père dans sa Physiologie véyétale, et en présente une autre qui, par son étendue et les quatre termes qui la composent, est plutôt un résumé des ca- ractères essentiels de l'espèce qu'une véritable-définition. Plus récemment il a dit à ce sujet : « Dans l’état actuel de la science, «il n’est pas plus facile de définir l'espèce que le genre ou la « famille. Toutes les définitions données sont inapplicables ; la « plus mauvaise de toutes est celle de Linné (3)... » Cependant, il pense que le nom d'espèce, tout arbitraire qu'il est, doit encore être conservé dans le sens que lui attribuait l'illustre Suédois. Nous trouverions chez les naturalistes étrangers, entre au- tres chez G. Bronn, des définitions analogues. « L'espèce, dit « ce dernier, est la réunion de tous les individus de même ori- « gine et de ceux qui leur sont aussi semblables qu'ils le sont « entre eux (4). » En France, M. Chevreul nese prononce pour l'immutabilité de l'espèce que relativement à l'époque actuelle. « Si l'opinion de la mutabilité des espèces, dit-il, dans les cir- « constances différentes de celles où nous vivons, n’est pomt « absurde à nos yeux, l’admettre en fait pour en tirer des con- « séquences, c’est s'éloigner de la méthode expérimentale, qui « ne permettra jamais d'ériger en principe la simple conjec- « ture (5). » M. Milne-Edwards donne le nom d'espèce à la (1) Précis de botanique, vol. IL; p. 4 ; 1852. (2) Géographie botanique raisonnée, vol. 1, p. 1072 ; 1855 (5) Étude sur l'espèce à l’occasion d'une révision de la famille des cu: pulifères (Arch. Bibl. univ. de Genève, nov. 1862, p. 66). (4) Handbuch der Geschichte der Natur, vol. If, p. 63. Stuttgart, 1842-49, — Voy. aussi Untersuchungen über die Entwickelung der orga- wischen Welt, in-8, p. 228. Stuttgart, 1858. — L'auteur, expliquant le sens dans lequel il comprend la définition de Cuvier, réunit dans une seule espèce tous les individus de temps différents qui seraient mis ensemble sans difficulté s'ils étaient contemporains. - . (5) Rapport sur l'ampélographie, etc., (Mém. Soc. r. d'agric., p.287; A846. — Journ, des Suvants, p.715; 1840). A. Richard, Alph. de Candolle. G. Bronn. Chevreul, Milne Edwards. De Quatrefases, Flourens, Deshaves. 64 DE L'ESPÈCE. réunion des individus qui se reproduisent entre eux avec les mêmes propriétés essentielles (1); et, pour M. de Quatrefages, « l'espèce est l’ensemble des individus plus ou moins semblables «entre eux, qui sont descendus ou qui peuvent être regardés « comme descendus d’une paire primitive unique par une suc- « cession ininterrompue de familles (2). » M. Flourens dit : « La fécondité continue donne l'espèce; la fécondité bornée « donne le genre, le genre est la limite de la parenté (5). » Enfin, suivant M. Deshayes, dont la compétence ne peut être récusée, « l'espèce estune réunion d'individus semblables, des- « cendus de parents identiques avec eux, et séparés des autres « par des caractères organiques d’une constance absolue. Si, à « côté des caractères d’une constance absolue, on en rencontre « d'autres qui jouissent d’une certaine variabilité, c’est d'après « ceux-là que seront établies les variétés (4). » $ 2. Derniers représentants des opinions opposées sur l'espèce. Pour terminer ce que nous avions à dire sur l'espèce et sur la double question de sa fixité ou de sa variabilité, 1l nous reste à examiner deux ouvrages importants, qui ont paru simultanément en 1899, l'un à Londres et l’autre à Paris. Le premier, dù à M. Ch. Darwin, eut un grand retentissement, fut traduit dans plusieurs langues et eut plusieurs éditions en peu de temps; le second, écrit par M. Godron, fut moins heureux et passa presque inaperçu pour beaucoup de personnes. À quoi était due la diffé- rence de ces destinées? Est-ce parce que l'auteur anglais, depuis (1) Éléments de Zoologie, p. 224 ; 1834. (2) Unité de l'espèce humaine, p. 54: 1861. (5) Ontologie naturelle ou étude philosophique des êtres, p. 14 ; 1861. — La géologie et la paléontologie ne pourraient admettre ce que dit plus loin l’auteur, que l’espêce est de sui impérissable, éternelle, ibid., p. 49, (4) Description des animaux sans vertèbres découverts dans le bassin de Paris Introduction, vol. 1, p. 47; 1860. EXAMEN DU LIVRE DE M. DARWIN. 65. longtemps connu par de grands voyages, par des livres d'un haut mérite et d'un vif intérêt scientifique, a émis et développé une de ces idées qui frappent les esprits faciles à s’éprendre de ce qui semble nouveau, tandis que le savant français, botaniste distingué, mais dont le nom était peu répandu en dehors de sa spécialité, s'était imposé la tâche modeste de réunir et de dis- euter un vaste ensemble de preuves à l'appui d’une opinion ancienne, adoptée par le plus grand nombre des naturalistes ? C'est ce qui est au moins probable, mais qu'il serait inutile de chercher à approfondir 1ci. EXAMEN DU LIVRE DE M. DARWIN. Nous commencerons par l'ouvrage de M. Darwin, intitulé : De l'origine des espèces ou des lois du progrès chez les êtres organisés (1). devra nous arrêter assez longtemps, parce que les motifs accumulés pour prouver la variabilité de l'espèce sont toujours beaucoup plus nombreux que ceux invoqués à l'appui de l'opinion contraire. Celle-ci n’a besoin que de l'exposition des faits ordinaires et d'une simple hypothèse pour l’expli- quer, tandis que celle-là doit avoir recours à une multitude de faits d'ordres différents, d’interprétations, de recherches, d’expérimentations même plus ou moins compliquées. En outre, le succès que le livre a obtenu, surtout en Angle- terre, nous oblige de l'examiner sérieusement pour nous rendre compte des causes et de la légitimité de son succès, pour savoir jusqu'à quel point l'hypothèse sur laquelle il repose doit être regardée comme fondée, ce qu’elle explique et ce qu’elle n’ex- plique pas, si elle est nouvelle ou non, si l’auteur en déduit toutes les conséquences qu'elle comporte et si celles-ci à leur (1) On the origin of species by means of natural selection, ete., un vol. in-8. Londres, 1859. — 3° éd., 1861. Traduction française par mademoiselle CI. Aug. Royer, avec une préface et des notes du traducteur, in-8, Paris, 1862. Notice historique. Auleurs divers. -66 DE L'ESPÈCE. tour découlent logiquement des faits, si le point de départ est nettement établi et si la pensée est complète, si en un mot la question biologique a été envisagée sous toutes ses faces dans l’espace et dans le temps (1). : Nous suivrons, dans cette étude critique d'un livre remar- quable à beaucoup d'égards, la traduction française fort élé- gante qu'en a donnée mademoiselle Clémence-Auguste Royer sur la 3° édition, ce qui rendra la vérification de nos appréeia- tions plus facile au lecteur et nous permettra de tenir compte de plusieurs des savantes annotations que le traducteur y a ajoutées. Nous avons, d'ailleurs, dans les citations, vérifié l'in- terprétation du texte et reproduit quelquefois celui-ci pour plus de certitude. Dansune Notice historique sur l'origine des espèces, M. Darwin rappelle d’abord les opinions récemment émises et plus ou moins en rapport avec la sienne, telles que celles de Lamarek et d'Étienne Geoffroy Saint-Hilaire en France, puis, en Angleterre, celles de W, Herbert, qui, en 1822, déduisait d'expériences sur les végétaux que les espèces ne sont que des elasses supérieures de variétés plus permanentes, de Grant, en 1826, qui, dans un mémoire sur les Spongilles, admettait que chaque espèce descend d'autres espèces et qu'elles se perfectionnent par des modifications successives, de Patrick Matthew, qui publia en 1851 des idées plus voisines des siennes que toutes les autres, de Rafinesque, pour qui, en 1856, les espèces végétales ont été d'abord des variétés et beaucoup de variétés sont en voie de devenir des espèces, puis de MM. J, J. d'Omalius- d'Halloy, Freke, Herbert Spencer, Naudin, de Keyserling, Schaffhausen, Baden Powell, Wallace, Huxley, Hooker, ete.,ete., en tout tren{e auteurs qui admettraient la variabilité de l’espèce (1) Nous sommes d'autant plus engagé à cet examen que ce que nous avons lu sur ce livre, soit dans les journaux, soit dans les revues, soit dans des ouvrages plus sérieux, est tellement superficiel et dépourvu de critique, qu'il serait impossible de s'en faire même une faible idée, d'après de sem- blables articles. EXAMEN DU LIVRE DE M. DARWIN,. 67 ou qui contesteraient l'hypothèse des créations indépendantes. Sur ce nombre, 25 ont écrit sur les diverses branches des sciences naturelles, et parmi eux se trouvent 3 géologues, 9 botanistes et 13 zoologistes. (Page xix.) « J'ai toujours dû reconnaître, dit plus loin «M. Darwin, que l'étude des variations survenues à l'état do- « mestique, quelque incomplète qu'elle soit, est encore notre « meilleur et notre plus sûr guide, Je suis donc profondément « convaincu que de telles études sont de la plus haute valeur, « quoiqu’elles aient été très-communément négligées par les « naturalistes. » Nous ferons remarquer d’abord qu’il s'en faut de beaucoup que cette étude ait été négligée, comme le croit l'auteur. Les naturalistes qui se sont occupés de cette question, depuis Buffon jusqu'aux deux Geoffroy Saint-Hilaire, se sont toujours appuyés sur des exemples pris dans les résultats de la domestication, et c'est précisément ce que Cuvier leur reprochait il y a quarante ans et ce sur quoi nous nous permettrons encore d’insister après ce grand maitre. Prétendre expliquer les faits, ou, si l’on veut, les mystères que la nature nous dérobe, par des analogies déduites des ré- sultats que l'homme a obtenus par le hasard, par son industrie ou par son caprice, pour son utilité ou son agrément ; chercher à interpréter les lois de la nature, en dehors de la nature elle- même, par des actes qui la font dévier si manifestement de ses véritables voies; supposer qu'elle procède, ainsi que le disait G. Bronn avec son bon sens spirituel, comme un jardinier qui choisit ses variétés, les reproduit et les modifie encore, etc., n'est-ce pas s’en faire une étrange idée, peu digne, suivant nous, de l’immensité de l'œuvre et de la puissance du Créateur, car, quoi qu’on en dise, il faut toujours remonter jusqu'à un DRReS qui ordonne et qui crée. Comme on devait s’y attendre d’après ces prémices, le pre- mier chapitre de l'ouvrage est consacré aux variations des espè- ces à l'état domestique. Les divers raisonnements de M. Darwin Chap. r. Variations des espèces à l'état sur les races domestiques ne peuvent rien prouver, puisque CES Jomestique. 68 DE L'ESPÈCE. races se fécondent, et, en définitive, il dit (p. 38) : « Pour la « plupart de nos plantes les plus anciennement cultivées et de « nos animaux domptés déjà depuis de longs siècles, il est im- « possible de décider définitivement s’ils descendent d'une ou « de plusieurs espèces sauvages. » Ainsi, le passé de la domes- tication déjà ne nous apprend rien. Bien que l'origine de la plupart des espèces d'animaux do- mestiques lui paraisse douteuse, il est arrivé à cette conviction que « plusieurs espèces sauvages de canides ont été domptées, « et que leur sang plus ou moins mêlé coule dans les veines de « nos nombreuses races domestiques. » On peut se demander ici pourquoi M, Darwin n'a pas d'abord traité du seul caractère spécifique réellement rationnel, la fécon- dité continue? Or, si ces espèces de chiens sauvages ont pu s’accoupler et donner des produits féconds, c'est que ce n'étaient pas réellement des espèces distinctes. Ou bien, si l'auteur eroit connaître de meilleurs caractères, 1l aurait dû commencer par nous les indiquer, sans quoi nous pourrions taxer ses distinelions d'arbitraires. Discourir sur l'espèce, prétendre en tracer l'origine et ne point la définir, la caractériser, dire à quoi on la reconnait, c'est s’exposer à être mal compris et à être mal jugé. Relativement à l'origine du Mouton et de la Chèvre, il dé- clare n'avoir pas d'opinion arrêtée ; 1l croit que le Zèbu de l'Inde peut descendre d'un autre type que le Bœuf d'Europe ; mais toutes les races de Chevaux proviendraient d'une même souche naturelle. Toutes les variétés de Poules proviendraient du Coq d'Inde commun (Gallus bankiva) ; les Canards et les La- pins descendraient aussi du Canard sauvage et du Lapin com- mun. Les Pigeons viennent tous du Pigeon de roche (Columba livia) et de sous-espèces géographiques ; mais l’auteur discute l'hypothèse qu'ils ont pu provenir de sept ou huit espèces dif- férentes ; il montre une érudition profonde relativement à ce su- jet sur lequel il a fait de nombreuses expériences et auquel il revient, d’ailleurs, dans presque tous les chapitres de son ou- vrage ; il nous apprend même, pour nous convaincre de sa spé- EXAMEN DU LIVRE DE M. DARWIN. 69 cialité en cette matière, qu'il a fait partie de deux Pigeon-clubs de Londres. En résumé, on n'a aucune preuve expérimentale ni historique pour ou contre, et il suffirait de la fécondité continue de nos diverses races de Pigeons domestiques pour dire qu’elles proviennent toutes d’une seule et même espèce. Ce que dit M. Darwin (p. 52) des procédés employés par l'homme et des résultats cherchés dans les races domestiques est parfaitement vrai ; ici, les faits parlent et sont incontes- tables. Mais nous ne pouvons nous empêcher de faire remarquer sa naïve admiration pour le talent de l’éleveur de Pigeon. « Peu « de personnes, ajoute-t-1l, croiront aisément combien il faut « de capacité naturelle et d'expérience pour devenir un habile « amateur de Pigeon; » et plus haut : « À peine un homme sur « mille possède-t-il la sûreté de coup d'œil et de jugement né- « cessaire pour devenir un habile éleveur ! » D'où il résulte que, si ce talent était moins rare, Les races de Pigeons seraient sans doute beaucoup plus nombreuses. Le choix ou l'élection méthodique et l'élection inconsciente (1) sont ensuite examinés par M. Darwin, ainsi que l’origine incon- nue de nos productions domestiques (p. 61), et il passe aux circonstances favorables au pouvoir électif de l'homme en di- sant (p. 66) que « la condition la plus importante, c’est que « l'animal ou la plante Jui soit d'une assez grande utilité, ou « d'une assez grande valeur d'agrément, pour qu'il accorde « l'attention la plus sérieuse même aux légères déviations de «structure de chaque individu. Sans ces conditions, rien ne « peut se faire. » Ainsi, il faut une cause en dehors de la na- (1) L'auteur se sert ici du mot selection, que nous traduisons avec made-" moiselle Royer par élection, qui est plus français, sélection étant un néo- logisme introduit par Mercier, que l'Académie n'a pas adopté et dont le verbe correspondant seligere n'ayant jamais été proposé dans notre langue, rend l'emploi du substantif peu commode. Le sens que M. Darwin attache à ce mot n'étant expliqué et défini que dans le chap. 1v, p. 116, nous de- vrions, pour être conséquent, ne pas l'employer ici; mais il serait souvent difficile de rendre la pensée de l’auteur sans une périphrase, et nous préfé- rons nous en servir dès à présent avec lui, sauf à revenir plus loin sur sa définition. | = Chap. 1. Varialions à l'état de nature, 70 DE L'ESPÈCE. ture pour tirer partie de cette déviation, et il n'y a pas de raï- son, si l'on supprime cette cause qui est toute locale et pour. ainsi dire d'hier, pour que le résultat se produise. Un pareil aveu n’emporte-t-1l pas déjà avec ‘oi la négation des consé- quences qu'on voudrait déduire de l'effet? En outre, certains animaux domestiques sur lesquels l’action élective de l'homme nes’est pas exercée, les Chats, les Anes, les Paons, les Oies, ayant moins varié que d’autres, 1l semble déjà peu rationnel d'invoquer le principe d'élection pour la nature abandonnée à elle-même. Le résumé (p.67) est plus négatif que positif, sauf la dernière cause, l'action accumulée de l'élection. Mais peut-on admettre que la nature produise elle-même cette action accumulée qui ne peut être et n’est, en effet jusqu'à présent, qu'un résultat provoqué pour l'avantage ou l'agrément que l'homme en retire? Dans le second chapitre, consacré aux variations des espèces à l'état de nature, M. Darwin considère «le terme d'espèce (p. 80) « comme arbitrairement appliqué, pour plus de commodité, à «un ensemble d'individus ayant entre eux de grandes ressem- « blances, mais qu'il ne diffère pas essentiellement du terme de « variété donné à des formes moins distinctes et plus variables. « De même le terme de variété, en comparaison avec les diffé- « rences purement individuelles, est appliqué non moins arhi- «trairement et encore par pure convenance de langage. » Nous verrons plus loin si l'auteur est parvenu à trouver une expres- sion plus vraie et plus complète de ce que l'on doit entendre par espèce et par variété. En s’occupant des espèces dominantes où communes. très- répandues sur un vaste habitat, À trouve que ce sont elles qui ‘varient le plus, et, ensuite, que les espèces des plus grands genres varient partout davantage que celles des genres moins riches. De ce que, pour lui, les espèces ne sont que des variétés bien tranchées et bien définies, il déduit aussi cette proposition (p. 85) :.... «partout où un grand nombre d'espèces étroitement «liées, c'est-à-dire du même genre, ont été formées, beaucoup « de variétés ou espèces naissantes doivent, en règle générale, «être actuellement en voie de formation, » Ce qui suit est peu EXAMEN DU LIVRE DE M. DARWIN. 71 concluant ; aussi, en résumé dit-il (p. 88), «les variétés ne peu- « vent-elles, avec certitude, se distinguer des espèces, excepté : « 1° par la découverte de formesintermédiaires ; 2° par une cer- « Laine somme de différences, car deux formes qui ne diffèrent « que très-peu sont généralement rangées comme variétés, lors « même que des liens intermédiaires n’ont pas été découverts ; «mais la somme de différence, considérée comme nécessaire « pour donner à deux formes le rang d'espèce, est compléte- «ment indéfinie. » But the amount of difference considered necessary to qive to wo forms the rank of species is quite in- definile. Alors l'espèce est donc indéfinie elle-même? Et tout le raisonnement aboutit à une négation mal dissimulée ! Ce que M. Darwin nomme, dans son troisième chapitre, Gon- eurrence vitale est ce que nous croirions mieux désigné par l'expression d'équilibre des forces vitales d'où résulte l'harmo- nie de la nature. Quoi qu'il en soit, l'élection naturelle est, pour lui, « leprincipe qui conserve chaque variation légère, à « condition qu'elle soit utile, afin de faire ressortir son analogie « avec le pouvoir d'élection de l’homme (p. 92)... » Il en conclut que, « de même que toutes les œuvres de la nature sont « infiniment supérieures à celles de l’art, l'action naturelle est « écessairement prête à agir avec une puissance incommen- « surablement supérieure aux faibles efforts de l'homme. » Conclure de l'action de l’homme à celle de la nature, c’est évidemment, quelque distinction que l'on fasse relativement, à la différence d'intensité de l'effet, renverser la question contrai- rement à la nature elle-même. Que l'homme cherche à modifier celle-ci, il y a un but particulier ; mais supposer que la nature emploie des moyens analogues pour une fin générale de son œuvre, c'est une hypothèse qui sera difficilement admise par quiconque y réfléchira. En traitant de la progression géométrique d'accroissement, l'auteur fait remarquer, ce que l'on conçoit d’ailleurs à pre- mière vue, que, sans des causes de limitation naturelle, une es- pèce donnée acquerrait bientôt une prédominance très-pronon- cée sur toutes les autres et tendrait à les faire disparaître. Mais Chap. ur, Concurrence vitale. 72 DE L'ESPÈCE. le calcul fait pour Éléphant n’est pas exact; dans la supposition de 3 couples ou de 6 individus dans un laps de 90 ans, et sui- vant la même proportion pendant 500 ans, ou plutôt pen- . dant 6 fois 90 ans, ou 540 années, on aurait 729 couples ou 1458 individus, Il y a loin de ce chiffre au quinxe millions de l'auteur. D'un autre côté, l'expression de pro- gression géométrique ne peut être appliquée à cet ordre de considérations ; la progression de l'accroissement variant, à l'infini, depuis l'homme jusqu'aux animaux les plus inférieurs, elle ne peut être comprise sous une formule générale, mathé- matique quelconque, et ce n'est pas plus en réalité une progression géométrique qu'une progression arithmétique. Après avoir considéré le rapide accroissement des plantes et des animaux naturalisés, les effets du climat, la protection pro- venant du grand nombre des individus, les rapports complexes des êtres organisés dans la nature et la lutte qui s'établit entre les individus de même espèce et les espèces d'un même genre, l'auteur dit (p. 112) : « La pensée de ce combat universel est « triste; mais, pour nous consoler, nous avons la certitude que « la guerre naturelle n'est pas incessante, que la peur y est « inconnue, que la mort est généralement prompte, et que ce « sont les êtres les plus vigoureux, les plus sains et les plus heu- « reux qui survivent et qui se multiphent. » Ainsi la loi du plus fort et le fatalisme seraient les deux éléments essentiels qui concourent à l'équilibre et à l'harmonie de la nature organique. Quant à la guerre naturelle, elle est, au contraire, incessante, puisque la vie des carnassiers n’est qu'à cette condition ; la peur existe bien, quoiqu'en dise M. Darwin, chez les animaux destinés à devenir la proie des autres auxquels ils lâchent d'échapper par tous les moyens dont 1ls sont doués, et quant à la promptitude de la mort, ce n'est pas assez vral pour qu'on puisse supposer l'absence de douleur. En outre, il devrait résulter de ce choix, de cette élection inconsciente, un perfectionnement continu et indéfini dans la force, la beauté, les facultés vitales ou de résistance à la destruction, et, par conséquent aussi, un prolongement dans la EXAMEN DU LIVRE DE M. DAR WIN. 75 durée de la vie. Mais les données paléontologiques ou l'exa- men des flores et des faunes successives, qui pourraient nous en fournir quelques preuves, sont loin de justifier ces élégantes lictions. Pour la nature actuelle, on conçoit qu'il est beaucoup plus difficile d'y rencontrer la confirmation du principe de l'auteur. Ce principe ou mieux cette hypothèse est développée dans le chapitre iv ; c’est l'Élection naturelle ou loi de conservation des variations favorables et d'élimination des, déviations nuisibles (p. 116). Nous venons de dire qu’elle semblait devoir en être la conséquence, « Pour que les grandes modifications se produisent dans « la série des siècles, continue M. Darwin (p. 121), il faut « qu'une variété, après s'être une fois formée, varie en- «core, bien que, peut-être, au bout d’un long intervalle d’an- « nées, et que celles d'entre ces variations qui se trouvent « avantageuses soient encore conservées, et ainsi de suite, » On conçoit, jusqu'à un certain point, que l'élection se produise une fois, deux fois, peut-être trois; mais si c'est une loi, ce n'est pas l'effet d'une circonstance fortuite; elle ne peut pas cesser de se manifester durant tout le cycle que la forme est destinée à par- courir; d'où résulte encore, comme conséquence forcée, le per- fectionnement indéfini. Ce qui suit, relatif à l'élection sexuelle, devrait avoir la même fin. Mais c'est en vain que nous regardons autour de nous, que nous plongeons nos regards dans le passé, nous n'y pouvons apercevoir ce que l'on appellerait, tout aussi bien, une loi du progrès, expression dont on s’est déjà servi, qu'une loi d'élection, puisque l’une est la conséquence de l'autre. Pour mieux faire comprendre la pensée de l'auteur, citons quelques exemples d'élection naturelle (p. 128). « Supposons, « dit-il, une espèce de Loup, se nourrissant de divers animaux, « s'emparant des uns par ruse, des autres par force et des autres « par agilité ; supposons encore que sa proie la plus agile, le « Daim, par exemple, par suite de quelques changements dans « la contrée, se soit accru en nombre, ou que ses autres proies Chap. 1v. Élection naturelle 74 DE L'ESPÈCE. «aient, au contraire, diminué pendant la saison de l'année où « les Loups sont le plus pressés de la faim. En de pareilles eir- « constances, les Loups les plus vites et les plus agiles auront « plus de chances queles autres de pouvoir vivre. Ils seront ainsi « protégés, élus, pourvu toutefois qu'avec leur agilité nouvelle- «ment acquise ils conservent assez de force pour térrasser leur « proie ets’en rendre maitres, à cette époque de l’année ou à « toute autre, lorsqu'ils seront mis en demeure de se nourrir « d’autres animaux. y «..... Sans même supposer aucun chan- « gement dans les nombres proportionnels des animaux dont «notre Loup fait sa proie, un louveteau peut naître avee une « tendance innée à poursuivre de préférence certaine espèce.» «…… Si donc quelque légère modification d'habitudes innées «ou de structure est individuellement avantageuse à quelque « Loup, il aura chance de survivre ou de laisser une nombreuse « postérité. Quelques-uns &e ses descendants hériteront proba- « blement des mêmes habitudes ou de la même conformation, «et, par l'action répétée de ce procédé naturel, une noué «variété peut se former et supplanter l'espèce mère ou coexis- « Ler avec elle. » Les exemples pris ensuite dans le règne végétal montrent l’action intermédiaire des insectes venant féconder certaines espèces par le transport du pollen, dans certaines conditions plutôt que dans d’autres, et opérant ainsi des produits d'élec- tion qui pourraient aller jusqu'à occasionner, par degré, lasé- paration des sexes dans certaines plantes où ls étaient d’abord réunis. Tout cela est exposé avec beaucoup d'élégance par M. Darwin; mais nous doutons qu'aucun z0ologiste ou botamste le prenne au sérieux. On y voit, d’ailleurs, une tendance vers les idées de Lamarck et de Bonnet, auxquelles on ne peut pas échapper dès qu'on admet la variabilité des types. La généralité des croisements entre des individus de la même espèce et des circonstances favorables à l'élection naturelle con- duisent M. Darwin à cette réflexion (p. 145) : « Quoique la na- « Lure emploie de longs siècles à son travail d'élection, cepen- « dant elle ne laisse pas un laps de temps indéfini à chaque ù EXAMEN DU LIVRE DE M. DAR WIN. 79 « espèce pour se transformer ; car tous les êtres vivants étant « obligés de lutter pour se saisir des places vacantes dans l'éco- « nomie de la nature, toute espèce qui ne se modifie pas à son «avantage, autant que ses concurrentes, doit être presque aus- « sitôt exterminée. » Ce paragraphe nous parait étre complétement opposé à l’éco- _nomie générale de la nature dont il y est question. En effet, une espèce étant donnée, on ne voit pas qu'elle soit plus par- faite, plus complète, ni plus belle dans le cours de son exis- tence qu'au commencement. Elle se modifie, d'une manière ou de l’autre, suivant le temps et les lieux, dans des limites que les botanistes et les zoologistes pratiques savent apprécier; mais ce n’est pas nécessairement dans le sens d’un perfectionnement, d'une plus grande force ou d’une plus grande beauté. L'exa- men d'une espèce quelconque, observée non pas aujourd'hui, parce que nous ne disposons pas d'assez de siècles de recherches pour cela, mais dans les temps géologiques, montre, au con- traire, soit le développement, en quelque sorte spontané, d’un type qui cesse aussi brusquement, soit un développement gra- duel et une atténuation également graduelle précédant l'extinc- tion de ce type; or, si le principe était vrai, n'est-ce pas dans les bassins géologiques les mieux étudiés que nous devrions en trouver la confirmation ? De plus, à quelque moment qu’on étu- die l’histoire biologique de la terre, on trouve toujours, autant que les circonstances l'ont permis, des êtres forts et des êtres faibles dans des proportions harmoniques d'équilibre ; et dire qu'une espèce quine se modifie pas à son-avantage autant que ses concurrentes doit être presque aussitôt exterminée, c'est parler en éleveur d'animaux domestiques bien plus qu'en na- turaliste philosophe ; car c’est dire que la nature a fait sciem- ment une chose inutile, créé un être collectif qui n’était pas suffisamment organisé pour se perpétuer; bien entendu qu'il ne peut être ici question d'individus mal conformés. M. Darwin trouve, dans les modifications plus ou moins fré- quentes des formes et de l'étendue des terres émergées ou 1m- mergées, des causes favorables à l'élection de certains types et 76 DE L'ESPÈCE. à l'extinction de cerlains autres. Beaucoup de formes infé- rieures, dit-il, ont dû s'étendre. S'il en avait été réellement ainsi, il ne devrait rester, depuis longtemps, que des formes choisies, élues, privilégiées par les circonstances; mais, au- jourd’hui comme toujours, et cela dans toutes les classes, 1l y a des déshérités de M, Darwin, qui ne paraissent pas pour cela s'en porter plus mal, et qui, grands ou petits, forts ou faibles, beaux ou laids, continuent à vivre nonobstant ses proscriptions. (P. 450.) Il suppose aussi que l'élection naturelle agit lente- ment, et il ajoute que son action « dépend des places vacantes « qui peuvent se présenter dans l'économie de la nature ou qui « seraient mieux remplies si les habitants de la contrée subis- « saient quelques modifications. » Ainsi la loi de conservation des variations favorables et d'élimination des déviations nui- sibles doit actuellement attendre, pour manifester son effet, qu'il y ait une place vacante dans la série zoologique ou botani- que de la localité, absolument comme se font les nominations aux places vacantes dans nos administrations ; encore M. Darwin n'admet-:l pas de surnuméraires. Mais, continue-t-il, l’action élective est encore plus étroite- ment subordonnée aux lentes modifications subies par quel- ques-uns des habitants de la contrée, parce que les relations mutuelles de presque tous les autres en sont troublées. On comprendrait cette perturbation, si le résultat de l'élection était de changer un herbivore en un carnassier, un frugivore en un insectivore, et vice versa, mais une simple altération, comme nous avons vu M, Darwin l'admettre dans l'exemple supposé du Loup, ne semble pas devoir troubler beaucoup les habitudes des autres habitants de la contrée. Il est vrai que dans la phrase suivante l'auteur va beaucoup plus loin dans les conséquences de son hypothèse première. Nous la reproduisons, parce qu'elle est un premier pas, fait au delà de ses prémisses, vers les hy- pothèses extrêmes de la fin de son ouvrage. (P.151.) «... . Je « ne puis concevoir aucune limite à la somme des changements « qui peuvent s'effectuer dans le cours successif des âges par le EXAMEN DU EIVRE DE M. DARVWIN. 77 « pouvoir électif de la nature, de même qu’à la beauté ou à la « complexité infinie des mutuelles adaptations des êtres orga- « niques, les uns par rapport aux autres et par rapport à leurs «conditions physiques d'existence. » Quant à l'extinction des espèces, il ne devrait y avoir que les faibles qui se soient éleintes, et même, pour être conséquent, il ne devrait plus y en avoir depuis longtemps ; aussi l'auteur dit-il que généralement les formes les moins favorisées dé- croissent et deviennent de plus en plus rares. Non-seulement les données paléontologiques ne justifient pas cette assertion, mais encore, à certains égards, nous savons que la proposition inverse serait plutôt la vraie. (P.195.) De la divergence des caractères dans ses rapports avec la diversité des habitants de chaque station limitée et avec la naturalisation. Sous ce titre, M. Darwin revient à son thème favori : l’action des éleveurs d'animaux domestiques, particu- lièrement de Chevaux et de Pigeons, pour obtenir telle ou telle qualité dans le produit, au bout d’un certain nombre de générations. Il croit avoir trouvé dans la nature un résultat com- parable ; mais l'exemple qu'il cite n'est qu'une supposition générale, une simple abstraction, qu'il n’applique à aucun ani- mal n1 à aucune plante en particulier. En traitant des effets d'élection naturelle sur les descendants d'un parent commun, résultant de la divergence des caractères et des extinctions d'espèces, le même savant cherche à rendre compte, au moyen d’un tableau synoptique, des résultats de l'application de son idée jusqu’à ia dix millième génération, et même jusqu'à la quatorze millième. On voit que s’il appliquait, par exemple, ce caleul au genre Éléphant, on aurait déjà à con- sidérer une période de quatre cent vingt mille ans. La section suivante : De l'élection naturelle, qui rend compte du groupe- ment des êtres organisés, est la continuation de la même suppo- sition. L (P. 172.) Du progrès organique. Ici, M. Darwin accepte les conséquences de son principe. « Elle (l'élection naturelle) a « pour résultat final que toute forme vivante doit devenir de 6 178 DE L’'ESPÈCE. « Imieux en mieux adaptée à ses conditions d'existence. Or, ce « perfectionnement continuel des mdividus organisés doit inévi- « tablement conduire au progrès général de l'organisme parmi la « majorité des êtres vivants répandus à la surface de la terre. » Mais, dans ce qui suit, il est loin de le prouver; il semble même reculer devant la difficulté du problème dont il remet la discussion au chapitre où il traitera de la géologie, et où nous verrons que la solution est également éludée. (P. 174.) I reconnait ici que la persistance des formes infé- rieures est peu compatible avec son hypothèse, et que de La- marck était logique en supposant la formation continue d'êtres inférieurs par voie de génération spontanée ; mais, ajoute-t-il (p.175) : « L'élection naturelle n'implique aucune loi néces- « saire et universelle de développement et de progrès; elle « se saisit seulement de toute variation qui se présente lors- « qu'elle est avantageuse à l'espèce ou à ses représentants par « rapport à leurs relations mutuelles et complexes, » ete. Ce passage et tout le reste de l'alinéa sont en contradiction mani- feste avec ce qui vient d’être dit du progrès organique comme de l'absence de limite à la somme des changements qui peuvent s'effectuer dans le cours successif des âges par le pouvoir électif de la nature. Ce n’est plus actuellement un fait général, ce n’est plus une loi, ce n’est qu'une circonstance fortuite. La propo- sition, loin de s'élever à la hauteur d'une théorie biologique, se trouve réduite à une exception dans l'ordre normal. L'hétérogénéité et l'extrême complexité des résultats aux- quels arrive l’auteur par l'application de son idée deviennent encore plus évidentes dans le passage suivant (p. 177) : « Bien « qu’en somme, dit-il, le niveau supérieur de l'organisation se « soit continuellement élevé et s'élève encore dans le monde, « cependant l'échelle présentera toujours tous les degrés possi - « bles de perfection. Car les progrès de certaines classes tout « entières ou de certains membres de chaque classe ne condui- « sent pas nécessairement à l'extinction des groupes avec les- « quels ils n’entrent pas en concurrence. Enfin, en quelques « cas, ainsi que nous le verrons autre part, des organismes in- RE pe DS Dia. APE ADR EXAMEN DU LIVRE DE M. DARWIN. 79 « férieurs semblent s'être perpétués jusqu’aujourd’hui, seule- «ment grâce à ce qu'ils ont toujours habité des stations parti- « culières, complétement isolées, où ils ont été soumis à une « concurrence moins vive et où ils n’ont existé qu'en petit « nombre, ce qui a retardé pour eux les chances de variations « favorables, ainsi que nous l'avons déjà vu autre part, » Or, chacun sait que les organismes inférieurs sont les plus répandus dans la nature; que, dans l'air, dans l’eau et dans les parties les plus superficielles de la terre, il n’y a pas un déci- mètre cube qui en soit privé ; qu'ils constituent, par leur pro- digieuse accumulation, le fond des mers et des lacs. On ne voit donc pas pourquoi M. Darwin, qui, lui-même, a jeté une si vive lumière sur la formation des îles de polypiers, prive tous ces orgahismes du bénéfice de l'élection. Peut-être est-ce à cause de la difficulté où il se trouverait pour les remplacer, au fur et à mesure, sans avoir recours à de nouvelles créations, ce à quoi il semble répugner, bien que ce soit la conséquence logique, absolue, de l'idée de transformation et de perfectionnement. « Mais, ajoute-t-1l plus bas, la raison principale de la persis- « tance des types inférieurs, c'est qu'une organisation très- « élevée ne saurait être d'aucune utilité à des êtres destinés à «vivre dans des conditions de vie très-simple, et pourrait même « leur être nuisibles, » etc. Cependant dans l'hypothèse le chan-- gement est graduel, l'adaptation est successive ; 1l ne s’agit pas du passage brusque d’une famille à une autre ; on ne comprend donc pas pourquoi le principe, s’il était vrai, ne s’appliquerait pas chez les infusoires, les foraminifères, les polypiers, les ra- diaires, aussi bien que chez les mollusques, les crustacés et les diverses classes de vertébrés. Ainsi l'application de la loi est encore restreinte ici. (P. 179.) Quant aux objections auxquelles le savant auteur veut bien répondre, elles sont réellement sans valeur et portent à faux, car évidemment M. Darwin ne prétend pas donner le pourquoi de toutes choses, et en général c’est toujours une cri- tique faible et qui ne se pénètre pas de la pensée de l'écrivain que celle qui procède par interrogation. La réponse de l'auteur Chap. v. Lois de variabilité. 80 DE L'ESPÈCE. sur la multiplication indéfinie des espèces est aussi fort juste ; elle est prise dans une appréciation exacte de la nature même (p. 184); quant au résumé qui suit (p. 186), il est nécessaire- ment sujet aux objections que nous avons faites sur l'application générale de l'idée de l'auteur ; mais 11 serait difficile de trouver une expression plus élégante et plus juste à la fois de cette même idée que la comparaison qui termine le chapitre, et que cette dernière phrase résume elle-même : « Comme les bour- « geons, en se développant, donnent naissance à de nouveaux « bourgeons, et comme ceux-ci, lorsqu'ils sont vigoureux, « végèlent avec force et dépassent de tous côtés beaucoup de « branches plus faibles, ainsi, par une suite de générations non «interrompues, il en a été, je crois, du grand arbre de la vie « qui remplit les couches de la terre des débris de ses branches mortes et rompues, et qui en couvre la surface de ses ramifi- 2 cations toujours nouvelles et toujours brillantes. » (P. 494.) M. Darwin, en traitant des lois de la variabilité, accorde peu d'importance à l'action directe des conditions exté- rieures de la vie, peut-être parce que de Lamarck et Ét. Geof- froy Saint-Hilaire dont il tient à se séparer, lui en accordaient beaucoup; aussi les réflexions du savant traducteur nous pa- raissent-elles fort justes. Quant aux effets de l'usage ou du défaut d'exercice des organes, 11 est difficile, lorsqu'on en traite à ce point de vue, de ne pas se rapprocher un peu des fantaisies de de Maillet. L'acclimatation, les corrélations de croissance, la compensa- tion et l'économie de croissance, les organes multiples, rudimen- taires ou de structure imparfaite qui sont très-variables (p.215), sont des sujets dont on conçoit que l'auteur du livre dont nous nous occupons cherche à tirer parti. Il remarque (p. 222) que les caractères spécifiques sont plus variables que les caractères génériques ; et, en considérant que les espèces ne sont que des variétés mieux marquées et plus fixes, les parties qui ont déjà varié sont celles qui continueront à varier à l'avenir (p. 224). D'ailleurs, suivant l'hypothèse, toutes les espèces du même genre descendant d’un parent commun, on doit s'attendre à les 2 EXAMEN DU LIVRE DE M. DARWIN. 81 voir souvent varier d'une manière analogue (p. 232). En outre, les variétés d'une espèce assument les caractères d'une espèce alliée ou reviennent à d'anciens caractères perdus. Les exemples à l'appui sont empruntés à l’élevage des Pigeons, sujet que l’au- teur affectionne particulièrement, et à celui des Chevaux. « Quant « à moi, dit-il (238), j'ose en toute confiance remonter en ima- « gination des milliers de mille générations dans la suite des « temps écoulés, et je vois le parent commun des races diverses « de notre Cheval domestique dans un animal rayé comme un « Zèbre, mais peut-être d’une organisation très-différente sous « d’autres rapports, que du reste il descende ou non d'une ou « de plusieurs souches sauvages telles que l'Hémione, l'Ane, le « Quagga ou le Zèbre,» induction qui ne semble pas très- rigoureuse, comme le fait remarquer le traducteur, et qui fait voir en outre que l’auteur revient à des idées beaucoup plus tranchées que celles qu'il avait émises en quelque sorte en pas- sant (p. 175). Tout le reste de son livre proteste contre ces idées, et cela d'autant plus qu’on s’avance vers la fin. (P. 244.) Abordant ce qu'il appelle les difficultés de sa théo- rie, M. Darwin se propose de résoudre les deux suivantes : 1° comment ne trouve-t-on point les passages ou formes de transition aux espèces actuelles bien définies; 2° comment les modifications essentielles dans les organes ont-elles pu se produire par l'élection, soit dans des organes peu importants, soit au contraire dans les organes les plus essentiels. Mais il remet à traiter la première question au moment où il s’occupera du point de vue géologique. « Je dirai seulement « ici, ajoute-t-il, que je crois les documents apportés par cette « science beaucoup moins complets qu’on ne le suppose géné- « ralement. » Le reste du paragraphe est une simple négation. C’est, comme on le comprend, préparer pour la suite une fin de non-recevoir, les objections les plus sérieuses devant venir de ce côté. | Il passe ensuite aux espèces dites représentatives, ce qui est sortir du sujet sans répondre à la question. Dire de plus, comme le fait le traducteur (p. 247), « qu'une variété qui à Chap. vi. Difficultés de la théorie. 2 82 DE L’'ESPÈCE. « commencé à varier varie assez rapidement et presque à cha- « que génération, de sorte que chacune des formes transitoires « peut n'être représentée que par quelques individus ou même « par un seul, et qu'il suffit de la suite même des générations « pour les exterminer sans avoir recours à la concurrence vitale « et à l'élection naturelle, » c'est ajouter deux hypothèses qui ne sont pas plus démontrées par les faits que celle de l’auteur lui-même. Ce dernier invoque aussi les changements survenus dans la disposition de la surface du sol, moyen qu'il faudrait également appuyer sur des faits, toujours absents, mais dont il ne se dis- simule pas d’ailleurs le peu d'importance, puisqu'il dit : « Mais « je ne m'arrêterai pas plus longtemps à ce moyen de trancher « la difficulté, car je crois que la formation d'espèces très- « distinctes est possible dans de vastes régions parfaitement « continues, » conviction qui dispense de tout raisonnement comme de toute démonstration. Nous ne voyons non plus aucune preuve directe de cette sorte d’aphorisme sur lequel il revient souvent : qu'une espèce, une variété ou encore une forme intermédiaire peu nombreuse en individus doit disparaître en peu de temps sous l'influence, la domination et l'extermination par les espèces plus répandues et plus fortes, lesquelles finiront par dominer, Ce raisonnement, tout spécieux qu'il paraisse, et quelque séduisant qu'il soit pour quelqu'un qui croit avoir surpris un des grands secrets de la nature, tombe devant les faits, car nous connaissons de nom- breux exemples du contraire. Des espèces et des genres ont eu une très-longue durée dans le temps, et une très-grande exten- sion géographique, sans que les individus aient jamais été très- nombreux, et, inversement, des types extrêmement multipliés, à un moment donné et sur des surfaces très-étendues, n'ont eu qu'une très-courte existence. Ces résultats, familiers à tous les paléontologistes stratigraphes, détruisent donc cette argumen- tation, qui ne repose que sur une simple abstraction et sur la même idée, encore reproduite ici (p. 251) : « Les formes les « plus communes doivent donc toujours tendre à l'emporter NT 102 EXAMEN DU LIVRE DE M. DAR WIN. 85 « dans le combat de la vie sur les formes moins répandues, et « conséquemment à les supplanter, parce que celles-ci ne se « seront que plus lentement modifiées et perfectionnées. » Nous ajouterons à une remarque judicieuse du traducteur (p. 252), que l'idée de l'existence du monde biologique, repo- sant tout entière sur la lutte du fort et du faible et la victoire du premier sur le second, est assez triste en elle-même; on n’en aperçoit ni le but ni la nécessité, et, comme on l’a déjà dit, elle conduit à un résultat purement imaginaire, puisqu'il existe aujourd’hui certainement tout autant d'êtres faibles et inférieurs dans leur organisation qu'il a pu y en avoir à l'origine et dans tous les temps. Le plan de la nature, pour s'être compliqué avec les âges, pour s'être enrichi de nouveaux termes dans les séries animales et végétales, n’a pas changé pour cela son mode de procéder, et rien, ni dans l'un ni dans l’autre, ne justifie l'en vahissement des types forts sur les faibles, sans quoi ceux-ci n'existeraient plus. En outre, les types forts, restant seuls, au- raient ensuite réagi les uns contre les autres comme ils avaient d’abord réagi contre les faibles, et, en vertu du même procédé de domination et d'extinction, tout l'organisme aurait été détruit. Telle est la conséquence absolue d’une hypothèse qui ne se soutient ni en face des faits eux-mêmes ni au point de vue abstrait de la philosophie de la nature. Au lieu de prendre des exemples directs qui ne devraient pas lui manquer, c’est très-souvent par des suppositions que M. Darwin cherche à faire saisir sa pensée. Ainsi, après avoir supposé des Moutons habitant les montagnes, les collines et les plaines, il dit que ceux des collines doivent disparaitre pour laisser la place aux autres qui vivaient dans les deux régions extrêmes, de sorte que « les espèces arrivent assez vite à se dé- « finir et à se distinguer les unes des-autres pour ne présenter « à aucune époque l'inextricable chaos de liens intermédiaires « et variables. » (p. 253.) Ce qui suit relativement à la lenteur des variétés nouvelles à se former, etc., est la répétition de ce qui a déjà été dit : qu'il faut des lacunes produites par des changements de climat et 8% DE L'ESPÈCE. autres circonstances physiques, causes dont nous avons vu qu'on avait d'abord presque nié l'influence. Tout le reste du raison- nement ne pourrait être établi que par le secours de la paléon- tologie; or, comme elle ne le confirme nullement, l’auteur argue de l'insuffisance des preuves laissées dans les couches de la terre, de sorte qu'en réalité ses allégations ne reposent sur rien, (P. 255. ) En traitant des transitions dans les habitudes, nous le voyons s’avancer vers un système morphologique de plus en plus prononcé. «Il serait aisé de démontrer, dit-il, que dans « le même groupe il existe des animaux carnivores qui pré- « sentent tous les degrés intermédiaires entre les habitudes « véritablement aquatiques et des habitudes exclusivement ter- « restres. » Il ne voit aucune difficulté à ce qu'une espèce d'Écureuil à queue légèrement aplatie ne devienne, par suite d'élections successives, un Écureuil volant, quele Galéopithèque ou Lemur volant ne’ se transforme en Chauve-souris par suite de l'allongement de ses doigts palmés et de l'avant-bras, en vertu de l'élection naturelle. Les exemples d'oiseaux qui se servent de leurs ailes, non pour voler, mais comme de rames (Micropterus brachypterus), de nageoires (le Pingouin), de voiles (l'Autruche), ou qui ne s’en servent pas du tout (l'Aptéryx), ne prouvent absolument rien quant à la réalité de l'hypothèse, puisqu'ils ont pu exister ainsi dès l’origine, et que rien n’établit qu'ils soient des dérivés d'autres formes (p. 259). De ce qu'il a existé des reptiles volants dans les temps anciens, les poissons volants actuels, qui se sou- tiennent seulement en s’élevant fort peu au-dessus de l'eau, «auraient pu être modifiés jusqu'à devenir des animaux parfai- « tement ailés. » «Il est même probable, ajoute en note le tra- « ducteur, que nos poissons volants actuels ne sont que les « débris dégénérés, en voie d'extinction, de formes autrefois « beaucoup plus nombreuses. » Cette note, et celle de la page 287, nous font plus franchement rétrograder encore que M. Darwin, et elles rivalisent d'imagi- nation avec le Sixième entretien de Telliamed. Elles invoquent EXAMEN DU LIVRE DE M. DARVWIN. 85 à l'appui de l'hypothèse des transformations quelques données de la paléontologie, prises isolément, et qui, au contraire, étu- diées sérieusement et avec les connaissances nécessaires, sont tout à fait mcompatibles avec les passages supposés. (P. 260.) « Les diverses formes organiques qui ont servi de _ «degré de transition entre cet état de haute perfection et « un état antérieur moins parfaitne peuvent que par exception « avoir subsisté jusqu'à aujourd'hui, car elles doivent en général « avoir été toutes supplantées en vertu même du procédé de « perfectionnement par élection naturelle. » En outre, ces formes de transition ont dû être peu nombreuses par rapport à celles des espèces dont la structure est plus parfaite et mieux caractérisée ; aussi est-ce pour cela que l’on n’en rencontre pas. (P. 265.) Les habitudes différentes parmi les individus de la même espèce et très-différentes entre les espèces proches alliées sont traitées au même point de vue que le sujet précédent, et l'auteur croit pouvoir en déduire les mêmes conséquences. Ainsi, pour les yeux, « la variabilité produira les modifications légères « de l'instrument naturel; la génération les multipliera ainsi « modifiées presque à l'infini, et l'élection naturelle choisira avec «une habileté infaillible chaque nouveau perfectionnement « accompli. Que ce procédé continue d'agir pendant des millions « de millions d'années, et chaque année sur des millions d’in- « dividus de toutes sortes, est-il donc impossible de croire qu’un «instrument d'optique vivant puisse se former ainsi jusqu'à « acquérir sur ceux que nous construisons en verre toute la « supériorité que les œuvres du Créateur ont généralement sur « les œuvres de l’homme (1) (p. 272). » . Pour la vessie natatoire des poissons, M. Darwin, après avoir cité quelques modifications très-restreintes d’ailleurs de cet or- gane, dit qu'on peut inférer de ce point de départ que tous « les vertébrés qui ont de vrais poumons descendent par voie (1) 11 y a dans le texte (p.189 de la 1°° éd.): as the works of the Creator are to those of man? le traducteur a ajouté le mot généralement. Est-ce pour augmenter la puissance de l’homme ou pour diminuer celle du Créateur ? Chap. vu. Instinet, 86 DE L'ESPÈCE. « de génération normale d'un ancien prototype dont nous ne « savons rien, simon qu'il était pourvu d'un appareil flotteur « ou vessie natatoire. » Les organes pourvus de propriétés électriques chez certains poissons, phosphorescentes chez certains insectes, d'irritabilité chez certaines plantes, lui offrent des difficultés, sérieuses à la vérité, mais qui n'effrayent nullement l'imagination féconde du traducteur, et, de ce que Linné a dit : Natura non facit saltum, M. Darwin conelut que le moyen le plus simple pour la nature de ne pas faire de sauts était de procéder comme il le suppose : « Puisque l'élection naturelle ne peut agir qu'en profitant de « légères variations successives, elle ne fait jamais de sauts, « mais elle avance à pas lents » (p. 280). En traitant de la fonction, de l’origine et de l'utilité de cer- lains organes de peu d'importance en apparence, l'auteur arrive, comme pour les plus essentiels, à des effets de l'élection natu- relle; mais nous sommes étonné de trouver une contradiction aussi manifeste entre le troisième paragraphe du résumé (p. 295) et ce qui a été dit (p. 298) de la possibilité de la trans- formation d'un Galéopithèque en Chauve-sowris (1). Dans le chapitre vi, le prineipe de l'élection naturelle est appliqué, non plus au physique des animaux, mais à leur instinct. Les résultats de l'éducation sont transmis par l’héré- dité et par le pouvoir de l'homme, qui, à chaque génération, a choisi les produits les plus propres à conserver et à transmettre les qualités cherchées. Nous ne reproduirons pas ict les obser- vations que nous avons faites sur les effets physiques de la do- mestication (antè, p. 67); nous nous bornerons à y renvoyer le lecteur, en faisant remarquer qu'elles sont tout aussi applicables à ce second point de vue qu'au premier. M. Darwin s'occupe ensuite très-particulièrement de l'in- stinct chez le Coucou, chez l'Autruche, les Fourmis, l’Abeille parasite, ete., et Lermine sa dissertation, fort étendue sur ce (1) La contradiction existe également dans le texte. Foy. 1"° éd., p. 181 et 204. 4 EXAMEN DU LIVRE DE M. DAR WIN. 87 sujet, en regardant la perfection actuelle d’un rayon d’Abeille comme un résultat d'élection naturelle, Quant à la question des neutres ou femelles stériles chez les insectes, le savant voyageur ne voit aucune difficulté à ce que l'élection naturelle soit parvenue à établir qu'un certain nom- bre d'individus naquissent capables de travailler seulement, sans pouvoir se reproduire ; aussi passe-t-il légèrement sur cette première objection, tandis qu'une seconde plus grave pour lui est dans la grande différence que présentent les Fourmis ouvrières des sie et des femelles fertiles. Or, ces différences ne peuvent être transmises par l’hérédité, puisque les individus qui la présentent sont stériles; mais, en remarquant que le principe d'élection s'applique autant à la famille qu’à l'individu, (jusqu'ici nous avions cru qu'il n’y avait que les individus qui fussent élus) et que.la production des neutres peut être un avan- tage décisif pour la communauté, ce motif suffit à l'auteur pour lui faire croire qu'il a surmonté la difficulté et répondu à l'ob- jection. Mais, en réalité, il a modifié profondément son hypo-: thèse pour la plier aux exigences du fait. Un autre fait plus embarrassant consiste en ce que, dans plu- sieurs espèces de Fourmis, les neutres différent, non-seulement des mâles et des femelles, mais encore les uns des autres, de manière à pouvoir être rangés dans plusieurs castes distinctes, parfaitement limitées, comme le seraient des espèces, des genres et des familles. Néanmoins, la foi profonde qu'a M. Darwin dans l'excellence de son principe ne lui permet pas de le croire ici en défaut plus qu'ailleurs, et, au moyen d'un bon nombre d'élections, de suppositions et de raisons d'utilité publique et générale pour la société, il arrive à rendre compte des résultats. On conviendra certainement, après avoir suivi cette argumen- lation, que si le fait n’est pas vrai, ou si son interprétation est forcée, on a du moins la preuve de l'esprit fort ingénieux de l’auteur. On ne peut d’ailleurs invoquer ici l'applica- tion d'idées plus ou moins semblables à celles de la com- mutation, puisque ni la différence des milieux ni celle des circonstances physiques environnantes, des besoins, ete., ne Chap. vi, Hybridité. Chap. 1x. Insuflisance des documents géologiques, 88 DE L’'ESPÈCE. peut rendre compte des caractères différentiels qui distin- guent ainsi les individus d'une même espèce. Quoi qu’il en soit, M. Darwin ne prétend pas que les faits rapportés dans ce chapitre fortifient en aucune façon sa théorie; mais les difficultés qu'ils soulèvent ne peuvent non plus, à son avis du moins, la ren- verser (p.349). Le chapitre var, relatif à l'hybridité, ne renferme rien qui se rapporte bien directement à la théorie de l'auteur, mais il n’en est pas de même du suivant, où il traite de l'insuffisanée des documents géologiques pour prouver l'existence nécessaire à sa théorie de toutes les formes de passage ou variétés intermédiaires qui ont dû être vaincues par celles qui ont résisté. Ainsi, c'est toujours la même fin de non recevoir et le même raisonnement que nous avons déjà signalés. IL fait voir pourquoi ces formes de transition ne pourraient exister actuellement, même dans les circonstances en apparence les plus favorables à leur formation et à leur conservation. L'é- tude des terrains devrait nous révéler précisément ce que la nature actuelle ne peut nous montrer. « Pourquoi done, dit-il € (p. 392), chaque formation géologique et même chaque cou- « che stratfiée n'est-elle pas remplie de ces formes de transi- «tion? Assurément la géologie ne nous révèle pas encore « l'existence d'une chaine organique aussi parfaitement gra- « duée et c'est en cela peut-être que consiste la plus sérieuse « objection qu'on puisse faire à ma théorie. Mais l'insuffisance « extrême des documents géologiques suffit, je crois, à la ré- « soudre. » La réponse à la demande de M. Darwin semble fort simple. Si chaque formation, et même chaque couche n'est pas remplie de ces formes de transition, c'est que ces formes n'ont pas existé; l'échafaudage élevé avec tant de frais de recherches et de com- binaisons ne repose sur rien de réel, puisque celle de toutes les sciences sur laquelle on devait compter le plus pour l’étayer lui refuse son témoignage. Arguer de son insuffisance actuelle, comme si cette négation pouvait être de quelque valeur, c’est se faire une étrange illusion; et ajouter que cette insuffisance même + + EXAMEN DU LIVRE DE M. DARVWIN. 89 des documents suffit pour résoudre l’objection, c’est pousser par trop loin la naïveté du raisonnement. Ainsi, ni la nature actuelle, ni la nature passée n'offre à M. Darwin, et de son propre aveu, la démonstration d'une hypothèse dans laquelle il persiste néanmoins avec la plus parfaite conviction. A propos de géologie, il revient encore aux Pigeons, aux Che- . vaux, aux Tapirs, etc., et conclut que le nombre des chaînons intermédiaires et transitoires entre les espèces vivantes et étein- tes doit avoir été immense. « Mais ma théorie, dit-1l (p. 394), « n’est vraie qu'à la condition que ce nombre incalculable de « variétés aient successivement vécu à la surface de la terre. » Or, c’est ce-qui devait être démontré, et c'est précisément ce qui ne l’est pas du tout. Arguer de la longueur des périodes géologiques, de l’épais- seur des couches, etc., c'est éluder la réponse, ce n’est rien prouver quant à la question. Ce n’est pas le temps que nous marchandons à M. Darwin ; le temps n’est pas nécessairement une condition du fait dont il s'agit; il n’en serait qu'une expli- cation si le fait était prouvé, et l'auteur confond ici deux ordres d'idées complétement distincts. La pauvreté des collections paléontologiques est encore un argument négatif sans plus de valeur que les précédents. Sans doute la paléontologie ne nous représentera jamais qu’une faible portion des êtres qui ont existé, mais cette insuffisance même fait que la théorie reste toujours à l'état d'hypothèse sans fon- dement. Puisque le seul argument sur lequel on puisse édifier quelque chose doit être pris dans le passé, et que son histoire est trop incomplète, l'hypothèse n’a donc pas de raison d’être. L’intermittence des formations géologiques et la dénudation des roches granitiques sont ici des hors-d’œuvre qui ont donné à l’auteur occasion de rappeler ses très-Intéressantes recherches dans l'Amérique du Sud. Les développements étendus dans les- quels il entre ensuite aboutissent ou à des négations ou à des incertitudes, et nous ne le suivrons pas dans un champ d'où il ne tire aucune preuve solide. Nous ferons remarquer cependant que, dans l’état actuel de la science, il y a des ensembles de cou- 90 DE L'ESPÈCE. ches assez bien circonscrits et assez bien étudiés pour qu'ils aient pu être de quelque utilité à l'auteur s'ils avaient dù, par leur nature même, lui offrir quelque argument favorable. Ainsi, les résultats des recherches les plus récentes de M. Deshayes dans le bassin de la Seine, de M. S. Wood sur le crag, de MM. Sandberger sur les dépôts tertiaires des bords du Rhin, de M. Hôrnes sur le bassin de Vienne, d’Aleide d'Orbigny sur la formation crétacée de France, des paléontologistes d'Angleterre sur la formation jurassique de leur pays, de M. Quenstedt sur celle du Wurtemberg, de M. de Koninck sur le système carbonifère de la Belgique, de M. Barrande sur le système silurien de la Bohème, de M. J. Hall sur celui des États-Unis, ete, ete., ces résultats, disons-nous, utilisés, comme l'aurait fait G. Bronn par exemple, eussent certaine- ment jeté quelque lumière sur le sujet en question. Mais, ou M. Darwin a craint de n'y trouver encore que des négations, ou bien il a fait comme les personnes qui s'abandonnent facile- ment aux spéculations théoriques, et qui répugnent à appro- fondir les parties les plus positives et les plus pratiques d'un sujet, pour se tenir dans des régions où la flexibilité, Pélasti- cité et le vague des idées et des faits se plient mieux aux inter- prétations que réclame l'hypothèse. Passant ensuite aux conditions physiques de la formation des couches sédimentaires, l'auteur insiste particulièrement sur la Jongueur du temps, ce que personne ne conteste, mais ce qui ne prouve rien, comme nous venons de le dire et comme il résulte de ses remarques mêmes. (P. MS.) Les documents géologiques prouvent suffisamment la gradation des formes. On sera sans doute étonné de trouver cet énoncé après ce qu’on vient de lire et avec le titre courant du chapitre lui-même. L'auteur, qui probablement ne s’est pas aperçu de la contradiction, se fonde ici sur ce que les paléon- tologistes ne s'entendent pas toujours relativement à la manière de comprendre l'espèce; et cela lui suffit pour s'emparer des légères différences qu'occasionnent ces divergences d'opinion et y trouver des modifications de formes telles que la théorie EXAMEN DU LIVRE DE M. DARWIN. 91 les exige, et qui se sont effectuées, sur un même type, dans la série des temps. Il montre ensuite « qu'il y a peu de probabilité de découvrir, « dans une même formation et dans un même lieu, toutes les « formes de transition entre deux espèces successives, car « chaque variété doit avoir été locale et confinée dans une « étroite station. » Et 1l ajoute quelques considérations qui « diminuent, dit-il, les chances que l’on peut avoir de retrou- « ver, dans une seule et même formation géologique, les états « transitoires successifs entre deux formes mieux définies. » Comme, d’un autre côté, M. Darwin pense « que, même de « nos Jours, et à l’aide de spécimens vivants et complets, il est « rare que deux formes paraissent être reliées l’une à l'autre « par des variétés intermédiaires, et prouvées êlre ainsi de la « même espèce, » on ne peut encore voir dans tout ceci que des présomptüons contraires à la théorie. Quant à demander si les géologues futurs pourront démontrer que certaines de nos races actuelles sont descendues d’une seule souche ou de plu- sieurs, etc., c’est sortir de la question et surtout de leur do- maine, comme l'a fait, à son tour, le traducteur, qui semble- rait n'avoir jamais fait de géologie que dans certains livres de peu d'autorité dans la science (p. 421, nota). (P. 421.) Si les partisans de l'immutabilité de l'espèce ont prétendu, suivant l'auteur, que la géologie n'avait encore offert aucune forme de transition ou, plus exactement, de passage, nous ferons remarquer qu'ils n’ont nullement voulu dire que les découvertes paléontologiques n'aient pas comblé de nom- breuses et importantes lacunes entre des types déjà connus, ce qui est fort différent et ne préjuge nullement la question de fixité ou de variabilité. Ces types intermédiaires complètent la série, sans qu'on puisse s’en prévaloir pour dire qu'ils pro- viennent de modifications de types antérieurs. La critique porte donc encore à faux aussi bien que celle du traducteur et l’obser- vation attribuée à M. Lubbock, laquelle, pour être vieille de plus d'un siècle, n’en est pas plus concluante. M. Darwin dit aussi (p. 422) « que les recherches géologiques n’ont pu nous 92 DE L'ESPÈCE. «révéler encore l'existence de nombreux degrés de transition « aussi serrés que nos variétés actuelles, et reliant entre elles «toutes les espèces connues; telle est la plus importante des « objections qu'on puisse élever contre ma théorie. » Mais nous avons déjà vu qu’il y en avait bien d'autres, soit admises, soit éludées. (P. 425.) Après quelques comparaisons avec ce qui pourrait se passer actuellement dans la Malaisie et les régions environ- nantes, l’auteur ajoute : «Nous ne pouvons pas espérer de «trouver dans nos formations géologiques un nombre infini « de formes transitoires qui, d’après ma théorie, ont relié les. «unes aux autres les espèces passées et présentes d’un même « groupe dans la chaîne longue et ramifiée des êtres vivants. » Qu'est-ce donc qu'une théorie qui ne s'appuie que sur des abs- tractions , sur des résultats de la domestication ou de l'influence directe et tout à fait anormale de l'homme, et qui cherche en vain, dans l'étude de la nature actuelle et de la nature passée, le plus petit argument en sa faveur, sans avoir même l'espé- rance que les découvertes à venir puissent le lui apporter? L'apparition soudaine de groupes entiers d'espèces voisines, qui serait évidemment contraire à l'hypothèse de M. Darwin, est ensuite discutée par une argumentation assez spécieuse, mais qui au fond ne prouve rien; car de ce que tel type que l'on a cru d'abord commencer à tel ou tel point de la série a été reconnu ensuite avoir commencé plus tôt, cela n'explique nullement la cause de l'apparition qui reste toujours à démontrer. Que la fa- mille des rudistes, par exemple, vienne à être prouvée plus ancienne que la craie, il faudra toujours expliquer sa naissance pendant la formation jurassique. Tout le reste du raisonnement ne porte que sur des négations et des incertitudes; aucun fait net, clair et probant ne vient soulager le lecteur de ces asser- tions vagues, incessanment reliées les unes aux autres par une chaine continue de suppositions. (P. 429.) Si les découvertes de nouvelles formes augmentent chaque jour nos catalogues paléontologiques, cela confirme ce que chaeun sait, qu'à cet égard la science n’est pas finie et He Ti EXAMEN DU LIVRE DE M. DARWIN. 93 qu'elle ne le sera même jamais d’une manière absolue. Que ce soit un mammilère ou un oiseau, un cirrhipède ou un poisson de tel ou tel ordre qui vienne à être découvert, peu importe; et quand même tous les intervalles pourraient être remplis dans le passé et dans le présent, le mode de remplissage resterait à dé- montrer, et la théorie de l’auteur ne serait pas prouvée pour cela; elle serait seulement une probabilité; or, comme on le voit, elle en est encore bien loin. (P. 452.) En parlant de l'apparition soudaine de groupes entiers d'espèces alliées dans les strates fossilifères les plus an- ciens, M. Darwin dit : « Cependant la plupart des raisons (1) «qui mont convaincu que toutes les espèces d'un même « groupe descendent d'un progéniteur commun s'appliquent « avec une égale force aux espèces les plus anciennes. Je ne « puis douter, par-exemple, que toutes les trilobites siluriennes « ne soient descendues de quelque crustacé qui doit avoir vécu « longtemps avant cette époque géologique, et qui différait pro- « bablement beaucoup de tous les animaux connus. Quelques- «uns des fossiles siluriens les plus anciens, tels que le Nautile, « la Lingule, ete., ne diffèrent que très-peu des espèces vivantes; « et, d’après ma théorie, on ne sauraitsupposer que ces anciennes « espèces aient élé les ancêtres de toutes les espèces des ordres « auxquels elles appartiennent, car elles ne présentent nulle- « ment des caractères intermédiaires entre les diverses formes « qui ont depuis représenté ces ordres. De plus, si elles avaient « servi de souches à ces groupes, elles auraient probablement « été depuis longtemps supplantées et exterminées par leurs nombreux descendants en progrès. « Conséquemment, si ma théorie est vraie, il est de toute cer- « titude qu'avant la formation des couches siluriennes infé- rieures de longues périodes se sont écoulées, périodes aussi « longues et peut-être même plus longues que la durée entière « des périodes écoulées depuis l’äge silurien jusque aujourd'hui : A A (1) L'auteur dit raisons (arguments) et non preuves ou observations directes, qui en effet font presque toujours défaut. Chap. x. Succession géologique des êtres organisés. 94 DE L'ESPÈCE. « et pendant cette longue succession d'âges inconnus le monde « doit avoir fourmillé d'êtres vivants. Pourquoi ne trouvons- « nous pas de preuves de ces longues périodes primitives? C’est «une question à laquelle je ne saurais complétement ré- « pondre, » Ainsi, pour que la théorie proposée soit vraie, il faut ad- meltre, comme ci-dessus, qu'il a existé toute autre chose que ce que l'on connait ; ce que nous savons du présent et du passé ne lui suffit nullement. C’est donc une théorie bien exigeante et qui semble courir grand risque de n'être jamais vérifiée. Ce qui suit montre également sa faiblesse et son peu de consistance. On a beau remonter dans le passé, il faut toujours arriver à un mo- ment organique initial, à une création première, spontanée ou autre, et nous verrons plus loin comment l'auteur aborde ce nœud de la question où il est forcément conduit. M. Darwin, que l’on a vu dans le chapitre 1x dédaigner les résultats de la paléontologie parce qu'ils étaient trop incomplets et trop insuffisants pour être un argument de quelque valeur, et qui s’est efforcé de démontrer qu’on ne pouvait rien induire contre sa théorie du peu que l'on savait,-peut-être parce que ces données lui étaient défavorables, s'attache à faire voir au contraire dans le chapitre suivant, où il traite de la succession géologique des êtres organisés, que cette même théorie est par- faitement compatible avec tout ce que l'on sait sur l'apparition lente et successive des espèces nouvelles, de leur différente vitesse de transformation, sur les espèces une fois éteintes qui ne reparaissent plus, sur les groupes d'espèces qui suivent dans leur apparition et leur disparition les mêmes lois que les espèces isolées, ete. (p. 445); puis il passe à l'extinction des espèces (p. 447). « D'après la théorie de l'élection naturelle, dit-il, l'extinction « des formes anciennes et la production des formes nouvelles et « plus parfaites sont en connexion intime. » Plus loin il ajoute, conformément à sa théorie (p. 452) : « Qu'en ce qui concerne « lesépoques les plus récentes nous pouvons admettre que la pro- « duction de formes nouvelles a causé l'extinction d’un nombre à EXAMEN DU LIVRE DE M. DARVWIN. 95 « peu près égal de formes anciennes. » Or, c’est poser en prin- cipe ce qui est à démontrer , car, si l’auteur est revenu souvent sur cette idée, on peut affirmer qu'elle est jusqu'à présent res- tée dans son livre comme une pure assertion plus ou moins positive, mais non prouvée. [Il en est de mème de ce qui suit, où, contrairement à ses déclarations du chapitre 1x, 1l trouve que l'extinction des espèces ou de leurs divers groupes, révélée par les études paléontologiques et géologiques, s'accorde parfaite- ment avec sa théorie de l'élection, ainsi que les changements simultanés des faunes, aux diverses périodes, sur les divers points du globe, Mais, ajoute-t-il (p. 453) : « Ce n'est pas de leur « extinction même que nous pouvons être étonnés; ce serait « plutôt de notre présomption lorsque nous nous imaginons un « seul instant que nous savons quelque chose du concours « complexe des circonstances accidentelles dont l’existence des « formes vivantes dépend. » Peut-être n'y aurait-il pas moins de présomption à s’imaginer qu’on a saisi la ‘cause et le mode de succession des êtres dans le temps. Quant à nous, 1l nous semble merveilleux que des effets qui, par leurs caractères, devraient tenir à une cause générale, puis- sent être subordonnés, dans leurs résultats, à des causes aussi particulières que la prédominance de telle ou telle variété sur tel ou tel point. C'est une des applications de l’idée de M. Dar- win les plus difficiles à concevoir que cette harmonie due à des motifs variés et en quelque. sorte individuels et indépen- dants, de sorte qu'il y aurait pour nous entre la généralité et la constance des effets dans tous les âges de la terre d'une part, et leur cause supposée de l’autre, la disproportion et l'in- compatibilité les plus frappantes. La simultanéité de l’appari- tion et celle de l'extinction ne résultent nullement d'ailleurs du raisonnement de l'auteur, qui peut tout aussi bien s’appli- quer à des changements qui n'auraient pas ce caractère. Que les dépôts fossilifères se soient formés pendant des pé- riodes d’affaissement plutôt que de soulèvement, cela est fort possible, mais est étranger au sujet, aussi bien que l'existence d'isthmes qui, séparant des bassins contemporains, peuvent ex- 96 DE L'ESPÈCE. _ pliquer les différences de leurs faunes ; c’est rentrer ici dans l'influence des causes physiques extérieures que l’on avait re- jetées d'abord. Nous en dirons autant de la section qui traite des affinités des espèces éleintes entre elles et avec les espèces vivantes (p. 462); l'auteur y trouve encore l'occasion de citer ses exem- ples favoris d'oiseaux domestiques el son tableau de la dicho- tomisation des formes dérivées qui s'applique très-bien, suivant lui, aux faits concernant les affinités naturelles des formes éteintes, soit entre elles, soit avec les vivantes. Avec toutes les considérations qu'il y ajoute, ce principe est’ tellement élastique, dans son interprétation et son application, qu'on se- rait plutôt étonné de rencontrer un résultat qui n'y rentrât pas. (P. 470.) Relativement au degré de développement des formes anciennes, comparé à celui des formes vivantes, M. Dar- win répète encore que l'élection naturelle doit tendre à spécia- liser de plus en plus l'organisation de l'individu et à le rendre plus parfait et plus élevé, ce qui n'empêche pas qu’elle ne laisse subsister un nombre considérable d'êtres à structure simple et peu développée. Nous ne pouvons que répéter à notre tour ce que nous avons déjà dit sur le même sujet, savoir : que ce n'est pas une loi, puisque dans tous les temps ces contraires ont sub- sisté; qu'on ne peut pas admettre qu'un principe s'applique dans des limites qui ne sont ni motivées, ni tracées, et qu'il s'exerce sur telle portion de l'organisme et non sur telle autre, I y a toujours eu la proportion d'animaux inférieurs et supé- rieurs nécessaire à l'équilibre général de la nature. Il est in- contestable que, si l'hypothèse était une véritable théorie, la masse des animaux inférieurs aurait dû diminuer relativement à celle des supérieurs. Qui donc oserait dire qu'ils sont aujour- d'hui moins répandus dans nos mers qu'ils ne l'étaient à l'épo- que des trilobites? Or, il est manifeste, et la raison en cela, d'accord avec l'observation, répugne à admettre le contraire, que les animaux supérieurs se sont développés dans la série des âges sans préjudice des inférieurs aussi nombreux actuelle- ment que jamais, ché den EXAMEN DU LIVRE DE M. DAR WIN. 97 Les victoires supposées remportées au profit des faunes plus récentes sur les plus anciennes sont des triomphes imaginaires. Lorsqu'on considère les faunes en elles-mêmes et par rapport aux conditions dans lesquelles elles ont vécu, on reconnaît qu'elles ont chacune tout le développement et la perfection qu'elles devaient avoir, et la prédominance, que souvent nous _ accordons à tel ou tel organisme sur tel ou tel autre, ne résulte que de l’état de nos connaissances, ou de nos idées personnelles sur l'importance comparative de tel ou tel organe, de telle ou telle fonction. Le savant voyageur anglais devait se ranger à une opinion sugoérée par M. Agassiz : que les animaux anciens ressemblent à l'embryon des animaux actuels de la même classe, de sorte que la succession géologique des formes éteintes serait paral- lèle au développement embryogénique des formes récentes. C'est là sans doute une idée ingénieuse, mais dont on at- tend encore la démonstration, car nous ne pouvons regaïder les quelques faits allégués à l'appui que comme de simples indications. | (P. 476.) La succession des mêmes types dans les mêmes ré- gions pendant les dernières périodes tertiaires est un résultat important des recherches de nos jours, envisagé par M. Darwin comme très-favorable à ses idées; mais nous craignons qu'en cela il ne se fasse encore illusion, car les mammifères terrestres de l’époque quaternaire présentent tous des dimensions supé- rieures aux types correspondants actuels; la loi d'élection naturelle, de perfectionnement, de beauté, de grandeur, ne leur aurait donc pas été appliquée par exception, comme nous avons vu précédemment que le bénéfice en aurait élé refusé aux êtres les plus inférieurs. Pourquoi ces injustes distinctions? .et comment l'auteur de si belles études dans l'Amérique méri- dionale n'a-t-il pas été frappé du démenti que donnait à son hypothèse la comparaison de la faune ensevelie dans les pam- pas avec celle qui vit actuellement sur leurs immenses surfaces? [ci, comme précédemment, il serait inutile de reproduire le résumé du chapitre, notre analyse devant en tenir lieu ; nous Chap. x. Distribution géographique 98 DE L'ESPÈCE. emprunterons cependant à ce dernier le passage suivant, qui exprime la pensée de l'auteur d'une manière concise et sans laisser aucune incertitude. « Les habitants de chaque période « successive dans l'histoire du monde, dit-il (p. 484), n’ont « pu exister qu'à la condition de vainere leurs prédécesseurs « dans la bataille de la vie. Ils sont par ce fait, et autant qu'il « a été nécessaire à leur victoire, plus élevés dans l'échelle de « la nature et généralement d'une organisation plus spécialisée. « C'est ce qui peut rendre compte de ce sentiment général et « mal défini qui porte beaucoup de paléontologistes à admettre « que l’organisation a progressé, du moins quant à l’ensemble, « à la surface du monde. » On conçoit que M. Darwin s'applique tout le bénéfice de cette dernière remarque; mais nous ne pouvons, ainsi que nous l'a- vons dit plus haut, consentir à voir le principe du monde orga- nique reposer sur le résultat de la lutte du fort et du faible, sur la victoire du premier sur le second, victoire qui, potfssée dans ses dernières conséquences, devait anéanlir non-seulement tous les faibles, mais les forts eux-mêmes à leur tour. Nous ne pouvons apercevoir nulle part de véritables preuves de ce matérialisme et de ce fatalisme combinés, aboutissant à la né- gation absolue de toute intelligence directrice, et les efforts répétés et compliqués de l'auteur pour rattacher son hypothèse à toutes sortes de faits incohérents, commentés, expliqués, re- tournés, sont le meilleur témoignage de sa faiblesse même. Le chapitre x1, qui traite de la distribution géographique des êtres organisés, est sans doute un des plus intéressants de l’ou- vrage de M, Darwin; mais tous les sujets dont il y est question ne se rapportent pas immédiatement à la pensée de son livre. Il croit d'abord que la distribution géographique actuelle ne peut s'expliquer par les différences locales des conditions physiques; il insiste néanmoins-sur l'importance, à cet égard, des bar- rières naturelles qui s'opposent à la libre répartition des ani- maux et des plantes dans toutes les directions, et sur les af- finités des productions d'un même continent ; tous ces rapports, de même que ceux qui existent entre les faunes immédiate- EXAMEN DU LIVRE DE M. DAR WIN. 99 ment antérieures, seraient encore le résultat de l'élection na- turelle. Pour lui, chaque espèce s’est d'abord produite dans une seule contrée d'où elle a plus ou moins rayonné, suivant les cir- constances favorables ou non. Peut-être serait-il préférable de considérer les centres de créalion comme des associations d’es- . pêces ? Quant à savoir si les espèces naissent d'un seul individu, d'un seul couple ou de plusieurs couples, l'auteur disserte bien sur la manière dont 1l conçoit la descendance, mais il n’aborde pas la question elle-même, c'est-à-dire la plus capitale de toute la biologie; peut-être le trouverons-nous moins réservé par la suite. C'est qu'en effet il faut toujours en arriver à une création première, et que, celle-ci admise, elle entraîne toutes les au- tres. Si on ne la nie point d’abord, on ne peut nier les suivantes, etalors toutes les hypothèses d'élections, de variations, de trans- formations, deviennent des rouages compliqués et superflus. Les moyens de dispersion des êtres organisés avaient été déjà énumérés, et ceux qui se rapportent aux plantes sont mention- nés avec quelques détails. Cette dispersion pendant la période glaciaire et pendant celle qui l’a précédée est également étudiée ; mais la suite de l'influence de lu période glaciaire montre que l'auteur n’a pas examiné le sujet au delà de ce qu'il a trouvé dans les livres de quelques-uns de ses compatriotes. Il confond des faits chronologiquement distincts, même dans son propre pays, et ne voit pas que la destruction des grands mammifères n'a aucun rapport avec le phénomène des stries, des surfaces polies et sillonnées du pays de Galles et de l'Écosse ; de sorte que lout ce paragraphe est entaché d’une erreur fondamentale, qui a ses conséquences dans les suivants. Ainsi, en regardant la période glaciaire comme une au lieu de la considérer comme multiple, il lui attribue l’émigration des plantes des régions nord vers les régions tempérées, puis de celles-ci vers les régions sud, où ellés tendent à envahir et à remplacer les plantes indigènes. Mais le froid étant venu à cesser, elles ont repris chacune leur route vers les régions d'où elles provenaient, et la végétation tropicale a pu rentrer dans 100 DE L'ESPÈCE. ses droits. Cependant quelques traces de ces migrations sont restées sur les montagnes élevées; etbien plus, certaines espèces du Nord, qui durant cette pérégrination avaient imprudemment dépassé l'équateur, lors du retour de la chaleur, n'ayant pu re- venir sur leurs pas, ont continué leur voyage vers le Sud, où elles devaient trouver leur température originaire, ou mieux celle de leur première patrie. C’est pour cela, dit M. Darwin (p.534), que quarante-six espèces de phanérogames de la Terre de Feu existent en Europe et dans l'Amérique du Nord, où elles sont restées en passant; que sur les hautes montagnes de l'A- mérique équatoriale se montrent une multitude d'espèces par- ticulières appartenant à des genres européens ; que sur les mon- tagnes de l'Australie méridionale il y a des espèces européennes, ainsi que dans les basses terres, et que de nombreux genres européens de ce même continent austral n'ont nulle part leurs analogues dans les régions lorrides intermédiaires. De plus, il y a des espèces identiques à la Terre de Kerguelen, à la Nouve!le- Zélande et à la Terre de Feu. D'ailleurs ces formes ou espèces septentrionales découvertes dans la partie sud de l'hémisphère austrai ou sur les montagnes des régions équatoriales ne sont point arctiques, mais bien celles des contrées tempérées de l'hémisphère nord, C'est sans doute là une fort élégante application de géogra- phie botanique, et nous ne demanderions pas mieux que d'y croire ; mais, lorsqu'on cherche à se rendre compte des circon- stances météorologiques diverses et des phénomènes géologi- ques de toutes sortes qui ont eu lieu entre la fin de l'époque tertiaire supérieure et l'époque actuelle, il est difficile d'ad- mettre un résultat aussi séduisant par la simplicité de sa cause première. Les choses évidemment ne se sont pas passées ainsi. Nous ne voyons d'ailleurs aucune bonne raison pour qu'il ne puisse pas exister naturellement, sur divers points de la terre, dans des conditions climatologiques comparables, un certain nombre de formes qui auraient le privilège d’être cosmopo- lites. Ces divers sujets, loin d’être en rapport avec l'hypothèse de EXAMEN DU LIVRE DE M. DAR WIN. 101 l'élection naturelle, nous semblent au contraire se rattacher directement aux effets de causes physiques, de sorte que, quoi qu'en dise l’auteur (p. 535), sa loi ne serait pour rien dans les résultats dont nous venons de parler. L’émigration, si tant est qu'il y en ait eu, s’est manifesiée du N. au $., sans doute à cause de la plus grande étendue des terres émergées au nord, et, ajoute- til (p. 535), «parce que les formes continentales de ee côté « ayant vécu dans leur patrie originaire en plus grand nombre « se sont en conséquence trouvées, grâce à une concurrence et « à une élection naturelle plus sévères, supérieures en organi- « sation et douées d'un pouvoir de domination prépondérant sur «celui des formes australes. De sorte que, lorsqu'elles se trou- « vèrent mélangées les unes avec les autres pendant la période « glaciaire, les formes septentrionales durent vaincre les formes « méridionales moins puissantes, » elc. Les exemples pris en- core dans les transports effectués par l'intermédiaire de l’homme ne prouvent rien, sinon que des végétaux se développent partout où ils trouvent les conditions qui leur conviennent. Dans le chapitre xu, l’auteur traite de la répartition des produelions d’eau déve et attribue à des migrations ce qui n'est que l'effet de la fixité et de l'uniformité Fe grande de ces types dans le temps comparés aux types marins. L'inter- : vention d'un Canard emportant des plantes aquatiques (Lemna) avec des œufs de mollusques, d’autres circonstances donnant à un Héron occasion d'en enlever d’un lac pour les exporter dans un autre, une Ancyle entraînée par un Dytique, un autre coléo- ptère aquatique volant jusque sur un navire à 45 milles en mer, des graines de Nelumbium et des poissons pris et re- jetés de l'estomac d'un Héron, etc., sont des exemples qui peu- vent expliquer certains faits particuliers, mais qui doivent rester étrangers à une théorie biologique. On conçoit que M. Darwin devait repousser l'hypothèse d'Éd. Forbes sur les anciennes extensions continentales, hypothèse qui, sans doute, ne répond qu'à certains faits, et n’a pas la prétention d’être une loi de la nature, mais qui a néanmoins pour elle, dans certaines limites, beaucoup de probabilité, Chap. x. Suite. 102 DE L’'ESPÈCE. comme nous le verrons ci-après. En l’adoptant, c'eût été an- nuler dans ces mêmes circonstances l'hypothèse de l'élection naturelle ou du moins ses corollaires. Les réflexions du tra- ducteur à ce sujet sont d'ailleurs très-justes, et, hypothèse pour hypothèse, celle d'Ed. Forbes à l'avantage d’être très- simple et de s'accorder avec ce que nous savons des oscillations de l'écorce terrestre. Les faits particuliers aux iles océaniques n’ont pas besoin, pour leur population, d'autres explications que ceux des continents ; nous chercherons ci-après les lois de la distribution générale des êtres organisés, dont les bases ont été posées il y a plus d'un siècle, etque l'auteur paraît ignorer en partie. 1l remarque néanmoins l'absence de batraciens et de mammifères terrestres dans les iles océaniques, ce qu'il regarde comme tout naturel à son point de vue, tandis que, d'après la théorie de la création directe, on ne voit pas, dit-il, pourquoi il n'y en avait pas. On conçoit cependant très-bien, lorsqu'on admet les centres de création, que les iles qui en étaient le plus éloignées ou sépa- rées par des dispositions que les circonstances ultérieures n'ont pas modifiées n'aient point reçu de populations de mammi- fères terrestres ou autres qui exigeaient des communications directes. On comprend également pourquoi aucun mammifère terrestre n’a été signalé dans des îles éloignées de plus de 500 milles d'un continent ou d’une très-grande ile, Ce serait l'inverse qui ne se comprendrait pas. Dire que les créations in- dépendantes ont dû avoir lieu partout et de la même manière, c’est une supposition purement gratuite de la part de l'auteur, pour s'en faire un argument favorable à sa propre hypothèse. Il s'étonne qu'il y ait dans ces mêmes iles des mammifères aériens; mais il est également évident que s'il devait y en avoir, c'était précisément ceux qui avaient la faculté de voler et qui pouvaient venir d’ailleurs ; il n'y a pas à attribuer le fait à la force créatrice plutôt qu'à l'élection naturelle qui a besoin aussi de les faire arriver par la même voie. Il resterait à savoir si ces espèces sont exclusivement propres à ces îles, ce qui est fort douteux. M. Darwin, qui trouve les données paléon- EXAMEN DU LIVRE DE MN. DAR WIN. 103 tologiques si insuffisantes, nous permettra bien de croire que tous les chérroptères de l'hémisphère austral ne sont pas en- core complétement connus, quant à leur distribution géogra- phique, Le rapport fréquent qui existerait entre la profondeur des bras de mer ou des détroits qui séparent les terres et le de- gré d’affinité que manifestent les mammifères habitant les îles avec ceux des continents voisins est, quoi qu’en dise l’auteur, ce que lon devait s'attendre à trouver, aussi bien dans une hypothèse que dans l’autre. Si l'organisme des îles Galapagos, tout particulier qu'il paraît être, se rattache à celui de l'Amé- rique plus qu’à tout autre, s'il en est de même de celui des îles du Cap-Vert, relativement à l'organisme de l'Afrique, il n'y a pas besoin de l'hypothèse de M. Darwin pour expliquer ces relations. Il serait même fort extraordinaire qu'il en fût autre- ment, puisque, ainsi que nous l'avons déjà dit, les productions des îles partici pent plus ou moins des caractères de celles des continents voisins, se trouvant dans des conditions physiques plus eu moins TE et ayant pu faire autrefois partie du centre de création E moins éloigné. Il en est ici comme des di- verses régions d’un même continent ; si l'on en considère les points les plus distants, les êtres organisés seront plus différents que dans deux contrées contiguës, qui ne sont pas séparées par de grands obstacles physiques. Il est parfaitement inutile de faire intervenir-ici des effets d'élection, et ceci peut s'appliquer au même raisonnement reproduit plus loin (p. 574). En rappe- lant (p. 578) qu'Éd. Forbes a souvent insisté sur le parallélisme qui existe entre les lois de la vie dans l’espace et dans le temps, l'auteur oublie que cette observation avait été faite auparavant sur le continent, Il trouve d’ailleurs qu'elle s'applique bien à ses idées, ct, quant à à ce qui vient ensuite, nous pensons qu on s’en rend tout aussi bien compte par des créations successives en rapport avec les temps et les lieux. À Dans le chapitre xn1 sont compris la classification, la morpho- chap. su. logie, l'embryologie, les organes rudimentaires, Utres qu'il suffit 64, cation, de rappeler pour comprendre le parti que l’auteur en peut tirer ete Chap. x1v, Récapitu:a- lion et conclusion. 104 DE L'ESPÈCE. pour son élection naturelle, laquelle rendrait compte de toutes les circonstances et de tous les faits ‘renfermés sous ces ti- tres (1!. Enfin, le chapitre xiv comprend la récapitulation et la con- clusion. lei, près d'arriver à la fin de son travail ct jetant un coup d'œil en arrière, M. Darwin, avec celte bonne foi et cette loyauté scientifiques qui ne lui font pas moins d'honneur que ses recher- cheselles-mêmes, énumère quelques-unes des difficultés que doit rencontrer l'adoption de ses idées sur les descendances modifiées. En ce qui concerne, par exemple, la distribution géographique (p. 642). « Tous les individus de la même espèce et toutes les «espèces du même genre, ou même les groupes encore plus «élevés, doivent provenir, suivant lui, de parents communs. « Conséquemment, quelque éloignées ou isolées les unes des «autres que soient les parties du monde où on les trouve au- « jourd'hui, 1l faut que, dans le cours des générations sue- « cessives, elles aient passé de quelqu'un de ces points aux «autres. Le plus souvent, il est absolument impossible de «conjecturer par quel moyen cette migration a pu s'effectuer.» Relativement au mode de succession et aux formes intermé- diaires infinies qui ont dû se produire, il dit (p. 644) : « Mais, « d'après celte doctrine de l’extermination d'un nombre infini «de chainons généalogiques entre les habitants actuels et « passés du monde, extermination renouvelée à chaque période « successive entre des espèces aujourd'hui éteintes'et des formes «encore plus anciennes, pourquoi chaque formation géolo- « gique ne présente-t-elle pas la série complète de ces formes «de passage? pourquoi chaque collection de fossiles ne mon- «tre-t-elle pas avec une SAVE évidence la gradation et la « mobilité des formes de la vie”... J'e ne puis répondre à ces (1) Le traducteur, dans ses notes p. 288 et 629, se montre le véritable continuateur de de Maillet;il va mème plus loin en ce que l’auteur de Tellia- ined comme celui de la Philosophie zoologique n'admettait de modifications que dans un sens progressif, tandis que mademoiselle Royer en admet dans un sens rétrograde ou régressif, ce qui est plus complet. EXAMEN DU LIVRE DE M. DARWIN. 105 « questions et résoudre ces difficultés qu'en supposant que les « documents géologiques sont beaucoup plus incomplets que la « plupart des géoloques ne le pensent? » (p. 645)... « Tous « les spécimens de nos musées réunis ne sont absolument rien « auprès des innombrables générations d'innombrables espèces « qui ont certainement existé, » etc., ete. « Quelque graves que « soient ces difficultés, elles ne peuvent, à mon avis, renverser « la théorie qui voit dans les formes vivantes actuelles la des- « cendance d’un nombre restreint de formes primitives subsé- « quemment modifiées. » Les faits généraux et particuliers favorables à l'hypothèse sont ceux dont nous avons déjà discuté la valeur et principale- ment la variabilité résultant de la domestication. «Il n’est aucune « bonne raison, suivant l’auteur (p. 649), pour que les mêmes « principes qui ont agi si efficacement à l’état domestique n’a- « gissent pas à l’état de nature. » k On pourrait tout aussi bien retourner l'argument, et 1l serait, suivant nous, beaucoup mieux fondé. Nous croyons avoir mon- tré que les faits n'étaient point comparables; que les conclu- sions, toujours très-bornées, que l’on peut déduire du croisement des races ou de la continuité artificielle de l'élection ne sont pas, quoi qu'on en dise, applicables à l'état de nature. La vo- lonté de l'homme appliquée continüment, dans une direction donnée, pour atteindre un but déterminé, à certains animaux et à des plantes, relativement en petit nombre et placés dans des situations anormales, ne peut être assimilée, comme cause efficiente, à une loi de la nature. Celle-ci ne peut, sans ren- verser toutes les idées rationnelles que nous possédons sur les relations des choses, être réduite à l'exécution inconsciente du hasard, à un concours de circonstances fortuites, exception- nelles, où le faible serait fatalement destiné à succomber. Ce que l'on croyait pouvoir appeler l'harmonie de la nature n'en serait plus que l’antagonisme, et nous avons fait voir que l'anéantissement final de tout l'organisme était la conséquence forcée de la prétendue loi d'élection naturelle. (P. 658.) « L’extinction des espèces et des groupes entiers 106 DE L'ESPÈCE. « d'espèces, qui a joué un rôle si important dans l'histoire du « monde organique, dit plus loin M. Darwin, est une suite « presque inévitable du principe de cette même élection, car « les formes anciennes doivent être supplantées par des formes « nouvelles plus parfaites. » Mais ceci est une pure illusion ; considérons en effet les es- pèces d’un genre quelconque qui a traversé les divers étages d'une formation ou même plusieurs formations successives, nous ne verrons point, comme résultat nécessaire, que les dernières espèces soient, pour nous servir des expressions de l’auteur, ni plus parfaites, ni plus belles, ni plus fortes que les premières. Les Térébratules siluriennes sont tout aussi bien organisées que celles de nos jours, et, si nous prenions la fa- mille des brachiopodes tout entière, l'avantage resterait de beaucoup à la période la plus ancienne. Les Pleurotomaires dévoniens ne le cèdent point à ceux de la craie, les Cérites ju- rassiques à beaucoup de ceux du calcaire grossier ou des mers actuelles. Des familles entières ont disparu sans laisser de traces, d’autres se sont montrées plus tard pour cesser aussi graduellement. Telles sont les trilobites, les rudistes. Les am- monées, les bélemnitidées ont apparu successivement, ont régné, puis ont cessé ensemble à un moment donné. Où est . dans tout cela la marque de l'élection naturelle, l'empreinte d'une loi de perfectionnement ? Objecter ici qu'il y a eu destruction par suite de lutte, ce ne serait encore répondre qu'à un des côtés de la question, celui de l'extinction; ce serait méconnaître en outre ces oscillations et ces dépressions plus ou moins prononcées des forces vitales à certains moments, comme à partir de l'époque houillère jus- qu'au commencement du lias. Quel est le paléontologiste qui, suivant les dépôts entre ces deux termes, pourrait en relier les produits par l'hypothèse de M. Darwin? Je sais bien que ce savant répondra par l'insuffisance des données paléontolo- giques, mais, Comme nous ne raisonnons qu'avec les faits ac- quis à la science, et lui sur des suppositions ou sur des don- nées que leur origine ne nous permét pas d'accepter pour de ‘ EXAMEN DU LIVRE DE M. DARWIN. 107 véritables preuves, il en résulte que toute son argumentation reste pour nous sans valeur. C’est dans l’histoire de la vie à la surface de la terre que le secret de cette succession de phénomènes biologiques peut être cherché. Mais supposer que la nature doit faire pour la perpé- tuité de son œuvre précisément ce que l’homme s'efforce d'exécuter pour l’altérer ou la détruire, c’est avoir une étrange idée de la puissance créatrice ! Il aurait été réservé à un fer- mier, à un éleveur de chevaux, à un amateur de pigeons, à un jardinier fleuriste ou maraicher de surprendre ainsi ses plus profonds secrets ! L'intérêt, le hasard, le caprice ou l’amu- sement du premier venu auraient été dix fois plus loin dans la connaissance des lois qui régissent le monde organique, que tous les naturalistes qui, depuis deux cents ans, étudient, com- parent, méditent avec le scalpel et le microscope ! O vanité des sciences et des savants!! Que M. Darwin veuille bien sortir un moment de ses suppo- sitions, de ses généralités, des exemples qu'il se plait si souvent et trop exclusivement à emprunter aux publica- tions de ses compatriotes et de ses amis, qu’il approfondisse les travaux sérieux et détaillés, les résultats donnés par de nom- breuses études locales, les monographies de faunes, de flores et de terrains, il verra que la paléontologie fournit déjà beaucoup plus de matériaux qu'il ne le suppose, et il recon- naîtra qu'il a jugé légèrement d'après des données incomplètes. En un mot, pour être en droit de prononcer à cet égard avec quelque autorité, 1l eût fallu commencer par refaire à son: point de vue tous les immenses tableaux de G. Bronn, et nous eussions volontiers accepté alors les conséquences d'un travail entrepris dans la seule voie logique des faits acquis. (P. 665.) Il se demande ensuite pourquoi les plus éminents naturalistes et les géologues ont rejeté la mutabilité des es- pèces, quand il y a, suivant lui, tant de raisons pour l’admettre ; il pense que c’est parce qu'on répugne à accepter tout grand changement dont on ne voit pas les degrés intermédiaires. Il uous semble, en cffct, très-sage de ne pas se laisser entrainer 108 DE L'ESPÈCE. sans des motifs bien convaincants par les idées séduisantes qui peuvent n'être revêtues que d'une apparence de vérité, et la non-fixité de l'espèce, à l'appui de laquelle on cherche à aceu- muler tant de preuves, reste encore suivant nous à démontrer. Quant à l'immensité des temps exigée pour les effets invo- qués, on les admet sans difficulté parce que la géologie la dé- montre, mais les rapports de ces temps avec les modifications des espèces sont une question distincte et indépendante. Les per- sonnes qui parlent de l'unité de plan ou de type, de l'harmonie de la création, ete., expriment un fait qui les a frappées, mais elles n'ont pas pour cela, comme le suppose M. Darwin, la prétention de l'expliquer; elles l'étudient dans ses détails et l’admirent dans ses résultats et son ensemble. Si elles re- poussent les explications du savant voyageur anglais, ce n'est pas, comme il semble le croire aussi, de parti pris et par lha- bitude d'anciennes idées, explication qu'un auteur se donne vo- lontiers, mais sans doute parce que le caractère et la valeur de ses raisonnements, de ses supposilions et de ses preuves ne suffisent pas pour porter une conviction profonde dans leurs esprits. | Il n’est pas non plus nécessaire d'en appeler aux natura- listes de l'avenir ; l’idée fondamentale à laquelle nous allons le voir arriver, quoique tardivement, n'est pas nouvelle; elle re- monte à plus d'un siècle et nous pourrions luien montrer des traces jusque dans l'antiquité. Elle s'est présentée d'abord sous la forme d'une plaisanterie sans importance, puis elle a été prise au sérieux par des zoologistes éminents; M. Darwin, qui a commencé par la revêtir d'une forme plus modeste pour la faire accepter, en l'étayant d'un grand luxe de considérations de toutes sortes puis en reléguant à la fin, dans une demi- ombre, la question principale, sera-t-il plus heureux que ses devanciers ? C’est ce dont il est encore permis de douter. (P. 667.) De ce que certains auteurs décrivent comme es- pèces des corps qui pour d’autres ne sont que des variétés, ou de ce que l'on reconnait soi-même que l'on s'est trompé, cela prouve seulement que les caractères spécifiques sont difficiles EXAMEN DH LIVRE DE M. DAR WIN. 109 à saisir dans certains cas, que chacun n'a pas la même apti- tude pour les distinguer, mais ce n'est pas un argument contre la fixité de l'espèce; celle-ci doit exister par elle-même et être indépendante de tout système de classification ou d'idées théo- riques particulières. Quant aux questions qu’adresse l’auteur aux naturalistes (p. 668), on pourrait les lui faire à lui- même ; rien Jusqu'à présent n’y répond encore dans son livre. Nous sommes aussi de ceux qui croient qu'il re faut pas plus d'effort à la nature pour créer un million d'êtres animés que pour en créer un seul, et à cet égard l'opinion d’un mathéma- Ucien-astronome nous semble avoir peu d'autorité. Arrivé aux dernières pages du livre de M. Darwin, de sa ré: capitulation et conclusion, le lecteur est surpris de n’y avoir encore vu traiter que des transformations supposées des êtres organisés, sans un seul mot qui se rapporte à leur origine pre- mière, au point de départ de toute théorie biologique, à la création elle-même. Ce sujet si grave et si difficile n’a pas cependant été tout à fait omis par l’auteur, qui le relègue seulement au dernier plan de sa vaste composition, sans titre spécial, sans rien qui attire l'attention sur une si grande question. [semble qu'il ait voulu atténuer la portée du principe radical qu'il va émettre; ne pou- vant échapper à la nécessité de se prononcer, il le fait avec le moins d'éclat possible, sans déguiser pour cela le fond de sa pensée. Peut-être bien des personnes auront-elles passé, sans y prendre garde, sur ce paragrapheintitulé : Jusqu'où la théorie des modifications peut s'étendre, et où quelques phrases com- prennent toute l'idée génésique fort simple de M. Darwin. Après avoir indiqué les relations qui rattachent entre eux tous les membres d’une même classe, soit par leur état em- bryonnaire, soit par les modifications qu'ils ont éprouvées cet qui en font autant de chaînons reliant les divers groupes, il ar- rive à cette expression la plus condensée de ses principes et de ses convictions (p. 669) : “h « Je ne puis done douter que la théorie des descendances ne « comprenne tous les membres d’une même classe. Je pense 8 110 DE L'ESPÈCE. « que tout le règne animal est descendu de quatre ou emq « types primiufs tout au plus et le règne végétal d'un nombre « égal ou moindre. L'analogie me conduirait même un peu « plus loin, c'est-à-dire à la croyance que tous les animaux et « toutes les plantes descendent d'un seul prototype; mais l’a- « nalogie peut être un guide trompeur. » Quels sont donc ces’ quatre ou cinq types primitifs animaux et végétaux? Correspondraient-1ls à quelques-unes de nos grandes classes? C’est ce que l’auteur ne nous dit pas; il a d’ailleurs toujours évité de désigner celles-ci d'une manière explicite dans le cours de son ouvrage, et les quelques phrases qui sui- vent témoignent, par leur obscurité, de l'embarras où il se trouve forcément amené. Rien dans ce qui précède n'avait préparé le lecteur à-cette brusque déclaration ; il n'avait été jusque-là question que de va- riétés et d'espèces ; ni les genres, ni Jes familles, ni les ordres, ni les classes n'avaient été présentés dans leurs évolutions suc- cessives, conséquences nécessaires cependant à développer pour arriver à la formule élémentaire et primitive que nous venons de citer. Il y a donc iei une lacune considérable dans l'exposé de l'hypothèse de l'élection naturelle, et nous allons voir qu'elle n'est pas la seule (1). En effet, l'auteur s'arrête au milieu de sa course, et après avoir exposé d'innombrables faits de détail il arrive à la con- clusion, sans avoir passé par les intermédiaires qui devaient la préparer et la justifier. En outre, où commence dans le temps l'application de l'élection naturelle et où finit-elle? S'il n'y a eu que quatre où cinq types primitifs créés, il a fallu que, par des transformations successives, tous les êtres organisés en provinssent pour constituer ce que nous appelons, à tort ou à raison, des classes, des ordres, des familles et des genres. Or, (1) Le traducteur est moins exclusif, Il suppose qu'à l’origine le nombre des germes fut immense. Tous semblables, ils auraient cependant donné lieu aux divers organismes successivement formés. La multiplicité infinie des germes a nécessairement produit, dit-il, la multiplicité infinie des races. EXAMEN DU LIVRE DE M DARVWIN. 111 quel est le dernier terme de cette longue palingénésie? est-ce le singe? ou est-ce l'homme? M. Darwin n’en dit rien. N'au- rait-1l donc pas eu jusqu’au bout le courage de sa conviction et celui de regarder, avec de la Métherie et quelqués zoologistes modernes, l'homme comme étant un quadrumane élu? Le sa- vant naturaliste de l'expédition du Beagle ne peut échapper à celte conséquence dernière et forcée de son principe. Telle qu’elle est, la base de son édifice, élevé à tant de frais, se perd dans le vague de quelques phrases sur la cellule et la vésicule, et le couronnement, comme on vient de le voir, fait complé- tement défaut; son œuvre ressemble done à un vaste tronc sans racine et sans tête. Mais s’il omet des points aussi essentiels, M. Darwin nous trace, par compensation, les heureux effets de l'adoption de sa théorie dans l'avenir, et nous ne pouvons nous refuser au plaisir d’esquisser le tableau de cet âge d'or de la science qu'il promet aux naturalistes. | « Les systématistes, dit-il (p. 672), pourront poursuivre « leur travail comme aujourd’hui, mais ils ne seront plus in- « cessamment poursuivis par des doutes insolubles sur l'essence spécifique de telle ou telle forme, et, j'en suis certain, ce ne sera pas un léger soulagement; j'en parle par expérience. «.…. Une autre branche plus générale de l'histoire natu- relle eroitra d'autant en intérêt. Les expressions d’affinités, de parenté, de communauté de type, de morphologie, de caractères d'adaptation, d'organes rudimentaires où avor- « tés, ete., cesseront d'être des métaphores et prendront un « sens absolu. » Un être organisé sera une chose parfaitement comprise dans toutes ses parlies actuelles comme dans son histoire particulière et générale ; l’étude des productions do- mestiques acquerra une importance à la fois scientifique et éco- nomique..… « Nos classifications deviendront, autant qu’il se « pourra, des généalogies, et retraceront alors véritablement « ce qu'on peut appeler le plan de la création, » etc. L'avenir réservé aux déductions de la géologie, quoique assez modeste suivant l'auteur, ne laisse pas encore que d'être = LC CS LC = = [( = A = = 112 DE L'ESPÈCE. séduisant, en nous permettant de mesurer la durée des forma- tions fossilifères et des intervalles d'inactivité entre les étages successifs qui auraient été d'une immense durée (p. 677). Ces intervalles, due nous voyons mentionnés pour la première fois, ont bien dû apporter quelques difficultés dans la suite des élections naturelles, mais sans doute l'auteur y aura pourvu. « Dans un avenir éloigné, dit-1l encore (p. 679), je vois des «champs ouverts devant des richesses bien plus importantes. « La psychologie reposera sur une nouvelle base, e’est-à-dire sur « l'acquisition nécessairement graduelle de chaque faculté «mentale, Une vive lumière éclairera alors l'origine de « l'homme et son histoire. » Cette dernière phrase est une concession bien faible à la nécessité de nommer-au moins une fois l'Homme dans une théorie de la vie, mais elle fait encore plus ressortir la gran- deur de la lacune dont nous avons parlé. Néanmoins, que de choses nous présage ce paragraphe! Tout le vieux monde psy- chologique et philosophique, depuis Socrate et Platon jusqu'à Locke, Mallebranche, Spinosa, Kant, Schelling et M. Cousin lui- même, s'écroulera; le travail intellectuel de vingt-cinq siècles disparaîtra à la vive clarté du principe de l'élection naturelle qui se sera exercée aussi sur les facultés de l'âme. Les heureux adeptes de la vérité nouvelle, de la vérité vraie, comme jadis les fervents apôtres du romantisme qui détrônaient Corneille, Racine et Lous les classiques, accableront alors de leurs sar- casmes les faux dieux que nous adorions si sincèrement. Enfin, dans ses Dernières remarques, sorte d'Épilogue qui termine son livre (p. 680), « nous pouvons même, dit-il, jeter çun regard prophétique dans l'avenir, jusqu'à prédire que « ce sont les espèces communes et très-répandues, appartenant «aux groupes les plus nombreux de chaque classe, qui prévau- « dront ultérieurement et qui donneront naissance à de nou- « velles espèces dominantes, Comme toutes les formes vivantes «actuelles sont la postérité linéaire de celles qui vécurent long- «temps avant l'époque silurienne, nous pouvons être certains «que la succession régulière des générations n'a jamais été EXAMEN DU LIVRE DE M. DARWIN. 113 «interrompue, et que, par conséquent, jamais aucun cata- «clysme n'a désolé le monde eatier. Nous pouvons aussi en « conclure avec confiance qu'il nous est permis-de compter sur «un avenir d'une incalculable longueur. Et comme l'élection « naturelle agit seulement pour le bien de chaque individu, «tout don physique ou intellectuel tendra à progresser vers la «perfection. » Ainsi M. Darwin a voulu qu'en fermant son livre le lecteur restät sur une pensée agréable et flatteuse, sans doute pour ef- facer les tristes impressions du fatalisme qui y règne d'un bout à l'autre, mais en réalité l'avenir qu'il promet ne repose pas sur des bases plus sérieuses que l'existence de ces organismes antésiluriens entièrement créés par son imagination pour les besoins de sa cause. Nous nous sommes attaché, dans cette analyse raisonnée de l'ouvrage de M. Darwin, à en faire ressortir la peusée fonda- mentale, les arguments de diverses sortes dont il l’a étavée et les conclusions qu'il ea a déduites. Les citations du texte, que nous avons multipliées autant que possible, avaient pour but de faire mieux comprendre son mode de discussion, sa ma- nière de déduire, l'esprit du livre en un mot. C'était aussi le meilleur moyen de donner à notre examen le caractère d’im- partialité et de précision qu'il doit toujouis avoir, et de sou- mettre en même temps notre jugement à celui du lecteur. L'auteur disait, dans sa préface, que cet ouvrage n'était qu'un extrait incomplet des matériaux qu’il possède et qu'il publiera ultérieurement; nous pensons que les documents qu'il a déjà réunis ici en si grand nombre suffisent pour faire apprécier la valeur de ceux qui sont encore en manuscrits. Si ves derniers sont de même ordre, de même nature que ceux que nous connaissons, ils n’en augmenteront pas le poids, puis- que nous avons été souvent obligé d’en contester la valeur; s'ils sont différents, ils ne doivent pas être bien favorables à l'hy- pothèse, car on doit supposer que M. Darwin a choisi ses meil- leurs arguments, les plus propres à convaincre, ceux qui le frappaient le plus ; on le voit même revenir avec complaisance 114 DE L'ESPÈCE. sur certaines idées et sur certains genres d'observations qu’il affectionne, ce qui nous à obligé d'y revenir fréquemment aussi. Nous n’attendons donc rien de plus de la publication de ses manuscrits, quant à la démonstration de son hypothèse, Pour nous, toujours disposé à accueillir la vérité, de quelque part qu'eile vienne, nous ne pouvons l'apercevoir encore dans ce travail, malgré ses mérites divers. Le principe sur lequel on le fait reposer d'un bout à l'autre est une abstraction qui n’est pas la conséquence directe d'une suite d'observations positives; il ne s'appuie sur aucun ensemble de faits démontrés par l'é- tude comparative du présent ni du passé ; c’est une simple hy- pothèse entourée d'innombrables raisonnements, de citations et de suppositions non moins multipliées, mais qui ne suffisent pas pour en dissimuler la faiblesse. Nous avons dit, en dernier lieu, que le point de départ de la théorie manquait de précision, que plusieurs parties essen- tielles n'avaient pas été développées ni même indiquées, et que les conséquences dernières avaient été éludées. Cette prétendue théorie ne répond point aux données de lascience actuelle et elle attend de l'avenir une démonstration que rien ne laisse encore entrevoir, Elle se fonde sur des faits contestables parce qu'ils sont pris en dehors de la marche naturelle des choses, et que les conséquences en peuvent toujours être niées. En un mot, le livre de l'Origine des Espèces, dont la pensée dernière renferme implicitement la théorie de Lamarek, nous semble fort inférieur, comme conception, comme méthode, comme clarté et comme franchise de vue, à la Philosophie zoologique (1). (1) M. de Quatrelges formule comme il suit son opinion à ce sujet : « M. Darwin, dit-il, a ainsi confondu ensemble, dans sa théorie, les idées de « Lamarck sur la variabilité des espèces et celles de Buffon sur les causes de « leurs varialions, tout en faisant de sa théorie des applications qui rappel- « lent les doctrines de Geoffroy. Le naturaliste anglais a d’ailleurs poussé les « unes et les autres bien au delà de tout ce qu'avaient admis ses devanciers « français. » (Unité de l'espèce humaine, p. 50, 1861.) EXAMEN DU LIVRE DE M. GODRON. M5 EXAMEN DU LIVRE DE M. GODRON L'ouvrage de M. Godron (1), dont il nous reste à parler, n’est pas seulement un représentant complet de l'opinion de la fixité de l'espèce, opposée à celle de la variabilité, dont M. Darwin s’est fait l'un des plus ardents champions, mais il offre encore par sa forme un contraste frappant avec le livre du naturaliste anglais. Autant celui-ci est diffus, sans méthode, présente les faits sans ordre, des répétitions et des contradictions fré- quentes, accumule les raisonnements plutôt qu'il ne les déduit les uns des autres, n'a pour ainsi dire ni commencement ni fin, la place des chapitres pouvant être intervertie sans incon- vénient, autant l'ouvrage français montre un bonne disposi- tion des matières, de la clarté et un enchaînement logique des faits. L'exposition de ceux-ci est simple, sans digressions inutiles, sans répétitions superflues ; aussi suffit:il au lecteur de parcourir la table des matières pour se rendre compte de suite du plan général de l’ouvrage, sans fatigue ni contention d'esprit, ce qui facilite singulièrement l'intelligence des nom- breuses recherches qui y sont exposées. Lelivre de l'Origine des Espèces est un livre tout personnel ou à peu près; l’auteur n'y parle que de lui ct de ses amis; le livre de l'Espèce et des Races dans les êtres organisés est l'histoire de la science considérée à un point de vue particulier. Écrit dans un véritable esprit philosophique, il restera comme un témoignage honorable de la sagacité et des connaissances de son auteur. ÿ Où voit, d'après cela, que nous n’avons pas à examiner en détail l'ouvrage de M. Godron, comme nous avons fait de celui de M. Darwin ; nous n’avons pas à faire l’histoire de l’histoire, et nous nous bornerons à en indiquer les principales divisions. (1) De l'espèce et des races dans les êtres organisés, et spécialement de l'unité de l'espèce humaine, 2 vol. in-8, Paris, 1859. 116 DE L'ESPÈCE. Ainsi que le sujet le demandait, l'auteur commence par traiter de l'espèce en général, de la doctrine de la fixité des espèces, puis de celle de la variabilité. La question est done posée comme elle devait l'être au point dè départ, et la liaison des autres parties n'est pas moins bien indiquée. Les animaux ct les végétaux sont considérés d’abord à l'état sauvage et vivant actuellement. En effet, c'est ce qui vit sous nos yeux dans la nature qui doit nous occuper en premier lieu dans une telle question. Ensuite vient la comparaison des êtres actuels avec ceux dont les Anciens nous ont transmis la description. La ques- tion de l’hybridité devait s'interposer naturellement ic avant de remonter au delà de l'époque moderne; mais une fois exa- minée, l’auteur, franchissant la limite des phénomènes actuels, étudie successivement les caractères des faunes et des flores quaternaires, tertiaires, secondaires et primaires ou de transi-* tion. Il examine la théorie de l'évolution successive des espèces dans la série des âges de la terre, et dit en terminant ce sujet : « L'espèce n'a donc pas plus varié pendant les temps géolo- «giques que durant la période de l'homme; les différences qui «ont pu et qui ont dû méme se manifester aux différentes « époques géologiques dans l'action des agents physiques, les «révolutions enfin, que notre globe a subies et dont il porte « dans son écorce les stigmates indélébiles, n'ont pu altérer « les types originairement créés ; les espèces ont conservé, au «contraire, leur stabilité, jusqu'à ce que les condiuons nou- «velles aient rendu leur existence impossible; alors elles ont « péri, mais elles ne se sont pas modiliées, » Rien n’est done plus complétement opposé aux conclusions de M. Darwin que celles de M. Godron. Une fois le tableau de la nature présenté dans ses diverses pärties, on conçoit que ce dernier savant recherche en de- hors les faits qui peuvent s'être produits ou avoir été pro- voqués par l'action toute factice et superficielle de l’homme. JL entre dans un autre ordre d'idées et de résuitats et s'occupe, avec les plus grands détails, de la théorie des variations ob- servées chez les animaux domestiques, de la création des Her x Ét RÉSUMÉ DES DEUX OPINIONS. 117 races, des variations qu'ont subies les plantes cultivées, de la formation des races végétales, et arrive enfin à traiter de l'Homme, objet particulier du second volume de louvrage. Cet important sujet est examiné sous toutes ses faces avec la même netteté de vue, et l’auteur est amené à reconnaitre ainsi l'unité de l'espèce humaine. On peut donc voir par cé simple exposé, que le livre de M. Godron justifie parfaitement son titre; il instruit, il éclaire et laisse dans l'esprit des notions exactes sur un sujet qui sera toujours l’un des plus importants qui puissent fixer l'attention et la réflexion du naturaliste comme du philosophe. RÉSUMÉ DES DEUX OPINIONS SUR L'ESPÈCE Il résulte pour nous de tout ce qui précède, que les natura- listes partisans dela fixité ou de l’immutabilité de l'espèce, de beaucoup les plus nombreux, sont aussi ceux qui, dans l'ap- plication du principe, S DRE le micux. Les divergences qu'il peut y avoir entre eux portent sur des détails peu 1m- portants, ef l'existence de variétés, soit accidentelles, soit dans des lieux ct des lemps différents, est génér: Le. admise par les personnes qui ont fait d assez longues études des- eriptives d'une partie quelconque de la zoologie ou de ja bota- nique: Le désaccord qui s’observe parfois quant aux carac- tères de telle ou telle espèce, de telle ou telie variété, quant à la convenance d'adopter telle ou telle détermination spécifique, rentre évidemment dans les limites des appréciations ou des erreurs personnelles et ne peut être un motif pour infirmer en principe la réalité de l'espèce. La conséquence de cette manière de voir pour les temps antérieurs à l’époque moderne, et DEUEATe aussi pour notre temps, car rien ne prouve qu 1 ne s'en forme plus, c’est l'o- bligation d'admettre la création successive des espèces et leur extinction également successive. La géologie et la paléonto- 118 DE L'ESPÈCE. logie confirment pleinement cette dernière hypothèse. La théorie de la fixité de l'espèce a done pour elle l'observation du présent et les documents du passé. La simplicité de l'idée de création et d'extinction, qui d’ailleurs est depuis longtemps dans les esprits, n'a pas besoin de longues démonstrations ; aussi a-t-on écrit peu de volumes pour l’appuyer, : Les partisans de la variabilité de l'espèce ou de sa mutabi- lité peuvent être regardés eux-mêmes comme les premiers exemples à l'appui de l'idée qu'ils soutiennent, car beaucoup d’entre eux ont commencé par croire à la fixité. Leurs études ultérieures les ont fait changer de camp, non pour se réunir en un groupe compacte, homogène, ralliés autour d'une pensée nettement formulée, mais au contraire pour nous offrir la plus complète diversité, la plus extrème anarchie dans la mamière de comprendre la variabilité elle-même. Nous ne voyons pas deux naturalistes de ce parti qui soient d'accord sur les limites des variations, sur leurs causes ou leur origine naturelle, et par conséquent sur l'origine de l'espèce elle-même, où du moins n'en conviennent-ils pas. En réalité, la divergence existe surtout dans la forme, dans l'apparence, dans l'entière franchise ou dans la réserve prudente de l'opinion de chacun, car il faut reconnaitre que Robinet, Bonnet, de Lamarek, les deux Geoffroy Saint-Hilaire, comme M. Darwin et leurs imita- teurs, arrivent, quoique par des voies différentes, absolument au même résultat, Ces diverses interprétations de la variabilité de l'espèce eon- duisent toutes fatalement à un même point d'arrivée, à un mème principe fondamental. Cette théorie, ou mieux cette hypothèse, pour être conséquente et logique, est comme une pente sur laquelle on ne peut s'arrêter dès qu’on a commencé à la descendre: bon gré, mal gré, il faut arriver au bas et accepler pour ancêtre, pour premier père commun, l'ami de Cyrano de Bergerac, qui a porté hardiment du premier coup, à sa plus extrême limite, l'idée de la transformation des êtres. En la présentant sous la forme d’une plaisanterie, dont il ne soupconnait sans doute guère le succès futur, de Maillet DE LA NON PERPÉTUITÉ. 119 a formulé un thème sur lequel brodent à l'envi, depuis plus d'un siècle, les partisans plus ou moins savants de la variabi1- lité, Plusieurs d'entre eux ont renié cette parenté, mais évi- demment par un amour-propre mal placé; l'auteur de Tellia- med était un homme de beaucoup d'esprit, de bon sens ct, sur plusieurs points, fort instruit pour son temps (1). M. Dar- win n'est que le dernier de. ses descendants élus en ligne directe. | Ainsi, des deux hypothèses qui viennent de nous occuper, l'une à pour elle les faits passés ct présents, à la condition que la force créatrice agisse sans cesse, ou à des intervalles très- rapprochés ; l'autre-n'a en sa faveur que des faits plus ou moins contestables, mais elle à l'avantage de supposer un enchaine- ment de modifications qui n’exigent point de créations inces- santes ou renouvelées; l'une réclame un pouvoir toujours présidant à l’ensemble des produits de la vie ; l'autre peut s’en passer, en supposant une impulsion une fois donnée ; les cir- constances font le reste. Or, dans l’état actuel de nos connais- sances, il n’y a aucun inconvénient à adopter Ja théorie de la fixité de l'espèce, sans préjuger ce que l'avenir pourra nous révéler; il y en aurait au contraire à suivre un des parti- sans quelconque de la variabilité; ce scrait, suivapt nous, s'engager dans un labyrinthe encore sans issue. $ 3. De la non perpétuité de l'espèce. L'idée de la perpétuité de l'espèce est fondée sur l'étude de la nature actuelle, et, en restreignant la question au court es- pace de l'existence de l'humanité, il devait en être ainsi. Mais, lorsqu'on étudie comparativement la série des êtres organisés en remontant jusqu'aux premières manifestations de la vie et que (1) M. Flourens a très-bien compris le caractère de plaisanterie que de Maillet avait donné à son idée. (Ontologie naturelle, p. 22, 1861.) * 120 DE L'ESPÈCE. l'on voit se dérouler, quoique incomplétement sans doute, ces innombrables faunes et flores qui ont peuplé la surface de la terre depuis son origine, on arrive à distinguer la perpétuité de l'espèce de sa fixité, à admetire celle-ci, tout en rejetant celle-là. Peut-ctre quelques naturalistes ne se sont-ils pas en- core bien rendu compte de la nécessité de cette distinction, mais elle est la conséquence rigoureuse de nos connaïssances paléontologiques. D'ailleurs on concoit que des personnes qui depuis longtemps professent des opinions contraires, les- . quelles paraissaient fondées lors de leurs premières études, ne soient pas encore bien pénétrées de celte vérité ; les livres sont souvent comme les lois; ils n'ont pas d'effet rétroactif. Pour nous la créalion des espèces a été successive, continue ou à très-peu près, Indépendante en général des phénomènes physiques où dynamiques locaux, toujours plus où moins limi- tés dans leurs effets, et il en a été de même de leur extinction ou de leur disparition. Peut-être demandera-t-on comment elle sont fini et pourquoi elles ont fini ? Questions absolument les mêmes que celles-ci : comment ont-elles commencé et pourquoi ont-elles commencé ? Or, nous l'avons déjà dit, nous ne sommes point dans le secret de la création, et nous n'avons pas plus la prétention de répondre aux deux premières questions que les partisans de Ja perpétuité et ceux de la diversification des types n'auraient celle de répondre aux deux secondes. Nous nous hornons à constater les faits, à les comparer, à montrer l'harmonie de leur ensemble dans la suite des temps, et cela nous suflit pour en déduire que ce que nous voyons est le résultat d'une loi à laquelle la nature organique a obéi de tout temps, sans qu'il soit nécessaire de nous préoccuper de la rai- son même de celte loi. Nous nous appuierons iei d'un exemple qui semble répondre à la fois aux personnes qui nient la fixité de l'espèce, à celles qui nient les créations et les extinctions successives, enfin à celles qui croient à sa perpétuité indéfinte. Cette preuve, pour avoir toute sa valeur, devait satisfaire à beaucoup de conditions. Il fallait, en effet, qu'elle fût prise ne Did de À us Li bi né. DE LA NON PERPÉTUITÉ. 121 dans un bassin géologique bien limité géographiquement et stratigraphiquement, bien connu dans toutes ses parties, dont les divisions naturelles fussent suffisamment tranchées con- stantes dans toute son étendue, et ne montrassent cependant Ia preuve d'aucune perturbation physique notable. I fallait en ou- tre que les fossiles de ses divisions eussent été depuis longtemps recherchés et étudiés avec un grand soin, et en dernier licu comparés par la même personne. Or, le bassin tertiaire de la Seine nous présente précisément ces conditions, et les derniers résultats des recherches persévérantes de M. Deshayes répondent complétement à toutes les exigences de la question (1). Ce savant admet quatre groupes marins principaux qui se succèdent de haut en bas comme 1l suit : 1° sables supérieurs ou de Fontainebleau; 2° subles moyens ; 5° calcaire grossier; 4° sables inférieurs. Chacun de ces groupes se sous-divis en étages : 2 dans le premier, 5 dans les deux seconds et dans le quatrième. Il a reconnu dans ces diverses assises 1041 espèces de mollusques acéphales qui, défalcation faite des espèces qui forment double emploi, sont réparties de la ma- ière suivante : e 5) Sables supérieurs de Fontainebleau. . . 65 espèces. BAES MOyENS. 4 4 4. « Pus DANNRS Plaine ArOSSier Li: te cdi VUE PRIE M TIeNr ss. Len Le A. 323 — 54 espèces des sables inférieurs s'élèvent dans les groupes suivants et en laissent par conséquent 284 derrière elles, non comprises les à espèces lacustres de Rilly. Sur 412 du calcaire grossier, 96 remontent dans les sables moyens et en laissent 916 derrière elles. Entre les sables moyens et les supérieurs, il n y a point encore d'espèces communes (2). (1) Bull. Soc. géol. de France, ® sér., vol. XVIIL, p. 370 et suivantes, ASG1. — Description des animaux sans vertèbres découverts dans le bassin de Paris, vol. I, p. 157, 1861. (2) Mais la liaison peut étre soupconnée par suite des epètes encore en petit nombre qu'a recueillies M. Goubert dans les assises moyennes du gypse et qui ont leurs analogues daus les sables supérieurs. 129 DE L'ESPÈCE. Ainsi, sur cette population de 1041 espèces d’acéphales du bassin tertiaire de la Seine, 911 s’éteignent successivement, 28 dans le quatrième groupe, 516 dans le troisième, 246 dans le second, tandis qu'il n'y a qu'une faible minorité, 130 es- pèees qui passent d'un groupe à l’autre. Ces 130 espèces ne représentent d’ailleurs que les grandes oscillations ; les petites se manifestent d’un étage à l'autre, dans l'intérieur même des principaux groupes, et mettent en mouvement un plus grand nombre d'espèces. Ce mouvement est donc de 4# espèces dans les sables infé- ricurs, de 258 dans le caleaire grossier, de 119 dans les sables moyens, de à dans les sables supérieurs, en tout 426. Mais, défalcation faite des répétitions, Îl y a 296 espèces à oscilla- Lions courtes, qui, avec les 130 à oscillations longues, donnent 426 espèces, ou un peu moins du tiers du total, qui se meuvent plus ou moins, à côté de 615 qui naissent et périssent dans les étages où elles se rencontrent, « Si le nombre des espèces qui s'éteignent dans les groupes « prouve la séparation très-nettement déterminée de chacun « d'eux, les 426 qui émigrent ou qui oscillent suffisent à dé- « montrer que dans son ensemble le bassin de Paris forme une « grande unité. « En définitive, dit M, Deshayes, quel spectacle nous offre « ce bassin? des apparitions d'espèces et leur ex'inction plus « où moins rapide, les unes résistant peu aux causes de des- « truction, les autres un peu plus, d'autres plus encore, toutes «enfin disparaissant à de certaines limites, les plus vivaces « servant de lien commun à toutes les parties de l'ensemble et «les autres rattachant entre elles les sous-divisions d'une « moindre importance.» , Ces conclusions sont done la confirmation et le développe- ment de ce que disait Alex. Brongniart dès 1808, en parlant de la distribution des fossiles dans chacune des couches qu'il dé- crivait : QE’est un signe de reconnaissance qui jusqu'à pré- sent ne nous à jamais manqué. » Ainsi, ce principe posé, il y a cinquante-cinq ans, dans l'étude de ce même bassin, alors DERNIÈRES CONSIDÉRATIOXS. 193 qu'on n’y connaissait que quelques centaines d'espèces, est en- core vrai aujourd'hui qu'on en connait plus de trois mille. Maintenant y a-t-il dans les ouvrages des auteurs que nous combattons beaucoup d'exemples qui aient une valeur démons- trative comparable à celui-ci? Nous ne pensons pas qu'il y en ait un seul, ct, si l'on se reporte aux travaux que nous avons rappelés (antè p.90), on verra que nous aurions pu citer, dans chaque terrain et dans des pays très-différents, des preuves tout aussi concluantes, DERNIÈRES CONSIDÉRATIONS SUR L'ORIGINE DES ESPÈCES Nous terminerons ce chapitre par quelques considérations parliculières sur l'origine des espèees. « Nous ne connaissons aucune force naturelle, dit G. « Bronn (1), qui produise de nouvelles espèces ou des souches « de nouvelles espèces; nous ne savons pas à quelles condi- « tions est liée la production d'une espèce. Nous ne connais- « sons enfin aucune matière à laquelle cette force soit inhé- « rente. Nous savons seulement que les individus d’une espèce « déjà existante se propagent de diverses manières par des pro- « cédés en rapport avec leur organisation simple ou complexe. » Quoi qu'il en soit, les espèces une fois créées, il invoque des changements dans les conditions physiques extérieures et leur influence pour expliquer les modifications géographiquesqu'elles présentent. Mais le savant professeur de Bonn, comme tous ceux qui ont exclusivement recours à ces mêmes causes, ne peut ainsi rendre compte que des modifications également locales, et cette raison ne peut s'appliquer aux modifications générales concor- dantes de la vie à la surface du globe à tel ou tel moment. Une circonstance particulière a nécessairement un résultat borné dans l'espace et dans le temps; elle ne peut l'étendre à l'univer- = = (1) Loc. cit., p. 653. 194 DÉ L'ESPÈCE. salité de l'un ni de l’autre. Des abaissements et des sculèvements limités à telle ou telle région, des courants marins changeant de direction, amenant des changements dans la température, le climat, ete., n'ont jamais pu cecasionner des modifications dans le même moment et dans le même sens partout à la fois. 11 y aurait, entre la cause et l’effet, non-seulement une disproportion qui frappe au premier abord, mais encore une impossibilité réelle, car l'harmonie des phénomènes biologiques successifs ne peut résulter d'une perturbation physique acei- dentelle, tantôt dans un sens, tantôt dans un autre. Il faut done : en revenir à la première loi inhérente à la nature de l’orga- nisme, posée par Bronn lui-même, et en vertu de laquelle s’opèrent ou se sont opérés tous les changements généraux et concordants que nous y observons. Les considérations précédentes nous amènent à celle-ci : la paléontologie offre-t-elle quelques données pour juger si les espèces animales et végétales descendent chacune d'un seul aieul, d’un couple d’aïeux, ou bien le type d'une espèce a-t-il été créé par beaucoup d'individus à la fois? Lei les faits sem- blent appuyer cette idée que la force naturelle générale qui s'est manifestée par les êtres créés a produit des individus sem- blables et d'une même espèce, partout où la même cause pro- ductrice et les mêmes conditions de vie ont pu se manifester simultanément. Il semble en effet que, dans la première sup- position, une multitude de créations auraient avorté ; elles au- raient été détruites avant d’avoir pu se produire et multiplier assez pour échapper aux causes de destruction incessantes, Ainsi, les premiers hèrbivores dans chaque classe auraient été détruits par les premiers carnassiers, la première souris aurait été mangée par le premier chat, le premier lapin par le pre- mier chien, le premier passereau par le LA: faucon, et ainsi de suite. Chaque espèce, comme le dit Bronn (1), doit donc, suivant toute probabilité, son origine à un plus ou moins grand nom- (1) Loc. cil., p. 656. DERNIÈRES CONSIDÉRATIONS. 195 bre d’aïeux répandus sur une surface plus ou moins considé- rable, et qui n'étaient peut-être pas tout à fait contemporains, au moins dans leurs diverses variétés. En outre, si chaque es- pèce n’était sortie que d'une seule paire, il aurait fallu, surtout dans les organismes élevés, un temps énorme pour qu'elle se propageàt sur les divers points de la terre où nous la trouvons aujourd'hui, On verrait toutes les espèces, d'abord très-rares, se développer successivement, pendant une longue série de cou- ches, tandis que, dans le plus grand nombre des cas,'chaque es- pèce offre beaucoup d'individus dès sa première apparition. Tel ou tel horizon géologique ne serait pas caractérisé par l’a- bondance de telle ou telle espèce, qui ne se montre ni avant ni après ; il y aurait pouf chacune un développement graduel qui s'observe quelquefois, mais qui certainement ne constitue pas la règle. Les espèces qui se montrent d'ailleurs à des ni- veaux un peu différents offrent quelques variations dans leurs caractères. Plusieurs naturalistes, entre autres, J. B. Brocchi (1), MM. Lyell et I. üe Meyer, pour expliquer la disparition des espèces, sans avoir recours à ces révolutions imaginaires dont on à tant abusé, ont supposé que chaque espèce avait, comme chaque individu, une certaine somme de temps ou de durée qu’elle pouvait attéindre, mais nou dépasser. Elle aurait eu ainsi une phase de développement, d'âge mür et de vieillesse, après laquelle elle eût été fatalement condamnée à périr. C’est une hypothèse contre laquelle s'élevait Éd. Forbes, qui ne pouvait pas admettre que la vie de l'individu eût aucune analogie avec la durée de l'espèce, la durée moyenne de la première étant dé- terminée par une loi interne, tandis que celle de la seconde peut se continuer tant que les circonstances extérieures lui conviennent. Cette manière de voir subordonnait ainsi tout à ces dernières, sans supposer aucune loi générale inhérente à l'organisme lui-même. . (1) Voy. antè, 1° partie, p. 50. Principes généraux. CHAPITRE III $ 1. Classification géologique. Les données fournies par la paléontologie entrant pour une grande part dans les principes de la classification des terrains de sédiment, et le caractère essentiel de ce Cours étant la rela- tion de ces terrains avec les fossiles qu'ils renferment, on con- çoit que nous devions examiner la classification géologique qui doit servir de cadre aux sujets que nous avons à traiter. L’es- pèce d’anarchie ou de confusion qui règne dans cette partie de la science nous oblige à nous y arrêter un instant pour re- monter d'abord aux vrais principes qui lui servent de base, jeter ensuite un coup d'œil sur les divers systèmes proposés et motiver enfin le choix auquel nous nous sommes arrêté. Une classification en histoire naturelle est l’ensemble des divisions ou des parties d'un tout et l'ordre dans lequel ces parties sont rangées. La terminologie ou la nomenclature, ce sont les expressions et les mots dont on se sert pour désigner ces mêmes parties. Les classifications ne sont que des moyens créés pour sup- pléer à l'insuffisance de nos facultés, lesquelles ne nous per: mettent pas de saisir à la fois les rapports des divers éléments d'une science, de tout comprendre ni de tout retenir. Ainsi une classification est toujours quelque chose de plus où moins ar- üificiel; ce que l'on appelle classe, ordre, famille, genre ne CLASSIFICATION GÉOLOGIQUE. 197 peut être considéré que comme des abstractions de notre esprit, plus ou moins en rapport avec les objets destinés à aider la mémoire. I-n'y a point de classification dans la nature où “tout est si parfaitement ordonné. Ce n’est, en résumé, qu'un instrument de mnémonique d'autant plus parfait qu'il exprime mieux les affinités naturelles des objets auxquels on l'applique et que ceux-ci ont un plus grand nombre de rapports com- muns. La base d'une classification varie suivant le caractère particu- lier de chaque science. En géologie, la classification n’a point pour base des relations de formes extérieures ni de composition intérieure des corps comme en minéralogie, le nombre, la complication, la ressemblance ou la différence des organes et de leurs fonctions comme en zoologie et en botanique; elle s'appuie sur un tout autre ordre d'idées. En effet, il y a trois éléments essentiels ou trois coordon- nées indispensables pour la détermination géologique d’un corps, savoir : la composition, le lieu, le temps, ou, en d'autres termes, sa nature organique ou inorganique, le point du globe où il a été trouvé, le temps où il a été formé. Le premier élé- ment à déterminer ressort de la minéralogie, de la zoologie ou de la botanique, le second, de la géographie physique; le troi- ‘sième seul ou le temps, indépendant de toutes les autres sciences, est propre à la géologie. De même que dans l’histoire des états et des peuples, c’est le temps qui doit servir de base à une classification géologique, car la géologie n’est autre chose que la chronologie ou l’histoire de la terre. Le temps remplacera donc les caractères tirés des for. mes et des organes dans les corps vivants, ceux déduits des éléments géométriques ou des propriétés chimiques dans ceux qui ne sont pas doués de la vie; il sera le véritable criterium auquel tout devra être subordonné dans cette classification. Mais comment mesurer le temps et comment le représenter sans expressions numériques ? Un terme relatif peut répondre à la question. Le temps et ses divisions sont exprimés physi- quement dans la nature par les diverses roches qu'on y voit Dase de la classificaliont géologique. 198 CLASSIFICATION GÉOLOGIQUE superposées les unes aux autres. Ces roches sont l’image maté- rielle, non pas des siècles, ce qui serait trop peu, mais des pé- riodes d'un nombre de siècles variable et indéterminé. Les divisions que nous pourrons établir, d'après leurs divers carac- tères, dans ces roches ou couches ainsi superposées, représen- teront lés divisions du temps, en unités et fractions d'inégale valeur, suivant que nous le jugerons nécessaire. La elassifica- tion consistera alors à nous offrir, suivant leur ordre d'ancien- neté, les phénomènes de diverses sortes dont ces roches nous conservent les fraces ou qu'elles expriment elles-mêmes et dont l'ensemble peut constituer ainsi un véritable chronomètre de la terre. Nous n'aurons sans doute jamais, par ce moyen, l'expression absolue du temps, mais nous en aurons une repré- sentation relative et figurée très-suffisante pour les besoins de la science. Au premier abord, l'application de cette idée semble assez difficile, et, en effet, les Anciens ne paraissent pas l'avoir nette- ment comprise, Nous savons seulement que les prêtres de Memphis, en observant le mode de formation du limon de la vallée du Nil, concevaient qu'une partie de la terre avait été déposée de cette manière. Les philosophes grecs admettaient bien aussi, comme on l’a vu, la formation des couches anciennes au fond de la mer, mais l'idée de temps ne pouvait être ap- pliquée à celles-ci ; le sol de la Grèce, de l'Asie Mineure, de l'Italie était peu propre à les éclairer à cet égard. I fallait, pour être mis sur la voie, étudiek attentivement et d'une manière continue le sol sur lequel nous marchons, com- parer, sur une assez grande étendue de pays, les résultats de celte étude, c’est-à-dire constater que la partie de l'écorce ter- restre accessible à nos regards se compose d'un certain nom- bre de couches pierreuses, de diverses sortes, plus ou moins solides, superposées dans un ordre déterminé. G fait reconnu, il s’ensuivait que ces couches avaient été formées les unes après les autres, et que les plus anciennes devaient être celles qui étaient placées le plus profondément, Toute la science était là, et nous avons vu, dans la Première partie du Cours, combien CLASSIFICATION GÉOLOGIQUE. 129 de siècles il a fallu pour arriver à la démonstration irréfutable de ce principe. Ce point essentiel une fois acquis, commencèrent à surgir ces nombreux essais de classification qui devaient nous donner les moyens de représenter graphiquement et synoptiquement les couches de la terre dans leur véritable ordre d'ancienneté, établir leurs relations, de rapprocher les unes, d’éloigner les autres, de les grouner, de les diviser, de les caractériser enfin pour les reconnaitre, comme on le fait pour les autres corps de la nature. | | Si les couches qui composent la partie connue de l'écorce terrestre étaient continues, partout les mêmes, conservant la. même épaisseur, la même composition minéralogique et ren- fermant des corps organisés semblables, la constatation de leurs divers caractères une fois faite sur un point quelconque, il ne serait plus resté qu'à l'appliquer à d'autres; la partie eût donné le tout; c'eût été un étalon de comparaison applicable partout. Mais il n’en est point äinsi, et c’est sans doute l'extrême diver- sité apparente des couches ou des roches d’un pays à un autre qui a si longtemps empêché de trouver un moyen, pris dans la nature même, qui permit de les comparer sous le rapport de l'âge ou de Ie ancienneté relative. de premiers essais de classification ont été, comme on D a Premières vu, très-simples et en même temps Hé raine à la nature. On a distingué les roches primitives cristallines, massives ou non stratifiées, constituant l'axe de plusieurs chaînes de mon- ‘tagnes, et Les roches secondaires, disposées en couches sur leurs flancs et occupant, en outre, les espaces qui les séparent. Les caractères comparés de ces deux classes de roches, auxquelles on a aussi donné le nom de terrains, ont fait regarder les pre- mières comme ayant eu à l’origine une fluidité ignée, les se- condes comme ayant élé déposées dans les eaux, opinion que confirmait la présence de débris organiques marins ou d’eau douce. | Peu après, un système de couches qu'on n’avait pas distin- gué d'abord, quoique très-considérable, fut constaté entre le Classifications diverses, Miné- og ques, 130 CLASSIFICATION GÉOLOGIQUE. terrain primaire et le terrain secondaire, et on le désigna sous le nom de terrain intermédiaire ou de transition. Une autre classe de dépôts ayant été reconnue plus récente que le terrain secondaire, on la désigna par l’expression de terrain tertiaire. Ces quatre termes constituent toute l’économie du système de classification simple et rationnel des fondateurs de la géo- logie positive, système que tous les efforts réunis des nova- teurs peu réfléchis de nos jours n’ont heureusement pas encore détruit, On comprend qu'une classification géologique doive être faite par les hommes qui ont étudié la nature au point de vue spécial de l'arrangement des roches entre elles, de leurs rela- tions dans les plaines, les collines, les plateaux et les mon- tagnes, qui ont constaté à la fois leurs caractères minéralo- giques, leur extension géographique et les corps organisés qu'elles renferment, qui se sont assurés qu'elles ont été dé- posées dans les eaux, qui se sont rendu compte enfin des diverses sortes d'accidents qu'elles ont éprouvés ou des modi- fications qu'elles ont subies; mais on conçoit moins qu'un tel travail puisse être exécuté par tout autre que par des géolo- gues pratiques. Cependant on voit bon nombre de ces préten- dues classifications des terrains proposées par des personnes plus ou moins étrangères à la géologie, dont le genre d'étude ne leur donnait aucune autorité pour une œuvre dont les résultats sont par conséquent sans valeur. On pourrait distin- guer, d'après les principes qui leur servent de base où qui ont guidé leurs auteurs, cinq sortes de classifications géologiques. Les classifications que nous appellerons minéralogiques sont celles dans lesquelles l'étude particulière des roches, au point de vue de leur composition et de leurs caractères physiques, a surtout préoccupé les auteurs. Ces savants ont apporté une grande attention et un soin minutieux à l'analyse des diverses masses qui constituent l'écorce solide de la terre, mais le ré- sultat définitif, même à leur point de vue, ne pouvait conduire à aucun véritable principe de classification naturelle, même pétrographique. Excepté les roches simples ou composées CLASSIFICATION GÉOLOGIQUE. 151 d'une seule espèce minérale, les autres sont des mélanges en toutes proportions et à tous les états d'un plus ou moins grand nombre de minéraux, de sorte qu'au delà de certaine caractéristique générale pour chaque espèce, l'analyse, la spé- cification et la dénomination n'ont plus d'utilité réelle, si ce n’est dans l'industrie ou dans les arts, ct ne représentent aucune unité scientifique, absolue, déterminée; le but est dépassé parce qu'on ne s'est pas rendu compte de la limite à laquelle, par sa nature même, cette étude devait s'arrêter. Or les personnes qui, de ces classifications des roches, consi- dérées dans leurs caractères propres et indépendamment de leur âge, ont voulu passer à des classifications de terrains sans avoir fait de longues recherches stratigraphiques comparées, ont communiqué à ces classifications le caractère de leurs études favorites. Ces prétendus tableaux de la composition de l'écorce du globe ne donnent qu'une idée générale, vague, fort impar- faite de la réalité, parce qu'elles ne résultent pas d’un examen assez détaillé des relations des roches en place. La considéra- tion des fossiles y est d’ailleurs complétement négligée ou n’y figure que pour mémoire, et l'arrangement systématique des matériaux, comme l'harmonieuse consonnance des expressions, ne peut masquer le vide profond qui apparaît dès que l’on veut en faire usage; c’est une sorte de roman de la nature. Un des savants qui ont le plus contribué à enrichir les col- lections du Muséum d'histoire naturelle, à y introduire un or- dre parfait pendant sa longue administration et dont nous nous honorerons toujours d’avoir été le disciple, a, pendant qua- rante ans, perfectionné une classification des roches qui peut être considérée comme un modèle du genre; mais sa classifi- cation des terrains a subi l'influence de ses préoccupations pétrographiques , et malgré la baute autorité du professeur elle n'a jamais pu être appliquée sur le sol; elle présente ey effet tous les inconvénients que nous venons de signaler. L. Cordier, quoique n'ayant pas cessé de voyager jusqu’à ses dernières années, appartenait toujours à l’école de de Saussure, de Dolomieu, de Ramond, de la Métherie, etc., pour qui les Loologiques. 152 CLASSIFICATION GÉOLOGIQUE. caractères stratigraphiques étaient encore quelque chose d'assez obseur et de mal compris dans ses détails. Ce vénérable savant, dont nous déplorons la perte récente, était le dernier représen- tant de cette pléiade qui eut son éclat, mais qui devait s’effacer devant cette autre école plus rationnelle dont Alex. Brongniart et M. d'Omalius d'Halloy furent en France les premiers chefs. Les classifications dues à des zoologistes qui se sont occu- pés de fossiles offrent un mélange insuflisant et incomplet de certaines données géologiques avec tout ce que leurs auteurs ont pu rassembler de noms de fossiles qu'ils distribuent dans la série des terrains, suivant les renseignements qu'on leur a fournis ou leurs idées personnelles, Parmi ces savants, les uns n'admettent pas que les espèces puissent passer de l'une de leurs divisions dans l'autre ou se trouver dans deux à la fois ; d’autres, plus tolérants, permettent le passage à travers un certain nombre de celles-ci; enfin quelques-uns ne mettent aucune opposition à la continuation ou à la réapparition des espèces à des niveaux géologiques assez différents. Il va sans dire que lorsqu'un dépôt, quelque considérable qu'il soit, ne renferme point de fossiles, il n'en est tenu aucun compte. Il en est de même des phénomènes physiques qui ont eu lieu pendant la formation de ces dépôts, des caractères minéralo- giques des roches, de leur puissance, de leur développement géographique, des actions dynamiques qui les ont affectées, de leur métamorphisme, ete. Si ces prétendues classifications reposaient au moins sur une étude approfondie et: comparative de tous les débris orga- niques, animaux et végétaux, il en résulterait une masse de documents intéressants et utiles à d’autres égards ; mais chacun prétend établir la sienne d'après le résultat de ses recherches personnelles, avec les éléments toujours incomplets de sa spé- cialité, bornée à telle ou telle classe. C’est ainsi qu’on a cru pouvoir proposer une classification partielle avec des restes de mammifères terrestres, animaux qui n'ont pas vécu dans le milieu où se sont déposées les couches qui les renferment, qui ont été accumulés par places par des phénomènes locaux CLASSIFICATION GÉOLOGIQUE. 135 sans aucune corrélation nécessaire entre eux, toujours plus ou moins disséminés, manquant sur de grandes étendues d’une même couche et souvent dans des pays entiers. Telle est la classification exposée par M. P. Gervais (1), qui établit, avec cette seule considération, dans le terrain tertiaire inférieur de la France, trois divisions désignées par les noms de orthocène, éocène et proicène, deux dans le terrain tertiaire moyen et deux dans le supérieur, auxquelles 11 faut peut-être ajouter la période de l'homme (holocène). Classification et terminologie, l'une n'était pas plus admissible que l’autre. Il y a trente ans, une classification partielle, fondée sur un principe différent et sur une autre classe de fossiles, celle des mollusques, avait été appliquée aussi aux terrains tertiaires par MM. Ch. Lyell et Deshayes. Ces savants avaient admis qu’il exis- tait, dans les divers dépôts de cette époque, une certaine propor- tion déterminée d'espèces ayant encore leurs analogues vivants dans les mers actuelles, et que cette proportion était d'autant moindre que les couches étaient plus anciennes. Ils trouvèrent, en comparant environ 3000 espèces fossiles et 5000 espèces vi- vantes que la proportion de celles-ci par rapport à celles-là était de 3 1/2°/; dans les couches les plus basses, de 17 °}, dans celles qui venaient au-dessus, et de 55 à 50°}, dans les plus : élevées. Cette proportion devenait 90 à 95 ?/, dans les dépôts les plus récents que nous appelons aujourd’hui quaternaires. La commodité de ce moyen pour apprécier l'âge relatif d’une couche tertiaire sur un pôint quelconque frappa vivement les” géologues et les paléontologistes, et, sans qu’on se rendit bien compte de la valeur réelle du procédé, il eut un grand succès. Mais nous avons fait voir qu’il ne supportait point une analyse rigoureuse et nous reproduisons ici ce que nous avons déjà écrit à ce sujet. Il va sans dire que pour les zoologistes qui n'ad- metlaient pas qu'une seule espèce tertiaire ait son analogue dans la faune actuelle, ce mode d'appréciation était compléte- ment nul. (1). Comptes rendus de l’Acad. des sciences, vol. XXXIV, p. 516; 1852. 134 CLASSIFICATION GÉOLOGIOUF, = L = 2 « Pour mieux juger les questions de ce genre, on pour- rait les présenter sous la forme suivante : soit a le nombre des espèces connues d’un dépôt tertiaire dont on veut déter- miner l’âge ; A le nombre total ou absolu des espèces qu’il renferme ; b le nombre des espèces connues dans les mers actuelles ; B le nombre absolu de toutes les espèces qui y vivent ; € le nombre des espèces reconnues communes à à et b, ou au dépôt tertiaire et à la faune actuelle ; C le nombre absolu des espèces fossiles qui ont encore leurs identiques vivantes, Ces six quantités pourront être mises sous la &!'b © : , forme +; ,: 5 Dans ces nombres fractionnaires, tous les nu- mérateurs sont connus, mais les dénominateurs ne le sont pas, et C, qui est le nombre cherché et non pas €, quantité variable dont on se sert à tort, ne sera obtenu que lorsque les rapports + et . le seront eux-mêmes. Dans ces expres- sions, les numérateurs sont incessamment variables. Si, en effet, = par suite de nouvelles recherches il pourra devenir 5 puis D puis D et enfin, si l'on arrive à connaitre tous les fossiles du dépôt tertiaire, on aura 4 = A. Il pourra en être de même pour + mais la proportion ne croîtra pas LA El: vd Un nécessairement dans le même rapport. Ainsi, S 3 = ;5ÿ mm CS | 100 — 100 — 100 ainsi de suite. Mais peut-être n'arrivera-t-on jamais à avoir b — B, condition cependant indispensable pour avoir ce = C, c’est-à-dire le rapport exact ou le nombre absolu des es- pèces du dépôt tertiaire qui vivent encore. A cette con- dition seule, la partie numérique de la question sera réso- lue; mais il restera ensuite à apprécier les causes d'erreurs résultant de la bonne ou mauvaise détermination des es- pèces. « De son côté, M. Agassiz a également fait voir que, zoologi- quement, la méthode, en apparence si simple et si facile, des nombres proportionnels était artificielle et devait être | : b on pourra oblenir successivement L CLASSIFICATION GÉOLOGIQUE. 155 abandonnée (1). On sait de plus que, pour ce savant, aucune espèce fossile, même des formations tertiaires les moins anciennes, n'aurait son identique dans les mers actuelles (2). Ainsi la méthode serait non-seulement artificielle, mais en- core établie sur une base absolument fausse, Nous sommes loin d'admettre des assertions aussi absolues, et nous ne les reproduisons que pour faire voir le peu de solidité de certains principes sur lesquels on voudrait asseoir la géologie elle-même (5). » Ces classifications xoologiques, lorsqu'elles sont générales, ont encore des inconvénients plus graves, c’est que, l'impor- tance d’un système de couches ne dépendant ni de sa puissance ni de son extension géographique, les divers termes de la série des terrains sont tous égaux pour l'œil, et disposés en colonne linéaire continue. Par conséquent, comme nous le disions tout à l'heure, les roches sans fossiles connus y sont omises jusqu'à ce qu’on y en ait découvert. On exagère ensuite l'importance de petites couches ou de petites localités chères aux collec- teurs de fossiles, et l’on érige en étage un banc de quelques mètres d'épaisseur, connu seulement sur le territoire de quel- ques communes, et qui représente, dans la série linéaire, une unité de même valeur qu'un système de strates de 10,000 mètres de puissance répandus dans les cinq parties du globe. La classification d’Alcide d'Orbigny a tous les inconvénients inhé- rents à ce principe. Celle de G. Bronn, quoique beaucoup plus modeste, n'échappe pas non plus tout à fait à la critique. Ces classifications sont comme des romans historiques pour les- quels les auteurs empruntent à l'histoire les faits qui leur con- viennent et y ajoutent ce que leur propre fonds leur fournit. Ces deux premières sortes de classification n’ont jamais, on { = ( = ( CS R « = [ = r 2 L = LC CS (1) Iconographie des coquilles tertiaires réputées identiques avec des espèces vivantes. Nouv. Mém. de la Soc. helv. sc. nat., vol. VIE, p. 5. Neuchâtel, 1845, (2) Neu. Jahrb. 1843, p. 88. (5) Hist, des progrès de la Géologie, vol. I, p. 520, 1849. Physiques ou géométriques Dynamiques, 156 CLASSIFICATION GÉOLOGIQUE. le conçoit, produit de travaux géologiques sérieux, ni strati- graphiques ni cartographiques ; leurs applications ont pu ser- vir seulement dans quelques généralisations ; on peut y puiser des documents, mais rien de plus. L'une exagère l'importance des caractères minéralogiques ou pétrographiques, lautre celle des fossiles ; toutes deux ont le tort d’être trop exclusives. Elles ont aussi toutes deux une apparence de simplicité qui fait illu- sion au premier abord et les rend commodes dans l'applica- tion superficielle de la science; aussi les zoologistes et les minéralogistes les adoptent-ils volontiers dans leurs travaux, tandis que les géologues doivent les rejeter comme reposant sur des principes faux ou incomplets, . Une troisième sorte de classification plus rationnelle et in- finiment plus utile est celle qui repose sur l'observation di- recte du terrain, sur la détermination en place des rapports d'ancienneté des diverses roches entre elles. Elle résulte des seules considérations stratigraphiques, physiques ou géomé- triques, et exige l'étude la plus approfondie et la plus atten- tive des superposilions, des inclinaisons, des directions des couches, de tous les accidents qui peuvent induire en erreur sur leurs véritables relations. Sauf quelques méprises, quel- ques omissions, que ce genre d'observation nepermet pas tou- jours d'éviter, on doit reconnaitre qu'il est le fondement le plus solide de toute bonne géologie. Aussi ces classifications nous représenteraient-elles assez bien les chroniques du moyen âge qui demandent encore qu’une main habile, en les ulili- sant, en y ajoutant certaines considérations prises dans un autre ordre d'idées, vienne les compléter et leur imprimer un caractère plus systématique dans leur ensemble. La plu- part des travaux géologiques officiels des divers États de l'Eu- rope ont d'abord été exécutés, à très-peu près, à l'aide de ces seuls principes, et la carte géologique de la Belgique, par A. Dumont, en offre l'application la plus complète. Une idée, qui put séduire d’abord quelques bons esprits, fut de prendre pour base de la chronologie de la terre la succes- sion, supposée bien constatée, des phénomènes dynamiques CLASSIFICATION GÉOLOGIQUE. 137 qui ont accidenté çà et là, plus ou moins irrégulièrement, sa surface. Mais c'était partir d'un principe faux, car si ces mêmes phénomènes sont soumis, dans leur distribution superficielle, à certaines lois géométriques, ce qui peut être, le plus simple examen fait voir qu'ils ne sont soumis à aucune règle dans le temps, que de grandes portions de cette superficie n’en ont pas ressenti pendant des Japs de temps énorrhes, tandis que sur d’autres ils se sont répétés dans un temps relativement assez court. En outre, dans l’ordre physique pas plus que dans l'ordre ‘politique, des instants de perturbations, de troubles, de violence ne peuvent servir de dates pour une chronologie régulière, et 1l serait tout aussi illogique de vou- loir marquer les âges de la terre par les accidents que cer- taines parties de sa surface ont éprouvés, que la chronologie d’un peuple par les révolutions, les émeutes et autres cir- constances fortuites qui ont momentanément interrompu la marche de son existence normale. Ce principe n’ayant d’ail- leurs pas été exposé dans un traité méthodique ni dans une classification générale de la science, mais seulement dans des applications particulières” et accessoirement à la terminologie ordinaire, nous n’en parlons que pour mémoire. Nous sommes ainsi conduit à chercher ailleurs le principe de la chronologie de la terre, c’est-à-dire dans ce qui est ré- gulier. Comme nous évaluons le temps par le cours des astres, il faut le chercher ici dans ce quiest le produit naturel et con- stant de sa vie propre, dans la succession des phénomènes normaux de sa surface et non dans les accidents produits par des causes internes et indépendantes des lois qui HRAISeRN ESS mêmes phénomènes. Or, cétte indépendance avait été d’abord méconnue; on avait cru à une sorte de solidarité entre les accidents physi- ques qui avaient leur cause à l'intérieur et les changements survenus à l'extérieur dans les produits de la vie; il y avait entre ces deux ordres de faits, si différents quant à leur ori- gine, une apparence de relation qui pouvait séduire au pre- mier abord. Mais lorsqu'on vint à comparer les terrains des Indépen- dance des phénomènes dynamiques et biologiques. 138 CLASSIFICATION GÉOLOGIQUE. pays les plus tourmentés et les plus accidentés du globe avec ceux des pays où ils n'ont éprouvé aucune perturbation, on observa que dans les deux cas la succession des couches était parfaitement la même, et que, dans tous deux aussi, la succes- sion des corps organisés que ces terrains renferment était tout à fait comparable. Ce sera donc dans cette succession des corps organisés, dont nous verrons les espèces en rapport avec l’ancienneté re- lative des couches, que nous devrons chercher les lois natu- relles de la succession de ces dernières dans les pays les plus éloignés de ceux où nous les aurons étudiées d’abord. Nous reproduirons ici quelques passages que nous avons donnés ailleurs, et qui pourront, tout en confirmant ces vues, faire mieux sentir leur importance fondamentale pour la elassili- cation des terrains de sédiment et démontrer une fois de plus, s'il était nécessaire, l'erreur profonde où l'on est resté si longtemps sur les soi-disant rapports entre les révolutions physiques du globe et la destruction des animaux et des vé- gélaux à sa surface. « La faune d’une formation qui finit différant moins de la « faune de celle qui la suit immédiatement que de celle de « ses premiers dépôts, 1l n'y a pas de motifs suflisants pour « attribuer à une cause violente, purement physique, la diffé- « rence des corps organisés de deux formations ou sous-divi- « sions consécutives, car pendant la durée de chacune d'elles «il s’est aussi opéré des changements non moins prononcés. « Pour admettre l'influence exclusive des causes violentes « perturbatrices, il faudrait que ce fût l'inverse qui eût eu « lieu (1). | « Les intermédiaires qui viennent relier zovlogiquement « des termes géologiques fort éloignés les uns des autres, et « avec lesquels on n’est encore parvenu que rarement à faire « coïncider quelques phénomènes physiques, d’une étendue « bornée dans ün sens ou dans l’autre, montrent qüe ceux-ci (1) Hist. des pl'oyrès de la géologie, vol. V, p. 7: 1853. - AT AT ID À CLASSIFICATION GÉOLOGIQUE. 139 wentrent réellement pour rien dans le résultat général des transformations successives des types organisés ; autrement il y aurait des hiatus ou, comme on l’a dit, des lacunes ; celles que lon avait cru reconnaitre disparaissent, au con- traire, à mesure que les études paléontologiques. et strati- graphiques deviennent plus complètes. « Si les changements physiques qui ont eu lieu sur une faible étendue, soit à la surface du sol émergé, soit au fond des mers, étaient la seule cause de ceux que l’on observe daus l'organisme, on ne voit pas pourquoi ces derniers se- raient partout dans le même sens et partout aussi contem- porains et corrélatifs. « Si des soulèvements plus ou moins étendus n’ont agi que suivant des fuseaux de la sphère terrestre, après l’un quel- conque de ces phénomènes, les modifications organiques qu'il a pu occasionner ne se seront produites que dans un certain espace soumis à son influence, et, partout au delà, la faune qui existait aura continué à se perpétuer jusqu'à ce qu'un autre phénomène du même genre soit venu lui impri- mer à son tour une influence analogue. Mais cette dernière ne s’étant pas propagée non plus jusqu’à la zone modifiée par le premier soulèvement, celle-ci a dù continuer à pré- senter les caractères que ce premier soulèvement lui avait fait prendre, et ainsi de suite (1); de sorte que les faunes, considérées dans leur ensemble, au lieu de se correspondre, à un moment donné, sur tous les points du globe, et de se modifier en même temps et de la même manière, offriraient (1) Nous ne posséderons sans doute jamais les données nécessaires pour apprécier à cet égard l'influence d'un soulèvement quelconque, car il fau- drait connaitre, outre sa direction et son étendue en longueur, la surface qu'il à affectée, l'élévation à laquelle cette surface a été portée sur ses di- vers points, enfin la vitesse du mouÿément; mais il est facile de voir que son effet a dù être très-restreint, et que, relativement à la loi qui régit la succession générale des êtres organisés, cette influence est comparable à ce que nous avons dit du métamorphisme de contact par rapport au méta= morphisme en grand. (1bid., p. 5): 140 . CLASSIFICATION GÉOLOGIQUE. au géologue un enchevêtrement continuel de caractèreset de variations qui ne s'accorderaient nulle part. Que le soulè- vement se soit étendu sur tout un grand cercle de la sphère ou sur une portion seulement, l’objection reste d’ailleurs la même. « Une autre conséquence probable de l'influence exclusive qu'auraient eue les mouvements brusques et violents, c'est que, par cela même qu'elle était plus ou moins limitée, il devrait se retrouver, dans quelques-unes des mers actuelles, des représentants des formes anciennes, tels que les trilo- bites qui se seraient perpétués pendant le règne des Am- monites, des Bélemnites, des rudistes, etc., et, outre que les faunes auraient persisté plus longtemps sur un point que sur d'autres, on devrait apercevoir, comme on l’a déjà dit, des retours à des faunes antérieures, déterminés par des circonstances analogues de température, de profondeur d'eau, de courants marins, de nature du fond, ete. Mais loin de là, une formation étudiée sur les divers points où : se déposaient dans le même moment des sables, des ar- giles, des marnes ou des calcaires, offre toujours l’applica- tion de la même loi; les formes organiques ne sont nulle part interverties, et, sans être spécifiquement identiques, les types principaux, ou le facies, en un mot, de la base, du milieu et des derniers dépôts de cette formation, sont partout comparables. « Ainsi les formes qui ont une fois disparu ne se montrent plus; leur rôle est accompli ; elles font place à d’autres qui disparaissent à leur tour, et si Linné a dit avec raison : Natura non facit saltus, on peut dire également: Non retroit natura. Nous voyons ces types naître, se développer, puis s'éteindre en même temps, sous Loutes les latitudes, sous tous les mé- ridiens, ou seulement influencés, dans les périodes les plus récentes, par des zones isothermes plus ou moins compa- rables à celles de nos jours. Mais que les couches soient concordantes sur des épaisseurs de huit à dix mille mètres, « comme dans l'Amérique du Nord, ou que celles du même CLASSIFICATION GÉOLOGIQUE. 141 « âge nous offrent des discordances à divers niveaux, comme dans l'ouest de l’Europe, qu’elles soient horizontales comme «en Russie, ou bien redressées, plissées, tourmentées de « mille manières, comme en Belgique et dans les Iles Britan- « niques, les changements survenus dans les animaux, depuis « la faune silurienne jusqu'aux derniers sédiments carboni- « fères, n’ont été ni plus lents ni plus rapides ; toujours et « partout la nature organique semble avoir marché du même « pas, insouciante en quelque sorte de ces accidents de l’é- « corce terrestre qui, quelque grands qu’ils nous paraissent, « ont été cependant trop faibles Le l'atteindre, trop limités « pour troubler ses lois. 2 « Si, d'une part, les données géométriques, accumulées « chaque jour, puis fécondées et systématisées par de sérieuses « méditations et d’élégantes formules, viennent ouvrir un O « nouvel et vaste horizon aux spéculations les plus élevées sur « la physique du globe, de l’autre les données paléontolo- « giques se multiplient également, et, sans suivre une direc- « tion parallèle et concordante, viennent prouver l'indépen- « dance générale des deux ordres de phénomènes. Or les « résultats paléontologiques paraissent être ceux dont la con- « stance et l’universalité ont le plus contribué à établir la re- « lation des dépôts dans l’espace et leurs différences dans le « temps. « Sans doute des soulèvements et des abaissements fort « lents de portions plus on moins étendues du fond des mers, « des’ changements de direction des courants, modifiant la « température et les sédiments, ainsi que d’autres causes lo- « cales extérieures qui agissent encore sous nos yeux, quoique « difficilement appréciables, vu le peu de durée des termes « de comparaison dont nous disposons, ont apporté des chan- -« gements corrélatifs dans les êtres organisés; mais, s’il n°y « avait pas eu un principe indépendant de ces mêmes causes. « séculaires, il en serait résulté, comme des causes instan- « tanées dont nous venons de parler, que les familles, les « genres, les espèces même auraient pu se perpétuer indéfi- 1; 10 Classification méthodique. 142 CLASSIFICATION GÉOLOGIQUE. « niment par des déplacements ou migrations, tantôt sur un « point, tantôt sur un autre, et, comme depuis le premier dé- « veloppement de l'organisme il y a toujours eu des eaux à la : « surface du globe, les familles, les genres et les espèces n'au- « raient pas été successivement remplacés-dans le même ordre, «et pour ainsi dire en même temps, de telle sorte qu'à un « moment donné les diverses mers nourrissaient des animaux & comparables. «Il semble donc, en résumé, que les phénomènes phy- « siques, soit lents et graduels, soit brusques et d'une grande « énergie, qui n'ont cessé de modifier le relief de la terre, «ayant été locaux, rrréguliers et accidentels, ont amené « parmi les êtres organisés des changements très-bornés aussi, « dont on peut souvent tracer encore les limites et déter- « miner le plus ou moins d'importance, mais qu'ils m'ont « pu être la cause des modifications continues, régulières et « générales qu'ont éprouvées ces mêmes êtres depuis les pre- « miers âges géologiques jusqu'à nous, qui voyons se dé- « velopper, non pas sans doute le dernier terme de cette « longue série, mais celui que l'accroissement particulier de « l'espèce humaine devait caractériser. » Enfin la dernière sorte de classification, qui sans doute doit être regardée comme l'expression la plus approchée de la vé- rilé, est celle dans laquelle on emploie, non pas tel ou tel principe à l'exclusion de tel autre, mais tous les éléments fournis par l'examen direct du sol. Ces classifications apportent avec elles, comme preuve de leur exactitude, des coupes strati- graphiques naturelles, nombreuses, détaillées, verticales et ho- rizontales, indiquant les rapports des couches d'un pays pris comme terme de comparaison, puis des cartes géologiques montrant l'étendue superficielle des divisions établies par les coupes, et en dernier lieu des listes de fossiles indiquant leur distribution dans chaque couche, et par conséquent la nature et l'importance des rapports de celles-ci, de même que les motifs qui doivent déterminer le géologue à les réunir ou à les séparer. C’est ce qu'on pourrait appeler, pour suivre le même CLASSIFICATION GÉOLOGIQUE. 145 ordre de comparaison, la classification méthodique ou l’histoire critique et philosophique de la terre. En résumé, toute classification géologique établie sur un seul principe soit minéralogique, soit paléontologique, soit physique où dynamique, restera toujours incomplète en un point ou en un autre de ses applications. _ Les quatre divisions que nous avons vues établies d’abord, dans la série géologique des terrains, devinrent bientôt insuffi- santes par suite des recherches multipliées qui obligèrent d'y in- troduire des sous-divisions de plus en plus nombreuses, de sorte que les mots {errains primitifs, de transition, secondaire et tertiaire ne durent plus être regardés que comme des cadres ou divisions de premier ordre que l'on pouvait conserver sans inconvénient, parce qu'ils permettaient autant de sous-divi- sions que l’exigeaient les besoins des nouvelles découvertes. En laissant ici de côté les roches dites primitives, soit grani- loïdes, soit porphyroïdes ou schisteuses, toujours plus ou moins cristallines, les produits ignés de divers âges, et ne considérant que les roches d’origine sédimentaire, certaines, renfermant ou non des débris organiques, on peut disposer ces dernières, soitsur une seule colonne, les unes au-dessous des autres en série con- tinue dont tous les termes sont supposés égaux, soit au contraire réunies ou associées suivant leurs rapports naturels. Ces assocta- tions sont sous-divisées elles-mêmes tantôt sur un point, tantôt sur un autre, d'après leurs caractères stratigraphiques, pétro- graphiques ou paléontologiques prédominants. Cette dernière disposition dichotomique des terrains en divisions de second ordre appelée formations, puis de celles-ci en groupes et de ces derniers en étages, établit avec les classifications des autres sciences naturelles une analogie d'accord avec les faits et qui ne force aucune des relations observées dans des pays diffé- rents. En outre, l'introduction d'un nouveau terme à tel ou tel niveau ne change rien à l’ensemble du reste, tandis que dans une série linéaire il trouble toute la série, soit au-dessus, soit au-dessous. Cette dernière d’ailleurs n’est qu’une abstraction qui pouvait venir seulement à l'esprit d’un paléontologiste, exa- Classification adoptée. 144 NOMENCLATURE OU TERMINOLOGIE. gérant l'importance des fossiles aux dépens de tous les autres caractères et sans s’apercevoir qu'il donnait de la série géolo- gique, non pas une représentation naturelle ni méthodique, mais une véritable caricature dans laquelle la butte Mont- martre par exemple, se trouve égaler le mont-Blanc ou, ce qui revient au même, le calcaire grossier de Paris représente une unité aussi bien que le système carbonifère ou le système silurien, Les anciennes classifications de MM. A. Boué, Alex. Bron- gniart, d'Omalius d'Halloy, Conybeare, de la Bèche, Lyell, ete., reposent toutes sur le principe dichotomique, comme celles de la carte géologique de la France, de la nouvelle carte géolo- gique d'Angleterre, des cartes de l'Allemagne, de PAmé- rique du Nord, etc. C'est aussi celle que nous avons adoptée nous-même depuis longtemps, et que nous n'avons aujourd’hui aucun motif pour changer. $ 2. Nomenclature ou terminologie. De même que nous venons d'indiquer les principes sur lesquels reposent les différentes classifications géologiques, de même nous dirons ici quelques mots des nomenclatures ou termino- logies destinées à les exprimer et qui sont encore plus variées. « Au moyen âge, avons-nous dit (1), la chimie naissante, « sous le nom d’alchimie, avait donné aux métaux les noms « des dieux de la mythologie, et l'astronomie les avait reportés « dans le ciel pour désigner les planètes et les constellations ; « de même aussi les premiers géologues classificateurs voulu- « rent faire descendre une seconde fois tout l'Olympe sur la « terre. Mais le temps des allégories est passé; laissons le vieux « Saturne ainsi que ses enfants et leur gracieux cortège de « nymphes et de tritons; une science dans l’âge mür’ doit «éviter d'employer des expressions symboliques quelque in- génieuses qu'elles soient. » 2 (1) Hist, des progrès de la géologie, vol. I, Introduction, p. xvn; 4847. NOMENCLATURE OÙ TERMINOLOGIE. 145 Nous avons vu qu'à la fin du dernier siècle les deux partis qui divisaient la géologie théorique s'étaient rangés, l'un sous le sceptre de Pluton et adoptait aussi le patronage de Vuleain, l'autre sous le trident de Neptune. Par suite on avait donné et l'on donne encore le nom de roches plutoniennes où vulea- niennes à celles dont on attribuait l'origine au feu, et le nom de roches neptuniennes à celles qui se sont déposées sous les eaux. Mais ce fut plus tard qu'Alex. Brongniart, convoquant pour ainsi dire tout l’Olympe à ses travaux de paléontologie et de géologie et parcourant en divers sens le Jardin des racines grecques, donna la nomenclature à la fois la plus mythologique -etla plus hellénique. Ces emprunts faitsà un autre ordre d'idées et à une langue ancienne ne pouvaient servir que pour les di- visions ‘le premier, de second et de troisième ordre; pour celles d'un moindre degré, mais les plus importantes, parce qu'elles étaient les plus réelles, 1l fallait en revenir aux dénomi- nations vulgaires, minéralogiques, pétrographiques ou autres, déjà consacrées, de sorte que le cadre seul était empreint d'une certaine harmonie par ses éléments étrangers à la science. Tout le reste était parfaitement discordant et hété- rogène, écueil contre lequel sont aussi venues échouer toutes les tentatives faites depuis. Cette terminologie, un peu pré- tentieuse, eut en France un pelit nombre d'imitateurs contem- porains, mais au dehors elle n'eut aucun succès. . Les terminologies formées seulement de racines grecques, dans des vues systématiques d'harmonie, de consonnance des mots employés soit dans le sens propre, soit dans un sens figuré, avec tout autant de prétentions à la symétrie, ne sont ni plus heureuses, ni plus exactes, ni plus commodes. Elles intro- duisent sans aucune nécessité, dans la science, des mots d’une langue où l'on n'en trouve aucun qui s’y rattache ou qui ait ja- mais été employé dans le sens qn’on lui attribue. Les géologues anglais ne sont pas, à cet égard, restés en arrière de ceux du con- tinent, et ils ont apporté, à diverses reprises, des réminiscences de leurs études classiques dans le domaine de la géologie. Vers 1850, sir Ch. Lyell, persuadé que le terrain tertiaire Examen des diverses terminologies 146 NOMENCLATURE OU TERMINOLOGIE.- représentait une période qui n'avait rien de commun avec tout ce qui l'avait précédé, en considéra la partie inférieure comme l'aurore d'un nouveau jour et lui imposa le nom d'éocène (au- rore récente); sa partie moyenne reçut le nom de miocène ou de moins récente, et la partie supérieure celui de pliocène ou plus récente. Le sens de ces expressions était aussi en rapport avec la proportion supposée des espèces de coquilles fossiles, qui dans chacune de ces troisdivisions avaient encore leurs analogues vivants. Mais l’un des inconvénients de cette nomenclature par tielle s'est bientôt révélé ; elle s'est trouvée incomplète ; des dépôts plus récents encore ont été reconnus; il a fallu dédou- bler le mot pliocène et forger les expressions hybrides de vieux pliocène, de nouveau pliocène, en les couronnant d'un post- pliocène, qui toutes répugnent au bon sens commé*au bon goût. D'ailleurs où était l'utilité d'une prétendue nomenclature systématique qui ne se rattache à rien de ce qui est au-dessous, et ne sert qu'à rendre plus choquante ou plus hétérogène encore ” la classification générale dans laquelle on l'intercale ensuite. C'est aussi en Angleterre ou du moins par un célèbre géo- logue de ce pays, sir R. I. Murchison, que le mot azoique (dé- pourvu où privé d'animaux) à été introduit en l'appliquant aux roches sédimentaires les plus anciennes dans lesquelles onn’a- : vait pas trouvé de fossiles, Mais d'abord ces roches pouvaient renfermer des plantes, ce qui rendait le sens du mot sinon inexact, du moins contraire à l’idée qu'on y attache générale- ment; ensuite il était possible qu'on vint à y découvrir des restes d'animaux, et alors il devenait complétement faux ; enfin, une expression impliquant un caractère négatif, qui peut ces- ser d'être vrai d'un moment à l’autre, et qui en outre peut s'appliquer avec tout autant de raison à une roche d'un âge quelconque, ne peut pas être assignée à un système de couche en particulier sous peine de confusion ou d'erreur manifeste. . Mais M. Dana (1) a poussé plus loin à cet égard le dédain de toute logique car il dit : The term « axoic » as here used im- (1) Manual of Geology, p. 145: 1865. NOMENCLATURE OU TERMINOLOGIE. 147 plies absence of life but not necessarily of the lowest grades, supposant d’abord que l'expression axoïque signifie absence de la vie, et admettant ensuite la possibilité que des organismes inférieurs, soit végétaux, soit animaux aient existé pendant ces dépôts axoïques. D'ailleurs on peut dire, en principe, qu'un caractère négatif est toujours mauvais, puisque c'est l'absence même de caractère, Un mot qui à prévalu aussi, appuyé sur l'autorité de lémi- nent auteur du système silurien, est celui de palæozoïque (ani- maux anciens, et non organismes ou éfres anciens, comme on le traduit quelquefois). Cet adjectif ajouté au mot terrain com- prend l’ensemble des dépôts que nous continuons de désigner par lexpression de terrain de transition ou intermédiaire. Tout adjectif, pour être admis dans une nomenclature, doit pouvoir être joint aux divers substantifs qu’elle renferme ou peut renfermer ; or, si l’on peut dire une roche ou une couche palæozvique, c’est-à-dire renfermant des animaux anciens, on ne peut pas dire une plante palæozoique; ce serait un non-sens; or, la flore en général, comme tous les végétaux en particulier du terrain de transition, se trouve dans ce cas. M. J. Phillips, adoptant le même mot et voulant rendre plus uniformes les autres grandes divisions, compléta la série dans le même sens en proposant le mot mésozoïque (animaux de milieu) au lieu de secondaire, et celui de cainozoïque (animaux récents) au lieu de tertiaire, que M. Dana a changé récemment en cénoxoïique. Or, ces mots sont sujets à la même objection que palæoxoïique, parce qu'ils ne sont pas applicables aux restes des végétaux de ces deux terrains et qu’on ne peut pas plus dire une plante des animaux récents qu'une plante des animaux anciens; aussi ont-ils été changés par Bronn en pa- læolithique, mésolithique et cénolithique, qui sont certainement plus exacts dans l'application. En Allemagne, indépendamment des dénominations locales et suffisamment justifiées que nous y avons vues naître, on a in- troduit plus récemment les mots oligocène et névgène, le pre- mier appliqué par M. Beyrich à la base du terrain tertiaire 148 NOMENCLATURE OU TERMINOLOGIE, moyen, le second par les géologues de Vienne par opposition à -éocène, ce qui est au-dessus de cette dernière formation et qui se divise en ancien et nouveau néogène (dlteren und jüngeren neogenen Bildungen, Naum.). C'est le néocène, Bronn. En résumé, on voit que ces essais de terminologie avec des racines grecques n’ont pas été faits avec toute l'attention néces- saire pour entrer dans un travail scientifique, méthodique ét ra- tionnel, où chaque mot doit exprimer nettement la pensée, être toujours à sa place et construit suivant les règles de la gram- maire. Lors même que ceux que nous venons de rappeler àu- raient ces avantages, ils seraient encore inutiles, puisqu'ils ne font qu'augmenter le nombre des synonymes qui existent déjà, et accroître la confusion sans remédier à aucun des inconvé- nients actuels (1). L'un des plus éminents géologues des États-Unis, M. I. D. Ro- gers, a divisé en quinze parties la série des dépôts de transi- tion de la Pennsylvanie en leur assignant des noms qui indiquent les divers moments de la journée ou le cours du soleil depuis primal, auroral, matinal, levant, surgent, ete., jusqu'à seral, qui désigne le terrain houiller; de sorte que, dans cette nomen- clature allégorique, la plus luxuriante végétation qui ait peut- être jamais couvert la terre aurait vécu précisément après le coucher du soleil. Les terminologies dans lesquelles on emploie des noms de lieux pour désigner certains termes de la série géologique sont sans doute préférables aux nomenclatures mythologiques, grec- (1) On peut citer, comme un exemple de cette logomachie polyglotte, l'en- semble de dépôts que nous continuons à désigner sous le nom de formation lertiaire moyenne, et dans lequel on peut élablir toutes les divisions qu'exige. chaque localité. La formation miocène, simple d'abord, pour M. Lyell, se divisa bientôt en inférieure, moyenne et supérieure; pour ses successeurs, elle représente les étages tongrien et falunien d’'Ale. d'Or- bigny, dont l'un devient l'oligocéne pour M. Bevrich, l'autre restant mio- cène. Ge dernier se transforme, pour un géologue suisse, en Tongrien, Aquitanien, Mayencien, Helvétien et OŒningien. Les mêmes dépôts ont été compris aussi dans les dénominations de mollasse, de néogène, de néo- cène, et ainsi de suite. NOMENCLATURE OU TERMINOLOGIE. 149 ques et allégoriques, pourvu que ces noms de pays ne s’appli- quent qu’à des divisions ou sous-divisions d'une certaine im- porlance et qui n'auraient pas encore été désignées autrement; mais, comme on l'a dit depuis longtemps, les expressions les plus insignifiantes sont souvent les meilleures. Aux inconvénients que nous avons déjà signalés dans les classifications linéaires, il s’en joint ordinairement un autre qui résulte de ce que à chaque terme de la série, désigné par une dénomination locale ou autre, on ajoute un numéro d'ordre de { à x, ce qui empêche toute intercalation ultérieure d’un nouveau terme dans la série, sans déranger la numération de ceux qui sont au-dessus ou au-dessous. La classification proposée par Alc. d’Orbigny en est un exemple. Il en est de même des nomenclatures alphabétiques dans lesquelles les divisions sont désignées par des lettres au lieu de chiffres, ainsi que l'a fait M. Barrande pour les terrains anciens de la Bohême. Car aucun nouveau terme ne peut être inséré non plus entre deux lettres consécutives sans qu’on ait recours à ces artifices de notation, exposants ou autres, qui jettent de suite de la confusion dans la ‘terminologie générale et sont une cause fréquente d'erreurs. D'ailleurs, si une classification est étendue et un peu détaillée, elle exigera plus de signes qu'il n'y a de lettres dans l'alphabet et le même inconvénient se reproduira. La disposition dichotomique que nous avons vue générale- ment adoptée et avec toute raison exige encore que l’on se rende compte de la valeur et du sens des mots qui expriment les diverses associations de sujets, sans quoi il en résulte une confusion ou des non-sens fort étranges, comme ceux-ci, que nous trouvons dans le tableau du Manuel de M. Lyell (1). La série des couches fossilifères y est divisée en deux grandes classes : Palæozoïque et Néozoïque (animaux anciens, animaux nouveaux ; on doit supposer qu'il y a un substantif sous-en- tendu : formation ou terrain renfermant des...). Si nous con- sidérons seulement le terrain néozoïque, nous verrons qu’il (1) Manuel de Géologie élémentaire, wad. française, vol. [, p.175, 1856. 150 NOMENCLATURE OU TERMINOLOGIE,. se divise en mésoxoïique et cainozoïque, c'est-à-dire que le terrain renfermant des animaux nouveaux se divise en deux autres termes, l'un à animaux moyens, l'autre à animaux ré- cents. Ce terme à animaux récents comprend à son tour quatre termes, désignés par de simples adjectifs : éocène, aurore ré- cente ; miocène, moins récente; pliocène, plus récente, et post- tertiaire; enfin, ces quatre termes -en renferment huit äutres, qui sont les huit premières unités géologiques de la série, et composés de ces mêmes mots auxquels sont ajoutés, soit avant, soit après, une préposition ou des adjectifs qui indiquent leur âge relatif ou leur position relative. Conçoit-on une succession de mots dans laquelle aucun d'eux n'est compris dans celui qui le précède ou qui le suit, et qui sont associés de manière à ne présenter aucun sens lorsqu'on vient à les mettre les uns au bout des autres pour saisir leurs rapports. Que dirait-on d'un botaniste ou d'un zoologiste qui remplacerait les mots classe, ordre, famille, genre et espèce par des expressions sans aucune relation quant à leur sens propre, ni quant à leur sens figuré, et qui ne présenteraient aucun ordre les uns relativement aux autres ? Le Traité de Géognosie de M. F, Naumann, précieux par le choix comme par le nombre des matériaux qui y sont con- densés, est aussi le plus complet que la science possède relati- vement à la classification et à la terminologie ; ou pourrait même dire qu'il est trop complet, car, après avoir conservé comme base générale celle de Werner et laissé dominer dans tout le cours de l'ouvrage la nomenclature allemande dont les éléments ont été introduits successivement, l'auteur y a ajouté un certain nombre de dénominations nouvelles qui lui sont pro. pres et a employé, en traitant des pays étrangers à l'Allemagne, celles qui y ont été proposées à diverses époques ; de sorte que le Lehrbuch der Geognosie représente en réalité toutes les elas- silications et les nomenclatures de quelque importance intro- duites dans la science depuis quatre-vingts ans (1). (1) Nous avons, il est vrai, suivi cette marche dans quelques parties de NOMENCLATURE OÙ TERMINOLOGTE. LP Ce n'est point, on le conçoit, résoudre la question, c’est l’é- luder. Quoique le savant professeur ait procédé avec beaucoup d'attention dans l’'énumération des faits, qu'il ait comparé avec infiniment de soin les divers horizons partout où ils ont été si- gnalés, il n’en doit pas moins résulter pour les élèves, auxquels le livre est naturellement destiné, les plus grandes difficultés à suivre la description de chaque sujet qui change de nom en passant d’une région dans une autre. Le géologue instruit lira sans doute l'ouvrage de M. Naumann avec beaucoup d'intérêt et de fruit, mais cela ne suffit pas; un traité a une autre mis- sion qu'il ne peut accomplir qu'àla condition d’être simple et clair dans son style, méthodique et naturel dans l'arrangement des idées et des faits (1). l'Histoire des progrès de la géologie; mais, outre que cela nous est arrivé très-rarement, notre excuse se trouvait dans le but et la nature même de notre travail, (1) Remarquons en passant que la plupart des traités de géologie sont rédigés sous deux influences qui n'ont rien d'éclectique et qui les rendent généralement inférieurs à ceux des autres sciences. Ils sont écrits suivant * les idées ou la direction particulière des études de l’auteur, puis d’après les caractères géologiques dominant des pays où ils sont publiés. C’est ainsi qu'un traité de géologie italien, suisse, allemand, belge, français, espagnol, anglais ou américain portera l'empreinte du pays où il est né, et cela au dé- triment de la science des autres parties du globe; il est destiné à l'usage de telle ou telle localité et à répandre les opinions ou les découvertes per- sonnelles de l’auteur et de ses amis. Nous pourrions citer bon nombre d'exemples de ces soi-disant Traités, Manuels, ete., où ce petit système est poussé jusqu’à ses dernières limites, où la surface de la terre est absorbée dans la description sommaire de quelques centaines de myriamètres carrés et où la science des géologues des cinq parties du monde se trouve concentrée dans une seule tête, celle de l’auteur. Nous ajouterons, pour ne pas cesser d'être juste, que, relativement aux Traités de géologie et eu égard à l'état général de la science, la France est aujourd'hui au-dessous de ce qu’elle était il y a vingt- cinq et trente ans, et qu'elle est fort en arrière de ce qui a été publié dans ces derniers temps en Allemagne, en Angleterre et en Amérique. IL va sans dire qu'il n’est point ici question de ces productions hybrides, si nombreuses de nos jours, dont les auteurs, sans avoir fait aucune étude pratique sérieuse des sciences dont ils parlent, montrent néanmoins une assurance qui impose aux lecteurs peu instruits sur ces matières et répan- dent ainsi des idées fausses, souvent contradicloires ou incomplètes. . Terminologie adoptée. 152 NOMENCLATURE OU TERMINOLOGIE. La diversité des points de vue a sans doute de graves incon- vénients, comme on vient de le dire, mais chacun d'eux repose au moins sur une donnée scientifique dans chaque sorte de classification, tandis qu'il y a une source.d'erreurs qui n’a réel- lement aucune excuse possible. Elle consiste à se servir tantôt d'expressions et de mots différents, mais non équivalents ni synonymes, si ce n'est peut-être dans la pensée de l’auteur, pour désigner une même chose ou une mème idée, d'ailleurs bien déterminée, tantôt de la même expression ou du même mot pour des choses ou des ordres d'idées tout à fait distincts. Nous prendrons pour exemple le mot terrain, qui est un de ceux dont on a le plus étrangement abusé. Ainsi, dans le même ouvrage, on lira tantôt le terrain jurassique, tantôt la formu- tion jurassique; plus loin, le terrain secondaire, puis le terrain corallien, et enfin ce même mot appliqué à une couche acciden- telle de quelques mètres d'épaisseur et de quelques kilomètres d'étendue, Plusieurs personnes emploient le pluriel et disent les terrains jurassiques, ce qui n’a plus de sens. Nous pourrions en citer enfin qui, après avoir divisé le terrain jurassique en formations, et les formations en étages, subdivisent de nouveau ces étages en terrains! Que penserait-on de l'esprit philoso- phique d'un zoologiste ou d’un botaniste qui se servirait du mot classe, tantôt au pluriel, tantôt au singulier, ici dans son ac- ception la plus large, là pour les mots ordre, famille, genre et même espèce, et qui dirait indifféremment les ordres des qua- drumanes, les ordres des chéiroptères, ete., ou bien la classe des mollusques, l'ordre des brachiopodes, le genre Térébratule et la classe de la Terebratula biplicata? On voit combien sont méconnus par les géologues les principes les plus élémentaires ” de la méthode, puisqu'on donnerait ainsi à une fraction, quel- quefois infiniment petite, non-seulement la même valeur qu’à l'unité, mais encore qu'à un multiple de l'unité. Le langage géologique ne semble pas devoir prétendre de longtemps à la régularité systématique des terminologies zoolo- _giques et botaniques, étant composé de mots tirés de la plu- part des langues modernes, de noms de localités, d'expressions » L à L imhdions NOMENCLATURE OU TERMINOLOGIE. 153 techniques on même populaires, sans étymologie connue, et qui ne pourraient être remplacés par d’autres sans de graves inconvénients. Aussi nous sommes-nous borné à faire un choix dans ce qui existe déjà et à rendre la nomenclature la plus simple possible en employant les mots les plus usités, les plus vulgaires même, soit français, soit étrangers, où techniques, rejetant la plupart des expressions tirées de la mythologie ou des langues anciennes, les associations hybrides de prépositions latines avec des noms modernes, les adjectifs dérivés de sub- stantifs, les substantifs formés à leur tour aux dépens des ad- Jectifs, et la plupart de ces mots introduits chaque jour sans nécessité, puis adoptés sans réflexion. Aussi pourrions-nous dire avec un savant botaniste qui con- tüinue noblement le nom glorieux qu'il porte : « Une satisfaction « que j'ai éprouvée a été de n’introduire aucun terme nouveau. « Bien plus, il m'a été possible de renoncer sans inconvénient « à deux ou trois expressions techniques dont je m'étais servi « autrefois, et je l'ai regardé comme un progrès (1). » Nos divisions principales se rapporteront aux mots roche, terrain, formation, groupe et étage, qui auront chacun un sens fixe et déterminé, indiquant des sous-divisions de moins en moins importantes. Les mots assise, couche ou nappe, banc ou strate et lit exprimeront de même des sous-divisions du mot étage. Afin d'éviter des répétitions trop fréquentes, le mot épo- que sera synonyme de terrain, ou employé dans un sens plus restreint pour désigner le temps pendant lequel s’est formé un ensemble de couches déterminées; 1l en sera de même du mot série. Système et période seront synonymes de formation. Le mot dépôt sera pris dans une acception générale pour désigner la réunion des couches qui se sont produites pendant une épo- que, une période, ou bien dans un espace limité. En résumé, dans cette nomenclature, l'écorce minérale du globe comprend deux classes de roches : les roches sédimen- (1) Alph. de Candolle, Géographie botanique raisonnée, vo). I, préface, p. xvin; 1899. 154 CLASSIFICATION GÉOLOGIQUE GÉNÉRALE. taires et les roches ignées ou pyrogènes. Les roches de sédiment se divisent en six terrains, qui sont les terrains moderne, qua- ternaire, tertiaire, secondaire, intermédiaire ou de transition, et primaire. Chaque terrain ou époque se subdivise en forma- lions, systèmes ou périodes, les formations en groupes, et ceux-ci en étages (1). Enfin l'étage a pour sous-divisions les assises, les couches ou nappes, les bancs ou strates et les lits. Les roches ignées sont aussi classées d’après leur âge, connu ou présumé, et leurs caractères minéralogiques. Ainsi la classification et la terminologie géologiques que nous adoptons, réduites à leur expression la plus simple, seront re- présentées de la manière suivante. CLASSIFICATION GÉOLOGIQUE GÉNÉRALE, — TERRAINS FORMATIONS ; ou ou GLOUPES, ÉTAGES. * ÉPOQUES. PÉRIODES. LA moderne, quaternaire. sens moyenne. inférieure. tertiaire. . |_crélacée. .{ Jurassique. triasique. permienne. REG e À carbonifère. secondaire. ROCHES SÉDIMENTAIRES dévonienne, silurienne. cambrienne (provisoire). de our granite, gneiss, micaschistes (anciens), ete. ; roches volcaniques et éruptives de tous les âges. ROCHES rimaire. IGNÉES p (1) Quelques auteurs divisent les éfages en groupes, ce qui nous paraît former un contre-sens Cvident; car le mot étage ne renferme aucune idée collective ou de pluralité, tandis que le mot groupe exprime, au contraire, la réunion de plusieurs unités dont la valeur doit être aussi déterminée, CHAPITRE IV ÉPOQUE MODERNE Quoique nous soyons loin de penser avec certains géologues que les phénomènes organiques et inorganiques qui se pas- sent sous nos yeux puissent jamais, quelque prolongée qu'on suppose leur action, expliquer tous ceux qui ont eu lieu pen- dant les époques géologiques et tous les effets qui s’y sont produits, nous devons cependant reconnaître que l’étude des causes et des résultats actuels est la base la plus sûre que nous ayons encore pour l'explication rationnelle du passé. Mais c'est seulement depuis que cet examen sérieux du pré- sent a pris une direction convenable pour atteindre ce but que l'on a su apprécier, dans chaque fait observé, les circonstances qui pouvaient le rattacher à un fait analogue ayant laissé des traces dans les époques anciennes. Cette tendance à relier les phénomènes de nos jours à ceux qui les ont précédés, non d'une manière hypothétique et vague comme on à vu que cela avait eu lieu pendant longtemps, mais par suite de l'analyse comparative des uns et des autres, est une de celles qui ca- ractérisent le mieux la science moderne. Nous devons donc chercher à nous initier le plus possible à ce qui se passe au- tour de nous pour remonter ensuite par les lois d’une saine analogie à l'intelligence de faits depuis longtemps accomplis. Le tableau ci-joint indique les divers sujets ou phénomènes qui constituent pour nous le terrain moderne, et il montre 156 ÉPOQUE MODERNE. quels sont leurs rapports mutuels. Ils se rangent dans deux grandes classes, dont l’une comprend les produits des causes qui agissant directement à la surface de la terre tendent à la modifier, et l’autre embrasse les phénomènes qui ont leur source au-dessous de cette même surface. A Les phénomènes dont l'origine est à la surface du d globe donnent lieu à des pro- duits TERRAIN MODERNE. B Les phénomènes dont l'origine est au-dessous de là surface du globe donnent lieu à des produits ou à des e‘fets seulement = +. Inorganiques. . 1./?- Almosphéri- 5. ques el ter- 4. restres.. . . . 5. Organiques. .. JE, 1 Aqueux et soli- ( l des....... IL} 2. 15. l Lacustres, flu- [ viatiles ou d'eau douce. Organiques. . . V. Marins ou ense- Inorganiques.. . VI. velis sous les sédiments de la mer. ., .. \ Organiques. , Gazeux, bitu- mineux et boueux. . ., _ "\Aqueux.. . ... Volcaniques, . . 111. | L2 . IV. 1. passe 1. . Influence de l'atmosphère sur les roches, et résultats de leur altération. Chutes de poussière. Fulgurites. Terre végétale. Éboulements, glissements e débäcles. à .Guano,cuica.Kjokkenmüddings, habitations lacustres, monu- ments en terre. . Glace. Glaciers. Glaces floltantes. Dépôts des lacs d'eau douce. Dépôts des lacs salès et des mers intérieures. Alluvions des rivières et des torrents. . Action des cours d’eau sur les roches. . Tourbes et marais tourbeux, Bois charriés par les fleuves. . Marnes coquillières, Diatomo- cées siliceuses et Cypridées. . Affaissements des côtes. . Alluvions marines et bancs de sable. . Grès et ca'caires. . Dunes. . Deltaset alluvions des rivières qui les produisent . Cordons littoraux. . Dépôts coquilliers. . Iles et récifs de polypiers. Marnes à rhizopodes et cistinés. par- . Forêts sous-marines. . Gaz inflammable, lagoni,naph= te, pétrole, salses, etc. Sources minérales et ther- males. | . Tufs et travertins. Yolcans modernes ou brè= lants. Diatomacées siliceuses. Tremblements de terre. Soulèvements el abaissements contemporains. DISTRIBUTION DES VERTÉBRÉS TERRESTRES. 157 Ces deux divisions correspondent aux deux classes de roches du Tableau général, parce qu'à toutes les époques il y a eu des produits de deux sortes et d'origine distincte ; il y a eu des phénomènes internes et des phénomènes externes ; seulement l'activité des premiers s’est de plus en plus ralentie et celle des seconds s’est exercée sur un champ de plus en plus vaste. Les produits de la première classe sont, suivant leur ori- gine, atmosphériques, terrestres, lacustres ou d'eau douce et marins ; puis ils se subdivisent en produits inorganiques et organiques, et ces derniers en produits animaux et végétaux. Ceux de la seconde classe sont en général inorganiques ; leurs causes échappent encore à l'observation directe ; aussi ont-ils été l’objet de nombreuses hypothèses. Nous n'aurons à traiter dans ce tableau que les sujets qui se rattachent au règne organique et auxquels nous donnerons nécessairement plus de développement que dans un cours de géologie. $ 1. De la distribution des vertébrés terrestres. L'étude de la distribution des êtres organisés, à la surface des terres émergées et dans les eaux, doit, on le conçoit, pré- céder celle des produits de ces mêmes êtres qui concourent par leurs détritus à la formation et à l'augmentation de la croûte du globe. Il est nécessaire de connaître le degré d'in- fluence qu'exercent aujourd’hui les causes physiques sur la répartition des animaux et des plantes pour en déduire leur plus ou moins d'importance à cet égard ; et comme ces sujets n'ont guère été traités jusqu’à présent, pas plus dans les livres de géologie que dans ceux de paléontologie, qu'ils ne le sont même dans ceux de zoologie et de botanique que d'une ma- nière très-accessoire et nullement au point de vue qui nous intéresse, nous essayerons de les rassembler, de les grouper, de les interpréter ensuite, pour en déduire, s’il est possible, quelque principe, quelque loi d’une application générale. 11 Idées de Bufton. 158 ÉPOQUE MODERNE. L'idée que les êtres organisés ne sont pas distribués au ha- sard à la surface de la terre et que tous ne se trouvent point partout exigeait des connaissances préalables assez étendues qui ne sont venues que très-tard, et lon conçoit qu'elle a dû porter d’abord sur les animaux les plus élevés, sur les mam- mifères. Buffon paraît être le premier qui se soit occupé de ce sujet d'une manière systématique, en présentant une esquisse de zoologie géographique des animaux de cette classe. On voit, dit-il, que les espèces de nos animaux domestiques d'Europe et les plus grands animaux de l’Afrique et de l'Asie, l'Éléphant, le Rhinocéros, l'Hippopotame, le Chameau, le Dro- madaire, le Lion, le Tigre, la Panthère, l'Hyène, le Chacal, la Genette, la Civette, le Rat, etc., n'ont pas été rencontrés dans le nouveau continent, et il en est de même des Gazelles, du Chamois, du Buflle, du Bouquetin, du Chevrotin, du Lapin, du Furet, etc. Puis il oppose à cette faune de l’ancien continent celle du nouveau, qui comprend le Tapir (à l’époque de Buffon, le Ta- pir de l'Inde n'était pas connu), le Cabiais, le Paresseux, le Lama, le Jaguar, le Conguar (Puna), et met également en re- gard les singes des deux continents. . Les animaux des zones froides du Nord ont au contraire un certain nombre d'espèces communes telles que l’Ours, le Cert, le Chevreuil, le Renne, le Daim, le Lièvre, l' Ecureuil, le Héris- son, le Castor, le Loup, le Renard, la Marte, la Fouine, le Putois, le Lynx, le Phoque. Mais ce nombre est beaucoup moindre que celui des espèces propres à chaque continent, et il n'y en a aucune dans les régions chaudes. De ces faits, l'illustre auteur des Époques concluait l’exis- tence d'une communication directe des deux continents par leur partie nord et faisait remarquer en outre que, malgré ce que la disposition relative des terres devait faire présumer, c'étaient plutôt les animaux du nord de l'Europe qui se re= trouvent dans le nord de l'Amérique que ceux des terres de l'Asie, qui sont cependant plus voisins. Les mammifères de l'Amérique méridionale, ajoute-t-il en- DISTRIBUTION DES VERTÉBRÉS TERRESTRES. 159 core, sont de dimensions moindres que ceux de l'Afrique et de l'Asie, et il n’y à nulle comparaison entre l'Éléphant, le Rhi- nocéros, le Chameau, l'Hippopotame, le Lion, le Tigre de l’an- cien continent, avec le Cabiais, le Tapir, le Lama, le Jaguar, ete, du nouveau. De plus, tous ceux qui y ont été transportés d’Eu- rope y sont devenus plus petits, et les espèces communes aux deux continents vers le nord présentent également une taille moindre dans le nouveau que dans l’ancien. Depuis ces premiers aperçus empreints d'une si profonde sagacité, toutes les découvertes apportées par les naturalistes et les voyageurs jusqu'à nos jours n’ont fait que les confirmer. Ainsi s'exprime à ce sujet l’un des plus savants et des plus justement célèbres parmi ces derniers : « Si l’on considère, dit M. Ch. Darwin (1), la distribution « des êtres organisés à la surface du globe, le premier fait dont . Con soit frappé, c'est que ni les ressemblances, ni les dissem- « blances des habitants des diverses régions ne peuvent s'ex- « pliquer par des différences climatologiques ou par d'autres « conditions physiques locales................ Tous les auteurs « s'accordent pour dire qu’une des divisions les plus fonda- « mentales en distribution géographique est celle qu’on ob- « serve entre le vieux monde et le nouveau. « Cependant, lorsqu'on parcourt le continent américain, de- « puis les provinces centrales des États-Unis du Nord jusqu'à la « pointe sud de la Patagonie, on rencontre les circonstances « locales les plus opposées : des districts très-humides, des dé- « serts arides, de hautes montagnes, des plaines herbeuses, « des forêts, des marécages, des lacs, de grandes rivières et « presque toutes les températures possibles. IT n'est guère de « climat où de conditions physiques dans l'ancien monde qui « ne trouvent leurs analogues dans le nouveau, du moins jus- « qu'à cette identité de conditions de vie que la même espèce « exige en général... Nonobstant ce parallélisme des con- (1) De l'origine des espèces, ete., traduct. française par mademoiselle Clém.-Aug. Royer, p. 486 ; 1859-1862. Observations de M. Darwin, 160 ÉPOQUE MODERNE. « ditions physiques entre les deux continents, on constate les. « plus énormes différences dans leurs productions vivantes. « Dans l'hémisphère austral, si l’on compare de vastes ter- « ritoires situés en Australie, dans le sud de l'Afrique et dans « l’ouest de l'Amérique du Sud, entre le 25° et le 55° de lati- « tude, on trouve des régions elimatologiques on ne peut plus « analogues à tous égards, et cependant il serait impossible de «trouver trois faunes et trois flores plus complétement diffé- «rentes. On peut encore comparer les productions de l'Amé- « rique du Sud sous le 55° de latitude méridionale avec celles « de l'Amérique du Nord sous le 25° de latitude septentrio- « nale, c'est à-dire sous des climats très-différents; on constate «entre elles de beaucoup plus grands rapports qu'entre les « productions d'Australie et d'Afrique sous des climats sem- « blables. . « Un second fait non moins frappant dans l'examen des lois « générales du monde organisé, poursuit M, Darwin, c'est que « les barrières, de quelque sorte qu'elles soient, ou les obstacles « de toute nature à la libre migration des espèces, sont en rap- « port intime avec les différences qu'on observe entre les pro- « ductions des diverses parties du monde. Cette loi apparaît « d'abord dans les grandes dissemblances des productions « terrestres du nouveau et de l'ancien continent, excepté dans « les régions boréales où les terres sont si rapprochées et où, «sous des climats très-peu différents du climat actuel, les « libres migrations ont dû être faciles pour les formes adap- « tées aux régions tempérées du Nord, comme elles sont en- | « core possibles aujourd’hui pour les productions exelusive- « ment arctiques. « Le même fait apparait dans les grandes différences des « habitants de l'Australie, de l'Afrique et de PAmérique du « Sud sous les mêmes latitudes; car ces contrées sont aussi « complétement séparées.les unes des autres qu’il est possible. « Sur chaque continent on constate la même loi : sur les ver- « sants opposés des chaînes de montagnes élevées et continues ; « sur les côtés opposés de vastes déserts et quelquefois sur les es te cms LC DS DISTRIBUTION DES VERTÉBRÉS TERRESTRES. 161 deux rives d’une large rivière, on trouve des productions très-différentes ; quoique les chaînes de montagnes, les dé- serts, les rivières n'étant pas aussi infranchissables que les océans et n’existant probablement pas depuis aussi long- temps dans leur état actuel, les différences que de telles barrières apportent dans l'aspect général du monde organisé ne sont pas aussi tranchées que celles qui caractérisent des continents distincts. « Un troisième grand fait, presque compris du reste dans les deux précédents, c’est l’affinité remarquable de toutes les productions d’un même continent ou d’une même mer, bien que les espèces elles-mêmes soient quelquefois distinctes en ses divers points et dans des stations différentes. C’est une loi de la plus grande généralité et dont chaque continent peut offrir d'innombrables exemples. « Un naturaliste en voyageant du N. au S. ne manque ja- mais d’être frappé de la manière dont les groupes succes- sifs d'êtres organisés spécifiquement distincts, et cependant en étroite relation les uns avec les autres, se remplacent mutuellement. Il voit des oiseaux analogues ; leur ramage est presque semblable, [leurs nids sont presque construits de la même manière, leurs œufs sont de la même couleur ; et ce- pendant ce sont des espèces différentes. Les plaines qui avoisinent le détroit de Magellan sont habitées par une es- pèce de Rhéa ou d'Autruche américaine, et au nord des plaines de la Plata est une autre espèce du même genre; mais on ne rencontre ni la véritable Autruche ni l'Émou, qui vivent cependant sous les mêmes latitudes en Afrique et en Australie. Dans ces mêmes plaines de la Plata vivent l’Agouti et le Bizcacha, représentants américains de nos Lièvres et de nos Lapins, ayant les mêmes habitudes et appartenant au même ordre de rongeurs, mais présentant dans leur structure un type américain. Si nous gravissons les pics élevés des Cor- dillères, nous trouverons une espèce de Bizcacha alpestre ; si nous regardons les eaux, nous ne trouvons point le Castor ni le Rat musqué, mais le Coypu et le Capybara, rongeurs Observations de M, Pucheran, 162 ÉPOQUE MODERNE. «de types américains. On pourrait citer d'innombrables « exemples du même genre. « Si nous examinons les iles des côtes américaines, quelque « différentes qu’elles soient du continent par leur nature « géologique, leurs habitants sont néanmoins essentiellement «américains, bien qu'ils présentent parfois des espèces par- « ticulières. » M. Pucheran avait établi, dès 1856, que, sous le point de vue de leurs aptitudes locomotrices, 1l existait une extrême analogie entre les divers types de mammifères habitant les parties nord de l’ancien et du nouveau continent; depuis, il est revenu sur ce sujet, et 1l a fait remarquer (1) que, lorsqu'on compare les types des deux faunes, on est frappé de la rareté des mammifères ongulés, pachydermes où ruminants. En Amérique, les premiers manquent presque tout à fait; en Eu- rope, il n’y a que le Sanglier. Parmi les seconds, l'Amérique possède l’Antilo-capra americana, l'Europe, le Bouquetin, le Mouflon et le Chamois, habitant les montagnes élevées ou des régions qui se rapprochent déjà de celles où vivent les genres et les espèces dont les analogues sont répandus dans le midi . de l’Asie et en Afrique. L'habitat des Cerfs et des Bœufs est moins contestable, mais 1l n’y a encore que quelques espèces, sans excepter le Renne et l'Élan. L'Europe et le nord de l'Amérique seraient done presque entièrement dépourvus de ces genres dont les membres sont allongés , la formule des doigts plus ou moins incomplète et dont la conque auditive offre un certain développement. Parmi les carnassiers, l’Ours, le Blüireau (d'Europe), le Taxi- dea (Amérique du Nord), la Mouffette (ib.), le Glouton sont de formes lourdes et trapues ; les membres, peu allongés, sont à peu près égaux devant et derrière; la conque auditive est peu développée. Parmi les insectivores on trouve les mêmes caractères aux genres Taupe (Europe), Sealops (Amérique du Nord), Condylure (ib.), Desman (Europe), Galemys (ib.), (1) L'Institut, 25 avril 1860, p. 141. DISTRIBUTION DES VERTÉBRÉS TERRESTRES. 163 Hérisson (ib.). Parmi les rongeurs, la Marmotte, le Castor fiber (Amérique du Nord), le Campagnole, le Hamster (Europe), le Pore-Épic (ib.), offrent des caractères analogues. Un certain nombre de genres qui ne présentent pas ces ca- ractères ont alors une très-grande extension géographique, “mais le nord de PEurope en renferme peu. ” De ce qui précède et d’autres considérations analogues, M. Pucheran conclut que les mammilères qui habitent parti- eulièrement le nord de l'Europe et de l'Amérique sont carac- térisés par des formes lourdes, la tendance à légalité de lon- gueur des deux paires de membres, toujours courts et trapus, ce qui s'accorde avec une formule complète des os des doigts, cinq aux pieds de devant et de derrière, avec le faible déve- loppement de la conqué auditive, dont la grandeur serait en rapport avec l’allongement des membres et surtout des posté- rieurs. | De plus, ces divers résultats se lient, en Europe comme en Amérique, avec les conditions du sol ou ses caractères orographiques, et c’est pour cela qu'il y aurait une sorte d'opposition ou d'antagonisme entre ces deux faunes d’une part et celle de l’Afrique de l’autre, dont le sol est plus gé- néralement aride et sablonneux, tandis que dans les deux portions continentales précédentes il est humide et sillonné d'innombrables rivières. On retrouve en outre dans le nord de l'Asie des déserts, mais sans la température élevée de ceux de l'Afrique, et déjà se manifestent des types de mammifères avec les membres postérieurs et la conque auditive développés comme dans les types africains. Tels sont les genres Cheval, Gerboise et Gerbille. Lorsque la température moyenne varie, de nouveaux genres, de nouvelles espèces viennent prendre place à côté de ceux déjà existants, et la présence de ces formes dans la faune ac- tuelle du nord de l'Asie peut offrir quelque analogie avec le mode d'apparition de nouvelles espèces et de nouveaux genres dans les terrains de sédiment. Si dans l’ancien continent seulement on comparait les mam- Remarques diverses, Afrique, 164 ÉPOQUE MODERNE. mifères du Sud et du Nord, on serait frappé des différences de leurs appareils de locomotion; au Sud, on voit les genres dont les deux paires de membres sont inégales, et les animaux sont essentiellement marcheurs et grimpeurs, comme les on- gulés, En Amérique, la même conclusion serait exacte, mais il faudrait tenir compte des modifications profondes de tous les types de l'Amérique du Sud. Rappelons ici quelques faits particuliers à certaines régions géographiques et dont la connaissance nous sera utile pour nous rendre compte plus tard de la localisation des faunes géologiques. Les mammifères de lAfrique, dit M. Pucheran (1), sont sur- tout remarquables par la grande extension géographique des espèces qu'on retrouve dans les diverses zones du continent. C’est aussi ce qui a lieu à peu près en Europe, mais non en Asie ni en Amérique. Ces mammifères africains manifestent une tendance générale à des modifications dans les propor- tions relatives des membres antérieurs et postérieurs, soit que ceux-ci se trouvent affaissés ou raccourcis comme dans l’Hyène, la Girafe, le Protèle, le Bubale, soit qu'ils l'emportent au con- traire sur ceux-là, comme dans le Macroscélide, l'Hélamys et le Dendromys. Cette inégalité des membres entraîne celle du développement des doigts et par suite la prédominance d'es- pèces marcheuses, coureuses, sauteuses, et la rareté des espèces nageuses. Le grand développement de la conque auditive qu'on remar- que chez ces animaux est un caractère propre à ceux des pays chauds, qui habitent les déserts et les régions australes. La teinte fauve ou isabelle de leur pelage est aussi très-générale. On ne remarque point sur ce continent de dégradations physiologiques analogues à celles qu'on observe dans l’Amé- rique australe, où les insectivores sont remplacés par des édentés. (1) Compt. rendus de l'Acad. des sciences. vol. XXXI, p. 718; 1855. — Revue et Mag. de zoologie, 2° sér., 1855; p. 209, 257, 401, 449 et ù4. RL PE DISTRIBUTION DES VERTÉBRÉS TERRESTRES. 165 Considérée sous un point de vue spécial, l'Afrique se divise en quatre zones caractérisées chacune par un genre particulier de rongeur. Ainsi le genre Hélamys caractérise la région du Cap, les genres Aulacode, Cricétomys et Anomalaurus celle de l'Ouest, le genre Acomys celle de l'Est, et les Cténodactyles celle du Nord. Le fait est jusqu'à présent propre à ce conti- nent. Les oiseaux présentent des résultats analogues aux mammi- fères, M. Schlegel a aussi remarqué qu'autant les Tortues ter- restres sont abondantes sur ce continent, autant celles des eaux douces et marines sont rares. M. À. Duméril (1), qui indique 193 espèces de reptiles et 185 espèces de poissons dans les parties connues de l'Afrique, remarque d'abord qu'il y en a un certain nombre communes aux côtes ouest et sud ; des espèces d'Égvpte et d’Abyssinie se retrouvent au Sénégal ou sur divers points de la Guinée et du Gabon. Plus au sud, sur la côte orientale ou de Mozambique, s'observent des espèces communes aux régions voisines de l'équateur. Ainsi des genres et des espèces de reptiles du Sé- négal, de la Guinée et du Gabon à l’ouest, se représentent en Égypte, en Nubie, en Abyssinie, sur la côte de Mozambique à l'est et même dans l'Afrique australe. Cette particularité existe pour des genres spéciaux tels que les tortues d’eau douce à cinq ongles à tous les pieds (Pentonyx), les serpents (Rachio- don) du Cap, d'Abyssinie et du Gabon, les redoutables Cé- rastes (peut-être l'Aspie de Cléopâtre?) originaires de l'Égypte ct du Cap, les crapauds ongulés (Dactyléthères) du Gabon, de Mozambique et du Cap. Il est donc impossible, dit l’auteur, de grouper les reptiles africains par régions, et la seule partie du continent située au nord de l'Atlas pourrait faire exception, sans doute à cause de la barrière qu'oppose cette chaîne aux migrations de la faune méditerranéenne vers le Sud, (1) Études des lois de la distribution des reptiles sur le continent africain (Annuaire scientifique de P. P, Dehérain, p. 227 ; 18653). Madagascar. 166 _ ÉPOQUE MODERNE. Comme M. Pücheran, M. Daméril attribue cette grande ex- tension géographique des reptiles en Afrique et leur extrême diffusion dans les pays les plus éloignés et sous des latitudes très- différentes à la disposition orographique de la partie centrale du continent. Ce sont des terrasses ou des pla- leaux élagés les uns au-dessus des autres, particulièrement entre le 5° lat. N.et le 15° lat. S. qui, faciles à franchir, ont dû favoriser la migration des animaux dans les diverses di- rections. I. Geoffroy Saint-Hilaire (1} a fait remarquer que presque tous les genres de mammifères africains ont des représentants dans l'Inde, mais pour les reptiles la proposition est moins gé- nérale. Parmi les genres communs sont les Tryonix eyclo- dermes ; les sauriens présentent les Crocodiles, le Caméléon, et les ophidiens les genres Python, Éryx et Naja ou Serpent à coiffe. Néanmoins les espèces sont distinctes. Les Varans sont aussi communs aux deux continents et de plus à PAustralie, et certains Lézards plus petits, les Uromastix, ont présenté 5 espèces en Afrique, 4 au Bengale et 1 à la Nouvelle-Hollande. En général, tout genre qui est à la fois représenté en Afrique et en Australie l’est également en Asie. « Malgré son voisinage de l'Afrique, l'ile de Madagascar est « peuplée d'animaux tellement différents de ceux qui occu- « pent les autres pays, que, si l’on avait à la classer d’après « ses productions zoologiques et sans tenir compte de son « étendue et de sa situation géographique, on devrait voir en «elle, comme l’a dit L. Geoffroy Saint-Hilaire, non pas une île « asiatique ou une ile africaine, mais bien une terre isolée. » Les Lémuridés presque tous de cette ile sont, les uns cré- puseulaires comme les Makis, les autres tout à fait nocturnes comme les Chiérogales et les Microcèles ; l’Aye-aye est dans ce dernier cas. En outre les diverses espèces de Tenree, une Mu- saraigne, les chéiroptères et d’autres genres moins connus (1) Voy. de Bélanger aux Indes orientales, p.10 ; 1824. : ë SR ciel Bite tout à Pin DISTRIBUTION DES VERTÉBRÉS TERRESTRES. 167 quant à leurs habitudes prouvent dans toute cette faune une tendance au noctambulisme. « Tous les mammifères, continue M. Pucheran (1), sont à « divers degrés voués à la vie nocturne, et le caractère géné- « ral de cette faune montre combien sont susceptibles de va- «riations, suivant les lieux qu'elle habite, les traits d'ensemble «qui la particularisent, et combien es varier également la « cause, soit iniliale, soitsecondaire, à laquelle on doit en at- « tribuer la te En Cette cause pour les mammifères « de Madagascar est essentiellement mystérieuse, car il est «impossible de l’attribuer aux grandes forèts qui couvrent le « sol de cette ile. Une Pl conclusion entraînerait en « effet à supposer que ces mammifères, qui d'abord n'avaient « pas une vue aussi délicate, Pauraient acquise par l’habitude « de vivre dans un milieu recouvert d’ombrages impénétrables « aux rayons solaires. Or le développement des arbres étant « sans doute plus lent que celui des animaux, une pareille sup- « position entrainerait celle de l’action de causes secondaires « qu'aucune observation physiologique ne confirme. » Quoi qu’il en soit, l’auteur ne pense pas que-les conditions climatologiques du pays exercent une influence réelle sur ces résultats, car autrement on ne concevrait pas l'absence de ces caractères dans la faune de la côte opposée de l'Afrique. Il doit yavoir en effet, entre les températures de ces deux contrées, beaucoup plus d’analogie que n'en montrent leurs popula- tions de mammifères. Quant aux reptiles, plusieurs espèces ou genres remarqua- bles s’y trouvent aussi exelusivement et aux iles Mascaraignes. Telles sont, dit M. Duméril (2), les Tortues terrestres du genre Pyxide et la Tortue rayonnée, des Couleuvres arboricoles fort étranges, les Langaha et les Caméléons les plus bizarres, soit par l'énorme développement de leur casque, soit par des pro- longements plus ou moins considérables du museau. Ils y for- (1) Comples rendus de l'Acad. des sciences, vol. XI, p. 192. (2) Annuaire scientif., etc., p. 256. Nouvelle- Guinée. 168 ÉPOQUE MODERNE. ment 11 espèces sur 16 ou 17 que comprend le genre entier. Pour les autres reptiles, comme pour les oiseaux et les mam- mifères, c'est plutôt dans l'Inde qu'il faut aller chercher leurs analogues que sur le continent africain. Une des grandes îles de l'Océanie, la Nouvelle-Guinée, nous présentera aussi des particularités remarquables dans sa popu- lation ornithologique. Les 21 genres qui s’y trouvent exelusi- vement, dit M. Pucheran (1), ont pour caractères communs de présenter des tarses forts, un pouce bien formé, terminé par un ongle courbé, des doigts également allongés, dont les ongles ressemblent à celui du pouce, Ces caractères s’observent aussi dans les espèces propres à ce pays, mais dont les genres, ay nombre de 24, sont représentés dans les autres archipels de la mer du Sud. Presque tous ces genres appartiennent à l’or- dre des passereaux, où à espèces seulement sont à tarses allon- gés ; 1 espèce de Zygodactyle et 6 de l'ordre des colombiens offrent aussi ce dernier caractère, mais, même dans cet ordre, les espèces à tarses courts sont déjà considérables. Les oiseaux de la Nouvelle-Guinée sont donc essentiellement percheurs, ap- titude encore particulière aux nombreux alcédidés de l'archipel et à certains échassiers et gallinacés de ce pays. Une famille particulière, comprenant les Talegalla, les Leiopa et les Megapodius, qui a des représentants aussi aux îles Philippines, aux Célèbes, à la Nouvelle-Zélande et à la Nou- velle-Hollande, se distingue de toutes les autres en ce que les œufs ne sont pas couvés, et ses oiseaux ressemblent en cela aux vertébrés à sang froid. s Les mammifères de ce pays sont infiniment moins nombreux, mais conduisent aux mêmes conclusions. M. Gray en énumère 14 espèces seulement, dont 2 chéiroptères. Chez les 12 autres, on observe, suivant M. Pucheran (2), un développement remar- quable des membres postérieurs par rapport aux antérieurs, surtout dans les genres Dendrolagus, Dactylopsila, Myoi- (2) Compt. rend. de l'Acad. des sciences, vol. LIV, p. 380. (3) lbid., p. 447 et 561. DISTRIBUTION DES VERTÉBRÉS TERRESTRES. 169 elis, etc. Les espèces représentent ici des types génériques spé- cifiquement plus maltipliés dans les îles de la Sonde et à la Nou- velle-Hollande. Ces dispositions caractérisent des grimpeurs ct des grimpeurs arboricoles, et ce sont en effet les habitudes de la plupart des espèces citées. Les deux Kangourous de la Nou- velle-Guinée (Dendrolagus inustus et ursinus) ont ces mêmes habitudes. Pour se rendre compte des formes variées propres aux faunes contemporaines, 1l faut, dit le zoologiste à qui nous emprun- tons ces données, considérer, comme cause essentielle et pre- mière, la constitution physique du pays qu'elles habitent, tandis que le climat ne serait qu'une cause secondaire, « La « végétalion la plus active couvre ce point du globe, dit M. Les- « son (1) ; elle est ce qu'on doit en attendre sous l'équateur et à « la Nouvelle-Guinée, c’est-à-dire grande, majestueuse, impo- «sante. La surface du sol ne présente qu'une forêt sans fin,» etc. Rien n’est majestueux comme les belles forêts de la Nouvelle- Guinée, dit ailleurs Dumont d’Urville (2), et M. Wallace, com- parant sous le point de vue de leurs caractères physiques l'Aus- tralie et la Nouvelle-Guinée, dit de cette dernière : « C’est une « vaste forêt toujours verdoyante : À vast even verdant « forest (3). » Il y a donc, continue le savant naturaliste français, une en- tière et complète harmonie entre le caractère général des mam- milères ct des oiseaux de cette dernière île, d'une part, et les caractères physiques de cet archipel de l'autre. Mais la science est encore impuissante à Jeter la moindre lueur sur l’origine de ce rapport. Cette harmonie, comme aurait dit [. Geoffroy Saint-Hilaire, est-elle préétablie? est-elle au .contraire post- établie? Telle est la question de philosophie naturelie qui reste à résoudre ici comme à peu près parlout. Si nous portons nos regards bien loin au nord-ouest, sur ce (1) Voyage de la Coquille, zoologie, vol. I, p.439. (2) Voyage au pôle sud, Relation du voyage, vol. VI, p. 120. (3) Ann. and Magax. of natur. history, 2° sér., vol. XX, p. 481. lies £andwick. Equateur zoologique. Australie et iles voisines: 170 ÉPOQUE MODERNE. groupe d'îles perdu au milieu de l'océan Pacifique, à d'im- menses distances de toutes terres continentales, mais où les phénomènes volcaniques se montrent avec une si terrible éner- gie, dans l'archipel des Sandwich ou d'Hawaï, nous ne trouve- rons plus de mammifères, mais des oiseaux caractérisés par la tendance de la mandibule supérieure à se recourber de manière à être beaucoup plus longue que l'inférieure. Les Hemignatus, les Drepanis, les Himatione, les Moho, le genre Psitirostra, pré- sentent cette disposition qui paraît être en rapport avec le mode de nutrition qui, pour certains de ces genres, consiste à aller chercher les insectes au fond de la corolle des grandes espèces de Lobelia. En général, il y a dans ces iles peu d'oiseaux qui se nourrissent exclusivement de matières végétales (1). Pour les mammifères comme pour les oiseaux, dès qu'on at- teint en Europe les bords de la Méditerranée, et en Amérique, le Mexique, on voit apparaître de nouvelles formes. Ce sont toujours de nouvelles espèces, quelquefois de nouveaux genres et même de nouvelles familles, constamment distincts de ce qui existe au nord, La différence la plus prononcée réside dans les organes locomoteurs. Au sud de cette limite, les membres postérieurs, plus allongés, constituent des animaux essentielle- ment coureurs, sauteurs et grimpeurs. Ces modifications, attri- buées généralement à des conditions de température variées, sont rattachées, par M. Pucheran (2), à la zone physique que Jean Reynaud (5) a désignée sous le nom d'Équateur de con- traction. Getle zone, qui comprendrait dans son parcours les principales méditerranées et les principaux déserts du globe, serait le véritable Équateur zoologique des faunes actuelles, Nous pensons que ces deux propositions de physique du globe et d'histoire naturelle ont encore besoin l'une et l’autre d’une démonstration plus complète. | | Jetons actuellement un coup d'œil sur les principaux carac- (1) Soc, Philomathique, 1858 ; p. 85. (2) Revue et Magasin de zoologie, 1855 ; p. 505. (5) Terre et ciel, p.104. DISTRIBUTION DES VERTÉBRÉS TERRESTRES, 171 tères des vertébrés terrestres de l'Australie et des terres qui l'avoisment. Lorsqu'on remonte les temps géologiques on peut supposer que le perfectionnement ou la complexité croissante de l'organisme à pu se faire parfois dans des directions diffe- rentes, de manière à produire des embranchements contempo- rains. Telle serait peut-être l'origine des caractères que nous observons par exemple dans les mammifères et même dans toutes les faunes actuelles de la Nouvelle-[ollande, de la Nou- velle-Zélande, de la Nouvelle-Guinée, qui diffèrent si notable- ment, surtout dans les classes supérieures, de celles des autres parties du globe. La flore des stigmariées de la période houillère devait ressem- bler à celle des îles tropicales de l’océan Austral, où végètent les Mangliers ou Palétuviers, qui couvrent de leurs tiges entre- lacées les plages basses et marécageuses. Dans ces îles, dont le climat tempéré, humide, est très-uniforme, règne une flore de cryptogames vasculaires très-riche en fougères, surtout du genre Pteris, si voisin des Pecopteris fossiles, et cela, au détri- ment des phanérogames à fleurs, Aussi l'aspect de la végétation est-1l uniforme et monotone, comme on peut se figurer qu'était celle du terrain de transition. Les grandes iles de l'océan Austral se font aussiremarquer par l'abondance des protéacées que nous savons avoir caractérisé la période tertiaire inférieure, alors que se développèrent les phanérogames dicotylédones. La faune terrestre de ces iles est très-pauvre, et quant aux animaux vertébrés, elles ne présentent d'oiseaux que lors- qu'elles se trouvent sur leur passage ou dans le voisinage d'un continent. Les reptiles sont de petite taille, et encore faut-il que les îles aient une certaine étendue. Le petit archipel des Gallapagos, situé sous l'équateur, à l’ouest de la côte du Pérou, fait seul exception avec ses Lacertiens (Amblyrinchus) qui nagent jusque dans la haute mer pour y chercher leur proie comme les [chthyosaures et les Plésiosaures des temps secon- daires; Tous les grands oiseaux aptères, à l'exception de l’Autruche et du Rhea, se trouvent ou se sont trouvés isolés, avant leur 172 ÉPOQUE MODERNE. disparition récente, dans les iles dépourvues de forts carnas- siers qui les auraient détruits. Les Notornis, les Apteryæ, de la Nouvelle-Hollande, disparaitront sans doute par suite de l'introduction des chiens dans ce pays. Ainsi ont disparu le Dronte, le Solitaire et une troisième espèce depuis l occupatisi des îles Mascaraignes par les colonies européennes. Les Palopteryx, les Dinornis et V Apterornis, dont une dou- zaine d'espèces ont été retrouvées dans les dépôts quaternaires et peut-être plus récents, le souvenir s'en étant conservé dans les traditions des habitants de la Nouvelle-Zélande, n'ont pas eu non plus pour contemporains, sur le même sol, de carnas- siers redoutables. Le Dromains (Emou) de la Nouvelle-Hollande et le Casoar des îles de la Sonde se trouvent seuls dans des contrées qu'habitent aussi ces derniers. Tous ces oiseaux, excepté le Dronte, appartiennent aux ordres des gallinacés et des cou- r'eUrs. A ces oiseaux aux ailes atrophiées, habitants des îles, ajou- tons, dit G. Bronn, l'Alca impennis, qui vit isolé sur quelques écueils des mers polaires, et les Pingouins, également sans ailes, relégués sur les points extrêmes ou les îles de l'Afrique et de l'Amérique du Sud. Ces types rappellent beaucoup, par les formes de leurs extrémités, les empreintes que l’on a trouvées en si grande quantité sur les dalles du grès rouge de la vallée du Connecticut. Les mammifères manquent complétement dans les petites iles des mers australes et ne sont représentés dans les plus grandes que par les marsupiaux et de petits rongeyrs. Néan- moins les mers voisines sont peuplées de grands cétacés. Les Monotrèmes (Ornithorhynques et Echidnés), de même que les marsuplaux, sont rangés bien loin des mammifères plantures ct se rapprochent, à certains égards, des ovipares; peut-être même les premiers le sont-ils tout à fait. Les mammifères de cette forme, par le système ou le mode de reproduction, par le système osseux et par le système nerveux, présentent, à l'état adulte, les traits particuliers à l'état fœtal tels qu'on les observe dans les monodelphes. Si les monotrèmes sont exclusifs à DISTRIBUTION DES VERTÉBRÉS TERRESTRES. 175 l'Australie, on sait que les didelphes existent dans l'Amérique du Sud, mais moins nombreux et moins variés, el que deux espèces se représentent Jusque dans l'Amérique du Nord. Enfin, deux genres de tortues d’eau douce sont communes à l’Austra- lie et à l'Amérique du Sud (les Chélodines et les Platémydes), mais l'Australie a ses grands genres propres de reptiles, tels que les Chlamydosaures, des espèces presque serpentiformes avec deux ou quatre membres imparfaits. Parmi les îles de l'Atlantique d'Europe, celle de Madère ne nous offre qu'un poisson d’eau douce du genre Anguille, quel- ques petits reptiles, beaucoup d'oiseaux, mais point de mam- mifères. Dans les grandes îles de l'Atlantique américain, les reptiles sont nombreux, mais les mammifères ne présentent que quelques rongeurs et des chéiroptères. Les plus grands rongeurs de Cuba et de Saint-Domingue sont le Capromys ct le Plagiodontia, animaux relativement très-inférieurs. Î. Gcoffroy Saint-Hilaire (1) a déjà fait remarquer que les dimensions des espèces de mammifères terrestres sont plus ou moins en rapport avec celles des continents ou des îles qu'ils habitent, ce qui se vérifie en effet dans toutes ces dernières, car les plus petites n’en renferment aucun, et les plus grandes nourrissent des espèces dont lataille est proportionnelle à leur étendue. Les îles de la Sonde font seules exception, sans doute à cause de leur ancienne continuité avec les terres continentales voisines. Cette observation s’applique aux continents eux-mêmes, tels que l'Asie et l'Europe considérées comme un tout par rapport à l'Afrique, et l'ancien continent par rapport au nouveau. Dans un genre donné, les espèces d'un plus grand continent, qui ont été réunies à Uitre de sous-genre, sont plus parfaites ou pré- sentent à un plus haut degré les caractères essentiels du genre ou de la famille. Elles sont plus diversifiées et plus éloignées des types originaires ou embryonnaires. C'est surtout parmi les quadrumanes les plus élevés des (1) Essai de xoologre générale, 1841. 12 Iles de l'Atlantique, Dimensions relatives des mammiféres et des terres qu'ils habitent. Centre théorique de créations terrestres, 174 ÉPOQUE MODERNE. mammifères que l'opposition est le plus prononcée, mais on la trouve encore mieux caractérisée dans le développement des facultés que dans les dimensions physiques. Ainsi l’ancien con- tinent renferme non-seulement les plus grandes espèces de singes, par rapport à celles d'Amérique, mais encore celles qui se rapprochent le plus de l’homme par le nombre des dents, la formation catarrhine du nez et le développement du pouce. Les quadrumanes les moins parfaits et dont le cerveau est même déjà parfois dépourvu de circonvolutions, les Lémurs, sont presque tous relégués dans l'ile de Madagascar ou disséminés dans les archipels de l'océan Pacifique. Si donc, dit G. Bronn (1), on pouvait se représenter une ile s’agrandissant successivement et se peuplant d'animaux ver- tébrés à mesure qu'elle tend à acquérir les dimensions d'un continent, on verrait les poissons d’eau douce ne se montrer qu'à mesure que les ruisseaux et les rivières augmentent, et plus tard mème peut-être que les reptiles et les oiseaux. De petits reptiles précéderont les grands si le climat est chaud, mais les dipnoaires d'eau douce (amphibiens), quoique infé- rieurs, ne seront peut-être pas les premiers, parce que le dé- veloppement des animaux terrestres doit précéder celui des animaux d'eau douce. Quelques oiseaux ne tarderont pas à trouver de quoi se nourrir; mais, tant que manqueront les arbres et les plantes herbacées portant des fleurs, des fruits et des graines et qui alimentent les insectes, les oiseaux appar- tiendront seulement aux types qui se nourrissent de vers, peut-être de racines ou de poissons au bord des eaux. Il y aura des gallinacés, des coureurs et des échassiers. Les mam- mifères terrestres apparaîtront les derniers, en commençant par les marsupiaux ou par des ordres inférieurs de rongeurs. Les herbivores viendront probablement avant les carnassiers, et ceux-là avant les frugivores, dont l'existence dépend des plantes et des arbres à fruits. Ainsi se développeraient les flores et les faunes aquatiques (1) Loc. ci. DISTRIBUTION DES VERTÉBRÉS TERRESTRES. 175 el terrestres en rapport avec l'accroissement des surfaces émer- gées, les habitants de la terre sèche précédant ceux des eaux douces, ceux de la plaine précédant ceux des montagnes, la terre sèche et les plaines étant antérieures à la formation des grands reliefs du sol et à celle des eaux qui en proviennent. Telle aurait été, en général, la marche de la nature, à laquelle Bronn a donné le nom de développement terri- pète. Pour compléter ces généralités, disons encore quelques mots du bilan numérique des faunes et des flores actuelles, telles que nous les connaissons. De 1809 à 1856 le nombre des espèces de mammifères connus à l'état vivant s’est accru de 800 à 2200, suivant Bronn, et celui des espèces de mollusques, qui était de 5000 en 1828, est aujourd'hui de 20,000. Les insectes diptères, qui ne sont, en général, que dans la proportion de 10 pour 100 relativement aux coléoptères dont on compte 30,000, se sont déjà élevés, dans le Würtemberg seulement, par les recherches de M. Roses, à un nombre égal à celui des coléoptères. On estime à 100,000 le nombre des espèces végétales con- nues (1) et à 120,000 celui de tous les animaux, mais on peut regarder comme certain que dans les deux règnes il reste en- core à découvrir un nombre d'espèces immense, peut-être même égal à celui que nous connaissons. Mais cette supposition ne s'applique qu'aux organismes aquatiques et aux petits orga- nismes terrestres, car il est peu probable que beaucoup de grands animaux aient échappé aux regards de l’homme à la surface des continents ou des iles fort étendues. Les parties des uns et des autres où l'on peut supposer qu'il: ne reste presque plus rien à trouver sont nécessairement celles qu'habitent les peuples civilisés, qui cultivent les sciences, c’est- à-dire certaines parties de l’Europe, de l'Inde, de l'Amérique du Nord et quelques points de l'Afrique et de l'Australie, habi- tés par des colonies anciennes d'Européens. Quant aux voya- (1) Voy. ci-après, $ 7, pour la rectification de ce chiffre, Évaluations relatives des faunes et des flores modernes et anciennes. Les connais- sances paléontologi- ques seront toujours incomplètes. 176 ÉPOQUE MODERNE. geurs qui ont traversé tout ou partie des grands continents, longé les côtes, parcouru tout ou partie des grandes îles du globe, ils ont sans doute contribué beaucoup à nous donner des idées générales sur les caractères propres des flores et des faunes qu'ils ont observées rapidement, mais on ne peut pas dire qu'aucune région de l'Amérique centrale et méridionale, que les quatre cinquièmes de la surface de l'Asie, les trois quarts de celle de l'Afrique et les quatre cinquièmes de l'Australie et des îles qui en dépendent soient connus sous le rapport de leurs productions végétales et animales, comme le sont les États de l'Europe occidentale et centrale. On pourrait done dire, sans exagération, qu'il n'y a pas plus de un cinquième de la surface des terres émergées dont la faune et la flore soient suf- fisamment connues pour conduire à quelques chiffres précis. Quant aux productions de la mer et à celles des eaux douces, qui couvrent plus des trois quarts du globe, il est probable que la proportion du connu par rapport à l'inconnu serait encore moindre. Nos connaissances, {out incomplètes qu’elles sont, ne lais- sent pas cependant que de nous permettre quelques généra- tés sur la distribution des êtres organisés, relativement aux conditions physiques dans lesquelles ils se trouvent : la lati- tude, la longitude, la hauteur au-dessus et la profondeur au- dessous du niveau de la mer, influant sur la température, le degré d'humidité ou de séeheresse de l'air, la quantité de lumière, ete., circonstances qui réagissent directement sur leur plus où moins de développement. Ces données nous seront d'ailleurs fort utiles pour nous conduire, par analogie, à juger des conditions physiques sous l'empire desquelles se trouvaient les végétaux et les animaux durant la longue série des temps géologiques. Cependant, si l'on peut concevoir que l’homme arrive un jour à la connaissance complète de tous les êtres organisés qui contribuent à peupler la terre avec lui, on ne peut espérer qu'il en soit de même relativement à ceux qui l'ont précédé. Quelque longues et persévérantes que soient les recherches des cmt se | din DISTRIBUTION DES VERTÉBRÉS TERRESTRES. 1477 géologues et des paléontologistes, une très-grande partie, 1l serait hasardé d'indiquer ici la proportion, échappera toujours à leurs investigations. D'abord il n'y a qu’une faible portion des couches sédimentares qui soit accessible à leur examen : ce sont leurs affleurements à la surface du sol, soit naturels, soit artificiels, tout le reste se trouvant masqué à des profon- deurs plus ou moins grandes ; ensuite, même dans les parties les plus accessibles, nous ne pouvons espérer de retrouver que des traces rares et à peine distinctes d’une multitude d'animaux qui n'avaient aucune partie solide au dedans ni au dehors. Les infusoires sans carapace, les mollusques, les polypes nus, les acalèphes, les radiaires sans test, les vers intestinaux, les an- nélides arénicoles, les Holoturies, Pimmense majorité des in- sectes n'ont pu arriver jusqu à nous que dans quelques cir- constances tout à fait exceptionnelles et qui ne nous donneront jamais aucune idée de leur développement réel. Pour les végétaux, les plantes herbacées, monocotylédones ou dicotylédones, n’ont eu aussi que des chances de conserva- tion bien faibles, eu égard au nombre des espèces qui ont existé, et si, pour nous en rendre compte, nous cherchons dans les dépôts modernes ce qu'il y a de plantes et de restes d’ani- maux plus ou moins conservés et encore reconnaissables, rela- tivement au nombre des espèces vivantes, nous verrons combien se trouverait réduit le tableau de la flore et de la faune de nos jours. Ce mode d'appréciation comparative est cependant le seul que nous offre la géologie, Mais de ce que nous ne pouvons reconstruire un tableau complet du passé il ne s'ensuit nullement que nous devions renoncer à nous en rapprocher de plus en plus, et rien n'est plus propre à nous encourager dans la continuation de ces re- cherches que l’immensité des matériaux accumulés depuis trente ans autour de nous. Utilité comparalive des animaux aquatiques et \terrestres. AT8 i ÉPOQUE MODERNE. $ 2. Distribution des animaux aquatiques. La connaissance des lois qui président à la distribution des : animaux aquatiques est, on le conçoit, infiniment plus précieuse pour le paléontologiste et le géologue que celle de la réparti- tion des animaux terrestres. Ceux-ci, en effet, ne peuvent se trouver dans les couches que par suite de circonstances tout à - fait particulières. [l'a fallu qu'entrainés par les eaux superfi- cielles, soit dans les lacs, soit sur les côtes, à l'embouchure des fleuves ou des rivières, plus ou moins loin des lieux où ils vi- vaient, plus ou moins longtemps après leur mort, leurs parties solides aient été conservées au milieu des sédiments lacustres ou marins où elles ont été ainsi charriées, Ces animaux ne carac- térisent donc d'une manière absolue ni le lieu ni le temps où ils ont vécu. En outre, par suite même de la cause ou de leur mode de dé- placement, ils se trouvent répartis dans les couches d'une manière fort irrégulière et sans continuité; accumulés par places, ils manquent sur un grand nombre de points du même dépôt, et cette répartition sporadique leur ôte beaucoup d'importance stratigraphique, en même temps qu'elle rend leur emploi , comme repère, rare, difficile et peu certain dans la géologie pratique, Remarquons d'ailleurs que les animaux exclusivement ter- restres, tels que les mammifères, n'ont paru qu'assez tard avec une cerlaine abondance; les oiseaux probablement aussi, qui n'ont laissé que des traces beaucoup plus rares, seront toujours d'un intérêt purement zoologique sans application directe, ainsi que les reptiles non amphibies. Les insectes qui se nour- rissent du pollen des fleurs n’ont apparu que fort tard dans la création, et leur conservation tient à des circonstances purement locales; enfin, les mollusques terrestres sont à peu près dans le même cas. L'étude des animaux fossiles qui ont vécu à la surface des DISTRIBUTION DES ANIMAUX AQUATIQUES. 179 anciennes terres émergées peut être fort utile pour nous faire connaitre les conditions physiques de ces terres, leur étendue, leurs reliefs, leur climat, leur température, les associations de végétaux, et surtout pour compléter la série zoologique géné- rale dont ils viennent successivement combler les lacunes, mais elle a beaucoup moins d'importance au point de vue chronolo- gique ou de l'ancienneté relative des dépôts qui renferment ces débris. Les restes d'animaux aquatiques, au contraire, et surtout les moins élevés dans la série, ceux qui, comme les crustacés, les mollusques céphalopodes, gastéropodes, acéphales, brachiopo- des et bryozoaires, les radiaires échinides, stellérides et cri- noïdes, les polypiers, les foraminifères et les infusoires même qui naissent, se développent, vivent, meurent et sont ensevelis dans les mêmes conditions, sont les véritables criterium de l'ancienneté des couches où nous trouvons leurs débris et qui en sont parfois exciusivement composées. Leur présence comme leurs divers caractères doivent parfaitement nous traduire les circonstances physiques dans lesquelles ces dépôts se sont formés. Il y a done nécessité pour nous de faire connaître ce que l'on sait de la slation et de la distribution des animaux inférieurs dans les mers actuelles et du rôle qu'ils jouent dans la composition des sédiments modernes. Nous commencerons par les mollusques, qui ont d'abord fixé l'attention des naturalistes et qui d’ailleurs ont en même temps un caractère de généralité et une diversité qui justifient les études auxquelles ils ont donné lieu. On ne semble avoir compris qu'assez tard l'utilité qu’il pou- vai y avoir à connaître, dans le sens horizontal et dans le sens vertical ou de la profondeur, la distribution des coquilles qui _ vivent sous leseaux de la mer à des distances plus ou moins con- sidérables de la côte. Ainsi H.T.de la Bèche, en 1838, insérait dans ses Recherches sur la partie théorique de la géologie un tableau de M. Brodrip, où sont indiquées les situations et Les profondeurs auxquelles on a trouvé les genres vivants de co-. quilles marines et d’embouchures. M. Ed. Gray s’est occupé des habitats des mollusques dans les eaux douces, saumâtres ou ? Observation diverses. Premières recherches d'Ed, Forbes. 180 __ ÉPOQUE MODERNE. tout à fait marines et des genres qui avaient à la fois des repré- sentants dans ces divers milieux. M. Valenciennes a constaté que, d'après un certain nombre de coquilles recueillies dans la mer Rouge, entre Suez et Cosseir, 24 espèces se retrouvaient dans la Méditerranée, landis que les deux mers n'avaient en- core aucun poisson commun, D'autres recherches de détail avaient aussi été publiées à diverses reprises, mais ce ne fut réellement qu'à partir des observations toutes spéciales faites en 1840 par Ed. Forbes (1), dans la mer Égée, que ces études ont pris une importance réelle à cause de la manière métho- dique avec laquelle elles ont été dirigées et suivies. Quelques-unes des conclusions de ce naturaliste ont ensuite paru trop absolues, et des observateurs venus après lui les ont infirmées par d’autres exemples. Peut-être même des expres- sions élégantes et symétriques qui représentaient la loi de distribution des êtres organisés en profondeur ne restera-t-il plus tard que peu de chose, mais l'esprit fécond et ingémieux de ce savant, sitôt enlevé à ses nombreux amis, n'en aura pas moins tracé un sillon dans une voie nouvelle et fructueuse que sans lui on n'aurait probablement pas de longtemps songé à parcourir, C'est surtout à ce titre que nous exposerons les ré- sultats des recherches d'Ed. Forbes, qui ont servi de point de départ à tout ce qui s’est fait depuis dans cette direction. A la suite des sondages qu'il a exécutés dans la mer Égée, il y a tracé 8 régions distinctes, depuis le niveau de la mer jus- qu'à la profondeur de 420 mètres. Ces régions représentent chacune une association particulière d'espèces. La première de ces régions, qui ne descend qu'à 3",65 au- dessous de la surface, est la moins épaisse et la plus riche en espèces animales et végétales. Elle est aussi la plus variée quant à la nature du fond, La seconde s'étend de 3°,695 à 18 mètres, US -- la troisième de 18" à 56", la quatrième de 36" à 64", la cin- (1) L'Institut, N° 465. — Ann. des sc. géol., vol. I, p. 970; 1842. — Report on the Mollusca, ete. (Rep. 15". Meet. brit. Assoc. at Cork (Lon- res, 1844, p. 150). — The Athenæum, 17 sept. 1845, ele, DISTRIBUTION DES ANIMAUX AQUATIQUES. 181 x quième de 64" à 100", la sixième de 100" à 144", la septième de 444" à 192", enfin, la huitième, qui dépasse en épaisseur 1 9 ? ( Ï toutes les autres réunies, s'étend de 192" à la plus grande ; Ï D rofondeur explorée, que nous avons vue être 426 mètres. Pa | ; La faune de cette région mférieure est très-distincte de celle des précédentes et remarquable par son uniformité comme par Ï : m ses espèces propres. Des 65 que la drague a ramenées 11 étaient vivantes. I y avait 22 univalves dont 3 vivantes, 30 bivalves dont 8 vivantes, 3 mollusques palliobranches morts, prove- nant peut-être des régions supérieures, 10 ptéropodes et nu- - cléobranches également morts. Les espèces trouvées vivantes aux plus grandes profon- deurs sont : l'Arca imbricata et le Dentalium quinquangulare, à 420 mètres. L’Arca lactea et le Cerithium lima sont les deux seules espèces communes aux huit régions. Ensuite 5 espèces sont communes à sept régions (Nucula margaritacea, Marginella clandestina, Dentalium novem-costatum) ; 9 sont communes à six ; 17 sont communes à cinq, et 58 sont communes à quatre. Parmi les coquilles qui, dans la mer Égée, ont la plus grande étendue en profondeur, un tiers sont des formes de l'Océan, des côtes de France et d'Angleterre, et, parmi celles quine se trou- vent à la fois que dans quatre des régions de l'archipel grec, un peu plus de 1/5 seulement se représentent dans les mers Bri- tanniques. De ce fait nous pouvons évidemment conclure d’une manière générale, dit Ed. Forbes, que l'étendue de la distribu- tion d’une espèce dans le sens vertical ou dans la profondeur ecrrespond à sa distribution géographique ou horizontale. Les espèces très-circonscrites quant à la profondeur appar- tiennent soit à des formes propres à la Méditerranée, soit à «autres plus rares dans la mer Égée, mais qui sont communes dans les mers situées plus au nord, Au-dessous de la quatrième région, le nombre des espèces diminue rapidement, et dans la partie inférieure de la huitième il n’y a plus que 8 mollusques, ce qui semblerait établir pour cette mer la limite de la vie ani- aale à peu de distance au delà de 420 mètres. Les formes méridionales dominent dans les régions supé- 182 ÉPOQUE MODERNE. rieures; dans les inférieures, ce sont celles du Nord; de sorte que les régions en profondeur seraient équivalentes aux degrés de latitude et correspondraient à la loi de la distribution des êtres à la surface des continents où les parallèles représentent aussi les altitudes. Quant à l'influence de ces mêmes régions sur la vie et les caractères extérieurs des animaux marins, on remarque que les coquilles ont des couleurs d'autant plus va- riées qu’elles vivent plus près de la surface. Quoique plusieurs causes doivent tendre à mélanger les dé- bris des diverses zones après la mort des animaux qui y vivent, Forbes a pu reconnaitre que chaque espèce avait trois maæima de développement : en profondeur, en étendue superficielle et dans le temps. En profondeur, une espèce est d'abord repré- sentée par un petit nombre d'individus. Ce nombre augmente graduellement jusqu'à un certain maximum, puis il diminue et l'espèce finit par disparaitre. Il en est de même de la distribu- tion géographique ou en surface et de la distribution géologique ou dans le temps ; mais cette dernière considération ne s'ap- plique nécessairement qu'aux fossiles, et non aux résultats des recherches de l'auteur sur les animaux vivants. Quelquefois, continue-t-il, les genres auxquels ces espèces appartiennent cessent de se montrer aussi, mais plus ordinaire- ment une espèce de même genre succède à une autre, Les genres ont comme les espèces un maximum de développement en profondeur, et ils sont également remplacés ou représentés par d’autres genres correspondants, loi qui est d’ailleurs com- mune aux végétaux et aux animaux. Ed. Forbes a pu faire une application immédiate de ses re- cherches et en trouver la confirmation dans la petite île de Néo- Kaïmeni, qui apparut en 4707 dans le golfe de Santorin, Les fossiles recueillis dans la couche de pumite qui formait le fond de la mer avant le soulèvement lui ont fait voir qu'il n’y avait que deux régions en profondeur où l’on püt rencontrer une pareille associatiôn : la quatrième et la cinquième ; et il arriva à constater qu'en effet ce fond appartenait à la quatrième ré- gion, celle qui se trouvait entre 36 et 64 mètres au-dessous de la D ST ET | \ DISTRIBUTION DES ANIMAUX AQUATIQUES. 183 surface de l’eau au moment du soulèvement, dont l'amplitude s est ainsi trouvée limitée entre ces deux chiffres. Le fond de la mer Égée parait actuellement, présenter au- delà du zéro supposé de la vie animale, une masse de dépôts homogènes assez semblables à la craie et dépourvus de débris organiques sur une épaisseur de mille mètres et davantage. La zone la plus inférieure, qui a 228 mètres de hauteur, a pour fond un banc jaunâtre, occupé, dans toute son étendue par les mêmes animaux, et constituant une roche dont les ca- ractères sont ceux de la craie. Elle renferme aussi des espèces particulières et une très-grande quantité de foraminifères. Les côtes de Norwége étaient dans le même temps le champ des explorations de M. Lüven (1), qui arrivait à des résultats à peu près analogues à ceux qu'Ed. Forbes obtenait dans l'ar- chipel grec. La région littorale proprement dite et celle des laminariées sont partout bien limitées, et leurs espèces carac- téristiques ne s'étendent guère au delà. Il en est de même pour la région des algues, qui se développe davantage vers la pleine mer. Mais, de 27 à 482 mètres de profondeur, les régions ces- sent d’être comparables. On y trouve à la fois le plus grand nombre d'espèces et la plus grande variété dans leurs associa- tions locales. Leur réunion paraît y être déterminée non-seule- ment par la profondeur, les courants, etc., mais encore par la nature du fond, qui est un mélange de boue, d’argile et de cailloux. Ici les espèces semblent avoir une plus grande exten: sion verticale que dans la région littorale et celle des lamima- riées, peut-être même s’étendraiént-elles jusqu'à la zone pro- fonde des coraux. Au sud de la partie explorée par M. Lüven, cette dernière est caractérisée par l’Oculina ramea et une Térébratule ; au nord, par lAstrophyton, des Cidaris, le Spatangus purpu- reus, des Gorgones et le gigantesque Alcycnum arboreum, es: (1) On the bathymetrical distribution, ete. (Rep. 14! Meet. bri. Assoc. at York, 4844 (Londres, 1845, p. d0 des Notices). — L'Institut, 25 juin 1845. Recherehes de M. Lüven. Loi générale de la distribution des espèces dans l'espace et dans le temps, 184 ÉPOQUE MODERNE. pèces qui se prolongent aussi bas que la ligne des pêcheurs peut atteindre. La limite inférieure de la vie animale dans ces mers n’était pas encore déterminée lors des recherches de M. Lôüven; et, quant à celle des végétaux, elle se trouverait beaucoup au-des- sus des régions les plus profondes où les animaux sont connus. Comme on pouvait le prévoir, les mollusques zoophages prédo- minent dans les régions inférieures et les phytophages dans les supérieures, L'observation de Forbes, que les espèces des mers Britanniques ne se trouvent dans la Méditerranée qu'à de plus grandes profondeurs, a été confirmée pour les côtes de Nor- wége. Ainsi les espèces trouvées entre Gothenbourg et la Nor- wêge, à 146 mètres de profondeur, existent au nord sur la côte du Finmark à 36 mètres seulement, et quelques-unes même deviennent tout à fait littorales. Relativement à la plus générale des conclusions émises par MM. Forbes et Lüven, savoir, que plus une espèce parcourt de régions verticales, où, en d'autres termes, plus elle vit à des profondeurs différentes sur le même littoral, plus aussi elle se propage sur de plus grandes étendues en surface, nous avons fait remarquer dès qu’elle nous a été connue, c'est-à-dire en 1845, l'année d'après sa publication, qu'elle n’était qu’une con- séquence nécessaire et naturelle de l'une des propositions que nous avons déduites en 1842, avec M. de Verneuil, de nos études sur la faune du terrain de transition. « Si l'on considère, disions-nous, le développement de l'organisme de ces périodes anciennes dans le sens horigontal, géographiquement ou dans l'espace, on reconnaît que les espèces qui se trouvent à la fois sur un grand nombre de points et dans des pays très-éloignés les uns des autres sont presque toujours celles qui ont vécu pendant la formation de plusieurs systèmes successifs (1). Les naturalistes dont nous venons de parler ne considéraient, à la vérité, que les animaux marins vivant dans le même mo- (1) Bull. Soc. géol. de France, vol. XII, p. 260; 1849, — Transact. Geol. Sôc. of London, vol. NI, p. 555; 1842. DISTRIBUTION DES ANIMAUX AQUATIQUES. 185 ment sous des profondeurs d’eau et dans des circonstances phy- siques assez différentes, tandis que nous, nous les considérions dans plusieurs périodes successives ; mais il est facile de voir que l'une de ces propositions entraine l'autre ; car si, comme nous l'avons dit, les coquilles qui ont pu vivre pendant plu- sieurs périodes à cause de leur organisation plus robuste, de- vaient être celles qui, toutes choses égales d’ailleurs, avaient pu exister aussi sur des points du globe très-éloignés les uns des autres, il s'ensuit que, dans le même temps, ce sont égale- ment celles qui vivent sous l'empire de circonstances les plus variées, soit en profondeur, soit en étendue géographique. Notre proposition fut confirmée en outre par Forbes lui-même, dans son Examen des fossiles crétacés de l'Inde, et, de son côté, M. H. D. Rogers, dans son Discours annuel à la réunion des géologues américains, le 4 mai 1844, après avoir jeté un coup d'œil rapide sur l’ensemble de la faune fossile des États-Unis, disait : « Ainsi se trouve démontrée une loi yénérale impor- tante, loi concernant la distribution des fossiles, c’est-à-dire que les espèces dont La distribution géographique est la plus étendue possèdent aussi la plus grande extension verticale. » On voit par ce qui précède que le mode de distribution des espèces de mollusques marins dans le sens vertical et dans le sens horizontal avait été reconnu en quelque sorte pour les faunes les plus anciennes du globe avant de l'être pour celles qui vivent actuellement. Nous avons dû insister sur cette particularité, parce que, malgré les progrès que les recherches dont nous nous occu- pons ont faits depuis 20 ans, aucun principe plus général et plus applicable à la nature actuelle comme à la nature ancienne n'a été encore démontré. Ed. Forbes a continué autour des îles Britanniques les re- cherches sous-marines si heureusement conduites dans une par- ee tiede la Méditerranée, et les publications qu'il a faites à ce sujet ctde ont été reproduites en partie dans le Manuel des Mollusques ” “"*""* de M. Woodward, livre sur lequel nous reviendrons pour d'autres détails: Forbes avait aussi, peu de temps avant sa fin Régions ou provinces zoologiques. 186 ÉPOQUE MODERNE. si prématurée, entrepris une Histoire naturelle des mers d'Eu- rope, qui a été continuée et publiée par M. R. B. Austen (1), et dont nous allons exposer les principaux résultats se rattachant à notre sujet. Les mêmes animaux et les mêmes plantes, avons-nous dit, ne se rencontrent point partout à la surface de la terre, mais les espèces et même les genres sont réunis ou associés de ma- nière à présenter des régions ou provinces botaniques et xoolo- giques plus ou moins étendues, suivant les limites déterminées par les conditions physiques du pays, tels que le climat et les caractères orographiques et hydrographiques. Chacune de ces provinces n'est pas d'ailleurs tellement distincte de celles qui l'avoisinent qu'un certain nombre de ses espèces ne dépassent ses limites, de sorte que celles-ci ne sont jamais parfaitement tranchées et que l’on ne peut pas dire absolument où l’une commence ni où l'autre finit. Une province, telle que la comprend l'auteur (p. 7), est un espace dans lequel il y a évidemment eu une manifestation spé- ciale de la puissance créatrice, c'est-à-dire où ont été appelés à vivre les types premiers des animaux et des plantes. Ceux-ci peuvent avoir été mélés par la suite avec des êtres provenant d'autres provinces et même plus nombreux que les aborigènes, de manière qu'on puisse désigner l'ensemble qui enrésulte d’après la province d'où ils ont émigré. La distinetion de la population aborigène de celle qui plus tard a envahi la région et la détermination de: causes qui ont produit et dirigé l’inva- sion sont des questions que le naturaliste doit se proposer de résoudre. | Lorsque la flore ou la faune d’une province a été soigneuse- ment étudiée, la diffusion ou la dissémination des individus des espèces caractéristiques montre que la manifestation de la force créatrice n’a pas élé la même ou égale dans toutes les parties de l’espace, mais que dans certaines d’entre elles, et c’est or- dinairement plus ou moins vers le centre, le développement de (1) The natural history of the European seas, in-12; Londres, 1859, “hi DS Éd SEE noné éti tS ÉRES DISTRIBUTION DES ANIMAUX AQUATIQUES. 187 nouvelles espèces a été plus prononcé qu'ailleurs. Aussi pour- rait-on représenter graphiquement une région par une teinte dont l'intensité serait la plus forte vers le centre et qui s’affai- blirait vers la circonférence, ou encore par des cercles concen- triques de plus en plus espacés. Il peut y avoir dans une région des centres secondaires de création, mais nulle part on ne {rouve une province entière ré- pétée, c'est-à-dire que dans aucune on ne retrouve la même as- sociation d'espèces types. Aucune espèce n’aurait été créée dans plusieurs régions, soit à la fois, soit successivement. Des formes . semblables auxquelles on a donné le nom de représentatives se montrent sur des points éloignés, mais alors sous l'influence de circonstances physiques analogues, et ce ne sont point des espèces réellement identiques. Chaque véritable espèce, dit Ed. Forbes, a des traits ou ca- ractères spécifiques qui la distinguent des autr es, comme si le Créateur avait imprimé une marque particulière ou sceau sur chaque type d'être vivant : As if the Creator had set an exclusive mark or seal on each living type. C'est, comme on le voit, la re- production littérale d’une des idées de Buffon. Les espèces dont les individus sont distribués sur une surface continue montrent elles-mêmes le phénomène de la centralisation, c’est-à-dire qu'il ya certains points de cette sürface d'où il semble que tous les individus de l'espèce ont rayonné. Comme dans ce que nous connaissons, le rapport des in- dividus de chaque espèce les uns avec les autres montre le phénomène de la succession descendante, dans chaque cas où la parenté d'un individu ou d’un groupe d'individus sembla- bles a été tracée, la souche originaire a été trouvée paraille à lui ou à eux, et nous confondons l'idée de succession avec la définition d’une espèce; nous admettons alors, hypothétique- ment, la suite par génération de tous les individus de chaque espèce provenant d’une souche première monœcique ou diæci- que, suivant le cas. Le terme de centre spécifique est employé our désigner ce point particulier où chaque espèce a pris naissance et d’où ses 188 ÉPOQUE MODERNE. individus se sont ensuite répandus. Pendant cette diffusion, une espèce a pu s'étendre dès son point de départ, ou bien elle a pu se perpétuer seulement dans quelques parties de l'espace sur lequel elle s'était propagée. Des groupes d'individus d'une méme espèce peuvent se trouver ainsi isolés, séparés par de grandes distances et présenter l'aspect trompeur de deux ou de plusieurs centres de la même espèce. Pour remonter aux causes de ce phénomène, il faut tracer l'histoire des espèces dans le passé, en recherchant leurs rapports avec les changements phy- siques et géologiques du pays. Les données paléontologiques montrent aussi qu'ily avait au- trefois des régions semblables dans le temps comme dans l'es- pace. Les espèces sont limitées dans l'un et l'autre sens, et aucune ne se répèle ou ne se représente dans la série des âges lorsqu'elle a une fois atteint la limite de sa durée : No species is repealed in time. Parmi les espèces fossiles, la distribution des individus montre qu'ils ont été soumis à une diffusion com- parable à celle des animaux vivants à partir d'un point initial, ce qui appuie l'idée du rapport de ces individus par la généra- lion continue et leur dérivation d’un prototype ou d'une source première. Le long de cette suite de côtes qui s'étendent à travers des climats si divers, depuis les régions chaudes et vivement éelai- rées de l'Afrique jusqu'aux falaises brumeuses et glacées de la Nouvelle-Zemble et du Spitzherg, on ne peut manquer de trou- ver des associations nombreuses et variées d'êtres animés. Ceux qui habitent les eaux froides de l'océan Arctique doivent diffé- rer notablement de ceux qui vivent dans les mers tropicales, tandis que les eaux tempérées qui baignent le littoral de la France et des Iles Britanniques nourrissent une population sous- marine dont les caractères sont intermédiaires entre celle des premières et celle des secondes. | ‘Il n'en est pas de même lorsqu'on se dirige de l'O. à l'E. du détroit de Gibraltar vers la partie la plus orientale du bassin méditerranéen. En suivant ainsi le même parallèle on trouve, comme on pouvait s’y attendre, à mesure que l'on s'avance, les LA DISTRIBUTION DES ANIMAUX AQUATIQUES. 189 êtres organisés qui peuplaient son entrée occidentale, mais, si l'on pénètre dans l’espace moins favorisé occupé par la mer Noire, les différences qu’on observe consistent surtout alors dans la rareté ou le petit nombre des espèces, et non dans la présence de nouvelles formes. Dans la Caspienne apparais- sent à la vérité des animaux particuliers, dont lexistence serait plutôt en rapport avec son état antérieur qu'avec son état actuel, et ils doivent être regardés comme un témoignage vivant des temps géologiques plutôt que comme des membres de la communauté qui constituent la faune de nos jours. Dans cette étendue des mers océaniques et des mers inté- rieures de PEurope, Forbes distingue six régions ou provinces qui sont pour lui autant de centres de créatjon. La première ou la plus septentrionale est la région arctique, comprenant la portion des mers d'Europe située au delà du cercle polaire; la seconde ou région boréale comprend les mers qui baignent les côtes de Norwège, l'Islande, les îles Féroë et les îles Schetland ; la troisième ou région celtique s'étend au- tour des îles Britanniques, comprend la Baltique et les côtes de Bohuslan au golfe de Biscaye. A la région lusitanienne, ou la quatrième qui vient ensuite, appartiennent les côtes atlanti- ques ou occidentales de la péninsule ibérique; la région mé- diterranéenne, qui est la cinquième, embrasse, outre le bassin de la Méditerranée, celui de la mer Noire, et la sixième, ou ré- gion caspienne, est tout à fait isolée des autres. Les quatre premières et la sixième seraient incontestable- ment des centres de création; mais pour la région méditerra- néenne l'auteur ne parait pas aussi certain de son indépen- dance, parce qu'il se pourrait que ce ne fût qu’une suite de stations de la région lusitanienne, comme la Baltique est une dépendance de la région celtique, la mer Blanche de la région arctique, etc. D’un autre côté, il y a tant de particularités et des faits si importants dans la faune méditerranéenne, d'ailleurs bien circonscrite physiquement, qu'on peut, sans inconvénient et pour plus de commodité, la considérer comme une unité organogénique indépendante. Provinces des mers d'Europe. Causes extérieures influentes de la répartition des faunes. Structure des côtes. Formes des côtes, 190 ÉPOQUE MODERNE. La distribution des animaux marins est d'abord déterminée par les influences du climat ou de la température, la profon- deur et lacomposition de l'eau de la mer dans laquelle la pres- sion et la diminution de la lumière sont aussi des éléments à considérer. Ces diverses circonstances peuvent être combinées de manière à compliquer le caractère de la faune d'une région particulière, comme on l'observe dans les mers arctiques. Les influences secondaires qui modifient ensuite les effets des principales sont également nombreuses, et nous signalerons les suivantes comme devant être prises en considération dans les recherches paléontologiques. La structure de la côte, résultat des caractères minéralogi- ques des roches qui la constituent, peut agir sur la distribu- tion de familles particulières, en ce que tous les animaux marins dépendent, pour leur subsistance, de la présence de plantes ma- rines et des animaux qui s’en nourrissent, Toutes les roches ne sont pas indistinctement favorables à la végétation des plantes. Des surfaces couvertes de sable peuvent en être com- plétement dépourvues, ou bien offrir des végétaux propres seulement à la subsistance de certaines espèces. Par conséquent toutes les familles d'animaux peuvent exister ou manquer le long d'une côte, suivant sa structure et ses caractères pétrographi- ques, quoique les autres conditions soient favorables à leur propagation. En outre, l'extension et la diffusion de toutes les familles peuvent être restreintes à des espaces moins étendus que leurs facultés nele comportent, s'il se trouve une barrière naturelle occasionnée par un changement brusque dans le relief du sol ou du lit de la mer, La distribution des co- quilles perforantes, Gastrochènes, Pholades, Lithodomes, ete., serait aussi affectée par des changements de cette sorte, puis- que beaucoup d’entre elles ne creusent leurs cavilés que dans des roches calcaires où très-calearifères. La nature minéra- logique de la côte influera donc aussi sur leur présence ou leur absence. : Les contours ou les formes de la côte ont également une grande action pour régulariser la diffusion des espèces. Un ri- DISTRIBUTION DES ANIMAUX AQUATIQUES. 191 vage très-découpé est favorable à la vie sous-marine ; une ligne de côte droite et exposée aux vents est au contraire désavan- tageuse, quoiqu'il y ait certains animaux qui se plaisent à recevoir le choc des vagues, et que d’autres, malgré leur délicatesse apparente, bravent volontiers la violence de ces dernières. La nature du fond détermine sur une grande étendue la présence on l'absence de formes particulières de mollusques, d'autres invertébrés et même de poissons, car la distribution des animaux doit s'accorder avec celle de la nourriture qui les alimente. Suivant que le fond est de vase, de sable, de gravier, de coraux, de coquilles brisées, de pierres ou fragments de roches, ou encore résulte du mélange de ces divers éléments, * la ligne, le filet ou la drague rapportent des êtres différents. Les marées modifient aussi ces influences ; la hauteur à la- quelle elles s'élèvent ou la distance à laquelle elles s’avancent pour redescendre ensuite est très-importante, en ce qu’elle dé- termine la présence ou l'absence des espèces qui habitent la zone littorale. Les coquilles que Pon trouve entre les hautes et basses marées sont influencées dans leurs formes et leurs di- mensions par cette circonstance même. C'est entre ces deux lignes que l’on peut chercher avec le plus de succès les Mé- duses, dont l’organisation et les contours si délicats semble- raient ne pouvoir supporter l'agitation des flots. Les courants, indépendamment de leur action directe pour modifier le climat et la température de l’eau, agissent encore d'une manière très-notable par le transport et, peut-être plus que toute autre cause, contribuent à la diffusion des plantes, des animaux, des germes d’une multitude d'êtres qui sans eux auraient été fixes et stationnaires, et qui se trouvent ainsi transportés de district en district et rapidement étendus sur de - vastes surfaces. Même les espèces fixées, si elles sont attachées à des corps flottants-tels que des bois susceptibles d’être dépla- cés, se propageront au loin de la même manière. L'influence du climat se manifeste par la diminution du nombre des genres et des espèces lorsqu'on remonte du S. au Marées. Courants, Climat. Composition des eaux, 199 = ÉPOQUE MODERNE. N. Dans les eaux des régions méridionales de l'Océan ou de la Méditerranée, la variété des types et l'abondance des espè- ces se font remarquer; dans celles du Nord c’est le contraire, quoique par une sorte de compensation le nombre des individus dans chaque espèce soit assez grand pour balancer le petit nombre de ces dernières. Ce fait s'observe dans les animaux vertébrés comme chez les invertébrés, chez les poissons comme chez les mollusques. Ainsi, dans la Méditerranée, 11 y a 227 genres de poissons, dans les mers britanniques 130, dans celles de la Scandinavie 120; le nombre des espèces est dans la première de 444, dans les secondes de 216, dans les troisièmes de 170. Les mollusques, abstraction faite des nudibranches et des tuniciers, sont repré- sentés par 155 genres dans la Méditerranée, par 129 dans les mers britanniques et par 116 dans celles du Nord; le nombre des espèces dans ces trois régions est exprimé par les chiffres 600, 400 et 500. Mais le climat n'est pas la seule cause des changements observés dans les faunes et les flores, les modifications nom- breuses que présentent les côtes de ces diverses régions dans leurs caractères géologiques, changent également l'aspect phy- sique du littoral, la conformation du fond de la mer voisine et sa nature. Les variations dans les formes de la surface du sol émergé ou immergé influent sur la distribution des animaux ma- rins, en ce qu'elles favorisent leur extension au delà de la région à laquelle ils appartenaient primitivement, ou bien la restrei- gnent dans des limites au contraire moins étendues que les con- ditions climatologiques et leur organisation ne le comportaient. La composition des eaux, continue Ed. Forbes, est égale- ment une circonstance des plus importantes agissant sur les êtres organisés qui y vivent. Leur degré de salure ou de dou- ceur détermine la présence ou l'absence de nombreuses formes de poissons et d'animaux invertébrés. En Europe, les résultats de cette influence se manifestent dans les régions situées le plus au Nord aussi bien que dans celles situées au Sud. Ainsi dans la région arctique le petit nombre des espèces, dans les DISTRIBUTION DES ANIMAUX AQUATIQUES. 195 endroits peu profonds, est dû à la douceur comparative de la couche supérieure des eaux; dans la Baltique les eaux sont complétement modifiées ; dans la mer Noire les caractères par- ticuliers de la faune locale sont limités et en partie déter- minés par ceux de cette portion du bassin méditerranéen que modifient son isolement presque complet et les grandes ri- vières qui s'y jettent; enfin dans la Caspienne les eaux sont d'une nature très-différente de celles de l'Océan, Dans beaucoup de localités très-limitées, telles que les Zochs de l'Écosse, les fiords de la Norwége et dans un grand nombre d’estuaires, la surface des eaux peut être douce ou presque douce, tandis que les couches inférieures sont aussi sa- lées que la pleine mer; d'où 1l résulte que l’on trouve sur un même point des êtres organisés pour différents degrés de salure d'eau, vivant non-seulement près les uns des autres, mais en quelque sorte étagés les uns au-dessus des autres, comme on l'observe dans un bras de mer situé dans le district rocheux et sauvage de Connemara, en Irlande. La profondeur y est de 27 à 56 mètres, et les animaux qui habitent le fond sont essentiellement marins ; ils ne peuvent vivre dans la couche d'eau supérieure, presque douce, où pullulent, au contraire, des entomostracés qui ne pourraient pas supporter les eaux saumätres du fond. Cette circonstance, observée par Forbes sur beaucoup d’autres points du littoral, expliquerait, suivant lui, l'aspect particulier que présentent souvent les poissons fossiles contournés, comme s'ils étaient morts dans des convulsions, circonstance qui aurait pu se produire par leur passage de l'eau salée inférieure dans l’eau douce supérieure. Mais nous craignons que le savant naturaliste anglais ne se soit laissé entrainer ici dans ses déductions, car on sait que bon nom- bre de poissons vivent à la fois dans les eaux salées et les eaux douces, et quant à ceux qui vivent exclusivement dans l’eau salée il est peu probable qu'ils s’approchent des côtes où l’af- faiblissement de la salure est aussi prononcé dans de petites baies ou fiords et dont la couche d’eau de moindre salure n'a d’ailleurs que quelques mètres d'épaisseur. Profondeur des eaux, Zones bathymé- triques. 194 ÉPOQUE MODERNE. L'influence de la profondeur de l'eau sur les caractères de la vie marine est bien évidente et se manifeste sur tousles points, car partout on trouve des animaux ct des plantes distribués de manière à former des bandes ou zones successives, depuis la limite de la haute mer jusque dans les abimes les plus pro- fonds d'où l’on ait ramené des êtres organisés. Des êtres par- ticuliers habitent chaque zoneen profondeur, tandis que d’autres sont communs à deux ou à un plus grand nombre d'entre elles, mais aucun ne semble parcourir toutesles zones ou vivre à la fois sous toutes les conditions bathymétriques de haut en bas. Néan- moins le facies propre d’une zone donnée de profondeur est tel, suivant Forbes, qu'il suffit de jeter un coup d'œil sur une collection de ses habitants pour pouvoir assigner sa place ou le niveau qu'elle occupe sans l'aide de la ligne ou du plomb. Dans la portion océanique des mers d'Europe on distingue, en hauteur, à partir du rivage, quatre zones successives bien marquées. La première est la zone littorale, représentant l'espace compris entre la haute et la basse mer. Ses caractères sont aussi prononcés là où les marées sont le plus faibles que là où elles sont le plus fortes. Elle est habitée par des animaux et des plantes qui peuvent supporter l'impression périodique de l'air, les effets de la lumière directe, de la chaleur du soleil et de la pluie. Elle est accidentellement recouverte par des eaux douces. Lorsque la mer s'éloigne de la côte, elle laisse à décou- vert beaucoup de genres et d'espèces propres à cette zone, mais qui n'y sont pas encore disséminés au hasard dans toute son étendue ; ils y sont, au contraire, distribués dans des zones secondaires que l’on peut suivre sur la plage à marée basse, et que l'œil le moins expérimenté distingue par leurs différentes teintes. | La seconde zone est celle des plantes marines ou zone des la- minariées; elle s'étend de la limite de la basse mer à une pro- fondeur variable, suivant les lieux, mais qui ne dépasse pas 27 mètres. Elle est également sous-divisée par des bandes d'algues de diverses couleurs. Elle présente une nombreuse po- pulation d'animaux qui lui sont propres, de poissons, de crusta- DISTRIBUTION DES ANIMAUX AQUATIQUES. 195 cés, de mollusques et autres invertébrés des diverses classes, tous remarquables par la vivacité ef la variété de leurs teintes; c’est la plus riche des quatre. La zone des corallines succède à celle des laminariées ; elle est fort étendue et descend jusqu’à 4 mètres ; les lithophytes ou polypiers cornés, les corallines et les hydrophytes y abondent. Elle commence à la limite de la zone des plantes marines, principalement où règnent les nullipores, végétaux qui simulent des minéraux par leur aspect et leur solidité et qui offrent la disposition la plus favorable au frai des poissons. Les animaux vertébrés et invertébrés sont ici fort nombreux, mais les plantes y sontrares. La quatrième, et la plus basse des zones d’êtres organisés : ; | le] marins, est celle des coraux des mers profondes, ainsi désignée . à cause des grands polypiers pierreux qui la caractérisent dans l'Océan d'Europe. Dans les grandes profondeurs le nombre des espèces propres est peu considérable, mais il suffit pour lui imprimer un ca- ractère spécial, tandis que les autres espèces qui proviennent des zones supérieures doivent être regardées comme des co- lonies. A mesure que l’on descend, les êtres organisés se modi- fient de plus en plus, deviennent plus rares et indiquent qu'on s'approche des abîmes où la vie ne montre plus que de faibles témoins de ses forces. La limite absolue reste d'ailleurs indéterminée, et nous verrons bientôt qu’elle descend en réalité beaucoup plus bas qu’on ne le pensait lorsque Forbes écrivait, C'est, on le concoit, dans l'exploration de cette vaste zone im- férieure que le champ des découvertes qui restent à faire est le plus étendu. . Par sa disposition toute particulière, le bassin de la Médi- terranée offre aussi, dans la répartition des êtres organisés qu'il nourrit, des caractères qui lui sont propres. Forbes et son continuateur, M. R. G. Austen, passent ensuite à l'examen détaillé des régions arctique, boréule, celtique, lu- sitanienne, méditerranéenne et caspienne, mais nous ne les Les six régions des mers d'Europe. 196 ÉPOQUE MODERNE. suivrons pas dans cette partie de leur livre, la valeur de plu- sieurs de ces régions ayant éfé contestée, comme nous le dirons plus tard, et ensuite notre but n'étant point l'étude approfondie de la distribution des êtres organisés vivants, mais seulement de rechercher les causes générales qui les font varier sur les divers points du globe et influent sur leur distribution géogra- phique et bathymétrique, de manière à nous éclairer sur les changements plus ou moins semblables que nous rencontrerons dans l'examen des faunes et des flores antérieures. M. Austen a fait suivre la description des régions précitées par des réflexions sur quelques-unes de ces causes dont les in- fluences déterminent la distribution de la vie marine et les - changements qu'elles y occasionnent. La partie du livre, qui est entièrement due à ce dernier savant, nous offre des con- sidérations intéressantes que nous exposerons comme pouvant être utiles au même titre que les précédentes, dont elles sont en quelque sorte le développement et le complément. Mais nous devons faire remarquer ici que si nous voulions remonter aux causes premières de la plupart des effets que nous avons déjà indiqués et de ceux dont il nous reste à parler, il faudrait de toute nécessité entrer dans le domaine de la météo- rologie. Les effets de la chaleur à la surface variant suivant la position du soleil, combinée avec le mouvement de rotation de la terre et modifiée par la disposition relative des eaux et des continents, l'élévation et les contours de ces derniers, ete., produisent dans le sens des méridiens et dans celui des paral- lèles tous les changements climatologiques et les phénomènes que nous observons. Les courbes isothermes, isothères et isochi- mènes, la région des glaces polaires et des neiges perpétuelles sqnt la traduction graphique de ces eflets, et il faut avoir leur disposition constamment présente à la pensée lorsqu'on s'oc- cupede ladistribution des êtres organisés, végétaux et animaux, à la surface des continents aussi bien que dans les eaux. (P.217.) Sans entrer, comme nous venons de le dire, dans le détail des régions ou provinces, de leur composition partieu- lière, de leurs rapports ou de leurs différences, nous recherche- DISTRIBUTION DES ANIMAUX AQUATIQUES. 197 rons ici plus directement les principales causes qui concourent aux changements que présentent ces divers groupes ou associa- tions d'êtres organisés, lorsqu'on se dirige du N, au S. et de l'O. à l'E. Ces considérations de M. R. G. Austen tendent en outre à affaiblir l'importance qu'Ed. Forbes attribuait à ses régions et à faire voir que leurs limites sont moins tranchées qu'il ne le pensait. L'influence la plus générale et la plus directe sur les chan- gements d'une faune est celle qu'exerce la température. La ligne de côtes que nous avons considérée dans ce qui précède s'étend en Europe sur un développement de 1200 lieues de la- titude et se prolonge au delà jusqu'aux Canaries. Sur les côtes russes de l'océan Arctique, la température moyenne des deux mois d'hiver est de — 15° cent. C'est la température moyenne de l'hiver du Spitzherg dont les côtes sont bordées de glaces du mois d'octobre au mois de mai. Ce- pendant une faune de mollusques vit à une certaine profondeur au-dessous. | La côte occidentale de la Scandinavie offre comparativement une douce température. Depuis le cap Nord presque jusqu’à Bergen, elle se relève de — 5° à 0, et, sur ce dernier point, la mér ne gèle que trois fois dans un siècle, La portion de la côte où règne la température la plus basse, du cap Nord aux îles Lo- foden, est celle qu’attemt la faune caractéristique du bassin arctique. Les côtes d'Islande, dont la température de l'hiver est celle du cap Nord, montrent aussi une association de mol- lusques arctiques. La surface de la Baltique éprouve un froid d'hiver beaucoup au-dessous de celui de la côte occidentale de la presqu'île scan- dinave, qui lui correspond en latitude. Ainsi à l'extrémité su- périeure du golfe de Bothnie la température est celle de la côte arctique. Dans le golfe de Finlande on a le froid du cap Nord. Cette basse température de la partie septentrionale de la Bal- tique explique la pauvreté de sa faune, comparée à celle de sa partie sud. | En dehors de l'Europe, la mer d’Aral et le nord de la mer Température d'hiver. 198 ÉPOQUE NODERNE. Caspienne ont des températures d’hiver semblables à celle de l'océan Arctique. Des environs de Bergen aux parties méridionales de la Suède ct de la Norwége s'étend l'association de mollusques et d'autres animaux qui constituent la faune boréale ou scandinave. Avec une température d'hiver un peu plus-élevée que la précédente, celte partie de la côte occidentale d'Europe montre un accrois- sement notable dans les éléments composants de sa faune, com- parée à la faune arctique. Les côtes des iles Britanniques, les golfes intérieurs et les détroits qui les séparent ont une température d'hiver qui se maintient entre 4,44 et 0°. C'est l'hiver froid du nord de l'Adriatique et des parties sud de la mer Noire et de la Cas- pienne. j Laréyion celtique estplus riche que les précédentes ; les formes du sud commencent à s'y montrer, et nulle part la relation di- recte de la distribution des animaux avec la température n’est plus frappante. Lorsque la mer gèle, comme dans l'hiver de 1854 à 1859, on peut juger de l'effet du froid sur une partie de la faune qui s’y trouve exposée, Les surfaces couvertes d'eaux peu profondes laissées par la marée basse ainsi que-les vases et les plantes marines mises à découvert furent gelées, et-les animaux de la zone littorale périrent pour la plupart. Pendant plusieurs mois, dit M. Austen, on vit sur la côte sud de l’An- gleterre, le long de la ligne des hautes marées, les débris ac- curmulés des mollusques littoraux morts de froid. Il en fut de même dans le Firth de Forth, en Écosse, et les possesseurs de parcs à Huitres savent aussi les ravages qu'exerce la gelée lors- qu'elle atteint les mollusques qui font l'objet de leur in- dustrie. On conçoit ‘donc qu'une suite d'hivers, dont la tem- pérature serait inférieure de quelques degrés à la moyenne habituelle, suffirait pour détruire toute la faune de la zone lit- torale comprise entre la haute et la basse mer; elle altérerait les proportions relatives actuelles des espèces côtières et don- nerait à la faune marine, prise en général, un tout autre ea- ractère, DISTRIBUTION DES ANIMAUX AQUATIQUES. 199 Une température moyenne d'hiver de 12°,22 règne le long des côtes sur le pourtour de l'Espagne, de la Sicile et de la Grèce. Gibraltar et les côtes sud de la Méditerranée ont une tempéra- ture plus élevée de quelques degrés. Ainsi depuis l'océan Arctique jusqu’au milieu de la Méditer- ranée la différence de la moyenne température de l'hiver est un peu plus de 27° (de — 15° à + 12°,22 — 2729). L’influence de la température de l'été est le mieux marquée Température par l'extension ou la distribution des formes méridionales, Ainsi ‘"" la partie des côtes d'Angleterre où l’on trouve au mois de juillet une moyenne de 18°, comme les extrémités sud-ouest du De- vonshire et du Cornouailles, est celle où l'on observe quelques formes rares de poissons et de mollusques méridionaux. Il y à, à ces relations générales entre la température et le caractère des faunes, des exceptions qu'il est nécessaire de mentionner, car elles peuvent servir à expliquer des anomalies plus où moins analogues que nous rencontrerons dans l’étude des faunes géo- logiques. Sur la côte nord de la Galice, par exemple, la baie de Vigo montre, suivant M. Andrew, une association de mollusques d'un caractère tout à fait exceptionnel pour cette latitude et rappelant celui d'une faune du Nord. Peut-être serait-ce an reste d'une faune antérieure de formes septentrionales et qui aurait conservé son aspect originaire par suite d'une tempé- rature locale plus basse comparée à celle du reste du golfe de Biscaye. Par le même motif, il n’est pas nécessaire de supposer que les formes méridionales qu'on observe à la pointe sud- ouest de l'Irlande proviennent de migrations du Sud, et elles résulteraient des conditions locales particulières de cette côte sous le rapport de son exposition et de sa température. Quant à cette hypothèse de migration, nous aurons occasion d'yrevenir en traitant des dépôts quaternaires. Les considérations précédentes ont aussi engagé M. Austen à {sociations rechercher les causes de ces associations locales de formes or- "ie ganiques du Nord que Forbes désignait sous le nom d’outliers pen dans plusieurs parties de la région celtique. On ne peut se 200 ÉPOQUE MODERNE. rendre compte de leur présence par aucune circonstance en rapport avec la disposition actuelle des courants ou tout autre mode de transport. On trouve de ces réunions particulièrement dans le voisinage de la Clyde, autour des Hébrides et sur la côte orientale du Firth de Murray. Il est probable qu'il y en a d’au- tres près de Nymph-Bank, sur la côte sud-est de l'Irlande et dans la mer d'Allemagne. Ces lambeaux isolés sont ordinaire- ment situés dans une dépression profonde de 145 à 182 mètres et davantage, constituant des associations de mollusques plus septentrionaux que la région au milieu de laquelle ils se trouvent compris (Gemorianoachina, Trichotropis borealis, Natica groen- landica, Astarte elliptica, Nucula pygmæa, Terebratula caput- serpentis, Crania norwegica, Emarginula crassa, Lottia fulva, Pecten danicus, Neræa cuspidata, N. costata, N. abbreviata). Ed. Forbes a essayé d'expliquer ces particularités en suppo- sant que le lit de la mer, lorsque la faune générale avait un caractère plus septentrional que de nos jours sous cette même latitude, fut soulevé et qu'alors des portions les plus profondes où vivaient certaines formes particulières restèrent submergées. Une partie de l'ancienne faune aura été détruite, et les espèces qui pouvaient supporter des modifications dans leur extension verticale auront continué à vivre, tandis qu'une nouvelle faune sera venue peupler les parties les moins profondes après le soulèvement. Ces circonstances ont dû produire par places le mélange des deux faunes, comme l'a constaté M. Jeffreys. Sur le Turbo-Bank de la côte d'Antrim, par 45 mètres de profon- deur, on a rencontré 21 espèces de coquilles arctiques, bo- réales, celtiques et lusitaniennes, toutes mélangées et vivant ensemble. On conçoit d'ailleurs que des modifications dans la direction des courants marins, dans le relief des continents voisins et bien d’autres causes peuvent ne pas se faire sentir à de grandes profondeurs et à une certaine distance des côtes, et par conséquent ne pas influer sur les populations qui les habitent, tandis qu'elles réagissent sur celles de leur voisinage immédiat, L'étude des terrains nous offrira souvent des eflets semblables. DISTRIBUTION DES ANIMAUX AQUATIQUES. 201 Malgré la tendance de la surface des masses d’eau à se mettre Température en équilibre de température avec celle de l'air qui repose des- se sus, denombreuses expériences ont démontré que, dans unelarge zone s'étendant à environ 50° au nord et au sud de l'équateur, la moyenne température de la surface de l'Océan est un peu su- périeure à celle de l'air. En outre, il existe une ligne s'étendant d'un pôle à l’autre et suivant laquelle règne une température constante de 5°,89. La profondeur de cette ligne au-dessous de la surface varie avec la latitude. Sous l'équateur, elle est à en- viron 4500 mètres et elle atteint la surface même des eaux vers les latitudes N. etS. de 66°. On a dit combien s'’augmentait la richesse de la faune atlan- tique lorsqu'on s’avançait du N. au S.; cette augmentation dans la variété des types spécifiques qui caractérisent les régions des latitudes méridionales a lieu surtout pour les zones littorales et sub-littorales comprises entre la haute et la basse mer, puis pour la zone des laminariées descendant à 27 mètres, et elle doit être attribuée à l'influence de la température extérieure. Or la ligne d'égale température dont nous venons de parler s'enfonce, à partir de la surface vers le 66° et en se dirigeant vers l’équateur, à raison de 59",52 par degré de latitude, de sorte que, sauf les conditions de lumière et de pression, 1l y a, sous chaque latitude, un point ou mieux une zone déterminée où les formes organiques boréales et arctiques retrouvent leur température originaire. On pourrait donc supposer & priori l'existence d’une distribution de formes arctiques suivant des lignes bathymétriques de température. Ainsi un animal exi- geant une température donnée, de 4° par exemple, devra s’en- foncer de près de 40 mètres pour chaque degré qu'il émigrera vers leS. De même, si la température d’une certaine région venait à être élevée, les formes littorales devraient pour continuer à vivre descendre à une plus grande profondeur. Mais en réalité, ajoute M. Austen, il n’en est pas absolument ainsi dans la na- ture, l'extension des espèces, dans le sens horizontal et dans le sens vertical, n'étant pas limitée d’une manière aussi ab- solue, et la relation de la distribution en profondeur par rap- Composition de l'eau de mer. 202 4 ÉPOQUE MODERNE. port à la latitude n'a rien non plus de rigoureusement déter . miné. Néanmoins la zone de tempéralure constante de 3°,89 vient confirmer ce que nous avons dit précédemment des zones de latitude en profondeur et des zones correspondantes en altitude qui semblent converger au nord vers un point zéro, situé au ni- veau de la mer. Ainsi les observations thermométriques directes sont d'accord avec les données zoologiques et botaniques, et les conditions physiques et organiques sont concordantes de l'équateur vers les pôles, car la ligne des neiges perpétuelles forme, au-dessus de la mer, un horizon comparable à celui que la ligne de 5°,89 forme au-dessous. A Mogador, sur la côte occidentale de l'Afrique, par 31° 30", M. Andrew a trouvé 110 espèces de mollusques testacés, dont une partie remontent au nord jusque sur les côtes d'Angleterre ; mais en rangeant ces espèces en deux séries, suivant les pro- fondeurs d'oùil les avait obtenues, il reconnut que 88 de ces es- pèces s’étendaient depuis la côte jusqu'à 54,60 de profondeur, et que toutes étaient des espèces propres aux côtes d'Afrique et de Portugal ou lusitaniennes, tandis que des 52 espèces dra- guées de 65 à 91 mètres, 26 étaient des espèces de la région celtique. Cet exemple prouve, comme on le voit, la généralité du principe que les zones en profondeur représentent les degrés en latitude. Passant à la composition de l’eau de mer, M. Austen regarde comme très-constante celle de l'Atlantique, prise à la latitude du détroit de Gibraltar ou à celle des Hébrides ; mais il n’en est pas de même de l'eau des mers intérieures et de celle des côtes qui diffèrent de celle de la pleine mer. La zone sub-littorale est, | comme on a vu, celle du maximum de la vie marine ; or c'est suivant la ligne des côtes qu'on observe les modifications de l’eau, depuis son excès de salure, sa salure normale, son état saumâtre jusqu'à l'eau tout à fait douce, modifications qui dé: pendent de la quantité de surface d’évaporation et de la tem- pérature, de l'apport des rivières, de l'action égalisante des vents et des marées, ete, DISTRIBUTION DES ANIMAUX AQUATIQUES. 205 La densité de l’eau à la surface est moindre que celle des grandes profondeurs, et le degré de salure s'accroît dans le même sens. L'eau de la surface contient aussi moins d'air que celle des pro- fondeurs, et la différence peut aller jusqu'à 1/100 du volume total. En outre, les analyses des eaux de la mer Noire, de la Caspienne et de la mer d’Azof montrent que, bien que les sels y soient les mêmes, les proportions en sont différentes. Or ces conditions si diverses de l’eau de mer ont une grande influence sur les associations locales de la vie marine. Sur les bords de toutes les mers, partout où il y a de pro- fondes anfractuosités dans le contour des terres émergées, où les rivières, les torrents et Les fleuves apportent leurs eaux, où les marées et bien d'autres causes ont accumulé des bancs de sable, de cailloux, s'avançant au delà de la côte originaire, la composition des eaux éprouve des changements notables. Des lacs d’eau saumâtre se forment ; des lagunes, des estuaires dont l’eau est plus ou moins douce constituent des habitats particu- liers pour les mollusques, et où certaines espèces purement marines s’établissent aussi, en montrant la faculté qu'elles ont de s'adapter à de nouvelles conditions. On voit ainsi jusqu'où peut s’éténdre le changement de leurs habitudes sans les dé- truire, et qu'il est essentiel de prendre ces faits en considéra- tion dans l'examen des faunes géologiques. La faune d’eau saumâtre des mers d'Europe que nous élu- dions varie beaucoup, suivant la région à laquelle elle appartient. Dans la région celtique, par exemple, les Rissoa, Assiminia, Neritina, Conovulus et Truncatella préfèrent habituellement les embouchures des rivières qui ont des estuaires ou des ma- rais bas le long de la côte. La Littorina littorea s'avance bien au delà de l'eau pure de la mer, mais paraît en souffrir. Le Limnea pereger s'aventure plüs bas. Les Scrobicularia et la Mactra solida sont les coquilles d’estuaires les plus caractéristi- ques ; elles y atteignent leur maximum de développement. Le Cardium edule est commun ainsi que la Mya arenacea, mais tous deux de petites dimensions. Le C. edule, rencontré dans un lac d'eau saumâtre de l’île d'Arran, avait une coquille mince, Eaux saumätres. Faune des eaux saumitres. 204 ÉPOQUE MODERNE. fragile et habitait, non le sable, mais au milieu d’une végéta- tion de Conferva crassa. Sur les côtes du Devonshire et surtout dans les estuaires par lesquels les cours d’eau se jettent dans la mer, M. Cloyn Austen a remarqué que les mollusques qui vivent dans les anses de la côte où les eaux douces se réunissent aux eaux salées sont peu nombreux en espèces. Le Mytilus eduhs vit près des ouvertures qui avoisinent le plus l’eau salée. Le Cardium edule, la Mactra compressa, les Venus verrucosa et reflexa remontent plus haut et sont très-répandues. A la marée basse et lorsque les eaux des rivières sont hautes, ces mollusques sont complétement recou- verts par les eaux douces et n'en paraissent pas souffrir, Les Pholas dactylus de la plage de Teignmouth sont à la basse mer recouvertes par l'eau douce, et il en est de même des Tarets qui ont détruit les piliers du pont où l'eau douce les baigne chaque jour pendant plusieurs heures. Les genres d’eau douce, proprement dits, ne paraissent pas descendre dans les estuaires pour s’exposer au contact de l’eau salée, Ainsi les Unio, les Limnées, les Planorbes, les Paludines se Liennent à une certaine distance au-dessus des points où les eaux se mélangent, et leur présence dans l'eau salée n’est due qu'à une circonstance fortuite. Après la mort des animaux et leur destruction, les coquilles, devenues plus légères, sont faci- lement entrainées lors des grandes crues, et, transportées avec les sédiments, elles sont déposées sur les côtes voisines de l'em- bouchure des ruisseaux, des rivières et des fleuves avec les pro- duits marins du littoral. Plus au sud, comme dans la région lusitanienne, poursuit M. Austen, les gastéropodes d’eau saumâtre précédents sont remplacés par des Cérites, des Mélanies, des Ampullaires. Les Corbules, quoique quelquefois des mers profondes, suivent les habitudes des Myes, et, dans les régions plus chaudes, se mon- - trent dans les eaux saumâtres. Une modification graduelle des Le) formes peut être tracée depuis le type de vraies Corbules jusqu'à celäi des Potamomyes, suivant la nature du milieu dans lequel les coquilles se trouvent. Les Corbules vraies ont été rencontrées | | | « DISTRIBUTION DES ANIMAUX AQUATIQUES. 205 aux divers passages des eaux douces aux eaux salées lorsqu'on remonte jusqu'à la série crétacée, puis dans les couches fluvio- marines tertiaires de l’île de Wight, où abondent les Potamo- myes. Les conditions analogues produisent d'ailleurs des associa- tions analogues, ainsi que cela ressort de la comparaison des faunes de la Baltique et de la mer du Nord. Beaucoup de mollusques pulmonés des îles Britanniques se sont habitués aux eaux peu salées du golfe de Bothnie, et il en est de même dans la mer d’Azof. Sur les côtes de l'Asie Mineure, Ed. Forbes a fait connaître les changements occa- sionnés, par les divers degrés de salure des eaux, dans les caractères de certaines formes d'eau douce, de même que les modifications réitérées des eaux douces, saumätres et salées, sur les Paludines, les Mélanopsides et les Néritines. Ces genres offrent trois modes de changements si singuliers et si différents qu'à la première vue on croirait avoir sous les yeux des espèces distinctes. : Nous avons déjà dit, d’une manière générale, que la nature de la ligne des côtes et la composition des dépôts qui consti- tuent le lit de la mer, à différentes profondeurs, exercent une influence réelle sur le caractère général et la richesse de la vie marine. Ainsi les coquilles qui vivent fixées ou qui perforent des cavités pour s'y loger exigent des rochés solides, ré- .sistantes. Les Mytilus, les.Chitons, les Patelles, les Haliotides, les Cyprées, etc., occupent les côtes rocheuses et pierreuses ; quelques coquilles perforantes préfèrent ou’ exigent des roches calcaires, telles que les Gastrochènes, les Saxicaves, les Li- thodomes. Les Pholades ont été rencontrées dans des grès quart- zeux et même dans des roches cristallines anciennes. L'abondance des plantes marines détermine, dans les zones supérieures, celle des Phasianelles, des Rissoa, des Lacuna et des Littorines. Les côtes granitiques et celles formées de schiste ou de grès semblent êtré plus favorables à la végétation marine que les roches calcaires. Les sables sont surtout habités par les Myes, les Solen, les Donax, les Tellines, les Mactres, les Tapes, 14 Nouvelles remarques sur l'influence des circonstances extérieures. Distribution - comparative des -mollusques dans les mers d'Europe. 206 ÉPOQUE MODERNE. les Venus, etc. Dans toutes les mers, une grande quantité de coquilles habitent les vases sableuses ou boueuses, mais il y à, en avant de la plupart des lignes de côtes, une bande de sable pur, comprise dans le mouvement des marées, qui, après un certain temps, est entrainée de nouveau et que l'on peut ap- peler la zone de sable du drift. Cette zone est, on le conçoit, très-défavorable au développement de la vie marine, et l'on n°y trouve que des fragments de coquilles provenant des autres zones. M. Austen a pu draguer l'espace de 50 milles sur une côte semblable sans rencontrer un seul être vivant. Les Scrobicularia, les Neæra, les Isocardia se plaisent dans les boues profondes. Mais les plages de cailloux, qui vers le bas passent à des sables mobiles, ne sont pas favorables à la vie ami- male, Plus au large, et sur les points où les banes de Peignes sont établis, il y a ordinairement une faune de mollusques plus riche, plus variée, ainsi que des Ophiures. Les roches qui s'élèvent brusquement des eaux profondes ne peuvent être parcourues par la drague non plus que les fonds rocheux, mais la quantité de coquilles mortes trouvées dans le voisinage montre que les conditions de ces surfaces favorisent le développement de la vie marine. Les gastéropodes y abon- dent ainsi que les bryozoaires branchus. | Les coquilles bivalves ontune plus grande extension ou distri- bution que les gastéropodes,mais les proportions relatives de ces deux divisions des mollusques dépendent, pour chaque faune locale en particulier, de la nature de la côte. La grande dispro- portion qu'on observe entre eux sur les côtes rocheuses des îles Canaries, par exemple, tiendrait à cette cause. Les gastéropodes rampants y sont très-abondants, tandis que la plupart des bivalves sont des espèces fixées d'Huitres, deSpondyles, de Chames, ete. Dans la mer du Nord, depuis le Firth de Murray jusqu'aux fiords de la Norwége méridionale, s'il arrivait que les dépôts actuels fussent émergés, on verrait, sur une étendue de plus de 120 lieues, une association de coquilles spécifiquement iden- tiques. Le long des côtes qui circonserivent le bassin aretique, il y a aussi, dans le nord de l’ancien comme du nouveau con- DISTRIBUTION DES ANIMAUX AQUATIQUES. 207 tinent, une correspondance des formes spécifiques, et les espèces arctiques sont communes aux côtes nord-ouest du Finmark et aux côtes nord-est du Groenland. La grande faune méditerranéenne est distribuée avec une uniformité frappante, et il en est de même de celle de la mer Rouge. Ces surfaces, considérées relativement à l'identité des espèces qu'elles renferment, sont désignées par l’auteur sous le nom d'isozoïques. La moitié des coquilles des côtes nord du Massachusetts sont, suivant M. Austen, communes aux côles d'Europe et appartiennent à la région boréale (1). Les deux faunes opposées sont seulement isozoïques en degré, mais elles sont équivalentes et appelées omoiozoïiques. Comme les formes du nord décroissent en nombre à mesure qu'on s’avance vers le sud, des deux côtés de l'Atlantique, la proportion des espèces communes diminue, et la correspondance est alors maintenue par des formes représentatives plutôt que par des formes identiques, et le système des zones omoiozoïques se continue, même lorsque, comme dans le cas des Canaries et des Antilles, il n’y a plus que deux espèces communes. (P. 256.) Ces divisions principales de l'Océan permettent, comme on l'a vu, d'en établir de moins étendues que nous avons appelées provinces ou régions. Celles que Forbes avait désignées par les expressions d'arctique, boréale, celtique et lu- sitanienne, le long des côtes d'Europe, ne seraient pas, suivant M. Austen, limitées d’une manière aussi absolue que le pensait son savant collaborateur. Les changements seraient progressifs dans toute l’étendue ; seulement lorsque les coupes des côtes d'Europe sont prises à de grandes distances, comme lorsqu'on compare Ja faune du canal de la Manche avec celle de Lofoden, les différences sont très-considérables. Mais ensuite, que des coupes ou divisions faites entre ces deux points constituent une ou plusieurs régions, c’est une question purement relative et qui dépendra de l'opinion que l’on se fait de la quantité d'espèces qu'une région doit avoir en propre pour constituer (1) On verra plus loin que cette appréciation est très-contestée. Importance relative des régions. 208 ÉPOQUE MODERNE. une unité régionale. Ces sous-divisions, au lieu d'être aussi ri- goureuses que Forbes l'avait cru, seraient simplement conven- tionnelles et leur degré d'importance ou leur plus ou moins de différence dépendra du plus ou moins d’étendue qu’on leur assignera. Ainsi, pour M. Woodward, il faudrait qu’une province ou région eût la moitié de ses espèces qui lui fussent propres, et, dans ce cas, les régions précédentes seraient trop nombreuses ; mais si leurs caractères ne sont pas assez tranchés, elles peuvent : néanmoins être encore utiles dans la pratique. A proprement parler, les provinces lusitanienne et septentrionale seules ren- treraient dans le principe précédent quant au nombre des espèces propres, et la région celtique établie sur le mélange et les caractères mixtes de sa faune n'aurait pas la même valeur que les autres. En comparant les mollusques de la côte nord de l'Espagne, y compris les espèces de la baie de Vigo, avec ceux de la côte sud, M. Mac-Andrew a trouvé que 246 espèces britanniques sur 406, ou 61 0/0, étaient communes à la côte nord, tandis que : les espèces du sud sont au nombre de 227 ou dans la propor- tion de 56 0/0. Des 19 espèces scandinaves qui atteignent l'Espagne, aucune ne dépasse le cap Saint-Vincent. Au-delà de ce point les caractères de la faune lusitanienne deviennent plus prononcés, de telle sorte, dit l'auteur, que s'il est rigou- reusement nécessaire de réduite à 2 le nombre des régions ou provinces, il peut être convenable de les subdiviser, et de la sorte la région lusitanienne septentrionale s’étendrait du cap précédent aux îles de la Manche. Lorsqu'une faune marine devient plus: nombreuse, ce qui a toujours lieu lorsqu'on s'avance du N. au $S., la proportion de l’apparition ou de la disparition des espèces dans telle ou telle direction est inégale. Ainsi sur 212 espèces du nord de l'Espagne, 29 ne dépassent pas le cap Saint-Vincent, et de plus de 552 des côtes de Portugal et de l'Espagne auS. de ce même point 140 n'ont pas été observées au nord jusqu’à Vigo. Si, au contraire, la tendance à la diffusion était égale, le nombre de _ DISTRIBUTION DES ANIMAUX AQUATIQUES. 209 celles-ci, qui ne passent point au nord, serait d'environ 50: or le long des côtes de l'Atlantique d'Europe, les éléments sep- tentrionaux de la faune des mollusques ont une distribution au sud plus grande que les formes méridionales ne l'ont vers le nord. Pour se rendre compte de l’ancien état des conditions phy- siques de la terre, 1l faut donc prendre en considération les lois de la distribution géographique,'de l'arrangement en pro- fondeur des animaux marins et de la nature des sédiments qui constituent le fond. (P. 259.) M. Austen fait voir qu'une faune maïme n'est point une association d'éléments constants, et qu’en remontant de l’époque actuelle dans les périodes géologiques les moins anciennes on suit les modifications qu’elle a éprouvées sur le même point, tantôt dans un sens, tantôt dans un autre, comme nous aurons occasion de dire en décrivant les faunes antérieures à celles de nos Jours. De son côté, M. Jeffreys, ayant démontré que plus de 30 espèces que l'on croyait propres aux mers britanniques se re- trouvaient dans la Méditerranée, est encore venu modifier ce que les régions de Forbes avaient de trop tranché. On voit donc que les résultats si positifs que ce dernier avait d'abord proclamés dans ses huit zones bathymétriques de la mer Égée et les six régions des mers d'Europe se trouvent singulièrement modifiés et atténués; 1l ne reste, pour ainsi dire, dans les deux sens, horizontal ou géographique, vertical ou en profondeur, que des modifications graduelles comme dans les faunes anciennes; mais reconnaissons que l'impulsion donnée par lui à ce genre derecherches n’en a pas été moins fructüeuse. Si nous considérons maintenant la loi de distribution des espèces dans un genre donné, nous verrons que la zone du plus grand développement est celle qui renferme le plus de formes spécifiquement différentes. Dans la mer Égée, Ed. Forbes a trouvé que le genre Gardium atteignait son maximum entre 56 et 63 mètres de profondeur, où il est représenté par 6 espèces ; le genre Pecten, entre 109 et 145 mètres, où il en a 11. Dans l’un et l’autre cas, les zones dans lesquelles ces Distribution des espèces d'un genre donné. Recherches de M, Mac- Andrew. 210 ÉPOQUE MODERNE. genres sont le plus complétement représentés numériquement sont très-différentes. Les individus de toutes les espèces de Cardium réunies n’atteignent pas le nombre de ceux du seul Cardium edule qui vit dans les 4 premiers mètres à partir du rivage. Il en est de même du Pecten opereularis, à une profon- deur un peu plus grande. Les Rissoa, comme on pouvait le prévoir d’après leurs habi- tudes et leur nourriture, ont leur maximum d'espèces dans la zone sub-littorale, où ils abondent aussi numériquement. Partout où ces deux circonstances se rencontrent et sont combinées on a la preuve qu'on a sous les yeux une couche de rivage. Ce genre a d’ailleurs des représentants dans les eaux profondes, Dans cette même mer de l'archipel grec, le genre Trochus a son maximum entre 18 et 56 mètres, mais l'excès est très- faible et l'on peut dire que le genre est complétement représenté de 0 à 180 mètres, d'où il suit qu’il n’est pas très-caractéristique d'une profondeur donnée, Les Pleurotomes ont leur maximum de 65 à 100 mètres. Au-dessus et au-dessous leur nombre décroit graduellement. Sur plus de 2% espèces, la moitié a été rencontrée dans ces limites. Aucune n'est littorale, et { seule (P. abyssicola) a été trouvée au delà de 180 mètres. Dans les mers qui entourent les îles Britanniques, ce genre appartient aux eaux les plus profondes et il en est de même de la région intermédiaire de l'Atlantique lusitanienne. Enfin, bien au delà des zones où existent des faunes en relation avec le sol, de vastes espaces sont habités par des animaux aux habitudes pé- lagiques, dont la structure délicate n'a rien à y craindre du con- tact des corps solides; c’est la zone des libres nageurs, des ptéropodes, des nueléobranches, des céphalopodes, ete. En ce qui concerne particulièrement la distribution des mol- lusques le long des côtes d'Europe, du cap Nord aux îles Cana- rines, on doit à M. Mac-Andrew des recherches intéressantes dont nous exposerons les principaux résultats. IT a d’abord fait voir (1) comment se composait la faune dans toute cette éten- (1) On the geographical distribution of testaceous mollusca, ete. In-8, Liverpool, 1854. | DISTRIBUTION DES ANIMAUX AQUATIQUES. 211 due, ses modifications à mesure qu’on descend au S. et les espèces communes aux côtes de l'Amérique du Nord, puis, dans un rapport publié en 4856 (1), il a donné un tableau comprenant 790 espèces obtenues par ses dragages, exécutés par lui sur 45 degrés de latitude et mdiquant l'extension ho- rizontale et verticale de chacune d'elles, le point de leur plus grand développement, la nature du fond, ete. Un second ta- bleau est plus particulièrement consacré à faire voir la distri- _bution géographique de ces espèces, parmi lesquelles 1l compte 275 acéphales, 14 ptéropodes et 460 gastéropodes. Les mollusques acéphales, dit l’auteur dans ses conclusions, ont une extension en profondeur ou bathymétrique plus grande que les gastéropodes; plusieurs espèces vivent à tous les n1- veaux depuis le bord de la côte jusqu'à 200 mètres et davan- age. Ces espèces ont en même temps la plus grande extension géographique ou horizontale (Saxicava arctica, Venus stria- tula, V. ovata, Lucina borealis, etc.). Elles atteignent ordi- nairement leur plus grande taille dans les eaux peu profondes. La Saxicava arctica est la plus cosmopolite de ces espèces, car elle a été observée jusqu'à plusieurs centaines de mètres de profondeur au Spitzherg, dans les mers de la Chine, dans le détroit de Behring, sur les côtes de la Californie et sur celles de l'Australie (2). (4) Rep. on the marine testaceous mollusca ofthe N. æ Aliantic and neighb. seas. (Rep. Brit. Assoc. for 1856.) (2) La Mya arenaria ne passe point, à la vérité, dans l'hémisphère austral, mais c’est certainement l'espèce la plus cosmopolite de l'hémisphère boréal; car, en Europe, elle manque seulement dans les mers intérieures. Suivant une note que nous devons à l'obligeance de M. P. Fischer, la Myaarenaria descend de l'Océan glacial arctique le long des côtes de Norwége, des îles Britanniques, de la France, mais sans dépasser les côtes du golfe de Gasco- gne, où elle vit dans le voisinage des estuaires entre le 43° et le 45° lat. A l’est, elle habite les côtes nord de la Russie et de la Sibérie, où M. Mid- dendorff la signale à la Nouvelle-Zemble, vers le 75°. Plus loin, dans cette direction, elle existe le long du détroit de Behring et des îles Aléoutiennes. Pénétrant ensuite dans le Grand Océan, elle a été recueillie au Kamtchatka, dans la mer d'Okhotsk, dans celles du Japon et du nord de Ja Chine, à Tohé- Fou. Sa limite sud serait ici comprise entre le 30° et le 40° jat., c'est-à-dire 212 ÉPOQUE MODERNE. Mais à ces diverses profondeurs les espèces présentent des modifications plus ou moins prononcées. En général, les indi- vidus qui vivent le plus bas ont une taille moindre, leurs cou- leurs sont moins vives et le test est moins solide. Les espèces du nord diminuent beaucoup de grandeur en descendant vers le sud, mais l'inverse n'a pas lieu pour les espèces du sud, dont un certain nombre s’accroissent, au con- traire, en atteignant leurs limites nord, Aïnsi la Ringicula au- riculata et la Mactra rugosa atteignent leur maximum de dé- veloppement dans la baie de Vigo, l'Haliotis tubereulata à Guernesey et la Tellina balaustina à l'ouest de l'Irlande et dans les Hébrides. La répartition exacte des mollusques marins par provinces ou faunes est, comme on vient de le dire, loin d'être aussi tran- chée qu’on l'avait cru d’abord. Les faunes arctique et tropicale sont, à la vérité, assez bien limitées par les zones géographi- ques qui les désignent, sauf que la première s'avance de quelques degrés en dedans du cercle arctique à cause du courant dirigé vers le N., le long de la côte de Norwége, mais la division de la zone tempérée en régions boréale, celtique et lusitanienne où méditerranéenne, donne lieu à diverses observations. Ainsi les deux séries de mollusques de différents types s’a- vancent l’une vers l’autre des régions sub-arctiques et sub-tro- picales. Dans leur marche, chacune perd beaucoup de ses types les plus caractéristiques qui s'éteignent lun après l'aufre de manière que, lorsqu'elles arrivent à se joindre, les espèces qui plus basse que dans les mers d'Europe (Crosse et Debeaux). Par les iles Aléoutiennes elle joint les côtes d'Amérique : on l'a trouvée à l'ile Sitka, entre les archipels du Roi-Georges et de la Reine-Charlotte, Si des côtes d'Europe on se dirige à l'O., on rencontre encore la Mya arenaria au Groenland (Fabricius), dans la mer de Baffin, au détroit de Da- vis, sur les côtes de la Nouvelle-Angleterre (Stimpson), du Massachusetts (Gould) et de la Caroline du Sud (Gibbs), entre le 32° et le 55° lat., sans qu'elle atteigne le golfe du Mexique. Ainsi, dans l'hémisphère nord, elle s'étend du 30° au 80° lat., et après son circuit polaire semble envoyer au S. quatre grandes colonies : européenne, asiatique, américaine-pacifique, américaine-allantique. DISTRIBUTION DES ANIMAUX AQUATIQUES. 213 ont persisté sont en petit nombre et ne sont point les plus ca- ractéristiques des régions extrêmes nord et sud. Remarquons ici que les formes typiques de la faune arctique descendent loin, vers le S., tandis qu'à peine un des types caractéristiques des mers chaudes remonte-t-il vers le‘N. Pour arriver à une égale distribution des mollusques dans les zones tempérées, il est nécessaire, suivant M. Mac-Andrew, d'admettre une faune intermédiaire s'étendant plus ou moins dans le domaine des deux autres et ayant son principal déve. loppement à leur point de rencontre. Celui-ci se trouverait par le 50° lat., et le canal de la Manche marque, en effet, la limite de quelques espèces caractéristiques du nord (Buccinum unda- tum, Fusus antiquus, Cyprina islandica), aussi bien que des genres (Haliotis, Lachesis, Galyptræ, Venerupis, Gastrochæna, Auricula) et de nombreuses espèces des types sud. I n'y a point d’ailleurs de ligne tranchée ; le passage des faunes est graduel, et cette faune intermédiaire pourrait être comprise entre le 45° et le 55° de latitude, embrassant ainsi la plus grande partie de la baie de Biscaye et une portion consi- dérable de la mer du Nord. Les espèces les plus caractéristiques et qui y atteignent leur plus grand développement sont : Pur- pura lapillus, Natica monilifera, N. nitida, Trochus sixyphi- nus, Lacuna puteolus, L. pallidula, les Pholades des côtes d'Angleterre, Mactra solida, Tellina crassa, Pecten opercula- ris, P. pusio, Venus striatula. Le changement, quoique graduel, est cependant plus pro- noncé.sur certains points que sur d’autres; ainsi le cap Saint- Vincent est peut-être la limite nord d'environ 100 espèces du sud, sans être pour cela une limite comparable pour les espèces du nord. Ê Le sud de l'Écosse est une limite analogue pour les formes du nord, et des 135 espèces de Norwége qui atteignent les côtes d'Écosse, 42 manquent dans le midi de PAngleterre. Quant à la faune de la Méditerranée, elle peut être regardée comme une dépendance de celle de l'Atlantique tempérée nord, avec laquelle elle s'accorde dans ses caractères généraux, Divisions de M'S Pr. Woodward. Provinces marines ou régions. qe, de, 5° 4, et le honor Le régions. 214 ÉPOQUE MODERNE. quoique possédant quelques particularités résultant de sa po- sition isolée. Nous nous sommes étendu sur la distribution des êtres or- ganisés en profondeur et géographiquement dans les mers qui baignent les côtes d'Europe, parce que ce sujet y a été traité d'une manière générale, plus théorique et plus complète que dans les autres mers du globe, et qu'en outre les recherches spéciales d'Ed, Forbes, de Lüven, de Mac-Andrew, ete., et le travail de M. Austen lui donnaient un intérêt particulier; aussi: passerons plus rapidement sur ce que nous avons à dire relati- vement à la distribution des mollusques, en dehors des limites où nous nous sommes renfermé Jusqu'à présent. M. Woodward, dans son Manuel des Mollusques (a), a pré- senté le développement géographique actuel de ces animaux qui intéressent particulièrement le paléontologiste et le géo- logue, en les répartissant dans des provinces ou régions ma- rines au nombre de 18 pour toutes les mers, et dans des pro- vinces ou régions continentales insulaires ou terrestres au nombre de 27 pour les continents et les iles. Examimons rapi- dement cette distribution, dont en peut se faire une idée en jetant les yeux sur la pl. 4, ci-après. Sans revenir ici sur les régions marines de Pouest, que nous avons vues désignées par les noms de arctique, boréale, celti- que et lusitanienne, et donit le nombre des espèces propres est représenté par les chiffres 100, 200, 250 et 450, nous passe- rons de suite à la région aralo-caspienne qui se trouve dans des conditions particulières. La Caspienne et lAral sont les seules mers intérieures qui aient des coquilles qui leur soient propres ; mais les 20 espèces citées et dont la moitié se retrouvent dans les calcaires des steppes qui bordent le bassin de la mer Noire, de même que l1 grande dépression des deux mers intérieures, les obser- valions plus récentes de M. Spratt, qui tendent à prouver que les coquilles voisines des Cardium, imprimant à cette faune (1) À manual of the Mollusca, in-12, avec pl., Londres, 1851-56. DISTRIBUTION DES ANIMAUX AQUATIQUES. 215 un caractère particulier, ne vivent pas aujourd’hui dans les eaux saumâtres mais dans des lacs complétement d'eau douce, enfin l'absence de dragages ou de recherches bathymétriques faites avec soin, tels sont les motifs qui ne nous permettent pas d’asscoir encore une opinion bien précise sur cette faune d'ailleurs très-pauvre en genres et en espèces et dont aucune des dernières n’a de caractère marin bien prononcé (1). La région de l’Afrique occidentale entre les tropiques, y compris celle des côtes de Sainte-Hélène, est très-riche en mol- lusques. 500 espèces lui sont propres, mais il reste beaucoup à faire pour avoir une idée complète de cette faune, malgré les recherches d’Adanson, de Cranch, de Cuming, ete. La faune du sud de l'Afrique a peu de caractères communs avec celle de la côte occidentale ; elle en a davantage avec celle de l'océan Indien, comme on pouvait le prévoir d’après la direction des courants. D'un autre côté il y a une association particulière qu'on n’observe point ailleurs, et le cap des Tempêtes forme une barrière entre les populations des deux grands Océans presque aussi complète que la pointe de l'Amérique du Sud. Des 400 espèces mentionnées dans cette région, plus de 200 lui sont propres, et beaucoup de celles-ci sont d’un petit nombre * de genres littoraux. 11 espèces seulement se retrouvent sur les côtes du Sénégal, tandis qu'il y en a 18 dans la mer Rouge et 16 dans les mers d'Europe. La région de l'océan Indo-Pacifique est de beaucoup le plus grand espace dans lequel les mollusques et les autres animaux marins testacés aient été reconnus. Elle s'étend de l'Austra- lie au Japon et de la mer Rouge et de la côte orientale de l'Afrique à l'ile Easter dans l'océan Pacifique, comprenant ainsi les 3/5 de la circonférence de la terre et 45° de latitude. Cette grande région peut être, à la vérité, subdivisée en sous-régions, (1) Nous trouvons 20 espèces signalées dans ces deux mers (p. 365), et dans son tableau général, p. 407, l'auteur a mis le chiffre 30. Nous ne pouvons pas d’ailleurs y comprendre celles qui n'ont été signalées que dans les calcaires des steppes et qui sont au nombre de 14. (Voy. Murchison, de Verneuil et de Keyserling, Russia in Europa, ete., p. 297.) 6° région. 1° région. 8° région. 216 ÉPOQUE MODERNE. telles que la mer Rouge, Madagascar, le golfe Persique, ete. mais il y a un nombre considérable d'espèces qui se retrou- vent partout et donnent à l'ensemble un même facies gé- néral. Suivant M. Cuming, plus de 100 espèces des côtes orientales d'Afrique sont identiques avec celles qu'il a recueillies aux Phi- lippines et dans les îles de coraux de l'est du Pacifique. Ces îles de polypiers sont d'ailleurs le refuge et l'abri d'une multitude de mollusques et d’autres êtres marins particuliers. Le nombre des espèces de cette région est de plusieurs milliers. Ainsi, M. Cuming, qui a recueilli 2500 espèces de coquilles marines autour des îles Philippines, estime qu'il y en a encore un mille de plus, et M. Woodward porte à 4000 le nombre des espèces particulières à cette 8° région. Il y cite entre ‘autres 120 es- pèces de Cônes, 100 Pleurotomes, 250 Mitres, 40 Columbelles, 00 Cypræa, 50 Natica, 50 Chitons, 50 Tellines, ete, Parmi les 68 genres les plus caractéristiques de cette grande région, 40 n'ont point de représentants sur les côtes d'Europe ; mais la moitié de ce nombre se retrouve à l’état fossile dans les dé- pôts tertiaires de cette dernière partie du globe, 10 genres se représentent sur la côte occidentale de l'Amérique. La mer Rouge à offert à MM. Ehrenberg et Hemprich 408 es- pèces, dont 74 sont communes à la Méditerranée, ce qui indi- querait une communication directe entre ces deux mers depuis l'existence d'une grande partie de la faune actuelle, comme M. Valenciennes avait pu le supposer d'après un nombre d’es- pèces bien moins considérable; 40 de ces espèces se retrouvant aussi dans l'Atlantique y auraient émigré par la Méditerra- née pendant la période quaternaire ; les autres qui viennent de la région indo-pacifique remontent peut-être à une époque plus ancienne. Les genres de la mer Rouge qui manquent dans la Méditerranée ont surtout les caractères de ceux de la mer des Indes. | Golfe Persique. La zoologie marine du golfe Persique n'a pas été suffisamment explorée pour qu’on en induise quelques données particulières, et les côtes de Kurachee ont apporté aux DISTRIBUTION DES ANIMAUX AQUATIQUES. 217 recherches de M. Baker un assez grand nombre d'espèces, les unes connues, les autres nouvelles. La 9° province, comprenant les mers de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande, la plus éloignée de la région celtique dont elle est l'antipode, est aussi celle qui en diffère le plus par sa faune. Beaucoup de ses genres sont complétement inconnus en Europe, soit vivants, soit fossiles, et quelques-uns y sont fos- siles, mais d’une période déjà ancienne. 9 genres sont propres à cette région, 27 y atteignent un développement particulier, et 9 se retrouvent à de très-grandes distances sur les côtes de la Terre-de-Feu, du Chili, de la Patagonie, de l'Inde, du Japon, du Cap et des mers arctiques. 400 espèces lui seraient particu- lières, mais ce nombre ne résulte sans doute que du peu de re- cherches spéciales faites jusqu'à présent dans cette région (1). La province du Japon, comprenant les iles de ce nom et la Corée, représente la faune lusitanienne ; elle est connue par les bâtiments marchands hollandais qui ont eu longtemps le pri- vilége exclusif du commerce avec ce pays; M. Woodward en porte la faune particulière des mollusques au chiffre de 300 es- pèces. De même, la région boréale de l'Europe est représentée dans l’océan Pacifique du Nord par la région des îles Aléou- tiennes, où, suivant M. Middendorff, on retrouve les mêmes genres et beaucoup d'espèces identiques ; en outre, 100 espèces paraissent y être propres. Quelques espèces d'Haliotides y mon- trent l'influence du courant des côtes d'Asie, tandis que d’au- tres indiquent ses rapports avec la faune de la côte occidentale d'Amérique. Considérées dans leur ensemble, ces longues lignes de côtes qui s'étendent du 50° de lat. nord au cap Horn présentent des (1) De ce que quelques espèces de genres représentés surtout dans le terrain tertiaire inférieur et dans le terrain secondaire, telles que les Crassa- telles et les Trigonies, ont été trouvées vivantes dans ces mers, on s’est em- pressé d'établir une certaine relation entre la faune actuelle de la Nouvelle- Hollande et la faune oolitique, par exemple, mais de pareils rapprochements ne prouvent en réalité que l’irréflexion de ceux qui les font. 9° région. 10° région. 11° région. Côtes occidentales de l'Amérique. Généralités. 218 ÉPOQUE MODERNE. faunes de mollusques également distinctes de celles de l'Atlan- tique à l’est, et de celles des parties centrales de l'océan Paaï- . fique à l’ouest, car, suivant M. Darwin (1), il n’y aurait pas une seule coquille qui fût commune aux îles de l'océan Pacifique et à la côte occidentale de l'Amérique. D'un autre côté, MM. Cu- ming et Hinds, qui ont pu comparer environ 2000 espèces pro- venant des côtes est et ouest du continent américain, n’ont trouvé que Le Purpura patula qui serencontrât à la fois aux États- Unis, sur la côte de Panama et autour des iles Gallapagos, identification qui même a paru douteuse à quelques personnes. D'autres identifications d'espèces qui se trouveraient à la fois sur les côtes opposées du continent sont aussi révoquées en doute. De 628 espèces recueillies par Ale. d'Orbigny sur les côtes méridionales de l'Amérique, 180 à l'est et 447 à l'ouest, la Siphonaria Lessonii, qui s'étend de Valparaiso au Chili à Mal- donado, sur lacôte de l'Uruguay, est la seule qui soit commune, circonstance que M. Darwin attribue au canal supposé de la ri- vière de Santa-Cruz, qui réunissaitautrefois le Pacifique à l'océan Atlantique, comme fait aujourd'hui le détroit de Magellan. Les espèces précédentes sont rangées dans 110 genres, dont do sont communs aux deux côtes, 54 propres à celle du Paei- fique, 21 à celle de l'Atlantique (2). Dans l'océan Atlantique, la faune des régions tempérées se- rait, suivant Ale. d'Orbigny, plus nombreuse que celle des ré- gions chaudes, et chacune de ces régions possède # à 6 fois plus d'espèces propres que d'espèces communes. Les côtes du Grand Océan donnent des résultats analogues. Ces conclusions sont d'ailleurs en contradiction complète avec celles que présente M. Woodward d’après les observations des autres voyageurs et naturalistes. Si l'on compare, ajoute d'Orbigny, les genres des côtes op- (1) Journ. of voyage, p. 51. (2) Voy. dans l'Amér. mérid, & V, p. 5; 1847. Nous avons donné des chiffres moindres d'après une communication plus ancienne de l'auteur, — Compt. rend., vol. IX, 10 nov, 1844 (Hist. des progré de la géologie, vol, 1, -p. 405); aussi ne les repro luirons-nous pas ici. DISTRIBUTION DES ANIMAUX AQUATIQUES. 219 _ posées, on trouve dans leur répartition des différences remar- quables. Ainsi, dans l'Atlantique, le rapport des gastéropo- des aux lamellibranches serait : : 85 : 71, dans le grand Océan : : 199 : 76.La distribution si différente des mollusques sur les deux côtes de l'Amérique méridionale paraît tenir aux ea- ractères orographiques très-différents aussi des côtes et du sol sous-marin, Sur le littoral du Grand Océan, les Cordillières étant très-près de la mer, les pentes y sont plus abruptes, fort inclinées, et les rochérs bien plus nombreux que les plages sa- blonneuses; il doit donc y avoir infiniment plus de gastéropodes que de lamellibranches, et les genres qui dominent par leurs espèces doivent principalement vivre sur les rochers. C'est l'inverse pour la côte de l'océan Atlantique, où les plages en pentes douces se prolongent fort loin sous les eaux et où les mollusques côtiers doivent vivre principalement sur les parties sablonneuses et dans les golfes tranquilles. Les dif- férences organiques, produites ainsi par la disposition des deux côtes à la même latitude sont plus prononcées que celles qui sont ducs à la différence des latitudes dans l’un et l'autre océan. D'après le même savant, qui s'est occupé de l'influence des courants et d’autres circonstances physiques détermi- nant la station des animaux marins, les grands cours d’eau, tels que ceux de l'Amérique méridionale, n'auraient aucun effet sur la composition des faunes marines voisines, conclu- sion encore opposée à ce que nous ont fait connaître les re- cherches plus récentes que nous ävons rappelées précédem. ment, et d'après lesquelles le degré de salure de l'eau et la proportion des eaux douces apportées sur la côte par les ri- vières et les fleuves modifiaient sensiblement les caractères des faunes. Les mers qui baignent les deux côtés du nouveau continent présentent, quant aux diverses associations de mollusques, les divisions ou provinces suivantes : Dans la région de la Californie et de l'Orégon, 11 espèces remontent au N. vers l'ile de Sitka par 58° lat. N., et peu d’es- pèces s'étendent jusque dans la baie de Californie, qui appar- 12° région, 15° région. 14° région. 220 ÉPOQUE MODERNE. tient à la province suivante ou de Panama. 2950 espèces seraient propres à cette province (1). La région de Panama s'étend de cette baie, ou mer Vermeille, à Payta, au Pérou, constituant une des plus grandes régions et des mieux caractérisées. Les coquilles de Mazatlan et du golfe au nombre d'environ 500, dont la moitié se retrouverait au S. le long des côtes de Panama et du Pérou, n'ont que très-peu d'a- nalogues sur la côte ouest du promontoire de Saint-Lucas, et encore moins dans l'Atlantique ou dans lé Pacifique. Les coquilles des côtes de Panama sont au nombre de plus de 1500, dont peut-être aucune n'existe au delà; ear celles qu'on a cilées dans d’autres régions sont plus ou moins dou- teuses. En général, 1l y a une très-grande différence entre cette faune et celle de la mer ou province des Caraïbes, et le nombre des espèces qui y atteignent des dimensions considérables y est plus grand que dans cette dernière. Autour des îles Gallapagos, M. Cuming a recueilli 90 espèces, dont 47 sont inconnues ailleurs, 25 se trouvent le long de l'Amérique occidentale, les autres dans divers points du Grand Océan. 1 seule coquille est citée par M. Adam des deux côtés de l’isthme de Panama : c'est la Crepidula unguiformis. Mais ce mollusque paraît n'être qu'une forme anormale de différentes espèces résultant de son mode d’accroissement dans l'intérieur d'autres coquilles. Le nombre des espèces propres à cette pro- vince de Panama n'est pas moindre de 1000 (2). La province littorale du Pérou comprend les côtes de Callao à Valparaiso, au Chili, et fournit une association considérable de coquilles particulières, mais dont leslistes ne sont pas encore très-bien dressées, malgré les recherches d’Ale. d'Orbigny, de Cuming et de Philippi. De 160 espèces recueillies par le pre- (1) Sur la côte occidentale de l'Orégon et de la Californie, M. P, P. Car- penter indique 50 espèces de mollusques. (Rep. Brit. Assoc., 1896. — Check list of the shells of N. Amer. prepar. f. the Smiths. institution, 1860. (2) Sur la côte occidentale du Mexique etde Panama, M, P, + Carpenter indique 4189 cspèces de mollusques. 1bid. DISTRIBUTION DES ANIMAUX AQUATIQUES. 221 mier de ces naturalistes, la moitié est commune au Pérou et au Chili, tandis qu'une seule recueillie à Callao aurait été ren- contrée aussi à Payta, située à peu de distance au delà de la Hi- mite de la région qui contiendrait 500 espèces propres. La région des provinces magellaniques comprend les côtes de la Terre-de-Feu, des îles Falkland et de la partie continen- tale de l'Amérique du Sud, depuis la pointe Melo à l'est jus- qu'à Conception à l'ouest. Les côtes sud et occidentales sont les plus exposées aux tempêtes furieuses de ces parages; sur beaucoup de points les glaciers descendent jusque dans la mer, et souvent le passage du cap Horn est embarrassé par les glace: qui viennent du pôle. Dans le détroit, les plus grandes marée: atteignent 15 mètres. Le long de la Terre-de-Feu, depuis le niveau de la basse mer jusqu’à 82 mètres de profondeur, vé- gète l'immense Macrocystis pyrifera, dans les rameaux duquel fourmillent, dit M. Darwin, les Ascidies, les coquilles patelli- formes, les Trochus, les mollusques nus, les Seiches et des bi- valves fixes. Les roches à la basse mer n'abondent pas moins en coquilles très-différentes de celles des latitudes nord cor- respondantes, et, lorsque les genres sont les mêmes, les espèces sont de beaucoup plus grandes tailles et plus fortement consti- tuées. Cependant, conformément à la loi de décroissement vers les pôles, nous ne trouvons dans cette région, malgré la variété de ses habitants, que 100 espèces qui lui soient propres. En remontant au nord de Port-Melo à Santa Catharima, non loin du tropique, la côte orientale de l'Amérique du Sud, qui comprend la région ou province patagonienne, a éprouvé des changements considérables depuis l'existence de la faune ac- tuelle ou très-peu auparavant; nous en parlerons en traitant des dépôts quaternaires. De 79 coquilles recueillies par Alc. d'Or- bigny sur la côte nord de la Patagonie, 51 lui sont propres, À se trouve aux iles Falkland et 27 à Maldonado et au Brésil. À Maldonado, de 37 espèces 8 sont propres à cette localité, 10 se retrouvent au nord de la Patagonie, 2 à Rio et 17 au Brésil. De celles-ci 8 se continuent dans la mer des Antilles. Cette région, bien qu'elle s'approche du tropique, n'aurait, 15 15° région 16° région. 17° région. 18° région, 292 ÉPOQUE MODERNE. suivant les connaissances actuelles, que 170 espèces propres. La région désignée sous le nom de cardibéenne comprend le golfe du Mexique, les Antilles et la côte orientale de l'Amé- rique du Sud jusqu'à Rio-Janeiro, formant la quatrième grande région tropicale de la vie marine. Elle a fourni jusqu'à présent, suivant M. Adams, près de 1500 espèces dont 500 provenant de Cuba ont été décrites par Ale. d'Orbigny. Les côtes des An- tilles, des Bermudes et du Brésil sont bordées de récifs de co- raux et de bancs considérables de fucus ou d'autres plantes marines. 1000 espèces seraient particulières à cette région. M. P. Fischer nous a fait remarquer que la mer des Antilles présentait cette particularité, de nourrir encore les représentants de plusieurs genres ou familles qui manquent jusqu'à présent dans le terrain tertiaire supérieur et moyen et ne sont connus que dans des dépôts plus anciens. Le Pleurotomaria quoyana, Fisch., de Marie-Galante, est voisin des grands Pleurotomaires jurassiques; 2? ou 3 espèces au plus ont été signalées dans le terrain tertiaire inférieur; la Pholadomya candida, Lam., de la Guadeloupe et de Tustola, n'a point de congénères dans le terrain tertiaire supérieur (1) et ils seraient très-rares dans le moyen ; le Pentacrinus caput Medusæ, Lam., de la Guadeloupe, et l'Holopus Rangii de la Martinique sont les seuls représen- tants de la famille des crinoïdes, et il faut redescendre bien loin dans le terrain secondaire pour trouver des formes ana- logues. Dans les autres mers du globe, les jeunes Comatules représentent seuls les radiaires échinodermes pédoneulés. Nous avons done dans ces faits quelque chose de comparable à ce que nous avons rappelé pour les mers de la Nouvelle-Hollande, mais dont nous nous garderons bien de tirer les conséquences qu'on en avait déduites pour la faune de celle-ci. Enfin la région trans-atlantique, qui comprend les côtes des États-Unis, avait été divisée en deux par Ed. Forbes; l’une, s'étendant du cap Hatteras au cap Cod, était la région virgi- (4) Nous ne connaissons pas la P. hesterna, Sow. (Miner. Conch., t. 629; 1844) qui d'ailleurs serait déjà du crag blanc ou inférieur. DISTRIBUTION DES ANIMAUX AQUATIQUES. 295 nienne ; l'autre, se prolongeant jusqu'à l'extrémité de la Floride, était la région carolinienne. Mais cette division ne paraît pas reposer sur des données suffisantes. Le nombre total des mol- . lusques est de 250 seulement, dont 60 se continuent plus au nord et 15 se représentent sur les côtes d'Europe. Des 110 espèces de la côte du Massachusetts, au sud du cap Cod, il y en à près de la moitié, suivant M. Gould, qui ne passent pas au nord de ce cap et qui forment le commencement du type américain, M. Dekay, en décrivant les coquilles de New-York et des autres États du Sud, a fait connaître 120 espèces nou- elles, dont quelques-unes s'étaient écartées de la région Ca- raïibéenne. Cette région aurait 300 espèces propres (1). La somme des espèces ainsi particulières à ces 18 régions marines serait de 10,000, suivant le tableau dressé par M. Woodward (p. 407). L'inégalité de ces régions ou provinces malacologiques, en grandeur et en importance, est en partie naturelle et en partie causée par l'inégale facilité qu'on trouve à les subdiviser. La région Indo-Pacifique, par exemple, n’est pas du même rang que la région du Japon parce qu'elle résulte de la réunion de plusieurs sous-régions. M. Waterhouse appelle provinces de fa- milles ou d'ordres les régions principales dans lesquelles on peut distinguer de grands groupes d'animaux, et provinces spéci- fiques ou génériques celles qui ne sont caractérisées que par des associations zoologiques moins importantes. Nous ajouterons à ces divisions de M. Woodward quelques considérations sur les caractères des mollusques qui habitent les mers cireum-polaires, considérations que nous devons à l'obligeance de M. P. Fischer. Les faunes arctique et antarctique, très-différentes l'une de l'autre quant aux espèces, parce qu'elles n’en ont pas une seule commune, offrent cependant un certain facies qui les rappro- (1) Des côtes oxientales des mers arctiques à celles de la Géorgie inclusi- vement, M. W. Stimpson a signalé 559 espèces de mollusques, dont 45 sont restées douteuses. (Check listes of the shells of N. Amer. prepared for the Smithsonian Institution, 1860.) Régions circum-po- laires. 224 ÉPOQUE MODERNE. che. Lenombre des espèces y diminue sensiblement par rapport aux régions voisines, tandis que certains genres y prédominent et caractérisent ainsi les populations de ces mers froides. Ce sont surtout les genres Chrysodomus, Trophon, Trichotropis, . Margarita, Lamellaria, Rhynchonella, Crenella, Joldia, Astarte, Bullia, Puncturella, Buccinum, Cyprina, Glycimeris, dont plu- sieurs n’habitent que les deux zones cireum-polaires et sont inconnus dans les mérs chaudes et tempérées. La région polaire boréale présente une population de mol- lusques comparable dans le nord de la Sibérie, de la Russie à la Nouvelle-Zemble, au nord de la Norwége, en Islande, au Spitz- berg, autour des iles Shetland et Féroë, sur les côtes du Groen- land, dans le détroit de Davis, dans celui de Behring et dans le nord de l'Amérique Russe. Une liste assez nombreuse peut être dressée, en effet, des espèces communes au nord de l'Europe et au nord de l'Amérique, mais les relations de l'océan Paci- fique avec la mer Glaciale, par la région des îles Aléoutiennes, des îles Kourilles et de la mer d’Okhotsk, modifient la faune boréale dans la mer de Behring et au delà du détroit de ce nom. Le nombre des espèces communes diminue et 1l y a une sorte de lacune dans la zone de l'organisme cireum-polaire. Néanmoins la prédominance des genres des mers froides con- tribue toujours à donner à la faune un caractère polaire. Les espèces suivantes ont été rencontrées sur 35° de lat., depuis 45° jusqu'au 80° lat. N., de la Nouvelle-Angleterre au Spitzherg, sur les côtes du Groenland, de la Nouvelle-Zemble et de la Scandinavie, à l'extrémité septentrionale des îles Bri- tanniques : Rhynchonella psittacea, Pecten islandicus, Crenella decussata, Crenella nigra, Leda permula, L. caudata (1). (1) Voy. aussi sur ce sujet : Olto Torell; Bidrag till Spilsbergem Mol- lusk fauna jemte in Allman üfversigt af arktiska regionem Naturf och fornt. utbredning 1. Stockholm, 1859. — 0. À. L. Mürch, Fortegnelse over Gronlands Bladdyer, etc. Prodrome d'une faune des Mollusques du Groenland, 1857. Il y a 255 espèces indiquées : marines, fluviatiles et ter- restres. — L. Maury, Phys. geography of the sea, new. ed., 1858, p. 55. Espèces du Finmark, du Groenland et du Spitzherg. — P. 41, Mammifères DISTRIBUTION DES ANIMAUX AQUATIQUES. 225 On ne peut encore, pour la zone circum-polaire australe, éta . blir de loi semblable à celle du Nord. L'Amérique descend beaucoup plus bas que l'Afrique, l'Australie et la Nouvelle- Zélande, d'où il résulte que la faune des côtes magellaniques affecte le caractère polaire, tandis que celle du Cap présente celui des mers chaudes, comme le prouvent les genres Cône, Marginelle, Éburne, Harpe, Mitre, Cypræa, ete., qu’on y ren- contre. D'ailleurs nous connaissons moins bien les mers polaires australes que celles du Nord ; elles sont dans des conditions différentes d'étendue, de profondeur et de température. La zone magellanique, par 59° lat., ne dépasse pas, au sud, la latitude de l'Irlande au nord, et Fe là jusqu'au 80° on sait Bien peu de chose. Les immenses banquises qui défendent les ap- proches des terres Adélie et Victoria, des volcans, l'Érèbe et le mont Terreur, de même que les terres Louis-Philippe, Palmer et Graham, n’ont guère été favorables à la recherche des mollusques dans ces parages si rarement visités. La. distribution géographique actuelle de certaines familles de mollusques marins dont les représentants, à l'état fossile, ont joué un rôle important dans les diverses périodes géolo- giques, peut aussi avoir quelque intérêt. Ainsi la répartition des céphalopodes acétabulifères, qui sont des mollusques de hautes mers, et qui a été donnée par Alc. d'Orbigny, nous fait voir que 6 de leurs genres habitent à la fois les régions chaudes, tempérées et froides, quoique beaucoup plus nombreux dans les premières; 3 genres qui habitent les zones chaudes ou tem- pérées sont aussi plus abondants en espèces sous la zone tor- ride ; 6 sont propres aux mers tropicales ; 1 seule est exclusive aux zones froides. Ainsi sur 16 genres que comprend cette fa- mille, 15 ont des représentants dans les régions chaudes, 10 de la région arctique : nord de l'Amérique au delà du 70°, terre de Bootia- Félix, Col ile Melleville, Nouvelle-Zemble, Spitzherg, détroit de Ken- nedy. —Oiseaux. — Coquilles fluviatiles et terrestres. — P.119, Mollusques du Spitzherg : 5 Térébratules, 1 Cranie, 2 Pecten, 5 Crenellu, 1 Dacry- dium, nov. gen. 1 Nucule, 2 Leda, 4 Goldia, 1 Arca, en tout 20 bivalves. Répartition des Céphalopodes. Résumé. 296 ÉPOQUE MODERNE. ou les 2/5 dans les régions tempérées, et 6 ou moïns de la moi- tié dans les régions froides. Quant aux espèces, le même naturaliste montre que plus des 2/5 de celles de chaque mer lui sont particulières; ainsi les limites d'habitation sont, assez restreintes pour des ani- maux que leur puissance de locomotion et leurs mœurs pé- lagiennes sembleraient devoir répartir à la fois dans toutes les mers. La distribution des espèces de céphalopodes acétabulifères offre les particularités suivantes : 78 se trouvent dans les mers chaudes ou des tropiques, 55 dans les zones lempérées et 7 seulement dans les zones froides. Mais si les genres et les espèces sont plus nombreux et plus variés sous la zone torride, il ne parait pas en être toujours de même des individus qui y sont, au contraire, peu multiphiés, tandis que dans les mers polaires arctiques l'Ommastrephe sagittatus, et dans l'océan Austral l'O. giganteum, sont tellement nombreux qu'à l'époque de leur migration annuelle les uns viennent couvrir les côtes de Terre-Neuve, les autres celles du Chili. On sait d'ailleurs que l'extrème multiplicité des individus et le petit nombre relatif des espèces dans les zones froides est un caractère presque gé- néral dans les diverses classes. Les poissons en offrent des exemples que tout le monde connait. Aucun assemblage,! aucune association de mollusques ne semble done se reproduire de part et d'autre de l'équateur sous des latitudes correspondantes. L'organisme se modifie com- plétement lorsqu'on se dirige du N. au $. et réciproquement, dans le sens d’un méridien quelconque. Aucune faune ne se répète ni n'est continue non plus dans le sens des parallèles, quoique en général plus étendue que du N. au S. Variété et succession graduelle dans un sens et dans l'autre, telle paraît être à cet égard la loi générale de la nature. MOLLUSQUES FLUVIATILES ET TERRESTRES. 227 $ 3. Distribution des mollusques fluviatiles et terrestres. Les mollusques fluviatiles et terrestres, plus directement soumis aux variations atmosphériques et aux diverses circon- stances météorologiques que les mollusques marins, affectent souvent aussi des stations plus nettement définies. Les mol- lusques terrestres, en particulier, offrent à la surface des con- tinents et des îles une distribution compliquée, mais en rap- port aussi, jusqu'à un certain point, avec les caractères et la ré- partition des végétaux. La plupart des grandes îles, dit M. Woodward, ont leur faune et leur flore particulière; presque chaque bassin de ri- vière a ses poissons et ses mollusques, et les chaines de mon- tagnes comme les Andes semblent être des barrières infran- chissables aux familles de plantes et d'animaux de leurs versants opposés. Il y a néanmoins des exceptions qui montrent qu'au delà de ces premiers aperçus il existe des lois plus générales encore et que certaines espèces passent d’une région naturelle à une autre. Les deux plus grands genres ou les deux principaux types de mollusques terrestres et d'eau douce sont les Helix et les Unio. I est assez difficile de rien préciser sur l'immense dis- tribution de certaines espèces d'Helix, signalées sur les points du globe les plus éloignés, parce qu'on sait qu’elles ont pu être transportées, dans diverses circonstances, par des bâtiments de commerce, par hasard avec des plantes médi- cinales ou autres, ou bien introduites par la volonté même des voyageurs. C'est ainsi que l’H. aspersa a été portée et natura- lisée dans presque toutes les contrées du globe. Les mollusques pulmonés d'eau douce qui ne sont pas soumis aux mêmes circonstances de migrations accidentelles ou artifi- cielles (les Limnées, les Physes, les Planorbes, les Ancyles, les Succinées) montrent cependant une distribution presque aussi L Généralités. 228 ÉPOQUE MODERNE. grande, et, comme les plantes aquatiques et les insectes, repa- raissent souvent, même aux antipodes, sous leurs formes les plus habituelles. L'extension des mollusques non pulmonés, comme les Paludines et les acéphales, paraît être moindre. L'ancien et le nouveau monde peuvent être regardés, pour les mollusques fluviatiles et terrestres, comme des provinces ou régions z0ologiques d'une très-grande importance, n’ayant eu dans l'origine aucune espèce commune, excepté à leur extré- mité nord, et chacune ayant beaucoup de genres caractéristiques . . . L 21 particuliers. Les coquilles terrestres, dit M. Mac-Andrew (1), ne se plaisent point dans les régions arctiques et croissent en nombre à me- sure qu'on s'avance vers le S., surtout dans les pays où le sol est calcaire. Quelques espèces vivent sur des surfaces très- étendues, tandis que d’autres sont limitées à des surfaces de quelques milles carrés et même moindres. Les îles Britanniques n'ont pas une seule espèce qui ne se retrouve sur le continent, en France ou en Allemagne, tandis qu'il y a, de ce côté du détroit, quelques espèces qui n'ont pas été rencontrées au delà. Dans les iles Canaries, au contraire, dans les Açores et les iles de Madère, chacune renferme quelques espèces particu- lières. L'ile de Madère en présente peu, à la vérité, mais la petite île de Porto-Santo en offre un grand nombre de diffé- rentes, et les ilots rocheux appelés las Desertas, que l’on aborde même difficilement, ont plusieurs formes particulières qui y sont extrèmement répandues. M. Mac-Andrew déduit de ces faits une conséquence, que nous avions également déduite de considérations géologiques et de la faune des mammifères quaternaires des îles Britanniques, savoir, leur réunion au continent à une époque très-peu an- cienne, tandis que les iles précédentes, plus éloignées des con- tinents, élevées par les agents volcaniques, ont pu être cha- (1) On the geographical distribution of testaceous mollusca, ete. , in-8; Liverpool, 1854. DR MOLLUSQUES FLUVIATILES ET TERRESTRES. 229 cune des centres de création pour certaines espèces limitées par les mers environnantes. Les coquilles fluviatiles et terrestres ont été réparties, à la surface des continents et des îles, dans 27 régions qui con- cordent surtout pour les mollusques terrestres (Helix, Limax, Cyclostoma) avec les principales régions botaniques admises par M. Schouw dans l'Atlas physique de Berghaus. Nous ren- verrons le lecteur au Manuel des mollusques de M. Wood- ward pour la description et les caractères de ces régions, nous bornant à reproduire la distribution sommaire des 4600 espèces mentionnées dans son tableau (p. 407) et l'indication des régions sur la carte pl. FE, ci-après. Régions 1 Germanique.. . . . 100 15 de la Polynésie. . . 300 2 Lusitanienne. . . . 900 16 Canadienne. . . . . 50 Aa Ariane. . . . . - 150 17 des Ét.-Un. de l’At- Hs ai QT) TRE 60 lantique. . : . .. 60 » desilesMascaraignes. 150 48 Américaine. . . . . 8Ù Gifadienne:. :}215 2,0 300 19 Californienne. . . . 30 HRORINOISeSS 1. à - d0 20Mexicaine. . 170 8 des Philippines. . . 350 21 des Antilles. . . . . 760 DRANAMAISE, 1 0 | 80 99 Colomhienne.. . . . 180 10 de Bornéo.. . . . . 30 93 Brésilienne. . . . . 260 11 Papuanne.. . . .. 80 24 Péruvienne. . . . . 100 12 Australienne... . . 80 25 Argentine. . . . . . , 90 43 Tasmanienne... . . 90 26 Ghilienne.. er 60 14 de laNouv.-Zélande. 80 27 Patagonienne. . . . 10 Ces chiffres expriment sans doute l’état relatif des résul- tats obtenus jusqu'à présent par les recherches dans les di- vers pays plutôt que les nombres, même approximatifs, de ce qui existe en réalité. Mais un point de vue qui nous paraît mériter aussi quelque attention est la distribution des coquilles terrestres dans le sens de la hauteur, lorsqu'on l'étudie dans les pays de mon- tagnes. Chaque espèce semble vivre à une altitude déterminée qu'elle ne dépasse pas, ou bien, après s'être montrée à un cer- tain niveau, elle ne descend point au-dessous. Il existe des zones particulières dans lesquelles les êtres organisés sont en quelque Résumé des régions. Distribution en hautem des mollusques terrestres. Alpes. 230 ÉPOQUE MODERNE. sorte cantonnés et les mollusques suivent en cela les lois gé- nérales de la distribution des végétaux. L’élévation qu'atteint une espèce dans un système de montagnes peut être dépassée dans un autre, parce que les zones végétales sont soumises à d'autres influences que celle de l'altitude, telles que la latitude, la longitude, les vents régnants, la constitution du sol, l'expo- sition, ete. Mais il y a un rapport constant entre les coquilles terrestres d'une localité et la zone à laquelle elles appartiennent. Nous savons que pour des zones marines leur étendue en hau- teur n'a d'importance que pour des points assez rapprochés et que d'une mer à l'autre les hauteurs relatives changent beau- coup. Le type des Helix, dont on croit pouvoir distinguer au- jourd’hui près de 1200 espèces, s'étend au Nord jusqu'à la limite de végétation des arbres, c'est-à-dire aux environs du cercle polaire, et au Sud jusqu’à la Terre-de-Feu. Dans l'Amé- rique méridionale, dans les Andes de la Bolivie, 6 espècesont été observées par Ale. d'Orbigay jusqu'à des altitudes de 3500 mè- tres. Dans l'île de Ceylan, l'H. Gardneri a été recueillie à 2600 mètres par M. Lavard. Citons quelques autres exemples pris dans des pays de mon- tagnes et que M. P. Fiseher a bien voulu réunir à eet effet. Les Alpes de la Savoie sont divisées _en quatre régions dans le sens de la hauteur, La région des vignes, qui est la plus basse, s'élève de 200 à 500 mètres, celle des forêts de 500 à 1200, celle des gazons de 1200 à 2000 et davantage, enfin la quatrième ne commence qu'à la limite extrème de la végétation pour s'élever au sommet des cimes neigeuses; elle ne présente point par conséquent de coquilles terrestres (1). Les espèces de la région des vignes qui ne la dépassent pas sont les Helix lucida, s’élevant de 373 à 500 mètres, carthu- siana, de 220 à 500, et la Limax maximus, de 265 à 590. Celles qui atteignent la région des forêts sans monter au delà (1) Dumont et de Mortillet, Catalogue des mollusques terrestres et flu- viatiles de la Savoie, 1857. MOLLUSQUES FLUVIATILES ET TERRESTRES. 231 sont les H. pygmæa, de 440 à 580 mètres, nitida, de 377 à 700, plebeia, de 260 à 600, la Limax rufus, de 400 à 1000; celles de cette première région qui, traversant la seconde, arrivent à celle des gazons, sont l'A. sylvatica, vivant de 400 à 2000 mètres, la Vitrina pellucida, de 378 à 2500, la V. major, de 200 à 1200, la Limax lineatus, de 440 à 2000, la L. ater, de 580 à 1500, l'Helix hyalina, de 475 à 2000 mètres. L'H. pomatia vit depuis nos plaines les plus basses jusqu'à 1500 mètres. C’est done une des espèces les plus robustes. Les espèces de la région des forêts qui ne la dépassent pas sont les Helix cellaria et montanu, et celles qui atteignent la ré- gion des gazons sontles H. ruderala, villosa, alpestris, alpina, sonata et la Vitrina diaphana. Les espèces de la région des gazons sont les Helix petronella, ciliata, glacialis et la Vitrina nivalis, qui s'élève jusqu'à 2500 mètres, à l'extrême limite des graminées et des neiges (1). Dans le nord de l'Afrique, les montagnes de la haute Kabylie ont aussi été divisées en quatre régions : 1° celle des Frênes, des Oliviers, des Figuiers et des Grenadiers, qui s’étend de 200 à 700 mètres; 2° celle des Chênes et des Pins, de 700 à 1200 mètres; la vigne ne dépasse pas 700 mètres et les Cèdres rè- gnent entre 1200 et 1800 mètres ; 5° la région des gazons qui atteint 2200 mètres et davantage, et la quatrième, qui est dépour- vue de végétation, Suivant M. IE. Aucapitaine (2), les Helix de la région des Frênes sont les H. lactea, striata, cespitum et py- ramidata. Dans la région des Chênes on trouve l’Arion rufus jusqu'à 965 mètres, puis l'H. hieroglyphicula et la Limax agres- tis qui atteignent la région des gazons jusqu'à 2000 mètres ; dans cette dernière et à partir des derniers Cèdres, les Helix Gaugeli, kabyliana et cedretorum atteignent 2200 mîtres. (1) On sait que dans cette partie des Alpes certains mammifères habitent des régions particulières ; ainsi la Marmotte habite la région des vignes, l'Ours celle des forêts, le Chamois, le Bouquetin celle des gazons. (2) Mollusques terrestres et d'eau douce de la haute Kabylie, 1862. Kabylie. Pyrénées. Guadeloupe. 252 ÉPOQUE MODERNE. Dans les Pyrénées, l’Arion rufus s'élève, comme en Savoie et en Kabylie, de la région inférieure à celle des forêts, mais ici la limite des forêts étant plus haute, elle atteint 1800 mètres. L’Helix aspersa et la Succinea arenaria s'élèvent depuis le niveau de la plaine jusqu'à 1000 mètres, l’'H. hispida jusqu'à 1500, les H, carascalensis et nubigena de 2500 à 3000 mè- tres (1). ; Ainsi dans ces trois massifs de montagnes leurs régions les plus élevées ont leurs espèces particulières. En Savoie, au- dessus de 1200 mètres, ce sont les Helix petronella, ciliata, glacialis et la Vitrina nivalis; dans la Kabylie, au-dessus de : 1800 mètres, les H. Gaugeli, kabyliana et cedretorum ; dans les Pyrénées, au-dessus de 2500 mètres, les H. carasealensis et nubigena. Si nous prenons pour exemple une ile comme la Guadeloupe, nous y trouverons de même une distribution des espèces en rapport avec l'élévation des lieux. Ainsi l'Omalonyx unguis et la Succinea Sagra habitent les lieux les plus bas de eet ile; les Achatina octona, lamellata et carracasensis ne dépassent pas des hauteurs de 80 à 100 mètres; le Bulinus quadalupensis, 200 mètres. Les Helix lychnuchus, dentiens, Josephinæ, pa- chygastea habitent les forêts qui couvrent le pays de 300 à 400 mètres ; la Pellicula depressa vitau milieu des Balisiers et des Palmiers, entre 600 et 700 mètres; les Bulimus limnoides et chrysalis de 650 à 800 mètres, parmi les fougères, et le B. Lherminieri s'élève encore plus haut (2). | Les coquilles d'eau douce s’observent également à diverses hauteurs dans les ruisseaux et les lacs des montagnes, et l'espèce qui jusqu'à présent a été trouvée vivante à la plus grande altitude est une Limnée dédiée au savant botaniste et voyageur anglais M. Hooker, et qui a été recueillie dans les eaux douces du Thibet, à 5500 mètres. (1) Liste des mollusques terrestres et fluviatiles de la vallée de Ba- réges, par F. de Saulas, 1855. (2) Beau et Fischer, Catalogue des coquilles de la Guadeloupe; en pu- blication. MOLLUSQUES FLUVIATILES ET TERRESTRES. 233 Ainsi nous voyons les coquilles terrestres nous présenter, dans le sens de la hauteur, au-dessus du niveau de la mer, une distribution par zones comparable à celle que les coquilles ma- rines nous ont offerte dans le sens de la profondeur, au-dessous de ce même niveau, et d’un autre côté leur extension géogra- phique paraît être soumise au principe que nous avons déjà rappelé. On peut ajouter que ‘le rapport de la richesse des faunes y est disposé, comme on pouvait s'y attendre, en sens inverse où diminuant de bas en haut. C’est d’ailleurs une loi générale que le plus grand développement des forces vitales, la plus grande richesse des productions dans toutes les classes des deux règnes se manifeste un peu au-dessus et un peu au- dessous de la courbe normale du sphéroïde terrestre ou du niveau des mers. On conçoit que, dans l'étude des dépôts fluviatiles modernes et même des dépôts quaternaires, ilest utile de connaître l'ha- bitat des coquilles terrestres que l'on y rencontre et qui y ont été entrainées. Ainsi on trouve souvent réunies, dans une même alluvion de la plaine dont les éléments proviennent des monta- gnes, des espèces qu'on pourrait croire, au premier abord, avoir vécu ensemble, tandis qu’elles proviennent de niveaux pouvant différer de 2000 mètres. Il en est de même pour la distribution géographique ou par bassins hydrographiques des fleuves sur les versants opposés d’une même chaîne. Ces bas- sins sont habités par des populations en rapport avec les alti- tudes, les expositions, la végétation et la nature du sol seç ou humide, argileux, sablonneux, calcaire, ete. Si dans les dépôts quaternaires du bassin de la Seine, par exemple, on rencontre une espèce qui vive constamment dans la zone la plus élevée du pays qui l’entoure ou dans certaine région particulière, telle que le Bulimus montanus, elle servira à apprécier la direction et la hauteur des eaux ainsi que la provenance des sédiments. Résumé. 234 ÉPOQUE MODERNE. S 4. Coquilles d'eau douce de l'Amérique du Nord, - Un fait digne de toute l'attention du naturaliste, et sur lequel il ne semble pas que l’on ait encore insisté, est la propriété que paraissent avoir les rivières et les lacs de certains pays pour favoriser un développement de mollusques tout à fait ex- ceplionnel; sous ce rapport les États-Unis de l'Amérique du Nord nous offrent un exemple très-frappant. Gastéropodes. Ainsi la liste des gastéropodes fluviatiles de l'Amérique du Nord, dressée par M. Binney, comprend 610 espèces, réparties dans 19 genres comme il suit : Melania 298, Litharia 5, Gy- rotoma 51, Leptaxis 61, Jo 6, Vivipara 4%, Bithynia 2, Val- vata 5, AmpullariaT, Amnicola 18, Limnea 45, Pompholyx 1, Physa 29, Planorbis 54, Ancylus 15. Dans un mémoire plus récent, M. F1. Lea (1) a ajouté à cette liste 138 espèces de Mé- lanidées, dont 45 appartenant à son nouveau genre Trypa- nostoma, 82 à un autre genre nouveau, Goniobasis, et 114 à divers genres déjà connus, ce qui porterait à 748 le nombre des espèces de gastéropodes vivant aujourd'hui dans les eaux douces de ce pays. Acéphates. Les mollusques acéphales n'offrent pas un développement moins curieux que les gastéropodes, Ainsi les recherches per- sévérantes de M. I. Lea ont porté à 467 le nombre des espèces d'Unio du même pays; si on y ajoute 25 espèces regardées encore comme douteuses et 22 qu'il a décrites plus récemment, on a ainsi à 14 formes appartenant à ce seul (type. En outre, on compte 27 espèces de Magaritana et 62 Anodontes qui sont encore des formes voisines, et le genre Cyclas a présenté 69 espèces tant dans l'Amérique du Nord que dans l'Amérique centrale (Mexique, Panama, Yucatan) et dans les îles de Cuba et de la (1) Proceed. Acad. of natur. sc. of Philadelphia, 1862. Observations on the Uno. and description of new gencra and species of theMelanidæ, in-4° avec 16 pl.; Philadelphie, 1865. COQUILLES D'EAU DOUCE DE L'AMÉRIQUE DU NORD. 955 Jamaïque (1). 36 espèces d'autres acéphales ont été recueillies dans les eaux douces de l'Amérique centrale. On pourrait peut-être objecter que ces chiffres ne repre- sentent pas réellement des espèces, que les zoologistes qui se vouent à une spécialité bornée sont très-inclins à les multiplier en exagérant la valeur de certains caractères; mais 1c1 peu importe; ce n’est pas le nombre des espèces qui étonne, mais la prodigieuse multiplicité des individus et souvent leurs dimen- sions considérables, qui donne lieu à des effets qu'on n’observe _ que dans ces pays et qui intéressent à la fois le paléontologiste et le géologue. Ainsi dans les comtés de Columbia et de Dutchess, dans l'état de New-York, M. W. Mather (2) a décrit des marnes co- quillières d'eau douce constituant le fond des lacs et des étangs. Les générations qui se succèdent augmentent incessamment l’épaisseur de la couche de marne blanche dont l’étendue su- perficielle est aussi très-considérable. Lorsque, par suite de cette accumulation de coquilles décomposées, le fond du lac se trouve exhaussé de manière à n'être plus recouvert que de quelques pieds d’eau, une végétation aquatique s’y développe à son tour et ses détritus produisent une couche de tourbe qui recouvre la marne. Celle-ci est blanche et friable lorsqu'elle est sèche, onctueuse et plastique lorsqu'elle est humide. Le lac dé Peat-marl, à 4 milles au nord de Kinderhook, mérite surtout d'être signalé. Son fond se relève graduellement par la décomposition de myriades de coquilles, et 1l avait autre- fois une étendue double de celle que les eaux occupent aujour- d'hui. Les Unio, les Anodontes, les Limnées, les Physes et les Planorbes sont les coquilles qui contribuent le plus à la forma- tion de la marne exploitée et regardée comme un amendement précieux en agriculture, où elle remplace le plätre. Le comté (1) Quant aux gastéropodes terrestres du nord de l'Amérique, M. Binney en signale 58 espèces sur les côtes de l'océan Pacifique, 237 dans les États du nord-est, dont 204 Heliæ, et 167 au Mexique. (2) S'ate of New-York. Rapport de M, Mather sur la géologie du 1° dis- trict, p. 147. Dépôts ! de coquilles ‘ lacustres. Observations générales. Mollusques d'eaux satmâtres. Gnatodon, l'action ou mieux de la multiplication d'une seule espèce d’eau 936 ÉPOQUE MODERNE d'Onondago renferme aussi des dépôts coquilliers lacustres en voie de formation et dans lesquels on pourrait recueillir des milliers de tonnes de coquilles décolorées. Si à ces faits, qui se présentent d'ailleurs sur bien d'autres points des États-Unis, on ajoutela prodigieuse variété de formes, les dimensions remarquables et l'incroyable multiplicité des individus que renferme entre autres le genre Unic dans les ri- vières de cette partie du globe, surtout dans l'Ohio et ses af- fluents, on sera porté à rechercher la cause de cette fécondité exceptionnelle de la nature ou bien quelles sont les circonstanesl qui peuvent y contribuer. Est-ce dans la composition des eaux, dans leur plus ou moins de profondeur, dans la nature de leur lit ou de leurs alluvions, dans leur rapidité ou dans telle ou telle autre particularité de leur régime que l’on peut espérer | trouver l'explication de ce fait, ou bien encore dans la tempé- rature ambiante et dans les caractères de la végétation aqua- tique? C’est ce que nous ignorons complétement. Néanmoins c'est une question de zoologie géographique qui. nous parait très-remarquable et dont nous ne sachions pas qu'on se soit encore occupé. f Ainsi l'examen des coquilles lacustres qui, dans les autres parties du globe, n'avait pas dû nous arrêter à cause de leur peu d'intérêt géologique, dans celle-ci, au contraire, méritait de ne pas être passé sous silence. | Si maintenant, au lieu de considérer le résultat dû au con- cours d'un certain nombre de genres et d'espèces de coquilles ” d'eau douce, nous ne considérons que celui qui résulte de » saumâtre, notre étonnement sera plus grand encore. Ainsi le Gnatodon, dont à l'inverse des Unio, on ne connaît qu'un très-petit nombre d'espèces, multiplie prodigieusement dans® les lagunes de la Louisiane ct de l'Alabama. Des banes de coquilles mortes du Gnatodon cuneatus se voient jusqu'à la distance de 20 milles dans les terres. La ville de Mobile est» bâtie sur un banc de cette sorte. La route de la Nouvelle-Or: LIGNES ISOCRYMES. 257 a été construite avec des Gnatodon exploités à l'extrémité orientale du lac où se voit une accumulation de ces coquilles quin’a pas moins de { mille de long ou 1600 mètres sur 5 de haut et 60 de large à la base. Le genre Ætheria, dont ou ne connaît encore qu'une espèce, VÆ. semilunata, Lam. ou Caillaudii, Fér., que Bruce, qui l'ob- . serva le premier au-dessus des cataractes du Nil, prenait pour une Huître d’eau douce, acquiert aussi un développement très-ra- pide dans les deux seuls fleuves où 1l a été observé : le Nil et le Sénégal (1). Lorsqu'on remonte ce dernier jusqu’à une certaine distance de son embouchure, les Étéeries forment, { 1 1 la baton de la chaux. | | Ainsi nous trouvons de nos jours des coquilles d’eau douce et d'eau saumâtre qui se multiplient avec une telle rapidité . qu'elles peuvent donner lieu à des couches d’une véritable im- 4 portance, et, par conséquent, ce résultat n'est point exclusif aux temps géologiques. Nous verrons que les coquilles marines, entre autres les Huîtres et les Peignes, n’ont rien perdu non F plus de leur ancienne fécondité. " $ 5. Des lignes isocrymes. £ Ce que nous avons dit jusqu'ici de la distribution des êtres 11 CT: . . î organisés, et plus particulièrement des mollusques, dans les diverses mers du globe, était le résultat d'observations par- tielles, dues à une multitude de voyageurs, puis réunies et = (1) Onne comprend pas que les auteurs de la 9° éd. del’Hist. nalur. des ï Animaux sans vertèbres (vol. VI, p. 594) n'aient point dit formellement ï ‘vaue les indications d'habitat des espèces de Lamarck étaient erronées, ce qui laisse croire au lecteur que ces espèces sont marines. Celle d° Égypte seule serait fluviatile; quant à celle du Sénégal, elle n’est pas mentionnée spécifiquement. De Lamarck et ses continuateurs écrivent Etheria, Éthérie. 16 dit-on, sur les bords et sur son lit des bancs exploités pour : Ætheria. Exposition et définitions. jeter un plus grand jour encore sur les causes de la diversité 238 ÉPOQUE MODERNE. combinées d'une manière plus ou moins arbitraire ou natu- relle, suivant l’exactitude des données que l’on possédait et le point de vue particulier de chaque naturaliste. A l'exception d'Ed. Forbes, de Lüven, de Mac-Andrew et d’un petit nombre d'autres, on n’avait éludié que des régions assez restreintes, sans principe fondamental et surtout sans vues générales pré- sidant à la coordination et à l’arrangement systématique de tous les matériaux. Nous avons à exposer actuellement des re- cherches originales embrassant l'ensemble des mers, par- faitement applicables au sujet qui nous occupe et pouvant NÉ ES, ne, US des organismes qu’elles renferment. M. J. D. Dana (1), savant américain qui a parcouru comme géologue et zoologiste la plupart des mers du globe avec l’ex- pédition scientifique du capitaine Wilkes, a cherché à se rendre compte de la distribution géographique des animaux marins, non par la considération des lignes d’égale température moyenne de l’année entière, ou bien de celles de l'été et de l'hiver, mais par celle des lignes d’égal froid extrême qu'il nomme isocrymes, lignes indiquant la température moyenne des 50 jours consécutifs les plus froids de l’année et qui est né- cessairement inférieure à la moyenne de l'hiver ou ligne iso- chimène. Ainsi la ligne isocryme de 20°, par exemple (voyez la planche 2 ci-après), passe par tous les points de l'Océan dont la moyenne del'extrême froid ne s’abaisse pas au-dessous de + 20°. Nous prenons celle-ci pour exemple, parce que c'est, , de toutes les lignes de cette sorte que l'on peut tracer à la surface des mers, la plus remarquable par son rapport direct avec la distribution d’une classe entière d'organismes marins, Ces lignes sont préférables aux lignes isothères ou d’égal été, parce que, dit M. Dana, la limite de répartition des espèces au nord et au sud de l'équateur est causée par le froïd de l'hiver plutôt que par la chaleur de l'été, ou encore par la (1) On an isothermal oceanic chart (Amer. Journ. of science, de ue man, 2° sér., vol. XVI, 1853). - LIGNES ISOCRYMES. 2359 moyenne ou isotherme de l'année, cette dernière pouvant être la même pour des extrêmes de chaud et de froid très-diffé- rents. Si ces extrêmes sont peu écartés, légalité des saisons et surtout la douceur de lhiver favorisera le développement d'espèces qui ne sauraient prospérer sur les points où rè- gnent des hivers froids et des étés chauds, où par conséquent les extrêmes sont très-prononcés. Les lignes isothères où d'égal été moyen ont aussi leur importance, mais c'est surtout pour les espèces d’eau douce et terrestres et pour les plantes littorales. Lorsque l'été d’un continent est excessif, comme dans l'Amérique du Nord, beaucoup d'espèces s'étendent assez loin des tropiques, au heu d’être confinées sous les basses latitudes; mais dans l'Océan l’extrème froid de l'eau, partout où il n’y a pas de glaces permanentes, n'est que de quelques degrés au-dessous de zéro. Ainsi l'échelle de température ou la différence entre les températures extrêmes d'une région marine est peu étendue. La région dont la température moyenne extrême de l’hiver est de 20° en a 26° 67 pour le mois le plus chaud de l'été, et la ligne de 15°33 de l'Atlantique, qui se trouve à la latitude de l'état de New-York, suit la ligne d’été de 21°41. Dans tous ces cas la différence des extrêmes n'est que de 12° à 14°. Le plus grand écartement que présentent les températures ex- trèmes de l'Océan est de 34° 4%, la plus haute étant de 31° 11 et la plus basse — 5° 55, tandis que l'échelle de température de l'atmosphère est de plus de 65° ou de près du double. Les cours d’eau, à la surface des continents et des îles, ont des températures moins extrêmes que Pair, mais plus prononcées que celles de la mer. À 50° au nord et au sud de l'équateur la température des eaux; en été, ne varie que de 3° à 4° dans l'Atlantique, de 6° à 8° dans le Pacifique. L'isotherme de juillet, de 26° 67, passe près du parallèle de 50°, et l'extrême température de l'Atlantique sous l'équateur dépasse rarement 29°. La distribution des êtres organisés est soumise à des lois beaucoup plus simples dans les mers qu’à la surface des con- 940 ÉPOQUE MODERNE. tinents. Tout tend à y égaliser les conditions de la vie, au lien que sur ceux-ci le climat sec ou humide, le sol sableux et stérile, marécageux ou fertile, couvert d’une végétation d'arbres serrés ou de végétaux herbacés, à une faible hauteur au-dessus de la mer, ou à de plus ou moins grandes altitudes, sont des circonstances qui influent directement sur la distribution des espèces terrestres et qui obligent à y tracer des subdivisions plus nombreuses sur lesquelles nous reviendrons tout à l'heure. Les lignes isocrymes adoptées par M. Dana sont celles qui passent par les points où l’extrème froid moyen est successive- ment 26° 67, 25° 35, 20° 00, 16° 67, 15° 95, 10° 00, 6° 67 et 1°67 (1). La température entre chaque ligne diminue d’en- viron 9° 959, excepté entre les deux derniers chiffres, où elle est de 6° (voy. la pl. 2 ci-après). Le motif qui a fait choisir ces lignes de préférence, c'est que la ligne de 20° est la limite que l'auteur adopte pour l'extension des coraux qui élèvent des récifs. Au delà, de chaque côté de l'équateur, 1l n'ya plus de vrais madrépores tels que les Astrées, les Méandrines, les Porites, ete. C'est aussi la limite d’un grand nombre de mollusques et de radiaires, au delà de laquelle on observe un changement brusque dans la zoologie géogra- phique. Sous la ligne de 25° 35, située à l’intérieur de la précédente, les coraux des îles d'Hawaï, au nord, et les mollusques jusqu’à une grande distance, diffèrent d’une manière assez frappante de ceux des îles Fidji, au sud. Les Astrées et les Méandrines y sont peu nombreuses ou moins importantes dans la compo- sition des récifs que les Porites et les Pocillopores, qui sont les plus robustes, car là où ces derniers se montrent dans les ré- gions équatoriales, ils sont soumis aux plus grandes diflérences dans la pureté de l’eau et restent plus longtemps exposés au- dessus de son niveau. (1) Les températures sont exprimées par M. Dana en nombres ronds ; mais, comme il fait usage du thermomètre de Fahrenheit, leur réduction en degrés centigrade donne des chiffres fractionnaires peu commodes que nous n'a- vons pu éviter. LIGNES ISOCRYMES. 241 Les mers des îles Fidji.ou Viti, au sud, où passe cette même ligne de 25° 55, sont extrêmement riches en espèces des tro- piques. Les polypiers s’y développent avec la plus grande variété de formes, « dépassant, dit M. Dana, tout ce que j'ai observé ailleurs. » De sorte que la zone équatoriale comprise entre ces deux lignes de 23° 53 est la région torride par excellence pour le développement des animaux marins. Relativement à la ligne de 26° 67, plus rapprochée encore de l'équateur, elle ne semble pas avoir une grande importance sous ce point de vue. Elle ne constitue d'ailleurs qu’une courbe fermée embrassant un espace elliptique, situé au milieu de l'océan Pacifique, traversé dans le sens de sa longueur par l'équateur de chaleur, et qui ne paraît pas être représenté dans les autres mers. M. Dana propose de diviser les trois zones torride, tempérée Division et froide en neuf régions de la manière suivante (voy. pl. 2): des zones. LIMITES ISOCRYMES RÉGIONS. ou D'EXTRÊME FROID MOYEN. 1 ZONE TORRIDE ou { À super-lorride. . . . . . . . 20227 4.260097 DES POLYPIERS. . { 2 torride. . . . . . . . . . : “26 91 4 925 30 Bnsub-torridenies. IE RME 92512912220400 1 tempérée chaude. . . . . . 920 00 à 16 67 FAX AL PNIDÉRÉRS 2.4 Quid. fe 16 67 à 13 25 2 ZONES TEMPÉRÉES. À 3 sub-tempérée. . . . . . . . 15 ©5 à 10 00 4 tempérée froide. . . . . . . 10 00 à 6 67 DSUb-iroide 8 He Ru ts 6567:àa11267 DANS FROIES. x. 'l- froide. : : . .… , .. ANGL ASS On pourrait ajouter une dixième région que l'on appellerait polaire ou glaciale, si la distribution des espèces vivant sous la zone froide l’exigeait. Les organismes qui se développent ou vivent sur la glace et la neige de ces hautes latitudes peuvent être rangés avec ceux des continents, et leur distribution dé- pend alors des isothermes et des isocrymes continentales, L'équateur de chaleur est la ligne qui passe par les points Équateur des plus hautes températures observées à la surface des mers. a chaleur Cette ligne est assez peu fixe, variant avec les saisons, d’où , °! équateur résulte une certaine difficulté pour la tracer exactement. magnétique. Lescription des régions. 249 ÉPOQUE MODERNE. M. Dana, en se servant de la carte de Berghaus, a remonté celte ligne beaucoup au N. dans l'océan Pacifique occidental, et une flexion dans l'Atlantique occidental est due aux courants venant du sud et qui longent les continents méridionaux. Dans l'état actuel de ce tracé on n'observe aucun rapport entre l'équateur de chaleur et l'équateur magnétique; ils coupent tous deux l'équateur terrestre en des points très-différents et suivent au N. etauS. des courbes sans aucune analogie entre elles (voyez pl. 2 ci-après). Un examen rapide de la forme, de la largeur variable sur divers points des régions précédentes, puis des relations entre les températures des côtes sous diverses latitudes et d’autres circonstances encore font connaitre, pour chacune d’elles, les résultats suivants, en commençant par l'Atlantique : La région torride de cet océan, qui s'étend entre les tem- pératures d'extrême froid moyen de 25° 55 au N. et de 25° 55 au S., affecte une forme triangulaire très-particuhère, Sa lar- geur varie de 4 à 46 degrés. Sur la côte d'Afrique, elle com- prend une partie de la côte de Guinée, à l'ouest toutes les An- tilles, les récifs qui les bordent et la côte d'Amérique, depuis le Yucatan jusqu'à Bahia. Cette disposition est parfaitement d'accord avec la grande extension des espèces marines sur la côte d'Amérique ; car cette région embrasse, en effet, la pro- vince zoologique que nous avons appelée caraïbéenne, l'une des plus riches du globe, et à l'est la partie nord de la côte africaine occidentale, Les régions sub-torrides s'étendent entre les lignes isocrymes de 25° 55 et de 20°. Celle du nord a une largeur moyenne de 6 degrés. Elle s'étend de la côte de la Floride à la côte d'Afri- que, sous des latitudes qui diffèrent de 10 degrés. Les Ber- mudes et les iles du Cap-Vert y sont comprises. Celle du sud a la même largeur moyenne. Si l'on considère comme un tout la zone torride de l'Atlantique, on trouve que sa largeur est .de 21 degrés à l’est -et de 64 à l’ouest; aussi de ce dernier côté rencontre-t-on beaucoup d'espèces qui vivent depuis la Floride et les Bermudes jusqu'à Rio-Janeiro. LIGNES ISOCRYMES. | 245 Les régions tempérées chaudes S'étendent entre les lignes de 20° et 1667. Celle du nord a 14 degrés 1/2 de largeur sur la côte d'Afrique et 7 seulement sur celles des États-Unis, au sud du cap Hatteras, dans les Carolines, la Géorgie et la Flo- ride; puis elle comprend les îles Canaries. Celle du sud a > degrés de largeur en moyenne, et sa limite orientale sur la côte d'Afrique est située à 16 ou 18 degrés plus au nord que sa limite occidentale sur la côte de l'Amérique du Sud. Les régions tempérées proprement dites sont situées entre les lignes de 16° 67 et 15° 25. Celle du nord n'est à l’ouest qu'un étroit ruban aboutissant au cap Hatteras, s’élargissant à l’est, où elle comprend les Açores, la côte du Maroc, le détroit de Gibraltar et une grande partie de la Méditerranée. Madère est sur sa limite méridionale. L'analogie des faunes de Madère, des Açores et de la côte d'Afrique se trouve expliquée par là ainsi que leur exclusion des côtes de l'Europe. Les côtes du Portugal et des Açores, bien que placées sous la même lati- tude, appartiennent ainsi à des régions zoologiques différentes. La région tempérée du sud s'étend jusqu'à Maldonado, à l'em- bouchure de la Plata. Sur la côte d'Afrique sa largeur est dou- ble et elle remonte jusqu'à 5 degrés au nord de la ville du Cap. Les régions sub-tempérées sont comprises entre les lignes de 13°23 et 10°. A l’ouest, la septentrionale ne peut être distinguée des précédentes, qui convergent ensemble au cap Haiteras ; à l’est elle comprend la côte du Portugal, sur à de- grés de largeur, et correspond à la région lusitanienne d'Ed. Forbes. La méridionale comprend d'un côté l'embouchure de la Plata et de l'autre s'étend de la ville du Cap au delà du cap de Bonne-Espérance. Les réyions tempérées froides s'étendent de la ligne de 10° à celle de 6° 67. La côte du cap Cod au cap Hatteras appartient à la région seplentrionale qui, à l’est, suit une bande d’abord très-étroite, s'élargissant ensuite pour atteindre la côte d'Eu- rope où elle s'étend de l'ouest de l'Irlande à la côte d’Espagne par 42 degrés de latitude, embrassant ainsi la province cel- tique en grande partie et la baie de Vigo. La région méridio Tésumé. Disposition particulière dans l'Atlantique. 244 LÉPOQUE MODERNE. nale comprend la côte sud de l'Amérique, sur une étendue de 5 degrés de latitude, et passe tout entière à l’est de la pointe sud de l’Afrique. Les régions sub-froides sont situées entre les lignes de 6° 67 et 167. Celle du nord, depuis la baie du Massachusetts, au nord du cap Cod et la Nouvelle-Écosse, remonte dans la di- - reclion du N.-E., au delà du 70° degré de latitude. Celle du sud, au contraire, se dirige de l'E. à l'O. en suivant les pa- rallèles ou à peu près, et comprend la Patagonie méridionale, la Terre-de-Feu et les îles Falkland. Enfin la région froide, au delà de la ligne de 1° 67, s'étend jusqu'aux pôles. Si maintenant nous prenons pour ligne de comparaison moyenne dans l'Atlantique l'équateur de chaleur qui part de Ja baie de Campèche, dans le golfe du Mexique, et, après plu- sieurs sinuosités, aboutit à la côte d'Afrique, vers l’ile de Fer- nando-Po, à 18 degrés plus au sud que son point de départ, nous verrons que les régions nord-torride, sub-torride, tem- pérée-chaude s’abaissent également de l'O.-N.-0. à l'E.-S.-E., en décrivant des courbes sinueuses dont la convexité est tour- née vers le N. La région tempérée tend à suivre le parallèle en se redressant; la région sub-tempérée remonte, au contraire, vers le N., et la région froide-tempérée encore davantage, bien que leur extrémité orientale sur les côtes d'Europe s’in- fléchisse toujours au S. Enfin, les régions sub-froide et froide se dirigent des côtes d'Amérique au N.-E., en faisant un angle droit avec l'équateur de chaleur. Dé la Nouvelle-Écosse à la pointe de la Floride, où toutes les régions de l’Atlantique Nord viennent converger, elles semblent rayonner comme les branches d’un immense éventail vers les côtes opposées de l'Afrique et de l'Europe en s'étendant de l'équateur au cap Nord. Les mêmes régions, considérées au sud, se coordonnent aussi les unes'aux autres, mais d'une manière tout à fait différente. La forme triangulaire de la région torride fait que sa limite sud ou le côté méridional du triangle est dirigé du S.-0. au N.-E., de la côte d'Amérique à celle d'Afrique, en sens inverse, LIGNES ISOCRYMES. 245 du côté nord du triangle qui était dirigé du N.-0. au S.-E. Les régions suivantes, après avoir fait un coude assez prononcé le long de la côte d'Amérique, se dirigent vers l’'E.-N.-E, en s’a- baissant de plus +en plus vers leS., de manière que la zone sub-froide se trouve presque dans le sens des parallèles. Les rapports des directions de ces lignes d’égal froid extrème avec celles des divers courants qui sillonnent l'Atlantique montrent souvent une concordance remarquable, mais il y à de nombreuses exceptions pour l'explication desquelles 1l nous faudrait une connaissance plus complète que nous ne l'avons de la température de ces mêmes courants, afin d'apprécier leur influence sur les inflexions diverses de ces lignes. Sinous passons à l’examen comparatif des régions de l’océan Pacifique, nous trouverons encore qu'elles présentent, avec celles de l'Atlantique, les différences les plus prononcées dans leur largeur, leur direction et leurs contours. Ainsi, près de la côte occidentale d'Amérique, la région tor- ride n’a que 17 à 18 degrés de largeur, et elle est presque entièrement au nord de l’équateur, tandis que celle de PAt- lantique, qui longe une si grande étendue de côtes descend jusqu'à 15 degrés au sud. La région sub-torride a 5 degrés de large sur la côte du Pérou, où elle atteint le 4° degré de latitude S. au cap Blanco, et celle de l'Atlantique s'étend jus- qu’à Rio-Janeiro par 2% degrés. La région tempérée chaude n'a pas un degré de largeur sur la côte vers le 5° degré de latitude S., tandis que celle de l'Atlantique s’étend à Rio- Grande par 33 degrés de latitude S. La région tempérée a une extension plus considérable que les précédentes, et la région tempérée froide couvre presque les mêmes latitudes dans les deux océans. On a vu que sur la côte orientale de l'Amérique du Nord, au cap Hatteras, les lignes isocrymes de 16° 67, 13° 23 ct 10° quittent ensemble le littoral; sur la côte occidentale de l'Amérique du Sud, aux environs du cap Blanco, on ob- serve un nœud semblable par le concours en un point des lignes de 25° 33, 20° et 16° 67. Disposition générale - des lignes dans les deux océans, 246 . ÉPOQUE MODERNE. Si, au lieu de considérer les lignes isocrymes des deux océans dans leur disposition le long des côtes, nous les envi- sageons dans toute leur étendue, nous remarquerons d’abord que la largeur de la zone méridionale torride, dans le Paci- fique, a plus de deux fois celle qu’elle atteint dans l'Atlantique, et ensuite que les régions suivantes offrent également des différences notables. La région torride de l’océan Pacifique qui n'a que Ô degrés de largeur à l'est, vers sa limite extrême à l'ouest en a 49; la zone des récifs de coraux a, dans le voi- sinage de l'Amérique, 18 degrés de largeur; elle en a 66 le long des côtes de l'Asie et de l'Australie. La région torride occupe la plus grande partie de l'océan Indien, comprenant tout le nord de l'équateur et la portion la plus considérable de Madagascar. La région sub-torride s'étend au delà de Port-Natal, sur la côte d'Afrique, à 4 degrés au nord de la ville du Cap, où il y a des récifs de coraux, et dans le sud de la mer Rouge. Si l’on oppose, dans leur ensemble, les sones torrides de l'Atlantique et de l’océan Indo-Pacilique, on est frappé de l'énorme différence de leur largeur, en rapport sans doute avec la position des continents, beaucoup plus rapprochés dans un cas que dans l’autre. Cette immense zone torride indo-pacifique ne diffère pas seulement de celle de l'Atlantique par sa largeur et sa lon- gueur incomparablement plus grandes, mais aussi, et sans doute à cause même de cela, par sa température plus élevée, puisque c’est vers son milieu, entre 145° et 195° de longitude occidentale, qu'existe, dans un espace comparativement assez restreint, la zone super-torride. Ainsi c'est dans Pespace com- pris entre les îles Marquises et les iles Carolines, les îles Fijdi et les îles d'Havai, espace que traverse dans sa plus grande longueur l'équateur de chaleur, que se trouve concentrée la plus haute température moyenne qu’atteigne les eaux de la surface du globe. Les étendues occupées par les zones torride, tempérée et froide sont d'ailleurs très-diverses, et l'échelle des tempéra- PRE ER LIGNES ISOCRYMES. 247 tures, ou la différence entre les plus hautes et les plus basses, est beaucoup plus grande dans les zones tempérées que dans la zone torride, Elle est, en effet, de 11°20 dans cette der- nière et de 18°60 dans les premières, ce qui peut contribuer à une plus grande variété de genres dans celles-ei pour un même nombre d'espèces. Quant aux causes des directions, des inflexions en divers sens des lignes dont nous nous occupons, de l'élargissement ou du rétrécissement des régions qu'elles limitent, il faut les chercher comme pour les lignes d’égale température moyenne, de l’année, de l'hiver et de Pété dans la direction des vents, dans celles des courants marins, dans le mouvement de rota- tion de la terre, dans la distribution des saisons ou la position du soleil, ete., toutes causes qui appartiennent soit à la météo- rologie, soit à l’hydrographie, soit à la physique du globe et dont nous ne pourrions nous occuper ici sans nous écarter par trop de notre sujet. Nous avons dû nous borner à constater leurs effets sur l’é- tat thermométrique des mers, dont l’influence sur les produits organiques est si prépondérante, et nous avons fait remarquer, parmi les résultats les plus frappants, qu'il existait une dif- férence très-prononcée entre la température de Peau des parties opposées d’un océan sous des latitudes correspon- dantes. Ainsi les régions que nous avons appelées fempérée et sub-tempérée occupent, du côté de l'Europe, la plus grande partie de la Méditerranée, les côtes d’Espagne et d’une portion de l'Afrique, tandis qu’elles manquent du côté de l'Amérique à cause du rapprochement, au cap Hatteras, des eaux froides du nord avec les eaux chaudes du sud. Cette circonstance ex- plique les différences des productions marines sur les côtes ou dans les mers aux mêmes latitudes. Un autre résultat plus re- marquable encore, c’est que les récifs de polypiers se déve- loppent aux Bermudes par 54° latitude N., sous l’influence de la température élevée du Gulf-stream et manquent aux iles Gallapagos, situées sous l'équateur. Grandes provinces zoologiques. Influence des caps. 948 ÉPOQUE MODERNE. La subdivision des mers en régions de température, comme nous venons de la présenter, nous donne le moyen de partager les côtes continentales en provinces zoologiques, ainsi que nous l'avons déjà essayé, mais actuellement d'une manière plus méthodiqne et plus complète, en ce que les causes de leurs limites résultent de ces considérations mêmes. La distribution des crustacés, dont M. Dana s’est particulièrement occupé, montre que ces régions sont, sous: ce rapport, également na- turelles et bien caractérisées. On a dit que chaque province zoologique avait été regardée comme un centre de création et de diffusion pour les groupes d'espèces, mais on conçoit également que chaque espèce peut avoir eu son point de départ et son centre particulier de dif- fusion. Quoi qu'ilen soit, rien ne prouve que des régions par- ticulières aient été, dans l'origine, privées de développement vital et qu'elles n’aient été peuplées que par les migrations de centres de création prédéterminés. Nous n’aurions d’ailleurs aucun moyen pour reconnaitre aujourd'hui ces centres. La région particulière de température où une espèce a été créée est indiquée, à ce qu'il semble, par cela même qu'elle s'est montrée plus favorable à son développement. Par suite, on peut voir que chaque localité a quelques espèces qui lui sont particulièrement adaptées, et en général on peut penser que toutes les régions ont leur création spéciale. Outre les causes qui concourent, comme on l'a dit tout à l'heure, à limiter les régions de température et à influencer par suite les produits de la vie, les caps, ou pointes avancées le long des côtes des continents et des grandes îles, sont aussi des litnites naturelles de provinces zoologiques. Ce sont les points où les courants froids ou chauds s’éloignent du littoral et où, par conséquent, il y a au delà un changement brusque dans la température. On en a un exemple frappant sur la côte orientale du nord de l'Amérique, au cap Hatteras, point de concours des lignes isocrymes de 16° 67, 13°25, 10°, etun autre sur la côte occi- dentale de l'Amérique du Sud, au cap Blanco, où convergent _ Li és LIGNES ISOCRYMES. 249 les lignes de 20°, 16° 67 et presque celle de 23° 33. Le cap Est de PAustralie orientale est le point de réunion des lignes de 25° 33 et de 20°; à l'extrémité sud de l'Afrique et sur la côte orientale d’Asie on observe la même eirconstance. Le cap Cod, qui est un point bien connu de zoologie géogra- phique, est la terminaison de l'isocryme de 6° 67, et le cap Nord de la Plata, en dedans-de Maldonado, en est un autre. Un petit nombre de provinces ‘z0ologiques ont 500 milles de long, tandis que quelques-unes atteignent 4000 milles. M. Dana range dans trois grandes divisions les côtes du globe, considérées sous le rapport de la zoologie géographique ma- rine. La première, américaine ou occidentale, comprend les côtes est et ouest du continent américain ; la seconde, appelée africo-européenne, embrasse les côtes d'Europe et de l'Afrique occidentale ; la troisième, ou l'orientale, est composée des côtes est de l’Afrique, de celles de l'Inde, de l’Asie orientale et mé- ridionale et de celles que baigne l'océan Pacifique central et méridional. En outre, il y ales régions arctiques et antarctiques comprenant les côtes des régions froides et accidentellement, comme la Terre-de-Feu, es de la zone tempérée RU extrême. Sur les côtes est et ouest du continent américain, l’auteur admet qu’il y a beaucoup de genres qui se ressemblent et qu’en outre il y a un certain nombre d'espèces identiques. Les crustacés des côtes de l'Europe et de Afrique diffèrent essen- tiellement de ceux de la division américaine comme de ceux de la division orientale. Les espèces de cette dernière ont une grande analogie par les genres auxquels elles appartiennent, et beaucoup d'espèces de l’est de Afrique sont identiques avec celles du Pacifique. Ceci confirme ce que nous avons déduit précédemment de l'étude des mollusques, et ce que nous di- rons des polypiers appuiera encore la réalité du caractère propre qui distingue tous les organismes marins de la région indo-pacifique de ceux des autres mers du globe. Ces trois divisions principales ou royaumes, comme les ap- pelle M. Dana, sont ensuite partagées en un plus ou moins Les trois divisions zoologiques principales. 250 ÉPOQUE MODERNE. grand nombre de provinces dont les limites respectives sont dé- terminées par rapport à la latitude, et leur étendue en longueur évaluée approximativement. 13 provinces sont distinguées de cette manière sur la côte occidentale de l'Amérique, 44 sur sa. côte orientale, 15 dans la division africo-européenne, 4 dans la division orientale sur la côte Est de l'Afrique et des îles voi- sines, 12 dans la section asiatique et 6 dans la section du Paci- fique, en tout 59 provinces zoologiques, non compris les zones ou régions froides arctiques et antarctiques, au lieu de 18 que nous avons indiquées d'après la seule considération des mol- lusques recueillis sur divers points, mais sans les données systé- matiques déduites des lignes de température dont nous venons d'exposer la distribution et l'influence à a surface des mers. $ 6. Distribution bathymétrique des êtres organisés. Dans les sections précédentes nous nous sommes particulière- ment occupé du développement relatif et de la répartition, par régions géographiques, des organismes marins, Ce que nous avons dit de leur distribution en profondeur ou bathymé- trique était le résultat de recherches fort intéressantes, sans doute, mais limitées encore à des mers peu profondes et à des surfaces peu étendues, de sorte qu'on pouvait regarder comme prématurées quelques-unes des conclusions émises à cet égard et les lois que l'on avait cru reconnaitre. D'un autre côté, l'en- semble des observations publiées par MM. Ed. Forbes, Austen, Lôven,Woodward, Mac-Andrew, Dana, ete., formait pour chacun d'eux un tout ou système qu'il eût été fâcheux d'interrompre par des discussions et l'intercalation de matériaux étrangers. Les plus récentes acquisitions de la science dont il nous reste à parler ne sont pas elles-mêmes hors de contestation; elles n'ont encore reçu ni la sanction du temps ni la vérification de l'expérience, et 1l nous à paru préférable de les réunir à la suite des précédentes, dans une section particulière où il sera CO DISTRIBUTION BATIHYMÉTRIQUE. 251 facile au lecteur de les rapprocher des divers sujets auxquels elles se rattachent et qui ont déjà été traités dans ce même chapitre. Disons, enfin, que le temps ne semble pas venu d’une synthèse générale et systématique des faits de cette nature, en- core trop peu nombreux, et qu'il est préférable de les exposer dans l’ordre de leur découverte ou de leur publication. On a vu que dans ses recherches bathymétriques Ed. Forbes avait constaté l'existence d'animaux marins vivant dans la mer Égée jusqu’à la profondeur de 420 mètres, et il avait cru pou- voir conclure de l'appauvrissement graduel des faunes à mesure qu'on descendait, que la limite de la vie ne s’étendait pas beaucoup plus loin. Cependant aucune donnée précise n’était ve- nue justifier cette présomption, et, d’un autre côté, la difficulté d'opérer des dragages à de telles profondeurs, et à plus forte raison au delà, avec les moyens connus alors, ne permettaient pas d'obtenir facilement la preuve que des animaux pussent vivre sous des pressions de plusieurs centaines d’atmosphères, dans un milieu probablement immobile, privé de lumière et à une température comprise entre le maximum de densité de l'eau et zéro. * On sait aujourd’hui que les sondages poussés à de très- grandes profondeurs sont sujeis à des causes d'erreur dont il est difficile de se garantir sans des précautions particulières et même sans des appareils construits spécialement pour cette destina- tion. Le choc du plomb sur le fond et la tension de la ligne sont des données insuffisantes; ainsi, à ces grandes profondeurs le choc ne se transmet plus etles courants marins, entrainant la ligne, la tiennent tendue, quoique le plomb ait touché, de sorte qu’au delà de 2500 à 3000 mètres on ne doit plus comp- ter sur ce mode d’expérimentation. Diverses tenta!ives exécu- tées à bord de navires américains, par ordre du gouvernement, pour attemdre ce que l’on appelle le fond des eaux bleues, avaient d’abord donné les résultats suivants (1). (1) F. Maury, lieut. de la marine des États-Unis, Géographie physique de la mer, trad, franc, par P. A. Terquem, p. 362, in-8°, 1858. Observations diverses. 259 ÉPOQUE MODERNE. Le lieutenant Walsh, du navirele Taney, n'a pointrencontré le fond avec une sonde de 10,563 mètres, non plus que le lieu- tenant Berryman, sur le Dolphin, avec une sonde de 11,888 mètres. Le capitaine Denham, allant de Rio-Janeiro au Cap, sur le navire anglais le Herald, se trouvait, le 30 août 1859, par 36° 49" lat. S. et 57° 6’ longit. occid.; il a descendu la sonde jusqu'à 14,020 mètres, et dans les mêmes parages le lieute- nant J. P. Parker, de la frégate des États-Unis le Congress, est parvenu à descendre le plomb jusqu’à 15,259 mètres. On sait que c’est aussi à 900 milles à l'ouest de Sainte-Hélène que sir J. Ross a descendu une sonde de 450 livres à 9143 mètres. Le golfe de Mexico a une profondeur de 1200 à 1500 mètres. L'océan Pacifique du Nord, entre le Japon et les côtes de la Ca- lifornie, a une profondeur moyenne de 4000 mètres, qui est à peu près la même que celle de l'Atlantique Nord. Plus au sud, les profondeurs augmentent de part et d'autre. La moyenne des dépressions des bassins des mers serait, suivant M. Dana, de 4500 à 6000 mètres. En ayant soin de noter le temps écoulé pour filer la sonde de 100 brasses en 100 brasses et prenant d’ailleurs en consi- dération toutes les données et les circonstances qui permet- taient de rendre les résultats comparables, on parvient à obtenir, en secondes de temps, la loi de la vitesse pour la descente du plomb, et, en appliquant cette loi aux résultats ci-dessus, on s’est convaincu qu'ils n'étaient point exacts et devaient être beaucoup trop forts. En outre, aucun de ces sondages, quand mémeil eût atteint le fond, n'aurait pu en faire connaître la nature, le boulet qui servait de poids étant abandonné; aussi dut-on y obvier par l'appareil du lieutenant Brook, qui con- siste en un boulet traversé perpendiculairement par un cylindre attaché à la ligne. Ce cylindre, quand il a touché le fond, abandonne le boulet au moyen d’un déclic et est ramené à la surface avec les corps du fond qu'un enduit de suif y a fixés. Les plus grandes profondeurs obtenues avec certitude dans l'océan Atlantique du Nord, suivant M, Maury, ne dépassent pas 7650 mètres. La planche XI de l'ailas joint au livre du sa- DISTRIBUTION BATHYMÉTRIQUE. 255 vant américain, et que nous avons-reproduite en partie (pl. 1, ci-après), représente cette portion considérable des mers com- prises entre les côtes de l’ancien ïs du nouveau continent, de- puis le 10° latitude S. jusqu'au 54° latitude N. Elle est He de quatre teintes dont l’intensité décroit avec la profondeur à partir des côtes. Nous leur avons substitué des chiffres ro- mains de I à IV indiquant les quatre zones en profondeur. La première borde les rivages Jusqu'à des profondeurs moindres que 1828 mètres, la seconde les fonds qui n’atteignent pas 3656 mètres, la troisième ceux qui n’atteignent pas 5484mètres, la quatrième ceux qui descendent à 7712 mètres. L'espicé qui se trouve au sud de la Nouvelle-Écosse et du banc de Terre- Neuve, dirigé de l'E. à l'O. comme un profond fossé, s’élar- gissant à son extrémité orientale et marqué du chiffre V, pré- sente des points plus profonds qui atteindraient 8000, 9000 et jusqu’à 12,000 mètres, mais restés encore douteux. La partie la plus basse de cette région se trouverait entre les Ber- mudes et le grand banc Fa Terre-Neuve. Un peu à l’est du méridien de ce banc un sondage indique, mais avec doute, 6600 brasses ou 13,880 mètres. Nous n'avons reproduit sur notre carte que les cotes de sondages nécessaires pour indiquer les principaux points par où passent les lignes limites des zones de profondeurs. Entre le cap Race, à Terre-Neuve, et le cap Clear, sur la côte d'Irlande, existe une surface sous-marine appelée le plateau télé- graphique. La distance entre ces deux points est de 1640 milles, et la profondeur de la mer, suivant cette ligne, ne dépasse nulle part 3600 mètres. Les échantillons que les sondages ont rame- nés de profondeurs qui n'étaient pas moindres de 3000 mètres n’ont présenté à M. Bailey, de West-Point, que des coquilles microscopiques sans sable ni gravier; c’étaient des rhizopodes calcaires et des diatomacées siliceuses. Le savañt micrographe américain croit que ces petits orga- _ pismes vivent plus près de la surface et que leurs codnillés à nslé tombent au fond après la mort de l'animal. A ces profondeurs, dit M. Maury (p. 579), les eaux sont dans un repos absolu, 41 254 ÉPOQUE MODERNE. aucun mélangene s'y fait des substances qui y tombent, et ces petits corps organisés, quelque délicats et fragiles qu'ils soient, y restent intacts. À 3600 mètres, s'ils étaient vivants, ils au- raient à supporter une pression de 400 atmosphères, privés de chaleur et de lumière. Dans l'océan Indien, la ligne descendue par M. Maury à 7040 brasses (12,812 mètres) n’a rien ramené du fond ; mais dans la mer de Corail, par 13° latitudes. et 162° longitude E., elle a rapporté de 5951 mètres des spicules siliceuses d’éponges nombreuses et de formes variées, quelques diatomacées sili- ceuses (Coscinodiscus), de très-rares rhizopodes calcaires, des polycistinées, Haliomma, ete. Nous avons vu que dans les son- dages de l'Atlantique les rhizopodes calcaires ou foraminifères dominaient : ici ce seraient les infusoires siliccux. Ainsi le fond des mers, sur des points très-différents, présente des organismes microscopiques très-différents aussi. (P. 592.) Troissondages ont été exécutés par le lieutenant Brooke dans le nord de l'océan Pacifique ; le premier, par 26° 46° latitude N. et 16818 longitude E., a atteint 4957 mètres; le se- cond, par 60°15, latitude N. et 170°55, longitude E., 3000 mè- tres ; le troisième, par 60° 30’ latitude N. et 175° longitude E., 1558 mètres. Les échantillons de ces sondages étudiés par M. Bailey lui ont fait reconnaître que la quantité des substances minérales (quartz, amphibole, feldspath et mica) diminuait à mesure que la profondeur augmentait. Ainsi, dans les sondages 1 et 2, les corps organisés sont plus abondants que les fragments inorga- niques, et c'est le contraire dans les produits du n° 3. Partout c'était des diatomacées (Coscinodiscus), souvent avec leurs deux valves et dans un parfait état de conservation, des spicules siliceuses d’éponges, mais pas un seul échantillon de rhizopodes calcaires. Ces dépôts ainsi composés presque exelu- sivement d'organismes microscopiques, dit M. Bailey, s’éten- dent vers les hautes latitudes et ressemblent à ceux des régions antarctiques, étudiés par M. Ehrenberg. L'état de conservation des enveloppes solides et la plupart de leurs valves réunies DISTRIBUTION BATHYMÉTRIQUE. 255 prouvent que ces organismes n'étaient pas morts depuis long- temps, sans cependant qu’on puisse être certain qu'ils aient vécu à ces profondeurs. Les mêmes infusoires s'observent dans le golfe du Mexique, au fond du Gulf-stream, sur les côtes de la Caroline et sur les fonds des côtes de l'Islande. Tout porte à croire que ces profondeurs sont desrégions tranquilles que n’at- teignent pas les agitations causées par les tempêtes de la surface. Une des applications les plus remarquables de la physique aux relations sociales est aussi venue fournir, d’une manière inattendue, des renseignements sur la profondeur à laquelle peuvent vivre certains animaux marins. Une partie du cäble électrique, descendu dans la Méditerranée entre Cagliari et la côte d'Afrique, vint à se rompre après avoir séjourné deux ans à une profondeur de 2000 à 2800 mètres. Desfragments ayant été retirés furent trouvés recouverts de corps étrangers et d’a- nimaux qui avaieñt vécu à sasurface ct y étaient encore attachés à sa sortie de l'eau. "A M. Alph: Milne Edwards (1), qui les examina avec soin, y reconnut l'Ostrea cochlear, que l’on savait dejà vivre à 100 et 150 mètres de profondeur, puis un petit Peigne, variété du P. opercularis, commun dans la Méditerranée, et qui était orné de vives couleurs, le P. Testæ, très-rare, un Monodonta limbata etun Fusus lamellosus renfermant encore les parties molles de l'animal. Les Polypiers trouvés sur le même fragment de eàble étaient un Caryophyllia arcuata, qui est fossile dans les marnes subapennines, une autre espèce, le Caryophyllia elec- tica, plus commune, à ce qu'il parait, à ces profondeurs, avec un troisième turbinolien, le Thalassiotrochus telegraphicus. Ilyavait encore des fragments de bryozoaires, de Gorgone et des ‘tubes calcaires de Serpules. La plupart de ces espèces, rame- nées vivantes de 2000 à 2800 mètres et à habitudes sédentaires, appartiennent les unes à des espèces regardées comme très- rares, les autres à des formes nouvelles ; enfin plusieurs sont fossiles dans les dépôts tertiaires supérieurs. (1) Ann. des sc. natur., 4° sér., vol. XV, n°3, 1861. Recherches de M. G. C. Wal- lich. Observations anciennes de John et James Ross. 256 ÉPOQUE MODERNE. M. Torell, qui a dirigé une expédition scientifique suédoise au Spitzherg, signale des mollusques et des zoophytes ramenés de 2500 mètres de profondeur dans les mers polaires (1). Nous exposerons actuellement les principaux résultats des recherches exécutées par M. G. GC. Wallich, médecin atiaché en qualité de naturaliste au bâtiment le Bulldog, chargé, en 1860, par le gouvernement anglais des travaux, préparatoires pour la pose du télégraphe entre la Grande-Bretagne et l'Amé- rique (2). La première partie de ces observations, qui seule a paru au moment où nous écrivons, renferme de nombreux et très-intéressants documents sur les diverses questions qui viennent de nous occuper, mais ce sont plutôt des notes de voyages que l’auteur a réunies qu'un livre régulièrement com- posé, de sorte que l'analyse que nous en donnerons devra pa- raître assez décousue. Bien que le titre porte Partie [°, en réalité le fascicule publié en renferme deux et le commence- ment de la troisième. La seconde, intitulée : Limite bathymé- trique de la vie animale dans l'Océan, est la seule: dont nous ayons à nous occuper ici. Contrairement à l'opinion généralement admise par les ma- turalistes sur l'extension limitée des animaux dans les profon- deurs de la mer, M. Wallich rappelle d'abord les résultats ob- tenus à deux reprises et dans deux régions très-différentes par deux célèbres navigateurs anglais, résultats dont il ne semble pas que l'on ait tenu compte. En 1818, pendant son voyage de découvertes dans la baie de Baffin, sir John Ross (5) se trou- vant, le 1” septembre, par 75° 37! latitude N. et 75° 29" longi- tude O., ramena avec la sonde, d’une profondeur de 1829 mètres, (1) Journ. de conchyliologie, 2° sér., vol. IE, n° 1, 1862. (2) The North-Atlantic sea-bed, ete., in-#, part. I, avec 1 carte et 6 pl. de rhizopodes. Londres, 4862. — M. Wallich, immédiatement au retour de l'expédition, avait publié une première note : On the presence of animal life of vast depths in the sea. (Quaÿt. Journ. of microscop. se., p. 96 ; 1861.) (3) Voyage of discovery, ete, vol. 1, p. 247, 251, et vol. I, p. 5-49. Londres, 1819. . DISTRIBUTION BATHYMÉTRIQUE. 257 une boue molle renfermant des vers, et d'un autre sondage, de 1463 mètres, une belle Euryalee Le 6 septembre, par 72°23/ la- titude N. et 75° 07’ longitude 0., la sonde atteignit le fond à 19920 mètres; elle remonta chargée de 6 livres de boue avec quelques petites pierres et du sable, Les organismes ramenés de ces profondeurs étaient un crustacé du genre Hippolyte, un autre du genre Gammarus (G. Sabini), deux annélides, une Nereis phyllophora, un Lepidonotus Rossi et le Gorgono- cephalus (Euryale) arctieus, dont les bras avaient 2 pieds de long. | Dans la relation-de son voyage aux terres antarctiques (1), sir James Ross s'exprime ainsi : Le 19 janvier 1841, la drague rapporta, de 475 mètres, des fragments de roches qui paraissent avoir été abandonnés par des glaces flottantes, puis d’autres de diverses sortes granitiques et volcaniques, des polypiers vivants, des corallines, des Flustres et une grande quantité d’invertébrés, dont 2 espèces de Pycdogonum, 1 Idotæa Baffini, que l’on croyait propres aux mers arctiques, { Chiton, 7 ou 8 espèces d’acéphales et de gastéropodes, une espèce nouvelle de Gammarus et deux espèces de Serpules adhérentes à des cail- loux. Il est intéressant, ajoute le savant navigateur, de retrou- ver ici plusieurs espèces qui habitent également les hautes latitudes Nord (2). L'extrème pression aux plus grandes pro- fondeurs ne paraît pas les affecter. Nous n'avons pas été au delà de 1829 mètres, mais de cette profondeur plusieurs mollusques ont été rapportés avec la boue. D’après M. Ch. Stokes, qui a examiné les spécimens provenant de ces sondages, le Retepora cellulosa et une Hornère ressemblant à l'H. frondiculata, La- mour., étaient certainement vivants lorsqu'ils ont été ramenés du fond. Ces résultats, qui échappèrent aux naturalistes, avaient été cependant mentionnés par madame Somerville qui en avait (1) Voyage of discovery in the Southern and Antarctic regions, vol. I, p. 201 et suiv. Londres, 1847. (2) Noûs ne savons pas si cette identité d'espèce des régions polaires a été confirmée depuis. Remarques générales. 958 ÉPOQUE MODERNE. tiré la conséquence naturelle que toutes les parties des mers devaient être peuplées 4). M. Wallich rappelle ensuite que, en 1844 (2), et plus tard en 1857 (5), M. Ehrenberg croyait à l'existence des organismes microscopiques (rhizopodes, diatomacées et polycistinées) à de grandes profondeurs où règnent des formes particulières qui manquent dans les autres parties. Si, dit le savant micro- graphe de Berlin, ces sédiments des mers profondes étaient seulement des vases apportées par les courants, il n’y aurait certainement pas autant de formes particulières qu'on y en observe. Mais si les conclusions de M. Ehrenberg ont été mé-. connues, on doit dire que, à son tour, il n'a pas non plus tenu compte des faits signalés par John et James Ross vingt ans au- paravant. - Tandis que la distribution des animaux et des plantes ter- restres, dit plus loin l’auteur, est assez bien connue, celle des habitants de l'Océan est encore presque entièrement restreinte aux lignes des côtes, el même relativement à celles-e1 nous ne possédons aucune vue systématique au delà des mers d'Europe. Les grandes provinces zoologiques de la pleine mer peuvent être, par conséquent, regardées comme encore inexplorées, sauf le cas d'un petit nombre d’être organisés flottants. M. Wallich, que des circonstances particulières ont conduit à ces recher- ches, nous semble d’ailleurs faire bon marché des travaux de ses prédécesseurs, entre autres d'Ed. Forbes, dont nous croyons cependant qu'il aurait bien fait d’imiter la clarté, l'élégance et l'excellente méthode d'exposition, qualités qui manquent com- plétement à son mémoire. Plus un organisme est placé bas dans l'échelle des êtres, plus il semble se multiplier, plus sa distribution géographique est étendue, plus longue est sa durée dans le temps; l'une quel- conque de ces circonstances dépend non de l'accroissement de (1) Physical geograghy, vol. I, p. 246: 1851. (2) Ann. and Magax. nat. hist., vol. XIV, p. 169; 1844, (3) Lettre à M. Maury in Sailing Directions, $° éd., p. 175; 1857. fil DISTRIBUTION BATHYMÉTRIQUE. 259 puissance et de la plus grande facilité à échapper aux actions destructrices, mais de la diminution de la sensibilité dont ces organismes sont doués. (P. 96.) Bien que la température de l'Océan soit plus égale que celle de l’atmosphère, ses eaux sont susceptibles de chan- gements climatologiques, importants par leurs effets sur la répartition des êtres organisés. Ces changements, plus fré- quents et plus prononcés près de sa surface, y agissent aussi davantage; mais, dès que l’on reconnait que la vie ani- male, au lieu d’être bornée à quelques centaines de mètres, peut atteindre les plus profonds abimes, l'extension des limites soit au-dessus, soit au-dessous du niveau des mers, devient presque égale dans les deux sens. On doit supposer qu'il y a, dans ces grandes profondeurs, des espaces inhabités comme sur la terre; mais on peut également admettre qu'ils ne sont pas plus grands dans un cas que dans l’autre. Nous ne savons sur quelles données expérimentales ni sur quelles séries d’observations l'auteur a établi l'espèce de ta- bleau (p. 95) dans lequel il met en regard les causes qui agis- sent sur la distribution de la vie terrestre et de la vie marine. Huit causes sont énumérées de part et d'autre, et leur in- fluence relative évaluée en fractions du nombre 1000. Nous ferons remarquer que, en évaluant, par rapport aux animaux terrestres, l'influence de la température à 400 et celle de la configuration et de la composition de la surface à 150, l’au- teur est complétement en désaccord avec ce que nous avons dit plus haut {p. 159, 167). Les autres chiffres nous paraissent trop empiriques aussi pour être, quant à présent, de quelque utilité dans la pratique. Il compare ensuite la différence des températures sur les terres émergées et dans les eaux, et remarquant que celles de l'Océan et de l'atmosphère sont dues en grande partie aux mêmes causes, leur chaleur provenant de la même source, on doit trouver dans la mer une ligne de température constante plus ou moins analogue à celle de l'atmosphère, bien que l’es- pace situé au-dessus et au-dessous de ces lignes limites soit Tempéra- tures, Relations des organismes avec les profondeurs et les latitudes. 260 ÉPOQUE MODERNE. soumis à des lois très-différentes. C'est ce que nous avons vu ci-dessus en parlant de la ligne de température ou courbe iso- therme de 3° 89 qui atteint sa plus grande profondeur au-des- sous de la surface à l'équateur et le niveau de la mer par 56° 62 latitude N., pour s’abaisser de nouveau au delà, en s’'a- vançant vers le pôle (1). Cette ligne est ainsi représentée, le long d'un méridien donné, par deux arcs plus grands et deux plus petits; mais, tandis que la température de l'atmosphère au delà de la ligne des neiges perpétuelles continue à s’abaisser, celle de la mer, au-dessous de la ligne de 3°39 ou de #, l'au- teur donnant 39° 5 Fahr., reste constante jusqu’au fond. M. Wallich a cherché à rendre cette disposition par une figure (p. 99), qui nous semble n’exprimer qu'imparfaitement sa pensée; ainsi la ligne de 3° 39 n’atteint pas exactement le ni- veau de la mer à la latitude de 56° 62’; elle reste constamment plus bas, et au pôle elle se trouverait à la même profondeur au- dessous de la surface qu’à l'équateur; nous ne savons sur quelle donnée ou sur quel principe ce dernier fait peut reposer. La ligne des neiges perpétuelles n’atteint le niveau-de la mer qu’au 80° latitude N., au lieu de 75°, que l'on admet ordinairement, sans doute à cause de ce que dit M. J. Richardson, que l'on n'a point observé dans les régions arctiques une surface basse de quelque étendue où la neige soit permanente (2). Tandis que la température semble régler la distribution des êtres organisés entre des limites regardées jusqu'à ce jour comme des extrêmes, il est très-probable que dans les profon- deurs des mers, à partir de 400 mètres de la surface jusqu'aux ré- gions que la sonde n'a pas encore atteintes, l’uniformité devient le caractère dominant des conditions de la vie, et que les nom- breux organismes destinés à vivre dans ces circonstances se trouvent également distribués dans les vastes profondeurs des mers. (1) Ce point est marqué comme on l’a vu suivant d'autres observations par 66°, et non par 56°,62. (2) Arctic searching Expedition, vol. I, p. 213; 1851. des mn. DISTRIBUTION BATHYMÉTRIQUE, 261 On a pensé longtemps que le nombre des types, comme celui des genres et des espèces d'animaux et de végétaux, di- minue lorsqu'on s’avance de l'équateur vers les pôles, décrois- sement qui doit être en rapport avec l'abaissement de la tem- pérature; mais, jusqu'à ce que l’on connaisse mieux les faunes profondes, il serait prématuré de vouloir juger des propor- tions numériques de leurs éléments sous diverses latitudes. On peut néanmoins présumer, d'après l'uniformité de température de toutes les eaux profondes, qu'il n'y existe pas de variations ou de différences tranchées comparables à celles qu’on observe dans les faunes terrestres et les faunes marines superficielles. Ed. Forbes et M. Lüven avaient observé que, dans les pro- vinces zoologiques marines boréale et arctique, le plus grand nombre des types d'invertébrés se trouvaient, non pas dans les zones supérieures, mais dans les plus profondes connues alors sous ces latitudes, et de plus que l'extension en profon- deur des quatre zones bathymétriques est beaucoup plus con- sidérable que dans les provinces celtique et lusitanienne. Or, quoique M. Wallich n'ait pas eu occasion d'exécuter, sur les côtes du Groenland, des sondages au delà de 400 mètres, il a pu y faire l'application de la remarque précédente. Le dévelop- pement moindre de la vie végétale et animale dans les couches d’eau supérieures qui correspondent aux zones littorales et des laminariées des provinces du sud y est sensible, et même, dans les baies et les fiords du Labrador et du Groenland, la croissance des algues ne commence guère qu'à la profondeur où elle cesse ordinairement sous les autres latitudes. Les zones supérieures des régions où la côte est couverte de glace pendant huit mois de l’année sont, on le conçoit, dé- pourvues de formes animales et végétales, mais on voit les Mé- duses et les Béroés, pendant les temps calmes, nageant dans le voisinage des masses de glaces qui bordent les fiords. (P. 105.) L'auteur étudie ensuite les conditions dans les- quelles doivent se trouver les animaux à de grandes profon- deurs, et fait voir que la pression, la lumière et les faits cités pour prouver que ces basses régions sont inhabitables, ne peu- Conditions des organismes dans | les grandes profondeurs et à de grandes hauteurs. 262 ÉPOQUE MODERNE. vent être réellement admis. A la surface de la terre, des ani- maux et l’homme même peuvent éprouver une diminution de la moitié de la pression atmosphérique sans en être seusible- ment incommodés. Le‘Condor est, parmi les oiseaux, un exem- ple frappant du pouvoir qu'ont les vautours de se soumettre à des changements brusques de pression en s'élevant jusqu'à 5500 mètres. On sait qu'il vit et couve entre 3000 et 4500 mè- tres. Des poissons vivent dans des lacs à 4000 mètres d'alti- tude, et il n'y a point d’élévation jusqu'à la limite des neiges perpétuelles où l’on n'observe des formes animales ct végé- tales. Or, dans ce dernier cas, il est très-probable que c’est la basse température et non la raréfaction de l'air qui détermine la limite de la vie. Les plantes, on le sait, fleurissent à de très-grandes hau- teurs ; au Chili, au Pérou, le blé croît abondamment à 4000 mè- tres; au Mexique, la limite des bois et des arbrisseaux est aussi à 4000 mètres ; dans l'Himalaya, le Genista se trouve entre 5100 et 5500 mètres. Si l’on suppose que l'extrême limite de la végétation au-dessus du niveau de la mer soit cette dernière élévation et son extrême limite au-dessous à 730 mètres, que | la limite de la vie animale dans l'Océan s'étende jusqu'à 4560 mètres de profondeur, et qu'elle s'élève à 6080 mètres au-dessus de son niveau, la hauteur totale de la verticale le long de laquelle s'étendront les végétaux sera de 6230 mètres, et celle que parcourront les animaux de 10,640 mètres. Au diagramme de M. Wallich nous substituerons le suivant, qui nous semble mieux représenter les faits, tout en laissant d'ailleurs à l’auteur la responsabilité des chiffres, qui ne peu- vent être que très-grossièrement approximatifs. Les rapports de ces divers éléments entre eux seront les suivants : L'étendue totale de la verticale occupée comparativement par les végé- taux et par les animaux au-dessus et au-dessous du niveau de la mer est MUR een le ds aptes Ge vrai disc :f: HR Celle occupée comparativement par les animaux terrestres 1" 1, "1" ROSES RE - ‘ DISTRIBUTION BATHYMÉTRIQUE. 263 Celle occupée par les plantes et les animaux terrestres. . . :: 9, :.49 Celle occupée par les plantes marines etJes animaux marins. :: 1: 6 animaux Végélencx à à * : niveau de la mer niveau de lt rcr Ë végétaux à 3 ns Q COUITNATLX Fig. 1. (P. 108.) L'auteur répète, contrairement à ce que nous avons déjà dit, que la température est la cause qui agit le plus directement sur la distribution de la vie animale terrestre, et qu’elle exerce une égale influence sur la vie marine; cepen- dant, lorsqu'on se rend compte de ses divers effets sur la distribution comparée des animaux et des plantes, on les trouve très-différents. Ainsi les organismes animaux sont con- nus exister aujourd’hui dans la mer au moins jusqu’à 4500 mè- tres de profondeur, et aucun végétal ne paraît vivre au delà de © 750 mètres (1). Quoiqu'il soit prématuré d'affirmer que cette limite ne sera pas dépassée par de nouvelles recherches, il west pas probable qu'elle s’étende beaucoup au delà, parce qu'elle est très-voisine de celle qu’atteint la lumière elle-même. Quant aux deux autres conditions, la distance au-dessus et au-dessous du niveau -de la mer, leur influence relative serait faible. Cependant :l y a des actions assez prononcées qui ne (1) L'auteur range sans doute dans le règne animal les diatomacées, les desmidiées et autres organismes inférieurs, que nous classons parmi les végétaux. Voy. posleà, chap. vr. Pressions de la mer el ses effets, 264 ÉPOQUE MODERNE. sont pas dues à la température, puisque celle-ci, étant la même à différentes périodes, n’a pas produit les mêmes effets sur des organismes déterminés. On ne peut pas attribuer non plus ces derniers à la quantité de pression ou de raréfaction ; car sous les mêmes conditions, à ce dernier égard, les mêmes phéno- mènes ne se reproduisent pas nécessairement. Aussi, relative- ment à l'Océan, M. Wallich suppose-1-1l que ces effets peuvent être en rapport avec la quantité de lumière qui exercerait une action prononcée sur la présence ou l'absence de la vie près de la surface de l'eau comme sur certaines formes animales dans l'air. Mais ici, avec des effets aussi différents que dans le premier cas, plusieurs faits importants montreront que, tandis qu'une certaine quantité de lumière est indispensable : à l'accroissement et à la coloration de certaines plantes, elle n'est nullement essentielle au développement ou à la couleur des formes animales de l'Océan. Pour se rendre compte des pressions qui règnent dans les grandes profondeurs, continue M. Wallich, il faut se rappeler qu'à un mille (1609 mètres) au-dessous du niveau de la mer, la pression est de 160 atmosphères par pouce carré; à 1280 mètres ou quatre milles et demi, elle serait de 750 at- mosphères; et l'eau, l'un des corps les moins compressibles, à 20 milles de profondeur, perdrait 1/20 de son volume. Ces données de la physique ont longtemps fait croire que la vie était impossible à de grandes profondeurs; mais la principale cause d'erreur provenait de ce que l'on introduisait dans la question des circonstances étrangères, où que l’on comparait des faits qui n'étaient point comparables, tels que la vessie natatoire des poissons, l’endurcissement de pièces de bois qui, ramenées de profondeurs de 1800 mètres, avaient acquis la compacité et la dureté de la pierre, la pression exercée sur Jes grands cétacés, sur des bouteilles hermétiquement bou- chées, etc. En s’occupant des conditions de la vie sous des pressions de plusieurs centaines d’atmosphères, l’auteur montre que des changements à cet égard sont possibles sur une très-grande DISTRIBUTION BATIHYMÉTRIQUE. 96à échelle, pourvu qu'ils ne soient pas brusques. Les organismes les plus simples sont d’ailleurs les mieux adaptés à supporter ces changements. Sous ce rapport, l’homme est un des êtres les moins bien partagés de la nature, puisque la diminution de pression d’une demi-atmosphère, en s’élevant. dans l'air, ou l'augmentation de 2 ou 3 sous la cloche à plongeur, est tout ce qu'il peut supporter. Mais aussi les parties solides, fluides el gazeuses qui entrent dans son organisme sont en équilibre sous la pression normale et chacun de ces éléments étant sus- ceptble de divers degrés de dilatation et de contraction, la complication même de son organisation est ce qui fait que cet état d'équilibre est plus facilement troublé à mesure que les conditions extérieures s'éloignent de l'état normal. Dans le cas des animaux respirant par des branchies, il n'y a point de gaz, le fluide circulant étant de même ou presque de même pesanteur spécifique que le liquide environnant, et chaque partie de l'organisme étant complétement accessible à ce fluide soit par sa porosité, soit par une action d'endosmose. L'état d'équilibre est ainsi naturellement maintenu, et l'on conçoit que si le changement de pression n’est pas trop brus- que, si les liquides intérieurs peuvent graduellement se mettre en rapport avec la pression du liquide ambiant, il n'en résul- tera aucun trouble. Or ceci s'applique aussi bien aux animaux qui descendent à de grandes profondeurs qu'à ceux qui, habi- tant ces dernières, seraient entraînés vers la surface. C'est ainsi que des Ophiocomes, ramenés de 2293 mètres, vécurent encore pendant près d’une heure, après avoir été retirés de l'eau et après avoir éprouvé, durant le temps qu'on remontait - la ligne, une pression qui a varié du poids d’une tonne et demie par pouce carré à celui de 45 livres seulement. Nous avons insisté sur l'équilibre entretenu, dans la com- position de l'atmosphère, par la respiration des animaux et des plantes ; dans l'Océan, -les conditions sont modifiées sans être absolument changées. On connait encore imparfaitement la manière dont l'air se dissout dans l’eau de mer. Il est proba- ble que le phénomène se produit à l’aide du mouvement prc- État et proportions du gaz dans les mers. 266 ÉPOQUE MODERNE. duit à la surface par les vents et les courants. Mais, comme ces ae- tions ne s’étendent que jusqu’à une faible profondeur, la pré- sence de l'air, pour alimenter les êtres qui vivent à de très- grandes profondeurs, doit être attribuée à une tout autre cause. Les fluides absorbent constamment les gaz sous toutes les pressions, mais cette propriété s accroît elle-même avec l'aug- mentation de pression, de sorte que dans les couches pro- fondes de la mer il doit y avoir plus de matières gazeuses tenues en dissolution ; aussi l’auteur explique-t-il comment il conçoit que l'absorption des gaz de l'atmosphère par l'eau, dans toute sa masse, se produise en raison de la pression que chaque couche supporte, et comment ces gaz, malgré leur densité plus faible que celle du liquide, ne do:vent pas re- monter vers la surface pour s'échapper. (P. 118.) D’après Vogel, 10,000 parties d'eau de la Médi- terranée et de l’Atlantique ont présenté 1,1 et 2,23 d’acide carbonique, quantité sans doute très-faible, mais jugée ee- pendant suffisante, non-seulement pour retenir tout le carbo- nate de chaux contenu dans l'eau de mer, mais encore cinq fois autant. On a déjà vu que la quantité d'air atmosphérique contenue dans l’eau, et plus particulièrement la proportion du gaz acide carbonique, s'accroît avec la profondeur, et le ta- bleau suivant des analyses données par M. Bischof eomplétera ce renseignement (1). GAZ PROFON- GAZ DAYS A , DATES ET LOCALITÉS. d 100 vou. ACIDE D'EAU. OXYGÈNE. CARBO— | | 1836, mér du Sud. . | TA . 1837, baie du Bengale. … éoecsnNe O1 Qt QI == je O0 CH © DO me me ie je pe 0 me IT © » O1 OI R=23238G2% 1831, baie du Bengale.| | ‘1 4857, océan Indien. 798 Manque. 648 1837, océan Atkantique. Sreccsssece Sreocsccecoce @ h9 $ Co LI 0 ca — + (1) Chemical and physical geology, trad. angl., vol. I, p. 114. \ LS DISTRIBUTION BATHYMÉTRIQUE. 267 Ainsi sur cinq exemples, dont quatre sont complets, la quantité des gaz contenus dans l’eau s’accroit avec la profon- deur, mais dans des proportions qui semblent encore n'avoir rien de régulier ni quant à la somme de ces gaz ni quant à chacun d'eux en particulier. Cependant la proportion d'acide carbonique croit plus constamment que celle des deux autres, tandis que l'azote décroît notablement dans deux cas, et s'ac- croit un peu dans les deux autres. Rappelant les analyses données par Biot, et rapportées par de la Bèche, du gaz contenu dans la vessie natatoire des poissons, M. Wallich fait remarquer avec raison qu'on n’en peut rien conclure pour la composition de l'air contenu dans l'eau, puisqu'il a passé dans le courant de la circulation où les proportions de ses composants ont dû être altérées. La quan- tité d'oxygène qu’on y trouve doit être plus grande dans les eaux plus profondes que près de la surface, étant plus essen- tel à la vie que l'azote, étant en plus grande proportion que ce dernier, et s’approchant aussi plus que lui de la pesanteur spécifique du milieu ambiant, résultat qui se déduit encore des analyses faites à la suite du voyage de cireumnavigation de la Bonite, et dans lesquelles on voit que la proportion de l’azote tend à diminuer avec la profondeur, Les observations de l’auteur sur la liquéfaction des gaz par la pression n’apportent aucune preuve à ses vues théoriques, et il n'a pas non plus d'idées arrêtées sur l’origine des grandes - masses calcaires attribuées à la précipitation du carbonate de chaux tenu en dissolution dans les eaux ou au résultat des fonctions vitales des animaux inférieurs. La présence des co- quilles, des rhizopodes, en immense quantité, peut, dans cer- tains cas, appuyer cette dernière manière de voir, mais il trouve que les calcaires altérés ne la confirment pas. La quantité (probablement en moyenne) des substances sa- substances lines signalées par M. Bischof (1) dans les eaux de l'océan Paci- RE des fique, de l'Atlantique et de la mer ‘d'Allemagne, et déduites taux de la (1) Chemical and physical geology, vol. I, p. 379. 268 ÉPOQUE MODERNE. des analvses de Bibra, étant de 5,527 0/0, on y a reconnu les proportions relatives suivantes : Chlorure de sodium. . . . . .. 75,186 Id. de magnésium. . . . . 9,159 Hi) de caloum: Sr 00e Bromure de sodium. . . . . .. 1,184 Sulfate de chaux. . . 5: . . . - 4,617 Id. de magnésie. . . . . . . 5,997 100,000 D'où il résulte que le carbonate de chaux et la silice, sub- stances qui entrent pour une si grande proportion dans la com- position des coquilles et des parties solides des autres inver- tébrés marins manqueraient ici, ce qui est d'autant plus remarquable, dit M. Wallich, que les phénomènes géologiques dus à la présence de ces substances dans l’eau de mer peu- vent être regardés comme les plus importants que l'on ait à considérer. En effet, bien que le carbonate de chaux et la silice semblent être dans des proportions très-faibles relativement à la masse des eaux, ils sont aussi essentiels à l'existence des divers organismes marins que le gaz acide carbonique, qui est encore en moindre quantité dans l'atmosphère, est indis- pensable aux plantes terrestres. La structure solide des pre- mières est due au carbonate de chaux comme celle des se- condes au carbone, Dans les deux cas cependant le besoin et l'emploi de la matière sont équilibrées avec une telle rigueur que, si l’un ou l’autre venait à.manquer, il en résulterait une perturbation profonde dans les conditions actuelles de la vie du globe. | Mais, comme le fait remarquer M. Bischof, la grande quan- tité de carbonate de chaux apportée par les rivières, de même que la formation continue des coquilles et des autres tests d'a. nimaux marins, est la preuve la plus évidente de la présence de ce carbonate dans l’eau de mer, et, d’un autre côté, l'acide carbonique qui s’y'trouve également doit constamment dissoudre ce même carbonate lorsqu'il y en a au fond, tandis que si l'eau est très-loin de son point de saturation par ce EUR ue * pat ms" | | era re DISTRIBUTION BATHYMÉTRIQUE. . 269 carbonate, cela vient de la séparation incessante opérée par les animaux testacés. Plusieurs analyses ont d’ailleurs constaté la présence du carbonate de chaux dans l'eau de mer, particu- lièrement dans le voisinage des côtes, de même que les ana- lyses d'eaux, prises sous diverses latitudes et dans des mers différentes, ont fait voir des proportions variables dans les sels contenus. (P. 124.) Il est digne de remarque que les dépôts calcaires qui se forment aujourd'hui dans une partie considérable de l'Atlantique, et probablement dans tous les grands fonds de mers, se trouvent généralement très-loin des côtes et toujours dans des eaux profondes, tandis que les polypiers des récifs, qui tirent leur matière calcaire de la même source, se forment à de faibles profondeurs, quoique, par l'abaissement du fond, leur base repose à des profondeurs considérables et que les ré- cifs eux-mêmes se trouvent alors isolés au milieu de l'Océan. On ne connaît guère de l'accroissement des polypiers que sa marche graduelle, sujet que nous traiterons ci-après, et, quant à celui des foraminifères, rien n’a encore été déterminé. M. Wallich s'occupe beaucoup de l’arrivée, de la distribution et de l'emploi de l'acide carbonique dans les mers, et nulle part, dit-il, on ne trouve un dépôt récent résultant de la sur- saturation de l'eau par le carbonate de chaux. D'un autre côté, il y a de nombreuses preuves de dépôts calcaires formés méca- niquement, quelquefois redissous par l'eau qui tient l'acide carbonique en dissolution, de manière que la quantité de pe- lites parties de calcaire amorphe, que l’on rencontre presque constamment, doit être attribuée à des fragments de coquilles désagrégés et laissés après la nouvelle séparation du carbonate de chaux. | La silice a été reconnue dans toutes les eaux de meranalysées par M. Forchhammer (1), et la plus grande quantité était de 0,5 dans 10,000 parties d’eau pure. Cette substance est inso- luble dans Peau, mais elle lui en abandonne quand celle-ci (1) Bischof, Loc. cit., vol. I, p. 109. 18 Substances diverses dans l’eau des mers. 270 ÉPOQUE MODERNE. contient de l’acide carbonique. Les circonstances favorables à la présence du carbonate de chaux dans l'Océan le sont aussi à celle de la silice. Elle est de même entraînée constamment à la mer par les rivières ; elle fournit la matière de la partie solide des éponges, des polvcistinées, des genres voisins d'infusoires et des espèces marines de diatomacées. Quoique ces corps siliceux soient beaucoup plus petits que les rhizopodes calcaires ou foraminifères, ils ne laissent pas de former, par leur accumulation, une portion considérable de certains dépôts océaniques. Suivant M. Wallich, les diato- macées ne vivraient pas au delà de 728 à 900 mètres, et ceux que l'on trouve à de plus grandes profondeurs y ont été entraînés. De ses diverses observations sur les polycistinées, les diato- macées et les foraminifères, il déduit que le carbonate de chaux et la silice existent Loujours dans l eau de mer, que la quantité d'acide carbonique s'accroît avec la préfsslsits que le pouvoir dissolvant de l'eau, relativement à ces deux sub- stances, est dû à la présence de l'acide carbonique. Il pense aussi que sur le lit des mers profondes, là, où à la surface le carbonate de chaux est en si petite quantité qu'il est inappré- ciable par les réactifs chimiques, de grands dépôts calcaires se forment néanmoins d’une manière continue, enfin que si l'accroissement des animaux testacés est en relation directe avec la quantité de matières qui constituent leurs parties solides (les parties molles du sarcode étant composées de protéine ou d'oxygène, d'hydrogène, d'azote et de carbone), on est forcé- ment conduit à admettre que la pression, loin de restreindre le développement de la vie animale aux zones supérieures des mers, peut être regardée comme une des conditions les plus essentielles à son existence dans les grandes profondeurs. Quant à l’iode, au fluor et à l'acide phosphorique, le premier existe dans les plantes, le second dans l'eau elle-même, letroi- sième dans les corps organisés ainsi que dans l’eau. Le caractère général du lit des mers profondes est d'être moins accidenté que celui des eaux qui le sont peu, mais la ist DISTRIBUTION BATIYMÉTRIQUE. 271 couche molle que l'on a cru recouvrir toute sa surface est loin d’être constante. C'est aussi une erreur de penser que les chaînes de montagnes, des précipices abruptes et des crêtes rocheuses dentelées n'existent pas même où les dérangements volca- niques sont inconnus. Tous les grands dépôts calcaires ont des caractères locaux, et cette circonstance ne peut être attribuée au manque de matière calcaire, mais, sans doute, à l'absence des organismes qui opèrent sa séparation de ses combinaisons, (P. 129.) Quoique la lumière exerce à peine un effet sensible sur lextension géographique des espèces marines, elle constitue un élément important de la répartition bathymétrique dans les zones voisines de la surface. Certaines formes vivent sous Île plus vif éclat du jour, d'autres lévitent; les unes sont indiffé- rentes à ses divers degrés d'intensité, les autres sont sensibles à sa plus légère impression. Ces effets, quels qu’ils soient, sont constants chez tous les individus de la même espèce. Bien qu'on n'ait jamais prouvé directement que la lumière fût essentielle à la vie animale, cette opinion a été appuyée par ces deux motifs : qu'elle est indispensable à la végétation et que la vie animale dépend, dans sa première manifestation, de la vie végétale. Mais cette dernière raison ne s'applique pas nécessairement aux organismes marins les plus inférieurs. La lumière cesse même à une profondeur où vivent encore des espèces hittorales d'un ordre très-élevé. Ainsi on suppose qu’à 225 mètres commence une obseurité complète; cependant beaucoup d'animaux particuliers à la zone profonde des coraux ctsurtout certains poissons descendent à des profondeurs de trois à cinq fois plus grandes, c'est-à-dire à 650 mètres au delà des plus faibles rayons de lumière, | Les plantes, telles que nous les connaissons, ne peuvent vivre en l’absence de la lumière, et les éorps organisés que l'on a retirés d'une profondeur plus grande que 900 mètres out présenté une structure moléculaire différente de celle des plantes vivant plus près de la surface. Par le manque de lu- mière il se produit, dit M. Wallich (p. 150), un phénomèue Action de la lumicre. Conditions de Ja vie dans . les grandes profondeurs. 272 ÉPOQUE MODERNE. inverse de celui qui fixe le carbone dans la plante et laisse dégager l'oxygène de l'acide carbonique. Ta protophytes appartenant aux eaux les plus profondes sont donc soumis à une loi particulière, et l'on peut se deman- der qui est-ce qui joue le rôle des plantes pour purifier l'eau des éléments délétères qu'y répandent les animaux, si la végé- tation et la lumière cessent à la même limite, puis sous quelles autres conditions que des circonstances exceptionnelles la vie animale peut-elle être maintenue sans la vie végétale, pour se prolonger ainsi jusqu'aux plus grandes profondeurs, La réponse à la première question est facile : les eaux de l'Océan s'emparent de l'acide carbonique exhalé par les ani- maux, et la quantité de carbonate de chaux qu'il y rencontre suffit pour en convertir, en un composé sans action nuisible, une assez grande quantité pour que le reste soit aussi peu nui- sible que le gaz acide carbonique répandu constamment dans l'atmosphère. D'un autre côté, l'oxygène nécessaire est prinei- palement tiré de l’air atmosphérique absorbé par l'eau, ear la portion qui en est rejetée par les plantes marines est sans importance eu égard à là masse de l'Océan. Pour la seconde question, l’auteur est obligé d'avoir recours à un moyen de nutrition à l'égard duquel il n'existe pas de précédent connu. Dans le plus grand nombre des protozoaires marins, tels que les foraminifères, les polycistinées, les acan- thométrées, les thalassicollidées et les spongidées , on pent supposer que ce procédé, au lieu d’être celui par lequel la nutrition est effectuée dans les êtres plus élevés par les fonc- tions complexes des organes spéciaux, le serait par les orga- nismes les plus simples que nous connaissons, et en l'absence de toute disposition ressemblant à une structure partieulière- ment adaptée à ce but. M. Wallich remet à développer ce sujet dans ses étudés particulières sur les organismes infé- rieurs, et se borne à établir ici qu'il n’invoque aucune loi exceptionnelle, mais que, au contraire, la preuve que ces orga- nismes sont doués du pouvoir de convertir les éléments inorga- niques pour leur propre nutrition repose sur la faculté incon- DISTRIBUTION BATHYMÉTRIQUE. 275 testable qu'ils possèdent de séparer le carbonate de chaux ou la silice des eaux qui les tiennent en dissolation. En d’autres ter- mes, si l'on peut démontrer que ces organismes effectuent la séparation d'éléments inorganiques pour construire leurs co- quilles, on est autorisé à croire qu'ils peuvent faire servir à la nutrition même de leurs parties molles les éléments im- propres à cette destination, surtout si l'on considère que les éléments qui restent sont précisément ceux qui, lorsqu'ils. sont combinés, constituent la protéine de ces mêmes parties molles. On doit faire remarquer cependant que si le principe que nous avons rappelé plus haut est absolu, si les animaux ne peuvent se nourrir que de matières organiques, le raisonne- ment, fort ingénieux d’ailleurs, de M. Wallich est sans fonde- ment, ou bien, contrairement à ce qu'il dit, il invoque en réa- lité pour la nutrition des animaux une loi entièrement nouvelle dans les procédés de la nature. Ici d’ailleurs la difficulté n’exis- tcrait que pour ceux de ces organismes qui sont réellement doués de la vie animale ; pour les autres elle consisterait dans l'absence de lumière. (P. 132.) Si l’on essaye, continue l’auteur, d'examiner, sans idées préconçues, les phénomènes physiologiques sous les for- mes les plus simples de chaque règne, dans une cellule de Collosphæra et dans une cellule de Navicula, on trouve que leur limite est empirique et que la distinction entre les deux règnes n'existe pas dans les êtres les plus inférieurs de lun et de l’autre. On reconnait aussi, dans la mise en liberté d’une partie de l’oxveène et du carbone de l’acide carbonique, de Y5 que, l'hydrogène de Peau et de l'azote de l'air, un acte vital regardé jusqu’à présent comme exclusivement propre aux végétaux ; de sorte que le même procédé produit la substance de la coquille et la nourriture, et le dernier anneau de la série (on pourrait, avec plus de raison, dire le premier) proviendrait, non du règne végétal, comme on l’a cru jusqu’à présent, mais bien du règne minéral. «D’un autre côté, ajoute avec « conviction M. Wallich, si l’on nie ce résultat ou cette expli- 274 ÉPOQUE MODERNE. « cation du fait, 1l ne reste plus qu'à supposer que les êtres « créés les plus mférieurs, qui ont le moins de besoins, ont ici « des organes spéciaux pour remplir des fonctions spéciales, « et que les plus humbles rhizopodes, les plus modestes po- « lycistinées peuvent digérer, sécréter, rejeter et penser par- « dessus le marché, car pour toutes choses on peut alléger « le contraire. L'auteur, NE ensuite sur les traces de M. Darwin, trouve que les animaux qui présentent des rudiments des or- ganes de la vision ont dù vivre d'abord dans des milieux plus éclairés que ceux où on les trouve actuellement, et que ces organes se sont modifiés en s’accommodant aux nouvelles con- ditions environnantes. Les Ophiocomes des plus grandes pro- fondeurs de l'Atlantique du Nord sont ainsi semblables à PO. granulata des eaux peu profondes, sans présenter cependant la marque ou tache oculaire des Astéries et des Solastéries. En outre, des crustacés, revêtus de vives couleurs, ont été ramenés de 2550 mètres, par M. Torell (1). L'espèce n’a point été déter- minée,; on peut seulement présumer qu'elle est pourvue d'yeux. On pensait aussi que labsence des couleurs vives sur les animaux résultait de la diminution de la lumière, mais M. Wal- lich, qui semble avoir le privilége d'observer beaucoup mieux que ses devanciers, a des motifs pour croire que, bien que l'in- tensité de la lumière puisse, réellement, produire la vivacité des teintes, son absence n'entraine pas leur disparilion ni même leur atténuation. Les Astéries ramenées de 2500 mètres pré- senlaient, en effet, d'aussi brillantes couleurs que si elles avaient véeu dans les eaux peu profondes des zones tempérées, tandis que des individus des mêmes espèces, dragués de 182 à 96% mètres dans les fiords du Groenland occidental, offraient des teintes sombres, .: (P. 154.) De ces faits et d’autres qu'il rapporte, l’auteur se (1) The Athenæum, 7 déc. 1861. — Le rapport officiel de cette expé- dilion scientifique suédoise au Spitzberg ne semble pas avoir encore été pu- blié, DISTRIBUTION BATHYMÉTRIQUE. 275 confirme dans l’idée que les êtres organisés, trouvés à de grandes profondeurs, proviennent d'espèces qui ont d’abord habité des eaux peu profondes. La couleur est alors un carac- tère héréditaire, et une espèce moins colorée originairement ne peut pas prendre de teintes plus vives si elle est exposée à une lumière plus éclatante, et réciproquement. Cependant il convient que chez des animaux transportés des tropiques sous - les zones tempérées les couleurs s’affaiblissent. On voit dans ce qui précède plusieurs contradictions de la part de M. Wallich. Si, par exemple, des animaux provenant de très- grandes profondeurs ont des teintes aussi vives que ceux des zones élevées, on n’a plus de raison pour croire à l’influence de la lumière; et si des animaux des zones chaudes, vivement colorés, perdent une partie de leurs couleurs dans les zones tempérées, on peut, au contraire, admettre cette influence, D'un autre côté, les couleurs des animaux passant des zones supérieures dans les inférieures auraient été conservées dans celte dernière station par voie d’hérédité, sans éprouver de changement à la suite de ce déplacement, tandis que d'autres, les Ophiocomes, pourvus d’yeux dans les stations supérieures originaires, seseraient vus privés de ces organes en descendant dans les profondeurs où ils leur seraient devenus inutiles. Nous pensons que ces incohérences doivent être attribuées à la précipitation que l’auteur semble avoir mise à rédiger un travail où les répétitions et le manque de liaison dans les divers sujets sont si fréquents. Il est vrai que dans le cas des changements de couleurs, M. Wallich ne les attribue pas au plus ou moins de lumière, mais à la diminution des fonctions vitales modifiées pour favo- riser le changement des conditions normales en des conditions anormales. C’est, comme on le voit, substituer une hypothèse particulière à une autre généralement admise. D’après d’autres exemples de changements de couleurs, et surtout en sens in- verse, c’est-à-dire des zones tempérées aux zones chaudes, ou des zones froides aux zones tempérées, il est porté à croire que les teintes des plumes des oiseaux, des ailes des papillons et Obections diverses, Persistance des corps dans les profondeurs où ils ont vécu, Distribution de quelques organisu es en protondeur. 976 | ÉPOQUE MODERNE. de l'enveloppe solide des échinodermes sont aussi purement héréditaires que leurs divers organes, et que, dans des variétés produites artificiellement, on doit regarder les conditions àe lumière comme de valeur égale aux autres conditions secon- daires qui produisent leur effet dans le jeu des fonctions vitales . L Il s'attache à démontrer ensuite que les Astéries et les autres animaux ramenés de plus grandes profondeurs ont été pris vivants dans leur habitat naturel; il fait voir aussi pourquoi les restes d'animaux morts à ces mêmes profondeurs y demeu- rent, et pourquoi la faune sous-marine est dans tous les cas aussi invariablement fixée au fond des mers que la faune terrestre l'est à la surface du sol. Les tissus, après la mort, sont remplis d'un fluide qui fait équilibre au liquide envi- ronnant ; 1] y a décomposition, mais non putréfaction, et les éléments peuvent entrer dans de nouvelles combinaisons. Aucune substance gazeuse n'étant retenue sous cette forme dans les céllules ou cavités plus grandes des organes privés de la vie, et le résultat nécessaire de l'action d’endosmose étant de mettre dans un équilibre absolu avec le milieu environnant chaque partie de la structure, aucune diminution de pesanteur spécifique ne peut la faire remonter. (P. 157.) Les rhizopodes sont plus ou moins abondants dans toutes les mers, mais le genre Globigerina peut être regardé comme essentiellement océanique, car on le trouve à toutes les latitudes et à toutes les profondeurs, de 90: à 9460 mètres. Son maximum de développement est dans les plus grandes profondeurs; là il s'étend, comme le sable des côtes, sur des centaines de milles carrés, constituant probable- ment de puissantes couches. Il paraît y avoir une relation intime entre les dépôts de Globigerina et la présence du Gulf- stream. Ainsi, entre les iles Féroë et lIslande, entre celle-ci et l'est du Groenland, et dans une grande portion de la ligne directe, entre le cap Farewell ct Rockall, les Globigérines abondent dans les sédiments, tandis qu'entre le Groenland et le Labrador ces rhizopodes manquent ou sont peu répandus, DISTRIBUTION BATHYMÉTRIQUE. 277 Les dépôts de cette nature ne sont donc point dus au trans- port par les courants, car ils seraient mélangés de toutes sortes d'espèces provenant des lignes de côtes ou d'autres parties du lit de la mer. Dans l'hémisphère Sud, M. Wallich a reconnu des dépôts de rhizopodes sur le bane d'Agulhas, au sud du cap de Bonne-Espérance, à 180 mètres de profondeur. Les Globigé- rines constituent 75 pour 100 de la masse du dépôt, qui oc- cupe une surface marquée par une ligne dépendant sans doute du courant qui contourne le Cap en venant de l’est. Il ne dif- fère de ceux du nord de l'Atlantique qu'en ce que les coquilles sont de formes plus délicates, peut-être parce qu'elles habi- tent de moindres profondeurs. Le fait auquel l'auteur attache le plus d'importance, à ce quil semble, est la découverte d'animaux plus élevés de la série, ramenés de 2295 mètres, à environ demi-distance du cap Farewell et de la côte nord-ouest de l'Islande, ou à 500 milles de la côte du Groenland, 250 de celles de l'Islande, et 400 du banc de Rockall, par 59° 27! latitude N., et 26° 41’ lon- gitude 0. (voy. pl. 1). En examinant la cavité viscérale d’un de ces radiaires ou Ophiocomes, il y a reconnu une grande quantité de Globigerina plus ou moins brisées, de fragments amorphes, quelques globules jaune clair d'apparence huileuse, plusieurs œufs, de très-petits tubes d’annélides formés de Glo- bigérines agglomérées, d'autres composés de divers éléments. A la profondeur de 1585 mètres, le dépôt était formé, presque à parties égales, de matières calcaires, siliceuses, entrant aussi dans la composition des tubes d’ Anais) L'Ophiocoma granulata, provenant de ces grandes profon- deurs, s’observe sur les côtes d'Angleterre, de 48 à 91 mètres au-dessous de la surface, de même sur celles de la Scandinavie, puis à 564 sur celles du Groenland, et enfin à 2293, comme on vient de le dire, sans qu’elle présente de modifications sen- sibles. La Serpula vitrea, le Spirorbis nautiloides et les Ophiocomes ou Astéries dieu depuis le cercle Be jus- qu'aux côtes d'Angleterre. Abaissement supposé de l'Atlantique du nord, 278 ÉPOQUE MODERNE. Maintenant ces animaux appartiennent-ils à un centre de création situé à cette dernière profondeur, ou bien sont-ce des colonies isolées aujourd’hui, dont les espèces seraient ori- ginaires d’ailleurs? Telle est la question que s'adresse M. Wal- lich, et à laquelle il répond en adoptant les idées émises par Ed. Forbes (1) sur les grands changements qui ont affecté la distribution des terres et des mers dans les dernières périodes géologiques. Une portion considérable du lit de la mer, au sud de l'Islande, aurait éprouvé un abaissement très-prononcé, prouvé par la disposition mème des terres, la profondeur des eaux et les anciennes cartes qui s'appuient sur des traditions. En sorte, dit-il (p. 151), qu'aucune démonstration d'un abaissement ne peut être plus complète, aucune preuve de la vérité du principe de centres particuliers spécifiques n'est plus évidente que la découverte, dans de telles circonstances, d'une colonie d’Astéries acelimatées, appartenant à une espèce type de la province boréale, s'étendant du cerele polaire arctique aux îles Britanniques sans éprouver de variations dans ses caractères jusqu'à 564 mètres. L'abaissement général est en- core rendu probable par la découverte d'annélides fixées, dont les espèces bien connues pour appartenir à des eaux peu profondes ont été ramenées de 1238 mètres, à demi-distance entre l'Islande et les îles Féroë. M. Wallich fait remarquer, en terminant cette partie de son travail, qu'il n'a point rencontré d'algues au-dessous de 964 mètres, et que les seules structures végétales ramenées des mers profondes appartiennent aux organismes les plus inférieurs que nous connaissions, aux diatomacées. Comme on l'a déjà dit, cependant, l'aspect que présentent les frustules de ces corps, obtenus au delà de 900 mètres, indiquent, sui- vant l'auteur, une constitution moléculaire de la matière pro- toplasmique différant tellement de celle qu'on observe dans les organismes semblables vivant dans des eaux peu profondes, qu'on ne peut pas douter que la vie végétale ne cesse à une (1)- Memoirs of the geological Survey of Great Britain, vol. 1, p. 598. DISTRIBUTION BATHYMÉTRIQUE. 279 limite beaucoup plus rapprochée de la surface que la vie ani- male (p. 154). Enfin, il résume ses études relatives aux limites bathymé- triques de la vie dans l'Océan de la manière suivante : 1° Les conditions qui règnent aux grandes profondeurs, quoique différant matériellement de celles qui existent près de la surface, ne sont pas incompatibles avec la persistance de la vie animale. 2° En supposant que la théorie des centres spécifiques par- ticuliers soit vraie, la présence des mêmes espèces dans des eaux peu profondes, et à de-grandes profondeurs, prouve qu'elles peuvent avoir été transportées dans diverses situations sans en avoir éprouvé de changements. 5° Il n'ya rien, dans les conditions qui existent aux grandes profondeurs, pour empêcher que des êtres organisés primiti- vement pour y vivre ou qui y auraient été acclimatés, ne puis- sent vivre également dans des eaux peu profondes, pourvu que le passage soit suffisamment gradué ; de sorte qu’il est possible que des espèces qui habitent actuellement à de faibles dis- tances au-dessous de la surface aient vécu auparavant dans les mers profondes. 4° D'un autre côté, les conditions de la surface de l'Océan ne permettent pas qu'après leur mort les êtres organisés des- cendent au fond quand la profondeur est très-grande, si chaque partie du corps est librement pénétrée ou accessible au fluide environnant; et réciproquement, les conditions qui règnent dans les grandes profondeurs ne permettent pas non plus aux organismes, constitués pour y vivre, de s'élever à la surface lorsqu'ils sont morts. »° La découverte même d’une seule espèce vivant normale- ment à de grandes profondeurs prouve suffisamment que ces régions ont,leur faune spéciale, et qu’elles l'ont toujours euc dans les temps passés, d’où il résulte que beaucoup de couches fossilifères, regardées jusqu’à présent comme ayant été déposées dans des eaux comparativement peu profondes, peuvent ce- pendant l'avoir été à une grande distance de la surface. Conclusions. Observations diverses. 280 ÉPOQUE MODERNE. D'après un travail de M. W. King (1) sur les échantillons des différents fonds de mer explorés par un bâtiment de l'État chargé d'opérer des sondages pour la pose du càble électrique, on n'a pas obtenu de spécimen au delà d'une profondeur de 552 mètres. Entre ce point et 182 mètres, on a partout rencontré à profusion des rhizopodes et autres êtres organisés microscopiques occupant cette vaste plaine située entre l'Is- lande et Terre-Neuve, Tous les sondages ont apporté des co- quilles remplies ou couvertes de foraminifères. Les sédiments recueillis sur la côte d'Irlande, entre 466 et 532 mètres, res- semblent, dit l'auteur, à une laitance de poisson, ce qui s’ex- plique par les myriades de Globigerina et de Globulina qu'ils contiennent. On a trouvé en outre, à 108 mètres, des Pecten, des Arches | et des Pectoncles inconnus dans ces parages, Une Orbicule a été ramenée de 576 mètres, sur le versant oriental de la grande vallée qui atteint jusqu'à 3 milles de profondeur, et qui court des îles du cap Vert jusqu'à Kerry et au delà, où se re- lève le plateau télégraphique. Les pentes très-rapides de ce plateau sont également couvertes d'organismes microscopi- ques, et il en est sans doute de même de sa surface. Laplace pensait que les plus grandes profondeurs des mers ne devaient guère dépasser les montagnes les plus élevées, et jusque dans ces derniers temps ces vues ne semblent pas avoir été infirmées, les profondeurs au delà de 8000 à 9000 mètres élant encore fort incertaines. Suivant M. Airy, on pourrait dé- , terminer les profondeurs des mers par la hauteur, la largeur et la vitesse des vagues. C'est ainsi que, d'après la hauteur com- parée atteinte par les vagues sur la côte du Japon et celle de la Californie, le 23 décembre 1854, à 9 45’, on a pu conclure, la pression augmentant d'un peu plus d'une atmosphère par 10 mètres d’eau, que la profondeur moyenne de l'océan Paei- fique entre ces deux points était de 5950 mètres ou près de 4000 mètres, comme on l'a dit ci-dessus. Celle de la Médi- (1) Le Moniteur universel, 10 janvier 1863. DISTRIBUTION BATIIYMÉTRIQUE. 281 terranée ne dépasse guère 3500 mètres, celle de l'Atlantique est comprise entre 2000 et 6000 mètres. M. Maury attribue aux organismes les plus inférieurs la fonction de'distiller Peau de mer, d’en extraire l'excédant des sels qu'apportent les fleuves et les rivières, et de maintenir ainsi l'équilibre dans le degré de salure des mers. Dans l'automne de 1860, M. M'Clintock recueillit, entre le Groenland et l'Islande, à 2300 mètres, une Astérie vivante, re- vêtue de couleurs éclatantes, et dont la cavité intestinale ren- fermait des Globigerina. Des mollusques et des crustacés au- raient été ramenés vivants de profondeurs aussi considérables dans la baie de Baffin. Dans la Méditerranée, l'enveloppe en gutta-percha d'un càble électrique placé sur le fond, à 109 et 127 mètres, a été perforée par le Xylophaga dorsalis, espèce que, dans la rade de Brest, on trouve dans les traverses des ancres perdues (1). On voit donc, comme nous le disions en commençant cette section, que ces recherches très-récentes, dues à quelques observateurs, et le plus grand nombre d’entre elles à un seul, demandent à être contrôlées et étendues à d’autres mers d’une manière suivie. Ce ne sera que lorsqu'on possédera de très- nombreux matériaux, recueillis avec toutes les précautions possibles, que l’on pourra hasarder quelques généralités, et essayer de s'élever à une loi de distribution des êtres organisés dans les mers. Jusque-là nous devons nous borner à enre- gistrer les faits avec réserve quant aux conclusions à en tirer. C’est ainsi que des expériences Loutes récentes ont montré que des poissons et des crustacés ne pouvaient supporter sans périr une pression égale à celle qu’exerce l’eau de la mer à la pro- fondeur de 3620 mètres (2). (1) Revue des Deux Mondes, vol. XLIN, p. 704, 1843. — Deep Sea Soundings in the North Atlantic ocean, par le lieut. J. Dayman. (2) Expériences faites à l'entrepôt de Wharf-road, à Londres. (Voy. Les Mondes, vol. IF, août 1863, p. .) Remarque générale. 282 ÉPOQUE MODERNE. $ 7. Distribution des végétaux à la surface de la terre. Quoique, à beaucoup d’égards, la botanique soit la plus avancée des sciences naturelles, sous le rapport de la distribu- tion des végétaux à la surface de la terre, aucune loi bien générale ne semble avoir été aperçue; les exceptions à certains principes : sont si nombreuses que ceux-ci disparaissent pour ne laisser que de faibles traces là où l'on croyait avoir saisi d’abord quel- que résultat précis. L’abondance des matériaux accumulés, la diversité des points de vue, l’inégale connaissance que l’on a des flores dans des pays différents ne permettent en effet aucun de ces aperçus systématiques qui plaisent à l'esprit, à cause de leur simplicité et de leur clarté, mais que l'examen plus attentif et plus complet de la nature ne justifie pas tou- jours. 1 suffit, pour s’en convaincre, de lire la Géographie botanique raisonnée, qu'a publiée M. Alph. de Candolle, en 4855, juste un demi-siècle après l'Essai sur la géographie des plantes d'Alex. de Humboldt (1). Dans cet ouvrage, le plus complet que nous possédions sur ce sujet, écrit avec une connaissance parfaite de la matière, dans un excellent esprit d'analyse, on voit combien le savant auteur a de peine à formuler çà et là et avec beaucoup de - (1) Essai sur la géographie des plantes, accompagné d’un tableau phy= sique des régions équinoxiales, fondé sur des mesures exécutées depuis le 10° degré lat. S. pendant les années 1799-1805, 1 vol. in-4°, avec carte, Paris, 1803-1807.— Éd. allemande, Tubingen, 1808. In-4°, Vienne, 1811. — Sur les lois qu'on observe dans la distribution des formes végétales, in-8°, Paris, 1816. — Ann. de chim. et de phys:, vol. I, p 225, 1816. — Dedistributione geographica plantarum secundum cœli temperiem etalti=" tulinem montium Prolegomena, avec pl. Luteliæ Parisiorum et Lübeck, 1817, 1 vol. in-8°, avec carte. — Voy. aussi : Tablearæ de la Nature; vol, IE, 1. fine den je dt: vém DISTRIBUTION DES VÉGÉTAUX. 285 réserve quelques généralités déduites de ses prodigieuses recherches. C’est qu'il semble en effet que plus on approfondit la nature, plus on envisage ses produits sous diverses formes, et plus les différences que l’on croyait d'abord si tranchées s’af- faiblissent. Aussi ne pouvons-nous mieux faire que de renvoyer le lecteur à cet excellent travail, qu'il consultera avec fruit, et auquel nous emprunterons seulement quelques citations pour montrer à quoi se réduit théoriquement ce que l’on sait au- jourd'hui à cet égard. Remarquons d’ailleurs que les considé- rations de M. Alph. de Candolle ne portent que sur les plantes phanérogames. Les eryptogames, malgré leur haute impor- tance dans l'économie générale de la vature, puisque, pen- dant un laps de temps énorme, ils régnèrent presque seuls sur la terre, sont complétement omis, leur étude ne paraissant pas être assez avancée sous le rapport de leur distribution géographique pour conduire à des résultats de quelque va- leur au point de vue où nous devons nous placer. Cette la- cune Ôte, on le conçoit, à ce livre une partie de l'intérêt qu'il pourrait avoir pour nous. « La géographie botanique, dit le savant genèvois, doit avoir pour but principal de montrer ce qui, dans la distri- bution actuelle des végétaux, peut s'expliquer par les con- ditions actuelles des climats, et ce qui dépend des condi- tions antérieures. En lui assignant ce but élevé, elle concourt, avec l’histoire des êtres organisés fossiles (paléontologie) et avec la géologie proprement dite, à la recherche de l'un des plus grands problèmes des sciences naturelles, que dis-je? des sciences en général et de toute philosophie. Ce pro-, blème est celui de la succession des êtres organisés sur le globe; il est assurément d'un ordre très-élevé (1). » Ce n'est guère que dans le Livre troisième de l'ouvrage, où l’auteur traite des considérations sur les diverses contrées de la terre au point de vue de la végétation qui les recouvre, que le paléontologiste pourra recueillir des faits qui se rattachent DA IAUE) © SU © 2 2 (1) Géographie botanique raisonnée, préface, p. xt, vol: I, 1835. 284 ÉPOQUE MODERNE. particulièrement à ses études, surtout à partir de la section #4 du chapitre xx, où M. de Candolle s'occupe de la comparaison des zones équatoriales, tempérées et polaires, sous le point de vue des familles dominantes (1). Ainsi, après avoir mentionné la famille des légumineuses comme dominant entre les tropiques, dans l’ancien comme dans le nouveau monde, où elle se trouve ordinairement, dans la proportion de 10 à 12 0/0, quelquefois 16 (Saint-Tho- mas des Antilles) et même 17 au Congo, par rapport aux autres phanérogames, puis les graminées, les composées, les orchidées, les cypéracées, les rubiacées, les mélastomacées, les euphorbiacées, les urticées, les scrophulariées et d'autres familles moins importantes, l'auteur remarque que, pour com- pléter ce sujet, il faut noter l'abondance des fougères, si frap- pante dans les régions chaudes et humides, surtout dans les iles, Ainsi, à Java, les espèces de cette famille sont égales, en nombre, à 0,16 du chiffre des phanérogames; dans les îles de la Société, le rapport est 0,20 ; à l'ile Maurice, 0,26; aux îles Gallay agos, 0,12 ; dans l'ile de l'Ascension, 0,08. Évidemment, dans ces îles, les fougères usurpent la place d’une des fa- milles principales de phanérogames, et cela aussi bien par la grandeur des individus que par le nombre des espèces. Dans l'ile de Juan Fernandez, dans la zone extra-troprcale australe, les fougères dépassent en nombre toutes les familles des pha- nérogames et les composées aussi, ce qui est très-digne de re- marque, ajoute M, de Candolle, cette dernière famille étant une des plus récentes qui ont apparu sur la terre, et l'autre la plus ancienne, au moins dans l'hémisphère Nord. Aussi se de- mande-t-il si les composées n'auraient pas apparu d’abord dans l'hémisphère austral, ce que pourrait confirmer leur abondance au Cap, en Australie, dans l'Amérique du Sud et les îles humides d'Auckland et de Juan Fernandez. : De la comparaison des légumineuses, des composées et des graminées dans Jes régions boréales et australes, l’auteur eon- (1) Géogr. botanique raisonnée, vol. I, p. 1238. 1e OR DISTRIBUTION DES VÉGÉTAUX. 985 clut plus loin (p. 1240) : 1° que les légumineuses craignent surtout l'absence de la chaleur ; Les composées, le froid et l’hu- midité; les graminées, la sécheresse; 2 que des causes anté- rieures à l'ordre de choses actuel ont amené, dans chaque grande division du globe et dans quelques localités (certaines iles), une augmentation où une diminution des chiffres proportion- nels des espèces de chaque famille dont le climat de notre époque ne rend pas compte. (P. 1276.) Le nombre des espèces tend à augmenter lors- qu'on s'avance des pôles vers l'équateur, mais il faut faire la part des circonstances locales, telles que la sécheresse, qui, au Sinaï et en Égypte, rend la flore très-pauvre. Il en serait de même dans le Sahara, au Sénégal, et probablement en Perse, dans le Caboul, la Californie inférieure, etc. D’un autre côté, la présence des chaînes de montagnes (Algérie, Inde, Mexique) annule l'effet de la sécheresse naturelle du pays, et il en est de même dans l'hémisphère austral. En comparant les grandes divisions du globe, M. de Can- dolle s'exprime ainsi : « Dans l'état actuel des connaissances, «il est impossible de comparer le nombre des espèces dans « l'Amérique septentrionale et dans une étendue égale de l’an- cien monde, dans l'Amérique méridionale et en Afrique, ete.; « mais le sentiment général des botanistes descripteurs peut fournir une sorte d'appréciation. « L'Amérique paraît avoir plus d'espèces qu’une étendue correspondante de l’ancien monde. Cela s'explique par la di- rection générale des chaînes de montagnes du N. au $., « direction qui produit, sous chaque latitude, des conditions de climat différentes. Évidemment, les Alpes, les Pyrénées, l'Atlas, le Caucase, l'Himalaya, qui s'étendent de l'E. à l'O., ne peuvent pas offrir limmense diversité de conditions phy- siques de la chaine des Andes, qui passe du 58° degré de la- titude N. au 54° degré de latitude $., en offrant, sous la plupart de ces degrés, toutes les hauteurs possibles entre la mer et les neiges perpétielles. La chaîne des Alléghanies et les chaînes côtières de la Guyane et du Brésil présentent un peu 19 2 { = LC CS { = nl _ 1. -O E | A Comparaison des principales divisions du globe. 986 ÉPOQUE MODERNE. « des mêmes avantages dans la partie orientale du continent « américain. On peut dire qu'en Amérique, sous chaque lati- «tude, se trouvent toutes les hauteurs, ce qui est bien loin « d'exister dans les autres parties du monde. A ce point de vue « très-général, 1l n’est pas surprenant que l'Amérique soit plus « riche en espèces différentes, pour une surface égale. « L'Afrique est pauvre en espèces dans toute son étendue, « excepté à son extrémité méridionale. L'absence de hautes « montagnes couvertes de neiges en été, la sécheresse dans les « plaines du nord, l’umiformité de conditions physiques dans. « la région équatoriale, expliquent le nombre assez faible des « espèces dans la plus grande partie de ce vaste continent. A « l'extrémité australe c’est autre chose. L’abondance extraor- « dinaire des espèces du Cap ne coïncide pas avec des diver- « sités bien grandes de climats. Les montagnes de cette région « ne portent pas des neiges perpétuelles; il y a de vastes éten- « dues desséchées, et, sur le littoral, il ne semble pas que l'hu- « midité et la température varient d’une manière sensible. La « Nouvelle-Hollande, qui est, sous ce point de vue, dans des « circonstances analogues, ne présente pas une variété d'es- « pèces aussi grande. Je croirais donc à une influence anté- « rieure, c'est-à-dire à des causes géologiques, en vertu des- « quelles cette végétation du Cap serait la continuation d'une « flore très-riche, d'une flore liée autrefois à une diversité de « climats plus grande qu'aujourd'hui ou à quelque végétation « d'iles et de continents voisins qui auraient disparu, après « avoir exercé longtemps une influence. Peut-être le nombre « de milliers d'années depuis lequel certaines régions se trouvent hors de la mer, et présentent des conditions de eli- mat favorables aux ét est-il la cause qui explique leur suffisent pas? Je laisse aux géologues de discerner laquelle de ces hypothèses est la plus vraisemblable, Il me suffit de « leur indiquer les phénomènes de géographie botanique dont « les circonstances actuelles du globe ne peuvent pas rendre « suffisamment compte. » « « « richesse actuelle quand les conditions de notre époque ne « « bus nt. GS DISTRIBUTION DES VÉGÉTAUX. 987 Les iles ont-elles moins d'espèces, à surface égale, que les continents? Cette question avait été résolue en sens opposé par divers botanistes. M. de Candolle, en la reprenant, consi- dère d’abord les îles rapprochéés, soit des continents, soit des grandes iles jouant le rôle de continents, puis les petites îles fort éloignées des terres, et enfin de grändes îles et archi- pels qui se trouvent éloignés de loutes terres, comme les îles Sandwich, les Açores, la Nouvelle-Zélande, etc. « En résumé, « dit-il, les iles éloignées des terres, excepté celles de la région « boréale, ont moins d'espèces qu'une surface égale, dans des « conditions analogues, sur les continents ou près des conti- « nents. L'appauvrissement extraordinaire de quelques petites « iles s'explique en outre, soit par une formation ignée ou « madréporique, soit par l'absence d’abri contre les vents de « mer ou contre un soleil trop ardent. Dans tout cela, les faits « s'accordent avec les prévisions du simple bon sens, car on « peut exagérer la facilité de transport des graines à travers « l'Océan, mais il faut bien admettre une difficulté quel- « conque à la diffusion des espèces par cette voie. Il en résulte « que les îles sont exposées à perdre des espèces, comme les « pays continentaux, mais qu'elles ont moins de chances de « les voir se remplacer ou se rétablir par une influence exté- « rieure. » Le nombre probable des espèces de phanérogames a aussi provoqué les spéculations du savant botaniste de Genève, mais, au lieu de partir des espèces décrites, d'estimer les omissions et les espèces à découvrir, ou bien de considérer les régions lesunes après les autres et d’en apprécier les flores par les collections et autres documents pour arriver à un chiffre probable de l’ensem- ble, ila pris pour base un mode d'appréciation tout différent, I avait fait voir que la surface moyenne qu’occupe une espèce de phanérogame cst d'environ = de la surface émergée du globe ou 45,500 lieues carrées. Or, si l'on considère l'Allemagne comme une région géographique moyenne qui peut être prise comme terme de comparaison, cette région ayant fourni. 2900 espèces, les 116 ou 117 régions du globe, dont la sur- Végétation desiles. Nombre des espèces de phanéro- games. Division des surfaces lerrestres en régions naturelles, Origine des végétaux dans chaque pays. -reproduirons-nous dans toute leur étendue, 988 ÉPOQUE MODERNE. face terrestre est de 6,825,000 lieues carrées, donneraient 290,000 espèces de phanérogames ; et, toutes réserves faites, on peut admettre, dit M. de Candolle, le nombre 250,000 es- pèces, en conservant à cette dernière expression le sens que lui donnait Linné. Pour se faire une idée de l'accroissement des connaissances botaniques dans cette direction, il suffit de se rap- peler qu’en 1820 Pyrame de Candolle estimait à 120,000 le nombre des phanérogames de tout le globe. Après avoir examiné les diverses opinions émises par les bo- tanistes sur la manière de diviser les surfaces terrestres en régions naturelles, l’auteur, opposant ces opinions les unes aux autres, montre que leur discordance ne permet pas de croire qu'elles reposent sur de vrais principes. « Aussi, dit- «il, je tiens les divisions du globe par régions, proposées « jusqu'à présent, pour des systèmes artificiels, en grande « partie. Les règles en sont trop arbitriaires et les régions ob- « tenues ne sont ni semblables dans la majorité des livres, « ni reconnues par le consentement du plus grand nombre des « botanistes. » (P. 1305.) g Le chapitre xxvi comprend « un aperçu des végétations de divers pays au point de vue de l'origine probable de leurs espèces, de leurs genres et de leurs familles. » lei M. de Can- dolle invoque les hypothèses émises par Ed, Forbes, en 1845, par M. Ch. Martins, en 1848, et par M. Hooker, sur les mi- grations des plantes avant l'ère moderne et par suite de chan- sements dans les climats, les reliefs et la distribution différente des terres émergées dans l'ouest de l'Europe, comme nous le dirons tout à l'heure. Aussi M. de Candolle attend-1l beaucoup des recherches géologiques et paléontologiques futures pour décider une partie des questions qui se rattachent à l’erigine des espèces. L'origine probable des végétations actuelles consi= … dérées au point de vue des genres et des familles qui les com- posent lui suggère les réflexions suivantes, qui rentrent dans l’ordre des idées que nous traitons actuellement; aussi les (P. 4556.) « Il est impossible, en effet, dit le savant bota= « « + (4 DISTRIBUTION DES VÉGÉTAUX. 289 niste, de ne pas sentir une influence mystérieuse, inexplica- ble, celle de la distribution première des classes, familles, genres, espèces, races, en un nrot, des formes plus ou moins analogues, au moment de leur apparition. Chaque groupe a un centre géographique plus ou moins étendu ; chaque terre, excepté de petites îles dont les végétaux paraissent avoir été détruits par des volcans et des régions qui sont sorties récemment de la mer, présente des formes caracté- ristiques. Nous ne pouvons nullemént nous figurer un état de choses dans lequel chaque groupe aurait été réduit à un seul individu, et alors même la situation première de l'in- dividu aurait entrainé d'immenses conséquences au travers des époques géologiques. Qu'on examine un pays ou un autre, une époque ou une autre, ce sont toujours des mil- liards de végétaux plus ou moins différents qui s'offrent à nos yeux ou à notre imagination, ct ils sont groupés géo- graphiquement, comme ils le sont au point de vue de leurs formes et de leurs qualités physiologiques. « En s'exprimant ainsi, j'en conviens, on raconte des faits; on n’essaye aucune explication, même hypothétique. Ce n’est pas une manière d’avancer. Mais, du moment où l'on veut scruter les circonstances particulières de chaque groupe et de chaque contrée, on se voit relancé dans un champ par trop indéfini d'hypothèses. « Les groupes naturels se sont-ils succédé dans un ordre déterminé, soit dans le monde en général, soit pour chaque pays? c'est-à-dire, dans la série des milliers de siècles déjà écoulés depuis la création de végétaux, les plantes phané- rogames sont-elles venues après les cryptogames, les dico- tylédones après les monocotylédones, les composées après d'autres familles, ete. ? Cette évolution a-t-elle eu lieu simul- tanément dans tous les pays, ou sur chaque terre, après une certaine durée de ses espèces? Telles sont les immenses ques- tions qu'il est aisé de soulever et impossible de résoudre dans l’état actuel des connaissances. Le peu de données que l'on « possède contribue souvent à vous faire flotter d’une hypothèse 290 ÉPOQUE MODERNE. « à une autre. Ainsi, quand on voit des îles comme Juan- « Fernandez et Sainte-Hélène, peuplées essentiellement de deux « catégories de formes, les unes très-anciennes dans le monde « (les fougères), les autres récentes (les composées et les cam- « panulacées), presque sans intermédiaires, on se demande si la « création des formes végétales aurait été suspendue longtemps « dans ces îles, et si les composées auraient paru dans ces ré- « gions distantes, comme en Europe, au moment de l’époque « tertiaires, par une cause générale et non locale (1). (1) La flore des iles éloignées des continents, dit M. R. A. Philipp”, offre ce caractère particulier d'être pauvre en espèces et d'en posséder un cer- tain nombre qui lui sont propres. Cette circonstance est une preuve que l'on peut invoquer à l'appui des centres de création distincts. Les flores primitives des iles très-écartées n'ont pu, en effet, s'étendre d'aucun côté pour s’y propa- ger ni recevoir d'accroissement du dehors. La flore de l'ile de Juan-Fernandez, siluée à 150 lieues à l'ouest de la côte du Chili, ile volcanique dont l'altitude maximum atteint environ 1000 mètres, en offre un exemple frappant. Les 137 espèces de plantes vasculaires qu'elle possède sont réparties dans 43 familles, ce qui donne en moyenne 3 espèces par famille. La flore correspondante du Chili comprend 3000 espèces, appartenant à 130 familles ou 25 espèces en moyenne. Les fougères de Juan-Fernandez, au nombre de 56, forment les 26,5 0/0 du total de sa flore, les synanthérées 23 ou 16 0/0, et 10 espèces de graminées 7 00. Au Chili les fougères ne forment que 3,5 0,0 au lieu de 26, les synan- thérées 21 0/0, les graminées 8,5 0/0, les légumineuses 7,5 0/0. Ces der- nières ne présentent qu'une espèce à Juan-Fernandez, et en outre beaucoup de familles du Chili manquent dans cette ile. La prédominance des fougères sur les autres plantes est, comme on l'a dit, un caractère commun à toutes les îles de l'Océanie et qui justifie bien lopi- nion que nous avons sur l’état de la surface de la terre à l'époque houillère. 81 espèces de Juan-Fernandez ou plus de la moitié du total n'existent pas sur le continent le plus voisin et sont propres à cette ile. 6 de ces espèces qui manquent au Chili se retrouvent : 1 à la Nouvelle-Zélande, 1 au Pérou,1en Europe (Anthoæantum odoratum), 1 aux Indes orientales avec 2 fougères, La proportion des arbres et des arbrisseaux y est très-considérable ; il y en a 50 espèces ou 36 0/0 du total. Des labiées et des ombellifères arhores- centes augmentent l'étrangeté de celte flore, et, ce qui est plus extraordinaire encore, ce sont des chicoracées en arbre (Rea) ct des Gunnera aussi axbo- rescentes. Enfin, l'aneienne existence du bois de santal, que l’on trouve partout à l'état de bois mort sans qu'il y ait nulle part aucun pied vivant, est encore une particularité botanique de cette ile. $ Ann.des sc. naturelles, 4 série, vol, VI, p. 87; 1857. « DISTRIBUTION DES VÉGÉTAUX. 291 « D’un autre côté, en voyant la richesse des formes végétales dans certaines régions émergées et non dévastées depuis plusieurs époques géologiques, dans des pays même isolés ou presque isolés, comme la Nouvelle-[ollande et le Cap, on est tenté de croire à une évolution régulière de formes de plus en plus compliquées, sur chaque surface terrestre, in- dépendamment de ce qui arrive ailleurs. On penche encore plus vers ce système lorsqu'on voit, en zoologie, que les espèces éteintes d'une région ressemblent souvent aux espèces qui ont succédé dans la même région; que, par exemple, la Nouvelle-Hollande se distinguait par des marsupiaux, et le Brésil par des Tapirs, rongeurs, singes, etc., dans les époques antérieures comme à la nôtre; que les quadrumanes fossiles d'Amérique ont le système dentaire des quadrumanes actuels de cette partie du monde, et les quadrumanes fossiles d'Europe le système dentaire de ceux de l’ancien monde à l'époque actuelle. Enfin, la distribution de certains groupes dans une partie du monde seulement, comme les stylidiées à la Nouvelle-Hollande et pays voisins, les cactacées en Amé- rique, ele., et l'extension des groupes caractéristiques d’un continent sur des îles indépendantes, qui en deviennent en quelque sorte des annexes, à ce point de vue des genres ou des familles, comme les Gallapagos de l'Amérique, Sainte- Hélène de l'Afrique, tous ces phénomènes font présumer une loi d'évolution ou plutôt de créations locales, selon laquelle chaque flore ou faune dépendrait, jusqu’à un certain degré, de celle qui a précédé. Le lien entre les êtres organisés suc- cessifs d'une même partie du monde nous échappe, à nous qui repoussons l’idée d'une transformation d’une famille dans une autre, d'un genre dans un autre, même d’une espèce véritable dans une autre (p. 1093 et suivantes); mais l'étude des faits géographiques et paléontologiques nous ramène à l'idée d'un lien, c’est-à-dire d’un rapport de cause à effet entre les êtres organisés d’une époque dans une région et ceux qui ont suivi dans la même région, à moins que, par des eircon- stances locales, ils n’aient été importés de régions voisines. Conclusion générale. 299 ÉPOQUE MODERNE. « En définitive, la loi primordiale des faits est dans la créa- « tion et dans la distribution première des groupes qui ont « paru successivement ; les modifications secondaires viennent « des communications et séparations de surfaces terrestres ou « des altérations de climats qui ont pu avoir lieu, à la suite « d’abaissements et d’élévations des Lerrains, pendant la série « immense des événements géologiques. « La marche régulière de la science devrait être : 1° de con- « slater au moyen de la distribution géographique des groupes « et de l'influence des conditions extérieures, ce qui s'explique « par les circonstances actuelles ; 2° de chercher dans les autres « phénomènes cé qui peut s'expliquer par des causes secon- « daires dans chaque partie du monde et à chaque époque; « 9° de déduire de là ce qui constitue la loi principale de sue- « cession et de distribution géographique des êtres organisés. « Je me suis efforcé dans cet ouvrage d’étudier le premier point, en ce qui concerne les végétaux. Le second dépend « du progrès graduel de la géologie et de la paléontologie. Le troisième est le dernier mot de la science, qui ne sera peut- être jamais prononcé, à cause de l'insuffisance de nos moyens d'observation et de l'arrivée tardive de l'homme sur Île théâtre des phénomènes qu'il voudrait comprendre et expli- « quer. » Enfin nous reproduirons encore les Conclusions générales de M. de Candolle, qui complètent le tableau des faits bota- niques actuels en se coordonnant d'une manière heureuse avec les données géologiques etpaléontologiques les mieux con- statées aujourd'hui. (P. 1559.) « La végétation actuelle est la continuation, au «travers de nombreux changements géologiques, géogra- « phiques, et plus récemment historiques, des végétations «antérieures, La distribution des végétaux, à notre époque, « est donc intimement liée à l'histoire du règne végétal. = «Heureusement, pour expliquer les faits actuels, il n’est « pas nécessaire d'adopter une opinion sur les hypothèses les « plus obscures de la cosmogonie et de la paléontologie, par Si 2 + = 2 = = = Li POESIE ARENA AR CROIS RCE RC AR « « DISTRIBUTION DES VÉGÉTAUX. 997, exemple, sur le mode de création des espèces, sur le nombre des individus de chaque espèce à l’origine et sur leur distri- bution primitive. La géographie botanique peut indiquer certaines probabilités, appuyer certaines théories à cet égard ; mais les circonstances principales de la distribution actuelle des végétaux dépendent de causes moins anciennes et moins obseures. Il suflit pour les comprendre d'admettre, ce qui “est probable d'après un ensemble de faits ct de raisonne- ments, que les êtres organisés de différentes formes hérédi- (aires (classes, familles, genres, espèces, races) ont paru en différentes régions à des époques variées, les plus simples probablement les premiers, les plus compliqués ensuite; que chacun de ces groupes a eu communément un centre primitif d'habitation plus ou moins vaste; qu'il a pu, pendant toute la durée de son existence, devenir plus commun ou plus rare, prendre une habitation plus étendue ou plus restreinte, selon la nature physiologique des plantes qui le composent, les moyens de propagation et de diffusion dont elles sont douées, l'absence ou la présence d'animaux qui les attaquent, la forme et l’étendue des surfaces terrestres, la nature des climats successifs dans chaque pays et les moyens de trans- ports qui résultaient de la position des mers et des surfaces terrestres; que beaucoup de ces groupes ont cessé d’exister, tandis que d’autres ont paru, en nombre supérieur, du moins si l'on compare l’époque actuelle avec les époques les plus anciennes ; enfin, que l’époque géologique récente, dite quaternaire (celle qui a précédé l’existence de l’homme en Europe et qui a suivi les derniers soulèvements des Alpes), a duré plusieurs milliers d'années, pendant lesquels des changements géographiques et physiques importants sont arrivés en Europe et dans quelques pays voisins, tandis que d'autres régions de la terre ne changeaient pas ou éprou- vaient d'autres modifications. « Ces principes de géologie et de paléontologie réduits, comme on voit, à des termes très-généraux ct bien peu con- testables, suffisent pour expliquer les faits de géographie 294 ÉPOQUE MODERNE. « « botanique, ou du moins pour donner la nature de l’explica- tion, que les progrès de plusieurs sciences devront ensuite compléter. « Les phénomènes les plus nombreux, les plus importants, et quelquefois les plus bizarres de la distribution actuelle des végétaux s'expliquent par ces causes antérieures ou par une combinaison de ces causes antérieures et de causes plus anciennes, quelquefois primitives. Les causes physiques et géographiques de notre époque ne jouent qu'un rôle très- secondaire. Jai montré qu’en partant du fait originel, im- possible à comprendre, où plutôt à expliquer, de la création de chaque forme dans un certain pays, à une certaine époque, on peut ou l’on doit expliquer principalement par des causes subséquentes, antérieures à notre époque : 1° l'aire (ou sur- face d'habitation) fort inégale des familles, genres et espèces (chap. vir, p. #74); 2° la disjonction d'habitation de quelques espèces (chap. x, p. 995); 5° la distribution actuelle des espèces d’un même genre et d’une même famille dans l'ha- bitation du genre et de la famille; 4° les dissemblances de végétation entre des pays maintenant analogues de climat ou rapprochés sans être contigus, et les ressemblances entre des localités ou des pays fort éloignés (chap. xxv1, p. 1310), sans communications possibles aujourd'hui. * « Les seuls phénomènes qui s'expliquent au moyen des circonstances actuelles sont : 4° la délimitation des espèces, ct, par conséquent, des genres et des familles, sur chaque surface terrestre où elles existent ; 2° la distribution des in- dividus d’une espèce dans le pays qu’elle occupe; 3° l'ori- gine géographique et l'extension des espèces cultivées; #4 les naturalisations d'espèces et le phénomène inverse d’une ra- reté croissante; 9° les disparitions d'espèces contemporaines de l'homme. « On le voit, les causes primitives et antérieures à nous sont encore prépondérantes; mais l’activité croissante de l'homme les efface tous les jours, et ce n’est pas un des moindres mé- rites de notre civilisation moderne de constater une multi- DISTRIBUTION DES VÉGÉTAUX. 295 « tude de faits, dont nos arrièré-neveux n'auront plus de « preuve matérielle visible, » Les explications que nous venons de voir M. de Candolle emprunter, sans discussion bien approfondie, aux idées théo- riques d'Ed. Forbes, sur la présence de certaines formes vé- gétales actuelles dans les Iles Britanniques comme l’avait fait aussi M. Wallich (antè, p. 277), nous engagent à reproduire ici notre analyse du travail du savant naturaliste anglais, laquelle, pour d'autres motifs, eût été mieux placée à la description du terrain quaternaire," ainsi que nous l’avons dit dans le second volume de l'Histoire des progrès de la géologie. Nous sui- vroïs la marche que l’auteur a adoptée, en distinguant tou- tefois des résultats de l'observation directe que nous sommes tout disposé à admettre quelques considérations qui nous pa- raissent de nature à soulever des objections sérieuses. « En supposant la diffusion des êtres de certains centres « primitifs, Ed. Forbes pense que les agents ordinaires de transport tels que les cours d’eau terrestres et les courants marins, les vents, les animaux, et, en dernier lieu, l'influence de l’homme, ne suffisent pas pour rendre compte, dans le « plus grand nombre des cas, de la ressemblance de certaines « flores locales très-éloignées aujourd’hui les unes des autres; « aussi s'est-il proposé de démontrer qu'il y avait eu autrefois, «entre ces diverses régions, des communications successive- « ment établies par des oscillations du sol, puis rompues en- « suite, ee qui w'est d’ailleurs que le développement de l'idée « déjà formulée par M. Wilson. « Les végétaux des Iles Britanniques se groupent en cinq « flores distinctes, dont quatre sont concentrées dans des pro- « vinces déterminées, et la cinquième, qui occupe exclusive- « ment une grandesurface, s’étend aussi plus loin en se mêlant « avec les quatre autres. La première de ces flores est la plus « restreinte et se trouve confinée dans les districts montagneux « de l'ouest et du sud-ouest de l'Irlande. Elle est caractérisée « par des espèces peu fécondes, et le point le plus rapproché « de l’Europe, d'où elle semble provenir, serait le nord de € # € CS A Hypothèse d'Ed. Forbes, « « + = + = 2 2 = 2 ° 296 ÉPOQUE MODERNE. | Espagne. Il ne parait pas y avoir de faune ou d'association d'animaux correspondant à cette flore. « La seconde flore, celle du sud-est de l'Irlande et du sud- ouest de l'Angleterre, comprend un certain nombre d'espèces qu'on ne trouve point ailleurs dans les Îles Britanniques; mais elle est dans un rapport intime avec celle des îles de la Manche et des parties voisines de la France. Quelques co- quilles terrestres affectent une distribution correspondante. « Dans le sud-est de l'Angleterre, où la craie est particu- lièrement développée, les végétaux de la troisième flore montrent un grand nombre d'espèces communes à ce district et aux côtes opposées de la France. Les caractères de la faune entomologique sont en rapport avec l'existence de cette flore, etilen est de même des coquilles terrestres confinées à ce district, ou s'étendant très-rarement au delà. « Les plantes des montagnes d'Écosse, qui composent la quatrième flore, sont peu nombreuses au sud, dans le Nor- thumberland et le pays de Galles, mais elles sont toutes iden- tiques avec celles des chaînes du nord, telles que les Alpes scandinaves, où l'on trouve en outre associées avec elles des espèces qui ne se montrent point dans les Iles Britanniques, Les formes alpines diminuent progressivement du N. auS , et la même distribution parait exister pour la faune de la ré- gion montagneuse. | P « Enfin la cinquième flore, soit seule, soit associée aux autres, est identique avec celle de l'Europe centrale et occiden- tale ou flore germanique, et la faune qui l'accompagne dimi- nue en s’avançant vers le N, et vers l'O. « Ce n’est qu'après le dépôt de l'argile de Londres ou du terraip tertiaire inférieur que les migrations des plantes et des animaux dont on vient de parler peuvent avoir com- mencé, la température ayant auparavant favorisé le déve- loppement d'êtres organisés très-différents. Ces migrations doivent aussi avoir eu lieu avant l'apparition de Phomme, car les tourbières, composées de débris des vastes forêts, qui, pendant les temps historiques les plus reculés, oceu- « DISTRIBUTION DES VÉGÉTAUX. 297 paient une grande partie de la surface actuelle des les Bri- lanniques, recouvrent les marnes d’eau douce avec Gervus megaceros, ete., lesquelles surmontent à leur tour les dépôts tertiaires pleistocènes formant le lit soulevé de la mer lors de la période glaciale (1). « Pendant l’époque quaternaire (post-pliocène), la plus grande partie de la flore et de la faune des Iles Britanniques émigra du continent sur ce lit élevé de la mer glaciale. Les animaux, comme les végétaux des types germaniques, montrent, par leur distribution dans l’est de l'Angleterre, aussi bien que par leur rareté à mesure qu’on s’avance vers l'O. et leur absence en Irlande et en Écosse, la réalité du point de départ qui leur est assigné. « La quatrième faune émigra du nord, pendant l'époque glaciale, lorsque l'Écosse, le pays de Galles, une partie de lIrlande et certains groupes d'îles étaient entourés de glace. La mer était alors beaucoup plus étendue, et les montagnes actuelles n'étaient que des îles sur les côtes desquelles fleu- rissaient les plantes d'un caractère sub-arctique. Lorsque le fond de la mer fut soulevé, ces îles devinrent des montagnes, une nouvelle population de végétaux et d'animaux occupa cette surface nouvellement émergée, etles plantes de époque glaciale se maintinrent dans la partie élevée des montagnes. « Dans ce qui précède, le savant zoologiste anglais n’a point tenu compte du fait le plus certain de l’époque quaternaire, ou plutôt il semble avoir pris la période des glaces pour celle de la faune arctique; mais le phénomène des stries a dû se produire dans le moment des grandes glaces supposées, et il est antérieur à la flore et à la faune arctiques. Alors les terres étaient plus élevées qu'elles ne l'ont été pendant l'existence des coquilles arctiques, où un abaissement mit sous l’eau les stries et les surfaces polies qui avaient été faites au-dessus. On conçoit difficilement que les végétaux (1)-Dans tout son travail, Ed. Forbes regarde comme démontrée l'exis- tence d’une période de glaces. 298 ÉPOQUE MODERNE « « { = « 2 { = {( = + = Z « aient pu se propager au loin, soit lorsque tout le pays était sous la glace ou la neige, soit lorsque ensuite il a été recou- vert d'eau en très-grande partie. Dans lun et l'autre cas, les circonstances devaient être peu favorables à de telles migra- tions. L'hypothèse de Forbes se trouverait done en con- tradiction avec les déductions les plus probables, savoir, que les terres étaient plus élevées pendant la formation des stries que pendant le dépôt des coquilles arctiques dont le soulève-. ment résulte d’un troisième phénomène postérieur aux deux autres, et rien ne prouve que depuis lors le fond de la mer ait été plus à découvert qu'il ne l'est aujourd’hui. « Comme le sud de l'Irlande et de l'Angleterre, continue l'auteur, n'était point submergé pendant l'époque glaciale, les trois autres Îlores ont pu y venir avant, pendant ou après cette époque. La troisième, qui est la plus étendue, oceupe la surface crayeuse du Kent, circonstance d'ailleurs fortuite, quant à la nature du sol, car elle n’est pas essentielle à l'existence des espèces. Ces végétaux venaient du nord-ouest de la France, et la formation du détroit marquerait l'instant de leur isolement. Si, comme cela est probable, la rupture des couches a été effectuée avant la destruction de la grande plaine germanique qui favorisa la migration de la cinquième flore, nous pouvons, dit Forbes (p.546), regarder la flore du Kent comme très-ancienne, et peut-être même antérieure à la seconde, celle du Cornouailles, du Devonshire, du sud-est de l'Irlande, des iles de la Manche et de l’ouest de la France, laquelle à un caractère plus méridional que la troisième. « Nous avons déjà vu que les données géologiques et z0olo- giques se réunissaient pour placer la séparation de lAngle- terre du continent à l'époque de la destruction de la faune des grands mammifères, c'est-à-dire à la fin du phénomène qui accumula le drift, ee qui s'accorderait peu avec l'ancien: neté que M. Forbes attribue à cette rupture, relativement à une plaine émergée dont rien, géologiquement, hydrogra- phiquement ni orographiquement, ne nous révèle l'existence, « Les caractères géologiques des districts occupés par la D) AIN 2 "OUR TA MR TOM RSR LA LR ALI « « € = L 2 LC = € = « « « DISTRIBUTION DES VÉGÉTAUX. 299 seconde flore sont en rapport avec les restes d'une grande barrière détruite qui marquait aussi la limite sud de la mer glaciale, Mais quelle est ectte grande barrière invoquée par l'auteur? Serait-ce la chaine de collines des North-Down, dont nous avons déjà parlé? En outre, la limite septentrionale de la deuxième flore, représentée par une teinte rose sur la carte, pl. vi, ne coïncide certainement avec aucun caractère physique ni géologique du sol de la France et de l'Angle- terre. Le bord de la mer glaciale n’est point en rapport avec celle limite supposée, car, sauf l'exception que nous avons signalée, le phénomène erratique du nord ne se voit point neltement au sud d’une ligne tirée de l'embouchure de la Tamise à Dusseldorf. L'examen comparatif du relief, de la disposition et de la puissance relative des dépôts tertiaires et plus récents, tels que nous les avons déjà recherchés, et tels que nous les indiquerons ci-après plus complétement, ne nous parait donc pas justifier les suppositions de Forbes. « La prémière flore, celle de l’ouest de l'Irlande, renferme des plantes propres à la grande péninsule de l'Espagne et du Portugal, et principalement aux Asturies, ou qui y sont très- répandues, et, comme sa présence ne peut être expliquée par des courants marins ni aériens, pour les premiers à cause de leur direction et pour les seconds à cause de l'espèce des graines transportées, le savant naturaliste admet qu'à une époque plus ancienne que celle des flores précédentes il y avait une relation géologique (geological union), ou un voi- sinage très-rapproché de l’ouest de l'Irlande avec le nord de l'Espagne, et que la flore des terres intermédiaires était le prolongement de celle de la péninsule. Enfin la destruc- tion de ces terres serait antérieure à la période glaciale, « Après avoir rappelé les caractères de la faune tertiaire moyenne (miocène) (p. 548), en supposant la communication de la Méditerranée avec l’Océan, entre Montpellier et Bor- deaux, ce dont nous n'avons encore aucune preuve, tandis qu’il existe des raisons négatives du contraire, Forbes dit que ce n’est pas à Ce moment qu’il place la jonction des 300 | ÉPOQUE MODERNE. « « « « Asturies et de l'Irlande, mais qu'ayant observé dans la Lycie des dépôts tertiaires moyens à 1800 mètres d'altitude, le lit de cette grande mer miocène semble avoir été uniformément élevé dans le centre de la Méditerranée et l’ouest de J'Eu- rope, ce qui, suivant toute probabilité, a dù être l'époque du rapprochement des Asturies et de l'Irlande. Iei encore, nous regrettons de ne trouver ni dans l'orographie actuelle de cette partie de l'Europe, ni dans les caractères stratigra- phiques des dépôts, non plus que dans les formes que l’on peut attribuer aux anciens bassins tertiaires par la direction . des couches, rien qui confirme l'existence de cette surface émergée. Le prolongement possible de certaines portions de terre vers l’O., telles que les pointes du Cornouailles et de la Bretagne, ne donne aucune probabilité pour une émersion aussi générale que celle qui est supposée. L’exemple eïté sur les pentes du Taurus est purement local et n’est point apphcable à l’ouest de l'Europe, où les couches tertiaires moyennes marines ne dépassent pas 150 mètres d'altitude, et cela depuis le Norfolk jusqu'au pied des Pyrénées, comme en Espagne, en Portugal et aux Açores. Il faudrat admettre en outre un abaissement subséquent dont Forbes ne parle pas, non plus que de l’époque à laquelle il aurait eu lieu. Quant à l’argument fort ingénieux tiré du grand bane de fueus de l'Atlantique, il repose sur une connaissance trop incom- plète encore du fait lui-même pour être d'une valeur réelle. « Au point de vue botanique, peut-être eût-on désiré de voir démontrer d'abord que les circonstances extérieures sous lesquelles vivent aujourd'hui les cinq flores de la Grande Bretagne, telles que la latitude, Paltitude, la température, les vents, l'humidité ou la sécheresse, l'exposition, la nature du sol, le plus ou moins d'éloignement de la côte, ete., ete., sont tout à fait insuffisantes pour expliquer leurs divers ca- ractères; or, cette partie importante de la question ne semble pas avoir été abordée par Ed. Forbes. La géographie des plan- tes, telle qu'elle x été fondée par son illustre auteur et telle qu'elle est étudiée par ses continuateurs, entre autres par A = Se DR ES = = DISTRIBUTION DES VÉGÉTAUX. 301 M. Ch. Martins et M. Alph. de Candolle, n’est pas une spé- culation abstraite; c'est la conséquence d'une multitude de circonstances physiques dont il faut apprécier l'importance relative. On sait en outre que les plantes ont des circonscri- plions géographiques très-différentes; ainsi, il y en a que l’on rencontre sur des étendues de 25° en latitude et sur de beau- coup plus considérables en longitude, tandis que d’autres n’oc- _cupent que des zones extrêmement restreintes dans les deux sens; 1l eût donc été utile d'étudier sous ce rapport les cinq flores anglaises. Le rayonnement des plantes d'un centre n’est pas non plus bien prouvé, et l’on peut se demander, par exemple, quel est le centre originaire d’où auraient rayonné les espèces communes à l'Amérique du Nord et à l'Europe occidentale. Cette idée nous paraît d’ailleurs avoir été pré- : sentée d'une manière plus philosophique par M. A. Richard, lorsqu'il a dit : « Peut-être un examen plus attentif prouve- rait-il que ces points de départ, dont le nombre, quoique assez grand, est cependant limité, correspondent à des épo- ques diverses du soulèvement des différents points de la surface du sol (1). » « Ed. Forbes établit plus loin (p. 350) que l'identité spécili- que, sur une certaine étendue, de la flore et de la faune d'un pays avec celles d'un autre, dépend à la fois de ce que les pays font ou ont fait partie d’un même centre spécifique, ou bien de ce qu'ils ont tiré leurs animaux et leurs végétaux par transmission, au moyen de la migration sur une terre con- nue ou-très-voisine, migration favorisée, dans le cas des flores alpines, par le transport sur les glaces flottantes. L'identité de la flore alpine du centre de l'Europe avec celle de l'Asie centrale est aussi attribuée à l'époque glaciale et aux phénomènes qui s’y sont produits; mais à cet égard on ne possède pas de preuves géologiques plus positives que pour plusieurs des assertions précédentes, et rien ne constate que la mer de l’époque glaciale se soit étendue jusqu'au (1) Nouveaux Éléments de botanique, p. 523, in-8. Paris, 1846. 20 Pres 302 ÉPOQUE MODERNE. « centre de l'Asie. On sait que les blocs erratiques et les stries « n'ont encore été signalés ni dans l’Oural, ni dans l’Altaï, et « à plus forte raison au sud de ces chaînes et dans les vastes « plaines qui les séparent. « Les dépôts argileux avec blocs et lits de coquilles arctiques ‘seraient, d'après l'auteur (p. 352,, contemporains de la flore « venue du nord, ce qui justifie notré observation précédente, « car ces dépôts se sont formés après les grandes glaces, alors d «qu'il y avait moins de terres émergées qu'aujourd'hui. Puis «il recherche la distribution des mollusques qui vivent actuel- « lement sur les côtes des Iles Britanniques et les suit dans : « les mers éloignées où ils ont des représentants. Il fait voir « que les animaux rayonnés ont une distribution analogue à : « celle des mollusques; et, quant à l’histoire de cette faune « considérée dans son ensemble, il est porté à penser qu’elle « peut avoir eu quelques représentants dès l'époque crétacée «et dans la période tertiaire inférieure; mais ce n’est que dans « la période tertiaire moyenne que les analogies deviennent « réellement remarquables. « Nous avons cru devoir discuter quelques-unes des hypo- « thèses émises par le savant naturaliste anglais, parce qu'il « nous a paru nécessaire de faire sentir les inconvénients qu'il « y avait à vouloir rendre compte de faits encore inexpliqués « dans une science (la géographie botanique), en empruntant «à une autre science (la géologie) des suppositions créées « pour ainsi dire en vue de ces explications mêmes, et qui ne « sont point suffisamment justifiées. Nous sommes loin de « penser que ces aperçus si ingénieux ne puissent mettre sur « la voie de découvertes intéressantes et même que plusieurs « d’entre eux ne soient fondés; mais, nous le répétons, les « preuves lirées de la géologie ont besoin de s'appuyer sur des « données plus certaines que celles qui ont été invoquées (1). » + = (1) Histoire des progrès de la géologie, vol. I, p. 128-137; 1848. CHAPITRE V MODE DE FORMATION DES COUCHES FOSSILIFÈRES Dans le chapitre précédent nous avons considéré les animaux et les végétaux dans leur répartition actuelle à la surface du globe et nous avons cherché à nous rendre compte des causes de cette distribution; dans celui-ci nous étudierons l’impor- tance relative du rôle que jouent les diverses classes d’être orga- nisés pour former, par l’accumulation successive de leurs détri- tus, des couches d'une épaisseur plus ou moins considérables. Ces deux sujets sont donc parfaitement distincts, mais ils sont tous deux également importants pour lesnombreuses questions de paléontologie générale et particulière qui viennent s’y rattacher. Il n’est pas nécessaire de suivre, dans l'examen des sujets que nous avons à traiter actuellement et qui se rappor- tent au terrain moderne, l'ordre du Tableau de la classification de ce terrain, que nous avons donné (autè, p.156). Ces su- jets s’y trouvent très-naturellement liés par les faits géologi- ques auxquels ils se rattachent, tandis qu'ici, en faisant abs- traction de ces faits, ils se trouveraient rapprochés sans mo- üfs, sans liaison apparente, et par conséquent d'une ma- nière qui ne s’expliquerait pas. Nous avons donc préféré une disposition plus simple, et qui s'explique d’elle-même : c’est de considérer les êtres organisés de chaque classe suivant leur importance dans la composition des couches sédimen- laires. Nous traiterons ainsi successivement dans ce chapitre : 1° des mollusques ; 2° des polypiers; 3° des radiaires, des anné- lides et des crustacés; dans le chapitre VIdes rhizopodes et des 304 FORMATION DES COUCHES FOSSILIFÈRES. infusoires ou des organismes inférieurs ; _et dans le chapitre VIE des végétaux. $ 1. Dépôts coquilliers modernes. Les restes d’animaux morts provenant de mammifères, d'oiseaux, de reptiles et de poissons, les coquilles de mol- lusques céphalopodes ou pélasgiens, les acalèphes, les Apli- sies, les radiaires stellérides, etc., tous les corps flottants, en un mot, ne peuvent, dans aucun cas, se déposer nafurelité ment dans lesmers profondes ; car si, au moment même de la mort, quelques-uns d’entre eux se trouvaient plus pesants que le liquide ambiant, les gaz, qui ne tardent pas à se déve- lopper par suite de la putr éficéon, les soulèveraient bientôt et les feraient flotter, de manière que ces corps puissent être apportés par les marées sur le littoral où le mouvement des vagues les dépose et les aceumule. Suivant les caractères de la côte sur laquelle ils échouent et suivant leur nature pro- pre, ils seront conservés ou brisés, et enveloppés dans les sé- diments que ces mêmes vagues y stratifient. Les plages sableuses, vaseuses, basses ou très-peu incli- nées des golfes Donduilles. sont les conditions les plus favora- bles à la conservation des débris organiques accumulés ainsi, tandis que les côtes plus ou moins abruptes, rocheuses, com- posées de galets, de cailloux, exposées au choc des vagues sou- levées par les tempêtes, ne conservent que peu de traces des débris organiques que la mer y apporte. Quant aux crustacés, aux annélides tubicoles et arénicoles, aux mollusques fixés ou sédentaires, aux échinides et aux po- lypiers, qui vivent sur le fond même de la mer, et le plus grand nombre d'entre eux à une faible distance du rivage, il n'ya point de raisons pour qu'ils soient emportés dans la haute mer. D'un autre côté, la plupart des causes physiques ou mécaniques qui nico à la formation des sédiments, telles que la destruction des roches du littoral et les matières DÉPOTS COQUILLIERS MODERNES. 305 tenues en suspension dans les eaux des fleuves et des rivières qui se rendent à la mer, se produisent aussi à peu de dis- tance des terres émergées. On voit que tout concourt à ce que les restes organiques les plus abondants soient rapidement en- fouis. De la sorte les causes tant organiques qu'inorganiques les plus efficaces pour la formation des dépôts de nos jours se trouvent généralement réunies non loin des gôtes des conti- nents et des iles. | Les coquilles qui vivent dans la vase même ou dans le sable, telles que les Solen, les Lavignons, les Myes, et mieux encore les coquilles perforantes où lithophages, telles que les Pho- lades, les Gastrochènes, les Saxicaves, etc., ne courent aucune chance d’être déplacées après la mort de l'animal. Les mollus- ques sédentaires, fixés ou non, peuvent périr soit par l’âge, soit par suite de sédiments meubles que des coups de vents ou de fortes marées étendraient momentanément sur l’emplace- ment qu'ils occupent. Des bancs d'Huitres, par exemple, ont été détruits par cette cause. D’autres coquilles, après la mort de leurs habitants, sont enlevées par les vagues, poussées sur la côte avec le sable lors des grandes marées, et s'y accumu- lent pêle-mêle avec les débris de roches et les cailloux ar- rangés dans l’ordre de leur pesanteur spécifique. Les coquilles peuvent alors se conserver d'autant mieux que, soit au-dessus, soit au-dessous du niveau moyen des eaux, elles sont plus exactement soustraites à l'action de l'air. Ces résultats varient d’ailleurs à chaque pas suivant la nature de la plage, son relief, la forme et la composition de-la côte, sa direction par rapport à celle de la lame, celle des vents dominants, des courants, etc. En général les dépôts coquilliers stratifiés par le balance- ment des vagues et des marées, et qui demeurent submergés, présentent les restes de corps organisés, surtout ceux d’une assez grande dimension placés à plat suivant les lois de la pe- santeur. Il n'en est pas de même des accumulations dont nous venons de parler le long du littoral, au-dessus du niveau qu'at- teignent les marées ordinaires ; les coquilles y sont entassées pêle-mêle dans toutes les positions. 306 FORMATION DES COUCHES FOSSILIFÈRES. Dans les eaux tranquilles ou peu exposées au mouvement des tempêtes ou aux grandes marées, il pourra y avoir une ac- cumulation considérable, pendant un laps de temps fort long, de tous les restes de crustacés, d’oursins, de coquilles, de bryozoaires, d'annélides, de polypiers et de rhizopodes, qui auront vécu sur le fond, remplis ou entourés par le sable ou la vase après la mort des animaux, et ils passeront de la sorte _à l’état fossile, sans changement notable dans leur position respective. Les dépôts coquilliers qui se forment ainsi de nos jours se lent intimement, ou mieux ne sont qu'un cas particulier des alluvions sableuses, des deltas, des dunes, des banes et des plages de galets qui bordent partout les terres émergées. D'un autre côté, 1l est souvent assez difficile de séparer nettement les dépôts modernes ou de la période actuelle de ceux que nous rangeons dans la période précédente ou quaternaire, d'abord parce que le plus grand nombre des espèces sont communes, et ensuite parce que des phénomènes de soulèvement des côtes ayant certainement eu lieu de nos jours, l'élévation d'un dépôt littoral au-dessus du niveau actuel des mers n’est pas non plus un crilérium certain. Les dépôts de transports dilu- viens proprement dits épars à la surface des continents et les dépôts lacustres qui les accompagnent parfois nous présente- ront moins d'incertitude à cet égard que les atterrissements des côles. Aussi ne citerons-nous qu'un petit nombre de ceux-ci, qui, par divers motifs, semblent devoir être rapportés à l’épo- que moderne. Sur les côtes d'Islande, des dépôts coquilliers modernes ont été signalés, et sur la côte nord du Cornouailles, de la Bèche cite une roche composée de sable et de débris de coquilles cimentés par de l’oxyde de fer. Elle résulte, comme les dunes, de sables transportés par les vents, et a même, comme celles-gi, englouti des villages entiers que des fouilles ont fait retrouver avec les ossements des cimetières et d'anciennes monnaies. Cette roche est tellement solide qu'à New-Kay la falaise qu'elle constitue a été creusée, sur divers points, pour y abriter des PORTE TC TN L'E 0 DÉPOTS COQUILLIERS MODERNES. 307 bateaux. Elle a été exploitée pour la construction de l’église de Crantock, et elle s'étend sur une longueur de plusieurs milles dans le bois de Fistrel (Quintrel ?) En France, sur les côtes du Calvados, entre Dives et l’em- bouchure de l'Orne, on remarque, de distance en distance, des blocs d’un poudingue composé de cailloux et de coquilles revêtues encore de leurs couleurs, et réunies par du carbo- nate de chaux provenant en partie sans doute des débris tri- turés de quelques-unes de ces coquilles. Les buttes coquillières de Saint-Michel en l'Herm, sur la côte de la Vendée, composées principalement d’Ostrea edulis, avec quelques Mytilus edulis, Pecten, Buccinum undatum, ete, mélangées de sable, et dont l'élévation maximum au-dessus du niveau de Ja mer est de 15 mètres, et le développement en longueur de 900 mètres, ont été rapportées à la période actuelle. Il est vrai que les ossements humains qu'on y a dé- couverts paraissent avoir été ensevelis postérieurement à leur formation, et que, d'un autre côté, des recherches plus ré- centes encore les ont fait attribuer à d'anciens travaux de dé- fense qui remonteraient au neuvième siècle (1). Sur la côte orientale de l’île de Corse, dans la partie nord- est de l'étang de Diane, situé au nord de l'embouchure du Tavi- gnano, et qui communique avec la mer, M. Aucapitaine (2) signale une île de 350 mètres de circonférence, et atteignant 25 mètres au-dessus des eaux environnantes, entièrement composée d’Huiîtres (0. edulis et lamellosa), sans aucune ap- parence d’autre roche, et qui se prolongent sous les eaux au- tant que la vue peut s'étendre. L'examen attentif de toutes les conditions de ce dépôt ne permet pas à l'auteur de supposer qu'il puisse être dû à une cause artificielle. Aux environs de Naples, M. A. Philippi (3) a décrit les co- (1) De Quatrefages, Bull. Soc. géol. de France, 2 sér., vol. XIX, p. 933; 1862. (2) Comptes rendus de l'Acad. des sciences, vol. LIV, p. 816, 1037 et 1065; 1862. — Bull. Soc. géol. de France, 2° sér., vol. XX, p. 57; 1862, (3) Neues-Jahrb. 1837, p. 285. es 308 FORMATION DES COUCHES FOSSILIFÈRES. quilles sub-fossiles de Pouzzoles et d'Ischia, dont toutes les espèces vivent dans la Méditerranée, à l'exception du Diplo- donta dilatata, qui est de la mer Rouge. Des dépôts modernes solidifiés sont cités depuis longtemps par Spallanzani, sur les côtes de Sicile, près du gouffre de Charybde; c’est le grès de Messine, équivalent de célui de Livourne, qui a aussi été rapporté avec plus de raison peut-être à l'époque quaternaire. Non loin de Venise, au fond de l'Adriatique, est un grès co- quillier, à gros grains, consolidé par du carbonate de chaux. En Morée, le long des îles d'Ipsili et d'Hydra, suivant Bo- blaye, des fragments de poterie sont reliés aux cailloux par un calcaire spathique. On observe de semblables dépôts sur les côtes de l'Achaïe, surtout près de Maratonisi, et en général sur les points où la mer est le plus agitée. Dans l'ile de Rhodes, un dépôt analogue a montré aussi des fragments de poterie. M. de Verneuil (1) indique en Crimée un dépôt coquillier très- moderne, qui se continue peut-être encore, et ne renferme que des coquilles vivant toutes dans la mer Noire. Sur les côtes de la Caspienne M. Felkner (2) décrit des accumulations semblables, composées de conglomérats, de grès et de sable, des calcaires et des dépôts de sel et de coquilles brisées (Car- dium rusticum, C. triquetrum, Mya edentula, Mytilus polymor- plus). Sur la côte de Jaffa, près Saint-Jean-d'Acre, un grès co- quillier à gros grains, solidifié par du carbonate de chaux, forme des récifs dangereux, et toutes les coquilles sont celles qui vivent sur le littoral. La disposition et le mode de formation des banes de sable et de coquilles, sur les plages du Farsistan et du Khousistan, ceux des côtes, à l'est d’ Aya, et les sédiments modernes du delta de la Susiane, qui recouvrent le terrain tertiaire des Apennins de la Perse, ont été décrits par M. Ainsworth (5). Les roches qui entourent le golfe de Suez ont aussi été re- \ (1) Mém. Soc. géol. de France, 1" série, vol. II, p. 10; 1839. (2) Ann. du Journ. des mines de Russie, vol. V, p. 545; 1858. (3) Researches in Assyria, ete., in-8°; 1858. DÉPOTS COQUILLIERS MODERNES. 309 gardées par Newbold (1) comme de l'époque actuelle. Elles atteignent jusqu'à 20 mètres au-dessus de la mer, et sont composées de débris de coquilles, de radiaires et de polypiers vivant sur Ja côte voisine. Cosséir et plusieurs autres villes sont bâties sur ces couches, soulevées lentement par un mou- vement qui se continuerait de nos jours. Sur la côte ocei- dentale, à 1 ou 2 mètres au-dessus de l’eau, ces accumula- tions recouvrent un banc de polypiers, et ont offert des os de chameaux. En Algérie, dit M. Renou (2), les dépôts marins se continuent aussi sur les côtes et donnent en quelques points des signes cer- tains de mouvements du sol à des époques géologiques récentes, et même depuis la domination romaine. Il est d'ailleurs fort pro- bable que ces mouvements se produisent aujourd'hui comme par le passé. Les plus anciens de ces dépôts sont ceux des en- virons de la Calle; de la plaine de Bône, de la Mitidja, des plaines qui environnent Mostaganem et Oran. Aux portes de Pône, sous la terre végétale et des débris de matériaux ro- mains, est une couche d'argile grise, avec des coquilles ma- rines aussi fraiches que sur la plage. Le sable, agglutiné par un ciment calcaire, donne un grès empâtant des fragments de poterie. À l’est de la Calle, ce dépôt est à 7 ou 8 mètres au- dessus de la mer et s'étend jusqu'à une lieue dans la terre. Un sable fin, avec Gardium edule, se voit sur le bord des salines d'Arzéou, et dans la province d'Oran, le relèvement ne serait pas moins de 75 à 80 mètres. La plaine de la Mitidja, bien que dépourvue de ces coquilles modernes, serait cependant de notre époque, suivant le même observateur. Les grès de Philippeville se forment encore et ont enveloppé des briques et des pierres de taille romaines. Ils sont placés à 2 mètres au-dessus du niveau de la mer. Plu- sieurs des changements de niveau indiqués par M. Renou, (1) On the geology of Egypte, etc. (Proceed. Geol. Soc. of London, vol. ILE, p. 782.) (2) Ann. des Mines, 4° sér., vol, IV, p. 34. 310 FORMATION DES COUCHES FOSSILIFÈRES. comme ayant eu lieu à l’époque actuelle, dépassent cependant beaucoup en amplitude ceux qui ont été constatés avec une cer- taine précision. Suivant MM. Webb et Berthelot (1), des oolithes aussi par- faitement caractérisées que celles des couches jurassiques de France et d'Angleterre se forment journellement sur les plages de la grande Canarie, de Ténérifle, de Fortaventura, de Lan- cerote, de Madère, ete:, dans la partie exposée à l’action des vents alisés. Les débris de coquilles sont agglutinés par du car- bonate de chaux. La roche, blanc-jaunâtre et compacte lors- qu'elle est uniquement formée de coquilles, devient très-po- reuse lorsque, par l’action des vents, elle est mélangée de sable et de débris volcaniques. Elle est alors employée comme pierre à filtrer dans toutes les Canaries, Dans l’intérieur des terres, l'agglutination du sable enveloppe aussi des coquilles terrestres, et surtout l'Helix sarcostoma, mais la roche n'a plus alors aucun caractère oolithique. Sur divers points des côtes de Tlile de lAscension, M. Darwin (2) a remarqué d'immenses accumulations de débris de coquilles et de coraux blanc-jaunàtre mélangés de particules volcaniques. À quelques pieds de profondeur, ce sédiment moderne a déjà acquis assez de solidité pour être employé dans la bâtisse; quelquefois même il se divise en feuillets de texture compacte et sonore sous le choc du mar- teau. Cette cimentation rapide, par du carbonate de chaux, s'opère d'une année à l’autre, et la pierre acquiert la densité du marbre. Les fragments de roche volcanique épars sur la plage s'encroûtent également de carbonate de chaux. A l’ouest de Simons'town, au cap de Bonne-Espérance, Clarke-Abel (5) décrit un ban considérable élevé de 30 mètres au-dessus de la mer, et composé de coquilles et de sables ac- cumulés par les vents de S.-E, (1) Hist. natur.des Canaries, vol. 1, p. 565; 1839. (2) Geological observations, ete., in-8°; Londres, 1844, (3) Voyage en Glune, p. 307. DÉPOTS COQUILLIERS MODERNES. 911 Le phénomène d'encroûtement, qui s'observe particulière- ment sur certaines plages, en rapport peut être avec le voisi- nage des volcans, ne pourrait cependant pas être exclusivement attribué à des émanations d'acide carbonique, car nous verrons les dépôts de carbonate de chaux se former à la surface des corps organisés dans des conditions tout à fait différentes. Quelquefois des amas considérables de coquilles d'Huitres, de Cardium ou de quelques autres espèces édules, ont été pris pour de véritables dépôts marins naturels, et n'étaient que les débris rejetés par d'anciens habitants des mollusques dont ils se nourrissaient. Tels sont ceux qu'a signalés M. Vanu- xem sur plusieurs points des côtes des États-Unis et ceux dont nous aurons occasion de parler plus loin sur les côtes du Danemark. Dans l'Amérique du Sud, le long des côtes de Payta, M. E. Chevalier (1) signale un conglomérat coquillier solide encore en voie de formation, et composé de fragments de phyl- lades, de grains de quartz et de grandes Huitres. Parmi les roches modernes, l'une des plus curieuses est le calcaire du Moule ou Môle à la Guadeloupe, dans lequel des squelettes de Caraïbes enchâssés et cimentés ont été cités comme des fossiles humains d'une époque ancienne. La roche est blanche, compacte, formée de fragments de coraux et de co- quilles marines et même terrestres, telles que le Bulimus qua- dalupensis, agglutinés par un ciment calcaire qu'Alex. Bron- gniart attribuait à une source minérale sous-marine (2). À Saint-Domingue, la plaine des Cayes semble avoir été formée ainsi; des débris de poteries et d'industries humaines s'y rencontrent jusqu'à une certaine distance dansles terres. L'île d'Anastase, sur la côte orientale de la Floride, vis-à-vis du port de Saint-Augustin, qui a plus de 3 lieues de long et élevée (1) Voyage autour du monde de la corvette za Bomre. Minéralogie et géol., p. 131; 1844. (2) Voy. sur ce sujet : Cuvier, Discours sur les révolutions de la surface “du globe, p. 138, nota. 312 FORMATION DES COUCHES FOSSILIFÈRES. seulement de 4 mètres au-dessus de la mer, est composée d'un agrégat de coquilles marines réunies par un ciment spathique. La roche est divisée en couches minces, séparées par des lits de coquilles non consolidées. Il s’en trouve parmi celles-ci beau- coup d’entières, qui ont conservé leurs couleurs et dont les analogues vivent dans les eaux voisines. Les parties dures de la roche sont fort recherchées pour les constructions, à cause de leur solidité, de leur légèreté et de leur résistance au choc des projectiles de guerre. Plusieurs édifices publics de Saint- Augustin en sont construits (1). Dans l'ile de Sainte-Croix, M. J. Hovey (2) a signalé des couches composées de coraux et de coquilles brisées rejetées par les vagues et agglutinées par un ciment calcaire. Toutes les coquilles vivent encore sur la côte et ont conservé leurs couleurs. Ces couches, qui renferment d’ailleurs des débris d'industrie humaine, reposent sur les strates redressés du ter- rain ancien de l’île. On en observe de semblables à la Barbade et à la Guadeloupe. é IL est à remarquer que ces formations récentes et surtout les dépôts calcaires ou ceux qui, composés de matières arénacces ou caillouteuses, sont cimentés par du carbonate de chaux assez abondaït, s'observent sur les côtes des régions chaudes du globe entre les tropiques ou dans leur voisinage; sur le pour- # tour de la Méditerranée, ce sont des grès consolidés ; mais plus au nord, ces phénomènes paraissent être fort rares. A la Nouvelle-Hollande, dans la baie des Chiens-Marins, on signale un calcaire rempli de coquilles qui vivent sur la plage et qui ont présenté quelque analogie avec celles du calcaire grossier de Paris, sans doute à cause de la présence du genre Crassatelle et de la G. pulchra, qui a quelque ressemblance avec la C. tumida. (4) Huot, Nouveau Cours élémentaire de géologie, vol. HE; p. 519. — L. Dietz, Journ. of the Acad. of Philadelphia, 1824. (2) Amer.Journ., vol. XXXV, p. 64, 1838. ILES ET RÉCIFS DE POLYPIERS. 313 $ 2. Iles et récifs de Polypiers. Nous avons rappelé, dès le commencement du Cours, cette pensée si Juste de Lamarck, que Pimportance des êtres orga- nisés, dans la composition des couches de sédiment, est in- verse à la fois de leurs dimensions et de la place qu’ils occupent dans la série zoologique; aussi, après avoir insisté sur le rôle, la distribution et le développement relatif des animaux marins, el en particulier des mollusques conchylifères dans les mers actuelles, les lacs et les rivières, ou dans les eaux salées, sau- mâtres ou douces (antè, p. 254-257), il nous reste à montrer que des organismes plus inférieurs occupent une place plus im- Lortante encore dans la constitution des sédiments modernes. Comme ces mêmes organismes paraissent n’avoir pas été moins multipliés dans la plupart des périodes géologiques que de nos jours, il est essentiel de se rendre compte des conditions dans lesquelles ils se développent pour parvenir à former, à eux seuls, des roches meubles ou solides d’une grande épaisseur et d’une grande étendue. Les constructions élevées par le travail incessant des polypes, pour construire des îles au milieu de l'Océan ou des récifs le long des continents, ont de tout temps attiré vivement l'atten- lion des marins, dont ils entravaient la navigation, en la ren- dant souvent très-dangereuse, et celle des naturalistes qu'ils intéressaient par la singularité de leur développement. Cepen- dant, jusque il y a 50 ou 35 ans, aucune étude suivie de ces masses calcaires organiques n'avait permis de résoudre les questions si complexes qui se rattachent à leur formation. Ce n’est que par le concours des savants adjoints aux divers voyages de circumnavigation, entrepris dans ces derniers temps, que nous avons acquis de précieuses données sur l’un des phéno- mèncs biologiques les plus curieux de la nature actuelle, et celui qui peut-être se produit sur la plus vaste échelle dans des conditions bien déterminées, Nous nous en occuperons Exposition. les Bermudes 31% FORMATION DES COUCHES FOSSILIFÈRES. nous-même avec d'autant plus d'intérêt que l'examen des couches anciennes pourra nous présenter des résultats plus ou moins analogues à ceux dont nous allons parler. On a vu que la zone torride indo-pacifique, comprenant vers son centre la région super-torride de M. Dana, était la plus grande étendue continue des mers où la température de la surface ne s’abaisse pas au-dessous de 25° 53 cent. C'est aussi la région où se développent avec le plus d'activité et de force les polypes coralligènes, dont les générations successives édi- fient les massifs rocheux les plus considérables. Aussi sera-ce dans cette vaste étendue que nous les étudierons particulière- ment, puisque là seulement nous pourrons, à l’aide d'ingé- nieuses explications, nous rendre compte d'un des résultats les plus extraordinaires des fonctions vitales chez les animaux in- férieurs (1). Mais nous ferons précéder-ce tableau général de l'examen particulier d’un point situé dans PAtlantique, sur la limite extrême, vers le nord, de la grande zone thermométrique des polypiers, et qui a été l'objet du premier travail suivi, exécuté dans une bonne direction ; nous voulons parler du petit ar- * chipel des iles Bermudes, décrit avec soin par M. R. Nelson (2). « Les Bermudes, dit le savantnavigateur, forment un groupe « d'îles comprises dans un espace de 15 milles sur , et en- « tourées d’un anneau sub-elliptique de récifs de coraux, qui « a 25 milles de long sur 13 de large. La direction du grand « axe de cette ellipse est N. E., S. 0. Le point le plus élevé « est situé à l'ouest d'Harrington et atteint 80 mètres d’alti- « tude. L'aspect des hauteurs est celui de collines de sable, et « leur teinte est celle de la craie. Toutes les iles sont formées « de roches calcaires, résultant de l'agglutination de coquilles (1) On ne doit pas oublier que tous les polypes construisant des masses, des tiges ou des lames calcaires, soit simples, soit agglomérées, sont exelusi- vement marins et ne vivent même pas dans les eaux saumtres,. (2) Transact. Geol. Soc. of London, ? sér., vol. V, p. 103; 1840, Des extraits de ce mémoire avaient été donnés en 1834.— Jist. des progrès de la géologie, vol. 1, p. 361; 1847. : LC # A = A RAR A A = = A « LC = « = « # LC = « L = « « « « « ILES ET RÉCIFS DE POLYPIERS 515 et de polypiers brisés. La roche est tantôt meuble, tantôt dure, compacte, susceptible de poli, et ses diverses varié- tés sont associées sans aucun ordre de superposition. « Le fond du bassin, au milieu duquel se trouvent les îles, consiste en bancs de coraux qui n’affleurent au-dessus de la basse mer que dans les marées du printemps, et en sable calcaire associé à du calcaire crayeux semblable à celui qui forme la roche des îles. Celles-ci sont couvertes d’une terre rouge, sèche, contenant de la matière végétale, et dont l’é- paisseur est de 0",50. L’ensablement ou l’obstruction des passages entre les îles ou dans les ports continue toujours, et, jusque dans ces derniers temps, on a eu des preuves de cette action Imcessante, « La Venus pennsylvanica paraît être l’une des coquilles les plus répandues dans ces roches modernes. Un banc qui en est entièrement formé se voit dans la carrière où l'on a ex- ploité les matériaux de la jetée. A Saint-Georges, ce banc se continue l’espace de 4 milles avec une épaisseur de 1",60, et-1l est placé à 2 mètres au-dessus de la mer. La Scu- tella quinqueforis et le Turbo pica y abondent, aussi bien que dans les couches les plus dures; et dans ces dernières, on a trouvé un gros bloc composé de Meandrina areolata avec des Mytilus, des Serpules et des Millépores. Ona recueilli, dans les cavernes, des ossements d'oiseaux et même des œufs enveloppés de carbonate de chaux, ainsi que des Helix. Une boucle de jarretière et une boîte ont été retirées d’un cal- caire dur, situé au fond d’une caverne, et renfermant aussi la Séutella quinqueforis, remplie de carbonate de chaux comme les précédentes, et l'Agaricia undata. En un mot, cette roche, dans laquelle des os de tortue ont été également découverts avec toutes les coquilles qui vivent encore sur les côtes voisines, est une sorte de coral rag de À mètre à 1,25 d'épaisseur et en voie de consolidation progressive. « Après avoir observé la décomposition des coquilles et des polypiers, depuis les moins calcarifères jusqu'aux masses de Méandrines et d’Astrées, non-seulement en place, mais en- 316 FORMATION DES COUCHES FOSSILIFÈRES. A 2 2 core dans tout ce qu'ont produit les travaux exécutés sous la cloche à plongeur pour l'établissement des parapets de l'ar- senal, M. Nelson n'hésite pas à attribuer à ce qu'il nomme la craie des Bermudes la même origine que les divers bancs de pierre, plus ou moins solides, qui constituent les iles elles-mêmes. Seulement, ceux-ci résultent de l'accumulation de fragments brisés mécaniquement, tandis que la roche ou pâte crayeuse est due à la destruction, par une longue sub- mersion, du tissu membraneux qui pénétrait toute la masse et qui abandonne alors la matière calcaire retenue dans ses mailles. Celle-ci, en se précipitant, forme cette substance blanche et tendre, analogue à la craie, qui se trouve au fond des anses et des golfes, mélangée de sable coquillier, de beaucoup de polypiers, de coquilles bien conservées et de masses considérables de Méandrines et d’Astrées. Ces masses, soit encore intactes, soit dans un état de décomposition plus ou moins avancé, ont certainement vécu, puis sont mortes sur les lieux mêmes. « Les récifs formés par des Serpules sont distinets de ceux qui sont dus à des polypiers, et les uns comme les autres constituent une sorte de ceinture autour d'un centre qui est, ou le sommet d'une roche, ou la base d’une colline. « La surface ondulée des iles parait être le résultat du pas- sage de grandes masses d’eau; mais les petites chaines d’ilots, dont les couches sont presque toujours horizontales, ne se- raient pas dues au même phénomène, et leurs couches ne s’élendaient pas au delà de l'espace qu'elles occupent actuel- lement. Au sud du groupe, les récifs de Serpules sont paral- lèles à la côte, dont ils s'éloignent à une distance de 50 à 500 mètres. D'ailleurs, M. Nelson pense que ces iles ont dû être soumises à plusieurs submersions locales, résultant de l'influence de volcans éloignés; mais il n'admet pas qu'elles aient été soulevées du fond de la mer. Elles ont dû se former par l’établissement des coraux, au sommet d'un rocher sous- marin plus ou moins étendu. Les parties mortes depuis long- temps sont brisées et entassées par les vagues et les vents, ILES ET RÉCIFS DE POLYPIERS. 517 « el ce mode de formation se continue jusqu’à ce que des îles « entières résultent de la réunion de ces couches dues au « concours des forces organiques, chimiques et mécaniques. « Les polypiers, dont les germes sont transportés avec d'autres matières, se fixent indifféremment sur le premier corps « qu ils trouvent, et, par leur croissance, leur multiplication « et leur mort, contribuent à la stabilité et à la permanence « de la colonie qu'ils ont fondée: » Passons actuellement à l'ouvrage le plus complet que nous possédions encore sur les travaux des polypes, considérés au point de vue de l'observation directe et des idées théoriques auxquelles 1ls ont donné lieu. Nous y rattacherons les recher- ches dues à d’autres savants ct qui ont été faites à peu près dans le même temps. Cet ouvrage est celui qu'a publié M. Ch. Darwin, en 1842, sous le titre de Structure et distribution des récifs de coraux (1). L'auteur, qui faisait partie de l’expédi- tion scientifique du vaisseau le Beagle, a parcouru et observé, de 1852 à 1854, un grand nombre de groupes d'îles épars dans l'Océan, entre la côte occidentale de l'Amérique du Sud et la côte orientale d'Afrique, et l'examen qu’il a fait en même temps de beaucoup d'îles volcaniques comprises dans le même espace donne un grand poids aux opinions qu'il a émises sur les unes et les autres et à la théorie générale qu'il en a dé- duite. On nomme îles lagouns , ou, suivant l'expression des ha- bitants de l'Océanie, atolls, des îles circulaires ou des-groupes d’iles formés exclusivement par les polypiers ou coraux. Les barrières de récifs, en anglais barrier reefs, sont des récifs ou rochers qui ont la même origine, mais qui entourent des îles ordinaires, ou longent la côte des continents, à une certaine distance en mer, se maintenant au-dessous de son niveau et laissant ainsi un canal plus ou moins profond entre eux et la terre ferme. Les côtes de récifs ou récifs frangés (fringing reefs), toujours peu étendus, bordent immédiatement les côtes au lieu (1) The structure and distribulion of coral Reefs, in-8°, avec cartes Londres, 1842. 21 Recherches de. M. Darwin, Atolls. ou ies lagouns 318 FORMATION DES COUCHES FOSSILIFÈRES. d'en être séparés par un canal parallèle. Examinons successive- ment ces trois dispositions particulières qu'affectent les masses de polypiers et voyons quel peut être le principe commun d'où elles dérivent. Les caractères particuliers des atolls ont de tout temps frappé les navigateurs. Ainsi, dès 1605, François Pyrard, de Laval, disait : « C’est une merveille de voir chacun de ces atollons, « environné d’un grand banc de pierre tout autour, n’y ayant « point d'artifice humain. » La fig. 2 ci-dessous peut donner une idée de la forme ‘gé- nérale des atolls, quoiqu'ils soient rarement aussi réguliers. Elle représente l'île de la Pentecôte dans le Grand Océan du Sud. Dans ce profil de l’atoll des Cocos (fig. 3), situé au sud de Sumatra, la ligne A indique le niveau de la basse mer, En A la profondeur est de 45 mètres et la distance horizontale de ce point au bord du récif B est de 200 mètres. Ce bord, découvert à la basse mer, est une sorte de bourrelet saillant offrant des aspérités semblables à celles que l'on voit plus avant en mer, au-dessous de son niveau. C'est une surface plane formée par la roche de polypiers, et que recouvre la haute mer qui vient battre contre la banquette D composée de fragments de coraux, U ILES ET RÉCIFS DE POLYPIERS. * 519 A partir de la crête E, dont les fragments meubles ne sont at- teints que par les vagues des grandes marées et dont les parties les plus élevées, de 2 à # mètres, sont recouvertes de végéta- tion, la surface s’abaisse en pente douce vers la lagune inté- rieure F, dont l’eau se maintient au niveau de la mer exté. rieure. Les polypes ou zoophytes coralligènes doivent être toujours submergés ou recouverts par la lame. Leur exposition directe à la lumière du soleil, même pendant un temps très-court, suffit pour les faire périr ; aussi n'est-ce que lors des très-basses ma- rées que l’on peut atteindre les limites de la zone où ils vivent et par conséquent les observer en place. M. Darwin a trouvé cette partie accessible du récif presque entièrement composée de Porites, constituant de grandes masses irrégulièrement arrondies comme celles des Astrées, de 1°,20 à 2,40 de large, sur une épaisseur un peu moindre et sépa- récs les unes des autres par de pelits canaux. Le Millepora complanata (Palmipora, id., Blainv.), moins important, forme des plaques verticales épaisses, se pénétrant réciproquement et produisant une masse alvéolaire dont les feuillets extérieurs sont seuls vivants. D'autres polypiers branchus se montrent en grand nombre dans les cavités des Porites et des Millépores qui seuls peuvent résister au choc violent des vagues. Dans le profil précédent de l’atoll des Cocos on remarquera que le fond, à partir du bord extérieur, s'abaisse doucement jusqu'à une profondeur de 45 mètres ; mais au delà la pente augmente rapidement et atteint bientôt 45°. De 18 à 22 mètres de profondeur au delà du point que l'on a pu observer directement lors des basses eaux de l’équinoxe, le fond très-inégal parait être occupé par de grandes masses de polypiersevivants semblables à ceux du bord. Les Millepora «leicornis et corymbosa, avec une Astrée, forment plus loin le bord extérieur de la bande de récifs. Au-dessous de 36",50 le fond est alternativement composé de sable et de polypiers. A 869, 948, et 658 mètres de distance horizontale de la ligne des brisants on a rencontré des fragments de polypiers non lamel- Composition © des polypiers. Profil d'un atoll. Iles parasites, Lagune. 320 FORMATION DES COUCHES FOSSILIFÈRES. lifères; ceux de coquilles étaient rares, et, à la distance de 2200 mètres une sonde de 2134 mètres n'a pas rencontré le fond ; de sorte que la pente du massif couronné de polyptees est 4e rapide que celle d'aucun cône volcanique. La largeur totale du récif circulaire ou de l'anneau qui con- stitue l’atoll varie de 250 à 500 mètres. Sa surface est uni- forme outrès-faiblement inclinée vers !a lagune intérieure qu'il circonscrit. De petites îles parasites se forment sur les récifs, à 200 ou 500 mètres de leur bord extérieur, par l'accumula- tion des fragments rejetés pendant les grandes tempêtes. Leur largeur ordinaire est de 400 mètres, et leur longueur, très- variable, atteint quelquefois plusieurs kilomètres. Elles s'élèvent de 2 à 5",25 au-dessus de la haute mer et sont composées de fragments de coquilles, de polypiers, d'oursins, plus ou moins roulés, pénétrés de calcaire spathique et fortement cimentés par la même substance en une roche solide, généralement blanche, çà et là colorée par de l'oxyde de fer, très-dure et sonore sous le choc du marteau. Le fond de la lagune intérieure qu'entoure le récif est occupé par de la vase; c’est un véritable champ de coraux vivants et morts, dont les nombreuses espèces, branchues pour la plu- part, diffèrent complétement de celles de l'extérieur, Les Méan- drines y forment aussi de grandes masses arrondies reposant sur le fond. Parmi les autres polypiers dominent trois espèces voisines des vrais Madrépores, le Seriatopora subulata, deux Porites et un polypier voisin des Explanaires, mais ayant des étoiles sur les deux faces de ses lames ou expansions foliacées. Les récifs intérieurs sur lesquels les polypiers se développent sont irréguliers et caverneux ; ils ne présentent pas, comme les autres, une surface solide, plane, de roche composée de po- lypiers morts, et leur dureté est moindre. Dans un laps de dix années, un canal qu'on y avait creusé pour le passage d’un petit bâtiment a été presque comblé par l'accroissement des poly- piers. Les sédiments de la partie profonde de la lagune, qui offrent d'abord un aspect crayeux, ressemblent à à du sable fin, lorsqu'ils sont bien séchés. | ILES ET RÉCIFS DE POLYPIERS. 321 Les Holoturies se fixent en grand nombre sur les masses de polypiers vivants. Elles sont en telle quantité que beaucoup de navires sont frétés pour la Chine avec des chargements de Tre- pany, qui est une des espèces les plus abondantes. Elles en consomment un grand nombre, et leur action, jointe à celle d'autres animaux, tead à détruire et à désagréger une partie des masses pierreuses qui se réduisent en vase fine, ce qui ap- porte une limite naturelle à l'accroissement de ces mêmes masses. Cet accroissement pour le remplissage de la lagune est excessivement lent, et les sédiments qui pourraient s'y aceu- muler sont très-faibles, au milieu d’une eau limpide et loin de toute terre élevée. Cet atoll des Cocos est d’ailleurs de dimen- sions moyennes et de forme régulière. Cette esquisse de ses caractères peut être appliquée, dit M. Darwin, à presque toutes les îles cireulaires de même origine dans l'océan Pacifique et autour desquelles la mer est sans fond, à quelques centaines de mètres des bords des récifs. Néan- moins il cite beaucoup d’exceptions; ainsi, autour des îles Basses tous les sondages ont rencontré des bancs de coraux. Autour de l'atoll de Noël (Christmas), décrit par Cook, la pente est également très-faible ; aussi la bande qui entoure la lagune a-t-elle une largeur exceptionnelle de 5 kilomètres. Cetie bande est composée de terrasses ou de digues successives de coraux et de coquilles brisées comme sur les rivages. Dans les atolls des Maldives et des îles Chagos les sondages ont atteint des sables qui auraient une pente de 55°, mais qui reposaient sans doute sur une roche solide, Dans les îles Basses la pente est beau- coup moindre aux extrémités des atolls les plus allongés que sur leurs parties latérales, ce qui est conforme aux reliefs des chaînes de montagnes ordinaires. Dans ce dernier archipel la profondeur des lagunes varie de 40 à 76 mètres, et dans le groupe des Marshall de 60 à 70. Dans les atolls des Maldives elle est de 90 et même de 98 mètres ; le fond est occupé par un sédiment uniforme, presque hori- zontal; c'est généralement une sorte de boue crayeuse. Rarement il y a plus de 2 ou 3 canaux, s'ouvrant dans la Destruction des polypiers. Profondeur de Ja mer autour des atolls, Profondeur de la lagune, Canaux et portions annulaires du récif, 322 FORMATION DES COUCHES FOSSILIFÈRES. lagune et assez profonds pour donner passage à un vaisseau. Les grands atolls des Maldives sont remarquables par le nombre de ces canaux. Dans celui de Sudavia, par exemple, on en compte jusqu'à 42. Dans les atolls de la partie nord de larchi- pel les portions de récifs qui séparent les canaux, au lieu d'être droites, forment elles-mêmes des anneaux ou atolls secondaires en miniature. Sur la côte de l'atoll Tilla dou Matte, qui a 88 milles de long sur 20 de large, les anneaux du bord sont généralement allongés: plusieurs ont de 3 à à milles de diamètre. Ceux de l’intérieur de la lagune sont moindres et la profondeur de la lagune particulière de ces petits récifs annu- laires est de 10 à 14 mètres. Ces anneaux s'élèvent brusquement de la plate-forme ou banc sur lequel ils sont placés. Leur bord extérieur est tou- Jours occupé par des coraux vivants et l'intérieur est une sur- face plane sur laquelle s'accumulent les fragments avee du sable, En résumé ces petits atolls res semble en tout aux grands, si ce n’est qu'ils reposent sur une base peu profonde, et qu'au lieu d’être irrégulièrement disséminés ils sont réunis sur une plate-forme dont les bords sont grossièrement cireu- laires. Il n'y a point de récifs annulaires lorsque les canaux sont étroits ou peu nombreux. Les polypes, lorsqu'ils agissent libre- ment, auraient donc toujours une tendance à élever leur con- struction en forme d’anneaux, soit grands soit petits. Ainsi ces grands atolls des Maldives représentent un vaste disque concave, sableux, s'élevant rapidement d’une mer sans fond, avec un espace central occupé par des bassins ovalaires de rochers madréporiques, et son bord est symétriquement frangé par des masses présentant en petit la même disposition, “atteignant la surface de la mer, quelquefois couvertes de végé- Atolls sous) Die Pfahlbau-Alterthümer von Moosseedorf im Kanton Bern, 1857. — Arch. de la Bibl. univ. de Genève, mai 1857. (6) Untersuch d. Thierreste aus d. Pfahlb. d. Schweix, 1860. HABITATIONS LACUSTRES, 437 M. Ileer en a étudié la flore ; M. Keller a fait paraître un nouveau mémoire, fruit de ses dernières recherches, et M. de Morlot une notice que nous rappellerons ‘ci-après, On doit aussi à M. Desor (1) une note sur les constructions lacustres du lac de Neuchâtel, et à M. Gilliéron (2) une notice sur celles de Pont- de-Thielle. Ces restes d'habitations, poursuit M. Lubbock, qui a résumé une partie des faits connus, ont été constatés dans les lacs de Zurich, de Constance, de Genève, de Neuchâtel, de Bienne, de Morat, de Sempach et dans quelques autres plus petits (Inkwvyl, Pfaflikon, Moosseedorf, Luissel, Nussbaumen, Wanwyl). M. Kel- ler signale 11 établissements de cette sorte dans le lac de Bienne, 26 dans celui de Neuchâtel, 24 dans celui de Genève, 16 dans celui de Constance, et il en reste sans doute beaucoup d’autres à découvrir. Ces huttes sur pilotis étaient circulaires, comme on peut en juger d'après des portions de parois en terre qui ont été re- trouvées, portant les empreintes de branches entrelacées. Elles devaient avoir de 3 à 5 mètres de diamètre, exiger un travail considérable, et elles supposent une population nombreuse. Aussi a-t-on essayé d'évaluer celle-ci d'après les traces de ce qu'il en reste. Ainsi M. Troyon (loc. cit., p. 403) a constaté que l'établissement de Morges, l’un des plus grands du laé de ‘Genève, s’étendait, parallèlement au rivage, sur une longueur de près de 5 kilomètres et une largeur de 50 mètres, donnant une surface de 150,000 mètres carrés. En supposant des ca- banes de 5 mètres de diamètre, occupant la moitié de la sur- face, on trouve qu'il pouvait y en avoir 311. En les suppo- sant en moyenne habitées par 4 personnes, elles donnent pour ce village sub-aquatique une population de 1244 per- sonnes. En s'appuyant sur des données analogues, on aurait une population de 9000 âmes pour les bords du lac de Neuchà- tel; et, d’après les autres recherches, la population de la Suisse (1) Biblioth. univ. de Genève, 1862, p. 16. (2) Porrentruy, 1862. Emplace- ment des populations ‘ et con- structions. Pestes 438 HABITATIONS LACUSTRES. à l’âge de pierre, auquel ces constructions sont rapportées, au- rait pu être de 51,879 habitants. Les restes de 68 villages de la période suivante ou du bronze, observés dans la partie ocei- dentale du même pays, devaient contenir 42,900 âmes. Quant au motif qui a pu faire choisir ce mode de construe- tions et ces emplacements de préférence à la terre ferme, qui semblait offrir plus de commodité, on doit le chercher dans la nécessité où élaient les habitants de se soustraire aux attaques des bêtes fauves, sans doute fort nombreuses alors, telles que les Loups, les Ours, les Sangliers, l'Urus, et peut-être pour se dé- fendre plus facilement contre les hommes eux-mêmes. Au Steinberg, dans le lac de Bienne, une île semblable aux crannoges d'Irlande, dont nous parlerons tout à l'heure, a été construite dès l'âge de pierre et continuée dans le suivant. M. Pupikofer a fait connaître près de Frauenfeld (Turgovie) un système particulier de construction lacustre consistant en une accumulation de fascines ou de radeaux superposés, tou- chant au fond de l’eau et s’élevant jusqu’à la surface, de ma- nière à présenter un sol immobile et sur lequel pouvait être élevée l'habitation (1). Des recherches et des observations très-attentives ont fait connaître le mode de construction de ces habitations lacustres de la Suisse, et l’on trouve à cet égard, dans l'ouvrage de M. Fréd. Troyon (2), des détails très-intéressants et fort instructifs ; tels sont la grande quantité de pilotis qui leur servait de fondation, et qui, dans la seule localité de Wangen, a été évaluée à 40,000 ; le nombre des couches d’arbres con- stituant la plate-forme qu’ils supportaient, mais sans qu'on ait encore pu constater comment celle-ci était fixée, aucun trou, aucune entaille, mortaise ou trace de liens ne subsistant. Tous les objets trouvés autour ou sur l'emplacement de ces d'industrie. habitations, et ils sont en quantité prodigieuse, à Wangen, dans le lac de Constance, à Wanwyle, Robauhensen (lac de Pfaffikon), (1) Der Pfahlbau bei Frauenfeld. Frauenfeld, 1862, (2) Loc. cit., p. 254-262. L HABITATIONS LACUSTRES. 439 sont en pierre, en bois ou en os. Les armes de bronze pro- viennent d'autres habitations lacustres qui avaient une civilisa- tion plus avancée. | Les armes de pierre sont grossièrement façonnées avec des matériaux du pays. Quelques-unes, en silex, ont probablement été apportées de la France. À Wangen et à Moosseedorf, les pierres ont été travaillées sur place. Quelques échantillons de néphrite orientale, roche qui n’est pas connue en Suisse, fe- raient supposer que des rapports existaient avec des nations éloignées. Les instruments de l’âge de pierre sont ici desmarteaux, haches, couteaux, scies, pointes de lances, de flèches, des pierres à écraser le grain, des polissoires, etc. Quelques mar- teaux sont en serpentine avec un trou à l’une de extrémités. C'est une circonstance d’ailleurs fort rare de trouveæune pierre percée, si ce n’est tout à fait à la fin de la période. La hache doit être regardée comme l'arme primitive par excellence ; c'est le principal instrument, l'outil usuel de l'an- tiquité. Elle servait à la guerre, à la chasse, aux usages domes- - tiques. Celles de Wangen et de Concise (lac de Neuchitel) étaient fort petites, comparées surtout à celles du Danemark. La serpentine était la roche la plus généralement employée. On ajustait la pierre à des poignées en corne ou en bois. Les pointes . de flèches étaient ensilex, quelques-unes en quartz, de formes variées d’après trois modèles principaux. Les os des animaux étaient aussi travaillés et employés à plusieurs usages (har- pons, poignards, têtes de flèches, javelots, épingles, aiguilles, ornements divers). Les planches III à VII de louvrage de M. Troyon représentent une multitude de ces objets et peuvent donner une idée de leurs formes, de leurs dimensions et de leur emploi. Les débris d'animaux rencontrés dans les Pfuhlbauten ont été principalement étudiés par M. Rütimeyer, qui a publié, comme nous l'avons dit, deux ouvrages importants sur ce sujet, et dont M. Lubbock a exposé les principaux résultats. Les os longs sont dans le même état que ceux des Restes d'animaux. 440 HABITATIONS LACUSTRES,. Kjükkenmôddings, c'est-à-dire qu'ils ont été fendus pour en extraire la moelle. Certains os manquent tout à fait, et dans d’autres certaines parties ont complétement disparu, de sorte qu'on ne peut reconstruire un seul squelette complet, malgré la multitude des matériaux que l'on possède. 66 espèces de vertébrés ont pu être déterminées, dont 10 poissons, 3 rep- tiles, 17 oiseaux et 56 quadrupèdes. 8 de ces derniers ont vécu à J'état de domesticité (le Chien, le Pore, le Cheval, lAne, la Chèvre, le Mouton et deux Bœufs). Les débris de Cerf et de Bœuf égalent en nombre tous les autres ensemble, et même ceux de Cerf dépassent ceux de Bœuf dans les anciens établis- sements de Moosseedorf, de Wanwyl, de Robenhausen, ce qui est l'inverse dans les établissements plus récents des lacs de l'Ouest (Wangen, Meilen). ë Le Cochon vient ensuite. Les restes de Chevreuil, de Chèvre, de Mouton sont plus rares, Pendant l'âge de pierre, on man- geait les Renards, mais on n’en trouve pas de débris dans les habitations de l’âge de bronze. Le Chien, dans le premier âge, était plus rare que le Renard, mais moins cependant que le Cheval et l’Ane. Dans le petit lac de Moosseedorf on a recontré les restes de trois Chiens, de 4 Renards, de à Castors, de 6 Chevreuils, de 40 Chèvres, de 10 Moutons, de 16 Vaches, de 20 Pores et d'autant de Cerfs. La Souris, nos deux espèces de Rats, le Chat domestique et nos oiseaux de basse cour n'ont été jusqu'à présent trouvés ni dans les habitations Jacustres de la Suisse, ni dans les Kjokkenmôddings du Danemark. Les os de Cerf et de Sanglier indiquent souvent des animaux plus forts ct de plus grande taille que ceux de nos jours, tandis que ce serait l'inverse pour ceux du Renard. Les Chiens, peu variés alors, devaient res- sembler à nos chiens d’arrêt et à nos chiens couchants. Les Moutons différaient des nôtres par leur petite taille, les jambes grêles, les cornes courtes, semblables à celles de la Chèvre, caractères que l’on retrouve dans les variétés du Nord et des montagnes (îles Shetland, Orkney, pays de Galles, les Alpes). Les restes de Chevaux sont très-rares dans l’âge de pierre, HABITATIONS LACUSTRES. 441 mais fréquents dans celui de bronze; ils appartiennent d’ail- leurs à l’espèce actuelle. M. Rütimeyer désigne sous le nom de Sus serofa palustris l'espèce ou la variété la plus abondante qu'il croit pouvoir séparer du Sanglier et du Porc domestique actuel. Il distingue parmi les ossements du genre Bos ceux du B. primigenius, du Bison europæus et des races du Bœuf do- mestique. Il y a comparativement peu de restes humains, et le plus grand nombre de ceux qu’on a rencontrés provenaient d'enfants sans doute tombés dans l'eau par accident. Dans les tombeaux de cet âge, les corps étaient placés assis, les genoux ramenés sous le menton et les mains croisées sur la poitrine. Ainsi, à l'exception des coquilles et autres produits marins qui manquent nécessairement ici, la faune, dont les débris ont été retirés des lacs de la Suisse, s'accorde avec celle des Kjôkkenmüddings. Dans l’une et l’autre se montrent l’Urus, le Bison (Aurochs), l'Élan, le Cerf commun et le Sanglier. Suivant quelques auteurs, l'Urus ou grand Bœuf fossile, aujourd’hui éteint, aurait seulement disparu vers le seizième siècle, si c’est celui que mentionne César. L'Aurochs se serait éloigné de l'Eu- rope occidentale, car en Suisse on ne le vit plus après le dixième siècle. Il existait encore au douzième dans la forêt de Worms : en Prusse, le dernier fut tué en 1779, et l’on sait que, s'il n'a pas été complétement détruit en Lithuanie, c'est seulement à cause des mesures administratives particulières et conservatrices dont il est l’objet. L'Élan s’est aussi retiré du reste de l'Europe ; le Bouquetin ne se rencontre plus que dans les massifs qui entourent le mont Iseran. L’extermination de l'Ours comme celle du Bouquetin aurait commencé par l'Est, car il vit encore dans le Jura, l'Unterwald et les parties sud- est de la Suisse. Le Castor, au contraire, a disparu plus récemi- ment, ainsi que le Cerf. Les animaux des Pfahlbauten avaient commencé à vivre avec les Éléphants, les Rhinocéros, l'Ours et l'Hyène des ca- vernes, espèces aujourd'hui éteintes, et la plupart d’entre eux habitent encore les mêmes lieux. Cependant il ne peutrésulter de ces faits aucune confusion géologique.‘Les phénomènes phy- Restes de végétaux. Poteries, 442 HABITATIONS LACUSTRES. siques quaternaires, et probablement un laps de temps très- considérable, séparent l’âge de pierre anté-historique de l'é- poque où vivaient paisiblement, dans l'Europe centrale et occidentale, l'Elephas primigenius, le Rhinoceros tichorhinus et les autres grands mammifères éteints, qui manquent dans les Pfahlbauten aussi bien que dans les Kjükkenmüddings et les marais tourbeux du Danemark. Le Renne, aujourd’hui relégué dans le Nord, avait également disparu de l'Europe occidentale à cette époque. | Quant à l’ancienneté relative probable de ces divers établis- sements, M. L. Rütimever regarde la petite localité de Moossee- dorf comme offrant le plus ancien, puis viendraient ceux de Wanwyl, de Wangen, de Meilen, et en troisième lieu lé habi- tations lacustres de la Suisse occidentale. Relativement aux restes de végétaux, des grains de froment ont été recueillis à Meilen, à Moosscedorf et à Wangen. L'Hor- deum hexastichon (espèce cultivée par les Égyptiens, les Grecs et les Romains) y a été rencontré. On a même découvert des espèces de pains ou galettes rondes, plates, de 0",10 à 0,13 de diamètre sur 2 à 3 centimètres d'épaisseur. On a trouvé des grains qui avaient élé grillés, broyés entre deux pierres, puis entassés dans des vases de terre, coutume qui existait encore aux iles Canaries lorsqu'elles furent découvertes. Cependant, hormis la faucille, aucun instrument aratoire n'a été ren- contré. Des poires et surtout des pommes sauvages, entières ou cou- pées en 2 ou en #, des noyaux de prunes sauvages ont été ob- servés, mais aucune trace de l'existence de la Vigne, du Gerisier ni du Prunier de Damas n'a été constatée, Des graines de Fram- boisiers, du Mürier, des noisettes et des faines ont été trou- vées dans des vases ; de sorte qu'on peut conclure que les habi- tants de ces âges reculés se nourrissaient en Suisse de grains, de fruits, de poissons et de la chair des animaux sauvages ou domestiques et sans doute aussi de lait. La poterie, très-grossière alors, n'est connue que par des fragments où un petit nombre de vases entiers dont la euisson HABITATIONS LACUSTRES. 443 était fort imparfaite. Leur forme est souvent cylindrique, quel- ques-uns sont arrondis à la base ; on n’y remarque aucun orne- ment représentant des animaux, mais seulement des lignes droites ou courbes. Plus récemment, M. F, Troyon a fait connaître le résultat . des fouilles exécutées dans l'emplacement lacustre de Concise, sur le bord du lac de Neuchâtel (1), emplacement dont l’étendue était de 140 mètres de long sur 76 de large. Plus de 750 objets d'industrie de l’âge de pierre en ont été retirés sans aucune pièce de métal; celles de cette nature, trouvées en 1859, pro- venaient d'une des extrémités de l'établissement et probable- ment d'habitations moins anciennes. L'auteur estime que le nombre des pièces retirées lors des dragages exécutés pour le chemin de fer qui passe près de cet endroit n’est pas moindre de 24 000, à en juger par les sommes qu'elles ont rapportées aux ouvriers attachés à ces travaux. On a vu quels étaient les lacs où avaient été découvertes des habitations de l’âge de pierre. Disons quelques mots de celles de l’âge de bronze, quoiqu'elles puissent rentrer dans la période de l’histoire. Ces établissements existent dans les lacs de Ge- nève, de Luissel, de Neuchàtel, de Morat, de Bienne et de Sempach, c’est-à-dire dans la partie occidentale et le centre de la Suisse ; ils sont ordinairement situés à une grande distance du rivage, dans des eaux plus profondes, et sont plus solide- ment construits. On y trouve des épées, des poignards, des haches, des pointes de lance et de flèches, des couteaux, des épingles et des objets d'ornement toujours en bronze. Pour donner une idée de la quantité de ces objets, nous dirons que dans l'établissement d’Estevayer, sur la rive orientale du lac de Neuchâtel, on a recueilli 36 épingles à grosse tête sphé- rique et ornée, 92 à tête ordinaire, 26 couteaux, 15 bracclets, 27 petits anneaux, 2 boutons, etc. A Morges, sur la rive nord du Léman, on a retiré 42 hachettes et 13 épingles; au Stein- (1) Nouvelliste vaudois, 31 déc. 1864. Ages de bronze et de fer. Disparition des Piahlhauten. 444 HABITATIONS LACUSTRES. berg, dans le lac de Bienne, 500 épingles à cheveux et divers ornements de la même forme que ceux recueillis dans d’autres parhes de l'Europe. Les épées y sont aussi caractérisées par la la petitesse de la poignée. On a d’ailleurs acquis la certitude qu'on les fabriquait sur les lieux mêmes. Les poteries, plus variées et plus soignées dans leur exécu- tion que celles de l’âge de pierre, élaient faites avec la roue. Des anneaux en terre cuite sont fréquents. Quant aux matières mêmes du bronze, le cuivre et l’étain, il fallait qu’elles fussent apportées par le commerce, puisqu'elles n'existent point en Suisse, Ces Pfahlbauten ont diminué graduellement en nombre, de- puis l’âge de pierre, où elles s'étendaient sur tous les lacs du pays, depuis l’âge de bronze, où elles étaient confinées dans la Suisse occidentale, jusqu'à celui du fer, où il n’en existait plus que dans les lacs de Bienne et de Neuchâtel. Pendant ce dernier âge, les formes des instruments et des armes étaient différentes ; la poignée des épées est plus large, plus ornée, les couteaux ont les bords droits, les faucilles sont plus grandes aussi; les poteries, plus soignées, sont ornées de diverses cou- leurs, et le verre apparaît pour la première fois. Sous la domina- lion romaine, les habitations lacustres n’étaient plus que des exceptions, et elles durent disparaitre tout à fait peu de temps après. De ce qu'on ne trouve point dans les Kj‘kkenmôddings des restes d'animaux domestiques comme dans les Pfahlbauten de la Suisse, il serait prématuré d’en conclure avec M. de Morlot qu'ils sont plus anciens que ceux-ci; il n'y a pas, comme nous l'avons dit au commencement, nécessairement contempora- néité entre deux civilisations analogues et non-contemporanéité entre deux civilisations différentes. Quant aux traces d'habitations lacustres de l’âge de pierre, signalées dans divers pays, elles sont jusqu'à présent heau- coup moins importantes que celles dont nous venons de parler. Elles sont purement locales, accidentelles, et m’of- frent point ce caractère de généralité qui, en Suisse, consti- *, amstt" HABITATIONS LACUSTRES. 415 tuait tout un système de constructions contemporaines, propre au pays. Les erannoges d'Irlande sont des îles artificielles, composées de pierres et de terre, soutenues par de nombreux pilotis, et qui servaient en même temps de forteresses. On y a trouvé une prodigieuse quantité d’ossements qui ont été exploités et employés comme engrais. Leur origine remonte certainement à l’âge de pierre; mais, ayant été habités et modifiés par les populations de tous les âges jusqu’au dix-septième siècle, les restes des civilisations qui s’y sont succédé s'y trouvent mé- langés. M. Wilde a publié un ouvrage spécial sur ce -sujet en 1856. En Angleterre, dans le comté de Norfolk, à six milles au nord de Thetfort, on a trouvé, dans un bassin tourbeux, des produits de l’industrie de l’âge de pierre, des pieux nombreux plantés verticalement, dont l’extrémité supérieure était taillée en pointe, le tout paraissant provenir d'un ancien établissement lacustre. Des indications de constructions analogues ont encore été données sur divers points du Hanovre et de la Hollande. Des traces de l’âge de pierre ont été signalées par MM. Gar- rigou et Fihol dans les cavernes ‘de la vallée de Tarascon (Ariège) (1), particulièrement dans celles de Pradières, de Be- deillac, de Sabart, de Niaux, d'Ussat et de Fontanet. Dans la terre qui en constitue le sol on a rencontré, à une certaine pro- fondeur, des restes de foyer, des cendres, du charbon, des os d'animaux cassés et fendus pour en extraire la moelle, d’autres -calcinés, des amas d’Helix nemoralis ayant dû servir à la nourriture des habitants, des objets divers travaillés en os de Bœuf, de Mouton, etc., tels que des poinçons, des pointes de flèches et de lances, des fragments de silex, des schistes siliceux taillés en grattoirs, et d’autres usés en forme de couteaux, des haches en leptynite et en serpentine, des meules piquées comme celles de nos moulins, en granite, en syénite et de di- verses grandeurs, des fragments de quartzite taillés, enfin de (1) Comptes rendus de l'Académie des sciences, vol. LVIT, p.839; 1853. 29 Irlande, Angleterre. France. halie. 446 HABITATIONS LACUSTRES. nombreux débris de poteries grossières, dans la pâte desquelles on reconnait les grains de quartz, les paillettes de mica, ete. Les animaux dont les ossements ont été déterminés sont le Cervus elaphus, deux Bœufs, un Mouton, une Chèvre, une Anti- lope, un Chamois, un Bouquetin? le Sus scrofa et nn autre plus petit, domestiqué, le Cheval? le Loup, le Chien, le Renard, le Blaireau, le Lièvre et deux oiseaux. De ces faits les auteurs: concluent « qu'il y a eu dans cette « partie des Pyrénées, et sans doute aussi dans le reste de la « chaine, une population anté-historique dont les mœurs et le degré de civilisation étaient semblables à celles des populations « de l’âge de pierre, en Suisse. Ces peuples habitaient l'entrée « des cavernes les plus saines et les plus spacieuses, se nour- « rissaient de la chair des animaux qui abondaient dans le « pays, faisant des armes de leurs os les plus résistants, ainsi « que des roches les plus dures. Is cultivèrent probablement « le froment, comme leurs frères de la Suisse, et c'est à sa « trituration qu'étaient sans doute destinées les nombreuses « meules que nous avons découvertes. Les métaux leur furent « inconnus. » L'usage des habitations lacustres n'était pas moins répandu en Îtalie qu'en Suisse. M. Gastaldi (1) a publié les décou- vertes de ce genre faites dans les tourbières, marlières ou mar- nières de Mercurago, près d'Arona, où se trouvent des instru- ments de l’âge de pierre ; les poteries de Castellazzo di Fontanel- lato, dans le duché de Parme, d'Enzola et de quelques autres lo- calités sont surtout très-curieuses. M. Keller (2) en a signalé dans, le lac de Garde, près de Peschiera ; M. de Mortillet (3) dans le lac de Varèse, d’après M. Desor. Dans l'Italie centrale, les 2 (1) Nuovi cenni sugli oggetti di alta antichità trovati nelle torbiere e nelle marniere dell Italia, in-4 avee 6 pl. Turin, 1862. — Voyez aussi: Cenni su alcune armi di pietra e di bronxo trovate nell Imolese, ete. (Atti della Società ilal. di scienxe naturali, vol. IX, p.11; 1861.) (2) Bericht über der Pfahlbauten. Zurich, 1863. (3) L'Italia, 6 mai 1863. — Revue scientifique italienne, 1° année, p. 19: 1865. HABITATIONS LACUSTRES, 447 recherches de M. Pellegrino Strobel et de M. L. Pigorini (1) ont beaucoup contribué à faire connaître les restes d’habita- tions et les objets d'industrie primitive de l'Émilie et du Parme- san. M. Scarabelli (2) a trouvé aux environs d'Imola des bouts de lances et de flèches en silex et des haches en diorite ou en diaspro noir; M. Forel (5), des instruments en silex avec des ossementsde Cerfs, Chevreuils, Brebis, Bœufs, Chevaux, Cochons, Loups, Chats, des coquilles et du charbon dans les cavernes de Menton ; M. Capellini (4), une flèche en diaspro de la Spezia. Les terremare , disent MM. Strobel et Pigorimi, sont des accumulations naturelles ou artificielles de terres plus ou moins marneuses contenant des cendres, du charbon, des dé- bris d'animaux et de végétaux, avec des armes, des ustensiles d’une haute antiquité. Les palafitte sont des constructions sur pilotis analogues à celles de la Suisse. Ce sont surtout les fouilles exécutées par M. Strobel dans l’ancien établissement de Castione, près Borgo San Donnino, qui ont apporté la plus grande quantité d'objets intéressants et ont donné lieu à des publications accompagnées de planches, auxquelles nous ne pouvons que renvoyer le lecteur. Jusqu'à présent, il ne semble pas cependant que ces an- ciennes habitations au pied sud des Alpes aient jamais offert un développement aussi considérable qu’au nord, ni suggéré aux archéologues des distinctions d’âges ou chronologiques aussi tranchées. Nous devons donc nous borner à ces indications, en attendant que le zèle et la science bien connus des personnes (4). Le terremare dell’ Emilia. Prima relazione, in Nuovi cenni, etc., vid. suprà.—Die Terramara-Lager der Emilia. Erster Bericht, in-4. Zurich, 1863. — Avanxi preromani raccolti nelle lerremare e palafitte dell’ Emilia. Fascicelo 1°, avec 4 pl., in-8. Parme, 1863. — Lettera scritta al Sign. Rabbeno, direttore della Gaxzetta di Parma, 10 août 1863. — Palañtta di Castione ; Gazzetta di Parma, n° 234, 235; 1862. — L. Pi- gorini, Terramara di Casaroldo in Samboseto. Ib., n° 277. (2) Annali delle scienxe nat. di Bologna, 1850. (5) Notice sur les instruments en silex, ete., in-8. Lausanne, no- vembre 1860. (4) Le scheggie di diaspro dei monti della Spexir, in-8. Bologne, 1862. Observations générales. 448 OUVRAGES EN TERRE DE L’'AMÉRIQUE DU NORD. qui s'occupent de ces recherches soient parvenus à des résultats plus précis. $ 5. Ouvrages en terre de l'Amérique du Nord. Si nous poursuivons actuellement ces études dans le nord de l'Amérique, nous verrons combien sont différents les tra- vaux exécutés par les premiers peuples qui ont habité le bassin du Mississipi, combien les traces de ces premiers établissements humains, dans ce que nous appelons le nouveau monde, diffèrent de ce que nous venons de décrire dans une partie de l'ancien ; néanmoins, nous n'avons encore aucune preuve de la contem- poranéité des uns et des autres; mais nous voyons qu'ils ont cela de commun d’être antérieurs à toute tradition histo- rique, à toute reproduction de la pensée par des signes con- ventionnels et postérieurs aux derniers phénomènes quater- naires. Nous extrairons d'abord du grand travail de M.S. F, Haven, sur l'archéologie des États-Unis (1), quelques généralités sur ce sujet, et nous donnerons ensuite des détails plus circon- stanciés puisés dans l'ouvrage spécial de MM. Squier et Davis. Les monuments les plus anciens et caractéristiques de l’industrie humaine aux États-Unis sont des constructions ou plutôt des ouvrages en terre, plus ou moins élevés, plus ou moins étendus, de formes très-diverses, et souvent bordés en dehors par un fossé. Ils manquent dans les États qui longent l'Atlantique au nord-est ; à peine quelques exemples peu impor- tants el d’une ancienneté douteuse s’observent-ils dans le Maine et le New-Hamsphire; dans l'État de New-York, ils commencent à être plus nombreux, surtout vers l'ouest ; au delà des Al- (1) Archæology of the United States or sketches historical and biblio- graph, ele., of antiquity in the U. States: Smithsonian contributions to knowledge, 1855. OUVRAGES EN TERRE DE L’AMÉRIQUE DU NORD. 449 leghanies et à l'est du Mississipi, ils s'étendent depuis les bords des grands lacs, au nord, jusqu'aux plages du golfe du Mexique, au sud, Ils existent en plus ou moins grand nombre dans les parties méridionales, vers l'Atlantique, remontent jusque dans les Carolines, et sont connus sur la péninsule de la Floride. A l'ouest du Mississipi, on en a constaté jusqu’à 1,300 milles de son embouchure, et il y en a le long de la Kansas et de la rivière Platte. On n'en cite point au Texas, au Nouveau-Mexique, le long du pied oriental des Montagnes-Ro- cheuses, ni sur les deux rives du Missouri. M. Haven rapporte quelques faits qui tendraient à prouver contempora- la contemporanéité de l’homme avec certaines espèces de ,, n°1 de l’homme grands mammifères éleints; mais si cette contemporanéité avec 1 : , : : ; “ les espèces n’est pas absolue, du moins l'extinction de ceux-ci paraît-elle perdues ? avoir été très-rapprochée de l’arrivée des premiers hommes dans le pays. On sait qu'au Brésil l'association d’os humains avec ceux d'espèces perdues, signalée par M. Lund dans les ca- xernes, a été attribuée à une circonstance locale, Aux États- Unis, les exemples cités sont d'une autre sorte. Nous avons déjà dit, en traitant de l’histoire de la paléon- tologie (Première partie, p.216), que les restes de Megatherium et de Mastodonte se rencontraient presqu’à la surface du sol, et ne montraient aucune preuve qu'ils eussent été transportés ni rou- lés par des eaux torrentielles ; que de l'estomac d’un Mastodonte trouvé dans un petit marais du comté de Warren (New-Jersey), on avait retiré sept boisseaux de substances végétales dont i] s'était nourri, et qui provenaient du Cèdre blanc, qui végète encore sur les lieux; que les os d’un squelette presque entier, provenant de Newbury (New-York), contenaient encore presque toute leur gélatine; qu'un Megatherium déterré lors du creuse- ment du canal de Brunswick était tellement près de la surface que les racines des Pins se prolongaient parmi les os ; enfin que toutes les coquilles fluviatiles et terrestres recueillies non-seu- lement avec les ossements, mais encore au-dessous d'eux, sont celles qui vivent aujourd’hui dans le pays, de sorte que cesdivers motifs tendraient à prouver que les conditions du climat n’a- 450 OUVRAGES EN TERRE DE L'AMÉRIQUE DU NORD. vaient pas sensiblement changé depuis que ces grands mammi- fères habitaient la contrée. M. Haven rappelle que l'on a signalé dans le comté de Gas- eonnade (Missouri) un Mastodonte que l’on supposait avoir été tué à coups de pierres par les Indiens et en partie consumé par le feu. Il y avait auprès, avec des os et des bois brûlés, des haches, des couteaux et des pointes d'armes en pierre. Les cendres et les charbons, en plus grande quantité sur la tête et le cou de l’animal, semblaient prouver que le feu y avait été entretenu plus longtemps. Par la position du squelette, on pouvait présumer que le Mastodonte s'était enfoncé dans la vase par son train de derrière, que, n'ayant pu s’en retirer, il était tombé sur le côté droit, et que c’est dans cette situa- tion que les indigènes l'auraient tué. Entre les pierres et les cendres, on trouva de grands lambeaux de peau ressemblant à celles qui ont été récernment tannées et beaucoup de petits fragments de parties molles (nerfs, artères) de la grandeur de la main qui ont été recueillis et conservés dans l'alcool (1). Mais peut-être n'y a-t-il ici qu'un de ces exemples que nous avons cités et auquel l'imagination du voyageur aura ajouté quelques circonstances pour lui donner plus d'intérêt. Nous avons dit, en effet (Première partie, p. 216), que dans certains marais on avait trouvé des squelettes entiers de Masto- dontes, debout, ensevelis dans la vase ; or on conçoit qu'il'aura suffi de rencontrer un de ces squelettes dans la position m- diquée, avec quelques pierres dans son voisinage, el même des traces de feu et de la présence de l'homme, pour en con- clure une contemporanéité que les faits ne suffisent pas à dé- montrer, | De son côté, M. Eichwald (2) rapporte, sans citer la source où il l'a puisé, un autre fait que voici : A l'embouchure de la rivière Pomme-de-Terre , affluent du Mississipi, on a trouvé dans un dépôt d'alluvion un squelette entier de Mas- (1) Amer. Journal de Silliman, vol. XXXVI, p. 199, (2) Lethæa rossica, p. 552. OUVRAGES EN TERRE DE L'AMÉRIQUE DU NORD. 451 todonte et tout près quelques pointes de flèches en silex de la forme de celles qu'emploient les Indiens actuels, quoique beaucoup plus grandes. L'une de ces flèches était placée au- dessous de los du bassin'sur lequel elle avait laissé des traces. L'auteur suppose que l'animal aura été tué à la chasse par les naturels. Il était recouvert d’un dépôt de transport de 1 mètre à 1°,29 d'épaisseur, renfermant beaucoup de végétaux des tro- piques (Cyprès, Cannes, Strelitzia, Palmiers, etc.), puis ve- naient au-dessus une argile de diverses couleurs et des couches très-modernes remplies de feuilles de Chêne, de Saule et d'autres arbres de la flore de nos jours, «ce qui prouve, dit « l’auteur, que le Mastodonte habitait encore l'Amérique « septentrionale pendant les temps historiques. » 11 y a dans ces faits comme dans la conclusion des contradictions trop évi- dentes avec ce que l’on sait d'autre part, pour qu'on ait be- soin de les faire ressortir. M. le colonel Smith, dans son Histoire naturelle de l'homme (1), dit aussi qu'au Brésil les os de Megatherium se rencontrent à la surface du sol, ayant l'apparence d'os tout à fait récents (in a recent state), et, ajoute-t-il, peut-on concevoir qu'ils aient ainsi résisté à la destruction, exposés pendant quatre ou cinq mille ans à l'action du soleil et des pluies tropicales? Les indigènes se servent des os du bassin de ces grands animaux pour établir leurs foyers temporaires. Dans l’Amérique du Nord, les légendes ou traditions des naturels font mention de grands mammifères qui auraient dis- paru, tels que le grand Élan ou Buffalo, le Mastodonte appelé le Père aux Bœufs, et d’autres détails fournis par les Indiens se rapporteraient au Megalonyx. Dans la Nouvelle-Zélande , nous savons aussi, d’après M.J. Haast, que desinstruments en pierre indiquent l'existence d'une population primitive antérieure aux Maories actuels. Quoi qu'il en soit de ces divers exemples, il n’y a pas encore, dans le nouveau monde plus que dans l’ancien, de preuves (1) Nat. Hist. of the human species, p. 104. Recherehes dé MM. E. G. Squier et E. H. Davis. Distribution géo- graphique. 452 OUVRAGES EN TERRE DE L'AMÉRIQUE DU NORD. irrécusables de la contemporanéité des espèces de grands ami- maux éteints avec l'espèce humaine postérieurement aux phé- nomènes de l'époque quaternaire. Nous rechercherons plus lard si cette contemporanéité a eu lieu auparavant, mais nous avons dû rappeler ce qui avait été dit à ce sujet avant de nous occuper plus particulièrement des ouvrages en terre auxquels nous revenons actuellement en prenant pour guide le grand et important mémoire de MM. E. G. Squier et E. H. Davis sur les anciens monuments de la vallée du Mississipi (1). Après avoir jeté un coup d'œil sur les recherches qui ont précédé les leurs, MM. Squier et Davis font remarquer que les anciens monuments de l’ouest des États-Unis consistent pour la plupart en élévations et en ouvrages en terre et en pierre, exécutés avec une grande dépense de travail, et avec un but déterminé. On y trouvé aussi réunis divers objets qui ont servi d'ornements, d'armes, d'instruments ou ustensiles de toute sorte, quelques-uns en métal, mais le plus grand nombre en pierre. Ces ouvrages sont répartis dans le bassin entier du Mis- sissipi et de ses nombreux affluents, puis sur les plaines fertiles qui bordent le golfe du Mexique. On connait, en outre, une mul- titude de petits tumulus sur le territoire de l’Orégon; 1l y en a sur le Rio Gila de la Californie, sur les tributaires du Colorado de l’ouest, mais il reste à décider s'ils sont semblables à ceux du Mississipi et s'ils ont la même origine. On observe particulièrement ces travaux en terre dans les vallées des rivières et des grands ruisseaux, rarement très-loin des cours d'eau ; quelquefois ils se trouvent sur les collines ou dans des pays accidentés, mais 1ls sont alors peu fréquents et toujours de petites dimensions. Malgré leurs analogies, qui témoignent d’une origine com- mune, ils peuvent être considérés, relativement à certains carae- tères, comme répartis dans trois régions géographiques, où ils . (1) Ancient monuments of the Mississipi valley, ete., avec 48 pl. et 207 dessins insérés dans le texte. (Smithsonian contributions to Know— ledge, vol. 1, 1848.) OUVRAGES EN TERRE DE L'AMÉRIQUE DU NORD. 453 se montrent très-différents, mais dont les limites n’ont rien d'absolument tranché, car ils passent graduellement de l'une à l'autre. Dans la région qui borde les grands lacs, à une certaine distance, dans les États de Michigan, d'Iowa, du Missouri et sur- tout dans celui du Visconsin, les monuments en terre affectent une série de formes singulières et n’offrant qu'une ressemblance éloignée avec ce que l’on voit ailleurs. Le plus grand nombre sont des représentations grossières de quadrupèdes, d'oiseaux, de reptiles et même d'hommes, de dimensions gigantesques, et semblables à d'immenses et informes bas-reliefs épars ou cou- chés à la surface du pays. Souvent ils sont disposés en longues rangées; 1ls constituent aussi des monticules (mounds) ou tu- mulus, et des lignes de fortifications formant des enceintes. Ces effigies d'animaux sont surtout nombreuses dans le Viscon- sin, le long de la rivière de ce nom et de la rivière Rock. Dans l'Iowa et le Michigan elles sont alignées comme les bâtiments d'une ville moderne, et occupent une surface de plusieurs acres (1). Plus au sud, dans le bassin de l'Ohio, les anciens travaux en terre sont plus grands et mieux caractérisés ; il y a peu de formes d'animaux, et ils semblent avoir été élevés sur des principes différents et pour un objet également différent des précédents. Il ya beaucoup de monticules coniques ou pyrami- daux, parfois de très-grandes dimensions. Les pyramides sont toujours tronquées au sommet et les faces sont taillées en gradins. De nombreuses clôtures où enceintes en terre ou en pierre sont en relation avec ces tumulus. Ce sont de beaucoup les travaux les plus remarquables qu'aient laissés les peuplades aborigènes et ceux qui donnent la plus haute idée du nombre et de la puissance des habitants qui les ont construits. Plus au sud encore, dans les États qui bordent le golfe du Mexique, les buttes, les monticules ou tumulus augmentent de grandeur, sinon en quantité, et leurs formes sont plus régu- (1) L'acre anglais équivaut à 40 ares. Nombre des ouvrages en terre, Formes et dimensions, 454 OUVRAGES EN TERRE DE L'AMÉRIQUE DU NORD. lières. Les formes coniques deviennent comparativement rares, celles qui sont en pyramides tronquées et garnies de gradins pour atteindre le sommet, comme les Teocallis du Mexique, sont plus fréquentes et affectent une certaine dépendance dans la position qu'elles occupent les unes par rapport aux autres. Les enceintes, au contraire, diminuent de dimension : elles sontmoins nombreuses et perdent beaucoup ducaractère qu’elles avaientau nord, tout en conservant néanmoins une ressemblance générale. Ieï on commence à trouver des restes de briques dans les monticules et les murs de clôture. . Le nombre de ces constructions en terre est si considérable qu'on les avait attribuées, sinon toutes, au moins pour la plus grande partie, à des causes naturelles, à des résultats d'actions diluviennes, modifiés peut-être ensuite par l'homme, mais dans aucun cas n'étant dus à lui seul. Cependant cette opinion n'a pu se maintenir après un examen attentif de la composition, de la structure, de la forme de ces ouvrages et des divers objets qu'on y a trouvés. Si l’on prend pour exemple, avec MM. Squier et Davis, la vallée de la rivière Scioto, aux environs de Chillicothe (Ohio), on y voit les clôtures en terre de diverses formes géométriques, régulières ou non, telles que le cercle, le carré, le demi-cercle, le trèfle, etc., entourant un plus ou moins grand nombre de monticules où buttes (mounds). Dans le comté de Ross (Ohio) on ne compte pas moins de 100 enceintes de diverses gran- deurs et 500 tumulus. Dans tout cet Etat il y a environ 10,000 tumulus et 1000 à 1500 enceintes. Quelques-unes de ces der- nières ont jusqu’à 2 milles et demi de tour. Ces ouvrages ne sont guère moins répandus sur la Kenhawa, en Virginie, que sur la Scioto, sur les bords de la Miamie, da White-river , le Wabash, le Kentucky, le Cumberland, le Tennessee et les autres tributaires de l'Ohio et du Mississipi. Quant à leurs dimensions, elles sont aussi remarquables que leur nombre. Certaines lignes d'enceinte ont de 1 mètre 90 à 10 mètres de hauteur, circonserivant des espaces de-1 à 50 acres. Ce sont les plus communs. Ceux de 100 à 200 acres OUVRAGES EN TERRE DE L'AMÉRIQUE DU NORD. 455 sont moins fréquents. On cite des enceintes comprenant des espaces de 400 et même de 600 acres de superficie. Il n’y a pas d’ailleurs toujours de rapport entre l’espace entouré et la grandeur ou l'importance des travaux exécutés autour. Les tumulus (mounds) sont de toutes les dimensions, depuis 1", 50 de hauteur sur quelques mètres de diamètre jusqu'à - 21 mètres sur 100, comme celui qui est à l'embouchure du Grave-Creek (Virginie). Le tumulus de Miamisburgh (comté de Montgomery, Ohio) a 20 mètrès de haut et 260 mètres de cir- conférence à la base. La pyramide de Cahokia (Illinois) a 27", 56 de hauteur et 600 mètres de circonférence. Son sommet a plusieurs acres de surface. .Le grand monticule de Selserstown (Mississipi) occupe une surface de 6 acres où près de deux hectares et demi. Les ouvrages de cette dimension sont plus fréquents dans la région sud, quoiqu'il y en ait aussi quelques-uns au nord. Les plus communs ont de 2 à 10 mètres de hauteur sur 12 à 50 de diamètre à la base. Toutes ces constructions sont en terre ou en pierre, et quel- quefois les deux sortes de matériaux ont été employées dans le même ouvrage. Lorsqu'il n’y a point de fossé intérieur ou extérieur qui ait fourni les matériaux du terrassement, on re- marque dans le voisinage les anciens trous d’où la terre a été tirée. Quelquefois cependant elle a été apportée de loin. La plus grande partie de ces enceintes présente des formes régulières, parmi lesquelles le carré prédomine ainsi que le cercle. Il y a des parallélogrammes, quelques ellipses, des polygones réguliers et irréguliers. Les travaux réguliers sont presque invariablement placés sur les terrasses de niveau qui bordent les rivières. Les travaux irréguliers ont particulièrement le caractère de lignes de défense, se conformant aux accidents du sol et suivant les contours de la crête des collines. Les carrés et les cercles sont souvent combinés de diverses manières. Les lignes détachées parallèles sont également fréquentes. On observe en outre des chaussées et des gradins descendant aux rivières, aux courants ou allant d'une terrasse à l'autre. Em- placements. Destination. 456 OUVRAGES EN TERRE DE L'AMÉRIQUE DU NORD. Les plus grands et les plus singuliers de ces ouvrages se trou- vent dans les vallées les plus ouvertes et les plus fertiles. Les points choisis par les Européens dans le dernier siècle et dans celui-ci pour l'établissement des villes, des bourgs et des wil- lages sont souvent ceux qu'avaient aussi préférés les premiers habitants du pays. Ainsi Marietta, Newark, Portsmouth, Chilli- cothe, Circleville et Cincinnati (Ohio), Franquefort (Kentucky), Saint-Louis (Missouri) sont dés centres de populations actuelles qui l'étaient déjà lorsque florissait la race mystérieuse des tumulus. Les monuments des aborigènes de la vallée du Mississipi, soit en terre, soit en pierre, sont des enceintes bordées de parapets de circonvallation ou de murs. On y distingue les enceintes de défense, les enceintes sacrées, les tumulus des sacrifices, les tumulus des temples, ceux des sépultures, ete., dans lesquels ont été trouvés de nombreux restes d'industrie, tels que poteries, ustensiles et outils, armes et objets d'ornements en pierre, en os, en métal, des ossements humains, ete. MM. Squier et Davis étudient successivement ces divers sujets, dont ils donnent de nombreux dessins, des plans et des descriptions détaillées. Nous citerons comme exemples un tumulus destiné aux saeri- lices et un autre qui avait servi de sépulture. Les autels ou monticules qui servaient aux sacrifices se trou- vent presque toujours dans les enceintes ou à une faible distance. Les matériaux qui les constituent sont stratifiés ou ont été disposés par couches. Ils contiennent dans leur intérieur ou à leur base des autels de forme symétrique, en argile cuite ou en pierre, sur lesquels sont déposés des débris qui ont toujours conservé les traces du feu. La disposition stratifiée des matériaux de ces ouvrages les distingue de tous les autres. Les couches ne sont jamais horizontales, au moins dans les tumulus à autels du nord et du centre, mais courbées parallèlement aux surfaces extérieures, ce qui dénote suffisamment leur origine artifi- cielle. Les bassins trouvés dans l'intérieur sont de formes diverses, arrondis, elliptiques, carrés, en parallélogramme, ete. Il y en a OUVRAGES EN TERRE DE L'AMÉRIQUE DU NORD. 457 de 0", 60 de large seulement, d’autres ont 15 mètres de long sur 3 ou # de large. Leurs dimensions les plus ordinaires sont de 1", 50 à 2", 80. ‘La coupe d’un dé ces tumulus de térifée, de 2", 25 de haut, a présenté les détails suivants : 7 ou 8 cbueñes super- posées et arquées régulièrement étaient de haut en bas compo- sées successivement de gravier, de sable et de cailloux, de sable fin, de terre, de sable et de terre recouvrant un bassin en argile cuite de 3" de diamètre à la base et de 1", 60 à sa partie su- périeure, déprimé en forme de coupe et contenant des cendres sèches, fines, mélangées de fragments de poterie d’une forme élégante. Sur les cendres était un lit de feuilles de mica. Au-dessus et au milieu du bassin des os humains en partie brülés, circonstance particulière qui ne s’est présentée qu'une fois. On trouve fréquemment, au contraire, des restes humains, même des squelettes entiers, des populations actuelles, qui ont été ensevelis plus ou moins profondément dans les tumulus anciens ; mais les restes reconnaissables des populations con- temporaines de ces travaux sont extrèmement rares. Lorsqu'on atteint le centre des tumulus qui ont servi de sépulture, on ren- contre les ossements écrasés ou tombant en poussière au moin- dre contact. Le seul exemple d’un crâne un peu complet et incontestablement de la race contemporaine des monuments a été observé dans un tumulus situé au sommet d’une colline qui domine la vallée du Scioto, à 4 milles au-dessous de Chillicothe. Le monticule, de 2°,50 de hauteur sur 15 de diamètre à la base, était formé d’une couche d’argile dure, jaune, recouvrant un amas de pierres disposé en dôme, et au sommet duquel était une large plaque de mica; au-dessous et au centre se trouvait un dépôt charbonneux, de terre cuite et de petites pierres entou- rant quelques os et un crâne assez bien conservé. Le caractère le plus remarquable de celui-ci était sa forme arrondie. Son diamètre vertical était de 6 pouces 2 lignes, le diamètre longi- tudinal de 6 pouces 5 lignes, et la distance entre les pariétaux de 6 pouces. Ce seraient, suivant M. Morton, les caractères du Métaux et objets d'industrie. l'opulations ahorigènes, Ancienneté, 458 OUVRAGES EN TERRE DE L'AMÉRIQUE DU NORD. type de la race américaine, particulièrement de la famille des Toltèques, et dont la tête des Péruviens est le modèle: Le cuivre a été le métal le plus anciennement employé par ces populations primitives de FAmérique du Nord; largent qu'on y trouve et ses autres caractères prouvent qu'il provient des mines si riches encore des bords du lac Supérieur. Le mi- nerai n'était point d’ailleurs fondu, mais battu à froid. Les poteries trouvées dans ces ouvrages sont très-perfection- nées, et, quant aux armes en pierre, on remarquera que celles qui ont été recuillies en Asie, en Europe et en Amérique sont: tellement semblables par la forme et le genre de travail, qu'on pourrait les regarder toutes comme l'ouvrage d’un seul et même peuple. MM. Squier et Davis résument ensuite leurs nombreuses re- cherches et terminent leur travail par les considérations sui- vantes : Ces travaux sont, disent-ils, la preuve de l'existence d’une population nombreuse et agricole. Les instruments en pierre, en bois, en os et en cuivre qui nous restent n’ont ce- pendant pu être que de faibles moyens pour les constructeurs qui ont dû principalement se servir de leurs mains et de res- sources étrangères bien peu puissantes pour ereuser le sol et accumuler jusqu’à 20 millions de pieds cubes de matériaux comme eeux qui constituent, par exemple, le seul tumulus de Cahokia. Ces ouvrages sont, en outre, presque exclusivement confinés aux vallées fertiles, aux plaines alluviales productives des bords des lacs et du golfe du Mexique, là où la eulture du sol était le plus avantageuse. Aussi les auteurs voient-ils dans ces travaux, comme dans les objets d'industrie, les poteries, les armes ct une culture supposée assez avancée, la preuve que ces populations auraient eu des lois, des coutumes et une re- ligion. Maintenant, quelle peut être l'ancienneté relative de ces nombreux travaux ? sont-ils tous contemporains ? ou bien pour- rait-on y découvrir une certaine succession? tous ces monu- ments, qui oceupent de si vastes surfaces, sont-ils l'œuvre d'une seule race; sont-ils le résultat d’une seule pensée, d'une OUVRAGES EN TERRE DE L'AMÉRIQUE DU NORD. 459 seule impulsion, d’une seule coutume? A cet égard, les au- teurs ne nous paraissent pas concevoir le moindre doute ; ils sont pour l’aflirmative. Cependant il sera permis, à la distance où nous sommes des lieux et des temps, de ne pas avoir une certitude aussi com- plète, si l'on songe surtout qu'à l’époque des recherches de MM. Squier et Davis, l’idée, qu'il y avait eu une certaine suc- cession dans les peuplades qui avaient habité un pays avant toute tradition historique, n'était pas encore répandue parmi les archéologues. Lorsque l'on compare les produits de l’industrie humaine dans cette partie du monde, on reconnaît. qu'il y en a qui sont certainement plus récents que d’autres, et les po- teries à contours réguliers ornées de dessins symétriques ne peuvent pas provenir du premier état sauvage de ces popula- tions. Il faut que la civilisation, quelque imparfaite qu’elle ait été, qui a tracé et construit ces travaux dont les formes sont séométriquement exactes, ait été précédée d'un état beaucoup plus barbare où n’existaient encore aucune des notions néces- saires pour les exécuter. Nous sommes donc porté à regarder les populations qui occupaient alors le bassin du Mississipi comme étant déjà loin de l'homme primitif, 6u bien il y aurait dans les divers faits observés une succession ou une chrono- logie qui n’a été ni distinguée ni caractérisée. Il faut remarquer, d’un autre côté, que, malgré tout ce dé- veloppement de force, d'industrie, d'intelligence appliquée et de civilisation supposée par MM. Squier et Davis, on ne voit encore cités, parmi les objets trouvés dans ces ouvrages si nombreux et dont plusieurs des plus remarquables ont été fouillés en tout sens, aucune médaille, aucune monnaie de métal, aucune inscription sur la pierre, symbolique ou autre, aucune manifestation de la pensée traduite paï des signes quelconques et transmise de générations en générations. Bien plus, on ne mentionne pas de restes caractérisés des habitations de ces peuples ; aucune des constructions qui les abritaient n'a survécu, n’a résisté à l’action du temps; on ne signale pas une pierre, pas une brique, pas un morceau de bois qui provienne Moyens d'évaluer leur ancienneté, 460 OUVRAGES EN TERRE DE L'AMÉRIQUE DU NORD. évidemment de leurs maisons, dont la forme, les dimensions, les caractères et les matériaux nous sont complétement incon- nus. Ainsi, rien n’est resté pour nous guider à cet égard dans la profondeur des temps où vivaient ces peuplades, dont tout ce qui pouvait se détruire a disparu. Non-seulement l’histoire est muette envers eux comme pour les établissements de l'Europe, mais encore les données ar- chéologiques, comme on le voit, ne peuvent nous fournir, jus- qu'à présent du moins, de chronomètre de quelque valeur. De ce que ces travaux et les divers objets qu'on y a trouvés sem- blent indiquer une civilisation plus avancée que celle qui a construit les habitations lacustres de la Suisse et accumulé les Kjôkkenmüddings du Danemark, ce n'est point, comme on l’a dit, un motif suffisant pour les rapporter à une époque moins ancienne. Cherchons donc si, par l'examen des phénomènes naturels, il ne serait pas possible de suppléer au silence des traditions et à l'absence de tout document écrit, MM. Squier et Davis font remarquer qu'aucun des anciens monuments dont on vient de parler ne se trouve sur la terrasse la plus récente des diverses vallées du bassin de l'Ohio, et si les terrasses marquent l'abaissement successif du niveau des rivières, celle-ci, qui est la quatrième, s'est formée depuis que ces cours d'eau suivent leur lit actuel, Or on ne voit pas pour- quoi les habitants n'auraient pas construit ces ouvrages sur cette dernière aussi bien que sur les trois autres, et, s’il y en avait eu, pourquoi on n'en retrouverait pas les traces. Si l'on suppose, par exemple, que la terrasse inférieure de la rivière Scioto ait été formée depuis l'âge des monuments en terre, on peut admettre que le pouvoir d’excavation des rivières de l’ouest diminue dans le temps à mesure que le pays envi- ronnant s'approche davantage du niveau général. Sur le Mis- sissipi inférieur, où seulement les anciens travaux sont quel- quefois envahis par l’eau, le lit du torrent s'élève par les sédi- ments apportés des régions supérieures, où l'excavation se produit. Cette puissance d’érosion est d’ailleurs inverse du carré OUVRAGES EN TERRE DE L'AMÉRIQUE DU NORD. 46) de la profondeur, c'est-à-dire qu’elle diminue comme le carré de la profondeur s'accroît; par conséquent la dernière terrasse, due à l'action des mêmès causes, doit avoir exigé pour sa for- mation, toutes choses égales d’ailleurs, plus de temps que cha- eune des trois autres. Ainsi le temps depuis lequel les rivières suivent leurs directions actuelles semble pouvoir être divisé en autant de périodes qu'il y a de terrasses. Ces périodes auraient été d’inégales longueurs, et la dernière, celle que l'on suppose formée depuis que vivaient les populations qui ont construit les ouvrages en terre, est aujourd’hui la plus basse, et ferait remonter ces constructions à une haute antiquité, si l'on en juge par la marche actuelle des choses. Mais un fait d'où l’on peut tirer peut-être une conclusion plus directe, c'est que ces travaux sont aujourd’hui reconverts de forêts qu'il est impossible de distinguer dé celles qui les entourent, sur des points où il n’est pas probable -qu’aucun dé- {richement ait été fait, et qui ont par conséquent tous les ca- ractères des forêts que l'on peut supposer être primitives, comme si la nature s'était plu à voiler elle-même toutes les traces de ces peuples sans nom. Ici nous ne trouvons rien de comparable à ces flores fores- tières qui, dans le nord de l’Europe, succédant à l'âge de pierre, semblaient y accompagner chaque âge des premières civilisa- tions humaines. En Amérique, la nature reste uniforme : les arbres des forêts se succèdent sans modifier leurs essences; ceux qui recouvrent les travaux des hommes ne diffèrent point de ceux qui les avaient précédés; l'apparition de ces races per- dues n’a été qu'un accident momentané après lequel la même végétation a repris tout son empire. Quelques-uns des arbres de ces forêts qui couvrent les mo- numents ont une ancienneté certaine de 600 à 800 ans, et si l’on accorde un temps convenable pour le développement gé- néral de ces mêmes forêts, après que ces ouvrages eurent été abandonnés par ceux qui les avaient élevés, et pour la période sans doute fort longue qui a dü s’écouler entre cet abandon et la date de leur construction, nous nous trouvons reportés en- : 50 462 RÉFLEXIONS GÉNÉRALES core, comme par l'autre moyen d’ évaluation, à à une très-grande ancienneté. Non-seulement les forêts qui ont saccédé à ces populations sur les lieux mêmes qu'elles occupaient présentent les mêmes essences d'arbres que celles qui n'ont jamais été exploitées, mais encore cés essences y sont exactement dans les mêmes proportions et offrent le mème aspect tout à fait primitif, eir- constance qui avait vivement frappé le président Harrison. Lorsqu'une surface de pays a été défrichée, puis abandonnée de nouveau à elle-même, on a calculé qu'il fallait au moins emq siècles pour que l'état de la forêt füt rétabli, et lorsqu'on ob- serve l'aspect actuel de celles qui recouvrent les monuments en terre, on reste convaincu qu'il a fallu plusieurs de ces périodes de cpq siècles pour imprimer à ces forêts comparativement nouvelles tous:les caractères des anciennes. Enfin, MM. Squier ct Davis pensent qu'il devait y avoir des communications entre les diverses parties de la vallée du Mis- sissipi, puisqu'on trouve à la fois dans les mêmes tumulus le cuivre natif du lac Supérieur, le mica des Alléghanies, les coquilles marines du golfe du Mexique et l'obsidienne des massifs ignés des régions montagneuses. de ce dernier pays. I n'y aurait point eu alors, comme quelques auteurs l'ont sup- posé, de migrations de ces peuples soit au N., soit au S. (4). $ 6. Réflexions générales sur l'ancienneté de l'homme. Les détails que nous avons rapportés relativement aux restes des premières populations de l'ancien et du nouveau monde avaient pour but de nous faire remonter aussi loin que possible dans la période actuelle, afin de nous rapprocher de celle qui l’a immédiatement précédée; mais nous devons faire remarquer que les régions dont nous nous sommes occupé ne sont précisé- (1) Voyez aussi : Ab original monuments of the state of New-York, par M. E. G. Squier (Smithsonian contributions, vol. H, 1851). Fe SUR L'ANCIENNETÉ DE L'HOMME. 163 ment pas celles qui pouvaient être regardées, avec le plus de pro- babilité, comme ayant été le berceau de l'humanité. Pour nous éclairer à cet égard, il faudrait posséder, sur les diverses parties de l'Asie qui ont été le théâtre des plus anciennes civilisations, des doeuments analogues à ceux dont nous venons de parler, car ces civilisations pourraient fort bien être contemporaines de l'âge de pierre du nord et du centre de l'Europe, comme les populations sauvages de l'Amérique centrale, de la Polynésie et de l'Australie le sont de notre civilisation moderne. Les plus anciens monuments de l'Inde et de l'Asie orientale, dus à des nations dont les noms sont restés mconnus, sont les preuves d'un art déjà très-avancé et témoignent d'une longue application de l'intelligence, aussi bien que les caractères gravés sur la pierre, destinés à reproduire et à transmettre la pensée. Or c'est dans ces pays surtout qu'il serait curieux de retrouver des traces de l'existence de l’homme, antérieures à tous ces produits de la civilisation, qui sont pour nous la limite extrême de l’his- toire, des traces d'un âge de pierre qui pourrait avoir précédé de beaucoup l’âge de pierre des nations primitives de l’Europe et du nord de l'Amérique, enfin, de constater leurs relations avec les dépôts quaternaires de ces mêmes pays supposés avoir vu naître l’homme ; là peut-être trouverait-on la solution du pro- blème que nous cherchons”? Ainsi les grottes grossièrement creusées sur les flancs des collines de la vallée de Cachemire, les temples souterrains d'Ellore, de Salsette et d'Elephanta (1},avec leurs myriades de figures et de statues sculptées dans la roche, l'antique cité de Mavalipouram, en face de Ceylan, les has-reliefs taillés sur les parois des montagnes de la Perse et couverts d’inscrip- tions cunéiformes , les splendides et bizarres constructions de Khorsabad, de Persépolis, de Pasargade et de Babylone, les temples excavés dans le grès d'Ipsamboul, en Nubie (2), ces innombrables et prodigieux monuments de l'Égypte , (1) Hist. des progrès de la géologie, vol. WE, p. 509. (2) 1b. vol. V, p. 427. 464 RÉFLEXIONS GÉNÉRALES qui nous paraissent si anciens, étaient probablement aussi éloi- gnés eux-mêmes des premiers établissements de l’homme en Asie eten Afrique, d'un âge de pierre réellement primitif dans ces régions, que le Parthénon, Saint-Pierre de Rome et le Louvre 6 éloignés des Kjckkeinol al du Danemark, des habitations läcustres de la Suisse, ete. L'étude de l’Asie sous ce point de vue doit douc être ue grand desideratum de la géologie et de l'archéologie. Déjà les jetbibr: ches récentes de M, de Filippi (4), qui était attaché en qualité de: savant à l'ambassade envoyée en Perse par le gouvernement italien, ont fait connaître dans la vallée de l'Abhar des dépôts fort anciens renfermant, à divers niveaux, des restes de charbon végétal, des os ct des fragments de poteries en pâte noirè très- grossière, Les Tepés, ou monticules coniques, isolés, composés de matériaux incohérents, renferment les mêmes traces d’in- dustrie primitive, de beaucoup antérieures sans doute à la fon- dation de Ninive et de Babylone. D'un autre côté, l'interpréta- tion. des caractères cunéiformes , déjà si avancée, ne peut manquer, si l’on parvient à recueillir tout ce que le temps a épargné, d'apporter aussi quelques éclaireissements sur les commencements de ces nations, dont nous ne connaissons en- core que très-imparfaitement les temps de prospérité et d'éclat. La simultanéité des civilisations n’existant pas, nous pouvons seulement penser qu'il y a toute probabilité pour que l'établis- sement des premiers homnres ait commencé en Asie, où se montrent aussi les restes des civilisations les plus anciennes ; mais une remarque qui s'applique à tous ces premiers établisse- ments connus, c'est la rareté des débris humains comparés à l'abondance de ceux des animaux qui ont servi de nourriture à ces peuplades. Ces ossements, pour la conservation desquels les habitants ne prenaient certainement aucun soin, se trouvent par milliers, et ceux de l’homme lui-même, lorsqu'on fouille la terre, ne présentent que quelques spécimens incomplets. (1) Acad. r. des sciences ile Turin, 14 déc. 1862. — De Mortiliet, Revue scientifique italienne, 1° année, p. 178; 1865. 1 SUR L'ANCIENNETÉ DE L'HOMME. 465 Un autre résultat de ces recherches sera de faire dispa- raître du langage ordinaire ces dénominations de celtiques, druidiques, etc., appliquées longtemps, dans l'ouest de l'Eu- rope, à des ouvrages et à des objets d'industrie, dont les noms des constructeurs ou des fabricants nous sont compléte- ment inconnus, puisqu'ils remontent à des temps antérieurs à toute tradition historique sur ces pays. Les peuples dont nous savons quelque chose ne sont déjà plus de l'âge de pierre, et beaucoup peut-être sont plus récents que l'âge de bronze, car nous ne possédons encore aucune notion ni sur le moment où ces diverses populations ont commencé à fixer leur pensée par des caractères ou signes représentatifs, ni sur ces caractères eux- mêmes; on ne connait que des systèmes paléographiques com- plets, et l’on ne sait ni quand ni comment chacun d'eux s'est formé dans l’origine, pas plus que les langues qu'ils traduisent. Nous pouvons donc, comme résultat de ce coup d'œil ra- pide sur ses premiers établissements dans quelques parties de la terre, entrevoir combien a été longue l'enfance de l'huma- nité, enfance que tant de peuples n’ont pas encore dépassée et ne dépasseront sans doute jamais, puisqu’un si grand nombre d'autres ont déjà disparu de la terre sans avoir atteint l’âge adulte. Combien de siècles ont dû s’écouler avant que les races prédestinées à y arriver soient parvenues à ce qui nous semble aujourd'hui si simplé, à transmettre leurs idées par des signes? Les traces matérielles de l’industrie naissante de l’homme, la marche si lente et presque incommensurable de ses progrès à travers tant de générations qui se sont d’abord succédé, le dé- veloppement à peine sensible de son intelligence appliquée aux chosesles plus usuelles de la vie, et qui ne dépassait pas de beau- coup l'instinct de certains animaux, tandis que toute idée élevée sommeillait profondément, que toute application de cette idée à un but immatériel semblait être inconnue, sont sans doute, dans l’ordre intellectuel, un phénomène bien curieux. Que pouvaient faire présager ces premières manifestations de la pré- sence de l'homme, alors que les produits de ces facultés, qui plus tard devaient tenir du merveilleux, étaient loin d'atteindre 466 RÉFLEXIONS GÉNÉRALES . l'alvéole d’une abeille, l'élégant tissu d'un arachnide et l'habi- tation d'un castor. Comment la perfectibilité, cet apanage ex- clusif de certaines races, et dont tant d’autres devaient êtretà Jjainais déshéritées, pouxait-elle ètre soupçonnée? | Aussi, comme nous l’avons dit en commençant, dans l'ordre physique de la nature, l'apparition de l’homme ne fut marquée par aucune circonstance particulière. Ses premières générations durent vivre entourées des animaux que nous voyons encore aujourd'hui, et sans apporter parmi eux d'autres changements que ceux qu’exigeait la nécessité de vivre, de se nourrir, de se vêtir et de s’abriter. Rien ne dénotait encore chez lui cette suprématie qu'il a successivement acquise par un phénomène psychologique tout particulier, et dont les diverses phases ne semblent pas avoir beaucoup fixé l'attention des philosophes qui ont toujours considéré l'homme comme sil avait été créé contemporain de Périclès ou d’Auguste, Combien de milliers d'années ont dû se passer avant l'inven- tion de Péeriture, et si l'on songe que ses signes diffèrent, presque comme les langues, ehez les diverses nations, il a fallu que ce moyen de transmettre et de perpétuer la pensée se produisit indépendamment chez un certain nombre d’entre elles, et par conséquent sans que les progrès de l'une pussent toujours servir à d’autres! Que de siècles n'a-t-1l pas fallu ensuite pour qu'à l'idée de succession du temps on ait joint le moyen’ delle mesurer, d'en exprimer la durée, de l'appliquer aux choses de Ja vie et de la transmettre d’une manière intelligible et durable aux générations futures! Les premiers éléments de la mesure du temps, déduits de Pobservation du cours des astres, sup- posent déjà des études suivies, multipliées, un esprit d’observa- lion et de combinaison dont nous n’apercevons aucune trace, dans les monumentS de l’âge de pierre et de bronze. Toute l'antiquité, telle que nous la connaissons, ‘avec ce qu’elle nous à transmis de science, d'art, de littérature; de philosophie, de politique et de dogmes religieux, est done rela- tivement très-moderne et c’est ce dont il faut bien que se per- suadent les philologues les plus érudits et les archéologues les - _— SUR L'ANCIENNETÉ DE L'HOMME. . 467 plus versés dans la connaissance des monuments de ses di- verses civilisations. Les dernières découvertes prouveraient seulement que la représentation, surtout des animaux, par le dessin est anté- rieure à celle de la parole par des caractères d'écriture et que - l'homme à reproduit et transmis les objets qu'il voyait avant ses propres idées. | Mais peut-être, demandera-t-on, ‘la création est-elle finie parce que l’homme est arrivé? Les lois qui ont régi sur la terre l'apparition et la succession des corps organisés depuis la pre- mière flore et la première faune ne sont-elles plus aujourd’hui que des lois de conservation? La nature; si féconde jusqu'ici, a-t-elle épuisé toutes ses combinaisons de formes, d'organes et de fonctions? Le Chêne de nos forêts, le Cèdre du Liban, le Baobab du Sénégal, le Dragonnier des Canaries, le Séquaïa de la Californie, les Cyprès d'Oaxaca et les Encalyptus de l'Australie seraient-ils le dernier terme de sa puissance créatrice pour le, règne végétal, et l’homme aurait-il été destiné à marquer la limite extrême de son pouvoir dans l'autre règne, de manière à ne plus laisser d'intervalle à remplir entre lui et le Créateur”? L'observation directe ne peut encore répondre à aucune de ces questions. Mais l'induction d’une part, comme nous l'avons déjà dit, et de l’autre un regard jeté sur le passé de la terre pourrait nous faire entrevoir que la création n’est pas finie. Le tableau de l’état actuel de notre planète n'est pro- bablement pas le dernier qu'éclairera notre soleil, tant que son action d'où dépendent aujourd'hui tous les phénomènes biolo - giues conservera les propriétés qui les produisent. Mais si, comme tout semble le prouver, la terre a été succes- sivement à l'état gazeux, de fluidité ignée et enfin solide par suite de ‘son refroidissement graduel, le soleil, s’il a la même origine et la même composition que les planètes qui se meuvent autour de lui, subira nécessairement aussi les mêmes phases de refroidissement. C’est donc une simple question de masse et de temps ; et lorsque, à son tour, il sera devenu un soleil _encroûté, tout notre système n’en continuera pas moins de 168 RÉFLEXIONS GÉNÉRALES se mouvoir suivant les lois de la mécanique céleste , dans un millen qui ne sera plus éclairé et échauffé que par le rayonnement stellaire. La vie alors sera depuis longtemps éleinte à la surface de la terre, sans lumière et sans chaleur, sans phénomènes météorologiques et sanssaisons, etla création, comme sur les autres corps de notre système, y aura parcouru son vaste cycle dans l'immensité des temps. SUR L'ANCIENNETÉ DE L'HOUME. 469 Appendice. Nous reproduirons ici une observation omise par inadver- tance (antè, p. 444) et qui a un véritable intérêt pour la chro- nologie des premiers établissements de l’homme en Suisse. Le cône de déjection torrentiel, formé par la Tinière, à son embouchure dans le lac de Genève, à Villeneuve, ayant été coupé transversalement par les travaux du chemin de fer, a montré, dit M. Morlot (1), intercalée dans les alluvions du tor- rent et à 1,29 de profondeur, une couche représentant un ancien terreau de l'époque romaine. A 3°,25 une seconde couche correspondait à l’âge de bronze, et à 6°,90 une troi- sième, de même nature, à l'âge de pierre. En combinant les diverses circonstances qui accompagnent ces faits eten admet- tant une latitude très-grande soit en plus, soit en moins, on arrive à.trouver une ancienneté de 29 siècles au moins et de 42 au plus pour la seconde couche, de 47 à 70 siècles pour la troisième, et un laps de 74 à 100 siècles pour l’âge total du cône depuis qu'il a commencé à se former, évaluation qui serait plutôt au-dessous qu'au-dessus de la probabilité. Chacun de ces anciens sols ne représente pas d’ailleurs la durée totale de chacun des âges correspondants, mais seulement une portion Cône de déjection de la Tinière. quelconque de chacun d'eux. Ainsi la couche de 3°,25, d’après. les objets d'industrie humaine qu’elle a fournis, appartiendrait plutôt à la fin qu’au commencement de l’âge de bronze. Les données historiques les plus anciennes, en Europe, ne remontent guère au delà de l’âge de fer . (1) Bull. de la Soc. géol. de France, 2 série, vol. XVII, p. 829; 1869 - Définitions. CHAPITRE IX DE LA FOSSILISATION Introduction. Nous désignerons sous le nom de fossilisation les diverses modifications que les restes de corps organisés ont éprouvées pendant leur séjour dans les couches de la terre. Ces modifi- cations sont fréquentes, nombreusés, et de nature très-variée, quelquefois même si profondes que les caractères des corps, complétement oblitérés, ont donné lieu aux plus singulières méprises de la part de zoologistes éminents. L'examen de ces changements est d'autant plus nécessaire ici qu'ils n'ont été l'objet d'aucune étude suivie de notre temps, et qu'il faut remonter jusqu'au grand ouvrage de Walch, publié il y a 88 ans, pour trouver un ensemble de recherches" réellement important sur ces innombrables transformations. Mais nos connaissances chimiques, beaucoup plus avancées aujourd'hui qu'elles ne l'étaient alors, nous permettront de nous rendre compte. de bon nombre de faits inexplicables pour le savant et consciencieux continuateur de Knorr (1). CELL LLLE Le mot fossile, dérivé de fossilis, mase. fém., et de fossile, n., désignait, suivant Pline, les corps que l’on tire de la terre en fouillant; les mots fossilia, fossilium, désignaient aussi; chez les Latins,les sels ou substances minérales qui se trouvent dans la terre. (1) Voy. anté, l° partie, p. 112. | FOSSILISATION. ATI Les anciens oryctognostes, et même encore des minéralo- gistes jusqu’au commencement de ce siècle, donnaient indis- tinctement le nom de fossile aux substances minérales ou inor- ganiques désignées plus particulièrement aujourd'hui sous le nom de minéraux, et aux restes organiques ou représentations de formes organiques extraits aussi de l'intérieur de la terre. Cependant, dès les premières années du dix-huitième siècle, plusieurs naturalistes avaient déjà restréint aux seuls débris de corps organisés cette dénomination, qui a fini par prévaloir, et aujourd'hui le mot fossile, employé seul et substantivement, ou comme adjectif joint à un substantif, exprime :soit les restes organiques eux-mêmes, soit leur représentation par des moules, .des empreintes et des contre-empreintes, ou enfin par la sub- stitution plus ou moins complète d’une nouvelle substance minérale à celle qui les constituait. primitivement. Ce dernier remplacement est particulièrement désigné par le mot pélrification, longtemps employé aussi comme syno- nyme de fossile, mais qui n’est applicable en réalité qu'à un assez petit nombre de corps d'origine organique, tandis que le mot fossile l’est à tous, quels que soient leur état, leur ancien- neté et les modifications qu'ils ont subies. Cette désignation gé- nérale, simple, commode et sans aucune ambiguïté, demande seulement à être précisée, lorsqu'on descend à un examen dé- taillé des corps, pour les bien’ décrire et les bien caractériser. : L'emploi de ce mot ne donne lieu qu’à une seule objection ; c’est celle-ci : Depuis combien de temps ou depuis quelle époque un corps organisé doit-il avoir’été enfoui dans la terre pour qu'on puisse le désigner comme fossile? Ou, en d'autres : termes, quelle devra être l'ancienneté d’un corps organisé pour être réputé tel ? Are . On comprend qu'il ne suffit pas que ce soit une espèce reconnue comme perdue ou éteinte, d’abord: parce que ce serait préjuger une question qui n'a point de rapport avec le sujet, son analogue à l'état vivant pouvant être re- trouvé d'un moment à l’autre, et ensuite parce que non- seulement dans l'époque quaternaire, mais encore dans les 472 INTRODUCTION. sédiments tertiaires, on admet généralement qu'il y a des espèces qui ne peuvent être séparées spécifiquement de celles qui vivent aujourd'hui. Restreindre le mot fossile à tous les corps organisés ou traces reconnaissables de corps organisés antérieurs à l'époque actuelle, et ne commencer à admettre l’état fossile qu'à partir de l’époque quaternaire qui l'a pré- cédée immédiatement, ce serait une sorte de pétition de prin- cipé, car la désignation de l'état du corps dépendrait de la détermination préalable de la couche où il aurait été trouvé, et il pourrait arriver que des restes organiques, regardés comme fossiles parce que les dépôts qui les renfermaient avaient été désignés comme quaternaires, cesseraient de l'être si l’on venait à constater que ceux-ci sont modernes, et vice versé. : Par ces considérations, nous pensons que tout en restrei- gnant, dans la pratique et le langage ordinaire, l'expression de fossile aux restes organiques antérieurs à l’époque actuelle, comme nous l'avons fait jusqu'ici et comme nous continuerons à le faire par la suite, on ne peut pas refuser d’une manière absolue d'y comprendre ceux du terrain moderne qui se trouvent actuellement dans des conditions plus ou moins comparables aux corps organisés des terrains plus anciens. Nous laissons donc la question dans cet état, nous bornant à cette explication pour préciser la manière dont nous l'envisagéons. C'est pour nous conformer à l'usage, qu’en traitant des corps organisés des dépôts modernes, nous nous sommes abstenu de leur appliquer le mot fossile, et que nous les avons toujours désignés comme nous l’eussions fait pour les animaux et les végétaux vivants. En effet, tous existent encore aujourd'hui, et rentrent par conséquent dans le domaine du zo0ologiste et du botaniste. Enfin, c’est aussi par ce motif que nous n'avons pas encore parlé des modifications que les corps organisés ont éprouvées, par suite de leur séjour plus ou moins long dans les couches de la terre, sujet important dont il nous reste à traiter pour terminer notre Introduction à l'étude de la paléontologie stra- tigraphique. FOSSILISATION. AT5 $ 1. Notions préliminaires. : Les corps organisés, quelles que soient leur composition et leur origine, à quelque classe qu'ils appartiennent, s’altèrent plus ou moins rapidement dès que la vie les a quittés et qu'ils restent exposés à l'action des agents atmosphériques, de Pair, de la lumière, de la chaleur et de l'humidité. Leurs éléments, l'hydrogène, l'oxygène, le carbone, l'azote et les substances terreuses qu'ils contiennent se séparent pour entrer dans de nouvelles combinaisons, ou bien retournent à l'atmosphère, à l'eau et à la terre. Telle est, comme nous avons déjà en occa- sion de le dire, la loi générale de la nature. Si donc des circonstances particulières n'étaient pas ve- nues soustraire à une destruction complète les produits ou une partie au moins des produits des divers âges, nous ne sau- rions rien ou du moins bien peu de chose de l'histoire de notre planète; nous ne serions probablement jamais arrivés à recon- struire, comme nous pouvons essayer de le faire aujourd'hui, le tableau des phénomènes physiques et biologiques dont sa surface a été le théâtre. Mais, par des moyens très-variés, la nature a pris soin en quelque sorte de nous conserver dans ses archives d'innombrables inscriptions qui portent leurs dates avec elles et qui parfois, comme les manuscrits palimpsestes, ont reçu l'empreinte d’une époque plus récente que celle à laquelle 1ls appartiennent réellement. Elles nous aident et nous guident dans la classification des faits; elles nous permettent de déterminer leur äge par les corps organisés ou par leurstraces seulement qui ont échappé à la destruction, ayant été ensevelis dans les sédiments marins ou lacustres de tous les temps. Ce sont précisément ces procédés, employés par la nature pour nous transmettre ainsi la représentation plus ou moins exacte des faunes et des flores successives, dont nous avons à nous oc- cuper actuellement. Altérations des corps organisés. ET FOSSILISATION. On vient de dire que le premier effet qui se manifeste après la cessation de la vie, c’est l’altération, la décomposition et la disparition des chairs, des organes, des téguments, et en général dé toutes les parties molles des animaux, auxquelles il faut joindre, après un temps un peu plus long, les parties cornées, de sorte qu'il ne reste, dans le plus grand nombre des eas, que les parties solides, ordinairement calcaires, soumises à la fos- silisation. Fossilisation. Maintenant cés parties, soit les os des vertébrés, soit le test ou les enveloppes des invertébrés qui en sont pourvus, par leur séjour dans la terre, perdent encore, au bout d'un temps plus ou moins long, la matière organique altérable comprise dans les mailles de leur tissu, dont les vides sont alors remplis par des infiltrations de la roche environnante, on apportées par des dissolutions caleaires, siliceuses, ferrugineuses, ete. De cette manière, les corps organisés, rendus d’abord plus légers et plus poreux par la disparition de la matière organique, de- viennent ensuite plus pesants, au contraire, par les sues lapi- difiques où métalliques qui l'ont remplacée. Il y a done eu, dans ce cas, substitution d'une matièré à une autre dans lés mailles d'un réseau osseux ou d'un test caleaire. Tel est un des premiers résultats généraux de la fossilisation. Moule, Lorsqu'on introduit avec soin une matière plastique ou.sus- ceptible de se mouler (argile, plâtre, cire, soufre, ete.) dans une cavité quelconque, elle en prend la forme exacte, et si l'on vient à briser ou à enlever avec précaution les parois de cette cavité, on obtient ce que l’on appelle un moule de cette même cavité, et qui en reproduit tous les accidents. De même, neus appellerons moule le résultat du remplissage du vide intérieur d'un corps organisé par une matière inorganique (argile, marne, calcaire, sable, silice, fer, etc.) qui s'y est solidifiée. Ce moule nous traduit alors non-seulement la forme ou les contours intérieurs du vide, mais souvent aussi ceux du corps de l'animal qui l’occupait et plusieurs de ses caractères essen- liels. Les moules sont, on le conçoit, formés le plus ordinaire- ment par la substance même de la roche environnante, mais ils NOTIONS PRÉLIMINAIRES. DE peuvent l'être aussi par l’infiltration de substances minérales étrangères. ; Lorsqu'on appose un cachet sur de la cire fondue, on obtient une empreinte qui représente exactement en relief les linéa- ments du cachet, qui sont en creux; si, au contraire, on rem- plaçait le cachet ordinaire par un camée en relief, on aurait une empreinte en creux de:cé même camée. Nous donnerons donc le nom d'empreinte aux traces qu'un corps organisé solide ou quelquefois mou aura laissées par le contact de sa surface extérieure sur-la matière plus où moins plastique qui l'entou- rait, laquelle nous offre ainsi les caractères et les accidents de cette surface, d'autant plus exactement qu'elle était plus propre à cette opération. DEHEES 0 Ainsi le moule) d'une part, et l'empreinte, de l’autre, nous permettent de juger de la plupart des caractères intérieurs et extérieurs d'un corps solide d’origine organique, et par consé- quent peuvent suppléer à l'absence ou à la disparition com- plète de ce corps lui-même. Si l'on conçoit maintenant que le test calcaire d’une coquille, par exemple, dont l'intéieur aura été rempli et moulé par la matière de la roche environnante et la surface extérieure re- produite par son empreinte sur cette même roche, vienne à être dissous par quelque acide ou tout autre agent naturel, 1l se trouvera entre le moule et empreinte extérieure un vide à la place du test. Si l'on suppose alors que ce vide soit rempli par linfiltration d’une substance différente de la premicre, siliceuse, par exemple, celle-ci, lorsqu'elle sera consolidée, représentera exactement la surface intérieure et extérieure du test qu’elle remplace. C’est ce que nous appellerons alors une contre-emypreinte. Par cette substitution, la contre-empreinte diffère du corps dont elle occupe la place non-seulement par sa nature minéra- logique, mais encore par l'absence de tout caractère organique dans sa structure mtérieure. Aucune trace de tissus, de fibres, de pores, ete, n'a été reproduite. Ce résultat de fossilisation, que nous désignons plus particulièrement sous le nom de Empreinte. Contre- empreinte double, Contre- empreinte simple. Moules el empreintes de coquilles perforantes. 476 FOSSILISATION. contre-empreinte double, parce qu'elle reproduit à la fois les caractères intérieurs et extérieurs du test, est assez rare à cause de la complexité des opérations successives qu’elle exige. Le sui- vant, que nous désignerons par l'expression de contre-empreinte simple, est plus fréquent. Si le moule intérieur de la coquille que nous avons prise pour exemple n'existait pas préalablement, que celle-ci fût restée vide, et que la roche environnante eût seulement reçu l’em- preinte de sa surface extérieure, la coquille venant à être dis- soute, la matière qui la remplacera occupera le vide même in- térieur de celle-ci, et donnera par le moulage la représentation de la surface extérieure ou la contre-empreinte de cettesurface. De cette manière, le moule intérieur et la contre-empreinte extérieure ne feront qu'un, et les caractères de l'intérieur ne sont point reproduits, Les contre-emprémtes simples ou doubles, résultant de plusieurs opérations successives, on con- çoit qu'elles sont moins fréquentes dans la nature que les moules et les empreintes qui n'en exigent qu'une. | L'empreinte et la contre-empreinte peuvent, dans un grand nombre de cas, servir à caractérisef une espèce ; mais il n’en est pas toujours de méme des moules, qui ne traduisent souvent que le genre, et même d'une manière très-insuffisante, comme dans beaucoup de mollusques gastéropodes, tandis que dans les acéphales, les céphalopodes, les radiaires échinides, ete., les moules complets sont assez caractérisés. Le moulage des coquilles perforantes et de leurs cavités a lieu dans des circonstances particulières, dont les résultats méritent de nous arrêter un instant, et que nous exposerons d'après les observations que M. P. Fischer a bien voulu faire à notre intention. Beaucoup de coquilles bivalves (Gastrochènes, Pholades, Lithodomes, ete.) creusent, dans diverses roches, dans les masses madréporiques, des trous de formes caractéristiques. Quels que soient la disposition, les accidents et l'ornementa- tion du test des coquilles, les parois du trou ne les reprodui- sent pas et sont généralement lisses, de sorte que son moulage NOTIONS PRÉLIMINAIRES. 417 donne un corps claviforme, dont la partie renflée correspond au côté buccal de ka coquille, et la partie atténuée, souvent sub- bilobée, à l'espace dans lequel se trouvaient les siphons. La forme constante du moule de la cavité prouve ainsi que la co- quille pouvait s'y mouvoir avec une certaine liberté. Les moules des trous sont cependant modifiés à leur surface suivant les caractères de-la roche perforée. Si, par exemple, celle-ei est un polypier, on pourra compter sur le moule ses lamelles qui se traduisent par des saillies caractéristiques: Tels sont les moules des trous de Lithodomes des calcaires blancs de la Guadeloupe, ceux du Lithodomus amygdaloides, d’Orb., des couches néccomiennes inférieures de la Haute- Marne, du L. lithophagus, Cuv., du terrain tertiaire moyen de. la Cilicie, à la surface desquels on reconnait des empreintes d’'Heliastræa, etc. Les moules des Lithodomes sont souvent fort allongés, et quel- quefois atlénués à l'extrémité antérieure. Lorsque lantmal s’est enfoncé profondément dans la roche, l'extrémité supé- rieure de Pexcavation qui correspond aux siphons produit un moule en forme d’appendice étroit et très-prolongé. Si, après l'opération du moulage, les parois de la roche perforée vien- nent à disparaitre, 1l ne reste plus que les moules des trous constituant alors des séries ou des agglomérations de corps en massue sans aucune trace extérieure d'organisation. Les cal- caires néocomiens avec Lithodomes d'Amance (Aube), les cal- caires avec Pholas Cornueliana, d'Orb., des Crouttes (Aube) en offrent des exemples. Le plus ordinairement, lorsque l'animal à creusé son trou dans du bois, il ne reste que la partie extérieure de celui-ci, celle qui comprenait les siphons, et les moules isolés des trous apparaissent comme de petites massues. La Pholas subcylin- drica, d'Orb., du gault de Novion (Ardennes) en offre un exem- ple. Le moulage du trou a produit de petites masses amygda- liformes, pressées les unes contre [esautres, lisses, creuses, ta- pissées de fer sulfuré jaune, substance qui a aussi pénétré dans la masse du bois. = 91 478 FOSSILISATION. Lorsqu'on casse avec précaution le moule d'un trou de Li- thodome ou de Gastrochène, on reconnait.que ce corps n’est pas simple, comme on l'aurait cru au premier abord. Il se compose, en allant du centre à la périphérie : 1° du moule pro- prement dit de la coquille perforante (Lithodome, Saxicave, Gastrochène, etc.) ou de sa cavité intérieure ; 2° d’un espace vide représentant le test disparu ; 5° d'une enveloppe caleaire fermée de toutes parts, dont la surface externe reproduit les aspérités de la paroi du trou exécuté par le mollusque, et l'in- terne, l'empreinte de la surface extérieure de la coquille elle- mème. En un mot, les corps amygdaloïdes ou elaviformes, que l'on rencontre souvent dans les roches, ne sont que des moules de coquilles lithophages, enveloppés d'une sorte de géode qui n’est, à son tour, que le moule de l’espace compris entre la coquille et la paroi du trou qu'elle a creusé; aussi, lorsque le test qui a disparu était assez épais, on voit le moule flotter dans la géode. Les mollusques tubicoles, tels que les Clavagelles, les Tarets, les Fistulanes, etc., offrent aussi le moule de l’excavation ou du tube occupé par l'animal; mais dans sa partie renflée ce moule est terminé par le moulage de la cavité ou face interne des valves elles-mêmes. Il arrive souvent encore que les coquilles de Taret ont disparu ou sont comme prises dans la substance du moule, et l'on n'a plus alors qu'un corps allongé, cylindrique, terminé en massue, représentant exactement le moule de la cavité faite par l'animal. Ainsi, à la surface des boissilicifiés en partie, des environs de Thouars, on remarque un grand nombre de trous peu profonds, occupés par la Pholas thoarcensis, d'Orb., à l’état de moules en calcédoine, tandis qu'à l’intérieur de ces mêmes bois se trouvent de longs cylindres calcédonieux, plus ou moins vides au dedans, formés par le moulage en silice des galeries qu'ont creusées les Tarets (Teredo antiquatus, d'Orb.) Les bois fossiles du gault de Machéroménil (Ardennes), pé- nétrés par du fer sulfuré, montrent à leur surface de petits trous, nombreux par places, ressemblant à ceux des Vioa et des de tee di ms fe sp les Où NOTIONS PRÉLIMINAIRES. 419 Cliona sur les coquilles, mais dont une coupe permet de re- connaître l'origine. Ce sont des cylindres flexueux, dus au moulage des trous de jeunes Tarets. Maintenant, toutes les fois que, par un de ces résultats de la fossilisation, on arrive à constater dans une roche l'ancienne existence d'un corps organisé qui ne s’y trouve plus en réa- lité, le moule, l'empreinte ou la contre-empreinte auront, aux veux de l'observateur, une valeur presque égale à celle du corps lui-même, et d'autant plus grande que les caractères de ce dernier seront mieux représentés. On pourra, par suite, en déduire les mêmes conclusions paléontologiques ; aussi, dans la géologie pratique, l'étude de ces traces de corps organisés a-t- elle pris une grande extension, et cela d'autant plus qu’il y a des formations entières où la plupart des fossiles ne se trouvent qu'à cet état, et d'autres où, comme le calcaire grossier du bassin de la Seine, sur certains points, tous sont conservés, tandis qu'ailleurs le test a complétement disparu, et qu'il faut pouyoir comparer ceux-ci avec ceux-là. Uuhte des résultats de la fossilisation. Pendant longtemps on a donné le nom de pétrifications aux Pétriication. corps organisés enfouis dans les couches de la terre, ainsi qu'aux résultats des diverses opérations naturelles qui les re- présentent et dont nous venons de parler ; aujourd’hui, cette expression est beaucoup plus restreinte et doit être exclusive- ment réservée aux corps, dont la substance première ayant été, par suite d'un procédé encore peu connu, remplacée molécule à molécule par une autre substance, présentent, après celte substitution, tout ou partie des caractères organi- ques qu'ils offraient auparavant. Ce phénomène se produit surtout dans les végétaux ligneux, les bois monocotylédones ou dicotylédones, et dans la classe des spongiaires ou amor- phozoaires, comme nous le dirons plus loin. On a aussi, par un autre abus de mot, donné le nom de - pétrifications à des corps organisés ou autres encroüûtés ou re- “vêtus d’une ou plusieurs couches de dépôt calcaire, lorsque ces corps sont plongés dans des eaux qui laissent déposer du carboriate de chaux, comme celles de la fontaine de Saint-Alyre, Ificrustation, Substances minérales terreuses. 480 SUBSTANCES MINÉRALES FOSSILISANTES. près de Clermont, de Saint-Philippe, en Toscane, de Tivoli, de Carlsbad, etc. Les substances incrustantes sont particulièrement le carbo- nate de chaux et la silice; le premier, soluble dans Peau par un excès d'acide carbonique, se dépose sur les corps environ- nants dès qu'en arrivant au contact de l'air l'excès peut se déga- ver. Cet effet est le même que celui qui produit les stalagmites et les stalactites des groîtes, des cavernes et des fentes dans les roches. Les nombreuses valves d'Unio, qu'on retire avec les sables du lit de la Seine, sont encroûtées de carbonate de chaux impur en couches minces nombreuses et sous lesquelles dis-. parait quelquefois tout à fait la forme de la coquille. Des disso- lutions de fer sulfuré, de fer hydraté, de cuivre ou de toute autre substance peuvent, on le conçoit, occasionner des en- croûlements semblables. Ainsi, comme nous le disions en commençant, le mot fossile comprendra pour nous non-seulement les corps organisés eux- mêmes, animaux et végétaux rencontrés dans les divers ter- rains, mais encore les moules, les empreintes, les contre-em- preintes et les pétrifications proprement dites auxquels ils auront donné lieu. S 2. Substances minérales fossilisantes. La conservation d'un corps organisé dépend de sa composi- tion chimique, de son plus ou moins de solidité, de la nature du milieu qui l'entourait lors de son enfouissément et des eir- constances qui ont succédé à celui-ci, c'est-à-dire de causes très-diverses, dont les unes peuvent être appréciées avec certi- tude, les autres seulement soupçonnées; d'où 1l résulte que le degré d'altération ou la quantité de matière animale disparue - des parties solides qui ont persisté n’est nullement en rapport avec l’âge de la roche qui les renferme. Un os d'Éléphant quaternaire peut rentermer moins de matière animale qu'un SUBSTANCES MINÉRALES FOSSILISANTES. 481 Paléothérium de Montmartre ou qu'un Ichthyosaure du lias. Le résultat dépend uniquement des conditions extérieures et non du temps. Les dépôts Les plus récents nous offrent, comme les plus anciens, des moules, des empreintes et des contre-em- preintes de corps organisés. Lorsque le vide laissé dans un test calcaire par la destruction des parties molles de l'animal a été rempli par l'introduction d'un sédiment sableux, marneux ou argileux, renfermant lui- même une plus ou moins grande quantité de chaux carbonatée, ce test devient plus compacte et plus pesant. Si le remplissage n'a pas eu lieu, si la matière animale dissoute n'a pas été remplacée par l'infiltration d'une substance minérale, le corps est au contraire devenu plus léger, poreux, et le carbonate de -chaux qui le constitue est plutôt terreux que compacte. C’est ce que l’on observe dans certains sables siliceux, tels que ceux des environs d'Étampes, où les fossiles, très-fragiles, tombent en poussière au moindre contact, ceux de la montagne de Cassel, ceux de la glauconie inférieure des environs de Beau- vais, ete. Dans d’autres cas, au contraire, comme pour les sables moyens des bords de la Marne et du département de l'Oise, les fossiles, souvent roulés, ont conservé une grande solidité. Outre que la chaux carbonatée peut s’infiltrer dans les pores des corps organisés solides, elle se présente dans les fossiles à à l’état de pureté et cristallisée, et nous désignerons sous le nom de spathification le phénomène général par suite duquel les parties calcaires qu'a secrétées un animal quelconque sont passées à l'état cristallin ou de chaux carbonatée spathique. Cette disposition dans l'arrangement des molécules peut être naturelle et normale ou bien accidentelle et adventive. Or il n'est pas indifférent, lorsqu'on trouve un fragment de carbo- nate de chaux provenant d’un corps organisé qui serait indé- terminable à cause de son mauvais état, de pouvoir reconnaître par les caractères mêmes de sa texture à quelle classe de corps et quelquefois même à quel genre il a pu appartenir. Chaux carhonatée Spathilication La spathification naturelle est celle qui résulte et qui est la Spathifcation conséquence de la nature et de l’organisation même de la ma- naturelle. 482 SUBSTANCES MINÉRALES FOSSILISANTES. tière telle qu’elle a été sécrétée par l’animal, c’est-à-dire que, d'après l’arrangement de ses molécules durant la vie, elle a dû cristalliser après la mort d’une manière fixe et en quelque sorte prédéterminée, à moins de circonstances tout à fait ex- ceptionnelles. Sous ce rapport, nous trouvons dans deux classes d'animaux distinctes deux modes de spathification:; l’un est commun à tous les produits calcaires de la première de ces classes, l’autre ne se présente que dans certains genres de la seconde. Chez tous les animaux de la classe des radiaires échinides, stellérides et crinoïdes qui présentent des parties calcaires so- lides, celles-ci, lorsqu'elles sont fossiles, offrent constamment dans leur cassure des divisions géométriques réguhières suivant les plans du rhomboèdre primitif de la chaux carbonatée; à l’état vivant, ces mêmes corps, beaucoup plus légers, offrent au contraire une texture poreuse, excessivement fine, assez semblable à celle de la moelle de sureau très-comprimée. Dans tous les corps qui ont été rapprochés de l'os de la Sèche et qui sans doule ont appartenu à des mollusques céphalopodes très-voisins, dans les Bélemnites du terrain secondaire, la spa- thification est toujours fibreuse et rayonnée. L'examen compa- ratif de l’os de la Sèche, et surtout de son rostre, celui des * corps fossiles désignés sous les noms de Béloptères et de Belo- sepia, pris dans un certain état de conservation ou d’altération qui permet d'en apprécier la structure, démontrent leur analogie et fait voir que leur passage à l’état spathique ou cristallin ne pouvait pas se faire autrement; la disposition organique des fibres conduisait nécessairement à la structure qui caractérise aujourd'hui ces corps. On sait qu’indépendamment de la structure fibreuse rayonnée résultant de la spathification d'un test originairement celluleux et fibreux, certaines coquilles présentent ce caractère du vivant même de l'animal, et le conservent intégralement à l'état fossile. . Telle est la partie externe des coquilles du genre Pinna connues vulgairement sous le nom de Jambonneaux, si abondantes dans la Méditerranée, et que lon retrouve dans les dépôts tertiaires Pam -Sét SUBSTANCES MINÉRALES FOSSILISANTES. 483 et secondaires. Tels sont à l’état fossile les Pinnigena de la formation jurassique et les Inocérames crétacés. La spathification accidentelle esi due à des circonstances ex- térieures et indépendantes de la structure originaire du corps. On peut s’en rendre compte en supposant, soit que la matière calcaire aura été favorisée dans le nouvel arrangement de ses molécules par quelque action électro-chimique, soit que, préa- lablement dissoute, elle aura pu cristalliser ensuite librement sur place en vertu des lois qui lui sont propres. En se moulant alors, comme le ferait une matière fondue, dans tous les vides laissés par la matière primitive, elle reproduit les caractères des surfaces intérieure et extérieure, de manière à en donner une contre-empreinte double exacte et complète; telles sont les Trigonies du Portland-stone de Tisbury. Dans d’autres cas, il semble qu'une partie de la matière dissoute se soit échappée et qu'il n’en soit plus resté assez pour reformer le test entier, qui n’est alors représenté, à la surface du moule intérieur, que par des cristaux de chaux carbonatée isolés plus où moims nombreux, comme on l'observe sur certains moules de Tri- gonies de la craie de Rouen. Plus un corps, d’après sa nature, manifeste de tendance à passer à l’état spathique, moins on le rencontre fréquemment à l'état de moule, d’empreinte ou de contre-empreinte, ce qui est probablement dû à ce que la spathification, soit natu- relle, soit accidentelle, résultant d'une plus grande homogé- néité de la substance ou d’une moindre proportion de matière animale, est rendue plus facile et la dissolution plus difficile. Les Huïtres, les Gryphées, les Peignes, les Térébratules, les Bélem- nites, tous les radiaires, les polypiers, les Bélemnites, etc., sont plus rarement que les autres fossiles, privés de leur test calcaire, lorsqu'on les recueille sur les lieux ou près des lieux où ils ont vécu. Suivant M. Dana, le carbonate de chaux des coquilles serait fréquemment, en partie du moins, à l'état d’aragonite. Le gypse ou sulfate de chaux n'a point, en général, rem placé ni moulé de corps organisés, mais il a pénétré et impré- Spathilication accidentelle. Chaux sulfatée. Chaux fluatée. Chaux magnésienne, Barvtine, Üélestine. Nacrite. Silice, 484 SUBSTANCES MINÉRALES FOSSILISANTES. gné jusqu’à un certain point les ossements de vertébrés enfouis dans ses couches. Tels sont ceux de la pierre à plâtre des en- virons de Paris. La fluorite est signalée comme ayant remplacé le test des coquilles et des tiges de crinoïdes dans le calcaire earbonifère du Derbyshire. Elle est très-répandue dans les coquilles du lias des environs d’Avallon. La chaux magnésifère et la dolomie, substituées au carbonate de chaux ordinaire, est probablement le résultat du métamor- phisme de ce dernier, dû à quelque circonstance locale. Cer- tains polypiers dévoniens de. Gérolstein, dans l'Eifel, et des Oursins, signalés dans la craie de Tercis, près Dax, seraient dans ce cas. Quelquefois, le sulfate de baryte a remplacé le test eal- caire des coquilles et des polypiers. Telles sont les Astrées, assez fréquentes dans un sable argilo-ferrugineux et feldspa- thique, sorte d’arkose reposant sur le granite, non loin d'Alen- çon, sur la route de Mortain. La barytine a remplacé le test des Bélemnites dans le calcaire magnésien de Nontron, suivant M. Delanoüe. Plusieurs localités d'Angleterre ont offert la même particularité. Cette substance est fréquente dans les fos- siles du lias qui avoisine larkose et les filons de granite du Morvan. On cite également des fossiles changés en sulfate de stron- tiane, mais plus rarement qu'en sulfate de baryte. On à rapporté à cette substance, voisine du tale, celle qui a remplacé les empreintes végétales du terrain houiller de la Tarentaise ; nous ne sachions pas qu'aucune analyse en ait été, faite. La silice est la substance fossilisante par excellence; on la retrouve partout, sous une multitude de formes et dans tous les terrains. A l'état de quartz, d'agate, de cornaline, de cal- cédoine, de sardoine, de silex pyromaque et corné, elle a con- tribué à la conservation des formes des parties solides des corps organisés. Ses dissolutions ont pénétré le Lest poreux des coquilles, ou bien en a moulé complétement l’intérieur, parti- ren En À Cp - fm see SUBSTANCES MINÉRALES FOSSILISANTES. 485 culièrement les échinides de la craie. A l’état de sable, de grès, elle a pu seulement se mouler dans l'intérieur des coquilles. Précipitée de ses dissolutions, elle a donné des contre-em- preintes, où les caractères extérieurs et intérieurs des surfaces des corps sont fidèlement reproduits, sans pour cela que leur structure organique ait été conservée. La plupart des fossiles du grès vert des Blackdown sont dans ce cas. Dans la véritable pétrification, au contraire, la silice repro- duit tous les détails d'organisation de la structure intime des corps par le remplacement, molécule à molécule, de la sub- stance de ceux-ci, les molécules de silice se trouvant alors placées les unes par rapport aux autres comme celles du corps primitif. Ge phénomène, sur lequel nous reviendrons en par- lant de la fossilisation des plantes, où 1l est beaucoup plus prononcé et plus fréquent, s'est produit chez les animaux les plus inférieurs, les spongiaires et les rhizopodes. Ainsi, les cailloux roulés en silex des diverses vallées de l'Apennin du Polonais, les silex de la Majella dans les Abruzzes, beaucoup de ceux de l'Égypte, sont remplis de Nummulites et de co- quilles microscopiques complétement silicifiées elles-mêmes. es corps ont été comme plongés dans un bain de silice géla- tineuse, qui les a imprégnés et enveloppés de toutes parts, con- stituant ainsi des couches plus ou moins épaisses, et l’on peut, avec un fort grossissement, reconnaître les caractères les plus dé- lcats de leur structure, comme si aucun changement ne s'était produit dans leur composition. On a vu {antè, p.376) que telle était aussi l’origine de certains sables verts de diverses épo- ques et qui se forment encore de nos jours. La silice a pu im- prégner des ossements d’animaux sous forme d'agate, de sar- doine ou decalcédoine. Introduite dans les cavités des coquilles, qu'elle n'a pas complétement remplies, elle s’est déposée sur les parois en cristallisant et, dans un autre moment, la même cavité a reçu de la chaux carbonatée dont les cristaux se trou- vent enchevêtrés avec ceux du quartz hyalin, et le tout tapisse l’intérieur de ces corps d’élégantes géodes. Ces remplissages et ces diverses modifications du test ou Orbicules siliceux, 486 SUBSTANCES MINÉRALES FOSSILISANTES. des parties solides d'un corps organisé par suite du remplacement de la matière animale”ou du carbonate de chaux lui-même par de la silice en dissolution, à l’état naissant où gélatineux, se conçoivent encore assez bien, mais il n’en est pas de même pour la formation de ce que l’on a appelé des orbicules siliceux. Le premier naturaliste qui semble avoir décrit et figuré ces corps est l'abbé de Sauvages (1), qui les observa sur une Gry- phée (G. arcuata) et une Bélemnite du lias des environs d’Alais ; il attribuait les stries concentriques plus ou moins régulières à un ver conchyliophage. En 1774, Walch (2), qui disserta longuement sur cë sujet, les regardait aussi comme l'ouvrage de vers marins. Macquart (5) en signale sur des Gryphées et des Bélemnites des environs de Cracovie. D'Hom- bres-Firmas (4), en décrivant le gisement des Gryphées à orbi- cules, insiste sur la nature siliceuse de ceux-ci et sur l'abon- dance de la silice dans la roche qui les renferme. Pour M. Ras- pail (5), les orbicules des Bélemnites néocomiennes de la Pro- vence seraient des polypiers particuliers, qu'il nomme Spiro- zoiles belemnitiphagus, dont les corps sont roulés en spirale et non composés de couches concentriques, puis doués de la fa- culté de se changer en silice et de la communiquer aux corps qu'ils recouvraient. Suivant L. de Buch (6), ils seraient dus à une prédisposition particulière de la silice à prendre cette forme. Alex. Brongniart (7), qui s'était une première fois occupé de ce sujet, y revint plus lard avec beaucoup plus de détails (1) Mém. de l'Acad. roy. des sciences, 1145, p.408, pl. x, fig. 1, 2, 5. — Jbid., 1747, p. 699, pl. xxwv, fig. 10. (2) Von den concentrischen Zirkeln auf Verstein be — Naturf. 2, Stuck; diss. 1v, p. 126. Hall, 1774. (3) Essai sur la minéralogie des environs de Moscou, p. 1-40, pl. 1; 1789. (4) Journ. de phys., vol. LAXXIX, p. 247. — Biblioth. univ., vol, XI, p. 45. (5) Journ. des se. d'observation. Févr. 1829; janv. 1830. (6) Recueil de planches de pétrifications remarquables. In-f; Berlin, 1831. (7) Dictionn. des sciences naturelles, vol. XLI\; article Sileæ; 1827. SURSTANCES MINÉRALES FOSSILISANTES. 487 dans un travail spécial (1), que nous examinerons avant de passer à nos propres observations. L'auteur, étudiant les faits surtout en minéralogiste, re- connaît d'abord dans la silice une propriété sui generis de former des couches concentriques ; c'est un côté de la question que nous n'avons pas à considérer, et dont plusieurs des exemples cités pourraient être contestés. Quant aux orbicules siliceux, il les décrit dans son texte et les représente sur les planches avec la fidélité la plus serupuleuse; mais en ne recherchant pas la marche suivie par le phénomène, il en a nécessairement mé- connu le principe et les lois. C’est ainsi qu’il croit que l'épais- seur des orbicules est en rapport avec celle du test des co- quilles, tandis qu'elle est uniquement fonction du temps et des circonstances extérieures. Relativement aux pétrifications siliceuses sans apparence d’orbicules, dont Alex. Brongniart parle incidemment, c'est un moulage donnant une contre-empreinte en silice, et, par _ conséquent, un simple résultat de remplissage que produirait toute autre substance en dissolution. Le fait est d’ailleurs fré- quent dans les dépôts marins comme dans ceux d’eau douce, et l’on ne peut pas admettre, avec l’auteur, qu’il se présente rarement, tandis que celui des orbicules siliceux se présente- rait plus souvent. Vouloir ensuite comparer entre eux des faits de substitution dus à des causes dont on n’aperçoit point les rapports et que l'on doit croire complétement étrangères les unes aux autres, ce n’est pas le moyen de les éclaircir. On conçoit seulement, que les tests de coquilles qui, à cause de leur nature, sont le moins sujets à disparaître par la fossilisa- tion, ou résiste le mieux aux agents chimiques, comme ceux dont nous venons de parler, pouvaient être ceux sur lesquels le procédé si lent du développement des orbicules devait se manifester de préférence. (1) Essai sur les orbicules siliceux et sur les formes à surfaces courbes qu'affectent les agates et les autres silex. Broch. in-8, avec 5 pl. (Ann. des se. natur.,t. XXII ; 4831.) 488 SUBSTANCES MINÉRALES FOSSILISANTES. Brongniart s'efforce encore de prouver l'identité de eause des orbicules dans les corps organisés avec la forme circulaire qu'affectent les diverses couches de silice constituant les aga- tes, les on\x, ete.; mais nous avons déjà dit que la ressem- blance des résultats est plus apparente que réelle, et c'est ce que l’on comprendra mieux lorsque nous aurons suivi le déve- loppement de ces orbicules dans le test d'un mollusque ou d'un radiaire. L'état particulier qui prédispose la substance à prendre le ca- ractère d'orbicule, c'est l'état gélatineux, auquel seraient aussi dus les agates et les silex, et il est probable, ajoute le savant mi- néralogiste, que la nature et la structure des corps où la silice s'est introduite influent d'abord sur cette mtroduetion et ensuite sur la forme qu'elle prend. Il croit en outre trouver de l'analogie entre l'opération qui produit les moules siliceux, celle qui occasionne les orbicules et celle qui donne lieu aux vé- ritables pétrifications. Mais, dans ces trois opérations, il y a réellement de commun que la substance employée, caf dans les pétrifications proprement dites, la plus grande partie des carac- tères organiques persiste; dans les orbicules siliceux ceux-ei sont détruits au fur et à mesure que le phénomène se produit ; dans les moulages et les contre-empreintes, les caractères des surfaces du corps sont exactement traduits, mais ses caractères intérieurs ont complétement disparu comme sa substance primitive. La supposition de l'influence de la quantité de matière organique sur la formation des orbicules n’est point justifiée davantage par l'analyse chimique des corps non plus que celle de la structure de ceux-ci, comme on le verra par les exemples ci-après. Ainsi, les explications d'Alex. Brongniart et de L. de Buch nous paraissent insuflisantes pour rendre compte du phéno- mène des orbicules siliceux, et, de plus, les rapprochements* indiqués par le premier de ces savants, entre ces mêmes orbi- cules et la silice amorphe moulant ou pétrifiant les corps orga- nisés, ne sont aucunement fondés. Depuis trente ans, nous ne sachions pas que ce sujet ait été traité avec quelques détails, et il a même été complétement SUBSTANCES MINÉRALES ÆOSSILISANTES. 489 omus dans la plupart des ouvrages de géologie et de paléonto- _logie, ce qui nous a engagé à v revenir encore iet (1). Cette singulière modification du test calcaire s'observe par- ticulièrement dans les ostracées, les Peignes, les Spondyles, les Caprines et auires rudistes de la craie du sud-ouest de la France, dans les radiaires de cette même craie, dans les Téré- bratules et les polypiers du groupe jurassique moyen de PEst, ete. Le test, plus ou moins complétement transformé dans sa nature, se compose alors d'une multitude de petits tubercules de silex calcédoine, entourés de stries déprimées, concentriques, irrégulières, ondulées et plus on moins espa- cées, formant des bourrelets. Le sommet ou le centre de ces tubercules offre souvent un pot clair opalin. Lorsqu'on cherche à suivre la marche du procédé que la na- ture a employé pour l'envahissement et la substitution de la silice au carbonate de chaux, on remarque qu’il commence à se manifester, à l’intérieur mème du test, par la présence d'un tout petit point blanc, visible au travers des couches supé- rieures et dans la cassure transverse. Souvent on voit un cer-- tain nombre de points agglomérés dans un petit espace ; d’au- tres fois on distingue fort bien le commencement d’une hélice. La cassure montre que ces points blancs qui interrompent les lames du test calcaire sont de la silice pulvérulente. Dans le test compliqué des rudistes, le réseau naturel qui le constitue est complétement altéré et a disparu en cet endroit. Le point siliceux s'agrandit successivement, et les zones de son accroissement sont marquées par les stries dont nous avons (1) Notre savant collègue au Muséum, M. Fremy, qui s'occupe de recher- ches sur la silicatisation au point de vue chimique, s'est vivement intéressé à cette formation des orbicules siliceux, qui restera fort obscure, dit-il, tant qu'on n'aura pas trouvé le moyen de transformer, à la température ordi- naire, la silice gélatineuse ou chimique, telle qu'elle sort de ses combinai- sons, en silice cristalline ou en quartz insoluble dans les acides et les alcalis étendus. C’est une transformation que la nature opère tous les jours sans qu'on y soit parvenu dans les laboratoires. On ne peut donc pas dire encore si l'hypothèse de Brongniart est fondée, mais le développement gra- duel si particulier des orbicules ne lui serait peut-être pas très-favorable. 490 SUBSTANCES MINÉRALES FOSSILISANTES. parlé. En même temps, le tubereule, qui s’est ainsi constitué, s'épaissit, s'élève et finit par traverser toute l'épaisseur du test et à rejeter complétement les particules calcaires. Arrivé à ce premier degré de développement, le phénomène n'a point en- core déformé sensiblement la surface de la coquille ou du corps organisé, quel qu'il soit, qu'il a envahi; on y reconnait les prin- cipaux caractères du test primitif. Mais l'accroissement de l’or- bicule ne cessant pas, et des couches inférieures nouvelles pa- raissant continuer à se former, semblent pousser au dehors les supérieures ou les plus anciennes, de manière à oblitérer de plus en plus les caractères de la surface, qui finissent par dis- paraitre tout à fait. Le tubercule central de l’orbicule grossit à son tour, circonscrit par des bourrelets irréguliers plus ou moins saillants; les surfaces intérieures et extérieures des çorps deviennent alors rugueuses, toutes bosselées et méconnaissa- bles. Lorsque le test est feuilleté comme dans les ostracées, l’action de la silice s'exerce séparément sur chaque feuillet superposé. Dans certains cas, les points de développement de la silice élant peu nombreux, et par conséquent fort espacés, les orbi- cules, en s'accroissant et augmentant de diamètre, ne par- viennent pas à se rejoindre avant d'avoir traversé toute l’épais- seur du test calcaire, qui n'est pas alors complétement détruit, et le test de la coquille ou de l'oursin se compose à la fois d'éléments siliceux et de carbonate de chaux, comme nous le dirons en traitant particulièrement des échinides. Le développement des orbicules siliceux ressemble d’abord à une éruption de boutons qui a son siége au-dessous de la peau ; mais ensuite, comme dans les tubercules des affections des poumons, il attaque les tissus, les altère, les désorganise complétement. On pourrait aussi comparer celte action de la silice à une sorte de végétation cryptogamique, à ces champi- gnons, mystérieux parasites, qui attaquent les tissus des plantes, des fruits, des tubercules, et mème des insectes, comme la muscardine des vers à soie, et qui finissent par amener la destruction des corps qu'ils ont envahis, SUBSTANCES MINÉRALES FOSSILISANTES. 191 Ce phénomène n'est point particulier à certains tests, puisque nous voyons des corps de structure fort différente y être soumis : feuilletée (ostracées), libreuse (Bélemnites), spathique (radiaï- res), celluleuse (rudistes) ; mais nous ne l'avons point encore observé dans les coquilles à test nacré, quoique Alex. Brongniart cite une Ammonite des environs de Mézières, Nous ne l'avons encore reconnu dans aucun test de mollusques gastéropodes, de crustacés, ni dans aucun os de vertébrés. Il parait être local et dû à des circonstances encore inconnues. Dans les couches crétacées du sud-ouest, où il est le plus développé, la silice ne se présente pas visiblement à un autre état, mais elle y est sans doute disséminée. Dans certaines roches peut-être man- que-t-elle presque tout à fait, ou ne se tfouve-t-elle qu'à l'état de sable comme produit sédimentaire. Dans les argiles à challes de l'Oxford-clay, des départements du Doubs et de la Haute-Marne, la silice ne s’y présente pas non plus sous une autre forme, au moins d'une manière apparente, mais il est très-probable qu'elle y existe disséminée. Dans certaines circonstances, assez rares d’ailleurs, le soufre paraît s'être trouvé dans un état tel qu'il a pu mouler des co- quilles dans le dépôt où elles étaient renfermées. C’est ce qu'on observe dans les marnes lacustres alternant avec du gypse sur le territoire des communes de Villel, de Libros et de Ridova, près de Terruel, en Aragon (1). Les Planorbes, les Limnées et les Cyclades, en prodigieuse quantité, ont été moulés par du soufre pur, et leur test même est souvent conservé. La présence du soufre liquide ou en vapeur, loin de toute trace de phéno- mène volcanique, de toute action ignée apparente, est encore une circonstance dont l'explication chimique reste à donner, même en supposant que cette substance tire son origine de l'hydrogène sulfuré résultant de la décomposition des ma- tières animales abondamment répandues dans le dépôt. Le fer est de tous les métaux celui dont les diverses combi- (4) Braun, Note sur le gisement du soufre, ete. (Bull. Soc. géol. de France, 1”° série, vol. XII, p. 166; 1841.) Substances métalloïdes, Soufre. Substances métalliques. Fer oxydé hydraté, fer oligiste, 492 SUBSTANCES MINÉRALES FOSSILISANTES. naisons jouent le rôle le plus important dans les phénomènes - de Ja fossilisation. A l'état d'oxyde hydraté ou d’hématite brune, il a fréquemment imprégné, moulé ou remplacé des corps organisés. Telles sont les Paludines et les Unio moulés par du fer hydraté oolithique des couches tertiaires de Cuisery; près de Tournus (Saône-et-Loire). A l'état d'hématite rouge sont les moules d'Ammonites de l'Oxford-clay de la Voulte (Ar- dèche), de loolithe inférieure de Calmoutiers (Haute-Saône), du lias supérieur de la Verpillière (Ain), du mont d'Or Lyon- nais, de Sainte-Foix, etc. (Rhône). A l'état de fer oligiste, il a remplacé le test des Cardinia et autres coquilles de la luma- chelle inférieure du lias de la Bourgogne (Beauregard). Le métal y est cristallisé, terreux ou compacte, mais ne s'observe pas à l'intérieur des valves ainsi transformées dans leur sub- slance constituante. Fer sulfuré. La fréquence du fer sulfuré dans la nature explique sa pré- sence dans beaucoup de fossiles. Dans les couches argileuses de la formation crétacée, telles que le gault et les argiles à Plicatules d’Apt, de la formation jurassique, telles que celles de Kimmeridge, d'Oxford et du lias, certains genres semblent avoir eu la propriété d'attirer particulièrement ou de faire précipiter les dissolutions de sulfure de fer qui a recouvert les coquilles et les crinoïdes ou leurs moules d’une couche plus ou moins mince de pyrite jaune, et cela avec une délicatesse et une perfection de détails qui laissent bien loin derrière elles les résullats les mieux réussis de la galvanoplastie industrielle. Le fer sulfuré a aussi remplacé le test lui-même ; mais dans les Ammonites qui ont éprouvé surtout ces épigénies, on re- marque que la substitution de la matière métallique au test ne permet pas de distinguer, à la surface des tours, les ramifications persillées des sutures des cloisons, car le test de la coquille, quoique très-mince, étant composé de plusieurs couches suc- cessives, ce n’est que lorsque la plus interne a disparu ou a été enlevée que les sutures s'aperçoivent; d'où il résulte que lorsque celles-ci se laissent distinguer, on peut être sûr de n'avoir sous les yeux qu'un moule soit simple, soit’ revêtu SUBSTANCES MINÉRALES FOSSILISANTES. 495 d'une pellicule de fer sulfuré, mais on n’a ni le test lui-même ni la substance qui l’a remplacé. Dans des coquilles aussi minces que-le sont celles des cé- phalopodes, il y a très-peu de différence entre le moule et la contre-empreinte, parce qu'il y en avait aussi très-peu entre les caractères des parois internes et externes ; mais les contre- empreintes ne présentent point les sutures des cloisons qui n'apparaissaient pas à la surface extérieure du test. En résumé, les empreintes et les contre-empreintes ne montrent pas les cloisons ; les moules, au contraire, les montrent toujours. L'opération du moulage de cavités cloisonnées aussi com- pliquées que celles d’une Ammonite a dü être très-longue, comme nous le dirons plus loin, tandis que le revêtement du moule par une pellicule de fer sulfuré a pu se faire dans un temps très-court. Souvent la substance minérale ne s’observe nulle part ailleurs dans la roche, du moins en quantité notable, ni dans les fissures accidentelles des moules pierreux ; l'opération ressemble alors à celle d’un ouvrier en plaqué très-habile qui ne mettrait la couverte métallique que là précisément où elle doit être suivant son modèle, sans aucune bavure et sans la plus petite irrégularité dans le travail. On conçoit que dans les couches qui renferment beaucoup de sulfure de fer les fossiles ont servi de centre d'attraction, et qu'il a cristallisé tout autour en plus ou moins grande abon- dance, en arempli en tout ou en partie les cavités, ou bien s’est déposé à leur surface, comme dans les couches dont nous avons parlé et dans les argiles tertiaires de Boom, près d'Anvers. Le fer phosphaté bleu ou vivianite remplit ou tapisse les cavités et les parois des corps d'origine organique ; dans ce cas, le minéral est cristallisé. Quand il y a eu une épigénie du corps lui-même, on peut supposer que le phosphate de chaux se sera décomposé, au moins eñ partie, et qu'une portion de l'acide phosphorique se sera uni à l'oxyde de fer apporté sur ce point. Alors la structure du corps organisé a disparu et l’on a un phosphate pulvérulent. On l’observe particulièrement dans des coquilles tertiaires de Crimée dont le test est con- 32 Fer phosphalc 494 SUBSTANCES MINÉRALES FOSSILISANTES. servé et dont l’intérieur est rempli de cristaux de vivianite en- trecroisés. Des ossements de vertébrés renferment souvent aussi du fer phosphaté qui les colore en bleu, ainsi que les dents et d’autres parties solides, ce qui les a fait comparer aux turquoises orien- tales dites de vieille roche. Ces fausses turquoises, désignées aussi sous le nom d’odontolithes, montrent encore une partie de leur structure organique et ont également conservé une portion considérable de leur carbonate de chaux ; ee sont les turquoises occidentales, dites de nouvelle roche. On a utilisé pour la bijouterie commune des dents de mammifères fossiles provenant de Simorre (Gers) et d’autres localités (Bohême, Suisse, Russie, Sibérie, Cornouailles). Leur dureté est moindre que celle des véritables turquoises d'Orient, composées d'acide phosphorique, d'alumine, de chaux et colorées par un oxyde de cuivre. Les fausses turquoises sont attaquables par les acides et donnent en brûlant une odeur animale, ce qui n'a pas lieu pour les vraies, et elles s'électrisent par le frottement. Ces phosphates organiques ont présenté la composition suivante (Bouillon-Lagrange) : Phosphate de chaux. .". . . . . . . . "eu00 sui Ode PUSUIEPR SUDRE 2,00 — de magnésie.. . . . 4.4 2,00 Carbonato de CHALET M LN 8,00 AIMÉ, trente le En AR Er Area 0,50 QU: à ML OR GO CARE PE PR RCE 6,00 98,50 Ce fut en étudiant ces fausses turquoises sous le rapport minéralogique que Réaumur reconnut, en 1715, qu’elles étaient d’origine animale. Elles provenaient de Simorre (Gers) et étaient fournies par les dents d'un très-grand mammifère fossile qui fut appelé animal de Simorre, jusqu à ce que Cuvier eût créé le genre Mastodonte, auquel ces dents appartiennent. Fer Le fer carbonaté compacte constitue, dans les dépôts houil- tarbonaté lers de divers pays, des masses ou rognons déprimés, irrégu- liers, enveloppant souvent dans leur intérieur des restes orga- SUBSTANCES MINÉRALES FOSSILISANTES. 495 niques (plantes, poissons, etc.) qui semblent avoir servi de centres d'attraction à la substance minérale, et autour des- quels celle-ci s’est déposée. IT en existe de semblables dans certaines argiles du lias qui renferment des Ammonites, etc. (environs de Nancy). = Le cuivre sulfuré, ou chalkopyrite (sulfure double de fer ct de cuivre) a minéralisé les poissons des schistes cuivreux du zechstein de la Thuringe et du Mansfeld, dont nous avons si souvent parlé dans l'histoire de la paléontologie, parce qu'ils avaient attiré l'attention des naturalistes depuis le temps d’Agricola. Les écailles de ces poissons (Palæoniscus) sont en métal. Le cuivre carbonaté vert (malachite) paraît avoir minéralisé des végétaux en Sibérie, et il en serait de même du cuivre carbonaté bleu (azurite). Nous verrons, en traitant du système permien de la Russie, où les sels de cuivre sont si répandus, quelles sont leurs relations avec les débris de végétaux trouvés dans les mêmes dépôts, et comment on peut attribuer leur précipitation à l’action de ceux-ci sur les dissolutions apportées par les sources. Dans les végétaux permiens de ce pays, les infiltrations cuivreuses et siliceuses paraissent avoir eu lieu simultanément. De même aussi que l’on connaît des pétrifi- cations ou silicifications qui se sont produites de mémoire d'homme, telles que les piliers du pont de Trajan, sur le Da- nube, de même on a observé, dans les tourbières du pays de Galles, de véritables minéralisations cuivreuses contemporaines. La galène où plomb sulfuré s’observe fréquemment à l'in- térieur des fossiles du lias des environs d’Avallon et de Semur avec la barytince et la fluorite. On cite des Huîtres dont le test aurait été complétement remplacé par du plomb sulfuré. On signale aussi des cristaux de cette substance disséminés dans des végétaux fossiles. La galène se présente encore cristallisée dans les fossiles des calcaires de transition de la partie supé- rieure du bassin du Mississipi, où ce minéral est très-répandu. La blende noire a minéralisé quelques polypiers du terrain de transition de Diepetringen, près de Griesenwich, de même Cuivre. Cuivre sulfuré. Cuivre carbonaté. Plomb sulfuré. Zinc sulfuré, carbonaté, Mercure sulfuré. Argent. Causes générales, Substances d'origine organique. Bitumes, résines, 196 SUBSTANCES MINÉRALES FOSSILISANTES que la calamine brune bitumineuse de Nirm, près Stolberg. Le cinabre ou mercure sulfuré, plus ou moins mélangé de ma- tières étrangères, se trouve quelquefois dans les cavités des co- quilles, mais on ne le voit guère remplacer leur test. Ce sont des raretés qui ne se rencontrent d’ailleurs que dans certains gise- ments dont nous parlerons en traitant du terrain de transition | eten particulier du système carbonifère de la Carinthie (Idria) et de Deux-Ponts, où des empreintes de poissons ont été recou- vertes par cette substance (antè, première partie, p. 367). Dans les mines argentilères et cuprifères de Mina-Grande, près d'Huantaja, au Pérou, on a trouvé l'argent natif cristallisé à l’intérieur de coquilles fossiles dans des schistes argileux que traversent les filons métallifères. Quant aux causes de plusieurs de ces substitutions et à la présence des substances minérales cristallisées dans les corps organisés fossiles, les unes peuvent être dues à de simples précipités chimiques, d'autres à des dissolutions et à des eom- binaisons nouvelles qui se seront effectuées ensuite; certains résultats peuvent être attribués à des actions électro-chimiques très-lentes, comparables à ceux qui ont été obtenus artificiel- lement par l'emploi des courants voltaiques; enfin, il a pu y avoir, dans le voisinage des filons des roches cristallines et ignées, des émanations et des sublimations de vapeurs métal- liques provenant de l'intérieur de la terre. Des substances d’origine organique peuvent aussi remplacer des corps organisés où contribuer à leur conservation. Ainsi des matières bitumineuses ont remplacé et moulé des fossiles qui quelquefois leur avaient donné naissance par suite de leur décomposition (poissons, moules de coquilles tertiaires de Bastènes (Landes), de Pont-du-Château (Puy- de-Dôme, etc.). Mais une cause dont les résultats ont été plus précieux pour la paléontologie est la propriété conservatrice des résines et des gommes qui découlent de certains arbres, et particulière- ment des conifères. Chacun à pu remarquer la prodigieuse quantité d'insectes qui se trouvent pris et enveloppés dans la résine qui découle des Pins dans les pays où des incisions ANIMAUX VERTÉBRÉS. . 497 sont faites à ces arbres pour en extraire cette substance; les récipients placés au pied de chaque arbre sont de véritables nécropoles entomologiques. Or la nature a employé ce simple procédé pour conserver et nous transmettre dans les mor- ceaux d’ambre recueillis particulièrement sur les bords de la Baltique, et qui proviennent des bois et des lignites lavés et rejetés par la mer, toute une faune d'insectes des plus curieuses, et dont nous n’aurions sans doute jamais eu con- naissance sans celte heureuse circonstance. Les insectes ainsi embaumés et momifiés sont aujourd'hui connus au nombre de plusieurs centaines d’espèces, et leur conservation est si parfaite que tous leurs caractères, malgré leur extrême déli- catesse, peuvent être étudiés comme si la main du collecteur venait de les saisir vivants (1). La fossilisation, quelles que soient ses causes et ses ré- sultats, est indépendante de l’ancienneté des fossiles ou du terrain qui les renferme. Les moules, les empreintes et contre- empreintes, la silicification et la minéralisation sont de toutes les époques et se produisent encore aujourd’hui quand les conditions sont favorables ; ainsi l’état d'un fossile n’est jamais une preuve absolue de son âge, Quant aux simples opérations du moulage, de l’empreinte et de la contre-empreinte, c’est, dans le plus grand nombre des cas, la matière même de la roche environnante qui en fournit les éléments; les suh- stances minérales proprement dites dont nous venons de parler n’interviennent que dans les cas particuliers. $ 3. Composition chimique des fossiles. — Animaux vertébrés. Nous nous sommes oceupé jusqu'ici des résultats physiques, mécaniques et chimiques de la fossilisation, puis des sub- (1) Voy. anté, V'° partie, p. 143, et Histoire des progrès de la géologie, vol. II, p. 852. Résumé, Mammifères vivants, Os, 498 COMPOSITION CHIMIQUE DES FOSSILES. stances fossilisantes minérales, soit à base terreuse, soit à base métallique, et de quelques substances d’origine organique qui jouent à peu près le même rôle ; il nous reste actuellement, pour compléter ces études, à examiner la composition des parties solides des corps organisés vivants et fossiles dans cha- que classe successivement afin de mieux nous rendre compte des modifications que les derniers ont éprouvées par suite de leur séjour plus ou moins long dans les couches de la terre, car la fossilisation n’est que le résultat d'actions physiques et chimiques, soit seules, soit réunies, s'exerçant du dehors, sur ces mêmes corps organisés, Nous suivrons un ordre zoologique en commençant par les animaux vertébrés ; nous renverrons souvent le lecteur à ce qui précède, mais quelquefois aussi, pour plus de clarté, nous serons obligé de répéter certains détails. La plupart des analyses suivantes sont extraites de l'excellent Traité de chimie générale de MM. Pelouze et Fremy (1), qui ont donné sur ce sujet une multitude de renseignements pré- cieux dont, jusque-là, les chimistes s'étaient fort peu préoc- cupés. La composition des os et celle de l'émail dans l'Homme et dans le Bœuf ont donné à Berzelius (2); 08 ÉMAIL os ÉMAIL DE L'HOMME. DE L'HOMME. DE BŒUF, DE BŒUF Ce ET 8 x ect de OR » EP = EN Te ' 2 23,90 2,20 Vaisseaux sanguins, . . . 4,15 » | Fluorure de calcium... . . 2,00 3,20 2,50 4,00 Phosphate de chaux. . . . 91,04 85,50 9,89 81,00 Carbonate de chaux. . . . 11,50 8.00 3,85 1,10 Phosphate de magnésie.. . 1,16 1,50 2,05 3,00 Soude, chlorure de sodium, TR TRE 1,20 2,00 2,45 1,34 100,00 100,00 100,00 100,00 Les os se composent essentiellement d’une partie solide (4) Vol. VI; 1857. (2) Ibid, p. 271. ANIMAUX VERTÉBRÉS. 499 formée par des sels de chaux, d'un tissu cartilagineux et flexible (osséine) qui renferme les vaisseaux et les nerfs, du périoste, membrane mince qui les recouvre en dehors; on peut donc considérer ces diverses parties isolément. De plus, les os longs qui sont creux contiennent une matière grasse, la moelle, composée, sur 100 parties, de 96 de graisse, de 1 de membranes et de vaisseaux et de 5 de corps semblables à ceux que l’on extrait de la chair par l’eau froide. Dans les ana- lyses précédentes, lés os étaient privés de leur périoste et de leur moelle. Une autre analyse d’os également dépourvu du périoste, de la moelle et de la graisse, a donné à Marchand : Cartilage insoluble dans l'acide chlorhydrique. 27,23 UT SBIHIIG EI US a Ne à te ee ae 5,02 Dose PECNEUME ER VE EAMETQN SOTTEN Re 1,01 Phosphate basique de-chaux. . . . . . . . 59,26 Fluorure de calerumt. . 1. . . . * . LE 4,00 ÉRUDRAIE IRC HAUXR. 0 ms à. ste, à 10.01 Phosphate de magnésie.. . . . . . . . . 1,05 SUD UERET EE NPEIEANAT EEES DES ne CMS 0,92 Éblorure. de sodiuth. 2.) . eut. ne ; 0,25 Oxyde de fer, manganèse et perte. . . . . 1,05 100,00 Des os humains extraits d’un cimetière. ont donné : Gélatine.. . 2, OR SON AN 1.1 46,00 Phosphate de chaux... ...., .. 1. . . : 617,00 Carbonate (de chaux 4 5. dn. to. 1,50 LAURE NE A7 RE AP RE RRSRee à Pete es LRU 100,00 Des os secs qui n'avaient point été enterrés ont donné : nn ten Sr nusnind ir £ ialatior 0 1248:00 APRES dE BRMER. : . Un: 63,00 Cinmterd chaux, :. 10.,:.: à , 2,00 re TU REA 9 PA ne LOL is le 10,00 98,000 D’autres os provenant de diverses époques historiques ont présenté : 500 COMPOSITION CHIMIQUE DES FOSSILES. SQUELETTE SQUELETTE VERTÈBRES CELTIQUE. ROMAIN. GALLO-ROMAINES. Sihice. Ne PERTE » 1,90 » Matière organique. . . . . 3,08 0,81 » Sous-phosphate de chaux. . 80,00 76,38 18,29 Carbonate de chaux.. . . . 13,02 10,13 10,49 Phosphate de magnésie. . . 1,02 8,20 7,91 —,;.de fer... €: 1,05 2,58 » Carbonate de cuivre. . . . » » 3,01 100,00 100,00 100,00 En considérant la composition des diverses couches.d'un os long, celle de ses extrémités et celle de sa partie moyenne, MM. Pelouze et Fremy font remarquer que la quantité de sels de chaux y est différente. Les parties spongieuses d'un os ren- ferment plus de matière organique que les parties denses et compactes. L'âge ne fait pas varier sensiblement la composition des os, et le tableau que donnent ces savants (p. 267) le prouve suffisamment; avec l’âge seulement l'épaisseur de la partie dure et dense tend à diminuer et celle de la partie spongieuse à augmenter. De #4 analyses d'os de mammifères terrestres de divers ordres, plus 2 d'os de cétacés, 14 d'oiseaux, à de reptiles (tortues, crocodiles, serpents) et 16 de poissons, MM. Pelouze et Fremy concluent (p. 268) que « les os qui appartiennent « aux animaux qui diffèrent le plus par leur organisation pré- « sentent à peu près la même composition chimique. L'os de « l'Homme se confond presque entièrement avee les os de « Veau, de Lion, de Chevreau, de Lapin, de Rhinocéros, d'Élé- « phant, de Cachalot, de Morse, d’Autruche, de Tortue, de « Morue, de Barbue, etc. Ainsi, la substance osseuse devant « présenter les mêmes propriétés physiques, la même solidité, « possède une composition chimique qui paraît presque inva- « riable. » ; Cependant, chez les herbivores, les os sont plus riches en sels calcaires que chez les carnivores. Les os des oiseaux, ren- fermant aussi plus de sels calcaires que ceux de ces derniers, se rapprochent en cela des mammifères herbivores, D'un autre côté, les os de reptiles se confondent avec ceux des mam- = ANIMAUX VERTÉBRÉS. | 501 mifères carnivores. Quant aux os de poissons, ils justifient par leur composition le classement zoologique de ces animaux. Dans les poissons osseux, 1ls présentent la composition des os de mammifères, tandis que ceux des poissons cartilagineux sont très-riches en matières organiques et ne contiennent qu'une faible quantité de sels calcaires. Un cartilage de Lamproie n’en renferme plus ; aussi n’est-ce plus un os. La composition des dents mérite une attention particulière, parce que ce sont les parties solides des vertébrés que l'on rencontre le plus fréquemment à l’état fossile et le mieux con- servées, et parce que ce sont aussi celles dont la connaissance conduit le plus facilement et le plus sûrement à la détermina- tion zoologique des animaux dont elles proviennent. Dans l'os- téologie comparée, les dents fournissent des caractères de pre- mier ordre. On distingue dans les dents l'émail, l'ivoire et le cément. L'émail est une matière compacte, dure, blanche, tantôt à la surface, tantôt à l’intérieur, formée de fibres prismatiques, très-nombreuses au sommet de la couronne, décroissant ensuite jusqu'à la racine où commence le cément ; la matière organique qu'il renferme diffère de l’osséine et ne se transforme pas en gélatine, L’ivoire forme l’intérieur de la couronne et de la racine ; sa structure est analogue à celle des os ; creux à l’inté- rieur, .il est parcouru par des vaisseaux, et lé résidu de son traitement par les acides peut se convertir en gélatine. Le cé- ment recouvre la dent à partir de la couronne et sa composi- tion est la même que celle des os. Des analyses de dents d’Homme ont donné à Berzelius les ré- sultats suivants : Cartilages et vaisseaux. . . . . » 28,0 Phosphate de chaux et fluorure de calcium, 88,5 64,4 CurnOuie do CHaux., . . |... … . . . 8,0 5,2 Phosphate de magnésie. . . . . . . . . 4,5 1,0 Soude, chlorure de sodium. : . . . . . » 1,4 Alcali, eau, matière animale. . . . . . . 2,0 » 100,0 100,0 Dents. Bois de ruminants. Matières cornées, 202 COMPOSITION CHIMIQUE DES FOSSILES. Des dents de bœuf analysées par M. Fremy ont donné . THOSPHATE PHOSPHATE CARBONATE. CENDRES. LE CH .UX. DE MAGNÉSIE. DE CHAUX. Cément.. . . . 67,1 60,7 1,2 2,9 Bnulé.. die OR 90,3 traces 2,9 ENONCE S 70,3 4,3 32 De l'analyse des dents, suivant MM. Pelouze et Fremy (p. 286), on peut déduire que l'émail s'éloigne entièrement de la substance des os, ne contenant que 2 à 3 0/0 de matière organique, 3 à 4 0/0 de carbonate de chaux et une proportion de phosphate de chaux qui atteint 90 0/0 ; que livoire offre à peu près la composition des os, bien que la proportion du phosphate de chaux et celle du phosphate de magnésie y soient plus forte; enfin que le cément est identique, quant à sa compo- sition, avec la substance osseuse. Les bois de ruminants, d’après les mêmes savants (p. 287), ont la plus grande analogie de composition avec les parties spongieuses des os. Les substances organiques et inorganiques y sont les mêmes à peu près et dans les mêmes proportions. Ainsi les bois diffèrent complétement des cornes proprement dites des autres ruminants. On remarque que les substances miné- rales, toutes proportions gardées, sont plus abondantes dans les vieux bois que dans les jeunes. Ce sont, comme pour les os, le phosphate de chaux, le phosphate de magnésie et le carbonate de chaux. Les analyses suivantes montrent qu'ils s'y trouvent à peu près dans les mêmes proportions que dans les os : PHOSPHATE PHOSPHATE CARBONATE DE CHAUX. DE MAGNÉSIE. DE CHAUX. CENDRES. Bois de Cerf de France de 5 ans. 58,1 traces 38,0 61,9 — commun de 7 ans. 58.8 — 6,1 62,6 Les matières cornées, malgré leur solidité, ont une compo- sition complétement différente de celle des parties dures des mammifères dont nous venons de nous occuper et qui explique leur absence à l’état fossile. ANIMAUX VERTÉBRRÉS. CORNE DE VACHE. Carbone, . . 50,80 Hydrogène. . 6,17 Azote. . . . 16,50 Oxygène. . . 23,48 Soufre,, . . 2,65 50,94 6,65 16,30 93,48 2.65 TILANUS,. ONGLES. 51,089 6,824 16,901 25,186 SCHEERER: CORNE CORNE SABOT DE DE DE BUFFLE, BOEUF. CHEVAL. VACHE. RENNE, 51,400 51,6 50,4 6,719 6,8 7,0 17,284 17,1 16,7 = 5 19,5 22,5 24,397 | 50 3.4 1D, MULDER. 503 SABOT SABOT DE DE S04 49,5 68 62 168 174 29 6 3.4 | 211 1D: FREMY. « Le tissu organique d’un os exposé à l'air disparaît peu à « peu, et il ne reste plus, au bout d’un certain temps, que la « substance calcaire. Cette décomposition s'opère encore lors- « que l’os est enfoui dans la terre, mais si lentement alors « qu’on retrouve souvent des matières organiques dans des «os depuis longtemps dans le sol » (p. 276). Les analyses suivantes sont dues à MM. Girardin et Pressier : ; POEKILOPLEURON PLESIOSAURE BUCKLANDI POEKILOPLEURON OURS FOSSILE DE L'ARGILE DE DIVES (TISSU SPONGIEUX) BUCKLANDI DE LA (0XFORD-CLAY). GRANDE OOLITHE (TISSU COMPACTE) CAVERNE DE CAEN. DE MIALLET, Hauts. 2,20 » » 1,30 Matière organique . 4,80 1,25 1,50 7,17 Phosphate de chaux. . 54,20 74,80 71,12 15,45 — demagnésie. 4,61 » » 2,81 — defer. 6,40 (21 0,12 » Carbonate de chaux. . 10,17 20,43 DE | 19,18 Fluorure de calcium. . 2,11 1,50 0,86 1,09 Silice. . 9,21 0,81 1,29 » Alumine . 6,30 » » » 100,00 100,00 100,00 100,00 IGHTHYOBAURE ICHTHYOSAURE LAMANTIN DE 1, ARGILE DE LA CRAIE JCHTHYOSAURE TERTIAIRE DE DIVES,. CHLORITÉE. JURASSIQUE. DU COTENTIN. Eau, 0 J'IU IE (mapprétiable) (inappréciable) 0,60 » Matière organique. 1,34 8,19 7,07 » Sous-phosphate de chaux. 46,00) 76,00 70,11 76,40 Phosphate de magnésie. 1,00 1,08 4,45 » Carbonate de chaux.. . 31,09 10,00 47.12 0,97 Phosphate de fer et de manganèse. . . 16,34 0,70 » 9,71 Fluorure de calcium. . 1,02 4,02 1,65 9,12 Silice. 3,21 3,01 2,00 7,80 100,00 100,00 100,00 100,00 Mammifères et reptiles fossiles. Os. 004 COMPOSITION CHIMIQUE DES FOSSILES. 0S FOSSILE DE MAMMIFÈRE DE MONTMARTRE, ANALYSÉ PAR VAUQUELIN. Phosphate de chaux.. . . . . . . . . : EUR Carbonate de ‘Chaux. . . 2, 200 7 Sulfate PRES 7: NV ! tr SEE Eau et traces de matière animale, . . . . . . 10 On voit nettement ici l'influence du gypse de la gangue qui a remplacé la matière organique presque complétement. OS FOSSILE DE LA CAVERNE DE LUNEL-VIEIL, ANALYSÉ PAR M. DE SERRES. PC SR LE MN GP DEEE 8,8 Matère argileuse et fluorure de calcium. . . . . traces Phosphale de-chaux:,:, : 4047. 44 MUNIE . 14,0 CGarbonate de chaux, 1 4.6 ..4/r UN + ACTU Bios et oxyde de'fer. 2.7 CE OUE TN 4,1 Pele, 4-56 0016 AR RS ant HR ENTES 2,6 100,0 OS DE L'ÉLAN GIGANTESQUE D'IRLANDE, ANALYSÉ PAR APJOHN STORES, Cartilages. . . . . sh pi vrac FRE 48,87 Phosphate de magnésie et fluorure de calcium. , . 43,45 LOS Où CREER. eu + «0e NT 9,14 PONETOS "OS MAT VU at 1,02 PS D'OÉLRT LTEe 4e STE AE 1,14 103,62 Ce résultat est tout exceptionnel. Une plaque de la carapace d’un Tatoue fossile, probablement de Glyptodon, a donné sur 80,7 de cendres : 55 de phosphate de chaux, 0,4 de phosphate de magnésie, 25,8 de carbonate de chaux, 12,4 de matière siliceuse et de fluorure de calcium. Cette composition explique bien pourquoi la carapace fossile de ces animaux est aussi parfaitement conservée que les os. D'après les analyses qu'ils ont faites d’un grand nombre d'os fossiles de Bœuf, de Rhinocéros, d'Hyène, de Mastodonte, d’Ours, d'Anoplotherium et de Tortue, MM. Pelouze et Fremy concluent (p. 279) : 1°"-L’osséine des os fossiles est plus ou moins détruite et remplacée par diverses substances minérales ; - ANIMAUX VERTÉBRÉS 505 2° La proportion de matière organique qui reste varie de- puis quelques traces jusqu’à 20 070 ; elle présente d’ailleurs tous les caractères de celle des os ordinaires et se transforme en gélatine sous l'influence de l’eau bouillante ; 9° Les substances minérales qui incrustent les os fossiles sont la silice, le sulfate de chaux, le fluorure de calcium et surtout le carbonate de chaux, dont la proportion peut s’élever à 67 0/0. La silice est à l’état de quartz, c'est-à-dire insoluble dans les acides et les alcalis étendus (1) ; 4 L’incrustation est plus complète dans les os spongieux que dans les os denses ; 9° L'analyse d’un os fossile peut indiquer la nature du ter- rain dans lequel il a été enfoui. Ainsi il est particulièrement incrusté de carbonate dans une couche caleaire, de silice dans une couche où cette substance domine, de gypse-dans les bancs de pierre à plâtre, ete.; 6° La quantité d’osséine qui persiste n’est point en rapport avec l'ancienneté de l'os; elle dépend” du degré de porosité de la substance osseuse, chÉ peut ajouter des circonstances extérieures qui ont été plus ou moins favorables avant et de- puis son enfouissement. Les différentes parties d’un même os fossile ont donné des quantités différentes d’osséine, suivant qu’elles étaient plus ou moins spongieuses ; 1° Dans quelques os, on retrouve à peu près la même quan- tité de phosphate de chaux tribasique que dans los ordinaire ; dans d’autres, au contraire, la proportion diminue et descend jusqu’à 25 0/0 ; 5° La proportion du phosphate de magnésie ne change pas sensiblement; elle diminue cependant foséqué le PT de chaux est remplacé par du carbonate de chaux ou des sub- stances siliceuses ; 9° Les analyses précédentes d’ossements humains des épo- ques historiques, celtique, romaine et gallo-romaine, prouvent (1) On a vu que le fer hydraté oxydé, le fer sulfuré, le cuivre et d’autres substances encore, lorsque leurs sels sont facilement solubles, peuvent in- cruster les os avec lesquels ils se trouvent en contact. Dents. 206 COMPOSITION CHIMIQUE DES FOSSILES. qu'il ne faut pas un grand nombre de siècles pour modifier profondément la composition des os et y introduire de la silice, du fer et du cuivre, et faire disparaître la plus grande partie et même la totalité de la matière animale. La densité des os augmente avec leur ancienneté, Celle des défenses d'Éléphants fossiles, dit M. Delesse (1), est quelquefois supérieure de moilié à celle des défenses des individus vivants. Les défenses provenant des terres glacées de la Sibérie font exception ; leur densité n’a pas sensiblement changé. Le chan- gement est d’ailleurs plus prononcé pour les défenses que pour les os, leur densité étant originairement moindre. Celle des os fossiles n’a d'autre limite que la densité même des substances minérales dont als s’imprègnent par leur séjour dans les ro- ches, Comme les coquilles renferment moins de matière organique que les os, leur densité s'accroît moins par la fossilisation, et elle se rapproche davantage de celle de la chaux carbonatée, 2,80. La densité des os augmente, on le conçoit, à mesure que l’osséine diminue ou que l'azote disparait, de sorte que la dé- terminalion de la densité peut, comme le dosage de l'azote, dont nous parlerons ci-après, donner quelques indications sur leur âge, les quantités de substance d’origine organique sui- vant en général une progression inverse de celle du temps. Les substances minérales qui s'introduisent pour augmenter la den- sité, ou bien remplissent les cellules des tissus osseux, ou bien se combinent avec lui. Les os de Rhinocéros provenant des faluns de la Touraine ont offert une densité de 2,747 ; ceux de Lamantins, 2,841, tandis que dans les os de Lamantins vivants elle ne s'est trou- vée que de 1,998. Dans ces os, c’est le phosphate de fer qui augmente la densité; dans ceux de l'argile des lignites, ce se- rait à la fois le fer carbonaté et le fer sulfuré. Si nous reprenons nos citations d'analyses dans l'ouvrage de (1) Recherches de l'axole et des matières organiques dans l'écorce ter- restre (Ann. des mines, à° sér., vol, AVIIT, p. 206. 1860). ANIMAUX VERTÉBRÉS. 507 MM. Pelouze et Fremy, nous trouverons que celle de dents fos- siles d’Ours a présenté les résultats suivants (Lassaigne) : 1 1-1 at ele. : » 10,0 Oxyde de fer et de manganèse. . . . . . » 3,0 Phosphäte de chaux... . . . . . . . 70,0 37,0 — de magnésie et fluorure de calcium. » 15,0 a D : » 35,0 et 2 à » A LU » rhonate de hace Er ,02L Te, , cure 00 46,0 » 400,0 100,0 Ces dents ont dû se trouver dans des conditions très-diffé- rentes pour avoir présenté des résultats aussi discordants. CE 2 e DEFENSE D ELEPHANT FOSSILE (GIRARDIN ET PREISSER). PRSphrie de CHAR 0 nn. A . 2, + 10,91 APS LUE IAB 0 00 À ue e à 9,05 Cambanate’de-chauxentet et ommun xen AN: 18,40 Hluoture, de calcium smart nue 2,64 100,00 DENTS FOSSILES DE RHINOCÉROS (BRANDES). Phosghate;de chaux: 4. ut sis t 10,0 00,0 Larbonate de CHAUX. . : 2: . . … 6,0 19,0 Substance terreuse.". . . . . 7.1. 90,0 » DRE TRNPUMAUR EUR ESS RnTvAN. » 5,0 LUTTE NME EMREL NET TRE ATE » 15,0 Matière animale. Resa ei 4,0 3,0 Eau. . 8,0 Nous ferons ici la même remarque que ci-dessus, en regret- tant qu'il n'ait pas été fait d'analyses séparées de l'émail et du cément. C’est un desideratum que nous signalons également pour les dents d’éléphants fossiles. Il résulte des analyses comparées des os de mammifères vi- vants et fossiles que le phosphate de chaux forme à lui seul plus de la moitié de la masse, et son inaltérabilité explique parfaitement leur conservation et surtout celle de leurs parties qui en renférment le plus. Aïnsi les os longs en offrent plus que ceux du tronc, et ceux des membres postérieurs plus Résumé. 508 COMPOSITION CHIMIQUE DES FOSSILES. que ceux des inférieurs ; les extrémités destinées à fonctionner fréquemment dans les actes de la vie en renferment aussi une plus grande proportion que celles qui sont plus passibles. Ainsi les diverses parties solides d’un squelette rangées dans l’ordre de leur plus grande résistance à l’altération, ou de leur plus facile conservation, ordre qui doit être celui de leur plus grande fréquence à l’état fossile, toutes choses égales d’ailleurs, sont les dents, les os longs, le crâne, la mâchoire, les extrémi- tés postérieures et antérieures, le bassin, les vertèbres et les côtes. Or la proportion du phosphate de chaux dans ces diverses parties est précisément en rapport avec leur degré d’inaltérabi- lité, les dents étant celles qui en renferment le plus, et les côtes celles qui en présenteñt le moins. Les dents, indépendamment de leurs fonctions mécaniques si essentielles et d'un usage si constant, exigeant une grande résistance physique, devaient aussi pouvoir résister aux agents chimiques avec lesquels elles sont incessamment en contact ; les côtes, au contraire, par leur rôle passif, et n'étant en contact avec aucun corps extérieur, n'avaient besoin que d'une faible résistance relative. Aussi les résultats que nous présentent ces parties à l’état fossile sont ce que l'on devait attendre de leur composition ; les dents sont, de toutes les parties d'un squelette, celles qu'on retrouve le plus souvent et le mieux conservées, les côtes celles qui sont le plus rares et dans le plus mauvais état, Ainsi, par une admirable prévoyance, la nature prend soin d'accumuler la substance la plus solide et la plus résistante, précisément dans les parties de l'organisme qui sont chargées de plus de travail, les moins protégées et les plus exposées aux causes de destruction extérieures. La proportion du phosphate de chaux s’élève dans la dent de l'homme jusqu’à 88,5 0/0 (1), suivant Berzelius, et la quantité (1) D'autres analyses ont donné, pour la composition de l'ivoire chez l'homme adulte, 60 0/0 de phosphate de chaux et 10 0/0 de carbonate de chaux; l'émail, 72 de phosphate de chaux, 8 de carbonate de chaux et 20 de matière animale. ANIMAUX VERTÉBRÉS. 509 relative dans l'émail, l’ivoire et le cément, des dents de rumi- nants, est à 90,9, 70,5 et 60,7; ainsi l'émail est la plus résis- tante de toutes les parties solides d'un squelette. Et nous avons vu que dans les dents fossiles le phosphate de chaux entrait aussi pour 70 à 76 0/0 de leur composition générale ; telle est la raison de leur constante conservation. Cette fixité communi- quée aux parties solides des vertébrés par une plus ou moins grande quantité de phosphate de chaux est la cause pour la- quelle on ne les trouve point à l’état de moules et d'empreintes, et les dents moins encore que toutes les autres, non-seule- ment chez les mammifères, mais aussi chez les reptiles et les poissons. Il aurait fallu, pour faire disparaitre les os et les dents, des agents plus énergiques que ceux qu’emploie or- dinairement la nature, elle qui agit presque toujours par les causes lentes. Pour son laboratoire, nos heures sont des années, et nos années des siècles. Les défenses de pachydermes ont, comme on vient de le voir, une grande analogie de composition avec les dents, puis- que celle d'un Éléphant fossile renfermait 75 0/0 de phos- phate de chaux, ce qui explique leur fréquence, malgré les conditions généralement peu favorables dans lesquelles elles se sont trouvées. L’analogie des bois de ruminants (Cerfs, Élans, Rennes, etc.) avec les os explique également leur fré- quence, de même que la composition des cornes de Bœuf, dont le noyau seul est osseux, des sabots de Cheval, des crins, des ongles, des cheveux, des poils, des piquants cornés, elc., qui ne contiennent aucune base minérale en quantité un peu notable pour leur communiquer une certaine stabilité, rend compte de leur absence complète dans les circonstances semblables. La composition chimique d’un corps organisé a donc la plus grande influence sur son degré de conservation ou d'altération, soit par elle-même, soit par suite des actions qu’exercent les substances avec lesquelles il se trouve en contact. Nous avons déjà dit quelques mots de la composition générale des os dans les trois autres classes de vertébrés. Ceux des oi- seaux, à volume égal, paraissent contenir plus de substance ter- 35 Oiscaux, reptiles, poissons. Écailles de “reptiles, o10 COMPOSITION CHIMIQUE DES FOSSILES. reuse que les autres ‘vertébrés, quoique sous ce volume leur densité soit moindre, Dans les poissons, la proportion des sels terreux est plus faible que chez les mammifères et les oiseaux. Aussi sont-ils rares à l'état fossile comparativement à labon- dance des animaux de cette classe qui ont dû peupler les mers anciennes. Les poissons que l’on rencontre, sauf dans certains gisements particuliers où 1ls ont été heureusement conservés plus ou moins entiers, sont presque toujours déformés, aplatis, écrasés et représentés par leurs écailles, remplacées elles- mêmes, comme on l'a dit, par des matières bitumineuses ou métalliques. Dans les poissons cartilagineux, les cartilages qui difièrent peu de ceux des autres vertébrés, élant composés de 0,16 de phosphate de chaux, de magnésie et de fer, de 0,12 de sulfate de chaux avec des traces d'alumine, de soude, de potasse, tout le reste étant de la matière animale, ne sont, par conséquent, point conservés à l'état fossile. Les écailles de reptile à l'état frais sont composées d'une substance cornée qui, dans les jeunes Crocodiles, renferme peut-être 4 1/2 0/0 de matières terreuses, etil n’y en a pas _plus de 5 0/0 dans les écailles de la crête dorsale, qui sont celles qui en renferment le plus. Elles sont, par conséquent, rares à l'état fossile, ou ont été prises pour des écailles de poissons, Suivant MM. Pelouze et Fremy, la composition de l’écaille des reptiles se rapproche de celle de la matière cornée, tandis que celle des écailles de poissons offre une certaine analogie avec la composition des os. L'écaille de tortue a donné a second de cessavants (p. 249) : ne PRIE NN ARE EEE Hydrogène. tome aa HAUT EN, 7,2 | Aole: hadwenaiitus ni ansliéax aix: 0388 Oxygène et-soufre: .. : .:. 0. . , «228 100,0 Les écailles de serpents et de Lézards paraissent offrir une composition identique avec celle des tortues. Le résidu de cen- dres alcalines ne dépasse pas 0,05, suivant Berzelius. Ce ANIMAUX VERTÉBRÉS. 511 K == Os ANALYSES DE DIVERS OS DE POISSONS (P. 275). de poissdaist: CRANE os ÉPINE DORSALE CRANE DE MORUE. DE BROCHET, DE REQUIN. DE NAE. > Matière animale. . . . . . . . 43,94 31,36 à7,07 78,46 Phosphate de chaux. . . . . . 47,96 99,26 32,46 14,20 Sullatede-chaux. : 4.1.5. » 1,87 0,83 barhonate de chaux. . . , ... 9,50 6,16 A 2,01 Phosphate de magnésie.. . . . 2,00 » 1,05 D Sulfate de soude. . . . . . . » » 0,80 0,70 Soude et chlorure de sodium... . 0,60 4122 5,00 9,46 éethiperté,. 2.4. aan. °» » 1,20 » Fluorure de calcium, phosphate de magnésie et perte. , . . » » » 0,74 100,00 100,00 100,00 100,00 CHEVREUL. DUMÉNIL. MARCHAND. 1D. Les écailles de poissons renferment une matière animale Écailles : : £ Ë £ de poissons. analogue à celle qui constitue les cartilages de ces animaux, °° Elles perdent à 100° de 11 à 16 0/0 d’eau. On doit à M. Che- . vreul les résultats suivants : LEPISOSTEA, PENCA LADRAX, Substance animale azotée, . . 41,10 02,00 51,42 Phosphate de chaux. . . . . 46,20 37,80 42,00 Carbonate de chaux.. . . . . 10,00 3,06 3,68 Phosphate de magnésie. . . . 2,20 0,90 0,90 TE eh anal 0,40 0,40 1,00 Carbonate de soude. . . . . 0,10 0,90 1,00 Pulse ia ’ » 1,94 » 100,00 100,00 100,00 Page 250. PHOSPHATE PHOSPHATF CARDONÈTE CENDRES D'ÉCAILLES DE QUANTITÉS. ÎDE CHAUX: DE MAGNÉSIE. DE CHAUX. Lepisostea (éc. osseuse). . 59,3 01,8 4,6 4,0 TE ip d1,0 44,6 » ,2 71. PNR PENSE 41,9 56,4. 0,7 2,0 LUS RSI 45,4 42,5 traces 4,3 UEOM EE RPC PNNRE 34,2 09,7 traces 1,1 Ces analyses expliquent très-bien pourquoi on rencontre fréquemment les écailles de poissons à l'état fossile, tandis que celles des reptiles ont presque toujours disparu, Mais des diverses parties solides des animaux vertébrés, celles ponts qui ont le plus énergiquement résisté aux causes de destruction 4 Poissons. »12 COMPOSITION CHIMIQUE DES FOSSILES. chimiques et physiques de tous les temps et quelles que soient les roches qui les renferment, celles que par conséquent on ne trouve jamais à l'état de moules ou d'empreintes, et qui ont presque toujours conservé une fraicheur telle qu'elles sem- blent s'être détachées à l'instant de l'animal, ce sont les dents de poissons, les plaques palatales ou en pavés, ele., qui garnissent la bouche de ces animaux. On les rencontre souvent à profusion dans des couches où l'on ne trouve point de traces de leurs autres parties, sauf quelquefois des ver- tèbres en petit nombre. Nous ne possédions cependant jusqu’à présent aucune analyse qui vint nous expliquer cette imaltéra- bilité presque absolue, laquelle pouvait seulement nous faire soupçonner dans ces organes une proportion énorme de phosphate de chaux au moins égale à celle de l'émail des mam- mifères. | Notre savant collègue au Muséum, M. Fremy, a bien voulu, à notre prière, combler cette lacune, et nous sommes heureux de compléter les renseignements que nous avions déjà puisés dans son ouvrage en insérant ici les résultats de ses dernières recherches. Les dents de poissons vivants (Oxyrhina, ete.) que nous devons à l'obligeance de M. A, Duméril étaient en général trop petites pour que l'on püt en analyser séparément et d'une manière quantitalive les deux parties constituantes, l'émail et l'ivoire; mais il résulte des essais qualitatifs que leur émail ne contient qu'une quantité insignifiante de substance organique, et qu'il est presque entièrement formé de phosphate de chaux uni à quelques centièmes de carbonate de chaux. Cette composition, presque uniquement minérale, constitiiii ainsi à la surface de livoire une couverte indécomposable et préservatrice, explique très-bien la solidité et la conservation des dents enfouies dans les eee sédimentaires des divers àges. Quant à l'ivoire de ces mêmes dents, il a paru être iden- tique avec l'ivoire ordinaire des dents des autres vertébrés, et sous tous les rapports il peut être comparé à la substance d’un ANIMAUX VERTÉBRÉS. 515 os. On peut dire qu’en général les dents de poissons, quant à la composition de l'émail et de l'ivoire, ne diffèrent pas sensi- blement de celles des autres vertébrés; mais, toutes propor- tions gardées, l'émail y est plus abondant relativement à l'ivoire, et c'est sans doute à cette circonstance que leur conservation est encore plus complète et plus constante à l’état fossile que celle des autres animaux. L'analyse des dents de poissons fossiles tertiaires a présenté les résultats suivants à M. Fremy : CARCIARODON MEGALODON. CARCIIARODON SULCIDENS, (faluns de Dax) (crag de Felixtow) ÉMAIL. IVOIRE. ÉMAIL, IVOIRE. Phosphate de chaux.. . . . 81,41 48,19 24,98 3,59 der lé ais 4,51 217,85 62,05 72,72 — de magnésie. . . 4,72 1,35 1,62 1,60 Drbonate de chaux : pare AUS C1 7 0 18,901::49%37 M, 4 LE re traces 0,40 traces 0,50 Matières minérales diverses. 2,38 4,64 3,50 2,49 100,00 100,00 100,00 100,00 Il résulte de ces analyses que, par suite de la fossilisation, la quantité de matière organique azotée qui, dans les dents entières de poissons vivants, pouvait être de 50 à 35 0/0, comme on l'a vu pour les os, a complétement disparu. Les dents fossiles examinées ne contiennent plus de traces d’os- séine. Par la calcination, elles deviennent légèrement brunes ct dégagent une odeur bitumineuse due à la présence d'une très-faible quantité de matière organique étrangère à la consti- tution originaire des dents. Pendant la fossilisation, l'osséine est remplacée par du car- bonate de chaux et du péroxyde de fer, qui se trouvent d'abord en dissolution dans l'acide carbonique, et qui se fixent en- suite dans le tissu dentaire. L’oxyde de fer vient même y remplacer une partie de la chaux; en s'unigsant à l'acide phosphorique, il forme un phosphate de fer insoluble. Les phénomènes chimiques de la fossilisation, ajoute M. Fre- my, doivent varier avec la composition de la roche où la trans- formation s’accomplit, Je les ai étudiés dans ‘une roche cal- Coprolithes. Mammifères. Oiseaux. Reptiles. Poissons. o14 COMPOSITION CHIMIQUE DES FOSSILES. caire et ferrugineuse; ils seraient probablement différents dans une roche siliceuse ou argileuse. Ils peuvent également varier avec le degré de porosité de l'os qui se fossilise. Il en résulte que l'étude chimique des os fossiles n’est pas de na- ture à fournir des données certaines et utiles pour la déter- mination de leur âge, car le temps n’exerce pas seul son in- fluence sur les modifications chimiques qu'ils éprouvent à l'intérieur du sol. Les fèces d’animaux vertébrés que l'on rencontre dans les couches sédimentaires, et que l'on désigne sous le nom gé- néral de coprolithes, diffèrent, comme on le conçoit, suivant les animaux dont ils proviennent, et peuvent, dans certaines circonstances, sinon suppléer à la présence de ceux-ci, au moins faire soupçonner leur existence. Des coprolithes de mammifères ont donné, sur 1000 parties : Phosphate dé chaux, :-.-, 4... . + 4000 Carbonate de chaux. . . . . . . . . . . . . . : 450 ÉQn. hein es tie an ve Lots RS Limon siliceux et oxyde de fer. . . . . , . . . . où Fluorure de calcium, matière organique. . . . . , traces Porte. Li drials Maine s 14e Loiret CC d0 1000 Des coprolithes d'oiseaux ont donné sur 100 parties : Eau, matière organique, urate et sels d'ammoniaque. 10,30 Chlarure de! sodium 2643242080 tie 1 CEE 0,91 Sulfate de chaux et de magnésie, . , . . . . . . 4,75 Phosphate de chaux et de magnésie. . . . . . . . 39,60 ÉANDOMLO dE CEE. a Ne at nue one Cas ON GINOR A7 De Dr QT RE SON RAT 4 I QUES 100,00 Nous ne connaissons qu'imparfaitement la composition des coprolithes de reptiles dans lesquels la proportion du phos- phate et celle du carbonate de chaux paraît être moindre que dans les précédents. Quant à ceux de poissons, ils contiennent jusqu'à 90 0/0 de ANIMAUX INVERTÉBRÉS. 515 phosphate et de carbonate de chaux, de phosphate de magnésie, des oxydes de fer et de manganèse, de la silice, des traces de matières animales, etc. Si, d’une part, l'acide urique caractérise les coprolithes d'oiseaux, et si les coprolithes diffèrent par leur composition de toutes les autres substances organiques, on doit supposer que cette composition n’est représentée que d’une manière très-imparfaite à l'état fossile, vu la grande quantité de sub- slances altérables ou déliquescentes qui ont dû disparaitre, tandis que d’autres ont pu y être introduites par des opérations inverses. G Nous désignerons sous le nom d'empreintes physiologiques, pour les distinguer des empreintes ordinaires laissées par un corps dans la roche où il a été enfoui, les traces que des ani- maux vertébrés ou autres ont faites en marchant sur le sable humide des bords de la mer ou d’un lac. Ces empreintes de pas, qui nous donnent la forme du pied des animaux qui les ont tracées, sont particulièrement attribuées à des reptiles, à des oiseaux, quelquefois à des annélides et à certains crustacés. Les plus remarquables jusqu’à présent sont celles que l’on trouve dans des couches arénacées ou des grès de la formation du trias en Allemagne et en Angleterre, et qui ont été rap- portées à des reptiles, et celles beaucoup plus nombreuses et plus variées signalées dans le grès rouge de la vallée du Con- necticut. On a donné à ces dernières le nom d'Ornithichnites, parce qu'on présume qu'elles sont dues à des oiseaux dont on doit dire que jusqu’à présent aucun fragment n’est venu con- firmer l'existence. Ces empreintes, comme on le conçoit d’après leur origine, se trouvent en relief sur la plaque de grès supé- rieure et en creux sur celle de dessous. $ 4. Animaux invertébrés. Si nous passons à la grande division des animaux sans ver- tèbres, nous trouverons dans la classe des crustacés des con- Empreintes physio- logiques. Crustacés. 516 COMPOSITION CHIMIQUE DES FOSSILES. ditions qui ont été souvent très-favorables pour leur conserva- tion à l’état fossile. Leur enveloppe solide, composée d'une grande quantité de carbonate de chaux, dé matière animale et d'une moindre proportion de phosphate calcaire, offre d’ail- leurs, suivant les familles et les genres, des quantités très- différentes de ces divers éléments. Certains crustacés ont une enveloppe extérieure à peine cornée; chez d'autres elle est tellement chargée de calcaire qu’elle possède une extrême solidité. Lorsque l'enveloppe tégumentaire est demi-cornée, elle se compose presque exclusivement d'albumine et de chitine, substance organique ainsi nommée par Braconnot, et qui se trouve aussi chez les insectes. Insoluble dans l'eau, l’éther et l'alcool, elle est solide, transparente, d'aspect corné, des plus inaltérables, et joue chez les articulés le rôle du phosphate de chaux chez les vertébrés. Elle n'est point azotée, et sa com- position correspond à celle de la cellulose. M. Fremy indique la suivante (p. 95) : LATRONS. LS à M6 a rene US, + 6,7 Hyjütogège. "es 4 ei rh 45,4 Opens 11,201: 460 eu US SIENS 100,0 Elle se trouve également dans les carapaces les plus résis- tantes et les plus chargées de matières calcaires. Dans celle du Carcinus mænas, M. Milne Edwards indique 10 0/0 de chitine, 18 d’eau, 63 de sels calcaires et d’un peu de matière animale, et 8 d'alumine. Dans les segments dorsaux et les anneaux de l'abdomen il y avait 20 0/0 de chitine et 54 de substances terreuses. M. Fremy a donné les résultats suivants des analyses du test de la Langouste et de l'Écrevisse : TEST DE LANGOUSTE. TEST L'ÉCREVISSE. Phosphate de chaux. . . . . . 6,7 6,7 Carbonate de chaux. . . . . . 49,0 26,8 Matière organique. . . . : . . 44,3 56,9 100,0 100,0 ANIMAUX INVERTÉBRÉS. 517 On doit à M, Chevreul les analyses suivantes . TEST DE HOMARD, TEST DE CRABE, Phosphate de chaux. . . . . , 3,92 6,0 — de magnésie. . . . . 1,96 1,0 Carbonate de chaux. . . . . . 47,26 62,8 Matière organique. . . . . . . 44,76 28,6 els de soude: ina as 1,50 1,6 La matière verte colorante du test, qui se trouve aussi dans les œufs de Homard, devient d’un beau rouge par la dessiccation, le frottement, dans le vide, l'alcool, l’éther, les acides, etc. ; l'eau est le seul dissolvant qui ne l’altère pas. On sait que les crustacés de la grande famille des trilobites règnent à peu près exclusivement dans les dépôts de transition ; les crustacés macroures sont les plus fréquents dans les dépôts secondaires, les brachyures, dans le terrain tertiaire, les cirrhi- pèdes, sauf quelques petits genres (Pollicipes, Scalpellum, ete.), sont plus particulièrement tertiaires, les entomostracés sont de tous les âges. Les conditions de la fossilisation ou de la conservation des crustacés sont assez différentes, suivant les genres et les diverses parties d’un même individu, et ces différences sont encore, comme dans les divers os du squelette des verté- brés, en rapport avec la proportion de phosphate de chaux, de carbonate de chaux et de chitine que ces parties renferment. Aussi y a-t-il des genres dont on ne retrouve que la carapace dorsale, d’autres les pinces, etc. Les restes de crustacés macroures sont moins fréquents que ceux des brachyures ou des Crabes, dont on retrouve souvent ‘toute la carapace dorsale parfaitement conservée. Cependant les Calianassa, très-répandues dans la formation crétacée supérieure et le terrain tertiaire inférieur, n'offrent presque jamais que les pinces à l’état fossile (G. Faujasii, Archiaci, Heri- carti, elc.); d'où nous devons conclure que la carapace de ces animaux, de même que les anneaux de l'abdomen, ne renfer- maient que peu ou point de phosphate et de carbonate de chaux ni de chitine. Ce caractère s'observe aujourd'hui dans le crus- tacé vulgairement connu sous le nom de Bernard l’ermite. Insectes. o18 COMPOSITION CHIMIQUE DES FOSSILES. Quant au test des trilobites, il a subi de telles modifications par suite des circonstances auxquelles il a été soumis pendant un laps de temps énorme, que, réduit aujourd'hui à l’état de calcaire spathique, il ne nous indique rien sur sa composition originaire ni sur sa structure première. Ce test, d’ailleurs fort mince, a le plus ordinairement disparu, et ces singuliers ani- maux ne nous sont connus que par leurs moules et leurs em- preintes représentant seulement la surface supérieure du corps, l'inférieure n'étant presque jamais apercevable. Dans les divers terrains, on rencontre aussi les autres :cerus- tacés à l’état de moules et d'empreintes. Quant à l'ordre des cirrhipèdes, comprenant les Balanes, les Anatifs, etc., la solidité de leur test celluleux et leur manière de vivre fixés aux roches et sur tout autre corps devaient contribuer à leur conservation dans la plupart des cas. La composition de ce test est d'ailleurs assez analogue à celui des mollusques, dont nous parlerons tout à l’heure. Cependant on doit remar- quer que dans les Balanes, les Pollicipes, les Scalpellum, ete. le test étant composé de parties assez compliquées et distinctes, dont la composition chimique n’est pas absolument identique, elles ne résistent pas toutes également à altération, et certaines d'entre elles se trouvent alors isolées, comme on le voit dans la craie blanche et la craie supérieure. Nous ne possédons point de données bien certaines sur la composition du test des entomostracés (ostracodes). L'aspect corné des valves de Cypridinées et leur conservation parfaite dans un grand nombre de cas, ainsi que leur abondance dans la plupart des terrains, doivent faire présumer qu'elles renfer- ment beaucoup de sels calcaires et probablement de chitine, Mais, dans certaines circonstances aussi, on ne les retrouve qu'à l’état de moules et d'empreintes. Les téguments externes solides des insectes, souvent cornés. comme dans les crustacés, se composent aussi de chiline ow élythrine, désignée plus particulièrement sous le nom d’ento- moline, d'une autre substance organique, la coccine, et d'huiles diversement colorées, suivant les espèces. On y trouve également ANIMAUX INVERTÉBRÉS. 519 de petites quantités d'alumine, de sous-carbonate de potasse, de phosphate de chaux, etc., composition qui se rapproche de la corne des vertébrés. Aussi ne rencontre-t-on les insectes fossiles que dans des conditions particulières, soit à cause de leur délicatesse et de leur extrème fragilité, soit à cause de leur altérabilité, toujours en rapport avec le plus ou moins de chitine qu'ils renferment. Ces conditions sont cependant encore assez fréquentes pour que, dans certaines localités, les dépôts tertiaires et secondaires nous permettent de juger des caractères de la faune entomolo- gique de ces époques (Armissan, Aix, en France ; Œningen, en Suisse ; Radoboï, en Croatie; Solenhofen, en Bavière ; ambre des bords de la Baltique, groupe wealdien, schistes de Stonesfield et lias d'Angleterre). Les élytres des coléoptères, les ailes des névroptères, les pattes, les antennes, ont été conservés de ma- nière à permettre souvent des déterminations assez précises et à suivre le développement des divers ordres dans le temps, pa- rallèlement à celui des végétaux dont dépend leur existence. Les insectes se montrent en plus grande quantité là où abondent surtout les plantes terrestres, et, dans la plupart des cas, on doit supposer que la terre était proche et qu'ils ne furent pas transportés bien loin des lieux où ils vivaient. Les dépôts qui les renferment sont d'eau douce ou formés dans des esluaires non loin des côtes; aussi la plupart des espèces sont- elles terrestres, et beaucoup d’entre elles habitaient les bois, les marais bas ou des lieux humides, Parmi les annélides tubicoles, les Serpules ont laissé leurs tubes calcaires solides, qui se sont conservés dans le plus grand nombre des cas, n’ayant perdu que la matière animale qui s’y trouvait comprise, toujours en fort petite quantité, comme dans le test calcaire des mollusques. Souvent, d’ailleurs, on a pris pour des tubes provenant d’animaux de cette classe des tuyaux de Vermet, de Taret, de Septaria, ete. Quelquefois les tubes ont été silicifiés et même à l’état d'orbicules (Serpula spirulæa, Lam., de Biarritz.) Les annélides arénicoles ont aussi laissé, à la surface du sable humide ou de la vase de la plage, des Annélides. Mollusques. Cépha- lopodes. 520 COMPOSITION CHIMIQUE DES FOSSILES. empreintes que les couches suivantes ont conservées et nous ont transmises dans certaines circonstances favorables, comme celles de la marche des reptiles et des oiseaux. Telles sont les Nérëites, les Némertites et les Myrianites du terrain de tran- sition, le Scoletia prisca de la craie, ete. Les coquilles ou parties solides des animaux mollusques sont de tous les débris fossiles les plus variés, les plus constants et les plus utiles pour l'application de la paléozoologie à la géo- logie. Elles ont ainsi un double intérêt scientifique et pratique qui doit appeler particulièrement notre attention. Quoique la composition de leur test ne soit pas identique dans les genres et les familles, le carbonate de chaux y est toujours | la substance dominante, et cette composition peut être repré- sentée d'une manière générale par 95 à 96 0/0 de chaux ear- bonatée, 1 à 2 de chaux phosphatée, 4 à 1 1/2 d'eau et 4 0/0 de matière animale. Les coquilles de céphalopodes renferment plus de cette dernière substance que celles des autres ordres ; aussi leur test est-il plus rare à l’état fossile et ne se retrouve-t-il que dans des conditions particulières. À Les coquilles de céphalopodes peuvent donner lieu à des remarques spéciales, suivant les ordres, les familles et les genres dont leurs restes proviennent. Ainsi, parmi les décapodes, les parties solides intérieures désignées sous le nom de plumes ou d'os dans les Teudopsis, les Geoteuthis, les Leptoteuthis, et analogues à l'os de la Sèche ou à celui du Calmar, se rencontrent à l’état fossile, parce que ces corps sont composés de carbonate de chaux et de chitine, et non d'une véritable corne dont ils n'ont que l'apparence, Ainsi l'os de la Sèche renferme, suivant John (1) : MAUETG ANUDAIS. À + PTE en ses, à « we OS Carbonate de chaux et traces de phosphate de chaux. 85 Eau et un peu de magnésie. . . . . . . . . . . 4 106 La plume de Calmar contient de la chitine. (1) Pelouze et Fremy, loc. cit, p. 291, ANIMAUX INVER TÉBRÉS. 521 Des Sèches proprement dites on trouve à l’état fossile l’ex- trémité de l'os, qui est beaucoup plus compacte, plus dur et plus solide que le reste, et désigné d’abord sous le nom de Belosepia. Le Beloptera, qui est aussi l'extrémité de l’os d'un céphalopode voisin du précédent, et appartenant de même au terrain tertiaire inférieur, doit sans doute sa conservation à une composition analogue. Dans les Bélemnites, formées de deux parties distinctes, le cône cloisonnaire intérieur et la gaine extérieure, celle-ci est sans exception cristalline, à fibres rayonnantes. La densité du corps égale celle des Pinna vivantes, et il peut être comparé, ainsi que nous l'avons dit (antè, p. 48%), à l'extrémité ou rostre de l'os de la Sèche. Quant au cône alvéolaire, les loges se remplissent de la matière de la roche ou de carbonate de chaux par le siphon, comme dans les Orthocératites, avec lesquels il a été souvent confondu ; mais son test particulier ne présente jamais la structure fibreuse. Comme tous les tests naturellement spathiques, celui de la gaine des Bélemnites est presque toujours conservé, et ce corps ne donne pas lieu à des moulages ou contre-empreintes. Il est très-rarement recouvert de fer sulfuré (Bélemnites des marnes du lias de Vassy). Plus rarement encore, cette substance revêt le cône alvéolaire. Dans un individu complet, provenant du lias de Mariensagen, le fer sulfuré s'était introduit entre le test du cône et le remplissage des loges par la marne de la roche environnante. La pellicule irisée était d'une minceur extrême et revêtait également les cloisons. Là dissolution s'était évidem- ment introduite par le siphon, et la gaine extérieure ne pré- sentait aucune trace de revêtement métallique. Dans les céphalopodes à coquilles cloisonnées, à cloisons simples ou ramifiées, droites, plus ou moins courbées, ou tout à fait enroulées, les phénomènes de la fossilisation sont extrèmement variés. Depuis les Orthocératites jusqu'aux Nau- tiles, depuis les Baculites jusqu'aux Ammonites, en passant dans les deux séries par toutes les formes intermédiaires dont on a fait autant de genres, nous trouvons des moulages com- PPS * Ah © 2 222 COMPOSITION CHIMIQUE DES FOSSILES. plets des cavités intérieures avec le test, les cloisons et le si- phon en partie conservé. Nous disons en partie, parce que sil était resté intact dans toute son étendue, le moulage des loges n’était pas possible dans les espèces où le siphon est continu. Le moulage peut avoir été également complet et la matière du test avoir ensuite été remplacée par du fer sulfuré, comme dans les Ammonites du gault, des argiles d'Apt, d'Oxford, du lias, ete. Dans ce cas, l’épigénie est nécessairement posté- rieure à l'opération du moulage. | Mais, le plus ordinairement, le fer sulfuré s'est déposé sur les parois des loges et a doublé en quelque sorte les cloisons d'une mince pellicule de substance minérale ; il en est de même du test extérieur, ce qui fait souvent croire qu'il y a eu substi- tution; mais, en réalité, on peut observer ce dernier toujours très-mince, compris entre les deux lames de fer sulfuré, Nous avons dit (antè, p. 494) que, toutes les fois que l’on apercevait sur le pourtour extérieur du corps les sutures des eloisons, c'est qu'on n'avait sous les yeux qu'un moule, et non la représenta- tion du test. Enfin, dans un grand nombre de cas, le fer sul- furé, plus où moins altéré à la surface, est passé à l’état de fer oxydé hydraté. Dans d’autres cas, le fer hydroxydé et le fer oligiste ont joué le rôle du fer sulfuré (antè, p. 494). Le test calcaire nacré d'une coquille de céphaiopode cloison née peut encore être passé complétement à l’état spathique et cristallin (Nautiles de Poolithe inférieure, Ammonites du lias, ete.), ou bien avoir été remplacé complétement aussi par de la silice ordinairement calcédonieuse, sans que les cavités des loges aient été tout à fait remplies (Ammonites du grès vert des Blackdowns et du Havre). Les loges peuvent être occupées partiellement par du carbonate de chaux qui a cristallisé sur leurs parois, ou par de la silice qui les a tapissées en tout ou en partie de cristaux de quartz, parfois enchevêtrés avec ceux de carbonate de chaux. Le remplissage de toutes les loges d'une Ammonite ne s'est pas toujours effectué d’un seul coup ni avec la même substance; cette opération a été quelquelois très-longue, interrompue à diverses reprises, et chaque phase Es SL 22, 6 VC OA QT da MER À à ne Ÿ ANIMAUX INVERTÉBRÉS. 593 est caractérisée ou marquée par une substance différente, ce qu'il est facile de constater par une coupe faite dans le plan d'enroulement de la coquille, et qui met toute la spire à dé- couvert suivant le siphon. On pourra y voir, à partir du centre, que le remplissage a été effectué tantôt par la matière de la roche environnante, tantôt par du carbonate de chaux pur ou par de la silice; puis quelques loges sont restées vides en partie, et les suivantes sont occupées par un sédiment argi- leux ou d’une tout autre nature; enfin les dernières sont rem- plies encore par la matière de la couche qui renferme le fossile. Dans certains cas, comme dans une Ammonites bifrons du lias supérieur, chaque loge prise isolément constitue une géode de carbonate de chaux mamelonné, composée de zones de di- verses teintes de brun, et dont le centre est quelquefois occupé par des cristaux de quartz hyalin. Le siphon est dans toute son étendue rempli de calcaire spathique brun. Dans une A. ob- tusus du lias de Lyme-Regis, le moule complet est en carbonate de chaux pur dans les trois quarts de la spire, et, en se rappro- chant de l'ouverture, 1l se mélange de plus en plus de la pâte de la roche qui constitue seule le remplissage des dernières loges. Souvent, après que les loges des premiers tours ont été remplies par le sédiment de la roche environnante, celles des suivants restent vides, ou simplement tapissées de chaux car- bonatée, et les dernières sont de nouveau remplies par la matière de la couche. Enfin toute la spire peut être remplie par cette dernière. Mais que l’opération ait été continue ou in- termittente, on conçoit qu'elle a toujours exigé un laps de - temps très-considérable. L'opération du moulage est d'autant plus parfaite, que la matière qui l’effectue est à pâte plus fine, Ainsi les moules d'Ammonites du calcaire compacte ou marbre d'Halstadt, sont, malgré l'extrême complication des sutures, d'une finesse et d'une délicatesse de détail que le burin le plus exercé ne dépas- serait pas. Si quelquefois les Ammonites, les Hamites et les Nautiles ont conservé leur test nacré, mince, irisé comme dans le gault, il Gasté- ropodes, Acéphales, 224 COMPOSITION CHIMIQUE DES FOSSILES. ne reste, dans le plus nombre de cas, qu'un moule ou une contre-empreinte reproduisant les caractères intérieurs de la coquille ou toutes les sutures des cloisons, et, en même temps, à cause de la minceur constante du test, la plupart des acci- dents ou ornements extérieurs. Sur quelques moules ou empreintes d'Ammonites, de Sca- phites, de Turrilites ou de Hamites, de la craie de Rouen par- ticulièrement, on remarque une teinte légèrement irisée, comme la nacre, et que l’on pourrait attribuer à une portion du test restée adhérente ; mais ce n'est, en réalité, qu'un phé- nomène analogue à celui d'une empreinte prise avec une cire très-homogène sur un test nacré et irisé, et qui serait dù à une disposition particulière des aspérités très-délicates de la surface nacrée. Les mandibules calcaires des Nautiles (N, lineatus de l'oolithe inférieure du Calvados et de Saint-Maixent) et celles désignées par les noms de Conchorhynchus du trias, de Rhynchoteuthis des formations jurassique et crétacée, de Paleoteuthis, 1b., sont parfaitement conservées, tandis que les mandibules cor- nées des autres céphalopodes acétabulifères ont disparu. Les coquilles de gastéropodes n'éprouvent point d’altérations particulières ; le moulage en est ordinairement très-simple et le résultat souvent peu caractéristique ; mais dans certains cas cette opération peut donner lieu à des méprises contre les- quelles il faut être prémuni. Ainsi, chez les Nérites, les Néri- topsis, les Cônes, ete., qui, de leur vivant, détruisent ou résor- bent tout ou partie de l'intérieur des tours de la spire, le moule ne présente le plus souvent qu'une masse pleine, continue, sans divisions apparentes. Ceux de N. Schmideliana en sont un exemple bien connu. L'analyse des écailles d'Huitres a donné à MM. Bucholz et Brandes (1) : Phosphate de chaux.. . . . © . . . . 1,2 Carbonate. de chaux... te + f8}S Matière organique. . . . . , « - . . 0, 100,0 (1) Loc. cit., p. 290. ©r Le] [SL ANIMAUX INVERTÉBRÉS. Celle de la nacre de perle : Matière organique. . « « . « . . . . 2,5 Carbonate de chaux... , . . . . . . .° 66,0 Eay éfperfe.iLa. Lanta. Lé 10 091,9 La plupart des coquilles qui ont été analysées dans ces der- niers temps, ajoutent ces deux chimistes, à l'exception de 1 ou 2 centièmes de phosphate de chaux, sont presque exclusivement composées de carbonate de chaux. Dans certaines d’entre elles, ils signalent une substance particulière qu'ils désignent sous _ le nom de conchilioline ou conchioline. De même que les os le test des mollusques se modifie dans les couches de la terre, par la disparition du peu de matière organique qu’il contenait et son remplacement par diverses substances étrangères qui en augmentent le poids et la soli- dité. Nous reproduirons encore le tableau suivant, donné par MM. Marcel de Serres et Figuier, qui montre la compo- sition comparée de quelques coquilles vivantes et fossiles. COQUILLES 1 1 La Z n à . ET g [SEélaslasleslzs ER ANEIRE a He La mn L'an | >» Sens = atlratoe F er = lue nt Clone lee > æ à Z Qu Rp nl Ta sl net) Matière animale . . . EE 1,0 0,8 3,0 0.9 0,7 3,0 1,0 Carhonate de chaux. . | 93,9 | 96,8 | 96,5 | 96,0 | 97,5 | 96,7 | 96,6 | 97,9 id. de magnésie, 0,3 0,1 1,4 0,8 KA 3 traces traces {races Oxyde defers: à , : . traces » À 0,5 1,4 0,5 Sulfate de chaux. . . | 4,4 | 0,7 | 0,5 0,7 | 0,5 | 0,8 0,5 | 0,6 Phosphate de chaux. . Le carbonate de chaux constitue donc presque exclusivement le test des coquilles, ct celui-ci devra résister aux causes exté- 34 526 COMPOSITION CHIMIQUE DES FOSSILES. rieures chimiques et physiques qui n’attaquent point cette substance; mais, si des eaux plus ou moins acidules viennent à s'introduire dans les couches, on conçoit que ce test dispa- raitra entrainé par la dissolution, ne laissant pour témoin de sa présence qu'un moule de sa cavité intérieure, qui aura été rempli par la matière de la roche, et autour l’em- preinte de sa surface extérieure que celle-ci aura conservée. Mais ce que lon conçoit moins, c'est que, lorsque la roche est calcaire, elle ne porte aucune trace d’altération analogue. Comment les contours des moules et des empreintes n’ont-ils pas été plus ou moins dissous et comment l'action dissolvante ne s’est-elle exercée précisément que sur le test, comme si la roche eût été, par exemple, un grès quartzeux? C'est un point sur lequel nous appelons l'attention des géologues. Parmi les mollusques brachiopodes, le genre Lingule offre un intérêt très-particulier, car, se trouvant déjà dans les pre- mières couches de sédiment où des corps organisés aient été signalés, c’est le seul de cette époque primordiale de la vie qui soit encore représenté dans les mers actuelles et qui le soit par des formes même très-difficiles à distinguer de celles de ces temps si reculés. lei l’analogie de la composition vient encore s'ajouter à celle des caractères zoologiques, puisque les Lingules primordiales offrent les mêmes particularités que celles de nos jours, qui ont présenté à M. F. Cloëz (1) : Brachiopodes. Matière organique azotée et phosphatée. . .-, . 45,20 Carbonate”de chaux “57: 080 HIS KR 7e 6,68 Phosphate de chaux, 4. + « « « «+ « + 14, «0. 42,20 — ,,, de magnésie, .".. sn uul.: 3,89 — de sesquioxyde de fer. . . . . . , . 1,98 | Bilice. 0" 41.7. LP RORRPT INONNRRE | 100,00 | Celte composition remarquable se rapproche à la fois de | celle des écailles de poisson (Lepisosteus) et du test des insectes. que nous avons vu renfermer une proportion plus ou moins | (1) Journ. de conchyliologie, voi. VII, p. 6; juin 1860. ANIMAUX INVERTÉBRÉS. 527 considérable de chitine. La grande quantité de phosphate de chaux, en les éloignant des coquilles ordinaires, les rapproche des os, dont elles ont toute l’inaltérabilité ; de sorte que les Lingules ne sont pas moins extraordinaires par la composition de leur test que par leur longévité unique jusqu’à présent dans l'histoire du règne organique. Ajoutpns que, par une autre cir- constance singulière et peu favorable aux hypothèses d'élections de perfectionnement ou de mutabilité des fôrmes, ces brachio- podes n’ont jamais été ni très-variés ni très-nombreux en espèces à travers toutes les périodes qu'ils ont traversées, tan- dis que la plupart des autres genres de cette grande famille, les Térébratules, les Orthis, les Leptæna, les Spirifer, les Productus, etc., qui ont disparu presque tous après avoir régné plus ou moins longtemps, nous offrent les types les plus variés et d’une extrême fécondité. La matière colorante des coquilles est organique ct azotéc; elle est immédiatement détruite par les acides les plus faibles, et elle est identique avec la substance-rouge qui colore le co- rail. Aussi un des premiers effets de la fossilisation est-il la disparition des couleurs dont elles sont ornées. Dans certains cas cependant on aperçoit encore quelques restes de cette colora- Coloration. tion, même sur des coquilles fort anciennes, telles que la Natica subcostata des couches dévoniennes de Paffrath, la Natica millepuncta, le Melanopsis Dufourii, le Cerithium pictum et des Cypræa, des dépôts tertiaires moyens et supérieurs. En géné- ral, les gastéropodes semblent avoir plutôt conservé leur colo- ration que les acéphales ; quelques Pecten et des Tellines les présentent encore partiellement. La vivacité des couleurs des coquilles, en rapport avec la profondeur à laquelle elles vivent, et cela contrairement à ce que nous avons vü soutenu par M. Wallich (antè, p.274), avait suggéré à Ed. Forbes (1) une idée ingénieuse pour apprécier la faible profondeur présumée des mers anciennes. (1) Note on an indication of depth of primæval seas afforded by the remains of colour in fossil Testacea; 23 mars 1854. 228 COMPOSITION CHIMIQUE DES FOSSILES. Ce regrettable savant avait remarqué que non-seulement les couleurs, mais encore leurs bords, cessaient d’être bien pro- noncés à de grandes profondeurs et que ces couleurs n'étaient nettement caractérisées que dans les zones littorale et sub-lit- torale. Dans la Méditerranée, au-dessous de 182 mètres, 4 co- quille sur 48 manifeste quelque coloration, encore n'est-il pas bien sür qu’elle vive aussi bas; entre 64 et 100 mètres, la proportion des coquilles ornées de couleurs à celles qui sont tout unies est de moins de 1 à 5, et, entre le rivage et 3°,69, celles qui sont ornées de bandes colorées, tachetées, etc., dé- passent la moitié du nombre total. Dans les mers britanniques, au-dessous de 180 mètres, même lorsque ce sont des individus d'espèces vivement rayées et colorées dans les eaux peu profondes, les coquilles sont blanches ou incolores. Entre 110 et 146 mètres les rayures et les bandes colorées se voient rarement, surtout le long des comtés du nord, tandis qu'à partir de 90 mètres jusqu’au bord de la côte, ces caractères sont bien marqués. Le rapport de la vivacité des couleurs avec l’intensité de la lumière qui traverse les différentes couches d'eau est un sujet qui reste à étudier, mais on peut déjà, avec ces données, avoir une indication sur la profondeur des mers anciennes, lorsqu'on examine les restes de coloration des coquilles fossiles dont les genres ont encore des représentants dans les mers actuelles. Aussi Ed. Forbes pensait-il que les couches dans lesquelles les coquilles suivantes ont été recueillies devaient avoir été dé- posées dans des eaux peu profondes. Des traces de coloration s’observent sur les Pleurotomariaflammigera et conica, Phill., du calcaire carbonifère du Yorkshire, les P. carinata et rotun- data, Sow., le Solarium pentangulatum, de Kon. et la Patella solaris, du calcaire carbonifère de Belgique. Dans le calcaire correspondant du Derbyshire, les Pleurotomaria carinata et conica ont offert la même particularité, puis un Trochus, le Metoptoma pileus, la Patella retrorsa, la Natica plicistriata, quatre espèces d’Aviculo-pecten, le Spirifer decorus, VOrthis resupinata et la Terebratula hastata. ANIMAUX INVERTÉBRÉS. 529 Les formes analogues vivent actuellement à une faible pro- fondeur, et, quant aux brachiopodes, il en est de même pour ceux qui, aujourd'hui, présentent une ornementation colorée. Une Térébratule dévonienne du nord de l'Amérique est dans le même cas, et le Turbo rupestris, du calcaire silurien de la Chair de Kildare, montre des bandes colorées spirales. La matière calcaire du test des coquilles devient blanche, po- reuse, par la disparition du peu de matière organique qu'elle con- tenait, et peut alors happer à la langue et dégager une odeur argileuse par le souffle, caractère qui n’est point d’ailleurs exclu- sif à l'argile, puisque le quartz réduit en poudre le manifeste aussi, La matière de laroche environnante, marneuse, calcaire, argileuse, siliceuse ou ferrugineuse, s'infiltre dans les pores du test, qui de léger qu'il était devient plus pesant. Mais jusque- là la structure originaire du test, soit plus ou moins com- pacte, soit feuilleté ou fibreux, est reconnaissable, tandis que, dans certains cas (Ammonites, Pleurotomaires, Cypricardes, Astartes, etc., de l’oolithe inférieure des Moutiers, Calvados, Buccins dévoniens de Paffrath) et surtout dans les Trigonies ‘du Portland-stone de Tisbury (Wiltshire), que nous avons déjà citées, la texture organique du test a complétement disparu ; le carbonate de chaux est parfaitement cristallin et se clive suivant les plans du rhomboèdre. Il faut qu'il y ait eu ici un déplacement et un nouvel arrangement des molécules du carbo- nate, qu'il est assez difficile de concevoir sans une dissolution préalable. Cette explication serait justifiée par cette circonstance, que nous avons déjà rappelée (antè, p. 483), que dans certains cas on observe sur le moule de la coquille, formé par la ma- tière de la roche environnante, un plus ou moins grand nombre de cristaux isolés ou agglomérés qui semblent représenter le reste du test dissous, qui aura cristallé ainsi sur place. La non- altération du moule et de l'empreinte est, dans ce cas, sou- mise à la même objection que ci-dessus. , Cette dissolution, partielle ou totale, et sa cristallisation ul- térieure ne seraient d’ailleurs qu’un cas particulier de la cir- constance qui donne lieu aux contre-empreintes et dans laquelle Modifications du test, Test composé de deux parties. Spondyles. Rudistes. 550 COMPOSITION CHIMIQUE DES FOSSILES. la disparition complète du test primitif a permis, dans la cavité | qui en est résultée, le moulage d'une autre substance, ordi- nairement la silice. Un certain nombre de coquilles bivalves sont composées de deux couches, d'aspect, de texture et sans doute de composition différents. Ces couches ont leur plus grande épaisseur disposée en sens inverse du sommet ou des crochets vers le pourtour de la coquille. Dans les Spondyles, par exemple, le talon, la char- nière et une portion de l’intérieur des valves sont formés ou revêtus d’une substance blanche, éburnée, beaucoup moins résistante que le test extérieur feuilleté et qui peut disparaître complétement dans la fossilisation. Avant que ce fait n'ait été signalé par M. Deshayes on avait cru devoir créer les genres Podopsis, Dianchora et Pachytes pour de véritables Spondyles particulièrement crétacés, chez lesquels ce mode d’altération s'était produit, et qui ne montraient plus que la partie exté- rieure du test sans talon, ni charnière ni impression museu- laire. Dans les Hipponices, le support adhérent à la roche offre un tissu feuilleté comme celui des Huîtres; aussi at-il résisté aux causes de dissolution, à l'exception de la place qui correspond à l’attache du muscle adducteur, laquelle, ayant sans doute la composition de la coquille elle-même, a disparu comme elle. Cette circonstance est plus frappante encore dans la famille des rudistes que chez toutes les autres. Les moules intérieurs paraissaient si différents des coquilles elles-mêmes qu'on a pu en faire des genres distincts sous les noms de Birostrite etd'Ichthyo- sarcolithe. En effet, ces coquilles ont deux tests : l’un extérieur, feuilleté, grossièrement rugueux et très-celluleux, composé de lamelles extrèmement délicates, très-rapprochées, divisant la : masse en prismes perpendiculaires aux feuillets; l'autre inté- ricur, sub-nacré, compacte et plus ou moins épais. Or ici, comme dans les Spondyles dont nous parlions tout à l'heure, c'est cette dernière substance qui forme la charnière et tout l'appareil cardinal, qui porte les empreintes musculaires et transmet les caractères que les diverses parties molles de l’ani- ANIMAUX INVERTÉBRÉS. 554 mal ont pu imprimer à l'intérieur de la coquille. On conçoit alors que si cet intérieur vient à être moulé immédiatement après la mort et la disparition de celui-ci par la matière de la roche environnante, et que plus tard le test intérieur soit dis- sous et disparaisse, on n'apercevra plus aucune relation entre le moule et la cavité dans laquelle il se trouve, puisque celle- ei ne sera plus formée que par le test extérieur celluleux, Comme, en outre, sous beaucoup de rapports, les rudistes s'éloignent des autres bivalves, l’étrangeté des coquilles, d’une part, et, de l’autre, celle des moules intérieurs, qui ne se rapportaient plus aux parties conservées, autorisaient en quelque sorte la distinction que faisaient des zoologistes qui n'avaient pas eu occasion d'observer en place les relations des uns et des autres ni des individus bien conservés. La difficulté de leur rapprochement était encore augmentée par une autre circonstance qui compliquait singulièrement la question. Dans certaines espèces fort allongées, surtout du geure Hippurite, l’animal, en vieillissant, s’avançait dans sa coquille laissant derrière lui des espaces vides, séparés les uns des autres par des cloisons transverses plus ou moins ré- guhères et dont le remplissage ultérieur simulait assez bien les loges et les cloisons d’une coquille droite, telle que les Or- thocératites; aussi ce genre fut-il placé alors parmi les cépha- lopodes, tandis que cette même disposition, en se reproduisant chez des rudistes à valves contournées en spirales disjointes à peu près dans un même plan, avait fait attribuer leurs moules à des céphalopodes voisins des Ammonites ; c'étaient les Ich- thyosarcolithes, qui ont dû être rapprochées des Caprines. Defrance, qui s'occupait avec un soin scrupuleux des mo- difications et de l’état des fossiles des divers terrains, remar- quait, il y a 40 ans, que dans les formations secondaires et de transition les acéphales , soit pourvus encore de leur test, soit à l’état de moules ou d'empreintes, se montraient presque toujours avec leurs deux valves réunies, tandis que dans les dépôts tertiaires, si ce n’est dans ceux plus récents des collines sub-apennines, les valves sont presque constamment séparées. Observations diverses, 532 COMPOSITION CHIMIQUE DES FOSSILES. Cette remarque nous paraît encore vraie aujourd'hui. Peut- être alors les coquilles étaient-elles plus promptement enseve- lies dans la vase, la marne ou le sable, et soustraites à lin- fluence des agents extérieurs avant l’altération complète du ligament et des muscles qui maintenaient ainsi assez long- temps les valves rapprochées. Les bancs de coquilles qui de nos jours s’accumulent au-dessus du niveau moyen de la mer, et qui sont mélangés de sable et de cailloux, présentent aussi très-souvent les valves des acéphales disjointes et séparées, parce qu’elles sont longtemps exposées aux influences atmo- sphériques. Le test des ostracées, des Peignes, des Térébratules et au- tres brachiopodes est celui qui résiste le mieux aux modifica- tions opérées dans l'intérieur de la terre. On ne le trouve point à l’état cristallisé, malgré sa tendance à devenir quel- quefois très-compacte. Si l’on y ajoute celui des rudistes très- poreux, au contraire, et le test extérieur des Spondyles, assez semblable à celui des Huitres, on aura tous les tests d’acé- phales qui se prêtent le mieux au changement beaucoup plus complet du test calcaire en orbicules siliceux, et cependant le test des ostracées, des Peignes et des Spondyles d’une part, celui des brachiopodes de l'autre, et en troisième lieu celui des rudistes, offrent des structures essentiellement différentes ct très-caractéristiques. Les tests de structure fibreuse, comme celui des Pinna, des Pinnigena, des Inocérames, se conservent généralement bien ; mais leur extrême fragilité, résultat de cette structure, fait qu'on n’en a presque Jamais des échantillons un peu complets. Il est d'ailleurs privé, dans le plus grand nombre des cas, d'un test ou revêtement intérieur nacré, qui a disparu. On voit donc combien il est essentiel de bien connaître la structure , la texture et la composition simple ou complexe des diverses coquilles pour se rendre compte des résultats va- riés de la fossilisation à leur égard. Nous ne nous étendrons pas davantage sur ce sujet, que nous reprendrons d'ailleurs plus en détail, en décrivant les mol- ANIMAUX INVERTÉBRÉS. ; 533 lusques des divers terrains ; il nous a suffi d'indiquer les prin- cipales modifications que présentent leurs parties solides et leurs caractères généraux. Les bryozoaires, malgré leur extrême délicatesse, se trou- vent fréquemment dans un élat parfait de conservation et dans tous les terrains, soit isolés, soit appliqués sur d’autres corps, Leur petitesse les a souvent soustraits à une destruction plus ou moins complète. Nous ne possédons pas de données particu- lières sur leur composition; mais, dans la plupart des cas, on doit les supposer formés d’une aussi grande quantité de carbonate de chaux que les polypiers pierreux avec lesquels on les avait pendant longtemps confondus. Les parties mem- braneuses ou d'aspect corné, non solidifiées par du carbonate de chaux, dans certains genres, ont pu disparaître par la fossi- lisation; mais la netteté des autres caractères, même dans les genres du terrain de transition, comme les Fenestrella, per- mettent toujours de les distinguer. Si les Graptolithes doi- vent rentrer dans cette grande division, la nature de leur test nous est très-peu connue, quoiqu'on puisse le supposer plutôt membraneux ou corné que consolidé par de la matière calcaire. Dans la classe des radiaires, les parties solides des échi- nides, des stellérides et des crinoïdes intéressent particulière- ment le paléontologiste et le géologue. Nous avons déjà dit que le caractère commun à tous les restes calcaires de ces trois grands ordres était de présenter dans la cassure le clivage du rhomboèdre de la chaux carbonatée. Ce caractère, signalé il y a plus d'un siècle par Jean Gesner, est sans exception, et, comme il ne s'observe pas dans les parties correspondantes des ani- maux vivants ou de l’époque actuelle, il faut admettre que c’est un résultat de fossilisation dû à une structure particu- lière du test qui prédispose les molécules calcaires à se grouper suivant les lois de la cristallisation propres à cette substance. Dans les Oursins vivants, le Pentacrinus caput medusæ et les Astéries, les parties calcaires présentent dans la cassure une texture très-finement spongieuse, homogène dans toute leur Bryozoaires. Padiaires. Échinides. 234 COMPOSITION CHIMIQUE DES FOSSILES. étendue, et que nous avons comparée à celle de la moelle de sureau extrêmement condensée; si l'on se rappelle que nous avons signalé l’analogie probable de la texture des Bélemnites avec celle de l’os de la Sèche et surtout du rostre qui est spon- gieux, mais à fibres entre-croisées, plus ou moins distinctes et régulières, on pourrait en conclure. que cette disposition, observée dans la nature actuelle, est la plus propre à faciliter le passage du calcaire à l’état spathique par le fait même de la fossilisation. En outre, cet état spathique paraît s'opposer à la dissolution de ces corps par les agents ordinaires, ear on les trouve moins fréquemment à l'état d'empreinte de mou- les, ete., que les coquilles des mollusques. Le test ou la coque des Oursins vivants, ou mieux des Échi- nides, est complétement enveloppé d'une membrane. épider- mique très-mince, de sorte que ce serait plutôt un squelette intérieur qu'une coquille comme chez les mollusques. Cette membrane étant facilement détruite, comme la plupart des substances animales, il en résulle que tous les petits piquants qui y adhèrent, comme ceux plus forts qui s'artieulent sur les gros tubercules et qui sont, en outre, fixés par un muscle quand ceux-ci sont perforés, doivent tomber en même temps. Aussi ne trouve-t-on jamais les pointes ou les baguettes d'échi- nides fossiles adhérentes au test. Celui-ci en est toujours dé- pourvu, et c’est tout au plus si, dans quelques cas, on retrouve un certain nombre de baguettes de Cidaris autour ou près du test, Le banc du coral-rag de Calne (Wiltshire), où tous les individus d’Hemicidaris intermedia, Forb., sont encore entou- rés de leurs baguettes, est un exemple peut-être unique jusqu'à présent. L'appareil ou les pièces cornées de la bouche disparais- sent aussi, tandis que les dispositions cloisonnaires, que l'on observe à l’intérieur de certains genres de scutellidées, persis- tent comme le est lui-même, à cause de leur nature essen- tiellement calcaire. L'appareil anal, dont les pièces sont éga- lement calcaires, résiste à la décomposition. Dans toutes les couches, on trouve donc les baguettes ou pi- quants séparés de la coque, ordinairement remplie par la ma- ANIMAUX INVERTÉBRÉS. 535 tière de la roche qui en donne ainsi un moule intérieur, tandis que la pâte qui l'enveloppe en reproduit l'empreinte extérieure. Mais il arrive quelquefois qu'il se manifeste une cristallisation beaucoup plus complète que la spathification générale du test. Chacune des 20 rangées de plaques hexagonales présente un même nombre de cristaux de chaux carbonatée inverse, dispo- sés symétriquement au dehors et au dedans du test. Ces 20 rangées de cristaux sont, comme les plaques, accouplées deux à deux, et chaque couple est alternativement formé de gros et de petits cristaux. Les rangées de gros cristaux corres- pondent aux plaques des espaces interambulacraires, et celles des petits aux plaques des ambulacres eux-mêmes. Ces cristaux ne sont pas toujours simples; 1l y en a de groupés parallèle- ment à l’axe principal du cristal, de telle sorte qu'à chaque plaque correspond un ou plusieurs cristaux. Quelquefois cet effet ne se produit que sur une portion du test. Nous l'avons si- gnalé sur de petits Diadèmes de l'oolithe inférieure et des Py- gaulus du quatrième élage crétacé du sud-ouest (1). M. Weiss a mentionné aussi des Ananchytes et des Spatangues présentant des cristaux sur chaque plaque au dedans et au dehors, et un remplissage ultérieur par de la silice (2). Dans la formation crétacée et particulièrement dans la craie blanche, les Micraster, les Ananchytes, les Galérités, ete., ont été fort exactement moulés par la matière siliceuse ou silex py- romaque si répandu dans la masse calcaire. Cette matière s’est introduite le plus ordinairement dans la coque de l'Oursin par ses orifices naturels, sans laisser de trace à l'extérieur sur le pourtour du test, si ce n’est quelquefois un bourrelet près de la bouche ou de l'anus; aussi ne se rend-on pas bien compte pourquoi la silice, probablement à l’état d’hydrate, ne s’est pas répandue davantage autour du test, si ce n’est parce qu'il était complétement enveloppé par la roche et que sa” (1) D’Archiac, Bull. Soc. géol. de France, 1" série, vol. XIT, p. 145; 1841. (2) Arch. de Karsten, vol. IX, cah. 4. — Biblioth. univ. de Genève, vol. VI, p. 185. Stellérides. 936 COMPOSITION CHIMIQUE DES FOSSILES. cavité était le seul vide offert à la silice. S'il en a été ainsi, l'ar- rivée de cette dernière serait tout à fait postérieure à l’enfouis- sement de la coque de l'Oursin, et l'on ne comprendrait pas alors pourquoi cette coque n'aurait pas été plus souvent remplie par la matière même de la roche. La silice, à l'état de calcédoine et d’orbicules, a aussi rem- placé plus ou moins complétement le test des échinides par le procédé que nous avons vu appliqué aux coquilles et en . vertu des mêmes forces naturelles. Si l'on plonge dans un acide étendu un Cidaris ou un Salenia de la craie de Tal- mont, par exemple, pour en enlever le calcaire, 1l restera un squelette siliceux plus ou moins complet, suivant l'état plus ou moins avancé de la substitution et qui mettra dans tout son jour le mode de développement des orbicules aux dépens du test calcaire. On remarquera qu'ici le moule intérieur est formé par la matière de la roche environnante, qui est un calcaire marneux sans rognons de silex. Tous les moules siliceux d’échinides que l'on rencontre sans être accompagnés de leur test ont dû en être privés par suite de frottements ou d’une destruction mécanique. En place dans la roche, ils en sont presque toujours pourvus. Dans quelques cas très-rares cependant, où le test a disparu, on remarque que la silice s’était infiltrée dans les interstices des plaques; alors, après la disparition de celles-ci, le moule se trouve enveloppé d’une sorte de réseau, de linéaments siliceux, figurant des hexa- . gones plus où moins réguliers et inégaux. C’est ce que les an- ciens oryetognostes appelaient des Échinites à cellules d'abeilles. Les pièces solides ou osselets qui garnissent les rayons et consolident le corps des Astéries étant reliées entre elles par une bien plus grande quantité de fibres, de muscles et de mem- branes que celles du test des Oursins, on conçoit qu’à l’état 9 . . « ‘ . . , fossile il est très-rare de les trouver réunies. Les osselets isolés d'Astéries et des genres voisins sont au contraire assez Com- muns dans les terrains tertiaire et secondaire. Une assise puis- sante et fort étendue dans le bassin de la Gironde, par exemple, a même été désignée sous le nom de calcaire à Astéries. ANIMAUX INVERTÉBRÉS. 537 Quant aux crinoïdes, qui ont joué un si grand rôle pendant les époques de transition et secondaire, qui sont à peine repré- sentés pendant l’époque tertiaire et moins encore dans la nature actuelle, on conçoit que, d’après la solidité et l'ajustement si exact de leurs pièces calcaires, leur conservation devait être assurée dans la plupart des cas. Aussi en retrouve-t-on des por- tions très-complètes, soit la tête munie de ses digitations ct ramifications infinies, soit la tige ou même l’empätement de la base et des racines sur la roche où elle était fixée. Les arti- culations détachées des bras et des tiges, Entroques ou Tro- chites des anciens oryctognostes, sont disséminées avec une extrême profusion dans certaines couches : tel est le calcaire noir carbonifère de Belgique, appelé petit granite, 'oolithe inférieure de la côte d’Or, désignée sous le nom de calcaire à Entroques, etc. Quelques Sphéronites siluriennes des environs de Saint-Pétersbourg offrent un test spathique presque lim- pide et divisé dans le sens de son épaisseur en prismes à 6 pans, ayant pour base les plaques hexagonales extérieures dont les caractères organiques ont persislé. Lorsque le test a été dissous, il reste dans la roche des em- preintes faciles à reconnaître, surtout celles des faces glénoi- dales des articulations présentant alors, comme dans les Penta- .crines, une étoile à cinq branches, avec un trou au centre, et dont chaque rayon, strié sur ses bords, a une forme plus ou moins ovalaire, ou bien, comme dans les Apiocrinites, les Rho- docrinites, etc., un disque couvert de stries fines rayonnantes autour d’un point central qui représente l’axe de la tige. Dans certaines couches argileuses et marneuses, du lias, par exemple, de Lyme-Regis (Dorsetshire) et de Boll (Wurtemherg) ; les restes de crinoïdes ont exercé une puissante attraction sur le sulfure de fer (pyrite jaune ou cubique), qui s’est déposé, avec une exactitude et une délicatesse extrêmes, sur tous les fragments organiques disséminés dans la roche, sans jamais s'étendre dans celle-ci. Ainsi, des millions d'articulations de Pentacrines, que l’on peut compter sur la grande plaque du lias supérieur de Boll, récemment placée dans les galeries du Mu- Crinoïdes. Polypiers. 058 COMPOSITION CHIMIQUE DES FOSSILES séum, on n’en voit pas une seule, quelque petite qu'elle soit, qui n'ait été recouverte de fer sulfuré, lequel ne la déborde Jamais. Les Apiocrinites du coral-rag de la Rochelle présentent, dans toutes leurs parties, une teinte violette très-prononcée. La ma- üère colorante, étudiée par M. Fremy, est de nature organique, contient de l’azote, et vue sous le microscope, après avoir été isolée de la masse par les acides, offre une véritable structure organisée. Les polypiers calcaires, soit simples, soit composés, sont les restes de corps organisés, qui devaient, toutes choses égales d’ailleurs, très-bien résister à l'action des causes extérieures. La plupart, étant fixés, se trouvaient soustraits aux chocs ou au transport par les vagues, et ils ont dû, comme ceux de nos Jours, constituer des masses solides durant leur vie. Pendant certaines périodes et dans certaines localités, on observe des masses de polypiers assez semblables aux îles et aux récifs de coraux de nos mers, Le coral-rag de l’est de la France et du Jura en offre des exemples; néanmoins eeux-ei ne sont pas aussi fréquents qu'on aurait pu s’y attendre, à moins de sup- poser que, dans beaucoup de cas, les caractères des roches aient disparu, comme nous savons que cela a lieu même dans les masses coralligènes de la Polynésie. Les polypiers ont été d'ailleurs soumis, comme les autres corps, à des causes de dissolution, de moulage partiel outotal de leurs vides, de silicification des parties solides par les mêmes agents et les mêmes procédés que les coquilles et les radiaires; mais nous ne voyons pas qu'ils aient exercé aucune action sur la précipitation du fer sulfuré avec lequel ils ne semblent être nulle part en relation directe. ‘On savait, depuis les recherches d'Hatchett (1), que les po- lypiers consistaient principalement en carbonate de chatix imprégné ou plutôt compris dans les mailles d'un réseat or- ganique conservant la forme générale du corps après la dis- (1) Philos. Transact., vol. XVIL. ANIMAUX INVERTÉBRÉS. 539 solution du carbonate de chaux dans un acide, et que par une opération inverse la matière organique disparait dans la fos- silisation et laisse un squelette calcaire que l’on appelle vul- sairement le polypier. D'après les observations plus récentes de M. Silliman, on voit que ces mêmes polypiers vivants ren- : ferment 97 à 98 0/0 de carbonate de chaux et 2 à 3 0/0 de magnésie, de fer, de silice, d'acide phosphorique et de fluor. Les axes calcaires de Pennatules renferment, suivant M. Fremy (1) : Phosphate, dé ébaux.. . . . .… . . | . . 23,70 16,00 Carhonatedé: chaux. © UN er 0: +: 144,96 53:91 Matière organique soluble dans les acides.. . 15,64 19,33 —— nnsolubles 20e / 4020 11,10 100,00 100,00 Quatre espèces de Pennatules ont donné des quantités de cendres variant de 31,2 à 48 0/0. Ces axes calcaires offrent donc une certaine analogie avec la substance osseuse, contenant une partie organique et une partie calcaire composée de phos- phate et de carbonate de chaux; mais cette dernière substance est plus abondante que dans. les os, la matière organique n’a point les caractères de l’osséine, et le phosphate de chaux, en moindre proportion que dans les vertébrés, différencie cepen- dant ces corps des polypiers. A l’état fossile, nous ne connais- sons point d’axes de Pennatules proprement dits; mais d’autres assez voisins, que nous avons décrits sous le nom de Virgularia incerta, et dont on a fait ensuite le genre Graphularia, sont assez fréquents dans les couches nummulitiques de Biarritz, du département de l’Ariége, des environs de Castellane, dans le calcaire grossier de Paris et l'argile de Londres. Leur structure fibreuse rayonnée et leur parfaite conservation dans ces diverses localités peuvent faire supposer que leur inaltérabilité tient à une composition qui se rapprocherait de l’analyse précédente. Les suivantes sont dues à M. Mérat-Guillot, qui a trouvé dans le corail rouge des carbonates de chaux et de magnésie, réunis, (1) Loc. cit., p. 291. 240 COMPOSITION CHIMIQUE DES FOSSILES. disent MM. Pelouze et Fremy, par un centième environ de matière animale et colorés en rouge par une substance peu connue. CORAIL ROUGE. Carbonate calcaire. . . . . . . . . . . 93,90 Matière organique. . . . . . . . . . . 0,50 Eau:et portes 05. : 4 ie 46,00 100,00 CORAIL BLANC (OCULINE) . Carbonate de chaux. . : . . . : . 20,00 Matière organique. . . . . . . . . . . 1,90 Een ot Dent" de à De 48,50 100,00 CORALLINE ARTICULÉE. Carbonate de chaux. .:. . . . . .:.. 49,00 Matière organique. . . . . . . . . . . 7,50 DOS D 45,50 100,00 Vauquelin avait trouvé que la matière colorante rouge de certains Madrépores devient violette sous l'influence des al- calis. Les tiges cornées des Gorgones (G. selosa) ont donné une grande quantité d'alumine, de l'acide phosphorique, un peu de carbonate de chaux et 93 0/0 de matière animale; aussi con- çoit-on que les Gorgones (1), les Isis et autres lithophytes d'ap- parence plus ou moins cornée, n'ont guère de représentants à l’état fossile, tandis que tous les spongiaires, dans lesquels existaient des spicules siliceuses, ont pu donner lieu à des masses formant pour la silice comme des centres d'attraction et dont les intervalles ont été remplis par la matière de la roche. (1) Cependant, suivant M. Fremy (Loc. cil., 94), la matière organique de l'axe des Gorgones aurait une grande analogie avec la conchioline, substance remarquable par son inaltérabilité. “ - APPENDICE. o#| Enfin les rhizopodes calcaires et les polyeistinées siliceuses, nhisopodes constituant des masses considérables par leur prodigieuse fécon- ?""% dité, ont pu, à raison de leur extrême petitesse, être conservés dans un grand nombre de circonstances, et par ur examen attentif des roches on peut encore les étudier toutes les fois .que ces. dernières n’ont pas été trop altérées ou modifiées elles- mêmes. Les éléments constituants des diatomacées, aujourd’hui ran- Diatomacées. gées dans le règne végétal, paraissent être principalement le carbone, la silice, la chaux et le fer, puis des traces d'alu- mine et de magnésie. Cette dernière substance et d’autres en- core y sont d’ailleurs à l’état de mélange mécanique. La quan- tité du fer est quelquefois très-considérable, comme on l’a vu ; il n'est d’ailleurs jamais uni À la chaux, mais à la silice, et plu- {dt encore mécaniquement que chimiquement. Suivant M. Eh- renberg (1) cette associalion serait due à une action organique qui aurait déposé le métal dansles cellules d'un réseau siliceux. Les détails dans lesquels nous sommes entré relativement aux organismes inférieurs (antè, p. 354) nous dispensent de nous étendre ici davantage à leur égard. Appendice. Dans les roches anciennes schisteuses, arénacées, désignées ag ere généralement sous le nom de grauwacke, et dans des schistes rossles, purement argileux, on observe fréquemment que les moules et les empreintes, surtout des brachiopodes qui y sont le plus ré- pandus, sont plus ou moins déformés, aplatis, allongés, ou comme étirés dans un sens ou dans l’autre, repliés, raccourcis de diverses manières, et rendus ainsi dissymétriques et souvent indéterminables. Ces effets sont dus à des mouvements ou tas- sements opérés dans la roche, aux divers clivages qui s’y sont e (1) Académie de Berlin ; mars-mai 1843. Fossiles des roches méta- morphiques. 042 APPENDICE. produits et qui nous sont ainsi exprimés par l'irrégularité de ces Corps. Ces effels, très-variés, et qui ont été étudiés particulièrement au point de vue mécanique par M. D. Sharpe (1) dans les roches du Pays de Galles, doivent être postérieurs à la dispa- rition du test des coquilles, qui n'aurait pas pu se prèter à ces déformations sans se briser, et cette disparition elle-même a dû aussi précéder la consolidation dernière de la roche. En outre, les clivages ont dû se produire encore avant cette conso- lidation, sans quoi les moules et les empreintes, au lieu d’être déformés et d'offrir l'aspect d’une action mécanique exercée sur une substance plus ou moins plastique, seraient rompus et : brisés comme l’auraient été les coquilles elles-mêmes, de sorte que l'endurcissement de la roche est le dernier phénomène sur- venu dans l’état de ces anciennes masses sédimentaires, et c'est ainsi que celui des fossiles peut nous éclairer sur la succes- sion des phénomènes physiques qui se sont produits dans les roches. Les phénomènes chimiques et physiques qui ont concouru au métamorphisme des couches jusqu’à un certain degrén'en ont pas toujours pour cela fait disparaitre les traces de corps orga- nisés, et il n’est pas rare d’en rencontrer de très-reconnais- sables dans des roches qui ont été modifiées au point que des substances minérales s'y sont développées depuis leur dépôt, M. J.J. Bigsby (2) a réuni sur ce sujet des documents authen- tiques provenant des systèmes carbonifère, dévonien etsilurien des diverses parties du globe, et de 64 exemples cités il conclu que les effets du mélamorphisme laissent, dans beaucoup de cas, distinguer les caractères des débris organiques. On conçoit qu'ici le résultat dépend de l'intensité et de la cause des phénomènes, et que les roches en question n’ont perdu aucun de leurs caractères sédimentaires essentiels. Elles (1) Quart. Journ. geol. Soc. of London; vol. I, p. 74, 1847. — V. p. 111,1849.— Philos. Transact. 1852, p. 445. (2) On the organic contents of the older metamorghic rocks (Edinb. new Phil. Journ:, N. S.; avril 1865.) APPENDICE. D43 ont été endurcies, décolorées, quelques substances minérales s’y sont développées sous diverses influences (mica, tale, feld- spath albite, macles, analcime, grenat, épidote, fer magné- tique, etc.); mais tant qu'il n'y a pas eu dans l’arrangement des molécules de la masse de changements ou de déplacements tels, que la structure générale a pu persister, on conçoit qu'il n’y à pas de raison pour que les traces des fossiles aient com- plétement disparu. Mais si le métamorphisme a été jusqu'à pro- duire des micaschistes ou des gneiss, on ne doit plus alors s’at- tendre à en trouver. Lorsqu'une roche est très-dure, tenace, compacte ou sub- compacte, d'une teinte foncée, et que les divers éléments qui la composent, argileux, siliceux et calcaires, sont liés et con- fondus, la cassure n’y révèle pas toujours la présence des fos- siles et encore moins leurs carattères ; mais 1l arrive souvent alors que les surfaces de la roche exposées depuis longtemps à l'action de l'atmosphère accusent la présence des corps orga- nisés. Les éléments hétérogènes de la pierre, plus facilement altérables que les fossiles, sont détruits, et ces derniers se dé- tachent en relief sur le fond. Pour reconnaître les fossiles des roches très-compactes d’où l'on ne peut les extraire mécaniquement, il faut faire subir à celles-ci un poli aussi parfait que leur texture et leur solidité le permettent, et, en humectant ces surfaces polies, on parvient à distinguer tous les caractères organiques qui n’ont pas été dés truits par la fossilisation. C’esk ainsi qu'il y a peu de marbres ou de calcaires compactes, sub-compactes ou cristallins provenant des divers terrains qui, examinés attentivement, té montrent des corps organisés (polypiers, radiaires ou coquilles) dont les coupes se détachent en clair ou quelquefois en foncé sur le fond de la roche gris, jaune, rouge, violet, etc., et qui sans ce poli resteraient inaperçus. Dans certaines couches argileuses et marneuses, particuliè- rement du Jias et du terrain FRATPES les corps organisés, ani- maux el végétaux, semblent avoir servi de centre d'attraction pour la formation de nodules arrondis, dépriés, éllipsoïdaux, Fossiles des roches altérées et des roches compactes. Fo ses dans des rognohs marneux, Empreintes physiques. Goutles de pluie. D. Le Li 044 APPENDICE. marneux, ferrugineux ou en fer carbonaté impur, dont Ja cassure dans le sens du grand axe met à découvert le fossile (Ammonite, poisson, etc.) ; tels sont les nodules en fer carbo- naté lithoïde de l'Oxford-clay de la Voulte (Ardèche). Lorsque l'argile a éprouvé un retrait à l'intérieur, la partie centrale du nodule et le fossile lui-mème ont été fendillés en tous sens, comme les septaria de l'argile de Londres, les plus grandes fentes étant au centre des nodules, et les autres devenant d'au- tant plus délicates et plus espacées qu'elles sont plus voisines de la circonférence, sans toutefois l'atteindre jamais. Souvent ensuite toutes ces fissures de retrait, jusqu'à celles dont la largeur est moindre que l'épaisseur d'un cheveu, ont été rem- plies par de la chaux carbonatée d’un blane pur, sans qu'on puisse apercevoir par où elle a pu pénétrer du dehors et ne laisser aucune trace de son passage (nodules de fer carbonaté, hthoïde et argileux du terrain houiller de Berschweïler renfer- mant des Amblypterus eurypterygius). Les nodules des grès dé- voniens de Banff, en Écosse, renferment également des pois- sons. De même que nous avons appelé empreintes physiologiques les traces de pas d'animaux laissées sur le sable ou la vase hu- mide, et qui nous ont été transmises à travers les siècles, de même nous désignerons par l'expression d'empreintes physi- ques celles qui sont dues à des effets ou à des causes physiques ou mécaniques, et dans lesquelles les phénomènes organiques n'entrent pour rien. Ce sont les gouttes de pluie (rain. drops), les rides laissées sur le littoral par le mouvement des vagues (rippls marks) et les stylolithes. Lorsqu'une pluie, dont les gouttes sont assez fortes et bien distinctes, tombe accidentellement sur une surface unie de | sable, de vase sableuse ou même de poussière, elle y forme des empreintes en creux arrondies qui peuvent être préservéesen- suite, comme les pas d'animaux dont nous avons parlé, sicette surface vient à être immédiatement recouverte par une couche | de sable humide. Par suite de l’endurcissement ultérieur et | de la dessiccation de ces couches, on conçoit que ces empreintes Ca VÉGÉTAUX. 545 pourront se conserver indéfiniment. Des traces semblables, dues à cette cause, ont été d'abord constatées par MM. Ch. Lyell et Dawson sur des schistes carbonifères du cap Breton (Nounvelle- Écosse). On en a observé depuis sur des plaques de grès de divers terrains , qui formaient les plages de sable de ces mers anciennes. Comme toutes les empreintes analogues, elles se présentent en creux sur la dalle inférieure et en relief sur celle qui la recouvre. La forme de ces empreintes, désignées par les : géologues anglais sous le nom de rain drops, permet encore de déterminer si la pluie qui les a formées est tombée par un temps calme ou bien était chassée obliquement par le vent dans telle ou telle direction. On conçoit également que les rides ondulées, que le mouve- ment des vagues détermine sur un fond de sable submergé et à la surface unie des plages de sables sur lesquelles elles viennent expirer, peuvent être conservées par la même cause. Aussi en observe-t-on à la surface des dalles de grès ou des roches aré- nacées de divers âges lorsqu'elles se délitent en dalles. Enfin, dans les calcaires compactes ou marneux à pâte fine soit jurassiques, soit crétacés, on a observé depuis longtemps de petites portions de la roche présentant des stries fines droites, parallèles, très-rapprochées, ordinairement perpendi- culaires au plan des couches, et auxquelles on a donné en Allemagne le nom de stylolithes, en leur attribuant une cer- taine importance, parce qu'on leur croyait une origine orga- nique. Mais ce sont simplement de petites surfaces de frotte- ment occasionnées par des tassements effectués dans diverses parties de la masse. On les rencontre non-seulement dans la roche, mais encore à la surface des moules de fossiles qui ont été soumis à des frottements partiels dus à la même cause. $ 5. Végétaux. La conservation des restes de végétaux à l’état fossile est soumise aux mêmes lois générales que celle des restes d’ani- Ridesmarines ripples n'arks. Stylolithes. 946 COMPOSITION CHIMIQUE DES FOSSILES. maux; mais leur composition différente, et surtout l'absence . de matières solides pierreuses constituant ou les éléments d’un squelette intérieur ou ceux d'une enveloppe extérieure simple ou complexe, font que cette conservation n'a pu avoir lieu que dans des circonstances pour ainsi dire exceptionnelles. Elle a aussi produit des résultats fort différents, suivant ces mêmes circonstances ; ainsi, ce n'est pas leur grand nombre ni leur accumulation qui ont été le plus favorables à la conservation : de leurs caractères, car alors leur altération a été au contraire plus ou moins complète et a donné lieu à de la houille, du lignite, de la tourbe, etc., substances dont on peut reconnaître l’origine végétale, mais dans lesquelles les distinctions spéci- fiques et même génériques sont effacées. Ce sont donc encore les troncs isolés ou les empreintes des tiges et des feuilles comprises entre des couches d'argile, de marne, quelquefois de calcaire et de grès, qui peuvent le mieux nous instruire sur les caractères des flores anciennes. Les empreintes végétales sont d'autant plus parfaites que la matière qui les a reçues était plus homogène, à grain plus fin et plus plastique. Aussi celles qui se trouvent en si grande quantité dans les argiles schisteuses du terrain houiller nous ont-elles transmis les caractères les plus délicats du réseau vas- culaire et des nervures avec une perfection. et une exactitude que n'atteindraient ni la gravure ni le pinceau le plus habile. Les empreintes laissées dans des marnes, des calcaires et des grès sont beaucoup moins complètes. Dans aucun cas la matière verte ou chlorophylle n’a persisté; souvent ces empreintes sont colorées en noir par un reste de matière charbonneuse. Dans les calcaires et les grès, elles affectent une teinte brune ou jaunûtre due à une infiltration d'hydrate de fer. Dans les argiles schisteuses du terrain houiller, Pextrême finesse de la pâte à permis que la partie inférieure, plus spou- gieuse, des feuilles de fougères, en fût en quelque sorte impré- gnée; elle a ainsi concouru à l'intégrité de la conservation du parenchyme, l'a consolidé, et toute la substance de la lame s’esttrouvée comme pétrifiée en conservant ses caractères. Aussi, VÉGÉTAUX. 547 dans la cassure, les feuillets de ces schistes montrent-ils l’em- preinte des feuilles en creux sur l’un des côtés et en relief sur l’autre. Les empreintes de plantes peuvent être encore représentées par du fer sulfuré ou toute autre substance apportée en disso- lution dans les interstices de la roche. Les feuilles des plantes ligneuses monocotylédones et dico- tylédones sont, on le conçoit à cause de leur solidité, celles qui ont laissé le plus fréquemment leurs traces dans les couches de vase endurcie, d'argile, de calcaire marneux ou de sable. Les feuilles de cryptogames vasculaires des temps anciens sont dans le même cas. Les tiges et les branches de ces mêmes plantes ont été sou- mises à d’autres procédés de conservation. Lorsque aucune circonstance accidentelle ne survient, l’altération du bois, si elle se produit au contact de l'air, donne lieu à du terreau par suite du dégagement des gaz; si elle se produit, au contraire, à l'abri de ce contact, la réaction des principes que ces bois renferment peut, les faire passer à l’état de jayet ou de matière charbonneuse, sèche, plus ou moins compacte, fragile, dans laquelle le tissu organique tend à disparaître à raison de son degré d’altération. Quelquefois, et par des moyens qui sont encore peu connus, le bois du tronc a été détruit, a disparu, l’écorce seule a per- sisié et le cylindre creux qui en est résulté a été rempli par du sable, de la vase et autres sédiments qui s'y sont moulés et consolidés comme dans l'intérieur d'une coquille. Des tiges de monocotylédones ont été partiellement conservées ainsi (Voyez antè, F° partie, p. 524). Mais, dans ces différents cas, la structure interne des végé- taux a presque entièrement disparu, et, pour nous permettre d’en juger, il a fallu que la nature employât un autre procédé, celui de la pétrification proprement dite, c’est-à-dire du rem- placement des molécules organiques des tissus et des vaisseaux par une substance inorganique stable, de telle sorte que les apparences et la disposition de ces mêmes tissus et vaisseaux 518: COMPOSITION CIHIMIQUE DES FOSSILES. fussent maintenues et qu'il n’y eût de changé que la matière qui les constituait. Ce sont le carbonate de chaux et surtout la silice auxquels ces fonctions conservatrices étaient particulièrement réservées ; le fer sulfuré, le fer carbonaté, le cuivre et quelques autres substances métalliques solubles ont concouru à ces effets de minéralisation. La pétrification, phénomène dont nous nous rendons compte plutôt d’une manière abstraite que pour en avoir observé di- rectement la marche, suppose le corps organisé en contact avec une dissolution de silice, de calcaire, de fer sulfuré, ete. Elle suppose aussi qu'à mesure qu'une molécule organique altérée passe à l’état fluide ou gazeux, elle est remplacée par une molécule de la substance en dissolution et ainsi de suite, de manière que l’arrangement des nouvelles molécules soit exactement calqué sur celui des anciennes. Elles se trouvent alors colorées par quelques restes de celles-ci ou par d’autres substances également en dissolution. Les fruits du Nepadites el- lipticus, et d’autres voisins des Cocotiers et des Pandanus, sont ainsi trouvés changés en fer sulfuré dans les argiles tertiaires de l'île de Sheppey; les graines de Chara, des dépôts lacustres des environs de Paris, sont changées en silice ou en calcaire. Diverses recherches ont été faites sur les procédés de la mi- néralisation des végétaux. Ainsi M. Gœppert, lun des botanistes de nos jours qui se sont le plus occupés des plantes fossiles, ayant placé diverses substances animales et végétales dans des eaux contenant en dissolution tantôt de la silice, tantôt du cal- caire, tantôt des matières métalliques, a observé qu’au bout de quelques jours ces substances étaient en partie minéralisées. Des plaques minces de sapin, mises dans une dissolution de sulfate de fer, puis exposées à une température élevée pour brüler toute la matière végétale, ont présenté, sous la lentille du microscope, toute l’organisation du tissu ligneux repro- duite par le sel de fer. Mais dans celte expérience il semble que la substance végé- tale a élé imprégnée par la dissolution métallique qui s’est in- VÉGÉTAUX. 549 troduite dans les vaisseaux du bois, en a rempli tous les vides, et les parties solides réduites en charbon n’ont pas été rem- placées. Ce n’est donc pas le procédé de la pétrification absolue. D'autres expériences, faites sur des matières animales, ont montré comment des eaux minérales, chargées de sulfate de fer, peuvent se désoxyder lorsqu'elles sont en contact avec ces matières en décomposition et la pyrite remplacer l'oxygène, l'hydrogène et le carbone. Les eaux de source, et surtout les eaux thermales, con- tiennent toujours une certaine quantité de carbonate de chaux, de silice, de potasse ou d’autres substances terreuses ou métal- liques ; on peut donc présumer que c’est au voisinage d'eaux semblables que les résultats précédents peuvent être attribués, c'est-à-dire la substitution d’une matière tout à fait inorganique à celles qui constituent les corps organisés, toujours plus ou moins susceptibles de décomposition, La pétrification ou minéralisation d’un corps ne s'opère point d’ailleurs dans toutes ses parties en même temps ni sui- vant leur degré d’altérabilité. Ainsi, dans des tiges de Palmier on trouve le tissu cellulaire parfaitement conservé, tandis que toute trace des fibres solides du bois a disparu, et les espaces qu'elles occupaient sont restés vides ou bien ont été remplis par de la silice. Dans d’autres cas, le contraire est arrivé; les faisceaux fibreux sont conservés et le tissu cellulaire a disparu. Enfin, les uns et les autres peuvent avoir été pétrifiés. Dans les bois dicotylédones, les fibres longitudinales peuvent être pétrifiées sans que les rayons médullaires le soient. Les por- tions silicifiées sont souvent linéaires et dans le sens du bois, ou bien elles se renflent vers la partie médiane. Suivant M. Ch. Stokes (1), le procédé de la pétrification est successif. Les tiges herbacées peuvent quelquefois offrir les ca- ractères de la silicification des bois. Souvent les vides laissés dans les bois partiellement silicifiés sont tapissés de cristaux de (1) Transact. geol. Soc. of London, vol. V, p. 207; 1836.—- Proceed., id., vol. Il, p. MS. d50 COMPOSITION CHIMIQUE DES FOSSILES. quartz hyalin parfaitement limpide entourés de matière char- bonneuse, laquelle n’a dû prendre cet état qu'après l’introdue- tion de la silice, puisque ces cristaux ne renferment point de traces de cette poussière noire qui les entoure. Des observations intéressantes ont été faites par les auteurs de la Géologie de la Russie d'Europe (1) sur les relations des végétaux silicifiés avec la présence des minerais de cuivre dans les dépôts permiens. On voit quelquefois le minerai répandu dans tous les fibres des bois silicifiés ; ailleurs 1l se continue à travers les feuilles enfouies dans le sable, le grès ou la marne, et là où il traverse les fibres charbonneuses il est ordinaire- ment à l’état de carbonate bleu. La présence de sels de cuivre dans les végétaux d’un marais tourbeux du pays de Galles peut servir à expliquer la manière dont se sont déposés ceux du système permien de la Russie, Dans une couche de terre, la plus inférieure du groupe de Purbeck, et reposant directement sur la pierre de Portland, dans l'île de ce nom, sont des troncs d'arbres silicifiés à l'inté- rieur et dont l'écorce est à l’état de charbon, Ces trones ren- versés, brisés, mais pourvus de leurs racines, sont certaine- ment à la place où ils ont vécu; la terre qui les entoure ne renferme point de silice, et M. Triger (2) suppose que la pétri- fication a dû avoir lieu avant la formation du dépôt qui les recouvre. Mais cette silicification du bois s'observe surtout en grand aux environs de Pondichéry (5), dans des grès tertiaires ferrugineux, sur beaucoup de points des déserts sableux de l'Égypte et de la Libye et particulièrement sur la route du Caire à Suez, à 7 milles à l’est de la première de ces villes, à “endroit appelé la forêt pétrifiée (4). Les couches secondaires qui flanquent à l'ouest les Montagnes-Rocheuses du nouveau Mexique en renferment aussi une prodigieuse-quantité. (4) In-4°, p. 154 et169, par MM. Murchison, de Verneuil et de Keyserling. (2) Bull Soc. géol. de France, ?° sér., vol. XIL, p. 725; 1855. (3) Histoire des progrès de la géologie, vol. I, p. 991; 1849. (4) Ibid., p. 1001. VÉGÉTAUX. h51 De ce que certaines plantes et surtout des monocotylédoncs (graminées, etc.) renferment un peu de silice dans leur con- stitution normale, on ne peut pas en conclure, comme quelques personnes l'ont suggéré, que la silicification de ces bois a eu lieu pendant que les arbres végétaient. Une solution de silice assez abondante pour produire un pareil effet, soit brusque- ment, soit graduellement, eût obstrué les vaisseaux, empêché toute circulation des fluides nourriciers et amené promp- tement la mort. Ce qui est plus probable, c’est que la pré- cipitation de la silice de sa dissolution dans les eaux envi- ronnantes a pu être déterminée par les acides végétaux que développait la décomposition de ces derniers dans certaines circonstances données. | | Le temps nécessaire à la pétrification ou silicification com- plète d’un tronc n’est pas connu, mais il semble devoir être très-variable, suivant les diverses circonstances qui accom- pagnent le phénomène, et, de ce que les piliers en’bois d’un pont sur le Danube, dont on attribue la construction à Trajan, ne sont trouvés silicifiés, après 1700 ans, que sur une épaisseur de 6 lignes tout autour, tandis qu'ils n'avaient point été mo- difiés vers le centre, il ne s'ensuit pas nécessairement que ce laps de temps soit toujours nécessaire pour un tel résultat (1) ; on pourrait même dire, à priori, qu'il n'en doit pas être ainsi, car la plupart des bois seraient détruits avant que l'action: mi- néralisante les eût préservés. Le carbonate de chaux peut aussi remplacer de la même manière les tissus végétaux. M. Stokes cite un morceau de bois de Hêtre, trouvé dans un aqueduc romain, à Eilsen, dans la principauté de Lippe-Buckeberg, où le carbonate de chaux a été substitué à la matière ligneuse. Une coupe transverse montre ces parties pierreuses irrégulièrement circulaires, d'une ligne et demie de diamètre. Elles se prolongent dans toute la longueur du morceau, soit d'une manière continue, soit sous forme de chapelet. On peut reconnaitre les vaisseaux dans la (4) Knorr, Recueil des monuments, ete, vol. I, p. 4. 592 COMPOSITION CHIMIQUE DES FOSSILES. matière calcaire et même plus distinctement que dans Îles parties non pétrifiées et préservées de l'altération qui a affecté les autres. Elles ne contiennent plus d’ailleurs que 9 0/0 de substance organique, le reste étant du carbonate de chaux. Ces résultats sont également donnés par la substitution de la silice. Dans les houillères de Saint-Berain (Saône-et-Loire), des tiges de Calamites plus ou moins aplaties sont changées en fer carbonaté lithoïde, ou ont été pénétrées de cette substance, car le poli met à découvert les fibres de ces végétaux. Dans les li- gnites de Sars-Poterie (Nord) des bois sont changés partie en fer sulfuré, partie en silice. Enfin des bois travaillés, trouvés près du temple de Janus, à Aûtun, et attribués à l’époque romaine, étaient en partie pétrifiés et incrustés de carbonate de chaux. La pétrification proprement dite semble done s'exercer en même temps sur un certain nombre de points isolés; elle s'arrête ensuite, et les parties du végétal qui n'ont pas été sou- mises à son action jusqu'à un certain point se détruisent. Le phénomène est en quelque sorte sporadique et n'est pas comparable à la silicification par les orbicules siliceux ; il ré- sulte d'un dépôt local de silice apportée à l’état de solution, tandis que dans les orbicules 11 y a un envahissement graduel de toutes les parties d'un corps organisé; c'est, comme nous l'avons fait voir (antè p. 486), une sorte de végétation parasite se développant à l’intérieur même du corps qui finit par le dé- former et le rendre méconnaissable, en détruisant peu à peu lous ses caractères organiques. Il y a donc, dans ces deux ré- sultats de fossilisation opérée par la silice, les différences les plus complètes, car l’un conserve et l'autre détruit. Quelquelois les dimensions des parties pétrifiées sont les mêmes dans les deux sens de la coupe. Dans d’autres circon- stances, le centre du morcéau de bois est complétement pétrifié et les rayons médullaires s’y continuent, sans cependant avoir changé de nature. M. Stokes pense que les vaisseaux ont cer- tainement servi à conduire le sue lapidifique, puisque celui-ci en suit les sinuosités. Pour l’auteur, la pétrification n’est pas le résultat d’une altération des tissus, car ceux-ci se montrent À nié VÉGÉTAUX. dd3 dans un état d'autant plus parfait que la pétrification est plus complète, et cette dernière aurait précédé toute altération de ces mêmes tissus. D’après cette manière de voir, ce ne serait encore que l'imprégnation dont nous parlions tout à l'heure ; toute la matière végétale des tissus et des vaisseaux doit sub- sister ; les vides seuls occupés par les fluides et les gaz auraient été remplis. On pourrait done distinguer, dans la fossilisation par la si- lice, trois opérations très-différentes : l’imprégnation qui laisse persister la matière organique, la substitution par laquelle celle-ci est remplacée sans que tous les caractères organiques cessent d’être appréciables , l’élimination qui fait disparaitre toute trace d'organisation en même temps que la matière or- ganisée elle-même, et jusqu'à la forme du corps, qui devient méconnaissable. Nous ne connaissons encore ce dernier effet que sur certains produits calcaires des animaux invertébrés. Les traces de Fougères qu’on observe dans les schistes houil- lers de la Tarentaise et particulièrement de Petit-Cœur sont en une substance blanche, à éclat nacré, rapportée à la nacrite. Nous ne sachions pas qu'aucune analyse ni recherches parti- culières aient été faites à son égard, et cependant 1l serait imté- ressant de connaitre les causes de ce singulier métamorphisme, les schistes noirs, endureis, un peu luisants, qui lesrenferment, n'ayant guère attiré l'attention que sous le rapport de leur âge si discuté et si peu discutable, à moins de nier le principe même de la science qui nous occupe. … Quoique les recherches de Walch datent de près d’un siècle, nous ne voyons pas qu'aucun auteur ait réuni un aussi grand nombre de faits relatifs à la pétrification ou fossilisation des végétaux. On peut encore aujourd'hui consulter sur ce sujet le commencement du tome [” et surtout le chapitre premier du tome [IT de son grand ouvrage dont les planches mêmes sont fort instructives (Voyez antè, [° partie, p. 112). Quant à ce que l’on appelle des dendrites, auxquelles les an- ciens oryctognostes attachaïent une certaine importance, ce sont des infiltrations de manganèse ou de fer entre les pores, les fentes Recherche de l'azote, d94 COMIFOSITION CHIMIQUE DES FOSSILES. ou les fissures naturelles de la roche et qui n'ont qu'une fausse apparence de végétation ressemblant plus ou moins à celle des mousses où d’autres cryptogames, d'où le nom d’Arborisations qu'on leur a donné, parce qu'elles rappellent aussi l’aspect de forêts en miniature, Walch, qui connaissait très-bien leur vé- ritable origine, n’en a pas moins jugé utile de donner un très- grand nombre de dessins qui sont les planches que Knorr avait fait exécuter avec beaucoup de soin, et qui ont été placées au commencement de leur ouvrage. Les Dendrolithes ou Litho- dendron étaient les désignations particulières des bois pétrifiés, etles Lithoxylon étaient des fragments de bois pétrifiés. Enfin les Fucoides sont des empreintes ou des traces vége- tales, en rameaux aplatis, souvent dichotomes, ne présentant, le plus ordinairement, aucun caractère suffisamment prononcé pour être reconnues même génériquement, ce qui n'a pas em- pêché, pendant 25 ans, bien des géologues de croire qu'ils avaient déterminé l'âge de certaines couches tertiaires, placées par eux dans la craie, par cela seul qu'ils y avaient observé des Fucoïdes. | Appendice. Dans ce qui précède, nous avons considéré les résultats de la fossilisation par rapport à la composition générale des corps organisés ; mais il était, on le conçoit, possible de n’envisager dans ces corps qu'un de leurs éléments constituants et de suivre ° ses modifications, et surtout la marche de son élimination dans les diverses circonstances de temps et de lieu auxquels ils ont | été exposés. C'est en effet ce que M. Delesse (1) a exécuté, pour l'azote, avec beaucoup de soin et de talent d' analyse, et nous NOR ici quelques-uns de ses résultats les plus essentiels (1) Recherches de l'axote et des matières organiques dans l'écorce ter: restre. (Ann. des mines, d° sér., vol, XVIL p. 151 ; 1860.) TRES APPENDICE. Do ©* qui se rapportent directement au sujet que nous venons de traiter dans ce chapitre. L’osséine, qui donne de la gélatine par sa dissolution dans l’eau chaude, renferme 18 0/0 d'azote ou 54 millièmes, et elle entre elle-même pour 50 0/0 dans la composition normale des os en général. Dans ceux des oiseaux, elle peut descendre à 25 0/0, tandis qu'elle augmente beaucoup dans les os de poissons. In- timement unie au phosphate de chaux, elle est insoluble dans l'eau à froid et résiste longtemps aux agents de la fossilisation. M. Delesse, ne considérant que l'azote dans toutes ses ana- lyses, exprime sa quantité en millièmes. Ainsi le crane humain fossile de la montagne volcanique de la Denise, près du Puy, renfermait 18,046 d'azote ; les os hu- mains de la caverne d’Aurignac, recueillis par M. Lartet, 13,65, c’est-à-dire plus que les ossements celtiques de Meudon, 11,14. Uu os humain du tumulus de Panassac, qui ne remonte qu’à 900 ans, n’a présenté que 10,54 d'azote. Le test calcaire nacré d'Unio trouvé dans le voisinage avait été complétement dis- sous, ne laissant que l’épiderme noire intact par suite de sa composition différente. Dans un crâne humain du Brésil, trouvé dans un conglomérat coquillier marin, il n°y avait plus que 1,64 d'azote. Dans les dépôts quaternaires, les résultats sont très-varia- bles, suivant les circonstances et les localités. Ainsi, des os de Cheval, de Bœuf, de la brèche osseuse de Ver (Oise), ont donné 10 d'azote, tandis que des os de Megatherium n'en ont offert que 0,89, et des plaques de Glyptodon, 0,61. Des os de l'Ursus spelæus de la grotte d'Osselles (Doubs) ont donné 0,89, mais dans d’autres conditions ils ont offert à Marchand jusqu'à 16 0/0 de matières organiques. Pour les os de Palæotherium tertiaire du gypse, la proportion d'azote s'est trouvée réduite à 0,41; pour ceux d’une Tortue tertiaire moyenne du département de l’Allier, à 0,55; pour ceux d’un Rhinocéros des faluns, à 0,19, et pour ceux d'Hipparion de Pikermi, près d'Athènes , à 0,12, quoiqu'il fût certainement moins ancien que tous les précédents. Des côtes de Lamantin Animaux. d96 COMPOSITION CHIMIQUE DES FOSSILES. changées en phosphate de fer, et provenant des faluns, ont donné 0,21 d'azote, à peu près comme les os de Rhinocéros de la même localité; celles provenant des sables supérieurs de Jeurre, près d'Étampes, 0,12 seulement, Dans les os de sauriens Juras- siques, la quantité ne dépasse pas 0,16. Les dents contiennent moins de matière organique que les os. Ainsi une défense d'Eléphant vivant a présenté 35,71 d’a- zote; une d'Éléphant de Sibérie, 51,95, ou 89 0/0 de ce qu'il devait y avoir à l'état vivant ; une dent d'Hyæna spelæa bien conservée, provenant d’une fente dans le calcaire grossier d’An- vers, 26,95; l'ivoire d’une molaire d'Éléphant de Sibérie, 15,95, et l'émail, 2,97. Les dents de vertébrés des dépôts quaternaires des vallées contiennent beaucoup moins d'azote que celles des cavernes et des brèches osseuses. Des dents de Carcharodon des couches terliaires de Malte en renfermaient 0,42; celles de la base du calcaire grossier, 0,16; une défense de Mastodonte de Sansan, 0,15, comme la partie éburnée d’une molaire du M. angusti- dens des sables tertiaires de la Garonne supérieure ; d’autres ont donné 0,19, 0,1%. Les défenses de proboscidiens des couches tertiaires moyennes du bassin de la Garonne sont bien conservées, dures, pesantes, tandis que celles des dépôts qua- ternaires sont blanches, légères, friables. Pour les défenses comme pour les dents, la quantité d'azote devient très-faible au-dessous du terrain quaternaire, restant inférieure à un demi- millième. Dans la couche à poissons (bone bed) de la base du las d'Oberbronn, les dents ont donné 0,84. Un bois de Cervus megaceros a encore offert 28,07 d'azote, tandis que celui d’un Cerf de la même époque n’en a plus donné que 0,51; la carapace d’une Tortue de l'étage des li- gnites, 0,53. Dans les coprolithes, la quantité d’azote varie suivant les animaux qui les ont produits. Ceux des oiseaux aquatiques qui se nourrissent de poissons sont surtout riches en azote et en ammoniaque. Le guano du Pérou en contient jusqu’à 197,3. La moyenne de quatorze analyses de guano des îles Chincha, APPENDICE. 907 dont nous avons déjà parlé (antè, p. 383), a présenté 142,90 d'azote. Il yen a 97,40 dans celui de la côte d'Afrique, et 50,50 dans celui de Chauve-Souris des grottes de l'Algérie. Les co- prolithes d'Ilyène de la brèche osseuse d’Auvers ont donné 2,10; celles du diluvium sableux de Ver (Oise), 0,86; des co- prolithes des marnes supérieures du calcaire grossier de Passy ont présenté 0,75 ; celles de reptiles du tourtia de Tournay, 0,37; du muschelkalk de Chauffontaine, 0,33; des pois- sons du grès rouge d'Oberlangnau (Bohème) jusqu'à 16 et même 22, suivant M. Staneck, ce qui serait tout à fait excep- tionnel. La nature et le gisement des coprolithes, poursuit M. Delesse, font varier beaucoup l'azote qu’ils renferment; mais générale- ment 1l diminue à mesure qu'on descend dans la série des ter- rains. La chitine des crustacés et des insectes, substance si inalté- rable, comme on l'a vu, ne renferme point d'azote (antè, p.916). Parmi les coquilles, la partie nacrée des Huïîtres vivantes contient 2,2 de matière organique, la partie feuilletée exté- rieure, 6,27 et 4 millièmes d'azote. La partie nacrée résiste très-bien, comme on sait, à la fossilisation. Dans des Huitres de l'argile de Kimmeridge, l’azote est réduit à 0,06 mill. et de- vient presque inappréciable dans des ostratées plus anciennes. L'encre de Sèche n'est point altérée, comme on sait, puisqu'on a pu employer encore celle du lias, qui a montré les mêmes propriétés que celle extraite des espèces vivantes, ce qui serait dû à sa grande richesse en carbone. (P. 221). On sait que les cryptogames les plus inférieurs renferment une grande quantité d'azote,se rapprochant même, sous ce rapport, dit M. Delesse, des matières animales. Ainsi le champignon comestible, Agaricus campestris, cultivé aux environs de Paris, donne jusqu'à 45 millièmes de ce gaz. Les conferves et certains végétaux microscopiques en donnent même davantage. Mais il y en a moins dans les cryptogames qui ont produit les combustibles fossiles. Parmi les plantes qui produi- 36 Végétaux. SIL, 558 COMPOSITION CHIMIQUE DES FOSSILES us, Log , Hyp- sent plus particulièrement la tourbe, l’une des mouss.sre num triquetrum, a présenté 7,44 d'azote; le Roseau, Ar ar phragnites, 9,61. Les féuilleé d'arbres divotylédones en ru ferment plus que le bois ; les feuilles de Chêne, 11,75; de Hé- tre, 11,77; le bois de Chêne, 5,40, 6,87 et 7 7,40. La densité des feuilles de fougères arborescentes est plus grande que celle du bois de nos climats, et la densité de leur bois peut devenir égale à celle de la houille. Les feuilles de fougères sont aussi riches en azote : 14,59 et 15,92, c'est-à-dire qu'elles en renferment davantage que nos arbres des forêts, tandis que leur ligneux n'en renferme que 1,77; dans les racines, il était de 6,26, proportion intermédiaire entre celle des feuilles et du ligneux. Les lycopodiacées de Taïti ont offert de 11 à 7 millièmes d’azote, et en ont ainsi autant que les mousses qui forment la tourbe. L’azote tend à diminuer dans les combustibles des divers terrains en raison de leur âge; mais il y a beaucoup d’exceptions, dues à l'origine de la matière végétale, Ainsi les lignites formés par des bois en renferment moins que le charbon du terrain houiller. Dans ce dernier on en a constaté 12,50, 8,80, 4,10, et dans l’anthracite il y en a encore quelques millièmes. Les combustibles fossiles s’enrichissent de carbone avec l’âge «et la fossilisation ; la densité augmente également, tandis que l’oxy- gène, l'hydrogène et l’azote diminuent. La quantité d'azote plus grande dans la tourbe, le lignite, et même la houille, que la moyenne des bois actuels, prouve que ces cbBuétiés sont dus à des feuilles. Dans la houillé et même dans l’anthracite il y en a plus que dans les bois des fougères arborescentes. Le dosage de Pazote d'un combustible fossile pourrait dane jusqu’à un certain point indiquer son àge et son origine, malgré de nombreuses exceptions, et de même, chez les restes d’ani- maux, dans une classe donnée et dans des circonstances com- parables, la diminution de l'azote est en raison du temps. écoulé. Le premier tableau que M. Delesse a placé à la fin de son. APPENDICE. 5H) mémoire présente les résultats de 102 analyses de parties d'animaux et de végétaux, dont l'azote est exprimé en millièmes ; sur ce nombre 1l y a 35 analyses d’os, 18 de dents, de défenses ou de bois de ruminants, 11 de coprolithes, 7 de mollusques et 99 de végétaux ou de combustibles fossiles. FIN DE LA SECONDE PARTIE. sr" F Le Aer cet dt 1 ARTS SUPPLÉMENT DE LA PREMIÈRE PARTIE RÉSUMÉ DES RECHERCHES DE M. J. SCHVARCZ SUR LES CONNAISSANCES DES GRECS ET DES ROMAINS RELATIVEMENT A L’HISTOIRE DE LA TERRE. Dans le premier chapitre de l'Histoire de la Paléontologie, nous nous sommes borné à reproduire très-sommairement quelques-unes des opinions des poëtes, des philosophes, des historiens, des naturalistes et des géographes de l’antiquité, sur l’origine du globe et sur celle des corps organisés fossiles ; nous ne voulions point, d’une part, répéter ce que divers auteurs, géologues et philologues, avaient déjà écrit de plus ou moins insuffisant sur ce sujet, et, de l’autre, le temps ne nous permet- tait pas de songer à un travail spécial, approfondi, reposant sur une étude préalable des sources authentiques. Mais ayant eu de- puis lors connaissance des beaux travaux que M. J. Schvarez avait entrepris dans cette direction et dont une partie venait d'être publiée en grec et en hongrois (1), nous priâmes ce jeune sa- (1) À Gürügük geologiäja jobb napjaikban, « Géologie des Grecs pendant les périodes de leur plus grand éclat. » In-4°; Pest, 1861. — Édition corri- gée, À Gürüg 6donsäg visxonya a füldtan kérdéseihez, « L’antiquité grecque dans ses rapports avec la géologie. » In-4° ; Pest, 1863. — Füldtani kisér- _letek a Hellénségnél nagy Séndor koraig, « Sur les essais géologiques de l'antiquité grecque jusqu'à l’époque d’Alexandre le Grand. » vol. 1; Pest, 562 CONNAISSANCES DES GRECS ET DES ROMAINS vant de vouloir bien combler cette lacune en extrayant de ses recherches dans les auteurs anciens ce qu'il avait trouvé de plus intéressant sur la cosmogonie, la géogémie, les fossiles et les divers sujets qui se rattachent à l’histoire physique de notre planète. M. Schvarez, pour répondre à notre désir, nous a adressé, à la fin de 1863, une suite de notes dont nous nous sommes empressé de profiter. Nous avons conservé nécessairement | l'ordre chronologique et très-rationnel qu'il avait déjà suivi dans ses études, c’est-à-dire que nous traiterons suecessive- ment : 4° de la géologie chez les auteurs grecs avant l’époque d'Alexandre ; 2° pendant et après cette époque ; 35° chez les Ro- mains. Le savant hongrois a bien voulu revoir lui-même les épreuves pour tout ce qui concernait les nombreuses citations dont seul il pouvait vérifier l’exactitude avec les textes des au- teurs sous les yeux. Ces recherches ne sont pas, comme on pourrait le croire an premier abord, chose futile ou de pure curiosité scientifique et historique ; pour qui veut y regarder de près, elles acquièrent un haut intérêt philosophique dans l'étude du développement comparatif ou de la marche de l'esprit humain chez les na- tions les plus éclairées à des époques différentes. Pour suivre la pensée que nous avons déjà émise, nous dirons que ces recherches font voir comment chez ces peuples anciens, où cer- 1863. — L'auteur a publié en anglais un exposé général et méthodique de ces recherches sous le titre de On the failure of geological attempts in Greece prior to the epoch of Alexander. V° partie, in-4; Londres, 18062, — On doit encore à M. J. Schvarez nn travail sur Straton de Lampsaque : Lampsacusi Strato. V° partie; Pest, 1861, — 2° édit., corrigée; 1863. En 18614, il adressa au Congrès scientifique de Bordeaux un mémoire intitulé: La géologie antique et Les fragments du Claxoménien, où l'auteur rapporte les idées d'Anaxagore sur l'histoire de la terre. — Les recherches déjà faites dans cette direction, telles que la Minéralogie homérique, de Millin, la Minéralogie des anciens, de Delaunay, la Géologie des Grecs et des Romains, par Lassaulx, ou Contribution à la philosophie de l'histoire (Geo- logie der Griechen und Rômer, Mémoires de l'Académie royale des sciences de Bavière, 1851), etc., ne répondaient nullement aux besoins de la partie historique de la science. RELATIVEMENT À L'HISTOIRE DE LA TERRE. 565 taines des plus hautes facultés de l'intelligence avaient atteint leur apogée, d'autres sommeillaient encore, ne se manifestant que par de vagues intuitions de vérités générales qui re- posaient sur des observations insuffisantes, ou même par des rêveries plus ou moins imaginaires, que la Renaissance a vues se renouveler depuis. Géologie des Grecs avant l'époque d'Alexandre. Les philosophes de la Grèce ont expliqué les phénomènes volcaniques par l'hypothèse des feux souterrains. Eschyle, dans une de ses tragédies perdues, a attribué à l’action de ces feux la séparation de la Sicile de la Calabre; Pindare a chanté, dans la première épinicie de ses Pythiaques, la communication souterraine de l’Étna avec le Vésuve. Chez Platon, on retrouve la cause des volcans dans le Pyriphlégéthon (Phédon, c. 58, 60); chez Empédocle, dans ces masses ignées souterraines (roNA& ’ Evse0” Udsos (obdeos) rupà xafstul) dont il parle dans les fragments de son poëme Sur la Nature. Proclus, le com- mentateur de Platon, confirme l’opinion précédente dans les notes qui accompagnent le Timée., Empédocle, dit-il, soutient l'existence de torrents de lave souterrains (fôæxes mupés). Nous pouvons nous faire encore une idée plus exacte et plus précise de la théorie de quelques pythagoriciens par ce qu'en dit Sim- plicius dans son Commentaire sur les ouvrages d’Aristote (de Cœlo, I, 15, 14; f. 124). Simplicius, dont la véracité n’est pas suspecte, rapporte que les plus instruits de cette école (oi dE pynsurespoy erasyévres) attribuaient au feu central (652v rÿe) une action géogénique, en le plaçant à l’intérieur de la terre, comme le principe créateur de la vie et des choses, comme une source de chaleur éternelle pour le globe exposé d'ailleurs au refroidissement. M. le professeur Rôth, d'Heidelberg, a essayé d'expliquer l'hy- pothèse du yuésov xüp, dont on a tant parlé dans les ouvrages 564 CONNAISSANCES DES GRECS ET DES ROMAINS sur l'astronomie des anciens, en supposant que ce sont seulement les éruptions volcaniques qui ont suggéré l'idée des pythagori- ciens ; mais il fallait faire ici une distinction essentielle et ne pas vouloir appliquer cette interprétation aux idées de Philo- laüs. Les philologues versés dans les traditions de l'école de Phythagore admettent qu'on y regardait le globe comme une sphère concave, dont une moitié représentait la véritable terre et l’autre l’Antichthon, comprenant dans le vide intérieur le fa- tal cube du feu central du péccv #59. Suivant le système d'Hicé- tas le syracusain, les mêmes philologues admettront peut-être que le wésov 759 exerce une action à la fois astronomique et géo- logique, et ils interpréteront le passage de Simplicius (ad Ar. de Cæœl., f. 432) conformément à l’idée que professait Héra- clide de Pont, savoir, la rotation de la terre autour de son propre centre ou Ja portion de la sphère concave autour du pécey rdp, puisque ce pécov rüp a occupé en même temps le centre du vide intérieur de la sphère. Mais peut-être dira-t-on que l'hypothèse astronomique du éco rù9 n'est encore, chez Philolaüs, qu'un acheminement vers la théorie de la rotation de la terre autour de son axe, et les philologues maintiendront-ils que l’on a toujours considéré la terre, telle que la comprenait Philolaüs, comme une pla- nète ‘indépendante du cube mystique de pésev rüp, qui occupe le centre de l'univers? Dans le second livre d'Aristote de Cœlo, 11 n’y a que des arguments contraires à l'opinion de M. Rôth, et cette circonstance même, que Simplicius distingue ceux qui ont regardé le pésoy rüp comme une cause exelusive- ment astronomique suppléant à la rotation de la terre autour de son axe, et ceux qui y ont ajouté un sens géologique, montre qu'il y a eu en effet, plusieurs sources d'informations dans la secte de Pythagore relativement au feu central (u£s0v xp). Les plus rapprochés de la vérité étaient certainement ceux qui attribuaient les éruptions volcaniques, peut-être aussi les sources thermales et les tremblements de terre, à une masse ignée, souterraine, située au centre de laterre; et, comme celle- ei était supposée placée au centre de l'univers, ce dernier, en RELATIVEMENT A L'HISTOIRE DE LA TERRE. 565 inême temps que l’enveloppe terrestre, décrivait son mouve- ment diurne autour de la partie centrale incandescente. Sim- plicius ne fait d'ailleurs aucune mention de la sphère concave terrestre. Jusqu'à présent on ne peut pas affirmer que la doctrine géo- logique de ce péccv rdp ait été aussi rattachée depuis au système héliocentrique ; mais Hicétas admettait déjà la rotation du sphéroïde, ainsi qu'Héraclide. Pour ces deux philosophes, le pésov rüe avait un sens à la fois géologique et astronomique. Simplicius ne rappelle pas les noms de ces pythagoriciens plus instruits ; mais 1l dit que Diogène Laërce attribue l’antichthon à Hicétas, tandis que Théophraste lui a attribué, de son côté, le principe de la rotation, ce qui nous permet de penser que le célèbre syracusain a placé son pécov môo, la contre-partie nécessaire de l’antichthon, à l’intérieur de la terre; les mots rept ro pécev indiquent évidemment le pécev rüp chez le scholiaste anonyme du cod. Coisl., 166, en faveur d'Héraclide. L'admission de l'hypothèse grecque du feu central dans le sens géogénique peut-elle faciliter l’explication de l'Ecpyrosis, car il y a des philosophes qui ont rejeté l’idée du feu extérieur (rôp + rcptéyey, ou feu en dehors de la sphère des étoiles fixes)? Quoiqu'il en soit, ils ont soutenu l’idée d’une conflagration géné- rale de l'univers, ou au moins de notre planète. A quellé cause Empédocles, Leucippe et Démocrite pouvaïent-ils attribuer les catastrophes terrestres dues à des conflagrations, si ce n’est aux feux souterrains ? Quant à l'hypothèse a feu ete] au point de vue géogénique, elle était peu répandue. Seulement les po- pulations voisines des volcans recherchaient naturellement dans l’existence d’un feui intérieur la cause des phénomènes dont ils étaient témoins. La mythologie a apporté son tribut de renseignements ; les poëmes sacrés ont avancé qu’il existait des communications entre les volcans les plus éloignés ; Phérécyde, logographe athé- nien, surnommé Lerius, qu’il ne faut pas confondre avec le cé- lèbre philosophe du même nom, qui était de Seyros, a raconté, xwyñ<). Maintenant cette croyance au fa- talisme, qui règne dans toute la philosophie du poëte natura- liste, ne résulterait-elle pas elle-même d’une fausse interpréta- tion des corps fossiles souvent incomplets, brisés, et dont les fragments se trouvent épars dans la terre? C'est au moins fort probable, En effet Jean Philopone, le commentateur d’Aristote, dans le passage relatif à la formation première des animaux, dit qu'Empédocle admet que ceux-ci doivent leur origine à ces membres du corps qui ont existé anciennement comme des êtres organisés complets, indépendants, et qui se sont aceumu- lés dans la terre (èv +n y) lorsque le principe chaotique a commencé à succéder au principe cosmique (èr: + #77n pèy is ahérnros, érrnoarskx DE roù velnouc). Ces mots : cuvaOporcOtivar èv à vi, qu'ils se sont accumulés dans la terre, prouvent assez qu'Empédocle a vraiment eu l'idée de phénomènes géologiques et paléontologiques, Celui qui déjà avait su distinguer le vrai caractère des roches cristallines, comme nous l’assure Plutarque, qui avait eu la pensée du soulèvement du sol pour se rendre compte de certains phénomènes, pouvait bien avoir aussi ob- servé les débris de corps organisés dans les couches sédimen- tares. Suivant Censorinus (de Die natali, IV), Parménide aurait avancé une hypothèse semblable sur le principe de la vie ani- male ; mais les détails à cet égard font complétement défaut. A vrai dire, ce que nous savons sur celle d'Empédocle est aussi bien peu de chose. Suivant cette dernière, les plantes auraient apparu à la surface de la terre avant les animaux (1). Il y aurait (1) Placita, V, 26; pseudo-Galène, Hist. philos., ce. xxxvin. a — —_ 1 rr RELATIVEMENT A L'HISTOIRE DE LA TERRE. 585 même eu des unes et des autres avant la formation du soleil (C£. Tzetzes d'Hésiode). Si nous nous reportons actuellement aux trois phases du dé- veloppement de la vie, dont nous avons parlé tout à l'heure, nous pourrons supposer que la première correspond à la pé- riodé où les membres vivants, isolés, étaient indépendants du : corps lui-même des animaux, les x89ç4 dvavyeves, les têtes, les bras, les pieds, les mains (£p@uyx évra), ete.; que la seconde comprenait les cmuxtz Ga, c'est-à-dire ces formes mons- trueuses dont parlent les fragments du poëme Sur la Nature, les Beuyevn avSoérpwox, les avèpoqui Bobxpava, les uoicrepva, les auorroécurz, les elMroèa dupuréyria, elc., et que la troisième phase a été représentée par la faune actuelle. Malgré l'absence de détails plus précis, on voit que l’idée du développement suc- cessif des êtres était certainement dans la pensée de quelques Grecs de l’antiquité, et qu'ils ont dû y être amenés par l'obser- vation de faits géologiques. Anaximandre, comme on l’a dit, s’y était rattaché, ainsi que Démocrite et Archéiaüs, et pour tous l'homme était le dernier être créé apparu à la surface du globe. Platon et Aristote ont adopté cette même hypothèse, mais on peut être assuré que le premier n'y a pas été amené par l'observation directe, etl'on conçoit en effet qu'elle puisse aussi résulter de spéculations abs- traites sur les conditions générales des choses. Suivant Diodore de Sicile, certains philosophes croyaient que le genre humain avait existé de tout temps, mais peut-être a- t-il confondu, avec l'hypothèse d'une uniformité perpétuelle absolue, la doctrine de ceux qui, croyant au développement successif des êtres, admettaient une grande période de la nature qui se serait répétée plusieurs fois, comme les yougues des livres sanscrits se répèlent aussi pour former un jour de Brama, et ces jours se répètent à leur tour pour former une vie de ce dieu. On peut dire qu'Empédocle nous donne déjà une idée de toutes les hypothèses des anciens sur le développement pro- gressif des êtres, sans que, cependant, il soit réellement fondé 584 CONNAISSANCES DES GRECGS ET DES ROMAINS sur la complication progressive organique ascendante, depuis les polypiers jusqu'aux mammifères, Son idée, à cet égard, se bornait à une modification et à une amélioration par suite de l'adaptation des organismes plus conformes au principe téléo- logique de l'évolution cosmique. En effet, Aristote lui-même dit (liv. IE, ch. vus de sa Physique) que, suivant Empédocle, les types des fouysvñ dvèpérowpase sont éteints parce qu'ils n'étaient pas conformes au but. Enfin la dégénérescence du genre humain, telle que l'admettaient les anciens, n'était pas incompatible avec le développement progressif, car, comme on le voit dans les fragments du philosophe d'Acragas, le principe cosmique (v:%425) à fonctionné simultanément avee le principe chaotique (g1xé+ns), et l'époque de l’abaissement insensible de l’ordre des choses dans l'état chaotique n'étant pas marquée nécessairement par des catastrophes, elle a pu commencer avec les premières manifestations de la dégénérescence humaine. Dans le système de ces philosophes naturalistes, l'œuvre de la création était done complet avec la première apparition de l'homme. = Empédocle fait dépendre tous les phénomènes de la nature du fatum (rw), doctrine qu'il a probablement puisée dans une fausse interprétation des corps organisés fossiles, Quoi qu'il en soit, on ne peut pas trouver une plus belle apothéose de son esprit tragique que la légende de sa mort, qui, sans avoir une valeur historique, prouverait, après ce que nous avons dit, qu'il s’est précipité dans le cratère de l'Étna, parce qu'il n’a pu supporter cette idée déduite de la fausse interprétation des fossiles, que la force créatrice a déjà plusieurs fois manqué de produire un ordre téléologique des,choses, et que la physiono- mie cosmique actuelle n’est qu'un résultat du hasard. Lassaulx, dans son Traité de la géologie des Grecs et des Romains, à'a pas fait une seule fois mention d'Empédocles, Gladisch, dans son opuscule Empedokles und die Ægyptier, et Sprengel , dans sa Protogæa Empedoclis, n’ont pas compris toute l'importance des passages qui se rapportent aux essais paléontologiques du philosophe d'Agrigente ; il était done né- D D. és mn ce REL ATIVEMENT A L'HISTOIRE DE LA TERRE. Hp) cessaire de réparer l’omission de l’un et de compléter ce que les autres avaient laissé à faire. Géologie des Grecs pendert les époques alexandrine et post-alexandrine. Ce sont surtout les phénomènes dus aux causes actuelles qui ont été observés dans ces deux périodes de l'antiquité grecque, telles que la formation des deltas, les alluvions, etc. Beaucoup d'écrivains se sont occupés de ces questions géologiques les plus simples, mais indispensables à connaitre; et l’on sait les noms des polymathes qui ont rassemblé les données relatives à cet ordre de faits, tels que Démétrius Callatianus, Démétrius de Scepsis, Callimaque (xzriseue vns@y), et d’autres dont les norns ne nous sont point parvenus, mais dont l'existence est aflir- mée par Strabon ([, 3). Rien ne nous prouve que Démocrite d'Abdère se soit occupé, comme le pense le savant Mullach, de ces sujets dans l'ouvrage perdu qui était intitulé Sur les Causes terrestres : Aïziz ërireèer, mais le in° chapitre du [* livre de la Géographie de Strabon est un véritable traité systématique des changements produits à la surface de la terre par les causes actuelles. Le géographe d'Amasia examine les ouvrages publiés avant lui sur ce sujet, et critique sévèrement les livres d'Ératosthène. A cette occasion il fait une digression intéressante sur la pré- sence des coquilles marines fossiles rencontrées sur les mon- tagnes, quelquefois à plusieurs milliers de stades de la mer, et reproche au célèbre astronome d'Alexandrie de s'être occupé de _cette question en traitant de la figure de la Terre et de s'être aussi occupé de cette dernière en traitant de la géographie des continents habités. Strabon rapporte l'opinion de Xanthus dont nous avons déjà parlé, les hypothèses de Straton de Lampsaque, d'Ératosthène, d'Hipparque, de Posidonius, et enfin émet la sienne propre. 586 CONNAISSANCES DES GRECS ET DES ROMAINS L'hypothèse de Straton est bien connue (1). Il suppose que la Méditerranée et le Pont-Euxin étaient sans communication, l'une avec l'Atlantique par le détroit de Gadès, l’autre avec la Propontide par celui de Byzance. Suivant lui, les sédiments ap- portés par les fleuves déterminent, par leur accumulation au fond des mers, les changements observés dans leur niveau et occasionnent la rupture des isthmes, tels que ceux de Gadès et de Byzance. La banquette sous-marine qui existerait, entre l'Europe et l'Afrique serait la preuve de sa supposition, comme les coquilles et d’autres faits signalés autour du temple de Ju- piter Ammon en Libye. ‘ Les changements survenus dans la disposition des terres et des eaux, suivant Straton, sont bien admis par Strabon, mais celui-ci rejette l'explication de son prédécesseur. Les sédi- ments des rivières, au lieu de s'étendre sur tout le fond des mers, de manière à en relever le niveau, se déposent, au con- traire, dans le voisinage de leur embouchure, et contribuent peu à peu à augmenter la surface des continents par la forma- tion des deltas, Les motifs sur lesquels s'appuie le géographe d’Amasia sont judicieux et instructifs. C’est au mouvement propre de la mer, qui contribuait à sa purification et que les anciens appelaient la respiration de la mer, que Strabon attri- bue la cause de l'impossibilité pour les sédiments de tomber et de s'étendre sur son fond, et à cette occasion il développe sa théorie des soulèvements. Strabon qui est vulcaniste, comme on dirait aujourd'hui, suppose que le fond des mers éprouve de temps en temps des soulèvements et des abaissements, non par suite du dépôt des sédiments apportés par les fleuves, mais occasionnés par les orces ignées qui agissent au-dessous des mers. La Sicile n’a point été séparée de Rhegium par un tremblement de terre, mais a été élevée au-dessus des eaux par les feux souterrains. La théorie du feu central, telle que la comprenaient lés an- ciens philosophes grecs, ne se retrouve pas dans les fragments (1) Von Hoff et de Humboldt, Ansichten der Natur. RELATIVEMENT A L’HISTOIRE DE LA TERRE. 587 que l’on possède de la période post-alexandrine, au moins sous la forme adoptée par l’école de Pythagore. Quoique les stoïques aient accordé une grande importance à l'élément du feu, nous ne savons pas jusqu'où leur doctrine de la conflagration pério- : dique du monde était basée sur l'observation des phénomènes volcaniques. Ils n'auraient fait que suivre, dit-on, la physique d’Héraclite d'Éphèse, comme l’affirment beaucoup de philo- logues ; mais il serait plus utile pour l’histoire de la science de rechercher, dans les dogmes des stoïciens, les traces de ce qu’ils ont emprunté à ceux des pythagoriciens (1). Strabon mentionne également le soulèvement volcanique des iles de Prochyta (Procida), de Pythecoussæ (Pythécuse), de Ca- preæ (Caprée), de Leucosia, des Sirènes, des Énotrides (2), de l’île d’Automate (Hiéra), entre les îles de Théra et de Théras- sia. Plutarque (5), Justinus (4), Orosius (5), Pline (6), en font . également mention ainsi que de l'origine volcanique d’une montagne de 7 stades de hauteur, près de Méthoné, et la réu- nion au continent de Spina, près de Ravenna (1). . Outre les recherches ct les conséquences relatives aux phéno- mènes volcaniques, la Géographie de Strabon renferme une multitude d'observations qui se rapportent à la réunion de cer- taines îles aux continents voisins, au mode de formation des del- tas, en un mot à tous les changements dela surface de la terre dus au déplacement des caux, tels que la submersion d'une ville phénicienne, près de Sidon, par suite d’un tremblement de terre, mentionnéepar Posidonius; l'engloutissementde Sipyleet (1) À l'égard de la doctrine stoïique de la conflagration périodique du monde, les eiuzguéve yosve, cf. l'ouvrage de J. Lipsius, Physiologia sloico- rum; Cicero, Nat. Deor., II, 14; Numenius, Eusebius, Præp. evang., XV, 18; Plutarque, Moral., p. 881, F. 955, E. 1077, B; Anistoclès chez Euseb., Præp. evang., XV, 14, p. 58; Origène Contre Celsus, IV, 14;D.V.20.. (2) Strabon, VI, 4; XVII, 557, 1, 3. (5) Moralia, p. 399. (4) 50, 4. (») VIE, 6. (6) Strabon, 3; V, 1; Cf. Dionysius Halicarnassi, I, 18; Scylax, 19. (7) Hist. nat., I, 87; etSénèque, Quæst. nat., NI, 2. 588 CONNAISSANCES DES GRECS ET DES ROMAINS d'autres villages de la Lydie et de l'Ionie, rapporté par Démoclès; la réunion à la terre ferme par une péninsule de l'ile de Pharos, de Tyre et de Clazomène, celle de l'ile de Piréus ; l'isolement ar- tificiel de Leücas; la séparation naturelle, au contraire, de Sy- racuse ; l’abaissement de Bura et d'Hélicé à la suite de tremble- ments de terre; l'engloutissement d’Arnée et de Midéa par le lac Copaïs; celui de quelques villes de la Thrace par les lacs de Bistonis et d’Aphnitis; le rapprochement de la terre ferme d’Ar- timita et des autres îles, près de l'Achéloüs, par les dépôts de cette rivière; celui de quelques îles de l'Étolie, d’Antissa; la séparation de Lesbos, d’Ida, des îles du golfe de Naples, citées précédemment, de Misénum comme la Sicile de Rhegium, de Caprée, du promontoire d'Athènes, d'Ossa, d'Olympe ; les changements de la géographie physique des environs de Rhagæ (Ragès) en Médie, rapportés par l’historien Duris; la séparation de l'Eubée, de la Béotie; la submersion des îles Lichadiques et du promontoire Cénéum; la fente ou crevasse de l’île d’Atalante, etc. De tous ces faits Strabon conclut que les terres actuellement habitées ont été couvertes une fois par la mer, et que le fond de celle-ci a fait partie à son tour des terres habitées (1). Un auteur de l’époque alexandrine qui s’occupait de spécula- lions géologiques, le poëte Callimaque deCyrène (275 av. J. C.), composa, dit-on, plus de 800 ouvrages : élégies, épopées, hym- nes, épigrammes, ete., dont 1l ne nous reste que 6 hymnes et 65 épigrammes. Dans celui de ces hymnes qui est dédié à Jupiter (vers 15 à 56), il dit que ni le Ladon, ni l'Érymanthe n’exis- taient lors de la naissance de ce dieu ; qu'alors toute l’Arcadie était desséchée ; que le Carnion, l’Iaôn, le Mélas, le Crâthis, le Métopès, ne voyaient couler leurs eaux que par le choc que la déesse Rhéa imprimait au mont Ida. Dans l'hymne adressé à Apollon, le poëte mentionne les stalactiques et les stalagmites (1) Géographie, 1, 3, XXNIT, p. 597, A1.—Voy. ce que nous avons dit de la description si exacte des pierres lenticulaires, par Strabon, 1° partie, p. 10. RELATIVEMENT A L’HISTOIRE DE LA TERRE. d89 de la Phrygie (vers 22-23) et les sédiments féconds de la rivière de l’Assyrie. L'hymne consacré à Diane décrit l’île volcanique de Méligounis, nommée plus tard Lipara, comme la rési- dence de Vulcain. Le bruit souterrain produit par ce phé- nomène se fit entendre dans la Trinacrie; dans toute l'Ita- lie, l'air retentit des secousses et des éboulements de l'Étna, et l'écho de Cyrnos (la Corse) les répéta (vers 46 à 56). Dans l'hymne à Délos, on voit que le dieu (Poséidon) a fait appa- raitre les iles en frappant la montagne de son trident, forgé par les Telchines. Il semble n'avoir attribué que la formation d’une partie des îles aux soulèvements volcaniques, car à l’ex- pression Ghz il ajoute aussi elsexÿioce (vers 33). Il est pro- bable qu'il attribue, d'un autre côté, l’origine des îles voi- sines des’continents aux agents de déchirement. L'ile de Délos avait été nommée Astérie, parce qu'on la sup- posait provenant d'une étoile tombée du ciel dans la mer, mais cela bien avant le temps de Callimaque, qui n’a pu être par con- séquent le premier à lui assigner cette origine. D'ailleurs la naiïs- sance des îles a toujours été un sujet traité par les Grecs avec une certaine prédilection. On en trouve, comme nous l'avons dit, des traces dans Pindare et dans un grand nombre d’autres poêles. Callimaque lui-même en a décrit une sous le titre de Kriceis vns@v. Les relations fréquentes d’iles flottantes, les Cya- nées, ont certainement moins d'intérêt, de même que les plaisanteries sur des rivières très-différentes et très-éloignées les unes des autres, qui ne seraient que les prolongements souterrains d’un seul cours d’eau. Nous ne rappellerons donc pas ce qu’en avaient dit antérieurement Sophocle, Prodicus, Sotion, Plutarque et beaucoup d’autres, dont les ouvrages sont perdus. Dans le même hymne est ce mythe de la disparition de cer- taines villes, iles et contrées, que nous lisons dans les hymnes d'Homère, et nous retrouvons aussi les mêmes difficultés à in- terpréter Callimaque, quand il dit que la rivière Phenæus est remontée vers sa source lorsque Latone chercha son lit d'ac- couchée. 990 CONNAISSANCES DES GRECS ET DES ROMAINS Ailleurs, le poëte dit que toute l’Arcadie, Parthémios, eer- laines portions du Péloponèse voisines de l'isthme, l'Aonie, Dircée, Strophie, l'Æsope, Larisse, le Pénéias, ete., se sont retirés (osÿy2v) devant la mère-supplice d’Apollon (Latone). Se- rait-ce une allégorie ou une allusion à quelques changements dans les caractères physiques du pays ? Ou ne serait-ce qu'une pure fantaisie émise sans que le poète ait prétendu ôter aux divinités des fleuves, des montagnes et des villes, des représen- tations figurées ou prosopopées, que les Grecs leur assignaient st volontiers (vers 70 à 450) ? Les phénomènes volcaniques de l'Étna sont attribués aux mouvements du géant Briarée qui s’y trouve enseveli, bien que le livre de pseudo-Aristote, intitulé Iegt xéueu (Sur l'Univers), ait déjà donné aux volcans, dont l'origine était connue, l'épithète-employée par des géologues de nos jours, celle d'évents ou de soupapes de la terre. Quant aux 420 livres de l'Encyclopédie de Callimaque, on doit regretter qu'il ne nous en sûit rien parvenu. Beaucoup de passages des auteurs prouvent qu'on a observé, dans les périodes qui nous occupent, la présence des fossiles dans les couches de la terre; mais on n’y trouve comme vues théo- riques rien qui ressemble à celles d'Empédocle. L'hypothèse de Théophraste et de Polyhe est sans aucune valeur. Dans le traité de minéralogie intitulé Iepi M0wv, le naturaliste d'Eresus attribue l'ivoire fossile à une force plastique de l'intérieur de la terre, et dans son curieux opuscule intitulé Iegi rüv t0wv rü» y r® Enp© duuevévrwy (1), il suppose que les poissons fossiles d'Héraclée (Pont), de la Paphlagonie, de la Gaule narbonnaise ne sont que des individus des espèces actuelles, vivant dans l'intérieur de la terre, et provenant soit d'œufs qui Ÿ auraient été laissés, soit par suite de métamorphoses en types terres- tres de ceux qui seraient venus originairement de la mer ou des fleuves voisins pour s'introduire entre les couches. (1) CF, 8, p. 828, Schneider ; Cf. Pseudo-Aristote, De Mirab. Auscull,, 15, 74; Athénée, Deipn., VI, 2; Pline, Hist. Nat, IX, 57. a np ht et RELATIVEMENT À L'HISTOIRE DE LA TERRE. 591 Théophraste parle aussi des pierres trouvées près de Munda en Espagne, et qui présentaient des empreintes de palmiers, puis des impressions noires dans le marbre de Ténare, de la canne de l’Inde fossile (3 ‘Ivdtxés zdhauos dmokexwoméves; et il ajoute à cette occasion : radta p£v oùv Ans sxébew). Il vou- lait probablement faire allusion à l'ouvrage intitulé, suivant Diogène Laërce : Ilsgt Atouyévuy. Enfin 1l mentionne, dans le livre intitulé : Iept gurév taropta (IV, c. vu), des plantes fossiles trouvées au delà de Gadès (xai r4 droabobeva vadre, ofcy Oüpux, 20 à Dagvoetdn ai ra AAA), et plusieurs espèces de charbon de terre dans la Ligurie, l'Élide, ete., sans que nulle part on n’aperçoive d’ opinion émise sur son origine. Quant aux poissons His Polybe a admis la même hypo- thèse fabuleuse (Py0vès puurot, où devuret xeszpeïc), et Strabon les a mentionnés comme Athénée (1). Quelques ossements fossiles, provenant de grands mammi- fères probablement quaternaires, étaient pris alors, comme par les observateurs de la période pré-alexandrine, pour des restes de géants. Pline, Aulu-Gelle, Solinus, Pausanias, Phlé- gon parlent des énormes squelettes et des sarcophages décou- verts par suite de tremblements de terre, ou résultant de fouilles : exécutées sur divers points de la Grèce, de l’Asie Mineure et contenant des ossements. Pline (VI, 16, 74) parle d’un sque- lette de 46 aunes trouvé à l'intérieur d’une montagne de Crète (68 ans avant notre ère), et attribué à Orion (Solinus, I, 90) ; Pausanias (1, 55, 5, 6), d’un autre de 10 aunes de long, pro- venant de Milet et regardé comme celui d’Astérius ; d’un troi- sième trouvé près de Téménon Thyrée, et rapporté à Géryon ; d'un quatrième (VII, 29, 3) contenu dans un sacorphage de 11 aunes de long, et qui serait celui de l'Indien Oronte; d'un cinquième conservé dans le temple d’Artémis Agrotéra, à Mé- galopolis, et que la tradition attribue au géant Hoplodame. Phlégon de Tralles (Mirab. 12) parle de corps gigantesques observés dans la grotte d’Artémis en Dalmatie, dont les côtes (1) Strabon, IV, 1, 6; Athénée, VII, 4; l'olybe, XXXIV, 10. 592 CONNAISSANCES DES GRECS ET DES ROMAINS sternales avaient 16 aunes de long, puis de la dent d’un géant, longue d’un pied, et consacrée à l’empereur Tibère (Mirab. 14); de grands squelettes humains recueillis à Litrée en Egypte (1b., 15, 16; Aulu-Gelle, IE, 10, 11). Un sarcophage trouvé dans le voisinage d'Athènes, à l'ile d’'Eubée, de 100 aunes de long, renfermait un squelette de même dimension, portant pour inscription : « Je fus enseveli ici, moi, Macroséiris, après avoir vécu 5000 ans » (1b., 17). Phlégon cite également un sarcophage de 24 aunes et un autre de 52, trouvés à Carthage (1b., 18), et enfin un squelette de 24 aunes rencontré près du Bosphore cimmérien, et que les barbares avaient jeté dans le lac Méotis, (Mirab., 19.) On comprend que toutes ces relations d'os fossiles d’êtres gi- gantesques venaient confirmer l'idée de la dégénérescence du genre humain, et le professeur Lassaulx a même cru pouvoir supposer que les sarcophages, dont nous venons de parler, prouvaient le culte ancien dont certains grands mammifères ou de grands reptiles énaliosaures auraient été l'objet. Ce culte, méconnaissant l'origine des fossiles, aurait ainsi favorisé la croyance à l’ancienne existence des géants et des héros. On est aussi conduit à se demander si la tradition des quatre âges de l'humanité, depuis l'âge d’or jusqu'à celui de fer qu’on trouve dans Hésiode et dans Ovide, ne remonterait pas à ce même culte des fossiles ? La théorie du développement progressif des êtres organisés dans le lemps a continué d’être enseignée comme avant l’é- poque d'Alexandre. Lucrèce, en reproduisant les préceptes de plusieurs sectes de la Grèce ancienne, nous en a transmis quel- ques parties (1). (1) Voy. Lucrèce, de Rerum Natura; Horace, Satyre, 1, 5, 99, cité par Lyell, Antiquity of Man, p, 379. — Zénon, Cléanthe, Chrysippe, les chefs de l'école stoïque, ont professé la conflagration périodique des choses (CF. Las saulx, p. 54; Numenius, chez Eusèbe, Pr. év.., XV, 18; Plutarque, Moral., p. 881,F., 955,E. 1077, B. ; Aristoclès chez Eusèbe, Pr. év., XV, 14; Ori- gène Cont. Celse, IV, 14; V, 20 ; Lipsius, Physiologia stoicorum, WU, 22 et sequ. RELATIVEMENT A L'HISTOIRE DE LA TERRE. 595 Les stoïques soutenaient qu'après chaque conflagration le mème ordre de choses se reproduisait, et en rapport avec le même cours des astres, les formes, les mêmes relations de la vie humaine qui se reproduisaient aussi. Les mêmes nations, les mêmes villes, les mêmes guerres se reproduisaient. Athènes, Troie, comme Socrate, Platon, Achille et les Argonautes devaient revenir, et ce renouvellement de toutes choses devait se répéter dans un nombre de eyeles infini (1), ce qui n’empêchait pas d'admettre le développement progressif de la vie dans chaque cycle ou période considérée en elle-même (eiuzouévot yoévet). Jusque dans les premiers siècles du christianisme, les Grecs ont continué à observer les fossiles. Eustbe (Chron. arm., I, * p. 60), Cédrène (F, p. 27), Eustathe (Hexaëmeron, p. 49), en parlent d'une manière particulière. Le savant évêque de Césa- rée a observé lui-même les poissons fossiles du Liban, et en tive la conclusion autoptique qu'ils sont la preuve du déluge de Noé (2). Géologie des Romains. Les Romains passent pour avoir imité les Grecs, ce qui est vrai, non-seulement de leurs poésies, mais encore des hypo- (1) Némèse, de Natura hominis, 38; Virgile, Eclog. IV, Pollio, cité par Lyell, Principles, p. 149; Cf. les réflexions d'Owen, Paleontology, p. #14. (2) Nous serions certainement plus instruits sur les idées géologiques des Grecs, si les œuvres des philosophes-naturalistes appelés ououxoi ou guoto2éye:, celles portant le titre Ilept quosws, Ilepi xoowod, Ileot roù avrès, les ouvrages des iatrosophistes, des périégètes, les hydrophantes, les économes, les nar- rateurs des Fables merveilleuses (6rvuaoix dxobouara, àriota) étaient par- venus jusqu’à nous. Nous regrettons surtout que le livre de Théophraste sur | Elna, ep bôaxos rod év Euxeli, et sur les fossiles, IIept 2uBouuévev, soient perdus. Les ouvrages minéralogiques intitulés Hept X0wv n'ont eu aucun rap- port avec les changements de la croûte terrestre ; très-souvent ils ont eu une importance hygiénique. Quant aux causes qui ont retardé le progrès de la géologie chez les Grecs, nous renverrons le lecteur au sixième chapitre de l'ouvrage anglais de M. Schvarez. 594 CONNAISSANCES DES GRECS ET DES ROMAINS thèses relatives au passé de l'univers. Toutes les grandes idées se rapportant à l’histoire de la terre et des règnes orga- niques à sa surface ont été puisées dans les productions du génie grec. Mais, quant aux observations sur les changements modernes survenus soit dans les caractères physiques du globe, soit dans ceux des espèces animales, les résultats ob- tenus par les Romains semblent être beaucoup plus heureux que ceux de leurs prédécesseurs. La quantité presque innombrable des systèmes cosmologi- ques de la Grèce, leur variété et leur bizarrerie, avaient produit une telle impression sur les Romains lors de leurs premières études scientifiques, que plus tard le génie latin n'osa point s'essayer à la résolution des problèmes de cette nature et surtout” des questions géologiques. Mais, d'un autre côté, les observa- tions, les faits remarquables relatifs à l'histoire de la terre, et dont la mention nous a été transmise par Pline, Sénèque, Co- lumelle, Palladius et surtout par Mare Térence Varron, nous font vivement regretter la perte de tant d'ouvrages éerits par les Romains sur l'étude de la nature. Nigide Figule, l'ami de Cicéron et de Pompée, a essayé d’in- troduire les principes de l’école de Pythagore sur le sol du La- tium; Varron, dans ses livres sur l’agriculture, nous a conservé et transmis, sur la théorie de la terre, un grand nombre d'hypo- thèses grecques, que les naturalistes romains ont commentées et même corrigées ou modifiées d'après leurs propres observa- tions. Ces derniers ont porté leur attention sur les phénômènes volcaniques, et plusieurs auteurs ont écrit sur les tremblements de terre, Sénèque, qui consacre tout le VI livre de ses Ques- tions naturelles à cette classe de phénomènes, mentionne l'en- fouissement d’Hereulanum et de Pompéi, la séparation de la Sicile de l'Italie et celle de l'Europe de l'Afrique, par une ac- tion volcanique, en citant les vers (414-419) du I livre de l'Énéide ; mais il ajoute que c’est à un cataclysme ou déluge, chanté par les poëtes, que cette séparation doit être attribuée, Les, Romains, en général, n’apportaient aucune vue théo- RELATIVEMENT À L’'HISTOIRE DE.LA TERRE. 595 rique ou spéeulative sur cet ordre de faits ; c’est ainsi que Ta- cite, Suétone, Pline le Jeune, Martial, qui racontent la cata- strophe de Pompéi et d'Herculanum, ne font aucune réflexion sur son origine. C'est à un historiographe qui vivait 150 ans plus tard, à Dion Cassius, que l’on en doit une description spé- ciale. Ovide, dans le XV° livre des Métamorphoses, annonce que l'Etna cessera un jour de rejeter des laves (v. 340). Pline, dans son Histoire naturelle, fait connaitre beaucoup de voleans et d'autres manifestations des forces internes du globe, et cela en si grand nombre, qu’il dit dans le cvn' chapitre de son IF livre : Excedit profecto omnia miracula ullum diem fuisse quo non cuncta conflagrarent. Néanmoins ce passage ne prouve pas en- core que l’auteur ait formellement admis la théorie du feu cen- tral de l’école de Pythagore. Dans ses Lettres, Pline le Jeune donne une description élégante de la catastrophe de Stabia dans laquelle périt Pline l'Ancien. Ovide, comme on l’a dit ci- dessus, rapporte dans le XV° livre des Métamorphoses (v. 252 et suivants) les changements qui se sont effectués de nos jours à la surface de la terre (1). Les documents qui se rapportent à ces faits ont été rassemblés par Pline avec un soin qui surpasse peut-être celui de Strabon (2). . Les fossiles ont peu attiré l'attention des ‘écrivains latins. Tite Live (XLIT, 2) connaissait les poissons pétrifiés ; Sénèque (Quest. nat., HE, 16, 17), Juvénal (XIE, 65), Apulée (de Ma- gia) également ; et, malgré cela, le géographe Pomponius Mela (IE, 5) rejette ces citations comme reposant sur des fables. Pline (VIE, 16, 74, VIE, 16, 73), (XXXVI, 18), Solinus (1, 90), Aulu- Gelle (IT, 10, 11), parlent d'ivoire provenant de la terre et d'ossements de grands mammifères ou de reptiles sans soup- (1) Presque tous les manuels de géologie ont fait usage de ses vers; CF. VonHoff, Geschichte der natürlichen Veränderungen der Erdoberfläche, et Link, Urwelt, etc. (2) Voy. 3. Schvarez, On the failure of geol. attemps in Greece prior the epoch of Alexander, p. 19-20. In-4, Londres, 1869, où l’auteur a cité lous les faits de cette nature rapportés par Pline. 596 CONNAISSANCES DES GRECS ET DES ROMAINS conner leur véritable origine. C’est seulement Suétone qui, dans sa Biographie d'Auguste, comme nous l'avons déjà rap- pelé (1), mentionne les ossements réunis à Caprée et attribués à des géants, comme provenant au contraire de grands animaux. Apulée de Madaure, numidien de naissance, mais de la secte platonicienne (de Magia, 41 p. 554), disait sous le règne d An- tonin le Pieux que les poissons fossiles trouvés sur les mon- tagnes dans l'intérieur de la Gétulie étaient les restes du déluge de Deucalion. Lassaulx a pensé que Tertullien (de Pallio, c. 2), en parlant des coquilles marines (conchæ et buccinæ) trouvées surles montagnes et en les regardant comme des preuves du déluge, n'avait fait qu'appliquer au dogme chrétien l'idée philosophique païenne d'Apulée. C'est d’ailleurs ce qui reste encore à démontrer, car on peut se demander si les traditions juives relatives au déluge n’élaient pas elles-mêmes fondées sur quelques observations et inductions des écrivains de cette nation. La destruction périodique de l’ordre général de la nature par suite de conflagrations ou de cataclysmes, ou alternative- ment par les uns et les autres, était connue de Cicéron, qui en parle dans son ouvrage Sur la Nature des Dieux (H, 46), mais il a relevé cette pensée de toute la force de son talent dans l'ap- pendice au IV° liv. de la République, intitulé Somnium Scipionis, le Songe de Scipion. C’est une imitation du 5° chapitre du Timée de Platon. L’orateur romain y ajoute seulement cette idée que toute gloire humaine, même celle d’un Scipion (lAfricain) va s’éteindre dans le cours d'une période cosmique ou comme il l'appelle, du Magnus annus. Car, dit-1l, tous les monuments de la célébrité, toutes les œuvres de l'homme seront détruits par les conflagrations ou les cataclysmes qui arrivent à la fin de chaque période. L'auteur termine par les conditions où se: trouvent les âmes qui s’élèvent dans les régions célestes après la mort, et à cet égard s'accorde avec la fin du traité de Plu- tarque intitulé : de Facie Lunz. (1) Voy. Première partie, p. 8. — Nota, RELATIVEMENT À L'HISTOIRE DE LA TERRE. 597 L'époque des Césars montrait {rop évidemment aux esprits clairvoyants une décadence à la fois dans l’ordre politique et dans l’ordre social pour que l’idée ne passât point dans les spéculations philosophiques et ne conduisit point à celle d’une destruction fatale de toutes choses ceux qui n'y auraient pas été amenés par la seule considération des fossiles. Quelle que soit l'opinion de Philon (op. I, p. 298), de Colu- melle (Préf., 1. 1), de Pline (Epist. VI, 21), d’Orose (Préf. et If, 9; VI, 1), de l’empereur Maximin (Eusèbe, Hist. ecel., IX, 7, Cf. Thémiste, V, p. 80, la Lettre de Symmaque, X, 61, citée par Lassaulx, p. #1), de Sidoine Apollinaire (Epist., VILL, 6), de Cyprianus (Demetrianus, p. 217), de Jules Firmicus Mater- nus (Matheseos, HT, 1), ou celle que rapportent plusieurs de ces auteurs pour en avoir entendu parler, que l'univers était déjà de leur temps devenu vieux, et qu'il touchait à sa destruc- tion ; quelle que soit l'opinion de ces hommes sur les faits géo- logiques, on peut être assuré que Sénèque avait des vues plus justes lorsqu'il soutenait que la conflagration générale avait pour but la destruction de l’ordre actuel de choses et l’avénement d'un autre plus perfectionné (Quest. nat., II, 28), car on ne peut pas croire que cette idée d'amélioration dont il parle ne soit applicable qu'à la morale (Cf. Sénèque, Epist. XCI, p.420). J. Firmicus Maternus le Jeune est un astronome qui croit à une période cosmique de 300 000 ans, terminée alternative- ment par un ecpyrosis ou par un cataclysme, et il essaye de trou- ver une analogie entre l’état de l’univers et celui du corps hu- man. L'homme doit, suivant lui, posséder en soi, comme étant le dernier chaïnon de la série organique, tous les types des êtres qui l'ont précédé, et il s'efforce de démontrer la nécessité d’une destruction périodique de l’univers par l’eau ou par le feu, en faisant allusion à l’analogie hypothétique de l’affaiblissement du corps humain et des remèdes qu'on y apporte. Cet auteur n'avait-il jamais oui parler des fossiles? C’est ce que nous ne savons pas. Dans la préface de son ouvrage sur l’agriculture, Columelle dit que lareligion ne nous permet pas de supposer que la stéri- 598 CONNAISSANCES DES GRECS ET DES ROVAINS lité de son temps soit le résultat d'une maladie d’un amaigrisse- ment, de la vieillesse de la terre. Ainsi cet élément de la con- fiance dans Ja Providence commence avec Columelle à entrer dans les spéculations philosophiques, élément religieux qui dé- fend aux âmes pieuses du moyen âge toute conclusion cosmo- logique, géologique ou paléontologique appliquée à des boule- versements périodiques de la terre. | Outre ces données, on pourrait encore en trouver beaucoup d'autres qui ont été attribuées aux écrivains latins, et dont on a certainement exagéré l'importance ou la valeur. Ainsi, une ancienne tradition nous représente Numa comme un disciple de Pythagore, en instituant le feu du culte de Vesta, lequel serait l'emblème du feu central. Mais si ce principe s'est ainsi trouvé consacré dans les institutions civiles, comment n’en trouve-t-on aucun témoignage écrit dans les auteurs (1}? A Rome, on célébrait le 21 août les fêtes des Gonsualia en l'honneur de Neptune Équestre ; le 25, celles des Vulcanalia en l'honneur de Vuleain ; le 25, celles des Opeconsivia en l'hon- neur de la grande mère des dieux, d'Ops Consivia, c'est-à-dire de la Terre. Tout ce qui regarde ces cérémonies se rattache à un culte mystique; or, suivant Lassaulx, la succession de ces fêtes serait une ‘allégorie indiquant la succession stratigra- phique des trois formations qui, suivant les géologuesmodernes, Breislak, Brocchi, Léopold de Buch et Hoffmann, se trouvent dans le bassin de Rome, les couches sédimentaires marines ou néptuniennes, celles d’origine volcanique, celles d’eau douce, fluviatiles où saturnines; Ops Consivia étant la femme de Saturne. Le même savant bavarois a cru que les’ Romains, ayant obtenu quelques coupes géologiques importantes dans les tra- vaux du port d'Ostie, dans les grands égouts ou en réglant le cours du Tibre, ont voulu désigner par ces cérémonies succe- sives les changements apparents survenus dans l’état de la croûte extérieure de la terre. (1) Voy. Niebuhr, Rôm. Gesch., H, p. 264; Oufried Müller, Hÿse. de la lilt. grecque, p. 295. De. ne de ue RELATIVEMENT A L'HISTOIRE DE LA TERRE. 599 Mais comment Varron, le plus savant des naturalistes latins et archéologue lui-même, parlant de ces cérémonies avec beau- coup de détails dans son ouvrage de Lingua latina, NY, 20, 21, n'aurait-il pas su leur origine et leur sens secret? Conclusion. De même que nous avons vu, dans l’histoire de la paléonto- logie stratigraphique, que les bases essentielles de la géologie n’appartenaient exclusivement à aucun des grands esprits scientifiques des temps modernes, et qu'aucune des nations occidentales de l'Europe ne pouvait seule revendiquer le mérite de les avoir découvertes et appliquées, de même nous voyons que les idées les plus générales sur l’origine du globe et sur les phénomènes dont sa surface a été le théâtre, lorsqu'on cherche leur source, doivent remonter jusqu'aux temps Îles plus obscurs de l'antiquité avant d’avoir été formulées par les philosophes grecs antérieurs à Alexandre. L'école de Pythagore professait la théorie du feu central re- nouvelée par Descartes et Leibnitz; les idées si exactes de Léonard de Vinci et de Bernard Palissy sur les corps organi- sés fossiles avaient été entrevues par plusieurs naturalistes et philosophes grecs aussi bien que les rêveries du moyen àge sur l'origine de ces mêmes corps ; car les mêmes vérités et les mêmes erreurs se sont reproduites à deux mille ans d'intervalle. Le développement progressif des êtres, leur renouvellement par une cause ou par une autre, élaient encore des spéculations nées de l'observation de la nature, aussi familières aux écri- vains de la Grèce qu'à ceux de Rome, et nous pourrions trou- ver dans l’histoire des autres sciences des faits tout aussi positifs de la profondeur de vue des anciens. Le génie moderne n’a donc point de date précise comme on voudrait quelquelois nous le faire croire ; il ne se manifeste pas à tel ou tel moment, avec tel ou tel esprit; il n’est, à prement parler, que le réveil après un long sommeil de de l'antiquité, se dirigeant alors, avec plus de sûreté d’autres voies et par d autres moyens, vers le but mieux dé- terminé de chacune des branches des connaissances humains nes. FIN DU SUPPLÉMENT TABLE ALPHABÉTIQUE DES AUTEURS CITÉS DANS LA DEUXIÈME PARTIE A Adams, 220, 222. Adanson, 37. Æppli, 456. Agassiz, 9, 10, 97, 134, 556. Ainsworth, 308. Airy, 280. Allan, 330. Almloef, 422. Alton (d°), 4. Anderson, 389. Arends, 389. Aucapitaine, 231, 507, 429. Austen (R. G.), 185-209. Austen (Cloyn), 204. B Bacon, 41. Baden-Powell, 66. Bailey, 293-254,362, 370, 575, 386. Baker, 217. Barrande (J.), 90, 149. Beamish, 423. Bean, 232. Beaumont (Elie de), 21, 421. Bèche (T. de la),144,179, 267, 306. Berryman, 252. Berthelot, 310. Berzelius, 422, 498, 501, etc. Beyrich, 147, 148. Bibra, 268. Bigsby, 542. Binney, 254. Biot, 267. Bischof, 14, 15, 266-268, 424. Blainville (de), 49, 62. Blumenbach, 48. Bouillon-Lagrange, 494. Bonnet, 16, 49, 74, 118. Boué (A.), 38, 144. Boussingault, 15, 382. Brandes, 507. Braun, 491. Brocchi (J. J.), 125. Brodrip, 179. Brongniart (Alex.), 122, 132, 144, 145, 511, 486. Brongniart (Ad.), 15. Bronn (H. G.), 2, 8, 9-11, 21-29, 38, 63,193, 135, 172, 174, 562. Brook, 252, 254. Bruce, 237. Buch (L. de), 418, 486. Buclner, 389. Bu'fon, 47, 158. 602 C Candolle (Pyr. de), 49, 62, 288. Candolle (Alph. de), 46, 65, 153, - 282-295, 301. Capellini, 447. Carpenter ce E- se A Carpenter, (W. B.), 3 Celsius, 417. Chamisso, 524. Chambers (Robert), 415. Chevalier (E.), 511. Chevreul, 63, 511, 517. Clarke-Abel, 310. Cloëz, 527. Conybeare, 144. Cordier (L.), 131. Coulon, 417. Couthouy, 325, 328, 532, 354, 34. Crôme, 389. Cross, 212. Cuming, 216, 218, 220. Cuvier (G.), 4, 49, 404, 494. 1, 555-569. D Dana (J. D.),28, 146-147,258-250, 959-514, 327-29-34-59, 5345-46, AN3. Darwin (Ch.), 64-114, 159, 248, 291, 274, 310, 517-346, 395, 596-429. Daubeny, 16. Dau, 389, 398. Davis (E. IL.), 452-462. Dawson, 545. Dayman (J.), 281. Debeaux, 212. Dekay, 223. Delanoïüe, 045. Delesse, 006, 554-559. Denham, 292. Deshayes, 64, 90, 191, 133, 531. Desor, 437, 446. Dolomieu (D. de), 131. Domeyko, 420. Dugès, 49. Dumas, 15, 42. Duméril (C.), 62. TABLE ALPHABÉTIQUE Duméril (A.), 165, 167, 512. Dumont (A.), 136. Dumont, 230. - Dumont (d'Urville). 169. Duponchel, 17. Duvernoy, 49. E Ebelmen, 14, 253. Edwards (Milne), 49, 65. Edwards (Alph. Milne), 259, 450. | Ehrenberg, 216, 254, 258, 555, 3541, 5353-79, 386. Eichwld, 450. Einof, 389. Fabricius, 212. Felkner, 508. Figuier, 525. Filhol, 445. Filippi (de), 464. Firmas (d'Hombres), 486. Fischer (P.), 211, 222-253, 2350-52, 476. : Flourens, 49, 64, 119. Forbes (Ed.), 9-10, 101, 105, 180- 83-85-209, 238, 251, 261, 278, 295-502, 598. Forchhammer, 269, 889, 422, 497. Forel, 447. Fourcroy, 383. Freke, 66. Fremy (E.), 189, 498-540, 538- 39. : Garrigou, 445. Gastaldi, 446. Gaymard, 530, 332. Geikis, 414. Geoffroy Saint-Hilaire (Ét.), 4, à2- 55, 66, SO. Geoffroy Saint-Hilaire (Is.), 46, 47» 49, 52, 59-62, 166. Gervais (P.), 38, 133. o DES AUTEURS CITÉS. Gibbs, 219. Gilliéron, 437. Girardin, 903, 507. Godron, 64, 115-117. Gœppert, 548. Goubert (E.), 121. Gould, 212, 223. Grant, 4, 66. Gray, 168. Gregory (W.), 380. Greville, 379. Haagen, 493. Haast (J.), 454. Hall (J.), 90. Harting (P.), 369. Hatchett, 538. Haven (S.F.), 448. Ileer, 437. Hemprich, 216, 333. Herbert (Spencer), 66. Herbert (W.),66. Hérodote, 436. Iinds, 218. Hisinger, 419. Hooker (W. J.), 66, 239, 288, 559. Hopkins, 27. Hôrns, 90. Hovey (J.), 512, 329. Humboldt (Alex. de), 282, 383. Hunt (R.), 20. * Hunt (E. B.), 331, 537. Hunter, 389. Huxley, 66. il Illiger, 48. Ingen-Housz, 16. J Jeffreys, 200, 209. Jenyns, 389. Jobert (de Lamballe), 384. John (Albert), 456. 605 Jussieu (Ant. Laur. de), 48. Jussieu (Adr. de), 62. K Kapp (Ch.), 422. Keilhau, 421. Keller (F.), 436, 446. Kexserling (de), 66, 215, 550. King (W.),280. Kœnig (Emm.), 46. Kock, 370. Koninck (de), 90. L Lamarck (de), 4, 49-52, 66, 74, 80, 118. Lampadius, 289. . Lartet (E.), 555. Lassaigne, 507. Lavoisier, 42. Layard, 230. . Lea (J.), 234. Leblanc (F.), 16. Lesquereux (L.), 391-404. Lesson, 169. Liebig, 14. Linné, 46, 140. Lüven, 183, 238, 261. Lubbock, 91,440, 435, 456. Luc (de), 389. Lund, 423, 426, 449. Lyell (Ch.), 125, 153, 144-45, 148- 495 417,499, 545. M Macquart, 486. Mac Andrew, 199, 202, 208, 210- 214, 297, 238. Maillet (de), 47, S0, 104. Malaguti, 385. Marchand, 499. Mather (W.), 255. Matthew (Patrick), 66. Martins (Ch.), 288, 301. Maury (F.), 224, 251-52, 281. , MClintock, 281. 604 TABLE ALPHABÉTIQUE Mérat-Guillot, 539. Pressier, 903, 507. Métherie (de la), 131. Priestley, 16. Meyendorf (de), 417. Pritchard, 3$0. Meyer (H. de), 125. Pucheran, 162-64, 1067-68. Middendorf, 211, 217. Pupikofer, 438. Miller (H.), 9. Pirard (de Laval), 318. Môrch (0. A. L.), 224. : Morlot (de), 427, 451, 444, 469. Q | on 97 ; à . ak | pré pa an) Quatrefages (de), 46-49, 64, 114. Mulder, 503. Quenstedt, 90. Müller (K.), 15. Quoy, 5530-52. Müller (J.), 49. à Müller, 363. R ape (R. L.), 146, 215, 425, tafinesque, 66. d0. Ralf, 580. Ramond, 131. N Raspail, 4S6. Naudin, 66. Ray (Jean), 46. Naumann (F.), 150-151 . Réaumur, 494. Nelson (R.), 314, 354. Regnault, 16,17. Nesbit, 383. Reiset, 16, 17. , Newbold, 309. Renaud (de la Pllrière), 389. Nilsson, 420, 425, 424, 496. Renou, 509. Nora, 389. Rennie, 589. Reynaud (Jean), 170. 0 Richard (Ach.), 63. Richardson (J.), 260. Oberlin, 389. Rivero (de), 384. Oken, 4. Robert (Eug.), 420. Omalius d'Halloy (J.3. d’), 66, 152, | Robinet, 49, 118. 144. Rogers (H. D.), 45, 148, 185. Orbigny (Ale. d'}, 9, 90, 135; 148- Roses, 4175. 49, 218-291, 225-350, 3062-65. Ross (James), 252, 257. Owen (R.), 9, 10. Ross (John), 256, 258. " Royer (M'° Ern.), 65-4114. P Rützing, 380. Pailliardi, 589. Rütimeyer, 456, 59, 442. Papius, 389. $ Parker (J. P.), 252. Péligot, 20. Sandberger, 90. Pelouze, 498-540. Saussure (Bénéd. de), 154. Percival, 389. Saussure (Théod. de), 16. Phillips (J.), 147. Sauvage (l'abbé de), 486. Philippi (R. A.) 220, 290, 507 Scarabelli, 447. Pigorini (L.), 447. Schaffhausen, 66. Pourtalès (F.), 376. Scheerer, 905. DES AUTEURS CITÉS. . 605 Schlegel, 165. | U Schmidt (Ch.), 41. Schomburgk, 565. Ublmann, 456. Schow, 229. * Ulloa (Ant. de), 383. Sedgwick, 9. Unger, 4. Senebier, 16. | Serres (Marcel de), 594, 525. | V Sharpe (D.), 542. Siau, 326. Silliman, 359, 539. Smith (W.), 559, 380. Smith (de Jordan-Hill}, 417. Smith (le colonel), 451. Somerville (M®°), 257. Spallanzani, 308. Spratt, 214. Sprengel, 389. W i 4 452-2469 | 1 es Wakerling, 389. Stimpson, 919, 295. Walch, 252, 186, 093. Steenstrup, 589, 399, 427, 431. |’Wallace, 66,169. Stévinus, 189. Wallich (G. C.), 256-279, 298. Stewart-Trail, 379. Der Stokes (Apjhon), 504. LÉ AELSS Stokes (Ch.), 257, 549, 551. Weiss, 595. Strauss, 62. Wiegmann, 389. Strecker, 386. Lie Fa ori 44 1 ? ; Strobel, (Pellegrino), 447. Wilson” 295. red Cr tb Valenciennes, 49, 180, 216. | Vanuxem, 311, 429. Vaupell, 398-504. Vauquelin, 583. Verneuil (Ed. de), 184, 215, 308, do0. Vogel, 266. T Wisse (Séb.), 386. : : Wood (S.), 90. Thénard, 15. Woodward (S. P.), 185, 208, 214- *Thomson, 426. ee à à PA 1 CERRORE Tilanus, 505. : Worsaæ, 427, 454. Torell (Otto), 224, 256, 274. | Tournefort, 46. u | 54 Triger, 550. ‘Troyon (Fréd.), 456-445. _ Zeunë, 420. 606 ._ TABLE ALPHABÉTIQUE TABLE ALPHABÉTIQUE DES AUTEURS CITÉS DANS LE SUPPLÉMENT DE LA PREMIÈRE PARTIE A Ammianus (Marcellinus), 576. Anaxagoras, 566, 71, 75, To. Anaximandre, 975, 75, 76, 79, 80, 83. Anaximène, 079. Apollopius (le Rhodien), 565, 72. Apulée, 595, 96. Archélhaüs, 575. Aristoclès, 587, 92. Aristote, 564, 71-74, 79, 81, 83 Aristote (Pseudo-), 590. Athénée, 590, 91. Aulu-Gelle, 591, 95. à B Berose, 975. C Callimaque (de Cyrène), 585, 88. Cédrène, 593. Celse (Celsus), 76, 92. Censorinus, 72, 76, 82. Chrysippe, 592. Cicéron, 587, 96. Cléante, 592. Clément (d'Alexandrie), d76. Columelle, 597. Brandis, 576. d | | | Cousin, 77. Cuvier, 580. Cyprianus (Demetrianus), 597. D Delaunay, 962. Demetrius (Callatianus), 585. Demetrius (de Scepsis), 585. Démocrite, 565, 66, 71-72, 77, 85. Diodore (de Sicile), 583. Diogène (d'Apolloniate), 575. . Diogène Laërce, 565, 74, 74. > Dion Cassius, 595. Dionysius (Halicarnassii), 587. Dübner, 581. E Empédocle, 565, 6d, 75, 75-76, 79, 81-84. Epiménide, 574. Eratosthène, 585. Eudoxe, 579. Eusèbe, 576, 87, 93. Eustathe, 593. F Firmicus Maternus (J.), 597. DES AUTEURS CITÉS. 607 Galen, 176. Galen (Pseudo-), 577, 82. Gibbon, 574. Gladish, 584. Gronovius, 578. H Héraclide (de Pont), 464, 65. Hérachite (d'Ephèse), 575, 87. Hérodote, 566-70, 79. Hésiode, 566, 70, 92. Hicétas, 564, 65. Hipparque, 585. Hippon, 575. Homère, 66, 89. Ibycus, 566. lon (de Chio), 566. J Justinus, 587. Juvénal, 595. K Karsten, 577. Kleuker, 579. L Lassaulx, 562, 92, 96, 98. Lerius (Phérécide), 569. Linus, 575. Lipsius (J.), 587, 92. : Lucrèce, 592. °M Martial, 595. Maximin, 597. Melisse, 579. Millin, 562. Minutius (Félix), 576. Mullach, 577, 81, 85. Müller (Otfried), 598. Myrsile, 266. Némès, 595. Niebubr, 598. Nigidus (Figulus), 576, 94. Numenius, 587, 92. 0 Ocellus Lucanus, 571. Origène, 579, 76,78, 87, FOR 587, 597. Orphée, 575. Ovide, 571, 99, 95. P Parménide, 573, 75, 82. Pausanias, 591. Phérécide, 965. Philolaüs, 564. Philon, 597. Philopone (Jean), 578, 82. Phlegon, 591. Pindare, 563, 66. Platon, 65, 71, 79, 76, 85. Pline (le Jeune), 587, 90-91, 95,97. - Plutarque, 576, 80, 87, 89, 92. Plutarque (Pseudo-), 971, 80, 81. Polybe, 590, 91. Pomponius Mela, 595. Posidonius, 85, 87. Proclus, 563, 576. Prodicus, 589. Pythagore, 575, 76. R Reiske, 981. Roth, 560, 64. Schaubach, 577. Schneider, 590. Schvarez (J.), 561. Seylax, 587. Sénèque, 570, 87, 94, 95, 97. Servius, 976. Sextus (Empiricus), 978. 608 TABLE ALPHABÉTIQUE Sidoine (Apollinaire), 597. Simplicius, 563. Solinus, 591, 96. Sophocle, 589. Sotion, 589. é Sprengel, 584. Stein, 581. Stobæus, 577. Strabon, 568, 570, 8o-88. Straton (de Lampsaque), 562, 71, 86. ti Sturtz, 77, 81. Suétone, 595, 96. Suidas, 75. Tacite, 095. Tertullien, 596. Thalès, 579, 77. Themistius, 973. DES AUTEURS CITÉS. Théodorète, 577. Théophraste, d65, 90-91. Théopompe, 575. Thucydide, 570. Tite Live, 595. Typhoëus, 565. Varron, 594, 98. ' Virgile, 593. | x Xanthus, 566, 79. Re Xénophane, 379, 75, 15, ms. ii Z Zénon, 979, 92. n Loroastre, 079. TABLE DES MATIÈRES AVERTISSEMENT P. 1. CHAPITRE PREMIER. PHÉNOMÈNES GÉNÉRAUX ANTÉRIEURS A L'ÉPOQUE ACTUELLE P. 2 S 1. De l'origine des êtres et de leur développement, . . . . . . . 1 Observations générales, p. 1. — Exposition, 3. — Hypothèses sur l’ori- gine des êtres organisés, 3. — Succession des êtres organisés, 5. — De l’homme, 6. — Causes générales de l'harmonie de la nature, 8. — Hypothèses sur le développement des êtres, 9. $ 2. Des changements physiques survenus dans les conditions de lavie. 11 Premier état de l'enveloppe terrestre, p. 12. — Causes chimiques, com- position de l'atmosphère, 13. — Azote, 13. — Carbone, 14. — Oxy- gène, 17. — Résultats généraux, 18. — Restitution du carbone à l'atmosphère, 19. — Etat général de l'atmosphère, densité, humi- dité, ete., 20. — Conclusions et effets généraux, 21. — Causes physi- ques, température, refroidissement graduel et ses effets, 23. — Oro- graphie et hydrographie, 26. — Observations diverses de G. Bronn, 98. S 5. Origine et distribution des eaux Ge CON LS A FAO PRE NP 31 Caractères des premières eaux, p. 51. — Condensation des vapeurs, 31. Premières eaux douces ou saumâtres, 33. —- Conséquences de l'existence des eaux douces, 33. — Suite de l’accroissement.des caux douces, 55. $ 4. Température à laquelle ont pu vivre l2s premiers organismes. . 56 Végétaux aquatiques, p. 37. — Animaux aquatiques, 37. — Agimaux terrestres, 38. 610 TABLE DES MATIÈRES. S 5. Apparition simultanée des animaux et des végétaux, . . . . . 39 . ni Actions compensalrices des animaux et des végétaux, p. 39. — Matières organisées assimilables formées par les plantes seules, 40. — Dévelop- pement consécutif des êtres, 41. — Solidarité des fonctions de la nature, 42. CHAPITRE JI. DE L'ESPÈCE L P, 45 8 4. Opinions diverses. . . . . . . : . . 45 . Ray, Emm. Kænig, Tournefort, p. 46. — Linné, 46. — Bacon, 47.— Buffon, 47. — L. de Jussieu, 48. — Blumenbach, 48. — Illiger, 48. G. Cuvier et son école, 49. — Robinet, Bonnet, de Lamareck, 49. — Ét. Geoffroy Saint-Hilaire, 92. — Is. Geoflroy Saint- Hilaire, 56. — De la variété limitée, 57. 2 "pou tidet des principes, 7. — ‘Objections, 58. — Suite de l'exposition des principes et discussion, 9. — GC. Du- méril, Strauss, 62. — De Blainville, 62. — P. de Candolle, 62. — A. de Jussieu, 62. — A. Richard, Alph. de Candolle, 65. — G. Bronn, Chevreul, Milne Edwards, de Quatrefages, Flourens, Deshayes, 63. $ 2. Derniers représentants des opinions opposées sur l'espèce. . . O4 Examen du livre de M, Ch, Darwin SR 65 Notice historique, auteurs divers, p. 66. — Chap. L. Variations des espèces à l'état domestique, 67. — Chap. IL. À l'état de nature, 70. — Chap. U. Concurrence vilale, 71.— Chap. IV. Élection naturelle, 73. — Chap. Y. Lois de variabilité, 80. — Chap. VI. Difficultés de la théorie, 81. — Chap. VIL Instinct, 86. — Chap. VIE. Hybridité, 88. — Chap. IX. Insuffisance des documents géologiques, 88. — Chap. X. Succession géologique des êtres organisés, 94. — Chap. XI. Distribution géo- graphique, 88. — Chap. XIL. Suite, 101. — Chap. MIL. Classifica- cation, etc., 103. — Chap. XIV. Récapitulation et conclusion, 104. Examen du livre de M. Godron.. 4 ©, . . 15 Résumé des deux opinions sur l'espèce. , . . ... , . . . .. 117 S3. De la non-perpétuité de l'espèce... . . . . . . . . . : RE 119 ‘ _ Dernières considérations sur l'origine des espèces. , , . . . . 495 CHAPITRE HI. P, 1%, $ 1. GJassification géologique. . . .. . . . . . . . . . . . . . . 126 Principes généraux, p. 126. — Base de la classification géologique, 127 re Le: à TABLE DES MATIÈRES. 611 — Premières classifications, 129. — Classifications diverses, 130. — Minéralogiques, 130. — Zoologiques, 132. — Physiques ou géométri- ques, 136. — Dynamiques, 136. — Indépendance des phénomènes dy- namiques et biologiques, 137. — Classification méthodique, 142. — Classification adoptée, 143. $ 2, Nomenclature ou terminologie. . , . . . . : . . . . . . . . 144 Examen des diverses terminologies, p.145. — Terminologie adoptée, 152. Classification géologique générale, p. 154. CHAPITRE IV. ÉPOQUE MODERNE P, 155. Tableau des divisions du terrain moderne, p. 196. $ 1. De la distribution des vertébrés terrestres : 451 © PES CA CO PE PC NC CH Idées de Buffon, p. 158. — Observations de M. Darwin, 159. — Id. de M. Pucheran, 162. — Remarques diverses, Afrique, 164. — Madagas- car, 166. — Nouvelle-Guinée, 168. — Iles Sandwich, 169. — Éques teur zoologique, 170. — Australie et îles voisines, 170. — Iles de l'Atlantique, 173. — Dimensions relatives des mammifères et des terres qu'ils habitent, 173. — Centres théoriques de créations terres- “tres, 174. — Évaluations relatives. des faunes et des flores modernes et anciennes, 175. — Les connaissances paléontologiqnes seront toujours incomplètes, 176. _ $S2. Distribution des animaux aquatiques, . . . . . . . . . . . . 178 _ Observations diverses, p. 1 79. — Premières recher ches d'Ed. Forbes, 180. — Recherches de \. Lüven, 183.— Loi générale de la distribution des espèces dans l’espace et dans le temps, 184. — Travaux divers d'Ed. Forbes et de M. Austen, 185. — Régions ou provinces zoologiques, 186. — Provinces des mers d'Europe, 189. — Causes extérieures influentes de la répartition des faunes, 190.— Structure des côtes, 190.— Formes des côtes, 190.—Nature du fond, 191. —Marées, 191.— Courants, 191. = Climat, 191. — Composition des eaux, 192. — Profondeur des eaux, - 494. — Zones bathymétriques, 194. — Les six régions des mers d'Eu- rope, 195.—Température d'hiver, 197. — Température d'été, 199.— Associations locales de mollusques arctiques, 199. — Température de la mer, 201. —Composition de l'eau de mer, 202. — Eaux saumâtres, 205. — Faunes des eaux saumâtres, 203. — Nouvelles remarques sur l’in- fluence des circonstances extérieures, 205. — Distribution comparative des mollusques dans les mers d'Europe, 206.— Importance relative des régions, 207. — Distribution des espèces d’un genre donné, 209. — Re-_ ts de M, Mac-Andrew, 210. — Divisions de M.S. P. Woodward, 619 TABLE DES MATIÈRES. 214. — Provinces marines ou régions, 1°, 2°, 5°, 4°, 5° régions, 214. 6° région, 215. — 7°,215. — 8°, 219. — 9,917. — 10°, AT. — 11°, 217. — Côtes occidentales de l'Amérique, généralités, 217. — 12° région, 219. — 13°, 220. — 14°, 220. — 15°, 221. —_16°,291. 17°,229, —18°, 222. — Régions circumpolaires, 225. — Répartition des céphalopodes, 225. — Pésumé, 226. S 5. Distribution des mollusques fluviatiles et terrestres. . . . . . 227 Généralités, p. 227. — Résumé des régions, 229. — Distribution en hau- teur des mollusques terrestres, 229, — Alpes, 250. — Kabylie, 251. — Pyrénées, 252. — Guadeloupe, 232. — Résumé, 235. $ #. Goquilles d’eau douce de l'Amérique du Nord, . . . . . . .. 254 Gastéropodes, p. 254. — Acéphales, 234. — Dépôts de coquilles lacustres, 235. — Observations générales, 236. — Mollusques d’eau saumâtre. Gnatodon, 256. — Ætheria, 231. - & 9, Des lignes isocrymes:,;. ._.....-.. 1.40 OR 237 Exposition et définitions, p. 258. — Division des zones, 241. — Équa- teur de chaleur et équateur magnétique, 241. — Descriptions des ré- gions, 242. — Disposition particulière dans l'Atlantique, 244. — Dis- position générale dans les deux océans, 245. — Grandes provinces zoologiques, 248. — Influence des caps, 248. — Les trois divisions zoologiques principales, 249. S 6. Distribution bathymétrique des êtres organisés. Jett MSC 250 Observations diverses, p. 251, — Recherches de M. Wallich, 256. — Observations anciennes de John et James Ross, 256. — Remarques gé- nérales, 258. — Température, 259. — Relation des organismes avec les profondeurs et les latitudes, 260. — Condition des organismes . dans les grandes profondeurs et à de grandes hauteurs, 261. — Pres- sion de la mer et ses effets, 264. — État et proportion des gaz dans les mers, 265. — Substances salines des eaux de la mer, 267. — Sub- stances diverses dans l’eau des mers, 269.— Action de la lumière, 274. — Conditions de la vie dans les grandes profondeurs, 272-275.—0Objec- lions diverses, 275.—Persistance des corps dans les profondeurs où ils ont vécu, 276. — Distribution de quelques organismes en profondeur, 276. — Abaissement supposé de l'Atlantique du Nord, 278. — Con- clusions, 279. — Observations diverses, 280. — Remarques géné- rales, 281. S 7. Distribution des végétaux à la surface de la terre, , . . . . . 282 - Comparaison des principales divisions du globe, p.285. — Végétation des iles, 287. — Nombre des espèces de phanéroganes, 287. — Division des surfaces terrestres en régions naturelles, 288, — Origine des végé- laux dans chaque pays, 288. — Conclusion générale, 999. — Iypo- thèse d'Ed, Forbes, 295. TABLE DES MATIÈRES. 615. CHAPITRE V. MODE DE FORMATION DES COUCHES FOSSILIFÈRES P, 505, $ 1. Dépôts coquilliers modernes, . ............ .. . 504 2, Des récifs de polypiers. . ........... DE 1919 $ polyp Exposition, p. 913. — Iles Bermudes, 314. na diie de M. Dar- win, 917. — Atolls ou iles lagouns, 318. — Composition de la masse des polypiers, 319. — Profil d’un atoll,,519. — Iles parasites, 320. — Lagune, 320. — Destruction des polypiers, 321. — Profondeur de la mer autour des atolls, 321. — Profondeur de la lagune, 321. — Ca- naux et portions annulaires du récif, 321. — Atolls sous-marins, 522. — Dimensions des atolls, 323. — Barrières de récifs, 324. — Distance des récifs, 324. — Hauiour et caractères géologiques des iles, 321. — Étendue des récifs, 325.—Récifs frangés, 325.—Distribution ds récifs et conditions de leur développement, 327. — Accroissement des pol; - piers, 329. — Profondeurs auxquelles vivent les polypiers, 331. — Polypiers de la mer Rouge, 353. — Distribution générale, 333. — Sub- Stratum, 334. — Conclusions, 334. — Récifs de la Kloride, 536. — Distribution générale des polypiers dans les mers actuelles, 337. — Carte générale de M. Darwin, 558. — Caractères des roches, 339. — Théo- rie de la formation des récifs, 540. — Distribution comparée des atolls et des barrières de récifs avec les récifs fr angés, 544. — Date de l'a- baissement, 346. — Observations générales; SAT. $ 3. Radiaires, annélides, crustacés, . 348 CHAPITRE VI. ORGANISMES INFÉRIEURS P, 3550. Observations généraies, p. 359. nn ne, PP 0 ll d 0: : 359 Protophytes, p. 353. — Desmidacées, 354, — Diatomacées, caractères généraux, 394. — Habitat des diatomacées, 359. — Protozoaires, caractères généraux, 360. — Classification, infusoires, rhizopodes, spongiaires, 361. S 2. Gisements principaux. . . , . . 965 Rhizopodes, 365. — Organismes ds, nord ee FN Er et bord de la Ballique, 366. — Environs de Berlin, 367. — Environs de Lune- 614 TABLE DES MATIÈRES. bourg, de Wismar, de Pillau, de Swinemunde, etc. 368. — Hollande, 569. — Localités diverses, 369. — Répartition générale, 570. — Orga- nismes microscopiques des volcans, 372. — Poussières atmosphériques, 574. — Amérique du Nord, recherches de M. Bailey, organismes ma- rins, 979. — Origine organique de certains sables verts, 376. — Rizières, 378. — Marais salants, 358. — Farines fossiles, terres édules, 379. — Résumé, 380, Appendice, . . .. CR Ent ee 581 Guano, origine, gisements, p. 381. — Iles Chincha, 583. — Quan- . lité, 385. — Éléments enlevés à l'atmosphère, 584. — Patagonie, 385, — Substances minérales, 385.— Organismes microscopiques, 386. — Cuica, 386. CHAPITRE VII. S l. Tourbes et marais bourbeux, . . . 288 56060 de ee Formation de la tourbe, p. 391. — Tourbe immergée, 392, — Tourbe émergée, 592. — Ancienneté, 593. — Épaisseur, 594. — Proportion de l'accroissement, 394, — Flore, 594. —--Distribution géographi- que, 996. — Danemark et iles voisines, 398. — Origine et mode de formation des dépôts de combustibles végélaux, 494. — À quelle époque remonte la formätion des tourbières? 403. — Résumé, 405. +08 DATE S 2. Distinction des époques moderne et quaternaire. , CHAPITRE VII. PREUVES DE L'EXISTENCE DE L'HOMME AVANT LES TEMPS HISTORIQUES P, 410. Observations générales, p. 410. S 1. Restes d'industrie humaine dans les anciens dépôts marins, . à 415 Écosse, p. 413. — Scandinavie, 417, S 2. Kjôkkenméüddings du Danemark, . Re . 425 Ages de pierre, de bronze et de fer, p. 425. — Kjükkenmodifioges 427. $ 3. Marais tourbeux du Danemark. , .............. 451 $ 4. Habitations lacustres. , , . . .. ne + + COS . 455 Suisse, Pfahlbauten. Distribution géographique, p. 455. — Emplacement des populations et constructions, 437. — Restes d'industrie, 438. — Restes d'animaux, 459. — Restes de végétaux, 442. — Poteries, 442. TABLE DES MATIERES. (UE Ages de bronze et de fer, 443. — Disparition des Pfahlbauten, 444. — Irlande, 445. — Angleterre, 445. — France, 445. — Italie, 446. S 5. Ouvrages en terre de l'Amérique du Nord. . . . . . . . . .. 418 Observations générales, p. 448.— Contemporanéité de l’homme avec les espèces perdues, 449. — Recherches de MM. E. G. Squier et E. H. Da- vis. Distribution géographique, 452. — Nombre des ouvrages en terre, 454. — Formes et dimensions, 454, — Emplacements, 455.— Destination, 456. — Métaux et objets d'industrie, 458. — Populations aborigènes, 458. — Ancienneté, 458. — Moyen d'évaluer leur ancien- neté, 460. $S 6. Réflexions générales sur l'ancienneté de l'homme. . . . . .. 462 + 0 A) ou KY A AP fe 469 Cône de déjection de la Timière, p. 469. CHAPITRE IX. DE LA FOSSILISATION l, 470. V nn de ne Me one 6 ner Ne ae 410 Définitions, p. 470. nine. 0 LU es ns he ee 475 Altérations des corps organisés, p. 475. — Fossilisation, 474. — Moule, 474. — Empreinte, 475. — Contre-empreinte double, 475. — Contre- empreinte simple, 476. — Moules et empreintes de coquilles perfo- rantes, 476. — Utilité des résultats de la fossilisation, 479. — Pétrifi- cation, 479. — Incrustation, 479. $ 2. Substances minérales fossilisantes.. . . , . . . . . .. ALT ATAS0) - Substances minérales terreuses, p. 480. — Chaux carbonatée, 481. — Spathification, 481. — Spathification naturelle, 481. — Spathification accidentelle, 483. — Chaux sulfatée, 483. — Claux fluatée, 484. — Chaux magnésienne, 484. — Barytine, 484. — Célestine, 484. — Na- crite, 484. — Silice, 484. — Orbicules siliceux, 486. — Substances métalloïdes, soufre, 491. — Substances métalliques, 491. — Fer oxydé hydraté, fer oligiste, 491. —- Fer sulfuré, 492. — Fer phosphaté, 493. —Fer varbonaté, 494. — Cuivre, cuivre sulfuré, 495. — Cuivre carbo- naté, 495.— Plomb sulfuré, 495. — Zinc sulfuré, carbonaté, 495.— Mercure sulfuré, 496. — Argent, 496. — Causes générales, 496. — Substances d’origine organique. Bitume, résine, 496. — Résumé, 497. $ 5. Composition chimique des fossiles, Animaux vertébrés.. . . . . 497 Mammifères vivants, p. 498. — Os, 498. — Dents, 501. — Bois de ru- 616 : TABLE DES MATIÈRES. minants, 902. — Matières cornées, 502. — Mammufères et reptiles fossiles, os, 503. — Dents, 506. — Résumé, 507. — Oiseaux, rep- iles, poissons, 509: — Écailles de reptiles, 510. —0s de poissons, 514. Écailles de poissons, 511. — Dents de poissons, 511. — Coprolithes, 914. — Mammifères, 914. — Oiseaux, 514. — Reptiles, 514. — Poissons, 514. — Empreintes physiologiques, 515. 6 4. Animaux invertébrés. . . . . . . . 515 Crustacés, 515. — Insectes, 518.—Annélides, 319.—Mollusques, 520.— Céphalopodes, 520. — Gastéropodes, 524. — Acéphales, 524. — Bra- chiopodes, 527. — Coloration, 528. — Modification du test, 529. — Test composé de deux parties. Spondyles, 5350. — Rudistes, 551. — Observations diverses, 552. — Bryozoaires, 533. — Radiaires, 533. — Échinides, 534. — Stellérides, 556. — Crinoïdes, 531. — Polypiers, 038. — Rhyzopodes, Polycistinées, 540. — Diatomacées, 541. Appendice, . 24. . 4 02. CC RCA o41 Déformation des fossiles, p. 541. — Fossiles des roches métamorphiques, 042, — Fossiles des roches altérées et des roches compactes, 545. — Fossiles dans des rognons marncux, 545.— Empreintes physiques, 544. — Gouttes de pluie, 544. — Rides marines (ripples marks), 545. — Stylolithes, 545. | Recherches de l'azote, p. 554. SUPPLÉMENT DE LA PREMIÈRE PARUS Résumé des recherches de M. J. Schvarez sur les connaissances des Grecs et des Romains relativement à l'histoire de la terre. . . . . . 560 Géologie des Grecs avant l’époque d'Alexandre. , . . . . . . . 565. Géologie des Grecs pendant les époques alexandrine et post-alexan- Ut: OR MAS RP RER UD OÙ 85 Géologie des Romains... . : , . . . .. . . : . 995 RDS SANT T1 NM ce DONNE . + 1098 Table alphabétique des auteurs cités dans la seconde partie. . . 601 Id. des auteurs cités dans le supplément de la première DONNER ne Mr Nr tue DER: RE 606 FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES * PARIS, — TMP, SIMON RAÇON ET GOMP., NUE D'ERFURTH, À Cours de Paléontologie stratigraphique 2° Partie vÉ 20 nu du ee ee se jai il Aléoutienne | Ve rt mañénes 142 (€ Ada Lerlus &) Philippines 1Ù 10 = RATE sa 10 or neo) = )£ l Î Fe SE ar 20 17/2 ti CZ D lasmanirne- | Llantes ES | | ele ne . Liantes ruines | | 7 Afiiéaine — te il T Æi ! Al É | | CONTE CARTE | | | | | | | | | | ne Sa | ] É û MAL ACI | | “| 1 | | | | | | | | Cu ; | 1 | And de mer de o"\à 1848 Métren DES REGIONS OLOGIQUES E Û | | | | | Que | | qe ë te | | L: | | | | a ete | marines etcontinentales | | | | | | | | | î | avec V | | | | | | | | au | le i Sid bre , é ne Î + —— — + a 1e ee PRE = Se l'indication du fondde atlantique |60 | | | | | | | | Ai CO | d'après les publications | | | | | | | | | | L s | | | | | | | | | | | | Y | de 7pe à g1$0 ct au defà le L Le | ee | rire a | | | | | | | | | M M.S.PMOODWARD.FMAURYETG CWALLICH . | re MS a | Là 18 Régions [marines | /@ 27 Æegrons continentales ©, Guralt mardih V1 Ares de} Montagnes / | | | | | 4 | Æ : le Ë | | | | | Sa | | | CE = =: = — — | — ——— | ES : t = = 3 x D zo. 40 90 20 100 _ 410 re 120 _430 x 120 450. 5 160. à 180) 110 160 150 272 150. 120) 110 100. 80 40 30 20. [2 __40 20 ES _30 - +0 2 20 a Z Cravé chez Abri f TR des Pernandns 18. Zip Janson, Tares tm 777777 at 7 luckland Î l : (gas LIGNES ISOCK montrant la distribution g DES ANIMAUX MARINS ïs D'APRÈS A - celle publiée en 1853 par J CHAUDE L Crongra su so | Grave chez Avril FE Jmpdansen Paris gone Cours de paléontologie stratigraphique LL Ù MNT Be partie : Carte des iles et des récifs de polpiers avec l'indication des voleans brülants d'après la Carte publiée par M, Ch. Darwin en18#2, ù _ Ps rein ‘ L = MS gi Lusvone EAZrranfi Golfe du Mexique L BIRMAN 1 si en S' Domingue LE Maciannes 1 Lakedives PT) 12 Maldives 1* Gilber JE Menidana Crrrgeer @ promos, Z tinsbeth +... © gr LS TRE on À: Stméroë a orne. ire À PHackaun Det Van Diémen : = Ù = ne = 3 ne 2 - Est de 90 Greenwich Ouest de 120 Greenwich RAP) | | ; + DOLLFUS (Aug.), membre de ln Société véologique de France. = ER ETES — PEER rm 5 im he ——— œ. 2 £- - A “ - À . Li ce: : d < C L | LIBRAIRIE F. SAYS 0  + Enr 4 y ARCHIAC (D'}, membre de l'Institut, — Du terrain Fe et a l'Ancienneté dé l'Homme. Leçons professées au Muséum, recueillies et publiées par 2 M. Eucèxe Taurar. Paris, 1865. 1 wul. in-8. . . - + , : . . cal JP . qu Sous « ce Litre, l'autéx ‘ur sé propose de publier e comme ë compléent des Malacologiques des fascicules contenant dix espèces (décades). Dix : centurie, chaque volume sera composé d'une centurie, BURAT Amédée). Description des Terrains v France centrale. 1. vol. in-8 avec 40 pl. . . . . . . RS F5 . COQUAND (H.), professeur à hi Faculté des sciences de Marseille. — es" » paléontologie de la région sud de la province de Cünstan Marseille 4862. 1 vol. in-8 de 520 p. avec 40 pl. de fossiles. . ; . "Al COTTEAU (G.) Echinides fossiles des Pyrénées. Paris À se in-8 de 160 pages, avec 9 pl. représentant 119 sujets. : . . . Ne 1e à DELESSE, ingénieur des mines, professeur à l'École normale, oise qe la Géologique de Frince, ete. — Carte géologique souterraine de la vi de Paris, publiée d’après les ordres de M. le Préfet de la joue Née pri en chromolithographie, avec légende TA Nan oe Cart., collée sur toile. . . . . à —— Carte hydrologique 2 La ville de Paris. à feuilles à mpri chromolithographie, avec nr PP. D 0 "MS ) Ra Cart., collée sur toile. DEFRANCE., — Tableau des QUE ponts fon marques sur leur pétrification. In-8:, . . . . . “ . Pa le Gallica. La faune Kimméridienne du cap de la Héve, Paris, 1865. 14 18 pl-sur papier de Chine, représentant plus de cent fossiles, :. : .°. : < DOLLFUS-AUSSET, membre de la Sociéut géologique le Frante, — L pour l'étude des glaciers. Paris, 1863-1865. 5 v. gr in-8, avec aus, £ NES SUJETS TRAITÉS DANS CHAQUE VOLUME ! £ £ JE T. ls, — Auteurs qui ont traité des hautes régions des Alpes et des glaciers, é sur 4 quels ques questions qu s'y rattachent” nr 7 T. I. — Hautes régions des Alpes. — Géologie, — Météorologie. — Physique du gle o} T. 111. —, Phénomènes erratiques. + T. IV. — Ascensions. ) M, Glaciers en activité. Allus, = Tableaux météorologiques: — Carte du massit du Finster-Aora dr tions glaciaires, ete. ÉTALLON (A) et HERMANN (3). Lethea Bruntentana | Pari 1864. 4 vol, in-4 avec 7 planches, , DOS GRAS (Seipion . ingénieur en chef des Mines. Déséription zéologi département de Vaueluse, Paris, 1862. 1 #1 ine8, n vec coup D pe, +. ‘4 er oriées. , É RS, Carte * séolostqie äu départer tale RE LR HOGARD, membre x la Société gés re Gtaciers! etsur les Forms : 168 ‘des ris de Lwol. gr. in-8 et atlas in fol s% RE LORY Ch.) rofesseur * «ciences de. grace. du e, Drôme, Ha 3 vol. grand in-$. exle et pl. de coupés « L ét 4 re +\K ——_——@ ge \ LL 4, SILON HACON ET COM, NÉE U'RPUNM, L | WI | III II Il a #4 ï rs fes | Fi — 491 ‘, . NIENEL LUE Het 2 NAGER “ut : st be ÿ ee An a se on due rh 1 DR et ï ie # ue Cine Sete Ha Rs Re is ve Fan de eviter UEU Mer Je a er Ro RATER ci ve ër pue un DT Des nr been EEE 4 Fr Er an. pabibel mrnpmtute # COTE DE ppt En CS tt. À étape mad ve bol on 40 MR qi nt dors ter. ‘ PAU d ete PS per alor Me LOS k ' then aie Dada à à + es Le per A vice pre d'art pa top suventoihe - pr om D q RATER Haras ten PRLA Pape Telle RENVRETR rois rap ROLE CIEEE ) ne | ” + 4 0 + me CTI _ Q ER 4 RE 4 tr Pre CITRON sa Dr perte 1 pl prier È PME 4 . CAN mes , , PTE te ; W OTTEUE DTA CMP * 4 : L ’ …. ” CEE . + + QE . 1 1 . L arte « LE ve M ; è DCDE : È pe r L pe bé L * Z : re 4 pleut : e *e L ue ? w V4 eue he : LA + U L M 0 L * ) v ; : . . , + LE L 0 È \ " ‘ ‘ .r + + + ” 0 * ‘ ‘ M , ‘ : ” h “rt , | : \ | * + . vd . …. . CE . ‘ + . + + LE L H L | L L + , : À M vd . 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